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JOHN M. KELLY LIDDADY
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Donated by
The Redemptorists of
the Toronto Province
from the Library Collection of
Holy Redeemer Collège, Windsor
University of
St. Michael's Collège, Toronto
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DISSERTATIOiNS
SUR L\
YÉRITÉ DE LA BELIGlOi^.
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SOI.SSONS. — IMPRIMERIE DE EM. FOSSE DARCO«^E
IMPRISUIR DK T.'ÉTFCHÉ, RVE DIS RAIS, lO.
DISSERTATIONS
SDR LA
VÉRITÉ DE LA RELIGION
SUR r/ AUTHENTICITÉ DE l'ancIEN' TF.STA5IENT ;
SVR LES miracles; SUR LA RESURRECTION DE JÉSUS^CHRIST ,
SUR LA PROPAGATION DE LA RELIGION;
Par le cardinal DE LA LUZERNE,
AITCItN ÉVÈQUE DE LANGP.ES.
NOUVELLE ÉDITION*.
A PARIS,
CHEZ MÉQUIGNON- JUNIOR,
LIBRAIRE DE LA FACULTE DE THEOLOGIE,
RUE DES GRAWDS-AUGUSTÎNS, 9.
1843.
DISCOURS PRELIMINAIRE
LES CAUSES DE LINCREDILITÉ
Il y a environ dix-huit cents ans qu'il s'est opère daus
l'univers une révolution telle , qu'aucune histoire n'en
peut présenter de semblable , et que l'esprit humain ne
pouvant la révoquer en doute , a peine à la concevoir.
Douze hommes sans naissance et sans considération,
sans éducation et sans lettres, sortis d'un coin de la terre
presqu'inconnu, envoyés par un homme mort du sup-
plice des scélérats , sans autres moyens que la persua-
sion, sans autres armes que leur patience, sont parvenus
à changer les idées religieuses et morales de tous les
peuples. Ils ont trouvé les nations prosternées devant des
idoles , que consacraient le respect de tous les pays et le
préjugé de tous les siècles connus : à leur prédication
ces idoles sont tombées , et sur les autels qu'elles occu-
paient a été élevée la croix , jusque-là l'instniment du
plus honteux supplice et le symbole de l'ignominie. Ils
ont trouvé les esprits enthousiasmés de la philosophie
alors dans son plus brillant éclat , et les cœurs enivrés
des passions déifiées par le culte public : leur voix ton-
nante, victorieuse à la fois des opinions, des affections ,
des habitudes , des superstitions , dissipant de son souffle
et les lumières de la philosophie , et les illusions des pas-
sions , a soumis la raison à la foi et les sens à la morti-
fication. Ils ont trouvé les trônes occupés par des souve-
rains superstitieux et cruels qui , pour soutenir leur culte
antique, ont déployé toute leur puissance, et se sont
^ DISCOURS
armés de toute leur fureur; par le plus étonnant des
succès, ils ont Iriomphr de leur aiiiniosité en y succom-
bant. Leur saii(; répandu est devenu une semence de nou-
veaux apôtres, qui , eux-mêmes, par leur mort sanglante,
en ont reproduit d'autres , jusqu'à ce qu'enfin , de persé-
eutions en persécutions, l'univers se soit trouvé chré-
tien.
Après dix-luiit cents ans une nouvelle révolution se
prépare à changer encore la face de la terre. Ce que dix-
huit siècles consécutifs ont cru, révéré, adoré, pratiqué,
le dix-huitième siècle a entrepris audacieusement de l'a-
néantir. Il ne s'agit plus de substituer un culte à un autre
culte, de présenter aux adorations des mortels un nou-
veau Dieu ; on prétend ellacer des esprits toute idée de
Divinité. Les apôtres de la nouvelle doctrmc , aussi op-
posés aux apôtres du christianisme dans leurs moyens
que dans leur but, avaient commencé par prêcher et par
unplorer la tolérance. Mais à peine ont-ils usurpé dan
un pays la puissance, qu'ils ont inondé la terre qu'ils
s'étaient asservie du sang le plus précieux , le plus pur,
le plus sacré ; ils ont développé une barbarie qu'on ne
peut rappeler sans horreur , leur atroce et ingénieuse
férocité a inventé des raffinements de cruauté inconnus
aux tyrans du paganisme.
Serait-il donc arrivé ce temps désastreux que le Sei-
gneur montrait dans un avenir lointain à son apôtre bien-
aimé? L'incrédulité moderne serait-elle ce monstre qui ,
traversant les mers revêtu de toute la puissance et armé
de toute la force de l'antique dragon , doit élever ses blas-
phèmes contre Dieu , contre son église, contre ceux qui
régnent avec lui dans le ciel , faire la guerre aux saints
de la terre , et les immoler à sa rage ? Sommes-nous des-
tinés à la voir étendre la puissance dont elle s'est servie
pour dévaster notre patrie , sur toute tribu , sur tout \)c\\-
ple, sur toute langue, sur toute nation ? A toutes les dou-
leurs dont elle nous a pénétrés, serons-nous forcés d'a-
jouter celle de voii- tomber en adoration devant elle tous
les Jiabitans de l'univers, dont les noms ne sont pas écrits
PRÉLIMINAIRE. /
dans le livre de vie '1) ? Eloignons de notre esprit ces si-
nistres présages. Déjà dans notre patrie elle-niénie un
gouvernement , plus modéré que ceux qui depuis dix ans
l'ont tyrannisée , travaillant à essuyer les plaies dont elle
saigne de tous les côtés, semble vouloir arrêter la main
qui les a infligées (2;. En cherchant à réparer les maux
affreux dont la France a été accablée, il paraît en avoir
reconnu la cause; et pour rendre à la nation son bon-
heur, il a senti la nécessité de lui rendre sa religion.
Espérons que cette lueur de restauration que nous aper-
cevons, n'est que l'aurore d'un jour plus brillant, et que
l'Eglise Gallicane qui ne fait aujourd'hui que s'élever un
peu au-dessus de ses ruines , reprendra dans quelqu'.^
temps sa grandeur et sa majesté antiques.
Mais nous que le Seigneur a établis, comme autre-
fois , la tribu sainte , les gardiens et les défenseurs de son
sanctuaire , notre place est sur la brèche qu'y ont faite
ses criminels ennemis , pour repousser tous les assauts
qu'ils ne cessent de lui livrer.
Pour remplir ce devoir sacré , deux moyens se présen-
tent: Tun est d'opposer à l'incrédulité , comme un rem-
part insurmontable , quelques-unes des démonstrations
qui portent jusqu'à l'évidence la vérité de notre sainte
foi ; et c 'est l'objet des Dissertations que je publie : l'autre
moyen , qui va suspendre pour quelques moments l'em-
ploi du premier , est d'aller attaquer l'incrédulité elle-
même , de lui opposer sa propre origine , et de montrer
les causes auxquelles elle doit sa naissance et ses progrès^
(i) Et vicii de ruati bestiara ascendentem.... et dédit illi draco vir-
tutem snam, et ro'es'atera magnaîn,... et apernit os snnrn in blasphe-
inias ad Deam . blaspliemare nornen ejus , et tabernJtcnlum ejns , et
eos Cjoi in coelo halùtant. Et est datum illi bellum facere corn sanctis
et vincere eos, et data est illi potesfas in omneni tribom, in popa-
Inm , et linguam, et gentem ; et adoraveraiit eani emi.es qai inhabi-
tant terrara, qnornm non snnt scripta nomiiia in libre viiœ Agni ,
qai occ'sus e>l ab origine mundi. {Jpoc. i3, i et seq. )
(2) L'auteur écriva'i ceci en i8or. i:\'ote de l Editeur.^
8 DISCOURS
J'en remarque trois ])iincipales : le libertinage l'en-
/jendre, rorgueil la produit , la Irj^èreté la répand.
C'est le cœur de l'insensé , et non son esprit, qui a dit :
Il n'y a pas de Dieu. Ils se sont corrompus, dit le pro-
phète . ils se sont rendus abominables dans leurs inclina-
tions (1). Gardons-nous cependant d'exagérer. Dans le
nombre des incrédules il peut s'en rencontrer qui aient
conservé une certaine régularité de mœurs. Il n'y a pas
de principe tellement universel, qu'il n'admette quelques
exceptions; et la corruption du cœur n'est pas la seule
cause que nous ayons assignée à l'uTéligion. Mais je ne
crains pas d'être démenti ]>ar les incrédules eux-mêmes ,
en avançant que le plus grand nombre d'entre eux est li-
vré à la débauche. Non , sur ce fait, je ne veux pas d'autre
témoignage que le leur propre. Ils sont bien éloignés de
dissimuler leurs désordres. Eu perdant la pudeur ils ont
abjuré la honte. Loin de rougir de leurs excès , ils en
font gloire.
Cette vérité étant reconnue par ceux-là même qui
seuls pourraient la contester, il s'élève naturellement une
question. Est-ce l'incrédulité qui donne naissance au dé-
règlement? Est-ce le libertinage du cœur qui engendre
le libertinage des pensées ?
Pour la résoudre , j'en propose une autre. Est-ce l'ir-
réligion qui a intérêt de rendre l'homme impudique ?
Est-ee l'impudicité qui a intérêt de rendre riiomme irré-
ligieux ? Ici il ne peut plus y avoir de doute. Qu'importe
à l'incrédulité que les mœurs soient plus pures ou plus
dépravées ? Que la chasteté soit , ou ne soit pas une ver-
tu , l'incrédulité n'en seia ni plus ni moins condamnable.
Mais au contraire l'homme qui a une fois secoué le joug
de la pudeur^ a un grand intérêt à anéantir celui de la
religion. Il ne peut ignorer que cette loi sainte qui ne
passera jamais , proscrit essentiellement sa passion. Entre
[i I)i\i' insipiens in corde i>»o. : ISon Cit Dens. Coiinp'.i sunt el
abo!iiiii«bi!cs facii sunl in s»udii& suis (Psaloi i3, i.}
PRELIMINAIRE. 9
ces irréconciliables ennemies , il n'y a , il ne peut y avoir
aucun traité. Il faut absolument ou méconnaître la loi,
ou se soumettre à sa condanmation. Il est impossible de
croire, et d'être en même temps entièrement satisfait
dans le vice. Tant que l'idée de Dieu reste imprimée
dans le libertin , elle l'agite et va le troubler jusqu'au
sein de ses plaisirs. L'n ver rongeur est attaché à sa con-
science ; ver éternel qui le suit toujours et partout , qui
ne mourra pas même avec lui , et qui le suivra jusque
dans les enfers. Ce remords dont il méconnaît le bien-
fait , et dont il ne sent que le tourment, ce remords qui
lui avait été donné pour le rappeler à la vertu, est pré-
cisément ce qui l'enfonce dans l'abîme du vice. >ie pou-
vant imposer silence à ce censeur importun , il imagine
de s'en défaire. Il se flatte qu'en chassant la foi de sou
cœur il en bannira les terreurs qu'elle inspire. Ainsi ces
deux hommes vieillis dans la lubricité , qui avaient en-
trepris de corrompre Suzanne, pervertirent leur jugement
et détournèrent les yeux pour ne pas voir le ciel qui les
(condamnait , et pour perdre le souvenir de ses redouta-
Jjles jugements (1). Ainsi les libertins de nos jours ima-
ginent, en détournant leurs regards de l'Etre Suprême ,
se dérober aux siens, et pensent, en niant la Divinité ,
se soustraire à ses vengeances.
Et voilà donc en quoi consiste cette force d'esprit dont
l'incrédulité se glorifie, et dont elle fait un de ses prin-
cipaux litres. Cette force prétendue n'est que la faiblesse
d'un esprit qui ne sait pas se rendre le maître de ses sens.
C'est la servilité , qui se laisse impérieusement dominer
par une passion brutale ; c'est la lâcheté , qui ne veut pas
connaître le danger qu'elle craint de combattre ; c'est la
pusillanimité, qui redoute les efïoris qu'il lui faudrait
taire , les assauts qu'elle aurait à soutenir. Il sied bien
(i) Everteroiit jen.suin shujji , et Jecl-nî-veraut oculos suos, ut
non vidèrent cœlniu , ne |ae leeordarentur judiciorum justoruui.
{Dau. i3, 9.)
r
fO DISCOURS
aux incrédules de traiter de faiblesse notre religieuse
iVayeur des jugements divins , ù eux qui n'ont pas même
osé en soutenir la pensée I
Pour nous convaincre que telle a été l'origine impure
de l'incrédulité du libertin , suivons la marche de son
libertinage et de son incrédulité. Nous verrons claire-
ment que ce sont, non ses pensées cjui ont perverti ses
actions , mais ses actions qui ont égaré ses pensées. Avant
SCS premiers dérèglements , lorsque ses jours coulaient
encore dans l'innocence, sa foi était aussi pure que ses
mœurs. Les preuves de la religion présentaient à son
esprit des démonstrations irrésistibles. La hauteur inac-
cessible de nos mystères n'était à ses yeux qu'un motif de
plus pour les adorer. Son cœur droit , alors , et vertueux,
repoussait avec une égale horreur et le doute et le vice.
Il voyait les elïbrts de l'incrédulité avec indignation,
avec mépris ses sophismes. Lorsqu'il a commencé à s'é-
carter du sentier de la vertu , il n'a pas encore abandonné
pour cela la voie de la vérité. En perdant son innocence ,
on ne perd pas tout d'un coup ses principes. Il y a loin
du premier degré de l'iniquité jusqu'au faîte. Quand
David jeta ses premiers regards sur Bethsabée , il était
bien éloigné d'ordonner le meurtre d'Urie. Mais le liber-
tinage, une fois maître du cœur d'un homme, lui donne
l'intérêt qu'il n'y ait point de loi répressive ; l'intérêt lui
en inspire le désir ; du désir à l'opinion le pas est glissant
et facile ; on croit aisément ce qu'on désire ardemment :
on se prête à tout ce qui favorise une illusion chérie ; on
rejette tout ce qui la contrarie. Ainsi de chute en chute
le libertin est entraîné successivement dans rhabilude ,
dans l'endurcissement, dans le doute, dans l'irréligion.
Ce n'est que lorsqu'il s'est entièrement enfoncé dans l'ini-
quité, qu'il parvient à mépriser ce qui avait été jusque-
la l'objet de ses respects (1).
(t) Impins, cumin piurui cliiiu \ eiieiil peccatoi nin , coi tenu:
sç-i bccyaitur cuni i^iiosuii.ia el (i]>probriuii:. {Prow i8, 3.;
PRELIMINAIRE. H
Examinez quels sont les lieux où l'incrédulité étend
ses progrès, quels sont îes temps où elle se produit avec
le plus d'audace , quelles sont les conditions où elle mul-
tiplie ses ravages. Vous ne la trouverez ni dans les pays ,
ni dans les siècles , ni dans les états qui ont conservé leur
simplicité primitive et qui n'ont pas dérogé à l'antique
pureté de leurs mœurs. Vous ne verrez point dimpies
où les époux fidèles respectent le lien qui les unit ; où les
fdles , heureuses sous les yeux maternels , chérissent leur
précieuse innocence. Mais vous verrez l'incrédulité triom-
phante dans les villes où le luxe a porté sa funeste dépra-
vation ; où le débordement des mœurs a rendu les époux
indifférents et les enfants indociles; où le libertinage
est l'affaire principale, le but de toutes les démarches,
l'objet de tous les désirs , le sujet de toutes les conversa-
tions. Partout où les mœurs sont restées pures, la foi est
demeurée entière. Partout où les mœurs se corrompent,
la foi chancelle et s'éteint. En voyant le même effet tou-
jours renouvelé et constamment suivi, pouvez-vous en
méconnaître la cause ?
Et l'incrédulité n'achève-t-elle pas de déceler sa hon-
t^^use origine par ses propres écrits , où elle ne rougit pas
de publier elle-uïème son opprobre? Pour montrer ce
qu'elle est, et d'où elle vient, il suffit de lui opposer
ses productions. L'impiété et l'obscénité y ont fait une
alliance digne de l'une et de l'autre. Les ennemis de la
religion ont rem|3li de leurs maximes impies des contes
licencieux , des vers lubriques', des chansons lascives , des
éiîigrammes impures. Ils ont osé même^ grand Dieu !
jusqu'où peut donc se porter la corruption du cœur hu-
main ? ils ont osé dans leur sacrilège fureur abuser de
l'auguste simplicité de nos livres saints, pour en tirer
leurs tableaux obscènes. Oseront-ils encore , ces précep-
teurs eff'rontés du vice ^ prétendre que c'est à la raison
humaine qu'ils s'adressent; que c'est la raison qu'ils
veulent persuader, quand ils s'efforcent de salir l'imagi-
nation ? Oserout-ils soutenir leur emphatique prétention
do prêcher la sagesse quand leur prédication appelle ,
lî DISCOURS
iaivitc , engajje , excite, cncoiua^je publiquenicnt à ïa'
tivjuavation ?
Coiiunciit cloue u'out-ils pas été retenus par la crainte
qu'un si iniàuie moyen ne iléshonoràt leur cause ? C'est
qu'en eomljinant ses divers efiets , ils ont calculé qu'elle
en letiierait encore plus d'avantages. Ils ont senti la con-
nexion intime qui existe entre la corruption et la séduc-
tion ; ils ont jugé qu'en excitant le tumulte des passions,
ils rendraient l'àine sourde aux leçons de la sagesse \ ils
ont esj)éré attirer par cet appât impur la nombreuse classe
des hommes livrés à la débauche , dont la brutale passion
cherche partout de Taliment ; ils ont voulu grossir leur
parti de tous les hommes corrompus et de tous ceux qui
désirent l'être. En un mot, ils ont compté mener leurs
victimes par la route qu'ils ont suivie eux-mêmes ; à Tin-
crédulité , par le libertinage.
Malheureux ! vos succès ont surpassé votre attente.
Une jeunesse inconsidérée s'est précipitée sur vos pas , et
a dévoré avidement , le double poison que vous lui avez
jeté. Mais tandis que vous jouissez de l'afTieuse gloire
d'être les corrupteurs à la fois et du cœur et de l'esprit de
la génération présente , un autre jnix plus di{>ne de vos
travaux se prépare. L'équitable postérité s'élèvera contre
votre mémoire , et la livrera à l'exécration de tous les
siècles. Les générations futures ne parleront de vos talents
qu'avec l'iiorreur qu'inspirera l'infâme usage que vous
en avez fait. Les pères arracheront à leurs enfants vos
criminelles productions. Les gouvernements, éclairés par
les malheurs dont vous nous avez accablés, et ])ar les
dangers que vous leur avez fait courir à eux-mêmes,
proscriront vos ouvra{jes avec une juste sévérité. Vous
avez aspiré à la célébrité , vous l'avez obtenue , mais une
célébrité d'ojiprobre et d'ignominie. Le mépris et l'indi-
gnation qui flétriront vos noms seront le châtiment
mérité de la téméraire vanité qui , se mêlant à votre liber-
tinage, a été encore une des causes de votre incrédulité.
L'orgueil , ce funeste ]>rin(.ipe de la jierle des anges
PRELIMI-NAIRE. 13
et des hommes , fut la première cause qui suscita l'incré-
duîité contre le christianisme. Jésus- Christ avait à peine
commencé sa carrière évangéUque , que la secte des pha-
risiens s'éleva contre lui. Ces liommes , vains de leur
fausse piété , enflés de leurs connaissances dans la loi ;
fiers du crédit que leur hypocrisie avait usurpé sur le
peuple et dans le Sanhédrin , méconnurent un prophète
venu de la Galilée , méprisèrent un messie pauvre et
n'ayant pas où reposer sa tète , dédaignèrent une doctrine
d'humilité et d'abnégation , se soulevèrent contre un pré-
dicateur qui démasquait, confondait, condamnait leur
vanité ; et, l'attaquant sans relâche de leurs perfidies, de
leurs intrigues, de leurs calomnies, ils consonm^èient
enfiu ce crime mémorable , qui a fait la destinée du genre
humain. La secte pharisaique a péri , mais son orgueil
lui a survécu. Il continue de poursuivre Jésus-Christ sur
ses autels, comme il l'avait persécuté dans le cours de
sa vie mortelle. Il n'a cessé de susciter contre lui les
hérésies , qui , se renouvelant de siècle en siècle, changeant
continuellement d'objet , mais constamment produites
par la même cause, ont toutes été des révoltes dune
raison superbe contre l'autorité. L'hérésie de notre siècle
est la destruction de tout culte , de toute divinité , et
elle procède de la même cause que toutes les autres.
Tant que la religion de Jésus-Christ subsistera , elle
condamnera l'orgueil de la raison ; et tant que la raison
ne déposera pas son orgueil , il la soulèvera contre la
religion de Jésus-Christ. La loi divine est formelle ; elle
tient toute intelligence captive sous le joug de la foi ; elle
renverse toute hauteur qui s'élève contre la science de
Dieu (1) ; elle est absolue et ne souffre aucune exception.
Tout est égal , dans l'ordre de la foi , entre le savant et
l'ignorant , entre le génie le plus profond et l'esprit le plus
(i) Deslruenlcs oiunem al'itudincm extolienlem se advtijus siieii-
tiam D^;i , et in captivitalein ledigeutes uiuiiem in'.elljclum iii ob^e-
quium fidci. (2. Cor. 10, 5.)
^^ DISCOURS
grossier. 11 est écrit dans nos livres saints ; « Je confon-
« drai la sagesse des sages , je réprouverai la prudence
'• des prudents. Où est le sage? Où est le docteur de la
« loi? Où est le savant de ce siècle ? Dieu n'a-t-ilpas ren-
« du insensée toute la sagesse de ce monde (1) ? » Telle
était la sage économie de la Providence ; elle a placé
la conviction de sa religion dans des preuves de fait , qui
sont à la portée de l'iiomme simple comme du génie le
plus élevé j, et cette conviction acquise, elle exige de l'un
et de l'autre un acquiescement également entier, une foi
également liumble , une soumission également passive.
L'ne loi aussi impérieuse, qui, pesant uniformément sur
toutes les ïétes, les met au même niveau, et qui ne lais-
sant aucun avantage aux talentsetaux lumières , rabaisse
nécessairement l'orgueil de l'esprit. Cette passion aussi
commune que l'orgueil des richesses , que l'orgueil de la
naissance, que l'orgueil des dignités et des honneurs,
plus active même dans les esprits qui ont la conscience ou
seulement la prétention de leur supériorité, cette passion
blessée se soulève contre la loi qui la réprime. L'homme
jaloux de se distinguer par l'éclat du génie, des talents,
des connaissances , ne soutient pas l'idée de se voir con-
fondu avec ce vulgaire qu'il méprise, de penser comme
le vulgaire , de réfléchir comme le vulgaire , de raisonner
comme le vulgaire , de croire comme le vulgaire , de n'a-
voir pas plus de mérite dans sa foi que le vulgaire.
Mais l'incrédulité lui présente un moyen de sortir des
routes battues, de s'élever au-dessusde la classe commune.
Une opinion nouvelle suppose de nouvelles lumières ;
une opinion hardie annonce des conceptions grandes et
Jortes. La raison enorgueillie de la supériorité qu'elle a,
ou qu'elle croit avoir , trouve au-dessous de sa dignité de
croire ce qu'elle ne comprend pas. Fière de ses hunières ,
(i) Suriptam est ei.im : Perdain .sajdeiuiaru sapieniium, et pi uden-
Uam piudenliiini lepiobal.o. Uhi sapiens ? L'ii sciiba ? VU concui-
sitc.r Ijnias sa>cu'i ? Nonne sluLam fecil Deus saiientiam hujus mun-
ui ? ( I. Cor. I , 19, 20.)
PRÉLIMINAIRE. 15
elle imagine qu'au-delà de l'horizon qu'elle aperçoit,
rien ne peut exister ; confiante dans ses forces, il n'y a
rien de si élevé qu'elle ne veuille atteindre , rien de si
profond qu'elle n'entreprenne de pénétrer, rien de si
obscur qu'elle ne prétende éclaircir. Elle ose citer à sou
tribunal jusqu'à la religion , et demander à Dieu compte
de ses mystères.
Il y a une intime correspondance entre la foi et l'iiu-
milité d'une part, entrel'orgueil et l'incrédulité de l'autre.
La foi commande l'humilité; et l'humilité seule peut con-
duire à la foi. De même l'orgueil pousse à l'incrédulité,
qui à son tour exalte encore l'orgueil. Ainsi tout con-
court à éloigner de la foi l'esprit orgueilleux. 11 repousse
la foi , parce qu'en croyant la religion il faudrait prati-
cjuer l'humilité qu'il dédaigne ; la foi le repousse, parce
que l'insolence de ses pensées est incompatible avec la
soumission qu'elle exige. Dès que la foi est le partage des
humbles ;, il est naturel^ il est juste tjue l'incrédulité soit
le partage des superbes; il est naturel (ju'en s'écartantde
la route on s'éloigne du terme; il est juste que le chàti-
merit naisse de la faute. L'orgueilleux a prétendu sou-
mettre à sa raison ce qu'elle devait respecter , il sera
abandonné à sa raison ; il a méconnu son Dieu, Dieu ne
se fera pas connaître à lui ; il a dit au Seigneur : « Re-
« tireZ' vous de nous, nous ne voulons pas de la science
« de vos voies (l) ; » Dieu le punira en l'exauçant (2). Et
pour avoir voulu sonder l'inaccessible Majesté , il sera
accablé du poids de la gloire (3).
Voyez l'orgueil, qui engendra l'incrédulité, se mani-
fester dans les titres pompeux dont elle se décore. Ses
apôtres se proclament hautement les libérateurs du génie
humain qu'ils affranchissent de la superslition, les bieu-
(i) Dixernnt Deo : Rfcede a nobis , et scienfiam viarum tiianmi
noluinus [Job. 21, 14.)
(2) Va* eis, cum recesscro ab eis. {^Osee , 9, I2.)
(3) Qiji srjQtator est majeslaiis, oppriiaeîiir a g'.oiia. fProi'. 2.'>,
16 DISCOURS
laileurs de l'Iimnanité à qui ils apportent le bonheur , les
apôtres de la vérité qu'ils répandent sur la terre. Ils s'ar-
rogent exelusiveinent la qualité de philosophes, et peut-
être avons nous à nous reproeher trop de facilité à leur
accorder ce titre fastueux, quia pu contribuer à leurs
succès. Eux , philosophes I Ah I la philosophie est l'usage
de la raison , elle n'en est pas l'abus. Certes , il fallut une
toute autre philosophie que celle dont se vantent les in-
crédules , pour endjrasser le christianisme malgré tous les
obstacles qui s'opposaient à son établissement ; pour ab-
jurer les préjugés, supporter les mépris, allronter les
dangers , subir les supplices , braver les tyrans. La philo-
sophie n'a pas changé depuis ce temps ; ce qu'elle était
alors . elle l'a constamment été , elle l'est encore , elle le
sera toujours. Dans tous les siècles le vrai chrétien aura
seul droit de dire avec saint Cyprien : « C'est nous qui
«< sommes philosophes , no.i de paroles, mais de faits ; qui
« montrons de la sagesse non les vaines livrées , mais la
« vraie pratique , et de la vertu non la jactance, mais la
" constante réalité 1). »
Suivez les incrédules dans leurs funestes écrits. Vous
y verrez encore percer à chaque pas l'orgueil qui causa
leur erreur , et qui ne contribue que trop à la propager.
Car rien n'est plus propre à en inq)Oser à la multitude ,
que ce ton afiirmatif et impérieux qui commande l'o-
])inion et qui interdit le doute : il suppose la conviction
intime de celui qui l'emploie , et par cela seul il l'incul-
que aux autres. On ne persuade jamais mieux , que lors-
qu'on a l'air profondément persuadé ; et le plus sur
moyen de bannir toute incertitude, est de n'en montrer
aucune.
J'userai à cet égard d'une conq>araison , peu digne
p:ut-étre de la gravité de cette matière, mais que son
(i) Nos aulein, fralics carisMini, qui philosophi non veibis. scd
facîis, suiiiu.s, nec veslilu bajâentiaiu , bcd veiitaie piwfeiimus ; qui
v'riuluiu cunstautiaui , luagis qaaii) jactaciMain, novimus. fS. Cy-
pr'ian.^ de liono Putituda.J
PRÉLIMINAIRE. 17
extrême justesse doit me faire pardonner. !Nous avons
souvent été étonnés du prodigieux succès qu'obtiennent
dans les rues et dans les places publiques ces hommes
adroits , qui attirent autour d'eux la multitude par l'at-
trait de la curiosité , l'amusent par leur volubilité, l'en-
traînent par leur véhémence , et lui font enfin acheter à
prauds frais des remèdes , dans lesquels souvent elle n'a
point de confiance Tout leur art consiste dans l'audace
de leurs assertions- C'est l'assurance imperturbable de
leur ton, l'autorité avec laquelle ils garantissent l'effet
infaillible de leurs secrets, qui abuse la crédulité, séduit
la simplicité, fixe l'indécision, dissipe la méfiance, en
impose à la malignité, et finit par faire triompher même
de la préveution. Il en est absolument de même de la
prédication de nos modernes incrédules ; c'est la même
charlatdnerie , la même confiance dans le ton , la même
arrogance dans les manières , la même jactance dans les
discours , et , je l'ajoute avec douleur , c'est trop souvent
le même succès.
J'ouvre au hasard les ouvrages des incrédules , et qu'y
vois-je? Au lieu de ce ton de simplicité et de candeur
qui caractérise la vérité, et dont nos livres saints offrent
un modèle si pur, j'y trouve le ton emphatique et obscur
des oracles , le ton tranchant de la présomption , le ton
arrogant de la hauteur , le ton suffisant de la légèreté , le
ton méprisant de l'orgueil. 3Iettent-ils en avant un prin-
cipe? c'est un axiome ; le révoquer en doute serait ou-
trager la raison. Présentent-ils un raisonnement? il est
terrassant; il faut être de la plus stupide ineptie, ou de
la plus révoltante mauvaise foi , pour n'en être pas con-
vaincu. Et tandis qu'ils exaltent ainsi leurs propres pro-
ductions, ils versent le mépris le plus insultant sur tout
ce qui combat leurs systèmes. Ils traitent sans cesse les
preuves du christianisme de vains arguments d'école, qui
ne valent pas même la peine d'être réfutés ; les mystères,
d'absurdités dégoûtantes; les miracles , de fables ridi-
cules ; les témoignages qui les garantissent , d'impostures
grossières-, les sacrements, de pratiques superstitieuses ;
18 Discouas
le zèle, de fanatisme; les frayeurs de l'autre vie, de
])euis d'enfants.
Est-ce ainsi que s'exprime la vérité? Est-ce là le ton
avec lequel il lui convient d'être présentée et défendue ?
La vérité, grande par elle-même, brillante de son seul
éclat , orné de sa simplicité , dédaigne ce vain étalage.
Elle est confiante sans présomption , digne sans arro-
gance , noble sans fierté , modeste sans timidité. Elle n'an-
nonce pas emphatiquement la lumière , elle la présente ;
elle ne promet pas fastueusement la conviction , elle la
donne. C'est à l'erreur à employer l'eitVonterie du char-
latanisme , la jactance de l'orgueil. De tels moyens sont
dignes d'une telle cause et lui sont nécessaires. Ils rem-
placent les raisons et peuvent faire croire qu'il en e iste :
et s'ils sont impuissants contre la plus saine partie du
genre humain, ils ont une funeste influence sur la plus
nombreuse.
Tl était impossible que des maximes aussi perverses
n'excitassent pas des réclamations. ]\ 'eussent-elles que
leur opposition aux principes reçus depuis tant de siècles ,
elles ne pouvaient manquer d^éprouverde la résistance.
C'est ici surtout que l'incrédulité se démasque par la
hauteur , et décèle l'orgueil qui la fit naître. Tels que
1 on voit des éléments de nature contraire , placés dans
le même vase^ se mettre en fermentation, et bientôt dé-
border avec effervescence ou détonner avec fracas, tel
l'orgueil de l'incrédulité , irrité par la contradiction , se
soulève avec fureur, se répand au dehors et éclate en
invectives violentes. Les écrits de ces prétendus philoso-
phes sont remplis des épithètes les plus amères. Les in -
culpations les plus odieuses y sont répétées à chaque page.
Les qualifications de stupidité , de démence , d'imbécilli-
té , de folie, d'hypocrisie , de superstition , de fanatisme ,
d'imposture , de friponnerie , y sont continuellement pro-
diguées aux défenseurs de la vérité et de la vertu. Ils ont
placé leurs injures jusque dans les tiires de leurs livres.
C'est surtout sur les ministres de la religion qu'ils diri-
gent leurs traits , qu'ils versent tout leur fiel. Que l'on
PRÉLIMINAIRE. 19
n'imagine pas que notre intention soit de nous plaindre
de leur haine, qui en nous poursuivant nous honore.
Leurs calomnies font notre gloire , comme leurs persé-
cutions préparent notre boulieur. Sovons éternellement
l'objet de l'exécration de ces hommes ((ui ont notre Dieu
en horreur. Qu'ils ne cessent de nous poursuivre de leurs
insultes , ceux qui outragent Jésus-Christ de leurs blas-
phèmes. Mais non, nos cœurs forment un vœu plus digne
de la charité dont nous sommes les ministres. Que plutôt
i'injusîe aversion de ces hommes égarés expire avec le
principe qui la fit naître. Que leurs yeux s'ouvrent à la
lumière , pour que leurs cœurs se ferment à la haine. En
même temps que , comme Josué , nous combattons leurs
efforts, élevons, connue 3Iûise, les mains vers le ciel,
pour en attirer les grâces qui les convertissent. Et tandis
qu'ils lancent sur nous les traits de leur rage, suspen-
dons par nos supplications ceux dont la colère divineles
menace.
La légèreté de l'esprit est , comme je l'ai annoncé , le
troisième principe qui a causé et propagé l'incrédulité.
Elle se glorifie, il est vrai , d'avoir eu pour apôtres plu-
sieurs des {)lus beaux esprits de ce siècle. Je ne lui dis-
pute pas ce frêle avantage. 3Iais oserait-elle mettre en
parallèle ce petit nombre d'honunes vraiment distingués
par leurs talents , qui dans ces derniers temps ont dévoué
leur plume à l'irréligion, avec cette longue suite de gé-
nies supérieurs qui avaient illustré les siècles précédents ?
Ces hommes d'immortelle mémoire, devant qui les bornes
de la raison humaine semblent s'être reculées, dont les
sublimes productions seront à jamais l'étonnement et
l'admiration , le modèle et le désespoir de toutes les gé-
nérations, ne faisaient pas difficulté d'abaisser la hauteur
de leur esprit devant les saintes vérités de la religion.
Ils croyaient même honorer leur raison , en l'humiliant
sous le joug sacré de l'autorité. Leur foi , soumise à la
fois et éclairée, ou plutôt soumise parce qu'elle était
éclairée, était aussi simple que celle du fidèle le plus
^^ DISCOURS
obscur , aussi humble que celle du plus religieux soli-
taire.
La légèreté d'esprit n'a pas produit tous les incrédules,
puisqu'il y en a quelques uns qu'il serait injuste d'accuser
de ce défaut. Mais pour se convaincre que le plus grand
nombre d'enire eux a été entraîné par cette cause , il suf-
fit de considérer quels sont presque tous les disciples et
même les apôtres de l'incrédulité. Sont-ce des esprits
appliqués , réfléchis , accoutumés à balancer les raison-
nements, à enchaîner les conséquences^ à rapprocher les
vérités pour en composer des systèmes? Ont-ils étudié
profondément les questions qu'ils se permettent d'agiter ?
Se sont-ils retirés dans le silence de la solitude, pour les
méditer loin des distractions? Ont-ils cherché à épurer
leurs cœurs , pour que les passions n'offusquassent pas
leur jugement ? Vous m'avez déjà répondu dans votre
esprit, vous tous qui avez été à portée de rencontrer et
d'apprécier ces suppôts de l'irréligion. Leur inconsistance,
qui n'a pu manquer de vous frapper, vous a convaincus
qu'ils ne sont devenus incrédules que par légèreté.
J'appelle incrédules par légèreté tous ceux qui sont
incapables de l'être par réflexion , soit que la nature leur
en ait refusé les moyens, soit que leurs facultés natu-
relles aient été affaiblies par le défaut d'usage ou abru-
ties par la débauche.
J'appelle incrédules par légèreté ces esprits paresseux
qui aiment mieux donner un assentiment , que se livrer à
une discussion ; qui trouvent commode de recevoir d'au-
trui des opinions toutes formées, et doux d'adopter celles
qui favorisent leurs penchants.
J'appelle incrédules par légèreté ces têtes dissipées qui,
n'ayant d'autre élément que le plaisir , d'autre occupa-
tion que de varier et de faire se succéder leurs amuse-
ments, ne trouvent pas dans toute leur vie un moment
pour l'étude et la réflexion.
J'appelle incrédules par légèreté ces enthousiastes que
quelque autorité a engoués.; qui, en se soustrayant à Té-
PRÉLIMINAIRE. 21
vangile, ne font que changer de joug, et qui ne se ré-
voltent contre Jésus-Christ que pour se donner des
maîtres selon leurs désirs (1).
J'appelle incrédules par légèreté ces incrédules d'imi-
tatioii et de bon ton, qui ont porté la manie de la mode
jusqu 3 dans la religion ; qui affichent l'incrédulité , parce
qu'ils l'ont trouvé reçue dans leurs sociétés : qui dans
d'autres temps et d'autres lieux eussent été religieux ;
qui le redeviendront encore, si jamais il est du bon air
de croire.
J'appelle incrédules par légèreté ces philosophes ado-
lescents , qui, masquant leur frivolité par leur suffi-
sance , vous entretiennent gravement de leur expérience ,
vous présentent d'un ton d'oracles le résultat de leurs pro-
fondes réflexions, vous assomment de leur immense éru-
dition puisée dans les brochures du jour. Ils ont tout vu,
tout lu, tout examiné, tout considéré , tout discuté, tout
pesé ; et de leurs nombreuses assertions la seule véri-
table , c'est qu'ils ont tout décidé.
Enfin j'appelle incrédules par légèreté toute cette
tourbe d'êtres superficiels , qui ne s'attachent à aucun
système particulier , et dont l'incrédulité consiste à rejeter
la loi qui les condamne ; qui , incapables d'adopter une
opinion, ne savent que suivre un parti, dont les idées
flottantes et emportées çà et là par lout vent de doctrine ,
varient selon les impressions qu'ils ont reçues du dernier
homme méchant ou astucieux qu'ils ont entendu (2j ;
avançant sans crainte les maximes les plus hardies ; recu-
lant sans dificulté , quand on leur en fait envisager les
conséquences : tous ceux , en un mot, dont l'incréduliié
ne repose sur aucun principe ; qui ne pourraient pas
(x) Erit enira teinpus, cura sanaai dortrinaru non sustinebunt, scd
ad saa desideria coacervabunt &ibi inagistrQS , prarientes anribus.
(a. Tiinoth. 4,3.)
(a) Jam non sinius parvuli fluctuantes et circumferamui- omni
vento docti-inae in nequitia hominum, in astulia ad ciicumventionem
crroris. {Ephcs. 4, 14.)
22 DISCOURS
rendre compte du motif qui 1rs y a décidt's ; qui se sont
faits incrédules ou par le plaisir de l'être , ou par !a va-
nité de le paraître, ou par la crainte d'être obligés de
pratiquer ce qu'ils croiraient. Ils blasphèment ce qu'ils
ignorent (l). Toute leur science se réduit à un jargon
emprunté de leurs oracles, avec lequel ils s'érigent en
docteurs, sans comprendre ni les matières dont ils par-
lent, ni même souvent les choses qu'ils affirment (2).
Et moi , j'ose contesler à tous ces hommes leur préten-
tion d'incrédulité. Ils ne sont pas véritablement incré-
dules , ils veulent l'être ; ils ne croient pas réellement que
la religion soit fausse, ils le souhaitent ; ils ne nient pas
dans le fond de leur cœur l'existence d'un Dieu vengeur
du crime , il la craignent ; et leur esprit irréfléchi , qui
n'a jamais su se rendre compte d'un sentiment, prend
aveuglément ses désirs pour des opinions. Que l'on re-
tranche de la classe des incrédules tous ceux qui le sont
devenus de quelqu'une de ces manières, à quoi se ré-
duira ce parti qui efl'raie par son grand nombre ?
Pour connaître sûrement l'influence qu'a eue la légè-
reté d'esprit sur l'incréduhté moderne , il suftirait de son
propre témoignage. Cette cause de son origine se mani-
feste , de même que les autres, dans ses écrits. On y voit
continuellement la raillerie substituée au raisonnement ,
et le ridicule mis à la place de la discussion.
Il n'est pas difficile de sentir coujbien est déplacé ,
combien est indécent dans une matière aussi grave le ton
de la plaisanterie (3). Certes, si jamais la raison humaine
fut appelée à traiter des objets qui exigeassent toute la
force de l'esprit , toute l'étendue des connaissances, toute
(i) Hi aatem qusecmnqiie ignorant, blasplietîiant. 'Jiid. \o.)
(2} Conversi snnt in vaniloquium , volentes e.«^se legis doctores ,
non intelligentes neque quae loquantur, neiine de quiLus afllrmant.
( I Timoth. I , '' , 7.)
(3) Quocitca velat ex loco exceUo clamantem me. Graeci , andite ,
nec cachinnando, dementiam vcstrara in prœconem verilatis Irans-
ferte. ( Tatiani contra Grœcos ^ Orat. n° 17.)
PRÉLIMINAIRE. 23
la profondeur des réflexions , c'est lorsqu'elle s'est élevée
à ces grandes méditations , qui lui découvrent son origine
et sa fin, les moyens de répondre à l'une et d'atteindre
l'autre ; qui lui développent ses relations avec son Au-
teur, ses rapports avec ses semblables ; qui l'instruisent
de l'universalité de ses devoirs ; qui posent le fondement
de ses espérances; qui ouvrent les sources de son bon-
heur ; enfin , dont dépend et pour le temps et pour l'éter-
nité toute la suite de ses destinées. Et les incrédules
imaginent de discuter ces grands objets avec des plai-
santeries, et ils prétendent décider ces vastes questions
avec des bons mots. Quelle idée ont donc eux-mêmes de
leur cause, ceux qui, pour la soutenir, ont recours à
d'aussi méprisables moyens? S'ils ont des raisons solides
à produire , croient-ils leur donner du poids par ces sail-
lies légères? S'ils n'en ont point, pensent-ils que des
railleries pourront en tenir lieu?
C'est là précisément leur espoir. Ils se flattent de sup-
pléer par le sel de leurs bons mots à ce qui manque de
force à leurs raisonnements ; et , sentant qu'ils ne peuvent
éclairer, ils cherchent a éblouir. L'exemple de leurs de-
vanciers, desHobbes, des Vanini , des Spinosa, dont
les écrits, inconnus du vulgaire, languissent dans la
poussière des bibliothèques, leur avait appris l'impuis-
sance du raisonnement contre la religion. Mais le ridi-
cule est aussi propre à attaquer la vérité qu'à combattre
l'erreur ; on le vit aussi souvent flétrir la vertu que dé-
masquer le vice. Une raillerie est, sur le commun des
hommes , plus puissante qu'une raison. Peu sont en état
de suivre la marche du raisonnement, mais un bon mot
€St à la portée de tous ; et même parmi ceux qu'une édu-
cation plus cultivée place au-dessus du vulgaire, combien
n'y en a-t-il pas qui se piquent plus d'esprit que de juge-
ment; qui ont plus de prétention à la vivacité qu'à la
justesse ; qui sont ainsi plus disposés à être séduits qu'à
être persuadés ; et plus entraînés par une raillerie que
convaincus par une raison ?
Les incrédules ont senti l'avantage que pouvait leur
24 DISCOURS
donner ce (>enre d'attaques légèies, et il les ont piodi—
pieusement niuitipliées. On a vu les matières les plus
graves agitées dans les brochures superficielles, les prin-
cipes les plus sérieux combattus dans des contes , les rai-
sonnements les plus abstraits discutés dans des vers. On
a vu les liistoires saintes parodiées, les maximes reli-
gieuses travesties. Les faits , les mystères , les sacrements,
les vertus chrétiennes , les ministres, tout ce que la reli-
gion consacre, tout ce qui a été l'objet des respects de
dix-huit siècles est devenu , dans celui-ci , le sujet des
chansons, des épigrammes, de tous les genres de rail-
lerie.
Ainsi, semblable au serpent qui se rajeunit en chan-
geant de peau, l'incrédulité , en changeant de ton , s'est
renouvelée. Ses objections surannées, reproduites sous
une autre forme , ont paru nouvelles. La curiosité a re-
cherché ses plaisanteries , l'oisiveté a recueilli ses bons
mots , la légèreté s'est réjouie de ses saillies, la malignité
a applaudi à ses épigrammes. Des écrits, ce ton léger a
passé rapidement dans les sociétés. Il a mis les matières
les plus abstraites à la portée des conversations les plus
frivoles ; il a rabaissé les sujets les plus relevés au niveau
des esprits les plus communs ; il a procuré les moyens de
briller à ceux que la nature en avait dépourvus; il a
même quelquefois donné l'air de la profondeur aux
tètes les plus superficielles. S'il n'a pas eu toujours le don
de persuader j il a eu le mérite plus recherché de séduire,
et même, dans bien des occasions, l'avantage d'en im-
poser. Combien de fois l'homme raisonnable et honnête
a-t-il contenu l'indignation qu'excitait en lui le jargon à
l'incrédulité, par la crainte de devenir le but d'un sar-
casme ou la victime d'un ridicule?
Un autre grand succès que l'incrédulité avait cspér ,
ft qu'elle a obtenu de son ton badin et railleur, a été
d'affaiblir par degrés le respect pour la religion. Mal-
heureuse légèreté de l'esprit hunmin I Ce mélange de la
fade plaisanterie avec ce qu'il y a de plus sacré ne devrait
inspirer que du dégoût , et cependant il amollit quelque-
PRÉLIMINAIRE. 2'5
fois même les âmes sensées et vertueuses. La répétition
fréquente des sarcasmes de l'impiété , aulieud'augmenter
l'indignation qu'ils inspiraient d'abord , la diminue. Ou
s'y habitue sans s'en apercevoir, on s'y familiarise sans
penser à s'en défendre ; on finit par s'en trouver moins
révolté , sans en connaître la cause. Et c'est ainsi qu'in-
sensiblement et graduellement s'est altérée cette antique
et pieuse vénération des objets sacrés , qui avait été long-
temps parmi nous le premier fondement de l'autorité, le
premier soutien des mœurs, le premier mobile de la vertu,
l€ premier frein du vice.
O jours de nos pères, jours heureux, qu'êtes- vous
devenus: Nos saintes vérités imprimaient à tous les es-
prits une respectueuse terreur. La conscience repoussait
avec une religieuse indignation jusqu'à la pensée d'un
doute. L'incrédule , si par hasard il s'en rencontrait
quelqu'un , était regardé avec étonnement et reçu avec
répugnance. La foi était l'arche mystérieuse, que l'on
ne pouvait toucher sans crime, sur laquelle on osait à
peine lever les yeux. Cette foi pure et simple de nos
ancêtres daignera-t-elle encore revenir parmi leurs des-
cendants? Accoutumés au langage des impies, famiha-
risés avec leurs blasphèmes , peut-être même amusés de
leurs railleries, ont-ils conservé des cœurs assez purs
pour la recevoir? Aurait-elle condamné la génération qui
la dédaigna, et toutes celles qui doivent suivie , à l'af-
freux malheur de l'avoir perdue pour toujours? Ahl si
Dieu a résolu dans ses décrets de punir notre irrélifrion
et les causes qui Pont engendrée, nos désordres, notre
orgueil, notre coupable légèreté, qu'il daigne nous choisir
un châtiment moins rigoureux.
C'est à nous à les rappeler dans notre patrie, cette
droiture de cœur , cette pureté d'intention, cette simpli-
cité de foi dont elle se glorifiait autrefois. C'est la perte
de ces précieuses vertus, qui a entraîné tous les maux
dont elle vient d'être accablée. En cessant d'être reli-
gieuse, elle a cessé d'être heureuse; en secouant le jou-
de la loi , elle a rejeté celui des lois , qui assurait sa tran-
DisserL êur la Relig, 2
26 Discouns
quillité ; et la liberté d'opinion dont elle s'est laissé flatter,
a été le degré par lequel on l'a élevée à la liberté de tous
les crimes.
O vous donc , chers et fidèles compatriotes , que les
séductions de l'incrédulité n*ont pas atteints, ou qui avez
eu la sagesse de vous en garantir, attachez-vous de plus
en plus à cette religion bienfaisante , qui vous promet le
bonheur de l'éternité , et qui , en l'attendant , vous
procure celui du temps. Considérez combien de maux
cherche à attirer sur chacun de vous cette incrédulité qui
s'eftbrce de vous prendre dans ses pièges. Enfants , elle
vous enlève à celui qui vous rassemblait si alïectueuse-
ment autour de sa personne. Vieilards, à l'attente pré-
cieuse qui soutenait votre caducité, elle substitue l'ex-
pectative prochaine de l'anéantissement de tout votre
être. Riches charitables, elle vous dispute le prix, de vos
bonnes œuvres : vos aumônes ne monteront point aux.
pieds du Juge qui doit les récompenser. Pauvres, elle
vous conteste le dédommagement de vos privations; elle
vous dépouille de l'héritage qui vous fut promis. 3Ial-
heureux de tout genre , elle vous arrache vos consola-
tions. Hommes de tout état, elle anéantit vos espérances.
Et vous, objets de nos vives douleurs, qui naquîtes,
qui fûtes élevés dans le sein du christianisme , qui lui
appartenez encore ])ar votre baptême, qui en goûtâtes
autrefois les maximes, qui depuis les avez abandonnées ;
c'est à vous spécialement que nous adressons ces Disser-
tations sur la Vérité de la Religion. JNous ne vous de-
mandons pas encore de la croire, nous vous conjurons
de l'examiner. S'il reste encore au fond de vos cœurs le
plus léger doute, (et peut-il n'y en pas rester?) consi-
dérez combien est absurde et dangereuse l'indilFérence
dans laquelle vous vous enfoncez volontairement ; c'est
la tranquillité de l'homme ivre, qui dort sur le bord d'un
précipice ; c'est l'apathie du condamné qui , étourdi par
l'opium j monte sur l'échafaud sans terreur. Si , comme
l'ont cru fermement tant de siècles , comme l'ont pro-
fessé et soutenu tant de puissants génies, la religion est
PRÉLIMINAIRE. 27
vraie, voyez, en la rejetant, de quels biens immenses
vous vous privez, à quels maux affreux vous vous dé-
vouez? Ses promesses et ses menaces sont si expresses,
que leur effet est la conséquence inévitable de sa vérité!
Vous vous piquez de sagesse et de prudence dans toutes
vos autres affaires; est-ce ici le lieu d'en manquer?
quand une affaire majeure et d'une haute importance
vous survient, vous ne négligez pas de l'étudier; vous
employez tout ce que vous avez d'esprit, de sagacité ,
d'expérience, de connaissances à la bien connaître. En
est-il une dont l'importance approche de celle-ci ? Que
pensez-vous de l'homme qui, insouciant sur l'affaire
dont dépend le sort de sa vie, s occupe , pendant qu'elle
se décide, de frivolités et de bagatelles? Retournez sur
vous-mêmes le jugement que vous portez sur lui. Tous
êtes incomparablement plus déraisonnables, puisque,
entre votre extravagance et la sienne , il v a toute la dis-
tance qui est entre l'éternité et le temps. C'est donc pour
votre propre intérêt, pour votre plus grand intérêt, et
nous le disons d'après notre divin maître, pour votre
seul intérêt essentiel (I), que nous vous conjurons de
vous occuper de cet examen. C'est votre cause que nous
plaidons auprès de vous:2). Ayez pitié de vous-mêmes ,
de la plus précieuse portion de vous-mêmes , de votre'
ame (3) , que vous exposez au plus imminent et au plus
épouvantable des dangers.
Redouteriez-vous la difficulté , l'embarras , la fatigue
de cette étude de la religion ? Ah .' quand il s'agit pour
vous d'intérêts temporels, avec quel ardeur vous vous
livrez à des discussions bien autrement épineuses ! Vous
(i) Porro unrnn est necessarium. {Luc. lo, 42.)
(2) Jam vero iis qu* in nobis sita erant absolatis, des'nimns , .llud
etiam precantes , ut omnes ubiqae bomines veritatis cognitioné di«-
nentur. Ltinam el vos , nt pie.atem et pbilosophiam decet , «qaum
vestra .psorum causa jadicium feralis. {S. Justuu Apol stcund
np. i5.j r '
3) Miserere aniœae laae, placens Deo. {Ecdi, 3o, 24. )
28 DISCOURS
ne calculez pas alors les peines, les difficultés du travail.
Par quelle déplorable inconséquence ne vous arrèlent-
elles que quand il est question du plus grand de tous vos
intérêts ? Et quelles sont-elles donc ces difficultés si
eftravantes que vous présente l'examen de la religion ?
S'agit-il de sonder des idées abstraites , de vous élever à
des raisonnements qui surpassent votre intelligence ?
Vous demande-t-on de faire des recberclies lointaines,
de parcourir dans votre esprit tous les temps et toutes les
régions ? Non ; elle est entièrement à votre portée, vous
la trouvez sous votre main en quelque sorte toute faite ,
elle est la plus facile comme la plus importante de toutes,
cette étude de la loi divine (1^. Dien a voulu que sa ré-
vélation vous fût rendue certaine par les mêmes moyens
que toutes les autres vérités ; que la même faculté intel-
lectuelle jugeât les objets religieux et les profanes ; qu'elle
observât les mêmes règles dans la recherche des uns et
des autres. Il a attaché la conviction de sa religion au
genre de preuves le plus simple , le plus propre à être
senti par tous les esprits, le plus usité parmi les hommes ;
à des preuves de fait , sur lesquelles reposent tous nos
autres intérêts ; qui ûxent toutes nos autres croyances ,
qui nous dirigent dans toutes nos autres actions, qui
nous règlent pour tous nos autres devoirs , qui nous dé-
terminent sur toutes nos autres affaires. Non, nous osons
vous le dire , ce n'est pas votre esprit qui se rebute des
difficultés qu'il envisage; c'est votre cœur qui s'effraye
des sacrifices qu'il n'ose même contempler. Ce ne peut
pas être votre raison, ce sont évidemment vos passions
qui vous arrêtent dès l'entrée de l'examen, et qui ne per-
mettent pas à votre raison même de la commencer.
Tout ce que nous vous demandons avec instance est
donc de raisonner sur l'affaire la plus importante pour
vous, comme vous raisonnez habituellement , comme
(ij Mandatum hoc qaod ego praecipio tibi , non sopra te est, ne-
qae procal positum sed juxta te est senuo valde in ore lac , et in
corde tuo ut facias illam. {Deucer. 3o, ii , i4')
PRÉLIMINAIRE. 29
VOUS auriez honte de ne pas raisonner sur le plus léger
intérêt. Nous vous demandons uniquenent d'être raisoii-
na!)les sur ce point , comme vous l'êtes sur tous les au-
tres (1). Ce que nous vous demandons, votre raison elle-
même vous le demande avec nous. Elle vous supplie ,
elle vous conseille , elle vous requiert, elle vous somme
par notre voix , et par la voix intérieure de votre con-
science , de la laisser s'exercer librement sur la matière
qui est le plus évidemment de son ressort, et qu'il lui im-
porte le plus essentiellement de connaître. Si vous ne
daignez pas nous écouter^ écoutez-la du moins ; écoutez
ce qu'elle vous crie, et sur la nécessité dont il est pour
vous de vous livrer à l'examen de la religion , et sur la
manière dont vous devez y procéder.
Elle vous présente deux règles , dont vous ne pouvez
vous dissimuler la justice: la droiture d'intention, la
pureté de cœur.
Si votre intention n'est pas droite ; si, au lieu de cher-
cher la vérité , vous la fuyez , pouvez-voiis croire que
vous la rencontrerez ? Si votre volonté dit à votre intelli-
gence ce que disaient les juifs à leurs prophètes : «« Ne
« nous montrez pas ce qui est véritable ; ne nous faites
« voir que ce qui nous plaît ; présentez-nous des er-
■< reurs (2) ; » docile à vos ordres, pour votre malheur ,
votre intelligence ne vous offrira que les illusions qui
vous flattent. Si, comme tant d'autres l'ont pratiqué ,
connue peut-être vous-mêmes vous en avez agi jusqu'ici,
(i) Nihil est enim qao raagis horao caefen's animantibus praestet ,
qaam qao rationis est particeps : causas rerum reqnirit, generis sui
auctorera investigandum putat , in cnjus potestate vitae necisque po-
testas ait, qui mnndura suo nota regat, coi sciamns rationem esse
reddendani nosirorum actuarn.... Omnibus igitnr hoininibus inest
secundura natnram bumanam verana investigare, qaae nos ad stuaiuni
cognitionis et scientiae trahit , et inqnirendi infundit cupidilatem.
fS. Ambr. de Offic. Min. lib. i, cap. 22, n° 124 , laS. )
(2) Qui dicunt videntibus : Noiite videra, et aspicientibns : NoKre
aspiceie nobis ea qaae recta sont : T.oqaimini nobis plarentia, videte
nobis errores. {Isa. 3o, to.)
30 DISCOURS
vous ne consultez, sur la vérité de la religion, que les
écrits qui la combattent, ou si vous ne lisez les livres
qui la défendent qu'avec un esprit de critique et dans
l'intention d'y apercevoir des difficultés, vous n'y trou-
verez que ce que vous y aurez cherché. Et n'est-il pas
dans l'ordre ordinaire que ce que l'on désire vivement
soit ce que l'on voit clairement ? Combien de fois n'avez-
vous pas vu et peut-être vous-mêmes l'avez-vous souvent
éprouvé, que les désirs forment les opinions , donnent
du poids aux plus minces raisons , atténuent les plus
puissants motifs ? Commencez donc par souhaiter sincè-
rement, franchement, uniquement, de découvrir la vé-
rité ; et méprisant les fades railleries , laissant de côté
les déclamations vagues et incertaines , n'ayant plus au-
cun égard aux frivoles autorités auxquelles vous avez
jusqu'ici trop déféré (1), pesez dans la balance de votre
propre raison les preuves que nous vous présentons de
la vérité du christianisme , et les difficultés qu'on y op-
pose.
Mais pour que cet examen soit fait avec Timpartialité
requise, une autre condition est indispensablement né-
cessaire ; c'est que vous y apportiez un cœur pur (2).
(i) Praescribit ratio, nt qui vere pii et philosophi sunt , verum
unice colant et diligant, récusantes majorum opiniones secpii , si
pi-avae sint. Neque enim id soluin sana ratio praecipit, ut ne eus se-
qaamurqui injuste quid fecere aut docuere ; sed omnino vel prce sua
ipsius anima veritatis aiuatori, qnam vis mors intenletnr, sfaiuendura
et eligendum est, nt aeqna dicat el faciat. (S. Justin. Apol. i,
cap. 2. )
Staliissimnm est, super fide mea me ex alterins pendere judi-
cio. (S Hieronym. Dialog. contra Pelagian. Iib. 3.)
(a) Non cujusvis est, o viri , de Deo disserere ; non inqnam , ra
jusvis... Qaoniam his dantaxat hoc muneris incurabit, qui exactissime
explorati sudî, ac contemplando loDge piaecesserunt , piiusqae etiara
et corpus et animnm a vitiornni sordibus purgar-unt, aut, ut parcis-
sinie loquar , jara bec agunt nt se a \itiornm labe pnrgen). Impnro
enim, rem pnram attingere , ne periculo quidera fortasse caret; que-
madmoduiu nec œgris ocnlis solis radios intueri. {S. Greg. Naz.
Orat. 33, n*> lo, ir.)
PRÉLIMINAIRE. Si
Quelqa'empire qu'aient pris sur vous vos passions , à
quelque degré qu'elles aient altéré votre intelligence,
elles ne peuvent pas vous déguiser cette vérité évidente :
qu'elles ont intérêt à ce qu'il n'existe pas une religion
qui les réprime. Ecartez donc du tribunal de votre raison
ces conseillers dangereux qui ne persuadent qu'en sédui-
sant ; qui , incapables d'éclairer, ne savent qu'aveugler;
dont la voix , plus haute et plus forte que celle du rai-*
sonnement , parvient trop souvent à l'étoufFer ; dont vous
avez bien des fois éprouvé la funeste influence sur votre
volonté ; et qui , formant dans votre esprit un parti puis-
sant en faveur de l'incrédulité, finiraient par l'y en-
traîner.
Enfin , pour parvenir à la connaissance certaine de la
vérité , nous vous proposons une dernière préparation.
Si vous croyez qu'il existe , ou même qu'il peut exister
un Etre-Supréme, vous ne pouvez douter qu'il ne soit
en son pouvoir d'augmenter les lumières de votre esprit,
qu'il ne soit le maître de faire descendre sur vous la
science avec la sagesse, et qu'étant par lui-même le
principe de toute vérité , il ne puisse vous découvrir la
vérité dans son entière clarté (1). Conjurez donc avec
une humble confiance ce Dieu infiniment puissant et
bon, dont vous reconnaissez rexistence , dont vous ne
Sed id nnnc agitnr, ut sapîentes esse possimns, id est inhaerere
veritati ; qaod profecto sordidas anirans non potest. Sont autem sor-
des animi , ut brevi explicem , amor quarninlibet rerum , praeter ani-
mnm et Deutn. A quibus sordibus qaanto est quis purgalior, tanto
verum facilius intuetar. (iJ ^«^. de Utilitate Credendi. Cap. i6,
n° 34.)
(i) Oranis sapientia a Domino Dec est, et cum illo fnit semper, et
est ante «vura. {^Eccli. 1,1.)
Dominas.... dat sapientiam sapientibas , et scientiam intelligenti-
bas disciplinam.... et lux cuna eo est. [Dan. ir, 21 , aa.)
Omne veram ab illo est, qui ait : Ego sum veritas. {S. Aug. de
Doctr. Christ. , lib. i , n" 8. )
HaRC est providentia verae religionis , boc jnssnna divinitns , hoc a
beatis majoribns traditam, hoc ad nos usque servatum. Hoc pertur-
bare velle atque pervertere, nihil est alind quam ad veram religio-
32 DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
voulez pas encore connaître la loi , de se manifester à
vous. Dites-lui, comme saint Paul terrassé aux portes
de Damas : Seigneur , qui êtes- vous ? Dites-le-lui dans
toute la sincérité de votre esprit , avec toute l'ardeur de
votre cœur ; et il vous répondra de même , qu'il est ce
Jésus que jusque-là vous avez persécuté (1). Déposez les
préjugés qui offusquent votre raison , repoussez les pas-
sions qui l'aveuglent, examinez avec l'impartialité et la
bonne foi requises les preuves du christianisme , et nous
sommes assurés que bientôt vous serez chrétiens.
nem sacrilegam viam quaerere. Qnod qui faciant, nec,sl eis conce-
(lalur (juod volunt , possunt qno intendant pervenire. Cujnsmod i
entm libet excellant ingenio , nisi Deus adsit , humi repunt. {S. Aiig.
de\Utilit. Credendi ^ cap, lo, n° 24.)
(i) Qui dixit: Qui es, Domine ? Et ille : Ego snm Jésus, quem tu
persequeris. i^Act. 9,5.)
DISSERTATIONS
SUR La
VÉRITÉ DE LA. RELIGION
PREMIERE DISSERTATION.
ACTHENTICITÉ DES LIVRES DU NOUVEAU TESTAMENT.
I. « Un livre est authentique , dit Bergier, quand il
«< est de l'auteur dont il porte le nom ; il est vrai , quand
« les faits qui y sont racontés sont effectivement arrivés ;
« il est divin ou inspiré, lorsque l'auteur qui l'a écrit
« était assisté d'un secours surnaturel , pour ne tomber
« dans aucune erreur ; il est canonique , quand l'Eglise
« le place dans le catalogue de ceux qu'elle regarde
« comme divins fl;. » Une s'agit ici que de l'authenticité
des livres du Nouveau Testament , et spécialement des
quatre évangiles. J'examinerai leur vérité dans les dis-
sertations suivantes.
II. Les livres du Nouveau Testament sont-ils vérita-
blement l'ouvrage des apôtres et des disciples de Jésus-
Christ ? les avons-nous tels que les apôtres et les disciples
les ont écrits? Ce sont deux questions dont est composée
celle que je me propose de traiter. J'en ferai l'objet de
deux chapitres consacrés à discuter, l'un l'authenticité
proprement dite, l'autre l'intégrité de ces saintes écri-
tures. J'établirai dans le premier qu'elles n'ont pas été
supposées ; dans le second , qu'elles n'ont pas été alté-
rées.
i) Traité historique et dogmatique delà vraie religion. Tom
rn , pag, 36. {et tom. iv , pag. 7 i , éUit. de Gaothier frères. )
•r
34 DISSEaiATIONS
CHAPITRE I.
AUTHENTICITÉ DU NOUVEAU TESTAMENT.
Je vais commencer par prouver cette authenticité. Je
répondrai ensuite aux objections par lesquelles on la
combat.
ARTICLE PREMIER.
Preuves de VaulhetUicité.
III. Je suppose un principe qui doit être la base de
toute cette discussion ; c'est qu'il est possible d'être as-
suré de l'authenticité d'un livre ancien. Il serait inutile
de vouloir prouver celle de nos livres saints à des hom-
mes qui auraient Textravagance de prétendre qu'on ne
peut jamais être sûr qu'un ouvrage ancien, quel qu'il
soit, est de l'auteur à qui on l'attribue. Vis-à-vis de
ceux qui voudraient rejeter toute authenticité de tout
livre, il n'y a d'autre parti à prendre que de les aban-
donner à leur absurdité ; de même qne ce serait perdre
son temps que de vouloir prouver la chose la plus claire
à un pyrrhonien absolu qui s'obstinerait à douter de
tout. Aussi le pyrrhonisme sur l'authenticité des écrits
est universellement regardé comme ridicule, et on sait
avec quel mépris il a été reçu quand on a voulu le pro-
duire. Il n'y a pas d'homme raisonnable qui ne croie
fermement et sans aucun doute que les poésies d'Ho-
mère et de Virgile , les harangues de Démosthènes et de
Cicéron, les histoires de Thucidide et de Tacite, les ou-
vrages philosophiques de Platon et d'Aristote sont véri-
tablement de ces auteurs. Au reste , ce ne sont pas les
incrédules de nos jours qui pourraient nous faire cette
difticulté. Ils nous objectent divers auteurs: Tite-Live ,
Tacite, Suétone, Cicéron, Josèphe. Ils reconnaissent donc
SUR LA RELIGION. 35
l'authenticité de leurs ouvrages. Ainsi , en niant qu'on
puisse être sûr de l'authenticité d'un écrit ancien , non-
seulement ils heurteraient le sens commun et la per-
suasion universelle , mais ils se contrediiaient eux-
mêmes.
Ce principe incontestable posé , je dis qu'il ne nous
est pas venu de l'antiquité un ouvrage dont l'authen-
ticité soit plus évidemment prouvée que celle du Nou-
veau Testament; et qu'aucune authenticité n'est cer-
taine, si celle-là ne l'est pas. Je vais plus loin : je pré-
tends que les preuves de l'authenticité de nos saints li-
vres sont et plus multipliées et plus fortes que celles
qu'on peut apporter en faveur de tous les autres livres
quelconques (1).
lY. Les motifs sur lesquels on est persuadé qu'un
ouvrage est véritablement de l'auteur dont il porte le
nom, sont :
Que tout , dans cet ouvrage , soit conforme aux cir-
constances historiques , aux mœurs , aux usages du
temps et du pays où on dit qu'il a été composé;
Qu'on y trouve des indications positives que c'est
dans ce temps qu'il a été écrit ;
Qu'il ait été alors très- public ;
Que dans les temps voisins on l'ait généralement at-
tribué à cet auteur ;
Qu'il ait été cité par d'autres auteurs contemporains,
on peu postérieurs;
Qu'une tradition continue et bien constante , depuis
le temps de l'auteur, le lui attribue ;
Que ceux même qui aumient pu avoir intérêt à con-
tester l'authenticité, en soient convenus ;
Que la supposition n'ait pu être faite par aucune per-
sonne ;
Qu'elle ne puisse être fixée à aucune épioque.
(i) Qnod poteris proferre scriptnm, qaod non ille qui non vult
credere dicat esse confictam, si Jania Evangelii uotitia venit in du-
biam. (S. Aug. , contra Faustum , lib. xxir, cap. 79.)
36 DISSERTATIONS
Il n'est pas même nécessaire , pour être fermement
convaincu de l'authenticité d'un livre , de réunir l'uni-
versalité de ces preuves. Et si on voulait les exiger tou-
tes, je demande quel est l'ouvrage profane qu'on pour-
rait croire authentique ? Si donc je puis montrer que
nos livres sacrés réunissent tous ces caractères , j'aurai
démonstrativement établi non-seulement qu'ils sont
authentiques , mais qu'il n'en existe aucun autre dans
le monde , dont l'authenticité puisse leur être com-
parée.
V. J'ouvre d'abord les livres du Nouveau Testament,
et j'examine leur contenu. Je ne vois rien dans les dis-
cours, dans les actions de Jésus-Christ et de ses disci-
ples , qui ne soit parfaitement conforme aux circon-
stances personnelles ou locales du temps et des pays
dont il est parlé. Je vois , au contraire, l'histoire de
l'Evangile et celle des Actes des apôtres liée dans beau-
coup d'endroits à l'histoire civile , et partout y cadrant
exactement. Je vois un grand nombre de faits particula-
risés , et tous les détails se rapportant aux lois , au gou-
vernement, à la religion , aux mœurs , aux usages , soit
des Juifs, soit des autres peuples. Nulle part je ne dé-
couvre la plus légère dissonnance. 11 n'est nullement
aisé de faire adopter un ouvrage supposé , et de ne pas
donner quelque prise à la critique qui est si soupçon-
neuse et si éclairée. Combien de livres que les plus
légères différences avec quelques usages du temps ou
du lieu font rejeter comme faux, ou suspecter com-
me douteux ! Ce qui serait difficile pour un seul ou-
vrage, le devient bien davantage encore, quand on pense
qu'il s'agit de plusieurs écrits attribués à divers auteurs;
quand il faudrait y mettre , comme dans nos livres , la
niarque des différentes mains qui les auraient compo-
sés, et en effacer la trace du temps où ils auraient été
fabriqués. Un faussaire qui aurait voulu faire une pa-
reille supposition, aurait-il osé y mettre tant de parti-
cularités, tant d'indications de personnes, de lieux, de
circonstances? N'aurait-il pas craint de se trahir par
SUR LA RELIGION. 37
quelqu'endroit ? S'il avait eu la hardiesse maladroite
d'entrer dans tous ces détails , aurait-il pu réussir à
imiter si parfaitement , dans toutes les parties, ce qui
aurait dû être dit dans le temps et par les personnes ,
qu'il fut impossible de découvrir la trace de sa fraude ?
YI. Ce n'est pas tout. iN'ous voyons dans les_ évangi-
les plusieurs variétés , qui appartiennent aux circon-
stances des temps différents où ils ont été écrits, et des
objets divers pour lesquels ils l'ont été. J'en citerai seu-
lement deux exemples : Saint Matthieu écrivait son
évangile en hébreu , et spécialement pour les juifs con-
vertis à la foi. En conséquence, il s'attache plus que les
autres évangélistes à rapporter et à appliquer à Jésus-
Christ les prophéties de l'Ancien Testament , afin de
montrer aux juifs qui y croyaient, l'accomplissement de
ces oracles dans la personne du Sauveur. Saint Jean ,
qui écrivait son évangile beaucoup d'années après les
autres , et dans un temps où il s'était élevé des hérésies
sur la divinité de J.-C. et sur la réalité de sa chair , in-
siste particulièrement et plus que tous, sur les déclara-
tions que son Maître avait faites de sa divinité (1;. Nous
lisons aussi dans les trois premiers évangélistes les pro-
phéties de Notre-Seigneur sur la destruction de Jérusa-
lem. Il était utile de les rapporter avant l'événement,
pour établir et confirmer la foi. Saint Jean, qui écrivait
après la prise de cette ville, n'en parle pas, parce que
son récit n'aurait plus eu le même effet. Un faussaire ,
fabricant des évangiles postérieurement au temps des
évangélistes, aurait-il imaginé d'adapter avec cette jus-
tesse les divers évangiles à des circonstances qui alors
auraient été aussi éloignées de lui? Concluons donc que
tout le Nouveau Testament décèle si parfaitement le
(i) Nara neqae evangelistas idcirco in ter se pugnace dixerimns,
quoniam alii in exponent'a Christi humanitate plus operae posne-
tunt, alii ad explirandam divinitatis materiam se contnlernnt ; atque
alii ab his rebns quœ secandum nos sont, auspicati sunt. (5. Gre-
gor. Naz, Orat. xx , n° loo.)
38 DISSERTATIONS
temps apostolique , qu'il est déraisonnable de le rap-
porter à un autre temps.
VII. Voici une autre preuve que le Nouveau Testament
est réellement de ce temps-là : c'est qu'à la seule inspec-
tion des livres dont il est composé, on voit clairement
que tous, (excepté les ouvrages de St. Jean, son évan-
gile, son apocalypse, et peut-être ses épîtres) ont été
écrits avant la ruine de Jérusalem. Il est parlé très-
souvent, au livre des Actes des apôtres, de Jérusalem
et de son temple , comme de choses alors existantes. Les
épîtres de St. Paul le supposent aussi évidemment. Mais
avant d'écrire le livre des Actes , St. Luc avait composé
son évangile; il le dit expressément (1). Voilà donc
évidemment un des évangiles antérieur à la destruction
de Jérusalem. Or, il est certain par le témoignage de
toute la tradition, que les deux évangiles de St. Matthieu
et de St. Marc avaient été écrits avant celui-là , et que
St. Luc n'a été que le troisième qui ait publié un
évangile. Il n'est pas nécessaire de m'arrêter à prouver
une vérité qui, je crois, n'a jamais été contestée. Il
résulte de là évidemment que ces trois évangiles sont
antérieurs à la subversion du peuple juif. Nous en avons
encore un témoin d'une grande autorité. C'est le pape
St. Clément, disciple des apôtres, qui, dans sa première
lettre écrite vers l'an 68 de notre ère, cite plusieurs fois
les évangiles, ainsi que nous allons le voir, et qui, de
plus, parle de l'exercice de la religion judaïque dans le
temple de Jérusalem, comme d'une chose alors exis-
tante (2). Dès que ces livres sont antérieurs à la prise de
Jérusalem , ils sont incontestablement du temps des
(t) Primum quideia serraonem fecit de omnibas, o Théophile,
quae cœpit Jésus facere et docere nsqne in diem qua prsecipiens apos-
tolis per Spirilum sancinm qnos elegit, assumptas est. {Jet. i, v. i.)
(2) Non ubique, fiatres, offeranlur sacriîicia jngia , vel votiva ,
vel pro peccato et debcto, sed HierosolTrais tantam : atqoe illic non
in orani loco fit oblatio , sed ante teraplura , ad alfare, prias facta a
snmmo sacerdote et praedictis ministris oblati inspectione et proba-
tione. [S. C/ernens , papce , Epist. prima, n° 4t.)
sua LA RELIGION. 39
auteurs auxquels on les attribue. La ruine de cette ville
est de l'an 70 de notre ère ; le martyre de St. Pierre et
de St. Paul, de l'an 66; celui de St. Marc , de l'an 68;
St. Jacques avait subi le sien en l'an 61 ; quant à St. Luc,
il a survécu de beaucoup à tous ces temps-là. Il est
donc incontestable que les livres du Nouveau Testament
ont été écrits et publiés dans le temps des auteurs
auxquels on les attribue.
^IIL Si on veut nier l'authenticité des évangiles, il
faut contester aussi celle de tous les autres livres du Nou-
veau Testament. Ils sont tous intimement liés entre eux.
Quoique distincts, ils forment un ensemble. Le livre des
Actes suppose les faits rapportés dans les évangiles. Les
épîtres apostoliques rappellent aussi ce qui est contenu ,
soit dans les Evangiles, soit au livre des Actes. Mais nier
l'authenticité de ces épîtres, c'est se jeter dans des difl&-
cultes insurmontables, ou, pour mieux dire, dans des
absurdités intolérables. Veut-on que ces épîtres n'aient
pas été écrites? Aime-t-on mieux qu'elles l'aient été par
un personnage supposé? A qui imaginera-t-on de per-
suader qu'on a fait à la fois illusion à tous les néophytes
de différents pays, de Rome, de Corynthe, d'Ephèse ,
de Thessalonique , etc. , et qu'on leur a fait illusion au
point de leur persuader qu'ils avaient reçu de St. Paul
desletUes que dans le fait ils n'auraient jamais vues?
Comment tous ces fidèles auraient-ils pu se tromper sur
l'auteur de ces lettres, quand ils y lisaient des réponses
à des questions qu'ils avaient proposées à l'apôtre sur
divers points de discipline et de morale, sur les viandes
offertes aux idoles sur les observances légales , sur l'Eu-
charistie , sur le mariage et la virginité? Quel faussaire
aurait voulu, aurait pu se faire prendre pour St. Paul,
en annonçant à ces églises, tantôt qu'il les a visitées,
tantôt qu'il compte les revoir incessamment; ailleurs,
qu'il leur envoie un de ses disciples? Pour faire toutes
ces suppositions, il faut supposer le trompeur et les
trompés imbécilles au point où aucim homme ne l'est.
IX. Si dans les commencements du christianisme on
40 DISSERTATIONS
voyait les livres du Nouveau Testament tenus secrets , et
publiés seulement quelques années après, on pourrait
plus aisément soupçonner qu'ils auraient été supposés.
Mais, au contraire, nous les voyons dès les premiers
temps répandus universellement et avec profusion. Eu-
sèbe rapporte que beaucoup de disciples de ce temps
primitif, abandonnant leur patrie, allaient exercer le
ministère évangélique, annoncer Jésus-Christ aux peuples
qui n'en avaient pas encore entendu parler, s'empressant
avec ardeur de leur donner les livres des saints Evangiles;
et qu'ils ne partaient de ces pays, pour aller répandre
ailleurs la foi, qu*après y avoir établi des pasteurs, à
qui ils confiaient le soin de leur nouvelle plantation (1).
Nous apprenons de St. Justin, qui écrivait dans le milieu
du second siècle, que ces livres, qu'il appelle les com-
mentaires des apôtres , étaient lus publiquement le
dimanche dans les éghses (2). Tertullien, qui florissait à
la fin du même siècle, dit que de son temps les originaux
des lettres des apôtres , conservés dans les églises aux-
quelles ils les avaient écrites , y étaient lus publique-
ment (3). Nous ne cachons pas nos livres , dit- il ailleurs,
et beaucoup de circonstances les font passer aux mains
(i) Plerique illins leraporis discipnlî.... relicta patria peregre pro-
liciscentes munns obibanl evangelistarnm iis qui fidei sermonem
nondum audivissent, Cbristura praedicare et sacrornm evangeliorain
libros tradere arabitiose satagentes. Hi postqnam in reraotis qaibas-
dam ac baibaris regionibns fundamenta fîdei jecerant, alicsque pas-
tores constituerant, et novella? plantatioràs curam eisdem commi-
serant, ad alias gentes et reg^ones. comitante Dei gratia ac virtnte,
properabant. [Euseb. ^ Hist. Ecoles. Ub.iii^cap. 3r.)
(2) Ac solis qui dicitur die, omnium sive nrbes, sive agros ineo-
lentiura , in euradem locdm fît convenlns , et commentaria aposto-
lorum ant scripta propbetarum legnntur, quoad licet per terapora.
{St. Justin. Apol. prima .^ ti° 67.)
(3) Age, qui voles curiositatem exercere in negotio salntis tuae ,
percurre ecclesias apostolicas apud quas ipsœ adhuc ecclesiae apos-
tolorum suis locis praesident , apud quos ipsae anthenticae litterae
eorum recitantnr, sonantes vocera et repraesenfantes faciein unios-
cajasque. ( Tcrtull. de Prœscrlpt. cap. xxvni. )
SUR LA RELIGION. 4l
de ceux qui sont étrangers à la religion (1). Origène
prouve l'avènement du Messie etpar les prophéties et par
les écrits apostoliques qu'on met constamment entre les
mains de ceux qui sont en état de les entendre (2). C'était
pour donner à ces saintes Ecritures la plus grande pu-
blicité, que la plupart avaient été écrites en langue
grecque, la plus usitée qui fût alors . qui était la langue
naturelle de beaucoup de pays , la langue savante de
tous les autres , et qui était connue de tous les hommes
éclairés. Et pour qu'elles fussent encore plus répandues
et mieux connues de toutes les classes d'hommes, on les
traduisit bientôt dans toutes les langues. Les apôtres ont
fondé des églises dans un grand nombre de régions éloi-
gnées les unes des autres. Ce fait ne peut pas être et n'est
pas contesté. On trouve les livres du Nouveau Testament
répandus et lus dans toutes les églises dès les premiers
temps de leur fondation , et immédiatement après les
apôtres. Il est donc certain que c'étaient les apôtres, ou
les hommes apostoliques, qui les leur avaient donnés en
les fondant. Il serait ridicule d'imaginer une supposition
de livres, exécutée dans aussi peu de temps et dans
autant de pays divers.
X. On ne peut pas douter qu'un livre ne soit de
l'auteur auquel il est attribué , quand on le voit cité ,
d'abord par les contemporains de cet auteur, qui ont
vécu avec lui ; ensuite successivement par d'autres écri-
vains, qui, de génération en génération, rendent témoi-
gnage à l'authenticité. Cette chaîne d'attestations forme
une démonstration irrésistible. C'est ce que peuvent
présenter bien peu d'ouvrages anciens , sur lesquels
(i) Inspice Dei voces litteras nostras, qnas neque ipsi sapprimi-
mas , et pleriqae casus ad extremos iransmittunt. ( Idem. apoî.
cap. XXXI. )
(2) Deniqae enm qni praedictas est advenisse deinonstiamns, cuni
de vaiiciniis illo editis qnae malta sont , tura ex evangeHcis aposto-
licisqoe scriptis , qaae sedalo tradantor iis qai prudenter illa intelli-
gere possunt. ( Origen, contra Ctls. , lib. m, w° i5.)
42 DISSERTATIONS
cependant on n'aaucun doute; et c'est ce que la Provi-
dence a voulu réunir , pour" réfuter d'avance , par l'or-
gane des témoins les plus respectables, tout ce qu'or
pourrait opposer dans la suite à l'autheuticité des saints
livres qu'elle a inspirés.
XI. St. Clément, qui fut le troisième successeur de
St. Pierre sur le siège de Rome , avait beaucoup vécu
avec les apôtres, spécialement avec St. Pierre et St. Paul.
Les citations qu'il fait de nos livres sacrés prouvent donc :
1° que ces livres sont antérieurs à ce qu'il a écrit , et par
conséquent du temps des apôtres ; 2° qu'ils sont vérita-
blement des hommes apostoliques à qui l'Eglise les attri-
bue, et qu'il avait longtemps connus. Dans sa première
épître aux Corinthiens, qui est incontestablement de
lui , il rapporte les paroles de Jésus-Christ tirées du chap.
IV de l'évangile de St.' Luc. « Faites miséricorde pour
« obtenir miséricorde. Remettez, et il vous sera remis.
«< Comme vous faites, il vous sera fait. La mesure dont
« vous aurez usé sera celle qu'on emploiera envers
vous(l). » Dans un autre endroit il présente de même,
comme sorti de la bouche du Seigneur , ce qui est dit
au chapitre xviii de St. Matthieu, au chapitre ix de
St. Marc, et au chapitre xvii de St. Luc : « Malheur à
» cet homme. Il serait bon pour lui qu'il ne fût pas né ,
«• plutôt que de scandaliser un de mes élus (2). Il vau-
« drait mieux pour lui qu'on lui attachât une meule au
(i) Praecipue raemores serraonum Domini Jesa , qaos locatns est
docens mansnetndinen et aeqnanimiîatem. Sic enim dixit î « Misere-
« mini et misericordiam cunseqaamini. Dimiltite et diinitlelnr volns.
« Sicnt facitis, ita vobis fîet.... Qua mensara metiemini , in ea rnen-
« snrabifur vobis, v Hoc praecepto, et his mandatis stabiliamas nos:
sfcmper obedientes simus sanctis ejas eloqaiis, humililer de nobis
sentientes. (S. Clemens papa ^ Epist. prima , n° i3.)
(2) Recordamini verbornm Jesu Domini nostri : « Vae homini
" illi : bonarn erat ai si natas non fnisset , quam nt nnnm ex meis
« electis scandalisaret. Melius erat ut ei niola circumponeretur , et
u in mare demergeretur , qnam ut anam de posillis meis scandalisa-
« ret. » {Ibid. n° 46.)
SUR LÀ RELIGION. 43
« COU , et qu'on le jetât dans la mer^ que de scandaliser
« un des petits. » J'observe , sur ces deux citations , que
St. Clément ne prétend pas apprendre aux Corinthiens
ces préceptes de Jésus-Christ tirés des évangiles; il les
leur rappelle, il leur dit de s'en souvenir. Ils étaient
donc connus auparavant. Les évangiles étaient donc très-
pubhcs avant l'épître de St. Clément, c'est-à-dire deux
ans après la mort de St. Pierre et de St. Paul.
Je cite avec moins de confiance la seconde épître de
St. Clément , parce qu'il n'est pas également certain
.qu'elle soit de lui. Cependant, comme le plus grand
nombre des savants la lui attribuent , je crois pouvoir
présenter plusieurs textes des évangiles qui y sont rap-
pelés. Il rapporte dans un endroit ces paroles du Sau-
veur, tirées du chap. ix de St. Matthieu : « Je suis venu
appeler, non les justes, mais les pécheurs (1). >» Dans
un autre, celles-ci , tirées du même évangéliste, cha-
pitre x: « Celui qui me confessera devant les hommes,
« je le confesserai devant mon père (2). » Dans un troi-
sième , celles-ci, d'après le chapitre xvii du même :
« Tout homme qui me dit : Seigneur, Seigneur, ne
« sera pas sauvé, mais celui qui opère la justice (3). »
Et ces autres dont une partie se lit au même chapitre :
« Si vous êtes assemblés en mon nom , et si vous
« n'observez pas mes commandements, je vous rejeterai,
« et je vous dirai : Retirez-vous de moi ; je ne sais d'où
« vous êtes, ouvriers d'iniquité (4). » Plus bas il rappelle
(i) Alia quoqae scriptura ait : « non veni vocare justos sed
« peccatores. » (5. Clemens ^ Epist. secunda , fi° 2.)
(2) Ait vero eàam ipse : « Qui me confessas fuerit in conspectn
- hominum, confirebor ipsum in nomlne patiis mei. » [Ibid. rv' 3.)
(3) Non modo igitar ipsain vocemus Dorainura : id enim non sal-
vabit nos : si quidem ait : « non omnis qui dicit mihi, Domine,
« salvabitur , sed qui facit justisiam. w (Ibid. n" 4.)
(4) Idcirco nobis haec facientibns dicit Dominus -• « Si fneritis
« mocam congregati in sitiu meo , et non feeeritis mandata mea,
« abjiciam vos : et dicam vobis : discedite a me : nescio vos nnde
« siiis , operarii iniquitatis. » (Ibid.)
44 DISSERTATIONS
les maximes rapportées aux chap. vi et xvi de St. Mat-
tliieu, et au chapitre xvi de St. Luc : « Que nul ne
«< peut servir deux maîtres: qu'on ne peut pas servir à
<« la fois Dieu et l'avarice ; qu'il ne sert de rien de gagner
« tout le monde, si on perd son àme (1). » Plus bas
encore il répète ce que le Seigneur a dit dans l'Evangile
(c'est celui de St. Luc, chap. xvi) : « Celui qui est fidèle
dans les petites choses est aussi fidèle dans les grandes (2).»
Enfin, pour terminer cette longue suite de citations, il
dit qu'il a été déclaré par Jésus-Christ : « Que ceux-là
« sont ses frères , qui font la volonté de son père (3) ; »
ce que Ton trouve au chapitre xii de St. Matthieu.
Je dois observer ici qu'on ne voit point dans les lettres
de St. Clément de citations de l'évangile de St. Jean.
Cela ne pouvait pas être. St. Clément est mort long-
temps avant que St. Jean n'eût publié son évangile.
Mais il est impossible , en voyant plusieurs textes des
premiers évangiles cités par St. Clément , disciple et
compagnon de plusieurs apôtres , de se refuser à la con-
séquence que ces saints écrits sont authentiques.
Dira-t-on , pour affaiblir cette autorité , que St. Clé-
ment ne nomme pas positivement les évangélistes : que ce
n'est peut-être pas des évangiles qu'il a tiré les paroles
de Jésus-Christ qu'il rapporte, et qu'il peut les avoir
apprises par tradition ? C'est une des objections auxquelles
je répondrai dans l'article suivant. Je me contenterai ici
d'observer que parmi les passages cités de St. Clément ,
il y en a qui repoussent formellement l'idée qu'ils soient
cités d'après la tradition. Ce saint pontife dit dans l'un ,
1
(i) Dicit antem Dominas: « nullas servas potest duobas domi-
- nis servira. Si nos volumns et Deo servire et mammonae, incoimno-
"■ dum nobis est. Xain : qaae utililas, si qnis nniversam raundum la-
« cretur , animara vero snam detrimento afticiat. » [Ibid. n 6 )
(2) Ait qaij)pe Doinir.us in evangelio : « Si parnm non servastis,
« quis magntmi vobis dahiî ? Dico enim vobis : Qui fideiis est in
« minimo et in majori fideiis est. « {Ibid. «« 8.)
(3) Eteniui Dominas dixit : Praires mei sont qai faciunt volunta-
tcm patris mei. i^Ibid. no 9.)
SDR LA RELIGION. 45
qu'une Ecriture rapporte; dans un autre, que Jésus-
Christdit dans V Evangile. C'est donc d'après uneécriture,
c'est d'après un évangile, qu'il rapporte les discours du
Sauveur.
XII. Il y a parmi les savants quelques doutes sur l'au-
thenticité de l'épître de St. Barnabe ; mais la plupart la
lui attribuent. On ne peut pas d'ailleurs douter que ce
ne soit, au mouis, un monument de quelque personnage
apostolique, quand on la voit citée avec respect sous le
nom de cet apôtre par St. Clément d'Alexandrie (1) , et
par Origènes(2^. Or, dans cette épître, nous lisons deux
citations des évangiles : l'une, du discours de notre
Seigneur; « Qu'il est venu appeler, non les justes, mais
les pécheurs (3) ; » l'autre , de ce précepte du Sauveur :
' Donner à quiconque vous demande (4). »
A la suite de St. Clément et de St. Barnabe, nous
pouvons appeler en témoignage plusieurs autres auteurs
très- respectables, qui vivaient très-peu de temps après
eux, qui avaient été disciples de l'apôtre St. Jean, et
que l'on appelle comme eux, par cette raison. Pères
apostoliques. Il était impossible que ces hommes ins-
truits par un apôtre qui était lui-même évangéliste, ne
sussent pas positivement si les Evangiles étaient ou n'é-
taient pas des auteurs dont ils portent les noms. Lors
(i) Si addnxero testem Barnabain apostolicura ; erat autem is ex
septuaginta. i^S. Clemens Alex. Stromat. lib. ir, cap. ao. )
(2) Eadem quoqae Barnabas in.epistola sua déclarât, cum dnas
esse via s dicit;unarn lucis , alteram teriebrarcm, qnibas et praecise
certes angelos esse dioit ; viae quidera lucis angelos Dei : lenebraram
aatem viae angelos satanae. {^Orig. De Principiis , lib. m, cap. 2.)
(3) Quindo autem apostolos suos, qui praedicaturi erant illius
evangelinm , elegit homines omni peccato iniquioies, ut ostenderet
qood non venit vocare justes sed peccatores ad pœnitentiam , tam
palam fecit se esse fliiam Dei. {S. Barnab. Epist, n° 5. Fid.
Match, cap. ix.)
(4) Non dubitabis dare , neque ranrmurabis cnra das. 0/nm peten-
ti te tribue.
Gognosces aatem qais sit bonus tnercedis retribator. (Ibid. n. 19,
f^id. Luc. VI, 3o. )
46 DISSERTATIONS
donc que nous les voyons rapporter des textes des évan-
giles et les citer connue les propres paroles de Jésus-
Christ, nous pouvons être assurés que les évangiles
existaient du temps des apôtres ; que c'étaient les apôtres
eux-mêmes qui les donnaient à leurs disciples, et que
par conséquent leur autlienlicité est incontestable.
XIII. Le premier de ces Pères est St. Ignace, évêquc
d'Antioclie, et martyrisé l'an 107, dans un âge avancé.
Il était, c'est lui-même qui l'atteste, un de ceux qui
avaient vu Jésus-Christ dans sa chair après sa résurrec-
tion (1). Il avait conséquemment dû connaître person-
nellement les apôtres et plusieurs des premiers disciples
du Sauveur. Il avait spécialement passé une grande
partie de sa vie avec St. Jean. Ce saint docteur , dans
plusieurs de ses lettres , emploie souvent des passages ,
soit des évangiles, soit dcii épi très apostoliques. Ici il
rappelle ce que dit Notre-Seigneur dans St Matthieu ,
chap. XII , et dans St. Luc , chap. xi , « que l'arbre se
connaît à ses fruits (2) ; » là^ que Jésus-Christ est baptisé
par St. Jean, « pour remplir toute justice (3), » ainsi
que le dit St. Matthieu au chap. m ; dans un autre
endroit, ce que recommande le Seigneur, au chap. x
de St. Matthieu, « d'être prudent comme le serpent, et
simple comme la colombe (4). » Il cite aussi plusieurs
(i) Ego enim et post resurrectionera eam in carne novi : et credo
esse. {S. Ignat. Epist. ad Smyrn. fi° S.)
(2) Nullus fidem repromittens peccat ; neque caritatem possidens
odit. Manifesta est arbor ex frnctu ej'us. Similiter qai profilentur se
christianos esse, ex ils quae facinnt cernuiitur. (Idem , Epist. ad
Ephes. «° i4-)
(3) Cognovi < iiira vos perfectos in fide immota.... plene persoa-
sos Dominum nostrom natnm ex Yirgine, baptizatnm a Joanne ; ut
impleretiir ah eo omnis jiistitia. ( Idem , Epist. ad Smyrn. n° 14. )
(4) Bonos discipolos si ainaveris , nulla libi est gratia : potius
pestilentioi'es in mansnetudine snbjice. Non omne vnlnns eodem
eniplabtro ouratur. Vehementiores morbi accessiones saper fasioni-
bus seda. Prudens esto sicut serpens in oronibus, et simplex ut co-
Itimha. {Idem, Epist. ad Polyc. n^ 3.)
SUR LA RELIGION. 47
fois les épîtres de St. Paul, par exemple, lorsqu'il dit ce
que recommandait l'apôtre aux fidèles de Corinthe ,
« d'être parfaitemeut unis dans le même sentiment, et
<i d'être tous unanimes dans leurs discours {1}; >» et
quand, après avoir parlé des injures qu'on lui fait souf-
frir, il répète , d'après St. Paul , « que pour cela il n'est
pas justifié (2). »
XIV. St Polycarpe , lié d'amitié avec saint Ignace ,
quoiqu'il fût beaucoup plus jeune , avait été aussi disci-
ple de saint Jean. Nous avons de lui une épître aux
Philippiens , dans laquelle il cite plusieurs passages des
évangélistes ; entr'autres ceux-ci de saint Luc, chap. vi :
« Ne jugez point j^our n'être pas jugés : remettez et on
« vous remettra ; on vous mesurera sur la mesure dont
« vous aurez usé ; » et ces autres du chap. v de saint
Matthieu : « Bienheureux les pauvres et ceux qui souf-
« frent persécution pour la justice, parce que le royaume
« de Dieu est à eux (3). « On y lit aussi ces paroles du
chap. VI de saint Mattliieu : «< Ne nous induisez pas en
« tentation ; » celles rapportées par saint Matthieu ,
chap. XXVI, et par saint Marc, chap. xiv : « L'esprit est
« prompt et la chair est faible (4). »
XV. Papias, évêqued'Hiérapolis, vivait dans le même
temps que saint Polycarpe. Son ouvrage, en cinq livres,
intitulé : Exposition des discours du Seigneur , n'est point
(i) Dncet itaqae vos omnibus modis glorificare Dominuin Jesum
Christum , qui glorificavit nos : ut in obed enlia una sitis perfecti
eadem mente, eademque sententia ; idemque dicatis de eodem om-
nes. (Idem, Epist. ad Ephes, n° 2.)
(aj Al ego eoruiD injuriis raagis erudior. Sed non in hoc jusùjiea-
tiis sum. (Idem Epist. ad Rom. n° 5)
(3) Meiuores autem < oruin quœ dixit Dorninus , docens : « Noli-
(( te julicare, ne jadicemini : dimittite et dimittetar vobis : in qna
« niensura raensi faerilis, reraetietur vobis : et beat! pauperes et qui
« persecutionem patiuntur propter justitiam , qaoniam ipsorum est
« regncm De\ » (S. Polj-c. Epist. ad Philipp. no 2.)
C4) Precibus rogantes omnium conspectorem Deum : Ne nos in-
ducas in tentationem : sicnl dicit Dominus : spiritus quidem promp-
tns est y caro autem infirma. (Ihid. , n° 7).
48 DISSERTATIONS
parvenu jusqu'à nous. Mais Eusèbe raconte de lui di-
verses particularités , et rapporte plusieurs fragments de
son ouvrage. Papias n'avait été disciple d'aucun des
douze Apôtres, il ne les avait pas même vus; mais il
s'était informé avec soin auprès de ceux qui les connais-
saient, et qui étaient dans leur intimité, de ce qui con-
cerne la foi. Quand je rencontrais, dit-il, quelqu'ancien
qui eût vécu avec les apôtres , je m'informais avec soin
de ce qu'ils avaient enseigné , de ce qu'avaient dit An-
dré , Pierre , Philippe , Thomas , Jacques , Jean , Mat-
thieu, ou quelqu'autre disciple du Seigneur; de ce
qu'avaient dit entin Ariston et Jean prêtre , lesquels
étaient aussi du nombre des disciples du Seigneur (1).
Eusèbe ajoute que Papias avait été disciple particuliè-
rement d' Ariston et du prêtre Jean (2), et il rapporte ce
que ce prêtre, différent de l'apôtre du même nom, lui
avait appris. Il me disait , c'est Papias qui parle , que
Marc, qui était interprète de Pierre, avait écrit tout ce
qu'il conservait dans sa mémoire, avec exactitude, mais
non dans l'ordre où le Seigneur l'avait dit ou fait.
Quant à saint Matthieu , reprend Eusèbe , Papias ra-
conte de lui qu'il a écrit en hébreu l'Evangile des ora-
cles et des actions de Jésus-Christ , que chacun a inter-
prété comme il le pouvait. Le même auteur, ajoute Eu-
sèbe , a aussi employé les témoignages de la première
(i) Ipse autem Papias, in exordio sai operis déclarât se minime
quidam sanctorum apostolornm , vel anditorem fuisse, val eosdem
oculis sais adspexisse. Sad ea qaae ad Cdera pertinent ab iis qui eis-
dem noti et familiares erant se accepisse docet liis verbis.... Si quis
presbyter mibi forle occnnebat, qai cum apostolis versatns fuisset,
dicta apostolorura ab eo diligenter sciseitabar : nempe qaid Andréas
dixisset, quidve Petrus, quid Pbibppus, quid Thomas, qaid Ja-
cobus, quid Joannes, aat Matthaeas, aut quis alias Domini disci-
pulus , qaae denique Aristion et Joannes presbyter , qui in numéro
discipulorum Douiini habebaniur, loculi fuissent. [Eiiseb. , Hist.
Eccl. , lib. iri , cap. 33.)
(a) Quin etiam Papias , qnem modo posaimus^ apostoloram
dicta ab his qui cum illis versati fuissent fatetur se excepissc ; Aris-
tionis item et Joannis fuisse auditorem. {Ibid.)
SUR LA RELIGION. 49
épître de saint Jean, et de la première de St. Pierre (1).
Voilà donc deux évangiles et deux épîtres apostoliques
dont l'authenticité est garantie par Papias. L'autorité
de cet écrivain est très-grave, puisque non-seulement il
parie d'après les récits que lui avaient faits ceux qui
avaient vécu familièrement avec les disciples de Jésus-
Christ, mais qu'il rapporte ce que lui avait positivement
dit un de ces disciples. Son témoignage nous représente
celui du prêtre dont il le tenait. Sa narration prouve
démonstrativement que les écrits dont il parle étaient,
dès les commencements du christianisme, connus et at-
tribués aux auteurs dont ils portent les noms.
XVI. De tous les disciples des apôtres dont les écrits
sont parvenus jusqu'à nous, le seul que je n'aie pas cité,
c'est Hermias, auteur du livre intitulé le Pasleur, et que
Ton croit être le même dont parle saint Paul dans son
épitre aux Romains. C'est qu'on ne voit pas dans son ou-
vrage , comme dans ceux des autres Pères apostoliques ,
des passages précis du Nouveau Testament , textuelle-
ment rapportés. Mais, si je ne crois pas devoir faire
usage de son autorité , les incrédules peuvent encore
moins tirer avantage de son silence. Si aucun texte du
Nouveau Testament n'est rapporté par lui dans ses
propres termes, il fait beaucoup d'allusions manifestes
spécialement à l'évangile de saint Matthieu et aux épî-
tres de saint Paul ; et il dit beaucoup de choses qui en
sont clairement tirées. Entre plusieurs exemples que je
pourrais rapporter, je me contente de produire un petit
nombre de passages (2).
(i) Israd, inqnit , presbyler nailii dicebat : Marcas, qui fuit in-
:erpres Pétri , quaecumque tenebat luemoria scripsit quitlem accu-
^ale ; sed tamen non eo ordme quo erant a Domino dicta, facta-
ge Ista qii dc'in a P;»pia nairanur de Marco. De Maitbsso an-
em haec ab iilo refernntar, Matlhaeus sermone hcbraïco evange-
inm de Cliristi oraculis, et rébus gesiis conscripsit ; quod plane
jU'sqne ut poterat interpretatU'? Cit. Idem scriptcr prioris cpistolcR
roannis et Fetri siiniliter piioris usns est testinioniis. (ibid.)
(">.) Juravit enim Dnminus per filhv.n sinim. Qui denegaveril il-
Disscrt. sur la Relia. 3
50 DISSERTATIONS
Des Pères apostoliques, passons à ceux de i'àge sui-
vant, qjii n'ont pas été iniinédiatement disciples des
apôtres , mais qui sont plus reculés d'un deyré , et qui
ont reçu la foi de ceux à qui les apôtres l'avaient en-
seignée. Nous trouvons aussi dans leurs écrits la preuve
que nos livres saints étaient connus, cités et révérés par
eux, coninie les véritables ouvrages des apôtres et des
premiers disciples du Sauveur.
XVII. Le premier est saint Justin, d'abord philoso-
phe, converti à la foi chrétienne à l'âge de trente ans,
martyrisé en 1G7 , un an après St. Polycarpe. Né en
Palestine, au commencement du second siècle , il a dû
connaître beaucoup de personnes qui avaient vécu avec
St. Simon, disciple et proche parent de Jésus-Christ , et
second évèque de Jérusalem, couronné de la palme du
martyre , en 107. St. Justin a dû vivre aussi avec des dis-
ciples de l'apôtre St. Jean , mort vers l'an 100 de l'ère
chrétienne. Il ne peut pas y avoir de doute que ce saint
docteur n'ait connu , et révéré comme le dépôt sacré
de la foi , nos livres saints. Dans sa première apologie
delà religion, qu'il présenta vers l'an 150, aux empe-
reurs Antonin le Pieux , Marc-Aurèle et Vérus , au sé-
nat et au peuple , il dit, comme nous l'avons vu , que
les commentaires des apôtres sont lus dans les assem-
blées des fidèles. Il avait dit auparavant que ce qu'il
nomme commentaire des apôtres est ce qu'on appelle
communément évangiles, et la preuve sans réplique que
c'est de nos évangiles qu'il parle , est qu'au même en-
droit il rapporte , comme tirée de ces commentaires,
liiini et sr , despondentes saam vilam, il]i et .psi detvegaluri iuiit
iUuui in advenientihus diebus. Si autem qui nnnquam denegave-
rint, ob nimiam miseiicoidiam propitius l'actas est illis. (^Hermias,
pasior, lib. i, vis. 2 ; cap. 2 ; vid. Matth. cap. x, 32 , 33).
Quod si dlmiserit nxorem suam , et aliaiu duxerit , et ipse inoerb»-
tur. {Ibid. bb. n, mand. 4 , cap. i : vid. Matth. cap. xis, v. 9
Volontés videri c'ui;cia sciie, nibilque oœnino scientes et cuni
sint s!ulii cupiant doctores videri. {^Ibld. bb. m, simibtndo JX
i;ap. 22. Vid. Epist. ad Roman, '^ap. i , vers. 2 i , 22.)
SUR LA RELIGION. 51
rinstitution de l'Eucliaiistie , dans les propres termes
employés par St. Matlliieu , St. Marc et St. Luc (1).
Dans toute la suite de ses ouvrages, il suppose la vérité
de l'histoire évangélique. Il s'attache surtout dans son
dialogue avec le juif Tryphon , à montrer l'accord par-
fait des prophéties judaïques avec les faits de la vie de
Jésus-Christ, tels que nos évangélistes les racontent. En-
fin , dans beaucoup d'endroits, il cite formellement les
évangiles présentant textuellement leurs expressions. Il
serait beaucoup trop long de rapporter ici toutes ces ci-
tations. Je me contente d'en indiquer quelques-unes ,
tirées seulement d'une partie de sa première apolo-
gie (2,.
(i) Nam aposloli , in commeutaiiis suis qnae vocantur evangeiia ,
ita sibi mandasse Jesum tradideiuiii : euui scilicet accepto pane,
cum graîias egisset , dixisse : « Hcc facile in meam coinineinora-
" tionem : hoc est corpus meum, >> et poculo similiter accepto, ac-
tisque gratiis dixis'^e : « Hic est sangui mens; » ipsisque solis fra-
didisse. {S. Just. , Apol. prima ^ n" 66).
(2) Au n" i5, St. Justin cite le texte de St. Matthieu, chap. v,
sur le scandale; ceux, de St. Matthieu, chap, xix; de St. Marc,
i chap. X ; de St. Luc, chap. xvi , sur l'adultère de Ihomme qui
[épouse une femme réfrudiée ; et celui de Si. Matthieu, chap. xix ,
sur les eunuques d'état ou de volonté. Au n° 16 , il cite le texte de
\ St.. Matthieu , chap. ix, que Jésus Christ est venu appeler, non les
I justes, mais, les pécheurs; ceux de St. Matthieu, chap. vi , et de
I' St. Luc, chap. V, sur l'amour de tous les hommes, sur la charité
'^ envers eux. sur l'exhortation à amasser des trésors , non sur la ten e ,
mais dans le ciel, sur la confiance dans la Providence. Au n° i 7 , il
cite d'autres passages des mêmes chapitres sur la patience et sur l'o-
bligation de souffrir de la part des autres; les textes de St. Mat-
thieu, chap. V, sur l'obligation défaire luire ses bonnes œuvres ,
sur la défense de jurer; ceux de St. Matthieu, chap. xix , di-
St. Marc, chap. x; de St. Luc, chap. xvux, sur ce que Dieu seul
est bon ; ceux de St. Matthieu, chap. ix , sur ce qu'il ne suffit
pas de dire: Seigneur, Seigneur, peur entrer dans le royaume des
cieux , et sur ce que c'est par les œuvres que l'on est connu. Enfin ,
au n° 18, le saint docteur rappelle les jaroles de J. C. rapportées
par St. Matthieu, chap. xxii, de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ,
t't à Cé.sar ce qui est à César. Il seiait facile, mais il est inutile de
pousser plus loin celte énumération.
52 DISSERTATIONS
XVIII. Tatien, disciple de St. Justin, composa, peu
après le inartvre de son inaître , un ouvrage contre le
pa};aiiismc , intitula : Discours aux Grecs. Il y rapporte
dans deux endroits des passages tirés du premier chapitre
de l'évangile selon St. Jean (l).Une autre preuve cjue
cet écrivain connaissait nos évangiles, et les regardait
connue les fondements de la foi transmis parles apôtres,
c'est que , lorsqu'il fut mallieureuscment tombé dans
l'hérésie , et qu'il se fut fait chef de la secte des encra-
tites , il ne contesta pas l'authenticité de ces livres sacrés
qui le condamnaiet formellement; il imagina de les
tronquer et de les accommoder à ses erreurs. Il composa,
au rapport d'Eusèbe, de St. Epiphane et de Théodoret ,
un ouvrage qu'il intitula Dialesscron; ce qui veut dire,
selon les quatre : lequel n'était autre chose qu'une col-
lection et une suite de textes tirés des quatre évangiles,
et une sorte de concoid ince formant une histoire suivie
du divin Sauveur. Il n'ajouta rien au texte des évangiles,
mais il en retrancha ce qui était contraire à sa doctrine
réprouvée, spécialement les généalogies de Notre-Sei-
gneur, et tous les passages qui le présentent comme le
descendant de David, selon la chair (2j. Si au ten\ps de
Tatien, c'est-à-dire au second siècle, nos quatre évan-
giles n'avaient pas été connus, Tatien aurait-il pu en
former son ouvrage? S'ils avaient été regardés alors
comme des écrits apocryphes et faussement attribués aux
premiers fondateurs de la religion , l'aurait-il voulu?
XIX. On croit communément que Hermias a écrit,
])eu de temps après St. Justin et Tatien , son ouvrage
(i) Per se enira nihil e«t aliud (anima) «inana tenebrse, nec quid-
qiiain in ea lominosniu. Atque id ipsuin e.-t quod di« iiur : ttnchrœ
lucem non comprehenderunt. ( Tatianus ^ Orat. ad Grœcos ^ ii" r3. )
Da'tuonibas rejeclis, solum Deura sectamini : Oinnia pcr ipsum
fada snnt j et sine ipso facttim eu nihil. [Ibid. n" 19.)
(2) Voyez la l'rpfac»' des l'P. Bénédictins sor leur édition de
St. Justin et de plusieurs antres npoiogi^trs du second siècle. (Paît.
3 , chap. XII , n" 4.)
SUR L.V RELIGION. 53
contre les philosophes païens. Il le commence par un
passage de la première épître de St. Paul aux Corin-
thiens (1).
XX. Athénagore, qui était du même siècle, a publié,
en 177, une apologie de la religion. Il y cite de même
plusieurs fois les paroles du Sauveur, telles que nous
les voyons dans les évangiles (2).
XXI. A peu près dans le même temps qu' Athénagore
écrivait son apologie , Théophile , évêque d'Antioche ,
composait son ouvrage en trois livres , adressé à Auto-
lycus. C'est pareillement une défense de la religion chré-
tienne, et il y rapporte de même plusieurs passages du
Nouveau Testament (3).
(i) Beatnsj apostolas Panlas Corinthiis, quijaxta Laconicam Grse-
ciam habiiant soribens, dilecti, sic pronantiat, sapientia mundi hu-
jas apad Deum staliiiia est. ( Hermias gentilium philosophorum ir-
ritio , n° i .)
(2) Athenagorse legalio pro cfaristianis , n° xx. Ex ipsis etiam
qoibus adhaeremus praeceptis, atpote non homanis, sed a Deo pru-
nanciatis et traditis persuadere vobis possuraas. Qaaenam snnt igitur
illa plaeita in quibas enutrimur ? « Dico vobis : dib'gite iaimicos ves-
'< tros , benedi'-ite maledicentibus , orate pro persequentibas , ut
« siùs filii patris vestri qui in cœlis est; qui solem sunm oriri facit
« super bonos et malos , et pluit saper jastos et injastos. >» ( Vid.
Luc y chap. V ).
Ibid. n° xn. « Si en'ra diligitis , inquit, eos qui vos diligunt,
- et matnnm dali. iis qui vobis muluam dant, quam mercedem ha-
« bebitis? » {Vid. ibid.)
Ibid. n° xxxn. « Nam qui videt, inquit , mulierem ad concu-
< piscendam eam jam mœchatus est eam in corde sua. » ( Vid.
Match. , cap. v. )
Ibid. n° XXIII. « Quicomqae enim dimiseiit , inquic , nxorem
« .'•uim et aliam dnxerit , mœchabitur. » ( Fid. Matth, cap. xix ,
Luc y cap. XVI.)
(3) Theophilus ad autolycum, lib. 11 , n° i3 , « Nam quae snnt
" apud horaines impossibilia, possibilia snnt apud Deum. » {Vid.
Luc , cap. XVIII. )
Ibid., nO xxit. Uxc nos docent scripturae sacrae , et quotquot Spiri-
tu sancto afflaii fuere : in bis Joannes ita dicens : In principio erat
Verbum.^ et Ferbuin erat apud Deum. Quibus verbis ostendit initio
soluin fuisse Deum, et in eo Verbnm. Tune addit : « Et Dans erat
54 DISSERTATIONS
XXII. L'autorité de St. Irénée est d'un poids immense
dans cette matière, non-seulement parce qu'il est, comme
les auteurs dont nous venons de parler, très-voisin du
temps apostolique, mais parce qu'il avait été, dans sa
jeunesse, disciple d'un respectable personnage de ce
temps. Dans une lettre à Florenus , dont Eusèbe nous a
conservé le fragment , St. Irénée rapporte combien il
avait connu St. Polycarpe; il raconte ce que ce grand
évéque lui avait dit de la famiUarité dans laquelle il
avait vécu avec l'apôtre St. Jean et avec plusieurs autres
disciples qui avaient vu le Seigneur , et de ce qu'il avait
appris d'eux sur la personne du Sauveur, sur ses mira-
cles, sur sa doctrine. St. Polycarpe, ajoute-t-il, rappor-
tait exactement, d'après eux, tout ce qu'ils lui avaient
appris; et il était en tout d'accord avec la sainte Ecri-
ture (1). Il est impossible que St. Irénée qui tenait les
" Verbain : omnia per ipsum facta sant : et sine ipso factnni est
«' nihil. » (Fid. Joann. cap. i.)
Ibid. lib. m, n° i3. Vox aatem evangelica intentias de castilate
pr^cip.t his verbis : « Quisqois adspicit uiorem alienam ad conca-
« piscendam eam , jam raœchatus est eam in corde sno. Et qui du-
" eu , inquit, dimissara a viio , luœchatnr : et qui dinjitlit uxorem ,
•< excepta fornicationis causa , facit eam mœchari. » ( rid Mattk
cap. V. )
Ibid. n" 14. Evangeliura antera , « diligite, inqnit, iniraicos ves-
« tros, et precamini p,o his qui laedunt vos. Nam si dilexeritis
« eos qu. d.bgnnt vos, qaaiem mercedem habebilis.? hoc et laîrones
« et publicani faciunt. .. Qui autem benefaciunt, eos non gloriari
docet; ne s.udiosi sint hominibas placere. « Nesciat enira, inquit
■■ manus tua sinistra qnid faciat manus tua dextra. » Illud
etiara
ac
. . T ".«..lis. Kua uciCia. » lllUCl <
jubet scriptura sancta , ut magislraiibns et potestatibus subjiciamu, ...
pro e>s precemn, : « ut quietao, et tranquillam vitani agamus. ' Ac
•< omnibus omnia redclere docet : cm honorein, houoiera- cai ti-
« '"orein, timorera ; oui tributum, tributura : nec quidqùara ulli
" debere nisi ut diligamus omnes. » {Vid. Matth. cap. ^ et vi -
I. Ttmoth. cap. ir; Rom. cap. xiri. ) '
(i) Porro ia ea ad florinum epistola , de qaa jam prius dixi, idem
Irenaens secnm Polycarpo familia.iier esse versatum prodit his ver-
bis... Et locura ipsum passim dicere in quo beatissiraus Polvcarpus
^edens disserebat processusque ejus et ingressus, vitéeque tot'ius for-
mam et speciem, sermones denique qnos ad popalum habebat et
SUR LA RELIGION. 55
évangiles, non pas précisément de la premi re main,
mais de la seconde ; qui avait continuellement entendu
parler à son maître des évangiles; qui admirait le rapport
entre les instructions de son maître et les évangiles, ne
sût pas positivement de qui étaient les évangiles. Or , il
s'exprime, sur l'authenticité de ces saints livres, de la
manière la plus positive ; il semble qu'il ait prévu qu'un
jour elle serait contestée.
LNous ne connaissons , dit-il , ce qui nous dispose au
salut , que par ceux de qui l'Evangile est venu jusqu'à
nous, qui d'abord l'ont prêché; qui ensuite, par la
volonté de Dieu nous l'ont transmis par écrit , pour être
le fondement et la colonne de notre foi. Ainsi Matthieu,
parmi les Hébreux, a écrit dans leur langue l'Evangile
que Pierre et Paul sont allés publier en fondant les églises.
Après leur départ, îMarc, disciple et interprète de Pierre,,
nous a fait passer par écrit ce qui avait été annoncé par
Pierre. Luc, suivant de Paul , a enseigné dans un livre
l'Evangile qu'il prêchait; et après cela, Jean, disciple du
Seigneur , qui a été appuyé sur son sein , a aussi publir
un évangile, lorsqu'il demeurait à Eplièse (1). St.Irt^^nee
familiarem consuelndiiiem qnse illi -curu Joanne , at uarrabat , et
enm reliqni^ qui Dominum ipsam vidissent intercesserat ; et qualiter
dicta illorura oommemorabar ; et quaecaraqae de Domino ab ipsis
audierat. De miracn'is qaoque illius, ac de doctiina , proot ab iis
qui Verbuiu vi'.ae ipsi conspexerant Polycarpus acceperat , eodein
modo proibus referebat, in omnibus cum scriptura sacra consentieris.
^ Eiiseb. Hist. Eccl. , lib. v , cap. 20. )
(i) Non enim per alios dispositionera snlnlis nostrae cognovimus,
qaam per eos per qaos evangelium pervenit ad nos; (juod quidem
lanc praeconaverant , postea vero per Dei volaotatem in scriptuiis
iiobis Iradiderunt, fandamentum et co'.nranam fidei nostrae fata-
rum... Ita Matthaeus in Hebraeis ipsorum lingua scriptnram edidit
evangelii, cum Pelrus et Paulus evangelizarenl et fnndarent ecclesiam.
Post %ero horum excessum , Marcus discipulus et interpres Pétri,
et ipse quae a Petro annuntiafa erant per scripta nobis tradidit. Et
Lucas autem sectator Panli, qnod ab i!lo praedicabalur evangelium
in libro rondidit. Postea et Joannes discipulus Domini, qui et supra
pectus ejus recambebat, et ipse edidit evangelium, Ephesi Asiae
commorans. ^ S. Irenœus contra hceres. . lib. v.i , cap. i.)
50 DISSERTATION^
dit plus bai qu'il n'y a ni plus ni moins de quatre évan-
jjiles, et il en donne une raison mystique tirée des quatre
régions du monde, dans lesquelles l'Ej^lise est dissénji—
néefl). Il eomhat les diverses hérésies par l'aveu qu'elles
font de l'autorité des évanjjiles, laquelle est, dit-il,
tollemeiit assurée, que les hérétiques mènie lui rendent
témoignage et s'ellbrcent d'en faire le fondement de leur
doctrine. Les ébionistes usent du seul évangile de saint
Matthieu. Marcion reconnaît celui de St. Luc , qu'il
tronque et altère à sa manière. Ceux qui séparent Jésus
du Christ, disant que c'est Jésus qui a souft'ert et que le
Christ est impassible , préfèrent l'évangile de St. Mare.
Les valentiniens se servent de celui de St. Jean. Puis
donc, conclut-il, que ceux qui nous contredisent rendent
témoignage à ces livres et en font usage, c'est avec vérité
et avec force que nous les produisons (2). Tout raison-
nement que l'on pourrait faire, d'après ces passages,
serait inuiile, tant ils sont clairs et démonstratifs. Pour
(i) Nec autem plnra numéro quam haec sont, neque rutsus pau-
ciora caj.it esse evangelia : Quoniain enira quatuor regiones niundi
snnt inqaosnmus, et quatuor principales spiritns, et disseminata est
ecclesia super onineru terram , coinrana autem et firmamentura ec-
clesiae est evangelinm, etspiiitus \itae; consequensest quatuor habere
eam colamnas undiqne fiantes incorrnptibililatem , et vivifîcanles
honiiaes. {Ibid., cap. xi, «" 8. )
(2) Tanta est circa baec evangelia flrmitas , ut et ipsi baeretici tes-
timoniam reddant eis, et ex ipsis egiediens unusqoisque eorum co-
netar saam confirmare doctrinam. Ebionei etenim ex evangelio quod
est secundom Mattbaeum solo utentes, ex illo ipso convincuntar ,
non recte presumentes de Domino, Marcion antem id quod est secon-
dum Lucam circumcidens , ex lji'> qiia; adhnc servantur pênes eam ,
blasphemus in eam solum cxislciitem Deum ostenditur. Qui antem
Jesum séparant a Christo, et intpassibilera persévérasse Christam,
passura vere Jesam dicunt, id quod secnndum Marcum est praeferen-
tes evangelium , cum amore verilatis legentes illud , coiripi possunt.
Hi autem qui a Yalenlino sont, eo quod est secnndum Joannem ple-
nissime ulenles ad ostensionem conjugationnm snarum, ex ipso de-
tegnntur nil recte dicentes... Cum ergo hi qui contradicant nobis
testimoniura perhibeant , et utantur bis, fîrma et vera est nostra de
illis ostensio. {^Ibid. , n" 7.)
• SDR LA RELIGION. 57
y répondre , il faudrait soutenir que St. Iréuëe ou a été
induit en erreur, ou a voulu y induire. Il est difficile
de décider laquelle des deux assertions serait la plus
absurde. Je ne crains pas de l'avancer : n'eussions-nous
que le seul témoignage de St. Irénée, l'authenticité de
nos évangiles serait complètement démontrée.
XXIII. Tertullien écrivait, à la fin du second siècle,
contre Marcion. Cet hérésiarque, ainsi que nous venons
de le voir, rejetant l'autorité des autres Evangiles, ne
reconnaissait comme véridique que celui de St. Luc ,
auquel encore il avait fait des changements. Il ne s'agit
pas ici de ces altérations ; nous verrons dans le chapitre
suivant ce qu'en dit Tertulhen. Pour établir l'autorité
des trois autres évangélistes , il commence par poser en
thèse , que l'Evangile a eu pour auteurs les apôtres , et
avec eux les hommes apostoliques qui les avaient eus
pour maîtres ; et que notre foi est fondée , parmi les
apôtres, sur Jean et Matthieu; parmi les hommes apos-
toliques, sur Luc et sur 3Iarc (1). Il prouve ensuite cette
vérité par deux raisons ; par l'ancienneté et par l'univer-
salité : parce que ces évangiles existent dans les églises
apostoliques , depuis leur fondation par les apôtres , et
parce qu'ils sont reconnus par la totalité de ces églises ,
et aussi par toutes les autres. Il conclut^ en demandant
à Marcion pourquoi, rejetant les autres évangiles, il
n'admet que celui de St. Luc, puisqu'ils sont tous égale-
ment reçus dans l'universalité des églises , et depuis le
commencement (2).
(i) ConstitTiimas in primis evangelicam instrnraentum apostclos
autores liabere, quibus hoc raunus evangelii promulgandi ab ipso
Domino sit impositam , sic apostolicos vires, non taraen solos , sed
cam apostolis et post apostolos : QnoDÏam praedicatio discipalorum
suspecta fieri posset de gloriae studio , si non adsistat il!i antoritas
magistrorura , immo Chriti qui magi3^^os apostolos fecit. Deniqce
nobis fidem , ex apostolis Joannes et Matthaeas insinuant, ex apos-
tolicis Lacas et Marcus instaurant. [Tertull. contra Marc. ^ lib. iv,
cap. 1. )
(a) Si constat id verias quod prias , id prias qaod ab initio , id
3^
58 DISSERTATIONS
J'observe, sur ces passages de Tertullien, qu'il se sert,
pour prouver l'authenticité du Nouveau Testament , de
la Hièiue preuve que nous employons, de la tradition de
toutes les églises depuis le temps des apôtres. Je viens
d'établir cette tradition par l'autorité de tous les pères
apostoliques et de leurs successeurs immédiats. Mais
j'aurai occasion incessamment de revenir sur le raisonne-
ment très- fort que fait ici Tertullien.
XXiy. Que St. Clément d'Alexandrie, contemporain
de Tertullien, ayant été mis à la tète de l'école d'Alexan-
drie en l'an 189, ait connu et cité, comme étant des auteurs
auxquels nous les attribuons, les livres du Nouveau Tes-
tament, c'est ce que démontrent une infinité de passages
ab initio quod ab apostolis , pariter ntique constabit id ab apostolis
tradilum, quod apad ecclesias apostolorura fuerit sacroaiictain. Vi-
deamus quod lac a Paulo Corinthii bauserint ; ad qu;im regulam Ca-
latae sint correcti ; quid legant Philippenses, Thessalunicenses,
Ephesii, quid etiam Romani de proxirao sonent, quibus e angelium
Pelius et. Paulus sangaine quoque suo signaiam rebqaeraiit. Ha-
beinus et Joannis alumnas ecclesias. Nam etsi Apocalypsim ejas
Marcion respoit , ordo tamen episcoporam ad originem recensas in
Joannem stabit autorem ; sic et cae'erorum gerierositas recognoscitur.
Dico antem apud illos , nec solas jam apostolicas, sed apad univer-
sas quae illis de societate sacramenti confederantur ,. id evangelium
Lucae ab initio editionis suae stare. Quod cura maxime tueraur Mar-
cionis vero plerisque nec notuni , nnllis autem notuio, et non eo
daninatum... Eadem auctoritas ecclesiaram apostolicaruni caeterii quo-
que pairocinatnr evangeliis, quae proinde per illas, et secunclum
illas habemus, Joannis dico et Matlbapi; Ucet et Marcus quod edidit ,
Pétri adfiimetur, cujus inlerpres IMarcus. Nam et Lucae digeatuiu
Paulo adscribere soient , capnt magistrorum videri , quae discipuli
proniulgaverint. Itaque et de bis Marcion flagitandns , quid , omissis
eis, Lucae potins institerit: Quasi non baec apud ecclesias a nrimor-
dio fuerint , quemadmoduru et Lucae. At quin baec magis a priraordio
fuisse credibde est nt priora quae apostolica , ut cum ipsis tcclesiis
dedicata. Caeterum quale est, si nibil apostoli edideiant, ut disci-
puli potius ediderint , qui nec discipuli existere potuissent, sine ulla
doctrina magistrorum. Igitur dum constat baec quoque apud ecclesias
fuisse, cum non baec quoque Marcion attigit, tut emendanda si
adultérât?, ant agnoscenda si intégra. ( Ibid. , cap. v.)
SUR LA RELIGION. 59
<[e ce Père. Contentons-nous d'en rapporter quelques-uns
relatifs à plusieurs de nos saints livres (1).
Je ne pousserai pas plus loin que le second siècle cette
suite de témoignages qui attestent l'authenticité du Nou-
veau Testament, parce que nos adversaires eux-mêmes
conviennent qu'à cette époque toute l'Eglise en était
convaincue. Je m'arrête seulement à considérer la consé-
quence évidente qui en résulte.
XXV. Tout ouvrage est nécessairement antérieur aux
ouvrages dans lesquels il est cité. Donc les livres du
Nouveau Testament ont été écrits avant ceux des élèves
des apôtres; donc ils sont du temps des apôtres eux-
mêmes.
Nul ne peut mieux savoir si un ouvrage est de l'auteur
à qui on l'attribue, d'abord, que ceux qui ont vécu avec
lui, surtout s'ils ont été ses disciples : ensuite, que ceux
(r) Quod autein v^rum sit, sic scriptnm est in evangelio seciin-
dum Lucam : « Anno aatem quindecim Tiberii Cœsaiis faclum est
« verbum Domini saper Joannera Zacharise filiom. » ( S. Clemens
Alex. Strom. , Ub. i. )
In evangelio auteni secundum Mathaenm , quae ab Abraham dedn-
citnr genealogia usque ad Mariam matrem Domini terminantni .
[ Ibid. )
" QqI dicit novi Dominam , et joandata ejus non servat, inendax
" est, et in eo veritas non est. » ( Ihid. Ub. m. )
Et b'cet hic in terris non fuerit prima sede honoralus , sedebit in
qa.ituor et viginti thronis populnra judicans, at dicit Joannes in
Apocalypsi. ( Ihid. lib. v. )
Nam Paulus quoque in epistolis non videtur reprehendere philo-
sophiaia, sed eum qni ad gnosticum fasîigium pervenit non vnlt am-
plius recurrere ad graecam pbilosophiam ; eam allegorice vocans
mundi elementa ^ ut qnae elementa quodam modo doceat , et sic ve-
loti disciplina praecedens veriîatem. Qnocirca ad Hebraeos quoque
sciibeiis, qni a fîde ad legem leflectcbantur. « An ruisns, inqnit ,
« opus habetis nt vus doceara qaaenam sint elementa initii eloqnio-
« ruin Dei , et opns cœp/t esse vobis lacté et nun solido cibo. « Si-
militer autem ad Colossenses (jui convertuntnr ex graecis : >■ Videte
« ne quis vos depraedetar per phiîosophiam , et inanem deceptionetn,
'< secundum tradilionem hominam , secundam elementa hujnsraodi ,
« et non secandum Chrlstnra. » {Ibid., lib. vi.)
60 DISSERTATIONS
qui ont vécu avec ses disciples , et qui ont été instruits
par eux ; enfin, que ceux qui ont connu les élèves de ses
disciples, qui ont eu avec eux de grandes relations, et
qui ont reçu d'eux leur doctrine. Plus le témoignage est
voisin du fait, plus il a de force. Plus les témoignages
voisins du fait sont nombreux , plus ils se fortifient réci-
proquement. Chacune des autorités que nous venons de
rapporter , isolée, donnerait une raison suffisante de
croire l'aullienticilé du Nouveau Testament ; réunies,
elles forment une démonstration irrésistible.
Si l'on veut , après de si nombreux et de si graves
témoignages, s'opiniâtrer à soutenir que nos livres saints
ont été supposés , il faut nécessairement prétendre aussi
que les écrits de St. Clément, de St. Ignace, de St. Poly-
carpC; qui ont suivi immédiatement les apôtres, et qui
les citent , ont été pareillement fabriqués après coup. Les
pères qui ont remplacé ceux-là, St. Justin, Athénagore ,
Théophile, etc., citent aussi les évangiles. Dira-t-on
aussi que les ouvrages de ceux-là sont apocryphes ? Des-
cendons une génération. St. Irénée, TertuUien, St. Clé-
ment d'Alexandrie se présentent; et il faut soutenir encore
que les écrits qu'on leur attribue ne sont pas d'eux. Dans
toute la suite du christianisme , les auteurs ecclésiasti-
ques se tiennent les uns aux autres; ils rapportent des
passages des livres saints , et des auteurs qui les ont pré-
cédés. Par là, ils sont des garants de l'authenticité et de
l'Ecriture sainte et des ouvrages de leurs prédécesseurs.
Ils forment une chaîne de témoignages qui remonte
jusqu'aux apôtres , et qui descend jusqu'à nous. Si le
Nouveau Testament est supposé, tout ce qui existe d'ou-
vrages chrétiens, depuis l'origine de la religion, est
apocryphe.
XXVI. Origènes, qui suit immédiatement les Pères
que je viens de citer, ayant été disciple de St. Clément et
sonsuccesseur dans l'école d'Alexandrie, avait donc raison
de dire : «« C'est ainsi que je l'ai reçu par tradition , au
« sujet des quatre évangiles , qui seuls sont admis sans
SUR LA RELIGION'. 61
contradiction dans toute l'Eglise de Dieu, qui est sous
" le ciel (1). » Cette tradition générale est la même chose
que la pei*pétuité et l'universalité, que nous venons de
voir Tertullien réclamer en faveur des livres saints. C'est
le même raisonnement que font ces deux Pères, qu'a fait
aussi St. Augustin '^2), et que nous répétons avec conâance
d'après ces grands défenseurs de la foi. Comment tant
d'églises qui existaient de leur temps , qui étaient répan-
dues dans tant de pays éloignés les uns des autres, et
différents entre eux de mœurs, de gouvernement, de
langage , auraient-elles pu s'accorder à reconnaître les
quatre évangiles que nous possédons aujourd'hui comme
les seuls véritables évangiles venus des apôtres , si elles
n'avaient pas eu un motif général et commun à toutes?
Ce motif nous est expliqué par Origènes. Chaque fidèle
de tous les pays pouvait dire comme lui : » C'est ainsi que
je l'ai reçu par tradition. » Cette tradition existait dans
toutes les églises, parce que toutes avaient été fondées
par les apôtres ou par leurs successeurs. A mesure qu'ils
fondaient une église ^ ils lui remettaient le livrc des saints
évangiles et y établissaient des pasteurs , ainsi que le
rapporte Eusèbe (3;. Ces pasteurs ou évéques étaient
spécialement chargés du dépôt. C'est le précepte que
donne St. Paul au disciple qu'il avait établi évéque à
Ephèse (4). Or, le dépôt n'était autre chose que la^saine
doctrine et les livres sacrés dans lesquels elle est consi-
(i) Sicnt ex traditione accepi de quatuor evangeliis, quae soia in
universa Dei ecclesia, quae sub cœlo Cbt, citra conroveisiam admit-
tuntur. Primam scilicet evangelium scripium est a Matîhœo , etc.
{Origen. in Malt., lib. i. Apiid Eusebium hist. ceci., lib. vi ,
cap. 25.)
(2) Breviter vos admoneo , qui illo tam nefando el iusanabili eiro
re teneraiiii, ut si aotoriiatem se^-^ui vultis , eam sequaraini, quae ab
ipsius praesentiae Christi temporibus per dispensationes apostolornm ,
et certas ab eoium sedibos buccessiones episcoporum, usque ad haec
terupora toto orbe terraruin castodita, cunimendata , clarificata per-
venit. (5. Augiist. contra Faustum , lib. xxxxn , cap. 9.)
(3) Voyez ci dessus, n" ix , page 9.
(4) O Timothee , depositniu custodi. (i. Timoth. vr. 20.)
62 DISSERTATIONfi
ynée. Lesévèques rendus dt'positaires, devaient le gardci
avec soin , et le remettre pur et entier à leurs successeurs.
C'était là le principal canal de la tradition. Outre celui-
là, elle découlait encore des pères aux enlV nts , et des
maîtres aux disciples. Lne tradition de ce genre, bien
établie dans une seule église, serait déjà une preuve très-
forte en faveur de l'authenticité, qu'elle attesterait. jMais
quand on la voit générale dans toutes les églises, elle
forme une démonstration à laquelle il est impossible de
se refuser. Ln clfet absolument universel doit avoir une
cause commune. Or, (jue l'on nous en indique une autre,
que l'origine apostolique de toutes les églises. Je conçois
cet accord , quand je considère que chaque éghse a reç u
ces livres saints de son fondateur. Mais comment une
telle unanimité aurait-elle pu s'établir après que ces
églises auraient été fondées? quel homme aurait eu un
pouvoir assez fort pour faire recevoir à quelques églises
nos évangiles, comme les seuls venant des apôtres; un
pouvoir assez étendu pour les faire recevoir à toutes sans
exception ; un pouvoir as ez absolu pour'les faire recevoir
ainsi sans réclamation? La tradition que les évangiles
sont des auteurs dont ils portent les noms, remonte donc
jusqu'à ces auteurs eux-mêmes, et elle forme une nou-
velle preuve certaine de rapostolicité de ces hvres.
Pour sentir combien cette démonstration , tirée de la
tradition antique et universelle, avait de force dans la
bouche de Tertulhenetd'Origènes, considérons combien
peu de générations il avait fallu pour la transmettre jus-
qu'à eux. L'évangile de St. .Matthieu a été écrit vers l'an
40deuotre ère; celui de St. Marc, quatre ou cinq ans
après; celui de St. Luc, vers l'an 52. Quant à celui de
St. Jean, il n'a été composé que dans les dernières années
de cet apôtre, c'est-à-dire vers la fin du premier siècle.
Tertullien a écrit à la fin du second siècle. Mais il faut
considérer, d'une part, que les trois premiers évangélistes,
les autres disciples du Sauveur, les fidèles à qui ils avaient
remis leurs évangiles, ont survécu de beaucoup à l'époque
de la conqîosition des évangiles. Spécialement , nous
SDR LA RELIGION. 63
apprenons de St. Jérôme , que St. Luc a poussé sa carrière
jusqu'à l'âge de 84 ans (1). Il faut considérer d'autre part,
que Tertullietî était né longtemps avant d'écrire ses
ouvrage? . Il y a donc entre la mort des témoins person-
nels de Tauthenticité des évangiles, et la naissance de ce
docteur, un intervalle assez court. Une ou tout au plus
deux générations ont pu facilement le remplir. Quel est
l'homme qui n'a pas vécu dans sa jeunesse avec des
personnes de qui il a pu apprendre ce qui s'était passé
cinquante ou même soixante ans auparavant, et qui,
s'il parvient à un âge avancé , ne peut pas le redire , au
bout du même temps, à des jeunes gens? Dans le fait,
nous avons vu St. Irénée, mort l'an 202, c'est-à-dire
l'année même où Origènes fut chargé de l'école d'Alexan-
drie, tenir les évangiles de la seconde main, et n'y avoir
entre lui et l'apôtre St. Jean d'autre intermédiaire que
St. Polycarpe. Et ce saint docteur parle d'autres anciens
qui avaient vu non-seulement St. Jean, mais les autres
apôtres ; qui avaient appris d'eux les mêmes vérités , et
qui les attestaient d'après leur relation (2). C'était un
point tellement important dans la religion , de savoir de
qui étaient les livres fondamentaux de la foi, qui conte-
naient les faits, les dogmes, les préceptes du christia-
nisme, que les vieux maîtres ne manquaient pas de
l'apprendre à leurs jeunes élèves. Lorsque Tertullien,
et , très-peu de temps après lui , Origènes , disaient que
les livres saints étaient universellement répandus sous
les noms de leurs auteurs ^ c'était un fait qu'ils avaient
sous les yeux , et sur lequel il leur était impossible de se
(i) Vixit octoginta et qaatuor annis , uxoiem non habens.
[S. Uieron. de Script, eccles. in Lucam. )
(2) Sicut evangelium et oranea seniores lestaniur, qui in Asia
apad Joannein discipalam Doruini convenerunt , id ipsum tradidisse
eis Joannem. Pcrruansit autem cura eis asqne ad Trajani tempora.
Qaidam antem eorum non solam Joannem, sed et alios apostolos
viderunt , et hsec eadem ab ipsis audierunt , et testanlur de hnjus-
modi relalione. {S. Irenœus contra hœres.^ lib, ir, cap. 22, n" 5.)
64 DISSERTATIONS
tromper. Lorsqu'ils assuraient l'origiue apostolique de
ces livres, d'après la tradition, c'était un autre fait dont
ils étaient é[jalenicnt assurés, puis(ju'entre cette origine
et eux il y avait un si petit nombre de générations.
XXVII. J'ai déjà observé qu'il est très - diflicile de
supposer un livre quelconque, sans donner à la critique,
qui est si attentive et si éclairée , quelque moyen de
découvrir la fraude. Mais la difficulté est dans une
énorme proportion plus grande , de supposer un livre
auquel une société entière prend un vif intérêt , qui fait
son titre constitutif, qui renferme le code de ses lois, qui
est la base de sa religion. Les Romains ne prenaient pas
plus d'intérêt aux actions de leurs ancêtres , que les Chré-
tiens aux faits évangéliques. Aurait-on pu persuader aux
Romains que les histoires de Tite-Live et de Tacite étaient
de ces auteurs, si cela eût été faux ? Les chrétiens avaient
pour les premiers fondateurs de leur religion un respect
profond; auraient- ils souffert qu'on leur attribuât des
écrits qu'ils n'auraient pas faits? Plus ils avaient de véné-
ration , de déférence , de soumission pour leur autoritt- ,
plus certainement ils examinaient avec attention si ce
qui venait de leur part en venait ctïectivement.
XXVIII. La difficulté déjà si importante de tromper
toute une société sur un point où il lui est si essentiel de
ne pas l'être , devient plus grande encore , si cette société
est répandue dans beaucoup de pays séparés par de grandes
distances. Ce n'est plus alors une seule société , c'est une
multitude de sociétés qu'il faut abuser. Les apôtres avaient
étendu leur prédication dans l'Italie, dans l'Egypte, dans
la Grèce , dans l'Asie-Mineure , dans bien d'autres pays
encore- Dans chaque région ils avaient fondé plusieurs
églises. Comment imaginer qu'on ait pu persuader à tant
d'églises ainsi dispersées, que des ouvrages dont elles
n'auraient jamais entendu parler étaient de leurs pre-
miers fondateurs ? Comment faire adopter à tous ces
hommes en même temps, sans réclamation d'aucun
d'eux , une imposture qu'ils avaient tant d'intérêt et tant
de facilité à dévoiler?
SUR LV RELIGION. G5
XXIX. La supposition de nos livres saints .'evient en-
core bien autrement incroyable , quand on pense qu'il
aurait fallu les faire recevoir à plusieurs sociétés opposées
entre elles; et nous avons vu St. Irénée faire ce raisonne-
ment (1). Dès les premiers siècles du christianisme, il s'est
formé dans son sein des hérésies animées d'une haine fu-
rieuse contre l'Eglise , qui de son côté les condamnait sé-
vèrement. De ces sectaires des deux premiers siècles, quel-
ques-uns reconnaissaient l'autorité de tous les livres du
Nouveau Testament; il yen avait qui ne reconnaissaient
que l'un des évangiles , et qui rejetaient les autres ; on
en voit qui altéraient les textes des évangiles qu'ils ad-
mettaient pour les adapter à leurs erreurs. Mais c'était
l'autorité de quelques livres saints qui était contestée , ce
n'était pas leur authenticité : on combattait la vérité du
récit ; on n'en niait pas la réalité. La question entre l'Eglise
catholique et ses sectes était de savoir non si les hommes
apostoliques avaient écrit , mais s'ils avaient bien écrit.
Arrêtons-nous un moment à prouver cette vérité , qui
donne un grand poids à nos preuves.
Quand St. Irénée rapporte ce que disent divers héréti-
ques sur les évangiles , c'est , comme nous l'avons vu ,
pour les combattre par 1 autorité même des évangiles
qu'ils admettent. Quand Tertullien poursuit Marcion de
ses raisonnements victorieux, son objet est de prouver que
les trois évangiles auxquels Marcion refuse de se sou-
mettre , étant aussi anciennement connus , aussi géné-
ralement répandus que celui de St. Luc , on doit y ajouter
une égale foi. Il ne cherche pas à prouver cette antiquité ,
cette universalité ; ce qui aurait été nécessaire, s'il avait
eu à établir Tauthenticité du Nouveau Testament. Il les
suppose comme des faits que Marcion ne nie point ; il en
argumente , et il en conclut que ces livres ayant tous une
pareille authenticité , doivent avoir une égale autorité.
Nous avons des témoignages plus positifs encore de
(i) Voyez ci-dessns, n° xxii, page 54'
66 DISSERTATIONS
cette vérité , que c'était l'autorité et non l'authenticité
des évangiles , que contestaient quelques-uns de<; pre-
miers hérétiques. St. Irénée qui connaissait à fond la
doctrine des hérétiques , contre lesquels il écrivait , dit
que CCS ennemis de la tradition apostolique , se préten-
dant plus sages , non-seulement que les prêtres , mais
que les apôtres , assurent qu'eux seuls ont trouvé la pure
vérité , et que les apôtres aux paroles du Sauveur ont
mêlé des choses de l'ancienne loi (1}. Il répète encore dans
un autre endroit cette vaine prétention des hérétiques ,
d'être plus francs et plus instruits que les apôtres qui ont
prêché l'Evangile, encore imbus d'opinions judaïques ^2).
Accuser les apôtres d'avoir inséré des erreurs dans leurs
livres , c'est supposer évidemment que ces livres sont des
apôtres.
Tertuilien nous apprend le motif sur lequel se fondait
Marcion, pour rejeter les trois évangiles de St. Matthieu ,
de St. Marc et de St. Jean. C'est, disait cet hérésiarque ,
parce que, dans son épître aux Gala tes , St. Paul reprend
les apôtres de ne pas marcher avec droiture , selon la
vérité de l'Evangile, et accuse quelques faux apôtres de
pervertir l'Evangile de J.-C. (3). Ce motif, pour ôter
(ij Cum aulem ad eam ileiuin U-aditionem qaae Cot ab apostuli.'^ ,
qu£e per successiones presbyte: oruin in ecclesiis oastoditur , piovo-
cainas eos , adversantur tiaditioni ; dicentes se non solum prcbby-
reiis, sed etiam apostolis sapientiores , sinceram invenisse veiitatem ,
apostolos cnini adiniscaisse ea qaœ snnt legalia Salvatoris verbis.
{S. Iren. contra hceres. , lib. m , cap. 2. )
(2) Deserli igitnr coni sint a paterna dilectione, et intlati a satana,
conversi in Simonis magi do.trinam , abstiterant senfentiis su"s ab eo
qui est Deus ; et pataverunt semetipsos plus invenisse quam apos-
toli, alteram Deum invenienles : et apostolos quidem ad haec quae
sant jadaeorum sentientes annnniiasse evangeliuin; se autern since-
riores et prudentiores aposlolis esse. Çlbid.^ cap. xn , n° 12. )
(3) Sed enim Marcion nactus epistolara Pauli ad G.ilatas ipsos
etiam apostolos sugillanfes , ut non recto pede incedentes ad veii-
tatem evangelii ; simul et accusantes pseudo-apostolos quo-dam per-
vertentes evangelium Christi, connititur ad destruendum statom eo-
nim evangelioium qna; propiia et sub apostolorum noniine eduntur,
SUR L\ RELIGION. 67
la foi aux évangiles , est absurde en soi ; mais il montre
dans quel sens Marcion les rejetait ; que c'était comme
contenant des faussetés, et non pas comme faussement
atiribués aux hommes apostoliques- Marcion ne leur
aurait pas imputé d'avoir mis des faussetés dans leurs
écrits , s'il n'avait pas été persuadé que ces écrits étaient
leur ouvrage.
Origènes nous donne la raison pour laquelle plusieurs
sectes, telles que les ébionites et les eacratites, n'admet-
tent pas les épîtres de St. Paul ; c'est qu'elles ne recon-
naissent pas cet apôtre pour un homme saint et sage (1).
Ce n'était donc pas l'authenticité, c'était la vérité de ces
épîtres qui était contestée.
Eusèbe dit de même que les ébionites rejetaient les épî-
tres de St. Paul , en disant qu'il était un déserteur de la
loi '2). Par cette inculpation même , ils reconnaissaient
bien clairement que St. Paul était l'auteur de ses épîtres.
Il est donc certain que les hérétiques des deux premiers
siècles ne niaient point l'authenticité de nos livres saints.
Mais de quel poids n'est pas le témoignage de ces ennetnis
de l'Eglise , soit qu'on le considère en lui-même et isolé ,
soit qu'on le rapproche de celui de l'Eglise catholique?
D'abord , il fallait que cette authenticité du Nouveau Tes-
tament fut bien incontestable, puisque ^ dans le temps
où il était si facile d'en connaître la réalité ou la fausseté,
elle n'était pas contestée ; puisque ceux même que l'on
combattait avec des textes du ^n'ouveau Testament , ne la
révoquaient pas en doute ; puisque ceux , entin , qui ne
vel etiam apostolicorum j ut sciiicet fldetn qnam illis adimii sno con-
férât. Idem , adv. Marc. , lib, iv , cap. 3.)
(x) Sont enini sectae quoe Pauli episfolas non adraitlunt ; nt utri-
qae ebionaei et encratitBe dicti. Illi igitnr, cum Paul uni pro sancto et
sapiente non agnoscant , cerfe hoc eju- affatum non nsorpabant :
Mihi mundus crucifixui tist , et ego mundo. ( Origen. contra Cthum ,
lib. VI. , cap. 65.)
(2) Hi ( ebionilae) epistolas quidam Pauli rejiciendas esse cense-
bant, desertorem illam leg's vocantes. [Euseb.^ hist. eccles., lib. m .
cap. 27 ).
68 DISSERTATIONS
pouvaient s'empêcher de lire leur condainnation dans nos
livres, aimaient mieux accuser les auteurs d'erreurs, que
nos livres de supposition. Mais si nous considérons après
cela l'accord des hérétiques avec les catholiques , sur
cette authenticité, elle en devient évidenmient démontrée.
Ils étaient trop ennemis, trop attentifs à veiller les uns
sur les autres, pour qu'une fraude pût s'étahlir Ils sont
réciproquenient garants de la vérité qu'ils reconnaissent
unanimement. Si l'un des deux partis avait voulu intro-
duire de nouveaux écrits, comme venant des apôtres ,
l'autre aurait-il pu l'ignorer? aurait-il voulu le souffiir?
Dira-t-on que l'un des deu' ayant fait la supposition , a
eu le pouvoir de la faire adopter à l'autre? dira-t-on qu'ils
se sont accordés pour commettre cette infidélité ? L'in-
crédulité est réduite à choisir entre ces deux absurdités.
XXX. En soutenant que nos livres saints sont apocry-
phes, il faudrait fixer l'époque où ils ont été introduits
dans le christianisme : c'est à ceux qui font une alléga-
tion à en donner la preuve. C'est ce que jamais n'ont pu
faire, avec quelqu'ombre de probabilité , les incrédules.
Nous leur portons hautement le défi d'indiquer un temps
où la fraude ait été , nous ne disons pas effectuée , mais
possible. Assignera-t-on le temps où les apôtres vivaient
encore? Mais alors il faut dire que la supposition s'est
faite ou à leur insu , ou de leur consentement , ou malgré
leur opposition ; toutes ces hypothèses se réfutent d'elles-
mêmes. Veut-on que ce soit après la mort des apôtres
que les évangiles aient été produits? D'abord l'assertion
serait réfutée par les témoignages des pères apostoliques
que nous avons cités , par l'impossibilité que nous avons
remarquée d'abuser tant d'églises différentes , tant de
sectes opposées. De plus , les apôtres avaient formé des
disciples , avaient laissé des successeurs chargés du gou-
vernement des églises. Aurait-on pu en imposer à tous
ces personnages , et leur faire prendre pour des écrits de
leurs maîtres , des ouvrages dont leurs maîtres ne leur
auraient jamais parlé ? aurait-on pu les associer tous à la
fraude , et les engager à recevoir tous unanimement,
SUR LA RELIGION. 69
comme ouvrages des apôtres , des livres qu'ils auraient
su n'être pas des apôtres ? Enfin passera-t-on aux âges
suivants pour y placer la supposition des évangiles ? plus
on la recule , plus on la rend incroyable et impossible.
Un plus grand nombre de pères antérieurs qui ont cité
les livres saints , démontre la fausseté de l'assertion. Un
plus grand nombre d'églises fondées dans ces pays plus
éloignés , rend l'unanimité plus impraticable. Un plus
grand nombre de sectes rend 'e concert plus absurde. Le
système de la falsification du Nouveau Testament déjà
déraisonnable , parce que personne n'aurait pu la faire ,
l'est encore, parce que dans aucun temps on n'aurait pu
la faire.
XXXI. Et si elle avait été réelle, croit-on qu'elle eût
pu s'effectuer avec un tel secret , que les ennemis du
christianisme, si acharnés contre lui , si attentifs à sai-
sir toutes les manières de le combattre , n'en eussent eu
aucune connaissance , et qu'ils eussent négligé un
moyen aussi favorable à leur cause ? Nous avons un
grand nombre d'écrits des jtiifs, où ils se répandent en
invectives contre le christianisme , où ils le combattent
par tous les arguments qu"ils peuvent imaginer : eus-
seiit-ils omis le plus puissant de tous, celui qui aurait
fait crouler le christianisme par ses fondements? Celse ,
qui écrivait cent ans après Jésus-Christ, connaissait
parfaitement nos évangiles. Il en relève souvent des
passages, tantôt pour les arguer de faux, tantôt pour en
tirer des arguments. Nulle part il ne dit que les évan-
giles sont supposés. Il reproche même aux chrétiens d'a-
voir changé et perverti le contexte primitif de TEvan-
gile (1). N'esl-ce pas déclarer positivement qu'il y a eu
un contexte primitif? Intenterait-il l'accusation plus
légère d'altération, s'il pouvait articuler celle bien au-
trement grave d'une falsification totale ? Le témoignage
(i) Postea ex. fîdelibns ait (OfLas) esse, qui simles illis quo^. en
iinpellit ebrieias nt sihi manus inférant, primtim evaiigelii <;unîex-
tiun , 1er, quatcr , pluries mutant, perveitontque, ut Inbeant qao
1-03 sil)i objectas iaticiantar. (Orig'-u. contra Cc/sinn ^ lib. u , n' "i'-)
70 DISSERTATIONS
de Julien e«t plus exprès encore. Il attribue fornielle-
uient les livres du Nouveau Testament à leurs auteurs,
et il combat la divinité de Jésus-Christ, en disant que
ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc, n'en ont parlé,
et que Jean est le premier qui ait osé la mettre en
avant (1). Combien doit-on être assuré d'une vérité qui
est attestée par ceux mêmes qui auraient intérêt à la
contester ; et quelle idée doit-on se former de la cause
des incrédules modernes qui , pour la défendre , sont
obligés de combattre même les incrédules du temps dont
ils parlent?
XXXÏI. Je reprends maintenant ce que je disais au
commencement de cet article , et je demande si , de tous
les motifs qu. peuvent fonder la persuasion qu'un livre
ancien est authentique, il en manque un seul au Nou-
veau Testament ; je demande que l'on me cite un seul
ouvrage de l'antiquité, qui réunisse autant de caractères
d'authenticité. Je conclus, que quand même, ce qui n'est
pas vrai, et ce que nos incrédules ne croient pas tel, on
ne pourrait être assuré de l'authenticité d'aucun autre
livre , on ne pourrait néanmoins former aucun doute
sur celle de nos livres sacrés. Il ne reste plus mainte-
nant qu'à confirmer cette démonstration par l'examen
dos sophismes qu'on emploie pour l'ébranler.
ARTICLE II.
Objections contre Vautheniicitc.
Je commence par examiner celle de leurs difficultés
que les incrédules présentent avec le plus de confiance ,
(i) Jitlianus. Tanî iiiforlunati estis ut ne maaseiitis quidcni in iis
qnœ vobis ab apjstolis sunt tradita : ea qrjae fnerint ab illorum pos-
teris necjuitia et impietate tractata. Jesuiu quippe illutn , neque i au-
lus Dcum diceie ausus est, neqne Matthoeus , neqae Lut as, neque
MarcQs : sed btjnus ille Joannes Primus id prodire ausos est.
{S. Cyrilhis Alex, contra Juiiafiiim , lib. x.)
SUR La religion. 71
qu'ils répètent le plus fréquemment, et sur laquelle ils
insistent avec le plus de force. Elle a été développée
principalement dans l'ouvjage intitulé : Examen critique
des Apologistes de la Religion chrétienne, et imprimé sous
le nom de M. Fréret.
XXXIII. " C'est un fait certain, reconnu de tous les
« savants, avoué des défenseurs du christianisme , que
« dès les premiers jours de l'Eglise , et au temps même
« dont datent les livres du Nouveau Testament, il a été
« publié une multitude de livres faussement attribués ,
'< soit à Jésus-Christ, soit à la Vierge, soit aux Apôtres,
« soit aux premiers disciples. Fabricius , qui a recueilli
-< tout ce qu'il a pu en rassembler, en compte cinquan-
" te, seulement sous le titre d'évangiles, et un beaucoup
" plus grand nombre encore sous différents titres. Cha-
" cun de ces écrits avait, dans le temps, ses partisans.
' Il résulte évidemment de là, que, parmi les chrétiens
« de ce siècle, les uns étaient des fourbes et des impos-
<< teurs, les autres des hommes simples et crédules. Si
" on pouvait aussi aisément tromper ces premiers fidè-
« les, s'il était si facile de leur faire illusion sur des li-
« vrcs supposés, que deviennent tous les sophismes par
<< lesquels on prétend démontrer l'impossibilité d'une
» supposition? Au milieu de ce chaos de livres produits
« en même temps , et tous reçus alors avec respects ,
^< quel moyen peut-on avoir maintenant de distinguer
>i ceux qui étaient anthentiques , et ceux qui étaient
« apocryphes? 3Iais ce qui rend cette distinction plus
" impossible encore , c'est que nous voyons les évan-
< giles apocryphes cités avec vénération par les premiers
« pères de l'Eglise. St. Clément, St. Barnabe, St. Jac-
X ques, les constitutions apostoliques. St. Paul lui-mé-
H me, citent des paroles de Jésus-Christ tirées des évau-
« giles apocryphes. Il y a plus encore : on ne voit pas
« que les premiers Pères de la secte , qui est restée la
« dominante, parmi toutes celles qui s'élevèrent alors,
i< aient connu les quatre évangiles qui nous restent.
" Jusqu'à Justin , on ne trouve dans leurs écrits quf
72 DISSERTATIONS
«« des citations de livres apocryplics. Depuis Justin jus-
« qu'à Clément d'Alexandrie, les Pères emploient TaU'
«< torité , tantôt des livres supposés , tantôt de ceux qui
m passent aujourd'hui pour canoniques. Enfin,. depuis
« Clément d'Alexandrie , ces derniers l'emportent et
«< éclipsent entièrement les autres. On voit Jjien , à la
«* vérité, dans les premiers Pères, quelques passages qui
« ressemblent à des paroles des évangiles actuels. Mais
'« comment peut on être certain qu'ils en soient tirés?
<• Matthieu, Marc , Luc et Jean, ne sont nommés ni
« dans Clément , ni dans Ignace , ni dans aucun des
« écrivains des premiers siècles. Les axiomes de Jésus-
« Christ que répètent ces pères, ils pouvaient les avoir
« appris de vive voix , par le canal de la tradition ,
<' sans les avoir puisés dans les livres. Ou si l'on veut que
«« ces paroles aient été tirées de quelqu'évangile, il n'y
« a aucune raison de croire qu'elles aient été prises dans
«< les quatre qui restent , plutôt que dans cette multitude
« d'autres que l'on a supprimés. Les livres reconnus
« apocryphes ont été produits en même temps que ceux
<< qu'on donne pour canoniques. Ils ont été publiés de
« la même manière, reçus avec le même respect , cités
« avec la même confiance , et même de préférence. Il n'y
«< a donc aucune raison pour croire à l'authenticité des
« uns , qui ne milite au moins avec la même force pour
<» l'authenticité des autres. Puisque ceux-là ont été évi-
« demment, et de l'aveu de tout le monde , supposés,
« il est permis de croire que ceux-ci ont pu également
« l'être. «
XXXIV. Cette difficulté exige une discussion étendue,
et va me forcer d'entrer dans des longueurs. Avant de
donner une réponse directe, commençons par faire quel-
ques observations sur les évangiles et autres livres apo-
cr\^ihes.
XXXA . Il ne faut pas croire que tous ces évangiles que
Ton appelle apocryphes , aient été composés à mauvaise
intention et fabriqués par des imposteurs. Il faut en dis-
tinguer de diverses classes. II ven a eu certainement beau-
SUR L\ RELIGION. 73
coup de forgés par les hérétiques pour soutenir leurs
erreurs , mais il y en a eu aussi plusieurs, écrits par des
fidèles dans des vues droites et pieuses.
En premier lieu , les néophytes du premier siècle , et
peut-être aussi du second , recueillaient avec soin ce
qu'ils entendaient dire aux apôtres et aux prédicateurs
de la foi. Ils le mettaient par écrit pour en conserver le
souvenir , et pour l'instruction de leurs familles. Il a dû ,
dans le commencement du chritianisme , y avoir un grand
nombre de collections de ce genre , faites de différents
côtés. La plupart sont restées dans l'intérieur des familles
qui les avaient composées ; quelques-unes ont été un
peu plus répandues. On a donné le titre d'évangile , à
celles qui contenaient les actions du Sauveur , parce que
c'était le titre que portaient les écrits principaux , uni-
versellement révérés , sur la vie de Jésus-Christ. On en
a mis plusieurs sous le nom des apôtres de qui on tenait
ces faits, et c'est de là qu'est venu le nom à' Evangile
de St. Pierre, d'Evangile de St. André, etc. Nous ne
connaissons , de la plupart de ces évangiles , que les noms
recueillis par Fabricius , qui rapporte aussi quelques lé-
gers fragments de ces livres. Nous ne pouvons donc pas
savoir au juste quels étaient ceux de ces évangiles qui
étaient regardés comme catholiques; mais nous en con-
naissons quelques-uns : tels étaient spécialement TEvan-
gile des Hébreux et celui des Egyptiens , composés par
des néophytes de ces deux nations. St. Jérôme n'avait
pas dédaigné de traduire le premier. Notr intention n'est
pas de faire sur ces évangiles une dissertation qui nous
éloignerait de notre objet. On peut consulter ce qu'en ont
dit Cotelier (1) , Grave (2) , Fabricius (3). Je me contente
(i) V. Cotelerii patres aposlolici , praeseitini, tom. i, pag. 7,
et pag. 89.
(2) V. Giabe spicilegiam , tom. i , pag. i5 et seq. pag. 3r , 37 ,
et alibi.
(3) V. Fabricius codex apocryphus no v. lestam, in evangeliam he-
Lrajorom el aliquot alla.
Dissert, sur la Re ig. 4
74 DISSERTATIONS
d'observer ici ce qu'ils prouvent , savoir : que parmi les
livres appelés apocryphes, il y en avait qui n'étaient ni
rejetcs , connue des ouvrages mauvais et vicieux , ni reçus
avec respect comme des écrits inspirés , mais qui éuient
considérés comme des écrits ecclésiastiques. Les héréti-
ques en avaient abusé , et de quoi n'abusent-ils pas ? Ces
livres n'ayant pas été écrits sous l'inspiration divine ,
n'avaient pas l'exactitude des livres sacrés, et prêtaient
plus facilement à de fausses interprétations. Il n'est pas
étonnant que les sectaires ai-nt cherché à en faire l'appui
de leurs erreurs. Cela n'a pas empêché plusieurs des Pères
de citer ces ouvrages comme catholiques. Eusèbe , par-
lant des livres qu'on dit appartenir au Nouveau Testa-
ment , en distingue quatre espèces : les uns , qui sont reçus
universellement par toutes les églises, comme sacrés; les
autres sur lesquels il y a des doutes, mais qui sont ce-
pendant reçus par la plupart des églises; les troisièmes,
que l'on reconnaît généralement ne pas être de véritables
écritures sacrées ; les derniers , enfin , qui sont les ou-
vrages des hérétiques , qu'aucun écrivain ecclésiastique
n'a cités, et que l'on doit rejeter comme absurdes et
impies, il place dans la troisième classe plusieurs de ces
livres apocryphes , V apocalypse de St. Pierre , la Doctrine
des apôtres y l'Evangile selon les Hébreux; il les y place
avec le livre du Pasteur , et VEpitre de St. Barnabe , qui
ont toujours joui d'une grande considéraliondans l'Eglise,
et il les distingue formellement, soit des livres inspirés ,
soit des écrits hérétiques (1).
(r) Caeternni quoni:.m samns in hune spimonein delapsi, videtur
ralioni conseiitaneniu ^c^iptu^a^Dnl icriem qii;e novi testainenti esse
dicuntar samruatim comprebendere. Pninum igaur sîicer evangeiio-
rura quateriiio ratus esto, quem quidem liber de actis aposioloruin
sequitur. Huic annuitierantnr Pauli epistoiae, quibus deinceps pr^or
epi^ti'la qua fertor esse Ji^annis, et Petii simibter piior , tanquani
omnium consensu con.stabil'tae .ndjungunfur. Inter ista , si placer,
Joaiiiiis Al ocalypsim ccnjicianms, de qua qird veleres slaiiurint
obnd erit »<mp's exponendi. Alque haec snnt quae omnium asseiva-
tîor.c ccnstanter apprubanlur. Ex iliis quae in dubitationem quidem
SCR LA RELIGION. 75
Eu second lieu , outre ces livres apocryphes , mais catho-
liques, il y en avait d'autres qui étaient hérétiques, soit
qu'ils eussent été entièrement composés par des sectaires ,
soit que ce fussent des ouvrages primitivement rédigés
par les fidèles, comme nous l'avons exposé , d'après la
prédication de quelques apôtres, que les hérésiarques
avaient ensuite altérés et adaptés à leurs erreurs, pour
s autoriser de l'intitulé respectable , qupique faux , de ces
hvres. Ainsi il y eut des évangiles qui portèrent tout
vo.-anfur, sunt tamen a ple.isq.e recept.e, est ep.srola quœ Jacob
d.c.tar, et JuJae et secnr.da Petri, et secunda et tcrùa qu^ Joannis
nomme inscnbunlur, sive iii^ ab evangeHsla , .ive a quopiam eo-
dem nomiae appellato pe.script^ sint. Inter scripturas au.em qu«
Jalso inscr^pfœ nummeque germanae dicnnlur. P.u!i acta numeran-
mr , et l.ber qui diciuir Pasror , et Apocaiypsis Pet.i : Pur,o epistola
nomme Barnabce édita, et quae d,citur doct.ina apostulorum. Adde
his, SI v.uetar, Joannis, ut dixi , apocalypsim , qnam nonnnUi, ut
)am d.x., pen.tas antiquare contenderunt, alii qaidam in scripiuris
maxime approbatis collocandam jadicant. In qnibos etiam non pan-
CI boc tempore evangelium secundum Hebr^os ponunt, qu^Hebr.^i
ilii qui sunr Christi doctrinam amplexati maxime gandent.Cîeterum
haec ..mn.a lererun.ur in ea.um sc.ipturarnm numeium, quibus a
p.ensque contradicitnr. Afque certe istorum libro.um enumeratio.
netn necessano fecimus, uti cum sciipturas quce secnndnm ercle^ice
trad.nonem, verae, germant, et omnium sententds manifeste com-
probatae sunt, perspicua qaadam nota ab aîiis quce non sunt eius-
dem an:or,tati.s, sed sunt positae quulem in controversia a pJerisque
t:.men eccleMa.licis viris evolutae et pertracta.œ distinxerimus. Facile
qu.dem, non istas ip.as modo, sed eas etiam quœ ab bareticis cir-
rnm,eruntur,possimus discernere, sive evangelia Petri, Tbom.-e
^Mauhiae, aborumve faiso noraine inscript», sive acta qu* And.e»'
ooann.s et aliorum apostolorum nomine veteratcie dor.ata siint'
gu.s qn.dem scnpturas nemo ex scriptoribns ecclesiasticis . qui con-
tnuara temporum successione ab apostols bac usqae vixerunt us-
di m!'! Z ?'i' ^"'P;^'" --^oriam redigere dignatus est. Q.in e'tiam
d.et,onis et loqaen^, forma, longe a s.ylo et consuetadin; apostolo-
rum d:screpar. Sentent.a vero et institntum eorum qu;e in iibs li-
Dr.s .raduntnr (quod toto cœlo , ut di.itar , a vero orthodoxoqne
s-^npfurae sensu et opinione aberrat) plane, perspicueque ostet.dit
ea cail.da solnm h^ereticûrum esse commenta. Unde, ne in eo quiden.
MT.ptn.avnm génère, quae falso inscipt», minimeqne geimanje di-
cantur, habeuda sunt, sed tanqnam absurda omnino et imi>ia n^ni-
tus exp'odenda. (EuseL, hist. eccles. , lib. ,ir , cap. rr, )^
76 DISSERTATIONS
siinpleineiu \e nom des sectes pour lesquelles ils avaient
été fabriqués; tels furent ceux de Basilide , de Cérintlic,
de Yalcntin , etc. Il y en ent d'autres pareillenient in-
fectés d'hérésie , quoique portant le nom des apôtres ; lels
furent, d'après le passa(je que nqns venons de rapporter
d'Eusèbe , les évangiles de St. Pierre , de St. Thomas ,
de St. Matthias , et de quelques autres.
XXXVI, Sur le temps où ont été composés les évan-
giles aiiocryphes-catholiques, nous n'avons rien de cer-
tain. Plusieurs indications nous les présentent cependant
comme très-anciens. Plusieurs saints Pères ont pensé que
c'est de ces évangiles apocryphes que parle St. Luc au com-
mencementdusien,lorsqu'ilditqueplusieurs personnes se
sont elforcées de mettre en ordre les choses passées de son
temps. Quant aux évangiles apocryphes des hérétiques, il
est certain qu'ils ont été ou fabriqués , ou falsifiés par eux
postérieurement à la composition des trois pjemiers évan-
giles par St. Matthieu , St .(Vlarc et St. Luc. Celui de St.
Luc , le dernier des trois , date, selon ceux qui le rejet-
tent le plus loin , de l'an 55 de notre ère : et , à cette épo-
que , il n'existait pas encore d'hérésies. On peut le con-
clure de la première épître de St. Paul à Timothée ,
écrite l'an 64. Il lui dit qu'il lui a été clairement révélé
par le Saint-Esprit , que dans un temps très-prochain
plusieurs abandonneraient la foi pour se livrera l'esprit
d'erreur et à la doctrine des démons (1^. Si les hérésies
eussent existé dès-lors , St. Paul aurait-il prédit qu'elles
s'élèveraient incessamment ? iVous avons, déplus, dans
la tradition, d'autres preuves plus positives encore. Eu-
sèbe nous a conservé un fragment de l'histoire ecclésias-
tique écrite par Hégésippe qui vivait au milieu du second
siècle. Cet auteur , si voisin des faits qu'il rapporte , ra-
conte qu'à la mort de St Jacques le Mineur, laquelle
est de Tan 62, St Siméon , parent de Jésus-Christ, fut
(i) Spiritns manifeste dicit qnia in novissiiuis teniporibus dise
dent quidam a fide , attendentes spiiitibas erroris el doclrinis da'n;'
nioium. ( r. Timoth. iv , i.)
SUR LA RELIGION. //
ëlu en sa place évêque de Jérusalem. L'Eglise était encore
vierge, n'ayant été souillée d'aucune erreur hérétique.
Mais un certain Thébutis, piqué d'avoir été rejeté de sa
demande de l'épiscopat, travailla secrètement à l'infecter
d'erreurs; et c'est là, selon Hégésippe , l'origine des
hérésies qui se sont élevées depuis (1). St Trénée atteste
que les hérétiques sont de beaucoup postérieurs aux
évéques à qui les apôtres avaient confié les églises. (2),
St Clément d'Alexandrie , pour prouver que les hérésies
sont venues longtemps après l'Eglise catholique , dit
qu'elles furent imaginées seulement sous l'empire d'A-
drien (3). Il résulte clairement de ces témoignages, qu'au
moins nos trois premiers évangiles ont l'antériorité de
(i) Idem aacîor ( Hegesippus) eriornin suae aetaiis origines iiis
vucibas plane (leinon>lral. Postquam Jacobus cognomento jastus pro
veiitatis defrnsione , sicat et Dominus ipse , trucidatus fuit , S.'njou
filias Cleophae , qui avuncnlus Christi iair , episcopas crealns est,
qaem orones discipnli, qnoniam Doniini consobriiiDs erat , secundo
loco suffrages illi ad.iiinistrationi piaefecerant. Et quoniam eccîesia
nondara erat falsa perversae haeieticoium doctrinae inanitate corrap-
ta , idcirco Virgo appe'.lata fnit. At Thebnris, propterea qnod in pe-
titione episcopatas rep:)l-am tnlerat, eam errucs labe ex occalto in-
ficere exorsns est. Qui quidein nnus eral es ^«irom riuraero qni ex
septem sectis in populo judaïco pioseminatis oriehantar. Ex qaibus
seotis origiïieiu erroris duxit Simon, uiide simoniani ; et Cleobins ,
unde cleubiani ; e- Do-itheus, uude dosiiheani ; et Gothaens, unde
gothaeni ; et Masboteas, unde niasboieani. Atq':e ex istorum fontibns
profluxernnt menand- istae, et marcionistse , et carpocratiani , et va-
' lentiiiiani , et basibdiani, et saturniban , qnoram singuli separatim
variain lUani qaidem, snani tamen et propciam invexeie doctrinam.
Ab illi.s item na>cebantur p>eudocbristi , pseiidopropheta? et psendo-
apostoli , qui adulteiinje , el corrnp:ae perversae doctrinae conlagione
contra Deum et contra Cbristuni ejas inducta , concordiara et unira-
tem ecclesiae , tanquam membratim, d.scerpserunt. (Eiiseb. , hist. ec-
cles. , lib. IV, cap. ai.)
(a) Omnes i-nim ii valde posteriores «;nnt qaam episcopi , qnibn*
apostoli tradidetoni ecclesias: et hoc in tertio bbro cumonini diligentia
manifestavimus. (^S. Irenceiis , contra hœres. , lib. v , cap. 20, n° i . ;
(3) Qood eniiu caiholica eccîesia posteriora sua fecerint concilia-
bula , nan est opus muliis probare. Nam Doiiiini qaae fuit in adven-
tu doctrina, cum cœpisset ab Augu-to medio tempore Tiberii con-
summalur. Aposto'orum autem ejns docirina usqne ad Paali mipiste-
78 DISSERTATIONS
temps sur les évangiles apocryphes des hérétiques ; et
c'est une des preuves de leur supériorité qu'allé^^urit
Tertullien (1;.
XXXVII. Il nous reste une réflexion importante à
faire sur ie mot apocryphe. On appelle aiusi.ordinaireinent
des ouvrages qui ne sont pas des auteurs dont ils portent
les noms. D'après cete notion, un grand nombre des
écrits dont il s'agit ici ne sont pas , à proprement parler ,
apocryphes. Les évangiles de Cérinthe, de Basilide, etc.,
avaient certainement ces hérésiarques pour auteurs. De
même, les évangiles des Hébreux et des Egyptiens, rédi-
gés par des fidèles de ces deux nations, ne peuvent pas
être appelés apocryphes dans le sens propre. On ne devrait
véritablement appeler ainsi que les ouvrages qui portent
faussement le nom de Jésus-Christ, ou de sa sainte mère,
ou de ses disciples. Mais on a donné, par l'usage et depuis
très-longtemps , une plus grande étendue au mot apo-
cryphe ; on y a compris généralement tous les écrits com-
posés dans les premiers siècles sous des titres semblables
à ceux de nos Uvres saints. On leur a donné cette déno-
mination commune pour les distinguer tous ensemble de
nos livres canoniques ; en sorte qu'on a fait deux classes
séparées , l'une des livres inspirés , l'autre des livres
apocryphes. Mais dans cette seconde classe il faut soi-
gneusement distinguer les deux sens dans lesquels on dit
que ces livres sont apocryphes. Une partie principale de
l'objection de nos adversaires consiste, comme nous allons
le voir , dans la confusion des deux significations de ce
mot.
Ces considérations établies , je passe à l'examen de
l'objection proposée; et pour mettre de l'ordre dans cette
discussion nécessairement très-étendue, je la diviserai en
deux parties. Je considérerai d'abord les livres apocryphes
en eux-mêmes, et ce qu'on peut conclure de leur exis-
liam rseronis tpmpore consniumator. Inferins antem circa tempora
Adriani imperatoris foerant qai haereses excogitarent. («S. Clcmens
Alex.^ Scrom., lib. vu , cap. 17.)
(i) Voyez ci-dessas n° 23, page 37.
SUR LA. BELIGION. 79
tence contre l'authenticité des livres canoniques. J'exa-
minerai ensuite les citations que l'on dit avoir été faites'
par les Pères , de ces livres apocryphes , et ce qui en
résulte relativement à notre question.
XXXyiII. Il a existé, dès les premiers temps du chris-
tianisme, des livres apocryphes, cela est indubitable;
mais inférer de là que tout ce qui a existé de livres dans
ce temps a été apocryphe, serait une conséquence évi-
demment ridicule. C'est comme si l'on disait que parce
qu'il y a de la fausse monnaie, il n'en existe pas de véri-
table. Ce serait même un faux raisonnement de dire : il
y a eu beaucoup de livres apocryphes; donc on ne peut
constater l'authenticité d'aucun livre.
Ce n'est pas, je le répète, de ce que nos livres saints
existent depuis le premier siècle du christianisme que
nous concluons qu'ils so.>t véritablement des auteurs dont
ils portent les noms. Nous fondons cette vérité sur ce
que , et dans le premier siècle et dans tous ceux qui l'ont
suivi , on a été constamment et généralement persuadé
que nos livres sacrés étaient de ces auteurs. Une tradition
originaire , perpétuelle , universelle , voilà le motif de
notre crovance. Pour opposer avec fondement les livres
apocryphes, il faudrait produire en leur faveur une tra-
dition semblable. Sans cela il n'y a pas de parité, et par
conséquent pas d'objection. Rien de plus aisé que de
mettre à la tète d'un livre qu'on a composé, le nom d'un
auteur quelconque. La difficulté est de faire croire au
public que le livre est réellement de cet auteur , et l'im-
possibilité est de le persuader à des sociétés qui ont un
grand intérêt à savoir ce qui en est ; à des sociétés diffé-
rentes et éloignées les unes des autres ; à des sociétés
opposées entre elles sur l'objet de ce livre. Réduisons donc
la question à son vrai terme. Examinons s'il y a pour
l'authenticité des livres appelés apocryphes , les mêmes
raisons que pour celle des livres que nous regardons
comme canoniques , si on a été de même, et dans le
temps où ils ont paru, et depuis ce temps, universelle-
ment persuadé qu'ils étaient authentiques.
80 DISSERTATIONS
On nous dit bien que dès les premiers temps les livres
apocryphes avaient leurs partisans, qu'ils étaient reçus
avec respect; mais quelles preuves enapporte-t-on? quelle
chaîne de témoignages présente-t-on à l'appui de cette
assertion? Pour l'apprécier et la réduire au point de la
vérité, considérons-la relativement, d'abord à ceux de
ces livres qui étaient hérétiques, et ensuite à ceux qui
étaient catholiques.
XXXÏX. Les livres des hérétiques étant des ouvrages
de parti , il est tout simple qu'ils aient eu quelques par-
tisans; mais ils n'en avaient que dans leur parti. Ceux
produits parEbion , étaient reçus seulement par les ébio-
iiistes; ceux mis au jour par Cérinthe , uniquement par
lesCérinthiens, et ainsi des autres. L'intérêt delà secte
était ce qui leur donnait des sectateurs, mais tous ren-
fermés dans chaque secte, et combattus avec force par le
reste des chrétiens. Car tous les sectaires divisés des
catholiques , pour admettre les évangiles de leur secte ,
étaient réunis à eux pour rejeter comme faux et supposés
les évangiles des autres hérésies. Quelle comparaison
peut-on faire de ce petit nombre d'hommes qui croyaient
à ces livres , avec l'Eglise universelle déjà répandue
dans la Judée , dans l'Asie , dans la Grèce , dans l'I-
talie, et dans beaucoup de pays , qui tous s'accordaient
à reconnaître et à révérer nos évangiles? De plus, nous
avons vu que celles de ces premières hérésies, qui n'ad-
mettaient pas tous nos évangiles, ne niaient pas leur au-
thenticité, et attaquaient seulement leur véracité. Nous
avons prouvé cette véritépar les autorités de St. Irénée,
deTertullien, d'Origènes, de St. Clément d'Alexandrie (1).
Ainsi à cette époque il n'y avait point de contestation sur
les auteurs de nos livres sacrés. Mais nous avons vu, au
contraire , les Pères , qui ont réfuté les premières héré-
sies, spécialement Tertullien, attaquer les livres qu'elles
produisaient, non -seulement comme contenant des
(i) Voyez ci-déssus , n^ 29, pages 65 , -66 , 67.
SUR LA RELIGION. 81
erreurs , mais comme fabriqués depuis la naissance de
ces erreurs (1), Les évangiles des hérétiques avaient , en
même temps que quelques partisans pour contradicteurs
de leur authenticité , tous les autres chrétiens. Enfin ces
premières hérésies n'ont eu qu'une existence très-courte;
et lorsqu'au bout de quelque temps elles sont tombées ,
les livres dont elles avaient imaginé de s'étayer sont
tombés avec elles , et il n'est plus resté personne qui ne
fût convaincu de leur fausseté. Au lieu de cela, l'authen-
ticité de nos livres saints a reçu, de génération en géné-
ration, de nouveaux témoignages.
Que l'on cesse donc de demander : « Quel moyen , au
« milieu de ce chaos de livres, peut-on avoir maintenant,
« pour distinguer ceux qui étaient authentiques et ceux
« qui étaient apocryphes? » Relativement aux livres
hérétiques le moyen n'est pas difficile. Quand , entre
une multitude de livres, on voit les uns reconnus pour
authentiques universellement par toutes les églises de
divers pays, les autres regardés comme tels uniquement
par un petit nombre de personnes; les uns avoués au-
thentiques par ceux même qui avaient intérêt de le nier;
les autres contestés par presque tout le monde ; les uns
traversant, en conservant constamment leur caractère
d'authenticité, toute la suite des siècles ; les autres n'ayant
qu'une existence éphémère et périssant au bout de quel-
que temps si absolument qu'il en reste à peine les noms:
peut-on avoir un doute raisonnable sur l'authenticité
des uns, sur la non authenticité des autres? Nos livres
canoniques et ces livres apocryphes ont existé ; voilà tout
ce que la tradition nous montre entre eux de commun.
Cette tradition , règle générale de l'authenticité des ou-
vrages , voilà le témoignage assuré que nous avons pour
connaître aujourd'hui quels sont, entre tous ces livres,
les authentiques.
XL. Quant aux livres appelés apocryphes, qui étaient
(i) Voyez ci-Jessus, n° aS, page 37.
82 DISSERTATIONS
catholiques, il faut expliquer ce qu'on entend, quand on
dit qu'ils avaient des partisans. A tut-on dire qu'on
les regardait comme des livres inspirés, et qu'on les
révérait à l'égal de nos évangiles? où serait la preuve
de cette assertion? Que l'on nous nomme un seul auteur
ecclésiastique, qui jamais leur ait attribué une telle
autorité. jNous verrons, au contraire, incessamment les
saints Pères, en citant ces livres, mettre entre eux et nos
livres saints une grande distance (1). Se borne- t-on à
prétendre qu'on les regardait comme authentiques, mais
sans les révérer comme des écrits divins? Je répondrai ,
d'après ce que j'ai déjà dit, qu'il faut distinguer entre
ces livres. Il y en avait qui étaient véritablement des
auteurs dont ils portaient les noms, tels que les évangiles
des Hébreux et des Egyptiens; mais de l'authenticité
reconnue de ceux-là, on ne peut rien conclure contre
l'authenticité des nôtres. Il y en avait d'autres qui por-
taient à tort le nom de quelques apôtres ; mais que l'on
nous prouve qu'ils étaient réputés les ouvrages de ces
apôtres, et qu'on les leur attribuait? Il n'y a pas une
preuve , pas une indication de la vérité de cette alléga-
tion. Ces ouvrages avaient des partisans , je le veux ;
mais c'étaient des partisans de leur utilité , et non de leur
authenticité. Il n'est pas nécessaire, pour lire un livre
avec édification , de savoir de qui il est, de le reconnaître
comme une production de l'auteur à qui on l'attribue.
Beaucoup de personnes alors, comme à présent, croyaient
quel'épître de St. Barnabe n'était pas de lui, et la reçoi-
vent cependant comme un livre pieux. Et parmi nous ,
combien n'est pas considéré le livre de V Imitation de
Jésus-Christ ^ malgré les disputes et l'incertitnde de son
auteur I
XLI. On nous parle de l'illusion faite aux premiers
chrétiens sur des livres supposés, de la facilité que l'on
a eue à les induire en erreur au sujet de ces livres. Mais,
v^/ Voyez ci-dfstous . n° 47 , page 9a , note.
SUR LA RELIGION. 83
je le dirai toujours, quelle raison a-t-ou de croire qu'ils
y aient été trompés? Quel monument ecclésiastique cite-
t-on, qui annonce que les fidèles ait regardé comme pieux
ce qui était hérétique , comme inspiré ce qui ne l'était
pas , comme composé par les apôtres ce qui n'était pas
leur ouvrage ? Si , comme on le prétend , abusés par les
titres des faux évangiles, les premiers chrétiens les avaient
reçus et révérés à l'égal des quatre que nous possédons,
ils les auraient fait passer de même aux générations sui-
vantes. La tradition , ce raisonnement solide est de saint
Augustin, nous aurait transmis les uns avec les autres (1).
Nous avons vu, dès le temps de St. Irénée , nos quatre
évangiles seuls reconnus divins. Il est donc clair que l'on
n'avait pas alors la même idée des autres évangiles.
Puisqu'au second siècle on les regardait comme apocry-
phes, il n'est pas possible qu'ils fussent réputés authen-
tiques au premier.
XLII. Mais il y a plus. La publication des faux évan-
giles, loin de former une objection contre l'authenticité
des nôtres , est une nouvelle raison d'y croire. On a fait
tout ce que l'on a pu pour faire regarder comme vérita-
bles ces évangiles supposés , et on n'a pas pu y réussir;
tous les efforts que l'on a tentés pour les faire admettre
comme des ouvrages des apôtres , ont été inutiles. L'im-
possibilité d'une supposition d'évangiles, déjà démontrée
par la nature de la chose , est encore prouvée par le fait.
Le soin qu'ont apporté les fidèles à écarter les écrits
apocryphes , est un garant que ceux qu'ils ont transmis
(i) Sane de apocryphis iste posait testimonia qaae sub noiuinibus
apostolorom Andrex- , Joanistiue consciipta snnt. Quae si illurum es-
senr ab ecclesia , qnae ab iilorum temporibus, per successiones epis-
coporum, ad nostra , et deinceps, tempora persévérât, (i". Auguste
contra advers. legis et prophet. , l:b i, cap. lo , n" 38. )
Omittarau5 igitur earnm scripturarum fabulas qaae apocryphae
nuncapantar, eu quod earuin occulta origo non claïuil palribus ; a
quibus nsqne ad nos auctorilas veracium sciipturarum ulilissiiua et
novissioia successione pervenit. (^ Idem , de Civit. Dei y lib. xv,
cap. a3 , n° 4- )
84 DISSERTATIONS
comme authentiques, le sont. Et puisqu'on n'a pas pu
parvenir à faire passer pour réels ceux qui étaient sup-
posés, on doit croire que ceux qui ont passé constamment
pour réels, le sont véritablement.
On vient ensuite, et c'est la seconde partie de l'objec-
tion que nous examinons , aux citations faites par les
premiers Pères de TEglise , soit de nos évangiles , soit des
évangiles apocryphes ; et ce que l'on en dit peut se rap-
porter à deux chefs. On révoque en doute les citations
faites par ces anciens docteurs , de nos quatre évangiles;
on prétend qu'ils ont cité avec vénération les évangiles
apocrvphes. Examinons successivement ces deux points.
XLIII. Je commence par les citations qu'on prétend
faites par les Pères apostoliques des livres apocryphes.
Pour juger la conséquence qui en résulte, il faut d'abord
examiner quelles sont ces citations qu'on nous oppose.
Les incrédules ont cherché dans les écrits des premiers
Pères tous les passages qui pouvaient être tirés des ou-
vrages apocryphes : ils ont recueilli tout ce qu'en ont dit
Grabe et Fabricius. Et avec toutes leurs recherches ils
n'ont pu recueillir que huit passages ; un de St. Paul ,
quatre de St. Clément, un de St. Barnabe , un de St.
Ignace , un des constitutions apostoliques. Examinons-
les l'un après l'autre.
St. Paul, à l'assemblée de Milet composée d'évèqueset
de prêtres, s'exprime ainsi : <« Il faut avoir soin des in-
« firmes , et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus ;
<( car il a dit : Il est plus heureux de donner que de rece-
H voir (1). » Ces paroles, dit-on, ne se trouvent pas dans
les évangiles actuels , il faut qu'elles aient été tirées de
quelqu'un de ceux qui sont perdus. Voilà une consé-
quence bien extraordinaire. Toutes les paroles de Jésus-
Christ , de même que ses miracles, n'ont pas été écrites.
(r) Oportet sascipce infirmos , ac merainisse verbi Domini Jesu
qnoniam ipse dixU : Beafins est magis da e qnara accipere. {Act. xx
35.)
SUR LA RELIGION. 85
Il peut très-bien se taire que St. Paul ait rapporté celles-
ci de mémoire et les.ayaat apprises par tradition. Il est
possible aussi qu'il fasse allusion à ce que le divin Sauveur
a si souvent répété sur le devoir de l'aumône , et sur le
bonheur de ceux qui pratiquent les œuvres de miséri-
corde.
Dans la seconde lettre du pape St. Clément on lit :
« Interix)gé par quelqu'un quand arriverait son règne ,
« le Seigneur répondit : Lorsque deux ne feront qu'un i
« lorsque ce qui est dehors sera comme ce qui est dedans ;
« lorsque le mâle étant avec la femelle , il n'y aura plus
«* ni mâle ni femelle (1). » St Clément, dit-on, n'ex-
plique pas d'où il a tiré cette réponse; ce n'est certaine-
ment pas de nos évangiles, où on ne la trouve point;
mais St. Clément d'Alexandrie rapportant ces mêmes pa-
roles, nous apprend qu'on les lisait dans l'évangile des
Egyptiens (2;. Je ne ferai sur cette citation qu'une obser-
vation; c'est qu'il est également possible, et que saint
Clément ait appris par tradition cette réponse de Jésus-
Christ, et qu'il l'ait tirée de l'évangile des Egyptiens.
Mais je n'ai pas intérêt à discuter ce point. Que ce soit
dans l'évangile des Egyptiens que St. Clément ait puisé
ces paroles, cela ne fait rien contre nous, ainsi que je le
prouverai.
On rapporte deux autres citations faites par le même
pape, d'un texte qui n'est pas dans nos évangiles actuels,
qui, par conséquent, doit être dans quelqu'un des apo-
cryphes. Dans sa première épitre on lit : « Loin de nous
(i) Interiogatus enim a quodam ipse Dominns qaando ventamm
esset regnum ejus , dixit : « Cura duo erunt nnom : et qaod foris ut
« qaod intus : et mascul'jm cum femina , neque mas, neqae femi-
- na. » (S. Clemens , papa ^ epist. secunda , ^oP r3.)
(2) Propterea dicit Cassianos : < Cura interrogaret Salome quando
« cognoscereiitur ea de quibus intenogabat , ait Dominas: Quando
« padoris induraentura Cnnculcaveritis : et quando duo iacta erunt
«• unum : et raasculum . cnm feraina, nec raascalum, nec femineum. »
Primum quidem in nobis tiaditis quatuor evangeliis non habemus hoc
dictnm : sed in eo quod est secundum JEgyptios. ( S. Ç.lem. Alex.
.Sf^offla^ , hb. lu, cap. i3.)
86 DISSERTATIONS
« l'Ecriture où il est dit : Malheureux sont ceux qui ont
« l'esprit double et incertain, qui disent : Nous avons eu-
•t tendu ces choses de nos pères, et voilà que nous avons
«i vieilli, et que rien de tout cela ne nous est arrivé. »
Dans sa seconde épître on lit de même: « Malheureux sont
u ceux qui ont l'esprit double et le cœur incertain, et qui
<( disent : Nous avons entendu toutes ces choses de nos
« pères, et cependant, en attendant de jour en jour, nous
« n'avons rien vu de tout cela (1). » Pourquoi recourir
à des évangiles apocryphes que nous ne connaissons pas,
dont nous n'avons même aucun fiagment, quand nous
trouvons un passage semblable à celui-là dans un de nos
livres sacrés? Ce n'est pas, à la vérité, dans un de nos
évangiles, et St. Clément ne ditpas qu'il en soit tiré. Il
dit que ces paroles sont dans une écriture, dans le dis-
cours prophétique. Cette écriture est la seconde épître de
St. Pierre, où cet apôtre s'exprime ainsi: » Ils disent :
« Où est la promesse? où est son avènement? Depuis que
« nos pères se sont endormis , toutes les choses persévè-
u rent comme du commencement de la création (2). »>
On dira peut-être que les expressions de l'apôtre ne sont
pas les mêmes que celles du pontife ; mais c'est évidem-
ment le même sens. St. Clément citait de mémoire, plus
occupé du fond des choses que des termes , et nous en
avons la preuve dans les citations même dont il s'agit.
Ses expressions , en rapportant le même texte , ne sont
pas les mêmes dans sa première et dans sa seconde épkre.
(r) Longe a iiobis s t scriptura ilia ubi dicit : Miseri sant qui aui-
mo sant dof lices et incerte , qui dicunt : bac autlivimas etiam a pa-
tiibus nosfris : et ecct- conienuiraos ; et nibil hoinm nobis accidit.
[ S. Clemens , papa , Fpist. prima , ii" 2 3. )
Dicit eiiim propbetMUs sermo : Miser! sunt qui anirao duplices et
corde inceiti sunt ; qui dicunt haîc oinn'a audivimus etiam a patribus
nostîis : nos vero de die in diem exspectantes nibil horom vidiuius,
[Id. epist. secunda , n° i !• )
(2) Dicentes : Ubi est promissio et adventos ejus. Ex quo enim
patres donnieiun», omnia sic persévérant ab initio creaturse. (a.
Petr. m, 4. }
SDR LA RELIGION. 87
Est-il étonnant que n'étant pas conforme à lui-même
dans ces deux citations, il ne le soit pas non plus au texte
original qu'il cite?
On nous objecte une quatrième citation de St. Clé-
ment , d'un texte qui n'est pas dans nos évangiles. «< Il
« nous dit donc : Gaidez votre chair et votre sceau
<t sans tache , pour que vous receviez la vie éternel-
<< le (1). » D'abord, ces paroles paraissent être, dans
St. Clément, moins un texte spécial qu'il attribue à
Jésus-Christ , qu'une conséquence qu'il tire de la doc-
trine du divin Sauveur. Ensuite, de ce qu'un discours
de Jésus-Christ n'est pas dans nos évangiles, il ne s'en-
suit nullement qu'il soit tiré des évangiles apocryphes,
puisque, comme nous l'avons dit, il peut être rapporté
d'après la tradition.
Le texte de St. Barnabe qu'on nous oppose comme
tiré d'un évangile apocryphe , toujours par la seule rai-
son qu'on ne le lit pas dans les nôtres, est celui-ci :
« Le Fils de Dieu a dit : Résistons à toute iniquité , et
« nous l'aurons en aversion ('2). >» D'abord ce passage
ne se trouve pas dans le texte grec de cette épître , mais
dans une ancienne version latine , dans laquelle on n'a
pas une grande confiance. De plus , n'est-il pas possible
que St. Barnabe , qui avait été , à ce qu'on croit , disci-
ple de Jésus-Christ , eût recueilli ces paroles de la pro-
pre bouche du Sauveur ?
St. Ignace, poursuit-on, dans son épître aux Smyr-
niens , dit : « Lorsqu'il vint à ceux qui étaient avec
« Pierre ^3) , il leur dit : Prenez et touchez-moi , et
(i) Hoc ergo dicit : Servate carnem vesUam et sigilluin imraacD-
lataru, at recipiatis viiam aeternam. (5. Clein. papa, epist. secunda,
n" 8.)
(a) Siout (lixit filins Dei : Resistamns omni iniquitati , et odio ha-
bebinias eam. (S. Barnabce, epist. ^ n° 4)
(3) Et cara ad eos qni cum Pelro eiant venit , inqail ipsis t Ap-
piehendite et palpafe me; et videte qnod non sim daemoniutn incor-
porale. {S. Ign.^ epist. ad Smyrn , n° 3.)
88 DISSERTATIONS
«« voyez que je ne suis pas un déinou incorporel. » Or,
St. Jérôme nous apprend que ces paroles se trouvaient
dans l'ëvaiijjile des Hébreux. En admettant que St.
Ignace les en eût tirées, je montrerai encore incessam-
ment qu'on ne peut rien en inférer contre l'authenticité
de nos livres saints. Mais sans recourir à un écrit in-
connu, St. Ignace ne pouvait-il pas avoir en vue ce que
le Sauveur, selon St. Luc, dit aux onze apôtres : Tou-
chez-moi et voyez qu'un esprit n'a pas de la chair et
des os , comme vous voyez que j'en ai (1).
On nous objecte , enfin , que dans les constitutions
apostoliques il est dit : «< Soyez des agents de change
« honnêtes (2) ; » ce qu'on ne voit dans aucun évan-
gile. Mais les constitutions apostoliques sont une produc-
tion du second , ou peut-être du troisième siècle ; il n'est
pas juste de les confondre avec les écrits des pères apos-
toliques. D'ailleurs, il n'est pas dit dans le texte que ce
soit là une parole de Jésus-Christ. De plus , ce peut être
une allusion à la parabole des talents. Ajoutons à tout
cela qu'on peut d'autant moins s'autoriser des constitu-
tions apostoliques^ pour prétendre que les livres apocry-
phes ont été assimilés au Nouveau Testament , qu'on y
trouve une condamnation formelle de ces livres (^>).
(i) Videte manus ineas et pedes ; qnia ego ipse sum : palpate et
videie qaia spiritui caniein et os-.a non habet , sicat me videtis lia-
bere. (^S. Luc ^ xxtv , Zg.)
(2) Atqai solis saceidotibus judicate est concessum , qnjppe quibus
dictum sit : Judiciinn justiim judicate ^ et rursum : Estote probi tra-
pezitœ. Vobis auiein id non est permissum. Inimo contra , iis qui
digniialera aat judicis aut magistri non habent dictam est : Nolite
judicare, et non judicabimini. {Conscit. apost.^ lib. m cap. 36.)
(3) Hcec omnia scripsimus vobis, ut notum haberetis qualis sit
nostra sententia ; et ne 1 bros qui ab inipiis , no>tri norainis inscrip-
tione sunt iirmati , recipiatis. Non enim attendere debelis nomina
apostolorum, sed natniam -erura , et rectain indeflexainque senten-
tiaru. Scimus quippe Siiuoneni et Cleobium , venenatos nomine Chrisli
et di;eipnlojum ejus coaspusuibsc, aique circumfene , ad decipiendo»
TOS qui Cliriituiii, nosqne -ervos ejus dilex'stis. Et vero apud veteres
nonnuUi f^fjns'Tipsernnt Mosis , Enochi^ Adami , Isaiae , Davidis ,
SUR LA RELIGION. 89
XLIV. Voilà exactement tout ce qu'à force de re-
cherches les incrédules ont pu recueillir de passages cités
par les Pères apostoliques , et que l'on ne trouve pas dans
nos évangiles actuels. De ces textes , deux ou trois ont
une telle conformité avec des textes de nos livres saints ,
qu'il est plus que probable que ce sont des allusions qui
y sont faites. Il y en a cinq , sur lesquels on n'a d'autre
raison de les croire tirés d'écrits apocryphes , que de ce
qu'on ne les trouve pas dans les livres canoniques. iVIais
nos adversaires conviennent, ils piétendent même, et
c'est une de leurs difficultés, que les premiers Pères ci-
taient des paroles de Jésus-Christ, non pas toujours sur
des livres écrits^ mais souvent d'après des traditions ora-
les , qui les leur avaient transmises. N'est-il donc pas
très-possible que cinq citations de texte, que nous ue
trouvons pas dans le Nouveau Testament, fussent ainsi
faites de mémoire et sur la tradition ? Quel motif a-t-on
de prétendre qu'ils ont été plutôt tirés d'ouvrages que
nous n'avons pas ? L'assertion de nos adversaires est
donc purement gratuite; et puisque, pour la soutenir,
ils n'ont que leur simple affirmation , notre simple dé-
négation suffit pour leur répondre.
Il reste donc, et c'est à cela que se réduit toute l'ob-
jection, deux passages, l'un de St. Clément, l'autre de
St. Ignace, qui sont confornjes à deux passages que nous
savons avoir existé ; celui-là dans l'évangile des Egyp-
tiens, celui-ci dans l'évangile des Hébreux. C'est de ces
deux seules citations que nous avons à parler. J'ai dit
qu'on ne pouvait rien en inférer contre l'authenticité
Elise, et irium patriarcliarum libros apocryphes exitiales ac repng-
nantes veritatj. Consimiles librus nanc qnoqne ediderum inauspicati
homines, calanin'ante-» creationem, nuptias , providentiam , procrea-
tionein liberorudi , legem , prophela», adsciibentes baiba-a qasedara
nomina , scilicet,ut ip^i dicnnt, angelorom, nt venini antem daemo-
jiain. Fugite docrrinam eorum , ne partit-ipes efficiainini supplicii ,
peccati , iis qui haec, ut faileient et perderent fidèles, et inculpatos
Chrisii Jesu discipalos , filios ac hseredes conscripseiuiit. {Ibid. Lb. vi,
cap. i6.)
90 DISSERTATIONS
de nos rvangiles, et c'est ce que j'ai à prouver. Je pour-
rais faire conire les incrédules l'argument qu'ils font
contre nous, et qui serait tout aussi fort contre eux ; sa-
voir, que ce peut être d'après une tradition que St. Clé-
ment et St. Ignace ont rapporté les paroles de Jésus-Christ.
Mais je le leur épargnerai , et je me bornerai à leur don-
ner deux réponses : la première , que les deux évangiles
dont on dit les passages en question tirés , étaient véri-
tablement des Hébreux et des Egyptiens _, dont ils por-
taient les noms; la seconde , que ces deux évangiles n'é-
taient pas des ouvrages vicieux , mais avaient été com-
posés à bonne intention.
XLV. En premier lieu , de quoi est-il question entre
nous et les déistes ? de savoir si les évangiles que nous
possédons sont authentiques ou apocryphes, c'est-à-dire
s'ils sont ou s'ils ne sont pas des quatre auteurs dont ils
portent les noms. On prétend prouver qu'ils n'en sont
pas, en rapportant des citations d'évangiles apocryphes
faites par les Pères les plus anciens. Il faut donc rappor-
ter des citations d'évangiles apocryphes, dans le sens
qu'ils ne soient pas des auteurs dont ils sont intitulés.
Au lieu de cela, on confond, comme j'ai eu occasion de
l'observer, les deux significations du mot ajmcrijphe.
On prend dans le principe du raisonnement ce mot dans
un sens , et dans la conclusion dans un autre. Les Pères
apostoliques , dit-on , ont cité deux évangiles apocry-
phes , c'est-à-dire , qui n'étaient pas inspirés. Donc , les
livresque nous possédons sont peut-être apocryphes ,
c'est-à-dire ne sont peut-être pas des auteurs auxquels
on les attribue. Pour prouver que ces anciens docteurs
ont pu se tromper sur l'authenticité de nos évangiles ,
il faudrait prouver qu'ils se sont trompés sur l'authenti-
cité d'autres écrits. On ne le prouve pas en disant qu'ils
ont cité des ouvrages qui étaient véritablement authen-
tiques.
XLYI. En second lieu , que prouve une citation ? D'a-
bord , qu'un livre existe, ensuite qu'on croit véritable
ce qui y est contenu. C'est là tout ce qu'on peut inférer
SUR LA RELIGION. Ql
des citations faites par les Pères des deux évangiles dont
il s'agit. Mais, entre regarder un livre comme vcridi-
que, et lui attribuer l'autorité de nos livres divins, il y
a une grande différence (1). Xe citons-nous pas tous les
jours, en faveur de la religion, des livres qu'assurément
nous n'assimilons pas aux évangiles? Les Pères ont bien
pu citer les livres appelés apocryphes du Nouveau Tes-
tament, comme les apôtres eux-mêmes avaient cité
ceux relatifs à l'ancien. St. Jude cite un passage du livre
d'Enoch :2^ ; et St. Jérôme remarque une citation du
même genre, faite par St. Paul, ainsi que des vers de
plusieurs poètes païens (3). Ni St. Jude , ni St. Paul ne
croyaient égaler les livres qu'ils citaient, aux saintes
Ecritures, ou porter atteinte à l'authenticité des livres
inspirés, mais ils rapportaient ces passages comme uti-
(i) Ego enira faleor charilaii tuae, solis eis scrip'nrarurn libris qui
jam Canonici appellantar , didici hune timoreiii boiioremque déferre,
ut nullnm euram auotorein tcribendo alijuid errasse fiiinissime cre-
dam : aut si aîiqnid in eis offendero lilteris qnod videtur contraiium
veiitati, nihi! aliod quam, vel mendosum esse codioem, vel intprpre-
t^m non assecQlum esse id quod dicium est, vel me minime iiitel-
lexisse con ambigeam. Alios autem ita logo , m quanrtibbet sancti-
tafe , docîrinaque pulleant , non ideo veiam palem quia ipsi sense-
runt ; sed qnia mihi , vel per illos auotores canoiàcos, vel probabili
ratione qaod a vero non abborreat, persnadere potuernnt. >'ec te,
mi frater, senfiie aliqu.d existimo. Pri'ri,us , inqiianj , non 'e, ut ar-
bitrer , sic legi tuts velle , tanqaam prt.plietaru!ii ei apostolorum ,
de quorum sciiptis quod errore areant dubjiaie nefa:ium est. [S.
Aiigust. epist. T-xxxu , al. xix.ad S Hier., n° 3.)
(2) Propbetavit autem et de bis septimus ab Adam Enocb di-
cens -• Ecce venit Dominos in sanclis millibns sois. f^Jud. 14.)
(3) Qua;ret aliqnis qnisnam sit iste qui dicit : Surge qui dormis et
exiirge a mortuis ; seu cujas testimonio aposîolus sit abu us. Et qui-
d' m qui sirnpl'ci respm-vione contentus esi dicet, in reconditis eum
pr.jpbe'iis , et bis q-iae vorantur apocrypba baec lecta in médium
protulisse ; sicat in aliis quoqne locis illum fecisse manife^tum est :
non quod apociy^hu comprobaret : sed quod et Arati , et Epimeci-
dis, et Menandri versibos sit abusus, ad ea qnae volaerat in tempore
comprubanda. ]Sec tairen Arati et Epimenidis et Menandri tofa quae
scripsere sont sancta : quia eos vere aliqaid dixi-^se testatns est. {S.
Hieron. Comment, in epist. ad Ephes , lib. rn, cap. 5.)
92 DISSERTATIONS
les à l'édificatioii. Ils savaient bien, ditOri^ènes, ce
qu'ils pouvaient tirer de ces livres apocryphes, et ce
qu'on devait en laisser fl).
XLVIl. Ainsi , lorsque St. Clénjent et St. Ignace , lors-
qu'après eux plusieurs autres saints Pères ont quelque-
fois cité des évangiles appelés apocryphes , ils ont pu en
faire usage comme d'ouvrages pieux et propres à opérer
l'édification , et non comme d'ouvrages inspirés. Pour
tirer quelque parti des passages des Pères , il faudrait
montrer qu'ils leur attribuaient la même autorité qu'à
nos évangiles ; et c'est ce qu'on ne peut pas assurément
prouver. Mais, dit-on , ils les citent avec la même vé-
nération que les livres du JNouveau Testament. A cela
je réponds d'abord , que ce qu'ils en citent étant des
paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ , il est tout sim-
ple qu'ils le rapportent avec respect. Je réponds en-
suite : où est la preuve de cette égalité de vénération
pour les livres apocryphes et pour les livres canoniques ?
En avançant une assertion, il faudrait en donner les rai-
sons. Je réponds , enfin , qu'il s'en faut de beaucoup,
comme je l'ai déjà annoncé . que les saints docteurs, en
citant ces divers livres, missent les uns et les autres sur
la même ligne. Ceux d'entre eux qui ont le plus sou-
vent cité des évangiles apocryphes^ sont St. Clément
d'Alexandrie , Origènes et St. Jérôme. Or , nous voyons
spécialement ceux-là mettre une extrême différence en-
tre les écrits canoniques et les autres. St. Clément répon-
dant à une citation de l'hérélique Cassien , dit que le
texte qu'il allègue se trouve , non dans les quatre évan-
giles qui nous ont été transmis, mais dans celui des
(i) Illûd lanien palain est malra, vel ab aposîolis, vel ab evange-
listis exempla esse prolata, et novo testamento incerta , qnae i;i his
scripturis qiias caiiut.icas liabemus nnrujuam legiinus; in apocr^phis
tamen inveninntur, et evidenter es. ipsis ostenduntur assuinpta, Sed
nesic qiiidern locus aporrvphis dandns est. Non enim tianseundi sunt
termini quossfatueî-nnt patres nostri. Potait enim fieri, nt aposioli vel
evangelistœ, sancfo spintu re[»leti sciverint qnid assnraenduin esset ex
iliisscripturis, quidve refutandum. {Orig. in Cant. cant. prolôgus.)
SDR LA RELIGION. 93
Egyptiens (1). Et, dans un autre endroit, rapportant
lui-même un précepte de J.-C. tiré d'un livre apocry-
phe , il dit qu'on le lit dans quelcjue évangile (2) ; ex-
pression dont assurément il ne se sert pas en parlant des
évangiles canoniques. Nous voyons Origènes rapportant
des passages de l'évangile des Hébreux, ajouter, « si on
« veut bien le recevoir , non comme ayant l'autorité de
« décider la question , mais comme propre à l'éclair-
■< cir (3) ; » et ailleurs , « si quelqu^un veut bien rece-
'< voir cet évangile (4). » St. Jérôme , après avoir op-
posé aux pélagiens un passage du même évangile et un
tiré des épîtres de St. Ignace, leur dit : « Si vous ne
« voulez pas reconnaître l'autorité de ces témoignages ,
« reconnaissez-en du moins l'antiquité , et voyez ce
« qu'ont pensé tous les hommes apostoliques (5). »
Que résulte-t-il donc de ces citations d'écrits apocry-
phes faites par les anciens Pères, que l'on fait sonner si
haut? elles se réduisent à deux ; elles sont tirées de li-
vres qui étaient véritablement des auteurs dont ils por-
taient les noms : ainsi , elles ne montrent pas que les saints
docteurs se trompassent sur l'authenticité des livres. Les
livres où elles sont puisées étaient des ouvrages pieux ;
ainsi , de ce que les Pères les ont produits, il ne s'ensuit
nullement qu'ils assimilassent ces ouvrages au Nouveau
(i) Voyez ci-dessus, no 43, page 84.
(2) Non enim invidens, inquit, praecepit Domiiius in alirjuo evan-
gelio .• Mysterium meam mihi, et fîliis domas meae. {S. Clemens
Alex. , Seront, y lib. v, c. 10.)
(3) Scriptuin est in evangelio quodam , quod dicitur secnndum
Hebraeos, si tamen placet alicai snscipere illud, non ad aiicloiita-
tem , sed ad manifestationem propositae quaestionii, {^Orig. in Matth.
Tract. XV, n° 14.)
(4) Quod si qnis evangelium juxta Hebraeos admitlit, ubi Salvator
ipse dicit : Modo accepte me mater mea. {Idem ^ Comment, in Jo-
ann. , tom. ir, n° 6.) ♦
(5) Qaibus testinnoniis si non nleris ad ntilitatem , utere saltem aJ
antîquitatem , qaid ornnes viri ecclesiaslici senserint. [S. [iicron. ^
contra Pclag. lib. ht.)
94 DISSERTATIONS
Testament. Dès-lors elles ne prouvent absolument rien
contre l'aullienticité de nos givres saints.
XLYIII. Venons maintenant à l'autre assertion de nos
adversaires relative aux citations de nos évangiles par les
saints Pères. Elle renferme trois parties: lapiemière,
que jusqu'à St. Justin on ne voit, dans les écrits des
Pères , que des citations de livres apocryphes ; la seconde ,
que, depuis St. Justin jusqu'à St. Clément d'Alexandrie,
les Pères emploient l'autorité , tantôt des livres supposés ,
tantôt de ceux qui passent aujourd'hui pour canoniques ;
la troisième , que , depuis St. Clément d'Alexandrie , nos
évangiles l'emportent et éclipsent entièrement les autres.
De pareilles propositions en imposent par le ton auda-
cieux avec lequel on les met en avant ; et il est aisé, avec
cet air d'érudition, de faire illusion à des hommes peu
instruits. Mais en produisant de pareilles assertions , il
faudrait les prouver ; et les incrédules , hardis à affirmer ,
se pardent bien de présenter des preuves. Suppléons à
leur défaut . et , reprenant leurs deux premières proposi-
tions , prouvons-en successivement la fausseté.
Sur la première , j'observerai , d'abord , que quand on
ne verrait dans les Pères apostoliques aucune citation de
nos livres saints , ce serait encore à tort qu'on en conclu-
rait qu'ils ne les ont pas connus. Ce ne serait qu'un ar
gumcnt négatif , et il serait d'autant plus faible, que
nous n'avons, de ces premiers docteurs, que quelques
lettres et en assez petit nombre. Cet argument pourrait-il
balancer les témoignages des auteurs suivants? Combien
de livres sur l'authenticité desquels il n'existe aucun
doute, ne nous sont connus que par une tradition qui
commence plus d'un siècle après leur publication?
Mais nous n'avons pas à nous en tenir à cette seule con-
sidération. La fausseté de l'assertion a été complètement
démontrée par les passages que nous avons produits de
tous les Pères apostoliques. De tous les écrivains ecclé-
siastiques antérieurs à St. Justin , il n'y en a qu'un seul ,
qui est Hermias , dont nous n'ayons pas produit de cita-
SUR L\ RELIGION. 95
tions formelles du Nouveau Testament ; encore nous
avons vu qu'en plusieurs endroits il y fait manifestement
allusion. Tous les autres Pères apostoliques , qui sont
St. Clément, St. Barnabe, St. Ij^nace , St. Polycarpe,
rapportent en propres termes des passages de nos livres
saints ; et Papias , dont nous n'avons qu'un fragment ,
nomme positivement deux de nos évangélistes.
Les incrédules ont senti combien était fortement dé-
mentie leur assertion par toutes ces citations si multipliées.
Ne pouvant nier leur réalité , ils ont pris le parti de dire
que ce n'étaient pas nos livres canoniques qui étaient
cités dans ces divers passages. Les raisons qu'ils en
donnent , sont , que nos évangélistes n'y sont pas nommés,
que les premiers Pères pouvaient avoir appris les paroles
de Jésus-Christ de vive voix et par tradition , sans les
avoir puisées dans des livres ; enfin , qu'ils ])ouvaient
aussi bien les avoir tirées de quelques-uns des évangiles
supprimés que de ceux qui nous restent.
XLIX. Admirons la logique et la bonne foi de nos ad-
versaires. Ils soutiennent que les saints Pères, disciples
des Apôtres, ont fait usage des évangiles apocrvphes ; et
leur raison démonstrative est, qu'on trouve dans leurs
ouvrages un petit nombre de passages que l'on sait avoir
été dans ces évangiles. Mais , selon eux , une vingtaine
de passages que nous avons rapportés, et qui se trouvent
les mêmes dans nos livres saints et dans les écrits des
Pères apostoliques , ne prouvent pas que ces pères aient
connu nos livres saints.
Il est évident , disent-ils , que les premiers Pères ne
connaissaient pas les évangiles^ puisqu'ils ne les ont pas
nommés. Mais il est évident en même temps qu'ils ont
connu et cité les évangiles apocryphes,, qu'ils ne nom-
ment pas davantage.
Les paroles de Jésus-Christ , ajoutent-ils , que rappor-
tent quelques-uns des anciens docteurs , et qui sont
conformes à nos évangiles , ce peut être par tradition
qu'ils les aient apprises. Mais celles qui se trouvaient
dans les ivres apocryphes, ce ne peut pas être la tradi-
96 ' DISSERTATIONS
tion qui les leur ait transmises ; c'est incontestablenient
dans les livres qu'ils les ont puisées.
Tel est le sort naturel des mauvaises causes , qu'elles
ne peuvent être soutenues que par les contraditions.
Mais abandonnons les incrédules aux inconséquences
dans lesquelles ils sont forcés de se jeter, et après les
avoir opposés à eux-mêmes, opposons-leur la raison.
Les Pères apostoliques, disent-ils, n'ont pas nommé
nos évangélistes. D'abord, le fait n'est pas vrai. Nous
avons vu Papias nommer positivement St. 3Iatthieu et
St. Marc. Ce témoignage seul suffirait pour détruire la
difficulté.
L. Le ce qu'ils n'ont pas nommé les évangélistes, on
conclut qu'ils ne les connaissaient pas. Mais ces mêmes
Pères ont souvent rapporté des passages de l'Ancien Tes-
tament, sans dire de quel livre ils les liraient ; il faut
donc dire aussi qu'ils ne connaissaient pas l'Ancien Tes-
tament.
C'est parmi nous encore la chose la plus commune,
de voir des prédicateurs rapporter des passages de l'E-
criture sainte , sans dire de quels livres ils les ont tirés.
Il n'est utile de marquer nommément le livre que l'on
cite, que dans les discussions théologiques, où il faut
faire voir la fidélité de la citation. Les écrits des Pères
apostoliques étaient des leçons de morale , des exhorta-
tions , et non pas des disputes. Ils rappelaient les textes
du Nouveau Testament à des gens qui les connaissaient ;
et nous avons vu St. Clément et St. Polycarpe disant
aux fidèles de s'en souvenir. Il est donc tout simple que
ces premiers docteurs n'aient pas fait de citations nomi-
nales. Mais lorsque les discussions furent engagées con-
tre les hérétiques, nous voyons les pères St. Irénée,
TertuUien, Origènes, et leurs succesesurs, employer ce
genre de citations. La différence dans la manière de citer
vient de la différence du genre d'écrits.
LI. Ce peut être, ajoute-t-on, de la tradition que les
premiers ont reçu les paroles de Jésus- Christ qu'ils rap-
portent. Yoilà déjà Fobjection de nos adversaires fort
SUR LA RELIGION. 97
atténuée. Ils avançaient très-aflirmativement que nos
évangiles n'avaient jamais été cités par les premiers Pères,
et quand il s'agit de prouver Tassertion, ils se restreignent
à dire qu'il est possible que les citations alléguées soient
tirées d'ailleurs. Ce n'est donc plus qu'à une simple pos-
sibilité que nous avons à répondre. Voyons s'il est rai-
sonnable d'y croiie.
Userait absolument impossible qu'une parole de Jésus-
Christ eût été transmise de vive voix par ses apôtres à
leurs disciples, telle que nous la lisons dons nos évangiles.
Ainsi, s'il n'y avait qu'unt- seule citation de ce genre, ou
même un très petit nombre , dans les ouvrages ecclésias-
tiques du premier siècle, elles pourraient ne pas former
à elles seules et par elles-mêmes une démonstration ab-
solue de l'authenticité du Nouveau Testament. Nous
serions par conséquent en droit de retourner contre nos
adversaires, et avec l)ien plus de force qu'eux , l'objec-
tion qu'ils nous font, et de leur dire : les deux discours
du Sauveur, que vous rapportez d'après St. Clément et
St. Ignace, et que l'on lisait dans des évangiles apocry-
phes, n'étaient peut-être connus de ces deux docteurs
que par tradition. Le petit nombre de ces passages ren-
drait notre raisonnement bien autrement plausible que
le leur. Quand je vois, au lieu de cela, non pas un écri-
vain , mais tous les écrivains de ce siècle , rapporter, non
pas une fois , mais souvent , des paroles de Jésus-Christ,
telles qu'elles sont dans nos livres saints , il ne m'est pas
possible de douter qu'ils n'aient connus ces livres. Ce ne
peut pas être le hasard qui ait opéré le rapport constant
entre le Nouveau Testament et les écrits des premiers
docteurs. Ce ne peut pas être une simple tradition qui
ait fait rapporter tant de fois des discours du Sauveur
dans des termes aussi semblables à ceux que nous lisons
dans les évangiles. Il y aurait de bien plus grandes dis-
sonnances , si c'était de mémoire , et non d'après des
livres, que les Pères eussent rapporté ces passages.
LU. Mais, dit-on enfin, comment peut-on être assuré
que c'est plutôt des évangiles canoniques que des évan-
Dissert. $ur la Relig. 5
98 DISSERTATIONS
giles apocryphes que sont tirées les citations de ces Pères?
Est-ce de bonne foi qu'on propose cette pitoyable diffi-
culté? Quand nous lisons les mêmes passages, en grand
nombre , avec des expressions aussi semblables , et dans
nos évangiles et dans les écrits des Pères, est-il raison-
nable d'aller chercher ailleurs que dans nos évangiles
l'origine de ces passages? D'ailleurs, les écrivains des
siècles suivants , tels que Eusèbe et St. Jérôme, remar-
quent souvent diverses citations des livres apocryphes
faites par leurs prédécesseurs. Ils auraient observé celles-
là comme les autres.
LUI. Si, contre toute espèce de raison, quelqu'un
voulait encore conserver des doutes, et, malgré le rap-
port si frappant entre nos livres saints et les écrits des
premiers Pères relativement a un si grand nombre de
textes , rester incertain si c'est des livres saints ou d'ail-
leurs que les Pères ont tiré ces textes, pour dissiper toute
incertitude , il n'aurait qu'à rapprocher les Pères du
premier âge , de ceux qui les ont immédiatement suivis.
Les Pères du second siècle, qui avaient été disciples de
ceux du premier, non-seulement connaissaient nos quatre
évangiles , mais avaient pour eux la plus profonde véné-
ration. Nous avons entendu St. Justin attester qu'on les
lisait dans les assemblées des fidèles; et St. Irénée, après
avoir nommé nos quatre év^angélistes, dire quec'estpar la
volonté de Dieu qu'ils ont éciit leurs ouvrages , qui sont
le fondement et la colonne de notre foi. Or, ils n'ont pu
tenir que de leurs maîtres ces évangiles , ils n'ont pu
prendre que d'eux l'idée qu'ils en avaient. Ne considérons
donc plus seulement les Pères apostoliques comme les
premiers témoins de l'authenticité du Nouveau Testa-
ment, voyons en eux les premiers anneaux de cette
longue chaîne de témoignages qui , de siècle en siècle , a
fait passer jusqu'à nous la certitude de cette authenticité;
et alors toute la difficulté qui était déjà si légère, sera
entièrement dissipée. Les premiers témoins fondent l'au-
torité des seconds; les seconds, réciproquement, forti-
fient l'autorité des premiers, développent plus positive-
SUR LA RELIGION. 99
ment ce qu'ils avaient dit , et acLcvent d^anéantir toutes
les chicanes que pourraient former les esprits les plus
difficultueux.
Liy. Les incrédules prétendent, et c'est la seconde
partie de l'assertion à laquelle nous répondons , que ,
depuis St. Justin jusqu'à St. Clément d'Alexandrie, les
Pères ont cité indifféremment les évangiles canoniques et
les apocryphes. Entre St. Justin martyrisé l'an 167, et
St. Clément qui succéda à Paatène dans l'école d'A-
lexandrie en 191, les auteurs ecclésiastiques dont les
ouvrages sont parvenus jusqu'à nous, sont Tatien, Théo-
phile d'Anlioche , St. Irénée , Athénagore , Hermias; on
peut y joindre Tertullien, contemporain de St. Clément.
Nous avons vu tous ces écrivains citer nos livres saints.
Mais quel est celui d'entre eux qui cite de la même ma-
nière des livTcs apocryphes? seraient-ce Tatien, Théo-
phile d'Anlioche, Hermias, dans lesquels on ne trouve
pas une seule citation des apocryphes? serait-ce St. Iré-
née , que nous avons vu déclarer positivement qu'il n'y
a que nos quatre évangiles qui soient véritables (1)?
serait-ce Athénagore? On lit, à la vérité, dans son apolo-
gie, une citation d'un écrit apocryphe; mais elle est bien
différente de celles qu'il fait de nos livres saints. Quand
il cite ceux-ci, il dit , ainsi que uous l'avons vu, «< les
« préceptes dans lesquels nous sommes nourris (2) ; »
mais dans la citation qu'il fait d'un écrit apocryphe, il
l'appelle tout simplement « une écriture quelconque (3).»
Serait-ce Tertullien qui aurait égalé les évangiles apo-
cryphes aux canoniques , lui qui établit si fortement
l'autorité de nos quatre évangiles composés par deux
apôtres Matthieu et Jean, et par deux hommes aposto-
(t) Yoyez ci-dessas, no 22, pages 54 et 55.
(2) Voyez ci-dessus, n° 20, page 53.
(3) Hue accedit illa scriptura : Si quis osculum propterea répétât
quod delectatur. Tum addil : snmina ergo caatione osculom adhiben-
dura. {Athenagoras îegnt. pro christianis , n° 32.)
100 DISSERTATIONS
liques Marc et Luc(l)? Enfin veut-on attribuer cette
égalité dans les citations, à St. Clément lui-niènie? N'a-
vons-nous pas vu la différence précise qu'y met ce saint
docteur (2)? Il est donc certain que, des écrivains du
second siècle , qu'on prétend avoir cité , tantôt les vrais,
tantôt les faux évangiles, les uns n'ont fait aucune cita-
tion des apocryphes , les autres ont marqué très-formel-
lement combien ils étaient inférieurs en autorité au Nou-
veau Testament. Et il reste démontré que, dans ces deux
points principaux, l'assertion des incrédules est aussi
absurde que hardie. Il n'y a de vrai que ce qu'ils ajoutent,
savoir , que depuis St. Clément d'Alexandrie nos quatre
évangiles éclipsent absolument les autres. Mais cette
vérité est aussi évidente pour le temps qui a précédé ce
saint docteur , que pour celui qui a suivi.
LV. Nous pouvons citer encore, pour montrer com-
ment on considérait , dans ces temps anciens , et nos
évangiles et les évangiles apocryphes , un fait rapporté
par Eusèbe. St. Sérapion , évéque d'Antioche , contem-
porain de Tertullien et de St. Clément, avait permis aux
fidèles de la ville de Rossa la lecture d'un évangile attri-
bué à St. Pierre, le croyant exempt d'erreurs. Mais ayant
eu occasion devoir cet ouvrage^ il reconnut qu'il avait
été trompé , et par un écrit pastoral il avertit ses diocé-
sains de se prémunir contre l'erreur. Il leur déclare qu'il
reçoit Pierre et les autres apôtres comme Jésus-Christ
lui-même; mais que, quant aux écrits faussement
intitulés de leurs noms , il les répudie comme ne les
ayant pas reçus des anciens (3). Nous voyons dans ce peu
de paroles trois choses : le respect dont on était pénétré
(i) Voyez ci-dessus, n** a3, notes , pag. 57.
(2) Voyez ci-dessus, n° 47, notes , pag. 92 et gS.
(3) Nos enira fratres, Petrum et reliquos apostolos, proinde ut
Christum ipsum recipimus. Sed qnae nomen illorum falso inscripium
praeferunt, ea nos utpute gnaii et perili, repodiamus : qoippe qui
compertum habeamns ea nos a niajoribus minime accepisse. [Euseb. ,
hisc. eccles.^ lib. vi , cap. la.)
SUR LA RELIGION. lOi
pour les livres canoniques , l'opinion désavantageuse
qu*on avait des apocrypiies , et la manière dont on dis-
tinguait les uns des autres, qui est celle que nous invo-
quons encore , la tradition des anciens.
LVI. Je viens de discuter toutes les parties de cette
objection tirée des livres apocrypiies , dont les ennemis
de la sainte Ecriture font tant de cas, et qu'ils répètent
sans cesse avec une confiance si hautaine. Je ne crois pas
avoir laissé en arrière une seule de leurs difficultés.
Voyons ce qui en résulte :
Qu'il y a eu , dans les premiers siècles, des livres apo-
cryphes, mais dont l'existence n'empêche pas l'authen-
ticité des nôtres ;
Que plusieurs des livres apocryphes étaient décorés du
nom des apôtres, mais qu'on ne voit pas que jamais on y
ait été trompé dans l'Eglise , et qu'on les ail attribués à
ces saints personnages;
Que l'on voit, dans les Pères du premier âge, deux
citations de deux évangiles appelés apocryphes; mais
que ces deux livres n'étaient pas apocryphes dans le sens
qu'ils fussent faussement attribués à leurs auteurs, et
que c'étaient des ouvrages pieux et propres à opérer
l'édification;
Que les Pères du second âge ont cité aussi quelquefois
les livres appelés apocryphes; mais qu'ils ont marqué
expressément la différence qu'ils mettaient entre ces
livres et nos livres canoniques ;
Qu'en conséquence, on ne peut prétendre, ni qu'on ait
pris dans l'Eglise, pour authentiques, des livres qui ne
l'étaient pas , puisqu'on ne voit d'autres livres cités que
ceux qui étaient véritablement des auteurs dont ils por-
taient les noms ; ni qu'on ait eu pour les livres que nous
appelons apocryphes le même respect que pour les livres
canoniques, puisqu'aucun auteur ne les assimile, et qu'au
contraire plusieurs de ceux qui ont parlé des apocryphes,
en ravalent l'autorité.
Après avoir résolu cette première objection, je passe
aux autres que proposent les incrédules. En voici une
102 DISSERTATIONS
qui attaque plus directement encore la divinité du Nou-
veau Testament, que son authenticité. Elle n'est cepen-
dant pas entièrement étrangère à la question de l'au-
thenticité; et les ennemis du Nouveau Testament la
répètent si souvent et avec tant de confiance, que je crois
devoir la rapporter et y répondre.
LVII. « Le style, dit-on , est d'une platitude insup-
« portable à des hommes éclairés. On dit que c'est le
M Saint-Esprit qui a inspiré ces livres, et ils sont écrits
« comme auraient pu les écrire , sans son secours , les
u hommes ignorants et grossiers qui passent pour en
« avoir été les auteurs. Une histoire profane , composée
u dans le même style , ne serait lue par personne , et
«< serait universellement méprisée; et cependant celle-ci
«< serait d'un bien plus grand intérêt pour le genre humain ,
« si elle était vraie. On n'y voit d'ailleurs nul ordre,
u nulle suite; les faits, les enseignements, rapportés
« sans méthode , sont entassés confusément. Les ana-
« chronismes y sont fréquents ; il suffit , pour les apcr-
« cevoir , de comparer entre eux les quatre évangélistes :
« celui ci place dans un temps ce que celui là rapporte
u à un autre. On y trouve aussi beaucoup d'obscurités.
<( Enfin il y a des contradictions qui suffiraient pour les
u faire rejeter. »
LVIIL Le premier reproche que l'on fait ici à nos
livres sacrés est leur simplicité. Avant de l'examiner en
lui-même, rapprochons-le du prodigieux effet qu'ont
produit ces livres dans le monde. Comment des livres
que l'on dit écrits avec une platitude dégoûtante , ont-
ils pu produire, dans le siècle de goût et de lumières où
ils ont paru, la plus vaste révolution que l'univers ait
vue ? L'histoire évangélique ne présente pas la pompe du
discours qu'étalent les orateurs et quelques philosophes,
et cependant quel orateur a autant persuadé ? quel phi-
losophe instruisit jamais autant de monde? Moins l'élo-
quence humaine s'y produit , plus s'y manifeste la force
divine. Il répondait d'avance à cette objection , celui de
nos auteurs sacrés qui disait : u Notre prédication n'a
SDR LA RELIGION. 103
« pas pour appui les discours persuasifs de la sagesse
« humaiae (1). » Il fallait que les livres divins fussent
écrits avec simplicité , pour que leur effet ne pût être
attribué qu'à celui qui les inspirait (2).
Un autre motif plus humain rendait cette simplicité
nécessaire. Le premier mérite du style , dans un ouvrage
quelconque , est d'être adapté à l'objet de cet ouvrage , et
(i) Sermo mens et praedicatio mea , non in persnabilibas bnnianae
sapientise verbis, sed in ostenbione spiiitus et virtuiis ; ut fides vestra
non sit in sapientia horainum , sed in virlute Dci. (I. Cor. u, 4 et 5. )
(2) Factus enim a Deo erat idoneus inini>>ter novi testamenti, otens
démons iratione spiiitus et polentise; ut credentiuin assensio non
sit ab huniaiia .sajjientia, sed a potestate Dei. Si enim elegantiam et
dictionis apparatum , ut scripta illa quae graecis adiuiiationi sunt, di-
vinae litterae habuissent, existimasset ;ili'j[uis , non bomines vicis>e ve-
rilatem sed apparentem consecutiotieni' et diciionis splendorem au-
ditores prolectasse, et iliecebris debnitos circutnveiiibse. ( Or/^ew, in
Joan. , toin. iv , n° 2. )
Neqne vero miram admodum e-t sermones pbilosopbicos, lam
apte, tara composite, tam ornaie ce'.ebratos, tantam habuisse mo-
raenli, ad coirigendos illos qui supia inemoiati sunt, aliosque pessi-
mae vitae bomines, Sed cum videnius sermones lUos, qnos demissos
et humiles vocatCeîbus, instsr ir.var'îi^îivniîîlî ; tanta vi et efficacia
praeditos , cnm vidcmns, inquam , seruionibus illis, a libidinosa ad
temperantera viam, ab iniqua ad justam, a limiditale ad tantam cons-
tantiam revocari ranbitudmem , ut pietatis causa quam commendatam
illis animadveitit, raortem pro nibilo putet ; qnoinudo non merito
tantam pole.-»iaiem admirabimur. Nam sermo eoium quibus ab iiiitiu
valgandae nostrae doclrifiae paites dafae sunt , quique in oonstitaendis
Dei ecclesiis laborarunt , et eoiurn pratîdic;*iio persua^it quidem ^ sed
non ea ratione qua platonicae sapientiae doclores, ant quibbet abi
philosophi , qui nibil su[)ia bunianœ natarse vires })Oterant. Sed ar-
gument;! qnibus utebantur apostoli data illis a Deo fuerant ; vimqne
persuadendi a spiritu et virtute babebant. Qnapropte. promptissime
sermo eorum quocumque perva-it ; imnk.i sermo Dei qii per ipsos
mutabat qoos natura et consuetudo ad j eccatum trabebant ; et quos
ne pœnis qu deni quisqnara bominum correxisset , hos correxit ,
efformavit, ad suam voluntatem convertit. {^I de m , contra Celsum ^
lib, m. n** 68.)
Qui quidem externi sunt, et alieni a verbo veritatis , simplicitate
dictionis scripturarum contempla, evangelii praedicalionem stoltitiam
nominant. Nos vero, qui in cruce Christi gloriamnr, quibus mani-
festata sunt per Spiritum ea quae do.aata sant nobis a Deo, non in
104 DISSERTATIONS
d'être à la portée de tous ses lecteurs. Les écrivains sacrés
n'avaient pas la prétention du bel esprit (1). Ils en avaient
une bien supérieure, c'était d'instruire de toutes les véri-
tés religieuses , soit dogmatiques, soit morales, le genre
humain entier, le peuple comme les grands^ les ignorants
comme les savants , les enfants comme les personnes
doctis bumanae sapienlise verbis, novimos gratiam eani quae a Deo in
traditis de Christo doctrinis diffusa fuit, divitem esse. Quamobrem
brevi teinpore in nniversum prope terrarum orbein illa praedicalio
pervenit : propterea qaod dives et aburidans gralia effusa est iu evan-
gelii praecones, quos eiiam Christi labia scriptura nominavit. Qua-
propter evangelii praedicatio , in conteraptibilibus dictinnonlis vim
multam babet persnadendi, et ad salulem alliciendi. {S. Basilius ,
homil. in psalm. xliv , n° 4.)
(i) Barbarismis , solecismis obsitae sont, inqaît, res vestrae , et vi-
tioram deformitate pollutae. Pueiilis sane atqoe angnsti pecîoris re-
prebensio. Qoam si admitteiemus ut vera sit , abjiciarans ex oiibns
nostris qoorumdam fiuctuurn gênera, quod cura spinis nascantur,
et purgaraentis aliis quae nec alere nos possunt ; nec tamen impedinnt
perflui nos eo qood principaliter antecedit , et saluberrimum nobis
volait esse natura. Quid enirn efficit, o quae-.o , aut quam praestat in-
tellectui tardifatem, utrurane quid levé, an biisuta cum asperitate
pfOinâtnr ? Inflectainr qaod acui , aut acuaiur quod debebat inflecti?
Ant quid minus est, quod dicitur verum est, si in numéro peccetar ,
aut casu , prîepositione , participio , conjunctione ? Pompa ista ser-
monis, et oratio messa per régulas, concionibus, litibus, foro , judi-
ciisqae servetnr , deturque illis imrao qui voluptatum delinenmenfa
qaaerentes , omne suum studium verborum in lumina conmlerunt.
Cum de rébus agitur ab ostentaiione snbraotis , quid dicatur sectan-
dum est; non quaii cura amœnitate dicainr ; nec quid aures demul-
ceat, sed quas afferat audientibus utilitales. Maxime cum sciamns
etiam quosdam sapieniiae dediios , non tantum abjecisse sermonum
cnltum, vernra etiam cum pussinl oinatius, atque uberius loqui , tri-
vialem studio bumililatem secutos, ne corruniperent srilicet gravita-
tis rigoreui , et sopbisticae se potius ostentatiune jactarent. Enirn vero
dissoluti est pecîoris in rébus seriis quaerere voluptateni , et cum tibi
«it ratio rum maie babentibus , atque aegris , sonos anribus infundere
dnlciores, non raedicinam vulneribus adbibere. {^Arnobins ^ adv.
gentes^ lib. i, n° Sg.)
Admirabiles plane viri et reipsa divini ( Cbriili discipulos inielligo )
ipsa pura et siiicera vitae ratione cam primis eximii , et universo vir-
tutis génère animis exornati, quanqnam lingnae elegamis, et diserti
sermonis rudes et ignari, divina tamen et miranda potentia ipsis a
SUR La religion. 105
àgées(l). Le salut des uns n'est pas moins précieux à
Dieu, et ne leur était pas moins cher que celui des
autres. Ils ont donc dû employer un langage qui pût être
entendu de tous les hommes , de quelque état , de quel-
que classe qu'ils fussent. Si St. Paul eût ambitionné la
gloire de l'éloquence, croit-on qu'il n'eût pas pu l'at-
teindre? Qu'on lise son discours devant l'aréopage, où il
s'élève à la hauteur des génies auxquels il parle, et qu'on
juge si ce n'est pas volontairement qu'il se rabaisse ail-
leurs à la portée des hommes à qui il s'adresse.
Servatore donata fidenles, exqoisita verbornm fabricandorum solei-
tia, et arte elaborata,doctiinfem magistri soi exponere, neque noront,
neque conati sont. Sed aperta et manifesta doceudi raiione per sacro-
sanctam Sp ritum ipsis opéra ferenteai infnsa, et sula Christi virtnte
tôt miraculorum eflectrice, per ipsoram doctrinam , et res gestas plc-
nÎDs pervnlgata ulentes , regni cœloram notitiara toti orbi terraruin
patefecerant. Quin etiam stndiuin et operam qaae in lihris con^ciiben-
dis poni solet, baad magno sane aestimamnt et istud plane praeitife-
rant, atpote excellentiuri inini«>terio, ac longe hamanum captuni su-
peraati. [Euseb. hist. eccL y lib. iii, cap. i8.)
(i) Multa enim a Platone maxime proponit, ut ostendat ea etiam
a scripturis quae vel acatnm auditorein permovere posbnnt, nobis cum
aliis esse communia : affirmatque baec ipsa : 3Ielius a grœcis dicta
Juisse , etquidem sine illis a Deo , filiovs Dei^ minis et promissis. Ad
quod baec nostra responsio est : Si veritatis doctoies id ,-ibi propo-
nant , humariitatisque esse dncunt ; ut quam possunt plurimis prosinl,
et ad veritalem adducant, qnemcumque tandem et intelligentem grae-
cos , barbaros (eximiae autem liumanitatis est lucrari Deo vel rasli-
cos et imperitos) , perspicuam est eam illis usurpandani esse oralio-
nem , ac stvlnm, qui popularis sit , et ad omnium captam accom-
modatus. Qui vero simplices et illiteratos, eo quod ad assequendam
sermonis seriem non essent idonei, nihili feierunt , de iis autem solis
cogitarnnt qui in litieris innntriti , eos certae pnblicae ulilitatis stu-
diura angustis admudum terminis circnmscripsisse. Atque baec mibi
dicta sunt, nt a Celsi aliorumque criminationibus dcfenderem scrip-
turaruru simplicitatem , quae cum sermonibus arte elaboratis collata ,
ab illornm splendore obscurari videtur. Quoniam nostri propbetae ,
Jesns et ejus apostoli , curarant ut sua praedicandi ratio esset ejus-
modi , quae non solnm vera doreret , sed etiam vulgi alUceret animos ;
donec singnli liortationibus inducti , ad arcana sub veibis in speciem
simplicibus latentia , pro suis quisqne viiibus, conniterenlur. Ac si
libenter loqui oporieat paucis utilitatem attalit, si tamen nllam atta-
5*
lOÔ DISSERTATIONS
Je conviens donc, je prétends même que l'histoire
évangéliqueest écrite avec simplicité ; mais je nie qu'elle
le soit avec platitude. Au contiaire , j'admire le caractère
de grandeur que présente cette simplicité. Aucun homme
n'aurait imaginé d'écrire l'histoire sainte comme elle
l'est. Les écrivains vulgaires s'efforcent de faire valoir ,
par la beauté du style , les choses qu'ils disent. Les
choses que disent les écrivains sacrés n'ont pas besoi-i
qu'on les fasse valoir. Les dogmes qu'iis enseignent sont
au-dessus de ce que la raison veut comprendre. La mo-
rale qu'ils présentent est, de l'aveu même de plusieurs
des principaux incrédules, la plus sublime qui ait jamais
été proposée. Les faits qu'ils racontent sont les plus mer-
veilleux dont le monde ait entendu parler. Les orne-
ments qu'on ajouterait à tout cela ne feraient que le
déparer. Quel homme ayant un peu de goût, peut n'être
pas frappé de la majestueuse simplicité avec laquelle
toutes ces choses admirables sont rapportées (1), sans un
éloge qui les relève , sans une seule réflexion pour en
faire sentir le beauté? Jésus étend sa main et touche un
lit, compLa h^c et accnrata Platonis , aliornmqae similiter loquen-
tiam oratio : prae illa simpliciori eoram qai docendo et scribendo se
ad vulgi captom dimiserant. ( Orig. contra Celsum ^ lib. vi , n° i, 2.)
Nom igitur Dec^ et rueniis et vocis et linguae artifex, diserte lo-
qui non potest ? Imrao vero sunima providentia carere fuco yoluit ea
quae divina sant , ut omiies intelligerent quae ipse omnibus loqueba-
tur. {^Lactant. divin, instit., lib, vt,cap. 21.)
Nolo offendaris simplicitate et quasi vilitate verboruna , quae vel vi-
tio inîerpretura , vel de indusliia sic prolala sunt, ut rusticam con-
cionem facilius instrnerent ; et in nna eademque sententia aliter doc-
tns , aliter audiiet indoctaa. {S. Hieron. ^ epist. ad Paiilinnm.)
(i) Nisi forte rublicnm Petrum , rusticura dicimas Joannem quo-
rum uterque dicere potCiat : £tsi imperitus sermone , /2on tamen scien-
tia. Joannes rasticus , piscator indoctns ! Et unde illa vox obseero :
In principio erat werbii/n , et verbum erat apud Deum , et Deits erat
verbum. Logos eniin graece niulta sigriificat. Nam , et verbum est, et
ratio, et sapputatio, et causi uniuscujusque rei per quam sunt siu
gula quae subsistant. Quff! univrersa recte intelligimas in Cbristo. Hoc
dijctus Plato, lioc Demostbene; eloquens ignoravit. {S. Hieronym.
epist. ad Baul. seconda de stud. script. )
SUR LA RELIGION. 107
lépreux eu disant : Je le veux , sois guéri; et au même
temps la lèpre disparaît (1;. Jeune homme, dit-il à un
mort que l'on portait en terre, lève-toi, je te le com-
mande; et le mort se leva et commença à parler (2;.
St. Pierre entrant dans le temple avec St. Jean, dit à un
boiteux de naissance qui leur demande l'aumône : Je
n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai , je te le donne : au
nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche. Il le prend par
la main , le soulève , et aussitôt les jambes et les pieds de
cet homme se ralfermissent(3j. Quelle pompe de langage
pourrait approcher de la simplicité de ces écrits et de
tous les autres que nous pourrions citer également? C'est
là , j'ose le dire , le vrai sublime ; non pas celui de mois ,
après lequel courent les auteurs , mais le sublime des
choses. Des païens ont reconnu un modèle du véritable
sublime dans ces mots du commencement de la Genèse :
Dieu dit : que la lumière soit , et la lumière fut. Toute
l'histoire évangélique est écrite de la même manière.
LIX. On objecte le peu d'ordre et de méthode qui est
dans les évangiles. L'objet des évangélistes a été , non
d'écrire une histoire suivie de la vie de Jésus-Christ, mais
de donner des mémoires sur sa vie. Ils en rapportent les
principaux faits selon qu'ils se présentent à leur souvenir;
ils ne cherchent point à les lier les uns aux autres. Leur
but est uniquement de prouver la mission divine de leur
maître , et de faire connaître sa doctrine. Ils l'atteignent
aussi bien en rapportant s^^s miracles et ses préceptes
hors de l'ordre où ils ont été opérés et dictés, que s'ils
avaient fait une histoire en règle. lien résulte de la diffi-
culté à placer chaque fait et chaque discours dans l'ordre
( I ) Extendens Jesas manum , teligit enm , dioens ; volo , mundare :
et confestim mandata est Upra ejixs. [Match, viit, 3.)
(2) Adolescens tibi dico : Surge : et lesedit qui erat moriaas, et
cœpit loqu'. (Zî/c. vu, 14.)
( ) Petrus aaiein dixit : Argentum et aurum non est mihi : qaod
aatetn liabeo , hoc libi do. In nomine Jesu Christi Nazart-eni , surge
et ambala : et apprehensa mana ejus dextera , allevavit eum , et pio~
tinas consolid?t3e sunt bases ejuà et plantap. (y4cc. m, 6,7.)
lOÔ DISSERTATIONS
Je conviens donc, je prétends même que l'histoire
évangélique est écrite avec simplicité ; mais je nie qu'elle
le soitavec platitude. Au contiaire, j'admire le caractère
de grandeur que présente cette simplicité. Aucun homme
n'aurait imaginé d'écrire l'histoire sainte comme elle
Test. Les écrivains vulgaires s'efforcent de faire valoir ,
par la beauté du style , les choses qu'ils disent. Les
choses que disent les écrivains sacrés n'ont pas besoia
qu'on les fasse valoir. Les dogmes qu'ils enseignent sont
au-dessus de ce que la raison veut comprendre. La mo-
rale qu'ils présentent est, de l'aveu même de plusieurs
des principaux incrédules, la plus sublime qui ait jamais
été proposée. Les faits qu'ils racontent sont les plus mer-
veilleux dont le monde ait entendu parler. Les orne-
ments qu'on ajouterait à tout cela ne feraient que le
déparer. Quel homme ayant un peu de goût, peut n'être
pas frappé de la majestueuse simplicité avec laquelle
toutes ces choses admirables sont rapportées (1), sans un
éloge qui les relève , sans une seule réflexion pour en
faire sentir le beauté? Jésus étend sa main et touche un
lit, fcompta hsec et accurata Pîatonis, aliorumque similiter loquen-
tiam oratio : prae illa simpliciori eoiam qai docendo et scribendo se
ad vulgi captom diniiseruut. ( Orig. contra Celsum ^ lib. vi , n° i, 2.)
Num igitar Dei.3 et raeniis et vocis et linguae artifex, diserte lo-
qai non potest ? Imrao veto sumraa providentia carere fuco Yoluit ea
quae divina sant ; ut oiaiies intelligerent quae ipse omnibus loqueba-
tur. {^ Lactaiit. divin, instit., lib. vt,cap. 21.)
Nolo offendaris simplicitate et quasi vilitate verborum , quae vel vi-
tio inîerpretura , vel de indusuia sic prolala surit , ut rusticam con-
ciùnem facilins instmerent ; et in nna eademque sentenîia aliter doc-
tas , aliter aadiiet indoctus. {S. Hieron. ^ epist. ad Paiiîinum.)
(i) Nisi forte rublicura Petrum , rusticura dicimus Joannem quo-
rum utefque dicere poterat : Etsi imperitus sermone , non tamen scien-
tia. Joannes rusticus , piscator indoctus ! Et unde ilia vox obsecro :
In principio erat verbiun , et verhuni erat apud Deum , et Deiis erat
verbum. Logos enim graece multa sigriificat. Nam , et verbuin est, et
ratio, et supputation et causa uninscujusque rei per quam sunt siu
guîa quae subsistunt. Qua; universa recte intelligiraas in Cbristo. Hoc
doctas Plato, lioc Demostbene; eloquens ignoravit. (5. Hieronym.
epist. ad taul. seconda de stud. script. )
SUR LA RELIGION. 107
lépreux eu disant : Je le veux , sois guéri; et au même
temps la lèpre disparaît (1). Jeune homme, dit-il à un
mort que l'on portait en terre, lève-toi, je te le com-
mande; et le mort se leva et commença à parler (2j.
St. Pierre entrant dans le temple avec St. Jean, dit à un
boiteux de naissance qui leur demande l'aumône : Je
n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai , je te le donne : au
nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche. Il le prend par
la main , le soulève , et aussitôt les jambes et les pieds de
cet homme se raffermissent (3j. Quelle pompe de langage
pourrait approcher de la simplicité de ces écrits et de
tous les autres que nous pourrions citer également? C'est
là , j'ose le dire , le vrai sublime ; non pas celui de mots ,
après lequel courent les auteurs , mais le sublime des
choses. Des païens ont reconnu un modèle du véritable
sublime dans ces mots ducommencen»ent de la Genèse ;
Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. Toute
l'histoire évangélique est écrite de la même manière.
LIX. On objecte le peu d'ordre et de méthode qui est
dans les évangiles. L'objet des évangélistes a été , non
d'écrire une histoire suivie de la vie de Jésus-Christ, mais
de donner des mémoires sur sa vie. Ils en rapportent les
principaux faits selon qu'ils se présentent à leur souvenir;
ils ne cherchent point à les lier les uns aux autres. Leur
but est uniquement de prouver la mission divine de leur
maître , et de faire connaître sa doctrine. Ils l'atteignent
aussi bien en rapportant s^^s miracles et ses préceptes
hors de l'ordre où ils ont été opérés et dictés, que s'ils
avaient fait une histoire en règle. lien résulte de la diffi-
culté à placer chaque fait et chaque discours dans l'ordre
( I ) Extendens Jesas inanum , teiigit eum , dioens ; volo , mandare :
et confestim mandata est Itpra ejus. {^Matth. viit , 3.)
(2) Adolescens tibi dico : Surge : et lesedit qui erat monaas, et
cœpit loqui. (Zf/c. vu, 14.)
( ) Petrus auiein dixit : Argentum et aarum non est mihi : quod
aaleni liabeo , hoc libi do. In nomine Jesu Cljrlbti Nazaraeni , snrge
et ambola : et apprehensa mana ejus dextera , allevavit eum, et pio~
tinus cotisolidptœ sunt bases ejuà et planta?. {./Icc. m, 6, 7.)
lOS DISSERTATIONS
du temps; mais ce désordre apparent, loin d'attaquer la
vérité historique, nie paraît un indice de la candeur et
de la sincérité des historiens. Des hommes qui auraient
voulu en imposer, l'auraient-ils laissé subsister? Rien
n'eût été plus aisé que défaire un roman suivi.
Ce que je viens de dire répond aussi aux reproches
d'anachronisme. Il ne peut point en exister où il n'y a
pas d'indication de date.
LX. Quant aux obscurités qui se rencontrent dans les
livres saints, on les exagère beaucoup. Ce n'est ni le style
qui est obscur, il est, au contraire, très-clair; ni les
faits , ils sont rapportés avec simpHcité et netteté ; ni les
préceptes, ils sont exposés de manière que tout le monde
les comprend parfaitement. Il y a quelques circonstances
particulières que l'on a de la peine à entendre ; mais ce
très-petit nombre d'obscurités tient à l'éloignemeut où
nous sommes des temps et des lieux où les faits se sont
passés , à notre ignorance des mœuis du peuple juif et du
langage alors usité.
LXI. Parfaitement d'accord sur la substance des faits,
les auteurs sacrés ont laissé dans leurs écrits quelques
différences. Mais nous verrons ailleurs qu'elles servent à
prouver que leur récit est véritable , que leur uniformité
sur le fond des choses n'est pas l'effet d'un concert, et
que , s'ils avaient voulu tromper, ils auraient aisément
fait disparaître ces légères et peu nombreuses variétés.
Pour des contradictions, les ennemis de la religion les
cherchent depuis longtemps, et ils n'ont pas pu réelle-
ment en relever une seule. Toutes celles qu'ils ont pré-
tendu marquer, ont été facilement conciliées par les
commentateurs.
LXII. « Cette question si essentielle de l'authenticité ,
« disent encore les incrédules, et dont dépend la vérité
•« du christianisme, a été beaucoup trop négligée par les
« apologistes chrétiens. Ils l'ont plutôt supposée qu'ils ne
" l'ont traitée exactement. Ils se sont imaginés avoir
" suffisamment prouvé l'aulhen licite des évangiles, en
SUR LA RELIGION. 109
• tâchant de faire voir qu'il n'est pas possible de suppo-
• ser des livres de cette nature. »
Je demande d'abord si les preuves nombreuses que
nous avons apportées de l'authenticité du Nouveau Tes-
tament se réduisent à faire voir qu'il n'est pas possible
de supposer un tel livre.
Je demande ensuite si prouver l'impossibiUté de la
supposition des évangiles, n'est pas par cela même dé-
montrer clairement leur authenticité ; quel est l'esprit
raisonnable qui ne se contenterait pas de cette seule
preuve ?
Mais passons sur ces considérations , venons à Tobjec-
tion en elle-même , examinons ce qu'elle a de vrai , et ce
qui en résulte.
LXIIl. La discussion de notre question a été négligée
tant qu'elle a été inutile. L'authenticité de nos livres
saints a été supposée tant qu'elle n'a pas été contestée.
Mais aussitôt que les ennemis de la foi l'ont combattue ,
elle a été fortement défendue par les apologistes de la
religion. Il s'agit de prouver ces vérités.
Tant qu'une vérité n'est pas niée, on ne s'attache pas
à^la prouver. On ne combat point pour ce qui n'est pas
attaqué. Les apologistes de la religion chrétienne, qui la
défendaient contre les païens, ne cherchaient point à éta-
blir que les livres étaient des auteurs dont ils portent les
noms , parce que les païens ne le disputaient pas. Je dis
plus: de ce qu'ils ne défendaient pas l'authenticité du
Nouveau Testament, il résulte qu'elle n'était pas révo-
quée en doute par leurs adversaires. Leur défense était
dirigée sur l'attaque. Nous les voyons répondre à toutes
les difficultés , à toutes les calomnies que la haine contre
le christianisme faisait vomir à ses ennemis. Ils entrent
dans le détail des objections les plus faibles, les plus
puériles, les plus évidemment absurdes. Auraient-ils
laissé de côté une objection aussi grave , dont la force
accordée aurait fait tomber le christianisme? Voici qui
est plus positif encore. Nous les voyons , dans plusieurs
endroits , citer les évangiles , soit pour disculper la reli-
112 DISSERTATIONS
des évêques conservateurs des livres saints , et leur suc-
cession continue depuis le temps apostolique (1). Que
ceux qui disent que la question de l'authenticité des
livres saints a été négligée, que cette authenticité tou-
jours supposée n'a jamais été prouvée , lisent ces passages
de St. Augustin , et plusieurs autres que nous leur épar-
(i) Cui tamen ne intercladeretnr locns, et adiœeretur posteris ad
qosestiones diJfjciUiinas traclandas , atque versandas , linguae ac styli
saluberriniiis labor, dislincta est a posteriorum libris excellenfia ca»
noniccC anctoritatis veteris et novi testamenti ; quae apostolornm con-
finnata temponbus, per successioiies episcoporam et propagationes
ecclesiarana , tanquam in sede qiiadam subliiniter consliluta est ; cui
serviat omnis fidelis et pins intelleclus. [S. August. centra Faustum,
lib. XI , cap. 5. )
Cnm cœpero Matthaei evangeliura recitare apostoli ejas, ubi nar-
ratio nativitatis ejus tota contexitur, continuo dices illam narratio-
nera non esse Matthaei, qaani Matthaei esse dicit aniversa ecclesia,
ab apostoh'cis sedibus usque ad piaesentes episcopos cerla successione
perdacta. Tu œihi quid contra lectnrus es? Aliquem forte librum
Manichani , ubi Jésus negatur esse naïuà ex Virgine. SicDl eigo credo
illum hbnim esse Maiiichaei, quoniam ex ipso tempore quo Mani-
chaeas vivebat in carne, per discipulos ejus, certa successione prae-
positorum ve^tromm, ad veslra usque tempora custoditns atque per-
ductus est , sic et istum librum crédite esse Matthaei, queiu ex illo
tempore quo Matthaeus ipse in carne vixit, non interrupia série tem-
porum, ecclesia , certa connexionis successione , usque ad tempora
ista perdnxit. l^Ibid. , lib xxvm, cap. 2.)
Si quaeraiis a nobis unde sciamus apostolorum esse istas Utteras ,
breviter vobis respondebiraus , inde nos scire certe, unde et vos scitis
litteras esse Manicbaei, quas miserabiliter haie auctoiitati prœponitis.
Si enim et hinc vobis aliquis moveat qnaestionem dicens bbros quos
praefertis Manichaei non esse Manirhaei, quid faciiuii esiis ? Nonne
potius ejus deiiiainenta ridebitis, qui cotitra rem tanin connexionis
et successionis série conCimatam, impudinm hnjus voris emittet. Si-
cut ergo ceitum est illcs libros esse Manichaei , et omnino ridendus
est qui ex transverso veniens , tanto post natus , litem vobis hujus
contradictionis intenderit ; ira certum est Manichaeum, vel manichaeos
esse ridendos, qui tam iundatae auctoritati, a temporibus apostolo-
ram ad haec tempora sncre>sionibus custoditaR atque productae ande-
ant taie aliquid dicere. {Ibid. lib. xxxit , cap. 2 t. )
Infelices inimici animae veslrae, quae unquam liiteraehabebnnt nllum
pondus auctoriiaiis, si apostulicse non habebunt? De quo libro cer-
tum erit CDJQs sit , si litterae quas apostolorum dicit et tenet ecclesia,
SUR LA RELIGION. 113
^nons. Les preuves qu'il donnait de cette vérité , à la fin
du quatrième siècle , non-sculeuient confondirent alors
les manichéens, mais ont été tellement victorieuses, que,
de toutes les sectes qui se sont élevées contre l'Eglise ,
aucune n'a plus osé disputer aux auteurs sacrés leurs
ouvrages. Elles sont encore, ces mêmes preuves, égale-
ment puissantes aujourd hui. Nous pouvons même dire
que l'accession unanime de tant de siècles a encore ajouté
à leur force. Et nous le disons en deux mots : l'authenti-
cité du Testament n'a pas été prouvée dans les trois
premiers siècles , parce qu'on n'osait pas la contester ; et
c'est une preuve de sa réalité. Elle l'a été , il y a seize
cents ans , de manière que ceux qui avaient osé la nier
ont été confondus; et que, jusqu'aux incrédules de nos
jours , personne n'en aura plus douté : c'est encore une
ab ipsis apostolis propagata , et per omnes gentes tanta eiiiinentia de-
clarafa, utrnm apostolorum sinl incertom est ? Et hoc erit certain
scripsisse apostolos qaod huic ecclesiae contrarii baeretici profcruiit
auctoram suorum numinibas appellati, lunge po^t apostolos exisiea-
tiara. Qaasi vero et in bis litteris saccuLribus non f'itrrunt ceriissimi
aafores , sob quorum nominibas pusiea limita piolala surit, et ideo
repodiata , quia vel bis qux* ipsoium esse consiaiet minime congrne-
rnut ; vel eo tempore quo i.b bcripserint nequaqaam innotuere ; et
per ipsos, vel familiarissimos forurn in postero^ prudi cominend^ri-
que nieraeiunt. Nonne , ut alios oniittam , sub Hippucratis medici
nobilissimi nom'ne quid.i.n bbri prolati , in auctoriiatem a naedicis
non recepti sunt. Nec eo>> adjuvit nonnalla sirailiiudo retum atqae
verborum, (juando comparali iis qaos vere Hippocratis esse consta-
ret, in)pares judicati surit, et quod eo lempore quo et ccetera scrip-
ta ejus non innoiuerunt , quod vere ejns essent. Hos autem libros,
quibus illi qui de transverso proferuntur coinparati respuuniur, nn-
de constat esse Hippocratis ? Unde si qnis boc negel, non siatim refel-
litar, sed ridetur Ni.si qnia sic eos ab ipso Hippocraiis tempore,
usque ad boc teinpus et deinceps, successionis séries coiiimendavit ,
ut hinc duhitare démentis sil. Plalonis, Arisiotelis , Ciceronis, Var-
ronis, aborumqne ejasmodi anctorum libri . nnde noverint homines
qaod ipsorum sint ? nisi eadem tempornm sibimet suocedentium con-
testatione continua. Multi multa de litteris ecclesiastitis conscripse-
rnnt, non qaidem aacforitate canonica , sed aliquo adjnvendi studio,
sive disceiidi. Unde constat qiiid cujus sit? nisi quia h's temporibus
quibos ea quisqae scripsir, quibus potait insiauavit atque edidit . et
114 DISSERTATIONS
preuve à laquelle tout esprit raisonnable ne peut pas
refuser de se rendre.
LXV. « On prétend , disent les incrédules, prouver
u l'authenticité du Nouveau Testament, parce qu'il a
M été reçu universellement dès les premiers siècles de
« l'Eglise. Mais le fait n'est pas exact. On voit, par les
» écrits de plusieurs des Pères , que pendant longtemps
« quelques-uns des livres du Nouveau Testament n'ont
u pas été reçus, et qu'on ne les croyait pas des auteurs
.1 dont ils portent les noms. Ce n'est qu'après un assez
u long temps qu'on a fini par regarder comme canoniques
« des livres dont l'aulhenticité n'avait pas été jusque-là
« reconnue. Est-ce là ce qui peut.fonder une certitude?
« On dit que ce fut le concile de Nicée qui fit le triage
« des livres canoniques , entre la multitude de ceux qui
« circulaient parmi les fidèles. Ce fut, à ce que l'on
t« raconte, un miracle qui décida de ce choix. A la prière
« des évèques, les livres inspirés allèrent d'eux-mêmes
« se placer sur un autel; c'est un des faits les plus avérés
« de l'histoire ecclésiastique. Il n'y avait donc pas, à
« cette époque , de livre universellement avoué. Voilà
« donc sur quoi repose toute la foi des chrétiens. N'est-
« ce pas d'ailleurs évidemment un cercle vicieux, de
inde in alios , alque alios continoiita riotitia , laîinsque (irniaUî ad
postei-os , etiom usqne ad nostia teuipora perveiiei uni : ita ut inter-
rogati cujus qin^qoe liber sit, et rion baesteiuus qnid respondere de-
beamas. Sed quid pergam in lun^je praeterita ? Ecce bas liiteras quas
habemas in luanibus, si posl aliquantulum tenipus vita; hujus nostrae,
vel illas quisquam Fausti esse, vel bas neget esse nieas, unde con-
vincetur? nisi quia ilh qui nunc ista noverunt, notiliam suam ad longe
etiam post fntuios , continuatis posterornm sacfessionibus tiaji-
ciont. Haeç cuin ita sint , quis tandem tanto fnroie caecaîur , nisi dae-
inoiiiorum mundi locoruni mabtiae alque fallaciae consentiendo sub-
versus sit, qui dicat hue mereri non potuisse apostoloiuin eccle.«>iani ,
tam fidam, tam numerosani fratrura concordi:tm , nt eorura scripta
iideiiler ad posteros trajciant? Cnm eorum caibedras usque ad piae-
sentes episcopos certissima snccessione servaverint, cnm hoc qualiom-
cniuqne bominura script'S, sive extra ecclesiam ; sive in ipsa ecclesîa
ianra facilitate proveniat. {Ibid, ^ lib. xxxni, cap. 6. )
Sur La religion. 115
« fonJer l'authenticité du ÎS'ouveau Testament sur l'au-
« torité de l'Eglise, laquelle elle-même n'est l'ondée que
« sur le Nouveau Testament? »
LXYI. Il est vrai que dans les premiers siècles il y a
eu des doutes sur l'autlienticité de quelques-uns des
livres du Nouveau Testament, c'est-à-dire de la seconde
épître de St. Pierre^ de la seconde et de la troisième de
St. Jean, de celles de St. Jacques et de St. Jude, de celle
de St. Paul aux Hébreux , et de l'Apocalypse ; mais les
autres livres, savoir : les quatre Evangiles, les Actes des
apôtres, les treize premières Epîtres de St. Paul, la pre-
mière de St. Pierre et la première de St. Jean, ont été
de tout temps reconnus authentiques par tout le monde.
Les mêmes Pères de qui nous tenons que quelques per-
sonnes doutaient de l'authenticité des premiers , disent
aussi positivement que l'authenticité des seconds était
reconnue universellement, sans exception, sans aucune
difficulté; et nous défions nos adversaires de citer aucun
écrivain des premiers tenips qui ait fait ii:ention du
plus léger doute sur ce point. 11 n'est donc pas vrai qu'à
l'époque du concile de Nicée aucun livre n'était univer-
sellement avoué. Il y avait de l'incertitude relativement
à quelques livres; donc, conclut-on, il n'y en avait
aucun qui fût reconnu universellement authentique.
Voilà la logique de l'incrédulité. Les doutes que l'on
conservait sur l'authenticité de quelques-uns de ces
livres n'ébranlent pas la certitude de l'authenticité des
autres. C'est donc à tort qu'on nous demande : « Est-ce
« là ce qui peut fonder une certitude? >< Non , nous en
convenons; la certitude, relativement à quelques épitres
et à l'Apocalypse, n'est pas fondée sur ce qu'elles ont été
constamment et universellement réputées authentiques;
mais celle relativement aux autres livres du Nouveau
Testament repose sur ce fondement inébranlable.
En considérant les cinq épîtres sur lesquelles il y a eu
pendant quelque temps du doute, on voit ce qui a pu le
causer. Elles ne sont pas adressées, comme les autres, à
des églises particulières qui les auraient conservées avec
116 DISSERTATIONS
soin, et qui en auraient produit les originaux , ainsi que
le dit Tertullien; elles sont écrites, soit à des particu-
liers obscurs et peu connus, soit à des fidèles dispersés
en divers lieux. On conçoit qu'il a fallu du temps pour
s'assurer de leur authenticité. Il a été nécessaire de con-
sulter le témoignage des diverses églises, et de s'assurer
que l'opinion de la grande pluralité était favorable à ces
épîtres. Il n'est pas étonnant que dans cet intervalle on
soit resté en suspens.
LXVII. Nous devons observer , au reste , que ces
épîtres sur lesquelles on a eu des doutes , étaient cepen-
dant reçues par le plus grand nombre des églises. Eusèbe
le dit expressément (1). Avant lui, Origènes regardait
comme authentiques tous nos livres canoniques (2).
Malgré ces autorités on hésitait encore à les déclarer tels.
Que résulte-t-il de là ? l'extrénie circonspection avec
laquelle on procédait dans l'Eglise pour admettre les
livres saints. Loin donc que ce doute affaiblisse notre
certitude de l'authenticité de ces livres, il est, au con-
traire , une raison de plus d'être persuadé que ce n'est
qu'en grande connaissance de cause que l'Eglise s'est
déterminée à les placer dans le canon sacré.
(i) Sur ce que dit Easèbe des livres du Nouveau Testament qui
étaient conslaniment et universellement révérés comme inspirés , et
de ceux sur lesquels on avait des doutes, mais dont le plus grand
nombre des égl ses reconnaissait l'anlhenticilé , voyez ci-dessus
n" XXXV, note, pag. 5g.
(2) Yenii'ns vero Dnminns nostcr Jésus Cbristas , cujns ille prior
fîlius Nave designabat adventun),niit!it sacerdotes apostolus i-uos por-
tantes tubas ductiles praedicationis, magnificam cœlestemque ductri-
nam sacerdotal! tuba primns in evangelio ^uo Matthacus increpuit.
Marcus quoqne , Lucas et Joannes, singulis tubis saceidotalibus ce-
cinerunt. Petrns etiam ouabus epis'olarum suarum personat tubis,
Jacobus quoqne et Judas. Addit nihilominus adbuc et Juannes tuba
canere per epistolas tuas et apccalypsim, et Lucas apostolorum ges-
ta describens. Novissime autem i!le venit qni dixir r Piico antem ^
nos Deux jwvissimos apostolos ostendit ; et in quatuordecim epistola-
rum snarom fulminans tubis, muros Jeiicbo , et omnes idolatriae
machinas, et philosophorum dogmata, usque ad fundamenla dejecit.
( Orig. in Uhrum Jesu Nave , Homii. vn, n° i.)
SUR LA RELIGION. Il7
LXVIII. Nous n'avons plus le décret du concile de
Nicée qui fixait le canon des saintes Ecritures; mais la
manière dont on dit que les Pères de ce concile procé-
dèrent , est une fable ridicule , tirée d'un livre mépri-
sable, plein de minuties, d'erreurs, d'anacLronismes,
et écrit cinq ou six cents ans après le concde. Que l'on
nomme un auteur de quelque considération, qui ait répété
ce conte qu'on affecte de donner comme un des faits les
plus avérés de l'histoire ecclésiastique. Les hommes res-
pectables qui composaient cette auguste assemblée n'ont
pas eu besoin d'un miracle pour déterminer quels étaient,
entre tous les livres qui existaient, les véritables cano-
niques. Il leur a suffi de consulter la tradition des églises,
et d'examiner d'abord quels étaient les livres universel-
lement reçus; ensuite , parmi ceux sur lesquels on con-
servait des doutes , quels étaient ceux que regardaient
comme authentiques le plus grand nombre des églises,
et d'où leur venait cette persuasion. Cet examen ne leur
était pas bien difficile , puisqu'ils étaient réunis de divers
pays; que chacun d'eux connaissait parfaitement et ap-
portait la tradition de son église et des églises voisines.
Ils ont jugé l'authenticité des livres saints par cette même
tradition par laquelle nous avons vu les Pères qui les
avaient précédés , en juger , et par laquelle on juge aussi
de l'authenticité des livres profanes. C'est toujours le
même principe qui dirige ce jugement. Et si les Pères
assemblés à Nicée , ont fixé d'une manière plus positive
que les Pérès antérieurs , le canon sacré, c'est qu'à raison
de leur réunion ils ont pu mieux connaître l'universalité
de la tradition.
LXIX Je fais abstraction de l'autorité conciliaire dont
ils étaient revêtus, je parle seulement des motifs humains
qui ont dû les décider , je les considère indépendamment
de l'inspiration divine qui écartait d'eux l'erreur. Trai-
tant ici contre les incrédules qui nient l'authenticité de
tout le Nouveau Testament , je n'emploie point les déci-
sions de l'Eglise , dont ils ne font aucun cas. Mais lors-
118 DISSERTATIONS
que nous parlons à des chrétiens, qui, reconnaissant
rautheiUicité et l'autorité des évangiles et de la plupart
des autres livres , en rejettent seulement quelques-uns,
nous nous servons de ceux qu'ils reçoivent pour leur
prouver qu'ils doivent de niènie admettre les autres.
Nous leur montrons , dans les livres auxquels ils se sou-
mettent , l'infaillibilité de l'Eglise établie. Nous leur
prouvons que l'Eglise n'est pas moins infaillible sur l'au-
thenticité des livres inspirés que sur leur sens , parce que
Icurauthenticitéest.de même que leur sens, le fondement
de la foi. Nous en concluons que ces chrétiens doivent se
soumettre à ce que l'Eglise a décidé sur l'un comme sur
l'autre objet. Nous partons du principe reconnu de l'au-
thenticité du plus grand nombre des livres du Nouveau
Testament, pour établir l'autorité infaillible de l'Eglise,
et de l'autorité infaillible démontrée, pour prouver l'au-
thenticité de quelques autres livres dont on veut douter.
C'est une suite de principes et de conséquences. On ne
peut pas y voir un cercle vicieux.
LXX. Nous avons dit qu'il n'y a eu aucun temps où la
supposition du Nouveau Testament ait été possible. On
s'inscrit en faux contre cette proposition. «< Il est possible,
«< dit-on, que dans la confusion cjui suivit la ruine de
« Jérusalem, cjuelques chrétiens aient composé les livres
« que nous avons, en les attribuant aux Apôtres. On
« connaît les fraudes pieuses qui ont eu lieu de tout
t< temps dans le christianisme, de la part des docteurs de
« l'Eglise , et spécialement dans les premiers temps. Les
« chrétiens ajoutaient alors foi à des livres pleins de rê-
»• veries, tels que le Pasteur d'Hermias , V Evangile de
« Venfance, etc. Les quatre évangiles n'ont commencé à
«< être connus cjue sous Trajan , ou même sous Adrien.
" Jusqu'alors ces écrits étaient restés cachés dans les
>» archives des églises , et entre les mains des prêtres,
« qui en disposaient à leur gré. On avait grand soin de
« les soustraire aux regards de ceux qui n'étaient pas
« initiés aux mystères de la religion; et Ton voit les
SUR LA RELIGION. 119
« chrétiens qui livraient ces livres aux païens , appelés
« traditeurs , et punis par la séparation de la commu-
« nion. »
J'ai déjà répondu à presque toutes les parties de cette
objection. Je vais cependant les reprendre Tune après
l'autre le plus succinctement qu'il me sera possible.
LXXI. J'ai établi que la plus grande partie du Nou-
veau Testament avait été écrite avant la ruine de Jéru-
salem ; il est inutile de revenir là-dessus (1 j. Qu'entend-
on par la confusion cjui suivit cette destruction? Il y eut
sans doute beaucoup de confusion à cette époque dans
la Judée ; mais on ne voit pas que dans les autres pavs il
y en ait eu. Comment le trouble et le désordre du petit
pays de Judée auraient-ils pu faire recevoir aux églises
fondées en Italie, en Grèce, en Asie, dans beaucoup
d'autres régions, des évangiles mis faussement sous le
nom des Apôtres? Comment, nous le répétons, aurait-
on fait accroire aux disciples des Apôtres, qui gouver-
naient alors ces églises , que ces écrits étaient de leurs
maîtres? Comment l'aurait-on persuadé à St. Jean lui-
même, qui a survécu trente ans au désastre de Jérusalem ;
à St. Luc , qui a aussi poussé sa carrière au-delà de cet
événement? Il y a peu de suppositions plus absurdes que
celle de placer à cette époque la composition d«s livres
du Nouveau Testament.
LXXII. On nous parle de fraudes pieuses faites au
commencement du christianisme , et on ne manque pas
de les mettre sur le compte des docteurs de la primitive
Eglise. Il y a eu de faux ouvrages publiés dans ce temps-
là; donc , dit-on, ce sont les Pères de l'Eglise qui ont été
les faussaires. Yoilà une conséquence bien extraordi-
naire. Nous avons, au contraire, la preuve que l'esprit
de l'Eglise et de ses chefs était très-opposé à ces falsifica-
tions. Tertullien rapporte , et St. Jérôme après lui, qu'un
prêtre d'Asie ayant écrit des Actes de St. Paul et de
(i) Voyez ci-dessus, n° vu, pag. 38.
120 DISSERTATIONS
Ste Thecle, et ayant avoué qu'il l'avait fait par amour
pour St. Paul , fut déposé. St. Jérôme ajoute que ce fut
Vapôtre St. Jean qui le convainquit (1), Ces suppositions
étaient en général l'ouvrage des hérétiques, qui, pour
appuyer leurs erreurs , se permettaient d'altérer les
saintes Eci iturrs , et même d'eu répandre de fausses. Il
peut cependant y avoir eu des suppositionsdont quelques
fidèles aient été les auteurs, soit par un zèle mal entendu,
soit par une extrême simplicité. Il ne faut pas mettre
dans ce nombre le livre du Pasteur , qui paraît avoir été
véritablement d'un auteur nommé Hermias, soit que ce
fût le disciple dont parle St. Paul, comme on le croit
communément, soit que ce fût un autre chrétien pieux
de ce temps- là. Cet ouvrage renferme , à la vérité , plu-
sieurs choses que nous n'entendons pas , mais ce n'est
nullement un livre méprisable. Quant à \ Evangile de
V enfance , qu'on nous nomme un seul auieur qui dise
qu'il ait été en recommandation auprès de quelques
chrétiens.
LXXIII. On dit que nos quatre évangiles n'ont été
connus que sous Adrien. Les citations rapportées ci-
devant de St. Clément , de St. Barnabe , de St. Ignace,
prouvent le contraire pour nos trois premiers évangiles.
Quant à celui de St. Jean, qui avait été composé peu
avant fe règne de cet empereur, il est possible qu'il n'ait
été universellement répandu que dans ce temps-là.
(i) Quod si qaae Paulo perperam adscriptae saiit, ad licentiam
mulierum docendi, tingendiqne défendant, sciant in Asia presbyte-
ram qni eara scriptnrain constraxit ; qaasi titnlo Pauli de se cuma-
lans, convictum adque confessuin id te amoie Pauli fecisse , lûco de-
cessisse. (Tertul. de Bapcisino, cap. 17.)
Périodes Pauli et Tbeclae, et to'am baptisati Leonis fabulam in-
ter apocr-vpbas scriptaras repotamus. Quale enim est nt individaus
cornes apostoli Lucas, inter cseteras ejus res, hoc solura ignoraverit.
Sed et Tertulianus viciuus eorum tempoium relert presbyteium quem»
dam in Asia , araatorem aposioli Pauli, convictuuni apud Joannem
qnod esset anctor libri, et confessuin se hoc PauU amore fetisse, et
ob id excidisse. {S. Hieron. de Script. Ecoles, in Lucatn,)
SUR LA^ RELIGION. I2l
Mais ce qui est absolument faux, c'est que, jusqu'au
règne de ce prince , nos livres sacrés soient restés cachés
dans les archives des églises. Je crois avoir suffisamment
prouvé qu'ils ont toujours été très-publics (1). Observons,
en passant , le ridicule anachronisme où la haine de la
religion entraîne ses ennemis. Ce fut au troisième siècle
que, pour détruire le christianisme, les empereurs ima-
ginèrent de supprimer les livres saints, et ce fut alors
qu'on prit le parti de les cacher , et que l'on punit ceux
qui avaient la faiblesse de les livrer. De ce qu'au troisième
siècle on dérobait ces livres aux regards des persécu-
teurs, les incrédules concluent que de tout temp on les
avait tenus cachés à tous les regards.
LXXIV. « On est si peu assuré, disent encore quel-
u ques-uns de nos adversaires, que les livres du Nouveau
u Testament sont des auteurs dont ils portent les noms,
« qu'on ne peut dire ni le temps , ni le lieu où ces au-
v« teurs les ont composés. »
LXXV. Il y a quelque incertitude sur l'année précise
et sur le pays où plusieurs de nos livres saints ont été
composés ; mais , avant nos modernes incrédules , il
n'était venu à l'esprit de qui que ce soit de contester
l'authenticité d'un ouvrage, parce qu'on ne peut pas fixer
au juste le lieu et l'année où l'auteur l'a écrit.
LXXVI. Une autre objection de l'incrédulité , est que
les évangiles, s'ils étaient du temps auquel on les rap-
porte, renfermeraient un anachronisme manifeste. « J.-C.
« y annonce aux Juifs que tout le sang innocent répandu
^ sur la terre , depuis celui d'Abel jusqu'à celui de Za-
« charie, fds de Barachie, qu'ils ont immolé entre le
« temple et l'autel, retombera sur eux (2). Or, ce Za-
« charie, fils de Barachie, fut égorgé dans le temple par
(i) Voyez ci-dessus , n° ix. , page 3p.
(2) Ut veniat super vos omnis sanguis jastus qui effusos est super
terrain a sans;uine Abfl Jusli, nsqne ad sangninem Zacbariae, lilii
Barachiœ, quein vus occidislis inter templnm et altare. ÇMatth. xxm,
25. Luc. XI, 5o, 5i.)
Dissert, sur la Relig. 6
l-2*2 DISSERTATIONS
u la faction des zélés , pendant la guerre des Juifs contre
« les Romains, ainsi que nous l'apprenons de Josèplie (1).
H Voilà donc une preuve évidente que les évangiles de
.. St. Matiliicu et de St. Luc ont été écrits après la des-
u truction de Jérusalem , et qu'ils ne sont ni du temps,
u ni des auteurs auxquels on les attribue. >»
LXXVII. Jésus-Christ parle d'un Zacliarie , fds de
Baracliie, massacré entre le temple et l'autel. Joscphe
fait mention d'un Zacliarie, fils d'un Baruch , égorgé
dans le temple. Donc ils ont en vue la même personne.
Voilà tout le raisonnement des incrédules. Je ne m'arrê-
terai pas à la considération de la différence des noms de
Barachie et de Baruch, qui peut fonder une présomption
légitime que le Zacliarie dont il est question dans l'Evan-
gile , et celui dont parle Josèphe, ne sont pas le même.
Je demande s'il ne peut pas y avoir eu deux Zacliarie ,
fils de Baracliie, tués entre le temple et l'autel ou dans
le temple ; et si cela est possible, l'objection tombe.
Jésus-Christ connaissait , sur l'histoire des Juifs , beau-
coup de choses qui ne sont pas parvenues jusqu'à nous.
Il pouvait donc savoir qu'il y avait un homme de ce nom
dont nous n'avons pas de notion. Les interprètes de l'E-
criture ont cherché quel pouvait être celui dont parle
Notre-Seigneur. Les uns ont dit que c'était le même dont
Josèphe fait mention , et que c'est en esprit prophétique
qu'il en parle. St. Jérôme rapporte trois opinions sur ce
sujet. L'une , que ce Zacliarie est celui que l'on compte
le onzième parmi les petits prophètes, dont le père s'ap-
pelait effectivement Barachie; l'autre, que c'est le Za-
charie , père de St. Jean-Baptiste; la troisième, que
c'est le Zacliarie, fils de Joïada , massacré par l'ordre du
roi Joas, dans le parvis des prêtres, qui était entre le
temple et l'autel. Il réfute les deux premiers sentiments,
et s'arrête au troisième , fondé sur une ressemblance de
signification entre le nom de Joïada et celui de Barachie ,
(i) Josèphe, guerre des Juifs, liv, iv, chap. 19.
SUR LA RELIGION*. 123
et sur ce que, dans l'évangile des Hébreux, on lisait fils
de Joiada au lieu de fils de Baràclne (1). Je trouve dans
l'Ecriture un Zicliarie, fils de Barachie. Il vivait du
temps d'Isaie, qui en parle comme d'un juste, et qui le
nomme un témoin fidèle (2). Il veut dans ce temps-là une
violente persécution, et l'Ecriture dit que le roi Manas-
sès fit couler une grande abondance de sanginnocentj et
qu'il en rernpbt Jérusalem (3). Il est possible que ce
Zacharie, fils de Barachie, y ait été immolé entre le
temple et l'autel , et que ce soit ce meurtre que Jésus-
Christ rappelle. On voit dans les livres saints plusieurs
Zacharie; on y voit aussi plusieurs Barachie. C'étaient
des noms assez communs parmi les Juif-^. Que ce soit de
l'un des Zacharie que nous venons de nommer , ou de
quelqu'autre qui nous soit absolument inconnu, que
Jésus-Christ ait parlé , cela nous est absolument indiffé-
(i) Qnaerimus qnis sit iste Zacharias filins Bar;tchiae, qaia luulios
legimns Zacharias : et ne libéra nobis tiibuereiiir erroris facultas addl-
tomest : quem occidistis inter teinplum et aitare.ln diversis diversa le-
gi : et (lebe-i singulorum oj iruones ponere. Alii Zachauain fi in m Ba-
rachiae dicunt, qai in dmidecim pruphetis undeciraiib est ; patrisque
in eo rioioen consentiat. Sed nbi occisus bit inter lempluin et altare
Scriptnra non loqui'ur; maxime cum tempo* ibns ejus six rainae tem-
pli fnerint. Alii Zachaiiam patrem Juannis intelbgi volant , ex qui-
basdam apocryphorum soniniis approbantes, quud pro;jfeiea ociisus
sit, quia S.ilvatoris praed cavit adventnm. Hoc, quia de scriptnris non
habet aucorit^itera , eadem facilirate contemniiur qaa proiiatur. Aîii
istam volant Zachariam , qai occisus est a Joas, rege Jadae, inter
tereplum et altare ; sicut regum narrât histona. Sed obseivandiim
qnodis'e Zacharias non sit filius Barachiae, sed filins Joiadae sacerdo-
lis. Unde et Scriptnra refert : non fuit recordatns Joas patris ejns
JoiadcB ^ quia sibi Jecisset bona. Cam ergo et Zacha'iam teneamur
et cccisionis conseniial locus, qnaeriraas qaare Barachiae dicatur fiiius
et non Joiadae. Barachia in lingaa nostra benedictus Doinini d;ci!ur;
et sacerdotis Joiadae juslitia hebraeo serraone demonstratur. In evan-
gelio qao uluntnr Nazarani , pro filio Barachiae, filianj Joiadae repe-
rimas scnptura. (5. Hier, comment, in evang. Matih., lib. iv , cap. 3 )
(2) Et adhibai mihi testes fidèles , Uriam sacerdotem, et Zacha-
riam, filiam Barachiae. {Is. vui , 2.)
(3) Insnper et sanguinem innoxinm fudii Menasses mnltum n'i'-.is,
donec iraploret Jeii.balcm csque ad os. (4 Reg, xxr, 16.)
124 DISSERTATIONS
rent. Il suffit qu'il ait pu y avoir avant Jésus-Christ un
Zacharie , fils de Barachie , tué entre le temple et
l'autel , pour qu'on ne puisse pas prétendre qu'il y a
dans l'Evangile un anachronisme, et pour réduire à
rien cette objection.
CHAPITRE II.
INTÉGRITÉ DU NOUVEAU TESTAMENT.
Après avoir montré, par des preuves multipliées, et
parla réfutation des diverses objections, que leslivresdu
Nouveau Testament sont incontestablement des auteurs
dont ils portent les noms, il nous reste à établir que ces
livres sont parvenus jusqu'à nous purs, entiers, et sans
altération. Mais avant de prouver qu'ils n'ont pas été alté-
rés , il est nécessaire d'expliquer ce que nous entendons
par ce mot , et de poser nettement l'état de la question.
LXXyiII. Quand nous disons que nos livres sacrés
sont entiers et purs, nous ne prétendons pas que tout ,
jusqu'à la moindre virgule, jusqu'au moindre mot, soit
aujourd'hui dans le même état qu'il est sorti des mains
des auteurs. Nous ne parlons pas des erreurs de copistes
qui ont dû procéder de l'ignorance , de l'inadvertance ,
de plusieurs autres causes naturelles, et qui, se répétant
et se multipliant dans une très-grande quantité d'exem-
plaires, ont produit ce que l'on appelle des variantes,
et en ont produit un très-grand nombre. Il est même
naturel que le livre qui a été le plus souvent copié et le
plus souvent traduit^ soit celui où l'on voie le plus de
ces sortes de fautes. Nous disons , et c'est là tout ce
que nous prétendons , que ces livres sacrés sont les
mêmes, quant au fond et à la substance des choses,
quant à ce qui est de quelque conséquence et pour le
tlogme et pour la morale , enfin quant au sens des
phrases , qu'ils sont sortis des mains des apôtres et des
évangélistes.
SUR LA RELIGION. J 25
LXXIX. Ce n'est pas là ce que veulent les incrédules.
Quelques-uns d'entre eux, atFectant un respect hypocrite
pour des livres qui seraient eiîectivement émanés de la
Divinité, prétendent que « la Providence se doit à elle-
n même, et doit aussi aux hommes de préserver les
w livres qu'elle daigne leur donnerpour leur instruction,
« non - seulement d'erreur , mais de toute altération
« jusque dans les moindres expressions ; qu'elle doit
« veirller avec un soin bien pins grand à leur intégrité
« qu'à celle des autres livres qui ne sont pas nécessaires
« au salut , et , à raison de leur origine divine et
« de leur extrême importance , les garantir du sort
« commun. Dieu, ajoutent-ils , ne pouvait rien faire de
« plus utile pour sa religion , que de conserver dans
« une pureté entière ces livres précieux ; c'eût été une
« preuve démonstrative qu'ils sont inspirés. »
LXXX. Dieu . consignant dans des livres la révélation
qu'il daigne donner aux hommes^ ne doit pas souffrir
qu'elle s'altère et se défigure dans ces livres ; qu'elle y
devienne méconnaissable et obscure; qu'on n'y voie plus
ce qu'il a voulu y mettre ; il doit^ en un mot, maintenir
ces livres exempts d'erreurs et dans un état tel, qu'ils
servent à son objet. Si c'était là tout ce que prétendent
nos adversaires, leur assertion serait raisonnable, mais
leur difficulté serait nulle. Des fautes d'écriture qui se
trouvent dans diverses copies rendent-elles les livres
méconnaissables ? dénaturent-elles les faits ; altèrent-elles
la doctrine? corrompent-elles la morale? les variantes
changent-elles quelque chose à la révélation ? les exem-
plaires où on les lit ne nous instruisent-ils pas de la
religion aussi bien que les autres?
On voudrait que l'inspiration qui a garanti d'erreur
les livres saints, se fût étendue des auteurs à tous les
copistes , à tous les traducteurs. On prétend que la
Providence leur devait à tous l'infaillibilité. Mais c'eût
été à chaque fois qu'un homme entreprenait une tra-
duction, ou une copie, un nouveau miracle; et il est
de la sagesse divine de n'en opérer que lorsqu'ils sont
126 DISSERTATIONS
nécessaires. Quel est l'ouvraye ancien que l'on ne regarde
pas connue entier, et connne tel que l'auteur l'a com-
posé, inal^jré les erreurs de copistes, qui ont pu, dans
le cours des siècles, s'y introduire? Si on admettait le
raisonnement de nos adversaires , il faudrait rejeter tous
les livres et renoncer à toute érudition.
Mais, dit-on, la Providence doit un soin particulier
aux livres inspirés ; leur exemption de variantes serait
une preuve de leur divinité. Que ne dit- on de même
qu'elle n'est tenue de préserver ces livres des accidents
qui les détruisent, de la vétusté, d:^s incendies, des
inondations ; de conserver incorruptible le papier ; de
rendre l'encre indélébile? Cette assertion serait tout aussi
raisonnable. Ce soin , plus grand encore , des livres
sacrés, serait une preuve plus forte de leur divinité. Le
seul soin particulier que la Providence doive à ces livres,
est , comme nous l'avons dit , de les maintenir dans leur
intégrité morale , parce que c'est la seule nécessaire à
ses vues.
LXXXI. L'état de la question ainsi établi , je passe à
la discussion. Je prends d'abord tous les exemplaires
imprimés et manuscrits du Nouveau Testament, qui
existent dans la chrétienté entière et dans les diverses
langues, et je les trouve tous absolument semblables, et
ceux de l'église latine, et ceux de l'église grecqne, et
ceux de l'église catholique, et ceux de toutes les corn-
jnunions qui s'en sont séparées, soit dans l'Orient, soit
dans l'Occident. Comment un concert aussi unanime et
aussi général , aurait- il pu se former pour des change-
ments? Comment tant de communions aussi opposées
entre elles s'y trouveraient-elles réunies, si nos livres
avaient éprouvé des altérations (1)? Dira-t-on qu'elles
(i) Nihil milii videfur ab eis impudenrias dici, yel , ot railius lo-
qaar, incnriosius et inbecillius, quam divinas scripturas esse cormp-
tas : cnin in nullis in tam recenti meiuon'a extantibus exemplaribas,
rossint conviucere. (S. August. de Util, credendi^ cap. ui, n" 7.)
SDR LA RELIGION. 127
se sont accordées entre elles pour corrompre les livres
saints? dira-t-on qu'il y a eu des faussaires assez adroits,
ou assez puissants pour leur faire recevoir à tontes , soit
d'autorité, st)it sans qu'elles s'en aperçussent, les chan-
gements qu'ils avaient imaginés?
LXXXII. Depuis que les divisions actuellement sub-
sistantes dans l'Eglise ont commencé , l'altération que
l'on prétend avoir été faite dans le ^Nouveau Testament
a été impraticable. Voudrai t-oji la reporter aux temps
qui ont précédé ? l'iiypotlièse ne sera pas moins absurde.
Du moment où nos livres saints furent composés, ils
furent répandus dans tous les lieux où le fut la religion.
Nous avons vu que les hommes apostoliques les portaient
avec eux, et les laissaient aux églises qu'ils fondaient.
De ce moment, il y eut nécessairement la plus grande
vénération pour ces livres, soit à raison des auteurs qui
les avaient composés, soit à raison des fondateurs qui
les avaient donnés , soit surtout à raison de ce qu'ils
contenaient. Nous voyons qu'on les lisait avec respect
dans les églises; mais ces églises étaient déjà répandues
dans l'empire romain et au-delà de ses limites. Il aurait
donc été dès-lors impossible qu'une altération se fît
universellement; il aurait été impossible qu'elle se fît
sans qu'on s'en aperçût. Les exemplaires que l'on lisait
dans les églises catholiques étaient tous les mêmes. Ils
étaient donc tous purs, et tels qu'ils avaient été écrits.
LXXXIII. Plusieurs hérétiques de ces premiers temps
entreprirent, pour appuyer leurs erreurs, d'altérer en
quelques endroits le Nouveau Testament, et nous trou-
vons dans leur tentative infructueuse encore une preuve
de la pureté de nos livres. Aussitôt qu'ils commencèrent
à publier leurs exemplaires falsifiés , le cri de toute
l'Eglise s'éleva contre eux. Les saints Pères leur repro-
chèrent avec force ces corruptions qu'ils avaient faites
des livres saints, et les leur prouvèrent par deux titres
que réunissaient les exemplaires de l'Eglise catholique :
par leur antériorité sur ceux des hérétiques, et par leur
universalité. Tertullien , écrivant contre les Marcionites,
128 DISSERTATIONS
fait valoir spécialement le premier de ces motifs. Mar-
cion, dit-il, a fait l'évangile sien, en l'interpolant (1).
Son hérésie fait voir une témérité Iminaine , et non une
autorité divine, quand elle corrige sans cesse l'Evangile
en le corrompant. Par ces prétendues corrections, elle
prouve deux choses , l'antériorité de notre Evangile
qu'elle a trouvé existant avant le sien, et la postériorité
du sien , dont par ses amendements elle montre la
nouveauté (2). St. Augustin, réfutant Fauste le mani-
chéen , qui prétendait que c'étaient les livres catholiques
qui étaient altérés , et les siens qui étaient les véritables,
se sert , pour le confondre , de ces deux titres , de la
priorité et de l'universalité. Que ferez-vous , lui dit-il?
où vous retournerez-vous? quelle origine donnerez-vous
au livre produit par vous? quelle ancienneté lui attri-
buerez-vous? quelle suite de successions appellerez-vous
en témoignage? Si vous l'essayez^ vous ne pourrez pas
en venir à bout. Et voyez dans cette matière de quel
poids est l'autorité de l'Eglise catholique , qui , sur les
chaires fondées par les apôtres , nous présente jusqu'à
nos jours une succession d'évèques non interrompue ,
laquelle est encore appuyée par le consentement de tous
les peuples. Si on élève la question sur l'autorité des
exemplaires , elle sera décidée par ceux des régions
étrangères d'où la foi nous est venue. Si on y voyait
encore de la variété , on devrait préférer les plus nom-
breux à ceux qui le sont moins , les plus anciens aux
plus nouveaux. S'il restait encore de l'incertitude, le
moyen de la lever sérail de consulter la langue primitive
dont se sont faites les traductions (3). Parlant d'un pas-
(i) Evangelinm inlerpolando saura fecit. (Tertitl. contra Marc,
lib. IV , c;ip. I. )
(a) Hunianae temerifatis, non divinae aucforitatis est hseresis , quae
sic semper emendat evangelinm , diim viiiat... Itaquc dura amendât,
utrumqne confirmât : et nostrum anterias, id emendans qnod inve-
nit ; et id posterius , qnod de nostri emendatione constiloens, suam
et novum fecit. (Ibid., cap. 4.)
(3) Quid âges ? quo te convertes ? Qaam libri a le prolati otigi-
SUR LA RELIGION. Î29
sage cité contre les Manichéens , tous les exemplaires ,
dit- il, anciens et nouveaux , le portent , toutes les églises
le lisent , toutes les langues sont d'accord (1). Sur deux
passages du même apôtre, que Fauste avait prétendu
être opposés entre eux : nous ne pouvons pas , disait-il,
prétendre que l'un de ces deux textes n'est pas de saint
Paul, puisqu'il n'y a point à cet égard de difïérence
dans les exemplaires (2). Il serait possible de produire
encore d'autres textes de ce saint docteur.
On a donc tenté, dans les premiers siècles, d'altérer
la pureté du texte sacré, et on ne l'a pas pu. La fraude
a été découverte au moment où elle a été entreprise.
Il a été impossible de cacher au^ églises qui existaient
en tant de divers lieux , la différence contre les versions
nouvelles qu'on produisait , et le texte que , depuis leur
fondation , elles étaient accoutumées à lire. Les exem-
plaires falsifiés périrent avec les hérésies qui leur avaient
donné l'être. Les hérésies postérieures au troisième
siècle , voyant ce mauvais succès de celles qui les avaient
nera , qaara vetnstatem , quain seriem snccessionis testem citabis ?
Nam^si hoc facere conaberis , et nihil valebis. Et vides in bac re ,
qaid ecclesiae cafhobc^e valeat auctoritas, quae ab ipsis fondaiissimis
sedibas apostoloruiu , usqae ad hudiernam diem succedentluni sibimet
episcoporum série, et tut populoium consensione fîrmatur. Iraqae
si de iide exemplarioramqaaestio veiteretur sicut et in nonnallis, qnae
et paacae sunl , et sacrarum btterarum studiosis notissimae sententia»
ruin varietates, val ex aliorum regionuoa codicibas, unde ipsa doc-
trina commeavit, nostra dispntatio dijadicaretar. Vel si ibi qaoque
codices variarent , piuies paucioribas, aut vetubtiores recentioribus
praeferrentur. Et si adhuc incerta esset varietas, praecedens lingaa ,
undeillud interpretatain est consuleretur. {S. Aiigust. contra Faus-
tum , bb. XI, cap. 2. )
(i) Hoc aatein qnod adversus impietatera vestram , es apostoii
Paali epistola profertur : Fllium Dei ex seimne David esse seciindum
carnem ^ omnes codices novi et veteres habent , omnes ecclesia; le-
gant ; omnes lingoae consuntiunt. ( Ibid. , cap. 3).
(2) Restât ergo nt nos demonstremus quani pcsil utrnmque verana
esse , et quam sibi hiec doo non sint contraria. Unurn quippe eorum
non esse Pauli nuUo modo possumns dicere : qaia nalla in eo variât
codicum auctoritas. ( /^/c/. ,cap. 4).
6*
13Ô DISSERTATIONS
précédées, n'ont pas osé les imiter. Toutes ont lu le
Nouveau Testament de même que les catholiques. Quoi-
qu'on leur montrât leur condamnation écrite dans ce
livre divin, elles l'ont respecté. Elles détournent le sens
du texte, elles n'en contestent pas la pureté. Nous avons
cependant vu , dans ces derniers temps , la tentative
des premiers hérésiarques se renouveler et avoir le même
succès. Les novateurs, qui, depuis le dix -septième
siècle , s'efforcent d'obscurcir la doctrine de l'Eglise sur
la grâce, avaient imaginé de faire à Mons une nouvelle
édition du Nouveau Testament selon la Vulgate , et de
substituer à un mot contraire à leur erreur, une autre
expression qui y était plus favorable (1). Mais le piège a
été aussitôt découvert que tendu. L'Eglise universelle
s'est élevée contre cette perfide innovation. A l'édition
falsifiée, elle a opposé toutes les éditions , tous les ma-
nuscrits , toutes les versions du texte sacré ; et les
auteurs de la supercherie n'en ont recueilH que de la
honte.
LXXXïY. Telle a donc été dans tous les temps la
profonde vénération , tel a été le vif attachement des
fidèles de toute l'Eglise pour le livre divin, où ils trou-
vaient le principe de leur foi , le fondement de leurs
espérances, la règle de leur vie, que ces sentiments
ont repoussé constamment tout ce qui pouvait porter
atteinte à sa pureté et à son intégrité. Les évêques
étaient soigneusement occupés à conserver intact ce
précieux dépôt qui leur était confié; et les peuples eux-
mêmes ne souffraient pas qu'on y portât atteinte. Nous
trouvons dans l'histoire ecclésiastique plusieurs faits qni
le démontrent.
LXXXV. Au quatrième siècle, un évêque nommé
(i) Dans le Nouveau Testament irapiimé à Mons, on avait altéré
le texte de l'évangile de St. Jean , chap. xvii, vers. ii. Au lieu de
res mot^ : Quos dedisli mihi custodi'vi , et nemo ex iis per'ut , nisijilius
peiditionis ^ on avait mis sed filius perditionis : changeant ainsi par
le changement d'une seule conjonction le sens de la phrase.
SUR L\ RELIGION. Î31
Trvphillus, qui avait de la réputation d'éloquence, crut,
dans un sermon , devoir changer un mot de l'Ecriture ,
qu'il ne trouvait pas assez noble , en un autre plus re-
levé. Spiridion, autre évéque qui était en haute consi-
dération pour sa vertu, indigné de cette altération , lui
demanda s'il se croyait plus habile que celui qui avait
employé le mot qu'il changeait; et à la vue de tout
le peuple il se leva de son siège et s'en alla (Ij.
LXXXyi. Théodoret raconte un fait qui lui était
personnel. Le Dialesseron de Tatien , dont nous avons
eu occasion île parler, était composé de passages des
quatre évangélistes. Rien n'y avait été ajouté ; seule-
ment tout ce qui était contraire à l'hérésie de l'auteur
était retranché. Ainsi le texte sacré s'y trouvait, non
dans son intégrité , mais dans sa pureté. Beaucoup de
fidèles ne s'apereevant pas de la fraude , le lisaient avec
simplicité , comme un abrégé des Evangiles. Théodoret
trouva dans les paroisses de son diocèse plus de deux
cents exemplaires de cet ouvrage ; il les supprima avec
soin : et à leur place fit lire à ses diocésains les quatre
Evangiles '2).
(i) Cnm ergo collecta celebraretnr rogatns Tiiphillias ( Ledroram
episcopuâ ) ut concionera habeiet ad popalurn, cnm nece^se haberet
in médium adilucere dictnm illud Saivaiuris , toile grabatum titiim ^
et ambula, mutato Domine pro grabato sriœpodium dixit. At Spiri-
dion indignatione commotus : ^nm ta, inqnit, praesfantior est eo
qui grabatum dixit, nt le pudeat hujus verbis uti P Que dicto, ef
sacerdotali soUo exilt, sjiectante populo; bominem pi opter elo
quentiam iusolenlius effeientem, Lac ratione ad modestiam erudiens.
{Sozomen, Hist. eccles. , lib. i , caq. i ).
(2) Hic (Tatiaims) evangelium qnod diatassaroii dici;ur, compo-
situm fecit amputatis genealog is , et aliis 01 nibus quée Dominum
ex semine David secundura carnem natum ostendnnt : eoque usi sunl
non modo qui ejus erantsectae, sed ii etiam qui apostolica dogmata
sequebanlur, coiupositionis fraudem non cognoscen'es, .'ed sirapli-
cius lanquam compendiario utentes. Nactns sum eliam iibros hujus-
modi supra dncentos in honore habitos in e:celesiib noslris, quos
omnes in anum congestos seposni ; et piohis qnataor evangelistarum
evangelia introduxi. ( Theodoretus , hiBreticarum jabularum Compen-
pendium , lib. x , cap. 20, de Tatiano).
132 DISSERTATIONS
LXXXVII. Nous voyons St. Jérôme, entreprenant
une nouvelle traduction de l'Ecriture sainte, sentir tout
le danger de cet ouvrage , et prévoir les cris qu'il va
faire élever contre lui par ces détracteurs, qui com-
mencent déjà à l'accuser d'introduire des nouveautés,
et de vouloir altérer l'antique version des septante (1).
Et, en efïet, une épîtrede St. Augustin à St. Jérôme lui
apprend le mauvais effet qu'avait produit dans une
occasion sa traduction. Un évêque ayant voulu lire
dans son église cette version nouvelle , il se trouva dans
la prophétie de Jonas quelque chose qui différait de
ce qu'on était accoutumé depuis longtemps à entendre.
H se fit parmi le peuple un grand tumulte. Les Grecs
surtout accusèrent l'évèque de falsifier le texte. Celui-ci,
pour se justifier, appela les Juifs en témoignage de la
conformité de sa version avec le texte original. Les
Juifs, soit par malice, soit par ignorance, répondirent
au contraire que le texte hébreu était conforme à ceux
des anciens exemplaires grecs et latins. L'évèque crai-
gnant de rester sans troupeau, se vit obligé d'avouer
qu'il avait fait une faute (2).
Par ces exemples du zèle et du soin avec lesquels on
conservait dans l'Eglise le texte sacré dans toute sa
pureté , on peut juger si une altération un peu impor-
tante eût été possible.
(i) Periculosum opus certe et obtrectatornm luebrom latratibns
patens, qni rue asserunt in Seplnaginta interpretniu snggillationeiu
nova pio veleribus cndere (5. Hieron. prologus in Genesim),
(2) Num qnidera frater rioster episcopus, cnm leclitari instituisset
in ecclesia qui praeest interpretationem tuam, movit quiddam longe
aliter abste posilum apad Jonam prophetaiu, quam erat omnium
sensibus, meinoriaeque inveleratum , et tôt œtatum successionibus de-
cantatum. Factns est tantus tnmuhus in plèbe, maxime graecis ar-
gaentibus , et inclamantibas calumniam falsitatis, ut cogeretnr epis-
copus ( ea quippe civitas erat ) , jadaeorani testimoniam flagitare.
Utrum autem illi imperitia, ant malitia, bocesse in bebiœis codicibns
responderont, quod et grœci et latini hiibebant et dicebant. Quid
plnra? Coactus est homo velut mendositatem corrigere, volens post
SUR LA RELIGION. 133
LXXXVIII. A toutes ces raisons j'en ajouterai une
dernière tirée d'un auteur récent. « Mais si l'incrédule
« ne peut m'opposer que des hypothèses qui se détrui-
« sent d'elles-mêmes, je puis l'accabler par une preuve
« de fait , et qui est encore sous ses yeux. Parcourez ,lui
.< dirai-je, les écrits innombrables des Pères de l'Eglise
« qui , dans leurs commentaires , dans leurs traités
«< dogmatiques , dans leurs homélies , ont trauiscrit en
« quelque sorte le Nouveau Testament tout entier.
« Vous y retrouverez le sens, et presque toujours les
« paroles même de nos livres saints; en sorte que, si
« par impossible ces livres venaient à disparaîtra tout à
M coup , il serait aisé de les refaire ^ en rassemblant
« les citations éparses dans les auteurs ecclésiastiques.
«< Preuve démonstrative de l'intégrité constante des
« livres du Nouveau Testament, puisqu'il en résulte
« que nos exemplaires actuels sont parfaitement con-
a formes à ceux de la plus haute antiquité (1). )<
On a fait contre l'intégrité du Nouveau Tesiament
plusieurs objections.
LXXXIX. <( On nous oppose d'abord qu'il est telle-
« rnent vrai que les chrétiens ont corrompu et altéré à
« leur gré, et selon qu'il leur convenait, les Evangiles,
« que Celse le leur reprochait , et qu'Origènes était
« forcé d'en convenir. »
XC. Cette difficulté est de la plus indigne mauvaise
foi. Origènes est bien éloigné de convenir que les fidèles
aient altéré les livres saints. Il répond au contraire à
l'accusation, qu'il n'y a que quelques hérétiques qui s'en
soient rendus coupables , les sectateurs de Marcion , de
Valentin , et peut-être ceux de Lucanus ; et qu'il est
injuste d'imputer ce tort à l'Eglise (2). Nous avons parlé
magnnrn pericaluin non remanere sine plebe. {S. Aiigust. epist. lxxi
al. X, ad S. Hiero/i.^ cap. 3 , n° 5.)
(i) Démonstration ëvangéliqae par M. Diivoisin .^ 5® édition, pa-
ge 49-
(a) Postea ex fidelibus ^ ait (Celsus), esse qui iimiles illis quoi eo
134 DISSERTATIONS
de ces falsifications du Nouveau Testament , tentées par
les sectaires des premiers siècles , et nous avons vu que
loin de prouver que ces livres nous soient venus avec
des altérations, elles forment au contraire, par le cri
qui s'éleva au même moment dans toute l'Eglise , par la
résistance universelle qu'on y mit, par ce qu'y opposèrent
les Pères de l'Eglise, une preuve de la fausseté que le
Nouveau Testament ait jamais été corrompu.
XCI. « On prétend que l'histoire de la femme adultère,
« absoute par le Sauveur, n'était pas originairement
« dans l'évangile de St. Jean^ puisqu'elle manque dans
«< d'anciens manuscrits. Papias , cité par Eusèbe, rap-
<< porte cette histoire d'après l'évangile des Hébreux où
« elle était racontée , et d'où elle a été transportée dans
« celui de St. Jean. Au reste, qu'elle ait été retranchée
« de quelques exemplaires , qu'elle ait été ajoutée dans
« quelques autres , il en résulte toujours que le texte
» des Evangiles n'était pas fort respecté , et qu'il n'a
« pas été impossible de l'altérer. »
XCII. L'histoire de la femme adultère ne se trouve
point dans quelques anciens manuscrits de l'évangile de
St. Jean : donc elle a été interpolée après coup dans
ceux où elle se trouve. Telle est la manière de raisonner
de nos adversaires. Nous avons souvent occasion de
citer des exemples de cette logique.
L'histoire rapportée par Papias, et qui se trouve aussi
dans l'évangile des Hébreux , d'une femme accusée
auprès du Sauveur, est- elle la même que celle racontée
par St. Jean? Eusèbe ne le dit pas, rien ne l'indique.
Au contraire, il paraît que ce sont deux faits différents.
impellit ebrietas ut sibi manus inférant y plurimum evangelii contextum
ter , quater, phiries mutant pervertuntcfuc , ut habeant quo res sibi
objectas injiciantur. Equiderc non alios novi qui evangelii contextum
immuiaverint , quam Marcionis, Valentini , forsitan et Lucani sec-
tatores. Id vero crimini nobtrae docirinae non iraputandum est. In
colpa sont qui evangelia depi avare audent, (Orj^. contra Celsum ,
lib. II, cap. 27 ),
SUR LA RELIGION. 135
Papias parle d'une femme accusée d'un grand nombre
de crimes (1). Il est clair, par le texte de St. Jean, qu'on
n'imputait à la femme amenée devant Jésus -Christ
que le seul adultère dans lequel on venait de la sur-
prendre (2 . Ajoutons que Papias ne rapporte pas les
circonstances racontées par St. Jean, de la provocation
faite par le Divin Maître, aux accusateurs, de jeter la
première pierre , de l'indulgence dont il use à l'égard de
cette femme , et de la défense qu'il lui fait de ne plus
pécher.
St. Augustin explique la raison qui a fait supprimer
cette histoire par des gens de peu de foi, dit-il, ou plutôt
ennemis de la vraie foi. Oubliant qu'après avoir absous
cette femme , Jésus-Christ lui avait ordonné de ne plus
pécher dans la suite, ils ont craint que la clémence dont
il avait usé envers elle ne fut prise pour une impunité
de ce péché; et ils ont imaginé que Dieu ne devait
point lui remettre une telle offense , pour ne pas blesser
des esprits insensés (3). N'avons-nous pas vu , en effet ,
les incrédules de nos jours imiter les falsificateurs que
blâme St. Augustin , et faire de la respectable indul-
gence de Jésus-Christ, le sujet de leurs railleries?
XCIII. « On nous objecte enfin Victor , évéque de
« Tmuis, ou de Tunnone, qui, dans sa chronique,
«' rapporte que sous le consulat de Messala les saints
(i) Aliam qaoqae exponit (Papias, liistoriaji de maliere quae mul-
torum criminum curara Domino accnsata est ; qnae quideminevangeli»
secandum haebreos habetur. (Euseb., Histor. eccl. ^ lib. ui, cap. 39.)
(ajAddacunt aulem scribi et pharisaei.mnlieierii in adalterio depre-
hensam , et stataeront eam in medio , et dixernnt ei : magister, haec
mulier modo deprehensa est in adaiterio. [Joan., viii, 3,4).
(3j Sed hoc videlicet infidelium sensus exhorret ; ila nt uonoalli
modicae fidei , vel polius inimici verae fidei , ciedo melnenfes peccati
impnnitatem dari mulieribas suis, illud qnod de adulterae induigen-
tia Dominos fecit auferrent de oodicibus suis : quasi perraissionem
peccandi tribnerit qui dixit : jam deînceps noli peccare ; aui ideo non
debuerit mulier a med.co Deo illias peccali reniissione sanarJ, ne
©ffenderentar msziïi.{S. j^ug. de Conjitg. adulterinis ^Mh. n, cap. 6).
136 DISSERTATIONS
•< Evangiles furent repris à Constantinople, par l'ordre
« de l'empereur Anaslase , comme ayant été composés
•< par des évangélistes imbéciles (I). »
XCIV. D'abord l'autorité d'un chroniqueur isolé , et
dont la narration n'est confirmée par aucun auteur,
n'est pas en soi bien considérable. Ensuite, en suppo-
,sant le fait vrai , que s'ensuivrait-il? qu'un empereur
qui favoriserait les hérétiques, avait vonlu falsifier les
évangiles : mais Victor ne dit pas que ces évangiles ainsi
corrompus aient été publiés, qu'ils aient été reçus dans
aucune église. Ce n'est pas la tentative d'altérer les livres
saints, qui est impossible; c'est le succès. La preuve
que ces prétendus évangiles altérés n'ont jamais paru
dans le public, c'est qu'on ne voit aucune trace des
réclamations , des contestations qui n'auraient pas man-
qué de s'élever au sujet de la falsification ; , c'est qu'au-
cun autre écrivain , ni du même temps , ni des temps
suivants, ne dit un seul mot d'un fait aussi important.
Nous lisons dans un auteur contemporain de Victor de
Tunnone, un fait qui contredit celui dont il s'agit,, et
qui peut-être éclaircit la difficulté. Cet auteur est Libérât,
diacre de Carthage , qui , dans son abrégé des hérésies
nestoriennes et eutichieanes, rapporte que Macédonius ,
évêque de Constantinople , fut chassé de son siège par
l'empereur Anastase , comme ayant falsifié les évan-
giles (2). St. Anastase punissait les corrupteurs des
livres saints , il n'ordonnait donc pas qu'on les corrom-
pît. Peut-être Victor et Libérât, dans leurs narrations
opposées, ont-ils en vue le même fait. La narration de
Libérât est beaucoup plus vraisemblable , d'autant qu'il
(x) Messala viro clarissimo consule Constantinopoli, jubente Anas-
tasio iinperatore, sancla evar.gelia tanqaain ab idiotis evangelistis
eomposita, reprehendantur et emeiidantur. (^Victor. Tuimouensis
Chronicon. )
(2) Hue tempore Macédonius Constanlinopolitanus episcopns ab
imperatore Anaslasio diciinr expulsas, tanquam evangelia falsasset.
[Liberati ùreina? iuin , cap. 19.)
SUR LA RELIGION. 13/
y joint diverses circonstances; et on peut croire que
Victor a pu trop facilement ajouter foi à quelques bruits
populaires répandus sur un empereur qui était odieux ,
et que son attachement à des doctrines perverses pou-
vait faire soupçonner de chercher à altérer les sources
de la saine doctrine.
m'.
138 DISSERTATIONS
SECONDE DISSERTATION,
DES MIRzVCLES SLR LESQUELS EST FO^DE L\
CERTITUDE DU CllRISTlÂMSME.
Les ennemis du christianisme combattent nos mi-
racles de deux manières. Ils attaquent d'abord les
miracles en général, et nient qu'ils puissent exister, et
qu'on puisse en être certain. Ils attaquent ensuite les
miracles chrétiens en particulier , et en contestent la
réalité. Je vais répondre successivement à ces deux
genres d'attaque, en divisant cette dissertation en deux
parties. Dans la première, je traiterai du miracle en
général; dans la seconde, je montrerai la vérité des
miracles chrétiens.
PRE^llERE PARTIE.
DU MIRACLE EN GENERAL.
I. Le miracle peut-il exister? pouvons-nous être cer-
tains qu'il a existé? Ce sont deux questions qu'élèvent
les incrédules^ et que je vais examiner dans deux cha-
pitres.
JULJUUiSiJUi JlJLJLJlJULJlJlJLJLJLJLJLJi JiJLJUL !LJ>.JiJLJULJU>-.JLJ>.JiJLJij:< S.X
CHAPITRE I.
POSSIBILITÉ DU MIRACLE.
II. TVous appelons communément miracle un fait
incontestablement contraire aux lois et au cours cons-
SUR LA RELIGION. 139
tant de la nature (1). D'autres disent que c'est une
œuvre certainement supérieure aux forces des a^jents
naturels. Il est clair à la seule inspection, que ces deux
notions reviennent au même. Ce qui est contraire au
cours de la nature est au-dessus des forces des agents
naturels. Leur force ne s'étend pas à changer des lois
auxquelles ils sont eux-mêmes soumis.
Sur chacune de ces notions, il y a une observation à
faire. Sur la première, lorsqu'on dit qu'un miracle est
contraire aux lois de la nature , on n'enlend pas que
toutes les lois physiques soient suspendues ; il suffit
qu'une seule de ces lois le soit, le reste de la nature
conservant toujours son cours. Sur la seconde, lorsqu'on
parle d'agents naturels, il n'est question ni des bons ni
des mauvais agents. Nous ignorons quel degré de force
Dieu leur a donné. Tout ce que nous savons, c'est qu'il
n'est pas en leur pouvoir d'intervertir l'ordre établi par
le Créateur , sans son commandement , ou au moins
sans sa permission.
J'ai dit que le miracle est un fait incontestablement
contraire au cours de la nature. Il ne suffit pas, en effet,
pour qu'une œuvre quelconque soit réputée miracu-
leuse , que nous n'en voyions pas la cause dans la
nature j il faut encore que nous connaissions positive-
ment et avec certitude qu'elle est en contradiction avec
quelqu'une des lois physiques. C'est le défaut de cette
réflexion qui a trop souvent fait prendre par des esprits
simples, pour des miracles, ce qui n'était que des effets
(i) Signnm rernm sériera excedere débet, et natmae consaelndi-
nem superare, iteniqiie novum et inexpectaïuin esse, ita ut id sit in-
signe singnlis qui vident et audiunt, Ideo enim signnm appellatur ,
quod sit insigne. Insigne antem non fuerit , si delitescat in coinmu-
nitate caeterarura lerum. (S. Joan. Chrysost. in Isai., cap. vu, n° 5.)
Contra natuiam non incongiue dicimns Deuni aliqnid (acere, qaod
facit contra id quod novimus de natura. Hanc enim etiam appella-
mus natoram co^nilam nobis cnrsum , solilnmque natura-; contra
quem Deus cnm aliquid facit, magnalia vel mirabilia nominantur.
{S. August. contra Faustum. , lib. xxvi, cap. 3.)
140 DISSERTATIONS
naturels. IN'en voyant pas la cause dans la nature, ils
sont allés la chercher au-delà.
III. Puisque le miracle est une dérogation aux lois
de la nature, il est évident qu'il ne peut être opéré par
aucun autre que par celui qui a donné des lois à la
nature (1). Puisqu'il surpasse les, forces des agents na-
turels, il est évidemment l'œuvre de l'agent surnaturel:
cette vérité n'a pas besoin d'être prouvée. Les incrédules
qui refusent au Créateur le pouvoir de faire des mi-
racles, ne prétendent pas certainement l'attribuer aux
créatures. Lors donc que nous disons qu'un homme a
fait des miracles , nous entendons que Dieu les a opérés
par le moyen de cet homme, et que cet homme, en les
faisant, a été le ministre de Dieu (2).
IV. Dieu infiniment sage ne fait rien sans motif. Il ne
peut déranger l'ordre qu'il a établi dans le monde, que
par des vues tirées de son infinie sagesse. Tout miracle
doit donc avoir un objet. Un miracle sans but serait in-
digne de Dieu , et dès- lors il est impossible. Cet objet du
miracle doit être de l'ordre religieux , le seul qui soit
digne que Dieu intervertisse ses lois. Ainsi nous ne re-
garderons comme un vrai miracle que celui qui a pour
objet quelque point de la religion. Qu'on fasse devant
moi une chose aussi extraordinaire , aussi incroyable
qu'on puisse le supposer; si c'est pour me prouver quel-
que chose d'étranger à la religion , je ne croirai jamais
que ce soit un miracle.
(i) Qaod ultra natnram est, de anctore naturae est. (S. Ambr. de
Virgin. , lib. i , oap. 2 , n" 8. )
Qais naturani mutare pofest, nisi qui creavit natnram? {^Idum .^
Epist. Lxxvi, Iren<eo^ n° 8.)
(2) Non Moyses populo per déserta gradient!, sed Uonunns man-
na plnit. Non Moyses, sed Dominas in columna ignis per noctera,
et nubis in die populum piacessit. Non Moyses, sed verbum quod
factum est ad eiim , aquam de rupe produxit. Non Moyses, sed
Dominns volatilia concnpisceniibus exbibnit. tJnde et Dominus Ju-
daeos in patium fortiludine gloriantes reprimit , dicens : ]\'on Moyses^
sed Patpr meus dédit vobis manna de cœlo. [S. Gregor. Magn. in
lib. I, Rcg. lib. I, cap. 3 , n" 8.)
SUR LA RELIGION. I4l
Le miracle est certainement impossible à tout autre
qu'à Dieu ; mais Dieu lui-même peut-il en opérer? En
donnant des lois à la nature , s'est-il réservé , ou s'est-il
ôté le droit de les intervertir, de les suspendre? Voilà ce
qu'il s'agit d'examiner.
y. Plusieurs de nos déistes ont reconnu dans Dieu ce
pouvoir. Contentons-nous d'en citer un des plus célèbres.
« Dieu peut-il faire des miracles, c'est-à-dire, peut-il
M déroger aux lois qu'il a établies ? Cette question sérieu-
« sèment traitée serait impie , si elle n'était absurde. Ce
«< serait faire trop d'iionneur à celui qui la résoudrait
« négativement , que de le punir ; il suffirait de Tenfer-
« mer. Mais aussi quel homme a jamais douté que Dieu
« put faire des miracles? Il fallait être hébreu, pour de-
« mander si Dieu pouvait dresser des tables dans le dé-
«* sert (1). »
YI. Il est très-vrai , comme le dit cet écrivain , que nul
homme, jusqu'aux incrédules de nos jours, n'avait douté
du pouvoir de Dieu de faire des miracles. Il n'y a pas eu
de religion qui n'ait prétendu s'.utoriser par des prodi-
ges. Cet accord unanime de tout le genre humain, ex-
cepté des déistes modernes, est contre eux du plus grand
poids. En attribuera-t-on la cause à un sentiment natu-
rel et inné, qui porte l'homme à croire que Dieu peut se
révéler à lui de cette manière ? En fera-t-on remonter
l'origine à des révélations anciennes , doni un souvenir
confus s'était conservé parmi les peuples? Que ceux qui,
contre la doctrine universelle , veulent contester à Dieu
le pouvoir des miracles , choisissent entre ces hypo-
thèses.
Si , comme ils le veulent, le miracle était impossible,
cette impossibilité viendrait, ou du côté de l'œuvre mi-
raculeuse , ou du côté de Dieu ; ce serait, ou la nature
du miracle qui répugnerait à l'existence , ou les attributs
(i) J.-J, Roassean, troisième lettre écrite de la Montagne.
142 DISSERTATIONS
divins qui répugneraient à sa production : deux asser-
tions également insoutenables.
VII. En prpDjier lieu , on ne peut pas dire que le mi-
racle soit répugnant en lui-même. Ce qui répugne dans
une chose , c'est ce qui est contraiie à son essence, sans
quoi , elle ne peut ni exister, ni être conçue ; qui impli-
que en elle contradiction ; qui suppose à la fois l'être et
le non être. Or, il n'y a rien de semblable dans un mi-
racle. Que le cours du soleil soit suspendu, et que cet
astre soit arrêté quelque temps dans sa course , il n'en
est pas moin«s le soleil , il n'en a pas moins toutes ses
propriétés essentielles. Un homme ressuscité est toujours
un homme , et le commandement particulier qui le rap-
pelle de la mort à la vie n'est pas plus contraire à son es-
sence que la loi générale qui l'avait fait passer de la vie à
la mort. La suspension du cours du soleil, la résurrection
d'un mort , présentent à notre esprit quelque chose d'é-
tonnant , mais rien de contradictoire. Nous concevons le
soleil s'arrêtant , et le mort ressuscitant. Ainsi, à ce pre-
mier égard , on ne peut pas dire qu'il y ait dans le mira-
cle impossibilité et répugnance.
En second lieu, si le miracle était contradictoire à la
nature divine, ce serait parce qu'il répugnerait à Dieu
de pouvoir ou de vouloir en faire, parce que le miracle
serait ou au-dessus de sa puissance , ou indigne de sa
sagesse.
VIII. Or, d'abord, il est aussi déraisonnable qu'inju-
rieux de prétendre donner à la toute-puissance de telles
limites. Dieu ne peut pas , disent les docteurs, changer
Jbes essences des choses , parce qu'il ne peut pas faire que
dans le même temps une chose soit et ne soit pas telle ;
mais hors cela il peut tout. Le miracle n'implique pas
contradiction; il n'a rien en lui-même qui l'empêche
d'exister. Dieu peut donc l'opérer. Et qui pourrait l'en
empêcher? Quel obstacle extérieur ou intérieur peut li-
miter son pouvoir ? Au dehors il ne voit que des êtres
créés par lui ; au dedans il éprouve une puissance uni-
verselle. C'est lui qui, en ordonnant au monde d'être,
SUR LA RELIGION. 143
lui a donné des lois selon qu'il a plu à sa volonté su-
prême. Oserait-on dire qu'il n'a pas eu droit d'ordonner
que ces lois seraient suspendues à telle époque et dans
telle occasion? Un maître absolu ne peut-il pas faire à
ses commandements les exceptions qu'il veut? Si nous
contemplons Dieu en lui-même, il est tout-puissant (1);
si nous le considérons relativement à la nature , il est
son auteur et son législateur (2). Ainsi , à toutes sortes de
litres , il est le maître d'interrompre son cours.
IX. Je dis ensuite que le miracle ne répugne pas non
plus à la sagesse divine ; je prétends , au contraire, qu'il
y est infiniment conforme. Dieu voulant parler aux
hommes et leur enseigner des vérités , il est dans l'ordre
de sa sagesse que les hommes puissent connaître que
c'est en effet sa voix qu'ils entendent, sa doctrine qu'ils
reçoivent. Or, pour leur donner cette certitude , le mi-
racle est un langage parfaitement convenable , parce
qu'il est tout à la fois et très-digne de Dieu, et très-pro-
pre à l'homme.
X. Il est digne de Dieu de parler en maître et de dé-
ployer dans la publication de ses ordres une puissance
qui en procure l'exécution. Quel être dans la nature
peut refuser d'obéir à celui à qui la nature entière obéit?
XL II est aussi tiès-adapté à la nature de l'homme ,
(i) Sed ciira Deus auctor sit naturarara omnium, cnr nolunt for-
tioiem nos reddere rationem , quando aliquid velnt impossibile no-
lant credeie? lisque ledd tiunem rafionis p(jscentibus respondemas
hanc esse volunlatem omnipotentis Dei , qaicerte non ob aîiud voca-
tnr Oinnipotens,nihi qnoniam quidquid vult potest , qui potuit crea-
re tara multa , qnac , nisi ostenderentur, aut a creden-Iis hodieqoe
testibus dicerentur, profecto iinpossibilia pularentur. (S. Aitgust.,
de civit. Dei, lib. xxi, cap. 7.)
(2) Non sabjacet natarae legibas, a quo legem omnis natara sor-
litar. {s. Hilar. , de Trinit. , lib. ix, n' 72.)
Nequ:^ enioi valet natuia contra naturae Dominum , ant pofest vas
/îgiilo dice e : Quare me ista fecisti .^ aat ita licet quod pro mirai ulo
signe atque portento fit, legem natura facere non possit. ( J- Hiero-
nym., Epist. ad Vitalem Presbjt.)
144 DISSEKTATIONS
ce langage qui est complèteineiit démonstratif et uni-
verscUcnit-nt persuasif; qui par sa force convainc l'es-
prit , et par sa siiiq)licilL' est à la portée de tous les es-
prits.
XII. Premièrement , le miracle forme une démons-
tration rigoureuse. Quand j'entends dire , ou quand je
vois faire quelque chose , qu'il n'y a qu'un certain
homme qui le puisse dire ou faire , j'en conclus que c'est
la parole ou l'action de cet homme. La conséquence est
certaine ; et si jamais je me trompe à cet égard , ce n'est
que sur le principe; c'est que je croirai qu'une chose n'a
pu être dite ou faite que par un tel homme , quoiqu'elle
ait pu l'être par un autre. Ce même raisonnement fonde
la conviction résultante du miracle. Je vois une chose
qui n'a pu être faite que par Dieu ; et je ne peux pas me
tromper sur ce principe. L'ordre de la nature ne peut
être dérangé que par celui qui a autorité sur la nature.
Quand donc je vois un homme qui me propose une doc-
trine au nom de Dieu, faire en même temps un acte qui
est une dérogation certaine aux lois de la nature , je suis
forcé de croire qu'il est véritablement envoyé de Dieu
pour m'instruire , et que la doctrine qu'il me prêche
vient de celui qui seul a pu lui donner le pouvoir de
faire le miracle (1).
(i) Scd hoc illo tempore d ffîcillimam fuit quo tonc praedicare
legnum cœlorura invisibile miltebantnr , cnni longe lateque omnia
cernèrent floicre régna terrarani. Unde et adjuncta sunt praedicatori-
Los .sanciis nàracala , at Hdem verbis daret virtas bslensa , et nova
lacèrent, qui nova praedicarent ; sicot in hac tadem lectione subjun-
gitur : Infirmos citrate , mortuos suscitate , hprosos mundate , dœmo-
nés ej'icice. Floiente niundo, crescente humario génère, diu in bac
vita snbsistcn'e carne, exubérante reruin opuleniia, qnis, cuin j>adire?,
vitaiD esse aliani, crederet ? Quis iii\isibilia visibilibus praefeiret ? Sed
ad salutem redcuntibus intiims, ad vitam resorgenibus raortuis ,
carnis mundlti.uu recipieniibus lepiosis, ereptis a jure inraundornm
spiritnam daeiuoniacis, toi visibilibus mir{«culis exactis, quis non cre-
deret, qood de invisil)ilibus audiret ? Ad hoc quippe visibilia miracn-
]a corniscatit, ut corda videntinm ad Hdem invisibilioni pertrahant ;
I
SUR LA RELIGION. 145
Lorsqu'un homme s'annonçant l'envoyé de Dieu, et
présentant une doctrine comme divine, offre en même
temps de faire des miracles , il appelle Dieu en témoi-
gnage de ce qu'il avance. S'il opère en effet le miracle
qu'il avait promis, Dieu lui-même intervient, il atteste
ce que cet homme a dit en son nom , et il le dégage de sa
pro I esse en la réalisant , il se rend la caution et le ga-
rant de sa véracité (1).
Quand on voit un envoyé se présenter de la part de
son prince avec des lettres de créance authentiques , on
croit d'aboi'd qu'il est en effet l'envoyé de ce prince ; en-
suite , que ce qu'il dit , il le dit de la part de son maître :
on regarde sa parole comme celle du souverain lui-
même. Le miracle est la lettre de créance de Dieu , et
certainement la lettre de créance la plus authentique
qui puisse exister. On sent que je ne parle ici que du mi-
racle certain et incontestable.
XIIL Secondement, le langage du miracle, si démons-
tratif par lui-même , est encore parfaitement digne de la
sagesse divine , en ce qu'il est à la portée de tous les es-
prits. Il satisfait pleinement la raison du savant, et n'ex-
cède pas celle de l'ignorant. Plus :n le médite , plus on
le trouve convaincant , et il n'a pas besoin d'être appro-
fondi pour être trouvé tel. L^examen d'une doctrine
exige des raisonnements , des discussions , dont la plus
grande partie des hommes n'est pas capable. Le miracle
tranche toutes les difficultés, abrège toutes les disputes.
Il ne faut que des yeux pour s'assurer du fait ; et la con-
séquence est tellement immédiate , tellement claire ,
qu'il suffit, pour Tapercevoir, de n'avoir pas l'esprit dé-
rangé.
at per hoc quod mirnm foris agilur , hoc qaod est intas longe mira-
bilias esse sentiatxir. {S. Gregor. Magn. , in Evangel. ^ lib. i , ho-
mil. 4 , n° 2 et 3. )
(i) Respondit Dominas : Ego inibo pactuna videntibas canctis.
Signa faciam qaae nonqaam vba sunt saper terram , nec in allis
gentibus ; nt cognoscat popalus iste , in cajus es raedio, opns Domi-
ni terrible qaod factaras sara. {Excd. xxxiv , v. lo. )
Dissert, sur la Reîig. 7
146 DISSERTATIONS
XIV. C'est donc à tort que l'incrédule oppose à la
possibilité des miracles leur inutilité, «i ]N'est-il pas sur-
u prenant, dit-il, que la Divinité trouve plus facile de
«< déranger l'ordre de la nature que d'enseigner aux
" lioniines des vérités claires , propres à les convaincre ,
« capables d'arracher leur assentiment? Ne peut-elle
u pas, sans ce moyen extraordinaire, persuader les
.. hommes, et leur faire vouloir ce qui lui plaît? »
XV. Quand nous ignorerions quelle est l'utilité des
miracles , ce ne serait pas une raison pour en nier la
possibilité. Que de choses existent dans le inonde , dont
Dieu est par conséquent l'auteur, et dont il est impossi-
ble, et aux déistes et à nous , de donner la raison I
XVI. Mais l'utilité des miracles n'est pas un mystère.
Nos seules lumières suffisent pour nous faire voir que
c'est , sinon l'unique , au moins le plus convenable et le
plus efficace moyen d'instruire la multitude des honunes
des vérités et des volontés divines (1). Je ne vois que
deux autres moyens que la sagesse divine pût employer
pour atteindre ce but. L'un serait de rendre toute révé-
lation inutile , en perfectionnant nos facultés au point
que nous vissions clairement par notre raison toutes les
vérités et tous les préceptes divins ; l'autre , de les mani-
fester à chacun de nous par des révélations particu-
lières. Le premier n'a nulle proportion à notre nature.
Ce ne serait plus l'homme que Dieu instruirait , ce serait
un autre être d'un ordre diftérent. Le Créateur, en nous
accordant des facultés , tant corporelles qu'intellectuel-
(i) In omni qiiidem creaUira Dei , miiabilia ejus et quoiidiana
luagna suiit. Sed quia paruuiea consnetudu iniralur, qua?(lam Doaiiaus
signa et prodigia ceitis temporibus promerenda dispi)i>uit , ut per
inusitata et nova , huinana excitaretur in'eiitio, et nntiiielur in ca
de insolitis utilis timor. {S. Prosper. , Expos, in psal. ex.)
Qoia enini larda est humanx sapientiae fides ad credenda qiiae uoii
videt , et speranda quae nescit , oportebat divina eruditione firnian-
dos , coiporis beneHciis ei visibilibas niiraculis inciiaii; ut cujus tain
benignam experiebantur polenliain , non arubigerent salutareni esse
doctrinam. (5. Léo seim. xciv, cap. i.)
SUR L\ RELIGION. 147
les , dans une certaine mesure , les a proportionnées à
nos besoins. Le cliangeincnt de ces facultés exigerait le
changement de ce pour quoi elles nous ont été données.
Demander que Dieu emploie ce moyen pour nous ins-
truire, c'est demander qu'il fasse l'homme autre qu'il
n'est. Le second de ces moyens, c'est-à-dire la manifes-
tation particulière à chacun de nous , consisterait , ou
dans une inspiration intérieure et puremcni spirituelle ,
ou dans une révélation extérieure qui frapperait nos
sens. La première aurait , entr'autres défauts , celui d'ê-
tre incertaine. Comment saurions-nous que telle inspi-
ration nous vient de Dieu ? Comment la distinguerions-
nous de toutes les autres pensées qui passent naturelle-
ment par notre esprit? La seconde serait plus certaine;
. Dieu parlant physiquement aux hommes, et leur faisant
i retentir ses préceptes, comme autrefois du mont Sinai ,
' on seiait bien assuré qu'ils émanent de lui. Mais ne se-
rait-ce pas là un miracle? IN 'est-ce pas une évidente con-
tradiction, en rejetant tous les moyens miraculeux, d'en
demander un de ce genre ?
I XVIL Ajoutons à tout ce que nous venons de dire de
' la conformité du miracle avec la sagesse divine , qu'il a
l'avaiîtage de convaincre non -seulement ceux qui en
sont témoins , mais tous ceux qui en acquièrent la con-
naissance par des relations authentiques. Si , au lieu de
ce moyen général , on veut que la Providence emploie ,
pour l'enseignement du genre humain, des moyens in-
dividuels, ce seraient toujours des interversions de l'or-
dre naturel, soit physique , soit moral , qu'il faudra re-
nouveler autant qu'il y aura d'hommes ; et voilà que ,
pour nier l'utilité et la possibilité d'un seul miracle, on
en nécessite une multitude infinie d'autres.
XVin. « Mais, dit-on, Dieu pouvait n'enseigner
«< que des vérités tellement évidentes, qu'elles subju-
« guassent d'elles-mêmes l'assentiment. »
XIX. Je demanderai d'abord : si Dieu le pouvait , y
était-il tenu? n'est-il pas le maître de révéler aux hom-
1 48 DISSERTATIONS
mes des vérités d'un ordre supérieur à celles que la rai-
son peut atteindre ?
Je demanderai ensuite quelles sont ces vérités d'une
telleévidence qu'onsoit forcé de lesadmettre. Les premiers
principes de la religion, l'existence de Dieu , son unité,
ses principaux attributs , rimmortalité de l'âme , les de-
voirs communs de la morale ; voilà sans doute ce que
iios adversaires appellent des vérités si évidentes, qu'elles
arrachent l'assentiment. Qu'ils nous citent donc une na-
tion qui les ait professées sans mélange d'erreurs gros-
sières , à moins d'en avoir été instruite par une révéla-
tion positive ? qu'ils examinent quelles étaient , sur ces
vérités fondamentales , les opinions non-seulement du
peuple . mais des philosophes les plus célèbres avant l'a-
vénement de Jésus-Christ , et qu'ils aillent les chercher
dans les écrits mêmes de ces philosophes (1). Les égare-
ments du genre humain presque entier sur les points les
(i) Cam mnltas res in phiiosophia neqnaqaam satis adhnc expli-
catae sint; tuin perdifLlcilis , Brute, (quod tu minime ignoras) et
perobscnra qnaestio est de natura dcornra, qnse ad agnitiuneiii animi
pulcherrim.i est , et ad moderandum religionem necessai ia. De qna
tam varice sont doctissimoium homiiiam tamque discrepantes senten-
tiae,... Yelut in hac quaestione pleiique (quod maxime verisimile est,
et que omnes dace natura vehimur) deos esse dixeruiit. Dubitare se
Protagoras, nullos esse omnino Diagoras , Milius et Theodoras Cy-
renaicns putavernnt. Qui vero deos esse dixerunt , tanta sunt in va-
rietate et dissensione, ut eorura molestum sit dinoroerare sententias.
( Cicer. , de Natur. Deor. , lib. i, cap. i. )
Qnseritur primnm in ea quiestione quae est de natara deonira , sint
ne dii, necne sint. Difficile est negare , credo, si in eoncione qnae-
ratar ; sed in ejnsmodi sermone, et in concessu, facillimnm. Iiaqne
ego ipse qui, ca?remonias religionesque publicas sanctissime tuendas
arbilror, id quod primum est, esse deos, persuaderi mihi , non opl-
nione solum, sed etiam ad veritatem plane velim. Multa enim occor-
rant quae conturbant , ut interdom nolli esse videanlur. [Ibid.^
cap. 22. }
Sunt enim qui discessum animi a corpore pntent este morlem.
Sunî qui nullum censeant tieri discessnm, sed una animan» et corpus
occidere, animamt^ue cutn corpore extingni. Qui discessere animum
SUR LA RELIGION. 149
plus essentiels et les plus clairs, prouvent l'utilité d'une
révélation positive. L'utilité d'une révélation suppose
celle des miracles.
XX. Les incrédules de nos jours réchauffent, contre
la possibilité des miracles , une objection de Spinosa.
« Admettre des miracles , est contester à Dieu son im-
«< mutabilité. Les lois de la nature ne sont autre chose
« que les décrets divins. Un changement dans les décrets
« de Dieu serait un changement dans sa volonté. Il est
« contradictoire de reconnaître un être immuable , dont
« la volonté soit versatile. Il est absurde d'imaginer que
« ce que Dieu a décrété de toute éternité , il le change
« dans le temps. Un changemeut dans les lois de la na-
« ture est donc impraticable ; et , par conséquent , le
« miracle est impossible. »
XXI. Lorsque Spinosa proposait cette objection , elle
était une conséquence de son système d'athéisme. Selon
lui , la nature entière, c'est-à-dire la collection de tous
les êtres , est Dieu. Dans cette hypothèse , il est clair que
tojt changement dans la nature est un changement
dans Dieu. Mais en ôtant son absurde principe , il n'est
plus vrai qu'il survienne un changement dans Dieu,
lorsqu'il y a quelque chose de changé dans Tordre de la
nature , puisque la nature est autre chose que Dieu.
XXII. Il n'est pas vrai non plus qu'il survienne un
changement dans les décrets de Dieu , lorsqu'il en arrive
à l'ordre qu'il a établi dans le monde (1).
censent, alii siatim dissipari, alii diu permaiiere , alii semper. {^Idem^
Tuscul. Quœst. lib. i, cap. g. )
Il serait possible de prodnire beaucoup d'auTes pasages du même
auteur sur les contradictions et les erreurs grossières des plus célè-
bres philosophes, relativement aux premiers principes. Je me con-
tenterai d'indiquer le livre premier, de Naliira Deorum ^ depuis le
chapitre x jusqu'au cliapitre xvi.
(i) Neque enim in ea luce quse sine accessu ea quae eligit illustrât,
et sine recessa ea quae respuit deserit , defectus mutabilitatis venit ;
quia m seraetipsa raanendo immutabilis , mufabilia canota disponit.
(5. Gregor. Magn. ^ Moral., lib. i, cap. 20, n° 34.)
Omnipotens quidem Deus in semetipso habet sine immatatione
150 DISSERTATIONS
XXIII L'opinion la plus communûinent reçue, soit
parmi les métaphysiciens, soit entre les théolo{;iens, et
qui est aussi appuyée de l'autorité de plusieurs saints
Pères au sujet de l'éternité divine , est qu'elle ne se
compose pas, comme le temps , d'une suite de mouve-
ments se succédant les uns aux autres. Selon eux , elle
est indivisible , et toujours tout entière. Pour donner
une idée d»^ la relation de l'éternité au temps, ils la
comparent au point indivisible qui forme le centre du
cercle autour duquel tourne la circontérence composée
d'une multitude de points se suivant les uns les autres.
Ainsi, il n'y a réellement dans Dieu ni antériorité, ni
postériorité. Le jour de la création du monde et celui
de sa deslruction_, qui , relativement à nous, sont sépa-
rés par un si lon?^ intervalle , ne sont pour lui qu'un
seul mstant. Il est clair que dans ce système l'objection
proposée est nulle. Dieu a voulu la loi générale que la
nature devait suivre dans toute la durée du temps , et
la suspension qui devait arriver à une époque précise^
dans le même instant et par le même acte. Il est évident
qu'il ne peut pas y avoir de changement où il n'y a
point de succession ; car il est impossible qu'un être soit,
dans un seul et même moment, différent de lui-même.
XXIV. Mais ce n'est pas sur des systèmes , quelque
accrédités , quelque raisonnables qu'ils soient, que nous
fondons la défense de nos sainte s vérités. J'admets donc
maintenant l'hypothèse contraire, et supposant l'éternité
formée, comme le temps, de moments successifs, je
piétends qu'il ne survient pas un changement aux dé-
crets de Dieu , lorsqu'il en fait arriver à l'ordre qu'il a
établi dans le monde. Remontons au-delà des tenq)s, et
considérons Dieu, seul être alors existant, préparant
mutabilia disponere , sine diversitate iui diverva agere,s!ne cogitatfo-
nam vici^sitadine dissimilia furraare. Lon^e ergo dissnalittt oj eratar
dissirailia nnnquam sibi dissimilis Deus. (^Idcm , in Ezech. , 1 b. ir ,
h"rail. 5 , n° 10.)
SUR LA RELIGION. 151
dans sa sagesse les lois qu'il se proposait de donner aux
créatures qu'il ferait sortir du néant. Pouvons-nous dou-
ter que sa prescience infinie embrassant dans une seule
pensée tous les temps et tous les événements qu'il ferait
ëclore (l), n'eût prévu dès-lors et n'eût fixé toutes les
dérogations qu'il lui plairait d'apporter à ces lois (2) ? Si
les lois générales qu'il a données à la nature sont de toute
éternité , les exceptions qu'il y a apposées sont égale-
ment éternelles (3). C'était lorsqu'il traçait au soleil sa
(tl Sed et sciendnm esi, qaod ex praescientia et praedesiinatione
Dei jam ea facta sunt qaae futara sont. (.S". Hieron y Comment, in
F.cclesiastem , cap. i.)
(2) A|)ad fe reroni omnmm insffbiliurn stant ransae, et rerum
omniam maîabilium immu'abiles mnnent origines, et onii ium irralio-
naliam et teraporaliain serapiternae vivant rationes. (5. Aiig. Con-
Jess. , lib. t , cap. 6, n^ 9. )
Et ajud Deum qui lem dsposita et fixa snnt otnnia ; rec aliad farit
qnasi consilio repentino, quod non ex aeternitate se facturnra esse
praescivit. Sed in creaturae temporalibus motibus qoam gubernat mira-
bililer, ipse non temporab'ter raotus, qnasi repentina volnnta'e facere
dicitur, qnod ordinatis rerara causis consilii sni secretissimi immafa-
bilitate disposait, qiia? suis q'iajqae temporibus agnita, et praesentia
facit et futara jam fecit. {^Id. Enarr. in ps. cv , n° 35.)
Etsi apud nos qaaedain ipsins judicia et opéra variantur, apnd îp-
snm tamen , oiuiiinm reram exitus praescientera , nihil nova iisposi-
tione agitur, qui fecit quae futnra sont. (S. Prosp. Exposit. in
psalm. cv. )
Nnlla qnae in hoc raundo honiinibns fiant , absqne omnipotenlis
Dt-i occulto consilio veniant. Nam cnncta Deas fniura praesciens ante
seciila decrevit qaaliier per secnla disponitar. (J. Gregor. Magn. ^
Moral. , lib. xii, cap. i i , n° 2. )
(3) Hinc Ciiim maxime isti errant , ut in circnniitu fa!so ambalare,
quam vero et recto itinere nialint , qnam menfem divinam omnino
imraiitabilem , cnjadibet infirmitatis capacera, et innameia omiiia si-
ne cogitaiioiiis attentione memoraiitem , de sui buraana, mu'abili,
angiistaqne meiiantnr. Et fit illis qaod ait apostolus : Comparantes
enim semet'psos sibimetipsis , non intelligunt. Nam quia iUis qaidquid
novi facei. dam vent in mentera, novo consilio î'aciant , (mntabiles
qnippe mentes gérant) prufecto , non Denra qnera cogitare non poS'
snnt, sed semetipsos pro il!o cogitantes, non iliara «-ed seipsos, nec
illi «ed sibi comparant.... Polest ad oj-us novum non novura , sed
sempitrrnura adhibrre consilinm, nec pœnitendo, qaia prins cessa-
yeiat, cœpit facere quoi non fecerat. Sed etsi prias cessa\it, et pos-
152 DISSERTATIONS
marche régulière, qu'il lui ordonnait de l'interrompre
à telle époque , sur la voix de Josué. Le décret d'excep-
.tion est contemporain du décret de la loi générale. Sup-
posons un prince qui_, en dictant une loi à tous ses su-
jets, prévoie une circonstance particulière, dans laquelle
il déclare que sa loi n'aura pas d'exécution : dira-t-on,
ce cas arrivant , que la loi est changée ? Dieu a certaine-
ment eu , de toute éternité, autant de pouvoir pour or-
donner des suspensions au cours de la nature , qu'il en
a eu pour le régler. Il a donc pu ordonner des miracles ;
et , lorsqu'il en opère , sa volonté ne change pas , elle
reste toujours la même (1). Ses décrets ne §ont pas in-
tervertis, ils sont exécutés.
Que les déistes cessent donc de nous parler de l'impos-
sibilité qui résiste selon eux à l'existence d'un miracle.
Devant Dieu les faits naturels et les faits surnaturels sont
également possibles. Il est aussi facile à sa puissance de
rendre la vie à un homme, qu'il l'avait été de la lui don-
terias operatus est (qnodnescio quemadmodum ab Loinine possit iu-
telligi), haud procul dubio , qood dicitur jtrius et posteiias,. in
rébus piius non existeniibus,et posterius exisîenîibus fuit. In illo au-
teni non alterara pîaecedentem altéra sabseqnens motavit , aut abstulit
voluntaîein ; ted una eademqne sempiterna et irumatahili voluntate,
re5 qnas condidit nt prias non essent egit ^ quandiu non faerunt, et
ut posterins essent, qnaado esse cœperutit. {S. Aug. de Civit. Dei ^
lib. cap. 17 , n° 2. )
(i) Non sunt enim multee Dei voluntates, ut tu existimas. Non
enim, quia di versa sunt opificia, diversae qaoqne snnt voluntates.
( S. Athan. de S. Trinit., dialog. ir., n" 6.)
Neque enim Deus cogitât sicut homines , ut aliqua c! nova succé-
dât senfentia.( iS". Ambros. de Aoe et Arca , cap. iv, n° 9. )
Altitudinem Dei penetrare non possunt ; quia cnm ipse sit îeternns
et sine inilio , ab aliqno tamen inilio exorsus est tempora ; et liomi-
nem qnem nunquam ante fecerat , fecit in teinpore, non tamen novo
et rej.entino, sed immutabili aeternoque consilio. {S. AugusC. ^ de
Civit. Dei ^ lib. xir, cap. 14.)
Cam ergo exterias mntari videtar sententia , interins consilinm
non mutaïur; quia de unaquaque re iramutabiliter , intus constitoilur
quidqnid foris matabiliter agitnr. {S. Gregor. Nagn., Moral.,
Ub. xvr , cap. 37 , n© 46.)
SUR LA. RELIGION. 153
lier (1). Il peut , au gré de sa sagesse , diriger les êtres
qu'il a créés , ou tous ensemble par des lois générales ,
ou chacun par des lois particulières. Il peut soumettre
les uns aux règles communes, et en affranchir les autres.
Sa volonté suprême n'est gênée par rien. '
XXV. Cette objection que je crois suffisamment ré-
futée, les incrédules la répètent , la retournent de plu-
sieurs manières, et la présentent sous différents termes.
Les uns disent que le miracle est une violation des lois
divines : mais une dérogation momentanée faîte par le
législateur à sa loi , et décrétée par lui en même temps
que la loi, n'est pas la violation de cette loi.
D'autres veulent que le miracle soit l'infraction des
lois mathématiques qui régissent le monde. S'entendent-
ils bien eux-mêmes, quand ils parlent de lois mathé-
matiques? C^est par des lois physiques que le cours du
monde physique est réglé.
Selon d'autres , c'est aux lois immuables que le mira-
cle est contraire. Immuables , par rapport à qui ? Poui
les créatures qui, y étant soumises, n'ont pas la force
d'y faire aucun changement ; à la bonne hem-e : mais
(i) Qais anfem animal qnœqae viva nascentia , nisi qni illaixi se»-
peutem ad horan», sicut opus fuerat , animavit? Et qais reddidit ca-
daveribus animas suas, cam resurgeient mortai, nisi qui animât
carnes in uteris malrum , ut oriantur raorituii? Sed cum fiant ilia ,
quasi fluvio labentinm, manantiuraqne rernm, et ex occallo in promp-
tum, atqne ex prompto in occullum usitato itinere iranseantium , na
turalia dicantur. Cum vero admonendis hominibus inusitata mntabi-
litate ingerutitur, magnalia nominantur. (iS. August. , de Triait.,
lib. ne , cap. 6 , 11° 11.)
Mirati sunt bomines Doniinnm nostrum Jcsam CUristam de quin-
que panibus saginasse ter millia , et non mirantar per pauca grana
impleri segetibus terras. Quae aqua eiat vinuin faclum viderunl ho-
minés, et obstupaerunt. Qnid aliud fit de pluvia , per radiceni vitis ?
Ipse illa fecit, ipse ista ; illa ut pascaris , ista ut raireris. Sed ulraqne
miranda sunt, quia opéra Dei sont. Videt bomo insolita , et miratur.
Unde est ipse homo qui miratur ? ubi erat? unde processif? nnde
forma corporis ? unde membrorum distiiictio? unde babilu» ille spe-
ciosns? de qnibus primordiis, de quam conteiuptibilibus? et miratut
alia, cum sit ipse miraior magnum miraculum. {S. Aug. , ser-
mo txxvr, de verbis evang. alias xxxu, et hom. l, n** 4.)
7*
154 DISSERTATIONS
Dieu qui les a posées, y est-il pareillement astreint? voilà
ce qu'il serait nécessaire , et ce qu'il est impossible de
prouver.
Il y en a qui prétendent qu'en changeant ses lois phy-
siques , Dieu dérangerait sa machine, d»'figurerait son
ouvrage. Une suspension momentanée d'une loi physi-
que n'est pas le dérangement du inonde , ne le défigure
point. L'univers ne cesse pas d'être aussi beau, aussi
parfait qu'il ait jamais été , parce qu'un mort y est res-
suscité.
Concluons. Le miracle ne répugne point en lui-même,
il n'est contraire à aucun des attributs divins ; au con-
traire , il est parfaitement conforme à la suprême sagesse.
Il est donc possible.
CHAPITRE II.
POSSIBILITÉ DE LA CERTITUDE DU MIRACLE.
XXVI. Forcés par l'évidence des preuves , plusieurs
déistes reconnaissent que le miracle n'est pas une chose
impossible. Ils se retranchent à soutenir qu'on ne peut
acquérir la certitude , au moins de ceux dont on n'est pas
soi-même témoin. Ils nous opj^osent deux choses ; la
première , qu'on ne peut pas acquérir par la relation des
autres hommes une vraie certitude ; la seconde , que ,
pût-on être certain des faits naturels et ordinaires par la
voie du témoignage , il ne serait pas possible de l'être de
même des faits miraculeux. Pour répondre à ces deux
assertions , je vais établir dans un article l'autorité de la
certitude qui s'acquiert par des témoignages , et que l'on
appelle certitude m raie ; je montrerai dans un autre ,
que cette certitude est aussi entière sur les faits miracu-
leux que sur les autres. Mais pour éclaircir ce que j'ai à
exposer dans ces deux articles , je vais les faire précéder
par un autre , destiné à établir la notion exacte de la
certitude, et spécialement de la certitude morale.
SUR LA RELIGION. î 55
ARTICLE PREMIER.
Notion de la certitude.
XXVII. La fnculté principale de notre esprit est le ju-
gement. Son objet est de discerner ce qui est vrai de ce
qui est faux. Il juge des objets avec plus ou moins de
clarté , avec phis ou moins d'assurance. Quand nos ju-
gements sont portés au plus haut degré de sûreté , ils
forment la certitude. Quand ils y joignent le plus haut
degré de clarté, ils forment l'évidence. Ainsi la vérité est
opposée à l'erreur, la certitude au doute , l'évidence à
l'obscurité.
XXVIII. La certitude est l'exclusion de tout doute :
tant qu'il reste du doute sur une question , il n'y a pas
de certitude. Dès que le doute expire , \a. certitude naît.
Je regarde en conséquence la certitude comme un point
fixe , dans lequel il n'y a pas de ])lus ou de moins. Je
doute tout à fait , ou je ne doute pas du tout. Le degré
de certitude , s'il pouvait en exister, serait proportionné
au degré de doute qui me resterait. Or, si j'avais le plus
léger doute, je n'aurais pas de certitude. La certitude n'a
donc pas de degrés ; elle est aussi pleine, aussi entière
qu'elle puisse être , ou elle est nulle.
Cette idée n'est pas celle de tout le monde. On entend
dire tous les jours et on répète soi-même , qu'on est plus
ou moins certain de telle vérité. L'illusion à cet égard
vient de deux causes : 1° on confond la certitude morale
avec la très-grande vraisemblance. La vraisemblance a
une multitude de degrés, et quand elle est portée à un
très-haut point, on trouve qu'elle approche de la certi-
tude, quoiqu'elle en soit essentiellement distante, la na-
ture de Tune supposant le doute, et la nature de l'autre
l'excluant ; ^" on confond encore les motifs de certitude
avec les degrés de certitude. Parce qu'on acquiert quel-
quefois de nouvelles raisons d'être certain d'une vérité,
on croit en avoir acquis une plus grande certitude. Cela
n'est pas exact. On ne doutait pjs plus avant d'avoir
156 DISSERTATIONS
connu les nouvelles raisons , qu'on ne doute après les
avoir reçues. On était donc également certain.
XXïX. Le mot certitude peut être pris dans deux
sens , parce qu'il peut être appliqué , ou à la chose qui
en est l'objet, ou à l'esprit qui la conçoit. Je puis parler
de la certitude de telle proposition , ou de la certitude
que j'en ai ; je dis avec une égale exactitude , telle vérité
est certaine f et je suis certain de telle vérité. Cette double
acception forme la distinction connue dans l'école sous
les noms de certitude de l'objet j et de certitude du sujet,
La première a lieu quand une vérité est tellement prou-
vée qu'on ne peut pas en douter ; la seconde existe dans
celui qui est tellement persuadé d'une vérité , qu'il n'en
doute nullement.
XXX. 3Iais la distinction la plus importante et la plus
relative à notre sujet, est celle de la certitude métaphy-
sique, de la certitude physique et de la certitude morale.
Il y a trois sortes d'objets de nos connaissances : les ob-
jets purement intellectuels , les objets de l'ordre physi-
que , les objets de l'ordre moral. La Providence a adapté
les trois genres de certitude à ces trois espèces de co -
naissance.
XXXL La certitude métaphysique nous fait con-
naître les objets intellectuels; mais nous ne connaissons
avec cette certitude que l'essence des choses. Tout objet
intellectuel, qui n'est pas essentiel, n'est pas inétaphy-
siquement certain , et reste dans la classe de la probabi-
lité. Pour donner un exemple de cette certitude , c'est
par elle que nous sommes assurés des axiomes et des
théorèmes de la géométrie , qui sont des vérités essen-
tielles.
XXXIL La certitude physique porte sur les objets de
l'ordre physique, c'est-à-dire sur ceux que nous décou-
vrons par nos propres sens. Ainsi je suis physiquement
certain que j'ai devant moi un homme, quand je le vois,
l'entends et le touche. Je suis de même certain que de-
main le soleil se lèvera à l'orient, que l'année prochaine
les aibres porteront de nouvelles feuilles ; parce que j'ai
SUR La religion. 157
vu constamment ces effets résulter de l'ordre physique
et du cours de la nature.
XXXIII. La certitude morale est celle qui est fondée
sur l'ordre moral, c'est-à-dire sur la nature de l'esprit
humain et sur le caractère général de l'homme. Comme
c'est ici le point de la difficulté, il faut le développer plus
amplement. J'avertis que je ne m'occupe pas encore de
prouver l'existence de la certitude morale ; je me con-
tente d'en expliquer la nature.
XXXIY. Je ne puis pas douter que la Providence
n'ait établi un ordre moral pour la direction des esprits,
comme un ordre physique qui dirige les corps. Je juge
de cet ordre physique , parce que je vois tous les êtres
qui- composent la nature suivre un cours réglé , tenir
constamment une marche uniforme ; d'où je conclus que
le monde physique obéit à une loi supérieure qui a dé-
terminé ce cours, qui a tracé cette juarche. La même
expérience me fait connaître Tordre moral; je vois dans
tous mes semblables les mêmes facultés que je possède;
je les vois penser, sentir, raisonner, parler, agir comme
moi ; je les vois tous, dans les mêmes circonstances , être
mus par les mêmes principes , dcteitîiinés par les mêmes
motifs ; et ces principes, ces motifs sont précisément les
mêmes par lesquels je me détermine. La double expé-
rience de ce que j'éprouve et de ce que je vois me mon-
tre , dans la conduite des hommes , comme dans la mar-
che du monde , un cours constant et réglé. Je vois les
principes qui dans tous les temps ont fait agir les hom-
mes ou les en ont empêchés , continuer toujours de les
pousser ou de les arrêter. Je les vois dans les n^êmes cir-
constances tenir constamment la même conduite. Ne
suis-je pas en droit de conclure de là , qu'il existe des
principes certains auxquels les hommes ont persévéram-
ment égard , qui les déterminent infailliblement , et qui
forment, relativement à leur conduite, un ordre moral ,
tel que l'ordre physique qui meut les différents corps?
Je suis encore induit à admettre cet ordre physique , •
parce que des philosophes, d'après l'expérience de la
158 DISSERTATIONS
marclie des corps, ont tracé leur cours et ont indiqué les
rè{»lcs d'après lesquelles ils se meuvent. Je suis île même
en^a^éù reconnaître un ordre moral, parce que d'autres
philosophes, d'après une expérience également constante
sur les actions humaines, ont remonté à leurs principes,
et ont montré que le désir du boidieur et la crainte du
malheur étaient les mobiles universels de noire conduite,
et nous portaient continuellement à ce qui peut nous
procurer l'un et nous faire éviter l'autre.
XXXV. Sur cette similitude entre l'ordre ])hysique et
l'ordre moral , je dois faire une observation : l'ordre mo-
ral est sujet à plus d'exceptions que l'ordre physique. Ce
n'est pas que ces principes ne soient également vrais ,
égaieinent certains; mais c'est qu'ils agissent sur des
êtres libres, au lieu que les causes physiques exercent
leur action sur des êtres purement passifs. Il se trouve
quelques esprits absolument dérangés, qui agissent au
rebours des principes généraux ; on en rcnconue de bi-
zarres qui voient ces princi])es ou raisonnent d'après
eux , autrement que le commun des hommes ; mais ces
exceptions sont extrêuiement rares : elles le sont au
point, que sur la masse du genre hunmin on doit les
compter pour rien. Tout ce qu'on peut en conclure, c'est
que parmi les hommes il y a quelques individus qui ne
font pas partie de l'ordre moral , et sur lesquels on ne
peut pas raisonner comme sur les autres. Tout ce qu'on
peut en conclure, c'est que, quand il s'agira d'un
homme seul, et surtout d'un homme que je ne connaî-
trai pas, je ne pourrai pas prononcer affirma;ivement
qu'il agira connue tous les autres; mais quand on me
présentera un nouibre d'hommes considérables, ou
même un petit nombre d'hommes que je saurai être
pourvus du sens commun et ordinaire , je pourrai avec
confiance juger qu'ils sont dirigés par les mêmes motifs
qui conduisent l'universalité des hommes.
XXXVI. Ici , je dois prévenir unç objection qui se
présente naturellement à l'esprit, et dont la solution
«?claircira encore la matière. «« S'il existe un ordre moral
SUR LA RELIGION. 159
« qui dirige aussi infailliblement les esprits que l'ordre
« pliysique dirige les corps , en sorte que l'on doive être
« aussi certain de l'un que de l'autre , conunent se fait-
M il que des hommes placés dans les mêmes circonstan-
« ces , ayant les mêmes motifs pour se déterminer, pen-
« sent, parlent, agissent cependant diversement? Cette
M variété , cette opposition de sentiments et de conduite
« entre des personnes qui sont dans la même position ,
H ne prouve- t-elle pas que l'ordre moral ne règle pas la
« marche des esprits uniformément ; que par consé-
«t quent on ne peut sur cet ordre former aucun jugement
« certain ? »
XXXVII. Je ne prétends pas que l'ordre moral dirige
les esprits dans toutes les occasions infailliblement ,
comme l'ordre physique dirige les corps ; mais je dis
qu'il y a des cas où il influe sur eux avec la même infail-
libilité , et c'est dans ces cas seulr^ment qu'il opère une
vraie certitude , égale à la certitude qui résulte de l'or-
dre physique.
Le principe de l'ordre moral est le désir du bien et la
crainte du mal. Ce principe meut aussi ceitainement
tout homme jouissant de sa raison , c[ue les lois du mou-
vement meuvent les corps. Il est impossible que l'homme
ne veuille pas son bien, ou veuille son mal ; mais il y a
des biens et des maux de différents genres : il y en a de
l'ordre spirituel et de l'ordre temporel. De cette dernière
sorte il y en a de relatifs à l'honneur, à la fortune, au
bien-être. Il y a des biens et des maux prochains; il y en
a de plus ou de moins prol^ables. Ainsi le désir d'un tel
bien , ou la crainte d'un tel mal , peuvent se trouver en
opposition avec un désir ou une crainte contraire. Dans
cette conjoncture , qui est très-commune , l'homme se
détermine à ce qu'il considère actuellement comme le
meilleur pour lui , selon sa manière de penser et de sen-
tir ; et connue il est libre de penser et de sentir sur ces
objets, ainsi qu'il veut, le principe général de l'amour du
bonheur et de la crainte du malheur ne le pousse pas
infailliblement d'un cc)té plutôt que de l'autre. jN'ayant
*60 DISSERTATIONS
pas la certitude de ses opinions et de ses inclinations, qui
sont même souvent variables^ je ne peux pas ju|;er avec
assurance de ce qu'il fera dans ccîtte occurrence ; je ne
puis que conjecturer avec plus ou moins de probabilité ,
selon la connaissance que j'ai , d'une part , de son esprit
et de son caractère ; de l'autre , du de{^ré de bien ou de
mal qui doit résulter pour lui de la chose.
Mais il cbt un autre cas ou je pourrai porter mon juge-
ment avec certitude ; c'est lorsque le bien ou le mal ré-
sultant évidemment de la chose, ne pourra être balancé
par l'espoir d'aucun autre bien , ou par la crainte d'au-
cun autre mal. Alors, l'homme n'ayant point à se décider
entre deux bonheurs ou malheurs , je serai moralemeni
assuré, d'après le principe (j;énéral, qu'il usera de sa li-
berté pour se déterminer à ce que je sais avec certitude
être son bien , ou contre ce que je sais de même être
son mal. Je suis aussi moralement certain que tout
homme , sain d'esprit et de corps , ayant de la nourri-
ture , mangera, que je suis physiquement certain que
tout homme qui ne mangera pas mourra de faim. Je
suis aussi moralement certain que des honnnes ayant de
la raison, n'iront pas volontairement se jeter dans un
feu ardent, que je suis physiquement certain que ceux
qui y tomberont seront consumés. Cette difficulté prouvt
donc seulement, et j'en conviens, qu'il y a beaucou])
d'occasions où l'ordre moral n'a pas une action aussi in-
faillible que l'ordre physique; mais il n'est pas moins
vrai qu'il y en a d'autres où son action est aussi in-
dubitable , et où elle opère par conséquent une égale
certitude.
XXXVIII. Cet ordre moral qui existe pour les es-
prits, comme l'ordre physique pour les corps, est le
fondement de la certitude morale. Le motif le plus or-
dinaire de cette certitude , celui dont il s'agit spéciale-»
ment dans la matière actuelle, est le témoignage des
hommes. Nous y croyons d'après la persuasion où nous
sonnnes, que ceux qui le rendent ne nous trompent pas;
persuasion qui peut être plus ou moins forte. Elle dé-?
SDR LA RELIGION. 161
pciid du degré d'autorité du témoignage, et cette auto-
rité elle-mêuie dépend du nombre des témoins , de leur
qualité et des circonstances dont est revêtue leur asser-
tion. Selon la réunion plus ou moins grande de ces con-.
ditions, le témoignage donne une probabilité plus ou
moins forte : tout le monde en convient ; mais leur réu-
nion totale peut-elle opérer une véritable certitude , une
exclusion absolue de tout doute? En un mot, pouvons-
nous devenir certains de ce que rapportent des témoins,
comme nous le sommes de ce que rapportent nos propres
sens? Voilà ce que nient nos adversaires, et ce que nous
avons à examiner.
Mais avant d'entamer cette question^ il est bon de l'é-
claircir encore par quelques réflexions.
XXXIX. La certitude métaphysique a sur les deux
autres un avantage. Il ne répugne pas en soi que l'ordre
physique ou l'ordre moral soit interverti. Je conçois
que Dieu fasse des exceptions aux lois qu'il a dictées
soit au monde physique, soit au monde moral; mais
il répugne absolument que l'essence des choses soit
changée. Dieu peut bien changer les choses elles -
mêmes; c'est un changement de l'ordre physique : mais
il ne peut pas , laissant les choses telles qu'elles sont ,
leur donner une autre essence , parce qu'il ne peut
pas faire qu'une chose soit et ne soit pas , qu'elle reste
ce qu'elle est , et qu'elle cesse d'être ce qu'elle est.
Il peut par sa puissance faire d'un triangle un carré;
il ne peut pas faire que restant triangle , il cesse d'avoir
trois côtés et trois angles. A cet égard , on peut donc
dire que la certitude métaphysique est plus forte que
les deux autres. Il ne faut cependant pas croire qu'elle
produise dans nous une plus grande assurance. Je
suis aussi certain de l'existence du triangle que j'ai
sous les yeux , que je suis assuré que ces trois angles
sont égaux à deux droits : c'est que la certitude est
le degré de persuasion où il n'y a plus aucun reste
de doute. Que ce degré soit produit par des raisons mé-
taphysiques, par des causes physiques, par des prin-
162 DISSERTATIONS
cipes moraux, dès que j'y suis arrivé, la certitude ne
peut pas être plus grande. De quelque part qu'elle
vienne, de quelque ordre qu'elle soit, elle est toujours
égale dès qu'elle est réelle : c'est le genre de certitude
qui est tlillérent, et non le degré.
XL. On demande qu'est-ce qui constitue la certitude
morale. Je réponds qu'il y a deux caractères auxquels
on peut la reconnaître et être assuré de la posséder. Le
premier est quand la force du témoignage est telle ,
qu'elle exclut tout doute raisonnable ; le second, quand
on ne peut nier la relation du témoignage sans ébranler
tous !es principes de l'ordre moral, et sans se voir obli-
gé d'admettre des choses manifestement impossibles. Sur
cela j'observe : 1" que ces deux moyens de constater la
certitude morale se supposent réciproquement. Si je ne
puis nier le fait sans ébranler l'ordre moral , et sans
me jeter dans des hypothèses impossibles, je ne puis
avoir aucun doute du fait; et respectivement si le fait
est porté par les témoignages au point de persuasion qui
exclut tout doute, en voulant le contester je combat-
trais les principes moraux. J'observe , 2° qu'il en est à
cet égard , de la certitude morale comme de la certitude
physique. Celle-ci existe de même, quand le rapport
des sens est tel , qu'il ne permet pas le doute , et quand
nier ce qu'ils rapportent serait porter atteinte aux lois
physiques. J'observe, 3** que je parle seulement du
doute raisonnable. Il est possible qu'on se trompe sur
le poids du témoignage comme sur le rapport des sens ,
et que l'on croie avoir une certitude , soit physique ,
soit morale, que réellement on n'a pas. Un faux rai-
sonnement sur l'un ou sur l'autre principe ne détruit
pas leur autorité. Il n'est pas vrai qu'il n'y ait point de
certitude, parce qu'on a pu quelquefois se méprendre
sur la certitude.
XLI. L'état contraire à celui de certitude s'appelle
pyrrhonisme. Comme il n'y a pas d'extravagance dont
l'esprit humain ne se soit avisé sous le luanteaude la phi-
losophie, il y a eu une secte de pyrrhoniens qui se pré-
SDR LA RELIGIO-N. 163
tendaient philosophes. Le principe de leur doctrine était
le doute universel : le ridicule de cette opinion l'a fait
absolument tomber. Les ennemis du christianisme sen-
tant qu'un pareil système décréditerait entièrement leur
parti, se gardent d'une assertion aussi outrée; ils exal-
tent au contraire beaucoup la certitude métaphysique.
Ils n'osent pas non plus attaquer la certitude physique;
ils révolteraient trop fortement tous les hommes, savants
ou ignorants, en leur contestant la réalité de ce qu'ils
voient, de ce qu'ils entendent, de ce qu'ils palpent. Si
quelques incrédules ojit donné dans cet excès d'absur-
dité, ils sont abandonnés par tous les autres, et ne mé-
ritent pas qu'on leur réponde ; mais comme les preuves
de la religion chrétienne sont de l'ordre moral , c'est sur
ce genre de certitude que les déistes se rabattent, c'est
contre elle qu'ils dressent toutes leurs batteries.
ARTICLE II.
Existence de la certitude morale.
§1.
Preuves de l'existence de la certitude morale,
XLIL Une première raison de croire à la certitude
morale , c'est qu'elle nous est absolument nécessaire
pour nous diriger dans cette vie. En réfléchissant sur la
conduite de la Providence à mon égard , je vois qu'elle
m'a donné deux genres de certitude appropriés à mes
besoins : la certitude métaphysique , pour me faire con-
naître les vérités intellectuelles; et la certitude phy-
sique , pour me donner la connaissance des objets qui
tombent sous mes sens; mais il y a une infinité de
choses qu'il m'est essentiel de savoir avec certitude ,
et dont je ne puis avoir une pleine assurance, ni par
des raisonnements abstraits, parce qu'elles ne sont pas
essentielles, ni par mes sens, parce qu'elles sont hors
de leur portée. Je ne puis exister à la fois en divers
164 DISSERTATIONS
temps et en divers lieux. Il y a cependant une mul-
titude de choses que je suis intéressé à savoir certaine-
ment, et qui se sont passées dans des temps et dans
des lieux éloignés. Ces sortes de choses sont même en
plus grand nomhre, et il m'est au moins aussi néces-
saire de les connaître, que celles qui sont à la portée
de mon raisonnement et de mes sens. Puis-je penser
que le bienfaisant auteur de mon être ait laissé son
ouvrage imparfait , et qu'après avoir pourvu avec tant
de soin et d'abondance à tous mes autres besoins, il
ait négligé un des plus essentiels? Les ennemis de la
certitude morale sont obligés d'admettre cette sorte di;
blasphème eonlre la Providence, qu'elle n'a voulu
pourvoir qu'imparfaitement aux besoins de sa créature,
et qu'elle a voulu la tenir dans le doute , dans l'igno-
rance et dans l'erreur sur une grande partie des choses
qu'il lui est le plus nécessaire de savoir; mais en recon-
naissant l'existence de la certitude morale et l'autorité
du témoignage des hommes , cette contradiction dans
la Providence disparaît. Ce que je ne peux savoir par
ma raison et par mes sens , je l'apprends des autres
hommes qui le savent; et je l'apprends avec certitude
quand leur témoignage réunit les qualités qui l'opè-
rent.
XLIII. Passons maintenant de ce que nous jugeons
avec fondement que la Providence a dû établir, à ce
qu'elle a réellement établi , et de ce qui doit être , à ce
qui est vérital3lcment. lin jetant les yeux sur le monde ,
je vois la société entière réglée par la certitude mo-
rale.
C'est la certitude morale qui dicte les lois : les lé-
gislateurs les rédigent d'après la connaissance des incli-
nations , des passions , des intérêts , des vices , des
vertus des hommes, et des moyens les plus propres à
les porter au bien et à les éloigner du mal.
C'est la certitude morale qui prononce les arrêts :
le juge n'est pas témoin des faits qui lui sont déférés ;
il faut donc que les sens d'autrui servent de supplément
SUR LA RELIGION. 165
aux siens , et que le témoignage remplace sa connais-
sance et la lui donne .
C'est sur la certitude morale que reposent les droits
civils : ils sont établis dans des actes rédigés d'après
des témoignages, et dont l'authenticité n'est constante
que par des témoignages.
C'est la certitude morale qui est la base du com-
merce ; c'est la connaissance des intérêts divers par
lesquels les hommes sont conduits , qui dirige les opé-
rations du négociant.
C'est la certitude morale qui fait fleurir les sciences :
il y en a plusieurs qui portent entièrement sur ce
fondement ; et même , dans celles qui portent sur la
certitude soit métaphysique , soit physique , quel est
l'homme assez instruit pour n'avoir pas besoin de s'aider
des connaissances d'autrui ? quel est le savant qui ait
fait tous les raisonnements ou toutes les expériences?
Le monde serait livré à la plus profonde ignorance ,
si chacun ne savait que ce qu'il a appris de sa propre
raison et de ses sens.
Enfin, c'est la certitude morale qui dirige toutes les
actions de la vie privée ; c'est la connaissance des es-
prits et des caractères , acquise souvent par les relations
d'autrui , qui unit et rapproche les hommes , forme
et dissout les sociétés. Et l'incrédule lui-même , n'est-ce
pas par la certitude morale qu'il règle toute sa conduite?
Quelle est donc son inconséquence, de rejeter dans la
spéculation ce qu'il est forcé de suivre dans la pra-
tique , de raisonner d'une manière et d'agir de l'autre ,
de démentir à chaque moment ses principes par sa vie?
Qu'il voie donc enfin qu'en détruisant la certitude
morale il fait écrouler du même coup tous les fon-
dements de la société humaine. Pourra-t-il , sans fré-
mir , envisager cette terrible mais inévitable consé-
quence de son système , qu'il n'y a plus entre les
hommes aucun rapport certain ; que toutes les rela-
tions sociales, livrées à l'incertitude, n'ont plus de
166 DISSERTATIONS
règle fixe ; que toute la vie huniaine reste sans principe
assuré, et la conduite sans motif déterminant?
Xljy. Je demande à tous les hommes , aux déistes
eux-mêmes, s'ils veulent être de bonne foi : N'y a-t-il
pas de certains faits dont ils sont séparés par un grand
intervalle de temps ou de lieux , dont ils sont cependant
aussi certains , et sur lesquels ils ont aussi peu de doute
que s'ils en avaient été témoins eux-mêmes (1)? Par
exemple, ne sont-ils pas aussi assurés qu'ils puissent
l'être, de l'existence des villes de Rome , de Londres,
de Pékin , quoiqu'ils n'y aient jamais été? Ne sont-ils
pas pleinement certains de l'existence d'Alexandre, de
César, de Scipion? La certitude qu'ils en ont n'est que
de l'ordre moral; mais elle équivaut à toute certitude
physique qu'ils auraient pu avoir en allant dans ces
villes ou en voyant ces héros (2). Entrons à ce sujet
dans quelques détails : voyons d'al)ord ce qui motive
cette certitude et la rend égale à toute autre, et ensuite
quelles sont les qualités que doit avoir le témoignage
pour opérer une certitude de ce genre.
(i) Snnt qui puraiit cbrisliannm religionem propterea ridendam
potias quam teneiidim, quia in ea non res quae videaiur ostenditui ,
{.ed fides leMiin quae non vidcntur hominibus iniperatnr. Nos ergo
ad hos refellendos qui prndentei silii videntar nolle credere quod vi-
dere non possunt ; etsi non valenius humanis aspeclibus monsliare di-
vina quae credimas, tanien hnnianis raenlibus etiain illa quae non vî-
den'ar, credenda esse uionstramus. Ad primum isli, quos oculis Gar-
nis sic slultilia fecit obnoxios, ut qund pcr eos non (?prnunt, non
sibi existiiuent esse credendiim, adruonendi sont qnaiu multa non so-
Inm credant, veium etiam .sciuiit, quae lalibus ocubs videri non pos-
snnt. {S. ^l'g.^ de Fide rcriiin quœ non vldentur ^ cap. i, n** i.)
(a) Si enim ea quae non vidimos, boc est in praesenti apparenfia
non sensitnus vel inenic, vel corpoie nnllo modo credidissimos,
unde sciiemus esïe civitales ubi nunqnam fuimus ; vel à Roinulo con-
ditatn Romam , vel, ut de piopioiibus loquar, Constanfinopolim à
Constantino ? Unde postreiuo scirenuis quinam parenles nos ])rocre-
iissent , quibus patiibus, avis, niajoiibns geniti esseinus ? (5. Au-
î;ust.y de ^idendo Dec, seu ejnst, cxi.vii, al'as cxii ad Paulin.,
n» 5.)
SUR LA RELIGION*. 167
XLV. In fait physique est de nature à être observé
par tous les hommes. Les choses que j'aurais vues ,
ouies , palpées, si j'avais été sur les lieux, l'ont éU' par
tous les hommes qui étaient présents ; ils ont acquis la
certitude que j'en aurais eue. Cette certitude est en eux
de Tordre physique, puisque c'est par leur sens qu'elle
leur est venue; mais ils peuvent, par leur relation, me
la transmettre telle qu'elle est dans eux : elle ne s'af-
faiblit pas en venant d'eux à moi ; elle ne perd pas
de son poids en passant de l'ordre physique à l'ordre
moral.
La certitude physique et la certitude morale sup-
posent deux choses : un rapport fait , et un jugement
porté sur ce rapport. Les sens sont dans l'une ce que
les témoins sont dans l'autre; et les témoins font dans
celle-ci la fonction que les sens faisaient dans celle-là.
Mais , d'une part et d'une autre , ce ne sont que des
témoignages, et des témoignages sujets à erreur, et la
raison doit prononcer sur leur véracité. Les sens peuvent
être mal disposés; des hommes peuvent se tromper ou
vouloir tromper. Il faut donc joindre , soit à l'un , soit
à l'autre témoignage, une opération de l'esprit, un
jugement qui assure qu'il est véritable. La question se
réduit donc à savoir si je puis former un raisonnement
aussi juste , aussi certainement concluant sur le rapport
des autres hommes que sur celui de mes sens.
La certitude d'un vaisoxinement dépend de deux autres,
de celle des principes et de celle de la conséquence.
Assuré de la vérité de mes principes et de l'exactitude
de ma conséquence, je suis certain de ma conclusion.
Or, le raisonnement de l'ordre moral peut porter sur
des principes aussi certains, et offrir une conséquence
aussi exacte que le raisonnement de l'ordre physique.
D'abord , cette vérité est évidente relativement à la
conséquence. Il serait absurde de prétendre que des
principes moraux on ne peut pas tiier des conséquences
avec autant d'exactitude que des principes physiques et
même des axiomes mathématiques. La justesse du rai-
168 DISSERTATIONS
sonnement ne dépend pas de celle du principe : on peut
raisonner très-faussement d'après un principe vrai , et
très-justement d'après un principe faux.
Ensuite, l'ordre moral peut me présenter des principes
aussi certains que l'ordre pliysique. La certitude pliy-
sique a pour base ce principe : il est impossible que tous
mes sens, réunis et bien disposés, s'accordent pour me
tromper. La certitude morale est fondée en grande partie
sur ce principe : il est impossible qu'une nombreuse
multitude d'iiommes, qui ne sont ni des fourbes, ni des
fous, s'accordent pour me tromper sur un fait qu'ils
ont tous vu. Je dis, et je ne crois pas qu'aucun liomme de
bonne foi me le conteste , que cette seconde proposition
est aussi certaine , et ne laisse pas plus de doute que la
première. Les deux impossibilités sont de genre diffé-
rent , mais elles sont égales entre elles. L'accord de
cette multitude pour me tromper est aussi moralement
impossible que l'accord de tous mes sens pour m'induire
en erreur est impossible physiquement. Un exemple
rendra cette vérité plus sensible : Je suis assuré que
Louis XV a existé, parce que je l'ai vu et entendu ; mais
je suis également certain de l'existence de Louis XIV,
mort longtemps avant ma naissance , parce que beau-
coup de personnes dignes de foi me l'ont attestée ; j'ai
et je dois avoir une confiance aussi grande dans le rapport
de ces personnes, au sujet de Louis XIV, que dans
celui de mes sens relativement à Louis XV; et ma
certitude morale sur l'un de ces princes est égale à ma
certitude physique sur l'existence de l'autre , puisque je
ne puis pas avoir plus de doute sur le premier fait que
sur le second.
Puisque je puis avoir des principes moraux certains
comme le sont les principes physiques , et que de ces
principes je puis tirer des conséquences aussi justes, je
puis donc être aussi assuré des résultats de l'ordre moral,
que de ceux de l'ordre physique : il existe donc vérita-
bl(;ment une certitude morale, de même qu'il existe
une certitude physique.
SUR LA RELIGION. 169
XL\I. C'est à la certitude physique que je compare
ia certitude morale, et non pas à la certitude métaphy-
sique. J'en ai déjà donné une raison; c'est que celle-ci
n'est pas susceptible des exceptions que peuvent souffrir
les deux autres. J'en ajouterai une seconde : un grand
nombre de démonstrations qui opèrent la certitude mé-
taphysique , nous montrent non-seulement que les choses
sont, mais encore les raisons pour lesquelles elles sont;
c'est ce qu'on appelle, dans l'école , des démonstrations
a priori , dans lesquelles on fait connaître les choses par
leurs causes. Les preuves de l'ordre physique ou moral
ne sont pas d'un genre aussi scientifique; elles ne re-
montent pas aux causes, elles ne nous montrent pas
pourquoi les choses sont, elles nous font voir seulement
qu'elles sont : mais sur ce point, sur la simple existence
des choses, elles sont aussi tranchantes que les autres,
elles forcent l'assentiment , et satisfont aussi pleinement
l'esprit, que peuvent le faire toutes les démonstrations
à priori. Il ne reste pas plus de doute après les unes
qu'après les autres.
XLVII. Pour éclaircir et fortifier encore ce que je
viens d'exposer , je vais examiner les caractères que doit
avoir un témoignage pour opérer une véritable certi-
tude. On peut les rapporter à deux chefs, savoir : que
sur les faits qu'ils rapportent, les témoins ne soient ni
trompés, m trompeurs. Si je puis être assuré de ces
deux choses, je serai certain du fait : la certitude morale
repose sur celte double assurance; si, au contraire, il
me reste quelque doute sur l'un ou sur l'autre artic'le
je n ai plus de certitude : le fait devient douteux , dès
que, de bonne ou mauvaise foi , celui qui l'atteste peut
présenter l'erreur. Nous avons des moyens de connaître
positivement si des témoins ont été induits en erreur ou
- cherchent à nous y induire.
^ En premier heu, je juge avec assurance qu'un homme
n^a pas pu être trompé sur un fait, quand son témoi^mage
reumt deux conditions: la première, qu'il ait été à
portée de bien connaître le fait; la seconde, qu'il soit
Disserl. sur la ReUg. 3 ^
170 DISSERTATIONS
capable d'en ju{]cr sainement : c'est la connaissance de
SCS facultés corporelles et intellectuelles qui me déter-
mine. J'Iiésitorai à croire un lionnne qui a la vue basse,
sur un fait passé à une certaine distance de lui; mais
je le croirai autant qu'un autre, si le fait a eu lieu
absolunicnt sous ses yeux, tellement qu'il ait pu le bien
voir. Le témoignage d'un imbécile, d'un bomme sol-
temenl crédule, me sera justement suspect; mais j'ob-
serve que, pour juger d'un fait, et surtout d'un fait
simple et palpable,, pour s'assurer qu'il n'y a pas de
méprise, on n'a pas besoin de talents; le simple bon
sens, le sens le plus commun, est le degré d'intelligence
uécessaire et suffisant pour s'assurer de la réalité de
semblables faits; et son jugement, à cet égard, est
aussi certain que celui du plus profond génie.
En second lieu , la certitude qu'un témoin n'a pas
voulu tromper, est appuyée sur ces qualités morales,
sur la nature de son témoignage et sur les circonstances
qui l'accompagnent. La probité reconnue de ce témoin
ne peut pas à elle seule fonder une certitude; elle ne
forme qu'une probabilité, parce qu'il est impossible
d'en être absolument assuré. Il se peut que ce soit un
hypocrite ou que sa vertu se démente dans une occa-
sion : mais si, à ce que je connais de son caractère
moral, il se joint qu'il n'a aucun intérêt à ce qu'il
dépose , qu'il dépose même contre son intérêt , et que
son témoignage l'expose à des dangers, je juge avec un
bien plus grand fondement encore en faveur de sa
Téracité;si, de plus, sa relation n'est pas vague, mais
circonstanciée, s'il la soutient constanunent, si, pou-
vant être vérifiée, elle n'est pas contredite, si ceux
même qui auraient intérêt à la contester en conviennent,
trouvant toutes ces circonstances réunies , je prononce
avec certitude que cet bomme n'a pas voulu me trom-
per.
Je viens de faire des hypothèses sur les moyens de
connaître avec certitude que les témoins d'un fait n'ont
été ni trompés ni trompeurs. Mais , dans la pratique ,
SUR L.V RELIGION. 17 1
ces suppositions peuvent -elles se réaliser? Pouvons-
nous trouver dans des témoignages humains une réu-
nion de ces conditions assez complète pour opérer une
vraie certitude? Oui, sans doute , et je dis qu'elle se
trouve dans deux cas : le premier , quand c'est une
nombreuse multitude qui atteste un fait dont elle a
été témoin ; le second , lors même que ce n'est pas une
multitude d'hommes qui atteste le fait, mais que la qua-
lité du témoignage supplée au grand nombre des témoins.
XLVIII. D'abord , le très-grand nombre des témoins
forme une preuve qu'ils n'ont pu ni être induits en
erreur , ni chercher à y induire.
1° Je suis assuré qu'ils n*ont pas pu être tous trom-
pés sur le rapport de leurs sens. Il est moralement
impossible qu'une troupe nombreuse d'hommes , qu'on
n'a pas choisis exprès, soit composée entièrement de
personnes dont les sens soient mal organisés , ou qui
soient dénuées de la plus faible dose d'intelligence
nécessaire pour juger de la réalité d'un fait qu'elles
ont sous les yeux. Ces sortes d'hommes sont partout en
si petit nombre , qu'on doit les regarder comme des
exceptions, et qu'on peut les compter absolument pour
rien. Il est absurde de supposer que la multitude ,
dont les sens et l'esprit sont sains, au lieu de rectifier
l'erreur où ce peu d'hommes mal organisés de corps et
d'esprit seraient tombés , soient au contraire entraînée
par eux , et se laissent persuader , par eux , qu'ils ont
vu, entendu, touché des choses qui n'existaient pas ,
et que ce soit le très-petit nombre qui ait fait la loi
et imprimé la persuasion au très-grand, les imbéciles
aux gens sensés, les hommes privés de leurs sens à
ceux qui en jouissent.
2" Je suis assuré pareillement qu'une multitude
d'hommes, surtout si on n'a pas été les choisir exprès,
n'a pas pu chercher unanimement à me tromper. Pour
le prétendre , il faut soutenir de deux choses l'une :
, ou qu'ils se sont concertés pour faire ce faux rapport ,
ou que, sans se concerter, ils se trouvent unanimes
172 DISJÎERTATIONS
dans leur fausseté. Une conspiration pour tromper le
public, foiinte par une nombreuse multitude, est une
chose impraticable, et présente plusieurs iiupossibililés.
Impossibdité que dans un si grand nombre d'Iiommes,
il ne s'en trouve pas qui soient honnêtes et que l'idée
du njenson(^e révolte ; impossibilité que tant d'iiomnies
s'accordent ensemble pour un pareil plan ; impossibilité
qu'entre eux tous le complot soit tramé avec se*cret;
impossibilité que ce secret ne soit pas , par la suite ,
éventé; impossibilité que cette troupe nombreuse, ré-
pandant le fait en divers lieux , s'accorde constanjment,
soit sur le fond, soit sur les circonstances. L'uniformité
absolue d'un grand nombre de fausses relations sans
concert , serait plus absurde encore : ce serait un effet
sans cause : on n'en connaît point dans la nature. Ce
qui engage les hommes à mentir , est quelque passion
ou quel(|ue intérêt; mais les passions ou les intérêts
variant à l'infini, les mensonges ne peuvent pas être
uniformes. Chaque menteur a son but particulier, et
l'erreur qu'il présente est toujours relative aux vues
personnelles qui le font agir. Quand, malgré la pro-
digieuse variété des passions qui agitent les hommes ,
d'intérêts qui les divisent, je vois un nombre considé-
rable d'individus former un même témoignage , j'en
conclus avec certitude, 1° qu'ils ont un point de réunion
commun ; 2° que ce point de réunion est la vérité. La
raison en est évidente : c'est qu'il n'y a que la vérité
qui soit une; et elle l'est de sa nature, parée qu'elle
n'a qu'un seul principe. Au contraire , les erreurs sont
nécessairement multipliées, parce qu'elles ont une mul-
titude de causes (1). Ainsi, en supposant dans tous ceux
(i) Qnid igiJur nt qai viam rectam ne«cjt , nbi , ut fit , in plures
una diffuriditur, hTret anxius , nec singnlas andet eligere, nec uni-
versas probare; sic coi non est ven sfabile jndi« inm , proot infida
snspicio spargitar, it.» ejus dubia opinio dissipatar. Nullum itaqoe
Bliracalani est , si Cœcilins identidem in contranis ac repagnanlibas
jactetar astn et fluctaetar. (Minucius-Felix-Octayius , cap. xvi.)
SDR LA RELIGION. 173
qui composent une troupe nombreuse, des projets de men-
tir, il ne pourra pas en éclore un seul et même mensonge,
XLIX. Voici donc une première vérité constante.
Lorsque c'est par une multitude nombreuse qu'un fait
est rapporté, on en a une certitude morale à raison de
la double impossibilité que cette multitude entière
soit tiompée ou veuille tromper sur ce point. 3Iais il
est possil)le aussi d'acquérir la même certitude , lors
même qu'on n'a pas une quantité aussi considérable de
témoifts. La connaissance que Ton a , soit des témoins ,
soit du témoignage, peut donner une égale assurance
du fait attesté; pour cela, il faut que la qualité des
témoignages supplée leur quantité : ce qui peut être ,
et ce qui est véritablement, quand on est certain qu'ils
réunissent les conditions suivantes :
1" Qu'il y ait un nombre raisonnable de témoins; un
seul, ou deux, ou trois, pourraient ou s'être trompés
o u s'être concertés pour tromper ;
2" Que le témoignage ait pour objet un fait simple
et palpable;
3° Que les témoins connaissent le fait cju'ils rap-
portent , non sur des relations étrangères , mais par
eux-mêmes et par le rapport de leurs propres sens ;
4° Que ces ténioins aient été à portée de bien voir, ou de
bien entendre, ou de bien toucher le fait qu'ils racontent ;
5^ Qu'ils aient la médiocre portion d'intelligence né-
cessaire pour qu'on ne leur fasse pas accroire qu'ils
ont vu ce qu'ils n'ont pas vu;
6° Que tout annonce en eux des hommes d'honneur
Quis possit indocins apta inler se et coha?rentia Cngere, cuni phi-
losoph'<rniu doc as si mi, Plato , et Aris?ote'es, et Epicarus , et Zeno ,
ipsi bibi repu„nantia et contraria dixerint ? Haec est eniin inendacio-
rora natura , ui cohaeiere non possint. IHorum auteiu (piioruiu reli-
giunis praedicatonim ) tr;idi;io, qaia veia est, quadial undirjae, ac
tota sifii C(ln^en'lt ; et ideo persuadât quia constai.ti ratiune suffalta
est. {Lactant. Divin. Instit. ^ lib. v, cap. 3.)
Hic oslendii militas esse iinpieialis vias , veriiatis antem anam.
Eteciim varia, multiformis el confusa res est erior ; verilas auiem
uaa, [S. Joan. Chrys. in epist. ad Rom. Homil. iri , n° 2.)
174 DISSERTATIONS
et de probité, et qu'on ne leiîr connaisse aucun vice
qui fasse suspecter leur véracité ;
7" Qu'ils» n'aient aucun intérêt personnel , soit de
fortune, soit de passion, soit de gloire, soit de tout
autre genre, à rnp])orter le fait;
8° Que leur relation soit faite dans un temps et dans
des lieux voisins du fait , et accompagnée de circons-
tances; en sorte que l'on puisse facilement la vérifier au
moment où elle se produit ;
9*» Que leurs dépositions soient et constantes sans
variations, et uniformes sans contradictions;
10" Enfin, que leur narration ne soit pas contestée
dans le temps où ils la font, ou ne le soit que par de
frivoles diflicultés.
De ces dix conditions , les cinq premières garantissent
les témoins de l'erreur, les cinq dernières répondent
de leur véracité. Or, dès que nous sommes assurés de
ces deux points , nous le sommes , par une conséquence
nécessaire de la vérité du fait qu'ils affirment. Ils n'ont
pas été trompés, donc ils ont eu la certitude; ils n'ont
pas trompé, et par là ils nous l'ont transmise.
L. J'avertis qu'en disant qu'un témoignage revêtu de
ces conditions ne peut pas être faux, je ne soutiens
sa certitude que relativement à la réalité du fait simple
et palpable sur lequel il porte. Quant à la qualité du
fait , à ses causes , à ses conséquences , il est possible
que les témoins les mieux disposés, qu'une multitude
d'hommes soient induits à erreur. Le discernement de
ces choses peut supposer des connaissances supérieures
à celles que je viens d'exiger. J'aurai occasion de faire
usage de cette observation et de la développer plus ample-
ment, quand j'examinerai l'objection contre lacertitude
des miracles^ fondée sur la possibilité de faire croire à
tout un peuple qu'un tour d'adresse est un fait miraculeux.
Après avoir prouvé , et , je crois , d'une manière
satisfaisante, la réalité de la certitude morale, il ne
reste plus , pour éclaircir et confirmer encore cette
vérité , qu'à répondre aux objections par lesquelles on
SUR LA RELIGION. 175
l'attaque, TexameQ de ce qu'on lui oppose achèvera de
le mettre dans tout son jour.
§"•
Réponse aux objections contre l'exiitence de la certitude morale.
LI. « Vous comparez , nous disent les incrédules , la
« certitude morale à la certitude physique , et vous
« prétendez qu'elles sont égales? Mais cette assertion
« répugne à toutes les idées de la raison, à tous lesju-
« gements de l'expérience , à toutes les convictions du
« sens intime. Consultez tous les hommes; les plus
«e simples même et les plus bornés vous diront qu'ils
« sont infiniment plus certains de ce qu'ils ont vu eus-
« mêmes, que de ce qu'ils ont appris par des oui-dire. ^
LU. Cetie difficulté n'est fondée que sur la confusion
de deux choses , qu'effectivement beaucoup de person-
nes ne distinguent pas : la certitude qu'on a d'un fait,
et l'impression que cause la présence de ce fait. Je con-
viens que l'on est beaucoup plus frappé de ce qui se
passe sous les yeux, que de ce que l'o:: entend raconter.
Mais je nie que , dans tous les cas , on acquière par ses
propres sens , une persuasion plus forte que celle qui est
opérée par des témoignages humains. Pour faire sentir
plus clairement cette différence entre la certitude d'un
fait et l'impression qu'il produit, reprenons un exemple
que j'ai déjà donné. Un homme n'a jamais été à Rome,
ou à Londres, il n'en est cependant pas moins sûr de
l'existence de ces deux villes. Qu'il y voyage ensuite, il
sera frappé de la grandeur, de la beauté de ces villes;
mais il ne sera pas plus certain de leur existence qu'a-
vant d'y aller. La vue de ces villes ne lèvera aucun
doute qu'il eut précédemment, puisqu'il n'en avait nul-
lement. Peut-être croira-t-il lui-même être plus sûr que
ces villes existent , parce qu'il les aura vues ; mais ce
sera une illusion de son imagination qu'il confondra
avec sa raison.
LUI. Je puis même aller plus loin , et dire qu'il y a
des occasions où je dois croire le rapport des autres
^^^ DISSERTATIONS
tiOMunes, depréfi'renceà mes propres sensations ; ce sont
celles ou mes sens peuvent me tromper, et où les té-
moignantes étran.oeis portent le caractère de la vérité.
1 ar exemple , j'ajHTvois de loin une tour : mes yeux
mêla font juj;er ronde; mais des personnes qui y ont
ete m assurent qu'elle est carrée : je dois les croire et
je les crois eifectivement plus que mes propres veux
Au reste , je ne prétends pas (p,e tout oui-dire' opère
une persuasion éjjale à celle qu'inspirent les sens. J'ai
marque les conditions nécessaires pour que des témoi-
gnages liuuiai. s portent une vérité jusqu'à la certitude •
je reconnais même sans diniculté qu'on a généralen.en't
plus de confiance dans ses propres sens que dans des
rapports étrangers; la raison en est siniple , c'est qu'il
est plus commun et plus aisé d'acquérir la certitude
par i un que par l'autre de ces moyens. Il n'en est pas
moins vrai que , lors qu'on l'a acquise , soit par l'un
soit par l autre, elle ne soit égale, excluant pareille-
ment tout doute.
LIT . Voici une seconde difficulté ; « Ce que l'on
- appelle certitude morale n'est autre chose qu'un
- amas de probabilités, qu'une probabilité portée au
- plus haut degré. Un témoin rend le fait probable ,
«« surtout s'il est connu pour un honnête homme. Tous
• Jjs autres qui s'y joignent ajoute de nouvelles proba-
« bilites à la première; et ainsi s'augmente le degré
•• de probabilité dans la proportion des témcins : mais
« tout cela n'est pas de la certitude. La réunion d'un
« très-grand nombre de probabilités ne peut produire
« qu'une extrême probabilité; elle ne peut jamais de-
« venir une certitude. »
L\. C'est une question sur laquelle les opinions sont
partagées, de savoir si c'est la léunion d'un certain
nombre de probabilités qui opère la certitude, ou si la
certitude est absolument étrangère à la probabilité.
Mais nous n'avons pas d'intérêt à la discuter ; laissons à
la métaphysique ces disputes, consentons à admettre
le système le plus favorable à nos adversaires , celui
SUR LA RELIGION. l77
dont ils argumentent. J'admets donc avec eux que cha-
que témoignage particulier ne donne qu'une probabi-
lité ; comment peuvent-ils conclure de là que la réu-
nion de beaucoup de témoir^na^^^es n'opère pas une cer-
titude? qu'elle relation y a-t-il entre le principe et leur
conséquence? J'aimerais autant qu'on me dît que plu-
sieurs verres de vin ne causent pas l'ivresse , parce que
chacun d'eux ne l'opère pas. Plusieurs causes peuvent
produire par leur réunion , un efïet qu'aucune d'elle
isolée , ou même que plusieurs condjinées n'auraient
pas la force d'opérer ; et c'est ce qui arrive dans le sys-
tème que nous avons adopté. Au moment ou le concours
des probabilités opérées par le nombre et la qualité des
témoignages arrive au point d'exclure le doute, la pro-
babilité cesse et la certitude commence. Si je n'avais ,
pour croire l'existence de la ville de Rome, qu'une ou
deux des autorités qui me l'attestent, il me resterai
quelques doutes et par conséquent je n'en serais pas
certain ; mais la multitude de témoignages qui me con-
lirment cette vérité bannit tout doute, et par conséquent
me donne la certitude.
Les adversaires de la certitude morale ne veulent pas
qu'un concours de probabilités de cet ordre opère la
certitude. 3Iais nous pouvons leur faire sur la certitude
physique qu'ils reconnaissent , un raisonnement pareil
auteur. Rien n'est plus possible, et même plus com-
mun , que d'être trompé par un de nos sens ; et alors
c'est le concert de nos sens qui opère la certitude. Je
puis avoir du doute sur ce que je n'ai fait que voir, parce
qu'il est possible que j'aie mal vu; mais si j'ai entendu,
touché, senti le même objet, je n'ai plus de doute, je
suis dans un état complet de certitude , parce que les
autres sens ont rectifié Terreur du premier. Dans ce
cas, chaque sens particulier ne donne qu'une piobabi-
lité ; c'est leur réun'on cnii forme la certitude. Sur cela,
je propose aux incrédules ce raisonucment à résoudre :
ou plusieurs probabilités ne peuvent pas, ainsi que vous
le prétendez, former une certitude; et, dans ce cas,
8^
1/8 DISSERTATIONS
que devient la certitude pliysique que vous admettez ?
ou elles peuvent l'opérer; et dansée second cas, votre
difliculté contre la certitude morale est nulle. Je le ré-
péterai toujours : il en est de l'une de ces certitudes
comme de l'autre; nos sens sont absolument à celle-là
ce que les témoins sont à celle-ci.
LVl. Ce qui fait impression à quelques personnes
relativement à cette difficulté, c'est que, dans l'ordre
moral, il est impossible de marquer le point précis
où on passe de la probabilité à la certitude. Ce point
est celui où le témoignage devient assez fort pour ban-
nir tout doute; mais c'est là ce qu'on ne peut pas fixer
avec certitude. Gardons-nous , cependant , de conclure
de là qu'on ne puisse jamais regarder une chose comme
moralement certaine. J'aperçois bien distinctement les
diverses couleurs de l'arc-en-ciel , mais leur dégiada-
tion m'empèclie de remarquer avec précision leurs divi-
sions. La probabilité et la. certitude sont deux terri-
toires dont les limites ne sont pas marquées avec une
telle clarté qu'on puisse dire positivement où finit l'un
et où commence l'autre ; mais quand on s'écarte de
leur frontière commune , on sait très-bien sur lequel
on se trouve. Les conséquences à tirer de cette confusion
de limites sont : 1° qu'il y a des cas où on ne peut
pas savoir au juste si on doit regarder une telle chose
comme certaine , ou seulemeni comme très-probable ;
2° que dans la pratique il faut se montrer plus exigeant
que facile , et exiger plutôt une plus grande qu'une
moindre réunion , soit de témoignages , soit de condi-
tions nécessaires à leur validité.
LYIL Les incrédules poursuivent leurs difficultés.
« En admettant, nous disent-ils, que les témoins d'un
u fait puissent transmettre à d'autres la certitude qu'ils
« en ont eux-mêmes, au moins ne doit-on reconnaître
« ce privilège que dans eux. Ceux à qui ils ont raconté
« le fait , n'en ont pas été témoins comme eux ; leur
« suffrage ne doit pas avoir la même autorité; ils ne
•< sont témoins que du témoignage : plus la déposition
SDR LA RELIGION. 179
« s'éloigne de la source , plus elle perd de sa force. A
« la troisième relation, le narrateur ne peut plus cer-
« tifier autre chose , sinon qu'on lui a attesté que tel
« fait avait été attesté par des témoins oculaires; et
* ainsi le poids du témoignage va en diminuant , à me-
- sure qu'il passe par diverses bouches. Un géomètre
« anglais , M. Craigh , a cherché à soumettre au calcul
« cette décroissance graduelle de la preuve testimoniale,
« et à montrer par combien de générations elle doit
« passer pour dépérir absolument. Mais , sans entrer
« dans ces supputations , la raison et l'expérience cons-
« tante montrent que l'on a, et avec raison, plus de
« confiance dans un récit qu'on tient de la première
K main , que dans celui qu'on ne reçoit que de la se-
m conde; dans la seconde relation, que dans la troisième,
« et ainsi de suite. Si de ce qui se passe dans la vie pri-
« vée on passe à l'ordre public , on voit les histoires des
« temps les plus anciens absolument ignorées; celles
M des temps immédiatement suivants, remplies de fables
« et d'incertitudes; et enfin ^ les narrations des histo-
« riens prendre plus de consistance, lorsqu'elles se
• rapprochent de notre temps. Il résulte de là , que s'il
M peut exister une certitude morale pour les faits ré-
■ cents , elle est absolument inadmissible relativement
« aux faits anciens, et que sur ceux qui sont éloignés
« de nous de plusieurs siècles, nous ne pouvons avoir
« que des probabilités plus ou moins grandes, mais
« qu'il est impossible d'avoir une véritable certitude. •
LVIII. C'est à tort que l'on prétend que l'autorité
d*un témoignage s'affaiblit nécessairement par le laps
du temps. Il peut se faire effectivement qu'en traver-
sant la suite des siècles il perde de son poids; mais
il est aussi très-possible qu'il se maintienne tout entier,
et qu'en vieiUissant il conserve toute sa force. Pour
connaître les cas où l'autorité d'un témoignage décroît,
et ceux où il la conserve, remontons aux causes qui
la lui donnent et à celles qui l'ont fait déchoir.
Ce qui produit la certitude d'un témoignage quel-
180 DISSERTATIONS
conque, je l'ai exposé ci-dessus; c'est la double assu-
rance que les témoins n'ont été ni trompés , ni trom-
peurs; donc, tant que le récit continue de réunir ces
deux conditions , la même certitude du fait rapporté
se conserve. Autant de temps que dure la cause , autant
de tenjps doit subsister son elï'et. Il peut arriver que
dans la succession du temps l'un ou l'autre de ces deux
fondements de la certitude morale vienne à manquer,
qu'on ne sacbe plus si le fait a été rapporté par des
témoins ou bien instruits ou fidèles , et alors la certitude
restée sans appui s'anéantit. Mais il est possible aussi
que. par la manière dont le fait nous est transmis,
nous saohions que les témoins ont connu et dit la
vérité. D'abord, nous pouvons connaître les témoins
eux-mêmes, et les cii constances de leur témoignage;
ensuite il est possible que nous sachions qu'un événe-
ment important et bien public a été cru dans son
temps universellement et avec certitude; et j'aurai in-
cessamment occasion de montrer que nous avons cette
connaissance, quand les historiens sont contemporains ( 1 ).
Or, dans ce cas, tous les hommes du temps où le fait
s'est passé, en deviennent pour nous les témoins, et,
Tomme je l'ai piouvé ci-dessus, il est impossible que
sur un fait clair et palpable, une multitude nombreuse
soit induite en erreur, ou veuille y induire (2), Assuré
qu'il n'y a eu dans les premiers témoins ni erreur, ni
fausseté, je suis certain du fait qu'ils attestent. Le cours
des années ne lait rien à cela. La certitude est dans
le second siècle comme dans le premier , dans le troi-
sième comme dans le second ; elle existera encore dans
le centième siècle , si les motifs de crédibilité sont aper-
çus avec la même assurance.
Eclaircissons encore, et confirmons ces principes par
des exemples tirés de l'histoire , lesquels , en même
(r) Voyez c'-flcssons, n° i.xv et lxvi, pages i85.
(ij Voyez ci-dessus, n° xlvi , page 169,
SUR LÀ RELIGION. 181
temps , répondront à ce qu'on nous objecte de l'in-
certitude des histoires anciennes comparées aux his-
toires modernes.
LIX. Il est tellement vrai que c'est, non pas l'an-
cienneté d'un fait, niaisrignorance des motifs de crédibi-
lité qui en détruit la certitude , xju'il y a des histoires
reconnues unanimement comme certaines, qui sont
beaucoup plus anciennes que d'autres généralement
regardées comme douteuses. On n'a aucun doute sur
la conquête de la Perse par Alexandre , et on en a
beaucoup sur les relations des peuples du Nord, à des
époques plus rapprochées. C'est qu'on sait par qui l'une
est attestée , et qu'on ignore par qui l'ont été les autres.
On est beaucoup plus persuadé de l'existence de Ly-
curgue, de Solon, de 3IiUiade, que de celle d'Ossian.
Je demande à ceux qui prétendent que la certitude
d'un fait s'affaiblit par le laps du temps, s'ils se tiennent
plus assurés de l'existence de Louis XIV que de celle
de Henri IV, que de celle de St. Louis , que de celle
de Charlemagne ? Je leur demande s'ils sont moins
certains que leurs pères des batailles de Pharsale et
d'Actium? si leurs pères en étaient moins certains que
leurs aïeux, et ainsi en remontant de génération en
génération? En instruisant les jeunes gens des faits
anciens, est-il jamais venu à l'esprit de qui que ce
soit de les prévenir que, chaque jour, les raisons d'y
croire diminuaient?
Les histoires profanes des temps les plus reculés sont
absolument inconnues; c'est que, ou elles n'ont pas été
écrites , ou les livres dans lesquels elles étaient con-
signées ont péri. Celles des temps très-anciens après
ceux-là sont mêlées de fables. La raison en est que les
premiers écrivains dont les ouvrages nous soient par-
venus sont des poètes qui y ont inséré les fictions de
leur iînagination. Celles des siècles qui ont succédé
immédiatement aux temps fabuleux sont incertaines,
parce que les historiens qui nous les rapportent étant
postérieurs de bien des siècles, nous n'avons pas de
182 DISSERTATIONS
raison suffisante pour croire qu'ils aient écrit sur des
mémoires authentiques et fidèles. Nous serions aussi
certains des événements de la vie de IVinuset de Minos ,
que de ceux relatifs à Jules-César et à Auguste, si
nous avions de même des histoires écrites d'après des
témoins oculaires, ou d'après des mémoires certams.
LX. Dans le cours ordinaire de la société , on a plus
de confiance dans une nouvelle que l'on tient immé-
diatement du témoin oculaire , que dans celle que l'on
apprend de l'homme à qui le témoin l'a racontée :
la raison en est simple. 11 est possible que celui qui
raconte une histoire d'après une autre, l'ait mal en-
tendue, et qu'il change quelque chose à la narration
primitive. Par le même motit , à mesure que le nar-
rateur s'éloigne de la source, son récit doit avoir moins
de poids. Rien n'est plus commun que de voir une
histoire, en passant par dillérentes bouches, changer
au point de devenir absolument méconnaissable. Je
conviens de cette vérité ; mais l'application qu'on n'en
a faite à la certitude morale est absolument injuste.
On parle de relations individuelles, faites d'une per-
sonne à une autre, de celle-ci à une troisième , et ainsi
de suite. Aucune de ces narrations n'a une autorité
suffisante pour opérer une certitude. Cet argument est
donc absolument étranger à la question de la certitude;
il pèche en ce qu'il applique à la certitude ce qui
n'est vrai que de la probabiUté. Les probabilités vont
toujours en décroissant à mesure qu'elles s'éloignent
de la source; mais en est-il de même de la certitude?
C'est ce qu'il faudrait, mais qu'on ne peut pas prouver :
tant qu'on est assuré qu'un fait a été certain, la cer-
titude en reste entière.
LXI. Ne pouvons-nous pas aller plus loin? Il serait
inexact, sans doute, d'avancer que le temps peut ac-
croître la certitude d'un fait; mais il est très-raisonnable
de dire que le cours des siècles peut apporter de nou-
veaux motifs de le croire. Je suppose un événement
très-public, très-important, arrivé il y a beaucoup de
SUR LA RELIGION. 183
siècles. Depuis ce temps il a été soumis au jugement
d'un très-grand nombre de générations : toutes l'ont
examiné d'autant plus attentivement , que toutes y
avaient intérêt; toutes ont prononcé que la déposition
des témoins oculaires était valide; toutes, d'après leur
témoignage, ont cru fermement le fait. Je demande
si leur sutlVage ne forme pas un puissant préjugé , s'il
n'ajoute pas un nouveau poids aux motifs de crédibilité?
Je ne dis pas que leur croyance opère par elle- même
une certitude; mais je dis que la certitude qu'on a
eue dans le temps , loin de s'affaiblir en traversant
toutes ces générations, a, au contraire, acquis un nou-
veau motif par racquiescemeut constant de tant de
siècles.
LXII. C'est donc une idée déraisonnable de vouloir
soumettre au calcul le décroissement progressif de la
certitude dans la suite des générations? Cette objection
ne peut avoir de la force que dans le cas d'un fait
transmis purement et simplement, sans qu'on sache
qu'il a été primitivement rapporté par des témoins
idoines; mais si, en m'instruisant du fait, je voisqueles
contemporains en ont été certains , je dois l'être comme
eux. Les hommes qui ont transmis la certitude de ce
fait, ont passé; mais ce n'est pas précisément sur ces
témoignages intermédiaires qu'est fondée la certitude;
ils n'en sont que les canaux. Le principe de ma cer-
titude est celle qu'ont eue les contemporains. Ils n'ont
pas pu être trompés ; leur certitude est donc un garant
assuré de la mienne.
Le prétendu calcul du géomètre anglais pèche encore
par un autre point. Il considère les générations comme
passant leur témoignage de l'un à l'autre, de même
qu'il passe d'un individu à un autre individu; ce qui
n'est pas vrai. Le genre humain se renouvelle par
parties : chaque homme passe une partie de sa vie
avec plusieurs générations précédentes, et une autre
avec plusieurs générations postérieures. Il n'y a pas un
moment où la société ne soit composée de beaucoup de
184 DISSERTATIONS
générations, depuis la naissance jusqu'à rextrême vieil-
lesse. Que devient après cela l'objection qui consiste à
dire que chaque génération n'a, pour donner son lé-
nioijjiia^je , <)ue l'autorité de la {jénération précédente?
Ce n'est j)as une génération qui le reçoit d'une autre,
ce sont trois, quatre, cinq générations qui le reçoivent
à la fois de trois, de quatre , de cinq autres. Cette trans-
mission se fait continuellement et sins interruption ,
tellement que, dans la suite des siècles, il n'y a pas de
moment où toutes les générations existantes ne reçoivent
et ne reportent le témoigna[;e , ne le reçoivent des
générations précédentes, ne le reportent aux suivantes :
elles sont toutes lés unes envers les autres, et par là
envers toutes celles qui doivent les suivre, garantes de
la vérité de la relation.
LXIIl. l'ne autre considération fait crouler par son
fondement toute l'objection dont il s'agit. Elle consiste
en ce que les faits ne peuvent pas être transmis avec
certitude , d'une bouche à l'autre; elle porte donc en-
tièrement sur l'autorité de la tradition orale Mais ce
n'est pas là la seule manière de transmettre des faits à
la postérité : il y en a deux autres, qui donnent des
événements une bien plus grande assurance ; ce sont
les monuments et l'histoire écrite. Entrons dans quel-
ques détails sur ces trois moyens d'être instruit d'un fait
ancien.
LXIV. Je conviens qu'une tradition orale seule et
isolée des deux autres moyens, ne peut pas imprimer
aux faits qu'elle rapporte une vraie certitude ; elle ne
peut transmettre qu'un très-petit nombre de faits qui
réunissent ces trois conditions, dont l'ensemble ne se
trouve pas communément : 1° une grande publicité, en
sorte que tout le monde en ait été instruit ; 2^ une très-
haute importance, telle que l'impression dans lc5 esprits
ait été profonde et durable ; 3° une extrême siuiplicité ,
c'est-à-dire, que le fait ne soit pas chargé de circons-
tances qui puissent , avec le temps , l'altérer. Mais
même, sur ce petit nombre de faits , il est impossible
SUR LA RELIGION. 185
que la seule tradition orale produise une vraie certitude.
J'en ai donné la raison , c'est que , pour être certains
d'un fait, il faut que nous ayons des motifs de croire
que les contemporains l'ont etc. Or, la tradition orale,
qui ne nous transmet qu'un fait extrêmement simple,
ne nous fait pas passer au bout d'un long temps ces
motifs.
LW. Le second moyen de faire passer la connais-
sance des faits à une longue suite de siècles, est les
monuments publics élevés pour en perpétuer le souvenir,
tels qu'une médaille frappée, une statue érigée, un
édifice bâti , une fête instituée en mémoire d'un événe-
ment. Pour qu'un monument puisse opérer la certitude,
il est nécessaire qu'il réunisse trois conditions : 1° qu'il
remonte d'une manière connue et incontestable à l'é-
poque même du fait; 2" qu'on soit assuré qu'il a été
élevé en l'honneur du fait : 3° que le fait pour lequel
il a été élevé ait été public et important. Un tel monu-
ment a bien plus de poids pour faire passer la connais-
sance et la certitude de l'événement aux générations
les plus reculées. Il atteste la persuasion certaine qu'en
avait le siècle où il s'est passé , et par là il la transmet
sans altération à tous les siècles qu'il traverse. Je ne
m'arrêterai pas à prouver ces deux vérités, parce que
ce n'est pas sur des monuments qu'est fondée la certitude
des faits que nos adversaires contestent et que nous
défendons contre eux, c'est sur l'histoire écrite. Je passe,
en conséquence, à ce troisième moyen de transmettre
les faits à la postérité.
LXVI. Ce moyen est le plus général pour perpétuer
la connaissance des faits publics et intéressants, et le
plus efticace pour en donner la certitude dans toute
la suite des temps. Je parle uniquement ici de l'histoire
écrite par des contemporains ou par des auteurs peu
postérieurs et écrivant parmi des gens bien instruits
des événenjents rapportés, ou enfin de ceux qui com-
posent leur histoire sur des mémoires authentiques et
186 Dissertations
publiés dans le temps des événements. Je prétends
qu'une histoire ainsi publiée, d'abord nous prouve la
certitude que l'on a eue de ces événements dans leur
temps, et ensuite lait passer sans altéjation cette même
certitude à tous les temps.
LXVII. En premier lieu l'histoire publiée et non
contredite dans le temps où les faits étaient parfaite-
ment connus de tout le public, prouve qu'alors on était
certain de ces faits. Celui qui publie l'histoire de son
temps, se soumet à la critique de tout ce qui l'envi-
ronne, il s'expose à être démenti au même instant; et
certainement il le sera, s'il avance quelque fait éclatant,
contraire à la vérité. Si actuellement un auteur s'avisait
d'écrire une histoire où il rap])orlerait , comme passés
sous nos yeux, des événements (je parle toujours d'évé-
nements solennels) dont nous connaissions la fausseté,
ou même dont nous n'eussions jamais entendu parler ,
il s'élèverait un cri général contre lui. Le mépris où
tomberait à l'instant son ouvrage , les contradictions
qu'il éprouverait , préserveraient la postérité de son
imposture. Un historien ne peut donc pas mentir sur
des événements très-publics arrivés de son temps, ou
dont la mémoire est encore toute fraîche , sans que
tout son siècle ne s'entende avec lui ; et un sem-
blable complot est absolument impossible. Ainsi, lors-
que je vois un auteur rapporter , sans être contredit
par personne, un fait éclatant et récent, il ne peut me
rester aucun doute qu'il ne dise la vérité. Le silence
de tous les témoins qui auraient été à portée de le
démentir, devient une preuve irréfragable de son récit.
Tous ces témoins, par l'assentiment qu'ils lui donnent,
parlent avec lui. Je recueille, en le lisant, leur témoi-
gnage, comme si, vivant au milieu d'eux , je les avais
entendus eux-mêmes. Or, ces témoignages opèrent en
moi une certitude pleine et entière ; car ils me trans-
mettent celle de tous les hommes du siècle où les évé-
nements se sont passés. C'est là ce que je disais il y a
SUR LA RELIGION. 187
un moment, que sans connaître nommément les té-
moins d'un fait, je puis , à raison de leur universalité ,
être certain de la vérité de ce qu'ils attestent (1).
On sent que ce que je dis de l'historien contempo-
rain est également vrai de celui qui est postérieur,
mais qui écrit sur des mémoires composés et publiés
dans le temps de l'événement. Ces mémoires présentent
de même la certitude du temps où ils ont été écrits.
Celui qui de nos jours compose Thistoire de St. Louis
sur les mémoires de Joinville, ou celle de Louis XI,
d'après les mémoires de Commines , donne à son ou-
vrage toute l'autorité dont jouissent ceux-là.
Je dis que si la relation de cet historien n'est pas
contredite, j'ai un motif légitime d'en être certain;
mais le motif de ma certitude sera encore augmenté,
si , ce qui arrive souvent , le fait raconté est de nature
à devoir être contesté : si , parmi les contemporains ,
il y en a un certain nombre intéressés à le nier. Lorsque
malgré cet intérêt, personne ne réclame; lorsque ceux
même dont le récit heurte les préjugés ou les passions,
se taisent , leur silence n'est plus un consentement ,
il est un aveu positif. Il n'y a pas de témoignage plus
fort en faveur d'une narration , que celui des personnes
intéressées à la contredire.
Un autre motif de certitude vient encore se joindre
aux autres, si, au lieu d'un seul, ce sont plusieurs
historiens contemporains qui rapportent le même fait
de la même manière. On ne peut ni imaginer que plu-
sieurs hommes se réunissent dans le même mensonge
sans se concerter, ni qu'ils se concertent pour se faire
mépriser par leur siècle et par la postérité.
LXVIII. En second lieu , il est évident qu'on ne
peut pas objecter contre la certitude résultante de l'his-
toire écrite, que les motifs de crédibilité s'affaiblissent
en passant de génération en génération , et de bouche
(i) Voyez ci-dessus , n" XLvi , page 169.
188 DISSERTATIONS
eu bouche. C'est un seul et uiêuie liomuie, c'est la
même bouche conteuiporaiiie de révénement , qui le
racoute successivement et de la uième manière à toute
la suite des générations; le livre se transmet de maiu
en main. Les lionunes qui se le conununiquent , se
suceèdent; mais il reste toujours le même. C'est un
témoin ori(jinaire, dont le lanjjage muet a dans tous
les siècles la même énerj;ie : il atteste la certitude qu'ont
eue du fait tous les contemporains; il Tatteste à toutes
les générations , il l'atteste à chacune avec un égal
poids, avec une égale autorité. La seconde génération
a autant de raison d'y croire que la première; la troi-
sième, que la seconde; la millième en aura autant que
toutes les autres.
LXIX. « 3Iais, dit-on, pour être certain d'un fait
« rapporté dans une histoire écrite, il faut d'abord être
3« assuré que cette histoire est authentique , e'est-à-dire
« qu'elle a été véritablement composée par un autre
«t contemporain. Or, combien n'avons-nous pas d'écrits
« apocry]>hes ? >»
LXX. Que prétend-on en produisant cette difficulté?
Qu'il n'y a pas de livres authentiques : ce serait une
absurdité aussi ridicule que grossière, et que les incré-
dules eux-mêmes ne peuvent pas avancer , puisqu'ils
citent contre nous divers ouvrages comme étant des
auteurs dont ils portent les noms. Veut-on seulement
dire qu'il est possible qu'un fait soit rapporté sous le
faux nom d'un auteur conlenqiorain ? Dans ce cas ,
l'objrction est nulle; nous ne parlons que de ces sortes
d'écrits. Quand nous disons que la relation d'un histo-
rien peut porter le caractère de la certitude , nous
supposons que la relation est incontestablement de cet
histoiien. Nous avons montré ailleuis cju'd y a des
règles pour juger avec une pleine assurance de l'au-
thenticité d'uîi ouvrage, et nous les avons exposées {!).
Il est inutile d'y revenir.
(4) Voyez preiiilèie dissertation, n° m et iv, pages 34 et 35.
SUR LA RELIGION. 189
LXXI. On élève contre la certitude résultante de
l'histoire , une autre difficulté. <« La plupart des liis-
« toires que nous lisons sont fausses. Outre que toutes
n celles des temps anciens sont évidemment mêlées
« d'erreurs, celles des temps postérieurs sont altérées
m par les préjugés , par les passions, par les intérêts
« de ceux qui les ont écrites, ou, ce qui revient au
• même , de ceux d'après lesquels ils ont écrit. L'esprit
« de parti , la vanité nationale, l'amour du merveilleux,
« et beaucoup d'autres choses sont des sources abon-
« dantes d'erreurs. Ne voyons-nous pas souvent les
<« historiens se contredire les uns les autres, rapporter
« les faits diversement , les voir de manière absolument
« différentes? Comment d'un pareil fatras peut-il ré-
« sulter une vraie certitude? comment peut-on croire
« avec assurance sur la foi de pareils garants? »
LXXn. Il y a des histoires douteuses; donc il n*y en
a aucune qui soit certaine ; voilà en quoi consiste l'ob-
jection. On fait un grand étalage de toutes les causes
qui peuvent rendre une narration suspecte ou même
fausse. Tout cela est étranger à ce que nous avons avancé,
et ne touche nullement à nos preuves. Je n'ai pas pré-
tendu que toute histoire imprime à toutes sortes de
faits une certitude morale. J'ai expressément demandé,
pour que cette certitude résulte d'une narration quel-
conque, trois conditions : la première, que Thistorien,
ou au moins les mémoires sur lesquels il écrit, soient
contemporains des événements qu'il raconte; la se-
conde , que les événements qu'il raconte soient très-
importants et aient été très-publics; la troisième, qu'il
n'ait pas été contredit. En examinant les détails de
l'objection proposée, nous verrons qu'elle ne porte
point sur les histoires de ce genre , et qu'elle laisse ^
en conséquence, subsister dans toute leur force nos
raisonnements.
Les histoires des temps les plus anciens présentent
beaucoup d'erreurs ; mais ont-elles été écrites par des
contemporains? De ce que des écrivains ont été induits
190 DISSERTATIONS
en erreur sur des faits passés à une grande distance
d*eux, est-il juste de conclure que d'autres l'ont été
de même sur des événements arrivés de leur temps? Les
doutes que l'on a sur ce qu'Hérodote rapporte des pre-
miers rois d'E(^ypte , rendent-ils suspecte la relation
donnée par Xénoplion , de la retraite des Dix Mille?
LXXIII. On nous parle des préjuj^és^ des passions,
des autres causes qui peuvent altérer la véracité d'un
historien; mais, 1° il serait injuste d'accuser de ces
défauts tous les historiens : il y en a beaucoup qui jouis-
sent d'une réputation constante de sincérité ; 2" ces
diverses causes peuvent influer sur les réflexions d'un
historien ; elles peuvent l'engager à altérer quelques
circonstances, à insister sur celles qui sont favorables,
à atténuer ou à dissimuler les autres ; mais elles ne
peuvent pas le faire mentir sur les faits bien éclatants,
sur lesquels il serait aussitôt démenti : quelles que
soient l'humeur et la haine des écrivains romains contre
Annibal, aucun d'eux n'a pu taire ses victoires en
Italie; 3° ces préjugés mêmes, ces passions, ces intérêts,
ces esprits de parti, qui dans quelques occasions peuvent
engager un historien à déguiser la vérité, et qui alors
lui ôtent la croyance, dans d'autres occasions peuvent
augmenter la foi à ses récits^ c'est quand ce qu'il rap-
porte est contraire à ces divers motifs. Si je vois un
écrivain parler contre les préjugés dont je le sais imbu,
contre les passions dont je le sais animé , contre les
intérêts dont je le sais dirigé, je prends bien plus de
confiance dans sa narration ; et ces motifs mêmes , loin
de nuire à la certitude, servent à la confirmer.
LXXIV. On dit que les historiens rapportent les
mêmes faits diversement, quelquefois même contradic-
toirement. Il s'en suivrait de là seulement qu'il y a
quelques faits sur lesquels il faut suspendre son juge-
ment; mais sur les faits où ils s'accordent, il n'y a pas
de raison pour récuser leur témoignage. Leur opposition
même sur certains points donne plus de poids à leur
concert sur les autres. Au reste, sur quoi voit-on les
SUR LA. RELIGION. 191
historiens différer entre eux ? Ce n'est jamais sur les faits
principaux et très-publics ; ce sont quelques circons-
tances des faits, que l'un rapporte d'une façon, et l'autre
d'une autre. Il est commun de voir dans deux histo-
riens deux récits diftérents des détails d'une bataille
décisive; mais ce qu'on ne voit jamais, c'est qu'ils ne
soient pas d'accord sur celui des deux partis qui a gagné
la bataille. Les circonstances qui accompagnent un giand
événement ont aussi des faits , mais des faits particu-
liers, peu importants , qui ont fait peu de sensation,
auxquels beaucoup de gens n'ont apporté qu'une mé-
diocre attention , qu'ils ont même pu voir diversement,
selon les lieux où ils étaient placés et la manière dont
ils étaient affectés, que peut-être ils n'ont pas aperçu
du tout. Il n'est donc pas étonnant que ces circonstances
soient rapportées diversement par diverses personnes.
L'événement principal , au contraire , est un fait so-
lennel, frappant, sur lequel il ne peut y avoir différentes
manières de voir. Tout ce qui résulte de cette difficulté,
c'est qu'il y a des événements de la vérité desquels nous
sommes assurés , mais dont les détails ne nous sont pas
également certains. Nous sommes parfaitement sûrs que
César a été assassiné par une conspiration. Nous ne som-
mes pas aussi assurés de la manière dont cette conspi-
ration a été tramée.
LXXV. On argumente de ce que les divers historiens
voient les mêmes faits de diverses manières , et on
confond manifestement, en cela, deux choses essentiel-
lement distinctes, le fait rapporté par l'historien, et
les réflexions de l'historien sur le fait. Quand il raconte,
il parle comme tous ses contemporains; il les a tous
pour garants. Quand il raisonne, il reste seul, il n'a
plus d'autre autorité que la sienne propre. Il ne peut
pas se tromper sur le fait que tout le monde a vu,
et peut-être aussi lui-même. Il peut s'égarer sur les
motifs et sur les conséquences du fait^ qui ne sont
que les spéculations de son esprit. En le hsant , je crois
les événements, et j'examine les réflexions.
192 DISSERTATIONS
ARTICLE m.
Possibilité de la ceriiiude morale des Miracles.
Je viens de prouver deux choses, la possibilité du
miracle, et l'existence de la certitude morale. Il s'agit
maintenant de rapprocher ces deux vérités , de faire
l'application de la certitude morale au miracle , et de
prouver qu'il en est susceptible de même que les faits
naturels.
LXXVI. Un miracle est un fait de même qu'un évé-
nement naturel, il est également sensible, également
palpable. Il ne faut, pour s'assurer de la vérité de l'un
et de l'autre, que des sens. Si je puis m'en rendre
certain, en le voyant, en l'entendant, en le touchant,
tous les auties hommes peuvent pai'eillement le voir,
l'entendre , le toucher. Pourquoi ne les croirais-je pas
quand ils me disent qu'ils l'ont fait , et quand leur té-
moignage réunit tous les caractères qui annoncent la
vérité? Qu'on me dise ce qu'il y a dans les miracles
qui empêche qu'ils ne soient , de même que les faits
naturels, les objets du témoignage. La seule différence
que j'aperçoive entre les uns et les autres, c'est que
les miracles sont l'effet immédiat de la toute-puissance
divine, et que les événements naturels sont produits
par les causes secondes. La différence est uniquement
dans leurs causes, et nullement dans les moyens de
les connaître. Oji peut voir aussi bien le fait siunaturel
qu'un autre, on peut le rapporter avec autant de vérité;
et dès qu'on peut en avoir pour soi la certitude phy-
sique, on peut en donner aux autres la certitude mo-
rale. Cette certitude est, comme je l'ai dit, le résultat
de deux autres. Elle existe toutes les fois que je suis
certain que celui qui parle n'a pas été trompé, et n'a
pas voulu tromper. Or, je peux être aussi assuré de
ces deux choses , sur le fait miraculeux , que sur le
fait naturel. Les témoignages peuvent sur l'un comme
SUR LA RELIGION. 193
sur l'autre, réunir les caractères que j'ai exposés ci-des-
sus , et qui les garantissent , soit de l'erreur , soit du men-
songe (1). Ils peuvent donc de même opérer la certitude.
LXXVII. Non-sealement je puis devenir aussi cer-
tain, par le témoignage des hommes, de la réalité d'un
miracle, que si je l'avais vu moi-même; mais il y a
tel cas où la certitude morale , que me procurent des
témoins est mieux fondée que la certitude physique
acquise par mes yeux. C'est qu'il est beaucoup plus
aisé d'en imposera moi seul qu*à une multitude d'hom-
mes. Je puis me défier du rapport de mes sens. Je puis
soupçonner qu'un charlatan est venu à bout de m'en
imposer par des tours d'adre se ; mais je suis certain
que ce qui a été vu uniformément par un grand nombre
de personnes différemment placées, et affectées de di-
verses manières, a été bien vu. Je suis certain que s'il
y avait eu une fraude, elle aurait été immanquable-
ment découverte par quelqu'un des assistants , qui l'au-
rait fait remarquer aux autres, La certitude morale
d'un miracle peut donc se trouver non-seulement aussi
bien, mais même mieux appuyée que la certitude phv-
sique.
LXXVIII. Remontons au principe sur lequel est fon-
dée toute certitude. C'est que les divers moyens que nous
avons pour connaître les objets , nous ont été donnés de
Dieu à cet effet ; la raison pour connaître les objets intellec-
tuels; mes sens, pour connaître ce qui est hors de moi; le
témoignage des hommes, pour connaître ce qui est telle-
ment éloigné de moi, que mes sens ne peuvent y attein-
dre. Si quelqu'une de ces choses me trompait forcément,
et sans qu'il y eût de ma faute, je serais conduit à l'er-
reur par le moyen que Dieu m'a donné pour me mener
à la vérité. Il m'aurait donné un guide infidèle, et, ce
qui ne peut pas se penser sans impiété et se dire sans
blasphème, ce serait Dieu lui-même qui , en m'ordon-
(i) Voyez ci-dessas, n" xlv , xlvi el XLVir , pag. i68 el saiv.
Dissert, sur la Relig. 9
194 DISSERTATIONS
nantde le suivre, m'égaierait. Que le fait dont j'acquiers
la connaissance par ces divers moyens, soit miraculeux
ou naturel , cela est égal relativement au moyen. On
doit croire au miracle dont on a été témoin person-
nellement , et nos adversaires en conviennent; et on
doit y croire sur le fondement, que si nos sens unanimes
et bien disposés nous trompaient , ce serait Dieu qui
cMUserait l'erreur. Je puis faire avec autant de justesse
le même raisonnement sur le témoignage revêtu de
toutes les conditions requises , et dire de même que si
j'étais trompé par un tel témoignage sur un fait^ soit
miraculeux, soit naturel, Dieu aurait causé mon erreur.
Ma certitude morale du miracle a donc le même fon-
dement qu'aurait eu ma certitude physique , si j'en
avais été personnellement témoin.
LXXIX. Venons maintenant aux difficultés de nos
adversaires. Ils nous opposent d'abord l'expérience et
l'opinion unanime du genre humain. « Tous les hommes
'< croient plus facilement les faits naturels que les
« miracles. Qu'on leur présente un fait ordinaire, ils
«t n'hésiteront pas à le croire, pour peu qu'il soit muni
« de preuves ; mais proposez-leur à croire un fait mi-
«< raculeux , vous les verrez se rendre difficiles, exiger
«( des démonstrations , examiner rigoureusement le
'< nombre et la qualité des témoins , et les circonstances
« de leur témoignage. Il est donc reconnu par l'uni -
^ versalité du genre humain , qu'il y a beaucoup plus
. de difficulté à croire les miracles que les faits na-
« turels. «
LXXX. Et moi aussi j'invoquerai l'expérience et l'o-
pinion universelle; je dirai : Il n'y a pas eu de religion
dans le monde qui ne se soit prétendue autorisée par des
miracles , que l'on ne croyait que sur des témoignages :
le genre humain est donc convaincu de l'autorité de la
» ertitude morale pour croire des miracles?
LXXXI. L'objection proposée confond deux choses
très-différentes : la rigueur à exiger des preuves avant
de'croire , et la difficulté de croire d'après les preuves.
SUR L\ RELIGION. 195
Que l'on se montre plus rigoureux dans l'examen des
témoignages sur les faits miraculeux que sur ceux de
l'ordre ordinaire, cela est naturel et juste. D'abord, le
miracle est toujours un fait intéressant qui a des con-
séquences morales, et qui engage , soil à une croyance,
soit même à une pratique. Il y a donc un intérêt majeur
à s'assurer strictement de sa réalité? Ensuite, il est
plus commun d'être induit en erreur par des tours d'a-
dresse sur des choses extraordinaires que sur des faits
de l'ordre ordinaire. 11 est donc tout simple d'être plus
en garde sur les narrations de ce genre. Enfin , le
miracle est opposé à l'ordre général et commun qu'on
est accoutumé à voir On se défie donc naturellement
de la relation qni en est faite , et on veut de fortes
raisons pour la croire. On n'est pas , à beaucoup près ,
aussi difficile sur la preuve des faits qui découlent na-
turellement des lois générales; on ne suit pas avec la
même rigueur la règle de la certitude : on les croit
sans difficulté sur de simples probabilités , surtout si
elles ont quelque force. Mais lorsqu'un examen sévère
a montré que les témoignages sin- le miracle sont légi-
times , et que les témoins n'ont été ni trompés , ni trom-
peurs, on n'a pas plus de difficulté à croire ce miracle,
qu'à croire des faits naturels : et il serait déraisonnable
de ne pas en avoir la même certitude. En un mot, on
croit volontiers un fait naturel sur de simples probabi-
lités : on exige la certitude pour croire aux miracles;
voilà à quoi se réduit l'objection.
LXXXIl. « Mais, ajoutent quelques incrédules, il
« est déraisonnable de croire aussi fermement les té-
« moins d'un fait miraculeux que les témoins d'un fait
« naturel : car, pour ajouter foi au témoignage sur
t» le miracle , j'ai un obstacle à surmonter ; c'est la
« contrariété de ce fait avec toutes les lois de la na-
«< ture; c'est son impossibilité physique : au lieu que
M pour ajouter foi au témoignage sur un fait naturel,
•• je n'ai aucun obstacle à surmonter, je ne fais que
«! suivre l'ordre ordinaire. »
196 DISSERTATIONS
LXXXin. Si l'on se bornait à dire qu'on ne doit
pas croire aussi légèrement un miracle qu'un fait na-
turel, l'assertion serait raisonnable; mais dire que,
lorsqu'il est complètement prouvé , on ne doive pas
le croire, est une absurdité. La contrariété du miracle
avec les lois physiques n'est pas un obstacle à son exis-
tence, je l'ai prouvé : elle ne doit donc pas être un
obstacle à ma croyance. Le fait naturel et le miracle
sont également faciles à Dieu. La volonté toute-puis-
sante agit aussi librement, soit qu'elle maintienne les
lois qu'elle a établies, soit qu'elle les suspende (1).
J'aurais tort d'avoir plus de difficulté à croire ce que
Dieu n'a pas plus de difficulté à faire.
LXXXIV. Expliquons ce que l'on entend par ce mot
impossibilité physique ^ que les incrédules répètent sou-
vent. Il ne signifie que l'impuissance où sont les causes
naturelles de produire un certain effet. Nous disons
que la résurrection d'un mort est physiquement im-
possible , parce qu'il n'y a pas dans la nature de moyen
pour la produire ; mais ce qui est au-dessus des forces
des subalternes, n'est pas pour cela au-dessus du pouvoir
de la cause première : ce que la loi physique n'opère
pas , celui qui a posé cette loi peut très-bien l'opérer ;
l'effet physiquement impossible est surnaturellement
possible. Il peut donc être cru; il doit l'être, quand
il est prouvé.
(i) Non itaqne opns est jam immorari diuiius, in comrnendando
Dei miratulo. Ipse est enim Deus qui per universam cicatuiam qaoli-
diana luiracula facit, quae hominibus non faoilitate, sed assiduitate ,
vilaeniut. Rara aulem quae facta sunt ab eodem Domino, id est, a
"Verbo propter nos incarnate, majoicm stuporem horjjinibus atlule-
ranl ; non qnia majora eranî quam sunt ea quae quotidie in creatura
facit ; sed quia ista quae quotidie fiunt, tanquara nalurali cursu peia-
gunior; illa vero efficacia potentiae tanquam praesentis exhibiia vi-
dentur oculis boininum. Diximus, sicut meministis, resunexit unus
moi'luus : obslapuerunt homines ; cnm quotidie nasci, qui non erant,
nemo rairetur. Sic aquani in vinum conver»am, quis non roirelur ?
cnm hoc annis omnibus Deos invitas faciat. {S. Jug. in cap. ii,
£va/ig. Joan., tractât, ix , n° i.)
SUR LA RELIGION. 1^7
LXXXV. Voici une des difficultés sur laquelle les
déistes insistent le plus : « Par où pouvons- nous être
« assurés de la véracité des témoins ? C'est par la con-
« naissance que nous avons des hommes. Et cette con-
« naissance , d'où la tenons-nous? De l'expérience : ainsi
« toute la certitude morale repose sur l'expérience.
« Mais une expérience bien plus certaine , parce qu'elle
M est plus constante , dépose contre la réalité des mi-
«< racles. Je suis bien plus certain que les morts ne
«< ressuscitent jamais, que je ne le suis que des témoins
« ne trompent point. Rien de plus commun que de
« voir des témoins induits en erreur, ou y induisant.
« Jamais on ne voit d'interversion au cours de la na-
« ture. L'auleur des Pensées philosophiques a dit avec
« raison : Je croirais sans peine un seul honnête homme
«« qui viendrait m'annoncer que sa majesté vient de
« remporter une victoire complète sur les alliés; mais
« tout Paris viendrait m'assurer qu'un mort vient de
« ressusciter à Passy , que je ne croirais rien. Qu'un
« historien nous en impose , ou que tout un peuple se
« trompe, ce ne sont pas des prodiges. Et que l'on
« ne recoure pas à la toute-puissance de Dieu pour
« accréditer la foi des miracles. Nous ne connaissons
« les attributs et les actions de Dieu que par l'expé-
« rience ; or , l'expérience ne nous fait connaître que
« le cours ordinaire de la nature ; elle ne nous en
«< montre, ni ne peut nous en montrer l'interversion. ■
LXXXVI. Je nie d'abord formellement la proposition,
que nous ne connaissons les attributs de Dieu que par
l'expérience. Quelle expérience nous fait connaître son
éternité, son immensité, son immutabilité? Les attri-
buts même de la Divinité , qui sont relatifs à nous ,
tels que sa bonté et sa justice , nous les connaissons
de même que les autres par la raison , et surtout par
la révélation. On pourrait, avec plus de vraisemblance,
dire que l'expérience nous donne l'idée de sa puissance,
puisque nous en éprouvons les effets ; mais elle ne nous
donne pas , elle ne peut pas nous donner la connais-
198 DISSERTATIONS
sance de la Toute-Puissance. Si nous ne savions , de la
puissance divine , que ce que l'expérience nous en dit ,
nous n'aurions aucu|ie raison pour croire que Dieu
peut faire autre chose que ce qu'il a fait , et même pour
croire qu'il a lait autre chose que ce que nous voyons.
Notre expérience étant nécessairement bornée , notre
idée de la puissance divine le serait aussi. Dieu peut
évidemment faire plus que ce que notre expérience nous
rapporte (1). Donc, nous ne pouvons pas dire que nous
ne connaissons sa puissance que par l'expérience ; d'où
il s'ensuit ultérieurement qu'il est souverainement dé-
raisonnable de nier une œuvre de Dieu sur le fondement
de notre expérience.
L'expérience, ajoute -t -on, nous fait connaître le
cours de la nature et non son interversion. Tout ce
qu'on pourrait en conclure, c'est que l'expérience ne
peut pas nous faire connaître un miracle. S'en suivrait-il
de là qu'on ne peut pas le connaître d'une autre ma-
nière?
LXXXVII. Mais c'est, je le prétends, une vérité in-
contestable, que l'expérience nous conduit à la con-
naissance certaine du miracle. Rappelons- nous ce qui
a été exposé plus haut, qu'il y a dans la nature un ordre
moral comme un ordre physique; que l'expérience nous
fait connaître l'un de même que l'autre , et qu'elle
nous les fait connaître avec une égale assurance. Je
suis certain que des hommes placés dans les circons-
tances , et doués des qualités que j'ai indiquées , ne
peuvent ni être trompés, ni tromper, de même que je
suis certain du lever et du coucher régulier du soleil.
On peut donc dire avec vérité que l'expérience du cours
de la nature, mais de son cours moral, nous mène
(i) Hic si ratio qaœritur, non erit mira bile ; si exempluiu posci-
tm , non erit singulare. Demus Deain aliquid posse , quo'1 nos fate-
miir invesligare non posse. In talibas euini rebns , tota ratio facti est
volantas facientis. {S. August. epist. cxxxvn , alias iir, ad Foïusian.
SDR L\ RELIGION. 199
à la certitude des miracles^ en ce qu'elle nous fait con-
naître certainement la véracité de ceux qui les rappor-
tent.
On dit qu'il n'y a rien de si commun que de voir des
témoins se tromper. L'équivoque de ce sophisme est
dans le mot témoin. Si on parle de témoins en général,
le principe est vrai ; mais il ne prouve rien contre nous,
puisque ce n'est que de quelques témoins, que de té-
moins revêtus de certaines qualités, que nous assurons
l'infaillible véracité. On voit souvent des témoins se
tromper; donc , tels témoins sont sujets à erreur : voilà
Tobjection. Elle sort donc évidemment de l'éLat de la
question; elle applique à un témoignage ce que nous
disons d'un autre.
LXXXVIII. On oppose Inexpérience de l'ordre phy-
sique à celle de l'ordre moral; on prétend que celle-là
est plus certaine que celle-ci. J'observerai, d'abord,
que cette objection peut être proposée avec autant de
force contre la certitude physique que contre la certi-
tude morale. C'est sur l'expérience de la fidéUté des
sens qu'est fondée la certitude physique. On pourrait
opposer à cette expérience, comme à celle de l'ordre
nioral , l'expérience qui apprend que les morts ne res-
suscitent pas ; et si le raisonnement était juste , il
empêcherait de croire au miracle que l'on voit , comme
à celui qu'on entend rapporter.
Mais non , il n'y a pas de conflit entre l'expérience
qui m'apprend que les morts ne ressuscitent pas, et
celle qui me garantit que des témoins idoines ne me
trompent pas. Qu'est-ce que nous apprend, et que peut
nous apprendre l'expérience, relativement à la résur-
rection des morts? C'est que, selon le cours ordinaire
de la nature , les morts ne ressuscitent jamais. Qu'est-ce
que, de leur côté, déclarent les témoins, en déposant
qu'ils ont vu le miracle d'une résurrection? C'est qu'ils
ont vu hors du cours de la nature, et par une inter-
version de ce cours , un mort rendu à la vie. Ces deux
choses ne sont pas contradictoires, si elles peuvent être
200 D/SSERTATIONS
vraies toutes les deux. Or, comme nous l'avons prouvé
dans tout le premier chapitre de cette dissertation ,- il
est vrai que , selon les lois physiques données à la na-
ture par le lé^jislateur suprême, les morts ne reviennent
jamais à la vie ; et cependant il est également vrai que
ce législateur, suspendant momentanément sa loi, peut
faire revivre un mort. Quelle contradiction y a-t-il
entre cette proposition : il n'y a pas de force naturelle
capable de ressusciter un mort , et cette autre , un mort
a été ressuscité par une puissance surnaturelle. Dès
qu'il n'y a pas de contradiction entre ces deux propo-
sitions, dès que l'une et l'autre peuvent être vraies, je
peux les croire toutes les deux ; et l'expérience constante
(jiie les morts ne ressuscitent pas, ne doit pas m'empéclier
d'ajouter foi aux témoins d'une résurrection, pourvu
que leur relation soit revêtue de caractères qui y im-
priment la certitude.
D'après ce qui vient d'être dit , il n'est pas difficile
de répondre à ce que dit l'auteur des Pensées philoso-
phiques : que l'erreur de tout un peuple n'est pas un
prodige. Je soutiens, au contraire, que le faux témoi-
gnage de tout un peuple sur une résurrection serait
un prodige aussi grand et plus incroyable que celui
d'une résurrection.
LXXXIX. Preniièren^ent, prodige aussi grand. Dira-
t-on qu'un peuple entier a été induit en erreur sur un
fait qu'il a vu et entendu , et qu'il a pu toucher? Mais
pour faire que la totalité d'un peuple soit trompée par
le rapport unanime de tous ses sens , il faut une inter-
version de toutes les lois physiques , aussi forte que
pour rendre un mort à la vie. Aimera- t-on mieux pré-
tendre que tout ce peuple a intention de tromper?
Mais le complot formé pour mentir , par un peuple
nombreux , tel que celui de la ville de Paris , par un
peuple composé de personnes , dont la plupart ne se
connaissent pas, dont quelques-imes se baissent, qui,
d'ailleurs, ont toutes des préjugés, des passions, des
intérêts , des manières de voir de divers genres et
SDR LA RELIGION. 201
même contraires ; un tel complot est aussi opposé aux
lois de l'ordre moral, que la résurrection d'un mort
à celles de l'ordre physique. Pour entraîner un peuple
entier, soit de bonne ou mauvaise foi, dans un faux
rapport sur un fait passé sous ses yeux , pour intervertir
ou les lois physiques sur lesquelles est fondée l'autorité
des sens, ou les lois morales qui dirigent toutes les
actions humaines, il faut une cause. Il n'y a que la
puissance qui a donné des lois à l'ordre physique et à
l'ordre moral qui ait le droit de les suspendre , comme
il n'y a que cette même puissance qiii ait la force de
ressusciter un mort; ainsi , d'un côté comme de l'autre,
il faut un égal miracle.
XC. Secondement , mais comme j'ai dit , prodige
bien moins croyable. Dans l'œuvre de la résurrection, je
vois le but moral du miracle ; il s'agit de confirmer
une grande vérité par un acte que Dieu puisse opérer.
Dans l'interversion des lois de l'ordre physique ou mo-
ral^ Dieu n'aurait d'autre bn que d'entraîner ses créa-
tures dans l'erreur. Il est conforme à la notion que
j'ai de Dieu , qu'il daigne , pour instruire le genre
humain, faire des œuvres exiraordiuaires. Il répugne
à toutes les idées qne ^ieu 1""? père pour le tromper.
L'un des deux e " donc croyable, l'autre ne l'est pas.
XCI. « Suppose^:; j : raisonuemeu: est d'un célèbre
« incrédule, que tous les '^'-.ivains de l'histoire d'An-
*i gleterre s'accordassent i. dire que la reine Elisabeth
« mourut le premier janvier 1600; qu'elle fut vue
« devant et après sa mort , par ses médecins et par
«< toute sa cour , comme l'usage le veut à l'égard des
« personnes de son rang ; que son successeur fut reconnu
« et proclamé par le parlement : et qu'après avoir été
«< enterrée pendant l'espace d'un mois, elle reparut,
« se remit en possession du trône , et gouverna l'An-
•< gleterre pendant trois ans. J'avoue qne je serais
«< surpris du concours de tant de circonstances étranges,
« sans cependant me sentir la moindre -nclinatio:^. à
« croire un événement aussi miraculeux. J*> ^^e douie-
^02 DISSERTATIONS
.« rais ni de la prétendue mort de cette reine , ni des
« autres circonstances publiques qui l'auraient suivie.
<« Je me contenterais de soutenir que cette mort n'était
« que feinte , et qu'elle n'était ni ne pouvait être réelle.
« En vain m'objecterait-on la difficulté , l'impossibilité
« même de tromper le monde dans une alTaire de cette
« importance. En vain ferait-on valoir la sagesse et
<c l'intégrité de cette grande reine, le peu d'avantages
>« qu'elle eût pu recueillir d'un si pitoyable artifice,
« ou son entière inutilité : tout cela serait capable de
'< m'étonner ; mais je répondrais encore que la fourberi
'< et la folie des bommes sont des phénomènes si coni-
X inuns, que j'aimerais toujours mieux attribuer à leur
'< concours les événements les plus extraordinaires ,
i que d'admettre une aussi singulière violation des lois
'^ de la nature. »
XCII. Considérons la manière de raisonner de nos
adversaires, ^'ous disons qu'il est impossible qu'un fait
attesté par des témoins placés dans les circonstances et
doués des qualités requises, soit faux. Pour détruire ce
principe, on suppose un fait miraculeux qui soit faux,
et qui cependant soit attesté de cette manière. Il est
évident que c'est là une pétition de principe. Ce n'est
point par une supposition gratuite qu'on peut établir
que le témoignage , tel que nous le demandons , peut
être faux. Il faudrait alléguer un fait attesté de la
même manière , qui se fût trouvé faux , citer le temps ,
le pays où on a dit qu'il s'était passé; indiquer les té-
moins qui l'ont certifié : c'est ce que nos adversaires ne
peuvent pas produire ; etla preuve qu'ils n'ont aucun
fait pareil à nous opposer , c'est qu'ils recourent à des
suppositions, à des fictions. S'il se trouvait dans l'his-
toire des siècles un seul événement attesté par des té-
moins tels que nous les demandons , et qui ne fût pas
véritable , imagineraient-ils une hypothèse sans réa-
lité?
On ne donne pas à ce raisonnement plus de force , en
disant que la fourberie et la fohe des hommes sont des
SUR LA RELIGION. 203
phénomènes communs. Il y a des fourbes , il y a des
fous. Mais des témoins tels que nous les demandons ,
peuvent-ils être des fourbes ou des fous? \oilà ce qu'il
s'agirait de prouver. Que Ton nous indique une cause
naturelle qui puisse rendre de tels témoins fourbes- ou
insensés.
XCIII. « Dieu , disent encore les incrédules , a-t-il
« besoin ,. pour notifier ses volontés aux hommes , du
«< ministère d'autres hommes? Il a, dit-on, parlé aux
« hommes. Pourquoi n'en ai-je rien entendu? Pourquoi
« faut -il qu'il y ait des intermédiaires entre Dieu et
« moi ? »
XCIV. Ce serait une témérité, sans doute, de préten-
dre que Dieu , pour se manifester aux hommes , a be-
soin du ministère d'autres hommes ? mais c'est une autre
témérité aussi répréhensible , de lui disputer le pouvoir
d'employer ce ministère. Au déiste, qui demande pour-
quoi des intermédiaires entre Dieu et lui, je demande
à mon tour : Et pourquoi n'y en aurait-il pas ? Dieu doit-
il à chaque homme de se révéler à lui en particulier ? Le
doit-il spécialement à raison du degré d'incrédulité qu'on
lui témoigne ? Il est indubitablement le inaitre de me
parler par ses envoyés , ou de me faire entendre sa voix.
Je n'ai pas besoin de connaître les motifs qui lui font
préférer l'un de ces deux moyens. Dès que je reconnais
dans le miracle la lettre de créance par laquelle Dieu
accrédite son envoyé , mon devoir est d'ajouter à cet
envoyé une foi entière.
Mais le motif qui a déterminé Dieu à se manifester aux
hommes par des ministres dont les miracles attestent la
mission , n*est par le secret de sa sagesse. J'ai montré
que ce moyen , très-digne de la majesté de Dieu , est
très-conforme à sa sagesse, et qu'il est très adapté à
la nature de l'homme. J'ai examiné les divers autres
moyens qu'il aurait pu employer pour notifier ses vo-
lontés. Il est inutile de répéter ce que j'ai dit ; j'ajouterai
seulement ici un mot. La révélation est un fait. Il est
doiic simple, il est donc naturel, il est parfaitement
204 DISSERTATIONS
conforme à la divine sagesse d'employer, pour nous le
faire connaître, le même moyen par lequel nous croyons
les autres faits, c'est-à-dire la relation de ceux qui en
ont été témoins.
XCV. « C'est, disent d'autres incrédules , une ten-
« tation bien forte que celle de passer pour l'envoyé cé-
«( leste, et de jouer dans le monde ce grand rôle. Que
« de gens ne craindraient pas , pour se parer d'un
« titre si pompeux , d'essuyer des difficultés et des dan-
" gers I >»
XCVI. Il peut y avoir des imposteurs qui , pour se
faire croire les envoyés du ciel , supposent des miracles.
Il ne résulte de là qu'une chose ; c'est qu'il faut exa-
miner avec soin ceux qui s'annoncent pour opérer des
miracles au nom de Dieu. Mais de ce qu'il peut y avoir,
de ce qu'il y a dans le monde des imposteurs , conclure
que tous les hommes le sont , est une absurdité.
XCVII. « Il n'y a rien , ajoutent nos adversaires , de
« plus aisé que de faire adopter , même à des nations
« entières , des miracles qui ne sont que des tours d'a-
« dresse. Op. connaît le fait de l'imposteur Alexandre
« qui , après avoir dupé par ses prestiges les Paphlago-
<« niens , parvint à tromper des philosophes grecs , des
« personnes de la plus haute considération , et jusqu'à
X l'empereur Marc-Aurèle. Un joueur de gobelets étant
« allé exercer son métier chez un peuple qui n'avait
« jamais vu rien de semblable , fut regardé unanime-
« ment comme sorcier, et eût été condanjné comme
« tel, s'il ne se fût soustrait au supplice par la fuite,
«c Un autre homme , aux Indes , persuada à un peuple
u nombreux qu'il était envoyé du ciel , en faisant , par
« un procédé très-connu dans nos climats , de la glace ,
•* que ce peuple ne connaissait pas. De ces exemples
♦« auxquels ont pourrait ajouter beaucoup d'autres, il
". résulte qu'il n'est nullement difficile d'en imposer
« sur les miracles , même aux personnes les mieux dis-
V» posées , même à des multitudes entières. »
XGYIII. J'observe que cette difficulté attaque direc-
SUR L\ RELIGION. 205
tement , non la certitude morale des miracles , mais la
certitude physique. Si on veut l'admettre, il faut en tirer
la conséquence véritable, et conclure , non pas que les
témoignages des hommes sont incertains , mais que la
relation des sens n'est pas assurée, et qu'on ne doit pas
croire même le miracle dont on est témoin.
Revenons à la distinction que j'ai exposée ci-dessus
entre le fait et la quaUté du fait f 1). Le fait seul est l'ob-
jet du témoignage. Dans le jugement de l'ordre judi-
ciaire que prononce un juge, les témoins ne déposent
que du fait qu'ils ont vu. Quant aux [conséquences de
ce fait, c'est le juge qui, d'après l'examen des déposi-
tions, les détermine. De même, dans le jugement de
Tordre intellectuel que nous formons sur le miracle , les
témoins n'attestent que le fait, sur lequel nous jugeons
ensuite s'il est naturel ou surnaturel. Pour s'assurer du
lait , il ne faut que des sens , et un esprit qui ne soit pas
ahéné. Pour juger si un fait est naturel ou miraculeux ,
il faut plus de lumières. Il n'est pas impossible , sans
doute , de tromper un peuple , et surtout un peuple
simple et peu instruit , sur les causes d'un fait qu'il voit
pour la première fois ; mais ce qui est physiquement im-
possible , c'est de le tromper sur la véiité même de ce
fait. Quelque simple, quelque grossier, quelque igno-
rant que soit un peuple , on ne lui persuadera jamais
qu'il a vu , entendu , touché des choses qu'il n'aurait ni
vues , ni entendues , ni touchées. Ainsi , lorsqu'un peuple
entier me dira qu'il a vu un homme faire des tours de
gobelets , qu'il en a vu un autre venant à bout de con-
solider de l'eau, je le croirai sans difficulté, parce qu'il
a tout ce qu'il faut pour s'assurer de ces faits. Mais lors-
qu'il ajoutera que c'est par sortilège ou par miracle que
ces choses ont été faites, je ne lui ajouterai plus la même
foi , parce que la vérité de cette seconde assertion dé-
pend de counaisssmces que ce peuple peut fort bien ne
(i) "Voyez ci-dessus, n° xlvui, page 171.
206 DISSERTATIONS
pas avoir. Ce n'est plus un simple fait qu*il me présente
à croire, c'est un raisonnement qu'il veut me faire adop-
ter. Je suis certain qu'il a vu le fait ; je ne suis pas sûr
qu'il ait bien raisonné.
Ce que je dis des deux exemples allégués, est également
vrai pour le troisième , et le serait pour tous ceux qu'on
pourrait de même nous objecter. Les tours d'adresse
de rimposteur Alexandre étaient réels. Les PapLlago-
niens et les autres qui en avaient été abusés, les avaient
vus ; leur erreur n'était que dans la conséquence qu'ils
en tiraient, les uns par simplicité, les autres pour n'a-
voir pas assez attentivement considéré. Lucien lui-
même , qui le démasqua avait vu les faits et ne les nie
pas; mais avec plus d'esprit et d'attention que les au-
tres, il découvrit la fraude que cacbaient ces tours. Au
reste , cet exemple me paraît prouver la difficulté , et
même Timpossibilité qu'un fourbe parvienne à en im-
poser longtemps, par de faux miracles, à des hommes
éclairés. Si pendant quelque temps il en abuse quel-
ques-uns , il eu vient bientôt de plus clairvoyants qui
détrompent le public. Lucien qui dévoila l'imposture
d'Alexandre , était ennemi de la religion chrétienne ,
dont il parle avec légèreté et mépris. Voit-on qu'il ait
entrepris de démontrer la fausseté des miracles chré-
tiens ?
XCIX. «< Il n'y a pas de miracles, c'est ici une nou-
«< velie objection, qui ne soient combattus par un nom-
« bre infini de témoins. En fait de religion, toutes les
<« différences sont des contrariétés. Il serait impossible
X que la religion de l'ancienne Rome , celle des Turcs ,
«« celle de Siam, celle des Chinois et la nôtre, fussent
" toutes solidement établies sur de légitimes fonde-
<« ments. Or , chacune de ces religions produit des mi-
'< racles opérés en sa faveur, et dans la vue directe de
«« confirmer la doctrine qui lui est propre. Tout miracle
«t qui appuie Tune est un démenti formel aux miracles
•< vantés par les autres. »
C. On confond ici deux choses : ceux qui nient un
SUR LA RELIGION. 207
fait^ et ceux qui se portent comme témoins de sa faus-
seté ; ceux qui le combattent par des raisonnements , et
ceux qui l'attaquent par le rapport de leurs sens. Celui
qui croit aux miracles d'Esculape , par cela même ne
croit pas aux miracles des autres religions ; mais il
n'est pas pour cela un témoin de leur fausseté. Il dit :
Mes miracles sont vrais ; donc les vôtres sont faux. 11
ne dit pas : Je suis témoin de la fausseté des vôtres ;
j'étais sur le lieu où vous dites qu'ils se sont passés , et
j'atteste que j'ai vu le contraire. Il oppose à la relation
des miracles étrangers sa croyance , et non son témoi-
gnage. Il n'infirme donc pas cette relation. Malgré ces
dénégations respectives , tous les témoignages conservent
leur force. La dénégation du Siamois n'infirme pas l'his-
toire des miracles du Turc. D'après cela , l'objection
tombe. Les divers témoignages n'étant pas détruits par
des témoignages contraires , il reste à examiner quels
sont tous ces témoignages , quels sont ceux qui sont
rendus par des témoins revêtus des qualités propres à
imprimer à leur déposition le caractère de certitude.
Quand j'ai trouvé un témoignage de ce genre, je dois le
croire. Il est très-indifférent alors que dans d'autres re-
ligions on croie d'autres miracles. La fausse relation
d'un miracle ne diminue pas plus la certitude de la re-
lation véritable , que la fausse monnaie n'altère la con-
fiance due à la véritable.
Cl. Les incrédules poursuivent : « Pour être certain
.' d'un miracle, il faut non-seulement être assuré de la
« réalité du fait , mais encore être certain qu'il est con-
« traire aux lois de la nature. Il est donc nécessaire de
« connaître toutes ces lois. S'il y a des lois de la nature
« que nous ignorons , comment pourrons-nous savoir
•< si le fait que nous voyons n'est pas le résultat d'une
« loi inconnue? Or , quel est l'homme qui osera croire
« qu'il connaît toutes les lois physiques par lesquelles
« la nature est gouvernée ? Les combinaisons des êtres
« qui composent l'Univers varient à l'infini. Ne pour-
•t rait-il pas aniver que , suivant une certaine combi-
^^^ DISSERTATIONS
o liaison, un aveugle recouvrât la vue , un sourd l'ouïe,
« un muet la parole , un mort la vie? Et si cela est pos-
» sible , comme rien ne prouve le contraire, le tliauma-
« turge ne ferait que se faire honneur de certains évé-
« uements rares que'la nature aurait produits. »
CIL J'observe 1« que ce raisonnement , ainsi que
beaucoup d'autres , porte avec autant de force sur la
certitude physique que sur la certitude morale. S'il était
sohde , il s'opposerait également à ce qu'on crût le mi-
racle vu et le miracle rapporté.
J'observe 2^ la contradiction des diverses objections de
nos adversaires. Nous les avons vus rejeter la certitude
morale des miracles sur le fondement de leur opposition
aux lois invariables et certaines de l'ordre physique.
Ici , ils nous disent qu'on ne peut pas être sûr d'un mi-
racle , parce qu'il n'y a rien de certain dans les lois phy-
siques.
Venons au fond de la difficulté. Ceux qui la proposent
conviendraient-ils qu'on ne peut pas être sûr qu'une
action est contraire à la loi civile ; que par conséquent
on peut la commettre impunément , parce qu'on ne
connaît pas la totalité des lois de l'état ? A celui qui
avancerait cette ridicule proposition, ils répondraient;
que pour être sûr de la prohibition et du vice de l'ac-
tion , il suffit de connaître une seule loi qui l'interdise ,
et qui punisse ceux qui s'en rendent coupables. (>ette
réponse si juste , qu'ils l'appHquent à leur raisonnement.
Je suis assuré que c'est une loi constante de la nature;
qu'un mort ne ressuscite pas. Quand je suis certain par
mes sens , ou par une relation compétente , d'une résur-
rection, que m'importent les autres lois physiques que
je connais ou que je ne connais pas? Quel besoin ai-je ,
pour me croire assuré de cette résurrection , de connaître
les lois qui régissent le cours du soleil et des astres?
Dans cette objection , on suppose, d'une part, la loi
physique , dont le fait cru miraculeux est le résuhat ab-
solument inconnu à tout le monde ; et d'une autre part,
que cette même loi est tellement connue à un seul agent,
SDR LA RELIGION. 200
qu'il prévoit avec justesse et infailliblement son résultat
à tel moment précis. On suppose dans cet homme unique
la connaissance de combinaisons qui , dit-on , varient
à l'infini : on suppose qu'une loi ignorée de tout le genre
humain produit constamment, selon la prévision de cet
homme , l'effet contraire à celui qu'elle produit aussi
constamment dans toutes les autres occasions. D'où uu
homme pourrait-il tenir exclusivement une science aussi
immensément étendue , aussi absolument certaine , si-
non de celui qui la possède éminemment , c'est-à-dire
de Dieu ? Il est donc évident qu'on ne fait que changer
de miracle , et que , pour refuser à cet homme un pou-
voir miraculeux , on lui accorde une science tout aussi
miraculeuse.
Le principe du raisonnement est vrai. H y a des lois
de la nature qui nous sont inconnues : mais la consé-
quence que Ton en tire est fausse. La seule conclusion
raisonnable qu'on puisse en inférer , est ce que nous
avons dit plus haut , savoir, que pour se déterminera
croire un miracle, il faut user d'une grande circonspec-
tion , et examiner attentivement si le fait présenté à notre
croyance ne peut pas venir d'une cause naturelle que
nous ignorions. Mais de ce qu'il y a des lois que nous
ignorons , conclure qu'un fait n'est pas contraire à une
loi que nous connaissons, c'est une conséquence mani-
festement vicieuse. Je ne sais pas au juste jusqu'où
peuvent aller les forces d'un homme ; je ne suis pas
moins sur qu'aucun homme ne peut, par ses seules
forces, emporter une maison.
CIIL Yoici enfin une objection d'un autre genre ;
elle suppose la réalité du fait attesté comme miraculeux,
elle admet même qu'il est supérieur aux forces de la na-
ture. « Mais , disent ceux qui la proposent , comment
tt peut-on être sûr que ce fait prodigieux a Dieu pour
« auteur , puisque le démon a le pouvoir d'en opérer ?
M Les magicien^ de Pharaon, la pyihonissed'Endor ,
« sont des faits qui ne peuvent pas être contestés par
« des chrétiens. Il était défendu aux Juifs, dans le Deu-
210 DISSERTATIONS
« téronome , d'écouter un faux prophète , quand même
<« il ferait des miracles (I). Jésus-Christ annonce qu'il
«« viendra de faux chrits , de faux prophètes qui feront
« de grands prodiges, ensorle que les élus même, s'il
M était possible, en seront séduits (2). Comment discer-
«« ner les œuvres diaboliques des œuvres divines ? On
« dit qu'une doctrine fausse ne peut pas être autorisée
u par de vrais miracles ; qu'ainsi tout miracle fait pour
«« accréditer une doctrine vicieuse , est nécessairement
.< faux. Il faut donc jqger les miracles par la doctrine,
a Mais , d'un autre côté , les miracles sont opérés pour
a faire juger la doctrine : voilà donc évidemment un
« cercle vicieux , dans lequel Pascal et plusieurs autres
»« sont tombés. »
CIV. D'où savons-nous que le démon , avec la per-
mission de Dieu , peut faire et a fait des prodiges? C'est
de l'Ecriture sainte. Or , la même Ecriture nous montre
que toutes les fois que Dieu lui a permis d'en opérer ,
il a donné en même temps des moyens certains de dis-
cerner ces miracles diaboliques des miracles divins.
Nous n'avons pas à examiner ici si les choses surpre-
nantes que firent les magiciens d'Egypte , à l'imitation
des premiers miracles de Moïse , furent de vraies mi-
racles , ou des prestiges et des illusions , ou seulement
des tours d'adresse. Accordons l'hypothèse la plus favo-
rable à nos adversaires, supposons que c'étaient de vrais
miracles opérés par le démon. Mais Dieu mit aussitôt
dans la main de Moïse , son envoyé , d'autres miracles ,
que toute la puissance de l'enfer ne put imiter , et qui
(i) Si surrexerit in medio toi prophètes, aat qai somniam vidisse
sedicat, et prœdixerit signam atque portentum, et evenerit quod
locQtas est, et dixerit tibi : Earans et sequamur deos aliènes, qnos
ignoras, et serviamas eis ; non audies verba prophetae illiiis. (^Dén-
ier, xin, 1,2, 3.)
(a) Surgent enim pseudo cbristi et pseupo-prophetae , et dabant
signa magna el prodigia, ita at in errorein indncantnr (si fieri po-
test), etiam electi. (^Matthieu ^ xxiv, 24.)
SDR LÀ RELIGION. 2J 1
forcèrent ces magiciens eux-mêmes à avouer que le doigt
de Dieu était là. Ainsi il fut très-facile à tout le monde
de reconnaître quel était le miracle divin , quel était le
miracle diabolique. Quant à la py tlionisse d'Endor, Saùl,
en allant la consulter , savait parfaitement que ce n'é-
tait pas au nom de Dieu qu'elle agissait; elle-même
n'en avait pas la prétention ; ainsi ce fait ne peut pas for-
mer une difficulté.
Tous les exemples que l'on allègue de miracles faits
par le démon , montrent Dieu attentif à prévenir l'er-
reur où ils pourraient jeter, et donnant des moyens de
reconnaître leur auteur. Ainsi la véracité de Dieu em-
ployant la voie des miracles, n'a pas été compromise
par les miracles qu'il a permis au démon d'opérer (1) :
elle ne le sera pas davantage , quand il permettra à de
faux prophètes ou à Tantechrist de faire des prodiges,
parce qu'alors il donnera , comme il a toujours fait,
des moyens certains de discerner ces faux miracles des
véritables. Indépendamment des faits qui montrent que
c'est la marche ordinaire de sa sagesse ^ j'en suis assuré,
comme on le dit dans l'école , à 'priori ^ par la nature
même de Dieu. Il répugnerait à cet être essentiellement
vrai de m'entraîner nécessairement dans l'erreur , de
permettre que le moyen qu'il me donne pour connaître
ses vérités m'induisît forcément à croire des faussetés.
Or , c'est ce qui arriverait , si , permettant qu'il se fit
des miracles pour accréditer le mensonge, il ne me
donnait pas en même temps des moyens assurés de me
(i) Nam qnemadraodam jEgyptioram incanfatomm par non erat
potestas rairilicae illi , qnae in Muyseerat, gratiae, et eorain opéra
loeras esse praesligias; quae vero Moyses fecit à divina virtuie profi-
cisci comprobavit exitus ; ita quae mira facient antichristi , iique se-
patrandis miracalis pares Jesn discipulis esse venditant, vocantur
signa et prodigia mendacia, qnae in omni seductione iniquitatis vim
habent in eos qoi pereunt. Miracnloram autem Clirisli et ejus disci-
pulornm fiuctus est, non deceptio, sed animaruin salas. {Origen.
contra Celsum, lib. ir, n° 5o.)
212 DISSERTATIONS
garantir de l'erreur. Je suis done certain que ce qu'ii
a fait, quand il a laissé le démon produire des miracles,
il le fera toutes les fois qu'il lui accordera la même-
puissance, parce qu'il le devra pareillement à lui-même
et à sa propre véracité. J'i[jnore s'il prendra le même
moyen de prévenir l'erreur qu'il prit vis-à-vis des
magiciens de Pharaon, de faire lui-même d'autres mi-
racles que l'imposture ne puisse pas imiter; mais je
ne puis pas douter qu'il n'en prenne quelqu'un qui
soit suffisant pour empêcher la séduction.
CV. Les théologiens disent qu'un moyen de recon-
naître qu'un fait extraordinaire bu n'est pas miraculeux,
ou s'il l'est, vient de l'ange des ténèbres, est de con-
sidérer la doctrine en faveur de laquelle il est opéré ,
afin de le rejeter si cette doctrine est mauvaise. Dans
cette assertion, 1° il n'y a rien que de très-raisonnable;
2" il n'y a pas de cercle vicieux.
Premièrement , quand une doctrine a été démontrée
véritable par des faits bien authentiques et bien cer-
tainement miraculeux , toute doctrine qui y est opposée
est par cela même évidemment démontrée fausse. La
vérité ne peut pas se contredire , ce qui la combat
est nécessairement erreur. Lors donc qu'en faveur d'une
doctrine opposée à la véritable, on produit un miracle ,
il est certain ou que ce n'est pas réellement un miracle,
ou , si c'en est un , qu'il est opéré par le père du men-
songe, et que par conséquent il doit être rejeté, même
sans examen.
Secondement, il n'y a pas en cela de cercle vicieux;
et Pascal , ce profond penseur , a dit avec raison : « Il
«< faut juger de la doctrine par les miracles; il faut
« juger des miracles par la doctrine. La doctrine dis-
« cerne les miracles : les miracles discernent la doc-
« trine. » Tout cela est vrai. C'est que le jugement
qu'on porte sur la doctrine d'après le miracle , et le
jugement qu'on porte sur le miracle d'après la doc-
trine, sont de deux genres absolument difterents. Le
miracle est une preuve positive , la doctrine forme une
SUR LA RELIGION. 2lS
preuve négative ; le miracle prouve la vérité de la
doctrine , la doctrine prouve seulement la fausseté du
miracle , c'est-à-dire sa nullité ou son origine impure.
Quand il a été démontré par des miracles qu'une doc-
trine vient de Dieu , il est démontré ensuite par la
vérité de cette doctrine, que le miracle opéré pour
établir une doctrine contraire ne peut pas être l'œuvre
de Dieu , parce qu'il est impossible qu'il se contredise.
Comment peut- on voir là un cercle vicieux? Le cercle
vicieux a lieu quand deux propositions sont réciproque-
ment l'une à l'autre principe et conséquence , c'est-
à-dire quand, après s'être servi de la première pour
prouver la seconde, on donne ensuite la seconde pour
preuve de la première. Nous démontrons, il est vrai,
par les miracles, la vérité de la doctrine chrétienne;
d'où nous concluons d'abord la fausseté de toute doc-
trine qui y est opposée , et ensuite celle des miracles
par lesquels on prétendait l'autoriser : c'est là un en-
chaînement de principes et de conséquences ; mais ce
n'est pas un cercle vicieux, car il n'y a pas de réci-
procité. Nous ne disons ni que la fausseté des doctrines
opposées au christianisme prouve la vérité des miracles
chrétiens , ni que la fausseté des miracles étrangers
prouve notre doctrine.
214 DISSERTATIONS
SECONDE PARTIE.
DES MIRACLES DU CHRISTIANISME.
J'ai, je crois, prouvé suffisamment deux vérités :
la première , que Dieu peut faire des miracles ; la
seconde , que nous pouvons avoir , des miracles , non-
seulement la certitude physique par nos propres sens,
mais la certitude morale par le témoignage d'autrui.
Je passe maintenant à une autre question , c'est de
savoir si les miracles qui servent de fondement à la
foi chrétienne sont revêtus de cette certitude qui exclut
tout doute. J'entreprends de prouver qu'il n'y a aucun
fait historique , de ceux qui sont le plus solennellement
garantis , le plus fermement crus , qui réunisse autant de
motifs de certitude que les miracles de notre sainte
religion. Pour mettre de l'ordre dans cette discussion,
je diviserai ces miracles en trois classes , qui formeront
trois chapitres séparés. J'examinerai dans le premier,
les miracles opérés par Jésus-Christ pendant le cours
de sa carrière évangéhque; dans le second, le miracle
particulier de sa résurrection; dans le troisième, les
miracles faits après lui par ses disciples. J'emploierai
un quatrième chapitre à la solution des difficultés
qu'élève l'incrédulité contre la réalité des miracles.
JULJULJL AJ!_î JULJLAJLAJL5_ilJLJLAJ!_S_C_fl_2JL OJLJLSLJULSiJiJlJl.JiJLJiJLJLJi
CHAPITRE I.
MIRACLES DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.
Les miracles opérés par Jésus-Christ depuis le com-
mencement de sa prédication jusqu'à son retour dans
les cieux , sont compris dans un intervalle d'un peu
SUR LA RELIGION. 215
plus de trois années. Ils sont rapportés dans les quatre
Evangiles , et allégués ou supposés dans le livre des
Actes et dans les Epîtres des apôtres. J'ai établi l'au-
thenticité de ces écrits. Il s'agit ici de prouver la vérité
des faits qui y sont racontés.
I. Rappelons -nous le principe incontestable établi
ci-dessus, qu'un fait, quelque éloigné qu'il soit de
nous , est rendu certain , quand on a la double certitude
que l'historien qui le rapporte n'a pas pu être trompé
et n'a pas voulu tromper , qu'il a su positivement le
fait, et qu'il le raconte sincèrement. Or, je soutiens
que dans toute l'histoire ancienne , il n'y a pas un seul
fait dont la relation réunisse plus complètement ces
deux certitudes.
II. Une observation importante à faire avant d'entrer
dans cette discussion , c'est qu'il est impossible de sou-
tenir à la fois que les écrivains sacrés ont été trompés
et qu'ils ont été trompeurs : l'une de ces assertions
exclut positivement l'autre. Ou ils ont cru vrai ce qu'ils
disaient , ou ils l'ont cru faux. Il ne peut pas y avoir
de milieu entre la bonne et la mauvaise foi sur des faits
qu'on dit avoir vus. iMais si les historiens des miracles
n'ont pu en même temps être séduits et séducteurs, il
est possible qu'ils n'aient été ni l'un ni l'autre. Prouvons
d'abord qu'ils n'ont pas été abusés.
III. Les témoins des miracles du Sauveur sont, non-
seulement les quatre évangélistes et les apôtres qui ont
écrit des épîtres, mais encore tous les disciples qu'avait
formés Jésus-Christ, c'est-à-dire les soixante-douze dont
-.t. Luc fait mention dans son évangile, et de plus,
tous ceux qui s'étaient attachés au divin Sauveur, et
qui étaient en assez grand nombre. jVous voyons , im-
médiatement après l'ascension , lors de l'élection de
St. Matthias, environ cent vingt fidèles enfermés dans
le cénacle (1). St. Paul dit qu'après sa résurrection
(i) Erat aotera tnrba hominnm simul fere centura viginti. i^Act.i^
5)
216 DISSERTATIONS
Jésus-Christ s'est montré une fois à plus de cinq cents
d'entre les frères, dont beaucoup , ajoute -t-il, sont
encore vivants , et dont quelques autres sont morts (1).
St. Paul n'aurait pas osé hasarder cette assertion , si
elle n'eût pas été vraie. Il aurait été trop facile de le
démentir, pour qu'il se la permît. Il y avait donc,
au retour de Jésus-Christ dans les cieux , plus de cinq
cents personnes qui croyaient en lui : c'étaient autant
de témoins de ses miracles. D'abord beaucoup d'en-
tr'eux ont partagé les travaux apostoliques, et ont prê-
ché, comme les évangélistes et les apôtres, la vérité de
la religion et des miracles qui en sont le fondement.
Mais ceux même qui n'ont pas exercé la fonction de la
prédication , ont entendu celle des apôtres. Ils savaient
positivement si les faits pubhés par eux étaient véri-
tables. S'ils les avaient crus faux, ils les auraient con-
tredits; s'ils les avaient contredits , les ennemis du
christianisme , si habiles et si ardents à profiter de
tout , se seraient appuyés de leur dénégation. Ainsi ,
par cela seul qu'ils ne contredisent point le témoignage
des apôtres, ils y adhèrent; ils parlent comme eux,
en ne parlant pas contre eux. Cette considération du
grand nombre de témoins des miracles ^ est par elle-
même de la plus haute importance ; et de plus , elle
confirme beaucoup ce que nous avons à dire sur notre
objet spécial, c'est-à-dire sur la force du témoignage
des apôtres , des évangélistes , et de ceux que nous
savons avoir dès le commencement prêché directement
le christianisme.
IV. On ajoute une foi entière à l'historien qui a écrit
sa narration d'après des mémoires authentiques et con-
temporains (2). On a un motif bien autrement puis-
sant de crédibilité quand il rapporte ce dont il a été
(i) Deinde visus est plusquam qaingentis fratribus siniulj ex qui-
bus niuhi manent usque adhuc, quidam autem dorniierunt. (i. Cor.,
XV, 6.)
(2) Voyez ci-dessDs , piemière partie, n° txv , jjage 18 5.
SUR LA RELIGION. 217
témoin. La croyance est encore plus fondée , s'il a été
lui-même auteur dans les faits qu'il raconte. Enfin ,
le motif de certitude est à son comble, si le rapport est
fait , non par un seul historien , mais par plusieurs
témoins oculaires et ayant part aux faits. Or , nous
trouvons l'ensemble de tous ces caractères dans l'his-
toire évangélique : on aurait peine à les trouver dans
les histoires profanes. Les événeinensles plus fermement
crus de ces histoires , ne le sont que d'après quelques-
unes de ces preuves. Aucun peut-être ne les réunit
toutes (1). Ici c'est un grand nombre d'hommes, qui
unanimement, les uns de vive voix, les autres par écrit,
proclament les faits de la vie de leur maître, et des
faits, dont sinon tous, au moins presque tous ont été
personnellement témoins (2). Ils disent avec confiance
aux peuples parmi lesquels ils se répandent : Ce que
nous vous annonçons, ce que nous vous attestons ,
c'est ce que nos oreilles ont entendu, ce que nos yeux ont
vu , ce que nos mains ont louché (3). Ce n'est pas
un fait isolé qu'ils ]*ubliLent, c'est une suite de faits
perpétuellement renouvelés sous leurs yeux pendant le
(r) Sane commode raihi dicium videtar , aut prorsas credere opor-
tet Jesu dihcipulis , sicat leliqui^ quO'^ne scriptonbas . ant si non bis ,
ne reliquis q-iidem. Cur eniin si sol. s his viris detrahenda sit fides ,
non etiam reliqnis omnibas quicumque anqaam, act apud barbaros ,
vifas, aot orationes, aut comnientaria conscripserant eorora qui variis
teniporibns in aliquo génère virtutis, atquc officii praestiteiint. Aut
si dicis aliis quidam credeie aequam esse, at his solis non credere, cur
non hoc plane ad invidiam referatur. (Eusebius , Demonst. Evang. ,
lib. ni., cap. 7 )
(2)11 est incertain si les deux évangélistes qni n'étaient pas apôtres,
St. Afarc et St. Lac, ont été disciples du Sauveur. Mais ce qui est
certain, c'est queux et St. Paul avaient passé leur vie avec les apô-
tres et les disciples. Ainsi leur temoignagee a autant de poids que s'ils
avaient été témoins oculaires.
(3) Qnod fuit ab initio, qnod andivimus, quod vidiraus ocnlis nos-
tris, et perspeximus, et manus nostrae conlrectaverunt de verbo vi-
tae, et vita roanifestata est, et yidiinns, et lestamar, et annuntiamus
vobis. ( I. Joan. 1,1.)
Dissert, sur la Relig, 10
218 DISSERTATIONS
cours de trois années. Ce ne sont pas, disait hautement
St. Paul, des faits inconnus et cachés, qui se soient
passés dans quelque coin obscur (1), n'est à la vue de
tout le public , c'est souvent en présence inènie de
ses ennemis que Jésus-Christ a opéré ses miracles. Ce
ne sont pas des faits préparés, arrangés d'avance, con-
certés comme on l'a vu jusque dans notre siècle , entre
l'auteur et l'objet de prétendu prodige ; c'est à mesure
que l'occasion s'offre à lui , c'est sur tous les malades
qui viennent se présenter à sa bienfaisance , que Jésus-
Christ exerce sa puissance miraculeuse. Ce ne sont
pas des faits indifférents qu'on puisse apercevoir négli-
gemment et en passant; il s'agit de l'objet le plus im-
portant , de l'intérêt le plus essentiel pour la nation
juive, du sort de sa religion , de la reconnaissance
de son Messie. Pendant tout le temps qu'il a fait ses
miracles, Jésus-Christ n'a pas été quitté un seul mo-
ment par ses apôtres, et par une foule de disciples,
quelquefois même d'adversaires. Ce n'est pas tout en-
core : ces apôtres qui publient les faits ^ en ont souvent
été eux-mêmes partie ; ils y ont plusieurs fois joué un
rôle actif. Par exemple , dans les deux miracles de
la multiplication des pains , ce sont eux qui ont d'abord
fait la distribution au peuple, et ensuite recueilli les
restes. Jésus-Christ a fait marcher St. Pierre sur les
eaux, il a fait portera St. Thomas la main dans ses
plaies. Il est impossible de réunir plus de preuves de
tout genre des miracles de Jésus-Christ, que n'en avaient
les apôtres, et d'en avoir une certitude plus complète
et glus fortement motivée. Elle est donc évidemment
absurde, la supposition que quelques incrédules n'ont
pas craint de hasarder _, que les apôtres et les disciples
ont pu être induits en erreur sur la réalité des faits
qu'ils certifient.
0)Latere nih^l hornm arhiuor. neqne eniru in angtilo quiiiquain
h<-vi.'ni gestum es.t. {Act.y xxvi, a6.)
SDR L\ RELIGION. 219
V. Pour le soutenir , il faudrait prétendre qu'ils
étaient insensés, qu'ils avaient Tesprit absolument alié-
né. Mais, en le prétendant, il faudrait le prouver;
il faudrait prouver, ce qui est plus incroyable encore,
qu'étant tous fous, ils voient à tous le même genre,
le même degré , le même objet de folie. C'est ce qui
n'aurait été vu que cette seule fois depuis la création.
Cette supposition , que les apôtres avaient l'esprit
aliéné, est si ridicule, que je ne crois pas qu'elle ait
été produite par qui que ce soit. S'ils eussent éié tels
en atîestant les miracles , ils l'eussent été toute leur
vie, puisqu'ils n'ont pas cessé de les publier. Comment
pourrait-il se faire que , dans tous les pays qu'ils ont
parcourus, personne n'eût découvert la folie d'aucun
d'eux? Que l'on cherche dans leurs actions, dans leurs
paroles, les plus légères traces de cette absence d'esprit.
On voit, au contraire, dans leur conduite, une tenue
une suite que ne peuvent pas avoir des insensés ; on les
voit dans les villes les plus éclairées, enseignant les
hommes de toute condition , disputant contre les uns
convertissant les autres. La grandeur de leur entreprise,
mais surtout son exécution , montre au moins la justesse
de leur sens Jamais harangues n'ont été couronnées
d'un succès aussi éclatant. Si on veut prétendre que les
premiers prédicateurs de l'Evangile étaient des insensés
il faut soutenir que tous ceux qu'ils ont convertis
magistrats, savants, philosophes, étaient encore plus
insensés qu'eux.
VI. « Mais, dit-on, les apôtres, s'ils n'étaient pas
« des insensés , étaient au moins d'une ignorance j^ros-
«« sière. Une infatigable crédulité formait leur carac-
M tère. »
YII. Les apôtres étaient ignorants : à la bonne heure;
mais étaient- ils sourds? étaient — ils aveugles? est -il
nécessaire d'être savant pour être certain de faits pal-
pables que l'on a sous les yeux? la science est -elle
nécessaire pour être certain de ce que l'on voit con-
tinuellement pendant trois ans? Sur de tels faits, le
220 DISSERTATIONS
témoignage d'un ignorant est d'un aussi grand poids
que celui d'un philosophe. En accordant aux disciples
de Jésus-Christ des sens sains et un esprit qui ne fût
pas dérangé , on s'ôte le droit de rejeter leur témoi-
gnage. Quel est le tribunal où on raisonne ainsi? Com-
bien d'arrêts il faudrait casser, si on admettait que des
témoins sont récusables sur lui fait, parce qu'ils sont
ignorants.
Les apôtres étaient ignorants quand ils voyaient les
miracles de leur maître : l'étaient-ils de même quand
ils les publiaient? J'aurai occasion de parler ailleurs
de cette différence survenue dans leurs personnes. Mais
que l'on considère toute l'histoire de leur vie, que l'on
parcoure tous leurs discours : on- verra s'ils étaient en
effet, alors, de cette ignorance grossière qu'on leur
suppose.
YIII. On attribue à une infatigable crédulité leur
croyance des faits miraculeux. 1° En traitant du fait
particulier de la résurrection , j'aurai occasion de les
laver de ce reproche de crédulité ; 2° mais d'où aurait-
elle pu venir aux apôtres cette crédulité sur les faits
évangéliques? Ils étaient juifs. Les préjugés de leur
naissance, au sujet du Messie, devaient les éloigner
de croire un 3Iessie pauvre et obscur. Il y a bien
loin des idées judaïques sur le Messie , au Messie
persécuté et expirant dans le dernier supplice , qu'ils
annoncent. En les supposant exempts de préjugés, la
crédulité qu'on leur impute serait déjà ])lus qu'extraor-
dinaire; mais avec les préjugés qu'ils devaient avoir,
et dont ils conviennent qu'ils étaient imbus , elle est
absolument impossible. De plus , la nouvelle doctrine
qu'apportait Jésus-Christ était absolument destructive
de la religion dans laquelle ils avaient été élevés. Les
deux religions ne pouvaient pas subsister ensemble.
Il leur a donc fallu des preuves bien frappantes de
la vérité de celle qu'ils embrassaient , pour quitter celle
à laquelle ils étaient attachés. Ce n'est pas par créduhté
que l'on dépose tous ses préjugés et tous ses principes;
SUR LA RELIGION. 221
3° enfin , considérons que s'il est possible de faire
croire à un homme simple des choses incroyables ,
éloignées de lui , il est absurde de prétendre qu'on lui
fait croire des faits palpables, tandis qu'il voit évidem-
ment le contraire; de les lui faire croire continuelle-
ment et journellement pendant trois ans de suite; de
les faire croire ainsi , non-seulement à un homme ,
mais à une troupe d'hommes ayant la plus légère dose
de sens commun. On accorde qu'ils n'étaient pas in-
sensés : il faut donc l'être soi-même pour lui attribuer
une aussi déraisonnable crédulité.
IX. . Les apikres et les évangélistes n'ont pu être
induits en erreur sur les miracles de leur maître; mais
n'ont- ils pas voulu y induire les autres? c'est ce qu'il
s'agit d'examiner.
X. Observons d'abord , avec St. Chrysostôme , que
dès qu'on admet, comme nous l'avons prouvé, que
ces premiers disciples de Jésus-Christ n'avaient pas l'es-
prit aliéné^ il est inconséquent de les accuser d'avoir
cherché à tromper le monde. L'entreprise seule de
vouloir faire croire des miracles qu'ils auraient sus
être faux^ de vouloir les faire croire aux Juifs qui en
auraient connu comme eux la fausseté , de vouloir les
faire croire à tout l'univers païen qui en était si pro-
digieusement éloigné , eût été le comble de la folie ,
de la démence. Que l'on considère l'impossibilité du
succès , si les miracles ne sont pas réels ; la faiblesse
des moyens, les peines et les fatigues auxquelles il
fallait se dévouer, les risques évidents auxquels on se
Uvrait nécessairement : il sera facile de sentir qu'il n'y
a que des cervelles dérangées qui pussent même en con-
cevoir le projet. (1).
(r) Undenam illis in mente m venerit nt sperarent se totnm orbem
terrae ^ osse vincere , si non vidissent Cbristum resurrexisse. 'Sum in
mentis excessn quippiara taie et inconiiderale et temere cogitarunt.
Omnem qnippe amentiam saperat absfjoe Dei gratia tantara reœ per-
fici posse sperare. Quomodo hoc effecerunt , insanientes et in mentis
222 DISSERTATIONS
XI. Nous sommes accoutumés à regarder les fonda-
teurs de la religion comme des personnages de la plus
haute sainteté ; mais sortons, pour un moment, de
cette opinion. S'ils ne croyaient pas les miracles qu'ils
publiaient, ils étaient des imposteurs , et des impos-
teurs du genre le plus criminel. L'objet de leur men-
songe était d'anéantir la religion de leur pays , de
détruire tout ce qui existait de religion dans l'univers,
en apportant une religion nouvelle , qui était insociable
avec toutes les autres, et dont ils connaissaient la faus-
seté. Quelle entreprise plus impie que celle-là, plus
abominable, soit dans l'ordre de la religion, soit dans
l'ordre de la morale , plus punissable et dans cette vie
et dans l'autre? Il faut ne pas croire en Dieu, pour en
forger un au gré de son imagination , il faut n'avoir
aucune crainte du vrai Dieu , pour en présenter un faux
à l'univers. Ces prédicateurs de la foi étaient-ils des
hommes sans conscience , des impies , des athées? Ce
serait à ceux qui le prétendent à le prouver. Dans
toute espèce de justice, l'accusateur est tenu à la preuve.
Les ennemis des apôtres n'en peuvent apporter aucune
de l'imposture dont ils les accusent ; leur seule raison
est que les apôtres ont menti au sujet des miracles de
leur maître. Ainsi ils ne donnent d'autre preuve de la
scélératesse des apôtres, que la publication des miracles ;
et de la fausseté des miracles , que la scélératesse des
apôtres.
Nous pourrions nous en tenir là. L'impuissance de
prouver l'accusation suffirait pour la faire tomber. Mais,
si on ne peut appuyer d'aucune raison cette grave ac-
cusation, démontrons-en la fausseté ; montrons que,
excessa , bir. vero sanae mentis erant, nt et res ipsae probant , qaorao -
do non acceptis ex cœlo fîde dignis pignoribas, et supernam non
adepti gratiam, ausi cssen' ad tanta exire bella in terra et in mari
suscipienda , et nJ mniandos totias oibis raores tanlo tt-mpore contir-
malus, Loiu uns duodecim se accinj^ere ausi fuerint, et fortiter stare.
(S. Jean. Chrysost. , in primam epist. ad Cor. ^ Hoin. 5, n° 3.)
SUR La religion. 223
soit qu'on examine les écrits des apôtres , soit que l'on
considère leur conduite, tout repousse jusqu'au soupçon
du crime dont on veut les charger.
XII. Je cherche d'abord dans ce qu'ils ont écrit quel-
que fondement à celte accusation d'impiété , et j'y
trouve absolument le contraire. Si les écrivains sacrés
étaient des imposteurs, des impies, présenteraient-ils
dans leurs évangiles le système de religion qui donne la
plus sublime idée de la Divinité , qui porte le plus effi-
cacement les hommes à la chérir par la contemplation
de ses immenses bienfaits , à la redouter par l'expecta-
tive de ses terribles châtiments? montreraient- ils le
zèle qu'on voit briller partout à former les hommes à la
piété la plu- solide et la plus affecliieuse (1)? Si les
écrivains sacrés étaient des imposteurs, des hommes
immoraux , publieraient-^ils le code de morale le plus
entier, le plus pur, le plus parfait que le monde ait
jamais reçu (2)? un code de morale si saint , que les
(i) Tir auteiD de praestigiis prorsus inlenlus, et plane despeiatts
rebas oume suuju studium iinpendeiis, nonne vel iaiirudens ipbe dt;
se ipso indicio sit , quod infandis moiibas, qaod scelestus , qnod
obscenas, qaod religioriis iniruicns, qiiod injuslas , quod impius?
Quis vero talis sit , nnde et qaoïnodo ea qoae ad religionem pertinent
alios doceal ? Quoraodo item quae ad tempeiantiiim, qu£e ad Dei
cognitionera , quae ad divinum forum ac judicium sumuii Dei ? ]N"onne
his (Jinnibus cuntraria potins fomntendet ac praferat , suae i[)sius ne-
quitis consentanea perpetranb ? Nonne Deunj, Deique providentiani ,
ac Dei judicium neget? Nonne oiunia de virtute, omnia de inimorta-
litaie animae verba irrideat? Qaod si quid taie etiam in iis quae ad
Salvatorem, Dominnnrjqne nobliuni peiiinent intoeri licuisset, iiihil
sane foisset dicendura. At vero, cum in singulis rébus et veibis uni-
versi opiHcein Deum patrem invocasse solilura <onstet, talesquequos
in disciplinam accipere comparasse, cum etipse temperans fueriî ,
et verborum quae ad teuiperantiam pertinent ptceceptur , cum ancior
praedicatorque veritatis, humanitatis, virtotis nniversae, cura religio-
nis dus et magister, quae omnium regem Deum colit, rur non his
consentaneuni sit putare , nihil hornm quae in illo admiramur , ab illo
per dolum piaestigiarnm, aat per fallaciam gestum. (Eusei., De-
monst. evang.^ lib. m.)
(a) Palchra profecto noslra decipiendi ratio : qnippe qui facimus
224 DISSERTATIONS
incrédules eux-mêmes sont forcés de le respecter et de
l'admirer? Si les écrivains sacrés étaient des imposteurs,
des fourbes , oseraient-ils prêcher continuellement la
sincérité, l'horreur du mensonge, annoncer un Dieu
qui lit jusqu'au fond des cœurs, présenter leur maître
tonnant contre l'hypocrisie ? Voilà , il faut Tavouer ,
des criminels d'une espèce que l'on n'a jamais vue et
que l'on ne verra jamais; qui parlent et écrivent sans
cesse , et sans jamais se trahir , contre toutes leurs idées,
contre toutes leurs affections , et qui emploient leur
scélératesse à rendre l'univers vertueux, et tous leurs
efforts à y établir solidement les vertus diamétralement
opposées à leurs vices.
XIII. De leurs écrits je passe à leur conduite per-
sonnelle , et j'examine si elle est en opposition avec
leurs principes. Que l'on nous dise quelle est la vertu la
plus sublime, la plus pénible, dont, en apportant le
précepte, ils ne présentent pas l'exemple (1)? Ils prê-
nt ex intemperantibos tempérantes liant, ant stadeant temperantiae ;
ex injustis josti sint, aut a i jastitiam tendant : ex jmprudentibas éva-
dant prndentes, aut viara prudentiae sectentur; ex timidis , ignavis,
imhecillis , animosi sint et fortes ; qai virtnte tonc praesertim erninent ,
dura ad pietatem erga Deum omaium conditorem servandam decer-
tant. Origen. contra Ceîs.,\\h. ii , n° 79.)
Quae enim per Dei gratiam recte agere potneront publicani et pisca-
tores, haec pbilosopbi, tyranui, et, ut ita dicani , totus orbis innume-
ra circamcurrens, ne imaginari quidem potait, Quid enim crux non
induxit? De immorralitate animae sent«*ntiam, de reMirrectione cor-
pornm, de despeciu praesentium, et de falnrorum deaiderio, homines
angelos fecit : et omnes ubiqae philosophantur , ubique virtutem
exhibent. {S. Joan. Chrysost.y in epist. primam ad Cor., Hom. iv ,
n" 3. )
(i) Qais igitur men'is sanitate prseditus, non ab illis protinns ar-
gamentans omni fide dignos illos judicaverit ? Viros qnidem absque
controversia ignnbiles, litterarnmque ignaros, loqaendiqae imperitos:
at in sanctae ac philosopbicae doctrina; amorem progresses ; et stre-
nuam laboriosamque vilam amplexos : qaam qaidem inedia et absti-
nentia , tam a vino, tara a carnibus pinrimis, item affectionibus cor-
poris atqae orationibas, snpplicationibusque ad Deam, ac maito
SUR L.\ RELIGION. 225
client le mépris des richesses; et, pour suivre Jésus-
Christ , ils ont tout quitté (1) ; et leur pauvreté est telle,
qu'au milieu des rudes travaux de l'apostolat, ils sont
obligés de travailler encore de leurs mains pour obtenir
leur subsistance. Ils prêchent la mortification, et on
ne peut contempler sans effroi tout ce qu'ils ont à
souffrir de maux de tout genre dans leur laborieuse
carrière ; ils prêchent l'humilité , et soit dans leurs plus
brillants succès , soit dans leurs plus rudes contradic-
tions , on ne voit pas en eux un moment de jactance (2);
souvent obligés de se justifier, ils ne se vantent jamais.
Ils prêchent le pardon des injures; et continuellement
calomniés , persécutés , jamais il ne leur échappe une
parole de ressentiment , ils ne se permettent pas même
une plainte. Ils prêchent la sincérité (et c'est la vertu
dons il s'agit spécialement ici ) , et leur candeur est
si entière qu'ils racontent eux-mêmes leurs défauts et
leurs fautes ; leur ignorance , qui ne leur permettait pas
de comprendre ce que Jésus-Christ leuj- disait de plus
clair; leur ambition, qui les faisait aspirer à des gran-
deurs; leur jalousie, qui les mettait en rivalité pour
prias sniuma temperauiia et castitate corporis pariter aique aninii
corraxerint. (Iluseb.y Dtmonst. evang^ lib. ixr.)
Eornm virtntisfuit qnod tlonum tatitnra retinerent. Vitam qnippe
sanctitate conspicuain (lucebant , multamqne sapientiam extiihebant
laboresqae magnos : vitam praesenteni conlemntbant: hamana nihili
pendebanl : sed su{)erioits omnibus fneie ; ac, sicut aqnilse levés in
altuin volantes , opeàbas ad ipsuin cœlum pert-ngebant. [S. Joari.
Chrjnost. , in Joan. , Hum. xxnr, al. xxn , n" 3. )
(i) Apostoli de piscatione lacus Genesareth ad piscationem homi-
nom tiansierunt. Tune babentes paliem, recîe, navicnlam , secnti
Dominam , omuia reiiquerunt ; portantes quolidie crucem suam , et ne
virgam quidem in manu babentes. [S. Hieronymns ^ eplst. s-cv , ad
Rujinum monachum. )
(?.) Vide quiim a iastu alieni sint apostoli, et quam pbilosophi.
Non circamenntes se venditant, nec dicunt quo pacto sacerdotes con-
fatarint; neque narrando vanam gloriam captarunt : sed venientes,
ea qose a senionbus aadierant simpliciter detmntiant. Hinc discimus
ipsos non sede in tentationes injecitse, sed eas qnae infeiebantar fov-
titer tnlisse. Alias vero qaisqiiis faissct, forte multitudine frelus, con-
10*
226 Dissertations
les places du royaume attendu; leur lâcheté, qui leur
fait à tous abandonner leur maître, et qui les fait en-
suite plus honteusement encore renier par leur chef;
leur incréduhté, leur lenteur à croire ce que leur divin
Maître avait prédit. JNous ignorerions toutes ces fai-
blesses, si eux-mêmes ne les rapportaient pas, et ils
les rapportent spontanément sans que rien les y oblige ,
sans que ce récit soit nécessaire à la suite de leur his-
toire (1). Et ce sont des hon»mes qui présentent un trait
d'ingénuité aussi éclatant, dont on ne connaît peut-
être aucun autre exemple, que l'on accuse de fourberie?
ce sont des hommes qui se montrent , dans toutes les
circonstances , des modèles de toutes les vertus, dont
on veut faire des monstres de scélératesse (2).
tamelias etiam protali^set , ac sexcenta gravia locntns esset. At non
hi philosophi , sed omnia mansnete et bénigne. (iS. Joati. Chrysost.^
in act. ; Hora. xi , n° 2.)
Credant potins apostolos nostros, nec cura snspicerentur ab homi-
nibns inflatos fuisse, nec cnm despicerentur elisos , Neutra quippe
tentatio défait illisviris. Nam et credentinm celebrabantur prfeconiis ,
et persequentiiim maledictis infamabantar. [S. August.y de Doctrina
Chrisci, lib ni, cap. 20, n° 29.)
(i) Addit Celsus : Discipulos Jesu, cum in re manifesta dissimulare
nihil possint , id excogitasse , ut dicerent ipsi prcecognita fuisse om-
nia. At vero non animadvertit ant advertere nolait, ad scriptorum
illornm sinceiitatem, qui fateantnr ipsis a Jeso praediclum fnisse :
omnes vos scandalizabiniini in me in nocte ista ; seqae rêvera fuisse
scandalizatos : hoc etiam fuisse prsedictum Petro : Antequam gallus
cantet y ter me negabis; terqne negasse Petram. Nisi enirea sinceri et
bona fide fuissent, sed, qaod putat Celsus , figmenta scripsissent, de
abnegatione Pétri , de discipuloram scandalo , nunquam fecissent
tnentionem. Nam etsi haec acciderint, quis ita accidisse probasset.
(Origen. contra Celsum ^ lib. ii, n° i5. )
Tu vero, ut hic vidisti iilorum iroperfectionem, sic disce illornm
philosopbicam raenfem , et veracitaiem mirare ; quomodo nempe scri-
bentes, stupiditntem snam , etài magnam, non occnlteat. {S. Jean.
Chrysost. in Matth. Hom. lui, al. liv, n" r.)
Perpende autem quam vere loqnantur apostoli , qui nec sua, nec
aliéna vitia occnltent, sed veracissime scribant. {Idem , in Joan.
Hom. Lxxxvii, al. lxxxvi, n° i.)
(2) Qui vero taies viros ficlionibas usos ac mentitos patant, et
SUR LA RELIGION. 227
XIV. Nous avons aussi des témoins irrécusables de la
constante vertu des apôtres. Ce sont leurs propres en-
nemis, leurs persécuteurs, qui, les injuriant, les char-
geant d'opprobres, n'ont jamais intenté un reproche à
leur probité. Quel moyen eût été plus propre à décrier
Ja nouvelle religion , que les vices de ceux qui la prê-
chaient? Ardents et habiles comme ils l'étaient à saisir
tous les moyens de la combattre , peut-on douter que
les Juifs et les païens n'eussent saisi avidement celui-là?
Puisqu'ils ne l'ont pas fait , ils ne l'ont pas pu : leur
silence sur la probité des apôtres en est la plus sûre
apologie. On nous dira peut-être que ce n'est ici qu'une
preuve négative : mais selon toutes les règles d'une
saine logique ^ un raisonnement négatif conserve toute
sa force tant qu'on ne lui en oppose pas de positifs.
Après le personnel des apôtres et des évangélistes ,
examinons leur narration , la manière dont ils la font ,
les circonstances dont elle est accompagnée.
XV. La première chose qui frappe, est son étonnante
simplicité. Ils racontent les faits les plus extraordinaires ,
les plus merveilleux , comme ils rapporteraient des choses
naturelles et communes. Toujours historiens , jamais
panégyristes, ils ne font aucunes réflexions , lors même
qu'elles paraîtraient les plus utiles , soit pour prouver
ces faits , soit pour en lelever l'éclat. Ils racontent la
vie de leur maître ; jamais ils ne font son éloge. On ne
peut cependant pas douter qu'ils ne fussent pénétrés du
plus tendre attachement et animés du zèle le plus ardent
pour sa personne. Une narration si simple _, si unie , est-
tanqDam impostores infamiis probrisqae notare conaniiir, cur non
ipsi potins et ridiculisant, et odio , invidiaque digni , tanquam oin-
nis veritatis inimici habentor. Qai qnidem viros ab omni malitia aliè-
nes, tahiqne sine faco, vereqae sincernm aniinnin in suis sciiptis
prae se ferentes, inalitiosos quosdain et callidos andent (ingère sophis-
tas ; tanqnam eos qui quidquid scri[)serint , commenli sint ; et suo
praeceptori , quas iile nunquam feoerit , ad graliara iribuerint. l^Eiise-
bius ^ Demonst. evang.^ lib. iir.)
228 DISSERTATIONS
elle le langage d'imposteurs, d'hoinines (jui cherdienl
à séduire ou à surprendre?
XVI. Ceux qui ont ce projet ont pour premier soin
de cacher leur fraude. Les apôtres semblent prendre à
tâche de donner tous les moyens de découvrir celle dont
ils auraient pu se rendre coupables. Pour faire croire
leurs mensonges, les imposteurs ont soin d'en placer le
théâtre ou l'époque à des lieux ou à des temps tellement
reculés, que la vérification en soit difficile. Les apôtres
suivent la marche contraire. C'est dans le lieu , dans le
temps où la mémoire de leur maître est encore toute rt?-
cente, c'est dix jours après qu'il a quitté la ten*e , c'est
dans la ville même où il vient d'opérer le plus grand
nombre de ses prodiges, qu'ils les publient Les impos-
teurs commencent par semer obscurément leur doctrine ,
avant de la mettre au grand jour. C'est dans le jour où
une fête solennelle attire à Jérusalem un grand concours
de monde de toutes les parties de la Judée, et même des
pays étrangers , qu'ils y ouvrent leur prédication : ainsi ,
c'est devant tous ceux qui ont dû être témoins des mi-
racles, qu'ils les annoncent. Toutes les personnes qui les
entendent savent, à n'en pas douter), si ces miracles
sont réels ou supposés : si quelques-uns n'en sont pas
instruits personnelkment , il leur est facile de s'en infor-
mer sur-le-champ. Pour faciliter encore cette vérification,
les apôtres indiquent hautement les lieux où les prodiges
se sont opérés, les personnes qui en ont été les objets.
Par là ils invitent à l'examen , ils provoquent la contra-
diction. Tout Jérusalem savait si , quelques semaines
auparavant , à Béthanie, qui n'en était distante que de
quinze stades , Lazare avait été ressuscité ; tout ce qui se
trouvait à Jérusalem pouvait facilement , dès le jour
même, s'en assurer. On pouvait de même savoir ou
s'informer promptement si à Jéricho , dans le même
temps , Jésus-Christ avait guéri un aveugle ; dans Ca-
pharnaum , un démoniaque , la belle-mère de St. Pierre ,
le domestique d'un centenier ; si , dans le désert de Beth-
saide, il avait nourri cinq mille hommes avec cinq pains;
SDR LA RELIGIO-N. 229
si , dans la ville de Naiin , il avait ressuscité le fils d'une
veuve ; s'il avait rendu la vie à la fille d'un chef de sy-
nagogue , nommé Jaïre. Il en était de niénie de tous les
autres miracles. Il était moralement impossible qu'à
l'occasion de la fête il ne se trouvât pas à Jérusalem des
gens de ces divers pays, instruits de la vérité ou de la
fausseté des faits annoncés, et dont la déposition ne con-
firmât ou ne contredit pas le témoignage des apôtres. Ces
circonstances , favorables à la narration des ujiracles si
elle était véritable , l'anéantissaient si elle était fausse.
Les apôtres auraient-ils osé la produire devant tant de
témoins, s'ils n'avaient pas été assurés de sa vérité?
n'auraient-ils pas redouté les suites humiliantes et péril-
leuses d'un démenti? le démenti n'eut-il pas eu heu , si
les faits n'eussent pas été bien publiquement connus? si
le démenti avait eu lieu sur un seul miracle , se serait-
il fait un seul chrétien ?
XYII. Voici qui est plus fort encore. Non-seulement
les apôtres publient es miracles de leur maître devant
ceux qui devaient en avoir connaissance , mais ils invo-
quent encore la connaissance qu'ils en ont. St. Pierre
réclame leur propre témoignage ly. Il ne craint pas de
leur dire , et à plusieurs reprises , qu'ils savent la vérité
de ce qu'il leur rappelle. Supposons que les miracles
n'eussent pas été réels , et que personne n'en eut eu con-
naissance : quel effet une assertion aussi ridicule , aussi
effrontée , aurait-elle produit sur tout l'auditoire? Que
les incrédules jugent eux-mêmes le genre d'impression
que produirait sur eux un homme qui , atin de leur per-
(i) Viri lïi-aelitae, audile verba haec : Jesam ^'azarcenum , vimm
apprfihatnm a Deo m veibi's, in virtutibas, er prodigiis et signis quae
fecit Deus per illum in medio vestri, ut vos scifis. (^Act. ii, 22.)
Vos sciiis qood faclum est verbum per nniversam Jadaedm, inci-
piens a Galilaea , post baptisiuam quod pra;dic;uit Joannes : Jesnm
a Nazareth, qaomodo uiixit eam Deus spinfu sancto, et «-iflute : qni
pertransit benefaciendo , et sanando oranes oppresses a diabolo: qno-
niam Deus erat coin illo. {Act. x, 87 , 38. )
230 ' DISSERTATIONS
suader des faits extraordinaires, leur soutiendrait qu'ils
les savent parfaitement, tandis qu'ils n'en auraient au-
cune idée.
XMII. Une autre circonstance prouve encore mani-
festement la vérité des témoignages rendus par les apôtres
et les autres disciples à la puissance miraculeuse de leur
maître : c'est leur unanime et invariable conformité(l).
Ils se répandent dans une multitude de pays , et partout
ils annoncent 1rs mêmes merveilles, sans se couper eux-
mêmes dans leurs dépositions , sans se contredire réci-
proquement dans leurs récits. D'où peut venir ce concert
si admirable, sinon de la vérité? Il n'y a que la vérité
qui soit une, et qui puisse dicter à tant de personnes,
dans tant de lieux, pendant tant d'années , des relations
constamment les mêmes. Pour attribuer un accord aussi
(i) Contemplare praeterea qaantarn et ejusraodi sit illos de rebas
gestis Jesu nulltim unquam discrepans verbum protulisse. Si enira de
omnibus rébus de quibus ambigitor , atqae in judiciis quae ex legibas
exeiceniur, coinmanibusque c«tntroversii.s , consensus testinin cerlum
ratumque . id efficit de quo ambigitor ( in ore enim duorum , vel trium
teslium consistit omne verbum), cur in bis quoque veritas non con-
sistit ? Cam et daodecim apostoli fuerint , et septuaginta discipuli , et
innnmerabilis extra hune numerum miiltiiudo, qui admirabilera in
omnibus consensnm servaverint , et rébus ad Jesu gestis leslimonium
dederint : non iliud qnidem sine sndore , sed cum tormentorom , om-
nisqoe ii.juriae, ac deniqae mortis perpessione. (^Euseb., Deinonst.
evang. lib. m. )
Qoemadmodum enim in b'ra cim diversae sint chordae, unus tamen
concentos est, sic etiam in aposiolorum choro, qaamvis sint diversae
personae, una tamen doctrina est; quia et unus artifex erat , Spiritus
santtns, qui ipsorum animos movebiit. Idque Paulus oslendens : Sive
igitur, inquit, illi ^ sive ego, sic prcedicamus. {S. Joann. Chrysost.
Hom. in S. Ignatiutn martyrem , n° 2.)
Denique auctores nostri, in quibus non frustra sacrarum litteraram
figitur, et terminalur canon, absit nt iuter se aliqua ratione dissen-
tiant. Unde non imiuerito, cum Ula scriberent , eis Deum , vel per
eos locntura, non pauci in scbolisatque gymnasiis , litigiosis disputa-
tionibus garrnli,sed in agtis atque in urbibus,cam doctisatque indoc-
tis, tôt tantiqoe popuii crediderunt. Ipsi tam pauci esse debuerant ;
ne multiiudine vilesceret, quod religione eoram esse oporteret : nec
tamen ita pauci, ut euruni non sit miranda consensio. (5. August. ,
de Civit. Dei ^ lib. xviii. cap. 41 , n® i.)
SDR La religion. 231
exact au mensonjje, il faudrait soutenir ou qu'il a été
produit par le hasard et sans que les apôtres se fussent
concertés , ou qu'il est le résultat d'une convention faite
entre eux. La première hypothèse est non-seulement
déraisonnable, mais ridicule. Elle présente un effet
sans cause. Pour la réfuter , il suffit de l'exposer. La
seconde supposition est également absurde. Le nonri-
bre seul de ceux qui auraient dû entrer dans ce cri-
minel traité, eu montre l'impossibilité. D'abord, que
les douze apôtres et les évangélistes eusseut fait et
soutenu toute leur vie invariLJjlement un tel com-
plot , serait déjà une chose incroyable ; mais il au-
rait fallu de plus , qu'ils eussent pour complices la
nombreuse troupe des disciples , tant hommes que
femmes ; il aurait fallu que dans cette multitude de
personnes il ne s'en fût pas trouvé une seule hon-
nête, que l'horreur d'un aussi grand crime eût ar-
rêtée ; il aurait fallu que dans le cours de tant
d'années il ne fût venu à aucune d'elles un repen-
tir ; il aurait fallu qu'il ne leur fût échappé pen-
dant tout ce temps aucune indiscrétion. Considérons
que la plus légère révélation faite aux ennemis
nombreux et puissants de la religion naissante li-
vrait les auteurs et les complices de l'imposture non-
seulement à un éternel opprobre, mais aux plus cruels
supplices. Il est contraire à la raison d'imaginer qu'un
semblable accord ait pu se former ; plus contraire en-
core de croire qu'il ait pu se soutenir. Pour con-
cevoir un tel projet, il faudrait que plusieurs cen-
taines d'hommes , sans exception , eussent été des
prodiges d'extravagance et des monstres de scéléra-
tesse. Pour rexéciiter , il faudrait que tous ces mê-
mes hommes eussent été en même temps des modèles
de prudence et des héros de fidélité.
XIX. Je dis que dans les écrits qui composent le
Nouveau Testament on n'aperçoit point de disso-
nances, qu'il n'y a point de contradictions; mais il y a
des différences sensibles. La variété des styles, la ma-
232 DISSERTATIONS
nièie de raconter les mêmes faits , les uns omettant
des circonstances que rapportent les autres , ceux-ci
plaçant après ce que ceux-là mettent auparavant , et
d'autres diversités encore prouvent évidemment que
ces diiïcrents ouvrages ne sont pas de la même main,
et qu'ils sont de plusieurs auteurs qui ne se sont pas
concertés en les écrivant (1). Des hommes qui auraient
fait un accord pour tromper n'auraient donné au monde
qu'un seul livre, qui n'aurait par donné de prise à ce
genre de critique. On voit dans les Evangiles quelques
récits qui semblent présenter de la contrariété ; par
exemple, entre St. Matthieu et St. Luc, dans les généa-
logies qu'ils donnent de Jésus-Christ. Ces apparences
d'opposition ont fourni à quelques incrédules des objec-
tions contre la vérité de l'histoire évangélique. En con-
ciliant ces prétendues contradictions , on a réfuté leurs
vains arguments, et on a montré que, loin de prouver
la fausseté du récit des écrivains sacrés , ce qui paraît
être entre eux des oppositions prouve au contraire leur
sincérité , et fait voir qu'ils ne se sont pas concertés
pour mentir (2). u Le mensonge est circonspect. S'il
(i) At CQin primo loco quaesivisseinus car a capteris evangelistis
praetermishus Lazarus a Joanne solo metuoratus f uisset , respondeba-
mas Spiiitain sanctuin ut cominenii suspicionem praecideret , permi-
sisse nt evangelistae quae ad luiracula Saivaioris pertinerent concordis-
sime de>cribeient ; cura.sse tamen ut alius aliud quidpiam praeteriret ;
qaod signam esse peispicnum ipsos, neque callide, deditave opéra,
Tinove consensQ, neque ad giaiiarn evaiigelia scripsisse; ita ut oinnes
cum quidpi;im iii aliquo deesset , veritatem sine fucû dedararenf.
(S. Joaiin, Chrysost. . Honiil. de Lazar. quatrid.)
Tu vero qai dissonaiiti?in illam objicis, perinde facis at si eadera
ipsa verba , eosdem loquendi modos prof"erre juberes. Nanti alirid est
diverse loqui , aliud pugnantia dicere. {^Idem ^ in Match, proœmiiim
Homll. I, n'' 4, )
Quia raulta fecit Dominas Jésus, non omnes omnia conscripse-
runt : sed alins isia, alius il!a : sumraa tamen concordia veritatis.
(5. August. Serm. ccxl, de Festis Paschal. prim. al. de Tempo-
re cxxxix , n° r . )
(a) Atqiii, inquies, om.iino contra accidit. Saepe enim inter se dis-
sentire deprehenduntur. Certe illud ipsam magnum est pro veritate
SUR LA RELIGION. 233
>• doit passer par des plumes dilîéreutes , il s'attache à
« une scrupuleuse et servile unitorniité. Il n'y a point
«' de dépositions plus unanimes que celles des faux té—
« moins , lorsqu'ils ont pu s'aboucher : mais l'écrivain
« que dirige et qu'inspire la vérité, rapporte ce qu'il
« sait, sans avoir besoin de s'informer de ce qu'on
.. a dit avant lui. Il ne craint ni contradiction , ni
« démenti. Si dans son récil, comparé avec les autres,
« il se rencontre des variantes difficiles à concilier,
- il se met au-dessus de ces minutieuses critiques , et
« se repose sur la vérité elle-même du soin de résoudre
« des difficultés qu'il n'a pas daigné prévoir (1). »
XX. Invariablement unanime , le témoignage des
premiers prédicateurs de l'Evangile est encore cons-
tamment persévérant : et c'est un nouveau caractère ,
qui porte au plus haut degré d'évidence sa vérité et la
sincérité de ceux qui l'ont rendu (2). La persécution
suscitée contre eux commence avec leur prédication.
Leur maître la leur avait prédite. Il leur avait déclaré
que les persécutions qu'il avait éprouvées se prolonge-
raient sur eux ; qu'il les envoyait comme des brebis au
argamentom. Si enim omnia accarate consonassent, quantnra ad tem-
pos et quantum ad loca , et quanlam sid ipsa verba , ex inimicis nemo
credituras erat ; sed ex matao hamanoque consensn ha-c scripta fuisse
putas^ent ; atqoe hujnsmoJi consonantiam , non ex simplicitate , sin-
ceritateque procedere. Jara vero illa quse , in exiguis rébus deprehendi
videtar diversitas , omnem ab illis suspicionem depellit, scribentium-
qae fidem claie vindicat. {S. Joan. Chrysost. in Mat th. proœm. Ho-
mil. I , n" 2. )
(i) Démonstration évangéliqae , par M. Duvoisin, cinquième édi-
tion (chap. V , pag. io8 , 109. )
(2 Qnod si mendacia baec erant, qoae illi ex composito fînxissent,
operae pretium erit adiiii<ari quonam pacto tantas nuraerus consen-
som illura inter se in rebns fîctis, vel usqne ad mortem servaverit ;
neque ullus earum rerum foimidine quae illos qui prios sublati fuerant
accidissent a societate desciverit ; neque reliquis publiée cootradixerit ,
prodens ea quae inter ipsos compusaissent. [ Eusebius, Démonst.
évang. lib. ui. )
234 DISSEKTATIONS
milieu des loups; qu'ils seraient poursuivis de villr
en ville; traînés devant les conseils, les synagogues,
les présidents, les rois; qu'ils seraient jetés dans ks
prisonSj en haine à tout le monde , battus de verges,
crucifiés, mis à mort(l). C'est avec la conviction intime
de tous les maux épouvantables qu'attirera sur eux
leur ministère, qu'ils l'entreprennent. C'est avec l'é-
preuve douloureuse de tous ces maux qu'ils la conti-
nuent sans relâche. L'Esprit saint me répète , dit
8t. Paul, que les chaînes et les tribulations m'atten-
dent; mais je ne crains rien de tout cela. Je ne regarde
pas ma vie comme plus précieuse que moi , pourvu que
je consomme ma carrière et le ministère de la parole
que j'ai reçu de Jésus- Christ (2).
Avant de pousser plus loin notre raisonnement, fai-
sons deux observations qui n'y sont certainement pas
étian gères.
XXI. 1° Voici une manière bien extraordinaire qu'em-
ploie Jésus-Christ pour trouver des prédicateurs de sa
religion. Quand un imposteur veut s'attacher des dis-
ciples et des preneurs , il leur donne de magnifiques
espérances, il leur promet des richesses, des plaisirs,
des honneurs, tout ce qui flatte les désirs humains.
Pour la prédication de son Evangile, Jésus-Christ em-
ploie le moyen contraire. S'il voit ses disciples mus
par des pensées d'ambition , il se lidte de les réprimer ;
et à la place de ces vues flatteuses il leur présente
(i) Ecre eo naiito vos sicut oves in medio lapornin... Cavete autem
ab hominibus. Tradent eniin vos in conciliis et in synagogis suis : fla-
geUabant vos : et ad piaesides, et ad reges duceraini.... et eritis odio
omnibas propter nomen ineara. {I^Jatch. x, i6 et seq.) Vid. ibid. ,
xxiii, 34 ; xsrv, 9. Marc, xiii , 9. Luc. xxi, 12 , 16. Joann. xv, 20.)
(a^l Spiritus sanctos per oranes c-ivitates mihi proteslainr qaoniam
vincula et (ribalationes Jerosolyiuis me raanent. Sed nihil bornm ve-
reor ; nec facio aniiuam meam pretiosiorein qoam me ; ducumodo
<;onsomraem cursnin raenm, et ministerium verbi qaod accepi a Do-
luino Jesn. (^c^ xx, iZ , 24-)
SUR LA RLLIGiO.V. 235
l'expectative du douloureux calice qu'il doit boire lui-
même (I). C'est en oflVant tout ce qui répaj^ne le
plus à la nature, les liuiniliatious, les persécutions,
les spoliations , les souffrances, la mort, qu'il imagine
de se former des apôtres ; et il en trouve, et il leur
inspire autant d'ardeur pour les maux aftreux qu'il leur
promet , qu'ils en avaient pour tous les biens de ce
monde. Si Jésus-Christ est un imposteur , il prend ,
pour se donner des complices, le moyen le plus propre
à lui en oter. Si les apôtres sont des fourbes , ils le
sont devenus par le motif le plus fait pour les dé-
tourner de l'être.
XXII. 2° En rapportant dans les Evangiles la pro-
phétie qu'avait faite leur maître des souffrances qu'ils
éprouveraient, les apôtres prenaient l'engagement de
les subir. Si après cette prédiction qu'ils publiaient ,
on leur avait vu mener une vie commode et aisée,
si on ne les avait pas vus, au contraire, en proie à
tous les maux qui leur étaient annoncés, on leur aurait
objecté avec avantage la fausseté des prédictions de
leur maître, et la contrariété de ce qu'ils disaient avec
ce qu'ils faisaient. Ils sont donc évidemment entrés
dans le ministère apostolique , en sachant combien il
leur serait pénible '2).
(r) Tune accessit ad eam mater filiomm Zebedaei cnm filiis sais,
adurans et petens aliqaid ab eo. Qui dixit ei : Quid vis ? Ait illi : Die
ut sedeant hi duo iilii mei nuns ad ilexterarn tuam et unus ad sinis-
trara , in regno tno. Responden'» autem Jésus dixit : >'e.->citis quid
petaiis. Potesiis bibere calicem quem ego bibilams snm ? Matth. xx,
ao, a c , 22. )
(i) Miram eiiam onde discipolis qui , nt obtreciatores Jesa dicunt,
nec eam a raortuis sascitatam vidissent , née eam divinura quippiam
esse persaasam habuissent , in mente venisset , non reformidaie quae
Magister passas fuerat : intrépide se pericolis commit 1ère , patriam-
que relinqaere; ut ex voluntate Jesu docirinam sibi ab ipào traditam
docerent. Nam aibitror nerainem fore qui, rebns diligenter perpen-
sis, dicat illos tamnltuosam viiam propter Jesu doctriiiam elecluros
faisse, nisi eos vehementer persua^isset , et ex suis pra?cpptis vivere.
et alios ad ea capessenda adducere : praesertim eam, ut sunt res hu-
236 DISSERTATIONS
XXIII. Et leur attente n'a pas été trompée I On peut
lire dans les épîtres de St. Paul aux Corinthiens^ le
détail des maux auxquels ils étaient contiuuellement
livrés '1) , des persécutions violentes que lui-même avait
spécialement éprouvées (2) ; et il en était de même des
autres prédicateurs apostoliques. On s'étonne que des
hommes aient eu la force de soutenir tant de fatigues ,
tant de veilles, tant de travaux, tant de privations, tant
luanae, in praesens exitii pericnlum se conjiciat quisquis nova quae-
cutiique promulgare andet , infensosque sibi reddere quicumque saut
piiscis dogiuatibus et consuetudinibus addicii. An non id periculi vide-
runt Jesu apostoli, cum au^i sunt, non solum Judaeis ex propheli-
cis serniuiiibos probare eam esse qnein prophétie praedixerant , sed
etiain leliquis geniibus , enra qui heri et nudiasieriius cioci aftixus
fuerat , banc ultro mortem pro humano génère subiisse. ( Origenï
contra Celsuin , lib. i , n° 3r. )
Ergo illi praeceptoris sai exitum non videront , et qnali morte fue-
rit affectus. Cur igitar post il!am torpissimam illius necem de eo qui
raortuQs esset novam theologiam cen^tantissime protulernnl; née ab
incœpto deterreri potuerant ? At qaid ex ea re tandem petebant ?
Nnm ut eodem supplicio afficerentur ? Sed quis , ullo unquam tem-
père, nuUa spe proposita, ejusœodi sapplicium manifestom eligeret ?
( Euseb. , Démonst. évang. bb. m. )
îfon enim quaes^us et commodi gratia rebgionem istam comment»
sont '. quippe qui el praeceptis et reipsa eam vilara secuti sunt , quae e t
voluptatibus caret, et omnia quae habentur in bonis jpernit : et qai
non tantum pro tide mortem subierint , sed etiam moiituros esse et
scierint et praedixerint, et postea uni versos qui illorum disciplinam
secuti essent ,• acerba et nefanda passuros. (^Lactant. Divin. Instit.^
lib. V, cap. 3. )
(i) Usque ad banc horain, el esnrimus, et sitimus ; et colaphis
caedimur, et instabiles samus; et laboram-s opérantes manibos nos-
tris. Maledicimnr , et benedicimus : perseculionem patimur , et snsti-
nemus : blasphemamur el obsecramus : tanquam purgamenta bujas "
mandi facti sumus , omnium peripsema usque adbac. (i. Cor. iv,
II , 12 , i3. )
(2) In laboribas plnrimis; in carceribn* abundantins, in plagia
sopramodum; in mortibus fréquenter. Et Judaeis quinquies quadra-
genas ùna rcinus accepi : ter virgis caesus sum : semel lapidatns sum :
ter naufragium feci : nocte et die in profundum maris fui. In itineri-
bussaepe, periculis flnminum, periculis latronum , periculis ex gé-
nère, periculis ex gentibas, periculis in mari, periculi* in falsis fra-
SUR L\ RELIGION. 237
de besoins , tant de contrariétés , tant de traverses , tant
d'opprobres , tant de périls , tant d'emprisonnements ,
tant de supplices, tant de souffrances de toute espèce!
Ce n'est pas un seul tourment , c'est toutes les sortes
de tourments qu'on leur inflige ; ce n'est pas en un
seul lieu, c'est partout où est répandu l'Evangile: ce
n'est pas un seul témoin des miracles de Jésus-Christ ,
c'est tous ceux qui les publient ; ce n'est pas dans un
seul temps, c'est pendant tout le cours de leur vie.
Depuis le jour où ils entrent dans la carrière aposto-
lique , jusqu'à celui où ils la terminent , ils ne cessent
d'être entre la double tentation des tortures les plus
cruelles, s'ils persévèrent dans leur témoignage, de tous
les avantages temporels, s'ils les rétractent. Surs d'être,
en soutenant leur déposition , avilis , dégradés , tour-
mentés, immolés; assurés d'être , en la démentant ,
loués , honorés , enrichis, comblés de biens , ils peuvent
d'un seul mot se délivrer de tous leurs maux , changer
la vie misérable qu'ils mènent en une vie pleine de
délices ; et dans cette troupe nombreuse . pas un ne pro-
fère ce mot qui lui serait si utile, pas un ne se désiste de
l'assertion qui lui est si fatale. Ils la soutiennent devant
les tribunaux où on les traîne, ils en font retentir les
prisons où on les jette , ils la répètent encore sur les
échafauds où on les égorge ; car c'est là que se termine
le terrible combat de la persécution la plus violente
contre le témoignage rendu aux miracles. Tous les apô-
tres , excepté un seul, selon une tradition très-antique
et très-accréditée , un grand nombre de disciples , scel-
lent de leur sang les vérités qu'ils ont publiées, et
expirent martyrs (l). Quel autre motif que le zèle de
tribas; in labore et serarama , in vigiliis multis, in famé et siti, in
jejnniis ranltis, in frigore et nuditate. (2. Cor. xi, aS et sec/.)
(i) Rogo itaque vos omnes ot obediatis vestrœ justitiae, et omnein
patientiam exerceatis qaam ocalis vestris vidis'is , non modo in bea-
lis Ign;itio et Zozimo, et Rafo, sed eliam in aliis qui ex vobis, ac in
j»so PhuIo, caeterisqae apostolis, persaasi... qnod in debito sibi loco
238 DISSERTATIONS
la vérité, a pu les en^^ager à celle inébranlable cons-
tance? S'ils sont des faussaires , quVspèrent-ils au-
delà de celle vie (1)?
XXI Y. On nous dit que d'autres religions ont eu
aussi leurs martyrs. Passons l'assertion qui pourrait
être sujette à de grandes discussions. IMais la diflcrence
est extrême entre ceux-là et les premiers chrétiens :
elle consiste en ce que les uns mouraient ^our soutenir
des opinions et que ceux-ci se sont fait égorger pour
attester qu'ils avaient vu des faits. Le martyre prouve
la persuasion de celui qui le subit : il ne prouve pas la
vérité de ce dont il est persuadé. On peut se laisser
immoler pour des opinions fausses, parce qu'on peut
se tromper sur des opinions; mais sur des faits frap-
pants, tels que sont des miracles que l'on a aperçus par
tous ses sens, l'erreur est impossible. Le mariyre des
sinf ;)pad Domiiium, cumque et passi sint.... (S. Polycarp. epist. ad
Fhillpp.f n" 9.)
Queni imitantes apostoli , nt qui vere essent gnostici et perfecti,
pro ecclesiis qnas fandarunt, passi sunt. (5. Clemens Alex. Strom.f
lih. IV , cap. 9.)
(i) Qiiod si qnis hvc evangelistarnm fîfjmenla esse opinatur, cur
non potius fijimenti fueiint qnae adversns Jesnin , et chriiiatios infen-
suni odium coniFnentnra est. Veritas autem qu* litteris mandaveruiit
ii qui omni génère pœnaram propter Jesn dociiinam piaeferendo de-
monstrarnnt, quara sinceio anirao erga illuin essent. Tauta enini, tain
firma ad mortem usque constantia argiiraenfo est discipnlos Jesu non
fuisse eos qni fingerent de ujagistro suo quce iieutiquaçi erant. Apos-
tolos autem pro ceito habuisse qorç «cripserint , yt^uis rerum sest ma-
toribus indf perspicnum est, quod tôt ac tanta protn'erint propter
eura quem Dei iilium esse credebant, ( Ongcn. contra Celstirn^ lib. a,
n° 10.)
Qiiomodo ergo is qui inorinus erat . et sepulrbro ronclnsas, ut lu
dic s , o Judaee, in omnibus qui secuii sunt jllum tantam vim exhi-
bait, tantamfjne virtatem , ut eis persuaderet solum illiiui nt adora-
ient, omni.icjue sustinere ac. perpeti mallent, quam suara in illum fi-
dem amitiere. (5. Joann. Chrysost. homil. cur in pentccosle , etc.,
n° 8.)
Cogi'ate, frafrçs, quale fiieiit mitti humines per orbem terrarom
praedicare bominera mortuum resunexisse, in rœlum ascendisse ; et
pru is!a piadi' a'i( ne perpeti ora.nia quse insaniens mundus inferret,
SUR LA RELIGION. 239
disciples de Jésus-Clirist démontre leur sincérité : voilà
tout ce que nous prétendons. Que le martyre des sec-
taires atteste aussi leur bonne foi , nous n'avons pas à
le contester , puisque de leur bonne foi à la vérité de
leur secte , il y a encore loin. En prenant le mot martyre
dans son sens strict, nous pourrions dire qu'il n'y a
que les disciples de Jésus-Clirist qui aient été martyrs.
C'est un terme grec qui signifie témoin (1). Les premiers
chrétiens ont été témoins des vérités pour lesquelles ils
sont morts; ceux des autres religions n'ont pté que vic-
times des dogmes dont ils faisaient profession.
XXV. L'incrédulité que n'arrête , dans ses hardies
assertions, aucune absurdité, n'a pas craint de dire
que les apôtres n'étaient pas sans intérêt dans leur pré-
dication : elle n'a pas rougi d'avancer qu'ils trouvaient
dans leur ministère une subsistance assurée et une vie
commode sans rien faire. Et comment Jésus -Christ
la leur aurait- il donnée, lui qui n'avait pas seulement
où reposer sa tête? D'ailleurs ne voyons-nous pas sou-
vent les apôtres, du vivant de leur maître, repiendre
leur métier de pêcheurs , y revenir encore après sa ré-
surrection? ne voyons-nous pas St. Paul travailler de
son métier pour se procurer la subsistance? Ils ne trou-
vaient donc pas une vie assurée dans leur ministère ; et
certainement avec tout ce qu'ils avaient à essuyer de
travaux , de fatigues , de souffrances , ils en tiraient
encore moins une vie commode et douce.
damna, exilia, vincula, tormenta , flammas, bestias, craces, mortes;
bocpro nescio quo... Nomqnid hoc facerent , nisi flagranfia verifatis,
de conscientia vetitatis? Viderant quod dicebant. Nam qaando pro ea
re morerentur, qnam viderant? Quod viderant ne'jare debebant?
Non negaveiant. Praedicaverunt mortaura , qaem sciebant vivura.
Sciebant pro qaa vita conreninebant vitam. Sciehanr pro qoa felicitate
ferrent transitoriam infeliciraleni , pro qnibus praemiis ista damna
conteranerent. (S. Angtist. sermo cccxi, al. cxv , de diversis , n° 2.)
(i) Forïe aliqai frati um neseiont, qui graece non norunt. qnid
sint teste»; graece ustatum nnmen est omnibus et religiosum : qnos
enira testes latine dicimas, graîce martyres sun t. [S, August. in epst.
Joann. tract, i , n" a.)
240 DISSERTATIONS
XXYI. « D'autres incrédules disent que c'est une
«< tentation bien flatteuse et bien faite pour porter aux
«. plus hautes entreprises, que celle d'une gloire bril-
• lante, de passer dans les siècles à venir pour les
.« lumières du monde, pour ses réformateurs. »
XXVII. J'ai déjà eu occasion de discuter cette diffi-
culté en traitant des miracles en général (Ij. Il ne me
reste qu'à répondre à l'application qu'on fait du prin-
cipe au témoignage des apôtres.
1° Quand on travaille pour l'intérêt de la gloire,
c'est pour la sienne. Ici les apôtres auraient travaillé
aussi laborieusement pour la gloire d'nn autre : un
autre aurait eu tout l'honneur , et eux toute la
}»eine (2).
2° Où va-t-on placer cette tentation si délicate, de
s'immortaliser dans la mémoire des hommes ? C'est
dans des personnages simples, grossiers, du dernier
ordre de la société (3).
3' Pour parvenir à cette gloire dans la postérité, il
fallait que les apôtres passassent par les injures et les
opprobres de la génération présente.
(i) Voyez première partie, n° xciv, page 2o3.
(2) Quod si ex aiuore gloriae hoc fecissenl, inolto magis nonsqais-
que dogina sibi a'tiibaisset , non ei qui decesserat. At non credidis-
î>eut illis homines ? Et de qaonam magis credidissent audienfes; de
illo ne qai rorapiehensns et cracifîxas fuerat; an de illis qui Judaeo-
rum manas effugerant ? (S. Joann. ChrysosC, in epist. priuiam ad
Cor. hom. v, n° 5.)
Numqoid enim, fratres mei , Petras pro sua gioria moriebalur?
aul se ipsum praedicabat? Alius moriebatur , ut alius honoraretur :
abus ociidebatur , nt alias coleretar. (5. Aitgiist. ^ serin, cccxi , al.
cxv , de diversis ^ n"^ 2.)
(3) Et si quidem fuissent edacati in gioria, opibus, potentia et ern-
ditione, ne sic quidem ad lantam mulem rernm se extoUeie posse vi-
debantar. Sed lamen aliqiia ralione poluissent expecisri. Nonc antem
alii in iacobns, alii in pellibus , alii in telonio. ZSMiil est his studiis
Jneptius ad philosophiam , et ad persnadendum nt magna qais imagi-
neiur. (5. Joatm. Chrjsust. in epistol, primain ad Cor. homà. v,
no 3.)
SUR LA RELIGION. 241
4" Et c'était là tout ce qu'ils pouvaient envisager
d'assuré et même de vraisemblable. Toutes les consi-
dérations humaines démontraient l'impossibilité de
l'entreprise. Qu'elle échouât, comme selon le cours de
la nature elle devait indubitablement échouer, au lieu
de gloire , une honte éternelle s'attachait à la mémoire
de ses auteurs.
XXVIII. Xous le disons donc avec confiance : tout
homme qui forme un projet , se propose un but, est^
mu par un intérêt. Ici on ne peut apercevoir aucun but
humain, aucun intérêt terrestre. Au contraire, tous
les intci^ls de cette vie devaient détourner les apôtres
de tenter l'entreprise, les en faire désister, s'ils avaient
été assez extravagants pour la commencer. Et ils le
savaient eux-mêmes, ils le disaient hautement ; si nos
espérances sont bornées à ce monde, nous sommes les
plus misérables des hommes (1). Un seul intérêt était
capable de les faire agir; l'intérêt de la vie future, et
celui-là ne fait pas les imposteurs.
XXIX. Aux nombreux témoignages dont tant de
preuves démontrent la sincérité , ajoutons - en deux
autres d'un genre différent, qui les confirment et leur
d^onnent un nouveau poids. Dans la passion de Jésus-
Christ, deux de ses apôtres lui sont infidèles. St. Pierre
le renie par faiblesse , Judas le trahit par avarice. Et
quelle sera la suite de la lâcheté de l'un , de la perfidie
de l'autre ? Révéleront-ils aux ennemis de leur maître
quelque chose à son désavantage? Certainement, dans
le moment où ils lui manquaient aussi essentiellement,
rien ne pouvait les engager à cacher, tout, au contraire,
les portait à déclarer ce que pendant trois ans ils
avaient pu remarquer ou apercevoir qui lui fût con-
traire. Des espérances flatteuses auraient dû tenter
Judas, que la modique somme de trente deniers avait
(i) Si in,hac vita tantam in Christo sperantes sumas, miserabi
liores samas omnibus bominibas. (I. Cor. xv , 19. )
Dissert, sur la Relig. 1 1
242 DISSERTATIOxNS
rendu traîlre. La crainte des chefs de la nation devait
intimider St. Pierre, que la voix d'une servante avait
rendu faible. Au lieu de cela, nous voyons Judas s'ac-
cuser d'avoir livré le sang; du juste, reporter l'infâme
salaire qu'il avait reçu, et, dans le transport de sa
douleur, aller terminer lui-même ses jours à une po-
tence. INous voyons St. Pierre, sur un simple regard
de son maître, pénétré du plus cuisant remords, ré-
pandre des larmes amères. Déistes , cherchez où vous
le voudrez d'autres motifs à la sévère et longue péni-
tence de St. Pierre , et à l'affreux désespoir de Judas ,
que la conviction intime , acquise par une fréquentation
continueile de trois années, de l'innocence de Jésus-
Christ. Se fussent-ils aussi vivement reproché leurs
crimes? en eussent-ils eu un aussi ardent repentir? en
eussent-ils été aussi violemment tourmentés , s'ils n'eus-
sent pas été entièrement assurés de la réalité des mi-
racles qu'il leur avait fait voir? Entreprendra-t-on de
nier ces faits, sur le prétexte que ce sont des apôtres
qui les rapportent? Mais d'abord, sur celui de St- Pierre,
quel autre motif que la vérité pouvait les engager à
révéler la chute de leur chef , si humiliante pour lui ,
et dont la honte rejaillissait jusque sur eux? Quant
au fait de Judas, l'évangéliste qui le rapporte huit ans
au plus après qu'il s'est passé , y joint une circonstance
qui en démontre la vérité. C'est que de l'argent rapporté
par ce traître il a été acheté pour la sépulture des
étrangers un champ qui, du titre de son acquisition,
s'appelle encore le champ du sang (1); et St. Pierre
con&rme le récit de St. Matthieu , en invoquant le
témoignage de tous les habitants de Jérusalem (2). Au-
raient-ils osé , auraient-ils pu , sans être démentis .
(i) Consilio autem inilo emernnt ex illis agrum figuli, in sepultn*
raru peregrinoram : propter hoc vocatas est ager ille haccldama , hot"*
est ager sanguinis, usque in hodiernum diem. [Matth. xxvxi, 7,8.)
(2) Et notuin factain est omnibas habitantibas Jernsalem; ita at
vocaretnr ager ille haceldama, hoc est ager sanguinis. (Act. t, 19.)
SDR LA RELIGION. 243
rapporter une telle circonstance dont la vérité ou la
fausseté était nécessairement connue de tout le monde,
s'ils n'avaient pas été certains de sa réalité? S'avise-t-on,
pour persuader le public, de réclamer la notoriété
générale, quand on sait qu'elle est contre soi?
XXX. Qui pourrait, après dix-sept siècles, révoquer
en doute la vérité des miracles de Jésus-Christ , si ,
dans le temps où ils ont été publiés , elle n'a pas été
contestée; si ceux qui auraient eu, avec le plus grand
intérêt, les plus puissants moyens pour la combattre,
n'ont pas osé la démentir? leur silence ne serait-il pas
une preuve démonstrative? \oyant d'un côté les apô-
tres attester hautement les miracles de Jésus-Christ,
et appeler en témoignage ceux même à qui ils les
annonçaient ; voyant , de l'autre , lez ennemis de Jésus-
Christ , ses persécuteurs;, ses meurtriers, ne pas dis-
convenir de la réahté de ses miracles, pourrait-il rester
à aucun homme sensé le plus léger soupçon que les
miracles n'eussent pas été opérés ? Or , ce n'est pas Jà
une supposition, c'est un fait qu'il est très-facile de
démontrer.
XXXI. Les chefs des prêtres, les docteurs, les pha-
risiens avaient un intérêt majeur à nier les miracles
de Jésus-Christ , s'ils l'avaient pu. La prédication des
miracles était une accusation formelle , intentée à eux
tous, d'avoir fait périr l'envoyé de Dieu , le Messie
attendu par la nation. Si Jésus-Christ n'était pas un
séducteur, comme ils l'en avaient accusé, ils étaient
eux-mêmes des scélérats de l'avoir immolé ; s'il était
un prophète, le Messie promis à Israël , ils s'étaient
rendus coupables d'un crime énorme envers Dieu et
envers la nation. Ils avaient l'intérêt le plus grand à
se laver de cette si grave inculpation; et le moyen le
plus simple à la fois et le plus certain était de montrer
la fausseté des miracles sur lesquels on fondait la divine
mission de leur victime.
A l'intérêt le plus grand de soutenir la fausseté des
miracles, les chef<5 des juifs auraient joint les moyens
244 DISSERTATIONS
les plus efficaces de la prouver. La puissance était
entre leurs mains ; ils étaient les maîtres d'ordonner
des enquêtes juridiques, de faire venir tons les témoins
des lieux où on annonçait que s'étaient faits les mi-
racles , de recevoir , de publier les dépositions : leur
crédit , la conûance qu'on avait en eux , la crainte
qu'ils inspiraient, auraient encore donné à leurs in-
formations une grande autorité : un seul de ces mi-
racles démontré faux aurait fait tomber la secte nais-
sante et son inculpation.
Ces hommes devaient savoir positivement la vérité
ou la fausseté des miracles, la possibilité ou l'impossi-
bilité <le les contester. La publicité avec laquelle on
annonçait qu'ils avaient été opérés , ne pouvait leur
laisser à cet égard ni ignorance ni doute.
Il était absolument impossible qu'ils méprisassent la
publication qui en était faite. La nouvelle religion pre-
nait tous les jours de prodigieux accroissements. Les
deux premières prédications lui avaient acquis huit
mille disciples. Des églises se fondaient dans tous les
pays , à Athènes , à Corinthe , à Antioche, à Alexandrie,
à Rome. De tous côtés retentissait l'accusation de
déicide intentée contre eux: de tout côté elle prenait
de plus en plus de la consistance , et le nombre de
ceux qui y ajoutaient foi se grossissait sans cesse.
XXXn. Les chefs de la nation juive se devaient
donc à eux-mêmes, ils devaient à leur honiieur ou-
tragé , à leur ministère avili , à leur religion ébranlée ,
de démentir les apôtres, de certifier, de prouver qu'ils
en imposaient en publiant les miracles de leur maître.
La volonté ne leur manquait sûrement pas ; les moyens
eussent été entre leurs mains : s'ils eussent pu nier les
miracles, certainement ils l'auraient fait; si donc ils
ne l'ont pas fait, c'est qu'ils ne l'ont pas pu. Or, l'ont-
ils jamais faite cette dénégation si importante pour eux?
Ce serait à ceux qui voudraient le prétendre , à le
prouver : on n'en aperçoit dans aucune histoire , ni
sacrée , ni profane , le plus léger vestige. Et peut-on
SUR LA RELIGION. 245
croire que dans les écrits qui nous restent relatifs à la
religion chrétienne, et dans ceux où il en est seulement
fait mention, il ne s'en trouvât aucune trace? Remar-
quons la différence du langage des apôtres, lorsqu'ils
parlent de la résurrection de leur maître , qui était
contestée, et de ses autres miracles. Sur la résurrection,
c'est leur propre témoignage qu'ils allèguent , c'est par
là qu'ils s'elYorcenl de la prouver. Sur les autres mi-
racles , ils ne cherchent pas à donner ces preuves, ils
disent seulement que toute la nation les connaît. Si la
vérité des miracles de Jésus Christ avait été mise en
question, ou verrait quelque part cette question traitée;
il en serait au moins fait meulion dans quelques écrits.
On connaît les objections faites au christianisme par ses
premiers adversaires; on ne voit pas celle-là, qui eût
été la plus forte de toutes, mise en avant. Si elle avait
été proposée, les premiers apologistes de la religion,
qui se sont attachés à réfuter toutes ce'le ^ que l'on
faisait , jusqu'aux plus minutieuses, auraieAl-ils pu
négliger de la traiter? Leur défense a dû nécessaire-
ment être dirigée sur l'attaque. Ce qu'ils ont répondu
montre ce qu'on leur opposait. Quoique les écrits des
premiers adversaires soient perdus, nous sommes as-
surés que cette difficulté ne s'y trouvait point. Ne pas
combattre une objection aussi importante, n'eût-ce
pas été en avouer la solidité? n'eût-ce pas été convenir
que la religion avait un fondement ruineux? Que la
dénégation des miracles fût restée sans réponse, il ne
pouvait pas exister de christianisme. On n'y a pas
répondu; donc elle n'a pas été faite.
XXXIII. Mais ce n'est pas seulement des disciples
de Jésus-Christ, c'est de ses ennemis eux-mêmes que
nous apprenons que ses miracles n'ont pas été con-
testés dans leur tel ips. Ce qu'ils opposaient à la preuve
rés^iltante de ces miracles le démontre clairement. Le
divin Sauveur venait en leur présence de guérir un
possédé qui était muet et aveugle. Tous les assistants,
émerveillés de ce prodige , disaient à haute voix :
246 DISSERTATIONS
Serait-ce donc là le fils de David? Que répondent à cela
les pharisiens? C'est que Jésus -Christ ne chasse les
démons que par lîéelzébub , le prince des démons (1).
N'est-ce pas là évidemment un aveu de la réalité du
fait qu'ils avaient actuellement sous leurs yeux ? S'ils
avaient pu le contester , l'auraient-ils attribué au pou-
voir du démon? s'ils avaient eu à donner une réponse
aussi tranchante que la dénégation, s'ils n'avaient pas
senti l'impossibilité de la proposer devant la multitude
des témoins, se seraient-ils avisé de recourir à une
défaite aussi misérable, que le Sauveur eût bientôt
confondue?
Voudrait-on attaquer la fidélité de ce récit, sur le
fondement qu'il est fait par des disciples de Jésus-
Christ? mais leur narration est postérieu: j de peu d'an-
nées au fait qu'ils rapportent : ils le racont;?nt à la
vue de ceux mêmes qui ont imputé au démon le mi-
racle; qui sont encore revêtus de la puissance; qui,
s'ils n'ont pas tenu ce discours, si même ils ne l'ont
pas tenu si publiquement qu'il soit impossible de le
désavouer , ont le droit de les punir ; qui en ont évi-
demment l'intérêt, qui en ont même le devoir; car
tout gouvernement se doit de réprimer ceux qui le
décrient, en lui imputant des choses fausses et ridi-
cules. Le Sanhédrin s'est-il inscrit en faux contre le
récit des deux évangélistes? a-t-il tenté de les en châtier?
Deux choses sont évidentes : St. Matthieu n'aurait pas
osé avancer un tel fait, s'il n'avait pas été non-seule-
ment certain, mais très-public : et s'il avait eu cette
témérité, il en aurait indubitablement été sévèrement
puni.
(i) Tanc oblatns est ei daemoniura habens, caecns et mntns : et
cnravit enin; i;a ut loquere'ur et videret. Et stupebant oranes turbse
tl dicebant : Nunquid hic est filius David? Pharisœi auteiu aodientes
dixerunt : Hic non ejicit daeinones nisi in Beelzebub principe dastno-
niorum. {Matth. xii, 22, 23, 24. Vid. Z»c. , xt, 14, i5.) v
SUR LA RELIGION. 247
Telle étail donc la réponse que donnaient les Juifs
À la preuve résultante des miracles que ne cessait d'o-
pérer Jésus-Christ; ils ne niaient pas la réalité de ces
prodiges, ils en contestaient la conséquence; ils con-
venaient qu'il les opérait; ils soutenaient que ce n'était
pas au nom de Dieu; ils lui accordaient un pouvoir,
mais un pouvoir diabolique et non divin. L'état de la
quesuon entre les défenseurs et les antagonistes de la
religion a constanunent été de savoir, non si les mi-
racles étaient réels, mais de quel principe ils procé-
daient.
Je dis que tel a été l'état de la question , et je le
prouve par toute la suite de cette longue et importante
contestation. Nous voyons d'un côté Jésus-Christ , ses
apôtres e leurs successeurs, donner invariablement les
mêmes preuves de la religion ; nous voyons, de l'autre,
les adversaires du christianisme répéter constamment
les mêmes objections, les uns d'après les auties: ils
sont de deux classes, les Juifs et les païens. Or, et les
uns et les autres répondant à la démonstration des
miracles , conviennent formellement de leur réahté ,
et se rabattent, ou à dire vaguement que les miracles
ne prouvent rien, ou à renouveler l'absurde accusation
intentée par les pharisiens , que c'est par la puissance
du démon qu'ils ont été opérés.
XXXIV. Prenons d'abord les rabbins , héritiers de
la haine et des arguments de leurs pères contre le
christianisme. Dans le Talmud de Babylone , et dans
celui de Jérusalem , il est dit que le mot Jehovah ,
prononcé d'une certaine manière , suffit pour opérer les
plus grandes merveilles, et que Jésus avait appris le
secret de cette prononciation , qui lui faisait faire ses
prodiges. Honteux , sans doute , de cette pitoyable
défaite de ses devanciers , Maimonide , qui passe pour
le plus éclairé des rabbins , donne à la preuve tirée
des miracles de Jésus-Christ , une autre réponse à [peu
près aussi misérable, et qui montre également qu'il
248 DISSERTATIONS
n'osait pas en contester la réalité : il dit que le Messie
ne devait pas en faire.
XXXy. Les aveux des païens ne sont pas moins
formels. St. Justin, qui florissait au second siècle ,
défend les miracles de Jésus-Christ contre l'objection
qu'on leur faisait d'être des œuvres majjiques (1).
Celse répète à plusieurs reprises la même injputation.
Tantôt il dit que Jésus , ou s'est rendu coupable en
faisant des choses extraordinaires par l'art magique ,
ou a tort d'inculper ceux qui , par le même art, ont
fait les mêmes choses (2). Tantôt il prétend qu'élevé
d'abord secrètement , Jésus alla ensuite se mettre en
condition en Egypte; que là : apprit l'art de faire
des miracles ; et qu'en étant revenu , à raison de ces
miracles il se donna pour un Dieu (3). Tantôt com-
parant les rilracies du Sauveur aux choses étonnantes
que font publiquement pour de l'argent ceux qui sont
instruite dans l'art des Egyptiens, il demande si on doit
croire aussi cjue ces hommes sont les fils de Dieu (4).
(i) Sed ne quis nobis opponat nihil obstare quominas et iis
qui apad nos dicitur Christus hoinu ex hominibas , arle magica
quae diciraus iriracnla ediderit , ac propterea filins Dei esse visas
sit. (^S. Justin, apol. cap. 3o. )
(2) Accnsat praelerea (Celbiis)et ipsum Salvatorem , qaod raa-
gicis arlibas fecerit ea quse faceie visus est ; et quod non prtesciret
multus postea fnturos qui earorudem artinm periti eadem ac ipse effî-
cerent , jactarenique se divina effecisse poteiilia, illi sua socieîate
inlerdiserit. Illum enim, si jus'e alius reje:it, improhora esso; cum
eorumdeai criminuiu sit reas : aut si cum haec fecit extra culpam
est, abesse etiam a culpa eos qui eadem faciant. (Origen. contra
Celsurn. , lib. i, n° 6.)
(3) Assensum qiiodam modo prapbet (Celsas) miracolis quae Jesa
fecit, et qufbus maitos adduxit, ut ipsum tanquam Christum seque-
rentur. At miracola illa, non divina virtute, sed magicis artibus
facta esse calumniatur. Ait enim, /////m clam educatum ^ cum in
M.^pto suam locasset operam , ' artesque efficicndi .^ miractda didi'
cisset^ hic reversum esse denique , et propter illa miracuLi se pro
Deo vendi'asse. {Ibid. ^ n° 38.)
(4'^ Age, inquit (Celsus ) demus hîcc a te gesta , sed confestira
codem illa numéro habenda esse ait, ac ea quae prœsiigiatoies fa-
SDR LA RELIGION. 249
Lt témoignage de Celse est d'autant plus important,
qu'il y avait à peine cent ans que Jésus-Clnist était
remonté dans les cieux , quand il écrivait contre sa
religion. Il avait dû voir, dans sa jeunesse, des per-
sonnes qui avaient connu ou Jésus-Christ lui-même,
ou des hommes de son temps. Il nv pouvait donc pas
ignorer ce qu'on avait pensé du temps de Jésus-Christ
sur les miracles que l'on rapportait de lui? Il n'avait
certainement pas manqué de s'en informer ; et on voit
qu'il possédait l'histoire évangélique , dont il cite fré-
quemment des textes. Si donc quelque contemporain
de Jésus - Christ eût nié ses miracles , Celse l'aurait
indubitablement su. Animé comme il l'était d'une haine
violente contre le christianisme , ingénieux à trouver
des arguments pour le combattre , n'eût-il pas opposé
fortement cette dénégation? eût-il renoncé à l'avantage
qu'elle lui eût donné? eût-il recouru au minutieux
moyen d'imputer à Jésus-Christ un pouvoir magique,
s'il eut pu contester absolument son pouvoir? C'est donc
avec bien de la raison qu'Origène dit , et que nous le
répétons d'après lui, que Celse n'attribue les miracles
à la magie, que parce qu'il est dans l'impuissance de
les révoquer en doute (1).
Les ennemis de la religion , du temps d'Arnobe ,
répétaient aussi la même inculpation de sortilège, qu'il
réfute avec force (2).
oiunt, majora semper, ac majora pollicentes, et quae faciunt ii qui
sunt aegyntiacis arlibus ernditi , qni medio in foro pancis obolis
vencrandas suas artes venditant ; doemonia ex hominibus pri»fliganî :
exsuflant moibus; berouin animas evocant; opipara convivia , men"
sas, bellaria, obsonia , quae nanqaam fuerant exhibent; agitant
aninialia qaae veie nullasunt, sed vanaedantaxat animalium species.
Mox ait : An qnia bœc iUi faciant , idciroo credendum nobis erit
illos es^e Dei filios? An potins direndam iraproboram et nebulonnm
esse bujusniodi artes. Çlbid. ^n° 68.)
(i) Jam saepe Celsns quia inficiari non potest miracula qutC Jésus
fecisse scribitor, illa praestigiis tribiienda esse calumniatus est.
(lèid. lib. II, ni> 14.)
(2) Occarsnrus forsitan rarsus est . cnm aliis mollis calumniosis
ir
250 DISSERTATIONS
Porphyre , dans le troisième siècle , attribuait de
même aux prestiges du déinoii les miracles opérés par
Jesus-Clirist et dans les premiers temps de l'Eglise (1).
Hiéroclès ne niait pas non plus les miracles du
Sauveur : il disait seulement que c'était une bagatelle
d'avoir rendu la vue à des aveugles, et fait quelques
autres merveilles du même genre. Il croyait qu'elles
pouvaient avoir été opérées par un homme ami des
dieux , et il opposait à ces miracles ceux d'Apollonius
de Thyane(2).
Julien, ennemi si ardent et si éclairé du christianisme,
avoue nettement les miracles de Jésus-Christ ; mais
il trouve que ce n'est pas une œuvre bien merveilleuse
d'avoir guéri quelques boiteux , quelques aveugles
dans les bourgades de Betlisaide et de Béthanie (3).
11 dit qu'après la mort de leur maitre les apôtres
ont fait aussi des enchantements (4). Il reconnaît
illis, et paerilibns vocibas : raagnas fuit; clandestinis artibus om-
nia illa perfecic : Jilgyptioruni ex aditis angelornni potentium Do-
mina et remotas faralos est disciplinas. Quid dicitis, etc. ■ Arrwb.
adv. gent. ^ lib. i, cap. 43.)
(i) Nisi forte in niorein gentiliiini , impioramqae Poiphyrij et
Euuomii bas prsestigias daeraonum esse confîngas. {S. Uleronym.
contra Vig'd. )
(2) Audi vero qnibus increpat veibis, Sus denue nngantnr ^ in-
quit, Jesum tollentes ^ ut qui cascis videndi facuUatem reddiderit y
et alla id genus admiranda prcestiterît. Tum et paulo post ila ratio-
nibus coUigit. Vidcndum porro ne dils gratissimi hominis facta latere
christîani contcndant. Haec ipsius Hieroclis vcibà snnt in orafione
contra nos scriptis cajos titulus Philaletes, i^Euseb. contra H'<.ero-
clem , vers, initium.) L'objet principal de cet ouvrage d'Eusebe est
de répondre à la comparaison qn'Hiéroclès avait faite des miraclea
do Jéins-Cbrist avec ceux d'Apollonius.
(3) Julianui. Hic toto vitae tempore nibil admodam inemoratnr
dignum egit : nisi qiiis claudos ac caecos curare, et daemonio correp-
tos adjarare in pagis Betbsaida et Betbania , raagni alicujus facinoris
in numéro babeat. (5. Cyrillus Alex. adv. Julianiim , lib. vi. )
(4) Jnliumis. Videîo ergo quo pacto jadseis incantationis vêtus
opiis faerit indormire sepulchris sepnlcbrorum causa; quod certe et
ap'^stolcs vestros ciedibile est, post Magislii mortem fecisse; vobis-
SUR LA RELIGION. 251
St. Paul comme le plus grand faiseur de prestiges (3).
Nous voyons dans une épître de Yolusien à St. Au-
gustin , qu'encore de son temps les païens objectèrent
aux miracles du Sauveur, non qu'ils n'étaient pas réels,
mais qu'ils n'étaient pas dignes de Dieu (4).
JNous avons un écrit du cinquième ou du sixième
siècle, que quelques personnes attribuent à Evagrius ,
et qui est intitulé : Consultation de Zachéé^ chrétien, et
d' Apollonius j philosophe. AppoUonius , qui est païen,
convient que Jésus-Christ a guéri différentes espèces
de maladies et ressuscité des morts; mais il ne mérite
pas, ajoute-t-il, d'être singulièrement admiré pour
cela , puisque d'habiles magiciens ressuscitent les morts,
et que les médecins guérissent des infirmités de toutes
sortes ^^5).
XXXVI. D'après ces témoignages constants et non
suspects, raisonnons. Le christianisme a eu depuis le
premier moment où son divin auteur l'a annoncé ,
une suite continuelle d'ennemis , surtout dans les pre-
miers siècles. Tandis qu'on ne voit aucun d'eux con-
tester la vérité des miracles du Sauveur , on voit tous
ceux dont les objections sont venues jusqu'à nous
TaVouer positivement. Les uns prétendent seulement
que ces miracles ne sont pas d'une grande importance.
qae qai primi ab initio credidistis tradidisse; et incantationes callidias
qaani vos peregisse ; sed posteris incantationis islias et execrationis
offîcinas publiée exposnisse. (Ibi'd. , lib. x. )
(3) Juliamis. Omnes ornnino nnqaam qui fuerunt praebtigiatores
ttoperavii Paolas. [Ibid. Lb. ni.)
(4) Nec nllis corapelentibos signis tantae majestatis indicia clares-
cnnt : quoniam larvabs illa pargatio, debiliom cnrae, reddiia vita
defuncfis, haec, el si alios cogiles, Deo parvaB sunt. (^Volusiani ad
S. Angust. epist. inter epist. S. Augiist. cxxxv , al ii j n" 2.)
(5) Apollonius philosophus. Memini dudara , et curationam varie-
tates, et raortnnram sascitationes fuisse piolatas; in quibus tamen
specialem Christi admirationera fuisse non video ; si quidam cum et
peritiorei magi niortuos suscit;int, et medicis oniversis debilitatibu-s
remédia largiuntur. ( Consultât. Zachœi christiani , e« Apollonii
philos.^ \ih. I, cap. i3.)
252 DISSERTATIONS
Les autres opposent, comme des faits égalemeot cer-
tains, les prodijjes racontés dans le paganisme; entre
autres ceux d'Apollonius de Thyane; mais le plus
grand nombre attribue les miracles de Jésus-Christ à
la puissance du démon. Je vois cette imputation de
magie née au temps même de Jésus-Cbrist , et objectée
personnellement à lui. Je la vois passant de bouche en
bouche, se transmettant de génération en génération ,
se perpétuant de siècle en siècle. Je la vois répandue
parmi les ennemis du christianisme de toutes les es-
pèces. Juifs et païens, tous la répètent , et certainement
sans s'être concertés ; cet accord , sans concert , indique
une cause commune, qui ne peut être autre que l'o-
pinion des ennemis de Jésus-Christ dans son temps,
laquelle s'est transmise à ses divers ennemis des temps
suivants. Je vois ensuite cette même accusation accré-
ditée non-seulement parmi le peuple crédule, mais
parmi les philosophes , et proposée par ceux qui ont
attaqué la religion avec le plus de lumières. Est-il
possible, d'après cela, de douter que l'opinion générale,
constante , de tous ceux qui ne croyaient pas au chris-
tianisme dans les siècles voisins de son origine, était
que les miracles annoncés n'avaient été opérés que
par l'art magique? Or, je dis, et il n'est assurément
pas difficile de le prouver, que cette opinion si uni-
verselle et si suivie est un aveu formel , prononcé par
tous les premiers siècles, de la réalité des miracles de
Notie-Seigneur. S'avise-t-on de rechercher la cause
d'un fait qu'on ne croit pas vrai? Les ennemis du
christianisme auraient-ils été assez imbéciles pour aban-
donner une réponse aussi péremptoire que la déné-
gation des miracles , et pour en adopter une aussi
pitoyable que l'accusation de magie? il fallait que la
notoriété des miracles, dans le temps où ils ont été
opérés, fût si éclatante , qu'elle mît dans l'impossibilité
de les révoquer en doute pour faire recourir à une
telle ressource. Ces deux propositions , les miracles
n'ont pas existé, les miracles ont été des sortilèges ,
scB Là religion. 253
sont entr'elles dans une contrariété si formelle, qu'elles
ne peuvent pas être vraies toutes deux. Qui adopte
l'une , rejette par là même l'autre. Dire qu'ils ont été
opérés par le démon , est avouer en propres termes
qu'ils ont été opérés. En niant les miracles de Jésus-
Christ , l'incrédulité de nos jours rejette le témoignage
et des apôtres et de leurs ennemis. Nos déistes com-
battent non -seulement nos pères dans la foi, mais
aussi leurs propres devanciers dans Tincréduliié.
XXXVll. Ne pouvant pas nier ces aveux positifs
des premiers ennemis du cliiistianisme , embarrassés
de répondre à la preuve victorieuse qui en résuUe , les
inciédules ont imaginé de la rétorquer contre nous et
de nous opposer les aveux faits par les saints Pères,
de la vérité de plusieurs miracles du paganisme. « C'é-
« tait, disent-ils, un principe universellement reçu
« par les chrétiens, par les païens, par les juifs, par
H les grands comme par le peuple , par les savants de
« même que par les ignorants , que par le secours
« des esprits un homme peut faire des choses surna-
tt turelles. C'est d'après ce principe que Celse et les
u autres adversaires du christianisme convenaient de
u la vérité des miracles de Jésus-Christ^ en les attri-
« buant à la magie. C'est aussi d'après le même prin-
u cipe que nous voyons tous les Pères de l'Eglise
« avouer les miracles, soit d'Esculape, soit de Py-
" thagore , soit d'Apollonius , en disant pareillement
« qu'ils étaient opérés par le démon. C'est de part
« et d'autre le même aveu , l'attribution à la même
« cause. Dira-t-on que lès aveux des Pères prouvent la
« vérité des miracles païens? On ne peut pas avec plus
a de raison dire que les aveux des philosophes prouvent
<€ les miracles chrétiens. On ne peut pas conclure des
« uns plus que des autres , ou plutôt ni des uns ni des
u autres on ne peut rien conclure. Ils étaient faits
^ d'un côté et de l'autre sans un grand examen, et
« comme des choses indiflérentes au fond de la ques-
u tion. Il faut les regarder tous comme ces proposi-
254 DISSERTATIONS
« tions que les théologiens et les philosophes passent
« plutôt qu'ils ne les accordent; ou , si l'on veut, qu'ils
« accordent parce qu'ils ne croient pas avoir intérêt
« de les contester. »
XXXVUI. Je pourrais d'abord nier l'assertion que
tous les saints Pères ont attribué à la magie les mi-
racles rapportés par les païens, et citer spécialement
Arnobe, disant que ces guérisons si vantées étaient
opérées par des moyens naturels (1). Mais comme il est
vrai que plusieurs des saints Pères ont cru que ces
prétendus miracles étaient des œuvres du démon , je
n'insisterai pas sur cette réponse. Je conviens même
que cette attribution des miracles du paganisme à l'art
magique peut être regardée comme un aveu de leur
réalité; mais entre cet aveu des Pères, relativement à
ces miracles, et celui des philosophes, relativement aux
nôtres , une circonstance grave met une différence
essentielle : c'est que les miracles de notre religion ont
(i) Sed frustra, inqait nescio quis , tautum arrogas Chi^to : cum
saepe alios sciamus et scierimus deos et laborantibas |.lurimis dédisse
disciplinas, et multoium horainnm uiorbos, valetudiuesque curasse.
Non inquiro, non exigo quis Deas , aut qao tempare , cui faerit
auxiliatus; ant quem fractum restiîoerit sanitatis. Illud solum andi-
re desidero, an sine ullius adjonctione materiae , id est, mf-dicaminis
aiicujus, ad tactum inorbos jnsserit ab hoininibas revoiare; irapera-
verit, fecerit et eraori valetadinis causara , et debilinm corpora ad su-
as remeare natnras, Christus enim scitar, aut admota partibas debili-
tatis manu , aat vocis siniplicis jussione , aures apernisse surdorum;
exturbasse ab oculis csecitates ; orationeni dédisse rautis; articulorum
vincnla relaxasse; ambalatnm dédisse contractis ; vililigines, querque--
ras , atque intereunles morbos, oinniaque alia valetudinum gênera;
quse hainana corpora snstinete nescio quia volait importuna crudeli-
tas , veibû so'itus, iraperioque sanare. Quid simile dii oranes , a qai-
Yhis opem dicitis aegris et periclitantibus latam ? Qui si quando , ut
fama est, notinuUis, anl tribiiere medicinam, aat cibani aliquem
jusserunt capi , aui qualitatif alicujas ebibi potionem , aut herbarun)
et graminum succus superimponi, inqaielantibus causis ambulare,
cessare , aut re aliqua quae officiât abstinere ; quod esse non magnum
nec admirationis aiicujus stnpore cor.dignum promptnni est , si vo-
Inerilis alfendere. {^Arnoblus adi>. gentss j bh. i, cap. 48.)
SUR L.\ RELIGION. 255
été publiquement attestés, publiquement avoués, et
leur conséquence seulement combattue dès le temps
où ils ont été opérés; au lieu que les miracles païens,
n'étant rapportés que par des historiens de beaucoup
postérieurs à l'époque où on les place, n'auraient pu
être combattus que longtemps après. L'explication de
cette différence va achever de mettre dans tout son
jour la preuve de la réalité des miracles de notre
religion , résultant de l'aveu de ses ennemis.
Ce n'est pas uniquement , et précisément sur les
aveux des philosophes qui ont écrit dans les siècles
postérieurs à Jésus - Christ, que nous établissons la
certitude de ses miracles. Si nous n'avions , pour les
démontrer, que la reconnaissance faite par Celse, Por-
phyre, Hiéroclès, Julien, nous convenons que la preuve
serait légère , et que la foi n'y trouverait pas un
fondement suffisant. Des aveux faits , un , deux , trois ,
quatre , six siècles après les miracles , ne seraient pas
plus démonstratifs que ne le seraient des témoignages
rendus aux mêmes époques; mais nous disons que
ces aveux sont démonstratifs, parce qu'ils se lient et
aux dispositions des témoins oculaires, et aux aveux
antérieurs des antagonistes contemporains. C'est à ce
raisonnement que les déistes doivent répondre, et qu'ils
ne répondent point par leur assimilation avec les aveux
faits par les saints Pères.
JNous connaissons le commencement , la suite , la
fin de la contestation qui a duré pendant plusieurs
siècles, entre les chrétiens et leurs adversaires, sur la
vérité de leur religion. Nous connaissons par TEvangile
ce qu'on objectait à Jésus -Christ lui-même sur ses
miracles, et par les apologistes de la religion ce que
dans les siècles suivants on opposait à la preuve résul-
tante de ces miracles. Ce que nous savons ^ les philo-
sophes païens le savaient aussi : ils avaient lu nos
Evangiles; ils avaient reçu des ennemis du christianisme
qui les avaient précédés, tous leurs arguments contre
les miracles; ils objectaient ce qui avait été objecté
256 DISSERTATIONS
antérieurement : et ce qu'ils n'objectaient pas ne l'avait
certainement pas été avant eux. Or, d'abord ils n'op-
posent pas aux miracles de Jésus-Cbrist la dénégation
de leur réalité : d'où nous concluous qu'elle n'avait
pas été niée avant eux. Ensuite . nous les voyons
renouveler l'imputation de magie faite dès le temps
de Jésus-Christ, laquelle suppose la vérité des faits;
d'où nous concluons que cette imputation a toujours
été faite, et que par conséquent les miracles ont tou-
jours été crus. Celse, au second siècle, Porphyre, au
troisième, Julien, au quatrième, sont pour nous non
pas tant des auteurs éclairés qui avouent les miracles
du Sauveur , que des garants non suspects et certains
de l'opinion et de leurs siècles , et des siècles qui
les ont précédés. Ils forment une chaîne continue de
preuves , depuis les pharisiens jusqu'au quatrième
siècle , que dans le temps des miracles , et dans les
temps immédiatement subséquents, on était univer-
sellement convaincu , parmi les païens et parmi les
chrétiens, de leur réalité; et cette confession si una-
nime de tous les incrédules anciens renverse sans
ressource la dénégation si tardive des incrédules mo-
dernes.
Passons maintenant aux aveux faits par les saints
Pères, et voyons si on peut en tirer la même consé-
quence en faveur des miracles du paganisme. On ne
connaît ces différents miracles que par le rapport d'his-
toriens qui leur sont fort postérieurs. Prenons pour
exemple ceux d'Apollonius de Tliyane, qui sont les
plus célèbres de tous, et ceux que l'on oppose avec
plus de confiance aux miracles de Jésus- Christ : nous
ne les connaissons que par le récit de Philostrate qui
écrivait un siècle après. Les saints Pères auxquels
on les objectait, ignoraient aussi bien que nous s'il
y avait eu des témoins oculaires de ces prodiges , et
quels ils avaient été : ils ne savaient pas mieux si
les merveilles attribuées à Appolonius avaient été con-
tredites de sou temps, et ce que les contradicteurs y
SUR LA RELIGION. 257
avaient opposé ; ils étaient pareillement dans Tigno-
rance de ce qu'avaient pensé sur ces prétendus miracles
les générations écoulées dans le siècle qui séparait
Apollonius de son historien. Dans l'impossibilité où
ils étaient de vérifier tout cela,, persuadés d'ailleurs,
d'après la sainte Ecriture , que l'esprit de ténèbres
peut quelquefois , avec la permission de Dieu, opérer
des miracles, les saints Pères ont pris le parti de les
avouer et de les attribuer au démon. Que quelques-
uns d'entre eux aient cru inutile de discuter ces pro-
diges; que d'autres, étant si éloignés et de temps et
de lieux, aient trouvé trop pénible de faire cet examen
et de remonter à l'origine du témoignage; que d'autres
même, si on le veut, aient eu trop de crédulité, et
se soient laissé abuser par les récits qu'on leur faisait ,
tout cela nous est indifterent. jNous consentirons , à
cet égard , à tout ce que l'on voudra. Ce qui nous
intéresse, c'est que les aveux des saints Pères n'ont
pas, en faveur des miracles païeas la même force que
les aveux des philosoplies en faveur des miracles chré-
tiens ; ila n'ont pas la même relation à des aveux anté-
rieurs remontant d'âge en âge jusqu'au temps de ces
miracles ; ils ne se lient pas de même à l'opinion
unanime de la génération contemporaine et de toutes
les générations intermédiaires. L'aveu des saints Pères
ne pouvait pas avoir le même motif que celui des
T>hilosophes. Il n'y a donc aucune parité entre l'un et
l'autre. Les miracles de Jésus-Christ ont été avoués
dans les siècles qui l'ont suivi, parce que le témoignage
bien connu et irrésistible de tous ceux qui les avaient
vus,, soil aniis,^soit ennemis, leur imprimait une si
éclatante notoriété , qu'il était impossible de les révo-
quer en doute. Ceux du paganisme l'ont été , parce
qu'ignorant, à la distance où l'on était, l'opinion des
contemporains et même celle de leurs successeurs, ou
a trouvé inutile, ou embarrassant, ou impossible, d'en
vérifier la réalité. Qu'on cesse donc de nous dire que
258 DISSERTATIONS
départ et d'autre ce sont des aveux faits sans examen.
Ils n'ont pas pu être faits sans examen par les philo-
sophes païens qui avaient toutes les facilites pour exa-
miner nos miracles, qui même trouvaient cet examen
tout fait; connaissant pleinement ce qu'avaient dit et
ceux qui prêchaient le christianisme, et ceux qui le
combattaient. Les aveux n'ont pas pu être faits avec
examen par les docteurs chrétiens , pour qui l'éloigne-
ment, le laps de temps, l'ignorance des témoins et des
adversaires de l'opinion et des raisonnements des uns et
des autres, rendaient l'examen impraticable. Ainsi,
c'est avec une force victorieuse que nous opposons aux
incrédules les aveux de leurs devanciers ; c'est sans
raison qu'ils nous objectent les aveux de nos saints
docteurs.
XXXIX. Les faits merveilleux de la vie de Jésus
sont démonstrativement prouvés. Il n'y a , comme je
l'ai annoncé , aucune histoire ancienne qui réunisse de
si nombreux et de si puissants motifs de certitude que
l'Evangile : celles auxquelles tout l'univers , et les
incrédules de même que les autres, ajoutent une foi
entière , ont bien de leur vérité quelques - unes des
preuves que nous venons d'apporter , aucune ne le
présente avec le même degré de force (1) ; mais ces
faits si complètement prouvés, que prouvent-ils? La
conséquence que nous en tirons est-elle juste? en ré-
sulte-t-il que la religion apportée au monde par Jésus-
Christ est véritable ? Il semble que ce ne puisse pas
être une question. Julien , tout ennemi qu'il était du
(r) Tara conferantur simul illornin et Jesu historiae. An volet Cel-
sas illornrn veram esse, hnjus aatem conGctam ; qaarn scripserunt ii
qni rerura omnium oculati testes erant ; qui re ostenderunt sibi ex-
plorata esse quae viderant; qni deniijue qao animo essent, perferendis
alacriter ejos doctrinse cansi sappUoiis tps'ificati î.r.nt ? Ecqnis vtdens
recte facere omnia temere assentiatnr iis qust de illis tradifa sont; ea
vero quae de Jesa feruntur absqae nllo examine rejiciat. [Ori^enes
contra Ceisum ^ lib. m, n" 23.)
SUR L\ RELIGION. 259
christianisme, reconnaissait l'autorité des miracles pour
prouver une religion (1). Et en effet, la conséquence
qui en résulte en faveur d'une doctrine , saute d'elle-
même si vivement aux yeux , qu'il est impossible à
un homme raisonnable de ne pas en être convaincu.
J'ai d'ailleurs déjà établi cette liaison essentielle entre
le miracle et la doctrine pour laquelle il est opéré (2);
mais comme il n'y a rien de si évident que les déistes
n'aient cherché à obscurcir , rien de si certain qu'ils
ne se soient efforcés d'y jeter des doutes ^ il n'est pas
inutile de revenir sur cette discussion , et d'ajouter à
ce que j'ai dit quelques nouvelles observations.
Pour soutenir que les merveilles opérées par Jésus-
Christ ne prouvent pas la vérité de sa religion , il
faut prétendre ou qu'elles ne sont pas l'œuvre de Dieu,
ou que Dieu ne les a pas faites pour établir la religion
de Jésus-Christ.
Si les merveilles produites par Jésus-Glirist ne sont
pas l'œuvre de la puissance divine, elles ont donc été
opérées ou par un homme , ou par quelque agent
intermédiaire entre Dieu et l'homme.
XL. Si on veut que ce soit un être intermédiaire
entre la divinité et l'humanité , dira-t-on que c'est un
ange de lumière à qui Dieu a donné pouvoir pour
éclairer et instruire les hommes? Cette hypothèse ne
serait nullement favorable au système de nos adver-
saires , elle ne ferait que reculer d'un degré la difticullé
à laquelle ils veulent satisfaire. Ce serait toujours de
Dieu que serait venue la puissance miraculeuse de
Jésus-Christ ; avec cette seule différence qu'elle serait
passée par un canal plus long ; et la vérité de la religion
s'ensuivrait toujours de ces prodiges. Dira-t-on que
(t) JuUanus. Veritatera aatern non consfare ni.^do vocabulo ; sed
necesj.e esse ot orationera praeferea signu;n aliquod sequatur, qood
abi contigerit, fidem faciat ejas quae in futuruin faota est praedictio-
nis. (5. Cyrill. Alex, contra Juliamun^ lib. x. )
(2) Voyez première parlie , n*^ xti , page i4 4)
260 DISSERTATIONS
l'auteur de ces œuvres contraires à l'ordre naturel est
l'ange des ténèbres , le démon qui les a opérées pour
tromper le monde? Mais 1" cette objection serait ridi-
cule dans la bouche des déistes, qui n'ont pas plus de
foi au démon qu'à Dieu. 2" Le démon, comiue nous
l'avons observé, ne peut qu'avec la permission de Dieu
troubler l'ordre que Dieu a établi dans la nature ; oi- ,
comme nous l'avons encore montré , il répugnerait à
la bonté de Dieu qu'il laissât entraîner sa créature dans
une erreur inévitable et funeste; il répugnerait à sa
véracité qu'il se rendît complice d'une imposture en la
permettant formellement, sans donner des moyens de
s'en garantir. 3*^ C'est encore une autre absurdité de
vouloir que le démon trompe les liommes pour leur
faire adopter la morale la plus parfaite que l'on con-
naisse ; pour leur faire abjurer tous les vices , éviter
tous les crimes; pour leur faire, au contraire, pratiquer
toutes les vertus et opérer tous les genres de bonnes
œuvres (1).
XLT. Si on veut que les miracles de Jésus-Christ
aient été opérés par une puissance humaine , ce sont
donc de ces tours d'adresse par lesquels des hommes
subtils abusent de la crédulité populaire ; mais le
nombre , la variété , le mode des miracles du Sauveur
repoussent absolument cette idée et en montrent le
ridicule. Un joueur de gobelets a quelques secrets,
mais le nombre en est borné. 11 répète toujours les
(r) Nanc vero nallus praestigiator per ea qnœ facit, spfcîatores
ad morum eiueiidationeoi excitât, aut Dei tiinorem docet qui specta-
culis slapent; aut studet persnadere nt vivant qaasi Deo rationein
redd;turi. Nihil horam prae-.tij^ia:ores faciant ; quia non pcssunt, aut
consilium non Labent ; aut nulunt corrigendis hominibus operam da-
te : quippe qui ipsi turpissiniis, infamissimisqne vitiis'refei ti sunt.
Hic vero qui miraculis sais .spectatores eorum qoa? b^rie faciebjl ad
morum correciionein addncebat , qaomoJo non erit exisMmandas se
praebuisse, non solam illis qui proprie discipnli ejos vocati sunt, srd
etiam reliquis omnibus exeniplum op'imse vilae. (Origen. contra Çel-
sum, lib. i,n° 68.)
SUR LA RELIGION. 261
mêmes, et de la même manière : il les prépare, il
choisit sa place, souvent même ses spectateurs, il ne
se laisse voir que d'un côté , pour qu'on ne découvre
pas les moyens qu'il emploie. Ici, c'est absolument le
contraire. Les miracles de Jésus-Christ sortent de dessous
tous ses pas, il eu opère de toutes les espèces (1). Ici,
(i) Quid dicitts o iterurn ? Ergo ille mortalis, aut unns fuit e nobis
cnias imperiam , ciijas vorem popularibas et rjaotidianis verbis mis-
sam , valetndines, moibi , febres , atque al^a corpornm cruciamenta
fagiebant. Unus fuite nobis cujas praesentiam, cujus visom gens illa
neqaibat ferre mersoram in visceribus daemonura ; contenitaqae vi
ncva iiiembrorum possessione cedebat. Unus fait e nobis cujas ïœdas
vililigines jassioni obtemperabant pulsae statira, et concorniam colo-
rurn commacnlalis visceribos relinquebant. Unus fuit e nobis ruju»
ex levi ir.ctn stabant proflnvia sanguinis et immoderatos cohibebant
fluorés. Unus fuit e nobis cujus nianus inlercutes et venenosae fngie-
bant undae , penetrabi'.is iile vi^abat liqaor ; et tnrgentia viscera salu-
tari ariditate deflabant. Unus fuit e nobis qui claudos carrere praeci-
piebat, et jain operis res erat; porrigere mancos manus, et atticoli
iminobiliiates jain ingeràtas explicabant; captes merobris a^surgere,
et jam sues referebant lectos , alienis panio ante cervicibus lati ; vi-
dcatos videre luminibus, et jam cœlum diemque cernebant nullis
cum ocnlis procreati. Uuns , inqnam, fuit e nobis qui debilitatibaa
rariis nioibisque vexatos centum, aut hoc amplius, semel una inter-
cessione sanabaf , cujus vocem ad siinplicern furibunda et insania ex-
plicabant se maria; proceilarum turbines tempestatesque sedabant;
qui per altissimos gurgites pedem ferebat in tutuni ; calcabat ponti
terga , undis ipsis stupcutibus, in famniatura subeunte natara ; qui
sequentium se inilba quinque saturavit quinque panibns : ac ne esse
praestigiae incredulis illis viderentur, et duris , bis senarura sporta-
rnm sinus reliquiarum fragminibus aggerebat. Unus fuit e nobis qni
redire in corpjra jam dudum ai)i:n3s prsecipiebat efflatas, prodire ab
aggeribus conditas, et post diem funeris leilinm pollinctoruni volt»»
minibus expediri. Unus fuit e nobis qui quod singuii voluerint , quid
snb obscnrls cogitaiionibus coniinerent, tacitorum in cordibus pervi-
debat. {Amobiiis adv. gentes , \\h. r, cap. 45 et 46.)
Dixinins de nativitafe : nunc de virtute opeiibusque dicaraos; qnae
cnm magna iuter horaines, ac mirabilia faceret , vidantes illa Judaeî
magica pcfentia fieri curabant, ignorantes ea omnia qure fîebant ab
eo prsedicta esse a prophetis. ^gros et varie merbernm génère lan-
guentes , non medela aliqua, sed vi ac petestate verbi sni pretinns
reborabat : débiles resanabat : claudos ad gressuin erigebat : caecis
vi»nm resliluebal : mnt's eloqnium dabat : surdos inauribat : pollutos
piavnlatosqae pargabat : furiatis daernonum incur>u iiientem propriam
262 DISSERTATIONS
il marche sur les flots; là, il y fait marcher ses apôtres.
Ailleurs, d'un mot il apaise une tempête; dans deux
endroits dift'érents il nourrit des multitudes nombreuses
avec un petit nombre de pains ; il guérit les malades
de tout genre , des paralytiques , des lépreux , des
aveugles, des muets, des sourds, des boiteux; il chasse
des démons; il ressuscite des morts, dont un, expiré
depuis quatre jours, et. enterré , répand déjà l'infection;
il opère ces effets merveilleux , tantôt par une seule
parole , tantôt par son attouchement (1) , tantôt, comme
envers l'hémorroisse , en laissant seulement toucher
son vêtement. Il les opère quelquefois loin de sa vue ,
et à une grande distance de lui : témoins le fils d'un
officier de Capharnaiim , et le domestique d'un centu-
rion; il les opère sans préparation, à chaque instant,
en tout lieu, selon que les objets lui en sont offerts (2) ;
il les opère entouré par devant , par derrière, à côté,
par une troupe nombreuse, non-seulement de disci-
ples , mais de curieux , mais même d'ennemis , tous
attentifs à l'observer, plusieurs désirant avec ardeur
trouver quelque trace de fraude. Peut-il entrer dans
l'esprit qu'il existe dans la nature des moyens d'opérer
tant de choses si opposées à l'ordre ordinaire de la
nature , de les opérer de tant de manières , toutes dif-
férentes , toutes ayant si peu de relations avec leurs
objets; toutes si occultes, qu'il est impossible aux yeux
rctjonebat : mortoos aat jam sepaltos ad vilam lucemqne revocabat,
Idem qainqae millia hominuiu quinqne panibas et daobus pistiboa
sataravit. Idem snpra mare aaibulavit. Idem in terapestate praecepit
rento nt conquiesceret ; statimque tranqaillitas facta est. {Lactantiiis
epitome div. instit. ^ cap. 45.)
(i) Tides qnalia habet geneia sanitatam. Iraperat febri : imperat
spiritibus immundis : alibi ipse manus imponit. Non solam igitar ver-
bo , sed etiam tacMi aegros cniare consuevit. (5. AmbrosiuSy de Vi~
duis , cap- X , n" 62 . )
(a) Nec lempas ad sanandara, nec locas qoîeritur. .. Ubique Jesas
carat : nbique sanaJ : in itinere, in domo , in deserto. («S. Ambro-
sius , de Virginitate y cap. viii, n° 4a.)
SUR LA RELIGION. 263
les plus intéressés et les plus clairvoyants de les dé-
couvrir ^
XLII. Il est impossible de soutenir que les miracles
de Jésus-Christ soient des tours d'escamotage faits par
l'adresse humaine ; et je ne crois pas que cette ridicule
idée ait été présentée par aucun incrédule , ni ancien ,
ni moderne : elle est également absurde, et les déistes
de nos jours n'osent pas la répéter, cette assertion des
incrédules anciens, que ces miracles sont des œuvres
d'une puissance intermédiaire entre Dieu et l'homme.
Il reste donc qu'ils soient l'ouvrage de Dieu ; mais
en reconnaissant que c'est par une vertu divine que
Jésus-Christ les a opérées , ne sont-ce pas des consé-
quences nécessaires, et qui s'ensuivent l'une de l'autre,
1° qu'il est l'envoyé de Dieu ; 2° que c'est de la part
de Dieu qu'il annonce sa religion j 3" que sa religion
est véritable?
XLIII. Pourrait-on le croire , si on ne le lisait for-
mellement dans leurs écrits, que quelques déistes ont
imaginé de nier ces conséquences? Ils oat prétendu que
« les miracles de Jésus-Christ n'avaient pas pour objet
« d'établir la divinité de sa mission , mais que c'était
« uniquement des actes de compassion et de charité en-
« vers les misérables, et non des preuves de sa religion.
XLIV. Parmi les miracles du Sauveur, on en voit
qui ne sont pas des actes de bienfaisance : comme
lorsqu'il marche sur la mer, qu'il fait faire une pêche
prodigieuse, etc. Dira-t-on que Dieu faisait ses mi-
racles sans objet? Quel autre objet, que de prouver sa
mission, leur attribuera-t-on ? Pour achever d'^ réfuter
<;ette pitoyable objection, écoutons Jésus-Christ lui-
même démentant l'assertion sur laquelle elle est fondée.
Quand il guérit un paralytique, il déclare que c'est
pour montrer que le fds de l'homme a la puissance de
remettre les péchés (1). Lorsque les disciples de St. Jean-
(i) Ut aa»em sciaiis rjaia (ilius borainis habet polestatem in terra
264 DISSERTATIONS
Baptiste viPiinent lui demander s'il est le Messie ,
pour réponse il leur donne les miracles qu'il opère en
leur présence (1). Si les Juifs lui demandent ce qu'il est?
Les œuvres que je fais au nom de mon père, voilà,
leur dit-il, ce qui rend témoigna{je de moi (2j. En res-
suscitant Lazare , il annonce que c'est pour que le
peuple qui va le voir , reconnaisse en lui l'envoyé
divin {3). Après lui, ses apôtres suivent la même jnarclie,
donnent aussi ses miracles comme une preuve de sa
divine mission (4). Il est donc certain que c'est pour
prouver qu'il est le Messie envoyé par le Père céleste,
que Jésus-Christ opère ses miracles : et cette difficulté
des ennemis de sa religion est aussi contraire à la vérité
historique qu'à la raison.
dimiitendi peccata, tune ait paralytico : Surge, toile lectuin tnam ,
et vade in donium toam. [Match, ix, 6.)
(i) Cum autera venissent ad eam viri, dixercnt : Joannes Baptisfa
misit nos ad te , dicens : Tu es qui venturns es , an alium expectamus?
In ipsa hora muUos caravit a langoribus et plagis et spiritibus malis,
et caecis miiitis donavit visuin. Et respondens dixit illi.s : Eantes re-
nuntiale Joanni quae audistis et vidstis : quia caeci vident, claadi am-
bulant, lepiosi niuiidantar, surdi audiunt, mortui resurgunt , paa-
peres evangelizantur, (Luc. vu, 20, ai, 22.)
(2) Ego auteni habeo testimonium majus Joanne, Cpera enim,
qnse mihi dédit Pater ut peificiam ea, ipsa opéra quae ego facio tes-
timonium perhibent de me, quia Pater misit me. [Joann. v, 36.)
Respondit eis Jésus : loquor vobis et non creditis. Opéra quae ego
facio in nomine Patris raei , haec testimonium perhibent de me. (Id.
x,a4.)
(3) JesQs elevatis sarsum ocalis dixit : Pater, gratias ago tîbi qao-
niam andisli me. Ego autem scieboœ qnia seniper me audis : sed
propter popalum qui circomstat, dixi ut credant quia tu raisisti me.
{Joann. xi , 41 > 42. )
(4) Yoyez ci- dessus , note, page aag.
SUR LA RELIGION. 265
CHAPITRE II.
RÉSURRECTION PE NOTRE SEIGNEUR JESUS-CHRIST.
J'ai distingué la résurrection de Jésus-Clirist de ses
autres miracles, et j'en fais un cliapitre à part, parce
que n'ayant pas été aussi publique que les autres mira-
cles , elle n'a pas été avouée de même par les ennemis
du Christianisme. Elle a des preuves, et on lui oppose
des objections qui lui sont particulières. Elle exige par
conséquent une discussion spéciale.
I. Les défenseurs de la religion auraient pu , pour la
prouver , se contenter d'alléguer cette multitude de
prodiges de tout genre qui avaient rempli la vie de leur
maîlie, et qui formaient une démonstration d'autant
plus irrésistible, que personne ne les contestait. Mais ils
ont dédaigné de se borner à cette preuve. Celui des mi-
racles que leurs ennemis attaquaient est celui qu'ils ont
le plus fortement défendu. Nous les voyons , dans leurs
prédications et dans leus écrits, insister spécialement
sur ce point essentiel et en faire le principal fondement
de la foi (1). Jésus-Christ lui-même, prédisant sa résur-
rection, l'avait donnée couinic le signe le plus certain
de sa mi-sion (2). Et St. Paul fait cet aveu solennel : Si
le Christ n'est pas ressucité, notre prédication est vaine ,
votre foi est sans fondement, nous ne sommes que de
faux témoins f3).
(i) Priinani et luaxiinuni iîdei fuiidaïuentum in resuireclionem
Christi credire. (5. Ambrosius , de Joseph. ^ cap. xiii, n° 80.)
(a) Qui respondcns ait eis : geiieratio luala et adultéra .signnm
quaîut : et signum non dabilor ei . nisi signnm Jonae propbeta;. Si<ut
enim fuit Jouas m ventre Cf-ti tribus diebus et tribus noctibos , sic
erit FiiiU» honiinis in corde terrae tiibui diebus et tribus noctibus,
{Matth. xii, 39, 40)
^3) Sieigo /;britus non resurrciit ,inani3 est eigo praedicationos'ia ,
Dissert, sur la Belig. 12
266 DISSERTATIONS
La résurrection de Jésus-Clirist, attestée par ses dis-
ciples, a été contestée par les Juifs qui venaient de .le
erucifier. Pour jujjer de quel côté est la vérité, il faut
examiner ce qu'ont dit 1rs uns et le» autres.
II. Voici le récit des apôtres. Après que Jésus-Christ
eut expiré sur la croix le vendredi , il fut enseveli] le
soir même dans un toinl^eau. Le lendemain matin , les
princes d€S prêtres et les pharisiens allèrent trouver Pi-
lât . et lui dirent que ce séducteur (ils appelaient ainsi
le divin Sauveur) avait annoncé pendant sa vie qu'au
bout de trois jours il ressusciterait. Ordonnez donc , di-
rent-ils , que le tombeau soit gardé jusqu'au troisième
jour , de peur que ses disciples ne viennent , et qu'après
avoir dérobé son corps ils ne disent au peuple : il est
ressuscité d'entre les morts ; et cette seconde erreur sé-
rail pire que la première. Pilate répondit : Vous avez
des gardes ; gardez-le comme vous l'entendrez Ils allèrent
munir le sépulcre d'un s^eau qu'ils apposèrent à la pier-
re , et d'une gprde qu'ils placèrent autour. Le lende-
main, qui était le dimanche, de très-grand matin, un
grand tremblement de terre se fit sentir. Un ange des-
cendu du ciel leva la pierre qui couvrait le tombeau, et
s'assit dessus. A son aspect, qui était effrayant, les gardes
saisis de terreur, restèrent comme morts. Des femmes,
attachées à Jésus-Christ, étant venues quelque temps
après , l'ange leur dit que celui qu'elles cherchaient n'é-
tait plus dans le tombeau, mais qu'il était ressuscité,
selon sa "prédiction , et il leur montra le lieu où il avait
été déposé. Cependant quelques-uns des gardes retour-
nés à la ville , racontèrent aux princes des prêtres ce qui
s'était passé. Ceux-ci assemblèrent le conseil des anciens.
Il y fut décidé qu'on donnerait une grosse somme d'ar-
gent aux soldats pour répandre le omit que pendant
qu'ils dormaient les disciples étaient venus et avaient
iv.anis est et fides vtstra : inv^nimur autein et falii tesifû Dt-i. ( i
Cor. XV, 14 , i5.)
SUR L.V RELIGION. 267
enlevé le corps de leur maître. Ils ajoutèrent, que si le
gouverneur romain avait avis de cette manœuvre, ils se
chargeaient de le persuader , et de les mettre eu sûreté.
Les gardes reçurent l'argent, firent ce qui leur avait été
ordonné ; et le bruit de l'enlèvement du corps de Jésus
était encore répandu parmi les Juifs, au temps où Tévan-
géliste écrivait. Telle est la narration de St. Matiliieu,
à laquelle les chrétiens de son temps et de siècles sui-
vants ont constanunent fait profession d'ajoutf^r foi fl).
III. De leur côté, les Juifs publièrent, attestèrent,
certifièrent que le corps de Jésus-Christ avait été réelle-
ment enlevé pendant le sommeil des gardes. Que telle ait
été leur assertion, et la réponse unique qu'ils donnaient
au témoignage des apôtres, nous ne pouvons pas en
douter.
1° St. Matthieu, rapportant cette allégation , dit posi-
tivement qu'elle était, lorsqu'il écrivait, encore répan-
due comme un bruit public dans la nation juive r2\
St. >Iatthieu, écrivant peu d'années après ^ au milieu
des Juifs, et spécialeuient pour les Juifs, aurait-il osé
dire qu'ils étaient dans une opinion qu'ils n'avaient pas ?
Quel mépris aurait excité une si ridicule assertion ? Quel
tort n'aurait-elle pas fait à sa prédication?
2° Et voici qui est plus fort encore. Nous apprenons
; de St. Justin, que les Juifs de Jérusalem envovèrent de
tous côtés des émissaires pour répandre ce bruit de
l'enlèvement du corps de Jésus-Christ (3). Dans les siè-
cles immédiatement suivants, nous voyons, d'une part
1 (l) Matth.. cap. xxvii et xxviii.
(2) Et fJivu!^aia:u est verbum istud apad Judîeos u que in ho-
diernam diera. [Matth. xxvm , iS.\
t (3) Délectes homines consMoistis : ac per eos in tofnm orbern îer-
,{ rarum naissos praedirastis impiani qaamdaru et exlefjein sertam 0 piano
qaodam Je>Q «alilaeo exciîa'aiu es>e ; et cum illam a nobis cruci-
fixam discipuli e inunuinento in goo , refixas e croce , deposijas
faeiat, nocte snbripaerint , decipi ab illis homines, diiii eum ex
• nnortais tesarrexisse, et in coeiara ascendisse, dicritant. (5". Justin
Dial. cum Thryphon.y n" io8.) ' *
268 DISSERTATIONS
les plus éclairés entre les adversaires de la reli[jion , Celse,
Porphyre, Julien, répéter Tobjeetion de l'enlèvement
du corps, et ne pas avancer d'autie fait. Nous voyons
d'un autre côté les saints Pères et les apolojjistes uni-
quement occupés à réfuter l'assertion. Knnemis et défen-
seurs du christianisme , tous s'accordent ; leurs dires
uniformes cadrent parfaitement sur ce point avec le récit
de St. Maltliien. 11 est donc certain que le fait de l'en-
lèvement du corps est le seul que les Juifs contempo-
rains aient opposé au témoignage des apôtres sur la ré
surrection.
ly. Je dis que c'est le seul : car si on voulait préten-
dre qu'il a été opposé à la résurrection de Jésus-Christ
quelqu'autre fait , d'abord je demanderais quel est ce
fait , quelles preuves , quels indices mêmes on a qu'il ait
été produit? Il n'y a , dans toute l'antiquité ecclésiasti-
que et profane , aucune trace de semblable allégation.
Je dirais ensuite qu'en prétendant qu'outre le fait de
l'enlèvement on en a encore objecté quelqu'autre contre
le fait de la résurrection, les adversaires feraient tort à
leur cause. En opposant au témoignage des apôtres tan-
tôt un fait, tantôt un autre, on énerve la force de ces
oppositions. Les contradictions entre les réponses mon-
trent qu'il n'y a pas de bonne réponse à donner. Reve-
nons donc à dire que tout ce qui a été soutenu dans le
temps contre l'attestalion des apôtres, que leur maître
était ressuscité, a été qu'eux-mêmes avaient enlevé son
corps pour se donner le moyen de prêcher sa résurrec-
tion : et plusieurs de nos déistes modernes ont senti cette
vérité, car ils ont réchaulfé cet e histoire de l'enlève-
ment, et se sont efforcés d'en prouver la possibilité, la
vraisemblance , la réalité.
V. Les deux relations des apôtres et des Juifs, oppo
sées entre elles sur le fait principal, s'accordent dans
plusieurs circonstances. Il en résulte évidemment que
ces circonstances sont véritables. Quand je vois deux
partis très-contraires l'un à l'autre convenir de certains
faits dont ils sont bien iustruits , je suis assuré que ces
SUE LA RELIGION.
laits sont réels. Plus il y a d'opposition entre les partis,
plus il y a d'intérêt à se contredire. Leur accord ne peut
pas être l'elTet d'un concert. Il n'y a que la vérité bien
î clairement reconnue qui ait pu les réunir dans la même
assertion. Avant de discuter ces deux narrations et d'exa-
miner ce qu'on doit croire relativement au fait sur le-
quel elles sont opposées, considérons ce qui s'ensuit des
faits sur lesquels elles sont d'accord.
yi. 1-^ Il est certain , d'après le dire des Juifs comme
d'après celui des apôtres, que Jésus-Christ est vérita-
liicment mort (1). Il est étonnant que des déistes du dix-
huitième siècle aient essayé de jeter du doute sur ce
fait, qui a été cru sans difficulté par tout ce qui a existé
jusqu'à eux de chrétiens, de juifs, de païens, d'hommes
de toute religion. Tacite, qu'on ne sou])çonne pas de
partialité en faveur du christianisme, en fait mention (2).
Tous les ennemis qu'a eus la religion dans ses premiers
siècles, lui objectaient de présenter aux adorations du
monde un homme mort du supplice le plus ignomi-
nieux; et nous voyons les défenseurs de la foi dans ses
premiers temps^ occupés à résoudre cette objection.
Veut-on des témoins comtemporains qui fussent enne-
mis des chrétiens? Nous citerons les soldats qui ne cas-
sèrent pas les jambes à Jésus-Christ, parce qu'ils le trou-
vèrent mort; Pilate, qui permit de l'ensevelir, après
avoir fait une enquête sur sa mort ; le centurion, témoin
de son dernier soupir , qui l'attesta; enfin , les chefs des
Juifs eux-mêmes, qui ne mirent de garde à son tombeau
que parce qu'ils étaient bien stirs de sa mort. S'il leur
(t) Ad alias igitnr caasas car Jesas cracifîxns fneiit, addi forte
potesl ista ; illara palani in crace mortaum esse, nt ne qois diceret
illuin volentem ab orulis homi.ium recessisse , mm m<>rtnura rêvera,
sed visuin esise dantaxat raori , et reversam postea qnando voluit,
saani e raortais prodigiose finxisse resurrectionem. ( Origines contra
Cels. lib. II, n° 56.)
(2) AnttDr norainis hujus Christus, qui, Tiberio imperanie, per
procaraturem Pentium Piiatam sapplicio affectus erat. [ Tacit. Annal,
Ub. XV , cap. 44.)
270 DISSERTATIONS
était resté quelque cloute, ils n'auraient pas manqué de
le vérifier et tl'acliever leur victime. D'ailleurs, en sup-
posant que Jésus-(>hrist ne fût pas mort auparavant, ne
serait-il pas mort du coup de lance (|ui lui fut porté
dans le côté, dont il sortit du sanj; et de l'eau, indice
certain que l'enveloppe du cœur avait été percée? Ad-
mettant encore que ce coup ne l'eût pas fait périr, pou-
vait-il rester vivant, ayant été plus de trente heures
opprimé du poids de cent livres d'aromates, serré de
toutes parts dans des linges, et enfermé dans un sépulcre
où il n'avait aucune communication avec l'air? Toutes
ces circonstances , tirées de l'histoire évangélique , sont
irrécusables aujourd'hui, puisqu'elles n'ont pas été récu-
sées dans le temps. L'accord des Juifs avec les apôtres les
prouvent démonstralivement. Que ceux qui reulent ré-
voquer en doute cette mort , nous en citent une , dans
toute l'histoire, qui ait été plus positivement et plus so-
lennellement attestée.
VII. 2° Il est également certain que Jésus-Christ étant
dans le sépulcre, les Juifs y ont mis des gardes. Nous
n'avons pas à prouver cette vérité attestée par les deux
partis. Mais par quelle raison les Juifs ujettaient-ils des
gardes au tombeau d'un homme mort? Il ne peut y en
avoir d'autre que celle apportée par St. Matthieu, la
crainte qu'on ne dérobât le corps pour publier ensuite
la résurrection , conformément à ce qu'avait prédit Jé-
sus-Christ de son vivant. Les Juifs n'ont pas, d'ailleurs,
démenti ce motif auquel leur précaution était attribuée.
Et c est là une preuve de la vérité de ce qui est dit à
plusieurs reprises dans les évangiles, que le Sauveur
avait prophétisé qu'il ressusciterait : prophétie qui n'est
certainement pas étrangère à notre objet.
VIIL 30 De la double relation, soit des apôtres, soit
des Juifs, s'ensuit aussi la certitude de deux faits : le
premier, que le corps de Jésus-Christ était dans le tom-
beau le samedi au matin ; le second , qu'il n'y était plus
le dimanche au matin. La précaution prise par les Juifs
le samedi , de mettre un scellé et des gardes au tombeau,
SUR LA RELIGION. 271
aurait été ridicule , s'ils n'avaient pas su que le coi-ps y
était. L'assertion répandue par eux le dimanche, que le
corps avait éié enlevé du sépulcre, aurait été tout aussi
absurde si le corps y était resté. Il est donc certain que
c'est dans l'intervalle du samedi matin , au matin du
dimanche, que le corps de Jésus-Christ a disparu du
tondDeau. La question entre les apôtres et les Juifs, de
même qu'entre nous et les incrédules, se réduit à savoir
si c'est la résurrection racontée par les évangélisles , ou
l'enlèvement raconté par les gardes, que l'on doit croire.
Je dis que c'est encore aujourd'hui, couime alors, le
point de la question. En effet, de ce que les ennemis de
Jésus-Christ n'opposèrent dans le temps, au récit des
apôtres, que Thistoire de l'enlèvement , il. s^ensuit qu'on
ne peut aujourd'hui en objecter aucune autre. Il faut
soutenir la vérité de celle des Juifs, ou avouer celle des
apôtres. Les deux partis s'étant fortement et uniquement
attachés à ces deux narrations opposées , elles sont de-
venues comme deux propositions contradictoires , dont
il faut reconnaître l'une vraie , lorsque l'autre est dé-
montrée fausse. Quelque nouvelle fable que l'on veuille
imaginer maintenant, elle se trouvera démentie d'a-
vance par le témoignage unanime de tous ceux qui
étaient à portée de rendre un témoignage. Ainsi , quand
j'entends un incrédule moderne dire qu'il y avait peut-
être au tombeau une issue secrète, par où l'on aurait
retiré le corps, je lui réponds : Votre supposition est
évidemment absurde. La preuve que cette issue secrète
n'a pas existé , c'est qu'elle a été inconnue , c'est qu'ils
n'en ont point parlé. Et je pourrais ajouter que depuis
dix-huit cents ans que ce sépulcre taillé dans le roc
existe , et a été visité par une innombrable multitude de
pèlerins et de curieux, aucun n'a jamais aperçu la plus
légère trace de cette issue imaginaire.
Nous avons donc deux moyens de prouver la vérité de
la résurrection : le premier est de faire voir que le té-
moignage des apôtres réunit tous les caractères qui peu-
272 DISSERTATIONS
vent lui imprimer la certitude ; le second est de montrer
que le récit des Juifs est une fable absurde. Jo vais ex-
poser, l'une après l'autre, ces deux preuves.
IX. Nous prouvons la vérité incontestable du témoi-
gnage des apôtres sur la «ésurrection de leur maître,
comme nous l'avons établie relativement à ses autres
miracles. Un témoignage est certain, disons-nous, quand
ont est assuré que celui qui le rend n'a ni pu être trom-
pé , ni voulu tromper. Il s'agit donc ici de savoir si , sur
le fait de la résurrection , les apôtres ont été abusés , ou
s'ils ont abusé le monde.
X. Pour prouver que les apôtres n'ont pas pu être
dans l'erreur au sujet de la résurrection , commençons
par faire quelques observations.
XI. 1° Les apôtres n'avaient pas l'esprit aliéné ; ils
n'étaient pas des insensés , des fous. J'ai établi ailleurs
cette vérité (1).
XII. 2° Les apôtres connaissaient parfaitement Jésus-
Christ. Ils venaient de passer trois ans de suite dans sa
compagnie ; pendant tout ce temps ils ne l'avaient pas
quitté: et ils avaient vécu avec lui dans la plus intime
familiarité. Il était donc impossible qu'il se trompassent
sur sa personne, et qu'ils le confondissent avec un autre.
XIII. 3° Si l'on veut prétendre que les apôtres ont été
trompés , il faut convenir qu'ils ont été sincères. Dès
qu'on les suppose abusés , on les croit de bonne foi :
étant de bonne foi, ils ont dit ce qu'ils croyaient véritable-
ment. On doit donc ajouter foi à toutes les choses sur les-
quelles ils n'ont pas pu se tromper ; on doit croire ce
qu'ils disent d'eux-mêmes, de leurs dispositions, des cir-
constances où ils se sont trouvés. Il serait absurde jus-
qu'au ridicule de soutenir qu'ils se sont trompés sur ce
qu'ils ont pensé , sur ce qu'ils ont dit , sur ce qu'ils ont
fait, sur les lieux où ils ont été.
(c) Voyez chap. premier, n° 5 , page 219.
StR LA RELIGION. 273
Examinons donc , d'après la relalion des témoins dont
la sincérité est admise, s'ds ont pu être induits en erreui
sur la résurrection de leur maître.
XIV. S'ils disaient qu'un d'entre eux a vu Jésus-Christ
vivant depuis sa mort , on pourrait penser que ce témoin
isolé s'est lait illusion , et qu'il a pris un objet pour un
autre ; mais ils rapportent qu'ds l'ont tous vu , et qu'à
une seule fois Jésus-Christ a apparu à plus de cinq cents
de ses disciples. Comment se pourrait-il qu'un aussi
grand nombre d'hommes se fussent trompés tous en-
semble , tous de la même manière ? que dans cette mul-
titude il ne s'en fût pas trouvé un seul qui , avec des
yeux meilleurs et un jugement plus sain , eut découvert
l'erreur et Teùt fait apercevoir aux autres?
XV. S'ils disaient qu'ils ont vu Jésus-Christ une seule
fois de loin, rapidement et en passant, on pourrait en-
core absolument croire la possibilité de l'erreur; mais ils
racontent que Jésus-Christ n"a pas fait qu'une seule ap-
parition ; qu'il s'est montré tantôt aux uns, tantôt aux
autres : à Madeleiue_, à d'autres femmes, à St. Pierre,
à St. Jacques, à deux disciples, aux onze apôtres. Ils
nomment les lieux où se sont passées plusieurs de ces
apparitions, le jardin où était le tombeau, le chemin
d'Êmmaùs, le cénacle, le bord du lac de Génésareth ,
une montagne de Galilée. lis attestent que pendant qua-
rante iours de suite il leur a fréquemment apparu^ et
qu'enfin ils l'ont vu remonter dans le ciel. Comment au-
raient ils pu se faire illusion tous ensemble sur des visites
répétées aussi continuellement et pendant un aussi long
temps?
XVI. S'ils disaient qu'ils n'ont fait , dans ces diverses
apparitions^ que voir Jésus-Christ, ce serait déjà une
chose inimaginable qu'ils se fussent trompés tous et aus-
si souvent; mais ils ajoutent cjue, dans les diverses oc-
casions où ils l'ont vu, ils ont conversé avec lui; qu'il
les a fréqueinuîent , pendant quarante jours , entretenus
du royaume de Dieu. Ils rapi)ortent quelques-uns des
discours qu'il a tenus , plusieurs des réponses qu'ils lui
12*
274 Dissertations
ont faites. ïls disent qu'ils ont mangé et bu avec lui ;
qu'il s'est fait toucher par eux à plusieurs reprises ;
qu'il leur a fait sentir sa cliair et ses os ; qu'il leur a
fait njettre les doij^ts dans ses plais restées ouvertes. Ils
se seraient donc tous imaginés voir ce qu'ils ne voyaient
pas, entendre ce qu'ils n'entendaient pas, toucher ce
qu'ils ne touchaient pas ; et, ce qui est plus extraordi-
naire encore, tous se faisant, illusion, se seraient fait
précisément la même. Tous les sens de tous ces hommes
se seraient trompés à la fois, et de la même manière,
sans que Wiu eût rectifié l'erreur des autres (1). Soute-
nir une pareille proposition , n'est-ce pas détruire dans
le genre humain la certitude physique, qui consiste
principalement dans le rapport unanime des sens ?
Si on veut s'opiniàtrer à soutenir que les témoins de
la résurrection ont été induits en erreur, il faut articuler
quelle a été cette erreur. Elle n'a pu être que de l'une
de ces trois sortes. En croyant voir , entendre , toucher
Jésus-Christ , ou ils n'ont rien vu , rien entendu , rien
touché ; ou ils ont vu , entendu , touché un autie hom-
me qu'ils ont pris pour lui ; ou ils ont vu , entendu ,
touché un fantôme qui avait sa ressemblance, et qui
n'avait pas de réalité. Laquelle de ces absurdités les in-
crédules préféreraient-ils de soutenir?
(r) Ideo ilie quadr.-iginfa diebas mansit pos» resnrreciionem , tam
longu (emj'Oie cunsptcius sui spatio veiitaiein comprobans : ne id
qaud videbaiDi pbjntaMna^a esse |:aiarent. Neque his confen'ns
mensam eliam addidù ; id quod efiam pos'ea dicit : et convescens
cxxra \[\i-.. Hoi- auîeni apostoli scmpi-t tn resaireciioni» argumentutn
sunip^eranf, riiof-ntes : Qui inanducavimus et btbimns cum itlo. Quod
antem appaieni Int-rit per sequentia «Ksfeiidit , dicens : apparens illis,
et loqueii:> de le^no Dei. (5. Joann. Ckiysosc. in Âcta Apost.
Momil.i^n''/i.)
Ergo, quid curbati estis ^ et cogitationes ascendunt in cor ves-
trum ; vidcte mamis meas et pedes meos : palpate et videte. Si pa-
itim est vobis artendeie, nec suf£î( iat tangeie palpate. Nec langite
tantum dixit , seil palpaie. et coiitreclate. Prubent sibi njanus vestrac
si mentianiur o(uii vestri : Palpate et vidtle : oculos in manibus ha-
bele. [S. Au^tist. se/ m. ccxxxvii, de Fettis Pasch. 8 ; al. cxLv,
de Teinporc, n» 3.)
SDR L\ RELIGION. 275
XVII. Dire qu'ils n'avaient aucun objet devant eux ,
quand tous leurs sens leur présentaient Jésus-Cljrist ,
c'est avancer que tous les sens de beaucoup dhonimes à
la fois peuvent non-seulement* faire prendre un objet
pour un autre, ce qui est déjà souverainement dérai-
sonnable, mais donner de l'existence à ce qui n'est pas ,
de la consistance à rien.
XVII i. Avancer que les apôtres ont pris pour Jésus-
Christ un autre liouune qui lui ressemblait, n'est pas
moins absurde. Quel serait donc cet homme qui n'aurait
jamais paru avant la mort du Sauveur, et qui aurait
absolument disparu du moment où l'on annonçait la
résurrection et l'ascension ? D'ailleurs , les discours que
les apôtres rapportent de leur maitre depuis sa mort,
ont relation avec ceux qu'il leur avait tenus pendant sa
vie : ils en sont la suite ; ils les rappellent, il faudrait
donc que cet imposteur qui abusait les dis.-^iples par sa
ressemblance avec leur maître, eut été avec eux habi-
tuellement dans sa compagnie. Et comment ne Tau-
raient-ils pas connu auparavant ? comment ne Tauraient-
ils pas reconnu alors ?
XIX. Enfin la fable du fantôme pris pour Jésus-Christ
répugne autant que les deux autres. Il faut , pour l'exis-
tence de cet être fantastique , faire intervenir la puis-
sance divine en faveur du mensonge , et supposer un
miracle dont le but serait de tromper le genre humain.
D'ailleurs , Jésus-Christ lui-même a prévenu cette objec-
tion. Ce fut la pensée qui vint d'abord à l'esprit de ses
apôtres , lorsqu'ils le virent pour la première fois dans
le cénacle. Vovez , leur dic-il , mes mains et mes pieds ;
considérez que c'est moi-même ; voyez qu'un fantô-
me n'a point une chair et des os , comme vous voyez
que jeu ai (1).
(i) Conturbîiti vcro e; coiiterriti , existiraabant se sp rltnrn videre.
Et dixil eis : quid 'iirbaii ciiis; et rojjita'.iones ascendiint in corda
▼estra ? videte nianu'» et pede-^, qnia ego ipse snm ; palpjte et videre,
qoia spiii;U3 carn^-m et uisa non habet , scQt aie videtis Labere. Et
276 Dissertations
XX. Ceux, des incrédules qui ont essayé d'admettre
cette ridicule hypollièse, que 1rs apôtres ont pu être
abusés sur le fait de la résurrection , n'oiil eu , pour la
soutenir, d'autre raison à donner , sinon que les disci-
ples de Jésiis-Christ étaient préoccupés de l'idée que
leur maître devait ressusciter, et qu'ils étaient d'u.e
extrême crédulité.
XXI. Certes, il aurait fallu, dans tous ceux qui se
sont portés témoins de la résurrection, une prévention ,
telle qu'on n'en a jamais vue dans aucun homme, pour
qu'elle leur fît voir à tous, en même temps et delà même
manière, leur maître vivant et présent, tandis qu'il aurait
été mort et loin d'eux. Dira-t-on aussi qu'ils avaient
tous l'esprit prévenu de toutes les circonstances qu'ils
apportent, qu'ils étaient touspréoccupés de l'idée que Jé-
sus-Ciirist apparaîtrait à ceux-ci dans un lieu, à ceux-là
dansun autre ; quilreviendrait souvent les voir pendant
l'espace de quarante jours; qu'il leur tiendrait tels dis-
cours ; qu'ils lui feraient telle réponse ? D'ailleurs toute la
conduite des disciples prouve la fausseté de l'assertion.
Ils n'avaient certainement pas le préjugé que leur maî-
«am hoc dixisset, ostendit eis manos et pedes. {Luc. xxiv , S') et
Quale est autem idcirco dicere Doniinura post resurrectionem qua
dragiiita diebp.s comedisse cuin apostolis, ne phantasma pdtaretur,
et hoc ipsiira quod cumedit in carne et in membiis vi^us est in phan-
tasma oonfumare? Aut vernm est quod videbalur, anr falsam. Si
vernme^t, crgo verc coraedil , et vere merabrii babnit. Si antein fal-
sum , qiioinodo res fjlsas Ostendere voluit ut resnrreptionis verilatem
probarei ? (5. Hierotiymus ^ epist. xxxvin, nd Pommachiuin. )
Sciât aiitein qui bas proposait quaestiones, ChiiNinra post resurrec-
tionem cicatrices, non vulnera , deinonsliasse dubitanlibus ; propfer
qaos etinni cibum ac potam suraere voluit, non serael sed saepios :
ne illum iion corpus sed spiriluin esse arbitrai entur; et sibi non soli-
de sed imaginaliter apparere. Tune autem illae falsae cicatrices fuis-
sent, si nulla vnlncia praecessissent : et tamen nec ipsae essent , si eas
esse noluisset. Voluit autem certae dispens.-ttionis gralia; ut iis quos
aedifîcabat in fîde non ficta , non a!iud pro alio , sed hoc quod crn-
eilixum viderant, resnrrexisse raonsiraret. (5. August. , lib. ad Deo-
gratias y seu epist. en, quœsty i, n° 5.)
SUR LA RELIGION. 277
tre dût ressusciter ; ni Joseph, Nicodème et les saintes
femmes qui venaient embaumer son corps ; ni Madelei-
ne, qui, au premier moment oùelle le vit, nele reconnut
pas ; ni les disciples d'Emmaiis, qui avaient, disaient-ils ,
espéré d'avoir en lui le libérateur d'Israël; ni les apôtres,
qui refusaient de croire les premiers témoins du fait ; ni
saint Thomas , qui , avant de se rendre à la conviction ^
voulut voir et toucher ses plaies (1). La lenteur avec
laquelle les témoins de ce grand prodige l'ont cru , la
circonspection qu'ils ont apportée à l'examiner, les
preuves qu'ils en ont exigées, montrent évidemment
que , loin d'être persuadés de la future résurrection de
leur maître, ils n'en avaient pas même la pensée. La
Providence a voulu qu'ils fussent aussi longtemps dans
le doute, pour que nous n'en eussions pas (2). Ces mê-
mes circonstances repoussent aussi bien loin d'eux l'im-
putation de crédulité. Certes ce ne sont pas des hommes
crédules, que ceux qui ne se déterminent à croire qu'a-
près d'aussi grandes précautions. Ils ont mérité , et su-
bi de la part de Jésus-Christ , le reproche de leur diffi-
culté à croire , de la lenteur qu'ils y apportaient (3)»
(i)El di;ritur nobiâ : qutie tvgo Dominus cum su tiiim vulnerun*
cicatricibns resurrexit? Qiiid ad hoc dcimas? ^i^isi qnia et hoc po-
test^tis fait, non neccssitatis. Sic voluit lesurgere. Sic se volait qni-
busdain dubitantibas exliibere. In illa carne ciuatrix vulner's sanavit
vainas incredulilatis. [S. Augiist. serm. ccxrii, in diebus ^.asch. i3;
al. cxLvxi, de Ternpore f u° 3.)
(2) Quod resurreciionem dominicain discipuli tarde crediderant,
non tam illorani infîrmitas quam nostra , ut ita dicara , fntara firmi-
tas fuit. Ista namqne resai recno illis dabitantibns per niulta arga-
menia nionstrata est , qu?e dum hus Icf^entes agnoscimus, quid aliad
quam de illorara dubitatione solidaranr? Minus eniin raihi Maria
Mngdalene pr?estitit q'iae ci'ius credidit, qujnn Thomas qui diu du-
bitavit. nie eiiim dubi'ando vulnernra licatrices teîig't ; et de nosiro
peotore vulnns dubieîaMs ampntavit. (S. Gregoriiis niagn. in evang.
lib. ir, homil. 29 , n" i.)
(3^ Iti liac lectioîie aninia-lvcrtirans qaoïnodo ipse discipulos suc»
prima membra saa , haerentes latere sao objurgavit Domiuus Jesaa,
qnia, qnem dolebant oicsnm fiiisae , non credebant vivom esse : pa-
tres fidei, nonduin hdeles : magistri , iitcredeiet nniveisas orbis ter-
278 DISSERTATIONS
Aujourd'hui c'est une crédulité trop facile qu'on leur
impute.
XXII. En voilà beaucoup trop, sans doute, pour ré-
futer une supposition aussi absurde que l'erreur des apô-
tres au sujet de la résurrection. Passons à la seconde
hypothèse , et voyons si on peut plus raisonnablement
les accuser d'avoir voulu en imposer.
XXIÏI. J'ai montré dans le chapitre premier, que les
apôtres n'ont pas été des imposteurs, lorsqu'ils ont rap-
porté les miracles dont Jésus-Christ avait rempli sa vie.
L'ont-ils été en publiant sa résurrection ? Les mêmes
raisons qui ont établi la sincérité dans le témoignage
qu'ils ont rendu au\ autres miracles , prouvent avec la
même force leur sincérité dans le récit qu'ils ont fait de
celui-ci. Je ne répéterai donc pas ici ce que je crois suf-
fisamment établi ailleurs, sur le caractère moral des
apôtres, prouvé par leurs écrits , qui donnent les régies
de toutes vertus ; par leur conduite, qui en présente le
modèle; par l'aveu même de leurs adversaires, qui n'ont
jamais intenté un re[)roche à leurs mœurs ; sur les cir-
constances dans lesquelles ils ont ouvert leur prédica-
tion, sept semaines après la mort de leur maître^ dans
la ville où elle avait eu lieu, au milieu d'une fête qui
réunissait un grand nombre de témoins ; sur l'impossi-
bilité de former et de soutenir un concert entre un si
grand nombre d'homnies et de femmes; sur l'invariable
uniformité de leur témoignage dans des temps et dans
des pays divers ; sur sa constante persévérance dans tout
le cours de leur vie, au milieu des persécutions et des
tourments, et jusque sur l'échafaud ;sur ce que touslesin-
térêts humains s'opposaient à leur prédication, et qu'ils
ne pouvaient avoir dans leur ministère d'autre intérêt
raram quod praediia'uri fueiant , et propîer qnod rnoritnri fuerant ,
nondnrn credebaiit, Q'icrn videram luorruos suscitasse, non c.eileb.int
ffsijrrexsissp, Meiiro er^o ohjurgabantor. [S. Aitgust. ,sei-in. ccxxxl,
/// Festis Pasch. a; al. dr Te n pore , ccxr.i , n" r.)
SUR LA RELIGION. 279
que celui qui fait toujours dire la vérité (1). Je me
bornerai à ajouter à ces raisons quelques considéra-
tions.
XXIV. Si les apôtres ont voulu tromper sur la résur-
rection ^ ils étaient donc persuadés que leur maître était
encore mort. Or, dès- lors, quelle espérance pouvaient-
ils avoir de persuader au monde , sur leur seule parole,
que leur maîtie était ressuscité ? Toutes les probabilités
étaient contre eux : la nature du fait , difficile à croire;
le préjugé qu'avait alors le gros de la nation contre
Jésus-Clirist ; l'opinion généralement répandue , qu'ils
avaient enlevé son corps; l'autorité du sanhédrin, et
la contiance qu'on avait en lui. Quels moyens possé-
daient-ils, pour faire croire, malgré tant d'obstacles, un
fait qui aurai t été faux (2j ?
XXY. Avec la persuasion de la fausseté du fait , quel
motif pouvait les engager à le publier ? Que , pendant
la vie du Sauveur , ils se fussent attachés à lui, cela est
tout simple : ils le regardaient comme le Messie, qui,
dans les idées qu'ils avaient alors, devait être un roi
glorieux et puissant. Ils en espéraient des places avan-
tageuses dans son royaume futur. Ils les lui avaient mê-
me déjà demandées. Mais leur maître mort , leurs es-
pérances ont expiré avec lui. Ils ne peuvent plus rit n
attendre de lui : et du ciel et de la terre, ils n'ont à es-
(i) Voyez chap. r , n° xu et suivants, page 2 33.
(2) Quid ergo habebanl dicendum exeantes ^ Nam passionem qui-
dem sciebai univeisus orbis. In alto qaippe patibulo su>pen!>as foe-
rat ; in meridie, in metropoli , et in maxirao die festo , et a qae
maxime non licebat qiiemquam abesse. Resurrectionein vero nulJus
•ciebat exterornm, qnod non parvum erai ilbs iiopediiueiilura ne per-
suadèrent. Et qaod esse sepaltus omnium romore ferebalur, quodqac
disripuli corpas fuiati essent , mdiles jam judaeis omnibus dicebant.
QaodaQtem resuriexisset exterornm nemo sciebat. Undenam expec-
tâbant se id tuti orbi per^ua^uros esse. Si enim p<jst edi:a rairacola
persnasi fuerant milites ut Contraria testarentnr, und^^nam sperassent
hi se sitie mitacnlis prseditaturos esse; et ne obolnra quidem haben-
tes, terrae et mari de resnrreclione pcrsuasuros esse ? (5. Joan. Chry-
sost.^ in epist . primam ad Cor. homil. v, n° 5 )
980 DISSERTATIONS
pérer que les tenibles supplices réservés aux iniposteuis
et aux impies ^Ij.
XXVI. Tant que Jésus-Clirist a vécu , ses disciples
ont pu avoir confiance en lui. Lors même qu'ils l'ont vu
arrêté par ses ennemis , ils ont pu encore espérer qu'il
saurait se tirer de leurs mains. Mais, s'ils l'ont cru mort
sans ressource, ils n'ont pu voir en lui qu'un imposteur
qui avait abusé de leur simplicité. Ils ont donc dû né-
cessairement se détacher de lui , et abhorrer d'autant
plus sa mémoire , qu'ils avaient plus chéri sa person-
ne (2). Au moins , dans leur nombre , devait-il s'en
trouver que la honte d'avoir été dupes , l'indignation
contre l'imposteur qui les avait trompés, le repentir
d'une erreur contraire à leur religion , amenassent à
l'aveu de la séduction qui les avait égarés. Au lieu de
cela, nous voyons ces mêmes hommes, auparavant fai-
bles et timides, qui,, an premier danger de leur maître,
l'avaii nt lâchement abandonné , dont le chef l'avait mè-
(i) Si enim uon facra foissent illa quae vere facta sont, et si Chris-
las in cœlum non asiendissef , haec fingere confendentes et aliis per-
saadeie, Deura offensuii eiant, et mille a. superis fulmina expecta-
turi. Alioquin etiam , si viverite Cbiisto taniam habuisseiit aiacriiaiem,
ipsj moriuo illam extinxissent. [S. Joan. Chrysost.^ in priinarn epist.
ad Cor.^ bomil. v, n° 4.)
(a) Nisi enim vidisserit illnm resnrrexisse , qnid poterat illos ad
hoc bellnm educeie? Qaid non illos avertisset ? Dixit illis : Post
très d:es resurgara, et regnum cœlonim poUicitus es*. Dixit illis quod
orbetu terrarain s'ij^eraiuri essent accepte Spirita sancto, et ad baec
irmamera alia dixit uatnrara omnem superanlia. Itaqne s.i nibil horom
evenisset, et si viventi rrcdiderant , eo mortuo non ultra crediJissent,
nisi ressu'-citatura ' idisseuf. Dixi.ssenf enim : post 1res dicb se resnr-
rectnrura dix.it : et non re>nrrexit : Spiiilam se datnrnm promisit,
et non raisit. Quomodo ergo de faluris illam credaraus : cum prae-
sentia de falso convicia sint. Qua de causa, si non resurrexisset ,
praedicarent illam resnrrexisse ? Quia ipsnm amabant, inquies. Atqni
ipsnm deinde odio babituri erant , quod se decepisset , et prodidis-
set ; et qaod mide faisis proinissis induxisset ut domos, parentes, et
omnia relinqnerent ; quod totam judaeorum gentem contra se susri-
tasset et se prodidibset. (5. Joan. Ckiysost. , in epist. priinam ad
Cor. homil. v, n" 4.)
SUR LA RELIGION. ^81
me forinelleinent renié ; qui ensuite le voyant expiré ,
tremblant que la persécution qui l'avait immolé ne s'é-
tendît sur eux , étaient restés enfermés dans le cénacle ,
nous les voyons tous unuiimement reprendre pour lui
un attachement nouveau. JNous voyons leur zèle tout à
coup ranimé, leur donner une force qu'ils n'avaient ja-
mais eue (Ij. Quels elVets extraordinaires et absolument
incroyables , la mort de Jésus-Christ aurait donc opérés
(i) Caeterum demas illos illam esse veneratos, quamdia cum ipsis
versatas cuminoiatii.sq'ie sit, et q>iamJia fal'aoiis eos , nt seimone
eorum utar , decipere potaerit, Cnr igitur post mortein, multo raagis
qnam ante, illum admirali sunt ? Narn in huiuanis dej^enleiii , et de-
seruisse et abnegasse olim dicuntur; cum ilii videlicet insidiae factae
snnt. Postquam vero in'er hutiiines esse desiit, alacres ipsi inori ma-
lebant qnam a vera de illo testificaiione arauveri. Si igitur praeoeptori
suo niillius boni eonscii eiant, non vitae, non di-'Cplinae. non actioiiis,
non operis alicujus , tandem mercnii, neque vero qadqaara ab
illo emulamenti perceperant , praeter unam jnalitiain et aliorara ho-
minuai deceptioi.em , qnamobrem lam prompte raorsebantur, dum-
modo de illo severa quae lam et insignia priedioarent. Cum intérim
illoriim nnicuiqne lireiet otiose vivere, et in prupiia dojuo niia cum
sibi carissim's secnrioiem mnito tutioiemque vitam agere. Fallaces
autem honiines et in fcaudibus versantes qaotnodo affectassent mori
pro .aUo, quera ipsi hoiuinem maxime certiss mejue novissent : prae-
sertim qni ipsis, ut sermone isturum ufar, nnilias buni auctor fais-
5et, sed contra [)Otiuâ omnis maluiie piaeceptor. (^ Etisebr ^ Deinonst.
evang. , lib. m. )
In confesse est apad oranes enm qni erga viventem hominem bé-
névole sit affectas, ipso mortuo, foitasse ne qnidem ejas meminisse ;
qai ve'O maie affeilus sit erga illum dum viveret , et snperstilem de-
serueiit , mnIto magis imniemurem defuncti futurnm. Quo fit ut nemo
qai amicum, magisnumet superstifem r^liquerit, ac deseiuerit, vita
fanctuni plnrimi faciat ; ac tum praecipne cnm , propter exhibitam in
eum benevolentiam mille peiicula sibi viderit imniinere. Ecre tameu
illad quod nulli accidit, in Cbristo et in discipuls evenit; et qni vi-
ventem illnm negaveranf, ac desernerant, et comprebensnm reliqae-
raiit, et aufugerani , post innnrnera illa opprohiia, et crucem , tanti
illum fecernnt,Qt pro ipsius confessione ei fide aninias eiiara suas ex-
ponerent. Eniin vero si mortnus fnissel Chri.->tns, neqne re.>uirexisset,
qni fieri potmsset, nt qui dum snpers'es es^et ob p^nculora imminens
fugerant, eo jam vita functo, propter illum mdle penculis se ipso»
objicerent. {S. Joan. Chrysost. homil. Cur in Pentecoste ^ etc. n° 8.)
282 DISSERTATIONS
sur eux I Ce qui devait les abattre est ce qui les encou-
rage ; ce qui devait anéantir toutes leurs espérances est
ce qui les relève ; ce qui devait éteindre leur amour pour
sa personne , est ce qui les réchauffe. Et ce n'est pas un
seul homme qui agit aussi contradictoiremeut à toutes
les idées, à tous les sentiments, à tous les principes;
c'est une multitude d'hommes qui tout à la fois se trouve
entraînée dans une conduite diamétralement opposée à
toute raison, comme à tout intérêt. Ce concert unanime
de tous les disciples de Jésus-Christ à attester sa résur-
rection contre leur conscience , est ce qui n'existe point
dans la nature^ un effet sans cause. C'est quelque chose
de plus répugnant encore, c'est un efïet contraire à tou-
tes les cauc^es qui e\istentdans la nature.
XXYII. Si , comme on le suppose ici , les apôtres sa-
vaient que leur maître était encore mort, ne devaient-
ils pas penser que d'autres pouvaient le savoir comme
eux? Quelques moyens qu'ils eussent pu prendre pour
dérober son corps, quelqu'un ne pouvait-il pas s'en être
aperçu? Quelque bien qu'ils l'eussent caché, ne pouvait-
il pas d'un moment à l'autre être découvert ? Et alors ,
à quoi ne s'exposaient-ils pas ? Ils venaient de voir la
manière cruelle dont leur maître avait été traité. Ils n'a-
vaient pas d'autre sort à attendre, en se rendant encore
plus ciiminels que lui , en se chargeant d'une iniposture
plus odieuse , en intentant l'accusation de déicide. Si la
résurrection n'était pas réelle , que l'on nous allègue un
motif qui ait pu porter à la publier ; que l'on nous en
non>me un qui n'ait pas dû en détourner.
XXVIII. Les disciples de Jésus-Christ ne donnent sur
sa résurrection que leur seul témoignage. Ils convien-
nent qu'après sa passion il n'a été vu vivant que par
eux (1). Mais ils joignent à leur récit des circonstances
(i) Hune Deus suvitavit «ertia die; et dédit cum inairifestum fieri,
non omni populo, sed testibus praeordinaîis a Deo , iiobis qui luau- ^
ducavimns, et bibimns cnm illo , posîquam resurrexii a tnortais.
(^ct. X, 40, 41.)
SUR LA RELIGION. 283
qui doivent le rendre croyable, et qui ne pouvaient pas
être inconnues à ceux à qui ils les racontent. Ce sont les
miracles qui ont accompagné ia mort de leur maître. Les
ténèbres répandues en ce moment , le tremblement de
terre, le voile dn temple déchiré , les tombeaux ouverts,
plusieurs morts ressuscites ; il élait impossible que les
Juifs à qui ces faits merveilleux étaient racontés, n'en
connussent pas positivement ou la vérité ou la fausseté.
Ils sont tellement extraordinaires , tellement éclatants ,
que, s'ils étaient vrais, ils avaient nécessairement frap-
pé tous les habitants de Jérusalem. C'était cinquante
jours après celui où on les disait arrivés , c'était en pré-
sence de tous ceux qui devaient en avoir été témoins,
que les apôtres les annonçaient. Si ces faits avaient été
faux, auraient-ils osé les rappeler aux Juifs ? s'ils l'a-
vaient osé , n'auraient-ils pas reçu, non pas un démenti,
mais autant de démentis qu'il y avait de Juifs à la fête ?
Si leur narration avait été ainsi démentie, leur prédica-
tion n'aurait-elie pas été arrêtée en même temps que
commencée?
De toutes ces raisons , il s'ensuit évidemment qu'il est
impossible de regarder les témoins de la résurrection
comme des imposteurs, et qu'il est au contraire très-
certain qu'ils étaient intimement persuadés de ce grand
miracle qu'ils publiaient. Nous avons vu aussi qu'il ré-
pugne d'imaginer que sur ce fait ils aient pu être abu-
sés. Dès qu'il est démontré qu'ils n'ont été ni trompeurs,
ni trompés , leur narration réunit toutes les qualités qui
produisent la certitude ; et il ne peut rester à un esprit
raisonnable aucun doute sur la vérité -de la résurrec-
tion.
XXIX. A cette première démonstration , ajoutons-en
une seconde. Ce n*est plus du témoignage des apôtres
que nous la tirons , c'est de l'opposition de leurs adver-
saires. Dans le chapitre précédent, pour prouver la vé-
LJté des autres miracles, nous argumentions de l'aveu
qui en a été fait par tous les premiers antagonistes de la
religion. La résurrection n'a pas été avouée de même ;
284 DISSERTATIONS
mais nous disons que ce qu'on y a objecté donne une prou-
vée aussi forte que pourrait l'être un aveu formel. Si on
n'a pu opposer au témoignage des apôtres qu'un fait
non-seulement incroyable et invraisemblable, mais ab-
solument impossible , il en résulte manifestement que le
récit des apôtres est véritable. Je prie que l'on se rap-
pelle ce que j'ai observé ci- dessus : que l'on ne peut au-
jourd'hui alléguer d'autre fait pour combattre la résur-
rection , que celui qui fut avancé dans le temps ; et que
les chrétiens, d'une part, leurs ennemis de l'autre,
ayant constannnent et uniquement insisté sur leurs nar-
rations respectives, la fausseté de l'une prouve la vérité
de l'autre. Or , la fable de l'enlèvement du corps de
Jésus-Christ , qui est la seule chose qu'on ait opjosée
anciennement au fait de la résurrection , réunit la dou-
ble impossibilité et morale et physique. Il est morale-
ment impossible que les apôtres l'aient tenté , et physi-
quement impossible qu'ils l'aient exécuté.
XXX. Je pourrais d'abord observer qu'il est déraison-
nable d'imputer une action aussi hardie à des hommes
aussi timides que s'étaient montrés jusque-là les apôtres.
Qu'est-ce qui aurait pu leur inspirer un courage aussi
subit et aussi extravagant , précisément à la mort de
leur maître? C'est déjà une première impossibilité, que
des hommes faibles et lâches tentent une entreprise qui
va jusqu'à la témérité. Mais passons sur cette première
considération , et supposant les apôtres le contraire de
ce qu'ils étaient , voyons combien d'impossibilités ont
nécessairement empêché le coup qu'on leur impute (1).
(i) Quomodi) .lUlem fnreiiteni populum .'•ustinuissent ? Si namque
coryphîeas ipsoruni oaliaiiae mnlitris verbiira non tulit ; et ti rtliqtii
illiim vinclum videnles dispersi snnt, qnoniodo in animuiu induxis-
sent ad exirema oibis accurreie , ut firtum ressuireclionis verbam
plantarent ? Si enira ille adversus mulieris rainas non stetit , neque
illi ad vinculorum con>peclain, quomodo poterant adversus reges et
principes, et populo srare, ulli gladii, sai tagines, fornares, et mille
qnotidie mortes, nisi ejus qui resnrrexerat viituie et gratia adjuti
fuissent. (S. Joan. Chrys. in Matt. homil. lxxxix; al. xc, n" i,)
SUR LA RELIGION. 285
XXXI. Le nombre seul des complices d'une telle en-
treprise présente une impossibilité. Quels que soit ceux
des disciples que l'on voudra accuser île cet enlève-
ment furtif , ils ne l'ont certainement pas su tout seuls.
Tous ceux qui ont déclaré avoir vu Jésus-Christ ressus-
cité , tant hommes que femuies, ont dû être dans leur
secret. On n'aurait pas pu les engager à cette fausse dé-
claration , sans leur faire voir clairement qu'on était
maître du corps, et qu'il ne serait jamais représenté.
Est-il raisonnable d'imaginer qu'on ait pu faire à plus
de cinq cents personnes une aussi périlleuse confidence?
Et quand la leur auiait-on faite ? Avant l'eulèvement?
Mais entre l'heure de la sépulture et celle où le tombeau
s'est trouvé vide , il ne s'est pas écoulé assez de temps
pour se concerter avec tant de gens , pour les persuader ,
pour s'assurer d'eux. Après l'enlèvement? Mais, pour
exécuter un coup aussi hardi , il faut connnencer par
être bien sûr de tons ceux, sans exception, qu'on met
dans le secret. Un seul qu'on n'aurait pu gagner, ou
qui se serait repenti, non-seuleinent aurait détruit tout
l'elfet de l'entreprise, mais aurait livré les auteurs aux
plus justes et aux plus rigoureux supplices. Que d'im-
possibilités morales dans cette supposa on ! Impossibi
lité de la confidence à lant de monde; mpossibilité de
consentement de tant de monde ; impossibilité de la
persévérance de tant de monde dans un tel complot.
Que l'on considère encore que l'umque but de tous ces
criminels associés aurait été détromper tout le monde,
(|ue l'unique intérêt de chacun d'eux aurait été de dé-
couvrir le fatal secret, pour éviter le supplice qui les
menaçait , et pour obtenir les récompenses qui auraient
suivi la révélation (1;.
(i) Si eniin militibus pecniàara dffd.-rant judaei ut direrent ipsos
corpus fiirto sustaiisse, si Iran.-enntes dscipuli dixisscnt, :psnni iu-
rati suinus, (juanto non afferJi fuissent honore ? Ipsis itaqiie licebdt
honorari etcoionari. dur ergo contaiu«liis allici , et peiiditari ma-
Ineiant? nisi diviiia quaed»m viuus fuisse! bis oinniLus poienlior ,
286 DISSERTATIONS
XXXII. C'est , dit-on , pendant le sommeil des gar-
des que Tenlèvement a été effectué. Des hommes endor-
mis, voilà les seuls témoins contre les disciples. 11 est
physiquement impossible que, ans cet état, ils aient
su ce qui avait été fait , et par qui il l'avait été.
XXXIII. Pour entreprendre une action aussi hardie
et aussi dangereuse, il fallait être sur, d'abord, de
trouver la totalité des gardes endormis; ensuite, de ne
réveiller aucun d'entre eux , de pouvoir briser le sceau,
rouler l'énorme pierre qui fermait le sépulcre, prendre
le corps, se retirer en l'emportant , le tout si légèrement,
si doucement, que , de tous les gardes répandus autour
du tombeau , aucun n'eut été retiré de son sommeil par
le mouvement et par le bruit. La tentative d'une telle
entreprise par des êtres raisonnables est impossible mo-
ralement ; le succès est impossible physiquement.
Ce n'était pas Pilate , c'était le sanhédrin qui avait
choisi les gardes du tombeau. La Providence l'avait ar-
rangé ainsi , pour écarter tout soupçon à leur sujet (1).
Ils V avaient été placés précisément parce qu'on pré-
voyait que les disciples de Jésus pourraient venir enlever
son corps pour publier ensuite sa résurrection. On peut
juger que les chefs des Juifs avaient eu soin de prendre
les soldats les plus incorruptibles , les plus vigilants, les
plus attachés à leur parti , les plus propres , en un mot
à empêcher la fraude qu'ils craignaient. On peut penser
qu'ils leur avaient donné les ordres les plus positifs , la
consigne la plus sévère. La mission de ces gardes était
courte : elle ne devait durer que jusqu'au troisième jour.
Ainsi ils n'avaient à passer auprès du tombeau que la
journée du samedi et la nuit du dimanche. C'était sur-
qaae ipsis peisaaderet? (.5. Joan. Chrys. ^in priinam epist. ad Cor.,
homil. V , n° 4.)
(i) Tu vero animadverte quomodo gestis sais abiqae capiantnr.
Si enim Pilalnm non adiissent nec CDstodiam petiisiciit , facilias po-
tais-ent haec iinpodenter asseveraie. Nunc vero non item. (^. Joan.
Chijs. l'n Matth. boinil. xcj al. xcx, n° r.)
SDR LA RELIGION. 287
lout pendant celte nuit qu'ils devaient être sur leurs gar-
des, puisque c'était le temps où l'enlèvement était le
plus facile. Veiller une seule nuit, n'est pas une chose
pénible à des hommes rohustes. Il aurait même , à la
rigueur, suffi qu'un d'eux restât éveillé. Espoir de la
récompense, crainte du châtiment, tout les engageait
à être fidèles ; et cependant ils s'endorment dans cette
nuit si précieuse , ils s'endorment si profondément ,
que le grand bruit qu'on a dû faire autour d'eux ne
peut les réveiller. Il est moralement impossibl de sup-
poser un sommeil aussi général , aussi profond , avec
toutes les raisons qu'ils avaient de ne pas dormir.
XXX ly. La manière dont on prétend que les apôtres
ont exécuté leur coup supposent en eux deux choses
contradictoires , une dextérité incroyable pour tirer su-
bitement le corps du tombeau , et une extrême mala-
dresse dans leurs mesures. On veut qu'ils aient perdu
la nuit du vendredi au samedi , temps où il n'y avait
pas encore de gardes au tombeau, et qu'ils soient ve-
nus dans la nuit suivante , lorsque le tombeau était
entouré de soldats (1). Du moment où le sépulcre a été
gardé , l'enlèvement a été impossible ; et c'est alors qu'on
veut qu'il ait été exécuté. Il faut , de plus , dire qu'après
être venus à bout de retirer le corps du tombeau . au heu
de se retirer sur-le-champ , comme ils devaient en être
très-pressés , et d'emporter le corps dans l'état où il était ,
les disciples se sont amusés à déposer les linges , et à
les remettre en ordre, et qu'ils ont perdu à cette
inutile opération un temps qui devait leur être bien
précieux.
Ce ne sont pas encore là toutes les absurdités qu'il est
nécessaire de dévorer, en soutenant la fable tissue par
(i) Cor antem non piius faratisnnt, sed posjqnam vos acce^se-
ratis? Etenim si illnd facere volebant , (om nondum castodiretnr se-
pulcrom, id in prima nocte fecisicnt , cura id tuto et id sine periculo
fieri posset. Nam sabbato accedentes cnsfudiam a Pilato peliernnt,
et cnstod're cœperunt. Prima vero nocte nemo istorum sepnlcro
aderat. {S. Joann. Chqrs. , in Matth. , homil. xc; al. xci, n° i. )
288 DISSERTATIONS
le sanhédrin, Si le fait est véritable, il y a deux sortes
de grands coupables , les gardes et les apôtres. Voyons
ce (|ui leur va arriver.
XXW. Les soldats conviennent et répandent qu'ils
se sont laissés aller au sonuneil et qu'ils ont laissé eni-
porterpendantce temps le corps qu'ils étaient chargés de
garder. Ils sont donc convaincus par leur propre con-
fession d'une faute très-grave et très-punissable. On
sait combien sont sévère les peines contre les militaires
qui manquent à leur consigne. Nous voyons, très-peu
de temps après, Hérodc envoyer au supplice les soldats
qu'il avait chargés de la garde de saint Pierre , parce
que cet apôtre avait été tiré miraculeusement de sa pri-
son (1). L'enlèvement du corps de Jt'sus-Christ était d'u-
ne bien plus grande conséquence , le délit de ses gar-
des bien autrement grave, l'intérêt du sanhédrin à les pu-
nir infiniment plus grand. Sa confiance trahie^ l'enlève-
nsent qu'il avait voulu prévenir , effectué ; les précau-
tions qu'il avait prises, rendues inutiles et tout cela par
le délit de ses propres satellites, devaient le pénétrer
d'indignation conLre eux. Il avait tout pouvoir de leur
infliger un châtiment si bien mérité, et cependant il
n'en fait rien, il ne leur inflige pas la plus légère puni-
tion, il ne leur faits pas la moindre réprimande. Il est
encore moralement impossible de donnera cette indul-
gence des chefs de la nation un motif, en continuant de
les supposer convaincus de la réalité de l'enlèvement.
XXXYL Et les apôtres sont encore bien plus crimi-
nels. La haine contre eux , déjà bien forte , doit être
portée à son comble par ce trait de scélératesse. Les
soins qu'on s'est donnés, les précautions que l'on a pri-
ses pour prévenir cet attentat , annoncent les peines ter-
ribles dont on le piuiira quand il aura été commis. Mais
quoi I on ne leur dit rien , on ne les recherche point , on
(i) Heiodes, cnm rtqnisisset eura el non iiivenisset , inqnisitione
faeta de ciisiudibus. jussit eus duci. (y4ct. xv , 19.)
SUR LA ilELIGION. 289
ne les juge point, on ne lespunitpoint. Que l'on nous dise
ce qui a pu enipèclier de les poursuivre sur un crime aussi
capital, aussi intéressant pour les chefs de l'état , aussi im-
portant pour le maintien de la relijjion. Il est , nous le ré-
péterons toujours , moralement impossible d'en indiquer
une autre cause, que la certitude où était le conseil, de
la fausseté du fait qu'il avait lait répandre; et que sa
persuasion que Tenquète qu'il entreprendrait, au lieu
d'inculper les apôtres , tournerait contre lui-njème.
XXXyiI. ïl y a plus encore. Quelques semaines après,
les apùtres annoncent hautement dans Jérusalem , à tout
le peuple qui y est rassemblé, la résurrection de leur
maître. Dès leurs premières prédications, trois mille,
cinq mille sont convertis. De nombreuses conversions
amènent chaque jour à la religion naissante de nouveaux
prosélytes. Le sanhédrin commence à s'effrayer de ce
prodigieux succès, il se détermine à mander les apôtres.
11 va donc, sans doute, s'ouvrir enfin ce procès si im-
portant entre les deux relations opposées. Les apôtres
vont être interrogés sur le crime de l'enlèvement. L'hon-
neur des membres du conseil accusés de déicide, et l'in-
térêt de la religion ébranlée , rendent indispensable une
information juridique. En convaincant les apôtres de ce
fait si grav« , par ce seul coup on fait tomber leur pré-
dication , on anéantit leur parti , on ramène tous ceux
qu'ils ont déjà pu séduire. Mais non : il ne sera pas dit
un mot de ce prétendu délit. Le seul reproche fait aux
apôtres est de prêcher la résurrection. Il n'est nullement
question de ce qui aurait été infiniment plus grave , de
l'enlèvement du corps pour supposer la résurrection. Un
laisse cette accusation circuler dans le pubhc , où elle
ne peut pas être vérifiée : on ne la porte pas au tribu-
nal qui aurait le droit, les moyens^ l'intérêt de la cons-
tater. Admirons le contraste entre la manière dont les
apôtres soutiennent leur témoignage de la résurrection ,
et celle dont les chefs des Juifs répandent leur récit de
l'enlèvement. Les apôtres prêchent hautement en tout
lieu que leur maître est ressuscité. On le leur défend ,
Dis$erl. sur la Relig, 13
290 DISSERTATIONS
et ils le prêchent encore , on les en punit , ils continuent
toujours de le prêcher. Rien ne les arrête. Devant le
tribunal, dans la prison , sous les coups, ils font cons-
tamment retentir leur prédication. Le conseil des Juifs ^
revêtu de la puissance, ne fait jias la plus légère men-
tion du fait de l'enlèvement. Il le fait répéter de Lou-
che en bouche , comme un bruit populaire et vague : il
n'ose pas lui donner la consistance d'une enquête, ni
même celle de sa propre assertion. A cette fermeté , à
cette confiance des faibles, à cette mollesse , à cette ti-
midité des puissants , il est impossible de ne pas recon-
naître d'un côté, la certitude du fait annoncé ; de l'au-
tre , la persuasion que celui qu'on fait circuler ne sou-
tiendrait pas l'examen.
XXXA'^lir. Yoici un fait qui prouve plus positive-
ment encore que le grand conseil ne croyait pas lui-mê-
me la fable de l'enlèvement. Dans une des comparutions
des apôtres devant cette assemblée , irrités de l'intrépide
fermeté avec laquelle Pierre, à la tête de ses frères,
soutenait la vérité de la résurrection , les membres du
tribunal pensaient à les faire tous périr ; mais vm doc-
teur de la loi, nommé Gamaliel, personnage fort con-
sidéré dans la nation , cita plusieurs exemples de partis
qui depuis peu s'étaient d'abord élevés , et ensuite
avaient été promptement dissipés. Prenez garde , dit-il,
à ce que vous allez faire de ces hommes. Si leur entre-
prise vient des hommes , elle se dissipera d'elle-même ;
si elle vient de Dieu , toute votre puissance ne pourra la
faire échouer. Craignez de vous trouver en contradiction
avec Dieu. Tous les autres consentirent à ce qu'il pro-
.posait. On se contenta de défendre aux apôtres^ après
les avoir fait battre de verges, de parler désormais au
nom de Jésus (1). Si le récit des gardes sur l'enlève-
(i) HiPc cnni aucli>sent dissecabantur , et cogitabant interficere
illos. Surgens auteiu quidam in consilio pharisaeos, nomine Gamaliel,
legis doctor, bonorabilis nniversae plebi , jussit foras ad brève horai-
.nesfieri; di:&itque ad illos : Viri isiaeliiœ, aUendite vobis super bo-
SUR Là religion. 291
ment eût été cru dans le sanhédrin, Gamaliel y eût-il
opiné ainsi ? S'il l'eût fait , comment sa proposition eùt-
elle été reçue? Des juges persuadés que les apôtres
étaient des fourbes adroits et hardis , qui , après avoir
dérobé un corps mort , publiaient sa résurrection , les
auraient-ils laissés échapper de leurs mains, par la con-
sidération que leur prédication pouvait venir de Dieu ?
D'après ce fait, il est, nous le répétons encore, mora-
lement impossible que celui de l'enlèvement fût cru ,
même de ceux qui en avaient fait répandre le bruit.
On renouvellera peut-être ici l'objection que cette
conduite du sanhédrin envers les apôtres ne nous est
connue que par les apôtres eux-mêmes. Nous répéte-
rons la réponse que nous avons déjà donnée, que St.
Luc écrivait ce fait , lorsque peut-être Gamaliel, lors-
que au moins quelques autres membres du conseil vi-
vaient encore. Aurait-il osé devant eux écrire aussi pu-
bliquement un fait faux qui les concernait ? S'il l'avait
osé, n'aurait-il pas été démenti ? Si sur les faits qu'il rap-
portait il eût été contredit aussi fortement, la religion
aurait-elle pu s'établir ? Et s'il y avait eu une dénégation
de ce fait, les écrivains des siècles suivants, ennemis du
christianisme , l'auraient sue et l'auraient rappelée. Il
n'est plus permis, après dix-huit siècles, de venir nier
ce qui a été cru ^ dans le temps, de tous ceux qui étaient
intéressés soit à le soutenir , soit à le contester.
La narration des Juifs sur l'enlèvement du corps de
Jésus-Christ est donc aussi évidemment fausse, que le
témoignage de ses disciples sur sa résurrection est évi-
demment vrai ; ce qui forme de la résurrection deux
démonstrations, l'une et l'autre complètes, et qui se don-
rninibas istis qnid actari sitis.... Et nanc itaqae dico vol»is : Diicedite
ab hominibus istis : et sinite illos : qaoniain si ex horainibns consi-
liurn est hoc aut opns, dissolfeîur : si vero ex Deo est, non pote-
ritis dissolvere illud : ne forte et Deo repngnare inveniamini. Con-
senserant aalern illi ; et convocantes apostolos, ra?sis denuntiavernnt
ut ne omnino loqaerentur in nomine Jes'j, et dirais«jrunt eus. (Âct. v,
'i3 et seq. )
292 DISSERTATIONS
nent encore réciproquement une grande force. Ripre-
nons-les en peu de mots.
XXXIX. Les témoins de la résurrection n'étaient ni
des visionnaires et des insensés, ni des fourbes et des
scélérats. Ce n'est pas sur des ouï-dire qu'ils parlent :
ce qu'ils annoncent , ils l'ont vu , entendu , touclié , non
pas une fois , mais à plusieurs reprises et pendant qua-
rante jours consécutifs. Ils publient la résurrection dans
le temps, dans le lieu où elle vient de s'opérer, au mi-
lieu d'une multitude nombreuse, à la face de tous les
hommes puissants qu'ils accusaient hautement de déi-
cide, et qui à un intérêt majeur de les punir joignaient
les moyens les plus faciles. Il est impossible qu'un si
grand nombre d'hommes se soient concertés pour un
mensonge auquel ils n'avaient pas d'intérêt ; plus im-
possible encore que , dispersés dans différents pays , ils
ne se fussent jamais ou coupés eux-mêmes , ou contre-
dits entre eux sur un fait faux ou sur ses circonstances ;
souverainement impossible que tous , sans exception ,
eussent soutenu invariablement une imposture au mi-
lieu des contradictions, des persécutions, des humilia-
tions, des tortures , sachant qu'une rétractation les déli-
vrerait de leurs maux affreux et leur procurerait de
grands biens. On n'a pu dans le temps, et on ne peut en-
core aujourd'hui combattre leur témoignage qu'à l'aide
d'une fable mal tissue , dont les témoins avouent qu^ils
étaient endormis. Jamais , avec la plus légère dose de
sens commun, les apôtres n'auraient iniagijié de tenter
le crime dont on les accuse. Jamais, timides comme ils
l'étaient, ils ne l'auraient osé. En eussent-ils eu l'extra-
vagante témérité^ jamais ils n'eussent pu l'effectuer.
Leurs juges, qui étaient en même temps leurs ennemis ,
n'ont osé punir ni eux de l'avoir commis , ni leurs sol-
dats de l'avoir laissé commettre contre leur consigne. Ils
ne l'ont pas même publiquement reproché. Ils se sont
même arrêtés sur la représentation que le témoignage
pouvait venir de Dieu. Quel fait dans l'histoire des siè-
cles réunit autant de motifs de certitude? Y en a-t-il un,
SUR LA REUGION. 293
même des plus indubitables, dont on puisse comparer
l'évidence à celle de la rt'surrectiou ?
XL. Passons maintenant à l'examen des difticultës
qu'élèvent les incrédules de nos jours, pour énerver
la force de nos démonstrations. « Ils objectent d'abord
u l'embarras , la confusion , les contradictions même ,
<« disent-ils, qui se trouvent dans les récits des évangé-
« listes, compara les uns aux autres. Celui-ci rapporte
« des apparitions dont celui-là ne parle pas : ils varient
a tellement dans les circonstances, qu'on ne peut les
« faire cadrer entre elles. 11 y en a même de rapportées
.« par tel évangéliste , qui détruisent celles qui sont ra-
.< contées par les autres. Quelle foi, disent les déis-
M tes, peut -on ajouter à une histoire si mal arran-
" gée ? »
XLI. Nous discuterons dans un moment en détail les
diverses objections sur le récit des apparitions, mais
il est bon de faire auparavant quelques observations.
On ne peut pas dire qu'il y ait de la contradiction en-
tre les évangélistes, parce que les uns rapportent des ap-
paritions et des circonstances que les autres passent sous
silence (1). Il n'est jamais venu à l'esprit de qui que
ce soit que deux historiens se contredisent , parce que
l'un mentionnent des faits ou des particularités , dont
l'autre ne parle pas (2;. Si on admettait cet extraordi-
naire principe, il ne faudrait rien croire en fait d'his-
toire.
(f) Muliis niodis Dorainus Jesas post ie^urrectioneru apparuit £i-
delibus hiiis. Hdbiierunt nnde >ciirjerent oiunes evangelistœ , sicut eis
snbtiiinistrabat spiiitns recorda tioni s re;uni qnas scnberent. Alias
aiiuddixit, alins aliud. Praetermitlere aliquis potuit aliquid verora :
iiOM dicere al.qaid falsnm. (5". August. serin, ccxlvj , de Festis
Pasch. 17; al. X.IX , n° i.)
(2) Si con'raria, inqiiit, inler se scripta eorom reperiuntur, mali-
gni malo studio legitis : stiilti non inleiligitis : cyci non videtis....
Qnis eniiu up.qiiam duos historicos legeiis de nna re scribentes,
uirumqiie, aut utrumlibtt eorum , aot failere , ant fal'i aibitralas est;
aot ai al:er aliquid brevias complexus est, earad^m taroen sententiam
294 DISSERTATIONS
Rappelons-nous ce qui a été dit ailleurs , que l'objet
des évangélistes était d'écrire non une histoire suivie de
Jésus-Christ, mais des mémoires sur sa vie (1). Il y a
eu conséquence de la variété dans leurs récits , les uns
rapportant des faits que les auties omettent, ceux-ci ra-
contant après ce que les autres ont raconté aupara-
vant. C'est surtout dans la partie de l'histoire sainte qui
suit la mort de Jésus-Christ , que l'on remarque ces dif-
férences. Les évangélistes , rapportent les faits d'une
manière très— concise. Quelle en est la raison ? Nous l'i-
gnorons. Il paraît qu'ils se sont principalement attachés
à rapporter la manière dont la certitude de la résurrec-
tion est venue d'abord aux saintes femmes, et ensuite
aux apôtres qui avaient peine à y croire. Il résulte effec-
tivement, de cette manière de raconter, quelque con-
fusion dans les récits.
Mais cet embarras doit-il empêcher de les croire ?
Je prétends au contraire qu'il confirme la vérité de leur
récit. Si les évangélistes avaient été des trompeurs, ils
se seraient gardés de ces variétés ; rien ne leur était plus
aisé , puisqu'ils écrivaient à quelques années de distan-
ce les uns des autres. Ces diversités montrent leur sin-
cérité ; et puisqu'on les explique et qu'on les concilie par-
faitement, il est impossible de les opposer à leur récit.
Rapprochons, pour faire conciliation , leurs quatre nar-
rations.
XLII. Jésus-Christ étant mort le vendredi , vers la
la neuvième heure (2) , c'est-à-dire environ à midi ;
Joseph d'Arimathie vint le soir demander son corps à
Pilate, et l'ayant obtenu, il l'enveloppa d'un linceul ,
le plaça dans un tombeau neuf, taillé dans le roc , et
salvam integramqae custodiens, alter autem tanquaro membratiin
cuncta digessit, et non solum qaid factum sit, vernm etiain qnemad-
modum factura sit intima! et. {S. August. contra Faiistiuriy Lb. xxxm,
cap. 7.)
(i) Voyez première dissertation , n° lix, page 107.
(2) Matlh. xxvu, 46, Marc, xv, 54; Luc. xxni, 46.
SUR LA. RELIGION. 295
mit une pierre sur l'ouverture du tombeau (1). Marie-
Madeleine, et une autre Marie, que St. Marc dit être
mère de Joseph , et selon St. Luc, les femmes qui avaient
suivi Jésus depuis la Galilée , vinrent reconnaître k
tombeau et observer la manière dont avait été placé le
corps (2). Ensuite elles retournèrent , afin de préparer
des parfums pour l'embaumer ; mais elles se tinrent tran-
quilles, selon le précepte, tout le lendemain, qui était le
jour du sabbat (3). Nicodème vint alors , soit qu'il n'eût
pas osé venir plus tôt par la crainte des Juifs, étant disciple
de Jésus seulement en secret, soit qu'il lui eût fallu ce
temps pour préparer cent livres de myrrhe et d'aloès
qu'il apportait ; et s'étant joint à Joseph d'Arimathie, ils
embaumèrent avec ces aromates le corps de Jésus , et le
remirent dans le tombeau (4;. Yoilà tout ce qui se pas-
sa le vendredi après la mort de Jésus-Christ.
Le lendemain , qui était le jour du sabbat , les chefs
des prêtres allèrent demander à Pilate une garde pour
empêcher qu'on ne vint enlever le coi-ps de Jésus-Christ.
Pilate leur ayant dit de garder le coi-ps comme ils l'en-
tendraient , ils placèrent des gardes auprès du tombeau
et apposèrent le scellé sur la pierre qui le couvraient (.5;.
Selon quelques interprètes , le soir de ce même jour,
d'après notre manière de compter , lequel dans celle des
Juifs était le commencement du dimanche, lorsqu'il
faisait encore clair, deux saintes femmes, Marie-Made-
leine et une autre Marie vinrent voir le sépulcre (6).
D'autres interprètes, entendant autrement l'expression de
saint Matthieu, disent que ce fut au point du jour du
dimanche que ces deux femmes allèrent au tombeau ;
(i) Matth. xxvit , 57 et seq. ; Marc, xv, 4^ et seq. Luc. xxm
43 et seq. ; Joann. x:x, 38.
(2) Ma'th. XXVII, 61; Marc, xv , 47; ^^c. xxiu, 4^.
(3) Luc. xxin , 36.
(4) Joann. xix , 39 et seq.
(5) Matth. xxvrt, 6r et seq.
(6) Mal th. xxvm, i.
^^" DISSERTATIONS
et dans leur interprétation , la visite rapportée par
saint Matthieu rst la même que celle dont les autres
evangélisles font mention, et dont nous allons parler.
iNous n'avons pas ici à examiner cette question qu'agi-
tent les commentateurs, et qui est indillérente à celle
que nous discutons contre les incrédules.
Le jour du sabbat étant passé, Marie-Madeleine , iMa-
rie, mère de Jacques, et Salomé , acbetèTent des par-
lums , dit saint Marc , pour embaumer Jésus ; et le di-
manche de grand matin elles vinrent au tombeau , b so-
leil étant déjà levé (l). Saint Luc ne nomme pas ces
femmes ; il dit que celles qui étaient venues de Galilée
avec Jésus vinrent au tombeau à la pointe du jour,
portant les parfums qu'elles avaient préparés (2). Saint
Jean ne fait mention que de Marie-Madeleine, et dit
qu elle vint lorsqu'il faisait encore nuit (3). Le long de
ia route, ces femmes, embarrassées, se demandaient
entre elles : qui est-ce qui ôtera la grosse pierre qui fer-
me le sépulcre (4)? Mais en arrivant elles trouvèrent
que la pierre avait été ôtée (4). Il était survenu un prand
événement qui n'est rapporté que par St. Matthieiî. Un
tremblement de terre s'était fait sentir auprès du tom-
beau. Un ange avait écarté la pierre et s'était assis
dessus ; son regard était semblable à l'éclair , et ses vête-
ments brillants comme la neige. Cet aspect épouvanta
les gardes, qui restèrent d'abord comme morts (6). Ils
senluirent bientôt après; et quelques-uns d'entre eux
allèrent dans la ville rapporter aux princes des prêtres
ce qui s'était passé, et en reçurent de l'argent pour pu-
blier que les disciples étaient venus pendant leur som-
meil enlever le corps (7). Ainsi les saintes femmes ne
(r) Maic. xvt , r,
(î) Lnc. XXIV, I.
(3) Joann. xx', i.
(\) Marc, xvr, 3,4.
(5) Marc. XVI, 4; Luc. xxiv,2; Joann. xx, i.
(6) MgiUh. xxvuf , 2 et seq.
(7) Mat'Lj. xx/ir, n el seq.
SUR LA RELIGION. 297
trouvèrent plus ni la pierre sur le tombeau, ni les fjar-
cles au près. Il paraît , par le récit de saint Jean , que
Marie-Madeleine , à cette vue , ne se donna pas le teujps
d'examiner le sépulcre , et courut sur-le-champ trouver
saint Pierre et saint Jean , auxquels elle dit : ils ont en-
levé le Seigneur du tombeau , et nous ne savons pas où
ils l'ont mis (1). Saint Marc et saint Luc rapportent que
les autres femmes entrèrent dans le tombeau et n'y trou-
vèrent pas le corps ; mais elles virent, selon St Matthieu
et St 31arc , un ange ; selon St. Luc , deux anges qui
leur dirent de n'avoir pas peur, leur annoncèrent que
Jésus était ressuscité, et les chargèrent d'en faire part
aux apôtres , en leur recommandant d'aller en Galilée ,
où ils le verraient, ainsi qu'il le leur avait prédit (2).
Saint IVJatlliieu et saint Luc disent que ces femmes cou-
rurent sur-le-champ raconter la chose aux apôtres. Saint
Marc dit qu'elles n'en dirent rien à personne (3).
Cependant saint Pierre et saint Jean, sur le rapport de
Madeleine, coururent au sépulcre : ils y entrèrent l'un
après l'autre , trouvèrent les linges déposés, et le suaire
qui couvrait la tète plié à part dans un autre endroit, et
ils s'en retournèrent (4). Madeleine qui les avait suivis
mais qui n'avait pas couru aussi vite , resta auprès du sé-
pulcre , pleurant. En regardant dedans, elle vit deux
anges qui lui demandèrent le sujet de ses larmes ; elle
répondit que c'était l'enlèvement de son maître. En di-
sant ces paroles elle se retourna , peut-être à cause de
quelque bj uit qu'elle entendit , et aperçut un homme
qu'elle prit d'abord pour un jardinier , mais qui se fit
reconnaître pour Jésus lui même , et elle alla aussitôt ra-
conter aux apôtres qu'elle avait vu le Seigneur et ce qu'il
(i) Joann. xx, 2.
(a) Matih. xxvin , 5, 6, 7 ; Marc, xvr, 5, 6, 7 ; Luc. xxiv^ 4 et seq.
(3) Matth- XXVIII, 8; Marc, xvi, 8; Luc. xxiv, 10.
(4) Joann. xvx , 3 et seq. ; Lac. xxiv, la.
13*
•2^ Dissertations
lui avait dit (Ij. Saint Luc dit que ce fut là la première
apparition de Jésus ressuscité (2).
Pendant que cela se passait, les autres saintes fem-
mes , dont Madeleine s'était séparée , et qui retournaient
à la ville, partagées entre la frayeur que leur avait cau-
sée la vue de l'ange, et la joie que leur inspirait la nou-
velle qu'il avait annoncée, eurent aussi le bonheur de
voir sur leur chemin Jésus-Christ , qui leur parla et à qui
elles baisèrent les pieds (3). Ce fut la seconde appari-
tion. Alors toutes ces femmes se réunirent pour attester
aux apôtres la résurrection ; mais ils ne la crurent pas
encore (4). Tel est Tordre des apparitions de Jésus-Christ
aux saintes femmes.
Il apparut pour la troisième fois le même jour à St.
Pierre. St. Luc en fait mention, et St. Paul aussi ; mais
ils ne donnent aucun détail (5j.
La cjuatrième apparition fut faite à deux disciples sur
le chemin d'Emmaùs. Saint 3Iarc en dit un mot , et St.
Luc la rapporte avec détail (6).
Malgré tous les rapports qui leur venaient de tant de
côtés non suspects, les apôtres ne voulaient pas encore
croire la résurrection de leur maître ; mais il apparut à
eux-mêmes réunis dans le cénacle, leur parla, leur re-
procha leur incrédulité , leur conféra le pouvoir de re-
mettre les péchés, se fit toucher par eux , leur fit con-
naître toutes les écritures qui annonçaient sa passion et
sa résurrection , et les convainquit ainsi qu'il était plei-
nement ressuscité (7). Ce sont là toutes les apparitions de
ce premier jour.
(i) Joann. xvi, 21 et seq.
(2) Marc. XVI, g.
(3) Matth. xxviii, 9, 10.
(4) Lac, xsiv ,11.
(5) Lac. XXIV, 34; Prima ad Cor. xv, 5.
(6) Marc, xvx, 12; Luc. xxrv, i 3 et seq.
(7) Marc, xvr, 14; Lac. xxiv , 36 etjeq; Joann. xx , 19 el »eq.
SDR LA. RELIGION. 299
Saint Thomas n'était pas avec les autres apôtres ce
jour-là, quandJésus-Ciiristse montra à eux. Il ne vou-
lut pas ajouter foi à leur récit unanime. Huit jours après
Jésus-Christ convainquit son incrédulité en apparaissant
au moment où il était avec tous les autres, et en lui fai-
sant mettre les doigts dans ses plaies (1).
Outre ces six apparitions , les évangélistes font encore
mention de plusieurs autres. Saint Jean dit que la troi-
sième , faite aux disciples réunis, laquelle se trouverait
être la septième de toutes , fut sur le bord de la mev de
Tibériade. Là se fit une pêche miraculeuse ; Jésus men-
gea avec ses disciples, et donna à St. Pierre le pouvoir de
paître son troupeau •2}. Saint Matthieu fait mention
d'une autre apparition sur une montagne de Galilée (3;.
Enfin saint Matthieu, St. Marc et St. Luc parlent de la
dernière , au moment de l'ascension , où Jésus donna
aux apôtres ses derniers ordres , et leur conféra ses pleins
pouvoirs (4).
Mais il ne faut pas croire que ce soient là toutes les ap-
paritions de Jésus-Christ, entre sa résurrection et son as-
cension. Saint Paul fait mention d'une, dont furent té-
moins plus de cinq cents frères, d'une autre à saint
Jacques en particulier , et encore d'une autre à tous les
apôtres (5). Et nous lisons , au livre des Actes, que pen-
dant quarante jours après sa passion Jésus se montra vi-
vant à ses apôtres dans beaucoup d'occasions, leur ap-
paraissant et les entretenant du royaume de Dieu (6). Ce
qui suppose que pendant ce temps il vécut beaucoup
avec eux, et se fit voir à eux très-fréquemment.
Le développement que nous venons de donner, né-^
cessaire pour éclaircir ce que la différence des relations
(i) Joann. xx , 26 et serj.
(a) Joann. xxi, i et seq.
(3) Matih. xxvm, 16.
(4) Matih. xxvm, 18, ig, ao; Marc, xvr, i3 et seq.; Lac. xxiv, 5o.
(5) X. Cor. XV , 6, 7.
(6) Act. 1,3.
300 DISSERTATIONS
présente d'obscur , l'était aussi pour répondre à une
p^rande partie des objections de l'incrédulité contre le
lait de la résurrection , auxquelles nous allons passer.
XLIII. On nous oppose d'abord l'embaumement du
corps de Jésus-Cbrist. « Si les disciples, dit-on. savaient
< qu'd devait ressusciter au bout de trois jours, s'il
.. l'avait publiquement prédit, si les Juifs eux-mêmes
« en étaient informés, de quelle utilité était-il d'en-
<( baumer son corps? D'ailleurs, il y a, à cet égard, de
i< la contradiction entre les récits des évangélistes.
« Selon St. Jean , Jésus - Christ détaché de la croix
M fut enseveli et embaumé par Joseph d'Arimathie et
.« par INicodeme. St. Matthieu, St. Marc et St. Luc
«< disent que cela se fit en présence des femmes venues
« de Galilée avec Jésus. St. Matthieu et St. Marc nom-
« ment spécialement Marie - Madeleine , et une autre
« Marie, qui était mère de Joseph. Cependant St. Marc
«( et St. Luc font revenir ces mêmes fenunes le lende-
«« main du sabbat, pour enbaumer le corps. Il faut
« que ces évangélistes aient manqué de mémoire. »
XLIV. IX est vrai que Jésus-Christ avait prédit à
plusieurs reprises sa résurrection ; mais , en rapportant
ses prophéties , les auteurs sacrés observent qu'elles
ne furent pas comprises par les apôtres (1). Et St. Jean
dit que, même après la résurrection, les apôtres ne
connaissaient pas encore l'écriture d'après laquelle le
Christ devait ressusciter (2). Il n'est pas étonnant que
des paroles qu'ils n'avaient pas comprises ne les eussent
pas frappés, et que, dans leur douleur, ils les eussent
oubliées. Les prêtres et les docteurs étaient plus intel-
ligents qu'eux ; et, évedlés par leur haine , ils se
{i) A-t illi ignorabant verbu'n; et timuerunt inlerrogare illarn.
( Marc. IX , 3 1 . )
Etipsi nihilhoram inlellexeront : et erat verbumistadabsconditum
ab fis : et non intell i^ebr. ut quae dicebanlur. (Luc. xvai, 34.)
(aj Nondumenim sciebant scripiurain , qiiia oportebat eniti a mor-^
tqia resurgere. (Joann. xx, g.)
SUR LA RELIGION. 301
rappelaient les prédictions de Jésus-Christ, pour em-
pêcher qu'on ne leur donnât de la suite. Ce fut ce
qui lui fit demander des gardes. L'embaumement de
Jésus- Christ entrait dans les desseins de la Providence,
il servait à deux choses, ainsi que nous l'avons dit :
1*» à constater la mort de Jésus-Christ contre les doutes
que les incrédules pourraient élever; 2» à prévenir
l'objection qu'ils devaient proposer , que les disciples
du Sauveur étaient préoccupés de l'idée de sa résur-
rection.
Nous avons répondu, dans l'exposition des circons-
tances , à la contradiction que l'on trouve dans la
conduite des saintes femmes qui , ayant vu embaumer
leur maître le vendredi , venaient encore le dimanche
pour l'embaumer. On confond deux choses diftérentes :
la sépulture faite d'abord par Joseph d'Arimathie seul ,
et l'embaumement fait ensuite par lui , conjointement
avecNicodème, quand celui-ci eut apporté les aromates.
St. iVIalthieu, St. Marc et St. Luc ne font mention
que de la sépulture; et c'est à cette action que furent
présentes les femmes. St. Jean , le seul qui parle des
parfums apportés par Nicodème , et de l'embaumement
fait alors, ne dit pas un mot de la présence des femmes.
Ainsi , elles savaient où Jésus-Christ avait été enseveli ,
elles ignoraient qu'il eût été enbaumé.
XL\. On prétend que les évangélistes se contredisent
dans leurs récits des visites faites au tombeau par les
saintes femmes. « St. Matthieu , dit-on , rapporte que
« ce furent seulement Marie-Madeleine et une autre
« Marie qui y allèrent. St. Marc dit qu'il y en eut
<« trois, qu'il nomme Marie-Madeleine , Marie, mère
" de Jacques , et Salomé. St. Luc raconte que ce furent
« toutes les femmes qui de la Galilée avaient suivi
.< Jésus-Christ. Il fait mention d'une d'elles, nommée
■ Jeanne. Selon St. Jean , il n'y avait que Madeleine.
« Lequel croire? »
XLVL II n'est pas vrai que les évangélistes disent
que ce furent seulement les femmes qu'ils nomment,
^02 DISSERTATIONS
qui allèrent le dimandie matin au tombeau ; ils disent
que ces femmes y allèrent, et c'est tout autre chose.
Nous avons déjà remarqué qu'aucun des évangélistes
ne rapporte la totalité des circonstances de la résur-
rection du Sauveur et de ses apparitions. Il en est de
cette circonstance comme des autres. Chacun d'eux
nomme quelques-unes des femmes : ils ne les nomment
pas toutes. Il pouvait , avec celles qu'ils nomment , y
en avoir d'autres. Nous eu avons la preuve formelle
dans le récit de St. Jean ; il ne fait mention que de
Marie-Madeleine ; mais la suite de sa narration montre
qu'elle n'était pas seule. Cette femme étant allée avertir
St. Pierre, et lui dire qu'on avait enlevé le corps de
son maître, ajouta : et nous ne savons pas où ils l'ont
mis (1). Ce mot nous suppose évidemment qu'elles
étaient plusieurs. Les autres évangélistes ont fait comme
St. Jean; ils n'ont pas dit toutes les personnes qui
étaient au tombeau , ils en ont nommé une partie.
Peut-être chacun d'eux a-t-il fait mention de celles de
qui en particulier il tenait le fait.
XLVIL Voici une autre prétendue contradiction.
« St. Jean dit que lorsque Madeleine vint au tombeau
« il faisait encore nuit. Mais St. Marc dit qu'elle y
« vint avec ses compagnes, le soleil étant déjà levé; et
u St. Luc , que les femmes y vinrent à la petite pointe
« du jour. M
XLYIII. Tout cela se concilie encore aisément. Saint
Marc rapporte que les saintes femmes achetèrent leurs
parfums lorsque le jour du sabbat fut passé , c'est-
à-dire dans la nuit du samedi au dimanche ; elles se
disposèrent et se mirent en mouvement avant le jour
pour se rendre au tombeau; mais avant qu'elles se
fussent rassemblées, que tout ce qu'elles apportaient
fût préparé, et qu'elles fussent arrivées, le jour avait
(i) Taleinnt Dominum nienm de monamento : el ncsciraas ubi
posaerant ecm. {Joann. xx, a.)
SUR LV RELIGION. 303
paru. St. Jean parle du moment où elles partirent ;
les deux autres , de celui où elles arrivèrent.
XLIX. « On objecte encore que St. Matthieu et
n St. Marc ne font mention que d'un seul ange , appelé
- par celui-ci un jeune homme. Selon St. Matthieu il
« était assis sur la pierre ôtée du tombeau; selon
■ St. Marc il était dans l'intérieur ; mais St. Luc et
u St. Jean assurent positivement qu'il y avait deux
« anges. >♦
L. St. Matthieu rapporte que l'ange était assis sur
la pierre quand il épouvanta les soldats ; St. Marc ,
qu'il était dans l'intérieur du tombeau quand les femmes
arrivèrent. Quelle contradiction y a-t-il là ?
Il n'y en a pas plus, en ce que St. Matthieu et St.
Marc parlant d'un seul ange , St. Jean et St. Luc font
mention de deux. D'abord ce serait une bien légère
contrariété que celle-là; il s'ensuivrait seulement que
les évangélistes auraient parlé des anges comme des
saintes femmes , et qu'ils n'en auraient dit qu'un , lors
même qu'il y en avait plusieurs. Ensuite il parait que
les anges tantôt se montraient , tantôt se rendaient
invisibles, tantôt se présentaient sous une forme, tantôt
se produisaient sous une autre. Quand l'ange apparaît
aux soldats, son aspect est terrible, dit St. Matthieu.
Quand il se fait voir aux saintes femmes, c'est, selon
St. Marc , sous la ressemblance d'un jeune homme
revêtu d'une robe blanche. Lorsque St. Pierre et St.
Jean viennent au tombeau , ils ne voient point les
anges, quoiqu'ils eussent été vus auparavant par les
saintes femmes , et qu'ils l'aient été ensuite par Made-
leine. Il est de même très-possible qu'il s'en soit présenté
tantôt deux, tantôt un seul.
LI. « St. Matthieu, ajoute-t-on, dit que Jésus se
« fit voir à Madeleine et à une autre Marie; St. Luc,
•• qu'il se montra aux femmes qui étaient venues avec
•< lui de Galilée; St. Marc et St. Jean, qu'il apparut
«seulement à Madeleine; ce dernier ajoute qu'il dé-
« fendit à Madeleine de le toucher; tandis que saint
304 DISSERTATIONS
« Matthieu rapporte que Madeleine et Tautre Marie
« lui baisèrent les pieds et l'adorèrent. »>
LII. Nous avons répondu à cette difficulté, en expo-
sant les deux différentes apparitions de Jésus -Christ ;
la première à Marie-Madeleine seule ; c'est celle dont
parlent St. Marc et St. Jean ; la seconde aux Icinmes ,
c'est celle que rapportent St. Matthieu , qui ne dit pas
quelles elles étaient; et St. Luc, qui entre dans un peu
plus de détail. Ces deux évangélistes ne parlent pas de
la particularité que Madeleine était allée avertir saint
Pierre et St. Jean, ce qui l'avait séparée des autres
femmes,' mais ils ne la contredisent pas.
C'est à Madeleine que Jésus-Christ dit de ne pas le
toucher; c'est aux autres femmes qu'il permet de baiser
ses pieds. Il ne veut pas que Magdeleine le touche,
c'est-à-dire qu'elle l'arrête; et la raison qu'il en donne,
est qu'il ne remonte pas encore auprès de son Père;
voulant par là lui faire entendre qu'elle aurait le temps
de le revoir. Le motif qui l'engage à ne pas s'arrêter
avec Madeleine , est peut-être l'empressement de se
montrer aux autres femmes qui étaient en chemin
pour la ville, à qui il voulait se faire voir aussi avant
qu'elles y arrivassent, afin qu'elles pussent prévenir
les apôtres.
un. « On lit , c'est encore une difficulté des adver-
saires , dans St. Matthieu et dans St. Luc , que les
femmes allèrent rapporter aux apôtres ce qu'elles
avaient vu. St. Marc nous apprend , au contraire ,
qu'épouvantées par l'ange, elles s'enfuirent, et que
telle était leur frayeur , qu'elles ne parlèrent à
M personne. »
LIV. Ces deux relations se concilient encore en
distinguant les temps. D'abord , les saintes femmes
effrayées comme il est aisé de le croire, de l'appa-
rition d'un ange, s'enfuirent; et bien qu'elles rencon-
trassent ]des personnes de connaissance , elles ne leur
dirent pas ce qu'elles venaient de vesir; mais lorsque
dans la suite de leur route elles eurent vu Jésus-Christ
SUR LA RELIGION. 305
lui-nième, qui se fit leconnaitre à elles, rassurées par
sa présence, et de plus en recevant de lui l'ordre,
elles allèrent trouver les apôtres et les instruire de la
résurrection.
LV. « Selon St. jMattliieu, ajoute-t-on, Jésus-Christ
•< fait dire aux apôtres, par les ieninies^ qu'il va se
« rendre en Galilée , et qu'il leur ordonne de s'y
«< trouver. Selon St. Jean , il leur fait annoncer par
« Madeleine, qu'il remonte vers son Père. »
LVJ. Jésus-Christ ne se contrarie pas dans ces deux
avis qu'il fait donner successivement aux apôtres. Dire,
je remonte vers mon Père, n'est pas déclarer qu'il
y monte dans le moment présent. C'est une mani'ère
de parler, usitée et nullement impropre, de dire qu'on
va à tel endroit, ([uand on doit y aller bientôt.
LVII. « Que prouvent, poursuit-on, des apparitions
« dans lesquelles Jésus -Christ n'a pas été reconnu
u d'abord? Nous voyons 31adeleine le prendre pour
« un jardinier; et les deux disciples d'Emmaùs voya-
.« gèrent avec lui longtemps sans le connaître. »
LVIIÏ. Observons les contradictions entre les diverses
objections des incrédules. Tantôt ils taxent les dis-
ciples d'une excessive crédulité, tantôt ils argumentent
de leur lenteur à croire.
Il n'est pas étonnant que Madeleine, tonte troublée
de l'apparition d'un ange , encore prévenue qu'on avait
enlevé son maître, ne l'ait pas reconnu à l'instant où
elle s'est retournée. Il est même possible qu'elle ne l'eût
pas regardé en face; mais cette erreur d'un seul moment
est réparée aussitôt que Jésus l'appelle par son nom.
Quant aux disciples d'Emmaùs , il paraît que l'in-
tention de Jésus-Christ était de les instruire avant de se
faire connaître à eux, et de leur montrer, par les
Ecritures, qu'il devait ressusciter avant de les en rendre
témoins. C'est pour cela que, comme l'observe l'évan-
géliste , leurs yeux étaient fascinés (1) ; mais l'illusion
(i) Et quoinodo, iiiqaiunt, non cogiiDScebant euin in itinere, gi
3C6 DISSERTATIONS
fut dissipée, et ils le reconnurent pleinement au moment
du repas et lorsqu'il eut terminé ses instructions.
Voilà toutes les objections que je connais relatives
aux diverses apparitions faites aux saintes femmes , soit
par les anges, soit par Jésus-Christ lui-même. On en
propose aussi plusieurs autres sur les apparitions faites
aux disciples.
LIX. « Selon St. Matthieu, St. 3Iarc et St. Luc, Luc
u dans son évangile , l'apparition dans laquelle Jésus-
« Christ se fit voir à tous ses apôtres fut la dernière
« où ils le virent. Saint Marc le dit même positivement ;
M mais St. Jean, St. Paul et St. Luc lui-même, dans
« les Actes des Apôtres , font mention de- plusieurs
» autres apparitions. St. Matthieu place la scène de
« cette dernière apparition sur une montagne en Ga-
u lilée , où Jésus avait fixé le rendez-vous pour le soir
« de sa résurrection. St. Marc et St. Luc la mettent à
n Jérusalem , et disent qu'immédiatement après , Jésus-
« Christ fut transporté dans les cieux. Cependant le
« même St. Luc dit dans les Actes des Apôtres que Jésus
« continua pendant quarante jours à se faire voir à
u ses disciples. On voit encore entre St. Matthieu et
« St. Marc d'une part, et St. Luc de l'autre , une
« opposition. Les deux premiers disent que Jésus fit
« ordonner à ses disciples de se trouver sur une mon-
" tagne de Galilée f le troisième, au contraire, qu'il
« leur défendit de sortir de Jérusalem. >»
ipsurn habebat corpns quod ante bal uil ? Andi scripiuram diceiiteiu.
Oculi eorum tenebantur ne eum agtioscerent : et rursum .• aperti
sunt oculi eoriun ^ et cognoverunt eum. Nunriuid alins fuit quando
non agnosct'Latur, et alius qaando agnitns est? Carte nnas atque
idem erat. Cognoî^cere igitur , et non cognoscere ocalornra fuit, non
qus qui videbatur : licet et ipsius fnerit. Ocalos enim tenebal eornm,
ne agnoscerent. Denique ut scias eirorem qui rersabatur in medio ,
non corpotis Doinini, sed oculoram fuisse clausorum , aperti sunt
oculi eorum j înqnit , et cognoverunt enm. Uiide et Maria Magdalent;
qnando non cognoscebat Jesura , et vivum qucerebat inter raortnos ,
hortalannin patabat. Agnoscit, et Dominum vocat. {S, Uieron.,
epist. ss-xv-d, ad Pammachium.)
SDR LA RELIGION. 307
LX. Toutes ces difficultés portent , ou sur ce que l'on
attribue aux évangélistes ce qu'ils n'ont pas dit, ou sur
ce que l'on confond des diverses circonstances dont ils
ont parlé.
1*^ Il n'est pas vrai que les trois premiers évangélistes
disent que la première apparition de Jésus -Christ fut
aussi la dernière. A la vérité, ils ne distinguent pas
les diverses apparitions du Sauveur; ils mettent en-
semble des choses qu'il a dites dans plusieurs occasions.
Nous avons observé que c'est la manière des évangélistes,
et qu'ils ne s'attachent ni à rapporter tous les faits ,
ni à les rendre dans l'ordre où ils se sont passés. St.
Marc dit, il est vrai, qu'en dernier lieu Jésus-Christ
apparut aux onze ; mais il veut dire seulement que ce
fut la dernière apparition du jour de la résurrection.
C'est après avoir parlé de celles faites le même jour à
iVIadeleine et aux disciples d'Emmaus, qu'il dit que
Jésus se montre enfin aux onze qui étaient à table. Il
parle de la même apparition que rapporte St. Jean ,
et il ne le contredit pas. St. Matthieu mentionne spé-
cialement l'apparition sur la montagne de Galilée.
St. Marc et St. Luc rapportent celle faite dans le
cénacle; mais aucun d'eux ne dit que celle qu'il ra-
conte ait été l'unique. C'est un bien vicieux raisonne -
nient que celui-ci : trois évangélistes n'énoncent qu'une
apparition ; donc ils contredisent le quatrième , qui
en rapporte plusieurs.
2"^ Ce que nous venons de dire répond à ce qu'on
nous objecte : que St. 3iarc et St. Luc disent que cette
unique apparition précéda immédiatement le retour de
Jésus-Christ dans les cieux. Ces deux écrivains sacrés,
après avoir rapporté plusieurs discours tenus par Jésus-
Christ ressuscité , racontent son ascension ; mais ils ne
disent ni que tous ces discours aient été tenus par lui
dans la même occasion , ni qu'ils aient immédiatement
précédé l'ascension. Le Sauveur a su très-bien les tenir
dans différents temps.
3" L'ordre donné aux apôtres de se rendre sur une
308 DISSERTATIONS
Dioutagne de Galilée , est du jour même de la résur-
rection ; celui de ne pas sortir de Jérusalem est du
jour de l'ascension. Le premier avait pour objet de faire
voir Jésus-CLrist à ses apôtres. L'objet du second était
de les réunir pour recevoir tous ensemble le Saint-
Esprit. Le premier était exécuté avant que le second
ne fût donné.
LXL « On dit encore que l'apparition du soir de
« la résurrection se fit les portes fermées. Jésus-Chrisî
« avait donc un corps immatériel ou incorporel. Qu'on
« nous explique ce que c'est. Cependant cet esprit avait
« des plaies, était palpable, prenait de la nourrituie :
« ce ne pouvait donc être qu'un être fantastique , et
«< ses apparitions de pures illusions des sens. »
LXII. Supposons , quoique l'évangéiiste n'en dise
rien , que les portes du cénacle ne s'ouvrirent pas à
l'entrée de Jésus-Christ ; peut-on disputer à Dieu le
pouvoir de faire passer un corps d'un lieu à un autre à
travers d'autres corps? Il n'est pas nécessaire , })Our
expliquer ce prodige, de recourir à Tidée d'un corps
incorporel. La toute-puissance de Dieu , voilà la vraie
et la seule raison à donner d'un fait miraculeux (1).
Nous avons répondu ailleurs à l'absurde supposition
d'un corps fantastique (2). Contentons-nous d'observer
combien elle est contradictoire et ridicule dans la bouche
d'un incrédule.
LXTII. )i Les apparitions dont parle St. Paul, ajoute-
« t-on , n'ont pas été vues par lui-même ; il n'en parle
M que sur des ouï-dire. On sait qu'il n'avait vu Jésus-
« Christ que dans une vision ; il en était peut-être de
M même des apôtres et des disciples; ils étaient juifs
(i) Nec nos laoveat qnotl clansis osliis sabito enm apparuisse dis-
cipoHs suis scriptnm Cbt; ut propterea negemus ilJuJ fuisse corpus
Inmannra; f(iu;i contra naiurara hojus corporis videmns es>e, ptr
ostia clansa inirare. Oinria enim possibilia sant Ueo.(5. Jngust. , de
Agon, Christ, j cap. xxiv, n" 26. )
{%) Voyez ci-dessns, n° xix , pnge 275.
SUR LA RELIGION. 309
.1 et enthousiastes , et par conséquent sujets à rêver ,
«< même étant éveillés. »
LXIV. Ce seraient de singuliers rêves qu'auraient
PUS à la fois dans le même moment, dans le même
lieu, de la même manière, tantôt deux, tantôt onze ,
tantôt plus de cinq cents personnes. La supposition
d'une telle uniformité de rêveries n'est-elle pas elle-
même une rêverie bien ridicule?
Ce n'est pas une vision que St. Paul eut de Jésus-
Christ; c'est lorsqu'il était sur le chemin de Damas
avec d'autres personnes. Jésus-Clirist l'a renversé , lui
a parlé, l'a rendu aveugle, l'a fait guérir par Ananie.
Tout cela peut-il être un rêve?
Les apparitions de Jésus-Chrisc ressuscité dont parle
St. Paul, il les avait apprises des apôtres et des autres-
témoins oculaires. Si son récit eût été contraire à ce
que les témoins lui avaient rappci ié , ces personnes
encore vivantes n'auraient pas manqué de le contre-
dire.
LXV. « Qui est-ce, dit-on de plus, qui peut attester
« ce que personne n'a vu? La résurrection n'a eu aucun
• témoin. Personne ne s'y est trouvé. Les femmes,
« les apôtres n'y sont venus qu'après le temps où l'on
« dit que Jésus-Christ était ressuscité ; les gardes même
« ne l'ont pas vu; ils ont, dit-on, été effrayés par
«« l'apparition d'un ange. Et pourquoi les eflrayer ?
«« Jésus-Christ craignait-il leur présence pour sortir du
« tombeau? Il eût été bien plus convenable, bien plus
« utile pour la foi de l'événement , qu'il se fût passé
« devant eux , et c{u'ils fussent en état de confirmer
«t par leur récit le témoignage des apôtres. Un fait
M aussi essentiel pouvait-il avoir trop de témoins? »
LXVL Je vous ai vu malade, ou j'ai su positivement
que vous l'étiez ; je vous vois ensuite en pleine santé ,
puis^je douter que vous n'ayez été guéri? Est-il néces-
saire, pour en être persuadé, que j'aie assisté à votre
guérison? Il en est de même ici. Les apôtres étaient
310 DISSERTATIONS
très-certains de la mort de leur maître. St. Jean l'avait
même vu expirer ; et probablement il n'était pas le
seul. Ils ont vu ensuite leur maître vivant : ils ont eu
toute la (ji^rtitude possible qu'il était ressuscité.
Il aurait été, dit-on, convenable que les gardes l'eus-
sent vu ressusciter : il ne peut y avoir trop de léjnoins
d'un fait aussi essentiel. Il aurait donc fallu aussi que le
sanliédrin , que tous les habitants de Jérusalem y eussent
été appelés.
Nous ignorons si, en même temps que les gardes ont
vu l'ange écarter la pierre du tombeau , ils ont vu aussi
Jésus-Christ en sortir. Le texte sacré ne fait aucune
mention de cette circonstance. Il est possible que la
terreur où étaient les gardes les ait empêchés de rien
voir. Mais^ après leur frayeur, demander si Jésus-Christ
a craint de ressusciter en leur présence , est une absur-
dité. L'objet de cette terreur, imprimée à la solda-
tesque , est facile à apercevoir : c'est de laisser l'accès
du tombeau libre aux saintes femmes et aux apôtres.
Aucun disciple n'eût osé en approcher, s'il l'eût vu
environné de soldats. Au lieu de trouver extraordinaire
la marche de la Providence , on doit , au contraire , en
admirer la sagesse ; elle a voulu préparer par degrés les
témoins de la résurrection à apprendre ce grand événe-
ment dont ils devaient un jour instruire l'univers. C'est
dans cette vue qu'elle a fait écarter les gardes , qu'elle
a ensuite fait voir aux saintes femmes , et à St. Pierre ,
et à St. Jean , le tombeau vide , les linges laissés et
plies; qu'elle a lait avertir les femmes de sa résurrection
par les anges. Ce n'est qu'après toutes ces précautions
que Jésus-Christ s'est montré à elles ; qu'après avoir
fait savoir sa résurrection aux apôtres par elles , par les
disciples d'Emmails , par St. Pierre, qu'il s'est enfin fait
voir à eux tous, qu'il leur a parlé, qu'il s'est fait
loucher par eux pour leur ôter toute espèce de doute.
Par bonté pour eux , Jésus-Christ a voulu prévenir le
trouble où les aurait jetés son apparition subite et
SCR LA RELIGION. 311
entièreinenl inattendue. Par prévoyance pour nous, il
a voulu qu'on ne pût jamais penser que sa résurrection
avait été crue légèrement et avec précipitation.
LXyiI. Autre objection. « C'était, selon les prédic-
% lions de Jésus-Clirist , après trois jours et trois nuits
« qu'il devait ressusciter. Au lieu de cela , c'est le
« troisième jour qu'il ressuscite , n'étant resté mort
■ qu'une seule nuit. Voilà entre les prophéties et l'ac-
« complissement une contradiction manifeste. »
LXVIII. Ces expressions : après trois jours et trois
nuits, après trois jours j le troisième jour , étaient syno-
nymes dans le langage ordinaire des Juifs. Nous voyons
Jésus-Christ annonçant sa résurrection future, se servir
tantôt de l'une, tantôt de Tautre. Ici, il dit que de
même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le
ventre de la baleine , de même le Fils de l'homme sera
trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (1),
Là , il annonce qu'il ressuscitera après trois jours (2).
Dans plusieurs autres endroits il prédit qu'il ressuscitera
le troisième jour (3). Les Juifs ^ ses ennemis, l'enten-
(r) Voyez ci-dessus, note q, page 270.
(a) Ft cœpit docere eos quoniam oporlet Filinm hominis pati inulîa
et reprohari a senioribiis, et a saminis sacerdolibas et scribis, et oc-
cidi, et post très dies resurgeie. {^^Jarc. viir, 3x.)
(3) Exinde cœpit Jesas ostendere discipulis qaia oporferet eum
ire Jerosolymam, et malta pati a senioribus et scribis, et principibus
sacerdotum, et occidi, et tertia die resargere. {Matth. ivi, ai ,)
Filias hominis tradendas est in raanns bominutn : et occident
ecirn : et tertia die resorget. {Ibid. xvii, 21 , 22.)
Et iradenl eam gentibas ad illadendam et flagellandurn et cracifi-
gendum : et ter'ia die resurget. {^Ibld. xx, 19)
Docebat autem discipal.js snos : et dicebat iHis : quoniam Filias
hominis tradetnr in manas horainnm : et occident eam : et tertia die
resarget. {Marc, ix , 3o. )
Et illudent ei , et conspaent eam, et flageliabnnt eum, et int«rC-
cient eum, et tertia die resarget. ( Ibid. x, 3 + .)
Qaia oportel Eliam hominis malta pati, et leprobari a senioribu»
312 DISSERTATIONS
(iaient dans ce tleniier sens; ear étant allés trouver
Pilate, ils lui dirent que Jésus-Cluist avait dit ; Je
ressusciterai api es trois jours, et ils lui demandèrent
en conséquence de faire {garder le sépulcre jusqu'au
troisième jour {4). Ils croyaient donc que tel était le
sens de la prédiction , que la résurrection s'effectuerait
le troisième jour; et racconi[)rissemcnt y cadre parfai-
tement, Jésus-Clirist mort le vendredi, étant ressuscité
le dimanche. D'après la demande d€S Juifs, il est clair
que les gardes ne devaient rester au tombeau que
jusqu'au troisième jour. Supposons , comme en le veut
dans cette objection , que Jésus-Christ ne fût ressuscité
qu'au bout de tiois jours et de trois nuits , et lorsqu'il
n'y aurait plus eu de soldats au sépulcre; ce serait
alors qu'on ferait valoir avec bien plus de force et de
vraisemblance la fable de l'enlèvement du corps.
LXIX. On argumente aussi du scellé apposé au
tombeau. ^( C'était une convention entre les deux
« parties, en vertu de laquelle le tombeau ne devait
- être ouvert qu'en présence des Juifs. »
LXX. En parlant des deux parties , il faudrait spé-
cifier quelle était celle qui traitait avec les Juifs appo-
seurs du scellé. Etait-ce Jésus-Christ qui était mort?
Les apôtres qui étaient en fuite? L'ange qui en ôtant la
pierre a brisé le sceau? Tout cela est absurde. La
précaution du scellé était prise contre les soldats
chargés de veiller à ce que le tombeau ne fût pas
ouvert. Si on veut que c'ait été une convention , c'est
et principibus sacerdotam et scribis , et occidi, et terlia die resar-
geie. ( Luc. ix, 22.)
Et postqaam flagellaverint, occident euiu : et tertia die resnrget.
{Ibid. xviii, 33.)
(4) Altéra autem die qaae est post parasceven , convenerunt prin-
cipes sacerdotnm et pbarisa-iad Pilatnm,dicentes : Domine, recordat.
snmas quia sedoctor ille dixit adiiuc vivens : post très dies resurgami
Jubé ergo cnstodiri sepalcram asqne in diern tertiam. [Malt, xxvn ,
62,63,64.)
SUR LA RELIGION. 3l3
avec pux qu'elle a été faite. Ils devaient, à la fin de
leur consigne , remettre le tombeau dans l'état où on
le leur confiait, c'est-à-dire muni du sceau. Eux seuls
étaient responsables envers leurs commettants , de l'in-
tégrité de ce scellé, et ils devaient être punis sévère-
ment, non-seulement dans le cas où ils l'auraient brisé
enx-mèmes , mais encore dans celui où ils l'auraient
laissé briser par d'autres. Quel châtiment leur a-t-on
infligé?
LXXI. On combat aussi la narration de St. Matthieu
sur l'argent donné aux gardes pour les engager à pu-
blier Tenlèvement du corps de Jésus-Christ. « Il n'est
« pas })robable que les princes des prêtres et tout le
« Sanhédrin , s'ils ont été convaincus du miracle de la
« résurrection, n'en aient pas été touchés; qu'ils aient
« été assez dépravés pour résister à une vérité qui
« leur aurait été aussi cliiremcnt prouvée.
« En supposant tout le grand conseil assez méchant
« pour agir ainsi contre sa conscience , il n'est pas
•« croyable qu'il fut assez sot pour engager, à prix
«I d'argent, la garde à un silence qu'on devait être
u sûr qu'elle n'observerait pas.
« On ne peut pas iniaginer non plus que les soldats
M si effrayés, dit-on, de l'apparition d'un ange, aient
« consenti à accepter de l'argent pour débiter un men-
M songe. S'ils avaient effectivement vu un ange avec
«« un aspect terrible , ils auraient dû le craindre bien
M plus que le sanhédrin , et espérer de leur fidélité
* une récompense au-dessus de l'argent qu'on leur
•< offrait.
« Voilà donc ce qui sera probablement arrivé. Les
« disciples seront venus dans la nuit, et auront effrayé
M les gardes; et ceux-ci, pour justifier leur lâcheté,
« auront eu recours à un moyen surnaturel. »
LXXlf. Les princes des prêtres et le sardiédiin , en
avouant l\ i-.''>u)'rectio:i de Jésus -Christ, s'accusaient
eux-mêmes d'une énorme injustice. Ils se prononçaient
coupables , dans l'ordre civil , de la mort du Messie ;
Dissert, sur la Relig. 14
314 DISSERTATIONS
dans r^ordie (Je la religion, de déicide. Il n'est que
trop commun de voir des honuiies placés entre un
intérêt temporel et celui du salut , préférer le premier
au second , et , surtout quand il y aurait de grands
sacrifices à faire, soit de réputation, soit de fortune,
faire plutôt celui de leur conscience. Une multitude
d'autres exemples rend malheureusement celui-là très-
probable»
Le sanhédrin a dû naturellement croire que les
«oldats qui acceptaient son argent lui garderaient le
secret. Il les connaissait, puisqu'il les avait choisis,
et de plus il leur avait donné un si grand intérêt , qu'il
avait droit de compter sur eux. D'un côté , une récom-
pe.'ise , de l'autre, de grands châtiments ; voilà les
motifs qui déterminent les hommes au mal comme au
bien : et le sanhédrin les avait réunis pour s'assurer
des soldats.
Ce que je viens de dire du conseil , est aussi vrai
des gardes. Ces hommes se trouvaient placés entre
l'argent qu'on leur offrait pour trahir leur conscience,
et le supplice qu'ils risquaient en lui obéissaiil. Com-
bien peu d'hommes résistent à cette double tentation!
combien y en a-t-il qu'une situation pareille, et sou-
vent même moins critique , rend prévaricateurs ! Leff
soldats ont plus redouté le sanhédrin que l'ange. L'ange
était éloigné : le sanhédrin était devant eux. La puni-
tion de la part de l'ange était incertaine; et dans le fait,
il ne leur avait fait aucun mal : le supplice du san-
hédrin était assuré. L'argent qu'ils tenaient était à
leurs yeux préférable aux récompenses incertaines qu'ils
pouvaient recevoir de l'autre côté.
Toutes ces fausses probabilités, qu'on accumule dans
l'objection, conduisent à une conséquence absurde. Il
est aussi déraisonnable de supposer que les apôtres
aient ravi le corps de leur Maître , de force et malgré
les gardes , que de prétendre qu'ils l'ont dérobé subite-
ment pendant leur sommeil. C'est une idée ridicule, de
quelque côté qu'on l'envisage. Du côté des apôtres :
SUR LA RELIGION. 3l5
leur timidité naturelle, le supplice que leur eût inévi-
tablement attiré un crime aussi grave, un crime dont
la preuve eût été si facile, un crime dont les juges
eussent été leurs ennemis , ne permettent pas de croire
qu'ils eussent eu cette extravagante ludace. Du côté du
sanhédrin : s'il avait eu un si grave attentat à reprocher
aux apôtres, ne les aucait-il pas sévèrement punis?
Aurait-ce été le pouvoir, ou l'intérêt, ou le désir qui
lui aurait manqué? Du côté des gardes : si on avait
employé contre eux une force majeure, quelle raison
auraient-ils eue de débiter la fable de l'enlèvement
furtif? lisse rendaient bien plus coupables, en avouant
qu'ils avaient dormi contre leur consigne , qu'en dé-
clarant qu'une troupe à laquelle ils n'étaient pas en
état de résister les avait forcés de se retirer. Enfin , du
côté de ceux mêmes qui proposent l'objection : leur
nouvelle invention, comme nous l'avons observé, est
aujourd'hui trop tardive : si elle eût été réelle, elle eût
été connue dans le temps.
Voici enfin l'objection que les ennemis du christia-
nisme proposent avec le plus de confiance, qu'ils ré-
pètent continuellement d'après les incrédules anciens (1),
et par laquelle ils prétendent faire tomber toutes les
preuves que nous avons données de la résurrection.
LXXIIÏ. « Quel était le but des apparitions de Jésus-
« Christ dont on nous parle ? c'était de prouver évir-
•« demment sa résurrection. Il fallait donc que ces
«< apparitions eussent le caractère nécessaire pour for*
• mer une preuve. Ce caractère ne pouvait être autre
« que la publicité. En se montrant publiquement a
« toute la Judée, au peuple, aux chefs de la syna-
(i) Po.-^lea Celsas qaae scripta sont reprehendens , difficnliatem
objicit minime contemriendam Si stiam, inqiiit, d i vin am pote n dam
rêvera innotescere voluit ^ apportait iitiqne ut se suis adversariis , suo
j'udici , omnibus omnino ostenderet. (Oiigenes contra Celsum, I. xi
cap. 63,) Nota. Dans les chapitres soivans, Origènes répond ample-
ment à cette difl( ulté.
316 DISSERTATIONS
« gogue, à tous ceux qui l'avaient vu mourir, Jésus-
* Clirist aurait rempli son objet. En ne se montrant
« qu à un petit nombre d'amis, il le manque absolu-
H ment. Une résurrection publique aurait imposé
. silence à tous les contradicteurs , aurait forcé tout
« l'univers à croire : une résurrection secrète laisse
„ un libre champ aux oppositions. Il répugne à la
« sagesse divine de ne pas prendre les moyens qui
,< peuvent atteindre son but. L'objet était de faire
« croire en Jésus-Christ ceux qui ne croyaient pas en
.. lui. C'était donc à eux principalement qu'il fallait
. se montrer, et non pas seulement à ceux qui y
« croyaient déjà. Il n'en aurait pas plus coûté de se
« produire à la nation entière qu'à quelques individus
« choisis. Le peuple juif a eu raison de rester dans son
« incrédulité , puisqu'on n'a pas fait ce qui aurait
. été nécessaire et si facile pour l'en tirer. Tous les
« motifs engageaient Jésus-Christ à ressusciter publi-
« quement. "Quelle raison peut-on donner de ce qu'il
.< est ressuscité secrètement? »
LXXIY. Cette objection rappelle les impiétés que
vomissaient les Juifs aux pieds de la croix où ils
avaient attaché Jésus- Christ. Qu'il descende tout à
l'heure de sa croix et nous croyons en lui (1). Elle
ressemble aussi au blasphème d'un athée de nos jours,
qui , pour prouver son affreux système , défiait Dieu ,
s'il existe, disait-il, de le foudroyer à l'instant. C'est
dans tous le même sentiment, le même raisonnement.
Ils ont tous l'audacieuse présomption de prescrire im-
périeusement à Dieu les preuves qu'il doit donner de
ses saintes vérités. A telle condition, et non autre-
ment, ils voudront bien le croire.
Voici quelle est la substance du raisonnement qu'on
(I^ Siiui'i'er et principes sacerdotnm illudentes cnm scribis et se-
■iovibos dicebant : Alios î-alvos fecit : se ipsum uou poiest salvnm
facere. Si lex Israël est, descendat nnnc de cruce : et crtdjinus eJ.
(Hatih. xxvxi, 41, 42.)
SUR LA RELIGION. 3l7
nous oppose. Jésus-Christ , après sa mort, ne s'est
pas montré en public; donc il n'est pas ressuscité. Il
n'a pas été vu par les Juifs ; donc il ne Fa pas été par
ses disciples. Cet ar>q;ument est-il bien convaincant? Tel
fait n'est pas prouvé par tels témoins; donc il n'est
pas prouvé. Quand ils voient une vérité démontrée,
nos adversaires s'avisent-ils de la révoquer en doute ,
parce qu'il lui manque un genre ou un degré de preuve
qu'ils imaginent? Qu'importe que la résurrection soit
prouvée de telle manière, pourvu qu'elle le soit dé-
monstrativement? Il était, dit-on, facile à Jésus-Christ
de donner à sa résurrection une plus grande publicité ;
j'en conviens. La résurrection rendue plus publique
serait plus abondamment prouvée; je le veux bien
encore; mais elle ne serait pas }»our cela plus certaine,
puisque les preuves qui existent en donnent une cer-
titude complète, et excluent absolument tout doute.
De ce que Jésus-Christ a pu aisément rendre témoins
de sa résurrection tous les Juifs, s'ensuit- il qu'il l'ait
dû? Pour soutenir cette étrange conséquence, il faudrait
avancer le principe , que Dieu est tenu de donner à ses
miracles les preuves les plus palpables qui puissent exis-
ter; de ce qu'il en a la puissance, il faudrait conclure
qu'il en a l'obligation. Et qui osera avancer un tel
paradoxe? Dieu aurait sans doute la puissance , il aurait
la facilité de nous donner la persuasion de sa rehgion
sans aucun moyen extérieur, sans aucun raisonnement,
et par une simple inspiration. Prétendra-t-on , pour ce-
la, qu'il y est tenu? Maître de se servir des motifs de
crédibihté, il l'est également de leur donner le degré de
force qu'il lui plaît; il est certainement dans la puis-
sance divine, et même sans qu'il lui en coûte aucun ef-
fort, d'augmenter à l'infini les preuves des vérités qu'il
daigne nous enseigner. On pourra donc toujours se re-
fuser à celles qu'il doimera , en disant qu'il aurait pu
aisément en donner de plus fortes encore. (]e qui doit
nous suffue , c'est que les motifs sur lesquels est fondée
notre foi soient tels, que tout esprit raisonnable soit te-
318 DISSERTATIONS
nu d*y donner son assentiment. De tous les faits que
l'universalité des lioniines , et les incrédules comme les
autres, rej^ardent comme certains, il n'en est aucun qui
soit plus complètement démontre que la résurrection.
Que leur faut- il de plus pour en reconnaître la certi-
tude?
Et comment les déistes pourront-ils répondre aux
athées qui retourneront contre eux , au sujet de l'exis-
tence de Dieu , l'argument qu'ils proposent contre sa ré-
sunection? L'existence de Dieu pourrait avoir des preu-
ves plus fortes. Dieu, s'il existe, pourrait, par exemple,
se faire voir^ se faire entendre à chacun de nous. L'exis-
tence de Dieu n'est donc pas suffisanunent prouvée.
La sagesse divine prend nécessairement les moyens
propres à atteindre son but. C'est un principe incontes-
table; mais est-elle obligée de prendre la totalité des
moyens propres à remplir cet objet? est-elle obligée
d'employer plus de moyens qu'il ne faut pour produire
cet effet? Voilà ce qu'il serait nécessaire de prouver, et
ce qu'on ne prouvera jamais. Pourvu qu'elle mette en
usage des moyens suffisants, on n'est pas en droit de lui
demander davantage. On ne dira pas qu'un homme
manque de sagesse , parce qu'il n'emploie pas dix degrés
de force à ce qui n'en exige que cinq. La question est
donc de savoir, non pas si la résurrection pouvait avoir
de plus nond)reux , de plus puissants motifs de crédibi-
lité, mais si elle en a de suffisants pour soumettre notre
croyance.
En rendant sa résurrection aussi publique qu'elle pou-
vait être, Jésus-Christ aurait rempli son objet; cela est
encore évident. Mais on veut qu'en ne la rendant pas
aussi publique il l'ait manqué , et cela est faux. Si les
témoins de la résurrection réunissent, soit par leur
nombre, soit par leur qualité, soit par les circonstan-
ces de leurs relations , tout ce qui est nécessaire pour
imprimer à leur témoignage la certitude, on doit les
croire, quoiqu'ils eussent pu être plus nombreux.
La résurrection, dit-on, a été secrète. Yoilà une sin-
SUR L\ RELIGION. 319
gulière expression. Est-ce un fait secret que celui qui a
été vu de plus de cinq cents personnes? La résurrection
a eu le degré de publicité que donnent à un événement
cinq cents témoins oculaires. La difficulté des incrédules
se réduit à demander pourquoi elle n'en a pas eu une
plus grande.
L'objet de la résurrection était de faire croire en Jé-
sus-Christ ceux qui n'y croyaient pas. C'était donc, con-
clut-on de là , à eux principalement qu'il fallait se mon-
trer. Si cette conséquence est juste, il faut l'admettre
dans sa totalité : il faut prétendre que Jésus-Christ au-
rait dû, après sa résurrection, se faire voir à tous ceux
qui ne croyaient pas en lui. Il aurait fallu , d'après ce
raisonnement, qu'il se montrât, non-seulement aux Juifs
qui étaient à Jérusalem , mais à tous ceux qui étaient ré-
pandus par tout le monde : il aurait fallu qu'il allât
aussi se présenter à tous les paiens , qui ne croyaient pas
plus en lui que les Juifs. La résurrection aurait eu alors
une publicité plus grande encore que celle qu'exigent nos
adversaires. Est-on pour cela en droit de l'exiger? Non
sans doute. Pour amener à la foi, par le miracle de la
résurrection, ceux qui ne croyaient pas en lui. il suf-
fisait que Jésus-Christ donnât à ce miracle la certitude
qui résulte de témoins qui n'ont pu ni être trompés, ni
voulu tromper; et c'est ce qu'il a fait.
Mais ces témoins, dit-on , étaient les disciples, les amis
de Jésus— Christ ; il n'était pas nécessaire qu'il se mon-
trât à ceux-là. Je pourrais observer que la foi des disci-
ples avait été fort affaiblie , qu'elle était même peut-être
éteinte dans plusieurs par la mort ignominieuse de leur
maître; qu'il n'était donc nullement inutile qu'il la ra-
nimât par la vue de sa résurrection ; mais ce n'est seule-
ment pas pour eux que Jésus-Christ leur est apparu; c'est
pour tout l'univers, c'est pour toutes l«'S générations. Il
n'a pas voulu seulement des fidèles qui crussent sa ré-
surrection ; il a voulu des témoins qui l'attestassent et
qui la fissent croire au monde. Et qui pouvait-il choisir
qui mît à ce ministère plus de zèle que ceux qui pen-
320 DISSERTATIONS
dant trois ans lui avaient été constamment attacliés? On
ne considère dans l'objection que des disciples à persua- .
der : il faut voir en eux des apùlres chargés de convain-
cre les autres. IVous le répéterons donc toujours, parce
que c'est là le point de la question , le point unique, le
point auquel il faut sans cesse revenir : les disciples out-
ils été des témoins du fait qu'ils annonçaient, suffisants
pour le rendre certain? S'ils l'étaient , comme nous l'a-
vons abondamment démontré , il n'est pas vrai que les
Juifs dussent rester dans l'incrédulité^ puisque Jésus-
Christ se montrant à ses disciples , avait fait tout ce qu'il
fallait pour les en retirer.
On avance une autre proposition : c'est que la résur-
rection de Jésus-Christ rendue aussi publique que sa
mort , aurait imposé silence aux contradicteurs. Deman-
dons aux incrédules qui proposent cette assertion, de
quels contradicteurs ils parlent. Est-ce de ceux d'alors?
est-ce de ceux d'à présent? est-ce des chefs de la syna-
gogue? est-ce d'e ix-mémes?
D'abord, comment peut-on prétendre que les chefs
de la nation juive se seraient rendus au miracle de la
résurrection s'ils en avaient été témoins, quand on les
voit résister constamment à tous les autres miracles que
pendant trois années consécutives Jésus-Christ n'avait
cessé d'opérer? Tous ces miracles avaient eu la publici-
té que demandent les incrédules. Le divin Sauveur les
avait faits au conspect de tous les Juifs , à la vue même
de ses ennemis les plus acharnés. Les possédés délivrés,
les malades guéris , les uiorts ressuscites par lui, étaient
au milieu d'eux; et cependant ils s'obstinaient encore à
ne pas croire en lui. Ils ne niaient pas, comme nous l'a-
vons vu , la réalité de ces prodiges (1) ; ils en contestaient
la conséquence. Forcés par l'évidence, ils avouaient qu'il
les avait opérés ; mais contre l'évidence , ils soutenaient
que c'était par un pouvoir diabolique qu'il les avait opé-
(i) Voyez chapitre premier, n° xxx ei suiv. pag. a43.
SDR LA RELIGION. 321
rés. Peu de jours avant sa propre résurrection , Jésus-
Christ avait ressuscité très publiquement Lazare. Ce qu'a-
vaient conclu les princes des prêtres de ce prodige, et de
l'impression qu'il faisait sur le peuple, c'est qu'il fallait
assassiner Lazare (J). Si les prodiges les plus solennels
ne convainquaient pas les chefs de la synagogue, la pu-
blicité de sa résurrection ne les aurait pas persuadés da-
vantage. Ce n'aurait été qu'un miracle de plus ajouté à
une multitude d'autres. On a beau augmenter la lu-
mière autour d'un homme qui ferme volontairement les
yeux, on ne le fait pas voir plus clairement.
Seraient-ce eux-mêmes, que les incrédules modernes
disent qui auraient été forcés de se soumettre à la reli-
gion, si la résurrection de son auteur avait été aussi pu-
blique que sa mort? Il est difficile de croire que cette
assertion soit sérieuse de leur part , quand on les voit
nier les autres miracles de Jésus-Christ, qui, de son
temps, avaient une notoriété et une publicité telles que
ses ennemis étaient forcés de les avouer. Il en serait du
prodige de la résurrection comme de tous les autres. Il
suffit de considérer les raisons par lesquelles ils combat-
tent les miracles, pour voir qu'ils les appliqueraient de
même à celui-ci. Les uns disent que tout miracle est iin-
(i) Cogitaverunt antem principes sacerdotnm ut et Lazaiura in-
terficerent : quia miiLi proptei iilum abibant ex jndaeis, et credebant
in Jesum. (^Joann.xn^ lo , ii.)
Pfudenter attendite : si quidem malli qnxiunt et dicant , qaam
ob cansam cnin rcsnrrexi-set , non statim judacis apr;aruit. Veiuin sn-
pervacaneus et vanus est iste sermo. Si enim ad lidem illos pellectn-
rus fuiiset, post lesanectionem om.ibus apparere non recubasset.
Caeteiuin nequam eos se pelleclorarn fuisse, si post i esarrectlunctn
illib appainisset, per Lazaram indicavit. Catn eniiii bunc quatiidua-
num mortouin îœtentera et coriuptum suscitas«et , et feci^set ut
ligatns inslitis in conspectuin omnium prodiret, non sulura illus ad
fidem non attraxit, sed eiiam irritavit. Yenienles enim, ip.sura etiam
interficere bac de causa vuluerunt. Si eigo, cnm alteium e raoriuis
excitasset non taraen crediderunt , si se ipsum osten^iaset a semet-
ipso sascitatura, nonne in ipsuin fnrore exarsissent? {S.Joan.Chrjs.^
homil. citr in Pentecost. eic.n'* 6.)
14'
322 DISSERTATIONS
possible. Ce ne seraient pas ceux-là qui croiraient au
miracle de la résurrection, s'il était plus public. Les
autres disent qu'un fait miraculeux ne peut être cru tout
au plus que par ceux qui le voieut , et qu'aucun témoi-
gnage ne peut en donner la certitude. Quelque publique
qu'eût été la résurrection, ils n'auraient aujourd'hui,
pour y ajouter foi , que des relations de témoins. Qu'ils
s'accordent donc avec eux-mêmes ; qu'ils cessent ou de
soutenir soit l'impossibilité des miracles^ soit la possibi-
lité de les prouver par des témoignages , ou de préten-
dre qu'ils croiraient le miracle de la résurrection s'il
était certifié par un plus grand nombre de témoignages.
On demande les raisons pour lesquelles Jésus Christ
n'a pas donné à sa résurrection une plus grande publi-
cité. Nous n'en aurions qu'une à donner, et celle-là doit
satisfaire tout esprit raisonnable. Il ne l'a pas voulu.
Dieu ne peut-il pas avoir dans sa sagesse des raisons que
nous ignorions ? Aurions-nous l'audacieuse prétention de
lui faire rendre compte de ses motifs? Nous n'avons
pas droit de nier un fait parce que nous ignorons la
raison de son existence : nous l'avons encore bien moins
quand le fait est l'œuvre immédiate de celui dont les
pensées sont incompréhensibles et les voies impénétra-
bles.
Et à qui donc prétend-on que Jésus-Christ était obli-
gé de se manifester avec évidence? A ce lâche gouver-
neur qui l'avait condamné contre sa conscience; à ce
léger et crapuleux Hérode qui l'avait indignement rail-
lé; à ces prêtres, à ces docteurs, à ces pharisiens, qui
n'avaient cessé de le poursuivre de leurs calomnies et
de leurs intrigues , jusqu'à ce qu'ils l'eussent conduit
sur le Calvaire ; à ces Juifs furieux qui, comblés de ses
bienfaits, avaient demandé sa mort à grands cris et sou-
haité que son sang retombât sur eux et sur leurs en-
fants. Par où tous ces hommes si criminels avaient-ils
mérité le bienfait de son apparition (1)? Il est dérai-
(i) Deniqiie iesurrect:Oiiein saam. . uoluit aiienis denionstiare, .sed
SUR LA RELIGION. SSÎS
sonnable de prétendre que Dieu doive répandre ses grâ-
ces plus abondamment, à mesure qu'on s'en rend plu^
indigne , et multiplier les preuves de sa foi à proportion
qu'on y résiste davantage.
En nous demandant la raison qui a pu engager Jésus-
Christ à ne pas rendre sa résurrection aussi publique
qu'elle eut pu l'être, les incrédules nous en indiquent
eux-mêmes une très- vraisemblable. Il aurait , disent-
ils, forcé la croyance universelle; et c'est précisément
ce qu'il ne voulait pas. Son intention était que sa ré-
surrection fût crue , mais qu'elle le fût volontairement.
Il a voidu que nous fussions obligés de le croire; il n'a
pas voulu que nous y fussions contraints. Il nous a
fait de cet article de foi un devoir ; et pour que nous
le remplissions , il l'a fondé sur des preuves non-seule-
ment suffisantes, mais surabondantes. Il ne nous en a
pas fait une nécessité ; et en conséquence il ne l'a pas
muni de preuves tellement subjuguantes, que nous fus-
sions forcés d'y céder. Il est dans ses vues sages et bien-
faisantes que notre foi soit à la fois motivée et méri-
toire. Sans molifs , nous ne croirions point ; sur des mo-
tifs qui forceraient notre assentiment nous ne croirions
pas librement. Il connaît dans sa science infinie le de-
gré de lumière nécessaire pour nous imposer l'obliga-
tion de croire, le degré convenable pour qu'il reste à la
foi un mérite. Les preuves qu'il donne à ses vérités re-
ligieuses, il les proportionne d'une part à notre intel-
suis : alienis dico , non nalurae, sed vitio quod semper est contra na-
turam.... Quod carnem suam ressuscitavit , et discipulorum consptc-
tibns et contaclibus reddidit , ipsisqoe videntiLus a^cendit i.". cœluni ,
ipsos aedificavit, et qiiid expectare, quid praedicare debeient , evi -
dentis^ima veritate deiuonstravit. Illos autem a qaibas taiita mala usqnc
ad inortem pcrtalerat, quasi de illo superato et extincto gloiian es ,
in ea opinione dereliquit : ut qnisquis eotum sainte ateina salvn&
fieri vellet , boc de illius moitui resorreciione crederet, quod ii qui
vidernnt signis contesiantibns praedicavernnt ; et pro ea praedicaion*
simili» perpeti non dubitaverunt. (5. Augustin, liber ad Uonoratum ,
seu epist. cxl. cap. 9, n° 7.S.)
324 DISSERTATIONS
ligence , de l'autre au mérite qu'il veut que nous ac-
quérions. Et c'est encore dans lui une infinie miséricor-
de , de nous faire de la foi une vertu qu'il récompense
en la rendant si facile par les démonstrations dont il
l'environne.
CHAPITRE III.
MIRACLES DES DISCIPLES DE jÉSUS-CHRIST.
1. Jésus-Christ avait prédit que ceux qui croiraient en
lui opéreraient ainsi que lui des miracles. Nous voyons
cette promesse formellement énoncée dans les Evangi-
les. « En vérité, dit-il dans un endroit, celui qui croira
« en moi fera lui-même les œuvres que je fais , et il en
« fera de plus grandes encore (1). Tels sont, dit-il ail-
u leurs, les prodiges qui suivront ceux qui croiront en
rt moi : ils chasseront les démons en mon nom; ils par-
«< leront des langues nouvelles ; ils manieront des ser-
«t pents; s'ils boivent des choses mortelles, elles ne leur
M nuiront pas ; ils imposeront les mains sur les mala-
«< des , qui ensuite se porteront bien (2). » Les Evangiles
ayant été composés postérieurement aux premières pré-
dications des apôtres, ne sont que le récit mis en écrit
des faits que les apôtres et les autres témoins avaient
publiés de vive voix. Les disciples de Jésus-Christ ont
donc certainement ouvert leur carrière, non-seulement
en rappelant aux Juifs les miracles de leur maître et en
publiant sa résurrection, mais encore en annonçant qu'ils
(i) Amen, amen dico vobis, qni crédit in me, opeia qnœ ego fa-
eio, et ipse facial, et majora horum faciet. [Joan. xiv , 2.)
(2) Signa autem eos qui eredideiint, hœc sequenlar : In ncmine
Hieo daemonia ejicient, linguis loquentur novis , serpentes tollent ; et
si mortiferuiB qnid bibeiinr, non eib nocebit ; super aegros manus im-
ponent, et bene babebnnt. (Marc, xvi, 17, 18.)
SUR LA RELIGION. 325
avaient reçu de lui son pouvoir d'opérer des prodiges.
Ils ont ensuite donné plus de force encore à cette dé-
claration en la consi(;nant dans leurs évangiles et en la
publiant universellement. Cette proclamation si solen-
nelle était un engagement formel qu'ils contractaient de
faire aussi des miracles. Ils prenaient cet engagement
envers leurs ennemis si acharnés contre eux , si puis-
sants pour les punir s'ils manquaient à leur promesse.
En le prenant, ce grand engagement, ils donnaient,
et au peuple juif, et à l'universalité des nations à qui
ils portaient l'Evangile , un moyen certain, et en même
temps un moyen facile de reconnaître s'ils étaient véri-
tablement les juinistres du Tout-Puissant. En promet-
tant des merveilles ils attiraient sur eux les regards du
monde, sur leurs œuvres son attention. Il ne fallait que
des yeux pour voir s'ils guérissaient les malades par la
seule imposition des mains; que des oreilles pour s'as-
surer qu'ils parlaient toutes sortes de langues. La décla-
ration publique cju'ils font de leur pouvoir miraculeux
est tout à la fois et une invitation adressée à tous les
peuples d'examiner, d'observer, de scruter, de juger
leurs œuvres, et un défi porté aux incrédules, soit de
leur temps , soit même de tous les siècles , de les trou-
ver en faute. Ils ne se dissimulaient pas qu'ils seraient
continuellement environnés d'hommes attentifs à les
considérer, habiles à discerner leurs actions, ardents à
les prendre en défaut. Ils savaient à n'en pas douter,
que leurs œuvres auraient pour témoins 1rs Uiagislrats
juifs et idolâtres qui avaient l'intérêt, le désir, l'autorité
de les punir sur le moindre soupçon de fraude. Ils étaient
donc bien sûrs de leur puissance pour l'annoncer avec
une telle hauteur? Ils auraient été des insensés (et nous
avons prouvé qu'ils ne l'étaient pas), si, sentant leur
impuissance à opérer des prodiges, ils s'étaient avisés
de promettre aussi pubhqueinent des prodiges. Qu'ils
crussent en imposer en racontant les miracKs de leiu'
maître, cela même, comme nous l'avons vu, eût été
souverainement déraisonnable ; mais qu'ils eussent ima-
326 DISSERTATIONS
giné de tromper le monde entier sur leurs propres mi-
racles, sur des miracles annoncés d'avance et sévère-
ment examinés, c'eût été une extravagance dont on ne
connaît pas d'exemple. Un seul prodige annoncé et non
effectué , un seul tenté sans succès, une seule fraude dé-
couverte, leur ministère estannéanti : un opprobre éter-
nel devient leur partage , et ils se sont livrés aux sup-
plices que méritent les imposteurs. La promesse qu'ils
font des miracles, en montrant leur assurance d'en opé-
rer, est déjà un j)réjugé très-fort en leur faveur. Mais
voyons s'ik l'ont tenue et s'ils ont accompli cette pro-
phétie de leur maître. Suivons-les dans cette carrière
d'œuvres merveilleuses qu'ils vont parcourir.
II. Le premier miracle de cette carrière des Apôtres,
c'est sur eux-mêmes qu'il est opéré (1) : c'est celui qui
les rend capables de tous ceux dont ils rempliront leur
vie; c'est la descente du Saint-Esprit sur eux, dix jours
après que Jésus-Christ fut reuionté dans les cieux.
III. Voudrait- on révoquer en doute ce grand prodi-
ge , et attaquer la véracité de l'écîivain sacré c[ui le rap-
porte dans les Actes des Apôtres? Nous dirons qu'il est
aussi complètement prouvé que tous les autres miracles
(r) At nerao turbeîur apostolos sic iraperfeclos videns. jNondum
cnim crui advenejal , iionduni Spiritus gratia data erat. Si velis autera
ipsoruni virtutem ediscere, p.)st haeo illos conbidera, videbisque ipsos
orani luorbo animi supenores. (5. Joan. Chrjsost.y in Matth..
homil. Lxv alias lxvi , n" 2.)
Sed jam hic panlo ante tiiuidus, qnalis post adventam Spiritus ex -
titerit videainus. Ceite Lnea testante didicmius , contra saceidutes et
principes qmnta D>>iDinuiu aui^tor.ta'e praedicaverit Ecce ille
panlo ante tiinidus, jiiin linguis loquitur , cornscat luiraculis , infi-
delitatena sacerdotuin ac pnncipurn libéra voce increpat^ ad praedi-
candorn Jesuni exempliim auctoiitatis caeteiis prestat. Ne in nornine
ejus loqai debeat verbeiilius prohibetar, nec tamen compcscitur.
Gontemnit flagetia caedenfuiu, qui paulo ante requiientiam verba ti-
maera' , et qui aiiciilae vires re pii>itQs expavit, vires piincipnm caesns
premit. Sancti enim Spiri'.u^ jam virtute sob'datus, hujiis mnndi alii-
tudines libertatis calce depriœebat. ( ^. Gregor. Magn., Moral. ^
lib. xvir , cap. 3i , n" 49.)
SUR LA RELIGION. 327
dont nous avons démontré la réalité. C'est dans le cé-
nacle , il est vrai, loin des regards du public, que s'est
passé le fait de la descente du Saint-Esprit. Mais il y
avait dans le cénacle environ cent vingt personnes, tant
hommes que femmes. Tout le monde s'y trouvait ras-
semblé pour attendre cet événement qui leur avait été
prédit par Jésus-Cliiist avant son retour dans les cieux.
Dira-t-on que ces personnes se sont trompées? Dira-t-on
qu'elles ont voulu tromper? Pour soutenir la première
hypothèse, il faudrait dire que toutes se sont lait illu-
sion, et toutes la même illusion, sur un fait aussi frap-
pant, qu'elles avaient prévu, qui leur était personnel,
sur ses diverses circonstances , sur ce qu'elles avaient
vu, entendu, éprouvé ensemble. Car il est dit dans le
texte sacré , qu'un grand bruit s'était fait entendre , sem-
blable à celui d'un vent violent, des langues de feu étant
apparues , et étant venues se poser sur chacun des assis-
tants, remplis de l'Esprit saint, ils commencèrent tous
à parler diverses langues, selon que l'Esprit saint leur
ordonnait de parler (1;. Une rêverie, une folie, une il-
lusion aussi forte , aussi unanime sur un tel fait, serait
une chose absurde à soutenir. Veut-on que^saint Luc
qui a écrit cet événement , et que les apôtres qui l'a-
vaient précédemment publié , aient été des imposteurs
qui aient abusé de la crédulité publique? Il faudra né-
cessairement dire que les cent vingt personnes qui étaient
dans le cénacle ont été complices de l'imposture. Rap-
pelons-nous ce qui a été dit plus haut de l'impossibilité
d'un concert entre tant de personnes ; de l'impossibilité
plus grande encore que ce concert se soutienne unifor-
(i) Cnm complerentur dies Pentecostes , erant omnes pariter in
eodem loco, et facras est lepente de cœlo sonus, tanquam advenien-
tis Spiritus vebeii;enti.s , et lepievil toiam doraum uhi erant sedentes.
Et apparaerunl illis dispertitae Imgaœ tanquam igni.s , seditque supra
singnlos eorum. Et repleti sont omnes Spirifu sancto, et cœpeiant
loqui variis linguis , proQt Spiritns sanolus dabaf eloqni illis. [Âct.n,
I et scq. )
328 DISSERTATIONS
méinent sans jamais varier sur aucune circonstance, per-
sévéranunent sans jamais se démentir, même au milieu
des dangers, des persécutions, des supplices. Rappelons
ce qui a été prouvé du caractère moral des témoins, qui
écarte d'eux tout soupçon de mensonge. Tous les raison-
nements que nous avons faits sur le témoignage rendu
par eux aux miracles de Jésus-Christ établissent avec la
même force la vérité de leur témoignage sur le miracle
de la Pentecôte (1).
IV. Le fait même de la descente visible du Saint-Esprit
s'est passé dans le cénacle; et comme nous venons de le
voir, il n'en est pas moins certain. Mais ce qui a suvi
immédiatement ce fait , d'après le récit de saint Luc , a
eu pour témoins tous les Juifs réunis à Jérusalem à l'oc-
casion de la fête ; c'est la sortie des apôtres du cénacle ,
annonçant hautement la résurrection de Jésus-Christ ;
c'est leur don de parler toutes sortes de langues ; c'est
l'étonnement des Juifs à la vue de cette merveille ; c'est
le succès prodigieux des deux premières prédications ,
où trois mille, cinq mille se convertissent; c'est la gué-
rison soudaine d'un paralytique à la seule parole de saint
Pierre ; c'est le courage avec lequel tous les apôtres ré-
pondent aux prêtres et aux magistrats. Or, il n'est pas
difficile de prouver que ces faits , qui ont eu toute la
publicité possible , sont indubitablement : 1° véritables;
2° les effets de la descente du Saint-Esprit.
V. En premier lieu , lorsque saint Luc écrivait ces
faits, ils étaient crus unanimement par les chrétiens. Il
n'aurait pas osé les produire s'ils avaient été ou incon-
nus, ou rejetés par la croyance commune. Si son livre
des Actes n'eût pas contenu des faits, tous reconnus uni-
versellement véritables, nous ne le verrions pas, dès le
temps où il a été publié , reçu avec respect dans toutes
les églises, non-seulement comme un ouvrage souve-
rainement véridique , mais comme un ouvrage inspiré ;
nous ne le verrions pas inséré comme tel depuis l'ori-
(i) Voyez ch;ip. i, u" ix , et suiv. , page i47'
SUR LA RELIGION. 3!29
gine, dans le canon des livres saints. Puisque l'Eglise
entière, répandue dans beaucoup de pays, croyait et
regardait comme incontcslables ces circonstances qui
avaient accompagné la descente du Saint-Ksprit, il est
certain que les apôtres les avaient publiées partout, dès
les temps voisins de celui où elles s'étaient passées. Au-
raient-ils osé, devant un si grand nombre de témoins
oculaires, attester des faits aussi publics, aussi frap-
pants, aussi importants , qui eussent été faux? S'ils l'a-
vaient osé, non-seulement ils n'auraient trouvé aucune
créance sur ce point-là, mais ils auraient décrédité leur
ministère, fait tomber dès le commencement leur pré-
dication. Ils n'auraient pu ni imaginer de publier une
fausse narration de ce genre , ni réussir à la faire rece-
voir. S'ils avaient eu l'ineptie de le tenter, l'indignation
ou le mépris, probablement même l'une et l'autre, au-
raient excité une réclamation générale. Une seule de ces
circonstances arguée de faux , qui aurait voulu se faire
chrétien ? Pour soutenir que le récit de ces faits est une
fable, il faut prétendre que les apôtres, et tous leurs
associés , étaient des fous de les publier ; tous les pre-
miers chrétiens, des imbéciles de les croire; tous les
habitants de la Judée des sots de ne pas les contredire.
VI. En second lieu, ces faits, qui sont bien cer-
tains, ont été et n'ont pu être que les effets de la
descente du Saint-Esprit. St. Pierre le déclare formel-
lement , au nom de tous ses collègues , dans son pre-
mier discours à tout le peuple juJ rassemblé, et étonné
des choses extraordinaires qu'il voyait. Après avoir
rapporté la prophétie de Joël , qui annonçait ce grand
événement (1), il dit que c'en est l'acconiplissement et
(i) Sed hoc est qnod dictuni est per prophetam Joël; et erit in
novissimis diebus, dicit Donii.-ius : Effundam de Spiiilii meo saper
omnem carnem , et piDpbetabunl filii vestri, et filiae vesirœ, et jare-
nes veslii visiones videbunt , et seniores ve.stris orania soinniabnnt ; et
quidem super servos meos , et super anrillas meas, in diebos illis ,
elfaudam de Spiritu meo, et prophetabant. (.4ct. n,i6, 17,18.)
330 DISSERTATIONS
que c'est l'efFel de la promesse que Jésus-Christ a faite ,
de répandre cet Esprit saint que vous voyez, ajoute-t-ii,
et que vous entendez (1). Cette assertion de St. Pierre
est-elle vraie? ou doit-on attribuer ces faits à une
cause naturelle? Il n'y a pas de milieu entre ces deux
propositions. Tout ce qui s'opérait alors était néces-
sairement l'elïet , ou de causes naturelles quelconques,
ou de la cause surnaturelle.
Je demande quelle cause naturelle a pu si subitement
transformer les apôtres en d'autres hommes; donner à
de pauvres pécheurs ramassés sur les bords du lac de
Génézareth , sans lettres , sans instruction . d'un esprit
jusque-là si simple et si épais, qui, de leur propre
aveu, quelques semaines auparavant, ne comprenaient
pas ce que leur maître leur disait de plus clair; je
demande quelle cause naturelle a pu leur donner subi-
tement cette force de parole que St. Pierre déploie
dans ses deux premiers discours; qui convertit dans
Jérusalem un aussi grand nombre de Juifs; que de là
ils vont tous porter dans les villes les plus célèbres,
centres de toutes les connaissances, et avec laquelle
ils combattent les savants les plus éclairés de ce siècle
de lumières? je demande quelle cause naturelle a pu
faire de ces hommes, auparavant si timides , qui avaient
abandonné lâchement leur maître à son premier danger,
qui ensuite tremblants pour eux-inémes d'éprouver son
sort, restaient enfermés dans le cénacle ; quelle cause
naturelle, dis-je, a pu en faire dans un moment les
héros les plus intrépides que l'univers ait connus; leui
donner le courage d'abord de répondre avec cette
fermeté si hautaine aux meurtriers de Jésus-Christ
revêtus de la puissance et maîtres de les traiter comme
lui , et de soutenir constamment la même audace dans
tout le cours de leur vie , devant tous les tribunaux ,
(i) Dexfera igiinr Dei exalfaHis, et promissione Spiritas sancti
accepra a Pâtre, effndit hune, qnem vos videtis et aoditis. {Ibid. 33.)
SUB LÀ RELIGION. 331
et jusque sur les échafauds où on les fait expirer (1)?
Toutes les causes naturelles devaient produire en eux
l'effet contraire. Leur métamorphose soudaine non-
seulement n'est pas dans la nature , mais elle est en
contradiction avec ce que, dans les mêmes circonstances,
opère constamment la nature. En rejetant le miracle,
elle est incompréhensible, mais elle s'explique parfai-
tement par la raison qu'a donnée St. Pierre, par l'in-
fusion du Saint-Esprit, qui les a entièrement changés.
Ils sont eux-mêmes le premier miracle de leur pré-
dication (2).
(r) In horadominicae coraprehensionis scriptura de eisest, quia, relie-
to Domino omnes fogeranl. An non valde inHrmus tanc Petras erat,
cam interrogantis ancilliilae vocem limuit, et Pvederaptorera negavit...?
Sed nbi eos robur induit , libet intueri quam foitis fuir. Repentino
quippe sonitu saper eos SpirifussanctUi venit ; et eoruna infirmitatem
in mirae charitatis virlutein pernmtavit. Cœperunt enim Christam, jam
robore indati, praedicare , qai persecatorurn minas nun erubescebant
delitescendo fugeie , et (jui mniierum vcrba timuerant , auctoritatem
principam libère frangebant. Vicit robur formidinera ; terrores, mi-
nas et caedes saperav;t; et quos superveniendo induit , in cœlesli
militia aadaciae in.>>ignibaa illusîravit; ut inter flagella, caedes , et
opprobria, non metaerent , sed exultarent. (^S. Gregor. Magn. in i.
Reg. f lib. I , cap. 3 , n° la.)
(2) Discipuli admodom liraidi erant, anteqaam id qnod par erat edis-
cerent, et donc Spiritns sancti dignarentar. Postmoduni vero leonibas
aadacjores faerant. Et Pttrus , qui pueilae minas non talerat, inverso
capite appensus , et veiberatus, milieque periculis exposifus, non
tacebat, sed, quasi baec per somniam pateretar , sic libère loqoeba-
tar. [S.Joan. Chrysost., in Joan., Honi. Lx.xvr ; alias lxxv , n° i.)
Qaibas profecto tune Spiritns virtuîera tribait , cnm in igneis lin-
gais apparens, in cordibus eorara divini flammas amoris accendit.
Quod qaidem aperte cognoscere posiamas, si quales ante, quales
post adventum sancti Spiiitus fuerint , perpendamiis. Qai enim ad
passionem tendentein Magistrum fugientes reliqaeiant, postmodam,
per adjunoram Spiritus sancti gratiam roboiati.^ constanter et poblicc
nomen Cbiisti praedicabant. Nain, ut reliqnos praetermittamus , ipse
apostoloram princeps, (joi mori mefuens vitam nt-gaverat, ciim fac-
to conventn, caesis apoiiolis, sacerdutes et sciibae, ne in nomine
Christi loqaerentur, pruhibererU , aiebat : Oportet obedire Deo ma-
gis quam hominibus. Cœlonam igitur virtus de Spirita sancto e^t,
332 DISSERTATIONS
Et les autres prodiges racontes par St. Luc , ce talent
qui n'avait jamais été vu dans le monde, et qui était
nécessaire à l'établissement de la religion , de parler
indilléreinment , et sans hésiter, toutes sortes de langues
qu'on n'a jamais apprises (1) ; la guérison d'un paraly-
tique par une seule parole ; sont-ce là encore des effets
naturels? En les rapprochant des promesses laites par
Jésus-Christ à ceux qui croiraient en lui, n'est- il pas
clair que c'en est l'exécution? Concluons de là que la
descente du Saint-Esprit, ce premier miracle du chris-
tianisme, principe de tous les autres, et de l'établisse-
ment même du christianisme, est positivement démon-
trée, d'abord par le témoignage irréfragable des disciples
qui en ont été l'objet , ensuite par les effets évidemment
divins qu'elle a produits. Passons aux autres miracles
dont les disciples du Sauveur ont été non plus les
objets, mais les auteurs, ou plutôt les ministres, et
voyons s'ils sont aussi bien prouvés.
YIÏ. Je trouve une preuve générale que les apôtres
ont fait des miracles, dans les diverses églises qu'ils ont
fondées. Que les apôtres aient établi des églises partout
où ils ont jeté les fondements de la foi, c'est un fait
tellement certain , si clairement rapporté par tous les
qaia per infusiira saiicti Spiritns gratiain , facti sunt in Chiisti confeS'
sione fortes apostoli, qui prins fueranl ex. fiagilifate carnis infirmi.
Nisi enjm proraissa charismatum dona illi doininici gregis pastores
susceperint, nnlio virlutis décore claruissent. ( Opus S. Cregor.
Magn. attribut. Exposit. in vu psalm. pœnit. ; in psalm. vi, n°i6.)
(i) Gnr eigo aiite omnia illud (dunum linguarum ) acceperunt
apostoli? Quia per omnes orbis partes pervasuii eiaat, et siciit in
tempore quo facta estturris, lingua qnae erat tina dividebatur in
mulfas, ita tune qnse eiant maltae s^epe ibant ad uniim bominem ; et
idem hoino , Persarum , et Romanorum , et Indorum, et aliis ujultis
loquebatur lingais , in ipso insonante Spiiitu. (.?. Joan. Chrys. ^ in
epist. I ad Cor. , Homil. xxxv, n" i. )
Divinis autern apostolis gratia Spiritus lingaarnm cognitioneni de-
derat ; quoniam, cum esst^nt omnium gentiam doctores consiituti ,
oportebat eos scire omnium vores , ut-unicuique per propriam vocem
evangelicatu praedicalionem afferrent. ( Theodor. , in Epist. i ad Cor.,
tom, m, cap, xii , v. i.)
SUR LA RELlGIOxV. 333
auteurs et chrétiens et païens, que nos adversaires ne le
révoquent pas en doute. Je le dirai d'abord avec plu-
sieurs sainls Pères : Sans miracles, ces églises auraient-
elles pu se former (1)? Coinnientles disciples auraient-ils
pu trouver créance aupi es de tant de peuples , leur faire
adopter une doctrine incompréliensdjle , pratiquer une
morale sévère, s'ils n'avaient pas donné cette preuve de
la divinité de leur mission ? On ne croit pas légèrement,
et sans raison , qu'un liomme est l'envoyé de Dieu. On
se rend plus diflicile encore à le croire, quand à sa
voix il faut changer toutes ses idées, réformer toutes
ses inclinations. Et quel autre motif que les miracles
les hommes apostoliques auraient-ils pu donner pour se
faire croire tels? Observons de plus que dans l'Evangile
qu'ils publiaient , il était formellement prédit qu'ils
feraient des miracles. Cette prophétie favorisait leur
prédication, si en effet ils en opéraient; mais elle la
contrariait, elle devait même la faire tomber, s'ils n'en
opéraient pas. Voici qui est plus démonstratif encore.
Dans toutes ces églises fondées par les apôtres et par
leurs associés , on était persuadé qu'ils avaient fait
beaucoup de miracles. Comment cette persuasion si
forte, si unanime, se serait-elle établie, s'ils n'en avaient
fait aucun? Qui aurait pu persuader en même temps
à tant d'hommes si distants de pays, si différents de
langage, qu'eux, ou., si l'on veut, que leurs pères
avaient vu des miracles qu'ils n'avaient jamais vus,
ou dont leurs pères ne leur auraient jamais parlé ?
Quelle puissance assez forte, assez étendue, aurait été
(i) Jnre a-itein signornm gratiam pelant. Non a!io en m inodo
ostendere poreiant ipsam resurrexisse, iiisi ex signis. (S. Joann.
Chrysost.^ in Acta Apostol. , Homil. xi, n" a.)
Neque enim po uissfrii oinnes gente-. in tain brevi teiiiporo r-!;fde-
rc , nisi sigiioriiin iniraculis (Id; 3 eoinm qaodani modo esset extorta.
Lorjuenti')n.s enim et clamantibns apotolicis viris , Dominus signoram
magnitiîdine respondchnt. (5. Hieronym. Commemt. in Isa'am^
lil). XVIII, rap. 68. )
334 DISSERTATIONS
capable deproduiie un effet aussi extraordinaire, aussi
universel ? Cette foi unanime de toutes les é{jlises formerait
à elle seule une preuve complète des miracles de leurs
fondateurs. Kile acquiert un nouveau ])oids et devient
une démonstration irrésistible , quand on la lie à l'im-
possibilité de la formation de ers é{;liscs autrement que
par les miracles. L'établissement de tant d'é}',lises jus-
tifie leur croyance aux miracles apostoliques ; leur
croyance aux miracles apostoliques montre que c'est
par eux que s'est fait leur établissement. Ces églises
donnent la preuve des miracles par leur formation ,
et la raison de leur formation par les miracles(l).
VIII- Le livre des Actes des Apôtres où sont rap-
portés beaucoup de miracles des hommes apostoliques,
est aussi une preuve de ces miracles. Outre les prodiges
du jour de la Pentecôte dont nous avons parlé. St. Luc
en rapporte beaucoup d'autres. La punition soudaine
d'Ananie et de Sapliire (2) ; les guérisons de toutes les
sortes de maladies opérées par l'ombre seule de St.
Pierre (3) ; les apôtres tirés de prison par un ange (4) ;
les malades guéris et les possédés délivrés par saint
Philippe, à Samarie, dont résulte la conversion de
Simon le magicien (5); la conversion de St. Paul (6);
la guérison du paralytique Enée , et la résurrection
de Théhite par St. Pierre (7); la descente visible du
Saint- Ksprit dans la maison du centenier Corneille (8),
(i) Haec (rairacnla) nt fîdem facerent , innotoernnt. Haec per fi-
dem , quam fecciunt, inuho clarins innotoerunt. Leguntar qoippe in
populis, ut ciedantnr; nec in populis tamen, nisi crédita, legerentur.
(S. Augiist. , de Civit. Dei , lib. xxit, cap, 8 , n° i.)
(a) Act. V , I et seq.
(3) Ibid. i5.
(4) Ibid. 19 et seq.
(5) Ibid. viir, 5 et seq.
(6) Jèid. IX , I et seq
(7) Il>id. 33 et seq.
rS) Ibid. X, 44, 45.
P
SDR LA RELIGION. 335
à la voix du iiiéme apôtre (1); les prophéties faites par
Agabus, d'une famine qui a lieu sous le règne de
Claude, et de la persécution susciiée à Jérusalem contre
St. Paul (2) ; la délivrance de St. Pierre par un ange,
de la prison où l'avait mis Hérode (3) ; la mort soudaine
de ce prince, en punition de sou orgueil (4), l'aveugle-
ment subit du magicien î]lymas , prodige qui soumet à
la foi un proconsul (5); la guérison d'un boiteux de
naissance, à Lystres , par St. Paul (6) ; la délivrance
d'une 611e possédée, à Philippes^7) ; les portes de la
prison où était renferiiié St. Pierre , ouvertes avec
fracas, ses chaînes brisées et son geôlier converti (8);
le Saint-Esprit descendu à Ephèse sur environ douze
nouveaux convertis, qui aussitôt parlent diverses lan-
gues et prophétisent (9) ; les malades guéris , les possédés
délivrés dans la même ville par le seul attouchement
des linges qui avaient servi à St. Paul (10) ; la résur-
rection du jeune Entiche, à Troade, par le même
apôtre (11); sa prédiction dans une tempête de quatoi-ze
jours , qu'il n'ari iverait nul malheur à aucun assis-
tant(12); la morsure d'une vipère dans l'ile de Malte,
dont il ne lui résulte aucun mal (13;. Il paraît, par
plusieurs passages du même livre , qu'il a été fait par
les apôtres beaucoup d'autres miracles qui n'y sont
pas rapportés.
(r) At-t. X, 44, 45.
(a) Ibid. xr , 28; XXI, lo, il.
(3) Ibid. XII, 3 etseq.
(4) Ibid. 2 3.
(5) Ibid. 1.111, 8 et seq.
(6) ibid. XIV, 7 et seq.
(7) Ibid. XVI, m et seq.
(8) Ibid. 2 5 et seq.
(9) Ibid. XIX ,6,7.
(10) Ibid. 1 1 , 12.
(11) /^/</. XX, 9 et seq.
(12) Ib'.d. XXVII, 22 et seq.
^3) Ibid. xxvni, 3, 4, 5,
336 DISSERTATIONS
Ces récits de St. Luc sont-ils certainement véridiques?
Cette question, comme nous l'avons vu, en renferme
deux. A-t-il pu être trompé, a-t-il voulu tromper sur les
faits qu'il rapporte?
IX. D'abord il n'a pu être lui-même dans l'erreur. Il
y a bcaucou|T de ces njiracles dont il avait été person—
nellemenl témoin; il yen a d'autres qu'il rapporte sur
la foi de ceux qui l'avaient été. Il avait des premiers la
certitude physique, des seconds la certitude morale. Di-
ra-t-on, sur les premiers, qu'il se faisait illusion ; que
tous ses sens se trompaient, non pas une fois, mais
presque continuellement? Ce serait déjà une absurdité ;
mais en voici une plus révoltante encore. Saint Luc
rapporte (et puisqu'on le suppose daris l'erreur, il faut
le croire sincère) Timpression que faisaient sur les assis-
tants les miracles apostoliques, les effets qui en résul-
taient. Tantôt les miracles de saint Paul le font prendre
pour un Dieu ; tantôt ils opèrent de grandes conver-
sions. D'autres effets encore sont rapportés dans diverses
circonstances. Il faudra donc soutenir que les assistants
qui voyaient avec saint Luc, qui croyaient, de même
que lui, les merveilles opérées par les apôtres, se fai-
saient la même illusion , éprouvaient la même erreur de
tous leurs sens. Que devient la certitude physique dans
cette ridicule assertion?
Youdrait-on dire que saint Luc a été induit en erreur
sur ceux des miracles dont il n'avait pas été témoin ?
Mais il avait connu et ceux qui les avaient opérés, et
ceux sur cjui ils avaient été opérés, et ceux qui en
avaient été convertis, et tous ceux qui les avaient vus.
Il les tenait des églises entières qui y avaient été pré-
sentes. Il en avait vu les eff'ets. Si on veut n'ajouter foi
à un écrivain que sur ce qu'il a vu de ses propres yeux ,
qu^le histoire pourra-t-on croire? Que devient, dans
cette seconde supposition, la certitude morale?
X. L'assertion que saint Luc a voulu tromper sur les
miracles des apôtres , n'est pas moins déraisonnable.
Outre que ses écrits , et son caractère moral , confirmé
SCR LA RELIGION. 337
encore par celui de tous ses associés , ne donnent aucune
prise à cette accusation, il est certain que, s'il avait
voulu induire en erreur, il aurait pris, pour y parve-
nir, un moyen détestable et qui l'aurait empêché de
réussir. Aux miracles qu'il rapporte il joint toujours
l'indication du lieu où ils ont été opérés, et souvent la
désignation des personnes qui en ont été les objets. Il
donne par là un moyen simple, naturel, facile , de vé-
rifier les faits qu'il rapporte. Est-ce là la marche qu'au-
rait suivi un fourbe? Son histoire renferme un inter-
valle d'environ trente ans qui venaient de s'écouler.
Dans tous les pays dont il parle , il y avait des hommes
qui y vivaient lors des faits qu'il rapporte. Tous les au-
tres habitants de ces pays pouvaient facilement, de-
vaient même naturellement s'en informer. Si on vous
rapportait que dans la ville que vous habitez il s'est pas-
sé, il y a dix, vingt, vingt-cinq ans et avant que vous y
fussiez, un fait très-extraordinaire, très-public, très-
frappant, très -important, n'iriez- vous pas vous en in-
former auprès de ceux qui habitaient alors cette ville, et
qui ne peuvent manquer d'en avoir connaissance ? Si on
veut que St. Luc ait été ua imposteur, on veut donc qu'il
ait été à la fois le plus maladroit et le plus heureux des
imposteurs ; le plus maladroit, puisque, par son indica-
tion des circonstances, il fournissait lui-même le moyen
de découvrir sa fourberie ; le plus heureux, puisque,
malgré cette énorme bévue, il est parvenu à procurer à
son ouvrage la croyance et le respect de ses conteinpo-
rains et des générations suivantes. L'objet de saint Luc
était de favoriser, de confirmer et d'étendre la religion
dont il était ministre. En insérant dans son livre des
faits faux, et dont la fausseté eût été facilement consta-
tée , il prenait le moyen diamétralement contraire à
son but. Quel effet et parmi les païens, et njéme dans
les églises chrétiennes , aurait produit la fausseté recon-
nue d'un seul fait rapporté par un évangéliste? En deux
mots, il est impossible que St. Luc ait menti sur des
miracles aussi publics, aussi récents, que tant de per-
Ditsert. sur la Relig. 15
338 DISSERTATIONS
sonnes de tout parti avaient et un intérêt majeur et une
tacilité extrcnie de vérifier. Il est évident qu'il n'a pas
menti , puisqu'après les vérifications qu'on n'a sûrement
pas manqué de faire, son livre des Actes a toujours joui
de la plus grande autorité, et que les faits qui y sont
rapportés ont été constamment et universellement crus.
XI. Voici un nouveau témoin du plus grand poids,
et qui imprime aux miracles apostoliques le motif de
certitude le plus convaincant ; c'est l'apôtre saint Paul.
Le premier miracle qu'il atteste , est celui que Jésus-
Christ lui-même a opéré sur sa personne ; c'est sa propre
conversion (1). 11 serait absurde de soupçonner qu'il
s'est trompé sur un tel fait. Il n'est pas plus raisonnable
de l'accuser d'avoir voulu tromper. 1° Quel intérêt y
aurait-il eu? Sa prédication devait, comme il l'annonce,
lui attirer les plus grands maux ; et en effet il n'a cessé ,
dans le cours de sa carrière , de les éprouver. 2.° 11 cite
les témoins du miracle qui l'a converti ; ce sont les gar-
des qui l'accompagnaient, qui ont été frappés de la lu-
mière, qui ont entendu la voix céleste, qui l'ont vu
renversé, qui, le voyant aveugle, l'ont conduit par la
main à Damas. Si le fait est faux , les circonstances le
(i) Cum Paolam videas qui ipsam (Jesnm) non viderat , qui ip-
-sum non aadierat, qui doctiinae particeps minime faerat, qui etiam
post crncem ip=,i bellum indixerat, et eos qui in illum credebant in-
terficiebat, qui cmnia raiscebat ac turbabat , hune subito mutafum ,
inferendis pro praedicatione verbi laboiibus omnes Chiisii amicos su-
perare; qnae tibi, qaaeso, deinceps impudentiae occasio relinquitar ,
S! rciurrectionis verba non credasT Si enira Christus non resnrrexis-
set , qnis honiinam adeo crudelem et inbnmanura, quis adeo infen-
sum et efferatum sibi cor.ciliasset et ad se adstruxisset ? Die enira,
quéeso, Judae, quis Paulo persuasit nt Christo ss adjongeret ?
jNum Petrus? Nom Jacobus? Num Joannes ? Atqui omnes isti eura
tiraebant et horrebant; neque taninm ante hoc tempus,sed tam
etiam, cum in amicorcm nunierum relatns erat; quando prensum il-
1cm mann Barnabas Jerosolyraam introduxit, adhnc illi propins 5€
adiungere timebant ; ac sedatum quidem erat bellum; metos tamen
adhuc in apostolis permanebat. [S. Joan. Chr^sost.^ Homil. in illud :
San! adhuc .'pirans, n° 5.)
SUR LA RELIGION. 339
sont ; si elles le sont , les témoins le démentiraient.
3° Accusé devant un tribunal, il raconte, pour se jus-
tifier, le miracle de sa conversion. Les Juifs ses accusa-
teurs^ ses ennemis acharnés, qui faisaient tous leurs
efforts pour le traîner à la mort, n'osent pas le contre-
dire sur ce point. C'est lorsqu'il dit qu'il a été envoyé
pour prêcher aux nations , qu'il s'élève un cri contre lui
et qu'on demande sa mort , en disant qu'il n'est pas di-
gne de vivre (1). Ainsi on veut qu'il périsse , parce qu'il
porte aux nations la doctrine qui devait rester concen-
trée dans le peuple Juif; mais on ne l'accuse pas d'im-
posture, pour avancer le fait de sa conversion, ^^'en est-
ce pas là une sorte d'aveu?
XII. Ce n'est pas seulement le miracle de sa conver-
sion que saint Paul atteste ; il fait mention des miracles
qu'il avait opérés, et il les rappelle à ceux qui en avaient
été témoins, u Notre prédication de l'Evangile , dit-il
a à ses disciples de Thessalonique, n'a pas été seulement
« en paroles , mais aussi en miracles , et dans le Saint-
« Esprit, et dans une grande abondance, comme vous
« savez que nous avons été parmi vous et pour vous (2;.»
Il répète , peu d'années après , la même déclaration aux
Corinthiens '3,. Il leur dit ailleurs que les preuves de
son apostolat ont été sa patience entière , ses prodiges ,
ses miracles, et les effets de la force divine (4;. « Je
« vous ai écrit avec liberté , dit-il aux Romains , pour
« rappeler à votre souvenir la grâce que Dieu m'a
« accordée d'être le ministre de Jésus-Christ parmi les
o nations ; car , ajoute-t-il , je n'ose parler de ce que
(i) Act. xxn.
(aj EvangeLum nostrum non fait ad vcs in seiraone tanium, sed in
virtate, et in Spirila sancto , et in plenitadine multa; sicatscitis,
qaaies faerimas in vobis prupfer vos, ( i. Thessal. i , 5- )
(3) Serrao meus et praedicatio inea , non in persuasibilibns hamanae
sapientiae verbis, sed in ostenbione Spiritus et virtaiis; ot tides vestra
non sit in sapientia hominarn , sed in virtate Dei. ( i . Cor. ii , 4 , 5. )
4) Signa taraen aposto'.atos mei facta sont saper vos, in omnipa-
tientid , in signis, et prodigiis , et virtotibus. (2. Cor. xu , 12.)
340 DISSERTATIONS
« Jésus-Cliiist a fait pour moi, pour se soumettre les
t< gentils par la parole et par les œuvres , par la vertu
« des miracles et des prodiges , et par la force du Saint-
« Esprit; en sorte que, de Jérusalem jusqu'à l'Illyrie,
« j'ai tout rempli de l'Evangile de Jésus-Chiistfl;. »
Je demande à tout homme raisonnable s'il pouvait
entrer dans l'esprit de St. Paul de dire aux Tliessalo-
niciens, aux Corinthiens, aux Romains , qu'il avait fait
des miracles parmi eux, et d'invoquer, sur ces mi-
racles , leur témoignage , si effectivement il n'avait fait
parmi eux aucun miracle^ Je demande quel effet aurait
produit sur ces nouveaux chrétiens de différents pays
une déclaration aussi insensée? Que l'incrédule qui nie
les miracles de St. Paul , se transporte aux lieux où ces
lettres ont été adressées , et au moment où elles y sont
arrivées. Quelle idée prendrait-il de l'écrivain qui aurait
été faire un mensonge aussi impudent , un mensonge
nécessairement reconnu de tout le monde aussitôt qu'il
aurait été produit? Il ne lui ferait pas l'honneur de le
prendre pour un imposteur qu'il faut punir, il le regar-
derait comme un fou c|u'il faut enfermer. Il n'y a pas
un Romain , un Corinthien , un Thessalonicien , qui ait
pu penser autrement, s'il n'était pas persuadé des mi-
racles de St. Paul. Mais, au contraire, nous voyons ces
lettres reçues avec respect , et par les églises à qui elles
sont adressées, et par l'Eglise universelle; nous voyons
que dès les premiers temps on les lisait dans les assem-
blées des fidèles comme des écrits inspirés. Nous avons
vu TertuUien attester que les originaux de ces lettres
étaient, de son temps, religieusement conservés dans
(i) Audacius sciipsi vobis, fratres, ex parte, tanqaam in memo-
riam vos reducens propter gratiam qnae data est rnihi a Deo ut sim
minisler Clidsti Jesu in gentibns... Non enim audeo aliquid loqui
eorum , quae per me non efficil Christns in obedientiam gentiutn vep-
ho , et factis , in virtute signoram et prodigiornm, in virtute Spiri-
îns sancti, ila nt ab Jerasalera per circaitam usque ad Illyrirnra ,
lepleverim, evangelium Chrisli. (/îow.xv, i5 et seq.)
SUR LA RELIGION. 341
les églises qui les avaient reçus (1). Il est donc évident
que les fidèles de Tliessalonique^ de Corintlie , de
Rome, savaient parfaitement, et étaient intimement
convaincus que St. Paul avait fait parmi eux des mi-
racles. Il est donc hors de doute qu'il en avait opéré.
XIII. Ce n'est pas tout encore. Que St. Paul eût
persuadé à ses disciples qu'il avait fait devant eux des
miracles, quoiqu'ils n'en eussent vu aucun, ce serait
une grande absurdité. Mais une autre , bien plus gros-
sière encore , bien plus révoltante, serait qu'il fût
venu à bout de faire croire, contre la vérité, qu'eux-
mêmes avaient le pouvoir de faire des miracles, et
qu'ils en faisaient réellement et journellement. C'est
cependant ce qu'il faut soutenir, si on veut révoquer
en doute les miracles des premiers fidèles. Ce n était
pas seulement à ses douze apôtres , c'était à tous ceux
qui croiraient en lui, que Jésus-Christ avait promis
cette grande puissance. Nous avons vu , en citant les
miracles rapportés aux actes des apôtres, le don des
langues et celui de prophétie être plusieurs fois l'effet
de la descente du Saint-Esprit sur les néophytes. L'a-
pôtre , dans ses épîtres , leur parle souvent de ces dons
miraculeux qui leur sont accordés. Dans l'épître aux
Romains, traitant des différents dons que Dieu distribue
aux membres de son Eglise , il fait mention de celui
de prophétie (2). Dans celle aux Galates , il demande
si celui qui leur a donné son esprit opère parmi eux
des miracles par les œuvres de la loi, ou par la foi (3).
Il dit aux Ephésiens que Dieu a établi des apôtres,
des prophètes , des évangélistes (4). Il recommande
(i) Voyez la première Dissertation, n" ix, note, page Sg.
(2) Habentes autera donationes , secandnm gratiam quae data est
nobis, différentes, sive per prophetiam secandam rationem fidei ,
etc. {Rom. xii, 6.)
(3) Qai ergo triboit vobis Spirilum, operatnr virtutes in vobis, es.
Qperibus legis, an ex audifii fidei '' {Galat. m, 5. )
(4) Dédit qaosdam apostolos, quosdam anlem prophetas , alios
evangelistas, {Ephes. iv, ii.)
342 DISSERTATIONS
aux Thessaloniciens de ne pas mépriser les prophé-
ties (1). Mais c'est surtout dans sa première épître aux
Corinthiens qu'il traite, à plusieurs reprises, des dons
miraculeux existants parmi eux : ici , détaillant les
grâces que le Saint-Esprit répand diversement, il nomme
le don de guérir les maladies, celui des miracles, celui
de prophétie , celui de parler diverses langues (2) ;
là, distinguant les divers ministères, il parle encore de
ceux qui sont prophètes , de ceux qui font des miracles ,
de ceux qui guérissent les maladies, de ceux qui parlent
diverses langues (3) ; ailleurs il donne la préférence au
don de prophétie sur celui des langues (4) ; dans un
autre endroit, il annonce la fin des dons de prophétie
et des langues; mais il ajoute que la charité, qui leur
est supérieure, leur survivra (5).
Est-il possible que St. Paul abusât ses disciples sur
une puissance miraculeuse qu'il leur attribuait à eux-
mêmes? qu'il leur persuadât, contre leur propre raison,
contre leur propre expérience , contre leur propre sen-
timent , qu'ils exerçaient journellement et habituelle-
ment cette puissance ? qu'il leur fit accroire qu'ils
faisaient continuellement des choses au-dessus de la
force humaine? qu'il le fît accroire, non pas à un seul
homme, mais à des églises entières; non pas même à
(i) Prophetias nolite spernere. (i. Thessal. v, 20.)
(2) Alii quidem per Spirituin datur Gratia sanitatam in nno
Spiiitu , a!ii operatio virtutum , alii prophetia, alii discretio spiritunm
alii gênera linguarnm. ( i. Cor. xi: , 8, et seq. )
(3) Et qaidem qnosdam posait Deus in Ecclesia, primnin aposto-
los , secundo prophetas, tertio doctores , deinde virtales, exinde
gratia cnrationum, opitulationes , gubernationes, gênera lingnarnm ,
interrogatio seimonom. Nuraquid oranes apostoli ? Numquid omnes
prophetae? Numquid omnes doctores? Nuraqnid omnes virtutes ?
Numqaid omnes gratiara habentes cnrationum? Numquid omnes lin-
guis loquunlnr ? (/Ziî^f. , 28 et seq.')
(4) Volo omnes vos loqui lingois, magis antem prophetare; nam
major est qui prophetat , quam qui loquitur linguis. {Ibid. xiv , i5.)
(5") Charitas numquam excidit; sive propheiiae evacuabuntar , sive
iingua? cessabunt, {Ibid. xiii, 8.)
SUR LA RELIGION. 343
une église, mais à plusieurs? Ou ces fidèles de divers
pays croyaient effectivement avoir cette puissance mi-
raculeuse dont leur parlait St. Paul, ou ils ne le
croyaient pas. S'ils ne Tavaient pas cru , de quel front
l'apôtre aurait-il osé leur dire qu'ils en étaient investis ,
et qu'ils en faisaient usage? Avec quel mépris auraient-
ils reç ses lettres, traité sa personne, rejeté sa doctrine?
Mais si, comme il est évident, ils croyaient avoir ces
dons surnaturels, ils les avaient donc? On pourrait se
tromper sur quelques faits étrangers; on ne se trompe
pas sur ce qu'on peut faire soi-même, sur ce qu'on fait
actuellement. L'incrédulité, qui, au bout de dix-liuit
siècles , s'avise de révoquer en doute les dons miraculeux
des premiers siècles , est obligée de dire que tous les
chrétiens de ce temps-là , qui faisaient profession d'y
croire, étaient, ou trompés par les apotrcs , ou trom-
peurs avec eux. Entre ces deux absurdités nous lui
laissons le clioix. Qu'elle préi^ende , si elle le veut,
que St. Paul est venu à bout de persuader à la multi-
tude des fidèles qu'ils avaient un pouvoir qu'en effet ils
n'avaient pas , et qu'ils faisaient des miracles que réel-
lement ils ne faisaient pas' : ou qu'elle soutienne, si
elle l'aime mieux, que les preuiiers chrétiens, après
avoir été les objets et les dupes de la fraude des apôtres ,
en sont subitement, après leur baptême , devenus les
complices et les instruments ; et qu'au moment où ils
se sont aperçus qu'ils avaient été indignement abusés,
tous unanimement, attachés plus fortement parla même
à leurs imposteurs, se sont associés à la fourberie.
XïY. Une dernière preuve de la vérité des miracles
des disciples de Jésus-Christ, dans les premiers temps
de l'Eglise, c'est qu'attestés et produits en preuve de la
religion parles saints Pères, ils n'ont pas été contestés
par leurs adversaires , qui avaient un si grand intérêt à
les nier , et qui en auraient eu une si grande facilité ,
s'ils eussent pu les croire faux.
XV. Je dis, en premier lieu, que les apologistes de
la religion attestent ces miracles. Et ce n'est pas seule-
^^^ DISSERTATIONS
ment de ceux qui ont été opérés par les apôtres , par les
disciples de Jésus-CIaist, par les premiers chrétiens,
élevés de ceux-là, que parlent nos saints docteurs:
ils annoncent, ils attestent, ils proclament ceux qui
se faisaient encore de leur temps; car les dons miracu-
leux n'ont pas été bornés au temps apostolique; ils se
sont prolongés dans l'Eglise pendant plusieurs siècles.
Les saints Pères de ces siècles parlent avec une ferjue
assurance de ces prodiges qui s'opéraient encore publi-
quement et fréquemment dans les églises. Ils en parlent,
non pas une seule fois , et comme en passant, mais
souvent, et comme d'un motif puissant de croire en
Jésus-Christ. Ils ne cherchent pas à les prouver; ils les
supposent comme des faits incontestables et non con-
testés : tantôt invitant les païens à venir contempler ces
spectacles; tantôt déSant qu'on leur présente un possédé
du démon, qui ne soit aussitôt délivré par un chrétien
quelconque ; tantôt alléguant à leurs adversaires la
connaissance qu'ils ont eux-mêmes de ces merveilles.
Que l'on lise ce qu'en disaient au second siècle saint
Justm, St. Irénée, Tertulhen; au troisième, Origènes, St.
Cyprien, Minutius-FéUx; au quatrième, Lactance , St.
Jérôme; et jusque dans le cinquième siècle, saint Cy-
rille d'Alexandrie (1) : on verra combien ils étaient cer-
(r) Id profecto ex his qaae omnium ocnlis gerantur perspicere
potestis. Pluribus eiiim dœraoniis agilatis in toro orbe et in arbe ves-
fra, mahi ex nostris christianis , cum par nomen Jesu Christi sab
Pontio Pilato cracifixi adjararent , ab aîiis adjutoribus , incantatori-
bas, et venefîcis non sanatos sanaverunt, atqoe etiam nuiic sanr.nt
fraclis et ejectis daemonibus homines detinentibus. {S. Justin^ Apo-
log. 2 , cap. VI. )
Adjuforem enim et redemptorem enm vocamns, cnjus qnidem vel
nominis potentiam daemonia ipsa perhorrescunt; ac hodie per noraen
Jesu Christi, qui snb Pontio Pilato Jadaeae piœside crucifiius fuit,
adjnrata subjiciuntar. {Idem , Dialog. cum Trjphone ^ cap. xxx. )
Et nunc qui in cracifixum sub Pontio Pilato Jesum Dominnm
nostrnm crediraus, daîmonia omnia , et malos spiritns adjnrando
poteslati nostrœ subjicimus. [ihid.^ cap. lxxvi. )
Apad nos etiara nanc dona extant prophetica ; ex que et ipsi in-
SUR L\ RELIGION. 345
tains des miracles dont ils font mention , combien ils
craignaient peu d'être démentis. A ces témoignages
généraux de la persévérance des dons miraculeux parmi
les fidèles , dans les premiers siècles , je puis ajouter
des miracles bien certains , rapportés et attestés par les
auteurs les plus graves : celui de la légion thébaine,
sous Marc-Aurèle, dont font mention Tertullien et
Eusèbe j ceux de St. Grégoire-Thaumaturge , rapportés
telligere debelis, quae apud vos olim fuere , ea in nos esse translata.
{^Ibid., cap. Lxxxir.)
Tantain aufera absunt ab eo , nt raortnnm excitent, qnemadmo-
àx^m Dominas excitavit et apostoli per orationem, et in fraternitate
saepissiine, propter aliquod necessarinm , ea , qoae est in unoqnoque
loco , eccleda aniversa postulante, per jejunium et snpplicationem
muitara, reversas est spirirns motlui, et donatus est homo orationi-
bas sanctorum. (S. Iren., cont. Hœres. lib. ii, cap. 3i, n° 2.)
Qaapropter et in illius nomine, qui veie iilins snnt discipuli ab
ipso accipientes graliam perficiant ad bénéficia reliqnorum homi-
nnm; qaeraadmodum unusquisque accepit donum ab eo. Alii eniin
dœniones excludunt firraissime et vere, ut eliara sa'pissirae credant
ipsi qui emundati sunt a nequissimis spirilibus, et sint in ecclesia.
Alii autem et prsescientiam babent futurorum , et visiunes, et dictio-
nes propheticas. Alii autem laburantes aliqua inlirmitate per manus
impositionem curant et sanos restituant. Jara etiara, quemadmodam
diximus, et mortni resurrexerunt , et perseveraverunt nobiscum an-
nis multis. Et quid autem? ZS^on est numerum dicere gratiaium quas
per univcrsum mnndum ecclesia accipiens in nomine Cbristi Jesu
crucifixi snb Pontio Pilato per singujos dies in opitulationera gen-
tiara perficit. {Ibid., cap. 32 , n° 4-)
Edatur hic aliquis sub tiibanalibas vestris, qucm Jsemone agi
ronstet. Jussos a quolibet Christiano loqui spiritns ille , tam da?rao-
nem se confîtebitur de vero , quam alibi Deum de falso. jEque prc-
ducatur aliquis ex iis qui de Deo pati existimantnr, qui aiis inha-
lantes nurr.en de nidore concipiunt, qui ruclando conanfur , qui
aiihelando profantnr, ista ipsa virgo cœlestis plnviarura pollicitafrix,
iste ips3 ^sculapius medicin:>rura demonstrator, alias de moiituris
Scordii, et Donatii et Asclepiodoti subministrator ; nisi se dsemones
confessi fuerint , christiano meniiri non audentes, ibidem illius chris-
tiani procacissimi sanguinem I"undite. ( Ttrtidl.^ Jpclog., cap. xxiii.)
Daemones autem non tanlum respuimus, verum eiiam revincimus,
et quotidie traducimns, et de hominibus expellimus : sicr.t pir.rlmis
notum est. ibidem y ad Scapulam, cap. n.)
Qain et etiamnnm apud christianos nonnnlla supersunt illius Spiii-
15*
346 DISSERTATIONS
par St. Basile, St. Grégoire de Nysse, Eusèbe et saint
Jérôme ; ceux de St. Antoine , de St. Hilarion , de
St. Martin, que racontent St. Athanase , St. Jérôme,
Sulpice-Scvère, et plusieurs autres; ceux faits à Milan
par St. Ambroise , au tombeau de St. Gervais et de saint
Protais, dont ce saint docteur fait le récit, confirmé
par St. Augustin ; ceux que St. Augustin , au livre xii ,
de la Cité de Dieu, dit avoir été faits de son temps;
le célèbre prodige arrivé lorsque Julien voulut inuti-
tus sancti qui colambae sperie apparuit , vestigia. Nam daemonia eji-
cinnt; morbos curant, et, volente Verbo , fntara praevident. {Origen.
contra Celsum , lib. i, n° 46.)
Et h.odieque Jesu numeii perturbâtes animos componit, exigit dae-
mones, rnedetur morbis. (^Ibid. n° 67.)
Signa aatem Spiritus sancti extiteront sub initinra praedicationis
Jesa, plura post ejas assumptionem , postea paucioia. Hujas etiam
vestigia etiamnam snnt apud paucos, quorora animae doctrina chris-
tiana agendique ratione buic doctrinae consentanea, pargatae sant.
{Ibid. lib. vin, n° 8.)
Neqoe etiiin potest daemoniutn caecoram oculos aperire , vel baec
signa facere qnfe scripta sant ; qaoram etiam vestigia et reliqniae vel
usque in praesens fiunt in ecclesiis in nomine Domini. (Idem, in
Joan. tom. xx, n** 28.)
O si audire eos velles et videre qaando a nobis adjurantur, et tor-
quentur (dii paganorum) spiritualibus flagris , et verborara tormentis
de obsessis corporibus ejicinntnr; quando ejulantes , et gementes ,
voce homana et potestate divina , flagella et verbera sentientes , ven-
tnruoï jtjdicem confitentar ! Veni, el cognosce vera esse qnse dicimas.
(5. Cyprian. epist. ad Demetrian.^
Hi taraen (dii) adjnrati per Deam veram a nobis, statim cednnt
atque fatentnr, et de obsessis corporibns exire cognnfur. Videas illos
nostra voce et operatione majestatis occultée, flagris caedi , igné tor-
leri, incremento pœnae propagantis extendi , ejulare , gea^ere , de-
precari , nnde veniant et qaomodo discedant, ipsis etiam qui se ce-
lant audientibas , confiteri ; et vel exiliunt statim, vel evanescunt
gradatim, pront fides patientis adjuvat, aat gratia curantis aspirai.
{Idem, de Idolor. Vanitate. )
Haec omnia sciant pleriqiie vestium , ipsos daemones de semetipsis
confiteri, quolies a nobis et tormentis verboram, et oralionis incen-
diis, de corporibus exigantar. Ipse Saturnus, et Serapis, et Jupiter,
et qnidquid daemonum colilis, vicii dolore , quod sant eloqnuntnr.
^ec Qîique in turpitudinem sui , nonnuUis praeserlira vestrum adsis-
îentibas, mentiuntur. Ipsis tesi.b;is esse eos daemones de se verum
SUR LA RELIGION. 347
lement rebâtir le temple de Jérusalem, et qu'attestent
uon-seulement les auteurs chrétiens de ce siècle , saint
Grégoire de Nazianze , St. Ambroise, St. Cbrysostôme ,
et après eux tous les historiens ecclésiastiques, mais
encore Ammien-Marcellin , auteur païen contemporain ,
grand admirateur de Julien, et cependant généralement
estimé pour sa véracité et son jugement. Et je suis bien
loin de rapporter tous les prodiges de ces premiers
siècles, qui ont, ou pour témoins ou pour historiens,
les écrivains les plus véridiques.
XYI. Je dis, en second heu, qu'à ces assertions
si formelles, qu'à ces preuves si frappantes, que don-
naient de la vérité du christianisme ses défenseurs, ses
ennemis n'ont jamais opposé la dénégation des faits.
Nous avons déjà employé ce raisonnement pour prouver
la vérité des miracles de Jésus-Christ (1). Ce que nous
avons dit à cet égard, peut, avec une égale justesse,
s'apphquer aux miracles des premiers chrétiens. Il est
vrai de même, que s'ils avaient été contestés, nous en
verrions quelque trace , et que les apologistes de la
religion n'auraient pas pu s'abstenir de répondre à cette
confidentibas crédite. Adjurati enira per Deara vivam et solurn , in-
vili raiseris corporibus inhaîrescant. {Minutius Félix Octafius , cap.
XXVIII.)
Audito nomine Christi tremunt (daemones), exc'amant, et nri se
verberariqae testantar : et interrogati qui sint , qaando venerint,
quando in borainera irrepserint , confîtentur. Sic extorti et excroca-
ti, virtQte divini nominis exulant. Lactant.^ Divin, institut.., lib V,
cap. 11.)
AigQinentalur ( Vigi'antias) contra signa et virtutes qoae m
basilicis raartyram fiant, et dicit eas incredniis prodesse, non crc-
dent.bas. Qaasi nnnc boc quaeratnr qaibus fiant, et non qua virtnte
fiant. {S. Hieronym. advers. Vigilant.)
Licet autera bodieque videre sancros ac venerabiles viros in viitnte
Christi per Spiritum sanclam irapnros daemonas increpare, et qaos
illi deos ac servatores esse credant, orationis viitute conterere,et ma-
nns contdCta crnciare ; quin etiam ea vi praeditos nt vaiiis segntndi-
nibns oppressos bberare valeant. (5. Cyril. Alexand. contra Julia-
num , lib. vi. )
(i) Voyez cbap. I, n° xxx et saiv. page a 4 3-
348 DISSERTATIONS
dénégation. Il est vrai, de même, que non-stulement
les ennemis du christianisme, des premiers siècles, n'ont
pas tenté d'ébranler la certitude des miracles qui s'o-
péraient alors, mais qu'ils l'ont confirmée en les attri-
buant à la magie. Nous avons vu que Porphyre disait
que c'étaient des prestiges du démon (Ij; que Juhen
reconnaissait qu'après la mort de leur maître les dis-
ciples avaient aussi fait des enchantements, et qu'il
regardait St. Paul comme le plus habile des faiseurs de
prestiges (2). Celse , leur devancier , avait de même
attribué le pouvoir de chasser les esprits malins, qu'exer-
çaient les chrétiens , à des enchantements et à la pro-
nonciation du nom de certains démons. Origènes le
réfute (3) , en disant que c'est en proférant le nom de
Jésus , et en récitant les Evangiles , que les chrétiens ,
encore de son temps , chassent les démons. Je le dirai
toujours : attribuer à la magie un fait , c'est convenir
formellement de la réalité du fait. Il reste donc certain
que , dans les premiers siècles de notre ère , les païens
reconnaissaient la vérité des miracles qui s'opéraient
actuellement parmi les chrétiens. Ils étaient témoins de
ces miracles; du moins, ils pouvaient l'être; ils con-
naissaient certainement des personnes qui l'avaient été.
Ils devaient donc savoir positivement si ces prodiges
étaient ou n'étaient pas réels. Il ne leur manquait , pour
combattre des miracles qui auraient été faux, ni con-
naissance, ni habileté, ni intérêt, ni désir. Il ne leur a
donc manqué , pour contester ceux là , que la possibilité.
(i) Voyez chap. n" xxxv, note i, page ^48.
(2) Voyez Ibid.^ notes suivantes.
(3) Postea CeJsus, nescio qua re motus, ail ; Quara christiani
videntur liabeie potestatem , eam ipsos habere ex qnoruradam dse-
monnm nominibus et incantationibus : opinor subindicans ea qus
faciunt apud nos ii qui daeraones incanlant et expedunt. In quo mani-
feste nos calumniatur. Neqne enim hujusmodi incantationibus potes-
tatem habere videntur; sed pronantiando noraine Jesu , recitandis-
que e/angeliis. Haec enim saepe ex hominibus daemones extruserant.
(On'gen, contra Celsum^ lib. I, n° 6.)
SUR LA RELIGION. 349
Or, quand je vois, d'une part, les défenseurs de la
religion parler avec la confiance la plus ferme , des
miracles qui s'opéraient au milieu d'eux , et les pré-
senter comme une preuve certaine, et que je vois, de
l'autre part, les ennemis de la religion ne pas nier la
réalité de ces miracles qui s'opéraient si près d'eux ,
les avouer même formellement, en les attribuant à
la magie , peut-il me rester le plus léger doute sur ce
point essentiel?
On demande pourquoi ces dons si admirables , si
précieux, si utiles, ont-ils cessé dans l'Eglise? C'est une
des difficultés que je me suis proposé de résoudre dans
le chapitre suivant^ auquel je vais passer.
SLSL:LJ>-S.JX.XSLJlJi^XJUXJi.JLSLSLJUi-SLSLSLS^^
CHAPITRE rv.
OBJECTIONS CONTRE LES MIRACLES DU CHRISTIANISME,
Dans le chapitre où j'ai traité de la résurrection, j'ai
rapporté et discuté les objections qu'on fait particulière-
ment contre la réalité de ce grand miracle. Ce sont
donc celles qu'on élève contre les autres miracles de
Jésus-Christ et contre ceux de ses disciples , que j'ai en
ce moment à résoudre.
I. Une des difficultés sur lesquelles l'incrédulité
insiste le plus, est que les miracles de Jésus-Christ et
de ses disciples ne sont attestés que par des auteurs
chrétiens. « Un peuple entier, me direz -vous, est
'i témoin de ce fait : oserez- vous le contester? Oui,
« j'oserai , tant qu'il ne sera pas confirmé par quelqu'un
« qui ne sera pas de votre parti, et que j'ignorerai que
0 ce quelqu'un était incapable de fanatisme et de
* séduction. » Ainsi s'exprime un célèbre déiste, x Le
« silence des auteurs contemporains, juifs ou païens,
« forme , disent quelques autres , contre ces miracles ,
350 DISSERTATIONS
« un argument qui, tout né^^atif qu'il est, a la plus
« grande force. Que l'on songe à l'éclat que devaient
« avoir des faits miraculeux aussi éclatants et aussi
« nombreux. S'ils avaient été réels , ces auteurs au-
« raient-ils manqué d'en parler? Si quelqu'un venait
« aujourd'hui vous dire qu'il y a cent ans un homme
«« parut en France , faisant des miracles tels qu'on en
« attribue à Jésus- Christ , cette fable ne serait- elle pas
« réfutée d'elle-même par le silence de tous les écrivains
« d'alors ? Nous n'avons, hors de la religion chrétienne,
« aucun auteur du temps de Jésus-Christ et de ses
M disciples, qui ait parlé de leurs miracles. C'est une
.« preuve certaine qu'ils n'ont pas été faits. »
II. Cette difficulté consiste en deux points : le pre-
mier, que le témoignage des auteurs chrétiens n'est
pas suffisant pour établir la vérité des miracles du chris-
tianisme ; le second , que les écrivains qui n'étaient pas
chrétiens n'en ont point parlé. Je nie formellement ces
deux propositions.
III. En premier lieu , je crois avoir prouvé que le
témoignage des disciples de Jésus-Christ sur ses mi-
racles , et que celui des premiers chrétiens sur ceux qui
se faisaient de leur temps , réunissent tout ce qui est
nécessaire pour leur imprimer la certitude, et que ces
témoins oculaires n'ont été ni trompeurs ni trompés.
On oppose à leur assertion positive non pas l'assertion
contraire, mais seulement le silence de leurs adver-
saires. Est-ce là une preuve de la fausseté de leur
relation? Au contraire, c'est une vérité qui saute aux
yeux, que d'une part l'assertion des miracles solennelle-
ment faite par les chrétiens , et d'autre part le silence
de leurs adversaires intéressés à les contredire , formen t
une démonstration complète de la réalité de ces mi-
racles. Lorsque , dans un procès , l'une des parties
avance hautement un fait décisif dans la cause , et que
l'autre partie ne le conteste pas , conclut-on que le
fait est faux? Le silence des ennemis du christianisme^
loin d'infirmer la foi des miracles , la confirme ; il ne
SUR LA RELIGIO:^. 351
peut avoir d'autre cause que l'impuissance de les con-
tester : il montre que ces miracles sont non-seulement
prouvés, mais avoués.
IV. Cet argument que l'on tire du silence des Juifs
et des païens est purement négatif; les incrédules ne
peuvent pas en disconvenir. Mais dans les règles de
la logique , les arguments de ce genre n'ont de poids ,
que lorsqu'ils ne sont pas combattus par des raisonne-
ments positifs. Dès qu'une chose est positivement prou-
vée , tout ce qu'on lui oppose de raisons négatives est
sans force.
V. Ju'exemple que l'on apporte pour donner du
corps à cette objection est absolument étranger à la
question actuelle. On suppose des faits antérieurs de
cent ans, dont personne n'aurait paulé jusqu'ici. Est-ce
là le cas des miracles chrétiens ? Pour former une
parité , et en tirer quelqu'induction , il aurait fallu
alléguer des faits attestés dans le temps par un grand
nombre de témoins oculaires , et écrits par plusieurs
d'entre eux , mais dont quelques auteurs contemporains
n'auraient pas parlé. Alors il serait raisonnable d'exa-
miner de quel poids sont, d'une part, les témoignages
en faveur de ces faits, et de l'autre le silence qu'on leur
oppose; mais dans l'hypothèse que l'on forge ici, il
n'y a pas de pour et contre à peser , puisqu'il n'y a
qu'un silence universel.
YI. Pourquoi ne veut-on pas croire les chrétiens
sur les faits qui concernent leur religion ? Les événe-
ments des histoires grecque et romaine ne sont écrits
que par des Grecs et des Romains. S'avise- 1- on pour
cela de les révoquer en doute ?
VII. On dit, pour affaiblir la relation des auteurs
chrétiens, que ce sont des écrivains de parti. Mais
peuvent-ils n'en pas être? S'ils n'en étaient pas, quelle
valeur aurait leur témoignage? Supposons les miracles
du christianisme rapportés par des auteurs restés juifs
ou païens , avec quelle véhémence plus grande encore
352 DISSERTATIONS
les incrédules argumenteraient contre leur narration,
et opposeraient leur croyance à leurs écrits?
L'impartialité est en général une qualité précieuse
dans un historien. Mais on ne considère pas qu'en
matière de religion l'impartialité est impossible. L'é-
crivain qui rapporte les faits qui servent de fondement
à une religion, les croit ou ne les croit pas; il les
présente comme vrais ou comme faux , selon son opi-
nion ; et son opinion règle sa religion. Il est donc
nécessairement dans un parti , et il parle selon les idées
de ce parti. La première qualité de tout historien ,
supérieure même à l'impartialité, est sa sincérité. On
n'ajoute foi à son récit que parce qu'il en est lui-même
persuadé. Or, il ne peut pas être persuadé de la réalité
et de la divinité des miracles , sans l'être de la religion
qu'ils prouvent. Les écrivains des premiers siècles étaient
si convaincus des miracles qu'ils annonçaient , qu'ils
versaient leur sang pour en attester la vérité. Est-ce là
une partialité qui doive les rendre suspects?
VIII. Quels étaient-ils donc ces écrivains dont on
récuse le témoignage sur les miracles , sous le prétexte
qu'ils étaient d'un parti? C'étaient des Juifs ou des
païens , convertis à la foi par la certitude qu'ils avaient
de ces miracles. Outre les apôtres et les évangélistes,
nous pouvons nommer St. Clément , St. Ignace , saint
Polycarpe, St. Justin, Tatien , Théophile, St. Irénée,
Athénagore , Tertullien , IViinutius - Félix , Arnobe.
Nous ne naissons pas chrétiens , disait Tertullien , nous
le devenons (1). Joignons à ces auteurs Quadratus ,
d'abord philosophe athénien , ensuite cpnverti à la foi ,
et , à ce que Ton croit , évêque d'Athènes. Il présenta à
l'empereur Adrien, vers l'an 126 de notre ère, une
apologie du christianisme , qui est maintenant perdue ,
mais dont Eusèbe nous a conservé un fragment bien
(i) HcEc et nos risimus aliqaando. De vestris fuimus. Fiunt, non
nascantur christiani. [Tert. Jpol. , cap. i8.)
SUR LA RELIGION. 353
pvécieux , par le témoignage qu'il rend aux miracles de
Jésus-Christ. li y atteste, en propres termes, que plu-
sieurs des malades guéris ou des morts ressuscites par
le Sauveur sont parvenus jusqu'à son temps (1). Je
demande à tout homme raisonnable : le témoignage
de ces auteurs , qui tous rapportent ou supposent les
miracles , est-il affaibli parce qu'ils ont été convertis
par les miracles ? Serait-il plus convaincant , si les
écrivains qui le rendent étaient restés dans leur re-
ligion?
On leur reproche la partialité , parce qu'ils sont, dit-on,
du parti du christianisme : mais ils avaient été auparavant
du parti contraire ; ils y étaient restés jusqu'à ce que les
faits évangéliquesleur fussent démontrés. Touslespréju-
gés de naissance , d'éducation , de société, de religion ,
toutes les passions, tous les intérêts s'opposaient à ce qu'ils
en changeassent. Les apôtres étaient, comme tous leurs
compatriotes, très-attachés aux rits mosaïques. Leurs pro-
sélytes , soit païens , soit Juifs étaient de même imbus des
principes de leurs religions. Ils n'ont pu embrasser une re-
ligion différente, et surtout une religion qui exigeait de
très-grands sacrifices, qu'après un examen sérieux des
faits (2). Ils ne se sont cer tainement pas portés à cet examen
(t) Hoic (Adiiano) Quadratus obtnlit orationem, pro defensione
religionis nostrae idcirco conscripserat , quod quidam malevoli homi-
nes vexare nostios atque incessere conabantar. Extat hodieque apud
plerosqae ex fralribus haec oratio, qnara nos etiara habemcs, ex qaa
ingeniam hajus viri, et rectara apostolicse fidei doctiinaiu, perspicne
iicet cognoscere. "Porro idem sciiptor suam ipsius antiqnitatera satia
déclarât bis verbis : « Servatoris , inqait , nostri opéra seniper cons-
« picaa erant, qoi])pe qu?e vera essent , iis scilicet qui morbis libe-
" rati, aat qui ex morte ad vitara revocati fuerant. Qui quidem non
« solum dam sanabantar, aut dam ad vitam revocabantur , cons-
■ pecti sunt ab omnibas , sed secuto deinceps tempore. Nec solnra
« quamdiu in terris moratus est Salvator noster, vernm etiara post
« ejas discessam diu superstites faerant, adeo ut nonnalli eorura ,
• etiam ad nostra nsque tempora pervenerint. » {^Euseb.^ Hist. Ec-
cles. lib. IV, cap. 3. )
(a) Ex bis fiant christiani utiqae de compertOj et incipiant odisse.
â54 DISSERTATIONS
avec une prévention favorable; mais pour y procéder uti-
lement, ils ont du commencer par se revêtir de l'impar-
tialité convenable. Ils ont donc eu véritablement cette
impartialité. Ils l'ont eue, quand elle était possible; ils ne
l'ont plus eue , quand elle est devenue impraticable. Ils
l'ont eue, pour s'instruire; ils n'ont ni dû, ni pu l'a-
voir , quand ils ont été instruits lis l'ont eue en vérifiant
les faits : qu'importe qu'ils ne l'aient pas eue, quand ils
les ont écrits ?
Elle n'est donc pas vraie , la première proposition sur
laquelle porte la difficulté proposée , savoir , que le té-
moignage des auteurs chrétiens , par cela seul qu'ils sont
chrétiens , est insuffisant pour prouver les miracles. Je
pourrais m'en tenir là , et l'objection serait entièrement
résolue ; mais allons plus loin , et examinons la seconde
proposition _, et le fait qui y est énoncé.
IX. Je dis donc, en second lieu, qu'il n'est pas vrai
que les écrivains, ennemis du christianisme, se soient
tus sur ses miracles. J'ai prouvé que les plus ardents de
ces ennemis , les thalmudistes , Celse , Porphyre , Julien ,
en avaient parlé , et les avaient attribués à la magie. J'ai
prouvé que cette assertion de leur part 1° était un aveu
formel, fait par eux, de la réalité de nos miracles; 2°
supposait et représentait les aveux de tous leurs devan-
ciers dans l'opposition au christianisme (1). Cette asser-
tion , que les miracles étaient les œuvres du démon ,
donne une grande force à la preuve qui résulte des aveux
de ces écrivains. Si en avouant les œuvres miraculeuses
de Jésus-Christ et de ses disciples , ils les avaient attri-
buées à une vertu divine , ils auraient cessé d'être Juifs
ou païens ; et les incrédules nous diraient qu'en qualité
de chrétiens ils leur sont suspects. 31ais quand ils impu-.
tent ces miracles à une puissance diabolique , il est évi-
dent que leur aveu est fait non-seulement saBS préven-
qnod faerant, et profiteri qaod oderant. ( Tertull. , Apolog. , cap. i. )
(i) Vovez chap. i, n° xxxiii et saiv. page 24 5.
SUR LA RELIGION. 355
tion favorable , mais avec une prévention contraire.
jNous le dirons donc avec vérité au déiste dont on nous
objecte le passage : \ous convenez que vous croirez aux
miracles quand ils seront confirmés par quelqu'un qui
ne sera pas de notre parti , et que vous saurez que ce
quelqu'un était incapable de fanatisme et de séduction.
Accuserez-vous les auteurs qui ont écrit contre le chris-
tianisme d'être du parti du christianisme? direz-vous qu'ils
étaient animés d'un esprit de fanatisme pour le christia-
nisuîe ? les soupçonnerez-vous d'avoir été séduits par les
partisans du christianisme ? Vous ne pouvez pas refuser
d'ajouter foi à des témoins dont vous avez reconnu l'ir-
réfragable autorité. Vous avez prononcé votre condam-
nation : vous devez à la bonne foi d'y souscrire.
X. Outre le silence des anciens auteurs, on nous ob-
jecte en particulier celui de l'historien Josèphe. « Cet au-
« teur est du plus grand poids : il était presque contem-
o porain de Jésus-Christ , parce qu'il était né l'an 37 de
a notre ère , et qu'il a vécu jusqu'au règne de Domitien;
« il était de race sacerdotale, et descendait par sa mère
« des Asmonéens; il jouit de la réputation la mieux méri-
« tée d'érudition et de sincérité. Le temps de la vie de Jé-
■ sus-Christ fait partie de son Histoire des Antiquités Ju-
« daiques. Il rapporte très en détail tous les événements
a arrivés alors dans sa nation ; il parle spécialement de
« plusieurs faux messies, qui se sont élevés vers cette
« époque. Si les miracles de Jésus-Christ eussent été
« réels ; s'il eussent eu la pubhcité qu'on leur attribue ,
<« un historien aussi exact aurait-il manqué d'en parler ?
« Quelle raison aurait pu l'engager à laisser une telle
« lacune dans son histoire? Dès qu'il n'en a pas parlé , il
•< est clair que ces miracles n'étaient pas crus dans leur
« temps. Les chrétiens ont bien senti le tort que fai-
• sait à leurs parti le silence d'un auteur aussi ins-
« truit, aussi véridique , aussi attaché à rapporter
« tous les faits de quelque importance , favorables ou
« contraires à sa nation. En conséquence, ils ont fabriqué
« un passage de cet auteur , et l'ont inséré dans son ou-
356 DISSERTATIONS
« vrage. Mais la fraude est si maladroitement tissue ,
<t qu'elle se manifeste d'elle-même. Le texte interpolé
<« parle si magnifiquement de Jésus-Christ et de sa ré—
« surrection , que , s'il était réel , il serait impossible
« que Josèphe fût resté Juif. D'ailleurs les Pères des
« trois premiers siècles de l'Eglise n'eu font point men-
« tion , et il ne se trouve point dans les plus anciens ma-
« nuscrits. On a bien voulu prétendre que les Juifs
« avaient supprimé ce passage dans les anciens exem-
« plaires ; mais auraient-ils pu commettre cette fraude ,
« sans qu'elle fût connue des chrétiens ? D'ailleurs on
« connaît la maxime : Celui-là a commis le crime ^ à qui
M il est utile. D'après ces raisons péremptoires , tous les
« vrais savants s'accordent à rejeter ce passage comme
« une de ces pieuses supercheries que les chrétiens se
« sont si souvent permises. »
XI. Voici le passage de Josèphe , qui fait difficulté.
« En ce temps-là était Jésus , qui était un homme sage ,
« si toutefois on doit le considérer simplement comme
<» un homme , tant ses œuvres étaient admirables. Il en-
« seignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de
« la vérité , et il fut suivi non-seulement de plusieurs
« Juifs , mais de plusieurs gentils. C'était le Christ. Des
« principaux de notre nation l'ayant accusé devant Pi-
« late , il le fit crucifier. Ceux qui l'avaient aimé pen-
« dant sa vie ne l'abondonnèrent pas après sa mort : il
« leur apparut vivant et ressuscité le troisième jour ,
« comme les saints prophètes l'avaient prédit , et qu'il
a ferait plusieurs autres miracles. C'est de lui que les
« chrétiens que nous voyons encore aujourd'hui , ont
tf tiré leur nom (1). »
Deux questions s'élèvent relativement à ce passage : 1*^
Est-il vrai , comme le prétendent les incrédules , qu'il
ne soit pas réellement de Josèphe , et qu'il ait été inséré
(i) Josèphe, Antiqaitéa Judaïques, liv. xvitr, ch. 4. Tradaction
d'Arnand d'Andilly.
SUR LA RELIGION. 357
après coup clans son livre ; 2° en suppposant qu'il soit
faux , et que Josèphe ait gardé le silence sur Jésus-Christ
et sur ses miracles , qu'en résulte-t-il relativement à ces
miracles ?
Nous n'avons pas grand intérêt à agiter la première
question : ce n'est pas sur le témoignage de cet historien
que nous établissons la preuve des miracles. Il n'est ce-
pendant pas inutile d'en dire quelques mots, pour faire
voir le peu de confiance que l'on doit prendre dans les
assertions faites avec le plus de hauteur et du ton le plus
triinchant par les incrédules.
XII. J'observerai d'abord que si c'est là une interpo-
lation , elle est faite tout à la fois avec bien de l'adresse
et bien de la maladresse. Il y a eu de l'adresse à imiter
si parfaitement le style de l'historien , et à placer le pas-
sage d'une manière si naturelle , qu'il semble une suite
de l'histoire, et que l'insertion ne paraisse pas. 3Iais ,
d'un autre côté , le faussaire a été bien maladroit de fai-
re parler Josèphe d'une manière aussi forte de Jésus-
Christ et de ses miracles. Il lui eût été bien facile d'a-
doucir les traits, de donner, à Josèphe seulement, des
doutes sur les miracles, ou de les lui faire rejeter, soit sur
des causes naturelles, soit, comme les autres, sur la
magie. On n'aurait pas alors donné prise à l'objection
des critiques , qu'un homme restant juif ne devait pas
parler ainsi.
Tous les vrais savants , disent les déistes , conviennent
que le texte dont il s'agit est interpolé. Ces messieurs ne
reconnaissent de vrais savants que ceux qui pensent
conformément à leurs idées. Dès qu'un fait favorable
à la rehgion est douteux et forme une dispute, ils
prononcent hardiment qu'il est décidé en leur faveur
par tous les vrais savants. Le fait est que , jusqu'au sei-
zième siècle , le texte en question a été universellement
regardé comme authentique ; qu'il a été cité comme tel
par beaucoup d'auteurs , et qu'on ne voit pas dans tout
ce long intervalle une seule U'ace de contradiction. Osi-
358 DISSERTATIONS
ander, l'un des disciples de Luther, est le premier qui
se soit élevé contre l'opinion générale : et il est vrai qu'il
a été suivi par plusieurs auteurs de l'une et de l'autre
communion. IMais un très-grand nombre d'autres , très-
distingués, se sont déclarés pour l'authenticité de ce pas-
sage. Je demande avec confiance si on ne doit pas placer
parmi les vrais savants Pic de la Mirandole , les centu—
riateurs de Magdebourg , Galatin , Sixte de Sienne , .Ba-
ronius , Pagi , Tillemont , Sponde , Possevin , Vossius ,
Coccejus, Bellarmin , Spencer, Valois, de Roye, Span-
heim , Noël , Alexandre , Huet , Parker , Pearson , Hout-
teville. Charles d'Aubuz, dans la dissertation qu'il a faite
sur ce sujet, et qu'Havercamp fait réimprimer à la suite
de la traduction de Josèphe , cite encore plusieurs autres
auteurs , et déclare qu'il est bien loin de les nommer
tous. Si on veut décider cette question par le nombre et
par le poids des autorités, je crois qu'elle le sera sans
difficulté en faveur de l'authenticité du passage.
Mais dans ce débat entre les auteurs modernes , nous
avons , pour nous décider, les anciens , dont le suffrage
est bien d'un autre poids. Eusèbe était certainement un
homme fort savant, et tous ses ouvrages en font foi.
Il copie en entier le passage de Josèphe sur Jésus-Christ,
tel que nous l'avons rapporté (1). On ne révoquera
sûrement pas en doute la profonde érudition de saint
Jérôme, surtout dans ce qui concerne les antiquités
judaïques dont il avait fait une étude particulièire ;
il transcrit pareillement le même texte , et dans les
mêmes ^rmes (2). St. Isidoie de Péluse le rapporte
pareillement (3).
Il y a d'anciens manuscrits où ce passage ne se trouve
point; mais il y en a d'autres tout aussi anciens et
en aussi grand nombre, où on le lit; on dit même qu'il
en existe un d'une très-haute antiquité dans la biblio-
(i) Eustb.^ H'ist. Ecçles.^ lib. i, cnp. i.
(2) HieroriYin. catalog. script, eccl. in Jostphurn.
(3) Isidorus Pelusioca. Epist. lib. tv , Epist. 225, Eudumoni
SUR LA RELIGION. 359
thèque du Vatican, ou le texte se trouve, mais raturé.
Il y avait sûrement été copié avant d'être effacé. Il est
possible que les chrétiens l'aient inséré dans quelques
exemplaires : mais il est tout aussi possible que les
ennemis du christianisjne l'aient supprimé dans les
autres. L'intérêt des juifs, quoiqu'on en dise, était
aussi grand pour la suppression , que celui des chrétiens
pour l'interpolation ; et si on veut que les juifs n'aient
pas pu retrancher le passage à l'insu des chrétiens, on
doit convenir qu'il était tout aussi impossible aux chré-
tiens de le glisser dans l'ouvrage, sans que les juifs et
les païens ne s'en aperçussent.
^lais les autorités que j'ai citées donnent une giande
probabilité à l'opinion que le texte est véritablement
de Josèphe. Eusèbe était né environ deux cents ans
après le temps où écrivait l'historien juif. Je ne crois
pas que l'on connaisse de manuscrits du livre dont il
s'agit, antérieurs à cette époque. Ceux que copiait
Eusèbe ont donc sur tous ceux qu'on peut leur opposer
deux avantages ; l'ancienneté et l'autorité que donne le
suffrage d'écrivains aussi éclairés qu'Eusèbe, St. Jérôme
et St. Isidore. En admettant l'interpolation, il faut
supposer qu'elle a été faite avant Eusèbe , et que ni
Eusèbe, ni les deux autres saints Pères n'en ont eu
connaissance. Si la supposition du passage avait été
faite avant le temps de ces auteurs, il y aurait eu,
comme il y a à présent, deux sortes de manuscrits; les
uns, dans lesquels se serait trouvé le passage; les
autres, dans lesquels on ne l'aurait pas lu. Si cela eût
été, peut-on croire que des auteurs aussi érudits l'eus-
sent ignoré? Il y aurait eu dans ce cas des disputes,
au moin de l'incertitude; et ces auteurs si graves , si
voisins du temps où se serait faite l'interpolation , se
seraient-ils permis de rapporter avec une confiance
entière , et sans l'air du moindre doute , un passage
falsifié I On croyait, au temps d'Eusèbe et de St. Jérôme,
que ce passage était véritablement de Josèphe , et c'est
au moins une très-forte présomption qu'il en est véri-
360 DISSERTATIONS
tablement. L'argument que l'on tire de ce qu'il n'a pas
été cité par les pères antérieurs à Eusèbe , est purement
négatif, et ne peut pas inûrmer des autorités positives
aussi graves. Quand a-t-on prétendu qu'un passage n'est
pas véritablement dans un ouvrage , et que c'est une
interpolation , parce qu'il n'a pas été cité dans les temps
immédiatement postérieurs à la publication de l'ou-
vrage?
On rejette le passage sur le fondement qu'un homme
qui s'exprime ainsi se serait fait chrétien. Observons
sur ce raisonnement les contradictions de nos adver-
saires. Nous les avons vus, il n'y a qu'un moment,
rejeter comme suspect le témoignage de ceux qui se
sont faits chrétiens ; ici ils rejettent comme nul celui de
Josèphe, parce qu'il est resté juif.
Pour répondre directement à cette difficulté, j'em-
prunterai les expressions d'un auteur que j'ai déjà cité,
a Ce raisonnement est spécieux , mais je ne le crois
« pas décisif . Qui sait si, en raisonnant de cette ma-
« nière, on ne soutiendra pas, quelque jour, que ce
« morceau de V Emile, où le caractère de Jésus-Christ
« est peint avec tant d'éloquence et de vérité , n'est pas
u sorti de la plume de Rousseau? L'inconséquence de
« Josèphe n'est pas plus frappante que celle du philo-
« sophe de Genève. L'opposition qui se trouve entre le
« passage cité de l'historien juif disparaîtrait peut-être,
u si nous avions une connaissance exacte de ses prin-
« cipes sur la religion. On sait qu'il rapportait à \espa-
u sien ce que les prophètes avaient prédit du Messie.
« Puisqu'il savait concilier une idée si profane avec la
c< profession extérieure du judaïsme, il pouvait bien
« aussi croire aux miracles de Jésus-Christ et même à
a sa résurrection , sans se donner la peine d'en appro^
a fondir les conséquences , ou sans avoir le courage de
« se déclarer pour une religion persécutée. Avec moins
« de mauvaise foi que la plupart des pharisiens et des
« prêtres ses collègues , Josèphe était un de ces poli-
« tiques dont il est dit dans l'Evangile qu'ils aiment
SUR LA RELIGION. 361
« mieux la gloire des hommes que la gloire de Dieu (1).»
D'après cela, je conclus, et cette conséquence est
certainement très- modérée, que le texte critiqué de
Josèphe est au moins aussi probablement authentique
qu'apocryphe ; et s'il est authentique , c'est un des
plus forts témoignages qui puissent exister en faveur
des miracles de Jésus-Christ. 3Iais je ne veux pas in-
sister sur ce point , et , supposant que ce passage n'est
pas réellement de Josèphe, je vais raisonner comme si
cet auteur avait réellement gardé un silence absolu sur
les miracles de Jésus-Christ , et examiner ce qui résulte
de ce silence.
XIII. Pour en connaître la conséquence, examinons-
en la cause. Je ne vois que trois raisons qui aient pu
.produire ce silence , et je ne crois pas qu'on puisse en
imaginer une quatrième ; l'ignorance , le mépris , la
politique. Il faut dire que Josèphe n'a pas parlé de
Jésus-Christ et de ses miracles , ou ])arce qu'il n'en avait
pas connaissance, ou parce qu'il les méprisait, ou enfin
parce qu'il avait quelqu'intcrêt particulier qui l'en
empêchait.
Je dis d'abord que ce n'a pas été le défaut de connais-
sance qui a causé le silence de Josèphe sur les miracles
du Sauveur. Il était impossible qu'un historien aussi
instruit que l'était Josèphe de ce qui concernait sa
nation, et surtout des événements si voisins de lui,
qu'un historien qui rapporte dans un aussi grand détail
tout ce qui s'est passé pendant le temps de la vie de
Jésus-Christ, qu'un historien qui fait mention de tous
les faux prophètes qui se sont élevés à cette époque , et
qui n'ont laissé après eux aucune suite; il était, dis-je,
impossible que cet historien ignorât l'existence et les
faits principaux de la vie d'un homme qui avait fait si
récemment tant de bruit parmi son peuple , qui s'était
(t) Démonstration Evangélnjoe, par M. Daroisin , cinquième édi-
tion, page 3o8.
Ditsert. sur la Relig. 16
362 DISSERTATIONS
donné hautement pour le Messie, et qu'un parti déjà
nombreux présentait comme tel à la Judée et à tout
le monde. Mais nous ne sommes pas réduits sur ce
point à de simples conjectures. Nous avons la preuve
que Josèphe connaissait Jésus-Christ par deux passages
de cet auteur dont l'authenticité toujours reconnue n'est
pas révoquée en doute par les incrédules eux-mêmes.
Le premier est relatif à Tcmprisonnement de St. Jean-
Baptiste , dont il loue la haute piété, la saine morale,
et de qui il rapporte la vénération qu'il avait inspirée à
tout le peuple (1). Est-il possible qu'il ait connu saint
Jean-Baptiste, et qu'il n'ait pas connu Jésus-Christ;
St. Jean-Baptiste, qui n'a vécu que pour Jésus-Christ;
St. Jean - Baptiste , qui déclarait publiquement qu'il
n était que le précurseur de Jésus -Christ; St. Jean-
Baptiste, qui n'a cessé de prêcher Jésus- Christ , de
l'exalter , de se ravaler lui-même au-dessous de lui ;
St. Jean-Baptiste enfin , dont on ne rapportait aucun
miracle , tandis que de Jésus-Christ on en rapportait de
très-nombreux et de très-éclatants? Le second passage
est encore plus frappant : il y parle de la mort de St.
Jacques le mineur, fils de Marie, sœur de la Sainte-
Vierge , et par conséquent cousin germain , ou , selon
(i) Plusieurs juifs ont cru que cette défaite de l'armée d'Hérode
était une punition de Dieu, à cause de la luort de Jean sninomraé
Baptiste. C'était on homme de grande piété , qui exhortait les juifs à
embrasser la vertu, à exercer la justice, et à recevoir le baptême,
après s'être rendus agréables à Dieu, en ne se contentant pas de ne
point commettre quelques pé-hés, mais en joignant la pureté du
corps à celle de l'âme. Ainsi , comme une grande quantité de peuple
le suivait pour écouler sa doctrine, Hérode craignant que le pouvoir
qu'il avait sur eux n'excitât quelque sédition , parce qu'ils seraient
toujours prêts à entreprendre tout ce qu'il leur commanderait , il
rrnt devoir prévenir ce mal pour n'avoir pas sujet de se repentir
d'avoir attendu trop tard à y remédier. Pour cette raison, il l'envoya
prisonnier dans la citadelle de Mâchera, dont nous venons de parler ;
et les juifs attribuèrent la défaite de son aimée à un juste châtiment
de Dieu, d'une action si injuste. {Joseph.^ Antiquit. Judaïq. ^ liv.
xviu , chap. 7.)
SDR LA RELIGION. 363
le langage des Juifs, frère de Jt'sus-Christ. Parlant de
cet apôtre, pouvait -il ignorer qu'il était évéque de
Jérusalem et chef de tous les chrétiens de la Judée ?
Rapportant son martyre, pouvait-il ne pas savoir que
c'était à ce titre et pour cette raison qu'il l'avait subi>
Mais voici qui est plus décisif encore. Il dit, en
propres ternies, que Jacques était frère de Jésus nommé
Christ (1). Il est donc évident qu'il connaissait Jésus
nommé Christ.
Il serait aussi déraisonnable de dire que c'est par
inépris pour Jésus-Christ et pour ses miracles que Jo-
sèphe n'en a pas fait mention. Il aurait dû mépriser
bien plus ceux qui s'étaient portés pour le Messie, et
dont le parti éphémère avait été promptement dissipé
que Jésus qui laissait après lui un parti nombreux , se
grossissant tous les jours et se formant sans cesse' de
nouveaux adhérents. Quelque faux qu'il crût ses mi-
racles, il ne pouvait se dissimuler qu'ils faisaient une
grande sensation dans la Judée et jusqu'à Rome. Le
christianisme commençait à prendre une telle consis-
tance dans le monde, que Tacite et Suétone, qui écri-
vaient l'histoire romaine , se crovaient obligés d'en
parler. Et un historien juif, écrivant l'histoire des juifs
rapportant dans le plus grand détail tout ce qui con-
cernait les juifs, surtout à cette époque, aurait gardé
par mépris le silence sur un événement qui importait
autant aux Juifs, et auquel ils prenaient un si vif
intérêt , que c'étaient eux qui, dans ces premiers temps,
excitèrent les païens à persécuter le christianisme nais-
(x) Il (Ananas) prit le temps de la mort de Festos, et qu'Albinos
n était pas encore arrivé , pour assembler an conseil, dans Jeqnel il
fit ven,r Jacques, frère de Jésus nomme Chr.st, et quelques autres •
les accusa d avoir contrevenu à la loi , et les lit condamner à être la'
p.des. Cette action déplut infiniment à tous ceux des habitants qoi
avaient de la p.ete et un véri.able au.our pour lobserva.ion des lois.
(/6m. ,bv. SX, chap. 8.)
364 DISSERTATIONS
sant , envoyant partout des émissaires pour le dénoncer
coinme une secte impie et ennemie des lois(l)!
Il reste donc , que le silence de Josèplie soit un
silence politique ; et dès-lors , que prouve-t-il contre les
miracles de Jésus-Christ? 11 a eu des raisons personnelles
de ne pas parler de ces miracles , donc il les a crus
faux. C'est là un singulier raisonnement. Il n'y a aucune
relation entre les intérêts de l'historien Josèphe et les
miracles de Jésus- Christ.
Mais je vais plus loin , et je prétends que ce silence
même est un témoignage en faveur des miracles; que
si Josèphe les avait crus fabuleux, il n'aurait pas man-
qué d'en parler, et que son silence ne peut être expliqué
qu'en admettant qu'il les croyait véritables.
D'abord , s'il croyait faux les faits miraculeux . tout
le portait à en parler pour les combattre. Juif, n'avait-
il pas à soutenir la gloire de sa nation contre la terrible
inculpation de déicide? Pharisien, n'était-il pas natu-
rellement porté à défendre l'honneur de sa secte, accusée
d'hypocrisie , d'orgueil , d'avarice , de tous les vices ?
Prêtre , pouvait-il laisser s'élever une religion ennemie
de la sienne ? Historien , n'était-il pas de son devoir de
rapporter des faits qui avaient une grande importance ,
qui en acquéraient tous les jours davantage , et qui
étaient intimement liés avec l'histoire qu'il écrivait?
Une omission aussi grave serait une faute impardon-
nable dans tout écrivain. Elle est surtout incroyable
dans un auteur tel que Josèphe , qui rapporte avec exac-
titude tous les faits, qui aime à en raconter tous les
détails. S'il a cru l'histoire évangélique fausse, rien n'a
dû l'engager à se taire; au contraire, tous ses intérêts
et son caractère ont dû le porter à en parler.
Mais, s'd les a crus vrais, on conçoit aisément qu'il
n'en ait rien dit. Il suffit pour cela d'admettre de deux
(i) Voyez chap. ii , n** iir, note a , page 26'].
SUR LA RELIGION. 365
choses l'une : ou qu'il ait craint de se compromettre
avec les Juifs et avec les Romains ; ce que les persécu-
tions exercées par eux , contre le christianisme , rendent
assez probable : ou qu'il ait désiré de ne pas déplaire à
l'empereur ; ce qui rend très-vraisemblable sa conduite
basse et peu consciencieuse envers ce prince. Il aura eu
assez de candeur pour ne pas combattre la vérité ; il
n'aura pas eu assez de force pour la défendre. Dans cette
disposition équivoque , qui n'est pas rare dans le monde,
placé entre la conscience et l'intérêt, désirant de ne pas
trahir ouvertement l'une , mais aussi ne pas nuire à
l'autre , il n'avait pas d'autre parti à prendre que le
silence. Ce n'est pas la croyance qui lui a manqué pour
avouer les miracles; c'est la force. Pour n'en pas faire
mention , il n'est pas nécessaire qu'il ait été méchant,
il suffit qu'il ait été faible; et un prêtre juif, qui flattait
Vespasien de l'idée d'être le Messie , pouvait-il ne pas
l'être? Le silence de Josèphe, incompatible avec ses
intérêts et son caractère , s'il croyait les miracles faux ,
lui a donc été commandé par ses intérêts et par son
caractère , s'il les a crus vrais. Il résulte donc de son
silence même qu'il était persuadé de leur réalité. Ce
silence est un aveu, un témoignage aussi fort que le
texte qu'on lui dispute. En se taisant, il parle aussi
hautement en leur faveur. « Ce fut peut-être , dit un
« auteur moderne très-judicieux et très-savant , par
« une permission particulière de la Providence dont
« nous devons toujours admirer les voies ^ que Josèphe
« resta dans le judaïsme , pour être ainsi , par son his-
« toire, un témoin plus respectable, et pour servir
« d'une manière plus éclatante à prouver la vérité de
« la religion chrétienne (1). »
XIY- Ce n'est pas seulement du silence des auteurs
juifs et païens que l'on argumente contre les miracles ;
(i) M. Seignenx de Correvon, Dissertations sur Tonvrage d'Adis-
•11 , tora. m, p. 141.
366 DISSERTATIONS
c'est de l'opposition formelle qu'ils ont éprouvée de •::.
part des juifs et des païens, «t Quelle impression n'au-
« raient pas faite des miracles aussi nombreux , aussi
» éclatants que ceux qu'on attribue à Jésus-Cbrist et à
" ses apôtres? Serait-il possible qu'il fût resté , parmi
'« les Juifs ou parmi les païens, un seul incrédule, si
»c ces prodiges avaient été crus? Le monde est bien
u aujourd'hui aussi peu disposé à croire qu'il l'était
.< alors. Cependant quel éclat ne ferait pas la résur-
«1 rection d'un mort I Quelle impression ne produirait-
i« elle pas sur nous - mêmes! A plus forte raison ,
« jugeons de l'effet que produirait une suite de guéri-
<( sons , de résurrections et d'autres œuvres surnatu-
" relies. Nous voyons, au lieu de cela , Jésus-Christ,
« au moment où on dit qu'il opérait cette multitude
« de prodiges, traité d'imposteur, et puni du dernier
'« supplice. On ne croyait donc pas de son temps à ses
« miracles? Ses miracles n'étaient donc pas réels? On
" en faisait si peu de cas, lorsqu'il était facile de les
» vérifier, qu'on a pas même daigné en faire d'infor-
« mation. On conclut leur vérité , de ce qu'ils ont
u converti quelques personnes. Mais , de ce qu'ils n'ont
« dans leur temps converti que quelques personnes , on
« doit au contraire conclure qu'ils n'ont pas été réels.
« La nation presque entière, la nation moralement
«« entière, avec ses chefs, a bien un autre poids pour
'« combattre les miracles, que quelques individtis pour
«< les prouver. INous pouvons dire la même chose des
" païens du premier siècle , puisque le nombre de ceux
« qui se convertissaient était infiniment petit en compa-
M raison de ceux qui restaient dans leur haine contre la
« religion naissante. Il est certain , et les défenseurs du
« christianisme en conviennent , qu'il éprouva , dans
<« son commencement , de violentes contradictions de
" la part de tout le monde. Il est donc évident que tout
« le monde regardait Jésus-Christ et ses apôtres comme
'* des imposteurs, et par conséquent leurs miracles
" connue des fables. On ne peut donc pas douter que
SUR LA. RELIGION. 367
« l'histoire de ces miracles n'ait été fortement attaquée
« par écrit aussitôt qu'elle a été publiée. Si nous avions
« les ouvrages des docteurs juifs et des philosophes
« païens , qui la combattaient , nous y verrions les
.< preuves de la fausseté des miracles. Mais les chrétiens
« ont trouvé plus facile de supprimer ces livres que de
<i leur répondre. «
XV. Pour résoudre cette difficulté dans tous ses
points, je commence par examiner ce qui est dit des
écrits par lesquels on veut faire croire que la vérité des
miracles chrétiens a été combattue dans leur temps; et
j'établis trois propositions : 1° Il est très-probable qu'il
n'y a pas eu d'écrit publié directement contre le chris-
tianisme , et dans lequel on combattît ses preuves ,
avant celui de Celse^ qui est du second siècle. 2° Il est
très-certain que la réalité des miracles n'a été contestée
dans aucun écrit. 3° On accuse injustement les chrétiens
d'avoir supprimé les ouvrages de leurs adversaires.
1° Si, dans le premier siècle du christianisme, il
avait été publié quelque ouvrage contre sa vérité ,
comment se ferait-il qu'il n'en existât nulle part aucun
vestige ; qu'on ne connût le nom d'aucun auteur qui
eut rien écrit de ce genre; que ni les écrivains chrétiens,
pour le réfuter, ou au moins pour le décrier, ni les
païens pour s'autoriser de son témoignage , n'en aient
dit un seul mot? Il paraît que ce n'était pas par des
livres qu'on attaquait la religion naissante.
2° Si , dans le premier siècle , on avait combattu la
réalité des miracles dans quelqu'écrit, on ne les aurait
pas attribués, dans le second, à la magie. Cet ouvrage
aurait été bien éphémère , s'il n'avait pas pu passer
jusqu'au temps de Celse I II y a deux manières de ré-
pondre à une preuve de fait ; de nier le fait; d'en
contester la conséquence. Nous voyons, de tout temps,
les ennemis du christianisme dire que les luiracles ne
prouvent rien, et ses défenseurs occupés à prouver
qu'ils forment une démonstration. Nous ne voyons
368 DISSERTATIONS
nulle part ses adversaires nier la réalité des miracles,
nous les voyons au contraire en convenir positivement,
en les attribuant à la magie. Il est donc certain que les
miracles n'ont pas été niés. J'ai développé ailleurs ce
raisonnement. (1).
3" Les éciits des premiers temps contre le christia-
nisme étaient de deux sortes : ceux des juifs , ceux des
païens. Lesquels accuse-t-on les chrétiens d'avoir sup-
primés? Ce ne peut pas être ceux des juifs. D'abord il»
ne l'auraient pas pu. Cette nation s'étant constamment
perpétuée, séparée de toutes les autres, a conservé ses
livres, et les a transmis des pères aux enfants. Quel
moyen auraient eu les chrétiens de les leur enlever?
Ensuite, il est évident qu'ils ne l'ont pas fait, puisque
les livres les plus injurieux au christianisme, les thal-
muds et autres, se sont conservés dans la nation juive.
Dans ces écrits, les miracles de Jésus-Christ, attribués
à un pouvoir diabolique, sont formellement avoués.
Les juifs auraient conservé avec beaucoup plus de soin
encore ceux où les miracles auraient été contestés. Ce
ne peut donc être que sur les livres des païens que porte
l'imputation de suppression. Mais c'est un singulier
raisonnement, de dire : Il y a des écrits des païens
perdus, donc ce sont les chrétiens qui les ont supprimés.
Accusera-ton aussi les chrétiens d'avoir supprimé beau-
coup d'autres ouvrages intéressants des philosophes ,
des orateurs , des poètes , des historiens ? Leur repro-
chera-t-on aussi la perte de beaucoup d'écrits (rès utiles
à la religion , qu'avaient composés les saints Pères et les
apologistes? Il y a bien d'autres causes qui ont fait
disparaître ces ouvrages , dans un temps où ils ne se
})erpétuaient pas par l'impression : la vétusté , les in-
cendies, les ravages des barbares, la difficulté des trans-
criptions. Il y a même une raison particulière pour que
(i) Voyez chdp. i, u° xxx et suiv. page a 4 3.
SUR LA RELIGION. 369
les écrits en faveur du paganisme aient péri. L'idolâtrie
tombée, personne n'a eu intérêt à les conserver, per-
sonne n'a dû en prendre la peine. Il n'y a pas eu un
projet de les supprimer. Ils se sont anéantis d'eux-
mêmes avec la religion qu'ils défendaient.
XVI. Le christianisme a éprouvé dans son origine de
grandes contradictions ; mais elles n'ont pas porté sur la
réalité des miracles. Ce point établi , toute l'objection
proposée tombe. Puisque les miracles de Jésus-Christ et
de ses apôtres n'ont point été contestés, ils ont été crus.
Puisqu'ils ont été crus, ils sont vrais. Puisqu'ils sont
vrais, ils prouvent la vérité de la religion.
3Iais on exige que nous expliquions pourquoi les
miracles , s'ils ont été si publics , si éclatants , s'ils ont
été généralement crus , n'ont pas converti sur-le-champ
tout le monde; pourquoi la majeure partie , la presque
totalité de la nation juive a persévéré dans son incré-
dulité, a regardé Jésus-Christ comme un imposteur, et
l'a traité comme tel.
Je réponds, en premier lieu, que nous ne sommes
pas obligés de donner cette explication. Lorsqu'un fait
est complètement prouvé , on n'est pas fondé à le con-
tester sous prétexte qu'il n'a pas produit tel efïet qui,
à ce qu'il semble , aurait dû en résulter.
Je réponds , en second lieu, que l'incrédulité des
Juifs sur Jésus-Christ , et la manière dont ils l'ont
traité, loin de former un argument contre sa religion ,
en sont au contraire une preuve. Elles avaient été pré-
dites par les prophètes en plusieurs endroits. Ils avaient
annoncé que le Messie serait renié, méconnu, persé-
cuté, mis à mort par sa nation. Jésus-Christ lui-même
avait, en plusieurs occasions, renouvelé ces prophéties.
La manière dont les juifs l'ont traité, est l'accomplisse-
ment de ces oracles. Leur refus de croire en lui est un
des signes auxquels on doit le reconnaître comme
l'envoyé céleste. Il a été dit avec raison ; » Nous devons
« croire en lui, parce que les Juifs n'y ont pas cru.
« Un messie, que les Juifs auraient reconnu, ne serait
16*
370 DISSERTATIONS
« pas le véritable. Il lui manquerait un des caractères
•« expressément marqué par les propliètes (1). »
Je réponds , en troisième lieu , que l'obstination des
juifs à ne pas recomiaitre Jésus Christ pour leur messie,
malgré tant de miracles, est, à la vérité, très- éton-
nante; mais qu'en y réflécliissant, on en découvre plu-
sieurs causes qui ont dû être très-puissantes.
1« Leurs préjugés; et on sait quelle est leur force,
surtout en matière de religion (2). Ils attendaient un
messie qui confirmerait toute la loi de Moïse ; Jésus-
Christ en abolissait la partie cérémonielle : qui paraîtrait
dans la splendeur; Jésus-Christ se présentait dans la
condition la plus basse : qui fonderait sur la terre un
empire étendu; Jésus Christ prêchait le détachement
de toutes les grandeurs : qui les délivrerait du joug
des Romains; Jésus-Christ enseignait à payer le tribut
à César.
2<* L'autorité à laquelle ils déféraient. Ils avaient une
estime profonde pour leurs pharisiens , une confiance en-
tière dans leurs docteurs, une pleine soumission à leurs
prêtres. Tous ces hommes , ennemis déclarés de Jésus-
Christ , qui démasquait l'hypocrisie des premiers , abais-
sait l'orgueil des seconds, détruisait la puissance des
troisièmes , le poursuivaient sans relâche de leurs in-
trigues , dégradant ses miracles , et les attribuant au
pouvoir du démon ; combattant sa mission , et disant
tantôt qu'on ne saurait d'où viendrait le Messie, mais
qu'on savait d'où il venait ; tantôt que jamais prophète
n'était sorti de Nazareth '^, calomniant sa conduite , et
l'accusant ici de violer le sabbat , là de vivre avec les
(r) Démonst. Evangél., par M. Davoisin , cinquième édition,
page 295.
(2) Qaippe lune vim habet contentionis ainor et praeconcepta
opinio, qui iis assaeli sont, ii rebns etiara perspicuis lefraganlur,
potiusqoam 0])iniones ponan? , quihui eornm anima imbuia est. Ac
iiiuUo facilins de aliis rébus consuetudines reliqaerit qnispiam, qu.'tni-
vis ab illis difficile admodnm evellalur
nent. {Origen. contra CeUitrn, lib. i, n° 5a.)
SUR LA RELIGION. 371
personnes de mauvaise vie. Et nous voyons en consé-
quence le peuple partagé dans ses opinions ; les uns , à
la vue de ses prodiges, le regardant comme un pro-
phète ; les autres , sur la foi de leurs chefs , le traitant
de séducteur (1).
3° Leur frayeur. Nous voyons , dès le temps de Jésus-
Christ , un grand nombre de personnes , même des plus
considérables, croire en lui dans le fond de leur cœur,
et n'oser le manifester dans la crainte d'être chassés de
la synagogue par les pharisiens. La terreur dut être
^•ien plus vive, quand la rage qui avait crucifié le maître
se tourna avec la même violence contre ses disciples.
4^ Leurs passions ; et cette dernière cause ajoutait en-
core aux autres une giande force. Qui est-ce qui ignore
combien les passions sont Ingénieuses à se forger des pré-
textes ; quel poids elles donnent aux plus misérables
motifs? Embrasser le christianisme , était renoncer en-
tièrement à ses passions, se détacher de toutes ses incli-
nations , rompre toutes ses liaisons , réformer toutes ses
habitudes , et remplacer toutes les douceurs auxquelles
on s'était accoutumé, par des vertus austères et des de-
voirs pénibles.
. Je réponds , en quatrième lieu , que , malgré tous ces
obstacles , il ne faut pas croire que les miracles de Jé-
sus-Christ ne lui aient pas attiré beaucoup de disciples,
et pendant sa vie mortelle et après son ascension. 11 y en
avait qui croyaient en lui pour un temps , c'est-à-dire
lorsqu'ils étaient frappés de ses miracles , et qui ensuite,
par légèreté , par insouciance , par dissipation , par la
diflicuUé de croire ses mystères , par les autres causes
que nous venons d'exposer, se séparaient de lai. Tels
furent les cinq mille hommes qu'il avait nourris dans le
désert. Au moment même ils voulaient le faire roi ; et
(i) Maïuaar autom eral in turba de eo. Qadain enim dicebant
quia bonus est. Alii autem dicebani : îSoii , sei seducit turbas. [Joan.
vu , 12. )
372 DISSERTATIONS.
peu de jours après ils l'abandonnèrent. Mais pour ne
parler que des conversions solides , après sa résurrection
il se fait voir à plus de cinq cents d'entre les frères; et
de ce nombre n'était pas sans doute la multitude, que
la crainte des juifs empêchait de se montrer. C'est en
annonçant les miracles de son maître, en invoquant sur
leur réalité le témoigna^oe des juifs eux-nièiues, en leur
rappelant ce qu'ils avaient vu tout récemment , que St.
Pierre, dans ses deux premières prédications, en con-
vertit huit mille. C'est la persuasion des miracles qui a
fait en peu d'années un grand nombre de prosélytes,
qui en peu de siècles a rendu l'univers chrétien. Que
peut-on demander de plus ?
Xyil. On oppose le nombre plus petit des juifs et des
païens convertis dans le premier siècle par les miracles ,
au nombre infiniment plus grand de ceux qui , malgré
les miracles , sont restés dans leur croyance ; et on en
conclut que la réalité de ces miracles a été généralement
rejetée.
D'abord cette conséquence n'est pas juste , puisque ,
comme nous l'avons montré ^ la question entre les uns
et les autres était, non la réalité , mais l'autorité des mi-
racles.
Mais, laissant à l'écart cette première considération,
qui est cependant très-grave et même décisive , suppo-
sons pour un moment, contre la vérité, que ceux qui
ont refusé de croire à la loi de Jésus-Christ ne croyaient
pas à ses miracles; descendons, j'y consens, à la com-
paraison du grand nombre de ceux qui ont refusé d'y
croire, au petit nombre de ceux qui y ont cru. Pesons
leurs témoignages respectifs. Je dis que du côté du petit
nombre est le poids qui entraîne la balance. Quand on
considère les terribles suites qu'avait alors la profession
du christianisme, les sacrifices qu'elle exigeait de toutes
les pensées, de toutes les passions, de toutes les inclina-
tions, de tous les attachements, les périls nombreux et
de tout genre auxquels elle exposait, les maux affreux
auxquels elle livrait, on sent que pour s'y dévouer il faU
SUR LA RELIGION. 373
lait une persuasion intime, qui ne pouvait être que le
résultat d'un examen bien approfondi. Des miracles
pour lesquels il faut mourir ne sont pas crus sans les
plus puissants motifs. Mais pour rester dans sa vieille
croyance il n'était pas besoin de grandes réflexions. La
légèreté dans les uns, l'indifTérence dans les autres, dans
ceux-ci l'apathie, dans ceux-là l'habitude, dans tous
rattachement aux anciennes idées , l'amour de l'aisance,
le charme des passions , la crainte de la persécution ,
l'exemple commun , étaient des causes suffisantes de de-
meurer dans sa religion , et de rejeter sans examen tout
ce qui pouvait en retirer. On ne change point d'état ,
de situation , sans des fortes raisons. Pour rester comme
on est, il suffit de se trouver bien. Pour déposer la reli-
gion dans laquelle on est né , et à laquelle on est attaché
par une multitude de liens, il faut des motifs bien au-
trement convaincants que pour y persévérer. Combien
d'hommes forment leurs opinions sur leurs désirs I et
combien de raisons faisaient désirer de n'être pas obligé
à devenir chrétien I Un seul juif, un seul païen converti
donne plus d'autorité à la foi des miracles que la résis-
tance d'un grand nombre ne la décrédite. Elle suppose
nécessairement dans lui un examen que les autres peu-
vent n'avoir pas fait ; elle exige de sa part des sacrifices
qui, dès le premier aspect, ont dû effrayer les autres.
Quelle conviction ne doit donc pas opérer la multitude
de conversions faites dans les temps où les miracles en-
core récents pouvaient aisément être vérifiés I
XVIII. Il ne reste plus à résoudre que la partie de
l'objection où on argumente de ce qu'il n'a pas été fait
d'informations sur les miracles de Jésus-Christ et de ses
disciples. Je pourrais d'abord nier le fait , citer l'infor-
mation faite par les pliarisiens , au sujet de la guérisou
d'un aveugle né , et rapportée au chapitre neuvième de
l'évangile de St. Jean , et dire que le peu de succès de
celle-là , qui avait tourné à la confusion des ennemis de
Jésus-Christ , les a empêchés d'en faire d'autres. Je pour*
rais demander s'il était d'usage chez lesjuifs de faire des
374 DISSERTATIONS
informations juiidiques dans la forme observée parmi
nous. Je pourrais remarquer que Ton n'en fait pas or-
dinairement sur les faits publics passés sous les yeux
mêmes des juj^es; que l'on n'en fait pas, surtout, quand
on est persuadé, ou qu'on affecte de l'être, que le fait est
sans conséquence et ne décide pas la question. Mais,
passons sur tout cela. Je consens à me réunir à nos ad-
versaires, pour admettre la nécessité dont aurait été une
information sur les miracles, et je dis : Ceux-là ont tort,
qui, pouvant faire l'information, s'y sont refusés. Or,
entre les apôtres qui attestent les miracles de leur Maî-
tre ^ et les chefs de la synagogue qui (nous continuons
de le supposer) les rejettent, à qui appartient-il de
faire des informations? Lesquels sont revêtus du droit
de l'ordonner, delà puissance pour l'effectuer? Les apô-
tres la provoquent de tout leur pouvoir, cette informa-
tion, en publiant à haute voix les miracles de Jésus-
Christ, en prétendant eux-mêmes en opérer, en accusant
solennellement le sanhédrin de déicide. Si le sanhédrin
eût pensé qu'une information pût lui réussir , ne se
fût- il pas empressé de la faire? Il le pouvait, l'autorité
était entre ses mains ; il le devait , son honneur était at-
taqué , sa réputation compromise , la religion nationale
intéressée. Quelle raison a donc pu l'en empêcher , lors-
qu'il en avait tant d'intérêt et tant de moyens? Qu'on
cherche où on voudra , qu'on se retourne de tous côtés .
n ne pourra jamais en trouver qu'une. Il n'a pas in-
formé juridiqueineut, parce qu'il n'a pas osé. Il a senti
que ce nombre immense de témoins qui venaient ré-
cemment de voir les mhacles de Jésus -Christ , qui
voyaient encore tous les jours ceux de ses apôtres, le
confondraient par leurs dépositions. Ce furent les enne-
mis de Jésus-Christ qui se refusèrent alors à vérifier le
fait de ses miracles par une information; et ce sont eux
qui aujourd'hui nous opposent le défaut d'information.
Comment ne sentent ils pas qu'ils trahissent par là
leur cause , et qu'ils se percent de leurs propres armes ?
XIX. Aux contradictions des ennemis de Ifi religion ,
SUR LA RELIGION. 375
les incrédules ajoutent les oppositions que la foi des mi-
racles a éprouvées, selon eux, au sein même du chris-
tianisme. « Les anciens hérétiques contemporains des
I. apôtres, ou au moins de leurs disciples, niaient la réa-
u lité d'un grand nombre de miracles. Les uns niaient
«t l'incarnation du Verbe ; les autres qu'il fût né d'une
t« vierge; d'autres, qu'il eût un corps réel, qu'il eût
« véritablement souifert , et par conséquent qu'il fût
M ressuscité. Voilà donc les principaux faits démentis
w par des chrétiens, dès le temps où ils ont été publiés
« par d'autres chrétiens. Quel est celui des deux lémoi-
<t gnages qui doit l'emporter? Il résulte de cette divi-
« sion entre les chrétiens au moins deux conséquences :
« la première , qu'il n'est pas vrai que les miracles
« de Jésus-Christ ait été universellement crus, même
« dans le christianisme; la seconde, que ces autorités
" opposées doivent se contrebalancer , et jettent sur les
« miracles, que l'on prétend évidemment démontrés ,
« une grande incertitude. »
XX. Cette difticulté confond deux choses très-distinc-
tes : le dogme et les miracles, les objets de la foi et les
fondejnents de la foi. L'incarnation du Verbe est un
dogme bien plus qu'un miracle. La virginité de sa sainte
mère appartient aussi plus à la doctrine qu'on doit
croire , qu'au prodige qui fait croire. Ce sont des vérités
que nous présentons à professer , et non pas les motifs
par lesquels nous engageons à embrasser la religion. Les
hérétiques, qui erraient sur ces deux points, n'en
croyaient pas moins aux miracles de Jésus -Christ. En
combattant la divinité du Verbe , Arius ne révoquait
pas en doute ses prodiges. Les incrédules ont donc tort
d'argumenter de l'opinion de ces hérétiques, et de nier
qu'ils admissent les miracles rapportés dans l'évangile,
parce qu'ils rejetaient ces deux dogmes enseignés dans
l'évangile.
Les autres hérétiques des premiers siècles, qui niaient
la vérité des miracles de Jésus-Christ , ne favorisent pas.
376 DISSERTATIONS
plus rincrédulité moderne. En niant que ces prodiges
eussent delà réalité, ils avouaient qu'ils en avaient eu
toute l'apparence. Les uns distinguaient le \erbe d'avec
Jésus, ils ne niaient pas la naissance, la mort, la résur-
rection de Jésus ; ils prétendaient que le Verbe était
pour rien dans tout cela. Quant aux miracles, ils di-
saient bien que Jésus n'en avait point opéré , mais ils
disaient que c'étaient des œuvres du Yerbe. On ne peut
pas dire que ceux-là contestassent la vérité des miracles.
Les autres prétendaient que ce que les apôtres avaient
vu faire des miracles, mourir et ressusciter, était un
corps fantastique, semblable en tout à celui de Jésus-
Christ, mais qui n'était pas le sien. Il y en avait qui di-
saient que c'était une personne étrangère que Jésus-
Christ avait revêtue de sa Ggure, qui était morte et
ressuscitée pour lui. Ces hérétiques convenaient que Jé-
sus-Christ avait été vu constamment pendant trois ans,
faisant une suite de prodiges ; qu'on l'avait vu ensuite
mourir, ressusciter, monter aux cieux : ils prétendaient
seulement que tout cela n'était que des illusions , et ils
avouaient qu'à moins de révélations particulières les
apôtres avaient dû en croire la réalité. La dispute entre
les catholiques et ces hérétiques différait donc du tout
au tout de la nôtre avec les déistes. La question alors
agitée était de savoir si les disciples et les juifs avaient
eu raison de croire la relation de leurs sens. La question
actuelle est de savoir si la relation des sens , soit des
juifs , soit des disciples, a existé. Les incrédules modernes
voudraient-ils convenir avec les hérétiques anciens ,
que les miracles de Jésus «Christ ont eu toute l'apparence
de la vérité , et soutenir avec eux que c'étaient des illu-
sions que Jésus-Christ faisait aux spectateurs ? Faisons
sur cette pitoyable objection une réflexion. Il fallait que
l'authenticité , la multiplicité , la force des témoignages
fussent bien incontestables, dans ce temps où les mira-
cles étaient si récents , pour que ceux qui voulaient les
attaquer fussent obligés de recourir à de si ridicules
SUR LA RELIGION. 377
moyens ; il fallait que l'évidence des miracles fut bien
fortement établie , pour qu'on trouvât plus avantageux
Je combattre l'autorité des sens, que de révoquer en
doute leurs relations.
XXI. Voici une des objections que l'incrédulité répè-
te avec le plus de confiance : « On vante beaucoup le noin-
M bre des témoins qui ont attesté les miracles, et de
« ceux qui, sur leur déposition, et après un mùr exa-
« men, y ont cru. Mais , quelle confiance peut-on pren-
« dre dans de pareilles autorités? Considérons quels
« étaient ces premiers chrétiens ; tous des hommes sim-
« pies, grossiers, une populace crédule , incapable , par
H défaut d'éducation, d'habitude et de lumières, de
« tout examen. On sait avec quelle facilité de tels hom-
«< mes se font illusion et se persuadent les choses les plus
« absurdes. »
« On sait , et l'expérience de tous les temps l'a mon-
«< tré , que le petit peuple a d'autant plus de propension
« à croire, que les choses sont plus incroyables; parce
M que le merveilleux le frappe plus vivement que le
» vrai. Pendant le temps que le petit peuple reçoit avi-
« dément le récit des miracles, nous voyons tous les
<» hommes ayant quelque esprit, quelques connaissan-
« ces, quelqu'état dans le monde , les prêtres, les doc-
« teurs, les magistrats, tous les hommes en place, rejeter
M ces histoires comme des fables, et les traiter d'im-
« postures. A laquelle de ces deux classes doit-on ajou-
« ter foi ? N'est-il pas plus aisé de concevoir qu'un peu-
« pie léger , ignorant et brute , a été abusé , que d'ima-
" giner que s'il y avait eu quelque fondement à ces mi-
u racles, il ne se fût trouvé aucun homme de considé-
« ration , aucun ayant des talents et des connaissances ,
« qui, après les avoir examinés, les eût crus vérita-
u blés? »
XXII. Je n'examine pas encore le fait sur lequel re-
pose cette difficulté , savoir , que le christianisme n'a été
embrassé dans sa naissance que par la lie du peuple : je
le discuterai dans un moment ; maintenant je le suppose.
378 DISSERTATIONS
Je commence par altaquer la conséquence de l'assertion,
avant de combattre l'assertion elle-même.
XXIII. La classe la plus liunible du peuple est facile
à tromper : mais sur quels objets ? Sur ce qui favorise
ses préjuges , ses intérèls, ses passions. Sur ce qui con-
trarie tout ce qu'elle a de cher, elle ne s'en laisse pas
aussi aisément imposer. Elle croit avec facilité ce qui la
flatte , avec peine ce qui lui répugne. On dit vulgaire-
ment , et une expérience constante justifie cet adage,
que l'homme le plus simple ne l'est pas sur ses intérêts.
Que l'on considère ce qui résultait de la foi des mira-
cles, et on verra s'il était facile de les faire croire à la
multitude contre la vérité. En y ajoutant foi, il fallait
déposer la religion dans laquelle on avait été élevé , et
tous les principes que l'on avait sucés avec le lait ; il fal-
lait sacrifier toutes ses affections , abjurer l'amour des
richesses et des plaisirs, embrasser la pratique des vertus
les plus pénibles , de la mortification , de l'abnégation ,
de l'humilité , de l'amour des ennemis : il fallait s'ex-
poser à la haine et au mépris de ses concitoyens , à la
persécution des hommes puissants , et à ses terribles sui-
tes. Croit-on qu'il soit facile d'opérer avec des tours d'a-
dresse une telle métamoi-phose sur un peuple , quelque
léger ^ quelque grossier, quelque simple qu'il soit? Le
bon sens n'est pas tellement l'apanage du rang et de la
science , que les ignorants et les petits en soient dépour-
vus. Le simple peuple a beau être ignorant , il n'est pas
insensé. Ce serait être fou, que de changer d'idées, de
goûts , d'affections , de sentiments , et cela pour se met-
tre plus mal que l'on était sans avoir examiné avec tout
le soin dont on est capable les raisons de ce change-
ment.
Et considérons encore en quoi consistait cet examen
nécessaire pour que le peuple ne fût pas trompé sur les
miracles de Jésus-Christ et de ses disciples. S'agissait-il
de raisonnements qui passassentsa portée? Fallait-il des
discussions profondes, des arguments abstraits? Rien de
tout cela assurément. Il suffisait d'avoir cette mesure de
SUR L.V RELIGION. 379
bon sens dont le petit peuple est doué comme lesliom-
mes les plus considérables. On était si voisin des faits ,
que la vérification en était de la plus extrême facilité.
Quand les apôtres prêchaient pour la première fois Jé-
sus-Christ, ils parlaient à des gens qui avaient été per-
sonnellement témoins de ses miracles ou qui étaient en-
vironnés d'hommes qui les avaient vus. Quand ils di-
saient que leur Maître leur avait communiqué son
pouvoir de faire des miracles , et qu'en conséquence ils
en faisaient , on n'avait pas besoin de grandes médita-
tions pour s'en assurer. Des yeux, et un jugement qui
ne fût pas égaré, voilà tout ce qui était nécessaire. Par-
mi les premiers chrétiens , il n'y en avait aucun qui ne
fut capable de cet examen. Quand il s'agit de faits bien
palpables et bien solennels, le paysan le plus grossier
peut en être aussi sûr que le plus habile philosophe.
En continuant de supposer que tous les premiers chré-
tiens, prosélytes de Jésus-Christ et de ses apôtres , hom-
mes de la dernière classe du peuple , et dépourvus d'ins-
truction , ont pu facilement se laisser abuser, il faut en-
core admettre que l'illusion a continué , lorsque au bout
de quelque temps des hommes d'un état plus considé-
rable , et ayant plus de lumières, sont entrés dans la
nouvelle religion. Mais de cette conséquence nécessaire
résultent deux graves absurdités : 1° il faut adopter de
deux choses l'une ; ou que tous, ces personnages éclairés
ont embrassé le christianisme sans examen, malgré tous
les intérêts qui devaient les en détourner, ou que l'exa-
men de tous ces hommes éclairés leur a fait croire , con-
tre toute espèce de raison , des faits dénués de vraisem-
blance. 2^ Les illusions populaires , faites par des char-
latans , durent jusqu'au temps où les hommes qui ont
des lumières se mettent à examiner la chose, dissipent le
prestige et désabusent le vulgaire. Dans le fait du chris-
tianisme , il serait donc arrivé le contraire de ce que
l'expérience constante et le sens commun montrent qui
doit arriver toujours. Ce seraient les hommes de l'ordre
le plus humble de la société , les hommes sans esprit ,
380 DISSERTATIONS
sans connaissance , sans habitude de raisonner, sans fa-
cilité de s'exprimer , qui auraient subjugué et amené à
leur manière de voir tous les personnages les plus consi-
dérables, les plus savants, les plus éniinenunent doués
de la force du raisonnement et de la parole.
De ce que les premiers néophytes étaient des hommes
simples et pauvres, loin qu'il s'ensuive un argument con-
tre la rehgion chrétienne , il résulte au contraire une con-
sidération en sa faveur ; c'est que ce choix de la Provi-
dence avait été prédit par les prophètes. Isaie l'avait spé-
cialement annoncé (1); et Jésus-Christ lui-même, dans
plusieurs occasions , s'était appliqué cet oracle, en avait
montré dans sa personne l'accomplissement, et avait ré-
clamé ce témoignage de sa mission (2). Ainsi la prédica-
tion de l'Evangile , particulièrement aux pauvres , était
un des caractères du Messie. Ce rapport du fait avec la
prédiction montre que le fait_, loin de former une diffi-
culté contre la religion , donne au contraire une raison
de plus d'y croire.
XXIV. Passons maintenant à l'examen du fait allé-
gué , et voyons s'il est vrai , comme on le prétend ,
que l'Evangile ne fut d'abord reçu que par la plus bas-
se populace, crédule et incapable de tout examen.
(i) Spiritas Domini saper me , eo quod unxit Dominas me. Ad
annantiandam mansuetis inisit me, at mederer contritis corde , et
prsedicarem captivis indulgentiam , et clansis apertionem • nt praedica-
rem annam placabilera Dom'no , et diem altionis Deo noslro ; nt
consolarer omnes lugentes. (Is. lxi, 1,2.)
(2) Et traditas est ei liber Isaise prophetae ; et ut revolvit librnm,
invenit locam abi scriptam erat : Spiritus Domini super me, propter
quod unxit me, evangelizare paaperibus raisit me, sanare contritos
corde; praedioare captivis remissionem, et caecis visnra; dimiitere
confractos in remissionem ; prœdicare annum Domini acceptum , et
diem retributionis ... Cœpit autem dicere ad illos : Quia hodie im-
pleta est baec scripinra in auribns vestris. [Luc, iv , 17 et seq. )
Et respondens di\it illis : Euntes renuntiate Joanni qnae audiaiis
et vidistis : Quia caeci vident, clandi ambulant, leprosi mundanlur,
sardi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizantur. {Idem,
ï^ii, aa.)
SUR LA RELIGION. 381
Jésus-Christ vivait encore , et déjà il comptait parmi
ses disciples plusieurs personnes de considération : Ni-
codème, un des chefs des Juifs (1), Joseph d'Arimathie,
homme riche , noble décurion (2) , le centenier dont il
avait guéri le serviteur à Capharnaûm '^3) , au même
endroit un autre officier dont il avait guéri le fils (4) ,
beaucoup des principaux de la nation , que la crainte
des Juifs empêchait de se déclarer (5). Ainsi , dès le temps
de son ascension il n'était pas vrai que sa doctrine ne
fût embrassée que par ce petit peuple qui ne sait rien
examiner.
Il n'a pas plu à l'Esprit saint de nous apprendre de
quel état étaient les huit mille hommes convertis dans
les deux première;^ prédications de l'Evangile; mais ce
qu'il nous dit, qu'immédiatement après la première de
ces prédications ceux qui avaient des possessions les
vendaient, et en distribuaient le prix aux indigents,
selon leurs besoins (6) , montre qu'il y avait des per-
sonnes d'un autre état que de la dernière classe du
peuple. La foi était encore concentrée dans la Judée, et
déjà une troupe de prêtres, c'est-à-dire des hommes les
plus éclairés du peuple juif, lui obéissait (7).
De la Judée , je suis la publication de l'Evangile dans
(i) Erat aotem homo es pharisads , Nicodemus nomine , prioceps
Jadaeorum. {Joan. m, i. )
(a) Yenit quidam homo dives ab Arimathaea , noraine Joseph, qui
et ip^e discipalus erat. {^Matth. xxvu, 5'].)
Venit Joseph ab Arimathaea nobiiis decurio , qui et ipse erat ex-
pecïans regnam Dei. (^Marc. xv , 45.)
(3) Match, vm, et seq.
(4) Et credidit ipse (Régulas), et domas ejas tota. {Joan. iv, 53.)
(5) Vetumtamen et ex priiicipibas molli crediderunt in eam ; sed
propter pharisaeos non confi'ebanlnr. {Joan. xii , 4ti.)
(6) Omnes autem qui credebant, erant pariter , et habebant omnia
communia, ]josseswones et sabstantias vendebant , et dividebant illa
omnibus, prout cuique opus erat. (Act. ii , 44 , 45.)
(7) Verbam Domini crescebat , et rauliiplicabatur nnmerus discipa-
lorom in Jérusalem valde. Malta etiam turba sacerdotom obediebat
fidei. {yict. VI, 7. )
382 DISSERTATIONS
les divPi's pays où va la porter le zèle dos apôtres. Je
les vois établissant le théâtre de leur prédicalion dans
les villes les plus grandes et les plus célèbres, séjours
des personnages les plus distingués, centres des con-
naissances les plus brillantes et les plus étendues.
Serait-ce là qu'ils iraient se placer, si leur intention
était seulement de convertir les gens de la lie du peuple?
Je recherclie les résultats de leurs exhortations. Je
trouve sur le chemin de Gaza l'eunuque de la reine
d'Ethiopie, homme puissant et sur-intendant de ses
trésors (1;; à Césarée , Corneille, centurion d'une co-
horte (2) ; à Paphos, Sergius Paulus, proconsul ro-
main (3) ; à Athènes, Denys^ membre de l'aréopage (4);
à Ephèse , Apollo, homme éloquent, et puissant dans
les écritures (5); à Corinthe, Eraste , trésorier de la
ville (6) ; à Rome, plusieurs saints dans la maison de
César (7). Etaient-ils de la dernière classe du peuple ces
chrétiens formés par les apôtres 7 Je demande aussi s'ils
étaient incapables de tout examen, ces juifs de Bérée ,
les plus nobles de ceux de Thessalonique , qui reçurent
la parole avec avidité, après avoir étudié avec soin,
dans les Ecritures , si ce qu'on leur annonçait était
véritable (8) ? S'ils étaient des hommes sans aucunes
(i) Et ecce vir aethiops , eunuchus potens Candacis reginae iEihio-
puiK , qui erat super omnes gazas ejus. {^Act. vixi, 27. )
(2) Vir autem quidam nomine Cornélius, centario cohortis quae
dicitur italica. i^Acl. x, i.)
(3) Cum proconsul vidl^set faclum, credidit admirans saper doc-
trina Doinini. {^Act. xiii , 12.)
(4) Quidam vero adhicrentes ei credideiunt , ex quibas et Diony-
sins areopagila. {Act. xvii , 34.)
(5) Judseus autem quidam, Apollo nomine, alexandrinus génère,
vir eloquens, venit Ephesura , potens in scriplnris. Hic erat cdoctus
viam Domini. {Act. xviii, 24, 2 5. )
(6) Srtlutat vosErastus. arcarius civitatis. (Rom.xvi, 2 3.)
(7) Salutant vos omnes sancti, maxime autem qui de domo Caesa-
ris sunt. {Philipp. xv , 22.)
(8) Hi autem nobiliores erant eomm qui sunt Thesalonicce , qui
sasceperont verbum corn omni aviditate, qaotidie scrutantes scripta-
SUR LA RELIGION. 383
connaissances, ces fidèles d'EpLèse , qui, s'étant livrés
autrefois à l'étude des curiosités de la nature, brûlèrent,
après leur conversion, des livresde leur frivole science,'
pour le prix de cinquante mille deniers (1)? Si c'étaient
des ignorants, n'ayant la teinture d'aucune science, les
nouveaux chrétiens de Colosses , que l'apôtre avertit de
ne pas se laisser séduire par une vaine et fausse philoso-
pliie (2)? Si elles étaient de la populace grossière les
femmes à qui St. Pierre et St. Paul interdisent les
frisures élégantes, les parures magnifiques (3)? Nous
soutiendra-t-on aussi que les Clément, les Ignace, les
Polycarpe, prosélytes de la foi sous les apôtres, après
eux ses défenseurs, étaient des hommes sans esprit et
sans lumières? Les apôtres venaient de terminer leur
carrière, et un grand nombre de ceux qui professaient
le christianisme avaient été formés par leurs travaux .
quand Pline écrivait à Trajan que la persécution à
laquelle on dévouait les chrétiens mettait en péril des
personnes de tout rang comme de tout âge et de tout
sexe (4). Je m'arrête là , et je ne poursuis pas la recher-
che des personnes au-dessus du vulgaire converties à la
religion, au-delà du temps de la prédication apostolique.
ras, si haec ita se haberent. Et raulti qaidera crediderunt ex eis et
mulieram gentilium honestaram , et viri nou panci. (Act. xvii ii
12. ) ^ ' i
(i) Molti ex eis qui faerant corioba sectati contulerunt libroa et
combusseruat coram omnibus, et compatatis pieùis illorum, invene-
rant pecuniam denariorum quinqaaginta milliam. {Act. xrx', 19.)
(:») Videle neqnis vos decipiat per philosophiam'et inanem falla-
ciam. {Colo&s.u^ 8.)
(3) Qaaram non sit extrinsecns capillatara, aut ciicnmdatio auri
aut indaraenti vestimenloram caltus. (i. Petr. (ii, 3.) '
Similiter et malieres in-vestita ornato, cam verecandia «i sobrietale
ornantes so , et non in tortis crinibus, aut anro, aut margaritis aut
veste pretiosa. (Timoth., 11, 9.) 01
(4) Visa est mihi res digna consultatione propter periditanlium
unmerum. Multi enim omnis aetatis , omnis ordinis, niriusqne sexus
etîam vocantur in periculam, et vocabnntur. {Plin. secund. ad Tra-
janum. lib, x, episr. 97.)
384 DISSERTATIONS
J*aurais trop d'avantages sur nos adversaires, et je
n'imagine pas qu'eux-mêmes veuillent prétendre que le
christianisme , à mesure qu'il s'est étendu , n'a pas
acquis de néophytes dans les classes les plus élevées de
la société.
Quel était donc, à cet égard, l'état de l'Eglise dans
le temps des apôtres, et telle qu'ils l'avaient composée?
St. Paul nous en donne l'idée, quand il dit qu'il n'y a
pas un grand nombre de sages selon la chair , de puis-
sants et de nobles (1). Il n'y en avait pas un grand
nombre; il y en avait donc quelques-uns (2). L'apôtre
aurait-il pu , aurait-il ose dire qu'il n'y avait pas dans le
christianisme une grande quantité de savants et de
puissants, s'il n'y en avait pas eu du tout? Sans doute,
dans ces premiers temps, il y avait, comme il y aura
(i) Tidete vocationem vestram , fratres ; quia non mnlli sapientes
secnndnra carnem, non mnlti potentes , non mulli nubiles, sed qnas
sont stnlta mnndi elegit Dens, nt confiindat fortia ; et ignobilia mun-
di et contemptibilia elegit Deus , et ea quae snnt destrneret. (i. Cor.
I, 26 , 27 . 28. )
(2) Fortai-se etiam opinion! eornm, qui eroditnm , aut sapientem ,
ant prudentem arbitrantur , in nostram societatem non recipi , locum
dederit bic alius Pauli iocus : Vidcte vocationem vestram , etc. At
non dictnm est : JS'emo sapiens secundum carnem ; sed, non multi sU'
pientes secundum carnem.... Injuste igitur Celsus in nos insnrgit qua-
si diceremus : Nemo eruditus, neino sapiens, nemo prudens ad nos
accédât. Imrno accédât eruditus, sapiens et prudens, cuin voluerit ;
sed accédât nibilorainus siolidus, ineruditus, puer. PoUicetnr enim
nostra doctrina se et illos honaines sanaturam; si accesserint, quippe
quae omnes Deo dignos efficiat. FaUum et istnd tsl , fatuos , ignobi-
les, stupidos , mancipia ., miilierculas , puerulos , hos oranes soles
esse, quos divinae doctrinae praecones sibi comparare velint. Hos
enim nostra doctrina vocat quidem , ut meliores reddat ; sed vocat et
alios ab illis longe diverses. {Origen, contra Cels. , lib.in , n" 48,
4,9-)
Ne sibi contradiccre videatur (Paulus) ; persuasit enim proconsnii,
persuasit areopagilœ, peisuasit ApoUini; et alios eliara videmus sa*
pientes, prsedicationem secutos. Idcirco non dicit : Nemo sapiens ;
sed, Non multi sapientes. Si quidem non per sortem indoctos voca-
vit, dimisitautem sapientes; sed et hos accepit, et illos longe magis.
(S- Joan. Chrjiost. in epist. i ad Corinth. , Homil.)
SUR LA RELIGION. 385
toujours, plus de chrétiens de la classe populaire que
d'autres. Il en est une raison naturelle ; c'est que cette
classe est en tout temps et en tous lieux, de beaucoup la
plus nombreuse (3). Mais St. Paul nous en donne une
autre raison d'un ordre supérieur : c'est qu'il était dans
les décrets divins, que ce fiit par ce qu'il y a de plus
faible aux yeux du monde , que la foi triomphât de
ce cjue le monde a de plus fort. J'aurai occasion de
revenir sur cette vue de la Providence ; et d'en montrer
la réalisation et la conséquence.
Il reste donc prouvé que, dans l'objection proposée ,
ni le fait c^u'on allègue n'est exact , ni la conséquence
qu'on en tire n'est juste.
XXY. Les incrédules insistent sur l'amour des hommes
pour le merveilleux , et en concluent qu'il n'a pas été
difficile de les induire en erreur sur les miracles du
christianisme. «< Le peuple, disent-ils, n'aime pas à
« douter, il préfère de croire; et plus une chose est
u extraordinaire , plus il la croit facilement. Il n'y a
« peut-être pas eu , depuis l'origine du monde , un
M fripon annonçant des merveilles et ayant l'air d'en
a faire, qui n'ait trouvé des dupes. Notre siècle si éclairé
« en fournit plusieurs exemples. Mais c'est surtout en
« matière de religion qu'il est le plus facile de tromper
« le monde. Le sentiment religieux l'emporte sur le
« sens commun. Un homme qui professe une religion
« peut être enthousiaste au point d'imaginer qu'il voit
(i) Quoniam autpm plares ubiqae snnt ignari et roâtici, qaam in
scientiis exei'citati , necesse fait in tanla eorarc inaliitadine , qni cioc-
trinae manns dabanl , plnres esse rades et rusticos , qaam lilteratos.
Tamen Celsu* noiens ad haec aniraara advertere , benignain banc doc-
trinam j et peitingentem ad omiiem animam nsque ad solis ortum ,
pro siinplicitute habet; pntatqae illa doctiina sohis rudes devictos esse
propterea quod rudis ipsa est, et neqnaqnam ad persuadendnm effi-
cax. Neqae tamen solos simplices dicit bac doctrina ad Dei secundum
Jesam cultam adductos fuisse. Falelur enira ex eis maltos esse mo-
destes, temperatos , prudentes, et qui allegoriam intelligant. ÇOri-
gen. contra Celsitm ^ lib. vu, cap. Sg.)
Dissert, sur la Relig. 17
3186 DISSERTATIONS
M ce qu'il ne voit point, ce qui n'a aucune réalité. L
« est même possible qu'avec les meilleures intentions
<i du monde , et pour avancer les intérêts d'une si sainte
« cause, il raconte ce qu'il sait être faux. Ceux qui
« l'écoutent , ou n'auront pas assez de ju^^ement pour
« apprécier la vérité de son rapport; ou, s'ils en ont,
u ils y renoncent, dès qu'il s'agit d'objets aussi sublimes.
« Dans le fait, quelle est la religion qui ne vante pas
.1 ses miracles? L'eidèvement de Romulus au ciel; le
c. fait d'Altius-Nœvius, qui coupa un caillou avec un
a rasoir , et pour lequel on avait élevé à cet augure une
a Statue; celui de Curtius qui, se jetant dans un gouffre,
« le fit fermer ; les mi-racles d'Apollonius de Thyane,
«t celui de Tespasien , ne sont plus crus par personne ;
« ceux du diacre Pâris^ qui de nos jours avaient séduit
« tant de gens de si grave autorité sont aussi tombés
a dans le mépris. Ce qui doit surtout altérer la foi des
- miracles cbrétiens , c'est la quantité de faux miracles
« allégués en faveur du christianisme , qui remplissent
u les légendes, et dont tout le monde reconnaît le
.( ridicule. Au reste, si on veut établir une religion sur
« les miracles , il faut donc discuter les miracles que
» produisent toutes les religions : et cet examen est
« impraticable à la presque totalité des hommes. Mais
u quand on voit les hommes si souvent trompés par de
« ridicules relations de miracles , produites pour soute-
« nir des religions, on doit juger que la seule circons—
u tance , qu'une chose extraordinaire est attachée à une
u rehgion , est une preuve de fraude , et doit , sans
« autre examen, faire rejeter le miracle. »
XXYI. Yoici en quoi consiste toute cette objection ,
que les incrédules aiment beaucoup à répéter.
Il a été raconté souvent de faux miracles ; donc il ne
faut ajouter foi à aucun miracle.
Toutes les religions vantent leurs miracles; donc il
n'y a aucune religion dont les miracles soient véri-
tables.
L'enthousiasme fait croire trop facilement aux mi-
SUR LA RELIGION. 387
racles de la religion que l'on professe ; donc la foi trop
facile aux miracles fait embrasser légèrement une
religion nouvelle.
L'examen des miracles de toutes les religions est
impraticable à la plupart des hommes ; donc tous les
hommes doivent rejeter sans examen tous les miracles
de toutes les religions.
Reprenons ces divers points , et après avoir fait sentir
le ridicule de ces raisonnements , développons - en le
vice.
XXVII. J'ai répondu , en examinant l'objection pré-
cédente , à ce qui est dit ici de l'amour du peuple pour
le merveilleux. Ce merveilleux que le peuple aime,
est celui qui flatte ses pensées et ses goûts. Tous ces
fripons qu'on nous allègue, qui ont trouvé des dupes,
])romettaient des choses agréables: l'un, la pierre phi-
losophale; l'autre, des sources d'eau; quelques-uns la
vision de héros anciens ; la plupart , la santé. Mais que
l'on cite un seul qui ait réussi à se donner des partisans
par des illusions qui engageassent à de grands sacrifices,
qui exposassent à de grands dangers ; car c'est à cela
que les apôtres , en annonçant les miracles , ont amené
ceux qui ont cru en eux.
De l'amour du peuple pour le merveilleux , il n'y a
qu'une chose à conclure; et, nous l'avons déjà dit,
c'est qu'il faut être très-circonspect à croire les mer-
veilles. Mais en inférer qu'il est nécessaire de rejeter
tous les miracles, est une conséquence évidemment
exagérée et déraisonnable. Il en est à cet égard des faits
miraculeux comme des événements naturels. Il y a un
grand nombre d'histoires fausses : faut-il , pour cela ,
ne croire aucune histoire ?
XXYIII. C'est surtout, ajoute-t-on, l'enthousiasme
religieux , qui égare et qui fait perdre le jugement.
Je réponds d'abord que le principe est ici très-exagéré.
L'enthousiasme peut effectivement engager un homme
à croire qu'il voit ce qu'il ne voit pas , s'il est éloigné
de l'objet, s'il n'y apporte pas une grande attention ,
388 DISSERTATIONS
si la fraude est tlssiie avec assez d'art pour échapper à
son premier coujvd'œil. Mais ce n'est pas là notre
question. Il s'agit de savoir si un homme peut être
tellement emporté par son imagination exaltée , qu'il
croie , comme on prétend «jue l'ont cru les apôtres ,
voir près de lui ce qu'il ne voit pas , entendre ce qu'il
n'entend pas, toucher ce qu'il ne touche pas; qu'il
croie tout cela sans fondement , non pas une fois , mais
souvent, mais continuellement, mais pendant une
longue suite de temps. Il s'agit de savoir , et ceci est
bien plus fort encore, si une multitude de personnes,
jouissant de leurs sens physiques et moraux , peut être
tout entière dans la même illusion , et toute de la
même manière, et y rester de même pei>dant long-
temps.
Je réponds ensuite^ qu'il est possibleque l'enthousias-
me d'une religion dont on est persuadé , fasse croire
trop légèrement des miracles faits en faveur de cette
rehgion; mais qu'il est absurde de prétendre que l'en-
thousiasme fasse admettre les miracles faits en faveur
d'une religion nouvellement proposée et à laquelle on
ne croit pas encore. Qu'un homme publie faussement,
dans un pays chrétien , un miracle opéré en faveur de la
religion chrétienne, je ne serai pas surpris que beaucoup
de gens le croient légèrement. Mais qu'on vienne , dans
ce même pays, annoncer un miracle fait pour accréditer
la religion mahométane , je dis, et tout homme rai-
sonnable en conviendra , que ce miracle ne sera pas
cru légèrement; les uns le rejeteront sans examen, les
autres voudront l'examiner. L'objection sort donc évi- ]
demment de la question. Elle suppose un homme qui j
professe une religion , qui en est persuadé , qui en est *
enthousiaste ; et , entre nous et les incrédules il s'agit
d'hommes qui , avant de voir les miracles , étaient dans
une religion différente, qui par conséquent avaient des
préjugés contraires à cette rehgion, que tous les intérêts
humains devaient en éloigner. De tels hommes ont-ils
pu admettre les miracles par enthousiasme? L'enthou-
SUR L\ RELIGION. 389
siasme a pu être produit en eux par la vue des prodiges,
et ce n'est assurément pas une preuve de leur fausseté.
Mais il est déraisonnable jusqu'au ridicule de prétendre
•qu'un enthousiasme qu'ils n'avaient ni ne pouvaient
avoir, leur ait fait voir de faux prodiges. L'enthou-
siasme a pu être l'effet de la persuasion des miracles,
il n'a pu en être la cause.
XXIX. Voici une autre assertion aussi extraordi-
naire; c'est qu'avec de bonnes intentions un homme
peut assurer de faux miracles pour l'avancement d'une
cause sainte. D'abord, s'il croit la cause sainte^ il est
donc déjà persuadé de sa vérité ; et , comme je viens
de le dire , ce n'est pas là l'état de la question ; il s'agit
d'hommes convertis au christianisme par les miracles.
De plus, s'il est possible qu'un homme soit assez mal
organisé d'esprit pour concilier une telle imposture avec
les sentiments de religion qu'on lui suppose, comment
peut-on attribuer à une multitude d'hommes jouissant
de leur raison , un mélange aussi extraordinaire de
vertu et de crime? Comment veut-on que beaucoup
d'hommes croyant une religion qui réprouve le men-
songe , un Dieu qui le punit, inventent une fourberie,
la concertent, la soutiennent unanimement, constam-
ment ^ sans jamais se démentir; le tout avec les meil-
leures intentions du monde? Je crois difficile de pré-
senter une idée plus incohérente.
XXX. Des témoins qui rapportent faussement un
fait par enthousiasme, on passe à ceux qui les écoutent.
On dit d'abord qu'ils n'ont pas assez de jugement pour
apprécier la vérité du rapport , ensuite , que ceux qui
en auraient y renoncent dès qu'il s'agit d'objets aussi
sublimes. La première assertion peut avoir quelque
vérité , quand il s'agit d'un imposteur qui choisit ses
spectateurs; mais quand le fait est annoncé publique-
ment, comme l'ont été les miracles du christianisme ,
il y a nécessairement , dans la multitude , beaucoup de
personnes qui sont en état d'examiner le rapport, et
qui s'en donnent la peine. La seconde proposition est
390 DISSERTATIONS
absolument fausse. C'est, au contraire, quand il s'agit
de la religion , que l'usage d'un jugement sain est le
plus nécessaire. Qu'est-ce donc qui empêcherait des
hommes que l'on suppose judicieux , d'examiner les
preuves d'une religion qu'on leur annonce , et sur
laquelle ils n'ont pas encore de préjugés?
XXXI. On dit que la discussion de tous les miracles ,
de toutes les religions, est impraticable à la plupart
des hommes. Mais leur est-elle nécessaire? A-t-on
besoin , pour être assuré d'une vérité , d'avoir réfuté
toutes les objections qu'on y oppose ? D'après cet étrange
principe , il n'y aurait presque rien dont le vulgaire ,
c'est-à-dire à peu près tous les honmies , pussent être
persuadés. Et les déistes eux-mêmes , que de choses ne
croient-ils pas , sans avoir fait cet examen respectif des
preuves et des difficultés ? Il en est de la question des
miracles comme de toutes les autres. Il ne faut pas de
grandes lumières pour voir que ceux du christianisme
sont au moins aussi bien prouvés qu'aucun autre fait
puisse l'être. Le commun des hommes n'a pas besoin
d'en voir davantage. Les théologiens examinent ensuite
les difficultés qu'on oppose à la réalité des miracles du
christianisme ; ils les comparent à ceux des autres reli-
gions, et en font voir la différence. Toute la tourbe des
déistes n'a pas approfondi les subtilités des athées. Ils
n'en croient pas moins l'existence de Dieu. Toute la
multitude des chrétiens n'a pas plus besoin , pour croire
les miracles du christianisme , d'approfondir les so-
phismes des déistes , des idolâtres , des mahométans.
Au reste, on exagère beaucoup ici la difficulté de la
comparaison entre nos miracles et ceux des autres reli-
gions ; et il ne faut assurément pas de grandes lumières
pour en apercevoir la différence. Tout honuïie légère-
ment instruit est en état de juger que les uns n'ont pas
été , comme les autres , prédits d'avance , opérés publi-
quement, attestés unanimement , constamment, inva-
riablement, par beaucoup de témoins oculaires, irré-
prochables , que tous les intérêts humains détournaient
SUR LA. RELIGION. 391
de les publier, et avoués par ceux qui étaient intéressés
à les contester.
XXXII. On argumente de ces faux miracles qui
ont été publiés dans les diverses religions. Pour donner
du corps à ce raisonnement, il faudrait dire : On a été
souvent trompé par des miracles attestés de la même
manière que ceux du christianisme ; mais alors il serait
évidemment faux. Ajoutons que l'erreur où on a pu être
induit par ces miracles supposés , a été plus ou moins
promptement découverte par la critique; au lieu que
l'assentiment de tous les siècles donne un nouveau
poids à nos miracles. Enfin , ces divers miracles étaient
faits, non pas comme ceux du christianisme, pour éta-
blir une nouvelle croyance , mais pour favoriser des
religions déjà existantes.
Comme l'incrédulité insiste beaucoup sur ces faux
miracles, examinons ceux qu'elle nous oppose.
L'enlèvement de Romulus n'a eu pour témoin qu'un
sénateur , nommé Proculus , intéressé à l'inventer ,
pour cacher l'assassinat de ce prince. Il n'est rapporté
que par Plutarque, plus de neuf siècles après.
Le fait d'Attius-Xœvius est rapporté pçr Cicéron et
par. Tite-Live , postérieurs aussi de plusieurs siècles (1;.
(i) Id quia inaagarato Romabis fecerat, negare AtîiusZSaevios in-
clylus ea tempestate augnr , neque mntari , ncqae novain constitai ,
nisi a?es addixissent , posse. Ex eo ira régi nioia , eludensqne arteru
( at feccrant) ; Agednm , inquit , <iiV//;e. Tu inaugura fieri ne possit
quod nunc mente concipio. Qamn ille in angario rem expertas , pro-
fecto futnram dixi'ser, atque hcec anlmo , agitavi ^ inqail , te nova-
cuîa cotem discissurum. Cape hœc , et perage quod aves tuœ jierl
posse pertendunt. Tam illura hanc canctanter discidisse coiem ferunt.
Statua Atti , capite velato , quo in loco res acta esf , in corailio , in
gradibas ipsis , ad laevam curiae fuir. Coterii qaoqae eodem loco sitam
fnisse inemoranl , nt esset ad posteros miraculi ejas monnraentnra.
( Tit. Liv. , Hist. , lib. i, rap. 36 ).
Ex qno factura est, ut cum ad se rex Priscus arcesseret. Cujus cum
tentaret scientiam , auguratus dixit ei, cogitare se quiddam : id pos-
setne fieri consuluit. Ille, augurio acto, posse respondit. Tarquinius
autem dixit ei se cogitare cotem novacula posse prccidi. Tum Attium
392 DISSERTATIONS
Celui-ci, loin de l'assurer, le donne connue un simple
bruit, Cicéron qui en parle plus aHirniativcment , ne
dit pas un mot de la statue , qui aurait été un monument
du fait.
Tite-Live rapporte aussi que le nom de Curlius vient
d'un chevalier romain de ce nom , qui avait comblé
un gouffre en s'y précipitant; mais il donne ce récit
comme une fable à laquelle il ne croit pas lui-
même (2).
Les miracles d'Apollonius sont racontés par Philos-
trate , un siècle après si mort , sur la foi d'un nommé
Damis , homme inconnu , qui peut-être n'a jamais
existé. On ne voit pas que de son temps, et jusqu'à
celui de son historien, ils aient fait du bruit dans le
monde. On ne connaît dans ce temps-là personne qui
les ait crus. Ils ont été écrits , à ce qu'il paraît , pour
les opposer à ceux de Jésus-Christ ; et malgré l'intérêt
jussisse experiii , ita cotem in comitium allatam , inspectante et rege
et populo, novacula esse discissam. Ex eo venit , ut et Tarquinius au-
gure Attio-Naevio uteretur , et populis de suis rébus ad eum deferret. •
Cotem autem illam et novaculam defussam in comitio supraque impo-
sitUBi puteal accepimus. [Cicer. ^ de Divifiatione ^ lib. r. cap. 17,
n° 32, 33.)
(i) Eodem anno , seu mctu terrae; sen qua vi alia , forcim médium
ferme specu vasto conl.ipsum in iinmens^in altitudinem dicitnr ,
neque fum voragir.em conjectu teriœ qnara pro se quisque gereret
espleri potuist,e , piiusquam Deuiii moniiu qnaeri cceptiim qno plu-
rinium populus romanus j.osset. Id enim illi locjo dicandum vates
canebant , si rempublicam romanam perpetnam esse vellent. Tum
M. Cnrtium juvenem belle egreginm , castigasse ferunt dubitanles an
uUum magis roraanura bonnra , quam arma , virtnsque esset. Silenlio
facto , terapla deorum iramortalium , qnae foro imminent , Capito-
liuraque intuentem , et manus , nunc in cœlam , nunc in patentes
terrœ hiatus, ad Deos Mânes porrigentem , se devovisse. Equo deiu-
de , quam maxime poteiat , exornato insidentem , se in specua: ira-
raississe ; donaque ac fruges saper eum a mnltitudine virornm ac mu-
liernm congesîas , lacuraque curtiura , non ab antiqno illo ï. Tatii
milite Curtio Mette , sed ab hoc appellatum. Cui-a non deesset si qua
ad verura via inquirentem feriet. IN'unc fama eoium standum est ,
ubi cerlam derogat vetustas fidem ; et lacus nemen ab bec recentioî:©
insigr.itias fabula est. ( Tit. Liv., Hist ^ lib, vi, cap. 6).
SUR LA RELIGION. 393
qu'avaient les païens à les faire valoir, ils n'ont eu
aucune suite, et n'ont donné à Apollonius aucun sec-
tateur (Ij.
Les miracles attribués à Vespasien , et racontés par
Tacite et par Suétone (2), ne peuvent pas plus que les
autres être opposés à ceux de Jésus-Cluist. 1" On ne
rapporte de ce prince que deux miracles, sur lesquels
la fraude est bien plus facile à supposer , que sur la
multitude de ceux du Sauveur. 2° lis ne sont rapportés
que par deux écrivains, peu éloignés du temps, il est
vrai , mais qui ne les avaient pas vus , et qui ne disent
pas de qui ils les tiennent. Les faits miraculeux de
Jésus-Christ ont pour écrivains des témoins oculaires
qui en citent beaucoup d'autres. S" On voit à Vespasien
(i) Ona:n inuîta ferlar Appollonius ille Thyanaeub fecisse. Verum
uti scires omnia illa esse coniicta, vana , nibil hibentia \e.i, exlincta
snnt , et finem acceperunt. (S. Joan. Chrys. , adv. Judceos ,Ot&X.iv^
n" 3).
(2) Per eos menses quibcs Vespasianus Alexandriae stalos a^stivis
flatibas dies , et certa maris opperiebatur, inulta miiacala evenere,
qaibus ccelestis favor , et qucedam in Yespasiannm inclinatiu nnmi-
nam ostei.deretur. Es. plèbe alexandrins quidam oculurum tabe no-
tns , genua ejas advolvitur leraediam caecitatis exposcens gérai tu ,
monitus Serapidis Dei , qnera dediia gens sopersîilionibus ante alio-î
colit , precatarqae principem nt gênas et oculorum orbes dignaretni
respergere oris excieraento. Alias manu œger, eodem Ueo auctcre ,
nt pcde ûc vestigio Cœsaris calcarettir , orabat. Tespasianas piirao
irridere , aspernari , atqne alils instanlibas , modo famam vanitatis
melaere, modo obsecratione ipsorom et vocibos adulantium in spem
indaci; postremo affimari a medicis jabet an talis caeciias ac débi-
litas ope humana superabiles forent. Medici varie dissereie , hu.'c
non exesam vim lon.inis , et reditaram si pellerentar ob.'^tantia ; illi
elapsos in pravum artas , si falutaiis vix adhiberetor , posse integra-
ri : id fortasse cordi diis et divino niinislerio principem elecium :
deinde patrati reniedii gloriam pênes Casa rem , irriti pênes mseros
fore. Igitar Vespasianus , cnnc ta fortiinae suae patere ratus , nec quid-
quam ulira incredibile , laetu ipse vnhn, erecta quae adstabat maltitu-
dine , jussa exequiiur. Statim conversa cd usum manas , ac cceco
reluxit dies. Uttumqne qui inierfuere , nanc quoqae memorant ,
postquara nuUom mendacio prsemium. f Tac. Hist. , lib. iv, cap. 8i).
Ex plèbe quidam lurainibus orbatus , item alias debilis crure , se-
17*
.*594 I)lSSERTATIONS
un motif pour tromper ; il avait intérêt à se faire croire
appelé du ciel à l'empire. Quel intérêt pouvait avoir
Jésus , que ses miracles conduisaient , comme il le
disait lui-même, à une mort ignominieuse? 4° Ves-
pasien avait en main l'autorité, qui donne de grands
moyens pour ourdir , soutenir, propager une imposture.
La puissance publique était opposée à Jésus. 5' Les
témoins de Vespasien sont ses courtisans désirant le
flatter, intéressés à ne pas révéler une fraude. Ceux de
Jésus sont ses ennemis , qui n'auraient pas manqué de
divulguer une tromperie. G"* Il paraît par le récit de
Tacite que les deux malades furent amenés à Vespasien
par des courtisans. Jésus guérit indistinctement tous
ceux qui se présentent à lui. 7° Selon Tacite , les mé-
decins avaient déclaré que les deux malades pouvaient
être guéris par des moyens humains. A-t-on jamais dit ,
peut-on dire la même chose de ceux qu'a guéris Jésus?
Voici donc ce que l'on peut croire du double miracle de
Vespasien, sans qu'aucune circonstance combatte cette
présomption. Pour donner de la force au parti qui
relevait à l'empire contre Vitellius , et pour inspirer du
courage à ses soldats, lui, ou quelqu'un de ses partisans^
imagina de présenter un miracle^ par lequel la Divinité
parût se déclarer en sa faveur. On choisit deux hommes ,
dont on s'assura aisément pour de l'argent, qui se
dirent malades, qui peut-être l'avaient été. Pour donner
plus de foi au prodige, l'empereur parut résister et se fit
presser. Il n'y eut dans le secret que ces deux honmies ,
les médecins consultés , un ou deux courtisans. Le reste
des assistants put croire de bonne foi que c'était un
dentem pro tiibunali pariter adiei-unt ; orantes opem valetndinis de-
monstratam a Serapide per quielem , reslilutuiunj ocnlos , si cous-
puisset ; confirmaturuœ cras , si dignaretur calce contingere. Cnm
vix fides esset rem ullo modo successuram , ideo ne experiri quidem
auderet , extrême , hurîanlibus aiaicis , palam pro concione utroin-
qoe tenlavit , nec eventus defuit. ( Siieton. Cccsar. , vita Vespas. ,
cnp. 8).
sua LA RELIGION. 39o
miracle, le répandre, et le répéter encore, comme dit
Tacite , lorsque après la mort de Vespasien et de ses
enfants il n'y eut plus d'intérêt à le soutenir. Qu'on
imagine une pareille présomption sur les miracles de
l'origine du christianisme , une multitude de circons-
tances l'aura aussitôt dissipée.
Les miracles du diacre Paris se faisaient sur des
sujets du parti , que l'on avait soin de choisir et de
préparer convenablement. Il fallait , pour qu'ils s'o-
pérassent, qu'on s'y prît d'une certaine manière. Une
information juridique , dont le procès-verbal fut déposé
à l'ofiicialité , en démontra la fausseté , et même aupa-
ravant les honnêtes gens de la secte rougissaient de ces
manœuvres. Ce qui les a achevés, a été la proposition
de la police de leur donner une loge à la foire. On n'a
plus osé ni les continuer , ni y croire.
On nous oppose de faux miracles de nos vieilles
légendes. Je conviens que beaucoup trop souvent la
crédulité, la superstition, peut-être un zèle mal entendu,
quelquefois, hélas I cela serait aussi possible, un vil
intérêt , ont fait publier des miracles qui n'avaient au-
cune réalité , et qui cependant ont été reçus avec avi-
dité : mais quelle différence de ces prétendus miracles
avec ceux sur lesquels est fondé le christianisme! ne
fût-ce que dans la manière dont les uns et les autres sont
attestes. Que l'on examine ces miracles des légendes
avec la même sévérité que ceux des livres saints; qu'on
n'admette que ceux qui seront positivement démontrés,
mais qu'on ne nous donne pas comme une preuve de la
fausseté des miracles évangéliques, d'autres miracles
postérieurs de beaucoup de siècles , et qui n'ont avec
eux rien de commun.
XXXIII. De tous ces raisonnements , de tous ces
faits, on conclut hardiment que puisqu'on est si facile-
ment , et que l'on a été si souvent trompé par de faux
miracles, il faut, dès qu'un fait merveilleux est lié à
une religion, le rejeter, par cela même, sans examen.
306 DISSERTATIONS
Belle conséquence sans doute , et qui résulte bien direc-
teuient du principe I Puisqu'il est facile et commua
d'être trompé , il faut se garder d'examiner. Et moi , je
dis , au contraire , que c'est lorsqu'un fait miraculeux
est donné en preuve d'une religion , qu'on doit l'exami-
ner avec plus de soin ; d'abord , parce que c'est alors
qu'il a plus d'importance; ensuite, parce que c'est
alors seulement qu'il est possible. Que Dieu interver-
tisse l'ordre de la nature pour notre instruction , je le
conçois sans peine , mais un miracle sans motif est
nne chose incroyable.
XXXIY. « C'est surtout , disent encore les incrédules,
a chez les peuples ignorants, grossiers et superstitieux,
.» que l'on voit une grande quantité de miracles; mais
« à mesure que les peuples s'éclairent, cette foi aveugle
u aux prodiges se dissipe. Aujourd'hui on ne voit plus
« de miracles ; serait-ce que le pouvoir de Dieu est
« diminué? Non, sans doute; c'est que l'esprit de
« l'homme s'est éclairé. Si la religion chrétienne était
« réellement fondée sur des miracles, pourquoi n'en
u ferait-il plus de nos jours? Aussi violemment atta-
« quée que jamais, n'en a-t-elle pas un aussi grand
« besoin? »
XXXV. Je demande si le siècle où les miracles évan-
géliques furent annoncés n'était pas le siècle le plus
éclairé que Ton ait vu , le siècle par excellence des
lettres et de la philosophie ; si les grecs et les romains ,
auxquels ils ont été annoncés dès leur temps , et dont
beaucoup y ont cru, étaient, surtout alors, des peuples
ignorants et grossiers? Les juifs eux-mêmes, parmi
lesquels ces miracles ont été opérés, n'étaient nulle-
ment un peuple ignorant ; c'était un peuple commer-
çant et répandu dans toutes les nations. Chaque juif
était obligé de savoir et de copier la loi de sa main ;
ils avaient donc tous un certain degré d'instruction. Il
y avait, outre cela, à cette époque, parmi eux^ plu-
sieurs personnages très - savants , témoins Josèphe et
SUR LA RELIGION. 397
Philou. On ne peut donc pas attribuer la croyance
qu'ont obtenue les miracles , à l'ignorance et à la
grossièreté.
XXXVI. On demande , pourquoi donc ces dons mira-
culeux qui étaient, dit-on, si communs dans la pri-
mitive église, ne se voient-ils plus? Je réponds qu'ils
ont cessé, parce qu'ils devaient cesser. Et l'apôtre saint
Paul , qui , comme nous t'avons vu , en a parlé si
souvent , en a annoncé la fin (1). Ils ont cessé d'exister,
parce qu'ils ont cessé d'être nécessaires. Avant que le
monde ne crût, dit St. Augustin , ils étaient nécessaires
pour que le monde cn.it(2> IMais , l'Evangile publié,
la foi établie, l'univers converti, leur objet est rempli ,
et leur terme arrivé (3). Il n'est pas dans Tordre de la
suprême sagesse de multiplier les prodiges sans néces-
sité. En devenant communs, ils cesseraient d'être frap-
pants ; et riiabitude d'en jouir les confondrait avec
celte multitude d'effets naturels dont la cause est in-
connue (4). De quelle nécessité est-il que ces miracles se
( I ^ Charitas nunquam excidit , sive prophetiae evacuabuntur , sive
linguae cessabunt. ( t . Cor. xiri , 8. )
(2) Cur, inquiant, illa miracnla , qiiae prsedicatis facta esse, non
fiunt ? Pussum quidam dicere , necessaria fuisse priusquam crederet
mundus, ad hoc ut crederet mundus. Quisquis adhuc prodigia , ut
credat , inquirit , magnum ipse prodigium est , qui , mundo credente ,
non crédit. {S. Aug., de Civ. Dei, lib.xxri , cap. 8, n** 1.)
(3) Porro in scripturis qnoque vides solem retrocedentem , et lunam
rursus cum eo stantem, et multa aba miracula. Quando enim ejus co-
gnitio nondum extensa fuerat, baec fiebant. Nunc autem non est am-
plius opas bac doctinna , cum res ipsae clament et ostendant Dominum.
{'S. Joan. Chrjrs.j expos, in psalm. cxtu, n" 5.)
Quidnura , fratres mei , quiaista signa non facitis, minime creditis ?
Sed bapc necessaria in exordio ecclesiœ fuerunt. Ut enim fîdes cresce-
ret , miracuKs fuerat nutrienda , quia et nos , cum arbusta plantamus ,
tandiu eis aquam infundimus , quousque ea in terra jam convaluisse
videamus, et si semel radicem fixerint , in rigando cessnmus. (5. Gre-
gor. Magn. in evangel. , bb. 11, Homd. 29 , n° 4. )
(4) Cur, inquis , ista modo non fiunt .>' Qm'a non moverent, nisi
mira essent ; ad si soUta essent ; mira non essent. Num diei et noctis
vices, et constantissinmm ordinem rertim cœlestium , anr.orum qua-
898 DISSERTATIONS
renouvellent devant nos yeux? Sûrs qu'ils ont existé,
avons-nous le même besoin que les premiers chrétiens
de les voir pour établir notre foi ? La religion est
violemment attaquée ; mais les preuves démonstratives
qu'elle présente de sa vérité suffisent à sa défense.
Dieu est-il tenu de les nmltiplier à mesure qu'on y
résiste? Il a voulu que ces preuves qu'il nous donne des
miracles rendissent notre foi raisonnable , et que l'éloi-
gnement <les miracles la rendit méritoire. Heureux ,
a-t-il dit, ceux qui croient sans avoir vu(l) I Non, son
drifariara conversionein , redeuntes, decidentesque frondes arboiibns ,
ialinitam viin seminum , pulchritudinem lucis , colonim , sonorum ,
odorum , saporamqae varietates , da qui prirnum videat atque sentiat ,
cum qao tainern loqui possioius, hebescit, obriiiturque miiaculis. Nos
vero baec omnia , non cognoscendi faciUtate , quid eniin causis ho-
rum obscurius ? sed certe sentiendi assidoitate contemniraus. Facta
sunt igitur illa opportnnissitiie , ut in bis multitudine credentium con-
gregata , atfpie pvopagata in ipsos mores utibs converteretur auctoritas.
{s. Aug. , de Utitit. credendl ; cap. xvi , n° 34. )
(i) Quia vidisti me , Thoma , credidisti. Beati qui non videmnt ,
et crediderunt. (^Joan. xx, ag. )
Yeruni signa quaeritis , quae Uli ingressi faciebant; ieprosos munda-
bant. daemones ejiciebant, mortuos suscitabant. Sed et boc nobilitaîis
vestrae maximum indicium est , quod sine pignoribus bujusmodi Dec
credatis. Hac enim de causa cessa vit Deus signa edere. (5. Joan.
Chrjs. , in Matth. , bomil. xxxii , al. xxxiii , n" 7. )
Xe itaque ex eo quod nunc signa non fiant argumentum ducas ,
tune etiaoi non fuisse. Etenim tune utiliter fiebant, et nunc utiUter
non fiunt.... Itaque quanto inagis clara , et ad credendi nécessitât em
adducentia stint illa, tanto magis fidei merces minuitur. Ideo nunc
signa non fiunt. Et quod res se ita babeat , audi quid dicat ad Tho-
mam ! Beati qui non vid^nint , et crediderunt. (Idem^ in epist. i,
ad Cor. bomil. vl , n'^' 2 et 3. )
Nemo itaque fratres , dicat , non facere ista ( miracula } Dominum
nostruin Jesum Cbristum , et propter boc praesentibus ecclesiae tempo
ribus priora prseponere. Quodam qoippe loco idem Doniinus videnti-
bus , et ideo credentibus , praeponit eos qui non yideraut et credide-
runt.... Et qijid Dominus illi jam confitenti et dicenti : Dominas meus
et Deus meus? Quia vidisti me ^ inquit, credidisti. Beati qui non
violent et credunt. Quos dixit , fratres, nisi nos ! Non quia solos nos,
sed et post nos. Post parvum eniru tempus , postquam ab oculis mor-
tabbus recfâsit , ut formaretur fides in cordibus , quicumque credide-
runt, non videntes crediderunt! et magnum meritum babuit fides
SUR LA RELIGION. 399
pouvoir n'est pas diminué . et il nous en donne encore
quelquefois des témoignages; car, eu donnant, avec
St. Augustin, les raisons pour lesquelles les miracles
sont devenus très-rares, nous sommes^ comme lui,
bien éloignés d'avouer qu'il ne s'en opère plus du
tout (1). Il est vrai de notre temps, comme du sien,
que Dieu daigne encore nous en faire voir par inter-
valles, soit pour confondre les sectes hérétiques, soit
pour manifester la sainteté de ses serviteurs, soit pour
d'autres motifs qui meuvent sa sagesse suprême '2j.
XXXYII. Disons un mot d'une autre objection pro-
posée par quelques déistes , savoir que « les Pères ont
M expliqué les miracles de Jésus-Clirist dans un sens
« allégorique; qu'ils ont donc cru qu'on ne devait pas
« les prendre à la lettre, et que dans le sens littéral
- ils sont absurdes. On ne peut donc, conclut-on, en
<* tirer aucune preuve. »
XXXVill. Prétendre que les saints Pères, qui tous
ont défendu la religion chrétienne par les miracles,
n'ont pas cru la réalité des miracles , est certainement
une des idées les plus ridicules qui soient jamais entrées
dans l'esprit humain. Ils ont tiré des miracles des allé-
gories ; donc ils n'y ont vu que des allégories. Quel pi-
toyable raisonnement I Ils ont dtt que la lèpre guérie
par Jésus-Christ était l'image du péché ; que l'aveu-
eoiuui , qui fîdei coraparandse cor tanturu admoverunt , non et pal-
pantem raanum. {S. Aug. , serm. lxxxvxii ; alias s-vui , de verbis
Dominl , n° 2. )
(i; Sed non sic accipiendum est quod dixit ; ut nnnc , in Giristi
nomine fieri miracula nulla credantur. '^S. -Aug. ^ Retract. ^ lib. i,
cap. xm, n"^ 7. )
Alio loco cum miracula comT.emorassem quae Dominos Jésus fecit ,
cmn hic esset in carne, adjunxi dicens : Ctir , inquies^ illa modo non
fiant? atque respondi : Q^uia non moverent y nisi rnira essent ; si aii-
tem solita essent, mira non essent. Hue autem dixi , quia non tanta ,
née omnia modo ; non quia nulla sunt etiam modo. {Ibid. , cap. xrv ,
11° 5.)
(2) On peut voir les preuves de cette véiité dans le savant ouvrage
de Benoit XIV , sur la canonisation des saints.
400 DISSERTATIONS
gleineiit qu'il a dissipé dans quelques personnes était le
symbole de Faveu^lenient spirituel ; que les diverses in-
firmités qu'il faisait disparaître représentaient les infir-
mités auxquelles l'àme est sujette ; que la mort dont il a
rappelé à la vie était la figure de la mort de l'ame. Mais
aucun d'eux n'a jamais dit que Jésus-Christ n'eût ni
guéri de l'épreux, d'aveugles , de malades , ni ressuscité
de morts. Au contraire , ils supposaient la réalité des
faits , pour en faire ressortir des emblèmes. Au sens lit-
téral qu'ils défendaient contre les incrédules de leur
temps , ils ont ajouté un sens allégorique , qu'ils expo-
saient aux fidèles pour régler leurs mœurs. Ils l'ont
ajouté, ils ne l'ont pas substitué. Il serait si facile, en
rapportant une multitude de passages de tous ces saints
docteurs , de prouver qu'ils étaient persuadés de la vé-
rité des miracles , que cela est inutile. Contentons-nous
de citer les deux Pères qui ont le plus multiplié les allé-
gories , et qu'on a le plus accusés de les avoir portées à
l'excès : Origènes et St. Grégoire le Grand. Le premier
défend, contre Celse , le christianisme par les miracles;
et il défend , ainsi que nous l'avons vu , les miracles
contre l'imputation de magie. S'il avait cru que ce fus-
sent de pures allégories , aurait-il pu employer de tels
raisonnements? Il semble qu'il ait prévu qu'on lui ferait
un jour l'absurde inculpation dont il s'agit , car dans
un endroit il dit positivement qu'avant de se livrer au
sens spirituel il faut commencer par admettre la vérité
historique ; et dans un autre , il s'élève avec force
contre ceux qui font ce qn'aujourd'hui on lui reproche ,
qui s'éloignant des décrets de l'Eglise se plaisent à de
vaines allégories , et rappellent toutes les guérisons opé-
rées par Jésus-Christ à la guérison de l'àme (1). Saint
(i) Hcec enim licct spiritaalem habeant intelleclum , tamen ma-
nente prius iiistoriae verilate, etiani spiritulis rccipiendus est sensus.
Licet euim caecos seniper curet secandam spiiilalein intelligenliam .
cam ignorantia excaecatas illuminât mentes, tamen et corporaliler
tnnc caecum sanavi^ Et mortuos seraper suàciiat ; fecit tamen et taac
SDR LA RELIGION. 401
Grégoire n'est pas moins précis. Il faut, dit-il, com-
mencer par être persuadé de la vérité historique , pour
chercher ensuite le sens spirituel ; et l'ont goûte bien
mieux l'allégorie quand elle est radicalement fondée sur
la vérité de l'histoire (1).
Je ne prétends pas avoir réfuté toutes les difficultés
que les incrédules de nos jours ont , ou réchauffées des
temps anciens, ou imaginées de nouveau contre les mi-
racles j mais je crois avoir répondu à toutes celles qui
méritent une réponse , et qui peuvent faire quelque im-
pression. Quand aux objections minutieuses, dont l'ab-
surdité saute aux yeux aussitôt qu'on les présente , je
crois devoir en épargner aux lecteurs l'inutile et ennuy-
euse discussion. Je crois surtout devoir mépriser, lais-
ser tomber dans l'oubli qu'elles méritent, les railleries
et les injures dont les ennemis de la religion ont si sou-
vent assaisonné leurs blasphèmes ; armes bien dignes
d'une telle cause, mais qu'il serait indigne de la cause
sacrée que je défends , non-seulement d'employer, mais
même de repousser.
hojiisceniodi mirabilia, sicut filiam principis synagogae, et fîlinm vi-
dnae, et Lazarum suscitando. Et quaiuvis semper , cuin excitatur a
discipulis, compescat eociesiae turbines vel procellas, tamen certam
est tnnc gesta esse qnae per historiam referuntnr. ( Origen. in epist.
ad Galat.)
Santque haec potissimum dicenda his qui ab ecclesiae decretis dis-
sident, gandentes allegoriis, et sanationum historiam reducentibus
ad carationeni animae, qaam Jésus libéral ab omni morbo et ab omni
mollitie. {idem, in Joan. ^ tom. xx , n° x8.)
(i)In verbis sacii eloqaii, fratres charissiini , prius servanda est Ve-
ritas hisloriae, et postmodura requirenda.spiritualis intelligentia allego-
riae. Tnnc namque allegoriae fructus iuaviter carpitur, cura prius
per historiam in veiitaiis radiée solidatar. [S.Gregor. Magn.^ in
eiHingel., lib. n, Homil- 40, n° i.)
402 DISSERTATIONS
TROISIÈME DISSERTâTIOIS.
SUR LA PROPAG.\TIO> RAPIDE DU ClIRISTIAMSME.
I. Après avoir prouvé la vérité de notre sainte reli-
gion par les merveilles qui ont procuré son établisse-
ment, je passe à la merveille même de son établisse-
ment. J'entreprends , à la suite de tous les apologistes ,
de prouver que sa rapide propagation n'a été et n'a pu
être l'effet d'aucune cause humaine , et qu'elle est incon-
testablement l'œuvre de la puissance divine. Cette vérité
est le résultat nécessaire de deux propositions dont je
vais montrer la certitude dans deux chapitres succes-
sifs. 1° Le christianisme s'est établi rapidement dans le
monde. 2'* Il n'a dû sa rapide diffusion à aucun princi-
pe humain ; et, au contraire, tous les principes humains
y résistaient. J'ajouterai un troisième chapitre, pour ré-
pondre aux objections que forment les incrédules con-
tre cette démonstration.
JUlSLJLSiJLJiS. JUL SULJUlJULJULJLJLJULJiJLJUL Q^SLSLJLJLJLJLJLSlJL.SULJIJL-S-SI.
CHAPITRE I.
PREUVES DE LA PROMPTE PROPAGATION DU CHRISTIANISME.
Il semblerait qu'une vérité aussi claire n'aurait pas
besoin d'être prouvée. Il suffit d'avoir une teinture lé-
gère de l'histoire (1), pour savoir qu'en moins de trois
(ï) Ita , opitalante cœlesti virtule , salutaris Dei sermo, fanquam
8olis radius
SUR LA RELIGION. 403
siècles le christianisme , s'augmentant sans cesse , par-
vint à se répandre dans tout le monde alors connu , et
que, spécialement dans l'empire romain , qui en faisait
la plus grande partie , il devint la religion dominante et
la plus nombreuse. Mais il n'y a rien de si évident que
l'incrédulité ne s'efforce d'obscurcir , rien de si certain
qu'elle ne veuille faire révoquer en doute. Reprenons
donc les monuments de ces trois premiers siècles de la
religion , et suivons ses progrès continuels pendant ce
temps.
II. Nous avons vu que Jésus-Christ , lorsqu'il remon-
ta dans les cieux, indépendamment des troupes nom-
breuses de peuple qui l'avaient suivi dans le cours de sa
carrière, et dont une grande partie l'avait abandonné ,
indépendamment de ceux que la crainte avait empêchés
de se déclarer pour lui, comptait plus de cinq cents dis-
ciples, auxquels il s'était montré après sa résurrection (1).
C'était beaucoup , quand on les considère comme les té-
moins de ce grand miracle ; mais c'était bien peu, si on
veut voir en eux la semence de cette multitude de
chrétiens qui devaient peu à peu couvrir la face de la
terre (2).
III. C'est après le retour du divin Sauveur dans les
in sacris litleris praedictum faerat , in oninem terram exivit sonus
evangelistarara , siinal et apostoloram, et usqne ad fines lerrae verba
eorum. Per omnes igitur civitates et vicos , ecclesiae infinita homi-
num multitadine abondantes, velut areae quaedam frngibus refertae
brevi congregatse snnt. [Euseb. , Hist. Ecoles. ^ lib. ii , cap. 3.)
In prlncipio itaque irnperatores, et reges omnes, et populi et ci-
vitates, et daemonum phalanges, et ipsa diaboli tyrannis , et alia
innamera invaserant ecclesiara. lUa taraen omnia fracta et disâolata
sunt, et interierant. Ipsa autem crevit; et in tantam provecta est
altituditiem , nt ipsos etiam coelo* superaverit. (5. Joann. Chrysost ,
Expos, in psalin. cxLvn, n° 4.)
(i) Voyez deuxième Disseitation , part. 2 , cbap. i , n° m, note r,
page 21 5.
(2) Manifestum qaidem est paucos initio fuisse christianos, si com-
parentar cum maltitudine quae consecuta est : qQanqaain non omni-
no pauci erant, (^Origenes contra Celsum , lib. m, n° ro.)
404 DISSERTATIONS
cieux , et au momenl où ses disciples viennent de rece-
voir le Saint-Esprit , que commence , pour durer pen-
dant près de trois cents ans, ce grand miracle de la
promulgation de l'Evangile. Dès le premier jour où les
apôtres ouvrent leur prédication, trois mille personnes
sont converties (1). Peu de jours après, un second dis-
cours de saint Pierre fait cinq mille prosélytes (2j. A
peine la foi a franchi les limites de la Judée , et voilà
une multitude d'églises fondées de tous côtés (3). En-
viron dix ans après la mort de son Maître, saint Pierre
adresse sa première épitre aux fidèles dispersés dans le
Pont, dans la Galatie, dans la Cappadoce , dans l'A-
sie, dans la Bitliynie (4). Nous avons des épitres de
saint Paul aux fidèles de Rome, de Corinthe , de Ga-
latie, d'Ephèse , de Colosses, de Philippes, de Tlies-
salonique , de Crète. Les Actes des apôtres font men-
tion de beaucoup d'autres endroits où l'Evangile avait
déjà des disciples, d'Aiitioche , d'Athènes, de Damas,
de Césarée , de Milet , de plusieurs autres villes. Et il
ne faut pas croire que ce fussent les seuls pays où la foi
eût été plantée. Saint Paul, dans l'épître aux Pvomains,
leur dit qu'il avait rempli de l'Evangile toutes les ré-
(i) Appositae sunt in die illa animae circiter tria tnillia. {Act. ii ,
41.)
(2) Multi autem eorarn qui aadiebant verbum credideiunt : et tac-
tus est namerus credentium quinque ruillia. {Act. iv, 4.)
(3) Mare s'wiiil prœdabuntur. Non enim solum continentein divini
apostoli , verum eiiarn mare obenntcs et insulas, spirilalis luminis ra-
diam intalerunt. Narn et in Cypro Barnabas et Paulus sacia copula
ad caltaram gentium destinati et Elym» refaiarunt inendacium, et
veritatem deraonstraverunt : et Cietae aposlolum Titum designavit
beatas Paulus, et Tiniothaeum Epbesi. Haec igitnr sanctissimus Spiri-
tas per prophetam piaedixit , quod non terram tantum , sed mare di-
ripient; ac velut belli ductores qoidara , gentes nonnnllas qnae defe-
cerunt, et ad tyrannum se adjunxerunt , dévidas subactasque ad
nniversornm regem adducerent; et maria trajicient ; non jadaeos ha-
bentes gubernatores et nantas, sed alienigenas et allopbylos. ( Théo-
doretus interp. in Is. ^ cap. xi , vers. 14.)
(4) Petros apostolas Jesu Cbristi electis advenis Pouti , Galatiae,
Cappadociae, Asiae et Bithyniae>. (i. Pet. 1,1.)
SDR LA RELIGION. 405
gions, en tournant depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyrie (1).
Il leur annonce que leur foi est célébrée dans tout le
monde (2). Cette assertion ne doit pas nous étonner,
quand nous voyons les autres apôtres dispersés sur toute
la terre , portant la religion de Jésus-Clirist dans l'E-
thiopie , dans la Scytliie , dans la Perse, et jusque dans
l'Inde. Tel était déjà , lorsque les apôtres allèrent re-
cevoir le prix de leurs travaux, c'est-à-dire environ
trente ans après qu'ils les avaient commencés, l'état
où ils laissaient la religion. Saint Clément, qui occupait
le siège de Rome très-peu d'années après saint Pierre,
atteste que de son temps le nombre des Chrétiens sur-
passait déjà celui des Juifs (3).
ly. Nous pouvons citer un témoin assurément non
suspect, du grand nombre de Chrétiens formés par les
apôtres dans le cours de leur ministère. C'est Tacite,
qui parle du christianisme de la manière la plus dure
et la plus méprisante. A l'occasion de l'incendie de
Rome, arrivé la dixième année de Néron, il raconte
que ce prince voulant détourner sur d'autres l'opinion
publique qui l'accusait de ce crime, chercha à le re-
jeter sur les Chrétiens, et les livra aux supplices (4).
(i) Ita nt ab Jerasalem per circuitam, asque ad lUyricum reple-
verim evangeliam Christi. (Rom. xv, 19.)
(2) Qoia fides vestra aimantiatnr in universo niando (Rom. i, 8.)
(3) Quod antem dixit : quia muhi Jilii desertœ , magis quam ejus
quce habet virum, quando quidem populas noster desertus esse vide-
batnr, et Deo orbatus. 2sanc vero cam credidimns plures facti samus
iis qui Deam babere rensebantar. [S. Clemens ^ épis?. 2, n° 2.)
(4) Sed non ope bnmana, non largitionibus prinripis , ant denin
placamentis, decedebat infamia qnin jussam incendinin crederetnr.
Ergo abolendo rnmori Nero subdidit bos , et qnaesitissimis pœnis af-
fecit, quos per flagilia invisos vnlgas christianos appellabat : Anctor
nominis hnjas ChiistQS qoi , Tibeiio imperitante, per procoratorem
Pontiura Pilalum supplicie affectus erat. Repressaque in praesens exi-
tiabilis guperititio^ rursus ernrnpebat, non modo per Jpjdaeam origi-
nera hajasmodi , sed per urbem etiain , que cuncta undiqne atrocia,
aut pudenda confinant, telebrantnrqne- Igitar, primo correpti qui
fatebantnr , deinde indicio eornm mnltitudo ingens, haud perinde in
406 DISSERTATIONS
C'est la première persécution , dans laquelle saint Pierre
et saint Paul subirent le martyre. Il y a sur le texte
de Tacite plusieurs choses à remarquer : d'abord, le
mot dont il se sert pour exprimer le nombre des Chré-
tiens. // y eulj dit-il, une multitude immense convaincue,
non du crime de Vinccndie , mais de la haine du genre hu-
main. Ensuite, il n'est question dans son récit que de
la seule ville de Rome. On peut , d'après cette multi-
tude immense de Chrétiens dans une ville , juger de ce
qu'il y en avait dans les autres pays. Enfin, il y avait
seulement vingt-cinq ans que saint Pierre était venu
porter l'Evangile à Rome, et c'était dans ce court in-
tervalle de temps que s\ était formée cette immense
multitude de Chiétiens. Il n'est pas non plus hors de
propos d'observer que ce récit de Tacite cadre avec ce
que dit saint Paul, qu'il y avait des fidèles jusque dans
h maison de César (1).
y. A l'époque dont parle Tacite, Sénèque vivait.
Saint Augustin en rapporte un texte, dans lequel ce
philosophe s'exprime ainsi sur les Juifs : « Les coutu-
a mes de cette nation scélérate ont fait de si énormes
«« progrès , qu'elles sont déjà reçues dans toute la terre.
« Les vaincus ont donné des lois à leurs vainqueurs (2). »
Saint Augustin dit qu'en nommant les Juifs, Sénèque
a en vue les Chrétiens, que l'on confondait alors avec
crimine incendii , quara odio humani generis convicti sant. Et pere-
untibus addita ludibria, ut feraram tergis contectii laniatn canum
interirent : aul cacibas aflixi , aut iiaminandi , atque obi defecisset
dies in osum nocturni luminis uterentur. Hortos siios ei spectacolo
Nero obtnleral ; et circense ladicrnm edebat, habitu aniigae permix-
tus plebi, vel cnrriculo insistens. Unde, quanqaam ad versus sontes,
et novissima exempla meritos, miseratio oriebatur, lanquam non uti-
litate pnblica , sed in saevitiam unias absnmerentur. ( Tacit. Annal. ^
lib. XV, cap. 44-)
(i) Saluiant vos omnes sancti, maxime auteni qui de domo Cœsa-
lis sant. {Ph'dipp. iv > 22.)
(2) Sceleratissiinae genlis consnetudo usqne eo invalait, ut per om-
nes jam terras recepta sit. Vicîi victoribns ieges dederant. {^S. Au'
giist., de Civ. Dei^ lib. vr , cap. li.)
SUR LA BELIGION. 407
les Juifs , parce qu'ils tiraient leur origine du judaïsme.
La conjectuie du saint docteur est d'autant plus cer-
taine , que les Juifs n'ont jamais eu l'ardeur de faire
embrasser leur religion et adopter leurs mœurs et leurs
coutumes aux autres peuples. Ainsi les expressions de
Sénèque , appliquées à eux , seraient extraordinaires et
même fausses; mais elles deviennent exactes^ si on les
entend des Chrétiens qui avaient le zèle de propager
leur religion.
YI. Si , au rapport même des païens , le christianisme
était déjà si grandement répandu , moins de quarante
ans après son commencement , on ne doit pas s^tonner
de voir, environ trente ans après , c'est-à-dire au com-
mencement du second siècle , un autre païen , de haute
considération, représenter la propagation de cette reli-
gion comme étant encore bien plus étendue. C'est Pline
le jeune , gouverneur de la Bithynie, qui consulte l'em-
pereur Trajan sur diverses difficultés relativement à sa
conduite envers les Chrétiens. Son plus grand embarras
est le grand nombre de ceux que la persécution met
en danger. Il y en a de tout âge, de tout ordre, de
l'un et de l'autre sexe. Ce n'est pas seulement dans les
villes, c'est dans les bourgs, et jusque dans les cani-
pagnes, qu'a pénétré la contagion de cette superstition.
Il ajoute qu'avant les moyens qu'il avait employés , et
dont il espérait le succès, les temples commençaient à
être abandonnés ; que les solennités avaient été long-
temps interrompues , et que les victimes étaient deve-
nues très— rares (1).
(i) Visa est eniin mihi res digna consnltatione, maxime propter
periclitantinm nnmeitim. Multi enim oranis setatis, omiiis ordinis,
utrinsque sexus ctiam vocantnr iii periciilura , et vocabantur. Neqae
enim civitates tantani, sed vicos etiam atque agros snperstitionis con-
lagio pervagata est, quae videtur sisti et corrigi posse. Certe jam salis
constat prope jam desolata templa cœpisse celebrari , et sacra solem-
nia dia intericiasa repeii ; passimijne venire victiraas qnarum adhac
rarissimas eraptor inveniebatur. (P/inius, 2 ad Trajanum^ ep.^ lib. x,
epist. 97.)
408 DISSERTATIONS
Vil. Nous connaissons encore sur le même sujet une
épître au même empereur, d'un autre gouverneur de
province ; c'est de Tibérianus , préfet de la première
Palestine. Cotelier, qui rapporte cette lettre , doute de
son authenticité, parce qu'Eusèbe n'en parle pas. Mais
Fabricius et d'autres savants pensent que cet argument
négatif ne doit pas la faire rejeter. Tibérianus rend
compte à Trajan que , selon ses ordres , il s'est lassé à
punir et à livrer à la mort les Galiléens , qui viennent
à lui sous le nom de Chrétiens ; qu'ils ne cessent de
s'offrir d'eux-mêmes à la mort ; que quelques exhor-
tations, quelques menaces qu'il ait employées pour les
détourner de se déclarer de cette religion , la persécu-
tion, les souffrances ne les arrêtent pas (1).
Au même siècle , deux auteurs païens , ennemis très-
déclarés du christianisme, sont des témoins non sus-
pects de sa grande diffusion.
YIII. Le premier est Lucien, qui introduit l'impos-
teur Alexandre, disant que la province de Pont est
pleine d'athées et de Chrétiens, et que si on veut se
rendre Dieu favorable , il faut les chasser à coups de
pierres (2).
IX. Le second est Celse, qui tantôt reproche aux
Juifs d'abandonner la loi de leurs pères pour un homme
(i) Defaligatns sum puniendo et neci tradendo galilacos qui noLis
veniunt sob noinine christianornm secandom vestra mandata. Illi ve-
ro non cessant ad caedeoi sese palefacere. Et licet tam adhortaiioni-
bas quani minis multum laboraverim, ut dogmatis illius esse se pro-
fessores indicare mibi non anderent, persecntionem tamen passi ,
non qaiescunt. Quae igitur iraperio vestro visa fuerint , edicere mihi
digne tnr maj estas vestra. ( Tiberiani ad Trajaniiin de Christ. Relatio.
P. P. apost. , tora. Il, p. i8i.)
(a) Cnra multi jam prudentes viri , qnasi ex profunda se ebrietate
recipientes , contra ipsnm consistèrent, in piiinis quotquot Epicnri
sodales essent , omnes ilbns praestigiae, ac totns fabnlae apparatus
ferricularaentnin quoddam contra ipsos expcdit, dicens alheis plé-
num esse et cbristianis Pontura, qui audebant pessima de se maledic-
ta spargere; quos lapidibus jiissit alàgi, si propitiara habere vellent
Deuni. (Lucianiis J/exander , seu Pseudomantis , n° 2 5.)
SUR LA RELIGION. 409
puni (lu dernier supplice (1), tantôt regarde comme une
absurdité, que, tandis que Jésus-Christ vivant n'a pu
persuader personne, après sa mort ses disciples per-
suadent tant de choses à tous ceux qu'ils veulent r-2).
X. Saint Justin, qui florissait vers le milieu de ce
siècle , déclare qu'il n'y a aucune sorte d'hommes ,
Grecs ou barbares, et de quelque nom qu'ils soient
appelés, soit hamaxabiens, qui habitent sur des char-
riots, soit nomades, qui n'ont point de maisons, soit
scénites, qui vivent sous des tentes, parmi lesquels il
ne soit offert des prières et des actions de ^^ràces à Dieu
le père, au nom de Jésus-Christ crucifié (3).
XL Saint Irénée, postérieur à saint Justin de quel-
que temps, pour montrer que la foi est la même dans
toute l'Eglise, fait mention des églises qui sont dans la
Germanie, dans l'Espagne, dans les Gaules, dans l'O-
rient , dans l'Egypte , dans l'Afrique , dans les régions
qui sont au milieu des terres f4j.
XII. Saint Clément d'Alexandrie observe que les
pbilosopbes n'ont pu communiquer leur doctrine qu'à
leurs compatriotes, parmi lesquels encore ils n'ont eu
(i) Deinde illins (Celsi) jadaens eos qui e popnlo Jesum sicut
sunt sic alloquitur : Heri et nudiustertins, cnm in eura qai vobis os
snbliniebat animadversnra est, a lege patria defecistis, ( On'gen. cont.
Ce/5. , lib. n, n° 4.) *
(2) Haec igitar apad illam ordine spqnitnr. Si dam viveret nemini
persuasit, post morfera antem ejns qnicnmqae volunt fam mnlta per-
suadent, nonne res est perqnam absurda? [Ibid. n° 46.)
(3) ?^allam enim oranino genus est, sive graecornm, sive barbaro-
rnm, sive qaolibet nomine appellentur , val hamaxabiornm qni in
plaustris degunt, vel nomadum qni domibas carent , vel scenitarnra
qai pecora pascentes habitant in tentoriis, nullum, inqaam , hujus-
modi genns est, in quo non per noraen crocUlxi Jesn preces et gra-
tiarura actiones patri et creafori aniversornm fiant. {S. Justinus ,
Dial. cum. Triph. cap. 117.)
(4) At neqae hae qoîe Germ^niis sunt ecc'esiae aliter credant, aut
alirer tradunt, neqne in Hfspaniis, ant in Galliis , antin Oriente, ant
in Egypte, ant in Africa , ant in mediterraneis orbis regionibus
sedem habent. {S. Iren. cont. Hœres. , lih. i, cap. 10, n° 2.)
Dissert, sur la Relig. 18
410 DISSERTATIONS
qu'un pelit nombre de disciples. Mais, ajoute-t-il, la
parole de notre maître n'est pas restée resserrée dans
la Judée, comme celle des pliilosoplies dans la Grèce;
elle s'est répandue par toute la terre , parmi les bar-
bares comme parmi les Grecs; elle a porté la persua-
sion dans les nations, dans les bourj^s , dans des villes
entières ; elle a amené à la vérité un grand nombre de
ceux qui l'ont entendue , et même plusieurs philoso-
phes (1).
XIII. TertuUien écrivait à la fin du second siècle, et
au commencement du troisième. On peut juger avec
sûreté de l'état où était le christianisme à cette époque,
par ce qu'il en dit en plusieurs endroits. Dans son ou-
vrage aux nations : « Vous gémissez , leur dit-il , de
« voir croître tous les jours le nombre des Chrétiens.
« Tous criez que la cité en est obsédée. A ous déplorez
.< les pertes que vous faites de Chrétiens de tout sexe ,
« de tout âge, de toute dignité, qui vous abandonnent
M dans les châteaux , dans les campagnes , dans les
« îles (2). > Ecrivant à Scapula, gouverneur d'Afrique,
qui était porté à la persécution : u Que ferez-vous , lui
« dit-il, de tant de milliers d'hommes et de femmes de
« tout âge, de toute dignité, qui viennent s'offrir à
« vous? De combien de bûchers, de combien de glaives
»« n'aurez-vous pas besoin? Que ne souffrira pas Car-
(i) Philosophi graecis solis , neqne iis omnibns placuere : sed Pla-
îoni qaidem Socrates et Xenocrati Plato , Aiistottles Ihecphras'o,
et Chleanti Zeno, qui snos solos pprsuaseinnt asseclas. INIagistii ao-
tera nostri verbum non mansit in tola Juc]a?a , sicut philosophia in
Graecia; sed diffosum est per lotanjoibem terrae, grzecoium simul ac
barbarorum , gentibus, et vicis, et totis urbibus persuadens tutas
doinos ; et sursum unumqnenifjne ex iis qui aubcultabant ; et ex ipsis
eliam pbilosopbis, non pancos jam iraducens ad verifatera. (S. Clem.
Alex. Stromat., lib. vi, cap. i8.)
(2) Adeo qnolidie adulescenteoi numeram cbrîstianorum ingemi-
tis. Obsessam vociferamini ci\^ta!em. In agiis,in castellis, in insulis
cbristianos, omnem sexum, omnem aetatem, cmnem deniqae digni-
tatem transgiedi a vobis , quasi delrimento doletis. ( Tertuîl. ad na-
tionesy lib. i, cap. i.)
SUR L\ RELIGION. 4ll
s thage , qu'il vous faudra décimer, quand chacun aura
u reconnu ses parents , ses commensaux ; quand elle y
« aura vu peut-être des hommes et des dames du plus
u Jiaut rang , et jusque dans votre ordre , des proches
« et des amis de vos amis? Ayez pitié, sinon de nous,
« au moins de vous-même. Ayez pitié , sinon de vous ,
H au moins de Carthage. Ayez pitié de cette province,
« qui , dès que votre intention sera connue , se trouvera
u exposée aux vexations des soldais et des ennemis de
« chacun (1;. » îMais il ne parle nulle part avec plus
d'étendue et d'énergie que dans son apologétique.
« Nous ne sommes que d'hier, et nous remplissons
« tout votre empire, les villes, les îles, les châteaux ,
« les compagnies, les camps, les tribus , les décuries ,
« les palais, le sénat, le barreau : nous ne vous lais-
«1 sons que vos temples. ]Nous pourrions iiiéme, sans
* armes et sans révolte, mais par notre seule sépara-
*c tion , vous combattre. Si, étant une multitude aussi
« nombreuse, nous allions nous retirer dans quelque
« partie éloignée de l'univers , votre domination serait
M confondue de la perte d'un si grand nombre de ci-
M toyens. Leur seul éloignement vous punirait. ^ ous
« frémiriez de la solitude où ils vous laisseraient, de ce
« silence universel , et de la stupeur où resterait votre
« univers comme mort. Vous chercheriez à qui com-
« mander (2). » A ces textes si forts et si concluants
(i) Hoc si placuerit fieri, qnid faciès de tantis œilLbus hominnm,
toi viris ac feminis, oinnis sexus, omnis aelatis, oninib d'gn ta'js ,
offerentibns se tibi ? Qaantis ignibas, quantis gladiis opu^, eiit? Qaid
ipsa Carlhago passara est, decimanda a te; cora propinquos, cam
contubernales suos, illic unusquisqae cognover.t; cam viderit ilhc
fortasse, et toi ordinis viros et matronas, et principales quasqae
personas, et amicoram taorurn, ve! propinquos, vel ainicos. Parce
ergo tibi, si non nubis. Parce Cartbagini, si non tibi. Parce provin-
cise qaae,visa inienlione tna, obnox.ia facta est concussionibas et
militnru et inimicoram suorum cujusqoe. ibidem y ad Scanulam^
cap. V, versas tinem. )
(i) Hestemi snmas : et vestra omnia implevinjas, arbes , insalas,
rastella, municipia , conciliabula, castiaipsa, tribas, decarias, pala-
412 DISSERTATIONS
les incrédules répondent que ce sont là des amplifications
de rhéteur. Des amplifications! Passons le mot; mais
sont-ce des exagérations? Observons que c'est dans des
apologies de la religion que Tertullien s'exprime ainsi,
et que c'est à des païens (ju'il s'adresse , lesquels sa-
vaient indubitablement si les faits avancés étaient faux
ou véritables. Aurait-il osé les assurer, sûr d'être dé-
menti à l'instant par le cri public? On dit que son Apo-
logétique eut du succès; qu'il arrêta dans quelques lieux
la persécution, la modéra dans d'autres. Mais le ri-
dicule qu'aurait jeté sur son ouvrage une exagération
aussi grossière, n'en aurait-il pas empêché tout l'eftet?
Enfin , ne considérons pas son témoignage comme isolé ;
rapprochons-le de ceux qui le précèdent, et nous senti-
rons qu'il doit être vrai. Spécialement ce que dit Pline,
sans exagération , du nombre des Chrétiens au com-
mencement du second siècle , rend très-probable ce
qu'en assure Tertullien à la fin du même siècle.
XIY. Origènes, qui vivait au troisième siècle, atteste
la connaissance qu'a tout le monde de cette vérité, que
la prédication de l'Evangile s'est propagée d'une extré-
mité de la terre jusqu'à l'autre, et <iue déjà il n'y a
presqu'aucun lieu qui n'ait reçu la semence de la parole
divine (1).
XV. Un fait important nous montre quelle crainte la
grande multiplication des Chrétiens inspirait, à cette
lium , senatnm, forom; sola vobis relinqnimns templa. Potuimus et
inernies, nec rebelles , sed tanturamodo discordes , solius divortii in-
vidia , advcisus vos dimicasse. Si enim tanta vis bominuni in aliqaem
reinoti orbis sinuin nbrapissemus a vobis, snffudisset utique dorai-
nationem vestram tôt qualiarutumque amissio civiura ; ironio etiara et
ipsa destitutione punisset. Procul dabio expavi.ssetis ad sobtudinem
vestram , ad silentinm reruin et stuporeiu quemdam qnasi mortai or-
bis. Quaesissetis qaibus imperaretis. ibidem ^ Apol.^ cap. iri. )
(i) Qnis jam expositione indiget, ut sciât semen Christi qaomodo
multiplicetar , qui videt a finibus teriae,usqae ad fines terrae, propa-
gatam praedicationem evangelii, et nnllum pêne esse jain locnm, qui
non semen verbi sasceperit. {^Origen, in Gènes. ^ Homil. ix, n* st.)
SUR LA RELIGION. 4l3
époque, aux païens, de voir le christianisme devenir
la religion universelle. L'empereur Alexandre-Sévère
avait envie d'élever un temple à Jésus-Christ et de le
placer au rang des dieux ; mais il en fut détourné , par-
ce qu'on l'assura qu'après avoir consulté les choses sa-
crées il avait été trouvé que, si son projet s'effectuait,
tout le monde se ferait chrétien , et que les autres tem-
ples seraient abandonnés. Si c'était un écrivain chrétien
qui rapportât ce trait , on pourrait en contester la vé-
rité; mais il n'est pas possible de le révoquer en doute,
quand on le lit dans Lampride, historien païen et con-
temporain (1).
XYI. Nous avons la preuve que le christianisme avait
pénétré jusque dans la famille impériale , et y avait
beaucoup de partisans , dans ce que rapporte Eusèbe ,
que la persécution excitée contre le christianisme, par
Maximin , meurtrier et successeur d'Alexandre-Sévère ,
eut pour motif la haine que portait cet usurpateur à
la famille de son prédécesseur, dans laquelle il y avait
un grand nombre de Chrétiens (2).
XYII. Saint Cyprien compare l'Eglise de son temps,
au soleil dont les rayons éclairent tout le monde ; à un
arbre dont les rameaux couvrent toute la terre; à un
ruisseau qui répand partout ses eaux (3).
(i) Christo teraplum facere voluit (Alexander Severos enmqae in-
ter deos recipere.... Sed prohibitas est ab iis qui, consulentes sacra,
repererunt omnes christianos futures , si id optato evenisset, et tem-
pla alia deserenda. { Lampridius vita Alexand. Sev. , cap. xtiii. )
(2) Alexandre Romanoram imperatori, cum tredecim annis reipn-
blicae gabernaculis praefuisset , Maxiaiinus Csesar successit. Qui prop-
ter invidiam qua contra Alexandri familiam, in qua coroplares fidèles
et chrisiiani versabaniur; flagrabat, acerbam persecntionis tempesta-
tern concitavit , jnssitqne solos ecclesiaruin prœsides , tanquam aucto-
res doclrinae evangelicae neci dari. (Eiiseb. f Hist. Eccl. ^ Lb. vi ,
cap. a8 )
(3) Ecclesia nna est quae in multitodinem laiius increraento foe-
cunditatis extenditar. Qnomodo solis malti radii , sed lumen unura;
et raini arboris reiulti , sed robur nnam teuaci radice fandatuni; et
cuîu de fonle nno rivi plorimi defluant. Sic et ecclesia Domini luce
414 DISSERTATIONS
XVIII. Nous voyons, par l'apologie de Minutius-
Félix, que dans ce siècle les païens reprochaient aux
Chrétiens les rapides accroissements de ce qu'ils appe-
laient leur exécrable superstition. Il leur répond en
convenant de cette prodigieuse muliiplication des Chré-
tiens. « Nous ne nous en glorifions pas, dit-il. A nos
« yeux nous sommes très-nombreux ; devant Dieu nous
« ne le sommes pas assez (1). »
XIX. Arnobe écrivait^ vers la fin du troisième siè-
cle, son ouvrage contre les nations. Il faisait aux païens
d'alors le même raisonnement que nous adressons aux
incrédules d'aujourd'hui. Il leur donnait de même,
comme une preuve de la religion , sa diffusion rapide et
universelle. Il presse cette preuve en divers endroits (2).
« Si, comme vous le croyez, dit -il, l'histoire de ces
« faits n'est pas véritable, comment a-t-il pu se faire
" qu'en aussi peu de temps le monde entier se soit
« trouvé rempli de cette religion? Comment des nations
« de pays si éloignés , de climats si différents , ont-e lie
« pu se réunir dans un seul esprit? N'est-ce pas , re-
» prend-il ailleurs, à vos yeux , un motif suffisant pour
« croire, de voir dans un temps aussi court nos dog-
« mes ré])andus sur toute la terre; de voir qu'il n'y a
« aucune nation de mœurs si barbares et si éloignées de
« toute douceur, qui , convertie par l'amour de Jésus-
perfasa, per totum orbem radios snos porrigit. Ramos snos ia uni-
versam terrain copia ubertalis extendir, profluentes largiter livos la-
tins expandit. (S. Cyprianiis , de Utrt. Ecoles.')
(r) Ac jain at faecand^ns nequiora proveniunt serpentibos in dies
perditis moribus per oniversum orbern, sacraria ista tetenimae, irn-
piae. coïtionis adolescunt, delestanda prorsus baec et execranda sa-
perstitio... Nec nobis de nostia freqnentia blandiraar. Mulii nobis
videiunr : sed Dec pauci snmus. (Minucius Félix Octavius ^ n° ix et
xxxin. )
(2) Qaod si falsa, ut dicitis , historia illa rerum est, nnde tara
Lrevi tempore totus raundus illa religione completns est ? Aat in
unara coire qui potuerunl menlem gantes regianibus disjiinctae, ven-
tis cœli , non couvexionibusque dimotae ? [Arnobius adv, gentes y
lib,, cap. 55.)
SUR LA RELIGION. 4l5
« Christ, n'ait adouci sa rudesse, et, reprenant des
« sentiments plus iiumains, n'ait recouvré sa tranquil-
« lité (Ij? » Dans un autre endroit , il attribue aux mi-
racles du Sauveur et des prédicateurs de sa loi cette
réunion de tant de nations et de peuples, si dilférents
de coutumes , dans une seule foi et dans un même es-
prit; il parle des choses merveilleuses qui ont été opé-
rées dans rinde, chez les Sères, chez les Perses, chez
les Mèdes, dans l'Arabie, dans l'Egypte, dans l'Asie,
dans la Syrie , parmi les Galates, les Parthes, les Phry-
giens, dans l'Achaie, la Macédoine, FEpire, dans les
îles, dans toutes les provinces que parcourt le soleil le-
vant et le soleil couchant ; enfin dans Rome la domina-
trice , dans laquelle les hommes attachés aux institu-
tions de Numa et aux antiques superstitions n'ont pas
laissé cependant d'abandonner les préjugés paternels,
et de venir se réunir à la vérité chrétienne (2;. Il fal-
lait qu'à cette époque la diffusion universelle du chris-
tianisir.e fut une vérité bien reconnue, pour que les
défenseurs de cette religion en fissent, contre leurs ad-
versaires, la base d'une de leurs preuves, ne s'occu-
passent pas même à la prouver, mais raisonnassent d'a-
près ce fait, comme d'après un principe certain et
avoué de tout le monde.
(i) Nonne vel haec saltem Cdem vobis facinnt argaraenta credendi,
qnod jam pêne per omnes terras in tara brevi lempore et parvo , iro-
raensi hajiis sacraraenta sunt : qnod nnlla jam natio est tara barbari
moris, et raansuetudinem nesciens , diffusa quae non ejns amore ver-
sa , molliverit asperitatem snain , et in placides sensus assompta
tranquillirate migraverit.... îs'isi fotte obtusi et fatui videntur hi vo-
bis , qui per orbera jam totnm coeunt et conspirant in UDtun istitw
creduliiatis assensain. {^Ibid. lib ii , c^p. 5.)
'a) "Virtutes sub oculis positjc, inauditae, illa vis rernm qnae vel
ab ipso fiebat palani , Vfi ab ejns prœconibus celebrabaïur in toto
orbe, eas sabdidit appetitionum flammaset ad uniuscredulitalis assen-
sora mente una concurreie gentes et populos fecit , et moribus dis-
simillimas nationes. Enumerari enira pcssant atqae in usum coinpa-
tationis venire, ea quae in India gesta sunt, apad Seras, Persas et
Medos , in Arabia , .ïgypîo , in Asia , Syria, apud Galatas, Partbos,
416 DISSERTATIONS
Toute cette chaîne de témoignages sur l'accroisse-
jncnt progressif et rapide de la religion cluélienne,
nous conduit aux dernières années du troisième siècle,
et au commencement du quatrième, et doit préparer
à voir la religion chrétienne , devenue dans l'empire
romain celle du plus grand nombre, en attendant que
nous la voyions, très-peu de temps après, devenir la
religion dominante par la conversion de Constantin.
XX. JNous apprenons de Laclance que Dioclétien ,
porté par son propre attachement , au paganisme , et
de plus, excité par la rage de sa mère à persécuter les
Chrétiens , fut cependant arrêté pendant longtemps , et
délibéra pendant tout un hiver avant de s'y déterminer.
Ce qui le retenait était la considération de la grande
abondance de sang qu'il lui faudrait répandre , et la
crainte du danger de troubler tout l'univers (1).
Mais voici des faits qui établissent bien plus claire-
ment encore, qu'à cette époque notre religion l'em-
portait de beaucoup sur l'idolâtrie par le nombre de
ses partisans,
XXI. Maxence, fils du persécuteur Maximin , aussi
cruel que son père, et depuis persécuteur comme lui,
ayant usurpé Fempire, fit semblant, dans le commen-
cement de sa domination , de professer la religion chré-
tienne, et cela dans la vue de se conformer au peuple
Phrygas, in Achaia , Macedonia , Epiro, in insulis et provinciis
omnibus qaas sol oriens atque occidens lostrat ; ipsara den^que
apnd dominam Romani; in qua mm bonùnes tunt Numœ régis
artibns , atquae antiquis superstitionibus occupali, non dis'ulerunt
taraen res patrias Jinqiiere , et veritati coalescere christianae. (Ibid. ,
cap. 12.)
(i) Hinc (mater Diocletiani^ concepit odium adversns eos (Chris-
tianos), ac liliani suum non minas superstiliosum qnerelis muliebri-
bus ad tollendos hojnines inciiavit. Ergo , habito inJer se per tolnm
hiemem consdio, cum nemo admitteretur , et omnes de summo stata
reipublicae nactari arbitrarentur , dia senex. furori ejus repugnavit ,
ostendens qnam peruiciosum esset inquielari orbem teria^, fundi
sanguinem maliorum. [Lactarit. , de Mort. Perscc, cap. xt. )
SUR LA RELIGION. 417
romain et de lui plaire (1). Maxence croyait donc que
le parti des Chrétiens était le plus nombreux et le plus
fort , puisque , malgré ses préjugés , il croyait utile de
s'y ranger.
XXII. Eusèbe nous a conservé deux actes authen-
tiques de l'empereur Maximin second, qui établissent
incontestablement la même vérité. Le premier est un
édit de persécution qu'il avait lu sur une colonne , et
dans lequel Maximin disait que les maux de l'empire
étaient arrivés à cause de l'erreur pernicieuse des chré-
tiens, laquelle, entrant dans leurs esprits, avait répan-
du ses ténèbres sur l'univers presqu'entier ^2^. Le second
est une lettre du même prince aux gouverneurs de pro-
vince, dans laquelle il dit que les empereurs Dioclé-
tien et Maximien s'étaient déterminés à persécuter le
christianisme , parce que presque tous les hommes
abandonnant le culte des dieux , allaient se mêler et
s'unir à la gent chrétienne (^). Il est impossible de pro-
duire un témoignage plus positif et une autorité plus
tranchante.
XXIII. Mais nous avons encore l'aveu de nos adver-
saires eux-mêmes. La plupart des incrédules assurent
que ce ne fureiit ni la vue d'une croix miraculeuse, ni
(i) Hojns filins Maxentius, qui Roraae tyrannidem airipoit, prin-
cipio quidena fidei noslrx* professionein aimulavit , ut in eo morem
gereret , blandiietnrque populo romane. (Euseb.y Hist. Eccles. ,
lib. VIII , cap. 14.)
(2) Atqae ista oniversa accideront ob perniciobum illnra et vanam
errorem hominnm nequ^im et improborom , chrislianorum videlicet
errorem , qui qnidera , cum in illoram animos illaberetar, universum
prope dixerini orbein terrarum coufusione qnadain oppressit. [Eiiseb.,
Hist. Ecdcs., lib. ix , cap. 6.)
{'i^ Cum apud tuam graviiatem, tum apad omnes bomines , satis
inciebnisie arbitrer, dominos et patres nostros impeiatores Diocie-
tiannin et Max'mianuni. q-.iando oiuiies feie homines, relicto deorum
culta, se cura chrislianorum gente commibcuisse , conjanxisseque
intellexiTant, recte saneque mnndabse ut cnnc i qui a deorum suorum
iminoitalium religione seoessistent , aperta animadversione et suppli-
rio, ad eoiara venerationeni denuo revocarentar. {^Ibid., cap. 8. ;
418 DISSERTATIONS
l'examen des preuves du christianisme, qui détermi-
nèrent Constantin à l'embrasser. Ce fut, disent-ils, la
politique de ce prince qui lui conseilla de mettre les
Chrétiens dans son parti. Nous sommes bien éloignés
d'admettre la vérité de cette inculpation à la mémoire
d'un empereur aussi religieux; mais, de cette assertion
de ses ennemis, il résulte évidemment qu'ils reconnais-
sent la vérité, qu'ils nous forcent à prouver contre eux,
savoir qu'avant l'avènement de Constantin au trône , le
christianisme était déjà la religion la plus nombreuse.
S'il ne l'avait pas été , la politique de Constantin eût
été la plus maladroite et la plus fausse du monde.
XXIV. Il reste démontré par cette suite d'autorités ,
tant de Chrétiens que de païens, lesquels, malgré leur
inimitié , s'accordent pour attester le même fait , que le
christianisme, dans ses commencements, s'est progres-
sivement et rapidement accru dans l'empire romain ,
qui formait alors la plus grande partie du monde con-
nu (1) , tellement qu'en moins de trois siècles il est de-
venu la religion la plus répandue, et qu'au commen-
cement du quatrième le nombre des chrétiens excédait
celui des païens. Nous n'avons pas autant de monu-
ments des pays qui ne faisaient pas partie de l'empire ^
parce que nous ne connaissons pas d'historiens de ces
nations; mais nous sommes assurés que la religion s'y
était aussi établie. Nous venons de rapporter des textes
de saint Justin, de saint Clément d'Alexandrie, d'Ar-
nobe , qui le disent positivement. Eusebe et Théodoret
rapportent de même que la prédication apostolique
(i) Qnin etiam qui occidentem incolunt , panier cnm his qui in
Jocis versus Orientem habitant , ad enra eodem Jemporis luomento
collaadandum , ipsias piaeceplis perdocti sunt. Et qni versus Eoream
doruicilia reram suaram collocaïunt , simul cura illis qui regiones
versus Meridiem accolunt, uno concentn , eum praedirant piom Vi-
vendi inodani consectantnr , iisdein moribus et instituts, ii:s;ructiim
anum Deum palrera , oroninm gubernatoiem praed catiore efferunt,
onigenitura ejns Fi'.ium servatorem nosjrum , omnium boroium auo-
torera proflteniur. { Eiiseb.^ Orat. de Laudibus Const. )
SDR LK RELIGION. 4l9
s'étendit bien loin au-delà des limites de l'empire (Ij.
On voit, du temps d'Origènes , se tenir en Arabie des
conciles auxquels ce grand docteur est appelé. On sait
qu'il y a eu en Perse de grandes persécutions (2).
La vérité de la propagation rapide du christianisme
démontrée, passons à la seconde partie de notre preu-
ve; et, le fait établi, établissons-en la conséquence.
(i) At vero apad oraiies nomen Je^a praedicare , admirabiliaqoe
eju* gesta , et in urbibus et in agris docere et alios qnidera eoruni
imperiam romanam , ipsamque omnium nrbium reginara civitate/u
invadeie , alios Peisaiam regnum , alios Armenioium , Partbornm
alios nationera, item alios Scytharam , qnosdam etiam ad orbis terras
venissc fines, ludorumqne regionein pénétrasse; alios vero trans
Oceannra evasisse ad eas insulas quœ Britannise vocantur. Haec sane
ego nanqaam hnmana vi effecta putaverim : nedum conatu leviam
vulgarinraque hominam ; et mulio minas sedacloram , praestigiisqne
utentiora. ( Euseb. , Demonstr. E^angel. , lib. m, cap. 7.)
At piscatoies nostri et publicani, satorqne, cunctis nationibas leges
intuleiunt. Neqne solam Romanos, quique sub illorum vivunt impe-
rio , sed et Scytbicas et sarraaticas gentes, et Indos, et ^ihiopes, et
Persas, et Seras, et Hyrcanos, et Baotrianos , et Britannos , et Cim-
bros, et Germanos, a?qne , ut semel dicam , cmne hominura genus,
nationesqne omnes indaxerant, ut cracifixi leges acciperent. ( Theod.
aerra. ix , de Legibus. )
(2) Hinc igitnr exorsa procella gravissimos et s?evissimos contra
pietatis alumnos exoitavit , et triginta jam annis elapsis tempestas a
magis , velat a turbinibus qu;ba->tlam agitata daravit. Magos vero
Persae eos vocanl qui elementa deos faciant quorum nos fabnlas alio
in opère ostendimus , in quo ad qiiaesiiones illorum solutiones attuli-
mas. Et Varrarones quidera Isdegerdae filius post mortera patris ,
una cum regno bellam etiara adversns pietalem suscepit. Moriens
enim ille ambo conjuncla filio reliquit. Tormentorum vero gênera ,
et exqoisiti cruciatus , quibu» pios affecerunt, verbis expiirai vix
possnnt. Nam qnorumdam manibus , aliorura dorsis cutem detraxe-
re ; aliorum capita a fronte ad barbam nsqne pellibas nudarunt :
alios semiiecios arnndinibus circnmdantes , et qaa parte incisae erant
corpori applicantes, firnïls deinde vincniis a capite ad pedes usque
adstringentes vi arundines iingulas extrahere , ut vicinam cu'em di-
laniantes , acerbiores dolores efficerent. Lacobas etiam effossis ac
diligenter obtnratis , magnorum muriam grèges conclusere , pietatis-
que atbletas illis devorandos objecere , manibus eorum ac pedibus
conslrictis : ne abigere a se bestias possent. Mores vero famé pressi
carnes sanclomm sensira depascebantur , longura illis et acre suppli-
420 DISSERTATIONS
SiJiJLS.JLSLJUlSLJUlJLS.JLJLSLJU3.JiJLJLJLSULJiJLJ^ AJLA JUl
CHAPITRE H.
preuves qve la propagation du christianisme est
l'oeuvre de dieu.
XXV. L'établissement de la reli^',ion est Tœuvre de
Dieu ou des liomnies. S'il a été opéré par des inovens
surnaturels , sa cause est divine ; si elle est humaine , il
a été produit par des moyens naturels : les hommes
n'ont que ceuv-là en leur pouvoir; tout ce qui excède
la nature surpasse leurs forces. La question se réduit
donc à ce point très-simple : Est-ce par des moyens na-
turels que le christianisme s'est propagé aussi rapide-
ment et aussi universellement ? Si ce n'est pas par de
tels moyens , c'est donc par des moyens supérieurs à la
nature ; c'est donc par une force divine ; le christianis-
me vient donc de Dieu ?
Nous disons que non-seulement les moyens que peut
fournir la nature n'ont point concouru à la rapide diffit-
sion de notre religion , mais que même toutes les causes
naturelles connues s*y opposaient ; et que , pour s'établir
dans le monde, il a fallu que le christianisme surmontât
les obstacles de tout genre qu'elles opposaient à son
agrandissement.
XXVL Keportons-nous en esprit au temps où notre
religion fut donnée au monde. Considérons en lui-^mème
le projet de son auteur. Lorsqu'il donnait à ses apôtres
la mission d'aller instruire toutes les nations, il les char-
geait d'opérer dans l'univers la révolution la plus extra-
ciura inferentes. Qnin et alias qaoqne liis graviores pœnas excogifa-
lunt , infesti naturse daenionis , veritatisque hosis luagisterio ernditi,
Atbletarum taraen forlitiulinem non fiegere. Sua enira sponte occar-
rebant , luortera quœ imnioilaleoi viiam parit oppetere cupicnte^.
( Thcod. , Hist. Eccles. , lib. v, cap. 38.)
SUR LA RELIGION. 421
ordinaire, la plus vaste , dont l'histoire des siècles fasse
mention. Les hommes avaient vu plusieurs fois des états
changer de face, les empires s'écrouler, et d'autres em-
pires s'élever sur leurs déiiris. Mais qu'étaient ces événe-
ments auprès de celui que Jésus ordonne à ses apôtres
d'exécuter? Il est bien plus difficile de changer les na-
tions que de les soumettre (1). Vous compterez vingt
conquérants pour un réformateur. Et ici ce n'est pas
seulement un peuple , ce ne sont pas quelques peu-
ples qu'il s'agit de transformer, c'est l'universalité des
peuples dont il faut réformer toutes les opinions ; c'est
la totalité de toutes les pensées humaines à changer. Il
fctut apporter et fai^e recevoir aux hommes d'autres
principes, une autre morale , d'autres dogmes, un autre
culte, un autre Dieu. Il faut, du monde actuel, faire
un monde tout nouveau.
XXyiI. Au seul aperçu de cette immense entreprise,
l'esprit étonné se demande : Et quels sont donc les
moyens qui ont de la proportion avec un si prodigieux
eff'et? Quelle force humaine est assez grande pour soule-
ver et tourner ainsi le genre humain entier? Mais ne
nous arrêtons pas à cette vue générale ; entrons dans le
détail des causes naturelles qui peuvent faire recevoir et
adopter aux hommes une doctrine quelconque. Nous
pouvons les rapporter à cinq chefs principaux :
1" La nature de la doctrine en elle-même.
2*^ Les dispositions des hommes à qui on la présente.
3" Les qualités de ceux qui la publient.
4*^ La manière dont ils font usage pour la faire rece-
voir.
5° L'autorité employée pour l'établir.
(i) Sic praesertim nieara ostenJam fortitndinem , cam oves lapo«
vicer.int , etianasi in medio Jupoiuna sinl , et innumeri^ morsibas la-
cerentar , non modo non deleantar, sed etiaiu lupos convertant :
qaod longe mirabilius est qnam si occideieiit, si nempeeoium mutent
volantatein , animaraque transforment. (^S. J. Chrjrsost. , in Malth. y
bomil. xxxiii j al, xxxiv , n° i. )
422 DISSERTATIONS
Appliquons ces diverses causes àla propagation de l'E-
vangile, et voyons si elles ont dii la favoriser ou s'y op-
poser.
ARTICLE PREMIER.
Les dispositions des peuples étaient - elles favorables ou
contraires au christianisme ?
J'intervertis ici l'ordre que je viens de présenter.
Avant d'examiner quelle était en eUe-méme la doc-
trine prêchée par les apôtres, je regarde ce qui existait
antérieurement à sa publication; je considère l'état où
elle trouve le monde : j'observe le caractère du siècle
auquel elle lut présentée, et les dispositions qu'appor-
taient à la recevoir les peuples auxquels on la proposait.
Je considère ces dispositions sous quatre points de vue
principaux ; savoir :. les lumières , les dogmes religieux ,
les principes moraux , les maximes politiques.
XXyiII. En premier lieu , de tous les siècles qui
s'étaient écoulés depuis la création , celui où le chris-
tianisme fut donné à la terre était certainement le plus
éclairé. Jamais les sciences et les lettres n'avaient été
portées à un si haut degré de perfection. Les plus beaux
génies dont l'humanité se glorifie , avaient rempli la
terre de leurs productions. La philosophie , surtout ,
était alors au faîte de la gloire. Chacun aspirait à l'hon-
neur d'être philosophe ; les empereurs eux-mêmes y
prétendaient. C'était le ton général, et comme une
mode universelle; tout ce qu'il y avait d'hommes un
peu instruits , religieusement attachés à leur secte philo-
sophique , y plaçaient leur amour -propre , et em-
ployaient, à la faire prévaloir, tout ce qu'ils avaient
de connaissances , de raison , de talents et d'éloquence.
Le siècle où les sciences étaient aussi répandues et aussi
approfondies, était certainement celui auquel il était le
plus difficile d'en imposer. Des hommes accoutumés à
tout soumettre au jugement de leur raison, ne pouvaient
SDR LA RELIGION. 423
adopter une religion nouvelle qu'avec de longues et
mûres réflexions. Ainsi le christianisme dut , à sa nais-
sance, éprouver de toutes parts des examens sévères ; et
déjcà, sous ce premier point de vue, que d'obstacles ne
devait-il pas trouver à son établissement! obstacles qui
fussent devenus insurmontables, s'il eût présenté à la
critique un côté faible.
XXIX. En second lieu , les idées religieuses des
peuples s'opposaient encore plus fortement à la propa-
gation du christianisme. Il fut présenté à deux classes
d'hommes, aux juifs et aux païens. La haine des pre-
miers contre notre religion, laquelle dure encore, ne
peut pas être douteuse. Ils avaient crucifié son auteur ;
ils persécutèrent en tout lieu ses fondateurs , et nous
avons vu que dès les pren)iers temps ils excitèrent
contre elle la liaine des païens , et envoyèrent de tous
côtés des émissaires pour la faire persécuter(l).
XXX. Parmi les païens les principes religieux s'é-
taient autant dégradés que les lumières s'étaient per-
fectionnées. L'idée de la Divinité était, sinon entière-
ment effacée, au moins absolument défigurée. Des
diverses idolâtries , imaginées dans tous les pays et dans
tous les temps, s'était formé le paganisme. Cet amas de
cultes, dont aucun n'était exclusif, parce qu'aucun
n'était véritable, que rien ne divisait, et que le besoin
connnun d'une tolérance générale tenait réunis j était
devenu la refigion de l'univei-s connu. Les peuples étaient
fortement attachés à leurs superstitions par des préjugés
de divers genres.
XXXI. Préjugés d'éducation. L'incrédule prétend
aujourd'hui réduire les principes de la foi à ces pre-
mières impressions que l'on reçoit dans les premières
années , qui se gravent profondément dans l'esprit en-
core tendre, et qui y laissent des traces durables. Il
(i) Voyez ddaxièrac Dissertation, 2^ part., chapit. î, n° nr,
note S, page 265.
424 DISSERTATIONS
doit sentir combien ces mêmes impressions avaient
alors de force pour repousser la foi. Outre la mythologie
générale , commune à tous les peuples , chaque nation ,
cliaque ville, chaque famille avaient leurs divinités
particulières, qu'elles ré'véraient , qu'elles chérissaient
comme la portion la plus précieuse de l'héritage de leurs
pères et de toute la suite de leurs ancêtres. C'était à ces
attachements , tellement enracinés dans eux , qu'ils y
étaient comme innés, et que l'habitude en avait fait
comme une seconde nature, qu'il fallait les arracher (1).
XXXII. Préjugés d'imagination. Les fables du paga-
nisme, embellies de tous les charmes de la poésie, à
laquelle elles devaient en grande partie leur origine,
présentaient à Tesprit les images les plus agréables.
Tout était animé par ces brillantes fictions. Leschamps,
(i) Etenim etiamsi decem anrtoram lantnm ; nec dico tanti tempo-
ris , etsi paocorum hominura , nec dico tolius oihis consnetudinem
Bgressi illi fuissent , sic qnoqne mntatio difficilis fuisset. Nunc antem
et sophistae et viatores , et patres, et avi , et abavi , et niiilti anti-
qaiores, eriore erant praeoccnpali. El terra, mare, montes , saltus,
barbai orum omnia geneia, grsecorum populi onines , sapientes ,
idiotae', principes, subdiii , mulieres et viri , juvenes et senes , heri
et servi , agricolse et artifices, qui urbes et qui vices incolebant , om-
nes , et par erat ilios omnes catechumenos dicere.... Quoi eiiam nonc
videnius homines ex. prscjudicata opinione in impietate détentes; qui
nihil possunt ratione CQnsonum dieere cum aceusantur , qnod nt
genliles sentiant : alleganiqne patres ^ avos et proavos. Inde extero-
rum qaidam consueiudinem secundam naturam vocant. (Jnm antem
in dogmatibus consuetudo adcat , ea fumior est. Omnia eniiu facilias
mntaverint quam cultura. Et pudor , una cum consuelndine , ad im-
pediendum salis eral , et qnod videantnrin extreraa senectute dédis-
cere , etiamque ab iis qui minus intelligerent.... Apostolorura vero
tempore aliud erat niajus impedimenttim , qnod ïion modo consue-
tudo tara antiqua raoïaretor , sed quod mntatio illa cum periculo
fieret. Non modo enirn a consuetndine ad consnetudinem trahebant
ged a consuelndine securitatem habente, ad rem pericula miniiantem..
Credentem statim accidebat publicari , pelli , a patria excidere , ab.
oranibns odio haberi , commanem boslera esse et sois et alienis. Ita-
qne etiamki vocassent a novii^te ad consuelndinem , eiiam sic res dif-
ficibs fuisset. Cura autem a consnetudine ad novitatem vocarent , et
iiaec adeflsent mala , cogita quantum erat lUud impedimentum. (5.
Joaan. Chrysost, , in primam épis t. ad Cor. , bomil. vii , n° r .)
SUR LA RELIGION. -425
les bQÎs, les eaux, la noture entière était peuplée de
divinités. Dans les astres inèine qui brillaient sur sa
tête, le païen admirait ses dieux, et les lioninies célèbres
qui avaient mérité de le devenir. Les apothéoses de
ces premiers héros, la solennité des fêtes instituées pour
les honorer, la pompe des sacrifices qu'on leur offrait,
la magnificence des jeux et des spectacles où des na-
tions entières couraient de divers côtés pour se ras-
sembler, pour honorer leur mémoire, toutes les par-
ties de cette religion avaient pour objet de réveiller
l'attention, d'amuser l'esprit, de ranimer sans cesse
l'imagination. Ces brillantes rêveries , ces illusions
séduisantes, ces songes flatteurs entretenaient douce-
ment le genre humain dans le sommeil de ses erreurs ,
où il se plaisait, et dont le réveil ne pouvait que lui
être désagréable et pénible.
XXXIII. Préjugés d'antiquité. Emerveillés de leurs
fictions , les peuples ne connaissaient rien qui fût
plus ancien qu'elles. Les fables dont ils embellissaient
leur origine la reportaient aux divinités de qui ils
faisaient descendre leurs fondateurs. Trouvant leur
culte antérieur à leurs lois, ils croyaient que rien ne
l'avait précédé. Leur religion déjà si chère, leur devenait
infiniment vénérable par l'autorité de tant de siècles ,
et par cette longue perpétuité qui était à leurs yeux
un garant de sa vérité. A ce seul titre, avec quel désa-
vantage ne se présentait pas une religion jusque-là
inconnue, un Dieu qui s'annonce, eu disant : Yoilà
que je rends tout nouveau (1)?
Que peut répondre à ces faits l'incrédulité ? Dira-t-elle
qu'ils ne sont pas vrais? Elle sera démentie au même
instant par quiconque a la plus légère connaissance de
l'antiquité. Prétendra-t-elle qu'ils ne formaient pas des
(i) Ecce ego facio nova, et nanc orientar : aiique cognosceiis ea.
Is. xLiir , 49- )
4*26 DISSERTATIONS
obstacles à la fondation du christianisme ? Ce serait une
aJDSurdité qui ne mérite pas qu'on la réfute.
XXXIV. En troisième lieu, en dégradant la relir^ion ,
le genre humain avait aussi corrompu la morale. C'était
une réciprocité d'erreurs et de vices, qui se soutenaient
mutuellement. Le cœur avait séduit l'esprit, et l'esprit
entretenait, aggravait la dépravation du cœur. En se
donnant des dieux au gré de son imagination , l'homme
avait eu soin de les forger favorables à sa corruption. Il
n'y a pas de passion , quelque vile , quelque odieuse
qu'elle pût être, qui n'eût ses dieux, ses temples, ses au-
tels, ses prêtres, son culte; et souvent ses mystères se-
crets. Les passions divinisées , on n'hésita plus de s'y li-
vrer avec une entière sécurité. Parvenu à adorer ce qu'il
avait pratiqué , l'homme ne rougit plus de pratique
ce qu'il adorait. Une fois en possession du ciel , les vices
ne trouvèrent plus de résistance à l'empire de la terre.
On en vint même jusqu'à faire des actions les plus hon-
teuses des actes de religion ; et n'est-ce pas une idée as-
sez naturelle , de croire qu'on honore la Divinité , et
qu'on lui plaît en l'imitant? Rome, surtout, devenue
la maîtresse et le modèle du monde, donnait hautement
aux peuples soumis et empressés à l'imiter l'exemple de
tous les crimes. En envahissant les nations, elle s'était ap-
propriée leurs dieux et leurs vices (1). La pudeur ne peut
soutenir la lecture des satires qui dévoilent ses dissolu-
tions. Par la licence avec laquelle les hommes vertueux
de ce temps peignent ces désordres , jugeons de l'effré-
née liberté avec laquelle les autres les commettaient.
Parmi les philosophes , les deux sectes dominantes favo-
risaient les deux passions les plus chères à l'homme ; le
stoïcisme fomentait l'orgueil , l'épicuréisme attirait à la
volupté. Les riches étalaient un luxe dont les détails pa-
(i) Tôt sacrilcgia Roimnornm , q^not trophaea ; tôt de diis , quot
de gentibns triumphi-j. {^TcriulL ad. nac, lib. u , c.-;p. 17.)
SDR LA RELIGION. 427
laissent incroyables, même à notre siècle, et qu'ils en-
tretenaient par les énormes usures dont ils dévoraient
les pauvres. Le peuple aimait avec passion les jeux , le
cirque , les théâtres, et se livrait avec transport à ces di-
vertissements. L'ambition des grands, érigée en vertu,
et regardée comme une grandeur d'àme, après avoir
longtemps troublé la république . l'avait enfin abattue,
et menaçait sans cesse le trône qu'elle avait élevé. Les
vengeances des hommes puissants avaient souvent rem-
pli de proscriptions , et inondé de sang , et la ville et
tout Tétat. Imaginez toutes les passions déchaînées se li-
vrant avec fureur à toute leur impétuosité , et vous con-
cevrez une idée de la morale de l'enipire romain au
moment où l'Evangile lui fut présenté.
Je le demande avec confiance : Cet ordre de choses
était-il favorable à l'introduction d'une nouvelle mo-
rale? L'attachement des peuples à des jouissances où ils
plaçaient leur bonheur, auxquelles l'inclination les por-
tait, dont l'habitude leur faisait un besoin, que le pré-
jugé général leur faisait regarder comme légitimes, que
consacrait l'exemple des divinités, n'était-il pas un obs-
tacle très-puissant , et supérieur à touteà les forces hu-
maines , à l'établissement d'une religion qui le contra-
riait?
XXXV. En quatrième lieu, dans cet empire universel
que Rome exerçait , un lien intime unissait la religion
à l'état. La politique de Xuma l'avait formé ; celle du
sénat l'avait resserré ; celle des Césars en faisait un des
principaux ressorts de leur gouvernement. Le sacerdoce
et l'empire, réunis dans la même main, augmentaient
réciproquement le respect pour l'un , la soumission à
l'autre. De magnifiques temples décoraient les villes et
attiraient le concours des peuples. De nombreux col-
lèges de prêtres, en augmentant la pompe du culte,
multipliaient les intéressés à sa conservation. Des ves-
tales , décorées de superbes privilèges, entretenaient
continuellement le feu sacré , emblème de celui du pa-
triotisme. Toutes les entreprises publiques commen-
428 DISSERTATIONS
çaient par des actes religieux. On offrait des pompeux
sacrifices, on interrogeait les augures, on consultait les
oracles. Dans les prospérités, on rendait grâces aux
dieux ; dans les revers on les apaisait. L'opinion univer-
selle était que Rome devait sa grandeur à leur protec-
tion. Que l'on juge quel devait être l'attachement de
tout l'empire, souverain et sujets, grands et petits,
pour une religion à laquelle ils croyaient attachées les
destinées de l'état; quel était leur éloignement de toute
religion qui tendait à la détruire.
Ainsi, tout ce qui existait à cette époque, et de bien,
et de mal, et de prinr.ipes, et de préjugés, et de lois,
et de coutumes, et d'affections , et d'antipathies, se réu-
nissait, et formait comme une ligue, pour s'opposer à
l'admission de la religion nouvelle. \ oyons maintenant
ce que cette religion apportait par elle-même , et indé-
pendamment de tout secours surnaturel, pour triom-
pher de ces obstacles.
ARTICLE II.
La doctrine chrétienne était-elle 'par elle-même de nature
à être reçue favorablement j ou à être contredite?
XXXyi. Le premier caractère que je remarque dans
le christianisme est son opposition essentielle à toute
autre doctrine , son impossibilité absolue à s'y amalga-
mer. Il différait par là de toutes les religions qui étaient
venues successivement s'incorporer dans l'ancienne. Il
présentait au monde une religion insociable, un culte
incompatible avec tous les cultes , un Dieu ennemi de
tous les autres dieux (1). Croit-on que cette manière de
(i) At enim odio dignus est qnod ex orbe religiones expulit, qnod
»d deorum cultnm prohibnir arredi ? Ergone ille religionis cxlinc-
tor, et impiet.Tiis anctur iirgiiitur , qni ver:im in oibe religioneni in-
daxit ? ( Arnob. adv. génies , iib. ii , cap. a. )
SUR LA RELIGION. 429
s'annoncer dans le monde fiU bien propre à l'y faire re-
cevoir (1)?
Mais entrons dans le détail; voyons ce qu'il y avait,
dans la doctrine chrétienne, qui dût plaire ou déplaire
aux nations , et les engager à l'adopter ou à la rejeter.
Comparons ce qu'elle proposait au monde , avec les obs-
tacles que nous avons vu le monde lui oppser; et exami-
nons si elle était de nature à lever ou à augmenter ces
difficultés.
XXXyiI. Un enthousiasme philosophique avait saisi
tous les esprits ; la doctrine chrétienne commençait par
anéantir tous les systèmes de philosophie alors existants^
et par traiter de folie ce que le monde entier regardait
comme le chef-d'œuvre de la plus haute sagesse (2). Il
(x) Decrelis vero et regam , et eoram qui leges priscas condiderint,
et philosophorani et poetarnm et theologorum contrarias leges po-
tière , quae simalacrorurn cullura oppugnent , quaeqae quas volunt
obtineant , easdemqne inexpagnabiles et invictas in perpetaam cons-
titaere , qais ex oranibas qui anqaam faerint praestigialor cogitavit ?
At enim Salvator et Dominus noster , non sic qnidem cogilavit, hoc
at aggredi non sitaasas; neque vero sic aggressus est, ut postea non
perfecerit. Sed ano verbo , anaque voce , cum dixisset ad saos dis-
cipnlôs : ite , instruite ornnes gentes, Jocentes eas servare qucecumque
mandavivobis ; veibo rein atqiie efticaciarn adjecit. Atque e vestigio
in disciplinara venit brevi teinpore omne gênas et graecorum et bar-
barornm , et leges in cunctas nationes di^seaiinataî sont , antiqaae
superslitioni adversantes , leges dcemunam oppugnatrices , et omnes
in maltorura deoram culta inimicae; leges Scytbaram et Persarom et
alioruiu barbaroruin modératrices, et q'iae damnaverint oranein ab om-
ni jure a'ienum et ferinum coltum ; leges quae everterint quaecumqne
institQta habaerint Giaeci ab iniiio buinani generis, et novam veiam-
qne pietatem indaxerint. Cur igitar antiquis praestigialoribus , ante
Jesn tempora,aut eliam post , nibil taie aut simile incœptnm est;nt
probaljiliter affirmare possimus illcm ;ib aliis in iis qnae ad praestigias
pertinent adjutum fuisse ? Qiiod si neino illi biinileni quempiam pro-
ferre possit ( nullns en:m lUi tantae auctor virtutis ) ; jain ergo fa-
tendnra sil inusitatam qaarndam divinamque natuiam inter honiines
esse versalam, quae sola et prima , ea qaae nanquara humanis auribas
audita sint perfecerit. [Eustb.^ Deinonst. Evang. ^ lib. iii.j
(2) Qaod stallum est Dei, sapientiusest hominibas. ( r. Cor. i, aS.')
Una igitar spes hominibas vita est , unus portos salutis , unam re-
430 DISSERTATIONS
ne pouvait rester clans notre relio;ion ni stoïciens, ni aca-
démiciens , ni péripatéticiens , ni épicuriens ; il ne pou-
vait y avoir que des chrétiens. Cette philosopliie nou-
velle, ainsi l'ont appelée plusieurs saints Pères, était
absolument exclusive. Toutes les sectes philosopliiques
avaient pour principe commun d'exalter la raisun hu-
maine, en soumettant tout, sans exception^ à ses juf^e-
mcnts; et le christianisme humiliait la raison , en lui
montrant ses limites , en la soumettant à la foi , en lui
présentant des mystères qu'il est ordonné de croire , dé-
fendu de sonder, impossible d'approfondir {\]. Pou-
vons-nous , d'après cela , être étonnés , quand nous
voyons les philosophes de toutes les classes, déposant
leurs oppositions naturelles , se liguer et conspirer contre
le christianisme? et ne conçoit-on pas aisément quelle
était sur l'opinion publique l'influence de tous les
honmies éclairés , réunis dans les mêmes principes, et
combattant tous ensemble, de concert, la religion nais-
sante (2).
XXXyiII. Xous avons vu, en second lieu, les na-
fagium libertatis, si abjectis quibas tenebantur erroribus , aperiant
oculos raentis suae , Deumqae cogiioscant ia qao solo domicilium
veritatis est, teriena et de terra ficta conteinnere ; philosopbiam qaae
apad Deum staltitia est , pro nihilo compalenl ; et vera sapientia ,
id est, religione sasceota , fiant immoi taies haeredes. {^Lactant. ^
Epit. Divin. Institut.^ cap. 5i.)
(r) Dat se Deas credendam et non definiendarn. Mihi enim cre-
dere jassam est, non di^cnte^e permissura est. [S. Athanas. , de As-
snmptione Hominis , lib. m.)
(i) Qnid sibi valt illud : ubi sa{i;ens ? Ac si diceret , obi snnt illa
philosophoinm , ubi rhetotom , ubi sophistarnm , ubi scriptorum ?
Facessunt omnia , et perierunt et evanuere. Nam ita splt-ndida fuit
Victoria , nt illa jam ne corapaieant quidam. Ideo illis omnibus sic
tanquam pulvis dissipatis , interrogat el ait: ubi sapiens.'* Apparuit
crnx ; et illa orania solu'a sunt. Insonuit praedicatio : et faciiins
quam araneae tela dissipata sunt. Ubi sapiens? Ubi verboruni fastus '?
Ubi facundiae pnlchiitudu? Ubi sophismatara gravitas .^ Ubi veibo-
rum vis ? Ubi lingna acuta ? Ubi conventus et concessus .-' Illa omnia
detracta sunt , perierunt , corrnpia snnt, abierunt, terga dederunt.
{S. Joann. Chrysost. , Homil. de Eleazaro , et de Septem titeris ^
n°4.)
SUR LA RELIGION. 431
lions fortement attachées à leurs superstitions , et tenant
à leurs idées religieuses par des préjugés fortement
enracmés. Le christianisme arrive, prétendant déraciner
tous Jes attachements, heurtant de front tous les pré-
jugés-
L'éducation les avait profondément gravés dans les
cœurs et dans les esprits. Les hérauts de l'Evangile
crient hautement de tous cotés: « Peuples , égarés dans
• les régions de l'erreur , tout ce que vous avez cru
« jusqu'ici est des fables^ tout ce que vous avez révéré
< est des chimères; tout ce que vous avez adoré est des
a démons. Arrachez de vos esprits les principes que
« vous suçâtes avec le lait ; étouffez dans vos cœurs les
« affections dans lesquelles une longue habitude vous
a fait placer votre bonheur ; abjurez au pied des nou-
« veaux autels les dogmes que, par une succession
a immémoriale, vous ont transmis vos ancêtres; ou-
« bliez tout ce que vous avez appris , détestez tout ce
» que vous avez chéri, méprisez tout ce que vous avez
« respecté» »
Et que substituera le christianisme à tout ce qu'il
ôte? Par quoi remplacera-t-il ce qu'il anéantit? Au lieu
de ces fictions enchanteresses qui charmaient et sédui-
saient les esprits , il ordonne de croire des dogmes aus-
tères et incompréhensibles. Au lieu de ces fêtes pom-*
penses , de ces magnifiques cérémonies qui élevaient
l'âme en l'amusaat , et qui flattaient par les souvenirs
agréables auxquels elles étaient liées , il prescrit un
culte spirituel. Au lieu de ces divinités dans lesquelles
le peuple admirait ses anciens héros , et que l'imagi-
nation m.ultipliait et embellissait à son gré, il offrait
aux adorations de la terre un homme sorti du peuple le
plus méprisé, et dont la vie, passée dans l'état le plus
bas, a été terminée , par l'ordre d'un président romain ,
dans un supplice infâme (1). Nous sommes instruits,
(i) Quid autem de illo dicentes videbantur lide digni ? Quod cru-
432 DISSERTATIONS
accoutumés à révérer la croix , que nous regardons
comme l'instrument de notre salut; mais transportons-
nous au siècle auquel Jésus-Christ y fut attaché. C'était,
dans l'opinion générale , le plus humiliant de tous les
supplices, un supplice réservé aux esclaves, et dont un
citoyen romain ne devait pas être souillé (1). L'idée
seule d'adorer un crucifié jetait sur la religion qui la
proposait, une prévention de mépris et de dégoût, et
élevait un des plus puissants obstacles à sa propa-
gation.
La nouveauté même du christianisme , que l'on com-
parait à l'antiquité révérée de l'idolâtrie , formait contre
lui un violent préjugé; et nous voyons ses apologistes
cifixas esset ; quotl ex paupere icnliere jodaea natus esset , <jn» des-
ponsata fuerat judaeo fabro ; quod ex gente esset orbi odiosa. Veiuin
haec oninia non ra-jdo non apta eiant ad persuadendos et alliciendos
auditores , sed ad oinnes adversnm concilandos idonea. ( S.Joann.
Chrysost., in pr imam epist. ad Cor. , Humil. v, n"' 5.)
Nec enim visibile aliquod regnuin sectatoribus suis proponnnt
purpura ornatum , et corona refulgens , scrutatorumque et slipato-
rnni numéro et niagnitudlne cirturaseptum , et copiosum habens
exercitam , ac daces fortiter in belle se gerentes , alia deniqoe orania
qaae faina illustres possessores suos efficiant , sed speluncara , et
praesepe , et paaperculam virginem et tenui fascia obvclotum infan-
tulnra illo in praesepi reclinatniu ; et oppidum in quo haec gesta sont
pusillum etignobile : crescenlis ad haec Infanlis paopertatem , et fa-
mem , et sitim , et langnorem de via : et post haec passionera ab om-
nibus decantatam ; alapas in maxillam inconcussas : terga flagris
discissa , crucera , clavos , fel , acetum , mortem. Et taraen , cura haec
et similia narrent apostolorum sciipta , fîdem facinnt. ( Theod, , ser-
vaowïv., de Marlyribus.)
(r) Misera est ignominia jadiciorom pahlicorum , misera mnlatio
bonoram, raisernm exilinra , sed tamen in orani calamirale retinetur
aliquod \€sJigium libertatis. Mors denique si proponitur, in libertate
moriaranr. Carnifex autem , et cbducho capitis, et nomen ipsnm
crucis , absit , non modo a cfprpore civinra romanornm , sed eiiam
a cogitatione, oculis , auribus. Hariim enim omnium rerum , non
solnm eventus atqne perpessiu , sed eliam conditio, expectat o , mei;-
tio ipso denique , intiigna cive romauo , alque homine libero est.
( Cicer. ^pro M, Rahirio , n° 5. )
SUR L\ RELIGION. 433
occupés à réfuter cette objectiou de ses adversaires (1;.
Les peuples voyaient avec dédain le commencement du
christianisme dans la venue toute récente du Christ. Ils
ne connaissaient pas cette chaîne de prophéties , qui
font remonter l'origine de notre religion jusqu'à celle
du monde , et qui lient le réparateur du péché au
premier auteur du péché (2). Le respect naturel pour
l'antiquité , le sentiment inné qui porte à révérer ,
comme des vérités incontestables, ce .qui est consacré
par l'assentiment des siècles, les attachant à un culte
dont l'origine se perdait dans la nuit des temps; les
éloignait de celui qui , dans leurs idées , était sorti de
terre depuis quelques jours.
XXXIX. Le troisième obstacle que nous avons ob-
servé dans les dispositions des peuples à la propagation
de l'Evangile était la corruption universelle de la mo-
rale ; et la morale évangélique était, par sa sévérité, la
plus propre à augmenter encore , et à porter au plus
haut degré cette difficulté. Les hommes se livraient
sans retenue , comme sans scrupule , à toutes leurs
passions; et la loi chrétienne ne tolère aucune passion,
n'en ménage aucune, ne compose avec aucune ; elle
(i) Adversas haec igilur nobis negotiam est, adverses inhtitutlo-
nes njajurnm ; adversas vefustatem, consuetadinem , necessitatem ,
adversus exeiupia , prodigia , niiracula , quae omiiia aduîterinam is-
lam divinitatem corroboraverunt. ( TertuU. ad Mat. , lib, it , cap. i.)
Sed quod agiraas novura esî : quod autem apud vos priscuin est,
et nimia; veîDslaiis. Ecquid istod vos javat, aut noslrain caosam ,
rationemque contrisiat ? (^/-«o^, adv. Gentes ^ lib. ii , cap. 71.;
(2) Errant igitur qui deoinm cultus ab esordio reruin fuisse con-
tendunt ; et priorem esse gentilitatein, qiiam Dei religiunein ; qnam
pnlant posterins inventani , quia fonlem et originera verilaiis igno-
rant. {Lactant., div. Instit. , bb. 11, cap. 14. ]
Nam res ipsa qnae nunc christiana rebgio nuncnpainr erat apad
antiqaos , nec défait ab in'tio generis bnmani , qnonsque ipse Chris-
tns veniiet in carne. Unde vera religio quae jaiii erat , cœpit appel-
lari christiana. {S. August. , retract, lib. 1, cap. i3. Vid. id. ep. cii,
ad Deogratias , qnaest. secun. n° 12 . et serin. ccCT ; al. cix , de Div^_
n"' I et 2. )
Dissert, sur la Relig. 19
434 DISSERTATIONS
ordonne de les combattre , de les réprimer toutes. Les
hommes plaçaient leur bonheur dans leurs jouissances,
dont ils usaient avec l'immodération la plus effrénée; et
la loi chrétienne en prescrit impérieusement le sacrifice :
elle ordonnait aux peuples, qui n'avaient jamais entendu
ce langage , de remplacer les agréments du luxe par les
rigueurs de la mortification, d'enchaîner les projets de
l'ambition dans les liens de l'abnégation , d'abaisser les
prétentions de l'orgueil sous le joug de l'humilité, d'é-
touffer les fureurs de la vengeance dans les embrasse-
nients de la charité , de répandre les trésors de l'avarice
dans les profusions de l'aumône , d'éteindre le feu de la
volupté par les larmes de la pénitence. Se faire chrétien,
était commencer une vie diamétralement opposée à
celle que jusque-là on avait menée avec une entière
sécurité de conscience (1). Pour y engager les nations, il
fallait changer leurs goûts, redresser leurs penchants,
abolir leurs coutumes, plier leurs habitudes, anéantir
eurs affections. La profession du christianisme était le
renoncement à tout ce dont on avait fait son souverain
bien, l'adoption de ce qu'on avait toujours regardé
comme le coinble du malheur , le détachement de toutes
choses auxquelles porte la nature , l'attachement à toutes
celles auxquelles la nature répugne. Si on a tant de
(i) Praeterea antem quœ dicta snnt, aliud non levias erat qaod mnta-
tionera difficilem redderet. Ad consnetudinem enim , et ad pericula ,
id addas quod haec prsecepta onerosiora essent, et ea a qu;bus abda-
cebant levia et facilia. Nam a fornicatione ad oastijatem vocabant; ab
nmore vitae ad inortetn , ab ebrietate ad jejuniam , a risu ad lacrymas
et compnnctionein . ab avarilia ad paupeitatem , a securitate ad pe.
ricala : et per omnia extremam exigebant accurationem. Nam ait :
turpitudo et stultiloquinm et scurrilitas ne exeant ab ore vestro. Et
bcec dicebant iis qui nihil aliud sciebant. qaam inebriari, ventri in-
dalgere ; iis qui dies festos agebant non alio modo consistentes , qnam
ex tnrpitndine, risu et universa comœdia. Itaque , non modo quod
pbilosophiam exigèrent onerosa illa praecepta erant, sed quod ho-
minibus proferientnr , qui in licentia , tuipitadine , stultiloquio, risu,
iebns(ine comicis ediicati essent. (5. Joan. Chrysost. , in primam
epist. ad Cor. ; Homil.vn, n" 3.)
SUR LA RELIGION. 435
peine à engager des hommes nés et élevés dans le seins
du christianisme , et qui sont persuadés de sa vérité, à
pratiquer dans leur exactitude ses saintes règles , quelle
énorme difficulté ne devait-on pas avoir à y amener des
honunes élevés dans des principes absolument con-
traires? Et }>armi les incrédules de nos jours, presque
tous , tous peut-être , ne renoncent à la religion que pour
secouer le joug onéreux de sa morale. Peuvent-ils de
bonne foi imaginer qu'il fût dans la nature de déterminer
à s'en charger , des hommes qui l'avaient en aversion
par principes, comme par inclination et par habitude , et
dans qui l'horreur naturelle pour la double mortification
des passions et des sens, était soutenue par le préjugé
antique , fortifiée par l'exemple universel et consacrée
par celui des dieux (1)?
XL. Enfin le préjugé national, né de la politique et
entretenu par elle, qui attachait l'universalité des
peuples au paganisme, eût suffi lui seul pour les dé-
tourner d'embrasser notre religion. Le sacerdoce et
l'empire étaient réunis dans la même main; le christia-
nisme les séparait. A côté du trône des Césars il élevait
la chaire des pontifes. Il établissait vis-à-vis de la
puissance civile une puissance spirituelle, non pas
opposée sans doute, mais qu'on pouvait, dans les idées
mondaines, craindre qui ne le devînt, et que malheu-
reusement on a trop souvent, au préjudice de l'une et
de l'autre , regardée comme rivale. Les immenses pros-
pérités de l'empire romain étaient, dans l'opinion uni-
verselle, attribuées aux divinités qu'il adorait. Le sénat
(i) Etenim qnos rcmotis eliam vitiorum illecebris a malo avertere
atque a deieriori parte ad meliorem tiadnceie difficile est. Quis tan-
dem his, ut placidi et njocJerali sint, persaaserit : cura deos viliosa-
ram affectionura duces ac patronos habeant : nbi vitiusnm esse, noix
modo non turpe , sed bonorifuuru etiam existimalur? Ut pote deo-
rnin abqueiu fiefensorem ac pationniu as-iurciens, qui vitiosa bac af-
feclione laboret ; atque aris et saciiliciis ornatur ; legitiraamque liber-
tatem nacta est. (^. Gregor. Naz. adv. Jiilianiim , Oiat, m , n" 1 15. )
436 DISSERTATIONS
était venu à bout de persuader que , lon^^temps avant,
elles avaient été prédites par les sibylles. Comment faire
adopter un Dieu qui proscrivait , qui réduisait en
poudre tous ces dieux protecteurs? Et ce n'est pas ici
un raisonnement de pure spéculation. Lisez les écrits
des anciens, et vous verrez que c'était là une des difii^
cultes que les ennemis du christianisme lui opposaient.
Tout ce qui était arrivé de splendeur à l'état , il le
devait à sa religion (1) : tout ce qui arrivait de maux
dans le monde , la religion chrétienne en était respon-
sable (2). Pense- t-on que ce fut une chose aisée de faire
revenir le peuple d'une prévention aussi générale, aussi
invétérée, liée à d'antiques prophéties dont il croyait
voir l'accomplissement?
(i) Sed qnam verum est fastigiam romani dominii religiositatis
merilis deputare cum pobt impeiium sive adhuc regnum , auciis jam
rebns, religio profeceiit. Nam etsi a Nurua concepta est curiositas
snporstitiosa , nonduru taïuen , aut siruulacris, aut templis, res divi-
na apud Roiuanos constabat Noiidum entra tnnc ingénia Grae*
corum atqne Thaseorum fingendis simalacris urbein inundaverant.
Ergo non ante religiosi romani quam magni : ideoqne non hoc
magni qr.ia religiosi. ( Tertull. , apoL , cap. xxv.)
(2) Praetexentes ad odii defensionem illara quoque vanitatem , qnod
existiment oîî.'nis public?e cladis , omnis popularis incommodi chris-
tianos esse in causa. Si ïiberis ascendit in mœnia ; si Nilus non ascen-
dit in arva , si cœlum stetit , si terra movit , si famés , si lues , statim
christianos ad leonem. ( Tertull. , ApoL , cap. xxxix. )
Qui nostrara omnibus modis doctrinam calamniantar , exiitimant
causam tanise quae nnnc est rerum perturbationis eam esse, quod fi-
deliura namerus increscit ; nec eos profligaridos purent prapsides , it
snperioribus temporibus factitatum. ( Origen. contra Celsum, lib. m ,
n^ i5.)
Sed enim cum dicas plurimos conqneri quod bella crebrius sur-
gant , quod Inès, quod famés seviant, quodque imbres et pluvias se-
lena longa suspendant, nobis iœpntari : tacere ultra non oportet :
ne jam non verecnndise , sed diffîdentiae esse incipiat quod tacemus :
et dura criminaliones falsas contemnimus refutare , videaranr crirnen
agnoscerc. [S. Cypriam. ad Demetriam.)
Cnm igitur haec itasint, nequeuUa irrnperit novitas, quae tenorem
perpetunra rerum dissociata continnatione deduxeril , quid est istud
qnod diciiur, invectam esse labtm terris, postquam religio chribtia-
SDR L.V RELIGION. 437
Il est doue certain que uou-seuleuieut la doctrine
chrétienne n'était pas, par sa nature, propre à lever
les obstacles qu'apportaient à sa propagation les dispo-
sitions des peuples , mais que sa nature même était un
obstacle très-puissant à ce qu'elle se propageât.
ARTICLE m.
Les premiers prédicateurs de la religion chrétienne étaienl-
ils choisis de manière à la faire admettre ou rejeter?
XLI. On conçoit aisément que le nom d'un auteur
contribue à faire recevoir sa doctrine. Le rang, les
talents, la célébrité donnent de l'influence sur l'opinion
publique. Les anciennes sectes philosophiques devaient
un grand nombre de leurs partisans à la réputation de
leurs fondateurs , et il y avait telle école où la dernière
raison qu'on donnait d'une assertion, était : Le maître
Ta dit. Et ne pouvons-nous pas observer aussi que ce
sont les funestes talents, la déplorabk célébrité de
plusieurs des chefs de l'incrédulité , qui attirent dans
leur parti un grand nombre d'esprits superficiels, qui,
incapables de toute étude, se font un point d'honneur
de penser comme ceux dont ils admirent le génie ?
Examinons donc ici quels étaient ceux qui les premiers
ont répandu l'Evangile dans le monde. Voyons s'ils
étaient tels , qu'ils dussent naturellement opérer la
grande révolution qui a suivi leur prédication , ou si ,
na intallt se ranndo , et verifatis absconditae sacramenta patefecit. Sed
pestilentias , inqaiunt, et siccitates , fragiiru inopiam, locustas , mu-
res, et grandin«es, resque alias noxias , quibus negotia incursantar
humana , dii nobis important , injuriis veslris atque offensionibu3
exaspérât!. (^Arnob. adv. Gentes ^ lib. i, cap. 3. )
lUis enim qai contra christianara fîdem querelas impias jactare non
qniescunt , dicentes quod anteqnani ista doclrina per raandum prae-
dicaretnr, tanla mala non patiebatar genns humanura , facile est ex
evangelio respondere. (5. Aug. epist. cxi j al. cxsii, ad Victoria-
niim , n° 2 . )
438 DISSERTATIONS
au contraire , leurs personnes n'étaient pas un obstacle
naturel à leurs succès.
XLIÏ. Où Jésus-Christ trouve-t-il les instruments
propres à l'exécution de son vaste projet? Où va-t-il
clierclier les hommes qu'il charge d'aller jusqu'aux
extrémités de la terre , faire adopter sa religion à toutes
les nations? Choisit-il, parmi ceux qui ont reçu sa
doctrine, des hommes doués de génie, puissants en
éloquence, ornés de connaissances? Envoie- 1- il un
Joseph d'Arimathie, un Nicodème, un Nathanaèl , qui
sont entre les chefs du peuple , et dont le nom et les
lumières pourront donner du poids à leur.enseignement?
Non. Pour l'entreprise la plus difficile que la terre eût '
jamais vue, pour faire abjurer à tous les peuples du
inonde une religion à laquelle ils tiennent par tous les
genres de liens , pour leur faire adopter universellement
une doctrine qui répugne à toutes leurs pensées comme
à toutes leurs affections , il ramasse sur les sables de la
mer , dans dés comptoirs de péagers , douze hommes de
la dernière classe du peuple , de l'intelligence la plus
bornée , dépourvus d'éducation , n'ayant aucune notion
des premiers éléments des sciences, aucune idée des
arts, aucune teinture des lettres (1). Yoilà les hommes à
qui il donne la mission de changer la face de l'univers.
Ils sont faibles et timides; à son premier danger ils l'ont
abandonné lâchement ; le chef qu'il leur donne l'a
( I ) T'Iegit discipulos quos et apostolos nominavit , humiliter natos ,
iniionoiatos , illiteratos , ut quidquid magnum esseat et facerent , ipse
in eis esset et faceret. {S. Augiist. de Civit. Dei , lib xviii ^ cap. 49. )
Praedicatores infimes , abjectosque habere studuit , qui fidèles po-
pulos ad spiritalis patriae aedificia superna colligerent : Unde in evan-
gelio Dominus Nathanaelem laudat ; nec tamen in sorte praedicantium
nuœerat : quia ad praedicandum eura taies venire debuerant , qui de
laude propria nihil habebant : ut tanto solidius veritatis esse cognos-
ceretur quod agerent , cpianto et aperte cerneretur quia ad id agendum
per se idonei non fuissent. Ut ergo mira potestas per prsedicatorum
linguas elucesceret, nrius uiirabilius actum est ut eorumdem praedican-
tium meritum nullum esset. (^S. Gregor. Mag. Moral. ]JLb. xxxin,
«ap. 16, n° ,^3.)
SUR LA RELIGION. 439
même formellement renié : et c'est à eux qu'il ordonne
de braver toutes les persécutions, tous les supplices
qu'attirera sur eux leur prédication (1;. Ils sont grossiers
et delà plus profonde ignorance, ne sachant que la langue
de leur pays; et ce sont eux qu'il envoie défier les génies
les plus puissants et les plus exercés, et confondre^
dans toutes les langues , les plus habiles philosophes du
siècle le plus éclairé.
XLIII. Quelle énorme disproportion entre l'ouvrage
qu'entreprend Jésus et les instruments qu'il y em-
ploie {2)1 Son intention est-elle donc de rendre son
(i) Sed quae tandem vox laudis ejus andiri effîcienda est, neque e^
quod credentium animos posuerit in vitam , quod apostolicae prsedi-
cationi, et martyrum confession! constantiara et perseverantiam largitna
sit coniitendi ; quorum discursibus orbem terrce , quibusdaiu quasi
pedibus, cœlestis regni praedicatio transcnrrit Non enim huma-
narum comminationum terriculis apostoli deflexi sunt ; neque firmitas
pedum insistentiam a fidei gressu commota est , qui super judicii et
regni aeterni dominum praeàicarent. {S. Hilar., Tract, in psalin. lxv,
n'^ 19.)
(2) Cum enim cogitasset îd quod nulltis unqtiam cogitavit, proprias
leges , novamque doctrinam , in omnes disseminare nationes , omneqnf
hominum genus eam docere pietatem quae unum sapremum Deum
veneratnr, hujusce rei se niagistrum exhibera , omnium maxime agres-
tibus , maximeque ignobilibus putavit sibi esse utendnm hujtis consilii
ministris : utpote cum verisimile sit illum censuisse praeter omnium ra-
tionem haec se facturnm. Quo enim pacto qui ne deducere quidem os
idonei erant , saltem uniuscujuspiam hominis prarceptores fieri potue-
runt ; nedum virorum conventos. Quomodo autem multitudinem alio-
qui erat instruere, qui ab omni eruditione abhorrebant. Ac hoc qui-
dem fecit , quod et divinum consilium , et vim divinam , quae in iUis
et cum ilUs ipsum opus obihat , declararet. Ergo cum illos vocasset ,
tum primum dixit : venite^ sequirnini me : et faciam vos piscatores ho-
minum. Cum vero jam illos sectatores esset adeptus , divinaque sua vi
afflasset , roboreque atque animi confidentia complesset , jamque velnti
qnoddam vere Dei verbum ipseque Deus tantorum auctor miraculorum
inteUigentium rationaliumque animarum creatores illos constituisset ,
remque ipsam atque efficaciam voci ilh qua dixerat : venite., sequimini
ine^ et jaciam ^os piscatores hominum , simulque et operarios et ma-
gistros pietatis illos fecisset, tum in omnes gentes dimisit , suaeqne
doctrinae praecones declaravit. Quis autem non stupescat ? Quis non
incredibile merito ezistimet id quod omnem fidem superai miraca^
440 DISSERTATIOiNS
grand dessein, déjà hérissé de difficultés si énormes,
plus impraticable encore? Oui, ce sont là véritablement
ses vues. Il choisit, ce sont les apôtres eux mêmes qui le
disent, ce qu'il y a de plus inepte dans le monde pour
confondre tous les saj^es du monde ; ce que le monde a
de plus faible , pour triompher de ce qu'il y a de plu5
fort; ce que le monde re^jarde comme le plus vil et le
plus méprisable, ce qui n'existe en quelque sorte pas à
ses yeux, pour abattre ce qu'il y a dans le monde de
plus grand (1). Nous voyons le résultat de ce combat
d'un genre tout nouveau, entre la simplicité et la dia-
lectique la plus sublime , entre l'ignorance et l'érudition
lam ? ^Xiillus certe eorum qui unquam alicujns claritatis inter homines
fuerunt , non rex , non legum inventer , non philosophas , non grae-
cus, non barharus , hujusmodi quicquam cogitasse narratur : ac ne
somniasse qnidem ahquid quod ad hoc proxime accédât. Satis enim
superque unusquisque tahum semper habuit, dummodo in sua regione
institutura suum propositumque compleret , et quae bonae utilesque
vitae essent leges eas in una salteiu sua ipsius gente sa n cire ac tueri
posset, At hic noster nihil mortale aut humanum moUtur. Considéra
vero cum rursus tanquam vere Deus vocem emiserit , nhi suis iUis
adeo ignobilibus ad verbum dixit discipulis : euntes ^ docete omnes
gente s. Quid ? Si discipuU , ut fit , suo praeceptori respondissent , ac
disissent : Quo tandem modo istud a nobis lieri poterit ? Quoinodo
E-Omanos, exempUgratia, publiée docebimus? Ouomodo autem jEgyp-
tios alloquemur ? Qua vero hngua homines unam syriacam vocem
audire soliti , apud Graecos utemur ? Qua apud Persas , Armenos ,
Chaldaeos, Scythas, Judos, ac denique omnes quascumque offendemns
barbaricas gentes ? Quomodo iUis pei-suadebimus , ut deos quidem pa»
trios deserant , unum veio omnium quaecumque sunt Deura opiiicem
colant ? Qua porro dicendi vi freti , tantum facinus aggrediemur ? Quae
autem perficiendi spes aderit hominibus , qui leges figere audeant con-
trarias legibus quascumque omnes gentes de patiiis diis a condito aevo
servaveiint ? Quibus tandem copiis, et qua vi nobis hceat isti audaciae
superesse? {^Eiueh. , Démons. Evang. , Ub. m.)
( I ) Quae stulta sunt mundi elegit Deus , ut confundat sapientes ; et
infirma mundi elegit Deus , ut confundat fortia : et ignobiUa mundi et
contemptibiha elegit Deus, et ea quae non sunt , ut ea quae sunt des-
trueret. ( r. Cor. i, 17, 28.)
Infirma mundi elegit Deus , ut confundat fortia : ignobUes vocavit
ut nobiles vinceret ; piscatores elegit ut reges subjugaret. ( S. Gregor.
Magn.^ Expos, in 7 psalm. pœnit. inS psalm., n° 2 3. )
SUR LA RELIGION. 44l
la plus profonde , entre la grossièreté et l'éloquence la
plus brillante (1). Riches, pauvres, nobles, rois,
savants, orateurs , philosophes, tout a fini par venir se
prendre dans le filet des pécheurs (2). Figurez -vous ,
cette comparaison est de St. Chrysostôme, douze hommes
sans armes et faibles de corps , se jetant aumiheu d'une
nombreuse multitude de guerriers armés , ne recevant
aucun mal des traits innombrables qu'on leur lance , et
sans autres armes que leurs mains, vainquant leurs
ennemis , tuant les uns , amenant les autres captifs.
Direz-vous que cette victoire est due à une force hu-
maine? Mais, ajoute le saint docteur, le triomphe des
apôtres est bien plus admirable encore. Il est moins
étonnant de voir des hommes nus n'é-tre pas blessés, et
vaincre leurs nombreux ennemis , que de voir des
hommes sans connaissances , sans lettres, de simples
pécheurs, devenir les lumières du monde en surmontant
de si énormes obstacles , et n'être arrêtés dans leur
marche , ni par leur petit nombre , ni parleur pauvreté,
ni par leur ignorance , ni par leur timidité , ni par
l'universalité des anciennes coutumes , ni par la grande
sévérité de la doctrine qu'ils prêchent , ni par les morts
cruelles dont ils sont à chaque moment menacés, ni par
l'immense multitude de ceux qui sont engagés dans
l'erreur, ni par l'autorité imposante de ceux qui les y
(r) Elegit qnippe stalta mundi, ut confundat sapientes. Prias nam-
que collegit indoctos , et postmodum philosophos ; et non per orato-
res docuit piscatores , sed mira potentia per pLscatores subegit orato-
res (S. Gregor. Magn. , Moral. , lib. xxxiit , cap. i8 , n° 35.)
Çii 111e qui discipnlos suos fecit piscatores hominum intra retia sua
omne genus auctoritatis inclusit. Si multitudir.i credendum est , quid
copiosius ecclesia toto orbe diffusa ? Si divitibus credendam est , at-
tendant quoi pauperum millia. Si nobilibus intus est , jam pêne tola
nobibtas. Si regibus, videant omnes subditos Christo. Si eloquentiori-
bus , doctioribus , prudent ioribus inlueantur, quanti oratores , quanti
periti, quanti pliilosophi hujus mundi ab illis piscatoribus irretiti
sunt, ut ad salutem de profundo adtraherentur. (6\ August. serm. 4 ;
al, de Div. lxiii, n° 4. )
19*
442 DISSERTATIONS
ont entraînés (1). Nous le disons aux incrédules avec
confiance : Plus vous ravalez et avilissez les apôtres ,
plus vous relevez leur courage. Plus vous faites sentir
leur incapacité, leur inipuissance à établir la religion,
plus vous prouvez qu'elle a été établie par une puis-
sance supérieure à la leur (2). En supposant avec vous
( I ) Dei enim , si duodecim viri rei militaris imperitî , in armatam
pugnatorum innumerabilium aciem irrumpentes , non inennes tantum,
sed corpore infirmi , ab illis nihil maie paterentur , neque innumera-
bilibus telis impetiii sauciarentur : babentes autem tela infixa corpori
nudo omnes prosternèrent , non armis utentes , sed manu ferientes ,
deinde alios occiderent , alios captivos abducerent , nullis acceptis vul-
neribus ; an quis diceret rem talem gestum humanum esse ? Atqui
apostolorum tropœum longe illo mirabilius est. Longe enim mirabilios
est quam nudum non vulnerari , quod imperitus, et illiteratus atque
piscator, tantum superet gravitatt-m ; ac neque a paucitate , neque a
paupertate , neque a periculis , neque a praevia consuetudine , neque
a severitaie rerum quas praecipiebant , neque a quotidianis mortibus ,
neque ab eoi-um qui decepti fuerant multitudine , neque ab eorum
qui deceperant auctoritate impedirentur. (S. Joann. Chrysost. , in ep.
primam ad Cor. Homil. m , n° 5. )
(2) Adstruamas igitur pisraforis artem frequentias , ut plenius de
virtute credaraus. Fuerit minister ignobilis , nt sit evangelista nobi-
lior ; paupertate egenus , ut virtute locupletior. Yilis ad honorem
videatur , sed pretiosus ad fidem. Quanto minus creditur piscatori ,
tanto amplius creditur : quia non sua , sed divina sunt quae locutus
est. Obsequitur plebea conditio : expectationem aufert sapientiae sasca-
laiis ; opinionem auget sapientia spiritalis. Qui legem non didicit , et
quae legis sunt sapit , ipse sibi lex est. Qui legem non didicit , et ultra
legem loquitur , ab eo accepit a quo lex venit. (5". Amhros. de Vir-
gbntnte , cap. xs , n° iSa.)
Et cum dixerint iUos agrestes fuisse apostolos , non addamus etiam
fuisse indoctos , ilUteratos , pauperes , viles et obscuros. Non sunt haec
maledicta apostolis illata : sed ad illorum gloriam cedit , quod taies
cum essent, toto orbe terrarum fuerint clariores. Hi enim idiotae,
agrestes , indocti , sapientes illos , potentes tyrannos qui divitiis , glo-
ria , et extemis caeteris rébus fruebantur et gloriabantur quasi nec viri
essent , profligarunt. Unde palam est magnam esse crucis potenti;im ;
et ba?c non humana vi facta esse. Non enim bumanae naturae sunt
illa ; sed supra naturara patrata sunt. Cum autem supra naturam , et
admodum ultra naturam quaedam effîciuntur cum decoro et utilitate ,
palara est illa ex divina quadam virtute operatione facta esse. (5.
Joann. Chrirsost. , in epist. primam ad Cor. homil. rn, n" 4-)
SUR LA RELIGION. 4A3
qu'il n'y a eu, pour opérer cette immense révolution ,
que des moyens naturels , c'est, qu'on me pardonne cette
expression, une ridicule absurdité à Jésus-Christ d'en
charger des hommes tels que les apôtres : c'en est une
autre tout aussi révoltante que des hommes tels que les
apôtres aient osé l'entreprendre (1). Mais ce qui est plus
inconcevable , ce qui répugne plus encore que tout le
reste , c'est que des hommes tels que les apôtres aient
réussi, et que l'univers entier se soit soumis à eux. Au
contraire , en admettant , comme Jésus-Christ l'annon-
çait, comme les apôtres le publiaient, comme le monde
l'a reconnu, que c'est une puissance surnaturelle qui
se déploie, Jésus-Christ, les apôtres, le monde agissent
raisonnablement. Il n'avait pas besoin de choisir des
hommes doués de talents et de connaissances , celui qui
avait droit de leur dire : Quand vous serez interrogés ,
ne vous mettez pas en peine de ce que vous aurez à
répondre. Ce ne sera pas vous qui parlerez , ce sera
l'Esprit divin qui parlera par vous (2). Il leur était
inutile d'étaler dans leur prédication les discours per-
suasifs de l'éloquence humaine, à ceux qui avaient reçu
le pouvoir de montrer les dons de l'Esprit saint , et la
(i) At illi non modo exempla non liabebant qoeis se superataros
sperarent ; sed etiara habebant qood saperaturi non essenr. Multi
namqoe qui innovare tentaverant extincti faerant. Non de Graecoram
rébus loquor : illae qaippe nondum erant, sed de ipsi* Judaeis eodem
tempore, non cuin duodecim horainibns , sed cnm magna muitiiu-
dine res aggressis. Nara Theudas et Judas magnos habentes boini-
num cœtns , cum discipulis perierant. Et ex bis exempiis ortus timor
poterat ilios deterrere , nisi admodum persuasi fuissent sine divina
virtute non posse quempiam superare. Quod si e»iam se vincere
posse sperabant , qua spe folti tanta adiisscnt pericula nisi ad futnra
respexissent ? (^S. Joann. Chrysost. , in epiit. primam ad Cor. ho-
mil. V , n° 3.)
(i) Cum auiera tradent vos , nolite cogitare quomodo ant qnid
loqaimini. Dabitnr enim vobis in illa hora quid loqaamini. Non enim
vos estis qui loqaimini. Sed Spirilus Patrîs vestri qui loquitur in vo-
h\s. (Mattk. X, ig j ao. )
444 DISSERTATIONS
force divine (1). Il ne leur était pas nécessaire d'exami-
ner quels étaient les discours des apôtres , à ceux qui
voyaient leurs œuvres miraculeuses (2).
XLIV. Jésus-Christ a choisi , po ur établir sa religion ,
des hommes à qui tout manquait pour un aussi grand
ouvrage. Quel a donc pu être son motif? Il n'en a eu,
il n'a pu en avoir d'autre que celui que déclare son
apôtre : il a voulu que l'établissement de sa religion ne
pût jamais être attribué à la sagesse humaine , mais
manifestât clairement la force de Dieu (3). En donnant
à la terre sa religion , il s'est proposé non-seulement de
la répandre dans tous les pays , mais de la perpétuer
dans tous les siècles. Son intention a été que l'établisse-
ment même de la foi fût dans tous les temps la confir-
mation et la preuve de la foi. Il a cherché exprès , pour
fonder sa religion, les hommes qui en étaient les plus
incapables , afin que nous, qui dans la suite des siècles
serions appelés à contempler ce magnifique ouvrage, n'y
puissions trouver aucune trace d'une main humaine, et
que nous vissions partont empreinte la main divine dont
il est sorti (4).
(i) Sermo meus , et praedicatio mea , non in persuasibilibas ha-
manae sapieniiae verbis , sed in ostensione spiritas et virtutis. ( i.
Cor. II, 4.)
(2) In quibus (apostolis) syllogisraos Aristotelis contoitaqne Chry-
sippi acumina resurgens mortuas confatabat.. ( S. Hieron. episto-
la xxxrir , ad Pammachium. )
(3) Ut Hdes vestra , non in sapientia hominum , sed in virtate
Dei. ( I. Cor. xi, 5.)
(4) Ergo ad haec respondeo : qui prudenter et candide res ab apos-
toiis Josu gesta possunt exarainare , iis œanifestum fîeri hos divina
virtute roboratos fuisse oportere , ut edocerent christiaiiam religio-
nem , et homines verbe Dei subjicerent. Non enim iis seoundnm artes
graecorum dialeciicas , aut rhetoricas discendi facultas et disserendi
ratio inerat, qoa aaditores sibi conciliarenf. Atque etiamsi Jesas
elegisset, et doctrinae suae ministres adhiboisset eos qui multomm
opinione sapientes babentur , et aat cegitandi subtililate , aut serme-
nis facundia muliitudinis plaasus captare pessnnt , jnxla, mee quidero
SUR LA RELIGION.
ARTICLE IV.
445
Les moyens emjiloycs par les apôtres étaient-ils, par leur
nature, propres à favoriser ou à empêcher la propagation
de la religion ?
XLV. Oublions pour un moment ce que nous venons
de dire de l'incopacité profonde des apôtres ; supposons-
jodicio , suspicio fnisset simili cam ratione atque via qua philosophr
sectae cajuspiam anctores usi snnt ; neque quod piomissum est de
doctrinae ejus divinitate videretur adimpletum. Nam seinio et piaedi-
catio fuissent in persuasione illius sapienliae , quae verborum lenoci-
nia , et aptae compositionis blanditias affecta* : et fidf s hsRC nostra
perinde ac ea qnam sui dogmatis babent hajusrûodi ph.losopbi faisset
m sapientia hominitm et non in virtute Dei. Nunc antem ecquis est ,
qui cum videt piscatores et pubKcanos, vel primornm elementorom
imperitos , id enim de illis scriptura testaînr , et Celsus ipsis insci-
tiam suam vere dtscribentibus crédit), confîdenter de fide Jesu ad-
jungenda : non modo apnd judaeos dispntave, sed eliam apnd reliquas
gentes prospère Jesum annuntiare , non qiiaesierit onde illis inesset
persuadendi facultas. Neque enim erat vulgaris. Ecquis non dixerit
Jesum in apostolis divina quadam virtute execatum fuisse quod bis
promiserat verbis : venue post me ; faciam vos piscatores hominum.
( Origen. contra Celsiim , lib. i, n° 62.)
Admirabiles illi , prorsusque divini apostoli Servatoris nostri.cum
essent vita quidem et moribus castigatissimi, et omnibus virtutibus
ornati , sermeine an!em ipso rudes essent atque incnlti , freti divina
et mirillca virtute ipsis a Servatore concessa , attificioso verborum
ornatu magistri sui praîcepta exponere, neque noverant , neque item
conabantur. Sed adjuvantis ipsos Spiritus sancli demonstratione et
virtute Christi, quae per ipsos plurlma perpetrabat miracula , tantum-
modo utenles , notitiam regni cœlorum orbi terrarura nuntiabant.
{Euseb.^ Hist. Eccles.Xih. lu, cap. 24-)
Vocavit discipulos siios et eîegit diiodecim ex ipsis , qnos ad pro»
pagandum anxilium salutis bumanae per tenavam orbem satores fidei
destinare. Simul adverte cœleste consilium. Non sapicntes aliqnos ,
non divites, non nobiles, sed piscatores et publicanos qnos dirigeret,
elegit : ne tradoxi^se prndentia , ne redemisse divitiis , ne potentiae ,
nobilitatisque auctoritate, traxisse aliquosad suam gratiam videatur ;
m veritatis ratio, non disputations gratia praevaleret. {S. Ambros. ,
Expos, evang. Liicœ ^ lib. v, n" 44-)
N?ra tum demum Dei vis mox'nie elucet , cura per viles et abjec-
446 DISSERTATIONS
les, au contraire, contre l'évidence, contre l'opinion
même de nos adversaires, des hommes profondément
habiles, des imposteurs de l'adresse la plus raffinée. Exa-
minons connnent s'y prendraient de tels hommes pour
répandre une doctrine nouvelle; cherchons les moyens
qu'ils employeraient pour lui attirer des sectateurs. D'a-
bord, ils travailleraient à se donner à eux-mêmes du
relief, et à accréditer leur prédication par la considéra-
tion personnelle qu'ils se concilieraient; ensuite ils au-
l'aient soin de composer une doctrine analogue aux idées
les plus généralement reçues, et que l'on pût aisément
goûter. Ils la prôneraient comme conforme à la saine
raison; ils la produiraient avec précaution, d'abord,
dans les lieux où ils espéreraient trouver le moins de dif-
ficultés; ils pourraient même, selon les circonstances,
ne la produire que peu à peu , par degrés , et successive-
ment dans ses diverses parties. Voilà les seuls moyens
raisonnables , les seuls cjui soient dans la nature , pour
répandre et faire adopter une doctrine nouvelle et fausse.
Des fourbes habiles , tels que dans ce moment on sup-
pose les premiers prédicateurs de l'Evangile , ne pour-
raient pas en adopter d'autres. Tout plan, contraire à
celui-là les éloignerait évidemment de leur but, le leur
fei'ait certainement manquer. Lors donc que nous voyons
les apôtres employer précisément tous les moyens con-
tes ingénies res patrat. Ac proinde in alio etiarn loco aiebat : Virtus
mea in injirmitate perficitur. Qui in veteri qnoqae testamento per
calices et muscas lotos barbaroium exercitas in fagam vertebat
Eodeni ilaque modo , hic quoqne missis solum duodecim viris de or-
be victoriam adeptus est. Idqne etiam cuni sibi infesla omnia ha-
berent , ac bello in omnibns vexarenlur. Dei ergo potentiara admi-
lemur et adoreraus. Sciscileinur a Judaeis ; sciscitemar ex gentilibos ,
qnisnam nniverso leirarura orbi persuaserit al a patriis inslitulis abs-
cederet, atque ad alteraui viveadi rationem sese conferrel. Piscalor ,
an tentoiiorom effeclor ? Publicana* , an indoctas et litlerariitn ex-
pers ? Quam anlera ralionern haberet , nisi vis divina fuisset , qaae
per illos omnia conliceret ? (5. Joan. ChrysosV ^ in episC. secundam
ad Cor. , homil. viit, u° 4-)
SUR LA RELIGION. 447
traires à ces moyens que présente la nature , que prescrit
le bon sens, il faut en conclure que , s'ils étaient des im-
posteurs , ils étaient des imposteurs bien maladroits.
Mais leur prodigieux succès ne permet pas qu'on les
taxe de maladresse. En un mot , ils n'étaient ni des
fourbes habiles, puisqu'ils prenaient toutes les mesures
qui devaient les écarter de leur objet , ni des fourbes im-
béciles, puisqu'ils ont converti le monde. Ils n'étaient
donc pas des fourbes , des imposteurs. Nous devons donc
croire ce qu'ils ont dit, que c'était par une force divine
qu'ils agissaient.
XLVI. Nous avons à prouver le fait, c'est-à-dire,
que tous les moyens dont nous venons de parler, qu'au-
raient pris des hommes agissant d'après les lumières de
la raison, non-seulement n'ont pas été suivis, mais ont
été contrariés en tout point par les apôtres , et que leur
marche a été diamétralement opposée à toutes les idées
de la sagesse humaine. Cette discussion nous ramène à
des choses que nous avons déjà traitées, mais sur les-
quelles il est nécessaire de revenir.
XlVII. Nous avons vu que , loin de chercher à se
donner du relief dans le monde , les apôtres ont i^ppor-
té , avec une sincérité qu'on ne voit dans aucun autre
écrivain, tout ce qui pouvait leur nuire dans l'opinion
de ceux à qui ils parlaient ; qu'ils faisaient ces aveux
spontanément ; qu'ils n'y étaient pas obligés par la suite
de leur narration ^ que l'histoire évangélique ne serait
pas moins complète , quand ces aveux ne s'y trouve-
raient pas; enfin , que sans eux nous ignorerions ces cir-
constances humiliantes pour eux (1). Etait-ce un moyen
de se faire valoir aux yeux des peuples , que de publier,
comme ils le faisaient , leur basse extraction , et leur
premier métier qui les éloignait de toute instruction?
Quelle idée donnaient-ils d'eux aux auditeurs, quand
ils racontaient leurs propres imperfections et leurs dé-
fi) Voyez deuxième Dissert. , part, 2 , chap. i, n^ xiii, page 224.
448 DISSERTATIONS
fauts, leur ambition qui aspirait à des grandeurs, leur
jalousie qui excitait entre eux des querelles pour les
places du royaume de Jésus-Christ , leur jactance loin
du danger; leur lâcheté dès qu'il était commencé ? En-
gageaient-ils bien puissamment à adopter leur doctrine ,
quand ils racontaient qu'eux-mêmes ne l'avaient pas
comprise, lorsqu'elle leur avait été enseignée , tant ils
étaient bornés? Si on veut s'obstiner à soutenir que ce
sont là des charlatans , il faut dire que ce sont des char-
latans d'un genre bien extraordinaire , tels que jamais
on n'en a vu, et que probablement on n'en reverra ja-
mais; qui, pour se faire croire, imaginent de débiter
tout ce qui doit leur ôter créance; qui, pour se faire
chefs d'une grande révolution dans le monde , com-
mencent par s'avilir eux-mêmes, et par rapporter sur
leur propre compte ce qui peut leur faire perdre toute
considération et toute estime.
XLYIII. Ainsi dégradés aux yeux du monde , quelle
est la doctrine qu'ils viennent lui apporter? Nous l'avons
encore vu (1); c'est la doctrine la plus faite pour être
rejetée par le monde, la plus diamétralement opposée à
toutes les idées alors reçues dans le monde , la plus
propre, par la sévérité de sa morale , à révolter le monde
profondément corrompu , et par l'incompréhensibilité
de ses dogmes, à dégoûter le monde engoué de ses
propres lumières.
Et cette doctrine si nouvelle, si opposée à tout ce que
l'on pense, à tout ce que l'on aime, ils ne mettent au-
cune adresse à la publier ; ils ne cherchent point à pal-
lier l'incompatibilité de leur morale avec tous les prin-
cipes qui dirigent alors les actions humaines. Ils veulent,
dit-on , séduire le monde ; et pour y parvenir , ils
commencent par déclarer nettement qu'il est impossible
de servir Dieu et le monde (2) ; que le monde est l'en-
(i) Voyez ci-dessns, article second, page 428.
(a.) Non potestis Deo aervire et mammonae. Luc. xvi , i3.)
SUR LA RELIGIO.N. 449
nemi de Dieu (1) ; que la sagesse du monde est opposée
a celle de Dieu (2) ; que c'est un devoir de ne pas aimer
le monde et tout ce qu'il renferme , parce que tout ce
qui est dans le monde est criminel (3). Afin de se rendre
agréables à leurs auditeurs et de capter leurs suffages ,
ils leur prescrivent , sans aucun ménagement , de re-
noncer à tout ce qui leur est cher et sacré. Préjugés^ in-
clinations , mœurs, habitudes, affections, religion, ils
ordonnent impérieusement de tout déposer. Ils parlent
de même, sans feinte et sans détour , des mystères qu'ils
annoncent. Ils conviennent nettement que la religion
d'un crucifié est une folie aux yeux des nations (4)^ et
ils exigent que les nations y croient. Ils reconnaissent
que leur prédication doit paraître une folie (5) , et ils
prétendent que c'est le seul moyen d'être sauvé. Ils dé-
clarent que ce qui semble raisonnable aux hommes est
aux yeux de Dieu une déraison , et que ce qui est insensé
devant Dieu est pour les hommes une sagesse (6) : et par
une telle prédication ils imaginent de convertir, et ils
convertissent en effet des hommes enthousiasmés de leur
prétendue sagesse.
XLIX. Et où vont-ils prêcher avec tant de maladresse
et si peu de ménagement une doctrine ainsi faite pour
rebuter leur siècle? C'est précisément dans les lieux où
(i) Nescitis quia amicitia hajns mnndi Jnimica est Deo ? Qnicumqus
ergo volnerit amicns esse saeculi hujns , inimicns Dei constittiitar.
( Jac , IV , 3 . )
(2) Sapientia carnis inimica est Deo. [Rom. vrii, 7.)
(3) INolite diligere rnnndnm, neqae ea qaae in raundo sunt. Si quis
diligit mundum , non est caritas Patris in eo. Qaoniara omne qnod
est in mnndo coneapiscentia camis est , et concapiscenlia ocalorum
et saperbia vitae . quae non est ex Paire, sed ex luundo est, (i
Joan. II , 16.)
(4) Praedicamas Christnm crnoifixum gentibaa stoltitiam. ( i.
Cor. I, 2 3.)
(5) Plaçait Deo per staltiliam praedicationis salvos facere' creden-
tes. ( I. Cor. 1 , 21. )
(6) Nonne slultam fccit Dens sapientiam hnjas mundi....? Qaod
smlturn est Dei sapientins est horainibui. ( i. Cor. i. 20 , 25.)
450 DISSERTATIONS
elle doit être le moins accueillie, et où ils doiveut trou-
ver le plus d'obstacles à leur enseignement. Ils fondent
leur religion sur des faits miraculeux ; et pour les pu-
blier, ils choisissent, nous l'avons encore vu, le temps
où ils viennent de se passer , la ville où ils ont eu lieu ,
l'occasion d'une fête qui rassemble un grand nombre
de témoins de leur réalité ou de leur fausseté (1). Ce
n'est qu'après que ces faits ont été constatés par ceux
qui le pouvaient aisément, qu'après qu'ils ont été crus
par beaucoup de personnes , qu'après que la religion a
été professée dans la région où elle est née, qu'après
que plusieurs églises y ont été fondées , que les apôtres
en partent pour aller , selon l'ordre de leur maître , de
Jérusalem, de la Judée et de la Samarie, faire retentir
leur témoignage jusqu'aux extrémités de la terre (2),
Voyez ces hommes si faibles, si grossiers, se jeter auda-
cieusement au milieu du monde, non pas dans les petites
bourgades, où ils pouraient espérer de convenir des
hommes aussi peu instruits qu'eux , mais dans les villes
les plus célèbres , où les lettres sont le plus cultivées , les
sciences le plus florissantes, la philosophie le plus en
honneur; c'est là, c'est où ils trouveront plus de vi-
cieux à réformer, plus de superstitieux à éclairer, plus
d'incrédules à convaincre , plus de savants à confondre ,
plus de fatigues à essuyer , plus de dangers à braver ,
plus d'obstacles de tout genre à surmonter , qu'ils vont
arborer l'étendard de la foi. Suivez Pierre à Antioche et
à Rome , Paul à Eplièse , à Corinthe , à Athènes : partout
où vous saurez que sont les lumières , les talents , les
connaissances , c'est là que vous trouverez les apôtres (3).
(i) Voyez deuxième Dissert., part. 2 , cbap. i, n° xvi , p. 228.
(2) Eritis mihi testes in Jérusalem , et in orani Judaea et Samaria ,
ei nsque ad ultimum terrae. {Act. 1,8.)
(3) Sane dura ego mecum ia studio veritalis hojasce rei rationem
exploro , nollam plane in ea vim ad probandum idoneam , neqûe
grave quidquam aut fide dignum invenio , at ne piobabile quidem ;
nsque adeo ut fatuum saltem quempiam illi in suam sententiam tra-
I
SUR LA RELIGION. 451
L. Je crois que le fait que je m'étais proposé de prou-
ver, l'est complètement; savoir: que par la manière
dont les apôtres s'y sont pris pour prêcher l'Evangile ,
ils ont ajouté de nouvelles difficultés aux difficultés déjà
si énormes que présentait leur prédication. Il reste donc
certain que non-seulement ils ont méprisé, rejeté tous
les moyens humains, mais que même ils les ont mis
contre eux , et qu'ils se sont fait des obstacles de tout ce
qui aurait pu leur servir de ressources.
ARTICLE V.
L* autorité publique était-elle favorable ou contraire à lu
propagation du christianisme ?
LI. Le christianisme , pendant ses trois premiers
siècles, a été constamment contrarié, et presque toujours
persécuté par l'autorité souveraine. Cette vérité est évi-
dente pour quiconque a la plus légère notion de l'his-
toire de ces siècles.
La religion chrétienne était encore concentrée dans la
Judée , et déjà la fureur persécutrice, qui avait fait périr
son auteur, se déployait contre elle. Dieu a voulu que,
dès l'instant de sa naissance , avant qu'elle eût pu
prendre aucune force, elle fût en butte à la rage de
l'enfer , afin de montrer aussi clairement qu'il soit pos-
here possent. At rnrsns dum ad ipsias verbi potentiam respicio nt
innnmerabilibas borninum couventibas persuaserit , atqae ut ab
ipsis illls ignobilissimis, et agrestibas Jesu discipulis rmruerosishirriae
ecclesiae constitutae sint , non in quibusdam ignotis atqoe obscuris
locis , sedin clarihsimis civitatibus erectae , in ipsa , in'jnain , aliarum
nrbiam regina roraana orbe , in Alexandrina , in Antbiochensi , per
totam .Egyptiim ac Libiam , per Earopam atqae Asiam , in vicis et
regiunibas , omnique modo variis gentibas ; rétro cogor necessitate
qnadain ad ipsias rei causam inquirendam recnrrere , fateriqne , non
aliter ipsos facinus tam audax obtinuisse, qnara diviniori quadam
longeqae huinanam superante potentia. {Eusel/., demonst. Evang. ^
lib. m. )
452 DISSERTATIONS
sible , que ce n'était pas par sa propre puissance , mais par
une vertu toute divine, qu'elle résistait aux terribles
efforts de ses ennemis (1). A peine les apôtres ont-ils
ouvert leur prédication , nous voyons le sanhédrin les
menacer, s'ils osent la continuer, et, sur leur désobéis-
sance, les emprisonner et les faire battre de verges (2).
Bientôt après vient le martyre de St. Etienne (3) ; il est
suivi d'une persécution qui disperse les fidèles dans toute
la Judée (4). Saùl, depuis l'un des chefs du christia-
nisme, l'est d'abord de ses persécuteurs (5). Bientôt le
roi Hérode se joint aux Juifs , il fait périr par le glaive
(i)Qaot enim bella adversas ecclesiam concitata sont ! Quot exer-
citus instracti ! quae arma mota ! qaod non crucialus et supplicii
gênas excogitatuni ; saitagines, catopaltae, lebetes , fornaces , lacus
et praecipitia , bestiaram dentés, maria et prosciipliones , abaque
tormentorum gênera, neque dictis memoranda , neque factis tole-
randa.... Nihil taraen boium dissolvit ecclesiam ; ac ne infirmiorem
qtiidem reddidit. Atque id sa\ie mirum et incredibile , quod baec ex
ipsis statim primordiis mota sunt. Nam si tune irruissent baec acerba,
postquam radiccs jam egerat , et nbiqne terrarum plantatum erat
evangeliara , hand perinde fuisset admirandum non fuisse subversam
ecclesiam. Caeternm cum in ipso doctiinae exordio , nuper jacto fidei
semine , teneris etiamnum auditorum mentibus , tôt bella eruperint ,
res nostras non sohim nulla ex parte fuisse diminutas , verum etiam
mnltam accessionem adjunctam fuisse, hoc nimirum snperat orane
niiraculum. Ne quis auiem dicere possit quod nunc ecclesia , post
parem a regibus prat-bitam constituta sit , cura esset minor , cum
videretur imbecillior , tune illam oppugnari permisit. Deus , ut edis-
cas , etiam quod nnnc in tuto sit, non tribaendum esse paci quam
praestant reges ; sed a potentia Dei proficisci. (S. Joann. Chrjsost.,
contra Judceos , Orat. iv, n° 2.)
(2) Voyez Act. , cap. m et iv.
(3j Toyez Act. , cap.' vu.
(4) Facta est autera in illa die persecutio magna in ecclesia qaae
«:at Jerosolymis : et omnês dispersi sunt per regiones Judeae , ex-
ceptis apostolis. {Act. viir, i.)
(5) Saulus autem devastabat ecclesiam , per domos intrans , et tra-
hens vitos ac mnberes tradebat in custodiam {Ibid. 3.)
Saulus autera spirans minarum et caedis in discipulos Domini ac-
cessit ad principem sacerdolum , et petiit ab eo epistolas in Damas-
cnm ad synagogas ; ut si qnos invenissel hujus vitae , vinctos perdu-
ceret in Jérusalem. {Ibid. , ix , 1,2.)
SUR LA RELIGION. 453
St. Jacques le majeur; il fait mettre en prison, pour le
livrer au supplice , après la Pàque _, Tapôtre saint
Pierre (1) , qui est miraculeusement délivré (2;.
De la Judée, les apôtres vont se répandre dans les
diverses nations, pour les convertir à la foi. La haine
des Juifs les y suit (3). Ils écrivent dans tous les pays
pour soulever contre eux les esprits. Ils sont la cause
principale des contradictions que le ministère aposto-
lique éprouve de toutes parts dans les commencements
de la dispersion (4).
LU. Cependant le christianisme, triomphant de ces
premiers obstacles , prend de tous côtés de nouveaux
accroissements, et en même temps la rage de ses enne-
mis prend de nouvelles forces. Une scène de persécution
bien plus désastreuse va s'ouvrir. L'orgueil philoso-
phique humilié, les préjugés de tout genre combattus,
les passions réprimées ont intéressé à leur cause les
maîtres de la terre, plus vains , plus entêtés, plus
corrompus encore que leurs sujets. Voilà les Néron, les
Domitien , armés de toute leur cruauté, et poursuivant
de toute leur puissance la religion naissante. Ici com-
mence, pour durer pendant deux cent cinquante ans,
entre l'empire et l'Eglise _, une lutte d'un genre extraor-
dinaire, que les siècles précédents n'avaient jamais vue,
qui fera l'étonnement de tous les siècles qui sui-
(i) Eodem lempore inisit Herodes rex manns, ut affligeret quos-
dam de ecdesia. Occidit autem Jacobum fratern Joannis gladio. Yi-
dens aateru quia placerei judaeis apposait at apprehenderet et Petrum.
Erat antem dies azymomin. Qaem cam apprehendi.^set , misit ia
carcerern, tradens quataor quaternionibas militum custodiendam,
volens post pascha producere eum pupulo [Ibld i, 2, 3, 4> )
(2) Voyez Act. v , et suiv.
(3) Uude etiam nanc jadaei non moventur adversas gentiles , ad*
versam eos qai idola colunt et Deura blasphémant, et eos non ('de-
rant, nec indignantnr a vérins eos, Adversum cliristianos vero insa-
tiabili odio feruntur, qni utique relictis idolis ad Deum conversi sont»
(On'gen. in psa/m. xxxvi, horail.i, n° i.)
(4) "Voyez deasième dissert. chap. 2, n" m, note 3, page 267.
454 DISSERTATIONS
vront(l). Deux siècles et demi s'écoulent, sans que le
glaive destructeur s'arrête. On compte , il est vrai ,
vulgairement , dix persécutions formelles ; mais on peut
dire que réellement il n'y a eu qu'une persécution
(i) Historia rertim gestarcm manifesta est, nec explanalione indi-
jjet. Ex lis laraen quae gesta &unt visibilibus , nostri dornini Jesu
Salvatoris bella et triamphos quos egerit contemplamar : quamvis
etiam in ipso haec visibiliter cernamus expleta. Convenerunt enim
reges terrae, senatus popnlasque, et principes romani, nt expngna-
rent nomen Jesu, et Israël simul. Decreverunt enim legibus suis, ut
non sint christiani. Omnis civiias, oranis ordo christianorura nomen
impugnat. Sed sicut tnnc omnes illi reges contra Jesom nihil facere
polnerunt, ita vel principes , vel potestates istae contrariae, nt non
chrislJanorum genns latius ac profusias propagetar , obtinere non
valebunt. ( Origen. in lib. Jesu Nav. , bomil. ix , n° lo. )
Possumus hoc et de persecntionibns quae nostro accidere popnlo,
a diebas Neronis, de quo scribit apostolus, et liberatus est de ore leo-
nis ^ usqne ad Maximini tempora dicere. (5. Hier on. ^ comm. in Je-
rem,, lib. iir , cap. i6*)
Idcirco bellum exarsit grave, omniumqne ssevissiraum. Omnia tu-
multu, perlurbationé ac seditione redundabant; urbes , omnes po«
pnli , ac domns omnis, omnis regio , sive incolta esset, sive déserta,
qnod nimirnm antiquae consuemdines labefactarentnr , et qaae tandia
obtintierat anlicipata opinio convelleretnr , cam nova dogmata inve-
herentar, qaaî nemo onquam aodiverat, adversos ista saeviebant re-
ges, indignabantur magistratus, privati tumnltaabantar , fora pertar-
babantuf , tribunalia concitabanlur , slringebantur enses , arma
parabantar, et leges succensebant. Inde supplicia, pœnae, minaeqae,
ac cuncta commovebantnr qaae inter boœines gravia censentnr. Qae-
madmodura cumiratum est mare atque infausta naufragia partarit , ni»
hilominns in meliori erat in statu orbis terrarum, cum religionis causa
fîlinm pater abdicaret , a socra nurus discederet, fiatres dividerentur,
domini in famulos indignarentur, natura quodamn^odo in se ipsam
seditione commota insnrgeret ; nec civile tantam , sed gentile bellam
donios omnes pervaderet. Verbara enim, gladii in morem penetrans,
et quod morbidam erat asano resecans, inagnam ubique seditionem,
et contentionem excitabat : et effîciebat ut innnmerœ undique adver-
sns fidèles inimicitiae , pngnapque insurgèrent. Hinc fiebat ut in carce-
rem alii detrnderentnr , alii ad jndicia raperentur, et ad viam quae
ducit ad mortem : atque boruni qaidera bona publicabantur , illi vero
patria et vit;, ipsa persaepe prîvabanJur : et ex omni parte , crebrius
qnam nix décidât, malis obsidebatur. (5. Joann. ^ Chrys.^ homil. de
Gloria in tribul.^ n° i.)
SUR LA RELIGION. 455
continuéfi pendant tout ce temps. Tous les empereurs
n'ont pas donné des édits pour faire punir les chrétiens;
mais presque tous, ou ont ordonné, ou ont souffert
qu'on exécutât ceux de leurs prédécesseurs. A peine sur
le grand nombre de princes qui ont occupé le trône
depuis Néron jusqu'à Constantin, s'en trouve-t-il trois
ou quatre qui aient défendu la persécution. On ne voit
pas que le fanatisme atroce des gouverneurs de pro-
vinces, qui excédaient les ordres de leurs souverains,
ait jamais été réprimé, et on connaît des martyrs sous
presque tous les règnes (1).
(i) Namera qnot tyranni ab illo terapore adverses illam instruxe-
rant aciem , qnot gravissimas persecutiones excitarant, qao in statu
fides fnerit toto illo quod praeteriit tempore, quando recens plantata
erat, quando teneriores erant bominum mentes. Gentiles erant im-
peratores, Aogastus , Tiberins , Caïus, Nero, Yespasianus , Titus,
et post illum onines usque ad tempus beati Constantini imperatoiis :
omnesqne illi alii minus , alii vehementius ecclesiam oppngnabant.
OppjJgnabant tamen omnes. Qaod si qui eorum visi sunt mitius âge-
re , boc ipsura tamen qaod iraperatores palam in iinpietate viverent,
materia bellorum erat : cum aUi , qui ipsis adulabanlur , graliam illo-
ram captantes, ecclesiae bellom inferrent. (S. Joann. Chrys. ^ Homil.
quod Christus si't Deus^ n° i5.)
Piscatorum vero et Pnbb'canorura , tentotiorumqne opificis leges ,
non' Gains, non Claudias dissolvere poterunt , nec illorura successor
Nero. Hic enim, tametsi duos optimos législatures siistulerit (Perram
namque et Panlnm interfici jussit), at leges cam legislatoribus non
snstulit. Non Vespasianus , non Titus, non Domitianus ; quamvis
multis ac variis maohinationibas eam ôppugnaret. Multos en^m qui
se legibus iliis addixerant de medio sustulit, ornne tormentorum ge-
nns in eos intendens. Trajaims insuper, atque Adrianus veberaenter
contra has leges insurrexernnt. At Trajanus Persarum quidem irape-
riam suhvertit, Arraeniusque Romanorum freno subjecit, et scylbas
nationes sceptrissuis parère corapulit : piscatorum tamen , suforisque
leges abolere non potuit. Et Adrianus urben eorura qui Jesum cruci-
tixerant funditus evertit : sed eos qui in illnm crediderant abducere
ab ejus servitule non potait. Antoninns qnoqne qui Adriano sncccs-
sit , et "Verus rjus lil.us multa et praeclara, devictis barbaris, tro-
phœa excitaverunt , suoque jure vi%'entibus pi.pulis jugum romana?"
ditionis imposuernnt : neque tamen eos qui salutare crucis jngum
:)daraarunt; , aut vi , aat suasionibns irapulcrunt ut raissnra facerent
quod adamaranf : quamvis illos, et m.ignis minis terrèrent, etpluii-
456 DISSERTATIONS
Jetons un moment les yeux sur les affreuses consé-
quences qu'entraînait la profession du cliristianisine.
Se déclarer elirétien était, d'une part, s'assujettir à la
pratique des vertus les plus austères, et de l'autre, se
livrer au mépris qu'inspirent les vices les plus détes-
tables. La foi des chrétiens était accusée d'athéisme (1) ;
mis sappliciis cruciarent. Atque nt Commodum , Maximinumqae
omittam , caeterosque onines , qui ad Aurelianum usque , et Caruru
Carinumque regnarunt, quis Diocletiani et Maxiraiani , Maxentii,
Maximini, Liciniique contra thristianaru pietatem friror fuerit , quis
ignorât ? Neque eiiim singulos isli, binosve au» ternos e christianis
impetebant : sed plurimos gregatim, et millenos simul, et decies mille-
nos triicidabant. Quibusdain etiam in urbibus plenas viiis et feminis
et pueris ecclesias incenderunt : atque in ipso salulifer» passionis
die in quo et passionis et resurreelionis dominicae raemoriam cele-
bramus, omnes ecclesias quae in romanis finibus erant destruxerunt.
Yerum illilapiduin quidem structuram , compagemque demuliti sant :
«nimarum vero pietatem non sustulerunt. ( Theod. , serra, ix , de
Legibus. )
(i) Inde ortnm est ut athei appellaremur, Atque atheoi quidem
uos esse confitemur, si de opinatis ejusmodi diis agatur. Secus vero
i\ de verissimo illo et jastitiae ac temperantiaf-, ac cœterarum virtu-
tuni pâtre, nulla admixta vitiositate, Deo. (5. Justin.^ Apol. i,
cap. 6. )
Vide igitur an possint qui talia edocentur indifferenter vivere , et
in nefariis flagifis volotari, aut quod omnem impietatem superat,
carnes humanas attingere. ( Theoph. ad Antol. , lib. m, cap. i. )
Tria nobis affingunt criraina; atbeismura, tbiesteas cœnas, œdipo-
deos concubitus. Quœ si vera snnt , nulli parcite generi : pœnas sce-
lernm repetite : radicitus nos, cuni nxoribus et pueris delele si quis
ferarnm ritu vivit. {Athenag., légat, pro Christ.^ n° 5. )
Nunc enim ad illara occultorum facinorum infaraiam respondebo ,
ut viam mihi ad manifestiora pnrgfm. Dicimur sceleratissimi de sa-
cramenlo, infanticidii , et pabnlo ante et post conviviuni incestos ,
quod eversores luaiinum canes , lenones scilicet teiiebras tum et libi.
dinnm irapiarum inverecundiae procurent. ( Tert. , Apol. , cap. vu.)
Qua in re similis (Celsus) videtur esse judaeis, qui cnm primum
cbristiana doteielnr religio, calomnias adversus illam spargebant ,
mactari a christianis puerum , ejns carnibns vcsci illos, et opéra tene-
brarura peragere volentes, extinctis lurainibos , cum obvia qujiqne
singulos commisceri. ( Origen. contra Celsum, lib. vi, n° 27.)
Et nos enini idem fuinius , et eadem vobiscura quondam adhuc cseci
et hebeles seutiebamus, quasi christiani monstra celèrent, infantes
SUR LA RELIGION. 457
l^uis assemblées, des barbaries les plus atroces; leur
culte, des dissolutions les plus honteuses. Tout chrétien
était , aux yeux du peuple aveii^lé, un infâme ennemi
des mœurs, un scélérat ennemi de la patrie, un rebelle
ennemi des Césars , un impie ennemi des dieux.
LIV. Et ce n'était pas seulement au mépris public
que les chrétiens se dévouaient; c'était avec le mépris,
l'exécration générale qu'ils encouraient , les persécu-
tions les plus violentes qu'ils subissaient. Un écrivain
anglais a prétendu que le nombre des martyrs avait été
fort exagéré (1). Ce n'est pas ici le lieu de discuter
son opinion ; contentons- nous de renvoyer aux réfu-
tations qu'en ont faites plusieurs savants , spécialement
D. Ruynart(2). Mais ce que Dodwel reconnaît d'après
les témoignages de toute l'antiquité, c'est l'atrocité des
tourments infligés aux chrétiens. Les spoliations , les
bannissements, les emprisonnements, la mort, sont
leurs moindres supplices. Il n'est permis à leurs bour-
reaux de les faire périr, que lorsqu'ils se seront lassés à
les tourmenter. Tout ce que la rage des hommes, guidée
par les fureurs de l'enfer, peut inventer de tortures,
est souvent réuni sur un seul chrétien. Tantôt on varie
les tourments pour les faire plus douloureusement
ressentir; tantôt on les suspend, pour se donner le
plaisir d'en voir prolonger la durée. Le sexe le plus
aible , l'âge le plus tendre, sont en proie à ces barbaries
raflinées(3). Que l'on ne nous accuse pas ici d'exagé-
vocarent, couvivia incesta miscerent. (Minullus Félix Octawius ,
cap. XXVIII. )
Ergone impiae religionis sumas apnd vos rei , et quod caput reram
el colamem venerabilibns adimas obseqoiis, ut convitio ulamor ves-
tro, infaasti et albei nuncupamur ? {Arnob. adv. génies, lib. t,
cap. 29.)
(i) Dodwel, dissert ationes cyprianicse: dissert, xi, de Paucitate
Martyrum.
(2) Acta sincera martyram. Prcefatio.
(3) Et qoid tara longa nobis aniiqaoram exerapla revolviraus? la
ocalis nostris saepe \idimns mulieres et virgines primse adhac aetatis,
Dissert, sur la Relig. 20
458 DISSERTATIONS
ration. Il n'y a qu'à relire le texte de Tacite que nous
ivons rapporté ; on y verra Néron se faisant de sa cruauté
un amusement, tantôt couvrir les clirétiens de peaux de
bêtes pour les faire décliiier par les chiens, tantôt les
attacher en croix, tantôt les enduire de matières en-
flammées pour éclairer ses jardins pendant la nuit(l).
Libanius, philosophe païen , rapporte aussi les énormes
cruautés exercées contre les chrétiens ; et il dit que
l'enipereur Julien s'en abstint, parce qu'il en avait
reconnu l'inulilité (2). Ces récits d'historiens, qu'on
pvo inurtTrio tyrannica perfnlisse lormenta , quibus ad infîrmitatera
sexns novellse adhnc vitae fragilitas aHdebatur. {Origen. in librum
Judicnin , Hoinil. ix, n° i.)
Gujus numéro nec virgines desnnt, quibas ad sexagenaiium fruc-
lum ceiitenns accessit, quasque ad cœ'.estera coronam gloiia geiuiiia
provexit. In pancis quseqae virtns major aetatc annos sucs confessio-
nis laude transcendit; nt martyrii vestri beatum gregem , et sexus et
aeias omnis ornaret. [S. Cyprian.^ epist. lxx.vii, ad Nemesiamim ,
et cceter. Mart. j
Beatas etiam feminas qnae vobiscam sont in eadera confessionis
gloria constitatse , quae dorairicam fidem tenantes , et sexn sao fur-
tiores, non solam ipsae ad gloriae coronam proximae sunt, sed et
caeteris qnoque feminis exemplam de sua constantia praebnerunf. Ac
ne quid deesset ad gloiiam numeri vestri, ut omnis vobiscum et
sexus et cXfas esset in honoie , paeros efiaiu vobis gloriosa confes-
sione sociavit divina dignatio; rcprae^entans nobis taie aliquid, qaale
Anan'as, Azarias et Misael , illustres pueri abquando fecerunt, [Idem^
epist. rxxxi, ad Sergiuin Rogationnin et ccet. Cofif.)
(i) Voyez ci dessus no vi , note 4, page 4o5.
(1) Et multnm quidem metaebant ii qui corrupfam sequf-bantur
religionem; planeqne expectabant fore ut oculi ipsis eriperentur,
capite praescinderpntur, et ob caedes multip'ii'es sanguinei ex-sterent
fluvii , novaque Dominum novum torraenlorum gênera credebant in-
venturum, cum quibus comparata levia viderentur, fernim et ign's,
submeisionesque et vivorum defos^iones, mu'ilationes item et ampu-
tationes. Talibus enim ineos suppliciis qui olim imperarant fuerant
usi ; multo auiem graviora nunc expectabanlur. Julianus tamen ab
iis qui ista, adversus eos palraverunt toto animo disscnsit; utpote qui
id inteiidebant consecati non fnerint ; ipseque nihil ejusmodi tormen-
fis utlitatis ine^se animadvertit His itaque subnixus rationibus,
resque ilîotum csedibns capere incieraenta edoc'us, vifavit illa quae
approbare non po'erat. (Liban., orat. parentalis in Julianum^ n°
58, 59.)
SOR LA RELIGIO:«. 459
n'accusera certainement pas de partialité en faveur du
christianisme , confirment et rendent croyable tout ce
que les auteurs ecclésiastiques les plus respectables
racontent des barbaries exercées contre les chrétiens (1).
LY. Au milieu de ces épouvantables persécutions ,
comment l'Eglise , encore dans la faiblesse de son
enfance, peut-elle se soutenir? Disons plus ; comment,
sous les coups dont elle est continuellement frappée,
(i) Innoxioî, JQstos, Deo charos, domo privas, patiimonio spo-
lias, caienis preinis, carcere inclndis, gladio , bestiis , ignibus pu-
nis : nec saltcm contentas es domornm nostrorum compendio , et
bimplici ac veloci brevitate pœnarom, admoves laniandis coqîoribus
longa tormenla; multiplicas lacerandis viscenbus naraerosa suppli-
cia : nec feritas atqne iramanitas tua nsitatis potest esse contentit
formentis. Excogitat novas pœnas ingeniosa ciudelitas. Qnae haec est
insatiabilis carniticinae rabies? Qaae inexplebilis libido saevitiae ^ (S,
Cjrprian. ad Deinetriatn.)
Cum deligati fuissent, subdebatar primo pedibus îevis flararaa
tamdiu donec callnm solornm contractnm igné ab ossibus levellere-
tnr. Deinde incensae faces et extinctae admovebantor sjngulis mem-
bris : ita ut locus nullus in corpore relinqneietur intactus : et inter
haec suffandebatur faciès aqua frigida, et os huiuore ablaebainrj ne
arescentibus siccitale faacibns cito spiritus ledderelur : quod pos-
tremo accidebat , cnra per miiltam diera , decocta orani cote , eis ignis
ad intima viscera peiietrasset. Corpora JHm cremata , lecta ossa , et in
palverem comminuta jaciabantur in flaïuine ac in mari. (Lactant.,
de Mort. Persec, cap. xxi. )
Depirgamns ergo in anima no->tra hos jacentes in sartagine, illos
antem saper carbones extensos, hos in lebetes dejectos, illos in mare
demersos , alios laceratos, aiios in rota Jisturtos, alios in praecipi-
tiam actos; atqae hos qaidera cum bestiis depugnantes , illos vero in
barathrnm devolutos , alios, ni cuiqae contigit, mortem obeuntes.
(S. Joann. Chrysost., Homil. in SS. Martyres, n° 3.)
Neque vero siinpliciter fidem fecerani : sed tantam fidem plarimis
infixerant, nt raoïtem pro bis doginatis libentissime oppeterent, ea
qaae inficiari jobentibas lingaas minime proderent : sed flagris hu-
roeros caedere volentibus , et lampadibas, ungulisque latera , et cer-
vices gladiis supponerent; et tympanis ac fîdiculis extenderentur, et
palis infigerentar ; el tl^mmis exorerentiir ; et ab immanibus feris
lauiari corpora sua confîceren?. ( Theod., Serm. vrii, de Martyr. \
Qaae enim pœnaram gênera noviinas, quae non jam vires marty-
rura exercuisse gaudemus. Alios namque improviso icta immersas
jngulo gladius stravit : alios cracis pdtibalam affîxit; in que et mors
460 DISSERTATIONS
peuL-elle croître et se fortifier (1)? Dans rordre des
choses humaines, le meurtre des chefs est l'anéantisse-
ment de leur p ati ; ici , il en est l'agrandissement. Le
zèle ardent des apôtres paraissait nécessaire à l'afFer-
niissement du christianisme ; c'est par leur mort que le
christianisme s'aflcrmit(2;. Les colonnes qui soutenaient
piovocata repellitar, et repuisa provocafnr : alios hirsutis serra denli-
bus attrivit : alios armata ferro insnicans ungala carpsit : alios bel-
luina rabies morsibus detruncando comtninoit : alios ab intimis vis-
ceiura pcr cutem pressa vis vcrboroin rapit : alios effossos terra
viventes operuit : alios in altum demersos in morteni praecipilicm
Iregit : alios in se projectos aqua replendo absorbait : alios edax
flamiua usqne ad cineres depasta consumpsit. (5. Gregor. Magn.
Moral. ^ lib. xxxii , cap. i5, n° 24.)
(i) Netninem autem esse qui nos in Jesara per totum orbem ter-
rarum credentes exterreat, et in servitutem redigat, in promptu est.
Dure enim gladio percutimor, dum crucifigimur, dura feris tradiniur,
et vinctilis et igni , et omnibus aliis tormentis , a confessione ut ma-
nifeslum est , non discedimus : sed quanto magis niagisque talia no-
bis inflignntnr, eo plures alii per nomen Jesn fidèles et pii fiunt;
Qarmadiuodnm vitis, si quis partes illias ainputet quae fructum fe-
runt, ita proficit, ut alios florentes et fructiferos palmites rnrsns
proférât. Idem nobis quoque evenit. (5. Justin, dial. ciim Tryph.y
cap. ex. )
Nam sane in eccles'a mirabile est, non quod vicerit sed quod ita
vicerit. Impulsa enim, vexata, innumeris confusa modis , non modo
non rainuebatnr, sed major evadebat : et eos qui id faor-re tentabant ,
patiendo tandum profligabat j id quod adamas ferro impetitus facit,
dura percussns tantum solvit percutienris robur. (5". Joann. Chry-
sost., interp. in Isaiarn, cap. ii, n° 2.)
Ab initio in sanctos quoque Israël impii sœvierunt : sed ecclesia .
sive in juventute sua, sive in aetatp majore, sive in senectuie ultimi
saeculi , nullis oppressionibas , nullis est victa suppliciis ; cuiqae pas-
siones et mortes snorum coronae semper triumphique creverunt. [S.
Prosper, Expos, in psalm. cxxviir.^
(2) Immo vero longe majora sunt et clariora quœ ab illis post-
quam bine abiere gesta sunt. Corn enim corpore induti inler bomi-
nes versabantur, modo ad hos, modo ad illos populos accedebant;
et nunc Romanos, nunc Hispanos ant Celsas alloquebanlur. Postquam
vero ad illura se receperunt a quo missi fuerant , omnes ill.'s continuo
perfruuntur, non solutii Romani , qnique Romanoram jugum amant ,
et ab illis gubeinantur, sed et Persse, et Scythae et Massagetes, et
SCR LA RELIGION. 461
l'édifice sont abattues , et l'écUlke n'en devient que plus
solide. De leur tombeau sort une multitude de chré-
tiens, qui volent au même martyre, pour devenir
souvent à leur tour une semence de nouveaux cliré-
tien^s. Plus on en massacre, plus il s'en forme (1). Pour
un que l'on égorge, mille entourent leséchafauds, avides
d'y monter. La cruauté des tourments est l'attrait qui
fait les chrétiens. Paul , de persécuteur , devenu apôtre ,
trouve une multitude d'imitateurs, et les bourreaux
eux-mêmes souvent ambitioiment de devenir victimes.
Ils pourraient, ces hommes que l'on place entre les
récompenses, s'ils abjurent , et une mort affreuse , s'ils
persévèrent , détourner d'un seul mot ces tortures de
leurs tètes (2j; mais c'est à les subir qu'ils aspirent (3).
Sarmatce, et Indi , et .'Ethiopes . atqie, ni seinel dicam, omnes fines
terrae. [Theod., serin, vin, de ilJarrj-rfèus.)
(r) Nec quidam taraen proHcit. Exjuisitior quippe cndelitas ves-
tra illecebra est magis secîae. Plares efficimur, qaoîies nietimar a vo
bis. Semen est martyrum sangms chti^tianorarn. ( TertuU.^ Apol.^
cap. xLviic. )
Nobii aotem sant qaotidie redondantes martyrum fontes, qai nos-
tris speclanfur ocnlis, qni torrenlur, torquentiir et capite trancan-
tnr. (S. Clemens Alex. Stroin. lib. u, cap. 20. )
Sclrans enim plnres sacramenturam divinoram ignaros exemplo
martyrum ad martyrium cucarrisse ; et extra scientiam fidei ante vi-
ventes , facto fidei prsesentis efloctos, ipsam illam consamraatse in
martyrio fidei gloiiam consecutos. {S. Hilar,^ Tract, in psalrn. i.xv,
n'' 26.)
Occisi snnt et martyres : ad multiplicandam eccleaiam valuit sanc-
Ins sangnis effnsas : seminationi accessit et mors martyrum. (5. An-
gnst.^ Enarr. in psalm. xl , n° i.)
(2) Eant Romani , et Mntio glorientnr, ant Regulo , quorum aller
necandam se hostibns tradidit , quod cap'ivum jmdait vivere, alter
ab hostibus deprehensos, cam videret moneni se vitare non posse ,
manum foco injecit, ut pro farinore suo satisfaceret hosti quem vo-
luerat occidere , eaque pœna veniam qoam non mernerat accepit.
Ecce sexQS iufirmus, et fragilis, aeias dilacerari se toto corpore,
urique perpetitur, non necessitate, quia licel ei vitare si vellet, sed
volnnfate, quia ror»fidnnt Deo. [ ÏMctant.^ Inst. Dii>., lib. v, cap'.
''3) Deniqne com omni saevitia veatra concertamas, etiam ultru
462 DISSERTATIONS
Ils pourraient, ces hommes si nombreux, et animés d'un
tel mépris de la vie, opposant la force à la violence,
eiurapentes, niagisque damnati qnam absolatJ gaadernus. ( Tertul-
liann. ad Scapulam ^ cap. i.)
Majora certaniina majora seqnantor prsemia. Crndelitas vestra glo-
lia est nosira. Vide tantuin ne hoc ipso qaod talia sustineraus , ad
hoc solam videamur eraropere, ut hoc ipsum probemos nos haec non
iirnere, sed nhro vocare. ( Ibid. cap. iv et v. )
Ad haec dicimus unara, nobis rationi consentaneam videri ex bac
vita exitum , cum scilicet pietatis, virtatisqne causa morimar. ( Ori-
gen. contra Celsum, bb. viii, n 55.)
Qaam pnlcbiuin spectaculurn Deo com christianns cara doloie
congreditur; cum adversus rainas, et suppbcia , et turmenfa compo-
nilur; cnm strepitum mortis et horroiem carnificis iriidens insultât;
cum bbertatem suara adversos reges ac principes eripit, sob Deu cn-
jns est cedit ; cnm triumphator et victor, ipsi qui adversum se sen-
tentiain dixit, insaltat. Yicit enini qui qaod conlendit obtinuit. {Mi-
nut. Fel. OcCav.^ cap. sxxvir. )
Que qnidem terapore mirabilem iraprimis animi ardorem , vereque
divinara virtutem, et alaciitatem eomm qui in Christum Dei credi-
deruiit , ocabs nostris conspeximus. Etenira vixdum adversus primes
lata erat sentenlia, cum alii , alinnde ad tribunal judicis prosilierunt ,
christianos sese confessi. Et pericula qnidem cunctaque multiforoinm
tormentorom gênera paivi dncebant. Supremi vero omnium numinis
cnltnra Lbera voce absque nllo iiietu profiiebantur , et cum gaudio
et bilariîate ridenies, capiiabm senteiitiam excipiebant : adeo ut in
laudem conditoris omnium Dei, ptalmos , hymnosque et gratiarum
acliones, ad exireraum usqiie s]-iii!um concinerent. (^Euseb. Hist.
Eccl.^ \\b. vyi , cap. g.)
Teiilationum autein gênera ul diversas raartyrum victorias con-
tucntes, scjmus qnibus ni.clis anima ponatar advitam, cujus con-
terap'.u , detaevientibus pœnarujn ingeniis , a fidei gressu et leslimonio
non moventur. Alii enim in vincnlis carcerem gloiiantnr, a'ii csesi
in verbeiibus gralnlantur ; alii potes! ati irrebgiosorura dcsecanda fe-
bcium capitum colia submittont. Plures in extrnctos rogos rurrunt,
et irepidaiitibus paence miuistiis ignera sabu devotae festinationis in-
sibunt. Alii in profundnm demergendi, non in aquas neraturas , sed
in refrigeriura aterna* beatndiiiis decidnnf , lo'o ipso se coipore Deo
tanquain holocausla praebentes. (S. Hilar., Tract, in psalm. lxv,
n° 21.)
Nunquara nobis am plias contoleiunt , quam cum verber;ui cLris-
tjanos, atqne proscribi ac necan juberent. Prieiuium fecii leligK»,
qaod peifidia j uîabaî esse suppiiciuii!. Per injurias, j er inupiam ,
SUR LA RELIGION. 463
faire à leur tour trembler leurs enuemis(l); mais un
devoir sacré les soumet à leurs persécuteurs. En bravant
le fer qui les frappe, ils respectent la main qui l'emploie.
Sous les coups de leurs tyrans ils ne cessent de prier
pour eux , et leurs derniers vœux sont encore pour la
prospérité de leurs bourreaux (2).
LVI. Voilà par quel moyen s'est établie la religion
chrétienne; c'est de persécution en persécution qu'elle
s'est étendue progressivement sur la terre; c'est sous
les coups que du trône des (césars on n'a cessé de fairt
tomber sur elle pour l'abattre , qu'elle s'est continuelle-
per supplicia nos crevimas. [S. A-nbros., epist. xvixi , Valentmia-
no , Do 1 1 . )
Non inviti martvres passi sunt, sed sponte ; et cam pênes illos
esset non pati, adamante qaohbet firmiorem exhibuere virtatem. (S.
Joann. Chrysost. in epist. primam ad Cor., Hornil. iv, n'^ 4.)
(i) Quid tamen anqnana denotastis de tam conspiratis, de tan»
anioiatis ad niortem usrjue pro injuria repensatum? Qaando vel una
nox pauculis faculis largitor nltionis posset opeiari, si raalum malo
dispnngi pênes nos iiceret. Sed absit nt, aut igni humano vindicelar
divina secta , aat doleat pati in quo probatur. Si eniin et hostes exer-
tos, non tantom vindices occnltos agere vellemas, deesset nobis vis
nnmerornin et copiarum? ( Tertull. Apol.^ cap. xxxvii. )
Inde est quod netno nostram, quaodo apprehenditur, relucîatur ;
nec se adsersns injns'arn violentiani vestiam, qnamvis niniiUs , et cu-
piosas noster sit populos, nlciscitur. {S. Cyprian. ad Demetriam.)
(î) Inde est inaperatur, nnde et hoino anîeqaam imperator. Inde
potestas illi , unde et spiriius. lUac snscipienles chri-tiani, nianibas
expansis qnia innocais, capite nado qaia non einbesoimus, deniqae
sine monitore, quia de pectore oraraus pro omnibus iiuperatoribus
vitam illis prolixam , iinperiom secnrum , doinum tntam , esercita-,
fortes, senatnin fidelem, popalum probnm, orbera qnietura, et qoae-
cnmqne bominis et Cœsaris vota sont — S-.c ita nos ad Deam ex-
pansos nngulae fodiant, cruces snspendant , ignés lanibant, gladii
gottura detruncent, bestiae insiliant : paralus est ad omne suppli-
ciam babitns orantis christiani. Hoc agite boni praesiiies : extorquete
animatn Dec sappHcantem pro iinperatore ( Tertull. Apol., cap.
XXX.)
Odiis vestris benevolentiam reddimas : et pro loimenî:s ac snpplt-
ciis quae nobis iiiferuntur, salutis itinera monstramas. (5. Cyprian.
ad Demetriati. )
464 DISSERTATIONS
ineiit élevée (1), jusqu'à ce qu'enfin elle se soit assise
sur ce trône qui voulait l'écraser (2). Je le demande à
tout lioniuie doué de raison : est-ce là un moyen naturel
de propager une doctrine? N'est-ce pas, au contraire,
le moyeu le plus puissant pour empêcher une doctrine
(i) Audiant gentes, anJiant jadxi, benefacta nostra andiant ,
inagnam ecclesise praeeminentiam. A qnam maltis oppagnata est ec-
clesia, nec taiiien victa! Quot tyranni, quod dnces, qnot imperato-
res , Angustiis, Tiberius, Gains, Clautlius, Nero , homines litteris
ornati, potentes. Tôt raodis oppugnarent recentein ac teneram : at
non radicitus sostulerunt.., . Oppngnati sont audecim discipnli : to*
tas orbis oppngnabat. Veruin qui oppagnabantor vicerunt : qui op-
pugnabant sablati sunt. Oves devicere lapos. (S. Joan/i. Chrysost.^
in illnd vidi Domitium , Hom. iv, n" 3.)
Fnndendo sanguinem et patiendo, magis qnam faciendo contame-
iias, fundata est ecclesia. Persecntionibus crevit : martyiiis conorata
est. (5. Hieron.^ epist. xxxix, ad Theophil.)
Ubi sunt qui dicebant : peieat nomen christianorum de terra. Cerfe
aut moriuntur, aut convertaniur..,. Cura dicunt ista, partira credi-
derunt , partira perierunt , partim timidi remanserunt. Qnanta ira
iniraicorara stcviebat, quando sanguis martyrnm fnndebatur.... Ecce
illi qni martyres perseqnebantar , meraorias martyram inquirunt,
(5. Augustin. Enarr. in psalm. cxxxvii, a° 14.)
Ligabaniur, inclndebantur, caedebantnr, torqaebantnr, nrebaniar,
laniabantur, trucidabantar, et mii'tiplicabantur. [Idem ^ de Civic. Dei^
lîb. I, cap. XIV, n° 5.)
Nec ullo crudelitatisgeTiere destrai potest sacramento crucis Chrisli
fnndàta religio. Non minuitar persecntionibns ecclesia : sed augetur ;
et .seraper dominions ager segeti ditiori vestitur, dura grana qnae sin-
gula cadunt raultiplicala nascuntur. Unde qno ista praeclara divini
seminis germina in quanfani sobolem germinaiint , beatorum niillia
martyrûm proseqauntnr; qui apostolicorum aemuli frinicpboruin nr-
bem nostram purpuratis, et longe lateqae rutilantibns populis am-
bierunt, et quasi maltarura honore gemmaram conserto une diade-
mate coronarunt. [S. Léo, serm. lxx^x, m nat. SS. a-:ostoîoruin Pé-
tri et Pauli, cap. 6.)
(2) Quis in initio nascentih ecclesiae crederet, dam contra eam ille
indomilus principatus ferrae, tôt minis et cruciatibns saeviret, qu>a
rhinocéros ille Deo sementem redderet; id est acceptam prsedicatio-
nis verbum operibas repensaret... Ecce enim modo pro ecclesia le-
ges promnlgat, qui dudujn contra eam per varia tormenta saeviebat.
( S. Gregor. ?lagn., Moral. ^ lib. xxxi, cap. 7, n° 9. )
SÛR LA RELIGION. 465
qui serait purement humaine^ de se répandre (1)? Que
l'on nous cite une autre doctrine qui se soit agrandie de
même par les efforts qu'on faisait pour la réprimer (2).
La nature de la chose , l'expérience , tout démontre
que le christianisme n'aurait pas pu se fonder, s'affermir,
s'étendre dans les violentes persécutions qu'on lui a fait
éprouver, s'il n'avait eu d'autre appui que les causes
naturelles. La force humaine employée contre lui , étant
la plus puissante qui existe, aucune autre force hu-
maine n'aurait pu le défendre et le conserver.
ARTICLE VI.
Résultai et confirmation des articles précédents.
LYIL Telle est donc, ainsi que nous venons de le.
voir, la religion, dont nous soutenons la vérité , et dont
nous disons que l'établissement même prouve la divi-
nité. C'est une religion regardée comme nouvelle , qui
fait disparai tre tout ce que faisait révérer une antiquité
immémoriale. C'est une religion , ennemie de toutes les
autres , qui les attaque sans ménagement et les abat
(i) Sed et chrislianos qaod bpf^ctat, senatuni roniannni, impeia-
lores diverbis temponbus , milites, popalos; ij.sos eorum qui crede-
Lant parentes, in eorum doctrinam conspirasse, ut tut nndique ho^-
linm insidiis tii canivaliata , haud dubie oppressa fQis>et , nisi diviffa
virtatc snsfentaia, non modo evasisset alque tMuersisset , sed etiam
orbera anivoisuin vicisset in se conjnratam. [On'gen. contra Celsuin,
iib. I, n" 3.)
(2) Et graecam qaidem philosophiam , si qaivis magistratus pro-
hibuerit, ea statini per.t. Nostram autem doctrinam a prima usqne
praedicatione prohibent simul , reges et tyranni, et siiiguli duces, et
magistratus cum aniversis sateUitibus, et innamerabilibns etiam ho-
minibus in nos belb'gerantes , nosqae pro vinbus ex(indere conantes.
111a antem mngis eti;im fluret. IS'on pnim emoritur ut doctiina buma-
na , ncqne flacessit ut dunum imbecillnm (nullura enim Dei donuiii
est irabecillom.) Manet aniem hojasmudi , nt probiberi neqnest; cnm
praedictam sit tore ut ea perpetno patialur perseccsionen:. (5. Clem.
yilex.^ Strom.^ !ib. vi, cap. i8. )
20*
466 DISSERTATIONS
sans retour. C'est une religion qui fait croire des dogme»
qui paraissent à la raison une folie , et qui , rompant des
attachements invétérés et généralement regardés comme
légitimes, fait chérir et pratiquer ce qui répugne le
plus à la nature. C'est une religion qui humilie , sous
la foi des mystères incompréhensibles , l'orgueil philo-
sophique jaloux de tout soumettre à ses lumières. C'est
une religion qui renverse tous les autels cimentés par
l'éducation, par l'habitude, par la politique, abat
toutes les idoles, et sur leurs débris dispersés élève un
gibet, et fait adorer celui qui y est suspendu. C'est une
rehgion qui , dissipant toutes les fictions , abohssant
toutes les fêtes dont l'imagination publique était en-
chantée 5 y fait substituer des dogmes austères et un
culte spirituel. C'est une religion qui fait adopter la
morale la plus sévère qu'aucun siècle eût connue , au
siècle le plus corrompu qui fut jamais, et qui, à des
peuples dont le bonheur consistait dans l'usage immo-
déré des passions , fait abjurer toutes les passions. C'est
une religion qui, avant de convertir le monde entier,
commence par transformer ceux mêmes qui l'annon-
cent ; qui , d'hommes timides jusqu'à la lâcheté fait des
héros de la plus extraordinaire intrépidité, et de pécheurs
ignorants et grossiers , des orateurs dont les discours ont
le succès le plus rapide et le plus universel qu'on ait vu.
C'est une religion qui inspire à ceux qui la prêchent le
mépris de la vie et l'ardeur de répandre leur sang,
comme en effet ils finissent par le répandre , pour la
soutenir et la défendre ; qui fait passer le même enthou-
siasme à tous ceux qui la reçoivent , et le transmet de
génération en génération à tous ses prosélytes pendant
plusieurs siècles. C'est une religion que les persécutions
les plus violentes , les plus soutenues , presque non
interrompues pendant une suite de deux cent cinquante
ans, non -seulement n'abattent pas, non-seulement
ii'arrêtent pas dans son progrès , mais semblent au
contraire propager; qui, à mesure qu'on inimoie de ses
disciples, en acquiert sans cesse de nouveaux en plus
SUR L\ RELIGION. 467
grand nombre; et qui , à force d'être contrariée, vexée,
tourmentée , finit par devenir la religion du genre
humain.
Il faut nécessairement dire de trois choses l'une:
ou que la propagation de cette religion s'est opérée sans
cause suffisante, et uniquement par le hasard, ou
qu'elle a été produite par une cause naturelle , ou enfin
qu'elle est due à la puissance surnaturelle de Dieu.
LYlIl. Dire que l'établissement de la religion n'a
point eu de cause serait une absurdité grossière. Il
n'existe point dans la nature d'effet sans cause. Le
hasard n'est rien; c'est un mot inventé par notre amour-
propre, pour voiler notre ignorance sur l'origine des
choses (1). Que ceux qui voudraient soutenir ce ridicule
système, nous expliquent comment le hasard aurait
pu produire un effet aussi prodigieux , aussi universel,
et engager la totalité des hommes au sacrifice de leurs
opinions, de leurs lumières, de leurs goiits, de leurs
affections , de leurs plaisirs , de leurs intérêts , de leur
honneur , de leur religion, de leur vie.
LIX. Si on aime mieux soutenir que c'est une cause
naturelle qui a produit la diffusion du christianisme ,
il. faut la nommer. Cette cause n'aurait pu employer
que des moyens de deux sortes, ou de persuasion, ou
de violence. Nous venons d'examiner les moyens de l'un
et de Tautre genre, et de voir que non-seulement ils
n'ont pas concouru à l'établissement de notre religion ,
mais qu'au contraire tous, sans exception, ont été des
(r) Fortuna er^'o per se r-ihil est, nec sic habendum est, tanquaru
sit in aliqno sensu. Si quidam fortuna est accidentiuni reruni fort ni
tus atqae inopinatas evenlus. Yerum philosophi nequando nun errent
in re sulfa voiunt esse sapienfes , qui forlunae sexiira mutant, eara-
que non deam , sicut vulgus. srd deuin esse dicunt Eanidem tamen
interdara naluram, inferdum forlonam vocant. Quod mnlta , inquit
Cicero, effici ut mopinata nohis ^ propter obscuntatein ignorantiam-
que causaruin. Cuni igilur causas ijjnorent propler qaas Oat aliquid ,
er ip>nm qni facial ignorent neces-e fS). (/Mctniit., D.vin. îiistit.,
Ib. ni, cap. 29. )
46S DISSERTATIONS
obstacles que la religion a été obligée de surmonter
pour s'établir.
LX. Il reste donc , et c'est la conséquence nécessaire
de tout ce que nous avons démontré, que le christianisme
ait été propagé par une force divine, qui ait dissipé
toutes les difficultés qui s'y opposaient (1).
Cette conséquence est encore confirmée par diverses
considérations importantes.
(i) Neque enim gentes quae erant aliénée a testiinonio Dei et con-
vcTsatione Israël crcdeie poierant evangelio , nisi per graiiam quae
apostolis fueiat data , per quain praedicantibus apostolis in fidem obe-
dire dciliM, et in oninem lerram de nomine Chiisti sonus gratia? eo -
ram comnieraoratnr exisse. {Orig. in epist. ad Rom. ^ lib. i, ii° 7.)
Sed nescio an hoino ansus per nniversum orbem suam religionem ,
doctiinamrjue saam disseminare, posset sine Deo facere oiunia pro
arbitrio , snperareqae eos onines qui suae doctrinae promulgationi ad-
versarentur, reges , iinperatores , senatani romatiam , omnes omnîura
gentiuin principes, popalom. Quomodo aatem et ho;niiiis natnra ni-
hil habens in seipsa praestantius posset tantae muliitudinis animos
immatare, nec tantiim sapienlium , quod. miruin esset, sed eoram
etiam qui nalla ratione ducuntar, qui vitiis dediti sunt , qaique eo
difficilins ad continentiam adducuntur, qoominus rationi snnt obse-
qaentes. Quoniam vero Christus erat, et Dei virlus et Patris sapien-
tia , haec omnia fecit , et etiam nunc facit. [Idem, contra Celsum , hb.
ir,n°79.)
Atque in principio qQideni ex uno lunlti nati snnt, cam lege na-
tiirae cresceret muhiludo : et ideo res tardius processit. lempore aa
tem apostoloiam, non lege naiurae , sed gratia crescebat multitudo :
et ideo uria slatim, deinde tria rnillia , deinde quinque miUia, dendie
innnmerabiles , deinde nniversos orbis terrae, per pnlchraiu banc re-
generationem edidit, ancîi sont et innliiplicati snnt, et qnam acce-
perant benedictionem Tactis ipsis ostenderunt. (5. Joann. Chrjs.^ Ex-
pos, in p salin, cxlvii, n** 4.)
Divina quinpe virtus erat, qaae baec omnia operabarnr apnd uni-
versos. Eieniui si non ita se res habuisset , quomodo publicanns,
piscator, et illiteratus, ha?c potui.ssent philosojihari ? Quœ enim ne
per somr.iom quidem caeteri imaginari potueraut ; bœc cum autori-
tale magna bi annnntiant et suadent, idque non solum in vivis agen-
tes, sed eiiam defancli; non duobus vel vigenfi bominibus, non
tenlenis vel m. lien s, \el decies milienis; sed urbibus , gcnlibus,po-
pobs, lerrae m;iriqae , Grasv^iae^ baibsrcram regionibiis, orbi et de-
sertis : idque rnm de scripsis ageretur naïuiani nttti.-im admodcm
exsuperanîibus. {Idem., in Matth.^ proœmiam, Hom I, n° 4. )
SUR LA RELIGION. 469
LXI. J'ai dit qu'aucune cause naturelle n'a influé
sur rétablissement de notre religion; mais je puis aller
plus loin, et prétendre qu'il n'y a pas de causes natu-
relles qui puissent établir aussi universellement une
religion quelconque, qui ne serait pas véritable. Que
les athées , les déistes , tous les ennemis de la foi
cherchent dans les ressources de la plus habile politique
les moyens correspondants à une telle entreprise; qu'ils
trouvent dans la nature des choses , des causes qui
agissent à la fois dans les régions les plus éloignées ,
et les plus diverses de coutumes et de mœurs , comme
de climats; dont le temps n'affaiblisse point l'influence ;
qui aient un égal empire sur tous les âges , sur tous les
sexes , sur toutes les conditions , sur tous les esprits ,
sur tous les caractères ; et qui , à une universalité aussi
étendue , joignent une force assez puissante pour déter-
miner à tous les sacrifices qu'exige le passage d'une
religion à une autre. Qu'ils appliquent ces moyens à la
religion qu'ils auront inventée. Tous ceux qu'ils auront
pu imaginer se réduiront, comme je le disais il n'y a
qu'un moment , à la force ou à la persuasion. Les
moyens de force pécheront toujours en deux points :
ils ne pourront avoir ni l'universalité , ni la continuité
nécessaire. Ce qu'ordonnera le souverain d'un pays ,
celui d'une autre nation le défendra. En admettant
qu'ils se soient accordés sur le fond de la doctrine ,
ils ne tarderont pas à varier dans les détails ; et bientôt
la religion ne sera pas la même dans les diverses
régions. Peut-on se flatter aussi que pendant plusieurs
siècles toutes les autorités qui se succéderont , auront
les mêmes principes , mettront le même zèle à main-
tenir , à propager une religion qu'elles sauront être
fausse? Pour soutenir cette hypothèse, que la force
publique peut faire recevoir une doctrine religieuse,
comme a été reçue la foi chrétienne, il faut supposer,
ce qu'il est raisonnable d'imaginer, un concert unanime,
d'abord de tous les souverains, ensuite de tous leurs
successeurs, après cela continué pendant deux cent
470 DISSERTATIONS
cinquante ans , enfin soutenu constamment sur tous les
mêmes points. Les moyens de persuasion pèchent par
leur faiblesse. Quelque génie que vous accordiez à un
philosophe , à un orateur, ses discours manqueront
toujours d'autorité. Ses auditeurs se croyant , et étant
véritablement en droit de juger ses raisonnements ,
n'en adopteront que ce qu'il leur plaira ; et c'est une
des causes principales, comme l'observe Lactance, qui
empêchait les enseignements des plus grands philo-
sophes d'acquérir l'universalité (1). Mais d'ailleurs, de
quelque art, de quelque éloquence qu'on enveloppe une
erreur , peut-on croire que , dans tout le genre humain ,
il ne se trouvera pas des hommes éclairés qui la décou-
vriront , et la feront apercevoir aux autres? Il n'y a que
celui dont l'autorité sur le genre humain est universelle
et toute puissante , qui ait la force de lui faire recevoir
sa doctrine. Il n'y a que celui qui peut inspirer la foi ,
qui ait le moyen de la persuader à tous les hommes.
LXII. Nous avons un exemple sensible de cette
impuissance des moyens humains à étabhr une religion
universelle et uniforme. L'idolâtrie, parce qu'elle flattait
les sens, parce qu'elle amusait l'imagination, parce
qu'elle favorisait les passions, était généralement ré-
pandue ; mais ce n'était pas une seule et même religion.
L'idolâtrie des Grecs , celle des Egyptiens , celle des
Chaldéens , celle des Perses , celle des Indiens , celle des
Gaulois , celle des peuples du nord , n'étaient pas les
mêmes. C'étaient, chez ces différents peuples, divers
dieux, divers dogmes, diveis cultes, Rome reçut à la
fin toutes les divinités des pays qu'elle avait conquis ;
mais elle ne força pas les peuples à recevoir cet amas de
dieux. Toutes ces religions continuèrent de différer et
(i) Quid igitur? Niliilne illi s^mile praecipiunt? îmmô per multa ,
et ad veruin fréquenter accedunt. Sed nihil ponderis habent ista prae-
cepta ; quia suât liumana, et ;iutoritafe luajori, id est divini illa carent.
Nemo gitur crédit : quia tam se honiinem putat esse, quam est ille qui
praecipit {Laclant.^ Div. Inst, lib. III, cap. 26.)
SUR LA RELIGION. 471
d'objets et de principes, jusqu'à ce que toutes les idoles
étant renversées , et Jésus-Cluist ayant pris leur place
sur les autels , sa religion fût devenue celle du monde.
LXIII. L'auteur de VEspril des Lois avance qu'hu-
mainement parlant , le climat met des bornes à la
religion (1). Je n'examLne pas ici si ce principe est véri-
table ; mais je crois pouvoir m'en servir contre les
incrédules, qui regardent cet écrivain comme un de
leurs coryphées, et dont plusieurs ont, d'après son
autorité, répété la même maxime et sans les menées
ménagements. Si le climat met humainement des bornes
à la religion, c'est donc une puissance surhumaine qui
a fondé et propagé la religion à laquelle la force du
climat n'a pas pu mettre de bornes, qui s'est étendue
de l'un à l'autre pôle , dans les nations brûlées du soleil
du midi , connue parmi les peuples qui vivent dans les
glaces du nord.
LXiy. " Le christianisme était prêché en même
« temps aux juifs et aux gentils. S'il n'eût trouvé de
« sectateurs que parmi les juifs , on ne manquerait pas
« de rejeter le succès sur l'ignorance, la crédulité, la
« superstition , si souvent reprochées à cette nation par
« les écrivains profanes. S'il n'eût été embrassé que par
« des Grecs et des Romains , on pourrait se défier d'une
u opinion qui se serait formée loin du théâtre des
« événements. Mais que répondre au suflVage réuni des
<« compatriotes et des étrangers (2j? <
LXy. Le christianisme, dans ses premiers temps,
a été embrassé par des hommes de tout rang et de
toute condition, par des savants et par des ignorants.
Nous avons prouvé cette vérité (3). S'il n'eût été , comme
Tout dit quelques incrédules , adopté que par la lie du
(r) Esprit des lois, 1 v. xxiv, chap. 26.
(2) Démonstration évangelique par 'M. Duvoisin, cinqxiiême édiiion,
page 178.
(3) Voyez deuxièiue Dissertation, [art. 2, cLap. iv, n" xxtv,
page 3 80.
472 DISSERTATIONS
peuple , cela donnerait du poids à leur objection , qu'on
a pu aisément trouiper des hommes crédules et inca-
pables d'examen. S'il n'avait eu de prosélytes que dans
la classe des Lommes éclairés, on prétendrait, avec
quelques autres incrédules, que des honmies qui recon-
naissaient l'absurdité du papanisme avaient été facile-
ment amenés à une autre religion. Mais le cliristianisme
ayant triomphé des préjugés des unes et des lumières
des autres, est évidemment au-dessus de ces vaines
difficultés.
LXVI. Pour se donner le droit de ne pas croire
la religion, les incrédules réchauffent les difficultés de
ses anciens ennemis, de Celse, de Porphyre, etc. Com-
ment ue sentent-ils pas que l'établissement merveilleux
de cette religion retourne contre eux leurs objections?
C'est malgré leurs sophismes , leurs subtilités , leurs
railleries, que l'univers s'est soumis à la foi. Tous ces
arguments que faisaient alors valoir les préjugés , les
intérêts, les passions, ont été connus et pesés dans la
balance d'une raison intéressée à les adopter. Le genre
humain a prononcé , malgré les sacrifices auxquels il se
dévouait, que tous ces raisonnements étaient vains et
frivoles. Il a rendu cet arrêt solennel , lorsque les laits,
aujourd'hui contestés, étaient encore tout récents, et
pouvaient facilement être vérifiés. 11 l'a donc rendu ,
il n'a pu le rendre que dans la plus entière connaissance
de cause et forcé par l'évidence. Toutes ces raisons ,
qu'on reproduit aujourd'hui, ont fait partie des obs-
tacles que la foi a surmontés. On lui oppose des ennemis
qu'elle a depuis longtemps terrassés.
Aucune cause naturelle u'a établi et n'aurait pu
établir le christianisme. Quels sont donc, demandera-
t-on , les moyens surnaturels qui l'ont répandu ? Je
pourrais ne pas répondre à cette question , et de ce que
aucune cause humaine n'a opéré ce grand événement ,
conclure avec certitude qu'il est évidemment l'œuvre
de la puissance surnaturelle. Mais ne nous arrêtons pas
à ce point ; montrons par quels moyens la propagation
SUR L\ RELIGION. 473
de la religion a été opérée. J'en remarque deux tout
divins : l'influence intérieure du Saint-Esprit, et la
force extérieure des miracles.
LXVII. En premier lieu , tout homme qui n'est
pas athée est obligé de convenir que Dieu possède,
dans les trésors de sa puissance et de sa sagesse , toutes
les grâces propres à l'avancement de sa religion; et que,
lorsqu'il daigne dicter aux hommes une loi, il peut,
par ses inspirations, donner la grâce de force à ceux
qu'il charge de la publier , la grâce de docihté à ceux
devant qui il ordonne de la prêcher. Aucun pouvoir ne
manque au Tout- Puissant. S'il était dans l'impuissance
d'influer intérieurement sur les cœurs, il ne serait pas
Dieu. La question est donc de savoir si Dieu a fait
usage de ce pouvoir pour établir la religion chré-
tienne (1). Mais pouvons-nous en douter, quand, d'une
part, nous entendons Jésus-Christ dire à ses apôtres,
à plusieurs reprises, que ce sera par la vertu du Saint-
Esprit qu'ils agiront (2), et ses apôtres répéter, d'après
(r) Pliarisaei stupent ad ductrinam Domini ; et mirantur in Petro et
Joanne quoinodo legem sciant , cam litteras non didicerint. Quidqnid
enim aliis exercitatio, et quotidiana in lege meditatio, tribuere solet ,
illis Spiritus sanctoâ soggerebat. (S. Hieron. , epist. i, ad Paulin am
secunda.)
Ipse enim est qai Spiritu sancto ditavit corda paupemm , et exina-
nitas animas conlitendo peccata implevit opnlentia ju^titiae : qui potnit
divitem facere piscatorem , dimittendo retia sua, quôdhabebat contem-
nentem, qnod non babebat baurientem. Infirma enim elegit Deus, ut
confunderet fortia; et non de oratore piscatorem, sed de piscatore
lacratus est oratorem. (R. Angust., Enar. in psalm. xxxvi, serm. 2 ,
n" 24.)
(2) Voyez ci-dessus, notes , page 44 1-
Ecce ego vobscum sara om.nibas diebus nsque ad consummationem
secnli. (Matth. xxxvar, 20.)
Ecce ego luitto promissum Patris mei in vos. Vos autem sedete in
civitate, quoadasqne induamini virtute ex alto. {Liic. xxtv, 49.)
Ego ro;:aljo Patrem , et aliura Paracletum dabit vobis, ut maneat
vobiscum in aetemum. (Joann. xrv, 16.^
Expedit vobis ut ego vadam : si enim non abiero, Paracletus non
veniet ad vos : si autem abiero, mittam illum ad vos.... Cùm autem
474 DISSERTATIONS
sa parole, que c'est le Saint-Esprit qui agit dans eux(l^;
et quand , de l'autre , nous voyons la prédiction du
maître et l'assertion des disciples suivies d'un eflet qui
cadre si parfaitement? Rappelons-nous les preuves qui
ont été données dans la Dissertation précédente , du
grand miracle de la descente du Saint-Esprit, et des
miracles qui la suivirent immédiatement. Le miracle
de l'établissement de la religion en est la continuation;
c'est la même cause qui , agissant sans interruption .
ne cesse de produire son effet. Pour attribuer la con-
version du monde à un autre principe, il faut de deux
choses l'une : ou nier que les apôtres aient rapporté
cette promesse de leur maître, et annoncé que c'était
d'après son exécution qu'ils agissaient , et ce serait
contredire l'authenticité du Nouveau Testament, qui
a été démontrée dans la première Dissertation ; ou
soutenir que les apôtres, en produisant publiquement
ces déclarations , se sont trompés , et que c'est par
leurs propres forces qu'ils ont produit un effet tellement
hors de proportion avec leurs forces^ et ce serait une
absurdité.
LXVIII. En second lieu, nous avons, dans la pré-
cédente Dissertation (2) , démontré la réalité des mi-
racles que les apôtres disaient avoir été opérés par
Jésus-Christ, et de ceux que , dans le cours de leur
prédication , ils opéraient eux-mêmes. Ici nous en
voyons l'effet (3). S'ils ont été crus , ils ont dû produire
venerit ille Spiiitus veritatis , docebit vos omnem veritatem. (Joann. xvi,
Accipietis virtutem Spritus sancti in vos. [yfct. i, 8.)
(i) Voyez deuxième Diss., partie 2 eh. m, n" vi.notes 4 et 5, p, 829.
(2) Yoyezmème D.ssert. , n'^ii, page i38 et suiv.
(3) Apostoloram etiam qaos ad prujuulg.uidum evangeliuin misit
Jésus peregrinationem par univer.-um orbem consideranfi, res huma-
nis viiibns major suscepta Dei jussu videbirnr, et si perpendamas
quo p;icio boiiiines iiuvam doclrinaiu , peregiinosque sei moues au-
dientes, ad apo'tolos se se applicaerint , et quomt-do vuluntatem illis
insidiaiidi posuerint, divina quadam victi potesiate, quae eorum sa-
SUR LA RELIGION. 475
une grande sensation; et, réciproquement^ si, à la
suite de la publication de ces miracles, on voit une
grande révolution survenue dans le monde , il est
certain qu'ils ont été crus. Mais deux autres vérités
lali consulebat , nuUi dubitabimus eos miracula quoque edidisse , sei-
ruonibus ipsuram testiinuniuin reddente Deo per signa et prodigia ,
et varias virtotcs. ( Or/^. , de trincipiis , lib. iv, n° 5.)
Ad hsec coraïuemorat David quomodo praevalaeiint a])Ostoli di-
cens : Do/ninus dabit verbum evangelizantibus virtuCe multa. Non
eriim ariuis , non ppcunia , non roboie corporis, non exercilaum co-
piis, neqne alio simili modo supetaruiit; sed veibo biniplici et mul-
tam habente vinutem , niiratulorum neinpe ostentom. Crnciiixurn
eiiim pracdicantes , et miia(ulj patranfes , sic oi beni subegetnnf.
Ideu ait : Dominus dabit verbum evangelizantibus virtute muUa, sic
miiacula vucans. Nam ineffiibilis virtuserat piscatorem , publicanuoi ,
tentorioiuiij opiiiccm, fcolo praecepto moitoos suscilaie , daemones
expellere, mortem abigere , pbibjsophorum liuguam lefienare, iheto-
ram ora consaeie, reges ac principes vinceie , bari>ai°is, graecis, ûin-
nique naùoni iinperare. Et apposile .••ic locutus est. IS'atu haec oinnia
verbo illo perfecernnt ; et virtute mulra mortuosin vivos inntarunt ,
peccatores in justos , caecos in videntes , niorbos natotae et aniiuae
neqaiiiain expellentes. (5. Joann. Chrjsost. ^ Quod Chrisius sit Deus^
n° 5. )
Jani ergo tiia snnt incredibilia quae tamen facta sont. Incredibile
est Christnm resurrexisse in ca. ne, et in cœluin ascendisse cnm
carne. Incredibile est mandumiem tani incredibilem credidibse. Incre-
dibile est homines ignoiujes, iniirmos, pauci>.sia»os, ii^peritos, rem
tam incredibdem Unu efflcaci:ei niundo, et in iilo eiiani doctis pei-
suadere pcHuisse. Horum liinm incredibiliuin prirauni nolunt isti cum
quibus agimus credeie. Strcandum coguntur et <:eineie, quod non in-
veniunt nnde sit faclnm , si non ctedant teriiom. R.esurreclio certe
Christi , et in rœlum cnn» carne in qua resuirexit ascensio , toto
jam mnndo pracd caim . Si credibilis non est, nnde ?oto teirarnm
orbe jam crédita est? Si œuhi nobiles, subliiues, dutti, eani se vidisse
dixerant, et qnod vidf-rant diffamare curtiunt, eis iuundnm credi-
disse non mirum e.-t. Sed istos adhuc ciedere noile perduium est. Si
aatem, ut veinm est, |>;iucis, obscuris. minimi> , ii.dociis, eam se
vidisse discentibus et scnbenlibus rredidit niundus , rur panoi obsii-
iiatis.simi qui lemansernnt , ranndo jam credenti adbuc nsque non
credunt ; qui propterea nomero ex guo ignobilium , infiimorum,
imperiîornin hominiim cied:dit , quia in tam contemptibilibus testi-
bus ujnlto mirabi'ius diviniias .'eipsa peisujisiî. Eloquia nanique per-
snadenlinra quae dicebant, mira (aerunt facta, non veiba. Qï.i enim
Chîisium in cîirne resarrexsse, et cura illa in cœlum asccnd sse non
476 DISSERTATIONS
sont également certaines : la première, qu'il était alors
facile de constater les miracles de Jésus - Christ qui
étaient récents, et plus encore ceux que les apôtres
opéraient actuellement et journellement ; la seconde,
qu'on n'ajoutait pas foi légèrement et sans exanien à
des miracles dont la foi obligeait à tous les genres de
sacrifices , sans même excepter celui de la vie. La
conversion du monde prouve donc la vérité des mi-
racles, et la vérité des miracles explique la conversion
du monde. Si, à l'examen, les miracles annoncés par
les apôtres avaient été trouvés faux , l'univers ne se
serait pas fait chrétien , et si l'univers ne se fût pas
converti à l'annonce et à la vue des miracles, on en
tirerait une grande objection contre leur réalité. Ces
deux preuves de la vérité de la religion sont intimement
liées l'une à l'autre , et se communiquent réciproque-
ment une grande force. Nous disons à l'incrédule :
Comment pouvez-vous croire que le monde eût em-
brassé le christianisme , si on lui eût présenté de faux
miracles? Et comment pouvez-vous regarder aujour-
viderunt, id se vidisse narrantibus , non loquentibas taninm , sed
etiam mirifica facientibus signa credebant. Homines quippe quos
nnius, vel ut raultam daarnm bngaarnni fuisse noverant , repente
linguis omnium gentium loquentes mirabiliter audiebanl ; claudum
ab uberibns matris ad eorum veibnm in Chribti nomine post quadra-
ginfa annos inco'.umem conslitisse, &udai'ia de corporiLus eornm
ablata sananHis piofuis>e iangoentibus , in via qnafiietunt iransituri
positos in ordine iiinumeiabiles vaiiis morbis labcrai)tes, ut ambulan-
timn super eos ombra transiret , rontinno salulem soleie recipere , et
alia multa stupenda in Chiisti àomine per eos faola , posiremo eliam
mortaos resnrrexisse cernebant. Quee si , ut leguntur , gesta esse con -
cedunt, ecce tôt incredibilia tribus illis incredibilibus adduntnr. Et
ut credatur nnnra incredibile , qnod de Garnis resurrectione atque in
cœlura ascensione dicilur, mnliornm incredibibum testinionia tanta
coDgerimus, et nondum ad credendum bon enda duritia incredulos
flectimnsi {S. Augiist. , de Civ. Dei , bb. xxii, cap. 5.)
Quod impossibile hominibus fuit, Deo difficile non fuit, qui potes-
tates bujas mnndi rigidas non verbis scd miracnlis fregit. [S.Greg.
JiJag. , Moral., lib. xxxi, cap. 2, n° 2.)
SDR La religion. 477
d'hui comme faux des miracles qui ^ dans leur temps,
ont converti le monde (1) ?
LXIX. Au reste, la preuve que nous tirons de la
propagation du christianisme n'a pas besoin , pour se
soutenir, des miracles qui l'ont opérée. Cette propaga-
tion est elle-même un miracle si éclatant , que si elle
ne suppose pas tous les autres , elle les supplée. C'est ce
que disaient St. Chrysostome et St. Augustin à ceux
qui , (le leur temps , s'obstinaient» à ne pas croire en
Jésus-Christ. Si les apôtres ont triomphé de l'univers
sans faire des miracles , c'est un miracle bien plus ad-
mirable (2^. Vous voudriez , pour croire, voir les pro-
diges que l'on vous raconte. En voici un plus grand
(i) Jam si posita omni de miraculis praejud'cata opinione qneeri
oporiet bonorie an raalo corisilio quis illafeceiit, ut ne aut omnia vito-
perenias, aut otnnia tanquara divina adiuiremur et admiitaraus , aniion
perspicuura est, et Moysis Jesuqne mi-acuHs, quibus integrae gontes
constitutae t.unt , eos divina potestate fecisse , quae scriptuije narrant.
Neque enira inalis artibas, magicisqiie praestigiis, constituta fuisset
gens tota, quae de^pectis non sola:n siraulacris , falsisque nnminibas
quae reliqni homines colebant , sed etiatn rébus omnibus creatis , ad
Deum rernm omninm principium, principio carentem, ipsum assar-
git. {Orii^en. contra Celstim ^ lib. ii, cip. 5i.)
Quaptopter ex miracalis indubitatam redd t re surrectionem : ita
ut non il'.is tantum tune îemporis hominibns, sed omnibus certa foret
resurrectio. Qnod enim in il!is effecerunt conspecta bigna , hoc in
posteris omn.bus per fidem faturutn erat. Ideo bine incredolos argu-
raenti inipetimus. Si non resarrexit , sed mortuus raanet , quomodo
in nomine ejas apostoli signa fecerant? A.t non fecere iniracula.
Qnoinodo ergo gens nostra constitit ? Non enira huic veriiati obsis-
lent ; neque pognabunt contra ea quae snb conspectum cadant. {S. Jo-
ann. Chrysost. , in Acta Apost.^ hoind. i, n° 4. )
(2) Qnoraodo autera persuasissent , nisi signa edidissent;' Si facie-
bant quidem, et ntiqne faciebant, Christi virtus erat id qnod fiebat.
Si aulem non faciebant , et taraen vincebant , longe tnirabilins erat
îUud. ( S. Joann. Chrys. , in primam épis, ad Cor. , homil. v, n^ 5. )
Itaque quando dicunt non facta fuisse miracula , taato magis se
confundunt. Hoc eniru maximum esset miracalam , si sine miraculis
totus orbis accurrisset a duodecim panperibus et illiteratis hominibus
captns. ( Idem, in Acta Apost. , homil. i , n° 4. )
Si vero per apostolos Christi, ut eis crederetur , resurreotionem
atqne ascensionem praedicantibus Christi, etiam ista miracula facta
478 DISSERTATIONS
encore : ce n'est pas un mort ressuscité , un aveugle
rendu à la lumière , un lépreux guéri ; ce sont les ténè-
bres qui conviaient la terre dissipées; la lèpre du péché
effacée dans tout le genre humain. Quel plus grand
miracle pouvez-vous demander quand vous voyez une
aussi admirable métamorphose (1)? Celui qui, pour
croire , exige de nouveaux prodiges , est lui-même un
prodige étonnant , puisque la foi du monde entier ne
peut pas déterminer la sienne (2).
Je terminerai ce chapitre par une réflexion qui donne
à tous les raisonnements qui viennent d'être faits un
nouveau degré de force, et qui porte au plus haut
point d'évidence notre démonstration , c'est que la
propagation de l'Evangile avait été formellement pré-
dite, soit dans l'ancien, soit dans le nouveau Testa-
ment.
LXX. Les oracles sur ce grand événement sont très-
clairs et très multipliés dans l'ancienne loi. Toutes les
nations de la terre , disait le Seigneur à Abraham ,
seront bénies dans votre postérité (3). Nous voyons dans
les psaumes le Seigneur disant au Messie : Demandez-
esse non crednijt , lioc nobis unura grande miraculam safficit , qnod
terrarura orbis sine rairacalis credidit. [S. Âitgust. de civit. Dei ,
lib. XXII, cap. 5. )
(i) An vero cupis etianinum signa cernere ? Tibi eigo iila et ma-
jora prioribas ostendam. Non unum mortuana !-nscitalura ; non vi-
SQin uni caeco restitutnm; sed descussas erroris tecebras cjaae totani
terram occupaverant : non unum leprosum muridatum , sed tôt gt-nfes
qnae peccati lepram absterserunl , a : per lavacram regenerationis
innndatae snnt. Qood signuin niiijus his quseris , mi horao ? cum tan-
tani , et tam apeite factam raundationem conspicias. (^S. Joann.
Chrys. , hoinil. Citr in pentec. ^ n° 8.)
(2^ Cur, inqu'unt, nnnc illa niiracala qnae praedicatis facta esse,
non fiant? Possuiu quidem dicere necessaria fuisse priusqnara crede-
ret miindns, ad hoc nt ciederel mandas. Quisqois adhuc j)rodigia
ut credat inqoirit, magnum est ipse prodigium , qui mundo ciedente
non crédit. [S. Jugust. ,de Civ. Dei, lib. xri, cap. 8. n"^ i.)
(3) Benedicentur in semine tno oranes gentes terrae. ( Gen. xxii,
18 ; Itern^ xii , 3 ; xxvi, 4 ; ixvni, 4.)
SUR LA RELIGION. 479
moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et
les extrémités de la terre pour possession (1). Le psal-
miste annonce encore que tous les confins de la terre
se convertiront au Seigneur ; que toutes les familles des
nations seront en adoration devant lui (2); que le
Messie dominera d'une mer jusqu'à l'autre, et depuis
le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre ; que tous les
rois de la terre l'adoreront; que toutes les nations le
serviront (3). C'est peu, s'écrie Isaïe, que tu sois mon
serviteur, pour ranimer les tribus de Jacob et pour
convertir la lie d'Israël, voilà que je t'ai établi la lumière
des nations, pour que tu portes le salut qui vient de
moi jusqu'aux extrémités de la terre (4;. Le Seigneur a
préparé son bras aux yeux de toutes les nations, et
toutes les extrémités de la terre verront le salut qui
vient de notre Dieu (5). Malachie voit dans un esprit
prophétique les juifs rejetés , le nom du Seigneur
glorifié dans toutes les nations , du couchant à l'aurore ,
et une victime pure offerte en tout lieu à son saint
nom (6;. Bien d'autres prophéties encore annonçaient,
avant la venue de Jésus-Christ , la conversion du uionde
à sa loi. Je les omets pour passer à celles de Jésus-Christ
(i) Pustnla a me et dabo tibi gènes haereditatein tnam , et posses-
sionem tnam ierinino-i lerrae. [Psa/m. ii , 8.)
(2) Coiivertenlar ad Duminum ,universi fines lerrae : et adora-
bantin conspe.tu ejas nniversae faniiliae genxiom. (Psal/n. xxi, i8.)
(3) Dominabitar a mari usqne ad mare, et a flumitie usque ad ter-
minos orbls terrarum. ... et adorabunt entn omnes reges ferrœ ;
omties gfenies servient ei. ( Psalm. i.:s.xi^ 8, ri.)
(4) Et dixit : panirn est nt sis mihi servus ad suscitandas tribus
Jacob, et faeces Israël convertendas : Ecce dedi te in Incem genlium ,
ut sit salus mea usqne ad terininum terrae. (/^. xlix, 6.)
(5) Paravit Doniinus brachinm suum in ocul s omnium gentium :
et videbunt omnes fines terrse salatare Dei nosfri. (Is. rtr, lo.)
(6) Non est mihi voluntas in vobis, dixit Dorainus exercitanm,
et mnnns non snscipiam de mana vestra. Ab ortu enim solis usqne
ad occasum, magnum est nomen meum in gentibns : et in omni loco
sacritîcalur et offertiir nomini meo oblatio mnnda. {Malach. i, lo,
If.) Voyez aussi Matlh, chap. xiii.
480 DISSERTATIONS
lui-même, lesquelles sonl encore plus positives et plus
claires.
LXXI. Nous le voyons, tantôt parlant en paraboles,
comparer les accroissements de sa religion à la plus
petite des semences, devenue, au bout de peu de
temps, le plus grand des légumes ; au levain qui,
mêlé en petite quantité avec la pâte , la fait fermentcr
tout entière et la dilate (1; ; tantôt, s'expliquant plus
clairement, annoncer que beaucoap d'étrangers vien-
draient d'Orient et d'Occident siéger dans le royaume
des cieux avec Abraham , Isaac et Jacob , tandis que les
enfants du royaume seraient jetés dans les ténèbres
extérieures (2); dans d'autres endroits, déclarer que son
Evangile sera prêché dans tout le monde (3) ; ailleurs,
dire que quand il sera élevé de terre , c'est de sa mort
qu'il parle, il attirera tout à lui (4); enfin, terminer sa
carrière par ordonner à ses apôtres d'aller enseigner et
baptiser toutes les nations , et les instruire à observer ses
commandements (5). Ce n'est pas tout encore : il prédit
la manière dont s'effectuera ce grand événement ; il
annonce à ses apôtres les oppositions qu'ils éprouveront,
les persécutions violentes qu'ils auront à essuyer, les
morts cruelles qui termineront tous ces maux (6) ; il
(i) Dico autem vobis quod multi ab oriente et occidente venient
et recnmbent cum Abraham et Isaac et Jacob; fibi autem regni eji«
cientar in tenebras exleiiores. {Match, vin, ii, 12.)
(2) Et prîrdicabifur hoc evangelium in universo orbe, in tesiimo-
niam omnibus gentibus. ( Matlh. xxiv ,14)
(3) Amen, amen dico vobis: ubicamquc prsedicatnm fuerit hoc
evangelium in toto mundo , dicetur et quod haec fecit. I^Ihid. xxvi ,
t3.)
('+) Et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum.
Hoc aufem dicebat , signiticans qaa morte esset morituras. (7o-
ann. xii , 82, 33. )
(5) Euntes ergo, docele omnes gentes, baptisantes eos in nomine
Patris, et Filii, el Spiritus sancti ; docentes eos servare omnia quae-
cnmque mandavi vobis. {^Matlh. xxviii, lae, 20.)
(6) Eccc ego mitto vos sicut oves in medio luporum. {Matth. x,
■ 6.)
SUR LA RELIGION. 481
ies encourage, en leur déclarant qu'il a vaincu ce monde
dont ils auront tant à souffrir (1) , et en leur promettant
qu'ils seront éclairés et fortifiés par l'assistance du Saint-
Esprit (2). La conversion du monde , les détails de cette
conversion, les moyens par lesquels elle s'est opérée,
Jésus-Christ a tout prédit. Tout ce qui s'est passé pen-
dant les trois siècles de la persécution et de l'agrandis-
sement de son église , n'est que l'exécution de ses ordres
et l'effet de sa volonté antérieurement manifestée.
LXXII. Ce n'est pas seulement de nos jours qu'a été
fait ce rapprochement des oracles sacrés avec l'établisse-
ment de la loi sainte. Les pères de la primitive éghse
l'opposaient aux incrédules de leur temps. Ils leur
prouvaient et la divine origine des prophéties , par
l'admirable accomplissement dont elles étaient suivies,
et la cause divine de l'établissement de la foi , par les
prophéties qui l'avaient précédé. En faisant aux incré-
dules de nos jours le même raisonnement, nous ne
faisons que répéter ce que disaient les Origènes (3), les
Cavete aatem ab hominibas. Tradent enim vos in cnnciltis, et ia
syna^ogis suis flagellabant vos; et ad praesides et ad rages dncemini
propter me , in testimoniam illis et gentibas. i^Ihid, , 17, 18, j
Tradet aatein frater fiatrem in mortera , et pater liliam : et insar-
gent filii in parentes, et morte eos afficieat ; et eritis odio oninibas,
propter nonien meum. [îbid., ar, 22.)
Venit hora ut omnis qui interficit vos arbilretur obseqaium se
praestare Deo. [Joann. xvx, 2.) Et alibi passirn.
(i) lu mnndo pressurain babebitis : sed confidite : e^o vici man-
dam. {Joann. xvi, 35.)
(2) Voyez ci-dessus, n° lxvii, note r , page +73.
(3) Criminatur deinde discipulos qiiod finxerint prœscisse illum , et
prcedixisse quœcumque sibi acciderunt. Sed boc verum esse, vel invite
Celso demonstrabimus. Praesto enim sunt aiulta quae Jésus edidit
vaticinia de rébus quae cbristianis contigerunt, etiam subsecutis tem-
poribus. Ecquis non admiraretur istud? Ante re^es et vrœsides duce-
mini propter me in testimoniam iUis et gentibus aliave siiniUa , ubi
praenuntiat futurum esse ut sui discipuli vexationein patiantur....
Ecquis enim fingens fuisse secum Christus loquereturnon admirabitur
istud '. prœdicabitur evangelium istud in toto mundo , in testimonium
illis et gentibus^ si modo secum recogitet Jesu Christi evangelium, ut
Dissert, sur la Relig. 21
482 DISSERTATIONS
Cyprien (1), les Eusèbe , les CLiysostôme, les Jérôme
les Au^^usliu , les Prospère , les Théodoret.
ipse pr*dixeiat , omnibus , grsecis , barbaris , sapientibus et insipien-
tibus , ubique lerrarura hiisse prsedicatum. Omnem enim humanam
natiiram subegi verbum cum viitute praedicatum : nec ullum videre est
hominuin genus quod Jesu doctrinam admittere recusaverit. (On'gen.
contra Celsnm, hh. ii, n° t.)
Et est videre quomodo brevi tempore ipsa religio crevit , pœnis
cultonim , mortibusque proilciens ; sed et honorum direptionibus ,
atque ab bis omni génère suppliciorum tolerato. Et eo maxime mirum
est, quod ne doctores ipsi, vel satis idonei sunt, vel satis plures.
Praedicatur tamen sermo iste in toto orbe terrarum : ita ut grœci,
barbari , sapientes , et insipientes , religionem doctiinae cbristianae
recipiant. Ex quo dubium non est boc buraanis viribus , aut o;)ibus
non agi, ut cum omni crednlitate et potestate sermo Ghristi Jesu apud
omnium mentes, atque animos convalescat. Nam et priedicta esse ab
eo baec ipsa , et divinis ab eo responsis conflrmata manifestum est cum
dicit : quia apud prccsides etjudlces ducemini propter me in testimo-
nium ipsis et gentihas. Et rursum : prcedicabitur hoc evangelium in
omnibus gcndbus. Et iterura : miilti inihi dicent in iUa die : Domine ^
Domine, nonne in nomine tuo manducavimus et bibimus ^ et in tuo
nomine dcemonia ejecimus P Et dicam eis : discedite a me operarii
iniquitatis ; nunquam cognovi vos. Quae si ita quidem dicta ab eo
fuissent, nec tamen ad linem ea quae praedicta sunt pervenissent ,
fortasse minus vera esse viderentur, nec babere aliquid auctoritatis.
Nuncvero, cum ad affectum ea quse fuerunt ab eo dicta perveniant,
cum tanta autem potestate atqire auctoritate praedicta sint , manifestis-
sime declaratur verum esse , quia bomo factus salutaria praecepta bomi-
nibus tradidit. [Origen. de Principiis ^ bb. iv, n° 2.)j
(i) ISecnonDeus ante prardixerat fore ut vergente saecnlo , et mundi
fine jam proximo , ex omni gente et populo et loco , cultores sibi
adlegeret Deus [S. Cyprianus , de Idol. Vanit. ., cap. vi.)
Quis unquam ab omni sapculorum memoria , aut tex , aut princeps ,
aut pbilosopbus , aut legislator , aut propbeta , Sf u graecus , seu
barbarus ille fuerit , tantum virtutis decus est consecutus, non dicam
post mortem , sed dum adbuc viveret, spiritumque duceret. multumqne
valeret potentia, ut ipsius nomen ad bominum omnium aures, qui in
terris degebant, aetatem permaneret inque omnium ore ac sermone
versaretur ? nemo certe istud , nisi unus et solus Salvator noster , post
victoriam a morte reportatam, pr^-stitit : qui quidem discijubs suis
boc verbum dixe- at , et idem et rêvera explevit , nimirum : docete
omnes gentes in nomine meo : quique ante praedixerat suum evangelium
prœdicandum jore in tiniverso mundo , in testimonium omnibus
gentibus. Quod ut verbis praedixerat, sic reipsa perfecit. Nam baud ita
SDR La. religion. 483
LXXIII. Elles étaient bien hardies au moment où Jé-
sus-Christ les faisait ces prédictions , ces promesses , ces
injonctions. Jamais ni roi , ni législateur, ni philosophe,
mnlto post totus orbis terrarum ejus verbo et doctrina completus fuit.
(Euseb., orat. de laud. Const. F, idtm , prœp. ev, lib. i, cap. 3. )
Pervade ratione universum orbein , mare, Graeciam , barbarorum
sedes , terram habitabilem et inhabitabilem , nrbes quae sont in terra ,
insulas qnae in mari , montes denique et saltus : et cum videris ubique
Christi relucere potentiam, omnesque praestantissimum ejus nomen
praedicare, reputa apud te eum, qui tôt et tan ta potuit , etiam futura
poUicitum esse. (5. Joan. Chrjs.^ Expos, in psalm, cix, n° 6.)
Quid igiturdixit, ef orbe fere toto in impietate detento praedixit?
Super hanc petrarn œdificabo ecclesiam : eC portée in/eri non prœvale-
bunt adversus eam. Examina hoc dictum ut libet, et veiiratem ejus
refulgentem..., Vidistisne verba rébus lucentia , et vim insupei abilem
omma nuUo negotio facientem. Etsi enim brève sit dictum dlud œdi-
ficabo ecclesiam meam ; ne simpliciter praetereas : sed in mente
revolve et cogita quantum sit totum orbem , tam brevi tempore ecclesiis
replevisse, tantas convertisse gentes; populis persuasisse ut paternis
solutis legibus radicatam consuetudinem evellerent , voluptatis tyranni-
dem , nequiriae vim ut pulverem ejicerent; ar.'S , temph , idola ,
mysteria, profanas solemnita^es, impurumque nidorem , quasi fumum
quemdam delerent; ubiqae abare exci tarent in regione Romanoruin ,
Persarum, Scytharum , Maurorum , Indorum : Quid dico? vel extra
orbem nostrnm. ISam et briiannicae insulse quse extra hoc mare sitae
sunt, et in ipso oceano, vim verbi senserunt. [Idem, Homil. Quod
Christus sit Dens^ n" r 2. )
Ubi manifestissima prophetia est , et de Christi atque apostolorum
ejus praed;ca;ur adventu, et fide universanim gentium nihil ampHus
requiramus. (5. Hierom. co'nm. in Zachar., hb. ii, cap. g. )
Ibi scriptum est de ecclesia , et videtur quia est. Ibi scriptum est de
idoHs quia non erunt : et videtur quia non sunt. ( S. August. , F.narr.
inpsalm. xxix , n° 28. )
Videtis certe simulacrorum terapla , partim sine reparatione collapsa,
partira d ruta, partim clausa, panim in usus alos commutata, ipsaque
simulacra, vel confringi, \A incendi , vel includi, vel destroi ; atque
ipsas hujus saeculi potestates, quae aliquando pro simulacris popnlum
chiistianum persequebantur, victas et domitas non a repugnantibus sed
a morientibiis christianis , et contra eadem simulacra , pro quibus
chr stianos occidebant, impeius stios , legesqr.e vertisse; et iiiiperii
nobil ssimum culmen ad sepulcrum piscatoris Pétri submisso diademate
supplicare. Haec omnia scripturae divinae, quae in manu omnium jam
venerunt , antelongissima tempora fatnra esse testatae bunt. Haec omnia
tanto rubustiore fide laetamur fieri, quaoto majore autoritate prjedcata
1
484 DISSERTATIONS ^
n'avait osé produire des pareilles pensées (1). A considé-
rer la raison humaine, et l'expérience de tous les temps,
qui jamais eût pu iinaj'iner qu'elles obtinssent leur effet?
esse in sanctis litteris invenimns. [Idem epist. ccxxxii; al. xxir , ad
Madaiiranses ^ no 3 et 4- )
Ouando dicebatur ecclesia Chrisli futura per totum oihem terrarum,
dicebatur a paui is et ridebatur a multis. Modo jam impleium est ,
q!K>d tanto ante praedictum est. Diffusa est ecclesia j)er totnm orbem
terrarum. Antemillia annorura proiuissiim est Abrabae In sein'me tiio
hetiedicentur ornnes gentes. Tenit Christus ex semine Abrabae ; bene-
dictœ snnt in Cbristo jam omnes gentes. Praedicta sumt scbismata et
baereses futurce : videmus illa. Praedi^-tae sunt persecutiones : factae sunt
a regibus colcnlibus idola. Pro ipsis idohs adversus nomen Christi,
repleta est terra martyribus. Sparsura est semen sanguinis : surrext
seges eeclesiae. Nec frustra oravit ecclesia pro inimicis suis : crediderunt
et qui persequebantur. Praedictum est etiam qnia ipsa idola evertenda
essent per nomen Cbiisti : nam et boc invenimus m scripturis. Anîc
paucos annos Christiani illa legebant , et non videbant : adbuc futura
illa expectabant ; et sic abierunt. Non illa viderunt : sed tamen cre-
dentes quod futura essent , cum Cde abierunt ad Dominum. IN'ostris
temporibus etiam ista cernuntur. Omnia quœ ante pradicta sunt de
ecclesia, videmns impleta. ( Idem ^ sermo %.^u,de uerbis Psahn.,
al. cix, de temp. n" 4- ^ id. idem, de Fide rerumquœ non videntur ,
cap. IV, n° 7.)
Puto autem qnod nemo audeat dicere nllam mundi gentem , ullam
terrae praetermittendam esse regionem , in qua non sint ecclesia? taber-
nacula dilatanda : dicente Deo ad filium : Postula a me . et dabo tibi
qentes hœreditatein tiiam ; et possessionem tuam terminos terrœ et
terum : Reminiscentar et convertentur ad Dominum univer si fines
terrœ : et adorabiint in conspectu ejus otnnes patriœ gentiitm : dicente
quoque ipso Domino : Prœdicubltur hoc evangelium in universo
mundo in testimoniitm gentibus : et tune %feniet Ji?iis. Quapcumque ergo
nondum audierunt, ai^dient evangebum. (5. Prosper , epist. ad Ruf
no 16. )
Quid bis verbis manifest"u? .? Tanquam praesens enim , spectansque
orbis terraium mutationem , et quasi atidiret gentes ad pœnitentiam
conversas , deridentesque idolorum imbecillitatem , sic oracula sua
conscripsit. ( Theod. serm. x , de Oraculo. )
(i) Cum enim inter grapcos et barbavos, quam plurimi extiterint
legumlatores, doctores , item qui veritatis notitiam praeceptis suis poUi-
cerentur , nullum tamen fuisse accepimus legislatorem , qui relicjuis
gentibus legum suarum suscipiendi studium ingenerare potuerit. Et
quamvis pbilosophi, cum multo prodirent demonstrationem apparatn ,
quae e ratione petitae viderentur, quaeque multum probabilitatis hahe.
SUR LA RELIGION. 485
Comment, s'il n'était pas éclairé d'une lumière divine,
cet homme , si pauvre qu'il n'avait pas où reposer sa
tête , osait-il annoncer avec assurance que bientôt l'uni-
vers serait soumis à sa loi? Comment pouvait-il pro-
mettre avec vérité à cette poignée de disciples qui le
suivaient, qu'incessamment elle serait remplacée par
tous les peuples de la terre ? Ce qui fut pour tous les
contemporains de Jésus- Christ une prophétie, n'en est
plus une pour nous. Cet événement, inimaginable lors-
qu'il fut annoncé, nous le voyons, nous en jouissons,
nous en faisons nous-mêmes partie. Pour le prédire, il
fallait la prescience de Dieu ; pour l'effectuer , il a fallu
sa toute-puissance. Nous disons avec confiance : la pro-
pagation rapide de l'Evangile , n'eût-elle pas été prédite,
serait déjà une preuve complète de la vérité de l'Evan-
gile; mais l'ayant été, de quel poids n'est-elle pas? Et
quel esprit raisonnable peut se refuser à la démonstra-
tion évidente qui en résulte (1)?
rent, nemo ex illis fuit qui probatam sibi veritatem diversis populis ,
vel unius gentis praecipusc multitudinij>ersaadere potueiit. Atqni perop-
tassent legislatores et doctores illi iis quas bonajs putabant legibus
universum, si fieri potuisset , hominum genus subjici. Hi quam animo
conreperant veritatem ubique terramm disseminare. Sed utpote non
idonei qui alterius linguae , niultarumqne gentium homines ad legum
suarura observationem , et ad suatn disciplinam suscipiendam adduce-
runt, ne aggressi quidem sunt id efficere. Pradenter enim prseviderunt
id se con%equi nullo modo posse. {Orig. de Principus , Ub. iv , n> i.)
(i) Etiamsi de Cbiisio et de eccles^a tes-timonia nuUa praecederent,
quenj non movere deberet ut crederet repente illnxisse divinam hn-
niano generi caritatcm, quando videraus relictis diis falsis, et eornni
confractis usqaequaqae sininlacris, templis subvertis, sive in ubus alios
commatatis, atque ab hamana veterrima consueludine toi vanis
ritibus extirpatis, unum verum Deani invocari : et boc esse factnni
per unum horainem ab hominibus illusam , comprehensura , vinctam,
flagellatcm, expalmatum , exprobratum , ciaiifixom, occisaio
Qnando tantom criiciHxoi ille potu'sset , nisi Deus horainem sasce-
pisset; etiaœ.'-i nul!a per prophefas fatura talia praedixisset. Cam
vero tara magnum pietatis sacramenlum habaerit antécédentes vates
«nos atque praecones , qnorum divinis vocibus est praennnliatam , et
6ic venerit qaeraadmodum est praenantiatum , qiiis ita sit deraens,
486 DISSERTATIONS
LXXIV. Pour raffaiblir, que peut dire rincrédulité?
Niera- t-elle la réalité des prophéties? Mais d'abord celles
de l'ancienne loi nous viennent des juifs, ennemis
acharnés du christianisme ; ils en reconnaissent comme
nous la vérité. Il faudra donc soutenir qu'ils se sont ac-
cordés avec les chrétiens pour corrompre leurs livres,
pour supposer des oracles dont les chrétiens se servent
avec tant d'avantage contre eux. Quant à celles de Jé-
sus-Christ , elles ont été rapportées par les évangélistes
avant que l'événement les vérifiât. D'ailleurs, que ga-
gnerait l'incrédulité à les ôter à Jésus-Christ, si elle est
forcée de les attribuer à ses apôtres? Dira-l-elle que ces
prophéties ne prouvent rien , et que leur accomplisse-
ment a pu être l'ouvrage du hasard ? Mais , nous le di-
rons toujours^ qu'on se reporte au temps où elles ont
été faites, et on verra combien l'événement qu'elles
annoncent était contraire à toute vraisemblance ; qu'on
examine tous les détails avec lesquels la conversion du
inonde est annoncée par Jésus-Christ , et on sentira que
le pur hasard n'a pas pu opérer une si grande conformi-
té, et de l'événement et de toutes ces circonstances,
avec les prophéties. Non-seulement c'est ici une preuve
directe de la divinité de rétablissement du christia-
nisme , et par une conséquence nécessaire , de la divinité
du christianisme lui-même ; mais, comme je l'ai déjà dit,
c'est une preuve qui influe sur toutes les autres , et qui
les corrobore. Que l'on reprenne tous les obstacles dont
nous avons vu la religion triompher, on verra qu'il
avait été prédit qu'elle en triompherait , et que consé-
quemment c'est à une vertu divine qu'elle a dû son
triomphe. Qu'on applique de même cette considération
aux diverses causes naturelles par lesquelles l'incrédu-
lité prétend que la révolution du christianisme a pu s'o-
pérer , et que j'examinerai dans un moment , on sentira
ut dicat apostolos de Christo fuisse men'itos. [S. Aiigust., de Fide
Rerum quœ non videntur^ cap. vit, n° lo.^
SDR LA RELIGION. 487
qu'aucune cause naturelle n'a pu faire prédire cette ré-
volution dans un temps où elle était si éloignée de l'or-
dre des choses et de toutes les pensées humaines. Je fais
d'avance cette réflexion , pour n'avoir plus à y revenir.
JJ_2 JULJULSUL-U),.
CHAPITRE III.
OBJECTION CONTRE LA PREUVE TIREE DE LA PROPAGATION
DU CHRISTIANISME.
Telle est, dit St. Jean-Chrysostôme, la nature de la
vérité , que tout ce que font ses ennemis pour l'ébran-
ler, sert à l'affermir davantage, et qu'en s'efforçant de
l'obscurcir on la fait briller d'un nouvel éclat (1). D'a-
près cette maxime bien certaine, nous allons donner à
notre démonstration une nouvelle force , en rapportant
toutes les chicanes par lesquelles l'incrédulité essaye de
l'affaibhr. Elle en emploie de trois espèces. Elle nie que
la religion se soit aussi rapidement établie que nous le
disons. Elle prétend que la prompte propagation d'une
religion ne prouve rien en sa faveur. Elle soutient que
le christianisme a dû son agrandissement à des causes
naturelles.
LXXV. « D'abord l'incrédulité nie que le christia-
« nisme se soit étendu aussi rapidement etaussi univer-
* sellement que nous l'avons dit. Elle prétend qu'à la
« fin du quatrième siècle le paganisme était encore la
« religion la plus nombreuse de l'état ; que spéciale-
« ment le sénat romain était encore tout entier païen.
« A l'appui de cette assertion^ elle cite la requête pré-
« sentée par Syminaque au nom du sénat entier, dans
« laquelle il dit que cette compagnie l'a nommé son
(i) Vemm ipsa veiitatis natnra iisdem ipsis fitm:itar qabus ab in-
sidiatoribus irapetitur, iisdem fulget quibui obscurari tentatur. (S.
Joann. Chrys., in Joan., Homil. lvii; al. Lvr , n° r.)
488 DISSERTATIONS
« député pour solliciter le rétablissement de Tautel de
¥. la victoire (1). »
LXXyi. Quant il serait vrai que sous le règne de
Valentinien II , la plus grande partie du sénat romain
fût encore païenne, pourrait-on en conclure que, dans
tout le reste de Tempire , la religion chrétienne ne fût
pas la plus nombreuse? Nous avons vu des empereurs
païens et persécuteurs en convenir quatre-vingts ans au-
paravant. Le fait particulier, allégué par Symmaque,
en le supposant vrai , détruirait-il leurs aveux? Et peut-
on douter que quatre-vingts ans de faveur et de protec-
tion continuelles (excepté les dix-huit mois du règne de
Julien) n'eussent encore beaucoup multiplié les chré-
tiens et diminué le nombre des païens?
Mais ce qui renverse absolument la difficulté , c'est
que le fait avancé par Symmaque , pour donner du poids
à sa requête, est formellement démenti par deux au-
teurs de la plus grave autorité. Le premier est St. Am-
broise , lequel dit qu'il s'en faut de beaucoup que ce
soit le sénat qui ait fait la demande du rétablissement
de l'autel de la victoire, et que c'est un petit nombre de
païens qui se sont servis d'une expression générale. Il
cite l'autorité du pape Damase , qui , deux ans aupara-
vant, lorsque les païens faisaient une semblable tenta-
tive, lui avait envoyé un écrit des sénateurs chrétiens,
en nombre innombrable. Ces sénateurs déclaraient qu'ils
n'avaient rien demandé de semblable; qu'il ne leur
convenait point de donner leur consentement à une telle
demande; et ils disaient, en particuher et en public,
que si elle obtenait son effet , ils ne paraîtraient plus au
sénat (2). Le second est Prudence , qui , réfutant en vers
(i) Ubi primum senatns amplissimus , sempcrqne vester, snbacta
Irgibns vitia cognovit, et a prineipibus piis vidit pnrgari famam pro-
xiniorum temporum , boni saeculi ancioritatern seculus, evoraait dia
pressura dolorem : atqae iterum me qu<erelarnm saaruin jussil esse
Ifgaturu. [Symmachi posta/, ad imp. epist., bb. x, epist. 6i.)
(i) SeJ absit ut boc senatas petiisse dicator. Pauci gentiles corn-
SUR LA. RELIGION. 489
la requête de Symmaque , lui dit que le sénat , que le
peuple, sont chrétiens; que Rome entière est chré-
tienne ; et qu'il compte pour rien un petit nombre
d'hommes qui refusent d'ouvrir les yeux à la lumière (1;.
Je crois que les autorités de St. Ambroise et de Pru-
dence sont un peu plus considérables que celles de Sym-
maque, intéressé, pour obtenir sa demande , à grossir
le nombre de ceux qui la faisaient.
LXXVIl. H Le christianisme, dit-on ensuite, ne s'est
« étendu que peu à peu et par degrés; il a mis trois
« siècles à s'établir. Son progrès a donc été une œuvre
« purement humaine. Dieu , voulant donner au monde
muni utantur nomine. Nain et ante bienniam ferme cnm hoc paiiter
tentarent , raisit ad me sanctus Damasas roman» ecclesiœ sacerdos,
jadicio Dei actas, libellam quem senatores cbrbliani dederarit, et
qaidem innameri ; postulantes nihil se laie raanda<-se , non congraere
gentiliurn bajnsmodi pelitloni nos praebere consensora. Qaesti etiam
pablice, prii'a'imque se non conversuros ad curiam , si taie qoid de-
cerneretar. {S. Ambros. epist. xvir, ad Valentinianum itnp. n° io,j
(2) Si peràona aliqua est , atit si statas orbis in bis est
Si formaoi patriae facit exceilenlior 01 do,
Hi faciant, jancta est qnoties sententia plebis.
Atqae unam sapiant plares siniol et potiores.
Respice ai illustrem lux est ubi pablica cellam.
"Vix pauca invenies gentilibus obsita migis
Ingénia , obiritos aegre relinenlia cultas ;
Et quibas esactas placeot servare tenebras;
Splendentemq'ie die medio non cernere solem,
Posthinc ad popolam conyerle ocolos. Qaota pars est
Quae Jovis infectara sanie non despuat aram?
Omnis qui celsa scandit cœnacala valgns,
Quiqae terit iilicem variis discursibas atrom
Et quem panis alit gradibas dispersas ab altis ,
Aat Vatioano tumulnm snb monte freqaentat,
Qno cinis ille latet genitoris amabilis obses ,
Caetibas aoî magnis laleranas curril ad aedes ,
Uude sacrnra re'erat regali chrismate ;-ignum.
Et dabitaraus adbuc Romam tibi , Christe , dioatam
In leges transis-e taas ; omniqne volentem
Cam populo, ac summis cara civibos, ardaa magni
Jam super astra poli terrenom extendere regnnm.
N<'C nioveor quoi pars hominam raiissiraa clausos
2r
490 DISSERTATIONS
*< une doctrine, n'aurait pas mis un si long temps à la
« répandre. »>
LXXVIII. Voici en quoi consiste la difficulté. Dieu
pouvait répandre universellement tout d'un coup sa re-
ligion ; donc de ce que la religion n'a été universelle-
ment répandue qu'au bout de trois siècles , il résulte
qu'elle ne vient pas de Dieu. Entre la conséquence et
le principe il y a une proposition intermédiaire, dont il
aurait été, selon les règles de la logique , nécessaire d'é -
tablir la vérité ; c'est que Dieu doit tout ce qu'il peut.
Sans doute Dieu peut mettre plus ou moins de temps à
propager la doctrine qu'il donne au genre humain ; il
peut même , s'il lui plaît , sans révélation extérieure ,
l'inspirer subitement à tous les esprits. En conclura-t-on
qu'il y est tenu ? La question n'est pas de savoir si le
miracle de la diffusion du christianisme aurait pu être
opéré plus promptement : elle consiste à savoir si cette
diffusion , opérée en deux siècles et demi , est ou n'est
pas un miracle. Il faut, ou nommer une cause humaine
qui ait pu la produire dans cet espace de temps , ou ne
pas dire que puisqu'elle n'a été produite que dans cet
espace de temps, elle Fa été par une cause humaine. La
religion , adoptée subitement et sans résistance , par
tous les hommes , au premier moment où elle leur a été
annoncée, eût présenté un miracle; cela est vrai. Mais
la religion adoptée plus lentement, et malgré les résis-
tances de tous les genres que les hommes puissent op-
poser , présente un autre miracle , ou plutôt une suite
et une continuité de miracles. Dieu n'a-t-il pas pu vou-
loir que tous les obstacles qu'opposeraient au christia-
nisme l'enfer et la terre, retardassent son progrès , pour
qu'il fût évident que c'était le ciel qui ordonnait , qui
dirigeait , qui assurait sa marche ? Il a pu lui laisser li-
Non aperit sob luce ocolos, et gressibus enat
Qaaralibet illustres ineritis , et sanguine clari.
{Prudent, cont. Symm. lib. I, vers 5io et srq. )
SDR LA RELIGION. 49î
vrer des combats pour lui donuer des triomphes. Déistes,
d'où savez-vous ce que vous avancez avec tant de con-
fiance , que Dieu n'aurait pas mis un si long temps à
propager sa doctrine? Demandez-lui pourquoi il a pré-
féré le genre de miracle que nous voyons, à celui qu'il
vous plaît d'imaginer? Nous n'avons pas à vous ré-
pondre sur ce point.
LXTvIX. « On nous objecte ensuite des religions
« fausses, qui se sont établies et répandues plus rapide-
n ment encore que la religion chrétienne : on cite spé-
« cialement d'abord le mahométisme ; et on en conclut
« que la propagation du christianisme en trois siècles
tt n'est pas une preuve de sa divinité. »•
LXXX. Prétend-on assimiler le siècle où parut Ma-
homet à celui qui donna Jésus-Christ au monde; les lu-
mières de la nation arabe d'alors , à celles des Romains
du siècle qui suivit Auguste; la doctrine musulmane,
qui favorise la passion la plus chère au commum des
hommeSj à la doctrine chrétienne qui la réprime sévè-
rement; les guerres par lesquelles les mahométans ont
répandu leur doclrine , à la patience par laquelle les
chrétiens ont fait triompher la leur ? Tous les moyens
humains qui favorisaient le mahométisme , avaient
combattu le christianisme. Pour ne parler que d'un seul
de ces moyens , il est évident que c'est principalement
au succès de ses armées que l'islamisme a dû celui de sa
doctrine, puisqu'on se sont arrêtées ses armes, là a été
posée à sa doctrine une barrière impénétrable.
LXXXI. « Un autre exemple qu'on nous oppose, est
« la révolution à laquelle Luther et Calvin ont donné
« lieu. Tous les pays dont les princes ont embrassé la
« doctrine de ces hommes célèbres , ne sont remplis que
« de luthériens et de calvinistes. Et c'est ce que l'on
« voit partout où un souverain embrasse une doctrine
« nouvelle ; bientôt la moitié de son état change de re-
a ligion. Supposons que, lorsque Luther et Calvin dé-
« clamaient contre la religion romaine , toute l'Europe
•I eût été sous la domination d'un seul prince qui eût
492 ÔISSERTATIONS
M penché pour la nouveauté; les catholiques seraient
u aujourd'hui réduits à un petit nombre. »•
LXXXII. La réponse à cette objection est dans l'ob-
jection même. Si , comme il n'est que trop vrai , le
peuple est porté à suivre la religion de son prince, il ne
devait donc pas, dans les premiers siècles , embrasser la
foi chrétienne , que persécutaient les princes. Plus on
exalte la malheureuse influence des souverains, plus on
fait sentir quel énorme obstacle était, à la propagation
du christianisme, le paganisme des empereurs, et leur
zèle si ardent à le soutenir.
La déplorable politique qui, dans le seizième siècle,
fit adopter à plusieurs souverains les innovations de Lu-
ther et de Calvin , a été , et on en convient ici , la cause
de la propagation de ces hérésies. Il y a donc entre l'é-
tablissement du protestantisme et celui du christianisme
cette essentielle difïérence_, que l'un s'est établi par la
protection des princes , et l'autre par la persécution des
princes ; et que ce qui a été d'un coté un moyen natu-
rel, a été, de l'autre , dans l'ordre de la nature, un
obstacle. Comment donc peut-on établir une comparai-
son entre la propagation de ces deux religions?
Mais ce n'est pas la seule difïerence qu'il y ait entre
l'établissement du christianisme et celui du protestan-
tisme. Dans le siècle où le protestantisme se produisit ,
les lettres commençaient à peine à renaître : le siècle où
se montra le christianisme, était celui de toutes les con-
naissances. Le protestantisn^e afl'ectait un grand respect
pour la religion ; sa prétention était de la rendre pure et
sans tache, par la réforme de quelques abus : le chris-
tianisme heurtait de front , et prétendait détruire la re-
ligion existante. Le christianisme captivait rintelligence,
en soumettant la croyance à une autorité infaillible ; le
protestantisme, en renversant cette autorité, flattait la
raison, dont il étendait l'empire, en la rendant juge de
la foi. Le christianisme mettait un frein à toutes les pas-
sions alors très-exaltées, et assujettissait l'homme à un
joug sévère : le protestantisme adoucissait le joug de
SUR LA RELIGIOxX. 493
TEglise romaine , supprimait la confession auriculaire,
anéantissait plusieurs sacrements, abolissait les obser-
vances de l'Eglise, s'emparait de ses biens, dissolvait les
vœux, autorisait le divorce. Le christianisme exposait
ceux qui l'embrassaient aux persécutions , aux confisca-
tions, aux emprisonnements, aux supplices : le protes-
tantisme, favorisé par les princes, ne faisait rien crain-
dre de tout cela. Enfin , le christianisme n'opposait à
ses ennemis qu'une inaltérable patience, et ne faisait
couler d'autre sang que celui de ses membres. Que de
révoltes a excitées , que de guerres a fait naître , que de
sang a fait répandre le protestantisme partout où il a
pénétré ! Qu'on cesse donc d'opposer l'établissement des
autres religions à celui de la nôtre, et qu'on ne nous
donne pas des disparates pour des comparaisons.
On nous dit que, si du temps de Luther et de Calvin,
tous les états n'avaient eu qu'un souverain qui eût em-
brassé leur doctrine, le catholicisme serait aujourd'hui
considérablement diminué. Cela est vrai , humainement
parlant , et indépendamment du secours divin ; mais de
là même il résulte, je le répète , que la propagation du
christianisme est divine. Lorsqu'il s'est établi, l'hypo-
thèse que l'on fait ici était réalisée. L'autorité sur la
plus grande partie de l'univers connu était réunie dans
une seule main , et cette main si puissante frappait avec
une force terrible sur quiconque se faisait chrétien.
LXXXIIL Enfin, les ennemis du christianisme pré-
tendent que sans recourir à la puissance divine pour
expliquer la propagation du christianisme, il est facile
tl'en trouver la cause dans les principes naturels. Nous
pouvons rapporter à trois chefs principaux les causes
naturelles auxquelles les divers incrédules attribuent
cet événement. Nous avons montré que les dispositions
des peuples, que la nature de la doctrine , que l'autorité
persécutrice des souverains , avaient été des obstacles à
l'agrandissement de la religion. Ils prétendent, au con-
traire, trouver dans CCS trois choses des moyens qui y
ont concouru.
494 DISSERTATIONS
« Ils prétendent d'abord que les dispositions natu-
« relies des lionnnes , et les dispositions particulières
« des esprits, à la naissance du christianisme, au lieu
« de contrarier, favorisaient son succès. »
LXXXIV. « On connaît l'inconstance naturelle du
a peuple. Tout ce qui est nouveau a de l'attrait pour
tt lui ; et à ce titre , le christianisme , qui contrariait les
« idées reçues, devait lui plaire. La liberté, naturelle à
« l'esprit humain , le fit adopter dans sa naissance,
« comme elle l'a fait souvent rejeter dans sa vieillesse,
a Cette indépendance , plus amoureuse de la nouveauté
« que de la vérité, devait lui procurer un grand nom-
« bre de sectateurs. Donnez-moi , dit un déiste , une
«< douzaine d'hommes à qui je puisse peisuader que ce
« n'est pas le soleil qui fait le jour , je ne désespère pas
■ que des nations entières n'embrassent cette opinion.
« Un autre principe , qui est pareillement dans la
« nature humaine, a du aussi attirer à la rehgion
« beaucoup de partisans. Il faut au peuple du mer-
« veilleux. Ce qui frappe son imagination est ce qu'il
« croit le plus facilement. Quelle est la merveille la
« plus absurde qui , étant annoncée , n'ait pas été crue ?
«< Et sans sortir de notre temps, qui est si éclairé, n'a-
« vons-nous pas tous vu Cagliostro , Mesmer , le Sour-
« cier, faire une multitude de dupes , et s'attirer des
« partisans dans toutes les conditions ? Une religion que
« l'on fondait sur des miracles, qui présentait des mys-
u tères incompréhensibles, était naturellement du goût
« du peuple : plus ils étaient extraordinaires , plus il
M était porté à les croire. »
LXXXy. i» 3Iais si les dispositions naturelles de
« l'esprit humain concouraient par elles-mêmes à l'é-
« tablisseinent du christianisme , celles où étaient alors
« les esprits leur donnaient une grande force, et de-
«< vaient entraîner dans ce parti un grand nombre de
" personnes. La raison humaine avait remporté un
« triomphe facile sur les superstitions païennes. Le
- paganisme vleilii ne présentait plus aux hommes que
I
SUR L\ RELIGION. 495
des fables absurdes. L'incrédulité était devenue géné-
rale, non-seulement parmi les savants, mais encore
parmi le peuple , et même parmi les esclaves. Si on
en doute, qu'on lise ce qu'en disaient Cicéron , Lu-
crèce, Sénèque, et tant d'autres. L'homme est telle-
ment enclin à la superstition, que, tù on lui en
enlève une, il retombe aussitôt dans une autre. Les
peuples se trouvaient tout disposés à adopter tout
autre objet de culte à la place de celui que la philo-
sophie leur avait enlevé. Dans cet état de choses, une
religion nouvelle, qui annonçait un Dieu unique,
créateur, tout-puissant, rémunérateur de la vertu et
vengeur du vice , se présentait avec bien de l'avan-
tage. Ajoutons à cela que la philosophie avait mis à la
mode les discussions , les disputes , les diversités
d'opinion. On voit aussi que dans ce temps l'imagi-
nation seule régnait. On croyait facilement aux vi-
sions. Les miracles trouvaient aisément créance. Les
esprits, les prestiges, les maléfices étaient crus uni-
versellement. Faut-il s'étonner qu'on ait cru une
religion qui favorisait tout cela? L'état civil et poli-
tique de l'empire était même, pour le christianisme,
une cause d'accroissement. Les peuples étaient livrés
à toutes sortes de maux par la barbarie des tyrans
qui régissaient l'empire , par les vexations des gou-
verneurs de provinces , par les extorsions et les
rapines des employés de tout genre , par les inon-
dations des barbares, par les fléaux multipliés qui
ravageaient alors la terre. Il est tout simple que les
peuples désolés , qui ne voyaient sur la terre que des
oppresseurs, aient cherché du secours dans le ciel;
et que, déjà dégoûtés de leur vieille religion, qui
d'ailleurs n'apportait aucun remède à leurs malheurs,
ils se soient retournés vers la religion nouvelle , qui
apprend à souffrir, et qui console l'infortuné par les
immenses dédommagements qu'elle lui présente. »
LXXXVL « Loin que la doctrine chrétienne fût de
nature à être contredite, elle était au contraire très-
496 DISSERTATIONS
« propre à être accueillie , à raison de ses dogmes , de
« sa morale et de sa discipline. »
LXXXyiI. « Elle ofïrait, à la vérité, à l'adoration
« des peuples un crucifié ; mais on disait que ce crucifié
« était Dieu; on annonçait qu'il avait fait des miracles :
• les premiers chrétiens avaient aussi la prétention d'en
c faire. Tout cela devait faire impression sur un peuple
a incapable de réflexion et d'examen. Tandis qu'on
« frappait son esprit du récit de ses merveilles, on
« touchait son cœur en disant que c'était pour son salut
« que ce crucifié était mort. La croyance inébranlable
« d'une vie future était aussi très- propre à concilier à
«« la nouvelle doctrine beaucoup de partisans. Parmi
«t les philosophes , très-peu croyaient à l'immortalité
« de Tâme ; et ceux qui admettaient cette vérité se
« moquaient des peines et des récompenses futures ,
« que le peuple croyait réservées aux méchants et
« aux bons. Les chrétiens ayant établi comme un dogme
« certain la réalité de la vie future , qui jusque-là
« n'avait été proposée que comme un système, durent
« d'abord engager par là dans leur parti tous ceux qui
« sentent le besoin qu'a la morale de cet appui. Il
« n'est pas étonnant ensuite que la magnifique pro-
« messe qu'ils faisaient d'une vie souverainement el
« éternellement heureuse, à condition d'embrasser l'E-
« vangile et de pratiquer ses commandements, ait fait
« la plus grande sensation, et ait été accueillie d'un
<« grand nombre de personnes. La croyance où on était ,
« dans la primitive Eglise, que la fin du monde et le
« royaume du ciel étaient proches, faisait encore sur
« les espi'its une vive impression, et les disposait à
« recevoir favorablement la religion. »
LXXXyiIL a A ces dogmes étonnants et consolants
« on joignait la morale la plus propre à être adoptée.
« Pendant que les vices abominables des souverains
" sapaient le paganisme , les vertus qui accompagnent
« toujours le prosélytisme achevaient de le renverser.
« Une religion née dans les calamités publiques, devait
SUR LA RELIGION. 497
« donner à ceux qui la prêchaient beaucoup d^empire
I snr les malheureux qui se réfugiaient dans son sein.
« La charité , l'union des premiers chrétiens entre eux ,
i était un charme qui engageait à se réunir à eux ; et
I les aumônes abondantes qu'ils répandaient, un appât
I qui leur attirait tous les misérables. Le désir de
i soutenir la bonne réputation de leur société était un
« motif qui influait principalement sur leur conduite
i pure et sainte , et cette réputation qu'ils se donnaient
K grossissait encore le nombre de leurs prosélytes. La
» facilité d'obtenir le pardon de ses péchés, dans cette
K religion, y attirait aussi beaucoup de païens agités
» de remords de leur vie passée , et ne trouvant dans
« leurs temples aucuns moyens de réconciliation. L'n
u autre point de la morale chrétienne , très-propre à la
« faire fleurir, était le zèle exclusif et intolérant qu'elle
« inspirait à ses sectateurs. Regardant comme réprouvés
a tous ceux qui professaient une autre religion , les
« chrétiens se faisaient un devoir de prêcher la leur et
4 de l'étendre. Elle prêchait, à la vérité, la mortifi-
« cation des passions et des sens; mais, bien loin que
« le peuple soit éloigné d'embrasser une religion con-
« traire aux sens , elle est en cela plus de son goût. »
LXXXIX. « La constitution de l'Eglise était aussi
« très-propre à son agrandissement. Elle avait d'abord
« été gouvernée par des prophètes; mais le don de
« prophétie ayant cessé, on établit des évêques, ou
« anciens, pour la régir, et des ministres de difl'érents
a ordres. Ces places flattaient l'ambition et la cupidité
* des chrétiens , et les attachaient de plus en plus à leur
« religion. D'ailleurs , ces ministres dirigeaient et
« conduisaient les autres fidèles , les retenaient dans le
« même esprit, entretenaient en eux le zèle de la
« religion , et donnaient à leurs efforts la supériorité
« qu'un petit nombre de volontaires bien conduits ont
« sur une multitude sans discipline. »
XC. « Enfin les persécutions, qae l'on regarde comme
« un obstacle à l'accroissement du christianisme, n'^y
498 DISSERTATIONS
« ont pas nui , comme on veut le croire. Il s'en faut
« de beaucoup qu'elles aient été perpétuelles. Il y a
« eu des alternatives de persécution et de tolérance
M qui ont servi le christianisme. La persécution a hdté
« les progrès que lui avait ouverts la tolérance. On sait
« combien Tesprit de parti a de force, surtout dans un
« parti persécuté. Le silence et la proscription, la clé-
u mence et la rigueur , tout est devenu utile à celui-là.
« Si on eût continué constamment à déployer contre
« les chrétiens une exacte sévérité , on aurait détruit la
« secte. Si on avait toujours suivi le plan de la mépriser,
« la secte serait tombée d'elle-même. On a d'autant
« plus tort de faire valoir, en faveur du christianisme ,
« les persécutions, que c'est aux persécutions qu'il a
tt intentées qu'il a dû son agrandissement et son affer-
it missement. Constantin , despote crédule et barbare ,
« poursuivit de toute sa puissance l'idolâtrie , défendit
a les sacrifices , dépouilla des temples , en fit démolir
«< d'autres , et couronna son zèle par la mort du philo-
a sophe Sopàtre, uniquement par haine contre le paga-
» nisme, ainsi que le rapporte Suidas (1). Les succes-
« seurs de ce prince , tous persécuteurs ainsi que lui ,
a achevèrent , par leur cruauté , la ruine du paganisme.
«< Le zèle intolérant des empereurs païens avait com-
« mencé l'ouvrage de l'élévation du christianisme ; le
« zèle intolérant des empereurs chrétiens l'acheva. »
XCI. Voilà, je crois, toutes les causes auxquelles
l'incrédulité attribue l'établissement de la religion.
En rapprochant ce qui est épars dans les écrits des
différents déistes, je ne crois pas l'affaiblir. On pour-
rait même trouver , dans la réunion de ces divers
moyens , quelque chose de plus spécieux que dans
chacun d'eux isolé , et dire que si aucun n'était assez
(i) Sopater apamensis, sophista et philosophas, discipulus Jam-
blici. quem Gœsar Consraritinus interfecit , ut confirmarel se non
amplius esse geniili religioni addictam, Eraf eaira ei farailiaris prias.
{Suidas in Sopatro.)
SUR LA RELIGION. 499
fort en lui-même pour opérer la révolution dont il
s'agit, chacun a pu y contribuer pour sa portion, et
que, de leur coopération simultanée, l'elfet général a
a pu résulter. Mais s'il est vrai qu'aucune de ces causes
n'a eu part à l'établissement du christianisme , il est
évident que leur concours n'a pas pu l'effectuer. Si
aucune n'en a opéré une partie , l'ensemble n'a pas
produit le tout. Reprenons donc , article par article ,
toutes les parties de l'objection , et montrons que de
tous les moyens naturels qu'on nous oppose , il n'y en a
aucun qui ait contribué à la propagation du christia-
nisme , que plusieurs même y ont été des obstacles.
XCII. On nous parle de l'inconstance naturelle au
peuple, de son amour pour la nouveauté. Mais, reve-
nons à considérer ce qu'exigeait des néophytes la pro-
fession du christianisme. Il leur fallait d'abord renoncer
aux préjugés , aux habitudes, aux affections, aux jouis-
sances dont depuis longtemps ils faisaient leur bonheur;
il leur fallait ensuite s'exposer au mépris, aux spolia-
tions, aux emprisonnements, aux supplices, à la mort.
Je demande si l'inconstance et l'amour de la nouveauté
auraient pu déterminer les hommes à tous ces sacrifices?
Est-ce l'inconstance qui produit des opinions tellement
constantes, ou l'amour de la nouveauté qui excite des
attachements tellement solides, qu'on meurt pour les
soutenir? Supposons un homme que ces motifs eussent
attiré dans le christianisme : il n'y serait pas resté
longtemps ; il en serait au moins sûrement sorti trè5-
promptement , dès qu'il aurait commencé à souffrir
quelques-uns des maux qu'entraînait la pratique de la
religion.
XCIII. On nous parle de la liberté naturelle à l'esprit
humain , de l'indépendance amoureuse de la nouveauté.
Mais ces sentiments de liberté et d'indépendance de-
vaient retenir dans le paganisme , qui laissait toutes les
opinions libres , qui permettait de prendre dans la
religion et d'en rejeter tout ce que l'on voulait, comme
on le voit dans les diverses sectes philosophiques. Ils
500 DISSERTATIONS
devaient, au contraire, éloigner de la religion chré-
tienne, qui assujettit la raison à son autorité, et lui
ordonne de croire ses mystères, en lui défendant de les
approfondir.
XCiy. L'hypothèse que fait un déiste, d'une douzaine
d'hommes à qui on persuade , et qui persuaderont
ensuite à des nations entières, que le soleil ne produit
pas le jour , est à mes yeux un aveu de la faiblesse de sa
cause. Il faut se sentir bien dépourvu de raison pour
recourir à une supposition aussi absurde et aussi ridi-
cule. Je crois n'avoir à y faire qu'une réponse. Je veux
bien convenir qu'il est aussi possible que des moyens
humains aient propagé la rehgion , qu'il est possible
que douze hommes , qui ne sont pas fous , d'abord se
persuadent que le jour ne vient pas du soleil j et ensuite
le persuadent à des peuples entiers.
XCy. On objecte l'amour des peuples pour le mer-
veilleux. Mais ce motif aurait dû plutôt retenir les
peuples attachés aux fictions enchanteresses du paga-
nisme, que les attirer aux dogmes austères de l'Evangile.
J'ai d'ailleurs répondu à cette difficulté (1). 1° Le peuple
s'engoue du merveilleux , mais de celui qui frappe ses
idées et ses goûts. Son enthousiasme ne porte jamais sur
les doctrines métaphysiques, beaucoup moins encore
sur ce qui exige, comme le christianisme, de grands
sacrifices. Mesmer promettait la santé; Cagliostro, de
plus^ flattait de l'idée devoir des héros morts depuis des
siècles ; Bleton devait faire trouver des fontaines utiles.
On ne citera jamais que de tels exemples. Que l'on nous
nomme un charlatan qui ait abusé le monde sur des
objets qui présentassent autant de maux à souffrir, qu'en
présentait alors la profession du christianisme. 2° Les
charlatans , quelque admirables que soient leurs pro-
messes , quelque merveilleux que soient leurs tours ,
(i) Voyez a^ Disseit., part, a , ch. IV, n° xxur , page 37a.
SUR LA RELIGION. 50t
n'abusent que le menu peuple , et quelques têtes
chaudes, qui à cet égard sont peuple; mais l'illusion
est bientôt dissipée quand les hommes raisonnables et
de sang-froid l'examinent. Combien ont duré celles que
l'on cite?
XCYI. On prétend que tout le monde était dégoûté
du paganisme; que personne dans aucune classe n'y
croyait plus. D'abord , en supposant l'idolâtrie facile à
détruire, il ne s'ensuivrait nullement que le christia-
nisme fût aisé à établir. Il y avait encore loin de ren-
verser les idoles de leurs autels , à y placer Jésus-
Christ. Ensuite , sur quoi fonde-t-on l'assertion ? Sur les
ouvrages de trois ou quatre écrivains qui avaient senti
le ridicule des fables populaires. Mais où les conduisait
leur prétendue sagesse? Elle avait amené l'épicurien
Lucrèce à rejeter jusqu'à Texistence de Dieu ; Cicéron et
Sénèque , qui sentaient la nécessité d'une religion , à
déclarer qu'on doit suivre celle qu'on trouve établie (1).
Je demande si, même dans le petit nombre d'auteurs
que l'on cite , c'étaient là des dispositions à embrasser la
religion chrétienne. 3Iais voit-on que le grand nombre
des hommes instruits partageassent l'opinion de ceux-là
sur le paganisme? Ne sont-ce pas, au contraire, des
philosophes, Celse , Porphyre, Jamblique, Hiéroclès,
Julien, Libanius , Symmaque, qui se font, contre notie
Dieu, les défenseurs des divinités païennes? et la mcisse
du public , la presque totalité , disons même la totalité
du peuple , loin d'être désabusée des superstitions , v
(i) A patribus acceptes deos plaçait coli... Illad ex instirntis pon*
tifîcum et araspicurn non inutandam est , quibus bostiis immolandaœ
cnique Deo. (Cicer., de Legibus ^ lib. ii. )
In 11 s sacris civilis theologiœ bas partes potius elegit Seneca «a-
pienti, ut eas in animi reUgione non babeat, sed in actibas fingat.
Ait enim : quce omnia sapiens servabit , tanqunm legibtis jussa. non
tanquam diis grata Oinnem islam ignobilem deorum turbam ,
quam longo (Evo supersticio congessic ^ sic adorablmus ^ ut memineri-
mus cultuin ejiis magis ad more m ^ quam ad rem pcrtinere. (S, Au-
gust., de Civ. Dei, lib, vi, cb. lo, n'' 5.)
502 DISSERTATIONS
conservait le même attachement. Le culte était toujours
aussi fréquenté; la religion faisait autant que jamais
une partie de Tordre public. Si les absurdités du paga-
nisme étaient universellement reconnues , pourquoi
n'ont-elles été rejetées que quand les apôtres les ont
combattues ?
XCYII. On ajoute que les discussions étaient alors de
mode. Je conviens du fait, et j'en conclus le contraire
de ce que prétendent nos adversaires. Si on aimait à
discuter, on discuta donc, et beaucoup, les motifs de
crédibilité du christianisme; il ne fut donc adopté qu'a-
près un très-long, très-sérieux et très-profond exa-
men.
XCYÏII. Je nie formellement que lorsque le chris-
tianisme parut, l'imagination seule régnât. Il n'y a pas
eu , au contraire , de temps où la philosophie et le rai-
sonnement aient été plus à la mode. 11 était arrivé au
siècle qui suivit celui d'Auguste , ce que nous voyons
dans le nôtre, qui vient à la suite de Louis XIT. Aux
talents et au génie avait succédé la philosophie , ou sa
prétention. C'est la marche ordinaire de l'esprit humain,
que la manie de raisonner s'augmente dans les siècles
éclairés, à mesure que l'imagination se dessèche et
s'éteint.
XCIX. Il y avait dans ce temps-là , comme il y en
a dans tous les temps, des têtes échauffées^ des esprits
simples, qui croyaient facilement aux visions , aux
prodiges; mais ce n'était pas plus la manie de ce siècle
que des autres; c'était même, beaucoup moins que
jamais, l'inclination des hommes éclairés. Les épicuriens
rejetaient sans examen, comme des fables, tout ce qui
sortait du cours naturel. Les académiciens avaient pour
principe de tout soumettre à la discussion, et de n'ad-
mettre que ce qui leur était prouvé par la raison. La
maxime des stoïciens était de s'en tenir aux doctrines
antiques. Les pythagoriciens reconnaissaient pour règles
les décisions de leur maître. Tous ces hommes étaient-
ils disposés à adopter aisément des visions? Lorsque le
SUR LA RELIGION. 503
christianisme est venu se présenter à eux , leur appor-
tant ses miracles , pense- t-on qu'ils les aient crus sur
parole et sans examen ?
C. On nous paile de maux physiques qui pesaient
sur les peuples , et qui attiraient naturellement à une
religion consolatrice.
J'observe , d'abord , que parmi ces fléaux auxquels
l'incrédule veut rapporter l'origine du christianisme ,
il place les inondations des barbares, qui ne commencent
qu'au cinquième siècle, lorsque le christianisme était
certainement bien établi. Cet anachronisme grossier ne
doit pas donner une haute idée du reste de l'ob-
jection.
On insiste sur les vexations des tyrans et sur les
malheurs des peuples sous leurs règnes. Mais que l'on
considère donc qu'un des temps où le christianisme a le
plus étendu ses progrès a été le second siècle, sous la
domination de Trajan, d'Adrien, d'Antonin , et de
Marc-Aurèle ; ce qui forme un espace de quatre-vingt-
deux ans. Jamais royaume n'a été plus sagement gou-
verné , jamais les peuples n'ont été plus heureux que
sous ces quatre empereurs.
Il est d'ailleurs tellement contraire à la vérité que les
malheurs publics attirassent le peuple au christianisme,
que c'était au contraire au christianisme qu'il les attri*
buait , et qu'ils étaient un prétexte de persécution.
INous avons vu la preuve de cette imputation, et les
défenseurs de la religion se plaindre de cette injustice et
la réfuter (1).
Je passe au second genre de moyens naturels que
Ton prétend avoir concouru à la propagation du chris-
tianisme, et que l'on tire de sa doctrine.
CI. On argumente, d'abord, de ce qu'en présentant
aux adorations des hommes un crucifié, on leur disait
que ce crucifié avait fait des miracles; et de ce que les
V(jyer ci-dessas, no xl, note i, page 436.
504 DISSERTATIONS
prédicateurs de sa doctrine prétendaient avoir encore
le pouvoir d'en faire.
Sur les miracles de Jésus-Christ je propose à l'incré-
dulité cette alternative : Ces faits miraculeux étaient-ils
prouvés, ne l'étaient-ils pas? Si on convient qu'ils
l'étaient , la question est décidée. La religion s'est éta-
blie par le moyen surnaturel des miracles. Si on pré-
tend que les prodiges attribués à Jésus-Christ n'étaient
pas prouvés, je dis que la conversion du monde, par
l'annonce des miracles, est un phénomène insoluble à
la raison ; et pour le montrer, je fais cet autre dilemme.
Ou le public fut persuadé de la réalité de ces miracles ,
ou il ne le fut pas. Qu'on admette l'un ou l'autre, on
tombe dans une absurdité. Soutenir que l'univers ait
cru, sans preuves, des miracles aussi extraordinaires;
que sur la foi aussi légèrement conçue de ces miracles ,
et sans en avoir aucune raison, il ait consenti à admettre
des mystères aussi au-dessus de la raison, et se soit
déterminé aux plus rigoureux sacrifices, est souverai-
nement déraisonnable. Des miracles jiour lesquels il
faut souftrir tout ce qu'entraînait de maux la profession
du christianisme, ne sont pas crus sur parole et sans de
très-fortes preuves. Si on aime mieux prétendre que la
religion chrétienne fut embrassée par l'univers, quoi-
qu'il ne crût pas vrais les miracles de son auteur, ce sera
une assertion souverainement ridicule. Le monde se
serait laissé entraîner à adorer un crucifié sur l'annonce
de ses miracles , quoiqu'il fût persuadé de la fausseté de
ces miracles.
Par rapport aux miracles des premiers chrétiens,
l'objection est, s'il est possible, plus pitoyable encore.
Ils se vantaient de faire actuellement des miracles. Pour
savoir si leur prétention était fondée , il n'y avait pas
besoin de raisonnement , il ne fallait que des yeux. On
ne pouvait pas sur ce point être dans l'erreur, ni même
dans l'incertitude. S'ils opéraient les prodiges qu'ils
promettaient, la religion a été étabhe par un moyen
surnaturel et par la puissance divine. Si, promettant des
SUR LA RELIGION. 505
miracles , ils n'en avaient point opéré , ils auraient
perdu toute créance et décrétUlé leur doctrine. L'annonce
des miracles était un moyen puissant de fonder le
christianisme , s'ils étaient réels , mais en même temps
elle était un obstacle insurmontable à la fondation du
christianisme, s'ils étaient faux. Le christianisme a été
établi par l'annonce des miracles; donc les miracles ont
été véritablement opérés.
CIL On nous donne comme un moyen naturel d'at-
tirer au christianisme les païens, la doctrine du chris-
tianisme sur la vie future , où la vertu et le vice rece-
vront leur salaire. Ce n'était que dans quelques écoles
de philosophie que Its peines et les récompenses d'une
autre vie étaient rendues problématiques. Le peuple
n'en doutait point. L'élysée et le tartare faisaient partie
de la religion généralement reçue. Celle que l'on pré-
sentait éclaircissait et confirmait ce qu'enseignait l'an-
cienne. Etait-ce une raison pour en changer? D'ailleurs ^
si cette ferme croyance d'une autre vie devait naturelle-
ment attirer les hommes dans une doctrine, pourquoi
ne les avait-elle pas tous attirés dans le stoïcisme, qui
en faisait un dogme fondamental? Comment^ après
l'établissement de cette secte , se trouvait-il encore des
épicuriens qui rejetaient l'autre vie , des académiciens
qui en doutaient? Quelle force a existé dans le christia-
nisme, pour opérer ce que, durant trois siècles, le
stoïcisme n'avait pu faire?
CIIL On nous donne comme la croyance de toute
la primitive église, une opinion que très-peu de per-
sonnes , que peut-être personne n'avait ; savoir , que la
fin du monde était proche. L'apôtre St. Paul avait
réfuté cette erreur, et dissipé l'illusion où avaient pu
être quelques esprits (1), D'ailleurs , supposant sans
(j) Rogamas antem vos fratrcs;... ut non cilo moveamini a ves-
tro sensu, neque terreamini , neqne per spiritum, neqiie per episto-
lam , tanquam per nos missam , quasi instet dies Doraini. (2. Thes-
ial.ll, I, 2.)
Dissert, sur la Relig, 22
506 DISSTATIERONS
fondement , et contre la vérité , que c'était une croyance
générale dans TEglise, comment aurait-elle pu y attirer
les païens, qui ne l'avaient pas? Pour leur imprimer
cette terreur de la fin du monde, il aurait fallu com-
mencer par leur prouver la vérité de la religion ; mais
cette terreur ne pouvait pas être pour eux une raison de
croire que la religion fût véritable.
CIV. On nous donne comme un moyen naturel de
la propagation du christianisme, la beauté de sa morale,
la manière dont elle était pratiquée, la charité et l'union
des premiers chrétiens. Je crois bien que le spectacle,
si nouveau parmi les païens, de la vie pure et pleine de
vertus que menaient les premiers chrétiens , dût faire
une grande impression , et disposer les esprits raison-
nables , qui se donnaient la peine d'examiner, en faveur
de la religion qui procurait ce bien à l'humanité. Mais
je demanderai d'abord si on peut regarder comme une
chose naturelle , que douze pécheurs , d'un esprit simple
et grossier , aient présenté au genre humain une morale
aussi sublime , aussi parfaite , qui sui*passe de beaucoup
tout ce qu'avaient pu imaginer les plus profonds philo-
sophes? Je demanderai ensuite si c'est encore une chose
naturelle, que cette morale si austère, qui non-seule-
ment conseille , mais commande les vertus les plus
contraires à la nature et aux inclinations de l'homme ,
ait été adoptée si généralement à la voix de ces douze
hommes sans autorité comme sans lumières ; qu'ils
aient eu le pouvoir d'engager un si grand nombre
d'hommes à se dépouiller des vices qu'ils avaient pra-
tiqués toute leur vie sans scrupules et sans frein, et
dans lesquels ils plaçaient leur bonheur , en leur
faisant embrasser subitement toutes les vertus contraires :
à l'égoïste , la charité fraternelle ; à l'orgueilleux , l'hu-
milité; à l'ambitieux, le désintéressement; à l'avare,
le mépris des richesses; au vindicatif, l'amour des
ennemis ; aux voluptueux , la mortification. Que l'on
compare ce qu'avaient produit depuis plusieurs siècles ,
pour la perfection de la morale, les plus beaux génies
SUR LA RELIGION. 507
dont niumanité se glorifie , à ce qu'ont opéré , dès le
premier moment de leur prédication , ces esprits si
épais et si bornés, et qu'on vienne nous dire ensuite que
le succès de ceux-ci est un effet naturel. On nous donne
comme une cause naturelle de ces vertus de l'Eglise
primitive, le désir de soutenir la bonne réputation de
la société. C'était véritablement un sentiment naturel à
des hommes pénétrés de la vérité et de la sainteté de
leur religion , de désirer en persuader tous les autres.
Mais, 1" ce motif seul aurait-il été capable de les porter
à tous les sacrifices qu'exigeait le christianisme? 2° Le
désir de procurer au christianisme une bonne réputa-
tion , pouvait-il attirer au christianisme les païens?
Cy. Pour faire regarder comme naturelles les mœurs
vertueuses et pures des premiers chrétiens , on dit que
les vertus accompagnent toujours le prosélytisme. Cette
assertion n'est assurément pas exacte. Combien de sec-
taires ont été des hommes sans vertus I combien de
sectes ont dû leurs progrès à ce qu'elles lâchaient la
bride aux passions !
CVI. « Comment l'incrédule ose-t-il compter parmi
« les moyens de séduction les espérances, les consola-
« tions, et jusqu'aux aumônes que le christianisme
« offrait à ses prosélytes? Les espérances et les conso-
« lations de la foi chrétienne n'étaient pas de nature à
« éblouir la multitude; elles ne pouvaient faire quelque
K impression que sur des âmes vertueuses , fortement
« déterminées à sacrifier tous les intérêts du monde et
'i des passions au désir du salut éternel. Que le peuple
« se laisse prendre à l'appât de la licence et de l'impu-
« nité, c'est une chose naturelle et trop ordinaire ;
u mais que, sans motif, sans examen, malgré tous ses
« préjugés, il embrasse une doctrine qui l'oblige à la
« vertu la plus austère , qui ne lui présente aucun
« avantage temporel , et qui l'expose à de nouvelles
« peines et à de nouveaux dangers, c'est un genre de
« séduction dont il n'y avait pas encore eu d'exemple,
u Ces aumônes, si recommandées dans les épîtres de
508 DISSERTATIONS
<( St. Paul 5 étaient un bien faible dédommagement
« pour la gêne et les périls inséparables alors de la
«t profession du christianisme. Tl s'en fallait de beaucoup |
« qu'elles pussent suffire aux besoins de tous les con-
« vertis , et certainement elles n'étaient pas destinées à
« nourrir l'oisiveté. Car St. Paul fait une loi rigoureuse
rt du travail , en disant que celui qui ne travaille pas ne 3
« mérite pas de manger (1). Quelle injustice, quel \
« travers d'esprit , de chercher un argument contre le
« christianisme dans une institution où l'on ne devrait
a qu'admirer le désintéressement et la charité qu'il i
« inspire I Quelle inconséquence de ranger les aumônes j
<( parmi les moyens de séduction , quand on prétend
« que l'Eglise n'était alors composée que de misérables?
« Etaient-ce les juifs ouïes païens qui en faisaient les
« fonds? Et si c'étaient des chrétiens, comme il faut
« bien le supposer, par quels motifs ces hommes opu-
«« lents avaient-ils été gagnés à la nouvelle religion (2)?»
CVII. On nous présente encore comme un moyen de
grossir le parti chrétien la facilité qu'on y trouvait
d'obtenir le pardon de ses péchés, ce que n'offrait pas
le paganisme. D'abord cette dernière partie de l'objec-
tion n'est pas vraie. On connaît les initiations par
lesquelles les prêtres des faux dieux prétendaient faire
pardonner les plus grands crimes. D'ailleurs ce motif
n'aurait pu attirer au christianisme qu'un bien petit
nombre de personnes. La vie austère et pénitente qu'il
prescrivait , était bien plus propre à en éloigner les
grands pécheurs. Enfin, pour chercher dans une religion
le pardon de ses fautes, il faut avoir reconnu la vérité
de cette religion. Un homme assez repentant de ses
péchés pour vouloir les expier , n'ira pas tête baissée
s'adresser à une secte qu'il ne croit pas véritable.
(i) Si qais non vult operari , neç nianducet. {1. Thessal. III, 10.)
(2) Démonstration évangëlique, par M. Duvoisin ; cinquième édi-
tion, pages 181 et 182.
SCR LA RELIGIO.N. 509
GVIII. Il est vrai que la religion de Jésus-Christ est
intolérante, en ce qu'elle est une , et qu'elle n'admet le
mélange d'aucune erreur, à la différence du paganisme,
qui était un composé de diverses idolâtries. 3Iais cette
insociabilité du christianisme avec lus autres religions,
au lieu d'être un attrait pour ceux qui professaient ces
religions, devait être au contraire un obstacle qui les
repoussât. Je conçois aisément qu'un païen admît sans
beaucoup de difficulté un Dieu qui ne l'empêchait pas
d'adorer ses autres dieux ; mais que, pour recevoir un
Dieu nouveau , on abjurât tout ce qu'on avait de préju-
gés de naissance, d'éducation, d'exemple, cela n'est
pas aussi aisé à croire. La persuasion où étaient les
chrétiens , de la vérité de leur religion , et de la fausseté
de toutes les autres, était bien une raison pour donner
à leur prédication de l'activité , mais nullement pour
lui attirer du succès.
CIX. On prétend qu'une religion qui prêche la luor-
tification des passions et des sens , loin d'éloigner le
peuple , est en cela même plus de son goût. Quand on
avance une assertion aussi contraire à toutes les idées
reçues , il faudrait en donner quelque preuve , tirée du
raisonnement ou de l'expérience. Tous les hommes , en
général , sont portés au plaisir des sens , à la satisfaction
des passions. Si on se bornait à dire qu'il peut se trouver
quelques esprits amateurs des idées abstraites, qui, se
montant au goût de la métaphysique , s'enthousias-
mèrent d'une doctrine qui ordonnait de renoncer aux
sens , on pourrait passer cette assertion. Mais les esprits
de cette trempe sont excessivement rares , ils font une
exception très-peu nombreuse dans la masse du genre
humain , qui est d'une nature absolument contraire ,
et pour qui par conséquent les sacrifices exigés par le
clnistianisme étaient une très- forte raison de le rejeter.
On nous citera peut-être le stoïcisme comme un exemple
de l'empire que peut avoir une doctrine qui réprime les
passions, et qui est contraire aux sens. Mais d'abord, est-
il vrai que le stoïcisme interdit les plaisirs des sens ;
510 DISSERTATIONS
que le christianisme condamne? Ensuite le motif qui
animait les stoïciens n'était-il pas l'orgueil et l'amour de
la réputation? Ils ne réprimaient les autres passions que
pour donner plus de carrière à celle-là, que le chris-
tianisme réprouve ainsi que toutes les autres. Enfin ,
si le sacrifice des passions et des sens est naturel à
l'homme, pourquoi le stoïcisme^ depuis Zenon, avait-il
fait peu de prosélytes? Pourquoi le christianisme , sous
les apôtres, fit-il tant de conquêtes?
ex. La uiorale chrétienne est subhme; mais elle
était calomniée. On accusait les chrétiens des barbaries
les plus atroces, des dissoluiions les plus honteuses;
c'était là ce que le vulgaire croyait de leurs mœurs.
Nous avons vu qu'un des principaux objets des apolo-
gistes était de justifier le christianisme de ces impu-
tations, qui le rendaient généralement odieux (1). Il
n'est donc pas vrai que la beauté de sa morale attirât
en général les païens dans son sein.
CXI. De la morale de notre religion on passe à sa
discipline. On donne la constitution de l'Eglise comme
un moyen naturel , qui a dii contribuer à son agran-
dissement. Sur cela , j'observe d'abord que ce qui est
dit de cette constitution est absolument faux. On pré-
tend que l'Eglise, gouvernée d'abord par des prophètes ,
le fut, après la cessation du don de prophétie , par des
évéques. Il y a eu dès le premier temps , et lorsque le
don de prophétie existait encore , des évèques à la
tête des églises. Les apôtres, à mesure qu'ils en avaient
fondé une, y préposaient un évèque , et St. Paul, qui
fait souvent mention du don de prophétie , comme
existant, avait établi des évêques en divers lieux de
sa prédication.
On dit que les diverses places établies dans le clergé
excitaient l'ambition des chrétiens. C'étaient de bien
misérables objets de l'ambition humaine, que ceux qui ,
(i) Yi)yez ci-dessas , n° LUI, note i, page 456.
SUR LA RELIGION. 51 l
ne rapportant aucun avantage temporel , dévouaient à
déplus grandes fatigues, et exposaient, dans ces temps
de persécution, à de plus grands dangers. D'ailleurs,
ces divers ministères excitaient-ils aussi l'ambition des
païens pour les faire entrer dans le christianisme?
On ajoute que ces ministres, dirigeant les infidèles,
unissaient les efforts de leur zèle. Mais je voudrais
savoir comment des évèques, répandus d'une extrémité
du monde connu jusqu'à l'autre, et qui n'avaient en-
tre eux que de très-difficiles communications, auraient
pu donner cette unité à un zèle qui n'aurait pas été
fondé sur la vérité. Je voudrais aussi que l'on me dît
si les efforts dirigés contre le christianisme par un seul
souverain, revêtu d'une immense puissance, ne devaient
pas avoir plus d'unité que ceux que pouvait faire cette
multitude d'évèques dispersés. Les nombreux volon-
taires , puisqu'on se sert de cette comparaison^ qui
combattaient la rehgion, devaient, humainement par-
lant, être mieux disciplinés que le petit nombre de
volontaires qui la défendaient.
CXIl. Il ne me reste à répondre qu'à la dernière
partie de l'objection , qui donne les persécutions comme
un moyen qui a dû naturellement contribuer à l'a-
grandissement du christianisme. Elles n'y ont pas nui,
dit-on. Si on entend par là qu'elles ne l'ont pas em-
pêché de se propager, on ne dit rien que de vrai;
mais de cette vérité il résulte qu'une force supé-
rieure (1) à celle des souverains l'a protégé contre leur
(i) Qaibasnara snffragiis ad praedicandam evangelinm apostoli usi
snnt? Quibus adjuti potestatibus Christum praedicavemnt, gentesque
fere omnes ab ido'is ad Deam transulerunt? Anne aliqaam sibi assa-
mebant e palatio dignitaJem, hymnnm Deo in carcere inter catenas ,
et post flagella cantantes, edictisque regiis Paulus cam in theatro
spectaculura ipse esset Christo ecclesiam congregabat? Nerone se,
credo, ant Vespasiano aut Decio , pairocinaniibas tuebatur, quorum
in nos odiis confessio divinae praedicalionis efflornit, Illi maiia atqae
opère se celantes, intra cœnacala secretaqne ooeuntes, vicos et cas-
tella , gentesqae fere omnes, terra acmari, contra senalusconsalta ,
512 DISSERTATIONS
violence. Si on prétend que les persécutions ont servi le
christianisme, je demanderai que l'on montre comment
la persécution est un moyen naturel de propager une
religion , et que l'on donne quelque raison de ce sin-
gulier paradoxe.
On croit l'expliquer , et lui donner un air de vérité ,
en disant que la persécution ne fut pas perpétuelle ,
qu'i y eut des alternatives, et que la persécution hâta
les progrès qu'avait ouvert la tolérance l La tolérance I
et dans quel temps ouvrit-elle les progrès du christia-
nisme? Nous avons vu que ceux mêmes des empereurs
qui n'avaient pas donné d'édits pour persécuter les
chrétiens, n'avaient pas révoqué ceux de leurs prédé-
cesseurs. Nous avons vu que sous les empereurs les
moins portés à la persécution, le zèle barbare de plu-
sieurs gouverneurs de provinces, abusant des lois an-
ciennes, sévissait contre les chrétiens, sans que jamais
on le réprimât. Nous avons vu que pendant deux cent
cinquante ans il y eut contre l'Eglise une persécution
continue, qui était redoublée par intervalles. Il est aussi
contraire à la vérité de dire que la tolérance a ouvert
les voies au christianisme , qu'il répugne à la raison que
la persécution ait pu hâter ses progrès.
CXIII. On parle de l'esprit de parti qui attache sur-
tout à une religion persécutée. Tertullien répondait , il
y a seize cents ans : Nous fûmes autrefois des vôtres ;
on devient, on ne naît pas chrétien (1). L'esprit de parti
ne fait pas changer de parti. On ne montre point son at-
tachement à sa secte, en la quittant. Que l'on accuse de
cette opiniâtreté les païens , qui refusaient de se conver-
tir; mais il est déraisonnable et ridicule de l'imputer
et regam edic!a peragrantes, claves regni cœlorum non habebant?
Ant non manifesta se tnm Dei virtas contra odia humana porrexit ,
cnm tanto raagis Christus praedicaretar, qaanto magis praedicari in-
bibereînr. {S. Hilariiis contra jéuxeiitium ^ n° 3.)
(i) Aliqaando de vestris faimus, Fiunt , non nascuntur christiani.
( TertiilL, Apol.^ cap. xvni. )
SUR LA RELIGION. 5I3
aux néophytes chrétiens qui commençaient par fouler
aux pieds les opinions auxquelles ils avaient été atta-
chés.
D'où savent les incrédules que, si on avait continué
de persécuter avec la même violence le christianisme ,
pendant une longue suite d'années, on l'aurait étouffé ;
et que si on avait toujours suivi le plan de le mépriser,
on l'aurait fait tomber de lui-même? Ce n'est point par
des présomptions qu'il faut combattre des faits positifs.
Tout ce que l'on peut dire, c'est que la persécution et
le mépris sont des moyens propres à faire tomber une
fausse doctrine. Mais cette vérité milite pour notre reli-
gion. Elle a subi la double persécution de la cruauté et
du mépris, plus de temps qu'il n'en aurait fallu pour
anéantir dix religions qui auraient été fausses.
CXIV. On veut enfin attribuer l'accroissement du
christianisme aux persécutions des empereurs chrétiens
contre le paganisme. Avant d'examiner le fait, exami-
nons ce qu'on peut en conclure. Deux siècles et demi de
persécution, depuis Néron jusqu'à Constantin, ont
agrandi le christianisme. Un peu plus d'un siècle de
persécution, depuis Constantin jusqu'à 31arcien , ont
anéanti le paganisme. Quelle peut être la raison de cotte
différence, sinon la vérité de l'une de ces religions, et
la fausseté de l'autre?
Reprenant l'assertion en rlie-mème , je dis qu'elle est
tellement démentie par tous les monuments historiques,
qu'il est étonnant qu'on ait osé la produire. Le christia-
nisme était, au commencement du règne de Constantin,
la religion la plus nombreuse. J'ai prouvé cette vérité
par l'autorité des païens , des persécuteurs eux-mêmes ,
par la conduite de 3Iaxence, jiar les édits de JMaxi-
min (1). Comment peut-on attribuer aux persécutions
(i) Voyez ci-deà?uî, n'' xxi et xxii, page 417, note i et 3.
22*
514 DISSERTATIONS
de Constantin et de ses successeurs un accroissement qui
existait avant Constantin?
CX\. Les ennemis du christianisme déchirent ce
prince qui , le premier , a professé et protégé le christia-
nisme. Je n'entreprends point de venger la mémoire de
ce grand empereur ; je laisse ce soin à l'Iùsloire. Elle lui
reproche quelques défauts, quelques fautes; mais avec
la même impaitiaUté elle raconte ses hautes vertus, ses
brillantes qualités, ses grandes actions. Je n'ai ici à le
laver que de l'inculpation de persécution.
Si Constantin avait été persécuteur, Eusèbe aurait-il
osé avancer le contraire , à la face de tout l'empire qui
l'aurait démenti? Ce qui est plus fort encore, si Cons-
tantin eût été persécuteur , Zozime, si ardent contre sa
mémoire, Julien, Libanius, Ammien-Marcellin, Eu-
nape , tous écrivains païens , ne le lui auraient-ils pas
reproché ?
Pour justifier entièrement Constantin à ce sujets il n'y
a qu'à lire l'édit qu'il donna en faveur de la religion
chrétienne , où il permet formellement l'exercice de l'i-
dolâtrie. Eusèbe nous Ta conservé en entier (1).
Il serait trop long de suivre le détail des imputations
faites à ce prince sur l'interdiction de l'idolàlrie , la des-
(i^ Equidem populnin tnum pacale 3C sine ulla diîione degere ,
pro coinmani totius orbis et cnnc'orum mortalium ulil:tate desidero.
Qui autem gentilitatis errore iinplicali sont , ipsi quoque eauidein
cuin fidelibus pacis et quietis oblectationera laeii petcipiant. Haec enim
coinmnnionis et societatis inntuae reparalio ad homjnt-s in reclam
viam reducendos pb^rimam valet. Nemo alteri molestiam facessat.
Quod atriqae bbi'uiu fuerit , id agat, Illud tamen apad eos qui recte
sentiant fixutn, rataraqne esse oportet , so!os illos sancte, casteqne
esse victuros, quos tu ipse ad hoc vocasti, ut sacrosancfis tnis legi-
bns acquiesçant. Qui veio se ipsos snbtrahnnt , habeant siLi raenda-
ciorum delnbra, quando ita volunt. Nos splendidissimam doiiiura
veiitatis tuœ , quani nascentibus nobis donasti retinerons. Id ipsam
qnoqoe illis optanius, nt scilicet ex coramuni oinniTim consensu , at-
qae concordia inaximnm capiant volaptalem. (Eiiseb. vita Constan-^
tini ^ lib. II. cap. 56.)
SUR LA RELIGION. 515
truction et la spoliation des temples. Ce point a été sa-
vamnieait discuté dans un mémoire de 31. le baron de la
Bastie, sur le souverain pontificat des empereurs ro-
mains (1). Il y établit que si Constantin supprima quel-
ques cultes, c'étaient ceux qui servaient d'occasion au
libertinage ; que si ce prince se saisit des revenus des
temples, et fit enlever quelques-unes de leurs statues
pour décorer sa ville de Constantinople, il les laissa , en
tout le reste , dans leur premier état ; ce qu'il prouve
par les autorités non suspectes de Libanius et de Julien.
Il cite une loi de Constance et de Constant, fils de Cons-
tantin , par laquelle ils confirment la loi de leur père sur
les sacrifices, mais sans aller au-delà. Il convient qu'il
existe dans le cod^ Tliéodosien des lois de sang contre
la pratique de l'idolâtrie; mais il ajoute que ces lois
n'ont jamais été exécutées, ni même publiées, et que
Tliéodose le Jeune les a fait mettre dans son recueil ,
parce qu'on les avait trouvées dans les papiers de la se-
crétairerie d'état. Il confirme son assertion par l'auto-
rité de Simmaque, qui dit positivement que cet empe-
reur ne porta aucune atteinte à l'ancien culte, et par des
monuments que rapporte Gruter, lesquels prouvent que
les fêtes païennes se célébraient malgré ces prétendues
lois.
Nous avons de très-graves autorités qui prouvent que
ni Constantin , ni ses successeurs dans le quatrième siè-
cle , et au commencement du cinquième, n'intentèrent
contre les païens les violentes persécutions qu'on leur
impute.
Saint Ambroise, écrivant à Yalentinien [I , lui dit
qu'il est juste qu'on lui laisse la liberté de pratiquer sa
religion, comme lui-même l'accorde aux autres '2}.
(i) Mémoires de rAcadéraie des Inicriptions el Belles Lettre* ,
tom. XV, in- 4°, page 90 et sniv.
(2) Inviturn non cogiiis culere qnod nolit. Hoc idem vobis liceat
imperator : et unasqaisqne patienter ferai si non exrorqneat irapera-
tori , quod moleste ferret si ei extorquere cnperet imperator. [S,
Ambros., epist. xvii, ad Falentinianum y u" 6.)
516 DISSERTATIONS
Prudence, dans son poënie en réponse à Symmaque ,
dit que c'est librement, de cœur, et sans contrainte,
qu'on se donne à la religion chrétienne. 11 ajoute que la
profession du paganisme n'exclut personne des hon-
neurs qu'il a mérités ; et il cile par exemple Symmaque
lui-même, éievé par l'empereur à la dignité de con-
sul (2).
Saint Jean Chrysostôme déclare en propres termes
qu'aucun des empereurs chrétiens n'a employé la vio-
lence pour faire embrasser le christianisme ; mais que l'i-
dolàtrie , malgré la paix dont on la laissait jouir , s'est dé-
truite d'elle-même , semblable aux coi-ps intérieurement
gangrenés , qui , sans qu'on les touche , tombent en dis-
solution (1).
(i) Qua vocal egregii senientia principis, illac
L'bera , cnm pedibus , tum corde freqneniia transit.
TSec locos invidiae est : nallarn vis aspera terret;
Ante octilos sic velle patet : cunctique probatQiu ,
Non jassnm, sola capli ratione seqauulur.
Denique pro meritis terrestribus seqaa rependens
Munera, sacricolis œqoos impertit honores
Dux bonus, et certare sinit cura lande snornnj.
Nec pago impbcitos per débita culraina raaiidi
Ire viros probibet : quoniam cœlestia nunqaam
Terrenis solitara per iter gradientibus obstant.
Ipse magi-itratum tibi consalis, ipse tribunal
Contalit, anratnmqae togœ donavit amictuia ,
Cajas religio tîbi displicet , o pereantnra
Asserlor Divara !
{Prudent, cont. Symmach. lib. I, vers. 6i2 et seq.)
(2) Nullus autem ex piis imperatoribus nnqaam abdnctus est nt
virum infidelem torqaeret, ac snppliciis togeret ab errore d scedere.
{S. Joaii. Chry'sosC, Homil de Droside ^ n° 2.)
Et nostraram quideni rerum illa est raljo : vestras autem res op-
pagnavit nenio onqaam. Neqae enim fas est christianis necessitate
ac violentia errorein subvertere; &ed saadela , serruone et raansneta-
dine borainnm salus cnranda est. Qaamobrem neino ex christianis
iraperatoribas talia contra vos posait décréta, qnalia contra nos ii
qai dacmones colebjnt. Attamen error ille gentilium, tantara conse-
catas qaietem, et a neraine tarbatas nnqaam, per se tamen extinc-
tns est , et in se ipse corruit : more corpornm , qaae diuturna tabe
SUR LA. RELIGION. 5l7
Nous voyons dans ce même temps plusieurs païens ,
honorés de places distinguées , spécialement , outre
Symmaque, Boèce, et Macrobe proconsul d'Afrique et
grand chambellan de Théodose II. Des empereurs per-
sécuteurs du paganisme auraient-ils traité ainsi des
païens célèbres?
CXyi. Quand nous disons que le christianisme a es-
suyé , pendant deux siècles et demi , de violentes et san-
glantes persécutions, nous en produisons les preuves.
Nous montrons une suite continue et très-nombreuse
de martyrs, dont le sang a été répandu en haine de la
religion. Pour soutenir que les mêmes persécutions ont
eu lieu contre le paganisme , les incrédules devraient
produire la même preuve ; ils devraient nommer ceux
qui ont été mis à mort pour les forcer à quitter l'idolâ-
trie. Mais ils ont eu beau se retourner de tous côtés ,
chercher dans tous les écrivains, chrétiens et païens,
contemporains et 'postérieurs, ils n'ont pu trouver que
le seul philosophe Sopàtre, décapité, disent-ils, pour
cause de religion ; et c'est sur ce seul fait qu'ils assurent
qu'il y a eu une persécution continue et violente , sous
Constantin et ses successeurs : mais leur assertion même
est fausse , et il est aisé de le démontrer.
Le seul écrivain qui attribue la mort de Sopâtre à l'a-
version de Constantin contre le paganisme , est Suidas,
postérieur de cinq ou six siècles , et dont l'autorité n'est
pas en elle-même fort cansidérée. Mais nous avons à lui
opposer deux auteurs beaucoup plus croyables ; d'abord ,
parce qu'étant très-voisins du fait, ils ont dû en être
bien instruits; ensuite , parce qu'étant païens et haïssant
violemment Constantin , leur témoignage en sa faveur
ne peut être dicté que par la vérité. Le premier est Zo-
zime, lequel rapporte que Constantin le jeune condam-
na à mort Abladius, préfet du prétoire, parce qu'd
infecta, nemine laedente, per se corrampuntar, et paalatimdissolata
pereufit. (5. Joann Chijsost., lib. in S. Babylam , n" 3.)
518 DISSERTATIONS
avait fait périr Sopâtre par ses intrigues, étant jaloux
de la familiarité dont l'honorait Constantin (1). L'autre
est Eucrape^ qui entre dans un peu plus de détails. Se-
lon son récit , Sopâtre vint à la cour pour calmer par ses
raisons la haine de Constantin contre le paganisme. Il
acquit auprès de ce prince tant de faveur, et reçut de
lui tant d'honneurs, qu'il donna de l'envie aux courti-
sans. Ils profitèrent d'un moment où Byzance souffrait
d'une disette de blé , pour accuser Sopâtre de retenir les
vents par son art magique , et d'empêcher les navires
d'apporter les grains. L'auteur de cette intrigue fut
Abladius , préfet du prétoire, jaloux de la supériorité
qu'avait sur lui Sopâtre. Constantin crût la calomnie,
et fit mourir Sopâtre (2). Il résulte de la narration de
ces auteurs deux choses : 1° Que ce fut une intrigue de
cour, et non un motif de religion qui fit mourir So-
pâtre. 2° Que Constantin vivait avec lui dans une grande
intimité, quoiqu'il sût fort bien qu'il était païen; ce
que dit aussi Suidas. Un prince qui admettait des païens
à sa familiarité, ne persécutait certainement pas les
païens.
(i) Tanc et Abladins praefectDs praetorio necatas est , ipsa vindic-
ta mérita hotuinera pœna mnlctante, qaod per insidias Sopatro phi-
losophe mortem raachinatus fuisset , dura ei Constantini familiarita-
tem invideref. {Zozimi Historia ^ lib. II, cap. 40.)
(2) At Sopaler caeteris eloquentior, natura snblimiornm honoram
appetens , animoque magnus et ferox, a>peinatus leliqna in tarba
aetatem degere , icagna celeiifate ad snlain imperatoriara accurrit ,
qaasi Constantini propositnm atqae impetura domiturus, et ratione
«aperatnrus. Cerle eo existimationis potentiaeque pervenit, nt impe-
rator deiinitus, captuique ab hoinine , assessoiem eam ad dexteram.
publiée habuerit ; res auditu , visuqae incredibilis : proceres aobci
invidia dirupti.... AccidJt forte ut cum Bysantii posita raale conve-
niret naviam appellantium atcosus, ni secundus, purusque auster
afflaret... Interea invidi opportnuam ciim priiuis tempus se inveriisse
rati, Sopater, inquiant , tantis per te honoribus cumulatus bénéficie
somraae peritiae quae te quoque laudatorem habet, et per quain im-
peratorio in sulio residet, ventos vinxit. Qiio audito ciedulus Cons-
lantinus secari virum percati mandat. Malevoli dicto citias cxequi
SUR LA RELIGION. 519
CXVII. A toutes ces preuves que je viens de donner,
qu'il n'est pas vrai que les empereurs clirétiens aient
propagé leur religion par des persécutions contre l'ido-
lâtrie j j'ajouterai ce que répondait Théodoret à ceux
qui auraient pu dire que l'autorité impériale a été le
principe de l'agrandissement du cliristianisme. Si l'on
veut croire que ^autorité des empereurs a donné quelque
poids aux dogmes prêches par les péclieurs, que l'on
considère quelle a été la force de ces dogmes. Les
princes n'auraient jamais abandonné tes lois antiques,
les institutions des ancêtres, la coutume immémoriale^
s'ils n'avaient pas admiré la vérité de notre doctrine.
Pour combattre cette opinion que la puissance des Césars
a contribué à augmenter l'Eglise , il rappelle les persé-
cutions qu'un grand nombre d'entre eux ont suscitées
contre l'Eglise , et par lesquelles l'Eglise s'est accrue.
Il rend cette preuve encore plus sensilDle , en rapportant
la persécution récemment élevée en Perse contre les
chrétiens , et qui ne peut pas détacher les chrétiens de
leur religion (1). Je le dirai à la suite de ce célèbre
jussa festinant. lUiu'» raali auctor fuit Ablavias praetorii praefecta* ,
qai a Sopatro claritate saperabatnr. (Eunap., in vita Edesii.)
(i) Qaod si qnis existimat fidem chrisiiiiriam iiuperatorum robur
p:scatorain dogmalibus acldidisse, vel hoc ipso quanta dogrnatam il-
loram vis faerit osfendit. Neqne enira et antiquas leges et majoram
scripta monumenta et inoliiam consuetadinem , et patria iustitata
contempsissent, nisi illoru.n admiiati essent veritatem, istoram odium
concepissent. Car aafem memoria non repetitis illata ecclesise bella.
Inde enim profecto opinionem istara facile diluetis. Si enim tut tan-
tique imperatores omni contentione contra ecclesiam pngnantes,
cnnctis illalis machinis, ne niinimani quidera concussionein ill'os
manibus attalerunt , slo'.idus profecto ac plane stupidus horao sit ,
qui non divinara pctat esse piscatorum virfatem , sed hanc iinpera-
torum potentia auctain fuisse oj;inalur. Quod ut vobis cljrius inno-
tescat , audite, quaeso , qaalia Persae nnpcr sint ausi. Qaod enina
sapplicii genns in christianos non est excogitatnm? Non excorialio-
nes , non manuum, pediiiuque abscissiones ; non aurinm , naiiumqne
mutilationes; et ad doloris excessura coraparala vincla ; et foveae ac-
curatissime oblitae, niaribusque maxiîcis refertae , qui colligatos dé-
vorent. Et tamen, cura tantos cruciatus, afqne bis similes contra
520 DISSERTATIONS
écrivain : Si c'était la persécution des empereurs chré-
tiens contre le paganisme qui de son temps eût élevé le
christianisme sur les débris de l'idolâtrie, qui est-ce
qui dans le même temps soutenait en Perse le christia-
nisme contre la persécution des rois ?
ex VIII. Je viens , en reprenant toutes les causes
naturelles que l'incrédulité a pu imaginer pour leur
attribuer la grande révolution opérée dans le monde par
le christianisme , de montrer qu'aucune d'elles n'y a con-
couru. Je termine cette réponse par une réflexion géné-
rale. Pour qu'une chose puisse être regardée comme la
cause naturelle de l'établissement du christianisme , il
faut d'abord qu'elle soit naturelle en elle-même ; ensuite,
que par sa nature elle ait dû produire l'effet de faire
embrasser la religion chrétienne. Or, tout ce qu'on nous
présente de prétendues causes naturelles de la propa-
gation du christianisme ne peut pas l'être, au moins
par le défaut de l'une de ces conditions, quelquefois
même par l'absence de toutes les deux.
christianos exercèrent, concidant qnidem illis corpora et obtruncant,
penitasqae destraunt : fidei autem thesaarum diripere non possunt :
atqoe aliis quidera legibm suis snccarabere subd^tos suos cogunt : at
plscatoiam leges nt ejicerent, fidebbas non persuadent. {Tbcod. de
Prov'.d.^ serra. IX, de Lesriixis.)
FIN.
TABLE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME.
PREMIÈRE DISSERTATION.
SUR l'autue>ticité des livres du >ouveau
TESTAMENT.
Pagef.
Disconrs préliminaire. 5
CHAPITRE PREMIER.
Authenticité du \oiiveau Testament.
A8TICLE PREMIER.
Preuves de l'authenticité.
I. NoTîoiï de l'aathenticité. 3 3
II. Division de la dissertation. Ibid'
II[. On peut être assuré de l'authenticité d'un livre. 34
rV. Motifs d'après lesquels on peut être certain d'une au-
thenticité. 35
V. Première preuve '. Conformité du !Nouveau Testament
avec l'bistoiie. 36
VI. Et avecles circonstances particulières du temps. 37
VII. Seconde preuve : Le Nouveau Testament écrit avant la
ruine de Jérusalem. 38
YIII. Trois. ème preuve: Impossibilité de tromperies églises
sur les épîtres apostoliques. 39
IX. Quatrième preuve : Publicité du Nouveau Testament. Ibid.
X. Cinquième preuve : Le Nouveau Testament cité des les
premiers siècles. 4i
XI. Saint Clément , pape. 4»
XII. Saint Barnabe. 45
522
TABLE
Pages'
XIII. Saint Ignace. ^6
XIV. Saint Polycarpe. 4^
XV. Papias. Ibid.
XVI. Hermias. 4q
XVII. Saint Jastîn. 5o
XVIII. Tatien. Sa
XIX. Hermias. Ibid.
XX. Athénagore. 53
XXI. Théophile d'Antiocbe. Ibid.
XXII. Saint Irénée. 54
XXIII. Tertullien. 67
XXIV. Saint Clément d'Alexandrie. 58
XXV. Conséquences de ces autorités. 59
XXVI. Sixième preuve : Tradition ancienne et univer-
selle. 60
XXVII. Septième preuve : Difficulté de tromper une société
intéressée. 64
XXVIII. Surtout si elle est fort répandue. Ibid.
XXIX. Huitième preuve : Accord des hérétiques. 65
XXX. Neuvième preuve : La supposition inij ossible dans
aucun temps. 68
XXXI. Dixième preuve : Aveux des ennemis du christia-
nisme. 69
XXXII. Conclusion. 70
ARTICE II.
Objections contre l'authenticité.
XXXIII. Première objection , tirée des livres apocryphes. 71
XXXIV. Réponse. 7a
XXXV. Première observation : Livres apocryphes, catholi-
ques et hérétiques. Ibid.
XXXVI. Seconde observation : Temps où ils ont été compo-
sés. 76
XXXVII. Troisième observation : Sur le mol Jpocryphe. 78
XXXVIII. Réponse à l'existence des livres apocryphes. 79
XXXIX. Quels partisans avaient les apoèryphes héréti-
ques .3 80
XL. En quel sens en avaient les apocryphes catholiques.' 81
XLI. On n'a pas été trompé sur les apocryphes. 82
XLII. Les faux évangiles prouvent l'authenticité des nôtres. 83
DES MATIÈRES. 523
Pages.
XLIII. Prétendues citations des apocryphes par les pre-
miers pères. 8^
XLIV. Conséquences de ces citations. 89
XLV. Les premiers pères n'ont cité que des livres authen-
tiques. 90
XLVI. Ils n'ont cité que des ouvrages pieux. Ibid.
XLVII, Ils n'ont pas égalé les apocryphes aux canoni-
ques, g 2
XLVIII, Réponse à l'oLjection que tous les premiers pètes
n'ont pas cité le Nouveau Testament. 94
XLIX. Contradiction des incrédules. gS
L. Réponse à 1 objection que les premiers pères n'ont pas
cité les évangélistes. 96
LI. Réponse à l'objection que les premiers pères ont cité
d'après une tradition. Ibid.
LU. Réponse à l'objection que les citations des premiers
pères peuvent être d'après les apocryphes. 97
LUI. Les saints pères du second âge prouvent la doctrine
de ceux du premier. g 8
LIV. Les pères du second siècle n'ont pas cité indifférem-
ment les canoniques et les apocryphes. 99
LV. Texte de saint Sérapion. 100
LYI. Résumé de l'objection et de la réponse. 10 1
LVII. Seconde objection. Style da Nouveau Testament , dé-
sordre, anachronisme, obscurité, contradictions. ioa
LVIII. Réponse à l'objection sur le style. Ibid.
LIX. Réponse à l'objection du désordre et des anachro-
nismes. 107
LX. Réponse à l'objection des obscurités. 108
LXI. Réponse à l'objection des contradictions. Ibid.
LXII. Troisième objection. L'authenticité du Nouveau Tes-
tament n'a jamais été prouvée. Ibid.
LXIII. Réponse : 1° Elle n'a pas été prouvée quand elle
n'était pas contestée. 109
LXIV. %° Elle a été prouvée aussitôt qu'elle a été attaquée. iio
LXV, Quatrième objection. Plusieurs livres du Nou\eau Tes-
tament n'étaient pas reçus autrefois. ii4
LXVI. Réponse. L'auîhenticité des principaux livres a ton-
jours été reconnue. Ii5
LXVII. Ce qui résulte des doutes sur les autres. 116
LXVIII. Comment le concile de Nicée a jugé rauihenticité. 117
524 TABLE
Pages
LXIX. Réponse à l'objection d'an cercle vicieux. 117
LXX. Ciiiqiiième objection. Le Nouveau Testament fabriqué
après les ruines de Jérusalem. Fraudes pieuses dans ce temps.
Clandestinité des Livres saints. n8
LXXI. Réponse, lO à la fabrication du Nouveau Testament
après les luines de Jérusalem. 119
LXXIî. 2° Aux fraudes pieuses. Ibid.
LXXIIL 3** A la clandestinité. 120
LXXIV. Sixième objection. On ignore le temps où ont été
écrits les livres du Nouveau Testament. 121
LXXV. Réponse. Ibid.
LXXYL Septième objection. Anachronisme de l'évangile
sur Zacharie , fils de Barachie. Ibid.
LXXVII. Réponse. 122
CHAPITRE II.
Intégrité du Nouveau Testament.
LXXYIII. Exposition de la question. 12%
LXXIX. Objection contre cette exposition. 12 5
LXXX. Réponse. Ibid.
LXXXL Première preuve ; Uniformité des exemplaires. 126
LXXXII. Deuxième preuve : Diffusion du Nouveau Testa-
ment dans tontes les églises. 127
LXXXIII. Troisième preuve : Tentatives sans effets des hé-
rétiques. Ibid.
LXXXIV. Quatrième preuve : Attention à conserver le
texte pur. i 3o
LXXXV. Fait de Spiridion. Ibid.
LXXXVI. Fait de Théodoret. i3r
LXXXYII. Fait relatif à la version de saint Jérôme. i32
LXXXVIU. Cinquième preuve : Citations faites par les saints
pères. i33
LXXXIX. Première objection , tirée d'Origènes. Ib;d.
XC. Réponse. Ibid.
XCI. Seconde objection ; Suppression de l'histoire de la
femme adultère. i34
XCn. Réponse. Ibid.
XCIIL Troisième objection , tirée de Victor de Tniu's. i35
XGIV. Réponse. . i36
DES MATIERES.
525
SECOINDE DISSERTATION.
DES MIRACLES SUR LESQUELS EST FO>jDÉE LA
CERTITUDE DU CURISTIA?hISME.
Pages,
i38
PREMIÈPxE PARTIE.
DU MIRACLE EN GENERAL.
I. Divisio:? de celte partie.
CHAPITRE PREMIER.
Possihililé du miracle.
II. Notion do miracle. ^^'^•
III. Le miracle ne peut être opéré qne de Dieu.
IV. Objet du miracle.
V. Avea d'nn déiste sur la possibilité da miracle.
VI. Objection nniver^elle de cette possibilité. ^^i^-
. YII. Le miracle ne répugne pas en lui-même. i4a
YIII. Le miracle n'est pas an-dessns de la puissance de
^. Ihid.
IX. Le miracle est très-conforme à la puissance divine. U^
X. Le miracle est un langage digne de Dieu. Ibid.
XI Le miracle est un langage très- adapté à la nature de
,,. Ibid.
1 homme.
Xir. Le miracle forme nne démonstration rigoureuse. i44
XIII. La démonstration opérée par le miracle est A la portée
i45
de tous les esprits.
XIV. Objection. Inutilité des miracles. ^4»
XV. Réponse : i° Qaand on n'en venait pas l'utilté , on ne
devrait pas en nier la possibilité.
XVI. 2° Utilité du miracle. Autres moyens qui pourraient
être employés.
XVII. Le miracle convinc les présents et les absents.
XVIII. Objection. Dieu pourrait n'enseigner que des vérités
, , , Ihd.
évidentes.
140
Ibid.
i4i
Ibid.
Ibid.
147
526 TABLE
Pages.
XIX. Réponse. Quelles sont ces vérités d'une telle évi-
dence qu'où soit forcé de les admettre? 147
XX. Objection. Le miracle serait un changement dani Dieu
et dans ses imniuiibies décrets. 149
XXI. Réponse. Le miracle n'est pas un changement dans
Dieu. Ibid.
XXII. Ni dans les décrets de Dieu. Ibid.
XXIII. S'il n'y a pas de succession dans Dieu, il n'y a pas
de changement. . i5o
XXIT. Dieu a décrété le miracle en même temps que la loi
générale. Ibid.
XXY. Autre manière dont on présente la même objection ,
et réponse, i53
CHAPITRE II.
Possibilité de la certitude du miracle.
XXVI. Division de ce chapitre. i54
ARTICLE PREMIER.
Notion de la certitude.
XXVII. Qu'est-ce que la certitude ? i55
XXTIII- La certitude est un point fjxe ; elle n'admet pas
le plus et le moins. Ibid.
XXIX. Certitude de l'objet, cerlilude du sujet. i56
XXX. Certitude métaphysique , physique et morale. Ibid.
XXXI. îS^otion de la certitude métaphysique. Ibid.
XXXII. Et de la certitude physique. Ibid.
XXXIII. Et de la certitude morale. iSy
XXXIV. Il existe un ordre moral. Ibid.
XXXV. Différence entre l'ordre physique et l'ordre mo-
ral. i58
XXXVI. Objection. Diversité des actions des hommes. Ibid.
XXXVII. Réponse. iSg
XXXVIII. Le témoignage des hommes , motif le plus ordi-
naire de la certitude morale. 160
XXXIX. Différence entre la certitude métaphysique et les
deux antres. 161
DES MATIÈRES. 527
Pages.
XL. Caractère aaqael on peut reconnaître la certitnde mo-
rale. 162
XLI. Les déistes tient la certitude morale. Ibid.
ARTICLE II.
Existence de la certitude morale.
§ L Preuves de l'existence de la certitude morale. i63
XLII. Première preuve. Dieu nous a donné la certitude mo-
rale , puisijn'elle nous est nécessaire. Ibid.
XLIIL Deuxième preuve. La certitude morale règle tonte la
société. 164
XLIV. Troisième preuve. Faits éloignés aussi fermement crus
que ceux qu'on voit. 166
XLY. Quatrième preuve. Analyse des principes des certi-
tudes physique et morale. 167
XLYL La certitude métaphysique n'est pas plus grande,
quoique scientifique. 169
XLTIL Caractère que doit avoir un témoignage pour opérer
la certitnde. Ibid.
XLVIII. Les caractères se trouvent, i** quand le témoignage
est rendu par une nombreuse multitude. 191
XLIX. 2° Quand la qualité des témoins supplée à leur quan-
tité : conditions nécessaires à cet effet. 173
L. Les caractères ne garantissent la certitude que dn simple
fait palpable. "174
§ IL Répense aux objections contre l'existence de la certi-
tude morale. 175
LL Piemière objection. Tout le monde est plus certain de ce
ce qu'il voit , que de ce qa'il entend dire. Ibid.
LIL Réponse. On confond la certitude dn fait avec l'impres-
sion qu'il produit. Ibid.
Lin. Cas où on croit plus les témoins que ses propres sens. Ibid.
LI"V. Seconde objection. Les témoignages ne donnent
que des probabilitésqui ne peuvent former une certitude. 176
LV. -Réponse. Pourquoi un grand nombre de probabilités
u'opérerait-il pas la certitude ? Ibid
LVL Raison de l'illusion à ce sujet. 178
LVII. Troisième objection. Le témoignage perd de sa force
^ mesure qu'il s'éloigne de sa source. Ibid.
528 TABLE
Pase.
LVIII. Réponse. Le témoignage conserve sa force tant qu'on
est sûr qu'il a été reiidu avec vérité. i«q
LIX. Ce n'est pas i'amienneté , mais l'ignorance des motifs
de crédibilité, qui rend incertaine l'histoire. r8x
LX. Pourquoi on croit plus un fait de la première main (jae
delà seconde , et ainsi des antres. i8a
LXI. La certitude peut acquérir de nouveaux motifs dans le
conrs des siècles. Ibid.
LXII. Réponse au prétendu <;alcnl sur la décroissance de la
persuasion. i83
LXIII. Divers moyens par lesquels un fait se transmet. 184
LXIV. Tradition orale. Ibid.
LXV. Monuments publics. i85
LXYL Histoire écrite. Ibid.
LXYII. L histoire contemporaine et non contredite prouve
la certitude du temps où elle est écrite. 186
LXTIII. Et la fait passer sans altération de siècle en siècle. 187
LXIX. Quatrième objection. Il y a beaucoup d'histoires apo-
cryphes. 188
LXX. Réponse. Ibid.
LXXL Cinquième objec'ion. Fausseté des histoires, préjugés,
passions, etc., des historiens : leurs contradictions, leuis di-
verses manières de voir. 189
LXXIL Réponse à la fausseté des histoires^ Ibid
LXXIIL Réponse aux préjugés , aux passions , etc., des his-
toriens. 190
LXXIV. Réponse à leurs contradictions. Ibid.
LXXV. Réponse à leurs diverses manières de voir. ig r
ARTICLE III.
Possibilité de la certitude morale des miracles.
LXXTI. Le miracle est, comme l'événement naturel, un fait
sensible, susceptible d'être connu, par le témoignage , comme
par le sens. 192
LXXTII. Cas où on doit ajouter plus de foi , sur un mira-
cle, au témoignage qu'aux sens. 198
LXXVIII. Si j'étais trompé, sur le miracle, parle témoi-
gnage idoine , je le serais par Dien. Ibid.
LXXIX. Première objection. Tous les hommes croient plus |
facilement les faits naturels que les miracles. 194 I
DES MAtiÈRES. 529
Page,.
LX-X-X.. Répon'^e. i*^ Tous les honi;nes croient aax mira-
cles. 194
LXXXI. 1° R;ii<ons pour exiger plas btrictemenl les preuves
(la miracle (jiie du fait naturrl. Ibid.
LXXXII. Deuxième objeclion. Pour croire au miracle , il y
a à sutmonier l'obsiacle de son impossibilité physique. igS
LXXXIII. Réponse. Il n'y a pas plus de diflicuhé à croire
ce que Dieu n'a pas plus de difficnlté à faire. 196
LXXXIV. Explication du mot Impossibilicé physique. Ibicl.
LXXXV. Troisième objection. La ceriitode morale repose
sur Tcxperience , qui est plus constante contre le miracle que
pour. 197
LXXXVI. Réponse. Il n'e:,t pas raisonnable de nier l'oeuvre
dj Diea sur le fondement de l'expérience. Ibïd.
LXXXVII. Comment l'expérience nous conduit à la croyan-
ce certaine da miracle. 198
LXXXVIII. L'expérieHce de Torde physique et celle de
l'ordre morat ne sont point •)pposées. 199
LXXXIX. Le faux témoignage d'un peuple sur un fait qu'il
a vu, se. ait un prodige auisi grand qu'une résurrection. 200
XC. Et un prodige bien moins croyable. 201
XCI. Quatrième objection. Hypothèse d'aa fait bien écla-
tant suppose, et cependant pleinement attcjté. Ihid,
XCII. Réponse. 202
XjCIII. C nquième objection. Pour:jUoi faut-il qu'il y ait
entre Dieu et moi des intermédiaires ? 2o3
XCIV. Réponse. Ibid.
XCV". Sixième objection. C'est une grande tentation que celle
de se faire passer pour un envoyé céleste. 204
XCVI. Réponse. Ihid,
XCVn. Septième objection. Exemples de peuples entiers
abusés par de prétendus miracles. Ibid.
XCVin. Réponse. Ils ont été abusés sur la qualité des faits,
et non sur leur réalité. Ibid.
XCIX.Haitiè.-ne objection. Il n'y a pas de m'racles dont la
réalité ne soit combattue par d'autres miracles. 206
C. Réponse- » Ibid.
CI. Neuvième objection. Pour être certain d'un miracle, il
faadrait connaitr* toutes les lois de la nature. 207
Cil. Réponse. 20S
Dissert, sur la Relig. 23
530 TABLE
Page».
<^;ill. Dixiènjc ol)jecliojj. Miracles da démon. Cercle vi-
cieux, a 09
CIV. Ptéponse. 1° Aux miracles di démon. 210
OV. 2" Au cercle vicieux. aia
DEUXIÈME PARTIE.
DES MIRACLES DU CHRISTIANISME.
CHAPITRE PREMIER.
Miracles de Noire-Seigneur Jésus- Clirisl,
î. Un fait e?t certain quand rhistorien n'est ni trompé, ni
trompeur. 2i5
II. Les écrivains sacrés n'ont pas pn être à la fois trompés
et trompeurs. Ibid.
III. Grand nombre de témoins des miracles de Jésus-
Christ. Ibid.
IV. Preuve que les disciples de Jésus-Christ n'ont pas été
abusés. 216
V. Ils n'étaient pas insensés. 219
VI. Ils étaient ignorants et crédules. Ibid.
VIL P\.éponse an reproche d'ignorance. Ibid.
VIII. Objection. Réponse au reproche de crédulité. aao
IX. Les témoins des miracles de Jésus-Christ n'ont pas voulu
tromper. 2 ai
X. Le projet seul de tromper eût été une extravagance. Ibid.
XI. Si les apôtres avaient voulu tromper, ils auraient été
(le très-grands scéléiats. aaa
XII. Probité des premiers prédicateurs de la foi prouvée ,
1" par leurs écrits. 2a3
XIII. 2° Par la suite de leur vie. 2a4
XIV. Par l'aveu de leurs ennemis. 227
XV. Simplicité de leur narration. Ibid.
XVI. Circonstances dans lesquelles les apôtres outrent leur
prédication. 2a 8
XVII. Les apôtres appellent en témoignage des miracles
ceux à qui ih les prêchent, aag
XVIII. Invariable conformité du témoignage rendu aux mi-
racles de Jésus-Christ. 2 3o
DES MATIÈRES. 531
Page.
XIX. Quelques différences dans le mude du lëmoigriage en
prouvent encore la vérité. 23 r
XX. Inébranlable persévérance des témoins jusque dans les
{.applices. 2 33
XXI. Jésus-Ch^Ët se forme des apôtres, en leur promettant
des souffrances. 2 34
XXII. Les apôires entraient âav.s leur ministère avec la per-
suasion des maux qu'il leur auireiait. 2 35
XXIII. Maux affreux auxquels ils se livrent volontairement. 236
XXIV. Objection. Les autres religions ont eu aussi des niar-
lyts : et réponse. 233
XXV. Objection. Les apôtres trouvaient dans leur ministère
une vie assuré et douce ; et réponse. 239
XXVI. Objection. C'est une grande tentation que celle de
former une sec: e. 240
XXVII. Réponse. Ibid.
XXVIII. Tous les intérêts humains devaient détourner les
apôtres du témoignage. 241
XXIX. Autre preuve de la sincérité du témoignage ; repen-
Ùr de saint Pierre et de Judas. lèid.
XXX. Les miracles de Jésus-Christ avoués formellement
par ses ennemis. 243
XXXI. Les chefs des Juifs auraient nié ces miracles s'ils
l'avaient pu. Ibid.
XXXII. La réalité des miracles n'a point été contestée. 244
XXXIII. Imputation de magie faite j)ar les pharisiens à
Jésus-Christ sur ses miracles. 245
XXXIV. Et renouvelée après eux par les rabbins. 247
XXXV. Aven des païens des premiers siècles sur la réalité
des miracles de Jésus-Christ. 248
XXXVI. Conséquence de ces aveux et de l'imputation de
magie, 25 1
XXXVII. Objection. Les aveux d<.'s philosophes ne prou-
vent pas plus les miracles de Jésus-Christ , que cens des pères
les miracles du paganisme. 253
XXXVIII. Réponse. 254
XXXIX. Les miracles de Jésus-Christ prouvent sa religion. 25?
XL. Ces miracles n'ont pas été opérés par un • puissance in-
termédiaire entre Dieu et l'homme. aSg
XLI. lia ne sont pas non plus des effets de 1 adresse hu-
maine. af)0
532 TABLE
Pagex
XLll. Ils viennent donc de Dieu, et prouvent la religion
chrétienne. 263
XLIII. Objection. Les miiacles de Jéius - Christ sont des
œnvres de bienfaisance, et n'ont pas pour objet de prouver sa
religion. Ihid.
XLIV. Réponse. ' Ihid.
CHAPITRE IT.
Résurrection de Notre-Seigneur Jcsus-Chrisl.
I. La résarreclion est le principal fondement de la foi. 260
II. Récit des témoins delà résurrection. 266
IJI. Récit dcj Juifs, du corps de Jésus-Christ furtivement
enlevé. ^{j".
IV. Il n'a pas été opposé au récit de-i témoins d autre fait
que celui de renlèvement. 268
V. Les circonstances dans lesquelles s'accordent les deux ré-
crits sont certaines. lèid.
VI. Jésns-Cbrist est très-certainement mort, 269
"VU. Gardes mis au tombeaa : preuves que Jésus-Christ avait
prédit .'a résurrection. 270
TIII. On ne peut opposer aujourd'hui au fait de la résurrec-
tion que celai de l'enlèvement. Ilid.
IX. Preuves de la Vérité du témoignage rendu à la résurre^î-
tion. 272
X. Les témoins de la résurrection n'ont pas pu y être trom-
pés. Ibid.
XL Ils n'avaient pas l'esprit aliéné. Ibid.
XII. Ils connaissaient parfaitement Jésus-Christ. llrid.
XIII. Ils n'ont pas pu être dans Terreur sur ce qu'ils racon-
tent d'eux mêmes. Ibid.
XIV. Les témoins ont été en grand nombre. 273
XV. Ils ont vu , souvent Jésus-Christ pendant qnarante
joars. Ibid.
XVI. Pendant tout ce temps ils ont vn , entendu, touché
Jésus-Chriâl. Ibid.
XVIÎ. On ne peut pas dire que les disciples croyant voir Jé-
sus-Christ , n'or.l rien vu. 275
XVIII. Ni qu'ils ont pris un antre homme pour lui, Ibid,
XIX. Ni qu'au lieu de lui ils avaient vu un fantôme. Ibid,
DES MATIÈBES. 533
Pages.
XX. Objection. Les apôtiei étaient préoccupés de la réiur-
rectioii , et très-crédules. 275
XXI. Réponse. Ibid.
XXII. Les témoins de la résarrecilon n'ont pas voulu trom-
per. 278
XXIII. Sincérité des ténioins ; circonstances, uniformité,
persévérance da tétm.ignage. Ibid.
XXIV. Toutes les probabilités éiaient contre les témoins. 279
XXY. Jéaus-Christ mort , les apôtres n'avaient rien à en
espérer. Ibid.
XXVI. S;i mort aurait dû les dcîacher de lui. 2S0
XXVII. Risqnes qu'auraient courus les témoins, si le fait
eût été faux. 282
XXVIII. Circonstances qu'ils joignent à leur relation. Ibid.
XXIX. Fausseté de l'enlèvement furtif du corps de Jésus-
Christ. 28 3
XXX. Timidité des dii-ciples. 28^
XXXI. Nombre de ceux qui auraient été dans le secret. aSS
XXXII. Les seuls témoins de l'accusation sont des hommes
endormis. 286
XXXIII. Impossibilité que les disciples aient enlevé le corps
pendant le sommeil des gardes. Ibid.
XXXIV. Maladresse et dextérité supposées à la fois dans
les disciples. 287
XX.XV. Les gardes n'ont pas été punis. 288
XXXVI. Les apôtres ne l'ont pas été non plus. Ibid.
XXXVII. Le sanhédrin passe sous silence ce prétendu délit. 289
XXXVIII. Fait qui prouve que le sanhédrin ne croyait pas
à l'enlèvement. 200
XXXIX. Récapitulation des preuves ci-dessus. 292
XL. Objections con'.re la réiurrection ; confusion , contra-
dî^-iions des relations. 29?
XLI. Observations générales sur ces objecrions. Ibid.
XLII. Rapprochement et concorde des quatre relations
évangéliqnt's. 294
XLIII. Objection. Inutilité de l'einbaumement. 3oo
XLIV. Réponse. Ibid.
XLV. Objec'ion. Contradictions sur les vioites des saintes
fetnm''s au tombeau. 3or
XLVI. Réno.nse. Ibid.
534 TABLE
fagcs,
XLVII. Objection. Contradictions sur !a visi'e particulière
de Madeleine. 3o2
XLYIII. Réponse. Ibid.
XLIX. Objection. Contradictions relatives anx anges. 3o3
L. Réponse. Ibid.
LI. Objection. Contradictions sur les apparitions de Jésas-
Christ aux saintes femmes. Ibid.
LU. Réponse. 3o.'i
LUI, Objection. Contradictions sur le récit des saintes femmes
aux apôtres. Ibid.
LIV. Réponse. Ibid.
LV. Objection. Contradictions sur l'ordre donné anx a[>ôt:es
d'aller en Galilée. 3o5
LVr, Réponse. Ibid.
LVII. Objection. Jésus-Christ n'a pas été reconnu dans pin.
sieors apparitions. Ibid.
LVIII. Réponse. Ibid.
LIX. Objection. Contradictions entre les apparitions de
Jésus-Christ à ses apôtres. 3o6
LX. Réponse. 3o7
LXL Objection. Jésus-Christ avait-il un corps immatériel? 3o8
LXIL Réponse. Ibid.
LXIII. Objection. Saint Paul n'a pas vu les apparitions dont
il parle. ^bid.
LXIV. Réponse. Sog
LXV. Objection. Personne n'a vu Jésus-Christ ressusciter. Ib^M.
LXYL Réponse. Ibid.
LXVII. Objection. Jésus-Christ ne devait ressusciter qna-
près trois jonrs et trf>is iinits. 3r i
LXYIIL Réponse. Ibid.
LXIX. Objection tirée du scellé apposé au tombeau. 3i i
LXX. Réponse. Ibid
LXXI. Obection. Invraisemblance de l'argent donné aux
gardes. ProbabiUté de ce qui a du arriver. 3 i 3
LXXIL Réponse. Jbid.
LXXIII. Ohjection. La résurrection aurait dû être aussi
pnblique qoe la mort. 3i3
LXXIV. Réponse. 3^6
DES MATIÈRES. 53^
CHAPITRE III.
Miracles des disciples de Jésus-Chrisi.
I. Les apôtres, en annonçant qae Jésus-Christ lear avair
donné le don des miracles , s'engageaient à en faire. 3.^ 4
II. Première preuve. Miracle de la descente du Saint-Esprit. 3a6
III. Certitude de ce miracle. ^^- ,
IV. Circonstances qni suivent immédiatement la descente
(la Saint-Esprit.
V. Certitude des circonstances miracuJenses. /,^,V/
VI. Elles sont les effets de la descente du Saint-Esprit. 3^,]
VII. Seconde prenve. Eglises fondées par les apoties. 33"^
VIII. Troisième preuve. Miracles rapportes aux actes des
apôtres.
IX. Saint Luc n a pas pu être induit en erreur sur ces mi-
lacles.
A. li n a pas vou.u non plus en imposer. //,/j_
XI. Quatrième preuve. Conversion de saint Paul. 338
XII. Cinquième preuve. Miracles que saint Paul dit avoir
opères. ^^
XIII. Sixième preuve. Miracles que saint Panl dit à ses dis- ^
ciples qu'ils opéraient eux-mêmes. 3,
XIV. Septième preuve. Dons miraculeux existants dans les
premiers siècles de lEslise. , , ^
vv T ■ - ^^^
.V\ . Les samts pere^ attestent îiantement l'existenca de ces
dons.
Yvr T ^^''^^
3_\ I. Les païens en cjnvicnnent. 5, _
"*■+ 7
CHAPITRE ly.
Objections contre les miracles du, christianisme.
I. Première objection. Les miracles ne sont attestés que par
dei auteurs chrétiens. * 0,
II. Réponse. ,!'^
3 .■) o
ni. L'assertion des chrétiens , la non dénégation des païens
forment une prenve. ,, -,
IV. L'objection n'est qu'an argument négatif entre les
preuves positives.
V. Disparité d'un exemple allégaé. j^-j
Vf. Le-s histoires écrites par les hommes da pays. ii>jd.
536 TABLE
Pages
YII. Les écrivains snr ane religion ne peuvent pas être en-
tièrement impaitiaux. 35i
YIII. Ceux, qui rapportent les miracles avaient été d autres
leligions. 352
IX. Les miracles du christianisme attestés par ses ennemis. 354
X. Deuxième objection. Silence de riiistorien Josèphe. 355
XL Réponse. Passage de Josèphe sur JésusChiist. 356
XU. Raisons de croire que ce passage est de lui. 357
XII [. Supposant le passage interpolé, qu'en résulte-til.^ 36 1
XIV. Troisième oBjection. De vrais miracles auraient tout
converti; opposition générale; écrits par lesquels on les com-
battait, 365
XV. Réponse à ce qui est dit des écrits contre les miracles. 367
X.VI. Réponse à l'objection de l'obstination des Juifs. 369
XVII. Ceas que les miracles ont convertis ont plus d autorité
que ceux qui sont restés incrédules. 37a
XVIII. Pourquoi il n'a pxis été fait d'information sur les
miracles. 373
XIX. Quatrième objection. Oppositions que la foi des mi-
racles a éprouvées jusque dans le christianisme. 874
XX. Réponse. 3'] 5
XXI. Cinquième objection. Les premiers chrétiens étaient
une populace ignorante et crédule. 877
XXIL Réponse. Ibid.
XXIII. 1° Supposant tons les premiers chrétiens hommes
du peuple, on ne peut rien en conclure. 378
XAiA'. 2° Fausseté du fait. Premiers chrétiens hommes de
considération et de mérite. 38o
XX\'. Sixième objection. Facilité de tromper le peuple,
surtont en matière de religion. Exemples de faux miracles. 385
XXM. Réponse. 3^7
?î?v\"II. Que résulte t il de l'amour du peuple pour le
merveilleux? 387
XX\ 111. L'enthousiasme religieux n"a pas pu faire croire
légère;iîent les miracles de la religion chiéticnne nouvellement
annoncée. làid.
XXIX. Impossibilité que les apôtres aient menti par en-
thousiasme. 389
XXX Et que les premiers chrétiens aient cru sans examen. Ibid,
XX XI Pou" croire les miracles chrétiet.s, il n'est pas néces-
saire de discuter ceux des antres religions. 3go
DES MATIERES. 5.^7
Pages,
XXXII. Fxaraen des miracles objectés. jgi
XXXIII. Conclusion absarde des inciédnles. 39''»
XXXI\ . Septième objection. Les niii'acles commuas chez
les peuples ignorants. Pourquoi ne s'en fait-il plus.^ 396
XXXV. Réponse. Les peuples à qui on a annoiice njs mi-
racles n'étaient point ignorants. Ibid.
XXXVI. Pourquoi les miraclrs soni rares. 897
XXXVII. Huitième objection. Les pères ont expliqué les
miracles dans un sens allégorique. ^99
XXXVIII. Réponse. Ibcd.
TROISIÈME DISSERTATION.
SUR LA PROP.\GATIO> RAPIDE DU CHRISTIANISME.
Pagec.
L Division de cette dissertation. 402
CHAPITRE PREMIER.
Preuves de la propagation rapide du christianisme.
II. Etat du christianisme au
retour de Jésus-Christ dans
les
cienx.
4o3
III. Progrès de la religion sous les apôtres.
Ibid.
IV. Témoignage d-i Tacite.
40 5
V. De Sénèque.
406
VL De Pline.
407
VII. De T.bérianus.
408
VIIL De Lucien.
Ihd.
IX. De Celse.
Ibid.
X. De saint Justin.
409
XI. De saint Irénée.
Ibid.
XII. De saint Clément d Alexandrie.
Ibid.
XIII. De Tertnllien.
410
XIV. D'Origèries.
412
XV. Fait relatif à .\lexannre
-Sévère.
Ibid.
XVI. Cause de la persécution
1 de Maxiuin I.
4i3
538 TABLE
Page.,.
XVII. Témoignage de saint Gyprien. 4ii
XVIII. De Mitmcios Félix. 414
XIX.. D'Aniobe. Ibid.
XX. Hésitation de Diuclétiea à persécuter les chrétiens , à
c»ase de lear noiubre. 416
XXI. Maxence fait semblant de professer le christianisme. ibid.
XXII. Edits de Maximin II. 417
XXIII. La conversion de Constantin attribuée par les incré-
diiles à la politique. Ibid.
A\l\. Conclusion de ce chapitre. 418
CHAPITRE II.
Preuves que la pro]imgatio7Ï du chrislianisme est l'œuvre
de Dieu.
XXV. Etat de la question. 420
XXVI. Combien en soi était difficile l'établissement du
christianisme. Ibid.
XXVIT. Cinq causes naturelles qui peuvent faire recevoir
une doctrine. 43 i .
A&TICLE PREMIER.
Les dispositions des peuples étaient-elles favorables ou contraires
au christianisme ?
XXVIIT. Les lumières du siècle ; premier obstacle. !^ix
XXIX. Idées religieuses du peuple ; second obstacle. 4a 3
XXX. Divers préjugés qui attachaient les païens à leurs
idées. Ibid.
XXXJ. Préjugés d'éducation. Ibid.
XXXII. PréjUgés d'imagination. 424
XXXIII. Préjugés d'antiquité. 4-25
XXX iV. Corruption de la morale ; troisième obstacle. 426
XXXV. Union de la religion et de l'état; quatrième obs-
tacle. 427
ARTICLE II.
La doctrine chrétienne était^elle par elle-même de nature à être
reçue favorablement y ou à être contredite ?
X^vXA'J. Incompatibilité du christ-anisrae avec les autres
religions. 4a8
DES MATIÈRES. 539
Page..
XXX\ 17. Le christianisme confondart toai les principes
pUilosophiqaes. 43.9
XXXVIII. Il dissipait tontes les idées : eligieas'-s. 43o
XXXIX. Il réformait la morale corrompae à laquelle on
était attaché. 433
XL. Il rompait le lien politiqus entre la religion et l'eL'it. 435
ARTICLE III.
L?s premiers prédicateurs de la religion chrétienne étaient-ils choisis
de manière à la faire admettre ou rejeter ?
XLT. Les qualités da chef dune sects cuntrib lent à la ré-
pandre. 337
XLlî. Quels étaient les apôtres. 43^
XLIII. Pourquoi Jésus-Christ les i choisis tels. Leurs suc-
cès. 439
XLIV. Ce succès ne peut être attrib'.ié qu'à une fon-e di-
vine. 444
ARTICLE IV.
Les moyens employés par les apôtres étaient-ils par leur nature pro-
près à favoriser ou à empêcher La propagation de la religion P
XLV. Quels moyens auraient employés des imposteurs. 4 v5
XLVI. Les apôtres emploient tous les moyens contraires. 4 + 7
XLVIT. Ils commencent par se décrier enx-mèmes. lùid.
XLVIl}. Ils prêchent sans ménagements une docuine op-
posée à tontes les idées reçues. 448
XLIX. Temps et lieux que choisbsent les apôtres pour leur
prédication. 44g
L. Ils ont rejeté tous les moyens qui auraieat pu les servir. 45 x
ARTICLE V.
L'autorité publique était-elle ja\>orahle ou contraire à la propagation
de la religion ?
LI. Le christianisme persécuté dès le commencement dans
la Judée. 45 I
LU. Et ensuite, pendant Jeas siècles et dem.i , dans l'empire
rumain. 45 3
540 TABLE
Fa^f»
LUI. Accasations injurieuses intentées aux premiers chré-
tiens. 456
LIV. Supplices atroces qu'on leur fait subir. 457
LV. Le cliri»tianism« u'élève dans les persécutions. 459
LVI. Son accroissement n'est donc pas l'ouvrage des hom>
mes. 463
ARTICLE VI.
Résultat et confirmation des articles précédents.
LVIL Résnmé des précédents articles. 465
LYIII. La propagation du christ;anibme n'est pas un effet
du hasard. 467
LIX. E le ne pent être attriboée à aucune cause naturelle. Ihid.
La. Elle est donc l'œuvre de Dieu. 468
LXI. Aucune cause naturelle ne pourrait faire recevoir de
même une docîrine fausse. 469
LXll. L'idolâtrie n'était pas partout la même religion. 470
LXni. Le climat n'a pas mis de bornes à la propagation du
christianisme. 471
LXIV, Le christianisme prêché aux Juifs et hux païens. Ibid.
LXV. Aux hommes du peuple et aux hommes éclairés. Ibid.
LXVL Les objections des ennemis du christianisme, qne ré-
pètent nos incrédules, ne l'ont pas empêché de s'établir. 47*
LX^^IÎ. Le christianisme établi par l'influence surnaturelle
du Saint-Esprit. 47$
LXVIII. Et par la force divine des miracles. 4,74
LXlX. La propagation de la religion la prouve, indépen-
damment des miracles. 477
LXX. L'établissement de la religion prédit dans TAncien
Testament. 478
LXXT. Et dans la Nouveau. 480
LXXII. Le saints pères opposaient ces prophéties aux in-
crédules de leur temps. 48 1
LXXIIT. Force que donnent ces prophéties à notre preuve. 4^3
LXXn . On ne peut rien y opposer de raisonnable. 486
CHAPITRE III.
Objections contre la preuve tirée de la propagation
du christianisme.
LXXV. Première objection. Le christianisme ne s'est pas
répanda aussi rapidement qu'on Je dit. 4^7."
DES MATIÈRES. 541
Pa^e^.
L?\-WI. Réponse. 488
I.\'X\'1T. Denxième objecuon. Le chrisUanisiue a mis trois
siècles à s'étaLlii'. ^^89
L^XMII. Réponse. 490
LXXIX. Troisième objec;i-jn. Religions fausses établies plus
rapidement. Premier exemple, le mabométisme. 491
I.XXX. Réponse. ibid.
l.XXXl. Deuxième exemple , le protestantisme. Ibid.
LXXXTI. Réponse. 492
LXXXllI. Quairième objection. Moyens naturels qui ont
pu établir le cbrislianisme. 493
LXXXIV. Premier moyen. Dispositions naturelles des
bommes. 494
LXXX^ . Et dispositions particulières des esprits à la nais-
sance du christianisme. Ibid.
hXXXVI. Deuxième moyen. La doctrine do christianisme. 495
LXXXVII. Ses dogmes. 496
LXXXVllT. Sa morale. Ibid.
LXXXlX. Sa constitution. 49;
XC. Troisième moyen. Les persécutions. Ibid.
XCI. Réponse. 498
XCII. A ce qui est dit de l'inconstance du peuple. 499
XClïT. Et de la liberté naturelle de Tesprit humain. Ibid.
XCIV. Et de l'hypothèse d'un déiste. 5oo
XCV. Et de l'amour du merveilleux. Ibid
XCVT. Et du dégoût où on était du paganisme. 5oi
XCVir. Et de la mode des discussions. 5o2
XCVIIT. Et du règne de l'imapination. Ibid.
XCIX. Et de la crédulité aux visions. Ibid.
C. Et des maux physiques qui désolaient l'empire. 5o3
CI. Réponse à ce qui est objecté sur l'annonce des mi-
racles. ' Ibid.
CIL Et sur la doctrine de la vie future. 5o5
cm. Et sur l'opinion de la (in du monde. Ibid.
CIV. Ce n'était pas nne chose naturelle que douze pêcheurs
propageassent 1h morale chrétienne. 5o6
CV. Les vertus n'accompagnent pas toujours le prosély-
tisme. 5o7
CTI. Les espérances et les aumônes du christianisme ne
pouvaieià pas le propager. Ibid.
C"VII. La faciii'é d'obtenir le pardon des péchés n'était pas
an moyen de propagation. 5 08
542 TABLE DES MATIERES.
CYIII. Non pins qae le zèle intolérant des chréliens. 609
ClX. Une religion qui prêche la mortification n'est pas du
goût da peuple. Ibid.
ex. Calomnies répandues contie la morale ctirélienne. 5 10
(,X1. La constjîntion de l'Eglise n'a pas été une cause de son
extension. Ibld.
ex 11. Les persécutions qae la religion a fonffcr'.es n'ont
pas pu l'acroître. 5i i
CXIII. L'esprit de parti n'a pas pu attirer au christianisme
les païens. 5 1 1
CXn . Les persécutions des empereurs chrédens contre le
paganisme n'ont pas établi le chtistianisme. fi 1 3
< X^^ Constantin et ses successears n'ont pas persécuté les
idolâtres. 5 14
CX^ I. Ce n'est pas un motif de religion qui a fait périr So-
pâtre. 5 1 7
CXVII. Réponse de Théodoret à l'objection que l'autorité
impériale a agrandi l'Eglise. 5 19
CXVIIL Réi'Iexion générale sur les moyens auxquels on
attribue la révolution opérée par le christianisme. 5ao
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