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Full text of "Dissertations sur la vérité de la religion, savoir : sur l'authenticitéde l'Ancien Testament, sur les miracles, sur la résurrection de Jésus Christ, sur la propagation de la religion"

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JOHN  M.  KELLY  LIDDADY 


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Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


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DISSERTATIOiNS 

SUR    L\ 

YÉRITÉ  DE  LA  BELIGlOi^. 


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HOLY  REDEEMER  LIBMg:5^**^lNDS0R 


SOI.SSONS.     —      IMPRIMERIE     DE     EM.     FOSSE     DARCO«^E 
IMPRISUIR   DK  T.'ÉTFCHÉ,   RVE  DIS   RAIS,    lO. 


DISSERTATIONS 


SDR    LA 


VÉRITÉ  DE  LA  RELIGION 


SUR    r/ AUTHENTICITÉ    DE    l'ancIEN'    TF.STA5IENT  ; 

SVR     LES    miracles;    SUR    LA    RESURRECTION    DE    JÉSUS^CHRIST  , 

SUR    LA    PROPAGATION    DE    LA    RELIGION; 

Par  le  cardinal  DE  LA  LUZERNE, 

AITCItN    ÉVÈQUE    DE     LANGP.ES. 


NOUVELLE  ÉDITION*. 


A  PARIS, 
CHEZ  MÉQUIGNON- JUNIOR, 

LIBRAIRE  DE  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE, 
RUE    DES    GRAWDS-AUGUSTÎNS,     9. 


1843. 


DISCOURS  PRELIMINAIRE 


LES    CAUSES    DE    LINCREDILITÉ 


Il  y  a  environ  dix-huit  cents  ans  qu'il  s'est  opère  daus 
l'univers  une  révolution  telle  ,  qu'aucune  histoire  n'en 
peut  présenter  de  semblable  ,  et  que  l'esprit  humain  ne 
pouvant  la  révoquer  en  doute ,  a  peine  à  la  concevoir. 
Douze  hommes  sans  naissance  et  sans  considération, 
sans  éducation  et  sans  lettres,  sortis  d'un  coin  de  la  terre 
presqu'inconnu,  envoyés  par  un  homme  mort  du  sup- 
plice des  scélérats  ,  sans  autres  moyens  que  la  persua- 
sion, sans  autres  armes  que  leur  patience,  sont  parvenus 
à  changer  les  idées  religieuses  et  morales  de  tous  les 
peuples.  Ils  ont  trouvé  les  nations  prosternées  devant  des 
idoles ,  que  consacraient  le  respect  de  tous  les  pays  et  le 
préjugé  de  tous  les  siècles  connus  :  à  leur  prédication 
ces  idoles  sont  tombées ,  et  sur  les  autels  qu'elles  occu- 
paient a  été  élevée  la  croix ,  jusque-là  l'instniment  du 
plus  honteux  supplice  et  le  symbole  de  l'ignominie.  Ils 
ont  trouvé  les  esprits  enthousiasmés  de  la  philosophie 
alors  dans  son  plus  brillant  éclat ,  et  les  cœurs  enivrés 
des  passions  déifiées  par  le  culte  public  :  leur  voix  ton- 
nante, victorieuse  à  la  fois  des  opinions,  des  affections  , 
des  habitudes ,  des  superstitions ,  dissipant  de  son  souffle 
et  les  lumières  de  la  philosophie ,  et  les  illusions  des  pas- 
sions ,  a  soumis  la  raison  à  la  foi  et  les  sens  à  la  morti- 
fication. Ils  ont  trouvé  les  trônes  occupés  par  des  souve- 
rains superstitieux  et  cruels  qui ,  pour  soutenir  leur  culte 
antique,    ont  déployé  toute  leur  puissance,  et  se  sont 


^  DISCOURS 

armés  de  toute  leur  fureur;  par  le  plus  étonnant  des 
succès,  ils  ont  Iriomphr  de  leur  aiiiniosité  en  y  succom- 
bant. Leur  saii(;  répandu  est  devenu  une  semence  de  nou- 
veaux apôtres,  qui ,  eux-mêmes,  par  leur  mort  sanglante, 
en  ont  reproduit  d'autres  ,  jusqu'à  ce  qu'enfin  ,  de  persé- 
eutions  en  persécutions,  l'univers  se  soit  trouvé  chré- 
tien. 

Après  dix-luiit  cents  ans  une  nouvelle  révolution  se 
prépare  à  changer  encore  la  face  de  la  terre.  Ce  que  dix- 
huit  siècles  consécutifs  ont  cru,  révéré,  adoré,  pratiqué, 
le  dix-huitième  siècle  a  entrepris  audacieusement  de  l'a- 
néantir. Il  ne  s'agit  plus  de  substituer  un  culte  à  un  autre 
culte,  de  présenter  aux  adorations  des  mortels  un  nou- 
veau Dieu  ;  on  prétend  ellacer  des  esprits  toute  idée  de 
Divinité.  Les  apôtres  de  la  nouvelle  doctrmc ,  aussi  op- 
posés aux  apôtres  du  christianisme  dans  leurs  moyens 
que  dans  leur  but,  avaient  commencé  par  prêcher  et  par 
unplorer  la  tolérance.  Mais  à  peine  ont-ils  usurpé  dan 
un  pays  la  puissance,  qu'ils  ont  inondé  la  terre  qu'ils 
s'étaient  asservie  du  sang  le  plus  précieux  ,  le  plus  pur, 
le  plus  sacré  ;  ils  ont  développé  une  barbarie  qu'on  ne 
peut  rappeler  sans  horreur ,  leur  atroce  et  ingénieuse 
férocité  a  inventé  des  raffinements  de  cruauté  inconnus 
aux  tyrans  du  paganisme. 

Serait-il  donc  arrivé  ce  temps  désastreux  que  le  Sei- 
gneur montrait  dans  un  avenir  lointain  à  son  apôtre  bien- 
aimé?  L'incrédulité  moderne  serait-elle  ce  monstre  qui  , 
traversant  les  mers  revêtu  de  toute  la  puissance  et  armé 
de  toute  la  force  de  l'antique  dragon  ,  doit  élever  ses  blas- 
phèmes contre  Dieu  ,  contre  son  église,  contre  ceux  qui 
régnent  avec  lui  dans  le  ciel ,  faire  la  guerre  aux  saints 
de  la  terre  ,  et  les  immoler  à  sa  rage  ?  Sommes-nous  des- 
tinés à  la  voir  étendre  la  puissance  dont  elle  s'est  servie 
pour  dévaster  notre  patrie ,  sur  toute  tribu ,  sur  tout  \)c\\- 
ple,  sur  toute  langue,  sur  toute  nation  ?  A  toutes  les  dou- 
leurs dont  elle  nous  a  pénétrés,  serons-nous  forcés  d'a- 
jouter celle  de  voii-  tomber  en  adoration  devant  elle  tous 
les  Jiabitans  de  l'univers,  dont  les  noms  ne  sont  pas  écrits 


PRÉLIMINAIRE.  / 

dans  le  livre  de  vie  '1)  ?  Eloignons  de  notre  esprit  ces  si- 
nistres présages.  Déjà  dans  notre  patrie  elle-niénie  un 
gouvernement ,  plus  modéré  que  ceux  qui  depuis  dix  ans 
l'ont  tyrannisée ,  travaillant  à  essuyer  les  plaies  dont  elle 
saigne  de  tous  les  côtés,  semble  vouloir  arrêter  la  main 
qui  les  a  infligées  (2;.  En  cherchant  à  réparer  les  maux 
affreux  dont  la  France  a  été  accablée,  il  paraît  en  avoir 
reconnu  la  cause;  et  pour  rendre  à  la  nation  son  bon- 
heur, il  a  senti  la  nécessité  de  lui  rendre  sa  religion. 
Espérons  que  cette  lueur  de  restauration  que  nous  aper- 
cevons, n'est  que  l'aurore  d'un  jour  plus  brillant,  et  que 
l'Eglise  Gallicane  qui  ne  fait  aujourd'hui  que  s'élever  un 
peu  au-dessus  de  ses  ruines  ,  reprendra  dans  quelqu'.^ 
temps  sa  grandeur  et  sa  majesté  antiques. 

Mais  nous  que  le  Seigneur  a  établis,  comme  autre- 
fois ,  la  tribu  sainte  ,  les  gardiens  et  les  défenseurs  de  son 
sanctuaire  ,  notre  place  est  sur  la  brèche  qu'y  ont  faite 
ses  criminels  ennemis  ,  pour  repousser  tous  les  assauts 
qu'ils  ne  cessent  de  lui  livrer. 

Pour  remplir  ce  devoir  sacré  ,  deux  moyens  se  présen- 
tent: Tun  est  d'opposer  à  l'incrédulité  ,  comme  un  rem- 
part insurmontable ,  quelques-unes  des  démonstrations 
qui  portent  jusqu'à  l'évidence  la  vérité  de  notre  sainte 
foi  ;  et  c  'est  l'objet  des  Dissertations  que  je  publie  :  l'autre 
moyen  ,  qui  va  suspendre  pour  quelques  moments  l'em- 
ploi du  premier  ,  est  d'aller  attaquer  l'incrédulité  elle- 
même  ,  de  lui  opposer  sa  propre  origine ,  et  de  montrer 
les  causes  auxquelles  elle  doit  sa  naissance  et  ses  progrès^ 


(i)  Et  vicii  de  ruati  bestiara  ascendentem....  et  dédit  illi  draco  vir- 
tutem  snam,  et  ro'es'atera  magnaîn,...  et  apernit  os  snnrn  in  blasphe- 
inias  ad  Deam  .  blaspliemare  nornen  ejus  ,  et  tabernJtcnlum  ejns  ,  et 
eos  Cjoi  in  coelo  halùtant.  Et  est  datum  illi  bellum  facere  corn  sanctis 
et  vincere  eos,  et  data  est  illi  potesfas  in  omneni  tribom,  in  popa- 
Inm  ,  et  linguam,  et  gentem  ;  et  adoraveraiit  eani  emi.es  qai  inhabi- 
tant terrara,  qnornm  non  snnt  scripta  nomiiia  in  libre  viiœ  Agni  , 
qai  occ'sus  e>l  ab  origine  mundi.  {Jpoc.  i3,   i  et  seq.  ) 

(2)  L'auteur  écriva'i  ceci  en  i8or.   i:\'ote  de  l Editeur.^ 


8  DISCOURS 

J'en  remarque  trois  ])iincipales  :  le  libertinage  l'en- 
/jendre,  rorgueil  la  produit  ,  la  Irj^èreté  la  répand. 

C'est  le  cœur  de  l'insensé  ,  et  non  son  esprit,  qui  a  dit  : 
Il  n'y  a  pas  de  Dieu.  Ils  se  sont  corrompus,  dit  le  pro- 
phète .  ils  se  sont  rendus  abominables  dans  leurs  inclina- 
tions (1).  Gardons-nous  cependant  d'exagérer.  Dans  le 
nombre  des  incrédules  il  peut  s'en  rencontrer  qui  aient 
conservé  une  certaine  régularité  de  mœurs.  Il  n'y  a  pas 
de  principe  tellement  universel,  qu'il  n'admette  quelques 
exceptions;  et  la  corruption  du  cœur  n'est  pas  la  seule 
cause  que  nous  ayons  assignée  à  l'uTéligion.  Mais  je  ne 
crains  pas  d'être  démenti  ]>ar  les  incrédules  eux-mêmes  , 
en  avançant  que  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux  est  li- 
vré à  la  débauche.  Non  ,  sur  ce  fait,  je  ne  veux  pas  d'autre 
témoignage  que  le  leur  propre.  Ils  sont  bien  éloignés  de 
dissimuler  leurs  désordres.  Eu  perdant  la  pudeur  ils  ont 
abjuré  la  honte.  Loin  de  rougir  de  leurs  excès ,  ils  en 
font  gloire. 

Cette  vérité  étant  reconnue  par  ceux-là  même  qui 
seuls  pourraient  la  contester,  il  s'élève  naturellement  une 
question.  Est-ce  l'incrédulité  qui  donne  naissance  au  dé- 
règlement? Est-ce  le  libertinage  du  cœur  qui  engendre 
le  libertinage  des  pensées  ? 

Pour  la  résoudre  ,  j'en  propose  une  autre.  Est-ce  l'ir- 
réligion qui  a  intérêt  de  rendre  l'homme  impudique  ? 
Est-ee  l'impudicité  qui  a  intérêt  de  rendre  riiomme  irré- 
ligieux ?  Ici  il  ne  peut  plus  y  avoir  de  doute.  Qu'importe 
à  l'incrédulité  que  les  mœurs  soient  plus  pures  ou  plus 
dépravées  ?  Que  la  chasteté  soit ,  ou  ne  soit  pas  une  ver- 
tu ,  l'incrédulité  n'en  seia  ni  plus  ni  moins  condamnable. 
Mais  au  contraire  l'homme  qui  a  une  fois  secoué  le  joug 
de  la  pudeur^  a  un  grand  intérêt  à  anéantir  celui  de  la 
religion.  Il  ne  peut  ignorer  que  cette  loi  sainte  qui  ne 
passera  jamais  ,  proscrit  essentiellement  sa  passion.  Entre 


[i      I)i\i'  insipiens  in  corde  i>»o.  :  ISon  Cit  Dens.  Coiinp'.i  sunt   el 
abo!iiiii«bi!cs  facii  sunl  in  s»udii&  suis    (Psaloi    i3,   i.} 


PRELIMINAIRE.  9 

ces  irréconciliables  ennemies ,  il  n'y  a  ,  il  ne  peut  y  avoir 
aucun  traité.  Il  faut  absolument  ou  méconnaître  la  loi, 
ou  se  soumettre  à  sa  condanmation.  Il  est  impossible  de 
croire,  et  d'être   en  même  temps  entièrement  satisfait 
dans  le  vice.  Tant  que  l'idée  de  Dieu  reste  imprimée 
dans  le  libertin  ,  elle  l'agite  et  va  le  troubler  jusqu'au 
sein  de  ses  plaisirs.  L'n  ver  rongeur  est  attaché  à  sa  con- 
science ;  ver  éternel  qui  le  suit  toujours  et  partout ,  qui 
ne   mourra  pas  même  avec  lui ,  et  qui  le  suivra  jusque 
dans  les  enfers.  Ce  remords  dont  il  méconnaît  le  bien- 
fait ,  et  dont  il  ne  sent  que  le  tourment,  ce  remords  qui 
lui  avait  été  donné  pour  le  rappeler  à  la  vertu,  est  pré- 
cisément ce  qui  l'enfonce  dans  l'abîme  du  vice.  >ie  pou- 
vant imposer  silence  à  ce  censeur  importun  ,  il  imagine 
de  s'en   défaire.  Il  se  flatte  qu'en  chassant  la  foi  de  sou 
cœur  il  en  bannira  les  terreurs  qu'elle  inspire.  Ainsi  ces 
deux  hommes  vieillis  dans  la  lubricité  ,  qui  avaient  en- 
trepris de  corrompre  Suzanne,  pervertirent  leur  jugement 
et  détournèrent  les  yeux  pour  ne  pas  voir  le  ciel  qui  les 
(condamnait ,  et  pour  perdre  le  souvenir  de  ses  redouta- 
Jjles  jugements  (1).  Ainsi  les  libertins  de  nos  jours  ima- 
ginent, en  détournant  leurs  regards  de  l'Etre  Suprême  , 
se  dérober  aux  siens,  et  pensent,  en  niant  la  Divinité  , 
se  soustraire  à  ses  vengeances. 

Et  voilà  donc  en  quoi  consiste  cette  force  d'esprit  dont 
l'incrédulité  se  glorifie,  et  dont  elle  fait  un  de  ses  prin- 
cipaux litres.  Cette  force  prétendue  n'est  que  la  faiblesse 
d'un  esprit  qui  ne  sait  pas  se  rendre  le  maître  de  ses  sens. 
C'est  la  servilité  ,  qui  se  laisse  impérieusement  dominer 
par  une  passion  brutale  ;  c'est  la  lâcheté  ,  qui  ne  veut  pas 
connaître  le  danger  qu'elle  craint  de  combattre  ;  c'est  la 
pusillanimité,  qui  redoute  les  efïoris  qu'il  lui  faudrait 
taire ,  les  assauts  qu'elle  aurait  à  soutenir.   Il  sied  bien 


(i)  Everteroiit  jen.suin  shujji  ,  et  Jecl-nî-veraut  oculos  suos,  ut 
non  vidèrent  cœlniu  ,  ne  |ae  leeordarentur  judiciorum  justoruui. 
{Dau.  i3,  9.) 

r 


fO  DISCOURS 

aux  incrédules  de  traiter  de  faiblesse  notre  religieuse 
iVayeur  des  jugements  divins  ,  ù  eux  qui  n'ont  pas  même 
osé  en  soutenir  la  pensée  I 

Pour  nous  convaincre  que  telle  a  été  l'origine  impure 
de   l'incrédulité  du  libertin  ,  suivons  la  marche  de  son 
libertinage  et  de  son  incrédulité.  Nous  verrons  claire- 
ment que  ce  sont,  non  ses  pensées  cjui  ont  perverti  ses 
actions  ,  mais  ses  actions  qui  ont  égaré  ses  pensées.  Avant 
SCS  premiers  dérèglements ,  lorsque  ses  jours  coulaient 
encore  dans  l'innocence,   sa  foi  était  aussi  pure  que  ses 
mœurs.  Les   preuves  de  la  religion  présentaient  à  son 
esprit  des  démonstrations  irrésistibles.  La  hauteur  inac- 
cessible de  nos  mystères  n'était  à  ses  yeux  qu'un  motif  de 
plus  pour  les  adorer.  Son  cœur  droit ,  alors  ,  et  vertueux, 
repoussait  avec  une  égale  horreur  et  le  doute  et  le  vice. 
Il  voyait  les   elïbrts  de  l'incrédulité   avec  indignation, 
avec  mépris  ses  sophismes.  Lorsqu'il  a  commencé  à  s'é- 
carter du  sentier  de  la  vertu  ,  il  n'a  pas  encore  abandonné 
pour  cela  la  voie  de  la  vérité.  En  perdant  son  innocence , 
on  ne  perd  pas  tout  d'un  coup  ses  principes.  Il  y  a  loin 
du  premier   degré   de  l'iniquité  jusqu'au  faîte.  Quand 
David  jeta  ses  premiers  regards  sur  Bethsabée ,  il  était 
bien  éloigné  d'ordonner  le  meurtre  d'Urie.  Mais  le  liber- 
tinage, une  fois  maître  du  cœur  d'un  homme,  lui  donne 
l'intérêt  qu'il  n'y  ait  point  de  loi  répressive  ;  l'intérêt  lui 
en  inspire  le  désir  ;  du  désir  à  l'opinion  le  pas  est  glissant 
et  facile  ;  on  croit  aisément  ce  qu'on  désire  ardemment  : 
on  se  prête  à  tout  ce  qui  favorise  une  illusion  chérie  ;  on 
rejette  tout  ce  qui  la  contrarie.  Ainsi  de  chute  en  chute 
le  libertin  est  entraîné  successivement  dans  rhabilude  , 
dans  l'endurcissement,  dans  le  doute,  dans  l'irréligion. 
Ce  n'est  que  lorsqu'il  s'est  entièrement  enfoncé  dans  l'ini- 
quité, qu'il  parvient  à  mépriser  ce  qui  avait  été  jusque- 
la  l'objet  de  ses  respects  (1). 


(t)    Impins,    cumin     piurui  cliiiu  \  eiieiil  peccatoi  nin  ,    coi  tenu: 
sç-i  bccyaitur  cuni  i^iiosuii.ia  el  (i]>probriuii:.  {Prow  i8,  3.; 


PRELIMINAIRE.  H 

Examinez  quels  sont  les  lieux  où  l'incrédulité  étend 
ses  progrès,  quels  sont  îes  temps  où  elle  se  produit  avec 
le  plus  d'audace  ,  quelles  sont  les  conditions  où  elle  mul- 
tiplie ses  ravages.  Vous  ne  la  trouverez  ni  dans  les  pays , 
ni  dans  les  siècles  ,  ni  dans  les  états  qui  ont  conservé  leur 
simplicité  primitive  et  qui  n'ont  pas  dérogé  à  l'antique 
pureté  de  leurs  mœurs.  Vous  ne  verrez  point  dimpies 
où  les  époux  fidèles  respectent  le  lien  qui  les  unit  ;  où  les 
fdles ,  heureuses  sous  les  yeux  maternels  ,  chérissent  leur 
précieuse  innocence.  Mais  vous  verrez  l'incrédulité  triom- 
phante dans  les  villes  où  le  luxe  a  porté  sa  funeste  dépra- 
vation ;  où  le  débordement  des  mœurs  a  rendu  les  époux 
indifférents  et  les  enfants  indociles;  où  le  libertinage 
est  l'affaire  principale,  le  but  de  toutes  les  démarches, 
l'objet  de  tous  les  désirs ,  le  sujet  de  toutes  les  conversa- 
tions. Partout  où  les  mœurs  sont  restées  pures,  la  foi  est 
demeurée  entière.  Partout  où  les  mœurs  se  corrompent, 
la  foi  chancelle  et  s'éteint.  En  voyant  le  même  effet  tou- 
jours renouvelé  et  constamment  suivi,  pouvez-vous  en 
méconnaître  la  cause  ? 

Et  l'incrédulité  n'achève-t-elle  pas  de  déceler  sa  hon- 
t^^use  origine  par  ses  propres  écrits ,  où  elle  ne  rougit  pas 
de  publier  elle-uïème  son  opprobre?  Pour  montrer  ce 
qu'elle  est,  et  d'où  elle  vient,  il  suffit  de  lui  opposer 
ses  productions.  L'impiété  et  l'obscénité  y  ont  fait  une 
alliance  digne  de  l'une  et  de  l'autre.  Les  ennemis  de  la 
religion  ont  rem|3li  de  leurs  maximes  impies  des  contes 
licencieux  ,  des  vers  lubriques',  des  chansons  lascives  ,  des 
éiîigrammes  impures.  Ils  ont  osé  même^  grand  Dieu  ! 
jusqu'où  peut  donc  se  porter  la  corruption  du  cœur  hu- 
main ?  ils  ont  osé  dans  leur  sacrilège  fureur  abuser  de 
l'auguste  simplicité  de  nos  livres  saints,  pour  en  tirer 
leurs  tableaux  obscènes.  Oseront-ils  encore  ,  ces  précep- 
teurs eff'rontés  du  vice  ^  prétendre  que  c'est  à  la  raison 
humaine  qu'ils  s'adressent;  que  c'est  la  raison  qu'ils 
veulent  persuader,  quand  ils  s'efforcent  de  salir  l'imagi- 
nation ?  Oserout-ils  soutenir  leur  emphatique  prétention 
do  prêcher  la  sagesse    quand  leur  prédication  appelle  , 


lî  DISCOURS 

iaivitc  ,  engajje ,  excite,  cncoiua^je  publiquenicnt  à  ïa' 
tivjuavation  ? 

Coiiunciit  cloue  u'out-ils  pas  été  retenus  par  la  crainte 
qu'un  si  iniàuie  moyen  ne  iléshonoràt  leur  cause  ?  C'est 
qu'en  eomljinant  ses  divers  efiets  ,  ils  ont  calculé  qu'elle 
en  letiierait  encore  plus  d'avantages.  Ils  ont  senti  la  con- 
nexion intime  qui  existe  entre  la  corruption  et  la  séduc- 
tion ;  ils  ont  jugé  qu'en  excitant  le  tumulte  des  passions, 
ils  rendraient  l'àine  sourde  aux  leçons  de  la  sagesse  \  ils 
ont  esj)éré  attirer  par  cet  appât  impur  la  nombreuse  classe 
des  hommes  livrés  à  la  débauche  ,  dont  la  brutale  passion 
cherche  partout  de  Taliment  ;  ils  ont  voulu  grossir  leur 
parti  de  tous  les  hommes  corrompus  et  de  tous  ceux  qui 
désirent  l'être.  En  un  mot,  ils  ont  compté  mener  leurs 
victimes  par  la  route  qu'ils  ont  suivie  eux-mêmes  ;  à  Tin- 
crédulité  ,  par  le  libertinage. 

Malheureux  !  vos  succès  ont  surpassé  votre  attente. 
Une  jeunesse  inconsidérée  s'est  précipitée  sur  vos  pas  ,  et 
a  dévoré  avidement ,  le  double  poison  que  vous  lui  avez 
jeté.  Mais  tandis  que  vous  jouissez  de  l'afTieuse  gloire 
d'être  les  corrupteurs  à  la  fois  et  du  cœur  et  de  l'esprit  de 
la  génération  présente  ,  un  autre  jnix  plus  di{>ne  de  vos 
travaux  se  prépare.  L'équitable  postérité  s'élèvera  contre 
votre  mémoire ,  et  la  livrera  à  l'exécration  de  tous  les 
siècles.  Les  générations  futures  ne  parleront  de  vos  talents 
qu'avec  l'iiorreur  qu'inspirera  l'infâme  usage  que  vous 
en  avez  fait.  Les  pères  arracheront  à  leurs  enfants  vos 
criminelles  productions.  Les  gouvernements,  éclairés  par 
les  malheurs  dont  vous  nous  avez  accablés,  et  ])ar  les 
dangers  que  vous  leur  avez  fait  courir  à  eux-mêmes, 
proscriront  vos  ouvra{jes  avec  une  juste  sévérité.  Vous 
avez  aspiré  à  la  célébrité  ,  vous  l'avez  obtenue  ,  mais  une 
célébrité  d'ojiprobre  et  d'ignominie.  Le  mépris  et  l'indi- 
gnation qui  flétriront  vos  noms  seront  le  châtiment 
mérité  de  la  téméraire  vanité  qui ,  se  mêlant  à  votre  liber- 
tinage, a  été  encore  une  des  causes  de  votre  incrédulité. 

L'orgueil  ,  ce  funeste  ]>rin(.ipe  de  la    jierle   des  anges 


PRELIMI-NAIRE.  13 

et  des  hommes ,  fut  la  première  cause  qui  suscita  l'incré- 
duîité  contre  le  christianisme.  Jésus- Christ  avait  à  peine 
commencé  sa  carrière  évangéUque  ,  que  la  secte  des  pha- 
risiens s'éleva  contre  lui.  Ces  liommes  ,  vains  de  leur 
fausse  piété ,  enflés  de  leurs  connaissances  dans  la  loi  ; 
fiers  du  crédit  que  leur  hypocrisie  avait  usurpé  sur  le 
peuple  et  dans  le  Sanhédrin  ,  méconnurent  un  prophète 
venu  de  la  Galilée  ,  méprisèrent  un  messie  pauvre  et 
n'ayant  pas  où  reposer  sa  tète  ,  dédaignèrent  une  doctrine 
d'humilité  et  d'abnégation  ,  se  soulevèrent  contre  un  pré- 
dicateur qui  démasquait,  confondait,  condamnait  leur 
vanité  ;  et,  l'attaquant  sans  relâche  de  leurs  perfidies,  de 
leurs  intrigues,  de  leurs  calomnies,  ils  consonm^èient 
enfiu  ce  crime  mémorable  ,  qui  a  fait  la  destinée  du  genre 
humain.  La  secte  pharisaique  a  péri ,  mais  son  orgueil 
lui  a  survécu.  Il  continue  de  poursuivre  Jésus-Christ  sur 
ses  autels,  comme  il  l'avait  persécuté  dans  le  cours  de 
sa  vie  mortelle.  Il  n'a  cessé  de  susciter  contre  lui  les 
hérésies ,  qui ,  se  renouvelant  de  siècle  en  siècle,  changeant 
continuellement  d'objet ,  mais  constamment  produites 
par  la  même  cause,  ont  toutes  été  des  révoltes  dune 
raison  superbe  contre  l'autorité.  L'hérésie  de  notre  siècle 
est  la  destruction  de  tout  culte ,  de  toute  divinité  ,  et 
elle  procède  de  la  même  cause  que  toutes  les  autres. 

Tant  que  la  religion  de  Jésus-Christ  subsistera ,  elle 
condamnera  l'orgueil  de  la  raison  ;  et  tant  que  la  raison 
ne  déposera  pas  son  orgueil ,  il  la  soulèvera  contre  la 
religion  de  Jésus-Christ.  La  loi  divine  est  formelle  ;  elle 
tient  toute  intelligence  captive  sous  le  joug  de  la  foi  ;  elle 
renverse  toute  hauteur  qui  s'élève  contre  la  science  de 
Dieu  (1)  ;  elle  est  absolue  et  ne  souffre  aucune  exception. 
Tout  est  égal ,  dans  l'ordre  de  la  foi  ,  entre  le  savant  et 
l'ignorant ,  entre  le  génie  le  plus  profond  et  l'esprit  le  plus 


(i)  Deslruenlcs  oiunem  al'itudincm  extolienlem  se  advtijus  siieii- 
tiam  D^;i  ,  et  in  captivitalein  ledigeutes  uiuiiem  in'.elljclum  iii  ob^e- 
quium  fidci.  (2.  Cor.   10,  5.) 


^^  DISCOURS 

grossier.  11  est  écrit  dans  nos  livres  saints  ;  «  Je  confon- 
«  drai  la  sagesse  des  sages ,  je  réprouverai  la  prudence 
'•  des  prudents.  Où  est  le  sage?  Où  est  le  docteur  de  la 
«  loi?  Où  est  le  savant  de  ce  siècle  ?  Dieu  n'a-t-ilpas  ren- 
«  du  insensée  toute  la  sagesse  de  ce  monde  (1)  ?  »  Telle 
était  la  sage  économie  de  la  Providence  ;  elle  a  placé 
la  conviction  de  sa  religion  dans  des  preuves  de  fait ,  qui 
sont  à  la  portée  de  l'iiomme  simple  comme  du  génie  le 
plus  élevé  j,  et  cette  conviction  acquise,  elle  exige  de  l'un 
et  de  l'autre  un  acquiescement  également  entier,  une  foi 
également  liumble  ,  une  soumission  également  passive. 

L'ne  loi  aussi  impérieuse,  qui,  pesant  uniformément  sur 
toutes  les  ïétes,  les  met  au  même  niveau,  et  qui  ne  lais- 
sant aucun  avantage  aux  talentsetaux  lumières  , rabaisse 
nécessairement  l'orgueil  de  l'esprit.  Cette  passion  aussi 
commune  que  l'orgueil  des  richesses  ,  que  l'orgueil  de  la 
naissance,  que  l'orgueil  des  dignités  et  des  honneurs, 
plus  active  même  dans  les  esprits  qui  ont  la  conscience  ou 
seulement  la  prétention  de  leur  supériorité,  cette  passion 
blessée  se  soulève  contre  la  loi  qui  la  réprime.  L'homme 
jaloux  de  se  distinguer  par  l'éclat  du  génie,  des  talents, 
des  connaissances  ,  ne  soutient  pas  l'idée  de  se  voir  con- 
fondu avec  ce  vulgaire  qu'il  méprise,  de  penser  comme 
le  vulgaire ,  de  réfléchir  comme  le  vulgaire ,  de  raisonner 
comme  le  vulgaire ,  de  croire  comme  le  vulgaire ,  de  n'a- 
voir pas  plus  de  mérite  dans  sa  foi  que  le  vulgaire. 

Mais  l'incrédulité  lui  présente  un  moyen  de  sortir  des 
routes  battues,  de  s'élever  au-dessusde  la  classe  commune. 
Une  opinion  nouvelle  suppose  de  nouvelles  lumières  ; 
une  opinion  hardie  annonce  des  conceptions  grandes  et 
Jortes.  La  raison  enorgueillie  de  la  supériorité  qu'elle  a, 
ou  qu'elle  croit  avoir  ,  trouve  au-dessous  de  sa  dignité  de 
croire  ce  qu'elle  ne  comprend  pas.  Fière  de  ses  hunières  , 


(i)  Suriptam  est  ei.im  :  Perdain  .sajdeiuiaru  sapieniium,  et  pi  uden- 
Uam  piudenliiini  lepiobal.o.  Uhi  sapiens  ?  L'ii  sciiba  ?  VU  concui- 
sitc.r  Ijnias  sa>cu'i  ?  Nonne  sluLam  fecil  Deus  saiientiam  hujus  mun- 
ui  ?  (  I.  Cor.  I  ,  19,  20.) 


PRÉLIMINAIRE.  15 

elle  imagine  qu'au-delà  de  l'horizon  qu'elle  aperçoit, 
rien  ne  peut  exister  ;  confiante  dans  ses  forces,  il  n'y  a 
rien  de  si  élevé  qu'elle  ne  veuille  atteindre  ,  rien  de  si 
profond  qu'elle  n'entreprenne  de  pénétrer,  rien  de  si 
obscur  qu'elle  ne  prétende  éclaircir.  Elle  ose  citer  à  sou 
tribunal  jusqu'à  la  religion  ,  et  demander  à  Dieu  compte 
de  ses  mystères. 

Il  y  a  une  intime  correspondance  entre  la  foi  et  l'iiu- 
milité  d'une  part,  entrel'orgueil  et  l'incrédulité  de  l'autre. 
La  foi  commande  l'humilité;  et  l'humilité  seule  peut  con- 
duire à  la  foi.  De  même  l'orgueil  pousse  à  l'incrédulité, 
qui  à  son  tour  exalte  encore  l'orgueil.  Ainsi  tout  con- 
court à  éloigner  de  la  foi  l'esprit  orgueilleux.  11  repousse 
la  foi  ,  parce  qu'en  croyant  la  religion  il  faudrait  prati- 
cjuer  l'humilité  qu'il  dédaigne  ;  la  foi  le  repousse,  parce 
que  l'insolence  de  ses  pensées  est  incompatible  avec  la 
soumission  qu'elle  exige.  Dès  que  la  foi  est  le  partage  des 
humbles ;,  il  est  naturel^  il  est  juste  tjue  l'incrédulité  soit 
le  partage  des  superbes;  il  est  naturel  (ju'en  s'écartantde 
la  route  on  s'éloigne  du  terme;  il  est  juste  que  le  chàti- 
merit  naisse  de  la  faute.  L'orgueilleux  a  prétendu  sou- 
mettre à  sa  raison  ce  qu'elle  devait  respecter ,  il  sera 
abandonné  à  sa  raison  ;  il  a  méconnu  son  Dieu,  Dieu  ne 
se  fera  pas  connaître  à  lui  ;  il  a  dit  au  Seigneur  :  «  Re- 
«  tireZ' vous  de  nous,  nous  ne  voulons  pas  de  la  science 
«  de  vos  voies  (l)  ;  »  Dieu  le  punira  en  l'exauçant  (2).  Et 
pour  avoir  voulu  sonder  l'inaccessible  Majesté  ,  il  sera 
accablé  du  poids  de  la  gloire  (3). 

Voyez  l'orgueil,  qui  engendra  l'incrédulité,  se  mani- 
fester dans  les  titres  pompeux  dont  elle  se  décore.  Ses 
apôtres  se  proclament  hautement  les  libérateurs  du  génie 
humain  qu'ils  affranchissent  de  la  superslition,  les  bieu- 


(i)    Dixernnt    Deo  :  Rfcede  a    nobis  ,   et  scienfiam  viarum  tiianmi 
noluinus  [Job.  21,  14.) 

(2)  Va*  eis,  cum   recesscro  ab  eis.  {^Osee ,  9,    I2.) 

(3)  Qiji  srjQtator  est  majeslaiis,  oppriiaeîiir  a    g'.oiia.  fProi'.  2.'>, 


16  DISCOURS 

laileurs  de  l'Iimnanité  à  qui  ils  apportent  le  bonheur ,  les 
apôtres  de  la  vérité  qu'ils  répandent  sur  la  terre.  Ils  s'ar- 
rogent exelusiveinent  la  qualité  de  philosophes,  et  peut- 
être  avons  nous  à  nous  reproeher  trop  de  facilité  à  leur 
accorder  ce  titre  fastueux,  quia  pu  contribuer  à  leurs 
succès.  Eux  ,  philosophes  I  Ah  I  la  philosophie  est  l'usage 
de  la  raison  ,  elle  n'en  est  pas  l'abus.  Certes  ,  il  fallut  une 
toute  autre  philosophie  que  celle  dont  se  vantent  les  in- 
crédules ,  pour  endjrasser  le  christianisme  malgré  tous  les 
obstacles  qui  s'opposaient  à  son  établissement  ;  pour  ab- 
jurer les  préjugés,  supporter  les  mépris,  allronter  les 
dangers  ,  subir  les  supplices  ,  braver  les  tyrans.  La  philo- 
sophie n'a  pas  changé  depuis  ce  temps  ;  ce  qu'elle  était 
alors  .  elle  l'a  constamment  été  ,  elle  l'est  encore  ,  elle  le 
sera  toujours.  Dans  tous  les  siècles  le  vrai  chrétien  aura 
seul  droit  de  dire  avec  saint  Cyprien  :  «  C'est  nous  qui 
«<  sommes  philosophes  ,  no.i  de  paroles,  mais  de  faits  ;  qui 
«  montrons  de  la  sagesse  non  les  vaines  livrées  ,  mais  la 
«  vraie  pratique ,  et  de  la  vertu  non  la  jactance,  mais  la 
"   constante  réalité    1).    » 

Suivez  les  incrédules  dans  leurs  funestes  écrits.  Vous 
y  verrez  encore  percer  à  chaque  pas  l'orgueil  qui  causa 
leur  erreur  ,  et  qui  ne  contribue  que  trop  à  la  propager. 
Car  rien  n'est  plus  propre  à  en  inq)Oser  à  la  multitude , 
que  ce  ton  afiirmatif  et  impérieux  qui  commande  l'o- 
])inion  et  qui  interdit  le  doute  :  il  suppose  la  conviction 
intime  de  celui  qui  l'emploie ,  et  par  cela  seul  il  l'incul- 
que aux  autres.  On  ne  persuade  jamais  mieux  ,  que  lors- 
qu'on a  l'air  profondément  persuadé  ;  et  le  plus  sur 
moyen  de  bannir  toute  incertitude,  est  de  n'en  montrer 
aucune. 

J'userai  à  cet  égard  d'une  conq>araison  ,  peu  digne 
p:ut-étre  de  la  gravité  de  cette  matière,  mais  que  son 


(i)  Nos  aulein,  fralics  carisMini,  qui  philosophi  non  veibis.  scd 
facîis,  suiiiu.s,  nec  veslilu  bajâentiaiu ,  bcd  veiitaie  piwfeiimus  ;  qui 
v'riuluiu  cunstautiaui ,  luagis  qaaii)  jactaciMain,  novimus.  fS.  Cy- 
pr'ian.^  de  liono  Putituda.J 


PRÉLIMINAIRE.  17 

extrême  justesse  doit  me  faire  pardonner.  !Nous  avons 
souvent  été  étonnés  du  prodigieux  succès  qu'obtiennent 
dans  les  rues  et  dans  les  places  publiques  ces  hommes 
adroits  ,  qui  attirent  autour  d'eux  la  multitude  par  l'at- 
trait de  la  curiosité  ,  l'amusent  par  leur  volubilité,  l'en- 
traînent par  leur  véhémence  ,  et  lui  font  enfin  acheter  à 
prauds  frais  des  remèdes ,  dans  lesquels  souvent  elle  n'a 
point  de  confiance  Tout  leur  art  consiste  dans  l'audace 
de  leurs  assertions-  C'est  l'assurance  imperturbable  de 
leur  ton,  l'autorité  avec  laquelle  ils  garantissent  l'effet 
infaillible  de  leurs  secrets,  qui  abuse  la  crédulité,  séduit 
la  simplicité,  fixe  l'indécision,  dissipe  la  méfiance,  en 
impose  à  la  malignité,  et  finit  par  faire  triompher  même 
de  la  préveution.  Il  en  est  absolument  de  même  de  la 
prédication  de  nos  modernes  incrédules  ;  c'est  la  même 
charlatdnerie  ,  la  même  confiance  dans  le  ton  ,  la  même 
arrogance  dans  les  manières ,  la  même  jactance  dans  les 
discours  ,  et ,  je  l'ajoute  avec  douleur  ,  c'est  trop  souvent 
le  même  succès. 

J'ouvre  au  hasard  les  ouvrages  des  incrédules ,  et  qu'y 
vois-je?  Au  lieu  de  ce  ton  de  simplicité  et  de  candeur 
qui  caractérise  la  vérité,  et  dont  nos  livres  saints  offrent 
un  modèle  si  pur,  j'y  trouve  le  ton  emphatique  et  obscur 
des  oracles  ,  le  ton  tranchant  de  la  présomption  ,  le  ton 
arrogant  de  la  hauteur  ,  le  ton  suffisant  de  la  légèreté  ,  le 
ton  méprisant  de  l'orgueil.  3Iettent-ils  en  avant  un  prin- 
cipe? c'est  un  axiome  ;  le  révoquer  en  doute  serait  ou- 
trager la  raison.  Présentent-ils  un  raisonnement?  il  est 
terrassant;  il  faut  être  de  la  plus  stupide  ineptie,  ou  de 
la  plus  révoltante  mauvaise  foi  ,  pour  n'en  être  pas  con- 
vaincu. Et  tandis  qu'ils  exaltent  ainsi  leurs  propres  pro- 
ductions, ils  versent  le  mépris  le  plus  insultant  sur  tout 
ce  qui  combat  leurs  systèmes.  Ils  traitent  sans  cesse  les 
preuves  du  christianisme  de  vains  arguments  d'école,  qui 
ne  valent  pas  même  la  peine  d'être  réfutés  ;  les  mystères, 
d'absurdités  dégoûtantes;  les  miracles ,  de  fables  ridi- 
cules ;  les  témoignages  qui  les  garantissent ,  d'impostures 
grossières-,  les  sacrements,  de  pratiques  superstitieuses  ; 


18  Discouas 

le  zèle,  de  fanatisme;  les  frayeurs  de  l'autre  vie,  de 

])euis  d'enfants. 

Est-ce  ainsi  que  s'exprime  la  vérité?  Est-ce  là  le  ton 
avec  lequel  il  lui  convient  d'être  présentée  et  défendue  ? 
La  vérité,  grande  par  elle-même,  brillante  de  son  seul 
éclat ,  orné  de  sa  simplicité  ,  dédaigne  ce  vain  étalage. 
Elle  est  confiante  sans  présomption ,  digne  sans  arro- 
gance ,  noble  sans  fierté ,  modeste  sans  timidité.  Elle  n'an- 
nonce pas  emphatiquement  la  lumière  ,  elle  la  présente  ; 
elle  ne  promet  pas  fastueusement  la  conviction  ,  elle  la 
donne.  C'est  à  l'erreur  à  employer  l'eitVonterie  du  char- 
latanisme ,  la  jactance  de  l'orgueil.  De  tels  moyens  sont 
dignes  d'une  telle  cause  et  lui  sont  nécessaires.  Ils  rem- 
placent les  raisons  et  peuvent  faire  croire  qu'il  en  e  iste  : 
et  s'ils  sont  impuissants  contre  la  plus  saine  partie  du 
genre  humain,  ils  ont  une  funeste  influence  sur  la  plus 
nombreuse. 

Tl  était  impossible  que  des  maximes  aussi  perverses 
n'excitassent  pas  des  réclamations.  ]\ 'eussent-elles  que 
leur  opposition  aux  principes  reçus  depuis  tant  de  siècles , 
elles  ne  pouvaient  manquer  d^éprouverde  la  résistance. 
C'est  ici  surtout  que  l'incrédulité  se  démasque  par  la 
hauteur  ,  et  décèle  l'orgueil  qui  la  fit  naître.  Tels  que 
1  on  voit  des  éléments  de  nature  contraire  ,  placés  dans 
le  même  vase^  se  mettre  en  fermentation,  et  bientôt  dé- 
border avec  effervescence  ou  détonner  avec  fracas,  tel 
l'orgueil  de  l'incrédulité  ,  irrité  par  la  contradiction  ,  se 
soulève  avec  fureur,  se  répand  au  dehors  et  éclate  en 
invectives  violentes.  Les  écrits  de  ces  prétendus  philoso- 
phes sont  remplis  des  épithètes  les  plus  amères.  Les  in  - 
culpations  les  plus  odieuses  y  sont  répétées  à  chaque  page. 
Les  qualifications  de  stupidité  ,  de  démence  ,  d'imbécilli- 
té ,  de  folie,  d'hypocrisie  ,  de  superstition  ,  de  fanatisme  , 
d'imposture  ,  de  friponnerie ,  y  sont  continuellement  pro- 
diguées aux  défenseurs  de  la  vérité  et  de  la  vertu.  Ils  ont 
placé  leurs  injures  jusque  dans  les  tiires  de  leurs  livres. 
C'est  surtout  sur  les  ministres  de  la  religion  qu'ils  diri- 
gent leurs  traits ,  qu'ils  versent  tout  leur  fiel.  Que  l'on 


PRÉLIMINAIRE.  19 

n'imagine  pas  que  notre  intention  soit  de  nous  plaindre 
de  leur  haine,  qui  en  nous  poursuivant  nous  honore. 
Leurs  calomnies  font  notre  gloire  ,  comme  leurs  persé- 
cutions préparent  notre  boulieur.  Sovons  éternellement 
l'objet  de  l'exécration  de  ces  hommes  ((ui  ont  notre  Dieu 
en  horreur.  Qu'ils  ne  cessent  de  nous  poursuivre  de  leurs 
insultes  ,  ceux  qui  outragent  Jésus-Christ  de  leurs  blas- 
phèmes. Mais  non,  nos  cœurs  forment  un  vœu  plus  digne 
de  la  charité  dont  nous  sommes  les  ministres.  Que  plutôt 
i'injusîe  aversion  de  ces  hommes  égarés  expire  avec  le 
principe  qui  la  fit  naître.  Que  leurs  yeux  s'ouvrent  à  la 
lumière  ,  pour  que  leurs  cœurs  se  ferment  à  la  haine.  En 
même  temps  que  ,  comme  Josué  ,  nous  combattons  leurs 
efforts,  élevons,  connue  3Iûise,  les  mains  vers  le  ciel, 
pour  en  attirer  les  grâces  qui  les  convertissent.  Et  tandis 
qu'ils  lancent  sur  nous  les  traits  de  leur  rage,  suspen- 
dons par  nos  supplications  ceux  dont  la  colère divineles 
menace. 

La  légèreté  de  l'esprit  est ,  comme  je  l'ai  annoncé ,  le 
troisième  principe  qui  a  causé  et  propagé  l'incrédulité. 
Elle  se  glorifie,  il  est  vrai ,  d'avoir  eu  pour  apôtres  plu- 
sieurs des  {)lus  beaux  esprits  de  ce  siècle.  Je  ne  lui  dis- 
pute pas  ce  frêle  avantage.  3Iais  oserait-elle  mettre  en 
parallèle  ce  petit  nombre  d'honunes  vraiment  distingués 
par  leurs  talents  ,  qui  dans  ces  derniers  temps  ont  dévoué 
leur  plume  à  l'irréligion,  avec  cette  longue  suite  de  gé- 
nies supérieurs  qui  avaient  illustré  les  siècles  précédents  ? 
Ces  hommes  d'immortelle  mémoire,  devant  qui  les  bornes 
de  la  raison  humaine  semblent  s'être  reculées,  dont  les 
sublimes  productions  seront  à  jamais  l'étonnement  et 
l'admiration  ,  le  modèle  et  le  désespoir  de  toutes  les  gé- 
nérations, ne  faisaient  pas  difficulté  d'abaisser  la  hauteur 
de  leur  esprit  devant  les  saintes  vérités  de  la  religion. 
Ils  croyaient  même  honorer  leur  raison  ,  en  l'humiliant 
sous  le  joug  sacré  de  l'autorité.  Leur  foi ,  soumise  à  la 
fois  et  éclairée,  ou  plutôt  soumise  parce  qu'elle  était 
éclairée,  était  aussi   simple  que  celle  du  fidèle  le  plus 


^^  DISCOURS 

obscur ,  aussi  humble  que  celle  du  plus  religieux  soli- 
taire. 

La  légèreté  d'esprit  n'a  pas  produit  tous  les  incrédules, 
puisqu'il  y  en  a  quelques  uns  qu'il  serait  injuste  d'accuser 
de  ce  défaut.  Mais  pour  se  convaincre  que  le  plus  grand 
nombre  d'enire  eux  a  été  entraîné  par  cette  cause ,  il  suf- 
fit de  considérer  quels  sont  presque  tous  les  disciples  et 
même  les  apôtres  de  l'incrédulité.  Sont-ce  des  esprits 
appliqués ,  réfléchis ,  accoutumés  à  balancer  les  raison- 
nements, à  enchaîner  les  conséquences^  à  rapprocher  les 
vérités  pour  en  composer  des  systèmes?  Ont-ils  étudié 
profondément  les  questions  qu'ils  se  permettent  d'agiter  ? 
Se  sont-ils  retirés  dans  le  silence  de  la  solitude,  pour  les 
méditer  loin  des  distractions?  Ont-ils  cherché  à  épurer 
leurs  cœurs ,  pour  que  les  passions  n'offusquassent  pas 
leur  jugement  ?  Vous  m'avez  déjà  répondu  dans  votre 
esprit,  vous  tous  qui  avez  été  à  portée  de  rencontrer  et 
d'apprécier  ces  suppôts  de  l'irréligion.  Leur  inconsistance, 
qui  n'a  pu  manquer  de  vous  frapper,  vous  a  convaincus 
qu'ils  ne  sont  devenus  incrédules  que  par  légèreté. 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  tous  ceux  qui  sont 
incapables  de  l'être  par  réflexion ,  soit  que  la  nature  leur 
en  ait  refusé  les  moyens,  soit  que  leurs  facultés  natu- 
relles aient  été  affaiblies  par  le  défaut  d'usage  ou  abru- 
ties par  la  débauche. 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  ces  esprits  paresseux 
qui  aiment  mieux  donner  un  assentiment ,  que  se  livrer  à 
une  discussion  ;  qui  trouvent  commode  de  recevoir  d'au- 
trui  des  opinions  toutes  formées,  et  doux  d'adopter  celles 
qui  favorisent  leurs  penchants. 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  ces  têtes  dissipées  qui, 
n'ayant  d'autre  élément  que  le  plaisir ,  d'autre  occupa- 
tion que  de  varier  et  de  faire  se  succéder  leurs  amuse- 
ments, ne  trouvent  pas  dans  toute  leur  vie  un  moment 
pour  l'étude  et  la  réflexion. 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  ces  enthousiastes  que 
quelque  autorité  a  engoués.;  qui,  en  se  soustrayant  à  Té- 


PRÉLIMINAIRE.  21 

vangile,  ne  font  que  changer  de  joug,  et  qui  ne  se  ré- 
voltent contre  Jésus-Christ  que  pour  se  donner  des 
maîtres  selon  leurs  désirs  (1). 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  ces  incrédules  d'imi- 
tatioii  et  de  bon  ton,  qui  ont  porté  la  manie  de  la  mode 
jusqu  3  dans  la  religion  ;  qui  affichent  l'incrédulité  ,  parce 
qu'ils  l'ont  trouvé  reçue  dans  leurs  sociétés  :  qui  dans 
d'autres  temps  et  d'autres  lieux  eussent  été  religieux  ; 
qui  le  redeviendront  encore,  si  jamais  il  est  du  bon  air 
de  croire. 

J'appelle  incrédules  par  légèreté  ces  philosophes  ado- 
lescents ,  qui,  masquant  leur  frivolité  par  leur  suffi- 
sance ,  vous  entretiennent  gravement  de  leur  expérience  , 
vous  présentent  d'un  ton  d'oracles  le  résultat  de  leurs  pro- 
fondes réflexions,  vous  assomment  de  leur  immense  éru- 
dition puisée  dans  les  brochures  du  jour.  Ils  ont  tout  vu, 
tout  lu,  tout  examiné,  tout  considéré  ,  tout  discuté,  tout 
pesé  ;  et  de  leurs  nombreuses  assertions  la  seule  véri- 
table ,  c'est  qu'ils  ont  tout  décidé. 

Enfin  j'appelle  incrédules  par  légèreté  toute  cette 
tourbe  d'êtres  superficiels  ,  qui  ne  s'attachent  à  aucun 
système  particulier  ,  et  dont  l'incrédulité  consiste  à  rejeter 
la  loi  qui  les  condamne  ;  qui ,  incapables  d'adopter  une 
opinion,  ne  savent  que  suivre  un  parti,  dont  les  idées 
flottantes  et  emportées  çà  et  là  par  lout  vent  de  doctrine  , 
varient  selon  les  impressions  qu'ils  ont  reçues  du  dernier 
homme  méchant  ou  astucieux  qu'ils  ont  entendu  (2j  ; 
avançant  sans  crainte  les  maximes  les  plus  hardies  ;  recu- 
lant sans  dificulté  ,  quand  on  leur  en  fait  envisager  les 
conséquences  :  tous  ceux  ,  en  un  mot,  dont  l'incréduliié 
ne   repose  sur  aucun  principe  ;   qui  ne  pourraient  pas 


(x)  Erit  enira  teinpus,  cura  sanaai  dortrinaru  non  sustinebunt,  scd 
ad  saa  desideria  coacervabunt  &ibi  inagistrQS ,  prarientes  anribus. 
(a.  Tiinoth.  4,3.) 

(a)  Jam  non  sinius  parvuli  fluctuantes  et  circumferamui-  omni 
vento  docti-inae  in  nequitia  hominum,  in  astulia  ad  ciicumventionem 
crroris.  {Ephcs.  4,  14.) 


22  DISCOURS 

rendre  compte  du  motif  qui  1rs  y  a  décidt's  ;  qui  se  sont 
faits  incrédules  ou  par  le  plaisir  de  l'être ,  ou  par  !a  va- 
nité de  le  paraître,  ou  par  la  crainte  d'être  obligés  de 
pratiquer  ce  qu'ils  croiraient.  Ils  blasphèment  ce  qu'ils 
ignorent  (l).  Toute  leur  science  se  réduit  à  un  jargon 
emprunté  de  leurs  oracles,  avec  lequel  ils  s'érigent  en 
docteurs,  sans  comprendre  ni  les  matières  dont  ils  par- 
lent, ni  même  souvent  les  choses  qu'ils  affirment  (2). 

Et  moi ,  j'ose  contesler  à  tous  ces  hommes  leur  préten- 
tion d'incrédulité.  Ils  ne  sont  pas  véritablement  incré- 
dules ,  ils  veulent  l'être  ;  ils  ne  croient  pas  réellement  que 
la  religion  soit  fausse,  ils  le  souhaitent  ;  ils  ne  nient  pas 
dans  le  fond  de  leur  cœur  l'existence  d'un  Dieu  vengeur 
du  crime ,  il  la  craignent  ;  et  leur  esprit  irréfléchi ,  qui 
n'a  jamais  su  se  rendre  compte  d'un  sentiment,  prend 
aveuglément  ses  désirs  pour  des  opinions.  Que  l'on  re- 
tranche de  la  classe  des  incrédules  tous  ceux  qui  le  sont 
devenus  de  quelqu'une  de  ces  manières,  à  quoi  se  ré- 
duira ce  parti  qui  efl'raie  par  son  grand  nombre  ? 

Pour  connaître  sûrement  l'influence  qu'a  eue  la  légè- 
reté d'esprit  sur  l'incréduhté  moderne  ,  il  suftirait  de  son 
propre  témoignage.  Cette  cause  de  son  origine  se  mani- 
feste ,  de  même  que  les  autres,  dans  ses  écrits.  On  y  voit 
continuellement  la  raillerie  substituée  au  raisonnement , 
et  le  ridicule  mis  à  la  place  de  la  discussion. 

Il  n'est  pas  difficile  de  sentir  coujbien  est  déplacé  , 
combien  est  indécent  dans  une  matière  aussi  grave  le  ton 
de  la  plaisanterie  (3).  Certes,  si  jamais  la  raison  humaine 
fut  appelée  à  traiter  des  objets  qui  exigeassent  toute  la 
force  de  l'esprit ,  toute  l'étendue  des  connaissances,  toute 


(i)  Hi  aatem  qusecmnqiie  ignorant,  blasplietîiant.  'Jiid.  \o.) 
(2}  Conversi    snnt    in    vaniloquium ,  volentes  e.«^se   legis  doctores  , 

non  intelligentes  neque  quae  loquantur,  neiine    de  quiLus  afllrmant. 

(   I   Timoth.  I  ,   '' ,  7.) 

(3)  Quocitca  velat  ex  loco  exceUo  clamantem  me.   Graeci  ,  andite  , 

nec    cachinnando,  dementiam  vcstrara    in    prœconem  verilatis  Irans- 

ferte.  (  Tatiani  contra  Grœcos  ^  Orat.  n°  17.) 


PRÉLIMINAIRE.  23 

la  profondeur  des  réflexions ,  c'est  lorsqu'elle  s'est  élevée 
à  ces  grandes  méditations  ,  qui  lui  découvrent  son  origine 
et  sa  fin,  les  moyens  de  répondre  à  l'une  et  d'atteindre 
l'autre  ;  qui  lui  développent  ses  relations  avec  son  Au- 
teur, ses  rapports  avec  ses  semblables  ;  qui  l'instruisent 
de  l'universalité  de  ses  devoirs  ;  qui  posent  le  fondement 
de  ses  espérances;  qui  ouvrent  les  sources  de  son  bon- 
heur ;  enfin  ,  dont  dépend  et  pour  le  temps  et  pour  l'éter- 
nité toute  la  suite  de  ses  destinées.  Et  les  incrédules 
imaginent  de  discuter  ces  grands  objets  avec  des  plai- 
santeries, et  ils  prétendent  décider  ces  vastes  questions 
avec  des  bons  mots.  Quelle  idée  ont  donc  eux-mêmes  de 
leur  cause,  ceux  qui,  pour  la  soutenir,  ont  recours  à 
d'aussi  méprisables  moyens?  S'ils  ont  des  raisons  solides 
à  produire  ,  croient-ils  leur  donner  du  poids  par  ces  sail- 
lies légères?  S'ils  n'en  ont  point,  pensent-ils  que  des 
railleries  pourront  en  tenir  lieu? 

C'est  là  précisément  leur  espoir.  Ils  se  flattent  de  sup- 
pléer par  le  sel  de  leurs  bons  mots  à  ce  qui  manque  de 
force  à  leurs  raisonnements  ;  et ,  sentant  qu'ils  ne  peuvent 
éclairer,  ils  cherchent  a  éblouir.  L'exemple  de  leurs  de- 
vanciers, desHobbes,  des  Vanini ,  des  Spinosa,  dont 
les  écrits,  inconnus  du  vulgaire,  languissent  dans  la 
poussière  des  bibliothèques,  leur  avait  appris  l'impuis- 
sance du  raisonnement  contre  la  religion.  Mais  le  ridi- 
cule est  aussi  propre  à  attaquer  la  vérité  qu'à  combattre 
l'erreur  ;  on  le  vit  aussi  souvent  flétrir  la  vertu  que  dé- 
masquer le  vice.  Une  raillerie  est,  sur  le  commun  des 
hommes ,  plus  puissante  qu'une  raison.  Peu  sont  en  état 
de  suivre  la  marche  du  raisonnement,  mais  un  bon  mot 
€St  à  la  portée  de  tous  ;  et  même  parmi  ceux  qu'une  édu- 
cation plus  cultivée  place  au-dessus  du  vulgaire,  combien 
n'y  en  a-t-il  pas  qui  se  piquent  plus  d'esprit  que  de  juge- 
ment; qui  ont  plus  de  prétention  à  la  vivacité  qu'à  la 
justesse  ;  qui  sont  ainsi  plus  disposés  à  être  séduits  qu'à 
être  persuadés  ;  et  plus  entraînés  par  une  raillerie  que 
convaincus  par  une  raison  ? 

Les  incrédules  ont  senti  l'avantage  que  pouvait  leur 


24  DISCOURS 

donner  ce  (>enre  d'attaques  légèies,  et  il  les  ont  piodi— 
pieusement  niuitipliées.  On  a  vu  les  matières  les  plus 
graves  agitées  dans  les  brochures  superficielles,  les  prin- 
cipes les  plus  sérieux  combattus  dans  des  contes  ,  les  rai- 
sonnements les  plus  abstraits  discutés  dans  des  vers.  On 
a  vu  les  liistoires  saintes  parodiées,  les  maximes  reli- 
gieuses travesties.  Les  faits  ,  les  mystères  ,  les  sacrements, 
les  vertus  chrétiennes  ,  les  ministres,  tout  ce  que  la  reli- 
gion consacre,  tout  ce  qui  a  été  l'objet  des  respects  de 
dix-huit  siècles  est  devenu  ,  dans  celui-ci ,  le  sujet  des 
chansons,  des  épigrammes,  de  tous  les  genres  de  rail- 
lerie. 

Ainsi,  semblable  au  serpent  qui  se  rajeunit  en  chan- 
geant de  peau,  l'incrédulité  ,  en  changeant  de  ton  ,  s'est 
renouvelée.  Ses  objections  surannées,  reproduites  sous 
une  autre  forme  ,  ont  paru  nouvelles.  La  curiosité  a  re- 
cherché ses  plaisanteries ,  l'oisiveté  a  recueilli  ses  bons 
mots  ,  la  légèreté  s'est  réjouie  de  ses  saillies,  la  malignité 
a  applaudi  à  ses  épigrammes.  Des  écrits,  ce  ton  léger  a 
passé  rapidement  dans  les  sociétés.  Il  a  mis  les  matières 
les  plus  abstraites  à  la  portée  des  conversations  les  plus 
frivoles  ;  il  a  rabaissé  les  sujets  les  plus  relevés  au  niveau 
des  esprits  les  plus  communs  ;  il  a  procuré  les  moyens  de 
briller  à  ceux  que  la  nature  en  avait  dépourvus;  il  a 
même  quelquefois  donné  l'air  de  la  profondeur  aux 
tètes  les  plus  superficielles.  S'il  n'a  pas  eu  toujours  le  don 
de  persuader  j  il  a  eu  le  mérite  plus  recherché  de  séduire, 
et  même,  dans  bien  des  occasions,  l'avantage  d'en  im- 
poser. Combien  de  fois  l'homme  raisonnable  et  honnête 
a-t-il  contenu  l'indignation  qu'excitait  en  lui  le  jargon  à 
l'incrédulité,  par  la  crainte  de  devenir  le  but  d'un  sar- 
casme ou  la  victime  d'un  ridicule? 

Un  autre  grand  succès  que  l'incrédulité  avait  cspér  , 
ft  qu'elle  a  obtenu  de  son  ton  badin  et  railleur,  a  été 
d'affaiblir  par  degrés  le  respect  pour  la  religion.  Mal- 
heureuse légèreté  de  l'esprit  hunmin  I  Ce  mélange  de  la 
fade  plaisanterie  avec  ce  qu'il  y  a  de  plus  sacré  ne  devrait 
inspirer  que  du  dégoût ,  et  cependant  il  amollit  quelque- 


PRÉLIMINAIRE.  2'5 

fois  même  les  âmes  sensées  et  vertueuses.  La  répétition 
fréquente  des  sarcasmes  de  l'impiété  ,  aulieud'augmenter 
l'indignation  qu'ils  inspiraient  d'abord ,  la  diminue.  Ou 
s'y  habitue  sans  s'en  apercevoir,  on  s'y  familiarise  sans 
penser  à  s'en  défendre  ;  on  finit  par  s'en  trouver  moins 
révolté  ,  sans  en  connaître  la  cause.  Et  c'est  ainsi  qu'in- 
sensiblement et  graduellement  s'est  altérée  cette  antique 
et  pieuse  vénération  des  objets  sacrés  ,  qui  avait  été  long- 
temps parmi  nous  le  premier  fondement  de  l'autorité,  le 
premier  soutien  des  mœurs,  le  premier  mobile  de  la  vertu, 
l€  premier  frein  du  vice. 

O  jours  de  nos  pères,  jours  heureux,  qu'êtes- vous 
devenus:  Nos  saintes  vérités  imprimaient  à  tous  les  es- 
prits une  respectueuse  terreur.  La  conscience  repoussait 
avec  une  religieuse  indignation  jusqu'à  la  pensée  d'un 
doute.  L'incrédule  ,  si  par  hasard  il  s'en  rencontrait 
quelqu'un ,  était  regardé  avec  étonnement  et  reçu  avec 
répugnance.  La  foi  était  l'arche  mystérieuse,  que  l'on 
ne  pouvait  toucher  sans  crime,  sur  laquelle  on  osait  à 
peine  lever  les  yeux.  Cette  foi  pure  et  simple  de  nos 
ancêtres  daignera-t-elle  encore  revenir  parmi  leurs  des- 
cendants? Accoutumés  au  langage  des  impies,  famiha- 
risés  avec  leurs  blasphèmes  ,  peut-être  même  amusés  de 
leurs  railleries,  ont-ils  conservé  des  cœurs  assez  purs 
pour  la  recevoir?  Aurait-elle  condamné  la  génération  qui 
la  dédaigna,  et  toutes  celles  qui  doivent  suivie ,  à  l'af- 
freux malheur  de  l'avoir  perdue  pour  toujours?  Ahl  si 
Dieu  a  résolu  dans  ses  décrets  de  punir  notre  irrélifrion 
et  les  causes  qui  Pont  engendrée,  nos  désordres,  notre 
orgueil,  notre  coupable  légèreté,  qu'il  daigne  nous  choisir 
un  châtiment  moins  rigoureux. 

C'est  à  nous  à  les  rappeler  dans  notre  patrie,  cette 
droiture  de  cœur ,  cette  pureté  d'intention,  cette  simpli- 
cité de  foi  dont  elle  se  glorifiait  autrefois.  C'est  la  perte 
de  ces  précieuses  vertus,  qui  a  entraîné  tous  les  maux 
dont  elle  vient  d'être  accablée.  En  cessant  d'être  reli- 
gieuse, elle  a  cessé  d'être  heureuse;  en  secouant  le  jou- 
de  la  loi ,  elle  a  rejeté  celui  des  lois ,  qui  assurait  sa  tran- 

DisserL  êur  la  Relig,  2 


26  Discouns 

quillité  ;  et  la  liberté  d'opinion  dont  elle  s'est  laissé  flatter, 
a  été  le  degré  par  lequel  on  l'a  élevée  à  la  liberté  de  tous 
les  crimes. 

O   vous  donc ,  chers  et  fidèles  compatriotes  ,  que  les 
séductions  de  l'incrédulité  n*ont  pas  atteints,  ou  qui  avez 
eu  la  sagesse  de  vous  en  garantir,  attachez-vous  de  plus 
en  plus  à  cette  religion  bienfaisante  ,  qui  vous  promet  le 
bonheur  de  l'éternité  ,    et  qui ,    en  l'attendant  ,   vous 
procure  celui  du  temps.   Considérez  combien  de  maux 
cherche  à  attirer  sur  chacun  de  vous  cette  incrédulité  qui 
s'eftbrce  de  vous  prendre  dans  ses  pièges.  Enfants ,  elle 
vous  enlève  à  celui  qui  vous  rassemblait  si  alïectueuse- 
ment  autour  de  sa  personne.  Vieilards,  à  l'attente  pré- 
cieuse qui  soutenait  votre  caducité,  elle  substitue  l'ex- 
pectative prochaine   de  l'anéantissement  de  tout  votre 
être.  Riches  charitables,  elle  vous  dispute  le  prix,  de  vos 
bonnes  œuvres  :  vos  aumônes  ne  monteront  point  aux. 
pieds  du  Juge  qui  doit  les  récompenser.  Pauvres,  elle 
vous  conteste  le  dédommagement  de  vos  privations;  elle 
vous  dépouille  de  l'héritage  qui  vous  fut  promis.  3Ial- 
heureux  de  tout  genre ,  elle  vous  arrache  vos  consola- 
tions. Hommes  de  tout  état,  elle  anéantit  vos  espérances. 
Et  vous,  objets  de  nos  vives  douleurs,  qui  naquîtes, 
qui  fûtes  élevés  dans  le  sein  du  christianisme ,  qui  lui 
appartenez  encore  ])ar  votre  baptême,  qui  en  goûtâtes 
autrefois  les  maximes,  qui  depuis  les  avez  abandonnées  ; 
c'est  à  vous  spécialement  que  nous  adressons  ces  Disser- 
tations sur  la  Vérité  de  la  Religion.  JNous  ne  vous  de- 
mandons pas  encore  de  la  croire,  nous  vous  conjurons 
de  l'examiner.  S'il  reste  encore  au  fond  de  vos  cœurs  le 
plus  léger  doute,  (et  peut-il  n'y  en  pas  rester?)  consi- 
dérez combien  est  absurde  et  dangereuse  l'indilFérence 
dans  laquelle  vous  vous  enfoncez  volontairement  ;  c'est 
la  tranquillité  de  l'homme  ivre,  qui  dort  sur  le  bord  d'un 
précipice  ;  c'est  l'apathie  du  condamné  qui ,  étourdi  par 
l'opium  j  monte  sur  l'échafaud  sans  terreur.  Si ,  comme 
l'ont  cru  fermement  tant  de  siècles ,  comme  l'ont  pro- 
fessé et  soutenu  tant  de  puissants  génies,  la  religion  est 


PRÉLIMINAIRE.  27 

vraie,  voyez,  en  la  rejetant,  de  quels  biens  immenses 
vous  vous  privez,  à  quels  maux  affreux  vous  vous  dé- 
vouez? Ses  promesses  et  ses  menaces  sont  si  expresses, 
que  leur  effet  est  la  conséquence  inévitable  de  sa  vérité! 
Vous  vous  piquez  de  sagesse  et  de  prudence  dans  toutes 
vos   autres  affaires;   est-ce   ici   le  lieu  d'en  manquer? 
quand  une  affaire  majeure  et  d'une  haute  importance 
vous  survient,  vous  ne  négligez  pas  de  l'étudier;  vous 
employez  tout  ce  que  vous  avez  d'esprit,  de  sagacité , 
d'expérience,  de  connaissances  à  la  bien  connaître.  En 
est-il  une  dont  l'importance  approche  de  celle-ci  ?  Que 
pensez-vous  de   l'homme  qui,  insouciant  sur  l'affaire 
dont  dépend  le  sort  de  sa  vie,  s  occupe  ,  pendant  qu'elle 
se  décide,  de   frivolités  et  de  bagatelles?  Retournez  sur 
vous-mêmes  le  jugement  que  vous  portez  sur  lui.  Tous 
êtes  incomparablement  plus   déraisonnables,   puisque, 
entre  votre  extravagance  et  la  sienne ,  il  v  a  toute  la  dis- 
tance  qui  est  entre  l'éternité  et  le  temps.  C'est  donc  pour 
votre  propre  intérêt,  pour  votre  plus  grand  intérêt,  et 
nous  le  disons  d'après  notre  divin  maître,  pour  votre 
seul  intérêt  essentiel  (I),  que  nous  vous  conjurons  de 
vous  occuper  de  cet  examen.  C'est  votre  cause  que  nous 
plaidons  auprès  de  vous:2).  Ayez  pitié  de  vous-mêmes  , 
de  la  plus  précieuse  portion  de  vous-mêmes ,  de  votre' 
ame  (3) ,  que  vous  exposez  au  plus  imminent  et  au  plus 
épouvantable  des  dangers. 

Redouteriez-vous  la  difficulté  ,  l'embarras  ,  la  fatigue 
de  cette  étude  de  la  religion  ?  Ah  .'  quand  il  s'agit  pour 
vous  d'intérêts  temporels,  avec  quel  ardeur  vous  vous 
livrez  à  des  discussions  bien  autrement  épineuses  !  Vous 


(i)  Porro  unrnn  est  necessarium.  {Luc.  lo,  42.) 

(2)  Jam  vero  iis  qu*  in  nobis  sita  erant  absolatis,  des'nimns ,  .llud 

etiam  precantes  ,    ut   omnes  ubiqae  bomines  veritatis  cognitioné  di«- 

nentur.  Ltinam  el  vos ,  nt  pie.atem  et  pbilosophiam  decet ,   «qaum 

vestra    .psorum   causa   jadicium  feralis.    {S.    Justuu   Apol    stcund 

np.  i5.j  r     ' 

3)  Miserere  aniœae  laae,  placens  Deo.  {Ecdi,  3o,  24.  ) 


28  DISCOURS 

ne  calculez  pas  alors  les  peines,  les  difficultés  du  travail. 
Par  quelle  déplorable  inconséquence  ne  vous  arrèlent- 
elles  que  quand  il  est  question  du  plus  grand  de  tous  vos 
intérêts  ?  Et  quelles  sont-elles  donc  ces  difficultés  si 
eftravantes  que  vous  présente  l'examen  de  la  religion  ? 
S'agit-il  de  sonder  des  idées  abstraites  ,  de  vous  élever  à 
des  raisonnements  qui  surpassent  votre  intelligence  ? 
Vous  demande-t-on  de  faire  des  recberclies  lointaines, 
de  parcourir  dans  votre  esprit  tous  les  temps  et  toutes  les 
régions  ?  Non  ;  elle  est  entièrement  à  votre  portée,  vous 
la  trouvez  sous  votre  main  en  quelque  sorte  toute  faite  , 
elle  est  la  plus  facile  comme  la  plus  importante  de  toutes, 
cette  étude  de  la  loi  divine  (1^.  Dien  a  voulu  que  sa  ré- 
vélation vous  fût  rendue  certaine  par  les  mêmes  moyens 
que  toutes  les  autres  vérités  ;  que  la  même  faculté  intel- 
lectuelle jugeât  les  objets  religieux  et  les  profanes  ;  qu'elle 
observât  les  mêmes  règles  dans  la  recherche  des  uns  et 
des  autres.  Il  a  attaché  la  conviction  de  sa  religion  au 
genre  de  preuves  le  plus  simple ,  le  plus  propre  à  être 
senti  par  tous  les  esprits,  le  plus  usité  parmi  les  hommes  ; 
à  des  preuves  de  fait ,  sur  lesquelles  reposent  tous  nos 
autres  intérêts  ;  qui  ûxent  toutes  nos  autres  croyances , 
qui  nous  dirigent  dans  toutes  nos  autres  actions,  qui 
nous  règlent  pour  tous  nos  autres  devoirs ,  qui  nous  dé- 
terminent sur  toutes  nos  autres  affaires.  Non,  nous  osons 
vous  le  dire  ,  ce  n'est  pas  votre  esprit  qui  se  rebute  des 
difficultés  qu'il  envisage;  c'est  votre  cœur  qui  s'effraye 
des  sacrifices  qu'il  n'ose  même  contempler.  Ce  ne  peut 
pas  être  votre  raison,  ce  sont  évidemment  vos  passions 
qui  vous  arrêtent  dès  l'entrée  de  l'examen,  et  qui  ne  per- 
mettent pas  à  votre  raison  même  de  la  commencer. 

Tout  ce  que  nous  vous  demandons  avec  instance  est 
donc  de  raisonner  sur  l'affaire  la  plus  importante  pour 
vous,  comme  vous  raisonnez  habituellement ,   comme 


(ij  Mandatum  hoc  qaod  ego  praecipio  tibi ,  non  sopra  te  est,  ne- 

qae  procal  positum sed  juxta  te  est  senuo  valde  in  ore  lac  ,  et  in 

corde   tuo  ut  facias  illam.  {Deucer.  3o,  ii  ,  i4') 


PRÉLIMINAIRE.  29 

VOUS  auriez  honte  de  ne  pas  raisonner  sur  le  plus  léger 
intérêt.  Nous  vous  demandons  uniquenent  d'être  raisoii- 
na!)les  sur  ce  point ,  comme  vous  l'êtes  sur  tous  les  au- 
tres (1).  Ce  que  nous  vous  demandons,  votre  raison  elle- 
même  vous  le  demande  avec  nous.  Elle  vous  supplie  , 
elle  vous  conseille  ,  elle  vous  requiert,  elle  vous  somme 
par  notre  voix  ,  et  par  la  voix  intérieure  de  votre  con- 
science ,  de  la  laisser  s'exercer  librement  sur  la  matière 
qui  est  le  plus  évidemment  de  son  ressort,  et  qu'il  lui  im- 
porte le  plus  essentiellement  de  connaître.  Si  vous  ne 
daignez  pas  nous  écouter^  écoutez-la  du  moins  ;  écoutez 
ce  qu'elle  vous  crie,  et  sur  la  nécessité  dont  il  est  pour 
vous  de  vous  livrer  à  l'examen  de  la  religion  ,  et  sur  la 
manière  dont  vous  devez  y  procéder. 

Elle  vous  présente  deux  règles ,  dont  vous  ne  pouvez 
vous  dissimuler  la  justice:  la  droiture  d'intention,  la 
pureté  de  cœur. 

Si  votre  intention  n'est  pas  droite  ;  si,  au  lieu  de  cher- 
cher la  vérité ,  vous  la  fuyez ,  pouvez-voiis  croire  que 
vous  la  rencontrerez  ?  Si  votre  volonté  dit  à  votre  intelli- 
gence ce  que  disaient  les  juifs  à  leurs  prophètes  :  ««  Ne 
«  nous  montrez  pas  ce  qui  est  véritable  ;  ne  nous  faites 
«  voir  que  ce  qui  nous  plaît  ;  présentez-nous  des  er- 
■<  reurs  (2)  ;  »  docile  à  vos  ordres,  pour  votre  malheur  , 
votre  intelligence  ne  vous  offrira  que  les  illusions  qui 
vous  flattent.  Si,  comme  tant  d'autres  l'ont  pratiqué , 
connue  peut-être  vous-mêmes  vous  en  avez  agi  jusqu'ici, 


(i)  Nihil  est  enim  qao  raagis  horao  caefen's  animantibus  praestet  , 
qaam  qao  rationis  est  particeps  :  causas  rerum  reqnirit,  generis  sui 
auctorera  investigandum  putat ,  in  cnjus  potestate  vitae  necisque  po- 
testas  ait,  qui  mnndura  suo  nota  regat,  coi  sciamns  rationem  esse 
reddendani  nosirorum  actuarn....  Omnibus  igitnr  hoininibus  inest 
secundura  natnram  bumanam  verana  investigare,  qaae  nos  ad  stuaiuni 
cognitionis  et  scientiae  trahit  ,  et  inqnirendi  infundit  cupidilatem. 
fS.  Ambr.  de  Offic.  Min.  lib.   i,  cap.  22,  n°   124  ,  laS.  ) 

(2)  Qui  dicunt  videntibus  :  Noiite  videra,  et  aspicientibns  :  NoKre 
aspiceie  nobis  ea  qaae  recta  sont  :  T.oqaimini  nobis  plarentia,  videte 
nobis  errores.  {Isa.  3o,    to.) 


30  DISCOURS 

vous  ne  consultez,  sur  la  vérité  de  la  religion,  que  les 
écrits  qui  la  combattent,  ou  si  vous  ne  lisez  les  livres 
qui  la  défendent  qu'avec  un  esprit  de  critique  et  dans 
l'intention  d'y  apercevoir  des  difficultés,  vous  n'y  trou- 
verez que  ce  que  vous  y  aurez  cherché.  Et  n'est-il  pas 
dans  l'ordre  ordinaire  que  ce  que  l'on  désire  vivement 
soit  ce  que  l'on  voit  clairement  ?  Combien  de  fois  n'avez- 
vous  pas  vu  et  peut-être  vous-mêmes  l'avez-vous  souvent 
éprouvé,  que  les  désirs  forment  les  opinions  ,  donnent 
du  poids  aux  plus  minces  raisons ,  atténuent  les  plus 
puissants  motifs  ?  Commencez  donc  par  souhaiter  sincè- 
rement, franchement,  uniquement,  de  découvrir  la  vé- 
rité ;  et  méprisant  les  fades  railleries  ,  laissant  de  côté 
les  déclamations  vagues  et  incertaines  ,  n'ayant  plus  au- 
cun égard  aux  frivoles  autorités  auxquelles  vous  avez 
jusqu'ici  trop  déféré  (1),  pesez  dans  la  balance  de  votre 
propre  raison  les  preuves  que  nous  vous  présentons  de 
la  vérité  du  christianisme  ,  et  les  difficultés  qu'on  y  op- 
pose. 

Mais  pour  que  cet  examen  soit  fait  avec  Timpartialité 
requise,  une  autre  condition  est  indispensablement  né- 
cessaire ;   c'est  que  vous  y  apportiez  un  cœur  pur  (2). 


(i)  Praescribit  ratio,  nt  qui  vere  pii  et  philosophi  sunt ,  verum 
unice  colant  et  diligant,  récusantes  majorum  opiniones  secpii ,  si 
pi-avae  sint.  Neque  enim  id  soluin  sana  ratio  praecipit,  ut  ne  eus  se- 
qaamurqui  injuste  quid  fecere  aut  docuere  ;  sed  omnino  vel  prce  sua 
ipsius  anima  veritatis  aiuatori,  qnam  vis  mors  intenletnr,  sfaiuendura 
et  eligendum  est,  nt  aeqna  dicat  el  faciat.  (S.  Justin.  Apol.  i, 
cap.   2.  ) 

Staliissimnm  est,  super  fide  mea  me  ex  alterins  pendere  judi- 
cio.  (S   Hieronym.  Dialog.  contra   Pelagian.  Iib.   3.) 

(a)  Non  cujusvis  est,  o  viri ,  de  Deo  disserere  ;  non  inqnam ,  ra 
jusvis...  Qaoniam  his  dantaxat  hoc  muneris  incurabit,  qui  exactissime 
explorati  sudî,  ac  contemplando  loDge  piaecesserunt ,  piiusqae  etiara 
et  corpus  et  animnm  a  vitiornni  sordibus  purgar-unt,  aut,  ut  parcis- 
sinie  loquar ,  jara  bec  agunt  nt  se  a  \itiornm  labe  pnrgen).  Impnro 
enim,  rem  pnram  attingere  ,  ne  periculo  quidera  fortasse  caret;  que- 
madmoduiu  nec  œgris  ocnlis  solis  radios  intueri.  {S.  Greg.  Naz. 
Orat.    33,  n*>  lo,  ir.) 


PRÉLIMINAIRE.  Si 

Quelqa'empire  qu'aient  pris  sur  vous  vos  passions ,  à 
quelque  degré  qu'elles  aient  altéré  votre  intelligence, 
elles  ne  peuvent  pas  vous  déguiser  cette  vérité  évidente  : 
qu'elles  ont  intérêt  à  ce  qu'il  n'existe  pas  une  religion 
qui  les  réprime.  Ecartez  donc  du  tribunal  de  votre  raison 
ces  conseillers  dangereux  qui  ne  persuadent  qu'en  sédui- 
sant ;  qui  ,  incapables  d'éclairer,  ne  savent  qu'aveugler; 
dont  la  voix ,  plus  haute  et  plus  forte  que  celle  du  rai-* 
sonnement ,  parvient  trop  souvent  à  l'étoufFer  ;  dont  vous 
avez  bien  des  fois  éprouvé  la  funeste  influence  sur  votre 
volonté  ;  et  qui ,  formant  dans  votre  esprit  un  parti  puis- 
sant en  faveur  de  l'incrédulité,  finiraient  par  l'y  en- 
traîner. 

Enfin  ,  pour  parvenir  à  la  connaissance  certaine  de  la 
vérité ,  nous  vous  proposons  une  dernière  préparation. 
Si  vous  croyez  qu'il  existe  ,  ou  même  qu'il  peut  exister 
un  Etre-Supréme,  vous  ne  pouvez  douter  qu'il  ne  soit 
en  son  pouvoir  d'augmenter  les  lumières  de  votre  esprit, 
qu'il  ne  soit  le  maître  de  faire  descendre  sur  vous  la 
science  avec  la  sagesse,  et  qu'étant  par  lui-même  le 
principe  de  toute  vérité ,  il  ne  puisse  vous  découvrir  la 
vérité  dans  son  entière  clarté  (1).  Conjurez  donc  avec 
une  humble  confiance  ce  Dieu  infiniment  puissant  et 
bon,   dont  vous  reconnaissez  rexistence ,  dont  vous  ne 


Sed  id  nnnc  agitnr,  ut  sapîentes  esse  possimns,  id  est  inhaerere 
veritati  ;  qaod  profecto  sordidas  anirans  non  potest.  Sont  autem  sor- 
des  animi ,  ut  brevi  explicem ,  amor  quarninlibet  rerum  ,  praeter  ani- 
mnm  et  Deutn.  A  quibus  sordibus  qaanto  est  quis  purgalior,  tanto 
verum  facilius  intuetar.  (iJ  ^«^.  de  Utilitate  Credendi.  Cap.  i6, 
n°   34.) 

(i)  Oranis  sapientia  a  Domino  Dec  est,  et  cum  illo  fnit  semper,  et 
est  ante  «vura.  {^Eccli.  1,1.) 

Dominas....  dat  sapientiam  sapientibas  ,  et  scientiam  intelligenti- 
bas  disciplinam....  et  lux  cuna  eo  est.  [Dan.  ir,  21  ,  aa.) 

Omne  veram  ab  illo  est,  qui  ait  :  Ego  sum  veritas.  {S.  Aug.  de 
Doctr.  Christ.  ,  lib.  i  ,  n"  8.  ) 

HaRC  est  providentia  verae  religionis  ,  boc  jnssnna  divinitns  ,  hoc  a 
beatis  majoribns  traditam,  hoc  ad  nos  usque  servatum.  Hoc  pertur- 
bare   velle  atque  pervertere,  nihil   est  alind  quam  ad  veram  religio- 


32  DISCOURS    PRÉLIMINAIRE. 

voulez  pas  encore  connaître  la  loi ,  de  se  manifester  à 
vous.  Dites-lui,  comme  saint  Paul  terrassé  aux  portes 
de  Damas  :  Seigneur ,  qui  êtes- vous  ?  Dites-le-lui  dans 
toute  la  sincérité  de  votre  esprit ,  avec  toute  l'ardeur  de 
votre  cœur  ;  et  il  vous  répondra  de  même  ,  qu'il  est  ce 
Jésus  que  jusque-là  vous  avez  persécuté  (1).  Déposez  les 
préjugés  qui  offusquent  votre  raison  ,  repoussez  les  pas- 
sions qui  l'aveuglent,  examinez  avec  l'impartialité  et  la 
bonne  foi  requises  les  preuves  du  christianisme  ,  et  nous 
sommes  assurés  que  bientôt  vous  serez  chrétiens. 


nem  sacrilegam  viam  quaerere.  Qnod  qui  faciant,  nec,sl  eis  conce- 
(lalur  (juod  volunt ,  possunt  qno  intendant  pervenire.  Cujnsmod  i 
entm  libet  excellant  ingenio ,  nisi  Deus  adsit  ,  humi  repunt.  {S.  Aiig. 
de\Utilit.  Credendi  ^  cap,   lo,  n°  24.) 

(i)  Qui  dixit:  Qui  es,  Domine  ?  Et  ille  :  Ego  snm  Jésus,  quem  tu 
persequeris.  i^Act.  9,5.) 


DISSERTATIONS 


SUR   La 


VÉRITÉ  DE  LA.  RELIGION 


PREMIERE  DISSERTATION. 

ACTHENTICITÉ    DES    LIVRES    DU    NOUVEAU    TESTAMENT. 

I.  «  Un  livre  est  authentique  ,  dit  Bergier,  quand  il 
«<  est  de  l'auteur  dont  il  porte  le  nom  ;  il  est  vrai ,  quand 
«  les  faits  qui  y  sont  racontés  sont  effectivement  arrivés  ; 
«  il  est  divin  ou  inspiré,  lorsque  l'auteur  qui  l'a  écrit 
«  était  assisté  d'un  secours  surnaturel ,  pour  ne  tomber 
«  dans  aucune  erreur  ;  il  est  canonique  ,  quand  l'Eglise 
«  le  place  dans  le  catalogue  de  ceux  qu'elle  regarde 
«  comme  divins  fl;.  »  Une  s'agit  ici  que  de  l'authenticité 
des  livres  du  Nouveau  Testament ,  et  spécialement  des 
quatre  évangiles.  J'examinerai  leur  vérité  dans  les  dis- 
sertations suivantes. 

II.  Les  livres  du  Nouveau  Testament  sont-ils  vérita- 
blement l'ouvrage  des  apôtres  et  des  disciples  de  Jésus- 
Christ  ?  les  avons-nous  tels  que  les  apôtres  et  les  disciples 
les  ont  écrits?  Ce  sont  deux  questions  dont  est  composée 
celle  que  je  me  propose  de  traiter.  J'en  ferai  l'objet  de 
deux  chapitres  consacrés  à  discuter,  l'un  l'authenticité 
proprement  dite,  l'autre  l'intégrité  de  ces  saintes  écri- 
tures. J'établirai  dans  le  premier  qu'elles  n'ont  pas  été 
supposées  ;  dans  le  second  ,  qu'elles  n'ont  pas  été  alté- 
rées. 


i)    Traité   historique    et    dogmatique    delà    vraie  religion.  Tom 
rn  ,  pag,  36.  {et  tom.  iv  ,  pag.  7  i ,  éUit.  de  Gaothier  frères.  ) 

•r 


34  DISSEaiATIONS 

CHAPITRE    I. 

AUTHENTICITÉ    DU   NOUVEAU    TESTAMENT. 

Je  vais  commencer  par  prouver  cette  authenticité.  Je 
répondrai  ensuite  aux  objections  par  lesquelles  on  la 
combat. 

ARTICLE    PREMIER. 

Preuves  de  VaulhetUicité. 

III.  Je  suppose  un  principe  qui  doit  être  la  base  de 
toute  cette  discussion  ;  c'est  qu'il  est  possible  d'être  as- 
suré de  l'authenticité  d'un  livre  ancien.  Il  serait  inutile 
de  vouloir  prouver  celle  de  nos  livres  saints  à  des  hom- 
mes qui  auraient  Textravagance  de  prétendre  qu'on  ne 
peut  jamais  être  sûr  qu'un  ouvrage  ancien,  quel  qu'il 
soit,  est  de  l'auteur  à  qui  on  l'attribue.  Vis-à-vis  de 
ceux  qui  voudraient  rejeter  toute  authenticité  de  tout 
livre,  il  n'y  a  d'autre  parti  à  prendre  que  de  les  aban- 
donner à  leur  absurdité  ;  de  même  qne  ce  serait  perdre 
son  temps  que  de  vouloir  prouver  la  chose  la  plus  claire 
à  un  pyrrhonien  absolu  qui  s'obstinerait  à  douter  de 
tout.  Aussi  le  pyrrhonisme  sur  l'authenticité  des  écrits 
est  universellement  regardé  comme  ridicule,  et  on  sait 
avec  quel  mépris  il  a  été  reçu  quand  on  a  voulu  le  pro- 
duire. Il  n'y  a  pas  d'homme  raisonnable  qui  ne  croie 
fermement  et  sans  aucun  doute  que  les  poésies  d'Ho- 
mère et  de  Virgile  ,  les  harangues  de  Démosthènes  et  de 
Cicéron,  les  histoires  de  Thucidide  et  de  Tacite,  les  ou- 
vrages philosophiques  de  Platon  et  d'Aristote  sont  véri- 
tablement de  ces  auteurs.  Au  reste ,  ce  ne  sont  pas  les 
incrédules  de  nos  jours  qui  pourraient  nous  faire  cette 
difticulté.  Ils  nous  objectent  divers  auteurs:  Tite-Live  , 
Tacite,  Suétone,  Cicéron,  Josèphe.  Ils  reconnaissent  donc 


SUR    LA    RELIGION.  35 

l'authenticité  de  leurs  ouvrages.  Ainsi ,  en  niant  qu'on 
puisse  être  sûr  de  l'authenticité  d'un  écrit  ancien ,  non- 
seulement  ils  heurteraient  le  sens  commun  et  la  per- 
suasion universelle  ,  mais  ils  se  contrediiaient  eux- 
mêmes. 

Ce  principe  incontestable  posé ,  je  dis  qu'il  ne  nous 
est  pas  venu  de  l'antiquité  un  ouvrage  dont  l'authen- 
ticité soit  plus  évidemment  prouvée  que  celle  du  Nou- 
veau Testament;  et  qu'aucune  authenticité  n'est  cer- 
taine, si  celle-là  ne  l'est  pas.  Je  vais  plus  loin  :  je  pré- 
tends que  les  preuves  de  l'authenticité  de  nos  saints  li- 
vres sont  et  plus  multipliées  et  plus  fortes  que  celles 
qu'on  peut  apporter  en  faveur  de  tous  les  autres  livres 
quelconques  (1). 

lY.  Les  motifs  sur  lesquels  on  est  persuadé  qu'un 
ouvrage  est  véritablement  de  l'auteur  dont  il  porte  le 
nom,  sont  : 

Que  tout ,  dans  cet  ouvrage ,  soit  conforme  aux  cir- 
constances historiques ,  aux  mœurs ,  aux  usages  du 
temps  et  du  pays  où  on  dit  qu'il  a  été  composé; 

Qu'on  y  trouve  des  indications  positives  que  c'est 
dans  ce  temps  qu'il  a  été  écrit  ; 

Qu'il  ait  été  alors  très- public  ; 

Que  dans  les  temps  voisins  on  l'ait  généralement  at- 
tribué à  cet  auteur  ; 

Qu'il  ait  été  cité  par  d'autres  auteurs  contemporains, 
on  peu  postérieurs; 

Qu'une  tradition  continue  et  bien  constante  ,  depuis 
le  temps  de  l'auteur,  le  lui  attribue  ; 

Que  ceux  même  qui  aumient  pu  avoir  intérêt  à  con- 
tester l'authenticité,  en  soient  convenus  ; 

Que  la  supposition  n'ait  pu  être  faite  par  aucune  per- 
sonne  ; 

Qu'elle  ne  puisse  être  fixée  à  aucune  épioque. 


(i)  Qnod  poteris  proferre  scriptnm,  qaod  non  ille  qui  non  vult 
credere  dicat  esse  confictam,  si  Jania  Evangelii  uotitia  venit  in  du- 
biam.  (S.  Aug.  ,  contra  Faustum  ,  lib.  xxir,  cap.  79.) 


36  DISSERTATIONS 

Il  n'est  pas  même  nécessaire  ,  pour  être  fermement 
convaincu  de  l'authenticité  d'un  livre  ,  de  réunir  l'uni- 
versalité de  ces  preuves.  Et  si  on  voulait  les  exiger  tou- 
tes, je  demande  quel  est  l'ouvrage  profane  qu'on  pour- 
rait croire  authentique  ?  Si  donc  je  puis  montrer  que 
nos  livres  sacrés  réunissent  tous  ces  caractères  ,  j'aurai 
démonstrativement  établi  non-seulement  qu'ils  sont 
authentiques ,  mais  qu'il  n'en  existe  aucun  autre  dans 
le  monde ,  dont  l'authenticité  puisse  leur  être  com- 
parée. 

V.  J'ouvre  d'abord  les  livres  du  Nouveau  Testament, 
et  j'examine  leur  contenu.  Je  ne  vois  rien  dans  les  dis- 
cours, dans  les  actions  de  Jésus-Christ  et  de  ses  disci- 
ples ,  qui  ne  soit  parfaitement  conforme  aux  circon- 
stances personnelles  ou  locales  du  temps  et  des  pays 
dont  il  est  parlé.  Je  vois  ,  au  contraire,  l'histoire  de 
l'Evangile  et  celle  des  Actes  des  apôtres  liée  dans  beau- 
coup d'endroits  à  l'histoire  civile ,  et  partout  y  cadrant 
exactement.  Je  vois  un  grand  nombre  de  faits  particula- 
risés ,  et  tous  les  détails  se  rapportant  aux  lois  ,  au  gou- 
vernement, à  la  religion ,  aux  mœurs  ,  aux  usages ,  soit 
des  Juifs,  soit  des  autres  peuples.  Nulle  part  je  ne  dé- 
couvre la  plus  légère  dissonnance.  11  n'est  nullement 
aisé  de  faire  adopter  un  ouvrage  supposé  ,  et  de  ne  pas 
donner  quelque  prise  à  la  critique  qui  est  si  soupçon- 
neuse et  si  éclairée.  Combien  de  livres  que  les  plus 
légères  différences  avec  quelques  usages  du  temps  ou 
du  lieu  font  rejeter  comme  faux,  ou  suspecter  com- 
me douteux  !  Ce  qui  serait  difficile  pour  un  seul  ou- 
vrage, le  devient  bien  davantage  encore,  quand  on  pense 
qu'il  s'agit  de  plusieurs  écrits  attribués  à  divers  auteurs; 
quand  il  faudrait  y  mettre  ,  comme  dans  nos  livres ,  la 
niarque  des  différentes  mains  qui  les  auraient  compo- 
sés, et  en  effacer  la  trace  du  temps  où  ils  auraient  été 
fabriqués.  Un  faussaire  qui  aurait  voulu  faire  une  pa- 
reille supposition,  aurait-il  osé  y  mettre  tant  de  parti- 
cularités, tant  d'indications  de  personnes,  de  lieux,  de 
circonstances?   N'aurait-il  pas  craint  de  se  trahir  par 


SUR    LA    RELIGION.  37 

quelqu'endroit  ?  S'il  avait  eu  la  hardiesse  maladroite 
d'entrer  dans  tous  ces  détails  ,  aurait-il  pu  réussir  à 
imiter  si  parfaitement ,  dans  toutes  les  parties,  ce  qui 
aurait  dû  être  dit  dans  le  temps  et  par  les  personnes  , 
qu'il  fut  impossible  de  découvrir  la  trace  de  sa  fraude  ? 

YI.  Ce  n'est  pas  tout.  iN'ous  voyons  dans  les_  évangi- 
les plusieurs  variétés ,  qui  appartiennent  aux  circon- 
stances des  temps  différents  où  ils  ont  été  écrits,  et  des 
objets  divers  pour  lesquels  ils  l'ont  été.  J'en  citerai  seu- 
lement deux  exemples  :  Saint  Matthieu  écrivait  son 
évangile  en  hébreu  ,  et  spécialement  pour  les  juifs  con- 
vertis à  la  foi.  En  conséquence,  il  s'attache  plus  que  les 
autres  évangélistes  à  rapporter  et  à  appliquer  à  Jésus- 
Christ  les  prophéties  de  l'Ancien  Testament ,  afin  de 
montrer  aux  juifs  qui  y  croyaient,  l'accomplissement  de 
ces  oracles  dans  la  personne  du  Sauveur.  Saint  Jean  , 
qui  écrivait  son  évangile  beaucoup  d'années  après  les 
autres  ,  et  dans  un  temps  où  il  s'était  élevé  des  hérésies 
sur  la  divinité  de  J.-C.  et  sur  la  réalité  de  sa  chair  ,  in- 
siste particulièrement  et  plus  que  tous,  sur  les  déclara- 
tions que  son  Maître  avait  faites  de  sa  divinité  (1;.  Nous 
lisons  aussi  dans  les  trois  premiers  évangélistes  les  pro- 
phéties de  Notre-Seigneur  sur  la  destruction  de  Jérusa- 
lem. Il  était  utile  de  les  rapporter  avant  l'événement, 
pour  établir  et  confirmer  la  foi.  Saint  Jean,  qui  écrivait 
après  la  prise  de  cette  ville,  n'en  parle  pas,  parce  que 
son  récit  n'aurait  plus  eu  le  même  effet.  Un  faussaire  , 
fabricant  des  évangiles  postérieurement  au  temps  des 
évangélistes,  aurait-il  imaginé  d'adapter  avec  cette  jus- 
tesse les  divers  évangiles  à  des  circonstances  qui  alors 
auraient  été  aussi  éloignées  de  lui?  Concluons  donc  que 
tout  le  Nouveau  Testament  décèle    si  parfaitement  le 


(i)  Nara  neqae  evangelistas  idcirco  in  ter  se  pugnace  dixerimns, 
quoniam  alii  in  exponent'a  Christi  humanitate  plus  operae  posne- 
tunt,  alii  ad  explirandam  divinitatis  materiam  se  contnlernnt  ;  atque 
alii  ab  his  rebns  quœ  secandum  nos  sont,  auspicati  sunt.  (5.  Gre- 
gor.  Naz,  Orat.  xx  ,  n°  loo.) 


38  DISSERTATIONS 

temps  apostolique ,  qu'il  est  déraisonnable  de  le   rap- 
porter à  un  autre  temps. 

VII.  Voici  une  autre  preuve  que  le  Nouveau  Testament 
est  réellement  de  ce  temps-là  :  c'est  qu'à  la  seule  inspec- 
tion des  livres  dont  il  est  composé,  on  voit  clairement 
que  tous,  (excepté  les  ouvrages  de  St.  Jean,  son  évan- 
gile,  son  apocalypse,  et  peut-être  ses  épîtres)  ont  été 
écrits  avant  la  ruine  de  Jérusalem.  Il  est  parlé  très- 
souvent,  au  livre  des  Actes  des  apôtres,  de  Jérusalem 
et  de  son  temple  ,  comme  de  choses  alors  existantes.  Les 
épîtres  de  St.  Paul  le  supposent  aussi  évidemment.  Mais 
avant  d'écrire  le  livre  des  Actes ,  St.  Luc  avait  composé 
son  évangile;  il  le  dit  expressément  (1).  Voilà  donc 
évidemment  un  des  évangiles  antérieur  à  la  destruction 
de  Jérusalem.  Or,  il  est  certain  par  le  témoignage  de 
toute  la  tradition,  que  les  deux  évangiles  de  St.  Matthieu 
et  de  St.  Marc  avaient  été  écrits  avant  celui-là ,  et  que 
St.  Luc  n'a  été  que  le  troisième  qui  ait  publié  un 
évangile.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  m'arrêter  à  prouver 
une  vérité  qui,  je  crois,  n'a  jamais  été  contestée.  Il 
résulte  de  là  évidemment  que  ces  trois  évangiles  sont 
antérieurs  à  la  subversion  du  peuple  juif.  Nous  en  avons 
encore  un  témoin  d'une  grande  autorité.  C'est  le  pape 
St.  Clément,  disciple  des  apôtres,  qui,  dans  sa  première 
lettre  écrite  vers  l'an  68  de  notre  ère,  cite  plusieurs  fois 
les  évangiles,  ainsi  que  nous  allons  le  voir,  et  qui,  de 
plus,  parle  de  l'exercice  de  la  religion  judaïque  dans  le 
temple  de  Jérusalem,  comme  d'une  chose  alors  exis- 
tante (2).  Dès  que  ces  livres  sont  antérieurs  à  la  prise  de 
Jérusalem  ,   ils  sont   incontestablement    du   temps  des 


(t)  Primum  quideia  serraonem  fecit  de  omnibas,  o  Théophile, 
quae  cœpit  Jésus  facere  et  docere  nsqne  in  diem  qua  prsecipiens  apos- 
tolis  per  Spirilum  sancinm  qnos  elegit,  assumptas  est.  {Jet.  i,  v.  i.) 

(2)  Non  ubique,  fiatres,  offeranlur  sacriîicia  jngia ,  vel  votiva  , 
vel  pro  peccato  et  debcto,  sed  HierosolTrais  tantam  :  atqoe  illic  non 
in  orani  loco  fit  oblatio  ,  sed  ante  teraplura  ,  ad  alfare,  prias  facta  a 
snmmo  sacerdote  et  praedictis  ministris  oblati  inspectione  et  proba- 
tione.  [S.  C/ernens ,  papce ,  Epist.  prima,  n°  4t.) 


sua    LA    RELIGION.  39 

auteurs  auxquels  on  les  attribue.  La  ruine  de  cette  ville 
est  de  l'an  70  de  notre  ère  ;  le  martyre  de  St.  Pierre  et 
de  St.  Paul,  de  l'an  66;  celui  de  St.  Marc ,  de  l'an  68; 
St.  Jacques  avait  subi  le  sien  en  l'an  61  ;  quant  à  St.  Luc, 
il  a  survécu  de  beaucoup  à  tous  ces  temps-là.  Il  est 
donc  incontestable  que  les  livres  du  Nouveau  Testament 
ont  été  écrits  et  publiés  dans  le  temps  des  auteurs 
auxquels  on  les  attribue. 

^IIL  Si  on  veut  nier  l'authenticité  des  évangiles,  il 
faut  contester  aussi  celle  de  tous  les  autres  livres  du  Nou- 
veau Testament.  Ils  sont  tous  intimement  liés  entre  eux. 
Quoique  distincts,  ils  forment  un  ensemble.  Le  livre  des 
Actes  suppose  les  faits  rapportés  dans  les  évangiles.  Les 
épîtres  apostoliques  rappellent  aussi  ce  qui  est  contenu , 
soit  dans  les  Evangiles,  soit  au  livre  des  Actes.  Mais  nier 
l'authenticité  de  ces  épîtres,  c'est  se  jeter  dans  des  difl&- 
cultes  insurmontables,  ou,  pour  mieux  dire,  dans  des 
absurdités  intolérables.  Veut-on  que  ces  épîtres  n'aient 
pas  été  écrites?  Aime-t-on  mieux  qu'elles  l'aient  été  par 
un  personnage  supposé?  A  qui  imaginera-t-on  de  per- 
suader qu'on  a  fait  à  la  fois  illusion  à  tous  les  néophytes 
de  différents  pays,  de  Rome,  de  Corynthe,  d'Ephèse , 
de  Thessalonique ,  etc.  ,  et  qu'on  leur  a  fait  illusion  au 
point  de  leur  persuader  qu'ils  avaient  reçu  de  St.  Paul 
desletUes  que  dans  le  fait  ils  n'auraient  jamais  vues? 
Comment  tous  ces  fidèles  auraient-ils  pu  se  tromper  sur 
l'auteur  de  ces  lettres,  quand  ils  y  lisaient  des  réponses 
à  des  questions  qu'ils  avaient  proposées  à  l'apôtre  sur 
divers  points  de  discipline  et  de  morale,  sur  les  viandes 
offertes  aux  idoles  sur  les  observances  légales  ,  sur  l'Eu- 
charistie ,  sur  le  mariage  et  la  virginité?  Quel  faussaire 
aurait  voulu,  aurait  pu  se  faire  prendre  pour  St.  Paul, 
en  annonçant  à  ces  églises,  tantôt  qu'il  les  a  visitées, 
tantôt  qu'il  compte  les  revoir  incessamment;  ailleurs, 
qu'il  leur  envoie  un  de  ses  disciples?  Pour  faire  toutes 
ces  suppositions,  il  faut  supposer  le  trompeur  et  les 
trompés  imbécilles  au  point  où  aucim  homme  ne  l'est. 

IX.  Si  dans  les  commencements  du  christianisme  on 


40  DISSERTATIONS 

voyait  les  livres  du  Nouveau  Testament  tenus  secrets ,  et 
publiés  seulement  quelques  années  après,  on  pourrait 
plus  aisément  soupçonner  qu'ils  auraient  été  supposés. 
Mais,  au  contraire,  nous  les  voyons  dès  les  premiers 
temps  répandus  universellement  et  avec  profusion.  Eu- 
sèbe  rapporte  que  beaucoup  de  disciples  de  ce  temps 
primitif,  abandonnant  leur  patrie,  allaient  exercer  le 
ministère  évangélique,  annoncer  Jésus-Christ  aux  peuples 
qui  n'en  avaient  pas  encore  entendu  parler,  s'empressant 
avec  ardeur  de  leur  donner  les  livres  des  saints  Evangiles; 
et  qu'ils  ne  partaient  de  ces  pays,  pour  aller  répandre 
ailleurs  la  foi,  qu*après  y  avoir  établi  des  pasteurs,  à 
qui  ils  confiaient  le  soin  de  leur  nouvelle  plantation  (1). 
Nous  apprenons  de  St.  Justin,  qui  écrivait  dans  le  milieu 
du  second  siècle,  que  ces  livres,  qu'il  appelle  les  com- 
mentaires des  apôtres  ,  étaient  lus  publiquement  le 
dimanche  dans  les  éghses  (2).  Tertullien,  qui  florissait  à 
la  fin  du  même  siècle,  dit  que  de  son  temps  les  originaux 
des  lettres  des  apôtres ,  conservés  dans  les  églises  aux- 
quelles ils  les  avaient  écrites  ,  y  étaient  lus  publique- 
ment (3).  Nous  ne  cachons  pas  nos  livres ,  dit- il  ailleurs, 
et  beaucoup  de  circonstances  les  font  passer  aux  mains 


(i)  Plerique  illins  leraporis  discipnlî....  relicta  patria  peregre  pro- 
liciscentes  munns  obibanl  evangelistarnm  iis  qui  fidei  sermonem 
nondum  audivissent,  Cbristura  praedicare  et  sacrornm  evangeliorain 
libros  tradere  arabitiose  satagentes.  Hi  postqnam  in  reraotis  qaibas- 
dam  ac  baibaris  regionibns  fundamenta  fîdei  jecerant,  alicsque  pas- 
tores  constituerant,  et  novella?  plantatioràs  curam  eisdem  commi- 
serant,  ad  alias  gentes  et  reg^ones.  comitante  Dei  gratia  ac  virtnte, 
properabant.   [Euseb.  ^  Hist.    Ecoles.  Ub.iii^cap.  3r.) 

(2)  Ac  solis  qui  dicitur  die,  omnium  sive  nrbes,  sive  agros  ineo- 
lentiura ,  in  euradem  locdm  fît  convenlns ,  et  commentaria  aposto- 
lorum  ant  scripta  propbetarum  legnntur,  quoad  licet  per  terapora. 
{St.  Justin.  Apol.  prima  .^  ti°  67.) 

(3)  Age,  qui  voles  curiositatem  exercere  in  negotio  salntis  tuae , 
percurre  ecclesias  apostolicas  apud  quas  ipsœ  adhuc  ecclesiae  apos- 
tolorum  suis  locis  praesident ,  apud  quos  ipsae  anthenticae  litterae 
eorum  recitantnr,  sonantes  vocera  et  repraesenfantes  faciein  unios- 
cajasque.   (  Tcrtull.    de  Prœscrlpt.   cap.  xxvni.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  4l 

de  ceux  qui  sont  étrangers  à  la  religion  (1).  Origène 
prouve  l'avènement  du  Messie  etpar  les  prophéties  et  par 
les  écrits  apostoliques  qu'on  met  constamment  entre  les 
mains  de  ceux  qui  sont  en  état  de  les  entendre  (2).  C'était 
pour  donner  à  ces  saintes  Ecritures  la  plus  grande  pu- 
blicité, que  la  plupart  avaient  été  écrites  en  langue 
grecque,  la  plus  usitée  qui  fût  alors  .  qui  était  la  langue 
naturelle  de  beaucoup  de  pays ,  la  langue  savante  de 
tous  les  autres  ,  et  qui  était  connue  de  tous  les  hommes 
éclairés.  Et  pour  qu'elles  fussent  encore  plus  répandues 
et  mieux  connues  de  toutes  les  classes  d'hommes,  on  les 
traduisit  bientôt  dans  toutes  les  langues.  Les  apôtres  ont 
fondé  des  églises  dans  un  grand  nombre  de  régions  éloi- 
gnées les  unes  des  autres.  Ce  fait  ne  peut  pas  être  et  n'est 
pas  contesté.  On  trouve  les  livres  du  Nouveau  Testament 
répandus  et  lus  dans  toutes  les  églises  dès  les  premiers 
temps  de  leur  fondation ,  et  immédiatement  après  les 
apôtres.  Il  est  donc  certain  que  c'étaient  les  apôtres,  ou 
les  hommes  apostoliques,  qui  les  leur  avaient  donnés  en 
les  fondant.  Il  serait  ridicule  d'imaginer  une  supposition 
de  livres,  exécutée  dans  aussi  peu  de  temps  et  dans 
autant  de  pays  divers. 

X.  On  ne  peut  pas  douter  qu'un  livre  ne  soit  de 
l'auteur  auquel  il  est  attribué ,  quand  on  le  voit  cité , 
d'abord  par  les  contemporains  de  cet  auteur,  qui  ont 
vécu  avec  lui  ;  ensuite  successivement  par  d'autres  écri- 
vains, qui,  de  génération  en  génération,  rendent  témoi- 
gnage à  l'authenticité.  Cette  chaîne  d'attestations  forme 
une  démonstration  irrésistible.  C'est  ce  que  peuvent 
présenter  bien  peu  d'ouvrages    anciens  ,    sur    lesquels 


(i)  Inspice  Dei  voces  litteras  nostras,  qnas  neque  ipsi  sapprimi- 
mas ,  et  pleriqae  casus  ad  extremos  iransmittunt.  (  Idem.  apoî. 
cap.  XXXI.  ) 

(2)  Deniqae  enm  qni  praedictas  est  advenisse  deinonstiamns,  cuni 
de  vaiiciniis  illo  editis  qnae  malta  sont ,  tura  ex  evangeHcis  aposto- 
licisqoe  scriptis  ,  qaae  sedalo  tradantor  iis  qai  prudenter  illa  intelli- 
gere   possunt.  (  Origen,  contra  Ctls.  ,  lib.  m,  w°  i5.) 


42  DISSERTATIONS 

cependant  on  n'aaucun  doute;  et  c'est  ce  que  la  Provi- 
dence a  voulu  réunir ,  pour"  réfuter  d'avance  ,  par  l'or- 
gane des  témoins  les  plus  respectables,  tout  ce  qu'or 
pourrait  opposer  dans  la  suite  à  l'autheuticité  des  saints 
livres  qu'elle  a  inspirés. 

XI.  St.  Clément,  qui  fut  le  troisième  successeur  de 
St.  Pierre  sur  le  siège  de  Rome ,  avait  beaucoup  vécu 
avec  les  apôtres,  spécialement  avec  St.  Pierre  et  St.  Paul. 
Les  citations  qu'il  fait  de  nos  livres  sacrés  prouvent  donc  : 
1°  que  ces  livres  sont  antérieurs  à  ce  qu'il  a  écrit ,  et  par 
conséquent  du  temps  des  apôtres  ;  2°  qu'ils  sont  vérita- 
blement des  hommes  apostoliques  à  qui  l'Eglise  les  attri- 
bue, et  qu'il  avait  longtemps  connus.  Dans  sa  première 
épître  aux  Corinthiens,  qui  est  incontestablement  de 
lui ,  il  rapporte  les  paroles  de  Jésus-Christ  tirées  du  chap. 
IV  de  l'évangile  de  St.'  Luc.  «  Faites  miséricorde  pour 
«  obtenir  miséricorde.  Remettez,  et  il  vous  sera  remis. 
«<  Comme  vous  faites,  il  vous  sera  fait.  La  mesure  dont 
«  vous  aurez  usé  sera  celle  qu'on  emploiera  envers 
vous(l).  »  Dans  un  autre  endroit  il  présente  de  même, 
comme  sorti  de  la  bouche  du  Seigneur ,  ce  qui  est  dit 
au  chapitre  xviii  de  St.  Matthieu,  au  chapitre  ix  de 
St.  Marc,  et  au  chapitre  xvii  de  St.  Luc  :  «  Malheur  à 
»  cet  homme.  Il  serait  bon  pour  lui  qu'il  ne  fût  pas  né , 
«•  plutôt  que  de  scandaliser  un  de  mes  élus  (2).  Il  vau- 
«   drait  mieux  pour  lui  qu'on  lui  attachât  une  meule  au 


(i)  Praecipue  raemores  serraonum  Domini  Jesa ,  qaos  locatns  est 
docens  mansnetndinen  et  aeqnanimiîatem.  Sic  enim  dixit  î  «  Misere- 
«  mini  et  misericordiam  cunseqaamini.  Dimiltite  et  diinitlelnr  volns. 
«  Sicnt  facitis,  ita  vobis  fîet....  Qua  mensara  metiemini ,  in  ea  rnen- 
«  snrabifur  vobis,  v  Hoc  praecepto,  et  his  mandatis  stabiliamas  nos: 
sfcmper  obedientes  simus  sanctis  ejas  eloqaiis,  humililer  de  nobis 
sentientes.  (S.  Clemens papa  ^  Epist.  prima ,  n°  i3.) 

(2)  Recordamini  verbornm  Jesu  Domini  nostri  :  «  Vae  homini 
"  illi  :  bonarn  erat  ai  si  natas  non  fnisset  ,  quam  nt  nnnm  ex  meis 
«  electis  scandalisaret.  Melius  erat  ut  ei  niola  circumponeretur  ,  et 
u  in  mare  demergeretur ,  qnam  ut  anam  de  posillis  meis  scandalisa- 
«   ret.   »   {Ibid.  n°  46.) 


SUR    LÀ    RELIGION.  43 

«  COU  ,  et  qu'on  le  jetât  dans  la  mer^  que  de  scandaliser 
«  un  des  petits.  »  J'observe ,  sur  ces  deux  citations ,  que 
St.  Clément  ne  prétend  pas  apprendre  aux  Corinthiens 
ces  préceptes  de  Jésus-Christ  tirés  des  évangiles;  il  les 
leur  rappelle,  il  leur  dit  de  s'en  souvenir.  Ils  étaient 
donc  connus  auparavant.  Les  évangiles  étaient  donc  très- 
pubhcs  avant  l'épître  de  St.  Clément,  c'est-à-dire  deux 
ans  après  la  mort  de  St.  Pierre  et  de  St.  Paul. 

Je  cite  avec  moins  de  confiance  la  seconde  épître  de 
St.  Clément ,  parce  qu'il  n'est  pas  également  certain 
.qu'elle  soit  de  lui.  Cependant,  comme  le  plus  grand 
nombre  des  savants  la  lui  attribuent ,  je  crois  pouvoir 
présenter  plusieurs  textes  des  évangiles  qui  y  sont  rap- 
pelés. Il  rapporte  dans  un  endroit  ces  paroles  du  Sau- 
veur, tirées  du  chap.  ix  de  St.  Matthieu  :  «  Je  suis  venu 
appeler,  non  les  justes,  mais  les  pécheurs  (1).  >»  Dans 
un  autre,  celles-ci ,  tirées  du  même  évangéliste,  cha- 
pitre x:  «  Celui  qui  me  confessera  devant  les  hommes, 
«  je  le  confesserai  devant  mon  père  (2).  »  Dans  un  troi- 
sième ,  celles-ci,  d'après  le  chapitre  xvii  du  même  : 
«  Tout  homme  qui  me  dit  :  Seigneur,  Seigneur,  ne 
«  sera  pas  sauvé,  mais  celui  qui  opère  la  justice  (3).  » 
Et  ces  autres  dont  une  partie  se  lit  au  même  chapitre  : 
«  Si  vous  êtes  assemblés  en  mon  nom  ,  et  si  vous 
«  n'observez  pas  mes  commandements,  je  vous  rejeterai, 
«  et  je  vous  dirai  :  Retirez-vous  de  moi  ;  je  ne  sais  d'où 
«  vous  êtes,  ouvriers  d'iniquité  (4).  »  Plus  bas  il  rappelle 


(i)  Alia  quoqae  scriptura  ait  :  «  non  veni  vocare  justos  sed 
«   peccatores.   »   (5.  Clemens ^  Epist.  secunda  ,  fi°  2.) 

(2)  Ait  vero  eàam  ipse  :  «  Qui  me  confessas  fuerit  in  conspectn 
-   hominum,  confirebor  ipsum  in  nomlne  patiis  mei.    »   [Ibid.  rv'  3.) 

(3)  Non  modo  igitar  ipsain  vocemus  Dorainura  :  id  enim  non  sal- 
vabit  nos  :  si  quidem  ait  :  «  non  omnis  qui  dicit  mihi,  Domine, 
«   salvabitur ,  sed  qui  facit  justisiam.    w    (Ibid.  n"  4.) 

(4)  Idcirco  nobis  haec  facientibns  dicit  Dominus  -•  «  Si  fneritis 
«  mocam  congregati  in  sitiu  meo ,  et  non  feeeritis  mandata  mea, 
«  abjiciam  vos  :  et  dicam  vobis  :  discedite  a  me  :  nescio  vos  nnde 
«   siiis  ,  operarii  iniquitatis.   »  (Ibid.) 


44  DISSERTATIONS 

les  maximes  rapportées  aux  chap.  vi  et  xvi  de  St.  Mat- 
tliieu,  et  au  chapitre  xvi  de  St.  Luc  :  «  Que  nul  ne 
«<  peut  servir  deux  maîtres:  qu'on  ne  peut  pas  servir  à 
<«  la  fois  Dieu  et  l'avarice  ;  qu'il  ne  sert  de  rien  de  gagner 
«  tout  le  monde,  si  on  perd  son  àme  (1).  »  Plus  bas 
encore  il  répète  ce  que  le  Seigneur  a  dit  dans  l'Evangile 
(c'est  celui  de  St.  Luc,  chap.  xvi)  :  «  Celui  qui  est  fidèle 
dans  les  petites  choses  est  aussi  fidèle  dans  les  grandes  (2).» 
Enfin,  pour  terminer  cette  longue  suite  de  citations,  il 
dit  qu'il  a  été  déclaré  par  Jésus-Christ  :  «  Que  ceux-là 
«  sont  ses  frères ,  qui  font  la  volonté  de  son  père  (3)  ;  » 
ce  que  Ton  trouve  au  chapitre  xii  de  St.  Matthieu. 

Je  dois  observer  ici  qu'on  ne  voit  point  dans  les  lettres 
de  St.  Clément  de  citations  de  l'évangile  de  St.  Jean. 
Cela  ne  pouvait  pas  être.  St.  Clément  est  mort  long- 
temps avant  que  St.  Jean  n'eût  publié  son  évangile. 
Mais  il  est  impossible ,  en  voyant  plusieurs  textes  des 
premiers  évangiles  cités  par  St.  Clément  ,  disciple  et 
compagnon  de  plusieurs  apôtres ,  de  se  refuser  à  la  con- 
séquence que  ces  saints  écrits  sont  authentiques. 

Dira-t-on ,  pour  affaiblir  cette  autorité ,  que  St.  Clé- 
ment ne  nomme  pas  positivement  les  évangélistes  :  que  ce 
n'est  peut-être  pas  des  évangiles  qu'il  a  tiré  les  paroles 
de  Jésus-Christ  qu'il  rapporte,  et  qu'il  peut  les  avoir 
apprises  par  tradition  ?  C'est  une  des  objections  auxquelles 
je  répondrai  dans  l'article  suivant.  Je  me  contenterai  ici 
d'observer  que  parmi  les  passages  cités  de  St.  Clément , 
il  y  en  a  qui  repoussent  formellement  l'idée  qu'ils  soient 
cités  d'après  la  tradition.  Ce  saint  pontife  dit  dans  l'un  , 


1 


(i)  Dicit  antem  Dominas:  «  nullas  servas  potest  duobas  domi- 
-  nis  servira.  Si  nos  volumns  et  Deo  servire  et  mammonae,  incoimno- 
"■  dum  nobis  est.  Xain  :  qaae  utililas,  si  qnis  nniversam  raundum  la- 
«   cretur ,  animara  vero  snam  detrimento  afticiat.   »   [Ibid.  n    6  ) 

(2)  Ait  qaij)pe  Doinir.us  in  evangelio  :  «  Si  parnm  non  servastis, 
«  quis  magntmi  vobis  dahiî  ?  Dico  enim  vobis  :  Qui  fideiis  est  in 
«   minimo  et  in  majori  fideiis  est.    «    {Ibid.  ««  8.) 

(3)  Eteniui  Dominas  dixit  :  Praires  mei  sont  qai  faciunt  volunta- 
tcm   patris  mei.  i^Ibid.  no  9.) 


SDR   LA    RELIGION.  45 

qu'une  Ecriture  rapporte;  dans  un  autre,  que  Jésus- 
Christdit  dans  V Evangile.  C'est  donc  d'après  uneécriture, 
c'est  d'après  un  évangile,  qu'il  rapporte  les  discours  du 
Sauveur. 

XII.  Il  y  a  parmi  les  savants  quelques  doutes  sur  l'au- 
thenticité de  l'épître  de  St.  Barnabe  ;  mais  la  plupart  la 
lui  attribuent.  On  ne  peut  pas  d'ailleurs  douter  que  ce 
ne  soit,  au  mouis,  un  monument  de  quelque  personnage 
apostolique,  quand  on  la  voit  citée  avec  respect  sous  le 
nom  de  cet  apôtre  par  St.  Clément  d'Alexandrie  (1) ,  et 
par  Origènes(2^.  Or,  dans  cette  épître,  nous  lisons  deux 
citations  des  évangiles  :  l'une,  du  discours  de  notre 
Seigneur;  «  Qu'il  est  venu  appeler,  non  les  justes,  mais 
les  pécheurs  (3)  ;  »  l'autre  ,  de  ce  précepte  du  Sauveur  : 
'   Donner  à  quiconque  vous  demande  (4).  » 

A  la  suite  de  St.  Clément  et  de  St.  Barnabe,  nous 
pouvons  appeler  en  témoignage  plusieurs  autres  auteurs 
très- respectables,  qui  vivaient  très-peu  de  temps  après 
eux,  qui  avaient  été  disciples  de  l'apôtre  St.  Jean,  et 
que  l'on  appelle  comme  eux,  par  cette  raison.  Pères 
apostoliques.  Il  était  impossible  que  ces  hommes  ins- 
truits par  un  apôtre  qui  était  lui-même  évangéliste,  ne 
sussent  pas  positivement  si  les  Evangiles  étaient  ou  n'é- 
taient pas  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms.  Lors 


(i)  Si  addnxero  testem  Barnabain  apostolicura  ;  erat  autem  is  ex 
septuaginta.  i^S.  Clemens  Alex.  Stromat.  lib.  ir,  cap.  ao.  ) 

(2)  Eadem  quoqae  Barnabas  in.epistola  sua  déclarât,  cum  dnas 
esse  via  s  dicit;unarn  lucis ,  alteram  teriebrarcm,  qnibas  et  praecise 
certes  angelos  esse  dioit  ;  viae  quidera  lucis  angelos  Dei  :  lenebraram 
aatem  viae  angelos  satanae.  {^Orig.  De  Principiis ,  lib.  m,  cap.  2.) 

(3)  Quindo  autem  apostolos  suos,  qui  praedicaturi  erant  illius 
evangelinm ,  elegit  homines  omni  peccato  iniquioies,  ut  ostenderet 
qood  non  venit  vocare  justes  sed  peccatores  ad  pœnitentiam ,  tam 
palam  fecit  se  esse  fliiam  Dei.  {S.  Barnab.  Epist,  n°  5.  Fid. 
Match,  cap.  ix.) 

(4)  Non  dubitabis  dare  ,  neque  ranrmurabis  cnra  das.  0/nm  peten- 
ti  te  tribue. 

Gognosces  aatem  qais  sit  bonus  tnercedis  retribator.  (Ibid.  n.  19, 
f^id.  Luc.  VI,  3o.  ) 


46  DISSERTATIONS 

donc  que  nous  les  voyons  rapporter  des  textes  des  évan- 
giles et  les  citer  connue  les  propres  paroles  de  Jésus- 
Christ,  nous  pouvons  être  assurés  que  les  évangiles 
existaient  du  temps  des  apôtres  ;  que  c'étaient  les  apôtres 
eux-mêmes  qui  les  donnaient  à  leurs  disciples,  et  que 
par  conséquent  leur  autlienlicité  est  incontestable. 

XIII.  Le  premier  de  ces  Pères  est  St.  Ignace,  évêquc 
d'Antioclie,  et  martyrisé  l'an  107,  dans  un  âge  avancé. 
Il  était,  c'est  lui-même  qui  l'atteste,  un  de  ceux  qui 
avaient  vu  Jésus-Christ  dans  sa  chair  après  sa  résurrec- 
tion (1).  Il  avait  conséquemment  dû  connaître  person- 
nellement les  apôtres  et  plusieurs  des  premiers  disciples 
du  Sauveur.  Il  avait  spécialement  passé  une  grande 
partie  de  sa  vie  avec  St.  Jean.  Ce  saint  docteur ,  dans 
plusieurs  de  ses  lettres  ,  emploie  souvent  des  passages  , 
soit  des  évangiles,  soit  dcii  épi  très  apostoliques.  Ici  il 
rappelle  ce  que  dit  Notre-Seigneur  dans  St  Matthieu , 
chap.  XII ,  et  dans  St.  Luc  ,  chap.  xi ,  «  que  l'arbre  se 
connaît  à  ses  fruits  (2)  ;  »  là^  que  Jésus-Christ  est  baptisé 
par  St.  Jean,  «  pour  remplir  toute  justice  (3),  »  ainsi 
que  le  dit  St.  Matthieu  au  chap.  m  ;  dans  un  autre 
endroit,  ce  que  recommande  le  Seigneur,  au  chap.  x 
de  St.  Matthieu,  «  d'être  prudent  comme  le  serpent,  et 
simple  comme  la  colombe  (4).  »  Il  cite  aussi  plusieurs 


(i)  Ego  enim  et  post  resurrectionera  eam  in  carne  novi  :  et  credo 
esse.  {S.    Ignat.  Epist.  ad  Smyrn.  fi°  S.) 

(2)  Nullus  fidem  repromittens  peccat  ;  neque  caritatem  possidens 
odit.  Manifesta  est  arbor  ex  frnctu  ej'us.  Similiter  qai  profilentur  se 
christianos  esse,  ex  ils  quae  facinnt  cernuiitur.  (Idem ,  Epist.  ad 
Ephes.    «°  i4-) 

(3)  Cognovi  <  iiira  vos  perfectos  in  fide  immota....  plene  persoa- 
sos  Dominum  nostrom  natnm  ex  Yirgine,  baptizatnm  a  Joanne  ;  ut 
impleretiir  ah  eo  omnis  jiistitia.  (  Idem  ,  Epist.  ad  Smyrn.  n°  14.  ) 

(4)  Bonos  discipolos  si  ainaveris  ,  nulla  libi  est  gratia  :  potius 
pestilentioi'es  in  mansnetudine  snbjice.  Non  omne  vnlnns  eodem 
eniplabtro  ouratur.  Vehementiores  morbi  accessiones  saper  fasioni- 
bus  seda.  Prudens  esto  sicut  serpens  in  oronibus,  et  simplex  ut  co- 
Itimha.  {Idem,  Epist.    ad  Polyc.   n^  3.) 


SUR   LA    RELIGION.  47 

fois  les  épîtres  de  St.  Paul,  par  exemple,  lorsqu'il  dit  ce 
que  recommandait  l'apôtre  aux  fidèles  de  Corinthe , 
«  d'être  parfaitemeut  unis  dans  le  même  sentiment,  et 
<i  d'être  tous  unanimes  dans  leurs  discours  {1};  >»  et 
quand,  après  avoir  parlé  des  injures  qu'on  lui  fait  souf- 
frir, il  répète  ,  d'après  St.  Paul ,  «  que  pour  cela  il  n'est 
pas  justifié  (2).  » 

XIV.  St  Polycarpe  ,  lié  d'amitié  avec  saint  Ignace , 
quoiqu'il  fût  beaucoup  plus  jeune ,  avait  été  aussi  disci- 
ple de  saint  Jean.  Nous  avons  de  lui  une  épître  aux 
Philippiens ,  dans  laquelle  il  cite  plusieurs  passages  des 
évangélistes  ;  entr'autres  ceux-ci  de  saint  Luc,  chap.  vi  : 
«  Ne  jugez  point  j^our  n'être  pas  jugés  :  remettez  et  on 
«  vous  remettra  ;  on  vous  mesurera  sur  la  mesure  dont 
«  vous  aurez  usé  ;  »  et  ces  autres  du  chap.  v  de  saint 
Matthieu  :  «  Bienheureux  les  pauvres  et  ceux  qui  souf- 
«  frent  persécution  pour  la  justice,  parce  que  le  royaume 
«  de  Dieu  est  à  eux  (3).  «  On  y  lit  aussi  ces  paroles  du 
chap.  VI  de  saint  Mattliieu  :  «<  Ne  nous  induisez  pas  en 
«  tentation  ;  »  celles  rapportées  par  saint  Matthieu , 
chap.  XXVI,  et  par  saint  Marc,  chap.  xiv  :  «  L'esprit  est 
«   prompt  et  la  chair  est  faible  (4).  » 

XV.  Papias,  évêqued'Hiérapolis,  vivait  dans  le  même 
temps  que  saint  Polycarpe.  Son  ouvrage,  en  cinq  livres, 
intitulé  :  Exposition  des  discours  du  Seigneur ,  n'est  point 


(i)  Dncet  itaqae  vos  omnibus  modis  glorificare  Dominuin  Jesum 
Christum ,  qui  glorificavit  nos  :  ut  in  obed  enlia  una  sitis  perfecti 
eadem  mente,  eademque  sententia ;  idemque  dicatis  de  eodem  om- 
nes.  (Idem,  Epist.  ad  Ephes,  n°  2.) 

(aj  Al  ego  eoruiD  injuriis  raagis  erudior.  Sed  non  in  hoc  jusùjiea- 
tiis  sum.   (Idem  Epist.  ad  Rom.  n°  5) 

(3)  Meiuores  autem  <  oruin  quœ  dixit  Dorninus ,  docens  :  «  Noli- 
((  te  julicare,  ne  jadicemini  :  dimittite  et  dimittetar  vobis  :  in  qna 
«  niensura  raensi  faerilis,  reraetietur  vobis  :  et  beat!  pauperes  et  qui 
«  persecutionem  patiuntur  propter  justitiam  ,  qaoniam  ipsorum  est 
«   regncm  De\    »    (S.  Polj-c.  Epist.    ad   Philipp.    no  2.) 

C4)  Precibus  rogantes  omnium  conspectorem  Deum  :  Ne  nos  in- 
ducas  in  tentationem  :  sicnl  dicit  Dominus  :  spiritus  quidem  promp- 
tns  est  y  caro  autem  infirma.  (Ihid.  ,  n°  7). 


48  DISSERTATIONS 

parvenu  jusqu'à  nous.  Mais  Eusèbe  raconte  de  lui  di- 
verses particularités ,  et  rapporte  plusieurs  fragments  de 
son  ouvrage.  Papias  n'avait  été  disciple  d'aucun  des 
douze  Apôtres,  il  ne  les  avait  pas  même  vus;  mais  il 
s'était  informé  avec  soin  auprès  de  ceux  qui  les  connais- 
saient, et  qui  étaient  dans  leur  intimité,  de  ce  qui  con- 
cerne la  foi.  Quand  je  rencontrais,  dit-il,  quelqu'ancien 
qui  eût  vécu  avec  les  apôtres  ,  je  m'informais  avec  soin 
de  ce  qu'ils  avaient  enseigné  ,  de  ce  qu'avaient  dit  An- 
dré ,  Pierre  ,  Philippe  ,  Thomas  ,  Jacques  ,  Jean  ,  Mat- 
thieu, ou  quelqu'autre  disciple  du  Seigneur;  de  ce 
qu'avaient  dit  entin  Ariston  et  Jean  prêtre  ,  lesquels 
étaient  aussi  du  nombre  des  disciples  du  Seigneur  (1). 
Eusèbe  ajoute  que  Papias  avait  été  disciple  particuliè- 
rement d' Ariston  et  du  prêtre  Jean  (2),  et  il  rapporte  ce 
que  ce  prêtre,  différent  de  l'apôtre  du  même  nom,  lui 
avait  appris.  Il  me  disait ,  c'est  Papias  qui  parle  ,  que 
Marc,  qui  était  interprète  de  Pierre,  avait  écrit  tout  ce 
qu'il  conservait  dans  sa  mémoire,  avec  exactitude,  mais 
non  dans  l'ordre  où  le  Seigneur  l'avait  dit  ou  fait. 
Quant  à  saint  Matthieu  ,  reprend  Eusèbe  ,  Papias  ra- 
conte de  lui  qu'il  a  écrit  en  hébreu  l'Evangile  des  ora- 
cles et  des  actions  de  Jésus-Christ ,  que  chacun  a  inter- 
prété comme  il  le  pouvait.  Le  même  auteur,  ajoute  Eu- 
sèbe ,  a  aussi  employé  les  témoignages  de  la  première 


(i)  Ipse  autem  Papias,  in  exordio  sai  operis  déclarât  se  minime 
quidam  sanctorum  apostolornm ,  vel  anditorem  fuisse,  val  eosdem 
oculis  sais  adspexisse.  Sad  ea  qaae  ad  Cdera  pertinent  ab  iis  qui  eis- 
dem  noti  et  familiares  erant  se  accepisse  docet  liis  verbis....  Si  quis 
presbyter  mibi  forle  occnnebat,  qai  cum  apostolis  versatns  fuisset, 
dicta  apostolorura  ab  eo  diligenter  sciseitabar  :  nempe  qaid  Andréas 
dixisset,  quidve  Petrus,  quid  Pbibppus,  quid  Thomas,  qaid  Ja- 
cobus,  quid  Joannes,  aat  Matthaeas,  aut  quis  alias  Domini  disci- 
pulus  ,  qaae  denique  Aristion  et  Joannes  presbyter ,  qui  in  numéro 
discipulorum  Douiini  habebaniur,  loculi  fuissent.  [Eiiseb.  ,  Hist. 
Eccl.  ,  lib.  iri ,  cap.  33.) 

(a)  Quin  etiam  Papias  ,  qnem  modo  posaimus^  apostoloram 
dicta  ab  his  qui  cum  illis  versati  fuissent  fatetur  se  excepissc  ;  Aris- 
tionis  item  et  Joannis  fuisse  auditorem.  {Ibid.) 


SUR    LA    RELIGION.  49 

épître  de  saint  Jean,  et  de  la  première  de  St.  Pierre  (1). 
Voilà  donc  deux  évangiles  et  deux  épîtres  apostoliques 
dont  l'authenticité  est  garantie  par  Papias.  L'autorité 
de  cet  écrivain  est  très-grave,  puisque  non-seulement  il 
parie  d'après  les  récits  que  lui  avaient  faits  ceux  qui 
avaient  vécu  familièrement  avec  les  disciples  de  Jésus- 
Christ,  mais  qu'il  rapporte  ce  que  lui  avait  positivement 
dit  un  de  ces  disciples.  Son  témoignage  nous  représente 
celui  du  prêtre  dont  il  le  tenait.  Sa  narration  prouve 
démonstrativement  que  les  écrits  dont  il  parle  étaient, 
dès  les  commencements  du  christianisme,  connus  et  at- 
tribués aux  auteurs  dont  ils  portent  les  noms. 

XVI.  De  tous  les  disciples  des  apôtres  dont  les  écrits 
sont  parvenus  jusqu'à  nous,  le  seul  que  je  n'aie  pas  cité, 
c'est  Hermias,  auteur  du  livre  intitulé  le  Pasleur,  et  que 
Ton  croit  être  le  même  dont  parle  saint  Paul  dans  son 
épitre  aux  Romains.  C'est  qu'on  ne  voit  pas  dans  son  ou- 
vrage ,  comme  dans  ceux  des  autres  Pères  apostoliques  , 
des  passages  précis  du  Nouveau  Testament ,  textuelle- 
ment rapportés.  Mais,  si  je  ne  crois  pas  devoir  faire 
usage  de  son  autorité  ,  les  incrédules  peuvent  encore 
moins  tirer  avantage  de  son  silence.  Si  aucun  texte  du 
Nouveau  Testament  n'est  rapporté  par  lui  dans  ses 
propres  termes,  il  fait  beaucoup  d'allusions  manifestes 
spécialement  à  l'évangile  de  saint  Matthieu  et  aux  épî- 
tres de  saint  Paul  ;  et  il  dit  beaucoup  de  choses  qui  en 
sont  clairement  tirées.  Entre  plusieurs  exemples  que  je 
pourrais  rapporter,  je  me  contente  de  produire  un  petit 
nombre  de  passages  (2). 


(i)  Israd,  inqnit ,  presbyler  nailii  dicebat  :  Marcas,  qui  fuit  in- 
:erpres  Pétri ,  quaecumque  tenebat  luemoria  scripsit  quitlem  accu- 
^ale  ;  sed  tamen  non  eo  ordme  quo  erant  a  Domino  dicta,  facta- 
ge  Ista  qii  dc'in    a    P;»pia    nairanur    de    Marco.  De    Maitbsso  an- 

em  haec  ab  iilo  refernntar,  Matlhaeus  sermone  hcbraïco  evange- 
inm  de  Cliristi  oraculis,  et  rébus  gesiis  conscripsit  ;  quod  plane 
jU'sqne  ut  poterat  interpretatU'?  Cit.  Idem  scriptcr  prioris  cpistolcR 
roannis   et    Fetri    siiniliter  piioris  usns  est   testinioniis.    (ibid.) 

(">.)  Juravit  enim  Dnminus  per  filhv.n  sinim.  Qui    denegaveril  il- 

Disscrt.  sur  la  Relia.  3 


50  DISSERTATIONS 

Des  Pères  apostoliques,  passons  à  ceux  de  i'àge  sui- 
vant, qjii  n'ont  pas  été  iniinédiatement  disciples  des 
apôtres  ,  mais  qui  sont  plus  reculés  d'un  deyré  ,  et  qui 
ont  reçu  la  foi  de  ceux  à  qui  les  apôtres  l'avaient  en- 
seignée. Nous  trouvons  aussi  dans  leurs  écrits  la  preuve 
que  nos  livres  saints  étaient  connus,  cités  et  révérés  par 
eux,  coninie  les  véritables  ouvrages  des  apôtres  et  des 
premiers  disciples  du  Sauveur. 

XVII.  Le  premier  est  saint  Justin,  d'abord  philoso- 
phe, converti  à  la  foi  chrétienne  à  l'âge  de  trente  ans, 
martyrisé  en  1G7  ,  un  an  après  St.  Polycarpe.  Né  en 
Palestine,  au  commencement  du  second  siècle  ,  il  a  dû 
connaître  beaucoup  de  personnes  qui  avaient  vécu  avec 
St.  Simon,  disciple  et  proche  parent  de  Jésus-Christ ,  et 
second  évèque  de  Jérusalem,  couronné  de  la  palme  du 
martyre  ,  en  107.  St.  Justin  a  dû  vivre  aussi  avec  des  dis- 
ciples de  l'apôtre  St.  Jean  ,  mort  vers  l'an  100  de  l'ère 
chrétienne.  Il  ne  peut  pas  y  avoir  de  doute  que  ce  saint 
docteur  n'ait  connu  ,  et  révéré  comme  le  dépôt  sacré 
de  la  foi ,  nos  livres  saints.  Dans  sa  première  apologie 
delà  religion,  qu'il  présenta  vers  l'an  150,  aux  empe- 
reurs Antonin  le  Pieux  ,  Marc-Aurèle  et  Vérus  ,  au  sé- 
nat et  au  peuple  ,  il  dit,  comme  nous  l'avons  vu  ,  que 
les  commentaires  des  apôtres  sont  lus  dans  les  assem- 
blées des  fidèles.  Il  avait  dit  auparavant  que  ce  qu'il 
nomme  commentaire  des  apôtres  est  ce  qu'on  appelle 
communément  évangiles,  et  la  preuve  sans  réplique  que 
c'est  de  nos  évangiles  qu'il  parle  ,  est  qu'au  même  en- 
droit il  rapporte  ,  comme  tirée  de    ces   commentaires, 


liiini  et  sr ,  despondentes  saam  vilam,  il]i  et  .psi  detvegaluri  iuiit 
iUuui  in  advenientihus  diebus.  Si  autem  qui  nnnquam  denegave- 
rint,  ob  nimiam  miseiicoidiam  propitius  l'actas  est  illis.  (^Hermias, 
pasior,    lib.  i,  vis.  2  ;  cap.  2  ;  vid.  Matth.  cap.  x,  32  ,  33). 

Quod  si  dlmiserit  nxorem  suam ,  et  aliaiu  duxerit ,  et   ipse  inoerb»- 
tur.  {Ibid.  bb.   n,  mand.  4  ,  cap.  i    :  vid.  Matth.  cap.  xis,  v.  9 

Volontés  videri  c'ui;cia  sciie,  nibilque  oœnino  scientes et   cuni 

sint   s!ulii  cupiant   doctores   videri.    {^Ibld.    bb.   m,  simibtndo    JX 
i;ap.    22.    Vid.  Epist.   ad  Roman,   '^ap.   i ,  vers.  2  i  ,  22.) 


SUR    LA    RELIGION.  51 

rinstitution  de  l'Eucliaiistie ,  dans  les  propres  termes 
employés  par  St.  Matlliieu  ,  St.  Marc  et  St.  Luc  (1). 
Dans  toute  la  suite  de  ses  ouvrages,  il  suppose  la  vérité 
de  l'histoire  évangélique.  Il  s'attache  surtout  dans  son 
dialogue  avec  le  juif  Tryphon  ,  à  montrer  l'accord  par- 
fait des  prophéties  judaïques  avec  les  faits  de  la  vie  de 
Jésus-Christ,  tels  que  nos  évangélistes  les  racontent.  En- 
fin ,  dans  beaucoup  d'endroits,  il  cite  formellement  les 
évangiles  présentant  textuellement  leurs  expressions.  Il 
serait  beaucoup  trop  long  de  rapporter  ici  toutes  ces  ci- 
tations. Je  me  contente  d'en  indiquer  quelques-unes  , 
tirées  seulement  d'une  partie  de  sa  première  apolo- 
gie (2,. 


(i)  Nam  aposloli ,  in  commeutaiiis  suis  qnae  vocantur  evangeiia , 
ita  sibi  mandasse  Jesum  tradideiuiii  :  euui  scilicet  accepto  pane, 
cum  graîias  egisset ,  dixisse  :  «  Hcc  facile  in  meam  coinineinora- 
"  tionem  :  hoc  est  corpus  meum,  >>  et  poculo  similiter  accepto,  ac- 
tisque  gratiis  dixis'^e  :  «  Hic  est  sangui  mens;  »  ipsisque  solis  fra- 
didisse.  {S.  Just.  ,  Apol.  prima  ^  n"  66). 

(2)  Au  n"  i5,  St.  Justin  cite  le  texte  de  St.  Matthieu,  chap.    v, 

sur  le  scandale;   ceux,    de  St.   Matthieu,   chap,   xix;    de    St.   Marc, 

i    chap.  X  ;    de  St.    Luc,    chap.    xvi ,  sur    l'adultère   de    Ihomme   qui 

[épouse  une  femme  réfrudiée  ;  et  celui    de  Si.  Matthieu,   chap.    xix  , 
sur  les  eunuques  d'état  ou   de  volonté.   Au  n°  16  ,  il  cite  le  texte  de 
\   St..  Matthieu  ,  chap.  ix,  que  Jésus  Christ  est   venu  appeler,  non  les 
I  justes,   mais,   les  pécheurs;  ceux  de   St.    Matthieu,  chap.    vi ,  et  de 
I'   St.    Luc,  chap.  V,  sur  l'amour   de  tous  les  hommes,  sur  la  charité 
'^   envers  eux. sur  l'exhortation  à  amasser  des  trésors  ,  non  sur  la  ten  e  , 
mais  dans  le  ciel,  sur  la  confiance  dans  la  Providence.  Au   n°  i  7  ,  il 
cite  d'autres  passages  des  mêmes  chapitres  sur  la  patience  et  sur  l'o- 
bligation   de   souffrir  de   la   part  des  autres;  les  textes   de   St.   Mat- 
thieu,  chap.   V,   sur  l'obligation   défaire   luire  ses  bonnes  œuvres , 
sur   la   défense  de  jurer;  ceux    de   St.     Matthieu,    chap.     xix  ,    di- 
St.  Marc,  chap.  x;  de  St.  Luc,    chap.  xvux,  sur  ce   que    Dieu    seul 
est   bon  ;   ceux  de    St.  Matthieu,   chap.   ix  ,   sur  ce  qu'il   ne  suffit 
pas  de  dire:  Seigneur,   Seigneur,   peur  entrer  dans  le  royaume  des 
cieux  ,  et  sur  ce   que  c'est  par  les  œuvres  que  l'on  est  connu.  Enfin  , 
au  n°   18,   le  saint  docteur  rappelle  les   jaroles  de  J.  C.    rapportées 
par  St.  Matthieu,  chap.   xxii,  de  rendre  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu  , 
t't  à  Cé.sar  ce  qui    est  à  César.  Il  seiait  facile,    mais  il    est  inutile  de 
pousser  plus  loin  celte  énumération. 


52  DISSERTATIONS 

XVIII.  Tatien,  disciple  de  St.  Justin,  composa,  peu 
après  le  inartvre  de  son  inaître ,  un  ouvrage  contre  le 
pa};aiiismc ,  intitula  :  Discours  aux  Grecs.  Il  y  rapporte 
dans  deux  endroits  des  passages  tirés  du  premier  chapitre 
de  l'évangile  selon  St.  Jean  (l).Une  autre  preuve  cjue 
cet  écrivain  connaissait  nos  évangiles,  et  les  regardait 
connue  les  fondements  de  la  foi  transmis  parles  apôtres, 
c'est  que ,   lorsqu'il  fut   mallieureuscment   tombé  dans 
l'hérésie ,  et  qu'il  se  fut  fait  chef  de  la  secte  des  encra- 
tites  ,  il  ne  contesta  pas  l'authenticité  de  ces  livres  sacrés 
qui  le  condamnaiet    formellement;  il  imagina  de  les 
tronquer  et  de  les  accommoder  à  ses  erreurs.  Il  composa, 
au  rapport  d'Eusèbe,  de  St.  Epiphane  et  de  Théodoret , 
un  ouvrage  qu'il  intitula  Dialesscron;  ce  qui  veut  dire, 
selon  les  quatre  :  lequel  n'était  autre  chose  qu'une  col- 
lection et  une  suite  de  textes  tirés  des  quatre  évangiles, 
et  une  sorte  de  concoid  ince  formant  une  histoire  suivie 
du  divin  Sauveur.  Il  n'ajouta  rien  au  texte  des  évangiles, 
mais  il  en  retrancha  ce  qui  était  contraire  à  sa  doctrine 
réprouvée,  spécialement  les  généalogies  de  Notre-Sei- 
gneur,  et  tous  les  passages  qui  le  présentent  comme  le 
descendant  de  David,  selon  la  chair  (2j.  Si  au  ten\ps  de 
Tatien,  c'est-à-dire  au  second  siècle,  nos  quatre  évan- 
giles n'avaient  pas  été  connus,  Tatien  aurait-il  pu  en 
former  son  ouvrage?   S'ils   avaient    été   regardés   alors 
comme  des  écrits  apocryphes  et  faussement  attribués  aux 
premiers  fondateurs  de  la  religion  ,  l'aurait-il  voulu? 

XIX.  On  croit  communément    que  Hermias  a  écrit, 
])eu  de  temps  après  St.  Justin  et  Tatien  ,  son  ouvrage 


(i)    Per  se  enira  nihil  e«t   aliud  (anima)  «inana  tenebrse,  nec  quid- 

qiiain  in  ea  lominosniu.  Atque   id  ipsuin    e.-t  quod  di«  iiur  :  ttnchrœ 

lucem  non  comprehenderunt.  (  Tatianus  ^  Orat.  ad  Grœcos  ^  ii"  r3.  ) 

Da'tuonibas  rejeclis,    solum    Deura    sectamini  :    Oinnia  pcr  ipsum 

fada  snnt  j    et  sine  ipso  facttim  eu  nihil.  [Ibid.  n"  19.) 

(2)  Voyez  la  l'rpfac»'  des  l'P.  Bénédictins  sor  leur  édition  de 
St.  Justin  et  de  plusieurs  antres  npoiogi^trs  du  second  siècle.  (Paît. 
3  ,   chap.  XII ,  n"  4.) 


SUR    L.V    RELIGION.  53 

contre  les  philosophes  païens.  Il  le  commence  par  un 
passage  de  la  première  épître  de  St.  Paul  aux  Corin- 
thiens (1). 

XX.  Athénagore,  qui  était  du  même  siècle,  a  publié, 
en  177,  une  apologie  de  la  religion.  Il  y  cite  de  même 
plusieurs  fois  les  paroles  du  Sauveur,  telles  que  nous 
les  voyons  dans  les  évangiles  (2). 

XXI.  A  peu  près  dans  le  même  temps  qu' Athénagore 
écrivait  son  apologie  ,  Théophile  ,  évêque  d'Antioche  , 
composait  son  ouvrage  en  trois  livres ,  adressé  à  Auto- 
lycus.  C'est  pareillement  une  défense  de  la  religion  chré- 
tienne, et  il  y  rapporte  de  même  plusieurs  passages  du 
Nouveau  Testament  (3). 


(i)  Beatnsj  apostolas  Panlas  Corinthiis,  quijaxta  Laconicam  Grse- 
ciam  habiiant  soribens,  dilecti,  sic  pronantiat,  sapientia  mundi  hu- 
jas  apad  Deum  staliiiia  est.  (  Hermias  gentilium  philosophorum  ir- 
ritio  ,  n°  i .) 

(2)  Athenagorse  legalio  pro  cfaristianis  ,  n°  xx.  Ex  ipsis  etiam 
qoibus  adhaeremus  praeceptis,  atpote  non  homanis,  sed  a  Deo  pru- 
nanciatis  et  traditis  persuadere  vobis  possuraas.  Qaaenam  snnt  igitur 
illa  plaeita  in  quibas  enutrimur  ?  «  Dico  vobis  :  dib'gite  iaimicos  ves- 
'<  tros  ,  benedi'-ite  maledicentibus ,  orate  pro  persequentibas  ,  ut 
«  siùs  filii  patris  vestri  qui  in  cœlis  est;  qui  solem  sunm  oriri  facit 
«  super  bonos  et  malos  ,  et  pluit  saper  jastos  et  injastos.  >»  (  Vid. 
Luc  y  chap.  V  ). 

Ibid.  n°  xn.  «  Si  en'ra  diligitis  ,  inquit,  eos  qui  vos  diligunt, 
-  et  matnnm  dali.  iis  qui  vobis  muluam  dant,  quam  mercedem  ha- 
«  bebitis?  »  {Vid.   ibid.) 

Ibid.  n°  xxxn.  «  Nam  qui  videt,  inquit  ,  mulierem  ad  concu- 
<  piscendam  eam  jam  mœchatus  est  eam  in  corde  sua.  »  (  Vid. 
Match. ,  cap.   v.  ) 

Ibid.  n°  XXIII.  «  Quicomqae  enim  dimiseiit  ,  inquic  ,  nxorem 
«  .'•uim  et  aliam  dnxerit  ,  mœchabitur.  »  (  Fid.  Matth,  cap.  xix  , 
Luc  y  cap.  XVI.) 

(3)  Theophilus  ad  autolycum,  lib.  11  ,  n°  i3  ,  «  Nam  quae  snnt 
"  apud  horaines  impossibilia,  possibilia  snnt  apud  Deum.  »  {Vid. 
Luc  ,  cap.  XVIII.  ) 

Ibid.,  nO  xxit.  Uxc  nos  docent  scripturae  sacrae  ,  et  quotquot  Spiri- 
tu  sancto  afflaii  fuere  :  in  bis  Joannes  ita  dicens  :  In  principio  erat 
Verbum.^  et  Ferbuin  erat  apud  Deum.  Quibus  verbis  ostendit  initio 
soluin   fuisse   Deum,  et  in  eo  Verbnm.  Tune  addit  :  «  Et  Dans  erat 


54  DISSERTATIONS 

XXII.  L'autorité  de  St.  Irénée  est  d'un  poids  immense 
dans  cette  matière,  non-seulement  parce  qu'il  est,  comme 
les  auteurs  dont  nous  venons  de  parler,  très-voisin  du 
temps  apostolique,  mais  parce  qu'il  avait  été,  dans  sa 
jeunesse,  disciple  d'un  respectable  personnage  de  ce 
temps.  Dans  une  lettre  à  Florenus ,  dont  Eusèbe  nous  a 
conservé  le  fragment  ,  St.  Irénée  rapporte  combien  il 
avait  connu  St.  Polycarpe;  il  raconte  ce  que  ce  grand 
évéque  lui  avait  dit  de  la  famiUarité  dans  laquelle  il 
avait  vécu  avec  l'apôtre  St.  Jean  et  avec  plusieurs  autres 
disciples  qui  avaient  vu  le  Seigneur ,  et  de  ce  qu'il  avait 
appris  d'eux  sur  la  personne  du  Sauveur,  sur  ses  mira- 
cles, sur  sa  doctrine.  St.  Polycarpe,  ajoute-t-il,  rappor- 
tait exactement,  d'après  eux,  tout  ce  qu'ils  lui  avaient 
appris;  et  il  était  en  tout  d'accord  avec  la  sainte  Ecri- 
ture (1).  Il  est  impossible  que  St.  Irénée  qui  tenait   les 


"  Verbain  :  omnia  per  ipsum   facta  sant  :  et   sine  ipso   factnni   est 
«'  nihil.  »  (Fid.  Joann.  cap.  i.) 

Ibid.  lib.  m,  n°  i3.  Vox  aatem  evangelica  intentias  de  castilate 
pr^cip.t  his  verbis  :  «  Quisqois  adspicit  uiorem  alienam  ad  conca- 
«  piscendam  eam  ,  jam  raœchatus  est  eam  in  corde  sno.  Et  qui  du- 
"  eu  ,  inquit,  dimissara  a  viio  ,  luœchatnr  :  et  qui  dinjitlit  uxorem  , 
•<  excepta  fornicationis  causa ,  facit  eam  mœchari.  »  (  rid  Mattk 
cap.  V.  ) 

Ibid.  n"  14.  Evangeliura  antera ,  «  diligite,  inqnit,  iniraicos  ves- 
«  tros,  et  precamini  p,o  his  qui  laedunt  vos.  Nam  si  dilexeritis 
«  eos  qu.  d.bgnnt  vos,  qaaiem  mercedem  habebilis.?  hoc  et  laîrones 
«  et  publicani  faciunt.  ..  Qui  autem  benefaciunt,  eos  non  gloriari 
docet;  ne  s.udiosi  sint  hominibas  placere.  «  Nesciat  enira,  inquit 
■■   manus  tua   sinistra    qnid  faciat    manus   tua  dextra.   »   Illud 


etiara 
ac 


.  .  T  ".«..lis.     Kua     uciCia.     »     lllUCl      < 

jubet  scriptura  sancta  ,  ut  magislraiibns  et  potestatibus  subjiciamu,  ... 
pro  e>s  precemn,  :  «  ut  quietao,  et  tranquillam  vitani  agamus.  ' Ac 
•<  omnibus  omnia  redclere  docet  :  cm  honorein,  houoiera-  cai  ti- 
«  '"orein,  timorera  ;  oui  tributum,  tributura  :  nec  quidqùara  ulli 
"  debere  nisi  ut  diligamus  omnes.  »  {Vid.  Matth.  cap.  ^  et  vi  - 
I.    Ttmoth.   cap.  ir;  Rom.  cap.  xiri.  )  ' 

(i)  Porro  ia  ea  ad  florinum  epistola ,  de  qaa  jam  prius  dixi,  idem 
Irenaens  secnm  Polycarpo  familia.iier  esse  versatum  prodit  his  ver- 
bis...  Et  locura  ipsum  passim  dicere  in  quo  beatissiraus  Polvcarpus 
^edens  disserebat  processusque  ejus  et  ingressus,  vitéeque  tot'ius  for- 
mam  et  speciem,  sermones  denique  qnos  ad  popalum  habebat     et 


SUR    LA    RELIGION.  55 

évangiles,  non  pas  précisément  de  la  premi  re  main, 
mais  de  la  seconde  ;  qui  avait  continuellement  entendu 
parler  à  son  maître  des  évangiles;  qui  admirait  le  rapport 
entre  les  instructions  de  son  maître  et  les  évangiles,  ne 
sût  pas  positivement  de  qui  étaient  les  évangiles.  Or  ,  il 
s'exprime,  sur  l'authenticité  de  ces  saints  livres,  de  la 
manière  la  plus  positive  ;  il  semble  qu'il  ait  prévu  qu'un 
jour  elle  serait  contestée. 

LNous  ne  connaissons ,  dit-il ,  ce  qui  nous  dispose  au 
salut  ,  que  par  ceux  de  qui  l'Evangile  est  venu  jusqu'à 
nous,  qui  d'abord  l'ont  prêché;  qui  ensuite,  par  la 
volonté  de  Dieu  nous  l'ont  transmis  par  écrit ,  pour  être 
le  fondement  et  la  colonne  de  notre  foi.  Ainsi  Matthieu, 
parmi  les  Hébreux,  a  écrit  dans  leur  langue  l'Evangile 
que  Pierre  et  Paul  sont  allés  publier  en  fondant  les  églises. 
Après  leur  départ,  îMarc,  disciple  et  interprète  de  Pierre,, 
nous  a  fait  passer  par  écrit  ce  qui  avait  été  annoncé  par 
Pierre.  Luc,  suivant  de  Paul ,  a  enseigné  dans  un  livre 
l'Evangile  qu'il  prêchait;  et  après  cela,  Jean,  disciple  du 
Seigneur  ,  qui  a  été  appuyé  sur  son  sein  ,  a  aussi  publir 
un  évangile,  lorsqu'il  demeurait  à  Eplièse  (1).  St.Irt^^nee 


familiarem  consuelndiiiem  qnse  illi  -curu  Joanne ,  at  uarrabat ,  et 
enm  reliqni^  qui  Dominum  ipsam  vidissent  intercesserat  ;  et  qualiter 
dicta  illorura  oommemorabar  ;  et  quaecaraqae  de  Domino  ab  ipsis 
audierat.  De  miracn'is  qaoque  illius,  ac  de  doctiina  ,  proot  ab  iis 
qui  Verbuiu  vi'.ae  ipsi  conspexerant  Polycarpus  acceperat ,  eodein 
modo  proibus  referebat,  in  omnibus  cum  scriptura  sacra  consentieris. 
^  Eiiseb.  Hist.  Eccl.  ,   lib.  v  ,  cap.  20.  ) 

(i)  Non  enim  per  alios  dispositionera  snlnlis  nostrae  cognovimus, 
qaam  per  eos  per  qaos  evangelium  pervenit  ad  nos;  (juod  quidem 
lanc  praeconaverant ,  postea  vero  per  Dei  volaotatem  in  scriptuiis 
iiobis  Iradiderunt,  fandamentum  et  co'.nranam  fidei  nostrae  fata- 
rum...  Ita  Matthaeus  in  Hebraeis  ipsorum  lingua  scriptnram  edidit 
evangelii,  cum  Pelrus  et  Paulus  evangelizarenl  et  fnndarent  ecclesiam. 
Post  %ero  horum  excessum ,  Marcus  discipulus  et  interpres  Pétri, 
et  ipse  quae  a  Petro  annuntiafa  erant  per  scripta  nobis  tradidit.  Et 
Lucas  autem  sectator  Panli,  qnod  ab  i!lo  praedicabalur  evangelium 
in  libro  rondidit.  Postea  et  Joannes  discipulus  Domini,  qui  et  supra 
pectus  ejus  recambebat,  et  ipse  edidit  evangelium,  Ephesi  Asiae 
commorans.  ^ S.  Irenœus  contra  hceres.  .  lib.  v.i  ,  cap.  i.) 


50  DISSERTATION^ 

dit  plus  bai  qu'il  n'y  a  ni  plus  ni  moins  de  quatre  évan- 
jjiles,  et  il  en  donne  une  raison  mystique  tirée  des  quatre 
régions  du  monde,  dans  lesquelles  l'Ej^lise  est  dissénji— 
néefl).  Il  eomhat  les  diverses  hérésies  par  l'aveu  qu'elles 
font  de  l'autorité  des  évanjjiles,  laquelle  est,  dit-il, 
tollemeiit  assurée,  que  les  hérétiques  mènie  lui  rendent 
témoignage  et  s'ellbrcent  d'en  faire  le  fondement  de  leur 
doctrine.  Les  ébionistes  usent  du  seul  évangile  de  saint 
Matthieu.  Marcion  reconnaît  celui  de  St.  Luc  ,  qu'il 
tronque  et  altère  à  sa  manière.  Ceux  qui  séparent  Jésus 
du  Christ,  disant  que  c'est  Jésus  qui  a  souft'ert  et  que  le 
Christ  est  impassible  ,  préfèrent  l'évangile  de  St.  Mare. 
Les  valentiniens  se  servent  de  celui  de  St.  Jean.  Puis 
donc,  conclut-il,  que  ceux  qui  nous  contredisent  rendent 
témoignage  à  ces  livres  et  en  font  usage,  c'est  avec  vérité 
et  avec  force  que  nous  les  produisons  (2).  Tout  raison- 
nement que  l'on  pourrait  faire,  d'après  ces  passages, 
serait  inuiile,  tant  ils  sont  clairs  et  démonstratifs.  Pour 


(i)  Nec  autem  plnra  numéro  quam  haec  sont,  neque  rutsus  pau- 
ciora  caj.it  esse  evangelia  :  Quoniain  enira  quatuor  regiones  niundi 
snnt  inqaosnmus,  et  quatuor  principales  spiritns,  et  disseminata  est 
ecclesia  super  onineru  terram  ,  coinrana  autem  et  firmamentura  ec- 
clesiae  est  evangelinm,  etspiiitus  \itae;  consequensest  quatuor  habere 
eam  colamnas  undiqne  fiantes  incorrnptibililatem ,  et  vivifîcanles 
honiiaes.  {Ibid.,  cap.  xi,  «"  8.  ) 

(2)  Tanta  est  circa  baec  evangelia  flrmitas ,  ut  et  ipsi  baeretici  tes- 
timoniam  reddant  eis,  et  ex  ipsis  egiediens  unusqoisque  eorum  co- 
netar  saam  confirmare  doctrinam.  Ebionei  etenim  ex  evangelio  quod 
est  secundom  Mattbaeum  solo  utentes,  ex  illo  ipso  convincuntar , 
non  recte  presumentes  de  Domino,  Marcion  antem  id  quod  est  secon- 
dum  Lucam  circumcidens ,  ex  lji'>  qiia;  adhnc  servantur  pênes  eam , 
blasphemus  in  eam  solum  cxislciitem  Deum  ostenditur.  Qui  antem 
Jesum  séparant  a  Christo,  et  intpassibilera  persévérasse  Christam, 
passura  vere  Jesam  dicunt,  id  quod  secnndum  Marcum  est  praeferen- 
tes  evangelium  ,  cum  amore  verilatis  legentes  illud ,  coiripi  possunt. 
Hi  autem  qui  a  Yalenlino  sont,  eo  quod  est  secnndum  Joannem  ple- 
nissime  ulenles  ad  ostensionem  conjugationnm  snarum,  ex  ipso  de- 
tegnntur  nil  recte  dicentes...  Cum  ergo  hi  qui  contradicant  nobis 
testimoniura  perhibeant ,  et  utantur  bis,  fîrma  et  vera  est  nostra  de 
illis  ostensio.  {^Ibid.  ,  n"  7.) 


•   SDR    LA    RELIGION.  57 

y  répondre ,  il  faudrait  soutenir  que  St.  Iréuëe  ou  a  été 
induit  en  erreur,  ou  a  voulu  y  induire.  Il  est  difficile 
de  décider  laquelle  des  deux  assertions  serait  la  plus 
absurde.  Je  ne  crains  pas  de  l'avancer  :  n'eussions-nous 
que  le  seul  témoignage  de  St.  Irénée,  l'authenticité  de 
nos  évangiles  serait  complètement  démontrée. 

XXIII.  Tertullien  écrivait,  à  la  fin  du  second  siècle, 
contre  Marcion.  Cet  hérésiarque,  ainsi  que  nous  venons 
de  le  voir,  rejetant  l'autorité  des  autres  Evangiles,  ne 
reconnaissait  comme  véridique  que  celui  de  St.  Luc , 
auquel  encore  il  avait  fait  des  changements.  Il  ne  s'agit 
pas  ici  de  ces  altérations  ;  nous  verrons  dans  le  chapitre 
suivant  ce  qu'en  dit  Tertulhen.  Pour  établir  l'autorité 
des  trois  autres  évangélistes ,  il  commence  par  poser  en 
thèse ,  que  l'Evangile  a  eu  pour  auteurs  les  apôtres ,  et 
avec  eux  les  hommes  apostoliques  qui  les  avaient  eus 
pour  maîtres  ;  et  que  notre  foi  est  fondée ,  parmi  les 
apôtres,  sur  Jean  et  Matthieu;  parmi  les  hommes  apos- 
toliques, sur  Luc  et  sur  3Iarc  (1).  Il  prouve  ensuite  cette 
vérité  par  deux  raisons  ;  par  l'ancienneté  et  par  l'univer- 
salité :  parce  que  ces  évangiles  existent  dans  les  églises 
apostoliques  ,  depuis  leur  fondation  par  les  apôtres ,  et 
parce  qu'ils  sont  reconnus  par  la  totalité  de  ces  églises , 
et  aussi  par  toutes  les  autres.  Il  conclut^  en  demandant 
à  Marcion  pourquoi,  rejetant  les  autres  évangiles,  il 
n'admet  que  celui  de  St.  Luc,  puisqu'ils  sont  tous  égale- 
ment reçus  dans  l'universalité  des  églises ,  et  depuis  le 
commencement  (2). 


(i)  ConstitTiimas  in  primis  evangelicam  instrnraentum  apostclos 
autores  liabere,  quibus  hoc  raunus  evangelii  promulgandi  ab  ipso 
Domino  sit  impositam  ,  sic  apostolicos  vires,  non  taraen  solos ,  sed 
cam  apostolis  et  post  apostolos  :  QnoDÏam  praedicatio  discipalorum 
suspecta  fieri  posset  de  gloriae  studio  ,  si  non  adsistat  il!i  antoritas 
magistrorura ,  immo  Chriti  qui  magi3^^os  apostolos  fecit.  Deniqce 
nobis  fidem ,  ex  apostolis  Joannes  et  Matthaeas  insinuant,  ex  apos- 
tolicis  Lacas  et  Marcus  instaurant.  [Tertull.  contra  Marc.  ^  lib.  iv, 
cap.  1.  ) 

(a)  Si  constat  id  verias  quod  prias ,   id  prias  qaod  ab  initio ,  id 

3^ 


58  DISSERTATIONS 

J'observe,  sur  ces  passages  de  Tertullien,  qu'il  se  sert, 
pour  prouver  l'authenticité  du  Nouveau  Testament ,  de 
la  Hièiue  preuve  que  nous  employons,  de  la  tradition  de 
toutes  les  églises  depuis  le  temps  des  apôtres.  Je  viens 
d'établir  cette  tradition  par  l'autorité  de  tous  les  pères 
apostoliques  et  de  leurs  successeurs  immédiats.  Mais 
j'aurai  occasion  incessamment  de  revenir  sur  le  raisonne- 
ment très- fort  que  fait  ici  Tertullien. 

XXiy.  Que  St.  Clément  d'Alexandrie,  contemporain 
de  Tertullien,  ayant  été  mis  à  la  tète  de  l'école  d'Alexan- 
drie en  l'an  189,  ait  connu  et  cité,  comme  étant  des  auteurs 
auxquels  nous  les  attribuons,  les  livres  du  Nouveau  Tes- 
tament, c'est  ce  que  démontrent  une  infinité  de  passages 


ab  initio  quod  ab  apostolis  ,  pariter  ntique  constabit  id  ab  apostolis 
tradilum,  quod  apad  ecclesias  apostolorura  fuerit  sacroaiictain.  Vi- 
deamus  quod  lac  a  Paulo  Corinthii  bauserint  ;  ad  qu;im  regulam  Ca- 
latae     sint    correcti  ;    quid    legant    Philippenses,    Thessalunicenses, 
Ephesii,  quid  etiam  Romani  de  proxirao  sonent,  quibus  e  angelium 
Pelius   et.   Paulus   sangaine  quoque   suo  signaiam  rebqaeraiit.   Ha- 
beinus    et   Joannis   alumnas   ecclesias.    Nam   etsi    Apocalypsim   ejas 
Marcion  respoit ,  ordo    tamen  episcoporam  ad  originem  recensas  in 
Joannem  stabit  autorem  ;  sic  et  cae'erorum  gerierositas  recognoscitur. 
Dico  antem  apud  illos  ,   nec  solas  jam  apostolicas,  sed  apad  univer- 
sas  quae  illis  de   societate  sacramenti  confederantur ,.  id  evangelium 
Lucae  ab  initio  editionis  suae  stare.  Quod  cura  maxime   tueraur  Mar- 
cionis  vero  plerisque   nec    notuni ,    nnllis   autem   notuio,    et  non  eo 
daninatum...  Eadem  auctoritas  ecclesiaram  apostolicaruni  caeterii  quo- 
que  pairocinatnr  evangeliis,    quae   proinde   per   illas,    et  secunclum 
illas  habemus,  Joannis  dico  et  Matlbapi;  Ucet  et  Marcus  quod  edidit , 
Pétri  adfiimetur,    cujus   inlerpres  IMarcus.   Nam  et   Lucae    digeatuiu 
Paulo  adscribere  soient ,   capnt  magistrorum  videri  ,    quae   discipuli 
proniulgaverint.   Itaque  et  de  bis  Marcion  flagitandns ,  quid ,  omissis 
eis,  Lucae  potins  institerit:  Quasi  non  baec  apud  ecclesias  a  nrimor- 
dio  fuerint ,  quemadmoduru  et  Lucae.  At  quin  baec  magis  a  priraordio 
fuisse  credibde  est  nt  priora  quae  apostolica ,   ut   cum  ipsis  tcclesiis 
dedicata.    Caeterum    quale   est,   si   nibil   apostoli  edideiant,  ut  disci- 
puli potius  ediderint ,  qui  nec  discipuli  existere  potuissent,  sine  ulla 
doctrina  magistrorum.  Igitur  dum  constat  baec  quoque  apud  ecclesias 
fuisse,    cum    non    baec    quoque    Marcion   attigit,   tut  emendanda    si 
adultérât?,  ant  agnoscenda  si  intégra.  (  Ibid.  ,  cap.  v.) 


SUR    LA    RELIGION.  59 

<[e  ce  Père.  Contentons-nous  d'en  rapporter  quelques-uns 
relatifs  à  plusieurs  de  nos  saints  livres  (1). 

Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  que  le  second  siècle  cette 
suite  de  témoignages  qui  attestent  l'authenticité  du  Nou- 
veau Testament,  parce  que  nos  adversaires  eux-mêmes 
conviennent  qu'à  cette  époque  toute  l'Eglise  en  était 
convaincue.  Je  m'arrête  seulement  à  considérer  la  consé- 
quence évidente  qui  en  résulte. 

XXV.  Tout  ouvrage  est  nécessairement  antérieur  aux 
ouvrages  dans  lesquels  il  est  cité.  Donc  les  livres  du 
Nouveau  Testament  ont  été  écrits  avant  ceux  des  élèves 
des  apôtres;  donc  ils  sont  du  temps  des  apôtres  eux- 
mêmes. 

Nul  ne  peut  mieux  savoir  si  un  ouvrage  est  de  l'auteur 
à  qui  on  l'attribue,  d'abord,  que  ceux  qui  ont  vécu  avec 
lui,  surtout  s'ils  ont  été  ses  disciples  :  ensuite,  que  ceux 


(r)  Quod  autein  v^rum  sit,  sic  scriptnm  est  in  evangelio  seciin- 
dum  Lucam  :  «  Anno  aatem  quindecim  Tiberii  Cœsaiis  faclum  est 
«  verbum  Domini  saper  Joannera  Zacharise  filiom.  »  (  S.  Clemens 
Alex.  Strom.  ,  Ub.   i.  ) 

In  evangelio  auteni  secundum  Mathaenm ,  quae  ab  Abraham  dedn- 
citnr  genealogia  usque  ad  Mariam  matrem  Domini  terminantni . 
[  Ibid.  ) 

"  QqI  dicit  novi  Dominam ,  et  joandata  ejus  non  servat,  inendax 
"   est,  et  in  eo  veritas  non  est.   »   (  Ihid.  Ub.  m.  ) 

Et  b'cet  hic  in  terris  non  fuerit  prima  sede  honoralus ,  sedebit  in 
qa.ituor  et  viginti  thronis  populnra  judicans,  at  dicit  Joannes  in 
Apocalypsi.    (  Ihid.  lib.  v.  ) 

Nam  Paulus  quoque  in  epistolis  non  videtur  reprehendere  philo- 
sophiaia,  sed  eum  qni  ad  gnosticum  fasîigium  pervenit  non  vnlt  am- 
plius  recurrere  ad  graecam  pbilosophiam  ;  eam  allegorice  vocans 
mundi  elementa  ^  ut  qnae  elementa  quodam  modo  doceat ,  et  sic  ve- 
loti  disciplina  praecedens  veriîatem.  Qnocirca  ad  Hebraeos  quoque 
sciibeiis,  qni  a  fîde  ad  legem  leflectcbantur.  «  An  ruisns,  inqnit  , 
«  opus  habetis  nt  vus  doceara  qaaenam  sint  elementa  initii  eloqnio- 
«  ruin  Dei  ,  et  opns  cœp/t  esse  vobis  lacté  et  nun  solido  cibo.  «  Si- 
militer  autem  ad  Colossenses  (jui  convertuntnr  ex  graecis  :  >■  Videte 
«  ne  quis  vos  depraedetar  per  phiîosophiam  ,  et  inanem  deceptionetn, 
'<  secundum  tradilionem  hominam ,  secundam  elementa  hujnsraodi , 
«    et  non  secandum  Chrlstnra.    »   {Ibid.,  lib.  vi.) 


60  DISSERTATIONS 

qui  ont  vécu  avec  ses  disciples ,  et  qui  ont  été  instruits 
par  eux  ;  enfin,  que  ceux  qui  ont  connu  les  élèves  de  ses 
disciples,  qui  ont  eu  avec  eux  de  grandes  relations,  et 
qui  ont  reçu  d'eux  leur  doctrine.  Plus  le  témoignage  est 
voisin  du  fait,  plus  il  a  de  force.  Plus  les  témoignages 
voisins  du  fait  sont  nombreux ,  plus  ils  se  fortifient  réci- 
proquement. Chacune  des  autorités  que  nous  venons  de 
rapporter  ,  isolée,  donnerait  une  raison  suffisante  de 
croire  l'aullienticilé  du  Nouveau  Testament  ;  réunies, 
elles  forment  une  démonstration  irrésistible. 

Si  l'on  veut  ,  après  de  si  nombreux  et  de  si  graves 
témoignages,  s'opiniâtrer  à  soutenir  que  nos  livres  saints 
ont  été  supposés  ,  il  faut  nécessairement  prétendre  aussi 
que  les  écrits  de  St.  Clément,  de  St.  Ignace,  de  St.  Poly- 
carpC;  qui  ont  suivi  immédiatement  les  apôtres,  et  qui 
les  citent ,  ont  été  pareillement  fabriqués  après  coup.  Les 
pères  qui  ont  remplacé  ceux-là,  St.  Justin,  Athénagore , 
Théophile,  etc.,  citent  aussi  les  évangiles.  Dira-t-on 
aussi  que  les  ouvrages  de  ceux-là  sont  apocryphes  ?  Des- 
cendons une  génération.  St.  Irénée,  TertuUien,  St.  Clé- 
ment d'Alexandrie  se  présentent;  et  il  faut  soutenir  encore 
que  les  écrits  qu'on  leur  attribue  ne  sont  pas  d'eux.  Dans 
toute  la  suite  du  christianisme  ,  les  auteurs  ecclésiasti- 
ques se  tiennent  les  uns  aux  autres;  ils  rapportent  des 
passages  des  livres  saints ,  et  des  auteurs  qui  les  ont  pré- 
cédés. Par  là,  ils  sont  des  garants  de  l'authenticité  et  de 
l'Ecriture  sainte  et  des  ouvrages  de  leurs  prédécesseurs. 
Ils  forment  une  chaîne  de  témoignages  qui  remonte 
jusqu'aux  apôtres ,  et  qui  descend  jusqu'à  nous.  Si  le 
Nouveau  Testament  est  supposé,  tout  ce  qui  existe  d'ou- 
vrages chrétiens,  depuis  l'origine  de  la  religion,  est 
apocryphe. 

XXVI.  Origènes,  qui  suit  immédiatement  les  Pères 
que  je  viens  de  citer,  ayant  été  disciple  de  St.  Clément  et 
sonsuccesseur  dans  l'école  d'Alexandrie,  avait  donc  raison 
de  dire  :  ««  C'est  ainsi  que  je  l'ai  reçu  par  tradition ,  au 
«    sujet  des  quatre  évangiles  ,  qui  seuls  sont  admis  sans 


SUR    LA    RELIGION'.  61 

contradiction  dans  toute  l'Eglise  de  Dieu,  qui  est  sous 
"  le  ciel  (1).  »  Cette  tradition  générale  est  la  même  chose 
que  la  pei*pétuité  et  l'universalité,  que  nous  venons  de 
voir  Tertullien  réclamer  en  faveur  des  livres  saints.  C'est 
le  même  raisonnement  que  font  ces  deux  Pères,  qu'a  fait 
aussi  St.  Augustin  '^2),  et  que  nous  répétons  avec  conâance 
d'après  ces  grands  défenseurs  de  la  foi.  Comment  tant 
d'églises  qui  existaient  de  leur  temps ,  qui  étaient  répan- 
dues dans  tant  de    pays  éloignés  les  uns  des  autres,  et 
différents  entre  eux  de  mœurs,  de  gouvernement,  de 
langage ,  auraient-elles  pu  s'accorder  à  reconnaître  les 
quatre  évangiles  que  nous  possédons  aujourd'hui  comme 
les  seuls  véritables  évangiles  venus  des  apôtres ,  si  elles 
n'avaient  pas  eu  un  motif  général  et  commun  à  toutes? 
Ce  motif  nous  est  expliqué  par  Origènes.  Chaque  fidèle 
de  tous  les  pays  pouvait  dire  comme  lui  :  »  C'est  ainsi  que 
je  l'ai  reçu  par  tradition.  »  Cette  tradition  existait  dans 
toutes  les  églises,  parce  que  toutes  avaient  été  fondées 
par  les  apôtres  ou  par  leurs  successeurs.  A  mesure  qu'ils 
fondaient  une  église  ^  ils  lui  remettaient  le  livrc  des  saints 
évangiles  et  y   établissaient  des  pasteurs  ,  ainsi  que  le 
rapporte  Eusèbe  (3;.    Ces   pasteurs  ou  évéques  étaient 
spécialement  chargés  du  dépôt.    C'est  le   précepte  que 
donne  St.  Paul  au  disciple  qu'il  avait  établi   évéque  à 
Ephèse  (4).  Or,  le  dépôt  n'était  autre  chose  que  la^saine 
doctrine  et  les  livres  sacrés  dans  lesquels  elle  est  consi- 


(i)  Sicnt  ex  traditione  accepi  de  quatuor  evangeliis,  quae  soia  in 
universa  Dei  ecclesia,  quae  sub  cœlo  Cbt,  citra  conroveisiam  admit- 
tuntur.  Primam  scilicet  evangelium  scripium  est  a  Matîhœo  ,  etc. 
{Origen.  in  Malt.,  lib.  i.  Apiid  Eusebium  hist.  ceci.,  lib.  vi , 
cap.    25.) 

(2)  Breviter  vos  admoneo ,  qui  illo  tam  nefando  el  iusanabili  eiro 
re  teneraiiii,  ut  si  aotoriiatem  se^-^ui  vultis ,  eam  sequaraini,  quae  ab 
ipsius  praesentiae  Christi  temporibus  per  dispensationes  apostolornm , 
et  certas  ab  eoium  sedibos  buccessiones  episcoporum,  usque  ad  haec 
terupora  toto  orbe  terraruin  castodita,  cunimendata ,  clarificata  per- 
venit.   (5.    Augiist.    contra  Faustum ,   lib.    xxxxn ,    cap.    9.) 

(3)  Voyez  ci  dessus,  n"  ix  ,   page  9. 

(4)  O  Timothee  ,  depositniu  custodi.  (i.  Timoth.  vr.  20.) 


62  DISSERTATIONfi 

ynée.  Lesévèques  rendus  dt'positaires,  devaient  le  gardci 
avec  soin ,  et  le  remettre  pur  et  entier  à  leurs  successeurs. 
C'était  là  le  principal  canal  de  la  tradition.  Outre  celui- 
là,  elle  découlait  encore  des  pères  aux  enlV  nts ,  et  des 
maîtres  aux  disciples.   Lne  tradition  de  ce  genre,  bien 
établie  dans  une  seule  église,  serait  déjà  une  preuve  très- 
forte  en  faveur  de  l'authenticité,  qu'elle  attesterait.  jMais 
quand  on  la  voit  générale  dans  toutes  les  églises,  elle 
forme  une  démonstration  à  laquelle  il  est  impossible  de 
se  refuser.  Ln  clfet  absolument  universel  doit  avoir  une 
cause  commune.  Or,  (jue  l'on  nous  en  indique  une  autre, 
que  l'origine  apostolique  de  toutes  les  églises.  Je  conçois 
cet  accord  ,  quand  je  considère  que  chaque  éghse  a  reç  u 
ces  livres  saints  de  son  fondateur.  Mais  comment  une 
telle  unanimité  aurait-elle   pu  s'établir   après   que  ces 
églises  auraient  été  fondées?  quel  homme  aurait  eu  un 
pouvoir  assez  fort  pour  faire  recevoir  à  quelques  églises 
nos  évangiles,  comme  les  seuls  venant  des  apôtres;  un 
pouvoir  assez  étendu  pour  les  faire  recevoir  à  toutes  sans 
exception  ;  un  pouvoir  as  ez  absolu  pour'les  faire  recevoir 
ainsi  sans  réclamation?   La  tradition  que  les   évangiles 
sont  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms,  remonte  donc 
jusqu'à  ces  auteurs  eux-mêmes,  et  elle  forme  une  nou- 
velle preuve  certaine  de  rapostolicité  de  ces  hvres. 

Pour  sentir  combien  cette  démonstration ,  tirée  de  la 
tradition  antique  et  universelle,  avait  de  force  dans  la 
bouche  de  Tertulhenetd'Origènes,  considérons  combien 
peu  de  générations  il  avait  fallu  pour  la  transmettre  jus- 
qu'à eux.  L'évangile  de  St.  .Matthieu  a  été  écrit  vers  l'an 
40deuotre  ère;  celui  de  St.  Marc,  quatre  ou  cinq  ans 
après;  celui  de  St.  Luc,  vers  l'an  52.  Quant  à  celui  de 
St.  Jean,  il  n'a  été  composé  que  dans  les  dernières  années 
de  cet  apôtre,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du  premier  siècle. 
Tertullien  a  écrit  à  la  fin  du  second  siècle.  Mais  il  faut 
considérer,  d'une  part,  que  les  trois  premiers  évangélistes, 
les  autres  disciples  du  Sauveur,  les  fidèles  à  qui  ils  avaient 
remis  leurs  évangiles,  ont  survécu  de  beaucoup  à  l'époque 
de  la  conqîosition  des   évangiles.    Spécialement  ,  nous 


SDR    LA    RELIGION.  63 

apprenons  de  St.  Jérôme ,  que  St.  Luc  a  poussé  sa  carrière 
jusqu'à  l'âge  de  84  ans  (1).  Il  faut  considérer  d'autre  part, 
que  Tertullietî  était  né  longtemps  avant  d'écrire  ses 
ouvrage? .  Il  y  a  donc  entre  la  mort  des  témoins  person- 
nels de  Tauthenticité  des  évangiles,  et  la  naissance  de  ce 
docteur,  un  intervalle  assez  court.  Une  ou  tout  au  plus 
deux  générations  ont  pu  facilement  le  remplir.  Quel  est 
l'homme  qui  n'a  pas  vécu  dans  sa  jeunesse  avec  des 
personnes  de  qui  il  a  pu  apprendre  ce  qui  s'était  passé 
cinquante  ou  même  soixante  ans  auparavant,  et  qui, 
s'il  parvient  à  un  âge  avancé  ,  ne  peut  pas  le  redire  ,  au 
bout  du  même  temps,  à  des  jeunes  gens?  Dans  le  fait, 
nous  avons  vu  St.  Irénée,  mort  l'an  202,  c'est-à-dire 
l'année  même  où  Origènes  fut  chargé  de  l'école  d'Alexan- 
drie, tenir  les  évangiles  de  la  seconde  main,  et  n'y  avoir 
entre  lui  et  l'apôtre  St.  Jean  d'autre  intermédiaire  que 
St.  Polycarpe.  Et  ce  saint  docteur  parle  d'autres  anciens 
qui  avaient  vu  non-seulement  St.  Jean,  mais  les  autres 
apôtres  ;  qui  avaient  appris  d'eux  les  mêmes  vérités  ,  et 
qui  les  attestaient  d'après  leur  relation  (2).  C'était  un 
point  tellement  important  dans  la  religion  ,  de  savoir  de 
qui  étaient  les  livres  fondamentaux  de  la  foi,  qui  conte- 
naient les  faits,  les  dogmes,  les  préceptes  du  christia- 
nisme, que  les  vieux  maîtres  ne  manquaient  pas  de 
l'apprendre  à  leurs  jeunes  élèves.  Lorsque  Tertullien, 
et ,  très-peu  de  temps  après  lui ,  Origènes ,  disaient  que 
les  livres  saints  étaient  universellement  répandus  sous 
les  noms  de  leurs  auteurs  ^  c'était  un  fait  qu'ils  avaient 
sous  les  yeux  ,  et  sur  lequel  il  leur  était  impossible  de  se 


(i)  Vixit  octoginta  et  qaatuor  annis ,  uxoiem  non  habens. 
[S.    Uieron.  de    Script,    eccles.    in    Lucam.  ) 

(2)  Sicut  evangelium  et  oranea  seniores  lestaniur,  qui  in  Asia 
apad  Joannein  discipalam  Doruini  convenerunt  ,  id  ipsum  tradidisse 
eis  Joannem.  Pcrruansit  autem  cura  eis  asqne  ad  Trajani  tempora. 
Qaidam  antem  eorum  non  solam  Joannem,  sed  et  alios  apostolos 
viderunt  ,  et  hsec  eadem  ab  ipsis  audierunt ,  et  testanlur  de  hnjus- 
modi  relalione.   {S.  Irenœus  contra  hœres.^  lib,  ir,  cap.  22,  n"  5.) 


64  DISSERTATIONS 

tromper.  Lorsqu'ils  assuraient  l'origiue  apostolique  de 
ces  livres,  d'après  la  tradition,  c'était  un  autre  fait  dont 
ils  étaient  é[jalenicnt  assurés,  puis(ju'entre  cette  origine 
et  eux  il  y  avait  un  si  petit  nombre  de  générations. 

XXVII.  J'ai  déjà  observé  qu'il  est  très  -  diflicile  de 
supposer  un  livre  quelconque,  sans  donner  à  la  critique, 
qui  est  si  attentive  et  si  éclairée ,  quelque  moyen  de 
découvrir  la  fraude.  Mais  la  difficulté  est  dans  une 
énorme  proportion  plus  grande ,  de  supposer  un  livre 
auquel  une  société  entière  prend  un  vif  intérêt ,  qui  fait 
son  titre  constitutif,  qui  renferme  le  code  de  ses  lois,  qui 
est  la  base  de  sa  religion.  Les  Romains  ne  prenaient  pas 
plus  d'intérêt  aux  actions  de  leurs  ancêtres ,  que  les  Chré- 
tiens aux  faits  évangéliques.  Aurait-on  pu  persuader  aux 
Romains  que  les  histoires  de  Tite-Live  et  de  Tacite  étaient 
de  ces  auteurs,  si  cela  eût  été  faux  ?  Les  chrétiens  avaient 
pour  les  premiers  fondateurs  de  leur  religion  un  respect 
profond;  auraient- ils  souffert  qu'on  leur  attribuât  des 
écrits  qu'ils  n'auraient  pas  faits?  Plus  ils  avaient  de  véné- 
ration ,  de  déférence ,  de  soumission  pour  leur  autoritt- , 
plus  certainement  ils  examinaient  avec  attention  si  ce 
qui  venait  de  leur  part  en  venait  ctïectivement. 

XXVIII.  La  difficulté  déjà  si  importante  de  tromper 
toute  une  société  sur  un  point  où  il  lui  est  si  essentiel  de 
ne  pas  l'être ,  devient  plus  grande  encore  ,  si  cette  société 
est  répandue  dans  beaucoup  de  pays  séparés  par  de  grandes 
distances.  Ce  n'est  plus  alors  une  seule  société ,  c'est  une 
multitude  de  sociétés  qu'il  faut  abuser.  Les  apôtres  avaient 
étendu  leur  prédication  dans  l'Italie,  dans  l'Egypte,  dans 
la  Grèce ,  dans  l'Asie-Mineure  ,  dans  bien  d'autres  pays 
encore-  Dans  chaque  région  ils  avaient  fondé  plusieurs 
églises.  Comment  imaginer  qu'on  ait  pu  persuader  à  tant 
d'églises  ainsi  dispersées,  que  des  ouvrages  dont  elles 
n'auraient  jamais  entendu  parler  étaient  de  leurs  pre- 
miers fondateurs  ?  Comment  faire  adopter  à  tous  ces 
hommes  en  même  temps,  sans  réclamation  d'aucun 
d'eux  ,  une  imposture  qu'ils  avaient  tant  d'intérêt  et  tant 
de  facilité  à  dévoiler? 


SUR    LV    RELIGION.  G5 

XXIX.  La  supposition  de  nos  livres  saints  .'evient  en- 
core bien  autrement  incroyable ,  quand  on  pense  qu'il 
aurait  fallu  les  faire  recevoir  à  plusieurs  sociétés  opposées 
entre  elles;  et  nous  avons  vu  St.  Irénée  faire  ce  raisonne- 
ment (1).  Dès  les  premiers  siècles  du  christianisme,  il  s'est 
formé  dans  son  sein  des  hérésies  animées  d'une  haine  fu- 
rieuse contre  l'Eglise  ,  qui  de  son  côté  les  condamnait  sé- 
vèrement. De  ces  sectaires  des  deux  premiers  siècles,  quel- 
ques-uns reconnaissaient  l'autorité  de  tous  les  livres  du 
Nouveau  Testament;  il  yen  avait  qui  ne  reconnaissaient 
que  l'un  des  évangiles  ,  et  qui  rejetaient  les  autres  ;  on 
en  voit  qui  altéraient  les  textes  des  évangiles  qu'ils  ad- 
mettaient pour  les  adapter  à  leurs  erreurs.  Mais  c'était 
l'autorité  de  quelques  livres  saints  qui  était  contestée ,  ce 
n'était  pas  leur  authenticité  :  on  combattait  la  vérité  du 
récit  ;  on  n'en  niait  pas  la  réalité.  La  question  entre  l'Eglise 
catholique  et  ses  sectes  était  de  savoir  non  si  les  hommes 
apostoliques  avaient  écrit ,  mais  s'ils  avaient  bien  écrit. 
Arrêtons-nous  un  moment  à  prouver  cette  vérité ,  qui 
donne  un  grand  poids  à  nos  preuves. 

Quand  St.  Irénée  rapporte  ce  que  disent  divers  héréti- 
ques sur  les  évangiles  ,  c'est ,  comme  nous  l'avons  vu  , 
pour  les  combattre  par  1  autorité  même  des  évangiles 
qu'ils  admettent.  Quand  Tertullien  poursuit  Marcion  de 
ses  raisonnements  victorieux,  son  objet  est  de  prouver  que 
les  trois  évangiles  auxquels  Marcion  refuse  de  se  sou- 
mettre ,  étant  aussi  anciennement  connus ,  aussi  géné- 
ralement répandus  que  celui  de  St.  Luc  ,  on  doit  y  ajouter 
une  égale  foi.  Il  ne  cherche  pas  à  prouver  cette  antiquité  , 
cette  universalité  ;  ce  qui  aurait  été  nécessaire,  s'il  avait 
eu  à  établir  Tauthenticité  du  Nouveau  Testament.  Il  les 
suppose  comme  des  faits  que  Marcion  ne  nie  point  ;  il  en 
argumente ,  et  il  en  conclut  que  ces  livres  ayant  tous  une 
pareille  authenticité ,  doivent  avoir  une  égale  autorité. 
Nous  avons  des  témoignages  plus  positifs  encore  de 


(i)  Voyez  ci-dessns,  n°  xxii,  page  54' 


66  DISSERTATIONS 

cette  vérité ,  que  c'était  l'autorité  et  non  l'authenticité 
des  évangiles  ,  que  contestaient  quelques-uns  de<;  pre- 
miers hérétiques.  St.  Irénée  qui  connaissait  à  fond  la 
doctrine  des  hérétiques  ,  contre  lesquels  il  écrivait ,  dit 
que  CCS  ennemis  de  la  tradition  apostolique  ,  se  préten- 
dant plus  sages  ,  non-seulement  que  les  prêtres  ,  mais 
que  les  apôtres  ,  assurent  qu'eux  seuls  ont  trouvé  la  pure 
vérité  ,  et  que  les  apôtres  aux  paroles  du  Sauveur  ont 
mêlé  des  choses  de  l'ancienne  loi  (1}.  Il  répète  encore  dans 
un  autre  endroit  cette  vaine  prétention  des  hérétiques  , 
d'être  plus  francs  et  plus  instruits  que  les  apôtres  qui  ont 
prêché  l'Evangile,  encore  imbus  d'opinions  judaïques  ^2). 
Accuser  les  apôtres  d'avoir  inséré  des  erreurs  dans  leurs 
livres ,  c'est  supposer  évidemment  que  ces  livres  sont  des 
apôtres. 

Tertuilien  nous  apprend  le  motif  sur  lequel  se  fondait 
Marcion,  pour  rejeter  les  trois  évangiles  de  St.  Matthieu  , 
de  St.  Marc  et  de  St.  Jean.  C'est,  disait  cet  hérésiarque  , 
parce  que,  dans  son  épître  aux  Gala  tes  ,  St.  Paul  reprend 
les  apôtres  de  ne  pas  marcher  avec  droiture  ,  selon  la 
vérité  de  l'Evangile,  et  accuse  quelques  faux  apôtres  de 
pervertir  l'Evangile  de  J.-C.  (3).   Ce  motif,  pour  ôter 


(ij  Cum  aulem  ad  eam  ileiuin  U-aditionem  qaae  Cot  ab  apostuli.'^ , 
qu£e  per  successiones  presbyte:  oruin  in  ecclesiis  oastoditur  ,  piovo- 
cainas  eos  ,  adversantur  tiaditioni  ;  dicentes  se  non  solum  prcbby- 
reiis,  sed  etiam  apostolis  sapientiores ,  sinceram  invenisse  veiitatem , 
apostolos  cnini  adiniscaisse  ea  qaœ  snnt  legalia  Salvatoris  verbis. 
{S.  Iren.  contra  hceres.  ,  lib.  m  ,  cap.  2.  ) 

(2)  Deserli  igitnr  coni  sint  a  paterna  dilectione,  et  intlati  a  satana, 
conversi  in  Simonis  magi  do.trinam ,  abstiterant  senfentiis  su"s  ab  eo 
qui  est  Deus  ;  et  pataverunt  semetipsos  plus  invenisse  quam  apos- 
toli,  alteram  Deum  invenienles  :  et  apostolos  quidem  ad  haec  quae 
sant  jadaeorum  sentientes  annnniiasse  evangeliuin;  se  autern  since- 
riores  et  prudentiores  aposlolis  esse.  Çlbid.^  cap.  xn ,  n°  12.  ) 

(3)  Sed  enim  Marcion  nactus  epistolara  Pauli  ad  G.ilatas  ipsos 
etiam  apostolos  sugillanfes  ,  ut  non  recto  pede  incedentes  ad  veii- 
tatem evangelii  ;  simul  et  accusantes  pseudo-apostolos  quo-dam  per- 
vertentes  evangelium  Christi,  connititur  ad  destruendum  statom  eo- 
nim  evangelioium  qna;  propiia  et  sub  apostolorum  noniine  eduntur, 


SUR    L\    RELIGION.  67 

la  foi  aux  évangiles  ,  est  absurde  en  soi  ;  mais  il  montre 
dans  quel  sens  Marcion  les  rejetait  ;  que  c'était  comme 
contenant  des  faussetés,  et  non  pas  comme  faussement 
atiribués  aux  hommes  apostoliques-  Marcion  ne  leur 
aurait  pas  imputé  d'avoir  mis  des  faussetés  dans  leurs 
écrits  ,  s'il  n'avait  pas  été  persuadé  que  ces  écrits  étaient 
leur  ouvrage. 

Origènes  nous  donne  la  raison  pour  laquelle  plusieurs 
sectes,  telles  que  les  ébionites  et  les  eacratites,  n'admet- 
tent pas  les  épîtres  de  St.  Paul  ;  c'est  qu'elles  ne  recon- 
naissent pas  cet  apôtre  pour  un  homme  saint  et  sage  (1). 
Ce  n'était  donc  pas  l'authenticité,  c'était  la  vérité  de  ces 
épîtres  qui  était  contestée. 

Eusèbe  dit  de  même  que  les  ébionites  rejetaient  les  épî- 
tres de  St.  Paul ,  en  disant  qu'il  était  un  déserteur  de  la 
loi  '2).  Par  cette  inculpation  même  ,  ils  reconnaissaient 
bien  clairement  que  St.  Paul  était  l'auteur  de  ses  épîtres. 
Il  est  donc  certain  que  les  hérétiques  des  deux  premiers 
siècles  ne  niaient  point  l'authenticité  de  nos  livres  saints. 
Mais  de  quel  poids  n'est  pas  le  témoignage  de  ces  ennetnis 
de  l'Eglise  ,  soit  qu'on  le  considère  en  lui-même  et  isolé  , 
soit  qu'on  le  rapproche  de  celui  de  l'Eglise  catholique? 
D'abord  ,  il  fallait  que  cette  authenticité  du  Nouveau  Tes- 
tament fut  bien  incontestable,  puisque ^  dans  le  temps 
où  il  était  si  facile  d'en  connaître  la  réalité  ou  la  fausseté, 
elle  n'était  pas  contestée  ;  puisque  ceux  même  que  l'on 
combattait  avec  des  textes  du  ^n'ouveau  Testament ,  ne  la 
révoquaient  pas  en  doute  ;  puisque  ceux  ,  entin  ,  qui  ne 


vel  etiam  apostolicorum  j  ut  sciiicet  fldetn  qnam  illis  adimii  sno  con- 
férât.     Idem  ,  adv.  Marc.  ,  lib,  iv ,  cap.  3.) 

(x)  Sont  enini  sectae  quoe  Pauli  episfolas  non  adraitlunt  ;  nt  utri- 
qae  ebionaei  et  encratitBe  dicti.  Illi  igitnr,  cum  Paul  uni  pro  sancto  et 
sapiente  non  agnoscant  ,  cerfe  hoc  eju-  affatum  non  nsorpabant  : 
Mihi  mundus  crucifixui  tist ,  et  ego  mundo.  (  Origen.  contra  Cthum  , 
lib.  VI. ,  cap.  65.) 

(2)  Hi  (  ebionilae)  epistolas  quidam  Pauli  rejiciendas  esse  cense- 
bant,  desertorem  illam  leg's  vocantes.  [Euseb.^  hist.  eccles.,  lib.  m  . 
cap.  27  ). 


68  DISSERTATIONS 

pouvaient  s'empêcher  de  lire  leur  condainnation  dans  nos 
livres,  aimaient  mieux  accuser  les  auteurs  d'erreurs,  que 
nos  livres  de  supposition.  Mais  si  nous  considérons  après 
cela  l'accord  des  hérétiques  avec  les  catholiques ,  sur 
cette  authenticité,  elle  en  devient  évidenmient  démontrée. 
Ils  étaient  trop  ennemis,  trop  attentifs  à  veiller  les  uns 
sur  les  autres,  pour  qu'une  fraude  pût  s'étahlir  Ils  sont 
réciproquenient  garants  de  la  vérité  qu'ils  reconnaissent 
unanimement.  Si  l'un  des  deux  partis  avait  voulu  intro- 
duire  de  nouveaux  écrits,  comme  venant  des  apôtres  , 
l'autre  aurait-il  pu  l'ignorer?  aurait-il  voulu  le  souffiir? 
Dira-t-on  que  l'un  des  deu'  ayant  fait  la  supposition  ,  a 
eu  le  pouvoir  de  la  faire  adopter  à  l'autre?  dira-t-on  qu'ils 
se  sont  accordés  pour  commettre  cette  infidélité  ?  L'in- 
crédulité est  réduite  à  choisir  entre  ces  deux  absurdités. 
XXX.  En  soutenant  que  nos  livres  saints  sont  apocry- 
phes, il  faudrait  fixer  l'époque  où  ils  ont  été  introduits 
dans  le  christianisme  :  c'est  à  ceux  qui  font  une  alléga- 
tion à  en  donner  la  preuve.  C'est  ce  que  jamais  n'ont  pu 
faire,  avec  quelqu'ombre  de  probabilité  ,  les  incrédules. 
Nous  leur  portons  hautement  le  défi  d'indiquer  un  temps 
où  la  fraude  ait  été  ,  nous  ne  disons  pas  effectuée  ,  mais 
possible.  Assignera-t-on  le  temps  où  les  apôtres  vivaient 
encore?  Mais  alors  il  faut  dire  que  la  supposition  s'est 
faite  ou  à  leur  insu ,  ou  de  leur  consentement ,  ou  malgré 
leur  opposition  ;  toutes  ces  hypothèses  se  réfutent  d'elles- 
mêmes.  Veut-on  que  ce  soit  après  la  mort  des  apôtres 
que  les  évangiles  aient  été  produits?  D'abord  l'assertion 
serait  réfutée  par  les  témoignages  des  pères  apostoliques 
que  nous  avons  cités ,  par  l'impossibilité  que  nous  avons 
remarquée  d'abuser  tant  d'églises  différentes ,  tant  de 
sectes  opposées.  De  plus ,  les  apôtres  avaient  formé  des 
disciples ,  avaient  laissé  des  successeurs  chargés  du  gou- 
vernement des  églises.  Aurait-on  pu  en  imposer  à  tous 
ces  personnages  ,  et  leur  faire  prendre  pour  des  écrits  de 
leurs  maîtres  ,  des  ouvrages  dont  leurs  maîtres  ne  leur 
auraient  jamais  parlé  ?  aurait-on  pu  les  associer  tous  à  la 
fraude  ,    et  les  engager  à  recevoir  tous  unanimement, 


SUR    LA    RELIGION.  69 

comme  ouvrages  des  apôtres  ,  des  livres  qu'ils  auraient 
su  n'être  pas  des  apôtres  ?  Enfin  passera-t-on  aux  âges 
suivants  pour  y  placer  la  supposition  des  évangiles  ?  plus 
on  la  recule ,  plus  on  la  rend  incroyable  et  impossible. 
Un  plus  grand  nombre  de  pères  antérieurs  qui  ont  cité 
les  livres  saints  ,  démontre  la  fausseté  de  l'assertion.  Un 
plus  grand  nombre  d'églises  fondées  dans  ces  pays  plus 
éloignés  ,  rend  l'unanimité  plus  impraticable.  Un  plus 
grand  nombre  de  sectes  rend  'e  concert  plus  absurde.  Le 
système  de  la  falsification  du  Nouveau  Testament  déjà 
déraisonnable ,  parce  que  personne  n'aurait  pu  la  faire  , 
l'est  encore,  parce  que  dans  aucun  temps  on  n'aurait  pu 
la  faire. 

XXXI.  Et  si  elle  avait  été  réelle,  croit-on  qu'elle  eût 
pu  s'effectuer  avec  un  tel  secret ,   que  les  ennemis  du 
christianisme,  si  acharnés  contre  lui ,  si  attentifs  à  sai- 
sir toutes  les  manières  de  le  combattre  ,  n'en  eussent  eu 
aucune    connaissance  ,    et   qu'ils    eussent    négligé     un 
moyen  aussi   favorable  à  leur  cause  ?  Nous   avons  un 
grand  nombre  d'écrits  des  jtiifs,  où  ils  se  répandent  en 
invectives  contre  le  christianisme  ,  où  ils  le  combattent 
par  tous  les  arguments  qu"ils  peuvent  imaginer  :  eus- 
seiit-ils  omis  le  plus  puissant  de  tous,  celui  qui  aurait 
fait  crouler  le  christianisme  par  ses  fondements?  Celse  , 
qui   écrivait   cent    ans   après   Jésus-Christ,    connaissait 
parfaitement   nos   évangiles.  Il  en  relève    souvent   des 
passages,  tantôt  pour  les  arguer  de  faux,  tantôt  pour  en 
tirer  des  arguments.  Nulle  part  il  ne  dit  que  les  évan- 
giles sont  supposés.  Il  reproche  même  aux  chrétiens  d'a- 
voir changé  et  perverti  le   contexte  primitif  de  TEvan- 
gile  (1).  N'esl-ce  pas  déclarer  positivement  qu'il  y   a  eu 
un  contexte  primitif?   Intenterait-il   l'accusation   plus 
légère  d'altération,  s'il  pouvait  articuler  celle  bien  au- 
trement grave  d'une  falsification  totale  ?  Le  témoignage 

(i)  Postea  ex.  fîdelibns  ait  (OfLas)  esse,  qui  simles  illis  quo^.  en 
iinpellit  ebrieias  nt  sihi  manus  inférant,  primtim  evaiigelii  <;unîex- 
tiun  ,  1er,  quatcr  ,  pluries  mutant,  perveitontque,  ut  Inbeant  qao 
1-03  sil)i  objectas  iaticiantar.  (Orig'-u.  contra  Cc/sinn  ^  lib.  u  ,  n'  "i'-) 


70  DISSERTATIONS 

de  Julien  e«t  plus  exprès  encore.  Il  attribue  fornielle- 
uient  les  livres  du  Nouveau  Testament  à  leurs  auteurs, 
et  il  combat  la  divinité  de  Jésus-Christ,  en  disant  que 
ni  Paul,  ni  Matthieu,  ni  Luc,  ni  Marc,  n'en  ont  parlé, 
et  que  Jean  est  le  premier  qui  ait  osé  la  mettre  en 
avant  (1).  Combien  doit-on  être  assuré  d'une  vérité  qui 
est  attestée  par  ceux  mêmes  qui  auraient  intérêt  à  la 
contester  ;  et  quelle  idée  doit-on  se  former  de  la  cause 
des  incrédules  modernes  qui ,  pour  la  défendre  ,  sont 
obligés  de  combattre  même  les  incrédules  du  temps  dont 
ils  parlent? 

XXXÏI.  Je  reprends  maintenant  ce  que  je  disais  au 
commencement  de  cet  article  ,  et  je  demande  si ,  de  tous 
les  motifs  qu.  peuvent  fonder  la  persuasion  qu'un  livre 
ancien  est  authentique,  il  en  manque  un  seul  au  Nou- 
veau Testament  ;  je  demande  que  l'on  me  cite  un  seul 
ouvrage  de  l'antiquité,  qui  réunisse  autant  de  caractères 
d'authenticité.  Je  conclus,  que  quand  même,  ce  qui  n'est 
pas  vrai,  et  ce  que  nos  incrédules  ne  croient  pas  tel,  on 
ne  pourrait  être  assuré  de  l'authenticité  d'aucun  autre 
livre ,  on  ne  pourrait  néanmoins  former  aucun  doute 
sur  celle  de  nos  livres  sacrés.  Il  ne  reste  plus  mainte- 
nant qu'à  confirmer  cette  démonstration  par  l'examen 
dos  sophismes  qu'on  emploie  pour  l'ébranler. 


ARTICLE    II. 


Objections  contre  Vautheniicitc. 

Je  commence  par  examiner   celle  de  leurs  difficultés 
que  les  incrédules  présentent  avec  le  plus  de  confiance  , 


(i)  Jitlianus.  Tanî  iiiforlunati  estis  ut  ne  maaseiitis  quidcni  in  iis 
qnœ  vobis  ab  apjstolis  sunt  tradita  :  ea  qrjae  fnerint  ab  illorum  pos- 
teris  necjuitia  et  impietate  tractata.  Jesuiu  quippe  illutn  ,  neque  i  au- 
lus  Dcum  diceie  ausus   est,  neqne  Matthoeus ,   neqae    Lut  as,    neque 

MarcQs  :  sed    btjnus   ille  Joannes Primus   id  prodire  ausos  est. 

{S.  Cyrilhis  Alex,  contra  Juiiafiiim ,   lib.  x.) 


SUR    La     religion.  71 

qu'ils  répètent  le  plus  fréquemment,  et  sur  laquelle  ils 
insistent  avec  le  plus  de  force.  Elle  a  été  développée 
principalement  dans  l'ouvjage  intitulé  :  Examen  critique 
des  Apologistes  de  la  Religion  chrétienne,  et  imprimé  sous 
le  nom  de  M.  Fréret. 

XXXIII.  "  C'est  un  fait  certain,  reconnu   de  tous  les 

«   savants,  avoué  des  défenseurs  du  christianisme ,   que 

«  dès  les  premiers  jours  de  l'Eglise  ,  et  au  temps  même 

«   dont  datent  les  livres  du  Nouveau  Testament,  il  a  été 

«   publié  une  multitude  de  livres  faussement  attribués  , 

'<   soit  à  Jésus-Christ,  soit  à  la  Vierge,  soit  aux  Apôtres, 

«  soit  aux  premiers  disciples.  Fabricius ,  qui  a  recueilli 

-<   tout  ce  qu'il  a  pu  en  rassembler,  en  compte  cinquan- 

"   te,  seulement  sous  le  titre  d'évangiles,  et  un  beaucoup 

"  plus  grand  nombre  encore  sous  différents  titres.  Cha- 

"    cun  de  ces  écrits  avait,  dans  le  temps,  ses  partisans. 

'   Il  résulte  évidemment  de  là,  que,  parmi  les  chrétiens 

«   de  ce  siècle,  les  uns  étaient  des  fourbes  et  des  impos- 

<<   teurs,  les  autres   des  hommes  simples  et  crédules.  Si 

"   on  pouvait  aussi  aisément  tromper  ces  premiers  fidè- 

«   les,  s'il  était  si  facile  de  leur  faire  illusion  sur  des  li- 

«    vrcs  supposés,  que  deviennent  tous  les  sophismes  par 

<<   lesquels  on  prétend  démontrer   l'impossibilité    d'une 

»   supposition?  Au  milieu  de  ce  chaos  de  livres  produits 

«   en  même  temps  ,   et  tous  reçus  alors  avec  respects , 

^<   quel  moyen  peut-on  avoir  maintenant  de  distinguer 

>i  ceux  qui  étaient  anthentiques  ,    et   ceux   qui   étaient 

«   apocryphes?  3Iais   ce  qui  rend  cette  distinction  plus 

"   impossible  encore  ,  c'est  que  nous  voyons  les  évan- 

<  giles  apocryphes  cités  avec  vénération  par  les  premiers 

«  pères  de  l'Eglise.  St.  Clément,  St.  Barnabe,  St.  Jac- 

X   ques,  les  constitutions  apostoliques.  St.  Paul  lui-mé- 

H   me,  citent  des  paroles  de  Jésus-Christ  tirées  des  évau- 

«   giles  apocryphes.  Il  y  a  plus  encore  :  on  ne  voit  pas 

«   que  les  premiers  Pères  de  la   secte  ,  qui  est  restée  la 

«   dominante,  parmi  toutes   celles  qui  s'élevèrent  alors, 

i<   aient   connu  les  quatre  évangiles   qui    nous    restent. 

"   Jusqu'à  Justin  ,  on   ne  trouve    dans   leurs  écrits   quf 


72  DISSERTATIONS 

««   des  citations  de  livres  apocryplics.  Depuis  Justin  jus- 
«  qu'à  Clément  d'Alexandrie,  les  Pères  emploient  TaU' 
«<   torité  ,  tantôt  des  livres  supposés ,  tantôt  de  ceux  qui 
m   passent  aujourd'hui  pour  canoniques.  Enfin,. depuis 
«   Clément  d'Alexandrie  ,   ces     derniers    l'emportent  et 
«<   éclipsent  entièrement  les  autres.  On    voit   Jjien  ,  à  la 
«*   vérité,  dans  les  premiers  Pères,  quelques  passages  qui 
«  ressemblent  à  des  paroles  des  évangiles  actuels.  Mais 
'«   comment  peut  on  être   certain  qu'ils  en  soient  tirés? 
<•    Matthieu,  Marc  ,  Luc    et   Jean,   ne  sont  nommés  ni 
«   dans  Clément  ,  ni  dans  Ignace  ,  ni   dans  aucun  des 
«   écrivains  des  premiers  siècles.  Les  axiomes  de  Jésus- 
«    Christ  que  répètent  ces  pères,  ils  pouvaient  les  avoir 
«     appris  de  vive  voix  ,  par  le  canal  de  la   tradition  , 
<'   sans  les  avoir  puisés  dans  les  livres.  Ou  si  l'on  veut  que 
««   ces  paroles  aient  été  tirées  de  quelqu'évangile,  il  n'y 
«  a  aucune  raison  de  croire  qu'elles  aient  été  prises  dans 
«<   les  quatre  qui  restent ,  plutôt  que  dans  cette  multitude 
«  d'autres  que  l'on  a  supprimés.    Les  livres  reconnus 
«  apocryphes  ont  été  produits  en  même  temps  que  ceux 
<<   qu'on  donne  pour  canoniques.    Ils  ont  été  publiés  de 
«   la  même  manière,  reçus  avec  le  même  respect ,  cités 
«   avec  la  même  confiance ,  et  même  de  préférence.  Il  n'y 
«<   a  donc  aucune  raison  pour  croire  à  l'authenticité  des 
«   uns ,  qui  ne  milite  au  moins  avec  la  même  force  pour 
<»   l'authenticité  des  autres.  Puisque  ceux-là  ont  été  évi- 
«  demment,  et  de  l'aveu  de  tout  le  monde  ,  supposés, 
«  il  est  permis  de  croire  que  ceux-ci  ont  pu  également 
«  l'être.  « 

XXXIV.  Cette  difficulté  exige  une  discussion  étendue, 
et  va  me  forcer  d'entrer  dans  des  longueurs.  Avant  de 
donner  une  réponse  directe,  commençons  par  faire  quel- 
ques observations  sur  les  évangiles  et  autres  livres  apo- 
cr\^ihes. 

XXXA  .  Il  ne  faut  pas  croire  que  tous  ces  évangiles  que 
Ton  appelle  apocryphes  ,  aient  été  composés  à  mauvaise 
intention  et  fabriqués  par  des  imposteurs.  Il  faut  en  dis- 
tinguer de  diverses  classes.  II  ven  a  eu  certainement  beau- 


SUR    L\    RELIGION.  73 

coup  de  forgés  par  les  hérétiques  pour  soutenir  leurs 
erreurs  ,  mais  il  y  en  a  eu  aussi  plusieurs,  écrits  par  des 
fidèles  dans  des  vues  droites  et  pieuses. 

En  premier  lieu  ,  les  néophytes  du  premier  siècle ,  et 
peut-être  aussi  du  second  ,  recueillaient  avec  soin  ce 
qu'ils  entendaient  dire  aux  apôtres  et  aux  prédicateurs 
de  la  foi.  Ils  le  mettaient  par  écrit  pour  en  conserver  le 
souvenir  ,  et  pour  l'instruction  de  leurs  familles.  Il  a  dû , 
dans  le  commencement  du  chritianisme ,  y  avoir  un  grand 
nombre  de  collections  de  ce  genre  ,  faites  de  différents 
côtés.  La  plupart  sont  restées  dans  l'intérieur  des  familles 
qui  les  avaient  composées  ;  quelques-unes  ont  été  un 
peu  plus  répandues.  On  a  donné  le  titre  d'évangile ,  à 
celles  qui  contenaient  les  actions  du  Sauveur ,  parce  que 
c'était  le  titre  que  portaient  les  écrits  principaux  ,  uni- 
versellement révérés ,  sur  la  vie  de  Jésus-Christ.  On  en 
a  mis  plusieurs  sous  le  nom  des  apôtres  de  qui  on  tenait 
ces  faits,  et  c'est  de  là  qu'est  venu  le  nom  à' Evangile 
de  St.  Pierre,  d'Evangile  de  St.  André,  etc.  Nous  ne 
connaissons ,  de  la  plupart  de  ces  évangiles ,  que  les  noms 
recueillis  par  Fabricius ,  qui  rapporte  aussi  quelques  lé- 
gers fragments  de  ces  livres.  Nous  ne  pouvons  donc  pas 
savoir  au  juste  quels  étaient  ceux  de  ces  évangiles  qui 
étaient  regardés  comme  catholiques;  mais  nous  en  con- 
naissons quelques-uns  :  tels  étaient  spécialement  TEvan- 
gile  des  Hébreux  et  celui  des  Egyptiens  ,  composés  par 
des  néophytes  de  ces  deux  nations.  St.  Jérôme  n'avait 
pas  dédaigné  de  traduire  le  premier.  Notr  intention  n'est 
pas  de  faire  sur  ces  évangiles  une  dissertation  qui  nous 
éloignerait  de  notre  objet.  On  peut  consulter  ce  qu'en  ont 
dit  Cotelier  (1) ,  Grave  (2) ,  Fabricius  (3).  Je  me  contente 


(i)    V.    Cotelerii    patres    aposlolici ,    praeseitini,   tom.    i,  pag.    7, 
et   pag.    89. 

(2)  V.  Giabe  spicilegiam ,   tom.    i  ,  pag.  i5  et  seq.  pag.  3r  ,  37  , 
et  alibi. 

(3)  V.  Fabricius  codex  apocryphus  no v.  lestam,  in  evangeliam  he- 
Lrajorom  el   aliquot  alla. 

Dissert,  sur  la  Re  ig.  4 


74  DISSERTATIONS 

d'observer  ici  ce  qu'ils  prouvent ,  savoir  :  que  parmi  les 
livres  appelés  apocryphes,  il  y  en  avait  qui  n'étaient  ni 
rejetcs  ,  connue  des  ouvrages  mauvais  et  vicieux  ,  ni  reçus 
avec  respect  comme  des  écrits  inspirés  ,  mais  qui  éuient 
considérés  comme  des  écrits  ecclésiastiques.  Les  héréti- 
ques en  avaient  abusé ,  et  de  quoi  n'abusent-ils  pas  ?  Ces 
livres  n'ayant  pas  été  écrits  sous  l'inspiration   divine , 
n'avaient  pas  l'exactitude  des  livres  sacrés,  et  prêtaient 
plus  facilement  à  de  fausses  interprétations.  Il  n'est  pas 
étonnant  que  les  sectaires  ai-nt  cherché  à  en  faire  l'appui 
de  leurs  erreurs.  Cela  n'a  pas  empêché  plusieurs  des  Pères 
de  citer  ces  ouvrages  comme  catholiques.  Eusèbe  ,   par- 
lant des  livres  qu'on  dit  appartenir  au  Nouveau  Testa- 
ment ,  en  distingue  quatre  espèces  :  les  uns ,  qui  sont  reçus 
universellement  par  toutes  les  églises,  comme  sacrés;  les 
autres  sur  lesquels  il  y  a  des  doutes,  mais  qui  sont  ce- 
pendant reçus  par  la  plupart  des  églises;  les  troisièmes, 
que  l'on  reconnaît  généralement  ne  pas  être  de  véritables 
écritures   sacrées  ;  les  derniers  ,  enfin  ,  qui  sont  les  ou- 
vrages des  hérétiques  ,  qu'aucun  écrivain  ecclésiastique 
n'a  cités,  et  que  l'on   doit  rejeter  comme  absurdes  et 
impies,   il  place  dans  la  troisième  classe  plusieurs  de  ces 
livres  apocryphes  ,  V apocalypse  de  St.  Pierre ,  la  Doctrine 
des  apôtres  y  l'Evangile  selon  les  Hébreux;   il  les  y  place 
avec  le  livre  du  Pasteur  ,  et  VEpitre  de  St.  Barnabe  ,  qui 
ont  toujours  joui  d'une  grande  considéraliondans  l'Eglise, 
et  il  les  distingue  formellement,  soit  des  livres  inspirés  , 
soit  des  écrits  hérétiques  (1). 


(r)  Caeternni  quoni:.m  samns  in  hune  spimonein  delapsi,  videtur 
ralioni  conseiitaneniu  ^c^iptu^a^Dnl  icriem  qii;e  novi  testainenti  esse 
dicuntar  samruatim  comprebendere.  Pninum  igaur  sîicer  evangeiio- 
rura  quateriiio  ratus  esto,  quem  quidem  liber  de  actis  aposioloruin 
sequitur.  Huic  annuitierantnr  Pauli  epistoiae,  quibus  deinceps  pr^or 
epi^ti'la  qua  fertor  esse  Ji^annis,  et  Petii  simibter  piior ,  tanquani 
omnium  consensu  con.stabil'tae  .ndjungunfur.  Inter  ista ,  si  placer, 
Joaiiiiis  Al  ocalypsim  ccnjicianms,  de  qua  qird  veleres  slaiiurint 
obnd  erit  »<mp's  exponendi.  Alque  haec  snnt  quae  omnium  asseiva- 
tîor.c  ccnstanter  apprubanlur.   Ex  iliis  quae  in  dubitationem  quidem 


SCR    LA    RELIGION.  75 

Eu  second  lieu ,  outre  ces  livres  apocryphes ,  mais  catho- 
liques, il  y  en  avait  d'autres  qui  étaient  hérétiques,  soit 
qu'ils  eussent  été  entièrement  composés  par  des  sectaires  , 
soit  que  ce  fussent  des  ouvrages  primitivement  rédigés 
par  les  fidèles,  comme  nous  l'avons  exposé  ,  d'après  la 
prédication  de  quelques  apôtres,  que  les  hérésiarques 
avaient  ensuite  altérés  et  adaptés  à  leurs  erreurs,  pour 
s  autoriser  de  l'intitulé  respectable  ,  qupique  faux  ,  de  ces 
hvres.    Ainsi  il  y  eut  des  évangiles  qui  portèrent  tout 


vo.-anfur,    sunt    tamen  a  ple.isq.e  recept.e,  est  ep.srola  quœ   Jacob 
d.c.tar,  et  JuJae     et  secnr.da  Petri,    et  secunda  et  tcrùa  qu^  Joannis 
nomme  inscnbunlur,    sive  iii^  ab   evangeHsla  ,    .ive  a   quopiam  eo- 
dem    nomiae    appellato  pe.script^    sint.   Inter  scripturas   au.em  qu« 
Jalso  inscr^pfœ   nummeque  germanae    dicnnlur.   P.u!i  acta   numeran- 
mr  ,  et  l.ber  qui  diciuir  Pasror  ,  et  Apocaiypsis  Pet.i  :  Pur,o  epistola 
nomme   Barnabce  édita,    et    quae  d,citur  doct.ina  apostulorum.  Adde 
his,  SI  v.uetar,  Joannis,  ut   dixi ,  apocalypsim  ,   qnam  nonnnUi,   ut 
)am  d.x.,  pen.tas  antiquare  contenderunt,  alii  qaidam   in  scripiuris 
maxime  approbatis  collocandam  jadicant.  In  qnibos  etiam  non  pan- 
CI  boc  tempore  evangelium  secundum  Hebr^os  ponunt,  qu^Hebr.^i 
ilii   qui  sunr  Christi  doctrinam  amplexati  maxime  gandent.Cîeterum 
haec    ..mn.a    lererun.ur  in    ea.um  sc.ipturarnm   numeium,  quibus  a 
p.ensque   contradicitnr.    Afque   certe  istorum   libro.um  enumeratio. 
netn  necessano  fecimus,   uti  cum    sciipturas  quce  secnndnm  ercle^ice 
trad.nonem,  verae,  germant,   et   omnium  sententds  manifeste  com- 
probatae   sunt,   perspicua   qaadam   nota  ab  aîiis  quce  non  sunt  eius- 
dem   an:or,tati.s,   sed  sunt  positae  quulem  in  controversia  a  pJerisque 
t:.men  eccleMa.licis  viris  evolutae  et  pertracta.œ  distinxerimus.  Facile 
qu.dem,   non  istas  ip.as  modo,   sed  eas  etiam   quœ  ab  bareticis  cir- 
rnm,eruntur,possimus    discernere,    sive    evangelia   Petri,   Tbom.-e 
^Mauhiae,  aborumve  faiso  noraine  inscript»,  sive  acta  qu*  And.e»' 
ooann.s    et    aliorum    apostolorum    nomine    veteratcie    dor.ata    siint' 
gu.s  qn.dem  scnpturas  nemo  ex  scriptoribns  ecclesiasticis .  qui  con- 
tnuara  temporum  successione  ab  apostols  bac  usqae  vixerunt     us- 
di  m!'!  Z  ?'i'  ^"'P;^'"  --^oriam  redigere  dignatus  est.  Q.in  e'tiam 
d.et,onis  et  loqaen^,  forma,  longe  a   s.ylo  et   consuetadin; apostolo- 
rum   d:screpar.  Sentent.a  vero  et  institntum  eorum   qu;e  in   iibs    li- 
Dr.s   .raduntnr    (quod  toto  cœlo ,    ut   di.itar  ,  a    vero  orthodoxoqne 
s-^npfurae   sensu   et  opinione  aberrat)    plane,    perspicueque  ostet.dit 
ea  cail.da  solnm  h^ereticûrum  esse  commenta.  Unde,  ne  in  eo  quiden. 
MT.ptn.avnm  génère,  quae   falso  inscipt»,  minimeqne   geimanje  di- 
cantur,  habeuda  sunt,  sed  tanqnam  absurda  omnino  et  imi>ia  n^ni- 
tus    exp'odenda.    (EuseL,    hist.   eccles. ,    lib.    ,ir ,    cap.    rr,  )^ 


76  DISSERTATIONS 

siinpleineiu  \e  nom  des  sectes  pour  lesquelles  ils  avaient 
été  fabriqués;  tels  furent  ceux  de  Basilide  ,  de  Cérintlic, 
de  Yalcntin  ,  etc.  Il  y  en  ent  d'autres  pareillenient  in- 
fectés d'hérésie  ,  quoique  portant  le  nom  des  apôtres  ;  lels 
furent,  d'après  le  passa(je  que  nqns  venons  de  rapporter 
d'Eusèbe  ,  les  évangiles  de  St.  Pierre  ,  de  St.  Thomas  , 
de  St.  Matthias  ,  et  de  quelques  autres. 

XXXVI,  Sur  le  temps  où  ont  été  composés  les  évan- 
giles aiiocryphes-catholiques,  nous  n'avons  rien  de  cer- 
tain. Plusieurs  indications  nous  les  présentent  cependant 
comme  très-anciens.  Plusieurs  saints  Pères  ont  pensé  que 
c'est  de  ces  évangiles  apocryphes  que  parle  St.  Luc  au  com- 
mencementdusien,lorsqu'ilditqueplusieurs personnes  se 
sont  elforcées  de  mettre  en  ordre  les  choses  passées  de  son 
temps.  Quant  aux  évangiles  apocryphes  des  hérétiques,  il 
est  certain  qu'ils  ont  été  ou  fabriqués  ,  ou  falsifiés  par  eux 
postérieurement  à  la  composition  des  trois  pjemiers  évan- 
giles par  St.  Matthieu ,  St  .(Vlarc  et  St.  Luc.  Celui  de  St. 
Luc  ,  le  dernier  des  trois  ,  date,  selon  ceux  qui  le  rejet- 
tent le  plus  loin  ,  de  l'an  55  de  notre  ère  :  et ,  à  cette  épo- 
que ,  il  n'existait  pas  encore  d'hérésies.  On  peut  le  con- 
clure de  la  première  épître  de  St.  Paul  à  Timothée  , 
écrite  l'an  64.  Il  lui  dit  qu'il  lui  a  été  clairement  révélé 
par  le  Saint-Esprit ,  que  dans  un  temps  très-prochain 
plusieurs  abandonneraient  la  foi  pour  se  livrera  l'esprit 
d'erreur  et  à  la  doctrine  des  démons  (1^.  Si  les  hérésies 
eussent  existé  dès-lors  ,  St.  Paul  aurait-il  prédit  qu'elles 
s'élèveraient  incessamment  ?  iVous  avons,  déplus,  dans 
la  tradition,  d'autres  preuves  plus  positives  encore.  Eu- 
sèbe  nous  a  conservé  un  fragment  de  l'histoire  ecclésias- 
tique écrite  par  Hégésippe  qui  vivait  au  milieu  du  second 
siècle.  Cet  auteur ,  si  voisin  des  faits  qu'il  rapporte  ,  ra- 
conte qu'à  la  mort  de  St  Jacques  le  Mineur,  laquelle 
est  de  Tan  62,  St  Siméon  ,  parent  de  Jésus-Christ,    fut 


(i)  Spiritns  manifeste  dicit  qnia  in  novissiiuis  teniporibus  dise 
dent  quidam  a  fide ,  attendentes  spiiitibas  erroris  el  doclrinis  da'n;' 
nioium.  (  r.  Timoth.  iv ,  i.) 


SUR    LA    RELIGION.  // 

ëlu  en  sa  place  évêque  de  Jérusalem.  L'Eglise  était  encore 
vierge,  n'ayant  été  souillée  d'aucune  erreur  hérétique. 
Mais  un  certain  Thébutis,  piqué  d'avoir  été  rejeté  de  sa 
demande  de  l'épiscopat,  travailla  secrètement  à  l'infecter 
d'erreurs;  et  c'est  là,  selon  Hégésippe  ,  l'origine  des 
hérésies  qui  se  sont  élevées  depuis  (1).  St  Trénée  atteste 
que  les  hérétiques  sont  de  beaucoup  postérieurs  aux 
évéques  à  qui  les  apôtres  avaient  confié  les  églises.  (2), 
St  Clément  d'Alexandrie ,  pour  prouver  que  les  hérésies 
sont  venues  longtemps  après  l'Eglise  catholique  ,  dit 
qu'elles  furent  imaginées  seulement  sous  l'empire  d'A- 
drien (3).  Il  résulte  clairement  de  ces  témoignages,  qu'au 
moins  nos  trois  premiers  évangiles  ont  l'antériorité  de 


(i)  Idem  aacîor  (  Hegesippus)  eriornin  suae  aetaiis  origines  iiis 
vucibas  plane  (leinon>lral.  Postquam  Jacobus  cognomento  jastus  pro 
veiitatis  defrnsione  ,  sicat  et  Dominus  ipse  ,  trucidatus  fuit ,  S.'njou 
filias  Cleophae  ,  qui  avuncnlus  Christi  iair  ,  episcopas  crealns  est, 
qaem  orones  discipnli,  qnoniam  Doniini  consobriiiDs  erat  ,  secundo 
loco  suffrages  illi  ad.iiinistrationi  piaefecerant.  Et  quoniam  eccîesia 
nondara  erat  falsa  perversae  haeieticoium  doctrinae  inanitate  corrap- 
ta  ,  idcirco  Virgo  appe'.lata  fnit.  At  Thebnris,  propterea  qnod  in  pe- 
titione  episcopatas  rep:)l-am  tnlerat,  eam  errucs  labe  ex  occalto  in- 
ficere  exorsns  est.  Qui  quidein  nnus  eral  es  ^«irom  riuraero  qni  ex 
septem  sectis  in  populo  judaïco  pioseminatis  oriehantar.  Ex  qaibus 
seotis  origiïieiu  erroris  duxit  Simon,  uiide  simoniani  ;  et  Cleobins  , 
unde  cleubiani  ;  e-  Do-itheus,  uude  dosiiheani  ;  et  Gothaens,  unde 
gothaeni  ;  et  Masboteas,  unde  niasboieani.  Atq':e  ex  istorum  fontibns 
profluxernnt  menand- istae,  et  marcionistse ,  et  carpocratiani ,  et  va- 
'  lentiiiiani ,  et  basibdiani,  et  saturniban  ,  qnoram  singuli  separatim 
variain  lUani  qaidem,  snani  tamen  et  propciam  invexeie  doctrinam. 
Ab  illi.s  item  na>cebantur  p>eudocbristi ,  pseiidopropheta?  et  psendo- 
apostoli  ,  qui  adulteiinje  ,  el  corrnp:ae  perversae  doctrinae  conlagione 
contra  Deum  et  contra  Cbristuni  ejas  inducta  ,  concordiara  et  unira- 
tem  ecclesiae ,  tanquam  membratim,  d.scerpserunt.  (Eiiseb.  ,  hist.  ec- 
cles.  ,  lib.  IV,  cap.  ai.) 

(a)  Omnes  i-nim  ii  valde  posteriores  «;nnt  qaam  episcopi  ,  qnibn* 
apostoli  tradidetoni  ecclesias:  et  hoc  in  tertio  bbro  cumonini  diligentia 
manifestavimus.  (^S.  Irenceiis ,  contra  hœres. ,  lib.  v  ,  cap.  20,  n°   i  .  ; 

(3)  Qood  eniiu  caiholica  eccîesia  posteriora  sua  fecerint  concilia- 
bula  ,  nan  est  opus  muliis  probare.  Nam  Doiiiini  qaae  fuit  in  adven- 
tu  doctrina,  cum  cœpisset  ab  Augu-to  medio  tempore  Tiberii  con- 
summalur.  Aposto'orum  autem  ejns  docirina  usqne  ad  Paali  mipiste- 


78  DISSERTATIONS 

temps  sur  les  évangiles  apocryphes  des  hérétiques  ;  et 
c'est  une  des  preuves  de  leur  supériorité  qu'allé^^urit 
Tertullien  (1;. 

XXXVII.    Il  nous  reste  une  réflexion    importante  à 
faire  sur  ie  mot  apocryphe.  On  appelle  aiusi.ordinaireinent 
des  ouvrages  qui  ne  sont  pas  des  auteurs  dont  ils  portent 
les  noms.  D'après    cete  notion,   un  grand  nombre  des 
écrits  dont  il  s'agit  ici  ne  sont  pas  ,  à  proprement  parler , 
apocryphes.  Les  évangiles  de  Cérinthe,  de  Basilide,  etc., 
avaient  certainement  ces  hérésiarques  pour  auteurs.  De 
même,  les  évangiles  des  Hébreux  et  des  Egyptiens,  rédi- 
gés par  des  fidèles  de  ces  deux  nations,  ne  peuvent  pas 
être  appelés  apocryphes  dans  le  sens  propre.  On  ne  devrait 
véritablement  appeler  ainsi  que  les  ouvrages  qui  portent 
faussement  le  nom  de  Jésus-Christ,  ou  de  sa  sainte  mère, 
ou  de  ses  disciples.  Mais  on  a  donné,  par  l'usage  et  depuis 
très-longtemps ,   une  plus  grande  étendue  au  mot  apo- 
cryphe ;  on  y  a  compris  généralement  tous  les  écrits  com- 
posés dans  les  premiers  siècles  sous  des  titres  semblables 
à  ceux  de  nos  Uvres  saints.  On  leur  a  donné  cette  déno- 
mination commune  pour  les  distinguer  tous  ensemble  de 
nos  livres  canoniques  ;  en  sorte  qu'on  a  fait  deux  classes 
séparées ,   l'une  des   livres  inspirés  ,  l'autre   des  livres 
apocryphes.  Mais  dans  cette  seconde  classe  il  faut  soi- 
gneusement distinguer  les  deux  sens  dans  lesquels  on  dit 
que  ces  livres  sont  apocryphes.  Une  partie  principale  de 
l'objection  de  nos  adversaires  consiste,  comme  nous  allons 
le  voir  ,  dans  la  confusion  des  deux  significations  de  ce 
mot. 

Ces  considérations  établies ,  je  passe  à  l'examen  de 
l'objection  proposée;  et  pour  mettre  de  l'ordre  dans  cette 
discussion  nécessairement  très-étendue,  je  la  diviserai  en 
deux  parties.  Je  considérerai  d'abord  les  livres  apocryphes 
en  eux-mêmes,  et  ce  qu'on  peut  conclure  de  leur  exis- 


liam  rseronis  tpmpore  consniumator.  Inferins  antem  circa  tempora 
Adriani  imperatoris  foerant  qai  haereses  excogitarent.  («S.  Clcmens 
Alex.^  Scrom.,  lib.  vu  ,  cap.  17.) 

(i)    Voyez  ci-dessas  n°  23,  page  37. 


SUR    LA.    BELIGION.  79 

tence  contre  l'authenticité  des  livres  canoniques.  J'exa- 
minerai ensuite  les  citations  que  l'on  dit  avoir  été  faites' 
par  les  Pères ,  de  ces  livres  apocryphes ,  et  ce  qui  en 
résulte  relativement  à  notre  question. 

XXXyiII.  Il  a  existé,  dès  les  premiers  temps  du  chris- 
tianisme, des  livres  apocryphes,  cela  est  indubitable; 
mais  inférer  de  là  que  tout  ce  qui  a  existé  de  livres  dans 
ce  temps  a  été  apocryphe,  serait  une  conséquence  évi- 
demment ridicule.  C'est  comme  si  l'on  disait  que  parce 
qu'il  y  a  de  la  fausse  monnaie,  il  n'en  existe  pas  de  véri- 
table. Ce  serait  même  un  faux  raisonnement  de  dire  :  il 
y  a  eu  beaucoup  de  livres  apocryphes;  donc  on  ne  peut 
constater  l'authenticité  d'aucun  livre. 

Ce  n'est  pas,  je  le  répète,  de  ce  que  nos  livres  saints 
existent  depuis  le  premier  siècle  du  christianisme  que 
nous  concluons  qu'ils  so.>t  véritablement  des  auteurs  dont 
ils  portent  les  noms.  Nous  fondons  cette  vérité  sur  ce 
que  ,  et  dans  le  premier  siècle  et  dans  tous  ceux  qui  l'ont 
suivi ,  on  a  été  constamment  et  généralement  persuadé 
que  nos  livres  sacrés  étaient  de  ces  auteurs.  Une  tradition 
originaire ,  perpétuelle  ,  universelle ,  voilà  le  motif  de 
notre  crovance.  Pour  opposer  avec  fondement  les  livres 
apocryphes,  il  faudrait  produire  en  leur  faveur  une  tra- 
dition semblable.  Sans  cela  il  n'y  a  pas  de  parité,  et  par 
conséquent  pas  d'objection.  Rien  de  plus  aisé  que  de 
mettre  à  la  tète  d'un  livre  qu'on  a  composé,  le  nom  d'un 
auteur  quelconque.  La  difficulté  est  de  faire  croire  au 
public  que  le  livre  est  réellement  de  cet  auteur ,  et  l'im- 
possibilité est  de  le  persuader  à  des  sociétés  qui  ont  un 
grand  intérêt  à  savoir  ce  qui  en  est  ;  à  des  sociétés  diffé- 
rentes et  éloignées  les  unes  des  autres  ;  à  des  sociétés 
opposées  entre  elles  sur  l'objet  de  ce  livre.  Réduisons  donc 
la  question  à  son  vrai  terme.  Examinons  s'il  y  a  pour 
l'authenticité  des  livres  appelés  apocryphes ,  les  mêmes 
raisons  que  pour  celle  des  livres  que  nous  regardons 
comme  canoniques  ,  si  on  a  été  de  même,  et  dans  le 
temps  où  ils  ont  paru,  et  depuis  ce  temps,  universelle- 
ment persuadé  qu'ils  étaient  authentiques. 


80  DISSERTATIONS 

On  nous  dit  bien  que  dès  les  premiers  temps  les  livres 
apocryphes  avaient  leurs  partisans,  qu'ils  étaient  reçus 
avec  respect;  mais  quelles  preuves  enapporte-t-on?  quelle 
chaîne  de  témoignages  présente-t-on  à  l'appui  de  cette 
assertion?  Pour  l'apprécier  et  la  réduire  au  point  de  la 
vérité,  considérons-la  relativement,  d'abord  à  ceux  de 
ces  livres  qui  étaient  hérétiques,  et  ensuite  à  ceux  qui 
étaient  catholiques. 

XXXÏX.  Les  livres  des  hérétiques  étant  des  ouvrages 
de  parti ,  il  est  tout  simple  qu'ils  aient  eu  quelques  par- 
tisans; mais  ils  n'en  avaient  que  dans  leur  parti.  Ceux 
produits  parEbion  ,  étaient  reçus  seulement  par  les  ébio- 
iiistes;  ceux  mis  au  jour  par  Cérinthe  ,  uniquement  par 
lesCérinthiens,  et  ainsi  des  autres.  L'intérêt  delà  secte 
était  ce  qui  leur  donnait  des  sectateurs,  mais  tous  ren- 
fermés dans  chaque  secte,  et  combattus  avec  force  par  le 
reste  des  chrétiens.  Car  tous  les  sectaires  divisés  des 
catholiques  ,  pour  admettre  les  évangiles  de  leur  secte  , 
étaient  réunis  à  eux  pour  rejeter  comme  faux  et  supposés 
les  évangiles  des  autres  hérésies.  Quelle  comparaison 
peut-on  faire  de  ce  petit  nombre  d'hommes  qui  croyaient 
à  ces  livres  ,  avec  l'Eglise  universelle  déjà  répandue 
dans  la  Judée  ,  dans  l'Asie ,  dans  la  Grèce ,  dans  l'I- 
talie, et  dans  beaucoup  de  pays ,  qui  tous  s'accordaient 
à  reconnaître  et  à  révérer  nos  évangiles?  De  plus,  nous 
avons  vu  que  celles  de  ces  premières  hérésies,  qui  n'ad- 
mettaient pas  tous  nos  évangiles,  ne  niaient  pas  leur  au- 
thenticité, et  attaquaient  seulement  leur  véracité.  Nous 
avons  prouvé  cette  véritépar  les  autorités  de  St.  Irénée, 
deTertullien,  d'Origènes,  de  St.  Clément  d'Alexandrie (1). 
Ainsi  à  cette  époque  il  n'y  avait  point  de  contestation  sur 
les  auteurs  de  nos  livres  sacrés.  Mais  nous  avons  vu,  au 
contraire ,  les  Pères  ,  qui  ont  réfuté  les  premières  héré- 
sies, spécialement  Tertullien,  attaquer  les  livres  qu'elles 
produisaient,   non -seulement   comme    contenant  des 


(i)  Voyez  ci-déssus  ,  n^  29,  pages  65 ,  -66 ,  67. 


SUR   LA    RELIGION.  81 

erreurs ,  mais  comme  fabriqués  depuis  la  naissance  de 
ces  erreurs  (1),  Les  évangiles  des  hérétiques  avaient ,  en 
même  temps  que  quelques  partisans  pour  contradicteurs 
de  leur  authenticité  ,  tous  les  autres  chrétiens.  Enfin  ces 
premières  hérésies  n'ont  eu  qu'une  existence  très-courte; 
et  lorsqu'au  bout  de  quelque  temps  elles  sont  tombées , 
les  livres  dont  elles  avaient  imaginé  de  s'étayer  sont 
tombés  avec  elles  ,  et  il  n'est  plus  resté  personne  qui  ne 
fût  convaincu  de  leur  fausseté.  Au  lieu  de  cela,  l'authen- 
ticité de  nos  livres  saints  a  reçu,  de  génération  en  géné- 
ration,  de  nouveaux  témoignages. 

Que  l'on  cesse  donc  de  demander  :  «  Quel  moyen  ,  au 
«  milieu  de  ce  chaos  de  livres,  peut-on  avoir  maintenant, 
«  pour  distinguer  ceux  qui  étaient  authentiques  et  ceux 
«  qui  étaient  apocryphes?  »  Relativement  aux  livres 
hérétiques  le  moyen  n'est  pas  difficile.  Quand ,  entre 
une  multitude  de  livres,  on  voit  les  uns  reconnus  pour 
authentiques  universellement  par  toutes  les  églises  de 
divers  pays,  les  autres  regardés  comme  tels  uniquement 
par  un  petit  nombre  de  personnes;  les  uns  avoués  au- 
thentiques par  ceux  même  qui  avaient  intérêt  de  le  nier; 
les  autres  contestés  par  presque  tout  le  monde  ;  les  uns 
traversant,  en  conservant  constamment  leur  caractère 
d'authenticité,  toute  la  suite  des  siècles  ;  les  autres  n'ayant 
qu'une  existence  éphémère  et  périssant  au  bout  de  quel- 
que temps  si  absolument  qu'il  en  reste  à  peine  les  noms: 
peut-on  avoir  un  doute  raisonnable  sur  l'authenticité 
des  uns,  sur  la  non  authenticité  des  autres?  Nos  livres 
canoniques  et  ces  livres  apocryphes  ont  existé  ;  voilà  tout 
ce  que  la  tradition  nous  montre  entre  eux  de  commun. 
Cette  tradition  ,  règle  générale  de  l'authenticité  des  ou- 
vrages ,  voilà  le  témoignage  assuré  que  nous  avons  pour 
connaître  aujourd'hui  quels  sont,  entre  tous  ces  livres, 
les  authentiques. 

XL.  Quant  aux  livres  appelés  apocryphes,  qui  étaient 


(i)  Voyez  ci-Jessus,  n°  aS,  page  37. 


82  DISSERTATIONS 

catholiques,  il  faut  expliquer  ce  qu'on  entend,  quand  on 
dit  qu'ils  avaient    des    partisans.  A  tut-on    dire  qu'on 
les  regardait  comme  des  livres  inspirés,   et    qu'on  les 
révérait  à  l'égal  de  nos  évangiles?  où  serait  la  preuve 
de  cette  assertion?  Que  l'on  nous  nomme  un  seul  auteur 
ecclésiastique,   qui  jamais  leur  ait   attribué   une  telle 
autorité.  jNous  verrons,  au  contraire,  incessamment  les 
saints  Pères,  en  citant  ces  livres,  mettre  entre  eux  et  nos 
livres   saints  une  grande  distance  (1).  Se  borne- t-on  à 
prétendre  qu'on  les  regardait  comme  authentiques, mais 
sans  les  révérer  comme  des  écrits  divins?  Je  répondrai  , 
d'après  ce  que  j'ai  déjà  dit,  qu'il  faut  distinguer  entre 
ces  livres.  Il  y  en  avait  qui  étaient  véritablement  des 
auteurs  dont  ils  portaient  les  noms,  tels  que  les  évangiles 
des  Hébreux  et  des  Egyptiens;  mais  de  l'authenticité 
reconnue  de  ceux-là,   on  ne  peut  rien  conclure  contre 
l'authenticité  des  nôtres.  Il  y  en  avait  d'autres  qui  por- 
taient à  tort  le  nom  de  quelques  apôtres  ;  mais  que  l'on 
nous  prouve  qu'ils  étaient  réputés  les  ouvrages  de  ces 
apôtres,  et  qu'on  les  leur  attribuait?  Il  n'y  a  pas  une 
preuve  ,  pas  une  indication  de  la  vérité  de  cette  alléga- 
tion.   Ces  ouvrages  avaient  des  partisans ,  je  le  veux  ; 
mais  c'étaient  des  partisans  de  leur  utilité  ,  et  non  de  leur 
authenticité.  Il  n'est  pas  nécessaire,  pour  lire  un  livre 
avec  édification ,  de  savoir  de  qui  il  est,  de  le  reconnaître 
comme  une  production  de  l'auteur  à  qui  on  l'attribue. 
Beaucoup  de  personnes  alors,  comme  à  présent,  croyaient 
quel'épître  de  St.  Barnabe  n'était  pas  de  lui,  et  la  reçoi- 
vent cependant  comme  un  livre  pieux.  Et  parmi  nous , 
combien   n'est   pas  considéré  le  livre  de  V Imitation    de 
Jésus-Christ  ^  malgré  les  disputes  et  l'incertitnde  de  son 
auteur  I 

XLI.  On  nous  parle  de  l'illusion  faite  aux  premiers 
chrétiens  sur  des  livres  supposés,  de  la  facilité  que  l'on 
a  eue  à  les  induire  en  erreur  au  sujet  de  ces  livres.  Mais, 


v^/   Voyez  ci-dfstous  .  n°  47  ,  page  9a  ,  note. 


SUR    LA    RELIGION.  83 

je  le  dirai  toujours,  quelle  raison  a-t-ou  de  croire  qu'ils 
y  aient  été  trompés?  Quel  monument  ecclésiastique  cite- 
t-on,  qui  annonce  que  les  fidèles  ait  regardé  comme  pieux 
ce  qui  était  hérétique ,  comme  inspiré  ce  qui  ne  l'était 
pas ,  comme  composé  par  les  apôtres  ce  qui  n'était  pas 
leur  ouvrage  ?  Si ,  comme  on  le  prétend  ,  abusés  par  les 
titres  des  faux  évangiles,  les  premiers  chrétiens  les  avaient 
reçus  et  révérés  à  l'égal  des  quatre  que  nous  possédons, 
ils  les  auraient  fait  passer  de  même  aux  générations  sui- 
vantes. La  tradition  ,  ce  raisonnement  solide  est  de  saint 
Augustin,  nous  aurait  transmis  les  uns  avec  les  autres  (1). 
Nous  avons  vu,  dès  le  temps  de  St.  Irénée ,  nos  quatre 
évangiles  seuls  reconnus  divins.  Il  est  donc  clair  que  l'on 
n'avait  pas  alors  la  même  idée  des  autres  évangiles. 
Puisqu'au  second  siècle  on  les  regardait  comme  apocry- 
phes, il  n'est  pas  possible  qu'ils  fussent  réputés  authen- 
tiques au  premier. 

XLII.  Mais  il  y  a  plus.  La  publication  des  faux  évan- 
giles, loin  de  former  une  objection  contre  l'authenticité 
des  nôtres ,  est  une  nouvelle  raison  d'y  croire.  On  a  fait 
tout  ce  que  l'on  a  pu  pour  faire  regarder  comme  vérita- 
bles ces  évangiles  supposés ,  et  on  n'a  pas  pu  y  réussir; 
tous  les  efforts  que  l'on  a  tentés  pour  les  faire  admettre 
comme  des  ouvrages  des  apôtres ,  ont  été  inutiles.  L'im- 
possibilité d'une  supposition  d'évangiles,  déjà  démontrée 
par  la  nature  de  la  chose  ,  est  encore  prouvée  par  le  fait. 
Le  soin  qu'ont  apporté  les  fidèles  à  écarter  les  écrits 
apocryphes ,  est  un  garant  que  ceux  qu'ils  ont  transmis 


(i)  Sane  de  apocryphis  iste  posait  testimonia  qaae  sub  noiuinibus 
apostolorom  Andrex- ,  Joanistiue  consciipta  snnt.  Quae  si  illurum  es- 
senr  ab  ecclesia  ,  qnae  ab  iilorum  temporibus,  per  successiones  epis- 
coporum,  ad  nostra  ,  et  deinceps,  tempora  persévérât,  (i".  Auguste 
contra  advers.  legis  et  prophet.  ,  l:b    i,  cap.   lo  ,  n"  38.  ) 

Omittarau5  igitur  earnm  scripturarum  fabulas  qaae  apocryphae 
nuncapantar,  eu  quod  earuin  occulta  origo  non  claïuil  palribus  ;  a 
quibus  nsqne  ad  nos  auctorilas  veracium  sciipturarum  ulilissiiua  et 
novissioia  successione  pervenit.  (^  Idem  ,  de  Civit.  Dei  y  lib.  xv, 
cap.  a3  ,  n°  4-  ) 


84  DISSERTATIONS 

comme  authentiques,  le  sont.  Et  puisqu'on  n'a  pas  pu 
parvenir  à  faire  passer  pour  réels  ceux  qui  étaient  sup- 
posés, on  doit  croire  que  ceux  qui  ont  passé  constamment 
pour  réels,  le  sont  véritablement. 

On  vient  ensuite,  et  c'est  la  seconde  partie  de  l'objec- 
tion que  nous  examinons ,  aux  citations  faites  par  les 
premiers  Pères  de  TEglise  ,  soit  de  nos  évangiles ,  soit  des 
évangiles  apocryphes  ;  et  ce  que  l'on  en  dit  peut  se  rap- 
porter à  deux  chefs.  On  révoque  en  doute  les  citations 
faites  par  ces  anciens  docteurs  ,  de  nos  quatre  évangiles; 
on  prétend  qu'ils  ont  cité  avec  vénération  les  évangiles 
apocrvphes.  Examinons  successivement  ces  deux  points. 
XLIII.  Je  commence  par  les  citations  qu'on  prétend 
faites  par  les  Pères  apostoliques  des  livres  apocryphes. 
Pour  juger  la  conséquence  qui  en  résulte,  il  faut  d'abord 
examiner  quelles  sont  ces  citations  qu'on  nous  oppose. 

Les  incrédules  ont  cherché  dans  les  écrits  des  premiers 
Pères  tous  les  passages  qui  pouvaient  être  tirés  des  ou- 
vrages apocryphes  :  ils  ont  recueilli  tout  ce  qu'en  ont  dit 
Grabe  et  Fabricius.  Et  avec  toutes  leurs  recherches  ils 
n'ont  pu  recueillir  que  huit  passages  ;  un  de  St.  Paul , 
quatre  de  St.  Clément,  un  de  St.  Barnabe ,  un  de  St. 
Ignace ,  un  des  constitutions  apostoliques.  Examinons- 
les  l'un  après  l'autre. 

St.  Paul,  à  l'assemblée  de  Milet  composée  d'évèqueset 
de  prêtres,  s'exprime  ainsi  :  <«  Il  faut  avoir  soin  des  in- 
«  firmes ,  et  se  souvenir  des  paroles  du  Seigneur  Jésus  ; 
<(  car  il  a  dit  :  Il  est  plus  heureux  de  donner  que  de  rece- 
H  voir  (1).  »  Ces  paroles,  dit-on,  ne  se  trouvent  pas  dans 
les  évangiles  actuels ,  il  faut  qu'elles  aient  été  tirées  de 
quelqu'un  de  ceux  qui  sont  perdus.  Voilà  une  consé- 
quence bien  extraordinaire.  Toutes  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  ,  de  même  que  ses  miracles,  n'ont  pas  été  écrites. 


(r)  Oportet  sascipce  infirmos  ,  ac  merainisse  verbi  Domini  Jesu 
qnoniam  ipse  dixU  :  Beafins  est  magis  da  e  qnara  accipere.  {Act.  xx 
35.) 


SUR    LA    RELIGION.  85 

Il  peut  très-bien  se  taire  que  St.  Paul  ait  rapporté  celles- 
ci  de  mémoire  et  les.ayaat  apprises  par  tradition.  Il  est 
possible  aussi  qu'il  fasse  allusion  à  ce  que  le  divin  Sauveur 
a  si  souvent  répété  sur  le  devoir  de  l'aumône  ,  et  sur  le 
bonheur  de  ceux  qui  pratiquent  les  œuvres  de  miséri- 
corde. 

Dans  la  seconde  lettre  du  pape  St.  Clément  on  lit  : 
«  Interix)gé  par  quelqu'un  quand  arriverait  son  règne , 
«  le  Seigneur  répondit  :  Lorsque  deux  ne  feront  qu'un  i 
«  lorsque  ce  qui  est  dehors  sera  comme  ce  qui  est  dedans  ; 
«  lorsque  le  mâle  étant  avec  la  femelle  ,  il  n'y  aura  plus 
«*  ni  mâle  ni  femelle  (1).  »  St  Clément,  dit-on,  n'ex- 
plique pas  d'où  il  a  tiré  cette  réponse;  ce  n'est  certaine- 
ment pas  de  nos  évangiles,  où  on  ne  la  trouve  point; 
mais  St.  Clément  d'Alexandrie  rapportant  ces  mêmes  pa- 
roles, nous  apprend  qu'on  les  lisait  dans  l'évangile  des 
Egyptiens  (2;.  Je  ne  ferai  sur  cette  citation  qu'une  obser- 
vation; c'est  qu'il  est  également  possible,  et  que  saint 
Clément  ait  appris  par  tradition  cette  réponse  de  Jésus- 
Christ,  et  qu'il  l'ait  tirée  de  l'évangile  des  Egyptiens. 
Mais  je  n'ai  pas  intérêt  à  discuter  ce  point.  Que  ce  soit 
dans  l'évangile  des  Egyptiens  que  St.  Clément  ait  puisé 
ces  paroles,  cela  ne  fait  rien  contre  nous,  ainsi  que  je  le 
prouverai. 

On  rapporte  deux  autres  citations  faites  par  le  même 
pape,  d'un  texte  qui  n'est  pas  dans  nos  évangiles  actuels, 
qui,  par  conséquent,  doit  être  dans  quelqu'un  des  apo- 
cryphes. Dans  sa  première  épitre  on  lit  :  «  Loin  de  nous 


(i)  Interiogatus  enim  a  quodam  ipse  Dominns  qaando  ventamm 
esset  regnum  ejus ,  dixit  :  «  Cura  duo  erunt  nnom  :  et  qaod  foris  ut 
«  qaod  intus  :  et  mascul'jm  cum  femina ,  neque  mas,  neqae  femi- 
-    na.    »   (S.    Clemens  ,  papa  ^  epist.  secunda ,  ^oP  r3.) 

(2)  Propterea  dicit  Cassianos  :  <  Cura  interrogaret  Salome  quando 
«  cognoscereiitur  ea  de  quibus  intenogabat ,  ait  Dominas:  Quando 
«  padoris  induraentura  Cnnculcaveritis  :  et  quando  duo  iacta  erunt 
«•  unum  :  et  raasculum  .  cnm  feraina,  nec  raascalum,  nec  femineum.  » 
Primum  quidem  in  nobis  tiaditis  quatuor  evangeliis  non  habemus  hoc 
dictnm  :  sed  in  eo  quod  est  secundum  JEgyptios.  (  S.  Ç.lem.  Alex. 
.Sf^offla^  ,  hb.  lu,  cap.  i3.) 


86  DISSERTATIONS 

«  l'Ecriture  où  il  est  dit  :  Malheureux  sont  ceux  qui  ont 
«  l'esprit  double  et  incertain,  qui  disent  :  Nous  avons  eu- 
•t  tendu  ces  choses  de  nos  pères,  et  voilà  que  nous  avons 
«i  vieilli,  et  que  rien  de  tout  cela  ne  nous  est  arrivé.  » 
Dans  sa  seconde  épître  on  lit  de  même:  «  Malheureux  sont 
u  ceux  qui  ont  l'esprit  double  et  le  cœur  incertain,  et  qui 
<(  disent  :  Nous  avons  entendu  toutes  ces  choses  de  nos 
«  pères,  et  cependant,  en  attendant  de  jour  en  jour,  nous 
«  n'avons  rien  vu  de  tout  cela  (1).  »  Pourquoi  recourir 
à  des  évangiles  apocryphes  que  nous  ne  connaissons  pas, 
dont  nous  n'avons  même  aucun  fiagment,  quand  nous 
trouvons  un  passage  semblable  à  celui-là  dans  un  de  nos 
livres  sacrés?  Ce  n'est  pas,  à  la  vérité,  dans  un  de  nos 
évangiles,  et  St.  Clément  ne  ditpas  qu'il  en  soit  tiré.  Il 
dit  que  ces  paroles  sont  dans  une  écriture,  dans  le  dis- 
cours prophétique.  Cette  écriture  est  la  seconde  épître  de 
St.  Pierre,  où  cet  apôtre  s'exprime  ainsi:  »  Ils  disent  : 
«  Où  est  la  promesse?  où  est  son  avènement?  Depuis  que 
«  nos  pères  se  sont  endormis ,  toutes  les  choses  persévè- 
u  rent  comme  du  commencement  de  la  création  (2).  »> 
On  dira  peut-être  que  les  expressions  de  l'apôtre  ne  sont 
pas  les  mêmes  que  celles  du  pontife  ;  mais  c'est  évidem- 
ment le  même  sens.  St.  Clément  citait  de  mémoire,  plus 
occupé  du  fond  des  choses  que  des  termes  ,  et  nous  en 
avons  la  preuve  dans  les  citations  même  dont  il  s'agit. 
Ses  expressions  ,  en  rapportant  le  même  texte ,  ne  sont 
pas  les  mêmes  dans  sa  première  et  dans  sa  seconde  épkre. 


(r)  Longe  a  iiobis  s  t  scriptura  ilia  ubi  dicit  :  Miseri  sant  qui  aui- 
mo  sant  dof  lices  et  incerte ,  qui  dicunt  :  bac  autlivimas  etiam  a  pa- 
tiibus  nosfris  :  et  ecct- conienuiraos  ;  et  nibil  hoinm  nobis  accidit. 
[  S.   Clemens  ,  papa  ,  Fpist.  prima  ,  ii"  2  3.  ) 

Dicit  eiiim  propbetMUs  sermo  :  Miser!  sunt  qui  anirao  duplices  et 
corde  inceiti  sunt  ;  qui  dicunt  haîc  oinn'a  audivimus  etiam  a  patribus 
nostîis  :  nos  vero  de  die  in  diem  exspectantes  nibil  horom  vidiuius, 
[Id.  epist.  secunda  ,  n°  i  !•  ) 

(2)  Dicentes  :  Ubi  est  promissio  et  adventos  ejus.  Ex  quo  enim 
patres  donnieiun»,  omnia  sic  persévérant  ab  initio  creaturse.  (a. 
Petr.  m,  4.  } 


SDR    LA    RELIGION.  87 

Est-il  étonnant  que  n'étant  pas  conforme  à  lui-même 
dans  ces  deux  citations,  il  ne  le  soit  pas  non  plus  au  texte 
original  qu'il  cite? 

On  nous  objecte  une  quatrième  citation  de  St.  Clé- 
ment ,  d'un  texte  qui  n'est  pas  dans  nos  évangiles.  «<  Il 
«  nous  dit  donc  :  Gaidez  votre  chair  et  votre  sceau 
<t  sans  tache ,  pour  que  vous  receviez  la  vie  éternel- 
<<  le  (1).  »  D'abord,  ces  paroles  paraissent  être,  dans 
St.  Clément,  moins  un  texte  spécial  qu'il  attribue  à 
Jésus-Christ ,  qu'une  conséquence  qu'il  tire  de  la  doc- 
trine du  divin  Sauveur.  Ensuite,  de  ce  qu'un  discours 
de  Jésus-Christ  n'est  pas  dans  nos  évangiles,  il  ne  s'en- 
suit nullement  qu'il  soit  tiré  des  évangiles  apocryphes, 
puisque,  comme  nous  l'avons  dit,  il  peut  être  rapporté 
d'après  la  tradition. 

Le  texte  de  St.  Barnabe  qu'on  nous  oppose  comme 
tiré  d'un  évangile  apocryphe  ,  toujours  par  la  seule  rai- 
son qu'on  ne  le  lit  pas  dans  les  nôtres,  est  celui-ci  : 
«  Le  Fils  de  Dieu  a  dit  :  Résistons  à  toute  iniquité ,  et 
«  nous  l'aurons  en  aversion  ('2).  >»  D'abord  ce  passage 
ne  se  trouve  pas  dans  le  texte  grec  de  cette  épître  ,  mais 
dans  une  ancienne  version  latine ,  dans  laquelle  on  n'a 
pas  une  grande  confiance.  De  plus ,  n'est-il  pas  possible 
que  St.  Barnabe  ,  qui  avait  été ,  à  ce  qu'on  croit ,  disci- 
ple de  Jésus-Christ ,  eût  recueilli  ces  paroles  de  la  pro- 
pre bouche  du  Sauveur  ? 

St.  Ignace,  poursuit-on,  dans  son  épître  aux  Smyr- 
niens ,  dit  :  «  Lorsqu'il  vint  à  ceux  qui  étaient  avec 
«   Pierre  ^3) ,    il  leur  dit  :  Prenez   et   touchez-moi  ,   et 


(i)  Hoc  ergo  dicit  :  Servate  carnem  vesUam  et  sigilluin  imraacD- 
lataru,  at  recipiatis  viiam  aeternam.  (5.  Clein.  papa,  epist.  secunda, 
n"  8.) 

(a)  Siout  (lixit  filins  Dei  :  Resistamns  omni  iniquitati  ,  et  odio  ha- 
bebinias   eam.  (S.  Barnabce,  epist.  ^  n°  4) 

(3)  Et  cara  ad  eos  qni  cum  Pelro  eiant  venit ,  inqail  ipsis  t  Ap- 
piehendite  et  palpafe  me;  et  videte  qnod  non  sim  daemoniutn  incor- 
porale.  {S.  Ign.^  epist.  ad  Smyrn   ,  n°  3.) 


88  DISSERTATIONS 

««  voyez  que  je  ne  suis  pas  un  déinou  incorporel.  »  Or, 
St.  Jérôme  nous  apprend  que  ces  paroles  se  trouvaient 
dans  l'ëvaiijjile  des  Hébreux.  En  admettant  que  St. 
Ignace  les  en  eût  tirées,  je  montrerai  encore  incessam- 
ment qu'on  ne  peut  rien  en  inférer  contre  l'authenticité 
de  nos  livres  saints.  Mais  sans  recourir  à  un  écrit  in- 
connu, St.  Ignace  ne  pouvait-il  pas  avoir  en  vue  ce  que 
le  Sauveur,  selon  St.  Luc,  dit  aux  onze  apôtres  :  Tou- 
chez-moi et  voyez  qu'un  esprit  n'a  pas  de  la  chair  et 
des  os ,  comme  vous  voyez  que  j'en  ai  (1). 

On  nous  objecte ,  enfin ,  que  dans  les  constitutions 
apostoliques  il  est  dit  :  «<  Soyez  des  agents  de  change 
«  honnêtes  (2)  ;  »  ce  qu'on  ne  voit  dans  aucun  évan- 
gile. Mais  les  constitutions  apostoliques  sont  une  produc- 
tion du  second ,  ou  peut-être  du  troisième  siècle  ;  il  n'est 
pas  juste  de  les  confondre  avec  les  écrits  des  pères  apos- 
toliques. D'ailleurs,  il  n'est  pas  dit  dans  le  texte  que  ce 
soit  là  une  parole  de  Jésus-Christ.  De  plus ,  ce  peut  être 
une  allusion  à  la  parabole  des  talents.  Ajoutons  à  tout 
cela  qu'on  peut  d'autant  moins  s'autoriser  des  constitu- 
tions apostoliques^  pour  prétendre  que  les  livres  apocry- 
phes ont  été  assimilés  au  Nouveau  Testament ,  qu'on  y 
trouve  une  condamnation  formelle  de  ces  livres  (^>). 


(i)  Videte  manus  ineas  et  pedes  ;  qnia  ego  ipse  sum  :  palpate  et 
videie  qaia  spiritui  caniein  et  os-.a  non  habet ,  sicat  me  videtis  lia- 
bere.  (^S.  Luc  ^  xxtv  ,  Zg.) 

(2)  Atqai  solis  saceidotibus  judicate  est  concessum ,  qnjppe  quibus 
dictum  sit  :  Judiciinn  justiim  judicate  ^  et  rursum  :  Estote  probi  tra- 
pezitœ.  Vobis  auiein  id  non  est  permissum.  Inimo  contra  ,  iis  qui 
digniialera  aat  judicis  aut  magistri    non  habent   dictam  est  :  Nolite 

judicare,  et  non  judicabimini.  {Conscit.  apost.^  lib.  m  cap.  36.) 

(3)  Hcec  omnia  scripsimus  vobis,  ut  notum  haberetis  qualis  sit 
nostra  sententia  ;  et  ne  1  bros  qui  ab  inipiis  ,  no>tri  norainis  inscrip- 
tione  sunt  iirmati ,  recipiatis.  Non  enim  attendere  debelis  nomina 
apostolorum,  sed  natniam  -erura  ,  et  rectain  indeflexainque  senten- 
tiaru.  Scimus  quippe  Siiuoneni  et  Cleobium  ,  venenatos  nomine  Chrisli 
et  di;eipnlojum  ejus  coaspusuibsc,  aique  circumfene  ,  ad  decipiendo» 
TOS  qui  Cliriituiii,  nosqne  -ervos  ejus  dilex'stis.  Et  vero  apud  veteres 
nonnuUi    f^fjns'Tipsernnt    Mosis ,    Enochi^   Adami ,  Isaiae  ,    Davidis  , 


SUR    LA    RELIGION.  89 

XLIV.  Voilà  exactement  tout  ce  qu'à  force  de  re- 
cherches les  incrédules  ont  pu  recueillir  de  passages  cités 
par  les  Pères  apostoliques  ,  et  que  l'on  ne  trouve  pas  dans 
nos  évangiles  actuels.  De  ces  textes ,  deux  ou  trois  ont 
une  telle  conformité  avec  des  textes  de  nos  livres  saints  , 
qu'il  est  plus  que  probable  que  ce  sont  des  allusions  qui 
y  sont  faites.  Il  y  en  a  cinq  ,  sur  lesquels  on  n'a  d'autre 
raison  de  les  croire  tirés  d'écrits  apocryphes ,  que  de  ce 
qu'on  ne  les  trouve  pas  dans  les  livres  canoniques.  iVIais 
nos  adversaires  conviennent,  ils  piétendent  même,  et 
c'est  une  de  leurs  difficultés,  que  les  premiers  Pères  ci- 
taient des  paroles  de  Jésus-Christ,  non  pas  toujours  sur 
des  livres  écrits^  mais  souvent  d'après  des  traditions  ora- 
les ,  qui  les  leur  avaient  transmises.  N'est-il  donc  pas 
très-possible  que  cinq  citations  de  texte,  que  nous  ue 
trouvons  pas  dans  le  Nouveau  Testament,  fussent  ainsi 
faites  de  mémoire  et  sur  la  tradition  ?  Quel  motif  a-t-on 
de  prétendre  qu'ils  ont  été  plutôt  tirés  d'ouvrages  que 
nous  n'avons  pas  ?  L'assertion  de  nos  adversaires  est 
donc  purement  gratuite;  et  puisque,  pour  la  soutenir, 
ils  n'ont  que  leur  simple  affirmation  ,  notre  simple  dé- 
négation suffit   pour   leur   répondre. 

Il  reste  donc,  et  c'est  à  cela  que  se  réduit  toute  l'ob- 
jection, deux  passages,  l'un  de  St.  Clément,  l'autre  de 
St.  Ignace,  qui  sont  confornjes  à  deux  passages  que  nous 
savons  avoir  existé  ;  celui-là  dans  l'évangile  des  Egyp- 
tiens, celui-ci  dans  l'évangile  des  Hébreux.  C'est  de  ces 
deux  seules  citations  que  nous  avons  à  parler.  J'ai  dit 
qu'on   ne  pouvait  rien  en  inférer  contre  l'authenticité 


Elise,  et  irium  patriarcliarum  libros  apocryphes  exitiales  ac  repng- 
nantes  veritatj.  Consimiles  librus  nanc  qnoqne  ediderum  inauspicati 
homines,  calanin'ante-»  creationem,  nuptias  ,  providentiam  ,  procrea- 
tionein  liberorudi ,  legem  ,  prophela»,  adsciibentes  baiba-a  qasedara 
nomina  ,  scilicet,ut  ip^i  dicnnt,  angelorom,  nt  venini  antem  daemo- 
jiain.  Fugite  docrrinam  eorum  ,  ne  partit-ipes  efficiainini  supplicii  , 
peccati ,  iis  qui  haec,  ut  faileient  et  perderent  fidèles,  et  inculpatos 
Chrisii  Jesu  discipalos ,  filios  ac  hseredes  conscripseiuiit.  {Ibid.  Lb.  vi, 
cap.  i6.) 


90  DISSERTATIONS 

de  nos  rvangiles,  et  c'est  ce  que  j'ai  à  prouver.  Je  pour- 
rais faire  conire  les  incrédules  l'argument  qu'ils  font 
contre  nous,  et  qui  serait  tout  aussi  fort  contre  eux  ;  sa- 
voir, que  ce  peut  être  d'après  une  tradition  que  St.  Clé- 
ment et  St.  Ignace  ont  rapporté  les  paroles  de  Jésus-Christ. 
Mais  je  le  leur  épargnerai ,  et  je  me  bornerai  à  leur  don- 
ner deux  réponses  :  la  première  ,  que  les  deux  évangiles 
dont  on  dit  les  passages  en  question  tirés  ,  étaient  véri- 
tablement des  Hébreux  et  des  Egyptiens _,  dont  ils  por- 
taient les  noms;  la  seconde  ,  que  ces  deux  évangiles  n'é- 
taient pas  des  ouvrages  vicieux  ,  mais  avaient  été  com- 
posés à  bonne  intention. 

XLV.  En  premier  lieu  ,  de  quoi  est-il  question  entre 
nous  et  les  déistes  ?  de  savoir  si  les  évangiles  que  nous 
possédons  sont  authentiques  ou  apocryphes,  c'est-à-dire 
s'ils  sont  ou  s'ils  ne  sont  pas  des  quatre  auteurs  dont  ils 
portent  les  noms.  On  prétend  prouver  qu'ils  n'en  sont 
pas,  en  rapportant  des  citations  d'évangiles  apocryphes 
faites  par  les  Pères  les  plus  anciens.  Il  faut  donc  rappor- 
ter des  citations  d'évangiles  apocryphes,  dans  le  sens 
qu'ils  ne  soient  pas  des  auteurs  dont  ils  sont  intitulés. 
Au  lieu  de  cela,  on  confond,  comme  j'ai  eu  occasion  de 
l'observer,  les  deux  significations  du  mot  ajmcrijphe. 
On  prend  dans  le  principe  du  raisonnement  ce  mot  dans 
un  sens  ,  et  dans  la  conclusion  dans  un  autre.  Les  Pères 
apostoliques ,  dit-on ,  ont  cité  deux  évangiles  apocry- 
phes ,  c'est-à-dire  ,  qui  n'étaient  pas  inspirés.  Donc ,  les 
livresque  nous  possédons  sont  peut-être  apocryphes , 
c'est-à-dire  ne  sont  peut-être  pas  des  auteurs  auxquels 
on  les  attribue.  Pour  prouver  que  ces  anciens  docteurs 
ont  pu  se  tromper  sur  l'authenticité  de  nos  évangiles , 
il  faudrait  prouver  qu'ils  se  sont  trompés  sur  l'authenti- 
cité d'autres  écrits.  On  ne  le  prouve  pas  en  disant  qu'ils 
ont  cité  des  ouvrages  qui  étaient  véritablement  authen- 
tiques. 

XLYI.  En  second  lieu  ,  que  prouve  une  citation  ?  D'a- 
bord ,  qu'un  livre  existe,  ensuite  qu'on  croit  véritable 
ce  qui  y  est  contenu.  C'est  là  tout  ce  qu'on  peut  inférer 


SUR    LA    RELIGION.  Ql 

des  citations  faites  par  les  Pères  des  deux  évangiles  dont 
il  s'agit.  Mais,  entre  regarder  un  livre  comme  vcridi- 
que,  et  lui  attribuer  l'autorité  de  nos  livres  divins,  il  y 
a  une  grande  différence  (1).  Xe  citons-nous  pas  tous  les 
jours,  en  faveur  de  la  religion,  des  livres  qu'assurément 
nous  n'assimilons  pas  aux  évangiles?  Les  Pères  ont  bien 
pu  citer  les  livres  appelés  apocryphes  du  Nouveau  Tes- 
tament,  comme  les  apôtres  eux-mêmes  avaient  cité 
ceux  relatifs  à  l'ancien.  St.  Jude  cite  un  passage  du  livre 
d'Enoch  :2^  ;  et  St.  Jérôme  remarque  une  citation  du 
même  genre,  faite  par  St.  Paul,  ainsi  que  des  vers  de 
plusieurs  poètes  païens  (3).  Ni  St.  Jude  ,  ni  St.  Paul  ne 
croyaient  égaler  les  livres  qu'ils  citaient,  aux  saintes 
Ecritures,  ou  porter  atteinte  à  l'authenticité  des  livres 
inspirés,  mais  ils  rapportaient  ces  passages  comme  uti- 


(i)  Ego  enira  faleor  charilaii  tuae,  solis  eis  scrip'nrarurn  libris  qui 
jam  Canonici  appellantar ,  didici  hune  timoreiii  boiioremque  déferre, 
ut  nullnm  euram  auotorein  tcribendo  alijuid  errasse  fiiinissime  cre- 
dam  :  aut  si  aîiqnid  in  eis  offendero  lilteris  qnod  videtur  contraiium 
veiitati,  nihi!  aliod  quam,  vel  mendosum  esse  codioem,  vel  intprpre- 
t^m  non  assecQlum  esse  id  quod  dicium  est,  vel  me  minime  iiitel- 
lexisse  con  ambigeam.  Alios  autem  ita  logo  ,  m  quanrtibbet  sancti- 
tafe  ,  docîrinaque  pulleant  ,  non  ideo  veiam  palem  quia  ipsi  sense- 
runt  ;  sed  qnia  mihi  ,  vel  per  illos  auotores  canoiàcos,  vel  probabili 
ratione  qaod  a  vero  non  abborreat,  persnadere  potuernnt.  >'ec  te, 
mi  frater,  senfiie  aliqu.d  existimo.  Pri'ri,us  ,  inqiianj  ,  non  'e,  ut  ar- 
bitrer ,  sic  legi  tuts  velle  ,  tanqaam  prt.plietaru!ii  ei  apostolorum  , 
de  quorum  sciiptis  quod  errore  areant  dubjiaie  nefa:ium  est.  [S. 
Aiigust.  epist.  T-xxxu  ,  al.   xix.ad  S    Hier.,  n°  3.) 

(2)  Propbetavit  autem  et  de  bis  septimus  ab  Adam  Enocb  di- 
cens  -•  Ecce  venit  Dominos  in  sanclis  millibns  sois.  f^Jud.  14.) 

(3)  Qua;ret  aliqnis  qnisnam  sit  iste  qui  dicit  :  Surge  qui  dormis  et 
exiirge  a  mortuis  ;  seu  cujas  testimonio  aposîolus  sit  abu  us.  Et  qui- 
d' m  qui  sirnpl'ci  respm-vione  contentus  esi  dicet,  in  reconditis  eum 
pr.jpbe'iis  ,  et  bis  q-iae  vorantur  apocrypba  baec  lecta  in  médium 
protulisse  ;  sicat  in  aliis  quoqne  locis  illum  fecisse  manife^tum  est  : 
non  quod  apociy^hu  comprobaret  :  sed  quod  et  Arati  ,  et  Epimeci- 
dis,  et  Menandri  versibos  sit  abusus,  ad  ea  qnae  volaerat  in  tempore 
comprubanda.  ]Sec  tairen  Arati  et  Epimenidis  et  Menandri  tofa  quae 
scripsere  sont  sancta  :  quia  eos  vere  aliqaid  dixi-^se  testatns  est.  {S. 
Hieron.  Comment,  in  epist.  ad  Ephes   ,  lib.  rn,  cap.  5.) 


92  DISSERTATIONS 

les  à  l'édificatioii.  Ils  savaient  bien,  ditOri^ènes,  ce 
qu'ils  pouvaient  tirer  de  ces  livres  apocryphes,  et  ce 
qu'on  devait  en  laisser  fl). 

XLVIl.  Ainsi ,  lorsque  St.  Clénjent  et  St.  Ignace  ,  lors- 
qu'après  eux  plusieurs  autres  saints  Pères  ont  quelque- 
fois cité  des  évangiles  appelés  apocryphes  ,  ils  ont  pu  en 
faire  usage  comme  d'ouvrages  pieux  et  propres  à  opérer 
l'édification ,  et  non  comme  d'ouvrages  inspirés.  Pour 
tirer  quelque  parti  des  passages  des  Pères  ,  il  faudrait 
montrer  qu'ils  leur  attribuaient  la  même  autorité  qu'à 
nos  évangiles  ;  et  c'est  ce  qu'on  ne  peut  pas  assurément 
prouver.  Mais,  dit-on  ,  ils  les  citent  avec  la  même  vé- 
nération que  les  livres  du  JNouveau  Testament.  A  cela 
je  réponds  d'abord ,  que  ce  qu'ils  en  citent  étant  des 
paroles  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ ,  il  est  tout  sim- 
ple qu'ils  le  rapportent  avec  respect.  Je  réponds  en- 
suite :  où  est  la  preuve  de  cette  égalité  de  vénération 
pour  les  livres  apocryphes  et  pour  les  livres  canoniques  ? 
En  avançant  une  assertion,  il  faudrait  en  donner  les  rai- 
sons. Je  réponds  ,  enfin  ,  qu'il  s'en  faut  de  beaucoup, 
comme  je  l'ai  déjà  annoncé  .  que  les  saints  docteurs,  en 
citant  ces  divers  livres,  missent  les  uns  et  les  autres  sur 
la  même  ligne.  Ceux  d'entre  eux  qui  ont  le  plus  sou- 
vent cité  des  évangiles  apocryphes^  sont  St.  Clément 
d'Alexandrie ,  Origènes  et  St.  Jérôme.  Or  ,  nous  voyons 
spécialement  ceux-là  mettre  une  extrême  différence  en- 
tre les  écrits  canoniques  et  les  autres.  St.  Clément  répon- 
dant à  une  citation  de  l'hérélique  Cassien  ,  dit  que  le 
texte  qu'il  allègue  se  trouve ,  non  dans  les  quatre  évan- 
giles qui  nous  ont  été  transmis,   mais   dans  celui  des 


(i)  Illûd  lanien  palain  est  malra,  vel  ab  aposîolis,  vel  ab  evange- 
listis  exempla  esse  prolata,  et  novo  testamento  incerta  ,  qnae  i;i  his 
scripturis  qiias  caiiut.icas  liabemus  nnrujuam  legiinus;  in  apocr^phis 
tamen  inveninntur,  et  evidenter  es.  ipsis  ostenduntur  assuinpta,  Sed 
nesic  qiiidern  locus  aporrvphis  dandns  est.  Non  enim  tianseundi  sunt 
termini  quossfatueî-nnt  patres  nostri.  Potait  enim  fieri,  nt  aposioli  vel 
evangelistœ,  sancfo  spintu  re[»leti  sciverint  qnid  assnraenduin  esset  ex 
iliisscripturis,  quidve  refutandum.  {Orig.  in  Cant.   cant.  prolôgus.) 


SDR    LA   RELIGION.  93 

Egyptiens  (1).  Et,  dans  un  autre  endroit,  rapportant 
lui-même  un  précepte  de  J.-C.  tiré  d'un  livre  apocry- 
phe ,  il  dit  qu'on  le  lit  dans  quelcjue  évangile  (2)  ;  ex- 
pression dont  assurément  il  ne  se  sert  pas  en  parlant  des 
évangiles  canoniques.  Nous  voyons  Origènes  rapportant 
des  passages  de  l'évangile  des  Hébreux,  ajouter,  «  si  on 
«  veut  bien  le  recevoir  ,  non  comme  ayant  l'autorité  de 
«  décider  la  question  ,  mais  comme  propre  à  l'éclair- 
■<  cir  (3)  ;  »  et  ailleurs  ,  «  si  quelqu^un  veut  bien  rece- 
'<  voir  cet  évangile  (4).  »  St.  Jérôme ,  après  avoir  op- 
posé aux  pélagiens  un  passage  du  même  évangile  et  un 
tiré  des  épîtres  de  St.  Ignace,  leur  dit  :  «  Si  vous  ne 
«  voulez  pas  reconnaître  l'autorité  de  ces  témoignages , 
«  reconnaissez-en  du  moins  l'antiquité  ,  et  voyez  ce 
«   qu'ont  pensé  tous  les  hommes  apostoliques  (5).   » 

Que  résulte-t-il  donc  de  ces  citations  d'écrits  apocry- 
phes faites  par  les  anciens  Pères,  que  l'on  fait  sonner  si 
haut?  elles  se  réduisent  à  deux  ;  elles  sont  tirées  de  li- 
vres qui  étaient  véritablement  des  auteurs  dont  ils  por- 
taient les  noms  :  ainsi ,  elles  ne  montrent  pas  que  les  saints 
docteurs  se  trompassent  sur  l'authenticité  des  livres.  Les 
livres  où  elles  sont  puisées  étaient  des  ouvrages  pieux  ; 
ainsi ,  de  ce  que  les  Pères  les  ont  produits,  il  ne  s'ensuit 
nullement  qu'ils  assimilassent  ces  ouvrages  au  Nouveau 


(i)  Voyez  ci-dessus,  no  43,  page  84. 

(2)  Non  enim  invidens,  inquit,  praecepit  Domiiius  in  alirjuo  evan- 
gelio  .•  Mysterium  meam  mihi,  et  fîliis  domas  meae.  {S.  Clemens 
Alex.  ,   Seront,  y  lib.  v,  c.  10.) 

(3)  Scriptuin  est  in  evangelio  quodam ,  quod  dicitur  secnndum 
Hebraeos,  si  tamen  placet  alicai  snscipere  illud,  non  ad  aiicloiita- 
tem  ,  sed  ad  manifestationem  propositae  quaestionii,  {^Orig.  in  Matth. 
Tract.  XV,    n°    14.) 

(4)  Quod  si  qnis  evangelium  juxta  Hebraeos  admitlit,  ubi  Salvator 
ipse  dicit  :  Modo  accepte  me  mater  mea.  {Idem  ^  Comment,  in  Jo- 
ann.  ,  tom.   ir,  n°  6.)  ♦ 

(5)  Qaibus  testinnoniis  si  non  nleris  ad  ntilitatem  ,  utere  saltem  aJ 
antîquitatem ,  qaid  ornnes  viri  ecclesiaslici  senserint.  [S.  [iicron.  ^ 
contra  Pclag.  lib.  ht.) 


94  DISSERTATIONS 

Testament.  Dès-lors  elles  ne  prouvent  absolument  rien 
contre  l'aullienticité  de  nos  givres  saints. 

XLYIII.  Venons  maintenant  à  l'autre  assertion  de  nos 
adversaires  relative  aux  citations  de  nos  évangiles  par  les 
saints  Pères.  Elle  renferme  trois  parties:  lapiemière, 
que  jusqu'à  St.  Justin  on  ne  voit,  dans  les  écrits  des 
Pères  ,  que  des  citations  de  livres  apocryphes  ;  la  seconde , 
que,  depuis  St.  Justin  jusqu'à  St.  Clément  d'Alexandrie, 
les  Pères  emploient  l'autorité  ,  tantôt  des  livres  supposés , 
tantôt  de  ceux  qui  passent  aujourd'hui  pour  canoniques  ; 
la  troisième ,  que  ,  depuis  St.  Clément  d'Alexandrie  ,  nos 
évangiles  l'emportent  et  éclipsent  entièrement  les  autres. 
De  pareilles  propositions  en  imposent  par  le  ton  auda- 
cieux avec  lequel  on  les  met  en  avant  ;  et  il  est  aisé,  avec 
cet  air  d'érudition,  de  faire  illusion  à  des  hommes  peu 
instruits.  Mais  en  produisant  de  pareilles  assertions ,  il 
faudrait  les  prouver  ;  et  les  incrédules ,  hardis  à  affirmer  , 
se  pardent  bien  de  présenter  des  preuves.  Suppléons  à 
leur  défaut .  et ,  reprenant  leurs  deux  premières  proposi- 
tions ,  prouvons-en   successivement  la  fausseté. 

Sur  la  première  ,  j'observerai ,  d'abord  ,  que  quand  on 
ne  verrait  dans  les  Pères  apostoliques  aucune  citation  de 
nos  livres  saints  ,  ce  serait  encore  à  tort  qu'on  en  conclu- 
rait qu'ils  ne  les  ont  pas  connus.  Ce  ne  serait  qu'un  ar 
gumcnt  négatif ,  et  il  serait  d'autant  plus  faible,  que 
nous  n'avons,  de  ces  premiers  docteurs,  que  quelques 
lettres  et  en  assez  petit  nombre.  Cet  argument  pourrait-il 
balancer  les  témoignages  des  auteurs  suivants?  Combien 
de  livres  sur  l'authenticité  desquels  il  n'existe  aucun 
doute,  ne  nous  sont  connus  que  par  une  tradition  qui 
commence  plus  d'un  siècle  après  leur  publication? 

Mais  nous  n'avons  pas  à  nous  en  tenir  à  cette  seule  con- 
sidération. La  fausseté  de  l'assertion  a  été  complètement 
démontrée  par  les  passages  que  nous  avons  produits  de 
tous  les  Pères  apostoliques.  De  tous  les  écrivains  ecclé- 
siastiques antérieurs  à  St.  Justin  ,  il  n'y  en  a  qu'un  seul , 
qui  est  Hermias ,  dont  nous  n'ayons  pas  produit  de  cita- 


SUR    L\    RELIGION.  95 

tions  formelles  du  Nouveau  Testament  ;  encore  nous 
avons  vu  qu'en  plusieurs  endroits  il  y  fait  manifestement 
allusion.  Tous  les  autres  Pères  apostoliques ,  qui  sont 
St.  Clément,  St.  Barnabe,  St.  Ij^nace  ,  St.  Polycarpe, 
rapportent  en  propres  termes  des  passages  de  nos  livres 
saints  ;  et  Papias ,  dont  nous  n'avons  qu'un  fragment , 
nomme  positivement  deux  de  nos  évangélistes. 

Les  incrédules  ont  senti  combien  était  fortement  dé- 
mentie leur  assertion  par  toutes  ces  citations  si  multipliées. 
Ne  pouvant  nier  leur  réalité  ,  ils  ont  pris  le  parti  de  dire 
que  ce  n'étaient  pas  nos  livres  canoniques  qui  étaient 
cités  dans  ces  divers  passages.  Les  raisons  qu'ils  en 
donnent ,  sont ,  que  nos  évangélistes  n'y  sont  pas  nommés, 
que  les  premiers  Pères  pouvaient  avoir  appris  les  paroles 
de  Jésus-Christ  de  vive  voix  et  par  tradition  ,  sans  les 
avoir  puisées  dans  des  livres  ;  enfin ,  qu'ils  ])ouvaient 
aussi  bien  les  avoir  tirées  de  quelques-uns  des  évangiles 
supprimés  que  de  ceux  qui  nous  restent. 

XLIX.  Admirons  la  logique  et  la  bonne  foi  de  nos  ad- 
versaires. Ils  soutiennent  que  les  saints  Pères,  disciples 
des  Apôtres,  ont  fait  usage  des  évangiles  apocrvphes  ;  et 
leur  raison  démonstrative  est,  qu'on  trouve  dans  leurs 
ouvrages  un  petit  nombre  de  passages  que  l'on  sait  avoir 
été  dans  ces  évangiles.  Mais  ,  selon  eux  ,  une  vingtaine 
de  passages  que  nous  avons  rapportés,  et  qui  se  trouvent 
les  mêmes  dans  nos  livres  saints  et  dans  les  écrits  des 
Pères  apostoliques ,  ne  prouvent  pas  que  ces  pères  aient 
connu  nos  livres  saints. 

Il  est  évident ,  disent-ils  ,  que  les  premiers  Pères  ne 
connaissaient  pas  les  évangiles^  puisqu'ils  ne  les  ont  pas 
nommés.  Mais  il  est  évident  en  même  temps  qu'ils  ont 
connu  et  cité  les  évangiles  apocryphes,,  qu'ils  ne  nom- 
ment pas  davantage. 

Les  paroles  de  Jésus-Christ ,  ajoutent-ils ,  que  rappor- 
tent quelques-uns  des  anciens  docteurs  ,  et  qui  sont 
conformes  à  nos  évangiles ,  ce  peut  être  par  tradition 
qu'ils  les  aient  apprises.  Mais  celles  qui  se  trouvaient 
dans  les   ivres  apocryphes,  ce  ne  peut  pas  être  la  tradi- 


96  '  DISSERTATIONS 

tion  qui  les  leur  ait  transmises  ;  c'est  incontestablenient 
dans  les  livres  qu'ils    les  ont  puisées. 

Tel  est  le  sort  naturel  des  mauvaises  causes ,  qu'elles 
ne  peuvent  être  soutenues  que  par  les  contraditions. 
Mais  abandonnons  les  incrédules  aux  inconséquences 
dans  lesquelles  ils  sont  forcés  de  se  jeter,  et  après  les 
avoir  opposés  à  eux-mêmes,  opposons-leur  la  raison. 

Les  Pères  apostoliques,  disent-ils,  n'ont  pas  nommé 
nos  évangélistes.  D'abord,  le  fait  n'est  pas  vrai.  Nous 
avons  vu  Papias  nommer  positivement  St.  3Iatthieu  et 
St.  Marc.  Ce  témoignage  seul  suffirait  pour  détruire  la 
difficulté. 

L.  Le  ce  qu'ils  n'ont  pas  nommé  les  évangélistes,  on 
conclut  qu'ils  ne  les  connaissaient  pas.  Mais  ces  mêmes 
Pères  ont  souvent  rapporté  des  passages  de  l'Ancien  Tes- 
tament, sans  dire  de  quel  livre  ils  les  liraient  ;  il  faut 
donc  dire  aussi  qu'ils  ne  connaissaient  pas  l'Ancien  Tes- 
tament. 

C'est  parmi  nous  encore  la  chose  la  plus  commune, 
de  voir  des  prédicateurs  rapporter  des  passages  de  l'E- 
criture sainte  ,  sans  dire  de  quels  livres  ils  les  ont  tirés. 
Il  n'est  utile  de  marquer  nommément  le  livre  que  l'on 
cite,  que  dans  les  discussions  théologiques,  où  il  faut 
faire  voir  la  fidélité  de  la  citation.  Les  écrits  des  Pères 
apostoliques  étaient  des  leçons  de  morale  ,  des  exhorta- 
tions ,  et  non  pas  des  disputes.  Ils  rappelaient  les  textes 
du  Nouveau  Testament  à  des  gens  qui  les  connaissaient  ; 
et  nous  avons  vu  St.  Clément  et  St.  Polycarpe  disant 
aux  fidèles  de  s'en  souvenir.  Il  est  donc  tout  simple  que 
ces  premiers  docteurs  n'aient  pas  fait  de  citations  nomi- 
nales. Mais  lorsque  les  discussions  furent  engagées  con- 
tre les  hérétiques,  nous  voyons  les  pères  St.  Irénée, 
TertuUien,  Origènes,  et  leurs  succesesurs,  employer  ce 
genre  de  citations.  La  différence  dans  la  manière  de  citer 
vient  de  la  différence  du  genre  d'écrits. 

LI.  Ce  peut  être,  ajoute-t-on,  de  la  tradition  que  les 
premiers  ont  reçu  les  paroles  de  Jésus- Christ  qu'ils  rap- 
portent. Yoilà  déjà  Fobjection  de  nos  adversaires  fort 


SUR    LA    RELIGION.  97 

atténuée.  Ils  avançaient  très-aflirmativement  que  nos 
évangiles  n'avaient  jamais  été  cités  par  les  premiers  Pères, 
et  quand  il  s'agit  de  prouver  Tassertion,  ils  se  restreignent 
à  dire  qu'il  est  possible  que  les  citations  alléguées  soient 
tirées  d'ailleurs.  Ce  n'est  donc  plus  qu'à  une  simple  pos- 
sibilité que  nous  avons  à  répondre.  Voyons  s'il  est  rai- 
sonnable d'y  croiie. 

Userait  absolument  impossible  qu'une  parole  de  Jésus- 
Christ  eût  été  transmise  de  vive  voix  par  ses  apôtres  à 
leurs  disciples,  telle  que  nous  la  lisons  dons  nos  évangiles. 
Ainsi,  s'il  n'y  avait  qu'unt-  seule  citation  de  ce  genre,  ou 
même  un  très  petit  nombre  ,  dans  les  ouvrages  ecclésias- 
tiques du  premier  siècle,  elles  pourraient  ne  pas  former 
à  elles  seules  et  par  elles-mêmes  une  démonstration  ab- 
solue de  l'authenticité  du  Nouveau  Testament.  Nous 
serions  par  conséquent  en  droit  de  retourner  contre  nos 
adversaires,  et  avec  l)ien  plus  de  force  qu'eux  ,  l'objec- 
tion qu'ils  nous  font,  et  de  leur  dire  :  les  deux  discours 
du  Sauveur,  que  vous  rapportez  d'après  St.  Clément  et 
St.  Ignace,  et  que  l'on  lisait  dans  des  évangiles  apocry- 
phes, n'étaient  peut-être  connus  de  ces  deux  docteurs 
que  par  tradition.  Le  petit  nombre  de  ces  passages  ren- 
drait notre  raisonnement  bien  autrement  plausible  que 
le  leur.  Quand  je  vois,  au  lieu  de  cela,  non  pas  un  écri- 
vain ,  mais  tous  les  écrivains  de  ce  siècle ,  rapporter,  non 
pas  une  fois ,  mais  souvent ,  des  paroles  de  Jésus-Christ, 
telles  qu'elles  sont  dans  nos  livres  saints  ,  il  ne  m'est  pas 
possible  de  douter  qu'ils  n'aient  connus  ces  livres.  Ce  ne 
peut  pas  être  le  hasard  qui  ait  opéré  le  rapport  constant 
entre  le  Nouveau  Testament  et  les  écrits  des  premiers 
docteurs.  Ce  ne  peut  pas  être  une  simple  tradition  qui 
ait  fait  rapporter  tant  de  fois  des  discours  du  Sauveur 
dans  des  termes  aussi  semblables  à  ceux  que  nous  lisons 
dans  les  évangiles.  Il  y  aurait  de  bien  plus  grandes  dis- 
sonnances ,  si  c'était  de  mémoire ,  et  non  d'après  des 
livres,  que  les  Pères  eussent  rapporté  ces  passages. 

LU.  Mais,  dit-on  enfin,  comment  peut-on  être  assuré 
que  c'est  plutôt  des  évangiles  canoniques  que  des  évan- 

Dissert.  $ur  la  Relig.  5 


98  DISSERTATIONS 

giles  apocryphes  que  sont  tirées  les  citations  de  ces  Pères? 
Est-ce  de  bonne  foi  qu'on  propose  cette  pitoyable  diffi- 
culté? Quand  nous  lisons  les  mêmes  passages,  en  grand 
nombre  ,  avec  des  expressions  aussi  semblables  ,  et  dans 
nos  évangiles  et  dans  les  écrits  des  Pères,  est-il  raison- 
nable d'aller  chercher  ailleurs  que  dans  nos  évangiles 
l'origine  de  ces  passages?  D'ailleurs,  les  écrivains  des 
siècles  suivants  ,  tels  que  Eusèbe  et  St.  Jérôme,  remar- 
quent souvent  diverses  citations  des  livres  apocryphes 
faites  par  leurs  prédécesseurs.  Ils  auraient  observé  celles- 
là  comme  les  autres. 

LUI.  Si,  contre  toute  espèce  de  raison,  quelqu'un 
voulait  encore  conserver  des  doutes,  et,  malgré  le  rap- 
port si  frappant  entre  nos  livres  saints  et  les  écrits  des 
premiers  Pères  relativement  a  un  si  grand  nombre  de 
textes  ,  rester  incertain  si  c'est  des  livres  saints  ou  d'ail- 
leurs que  les  Pères  ont  tiré  ces  textes,  pour  dissiper  toute 
incertitude  ,  il  n'aurait  qu'à  rapprocher  les  Pères  du 
premier  âge  ,  de  ceux  qui  les  ont  immédiatement  suivis. 
Les  Pères  du  second  siècle,  qui  avaient  été  disciples  de 
ceux  du  premier,  non-seulement  connaissaient  nos  quatre 
évangiles  ,  mais  avaient  pour  eux  la  plus  profonde  véné- 
ration. Nous  avons  entendu  St.  Justin  attester  qu'on  les 
lisait  dans  les  assemblées  des  fidèles;  et  St.  Irénée,  après 
avoir  nommé  nos  quatre  év^angélistes,  dire  quec'estpar  la 
volonté  de  Dieu  qu'ils  ont  éciit  leurs  ouvrages  ,  qui  sont 
le  fondement  et  la  colonne  de  notre  foi.  Or,  ils  n'ont  pu 
tenir  que  de  leurs  maîtres  ces  évangiles ,  ils  n'ont  pu 
prendre  que  d'eux  l'idée  qu'ils  en  avaient.  Ne  considérons 
donc  plus  seulement  les  Pères  apostoliques  comme  les 
premiers  témoins  de  l'authenticité  du  Nouveau  Testa- 
ment, voyons  en  eux  les  premiers  anneaux  de  cette 
longue  chaîne  de  témoignages  qui ,  de  siècle  en  siècle  ,  a 
fait  passer  jusqu'à  nous  la  certitude  de  cette  authenticité; 
et  alors  toute  la  difficulté  qui  était  déjà  si  légère,  sera 
entièrement  dissipée.  Les  premiers  témoins  fondent  l'au- 
torité des  seconds;  les  seconds,  réciproquement,  forti- 
fient l'autorité  des  premiers,  développent  plus  positive- 


SUR    LA    RELIGION.  99 

ment  ce  qu'ils  avaient  dit ,  et  acLcvent  d^anéantir  toutes 
les  chicanes  que  pourraient  former  les  esprits  les  plus 
difficultueux. 

Liy.  Les  incrédules  prétendent,  et  c'est  la  seconde 
partie  de  l'assertion  à  laquelle  nous  répondons ,  que  , 
depuis  St.  Justin  jusqu'à  St.  Clément  d'Alexandrie,  les 
Pères  ont  cité  indifféremment  les  évangiles  canoniques  et 
les  apocryphes.  Entre  St.  Justin  martyrisé  l'an  167,  et 
St.  Clément  qui  succéda  à  Paatène  dans  l'école  d'A- 
lexandrie en  191,  les  auteurs  ecclésiastiques  dont  les 
ouvrages  sont  parvenus  jusqu'à  nous,  sont  Tatien,  Théo- 
phile d'Anlioche  ,  St.  Irénée  ,  Athénagore  ,  Hermias;  on 
peut  y  joindre  Tertullien,  contemporain  de  St.  Clément. 
Nous  avons  vu  tous  ces  écrivains  citer  nos  livres  saints. 
Mais  quel  est  celui  d'entre  eux  qui  cite  de  la  même  ma- 
nière des  livTcs  apocryphes?  seraient-ce  Tatien,  Théo- 
phile d'Anlioche,  Hermias,  dans  lesquels  on  ne  trouve 
pas  une  seule  citation  des  apocryphes?  serait-ce  St.  Iré- 
née ,  que  nous  avons  vu  déclarer  positivement  qu'il  n'y 
a  que  nos  quatre  évangiles  qui  soient  véritables  (1)? 
serait-ce  Athénagore?  On  lit,  à  la  vérité, dans  son  apolo- 
gie, une  citation  d'un  écrit  apocryphe;  mais  elle  est  bien 
différente  de  celles  qu'il  fait  de  nos  livres  saints.  Quand 
il  cite  ceux-ci,  il  dit ,  ainsi  que  uous  l'avons  vu,  «<  les 
«  préceptes  dans  lesquels  nous  sommes  nourris  (2)  ;  » 
mais  dans  la  citation  qu'il  fait  d'un  écrit  apocryphe,  il 
l'appelle  tout  simplement  «  une  écriture  quelconque  (3).» 
Serait-ce  Tertullien  qui  aurait  égalé  les  évangiles  apo- 
cryphes aux  canoniques  ,  lui  qui  établit  si  fortement 
l'autorité  de  nos  quatre  évangiles  composés  par  deux 
apôtres  Matthieu  et  Jean,  et  par  deux  hommes  aposto- 


(t)  Yoyez  ci-dessas,  no  22,  pages  54  et  55. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  n°  20,  page    53. 

(3)  Hue  accedit  illa  scriptura  :  Si  quis  osculum  propterea  répétât 
quod  delectatur.  Tum  addil  :  snmina  ergo  caatione  osculom  adhiben- 
dura.  {Athenagoras  îegnt.  pro  christianis ,  n°  32.) 


100  DISSERTATIONS 

liques  Marc  et  Luc(l)?  Enfin  veut-on  attribuer  cette 
égalité  dans  les  citations,  à  St.  Clément  lui-niènie?  N'a- 
vons-nous pas  vu  la  différence  précise  qu'y  met  ce  saint 
docteur  (2)?  Il  est  donc  certain  que,  des  écrivains  du 
second  siècle ,  qu'on  prétend  avoir  cité  ,  tantôt  les  vrais, 
tantôt  les  faux  évangiles,  les  uns  n'ont  fait  aucune  cita- 
tion des  apocryphes ,  les  autres  ont  marqué  très-formel- 
lement combien  ils  étaient  inférieurs  en  autorité  au  Nou- 
veau Testament.  Et  il  reste  démontré  que,  dans  ces  deux 
points  principaux,  l'assertion  des  incrédules  est  aussi 
absurde  que  hardie.  Il  n'y  a  de  vrai  que  ce  qu'ils  ajoutent, 
savoir  ,  que  depuis  St.  Clément  d'Alexandrie  nos  quatre 
évangiles  éclipsent  absolument  les  autres.  Mais  cette 
vérité  est  aussi  évidente  pour  le  temps  qui  a  précédé  ce 
saint  docteur  ,  que  pour  celui  qui  a  suivi. 

LV.  Nous  pouvons  citer  encore,  pour  montrer  com- 
ment on  considérait ,  dans  ces  temps  anciens ,  et  nos 
évangiles  et  les  évangiles  apocryphes  ,  un  fait  rapporté 
par  Eusèbe.  St.  Sérapion ,  évéque  d'Antioche  ,  contem- 
porain de  Tertullien  et  de  St.  Clément,  avait  permis  aux 
fidèles  de  la  ville  de  Rossa  la  lecture  d'un  évangile  attri- 
bué à  St.  Pierre,  le  croyant  exempt  d'erreurs.  Mais  ayant 
eu  occasion  devoir  cet  ouvrage^  il  reconnut  qu'il  avait 
été  trompé  ,  et  par  un  écrit  pastoral  il  avertit  ses  diocé- 
sains de  se  prémunir  contre  l'erreur.  Il  leur  déclare  qu'il 
reçoit  Pierre  et  les  autres  apôtres  comme  Jésus-Christ 
lui-même;  mais  que,  quant  aux  écrits  faussement 
intitulés  de  leurs  noms ,  il  les  répudie  comme  ne  les 
ayant  pas  reçus  des  anciens  (3).  Nous  voyons  dans  ce  peu 
de  paroles  trois  choses  :  le  respect  dont  on  était  pénétré 


(i)  Voyez  ci-dessus,  n**  a3,  notes  ,  pag.  57. 

(2)  Voyez  ci-dessus,  n°  47,  notes  ,  pag.  92  et  gS. 

(3)  Nos  enira  fratres,  Petrum  et  reliquos  apostolos,  proinde  ut 
Christum  ipsum  recipimus.  Sed  qnae  nomen  illorum  falso  inscripium 
praeferunt,  ea  nos  utpute  gnaii  et  perili,  repodiamus  :  qoippe  qui 
compertum  habeamns  ea  nos  a  niajoribus  minime  accepisse.  [Euseb. , 
hisc.  eccles.^  lib.  vi ,  cap.  la.) 


SUR    LA    RELIGION.  lOi 

pour  les  livres  canoniques ,  l'opinion  désavantageuse 
qu*on  avait  des  apocrypiies  ,  et  la  manière  dont  on  dis- 
tinguait les  uns  des  autres,  qui  est  celle  que  nous  invo- 
quons encore  ,  la  tradition  des  anciens. 

LVI.  Je  viens  de  discuter  toutes  les  parties  de  cette 
objection  tirée  des  livres  apocrypiies  ,  dont  les  ennemis 
de  la  sainte  Ecriture  font  tant  de  cas,  et  qu'ils  répètent 
sans  cesse  avec  une  confiance  si  hautaine.  Je  ne  crois  pas 
avoir  laissé  en  arrière  une  seule  de  leurs  difficultés. 
Voyons  ce  qui  en  résulte  : 

Qu'il  y  a  eu  ,  dans  les  premiers  siècles,  des  livres  apo- 
cryphes, mais  dont  l'existence  n'empêche  pas  l'authen- 
ticité des  nôtres  ; 

Que  plusieurs  des  livres  apocryphes  étaient  décorés  du 
nom  des  apôtres,  mais  qu'on  ne  voit  pas  que  jamais  on  y 
ait  été  trompé  dans  l'Eglise ,  et  qu'on  les  ail  attribués  à 
ces  saints  personnages; 

Que  l'on  voit,  dans  les  Pères  du  premier  âge,  deux 
citations  de  deux  évangiles  appelés  apocryphes;  mais 
que  ces  deux  livres  n'étaient  pas  apocryphes  dans  le  sens 
qu'ils  fussent  faussement  attribués  à  leurs  auteurs,  et 
que  c'étaient  des  ouvrages  pieux  et  propres  à  opérer 
l'édification; 

Que  les  Pères  du  second  âge  ont  cité  aussi  quelquefois 
les  livres  appelés  apocryphes;  mais  qu'ils  ont  marqué 
expressément  la  différence  qu'ils  mettaient  entre  ces 
livres  et  nos  livres  canoniques  ; 

Qu'en  conséquence,  on  ne  peut  prétendre,  ni  qu'on  ait 
pris  dans  l'Eglise,  pour  authentiques,  des  livres  qui  ne 
l'étaient  pas  ,  puisqu'on  ne  voit  d'autres  livres  cités  que 
ceux  qui  étaient  véritablement  des  auteurs  dont  ils  por- 
taient les  noms  ;  ni  qu'on  ait  eu  pour  les  livres  que  nous 
appelons  apocryphes  le  même  respect  que  pour  les  livres 
canoniques,  puisqu'aucun  auteur  ne  les  assimile,  et  qu'au 
contraire  plusieurs  de  ceux  qui  ont  parlé  des  apocryphes, 
en  ravalent  l'autorité. 

Après  avoir  résolu  cette  première  objection,  je  passe 
aux  autres  que  proposent  les  incrédules.  En  voici  une 


102  DISSERTATIONS 

qui  attaque  plus  directement  encore  la  divinité  du  Nou- 
veau Testament,  que  son  authenticité.  Elle  n'est  cepen- 
dant pas  entièrement  étrangère  à  la  question  de  l'au- 
thenticité; et  les  ennemis  du  Nouveau  Testament  la 
répètent  si  souvent  et  avec  tant  de  confiance,  que  je  crois 
devoir  la  rapporter  et  y  répondre. 

LVII.  «  Le  style,  dit-on ,  est  d'une  platitude  insup- 
«  portable  à  des  hommes  éclairés.  On  dit  que  c'est  le 
M  Saint-Esprit  qui  a  inspiré  ces  livres,  et  ils  sont  écrits 
«  comme  auraient  pu  les  écrire ,  sans  son  secours ,  les 
u  hommes  ignorants  et  grossiers  qui  passent  pour  en 
«  avoir  été  les  auteurs.  Une  histoire  profane ,  composée 
u  dans  le  même  style  ,  ne  serait  lue  par  personne  ,  et 
«<  serait  universellement  méprisée;  et  cependant  celle-ci 
«<  serait  d'un  bien  plus  grand  intérêt  pour  le  genre  humain , 
«  si  elle  était  vraie.  On  n'y  voit  d'ailleurs  nul  ordre, 
u  nulle  suite;  les  faits,  les  enseignements,  rapportés 
«  sans  méthode ,  sont  entassés  confusément.  Les  ana- 
«  chronismes  y  sont  fréquents  ;  il  suffit ,  pour  les  apcr- 
«  cevoir ,  de  comparer  entre  eux  les  quatre  évangélistes  : 
«  celui  ci  place  dans  un  temps  ce  que  celui  là  rapporte 
u  à  un  autre.  On  y  trouve  aussi  beaucoup  d'obscurités. 
<(  Enfin  il  y  a  des  contradictions  qui  suffiraient  pour  les 
u   faire  rejeter.  » 

LVIIL  Le  premier  reproche  que  l'on  fait  ici  à  nos 
livres  sacrés  est  leur  simplicité.  Avant  de  l'examiner  en 
lui-même,  rapprochons-le  du  prodigieux  effet  qu'ont 
produit  ces  livres  dans  le  monde.  Comment  des  livres 
que  l'on  dit  écrits  avec  une  platitude  dégoûtante  ,  ont- 
ils  pu  produire,  dans  le  siècle  de  goût  et  de  lumières  où 
ils  ont  paru,  la  plus  vaste  révolution  que  l'univers  ait 
vue  ?  L'histoire  évangélique  ne  présente  pas  la  pompe  du 
discours  qu'étalent  les  orateurs  et  quelques  philosophes, 
et  cependant  quel  orateur  a  autant  persuadé  ?  quel  phi- 
losophe instruisit  jamais  autant  de  monde?  Moins  l'élo- 
quence humaine  s'y  produit ,  plus  s'y  manifeste  la  force 
divine.  Il  répondait  d'avance  à  cette  objection ,  celui  de 
nos  auteurs  sacrés  qui  disait  :  u  Notre  prédication  n'a 


SDR    LA    RELIGION.  103 

«  pas  pour  appui  les  discours  persuasifs  de  la  sagesse 
«  humaiae  (1).  »  Il  fallait  que  les  livres  divins  fussent 
écrits  avec  simplicité ,  pour  que  leur  effet  ne  pût  être 
attribué  qu'à  celui  qui  les  inspirait  (2). 

Un  autre  motif  plus  humain  rendait  cette  simplicité 
nécessaire.  Le  premier  mérite  du  style  ,  dans  un  ouvrage 
quelconque  ,  est  d'être  adapté  à  l'objet  de  cet  ouvrage  ,  et 


(i)  Sermo  mens  et  praedicatio  mea  ,  non  in  persnabilibas  bnnianae 
sapientise  verbis,  sed  in  ostenbione  spiiitus  et  virtuiis  ;  ut  fides  vestra 
non  sit  in  sapientia  horainum ,  sed  in  virlute  Dci.  (I.  Cor.  u,  4  et  5.  ) 

(2)  Factus  enim  a  Deo  erat  idoneus  inini>>ter  novi  testamenti,  otens 
démons iratione  spiiitus  et  polentise;  ut  credentiuin  assensio  non 
sit  ab  huniaiia  .sajjientia,  sed  a  potestate  Dei.  Si  enim  elegantiam  et 
dictionis  apparatum  ,  ut  scripta  illa  quae  graecis  adiuiiationi  sunt,  di- 
vinae  litterae  habuissent,  existimasset  ;ili'j[uis  ,  non  bomines  vicis>e  ve- 
rilatem  sed  apparentem  consecutiotieni'  et  diciionis  splendorem  au- 
ditores  prolectasse,  et  iliecebris  debnitos  circutnveiiibse.  (  Or/^ew,  in 
Joan. ,  toin.  iv  ,   n°  2.  ) 

Neqne  vero  miram  admodum  e-t  sermones  pbilosopbicos,  lam 
apte,  tara  composite,  tam  ornaie  ce'.ebratos,  tantam  habuisse  mo- 
raenli,  ad  coirigendos  illos  qui  supia  inemoiati  sunt,  aliosque  pessi- 
mae  vitae  bomines,  Sed  cum  videnius  sermones  lUos,  qnos  demissos 
et  humiles  vocatCeîbus,  instsr  ir.var'îi^îivniîîlî  ;  tanta  vi  et  efficacia 
praeditos  ,  cnm  vidcmns,  inquam  ,  seruionibus  illis,  a  libidinosa  ad 
temperantera  viam,  ab  iniqua  ad  justam,  a  limiditale  ad  tantam  cons- 
tantiam  revocari  ranbitudmem  ,  ut  pietatis  causa  quam  commendatam 
illis  animadveitit,  raortem  pro  nibilo  putet  ;  qnoinudo  non  merito 
tantam  pole.-»iaiem  admirabimur.  Nam  sermo  eoium  quibus  ab  iiiitiu 
valgandae  nostrae  doclrifiae  paites  dafae  sunt ,  quique  in  oonstitaendis 
Dei  ecclesiis  laborarunt ,  et  eoiurn  pratîdic;*iio  persua^it  quidem  ^  sed 
non  ea  ratione  qua  platonicae  sapientiae  doclores,  ant  quibbet  abi 
philosophi ,  qui  nibil  su[)ia  bunianœ  natarse  vires  })Oterant.  Sed  ar- 
gument;! qnibus  utebantur  apostoli  data  illis  a  Deo  fuerant  ;  vimqne 
persuadendi  a  spiritu  et  virtute  babebant.  Qnapropte.  promptissime 
sermo  eorum  quocumque  perva-it  ;  imnk.i  sermo  Dei  qii  per  ipsos 
mutabat  qoos  natura  et  consuetudo  ad  j  eccatum  trabebant  ;  et  quos 
ne  pœnis  qu  deni  quisqnara  bominum  correxisset ,  hos  correxit , 
efformavit,  ad  suam  voluntatem  convertit.  {^I de  m  ,  contra  Celsum  ^ 
lib,  m.  n**  68.) 

Qui  quidem  externi  sunt,  et  alieni  a  verbo  veritatis ,  simplicitate 
dictionis  scripturarum  contempla,  evangelii  praedicalionem  stoltitiam 
nominant.  Nos  vero,  qui  in  cruce  Christi  gloriamnr,  quibus  mani- 
festata  sunt  per   Spiritum  ea  quae  do.aata  sant  nobis  a  Deo,  non  in 


104  DISSERTATIONS 

d'être  à  la  portée  de  tous  ses  lecteurs.  Les  écrivains  sacrés 
n'avaient  pas  la  prétention  du  bel  esprit  (1).  Ils  en  avaient 
une  bien  supérieure,  c'était  d'instruire  de  toutes  les  véri- 
tés religieuses ,  soit  dogmatiques,  soit  morales,  le  genre 
humain  entier,  le  peuple  comme  les  grands^  les  ignorants 
comme  les  savants  ,   les  enfants  comme  les   personnes 


doctis  bumanae  sapienlise  verbis,  novimos  gratiam  eani  quae  a  Deo  in 
traditis  de  Christo  doctrinis  diffusa  fuit,  divitem  esse.  Quamobrem 
brevi  teinpore  in  nniversum  prope  terrarum  orbein  illa  praedicalio 
pervenit  :  propterea  qaod  dives  et  aburidans  gralia  effusa  est  iu  evan- 
gelii  praecones,  quos  eiiam  Christi  labia  scriptura  nominavit.  Qua- 
propter  evangelii  praedicatio ,  in  conteraptibilibus  dictinnonlis  vim 
multam  babet  persnadendi,  et  ad  salulem  alliciendi.  {S.  Basilius , 
homil.  in  psalm.  xliv  ,  n°  4.) 

(i)  Barbarismis ,  solecismis  obsitae  sont,  inqaît,  res  vestrae ,  et  vi- 
tioram  deformitate  pollutae.  Pueiilis  sane  atqoe  angnsti  pecîoris  re- 
prebensio.  Qoam  si  admitteiemus  ut  vera  sit ,  abjiciarans  ex  oiibns 
nostris  qoorumdam  fiuctuurn  gênera,  quod  cura  spinis  nascantur, 
et  purgaraentis  aliis  quae  nec  alere  nos  possunt  ;  nec  tamen  impedinnt 
perflui  nos  eo  qood  principaliter  antecedit ,  et  saluberrimum  nobis 
volait  esse  natura.  Quid  enirn  efficit,  o  quae-.o ,  aut  quam  praestat  in- 
tellectui  tardifatem,  utrurane  quid  levé,  an  biisuta  cum  asperitate 
pfOinâtnr  ?  Inflectainr  qaod  acui ,  aut  acuaiur  quod  debebat  inflecti? 
Ant  quid  minus  est,  quod  dicitur  verum  est,  si  in  numéro  peccetar  , 
aut  casu  ,  prîepositione  ,  participio  ,  conjunctione  ?  Pompa  ista  ser- 
monis,  et  oratio  messa  per  régulas,  concionibus,  litibus,  foro  ,  judi- 
ciisqae  servetnr ,  deturque  illis  imrao  qui  voluptatum  delinenmenfa 
qaaerentes  ,  omne  suum  studium  verborum  in  lumina  conmlerunt. 
Cum  de  rébus  agitur  ab  ostentaiione  snbraotis  ,  quid  dicatur  sectan- 
dum  est;  non  quaii  cura  amœnitate  dicainr  ;  nec  quid  aures  demul- 
ceat,  sed  quas  afferat  audientibus  utilitales.  Maxime  cum  sciamns 
etiam  quosdam  sapieniiae  dediios ,  non  tantum  abjecisse  sermonum 
cnltum,  vernra  etiam  cum  pussinl  oinatius,  atque  uberius  loqui ,  tri- 
vialem  studio  bumililatem  secutos,  ne  corruniperent  srilicet  gravita- 
tis  rigoreui ,  et  sopbisticae  se  potius  ostentatiune  jactarent.  Enirn  vero 
dissoluti  est  pecîoris  in  rébus  seriis  quaerere  voluptateni ,  et  cum  tibi 
«it  ratio  rum  maie  babentibus  ,  atque  aegris ,  sonos  anribus  infundere 
dnlciores,  non  raedicinam  vulneribus  adbibere.  {^Arnobins  ^  adv. 
gentes^  lib.  i,  n°  Sg.) 

Admirabiles  plane  viri  et  reipsa  divini  (  Cbriili  discipulos  inielligo  ) 
ipsa  pura  et  siiicera  vitae  ratione  cam  primis  eximii  ,  et  universo  vir- 
tutis  génère  animis  exornati,  quanqnam  lingnae  elegamis,  et  diserti 
sermonis  rudes  et   ignari,  divina  tamen  et  miranda  potentia  ipsis  a 


SUR  La  religion.  105 

àgées(l).  Le  salut  des  uns  n'est  pas  moins  précieux  à 
Dieu,  et  ne  leur  était  pas  moins  cher  que  celui  des 
autres.  Ils  ont  donc  dû  employer  un  langage  qui  pût  être 
entendu  de  tous  les  hommes ,  de  quelque  état ,  de  quel- 
que classe  qu'ils  fussent.  Si  St.  Paul  eût  ambitionné  la 
gloire  de  l'éloquence,  croit-on  qu'il  n'eût  pas  pu  l'at- 
teindre? Qu'on  lise  son  discours  devant  l'aréopage,  où  il 
s'élève  à  la  hauteur  des  génies  auxquels  il  parle,  et  qu'on 
juge  si  ce  n'est  pas  volontairement  qu'il  se  rabaisse  ail- 
leurs à  la  portée  des  hommes  à  qui  il  s'adresse. 


Servatore  donata  fidenles,  exqoisita  verbornm  fabricandorum  solei- 
tia,  et  arte  elaborata,doctiinfem  magistri  soi  exponere,  neque  noront, 
neque  conati  sont.  Sed  aperta  et  manifesta  doceudi  raiione  per  sacro- 
sanctam  Sp  ritum  ipsis  opéra  ferenteai  infnsa,  et  sula  Christi  virtnte 
tôt  miraculorum  eflectrice,  per  ipsoram  doctrinam ,  et  res  gestas  plc- 
nÎDs  pervnlgata  ulentes  ,  regni  cœloram  notitiara  toti  orbi  terraruin 
patefecerant.  Quin  etiam  stndiuin  et  operam  qaae  in  lihris  con^ciiben- 
dis  poni  solet,  baad  magno  sane  aestimamnt  et  istud  plane  praeitife- 
rant,  atpote  excellentiuri  inini«>terio,  ac  longe  hamanum  captuni  su- 
peraati.  [Euseb.  hist.  eccL  y  lib.  iii,  cap.  i8.) 

(i)  Multa  enim  a  Platone  maxime  proponit,  ut  ostendat  ea  etiam 
a  scripturis  quae  vel  acatnm  auditorein  permovere  posbnnt,  nobis  cum 
aliis  esse  communia  :  affirmatque  baec  ipsa  :  3Ielius  a  grœcis  dicta 
Juisse ,  etquidem  sine  illis  a  Deo  ,  filiovs  Dei^  minis  et  promissis.  Ad 
quod  baec  nostra  responsio  est  :  Si  veritatis  doctoies  id  ,-ibi  propo- 
nant ,  humariitatisque  esse  dncunt  ;  ut  quam  possunt  plurimis  prosinl, 
et  ad  veritalem  adducant,  qnemcumque  tandem  et  intelligentem  grae- 
cos  ,  barbaros  (eximiae  autem  liumanitatis  est  lucrari  Deo  vel  rasli- 
cos  et  imperitos) ,  perspicuam  est  eam  illis  usurpandani  esse  oralio- 
nem  ,  ac  stvlnm,  qui  popularis  sit  ,  et  ad  omnium  captam  accom- 
modatus.  Qui  vero  simplices  et  illiteratos,  eo  quod  ad  assequendam 
sermonis  seriem  non  essent  idonei,  nihili  feierunt  ,  de  iis  autem  solis 
cogitarnnt  qui  in  litieris  innntriti ,  eos  certae  pnblicae  ulilitatis  stu- 
diura  angustis  admudum  terminis  circnmscripsisse.  Atque  baec  mibi 
dicta  sunt,  nt  a  Celsi  aliorumque  criminationibus  dcfenderem  scrip- 
turaruru  simplicitatem  ,  quae  cum  sermonibus  arte  elaboratis  collata  , 
ab  illornm  splendore  obscurari  videtur.  Quoniam  nostri  propbetae , 
Jesns  et  ejus  apostoli ,  curarant  ut  sua  praedicandi  ratio  esset  ejus- 
modi ,  quae  non  solnm  vera  doreret ,  sed  etiam  vulgi  alUceret  animos  ; 
donec  singnli  liortationibus  inducti ,  ad  arcana  sub  veibis  in  speciem 
simplicibus  latentia  ,  pro  suis  quisqne  viiibus,  conniterenlur.  Ac  si 
libenter  loqui  oporieat  paucis  utilitatem  attalit,  si  tamen  nllam  atta- 

5* 


lOÔ  DISSERTATIONS 

Je  conviens  donc,  je  prétends  même  que  l'histoire 
évangéliqueest  écrite  avec  simplicité  ;  mais  je  nie  qu'elle 
le  soit  avec  platitude.  Au  contiaire ,  j'admire  le  caractère 
de  grandeur  que  présente  cette  simplicité.  Aucun  homme 
n'aurait  imaginé  d'écrire  l'histoire  sainte  comme  elle 
l'est.  Les  écrivains  vulgaires  s'efforcent  de  faire  valoir  , 
par  la  beauté  du  style ,  les  choses  qu'ils  disent.  Les 
choses  que  disent  les  écrivains  sacrés  n'ont  pas  besoi-i 
qu'on  les  fasse  valoir.  Les  dogmes  qu'iis  enseignent  sont 
au-dessus  de  ce  que  la  raison  veut  comprendre.  La  mo- 
rale qu'ils  présentent  est,  de  l'aveu  même  de  plusieurs 
des  principaux  incrédules,  la  plus  sublime  qui  ait  jamais 
été  proposée.  Les  faits  qu'ils  racontent  sont  les  plus  mer- 
veilleux dont  le  monde  ait  entendu  parler.  Les  orne- 
ments qu'on  ajouterait  à  tout  cela  ne  feraient  que  le 
déparer.  Quel  homme  ayant  un  peu  de  goût,  peut  n'être 
pas  frappé  de  la  majestueuse  simplicité  avec  laquelle 
toutes  ces  choses  admirables  sont  rapportées (1),  sans  un 
éloge  qui  les  relève ,  sans  une  seule  réflexion  pour  en 
faire  sentir  le  beauté?  Jésus  étend  sa  main  et  touche  un 


lit,  compLa  h^c  et  accnrata  Platonis ,  aliornmqae  similiter  loquen- 
tiam  oratio  :  prae  illa  simpliciori  eoram  qai  docendo  et  scribendo  se 
ad  vulgi  captom  dimiserant.  (  Orig.  contra  Celsum  ^  lib.  vi ,  n°  i,  2.) 

Nom  igitur  Dec^  et  rueniis  et  vocis  et  linguae  artifex,  diserte  lo- 
qui  non  potest  ?  Imrao  vero  sunima  providentia  carere  fuco  yoluit  ea 
quae  divina  sant ,  ut  omiies  intelligerent  quae  ipse  omnibus  loqueba- 
tur.  {^Lactant.  divin,   instit.,  lib,  vt,cap.  21.) 

Nolo  offendaris  simplicitate  et  quasi  vilitate  verboruna  ,  quae  vel  vi- 
tio  inîerpretura  ,  vel  de  indusliia  sic  prolala  sunt,  ut  rusticam  con- 
cionem  facilius  instrnerent  ;  et  in  nna  eademque  sententia  aliter  doc- 
tns  ,  aliter  audiiet  indoctaa.  {S.   Hieron.  ^  epist.  ad  Paiilinnm.) 

(i)  Nisi  forte  rublicnm  Petrum  ,  rusticura  dicimas  Joannem  quo- 
rum uterque  dicere  potCiat  :  £tsi  imperitus  sermone  ,  /2on  tamen  scien- 
tia.  Joannes  rasticus ,  piscator  indoctns  !  Et  unde  illa  vox  obseero  : 
In  principio  erat  werbii/n ,  et  verbum  erat  apud  Deum ,  et  Deits  erat 
verbum.  Logos  eniin  graece  niulta  sigriificat.  Nam ,  et  verbum  est,  et 
ratio,  et  sapputatio,  et  causi  uniuscujusque  rei  per  quam  sunt  siu 
gula  quae  subsistant.  Quff!  univrersa  recte  intelligimas  in  Cbristo.  Hoc 
dijctus  Plato,  lioc  Demostbene;  eloquens  ignoravit.  {S.  Hieronym. 
epist.   ad  Baul.  seconda  de  stud.  script.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  107 

lépreux  eu  disant  :  Je  le  veux  ,  sois  guéri;  et  au  même 
temps  la  lèpre  disparaît  (1;.  Jeune  homme,  dit-il  à  un 
mort  que  l'on  portait  en  terre,  lève-toi,  je  te  le  com- 
mande; et  le  mort  se  leva  et  commença  à  parler  (2;. 
St.  Pierre  entrant  dans  le  temple  avec  St.  Jean,  dit  à  un 
boiteux  de  naissance  qui  leur  demande  l'aumône  :  Je 
n'ai  ni  or  ni  argent;  mais  ce  que  j'ai ,  je  te  le  donne  :  au 
nom  de  Jésus-Christ,  lève-toi  et  marche.  Il  le  prend  par 
la  main  ,  le  soulève ,  et  aussitôt  les  jambes  et  les  pieds  de 
cet  homme  se  ralfermissent(3j.  Quelle  pompe  de  langage 
pourrait  approcher  de  la  simplicité  de  ces  écrits  et  de 
tous  les  autres  que  nous  pourrions  citer  également?  C'est 
là  ,  j'ose  le  dire  ,  le  vrai  sublime  ;  non  pas  celui  de  mois , 
après  lequel  courent  les  auteurs ,  mais  le  sublime  des 
choses.  Des  païens  ont  reconnu  un  modèle  du  véritable 
sublime  dans  ces  mots  du  commencement  de  la  Genèse  : 
Dieu  dit  :  que  la  lumière  soit ,  et  la  lumière  fut.  Toute 
l'histoire  évangélique  est  écrite  de  la  même  manière. 

LIX.  On  objecte  le  peu  d'ordre  et  de  méthode  qui  est 
dans  les  évangiles.  L'objet  des  évangélistes  a  été ,  non 
d'écrire  une  histoire  suivie  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  mais 
de  donner  des  mémoires  sur  sa  vie.  Ils  en  rapportent  les 
principaux  faits  selon  qu'ils  se  présentent  à  leur  souvenir; 
ils  ne  cherchent  point  à  les  lier  les  uns  aux  autres.  Leur 
but  est  uniquement  de  prouver  la  mission  divine  de  leur 
maître  ,  et  de  faire  connaître  sa  doctrine.  Ils  l'atteignent 
aussi  bien  en  rapportant  s^^s  miracles  et  ses  préceptes 
hors  de  l'ordre  où  ils  ont  été  opérés  et  dictés,  que  s'ils 
avaient  fait  une  histoire  en  règle.  lien  résulte  de  la  diffi- 
culté à  placer  chaque  fait  et  chaque  discours  dans  l'ordre 


(  I  )  Extendens  Jesas  manum  ,  teligit  enm ,  dioens  ;  volo  ,  mundare  : 
et   confestim  mandata  est  Upra  ejixs.  [Match,  viit,  3.) 

(2)  Adolescens  tibi  dico  :  Surge  :  et  lesedit  qui  erat  moriaas,  et 
cœpit  loqu'.   (Zî/c.  vu,  14.) 

(  )  Petrus  aaiein  dixit  :  Argentum  et  aurum  non  est  mihi  :  qaod 
aatetn  liabeo ,  hoc  libi  do.  In  nomine  Jesu  Christi  Nazart-eni  ,  surge 
et  ambala  :  et  apprehensa  mana  ejus  dextera  ,  allevavit  eum ,  et  pio~ 
tinas  consolid?t3e  sunt  bases  ejuà  et  plantap.  (y4cc.  m,  6,7.) 


lOÔ  DISSERTATIONS 

Je  conviens  donc,  je  prétends  même  que  l'histoire 
évangélique  est  écrite  avec  simplicité  ;  mais  je  nie  qu'elle 
le  soitavec  platitude.  Au  contiaire,  j'admire  le  caractère 
de  grandeur  que  présente  cette  simplicité.  Aucun  homme 
n'aurait  imaginé  d'écrire  l'histoire  sainte  comme  elle 
Test.  Les  écrivains  vulgaires  s'efforcent  de  faire  valoir  , 
par  la  beauté  du  style ,  les  choses  qu'ils  disent.  Les 
choses  que  disent  les  écrivains  sacrés  n'ont  pas  besoia 
qu'on  les  fasse  valoir.  Les  dogmes  qu'ils  enseignent  sont 
au-dessus  de  ce  que  la  raison  veut  comprendre.  La  mo- 
rale qu'ils  présentent  est,  de  l'aveu  même  de  plusieurs 
des  principaux  incrédules,  la  plus  sublime  qui  ait  jamais 
été  proposée.  Les  faits  qu'ils  racontent  sont  les  plus  mer- 
veilleux dont  le  monde  ait  entendu  parler.  Les  orne- 
ments qu'on  ajouterait  à  tout  cela  ne  feraient  que  le 
déparer.  Quel  homme  ayant  un  peu  de  goût,  peut  n'être 
pas  frappé  de  la  majestueuse  simplicité  avec  laquelle 
toutes  ces  choses  admirables  sont  rapportées (1),  sans  un 
éloge  qui  les  relève ,  sans  une  seule  réflexion  pour  en 
faire  sentir  le  beauté?  Jésus  étend  sa  main  et  touche  un 


lit,  fcompta  hsec  et  accurata  Pîatonis,  aliorumque  similiter  loquen- 
tiam  oratio  :  prae  illa  simpliciori  eoiam  qai  docendo  et  scribendo  se 
ad  vulgi  captom  diniiseruut.  (  Orig.  contra  Celsum  ^  lib.  vi ,  n°  i,  2.) 

Num  igitar  Dei.3  et  raeniis  et  vocis  et  linguae  artifex,  diserte  lo- 
qai  non  potest  ?  Imrao  veto  sumraa  providentia  carere  fuco  Yoluit  ea 
quae  divina  sant  ;  ut  oiaiies  intelligerent  quae  ipse  omnibus  loqueba- 
tur.  {^  Lactaiit.  divin,  instit.,  lib.  vt,cap.  21.) 

Nolo  offendaris  simplicitate  et  quasi  vilitate  verborum  ,  quae  vel  vi- 
tio  inîerpretura  ,  vel  de  indusuia  sic  prolala  surit ,  ut  rusticam  con- 
ciùnem  facilins  instmerent  ;  et  in  nna  eademque  sentenîia  aliter  doc- 
tas  ,  aliter  aadiiet  indoctus.  {S.   Hieron.  ^  epist.  ad  Paiiîinum.) 

(i)  Nisi  forte  rublicura  Petrum ,  rusticura  dicimus  Joannem  quo- 
rum utefque  dicere  poterat  :  Etsi  imperitus  sermone  ,  non  tamen  scien- 
tia.  Joannes  rusticus ,  piscator  indoctus  !  Et  unde  ilia  vox  obsecro  : 
In  principio  erat  verbiun ,  et  verhuni  erat  apud  Deum ,  et  Deiis  erat 
verbum.  Logos  enim  graece  multa  sigriificat.  Nam ,  et  verbuin  est,  et 
ratio,  et  supputation  et  causa  uninscujusque  rei  per  quam  sunt  siu 
guîa  quae  subsistunt.  Qua;  universa  recte  intelligiraas  in  Cbristo.  Hoc 
doctas  Plato,  lioc  Demostbene;  eloquens  ignoravit.  (5.  Hieronym. 
epist.  ad  taul.  seconda  de  stud.  script.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  107 

lépreux  eu  disant  :  Je  le  veux  ,  sois  guéri;  et  au  même 
temps  la  lèpre  disparaît  (1).  Jeune  homme,  dit-il  à  un 
mort  que  l'on  portait  en  terre,  lève-toi,  je  te  le  com- 
mande; et  le  mort  se  leva  et  commença  à  parler  (2j. 
St.  Pierre  entrant  dans  le  temple  avec  St.  Jean,  dit  à  un 
boiteux  de  naissance  qui  leur  demande  l'aumône  :  Je 
n'ai  ni  or  ni  argent;  mais  ce  que  j'ai ,  je  te  le  donne  :  au 
nom  de  Jésus-Christ,  lève-toi  et  marche.  Il  le  prend  par 
la  main  ,  le  soulève ,  et  aussitôt  les  jambes  et  les  pieds  de 
cet  homme  se  raffermissent  (3j.  Quelle  pompe  de  langage 
pourrait  approcher  de  la  simplicité  de  ces  écrits  et  de 
tous  les  autres  que  nous  pourrions  citer  également?  C'est 
là  ,  j'ose  le  dire  ,  le  vrai  sublime  ;  non  pas  celui  de  mots , 
après  lequel  courent  les  auteurs ,  mais  le  sublime  des 
choses.  Des  païens  ont  reconnu  un  modèle  du  véritable 
sublime  dans  ces  mots  ducommencen»ent  de  la  Genèse  ; 
Dieu  dit  :  que  la  lumière  soit,  et  la  lumière  fut.  Toute 
l'histoire  évangélique  est  écrite  de  la  même  manière. 

LIX.  On  objecte  le  peu  d'ordre  et  de  méthode  qui  est 
dans  les  évangiles.  L'objet  des  évangélistes  a  été ,  non 
d'écrire  une  histoire  suivie  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  mais 
de  donner  des  mémoires  sur  sa  vie.  Ils  en  rapportent  les 
principaux  faits  selon  qu'ils  se  présentent  à  leur  souvenir; 
ils  ne  cherchent  point  à  les  lier  les  uns  aux  autres.  Leur 
but  est  uniquement  de  prouver  la  mission  divine  de  leur 
maître  ,  et  de  faire  connaître  sa  doctrine.  Ils  l'atteignent 
aussi  bien  en  rapportant  s^^s  miracles  et  ses  préceptes 
hors  de  l'ordre  où  ils  ont  été  opérés  et  dictés,  que  s'ils 
avaient  fait  une  histoire  en  règle.  lien  résulte  de  la  diffi- 
culté à  placer  chaque  fait  et  chaque  discours  dans  l'ordre 


(  I  )  Extendens  Jesas  inanum  ,  teiigit  eum ,  dioens  ;  volo  ,  mandare  : 
et   confestim  mandata  est  Itpra  ejus.  {^Matth.  viit ,  3.) 

(2)  Adolescens  tibi  dico  :  Surge  :  et  lesedit  qui  erat  monaas,  et 
cœpit  loqui.   (Zf/c.  vu,  14.) 

(  )  Petrus  auiein  dixit  :  Argentum  et  aarum  non  est  mihi  :  quod 
aaleni  liabeo ,  hoc  libi  do.  In  nomine  Jesu  Cljrlbti  Nazaraeni ,  snrge 
et  ambola  :  et  apprehensa  mana  ejus  dextera  ,  allevavit  eum,  et  pio~ 
tinus  cotisolidptœ  sunt  bases  ejuà  et  planta?.  {./Icc.  m,  6,  7.) 


lOS  DISSERTATIONS 

du  temps;  mais  ce  désordre  apparent,  loin  d'attaquer  la 
vérité  historique,  nie  paraît  un  indice  de  la  candeur  et 
de  la  sincérité  des  historiens.  Des  hommes  qui  auraient 
voulu  en  imposer,  l'auraient-ils  laissé  subsister?  Rien 
n'eût  été  plus  aisé  que  défaire  un  roman  suivi. 

Ce  que  je  viens  de  dire  répond  aussi  aux  reproches 
d'anachronisme.  Il  ne  peut  point  en  exister  où  il  n'y  a 
pas  d'indication  de  date. 

LX.  Quant  aux  obscurités  qui  se  rencontrent  dans  les 
livres  saints,  on  les  exagère  beaucoup.  Ce  n'est  ni  le  style 
qui  est  obscur,  il  est,  au  contraire,  très-clair;  ni  les 
faits ,  ils  sont  rapportés  avec  simpHcité  et  netteté  ;  ni  les 
préceptes,  ils  sont  exposés  de  manière  que  tout  le  monde 
les  comprend  parfaitement.  Il  y  a  quelques  circonstances 
particulières  que  l'on  a  de  la  peine  à  entendre  ;  mais  ce 
très-petit  nombre  d'obscurités  tient  à  l'éloignemeut  où 
nous  sommes  des  temps  et  des  lieux  où  les  faits  se  sont 
passés ,  à  notre  ignorance  des  mœuis  du  peuple  juif  et  du 
langage  alors  usité. 

LXI.  Parfaitement  d'accord  sur  la  substance  des  faits, 
les  auteurs  sacrés  ont  laissé  dans  leurs  écrits  quelques 
différences.  Mais  nous  verrons  ailleurs  qu'elles  servent  à 
prouver  que  leur  récit  est  véritable ,  que  leur  uniformité 
sur  le  fond  des  choses  n'est  pas  l'effet  d'un  concert,  et 
que  ,  s'ils  avaient  voulu  tromper,  ils  auraient  aisément 
fait  disparaître  ces  légères  et  peu  nombreuses  variétés. 
Pour  des  contradictions,  les  ennemis  de  la  religion  les 
cherchent  depuis  longtemps,  et  ils  n'ont  pas  pu  réelle- 
ment en  relever  une  seule.  Toutes  celles  qu'ils  ont  pré- 
tendu marquer,  ont  été  facilement  conciliées  par  les 
commentateurs. 

LXII.  «  Cette  question  si  essentielle  de  l'authenticité , 
«  disent  encore  les  incrédules,  et  dont  dépend  la  vérité 
•«  du  christianisme,  a  été  beaucoup  trop  négligée  par  les 
«  apologistes  chrétiens.  Ils  l'ont  plutôt  supposée  qu'ils  ne 
"  l'ont  traitée  exactement.  Ils  se  sont  imaginés  avoir 
"    suffisamment  prouvé  l'aulhen licite  des  évangiles,  en 


SUR    LA    RELIGION.  109 

•  tâchant  de  faire  voir  qu'il  n'est  pas  possible  de  suppo- 

•  ser  des  livres  de  cette  nature.  » 

Je  demande  d'abord  si  les  preuves  nombreuses  que 
nous  avons  apportées  de  l'authenticité  du  Nouveau  Tes- 
tament se  réduisent  à  faire  voir  qu'il  n'est  pas  possible 
de  supposer  un  tel  livre. 

Je  demande  ensuite  si  prouver  l'impossibiUté  de  la 
supposition  des  évangiles,  n'est  pas  par  cela  même  dé- 
montrer clairement  leur  authenticité  ;  quel  est  l'esprit 
raisonnable  qui  ne  se  contenterait  pas  de  cette  seule 
preuve  ? 

Mais  passons  sur  ces  considérations  ,  venons  à  Tobjec- 
tion  en  elle-même  ,  examinons  ce  qu'elle  a  de  vrai  ,  et  ce 
qui  en  résulte. 

LXIIl.  La  discussion  de  notre  question  a  été  négligée 
tant  qu'elle  a  été  inutile.  L'authenticité  de  nos  livres 
saints  a  été  supposée  tant  qu'elle  n'a  pas  été  contestée. 
Mais  aussitôt  que  les  ennemis  de  la  foi  l'ont  combattue , 
elle  a  été  fortement  défendue  par  les  apologistes  de  la 
religion.  Il  s'agit  de  prouver  ces  vérités. 

Tant  qu'une  vérité  n'est  pas  niée,  on  ne  s'attache  pas 
à^la  prouver.  On  ne  combat  point  pour  ce  qui  n'est  pas 
attaqué.  Les  apologistes  de  la  religion  chrétienne,  qui  la 
défendaient  contre  les  païens,  ne  cherchaient  point  à  éta- 
blir que  les  livres  étaient  des  auteurs  dont  ils  portent  les 
noms  ,  parce  que  les  païens  ne  le  disputaient  pas.  Je  dis 
plus:  de  ce  qu'ils  ne  défendaient  pas  l'authenticité  du 
Nouveau  Testament,  il  résulte  qu'elle  n'était  pas  révo- 
quée en  doute  par  leurs  adversaires.  Leur  défense  était 
dirigée  sur  l'attaque.  Nous  les  voyons  répondre  à  toutes 
les  difficultés  ,  à  toutes  les  calomnies  que  la  haine  contre 
le  christianisme  faisait  vomir  à  ses  ennemis.  Ils  entrent 
dans  le  détail  des  objections  les  plus  faibles,  les  plus 
puériles,  les  plus  évidemment  absurdes.  Auraient-ils 
laissé  de  côté  une  objection  aussi  grave ,  dont  la  force 
accordée  aurait  fait  tomber  le  christianisme?  Voici  qui 
est  plus  positif  encore.  Nous  les  voyons  ,  dans  plusieurs 
endroits  ,  citer  les  évangiles ,  soit  pour  disculper  la  reli- 


112  DISSERTATIONS 

des  évêques  conservateurs  des  livres  saints  ,  et  leur  suc- 
cession continue  depuis  le  temps  apostolique  (1).  Que 
ceux  qui  disent  que  la  question  de  l'authenticité  des 
livres  saints  a  été  négligée,  que  cette  authenticité  tou- 
jours supposée  n'a  jamais  été  prouvée  ,  lisent  ces  passages 
de  St.  Augustin  ,  et  plusieurs  autres  que  nous  leur  épar- 


(i)  Cui  tamen  ne  intercladeretnr  locns,  et  adiœeretur  posteris  ad 
qosestiones  diJfjciUiinas  traclandas  ,  atque  versandas  ,  linguae  ac  styli 
saluberriniiis  labor,  dislincta  est  a  posteriorum  libris  excellenfia  ca» 
noniccC  anctoritatis  veteris  et  novi  testamenti  ;  quae  apostolornm  con- 
finnata  temponbus,  per  successioiies  episcoporam  et  propagationes 
ecclesiarana ,  tanquam  in  sede  qiiadam  subliiniter  consliluta  est  ;  cui 
serviat  omnis  fidelis  et  pins  intelleclus.  [S.  August.  centra  Faustum, 
lib.  XI ,  cap.  5.  ) 

Cnm  cœpero  Matthaei  evangeliura  recitare  apostoli  ejas,  ubi  nar- 
ratio  nativitatis  ejus  tota  contexitur,  continuo  dices  illam  narratio- 
nera  non  esse  Matthaei,  qaani  Matthaei  esse  dicit  aniversa  ecclesia, 
ab  apostoh'cis  sedibus  usque  ad  piaesentes  episcopos  cerla  successione 
perdacta.  Tu  œihi  quid  contra  lectnrus  es?  Aliquem  forte  librum 
Manichani ,  ubi  Jésus  negatur  esse  naïuà  ex  Virgine.  SicDl  eigo  credo 
illum  hbnim  esse  Maiiichaei,  quoniam  ex  ipso  tempore  quo  Mani- 
chaeas  vivebat  in  carne,  per  discipulos  ejus,  certa  successione  prae- 
positorum  ve^tromm,  ad  veslra  usque  tempora  custoditns  atque  per- 
ductus  est  ,  sic  et  istum  librum  crédite  esse  Matthaei,  queiu  ex  illo 
tempore  quo  Matthaeus  ipse  in  carne  vixit,  non  interrupia  série  tem- 
porum,  ecclesia ,  certa  connexionis  successione ,  usque  ad  tempora 
ista  perdnxit.   l^Ibid.  ,  lib    xxvm,  cap.  2.) 

Si  quaeraiis  a  nobis  unde  sciamus  apostolorum  esse  istas  Utteras  , 
breviter  vobis  respondebiraus  ,  inde  nos  scire  certe,  unde  et  vos  scitis 
litteras  esse  Manicbaei,  quas  miserabiliter  haie  auctoiitati  prœponitis. 
Si  enim  et  hinc  vobis  aliquis  moveat  qnaestionem  dicens  bbros  quos 
praefertis  Manichaei  non  esse  Manirhaei,  quid  faciiuii  esiis  ?  Nonne 
potius  ejus  deiiiainenta  ridebitis,  qui  cotitra  rem  tanin  connexionis 
et  successionis  série  conCimatam,  impudinm  hnjus  voris  emittet.  Si- 
cut  ergo  ceitum  est  illcs  libros  esse  Manichaei  ,  et  omnino  ridendus 
est  qui  ex  transverso  veniens  ,  tanto  post  natus  ,  litem  vobis  hujus 
contradictionis  intenderit  ;  ira  certum  est  Manichaeum,  vel  manichaeos 
esse  ridendos,  qui  tam  iundatae  auctoritati,  a  temporibus  apostolo- 
ram  ad  haec  tempora  sncre>sionibus  custoditaR  atque  productae  ande- 
ant  taie  aliquid  dicere.  {Ibid.  lib.  xxxit ,  cap.  2  t.  ) 

Infelices  inimici  animae  veslrae,  quae  unquam  liiteraehabebnnt  nllum 
pondus  auctoriiaiis,  si  apostulicse  non  habebunt?  De  quo  libro  cer- 
tum erit  CDJQs  sit ,  si  litterae  quas  apostolorum  dicit  et  tenet  ecclesia, 


SUR    LA    RELIGION.  113 

^nons.  Les  preuves  qu'il  donnait  de  cette  vérité  ,  à  la  fin 
du  quatrième  siècle  ,  non-sculeuient  confondirent  alors 
les  manichéens,  mais  ont  été  tellement  victorieuses,  que, 
de  toutes  les  sectes  qui  se  sont  élevées  contre  l'Eglise , 
aucune  n'a  plus  osé  disputer  aux  auteurs  sacrés  leurs 
ouvrages.  Elles  sont  encore,  ces  mêmes  preuves,  égale- 
ment puissantes  aujourd  hui.  Nous  pouvons  même  dire 
que  l'accession  unanime  de  tant  de  siècles  a  encore  ajouté 
à  leur  force.  Et  nous  le  disons  en  deux  mots  :  l'authenti- 
cité du  Testament  n'a  pas  été  prouvée  dans  les  trois 
premiers  siècles  ,  parce  qu'on  n'osait  pas  la  contester  ;  et 
c'est  une  preuve  de  sa  réalité.  Elle  l'a  été ,  il  y  a  seize 
cents  ans  ,  de  manière  que  ceux  qui  avaient  osé  la  nier 
ont  été  confondus;  et  que,  jusqu'aux  incrédules  de  nos 
jours ,  personne  n'en  aura  plus  douté  :  c'est  encore  une 


ab  ipsis  apostolis  propagata  ,  et  per  omnes  gentes  tanta  eiiiinentia  de- 
clarafa,  utrnm  apostolorum  sinl  incertom  est  ?  Et  hoc  erit  certain 
scripsisse  apostolos  qaod  huic  ecclesiae  contrarii  baeretici  profcruiit 
auctoram  suorum  numinibas  appellati,  lunge  po^t  apostolos  exisiea- 
tiara.  Qaasi  vero  et  in  bis  litteris  saccuLribus  non  f'itrrunt  ceriissimi 
aafores  ,  sob  quorum  nominibas  pusiea  limita  piolala  surit,  et  ideo 
repodiata  ,  quia  vel  bis  qux*  ipsoium  esse  consiaiet  minime  congrne- 
rnut  ;  vel  eo  tempore  quo  i.b  bcripserint  nequaqaam  innotuere  ;  et 
per  ipsos,  vel  familiarissimos  forurn  in  postero^  prudi  cominend^ri- 
que  nieraeiunt.  Nonne  ,  ut  alios  oniittam  ,  sub  Hippucratis  medici 
nobilissimi  nom'ne  quid.i.n  bbri  prolati  ,  in  auctoriiatem  a  naedicis 
non  recepti  sunt.  Nec  eo>>  adjuvit  nonnalla  sirailiiudo  retum  atqae 
verborum,  (juando  comparali  iis  qaos  vere  Hippocratis  esse  consta- 
ret,  in)pares  judicati  surit,  et  quod  eo  lempore  quo  et  ccetera  scrip- 
ta  ejus  non  innoiuerunt  ,  quod  vere  ejns  essent.  Hos  autem  libros, 
quibus  illi  qui  de  transverso  proferuntur  coinparati  respuuniur,  nn- 
de  constat  esse  Hippocratis  ?  Unde  si  qnis  boc  negel,  non  siatim  refel- 
litar,  sed  ridetur  Ni.si  qnia  sic  eos  ab  ipso  Hippocraiis  tempore, 
usque  ad  boc  teinpus  et  deinceps,  successionis  séries  coiiimendavit  , 
ut  hinc  duhitare  démentis  sil.  Plalonis,  Arisiotelis  ,  Ciceronis,  Var- 
ronis,  aborumqne  ejasmodi  anctorum  libri .  nnde  noverint  homines 
qaod  ipsorum  sint  ?  nisi  eadem  tempornm  sibimet  suocedentium  con- 
testatione  continua.  Multi  multa  de  litteris  ecclesiastitis  conscripse- 
rnnt,  non  qaidem  aacforitate  canonica  ,  sed  aliquo  adjnvendi  studio, 
sive  disceiidi.  Unde  constat  qiiid  cujus  sit?  nisi  quia  h's  temporibus 
quibos   ea   quisqae  scripsir,  quibus  potait  insiauavit  atque  edidit  .  et 


114  DISSERTATIONS 

preuve  à  laquelle  tout  esprit  raisonnable  ne  peut  pas 
refuser  de  se  rendre. 

LXV.  «  On  prétend ,  disent  les  incrédules,  prouver 
u  l'authenticité  du  Nouveau  Testament,  parce  qu'il  a 
M  été  reçu  universellement  dès  les  premiers  siècles  de 
«  l'Eglise.  Mais  le  fait  n'est  pas  exact.  On  voit,  par  les 
»  écrits  de  plusieurs  des  Pères ,  que  pendant  longtemps 
«  quelques-uns  des  livres  du  Nouveau  Testament  n'ont 
u  pas  été  reçus,  et  qu'on  ne  les  croyait  pas  des  auteurs 
.1  dont  ils  portent  les  noms.  Ce  n'est  qu'après  un  assez 
u  long  temps  qu'on  a  fini  par  regarder  comme  canoniques 
«  des  livres  dont  l'aulhenticité  n'avait  pas  été  jusque-là 
«  reconnue.  Est-ce  là  ce  qui  peut.fonder  une  certitude? 
«  On  dit  que  ce  fut  le  concile  de  Nicée  qui  fit  le  triage 
«  des  livres  canoniques  ,  entre  la  multitude  de  ceux  qui 
«  circulaient  parmi  les  fidèles.  Ce  fut,  à  ce  que  l'on 
t«  raconte,  un  miracle  qui  décida  de  ce  choix.  A  la  prière 
«  des  évèques,  les  livres  inspirés  allèrent  d'eux-mêmes 
«  se  placer  sur  un  autel;  c'est  un  des  faits  les  plus  avérés 
«  de  l'histoire  ecclésiastique.  Il  n'y  avait  donc  pas,  à 
«  cette  époque ,  de  livre  universellement  avoué.  Voilà 
«  donc  sur  quoi  repose  toute  la  foi  des  chrétiens.  N'est- 
«  ce  pas  d'ailleurs  évidemment  un  cercle   vicieux,  de 


inde  in  alios  ,  alque  alios  continoiita  riotitia  ,  laîinsque  (irniaUî  ad 
postei-os ,  etiom  usqne  ad  nostia  teuipora  perveiiei  uni  :  ita  ut  inter- 
rogati  cujus  qin^qoe  liber  sit,  et  rion  baesteiuus  qnid  respondere  de- 
beamas.  Sed  quid  pergam  in  lun^je  praeterita  ?  Ecce  bas  liiteras  quas 
habemas  in  luanibus,  si  posl  aliquantulum  tenipus  vita;  hujus  nostrae, 
vel  illas  quisquam  Fausti  esse,  vel  bas  neget  esse  nieas,  unde  con- 
vincetur?  nisi  quia  ilh  qui  nunc  ista  noverunt,  notiliam  suam  ad  longe 
etiam  post  fntuios  ,  continuatis  posterornm  sacfessionibus  tiaji- 
ciont.  Haeç  cuin  ita  sint ,  quis  tandem  tanto  fnroie  caecaîur ,  nisi  dae- 
inoiiiorum  mundi  locoruni  mabtiae  alque  fallaciae  consentiendo  sub- 
versus  sit,  qui  dicat  hue  mereri  non  potuisse  apostoloiuin  eccle.«>iani , 
tam  fidam,  tam  numerosani  fratrura  concordi:tm ,  nt  eorura  scripta 
iideiiler  ad  posteros  trajciant?  Cnm  eorum  caibedras  usque  ad  piae- 
sentes  episcopos  certissima  snccessione  servaverint,  cnm  hoc  qualiom- 
cniuqne  bominura  script'S,  sive  extra  ecclesiam  ;  sive  in  ipsa  ecclesîa 
ianra  facilitate  proveniat.  {Ibid,  ^  lib.  xxxni,  cap.  6.  ) 


Sur  La  religion.  115 

«  fonJer  l'authenticité  du  ÎS'ouveau  Testament  sur  l'au- 
«  torité  de  l'Eglise,  laquelle  elle-même  n'est  l'ondée  que 
«  sur  le  Nouveau  Testament?  » 

LXYI.  Il  est  vrai  que  dans  les  premiers  siècles  il  y  a 
eu  des  doutes  sur  l'autlienticité  de  quelques-uns  des 
livres  du  Nouveau  Testament,  c'est-à-dire  de  la  seconde 
épître  de  St.  Pierre^  de  la  seconde  et  de  la  troisième  de 
St.  Jean,  de  celles  de  St.  Jacques  et  de  St.  Jude,  de  celle 
de  St.  Paul  aux  Hébreux ,  et  de  l'Apocalypse  ;  mais  les 
autres  livres,  savoir  :  les  quatre  Evangiles,  les  Actes  des 
apôtres,  les  treize  premières  Epîtres  de  St.  Paul,  la  pre- 
mière de  St.  Pierre  et  la  première  de  St.  Jean,  ont  été 
de  tout  temps  reconnus  authentiques  par  tout  le  monde. 
Les  mêmes  Pères  de  qui  nous  tenons  que  quelques  per- 
sonnes doutaient  de  l'authenticité  des  premiers  ,  disent 
aussi  positivement  que  l'authenticité  des  seconds  était 
reconnue  universellement,  sans  exception,  sans  aucune 
difficulté;  et  nous  défions  nos  adversaires  de  citer  aucun 
écrivain  des  premiers  tenips  qui  ait  fait  ii:ention  du 
plus  léger  doute  sur  ce  point.  11  n'est  donc  pas  vrai  qu'à 
l'époque  du  concile  de  Nicée  aucun  livre  n'était  univer- 
sellement avoué.  Il  y  avait  de  l'incertitude  relativement 
à  quelques  livres;  donc,  conclut-on,  il  n'y  en  avait 
aucun  qui  fût  reconnu  universellement  authentique. 
Voilà  la  logique  de  l'incrédulité.  Les  doutes  que  l'on 
conservait  sur  l'authenticité  de  quelques-uns  de  ces 
livres  n'ébranlent  pas  la  certitude  de  l'authenticité  des 
autres.  C'est  donc  à  tort  qu'on  nous  demande  :  «  Est-ce 
«  là  ce  qui  peut  fonder  une  certitude?  ><  Non  ,  nous  en 
convenons;  la  certitude,  relativement  à  quelques  épitres 
et  à  l'Apocalypse,  n'est  pas  fondée  sur  ce  qu'elles  ont  été 
constamment  et  universellement  réputées  authentiques; 
mais  celle  relativement  aux  autres  livres  du  Nouveau 
Testament  repose  sur  ce  fondement  inébranlable. 

En  considérant  les  cinq  épîtres  sur  lesquelles  il  y  a  eu 
pendant  quelque  temps  du  doute,  on  voit  ce  qui  a  pu  le 
causer.  Elles  ne  sont  pas  adressées,  comme  les  autres,  à 
des  églises  particulières  qui  les  auraient  conservées  avec 


116  DISSERTATIONS 

soin,  et  qui  en  auraient  produit  les  originaux  ,  ainsi  que 
le  dit  Tertullien;  elles  sont  écrites,  soit  à  des  particu- 
liers obscurs  et  peu  connus,  soit  à  des  fidèles  dispersés 
en  divers  lieux.  On  conçoit  qu'il  a  fallu  du  temps  pour 
s'assurer  de  leur  authenticité.  Il  a  été  nécessaire  de  con- 
sulter le  témoignage  des  diverses  églises,  et  de  s'assurer 
que  l'opinion  de  la  grande  pluralité  était  favorable  à  ces 
épîtres.  Il  n'est  pas  étonnant  que  dans  cet  intervalle  on 
soit  resté  en  suspens. 

LXVII.  Nous  devons  observer ,  au  reste ,  que  ces 
épîtres  sur  lesquelles  on  a  eu  des  doutes  ,  étaient  cepen- 
dant reçues  par  le  plus  grand  nombre  des  églises.  Eusèbe 
le  dit  expressément  (1).  Avant  lui,  Origènes  regardait 
comme  authentiques  tous  nos  livres  canoniques  (2). 
Malgré  ces  autorités  on  hésitait  encore  à  les  déclarer  tels. 
Que  résulte-t-il  de  là  ?  l'extrénie  circonspection  avec 
laquelle  on  procédait  dans  l'Eglise  pour  admettre  les 
livres  saints.  Loin  donc  que  ce  doute  affaiblisse  notre 
certitude  de  l'authenticité  de  ces  livres,  il  est,  au  con- 
traire ,  une  raison  de  plus  d'être  persuadé  que  ce  n'est 
qu'en  grande  connaissance  de  cause  que  l'Eglise  s'est 
déterminée  à  les  placer  dans  le  canon  sacré. 


(i)  Sur  ce  que  dit  Easèbe  des  livres  du  Nouveau  Testament  qui 
étaient  conslaniment  et  universellement  révérés  comme  inspirés  ,  et 
de  ceux  sur  lesquels  on  avait  des  doutes,  mais  dont  le  plus  grand 
nombre  des  égl  ses  reconnaissait  l'anlhenticilé ,  voyez  ci-dessus 
n"  XXXV,  note,  pag.  5g. 

(2)  Yenii'ns  vero  Dnminns  nostcr  Jésus  Cbristas  ,  cujns  ille  prior 
fîlius  Nave  designabat  adventun),niit!it  sacerdotes  apostolus  i-uos  por- 
tantes tubas  ductiles  praedicationis,  magnificam  cœlestemque  ductri- 
nam  sacerdotal!  tuba  primns  in  evangelio  ^uo  Matthacus  increpuit. 
Marcus  quoqne ,  Lucas  et  Joannes,  singulis  tubis  saceidotalibus  ce- 
cinerunt.  Petrns  etiam  ouabus  epis'olarum  suarum  personat  tubis, 
Jacobus  quoqne  et  Judas.  Addit  nihilominus  adbuc  et  Juannes  tuba 
canere  per  epistolas  tuas  et  apccalypsim,  et  Lucas  apostolorum  ges- 
ta  describens.  Novissime  autem  i!le  venit  qni  dixir  r  Piico  antem  ^ 
nos  Deux  jwvissimos  apostolos  ostendit  ;  et  in  quatuordecim  epistola- 
rum  snarom  fulminans  tubis,  muros  Jeiicbo  ,  et  omnes  idolatriae 
machinas,  et  philosophorum  dogmata,  usque  ad  fundamenla  dejecit. 
(  Orig.    in  Uhrum  Jesu  Nave  ,  Homii.  vn,  n°  i.) 


SUR    LA    RELIGION.  Il7 

LXVIII.   Nous  n'avons  plus  le  décret  du  concile  de 
Nicée  qui  fixait  le  canon  des  saintes  Ecritures;  mais  la 
manière  dont  on  dit  que  les  Pères  de  ce  concile  procé- 
dèrent ,  est  une  fable  ridicule  ,  tirée  d'un  livre  mépri- 
sable,  plein  de  minuties,  d'erreurs,  d'anacLronismes, 
et  écrit  cinq  ou  six  cents  ans  après  le  concde.  Que  l'on 
nomme  un  auteur  de  quelque  considération,  qui  ait  répété 
ce  conte  qu'on  affecte  de  donner  comme  un  des  faits  les 
plus  avérés  de  l'histoire  ecclésiastique.   Les  hommes  res- 
pectables qui  composaient  cette  auguste  assemblée  n'ont 
pas  eu  besoin  d'un  miracle  pour  déterminer  quels  étaient, 
entre  tous  les  livres  qui  existaient,  les  véritables  cano- 
niques. Il  leur  a  suffi  de  consulter  la  tradition  des  églises, 
et  d'examiner  d'abord  quels  étaient  les  livres  universel- 
lement reçus;  ensuite  ,  parmi  ceux  sur  lesquels  on  con- 
servait des   doutes  ,  quels  étaient  ceux  que  regardaient 
comme  authentiques  le  plus  grand  nombre  des  églises, 
et  d'où  leur  venait  cette  persuasion.  Cet  examen  ne  leur 
était  pas  bien  difficile  ,  puisqu'ils  étaient  réunis  de  divers 
pays;  que  chacun  d'eux  connaissait  parfaitement  et  ap- 
portait la  tradition  de  son  église  et  des  églises  voisines. 
Ils  ont  jugé  l'authenticité  des  livres  saints  par  cette  même 
tradition  par  laquelle  nous  avons  vu  les  Pères  qui  les 
avaient  précédés  ,  en  juger  ,  et  par  laquelle  on  juge  aussi 
de  l'authenticité  des    livres  profanes.  C'est   toujours  le 
même  principe  qui  dirige  ce  jugement.  Et  si  les  Pères 
assemblés  à  Nicée  ,  ont  fixé  d'une  manière  plus  positive 
que  les  Pérès  antérieurs  ,  le  canon  sacré,  c'est  qu'à  raison 
de  leur  réunion  ils  ont  pu  mieux  connaître  l'universalité 
de  la  tradition. 

LXIX  Je  fais  abstraction  de  l'autorité  conciliaire  dont 
ils  étaient  revêtus,  je  parle  seulement  des  motifs  humains 
qui  ont  dû  les  décider  ,  je  les  considère  indépendamment 
de  l'inspiration  divine  qui  écartait  d'eux  l'erreur.  Trai- 
tant ici  contre  les  incrédules  qui  nient  l'authenticité  de 
tout  le  Nouveau  Testament ,  je  n'emploie  point  les  déci- 
sions de  l'Eglise  ,  dont  ils  ne  font  aucun  cas.  Mais  lors- 


118  DISSERTATIONS 

que  nous  parlons  à  des  chrétiens,  qui,  reconnaissant 
rautheiUicité  et  l'autorité  des  évangiles  et  de  la  plupart 
des  autres  livres  ,  en  rejettent  seulement  quelques-uns, 
nous  nous  servons  de  ceux  qu'ils  reçoivent  pour  leur 
prouver  qu'ils  doivent  de  niènie  admettre  les  autres. 
Nous  leur  montrons ,  dans  les  livres  auxquels  ils  se  sou- 
mettent ,  l'infaillibilité  de  l'Eglise  établie.  Nous  leur 
prouvons  que  l'Eglise  n'est  pas  moins  infaillible  sur  l'au- 
thenticité des  livres  inspirés  que  sur  leur  sens  ,  parce  que 
Icurauthenticitéest.de  même  que  leur  sens,  le  fondement 
de  la  foi.  Nous  en  concluons  que  ces  chrétiens  doivent  se 
soumettre  à  ce  que  l'Eglise  a  décidé  sur  l'un  comme  sur 
l'autre  objet.  Nous  partons  du  principe  reconnu  de  l'au- 
thenticité du  plus  grand  nombre  des  livres  du  Nouveau 
Testament,  pour  établir  l'autorité  infaillible  de  l'Eglise, 
et  de  l'autorité  infaillible  démontrée,  pour  prouver  l'au- 
thenticité de  quelques  autres  livres  dont  on  veut  douter. 
C'est  une  suite  de  principes  et  de  conséquences.  On  ne 
peut  pas  y  voir  un  cercle  vicieux. 

LXX.  Nous  avons  dit  qu'il  n'y  a  eu  aucun  temps  où  la 
supposition  du  Nouveau  Testament  ait  été  possible.  On 
s'inscrit  en  faux  contre  cette  proposition.  «<  Il  est  possible, 
«<  dit-on,  que  dans  la  confusion  cjui  suivit  la  ruine  de 
«  Jérusalem,  cjuelques  chrétiens  aient  composé  les  livres 
«  que  nous  avons,  en  les  attribuant  aux  Apôtres.  On 
«  connaît  les  fraudes  pieuses  qui  ont  eu  lieu  de  tout 
t<  temps  dans  le  christianisme,  de  la  part  des  docteurs  de 
«  l'Eglise ,  et  spécialement  dans  les  premiers  temps.  Les 
«  chrétiens  ajoutaient  alors  foi  à  des  livres  pleins  de  rê- 
»•  veries,  tels  que  le  Pasteur  d'Hermias ,  V Evangile  de 
«  Venfance,  etc.  Les  quatre  évangiles  n'ont  commencé  à 
«<  être  connus  cjue  sous  Trajan  ,  ou  même  sous  Adrien. 
"  Jusqu'alors  ces  écrits  étaient  restés  cachés  dans  les 
>»  archives  des  églises  ,  et  entre  les  mains  des  prêtres, 
«  qui  en  disposaient  à  leur  gré.  On  avait  grand  soin  de 
«  les  soustraire  aux  regards  de  ceux  qui  n'étaient  pas 
«  initiés  aux  mystères  de  la  religion;   et  Ton  voit  les 


SUR   LA    RELIGION.  119 

«  chrétiens  qui  livraient  ces  livres  aux  païens  ,  appelés 
«  traditeurs ,  et  punis  par  la  séparation  de  la  commu- 
«  nion.  » 

J'ai  déjà  répondu  à  presque  toutes  les  parties  de  cette 
objection.  Je  vais  cependant  les  reprendre  Tune  après 
l'autre  le  plus  succinctement  qu'il  me  sera  possible. 

LXXI.  J'ai  établi  que  la  plus  grande  partie  du  Nou- 
veau Testament  avait  été  écrite  avant  la  ruine  de  Jéru- 
salem ;  il  est  inutile  de  revenir  là-dessus  (1  j.  Qu'entend- 
on  par  la  confusion  cjui  suivit  cette  destruction?  Il  y  eut 
sans  doute  beaucoup  de  confusion  à  cette  époque  dans 
la  Judée  ;  mais  on  ne  voit  pas  que  dans  les  autres  pavs  il 
y  en  ait  eu.  Comment  le  trouble  et  le  désordre  du  petit 
pays  de  Judée  auraient-ils  pu  faire  recevoir  aux  églises 
fondées  en  Italie,  en  Grèce,  en  Asie,  dans  beaucoup 
d'autres  régions,  des  évangiles  mis  faussement  sous  le 
nom  des  Apôtres?  Comment,  nous  le  répétons,  aurait- 
on  fait  accroire  aux  disciples  des  Apôtres,  qui  gouver- 
naient alors  ces  églises  ,  que  ces  écrits  étaient  de  leurs 
maîtres?  Comment  l'aurait-on  persuadé  à  St.  Jean  lui- 
même,  qui  a  survécu  trente  ans  au  désastre  de  Jérusalem  ; 
à  St.  Luc ,  qui  a  aussi  poussé  sa  carrière  au-delà  de  cet 
événement?  Il  y  a  peu  de  suppositions  plus  absurdes  que 
celle  de  placer  à  cette  époque  la  composition  d«s  livres 
du  Nouveau  Testament. 

LXXII.  On  nous  parle  de  fraudes  pieuses  faites  au 
commencement  du  christianisme ,  et  on  ne  manque  pas 
de  les  mettre  sur  le  compte  des  docteurs  de  la  primitive 
Eglise.  Il  y  a  eu  de  faux  ouvrages  publiés  dans  ce  temps- 
là;  donc  ,  dit-on,  ce  sont  les  Pères  de  l'Eglise  qui  ont  été 
les  faussaires.  Yoilà  une  conséquence  bien  extraordi- 
naire. Nous  avons,  au  contraire,  la  preuve  que  l'esprit 
de  l'Eglise  et  de  ses  chefs  était  très-opposé  à  ces  falsifica- 
tions. Tertullien  rapporte ,  et  St.  Jérôme  après  lui,  qu'un 
prêtre  d'Asie  ayant  écrit  des  Actes    de  St.   Paul  et  de 

(i)  Voyez  ci-dessus,  n°  vu,  pag.  38. 


120  DISSERTATIONS 

Ste  Thecle,  et  ayant  avoué  qu'il  l'avait  fait  par  amour 
pour  St.  Paul ,  fut  déposé.  St.  Jérôme  ajoute  que  ce  fut 
Vapôtre  St.  Jean  qui  le  convainquit  (1),  Ces  suppositions 
étaient  en  général  l'ouvrage  des  hérétiques,  qui,  pour 
appuyer  leurs  erreurs  ,  se  permettaient  d'altérer  les 
saintes  Eci  iturrs ,  et  même  d'eu  répandre  de  fausses.  Il 
peut  cependant  y  avoir  eu  des  suppositionsdont  quelques 
fidèles  aient  été  les  auteurs,  soit  par  un  zèle  mal  entendu, 
soit  par  une  extrême  simplicité.  Il  ne  faut  pas  mettre 
dans  ce  nombre  le  livre  du  Pasteur ,  qui  paraît  avoir  été 
véritablement  d'un  auteur  nommé  Hermias,  soit  que  ce 
fût  le  disciple  dont  parle  St.  Paul,  comme  on  le  croit 
communément,  soit  que  ce  fût  un  autre  chrétien  pieux 
de  ce  temps- là.  Cet  ouvrage  renferme  ,  à  la  vérité  ,  plu- 
sieurs choses  que  nous  n'entendons  pas ,  mais  ce  n'est 
nullement  un  livre  méprisable.  Quant  à  \ Evangile  de 
V enfance ,  qu'on  nous  nomme  un  seul  auieur  qui  dise 
qu'il  ait  été  en  recommandation  auprès  de  quelques 
chrétiens. 

LXXIII.  On  dit  que  nos  quatre  évangiles  n'ont  été 
connus  que  sous  Adrien.  Les  citations  rapportées  ci- 
devant  de  St.  Clément ,  de  St.  Barnabe ,  de  St.  Ignace, 
prouvent  le  contraire  pour  nos  trois  premiers  évangiles. 
Quant  à  celui  de  St.  Jean,  qui  avait  été  composé  peu 
avant  fe  règne  de  cet  empereur,  il  est  possible  qu'il  n'ait 
été  universellement  répandu  que  dans  ce  temps-là. 


(i)  Quod  si  qaae  Paulo  perperam  adscriptae  saiit,  ad  licentiam 
mulierum  docendi,  tingendiqne  défendant,  sciant  in  Asia  presbyte- 
ram  qni  eara  scriptnrain  constraxit  ;  qaasi  titnlo  Pauli  de  se  cuma- 
lans,  convictum  adque  confessuin  id  te  amoie  Pauli  fecisse ,  lûco  de- 
cessisse.   (Tertul.  de  Bapcisino,  cap.  17.) 

Périodes  Pauli  et  Tbeclae,  et  to'am  baptisati  Leonis  fabulam  in- 
ter  apocr-vpbas  scriptaras  repotamus.  Quale  enim  est  nt  individaus 
cornes  apostoli  Lucas,  inter  cseteras  ejus  res,  hoc  solura  ignoraverit. 
Sed  et  Tertulianus  viciuus  eorum  tempoium  relert  presbyteium  quem» 
dam  in  Asia  ,  araatorem  aposioli  Pauli,  convictuuni  apud  Joannem 
qnod  esset  anctor  libri,  et  confessuin  se  hoc  PauU  amore  fetisse,  et 
ob  id  excidisse.  {S.  Hieron.  de  Script.  Ecoles,  in  Lucatn,) 


SUR    LA^    RELIGION.  I2l 

Mais  ce  qui  est  absolument  faux,  c'est  que,  jusqu'au 
règne  de  ce  prince  ,  nos  livres  sacrés  soient  restés  cachés 
dans  les  archives  des  églises.  Je  crois  avoir  suffisamment 
prouvé  qu'ils  ont  toujours  été  très-publics  (1).  Observons, 
en  passant ,  le  ridicule  anachronisme  où  la  haine  de  la 
religion  entraîne  ses  ennemis.  Ce  fut  au  troisième  siècle 
que,  pour  détruire  le  christianisme,  les  empereurs  ima- 
ginèrent de  supprimer  les  livres  saints,  et  ce  fut  alors 
qu'on  prit  le  parti  de  les  cacher ,  et  que  l'on  punit  ceux 
qui  avaient  la  faiblesse  de  les  livrer.  De  ce  qu'au  troisième 
siècle  on  dérobait  ces  livres  aux  regards  des  persécu- 
teurs, les  incrédules  concluent  que  de  tout  temp  on  les 
avait  tenus  cachés  à  tous  les  regards. 

LXXIV.  «  On  est  si  peu  assuré,  disent  encore  quel- 
u  ques-uns  de  nos  adversaires,  que  les  livres  du  Nouveau 
u  Testament  sont  des  auteurs  dont  ils  portent  les  noms, 
«  qu'on  ne  peut  dire  ni  le  temps ,  ni  le  lieu  où  ces  au- 
v«   teurs  les  ont  composés.  » 

LXXV.  Il  y  a  quelque  incertitude  sur  l'année  précise 
et  sur  le  pays  où  plusieurs  de  nos  livres  saints  ont  été 
composés  ;  mais ,  avant  nos  modernes  incrédules ,  il 
n'était  venu  à  l'esprit  de  qui  que  ce  soit  de  contester 
l'authenticité  d'un  ouvrage,  parce  qu'on  ne  peut  pas  fixer 
au  juste  le  lieu  et  l'année  où  l'auteur  l'a  écrit. 

LXXVI.  Une  autre  objection  de  l'incrédulité ,  est  que 
les  évangiles,  s'ils  étaient  du  temps  auquel  on  les  rap- 
porte, renfermeraient  un  anachronisme  manifeste.  «  J.-C. 
«  y  annonce  aux  Juifs  que  tout  le  sang  innocent  répandu 
^  sur  la  terre  ,  depuis  celui  d'Abel  jusqu'à  celui  de  Za- 
«  charie,  fds  de  Barachie,  qu'ils  ont  immolé  entre  le 
«  temple  et  l'autel,  retombera  sur  eux  (2).  Or,  ce  Za- 
«  charie,  fils  de  Barachie,  fut  égorgé  dans  le  temple  par 


(i)   Voyez  ci-dessus  ,  n°  ix. ,  page  3p. 

(2)  Ut  veniat  super  vos  omnis  sanguis  jastus  qui  effusos  est  super 
terrain  a  sans;uine  Abfl  Jusli,  nsqne  ad  sangninem  Zacbariae,  lilii 
Barachiœ,  quein  vus  occidislis  inter  templnm  et  altare.  ÇMatth.  xxm, 
25.  Luc.  XI,  5o,  5i.) 

Dissert,  sur  la  Relig.  6 


l-2*2  DISSERTATIONS 

u  la  faction  des  zélés ,  pendant  la  guerre  des  Juifs  contre 
«  les  Romains,  ainsi  que  nous  l'apprenons  de  Josèplie  (1). 
H  Voilà  donc  une  preuve  évidente  que  les  évangiles  de 
..  St.  Matiliicu  et  de  St.  Luc  ont  été  écrits  après  la  des- 
u  truction  de  Jérusalem  ,  et  qu'ils  ne  sont  ni  du  temps, 
u   ni  des  auteurs  auxquels  on  les  attribue.  >» 

LXXVII.  Jésus-Christ  parle  d'un   Zacliarie  ,   fds  de 
Baracliie, massacré  entre  le  temple  et  l'autel.  Joscphe 
fait  mention  d'un  Zacliarie,  fils   d'un  Baruch  ,   égorgé 
dans  le  temple.  Donc  ils  ont  en  vue  la  même  personne. 
Voilà  tout  le  raisonnement  des  incrédules.  Je  ne  m'arrê- 
terai pas  à  la  considération  de  la  différence  des  noms  de 
Barachie  et  de  Baruch,  qui  peut  fonder  une  présomption 
légitime  que  le  Zacliarie  dont  il  est  question  dans  l'Evan- 
gile ,  et  celui  dont  parle  Josèphe,  ne  sont  pas  le  même. 
Je  demande  s'il  ne  peut  pas  y  avoir  eu  deux  Zacliarie  , 
fils  de  Baracliie,  tués  entre  le  temple  et  l'autel  ou  dans 
le  temple  ;   et  si  cela   est  possible,   l'objection  tombe. 
Jésus-Christ  connaissait ,  sur  l'histoire  des  Juifs  ,  beau- 
coup de  choses  qui  ne  sont  pas  parvenues  jusqu'à  nous. 
Il  pouvait  donc  savoir  qu'il  y  avait  un  homme  de  ce  nom 
dont  nous  n'avons  pas  de  notion.  Les  interprètes  de  l'E- 
criture ont  cherché  quel  pouvait  être  celui  dont  parle 
Notre-Seigneur.  Les  uns  ont  dit  que  c'était  le  même  dont 
Josèphe  fait  mention ,  et  que  c'est  en  esprit  prophétique 
qu'il  en  parle.  St.  Jérôme  rapporte  trois  opinions  sur  ce 
sujet.  L'une  ,  que  ce  Zacliarie  est  celui  que  l'on  compte 
le  onzième  parmi  les  petits  prophètes,  dont  le  père  s'ap- 
pelait effectivement  Barachie;  l'autre,  que  c'est  le  Za- 
charie ,    père  de  St.   Jean-Baptiste;   la  troisième,  que 
c'est  le  Zacliarie,  fils  de  Joïada  ,  massacré  par  l'ordre  du 
roi  Joas,  dans  le  parvis  des  prêtres,  qui  était  entre  le 
temple  et  l'autel.  Il  réfute  les  deux  premiers  sentiments, 
et  s'arrête  au  troisième ,  fondé  sur  une  ressemblance  de 
signification  entre  le  nom  de  Joïada  et  celui  de  Barachie , 


(i)  Josèphe,  guerre  des  Juifs,  liv,  iv,  chap.  19. 


SUR    LA    RELIGION*.  123 

et  sur  ce  que,  dans  l'évangile  des  Hébreux,  on  lisait  fils 
de  Joiada  au  lieu  de  fils  de  Baràclne  (1).  Je  trouve  dans 
l'Ecriture  un  Zicliarie,  fils  de  Barachie.  Il  vivait  du 
temps  d'Isaie,  qui  en  parle  comme  d'un  juste,  et  qui  le 
nomme  un  témoin  fidèle  (2).  Il  veut  dans  ce  temps-là  une 
violente  persécution,  et  l'Ecriture  dit  que  le  roi  Manas- 
sès  fit  couler  une  grande  abondance  de  sanginnocentj  et 
qu'il  en  rernpbt  Jérusalem  (3).  Il  est  possible  que  ce 
Zacharie,  fils  de  Barachie,  y  ait  été  immolé  entre  le 
temple  et  l'autel ,  et  que  ce  soit  ce  meurtre  que  Jésus- 
Christ  rappelle.  On  voit  dans  les  livres  saints  plusieurs 
Zacharie;  on  y  voit  aussi  plusieurs  Barachie.  C'étaient 
des  noms  assez  communs  parmi  les  Juif-^.  Que  ce  soit  de 
l'un  des  Zacharie  que  nous  venons  de  nommer  ,  ou  de 
quelqu'autre  qui  nous  soit  absolument  inconnu,  que 
Jésus-Christ  ait  parlé  ,  cela  nous  est  absolument  indiffé- 


(i)  Qnaerimus  qnis  sit  iste  Zacharias  filins  Bar;tchiae,  qaia  luulios 
legimns  Zacharias  :  et  ne  libéra  nobis  tiibuereiiir  erroris  facultas  addl- 
tomest  :  quem  occidistis  inter  teinplum  et  aitare.ln  diversis  diversa  le- 
gi  :  et  (lebe-i  singulorum  oj  iruones  ponere.  Alii  Zachauain  fi  in  m  Ba- 
rachiae  dicunt,  qai  in  dmidecim  pruphetis  undeciraiib  est  ;  patrisque 
in  eo  rioioen  consentiat.  Sed  nbi  occisus  bit  inter  lempluin  et  altare 
Scriptnra  non  loqui'ur;  maxime  cum  tempo* ibns  ejus  six  rainae  tem- 
pli  fnerint.  Alii  Zachaiiam  patrem  Juannis  intelbgi  volant  ,  ex  qui- 
basdam  apocryphorum  soniniis  approbantes,  quud  pro;jfeiea  ociisus 
sit,  quia  S.ilvatoris  praed  cavit  adventnm.  Hoc,  quia  de  scriptnris  non 
habet  aucorit^itera  ,  eadem  facilirate  contemniiur  qaa  proiiatur.  Aîii 
istam  volant  Zachariam  ,  qai  occisus  est  a  Joas,  rege  Jadae,  inter 
tereplum  et  altare  ;  sicut  regum  narrât  histona.  Sed  obseivandiim 
qnodis'e  Zacharias  non  sit  filius  Barachiae,  sed  filins  Joiadae  sacerdo- 
lis.  Unde  et  Scriptnra  refert  :  non  fuit  recordatns  Joas  patris  ejns 
JoiadcB  ^  quia  sibi  Jecisset  bona.  Cam  ergo  et  Zacha'iam  teneamur 
et  cccisionis  conseniial  locus,  qnaeriraas  qaare  Barachiae  dicatur  fiiius 
et  non  Joiadae.  Barachia  in  lingaa  nostra  benedictus  Doinini  d;ci!ur; 
et  sacerdotis  Joiadae  juslitia  hebraeo  serraone  demonstratur.  In  evan- 
gelio  qao  uluntnr  Nazarani  ,  pro  filio  Barachiae,  filianj  Joiadae  repe- 
rimas  scnptura.  (5.  Hier,  comment,  in  evang.  Matih.,  lib.  iv ,  cap.  3  ) 

(2)  Et  adhibai  mihi  testes  fidèles ,    Uriam  sacerdotem,   et    Zacha- 
riam,   filiam  Barachiae.    {Is.  vui ,  2.) 

(3)  Insnper  et  sanguinem  innoxinm  fudii  Menasses  mnltum  n'i'-.is, 
donec   iraploret  Jeii.balcm  csque  ad  os.  (4  Reg,  xxr,  16.) 


124  DISSERTATIONS 

rent.  Il  suffit  qu'il  ait  pu  y  avoir  avant  Jésus-Christ  un 
Zacharie  ,  fils  de  Barachie  ,  tué  entre  le  temple  et 
l'autel  ,  pour  qu'on  ne  puisse  pas  prétendre  qu'il  y  a 
dans  l'Evangile  un  anachronisme,  et  pour  réduire  à 
rien  cette  objection. 

CHAPITRE  II. 

INTÉGRITÉ    DU    NOUVEAU    TESTAMENT. 

Après  avoir  montré,  par  des  preuves  multipliées,  et 
parla  réfutation  des  diverses  objections,  que  leslivresdu 
Nouveau  Testament  sont  incontestablement  des  auteurs 
dont  ils  portent  les  noms,  il  nous  reste  à  établir  que  ces 
livres  sont  parvenus  jusqu'à  nous  purs,  entiers,  et  sans 
altération.  Mais  avant  de  prouver  qu'ils  n'ont  pas  été  alté- 
rés ,  il  est  nécessaire  d'expliquer  ce  que  nous  entendons 
par  ce  mot ,  et  de  poser  nettement  l'état  de  la  question. 

LXXyiII.  Quand  nous  disons  que  nos  livres  sacrés 
sont  entiers  et  purs,  nous  ne  prétendons  pas  que  tout , 
jusqu'à  la  moindre  virgule,  jusqu'au  moindre  mot,  soit 
aujourd'hui  dans  le  même  état  qu'il  est  sorti  des  mains 
des  auteurs.  Nous  ne  parlons  pas  des  erreurs  de  copistes 
qui  ont  dû  procéder  de  l'ignorance  ,  de  l'inadvertance , 
de  plusieurs  autres  causes  naturelles,  et  qui,  se  répétant 
et  se  multipliant  dans  une  très-grande  quantité  d'exem- 
plaires, ont  produit  ce  que  l'on  appelle  des  variantes, 
et  en  ont  produit  un  très-grand  nombre.  Il  est  même 
naturel  que  le  livre  qui  a  été  le  plus  souvent  copié  et  le 
plus  souvent  traduit^  soit  celui  où  l'on  voie  le  plus  de 
ces  sortes  de  fautes.  Nous  disons ,  et  c'est  là  tout  ce 
que  nous  prétendons  ,  que  ces  livres  sacrés  sont  les 
mêmes,  quant  au  fond  et  à  la  substance  des  choses, 
quant  à  ce  qui  est  de  quelque  conséquence  et  pour  le 
tlogme  et  pour  la  morale  ,  enfin  quant  au  sens  des 
phrases ,  qu'ils  sont  sortis  des  mains  des  apôtres  et  des 
évangélistes. 


SUR    LA    RELIGION.  J  25 

LXXIX.  Ce  n'est  pas  là  ce  que  veulent  les  incrédules. 
Quelques-uns  d'entre  eux,  atFectant  un  respect  hypocrite 
pour  des  livres  qui  seraient  eiîectivement  émanés  de  la 
Divinité,  prétendent  que  «  la  Providence  se  doit  à  elle- 
n  même,  et  doit  aussi  aux  hommes  de  préserver  les 
w  livres  qu'elle  daigne  leur  donnerpour  leur  instruction, 
«  non  -  seulement  d'erreur  ,  mais  de  toute  altération 
«  jusque  dans  les  moindres  expressions  ;  qu'elle  doit 
«  veirller  avec  un  soin  bien  pins  grand  à  leur  intégrité 
«  qu'à  celle  des  autres  livres  qui  ne  sont  pas  nécessaires 
«  au  salut ,  et ,  à  raison  de  leur  origine  divine  et 
«  de  leur  extrême  importance  ,  les  garantir  du  sort 
«  commun.  Dieu,  ajoutent-ils ,  ne  pouvait  rien  faire  de 
«  plus  utile  pour  sa  religion  ,  que  de  conserver  dans 
«  une  pureté  entière  ces  livres  précieux  ;  c'eût  été  une 
«  preuve  démonstrative  qu'ils  sont  inspirés.  » 

LXXX.  Dieu  .  consignant  dans  des  livres  la  révélation 
qu'il  daigne  donner  aux  hommes^  ne  doit  pas  souffrir 
qu'elle  s'altère  et  se  défigure  dans  ces  livres  ;  qu'elle  y 
devienne  méconnaissable  et  obscure;  qu'on  n'y  voie  plus 
ce  qu'il  a  voulu  y  mettre  ;  il  doit^  en  un  mot,  maintenir 
ces  livres  exempts  d'erreurs  et  dans  un  état  tel,  qu'ils 
servent  à  son  objet.  Si  c'était  là  tout  ce  que  prétendent 
nos  adversaires,  leur  assertion  serait  raisonnable,  mais 
leur  difficulté  serait  nulle.  Des  fautes  d'écriture  qui  se 
trouvent  dans  diverses  copies  rendent-elles  les  livres 
méconnaissables  ?  dénaturent-elles  les  faits  ;  altèrent-elles 
la  doctrine?  corrompent-elles  la  morale?  les  variantes 
changent-elles  quelque  chose  à  la  révélation  ?  les  exem- 
plaires où  on  les  lit  ne  nous  instruisent-ils  pas  de  la 
religion  aussi  bien  que  les  autres? 

On  voudrait  que  l'inspiration  qui  a  garanti  d'erreur 
les  livres  saints,  se  fût  étendue  des  auteurs  à  tous  les 
copistes ,  à  tous  les  traducteurs.  On  prétend  que  la 
Providence  leur  devait  à  tous  l'infaillibilité.  Mais  c'eût 
été  à  chaque  fois  qu'un  homme  entreprenait  une  tra- 
duction,  ou  une  copie,  un  nouveau  miracle;  et  il  est 
de  la  sagesse  divine  de  n'en  opérer  que  lorsqu'ils  sont 


126  DISSERTATIONS 

nécessaires.  Quel  est  l'ouvraye  ancien  que  l'on  ne  regarde 
pas  connue  entier,  et  connne  tel  que  l'auteur  l'a  com- 
posé, inal^jré  les  erreurs  de  copistes,  qui  ont  pu,  dans 
le  cours  des  siècles,  s'y  introduire?  Si  on  admettait  le 
raisonnement  de  nos  adversaires  ,  il  faudrait  rejeter  tous 
les  livres  et  renoncer  à  toute  érudition. 

Mais,  dit-on,  la  Providence  doit  un  soin  particulier 
aux  livres  inspirés  ;  leur  exemption  de  variantes  serait 
une  preuve  de  leur  divinité.  Que  ne  dit- on  de  même 
qu'elle  n'est  tenue  de  préserver  ces  livres  des  accidents 
qui  les  détruisent,  de  la  vétusté,  d:^s  incendies,  des 
inondations  ;  de  conserver  incorruptible  le  papier  ;  de 
rendre  l'encre  indélébile?  Cette  assertion  serait  tout  aussi 
raisonnable.  Ce  soin ,  plus  grand  encore  ,  des  livres 
sacrés,  serait  une  preuve  plus  forte  de  leur  divinité.  Le 
seul  soin  particulier  que  la  Providence  doive  à  ces  livres, 
est ,  comme  nous  l'avons  dit ,  de  les  maintenir  dans  leur 
intégrité  morale ,  parce  que  c'est  la  seule  nécessaire  à 
ses  vues. 

LXXXI.  L'état  de  la  question  ainsi  établi ,  je  passe  à 
la  discussion.  Je  prends  d'abord  tous  les  exemplaires 
imprimés  et  manuscrits  du  Nouveau  Testament,  qui 
existent  dans  la  chrétienté  entière  et  dans  les  diverses 
langues,  et  je  les  trouve  tous  absolument  semblables,  et 
ceux  de  l'église  latine,  et  ceux  de  l'église  grecqne,  et 
ceux  de  l'église  catholique,  et  ceux  de  toutes  les  corn- 
jnunions  qui  s'en  sont  séparées,  soit  dans  l'Orient,  soit 
dans  l'Occident.  Comment  un  concert  aussi  unanime  et 
aussi  général ,  aurait- il  pu  se  former  pour  des  change- 
ments? Comment  tant  de  communions  aussi  opposées 
entre  elles  s'y  trouveraient-elles  réunies,  si  nos  livres 
avaient  éprouvé  des  altérations  (1)?  Dira-t-on   qu'elles 


(i)  Nihil  milii  videfur  ab  eis  impudenrias  dici,  yel ,  ot  railius  lo- 
qaar,  incnriosius  et  inbecillius,  quam  divinas  scripturas  esse  cormp- 
tas  :  cnin  in  nullis  in  tam  recenti  meiuon'a  extantibus  exemplaribas, 
rossint  conviucere.  (S.  August.  de  Util,  credendi^  cap.  ui,  n"  7.) 


SDR    LA    RELIGION.  127 

se  sont  accordées  entre  elles  pour  corrompre  les  livres 
saints?  dira-t-on  qu'il  y  a  eu  des  faussaires  assez  adroits, 
ou  assez  puissants  pour  leur  faire  recevoir  à  tontes  ,  soit 
d'autorité,  st)it  sans  qu'elles  s'en  aperçussent,  les  chan- 
gements qu'ils  avaient  imaginés? 

LXXXII.  Depuis  que  les  divisions  actuellement  sub- 
sistantes dans  l'Eglise  ont  commencé ,  l'altération  que 
l'on  prétend  avoir  été  faite  dans  le  ^Nouveau  Testament 
a  été  impraticable.  Voudrai t-oji  la  reporter  aux  temps 
qui  ont  précédé  ?  l'iiypotlièse  ne  sera  pas  moins  absurde. 
Du  moment  où  nos  livres  saints  furent  composés,  ils 
furent  répandus  dans  tous  les  lieux  où  le  fut  la  religion. 
Nous  avons  vu  que  les  hommes  apostoliques  les  portaient 
avec  eux,  et  les  laissaient  aux  églises  qu'ils  fondaient. 
De  ce  moment,  il  y  eut  nécessairement  la  plus  grande 
vénération  pour  ces  livres,  soit  à  raison  des  auteurs  qui 
les  avaient  composés,  soit  à  raison  des  fondateurs  qui 
les  avaient  donnés ,  soit  surtout  à  raison  de  ce  qu'ils 
contenaient.  Nous  voyons  qu'on  les  lisait  avec  respect 
dans  les  églises;  mais  ces  églises  étaient  déjà  répandues 
dans  l'empire  romain  et  au-delà  de  ses  limites.  Il  aurait 
donc  été  dès-lors  impossible  qu'une  altération  se  fît 
universellement;  il  aurait  été  impossible  qu'elle  se  fît 
sans  qu'on  s'en  aperçût.  Les  exemplaires  que  l'on  lisait 
dans  les  églises  catholiques  étaient  tous  les  mêmes.  Ils 
étaient  donc  tous  purs,  et  tels  qu'ils  avaient  été  écrits. 

LXXXIII.  Plusieurs  hérétiques  de  ces  premiers  temps 
entreprirent,  pour  appuyer  leurs  erreurs,  d'altérer  en 
quelques  endroits  le  Nouveau  Testament,  et  nous  trou- 
vons dans  leur  tentative  infructueuse  encore  une  preuve 
de  la  pureté  de  nos  livres.  Aussitôt  qu'ils  commencèrent 
à  publier  leurs  exemplaires  falsifiés  ,  le  cri  de  toute 
l'Eglise  s'éleva  contre  eux.  Les  saints  Pères  leur  repro- 
chèrent avec  force  ces  corruptions  qu'ils  avaient  faites 
des  livres  saints,  et  les  leur  prouvèrent  par  deux  titres 
que  réunissaient  les  exemplaires  de  l'Eglise  catholique  : 
par  leur  antériorité  sur  ceux  des  hérétiques,  et  par  leur 
universalité.  Tertullien ,  écrivant  contre  les  Marcionites, 


128  DISSERTATIONS 

fait  valoir  spécialement  le  premier  de  ces  motifs.  Mar- 
cion,  dit-il,  a  fait  l'évangile  sien,  en  l'interpolant  (1). 
Son  hérésie  fait  voir  une  témérité  Iminaine  ,  et  non  une 
autorité  divine,  quand  elle  corrige  sans  cesse  l'Evangile 
en  le  corrompant.  Par  ces  prétendues  corrections,  elle 
prouve  deux  choses  ,   l'antériorité    de    notre   Evangile 
qu'elle  a  trouvé  existant  avant  le  sien,  et  la  postériorité 
du  sien  ,  dont  par   ses   amendements   elle   montre   la 
nouveauté  (2).  St.  Augustin,  réfutant  Fauste  le  mani- 
chéen ,  qui  prétendait  que  c'étaient  les  livres  catholiques 
qui  étaient  altérés  ,  et  les  siens  qui  étaient  les  véritables, 
se  sert ,  pour  le  confondre ,  de  ces  deux  titres ,  de  la 
priorité  et  de  l'universalité.  Que  ferez-vous ,  lui  dit-il? 
où  vous  retournerez-vous?  quelle  origine  donnerez-vous 
au  livre  produit  par  vous?  quelle  ancienneté  lui  attri- 
buerez-vous?  quelle  suite  de  successions  appellerez-vous 
en  témoignage?  Si  vous  l'essayez^  vous  ne  pourrez  pas 
en  venir  à  bout.  Et  voyez  dans  cette   matière  de  quel 
poids  est  l'autorité  de  l'Eglise  catholique ,  qui ,  sur  les 
chaires  fondées  par  les  apôtres ,  nous  présente  jusqu'à 
nos  jours  une  succession  d'évèques  non  interrompue  , 
laquelle  est  encore  appuyée  par  le  consentement  de  tous 
les  peuples.  Si  on  élève  la  question  sur  l'autorité  des 
exemplaires ,  elle  sera  décidée   par  ceux    des   régions 
étrangères  d'où  la  foi  nous  est  venue.   Si  on  y  voyait 
encore  de  la  variété ,  on  devrait  préférer  les  plus  nom- 
breux à  ceux  qui  le  sont  moins ,   les  plus  anciens  aux 
plus  nouveaux.  S'il  restait  encore  de  l'incertitude,  le 
moyen  de  la  lever  sérail  de  consulter  la  langue  primitive 
dont  se  sont  faites  les  traductions  (3).  Parlant  d'un  pas- 


(i)  Evangelinm  inlerpolando  saura  fecit.  (Tertitl.  contra  Marc, 
lib.  IV  ,    c;ip.   I.  ) 

(a)  Hunianae  temerifatis,  non  divinae  aucforitatis  est  hseresis ,  quae 
sic  semper  emendat  evangelinm ,  diim  viiiat...  Itaquc  dura  amendât, 
utrumqne  confirmât  :  et  nostrum  anterias,  id  emendans  qnod  inve- 
nit  ;  et  id  posterius ,  qnod  de  nostri  emendatione  constiloens,  suam 
et  novum  fecit.  (Ibid.,   cap.  4.) 

(3)  Quid  âges  ?  quo  te  convertes  ?  Qaam  libri  a   le  prolati  otigi- 


SUR    LA    RELIGION.  Î29 

sage  cité  contre  les  Manichéens  ,  tous  les  exemplaires  , 
dit- il,  anciens  et  nouveaux ,  le  portent ,  toutes  les  églises 
le  lisent ,  toutes  les  langues  sont  d'accord  (1).  Sur  deux 
passages  du  même  apôtre,  que  Fauste  avait  prétendu 
être  opposés  entre  eux  :  nous  ne  pouvons  pas  ,  disait-il, 
prétendre  que  l'un  de  ces  deux  textes  n'est  pas  de  saint 
Paul,  puisqu'il  n'y  a  point  à  cet  égard  de  difïérence 
dans  les  exemplaires  (2).  Il  serait  possible  de  produire 
encore  d'autres  textes  de  ce  saint  docteur. 

On  a  donc  tenté,  dans  les  premiers  siècles,  d'altérer 
la  pureté  du  texte  sacré,  et  on  ne  l'a  pas  pu.  La  fraude 
a  été  découverte  au  moment  où  elle  a  été  entreprise. 
Il  a  été  impossible  de  cacher  au^  églises  qui  existaient 
en  tant  de  divers  lieux ,  la  différence  contre  les  versions 
nouvelles  qu'on  produisait ,  et  le  texte  que ,  depuis  leur 
fondation ,  elles  étaient  accoutumées  à  lire.  Les  exem- 
plaires falsifiés  périrent  avec  les  hérésies  qui  leur  avaient 
donné  l'être.  Les  hérésies  postérieures  au  troisième 
siècle  ,  voyant  ce  mauvais  succès  de  celles  qui  les  avaient 


nera  ,  qaara  vetnstatem  ,  quain  seriem  snccessionis  testem  citabis  ? 
Nam^si  hoc  facere  conaberis  ,  et  nihil  valebis.  Et  vides  in  bac  re , 
qaid  ecclesiae  cafhobc^e  valeat  auctoritas,  quae  ab  ipsis  fondaiissimis 
sedibas  apostoloruiu  ,  usqae  ad  hudiernam  diem  succedentluni  sibimet 
episcoporum  série,  et  tut  populoium  consensione  fîrmatur.  Iraqae 
si  de  iide  exemplarioramqaaestio  veiteretur  sicut  et  in  nonnallis,  qnae 
et  paacae  sunl ,  et  sacrarum  btterarum  studiosis  notissimae  sententia» 
ruin  varietates,  val  ex  aliorum  regionuoa  codicibas,  unde  ipsa  doc- 
trina  commeavit,  nostra  dispntatio  dijadicaretar.  Vel  si  ibi  qaoque 
codices  variarent  ,  piuies  paucioribas,  aut  vetubtiores  recentioribus 
praeferrentur.  Et  si  adhuc  incerta  esset  varietas,  praecedens  lingaa  , 
undeillud  interpretatain  est  consuleretur.    {S.  Aiigust.  contra  Faus- 

tum  ,  bb.  XI,  cap.  2.  ) 

(i)    Hoc  aatein  qnod  adversus   impietatera    vestram ,   es    apostoii 

Paali  epistola  profertur  :  Fllium  Dei  ex  seimne  David  esse  seciindum 

carnem  ^  omnes  codices  novi  et  veteres  habent  ,   omnes    ecclesia;   le- 

gant  ;  omnes  lingoae  consuntiunt.  (  Ibid.  ,  cap.  3). 

(2)  Restât  ergo  nt  nos  demonstremus  quani  pcsil  utrnmque  verana 

esse  ,  et  quam  sibi  hiec  doo  non  sint  contraria.  Unurn  quippe  eorum 

non  esse   Pauli  nuUo  modo  possumns   dicere  :  qaia  nalla  in  eo  variât 

codicum  auctoritas.  ( /^/c/.  ,cap.  4). 

6* 


13Ô  DISSERTATIONS 

précédées,  n'ont  pas  osé  les  imiter.  Toutes  ont  lu  le 
Nouveau  Testament  de  même  que  les  catholiques.  Quoi- 
qu'on leur  montrât  leur  condamnation  écrite  dans  ce 
livre  divin,  elles  l'ont  respecté.  Elles  détournent  le  sens 
du  texte,  elles  n'en  contestent  pas  la  pureté.  Nous  avons 
cependant  vu ,  dans  ces  derniers  temps ,  la  tentative 
des  premiers  hérésiarques  se  renouveler  et  avoir  le  même 
succès.  Les  novateurs,  qui,  depuis  le  dix -septième 
siècle ,  s'efforcent  d'obscurcir  la  doctrine  de  l'Eglise  sur 
la  grâce,  avaient  imaginé  de  faire  à  Mons  une  nouvelle 
édition  du  Nouveau  Testament  selon  la  Vulgate  ,  et  de 
substituer  à  un  mot  contraire  à  leur  erreur,  une  autre 
expression  qui  y  était  plus  favorable  (1).  Mais  le  piège  a 
été  aussitôt  découvert  que  tendu.  L'Eglise  universelle 
s'est  élevée  contre  cette  perfide  innovation.  A  l'édition 
falsifiée,  elle  a  opposé  toutes  les  éditions ,  tous  les  ma- 
nuscrits ,  toutes  les  versions  du  texte  sacré  ;  et  les 
auteurs  de  la  supercherie  n'en  ont  recueilH  que  de  la 
honte. 

LXXXïY.  Telle  a  donc  été  dans  tous  les  temps  la 
profonde  vénération ,  tel  a  été  le  vif  attachement  des 
fidèles  de  toute  l'Eglise  pour  le  livre  divin,  où  ils  trou- 
vaient le  principe  de  leur  foi ,  le  fondement  de  leurs 
espérances,  la  règle  de  leur  vie,  que  ces  sentiments 
ont  repoussé  constamment  tout  ce  qui  pouvait  porter 
atteinte  à  sa  pureté  et  à  son  intégrité.  Les  évêques 
étaient  soigneusement  occupés  à  conserver  intact  ce 
précieux  dépôt  qui  leur  était  confié;  et  les  peuples  eux- 
mêmes  ne  souffraient  pas  qu'on  y  portât  atteinte.  Nous 
trouvons  dans  l'histoire  ecclésiastique  plusieurs  faits  qni 
le  démontrent. 

LXXXV.   Au   quatrième  siècle,  un  évêque  nommé 


(i)  Dans  le  Nouveau  Testament  irapiimé  à  Mons,  on  avait  altéré 
le  texte  de  l'évangile  de  St.  Jean  ,  chap.  xvii,  vers.  ii.  Au  lieu  de 
res  mot^  :  Quos  dedisli  mihi  custodi'vi ,  et  nemo  ex  iis per'ut ,  nisijilius 
peiditionis  ^  on  avait  mis  sed  filius  perditionis  :  changeant  ainsi  par 
le  changement  d'une  seule  conjonction  le  sens  de  la  phrase. 


SUR    L\    RELIGION.  Î31 

Trvphillus,  qui  avait  de  la  réputation  d'éloquence,  crut, 
dans  un  sermon ,  devoir  changer  un  mot  de  l'Ecriture , 
qu'il  ne  trouvait  pas  assez  noble  ,  en  un  autre  plus  re- 
levé. Spiridion,  autre  évéque  qui  était  en  haute  consi- 
dération pour  sa  vertu,  indigné  de  cette  altération  ,  lui 
demanda  s'il  se  croyait  plus  habile  que  celui  qui  avait 
employé  le  mot  qu'il  changeait;  et  à  la  vue  de  tout 
le   peuple   il  se  leva   de   son  siège   et   s'en  alla  (Ij. 

LXXXyi.  Théodoret  raconte  un  fait  qui  lui  était 
personnel.  Le  Dialesseron  de  Tatien  ,  dont  nous  avons 
eu  occasion  île  parler,  était  composé  de  passages  des 
quatre  évangélistes.  Rien  n'y  avait  été  ajouté  ;  seule- 
ment tout  ce  qui  était  contraire  à  l'hérésie  de  l'auteur 
était  retranché.  Ainsi  le  texte  sacré  s'y  trouvait,  non 
dans  son  intégrité  ,  mais  dans  sa  pureté.  Beaucoup  de 
fidèles  ne  s'apereevant  pas  de  la  fraude  ,  le  lisaient  avec 
simplicité ,  comme  un  abrégé  des  Evangiles.  Théodoret 
trouva  dans  les  paroisses  de  son  diocèse  plus  de  deux 
cents  exemplaires  de  cet  ouvrage  ;  il  les  supprima  avec 
soin  :  et  à  leur  place  fit  lire  à  ses  diocésains  les  quatre 
Evangiles '2). 


(i)  Cnm  ergo  collecta  celebraretnr  rogatns  Tiiphillias  (  Ledroram 
episcopuâ  )  ut  concionera  habeiet  ad  popalurn,  cnm  nece^se  haberet 
in  médium  adilucere  dictnm  illud  Saivaiuris  ,  toile  grabatum  titiim  ^ 
et  ambula,  mutato  Domine  pro  grabato  sriœpodium  dixit.  At  Spiri- 
dion indignatione  commotus  :  ^nm  ta,  inqnit,  praesfantior  est  eo 
qui  grabatum  dixit,  nt  le  pudeat  hujus  verbis  uti  P  Que  dicto,  ef 
sacerdotali  soUo  exilt,  sjiectante  populo;  bominem  pi  opter  elo 
quentiam  iusolenlius  effeientem,  Lac  ratione  ad  modestiam  erudiens. 
{Sozomen,  Hist.  eccles. ,  lib.  i  ,  caq.  i  ). 

(2)  Hic  (Tatiaims)  evangelium  qnod  diatassaroii  dici;ur,  compo- 
situm  fecit  amputatis  genealog  is  ,  et  aliis  01  nibus  quée  Dominum 
ex  semine  David  secundura  carnem  natum  ostendnnt  :  eoque  usi  sunl 
non  modo  qui  ejus  erantsectae,  sed  ii  etiam  qui  apostolica  dogmata 
sequebanlur,  coiupositionis  fraudem  non  cognoscen'es,  .'ed  sirapli- 
cius  lanquam  compendiario  utentes.  Nactns  sum  eliam  iibros  hujus- 
modi  supra  dncentos  in  honore  habitos  in  e:celesiib  noslris,  quos 
omnes  in  anum  congestos  seposni  ;  et  piohis  qnataor  evangelistarum 
evangelia  introduxi.  (  Theodoretus ,  hiBreticarum  jabularum  Compen- 
pendium  ,  lib.  x  ,  cap.  20,  de  Tatiano). 


132  DISSERTATIONS 

LXXXVII.  Nous  voyons  St.  Jérôme,  entreprenant 
une  nouvelle  traduction  de  l'Ecriture  sainte,  sentir  tout 
le  danger  de  cet  ouvrage  ,  et  prévoir  les  cris  qu'il  va 
faire  élever  contre  lui  par  ces  détracteurs,  qui  com- 
mencent déjà  à  l'accuser  d'introduire  des  nouveautés, 
et  de  vouloir  altérer  l'antique  version  des  septante  (1). 
Et,  en  efïet,  une  épîtrede  St.  Augustin  à  St.  Jérôme  lui 
apprend  le  mauvais  effet  qu'avait  produit  dans  une 
occasion  sa  traduction.  Un  évêque  ayant  voulu  lire 
dans  son  église  cette  version  nouvelle ,  il  se  trouva  dans 
la  prophétie  de  Jonas  quelque  chose  qui  différait  de 
ce  qu'on  était  accoutumé  depuis  longtemps  à  entendre. 
H  se  fit  parmi  le  peuple  un  grand  tumulte.  Les  Grecs 
surtout  accusèrent  l'évèque  de  falsifier  le  texte.  Celui-ci, 
pour  se  justifier,  appela  les  Juifs  en  témoignage  de  la 
conformité  de  sa  version  avec  le  texte  original.  Les 
Juifs,  soit  par  malice,  soit  par  ignorance,  répondirent 
au  contraire  que  le  texte  hébreu  était  conforme  à  ceux 
des  anciens  exemplaires  grecs  et  latins.  L'évèque  crai- 
gnant de  rester  sans  troupeau,  se  vit  obligé  d'avouer 
qu'il  avait  fait  une  faute  (2). 

Par  ces  exemples  du  zèle  et  du  soin  avec  lesquels  on 
conservait  dans  l'Eglise  le  texte  sacré  dans  toute  sa 
pureté ,  on  peut  juger  si  une  altération  un  peu  impor- 
tante eût  été  possible. 


(i)  Periculosum  opus  certe  et  obtrectatornm  luebrom  latratibns 
patens,  qni  rue  asserunt  in  Seplnaginta  interpretniu  snggillationeiu 
nova  pio  veleribus  cndere  (5.  Hieron. prologus  in  Genesim), 

(2)  Num  qnidera  frater  rioster  episcopus,  cnm  leclitari  instituisset 
in  ecclesia  qui  praeest  interpretationem  tuam,  movit  quiddam  longe 
aliter  abste  posilum  apad  Jonam  prophetaiu,  quam  erat  omnium 
sensibus,  meinoriaeque  inveleratum  ,  et  tôt  œtatum  successionibus  de- 
cantatum.  Factns  est  tantus  tnmuhus  in  plèbe,  maxime  graecis  ar- 
gaentibus ,  et  inclamantibas  calumniam  falsitatis,  ut  cogeretnr  epis- 
copus (  ea  quippe  civitas  erat  ) ,  jadaeorani  testimoniam  flagitare. 
Utrum  autem  illi  imperitia,  ant  malitia,  bocesse  in  bebiœis  codicibns 
responderont,  quod  et  grœci  et  latini  hiibebant  et  dicebant.  Quid 
plnra?  Coactus  est  homo  velut  mendositatem  corrigere,  volens  post 


SUR    LA    RELIGION.  133 

LXXXVIII.  A  toutes  ces  raisons  j'en  ajouterai  une 
dernière  tirée  d'un  auteur  récent.  «  Mais  si  l'incrédule 
«  ne  peut  m'opposer  que  des  hypothèses  qui  se  détrui- 
«  sent  d'elles-mêmes,  je  puis  l'accabler  par  une  preuve 
«  de  fait ,  et  qui  est  encore  sous  ses  yeux.  Parcourez  ,lui 
.<  dirai-je,  les  écrits  innombrables  des  Pères  de  l'Eglise 
«  qui  ,  dans  leurs  commentaires ,  dans  leurs  traités 
«<  dogmatiques ,  dans  leurs  homélies ,  ont  trauiscrit  en 
«  quelque  sorte  le  Nouveau  Testament  tout  entier. 
«  Vous  y  retrouverez  le  sens,  et  presque  toujours  les 
«  paroles  même  de  nos  livres  saints;  en  sorte  que,  si 
«  par  impossible  ces  livres  venaient  à  disparaîtra  tout  à 
M  coup ,  il  serait  aisé  de  les  refaire  ^  en  rassemblant 
«  les  citations  éparses  dans  les  auteurs  ecclésiastiques. 
«<  Preuve  démonstrative  de  l'intégrité  constante  des 
«  livres  du  Nouveau  Testament,  puisqu'il  en  résulte 
«  que  nos  exemplaires  actuels  sont  parfaitement  con- 
a  formes  à  ceux  de  la  plus  haute  antiquité  (1).  )< 

On  a  fait  contre  l'intégrité  du  Nouveau  Tesiament 
plusieurs  objections. 

LXXXIX.  <(  On  nous  oppose  d'abord  qu'il  est  telle- 
«  rnent  vrai  que  les  chrétiens  ont  corrompu  et  altéré  à 
«  leur  gré,  et  selon  qu'il  leur  convenait,  les  Evangiles, 
«  que  Celse  le  leur  reprochait  ,  et  qu'Origènes  était 
«    forcé  d'en  convenir.  » 

XC.  Cette  difficulté  est  de  la  plus  indigne  mauvaise 
foi.  Origènes  est  bien  éloigné  de  convenir  que  les  fidèles 
aient  altéré  les  livres  saints.  Il  répond  au  contraire  à 
l'accusation,  qu'il  n'y  a  que  quelques  hérétiques  qui  s'en 
soient  rendus  coupables  ,  les  sectateurs  de  Marcion ,  de 
Valentin  ,  et  peut-être  ceux  de  Lucanus  ;  et  qu'il  est 
injuste  d'imputer  ce  tort  à  l'Eglise  (2).  Nous  avons  parlé 


magnnrn  pericaluin  non  remanere  sine  plebe.  {S.  Aiigust.  epist.  lxxi 
al.  X,  ad  S.  Hiero/i.^  cap.  3  ,  n°  5.) 

(i)  Démonstration  ëvangéliqae  par  M.  Diivoisin  .^  5®  édition,  pa- 
ge 49- 

(a)  Postea  ex  fidelibus ^  ait  (Celsus),    esse  qui  iimiles  illis  quoi  eo 


134  DISSERTATIONS 

de  ces  falsifications  du  Nouveau  Testament ,  tentées  par 
les  sectaires  des  premiers  siècles  ,  et  nous  avons  vu  que 
loin  de  prouver  que  ces  livres  nous  soient  venus  avec 
des  altérations,  elles  forment  au  contraire,  par  le  cri 
qui  s'éleva  au  même  moment  dans  toute  l'Eglise  ,  par  la 
résistance  universelle  qu'on  y  mit,  par  ce  qu'y  opposèrent 
les  Pères  de  l'Eglise,  une  preuve  de  la  fausseté  que  le 
Nouveau  Testament  ait  jamais  été  corrompu. 

XCI.  «  On  prétend  que  l'histoire  de  la  femme  adultère, 
«  absoute  par  le  Sauveur,  n'était  pas  originairement 
«  dans  l'évangile  de  St.  Jean^  puisqu'elle  manque  dans 
«<  d'anciens  manuscrits.  Papias  ,  cité  par  Eusèbe,  rap- 
<<  porte  cette  histoire  d'après  l'évangile  des  Hébreux  où 
«  elle  était  racontée  ,  et  d'où  elle  a  été  transportée  dans 
«  celui  de  St.  Jean.  Au  reste,  qu'elle  ait  été  retranchée 
«  de  quelques  exemplaires  ,  qu'elle  ait  été  ajoutée  dans 
«  quelques  autres ,  il  en  résulte  toujours  que  le  texte 
»  des  Evangiles  n'était  pas  fort  respecté ,  et  qu'il  n'a 
«  pas  été  impossible  de  l'altérer.  » 

XCII.  L'histoire  de  la  femme  adultère  ne  se  trouve 
point  dans  quelques  anciens  manuscrits  de  l'évangile  de 
St.  Jean  :  donc  elle  a  été  interpolée  après  coup  dans 
ceux  où  elle  se  trouve.  Telle  est  la  manière  de  raisonner 
de  nos  adversaires.  Nous  avons  souvent  occasion  de 
citer  des  exemples  de  cette  logique. 

L'histoire  rapportée  par  Papias,  et  qui  se  trouve  aussi 
dans  l'évangile  des  Hébreux  ,  d'une  femme  accusée 
auprès  du  Sauveur,  est- elle  la  même  que  celle  racontée 
par  St.  Jean?  Eusèbe  ne  le  dit  pas,  rien  ne  l'indique. 
Au  contraire,  il  paraît  que  ce  sont  deux  faits  différents. 


impellit  ebrietas  ut  sibi  manus  inférant  y  plurimum  evangelii  contextum 
ter  ,  quater,  phiries  mutant  pervertuntcfuc  ,  ut  habeant  quo  res  sibi 
objectas  injiciantur.  Equiderc  non  alios  novi  qui  evangelii  contextum 
immuiaverint  ,  quam  Marcionis,  Valentini ,  forsitan  et  Lucani  sec- 
tatores.  Id  vero  crimini  nobtrae  docirinae  non  iraputandum  est.  In 
colpa  sont  qui  evangelia  depi avare  audent,  (Orj^.  contra  Celsum , 
lib.  II,  cap.  27  ), 


SUR    LA    RELIGION.  135 

Papias  parle  d'une  femme  accusée  d'un  grand  nombre 
de  crimes  (1).  Il  est  clair,  par  le  texte  de  St.  Jean,  qu'on 
n'imputait  à  la  femme  amenée  devant  Jésus -Christ 
que  le  seul  adultère  dans  lequel  on  venait  de  la  sur- 
prendre (2  .  Ajoutons  que  Papias  ne  rapporte  pas  les 
circonstances  racontées  par  St.  Jean,  de  la  provocation 
faite  par  le  Divin  Maître,  aux  accusateurs,  de  jeter  la 
première  pierre  ,  de  l'indulgence  dont  il  use  à  l'égard  de 
cette  femme ,  et  de  la  défense  qu'il  lui  fait  de  ne  plus 
pécher. 

St.  Augustin  explique  la  raison  qui  a  fait  supprimer 
cette  histoire  par  des  gens  de  peu  de  foi,  dit-il,  ou  plutôt 
ennemis  de  la  vraie  foi.  Oubliant  qu'après  avoir  absous 
cette  femme  ,  Jésus-Christ  lui  avait  ordonné  de  ne  plus 
pécher  dans  la  suite,  ils  ont  craint  que  la  clémence  dont 
il  avait  usé  envers  elle  ne  fut  prise  pour  une  impunité 
de  ce  péché;  et  ils  ont  imaginé  que  Dieu  ne  devait 
point  lui  remettre  une  telle  offense  ,  pour  ne  pas  blesser 
des  esprits  insensés  (3).  N'avons-nous  pas  vu ,  en  effet  , 
les  incrédules  de  nos  jours  imiter  les  falsificateurs  que 
blâme  St.  Augustin ,  et  faire  de  la  respectable  indul- 
gence de  Jésus-Christ,  le  sujet  de  leurs  railleries? 

XCIII.  «  On  nous  objecte  enfin  Victor ,  évéque  de 
«  Tmuis,  ou  de  Tunnone,  qui,  dans  sa  chronique, 
«'  rapporte  que  sous  le  consulat  de  Messala  les  saints 


(i)  Aliam  qaoqae  exponit  (Papias,  liistoriaji  de  maliere  quae  mul- 
torum  criminum  curara  Domino  accnsata  est  ;  qnae  quideminevangeli» 
secandum  haebreos  habetur.  (Euseb.,  Histor.  eccl.  ^  lib.  ui,  cap.  39.) 

(ajAddacunt  aulem  scribi  et  pharisaei.mnlieierii  in  adalterio  depre- 
hensam  ,  et  stataeront  eam  in  medio  ,  et  dixernnt  ei  :  magister,  haec 
mulier  modo  deprehensa  est  in  adaiterio.  [Joan.,  viii,  3,4). 

(3j  Sed  hoc  videlicet  infidelium  sensus  exhorret  ;  ila  nt  uonoalli 
modicae  fidei  ,  vel  polius  inimici  verae  fidei ,  ciedo  melnenfes  peccati 
impnnitatem  dari  mulieribas  suis,  illud  qnod  de  adulterae  induigen- 
tia  Dominos  fecit  auferrent  de  oodicibus  suis  :  quasi  perraissionem 
peccandi  tribnerit  qui  dixit  :  jam  deînceps  noli  peccare  ;  aui  ideo  non 
debuerit  mulier  a  med.co  Deo  illias  peccali  reniissione  sanarJ,  ne 
©ffenderentar  msziïi.{S.  j^ug.  de  Conjitg.  adulterinis ^Mh.  n,  cap.  6). 


136  DISSERTATIONS 

•<  Evangiles  furent  repris  à  Constantinople,  par  l'ordre 
«  de  l'empereur  Anaslase ,  comme  ayant  été  composés 
•<  par  des  évangélistes  imbéciles  (I).  » 

XCIV.  D'abord  l'autorité  d'un  chroniqueur  isolé ,  et 
dont  la  narration  n'est  confirmée  par  aucun  auteur, 
n'est  pas  en  soi  bien  considérable.  Ensuite,  en  suppo- 
,sant  le  fait  vrai ,  que  s'ensuivrait-il?  qu'un  empereur 
qui  favoriserait  les  hérétiques,  avait  vonlu  falsifier  les 
évangiles  :  mais  Victor  ne  dit  pas  que  ces  évangiles  ainsi 
corrompus  aient  été  publiés,  qu'ils  aient  été  reçus  dans 
aucune  église.  Ce  n'est  pas  la  tentative  d'altérer  les  livres 
saints,  qui  est  impossible;  c'est  le  succès.  La  preuve 
que  ces  prétendus  évangiles  altérés  n'ont  jamais  paru 
dans  le  public,  c'est  qu'on  ne  voit  aucune  trace  des 
réclamations  ,  des  contestations  qui  n'auraient  pas  man- 
qué de  s'élever  au  sujet  de  la  falsification  ;  , c'est  qu'au- 
cun autre  écrivain ,  ni  du  même  temps ,  ni  des  temps 
suivants,  ne  dit  un  seul  mot  d'un  fait  aussi  important. 
Nous  lisons  dans  un  auteur  contemporain  de  Victor  de 
Tunnone,  un  fait  qui  contredit  celui  dont  il  s'agit,,  et 
qui  peut-être  éclaircit  la  difficulté.  Cet  auteur  est  Libérât, 
diacre  de  Carthage  ,  qui ,  dans  son  abrégé  des  hérésies 
nestoriennes  et  eutichieanes,  rapporte  que  Macédonius , 
évêque  de  Constantinople ,  fut  chassé  de  son  siège  par 
l'empereur  Anastase  ,  comme  ayant  falsifié  les  évan- 
giles (2).  St.  Anastase  punissait  les  corrupteurs  des 
livres  saints ,  il  n'ordonnait  donc  pas  qu'on  les  corrom- 
pît. Peut-être  Victor  et  Libérât,  dans  leurs  narrations 
opposées,  ont-ils  en  vue  le  même  fait.  La  narration  de 
Libérât  est  beaucoup  plus  vraisemblable  ,  d'autant  qu'il 


(x)  Messala  viro  clarissimo  consule  Constantinopoli,  jubente  Anas- 
tasio  iinperatore,  sancla  evar.gelia  tanqaain  ab  idiotis  evangelistis 
eomposita,  reprehendantur  et  emeiidantur.  (^Victor.  Tuimouensis 
Chronicon.  ) 

(2)  Hue  tempore  Macédonius  Constanlinopolitanus  episcopns  ab 
imperatore  Anaslasio  diciinr  expulsas,  tanquam  evangelia  falsasset. 
[Liberati  ùreina? iuin  ,  cap.   19.) 


SUR    LA    RELIGION.  13/ 

y  joint  diverses  circonstances;  et  on  peut  croire  que 
Victor  a  pu  trop  facilement  ajouter  foi  à  quelques  bruits 
populaires  répandus  sur  un  empereur  qui  était  odieux , 
et  que  son  attachement  à  des  doctrines  perverses  pou- 
vait faire  soupçonner  de  chercher  à  altérer  les  sources 
de  la  saine  doctrine. 


m'. 


138  DISSERTATIONS 

SECONDE  DISSERTATION, 

DES     MIRzVCLES     SLR     LESQUELS     EST     FO^DE    L\ 
CERTITUDE  DU    CllRISTlÂMSME. 

Les  ennemis  du  christianisme  combattent  nos  mi- 
racles de  deux  manières.  Ils  attaquent  d'abord  les 
miracles  en  général,  et  nient  qu'ils  puissent  exister,  et 
qu'on  puisse  en  être  certain.  Ils  attaquent  ensuite  les 
miracles  chrétiens  en  particulier ,  et  en  contestent  la 
réalité.  Je  vais  répondre  successivement  à  ces  deux 
genres  d'attaque,  en  divisant  cette  dissertation  en  deux 
parties.  Dans  la  première,  je  traiterai  du  miracle  en 
général;  dans  la  seconde,  je  montrerai  la  vérité  des 
miracles  chrétiens. 


PRE^llERE  PARTIE. 

DU    MIRACLE    EN    GENERAL. 

I.  Le  miracle  peut-il  exister?  pouvons-nous  être  cer- 
tains qu'il  a  existé?  Ce  sont  deux  questions  qu'élèvent 
les  incrédules^  et  que  je  vais  examiner  dans  deux  cha- 
pitres. 

JULJUUiSiJUi  JlJLJLJlJULJlJlJLJLJLJLJLJi  JiJLJUL  !LJ>.JiJLJULJU>-.JLJ>.JiJLJij:<  S.X 

CHAPITRE    I. 

POSSIBILITÉ    DU    MIRACLE. 

II.  TVous  appelons  communément  miracle  un  fait 
incontestablement  contraire  aux  lois  et  au  cours  cons- 


SUR    LA    RELIGION.  139 

tant  de  la  nature  (1).  D'autres  disent  que  c'est  une 
œuvre  certainement  supérieure  aux  forces  des  a^jents 
naturels.  Il  est  clair  à  la  seule  inspection,  que  ces  deux 
notions  reviennent  au  même.  Ce  qui  est  contraire  au 
cours  de  la  nature  est  au-dessus  des  forces  des  agents 
naturels.  Leur  force  ne  s'étend  pas  à  changer  des  lois 
auxquelles  ils  sont  eux-mêmes  soumis. 

Sur  chacune  de  ces  notions,  il  y  a  une  observation  à 
faire.  Sur  la  première,  lorsqu'on  dit  qu'un  miracle  est 
contraire  aux  lois  de  la  nature ,  on  n'enlend  pas  que 
toutes  les  lois  physiques  soient  suspendues  ;  il  suffit 
qu'une  seule  de  ces  lois  le  soit,  le  reste  de  la  nature 
conservant  toujours  son  cours.  Sur  la  seconde,  lorsqu'on 
parle  d'agents  naturels,  il  n'est  question  ni  des  bons  ni 
des  mauvais  agents.  Nous  ignorons  quel  degré  de  force 
Dieu  leur  a  donné.  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  qu'il 
n'est  pas  en  leur  pouvoir  d'intervertir  l'ordre  établi  par 
le  Créateur ,  sans  son  commandement ,  ou  au  moins 
sans  sa  permission. 

J'ai  dit  que  le  miracle  est  un  fait  incontestablement 
contraire  au  cours  de  la  nature.  Il  ne  suffit  pas,  en  effet, 
pour  qu'une  œuvre  quelconque  soit  réputée  miracu- 
leuse ,  que  nous  n'en  voyions  pas  la  cause  dans  la 
nature  j  il  faut  encore  que  nous  connaissions  positive- 
ment et  avec  certitude  qu'elle  est  en  contradiction  avec 
quelqu'une  des  lois  physiques.  C'est  le  défaut  de  cette 
réflexion  qui  a  trop  souvent  fait  prendre  par  des  esprits 
simples,  pour  des  miracles,  ce  qui  n'était  que  des  effets 


(i)  Signnm  rernm  sériera  excedere  débet,  et  natmae  consaelndi- 
nem  superare,  iteniqiie  novum  et  inexpectaïuin  esse,  ita  ut  id  sit  in- 
signe singnlis  qui  vident  et  audiunt,  Ideo  enim  signnm  appellatur  , 
quod  sit  insigne.  Insigne  antem  non  fuerit  ,  si  delitescat  in  coinmu- 
nitate  caeterarura  lerum.  (S.  Joan.  Chrysost.  in  Isai.,  cap.  vu,  n°  5.) 

Contra  natuiam  non  incongiue  dicimns  Deuni  aliqnid  (acere,  qaod 
facit  contra  id  quod  novimus  de  natura.  Hanc  enim  etiam  appella- 
mus  natoram  co^nilam  nobis  cnrsum  ,  solilnmque  natura-;  contra 
quem  Deus  cnm  aliquid  facit,  magnalia  vel  mirabilia  nominantur. 
{S.  August.  contra  Faustum. ,  lib.  xxvi,  cap.  3.) 


140  DISSERTATIONS 

naturels.  IN'en  voyant  pas  la  cause  dans  la  nature,  ils 
sont  allés  la  chercher  au-delà. 

III.  Puisque  le  miracle  est  une  dérogation  aux  lois 
de  la  nature,  il  est  évident  qu'il  ne  peut  être  opéré  par 
aucun  autre  que  par  celui  qui  a  donné  des  lois  à  la 
nature  (1).  Puisqu'il  surpasse  les,  forces  des  agents  na- 
turels, il  est  évidemment  l'œuvre  de  l'agent  surnaturel: 
cette  vérité  n'a  pas  besoin  d'être  prouvée.  Les  incrédules 
qui  refusent  au  Créateur  le  pouvoir  de  faire  des  mi- 
racles, ne  prétendent  pas  certainement  l'attribuer  aux 
créatures.  Lors  donc  que  nous  disons  qu'un  homme  a 
fait  des  miracles  ,  nous  entendons  que  Dieu  les  a  opérés 
par  le  moyen  de  cet  homme,  et  que  cet  homme,  en  les 
faisant,  a  été  le  ministre  de  Dieu  (2). 

IV.  Dieu  infiniment  sage  ne  fait  rien  sans  motif.  Il  ne 
peut  déranger  l'ordre  qu'il  a  établi  dans  le  monde,  que 
par  des  vues  tirées  de  son  infinie  sagesse.  Tout  miracle 
doit  donc  avoir  un  objet.  Un  miracle  sans  but  serait  in- 
digne de  Dieu  ,  et  dès- lors  il  est  impossible.  Cet  objet  du 
miracle  doit  être  de  l'ordre  religieux  ,  le  seul  qui  soit 
digne  que  Dieu  intervertisse  ses  lois.  Ainsi  nous  ne  re- 
garderons comme  un  vrai  miracle  que  celui  qui  a  pour 
objet  quelque  point  de  la  religion.  Qu'on  fasse  devant 
moi  une  chose  aussi  extraordinaire  ,  aussi  incroyable 
qu'on  puisse  le  supposer;  si  c'est  pour  me  prouver  quel- 
que chose  d'étranger  à  la  religion ,  je  ne  croirai  jamais 
que  ce  soit  un  miracle. 


(i)  Qaod  ultra  natnram  est,  de  anctore  naturae  est.  (S.  Ambr.  de 
Virgin. ,  lib.  i ,  oap.  2  ,  n"  8.  ) 

Qais  naturani  mutare  pofest,  nisi  qui  creavit  natnram?  {^Idum  .^ 
Epist.  Lxxvi,  Iren<eo^  n°  8.) 

(2)  Non  Moyses  populo  per  déserta  gradient!,  sed  Uonunns  man- 
na  plnit.  Non  Moyses,  sed  Dominas  in  columna  ignis  per  noctera, 
et  nubis  in  die  populum  piacessit.  Non  Moyses,  sed  verbum  quod 
factum  est  ad  eiim ,  aquam  de  rupe  produxit.  Non  Moyses,  sed 
Dominns  volatilia  concnpisceniibus  exbibnit.  tJnde  et  Dominus  Ju- 
daeos  in  patium  fortiludine  gloriantes  reprimit  ,  dicens  :  ]\'on  Moyses^ 
sed  Patpr  meus  dédit  vobis  manna  de  cœlo.  [S.  Gregor.  Magn.  in 
lib.  I,  Rcg.  lib.  I,  cap.  3 ,  n"  8.) 


SUR    LA    RELIGION.  I4l 

Le  miracle  est  certainement  impossible  à  tout  autre 
qu'à  Dieu  ;  mais  Dieu  lui-même  peut-il  en  opérer?  En 
donnant  des  lois  à  la  nature  ,  s'est-il  réservé  ,  ou  s'est-il 
ôté  le  droit  de  les  intervertir,  de  les  suspendre?  Voilà  ce 
qu'il  s'agit  d'examiner. 

y.  Plusieurs  de  nos  déistes  ont  reconnu  dans  Dieu  ce 
pouvoir.  Contentons-nous  d'en  citer  un  des  plus  célèbres. 
«  Dieu  peut-il  faire  des  miracles,  c'est-à-dire,  peut-il 
M  déroger  aux  lois  qu'il  a  établies  ?  Cette  question  sérieu- 
«  sèment  traitée  serait  impie  ,  si  elle  n'était  absurde.  Ce 
«<  serait  faire  trop  d'iionneur  à  celui  qui  la  résoudrait 
«  négativement ,  que  de  le  punir  ;  il  suffirait  de  Tenfer- 
«  mer.  Mais  aussi  quel  homme  a  jamais  douté  que  Dieu 
«  put  faire  des  miracles?  Il  fallait  être  hébreu,  pour  de- 
«  mander  si  Dieu  pouvait  dresser  des  tables  dans  le  dé- 
«*  sert  (1).  » 

YI.  Il  est  très-vrai ,  comme  le  dit  cet  écrivain ,  que  nul 
homme,  jusqu'aux  incrédules  de  nos  jours,  n'avait  douté 
du  pouvoir  de  Dieu  de  faire  des  miracles.  Il  n'y  a  pas  eu 
de  religion  qui  n'ait  prétendu  s'.utoriser  par  des  prodi- 
ges. Cet  accord  unanime  de  tout  le  genre  humain,  ex- 
cepté des  déistes  modernes,  est  contre  eux  du  plus  grand 
poids.  En  attribuera-t-on  la  cause  à  un  sentiment  natu- 
rel et  inné,  qui  porte  l'homme  à  croire  que  Dieu  peut  se 
révéler  à  lui  de  cette  manière  ?  En  fera-t-on  remonter 
l'origine  à  des  révélations  anciennes  ,  doni  un  souvenir 
confus  s'était  conservé  parmi  les  peuples?  Que  ceux  qui, 
contre  la  doctrine  universelle  ,  veulent  contester  à  Dieu 
le  pouvoir  des  miracles  ,  choisissent  entre  ces  hypo- 
thèses. 

Si ,  comme  ils  le  veulent,  le  miracle  était  impossible, 
cette  impossibilité  viendrait,  ou  du  côté  de  l'œuvre  mi- 
raculeuse ,  ou  du  côté  de  Dieu  ;  ce  serait,  ou  la  nature 
du  miracle  qui  répugnerait  à  l'existence  ,  ou  les  attributs 

(i)  J.-J,  Roassean,  troisième  lettre  écrite  de  la  Montagne. 


142  DISSERTATIONS 

divins  qui  répugneraient  à  sa  production  :  deux  asser- 
tions également  insoutenables. 

VII.  En  prpDjier  lieu  ,  on  ne  peut  pas  dire  que  le  mi- 
racle soit  répugnant  en  lui-même.  Ce  qui  répugne  dans 
une  chose ,  c'est  ce  qui  est  contraiie  à  son  essence,  sans 
quoi ,  elle  ne  peut  ni  exister,  ni  être  conçue  ;  qui  impli- 
que en  elle  contradiction  ;  qui  suppose  à  la  fois  l'être  et 
le  non  être.  Or,  il  n'y  a  rien  de  semblable  dans  un  mi- 
racle. Que  le  cours  du  soleil  soit  suspendu,  et  que  cet 
astre  soit  arrêté  quelque  temps  dans  sa  course  ,  il  n'en 
est  pas  moin«s  le  soleil ,  il  n'en  a  pas  moins  toutes  ses 
propriétés  essentielles.  Un  homme  ressuscité  est  toujours 
un  homme  ,  et  le  commandement  particulier  qui  le  rap- 
pelle de  la  mort  à  la  vie  n'est  pas  plus  contraire  à  son  es- 
sence que  la  loi  générale  qui  l'avait  fait  passer  de  la  vie  à 
la  mort.  La  suspension  du  cours  du  soleil,  la  résurrection 
d'un  mort ,  présentent  à  notre  esprit  quelque  chose  d'é- 
tonnant ,  mais  rien  de  contradictoire.  Nous  concevons  le 
soleil  s'arrêtant ,  et  le  mort  ressuscitant.  Ainsi,  à  ce  pre- 
mier égard  ,  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  dans  le  mira- 
cle impossibilité  et  répugnance. 

En  second  lieu,  si  le  miracle  était  contradictoire  à  la 
nature  divine,  ce  serait  parce  qu'il  répugnerait  à  Dieu 
de  pouvoir  ou  de  vouloir  en  faire,  parce  que  le  miracle 
serait  ou  au-dessus  de  sa  puissance  ,  ou  indigne  de  sa 
sagesse. 

VIII.  Or,  d'abord,  il  est  aussi  déraisonnable  qu'inju- 
rieux de  prétendre  donner  à  la  toute-puissance  de  telles 
limites.  Dieu  ne  peut  pas ,  disent  les  docteurs,  changer 
Jbes  essences  des  choses ,  parce  qu'il  ne  peut  pas  faire  que 
dans  le  même  temps  une  chose  soit  et  ne  soit  pas  telle  ; 
mais  hors  cela  il  peut  tout.  Le  miracle  n'implique  pas 
contradiction;  il  n'a  rien  en  lui-même  qui  l'empêche 
d'exister.  Dieu  peut  donc  l'opérer.  Et  qui  pourrait  l'en 
empêcher?  Quel  obstacle  extérieur  ou  intérieur  peut  li- 
miter son  pouvoir  ?  Au  dehors  il  ne  voit  que  des  êtres 
créés  par  lui  ;  au  dedans  il  éprouve  une  puissance  uni- 
verselle. C'est  lui  qui,  en  ordonnant  au  monde  d'être, 


SUR   LA    RELIGION.  143 

lui  a  donné  des  lois  selon  qu'il  a  plu  à  sa  volonté  su- 
prême. Oserait-on  dire  qu'il  n'a  pas  eu  droit  d'ordonner 
que  ces  lois  seraient  suspendues  à  telle  époque  et  dans 
telle  occasion?  Un  maître  absolu  ne  peut-il  pas  faire  à 
ses  commandements  les  exceptions  qu'il  veut?  Si  nous 
contemplons  Dieu  en  lui-même,  il  est  tout-puissant  (1); 
si  nous  le  considérons  relativement  à  la  nature  ,  il  est 
son  auteur  et  son  législateur  (2).  Ainsi ,  à  toutes  sortes  de 
litres  ,  il  est  le  maître  d'interrompre  son  cours. 

IX.  Je  dis  ensuite  que  le  miracle  ne  répugne  pas  non 
plus  à  la  sagesse  divine  ;  je  prétends  ,  au  contraire,  qu'il 
y  est  infiniment  conforme.  Dieu  voulant  parler  aux 
hommes  et  leur  enseigner  des  vérités  ,  il  est  dans  l'ordre 
de  sa  sagesse  que  les  hommes  puissent  connaître  que 
c'est  en  effet  sa  voix  qu'ils  entendent,  sa  doctrine  qu'ils 
reçoivent.  Or,  pour  leur  donner  cette  certitude  ,  le  mi- 
racle est  un  langage  parfaitement  convenable  ,  parce 
qu'il  est  tout  à  la  fois  et  très-digne  de  Dieu,  et  très-pro- 
pre à  l'homme. 

X.  Il  est  digne  de  Dieu  de  parler  en  maître  et  de  dé- 
ployer dans  la  publication  de  ses  ordres  une  puissance 
qui  en  procure  l'exécution.  Quel  être  dans  la  nature 
peut  refuser  d'obéir  à  celui  à  qui  la  nature  entière  obéit? 

XL  II  est  aussi  tiès-adapté  à  la  nature  de  l'homme  , 


(i)  Sed  ciira  Deus  auctor  sit  naturarara  omnium,  cnr  nolunt  for- 
tioiem  nos  reddere  rationem ,  quando  aliquid  velnt  impossibile  no- 
lant  credeie?  lisque  ledd  tiunem  rafionis  p(jscentibus  respondemas 
hanc  esse  volunlatem  omnipotentis  Dei ,  qaicerte  non  ob  aîiud  voca- 
tnr  Oinnipotens,nihi  qnoniam  quidquid  vult  potest  ,  qui  potuit  crea- 
re  tara  multa  ,  qnac  ,  nisi  ostenderentur,  aut  a  creden-Iis  hodieqoe 
testibus  dicerentur,  profecto  iinpossibilia  pularentur.  (S.  Aitgust., 
de  civit.   Dei,   lib.  xxi,  cap.  7.) 

(2)  Non  sabjacet  natarae  legibas,  a  quo  legem  omnis  natara  sor- 
litar.  {s.    Hilar.  ,  de    Trinit.  ,   lib.  ix,  n'  72.) 

Nequ:^  enioi  valet  natuia  contra  naturae  Dominum  ,  ant  pofest  vas 
/îgiilo  dice  e  :  Quare  me  ista  fecisti  .^  aat  ita  licet  quod  pro  mirai  ulo 
signe  atque  portento  fit,  legem  natura  facere  non  possit.  (  J-  Hiero- 
nym.,  Epist.  ad  Vitalem  Presbjt.) 


144  DISSEKTATIONS 

ce  langage  qui  est  complèteineiit  démonstratif  et  uni- 
verscUcnit-nt  persuasif;  qui  par  sa  force  convainc  l'es- 
prit ,  et  par  sa  siiiq)licilL'  est  à  la  portée  de  tous  les  es- 
prits. 

XII.  Premièrement ,  le  miracle  forme  une  démons- 
tration rigoureuse.  Quand  j'entends  dire  ,  ou  quand  je 
vois  faire  quelque  chose  ,  qu'il  n'y  a  qu'un  certain 
homme  qui  le  puisse  dire  ou  faire  ,  j'en  conclus  que  c'est 
la  parole  ou  l'action  de  cet  homme.  La  conséquence  est 
certaine  ;  et  si  jamais  je  me  trompe  à  cet  égard  ,  ce  n'est 
que  sur  le  principe;  c'est  que  je  croirai  qu'une  chose  n'a 
pu  être  dite  ou  faite  que  par  un  tel  homme  ,  quoiqu'elle 
ait  pu  l'être  par  un  autre.  Ce  même  raisonnement  fonde 
la  conviction  résultante  du  miracle.  Je  vois  une  chose 
qui  n'a  pu  être  faite  que  par  Dieu  ;  et  je  ne  peux  pas  me 
tromper  sur  ce  principe.  L'ordre  de  la  nature  ne  peut 
être  dérangé  que  par  celui  qui  a  autorité  sur  la  nature. 
Quand  donc  je  vois  un  homme  qui  me  propose  une  doc- 
trine au  nom  de  Dieu,  faire  en  même  temps  un  acte  qui 
est  une  dérogation  certaine  aux  lois  de  la  nature  ,  je  suis 
forcé  de  croire  qu'il  est  véritablement  envoyé  de  Dieu 
pour  m'instruire ,  et  que  la  doctrine  qu'il  me  prêche 
vient  de  celui  qui  seul  a  pu  lui  donner  le  pouvoir  de 
faire  le  miracle  (1). 


(i)  Scd  hoc  illo  tempore  d  ffîcillimam  fuit  quo  tonc  praedicare 
legnum  cœlorura  invisibile  miltebantnr ,  cnni  longe  lateque  omnia 
cernèrent  floicre  régna  terrarani.  Unde  et  adjuncta  sunt  praedicatori- 
Los  .sanciis  nàracala ,  at  Hdem  verbis  daret  virtas  bslensa ,  et  nova 
lacèrent,  qui  nova  praedicarent  ;  sicot  in  hac  tadem  lectione  subjun- 
gitur  :  Infirmos  citrate  ,  mortuos  suscitate  ,  hprosos  mundate  ,  dœmo- 
nés  ej'icice.  Floiente  niundo,  crescente  humario  génère,  diu  in  bac 
vita  snbsistcn'e carne,  exubérante  reruin  opuleniia,  qnis,  cuin  j>adire?, 
vitaiD  esse  aliani,  crederet  ?  Quis  iii\isibilia  visibilibus  praefeiret  ?  Sed 
ad  salutem  redcuntibus  intiims,  ad  vitam  resorgenibus  raortuis , 
carnis  mundlti.uu  recipieniibus  lepiosis,  ereptis  a  jure  inraundornm 
spiritnam  daeiuoniacis,  toi  visibilibus  mir{«culis  exactis,  quis  non  cre- 
deret, qood  de  invisil)ilibus  audiret  ?  Ad  hoc  quippe  visibilia  miracn- 
]a  corniscatit,  ut  corda  videntinm  ad  Hdem   invisibilioni  pertrahant  ; 


I 


SUR    LA    RELIGION.  145 

Lorsqu'un  homme  s'annonçant  l'envoyé  de  Dieu,  et 
présentant  une  doctrine  comme  divine,  offre  en  même 
temps  de  faire  des  miracles ,  il  appelle  Dieu  en  témoi- 
gnage de  ce  qu'il  avance.  S'il  opère  en  effet  le  miracle 
qu'il  avait  promis,  Dieu  lui-même  intervient,  il  atteste 
ce  que  cet  homme  a  dit  en  son  nom  ,  et  il  le  dégage  de  sa 
pro  I  esse  en  la  réalisant ,  il  se  rend  la  caution  et  le  ga- 
rant de  sa  véracité  (1). 

Quand  on  voit  un  envoyé  se  présenter  de  la  part  de 
son  prince  avec  des  lettres  de  créance  authentiques ,  on 
croit  d'aboi'd  qu'il  est  en  effet  l'envoyé  de  ce  prince  ;  en- 
suite ,  que  ce  qu'il  dit ,  il  le  dit  de  la  part  de  son  maître  : 
on  regarde  sa  parole  comme  celle  du  souverain  lui- 
même.  Le  miracle  est  la  lettre  de  créance  de  Dieu  ,  et 
certainement  la  lettre  de  créance  la  plus  authentique 
qui  puisse  exister.  On  sent  que  je  ne  parle  ici  que  du  mi- 
racle certain  et  incontestable. 

XIIL  Secondement,  le  langage  du  miracle,  si  démons- 
tratif par  lui-même ,  est  encore  parfaitement  digne  de  la 
sagesse  divine ,  en  ce  qu'il  est  à  la  portée  de  tous  les  es- 
prits. Il  satisfait  pleinement  la  raison  du  savant,  et  n'ex- 
cède pas  celle  de  l'ignorant.  Plus  :n  le  médite  ,  plus  on 
le  trouve  convaincant ,  et  il  n'a  pas  besoin  d'être  appro- 
fondi pour  être  trouvé  tel.  L^examen  d'une  doctrine 
exige  des  raisonnements  ,  des  discussions ,  dont  la  plus 
grande  partie  des  hommes  n'est  pas  capable.  Le  miracle 
tranche  toutes  les  difficultés,  abrège  toutes  les  disputes. 
Il  ne  faut  que  des  yeux  pour  s'assurer  du  fait  ;  et  la  con- 
séquence est  tellement  immédiate  ,  tellement  claire  , 
qu'il  suffit,  pour  Tapercevoir,  de  n'avoir  pas  l'esprit  dé- 
rangé. 


at  per  hoc  quod  mirnm  foris  agilur ,  hoc  qaod  est  intas  longe  mira- 
bilias  esse  sentiatxir.  {S.  Gregor.  Magn. ,  in  Evangel. ^  lib.  i ,  ho- 
mil.  4  ,  n°  2  et  3.  ) 

(i)  Respondit  Dominas  :  Ego  inibo  pactuna  videntibas  canctis. 
Signa  faciam  qaae  nonqaam  vba  sunt  saper  terram ,  nec  in  allis 
gentibus  ;  nt  cognoscat  popalus  iste ,  in  cajus  es  raedio,  opns  Domi- 
ni  terrible  qaod  factaras  sara.  {Excd.  xxxiv ,  v.   lo.  ) 

Dissert,  sur  la  Reîig.  7 


146  DISSERTATIONS 

XIV.  C'est  donc  à  tort  que  l'incrédule  oppose  à  la 
possibilité  des  miracles  leur  inutilité,  «i  ]N'est-il  pas  sur- 
u  prenant,  dit-il,  que  la  Divinité  trouve  plus  facile  de 
«<  déranger  l'ordre  de  la  nature  que  d'enseigner  aux 
"  lioniines  des  vérités  claires  ,  propres  à  les  convaincre  , 
«  capables  d'arracher  leur  assentiment?  Ne  peut-elle 
u  pas,  sans  ce  moyen  extraordinaire,  persuader  les 
..   hommes,  et  leur  faire  vouloir  ce  qui  lui  plaît?  » 

XV.  Quand  nous  ignorerions  quelle  est  l'utilité  des 
miracles ,  ce  ne  serait  pas  une  raison  pour  en  nier  la 
possibilité.  Que  de  choses  existent  dans  le  inonde ,  dont 
Dieu  est  par  conséquent  l'auteur,  et  dont  il  est  impossi- 
ble, et  aux  déistes  et  à  nous  ,  de  donner  la  raison  I 

XVI.  Mais  l'utilité  des  miracles  n'est  pas  un  mystère. 
Nos  seules  lumières  suffisent  pour  nous  faire  voir  que 
c'est ,  sinon  l'unique  ,  au  moins  le  plus  convenable  et  le 
plus  efficace  moyen  d'instruire  la  multitude  des  honunes 
des  vérités  et  des  volontés  divines  (1).  Je  ne  vois  que 
deux  autres  moyens  que  la  sagesse  divine  pût  employer 
pour  atteindre  ce  but.  L'un  serait  de  rendre  toute  révé- 
lation inutile ,  en  perfectionnant  nos  facultés  au  point 
que  nous  vissions  clairement  par  notre  raison  toutes  les 
vérités  et  tous  les  préceptes  divins  ;  l'autre ,  de  les  mani- 
fester à  chacun  de  nous  par  des  révélations  particu- 
lières. Le  premier  n'a  nulle  proportion  à  notre  nature. 
Ce  ne  serait  plus  l'homme  que  Dieu  instruirait ,  ce  serait 
un  autre  être  d'un  ordre  diftérent.  Le  Créateur,  en  nous 
accordant  des  facultés  ,  tant  corporelles  qu'intellectuel- 


(i)  In  omni  qiiidem  creaUira  Dei ,  miiabilia  ejus  et  quoiidiana 
luagna  suiit.  Sed  quia  paruuiea  consnetudu  iniralur,  qua?(lam  Doaiiaus 
signa  et  prodigia  ceitis  temporibus  promerenda  dispi)i>uit ,  ut  per 
inusitata  et  nova  ,  huinana  excitaretur  in'eiitio,  et  nntiiielur  in  ca 
de  insolitis   utilis  timor.  {S.  Prosper.  ,  Expos,  in  psal.  ex.) 

Qoia  enini  larda  est  humanx  sapientiae  fides  ad  credenda  qiiae  uoii 
videt ,  et  speranda  quae  nescit  ,  oportebat  divina  eruditione  firnian- 
dos  ,  coiporis  beneHciis  ei  visibilibas  niiraculis  inciiaii;  ut  cujus  tain 
benignam  experiebantur  polenliain ,  non  arubigerent  salutareni  esse 
doctrinam.  (5.  Léo  seim.  xciv,  cap.   i.) 


SUR    L\    RELIGION.  147 

les ,  dans  une  certaine  mesure  ,   les  a  proportionnées  à 
nos  besoins.  Le  cliangeincnt  de  ces  facultés  exigerait  le 
changement  de  ce  pour  quoi  elles  nous  ont  été  données. 
Demander  que  Dieu  emploie  ce  moyen  pour  nous  ins- 
truire,  c'est  demander  qu'il  fasse  l'homme  autre  qu'il 
n'est.  Le  second  de  ces  moyens,  c'est-à-dire  la  manifes- 
tation particulière  à  chacun  de  nous ,  consisterait ,  ou 
dans  une  inspiration  intérieure  et  puremcni  spirituelle , 
ou  dans   une   révélation  extérieure   qui  frapperait  nos 
sens.  La  première  aurait ,  entr'autres  défauts  ,  celui  d'ê- 
tre incertaine.  Comment  saurions-nous  que  telle  inspi- 
ration nous  vient  de  Dieu  ?  Comment  la  distinguerions- 
nous  de  toutes  les  autres  pensées  qui  passent  naturelle- 
ment par  notre  esprit?  La  seconde  serait  plus  certaine; 
.    Dieu  parlant  physiquement  aux  hommes,  et  leur  faisant 
i    retentir  ses  préceptes,  comme  autrefois  du  mont  Sinai , 
'    on  seiait  bien  assuré  qu'ils  émanent  de  lui.  Mais  ne  se- 
rait-ce pas  là  un  miracle?  IN 'est-ce  pas  une  évidente  con- 
tradiction, en  rejetant  tous  les  moyens  miraculeux,  d'en 
demander  un  de  ce  genre  ? 
I       XVIL  Ajoutons  à  tout  ce  que  nous  venons  de  dire  de 
'   la  conformité  du  miracle  avec  la  sagesse  divine ,  qu'il  a 
l'avaiîtage  de   convaincre  non -seulement  ceux  qui   en 
sont  témoins  ,  mais  tous  ceux  qui  en  acquièrent  la  con- 
naissance par  des  relations  authentiques.   Si ,  au  lieu  de 
ce  moyen  général ,  on  veut  que  la  Providence  emploie  , 
pour  l'enseignement  du  genre  humain,  des  moyens  in- 
dividuels, ce  seraient  toujours  des  interversions  de  l'or- 
dre naturel,  soit  physique  ,  soit  moral ,  qu'il  faudra  re- 
nouveler autant  qu'il  y  aura  d'hommes  ;   et  voilà   que  , 
pour  nier  l'utilité  et  la  possibilité  d'un  seul  miracle,  on 
en  nécessite  une  multitude  infinie  d'autres. 

XVin.  «  Mais,  dit-on,  Dieu  pouvait  n'enseigner 
«<  que  des  vérités  tellement  évidentes,  qu'elles  subju- 
«  guassent  d'elles-mêmes  l'assentiment.   » 

XIX.  Je  demanderai  d'abord  :  si  Dieu  le  pouvait ,  y 
était-il  tenu?  n'est-il  pas  le  maître  de  révéler  aux  hom- 


1 48  DISSERTATIONS 

mes  des  vérités  d'un  ordre  supérieur  à  celles  que  la  rai- 
son peut  atteindre  ? 

Je  demanderai  ensuite  quelles  sont  ces  vérités  d'une 
telleévidence  qu'onsoit  forcé  de  lesadmettre.  Les  premiers 
principes  de  la  religion,  l'existence  de  Dieu  ,  son  unité, 
ses  principaux  attributs  ,  rimmortalité  de  l'âme  ,  les  de- 
voirs communs  de  la  morale  ;  voilà  sans  doute  ce  que 
iios  adversaires  appellent  des  vérités  si  évidentes,  qu'elles 
arrachent  l'assentiment.  Qu'ils  nous  citent  donc  une  na- 
tion qui  les  ait  professées  sans  mélange  d'erreurs  gros- 
sières ,  à  moins  d'en  avoir  été  instruite  par  une  révéla- 
tion positive  ?  qu'ils  examinent  quelles  étaient ,  sur  ces 
vérités  fondamentales  ,  les  opinions  non-seulement  du 
peuple  .  mais  des  philosophes  les  plus  célèbres  avant  l'a- 
vénement  de  Jésus-Christ ,  et  qu'ils  aillent  les  chercher 
dans  les  écrits  mêmes  de  ces  philosophes  (1).  Les  égare- 
ments du  genre  humain  presque  entier  sur  les  points  les 


(i)  Cam  mnltas  res  in  phiiosophia  neqnaqaam  satis  adhnc  expli- 
catae  sint;  tuin  perdifLlcilis ,  Brute,  (quod  tu  minime  ignoras)  et 
perobscnra  qnaestio  est  de  natura  dcornra,  qnse  ad  agnitiuneiii  animi 
pulcherrim.i  est ,  et  ad  moderandum  religionem  necessai  ia.  De  qna 
tam  varice  sont  doctissimoium  homiiiam  tamque  discrepantes  senten- 
tiae,...  Yelut  in  hac  quaestione  pleiique  (quod  maxime  verisimile  est, 
et  que  omnes  dace  natura  vehimur)  deos  esse  dixeruiit.  Dubitare  se 
Protagoras,  nullos  esse  omnino  Diagoras ,  Milius  et  Theodoras  Cy- 
renaicns  putavernnt.  Qui  vero  deos  esse  dixerunt ,  tanta  sunt  in  va- 
rietate  et  dissensione,  ut  eorura  molestum  sit  dinoroerare  sententias. 
(  Cicer. ,  de  Natur.  Deor. ,  lib.  i,  cap.  i.  ) 

Qnseritur  primnm  in  ea  quiestione  quae  est  de  natara  deonira  ,  sint 
ne  dii,  necne  sint.  Difficile  est  negare ,  credo,  si  in  eoncione  qnae- 
ratar  ;  sed  in  ejnsmodi  sermone,  et  in  concessu,  facillimnm.  Iiaqne 
ego  ipse  qui,  ca?remonias  religionesque  publicas  sanctissime  tuendas 
arbilror,  id  quod  primum  est,  esse  deos,  persuaderi  mihi ,  non  opl- 
nione  solum,  sed  etiam  ad  veritatem  plane  velim.  Multa  enim  occor- 
rant  quae  conturbant ,  ut  interdom  nolli  esse  videanlur.  [Ibid.^ 
cap.  22.  } 

Sunt  enim  qui  discessum  animi  a  corpore  pntent  este  morlem. 
Sunî  qui  nullum  censeant  tieri  discessnm,  sed  una  animan»  et  corpus 
occidere,  animamt^ue  cutn  corpore  extingni.   Qui  discessere  animum 


SUR    LA    RELIGION.  149 

plus  essentiels  et  les  plus  clairs,  prouvent  l'utilité  d'une 
révélation  positive.  L'utilité  d'une  révélation  suppose 
celle  des  miracles. 

XX.  Les  incrédules  de  nos  jours  réchauffent,  contre 
la  possibilité  des  miracles  ,  une  objection  de  Spinosa. 
«  Admettre  des  miracles  ,  est  contester  à  Dieu  son  im- 
«<  mutabilité.  Les  lois  de  la  nature  ne  sont  autre  chose 
«  que  les  décrets  divins.  Un  changement  dans  les  décrets 
«  de  Dieu  serait  un  changement  dans  sa  volonté.  Il  est 
«  contradictoire  de  reconnaître  un  être  immuable ,  dont 
«  la  volonté  soit  versatile.  Il  est  absurde  d'imaginer  que 
«  ce  que  Dieu  a  décrété  de  toute  éternité ,  il  le  change 
«  dans  le  temps.  Un  changemeut  dans  les  lois  de  la  na- 
«  ture  est  donc  impraticable  ;  et ,  par  conséquent ,  le 
«  miracle  est  impossible.   » 

XXI.  Lorsque  Spinosa  proposait  cette  objection  ,  elle 
était  une  conséquence  de  son  système  d'athéisme.  Selon 
lui ,  la  nature  entière,  c'est-à-dire  la  collection  de  tous 
les  êtres ,  est  Dieu.  Dans  cette  hypothèse  ,  il  est  clair  que 
tojt  changement  dans  la  nature  est  un  changement 
dans  Dieu.  Mais  en  ôtant  son  absurde  principe ,  il  n'est 
plus  vrai  qu'il  survienne  un  changement  dans  Dieu, 
lorsqu'il  y  a  quelque  chose  de  changé  dans  Tordre  de  la 
nature  ,  puisque  la  nature  est  autre  chose  que  Dieu. 

XXII.  Il  n'est  pas  vrai  non  plus  qu'il  survienne  un 
changement  dans  les  décrets  de  Dieu ,  lorsqu'il  en  arrive 
à  l'ordre  qu'il  a  établi  dans  le  monde  (1). 


censent,  alii  siatim  dissipari,  alii  diu  permaiiere  ,  alii  semper.  {^Idem^ 
Tuscul.  Quœst.  lib.  i,  cap.  g.  ) 

Il  serait  possible  de  prodnire  beaucoup  d'auTes  pasages  du  même 
auteur  sur  les  contradictions  et  les  erreurs  grossières  des  plus  célè- 
bres philosophes,  relativement  aux  premiers  principes.  Je  me  con- 
tenterai d'indiquer  le  livre  premier,  de  Naliira  Deorum  ^  depuis  le 
chapitre  x  jusqu'au  cliapitre  xvi. 

(i)  Neque  enim  in  ea  luce  quse  sine  accessu  ea  quae  eligit  illustrât, 
et  sine  recessa  ea  quae  respuit  deserit ,  defectus  mutabilitatis  venit  ; 
quia  m  seraetipsa  raanendo  immutabilis ,  mufabilia  canota  disponit. 
(5.  Gregor.  Magn.  ^  Moral.,  lib.  i,  cap.  20,  n°  34.) 

Omnipotens  quidem  Deus  in  semetipso  habet  sine  immatatione 


150  DISSERTATIONS 

XXIII  L'opinion  la  plus  communûinent  reçue,  soit 
parmi  les  métaphysiciens,  soit  entre  les  théolo{;iens,  et 
qui  est  aussi  appuyée  de  l'autorité  de  plusieurs  saints 
Pères  au  sujet  de  l'éternité  divine  ,  est  qu'elle  ne  se 
compose  pas,  comme  le  temps  ,  d'une  suite  de  mouve- 
ments se  succédant  les  uns  aux  autres.  Selon  eux  ,  elle 
est  indivisible ,  et  toujours  tout  entière.  Pour  donner 
une  idée  d»^  la  relation  de  l'éternité  au  temps,  ils  la 
comparent  au  point  indivisible  qui  forme  le  centre  du 
cercle  autour  duquel  tourne  la  circontérence  composée 
d'une  multitude  de  points  se  suivant  les  uns  les  autres. 
Ainsi,  il  n'y  a  réellement  dans  Dieu  ni  antériorité,  ni 
postériorité.  Le  jour  de  la  création  du  monde  et  celui 
de  sa  deslruction_,  qui ,  relativement  à  nous,  sont  sépa- 
rés par  un  si  lon?^  intervalle  ,  ne  sont  pour  lui  qu'un 
seul  mstant.  Il  est  clair  que  dans  ce  système  l'objection 
proposée  est  nulle.  Dieu  a  voulu  la  loi  générale  que  la 
nature  devait  suivre  dans  toute  la  durée  du  temps  ,  et 
la  suspension  qui  devait  arriver  à  une  époque  précise^ 
dans  le  même  instant  et  par  le  même  acte.  Il  est  évident 
qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  de  changement  où  il  n'y  a 
point  de  succession  ;  car  il  est  impossible  qu'un  être  soit, 
dans  un  seul  et  même  moment,  différent  de  lui-même. 

XXIV.  Mais  ce  n'est  pas  sur  des  systèmes ,  quelque 
accrédités  ,  quelque  raisonnables  qu'ils  soient,  que  nous 
fondons  la  défense  de  nos  sainte  s  vérités.  J'admets  donc 
maintenant  l'hypothèse  contraire,  et  supposant  l'éternité 
formée,  comme  le  temps,  de  moments  successifs,  je 
piétends  qu'il  ne  survient  pas  un  changement  aux  dé- 
crets de  Dieu  ,  lorsqu'il  en  fait  arriver  à  l'ordre  qu'il  a 
établi  dans  le  monde.  Remontons  au-delà  des  tenq)s,  et 
considérons  Dieu,   seul   être  alors  existant,  préparant 


mutabilia  disponere ,  sine  diversitate  iui  diverva  agere,s!ne  cogitatfo- 
nam  vici^sitadine  dissimilia  furraare.  Lon^e  ergo  dissnalittt  oj  eratar 
dissirailia  nnnquam  sibi  dissimilis  Deus.  (^Idcm  ,  in  Ezech.  ,  1  b.  ir , 
h"rail.  5  ,  n°    10.) 


SUR    LA    RELIGION.  151 

dans  sa  sagesse  les  lois  qu'il  se  proposait  de  donner  aux 
créatures  qu'il  ferait  sortir  du  néant.  Pouvons-nous  dou- 
ter que  sa  prescience  infinie  embrassant  dans  une  seule 
pensée  tous  les  temps  et  tous  les  événements  qu'il  ferait 
ëclore  (l),  n'eût  prévu  dès-lors  et  n'eût  fixé  toutes  les 
dérogations  qu'il  lui  plairait  d'apporter  à  ces  lois  (2)  ?  Si 
les  lois  générales  qu'il  a  données  à  la  nature  sont  de  toute 
éternité ,  les  exceptions  qu'il  y  a  apposées  sont  égale- 
ment éternelles  (3).  C'était  lorsqu'il  traçait  au  soleil  sa 


(tl  Sed  et  sciendnm  esi,  qaod  ex  praescientia  et  praedesiinatione 
Dei  jam  ea  facta  sunt  qaae  futara  sont.  (.S".  Hieron  y  Comment,  in 
F.cclesiastem  ,  cap.    i.) 

(2)  A|)ad  fe  reroni  omnmm  insffbiliurn  stant  ransae,  et  rerum 
omniam  maîabilium  immu'abiles  mnnent  origines,  et  onii  ium  irralio- 
naliam  et  teraporaliain   serapiternae  vivant  rationes.  (5.    Aiig.    Con- 

Jess.  ,  lib.  t ,  cap.  6,  n^  9.  ) 

Et  ajud  Deum  qui  lem  dsposita  et  fixa  snnt  otnnia  ;  rec  aliad  farit 
qnasi  consilio  repentino,  quod  non  ex  aeternitate  se  facturnra  esse 
praescivit.  Sed  in  creaturae  temporalibus  motibus  qoam  gubernat  mira- 
bililer,  ipse  non  temporab'ter  raotus,  qnasi  repentina  volnnta'e  facere 
dicitur,  qnod  ordinatis  rerara  causis  consilii  sni  secretissimi  immafa- 
bilitate  disposait,  qiia?  suis  q'iajqae  temporibus  agnita,  et  praesentia 
facit  et  futara  jam  fecit.  {^Id.   Enarr.  in  ps.  cv  ,  n°  35.) 

Etsi  apud  nos  qaaedain  ipsins  judicia  et  opéra  variantur,  apnd  îp- 
snm  tamen  ,  oiuiiinm  reram  exitus  praescientera ,  nihil  nova  iisposi- 
tione  agitur,  qui  fecit  quae  futnra  sont.  (S.  Prosp.  Exposit.  in 
psalm.  cv.  ) 

Nnlla  qnae  in  hoc  raundo  honiinibns  fiant ,  absqne  omnipotenlis 
Dt-i  occulto  consilio  veniant.  Nam  cnncta  Deas  fniura  praesciens  ante 
seciila  decrevit  qaaliier  per  secnla  disponitar.  (J.  Gregor.  Magn.  ^ 
Moral.  ,  lib.  xii,  cap.    i  i ,  n°  2.  ) 

(3)  Hinc  Ciiim  maxime  isti  errant ,  ut  in  circnniitu  fa!so  ambalare, 
quam  vero  et  recto  itinere  nialint ,  qnam  menfem  divinam  omnino 
imraiitabilem  ,  cnjadibet  infirmitatis  capacera,  et  innameia  omiiia  si- 
ne cogitaiioiiis  attentione  memoraiitem ,  de  sui  buraana,  mu'abili, 
angiistaqne  meiiantnr.  Et  fit  illis  qaod  ait  apostolus  :  Comparantes 
enim  semet'psos  sibimetipsis ,  non  intelligunt.  Nam  quia  iUis  qaidquid 
novi  facei. dam  vent  in  mentera,  novo  consilio  î'aciant ,  (mntabiles 
qnippe  mentes  gérant)  prufecto ,  non  Denra  qnera  cogitare  non  poS' 
snnt,  sed  semetipsos  pro  il!o  cogitantes,  non  iliara  «-ed  seipsos,  nec 
illi  «ed  sibi  comparant....  Polest  ad  oj-us  novum  non  novura  ,  sed 
sempitrrnura  adhibrre  consilinm,  nec  pœnitendo,  qaia  prins  cessa- 
yeiat,  cœpit  facere  quoi  non  fecerat.  Sed  etsi  prias  cessa\it,  et  pos- 


152  DISSERTATIONS 

marche  régulière,  qu'il  lui  ordonnait  de  l'interrompre 
à  telle  époque  ,  sur  la  voix  de  Josué.  Le  décret  d'excep- 
.tion  est  contemporain  du  décret  de  la  loi  générale.  Sup- 
posons un  prince  qui_,  en  dictant  une  loi  à  tous  ses  su- 
jets, prévoie  une  circonstance  particulière,  dans  laquelle 
il  déclare  que  sa  loi  n'aura  pas  d'exécution  :  dira-t-on, 
ce  cas  arrivant ,  que  la  loi  est  changée  ?  Dieu  a  certaine- 
ment eu  ,  de  toute  éternité,  autant  de  pouvoir  pour  or- 
donner des  suspensions  au  cours  de  la  nature  ,  qu'il  en 
a  eu  pour  le  régler.  Il  a  donc  pu  ordonner  des  miracles  ; 
et ,  lorsqu'il  en  opère  ,  sa  volonté  ne  change  pas ,  elle 
reste  toujours  la  même  (1).  Ses  décrets  ne  §ont  pas  in- 
tervertis,  ils  sont  exécutés. 

Que  les  déistes  cessent  donc  de  nous  parler  de  l'impos- 
sibilité qui  résiste  selon  eux  à  l'existence  d'un  miracle. 
Devant  Dieu  les  faits  naturels  et  les  faits  surnaturels  sont 
également  possibles.  Il  est  aussi  facile  à  sa  puissance  de 
rendre  la  vie  à  un  homme,  qu'il  l'avait  été  de  la  lui  don- 


terias  operatus  est  (qnodnescio  quemadmodum  ab  Loinine  possit  iu- 
telligi),  haud  procul  dubio ,  qood  dicitur  jtrius  et  posteiias,.  in 
rébus  piius  non  existeniibus,et  posterius  exisîenîibus  fuit.  In  illo  au- 
teni  non  alterara  pîaecedentem  altéra  sabseqnens  motavit ,  aut  abstulit 
voluntaîein  ;  ted  una  eademqne  sempiterna  et  irumatahili  voluntate, 
re5  qnas  condidit  nt  prias  non  essent  egit  ^  quandiu  non  faerunt,  et 
ut  posterins  essent,  qnaado  esse  cœperutit.  {S.  Aug.  de  Civit.  Dei  ^ 
lib.  cap.  17  ,  n°  2.  ) 

(i)  Non  sunt  enim  multee  Dei  voluntates,  ut  tu  existimas.  Non 
enim,  quia  di versa  sunt  opificia,  diversae  qaoqne  snnt  voluntates. 
(  S.  Athan.  de  S.  Trinit.,  dialog.  ir.,  n"  6.) 

Neque  enim  Deus  cogitât  sicut  homines ,  ut  aliqua  c!  nova  succé- 
dât senfentia.(  iS".  Ambros.  de  Aoe  et  Arca ,  cap.  iv,  n°  9.  ) 

Altitudinem  Dei  penetrare  non  possunt  ;  quia  cnm  ipse  sit  îeternns 
et  sine  inilio  ,  ab  aliqno  tamen  inilio  exorsus  est  tempora  ;  et  liomi- 
nem  qnem  nunquam  ante  fecerat ,  fecit  in  teinpore,  non  tamen  novo 
et  rej.entino,  sed  immutabili  aeternoque  consilio.  {S.  AugusC.  ^  de 
Civit.  Dei ^  lib.  xir,  cap.   14.) 

Cam  ergo  exterias  mntari  videtar  sententia  ,  interins  consilinm 
non  mutaïur;  quia  de  unaquaque  re  iramutabiliter ,  intus  constitoilur 
quidqnid  foris  matabiliter  agitnr.  {S.  Gregor.  Nagn.,  Moral., 
Ub.  xvr ,  cap.  37  ,  n©  46.) 


SUR    LA.    RELIGION.  153 

lier  (1).  Il  peut ,  au  gré  de  sa  sagesse  ,  diriger  les  êtres 
qu'il  a  créés  ,  ou  tous  ensemble  par  des  lois  générales , 
ou  chacun  par  des  lois  particulières.  Il  peut  soumettre 
les  uns  aux  règles  communes,  et  en  affranchir  les  autres. 
Sa  volonté  suprême  n'est  gênée  par  rien.  ' 

XXV.  Cette  objection  que  je  crois  suffisamment  ré- 
futée, les  incrédules  la  répètent ,  la  retournent  de  plu- 
sieurs manières,  et  la  présentent  sous  différents  termes. 

Les  uns  disent  que  le  miracle  est  une  violation  des  lois 
divines  :  mais  une  dérogation  momentanée  faîte  par  le 
législateur  à  sa  loi ,  et  décrétée  par  lui  en  même  temps 
que  la  loi,  n'est  pas  la  violation  de  cette  loi. 

D'autres  veulent  que  le  miracle  soit  l'infraction  des 
lois  mathématiques  qui  régissent  le  monde.  S'entendent- 
ils  bien  eux-mêmes,  quand  ils  parlent  de  lois  mathé- 
matiques? C^est  par  des  lois  physiques  que  le  cours  du 
monde  physique  est  réglé. 

Selon  d'autres ,  c'est  aux  lois  immuables  que  le  mira- 
cle est  contraire.  Immuables ,  par  rapport  à  qui  ?  Poui 
les  créatures  qui,  y  étant  soumises,  n'ont  pas  la  force 
d'y  faire  aucun  changement  ;  à  la  bonne   hem-e  :  mais 

(i)  Qais  anfem  animal  qnœqae  viva  nascentia  ,  nisi  qni  illaixi  se»- 
peutem  ad  horan»,  sicut  opus  fuerat ,  animavit?  Et  qais  reddidit  ca- 
daveribus  animas  suas,  cam  resurgeient  mortai,  nisi  qui  animât 
carnes  in  uteris  malrum ,  ut  oriantur  raorituii?  Sed  cum  fiant  ilia  , 
quasi  fluvio  labentinm,  manantiuraqne  rernm,  et  ex  occallo  in  promp- 
tum,  atqne  ex  prompto  in  occullum  usitato  itinere  iranseantium ,  na 
turalia  dicantur.  Cum  vero  admonendis  hominibus  inusitata  mntabi- 
litate  ingerutitur,  magnalia  nominantur.  (iS.  August.  ,  de  Triait., 
lib.  ne ,  cap.  6 ,  11°  11.) 

Mirati  sunt  bomines  Doniinnm  nostrum  Jcsam  CUristam  de  quin- 
que  panibus  saginasse  ter  millia ,  et  non  mirantar  per  pauca  grana 
impleri  segetibus  terras.  Quae  aqua  eiat  vinuin  faclum  viderunl  ho- 
minés,  et  obstupaerunt.  Qnid  aliud  fit  de  pluvia ,  per  radiceni  vitis  ? 
Ipse  illa  fecit,  ipse  ista  ;  illa  ut  pascaris ,  ista  ut  raireris.  Sed  ulraqne 
miranda  sunt,  quia  opéra  Dei  sont.  Videt  bomo  insolita  ,  et  miratur. 
Unde  est  ipse  homo  qui  miratur  ?  ubi  erat?  unde  processif?  nnde 
forma  corporis  ?  unde  membrorum  distiiictio?  unde  babilu»  ille  spe- 
ciosns?  de  qnibus  primordiis,  de  quam  conteiuptibilibus?  et  miratut 
alia,  cum  sit  ipse  miraior  magnum  miraculum.  {S.  Aug. ,  ser- 
mo  txxvr,  de  verbis  evang.  alias  xxxu,   et  hom.  l,  n**  4.) 

7* 


154  DISSERTATIONS 

Dieu  qui  les  a  posées,  y  est-il  pareillement  astreint?  voilà 
ce  qu'il  serait  nécessaire  ,  et  ce  qu'il  est  impossible  de 
prouver. 

Il  y  en  a  qui  prétendent  qu'en  changeant  ses  lois  phy- 
siques ,  Dieu  dérangerait  sa  machine,  d»'figurerait  son 
ouvrage.  Une  suspension  momentanée  d'une  loi  physi- 
que n'est  pas  le  dérangement  du  inonde  ,  ne  le  défigure 
point.  L'univers  ne  cesse  pas  d'être  aussi  beau,  aussi 
parfait  qu'il  ait  jamais  été ,  parce  qu'un  mort  y  est  res- 
suscité. 

Concluons.  Le  miracle  ne  répugne  point  en  lui-même, 
il  n'est  contraire  à  aucun  des  attributs  divins  ;  au  con- 
traire ,  il  est  parfaitement  conforme  à  la  suprême  sagesse. 
Il  est  donc  possible. 

CHAPITRE  II. 

POSSIBILITÉ    DE    LA    CERTITUDE    DU    MIRACLE. 

XXVI.  Forcés  par  l'évidence  des  preuves  ,  plusieurs 
déistes  reconnaissent  que  le  miracle  n'est  pas  une  chose 
impossible.  Ils  se  retranchent  à  soutenir  qu'on  ne  peut 
acquérir  la  certitude  ,  au  moins  de  ceux  dont  on  n'est  pas 
soi-même  témoin.  Ils  nous  opj^osent  deux  choses  ;  la 
première  ,  qu'on  ne  peut  pas  acquérir  par  la  relation  des 
autres  hommes  une  vraie  certitude  ;  la  seconde ,  que , 
pût-on  être  certain  des  faits  naturels  et  ordinaires  par  la 
voie  du  témoignage ,  il  ne  serait  pas  possible  de  l'être  de 
même  des  faits  miraculeux.  Pour  répondre  à  ces  deux 
assertions  ,  je  vais  établir  dans  un  article  l'autorité  de  la 
certitude  qui  s'acquiert  par  des  témoignages  ,  et  que  l'on 
appelle  certitude  m  raie  ;  je  montrerai  dans  un  autre  , 
que  cette  certitude  est  aussi  entière  sur  les  faits  miracu- 
leux que  sur  les  autres.  Mais  pour  éclaircir  ce  que  j'ai  à 
exposer  dans  ces  deux  articles  ,  je  vais  les  faire  précéder 
par  un  autre  ,  destiné  à  établir  la  notion  exacte  de  la 
certitude,  et  spécialement  de  la  certitude  morale. 


SUR    LA    RELIGION.  î  55 

ARTICLE    PREMIER. 

Notion   de   la    certitude. 

XXVII.  La  fnculté  principale  de  notre  esprit  est  le  ju- 
gement. Son  objet  est  de  discerner  ce  qui  est  vrai  de  ce 
qui  est  faux.  Il  juge  des  objets  avec  plus  ou  moins  de 
clarté  ,  avec  phis  ou  moins  d'assurance.  Quand  nos  ju- 
gements sont  portés  au  plus  haut  degré  de  sûreté  ,  ils 
forment  la  certitude.  Quand  ils  y  joignent  le  plus  haut 
degré  de  clarté,  ils  forment  l'évidence.  Ainsi  la  vérité  est 
opposée  à  l'erreur,  la  certitude  au  doute  ,  l'évidence  à 
l'obscurité. 

XXVIII.  La  certitude  est  l'exclusion  de  tout  doute  : 
tant  qu'il  reste  du  doute  sur  une  question  ,  il  n'y  a  pas 
de  certitude.  Dès  que  le  doute  expire  ,  \a.  certitude  naît. 
Je  regarde  en  conséquence  la  certitude  comme  un  point 
fixe  ,  dans  lequel  il  n'y  a  pas  de  ])lus  ou  de  moins.  Je 
doute  tout  à  fait ,  ou  je  ne  doute  pas  du  tout.  Le  degré 
de  certitude  ,  s'il  pouvait  en  exister,  serait  proportionné 
au  degré  de  doute  qui  me  resterait.  Or,  si  j'avais  le  plus 
léger  doute,  je  n'aurais  pas  de  certitude.  La  certitude  n'a 
donc  pas  de  degrés  ;  elle  est  aussi  pleine,  aussi  entière 
qu'elle  puisse  être  ,  ou  elle  est  nulle. 

Cette  idée  n'est  pas  celle  de  tout  le  monde.  On  entend 
dire  tous  les  jours  et  on  répète  soi-même  ,  qu'on  est  plus 
ou  moins  certain  de  telle  vérité.  L'illusion  à  cet  égard 
vient  de  deux  causes  :  1°  on  confond  la  certitude  morale 
avec  la  très-grande  vraisemblance.  La  vraisemblance  a 
une  multitude  de  degrés,  et  quand  elle  est  portée  à  un 
très-haut  point,  on  trouve  qu'elle  approche  de  la  certi- 
tude, quoiqu'elle  en  soit  essentiellement  distante,  la  na- 
ture de  Tune  supposant  le  doute,  et  la  nature  de  l'autre 
l'excluant  ;  ^"  on  confond  encore  les  motifs  de  certitude 
avec  les  degrés  de  certitude.  Parce  qu'on  acquiert  quel- 
quefois de  nouvelles  raisons  d'être  certain  d'une  vérité, 
on  croit  en  avoir  acquis  une  plus  grande  certitude.  Cela 
n'est  pas  exact.  On  ne  doutait  pjs  plus  avant  d'avoir 


156  DISSERTATIONS 

connu  les  nouvelles  raisons ,  qu'on  ne  doute  après   les 
avoir  reçues.  On  était  donc  également  certain. 

XXïX.  Le  mot  certitude  peut  être  pris  dans  deux 
sens ,  parce  qu'il  peut  être  appliqué ,  ou  à  la  chose  qui 
en  est  l'objet,  ou  à  l'esprit  qui  la  conçoit.  Je  puis  parler 
de  la  certitude  de  telle  proposition  ,  ou  de  la  certitude 
que  j'en  ai  ;  je  dis  avec  une  égale  exactitude  ,  telle  vérité 
est  certaine  f  et  je  suis  certain  de  telle  vérité.  Cette  double 
acception  forme  la  distinction  connue  dans  l'école  sous 
les  noms  de  certitude  de  l'objet  j  et  de  certitude  du  sujet, 
La  première  a  lieu  quand  une  vérité  est  tellement  prou- 
vée qu'on  ne  peut  pas  en  douter  ;  la  seconde  existe  dans 
celui  qui  est  tellement  persuadé  d'une  vérité  ,  qu'il  n'en 
doute  nullement. 

XXX.  3Iais  la  distinction  la  plus  importante  et  la  plus 
relative  à  notre  sujet,  est  celle  de  la  certitude  métaphy- 
sique, de  la  certitude  physique  et  de  la  certitude  morale. 
Il  y  a  trois  sortes  d'objets  de  nos  connaissances  :  les  ob- 
jets purement  intellectuels ,  les  objets  de  l'ordre  physi- 
que ,  les  objets  de  l'ordre  moral.  La  Providence  a  adapté 
les  trois  genres  de  certitude  à  ces  trois  espèces  de  co  - 
naissance. 

XXXL  La  certitude  métaphysique  nous  fait  con- 
naître les  objets  intellectuels;  mais  nous  ne  connaissons 
avec  cette  certitude  que  l'essence  des  choses.  Tout  objet 
intellectuel,  qui  n'est  pas  essentiel,  n'est  pas  inétaphy- 
siquement  certain ,  et  reste  dans  la  classe  de  la  probabi- 
lité. Pour  donner  un  exemple  de  cette  certitude  ,  c'est 
par  elle  que  nous  sommes  assurés  des  axiomes  et  des 
théorèmes  de  la  géométrie ,  qui  sont  des  vérités  essen- 
tielles. 

XXXIL  La  certitude  physique  porte  sur  les  objets  de 
l'ordre  physique,  c'est-à-dire  sur  ceux  que  nous  décou- 
vrons par  nos  propres  sens.  Ainsi  je  suis  physiquement 
certain  que  j'ai  devant  moi  un  homme,  quand  je  le  vois, 
l'entends  et  le  touche.  Je  suis  de  même  certain  que  de- 
main le  soleil  se  lèvera  à  l'orient,  que  l'année  prochaine 
les  aibres  porteront  de  nouvelles  feuilles  ;  parce  que  j'ai 


SUR  La  religion.  157 

vu  constamment  ces  effets  résulter  de  l'ordre  physique 
et  du  cours  de  la  nature. 

XXXIII.  La  certitude  morale  est  celle  qui  est  fondée 
sur  l'ordre  moral,  c'est-à-dire  sur  la  nature  de  l'esprit 
humain  et  sur  le  caractère  général  de  l'homme.  Comme 
c'est  ici  le  point  de  la  difficulté,  il  faut  le  développer  plus 
amplement.  J'avertis  que  je  ne  m'occupe  pas  encore  de 
prouver  l'existence  de  la  certitude  morale  ;  je  me  con- 
tente d'en  expliquer  la  nature. 

XXXIY.  Je  ne  puis  pas  douter  que  la  Providence 
n'ait  établi  un  ordre  moral  pour  la  direction  des  esprits, 
comme  un  ordre  physique  qui  dirige  les  corps.  Je  juge 
de  cet  ordre  physique ,  parce  que  je  vois  tous  les  êtres 
qui-  composent  la  nature  suivre  un  cours  réglé  ,  tenir 
constamment  une  marche  uniforme  ;  d'où  je  conclus  que 
le  monde  physique  obéit  à  une  loi  supérieure  qui  a  dé- 
terminé ce  cours,  qui  a  tracé  cette  juarche.  La  même 
expérience  me  fait  connaître  Tordre  moral;  je  vois  dans 
tous  mes  semblables  les  mêmes  facultés  que  je  possède; 
je  les  vois  penser,  sentir,  raisonner,  parler,  agir  comme 
moi  ;  je  les  vois  tous,  dans  les  mêmes  circonstances ,  être 
mus  par  les  mêmes  principes  ,  dcteitîiinés  par  les  mêmes 
motifs  ;  et  ces  principes,  ces  motifs  sont  précisément  les 
mêmes  par  lesquels  je  me  détermine.  La  double  expé- 
rience de  ce  que  j'éprouve  et  de  ce  que  je  vois  me  mon- 
tre ,  dans  la  conduite  des  hommes  ,  comme  dans  la  mar- 
che du  monde  ,  un  cours  constant  et  réglé.  Je  vois  les 
principes  qui  dans  tous  les  temps  ont  fait  agir  les  hom- 
mes ou  les  en  ont  empêchés  ,  continuer  toujours  de  les 
pousser  ou  de  les  arrêter.  Je  les  vois  dans  les  n^êmes  cir- 
constances tenir  constamment  la  même  conduite.  Ne 
suis-je  pas  en  droit  de  conclure  de  là  ,  qu'il  existe  des 
principes  certains  auxquels  les  hommes  ont  persévéram- 
ment  égard  ,  qui  les  déterminent  infailliblement ,  et  qui 
forment,  relativement  à  leur  conduite,  un  ordre  moral , 
tel  que  l'ordre  physique  qui  meut  les  différents  corps? 
Je  suis  encore  induit  à  admettre  cet  ordre  physique ,  • 
parce  que  des  philosophes,  d'après  l'expérience  de  la 


158  DISSERTATIONS 

marclie  des  corps,  ont  tracé  leur  cours  et  ont  indiqué  les 
rè{»lcs  d'après  lesquelles  ils  se  meuvent.  Je  suis  île  même 
en^a^éù  reconnaître  un  ordre  moral,  parce  que  d'autres 
philosophes,  d'après  une  expérience  également  constante 
sur  les  actions  humaines,  ont  remonté  à  leurs  principes, 
et  ont  montré  que  le  désir  du  boidieur  et  la  crainte  du 
malheur  étaient  les  mobiles  universels  de  noire  conduite, 
et  nous  portaient  continuellement  à  ce  qui  peut  nous 
procurer  l'un  et  nous  faire  éviter  l'autre. 

XXXV.  Sur  cette  similitude  entre  l'ordre  ])hysique  et 
l'ordre  moral ,  je  dois  faire  une  observation  :  l'ordre  mo- 
ral est  sujet  à  plus  d'exceptions  que  l'ordre  physique.  Ce 
n'est  pas  que  ces  principes  ne  soient  également  vrais  , 
égaieinent  certains;  mais  c'est  qu'ils  agissent  sur  des 
êtres  libres,  au  lieu  que  les  causes  physiques  exercent 
leur  action  sur  des  êtres  purement  passifs.  Il  se  trouve 
quelques  esprits  absolument  dérangés,  qui  agissent  au 
rebours  des  principes  généraux  ;  on  en  rcnconue  de  bi- 
zarres qui  voient  ces  princi])es  ou  raisonnent  d'après 
eux  ,  autrement  que  le  commun  des  hommes  ;  mais  ces 
exceptions  sont  extrêuiement  rares  :  elles  le  sont  au 
point,  que  sur  la  masse  du  genre  hunmin  on  doit  les 
compter  pour  rien.  Tout  ce  qu'on  peut  en  conclure,  c'est 
que  parmi  les  hommes  il  y  a  quelques  individus  qui  ne 
font  pas  partie  de  l'ordre  moral ,  et  sur  lesquels  on  ne 
peut  pas  raisonner  comme  sur  les  autres.  Tout  ce  qu'on 
peut  en  conclure,  c'est  que,  quand  il  s'agira  d'un 
homme  seul,  et  surtout  d'un  homme  que  je  ne  connaî- 
trai pas,  je  ne  pourrai  pas  prononcer  affirma;ivement 
qu'il  agira  connue  tous  les  autres;  mais  quand  on  me 
présentera  un  nouibre  d'hommes  considérables,  ou 
même  un  petit  nombre  d'hommes  que  je  saurai  être 
pourvus  du  sens  commun  et  ordinaire  ,  je  pourrai  avec 
confiance  juger  qu'ils  sont  dirigés  par  les  mêmes  motifs 
qui  conduisent  l'universalité  des  hommes. 

XXXVI.  Ici ,  je  dois  prévenir  unç  objection  qui  se 
présente  naturellement  à  l'esprit,  et  dont  la  solution 
«?claircira  encore  la  matière.  ««  S'il  existe  un  ordre  moral 


SUR    LA    RELIGION.  159 

«  qui  dirige  aussi  infailliblement  les  esprits  que  l'ordre 
«  pliysique  dirige  les  corps  ,  en  sorte  que  l'on  doive  être 
«  aussi  certain  de  l'un  que  de  l'autre  ,  conunent  se  fait- 
M  il  que  des  hommes  placés  dans  les  mêmes  circonstan- 
«  ces  ,  ayant  les  mêmes  motifs  pour  se  déterminer,  pen- 
«  sent,  parlent,  agissent  cependant  diversement?  Cette 
M  variété  ,  cette  opposition  de  sentiments  et  de  conduite 
«  entre  des  personnes  qui  sont  dans  la  même  position  , 
H  ne  prouve- t-elle  pas  que  l'ordre  moral  ne  règle  pas  la 
«  marche  des  esprits  uniformément  ;  que  par  consé- 
«t  quent  on  ne  peut  sur  cet  ordre  former  aucun  jugement 
«  certain  ?  » 

XXXVII.  Je  ne  prétends  pas  que  l'ordre  moral  dirige 
les  esprits  dans  toutes  les  occasions  infailliblement , 
comme  l'ordre  physique  dirige  les  corps  ;  mais  je  dis 
qu'il  y  a  des  cas  où  il  influe  sur  eux  avec  la  même  infail- 
libilité ,  et  c'est  dans  ces  cas  seulr^ment  qu'il  opère  une 
vraie  certitude  ,  égale  à  la  certitude  qui  résulte  de  l'or- 
dre physique. 

Le  principe  de  l'ordre  moral  est  le  désir  du  bien  et  la 
crainte  du  mal.  Ce  principe  meut  aussi  ceitainement 
tout  homme  jouissant  de  sa  raison  ,  c[ue  les  lois  du  mou- 
vement meuvent  les  corps.  Il  est  impossible  que  l'homme 
ne  veuille  pas  son  bien,  ou  veuille  son  mal  ;  mais  il  y  a 
des  biens  et  des  maux  de  différents  genres  :  il  y  en  a  de 
l'ordre  spirituel  et  de  l'ordre  temporel.  De  cette  dernière 
sorte  il  y  en  a  de  relatifs  à  l'honneur,  à  la  fortune,  au 
bien-être.  Il  y  a  des  biens  et  des  maux  prochains;  il  y  en 
a  de  plus  ou  de  moins  prol^ables.  Ainsi  le  désir  d'un  tel 
bien  ,  ou  la  crainte  d'un  tel  mal ,  peuvent  se  trouver  en 
opposition  avec  un  désir  ou  une  crainte  contraire.  Dans 
cette  conjoncture  ,  qui  est  très-commune  ,  l'homme  se 
détermine  à  ce  qu'il  considère  actuellement  comme  le 
meilleur  pour  lui  ,  selon  sa  manière  de  penser  et  de  sen- 
tir ;  et  connue  il  est  libre  de  penser  et  de  sentir  sur  ces 
objets,  ainsi  qu'il  veut,  le  principe  général  de  l'amour  du 
bonheur  et  de  la  crainte  du  malheur  ne  le  pousse  pas 
infailliblement  d'un  cc)té  plutôt  que  de  l'autre.  jN'ayant 


*60  DISSERTATIONS 

pas  la  certitude  de  ses  opinions  et  de  ses  inclinations,  qui 
sont  même  souvent  variables^  je  ne  peux  pas  ju|;er  avec 
assurance  de  ce  qu'il  fera  dans  ccîtte  occurrence  ;  je  ne 
puis  que  conjecturer  avec  plus  ou  moins  de  probabilité  , 
selon  la  connaissance  que  j'ai ,  d'une  part  ,  de  son  esprit 
et  de  son  caractère  ;  de  l'autre  ,  du  de{^ré  de  bien  ou  de 
mal  qui  doit  résulter  pour  lui  de  la  chose. 

Mais  il  cbt  un  autre  cas  ou  je  pourrai  porter  mon  juge- 
ment avec  certitude  ;  c'est  lorsque  le  bien  ou  le  mal  ré- 
sultant évidemment  de  la  chose,  ne  pourra  être  balancé 
par  l'espoir  d'aucun  autre  bien  ,  ou  par  la  crainte  d'au- 
cun autre  mal.  Alors,  l'homme  n'ayant  point  à  se  décider 
entre  deux  bonheurs  ou  malheurs  ,  je  serai  moralemeni 
assuré,  d'après  le  principe  (j;énéral,  qu'il  usera  de  sa  li- 
berté pour  se  déterminer  à  ce  que  je  sais  avec  certitude 
être  son  bien  ,  ou  contre  ce  que  je  sais  de  même  être 
son  mal.  Je  suis  aussi  moralement  certain  que  tout 
homme  ,  sain  d'esprit  et  de  corps ,  ayant  de  la  nourri- 
ture ,  mangera,  que  je  suis  physiquement  certain  que 
tout  homme  qui  ne  mangera  pas  mourra  de  faim.  Je 
suis  aussi  moralement  certain  que  des  honnnes  ayant  de 
la  raison,  n'iront  pas  volontairement  se  jeter  dans  un 
feu  ardent,  que  je  suis  physiquement  certain  que  ceux 
qui  y  tomberont  seront  consumés.  Cette  difficulté  prouvt 
donc  seulement,  et  j'en  conviens,  qu'il  y  a  beaucou]) 
d'occasions  où  l'ordre  moral  n'a  pas  une  action  aussi  in- 
faillible que  l'ordre  physique;  mais  il  n'est  pas  moins 
vrai  qu'il  y  en  a  d'autres  où  son  action  est  aussi  in- 
dubitable ,  et  où  elle  opère  par  conséquent  une  égale 
certitude. 

XXXVIII.  Cet  ordre  moral  qui  existe  pour  les  es- 
prits, comme  l'ordre  physique  pour  les  corps,  est  le 
fondement  de  la  certitude  morale.  Le  motif  le  plus  or- 
dinaire de  cette  certitude  ,  celui  dont  il  s'agit  spéciale-» 
ment  dans  la  matière  actuelle,  est  le  témoignage  des 
hommes.  Nous  y  croyons  d'après  la  persuasion  où  nous 
sonnnes,  que  ceux  qui  le  rendent  ne  nous  trompent  pas; 
persuasion  qui  peut  être  plus  ou  moins  forte.   Elle  dé-? 


SDR    LA    RELIGION.  161 

pciid  du  degré  d'autorité  du  témoignage,  et  cette  auto- 
rité elle-mêuie  dépend  du  nombre  des  témoins ,  de  leur 
qualité  et  des  circonstances  dont  est  revêtue  leur  asser- 
tion. Selon  la  réunion  plus  ou  moins  grande  de  ces  con-. 
ditions,  le  témoignage  donne  une  probabilité  plus  ou 
moins  forte  :  tout  le  monde  en  convient  ;  mais  leur  réu- 
nion totale  peut-elle  opérer  une  véritable  certitude ,  une 
exclusion  absolue  de  tout  doute?  En  un  mot,  pouvons- 
nous  devenir  certains  de  ce  que  rapportent  des  témoins, 
comme  nous  le  sommes  de  ce  que  rapportent  nos  propres 
sens?  Voilà  ce  que  nient  nos  adversaires,  et  ce  que  nous 
avons  à  examiner. 

Mais  avant  d'entamer  cette  question^  il  est  bon  de  l'é- 
claircir  encore  par  quelques  réflexions. 

XXXIX.  La  certitude  métaphysique  a  sur  les  deux 
autres  un  avantage.  Il  ne  répugne  pas  en  soi  que  l'ordre 
physique  ou  l'ordre  moral  soit  interverti.  Je  conçois 
que  Dieu  fasse  des  exceptions  aux  lois  qu'il  a  dictées 
soit  au  monde  physique,  soit  au  monde  moral;  mais 
il  répugne  absolument  que  l'essence  des  choses  soit 
changée.  Dieu  peut  bien  changer  les  choses  elles  - 
mêmes;  c'est  un  changement  de  l'ordre  physique  :  mais 
il  ne  peut  pas ,  laissant  les  choses  telles  qu'elles  sont , 
leur  donner  une  autre  essence ,  parce  qu'il  ne  peut 
pas  faire  qu'une  chose  soit  et  ne  soit  pas ,  qu'elle  reste 
ce  qu'elle  est ,  et  qu'elle  cesse  d'être  ce  qu'elle  est. 
Il  peut  par  sa  puissance  faire  d'un  triangle  un  carré; 
il  ne  peut  pas  faire  que  restant  triangle  ,  il  cesse  d'avoir 
trois  côtés  et  trois  angles.  A  cet  égard ,  on  peut  donc 
dire  que  la  certitude  métaphysique  est  plus  forte  que 
les  deux  autres.  Il  ne  faut  cependant  pas  croire  qu'elle 
produise  dans  nous  une  plus  grande  assurance.  Je 
suis  aussi  certain  de  l'existence  du  triangle  que  j'ai 
sous  les  yeux ,  que  je  suis  assuré  que  ces  trois  angles 
sont  égaux  à  deux  droits  :  c'est  que  la  certitude  est 
le  degré  de  persuasion  où  il  n'y  a  plus  aucun  reste 
de  doute.  Que  ce  degré  soit  produit  par  des  raisons  mé- 
taphysiques, par  des  causes  physiques,  par  des  prin- 


162  DISSERTATIONS 

cipes  moraux,  dès  que  j'y  suis  arrivé,  la  certitude  ne 
peut  pas  être  plus  grande.  De  quelque  part  qu'elle 
vienne,  de  quelque  ordre  qu'elle  soit,  elle  est  toujours 
égale  dès  qu'elle  est  réelle  :  c'est  le  genre  de  certitude 
qui   est  tlillérent,  et  non  le  degré. 

XL.  On  demande  qu'est-ce  qui  constitue  la  certitude 
morale.  Je  réponds  qu'il  y  a  deux  caractères  auxquels 
on  peut  la  reconnaître  et  être  assuré  de  la  posséder.  Le 
premier  est  quand  la  force  du  témoignage  est  telle , 
qu'elle  exclut  tout  doute  raisonnable  ;  le  second,  quand 
on  ne  peut  nier  la  relation  du  témoignage  sans  ébranler 
tous  !es  principes  de  l'ordre  moral,  et  sans  se  voir  obli- 
gé d'admettre  des  choses  manifestement  impossibles.  Sur 
cela  j'observe  :  1"  que  ces  deux  moyens  de  constater  la 
certitude  morale  se  supposent  réciproquement.  Si  je  ne 
puis  nier  le  fait  sans  ébranler  l'ordre  moral ,  et  sans 
me  jeter  dans  des  hypothèses  impossibles,  je  ne  puis 
avoir  aucun  doute  du  fait;  et  respectivement  si  le  fait 
est  porté  par  les  témoignages  au  point  de  persuasion  qui 
exclut  tout  doute,  en  voulant  le  contester  je  combat- 
trais les  principes  moraux.  J'observe  ,  2°  qu'il  en  est  à 
cet  égard ,  de  la  certitude  morale  comme  de  la  certitude 
physique.  Celle-ci  existe  de  même,  quand  le  rapport 
des  sens  est  tel ,  qu'il  ne  permet  pas  le  doute ,  et  quand 
nier  ce  qu'ils  rapportent  serait  porter  atteinte  aux  lois 
physiques.  J'observe,  3**  que  je  parle  seulement  du 
doute  raisonnable.  Il  est  possible  qu'on  se  trompe  sur 
le  poids  du  témoignage  comme  sur  le  rapport  des  sens  , 
et  que  l'on  croie  avoir  une  certitude  ,  soit  physique  , 
soit  morale,  que  réellement  on  n'a  pas.  Un  faux  rai- 
sonnement sur  l'un  ou  sur  l'autre  principe  ne  détruit 
pas  leur  autorité.  Il  n'est  pas  vrai  qu'il  n'y  ait  point  de 
certitude,  parce  qu'on  a  pu  quelquefois  se  méprendre 
sur  la  certitude. 

XLI.  L'état  contraire  à  celui  de  certitude  s'appelle 
pyrrhonisme.  Comme  il  n'y  a  pas  d'extravagance  dont 
l'esprit  humain  ne  se  soit  avisé  sous  le  luanteaude  la  phi- 
losophie, il  y  a  eu  une  secte  de  pyrrhoniens  qui  se  pré- 


SDR    LA    RELIGIO-N.  163 

tendaient  philosophes.  Le  principe  de  leur  doctrine  était 
le  doute  universel  :  le  ridicule  de  cette  opinion  l'a  fait 
absolument  tomber.  Les  ennemis  du  christianisme  sen- 
tant qu'un  pareil  système  décréditerait  entièrement  leur 
parti,  se  gardent  d'une  assertion  aussi  outrée;  ils  exal- 
tent au  contraire  beaucoup  la  certitude  métaphysique. 
Ils  n'osent  pas  non  plus  attaquer  la  certitude  physique; 
ils  révolteraient  trop  fortement  tous  les  hommes,  savants 
ou  ignorants,  en  leur  contestant  la  réalité  de  ce  qu'ils 
voient,  de  ce  qu'ils  entendent,  de  ce  qu'ils  palpent.  Si 
quelques  incrédules  ojit  donné  dans  cet  excès  d'absur- 
dité, ils  sont  abandonnés  par  tous  les  autres,  et  ne  mé- 
ritent pas  qu'on  leur  réponde  ;  mais  comme  les  preuves 
de  la  religion  chrétienne  sont  de  l'ordre  moral ,  c'est  sur 
ce  genre  de  certitude  que  les  déistes  se  rabattent,  c'est 
contre  elle  qu'ils  dressent  toutes  leurs  batteries. 

ARTICLE    II. 

Existence  de  la  certitude  morale. 

§1. 

Preuves  de  l'existence  de  la  certitude  morale, 

XLIL  Une  première  raison  de  croire  à  la  certitude 
morale  ,  c'est  qu'elle  nous  est  absolument  nécessaire 
pour  nous  diriger  dans  cette  vie.  En  réfléchissant  sur  la 
conduite  de  la  Providence  à  mon  égard ,  je  vois  qu'elle 
m'a  donné  deux  genres  de  certitude  appropriés  à  mes 
besoins  :  la  certitude  métaphysique  ,  pour  me  faire  con- 
naître les  vérités  intellectuelles;  et  la  certitude  phy- 
sique ,  pour  me  donner  la  connaissance  des  objets  qui 
tombent  sous  mes  sens;  mais  il  y  a  une  infinité  de 
choses  qu'il  m'est  essentiel  de  savoir  avec  certitude  , 
et  dont  je  ne  puis  avoir  une  pleine  assurance,  ni  par 
des  raisonnements  abstraits,  parce  qu'elles  ne  sont  pas 
essentielles,  ni  par  mes  sens,  parce  qu'elles  sont  hors 
de  leur  portée.  Je  ne  puis  exister  à  la  fois  en  divers 


164  DISSERTATIONS 

temps  et  en  divers  lieux.  Il  y  a  cependant  une  mul- 
titude de  choses  que  je  suis  intéressé  à  savoir  certaine- 
ment, et  qui  se  sont  passées  dans  des  temps  et  dans 
des  lieux  éloignés.  Ces  sortes  de  choses  sont  même  en 
plus  grand  nomhre,  et  il  m'est  au  moins  aussi  néces- 
saire de  les  connaître,  que  celles  qui  sont  à  la  portée 
de  mon  raisonnement  et  de  mes  sens.  Puis-je  penser 
que  le  bienfaisant  auteur  de  mon  être  ait  laissé  son 
ouvrage  imparfait ,  et  qu'après  avoir  pourvu  avec  tant 
de  soin  et  d'abondance  à  tous  mes  autres  besoins,  il 
ait  négligé  un  des  plus  essentiels?  Les  ennemis  de  la 
certitude  morale  sont  obligés  d'admettre  cette  sorte  di; 
blasphème  eonlre  la  Providence,  qu'elle  n'a  voulu 
pourvoir  qu'imparfaitement  aux  besoins  de  sa  créature, 
et  qu'elle  a  voulu  la  tenir  dans  le  doute ,  dans  l'igno- 
rance et  dans  l'erreur  sur  une  grande  partie  des  choses 
qu'il  lui  est  le  plus  nécessaire  de  savoir;  mais  en  recon- 
naissant l'existence  de  la  certitude  morale  et  l'autorité 
du  témoignage  des  hommes ,  cette  contradiction  dans 
la  Providence  disparaît.  Ce  que  je  ne  peux  savoir  par 
ma  raison  et  par  mes  sens ,  je  l'apprends  des  autres 
hommes  qui  le  savent;  et  je  l'apprends  avec  certitude 
quand  leur  témoignage  réunit  les  qualités  qui  l'opè- 
rent. 

XLIII.  Passons  maintenant  de  ce  que  nous  jugeons 
avec  fondement  que  la  Providence  a  dû  établir,  à  ce 
qu'elle  a  réellement  établi ,  et  de  ce  qui  doit  être ,  à  ce 
qui  est  vérital3lcment.  lin  jetant  les  yeux  sur  le  monde  , 
je  vois  la  société  entière  réglée  par  la  certitude  mo- 
rale. 

C'est  la  certitude  morale  qui  dicte  les  lois  :  les  lé- 
gislateurs les  rédigent  d'après  la  connaissance  des  incli- 
nations ,  des  passions  ,  des  intérêts  ,  des  vices  ,  des 
vertus  des  hommes,  et  des  moyens  les  plus  propres  à 
les  porter  au  bien  et  à   les  éloigner  du  mal. 

C'est  la  certitude  morale  qui  prononce  les  arrêts  : 
le  juge  n'est  pas  témoin  des  faits  qui  lui  sont  déférés  ; 
il  faut  donc  que  les  sens  d'autrui  servent  de  supplément 


SUR    LA    RELIGION.  165 

aux  siens ,  et  que  le  témoignage  remplace  sa  connais- 
sance et  la  lui  donne  . 

C'est  sur  la  certitude  morale  que  reposent  les  droits 
civils  :  ils  sont  établis  dans  des  actes  rédigés  d'après 
des  témoignages,  et  dont  l'authenticité  n'est  constante 
que  par  des  témoignages. 

C'est  la  certitude  morale  qui  est  la  base  du  com- 
merce ;  c'est  la  connaissance  des  intérêts  divers  par 
lesquels  les  hommes  sont  conduits ,  qui  dirige  les  opé- 
rations du  négociant. 

C'est  la  certitude  morale  qui  fait  fleurir  les  sciences  : 
il  y  en  a  plusieurs  qui  portent  entièrement  sur  ce 
fondement  ;  et  même ,  dans  celles  qui  portent  sur  la 
certitude  soit  métaphysique  ,  soit  physique ,  quel  est 
l'homme  assez  instruit  pour  n'avoir  pas  besoin  de  s'aider 
des  connaissances  d'autrui  ?  quel  est  le  savant  qui  ait 
fait  tous  les  raisonnements  ou  toutes  les  expériences? 
Le  monde  serait  livré  à  la  plus  profonde  ignorance , 
si  chacun  ne  savait  que  ce  qu'il  a  appris  de  sa  propre 
raison  et  de  ses  sens. 

Enfin,  c'est  la  certitude  morale  qui  dirige  toutes  les 
actions  de  la  vie  privée  ;  c'est  la  connaissance  des  es- 
prits et  des  caractères  ,  acquise  souvent  par  les  relations 
d'autrui  ,   qui  unit  et   rapproche   les  hommes  ,  forme 
et  dissout  les  sociétés.  Et  l'incrédule  lui-même ,  n'est-ce 
pas  par  la  certitude  morale  qu'il  règle  toute  sa  conduite? 
Quelle  est  donc  son  inconséquence,  de  rejeter  dans  la 
spéculation   ce  qu'il  est  forcé   de  suivre  dans  la  pra- 
tique ,  de  raisonner  d'une  manière  et  d'agir  de  l'autre  , 
de  démentir  à  chaque  moment  ses  principes  par  sa  vie? 
Qu'il  voie  donc  enfin   qu'en  détruisant  la  certitude 
morale  il  fait  écrouler  du  même  coup   tous   les  fon- 
dements de  la  société  humaine.   Pourra-t-il ,  sans  fré- 
mir ,    envisager   cette  terrible    mais   inévitable  consé- 
quence  de  son  système  ,    qu'il    n'y    a   plus   entre  les 
hommes   aucun  rapport  certain  ;   que  toutes   les  rela- 
tions sociales,   livrées  à  l'incertitude,   n'ont  plus  de 


166  DISSERTATIONS 

règle  fixe  ;  que  toute  la  vie  huniaine  reste  sans  principe 
assuré,  et  la  conduite  sans  motif  déterminant? 

Xljy.  Je  demande  à  tous  les  hommes ,  aux  déistes 
eux-mêmes,  s'ils  veulent  être  de  bonne  foi  :  N'y  a-t-il 
pas  de  certains  faits  dont  ils  sont  séparés  par  un  grand 
intervalle  de  temps  ou  de  lieux ,  dont  ils  sont  cependant 
aussi  certains  ,  et  sur  lesquels  ils  ont  aussi  peu  de  doute 
que  s'ils  en  avaient  été  témoins  eux-mêmes  (1)?  Par 
exemple,  ne  sont-ils  pas  aussi  assurés  qu'ils  puissent 
l'être,  de  l'existence  des  villes  de  Rome ,  de  Londres, 
de  Pékin ,  quoiqu'ils  n'y  aient  jamais  été?  Ne  sont-ils 
pas  pleinement  certains  de  l'existence  d'Alexandre,  de 
César,  de  Scipion?  La  certitude  qu'ils  en  ont  n'est  que 
de  l'ordre  moral;  mais  elle  équivaut  à  toute  certitude 
physique  qu'ils  auraient  pu  avoir  en  allant  dans  ces 
villes  ou  en  voyant  ces  héros  (2).  Entrons  à  ce  sujet 
dans  quelques  détails  :  voyons  d'al)ord  ce  qui  motive 
cette  certitude  et  la  rend  égale  à  toute  autre,  et  ensuite 
quelles  sont  les  qualités  que  doit  avoir  le  témoignage 
pour  opérer  une  certitude  de  ce  genre. 


(i)  Snnt  qui  puraiit  cbrisliannm  religionem  propterea  ridendam 
potias  quam  teneiidim,  quia  in  ea  non  res  quae  videaiur  ostenditui  , 
{.ed  fides  leMiin  quae  non  vidcntur  hominibus  iniperatnr.  Nos  ergo 
ad  hos  refellendos  qui  prndentei  silii  videntar  nolle  credere  quod  vi- 
dere  non  possunt  ;  etsi  non  valenius  humanis  aspeclibus  monsliare  di- 
vina  quae  credimas,  tanien  hnnianis  raenlibus  etiain  illa  quae  non  vî- 
den'ar,  credenda  esse  uionstramus.  Ad  primum  isli,  quos  oculis  Gar- 
nis sic  slultilia  fecit  obnoxios,  ut  qund  pcr  eos  non  (?prnunt,  non 
sibi  existiiuent  esse  credendiim,  adruonendi  sont  qnaiu  multa  non  so- 
Inm  credant,  veium  etiam  .sciuiit,  quae  lalibus  ocubs  videri  non  pos- 
snnt.  {S.  ^l'g.^  de  Fide  rcriiin  quœ  non  vldentur ^  cap.  i,  n**  i.) 
(a)   Si  enim  ea  quae  non  vidimos,  boc  est  in  praesenti  apparenfia 

non   sensitnus  vel   inenic,  vel  corpoie nnllo  modo  credidissimos, 

unde  sciiemus  esïe  civitales  ubi  nunqnam  fuimus  ;  vel  à  Roinulo  con- 
ditatn  Romam  ,  vel,  ut  de  piopioiibus  loquar,  Constanfinopolim  à 
Constantino  ?  Unde  postreiuo  scirenuis  quinam  parenles  nos  ])rocre- 
iissent ,  quibus  patiibus,  avis,  niajoiibns  geniti  esseinus  ?  (5.  Au- 
î;ust.y  de  ^idendo  Dec,  seu  ejnst,  cxi.vii,  al'as  cxii  ad  Paulin., 
n»   5.) 


SUR    LA    RELIGION*.  167 

XLV.  In  fait  physique  est  de  nature  à  être  observé 
par  tous  les  hommes.  Les  choses  que  j'aurais  vues , 
ouies  ,  palpées,  si  j'avais  été  sur  les  lieux,  l'ont  éU'  par 
tous  les  hommes  qui  étaient  présents  ;  ils  ont  acquis  la 
certitude  que  j'en  aurais  eue.  Cette  certitude  est  en  eux 
de  Tordre  physique,  puisque  c'est  par  leur  sens  qu'elle 
leur  est  venue;  mais  ils  peuvent,  par  leur  relation,  me 
la  transmettre  telle  qu'elle  est  dans  eux  :  elle  ne  s'af- 
faiblit pas  en  venant  d'eux  à  moi  ;  elle  ne  perd  pas 
de  son  poids  en  passant  de  l'ordre  physique  à  l'ordre 
moral. 

La  certitude  physique  et  la  certitude  morale  sup- 
posent deux  choses  :  un  rapport  fait ,  et  un  jugement 
porté  sur  ce  rapport.  Les  sens  sont  dans  l'une  ce  que 
les  témoins  sont  dans  l'autre;  et  les  témoins  font  dans 
celle-ci  la  fonction  que  les  sens  faisaient  dans  celle-là. 
Mais  ,  d'une  part  et  d'une  autre ,  ce  ne  sont  que  des 
témoignages,  et  des  témoignages  sujets  à  erreur,  et  la 
raison  doit  prononcer  sur  leur  véracité.  Les  sens  peuvent 
être  mal  disposés;  des  hommes  peuvent  se  tromper  ou 
vouloir  tromper.  Il  faut  donc  joindre  ,  soit  à  l'un ,  soit 
à  l'autre  témoignage,  une  opération  de  l'esprit,  un 
jugement  qui  assure  qu'il  est  véritable.  La  question  se 
réduit  donc  à  savoir  si  je  puis  former  un  raisonnement 
aussi  juste  ,  aussi  certainement  concluant  sur  le  rapport 
des  autres  hommes  que  sur  celui  de  mes  sens. 

La  certitude  d'un  vaisoxinement  dépend  de  deux  autres, 
de  celle  des  principes  et  de  celle  de  la  conséquence. 
Assuré  de  la  vérité  de  mes  principes  et  de  l'exactitude 
de  ma  conséquence,  je  suis  certain  de  ma  conclusion. 
Or,  le  raisonnement  de  l'ordre  moral  peut  porter  sur 
des  principes  aussi  certains,  et  offrir  une  conséquence 
aussi  exacte  que  le  raisonnement  de  l'ordre  physique. 

D'abord ,  cette  vérité  est  évidente  relativement  à  la 
conséquence.  Il  serait  absurde  de  prétendre  que  des 
principes  moraux  on  ne  peut  pas  tiier  des  conséquences 
avec  autant  d'exactitude  que  des  principes  physiques  et 
même  des  axiomes  mathématiques.  La  justesse  du  rai- 


168  DISSERTATIONS 

sonnement  ne  dépend  pas  de  celle  du  principe  :  on  peut 
raisonner  très-faussement  d'après  un  principe  vrai ,  et 
très-justement  d'après  un  principe  faux. 

Ensuite,  l'ordre  moral  peut  me  présenter  des  principes 
aussi  certains  que  l'ordre  pliysique.  La  certitude  pliy- 
sique  a  pour  base  ce  principe  :  il  est  impossible  que  tous 
mes  sens,  réunis  et  bien  disposés,  s'accordent  pour  me 
tromper.  La  certitude  morale  est  fondée  en  grande  partie 
sur  ce  principe  :  il  est  impossible  qu'une  nombreuse 
multitude  d'iiommes,  qui  ne  sont  ni  des  fourbes,  ni  des 
fous,  s'accordent  pour  me  tromper  sur  un  fait  qu'ils 
ont  tous  vu.  Je  dis,  et  je  ne  crois  pas  qu'aucun  liomme  de 
bonne  foi  me  le  conteste  ,  que  cette  seconde  proposition 
est  aussi  certaine ,  et  ne  laisse  pas  plus  de  doute  que  la 
première.  Les  deux  impossibilités  sont  de  genre  diffé- 
rent ,  mais  elles  sont  égales  entre  elles.  L'accord  de 
cette  multitude  pour  me  tromper  est  aussi  moralement 
impossible  que  l'accord  de  tous  mes  sens  pour  m'induire 
en  erreur  est  impossible  physiquement.  Un  exemple 
rendra  cette  vérité  plus  sensible  :  Je  suis  assuré  que 
Louis  XV  a  existé,  parce  que  je  l'ai  vu  et  entendu  ;  mais 
je  suis  également  certain  de  l'existence  de  Louis  XIV, 
mort  longtemps  avant  ma  naissance ,  parce  que  beau- 
coup de  personnes  dignes  de  foi  me  l'ont  attestée  ;  j'ai 
et  je  dois  avoir  une  confiance  aussi  grande  dans  le  rapport 
de  ces  personnes,  au  sujet  de  Louis  XIV,  que  dans 
celui  de  mes  sens  relativement  à  Louis  XV;  et  ma 
certitude  morale  sur  l'un  de  ces  princes  est  égale  à  ma 
certitude  physique  sur  l'existence  de  l'autre ,  puisque  je 
ne  puis  pas  avoir  plus  de  doute  sur  le  premier  fait  que 
sur  le  second. 

Puisque  je  puis  avoir  des  principes  moraux  certains 
comme  le  sont  les  principes  physiques ,  et  que  de  ces 
principes  je  puis  tirer  des  conséquences  aussi  justes,  je 
puis  donc  être  aussi  assuré  des  résultats  de  l'ordre  moral, 
que  de  ceux  de  l'ordre  physique  :  il  existe  donc  vérita- 
bl(;ment  une  certitude  morale,  de  même  qu'il  existe 
une  certitude  physique. 


SUR    LA    RELIGION.  169 

XL\I.  C'est  à  la  certitude  physique  que  je  compare 
ia  certitude  morale,  et  non  pas  à  la  certitude  métaphy- 
sique. J'en  ai  déjà  donné  une  raison;  c'est  que  celle-ci 
n'est  pas  susceptible  des  exceptions  que  peuvent  souffrir 
les  deux  autres.  J'en  ajouterai  une  seconde  :  un  grand 
nombre  de  démonstrations  qui  opèrent  la  certitude  mé- 
taphysique ,  nous  montrent  non-seulement  que  les  choses 
sont,  mais  encore  les  raisons  pour  lesquelles  elles  sont; 
c'est  ce  qu'on  appelle,  dans  l'école  ,  des  démonstrations 
a  priori ,  dans  lesquelles  on  fait  connaître  les  choses  par 
leurs  causes.  Les  preuves  de  l'ordre  physique  ou  moral 
ne  sont  pas  d'un  genre  aussi  scientifique;  elles  ne  re- 
montent pas  aux  causes,  elles  ne  nous  montrent  pas 
pourquoi  les  choses  sont,  elles  nous  font  voir  seulement 
qu'elles  sont  :  mais  sur  ce  point,  sur  la  simple  existence 
des  choses,  elles  sont  aussi  tranchantes  que  les  autres, 
elles  forcent  l'assentiment ,  et  satisfont  aussi  pleinement 
l'esprit,  que  peuvent  le  faire  toutes  les  démonstrations 
à  priori.  Il  ne  reste  pas  plus  de  doute  après  les  unes 
qu'après  les  autres. 

XLVII.  Pour  éclaircir  et  fortifier  encore  ce  que  je 
viens  d'exposer  ,  je  vais  examiner  les  caractères  que  doit 
avoir  un  témoignage  pour  opérer  une  véritable  certi- 
tude. On  peut  les  rapporter  à  deux  chefs,  savoir  :  que 
sur  les  faits  qu'ils  rapportent,  les  témoins  ne  soient  ni 
trompés,  m  trompeurs.  Si  je  puis  être  assuré  de  ces 
deux  choses,  je  serai  certain  du  fait  :  la  certitude  morale 
repose  sur  celte  double  assurance;  si,  au  contraire,  il 
me  reste  quelque  doute  sur  l'un  ou  sur  l'autre  artic'le 
je  n  ai  plus  de  certitude  :  le  fait  devient  douteux  ,  dès 
que,  de  bonne  ou  mauvaise  foi ,  celui  qui  l'atteste  peut 
présenter  l'erreur.  Nous  avons  des  moyens  de  connaître 
positivement  si  des  témoins  ont  été  induits  en  erreur  ou 
-  cherchent  à  nous  y  induire. 

^  En  premier  heu,  je  juge  avec  assurance  qu'un  homme 

n^a  pas  pu  être  trompé  sur  un  fait,  quand  son  témoi^mage 

reumt  deux   conditions:  la  première,  qu'il  ait  été   à 

portée  de  bien  connaître  le  fait;  la  seconde,  qu'il  soit 

Disserl.  sur  la  ReUg.  3   ^ 


170  DISSERTATIONS 

capable  d'en  ju{]cr  sainement  :  c'est  la  connaissance  de 
SCS  facultés  corporelles  et  intellectuelles  qui  me  déter- 
mine. J'Iiésitorai  à  croire  un  lionnne  qui  a  la  vue  basse, 
sur  un  fait  passé  à  une  certaine  distance  de  lui;  mais 
je  le  croirai  autant  qu'un  autre,  si  le  fait  a  eu  lieu 
absolunicnt  sous  ses  yeux,  tellement  qu'il  ait  pu  le  bien 
voir.  Le  témoignage  d'un  imbécile,  d'un  bomme  sol- 
temenl  crédule,  me  sera  justement  suspect;  mais  j'ob- 
serve que,  pour  juger  d'un  fait,  et  surtout  d'un  fait 
simple  et  palpable,,  pour  s'assurer  qu'il  n'y  a  pas  de 
méprise,  on  n'a  pas  besoin  de  talents;  le  simple  bon 
sens,  le  sens  le  plus  commun,  est  le  degré  d'intelligence 
uécessaire  et  suffisant  pour  s'assurer  de  la  réalité  de 
semblables  faits;  et  son  jugement,  à  cet  égard,  est 
aussi  certain  que  celui  du  plus  profond  génie. 

En  second  lieu  ,  la   certitude  qu'un   témoin  n'a  pas 
voulu  tromper,  est  appuyée  sur  ces  qualités  morales, 
sur  la  nature  de  son  témoignage  et  sur  les  circonstances 
qui  l'accompagnent.   La  probité  reconnue  de  ce  témoin 
ne  peut  pas  à  elle  seule  fonder  une  certitude;  elle  ne 
forme   qu'une  probabilité,   parce  qu'il  est  impossible 
d'en  être  absolument  assuré.  Il  se  peut  que  ce  soit  un 
hypocrite  ou  que  sa  vertu  se  démente  dans  une  occa- 
sion :  mais   si,    à  ce  que   je  connais  de   son  caractère 
moral,    il   se  joint  qu'il  n'a  aucun  intérêt  à  ce   qu'il 
dépose ,  qu'il  dépose  même   contre  son  intérêt ,  et  que 
son  témoignage  l'expose  à  des  dangers,  je  juge  avec  un 
bien  plus  grand    fondement    encore    en  faveur    de  sa 
Téracité;si,  de  plus,  sa  relation  n'est  pas  vague,  mais 
circonstanciée,  s'il  la  soutient  constanunent,  si,  pou- 
vant être    vérifiée,   elle  n'est  pas  contredite,  si  ceux 
même  qui  auraient  intérêt  à  la  contester  en  conviennent, 
trouvant   toutes  ces  circonstances  réunies ,   je  prononce 
avec  certitude  que  cet  bomme  n'a  pas  voulu  me  trom- 
per. 

Je  viens  de  faire  des  hypothèses  sur  les  moyens  de 
connaître  avec  certitude  que  les  témoins  d'un  fait  n'ont 
été  ni  trompés  ni  trompeurs.  Mais ,   dans  la  pratique , 


SUR    L.V    RELIGION.  17 1 

ces  suppositions  peuvent -elles  se  réaliser?  Pouvons- 
nous  trouver  dans  des  témoignages  humains  une  réu- 
nion de  ces  conditions  assez  complète  pour  opérer  une 
vraie  certitude?  Oui,  sans  doute  ,  et  je  dis  qu'elle  se 
trouve  dans  deux  cas  :  le  premier ,  quand  c'est  une 
nombreuse  multitude  qui  atteste  un  fait  dont  elle  a 
été  témoin  ;  le  second ,  lors  même  que  ce  n'est  pas  une 
multitude  d'hommes  qui  atteste  le  fait,  mais  que  la  qua- 
lité du  témoignage  supplée  au  grand  nombre  des  témoins. 

XLVIII.  D'abord  ,  le  très-grand  nombre  des  témoins 
forme  une  preuve  qu'ils  n'ont  pu  ni  être  induits  en 
erreur ,  ni  chercher  à  y  induire. 

1°  Je  suis  assuré  qu'ils  n*ont  pas  pu  être  tous  trom- 
pés sur  le  rapport  de  leurs  sens.  Il  est  moralement 
impossible  qu'une  troupe  nombreuse  d'hommes ,  qu'on 
n'a  pas  choisis  exprès,  soit  composée  entièrement  de 
personnes  dont  les  sens  soient  mal  organisés ,  ou  qui 
soient  dénuées  de  la  plus  faible  dose  d'intelligence 
nécessaire  pour  juger  de  la  réalité  d'un  fait  qu'elles 
ont  sous  les  yeux.  Ces  sortes  d'hommes  sont  partout  en 
si  petit  nombre  ,  qu'on  doit  les  regarder  comme  des 
exceptions,  et  qu'on  peut  les  compter  absolument  pour 
rien.  Il  est  absurde  de  supposer  que  la  multitude  , 
dont  les  sens  et  l'esprit  sont  sains,  au  lieu  de  rectifier 
l'erreur  où  ce  peu  d'hommes  mal  organisés  de  corps  et 
d'esprit  seraient  tombés ,  soient  au  contraire  entraînée 
par  eux ,  et  se  laissent  persuader ,  par  eux ,  qu'ils  ont 
vu,  entendu,  touché  des  choses  qui  n'existaient  pas  , 
et  que  ce  soit  le  très-petit  nombre  qui  ait  fait  la  loi 
et  imprimé  la  persuasion  au  très-grand,  les  imbéciles 
aux  gens  sensés,  les  hommes  privés  de  leurs  sens  à 
ceux  qui  en  jouissent. 

2"  Je  suis  assuré  pareillement  qu'une  multitude 
d'hommes,  surtout  si  on  n'a  pas  été  les  choisir  exprès, 
n'a  pas  pu  chercher  unanimement  à  me  tromper.  Pour 
le  prétendre ,  il  faut  soutenir  de  deux  choses  l'une  : 
,  ou  qu'ils  se  sont  concertés  pour  faire  ce  faux  rapport , 
ou  que,  sans   se  concerter,   ils  se  trouvent  unanimes 


172  DISJÎERTATIONS 

dans  leur  fausseté.    Une  conspiration  pour  tromper  le 
public,  foiinte  par  une  nombreuse  multitude,  est  une 
chose  impraticable,  et  présente  plusieurs  iiupossibililés. 
Impossibdité  que  dans  un  si  grand  nombre  d'Iiommes, 
il  ne  s'en  trouve  pas  qui  soient  honnêtes  et  que  l'idée 
du  njenson(^e  révolte  ;   impossibilité  que  tant  d'iiomnies 
s'accordent  ensemble  pour  un  pareil  plan  ;  impossibilité 
qu'entre  eux  tous  le  complot   soit  tramé  avec  se*cret; 
impossibilité   que  ce  secret   ne  soit  pas  ,  par  la  suite , 
éventé;  impossibilité  que  cette  troupe  nombreuse,  ré- 
pandant le  fait  en  divers  lieux  ,  s'accorde  constanjment, 
soit  sur  le  fond,  soit  sur  les  circonstances.  L'uniformité 
absolue   d'un  grand  nombre  de  fausses   relations  sans 
concert ,  serait  plus  absurde  encore  :  ce  serait  un  effet 
sans  cause  :  on  n'en  connaît  point  dans  la  nature.   Ce 
qui  engage  les  hommes  à  mentir  ,  est  quelque  passion 
ou  quel(|ue  intérêt;  mais  les  passions  ou   les  intérêts 
variant  à  l'infini,    les  mensonges  ne  peuvent  pas  être 
uniformes.    Chaque  menteur  a  son  but  particulier,  et 
l'erreur  qu'il   présente  est   toujours   relative  aux  vues 
personnelles  qui   le  font  agir.  Quand,   malgré   la  pro- 
digieuse variété  des  passions  qui  agitent  les  hommes , 
d'intérêts  qui  les  divisent,  je  vois  un  nombre  considé- 
rable d'individus  former    un  même   témoignage ,  j'en 
conclus  avec  certitude,  1°  qu'ils  ont  un  point  de  réunion 
commun  ;   2°  que  ce  point  de  réunion  est  la  vérité.  La 
raison  en   est  évidente  :  c'est  qu'il  n'y  a  que  la  vérité 
qui  soit  une;   et  elle  l'est  de  sa  nature,  parée  qu'elle 
n'a  qu'un  seul  principe.  Au  contraire ,  les  erreurs  sont 
nécessairement  multipliées,  parce  qu'elles  ont  une  mul- 
titude de  causes  (1).  Ainsi,  en  supposant  dans  tous  ceux 


(i)  Qnid  igiJur  nt  qai  viam  rectam  ne«cjt ,  nbi  ,  ut  fit ,  in  plures 
una  diffuriditur,  hTret  anxius ,  nec  singnlas  andet  eligere,  nec  uni- 
versas  probare;  sic  coi  non  est  ven  sfabile  jndi«  inm  ,  proot  infida 
snspicio  spargitar,  it.»  ejus  dubia  opinio  dissipatar.  Nullum  itaqoe 
Bliracalani  est ,  si  Cœcilins  identidem  in  contranis  ac  repagnanlibas 
jactetar  astn  et  fluctaetar.  (Minucius-Felix-Octayius ,  cap.  xvi.) 


SDR    LA    RELIGION.  173 

qui  composent  une  troupe  nombreuse,  des  projets  de  men- 
tir, il  ne  pourra  pas  en  éclore  un  seul  et  même  mensonge, 

XLIX.  Voici  donc  une  première  vérité  constante. 
Lorsque  c'est  par  une  multitude  nombreuse  qu'un  fait 
est  rapporté,  on  en  a  une  certitude  morale  à  raison  de 
la  double  impossibilité  que  cette  multitude  entière 
soit  tiompée  ou  veuille  tromper  sur  ce  point.  3Iais  il 
est  possil)le  aussi  d'acquérir  la  même  certitude  ,  lors 
même  qu'on  n'a  pas  une  quantité  aussi  considérable  de 
témoifts.  La  connaissance  que  Ton  a  ,  soit  des  témoins , 
soit  du  témoignage,  peut  donner  une  égale  assurance 
du  fait  attesté;  pour  cela,  il  faut  que  la  qualité  des 
témoignages  supplée  leur  quantité  :  ce  qui  peut  être , 
et  ce  qui  est  véritablement,  quand  on  est  certain  qu'ils 
réunissent  les  conditions  suivantes  : 

1"  Qu'il  y  ait  un  nombre  raisonnable  de  témoins;  un 
seul,  ou  deux,  ou  trois,  pourraient  ou  s'être  trompés 
o  u  s'être  concertés  pour  tromper  ; 

2"  Que  le  témoignage  ait  pour  objet  un  fait  simple 
et  palpable; 

3°  Que  les  témoins  connaissent  le  fait  cju'ils  rap- 
portent ,  non  sur  des  relations  étrangères  ,  mais  par 
eux-mêmes  et  par  le  rapport  de  leurs  propres  sens  ; 

4°  Que  ces  ténioins  aient  été  à  portée  de  bien  voir,  ou  de 
bien  entendre,  ou  de  bien  toucher  le  fait  qu'ils  racontent  ; 

5^  Qu'ils  aient  la  médiocre  portion  d'intelligence  né- 
cessaire pour  qu'on  ne  leur  fasse  pas  accroire  qu'ils 
ont  vu  ce  qu'ils  n'ont  pas  vu; 

6°  Que  tout  annonce  en  eux  des  hommes  d'honneur 


Quis  possit  indocins  apta  inler  se  et  coha?rentia  Cngere,  cuni  phi- 
losoph'<rniu  doc  as  si  mi,  Plato  ,  et  Aris?ote'es,  et  Epicarus  ,  et  Zeno , 
ipsi  bibi  repu„nantia  et  contraria  dixerint  ?  Haec  est  eniin  inendacio- 
rora  natura  ,  ui  cohaeiere  non  possint.  IHorum  auteiu  (piioruiu  reli- 
giunis  praedicatonim  )  tr;idi;io,  qaia  veia  est,  quadial  undirjae,  ac 
tota  sifii  C(ln^en'lt  ;  et  ideo  persuadât  quia  constai.ti  ratiune  suffalta 
est.  {Lactant.  Divin.  Instit.  ^  lib.  v,  cap.  3.) 

Hic  oslendii  militas  esse  iinpieialis  vias ,  veriiatis  antem  anam. 
Eteciim  varia,  multiformis  el  confusa  res  est  erior  ;  verilas  auiem 
uaa,  [S.  Joan.  Chrys.  in  epist.  ad  Rom.  Homil.  iri ,  n°  2.) 


174  DISSERTATIONS 

et  de  probité,  et  qu'on  ne   leiîr  connaisse  aucun  vice 
qui  fasse  suspecter   leur  véracité  ; 

7"  Qu'ils»  n'aient  aucun  intérêt  personnel  ,  soit  de 
fortune,  soit  de  passion,  soit  de  gloire,  soit  de  tout 
autre  genre,   à   rnp])orter   le  fait; 

8°  Que  leur  relation  soit  faite  dans  un  temps  et  dans 
des  lieux  voisins  du  fait ,  et  accompagnée  de  circons- 
tances; en  sorte  que  l'on  puisse  facilement  la  vérifier  au 
moment  où    elle  se  produit  ; 

9*»  Que  leurs  dépositions  soient  et  constantes  sans 
variations,  et  uniformes  sans  contradictions; 

10"  Enfin,  que  leur  narration  ne  soit  pas  contestée 
dans  le  temps  où  ils  la  font,  ou  ne  le  soit  que  par  de 
frivoles  diflicultés. 

De  ces  dix  conditions ,  les  cinq  premières  garantissent 
les  témoins  de  l'erreur,  les  cinq  dernières  répondent 
de  leur  véracité.  Or,  dès  que  nous  sommes  assurés  de 
ces  deux  points ,  nous  le  sommes ,  par  une  conséquence 
nécessaire  de  la  vérité  du  fait  qu'ils  affirment.  Ils  n'ont 
pas  été  trompés,  donc  ils  ont  eu  la  certitude;  ils  n'ont 
pas  trompé,  et  par  là  ils  nous  l'ont  transmise. 

L.  J'avertis  qu'en  disant  qu'un  témoignage  revêtu  de 
ces  conditions  ne  peut  pas  être  faux,  je  ne  soutiens 
sa  certitude  que  relativement  à  la  réalité  du  fait  simple 
et  palpable  sur  lequel  il  porte.  Quant  à  la  qualité  du 
fait ,  à  ses  causes ,  à  ses  conséquences ,  il  est  possible 
que  les  témoins  les  mieux  disposés,  qu'une  multitude 
d'hommes  soient  induits  à  erreur.  Le  discernement  de 
ces  choses  peut  supposer  des  connaissances  supérieures 
à  celles  que  je  viens  d'exiger.  J'aurai  occasion  de  faire 
usage  de  cette  observation  et  de  la  développer  plus  ample- 
ment, quand  j'examinerai  l'objection  contre  lacertitude 
des  miracles^  fondée  sur  la  possibilité  de  faire  croire  à 
tout  un  peuple  qu'un  tour  d'adresse  est  un  fait  miraculeux. 

Après  avoir  prouvé  ,  et  ,  je  crois  ,  d'une  manière 
satisfaisante,  la  réalité  de  la  certitude  morale,  il  ne 
reste  plus  ,  pour  éclaircir  et  confirmer  encore  cette 
vérité ,  qu'à  répondre  aux  objections  par  lesquelles  on 


SUR    LA    RELIGION.  175 

l'attaque,  TexameQ  de  ce  qu'on  lui  oppose  achèvera  de 
le  mettre  dans  tout  son  jour. 

§"• 

Réponse  aux  objections  contre  l'exiitence  de  la  certitude  morale. 

LI.  «  Vous  comparez  ,  nous  disent  les  incrédules  ,  la 
«  certitude  morale  à  la  certitude  physique ,  et  vous 
«  prétendez  qu'elles  sont  égales?  Mais  cette  assertion 
«  répugne  à  toutes  les  idées  de  la  raison,  à  tous  lesju- 
«  gements  de  l'expérience  ,  à  toutes  les  convictions  du 
«  sens  intime.  Consultez  tous  les  hommes;  les  plus 
«e  simples  même  et  les  plus  bornés  vous  diront  qu'ils 
«  sont  infiniment  plus  certains  de  ce  qu'ils  ont  vu  eus- 
«  mêmes,  que  de  ce  qu'ils  ont  appris  par  des  oui-dire.  ^ 

LU.  Cetie  difficulté  n'est  fondée  que  sur  la  confusion 
de  deux  choses  ,  qu'effectivement  beaucoup  de  person- 
nes ne  distinguent  pas  :  la  certitude  qu'on  a  d'un  fait, 
et  l'impression  que  cause  la  présence  de  ce  fait.  Je  con- 
viens que  l'on  est  beaucoup  plus  frappé  de  ce  qui  se 
passe  sous  les  yeux,  que  de  ce  que  l'o::  entend  raconter. 
Mais  je  nie  que  ,  dans  tous  les  cas  ,  on  acquière  par  ses 
propres  sens  ,  une  persuasion  plus  forte  que  celle  qui  est 
opérée  par  des  témoignages  humains.  Pour  faire  sentir 
plus  clairement  cette  différence  entre  la  certitude  d'un 
fait  et  l'impression  qu'il  produit,  reprenons  un  exemple 
que  j'ai  déjà  donné.  Un  homme  n'a  jamais  été  à  Rome, 
ou  à  Londres,  il  n'en  est  cependant  pas  moins  sûr  de 
l'existence  de  ces  deux  villes.  Qu'il  y  voyage  ensuite,  il 
sera  frappé  de  la  grandeur,  de  la  beauté  de  ces  villes; 
mais  il  ne  sera  pas  plus  certain  de  leur  existence  qu'a- 
vant d'y  aller.  La  vue  de  ces  villes  ne  lèvera  aucun 
doute  qu'il  eut  précédemment,  puisqu'il  n'en  avait  nul- 
lement. Peut-être  croira-t-il  lui-même  être  plus  sûr  que 
ces  villes  existent ,  parce  qu'il  les  aura  vues  ;  mais  ce 
sera  une  illusion  de  son  imagination  qu'il  confondra 
avec  sa  raison. 

LUI.  Je  puis  même  aller  plus  loin  ,  et  dire  qu'il  y  a 
des  occasions  où  je    dois   croire  le   rapport  des   autres 


^^^  DISSERTATIONS 

tiOMunes,  depréfi'renceà  mes  propres  sensations  ;  ce  sont 
celles  ou  mes  sens  peuvent  me  tromper,  et  où  les  té- 
moignantes étran.oeis  portent  le  caractère  de  la  vérité. 
1  ar  exemple  ,  j'ajHTvois  de  loin  une  tour  :  mes  yeux 
mêla  font  juj;er  ronde;  mais  des  personnes  qui  y  ont 
ete  m  assurent  qu'elle  est  carrée  :  je  dois  les  croire  et 
je  les  crois  eifectivement  plus  que   mes  propres  veux 

Au  reste  ,  je  ne  prétends  pas  (p,e  tout  oui-dire'  opère 
une  persuasion  éjjale  à  celle  qu'inspirent  les  sens.  J'ai 
marque  les  conditions  nécessaires  pour  que  des  témoi- 
gnages liuuiai.  s  portent  une  vérité  jusqu'à  la  certitude  • 
je  reconnais  même  sans  diniculté  qu'on  a  généralen.en't 
plus  de  confiance  dans  ses  propres  sens  que  dans  des 
rapports  étrangers;  la  raison  en  est  siniple  ,  c'est  qu'il 
est  plus  commun  et  plus  aisé  d'acquérir  la  certitude 
par  i  un  que  par  l'autre  de  ces  moyens.  Il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  ,  lors  qu'on  l'a  acquise  ,  soit  par  l'un 
soit  par  l  autre,  elle  ne  soit  égale,  excluant  pareille- 
ment tout  doute. 

LIT .    Voici  une  seconde    difficulté  ;   «  Ce   que    l'on 

-  appelle  certitude   morale    n'est    autre   chose    qu'un 

-  amas  de  probabilités,  qu'une  probabilité  portée    au 

-  plus  haut  degré.  Un  témoin  rend  le  fait  probable , 
««  surtout  s'il  est  connu  pour  un  honnête  homme.  Tous 
•  Jjs  autres  qui  s'y  joignent  ajoute  de  nouvelles  proba- 
«  bilites  à  la  première;  et  ainsi  s'augmente  le  degré 
••  de  probabilité  dans  la  proportion  des  témcins  :  mais 
«  tout  cela  n'est  pas  de  la  certitude.  La  réunion  d'un 
«  très-grand  nombre  de  probabilités  ne  peut  produire 
«  qu'une  extrême  probabilité;  elle  ne  peut  jamais  de- 
«   venir  une  certitude.   » 

L\.  C'est  une  question  sur  laquelle  les  opinions  sont 
partagées,  de  savoir  si  c'est  la  léunion  d'un  certain 
nombre  de  probabilités  qui  opère  la  certitude,  ou  si  la 
certitude  est  absolument  étrangère  à  la  probabilité. 
Mais  nous  n'avons  pas  d'intérêt  à  la  discuter  ;  laissons  à 
la  métaphysique  ces  disputes,  consentons  à  admettre 
le  système  le  plus  favorable   à    nos  adversaires  ,  celui 


SUR    LA    RELIGION.  l77 

dont  ils  argumentent.  J'admets  donc  avec  eux  que  cha- 
que témoignage  particulier  ne  donne  qu'une  probabi- 
lité ;  comment  peuvent-ils  conclure  de  là  que  la  réu- 
nion de  beaucoup  de  témoir^na^^^es  n'opère  pas  une  cer- 
titude? qu'elle  relation  y  a-t-il  entre  le  principe  et  leur 
conséquence?  J'aimerais  autant  qu'on  me  dît  que  plu- 
sieurs verres  de  vin  ne  causent  pas  l'ivresse  ,  parce  que 
chacun  d'eux  ne  l'opère  pas.  Plusieurs  causes  peuvent 
produire  par  leur  réunion  ,  un  efïet  qu'aucune  d'elle 
isolée  ,  ou  même  que  plusieurs  condjinées  n'auraient 
pas  la  force  d'opérer  ;  et  c'est  ce  qui  arrive  dans  le  sys- 
tème que  nous  avons  adopté.  Au  moment  ou  le  concours 
des  probabilités  opérées  par  le  nombre  et  la  qualité  des 
témoignages  arrive  au  point  d'exclure  le  doute,  la  pro- 
babilité cesse  et  la  certitude  commence.  Si  je  n'avais  , 
pour  croire  l'existence  de  la  ville  de  Rome,  qu'une  ou 
deux  des  autorités  qui  me  l'attestent,  il  me  resterai 
quelques  doutes  et  par  conséquent  je  n'en  serais  pas 
certain  ;  mais  la  multitude  de  témoignages  qui  me  con- 
lirment  cette  vérité  bannit  tout  doute,  et  par  conséquent 
me  donne  la  certitude. 

Les  adversaires  de  la  certitude  morale  ne  veulent  pas 
qu'un  concours  de  probabilités  de  cet  ordre  opère  la 
certitude.  3Iais  nous  pouvons  leur  faire  sur  la  certitude 
physique  qu'ils  reconnaissent ,  un  raisonnement  pareil 
auteur.  Rien  n'est  plus  possible,  et  même  plus  com- 
mun ,  que  d'être  trompé  par  un  de  nos  sens  ;  et  alors 
c'est  le  concert  de  nos  sens  qui  opère  la  certitude.  Je 
puis  avoir  du  doute  sur  ce  que  je  n'ai  fait  que  voir,  parce 
qu'il  est  possible  que  j'aie  mal  vu;  mais  si  j'ai  entendu, 
touché,  senti  le  même  objet,  je  n'ai  plus  de  doute,  je 
suis  dans  un  état  complet  de  certitude  ,  parce  que  les 
autres  sens  ont  rectifié  Terreur  du  premier.  Dans  ce 
cas,  chaque  sens  particulier  ne  donne  qu'une  piobabi- 
lité  ;  c'est  leur  réun'on  cnii  forme  la  certitude.  Sur  cela, 
je  propose  aux  incrédules  ce  raisonucment  à  résoudre  : 
ou  plusieurs  probabilités  ne  peuvent  pas,  ainsi  que  vous 
le  prétendez,   former  une  certitude;  et,  dans  ce  cas, 

8^ 


1/8  DISSERTATIONS 

que  devient  la  certitude  pliysique  que  vous  admettez  ? 
ou  elles  peuvent  l'opérer;  et  dansée  second  cas,  votre 
difliculté  contre  la  certitude  morale  est  nulle.  Je  le  ré- 
péterai toujours  :  il  en  est  de  l'une  de  ces  certitudes 
comme  de  l'autre;  nos  sens  sont  absolument  à  celle-là 
ce  que  les  témoins  sont  à  celle-ci. 

LVl.    Ce  qui   fait  impression   à   quelques   personnes 
relativement  à  cette  difficulté,  c'est  que,  dans  l'ordre 
moral,    il    est   impossible  de   marquer   le  point  précis 
où  on  passe  de  la  probabilité   à   la  certitude.  Ce  point 
est  celui  où  le  témoignage  devient  assez  fort  pour  ban- 
nir tout  doute;  mais  c'est  là  ce  qu'on  ne  peut  pas  fixer 
avec  certitude.  Gardons-nous  ,  cependant ,  de  conclure 
de  là  qu'on  ne  puisse  jamais  regarder  une  chose  comme 
moralement  certaine.   J'aperçois  bien  distinctement  les 
diverses  couleurs  de  l'arc-en-ciel ,  mais  leur  dégiada- 
tion  m'empèclie  de  remarquer  avec  précision  leurs  divi- 
sions. La  probabilité  et   la. certitude  sont  deux  terri- 
toires dont  les  limites  ne  sont  pas  marquées  avec  une 
telle  clarté  qu'on  puisse  dire  positivement  où  finit  l'un 
et  où   commence  l'autre  ;  mais  quand   on   s'écarte   de 
leur   frontière  commune ,  on  sait  très-bien  sur  lequel 
on  se  trouve.  Les  conséquences  à  tirer  de  cette  confusion 
de  limites  sont  :    1°  qu'il   y  a  des  cas  où  on  ne  peut 
pas  savoir  au  juste  si  on  doit  regarder  une  telle  chose 
comme  certaine ,   ou   seulemeni   comme  très-probable  ; 
2°  que  dans  la  pratique  il  faut  se  montrer  plus  exigeant 
que    facile  ,  et  exiger  plutôt  une  plus  grande  qu'une 
moindre  réunion ,  soit  de   témoignages  ,  soit  de  condi- 
tions nécessaires  à  leur  validité. 

LYIL  Les  incrédules  poursuivent  leurs  difficultés. 
«  En  admettant,  nous  disent-ils,  que  les  témoins  d'un 
u  fait  puissent  transmettre  à  d'autres  la  certitude  qu'ils 
«  en  ont  eux-mêmes,  au  moins  ne  doit-on  reconnaître 
«  ce  privilège  que  dans  eux.  Ceux  à  qui  ils  ont  raconté 
«  le  fait ,  n'en  ont  pas  été  témoins  comme  eux  ;  leur 
«  suffrage  ne  doit  pas  avoir  la  même  autorité;  ils  ne 
•<  sont  témoins  que  du  témoignage  :  plus  la  déposition 


SDR    LA    RELIGION.  179 

«  s'éloigne  de  la  source ,  plus   elle  perd  de  sa  force.  A 

«  la  troisième  relation,  le  narrateur  ne  peut  plus  cer- 

«  tifier  autre  chose ,  sinon  qu'on  lui  a  attesté  que  tel 

«  fait  avait  été   attesté  par  des  témoins  oculaires;   et 

*  ainsi  le  poids  du  témoignage  va  en  diminuant ,  à  me- 
-  sure  qu'il  passe  par  diverses  bouches.  Un  géomètre 
«  anglais  ,  M.  Craigh  ,  a  cherché  à  soumettre  au  calcul 
«  cette  décroissance  graduelle  de  la  preuve  testimoniale, 
«  et  à  montrer  par  combien  de  générations  elle  doit 
«  passer  pour  dépérir  absolument.  Mais  ,  sans  entrer 
«  dans  ces  supputations  ,  la  raison  et  l'expérience  cons- 
«  tante  montrent  que  l'on  a,  et  avec  raison,  plus  de 
«  confiance  dans  un  récit  qu'on  tient  de  la  première 
K  main  ,  que  dans  celui  qu'on  ne  reçoit  que  de  la  se- 
m  conde;  dans  la  seconde  relation,  que  dans  la  troisième, 
«  et  ainsi  de  suite.  Si  de  ce  qui  se  passe  dans  la  vie  pri- 
«  vée  on  passe  à  l'ordre  public  ,  on  voit  les  histoires  des 
«  temps  les  plus  anciens  absolument  ignorées;  celles 
M  des  temps  immédiatement  suivants,  remplies  de  fables 
«  et  d'incertitudes;  et  enfin ^  les  narrations  des  histo- 
«  riens    prendre    plus   de    consistance,   lorsqu'elles   se 

•  rapprochent  de  notre  temps.  Il  résulte  de  là ,  que  s'il 
M  peut  exister  une  certitude  morale  pour  les  faits  ré- 
■  cents  ,  elle  est  absolument  inadmissible  relativement 
«  aux  faits  anciens,  et  que  sur  ceux  qui  sont  éloignés 
«  de  nous  de  plusieurs  siècles,  nous  ne  pouvons  avoir 
«  que  des  probabilités  plus  ou  moins  grandes,  mais 
«  qu'il  est  impossible  d'avoir  une  véritable  certitude.  • 

LVIII.  C'est  à  tort  que  l'on  prétend  que  l'autorité 
d*un  témoignage  s'affaiblit  nécessairement  par  le  laps 
du  temps.  Il  peut  se  faire  effectivement  qu'en  traver- 
sant la  suite  des  siècles  il  perde  de  son  poids;  mais 
il  est  aussi  très-possible  qu'il  se  maintienne  tout  entier, 
et  qu'en  vieiUissant  il  conserve  toute  sa  force.  Pour 
connaître  les  cas  où  l'autorité  d'un  témoignage  décroît, 
et  ceux  où  il  la  conserve,  remontons  aux  causes  qui 
la  lui  donnent  et  à  celles  qui  l'ont  fait  déchoir. 

Ce  qui  produit  la    certitude  d'un  témoignage  quel- 


180  DISSERTATIONS 

conque,  je  l'ai  exposé  ci-dessus;  c'est  la  double  assu- 
rance que  les  témoins  n'ont  été  ni  trompés  ,  ni  trom- 
peurs; donc,  tant  que  le  récit  continue  de  réunir  ces 
deux  conditions  ,  la  même  certitude  du  fait  rapporté 
se  conserve.  Autant  de  temps  que  dure  la  cause  ,  autant 
de  tenjps  doit  subsister  son  elï'et.  Il  peut  arriver  que 
dans  la  succession  du  temps  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux 
fondements  de  la  certitude  morale  vienne  à  manquer, 
qu'on  ne  sacbe  plus  si  le  fait  a  été  rapporté  par  des 
témoins  ou  bien  instruits  ou  fidèles  ,  et  alors  la  certitude 
restée  sans  appui  s'anéantit.  Mais  il  est  possible  aussi 
que.  par  la  manière  dont  le  fait  nous  est  transmis, 
nous  saohions  que  les  témoins  ont  connu  et  dit  la 
vérité.  D'abord,  nous  pouvons  connaître  les  témoins 
eux-mêmes,  et  les  cii constances  de  leur  témoignage; 
ensuite  il  est  possible  que  nous  sachions  qu'un  événe- 
ment important  et  bien  public  a  été  cru  dans  son 
temps  universellement  et  avec  certitude;  et  j'aurai  in- 
cessamment occasion  de  montrer  que  nous  avons  cette 
connaissance,  quand  les  historiens  sont  contemporains  (  1  ). 
Or,  dans  ce  cas,  tous  les  hommes  du  temps  où  le  fait 
s'est  passé,  en  deviennent  pour  nous  les  témoins,  et, 
Tomme  je  l'ai  piouvé  ci-dessus,  il  est  impossible  que 
sur  un  fait  clair  et  palpable,  une  multitude  nombreuse 
soit  induite  en  erreur,  ou  veuille  y  induire  (2),  Assuré 
qu'il  n'y  a  eu  dans  les  premiers  témoins  ni  erreur,  ni 
fausseté,  je  suis  certain  du  fait  qu'ils  attestent.  Le  cours 
des  années  ne  lait  rien  à  cela.  La  certitude  est  dans 
le  second  siècle  comme  dans  le  premier  ,  dans  le  troi- 
sième comme  dans  le  second  ;  elle  existera  encore  dans 
le  centième  siècle ,  si  les  motifs  de  crédibilité  sont  aper- 
çus avec  la  même  assurance. 

Eclaircissons  encore,  et  confirmons  ces  principes  par 
des   exemples  tirés  de    l'histoire  ,  lesquels  ,  en  même 


(r)   Voyez  c'-flcssons,   n°  i.xv  et  lxvi,  pages  i85. 
(ij  Voyez  ci-dessus,   n°  xlvi  ,  page  169, 


SUR    LÀ    RELIGION.  181 

temps  ,  répondront  à  ce  qu'on  nous  objecte  de  l'in- 
certitude des  histoires  anciennes  comparées  aux  his- 
toires modernes. 

LIX.  Il  est  tellement  vrai  que  c'est,  non  pas  l'an- 
cienneté d'un  fait,  niaisrignorance  des  motifs  de  crédibi- 
lité qui  en  détruit  la  certitude  ,  xju'il  y  a  des  histoires 
reconnues  unanimement  comme  certaines,  qui  sont 
beaucoup  plus  anciennes  que  d'autres  généralement 
regardées  comme  douteuses.  On  n'a  aucun  doute  sur 
la  conquête  de  la  Perse  par  Alexandre  ,  et  on  en  a 
beaucoup  sur  les  relations  des  peuples  du  Nord,  à  des 
époques  plus  rapprochées.  C'est  qu'on  sait  par  qui  l'une 
est  attestée  ,  et  qu'on  ignore  par  qui  l'ont  été  les  autres. 
On  est  beaucoup  plus  persuadé  de  l'existence  de  Ly- 
curgue,  de  Solon,  de  3IiUiade,  que  de  celle  d'Ossian. 

Je  demande  à  ceux  qui  prétendent  que  la  certitude 
d'un  fait  s'affaiblit  par  le  laps  du  temps,  s'ils  se  tiennent 
plus  assurés  de  l'existence  de  Louis  XIV  que  de  celle 
de  Henri  IV,  que  de  celle  de  St.  Louis ,  que  de  celle 
de  Charlemagne  ?  Je  leur  demande  s'ils  sont  moins 
certains  que  leurs  pères  des  batailles  de  Pharsale  et 
d'Actium?  si  leurs  pères  en  étaient  moins  certains  que 
leurs  aïeux,  et  ainsi  en  remontant  de  génération  en 
génération?  En  instruisant  les  jeunes  gens  des  faits 
anciens,  est-il  jamais  venu  à  l'esprit  de  qui  que  ce 
soit  de  les  prévenir  que,  chaque  jour,  les  raisons  d'y 
croire  diminuaient? 

Les  histoires  profanes  des  temps  les  plus  reculés  sont 
absolument  inconnues;  c'est  que,  ou  elles  n'ont  pas  été 
écrites  ,  ou  les  livres  dans  lesquels  elles  étaient  con- 
signées ont  péri.  Celles  des  temps  très-anciens  après 
ceux-là  sont  mêlées  de  fables.  La  raison  en  est  que  les 
premiers  écrivains  dont  les  ouvrages  nous  soient  par- 
venus sont  des  poètes  qui  y  ont  inséré  les  fictions  de 
leur  iînagination.  Celles  des  siècles  qui  ont  succédé 
immédiatement  aux  temps  fabuleux  sont  incertaines, 
parce  que  les  historiens  qui  nous  les  rapportent  étant 
postérieurs  de  bien  des  siècles,  nous  n'avons  pas  de 


182  DISSERTATIONS 

raison  suffisante  pour  croire  qu'ils  aient  écrit  sur  des 
mémoires  authentiques  et  fidèles.  Nous  serions  aussi 
certains  des  événements  de  la  vie  de  IVinuset  de  Minos , 
que  de  ceux  relatifs  à  Jules-César  et  à  Auguste,  si 
nous  avions  de  même  des  histoires  écrites  d'après  des 
témoins  oculaires,  ou  d'après  des  mémoires  certams. 

LX.  Dans  le  cours  ordinaire  de  la  société  ,  on  a  plus 
de  confiance  dans  une  nouvelle  que  l'on  tient  immé- 
diatement du  témoin  oculaire ,  que  dans  celle  que  l'on 
apprend  de  l'homme  à  qui  le  témoin  l'a  racontée  : 
la  raison  en  est  simple.  11  est  possible  que  celui  qui 
raconte  une  histoire  d'après  une  autre,  l'ait  mal  en- 
tendue, et  qu'il  change  quelque  chose  à  la  narration 
primitive.  Par  le  même  motit ,  à  mesure  que  le  nar- 
rateur s'éloigne  de  la  source,  son  récit  doit  avoir  moins 
de  poids.  Rien  n'est  plus  commun  que  de  voir  une 
histoire,  en  passant  par  dillérentes  bouches,  changer 
au  point  de  devenir  absolument  méconnaissable.  Je 
conviens  de  cette  vérité  ;  mais  l'application  qu'on  n'en 
a  faite  à  la  certitude  morale  est  absolument  injuste. 
On  parle  de  relations  individuelles,  faites  d'une  per- 
sonne à  une  autre,  de  celle-ci  à  une  troisième ,  et  ainsi 
de  suite.  Aucune  de  ces  narrations  n'a  une  autorité 
suffisante  pour  opérer  une  certitude.  Cet  argument  est 
donc  absolument  étranger  à  la  question  de  la  certitude; 
il  pèche  en  ce  qu'il  applique  à  la  certitude  ce  qui 
n'est  vrai  que  de  la  probabiUté.  Les  probabilités  vont 
toujours  en  décroissant  à  mesure  qu'elles  s'éloignent 
de  la  source;  mais  en  est-il  de  même  de  la  certitude? 
C'est  ce  qu'il  faudrait,  mais  qu'on  ne  peut  pas  prouver  : 
tant  qu'on  est  assuré  qu'un  fait  a  été  certain,  la  cer- 
titude en  reste  entière. 

LXI.  Ne  pouvons-nous  pas  aller  plus  loin?  Il  serait 
inexact,  sans  doute,  d'avancer  que  le  temps  peut  ac- 
croître la  certitude  d'un  fait;  mais  il  est  très-raisonnable 
de  dire  que  le  cours  des  siècles  peut  apporter  de  nou- 
veaux motifs  de  le  croire.  Je  suppose  un  événement 
très-public,  très-important,  arrivé  il  y  a  beaucoup  de 


SUR    LA    RELIGION.  183 

siècles.  Depuis  ce  temps  il  a  été  soumis  au  jugement 
d'un  très-grand  nombre  de  générations  :  toutes  l'ont 
examiné  d'autant  plus  attentivement  ,  que  toutes  y 
avaient  intérêt;  toutes  ont  prononcé  que  la  déposition 
des  témoins  oculaires  était  valide;  toutes,  d'après  leur 
témoignage,  ont  cru  fermement  le  fait.  Je  demande 
si  leur  sutlVage  ne  forme  pas  un  puissant  préjugé ,  s'il 
n'ajoute  pas  un  nouveau  poids  aux  motifs  de  crédibilité? 
Je  ne  dis  pas  que  leur  croyance  opère  par  elle-  même 
une  certitude;  mais  je  dis  que  la  certitude  qu'on  a 
eue  dans  le  temps  ,  loin  de  s'affaiblir  en  traversant 
toutes  ces  générations,  a,  au  contraire,  acquis  un  nou- 
veau motif  par  racquiescemeut  constant  de  tant  de 
siècles. 

LXII.  C'est  donc  une  idée  déraisonnable  de  vouloir 
soumettre  au  calcul  le  décroissement  progressif  de  la 
certitude  dans  la  suite  des  générations?  Cette  objection 
ne  peut  avoir  de  la  force  que  dans  le  cas  d'un  fait 
transmis  purement  et  simplement,  sans  qu'on  sache 
qu'il  a  été  primitivement  rapporté  par  des  témoins 
idoines;  mais  si,  en  m'instruisant  du  fait,  je  voisqueles 
contemporains  en  ont  été  certains ,  je  dois  l'être  comme 
eux.  Les  hommes  qui  ont  transmis  la  certitude  de  ce 
fait,  ont  passé;  mais  ce  n'est  pas  précisément  sur  ces 
témoignages  intermédiaires  qu'est  fondée  la  certitude; 
ils  n'en  sont  que  les  canaux.  Le  principe  de  ma  cer- 
titude est  celle  qu'ont  eue  les  contemporains.  Ils  n'ont 
pas  pu  être  trompés  ;  leur  certitude  est  donc  un  garant 
assuré  de  la  mienne. 

Le  prétendu  calcul  du  géomètre  anglais  pèche  encore 
par  un  autre  point.  Il  considère  les  générations  comme 
passant  leur  témoignage  de  l'un  à  l'autre,  de  même 
qu'il  passe  d'un  individu  à  un  autre  individu;  ce  qui 
n'est  pas  vrai.  Le  genre  humain  se  renouvelle  par 
parties  :  chaque  homme  passe  une  partie  de  sa  vie 
avec  plusieurs  générations  précédentes,  et  une  autre 
avec  plusieurs  générations  postérieures.  Il  n'y  a  pas  un 
moment  où  la  société  ne  soit  composée  de  beaucoup  de 


184  DISSERTATIONS 

générations,  depuis  la  naissance  jusqu'à  rextrême  vieil- 
lesse. Que  devient  après  cela  l'objection  qui  consiste  à 
dire  que  chaque  génération  n'a,  pour  donner  son  lé- 
nioijjiia^je  ,  <)ue  l'autorité  de  la  {jénération  précédente? 
Ce  n'est  j)as  une  génération  qui  le  reçoit  d'une  autre, 
ce  sont  trois,  quatre,  cinq  générations  qui  le  reçoivent 
à  la  fois  de  trois,  de  quatre  ,  de  cinq  autres.  Cette  trans- 
mission se  fait  continuellement  et  sins  interruption  , 
tellement  que,  dans  la  suite  des  siècles,  il  n'y  a  pas  de 
moment  où  toutes  les  générations  existantes  ne  reçoivent 
et  ne  reportent  le  témoigna[;e  ,  ne  le  reçoivent  des 
générations  précédentes,  ne  le  reportent  aux  suivantes  : 
elles  sont  toutes  lés  unes  envers  les  autres,  et  par  là 
envers  toutes  celles  qui  doivent  les  suivre,  garantes  de 
la  vérité  de  la  relation. 

LXIIl.  l'ne  autre  considération  fait  crouler  par  son 
fondement  toute  l'objection  dont  il  s'agit.  Elle  consiste 
en  ce  que  les  faits  ne  peuvent  pas  être  transmis  avec 
certitude  ,  d'une  bouche  à  l'autre;  elle  porte  donc  en- 
tièrement sur  l'autorité  de  la  tradition  orale  Mais  ce 
n'est  pas  là  la  seule  manière  de  transmettre  des  faits  à 
la  postérité  :  il  y  en  a  deux  autres,  qui  donnent  des 
événements  une  bien  plus  grande  assurance  ;  ce  sont 
les  monuments  et  l'histoire  écrite.  Entrons  dans  quel- 
ques détails  sur  ces  trois  moyens  d'être  instruit  d'un  fait 
ancien. 

LXIV.  Je  conviens  qu'une  tradition  orale  seule  et 
isolée  des  deux  autres  moyens,  ne  peut  pas  imprimer 
aux  faits  qu'elle  rapporte  une  vraie  certitude  ;  elle  ne 
peut  transmettre  qu'un  très-petit  nombre  de  faits  qui 
réunissent  ces  trois  conditions,  dont  l'ensemble  ne  se 
trouve  pas  communément  :  1°  une  grande  publicité,  en 
sorte  que  tout  le  monde  en  ait  été  instruit  ;  2^  une  très- 
haute  importance,  telle  que  l'impression  dans  lc5  esprits 
ait  été  profonde  et  durable  ;  3°  une  extrême  siuiplicité  , 
c'est-à-dire,  que  le  fait  ne  soit  pas  chargé  de  circons- 
tances qui  puissent  ,  avec  le  temps  ,  l'altérer.  Mais 
même,  sur  ce  petit  nombre  de  faits  ,   il  est  impossible 


SUR    LA    RELIGION.  185 

que  la  seule  tradition  orale  produise  une  vraie  certitude. 
J'en  ai  donné  la  raison ,  c'est  que ,  pour  être  certains 
d'un  fait,  il  faut  que  nous  ayons  des  motifs  de  croire 
que  les  contemporains  l'ont  etc.  Or,  la  tradition  orale, 
qui  ne  nous  transmet  qu'un  fait  extrêmement  simple, 
ne  nous  fait  pas  passer  au  bout  d'un  long  temps  ces 
motifs. 

LW.  Le  second  moyen  de  faire  passer  la  connais- 
sance des  faits  à  une  longue  suite  de  siècles,  est  les 
monuments  publics  élevés  pour  en  perpétuer  le  souvenir, 
tels  qu'une  médaille  frappée,  une  statue  érigée,  un 
édifice  bâti  ,  une  fête  instituée  en  mémoire  d'un  événe- 
ment. Pour  qu'un  monument  puisse  opérer  la  certitude, 
il  est  nécessaire  qu'il  réunisse  trois  conditions  :  1°  qu'il 
remonte  d'une  manière  connue  et  incontestable  à  l'é- 
poque même  du  fait;  2"  qu'on  soit  assuré  qu'il  a  été 
élevé  en  l'honneur  du  fait  :  3°  que  le  fait  pour  lequel 
il  a  été  élevé  ait  été  public  et  important.  Un  tel  monu- 
ment a  bien  plus  de  poids  pour  faire  passer  la  connais- 
sance et  la  certitude  de  l'événement  aux  générations 
les  plus  reculées.  Il  atteste  la  persuasion  certaine  qu'en 
avait  le  siècle  où  il  s'est  passé ,  et  par  là  il  la  transmet 
sans  altération  à  tous  les  siècles  qu'il  traverse.  Je  ne 
m'arrêterai  pas  à  prouver  ces  deux  vérités,  parce  que 
ce  n'est  pas  sur  des  monuments  qu'est  fondée  la  certitude 
des  faits  que  nos  adversaires  contestent  et  que  nous 
défendons  contre  eux,  c'est  sur  l'histoire  écrite.  Je  passe, 
en  conséquence,  à  ce  troisième  moyen  de  transmettre 
les  faits  à  la  postérité. 

LXVI.  Ce  moyen  est  le  plus  général  pour  perpétuer 
la  connaissance  des  faits  publics  et  intéressants,  et  le 
plus  efticace  pour  en  donner  la  certitude  dans  toute 
la  suite  des  temps.  Je  parle  uniquement  ici  de  l'histoire 
écrite  par  des  contemporains  ou  par  des  auteurs  peu 
postérieurs  et  écrivant  parmi  des  gens  bien  instruits 
des  événenjents  rapportés,  ou  enfin  de  ceux  qui  com- 
posent leur  histoire  sur  des  mémoires  authentiques  et 


186  Dissertations 

publiés  dans  le  temps  des  événements.  Je  prétends 
qu'une  histoire  ainsi  publiée,  d'abord  nous  prouve  la 
certitude  que  l'on  a  eue  de  ces  événements  dans  leur 
temps,  et  ensuite  lait  passer  sans  altéjation  cette  même 
certitude  à  tous  les  temps. 

LXVII.  En  premier  lieu  l'histoire  publiée  et  non 
contredite  dans  le  temps  où  les  faits  étaient  parfaite- 
ment connus  de  tout  le  public,  prouve  qu'alors  on  était 
certain  de  ces  faits.  Celui  qui  publie  l'histoire  de  son 
temps,  se  soumet  à  la  critique  de  tout  ce  qui  l'envi- 
ronne, il  s'expose  à  être  démenti  au  même  instant;  et 
certainement  il  le  sera,  s'il  avance  quelque  fait  éclatant, 
contraire  à  la  vérité.  Si  actuellement  un  auteur  s'avisait 
d'écrire  une  histoire  où  il  rap])orlerait ,  comme  passés 
sous  nos  yeux,  des  événements  (je  parle  toujours  d'évé- 
nements solennels)  dont  nous  connaissions  la  fausseté, 
ou  même  dont  nous  n'eussions  jamais  entendu  parler , 
il  s'élèverait  un  cri  général  contre  lui.  Le  mépris  où 
tomberait  à  l'instant  son  ouvrage  ,  les  contradictions 
qu'il  éprouverait  ,  préserveraient  la  postérité  de  son 
imposture.  Un  historien  ne  peut  donc  pas  mentir  sur 
des  événements  très-publics  arrivés  de  son  temps,  ou 
dont  la  mémoire  est  encore  toute  fraîche  ,  sans  que 
tout  son  siècle  ne  s'entende  avec  lui  ;  et  un  sem- 
blable complot  est  absolument  impossible.  Ainsi,  lors- 
que je  vois  un  auteur  rapporter  ,  sans  être  contredit 
par  personne,  un  fait  éclatant  et  récent,  il  ne  peut  me 
rester  aucun  doute  qu'il  ne  dise  la  vérité.  Le  silence 
de  tous  les  témoins  qui  auraient  été  à  portée  de  le 
démentir,  devient  une  preuve  irréfragable  de  son  récit. 
Tous  ces  témoins,  par  l'assentiment  qu'ils  lui  donnent, 
parlent  avec  lui.  Je  recueille,  en  le  lisant,  leur  témoi- 
gnage, comme  si,  vivant  au  milieu  d'eux ,  je  les  avais 
entendus  eux-mêmes.  Or,  ces  témoignages  opèrent  en 
moi  une  certitude  pleine  et  entière  ;  car  ils  me  trans- 
mettent celle  de  tous  les  hommes  du  siècle  où  les  évé- 
nements se  sont  passés.  C'est  là  ce  que  je  disais  il  y  a 


SUR    LA    RELIGION.  187 

un  moment,  que  sans  connaître  nommément  les  té- 
moins d'un  fait,  je  puis  ,  à  raison  de  leur  universalité  , 
être  certain  de  la  vérité  de  ce  qu'ils  attestent  (1). 

On  sent  que  ce  que  je  dis  de  l'historien  contempo- 
rain est  également  vrai  de  celui  qui  est  postérieur, 
mais  qui  écrit  sur  des  mémoires  composés  et  publiés 
dans  le  temps  de  l'événement.  Ces  mémoires  présentent 
de  même  la  certitude  du  temps  où  ils  ont  été  écrits. 
Celui  qui  de  nos  jours  compose  Thistoire  de  St.  Louis 
sur  les  mémoires  de  Joinville,  ou  celle  de  Louis  XI, 
d'après  les  mémoires  de  Commines ,  donne  à  son  ou- 
vrage toute  l'autorité  dont  jouissent  ceux-là. 

Je  dis  que  si  la  relation  de  cet  historien  n'est  pas 
contredite,  j'ai  un  motif  légitime  d'en  être  certain; 
mais  le  motif  de  ma  certitude  sera  encore  augmenté, 
si ,  ce  qui  arrive  souvent ,  le  fait  raconté  est  de  nature 
à  devoir  être  contesté  :  si ,  parmi  les  contemporains , 
il  y  en  a  un  certain  nombre  intéressés  à  le  nier.  Lorsque 
malgré  cet  intérêt,  personne  ne  réclame;  lorsque  ceux 
même  dont  le  récit  heurte  les  préjugés  ou  les  passions, 
se  taisent ,  leur  silence  n'est  plus  un  consentement , 
il  est  un  aveu  positif.  Il  n'y  a  pas  de  témoignage  plus 
fort  en  faveur  d'une  narration  ,  que  celui  des  personnes 
intéressées  à  la  contredire. 

Un  autre  motif  de  certitude  vient  encore  se  joindre 
aux  autres,  si,  au  lieu  d'un  seul,  ce  sont  plusieurs 
historiens  contemporains  qui  rapportent  le  même  fait 
de  la  même  manière.  On  ne  peut  ni  imaginer  que  plu- 
sieurs hommes  se  réunissent  dans  le  même  mensonge 
sans  se  concerter,  ni  qu'ils  se  concertent  pour  se  faire 
mépriser  par  leur  siècle  et  par  la  postérité. 

LXVIII.  En  second  lieu  ,  il  est  évident  qu'on  ne 
peut  pas  objecter  contre  la  certitude  résultante  de  l'his- 
toire écrite,  que  les  motifs  de  crédibilité  s'affaiblissent 
en  passant  de  génération  en  génération ,  et  de  bouche 


(i)  Voyez  ci-dessus ,  n"  XLvi ,  page    169. 


188  DISSERTATIONS 

eu  bouche.  C'est  un  seul  et  uiêuie  liomuie,  c'est  la 
même  bouche  conteuiporaiiie  de  révénement ,  qui  le 
racoute  successivement  et  de  la  uième  manière  à  toute 
la  suite  des  générations;  le  livre  se  transmet  de  maiu 
en  main.  Les  lionunes  qui  se  le  conununiquent  ,  se 
suceèdent;  mais  il  reste  toujours  le  même.  C'est  un 
témoin  ori(jinaire,  dont  le  lanjjage  muet  a  dans  tous 
les  siècles  la  même  énerj;ie  :  il  atteste  la  certitude  qu'ont 
eue  du  fait  tous  les  contemporains;  il  Tatteste  à  toutes 
les  générations  ,  il  l'atteste  à  chacune  avec  un  égal 
poids,  avec  une  égale  autorité.  La  seconde  génération 
a  autant  de  raison  d'y  croire  que  la  première;  la  troi- 
sième, que  la  seconde;  la  millième  en  aura  autant  que 
toutes  les  autres. 

LXIX.  «  3Iais,  dit-on,  pour  être  certain  d'un  fait 
«  rapporté  dans  une  histoire  écrite,  il  faut  d'abord  être 
3«  assuré  que  cette  histoire  est  authentique  ,  e'est-à-dire 
«  qu'elle  a  été  véritablement  composée  par  un  autre 
«t  contemporain.  Or,  combien  n'avons-nous  pas  d'écrits 
«  apocry]>hes  ?  >» 

LXX.  Que  prétend-on  en  produisant  cette  difficulté? 
Qu'il  n'y  a  pas  de  livres  authentiques  :  ce  serait  une 
absurdité  aussi  ridicule  que  grossière,  et  que  les  incré- 
dules eux-mêmes  ne  peuvent  pas  avancer  ,  puisqu'ils 
citent  contre  nous  divers  ouvrages  comme  étant  des 
auteurs  dont  ils  portent  les  noms.  Veut-on  seulement 
dire  qu'il  est  possible  qu'un  fait  soit  rapporté  sous  le 
faux  nom  d'un  auteur  conlenqiorain  ?  Dans  ce  cas  , 
l'objrction  est  nulle;  nous  ne  parlons  que  de  ces  sortes 
d'écrits.  Quand  nous  disons  que  la  relation  d'un  histo- 
rien peut  porter  le  caractère  de  la  certitude  ,  nous 
supposons  que  la  relation  est  incontestablement  de  cet 
histoiien.  Nous  avons  montré  ailleuis  cju'd  y  a  des 
règles  pour  juger  avec  une  pleine  assurance  de  l'au- 
thenticité d'uîi  ouvrage,  et  nous  les  avons  exposées  {!). 
Il  est  inutile  d'y  revenir. 

(4)  Voyez  preiiilèie  dissertation,  n°  m  et  iv,  pages  34  et  35. 


SUR  LA    RELIGION.  189 

LXXI.  On  élève  contre  la  certitude  résultante  de 
l'histoire ,  une  autre  difficulté.  <«  La  plupart  des  liis- 
«  toires  que  nous  lisons  sont  fausses.  Outre  que  toutes 
n  celles  des  temps  anciens  sont  évidemment  mêlées 
«  d'erreurs,  celles  des  temps  postérieurs  sont  altérées 
m  par  les  préjugés  ,  par  les  passions,  par  les  intérêts 
«  de  ceux  qui  les  ont  écrites,  ou,  ce  qui  revient  au 
•  même ,  de  ceux  d'après  lesquels  ils  ont  écrit.  L'esprit 
«  de  parti ,  la  vanité  nationale,  l'amour  du  merveilleux, 
«  et  beaucoup  d'autres  choses  sont  des  sources  abon- 
«  dantes  d'erreurs.  Ne  voyons-nous  pas  souvent  les 
<«  historiens  se  contredire  les  uns  les  autres,  rapporter 
«  les  faits  diversement ,  les  voir  de  manière  absolument 
«  différentes?  Comment  d'un  pareil  fatras  peut-il  ré- 
«  sulter  une  vraie  certitude?  comment  peut-on  croire 
«  avec  assurance  sur  la  foi  de  pareils  garants?  » 

LXXn.  Il  y  a  des  histoires  douteuses;  donc  il  n*y  en 
a  aucune  qui  soit  certaine  ;  voilà  en  quoi  consiste  l'ob- 
jection. On  fait  un  grand  étalage  de  toutes  les  causes 
qui  peuvent  rendre  une  narration  suspecte  ou  même 
fausse.  Tout  cela  est  étranger  à  ce  que  nous  avons  avancé, 
et  ne  touche  nullement  à  nos  preuves.  Je  n'ai  pas  pré- 
tendu que  toute  histoire  imprime  à  toutes  sortes  de 
faits  une  certitude  morale.  J'ai  expressément  demandé, 
pour  que  cette  certitude  résulte  d'une  narration  quel- 
conque, trois  conditions  :  la  première,  que  Thistorien, 
ou  au  moins  les  mémoires  sur  lesquels  il  écrit,  soient 
contemporains  des  événements  qu'il  raconte;  la  se- 
conde ,  que  les  événements  qu'il  raconte  soient  très- 
importants  et  aient  été  très-publics;  la  troisième,  qu'il 
n'ait  pas  été  contredit.  En  examinant  les  détails  de 
l'objection  proposée,  nous  verrons  qu'elle  ne  porte 
point  sur  les  histoires  de  ce  genre ,  et  qu'elle  laisse  ^ 
en  conséquence,  subsister  dans  toute  leur  force  nos 
raisonnements. 

Les  histoires  des  temps  les  plus  anciens  présentent 
beaucoup  d'erreurs  ;  mais  ont-elles  été  écrites  par  des 
contemporains?  De  ce  que  des  écrivains  ont  été  induits 


190  DISSERTATIONS 

en  erreur  sur  des  faits  passés  à  une  grande  distance 
d*eux,  est-il  juste  de  conclure  que  d'autres  l'ont  été 
de  même  sur  des  événements  arrivés  de  leur  temps?  Les 
doutes  que  l'on  a  sur  ce  qu'Hérodote  rapporte  des  pre- 
miers rois  d'E(^ypte  ,  rendent-ils  suspecte  la  relation 
donnée  par  Xénoplion ,  de  la  retraite  des  Dix  Mille? 

LXXIII.  On  nous  parle  des  préjuj^és^  des  passions, 
des  autres  causes  qui  peuvent  altérer  la  véracité  d'un 
historien;  mais,  1°  il  serait  injuste  d'accuser  de  ces 
défauts  tous  les  historiens  :  il  y  en  a  beaucoup  qui  jouis- 
sent d'une  réputation  constante  de  sincérité  ;  2"  ces 
diverses  causes  peuvent  influer  sur  les  réflexions  d'un 
historien  ;  elles  peuvent  l'engager  à  altérer  quelques 
circonstances,  à  insister  sur  celles  qui  sont  favorables, 
à  atténuer  ou  à  dissimuler  les  autres  ;  mais  elles  ne 
peuvent  pas  le  faire  mentir  sur  les  faits  bien  éclatants, 
sur  lesquels  il  serait  aussitôt  démenti  :  quelles  que 
soient  l'humeur  et  la  haine  des  écrivains  romains  contre 
Annibal,  aucun  d'eux  n'a  pu  taire  ses  victoires  en 
Italie;  3°  ces  préjugés  mêmes,  ces  passions,  ces  intérêts, 
ces  esprits  de  parti,  qui  dans  quelques  occasions  peuvent 
engager  un  historien  à  déguiser  la  vérité,  et  qui  alors 
lui  ôtent  la  croyance,  dans  d'autres  occasions  peuvent 
augmenter  la  foi  à  ses  récits^  c'est  quand  ce  qu'il  rap- 
porte est  contraire  à  ces  divers  motifs.  Si  je  vois  un 
écrivain  parler  contre  les  préjugés  dont  je  le  sais  imbu, 
contre  les  passions  dont  je  le  sais  animé ,  contre  les 
intérêts  dont  je  le  sais  dirigé,  je  prends  bien  plus  de 
confiance  dans  sa  narration  ;  et  ces  motifs  mêmes ,  loin 
de  nuire  à  la  certitude,  servent  à  la  confirmer. 

LXXIV.  On  dit  que  les  historiens  rapportent  les 
mêmes  faits  diversement,  quelquefois  même  contradic- 
toirement.  Il  s'en  suivrait  de  là  seulement  qu'il  y  a 
quelques  faits  sur  lesquels  il  faut  suspendre  son  juge- 
ment; mais  sur  les  faits  où  ils  s'accordent,  il  n'y  a  pas 
de  raison  pour  récuser  leur  témoignage.  Leur  opposition 
même  sur  certains  points  donne  plus  de  poids  à  leur 
concert  sur  les  autres.  Au  reste,  sur  quoi  voit-on  les 


SUR    LA.    RELIGION.  191 

historiens  différer  entre  eux  ?  Ce  n'est  jamais  sur  les  faits 
principaux  et  très-publics  ;  ce  sont  quelques  circons- 
tances des  faits,  que  l'un  rapporte  d'une  façon,  et  l'autre 
d'une  autre.  Il  est  commun  de  voir  dans  deux  histo- 
riens deux  récits  diftérents  des  détails  d'une  bataille 
décisive;  mais  ce  qu'on  ne  voit  jamais,  c'est  qu'ils  ne 
soient  pas  d'accord  sur  celui  des  deux  partis  qui  a  gagné 
la  bataille.  Les  circonstances  qui  accompagnent  un  giand 
événement  ont  aussi  des  faits ,  mais  des  faits  particu- 
liers, peu  importants  ,  qui  ont  fait  peu  de  sensation, 
auxquels  beaucoup  de  gens  n'ont  apporté  qu'une  mé- 
diocre attention  ,  qu'ils  ont  même  pu  voir  diversement, 
selon  les  lieux  où  ils  étaient  placés  et  la  manière  dont 
ils  étaient  affectés,  que  peut-être  ils  n'ont  pas  aperçu 
du  tout.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  ces  circonstances 
soient  rapportées  diversement  par  diverses  personnes. 
L'événement  principal ,  au  contraire  ,  est  un  fait  so- 
lennel, frappant,  sur  lequel  il  ne  peut  y  avoir  différentes 
manières  de  voir.  Tout  ce  qui  résulte  de  cette  difficulté, 
c'est  qu'il  y  a  des  événements  de  la  vérité  desquels  nous 
sommes  assurés ,  mais  dont  les  détails  ne  nous  sont  pas 
également  certains.  Nous  sommes  parfaitement  sûrs  que 
César  a  été  assassiné  par  une  conspiration.  Nous  ne  som- 
mes pas  aussi  assurés  de  la  manière  dont  cette  conspi- 
ration a  été  tramée. 

LXXV.  On  argumente  de  ce  que  les  divers  historiens 
voient  les  mêmes  faits  de  diverses  manières  ,  et  on 
confond  manifestement,  en  cela,  deux  choses  essentiel- 
lement distinctes,  le  fait  rapporté  par  l'historien,  et 
les  réflexions  de  l'historien  sur  le  fait.  Quand  il  raconte, 
il  parle  comme  tous  ses  contemporains;  il  les  a  tous 
pour  garants.  Quand  il  raisonne,  il  reste  seul,  il  n'a 
plus  d'autre  autorité  que  la  sienne  propre.  Il  ne  peut 
pas  se  tromper  sur  le  fait  que  tout  le  monde  a  vu, 
et  peut-être  aussi  lui-même.  Il  peut  s'égarer  sur  les 
motifs  et  sur  les  conséquences  du  fait^  qui  ne  sont 
que  les  spéculations  de  son  esprit.  En  le  hsant ,  je  crois 
les  événements,  et  j'examine  les  réflexions. 


192  DISSERTATIONS 

ARTICLE    m. 

Possibilité   de  la  ceriiiude  morale  des  Miracles. 

Je  viens  de  prouver  deux  choses,  la  possibilité  du 
miracle,  et  l'existence  de  la  certitude  morale.  Il  s'agit 
maintenant  de  rapprocher  ces  deux  vérités  ,  de  faire 
l'application  de  la  certitude  morale  au  miracle ,  et  de 
prouver  qu'il  en  est  susceptible  de  même  que  les  faits 
naturels. 

LXXVI.  Un  miracle  est  un  fait  de  même  qu'un  évé- 
nement naturel,  il  est  également  sensible,  également 
palpable.  Il  ne  faut,  pour  s'assurer  de  la  vérité  de  l'un 
et  de  l'autre,  que  des  sens.  Si  je  puis  m'en  rendre 
certain,  en  le  voyant,  en  l'entendant,  en  le  touchant, 
tous  les  auties  hommes  peuvent  pai'eillement  le  voir, 
l'entendre  ,  le  toucher.  Pourquoi  ne  les  croirais-je  pas 
quand  ils  me  disent  qu'ils  l'ont  fait ,  et  quand  leur  té- 
moignage réunit  tous  les  caractères  qui  annoncent  la 
vérité?  Qu'on  me  dise  ce  qu'il  y  a  dans  les  miracles 
qui  empêche  qu'ils  ne  soient ,  de  même  que  les  faits 
naturels,  les  objets  du  témoignage.  La  seule  différence 
que  j'aperçoive  entre  les  uns  et  les  autres,  c'est  que 
les  miracles  sont  l'effet  immédiat  de  la  toute-puissance 
divine,  et  que  les  événements  naturels  sont  produits 
par  les  causes  secondes.  La  différence  est  uniquement 
dans  leurs  causes,  et  nullement  dans  les  moyens  de 
les  connaître.  Oji  peut  voir  aussi  bien  le  fait  siunaturel 
qu'un  autre,  on  peut  le  rapporter  avec  autant  de  vérité; 
et  dès  qu'on  peut  en  avoir  pour  soi  la  certitude  phy- 
sique, on  peut  en  donner  aux  autres  la  certitude  mo- 
rale. Cette  certitude  est,  comme  je  l'ai  dit,  le  résultat 
de  deux  autres.  Elle  existe  toutes  les  fois  que  je  suis 
certain  que  celui  qui  parle  n'a  pas  été  trompé,  et  n'a 
pas  voulu  tromper.  Or,  je  peux  être  aussi  assuré  de 
ces  deux  choses ,  sur  le  fait  miraculeux ,  que  sur  le 
fait  naturel.  Les  témoignages  peuvent  sur  l'un  comme 


SUR    LA    RELIGION.  193 

sur  l'autre,  réunir  les  caractères  que  j'ai  exposés  ci-des- 
sus ,  et  qui  les  garantissent ,  soit  de  l'erreur ,  soit  du  men- 
songe (1).  Ils  peuvent  donc  de  même  opérer  la  certitude. 

LXXVII.  Non-sealement  je  puis  devenir  aussi  cer- 
tain, par  le  témoignage  des  hommes,  de  la  réalité  d'un 
miracle,  que  si  je  l'avais  vu  moi-même;  mais  il  y  a 
tel  cas  où  la  certitude  morale  ,  que  me  procurent  des 
témoins  est  mieux  fondée  que  la  certitude  physique 
acquise  par  mes  yeux.  C'est  qu'il  est  beaucoup  plus 
aisé  d'en  imposera  moi  seul  qu*à  une  multitude  d'hom- 
mes. Je  puis  me  défier  du  rapport  de  mes  sens.  Je  puis 
soupçonner  qu'un  charlatan  est  venu  à  bout  de  m'en 
imposer  par  des  tours  d'adre  se  ;  mais  je  suis  certain 
que  ce  qui  a  été  vu  uniformément  par  un  grand  nombre 
de  personnes  différemment  placées,  et  affectées  de  di- 
verses manières,  a  été  bien  vu.  Je  suis  certain  que  s'il 
y  avait  eu  une  fraude,  elle  aurait  été  immanquable- 
ment découverte  par  quelqu'un  des  assistants ,  qui  l'au- 
rait fait  remarquer  aux  autres,  La  certitude  morale 
d'un  miracle  peut  donc  se  trouver  non-seulement  aussi 
bien,  mais  même  mieux  appuyée  que  la  certitude  phv- 
sique. 

LXXVIII.  Remontons  au  principe  sur  lequel  est  fon- 
dée toute  certitude.  C'est  que  les  divers  moyens  que  nous 
avons  pour  connaître  les  objets  ,  nous  ont  été  donnés  de 
Dieu  à  cet  effet  ;  la  raison  pour  connaître  les  objets  intellec- 
tuels; mes  sens,  pour  connaître  ce  qui  est  hors  de  moi;  le 
témoignage  des  hommes,  pour  connaître  ce  qui  est  telle- 
ment éloigné  de  moi,  que  mes  sens  ne  peuvent  y  attein- 
dre. Si  quelqu'une  de  ces  choses  me  trompait  forcément, 
et  sans  qu'il  y  eût  de  ma  faute,  je  serais  conduit  à  l'er- 
reur par  le  moyen  que  Dieu  m'a  donné  pour  me  mener 
à  la  vérité.  Il  m'aurait  donné  un  guide  infidèle,  et,  ce 
qui  ne  peut  pas  se  penser  sans  impiété  et  se  dire  sans 
blasphème,  ce  serait  Dieu  lui-même  qui ,  en  m'ordon- 


(i)  Voyez  ci-dessas,  n"  xlv  ,  xlvi  el  XLVir  ,  pag.  i68  el  saiv. 

Dissert,  sur  la  Relig.  9 


194  DISSERTATIONS 

nantde  le  suivre,  m'égaierait.  Que  le  fait  dont  j'acquiers 
la  connaissance  par  ces  divers  moyens,  soit  miraculeux 
ou  naturel ,  cela  est  égal  relativement  au  moyen.  On 
doit  croire  au  miracle  dont  on  a  été  témoin  person- 
nellement ,  et  nos  adversaires  en  conviennent;  et  on 
doit  y  croire  sur  le  fondement,  que  si  nos  sens  unanimes 
et  bien  disposés  nous  trompaient  ,  ce  serait  Dieu  qui 
cMUserait  l'erreur.  Je  puis  faire  avec  autant  de  justesse 
le  même  raisonnement  sur  le  témoignage  revêtu  de 
toutes  les  conditions  requises ,  et  dire  de  même  que  si 
j'étais  trompé  par  un  tel  témoignage  sur  un  fait^  soit 
miraculeux,  soit  naturel,  Dieu  aurait  causé  mon  erreur. 
Ma  certitude  morale  du  miracle  a  donc  le  même  fon- 
dement qu'aurait  eu  ma  certitude  physique  ,  si  j'en 
avais  été  personnellement  témoin. 

LXXIX.  Venons  maintenant  aux  difficultés  de  nos 
adversaires.  Ils  nous  opposent  d'abord  l'expérience  et 
l'opinion  unanime  du  genre  humain.  «  Tous  les  hommes 
'<  croient  plus  facilement  les  faits  naturels  que  les 
«  miracles.  Qu'on  leur  présente  un  fait  ordinaire,  ils 
«t  n'hésiteront  pas  à  le  croire,  pour  peu  qu'il  soit  muni 
«  de  preuves  ;  mais  proposez-leur  à  croire  un  fait  mi- 
«<  raculeux ,  vous  les  verrez  se  rendre  difficiles,  exiger 
«(  des  démonstrations  ,  examiner  rigoureusement  le 
'<  nombre  et  la  qualité  des  témoins ,  et  les  circonstances 
«  de  leur  témoignage.  Il  est  donc  reconnu  par  l'uni - 
^  versalité  du  genre  humain ,  qu'il  y  a  beaucoup  plus 
.  de  difficulté  à  croire  les  miracles  que  les  faits  na- 
«  turels.  « 

LXXX.  Et  moi  aussi  j'invoquerai  l'expérience  et  l'o- 
pinion universelle;  je  dirai  :  Il  n'y  a  pas  eu  de  religion 
dans  le  monde  qui  ne  se  soit  prétendue  autorisée  par  des 
miracles  ,  que  l'on  ne  croyait  que  sur  des  témoignages  : 
le  genre  humain  est  donc  convaincu  de  l'autorité  de  la 
»  ertitude  morale  pour  croire  des  miracles? 

LXXXI.  L'objection  proposée  confond  deux  choses 
très-différentes  :  la  rigueur  à  exiger  des  preuves  avant 
de'croire ,  et  la  difficulté  de  croire  d'après  les  preuves. 


SUR    L\    RELIGION.  195 

Que  l'on  se  montre  plus  rigoureux  dans  l'examen  des 
témoignages  sur  les  faits  miraculeux  que  sur  ceux  de 
l'ordre  ordinaire,  cela  est  naturel  et  juste.  D'abord,  le 
miracle  est  toujours  un  fait  intéressant  qui  a  des  con- 
séquences morales,  et  qui  engage  ,  soil  à  une  croyance, 
soit  même  à  une  pratique.  Il  y  a  donc  un  intérêt  majeur 
à  s'assurer  strictement  de  sa  réalité?  Ensuite,  il  est 
plus  commun  d'être  induit  en  erreur  par  des  tours  d'a- 
dresse sur  des  choses  extraordinaires  que  sur  des  faits 
de  l'ordre  ordinaire.  11  est  donc  tout  simple  d'être  plus 
en  garde  sur  les  narrations  de  ce  genre.  Enfin  ,  le 
miracle  est  opposé  à  l'ordre  général  et  commun  qu'on 
est  accoutumé  à  voir  On  se  défie  donc  naturellement 
de  la  relation  qni  en  est  faite ,  et  on  veut  de  fortes 
raisons  pour  la  croire.  On  n'est  pas ,  à  beaucoup  près  , 
aussi  difficile  sur  la  preuve  des  faits  qui  découlent  na- 
turellement des  lois  générales;  on  ne  suit  pas  avec  la 
même  rigueur  la  règle  de  la  certitude  :  on  les  croit 
sans  difficulté  sur  de  simples  probabilités  ,  surtout  si 
elles  ont  quelque  force.  Mais  lorsqu'un  examen  sévère 
a  montré  que  les  témoignages  sin-  le  miracle  sont  légi- 
times ,  et  que  les  témoins  n'ont  été  ni  trompés ,  ni  trom- 
peurs, on  n'a  pas  plus  de  difficulté  à  croire  ce  miracle, 
qu'à  croire  des  faits  naturels  :  et  il  serait  déraisonnable 
de  ne  pas  en  avoir  la  même  certitude.  En  un  mot,  on 
croit  volontiers  un  fait  naturel  sur  de  simples  probabi- 
lités :  on  exige  la  certitude  pour  croire  aux  miracles; 
voilà  à  quoi  se  réduit  l'objection. 

LXXXIl.  «  Mais,  ajoutent  quelques  incrédules,  il 
«  est  déraisonnable  de  croire  aussi  fermement  les  té- 
«  moins  d'un  fait  miraculeux  que  les  témoins  d'un  fait 
«  naturel  :  car,  pour  ajouter  foi  au  témoignage  sur 
t»  le  miracle ,  j'ai  un  obstacle  à  surmonter  ;  c'est  la 
«  contrariété  de  ce  fait  avec  toutes  les  lois  de  la  na- 
«<  ture;  c'est  son  impossibilité  physique  :  au  lieu  que 
M  pour  ajouter  foi  au  témoignage  sur  un  fait  naturel, 
••  je  n'ai  aucun  obstacle  à  surmonter,  je  ne  fais  que 
«!  suivre  l'ordre  ordinaire.  » 


196  DISSERTATIONS 

LXXXin.  Si  l'on  se  bornait  à  dire  qu'on  ne  doit 
pas  croire  aussi  légèrement  un  miracle  qu'un  fait  na- 
turel,  l'assertion  serait  raisonnable;  mais  dire  que, 
lorsqu'il  est  complètement  prouvé ,  on  ne  doive  pas 
le  croire,  est  une  absurdité.  La  contrariété  du  miracle 
avec  les  lois  physiques  n'est  pas  un  obstacle  à  son  exis- 
tence, je  l'ai  prouvé  :  elle  ne  doit  donc  pas  être  un 
obstacle  à  ma  croyance.  Le  fait  naturel  et  le  miracle 
sont  également  faciles  à  Dieu.  La  volonté  toute-puis- 
sante agit  aussi  librement,  soit  qu'elle  maintienne  les 
lois  qu'elle  a  établies,  soit  qu'elle  les  suspende  (1). 
J'aurais  tort  d'avoir  plus  de  difficulté  à  croire  ce  que 
Dieu   n'a  pas  plus  de  difficulté  à  faire. 

LXXXIV.  Expliquons  ce  que  l'on  entend  par  ce  mot 
impossibilité  physique  ^  que  les  incrédules  répètent  sou- 
vent. Il  ne  signifie  que  l'impuissance  où  sont  les  causes 
naturelles  de  produire  un  certain  effet.  Nous  disons 
que  la  résurrection  d'un  mort  est  physiquement  im- 
possible ,  parce  qu'il  n'y  a  pas  dans  la  nature  de  moyen 
pour  la  produire  ;  mais  ce  qui  est  au-dessus  des  forces 
des  subalternes,  n'est  pas  pour  cela  au-dessus  du  pouvoir 
de  la  cause  première  :  ce  que  la  loi  physique  n'opère 
pas  ,  celui  qui  a  posé  cette  loi  peut  très-bien  l'opérer  ; 
l'effet  physiquement  impossible  est  surnaturellement 
possible.  Il  peut  donc  être  cru;  il  doit  l'être,  quand 
il  est  prouvé. 


(i)  Non  itaqne  opns  est  jam  immorari  diuiius,  in  comrnendando 
Dei  miratulo.  Ipse  est  enim  Deus  qui  per  universam  cicatuiam  qaoli- 
diana  luiracula  facit,  quae  hominibus  non  faoilitate,  sed  assiduitate  , 
vilaeniut.  Rara  aulem  quae  facta  sunt  ab  eodem  Domino,  id  est,  a 
"Verbo  propter  nos  incarnate,  majoicm  stuporem  horjjinibus  atlule- 
ranl  ;  non  qnia  majora  eranî  quam  sunt  ea  quae  quotidie  in  creatura 
facit  ;  sed  quia  ista  quae  quotidie  fiunt,  tanquara  nalurali  cursu  peia- 
gunior;  illa  vero  efficacia  potentiae  tanquam  praesentis  exhibiia  vi- 
dentur  oculis  boininum.  Diximus,  sicut  meministis,  resunexit  unus 
moi'luus  :  obslapuerunt  homines  ;  cnm  quotidie  nasci,  qui  non  erant, 
nemo  rairetur.  Sic  aquani  in  vinum  conver»am,  quis  non  roirelur  ? 
cnm  hoc  annis  omnibus  Deos  invitas  faciat.  {S.  Jug.  in  cap.  ii, 
£va/ig.  Joan.,  tractât,  ix ,  n°  i.) 


SUR    LA    RELIGION.  1^7 

LXXXV.  Voici  une  des  difficultés  sur  laquelle  les 
déistes  insistent  le  plus  :  «  Par  où  pouvons-  nous  être 
«  assurés  de  la  véracité  des  témoins  ?  C'est  par  la  con- 
«  naissance  que  nous  avons  des  hommes.  Et  cette  con- 
«  naissance ,  d'où  la  tenons-nous?  De  l'expérience  :  ainsi 
«  toute  la  certitude  morale  repose  sur  l'expérience. 
«  Mais  une  expérience  bien  plus  certaine ,  parce  qu'elle 
M  est  plus  constante ,  dépose  contre  la  réalité  des  mi- 
«<  racles.  Je  suis  bien  plus  certain  que  les  morts  ne 
«<  ressuscitent  jamais,  que  je  ne  le  suis  que  des  témoins 
«  ne  trompent  point.  Rien  de  plus  commun  que  de 
«  voir  des  témoins  induits  en  erreur,  ou  y  induisant. 
«  Jamais  on  ne  voit  d'interversion  au  cours  de  la  na- 
«  ture.  L'auleur  des  Pensées  philosophiques  a  dit  avec 
«  raison  :  Je  croirais  sans  peine  un  seul  honnête  homme 
««  qui  viendrait  m'annoncer  que  sa  majesté  vient  de 
«  remporter  une  victoire  complète  sur  les  alliés;  mais 
«  tout  Paris  viendrait  m'assurer  qu'un  mort  vient  de 
«  ressusciter  à  Passy ,  que  je  ne  croirais  rien.  Qu'un 
«  historien  nous  en  impose ,  ou  que  tout  un  peuple  se 
«  trompe,  ce  ne  sont  pas  des  prodiges.  Et  que  l'on 
«  ne  recoure  pas  à  la  toute-puissance  de  Dieu  pour 
«  accréditer  la  foi  des  miracles.  Nous  ne  connaissons 
«  les  attributs  et  les  actions  de  Dieu  que  par  l'expé- 
«  rience  ;  or ,  l'expérience  ne  nous  fait  connaître  que 
«  le  cours  ordinaire  de  la  nature  ;  elle  ne  nous  en 
«<   montre,  ni  ne  peut  nous  en  montrer  l'interversion.   ■ 

LXXXVI.  Je  nie  d'abord  formellement  la  proposition, 
que  nous  ne  connaissons  les  attributs  de  Dieu  que  par 
l'expérience.  Quelle  expérience  nous  fait  connaître  son 
éternité,  son  immensité,  son  immutabilité?  Les  attri- 
buts même  de  la  Divinité  ,  qui  sont  relatifs  à  nous , 
tels  que  sa  bonté  et  sa  justice  ,  nous  les  connaissons 
de  même  que  les  autres  par  la  raison ,  et  surtout  par 
la  révélation.  On  pourrait,  avec  plus  de  vraisemblance, 
dire  que  l'expérience  nous  donne  l'idée  de  sa  puissance, 
puisque  nous  en  éprouvons  les  effets  ;  mais  elle  ne  nous 
donne  pas ,  elle  ne  peut  pas  nous  donner  la  connais- 


198  DISSERTATIONS 

sance  de  la  Toute-Puissance.  Si  nous  ne  savions ,  de  la 
puissance  divine  ,  que  ce  que  l'expérience  nous  en  dit , 
nous  n'aurions  aucu|ie  raison  pour  croire  que  Dieu 
peut  faire  autre  chose  que  ce  qu'il  a  fait ,  et  même  pour 
croire  qu'il  a  lait  autre  chose  que  ce  que  nous  voyons. 
Notre  expérience  étant  nécessairement  bornée  ,  notre 
idée  de  la  puissance  divine  le  serait  aussi.  Dieu  peut 
évidemment  faire  plus  que  ce  que  notre  expérience  nous 
rapporte (1).  Donc,  nous  ne  pouvons  pas  dire  que  nous 
ne  connaissons  sa  puissance  que  par  l'expérience  ;  d'où 
il  s'ensuit  ultérieurement  qu'il  est  souverainement  dé- 
raisonnable de  nier  une  œuvre  de  Dieu  sur  le  fondement 
de  notre  expérience. 

L'expérience,  ajoute -t -on,  nous  fait  connaître  le 
cours  de  la  nature  et  non  son  interversion.  Tout  ce 
qu'on  pourrait  en  conclure,  c'est  que  l'expérience  ne 
peut  pas  nous  faire  connaître  un  miracle.  S'en  suivrait-il 
de  là  qu'on  ne  peut  pas  le  connaître  d'une  autre  ma- 
nière? 

LXXXVII.  Mais  c'est,  je  le  prétends,  une  vérité  in- 
contestable, que  l'expérience  nous  conduit  à  la  con- 
naissance certaine  du  miracle.  Rappelons- nous  ce  qui 
a  été  exposé  plus  haut,  qu'il  y  a  dans  la  nature  un  ordre 
moral  comme  un  ordre  physique;  que  l'expérience  nous 
fait  connaître  l'un  de  même  que  l'autre ,  et  qu'elle 
nous  les  fait  connaître  avec  une  égale  assurance.  Je 
suis  certain  que  des  hommes  placés  dans  les  circons- 
tances ,  et  doués  des  qualités  que  j'ai  indiquées  ,  ne 
peuvent  ni  être  trompés,  ni  tromper,  de  même  que  je 
suis  certain  du  lever  et  du  coucher  régulier  du  soleil. 
On  peut  donc  dire  avec  vérité  que  l'expérience  du  cours 
de    la  nature,  mais   de  son   cours  moral,    nous  mène 


(i)  Hic  si  ratio  qaœritur,  non  erit  mira  bile  ;  si  exempluiu  posci- 
tm  ,  non  erit  singulare.  Demus  Deain  aliquid  posse  ,  quo'1  nos  fate- 
miir  invesligare  non  posse.  In  talibas  euini  rebns ,  tota  ratio  facti  est 
volantas  facientis.  {S.  August.  epist.  cxxxvn ,  alias  iir,  ad  Foïusian. 


SDR    L\    RELIGION.  199 

à  la  certitude  des  miracles^  en  ce  qu'elle  nous  fait  con- 
naître certainement  la  véracité  de  ceux  qui  les  rappor- 
tent. 

On  dit  qu'il  n'y  a  rien  de  si  commun  que  de  voir  des 
témoins  se  tromper.  L'équivoque  de  ce  sophisme  est 
dans  le  mot  témoin.  Si  on  parle  de  témoins  en  général, 
le  principe  est  vrai  ;  mais  il  ne  prouve  rien  contre  nous, 
puisque  ce  n'est  que  de  quelques  témoins,  que  de  té- 
moins revêtus  de  certaines  qualités,  que  nous  assurons 
l'infaillible  véracité.  On  voit  souvent  des  témoins  se 
tromper;  donc  ,  tels  témoins  sont  sujets  à  erreur  :  voilà 
Tobjection.  Elle  sort  donc  évidemment  de  l'éLat  de  la 
question;  elle  applique  à  un  témoignage  ce  que  nous 
disons  d'un  autre. 

LXXXVIII.  On  oppose  Inexpérience  de  l'ordre  phy- 
sique à  celle  de  l'ordre  moral;  on  prétend  que  celle-là 
est  plus  certaine  que  celle-ci.  J'observerai,  d'abord, 
que  cette  objection  peut  être  proposée  avec  autant  de 
force  contre  la  certitude  physique  que  contre  la  certi- 
tude morale.  C'est  sur  l'expérience  de  la  fidéUté  des 
sens  qu'est  fondée  la  certitude  physique.  On  pourrait 
opposer  à  cette  expérience,  comme  à  celle  de  l'ordre 
nioral ,  l'expérience  qui  apprend  que  les  morts  ne  res- 
suscitent pas  ;  et  si  le  raisonnement  était  juste ,  il 
empêcherait  de  croire  au  miracle  que  l'on  voit ,  comme 
à  celui  qu'on  entend  rapporter. 

Mais  non ,  il  n'y  a  pas  de  conflit  entre  l'expérience 
qui  m'apprend  que  les  morts  ne  ressuscitent  pas,  et 
celle  qui  me  garantit  que  des  témoins  idoines  ne  me 
trompent  pas.  Qu'est-ce  que  nous  apprend,  et  que  peut 
nous  apprendre  l'expérience,  relativement  à  la  résur- 
rection des  morts?  C'est  que,  selon  le  cours  ordinaire 
de  la  nature  ,  les  morts  ne  ressuscitent  jamais.  Qu'est-ce 
que,  de  leur  côté,  déclarent  les  témoins,  en  déposant 
qu'ils  ont  vu  le  miracle  d'une  résurrection?  C'est  qu'ils 
ont  vu  hors  du  cours  de  la  nature,  et  par  une  inter- 
version de  ce  cours ,  un  mort  rendu  à  la  vie.  Ces  deux 
choses  ne  sont  pas  contradictoires,  si  elles  peuvent  être 


200  D/SSERTATIONS 

vraies  toutes  les  deux.  Or,  comme  nous  l'avons  prouvé 
dans  tout  le  premier  chapitre  de  cette  dissertation ,-  il 
est  vrai  que  ,  selon  les  lois  physiques  données  à  la  na- 
ture par  le  lé^jislateur  suprême,  les  morts  ne  reviennent 
jamais  à  la  vie  ;  et  cependant  il  est  également  vrai  que 
ce  législateur,  suspendant  momentanément  sa  loi,  peut 
faire  revivre  un  mort.  Quelle  contradiction  y  a-t-il 
entre  cette  proposition  :  il  n'y  a  pas  de  force  naturelle 
capable  de  ressusciter  un  mort ,  et  cette  autre ,  un  mort 
a  été  ressuscité  par  une  puissance  surnaturelle.  Dès 
qu'il  n'y  a  pas  de  contradiction  entre  ces  deux  propo- 
sitions, dès  que  l'une  et  l'autre  peuvent  être  vraies,  je 
peux  les  croire  toutes  les  deux  ;  et  l'expérience  constante 
(jiie  les  morts  ne  ressuscitent  pas,  ne  doit  pas  m'empéclier 
d'ajouter  foi  aux  témoins  d'une  résurrection,  pourvu 
que  leur  relation  soit  revêtue  de  caractères  qui  y  im- 
priment la  certitude. 

D'après  ce  qui  vient  d'être  dit ,  il  n'est  pas  difficile 
de  répondre  à  ce  que  dit  l'auteur  des  Pensées  philoso- 
phiques :  que  l'erreur  de  tout  un  peuple  n'est  pas  un 
prodige.  Je  soutiens,  au  contraire,  que  le  faux  témoi- 
gnage de  tout  un  peuple  sur  une  résurrection  serait 
un  prodige  aussi  grand  et  plus  incroyable  que  celui 
d'une  résurrection. 

LXXXIX.  Preniièren^ent,  prodige  aussi  grand.  Dira- 
t-on  qu'un  peuple  entier  a  été  induit  en  erreur  sur  un 
fait  qu'il  a  vu  et  entendu  ,  et  qu'il  a  pu  toucher?  Mais 
pour  faire  que  la  totalité  d'un  peuple  soit  trompée  par 
le  rapport  unanime  de  tous  ses  sens  ,  il  faut  une  inter- 
version de  toutes  les  lois  physiques  ,  aussi  forte  que 
pour  rendre  un  mort  à  la  vie.  Aimera- t-on  mieux  pré- 
tendre que  tout  ce  peuple  a  intention  de  tromper? 
Mais  le  complot  formé  pour  mentir ,  par  un  peuple 
nombreux ,  tel  que  celui  de  la  ville  de  Paris ,  par  un 
peuple  composé  de  personnes ,  dont  la  plupart  ne  se 
connaissent  pas,  dont  quelques-imes  se  baissent,  qui, 
d'ailleurs,  ont  toutes  des  préjugés,  des  passions,  des 
intérêts  ,    des   manières  de   voir  de   divers   genres   et 


SDR    LA    RELIGION.  201 

même  contraires  ;  un  tel  complot  est  aussi  opposé  aux 
lois  de  l'ordre  moral,  que  la  résurrection  d'un  mort 
à  celles  de  l'ordre  physique.  Pour  entraîner  un  peuple 
entier,  soit  de  bonne  ou  mauvaise  foi,  dans  un  faux 
rapport  sur  un  fait  passé  sous  ses  yeux  ,  pour  intervertir 
ou  les  lois  physiques  sur  lesquelles  est  fondée  l'autorité 
des  sens,  ou  les  lois  morales  qui  dirigent  toutes  les 
actions  humaines,  il  faut  une  cause.  Il  n'y  a  que  la 
puissance  qui  a  donné  des  lois  à  l'ordre  physique  et  à 
l'ordre  moral  qui  ait  le  droit  de  les  suspendre ,  comme 
il  n'y  a  que  cette  même  puissance  qiii  ait  la  force  de 
ressusciter  un  mort;  ainsi ,  d'un  côté  comme  de  l'autre, 
il  faut  un  égal  miracle. 

XC.  Secondement  ,  mais  comme  j'ai  dit  ,  prodige 
bien  moins  croyable.  Dans  l'œuvre  de  la  résurrection,  je 
vois  le  but  moral  du  miracle  ;  il  s'agit  de  confirmer 
une  grande  vérité  par  un  acte  que  Dieu  puisse  opérer. 
Dans  l'interversion  des  lois  de  l'ordre  physique  ou  mo- 
ral^ Dieu  n'aurait  d'autre  bn  que  d'entraîner  ses  créa- 
tures dans  l'erreur.  Il  est  conforme  à  la  notion  que 
j'ai  de  Dieu ,  qu'il  daigne ,  pour  instruire  le  genre 
humain,  faire  des  œuvres  exiraordiuaires.  Il  répugne 
à  toutes  les  idées  qne  ^ieu  1""?  père  pour  le  tromper. 
L'un  des  deux  e  "  donc  croyable,  l'autre  ne  l'est  pas. 
XCI.  «  Suppose^:;  j  :  raisonuemeu:  est  d'un  célèbre 
«  incrédule,  que  tous  les  '^'-.ivains  de  l'histoire  d'An- 
*i  gleterre  s'accordassent  i.  dire  que  la  reine  Elisabeth 
«  mourut  le  premier  janvier  1600;  qu'elle  fut  vue 
«  devant  et  après  sa  mort  ,  par  ses  médecins  et  par 
«<  toute  sa  cour  ,  comme  l'usage  le  veut  à  l'égard  des 
«  personnes  de  son  rang  ;  que  son  successeur  fut  reconnu 
«  et  proclamé  par  le  parlement  :  et  qu'après  avoir  été 
«<  enterrée  pendant  l'espace  d'un  mois,  elle  reparut, 
«  se  remit  en  possession  du  trône ,  et  gouverna  l'An- 
•<  gleterre  pendant  trois  ans.  J'avoue  qne  je  serais 
«<  surpris  du  concours  de  tant  de  circonstances  étranges, 
«  sans  cependant  me  sentir  la  moindre  -nclinatio:^.  à 
«  croire  un  événement  aussi  miraculeux.  J*>  ^^e  douie- 


^02  DISSERTATIONS 

.«  rais  ni  de  la  prétendue  mort  de  cette  reine  ,  ni  des 
«  autres  circonstances  publiques  qui  l'auraient  suivie. 
<«  Je  me  contenterais  de  soutenir  que  cette  mort  n'était 
«  que  feinte  ,  et  qu'elle  n'était  ni  ne  pouvait  être  réelle. 
«  En  vain  m'objecterait-on  la  difficulté ,  l'impossibilité 
«  même  de  tromper  le  monde  dans  une  alTaire  de  cette 
«  importance.  En  vain  ferait-on  valoir  la  sagesse  et 
<c  l'intégrité  de  cette  grande  reine,  le  peu  d'avantages 
>«  qu'elle  eût  pu  recueillir  d'un  si  pitoyable  artifice, 
«  ou  son  entière  inutilité  :  tout  cela  serait  capable  de 
'<  m'étonner  ;  mais  je  répondrais  encore  que  la  fourberi 
'<  et  la  folie  des  bommes  sont  des  phénomènes  si  coni- 
X  inuns,  que  j'aimerais  toujours  mieux  attribuer  à  leur 
'<  concours  les  événements  les  plus  extraordinaires  , 
i  que  d'admettre  une  aussi  singulière  violation  des  lois 
'^   de  la  nature.   » 

XCII.  Considérons  la  manière  de  raisonner  de  nos 
adversaires,  ^'ous  disons  qu'il  est  impossible  qu'un  fait 
attesté  par  des  témoins  placés  dans  les  circonstances  et 
doués  des  qualités  requises,  soit  faux.  Pour  détruire  ce 
principe,  on  suppose  un  fait  miraculeux  qui  soit  faux, 
et  qui  cependant  soit  attesté  de  cette  manière.  Il  est 
évident  que  c'est  là  une  pétition  de  principe.  Ce  n'est 
point  par  une  supposition  gratuite  qu'on  peut  établir 
que  le  témoignage ,  tel  que  nous  le  demandons  ,  peut 
être  faux.  Il  faudrait  alléguer  un  fait  attesté  de  la 
même  manière ,  qui  se  fût  trouvé  faux ,  citer  le  temps , 
le  pays  où  on  a  dit  qu'il  s'était  passé;  indiquer  les  té- 
moins qui  l'ont  certifié  :  c'est  ce  que  nos  adversaires  ne 
peuvent  pas  produire  ;  etla  preuve  qu'ils  n'ont  aucun 
fait  pareil  à  nous  opposer ,  c'est  qu'ils  recourent  à  des 
suppositions,  à  des  fictions.  S'il  se  trouvait  dans  l'his- 
toire des  siècles  un  seul  événement  attesté  par  des  té- 
moins tels  que  nous  les  demandons  ,  et  qui  ne  fût  pas 
véritable ,  imagineraient-ils  une  hypothèse  sans  réa- 
lité? 

On  ne  donne  pas  à  ce  raisonnement  plus  de  force ,  en 
disant  que  la  fourberie  et  la  fohe  des  hommes  sont  des 


SUR    LA    RELIGION.  203 

phénomènes  communs.  Il  y  a  des  fourbes ,  il  y  a  des 
fous.  Mais  des  témoins  tels  que  nous  les  demandons  , 
peuvent-ils  être  des  fourbes  ou  des  fous?  \oilà  ce  qu'il 
s'agirait  de  prouver.  Que  Ton  nous  indique  une  cause 
naturelle  qui  puisse  rendre  de  tels  témoins  fourbes- ou 
insensés. 

XCIII.  «  Dieu ,  disent  encore  les  incrédules ,  a-t-il 
«  besoin ,.  pour  notifier  ses  volontés  aux  hommes ,  du 
«<  ministère  d'autres  hommes?  Il  a,  dit-on,  parlé  aux 
«  hommes.  Pourquoi  n'en  ai-je  rien  entendu?  Pourquoi 
«  faut -il  qu'il  y  ait  des  intermédiaires  entre  Dieu  et 
«   moi  ?   » 

XCIV.  Ce  serait  une  témérité,  sans  doute,  de  préten- 
dre que  Dieu ,  pour  se  manifester  aux  hommes ,  a  be- 
soin du  ministère  d'autres  hommes  ?  mais  c'est  une  autre 
témérité  aussi  répréhensible ,  de  lui  disputer  le  pouvoir 
d'employer  ce  ministère.  Au  déiste,  qui  demande  pour- 
quoi des  intermédiaires  entre  Dieu  et  lui,  je  demande 
à  mon  tour  :  Et  pourquoi  n'y  en  aurait-il  pas  ?  Dieu  doit- 
il  à  chaque  homme  de  se  révéler  à  lui  en  particulier  ?  Le 
doit-il  spécialement  à  raison  du  degré  d'incrédulité  qu'on 
lui  témoigne  ?  Il  est  indubitablement  le  inaitre  de  me 
parler  par  ses  envoyés  ,  ou  de  me  faire  entendre  sa  voix. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  connaître  les  motifs  qui  lui  font 
préférer  l'un  de  ces  deux  moyens.  Dès  que  je  reconnais 
dans  le  miracle  la  lettre  de  créance  par  laquelle  Dieu 
accrédite  son  envoyé  ,  mon  devoir  est  d'ajouter  à  cet 
envoyé  une  foi  entière. 

Mais  le  motif  qui  a  déterminé  Dieu  à  se  manifester  aux 
hommes  par  des  ministres  dont  les  miracles  attestent  la 
mission ,  n*est  par  le  secret  de  sa  sagesse.  J'ai  montré 
que  ce  moyen  ,  très-digne  de  la  majesté  de  Dieu ,  est 
très-conforme  à  sa  sagesse,  et  qu'il  est  très  adapté  à 
la  nature  de  l'homme.  J'ai  examiné  les  divers  autres 
moyens  qu'il  aurait  pu  employer  pour  notifier  ses  vo- 
lontés. Il  est  inutile  de  répéter  ce  que  j'ai  dit  ;  j'ajouterai 
seulement  ici  un  mot.  La  révélation  est  un  fait.  Il  est 
doiic  simple,  il   est  donc  naturel,  il  est  parfaitement 


204  DISSERTATIONS 

conforme  à  la  divine  sagesse  d'employer,  pour  nous  le 
faire  connaître,  le  même  moyen  par  lequel  nous  croyons 
les  autres  faits,  c'est-à-dire  la  relation  de  ceux  qui  en 
ont  été  témoins. 

XCV.  «  C'est,  disent  d'autres  incrédules  ,  une  ten- 
«  tation  bien  forte  que  celle  de  passer  pour  l'envoyé  cé- 
«(  leste,  et  de  jouer  dans  le  monde  ce  grand  rôle.  Que 
«  de  gens  ne  craindraient  pas ,  pour  se  parer  d'un 
«  titre  si  pompeux  ,  d'essuyer  des  difficultés  et  des  dan- 
"  gers  I   >» 

XCVI.  Il  peut  y  avoir  des  imposteurs  qui ,  pour  se 
faire  croire  les  envoyés  du  ciel ,  supposent  des  miracles. 
Il  ne  résulte  de  là  qu'une  chose  ;  c'est  qu'il  faut  exa- 
miner avec  soin  ceux  qui  s'annoncent  pour  opérer  des 
miracles  au  nom  de  Dieu.  Mais  de  ce  qu'il  peut  y  avoir, 
de  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  des  imposteurs  ,  conclure 
que  tous  les  hommes  le  sont ,  est  une  absurdité. 

XCVII.  «  Il  n'y  a  rien ,  ajoutent  nos  adversaires ,  de 
«  plus  aisé  que  de  faire  adopter ,  même  à  des  nations 
«  entières ,  des  miracles  qui  ne  sont  que  des  tours  d'a- 
«  dresse.  Op.  connaît  le  fait  de  l'imposteur  Alexandre 
«  qui ,  après  avoir  dupé  par  ses  prestiges  les  Paphlago- 
<«  niens ,  parvint  à  tromper  des  philosophes  grecs ,  des 
«  personnes  de  la  plus  haute  considération  ,  et  jusqu'à 
X  l'empereur  Marc-Aurèle.  Un  joueur  de  gobelets  étant 
«  allé  exercer  son  métier  chez  un  peuple  qui  n'avait 
«  jamais  vu  rien  de  semblable ,  fut  regardé  unanime- 
«  ment  comme  sorcier,  et  eût  été  condanjné  comme 
«  tel,  s'il  ne  se  fût  soustrait  au  supplice  par  la  fuite, 
«c  Un  autre  homme  ,  aux  Indes ,  persuada  à  un  peuple 
u  nombreux  qu'il  était  envoyé  du  ciel ,  en  faisant ,  par 
«  un  procédé  très-connu  dans  nos  climats  ,  de  la  glace  , 
•*  que  ce  peuple  ne  connaissait  pas.  De  ces  exemples 
♦«  auxquels  ont  pourrait  ajouter  beaucoup  d'autres,  il 
".  résulte  qu'il  n'est  nullement  difficile  d'en  imposer 
«  sur  les  miracles ,  même  aux  personnes  les  mieux  dis- 
V»  posées  ,  même  à  des  multitudes  entières.   » 

XGYIII.  J'observe  que  cette  difficulté  attaque  direc- 


SUR    L\    RELIGION.  205 

tement ,  non  la  certitude  morale  des  miracles  ,  mais  la 
certitude  physique.  Si  on  veut  l'admettre,  il  faut  en  tirer 
la  conséquence  véritable,  et  conclure  ,  non  pas  que  les 
témoignages  des  hommes  sont  incertains ,  mais  que  la 
relation  des  sens  n'est  pas  assurée,  et  qu'on  ne  doit  pas 
croire  même  le  miracle  dont  on  est  témoin. 

Revenons  à  la  distinction  que  j'ai  exposée  ci-dessus 
entre  le  fait  et  la  quaUté  du  fait  f  1).  Le  fait  seul  est  l'ob- 
jet du  témoignage.  Dans  le  jugement  de  l'ordre  judi- 
ciaire que  prononce  un  juge,  les  témoins  ne  déposent 
que  du  fait  qu'ils  ont  vu.  Quant  aux  [conséquences  de 
ce  fait,  c'est  le  juge  qui,  d'après  l'examen  des  déposi- 
tions, les  détermine.  De  même,  dans  le  jugement  de 
Tordre  intellectuel  que  nous  formons  sur  le  miracle  ,  les 
témoins  n'attestent  que  le  fait,  sur  lequel  nous  jugeons 
ensuite  s'il  est  naturel  ou  surnaturel.  Pour  s'assurer  du 
lait ,  il  ne  faut  que  des  sens  ,  et  un  esprit  qui  ne  soit  pas 
ahéné.  Pour  juger  si  un  fait  est  naturel  ou  miraculeux  , 
il  faut  plus  de  lumières.  Il  n'est  pas  impossible ,  sans 
doute ,  de  tromper  un  peuple ,  et  surtout  un  peuple 
simple  et  peu  instruit ,  sur  les  causes  d'un  fait  qu'il  voit 
pour  la  première  fois  ;  mais  ce  qui  est  physiquement  im- 
possible ,  c'est  de  le  tromper  sur  la  véiité  même  de  ce 
fait.  Quelque  simple,  quelque  grossier,  quelque  igno- 
rant que  soit  un  peuple ,  on  ne  lui  persuadera  jamais 
qu'il  a  vu ,  entendu ,  touché  des  choses  qu'il  n'aurait  ni 
vues ,  ni  entendues ,  ni  touchées.  Ainsi ,  lorsqu'un  peuple 
entier  me  dira  qu'il  a  vu  un  homme  faire  des  tours  de 
gobelets  ,  qu'il  en  a  vu  un  autre  venant  à  bout  de  con- 
solider de  l'eau,  je  le  croirai  sans  difficulté,  parce  qu'il 
a  tout  ce  qu'il  faut  pour  s'assurer  de  ces  faits.  Mais  lors- 
qu'il ajoutera  que  c'est  par  sortilège  ou  par  miracle  que 
ces  choses  ont  été  faites,  je  ne  lui  ajouterai  plus  la  même 
foi ,  parce  que  la  vérité  de  cette  seconde  assertion  dé- 
pend de  counaisssmces  que  ce  peuple  peut  fort  bien  ne 


(i)  "Voyez  ci-dessus,  n°  xlvui,  page  171. 


206  DISSERTATIONS 

pas  avoir.  Ce  n'est  plus  un  simple  fait  qu*il  me  présente 
à  croire,  c'est  un  raisonnement  qu'il  veut  me  faire  adop- 
ter. Je  suis  certain  qu'il  a  vu  le  fait  ;  je  ne  suis  pas  sûr 
qu'il  ait  bien  raisonné. 

Ce  que  je  dis  des  deux  exemples  allégués,  est  également 
vrai  pour  le  troisième ,  et  le  serait  pour  tous  ceux  qu'on 
pourrait  de  même  nous  objecter.  Les  tours  d'adresse 
de  rimposteur  Alexandre  étaient  réels.  Les  PapLlago- 
niens  et  les  autres  qui  en  avaient  été  abusés,  les  avaient 
vus  ;  leur  erreur  n'était  que  dans  la  conséquence  qu'ils 
en  tiraient,  les  uns  par  simplicité,  les  autres  pour  n'a- 
voir pas  assez  attentivement  considéré.  Lucien  lui- 
même  ,  qui  le  démasqua  avait  vu  les  faits  et  ne  les  nie 
pas;  mais  avec  plus  d'esprit  et  d'attention  que  les  au- 
tres, il  découvrit  la  fraude  que  cacbaient  ces  tours.  Au 
reste ,  cet  exemple  me  paraît  prouver  la  difficulté ,  et 
même  Timpossibilité  qu'un  fourbe  parvienne  à  en  im- 
poser longtemps,  par  de  faux  miracles,  à  des  hommes 
éclairés.  Si  pendant  quelque  temps  il  en  abuse  quel- 
ques-uns ,  il  eu  vient  bientôt  de  plus  clairvoyants  qui 
détrompent  le  public.  Lucien  qui  dévoila  l'imposture 
d'Alexandre ,  était  ennemi  de  la  religion  chrétienne  , 
dont  il  parle  avec  légèreté  et  mépris.  Voit-on  qu'il  ait 
entrepris  de  démontrer  la  fausseté  des  miracles  chré- 
tiens ? 

XCIX.  «<  Il  n'y  a  pas  de  miracles,  c'est  ici  une  nou- 
«<  velie  objection,  qui  ne  soient  combattus  par  un  nom- 
«  bre  infini  de  témoins.  En  fait  de  religion,  toutes  les 
<«  différences  sont  des  contrariétés.  Il  serait  impossible 
X  que  la  religion  de  l'ancienne  Rome ,  celle  des  Turcs  , 
««  celle  de  Siam,  celle  des  Chinois  et  la  nôtre,  fussent 
"  toutes  solidement  établies  sur  de  légitimes  fonde- 
<«  ments.  Or  ,  chacune  de  ces  religions  produit  des  mi- 
'<  racles  opérés  en  sa  faveur,  et  dans  la  vue  directe  de 
««  confirmer  la  doctrine  qui  lui  est  propre.  Tout  miracle 
«t  qui  appuie  Tune  est  un  démenti  formel  aux  miracles 
•<   vantés  par  les  autres.   » 

C.  On  confond  ici  deux  choses  :  ceux  qui  nient  un 


SUR    LA    RELIGION.  207 

fait^  et  ceux  qui  se  portent  comme  témoins  de  sa  faus- 
seté ;  ceux  qui  le  combattent  par  des  raisonnements  ,  et 
ceux  qui  l'attaquent  par  le  rapport  de  leurs  sens.  Celui 
qui  croit  aux  miracles  d'Esculape  ,  par  cela  même  ne 
croit  pas  aux  miracles  des  autres  religions  ;  mais  il 
n'est  pas  pour  cela  un  témoin  de  leur  fausseté.  Il  dit  : 
Mes  miracles  sont  vrais  ;  donc  les  vôtres  sont  faux.  11 
ne  dit  pas  :  Je  suis  témoin  de  la  fausseté  des  vôtres  ; 
j'étais  sur  le  lieu  où  vous  dites  qu'ils  se  sont  passés  ,  et 
j'atteste  que  j'ai  vu  le  contraire.  Il  oppose  à  la  relation 
des  miracles  étrangers  sa  croyance ,  et  non  son  témoi- 
gnage. Il  n'infirme  donc  pas  cette  relation.  Malgré  ces 
dénégations  respectives ,  tous  les  témoignages  conservent 
leur  force.  La  dénégation  du  Siamois  n'infirme  pas  l'his- 
toire des  miracles  du  Turc.  D'après  cela ,  l'objection 
tombe.  Les  divers  témoignages  n'étant  pas  détruits  par 
des  témoignages  contraires ,  il  reste  à  examiner  quels 
sont  tous  ces  témoignages  ,  quels  sont  ceux  qui  sont 
rendus  par  des  témoins  revêtus  des  qualités  propres  à 
imprimer  à  leur  déposition  le  caractère  de  certitude. 
Quand  j'ai  trouvé  un  témoignage  de  ce  genre,  je  dois  le 
croire.  Il  est  très-indifférent  alors  que  dans  d'autres  re- 
ligions on  croie  d'autres  miracles.  La  fausse  relation 
d'un  miracle  ne  diminue  pas  plus  la  certitude  de  la  re- 
lation véritable  ,  que  la  fausse  monnaie  n'altère  la  con- 
fiance due  à  la  véritable. 

Cl.  Les  incrédules  poursuivent  :  «  Pour  être  certain 
.'  d'un  miracle,  il  faut  non-seulement  être  assuré  de  la 
«  réalité  du  fait ,  mais  encore  être  certain  qu'il  est  con- 
«  traire  aux  lois  de  la  nature.  Il  est  donc  nécessaire  de 
«  connaître  toutes  ces  lois.  S'il  y  a  des  lois  de  la  nature 
«  que  nous  ignorons ,  comment  pourrons-nous  savoir 
•<  si  le  fait  que  nous  voyons  n'est  pas  le  résultat  d'une 
«  loi  inconnue?  Or  ,  quel  est  l'homme  qui  osera  croire 
«  qu'il  connaît  toutes  les  lois  physiques  par  lesquelles 
«  la  nature  est  gouvernée  ?  Les  combinaisons  des  êtres 
«  qui  composent  l'Univers  varient  à  l'infini.  Ne  pour- 
•t  rait-il  pas  aniver  que ,  suivant  une  certaine  combi- 


^^^  DISSERTATIONS 

o  liaison,  un  aveugle  recouvrât  la  vue ,  un  sourd  l'ouïe, 
«  un  muet  la  parole  ,  un  mort  la  vie?  Et  si  cela  est  pos- 
»  sible ,  comme  rien  ne  prouve  le  contraire,  le  tliauma- 
«  turge  ne  ferait  que  se  faire  honneur  de  certains  évé- 
«   uements  rares  que'la  nature  aurait  produits.   » 

CIL  J'observe  1«  que  ce  raisonnement  ,  ainsi  que 
beaucoup  d'autres  ,  porte  avec  autant  de  force  sur  la 
certitude  physique  que  sur  la  certitude  morale.  S'il  était 
sohde ,  il  s'opposerait  également  à  ce  qu'on  crût  le  mi- 
racle vu  et  le  miracle  rapporté. 

J'observe  2^  la  contradiction  des  diverses  objections  de 
nos  adversaires.  Nous  les  avons  vus  rejeter  la  certitude 
morale  des  miracles  sur  le  fondement  de  leur  opposition 
aux  lois  invariables  et  certaines  de  l'ordre  physique. 
Ici ,  ils  nous  disent  qu'on  ne  peut  pas  être  sûr  d'un  mi- 
racle ,  parce  qu'il  n'y  a  rien  de  certain  dans  les  lois  phy- 
siques. 

Venons  au  fond  de  la  difficulté.  Ceux  qui  la  proposent 
conviendraient-ils  qu'on  ne  peut  pas  être  sûr  qu'une 
action  est  contraire  à  la  loi  civile  ;  que  par  conséquent 
on  peut  la  commettre  impunément ,  parce  qu'on  ne 
connaît  pas  la  totalité  des  lois  de  l'état  ?  A  celui  qui 
avancerait  cette  ridicule  proposition,  ils  répondraient; 
que  pour  être  sûr  de  la  prohibition  et  du  vice  de  l'ac- 
tion ,  il  suffit  de  connaître  une  seule  loi  qui  l'interdise  , 
et  qui  punisse  ceux  qui  s'en  rendent  coupables.  (>ette 
réponse  si  juste  ,  qu'ils  l'appHquent  à  leur  raisonnement. 
Je  suis  assuré  que  c'est  une  loi  constante  de  la  nature; 
qu'un  mort  ne  ressuscite  pas.  Quand  je  suis  certain  par 
mes  sens ,  ou  par  une  relation  compétente  ,  d'une  résur- 
rection, que  m'importent  les  autres  lois  physiques  que 
je  connais  ou  que  je  ne  connais  pas?  Quel  besoin  ai-je  , 
pour  me  croire  assuré  de  cette  résurrection ,  de  connaître 
les  lois  qui  régissent  le  cours  du  soleil  et  des  astres? 

Dans  cette  objection  ,  on  suppose,  d'une  part,  la  loi 
physique  ,  dont  le  fait  cru  miraculeux  est  le  résuhat  ab- 
solument inconnu  à  tout  le  monde  ;  et  d'une  autre  part, 
que  cette  même  loi  est  tellement  connue  à  un  seul  agent, 


SDR    LA    RELIGION.  200 

qu'il  prévoit  avec  justesse  et  infailliblement  son  résultat 
à  tel  moment  précis.  On  suppose  dans  cet  homme  unique 
la  connaissance  de  combinaisons  qui ,  dit-on  ,  varient 
à  l'infini  :  on  suppose  qu'une  loi  ignorée  de  tout  le  genre 
humain  produit  constamment,  selon  la  prévision  de  cet 
homme ,  l'effet  contraire  à  celui  qu'elle  produit  aussi 
constamment  dans  toutes  les  autres  occasions.  D'où  uu 
homme  pourrait-il  tenir  exclusivement  une  science  aussi 
immensément  étendue ,  aussi  absolument  certaine ,  si- 
non de  celui  qui  la  possède  éminemment ,  c'est-à-dire 
de  Dieu  ?  Il  est  donc  évident  qu'on  ne  fait  que  changer 
de  miracle ,  et  que  ,  pour  refuser  à  cet  homme  un  pou- 
voir miraculeux  ,  on  lui  accorde  une  science  tout  aussi 
miraculeuse. 

Le  principe  du  raisonnement  est  vrai.  H  y  a  des  lois 
de  la  nature  qui  nous  sont  inconnues  :  mais  la  consé- 
quence que  Ton  en  tire  est  fausse.  La  seule  conclusion 
raisonnable  qu'on  puisse  en  inférer ,  est  ce  que  nous 
avons  dit  plus  haut  ,  savoir,  que  pour  se  déterminera 
croire  un  miracle,  il  faut  user  d'une  grande  circonspec- 
tion ,  et  examiner  attentivement  si  le  fait  présenté  à  notre 
croyance  ne  peut  pas  venir  d'une  cause  naturelle  que 
nous  ignorions.  Mais  de  ce  qu'il  y  a  des  lois  que  nous 
ignorons ,  conclure  qu'un  fait  n'est  pas  contraire  à  une 
loi  que  nous  connaissons,  c'est  une  conséquence  mani- 
festement vicieuse.  Je  ne  sais  pas  au  juste  jusqu'où 
peuvent  aller  les  forces  d'un  homme  ;  je  ne  suis  pas 
moins  sur  qu'aucun  homme  ne  peut,  par  ses  seules 
forces,  emporter  une  maison. 

CIIL  Yoici  enfin  une  objection  d'un  autre  genre  ; 
elle  suppose  la  réalité  du  fait  attesté  comme  miraculeux, 
elle  admet  même  qu'il  est  supérieur  aux  forces  de  la  na- 
ture. «  Mais  ,  disent  ceux  qui  la  proposent ,  comment 
tt  peut-on  être  sûr  que  ce  fait  prodigieux  a  Dieu  pour 
«  auteur ,  puisque  le  démon  a  le  pouvoir  d'en  opérer  ? 
M  Les  magicien^  de  Pharaon,  la  pyihonissed'Endor , 
«  sont  des  faits  qui  ne  peuvent  pas  être  contestés  par 
«  des  chrétiens.  Il  était  défendu  aux  Juifs,  dans  le  Deu- 


210  DISSERTATIONS 

«  téronome  ,  d'écouter  un  faux  prophète ,  quand  même 
<«  il  ferait  des  miracles  (I).  Jésus-Christ  annonce  qu'il 
««  viendra  de  faux  chrits ,  de  faux  prophètes  qui  feront 
«  de  grands  prodiges,  ensorle  que  les  élus  même,  s'il 
M  était  possible,  en  seront  séduits  (2).  Comment  discer- 
««  ner  les  œuvres  diaboliques  des  œuvres  divines  ?  On 
«  dit  qu'une  doctrine  fausse  ne  peut  pas  être  autorisée 
u  par  de  vrais  miracles  ;  qu'ainsi  tout  miracle  fait  pour 
««  accréditer  une  doctrine  vicieuse ,  est  nécessairement 
.<  faux.  Il  faut  donc  jqger  les  miracles  par  la  doctrine, 
a  Mais  ,  d'un  autre  côté  ,  les  miracles  sont  opérés  pour 
a  faire  juger  la  doctrine  :  voilà  donc  évidemment  un 
«  cercle  vicieux  ,  dans  lequel  Pascal  et  plusieurs  autres 
»«  sont  tombés.   » 

CIV.  D'où  savons-nous  que  le  démon  ,  avec  la  per- 
mission de  Dieu  ,  peut  faire  et  a  fait  des  prodiges?  C'est 
de  l'Ecriture  sainte.  Or  ,  la  même  Ecriture  nous  montre 
que  toutes  les  fois  que  Dieu  lui  a  permis  d'en  opérer , 
il  a  donné  en  même  temps  des  moyens  certains  de  dis- 
cerner ces  miracles  diaboliques  des  miracles  divins. 
Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici  si  les  choses  surpre- 
nantes que  firent  les  magiciens  d'Egypte ,  à  l'imitation 
des  premiers  miracles  de  Moïse ,  furent  de  vraies  mi- 
racles ,  ou  des  prestiges  et  des  illusions ,  ou  seulement 
des  tours  d'adresse.  Accordons  l'hypothèse  la  plus  favo- 
rable à  nos  adversaires,  supposons  que  c'étaient  de  vrais 
miracles  opérés  par  le  démon.  Mais  Dieu  mit  aussitôt 
dans  la  main  de  Moïse  ,  son  envoyé  ,  d'autres  miracles  , 
que  toute  la  puissance  de  l'enfer  ne  put  imiter  ,  et  qui 


(i)  Si  surrexerit  in  medio  toi  prophètes,  aat  qai  somniam  vidisse 
sedicat,  et  prœdixerit  signam  atque  portentum,  et  evenerit  quod 
locQtas  est,  et  dixerit  tibi  :  Earans  et  sequamur  deos  aliènes,  qnos 
ignoras,  et  serviamas  eis  ;  non  audies  verba  prophetae  illiiis.  (^Dén- 
ier, xin,  1,2,  3.) 

(a)  Surgent  enim  pseudo  cbristi  et  pseupo-prophetae ,  et  dabant 
signa  magna  el  prodigia,  ita  at  in  errorein  indncantnr  (si  fieri  po- 
test),  etiam  electi.  (^Matthieu ^  xxiv,  24.) 


SDR    LÀ    RELIGION.  2J  1 

forcèrent  ces  magiciens  eux-mêmes  à  avouer  que  le  doigt 
de  Dieu  était  là.  Ainsi  il  fut  très-facile  à  tout  le  monde 
de  reconnaître  quel  était  le  miracle  divin ,  quel  était  le 
miracle  diabolique.  Quant  à  la  py  tlionisse  d'Endor,  Saùl, 
en  allant  la  consulter  ,  savait  parfaitement  que  ce  n'é- 
tait pas  au  nom  de  Dieu  qu'elle  agissait;  elle-même 
n'en  avait  pas  la  prétention  ;  ainsi  ce  fait  ne  peut  pas  for- 
mer une  difficulté. 

Tous  les  exemples  que  l'on  allègue  de  miracles  faits 
par  le  démon  ,  montrent  Dieu  attentif  à  prévenir  l'er- 
reur où  ils  pourraient  jeter,  et  donnant  des  moyens  de 
reconnaître  leur  auteur.  Ainsi  la  véracité  de  Dieu  em- 
ployant la  voie  des  miracles,  n'a  pas  été  compromise 
par  les  miracles  qu'il  a  permis  au  démon  d'opérer  (1)  : 
elle  ne  le  sera  pas  davantage ,  quand  il  permettra  à  de 
faux  prophètes  ou  à  Tantechrist  de  faire  des  prodiges, 
parce  qu'alors  il  donnera  ,  comme  il  a  toujours  fait, 
des  moyens  certains  de  discerner  ces  faux  miracles  des 
véritables.  Indépendamment  des  faits  qui  montrent  que 
c'est  la  marche  ordinaire  de  sa  sagesse  ^  j'en  suis  assuré, 
comme  on  le  dit  dans  l'école ,  à  'priori ^  par  la  nature 
même  de  Dieu.  Il  répugnerait  à  cet  être  essentiellement 
vrai  de  m'entraîner  nécessairement  dans  l'erreur ,  de 
permettre  que  le  moyen  qu'il  me  donne  pour  connaître 
ses  vérités  m'induisît  forcément  à  croire  des  faussetés. 
Or ,  c'est  ce  qui  arriverait ,  si ,  permettant  qu'il  se  fit 
des  miracles  pour  accréditer  le  mensonge,  il  ne  me 
donnait  pas  en  même  temps  des  moyens  assurés  de  me 


(i)  Nam  qnemadraodam  jEgyptioram  incanfatomm  par  non  erat 
potestas  rairilicae  illi ,  qnae  in  Muyseerat,  gratiae,  et  eorain  opéra 
loeras  esse  praesligias;  quae  vero  Moyses  fecit  à  divina  virtuie  profi- 
cisci  comprobavit  exitus  ;  ita  quae  mira  facient  antichristi ,  iique  se- 
patrandis  miracalis  pares  Jesn  discipulis  esse  venditant,  vocantur 
signa  et  prodigia  mendacia,  qnae  in  omni  seductione  iniquitatis  vim 
habent  in  eos  qoi  pereunt.  Miracnloram  autem  Clirisli  et  ejus  disci- 
pulornm  fiuctus  est,  non  deceptio,  sed  animaruin  salas.  {Origen. 
contra  Celsum,  lib.  ir,  n°  5o.) 


212  DISSERTATIONS 

garantir  de  l'erreur.  Je  suis  done  certain  que  ce  qu'ii 
a  fait,  quand  il  a  laissé  le  démon  produire  des  miracles, 
il  le  fera  toutes  les  fois  qu'il  lui  accordera  la  même- 
puissance,  parce  qu'il  le  devra  pareillement  à  lui-même 
et  à  sa  propre  véracité.  J'i[jnore  s'il  prendra  le  même 
moyen  de  prévenir  l'erreur  qu'il  prit  vis-à-vis  des 
magiciens  de  Pharaon,  de  faire  lui-même  d'autres  mi- 
racles que  l'imposture  ne  puisse  pas  imiter;  mais  je 
ne  puis  pas  douter  qu'il  n'en  prenne  quelqu'un  qui 
soit  suffisant  pour  empêcher  la  séduction. 

CV.  Les  théologiens  disent  qu'un  moyen  de  recon- 
naître qu'un  fait  extraordinaire  bu  n'est  pas  miraculeux, 
ou  s'il  l'est,  vient  de  l'ange  des  ténèbres,  est  de  con- 
sidérer la  doctrine  en  faveur  de  laquelle  il  est  opéré  , 
afin  de  le  rejeter  si  cette  doctrine  est  mauvaise.  Dans 
cette  assertion,  1°  il  n'y  a  rien  que  de  très-raisonnable; 
2"  il  n'y  a  pas  de  cercle  vicieux. 

Premièrement ,  quand  une  doctrine  a  été  démontrée 
véritable  par  des  faits  bien  authentiques  et  bien  cer- 
tainement miraculeux  ,  toute  doctrine  qui  y  est  opposée 
est  par  cela  même  évidemment  démontrée  fausse.  La 
vérité  ne  peut  pas  se  contredire  ,  ce  qui  la  combat 
est  nécessairement  erreur.  Lors  donc  qu'en  faveur  d'une 
doctrine  opposée  à  la  véritable,  on  produit  un  miracle , 
il  est  certain  ou  que  ce  n'est  pas  réellement  un  miracle, 
ou ,  si  c'en  est  un ,  qu'il  est  opéré  par  le  père  du  men- 
songe, et  que  par  conséquent  il  doit  être  rejeté,  même 
sans  examen. 

Secondement,  il  n'y  a  pas  en  cela  de  cercle  vicieux; 
et  Pascal ,  ce  profond  penseur ,  a  dit  avec  raison  :  «  Il 
«<  faut  juger  de  la  doctrine  par  les  miracles;  il  faut 
«  juger  des  miracles  par  la  doctrine.  La  doctrine  dis- 
«  cerne  les  miracles  :  les  miracles  discernent  la  doc- 
«  trine.  »  Tout  cela  est  vrai.  C'est  que  le  jugement 
qu'on  porte  sur  la  doctrine  d'après  le  miracle  ,  et  le 
jugement  qu'on  porte  sur  le  miracle  d'après  la  doc- 
trine, sont  de  deux  genres  absolument  difterents.  Le 
miracle  est  une  preuve  positive  ,  la  doctrine  forme  une 


SUR    LA    RELIGION.  2lS 

preuve  négative  ;  le  miracle  prouve  la  vérité  de  la 
doctrine ,  la  doctrine  prouve  seulement  la  fausseté  du 
miracle ,  c'est-à-dire  sa  nullité  ou  son  origine  impure. 
Quand  il  a  été  démontré  par  des  miracles  qu'une  doc- 
trine vient  de  Dieu ,  il  est  démontré  ensuite  par  la 
vérité  de  cette  doctrine,  que  le  miracle  opéré  pour 
établir  une  doctrine  contraire  ne  peut  pas  être  l'œuvre 
de  Dieu ,  parce  qu'il  est  impossible  qu'il  se  contredise. 
Comment  peut- on  voir  là  un  cercle  vicieux?  Le  cercle 
vicieux  a  lieu  quand  deux  propositions  sont  réciproque- 
ment l'une  à  l'autre  principe  et  conséquence  ,  c'est- 
à-dire  quand,  après  s'être  servi  de  la  première  pour 
prouver  la  seconde,  on  donne  ensuite  la  seconde  pour 
preuve  de  la  première.  Nous  démontrons,  il  est  vrai, 
par  les  miracles,  la  vérité  de  la  doctrine  chrétienne; 
d'où  nous  concluons  d'abord  la  fausseté  de  toute  doc- 
trine qui  y  est  opposée  ,  et  ensuite  celle  des  miracles 
par  lesquels  on  prétendait  l'autoriser  :  c'est  là  un  en- 
chaînement de  principes  et  de  conséquences  ;  mais  ce 
n'est  pas  un  cercle  vicieux,  car  il  n'y  a  pas  de  réci- 
procité. Nous  ne  disons  ni  que  la  fausseté  des  doctrines 
opposées  au  christianisme  prouve  la  vérité  des  miracles 
chrétiens  ,  ni  que  la  fausseté  des  miracles  étrangers 
prouve  notre  doctrine. 


214  DISSERTATIONS 

SECONDE  PARTIE. 

DES     MIRACLES    DU   CHRISTIANISME. 

J'ai,  je  crois,  prouvé  suffisamment  deux  vérités  : 
la  première  ,  que  Dieu  peut  faire  des  miracles  ;  la 
seconde ,  que  nous  pouvons  avoir ,  des  miracles ,  non- 
seulement  la  certitude  physique  par  nos  propres  sens, 
mais  la  certitude  morale  par  le  témoignage  d'autrui. 
Je  passe  maintenant  à  une  autre  question  ,  c'est  de 
savoir  si  les  miracles  qui  servent  de  fondement  à  la 
foi  chrétienne  sont  revêtus  de  cette  certitude  qui  exclut 
tout  doute.  J'entreprends  de  prouver  qu'il  n'y  a  aucun 
fait  historique ,  de  ceux  qui  sont  le  plus  solennellement 
garantis ,  le  plus  fermement  crus ,  qui  réunisse  autant  de 
motifs  de  certitude  que  les  miracles  de  notre  sainte 
religion.  Pour  mettre  de  l'ordre  dans  cette  discussion, 
je  diviserai  ces  miracles  en  trois  classes ,  qui  formeront 
trois  chapitres  séparés.  J'examinerai  dans  le  premier, 
les  miracles  opérés  par  Jésus-Christ  pendant  le  cours 
de  sa  carrière  évangéhque;  dans  le  second,  le  miracle 
particulier  de  sa  résurrection;  dans  le  troisième,  les 
miracles  faits  après  lui  par  ses  disciples.  J'emploierai 
un  quatrième  chapitre  à  la  solution  des  difficultés 
qu'élève  l'incrédulité  contre  la  réalité  des  miracles. 

JULJULJL  AJ!_î  JULJLAJLAJL5_ilJLJLAJ!_S_C_fl_2JL  OJLJLSLJULSiJiJlJl.JiJLJiJLJLJi 

CHAPITRE    I. 

MIRACLES    DE    NOTRE-SEIGNEUR   JÉSUS-CHRIST. 

Les  miracles  opérés  par  Jésus-Christ  depuis  le  com- 
mencement de  sa  prédication  jusqu'à  son  retour  dans 
les  cieux  ,  sont  compris  dans  un  intervalle  d'un  peu 


SUR    LA    RELIGION.  215 

plus  de  trois  années.  Ils  sont  rapportés  dans  les  quatre 
Evangiles  ,  et  allégués  ou  supposés  dans  le  livre  des 
Actes  et  dans  les  Epîtres  des  apôtres.  J'ai  établi  l'au- 
thenticité de  ces  écrits.  Il  s'agit  ici  de  prouver  la  vérité 
des  faits  qui   y   sont  racontés. 

I.  Rappelons -nous  le  principe  incontestable  établi 
ci-dessus,  qu'un  fait,  quelque  éloigné  qu'il  soit  de 
nous  ,  est  rendu  certain  ,  quand  on  a  la  double  certitude 
que  l'historien  qui  le  rapporte  n'a  pas  pu  être  trompé 
et  n'a  pas  voulu  tromper ,  qu'il  a  su  positivement  le 
fait,  et  qu'il  le  raconte  sincèrement.  Or,  je  soutiens 
que  dans  toute  l'histoire  ancienne  ,  il  n'y  a  pas  un  seul 
fait  dont  la  relation  réunisse  plus  complètement  ces 
deux  certitudes. 

II.  Une  observation  importante  à  faire  avant  d'entrer 
dans  cette  discussion ,  c'est  qu'il  est  impossible  de  sou- 
tenir à  la  fois  que  les  écrivains  sacrés  ont  été  trompés 
et  qu'ils  ont  été  trompeurs  :  l'une  de  ces  assertions 
exclut  positivement  l'autre.  Ou  ils  ont  cru  vrai  ce  qu'ils 
disaient ,  ou  ils  l'ont  cru  faux.  Il  ne  peut  pas  y  avoir 
de  milieu  entre  la  bonne  et  la  mauvaise  foi  sur  des  faits 
qu'on  dit  avoir  vus.  iMais  si  les  historiens  des  miracles 
n'ont  pu  en  même  temps  être  séduits  et  séducteurs,  il 
est  possible  qu'ils  n'aient  été  ni  l'un  ni  l'autre.  Prouvons 
d'abord  qu'ils  n'ont  pas  été  abusés. 

III.  Les  témoins  des  miracles  du  Sauveur  sont,  non- 
seulement  les  quatre  évangélistes  et  les  apôtres  qui  ont 
écrit  des  épîtres,  mais  encore  tous  les  disciples  qu'avait 
formés  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  les  soixante-douze  dont 
-.t.  Luc  fait  mention  dans  son  évangile,  et  de  plus, 
tous  ceux  qui  s'étaient  attachés  au  divin  Sauveur,  et 
qui  étaient  en  assez  grand  nombre.  jVous  voyons ,  im- 
médiatement après  l'ascension  ,  lors  de  l'élection  de 
St.  Matthias,  environ  cent  vingt  fidèles  enfermés  dans 
le  cénacle  (1).   St.   Paul   dit    qu'après  sa  résurrection 


(i)  Erat  aotera  tnrba  hominnm  simul  fere  centura  viginti.  i^Act.i^ 
5) 


216  DISSERTATIONS 

Jésus-Christ  s'est  montré  une  fois  à  plus  de  cinq  cents 
d'entre  les  frères,  dont  beaucoup  ,  ajoute -t-il,  sont 
encore  vivants  ,  et  dont  quelques  autres  sont  morts  (1). 
St.  Paul  n'aurait  pas  osé  hasarder  cette  assertion ,  si 
elle  n'eût  pas  été  vraie.  Il  aurait  été  trop  facile  de  le 
démentir,  pour  qu'il  se  la  permît.  Il  y  avait  donc, 
au  retour  de  Jésus-Christ  dans  les  cieux ,  plus  de  cinq 
cents  personnes  qui  croyaient  en  lui  :  c'étaient  autant 
de  témoins  de  ses  miracles.  D'abord  beaucoup  d'en- 
tr'eux  ont  partagé  les  travaux  apostoliques,  et  ont  prê- 
ché, comme  les  évangélistes  et  les  apôtres,  la  vérité  de 
la  religion  et  des  miracles  qui  en  sont  le  fondement. 
Mais  ceux  même  qui  n'ont  pas  exercé  la  fonction  de  la 
prédication ,  ont  entendu  celle  des  apôtres.  Ils  savaient 
positivement  si  les  faits  pubhés  par  eux  étaient  véri- 
tables. S'ils  les  avaient  crus  faux,  ils  les  auraient  con- 
tredits; s'ils  les  avaient  contredits  ,  les  ennemis  du 
christianisme ,  si  habiles  et  si  ardents  à  profiter  de 
tout ,  se  seraient  appuyés  de  leur  dénégation.  Ainsi , 
par  cela  seul  qu'ils  ne  contredisent  point  le  témoignage 
des  apôtres,  ils  y  adhèrent;  ils  parlent  comme  eux, 
en  ne  parlant  pas  contre  eux.  Cette  considération  du 
grand  nombre  de  témoins  des  miracles ^  est  par  elle- 
même  de  la  plus  haute  importance  ;  et  de  plus ,  elle 
confirme  beaucoup  ce  que  nous  avons  à  dire  sur  notre 
objet  spécial,  c'est-à-dire  sur  la  force  du  témoignage 
des  apôtres  ,  des  évangélistes  ,  et  de  ceux  que  nous 
savons  avoir  dès  le  commencement  prêché  directement 
le  christianisme. 

IV.  On  ajoute  une  foi  entière  à  l'historien  qui  a  écrit 
sa  narration  d'après  des  mémoires  authentiques  et  con- 
temporains (2).  On  a  un  motif  bien  autrement  puis- 
sant de  crédibilité  quand  il  rapporte  ce  dont  il  a  été 


(i)  Deinde  visus  est  plusquam  qaingentis  fratribus  siniulj  ex  qui- 
bus  niuhi  manent  usque  adhuc,  quidam  autem  dorniierunt.  (i.  Cor., 
XV,  6.) 

(2)   Voyez  ci-dessDs  ,  piemière  partie,  n°  txv  ,  jjage  18 5. 


SUR    LA    RELIGION.  217 

témoin.  La  croyance  est  encore  plus  fondée  ,  s'il  a  été 
lui-même  auteur  dans  les  faits  qu'il  raconte.  Enfin  , 
le  motif  de  certitude  est  à  son  comble,  si  le  rapport  est 
fait ,  non  par  un  seul  historien ,  mais  par  plusieurs 
témoins  oculaires  et  ayant  part  aux  faits.  Or  ,  nous 
trouvons  l'ensemble  de  tous  ces  caractères  dans  l'his- 
toire évangélique  :  on  aurait  peine  à  les  trouver  dans 
les  histoires  profanes.  Les  événeinensles  plus  fermement 
crus  de  ces  histoires ,  ne  le  sont  que  d'après  quelques- 
unes  de  ces  preuves.  Aucun  peut-être  ne  les  réunit 
toutes  (1).  Ici  c'est  un  grand  nombre  d'hommes,  qui 
unanimement,  les  uns  de  vive  voix,  les  autres  par  écrit, 
proclament  les  faits  de  la  vie  de  leur  maître,  et  des 
faits,  dont  sinon  tous,  au  moins  presque  tous  ont  été 
personnellement  témoins  (2).  Ils  disent  avec  confiance 
aux  peuples  parmi  lesquels  ils  se  répandent  :  Ce  que 
nous  vous  annonçons,  ce  que  nous  vous  attestons  , 
c'est  ce  que  nos  oreilles  ont  entendu,  ce  que  nos  yeux  ont 
vu ,  ce  que  nos  mains  ont  louché  (3).  Ce  n'est  pas 
un  fait  isolé  qu'ils  ]*ubliLent,  c'est  une  suite  de  faits 
perpétuellement  renouvelés  sous  leurs  yeux  pendant  le 


(r)  Sane  commode  raihi  dicium  videtar  ,  aut  prorsas  credere  opor- 
tet  Jesu  dihcipulis  ,  sicat  leliqui^  quO'^ne  scriptonbas  .  ant  si  non  bis , 
ne  reliquis  q-iidem.  Cur  eniin  si  sol. s  his  viris  detrahenda  sit  fides  , 
non  etiam  reliqnis  omnibas  quicumque  anqaam,  act  apud  barbaros  , 
vifas,  aot  orationes,  aut  comnientaria  conscripserant  eorora  qui  variis 
teniporibns  in  aliquo  génère  virtutis,  atquc  officii  praestiteiint.  Aut 
si  dicis  aliis  quidam  credeie  aequam  esse,  at  his  solis  non  credere,  cur 
non  hoc  plane  ad  invidiam  referatur.  (Eusebius  ,  Demonst.  Evang.  , 
lib.  ni.,  cap.  7  ) 

(2)11  est  incertain  si  les  deux  évangélistes  qni  n'étaient  pas  apôtres, 
St.  Afarc  et  St.  Lac,  ont  été  disciples  du  Sauveur.  Mais  ce  qui  est 
certain,  c'est  queux  et  St.  Paul  avaient  passé  leur  vie  avec  les  apô- 
tres et  les  disciples.  Ainsi  leur  temoignagee  a  autant  de  poids  que  s'ils 
avaient  été  témoins  oculaires. 

(3)  Qnod  fuit  ab  initio,  qnod  andivimus,  quod  vidiraus  ocnlis  nos- 
tris,  et  perspeximus,  et  manus  nostrae  conlrectaverunt  de  verbo  vi- 
tae,  et  vita  roanifestata  est,  et  yidiinns,  et  lestamar,  et  annuntiamus 
vobis.  (  I.  Joan.  1,1.) 

Dissert,  sur  la  Relig,  10 


218  DISSERTATIONS 

cours  de  trois  années.  Ce  ne  sont  pas,  disait  hautement 
St.   Paul,   des  faits  inconnus  et  cachés,  qui  se  soient 
passés  dans  quelque  coin  obscur  (1),  n'est  à  la  vue  de 
tout  le    public ,  c'est   souvent    en   présence    inènie  de 
ses  ennemis  que  Jésus-Christ  a    opéré  ses  miracles.  Ce 
ne  sont  pas  des  faits  préparés,    arrangés  d'avance,  con- 
certés comme  on  l'a  vu  jusque    dans  notre  siècle  ,  entre 
l'auteur  et  l'objet  de  prétendu  prodige  ;  c'est  à  mesure 
que  l'occasion  s'offre  à   lui ,  c'est  sur   tous  les  malades 
qui  viennent  se  présenter  à  sa  bienfaisance  ,  que  Jésus- 
Christ  exerce    sa    puissance    miraculeuse.    Ce    ne  sont 
pas  des  faits  indifférents  qu'on  puisse  apercevoir  négli- 
gemment et  en  passant;  il  s'agit  de  l'objet  le  plus  im- 
portant ,  de   l'intérêt  le  plus   essentiel    pour  la  nation 
juive,   du   sort   de    sa  religion  ,    de    la  reconnaissance 
de  son  Messie.   Pendant  tout  le  temps  qu'il  a  fait  ses 
miracles,  Jésus-Christ  n'a  pas  été  quitté  un  seul  mo- 
ment par  ses  apôtres,  et  par  une   foule  de  disciples, 
quelquefois  même  d'adversaires.  Ce  n'est  pas  tout  en- 
core :  ces  apôtres  qui  publient  les  faits  ^  en  ont  souvent 
été  eux-mêmes  partie  ;   ils  y  ont  plusieurs  fois  joué  un 
rôle  actif.  Par  exemple  ,   dans  les    deux    miracles  de 
la  multiplication  des  pains ,  ce  sont  eux  qui  ont  d'abord 
fait  la  distribution  au  peuple,  et  ensuite   recueilli  les 
restes.   Jésus-Christ  a    fait  marcher  St.   Pierre  sur  les 
eaux,  il  a  fait  portera   St.  Thomas  la  main  dans  ses 
plaies.   Il  est  impossible  de  réunir  plus  de  preuves  de 
tout  genre  des  miracles  de  Jésus-Christ,  que  n'en  avaient 
les  apôtres,  et  d'en  avoir  une  certitude  plus  complète 
et  glus  fortement  motivée.   Elle  est  donc  évidemment 
absurde,  la  supposition  que  quelques  incrédules  n'ont 
pas  craint  de  hasarder _,  que  les  apôtres  et  les  disciples 
ont  pu  être  induits  en  erreur  sur  la  réalité   des  faits 
qu'ils  certifient. 


0)Latere  nih^l   hornm  arhiuor.    neqne  eniru  in  angtilo  quiiiquain 
h<-vi.'ni  gestum  es.t.  {Act.y  xxvi,  a6.) 


SDR    L\    RELIGION.  219 

V.  Pour  le  soutenir  ,  il  faudrait  prétendre  qu'ils 
étaient  insensés,  qu'ils  avaient  Tesprit  absolument  alié- 
né. Mais,  en  le  prétendant,  il  faudrait  le  prouver; 
il  faudrait  prouver,  ce  qui  est  plus  incroyable  encore, 
qu'étant  tous  fous,  ils  voient  à  tous  le  même  genre, 
le  même  degré ,  le  même  objet  de  folie.  C'est  ce  qui 
n'aurait  été  vu   que  cette  seule  fois  depuis  la  création. 

Cette  supposition  ,  que  les   apôtres    avaient   l'esprit 
aliéné,  est  si   ridicule,   que  je  ne  crois  pas  qu'elle  ait 
été  produite  par  qui  que  ce  soit.  S'ils  eussent  éié  tels 
en  atîestant  les  miracles  ,  ils   l'eussent  été  toute   leur 
vie,  puisqu'ils  n'ont  pas  cessé  de  les  publier.  Comment 
pourrait-il  se  faire  que ,  dans  tous  les  pays  qu'ils  ont 
parcourus,  personne  n'eût  découvert  la   folie  d'aucun 
d'eux?  Que  l'on  cherche  dans  leurs  actions,  dans  leurs 
paroles,  les  plus  légères  traces  de  cette  absence  d'esprit. 
On  voit,  au  contraire,  dans  leur  conduite,  une  tenue 
une  suite  que  ne  peuvent  pas  avoir  des  insensés  ;  on  les 
voit   dans    les  villes   les  plus  éclairées,  enseignant  les 
hommes  de  toute  condition  ,  disputant  contre  les  uns 
convertissant  les  autres.  La  grandeur  de  leur  entreprise, 
mais  surtout  son  exécution  ,  montre  au  moins  la  justesse 
de  leur  sens    Jamais  harangues  n'ont  été    couronnées 
d'un  succès  aussi  éclatant.  Si  on  veut  prétendre  que  les 
premiers  prédicateurs  de  l'Evangile  étaient  des  insensés 
il  faut  soutenir  que   tous  ceux  qu'ils  ont    convertis 
magistrats,  savants,  philosophes,    étaient  encore  plus 
insensés  qu'eux. 

VI.  «  Mais,  dit-on,  les  apôtres,  s'ils  n'étaient  pas 
«  des  insensés  ,  étaient  au  moins  d'une  ignorance  j^ros- 
««  sière.  Une  infatigable  crédulité  formait  leur  carac- 
M   tère.    » 

YII.  Les  apôtres  étaient  ignorants  :  à  la  bonne  heure; 
mais  étaient- ils  sourds?  étaient  — ils  aveugles?  est -il 
nécessaire  d'être  savant  pour  être  certain  de  faits  pal- 
pables que  l'on  a  sous  les  yeux?  la  science  est -elle 
nécessaire  pour  être  certain  de  ce  que  l'on  voit  con- 
tinuellement pendant  trois  ans?  Sur  de  tels  faits,  le 


220  DISSERTATIONS 

témoignage  d'un  ignorant  est  d'un  aussi  grand  poids 
que  celui  d'un  philosophe.  En  accordant  aux  disciples 
de  Jésus-Christ  des  sens  sains  et  un  esprit  qui  ne  fût 
pas  dérangé  ,  on  s'ôte  le  droit  de  rejeter  leur  témoi- 
gnage. Quel  est  le  tribunal  où  on  raisonne  ainsi?  Com- 
bien d'arrêts  il  faudrait  casser,  si  on  admettait  que  des 
témoins  sont  récusables  sur  lui  fait,  parce  qu'ils  sont 
ignorants. 

Les  apôtres  étaient  ignorants  quand  ils  voyaient  les 
miracles  de  leur  maître  :  l'étaient-ils  de  même  quand 
ils  les  publiaient?  J'aurai  occasion  de  parler  ailleurs 
de  cette  différence  survenue  dans  leurs  personnes.  Mais 
que  l'on  considère  toute  l'histoire  de  leur  vie,  que  l'on 
parcoure  tous  leurs  discours  :  on-  verra  s'ils  étaient  en 
effet,  alors,  de  cette  ignorance  grossière  qu'on  leur 
suppose. 

YIII.  On  attribue  à  une  infatigable  crédulité  leur 
croyance  des  faits  miraculeux.  1°  En  traitant  du  fait 
particulier  de  la  résurrection ,  j'aurai  occasion  de  les 
laver  de  ce  reproche  de  crédulité  ;  2°  mais  d'où  aurait- 
elle  pu  venir  aux  apôtres  cette  crédulité  sur  les  faits 
évangéliques?  Ils  étaient  juifs.  Les  préjugés  de  leur 
naissance,  au  sujet  du  Messie,  devaient  les  éloigner 
de  croire  un  3Iessie  pauvre  et  obscur.  Il  y  a  bien 
loin  des  idées  judaïques  sur  le  Messie  ,  au  Messie 
persécuté  et  expirant  dans  le  dernier  supplice ,  qu'ils 
annoncent.  En  les  supposant  exempts  de  préjugés,  la 
crédulité  qu'on  leur  impute  serait  déjà  ])lus  qu'extraor- 
dinaire; mais  avec  les  préjugés  qu'ils  devaient  avoir, 
et  dont  ils  conviennent  qu'ils  étaient  imbus ,  elle  est 
absolument  impossible.  De  plus ,  la  nouvelle  doctrine 
qu'apportait  Jésus-Christ  était  absolument  destructive 
de  la  religion  dans  laquelle  ils  avaient  été  élevés.  Les 
deux  religions  ne  pouvaient  pas  subsister  ensemble. 
Il  leur  a  donc  fallu  des  preuves  bien  frappantes  de 
la  vérité  de  celle  qu'ils  embrassaient ,  pour  quitter  celle 
à  laquelle  ils  étaient  attachés.  Ce  n'est  pas  par  créduhté 
que  l'on  dépose  tous  ses  préjugés  et  tous  ses  principes; 


SUR    LA    RELIGION.  221 

3°  enfin  ,  considérons  que  s'il  est  possible  de  faire 
croire  à  un  homme  simple  des  choses  incroyables  , 
éloignées  de  lui ,  il  est  absurde  de  prétendre  qu'on  lui 
fait  croire  des  faits  palpables,  tandis  qu'il  voit  évidem- 
ment le  contraire;  de  les  lui  faire  croire  continuelle- 
ment et  journellement  pendant  trois  ans  de  suite;  de 
les  faire  croire  ainsi  ,  non-seulement  à  un  homme , 
mais  à  une  troupe  d'hommes  ayant  la  plus  légère  dose 
de  sens  commun.  On  accorde  qu'ils  n'étaient  pas  in- 
sensés :  il  faut  donc  l'être  soi-même  pour  lui  attribuer 
une  aussi  déraisonnable  crédulité. 

IX. .  Les  apikres  et  les  évangélistes  n'ont  pu  être 
induits  en  erreur  sur  les  miracles  de  leur  maître;  mais 
n'ont- ils  pas  voulu  y  induire  les  autres?  c'est  ce  qu'il 
s'agit  d'examiner. 

X.  Observons  d'abord  ,  avec  St.  Chrysostôme ,  que 
dès  qu'on  admet,  comme  nous  l'avons  prouvé,  que 
ces  premiers  disciples  de  Jésus-Christ  n'avaient  pas  l'es- 
prit aliéné^  il  est  inconséquent  de  les  accuser  d'avoir 
cherché  à  tromper  le  monde.  L'entreprise  seule  de 
vouloir  faire  croire  des  miracles  qu'ils  auraient  sus 
être  faux^  de  vouloir  les  faire  croire  aux  Juifs  qui  en 
auraient  connu  comme  eux  la  fausseté ,  de  vouloir  les 
faire  croire  à  tout  l'univers  païen  qui  en  était  si  pro- 
digieusement éloigné ,  eût  été  le  comble  de  la  folie  , 
de  la  démence.  Que  l'on  considère  l'impossibilité  du 
succès ,  si  les  miracles  ne  sont  pas  réels  ;  la  faiblesse 
des  moyens,  les  peines  et  les  fatigues  auxquelles  il 
fallait  se  dévouer,  les  risques  évidents  auxquels  on  se 
Uvrait  nécessairement  :  il  sera  facile  de  sentir  qu'il  n'y 
a  que  des  cervelles  dérangées  qui  pussent  même  en  con- 
cevoir le  projet.  (1). 


(r)  Undenam  illis  in  mente  m  venerit  nt  sperarent  se  totnm  orbem 
terrae  ^  osse  vincere  ,  si  non  vidissent  Cbristum  resurrexisse.  'Sum  in 
mentis  excessn  quippiara  taie  et  inconiiderale  et  temere  cogitarunt. 
Omnem  qnippe  amentiam  saperat  absfjoe  Dei  gratia  tantara  reœ  per- 
fici  posse  sperare.  Quomodo  hoc  effecerunt ,   insanientes  et  in  mentis 


222  DISSERTATIONS 

XI.  Nous  sommes  accoutumés  à  regarder  les  fonda- 
teurs de  la  religion  comme  des  personnages  de  la  plus 
haute  sainteté  ;  mais  sortons,  pour  un  moment,  de 
cette  opinion.  S'ils  ne  croyaient  pas  les  miracles  qu'ils 
publiaient,  ils  étaient  des  imposteurs  ,  et  des  impos- 
teurs du  genre  le  plus  criminel.  L'objet  de  leur  men- 
songe était  d'anéantir  la  religion  de  leur  pays  ,  de 
détruire  tout  ce  qui  existait  de  religion  dans  l'univers, 
en  apportant  une  religion  nouvelle  ,  qui  était  insociable 
avec  toutes  les  autres,  et  dont  ils  connaissaient  la  faus- 
seté. Quelle  entreprise  plus  impie  que  celle-là,  plus 
abominable,  soit  dans  l'ordre  de  la  religion,  soit  dans 
l'ordre  de  la  morale  ,  plus  punissable  et  dans  cette  vie 
et  dans  l'autre?  Il  faut  ne  pas  croire  en  Dieu,  pour  en 
forger  un  au  gré  de  son  imagination ,  il  faut  n'avoir 
aucune  crainte  du  vrai  Dieu  ,  pour  en  présenter  un  faux 
à  l'univers.  Ces  prédicateurs  de  la  foi  étaient-ils  des 
hommes  sans  conscience ,  des  impies ,  des  athées?  Ce 
serait  à  ceux  qui  le  prétendent  à  le  prouver.  Dans 
toute  espèce  de  justice,  l'accusateur  est  tenu  à  la  preuve. 
Les  ennemis  des  apôtres  n'en  peuvent  apporter  aucune 
de  l'imposture  dont  ils  les  accusent  ;  leur  seule  raison 
est  que  les  apôtres  ont  menti  au  sujet  des  miracles  de 
leur  maître.  Ainsi  ils  ne  donnent  d'autre  preuve  de  la 
scélératesse  des  apôtres,  que  la  publication  des  miracles  ; 
et  de  la  fausseté  des  miracles  ,  que  la  scélératesse  des 
apôtres. 

Nous  pourrions  nous  en  tenir  là.  L'impuissance  de 
prouver  l'accusation  suffirait  pour  la  faire  tomber.  Mais, 
si  on  ne  peut  appuyer  d'aucune  raison  cette  grave  ac- 
cusation, démontrons-en  la    fausseté  ;   montrons  que, 


excessa  ,  bir.  vero  sanae  mentis  erant,  nt  et  res  ipsae  probant ,  qaorao  - 
do  non  acceptis  ex  cœlo  fîde  dignis  pignoribas,  et  supernam  non 
adepti  gratiam,  ausi  cssen'  ad  tanta  exire  bella  in  terra  et  in  mari 
suscipienda  ,  et  nJ  mniandos  totias  oibis  raores  tanlo  tt-mpore  contir- 
malus,  Loiu  uns  duodecim  se  accinj^ere  ausi  fuerint,  et  fortiter  stare. 
(S.  Jean.  Chrysost.  ,  in  primam  epist.  ad  Cor.  ^  Hoin.  5,  n°  3.) 


SUR  La   religion.  223 

soit  qu'on  examine  les  écrits  des  apôtres ,  soit  que  l'on 
considère  leur  conduite,  tout  repousse  jusqu'au  soupçon 
du  crime  dont  on  veut  les  charger. 

XII.  Je  cherche  d'abord  dans  ce  qu'ils  ont  écrit  quel- 
que fondement  à  celte  accusation  d'impiété  ,  et  j'y 
trouve  absolument  le  contraire.  Si  les  écrivains  sacrés 
étaient  des  imposteurs,  des  impies,  présenteraient-ils 
dans  leurs  évangiles  le  système  de  religion  qui  donne  la 
plus  sublime  idée  de  la  Divinité ,  qui  porte  le  plus  effi- 
cacement les  hommes  à  la  chérir  par  la  contemplation 
de  ses  immenses  bienfaits ,  à  la  redouter  par  l'expecta- 
tive de  ses  terribles  châtiments?  montreraient- ils  le 
zèle  qu'on  voit  briller  partout  à  former  les  hommes  à  la 
piété  la  plu-  solide  et  la  plus  affecliieuse  (1)?  Si  les 
écrivains  sacrés  étaient  des  imposteurs,  des  hommes 
immoraux  ,  publieraient-^ils  le  code  de  morale  le  plus 
entier,  le  plus  pur,  le  plus  parfait  que  le  monde  ait 
jamais  reçu  (2)?  un  code  de  morale  si  saint ,  que  les 


(i)  Tir  auteiD  de  praestigiis  prorsus  inlenlus,  et  plane  despeiatts 
rebas  oume  suuju  studium  iinpendeiis,  nonne  vel  iaiirudens  ipbe  dt; 
se  ipso  indicio  sit ,  quod  infandis  moiibas,  qaod  scelestus ,  qnod 
obscenas,  qaod  religioriis  iniruicns,  qiiod  injuslas  ,  quod  impius? 
Quis  vero  talis  sit  ,  nnde  et  qaoïnodo  ea  qoae  ad  religionem  pertinent 
alios  doceal  ?  Quoraodo  item  quae  ad  tempeiantiiim,  qu£e  ad  Dei 
cognitionera  ,  quae  ad  divinum  forum  ac  judicium  sumuii  Dei  ?  ]N"onne 
his  (Jinnibus  cuntraria  potins  fomntendet  ac  praferat  ,  suae  i[)sius  ne- 
quitis  consentanea  perpetranb  ?  Nonne  Deunj,  Deique  providentiani  , 
ac  Dei  judicium  neget?  Nonne  oiunia  de  virtute,  omnia  de  inimorta- 
litaie  animae  verba  irrideat?  Qaod  si  quid  taie  etiam  in  iis  quae  ad 
Salvatorem,  Dominnnrjqne  nobliuni  peiiinent  intoeri  licuisset,  iiihil 
sane  foisset  dicendura.  At  vero,  cum  in  singulis  rébus  et  veibis  uni- 
versi  opiHcein  Deum  patrem  invocasse  solilura  <onstet,  talesquequos 
in  disciplinam  accipere  comparasse,  cum  etipse  temperans  fueriî , 
et  verborum  quae  ad  teuiperantiam  pertinent  ptceceptur ,  cum  ancior 
praedicatorque  veritatis,  humanitatis,  virtotis  nniversae,  cura  religio- 
nis  dus  et  magister,  quae  omnium  regem  Deum  colit,  rur  non  his 
consentaneuni  sit  putare ,  nihil  hornm  quae  in  illo  admiramur ,  ab  illo 
per  dolum  piaestigiarnm,  aat  per  fallaciam  gestum.  (Eusei.,  De- 
monst.  evang.^  lib.  m.) 

(a)  Palchra  profecto  noslra  decipiendi  ratio  :  qnippe  qui  facimus 


224  DISSERTATIONS 

incrédules  eux-mêmes  sont  forcés  de  le  respecter  et  de 
l'admirer?  Si  les  écrivains  sacrés  étaient  des  imposteurs, 
des  fourbes  ,  oseraient-ils  prêcher  continuellement  la 
sincérité,  l'horreur  du  mensonge,  annoncer  un  Dieu 
qui  lit  jusqu'au  fond  des  cœurs,  présenter  leur  maître 
tonnant  contre  l'hypocrisie  ?  Voilà ,  il  faut  Tavouer , 
des  criminels  d'une  espèce  que  l'on  n'a  jamais  vue  et 
que  l'on  ne  verra  jamais;  qui  parlent  et  écrivent  sans 
cesse ,  et  sans  jamais  se  trahir  ,  contre  toutes  leurs  idées, 
contre  toutes  leurs  affections ,  et  qui  emploient  leur 
scélératesse  à  rendre  l'univers  vertueux,  et  tous  leurs 
efforts  à  y  établir  solidement  les  vertus  diamétralement 
opposées  à  leurs  vices. 

XIII.  De  leurs  écrits  je  passe  à  leur  conduite  per- 
sonnelle ,  et  j'examine  si  elle  est  en  opposition  avec 
leurs  principes.  Que  l'on  nous  dise  quelle  est  la  vertu  la 
plus  sublime,  la  plus  pénible,  dont,  en  apportant  le 
précepte,  ils  ne  présentent  pas  l'exemple  (1)?  Ils  prê- 


nt  ex  intemperantibos  tempérantes  liant,  ant  stadeant  temperantiae  ; 
ex  injustis  josti  sint,  aut  a  i  jastitiam  tendant  :  ex  jmprudentibas  éva- 
dant prndentes,  aut  viara  prudentiae  sectentur;  ex  timidis  ,  ignavis, 
imhecillis  ,  animosi  sint  et  fortes  ;  qai  virtnte  tonc  praesertim  erninent  , 
dura  ad  pietatem  erga  Deum  omaium  conditorem  servandam  decer- 
tant.  Origen.  contra  Ceîs.,\\h.  ii  ,  n°  79.) 

Quae  enim  per  Dei  gratiam  recte  agere  potneront  publicani  et  pisca- 
tores,  haec  pbilosopbi,  tyranui,  et,  ut  ita  dicani ,  totus  orbis  innume- 
ra  circamcurrens,  ne  imaginari  quidem  potait,  Quid  enim  crux  non 
induxit?  De  immorralitate  animae  sent«*ntiam,  de  reMirrectione  cor- 
pornm,  de  despeciu  praesentium,  et  de  falnrorum  deaiderio,  homines 
angelos  fecit  :  et  omnes  ubiqae  philosophantur ,  ubique  virtutem 
exhibent.  {S.  Joan.  Chrysost.y  in  epist.  primam  ad  Cor.,  Hom.  iv , 
n"  3.  ) 

(i)  Qais  igitur  men'is  sanitate  prseditus,  non  ab  illis  protinns  ar- 
gamentans  omni  fide  dignos  illos  judicaverit  ?  Viros  qnidem  absque 
controversia  ignnbiles,  litterarnmque  ignaros,  loqaendiqae  imperitos: 
at  in  sanctae  ac  philosopbicae  doctrina;  amorem  progresses  ;  et  stre- 
nuam  laboriosamque  vilam  amplexos  :  qaam  qaidem  inedia  et  absti- 
nentia ,  tam  a  vino,  tara  a  carnibus  pinrimis,  item  affectionibus  cor- 
poris  atqae    orationibas,  snpplicationibusque  ad   Deam,   ac   maito 


SUR    L.\    RELIGION.  225 

client  le  mépris  des  richesses;  et,  pour  suivre  Jésus- 
Christ  ,  ils  ont  tout  quitté  (1)  ;  et  leur  pauvreté  est  telle, 
qu'au  milieu  des  rudes  travaux  de  l'apostolat,  ils  sont 
obligés  de  travailler  encore  de  leurs  mains  pour  obtenir 
leur  subsistance.  Ils  prêchent  la  mortification,  et  on 
ne  peut  contempler  sans  effroi  tout  ce  qu'ils  ont  à 
souffrir  de  maux  de  tout  genre  dans  leur  laborieuse 
carrière  ;  ils  prêchent  l'humilité  ,  et  soit  dans  leurs  plus 
brillants  succès ,  soit  dans  leurs  plus  rudes  contradic- 
tions ,  on  ne  voit  pas  en  eux  un  moment  de  jactance  (2); 
souvent  obligés  de  se  justifier,  ils  ne  se  vantent  jamais. 
Ils  prêchent  le  pardon  des  injures;  et  continuellement 
calomniés ,  persécutés  ,  jamais  il  ne  leur  échappe  une 
parole  de  ressentiment ,  ils  ne  se  permettent  pas  même 
une  plainte.  Ils  prêchent  la  sincérité  (et  c'est  la  vertu 
dons  il  s'agit  spécialement  ici  ) ,  et  leur  candeur  est 
si  entière  qu'ils  racontent  eux-mêmes  leurs  défauts  et 
leurs  fautes  ;  leur  ignorance ,  qui  ne  leur  permettait  pas 
de  comprendre  ce  que  Jésus-Christ  leuj-  disait  de  plus 
clair;  leur  ambition,  qui  les  faisait  aspirer  à  des  gran- 
deurs;  leur  jalousie,  qui  les  mettait  en  rivalité  pour 


prias  sniuma  temperauiia  et  castitate  corporis  pariter  aique  aninii 
corraxerint.    (Iluseb.y   Dtmonst.   evang^  lib.  ixr.) 

Eornm  virtntisfuit  qnod  tlonum  tatitnra  retinerent.  Vitam  qnippe 
sanctitate  conspicuain  (lucebant ,  multamqne  sapientiam  extiihebant 
laboresqae  magnos  :  vitam  praesenteni  conlemntbant:  hamana  nihili 
pendebanl  :  sed  su{)erioits  omnibus  fneie  ;  ac,  sicut  aqnilse  levés  in 
altuin  volantes  ,  opeàbas  ad  ipsuin  cœlum  pert-ngebant.  [S.  Joari. 
Chrjnost. ,  in  Joan.  ,  Hum.  xxnr,  al.  xxn ,  n"  3.  ) 

(i)  Apostoli  de  piscatione  lacus  Genesareth  ad  piscationem  homi- 
nom  tiansierunt.  Tune  babentes  paliem,  recîe,  navicnlam ,  secnti 
Dominam  ,  omuia  reiiquerunt  ;  portantes  quolidie  crucem  suam  ,  et  ne 
virgam  quidem  in  manu  babentes.  [S.  Hieronymns  ^  eplst.  s-cv  ,  ad 
Rujinum  monachum.  ) 

(?.)  Vide  quiim  a  iastu  alieni  sint  apostoli,  et  quam  pbilosophi. 
Non  circamenntes  se  venditant,  nec  dicunt  quo  pacto  sacerdotes  con- 
fatarint;  neque  narrando  vanam  gloriam  captarunt  :  sed  venientes, 
ea  qose  a  senionbus  aadierant  simpliciter  detmntiant.  Hinc  discimus 
ipsos  non  sede  in  tentationes  injecitse,  sed  eas  qnae  infeiebantar  fov- 
titer  tnlisse.  Alias  vero  qaisqiiis  faissct,  forte  multitudine  frelus,  con- 

10* 


226  Dissertations 

les  places  du  royaume  attendu;  leur  lâcheté,  qui  leur 
fait  à  tous  abandonner  leur  maître,  et  qui  les  fait  en- 
suite plus  honteusement  encore  renier  par  leur  chef; 
leur  incréduhté,  leur  lenteur  à  croire  ce  que  leur  divin 
Maître  avait  prédit.  JNous  ignorerions  toutes  ces  fai- 
blesses, si  eux-mêmes  ne  les  rapportaient  pas,  et  ils 
les  rapportent  spontanément  sans  que  rien  les  y  oblige , 
sans  que  ce  récit  soit  nécessaire  à  la  suite  de  leur  his- 
toire (1).  Et  ce  sont  des  hon»mes  qui  présentent  un  trait 
d'ingénuité  aussi  éclatant,  dont  on  ne  connaît  peut- 
être  aucun  autre  exemple,  que  l'on  accuse  de  fourberie? 
ce  sont  des  hommes  qui  se  montrent ,  dans  toutes  les 
circonstances ,  des  modèles  de  toutes  les  vertus,  dont 
on  veut  faire  des  monstres  de  scélératesse  (2). 


tamelias  etiam  protali^set ,  ac  sexcenta  gravia  locntns  esset.  At  non 
hi  philosophi ,  sed  omnia  mansnete  et  bénigne.  (iS.  Joati.  Chrysost.^ 
in  act.  ;  Hora.  xi  ,  n°  2.) 

Credant  potins  apostolos  nostros,  nec  cura  snspicerentur  ab  homi- 
nibns  inflatos  fuisse,  nec  cnm  despicerentur  elisos ,  Neutra  quippe 
tentatio  défait  illisviris.  Nam  et  credentinm  celebrabantur  prfeconiis , 
et  persequentiiim  maledictis  infamabantar.  [S.  August.y  de  Doctrina 
Chrisci,  lib    ni,  cap.  20,  n°  29.) 

(i)  Addit  Celsus  :  Discipulos  Jesu,  cum  in  re  manifesta  dissimulare 
nihil  possint  ,  id  excogitasse ,  ut  dicerent  ipsi  prcecognita  fuisse  om- 
nia. At  vero  non  animadvertit  ant  advertere  nolait,  ad  scriptorum 
illornm  sinceiitatem,  qui  fateantnr  ipsis  a  Jeso  praediclum  fnisse  : 
omnes  vos  scandalizabiniini  in  me  in  nocte  ista  ;  seqae  rêvera  fuisse 
scandalizatos  :  hoc  etiam  fuisse  prsedictum  Petro  :  Antequam  gallus 
cantet  y  ter  me  negabis;  terqne  negasse  Petram.  Nisi  enirea  sinceri  et 
bona  fide  fuissent,  sed,  qaod  putat  Celsus  ,  figmenta  scripsissent,  de 
abnegatione  Pétri ,  de  discipuloram  scandalo ,  nunquam  fecissent 
tnentionem.  Nam  etsi  haec  acciderint,  quis  ita  accidisse  probasset. 
(Origen.  contra  Celsum  ^  lib.  ii,  n°  i5.  ) 

Tu  vero,  ut  hic  vidisti  iilorum  iroperfectionem,  sic  disce  illornm 
philosopbicam  raenfem  ,  et  veracitaiem  mirare  ;  quomodo  nempe  scri- 
bentes,  stupiditntem  snam  ,  etài  magnam,  non  occnlteat.  {S.  Jean. 
Chrysost.  in  Matth.  Hom.  lui,  al.  liv,  n"  r.) 

Perpende  autem  quam  vere  loqnantur  apostoli ,  qui  nec  sua,  nec 
aliéna  vitia  occnltent,  sed  veracissime  scribant.  {Idem ,  in  Joan. 
Hom.  Lxxxvii,  al.  lxxxvi,  n°  i.) 

(2)  Qui  vero  taies  viros  ficlionibas   usos  ac  mentitos  patant,  et 


SUR    LA    RELIGION.  227 

XIV.  Nous  avons  aussi  des  témoins  irrécusables  de  la 
constante  vertu  des  apôtres.  Ce  sont  leurs  propres  en- 
nemis, leurs  persécuteurs,  qui,  les  injuriant,  les  char- 
geant d'opprobres,  n'ont  jamais  intenté  un  reproche  à 
leur  probité.  Quel  moyen  eût  été  plus  propre  à  décrier 
Ja  nouvelle  religion ,  que  les  vices  de  ceux  qui  la  prê- 
chaient? Ardents  et  habiles  comme  ils  l'étaient  à  saisir 
tous  les  moyens  de  la  combattre ,  peut-on  douter  que 
les  Juifs  et  les  païens  n'eussent  saisi  avidement  celui-là? 
Puisqu'ils  ne  l'ont  pas  fait ,  ils  ne  l'ont  pas  pu  :  leur 
silence  sur  la  probité  des  apôtres  en  est  la  plus  sûre 
apologie.  On  nous  dira  peut-être  que  ce  n'est  ici  qu'une 
preuve  négative  :  mais  selon  toutes  les  règles  d'une 
saine  logique  ^  un  raisonnement  négatif  conserve  toute 
sa  force  tant  qu'on  ne  lui  en  oppose  pas  de  positifs. 

Après  le  personnel  des  apôtres  et  des  évangélistes , 
examinons  leur  narration  ,  la  manière  dont  ils  la  font , 
les  circonstances  dont  elle  est  accompagnée. 

XV.  La  première  chose  qui  frappe,  est  son  étonnante 
simplicité.  Ils  racontent  les  faits  les  plus  extraordinaires  , 
les  plus  merveilleux  ,  comme  ils  rapporteraient  des  choses 
naturelles  et  communes.  Toujours  historiens ,  jamais 
panégyristes,  ils  ne  font  aucunes  réflexions ,  lors  même 
qu'elles  paraîtraient  les  plus  utiles ,  soit  pour  prouver 
ces  faits  ,  soit  pour  en  lelever  l'éclat.  Ils  racontent  la 
vie  de  leur  maître  ;  jamais  ils  ne  font  son  éloge.  On  ne 
peut  cependant  pas  douter  qu'ils  ne  fussent  pénétrés  du 
plus  tendre  attachement  et  animés  du  zèle  le  plus  ardent 
pour  sa  personne.  Une  narration  si  simple _,  si  unie  ,  est- 


tanqDam  impostores  infamiis  probrisqae  notare  conaniiir,  cur  non 
ipsi  potins  et  ridiculisant,  et  odio  ,  invidiaque  digni ,  tanquam  oin- 
nis  veritatis  inimici  habentor.  Qai  qnidem  viros  ab  omni  malitia  aliè- 
nes, tahiqne  sine  faco,  vereqae  sincernm  aniinnin  in  suis  sciiptis 
prae  se  ferentes,  inalitiosos  quosdain  et  callidos  andent  (ingère  sophis- 
tas  ;  tanqnam  eos  qui  quidquid  scri[)serint  ,  commenli  sint  ;  et  suo 
praeceptori ,  quas  iile  nunquam  feoerit ,  ad  graliara  iribuerint.  l^Eiise- 
bius  ^  Demonst.  evang.^  lib.  iir.) 


228  DISSERTATIONS 

elle  le  langage  d'imposteurs,  d'hoinines  (jui  cherdienl 
à  séduire  ou  à  surprendre? 

XVI.  Ceux  qui  ont  ce  projet  ont  pour  premier  soin 
de  cacher  leur  fraude.  Les  apôtres  semblent  prendre  à 
tâche  de  donner  tous  les  moyens  de  découvrir  celle  dont 
ils  auraient  pu  se  rendre  coupables.  Pour  faire  croire 
leurs  mensonges,  les  imposteurs  ont  soin  d'en  placer  le 
théâtre  ou  l'époque  à  des  lieux  ou  à  des  temps  tellement 
reculés,  que  la  vérification  en  soit  difficile.  Les  apôtres 
suivent  la  marche  contraire.  C'est  dans  le  lieu ,  dans  le 
temps  où  la  mémoire  de  leur  maître  est  encore  toute  rt?- 
cente,  c'est  dix  jours  après  qu'il  a  quitté  la  ten*e ,  c'est 
dans  la  ville  même  où  il  vient  d'opérer  le  plus  grand 
nombre  de  ses  prodiges,  qu'ils  les  publient  Les  impos- 
teurs commencent  par  semer  obscurément  leur  doctrine  , 
avant  de  la  mettre  au  grand  jour.  C'est  dans  le  jour  où 
une  fête  solennelle  attire  à  Jérusalem  un  grand  concours 
de  monde  de  toutes  les  parties  de  la  Judée,  et  même  des 
pays  étrangers  ,  qu'ils  y  ouvrent  leur  prédication  :  ainsi , 
c'est  devant  tous  ceux  qui  ont  dû  être  témoins  des  mi- 
racles, qu'ils  les  annoncent.  Toutes  les  personnes  qui  les 
entendent  savent,  à  n'en  pas  douter),  si  ces  miracles 
sont  réels  ou  supposés  :  si  quelques-uns  n'en  sont  pas 
instruits  personnelkment ,  il  leur  est  facile  de  s'en  infor- 
mer sur-le-champ.  Pour  faciliter  encore  cette  vérification, 
les  apôtres  indiquent  hautement  les  lieux  où  les  prodiges 
se  sont  opérés,  les  personnes  qui  en  ont  été  les  objets. 
Par  là  ils  invitent  à  l'examen ,  ils  provoquent  la  contra- 
diction. Tout  Jérusalem  savait  si ,  quelques  semaines 
auparavant ,  à  Béthanie,  qui  n'en  était  distante  que  de 
quinze  stades  ,  Lazare  avait  été  ressuscité  ;  tout  ce  qui  se 
trouvait  à  Jérusalem  pouvait  facilement ,  dès  le  jour 
même,  s'en  assurer.  On  pouvait  de  même  savoir  ou 
s'informer  promptement  si  à  Jéricho ,  dans  le  même 
temps ,  Jésus-Christ  avait  guéri  un  aveugle  ;  dans  Ca- 
pharnaum  ,  un  démoniaque  ,  la  belle-mère  de  St.  Pierre , 
le  domestique  d'un  centenier  ;  si ,  dans  le  désert  de  Beth- 
saide,  il  avait  nourri  cinq  mille  hommes  avec  cinq  pains; 


SDR    LA    RELIGIO-N.  229 

si ,  dans  la  ville  de  Naiin  ,  il  avait  ressuscité  le  fils  d'une 
veuve  ;  s'il  avait  rendu  la  vie  à  la  fille  d'un  chef  de  sy- 
nagogue ,  nommé  Jaïre.  Il  en  était  de  niénie  de  tous  les 
autres  miracles.  Il  était  moralement  impossible  qu'à 
l'occasion  de  la  fête  il  ne  se  trouvât  pas  à  Jérusalem  des 
gens  de  ces  divers  pays,  instruits  de  la  vérité  ou  de  la 
fausseté  des  faits  annoncés,  et  dont  la  déposition  ne  con- 
firmât ou  ne  contredit  pas  le  témoignage  des  apôtres.  Ces 
circonstances ,  favorables  à  la  narration  des  ujiracles  si 
elle  était  véritable  ,  l'anéantissaient  si  elle  était  fausse. 
Les  apôtres  auraient-ils  osé  la  produire  devant  tant  de 
témoins,  s'ils  n'avaient  pas  été  assurés  de  sa  vérité? 
n'auraient-ils  pas  redouté  les  suites  humiliantes  et  péril- 
leuses d'un  démenti?  le  démenti  n'eut-il  pas  eu  heu  ,  si 
les  faits  n'eussent  pas  été  bien  publiquement  connus?  si 
le  démenti  avait  eu  lieu  sur  un  seul  miracle ,  se  serait- 
il  fait  un  seul  chrétien  ? 

XYII.  Voici  qui  est  plus  fort  encore.  Non-seulement 
les  apôtres  publient  es  miracles  de  leur  maître  devant 
ceux  qui  devaient  en  avoir  connaissance  ,  mais  ils  invo- 
quent encore  la  connaissance  qu'ils  en  ont.  St.  Pierre 
réclame  leur  propre  témoignage  ly.  Il  ne  craint  pas  de 
leur  dire  ,  et  à  plusieurs  reprises  ,  qu'ils  savent  la  vérité 
de  ce  qu'il  leur  rappelle.  Supposons  que  les  miracles 
n'eussent  pas  été  réels ,  et  que  personne  n'en  eut  eu  con- 
naissance :  quel  effet  une  assertion  aussi  ridicule ,  aussi 
effrontée  ,  aurait-elle  produit  sur  tout  l'auditoire?  Que 
les  incrédules  jugent  eux-mêmes  le  genre  d'impression 
que  produirait  sur  eux  un  homme  qui ,  atin  de  leur  per- 


(i)  Viri  lïi-aelitae,  audile  verba  haec  :  Jesam  ^'azarcenum ,  vimm 
apprfihatnm  a  Deo  m  veibi's,  in  virtutibas,  er  prodigiis  et  signis  quae 
fecit  Deus  per  illum  in  medio  vestri,  ut  vos  scifis.  (^Act.  ii,  22.) 

Vos  sciiis  qood  faclum  est  verbum  per  nniversam  Jadaedm,  inci- 
piens  a  Galilaea  ,  post  baptisiuam  quod  pra;dic;uit  Joannes  :  Jesnm 
a  Nazareth,  qaomodo  uiixit  eam  Deus  spinfu  sancto,  et  «-iflute  :  qni 
pertransit  benefaciendo ,  et  sanando  oranes  oppresses  a  diabolo:  qno- 
niam  Deus  erat  coin  illo.  {Act.  x,   87  ,  38.  ) 


230  '        DISSERTATIONS 

suader  des  faits  extraordinaires,  leur  soutiendrait  qu'ils 
les  savent  parfaitement,  tandis  qu'ils  n'en  auraient  au- 
cune idée. 

XMII.  Une  autre  circonstance  prouve  encore  mani- 
festement la  vérité  des  témoignages  rendus  par  les  apôtres 
et  les  autres  disciples  à  la  puissance  miraculeuse  de  leur 
maître  :  c'est  leur  unanime  et  invariable conformité(l). 
Ils  se  répandent  dans  une  multitude  de  pays  ,  et  partout 
ils  annoncent  1rs  mêmes  merveilles,  sans  se  couper  eux- 
mêmes  dans  leurs  dépositions  ,  sans  se  contredire  réci- 
proquement dans  leurs  récits.  D'où  peut  venir  ce  concert 
si  admirable,  sinon  de  la  vérité?  Il  n'y  a  que  la  vérité 
qui  soit  une,  et  qui  puisse  dicter  à  tant  de  personnes, 
dans  tant  de  lieux,  pendant  tant  d'années  ,  des  relations 
constamment  les  mêmes.  Pour  attribuer  un  accord  aussi 


(i)  Contemplare  praeterea  qaantarn  et  ejusraodi  sit  illos  de  rebas 
gestis  Jesu  nulltim  unquam  discrepans  verbum  protulisse.  Si  enira  de 
omnibus  rébus  de  quibus  ambigitor ,  atqae  in  judiciis  quae  ex  legibas 
exeiceniur,  coinmanibusque  c«tntroversii.s ,  consensus  testinin  cerlum 
ratumque .  id  efficit  de  quo  ambigitor  (  in  ore  enim  duorum ,  vel  trium 
teslium  consistit  omne  verbum),  cur  in  bis  quoque  veritas  non  con- 
sistit  ?  Cam  et  daodecim  apostoli  fuerint ,  et  septuaginta  discipuli ,  et 
innnmerabilis  extra  hune  numerum  miiltiiudo,  qui  admirabilera  in 
omnibus  consensnm  servaverint ,  et  rébus  ad  Jesu  gestis  leslimonium 
dederint  :  non  iliud  qnidem  sine  sndore ,  sed  cum  tormentorom  ,  om- 
nisqoe  ii.juriae,  ac  deniqae  mortis  perpessione.  (^Euseb.,  Deinonst. 
evang.  lib.  m.  ) 

Qoemadmodum  enim  in  b'ra  cim  diversae  sint  chordae,  unus  tamen 
concentos  est,  sic  etiam  in  aposiolorum  choro,  qaamvis  sint  diversae 
personae,  una  tamen  doctrina  est;  quia  et  unus  artifex  erat ,  Spiritus 
santtns,  qui  ipsorum  animos  movebiit.  Idque  Paulus  oslendens  :  Sive 
igitur,  inquit,  illi ^  sive  ego,  sic  prcedicamus.  {S.  Joann.  Chrysost. 
Hom.  in  S.  Ignatiutn  martyrem  ,  n°  2.) 

Denique  auctores  nostri,  in  quibus  non  frustra  sacrarum  litteraram 
figitur,  et  terminalur  canon,  absit  nt  iuter  se  aliqua  ratione  dissen- 
tiant.  Unde  non  imiuerito,  cum  Ula  scriberent ,  eis  Deum ,  vel  per 
eos  locntura,  non  pauci  in  scbolisatque  gymnasiis ,  litigiosis  disputa- 
tionibus  garrnli,sed  in  agtis  atque  in  urbibus,cam  doctisatque  indoc- 
tis,  tôt  tantiqoe  popuii  crediderunt.  Ipsi  tam  pauci  esse  debuerant  ; 
ne  multiiudine  vilesceret,  quod  religione  eoram  esse  oporteret  :  nec 
tamen  ita  pauci,  ut  euruni  non  sit  miranda  consensio.  (5.  August.  , 
de  Civit.  Dei ^  lib.  xviii.  cap.  41 ,  n®  i.) 


SDR    La    religion.  231 

exact  au  mensonjje,  il  faudrait  soutenir  ou  qu'il  a  été 
produit  par  le  hasard  et  sans  que  les  apôtres  se  fussent 
concertés ,  ou  qu'il  est  le  résultat  d'une  convention  faite 
entre  eux.  La  première  hypothèse  est  non-seulement 
déraisonnable,  mais  ridicule.  Elle  présente  un  effet 
sans  cause.  Pour  la  réfuter ,  il  suffit  de  l'exposer.  La 
seconde  supposition  est  également  absurde.  Le  nonri- 
bre  seul  de  ceux  qui  auraient  dû  entrer  dans  ce  cri- 
minel traité,  eu  montre  l'impossibilité.  D'abord,  que 
les  douze  apôtres  et  les  évangélistes  eusseut  fait  et 
soutenu  toute  leur  vie  invariLJjlement  un  tel  com- 
plot ,  serait  déjà  une  chose  incroyable  ;  mais  il  au- 
rait fallu  de  plus ,  qu'ils  eussent  pour  complices  la 
nombreuse  troupe  des  disciples ,  tant  hommes  que 
femmes  ;  il  aurait  fallu  que  dans  cette  multitude  de 
personnes  il  ne  s'en  fût  pas  trouvé  une  seule  hon- 
nête, que  l'horreur  d'un  aussi  grand  crime  eût  ar- 
rêtée ;  il  aurait  fallu  que  dans  le  cours  de  tant 
d'années  il  ne  fût  venu  à  aucune  d'elles  un  repen- 
tir ;  il  aurait  fallu  qu'il  ne  leur  fût  échappé  pen- 
dant tout  ce  temps  aucune  indiscrétion.  Considérons 
que  la  plus  légère  révélation  faite  aux  ennemis 
nombreux  et  puissants  de  la  religion  naissante  li- 
vrait les  auteurs  et  les  complices  de  l'imposture  non- 
seulement  à  un  éternel  opprobre,  mais  aux  plus  cruels 
supplices.  Il  est  contraire  à  la  raison  d'imaginer  qu'un 
semblable  accord  ait  pu  se  former  ;  plus  contraire  en- 
core de  croire  qu'il  ait  pu  se  soutenir.  Pour  con- 
cevoir un  tel  projet,  il  faudrait  que  plusieurs  cen- 
taines d'hommes ,  sans  exception ,  eussent  été  des 
prodiges  d'extravagance  et  des  monstres  de  scéléra- 
tesse. Pour  rexéciiter ,  il  faudrait  que  tous  ces  mê- 
mes hommes  eussent  été  en  même  temps  des  modèles 
de  prudence  et  des  héros  de  fidélité. 

XIX.  Je  dis  que  dans  les  écrits  qui  composent  le 
Nouveau  Testament  on  n'aperçoit  point  de  disso- 
nances, qu'il  n'y  a  point  de  contradictions;  mais  il  y  a 
des  différences  sensibles.  La  variété  des  styles,  la  ma- 


232  DISSERTATIONS 

nièie  de  raconter  les  mêmes  faits ,  les  uns  omettant 
des  circonstances  que  rapportent  les  autres  ,  ceux-ci 
plaçant  après  ce  que  ceux-là  mettent  auparavant ,  et 
d'autres  diversités  encore  prouvent  évidemment  que 
ces  diiïcrents  ouvrages  ne  sont  pas  de  la  même  main, 
et  qu'ils  sont  de  plusieurs  auteurs  qui  ne  se  sont  pas 
concertés  en  les  écrivant  (1).  Des  hommes  qui  auraient 
fait  un  accord  pour  tromper  n'auraient  donné  au  monde 
qu'un  seul  livre,  qui  n'aurait  par  donné  de  prise  à  ce 
genre  de  critique.  On  voit  dans  les  Evangiles  quelques 
récits  qui  semblent  présenter  de  la  contrariété  ;  par 
exemple,  entre  St.  Matthieu  et  St.  Luc,  dans  les  généa- 
logies qu'ils  donnent  de  Jésus-Christ.  Ces  apparences 
d'opposition  ont  fourni  à  quelques  incrédules  des  objec- 
tions contre  la  vérité  de  l'histoire  évangélique.  En  con- 
ciliant ces  prétendues  contradictions ,  on  a  réfuté  leurs 
vains  arguments,  et  on  a  montré  que,  loin  de  prouver 
la  fausseté  du  récit  des  écrivains  sacrés ,  ce  qui  paraît 
être  entre  eux  des  oppositions  prouve  au  contraire  leur 
sincérité ,  et  fait  voir  qu'ils  ne  se  sont  pas  concertés 
pour  mentir  (2).   u    Le    mensonge  est  circonspect.   S'il 


(i)  At  CQin  primo  loco  quaesivisseinus  car  a  capteris  evangelistis 
praetermishus  Lazarus  a  Joanne  solo  metuoratus  f uisset ,  respondeba- 
mas  Spiiitain  sanctuin  ut  cominenii  suspicionem  praecideret ,  permi- 
sisse  nt  evangelistae  quae  ad  luiracula  Saivaioris  pertinerent  concordis- 
sime  de>cribeient  ;  cura.sse  tamen  ut  alius  aliud  quidpiam  praeteriret  ; 
qaod  signam  esse  peispicnum  ipsos,  neque  callide,  deditave  opéra, 
Tinove  consensQ,  neque  ad  giaiiarn  evaiigelia  scripsisse;  ita  ut  oinnes 
cum  quidpi;im  iii  aliquo  deesset ,  veritatem  sine  fucû  dedararenf. 
(S.  Joaiin,  Chrysost. .  Honiil.  de  Lazar.  quatrid.) 

Tu  vero  qai  dissonaiiti?in  illam  objicis,  perinde  facis  at  si  eadera 
ipsa  verba ,  eosdem  loquendi  modos  prof"erre  juberes.  Nanti  alirid  est 
diverse  loqui ,  aliud  pugnantia  dicere.  {^Idem  ^  in  Match,  proœmiiim 
Homll.  I,  n''  4,  ) 

Quia  raulta  fecit  Dominas  Jésus,  non  omnes  omnia  conscripse- 
runt  :  sed  alins  isia,  alius  il!a  :  sumraa  tamen  concordia  veritatis. 
(5.  August.  Serm.  ccxl,  de  Festis  Paschal.  prim.  al.  de  Tempo- 
re  cxxxix  ,  n°  r .  ) 

(a)  Atqiii,  inquies,  om.iino  contra  accidit.  Saepe  enim  inter  se  dis- 
sentire  deprehenduntur.   Certe  illud  ipsam  magnum  est  pro  veritate 


SUR    LA    RELIGION.  233 

>•  doit  passer  par  des  plumes  dilîéreutes ,  il  s'attache  à 
«  une  scrupuleuse  et  servile  unitorniité.  Il  n'y  a  point 
«'  de  dépositions  plus  unanimes  que  celles  des  faux  té— 
«  moins ,  lorsqu'ils  ont  pu  s'aboucher  :  mais  l'écrivain 
«  que  dirige  et  qu'inspire  la  vérité,  rapporte  ce  qu'il 
«  sait,  sans  avoir  besoin  de  s'informer  de  ce  qu'on 
..  a  dit  avant  lui.  Il  ne  craint  ni  contradiction  ,  ni 
«  démenti.  Si  dans  son  récil,  comparé  avec  les  autres, 
«  il  se  rencontre  des  variantes  difficiles  à  concilier, 
-  il  se  met  au-dessus  de  ces  minutieuses  critiques ,  et 
«  se  repose  sur  la  vérité  elle-même  du  soin  de  résoudre 
«  des  difficultés  qu'il  n'a  pas  daigné  prévoir  (1).  » 

XX.  Invariablement  unanime  ,  le  témoignage  des 
premiers  prédicateurs  de  l'Evangile  est  encore  cons- 
tamment persévérant  :  et  c'est  un  nouveau  caractère , 
qui  porte  au  plus  haut  degré  d'évidence  sa  vérité  et  la 
sincérité  de  ceux  qui  l'ont  rendu  (2).  La  persécution 
suscitée  contre  eux  commence  avec  leur  prédication. 
Leur  maître  la  leur  avait  prédite.  Il  leur  avait  déclaré 
que  les  persécutions  qu'il  avait  éprouvées  se  prolonge- 
raient sur  eux  ;  qu'il  les  envoyait  comme  des  brebis  au 


argamentom.  Si  enim  omnia  accarate  consonassent,  quantnra  ad  tem- 
pos et  quantum  ad  loca ,  et  quanlam  sid  ipsa  verba  ,  ex  inimicis  nemo 
credituras  erat  ;  sed  ex  matao  hamanoque  consensn  ha-c  scripta  fuisse 
putas^ent  ;  atqoe  hujnsmoJi  consonantiam  ,  non  ex  simplicitate  ,  sin- 
ceritateque  procedere.  Jara  vero  illa  quse ,  in  exiguis  rébus  deprehendi 
videtar  diversitas ,  omnem  ab  illis  suspicionem  depellit,  scribentium- 
qae  fidem  claie  vindicat.  {S.  Joan.  Chrysost.  in  Mat  th.  proœm.  Ho- 
mil.  I ,  n"  2.  ) 

(i)   Démonstration  évangéliqae ,  par  M.  Duvoisin,  cinquième  édi- 
tion (chap.  V  ,  pag.  io8  ,  109.  ) 

(2  Qnod  si  mendacia  baec  erant,  qoae  illi  ex  composito  fînxissent, 
operae  pretium  erit  adiiii<ari  quonam  pacto  tantas  nuraerus  consen- 
som  illura  inter  se  in  rebns  fîctis,  vel  usqne  ad  mortem  servaverit  ; 
neque  ullus  earum  rerum  foimidine  quae  illos  qui  prios  sublati  fuerant 
accidissent  a  societate  desciverit  ;  neque  reliquis  publiée  cootradixerit , 
prodens  ea  quae  inter  ipsos  compusaissent.  [  Eusebius,  Démonst. 
évang.  lib.  ui.  ) 


234  DISSEKTATIONS 

milieu  des  loups;  qu'ils  seraient  poursuivis  de  villr 
en  ville;  traînés  devant  les  conseils,  les  synagogues, 
les  présidents,  les  rois;  qu'ils  seraient  jetés  dans  ks 
prisonSj  en  haine  à  tout  le  monde  ,  battus  de  verges, 
crucifiés,  mis  à  mort(l).  C'est  avec  la  conviction  intime 
de  tous  les  maux  épouvantables  qu'attirera  sur  eux 
leur  ministère,  qu'ils  l'entreprennent.  C'est  avec  l'é- 
preuve douloureuse  de  tous  ces  maux  qu'ils  la  conti- 
nuent sans  relâche.  L'Esprit  saint  me  répète  ,  dit 
8t.  Paul,  que  les  chaînes  et  les  tribulations  m'atten- 
dent; mais  je  ne  crains  rien  de  tout  cela.  Je  ne  regarde 
pas  ma  vie  comme  plus  précieuse  que  moi ,  pourvu  que 
je  consomme  ma  carrière  et  le  ministère  de  la  parole 
que  j'ai  reçu  de  Jésus-  Christ  (2). 

Avant  de  pousser  plus  loin  notre  raisonnement,  fai- 
sons deux  observations  qui  n'y  sont  certainement  pas 
étian  gères. 

XXI.  1°  Voici  une  manière  bien  extraordinaire  qu'em- 
ploie Jésus-Christ  pour  trouver  des  prédicateurs  de  sa 
religion.  Quand  un  imposteur  veut  s'attacher  des  dis- 
ciples et  des  preneurs ,  il  leur  donne  de  magnifiques 
espérances,  il  leur  promet  des  richesses,  des  plaisirs, 
des  honneurs,  tout  ce  qui  flatte  les  désirs  humains. 
Pour  la  prédication  de  son  Evangile,  Jésus-Christ  em- 
ploie le  moyen  contraire.  S'il  voit  ses  disciples  mus 
par  des  pensées  d'ambition  ,  il  se  lidte  de  les  réprimer  ; 
et  à  la  place  de   ces    vues   flatteuses   il   leur   présente 


(i)  Ecre  eo  naiito  vos  sicut  oves  in  medio  lapornin...  Cavete  autem 
ab  hominibus.  Tradent  eniin  vos  in  conciliis  et  in  synagogis  suis  :  fla- 
geUabant  vos  :  et  ad  piaesides,  et  ad  reges  duceraini....  et  eritis  odio 
omnibas  propter  nomen  ineara.  {I^Jatch.  x,  i6  et  seq.)  Vid.  ibid. , 
xxiii,  34  ;  xsrv,  9.  Marc,  xiii ,  9.  Luc.  xxi,  12 ,  16.  Joann.  xv,  20.) 

(a^l  Spiritus  sanctos  per  oranes  c-ivitates  mihi  proteslainr  qaoniam 
vincula  et  (ribalationes  Jerosolyiuis  me  raanent.  Sed  nihil  bornm  ve- 
reor  ;  nec  facio  aniiuam  meam  pretiosiorein  qoam  me  ;  ducumodo 
<;onsomraem  cursnin  raenm,  et  ministerium  verbi  qaod  accepi  a  Do- 
luino  Jesn.  (^c^  xx,  iZ ,  24-) 


SUR    LA     RLLIGiO.V.  235 

l'expectative  du  douloureux  calice  qu'il  doit  boire  lui- 
même  (I).  C'est  en  oflVant  tout  ce  qui  répaj^ne  le 
plus  à  la  nature,  les  liuiniliatious,  les  persécutions, 
les  spoliations ,  les  souffrances,  la  mort,  qu'il  imagine 
de  se  former  des  apôtres  ;  et  il  en  trouve,  et  il  leur 
inspire  autant  d'ardeur  pour  les  maux  aftreux  qu'il  leur 
promet ,  qu'ils  en  avaient  pour  tous  les  biens  de  ce 
monde.  Si  Jésus-Christ  est  un  imposteur  ,  il  prend , 
pour  se  donner  des  complices,  le  moyen  le  plus  propre 
à  lui  en  oter.  Si  les  apôtres  sont  des  fourbes  ,  ils  le 
sont  devenus  par  le  motif  le  plus  fait  pour  les  dé- 
tourner de  l'être. 

XXII.  2°  En  rapportant  dans  les  Evangiles  la  pro- 
phétie qu'avait  faite  leur  maître  des  souffrances  qu'ils 
éprouveraient,  les  apôtres  prenaient  l'engagement  de 
les  subir.  Si  après  cette  prédiction  qu'ils  publiaient , 
on  leur  avait  vu  mener  une  vie  commode  et  aisée, 
si  on  ne  les  avait  pas  vus,  au  contraire,  en  proie  à 
tous  les  maux  qui  leur  étaient  annoncés,  on  leur  aurait 
objecté  avec  avantage  la  fausseté  des  prédictions  de 
leur  maître,  et  la  contrariété  de  ce  qu'ils  disaient  avec 
ce  qu'ils  faisaient.  Ils  sont  donc  évidemment  entrés 
dans  le  ministère  apostolique  ,  en  sachant  combien  il 
leur  serait  pénible '2). 


(r)  Tune  accessit  ad  eam  mater  filiomm  Zebedaei  cnm  filiis  sais, 
adurans  et  petens  aliqaid  ab  eo.  Qui  dixit  ei  :  Quid  vis  ?  Ait  illi  :  Die 
ut  sedeant  hi  duo  iilii  mei  nuns  ad  ilexterarn  tuam  et  unus  ad  sinis- 
trara  ,  in  regno  tno.  Responden'»  autem  Jésus  dixit  :  >'e.->citis  quid 
petaiis.  Potesiis  bibere  calicem  quem  ego  bibilams  snm  ?  Matth.  xx, 
ao,  a  c ,  22.  ) 

(i)  Miram  eiiam  onde  discipolis  qui ,  nt  obtreciatores  Jesa  dicunt, 
nec  eam  a  raortuis  sascitatam  vidissent  ,  née  eam  divinura  quippiam 
esse  persaasam  habuissent ,  in  mente  venisset ,  non  reformidaie  quae 
Magister  passas  fuerat  :  intrépide  se  pericolis  commit  1ère  ,  patriam- 
que  relinqaere;  ut  ex  voluntate  Jesu  docirinam  sibi  ab  ipào  traditam 
docerent.  Nam  aibitror  nerainem  fore  qui,  rebns  diligenter  perpen- 
sis,  dicat  illos  tamnltuosam  viiam  propter  Jesu  doctriiiam  elecluros 
faisse,  nisi  eos  vehementer  persua^isset ,  et  ex  suis  pra?cpptis  vivere. 
et  alios  ad  ea  capessenda  adducere  :  praesertim  eam,   ut  sunt  res  hu- 


236  DISSERTATIONS 

XXIII.  Et  leur  attente  n'a  pas  été  trompée  I  On  peut 
lire  dans  les  épîtres  de  St.  Paul  aux  Corinthiens^  le 
détail  des  maux  auxquels  ils  étaient  contiuuellement 
livrés '1) ,  des  persécutions  violentes  que  lui-même  avait 
spécialement  éprouvées  (2)  ;  et  il  en  était  de  même  des 
autres  prédicateurs  apostoliques.  On  s'étonne  que  des 
hommes  aient  eu  la  force  de  soutenir  tant  de  fatigues , 
tant  de  veilles,  tant  de  travaux,  tant  de  privations,  tant 


luanae,  in  praesens  exitii  pericnlum  se  conjiciat  quisquis  nova  quae- 
cutiique  promulgare  andet  ,  infensosque  sibi  reddere  quicumque  saut 
piiscis  dogiuatibus  et  consuetudinibus  addicii.  An  non  id  periculi  vide- 
runt  Jesu  apostoli,  cum  au^i  sunt,  non  solum  Judaeis  ex  propheli- 
cis  serniuiiibos  probare  eam  esse  qnein  prophétie  praedixerant ,  sed 
etiain  leliquis  geniibus ,  enra  qui  heri  et  nudiasieriius  cioci  aftixus 
fuerat ,  banc  ultro  mortem  pro  humano  génère  subiisse.  (  Origenï 
contra  Celsuin  ,  lib.  i ,  n°  3r.  ) 

Ergo  illi  praeceptoris  sai  exitum  non  videront ,  et  qnali  morte  fue- 
rit  affectus.  Cur  igitar  post  il!am  torpissimam  illius  necem  de  eo  qui 
raortuQs  esset  novam  theologiam  cen^tantissime  protulernnl;  née  ab 
incœpto  deterreri  potuerant  ?  At  qaid  ex  ea  re  tandem  petebant  ? 
Nnm  ut  eodem  supplicio  afficerentur  ?  Sed  quis  ,  ullo  unquam  tem- 
père, nuUa  spe  proposita,  ejusœodi  sapplicium  manifestom  eligeret  ? 
(  Euseb.  ,  Démonst.  évang.  bb.  m.  ) 

îfon  enim  quaes^us  et  commodi  gratia  rebgionem  istam  comment» 
sont  '.  quippe  qui  el  praeceptis  et  reipsa  eam  vilara  secuti  sunt ,  quae  e  t 
voluptatibus  caret,  et  omnia  quae  habentur  in  bonis  jpernit  :  et  qai 
non  tantum  pro  tide  mortem  subierint ,  sed  etiam  moiituros  esse  et 
scierint  et  praedixerint,  et  postea  uni  versos  qui  illorum  disciplinam 
secuti  essent  ,•  acerba  et  nefanda  passuros.  (^Lactant.  Divin.  Instit.^ 
lib.  V,  cap.  3.  ) 

(i)  Usque  ad  banc  horain,  el  esnrimus,  et  sitimus  ;  et  colaphis 
caedimur,  et  instabiles  samus;  et  laboram-s  opérantes  manibos  nos- 
tris.  Maledicimnr ,  et  benedicimus  :  perseculionem  patimur  ,  et  snsti- 
nemus  :  blasphemamur  el  obsecramus  :  tanquam  purgamenta  bujas  " 
mandi  facti  sumus ,  omnium  peripsema  usque  adbac.  (i.  Cor.  iv, 
II  ,   12  ,  i3.  ) 

(2)  In  laboribas  plnrimis;  in  carceribn*  abundantins,  in  plagia 
sopramodum;  in  mortibus  fréquenter.  Et  Judaeis  quinquies  quadra- 
genas  ùna  rcinus  accepi  :  ter  virgis  caesus  sum  :  semel  lapidatns  sum  : 
ter  naufragium  feci  :  nocte  et  die  in  profundum  maris  fui.  In  itineri- 
bussaepe,  periculis  flnminum,  periculis  latronum ,  periculis  ex  gé- 
nère, periculis  ex  gentibas,  periculis  in  mari,  periculi*  in  falsis  fra- 


SUR    L\    RELIGION.  237 

de  besoins ,  tant  de  contrariétés  ,  tant  de  traverses ,  tant 
d'opprobres  ,  tant  de  périls  ,  tant  d'emprisonnements  , 
tant  de  supplices,  tant  de  souffrances  de  toute  espèce! 
Ce  n'est  pas  un  seul  tourment ,  c'est  toutes  les  sortes 
de  tourments  qu'on  leur  inflige  ;  ce  n'est  pas  en  un 
seul  lieu,  c'est  partout  où  est  répandu  l'Evangile:  ce 
n'est  pas  un  seul  témoin  des  miracles  de  Jésus-Christ , 
c'est  tous  ceux  qui  les  publient  ;  ce  n'est  pas  dans  un 
seul  temps,  c'est  pendant  tout  le  cours  de  leur  vie. 
Depuis  le  jour  où  ils  entrent  dans  la  carrière  aposto- 
lique ,  jusqu'à  celui  où  ils  la  terminent ,  ils  ne  cessent 
d'être  entre  la  double  tentation  des  tortures  les  plus 
cruelles,  s'ils  persévèrent  dans  leur  témoignage,  de  tous 
les  avantages  temporels,  s'ils  les  rétractent.  Surs  d'être, 
en  soutenant  leur  déposition  ,  avilis  ,  dégradés  ,  tour- 
mentés, immolés;  assurés  d'être  ,  en  la  démentant  , 
loués  ,  honorés  ,  enrichis,  comblés  de  biens  ,  ils  peuvent 
d'un  seul  mot  se  délivrer  de  tous  leurs  maux  ,  changer 
la  vie  misérable  qu'ils  mènent  en  une  vie  pleine  de 
délices  ;  et  dans  cette  troupe  nombreuse .  pas  un  ne  pro- 
fère ce  mot  qui  lui  serait  si  utile,  pas  un  ne  se  désiste  de 
l'assertion  qui  lui  est  si  fatale.  Ils  la  soutiennent  devant 
les  tribunaux  où  on  les  traîne,  ils  en  font  retentir  les 
prisons  où  on  les  jette  ,  ils  la  répètent  encore  sur  les 
échafauds  où  on  les  égorge  ;  car  c'est  là  que  se  termine 
le  terrible  combat  de  la  persécution  la  plus  violente 
contre  le  témoignage  rendu  aux  miracles.  Tous  les  apô- 
tres ,  excepté  un  seul,  selon  une  tradition  très-antique 
et  très-accréditée ,  un  grand  nombre  de  disciples ,  scel- 
lent de  leur  sang  les  vérités  qu'ils  ont  publiées,  et 
expirent  martyrs  (l).  Quel  autre  motif  que  le  zèle  de 


tribas;    in   labore  et   serarama  ,    in  vigiliis   multis,  in    famé  et  siti,  in 
jejnniis  ranltis,   in  frigore  et  nuditate.  (2.  Cor.  xi,   aS  et  sec/.) 

(i)  Rogo  itaque  vos  omnes  ot  obediatis  vestrœ  justitiae,  et  omnein 

patientiam  exerceatis    qaam  ocalis  vestris  vidis'is  ,  non  modo  in  bea- 

lis  Ign;itio  et  Zozimo,  et  Rafo,  sed  eliam  in  aliis  qui  ex  vobis,  ac  in 

j»so  PhuIo,  caeterisqae  apostolis,  persaasi...  qnod  in  debito  sibi  loco 


238  DISSERTATIONS 

la  vérité,  a  pu  les  en^^ager  à  celle  inébranlable  cons- 
tance? S'ils  sont  des  faussaires  ,  quVspèrent-ils  au- 
delà  de  celle  vie  (1)? 

XXI Y.  On  nous  dit  que  d'autres  religions  ont  eu 
aussi  leurs  martyrs.  Passons  l'assertion  qui  pourrait 
être  sujette  à  de  grandes  discussions.  IMais  la  diflcrence 
est  extrême  entre  ceux-là  et  les  premiers  chrétiens  : 
elle  consiste  en  ce  que  les  uns  mouraient  ^our  soutenir 
des  opinions  et  que  ceux-ci  se  sont  fait  égorger  pour 
attester  qu'ils  avaient  vu  des  faits.  Le  martyre  prouve 
la  persuasion  de  celui  qui  le  subit  :  il  ne  prouve  pas  la 
vérité  de  ce  dont  il  est  persuadé.  On  peut  se  laisser 
immoler  pour  des  opinions  fausses,  parce  qu'on  peut 
se  tromper  sur  des  opinions;  mais  sur  des  faits  frap- 
pants, tels  que  sont  des  miracles  que  l'on  a  aperçus  par 
tous  ses  sens,   l'erreur  est  impossible.   Le  mariyre  des 


sinf  ;)pad  Domiiium,  cumque  et  passi  sint....  (S.  Polycarp.  epist.  ad 
Fhillpp.f  n"  9.) 

Queni  imitantes  apostoli ,  nt  qui  vere  essent  gnostici  et  perfecti, 
pro  ecclesiis  qnas  fandarunt,  passi  sunt.  (5.  Clemens  Alex.  Strom.f 
lih.  IV  ,  cap.  9.) 

(i)  Qiiod  si  qnis  hvc  evangelistarnm  fîfjmenla  esse  opinatur,  cur 
non  potius  fijimenti  fueiint  qnae  adversns  Jesnin  ,  et  chriiiatios  infen- 
suni  odium  coniFnentnra  est.  Veritas  autem  qu*  litteris  mandaveruiit 
ii  qui  omni  génère  pœnaram  propter  Jesn  dociiinam  piaeferendo  de- 
monstrarnnt,  quara  sinceio  anirao  erga  illuin  essent.  Tauta  enini,  tain 
firma  ad  mortem  usque  constantia  argiiraenfo  est  discipnlos  Jesu  non 
fuisse  eos  qni  fingerent  de  ujagistro  suo  quce  iieutiquaçi  erant.  Apos- 
tolos  autem  pro  ceito  habuisse  qorç  «cripserint ,  yt^uis  rerum  sest  ma- 
toribus  indf  perspicnum  est,  quod  tôt  ac  tanta  protn'erint  propter 
eura  quem  Dei  iilium  esse  credebant,  (  Ongcn.  contra  Celstirn^  lib.  a, 
n°  10.) 

Qiiomodo  ergo  is  qui  inorinus  erat  .  et  sepulrbro  ronclnsas,  ut  lu 
dic  s  ,  o  Judaee,  in  omnibus  qui  secuii  sunt  jllum  tantam  vim  exhi- 
bait, tantamfjne  virtatem  ,  ut  eis  persuaderet  solum  illiiui  nt  adora- 
ient, omni.icjue  sustinere  ac.  perpeti  mallent,  quam  suara  in  illum  fi- 
dem  amitiere.  (5.  Joann.  Chrysost.  homil.  cur  in  pentccosle ,  etc., 
n°  8.) 

Cogi'ate,  frafrçs,  quale  fiieiit  mitti  humines  per  orbem  terrarom 
praedicare  bominera  mortuum  resunexisse,  in  rœlum  ascendisse  ;  et 
pru  is!a  piadi' a'i(  ne  perpeti  ora.nia  quse  insaniens  mundus  inferret, 


SUR   LA    RELIGION.  239 

disciples  de  Jésus-Clirist  démontre  leur  sincérité  :  voilà 
tout  ce  que  nous  prétendons.  Que  le  martyre  des  sec- 
taires atteste  aussi  leur  bonne  foi ,  nous  n'avons  pas  à 
le  contester ,  puisque  de  leur  bonne  foi  à  la  vérité  de 
leur  secte  ,  il  y  a  encore  loin.  En  prenant  le  mot  martyre 
dans  son  sens  strict,  nous  pourrions  dire  qu'il  n'y  a 
que  les  disciples  de  Jésus-Clirist  qui  aient  été  martyrs. 
C'est  un  terme  grec  qui  signifie  témoin  (1).  Les  premiers 
chrétiens  ont  été  témoins  des  vérités  pour  lesquelles  ils 
sont  morts;  ceux  des  autres  religions  n'ont  pté  que  vic- 
times des  dogmes  dont  ils  faisaient  profession. 

XXV.  L'incrédulité  que  n'arrête ,  dans  ses  hardies 
assertions,  aucune  absurdité,  n'a  pas  craint  de  dire 
que  les  apôtres  n'étaient  pas  sans  intérêt  dans  leur  pré- 
dication :  elle  n'a  pas  rougi  d'avancer  qu'ils  trouvaient 
dans  leur  ministère  une  subsistance  assurée  et  une  vie 
commode  sans  rien  faire.  Et  comment  Jésus -Christ 
la  leur  aurait- il  donnée,  lui  qui  n'avait  pas  seulement 
où  reposer  sa  tête?  D'ailleurs  ne  voyons-nous  pas  sou- 
vent les  apôtres,  du  vivant  de  leur  maître,  repiendre 
leur  métier  de  pêcheurs ,  y  revenir  encore  après  sa  ré- 
surrection? ne  voyons-nous  pas  St.  Paul  travailler  de 
son  métier  pour  se  procurer  la  subsistance?  Ils  ne  trou- 
vaient donc  pas  une  vie  assurée  dans  leur  ministère  ;  et 
certainement  avec  tout  ce  qu'ils  avaient  à  essuyer  de 
travaux ,  de  fatigues ,  de  souffrances ,  ils  en  tiraient 
encore  moins  une  vie  commode  et  douce. 


damna,  exilia,  vincula,  tormenta ,  flammas,  bestias,  craces,  mortes; 
bocpro  nescio  quo...  Nomqnid  hoc  facerent ,  nisi  flagranfia  verifatis, 
de  conscientia  vetitatis?  Viderant  quod  dicebant.  Nam  qaando  pro  ea 
re  morerentur,  qnam  viderant?  Quod  viderant  ne'jare  debebant? 
Non  negaveiant.  Praedicaverunt  mortaura ,  qaem  sciebant  vivura. 
Sciebant  pro  qaa  vita  conreninebant  vitam.  Sciehanr  pro  qoa  felicitate 
ferrent  transitoriam  infeliciraleni ,  pro  qnibus  praemiis  ista  damna 
conteranerent.  (S.  Angtist.  sermo  cccxi,  al.  cxv  ,  de  diversis  ,  n°  2.) 
(i)  Forïe  aliqai  frati  um  neseiont,  qui  graece  non  norunt.  qnid 
sint  teste»;  graece  ustatum  nnmen  est  omnibus  et  religiosum  :  qnos 
enira  testes  latine  dicimas,  graîce  martyres sun t.  [S,  August.  in  epst. 
Joann.  tract,  i ,  n"  a.) 


240  DISSERTATIONS 

XXYI.  «  D'autres  incrédules  disent  que  c'est  une 
«<  tentation  bien  flatteuse  et  bien  faite  pour  porter  aux 
«.  plus  hautes  entreprises,  que  celle  d'une  gloire  bril- 
•  lante,  de  passer  dans  les  siècles  à  venir  pour  les 
.«   lumières  du  monde,  pour  ses  réformateurs.  » 

XXVII.  J'ai  déjà  eu  occasion  de  discuter  cette  diffi- 
culté en  traitant  des  miracles  en  général  (Ij.  Il  ne  me 
reste  qu'à  répondre  à  l'application  qu'on  fait  du  prin- 
cipe au  témoignage  des  apôtres. 

1°  Quand  on  travaille  pour  l'intérêt  de  la  gloire, 
c'est  pour  la  sienne.  Ici  les  apôtres  auraient  travaillé 
aussi  laborieusement  pour  la  gloire  d'nn  autre  :  un 
autre  aurait  eu  tout  l'honneur  ,  et  eux  toute  la 
}»eine  (2). 

2°  Où  va-t-on  placer  cette  tentation  si  délicate,  de 
s'immortaliser  dans  la  mémoire  des  hommes  ?  C'est 
dans  des  personnages  simples,  grossiers,  du  dernier 
ordre  de  la  société  (3). 

3'  Pour  parvenir  à  cette  gloire  dans  la  postérité,  il 
fallait  que  les  apôtres  passassent  par  les  injures  et  les 
opprobres  de  la  génération  présente. 


(i)  Voyez  première  partie,  n°  xciv,  page  2o3. 

(2)  Quod  si  ex  aiuore  gloriae  hoc  fecissenl,  inolto  magis  nonsqais- 
que  dogina  sibi  a'tiibaisset ,  non  ei  qui  decesserat.  At  non  credidis- 
î>eut  illis  homines  ?  Et  de  qaonam  magis  credidissent  audienfes;  de 
illo  ne  qai  rorapiehensns  et  cracifîxas  fuerat;  an  de  illis  qui  Judaeo- 
rum  manas  effugerant  ?  (S.  Joann.  ChrysosC,  in  epist.  priuiam  ad 
Cor.  hom.  v,  n°  5.) 

Numqoid  enim,  fratres  mei ,  Petras  pro  sua  gioria  moriebalur? 
aul  se  ipsum  praedicabat?  Alius  moriebatur  ,  ut  alius  honoraretur  : 
abus  ociidebatur ,  nt  alias  coleretar.  (5.  Aitgiist.  ^  serin,  cccxi ,  al. 
cxv ,  de  diversis  ^  n"^  2.) 

(3)  Et  si  quidem  fuissent  edacati  in  gioria,  opibus,  potentia  et  ern- 
ditione,  ne  sic  quidem  ad  lantam  mulem  rernm  se  extoUeie  posse  vi- 
debantar.  Sed  lamen  aliqiia  ralione  poluissent  expecisri.  Nonc  antem 
alii  in  iacobns,  alii  in  pellibus  ,  alii  in  telonio.  ZSMiil  est  his  studiis 
Jneptius  ad  philosophiam ,  et  ad  persnadendum  nt  magna  qais  imagi- 
neiur.  (5.  Joatm.  Chrjsust.  in  epistol,  primain  ad  Cor.  homà.  v, 
no  3.) 


SUR    LA    RELIGION.  241 

4"  Et  c'était  là  tout  ce  qu'ils  pouvaient  envisager 
d'assuré  et  même  de  vraisemblable.  Toutes  les  consi- 
dérations humaines  démontraient  l'impossibilité  de 
l'entreprise.  Qu'elle  échouât,  comme  selon  le  cours  de 
la  nature  elle  devait  indubitablement  échouer,  au  lieu 
de  gloire  ,  une  honte  éternelle  s'attachait  à  la  mémoire 
de  ses  auteurs. 

XXVIII.  Xous  le  disons  donc  avec  confiance  :  tout 
homme  qui  forme  un  projet ,  se  propose  un  but,  est^ 
mu  par  un  intérêt.  Ici  on  ne  peut  apercevoir  aucun  but 
humain,  aucun  intérêt  terrestre.  Au  contraire,  tous 
les  intci^ls  de  cette  vie  devaient  détourner  les  apôtres 
de  tenter  l'entreprise,  les  en  faire  désister,  s'ils  avaient 
été  assez  extravagants  pour  la  commencer.  Et  ils  le 
savaient  eux-mêmes,  ils  le  disaient  hautement  ;  si  nos 
espérances  sont  bornées  à  ce  monde,  nous  sommes  les 
plus  misérables  des  hommes  (1).  Un  seul  intérêt  était 
capable  de  les  faire  agir;  l'intérêt  de  la  vie  future,  et 
celui-là  ne  fait  pas  les  imposteurs. 

XXIX.  Aux  nombreux  témoignages  dont  tant  de 
preuves  démontrent  la  sincérité ,  ajoutons  -  en  deux 
autres  d'un  genre  différent,  qui  les  confirment  et  leur 
d^onnent  un  nouveau  poids.  Dans  la  passion  de  Jésus- 
Christ,  deux  de  ses  apôtres  lui  sont  infidèles.  St.  Pierre 
le  renie  par  faiblesse ,  Judas  le  trahit  par  avarice.  Et 
quelle  sera  la  suite  de  la  lâcheté  de  l'un ,  de  la  perfidie 
de  l'autre  ?  Révéleront-ils  aux  ennemis  de  leur  maître 
quelque  chose  à  son  désavantage?  Certainement,  dans 
le  moment  où  ils  lui  manquaient  aussi  essentiellement, 
rien  ne  pouvait  les  engager  à  cacher,  tout,  au  contraire, 
les  portait  à  déclarer  ce  que  pendant  trois  ans  ils 
avaient  pu  remarquer  ou  apercevoir  qui  lui  fût  con- 
traire. Des  espérances  flatteuses  auraient  dû  tenter 
Judas,  que  la  modique  somme  de  trente  deniers  avait 


(i)  Si  in,hac  vita  tantam  in  Christo   sperantes  sumas,  miserabi 
liores  samas  omnibus  bominibas.  (I.  Cor.  xv  ,  19.  ) 

Dissert,  sur  la  Relig.  1 1 


242  DISSERTATIOxNS 

rendu  traîlre.   La  crainte  des  chefs  de  la  nation  devait 
intimider  St.  Pierre,  que  la  voix  d'une  servante  avait 
rendu  faible.  Au  lieu  de  cela,  nous  voyons  Judas  s'ac- 
cuser d'avoir  livré  le   sang;  du  juste,  reporter  l'infâme 
salaire  qu'il  avait   reçu,  et,    dans   le    transport  de  sa 
douleur,   aller  terminer  lui-même  ses  jours  à  une  po- 
tence.   INous  voyons  St.   Pierre,  sur  un  simple  regard 
de  son  maître,   pénétré  du  plus   cuisant  remords,  ré- 
pandre des  larmes  amères.   Déistes ,  cherchez  où  vous 
le  voudrez  d'autres  motifs  à  la  sévère  et  longue  péni- 
tence de  St.  Pierre ,  et  à  l'affreux  désespoir  de  Judas , 
que  la  conviction  intime  ,  acquise  par  une  fréquentation 
continueile   de  trois  années,  de  l'innocence  de  Jésus- 
Christ.    Se   fussent-ils   aussi   vivement    reproché    leurs 
crimes?  en  eussent-ils  eu  un  aussi  ardent  repentir?  en 
eussent-ils  été  aussi  violemment  tourmentés  ,  s'ils  n'eus- 
sent pas  été  entièrement  assurés  de  la  réalité  des  mi- 
racles qu'il  leur   avait  fait  voir?  Entreprendra-t-on  de 
nier  ces  faits,  sur  le  prétexte  que   ce  sont  des  apôtres 
qui  les  rapportent?  Mais  d'abord,  sur  celui  de  St-  Pierre, 
quel   autre  motif  que   la   vérité  pouvait  les  engager  à 
révéler  la  chute  de   leur  chef ,  si  humiliante  pour  lui , 
et   dont  la  honte    rejaillissait  jusque   sur   eux?  Quant 
au  fait  de  Judas,  l'évangéliste  qui  le  rapporte  huit  ans 
au  plus  après  qu'il  s'est  passé  ,  y  joint  une  circonstance 
qui  en  démontre  la  vérité.  C'est  que  de  l'argent  rapporté 
par  ce   traître   il   a   été  acheté  pour   la   sépulture   des 
étrangers  un  champ  qui,   du  titre  de  son  acquisition, 
s'appelle  encore  le  champ  du  sang  (1);   et  St.  Pierre 
con&rme  le  récit  de    St.    Matthieu  ,   en   invoquant  le 
témoignage  de  tous  les  habitants  de  Jérusalem  (2).  Au- 
raient-ils osé  ,   auraient-ils   pu  ,    sans   être    démentis  . 


(i)  Consilio  autem  inilo  emernnt  ex  illis  agrum  figuli,  in  sepultn* 
raru  peregrinoram  :  propter  hoc  vocatas  est  ager  ille  haccldama ,  hot"* 
est  ager  sanguinis,  usque  in  hodiernum  diem.  [Matth.  xxvxi,  7,8.) 

(2)  Et  notuin  factain  est  omnibas  habitantibas  Jernsalem;  ita  at 
vocaretnr  ager  ille  haceldama,  hoc  est  ager  sanguinis.  (Act.  t,   19.) 


SDR  LA    RELIGION.  243 

rapporter  une  telle  circonstance  dont  la  vérité  ou  la 
fausseté  était  nécessairement  connue  de  tout  le  monde, 
s'ils  n'avaient  pas  été  certains  de  sa  réalité?  S'avise-t-on, 
pour  persuader  le  public,  de  réclamer  la  notoriété 
générale,  quand  on  sait  qu'elle  est  contre  soi? 

XXX.  Qui  pourrait,  après  dix-sept  siècles,  révoquer 
en  doute  la  vérité  des  miracles  de  Jésus-Christ ,  si , 
dans  le  temps  où  ils  ont  été  publiés ,  elle  n'a  pas  été 
contestée;  si  ceux  qui  auraient  eu,  avec  le  plus  grand 
intérêt,  les  plus  puissants  moyens  pour  la  combattre, 
n'ont  pas  osé  la  démentir?  leur  silence  ne  serait-il  pas 
une  preuve  démonstrative?  \oyant  d'un  côté  les  apô- 
tres attester  hautement  les  miracles  de  Jésus-Christ, 
et  appeler  en  témoignage  ceux  même  à  qui  ils  les 
annonçaient  ;  voyant ,  de  l'autre ,  lez  ennemis  de  Jésus- 
Christ ,  ses  persécuteurs;,  ses  meurtriers,  ne  pas  dis- 
convenir de  la  réahté  de  ses  miracles,  pourrait-il  rester 
à  aucun  homme  sensé  le  plus  léger  soupçon  que  les 
miracles  n'eussent  pas  été  opérés  ?  Or ,  ce  n'est  pas  Jà 
une  supposition,  c'est  un  fait  qu'il  est  très-facile  de 
démontrer. 

XXXI.  Les  chefs  des  prêtres,  les  docteurs,  les  pha- 
risiens avaient  un  intérêt  majeur  à  nier  les  miracles 
de  Jésus-Christ ,  s'ils  l'avaient  pu.  La  prédication  des 
miracles  était  une  accusation  formelle ,  intentée  à  eux 
tous,  d'avoir  fait  périr  l'envoyé  de  Dieu  ,  le  Messie 
attendu  par  la  nation.  Si  Jésus-Christ  n'était  pas  un 
séducteur,  comme  ils  l'en  avaient  accusé,  ils  étaient 
eux-mêmes  des  scélérats  de  l'avoir  immolé  ;  s'il  était 
un  prophète,  le  Messie  promis  à  Israël  ,  ils  s'étaient 
rendus  coupables  d'un  crime  énorme  envers  Dieu  et 
envers  la  nation.  Ils  avaient  l'intérêt  le  plus  grand  à 
se  laver  de  cette  si  grave  inculpation;  et  le  moyen  le 
plus  simple  à  la  fois  et  le  plus  certain  était  de  montrer 
la  fausseté  des  miracles  sur  lesquels  on  fondait  la  divine 
mission  de  leur  victime. 

A  l'intérêt  le  plus  grand  de  soutenir  la  fausseté  des 
miracles,  les  chef<5  des  juifs  auraient  joint  les  moyens 


244  DISSERTATIONS 

les  plus  efficaces  de  la  prouver.  La  puissance  était 
entre  leurs  mains  ;  ils  étaient  les  maîtres  d'ordonner 
des  enquêtes  juridiques,  de  faire  venir  tons  les  témoins 
des  lieux  où  on  annonçait  que  s'étaient  faits  les  mi- 
racles ,  de  recevoir ,  de  publier  les  dépositions  :  leur 
crédit ,  la  conûance  qu'on  avait  en  eux  ,  la  crainte 
qu'ils  inspiraient,  auraient  encore  donné  à  leurs  in- 
formations une  grande  autorité  :  un  seul  de  ces  mi- 
racles démontré  faux  aurait  fait  tomber  la  secte  nais- 
sante et  son  inculpation. 

Ces  hommes  devaient  savoir  positivement  la  vérité 
ou  la  fausseté  des  miracles,  la  possibilité  ou  l'impossi- 
bilité <le  les  contester.  La  publicité  avec  laquelle  on 
annonçait  qu'ils  avaient  été  opérés  ,  ne  pouvait  leur 
laisser  à  cet  égard  ni  ignorance  ni  doute. 

Il  était  absolument  impossible  qu'ils  méprisassent  la 
publication  qui  en  était  faite.  La  nouvelle  religion  pre- 
nait tous  les  jours  de  prodigieux  accroissements.  Les 
deux  premières  prédications  lui  avaient  acquis  huit 
mille  disciples.  Des  églises  se  fondaient  dans  tous  les 
pays  ,  à  Athènes  ,  à  Corinthe  ,  à  Antioche,  à  Alexandrie, 
à  Rome.  De  tous  côtés  retentissait  l'accusation  de 
déicide  intentée  contre  eux:  de  tout  côté  elle  prenait 
de  plus  en  plus  de  la  consistance ,  et  le  nombre  de 
ceux  qui  y  ajoutaient  foi  se  grossissait  sans  cesse. 

XXXn.  Les  chefs  de  la  nation  juive  se  devaient 
donc  à  eux-mêmes,  ils  devaient  à  leur  honiieur  ou- 
tragé ,  à  leur  ministère  avili ,  à  leur  religion  ébranlée  , 
de  démentir  les  apôtres,  de  certifier,  de  prouver  qu'ils 
en  imposaient  en  publiant  les  miracles  de  leur  maître. 
La  volonté  ne  leur  manquait  sûrement  pas  ;  les  moyens 
eussent  été  entre  leurs  mains  :  s'ils  eussent  pu  nier  les 
miracles,  certainement  ils  l'auraient  fait;  si  donc  ils 
ne  l'ont  pas  fait,  c'est  qu'ils  ne  l'ont  pas  pu.  Or,  l'ont- 
ils  jamais  faite  cette  dénégation  si  importante  pour  eux? 
Ce  serait  à  ceux  qui  voudraient  le  prétendre ,  à  le 
prouver  :  on  n'en  aperçoit  dans  aucune  histoire  ,  ni 
sacrée ,   ni  profane ,  le  plus  léger  vestige.  Et  peut-on 


SUR    LA    RELIGION.  245 

croire  que  dans  les  écrits  qui  nous  restent  relatifs  à  la 
religion  chrétienne,  et  dans  ceux  où  il  en  est  seulement 
fait  mention,  il  ne  s'en  trouvât  aucune  trace?  Remar- 
quons la  différence  du  langage  des  apôtres,  lorsqu'ils 
parlent  de  la  résurrection  de  leur  maître  ,  qui  était 
contestée,  et  de  ses  autres  miracles.  Sur  la  résurrection, 
c'est  leur  propre  témoignage  qu'ils  allèguent ,  c'est  par 
là  qu'ils  s'elYorcenl  de  la  prouver.  Sur  les  autres  mi- 
racles ,  ils  ne  cherchent  pas  à  donner  ces  preuves,  ils 
disent  seulement  que  toute  la  nation  les  connaît.  Si  la 
vérité  des  miracles  de  Jésus  Christ  avait  été  mise  en 
question,  ou  verrait  quelque  part  cette  question  traitée; 
il  en  serait  au  moins  fait  meulion  dans  quelques  écrits. 
On  connaît  les  objections  faites  au  christianisme  par  ses 
premiers  adversaires;  on  ne  voit  pas  celle-là,  qui  eût 
été  la  plus  forte  de  toutes,  mise  en  avant.  Si  elle  avait 
été  proposée,  les  premiers  apologistes  de  la  religion, 
qui  se  sont  attachés  à  réfuter  toutes  ce'le  ^  que  l'on 
faisait  ,  jusqu'aux  plus  minutieuses,  auraieAl-ils  pu 
négliger  de  la  traiter?  Leur  défense  a  dû  nécessaire- 
ment être  dirigée  sur  l'attaque.  Ce  qu'ils  ont  répondu 
montre  ce  qu'on  leur  opposait.  Quoique  les  écrits  des 
premiers  adversaires  soient  perdus,  nous  sommes  as- 
surés que  cette  difficulté  ne  s'y  trouvait  point.  Ne  pas 
combattre  une  objection  aussi  importante,  n'eût-ce 
pas  été  en  avouer  la  solidité?  n'eût-ce  pas  été  convenir 
que  la  religion  avait  un  fondement  ruineux?  Que  la 
dénégation  des  miracles  fût  restée  sans  réponse,  il  ne 
pouvait  pas  exister  de  christianisme.  On  n'y  a  pas 
répondu;   donc  elle  n'a  pas  été  faite. 

XXXIII.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  des  disciples 
de  Jésus-Christ,  c'est  de  ses  ennemis  eux-mêmes  que 
nous  apprenons  que  ses  miracles  n'ont  pas  été  con- 
testés dans  leur  tel  ips.  Ce  qu'ils  opposaient  à  la  preuve 
rés^iltante  de  ces  miracles  le  démontre  clairement.  Le 
divin  Sauveur  venait  en  leur  présence  de  guérir  un 
possédé  qui  était  muet  et  aveugle.  Tous  les  assistants, 
émerveillés   de    ce    prodige ,    disaient    à   haute   voix  : 


246  DISSERTATIONS 

Serait-ce  donc  là  le  fils  de  David?  Que  répondent  à  cela 
les  pharisiens?  C'est  que  Jésus -Christ  ne  chasse  les 
démons  que  par  lîéelzébub ,  le  prince  des  démons  (1). 
N'est-ce  pas  là  évidemment  un  aveu  de  la  réalité  du 
fait  qu'ils  avaient  actuellement  sous  leurs  yeux  ?  S'ils 
avaient  pu  le  contester ,  l'auraient-ils  attribué  au  pou- 
voir du  démon?  s'ils  avaient  eu  à  donner  une  réponse 
aussi  tranchante  que  la  dénégation,  s'ils  n'avaient  pas 
senti  l'impossibilité  de  la  proposer  devant  la  multitude 
des  témoins,  se  seraient-ils  avisé  de  recourir  à  une 
défaite  aussi  misérable,  que  le  Sauveur  eût  bientôt 
confondue? 

Voudrait-on  attaquer  la  fidélité  de  ce  récit,  sur  le 
fondement  qu'il  est  fait  par  des  disciples  de  Jésus- 
Christ?  mais  leur  narration  est  postérieu:  j  de  peu  d'an- 
nées au  fait  qu'ils  rapportent  :  ils  le  racont;?nt  à  la 
vue  de  ceux  mêmes  qui  ont  imputé  au  démon  le  mi- 
racle; qui  sont  encore  revêtus  de  la  puissance;  qui, 
s'ils  n'ont  pas  tenu  ce  discours,  si  même  ils  ne  l'ont 
pas  tenu  si  publiquement  qu'il  soit  impossible  de  le 
désavouer ,  ont  le  droit  de  les  punir  ;  qui  en  ont  évi- 
demment l'intérêt,  qui  en  ont  même  le  devoir;  car 
tout  gouvernement  se  doit  de  réprimer  ceux  qui  le 
décrient,  en  lui  imputant  des  choses  fausses  et  ridi- 
cules. Le  Sanhédrin  s'est-il  inscrit  en  faux  contre  le 
récit  des  deux  évangélistes?  a-t-il  tenté  de  les  en  châtier? 
Deux  choses  sont  évidentes  :  St.  Matthieu  n'aurait  pas 
osé  avancer  un  tel  fait,  s'il  n'avait  pas  été  non-seule- 
ment certain,  mais  très-public  :  et  s'il  avait  eu  cette 
témérité,  il  en  aurait  indubitablement  été  sévèrement 
puni. 


(i)  Tanc  oblatns  est  ei  daemoniura  habens,  caecns  et  mntns  :  et 
cnravit  enin;  i;a  ut  loquere'ur  et  videret.  Et  stupebant  oranes  turbse 
tl  dicebant  :  Nunquid  hic  est  filius  David?  Pharisœi  auteiu  aodientes 
dixerunt  :  Hic  non  ejicit  daeinones  nisi  in  Beelzebub  principe  dastno- 
niorum.   {Matth.  xii,  22,  23,  24.  Vid.  Z»c. ,  xt,  14,  i5.)       v 


SUR    LA    RELIGION.  247 

Telle  étail  donc  la  réponse  que  donnaient  les  Juifs 
À  la  preuve  résultante  des  miracles  que  ne  cessait  d'o- 
pérer Jésus-Christ;  ils  ne  niaient  pas  la  réalité  de  ces 
prodiges,  ils  en  contestaient  la  conséquence;  ils  con- 
venaient qu'il  les  opérait;  ils  soutenaient  que  ce  n'était 
pas  au  nom  de  Dieu;  ils  lui  accordaient  un  pouvoir, 
mais  un  pouvoir  diabolique  et  non  divin.  L'état  de  la 
quesuon  entre  les  défenseurs  et  les  antagonistes  de  la 
religion  a  constanunent  été  de  savoir,  non  si  les  mi- 
racles étaient  réels,  mais  de  quel  principe  ils  procé- 
daient. 

Je  dis  que  tel  a  été  l'état  de  la  question  ,  et  je  le 
prouve  par  toute  la  suite  de  cette  longue  et  importante 
contestation.  Nous  voyons  d'un  côté  Jésus-Christ ,  ses 
apôtres  e  leurs  successeurs,  donner  invariablement  les 
mêmes  preuves  de  la  religion  ;  nous  voyons,  de  l'autre, 
les  adversaires  du  christianisme  répéter  constamment 
les  mêmes  objections,  les  uns  d'après  les  auties:  ils 
sont  de  deux  classes,  les  Juifs  et  les  païens.  Or,  et  les 
uns  et  les  autres  répondant  à  la  démonstration  des 
miracles ,  conviennent  formellement  de  leur  réahté  , 
et  se  rabattent,  ou  à  dire  vaguement  que  les  miracles 
ne  prouvent  rien,  ou  à  renouveler  l'absurde  accusation 
intentée  par  les  pharisiens ,  que  c'est  par  la  puissance 
du  démon  qu'ils  ont  été  opérés. 

XXXIV.  Prenons  d'abord  les  rabbins  ,  héritiers  de 
la  haine  et  des  arguments  de  leurs  pères  contre  le 
christianisme.  Dans  le  Talmud  de  Babylone ,  et  dans 
celui  de  Jérusalem ,  il  est  dit  que  le  mot  Jehovah , 
prononcé  d'une  certaine  manière  ,  suffit  pour  opérer  les 
plus  grandes  merveilles,  et  que  Jésus  avait  appris  le 
secret  de  cette  prononciation  ,  qui  lui  faisait  faire  ses 
prodiges.  Honteux  ,  sans  doute  ,  de  cette  pitoyable 
défaite  de  ses  devanciers ,  Maimonide ,  qui  passe  pour 
le  plus  éclairé  des  rabbins ,  donne  à  la  preuve  tirée 
des  miracles  de  Jésus-Christ ,  une  autre  réponse  à  [peu 
près  aussi  misérable,   et   qui  montre   également  qu'il 


248  DISSERTATIONS 

n'osait  pas  en  contester  la  réalité  :  il  dit  que  le  Messie 
ne  devait  pas  en  faire. 

XXXy.  Les  aveux  des  païens  ne  sont  pas  moins 
formels.  St.  Justin,  qui  florissait  au  second  siècle  , 
défend  les  miracles  de  Jésus-Christ  contre  l'objection 
qu'on  leur  faisait  d'être  des  œuvres  majjiques  (1). 

Celse  répète  à  plusieurs  reprises  la  même  injputation. 
Tantôt  il  dit  que  Jésus ,  ou  s'est  rendu  coupable  en 
faisant  des  choses  extraordinaires  par  l'art  magique , 
ou  a  tort  d'inculper  ceux  qui ,  par  le  même  art,  ont 
fait  les  mêmes  choses  (2).  Tantôt  il  prétend  qu'élevé 
d'abord  secrètement ,  Jésus  alla  ensuite  se  mettre  en 
condition  en  Egypte;  que  là  :  apprit  l'art  de  faire 
des  miracles  ;  et  qu'en  étant  revenu ,  à  raison  de  ces 
miracles  il  se  donna  pour  un  Dieu  (3).  Tantôt  com- 
parant les  rilracies  du  Sauveur  aux  choses  étonnantes 
que  font  publiquement  pour  de  l'argent  ceux  qui  sont 
instruite  dans  l'art  des  Egyptiens,  il  demande  si  on  doit 
croire  aussi  cjue  ces  hommes  sont  les  fils  de  Dieu  (4). 


(i)  Sed  ne  quis  nobis  opponat  nihil  obstare  quominas  et  iis 
qui  apad  nos  dicitur  Christus  hoinu  ex  hominibas ,  arle  magica 
quae  diciraus  iriracnla  ediderit  ,  ac  propterea  filins  Dei  esse  visas 
sit.  (^S.  Justin,  apol.  cap.  3o.  ) 

(2)  Accnsat  praelerea  (Celbiis)et  ipsum  Salvatorem ,  qaod  raa- 
gicis  arlibas  fecerit  ea  quse  faceie  visus  est  ;  et  quod  non  prtesciret 
multus  postea  fnturos  qui  earorudem  artinm  periti  eadem  ac  ipse  effî- 
cerent ,  jactarenique  se  divina  effecisse  poteiilia,  illi  sua  socieîate 
inlerdiserit.  Illum  enim,  si  jus'e  alius  reje:it,  improhora  esso;  cum 
eorumdeai  criminuiu  sit  reas  :  aut  si  cum  haec  fecit  extra  culpam 
est,  abesse  etiam  a  culpa  eos  qui  eadem  faciant.  (Origen.  contra 
Celsurn.  ,   lib.    i,   n°  6.) 

(3)  Assensum  qiiodam  modo  prapbet  (Celsas)  miracolis  quae  Jesa 
fecit,  et  qufbus  maitos  adduxit,  ut  ipsum  tanquam  Christum  seque- 
rentur.  At  miracola  illa,  non  divina  virtute,  sed  magicis  artibus 
facta  esse  calumniatur.  Ait  enim,  /////m  clam  educatum  ^  cum  in 
M.^pto  suam  locasset  operam ,  ' artesque  efficicndi  .^  miractda  didi' 
cisset^  hic  reversum  esse  denique ,  et  propter  illa  miracuLi  se  pro 
Deo  vendi'asse.  {Ibid.  ^    n°  38.) 

(4'^  Age,  inquit  (Celsus  )  demus  hîcc  a  te  gesta ,  sed  confestira 
codem  illa  numéro  habenda  esse  ait,  ac  ea  quae  prœsiigiatoies  fa- 


SDR    LA    RELIGION.  249 

Lt  témoignage  de  Celse  est  d'autant  plus  important, 
qu'il  y  avait  à  peine  cent  ans  que  Jésus-Clnist  était 
remonté  dans  les  cieux ,  quand  il  écrivait  contre  sa 
religion.  Il  avait  dû  voir,  dans  sa  jeunesse,  des  per- 
sonnes qui  avaient  connu  ou  Jésus-Christ  lui-même, 
ou  des  hommes  de  son  temps.  Il  nv  pouvait  donc  pas 
ignorer  ce  qu'on  avait  pensé  du  temps  de  Jésus-Christ 
sur  les  miracles  que  l'on  rapportait  de  lui?  Il  n'avait 
certainement  pas  manqué  de  s'en  informer  ;  et  on  voit 
qu'il  possédait  l'histoire  évangélique ,  dont  il  cite  fré- 
quemment des  textes.  Si  donc  quelque  contemporain 
de  Jésus  -  Christ  eût  nié  ses  miracles  ,  Celse  l'aurait 
indubitablement  su.  Animé  comme  il  l'était  d'une  haine 
violente  contre  le  christianisme  ,  ingénieux  à  trouver 
des  arguments  pour  le  combattre ,  n'eût-il  pas  opposé 
fortement  cette  dénégation?  eût-il  renoncé  à  l'avantage 
qu'elle  lui  eût  donné?  eût-il  recouru  au  minutieux 
moyen  d'imputer  à  Jésus-Christ  un  pouvoir  magique, 
s'il  eut  pu  contester  absolument  son  pouvoir?  C'est  donc 
avec  bien  de  la  raison  qu'Origène  dit ,  et  que  nous  le 
répétons  d'après  lui,  que  Celse  n'attribue  les  miracles 
à  la  magie,  que  parce  qu'il  est  dans  l'impuissance  de 
les  révoquer  en  doute  (1). 

Les  ennemis  de  la  religion  ,  du  temps  d'Arnobe  , 
répétaient  aussi  la  même  inculpation  de  sortilège,  qu'il 
réfute  avec  force  (2). 


oiunt,  majora  semper,  ac  majora  pollicentes,  et  quae  faciunt  ii  qui 
sunt  aegyntiacis  arlibus  ernditi ,  qni  medio  in  foro  pancis  obolis 
vencrandas  suas  artes  venditant  ;  doemonia  ex  hominibus  pri»fliganî  : 
exsuflant  moibus;  berouin  animas  evocant;  opipara  convivia ,  men" 
sas,  bellaria,  obsonia  ,  quae  nanqaam  fuerant  exhibent;  agitant 
aninialia  qaae  veie  nullasunt,  sed  vanaedantaxat  animalium  species. 
Mox  ait  :  An  qnia  bœc  iUi  faciant  ,  idciroo  credendum  nobis  erit 
illos  es^e  Dei  filios?  An  potins  direndam  iraproboram  et  nebulonnm 
esse  bujusniodi  artes.  Çlbid.  ^n°  68.) 

(i)  Jam  saepe  Celsns  quia  inficiari  non  potest  miracula  qutC  Jésus 
fecisse  scribitor,  illa  praestigiis  tribiienda  esse  calumniatus  est. 
(lèid.  lib.  II,   ni>    14.) 

(2)  Occarsnrus  forsitan  rarsus  est .  cnm  aliis  mollis  calumniosis 

ir 


250  DISSERTATIONS 

Porphyre  ,  dans  le  troisième  siècle  ,  attribuait  de 
même  aux  prestiges  du  déinoii  les  miracles  opérés  par 
Jesus-Clirist  et  dans  les  premiers  temps  de  l'Eglise  (1). 

Hiéroclès  ne  niait  pas  non  plus  les  miracles  du 
Sauveur  :  il  disait  seulement  que  c'était  une  bagatelle 
d'avoir  rendu  la  vue  à  des  aveugles,  et  fait  quelques 
autres  merveilles  du  même  genre.  Il  croyait  qu'elles 
pouvaient  avoir  été  opérées  par  un  homme  ami  des 
dieux ,  et  il  opposait  à  ces  miracles  ceux  d'Apollonius 
de  Thyane(2). 

Julien,  ennemi  si  ardent  et  si  éclairé  du  christianisme, 
avoue  nettement  les  miracles  de  Jésus-Christ  ;  mais 
il  trouve  que  ce  n'est  pas  une  œuvre  bien  merveilleuse 
d'avoir  guéri  quelques  boiteux  ,  quelques  aveugles 
dans  les  bourgades  de  Betlisaide  et  de  Béthanie  (3). 
11  dit  qu'après  la  mort  de  leur  maitre  les  apôtres 
ont    fait    aussi  des  enchantements  (4).    Il   reconnaît 


illis,  et  paerilibns  vocibas  :  raagnas  fuit;  clandestinis  artibus  om- 
nia  illa  perfecic  :  Jilgyptioruni  ex  aditis  angelornni  potentium  Do- 
mina et  remotas  faralos  est  disciplinas.  Quid  dicitis,  etc.  ■  Arrwb. 
adv.  gent.  ^  lib.   i,  cap.   43.) 

(i)  Nisi  forte  in  niorein  gentiliiini ,  impioramqae  Poiphyrij  et 
Euuomii  bas  prsestigias  daeraonum  esse  confîngas.  {S.  Uleronym. 
contra    Vig'd.  ) 

(2)  Audi  vero  qnibus  increpat  veibis,  Sus  denue  nngantnr ^  in- 
quit,  Jesum  tollentes  ^  ut  qui  cascis  videndi  facuUatem  reddiderit  y 
et  alla  id genus  admiranda  prcestiterît.  Tum  et  paulo  post  ila  ratio- 
nibus  coUigit.  Vidcndum  porro  ne  dils  gratissimi  hominis  facta  latere 
christîani  contcndant.  Haec  ipsius  Hieroclis  vcibà  snnt  in  orafione 
contra  nos  scriptis  cajos  titulus  Philaletes,  i^Euseb.  contra  H'<.ero- 
clem  ,  vers,  initium.)  L'objet  principal  de  cet  ouvrage  d'Eusebe  est 
de  répondre  à  la  comparaison  qn'Hiéroclès  avait  faite  des  miraclea 
do  Jéins-Cbrist  avec  ceux   d'Apollonius. 

(3)  Julianui.  Hic  toto  vitae  tempore  nibil  admodam  inemoratnr 
dignum  egit  :  nisi  qiiis  claudos  ac  caecos  curare,  et  daemonio  correp- 
tos  adjarare  in  pagis  Betbsaida  et  Betbania ,  raagni  alicujus  facinoris 
in  numéro  babeat.  (5.  Cyrillus  Alex.  adv.  Julianiim ,  lib.  vi.  ) 

(4)  Jnliumis.  Videîo  ergo  quo  pacto  jadseis  incantationis  vêtus 
opiis  faerit  indormire  sepulchris  sepnlcbrorum  causa;  quod  certe  et 
ap'^stolcs  vestros   ciedibile  est,  post  Magislii  mortem  fecisse;  vobis- 


SUR    LA    RELIGION.  251 

St.    Paul  comme  le  plus  grand  faiseur  de  prestiges  (3). 

Nous  voyons  dans  une  épître  de  Yolusien  à  St.  Au- 
gustin ,  qu'encore  de  son  temps  les  païens  objectèrent 
aux  miracles  du  Sauveur,  non  qu'ils  n'étaient  pas  réels, 
mais  qu'ils  n'étaient  pas  dignes  de  Dieu  (4). 

JNous  avons  un  écrit  du  cinquième  ou  du  sixième 
siècle,  que  quelques  personnes  attribuent  à  Evagrius , 
et  qui  est  intitulé  :  Consultation  de  Zachéé^  chrétien,  et 
d' Apollonius j  philosophe.  AppoUonius  ,  qui  est  païen, 
convient  que  Jésus-Christ  a  guéri  différentes  espèces 
de  maladies  et  ressuscité  des  morts;  mais  il  ne  mérite 
pas,  ajoute-t-il,  d'être  singulièrement  admiré  pour 
cela  ,  puisque  d'habiles  magiciens  ressuscitent  les  morts, 
et  que  les  médecins  guérissent  des  infirmités  de  toutes 
sortes  ^^5). 

XXXVI.  D'après  ces  témoignages  constants  et  non 
suspects,  raisonnons.  Le  christianisme  a  eu  depuis  le 
premier  moment  où  son  divin  auteur  l'a  annoncé  , 
une  suite  continuelle  d'ennemis ,  surtout  dans  les  pre- 
miers siècles.  Tandis  qu'on  ne  voit  aucun  d'eux  con- 
tester la  vérité  des  miracles  du  Sauveur ,  on  voit  tous 
ceux  dont  les  objections  sont  venues  jusqu'à  nous 
TaVouer  positivement.  Les  uns  prétendent  seulement 
que  ces  miracles  ne  sont  pas  d'une  grande  importance. 


qae  qai  primi  ab  initio  credidistis  tradidisse;  et  incantationes  callidias 
qaani  vos  peregisse  ;  sed  posteris  incantationis  islias  et  execrationis 
offîcinas  publiée  exposnisse.   (Ibi'd.  ,  lib.  x.  ) 

(3)  Juliamis.  Omnes  ornnino  nnqaam  qui  fuerunt  praebtigiatores 
ttoperavii  Paolas.  [Ibid.  Lb.  ni.) 

(4)  Nec  nllis  corapelentibos  signis  tantae  majestatis  indicia  clares- 
cnnt  :  quoniam  larvabs  illa  pargatio,  debiliom  cnrae,  reddiia  vita 
defuncfis,  haec,  el  si  alios  cogiles,  Deo  parvaB  sunt.  (^Volusiani  ad 
S.  Angust.  epist.  inter  epist.  S.  Augiist.  cxxxv ,  al  ii  j  n"  2.) 

(5)  Apollonius  philosophus.  Memini  dudara ,  et  curationam  varie- 
tates,  et  raortnnram  sascitationes  fuisse  piolatas;  in  quibus  tamen 
specialem  Christi  admirationera  fuisse  non  video  ;  si  quidam  cum  et 
peritiorei  magi  niortuos  suscit;int,  et  medicis  oniversis  debilitatibu-s 
remédia  largiuntur.  (  Consultât.  Zachœi  christiani  ,  e«  Apollonii 
philos.^  \ih.  I,  cap.  i3.) 


252  DISSERTATIONS 

Les  autres  opposent,  comme  des  faits  égalemeot  cer- 
tains, les  prodijjes  racontés  dans  le  paganisme;  entre 
autres  ceux  d'Apollonius  de  Thyane;  mais  le  plus 
grand  nombre  attribue  les  miracles  de  Jésus-Christ  à 
la  puissance  du  démon.  Je  vois  cette  imputation  de 
magie  née  au  temps  même  de  Jésus-Cbrist ,  et  objectée 
personnellement  à  lui.  Je  la  vois  passant  de  bouche  en 
bouche,  se  transmettant  de  génération  en  génération , 
se  perpétuant  de  siècle  en  siècle.  Je  la  vois  répandue 
parmi  les  ennemis  du  christianisme  de  toutes  les  es- 
pèces. Juifs  et  païens,  tous  la  répètent ,  et  certainement 
sans  s'être  concertés  ;  cet  accord  ,  sans  concert ,  indique 
une  cause  commune,  qui  ne  peut  être  autre  que  l'o- 
pinion des  ennemis  de  Jésus-Christ  dans  son  temps, 
laquelle  s'est  transmise  à  ses  divers  ennemis  des  temps 
suivants.  Je  vois  ensuite  cette  même  accusation  accré- 
ditée non-seulement  parmi  le  peuple  crédule,  mais 
parmi  les  philosophes ,  et  proposée  par  ceux  qui  ont 
attaqué  la  religion  avec  le  plus  de  lumières.  Est-il 
possible,  d'après  cela,  de  douter  que  l'opinion  générale, 
constante  ,  de  tous  ceux  qui  ne  croyaient  pas  au  chris- 
tianisme dans  les  siècles  voisins  de  son  origine,  était 
que  les  miracles  annoncés  n'avaient  été  opérés  que 
par  l'art  magique?  Or,  je  dis,  et  il  n'est  assurément 
pas  difficile  de  le  prouver,  que  cette  opinion  si  uni- 
verselle et  si  suivie  est  un  aveu  formel ,  prononcé  par 
tous  les  premiers  siècles,  de  la  réalité  des  miracles  de 
Notie-Seigneur.  S'avise-t-on  de  rechercher  la  cause 
d'un  fait  qu'on  ne  croit  pas  vrai?  Les  ennemis  du 
christianisme  auraient-ils  été  assez  imbéciles  pour  aban- 
donner une  réponse  aussi  péremptoire  que  la  déné- 
gation des  miracles ,  et  pour  en  adopter  une  aussi 
pitoyable  que  l'accusation  de  magie?  il  fallait  que  la 
notoriété  des  miracles,  dans  le  temps  où  ils  ont  été 
opérés,  fût  si  éclatante  ,  qu'elle  mît  dans  l'impossibilité 
de  les  révoquer  en  doute  pour  faire  recourir  à  une 
telle  ressource.  Ces  deux  propositions  ,  les  miracles 
n'ont  pas  existé,  les  miracles  ont  été   des  sortilèges  , 


scB  Là  religion.  253 

sont  entr'elles  dans  une  contrariété  si  formelle,  qu'elles 
ne  peuvent  pas  être  vraies  toutes  deux.  Qui  adopte 
l'une ,  rejette  par  là  même  l'autre.  Dire  qu'ils  ont  été 
opérés  par  le  démon ,  est  avouer  en  propres  termes 
qu'ils  ont  été  opérés.  En  niant  les  miracles  de  Jésus- 
Christ ,  l'incrédulité  de  nos  jours  rejette  le  témoignage 
et  des  apôtres  et  de  leurs  ennemis.  Nos  déistes  com- 
battent non -seulement  nos  pères  dans  la  foi,  mais 
aussi  leurs  propres  devanciers  dans  Tincréduliié. 

XXXVll.   Ne  pouvant   pas   nier  ces   aveux   positifs 

des   premiers  ennemis   du    cliiistianisme  ,  embarrassés 

de  répondre  à  la  preuve  victorieuse  qui  en  résuUe  ,   les 

inciédules  ont  imaginé  de  la  rétorquer  contre  nous  et 

de  nous  opposer  les  aveux   faits  par  les  saints  Pères, 

de  la  vérité  de  plusieurs  miracles  du  paganisme.  «  C'é- 

«   tait,  disent-ils,    un    principe   universellement   reçu 

«  par  les  chrétiens,  par  les  païens,  par  les  juifs,  par 

H  les  grands  comme  par  le  peuple ,  par  les  savants  de 

«  même   que  par  les  ignorants  ,    que  par    le    secours 

«   des  esprits  un  homme  peut  faire  des  choses  surna- 

tt  turelles.   C'est  d'après  ce  principe   que  Celse  et  les 

u   autres  adversaires   du  christianisme  convenaient  de 

u  la  vérité  des  miracles  de  Jésus-Christ^  en  les  attri- 

«   buant  à  la  magie.  C'est  aussi  d'après  le  même  prin- 

u   cipe    que   nous    voyons   tous   les    Pères    de   l'Eglise 

«   avouer  les  miracles,    soit  d'Esculape,    soit  de   Py- 

"   thagore ,  soit   d'Apollonius ,   en   disant  pareillement 

«  qu'ils  étaient   opérés  par   le   démon.    C'est    de   part 

«  et  d'autre  le  même  aveu ,   l'attribution   à  la   même 

«  cause.  Dira-t-on  que  lès  aveux  des  Pères  prouvent  la 

«  vérité  des  miracles  païens?  On  ne  peut  pas  avec  plus 

a   de  raison  dire  que  les  aveux  des  philosophes  prouvent 

<€   les  miracles  chrétiens.  On  ne  peut  pas  conclure  des 

«   uns  plus  que  des  autres  ,  ou  plutôt  ni  des  uns  ni  des 

u  autres  on    ne  peut  rien   conclure.    Ils   étaient  faits 

^   d'un  côté  et   de  l'autre  sans  un   grand  examen,  et 

«  comme  des  choses  indiflérentes  au  fond  de  la  ques- 

u  tion.  Il  faut  les  regarder   tous  comme  ces  proposi- 


254  DISSERTATIONS 

«  tions  que  les  théologiens  et  les  philosophes  passent 
«  plutôt  qu'ils  ne  les  accordent;  ou ,  si  l'on  veut,  qu'ils 
«  accordent  parce  qu'ils  ne  croient  pas  avoir  intérêt 
«   de  les  contester.   » 

XXXVUI.  Je  pourrais  d'abord  nier  l'assertion  que 
tous  les  saints  Pères  ont  attribué  à  la  magie  les  mi- 
racles rapportés  par  les  païens,  et  citer  spécialement 
Arnobe,  disant  que  ces  guérisons  si  vantées  étaient 
opérées  par  des  moyens  naturels  (1).  Mais  comme  il  est 
vrai  que  plusieurs  des  saints  Pères  ont  cru  que  ces 
prétendus  miracles  étaient  des  œuvres  du  démon ,  je 
n'insisterai  pas  sur  cette  réponse.  Je  conviens  même 
que  cette  attribution  des  miracles  du  paganisme  à  l'art 
magique  peut  être  regardée  comme  un  aveu  de  leur 
réalité;  mais  entre  cet  aveu  des  Pères,  relativement  à 
ces  miracles,  et  celui  des  philosophes,  relativement  aux 
nôtres  ,  une  circonstance  grave  met  une  différence 
essentielle  :  c'est  que  les  miracles  de  notre  religion  ont 


(i)  Sed  frustra,  inqait  nescio  quis ,  tautum  arrogas  Chi^to  :  cum 
saepe  alios  sciamus  et  scierimus  deos  et  laborantibas  |.lurimis  dédisse 
disciplinas,  et  multoium  horainnm  uiorbos,  valetudiuesque  curasse. 
Non  inquiro,  non  exigo  quis  Deas  ,  aut  qao  tempare  ,  cui  faerit 
auxiliatus;  ant  quem  fractum  restiîoerit  sanitatis.  Illud  solum  andi- 
re  desidero,  an  sine  ullius  adjonctione  materiae ,  id  est,  mf-dicaminis 
aiicujus,  ad  tactum  inorbos  jnsserit  ab  hoininibas  revoiare;  irapera- 
verit,  fecerit  et  eraori  valetadinis  causara ,  et  debilinm  corpora  ad  su- 
as remeare  natnras,  Christus  enim  scitar,  aut  admota  partibas  debili- 
tatis  manu  ,  aat  vocis  siniplicis  jussione  ,  aures  apernisse  surdorum; 
exturbasse  ab  oculis  csecitates  ;  orationeni  dédisse  rautis;  articulorum 
vincnla  relaxasse;  ambalatnm  dédisse  contractis  ;  vililigines,  querque-- 
ras ,  atque  intereunles  morbos,  oinniaque  alia  valetudinum  gênera; 
quse  hainana  corpora  snstinete  nescio  quia  volait  importuna  crudeli- 
tas ,  veibû  so'itus,  iraperioque  sanare.  Quid  simile  dii  oranes ,  a  qai- 
Yhis  opem  dicitis  aegris  et  periclitantibus  latam  ?  Qui  si  quando  ,  ut 
fama  est,  notinuUis,  anl  tribiiere  medicinam,  aat  cibani  aliquem 
jusserunt  capi ,  aui  qualitatif  alicujas  ebibi  potionem ,  aut  herbarun) 
et  graminum  succus  superimponi,  inqaielantibus  causis  ambulare, 
cessare  ,  aut  re  aliqua  quae  officiât  abstinere  ;  quod  esse  non  magnum 
nec  admirationis  aiicujus  stnpore  cor.dignum  promptnni  est ,  si  vo- 
Inerilis  alfendere.  {^Arnoblus  adi>.  gentss  j  bh.  i,  cap.  48.) 


SUR    L.\    RELIGION.  255 

été  publiquement  attestés,  publiquement  avoués,  et 
leur  conséquence  seulement  combattue  dès  le  temps 
où  ils  ont  été  opérés;  au  lieu  que  les  miracles  païens, 
n'étant  rapportés  que  par  des  historiens  de  beaucoup 
postérieurs  à  l'époque  où  on  les  place,  n'auraient  pu 
être  combattus  que  longtemps  après.  L'explication  de 
cette  différence  va  achever  de  mettre  dans  tout  son 
jour  la  preuve  de  la  réalité  des  miracles  de  notre 
religion ,  résultant  de  l'aveu  de  ses  ennemis. 

Ce  n'est  pas  uniquement  ,  et  précisément  sur  les 
aveux  des  philosophes  qui  ont  écrit  dans  les  siècles 
postérieurs  à  Jésus  -  Christ,  que  nous  établissons  la 
certitude  de  ses  miracles.  Si  nous  n'avions ,  pour  les 
démontrer,  que  la  reconnaissance  faite  par  Celse,  Por- 
phyre, Hiéroclès,  Julien,  nous  convenons  que  la  preuve 
serait  légère  ,  et  que  la  foi  n'y  trouverait  pas  un 
fondement  suffisant.  Des  aveux  faits ,  un  ,  deux  ,  trois  , 
quatre ,  six  siècles  après  les  miracles ,  ne  seraient  pas 
plus  démonstratifs  que  ne  le  seraient  des  témoignages 
rendus  aux  mêmes  époques;  mais  nous  disons  que 
ces  aveux  sont  démonstratifs,  parce  qu'ils  se  lient  et 
aux  dispositions  des  témoins  oculaires,  et  aux  aveux 
antérieurs  des  antagonistes  contemporains.  C'est  à  ce 
raisonnement  que  les  déistes  doivent  répondre,  et  qu'ils 
ne  répondent  point  par  leur  assimilation  avec  les  aveux 
faits  par  les  saints  Pères. 

JNous  connaissons  le  commencement  ,  la  suite ,  la 
fin  de  la  contestation  qui  a  duré  pendant  plusieurs 
siècles,  entre  les  chrétiens  et  leurs  adversaires,  sur  la 
vérité  de  leur  religion.  Nous  connaissons  par  TEvangile 
ce  qu'on  objectait  à  Jésus -Christ  lui-même  sur  ses 
miracles,  et  par  les  apologistes  de  la  religion  ce  que 
dans  les  siècles  suivants  on  opposait  à  la  preuve  résul- 
tante de  ces  miracles.  Ce  que  nous  savons ^  les  philo- 
sophes païens  le  savaient  aussi  :  ils  avaient  lu  nos 
Evangiles;  ils  avaient  reçu  des  ennemis  du  christianisme 
qui  les  avaient  précédés,  tous  leurs  arguments  contre 
les   miracles;  ils  objectaient  ce   qui   avait  été    objecté 


256  DISSERTATIONS 

antérieurement  :  et  ce  qu'ils  n'objectaient  pas  ne  l'avait 
certainement  pas  été  avant  eux.  Or,  d'abord  ils  n'op- 
posent pas  aux  miracles  de  Jésus-Cbrist  la  dénégation 
de  leur  réalité  :  d'où  nous  concluous  qu'elle  n'avait 
pas  été  niée  avant  eux.  Ensuite  .  nous  les  voyons 
renouveler  l'imputation  de  magie  faite  dès  le  temps 
de  Jésus-Christ,  laquelle  suppose  la  vérité  des  faits; 
d'où  nous  concluons  que  cette  imputation  a  toujours 
été  faite,  et  que  par  conséquent  les  miracles  ont  tou- 
jours été  crus.  Celse,  au  second  siècle,  Porphyre,  au 
troisième,  Julien,  au  quatrième,  sont  pour  nous  non 
pas  tant  des  auteurs  éclairés  qui  avouent  les  miracles 
du  Sauveur  ,  que  des  garants  non  suspects  et  certains 
de  l'opinion  et  de  leurs  siècles  ,  et  des  siècles  qui 
les  ont  précédés.  Ils  forment  une  chaîne  continue  de 
preuves  ,  depuis  les  pharisiens  jusqu'au  quatrième 
siècle ,  que  dans  le  temps  des  miracles ,  et  dans  les 
temps  immédiatement  subséquents,  on  était  univer- 
sellement convaincu ,  parmi  les  païens  et  parmi  les 
chrétiens,  de  leur  réalité;  et  cette  confession  si  una- 
nime de  tous  les  incrédules  anciens  renverse  sans 
ressource  la  dénégation  si  tardive  des  incrédules  mo- 
dernes. 

Passons  maintenant  aux   aveux   faits  par  les   saints 
Pères,  et  voyons  si  on  peut  en  tirer  la  même  consé- 
quence en  faveur  des  miracles  du  paganisme.   On  ne 
connaît  ces  différents  miracles  que  par  le  rapport  d'his- 
toriens qui   leur  sont  fort   postérieurs.    Prenons  pour 
exemple  ceux  d'Apollonius  de   Tliyane,   qui    sont   les 
plus  célèbres  de  tous,  et  ceux    que   l'on  oppose  avec 
plus  de  confiance   aux   miracles  de  Jésus- Christ  :  nous 
ne  les  connaissons  que  par  le  récit  de  Philostrate   qui 
écrivait   un    siècle   après.    Les   saints    Pères    auxquels 
on    les  objectait,   ignoraient   aussi   bien  que  nous  s'il 
y  avait  eu  des  témoins  oculaires   de  ces  prodiges ,   et 
quels  ils   avaient  été  :   ils   ne  savaient  pas    mieux    si 
les  merveilles  attribuées  à  Appolonius  avaient  été  con- 
tredites de  sou  temps,  et  ce  que  les  contradicteurs  y 


SUR    LA    RELIGION.  257 

avaient  opposé  ;  ils  étaient  pareillement  dans  Tigno- 
rance  de  ce  qu'avaient  pensé  sur  ces  prétendus  miracles 
les  générations  écoulées  dans  le  siècle  qui  séparait 
Apollonius  de  son  historien.  Dans  l'impossibilité  où 
ils  étaient  de  vérifier  tout  cela,,  persuadés  d'ailleurs, 
d'après  la  sainte  Ecriture  ,  que  l'esprit  de  ténèbres 
peut  quelquefois  ,  avec  la  permission  de  Dieu,  opérer 
des  miracles,  les  saints  Pères  ont  pris  le  parti  de  les 
avouer  et  de  les  attribuer  au  démon.  Que  quelques- 
uns  d'entre  eux  aient  cru  inutile  de  discuter  ces  pro- 
diges; que  d'autres,  étant  si  éloignés  et  de  temps  et 
de  lieux,  aient  trouvé  trop  pénible  de  faire  cet  examen 
et  de  remonter  à  l'origine  du  témoignage;  que  d'autres 
même,  si  on  le  veut,  aient  eu  trop  de  crédulité,  et 
se  soient  laissé  abuser  par  les  récits  qu'on  leur  faisait , 
tout  cela  nous  est  indifterent.  jNous  consentirons  ,  à 
cet  égard ,  à  tout  ce  que  l'on  voudra.  Ce  qui  nous 
intéresse,  c'est  que  les  aveux  des  saints  Pères  n'ont 
pas,  en  faveur  des  miracles  païeas  la  même  force  que 
les  aveux  des  philosoplies  en  faveur  des  miracles  chré- 
tiens ;  ila  n'ont  pas  la  même  relation  à  des  aveux  anté- 
rieurs remontant  d'âge  en  âge  jusqu'au  temps  de  ces 
miracles  ;  ils  ne  se  lient  pas  de  même  à  l'opinion 
unanime  de  la  génération  contemporaine  et  de  toutes 
les  générations  intermédiaires.  L'aveu  des  saints  Pères 
ne  pouvait  pas  avoir  le  même  motif  que  celui  des 
T>hilosophes.  Il  n'y  a  donc  aucune  parité  entre  l'un  et 
l'autre.  Les  miracles  de  Jésus-Christ  ont  été  avoués 
dans  les  siècles  qui  l'ont  suivi,  parce  que  le  témoignage 
bien  connu  et  irrésistible  de  tous  ceux  qui  les  avaient 
vus,,  soil  aniis,^soit  ennemis,  leur  imprimait  une  si 
éclatante  notoriété ,  qu'il  était  impossible  de  les  révo- 
quer en  doute.  Ceux  du  paganisme  l'ont  été  ,  parce 
qu'ignorant,  à  la  distance  où  l'on  était,  l'opinion  des 
contemporains  et  même  celle  de  leurs  successeurs,  ou 
a  trouvé  inutile,  ou  embarrassant,  ou  impossible,  d'en 
vérifier  la  réalité.  Qu'on  cesse  donc  de  nous  dire  que 


258  DISSERTATIONS 

départ  et  d'autre  ce  sont  des  aveux  faits  sans  examen. 
Ils  n'ont  pas  pu  être  faits  sans  examen  par  les  philo- 
sophes païens  qui  avaient  toutes  les  facilites  pour  exa- 
miner nos  miracles,  qui  même  trouvaient  cet  examen 
tout  fait;  connaissant  pleinement  ce  qu'avaient  dit  et 
ceux  qui  prêchaient  le  christianisme,  et  ceux  qui  le 
combattaient.  Les  aveux  n'ont  pas  pu  être  faits  avec 
examen  par  les  docteurs  chrétiens ,  pour  qui  l'éloigne- 
ment,  le  laps  de  temps,  l'ignorance  des  témoins  et  des 
adversaires  de  l'opinion  et  des  raisonnements  des  uns  et 
des  autres,  rendaient  l'examen  impraticable.  Ainsi, 
c'est  avec  une  force  victorieuse  que  nous  opposons  aux 
incrédules  les  aveux  de  leurs  devanciers  ;  c'est  sans 
raison  qu'ils  nous  objectent  les  aveux  de  nos  saints 
docteurs. 

XXXIX.  Les  faits  merveilleux  de  la  vie  de  Jésus 
sont  démonstrativement  prouvés.  Il  n'y  a ,  comme  je 
l'ai  annoncé ,  aucune  histoire  ancienne  qui  réunisse  de 
si  nombreux  et  de  si  puissants  motifs  de  certitude  que 
l'Evangile  :  celles  auxquelles  tout  l'univers  ,  et  les 
incrédules  de  même  que  les  autres,  ajoutent  une  foi 
entière ,  ont  bien  de  leur  vérité  quelques  -  unes  des 
preuves  que  nous  venons  d'apporter ,  aucune  ne  le 
présente  avec  le  même  degré  de  force  (1)  ;  mais  ces 
faits  si  complètement  prouvés,  que  prouvent-ils?  La 
conséquence  que  nous  en  tirons  est-elle  juste?  en  ré- 
sulte-t-il  que  la  religion  apportée  au  monde  par  Jésus- 
Christ  est  véritable  ?  Il  semble  que  ce  ne  puisse  pas 
être  une  question.  Julien ,  tout  ennemi  qu'il  était  du 


(r)  Tara  conferantur  simul  illornin  et  Jesu  historiae.  An  volet  Cel- 
sas  illornrn  veram  esse,  hnjus  aatem  conGctam  ;  qaarn  scripserunt  ii 
qni  rerura  omnium  oculati  testes  erant  ;  qui  re  ostenderunt  sibi  ex- 
plorata  esse  quae  viderant;  qni  deniijue  qao  animo  essent,  perferendis 
alacriter  ejos  doctrinse  cansi  sappUoiis  tps'ificati  î.r.nt  ?  Ecqnis  vtdens 
recte  facere  omnia  temere  assentiatnr  iis  qust  de  illis  tradifa  sont;  ea 
vero  quae  de  Jesa  feruntur  absqae  nllo  examine  rejiciat.  [Ori^enes 
contra   Ceisum  ^  lib.  m,  n"  23.) 


SUR    L\    RELIGION.  259 

christianisme,  reconnaissait  l'autorité  des  miracles  pour 
prouver  une  religion  (1).  Et  en  effet,  la  conséquence 
qui  en  résulte  en  faveur  d'une  doctrine ,  saute  d'elle- 
même  si  vivement  aux  yeux  ,  qu'il  est  impossible  à 
un  homme  raisonnable  de  ne  pas  en  être  convaincu. 
J'ai  d'ailleurs  déjà  établi  cette  liaison  essentielle  entre 
le  miracle  et  la  doctrine  pour  laquelle  il  est  opéré  (2); 
mais  comme  il  n'y  a  rien  de  si  évident  que  les  déistes 
n'aient  cherché  à  obscurcir ,  rien  de  si  certain  qu'ils 
ne  se  soient  efforcés  d'y  jeter  des  doutes  ^  il  n'est  pas 
inutile  de  revenir  sur  cette  discussion  ,  et  d'ajouter  à 
ce  que  j'ai  dit  quelques  nouvelles  observations. 

Pour  soutenir  que  les  merveilles  opérées  par  Jésus- 
Christ  ne  prouvent  pas  la  vérité  de  sa  religion  ,  il 
faut  prétendre  ou  qu'elles  ne  sont  pas  l'œuvre  de  Dieu, 
ou  que  Dieu  ne  les  a  pas  faites  pour  établir  la  religion 
de  Jésus-Christ. 

Si  les  merveilles  produites  par  Jésus-Glirist  ne  sont 
pas  l'œuvre  de  la  puissance  divine,  elles  ont  donc  été 
opérées  ou  par  un  homme  ,  ou  par  quelque  agent 
intermédiaire  entre  Dieu  et  l'homme. 

XL.  Si  on  veut  que  ce  soit  un  être  intermédiaire 
entre  la  divinité  et  l'humanité ,  dira-t-on  que  c'est  un 
ange  de  lumière  à  qui  Dieu  a  donné  pouvoir  pour 
éclairer  et  instruire  les  hommes?  Cette  hypothèse  ne 
serait  nullement  favorable  au  système  de  nos  adver- 
saires ,  elle  ne  ferait  que  reculer  d'un  degré  la  difticullé 
à  laquelle  ils  veulent  satisfaire.  Ce  serait  toujours  de 
Dieu  que  serait  venue  la  puissance  miraculeuse  de 
Jésus-Christ  ;  avec  cette  seule  différence  qu'elle  serait 
passée  par  un  canal  plus  long  ;  et  la  vérité  de  la  religion 
s'ensuivrait  toujours  de   ces   prodiges.    Dira-t-on    que 


(t)  JuUanus.  Veritatera  aatern  non  consfare  ni.^do  vocabulo  ;  sed 
necesj.e  esse  ot  orationera  praeferea  signu;n  aliquod  sequatur,  qood 
abi  contigerit,  fidem  faciat  ejas  quae  in  futuruin  faota  est  praedictio- 
nis.   (5.   Cyrill.   Alex,   contra  Juliamun^   lib.  x.  ) 

(2)  Voyez  première  parlie ,  n*^  xti ,  page  i4  4) 


260  DISSERTATIONS 

l'auteur  de  ces  œuvres  contraires  à  l'ordre  naturel  est 
l'ange  des  ténèbres  ,  le  démon  qui  les  a  opérées  pour 
tromper  le  monde?  Mais  1"  cette  objection  serait  ridi- 
cule dans  la  bouche  des  déistes,  qui  n'ont  pas  plus  de 
foi  au  démon  qu'à  Dieu.  2"  Le  démon,  comiue  nous 
l'avons  observé,  ne  peut  qu'avec  la  permission  de  Dieu 
troubler  l'ordre  que  Dieu  a  établi  dans  la  nature  ;  oi- , 
comme  nous  l'avons  encore  montré  ,  il  répugnerait  à 
la  bonté  de  Dieu  qu'il  laissât  entraîner  sa  créature  dans 
une  erreur  inévitable  et  funeste;  il  répugnerait  à  sa 
véracité  qu'il  se  rendît  complice  d'une  imposture  en  la 
permettant  formellement,  sans  donner  des  moyens  de 
s'en  garantir.  3*^  C'est  encore  une  autre  absurdité  de 
vouloir  que  le  démon  trompe  les  liommes  pour  leur 
faire  adopter  la  morale  la  plus  parfaite  que  l'on  con- 
naisse ;  pour  leur  faire  abjurer  tous  les  vices ,  éviter 
tous  les  crimes;  pour  leur  faire,  au  contraire,  pratiquer 
toutes  les  vertus  et  opérer  tous  les  genres  de  bonnes 
œuvres  (1). 

XLT.  Si  on  veut  que  les  miracles  de  Jésus-Christ 
aient  été  opérés  par  une  puissance  humaine  ,  ce  sont 
donc  de  ces  tours  d'adresse  par  lesquels  des  hommes 
subtils  abusent  de  la  crédulité  populaire  ;  mais  le 
nombre ,  la  variété ,  le  mode  des  miracles  du  Sauveur 
repoussent  absolument  cette  idée  et  en  montrent  le 
ridicule.  Un  joueur  de  gobelets  a  quelques  secrets, 
mais  le  nombre  en  est    borné.   11   répète   toujours  les 


(r)  Nanc  vero  nallus  praestigiator  per  ea  qnœ  facit,  spfcîatores 
ad  morum  eiueiidationeoi  excitât,  aut  Dei  tiinorem  docet  qui  specta- 
culis  slapent;  aut  studet  persnadere  nt  vivant  qaasi  Deo  rationein 
redd;turi.  Nihil  horam  prae-.tij^ia:ores  faciant  ;  quia  non  pcssunt,  aut 
consilium  non  Labent  ;  aut  nulunt  corrigendis  hominibus  operam  da- 
te :  quippe  qui  ipsi  turpissiniis,  infamissimisqne  vitiis'refei ti  sunt. 
Hic  vero  qui  miraculis  sais  .spectatores  eorum  qoa?  b^rie  faciebjl  ad 
morum  correciionein  addncebat  ,  qaomoJo  non  erit  exisMmandas  se 
praebuisse,  non  solam  illis  qui  proprie  discipnli  ejos  vocati  sunt,  srd 
etiam  reliquis  omnibus  exeniplum  op'imse  vilae.  (Origen.  contra  Çel- 
sum,  lib.  i,n°  68.) 


SUR    LA    RELIGION.  261 

mêmes,  et  de  la  même  manière  :  il  les  prépare,  il 
choisit  sa  place,  souvent  même  ses  spectateurs,  il  ne 
se  laisse  voir  que  d'un  côté  ,  pour  qu'on  ne  découvre 
pas  les  moyens  qu'il  emploie.  Ici,  c'est  absolument  le 
contraire.  Les  miracles  de  Jésus-Christ  sortent  de  dessous 
tous  ses  pas,  il  eu  opère  de  toutes  les  espèces (1).   Ici, 


(i)  Quid  dicitts  o  iterurn  ?  Ergo  ille  mortalis,  aut  unns  fuit  e  nobis 
cnias  imperiam ,  ciijas  vorem  popularibas  et  rjaotidianis  verbis  mis- 
sam  ,  valetndines,  moibi ,  febres  ,  atque  al^a  corpornm  cruciamenta 
fagiebant.  Unus  fuite  nobis  cujas  praesentiam,  cujus  visom  gens  illa 
neqaibat  ferre  mersoram  in  visceribus  daemonura  ;  contenitaqae  vi 
ncva  iiiembrorum  possessione  cedebat.  Unus  fait  e  nobis  cujas  ïœdas 
vililigines  jassioni  obtemperabant  pulsae  statira,  et  concorniam  colo- 
rurn  commacnlalis  visceribos  relinquebant.  Unus  fuit  e  nobis  ruju» 
ex  levi  ir.ctn  stabant  proflnvia  sanguinis  et  immoderatos  cohibebant 
fluorés.  Unus  fuit  e  nobis  cujus  nianus  inlercutes  et  venenosae  fngie- 
bant  undae ,  penetrabi'.is  iile  vi^abat  liqaor  ;  et  tnrgentia  viscera  salu- 
tari  ariditate  deflabant.  Unus  fuit  e  nobis  qui  claudos  carrere  praeci- 
piebat,  et  jain  operis  res  erat;  porrigere  mancos  manus,  et  atticoli 
iminobiliiates  jain  ingeràtas  explicabant;  captes  merobris  a^surgere, 
et  jam  sues  referebant  lectos ,  alienis  panio  ante  cervicibus  lati  ;  vi- 
dcatos  videre  luminibus,  et  jam  cœlum  diemque  cernebant  nullis 
cum  ocnlis  procreati.  Uuns  ,  inqnam,  fuit  e  nobis  qui  debilitatibaa 
rariis  nioibisque  vexatos  centum,  aut  hoc  amplius,  semel  una  inter- 
cessione  sanabaf ,  cujus  vocem  ad  siinplicern  furibunda  et  insania  ex- 
plicabant  se  maria;  proceilarum  turbines  tempestatesque  sedabant; 
qui  per  altissimos  gurgites  pedem  ferebat  in  tutuni  ;  calcabat  ponti 
terga ,  undis  ipsis  stupcutibus,  in  famniatura  subeunte  natara  ;  qui 
sequentium  se  inilba  quinque  saturavit  quinque  panibns  :  ac  ne  esse 
praestigiae  incredulis  illis  viderentur,  et  duris ,  bis  senarura  sporta- 
rnm  sinus  reliquiarum  fragminibus  aggerebat.  Unus  fuit  e  nobis  qni 
redire  in  corpjra  jam  dudum  ai)i:n3s  prsecipiebat  efflatas,  prodire  ab 
aggeribus  conditas,  et  post  diem  funeris  leilinm  pollinctoruni  volt»» 
minibus  expediri.  Unus  fuit  e  nobis  qui  quod  singuii  voluerint ,  quid 
snb  obscnrls  cogitaiionibus  coniinerent,  tacitorum  in  cordibus  pervi- 
debat.  {Amobiiis  adv.  gentes  ,  \\h.  r,  cap.  45  et  46.) 

Dixinins  de  nativitafe  :  nunc  de  virtute  opeiibusque  dicaraos;  qnae 
cnm  magna  iuter  horaines,  ac  mirabilia  faceret ,  vidantes  illa  Judaeî 
magica  pcfentia  fieri  curabant,  ignorantes  ea  omnia  qure  fîebant  ab 
eo  prsedicta  esse  a  prophetis.  ^gros  et  varie  merbernm  génère  lan- 
guentes ,  non  medela  aliqua,  sed  vi  ac  petestate  verbi  sni  pretinns 
reborabat  :  débiles  resanabat  :  claudos  ad  gressuin  erigebat  :  caecis 
vi»nm  resliluebal  :  mnt's  eloqnium  dabat  :  surdos  inauribat  :  pollutos 
piavnlatosqae  pargabat  :  furiatis  daernonum  incur>u  iiientem  propriam 


262  DISSERTATIONS 

il  marche  sur  les  flots;  là,  il  y  fait  marcher  ses  apôtres. 
Ailleurs,  d'un  mot  il  apaise  une  tempête;  dans  deux 
endroits  dift'érents  il  nourrit  des  multitudes  nombreuses 
avec  un  petit  nombre  de  pains  ;  il  guérit  les  malades 
de  tout  genre  ,  des  paralytiques  ,  des  lépreux  ,  des 
aveugles,  des  muets,  des  sourds,  des  boiteux;  il  chasse 
des  démons;  il  ressuscite  des  morts,  dont  un,  expiré 
depuis  quatre  jours,  et. enterré  ,  répand  déjà  l'infection; 
il  opère  ces  effets  merveilleux  ,  tantôt  par  une  seule 
parole  ,  tantôt  par  son  attouchement  (1) ,  tantôt,  comme 
envers  l'hémorroisse  ,  en  laissant  seulement  toucher 
son  vêtement.  Il  les  opère  quelquefois  loin  de  sa  vue  , 
et  à  une  grande  distance  de  lui  :  témoins  le  fils  d'un 
officier  de  Capharnaiim ,  et  le  domestique  d'un  centu- 
rion; il  les  opère  sans  préparation,  à  chaque  instant, 
en  tout  lieu,  selon  que  les  objets  lui  en  sont  offerts  (2)  ; 
il  les  opère  entouré  par  devant  ,  par  derrière,  à  côté, 
par  une  troupe  nombreuse,  non-seulement  de  disci- 
ples ,  mais  de  curieux ,  mais  même  d'ennemis  ,  tous 
attentifs  à  l'observer,  plusieurs  désirant  avec  ardeur 
trouver  quelque  trace  de  fraude.  Peut-il  entrer  dans 
l'esprit  qu'il  existe  dans  la  nature  des  moyens  d'opérer 
tant  de  choses  si  opposées  à  l'ordre  ordinaire  de  la 
nature ,  de  les  opérer  de  tant  de  manières ,  toutes  dif- 
férentes ,  toutes  ayant  si  peu  de  relations  avec  leurs 
objets;  toutes  si  occultes,  qu'il  est  impossible  aux  yeux 


rctjonebat  :  mortoos  aat  jam  sepaltos  ad  vilam  lucemqne  revocabat, 
Idem  qainqae  millia  hominuiu  quinqne  panibas  et  daobus  pistiboa 
sataravit.  Idem  snpra  mare  aaibulavit.  Idem  in  terapestate  praecepit 
rento  nt  conquiesceret  ;  statimque  tranqaillitas  facta  est.  {Lactantiiis 
epitome  div.  instit.  ^  cap.  45.) 

(i)  Tides  qnalia  habet  geneia  sanitatam.  Iraperat  febri  :  imperat 
spiritibus  immundis  :  alibi  ipse  manus  imponit.  Non  solam  igitar  ver- 
bo ,  sed  etiam  tacMi  aegros  cniare  consuevit.  (5.  AmbrosiuSy  de  Vi~ 
duis ,  cap-  X ,  n"  62 .  ) 

(a)  Nec  lempas  ad  sanandara,  nec  locas  qoîeritur. ..  Ubique  Jesas 
carat  :  nbique  sanaJ  :  in  itinere,  in  domo ,  in  deserto.  («S.  Ambro- 
sius ,  de  Virginitate y  cap.  viii,  n°  4a.) 


SUR    LA    RELIGION.  263 

les  plus  intéressés  et  les  plus  clairvoyants  de  les  dé- 
couvrir ^ 

XLII.  Il  est  impossible  de  soutenir  que  les  miracles 
de  Jésus-Christ  soient  des  tours  d'escamotage  faits  par 
l'adresse  humaine  ;  et  je  ne  crois  pas  que  cette  ridicule 
idée  ait  été  présentée  par  aucun  incrédule ,  ni  ancien  , 
ni  moderne  :  elle  est  également  absurde,  et  les  déistes 
de  nos  jours  n'osent  pas  la  répéter,  cette  assertion  des 
incrédules  anciens,  que  ces  miracles  sont  des  œuvres 
d'une  puissance  intermédiaire  entre  Dieu  et  l'homme. 
Il  reste  donc  qu'ils  soient  l'ouvrage  de  Dieu  ;  mais 
en  reconnaissant  que  c'est  par  une  vertu  divine  que 
Jésus-Christ  les  a  opérées  ,  ne  sont-ce  pas  des  consé- 
quences nécessaires,  et  qui  s'ensuivent  l'une  de  l'autre, 
1°  qu'il  est  l'envoyé  de  Dieu  ;  2°  que  c'est  de  la  part 
de  Dieu  qu'il  annonce  sa  religion  j  3"  que  sa  religion 
est  véritable? 

XLIII.  Pourrait-on  le  croire ,  si  on  ne  le  lisait  for- 
mellement dans  leurs  écrits,  que  quelques  déistes  ont 
imaginé  de  nier  ces  conséquences?  Ils  oat  prétendu  que 
«  les  miracles  de  Jésus-Christ  n'avaient  pas  pour  objet 
«  d'établir  la  divinité  de  sa  mission ,  mais  que  c'était 
«  uniquement  des  actes  de  compassion  et  de  charité  en- 
«   vers  les  misérables,  et  non  des  preuves  de  sa  religion. 

XLIV.  Parmi  les  miracles  du  Sauveur,  on  en  voit 
qui  ne  sont  pas  des  actes  de  bienfaisance  :  comme 
lorsqu'il  marche  sur  la  mer,  qu'il  fait  faire  une  pêche 
prodigieuse,  etc.  Dira-t-on  que  Dieu  faisait  ses  mi- 
racles sans  objet?  Quel  autre  objet,  que  de  prouver  sa 
mission,  leur  attribuera-t-on ?  Pour  achever  d'^  réfuter 
<;ette  pitoyable  objection,  écoutons  Jésus-Christ  lui- 
même  démentant  l'assertion  sur  laquelle  elle  est  fondée. 
Quand  il  guérit  un  paralytique,  il  déclare  que  c'est 
pour  montrer  que  le  fds  de  l'homme  a  la  puissance  de 
remettre  les  péchés  (1).  Lorsque  les  disciples  de  St.  Jean- 


(i)  Ut  aa»em  sciaiis  rjaia  (ilius  borainis  habet  polestatem  in  terra 


264  DISSERTATIONS 

Baptiste  viPiinent  lui  demander  s'il  est  le  Messie  , 
pour  réponse  il  leur  donne  les  miracles  qu'il  opère  en 
leur  présence  (1).  Si  les  Juifs  lui  demandent  ce  qu'il  est? 
Les  œuvres  que  je  fais  au  nom  de  mon  père,  voilà, 
leur  dit-il,  ce  qui  rend  témoigna{je  de  moi  (2j.  En  res- 
suscitant Lazare  ,  il  annonce  que  c'est  pour  que  le 
peuple  qui  va  le  voir ,  reconnaisse  en  lui  l'envoyé 
divin  {3).  Après  lui,  ses  apôtres  suivent  la  même  jnarclie, 
donnent  aussi  ses  miracles  comme  une  preuve  de  sa 
divine  mission  (4).  Il  est  donc  certain  que  c'est  pour 
prouver  qu'il  est  le  Messie  envoyé  par  le  Père  céleste, 
que  Jésus-Christ  opère  ses  miracles  :  et  cette  difficulté 
des  ennemis  de  sa  religion  est  aussi  contraire  à  la  vérité 
historique  qu'à  la  raison. 


dimiitendi  peccata,  tune  ait  paralytico  :  Surge,  toile  lectuin  tnam , 
et  vade  in  donium  toam.  [Match,  ix,  6.) 

(i)  Cum  autera  venissent  ad  eam  viri,  dixercnt  :  Joannes  Baptisfa 
misit  nos  ad  te ,  dicens  :  Tu  es  qui  venturns  es ,  an  alium  expectamus? 
In  ipsa  hora  muUos  caravit  a  langoribus  et  plagis  et  spiritibus  malis, 
et  caecis  miiitis  donavit  visuin.  Et  respondens  dixit  illi.s  :  Eantes  re- 
nuntiale  Joanni  quae  audistis  et  vidstis  :  quia  caeci  vident,  claadi  am- 
bulant,  lepiosi  niuiidantar,  surdi  audiunt,  mortui  resurgunt ,  paa- 
peres  evangelizantur,  (Luc.  vu,  20,  ai,  22.) 

(2)  Ego  auteni  habeo  testimonium  majus  Joanne,  Cpera  enim, 
qnse  mihi  dédit  Pater  ut  peificiam  ea,  ipsa  opéra  quae  ego  facio  tes- 
timonium perhibent  de  me,  quia  Pater  misit  me.  [Joann.  v,  36.) 

Respondit  eis  Jésus  :  loquor  vobis  et  non  creditis.  Opéra  quae  ego 
facio  in  nomine  Patris  raei ,  haec  testimonium  perhibent  de  me.  (Id. 
x,a4.) 

(3)  JesQs  elevatis  sarsum  ocalis  dixit  :  Pater,  gratias  ago  tîbi  qao- 
niam  andisli  me.  Ego  autem  scieboœ  qnia  seniper  me  audis  :  sed 
propter  popalum  qui  circomstat,  dixi  ut  credant  quia  tu  raisisti  me. 
{Joann.  xi ,  41  >  42.  ) 

(4)  Yoyez  ci- dessus ,  note,  page  aag. 


SUR    LA    RELIGION.  265 

CHAPITRE  II. 

RÉSURRECTION    PE    NOTRE    SEIGNEUR    JESUS-CHRIST. 

J'ai  distingué  la  résurrection  de  Jésus-Clirist  de  ses 
autres  miracles,  et  j'en  fais  un  cliapitre  à  part,  parce 
que  n'ayant  pas  été  aussi  publique  que  les  autres  mira- 
cles ,  elle  n'a  pas  été  avouée  de  même  par  les  ennemis 
du  Christianisme.  Elle  a  des  preuves,  et  on  lui  oppose 
des  objections  qui  lui  sont  particulières.  Elle  exige  par 
conséquent  une  discussion  spéciale. 

I.  Les  défenseurs  de  la  religion  auraient  pu  ,  pour  la 
prouver  ,  se  contenter  d'alléguer  cette  multitude  de 
prodiges  de  tout  genre  qui  avaient  rempli  la  vie  de  leur 
maîlie,  et  qui  formaient  une  démonstration  d'autant 
plus  irrésistible,  que  personne  ne  les  contestait.  Mais  ils 
ont  dédaigné  de  se  borner  à  cette  preuve.  Celui  des  mi- 
racles que  leurs  ennemis  attaquaient  est  celui  qu'ils  ont 
le  plus  fortement  défendu.  Nous  les  voyons  ,  dans  leurs 
prédications  et  dans  leus  écrits,  insister  spécialement 
sur  ce  point  essentiel  et  en  faire  le  principal  fondement 
de  la  foi  (1).  Jésus-Christ  lui-même,  prédisant  sa  résur- 
rection, l'avait  donnée  couinic  le  signe  le  plus  certain 
de  sa  mi-sion  (2).  Et  St.  Paul  fait  cet  aveu  solennel  :  Si 
le  Christ  n'est  pas  ressucité,  notre  prédication  est  vaine  , 
votre  foi  est  sans  fondement,  nous  ne  sommes  que  de 
faux  témoins  f3). 


(i)  Priinani  et  luaxiinuni  iîdei  fuiidaïuentum  in  resuireclionem 
Christi  credire.  (5.  Ambrosius ,  de  Joseph.  ^  cap.  xiii,  n°  80.) 

(a)  Qui  respondcns  ait  eis  :  geiieratio  luala  et  adultéra  .signnm 
quaîut  :  et  signum  non  dabilor  ei  .  nisi  signnm  Jonae  propbeta;.  Si<ut 
enim  fuit  Jouas  m  ventre  Cf-ti  tribus  diebus  et  tribus  noctibos  ,  sic 
erit  FiiiU»  honiinis  in  corde  terrae  tiibui  diebus  et  tribus  noctibus, 
{Matth.  xii,  39,  40) 

^3)  Sieigo  /;britus  non  resurrciit  ,inani3  est  eigo  praedicationos'ia  , 

Dissert,  sur  la  Belig.  12 


266  DISSERTATIONS 

La  résurrection  de  Jésus-Clirist,  attestée  par  ses  dis- 
ciples, a  été  contestée  par  les  Juifs  qui  venaient  de  .le 
erucifier.  Pour  jujjer  de  quel  côté  est  la  vérité,  il  faut 
examiner  ce  qu'ont  dit  1rs  uns  et  le»  autres. 

II.  Voici  le  récit  des  apôtres.   Après  que  Jésus-Christ 
eut  expiré   sur   la  croix   le  vendredi  ,  il  fut  enseveli]  le 
soir  même  dans  un  toinl^eau.   Le  lendemain  matin  ,  les 
princes  d€S  prêtres  et  les  pharisiens  allèrent  trouver  Pi- 
lât   .  et  lui  dirent  que  ce  séducteur  (ils  appelaient  ainsi 
le   divin   Sauveur)  avait  annoncé  pendant  sa  vie  qu'au 
bout  de  trois  jours  il  ressusciterait.  Ordonnez  donc  ,  di- 
rent-ils ,   que  le  tombeau  soit  gardé  jusqu'au  troisième 
jour ,  de  peur  que  ses  disciples  ne  viennent ,  et  qu'après 
avoir  dérobé  son  corps  ils  ne  disent  au  peuple  :   il  est 
ressuscité  d'entre  les  morts  ;  et  cette  seconde  erreur  sé- 
rail pire  que  la  première.  Pilate  répondit  :  Vous  avez 
des  gardes  ;  gardez-le  comme  vous  l'entendrez  Ils  allèrent 
munir  le  sépulcre  d'un  s^eau  qu'ils  apposèrent  à  la  pier- 
re ,  et  d'une  gprde  qu'ils  placèrent  autour.  Le  lende- 
main,   qui  était  le  dimanche,  de  très-grand  matin,  un 
grand  tremblement  de  terre  se  fit  sentir.  Un  ange  des- 
cendu du  ciel  leva  la  pierre  qui  couvrait  le  tombeau,  et 
s'assit  dessus.  A  son  aspect,  qui  était  effrayant,  les  gardes 
saisis  de  terreur,  restèrent  comme  morts.  Des  femmes, 
attachées  à  Jésus-Christ,  étant  venues  quelque  temps 
après ,  l'ange  leur  dit  que  celui  qu'elles  cherchaient  n'é- 
tait plus  dans  le  tombeau,  mais  qu'il  était  ressuscité, 
selon  sa  "prédiction  ,  et  il  leur  montra  le  lieu  où  il  avait 
été  déposé.  Cependant  quelques-uns  des  gardes  retour- 
nés à  la  ville  ,  racontèrent  aux  princes  des  prêtres  ce  qui 
s'était  passé.  Ceux-ci  assemblèrent  le  conseil  des  anciens. 
Il  y  fut  décidé  qu'on  donnerait  une  grosse  somme  d'ar- 
gent aux  soldats  pour  répandre  le  omit  que  pendant 
qu'ils  dormaient  les  disciples  étaient  venus  et  avaient 


iv.anis  est  et  fides  vtstra  :    inv^nimur    autein   et    falii  tesifû  Dt-i.    (  i 
Cor.  XV,  14  ,  i5.) 


SUR    L.V    RELIGION.  267 

enlevé  le  corps  de  leur  maître.  Ils  ajoutèrent,  que  si  le 
gouverneur  romain  avait  avis  de  cette  manœuvre,  ils  se 
chargeaient  de  le  persuader ,  et  de  les  mettre  eu  sûreté. 
Les  gardes  reçurent  l'argent,  firent  ce  qui  leur  avait  été 
ordonné  ;  et  le  bruit  de  l'enlèvement  du  corps  de  Jésus 
était  encore  répandu  parmi  les  Juifs,  au  temps  où  Tévan- 
géliste  écrivait.  Telle  est  la  narration  de  St.  Matiliieu, 
à  laquelle  les  chrétiens  de  son  temps  et  de  siècles  sui- 
vants ont  constanunent  fait  profession  d'ajoutf^r  foi  fl). 

III.  De  leur  côté,  les  Juifs  publièrent,  attestèrent, 
certifièrent  que  le  corps  de  Jésus-Christ  avait  été  réelle- 
ment enlevé  pendant  le  sommeil  des  gardes.  Que  telle  ait 
été  leur  assertion,  et  la  réponse  unique  qu'ils  donnaient 
au  témoignage  des  apôtres,  nous  ne  pouvons  pas  en 
douter. 

1°  St.  Matthieu,  rapportant  cette  allégation ,  dit  posi- 
tivement qu'elle  était,  lorsqu'il  écrivait,  encore  répan- 
due comme  un  bruit  public  dans  la  nation  juive  r2\ 
St.  >Iatthieu,  écrivant  peu  d'années  après ^  au  milieu 
des  Juifs,  et  spécialeuient  pour  les  Juifs,  aurait-il  osé 
dire  qu'ils  étaient  dans  une  opinion  qu'ils  n'avaient  pas  ? 
Quel  mépris  aurait  excité  une  si  ridicule  assertion  ?  Quel 
tort  n'aurait-elle  pas  fait  à  sa  prédication? 

2°  Et  voici  qui  est  plus  fort  encore.  Nous  apprenons 
;  de  St.  Justin,  que  les  Juifs  de  Jérusalem  envovèrent  de 
tous  côtés  des  émissaires  pour  répandre  ce  bruit  de 
l'enlèvement  du  corps  de  Jésus-Christ  (3).  Dans  les  siè- 
cles immédiatement  suivants,  nous  voyons,  d'une  part 

1       (l)    Matth..  cap.  xxvii  et  xxviii. 

(2)    Et   fJivu!^aia:u    est  verbum  istud  apad  Judîeos   u  que    in  ho- 

diernam  diera.  [Matth.  xxvm  ,   iS.\ 

t  (3)  Délectes  homines  consMoistis  :  ac  per  eos  in  tofnm  orbern  îer- 

,{    rarum  naissos  praedirastis  impiani  qaamdaru  et  exlefjein  sertam  0  piano 

qaodam   Je>Q   «alilaeo   exciîa'aiu    es>e  ;    et  cum   illam  a   nobis  cruci- 

fixam    discipuli  e     inunuinento   in    goo ,    refixas  e   croce ,  deposijas 

faeiat,    nocte    snbripaerint ,    decipi  ab   illis   homines,    diiii  eum  ex 

•     nnortais    tesarrexisse,  et  in  coeiara  ascendisse,  dicritant.  (5".  Justin 

Dial.  cum  Thryphon.y  n"  io8.)  '  * 


268  DISSERTATIONS 

les  plus  éclairés  entre  les  adversaires  de  la  reli[jion  ,  Celse, 
Porphyre,  Julien,  répéter  Tobjeetion  de  l'enlèvement 
du  corps,  et  ne  pas  avancer  d'autie  fait.  Nous  voyons 
d'un  autre  côté  les  saints  Pères  et  les  apolojjistes  uni- 
quement occupés  à  réfuter  l'assertion.  Knnemis  et  défen- 
seurs du  christianisme  ,  tous  s'accordent  ;  leurs  dires 
uniformes  cadrent  parfaitement  sur  ce  point  avec  le  récit 
de  St.  Maltliien.  11  est  donc  certain  que  le  fait  de  l'en- 
lèvement du  corps  est  le  seul  que  les  Juifs  contempo- 
rains aient  opposé  au  témoignage  des  apôtres  sur  la  ré 
surrection. 

ly.  Je  dis  que  c'est  le  seul  :  car  si  on  voulait  préten- 
dre qu'il  a  été  opposé  à  la  résurrection  de  Jésus-Christ 
quelqu'autre  fait ,  d'abord  je  demanderais  quel  est  ce 
fait ,  quelles  preuves  ,  quels  indices  mêmes  on  a  qu'il  ait 
été  produit?  Il  n'y  a ,  dans  toute  l'antiquité  ecclésiasti- 
que et  profane  ,  aucune  trace  de  semblable  allégation. 
Je  dirais  ensuite  qu'en  prétendant  qu'outre  le  fait  de 
l'enlèvement  on  en  a  encore  objecté  quelqu'autre  contre 
le  fait  de  la  résurrection,  les  adversaires  feraient  tort  à 
leur  cause.  En  opposant  au  témoignage  des  apôtres  tan- 
tôt un  fait,  tantôt  un  autre,  on  énerve  la  force  de  ces 
oppositions.  Les  contradictions  entre  les  réponses  mon- 
trent qu'il  n'y  a  pas  de  bonne  réponse  à  donner.  Reve- 
nons donc  à  dire  que  tout  ce  qui  a  été  soutenu  dans  le 
temps  contre  l'attestalion  des  apôtres,  que  leur  maître 
était  ressuscité,  a  été  qu'eux-mêmes  avaient  enlevé  son 
corps  pour  se  donner  le  moyen  de  prêcher  sa  résurrec- 
tion :  et  plusieurs  de  nos  déistes  modernes  ont  senti  cette 
vérité,  car  ils  ont  réchaulfé  cet  e  histoire  de  l'enlève- 
ment, et  se  sont  efforcés  d'en  prouver  la  possibilité,  la 
vraisemblance  ,  la  réalité. 

V.  Les  deux  relations  des  apôtres  et  des  Juifs,  oppo 
sées  entre  elles  sur  le  fait  principal,  s'accordent  dans 
plusieurs  circonstances.  Il  en  résulte  évidemment  que 
ces  circonstances  sont  véritables.  Quand  je  vois  deux 
partis  très-contraires  l'un  à  l'autre  convenir  de  certains 
faits  dont  ils  sont  bien  iustruits ,  je  suis  assuré  que  ces 


SUE    LA     RELIGION. 

laits  sont  réels.  Plus  il  y  a  d'opposition  entre  les  partis, 
plus  il  y  a  d'intérêt  à  se  contredire.  Leur  accord  ne  peut 
pas  être  l'elTet  d'un  concert.  Il  n'y  a  que  la  vérité  bien 
î  clairement  reconnue  qui  ait  pu  les  réunir  dans  la  même 
assertion.  Avant  de  discuter  ces  deux  narrations  et  d'exa- 
miner ce  qu'on  doit  croire  relativement  au  fait  sur  le- 
quel elles  sont  opposées,  considérons  ce  qui  s'ensuit  des 
faits  sur  lesquels  elles  sont  d'accord. 

yi.  1-^  Il  est  certain  ,  d'après  le  dire  des  Juifs  comme 
d'après  celui  des  apôtres,  que  Jésus-Christ  est  vérita- 
liicment  mort  (1).  Il  est  étonnant  que  des  déistes  du  dix- 
huitième  siècle  aient  essayé  de  jeter  du  doute  sur  ce 
fait,  qui  a  été  cru  sans  difficulté  par  tout  ce  qui  a  existé 
jusqu'à  eux  de  chrétiens,  de  juifs,  de  païens,  d'hommes 
de  toute  religion.  Tacite,  qu'on  ne  sou])çonne  pas  de 
partialité  en  faveur  du  christianisme,  en  fait  mention  (2). 
Tous  les  ennemis  qu'a  eus  la  religion  dans  ses  premiers 
siècles,  lui  objectaient  de  présenter  aux  adorations  du 
monde  un  homme  mort  du  supplice  le  plus  ignomi- 
nieux; et  nous  voyons  les  défenseurs  de  la  foi  dans  ses 
premiers  temps^  occupés  à  résoudre  cette  objection. 
Veut-on  des  témoins  comtemporains  qui  fussent  enne- 
mis des  chrétiens?  Nous  citerons  les  soldats  qui  ne  cas- 
sèrent pas  les  jambes  à  Jésus-Christ,  parce  qu'ils  le  trou- 
vèrent mort;  Pilate,  qui  permit  de  l'ensevelir,  après 
avoir  fait  une  enquête  sur  sa  mort  ;  le  centurion,  témoin 
de  son  dernier  soupir  ,  qui  l'attesta;  enfin  ,  les  chefs  des 
Juifs  eux-mêmes,  qui  ne  mirent  de  garde  à  son  tombeau 
que  parce  qu'ils  étaient  bien  stirs  de  sa   mort.  S'il  leur 


(t)  Ad  alias  igitnr  caasas  car  Jesas  cracifîxns  fneiit,  addi  forte 
potesl  ista  ;  illara  palani  in  crace  mortaum  esse,  nt  ne  qois  diceret 
illuin  volentem  ab  orulis  homi.ium  recessisse ,  mm  m<>rtnura  rêvera, 
sed  visuin  esise  dantaxat  raori ,  et  reversam  postea  qnando  voluit, 
saani  e  raortais  prodigiose  finxisse  resurrectionem.  (  Origines  contra 
Cels.  lib.  II,  n°  56.) 

(2)  AnttDr  norainis  hujus  Christus,  qui,  Tiberio  imperanie,  per 
procaraturem  Pentium  Piiatam  sapplicio  affectus  erat.  [  Tacit.  Annal, 
Ub.  XV  ,  cap.  44.) 


270  DISSERTATIONS 

était  resté  quelque  cloute,  ils  n'auraient  pas  manqué  de 
le  vérifier  et  tl'acliever  leur  victime.  D'ailleurs,  en  sup- 
posant que  Jésus-(>hrist  ne  fût  pas  mort  auparavant,  ne 
serait-il  pas  mort  du  coup  de  lance  (|ui  lui  fut  porté 
dans  le  côté,  dont  il  sortit  du  sanj;  et  de  l'eau,  indice 
certain  que  l'enveloppe  du  cœur  avait  été  percée?  Ad- 
mettant encore  que  ce  coup  ne  l'eût  pas  fait  périr,  pou- 
vait-il rester  vivant,  ayant  été  plus  de  trente  heures 
opprimé  du  poids  de  cent  livres  d'aromates,  serré  de 
toutes  parts  dans  des  linges,  et  enfermé  dans  un  sépulcre 
où  il  n'avait  aucune  communication  avec  l'air?  Toutes 
ces  circonstances  ,  tirées  de  l'histoire  évangélique  ,  sont 
irrécusables  aujourd'hui,  puisqu'elles  n'ont  pas  été  récu- 
sées dans  le  temps.  L'accord  des  Juifs  avec  les  apôtres  les 
prouvent  démonstralivement.  Que  ceux  qui  reulent  ré- 
voquer en  doute  cette  mort ,  nous  en  citent  une  ,  dans 
toute  l'histoire,  qui  ait  été  plus  positivement  et  plus  so- 
lennellement attestée. 

VII.  2°  Il  est  également  certain  que  Jésus-Christ  étant 
dans  le  sépulcre,  les  Juifs  y  ont  mis  des  gardes.  Nous 
n'avons  pas  à  prouver  cette  vérité  attestée  par  les  deux 
partis.  Mais  par  quelle  raison  les  Juifs  ujettaient-ils  des 
gardes  au  tombeau  d'un  homme  mort?  Il  ne  peut  y  en 
avoir  d'autre  que  celle  apportée  par  St.  Matthieu,  la 
crainte  qu'on  ne  dérobât  le  corps  pour  publier  ensuite 
la  résurrection  ,  conformément  à  ce  qu'avait  prédit  Jé- 
sus-Christ de  son  vivant.  Les  Juifs  n'ont  pas,  d'ailleurs, 
démenti  ce  motif  auquel  leur  précaution  était  attribuée. 
Et  c  est  là  une  preuve  de  la  vérité  de  ce  qui  est  dit  à 
plusieurs  reprises  dans  les  évangiles,  que  le  Sauveur 
avait  prophétisé  qu'il  ressusciterait  :  prophétie  qui  n'est 
certainement  pas  étrangère  à  notre  objet. 

VIIL  30  De  la  double  relation,  soit  des  apôtres,  soit 
des  Juifs,  s'ensuit  aussi  la  certitude  de  deux  faits  :  le 
premier,  que  le  corps  de  Jésus-Christ  était  dans  le  tom- 
beau le  samedi  au  matin  ;  le  second ,  qu'il  n'y  était  plus 
le  dimanche  au  matin.  La  précaution  prise  par  les  Juifs 
le  samedi ,  de  mettre  un  scellé  et  des  gardes  au  tombeau, 


SUR    LA    RELIGION.  271 

aurait  été  ridicule ,  s'ils  n'avaient  pas  su  que  le  coi-ps  y 
était.  L'assertion  répandue  par  eux  le  dimanche,  que  le 
corps  avait  éié  enlevé  du  sépulcre,  aurait  été  tout  aussi 
absurde  si  le  corps  y  était  resté.  Il  est  donc  certain  que 
c'est  dans  l'intervalle  du  samedi  matin  ,  au  matin  du 
dimanche,  que  le  corps  de  Jésus-Christ  a  disparu  du 
tondDeau.  La  question  entre  les  apôtres  et  les  Juifs,  de 
même  qu'entre  nous  et  les  incrédules,  se  réduit  à  savoir 
si  c'est  la  résurrection  racontée  par  les  évangélisles  ,  ou 
l'enlèvement  raconté  par  les  gardes,  que  l'on  doit  croire. 
Je  dis  que  c'est  encore  aujourd'hui,  couime  alors,  le 
point  de  la  question.  En  effet,  de  ce  que  les  ennemis  de 
Jésus-Christ  n'opposèrent  dans  le  temps,  au  récit  des 
apôtres,  que  Thistoire  de  l'enlèvement ,  il.  s^ensuit  qu'on 
ne  peut  aujourd'hui  en  objecter  aucune  autre.  Il  faut 
soutenir  la  vérité  de  celle  des  Juifs,  ou  avouer  celle  des 
apôtres.  Les  deux  partis  s'étant  fortement  et  uniquement 
attachés  à  ces  deux  narrations  opposées  ,  elles  sont  de- 
venues comme  deux  propositions  contradictoires  ,  dont 
il  faut  reconnaître  l'une  vraie  ,  lorsque  l'autre  est  dé- 
montrée fausse.  Quelque  nouvelle  fable  que  l'on  veuille 
imaginer  maintenant,  elle  se  trouvera  démentie  d'a- 
vance par  le  témoignage  unanime  de  tous  ceux  qui 
étaient  à  portée  de  rendre  un  témoignage.  Ainsi ,  quand 
j'entends  un  incrédule  moderne  dire  qu'il  y  avait  peut- 
être  au  tombeau  une  issue  secrète,  par  où  l'on  aurait 
retiré  le  corps,  je  lui  réponds  :  Votre  supposition  est 
évidemment  absurde.  La  preuve  que  cette  issue  secrète 
n'a  pas  existé ,  c'est  qu'elle  a  été  inconnue  ,  c'est  qu'ils 
n'en  ont  point  parlé.  Et  je  pourrais  ajouter  que  depuis 
dix-huit  cents  ans  que  ce  sépulcre  taillé  dans  le  roc 
existe  ,  et  a  été  visité  par  une  innombrable  multitude  de 
pèlerins  et  de  curieux,  aucun  n'a  jamais  aperçu  la  plus 
légère  trace  de  cette  issue  imaginaire. 

Nous  avons  donc  deux  moyens  de  prouver  la  vérité  de 
la  résurrection  :  le  premier  est  de  faire  voir  que  le  té- 
moignage des  apôtres  réunit  tous  les  caractères  qui  peu- 


272  DISSERTATIONS 

vent  lui  imprimer  la  certitude  ;  le  second  est  de  montrer 
que  le  récit  des  Juifs  est  une  fable  absurde.  Jo  vais  ex- 
poser, l'une  après  l'autre,  ces  deux  preuves. 

IX.  Nous  prouvons  la  vérité  incontestable  du  témoi- 
gnage des  apôtres  sur  la  «ésurrection  de  leur  maître, 
comme  nous  l'avons  établie  relativement  à  ses  autres 
miracles.  Un  témoignage  est  certain,  disons-nous,  quand 
ont  est  assuré  que  celui  qui  le  rend  n'a  ni  pu  être  trom- 
pé ,  ni  voulu  tromper.  Il  s'agit  donc  ici  de  savoir  si ,  sur 
le  fait  de  la  résurrection  ,  les  apôtres  ont  été  abusés ,  ou 
s'ils  ont  abusé  le  monde. 

X.  Pour  prouver  que  les  apôtres  n'ont  pas  pu  être 
dans  l'erreur  au  sujet  de  la  résurrection  ,  commençons 
par  faire  quelques  observations. 

XI.  1°  Les  apôtres  n'avaient  pas  l'esprit  aliéné  ;  ils 
n'étaient  pas  des  insensés  ,  des  fous.  J'ai  établi  ailleurs 
cette  vérité  (1). 

XII.  2°  Les  apôtres  connaissaient  parfaitement  Jésus- 
Christ.  Ils  venaient  de  passer  trois  ans  de  suite  dans  sa 
compagnie  ;  pendant  tout  ce  temps  ils  ne  l'avaient  pas 
quitté:  et  ils  avaient  vécu  avec  lui  dans  la  plus  intime 
familiarité.  Il  était  donc  impossible  qu'il  se  trompassent 
sur  sa  personne,  et  qu'ils  le  confondissent  avec  un  autre. 

XIII.  3°  Si  l'on  veut  prétendre  que  les  apôtres  ont  été 
trompés ,  il  faut  convenir  qu'ils  ont  été  sincères.  Dès 
qu'on  les  suppose  abusés ,  on  les  croit  de  bonne  foi  : 
étant  de  bonne  foi,  ils  ont  dit  ce  qu'ils  croyaient  véritable- 
ment. On  doit  donc  ajouter  foi  à  toutes  les  choses  sur  les- 
quelles ils  n'ont  pas  pu  se  tromper  ;  on  doit  croire  ce 
qu'ils  disent  d'eux-mêmes,  de  leurs  dispositions,  des  cir- 
constances où  ils  se  sont  trouvés.  Il  serait  absurde  jus- 
qu'au ridicule  de  soutenir  qu'ils  se  sont  trompés  sur  ce 
qu'ils  ont  pensé ,  sur  ce  qu'ils  ont  dit ,  sur  ce  qu'ils  ont 
fait,  sur  les  lieux  où  ils  ont  été. 


(c)  Voyez  chap.  premier,  n°  5  ,  page  219. 


StR    LA    RELIGION.  273 

Examinons  donc  ,  d'après  la  relalion  des  témoins  dont 
la  sincérité  est  admise,  s'ds  ont  pu  être  induits  en  erreui 
sur  la  résurrection  de  leur  maître. 

XIV.  S'ils  disaient  qu'un  d'entre  eux  a  vu  Jésus-Christ 
vivant  depuis  sa  mort ,  on  pourrait  penser  que  ce  témoin 
isolé  s'est  lait  illusion  ,  et  qu'il  a  pris  un  objet  pour  un 
autre  ;  mais  ils  rapportent  qu'ds  l'ont  tous  vu  ,  et  qu'à 
une  seule  fois  Jésus-Christ  a  apparu  à  plus  de  cinq  cents 
de  ses  disciples.  Comment  se  pourrait-il  qu'un  aussi 
grand  nombre  d'hommes  se  fussent  trompés  tous  en- 
semble ,  tous  de  la  même  manière  ?  que  dans  cette  mul- 
titude il  ne  s'en  fût  pas  trouvé  un  seul  qui ,  avec  des 
yeux  meilleurs  et  un  jugement  plus  sain  ,  eut  découvert 
l'erreur  et  Teùt  fait  apercevoir  aux  autres? 

XV.  S'ils  disaient  qu'ils  ont  vu  Jésus-Christ  une  seule 
fois  de  loin,  rapidement  et  en  passant,  on  pourrait  en- 
core absolument  croire  la  possibilité  de  l'erreur;  mais  ils 
racontent  que  Jésus-Christ  n"a  pas  fait  qu'une  seule  ap- 
parition ;  qu'il  s'est  montré  tantôt  aux  uns,  tantôt  aux 
autres  :  à  Madeleiue_,  à  d'autres  femmes,  à  St.  Pierre, 
à  St.  Jacques,  à  deux  disciples,  aux  onze  apôtres.  Ils 
nomment  les  lieux  où  se  sont  passées  plusieurs  de  ces 
apparitions,  le  jardin  où  était  le  tombeau,  le  chemin 
d'Êmmaùs,  le  cénacle,  le  bord  du  lac  de  Génésareth , 
une  montagne  de  Galilée.  lis  attestent  que  pendant  qua- 
rante iours  de  suite  il  leur  a  fréquemment  apparu^  et 
qu'enfin  ils  l'ont  vu  remonter  dans  le  ciel.  Comment  au- 
raient ils  pu  se  faire  illusion  tous  ensemble  sur  des  visites 
répétées  aussi  continuellement  et  pendant  un  aussi  long 
temps? 

XVI.  S'ils  disaient  qu'ils  n'ont  fait ,  dans  ces  diverses 
apparitions^  que  voir  Jésus-Christ,  ce  serait  déjà  une 
chose  inimaginable  qu'ils  se  fussent  trompés  tous  et  aus- 
si souvent;  mais  ils  ajoutent  cjue,  dans  les  diverses  oc- 
casions où  ils  l'ont  vu,  ils  ont  conversé  avec  lui;  qu'il 
les  a  fréqueinuîent  ,  pendant  quarante  jours  ,  entretenus 
du  royaume  de  Dieu.  Ils  rapi)ortent  quelques-uns  des 
discours  qu'il  a  tenus ,  plusieurs  des  réponses  qu'ils  lui 

12* 


274  Dissertations 

ont  faites.  ïls  disent  qu'ils  ont  mangé  et  bu  avec  lui  ; 
qu'il  s'est  fait  toucher  par  eux  à  plusieurs  reprises  ; 
qu'il  leur  a  fait  sentir  sa  cliair  et  ses  os  ;  qu'il  leur  a 
fait  njettre  les  doij^ts  dans  ses  plais  restées  ouvertes.  Ils 
se  seraient  donc  tous  imaginés  voir  ce  qu'ils  ne  voyaient 
pas,  entendre  ce  qu'ils  n'entendaient  pas,  toucher  ce 
qu'ils  ne  touchaient  pas  ;  et,  ce  qui  est  plus  extraordi- 
naire encore,  tous  se  faisant,  illusion,  se  seraient  fait 
précisément  la  même.  Tous  les  sens  de  tous  ces  hommes 
se  seraient  trompés  à  la  fois,  et  de  la  même  manière, 
sans  que  Wiu  eût  rectifié  l'erreur  des  autres  (1).  Soute- 
nir une  pareille  proposition  ,  n'est-ce  pas  détruire  dans 
le  genre  humain  la  certitude  physique,  qui  consiste 
principalement  dans  le  rapport  unanime  des  sens  ? 

Si  on  veut  s'opiniàtrer  à  soutenir  que  les  témoins  de 
la  résurrection  ont  été  induits  en  erreur,  il  faut  articuler 
quelle  a  été  cette  erreur.  Elle  n'a  pu  être  que  de  l'une 
de  ces  trois  sortes.  En  croyant  voir ,  entendre ,  toucher 
Jésus-Christ ,  ou  ils  n'ont  rien  vu  ,  rien  entendu  ,  rien 
touché  ;  ou  ils  ont  vu  ,  entendu  ,  touché  un  autie  hom- 
me qu'ils  ont  pris  pour  lui  ;  ou  ils  ont  vu ,  entendu  , 
touché  un  fantôme  qui  avait  sa  ressemblance,  et  qui 
n'avait  pas  de  réalité.  Laquelle  de  ces  absurdités  les  in- 
crédules préféreraient-ils  de  soutenir? 


(r)  Ideo  ilie  quadr.-iginfa  diebas  mansit  pos»  resnrreciionem ,  tam 
longu  (emj'Oie  cunsptcius  sui  spatio  veiitaiein  comprobans  :  ne  id 
qaud  videbaiDi  pbjntaMna^a  esse  |:aiarent.  Neque  his  confen'ns 
mensam  eliam  addidù  ;  id  quod  efiam  pos'ea  dicit  :  et  convescens 
cxxra  \[\i-..  Hoi-  auîeni  apostoli  scmpi-t  tn  resaireciioni»  argumentutn 
sunip^eranf,  riiof-ntes  :  Qui  inanducavimus  et btbimns  cum  itlo.  Quod 
antem  appaieni  Int-rit  per  sequentia  «Ksfeiidit  ,  dicens  :  apparens  illis, 
et  loqueii:>  de  le^no  Dei.  (5.  Joann.  Ckiysosc.  in  Âcta  Apost. 
Momil.i^n''/i.) 

Ergo,  quid  curbati  estis  ^  et  cogitationes  ascendunt  in  cor  ves- 
trum  ;  vidcte  mamis  meas  et  pedes  meos  :  palpate  et  videte.  Si  pa- 
itim  est  vobis  artendeie,  nec  suf£î(  iat  tangeie  palpate.  Nec  langite 
tantum  dixit  ,  seil  palpaie.  et  coiitreclate.  Prubent  sibi  njanus  vestrac 
si  mentianiur  o(uii  vestri  :  Palpate  et  vidtle  :  oculos  in  manibus  ha- 
bele.  [S.  Au^tist.  se/ m.  ccxxxvii,  de  Fettis  Pasch.  8  ;  al.  cxLv, 
de    Teinporc,  n»  3.) 


SDR    L\    RELIGION.  275 

XVII.  Dire  qu'ils  n'avaient  aucun  objet  devant  eux  , 
quand  tous  leurs  sens  leur  présentaient  Jésus-Cljrist , 
c'est  avancer  que  tous  les  sens  de  beaucoup  dhonimes  à 
la  fois  peuvent  non-seulement*  faire  prendre  un  objet 
pour  un  autre,  ce  qui  est  déjà  souverainement  dérai- 
sonnable, mais  donner  de  l'existence  à  ce  qui  n'est  pas  , 
de  la  consistance  à  rien. 

XVII i.  Avancer  que  les  apôtres  ont  pris  pour  Jésus- 
Christ  un  autre  liouune  qui  lui  ressemblait,  n'est  pas 
moins  absurde.  Quel  serait  donc  cet  homme  qui  n'aurait 
jamais  paru  avant  la  mort  du  Sauveur,  et  qui  aurait 
absolument  disparu  du  moment  où  l'on  annonçait  la 
résurrection  et  l'ascension  ?  D'ailleurs  ,  les  discours  que 
les  apôtres  rapportent  de  leur  maitre  depuis  sa  mort, 
ont  relation  avec  ceux  qu'il  leur  avait  tenus  pendant  sa 
vie  :  ils  en  sont  la  suite  ;  ils  les  rappellent,  il  faudrait 
donc  que  cet  imposteur  qui  abusait  les  dis.-^iples  par  sa 
ressemblance  avec  leur  maître,  eut  été  avec  eux  habi- 
tuellement dans  sa  compagnie.  Et  comment  ne  Tau- 
raient-ils  pas  connu  auparavant  ?  comment  ne  Tauraient- 
ils  pas  reconnu  alors  ? 

XIX.  Enfin  la  fable  du  fantôme  pris  pour  Jésus-Christ 
répugne  autant  que  les  deux  autres.  Il  faut ,  pour  l'exis- 
tence de  cet  être  fantastique  ,  faire  intervenir  la  puis- 
sance divine  en  faveur  du  mensonge  ,  et  supposer  un 
miracle  dont  le  but  serait  de  tromper  le  genre  humain. 
D'ailleurs  ,  Jésus-Christ  lui-même  a  prévenu  cette  objec- 
tion. Ce  fut  la  pensée  qui  vint  d'abord  à  l'esprit  de  ses 
apôtres ,  lorsqu'ils  le  virent  pour  la  première  fois  dans 
le  cénacle.  Vovez  ,  leur  dic-il ,  mes  mains  et  mes  pieds  ; 
considérez  que  c'est  moi-même  ;  voyez  qu'un  fantô- 
me n'a  point  une  chair  et  des  os  ,  comme  vous  voyez 
que  jeu  ai  (1). 


(i)  Conturbîiti  vcro  e;  coiiterriti ,  existiraabant  se  sp  rltnrn  videre. 
Et  dixil  eis  :  quid  'iirbaii  ciiis;  et  rojjita'.iones  ascendiint  in  corda 
▼estra  ?  videte  nianu'»  et  pede-^,  qnia  ego  ipse  snm  ;  palpjte  et  videre, 
qoia    spiii;U3   carn^-m   et  uisa  non  habet ,  scQt  aie  videtis  Labere.  Et 


276  Dissertations 

XX.  Ceux,  des  incrédules  qui  ont  essayé  d'admettre 
cette  ridicule  hypollièse,  que  1rs  apôtres  ont  pu  être 
abusés  sur  le  fait  de  la  résurrection  ,  n'oiil  eu  ,  pour  la 
soutenir,  d'autre  raison  à  donner ,  sinon  que  les  disci- 
ples de  Jésiis-Christ  étaient  préoccupés  de  l'idée  que 
leur  maître  devait  ressusciter,  et  qu'ils  étaient  d'u.e 
extrême  crédulité. 

XXI.  Certes,  il  aurait  fallu,  dans  tous  ceux  qui  se 
sont  portés  témoins  de  la  résurrection,  une  prévention  , 
telle  qu'on  n'en  a  jamais  vue  dans  aucun  homme,  pour 
qu'elle  leur  fît  voir  à  tous,  en  même  temps  et  delà  même 
manière,  leur  maître  vivant  et  présent,  tandis  qu'il  aurait 
été  mort  et  loin  d'eux.  Dira-t-on  aussi  qu'ils  avaient 
tous  l'esprit  prévenu  de  toutes  les  circonstances  qu'ils 
apportent,  qu'ils  étaient  touspréoccupés  de  l'idée  que  Jé- 
sus-Ciirist  apparaîtrait  à  ceux-ci  dans  un  lieu,  à  ceux-là 
dansun  autre  ;  quilreviendrait  souvent  les  voir  pendant 
l'espace  de  quarante  jours;  qu'il  leur  tiendrait  tels  dis- 
cours ;  qu'ils  lui  feraient  telle  réponse  ?  D'ailleurs  toute  la 
conduite  des  disciples  prouve  la  fausseté  de  l'assertion. 
Ils  n'avaient  certainement  pas  le  préjugé  que  leur  maî- 


«am   hoc  dixisset,    ostendit   eis   manos  et  pedes.  {Luc.   xxiv ,  S')  et 

Quale  est  autem  idcirco  dicere  Doniinura  post  resurrectionem  qua 
dragiiita  diebp.s  comedisse  cuin  apostolis,  ne  phantasma  pdtaretur, 
et  hoc  ipsiira  quod  cumedit  in  carne  et  in  membiis  vi^us  est  in  phan- 
tasma oonfumare?  Aut  vernm  est  quod  videbalur,  anr  falsam.  Si 
vernme^t,  crgo  verc  coraedil ,  et  vere  merabrii  babnit.  Si  antein  fal- 
sum ,  qiioinodo  res  fjlsas  Ostendere  voluit  ut  resnrreptionis  verilatem 
probarei  ?  (5.  Hierotiymus  ^  epist.  xxxvin,  nd  Pommachiuin.  ) 

Sciât  aiitein  qui  bas  proposait  quaestiones,  ChiiNinra  post  resurrec- 
tionem cicatrices,  non  vulnera  ,  deinonsliasse  dubitanlibus  ;  propfer 
qaos  etinni  cibum  ac  potam  suraere  voluit,  non  serael  sed  saepios  : 
ne  illum  iion  corpus  sed  spiriluin  esse  arbitrai  entur;  et  sibi  non  soli- 
de sed  imaginaliter  apparere.  Tune  autem  illae  falsae  cicatrices  fuis- 
sent, si  nulla  vnlncia  praecessissent  :  et  tamen  nec  ipsae  essent ,  si  eas 
esse  noluisset.  Voluit  autem  certae  dispens.-ttionis  gralia;  ut  iis  quos 
aedifîcabat  in  fîde  non  ficta  ,  non  a!iud  pro  alio ,  sed  hoc  quod  crn- 
eilixum  viderant,  resnrrexisse  raonsiraret.  (5.  August.  ,  lib.  ad  Deo- 
gratias  y   seu   epist.   en,  quœsty   i,  n°  5.) 


SUR    LA    RELIGION.  277 

tre  dût  ressusciter  ;  ni  Joseph,  Nicodème  et  les  saintes 
femmes  qui  venaient  embaumer  son  corps  ;  ni  Madelei- 
ne, qui,  au  premier  moment  oùelle  le  vit,  nele reconnut 
pas  ;  ni  les  disciples  d'Emmaiis,  qui  avaient,  disaient-ils  , 
espéré  d'avoir  en  lui  le  libérateur  d'Israël;  ni  les  apôtres, 
qui  refusaient  de  croire  les  premiers  témoins  du  fait  ;  ni 
saint  Thomas  ,  qui ,  avant  de  se  rendre  à  la  conviction  ^ 
voulut  voir  et  toucher  ses  plaies  (1).  La  lenteur  avec 
laquelle  les  témoins  de  ce  grand  prodige  l'ont  cru  ,  la 
circonspection  qu'ils  ont  apportée  à  l'examiner,  les 
preuves  qu'ils  en  ont  exigées,  montrent  évidemment 
que  ,  loin  d'être  persuadés  de  la  future  résurrection  de 
leur  maître,  ils  n'en  avaient  pas  même  la  pensée.  La 
Providence  a  voulu  qu'ils  fussent  aussi  longtemps  dans 
le  doute,  pour  que  nous  n'en  eussions  pas  (2).  Ces  mê- 
mes circonstances  repoussent  aussi  bien  loin  d'eux  l'im- 
putation de  crédulité.  Certes  ce  ne  sont  pas  des  hommes 
crédules,  que  ceux  qui  ne  se  déterminent  à  croire  qu'a- 
près d'aussi  grandes  précautions.  Ils  ont  mérité ,  et  su- 
bi de  la  part  de  Jésus-Christ ,  le  reproche  de  leur  diffi- 
culté à  croire ,   de   la   lenteur  qu'ils  y   apportaient  (3)» 


(i)El  di;ritur  nobiâ  :  qutie  tvgo  Dominus  cum  su  tiiim  vulnerun* 
cicatricibns  resurrexit?  Qiiid  ad  hoc  dcimas?  ^i^isi  qnia  et  hoc  po- 
test^tis  fait,  non  neccssitatis.  Sic  voluit  lesurgere.  Sic  se  volait  qni- 
busdain  dubitantibas  exliibere.  In  illa  carne  ciuatrix  vulner's  sanavit 
vainas  incredulilatis.  [S.  Augiist.  serm.  ccxrii,  in  diebus  ^.asch.  i3; 
al.  cxLvxi,  de  Ternpore  f  u°  3.) 

(2)  Quod  resurreciionem  dominicain  discipuli  tarde  crediderant, 
non  tam  illorani  infîrmitas  quam  nostra  ,  ut  ita  dicara ,  fntara  firmi- 
tas  fuit.  Ista  namqne  resai  recno  illis  dabitantibns  per  niulta  arga- 
menia  nionstrata  est  ,  qu?e  dum  hus  Icf^entes  agnoscimus,  quid  aliad 
quam  de  illorara  dubitatione  solidaranr?  Minus  eniin  raihi  Maria 
Mngdalene  pr?estitit  q'iae  ci'ius  credidit,  qujnn  Thomas  qui  diu  du- 
bitavit.  nie  eiiim  dubi'ando  vulnernra  licatrices  teîig't  ;  et  de  nosiro 
peotore  vulnns  dubieîaMs  ampntavit.  (S.  Gregoriiis  niagn.  in  evang. 
lib.  ir,  homil.  29  ,  n"  i.) 

(3^  Iti  liac  lectioîie  aninia-lvcrtirans  qaoïnodo  ipse  discipulos  suc» 
prima  membra  saa  ,  haerentes  latere  sao  objurgavit  Domiuus  Jesaa, 
qnia,  qnem  dolebant  oicsnm  fiiisae  ,  non  credebant  vivom  esse  :  pa- 
tres fidei,  nonduin  hdeles  :  magistri ,  iitcredeiet  nniveisas  orbis  ter- 


278  DISSERTATIONS 

Aujourd'hui  c'est  une  crédulité  trop  facile  qu'on  leur 
impute. 

XXII.  En  voilà  beaucoup  trop,  sans  doute,  pour  ré- 
futer une  supposition  aussi  absurde  que  l'erreur  des  apô- 
tres au  sujet  de  la  résurrection.  Passons  à  la  seconde 
hypothèse ,  et  voyons  si  on  peut  plus  raisonnablement 
les  accuser  d'avoir  voulu  en  imposer. 

XXIÏI.  J'ai  montré  dans  le  chapitre  premier,  que  les 
apôtres  n'ont  pas  été  des  imposteurs,  lorsqu'ils  ont  rap- 
porté les  miracles  dont  Jésus-Christ  avait  rempli  sa  vie. 
L'ont-ils  été  en  publiant  sa  résurrection  ?  Les  mêmes 
raisons  qui  ont  établi  la  sincérité  dans  le  témoignage 
qu'ils  ont  rendu  au\  autres  miracles  ,  prouvent  avec  la 
même  force  leur  sincérité  dans  le  récit  qu'ils  ont  fait  de 
celui-ci.  Je  ne  répéterai  donc  pas  ici  ce  que  je  crois  suf- 
fisamment établi  ailleurs,  sur  le  caractère  moral  des 
apôtres,  prouvé  par  leurs  écrits  ,  qui  donnent  les  régies 
de  toutes  vertus  ;  par  leur  conduite,  qui  en  présente  le 
modèle;  par  l'aveu  même  de  leurs  adversaires,  qui  n'ont 
jamais  intenté  un  re[)roche  à  leurs  mœurs  ;  sur  les  cir- 
constances dans  lesquelles  ils  ont  ouvert  leur  prédica- 
tion, sept  semaines  après  la  mort  de  leur  maître^  dans 
la  ville  où  elle  avait  eu  lieu,  au  milieu  d'une  fête  qui 
réunissait  un  grand  nombre  de  témoins  ;  sur  l'impossi- 
bilité de  former  et  de  soutenir  un  concert  entre  un  si 
grand  nombre  d'homnies  et  de  femmes;  sur  l'invariable 
uniformité  de  leur  témoignage  dans  des  temps  et  dans 
des  pays  divers  ;  sur  sa  constante  persévérance  dans  tout 
le  cours  de  leur  vie,  au  milieu  des  persécutions  et  des 
tourments,  et  jusque  sur  l'échafaud  ;sur  ce  que  touslesin- 
térêts  humains  s'opposaient  à  leur  prédication,  et  qu'ils 
ne  pouvaient  avoir  dans  leur  ministère  d'autre  intérêt 


raram  quod  praediia'uri  fueiant  ,  et  propîer  qnod  rnoritnri  fuerant , 
nondnrn  credebaiit,  Q'icrn  videram  luorruos  suscitasse,  non  c.eileb.int 
ffsijrrexsissp,  Meiiro  er^o  ohjurgabantor.  [S.  Aitgust.  ,sei-in.  ccxxxl, 
///  Festis  Pasch.  a;  al.   dr    Te  n  pore  ,  ccxr.i ,  n"  r.) 


SUR    LA    RELIGION.  279 

que  celui  qui  fait  toujours  dire  la  vérité  (1).  Je  me 
bornerai  à  ajouter  à  ces  raisons  quelques  considéra- 
tions. 

XXIV.  Si  les  apôtres  ont  voulu  tromper  sur  la  résur- 
rection ^  ils  étaient  donc  persuadés  que  leur  maître  était 
encore  mort.  Or,  dès- lors,  quelle  espérance  pouvaient- 
ils  avoir  de  persuader  au  monde  ,  sur  leur  seule  parole, 
que  leur  maîtie  était  ressuscité  ?  Toutes  les  probabilités 
étaient  contre  eux  :  la  nature  du  fait ,  difficile  à  croire; 
le  préjugé  qu'avait  alors  le  gros  de  la  nation  contre 
Jésus-Clirist  ;  l'opinion  généralement  répandue  ,  qu'ils 
avaient  enlevé  son  corps;  l'autorité  du  sanhédrin,  et 
la  contiance  qu'on  avait  en  lui.  Quels  moyens  possé- 
daient-ils, pour  faire  croire,  malgré  tant  d'obstacles,  un 
fait  qui  aurai  t  été  faux  (2j  ? 

XXY.  Avec  la  persuasion  de  la  fausseté  du  fait ,  quel 
motif  pouvait  les  engager  à  le  publier  ?  Que  ,  pendant 
la  vie  du  Sauveur ,  ils  se  fussent  attachés  à  lui,  cela  est 
tout  simple  :  ils  le  regardaient  comme  le  Messie,  qui, 
dans  les  idées  qu'ils  avaient  alors,  devait  être  un  roi 
glorieux  et  puissant.  Ils  en  espéraient  des  places  avan- 
tageuses dans  son  royaume  futur.  Ils  les  lui  avaient  mê- 
me déjà  demandées.  Mais  leur  maître  mort ,  leurs  es- 
pérances ont  expiré  avec  lui.  Ils  ne  peuvent  plus  rit  n 
attendre  de  lui  :  et  du  ciel  et  de  la  terre,  ils  n'ont  à  es- 


(i)   Voyez  chap.  r  ,  n°  xu  et  suivants,  page  2  33. 

(2)  Quid  ergo  habebanl  dicendum  exeantes  ^  Nam  passionem  qui- 
dem  sciebai  univeisus  orbis.  In  alto  qaippe  patibulo  su>pen!>as  foe- 
rat  ;  in  meridie,  in  metropoli  ,  et  in  maxirao  die  festo ,  et  a  qae 
maxime  non  licebat  qiiemquam  abesse.  Resurrectionein  vero  nulJus 
•ciebat  exterornm,  qnod  non  parvum  erai  ilbs  iiopediiueiilura  ne  per- 
suadèrent. Et  qaod  esse  sepaltus  omnium  romore  ferebalur,  quodqac 
disripuli  corpas  fuiati  essent ,  mdiles  jam  judaeis  omnibus  dicebant. 
QaodaQtem  resuriexisset  exterornm  nemo  sciebat.  Undenam  expec- 
tâbant  se  id  tuti  orbi  per^ua^uros  esse.  Si  enim  p<jst  edi:a  rairacola 
persnasi  fuerant  milites  ut  Contraria  testarentnr,  und^^nam  sperassent 
hi  se  sitie  mitacnlis  prseditaturos  esse;  et  ne  obolnra  quidem  haben- 
tes,  terrae  et  mari  de  resnrreclione  pcrsuasuros  esse  ?  (5.  Joan.  Chry- 
sost.^  in   epist .  primam   ad  Cor.  homil.  v,  n°  5  ) 


980  DISSERTATIONS 

pérer  que  les  tenibles  supplices  réservés  aux  iniposteuis 
et  aux  impies  ^Ij. 

XXVI.  Tant  que  Jésus-Clirist  a  vécu  ,  ses  disciples 
ont  pu  avoir  confiance  en  lui.  Lors  même  qu'ils  l'ont  vu 
arrêté  par  ses  ennemis  ,  ils  ont  pu  encore  espérer  qu'il 
saurait  se  tirer  de  leurs  mains.  Mais,  s'ils  l'ont  cru  mort 
sans  ressource,  ils  n'ont  pu  voir  en  lui  qu'un  imposteur 
qui  avait  abusé  de  leur  simplicité.  Ils  ont  donc  dû  né- 
cessairement se  détacher  de  lui  ,  et  abhorrer  d'autant 
plus  sa  mémoire ,  qu'ils  avaient  plus  chéri  sa  person- 
ne (2).  Au  moins ,  dans  leur  nombre  ,  devait-il  s'en 
trouver  que  la  honte  d'avoir  été  dupes  ,  l'indignation 
contre  l'imposteur  qui  les  avait  trompés,  le  repentir 
d'une  erreur  contraire  à  leur  religion  ,  amenassent  à 
l'aveu  de  la  séduction  qui  les  avait  égarés.  Au  lieu  de 
cela,  nous  voyons  ces  mêmes  hommes,  auparavant  fai- 
bles et  timides,  qui,,  an  premier  danger  de  leur  maître, 
l'avaii  nt  lâchement  abandonné  ,  dont  le  chef  l'avait  mè- 


(i)  Si  enim  uon  facra  foissent  illa  quae  vere  facta  sont,  et  si  Chris- 
las  in  cœlum  non  asiendissef  ,  haec  fingere  confendentes  et  aliis  per- 
saadeie,  Deura  offensuii  eiant,  et  mille  a.  superis  fulmina  expecta- 
turi.  Alioquin  etiam ,  si  viverite  Cbiisto  taniam  habuisseiit  aiacriiaiem, 
ipsj  moriuo  illam  extinxissent.  [S.  Joan.  Chrysost.^  in priinarn  epist. 
ad  Cor.^  bomil.  v,  n°  4.) 

(a)  Nisi  enim  vidisserit  illnm  resnrrexisse ,  qnid  poterat  illos  ad 
hoc  bellnm  educeie?  Qaid  non  illos  avertisset  ?  Dixit  illis  :  Post 
très  d:es  resurgara,  et  regnum  cœlonim  poUicitus  es*.  Dixit  illis  quod 
orbetu  terrarain  s'ij^eraiuri  essent  accepte  Spirita  sancto,  et  ad  baec 
irmamera  alia  dixit  uatnrara  omnem  superanlia.  Itaqne  s.i  nibil  horom 
evenisset,  et  si  viventi  rrcdiderant ,  eo  mortuo  non  ultra  crediJissent, 
nisi  ressu'-citatura  '  idisseuf.  Dixi.ssenf  enim  :  post  1res  dicb  se  resnr- 
rectnrura  dix.it  :  et  non  re>nrrexit  :  Spiiilam  se  datnrnm  promisit, 
et  non  raisit.  Quomodo  ergo  de  faluris  illam  credaraus  :  cum  prae- 
sentia  de  falso  convicia  sint.  Qua  de  causa,  si  non  resurrexisset , 
praedicarent  illam  resnrrexisse  ?  Quia  ipsnm  amabant,  inquies.  Atqni 
ipsnm  deinde  odio  babituri  erant  ,  quod  se  decepisset  ,  et  prodidis- 
set  ;  et  qaod  mide  faisis  proinissis  induxisset  ut  domos,  parentes,  et 
omnia  relinqnerent  ;  quod  totam  judaeorum  gentem  contra  se  susri- 
tasset  et  se  prodidibset.  (5.  Joan.  Ckiysost.  ,  in  epist.  priinam  ad 
Cor.  homil.  v,  n"  4.) 


SUR    LA    RELIGION.  ^81 

me  forinelleinent  renié  ;  qui  ensuite  le  voyant  expiré  , 
tremblant  que  la  persécution  qui  l'avait  immolé  ne  s'é- 
tendît sur  eux ,  étaient  restés  enfermés  dans  le  cénacle  , 
nous  les  voyons  tous  unuiimement  reprendre  pour  lui 
un  attachement  nouveau.  JNous  voyons  leur  zèle  tout  à 
coup  ranimé,  leur  donner  une  force  qu'ils  n'avaient  ja- 
mais eue  (Ij.  Quels  elVets  extraordinaires  et  absolument 
incroyables ,  la  mort  de  Jésus-Christ  aurait  donc  opérés 


(i)  Caeterum  demas  illos  illam  esse  veneratos,  quamdia  cum  ipsis 
versatas  cuminoiatii.sq'ie  sit,  et  q>iamJia  fal'aoiis  eos ,  nt  seimone 
eorum  utar  ,  decipere  potaerit,  Cnr  igitur  post  mortein,  multo  raagis 
qnam  ante,  illum  admirali  sunt  ?  Narn  in  huiuanis  dej^enleiii  ,  et  de- 
seruisse  et  abnegasse  olim  dicuntur;  cum  ilii  videlicet  insidiae  factae 
snnt.  Postquam  vero  in'er  hutiiines  esse  desiit,  alacres  ipsi  inori  ma- 
lebant  qnam  a  vera  de  illo  testificaiione  arauveri.  Si  igitur  praeoeptori 
suo  niillius  boni  eonscii  eiant,  non  vitae,  non  di-'Cplinae.  non  actioiiis, 
non  operis  alicujus  ,  tandem  mercnii,  neque  vero  qadqaara  ab 
illo  emulamenti  perceperant ,  praeter  unam  jnalitiain  et  aliorara  ho- 
minuai  deceptioi.em ,  qnamobrem  lam  prompte  raorsebantur,  dum- 
modo  de  illo  severa  quae  lam  et  insignia  priedioarent.  Cum  intérim 
illoriim  nnicuiqne  lireiet  otiose  vivere,  et  in  prupiia  dojuo  niia  cum 
sibi  carissim's  secnrioiem  mnito  tutioiemque  vitam  agere.  Fallaces 
autem  honiines  et  in  fcaudibus  versantes  qaotnodo  affectassent  mori 
pro  .aUo,  quera  ipsi  hoiuinem  maxime  certiss  mejue  novissent  :  prae- 
sertim  qni  ipsis,  ut  sermone  isturum  ufar,  nnilias  buni  auctor  fais- 
5et,  sed  contra  [)Otiuâ  omnis  maluiie  piaeceptor.  (^  Etisebr ^  Deinonst. 
evang. ,   lib.  m.  ) 

In  confesse  est  apad  oranes  enm  qni  erga  viventem  hominem  bé- 
névole sit  affectas,  ipso  mortuo,  foitasse  ne  qnidem  ejas  meminisse  ; 
qai  ve'O  maie  affeilus  sit  erga  illum  dum  viveret  ,  et  snperstilem  de- 
serueiit ,  mnIto  magis  imniemurem  defuncti  futurnm.  Quo  fit  ut  nemo 
qai  amicum,  magisnumet  superstifem  r^liquerit,  ac  deseiuerit,  vita 
fanctuni  plnrimi  faciat  ;  ac  tum  praecipne  cnm  ,  propter  exhibitam  in 
eum  benevolentiam  mille  peiicula  sibi  viderit  imniinere.  Ecre  tameu 
illad  quod  nulli  accidit,  in  Cbristo  et  in  discipuls  evenit;  et  qni  vi- 
ventem illnm  negaveranf,  ac  desernerant,  et  comprebensnm  reliqae- 
raiit,  et  aufugerani  ,  post  innnrnera  illa  opprohiia,  et  crucem  ,  tanti 
illum  fecernnt,Qt  pro  ipsius  confessione  ei  fide  aninias  eiiara  suas  ex- 
ponerent.  Eniin  vero  si  mortnus  fnissel  Chri.->tns,  neqne  re.>uirexisset, 
qni  fieri  potmsset,  nt  qui  dum  snpers'es  es^et  ob  p^nculora  imminens 
fugerant,  eo  jam  vita  functo,  propter  illum  mdle  penculis  se  ipso» 
objicerent.  {S.  Joan.  Chrysost.  homil.  Cur  in  Pentecoste ^  etc.  n°  8.) 


282  DISSERTATIONS 

sur  eux  I  Ce  qui  devait  les  abattre  est  ce  qui  les  encou- 
rage ;  ce  qui  devait  anéantir  toutes  leurs  espérances  est 
ce  qui  les  relève  ;  ce  qui  devait  éteindre  leur  amour  pour 
sa  personne ,  est  ce  qui  les  réchauffe.  Et  ce  n'est  pas  un 
seul  homme  qui  agit  aussi  contradictoiremeut  à  toutes 
les  idées,  à  tous  les  sentiments,  à  tous  les  principes; 
c'est  une  multitude  d'hommes  qui  tout  à  la  fois  se  trouve 
entraînée  dans  une  conduite  diamétralement  opposée  à 
toute  raison,  comme  à  tout  intérêt.  Ce  concert  unanime 
de  tous  les  disciples  de  Jésus-Christ  à  attester  sa  résur- 
rection contre  leur  conscience  ,  est  ce  qui  n'existe  point 
dans  la  nature^  un  effet  sans  cause.  C'est  quelque  chose 
de  plus  répugnant  encore,  c'est  un  efïet  contraire  à  tou- 
tes les  cauc^es  qui  e\istentdans  la  nature. 

XXYII.  Si ,  comme  on  le  suppose  ici ,  les  apôtres  sa- 
vaient que  leur  maître  était  encore  mort,  ne  devaient- 
ils  pas  penser  que  d'autres  pouvaient  le  savoir  comme 
eux?  Quelques  moyens  qu'ils  eussent  pu  prendre  pour 
dérober  son  corps,  quelqu'un  ne  pouvait-il  pas  s'en  être 
aperçu?  Quelque  bien  qu'ils  l'eussent  caché,  ne  pouvait- 
il  pas  d'un  moment  à  l'autre  être  découvert  ?  Et  alors  , 
à  quoi  ne  s'exposaient-ils  pas  ?  Ils  venaient  de  voir  la 
manière  cruelle  dont  leur  maître  avait  été  traité.  Ils  n'a- 
vaient pas  d'autre  sort  à  attendre,  en  se  rendant  encore 
plus  ciiminels  que  lui ,  en  se  chargeant  d'une  iniposture 
plus  odieuse  ,  en  intentant  l'accusation  de  déicide.  Si  la 
résurrection  n'était  pas  réelle  ,  que  l'on  nous  allègue  un 
motif  qui  ait  pu  porter  à  la  publier  ;  que  l'on  nous  en 
non>me  un  qui  n'ait  pas  dû  en  détourner. 

XXVIII.  Les  disciples  de  Jésus-Christ  ne  donnent  sur 
sa  résurrection  que  leur  seul  témoignage.  Ils  convien- 
nent qu'après  sa  passion  il  n'a  été  vu  vivant  que  par 
eux  (1).  Mais  ils  joignent  à  leur  récit  des  circonstances 

(i)  Hune  Deus  suvitavit  «ertia  die;  et  dédit  cum  inairifestum  fieri, 
non   omni  populo,  sed  testibus  praeordinaîis  a  Deo ,  iiobis  qui  luau-  ^ 
ducavimns,    et   bibimns    cnm   illo ,    posîquam   resurrexii  a   tnortais. 
(^ct.  X,  40,  41.) 


SUR    LA    RELIGION.  283 

qui  doivent  le  rendre  croyable,  et  qui  ne  pouvaient  pas 
être  inconnues  à  ceux  à  qui  ils  les  racontent.  Ce  sont  les 
miracles  qui  ont  accompagné  ia  mort  de  leur  maître.  Les 
ténèbres  répandues  en  ce  moment ,  le  tremblement  de 
terre,  le  voile  dn  temple  déchiré  ,  les  tombeaux  ouverts, 
plusieurs  morts  ressuscites  ;  il  élait  impossible  que  les 
Juifs  à  qui  ces  faits  merveilleux  étaient  racontés,  n'en 
connussent  pas  positivement  ou  la  vérité  ou  la  fausseté. 
Ils  sont  tellement  extraordinaires  ,  tellement  éclatants  , 
que,  s'ils  étaient  vrais,  ils  avaient  nécessairement  frap- 
pé tous  les  habitants  de  Jérusalem.  C'était  cinquante 
jours  après  celui  où  on  les  disait  arrivés  ,  c'était  en  pré- 
sence de  tous  ceux  qui  devaient  en  avoir  été  témoins, 
que  les  apôtres  les  annonçaient.  Si  ces  faits  avaient  été 
faux,  auraient-ils  osé  les  rappeler  aux  Juifs  ?  s'ils  l'a- 
vaient osé ,  n'auraient-ils  pas  reçu,  non  pas  un  démenti, 
mais  autant  de  démentis  qu'il  y  avait  de  Juifs  à  la  fête  ? 
Si  leur  narration  avait  été  ainsi  démentie,  leur  prédica- 
tion n'aurait-elie  pas  été  arrêtée  en  même  temps  que 
commencée? 

De  toutes  ces  raisons ,  il  s'ensuit  évidemment  qu'il  est 
impossible  de  regarder  les  témoins  de  la  résurrection 
comme  des  imposteurs,  et  qu'il  est  au  contraire  très- 
certain  qu'ils  étaient  intimement  persuadés  de  ce  grand 
miracle  qu'ils  publiaient.  Nous  avons  vu  aussi  qu'il  ré- 
pugne d'imaginer  que  sur  ce  fait  ils  aient  pu  être  abu- 
sés. Dès  qu'il  est  démontré  qu'ils  n'ont  été  ni  trompeurs, 
ni  trompés ,  leur  narration  réunit  toutes  les  qualités  qui 
produisent  la  certitude  ;  et  il  ne  peut  rester  à  un  esprit 
raisonnable  aucun  doute  sur  la  vérité  -de  la  résurrec- 
tion. 

XXIX.  A  cette  première  démonstration  ,  ajoutons-en 
une  seconde.  Ce  n*est  plus  du  témoignage  des  apôtres 
que  nous  la  tirons  ,  c'est  de  l'opposition  de  leurs  adver- 
saires. Dans  le  chapitre  précédent,  pour  prouver  la  vé- 
LJté  des  autres  miracles,  nous  argumentions  de  l'aveu 
qui  en  a  été  fait  par  tous  les  premiers  antagonistes  de  la 
religion.  La  résurrection  n'a  pas  été  avouée  de  même  ; 


284  DISSERTATIONS 

mais  nous  disons  que  ce  qu'on  y  a  objecté  donne  une  prou- 
vée aussi  forte  que  pourrait  l'être  un  aveu  formel.  Si  on 
n'a  pu  opposer  au  témoignage  des  apôtres  qu'un  fait 
non-seulement  incroyable  et  invraisemblable,  mais  ab- 
solument impossible  ,  il  en  résulte  manifestement  que  le 
récit  des  apôtres  est  véritable.  Je  prie  que  l'on  se  rap- 
pelle ce  que  j'ai  observé  ci- dessus  :  que  l'on  ne  peut  au- 
jourd'hui alléguer  d'autre  fait  pour  combattre  la  résur- 
rection ,  que  celui  qui  fut  avancé  dans  le  temps  ;  et  que 
les  chrétiens,  d'une  part,  leurs  ennemis  de  l'autre, 
ayant  constannnent  et  uniquement  insisté  sur  leurs  nar- 
rations respectives,  la  fausseté  de  l'une  prouve  la  vérité 
de  l'autre.  Or ,  la  fable  de  l'enlèvement  du  corps  de 
Jésus-Christ ,  qui  est  la  seule  chose  qu'on  ait  opjosée 
anciennement  au  fait  de  la  résurrection  ,  réunit  la  dou- 
ble impossibilité  et  morale  et  physique.  Il  est  morale- 
ment impossible  que  les  apôtres  l'aient  tenté  ,  et  physi- 
quement impossible  qu'ils  l'aient  exécuté. 

XXX.  Je  pourrais  d'abord  observer  qu'il  est  déraison- 
nable d'imputer  une  action  aussi  hardie  à  des  hommes 
aussi  timides  que  s'étaient  montrés  jusque-là  les  apôtres. 
Qu'est-ce  qui  aurait  pu  leur  inspirer  un  courage  aussi 
subit  et  aussi  extravagant ,  précisément  à  la  mort  de 
leur  maître?  C'est  déjà  une  première  impossibilité,  que 
des  hommes  faibles  et  lâches  tentent  une  entreprise  qui 
va  jusqu'à  la  témérité.  Mais  passons  sur  cette  première 
considération  ,  et  supposant  les  apôtres  le  contraire  de 
ce  qu'ils  étaient ,  voyons  combien  d'impossibilités  ont 
nécessairement  empêché  le  coup  qu'on  leur  impute  (1). 


(i)  Quomodi)  .lUlem  fnreiiteni  populum  .'•ustinuissent  ?  Si  namque 
coryphîeas  ipsoruni  oaliaiiae  mnlitris  verbiira  non  tulit  ;  et  ti  rtliqtii 
illiim  vinclum  videnles  dispersi  snnt,  qnoniodo  in  animuiu  induxis- 
sent  ad  exirema  oibis  accurreie  ,  ut  firtum  ressuireclionis  verbam 
plantarent  ?  Si  enira  ille  adversus  mulieris  rainas  non  stetit  ,  neque 
illi  ad  vinculorum  con>peclain,  quomodo  poterant  adversus  reges  et 
principes,  et  populo  srare,  ulli  gladii,  sai tagines,  fornares,  et  mille 
qnotidie  mortes,  nisi  ejus  qui  resnrrexerat  viituie  et  gratia  adjuti 
fuissent.  (S.  Joan.  Chrys.  in  Matt.  homil.  lxxxix;  al.  xc,  n"  i,) 


SUR    LA    RELIGION.  285 

XXXI.  Le  nombre  seul  des  complices  d'une  telle  en- 
treprise présente  une  impossibilité.  Quels  que  soit  ceux 
des  disciples  que  l'on  voudra  accuser  île  cet  enlève- 
ment furtif ,  ils  ne  l'ont  certainement  pas  su  tout  seuls. 
Tous  ceux  qui  ont  déclaré  avoir  vu  Jésus-Christ  ressus- 
cité ,  tant  hommes  que  femuies,  ont  dû  être  dans  leur 
secret.  On  n'aurait  pas  pu  les  engager  à  cette  fausse  dé- 
claration ,  sans  leur  faire  voir  clairement  qu'on  était 
maître  du  corps,  et  qu'il  ne  serait  jamais  représenté. 
Est-il  raisonnable  d'imaginer  qu'on  ait  pu  faire  à  plus 
de  cinq  cents  personnes  une  aussi  périlleuse  confidence? 
Et  quand  la  leur  auiait-on  faite  ?  Avant  l'eulèvement? 
Mais  entre  l'heure  de  la  sépulture  et  celle  où  le  tombeau 
s'est  trouvé  vide  ,  il  ne  s'est  pas  écoulé  assez  de  temps 
pour  se  concerter  avec  tant  de  gens  ,  pour  les  persuader  , 
pour  s'assurer  d'eux.  Après  l'enlèvement?  Mais,  pour 
exécuter  un  coup  aussi  hardi ,  il  faut  connnencer  par 
être  bien  sûr  de  tons  ceux,  sans  exception,  qu'on  met 
dans  le  secret.  Un  seul  qu'on  n'aurait  pu  gagner,  ou 
qui  se  serait  repenti,  non-seuleinent  aurait  détruit  tout 
l'elfet  de  l'entreprise,  mais  aurait  livré  les  auteurs  aux 
plus  justes  et  aux  plus  rigoureux  supplices.  Que  d'im- 
possibilités morales  dans  cette  supposa  on  !  Impossibi 
lité  de  la  confidence  à  lant  de  monde;  mpossibilité  de 
consentement  de  tant  de  monde  ;  impossibilité  de  la 
persévérance  de  tant  de  monde  dans  un  tel  complot. 
Que  l'on  considère  encore  que  l'umque  but  de  tous  ces 
criminels  associés  aurait  été  détromper  tout  le  monde, 
(|ue  l'unique  intérêt  de  chacun  d'eux  aurait  été  de  dé- 
couvrir le  fatal  secret,  pour  éviter  le  supplice  qui  les 
menaçait ,  et  pour  obtenir  les  récompenses  qui  auraient 
suivi  la  révélation  (1;. 


(i)  Si  eniin  militibus  pecniàara  dffd.-rant  judaei  ut  direrent  ipsos 
corpus  fiirto  sustaiisse,  si  Iran.-enntes  dscipuli  dixisscnt,  :psnni  iu- 
rati  suinus,  (juanto  non  afferJi  fuissent  honore  ?  Ipsis  itaqiie  licebdt 
honorari  etcoionari.  dur  ergo  contaiu«liis  allici ,  et  peiiditari  ma- 
Ineiant?    nisi  diviiia  quaed»m    viuus    fuisse!  bis  oinniLus  poienlior  , 


286  DISSERTATIONS 

XXXII.  C'est ,  dit-on  ,  pendant  le  sommeil  des  gar- 
des que  Tenlèvement  a  été  effectué.  Des  hommes  endor- 
mis, voilà  les  seuls  témoins  contre  les  disciples.  11  est 
physiquement  impossible  que,  ans  cet  état,  ils  aient 
su  ce  qui  avait  été  fait ,  et  par  qui  il  l'avait  été. 

XXXIII.  Pour  entreprendre  une  action  aussi  hardie 
et  aussi  dangereuse,  il  fallait  être  sur,  d'abord,  de 
trouver  la  totalité  des  gardes  endormis;  ensuite,  de  ne 
réveiller  aucun  d'entre  eux  ,  de  pouvoir  briser  le  sceau, 
rouler  l'énorme  pierre  qui  fermait  le  sépulcre,  prendre 
le  corps,  se  retirer  en  l'emportant ,  le  tout  si  légèrement, 
si  doucement,  que  ,  de  tous  les  gardes  répandus  autour 
du  tombeau  ,  aucun  n'eut  été  retiré  de  son  sommeil  par 
le  mouvement  et  par  le  bruit.  La  tentative  d'une  telle 
entreprise  par  des  êtres  raisonnables  est  impossible  mo- 
ralement ;  le  succès  est  impossible  physiquement. 

Ce  n'était  pas  Pilate ,  c'était  le  sanhédrin  qui  avait 
choisi  les  gardes  du  tombeau.  La  Providence  l'avait  ar- 
rangé ainsi ,  pour  écarter  tout  soupçon  à  leur  sujet  (1). 
Ils  V  avaient  été  placés  précisément  parce  qu'on  pré- 
voyait que  les  disciples  de  Jésus  pourraient  venir  enlever 
son  corps  pour  publier  ensuite  sa  résurrection.  On  peut 
juger  que  les  chefs  des  Juifs  avaient  eu  soin  de  prendre 
les  soldats  les  plus  incorruptibles  ,  les  plus  vigilants,  les 
plus  attachés  à  leur  parti ,  les  plus  propres  ,  en  un  mot 
à  empêcher  la  fraude  qu'ils  craignaient.  On  peut  penser 
qu'ils  leur  avaient  donné  les  ordres  les  plus  positifs ,  la 
consigne  la  plus  sévère.  La  mission  de  ces  gardes  était 
courte  :  elle  ne  devait  durer  que  jusqu'au  troisième  jour. 
Ainsi  ils  n'avaient  à  passer  auprès  du  tombeau  que  la 
journée  du  samedi  et  la  nuit  du  dimanche.  C'était  sur- 


qaae  ipsis  peisaaderet?  (.5.  Joan.  Chrys.  ^in  priinam  epist.  ad  Cor., 
homil.  V  ,  n°  4.) 

(i)  Tu  vero  animadverte  quomodo  gestis  sais  abiqae  capiantnr. 
Si  enim  Pilalnm  non  adiissent  nec  CDstodiam  petiisiciit ,  facilias  po- 
tais-ent  haec  iinpodenter  asseveraie.  Nunc  vero  non  item.  (^.  Joan. 
Chijs.  l'n  Matth.   boinil.  xcj  al.  xcx,  n°  r.) 


SDR    LA    RELIGION.  287 

lout  pendant  celte  nuit  qu'ils  devaient  être  sur  leurs  gar- 
des, puisque  c'était  le  temps  où  l'enlèvement  était  le 
plus  facile.  Veiller  une  seule  nuit,  n'est  pas  une  chose 
pénible  à  des  hommes  rohustes.  Il  aurait  même  ,  à  la 
rigueur,  suffi  qu'un  d'eux  restât  éveillé.  Espoir  de  la 
récompense,  crainte  du  châtiment,  tout  les  engageait 
à  être  fidèles  ;  et  cependant  ils  s'endorment  dans  cette 
nuit  si  précieuse  ,  ils  s'endorment  si  profondément , 
que  le  grand  bruit  qu'on  a  dû  faire  autour  d'eux  ne 
peut  les  réveiller.  Il  est  moralement  impossibl  de  sup- 
poser un  sommeil  aussi  général ,  aussi  profond  ,  avec 
toutes  les  raisons  qu'ils  avaient  de  ne  pas  dormir. 

XXX ly.  La  manière  dont  on  prétend  que  les  apôtres 
ont  exécuté  leur  coup  supposent  en  eux  deux  choses 
contradictoires  ,  une  dextérité  incroyable  pour  tirer  su- 
bitement le  corps  du  tombeau  ,  et  une  extrême  mala- 
dresse dans  leurs  mesures.  On  veut  qu'ils  aient  perdu 
la  nuit  du  vendredi  au  samedi ,  temps  où  il  n'y  avait 
pas  encore  de  gardes  au  tombeau,  et  qu'ils  soient  ve- 
nus dans  la  nuit  suivante  ,  lorsque  le  tombeau  était 
entouré  de  soldats  (1).  Du  moment  où  le  sépulcre  a  été 
gardé  ,  l'enlèvement  a  été  impossible  ;  et  c'est  alors  qu'on 
veut  qu'il  ait  été  exécuté.  Il  faut ,  de  plus  ,  dire  qu'après 
être  venus  à  bout  de  retirer  le  corps  du  tombeau  .  au  heu 
de  se  retirer  sur-le-champ  ,  comme  ils  devaient  en  être 
très-pressés ,  et  d'emporter  le  corps  dans  l'état  où  il  était , 
les  disciples  se  sont  amusés  à  déposer  les  linges ,  et  à 
les  remettre  en  ordre,  et  qu'ils  ont  perdu  à  cette 
inutile  opération  un  temps  qui  devait  leur  être  bien 
précieux. 

Ce  ne  sont  pas  encore  là  toutes  les  absurdités  qu'il  est 
nécessaire  de  dévorer,  en  soutenant  la  fable  tissue  par 


(i)  Cor  antem  non  piius  faratisnnt,  sed  posjqnam  vos  acce^se- 
ratis?  Etenim  si  illnd  facere  volebant ,  (om  nondum  castodiretnr  se- 
pulcrom,  id  in  prima  nocte  fecisicnt ,  cura  id  tuto  et  id  sine  periculo 
fieri  posset.  Nam  sabbato  accedentes  cnsfudiam  a  Pilato  peliernnt, 
et  cnstod're  cœperunt.  Prima  vero  nocte  nemo  istorum  sepnlcro 
aderat.  {S.  Joann.  Chqrs.  ,  in  Matth. ,  homil.  xc;  al.  xci,  n°  i.  ) 


288  DISSERTATIONS 

le  sanhédrin,  Si  le  fait  est  véritable,  il  y  a  deux  sortes 
de  grands  coupables  ,  les  gardes  et  les  apôtres.  Voyons 
ce  (|ui  leur  va  arriver. 

XXW.  Les  soldats  conviennent  et  répandent  qu'ils 
se  sont  laissés  aller  au  sonuneil  et  qu'ils  ont  laissé  eni- 
porterpendantce  temps  le  corps  qu'ils  étaient  chargés  de 
garder.  Ils  sont  donc  convaincus  par  leur  propre  con- 
fession d'une  faute  très-grave  et  très-punissable.  On 
sait  combien  sont  sévère  les  peines  contre  les  militaires 
qui  manquent  à  leur  consigne.  Nous  voyons,  très-peu 
de  temps  après,  Hérodc  envoyer  au  supplice  les  soldats 
qu'il  avait  chargés  de  la  garde  de  saint  Pierre  ,  parce 
que  cet  apôtre  avait  été  tiré  miraculeusement  de  sa  pri- 
son (1).  L'enlèvement  du  corps  de  Jt'sus-Christ  était  d'u- 
ne bien  plus  grande  conséquence  ,  le  délit  de  ses  gar- 
des bien  autrement  grave,  l'intérêt  du  sanhédrin  à  les  pu- 
nir infiniment  plus  grand.  Sa  confiance  trahie^  l'enlève- 
nsent  qu'il  avait  voulu  prévenir  ,  effectué  ;  les  précau- 
tions qu'il  avait  prises,  rendues  inutiles  et  tout  cela  par 
le  délit  de  ses  propres  satellites,  devaient  le  pénétrer 
d'indignation  conLre  eux.  Il  avait  tout  pouvoir  de  leur 
infliger  un  châtiment  si  bien  mérité,  et  cependant  il 
n'en  fait  rien,  il  ne  leur  inflige  pas  la  plus  légère  puni- 
tion, il  ne  leur  faits  pas  la  moindre  réprimande.  Il  est 
encore  moralement  impossible  de  donnera  cette  indul- 
gence des  chefs  de  la  nation  un  motif,  en  continuant  de 
les  supposer  convaincus  de  la  réalité  de  l'enlèvement. 

XXXYL  Et  les  apôtres  sont  encore  bien  plus  crimi- 
nels. La  haine  contre  eux ,  déjà  bien  forte  ,  doit  être 
portée  à  son  comble  par  ce  trait  de  scélératesse.  Les 
soins  qu'on  s'est  donnés,  les  précautions  que  l'on  a  pri- 
ses pour  prévenir  cet  attentat ,  annoncent  les  peines  ter- 
ribles dont  on  le  piuiira  quand  il  aura  été  commis.  Mais 
quoi  I  on  ne  leur  dit  rien  ,  on  ne  les  recherche  point ,  on 


(i)    Heiodes,   cnm  rtqnisisset  eura  el  non  iiivenisset ,  inqnisitione 
faeta  de  ciisiudibus.  jussit  eus  duci.  (y4ct.  xv  ,  19.) 


SUR    LA    ilELIGION.  289 

ne  les  juge  point,  on  ne  lespunitpoint.  Que  l'on  nous  dise 
ce  qui  a  pu  enipèclier  de  les  poursuivre  sur  un  crime  aussi 
capital,  aussi  intéressant  pour  les  chefs  de  l'état ,  aussi  im- 
portant pour  le  maintien  de  la  relijjion.  Il  est ,  nous  le  ré- 
péterons toujours  ,  moralement  impossible  d'en  indiquer 
une  autre  cause,  que  la  certitude  où  était  le  conseil,  de 
la  fausseté  du  fait  qu'il  avait  lait  répandre;  et  que  sa 
persuasion  que  Tenquète  qu'il  entreprendrait,  au  lieu 
d'inculper  les  apôtres  ,  tournerait  contre  lui-njème. 

XXXyiI.  ïl  y  a  plus  encore.  Quelques  semaines  après, 
les  apùtres  annoncent  hautement  dans  Jérusalem  ,  à  tout 
le  peuple  qui  y  est  rassemblé,  la  résurrection  de  leur 
maître.  Dès  leurs  premières  prédications,  trois  mille, 
cinq  mille  sont  convertis.  De  nombreuses  conversions 
amènent  chaque  jour  à  la  religion  naissante  de  nouveaux 
prosélytes.  Le  sanhédrin  commence  à  s'effrayer  de  ce 
prodigieux  succès,  il  se  détermine  à  mander  les  apôtres. 
11  va  donc,  sans  doute,  s'ouvrir  enfin  ce  procès  si  im- 
portant entre  les  deux  relations  opposées.  Les  apôtres 
vont  être  interrogés  sur  le  crime  de  l'enlèvement.  L'hon- 
neur des  membres  du  conseil  accusés  de  déicide,  et  l'in- 
térêt de  la  religion  ébranlée  ,  rendent  indispensable  une 
information  juridique.  En  convaincant  les  apôtres  de  ce 
fait  si  grav«  ,  par  ce  seul  coup  on  fait  tomber  leur  pré- 
dication ,  on  anéantit  leur  parti  ,  on  ramène  tous  ceux 
qu'ils  ont  déjà  pu  séduire.  Mais  non  :  il  ne  sera  pas  dit 
un  mot  de  ce  prétendu  délit.  Le  seul  reproche  fait  aux 
apôtres  est  de  prêcher  la  résurrection.  Il  n'est  nullement 
question  de  ce  qui  aurait  été  infiniment  plus  grave  ,  de 
l'enlèvement  du  corps  pour  supposer  la  résurrection.  Un 
laisse  cette  accusation  circuler  dans  le  pubhc  ,  où  elle 
ne  peut  pas  être  vérifiée  :  on  ne  la  porte  pas  au  tribu- 
nal qui  aurait  le  droit,  les  moyens^  l'intérêt  de  la  cons- 
tater. Admirons  le  contraste  entre  la  manière  dont  les 
apôtres  soutiennent  leur  témoignage  de  la  résurrection  , 
et  celle  dont  les  chefs  des  Juifs  répandent  leur  récit  de 
l'enlèvement.  Les  apôtres  prêchent  hautement  en  tout 
lieu  que  leur  maître  est  ressuscité.  On  le    leur  défend , 

Dis$erl.  sur  la  Relig,  13 


290  DISSERTATIONS 

et  ils  le  prêchent  encore ,  on  les  en  punit ,  ils  continuent 
toujours  de  le  prêcher.  Rien  ne  les  arrête.  Devant  le 
tribunal,  dans  la  prison  ,  sous  les  coups,  ils  font  cons- 
tamment retentir  leur  prédication.  Le  conseil  des  Juifs  ^ 
revêtu  de  la  puissance,  ne  fait  jias  la  plus  légère  men- 
tion du  fait  de  l'enlèvement.  Il  le  fait  répéter  de  Lou- 
che en  bouche ,  comme  un  bruit  populaire  et  vague  :  il 
n'ose  pas  lui  donner  la  consistance  d'une  enquête,  ni 
même  celle  de  sa  propre  assertion.  A  cette  fermeté ,  à 
cette  confiance  des  faibles,  à  cette  mollesse  ,  à  cette  ti- 
midité des  puissants  ,  il  est  impossible  de  ne  pas  recon- 
naître d'un  côté,  la  certitude  du  fait  annoncé  ;  de  l'au- 
tre ,  la  persuasion  que  celui  qu'on  fait  circuler  ne  sou- 
tiendrait pas  l'examen. 

XXXA'^lir.  Yoici  un  fait  qui  prouve  plus  positive- 
ment encore  que  le  grand  conseil  ne  croyait  pas  lui-mê- 
me la  fable  de  l'enlèvement.  Dans  une  des  comparutions 
des  apôtres  devant  cette  assemblée  ,  irrités  de  l'intrépide 
fermeté  avec  laquelle  Pierre,  à  la  tête  de  ses  frères, 
soutenait  la  vérité  de  la  résurrection ,  les  membres  du 
tribunal  pensaient  à  les  faire  tous  périr  ;  mais  vm  doc- 
teur de  la  loi,  nommé  Gamaliel,  personnage  fort  con- 
sidéré dans  la  nation ,  cita  plusieurs  exemples  de  partis 
qui  depuis  peu  s'étaient  d'abord  élevés  ,  et  ensuite 
avaient  été  promptement  dissipés.  Prenez  garde  ,  dit-il, 
à  ce  que  vous  allez  faire  de  ces  hommes.  Si  leur  entre- 
prise vient  des  hommes  ,  elle  se  dissipera  d'elle-même  ; 
si  elle  vient  de  Dieu  ,  toute  votre  puissance  ne  pourra  la 
faire  échouer.  Craignez  de  vous  trouver  en  contradiction 
avec  Dieu.  Tous  les  autres  consentirent  à  ce  qu'il  pro- 
.posait.  On  se  contenta  de  défendre  aux  apôtres^  après 
les  avoir  fait  battre  de  verges,  de  parler  désormais  au 
nom  de   Jésus   (1).  Si  le  récit   des  gardes  sur   l'enlève- 


(i)  HiPc  cnni  aucli>sent  dissecabantur ,  et  cogitabant  interficere 
illos.  Surgens  auteiu  quidam  in  consilio  pharisaeos,  nomine  Gamaliel, 
legis  doctor,  bonorabilis  nniversae  plebi ,  jussit  foras  ad  brève  horai- 
.nesfieri;  di:&itque  ad  illos  :  Viri  isiaeliiœ,  aUendite  vobis  super  bo- 


SUR  Là  religion.  291 

ment  eût  été  cru  dans  le  sanhédrin,  Gamaliel  y  eût-il 
opiné  ainsi  ?  S'il  l'eût  fait ,  comment  sa  proposition  eùt- 
elle  été  reçue?  Des  juges  persuadés  que  les  apôtres 
étaient  des  fourbes  adroits  et  hardis ,  qui ,  après  avoir 
dérobé  un  corps  mort ,  publiaient  sa  résurrection ,  les 
auraient-ils  laissés  échapper  de  leurs  mains,  par  la  con- 
sidération que  leur  prédication  pouvait  venir  de  Dieu  ? 
D'après  ce  fait,  il  est,  nous  le  répétons  encore,  mora- 
lement impossible  que  celui  de  l'enlèvement  fût  cru  , 
même  de  ceux  qui  en  avaient  fait  répandre  le  bruit. 

On  renouvellera  peut-être  ici  l'objection  que  cette 
conduite  du  sanhédrin  envers  les  apôtres  ne  nous  est 
connue  que  par  les  apôtres  eux-mêmes.  Nous  répéte- 
rons la  réponse  que  nous  avons  déjà  donnée,  que  St. 
Luc  écrivait  ce  fait ,  lorsque  peut-être  Gamaliel,  lors- 
que au  moins  quelques  autres  membres  du  conseil  vi- 
vaient encore.  Aurait-il  osé  devant  eux  écrire  aussi  pu- 
bliquement un  fait  faux  qui  les  concernait  ?  S'il  l'avait 
osé,  n'aurait-il  pas  été  démenti  ?  Si  sur  les  faits  qu'il  rap- 
portait il  eût  été  contredit  aussi  fortement,  la  religion 
aurait-elle  pu  s'établir  ?  Et  s'il  y  avait  eu  une  dénégation 
de  ce  fait,  les  écrivains  des  siècles  suivants,  ennemis  du 
christianisme  ,  l'auraient  sue  et  l'auraient  rappelée.  Il 
n'est  plus  permis,  après  dix-huit  siècles,  de  venir  nier 
ce  qui  a  été  cru ^  dans  le  temps,  de  tous  ceux  qui  étaient 
intéressés  soit  à  le  soutenir  ,  soit  à  le  contester. 

La  narration  des  Juifs  sur  l'enlèvement  du  corps  de 
Jésus-Christ  est  donc  aussi  évidemment  fausse,  que  le 
témoignage  de  ses  disciples  sur  sa  résurrection  est  évi- 
demment vrai  ;  ce  qui  forme  de  la  résurrection  deux 
démonstrations,  l'une  et  l'autre  complètes,  et  qui  se  don- 


rninibas  istis  qnid  actari  sitis....  Et  nanc  itaqae  dico  vol»is  :  Diicedite 
ab  hominibus  istis  :  et  sinite  illos  :  qaoniain  si  ex  horainibns  consi- 
liurn  est  hoc  aut  opns,  dissolfeîur  :  si  vero  ex  Deo  est,  non  pote- 
ritis  dissolvere  illud  :  ne  forte  et  Deo  repngnare  inveniamini.  Con- 
senserant  aalern  illi  ;  et  convocantes  apostolos,  ra?sis  denuntiavernnt 
ut  ne  omnino  loqaerentur  in  nomine  Jes'j,  et  dirais«jrunt  eus.  (Âct.  v, 
'i3   et  seq.  ) 


292  DISSERTATIONS 

nent  encore  réciproquement  une  grande  force.  Ripre- 
nons-les  en  peu  de  mots. 

XXXIX.  Les  témoins  de  la  résurrection  n'étaient  ni 
des  visionnaires  et  des  insensés,  ni  des  fourbes  et  des 
scélérats.  Ce  n'est  pas  sur  des  ouï-dire  qu'ils  parlent  : 
ce  qu'ils  annoncent ,  ils  l'ont  vu  ,  entendu  ,  touclié  ,  non 
pas  une  fois  ,  mais  à  plusieurs  reprises  et  pendant  qua- 
rante jours  consécutifs.  Ils  publient  la  résurrection  dans 
le  temps,  dans  le  lieu  où  elle  vient  de  s'opérer,  au  mi- 
lieu d'une  multitude  nombreuse,  à  la  face  de  tous  les 
hommes  puissants  qu'ils  accusaient  hautement  de  déi- 
cide,  et  qui  à  un  intérêt  majeur  de  les  punir  joignaient 
les  moyens  les  plus  faciles.  Il  est  impossible  qu'un  si 
grand  nombre  d'hommes  se  soient  concertés  pour  un 
mensonge  auquel  ils  n'avaient  pas  d'intérêt  ;  plus  im- 
possible encore  que  ,  dispersés  dans  différents  pays  ,  ils 
ne  se  fussent  jamais  ou  coupés  eux-mêmes  ,  ou  contre- 
dits entre  eux  sur  un  fait  faux  ou  sur  ses  circonstances  ; 
souverainement  impossible  que  tous ,  sans  exception  , 
eussent  soutenu  invariablement  une  imposture  au  mi- 
lieu des  contradictions,  des  persécutions,  des  humilia- 
tions, des  tortures ,  sachant  qu'une  rétractation  les  déli- 
vrerait de  leurs  maux  affreux  et  leur  procurerait  de 
grands  biens.  On  n'a  pu  dans  le  temps,  et  on  ne  peut  en- 
core aujourd'hui  combattre  leur  témoignage  qu'à  l'aide 
d'une  fable  mal  tissue  ,  dont  les  témoins  avouent  qu^ils 
étaient  endormis.  Jamais  ,  avec  la  plus  légère  dose  de 
sens  commun,  les  apôtres  n'auraient  iniagijié  de  tenter 
le  crime  dont  on  les  accuse.  Jamais,  timides  comme  ils 
l'étaient,  ils  ne  l'auraient  osé.  En  eussent-ils  eu  l'extra- 
vagante témérité^  jamais  ils  n'eussent  pu  l'effectuer. 
Leurs  juges,  qui  étaient  en  même  temps  leurs  ennemis  , 
n'ont  osé  punir  ni  eux  de  l'avoir  commis  ,  ni  leurs  sol- 
dats de  l'avoir  laissé  commettre  contre  leur  consigne.  Ils 
ne  l'ont  pas  même  publiquement  reproché.  Ils  se  sont 
même  arrêtés  sur  la  représentation  que  le  témoignage 
pouvait  venir  de  Dieu.  Quel  fait  dans  l'histoire  des  siè- 
cles réunit  autant  de  motifs  de  certitude?  Y  en  a-t-il  un, 


SUR    LA    REUGION.  293 

même  des  plus  indubitables,  dont  on  puisse  comparer 
l'évidence  à  celle  de  la  rt'surrectiou  ? 

XL.  Passons  maintenant  à  l'examen  des  difticultës 
qu'élèvent  les  incrédules  de  nos  jours,  pour  énerver 
la  force  de  nos  démonstrations.  «  Ils  objectent  d'abord 
u  l'embarras ,  la  confusion  ,  les  contradictions  même  , 
<«  disent-ils,  qui  se  trouvent  dans  les  récits  des  évangé- 
«  listes,  compara  les  uns  aux  autres.  Celui-ci  rapporte 
«  des  apparitions  dont  celui-là  ne  parle  pas  :  ils  varient 
a  tellement  dans  les  circonstances,  qu'on  ne  peut  les 
«  faire  cadrer  entre  elles.  11  y  en  a  même  de  rapportées 
.«  par  tel  évangéliste  ,  qui  détruisent  celles  qui  sont  ra- 
.<  contées  par  les  autres.  Quelle  foi,  disent  les  déis- 
M  tes,  peut -on  ajouter  à  une  histoire  si  mal  arran- 
"    gée  ?  » 

XLI.  Nous  discuterons  dans  un  moment  en  détail  les 
diverses  objections  sur  le  récit  des  apparitions,  mais 
il  est  bon  de  faire  auparavant  quelques  observations. 

On  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  de  la  contradiction  en- 
tre les  évangélistes,  parce  que  les  uns  rapportent  des  ap- 
paritions et  des  circonstances  que  les  autres  passent  sous 
silence  (1).  Il  n'est  jamais  venu  à  l'esprit  de  qui  que 
ce  soit  que  deux  historiens  se  contredisent ,  parce  que 
l'un  mentionnent  des  faits  ou  des  particularités ,  dont 
l'autre  ne  parle  pas  (2;.  Si  on  admettait  cet  extraordi- 
naire principe,  il  ne  faudrait  rien  croire  en  fait  d'his- 
toire. 


(f)  Muliis  niodis  Dorainus  Jesas  post  ie^urrectioneru  apparuit  £i- 
delibus  hiiis.  Hdbiierunt  nnde  >ciirjerent  oiunes  evangelistœ ,  sicut  eis 
snbtiiinistrabat  spiiitns  recorda tioni s  re;uni  qnas  scnberent.  Alias 
aiiuddixit,  alins  aliud.  Praetermitlere  aliquis  potuit  aliquid  verora  : 
iiOM  dicere  al.qaid  falsnm.  (5".  August.  serin,  ccxlvj  ,  de  Festis 
Pasch.    17;  al.  X.IX ,  n°  i.) 

(2)  Si  con'raria,  inqiiit,  inler  se  scripta  eorom  reperiuntur,  mali- 
gni  malo  studio  legitis  :  stiilti  non  inleiligitis  :  cyci  non  videtis.... 
Qnis  eniiu  up.qiiam  duos  historicos  legeiis  de  nna  re  scribentes, 
uirumqiie,  aut  utrumlibtt  eorum ,  aot  failere  ,  ant  fal'i  aibitralas  est; 
aot  ai  al:er  aliquid  brevias  complexus  est,  earad^m  taroen  sententiam 


294  DISSERTATIONS 

Rappelons-nous  ce  qui  a  été  dit  ailleurs  ,  que  l'objet 
des  évangélistes  était  d'écrire  non  une  histoire  suivie  de 
Jésus-Christ,  mais  des  mémoires  sur  sa  vie  (1).  Il  y  a 
eu  conséquence  de  la  variété  dans  leurs  récits ,  les  uns 
rapportant  des  faits  que  les  auties  omettent,  ceux-ci  ra- 
contant après  ce  que  les  autres  ont  raconté  aupara- 
vant. C'est  surtout  dans  la  partie  de  l'histoire  sainte  qui 
suit  la  mort  de  Jésus-Christ ,  que  l'on  remarque  ces  dif- 
férences. Les  évangélistes  ,  rapportent  les  faits  d'une 
manière  très— concise.  Quelle  en  est  la  raison  ?  Nous  l'i- 
gnorons. Il  paraît  qu'ils  se  sont  principalement  attachés 
à  rapporter  la  manière  dont  la  certitude  de  la  résurrec- 
tion est  venue  d'abord  aux  saintes  femmes,  et  ensuite 
aux  apôtres  qui  avaient  peine  à  y  croire.  Il  résulte  effec- 
tivement, de  cette  manière  de  raconter,  quelque  con- 
fusion dans  les  récits. 

Mais  cet  embarras  doit-il  empêcher  de  les  croire  ? 
Je  prétends  au  contraire  qu'il  confirme  la  vérité  de  leur 
récit.  Si  les  évangélistes  avaient  été  des  trompeurs,  ils 
se  seraient  gardés  de  ces  variétés  ;  rien  ne  leur  était  plus 
aisé  ,  puisqu'ils  écrivaient  à  quelques  années  de  distan- 
ce les  uns  des  autres.  Ces  diversités  montrent  leur  sin- 
cérité ;  et  puisqu'on  les  explique  et  qu'on  les  concilie  par- 
faitement, il  est  impossible  de  les  opposer  à  leur  récit. 
Rapprochons,  pour  faire  conciliation ,  leurs  quatre  nar- 
rations. 

XLII.  Jésus-Christ  étant  mort  le  vendredi ,  vers  la 
la  neuvième  heure  (2)  ,  c'est-à-dire  environ  à  midi  ; 
Joseph  d'Arimathie  vint  le  soir  demander  son  corps  à 
Pilate,  et  l'ayant  obtenu,  il  l'enveloppa  d'un  linceul , 
le  plaça  dans  un  tombeau  neuf,  taillé  dans  le  roc ,  et 


salvam  integramqae  custodiens,  alter  autem  tanquaro  membratiin 
cuncta  digessit,  et  non  solum  qaid  factum  sit,  vernm  etiain  qnemad- 
modum  factura  sit  intima!  et.  {S.  August.  contra  Faiistiuriy  Lb.  xxxm, 
cap.  7.) 

(i)  Voyez  première  dissertation  ,  n°  lix,  page  107. 

(2)  Matlh.  xxvu,  46,  Marc,  xv,  54;  Luc.  xxni,  46. 


SUR    LA.    RELIGION.  295 

mit  une  pierre  sur  l'ouverture  du  tombeau  (1).  Marie- 
Madeleine,  et  une  autre  Marie,  que  St.  Marc  dit  être 
mère  de  Joseph  ,  et  selon  St.  Luc,  les  femmes  qui  avaient 
suivi  Jésus  depuis  la  Galilée  ,  vinrent  reconnaître  k 
tombeau  et  observer  la  manière  dont  avait  été  placé  le 
corps  (2).  Ensuite  elles  retournèrent ,  afin  de  préparer 
des  parfums  pour  l'embaumer  ;  mais  elles  se  tinrent  tran- 
quilles, selon  le  précepte,  tout  le  lendemain,  qui  était  le 
jour  du  sabbat  (3).  Nicodème  vint  alors  ,  soit  qu'il  n'eût 
pas  osé  venir  plus  tôt  par  la  crainte  des  Juifs,  étant  disciple 
de  Jésus  seulement  en  secret,  soit  qu'il  lui  eût  fallu  ce 
temps  pour  préparer  cent  livres  de  myrrhe  et  d'aloès 
qu'il  apportait  ;  et  s'étant  joint  à  Joseph  d'Arimathie,  ils 
embaumèrent  avec  ces  aromates  le  corps  de  Jésus ,  et  le 
remirent  dans  le  tombeau  (4;.  Yoilà  tout  ce  qui  se  pas- 
sa le  vendredi  après  la  mort  de  Jésus-Christ. 

Le  lendemain  ,  qui  était  le  jour  du  sabbat ,  les  chefs 
des  prêtres  allèrent  demander  à  Pilate  une  garde  pour 
empêcher  qu'on  ne  vint  enlever  le  coi-ps  de  Jésus-Christ. 
Pilate  leur  ayant  dit  de  garder  le  coi-ps  comme  ils  l'en- 
tendraient ,  ils  placèrent  des  gardes  auprès  du  tombeau 
et  apposèrent  le  scellé  sur  la  pierre  qui  le  couvraient  (.5;. 
Selon  quelques  interprètes  ,  le  soir  de  ce  même  jour, 
d'après  notre  manière  de  compter  ,  lequel  dans  celle  des 
Juifs  était  le  commencement  du  dimanche,  lorsqu'il 
faisait  encore  clair,  deux  saintes  femmes,  Marie-Made- 
leine et  une  autre  Marie  vinrent  voir  le  sépulcre  (6). 
D'autres  interprètes,  entendant  autrement  l'expression  de 
saint  Matthieu,  disent  que  ce  fut  au  point  du  jour  du 
dimanche  que  ces   deux  femmes  allèrent  au  tombeau  ; 


(i)   Matth.  xxvit  ,  57    et  seq.  ;  Marc,  xv,  4^    et  seq.   Luc.  xxm 
43  et  seq.  ;  Joann.  x:x,  38. 

(2)  Ma'th.  XXVII,  61;  Marc,  xv ,  47;  ^^c.  xxiu,  4^. 

(3)  Luc.  xxin  ,  36. 

(4)  Joann.  xix ,  39  et  seq. 

(5)  Matth.  xxvrt,  6r  et  seq. 

(6)  Mal  th.  xxvm,  i. 


^^"  DISSERTATIONS 


et  dans  leur  interprétation  ,  la  visite  rapportée  par 
saint  Matthieu  rst  la  même  que  celle  dont  les  autres 
evangélisles  font  mention,  et  dont  nous  allons  parler. 
iNous  n'avons  pas  ici  à  examiner  cette  question  qu'agi- 
tent les  commentateurs,  et  qui  est  indillérente  à  celle 
que  nous  discutons  contre  les  incrédules. 

Le  jour  du  sabbat  étant  passé,  Marie-Madeleine  ,  iMa- 
rie,  mère  de  Jacques,  et  Salomé ,  acbetèTent  des  par- 
lums  ,  dit  saint  Marc  ,  pour  embaumer  Jésus  ;  et  le  di- 
manche de  grand  matin  elles  vinrent  au  tombeau  ,  b  so- 
leil étant  déjà  levé  (l).  Saint  Luc  ne  nomme  pas  ces 
femmes  ;  il  dit  que  celles  qui  étaient  venues  de  Galilée 
avec  Jésus  vinrent  au  tombeau  à  la  pointe  du  jour, 
portant  les  parfums  qu'elles  avaient  préparés  (2).  Saint 
Jean  ne  fait  mention  que  de  Marie-Madeleine,  et  dit 
qu  elle  vint  lorsqu'il  faisait  encore  nuit  (3).  Le  long  de 
ia  route,  ces  femmes,  embarrassées,  se  demandaient 
entre  elles  :  qui  est-ce  qui  ôtera  la  grosse  pierre  qui  fer- 
me le  sépulcre  (4)?  Mais  en  arrivant  elles  trouvèrent 
que  la  pierre  avait  été  ôtée  (4).  Il  était  survenu  un  prand 
événement  qui  n'est  rapporté  que  par  St.  Matthieiî.  Un 
tremblement  de  terre  s'était  fait  sentir  auprès  du  tom- 
beau. Un  ange  avait  écarté  la  pierre  et  s'était  assis 
dessus  ;  son  regard  était  semblable  à  l'éclair  ,  et  ses  vête- 
ments brillants  comme  la  neige.  Cet  aspect  épouvanta 
les  gardes,  qui  restèrent  d'abord  comme  morts  (6).  Ils 
senluirent  bientôt  après;  et  quelques-uns  d'entre  eux 
allèrent  dans  la  ville  rapporter  aux  princes  des  prêtres 
ce  qui  s'était  passé,  et  en  reçurent  de  l'argent  pour  pu- 
blier que  les  disciples  étaient  venus  pendant  leur  som- 
meil enlever  le  corps  (7).  Ainsi  les  saintes  femmes  ne 


(r)  Maic.  xvt ,  r, 
(î)   Lnc.  XXIV,  I. 

(3)  Joann.  xx',  i. 

(\)  Marc,  xvr,  3,4. 

(5)  Marc.  XVI,  4;  Luc.  xxiv,2;  Joann.  xx,  i. 

(6)  MgiUh.  xxvuf  ,  2  et  seq. 

(7)  Mat'Lj.  xx/ir,  n  el  seq. 


SUR    LA    RELIGION.  297 

trouvèrent  plus  ni  la  pierre  sur  le  tombeau,  ni  les  fjar- 
cles  au  près.  Il  paraît ,  par  le  récit  de  saint  Jean ,  que 
Marie-Madeleine  ,  à  cette  vue  ,  ne  se  donna  pas  le  teujps 
d'examiner  le  sépulcre  ,  et  courut  sur-le-champ  trouver 
saint  Pierre  et  saint  Jean ,  auxquels  elle  dit  :  ils  ont  en- 
levé le  Seigneur  du  tombeau  ,  et  nous  ne  savons  pas  où 
ils  l'ont  mis  (1).  Saint  Marc  et  saint  Luc  rapportent  que 
les  autres  femmes  entrèrent  dans  le  tombeau  et  n'y  trou- 
vèrent pas  le  corps  ;  mais  elles  virent,  selon  St  Matthieu 
et  St  31arc ,  un  ange  ;  selon  St.  Luc ,  deux  anges  qui 
leur  dirent  de  n'avoir  pas  peur,  leur  annoncèrent  que 
Jésus  était  ressuscité,  et  les  chargèrent  d'en  faire  part 
aux  apôtres  ,  en  leur  recommandant  d'aller  en  Galilée  , 
où  ils  le  verraient,  ainsi  qu'il  le  leur  avait  prédit  (2). 
Saint  IVJatlliieu  et  saint  Luc  disent  que  ces  femmes  cou- 
rurent sur-le-champ  raconter  la  chose  aux  apôtres.  Saint 
Marc  dit  qu'elles  n'en  dirent  rien  à  personne  (3). 

Cependant  saint  Pierre  et  saint  Jean,  sur  le  rapport  de 
Madeleine,  coururent  au  sépulcre  :  ils  y  entrèrent  l'un 
après  l'autre  ,  trouvèrent  les  linges  déposés,  et  le  suaire 
qui  couvrait  la  tète  plié  à  part  dans  un  autre  endroit,  et 
ils  s'en  retournèrent  (4).  Madeleine  qui  les  avait  suivis 
mais  qui  n'avait  pas  couru  aussi  vite ,  resta  auprès  du  sé- 
pulcre ,  pleurant.  En  regardant  dedans,  elle  vit  deux 
anges  qui  lui  demandèrent  le  sujet  de  ses  larmes  ;  elle 
répondit  que  c'était  l'enlèvement  de  son  maître.  En  di- 
sant ces  paroles  elle  se  retourna  ,  peut-être  à  cause  de 
quelque  bj  uit  qu'elle  entendit ,  et  aperçut  un  homme 
qu'elle  prit  d'abord  pour  un  jardinier  ,  mais  qui  se  fit 
reconnaître  pour  Jésus  lui  même ,  et  elle  alla  aussitôt  ra- 
conter aux  apôtres  qu'elle  avait  vu  le  Seigneur  et  ce  qu'il 


(i)  Joann.  xx,  2. 

(a)  Matih.  xxvin ,  5,  6,  7  ;  Marc,  xvr,  5,  6,  7  ;  Luc.  xxiv^  4  et  seq. 

(3)  Matth-  XXVIII,  8;  Marc,  xvi,  8;  Luc.  xxiv,  10. 

(4)  Joann.  xvx ,  3  et  seq.  ;  Lac.  xxiv,  la. 

13* 


•2^  Dissertations 

lui  avait  dit  (Ij.  Saint  Luc  dit  que  ce  fut  là  la  première 

apparition  de  Jésus  ressuscité  (2). 

Pendant  que  cela  se  passait,  les  autres  saintes  fem- 
mes ,  dont  Madeleine  s'était  séparée  ,  et  qui  retournaient 
à  la  ville,  partagées  entre  la  frayeur  que  leur  avait  cau- 
sée la  vue  de  l'ange,  et  la  joie  que  leur  inspirait  la  nou- 
velle qu'il  avait  annoncée,  eurent  aussi  le  bonheur  de 
voir  sur  leur  chemin  Jésus-Christ ,  qui  leur  parla  et  à  qui 
elles  baisèrent  les  pieds  (3).  Ce  fut  la  seconde  appari- 
tion. Alors  toutes  ces  femmes  se  réunirent  pour  attester 
aux  apôtres  la  résurrection  ;  mais  ils  ne  la  crurent  pas 
encore  (4).  Tel  est  Tordre  des  apparitions  de  Jésus-Christ 
aux  saintes  femmes. 

Il  apparut  pour  la  troisième  fois  le  même  jour  à  St. 
Pierre.  St.  Luc  en  fait  mention,  et  St.  Paul  aussi  ;  mais 
ils  ne  donnent  aucun  détail  (5j. 

La  cjuatrième  apparition  fut  faite  à  deux  disciples  sur 
le  chemin  d'Emmaùs.  Saint  3Iarc  en  dit  un  mot ,  et  St. 
Luc  la  rapporte  avec  détail  (6). 

Malgré  tous  les  rapports  qui  leur  venaient  de  tant  de 
côtés  non  suspects,  les  apôtres  ne  voulaient  pas  encore 
croire  la  résurrection  de  leur  maître  ;  mais  il  apparut  à 
eux-mêmes  réunis  dans  le  cénacle,  leur  parla,  leur  re- 
procha leur  incrédulité  ,  leur  conféra  le  pouvoir  de  re- 
mettre les  péchés,  se  fit  toucher  par  eux  ,  leur  fit  con- 
naître toutes  les  écritures  qui  annonçaient  sa  passion  et 
sa  résurrection  ,  et  les  convainquit  ainsi  qu'il  était  plei- 
nement ressuscité  (7).  Ce  sont  là  toutes  les  apparitions  de 
ce  premier  jour. 


(i)   Joann.   xvi,  21  et  seq. 

(2)  Marc.  XVI,  g. 

(3)  Matth.  xxviii,  9,  10. 

(4)  Lac,  xsiv  ,11. 

(5)  Lac.  XXIV,  34;  Prima  ad  Cor.  xv,  5. 

(6)  Marc,  xvx,  12;  Luc.  xxrv,  i  3  et  seq. 

(7)  Marc,  xvr,  14;  Lac.   xxiv ,  36  etjeq;  Joann.  xx ,  19  el  »eq. 


SDR    LA.    RELIGION.  299 

Saint  Thomas  n'était  pas  avec  les  autres  apôtres  ce 
jour-là,  quandJésus-Ciiristse  montra  à  eux.  Il  ne  vou- 
lut pas  ajouter  foi  à  leur  récit  unanime.  Huit  jours  après 
Jésus-Christ  convainquit  son  incrédulité  en  apparaissant 
au  moment  où  il  était  avec  tous  les  autres,  et  en  lui  fai- 
sant mettre  les  doigts  dans  ses  plaies  (1). 

Outre  ces  six  apparitions  ,  les  évangélistes  font  encore 
mention  de  plusieurs  autres.  Saint  Jean  dit  que  la  troi- 
sième ,  faite  aux  disciples  réunis,  laquelle  se  trouverait 
être  la  septième  de  toutes  ,  fut  sur  le  bord  de  la  mev  de 
Tibériade.  Là  se  fit  une  pêche  miraculeuse  ;  Jésus  men- 
gea  avec  ses  disciples,  et  donna  à  St.  Pierre  le  pouvoir  de 
paître  son  troupeau  •2}.  Saint  Matthieu  fait  mention 
d'une  autre  apparition  sur  une  montagne  de  Galilée  (3;. 
Enfin  saint  Matthieu,  St.  Marc  et  St.  Luc  parlent  de  la 
dernière ,  au  moment  de  l'ascension ,  où  Jésus  donna 
aux  apôtres  ses  derniers  ordres  ,  et  leur  conféra  ses  pleins 
pouvoirs  (4). 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  ce  soient  là  toutes  les  ap- 
paritions de  Jésus-Christ,  entre  sa  résurrection  et  son  as- 
cension. Saint  Paul  fait  mention  d'une,  dont  furent  té- 
moins plus  de  cinq  cents  frères,  d'une  autre  à  saint 
Jacques  en  particulier ,  et  encore  d'une  autre  à  tous  les 
apôtres  (5).  Et  nous  lisons ,  au  livre  des  Actes,  que  pen- 
dant quarante  jours  après  sa  passion  Jésus  se  montra  vi- 
vant à  ses  apôtres  dans  beaucoup  d'occasions,  leur  ap- 
paraissant et  les  entretenant  du  royaume  de  Dieu  (6).  Ce 
qui  suppose  que  pendant  ce  temps  il  vécut  beaucoup 
avec  eux,  et  se  fit  voir  à  eux  très-fréquemment. 

Le  développement  que  nous  venons  de  donner,  né-^ 
cessaire  pour  éclaircir  ce  que  la  différence  des  relations 


(i)  Joann.  xx ,  26  et  serj. 
(a)   Joann.  xxi,   i  et  seq. 

(3)  Matih.   xxvm,  16. 

(4)  Matih.  xxvm,  18,  ig,  ao;  Marc,  xvr,  i3  et  seq.;  Lac.  xxiv,  5o. 

(5)  X.   Cor.  XV  ,  6,  7. 

(6)  Act.  1,3. 


300  DISSERTATIONS 

présente  d'obscur  ,  l'était  aussi  pour  répondre  à  une 
p^rande  partie  des  objections  de  l'incrédulité  contre  le 
lait  de   la  résurrection  ,  auxquelles  nous  allons  passer. 

XLIII.  On  nous  oppose  d'abord  l'embaumement  du 
corps  de  Jésus-Cbrist.  «  Si  les  disciples,  dit-on.  savaient 
<  qu'd  devait  ressusciter  au  bout  de  trois  jours,  s'il 
..  l'avait  publiquement  prédit,  si  les  Juifs  eux-mêmes 
«  en  étaient  informés,  de  quelle  utilité  était-il  d'en- 
<(  baumer  son  corps?  D'ailleurs,  il  y  a,  à  cet  égard,  de 
i<  la  contradiction  entre  les  récits  des  évangélistes. 
«  Selon  St.  Jean ,  Jésus  -  Christ  détaché  de  la  croix 
M  fut  enseveli  et  embaumé  par  Joseph  d'Arimathie  et 
.«  par  INicodeme.  St.  Matthieu,  St.  Marc  et  St.  Luc 
«<  disent  que  cela  se  fit  en  présence  des  femmes  venues 
«  de  Galilée  avec  Jésus.  St.  Matthieu  et  St.  Marc  nom- 
«  ment  spécialement  Marie  -  Madeleine  ,  et  une  autre 
«  Marie,  qui  était  mère  de  Joseph.  Cependant  St.  Marc 
«(  et  St.  Luc  font  revenir  ces  mêmes  fenunes  le  lende- 
««  main  du  sabbat,  pour  enbaumer  le  corps.  Il  faut 
«   que  ces  évangélistes  aient    manqué   de  mémoire.   » 

XLIV.  IX  est  vrai  que  Jésus-Christ  avait  prédit  à 
plusieurs  reprises  sa  résurrection  ;  mais ,  en  rapportant 
ses  prophéties  ,  les  auteurs  sacrés  observent  qu'elles 
ne  furent  pas  comprises  par  les  apôtres  (1).  Et  St.  Jean 
dit  que,  même  après  la  résurrection,  les  apôtres  ne 
connaissaient  pas  encore  l'écriture  d'après  laquelle  le 
Christ  devait  ressusciter  (2).  Il  n'est  pas  étonnant  que 
des  paroles  qu'ils  n'avaient  pas  comprises  ne  les  eussent 
pas  frappés,  et  que,  dans  leur  douleur,  ils  les  eussent 
oubliées.  Les  prêtres  et  les  docteurs  étaient  plus  intel- 
ligents  qu'eux  ;   et,   évedlés   par   leur   haine  ,    ils    se 


{i)  A-t  illi  ignorabant  verbu'n;  et  timuerunt  inlerrogare  illarn. 
(  Marc.  IX ,  3 1 .  ) 

Etipsi  nihilhoram  inlellexeront  :  et  erat  verbumistadabsconditum 
ab  fis  :  et  non  intell i^ebr. ut  quae  dicebanlur.  (Luc.  xvai,  34.) 

(aj  Nondumenim  sciebant  scripiurain ,  qiiia  oportebat  eniti  a  mor-^ 
tqia  resurgere.  (Joann.  xx,  g.) 


SUR    LA    RELIGION.  301 

rappelaient  les  prédictions  de  Jésus-Christ,  pour  em- 
pêcher qu'on  ne  leur  donnât  de  la  suite.  Ce  fut  ce 
qui  lui  fit  demander  des  gardes.  L'embaumement  de 
Jésus- Christ  entrait  dans  les  desseins  de  la  Providence, 
il  servait  à  deux  choses,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  : 
1*»  à  constater  la  mort  de  Jésus-Christ  contre  les  doutes 
que  les  incrédules  pourraient  élever;  2»  à  prévenir 
l'objection  qu'ils  devaient  proposer ,  que  les  disciples 
du  Sauveur  étaient  préoccupés  de  l'idée  de  sa  résur- 
rection. 

Nous  avons  répondu,  dans  l'exposition  des  circons- 
tances ,  à  la  contradiction  que  l'on  trouve  dans  la 
conduite  des  saintes  femmes  qui ,  ayant  vu  embaumer 
leur  maître  le  vendredi ,  venaient  encore  le  dimanche 
pour  l'embaumer.  On  confond  deux  choses  diftérentes  : 
la  sépulture  faite  d'abord  par  Joseph  d'Arimathie  seul , 
et  l'embaumement  fait  ensuite  par  lui ,  conjointement 
avecNicodème,  quand  celui-ci  eut  apporté  les  aromates. 
St.  iVIalthieu,  St.  Marc  et  St.  Luc  ne  font  mention 
que  de  la  sépulture;  et  c'est  à  cette  action  que  furent 
présentes  les  femmes.  St.  Jean ,  le  seul  qui  parle  des 
parfums  apportés  par  Nicodème  ,  et  de  l'embaumement 
fait  alors,  ne  dit  pas  un  mot  de  la  présence  des  femmes. 
Ainsi ,  elles  savaient  où  Jésus-Christ  avait  été  enseveli , 
elles  ignoraient  qu'il  eût  été  enbaumé. 

XL\.  On  prétend  que  les  évangélistes  se  contredisent 
dans  leurs  récits  des  visites  faites  au  tombeau  par  les 
saintes  femmes.  «  St.  Matthieu ,  dit-on ,  rapporte  que 
«  ce  furent  seulement  Marie-Madeleine  et  une  autre 
«  Marie  qui  y  allèrent.  St.  Marc  dit  qu'il  y  en  eut 
<«  trois,  qu'il  nomme  Marie-Madeleine ,  Marie,  mère 
"  de  Jacques  ,  et  Salomé.  St.  Luc  raconte  que  ce  furent 
«  toutes  les  femmes  qui  de  la  Galilée  avaient  suivi 
.<  Jésus-Christ.  Il  fait  mention  d'une  d'elles,  nommée 
■  Jeanne.  Selon  St.  Jean ,  il  n'y  avait  que  Madeleine. 
«  Lequel  croire?  » 

XLVL  II  n'est  pas  vrai  que  les  évangélistes  disent 
que  ce  furent  seulement  les  femmes  qu'ils  nomment, 


^02  DISSERTATIONS 

qui  allèrent  le  dimandie  matin  au  tombeau  ;  ils  disent 
que  ces  femmes  y  allèrent,  et  c'est  tout  autre  chose. 
Nous  avons  déjà  remarqué  qu'aucun  des  évangélistes 
ne  rapporte  la  totalité  des  circonstances  de  la  résur- 
rection du  Sauveur  et  de  ses  apparitions.  Il  en  est  de 
cette  circonstance  comme  des  autres.  Chacun  d'eux 
nomme  quelques-unes  des  femmes  :  ils  ne  les  nomment 
pas  toutes.  Il  pouvait ,  avec  celles  qu'ils  nomment ,  y 
en  avoir  d'autres.  Nous  eu  avons  la  preuve  formelle 
dans  le  récit  de  St.  Jean  ;  il  ne  fait  mention  que  de 
Marie-Madeleine  ;  mais  la  suite  de  sa  narration  montre 
qu'elle  n'était  pas  seule.  Cette  femme  étant  allée  avertir 
St.  Pierre,  et  lui  dire  qu'on  avait  enlevé  le  corps  de 
son  maître,  ajouta  :  et  nous  ne  savons  pas  où  ils  l'ont 
mis  (1).  Ce  mot  nous  suppose  évidemment  qu'elles 
étaient  plusieurs.  Les  autres  évangélistes  ont  fait  comme 
St.  Jean;  ils  n'ont  pas  dit  toutes  les  personnes  qui 
étaient  au  tombeau  ,  ils  en  ont  nommé  une  partie. 
Peut-être  chacun  d'eux  a-t-il  fait  mention  de  celles  de 
qui  en  particulier  il  tenait  le  fait. 

XLVIL  Voici  une  autre  prétendue  contradiction. 
«  St.  Jean  dit  que  lorsque  Madeleine  vint  au  tombeau 
«  il  faisait  encore  nuit.  Mais  St.  Marc  dit  qu'elle  y 
«  vint  avec  ses  compagnes,  le  soleil  étant  déjà  levé;  et 
u  St.  Luc ,  que  les  femmes  y  vinrent  à  la  petite  pointe 
«  du  jour.    M 

XLYIII.  Tout  cela  se  concilie  encore  aisément.  Saint 
Marc  rapporte  que  les  saintes  femmes  achetèrent  leurs 
parfums  lorsque  le  jour  du  sabbat  fut  passé  ,  c'est- 
à-dire  dans  la  nuit  du  samedi  au  dimanche  ;  elles  se 
disposèrent  et  se  mirent  en  mouvement  avant  le  jour 
pour  se  rendre  au  tombeau;  mais  avant  qu'elles  se 
fussent  rassemblées,  que  tout  ce  qu'elles  apportaient 
fût  préparé,  et  qu'elles  fussent  arrivées,  le  jour  avait 


(i)  Taleinnt  Dominum  nienm  de  monamento  :  el  ncsciraas  ubi 
posaerant  ecm.  {Joann.  xx,  a.) 


SUR    LV    RELIGION.  303 

paru.  St.  Jean  parle  du  moment  où  elles  partirent  ; 
les  deux  autres ,  de  celui  où  elles  arrivèrent. 

XLIX.  «  On  objecte  encore  que  St.  Matthieu  et 
n  St.  Marc  ne  font  mention  que  d'un  seul  ange  ,  appelé 
-  par  celui-ci  un  jeune  homme.  Selon  St.  Matthieu  il 
«  était  assis  sur  la  pierre  ôtée  du  tombeau;  selon 
■  St.  Marc  il  était  dans  l'intérieur  ;  mais  St.  Luc  et 
u  St.  Jean  assurent  positivement  qu'il  y  avait  deux 
«  anges.   >♦ 

L.  St.  Matthieu  rapporte  que  l'ange  était  assis  sur 
la  pierre  quand  il  épouvanta  les  soldats  ;  St.  Marc  , 
qu'il  était  dans  l'intérieur  du  tombeau  quand  les  femmes 
arrivèrent.  Quelle  contradiction  y  a-t-il  là  ? 

Il  n'y  en  a  pas  plus,  en  ce  que  St.  Matthieu  et  St. 
Marc  parlant  d'un  seul  ange ,  St.  Jean  et  St.  Luc  font 
mention  de  deux.  D'abord  ce  serait  une  bien  légère 
contrariété  que  celle-là;  il  s'ensuivrait  seulement  que 
les  évangélistes  auraient  parlé  des  anges  comme  des 
saintes  femmes ,  et  qu'ils  n'en  auraient  dit  qu'un  ,  lors 
même  qu'il  y  en  avait  plusieurs.  Ensuite  il  parait  que 
les  anges  tantôt  se  montraient ,  tantôt  se  rendaient 
invisibles,  tantôt  se  présentaient  sous  une  forme,  tantôt 
se  produisaient  sous  une  autre.  Quand  l'ange  apparaît 
aux  soldats,  son  aspect  est  terrible,  dit  St.  Matthieu. 
Quand  il  se  fait  voir  aux  saintes  femmes,  c'est,  selon 
St.  Marc  ,  sous  la  ressemblance  d'un  jeune  homme 
revêtu  d'une  robe  blanche.  Lorsque  St.  Pierre  et  St. 
Jean  viennent  au  tombeau ,  ils  ne  voient  point  les 
anges,  quoiqu'ils  eussent  été  vus  auparavant  par  les 
saintes  femmes ,  et  qu'ils  l'aient  été  ensuite  par  Made- 
leine. Il  est  de  même  très-possible  qu'il  s'en  soit  présenté 
tantôt  deux,  tantôt  un  seul. 

LI.  «  St.  Matthieu,  ajoute-t-on,  dit  que  Jésus  se 
«  fit  voir  à  Madeleine  et  à  une  autre  Marie;  St.  Luc, 
••  qu'il  se  montra  aux  femmes  qui  étaient  venues  avec 
•<  lui  de  Galilée;  St.  Marc  et  St.  Jean,  qu'il  apparut 
«seulement  à  Madeleine;  ce  dernier  ajoute  qu'il  dé- 
«  fendit  à  Madeleine  de  le  toucher;  tandis  que  saint 


304  DISSERTATIONS 

«  Matthieu    rapporte  que   Madeleine  et  Tautre  Marie 
«  lui  baisèrent  les  pieds  et  l'adorèrent.   »> 

LII.  Nous  avons  répondu  à  cette  difficulté,  en  expo- 
sant les  deux  différentes  apparitions  de  Jésus -Christ  ; 
la  première  à  Marie-Madeleine  seule  ;  c'est  celle  dont 
parlent  St.  Marc  et  St.  Jean  ;  la  seconde  aux  Icinmes , 
c'est  celle  que  rapportent  St.  Matthieu  ,  qui  ne  dit  pas 
quelles  elles  étaient;  et  St.  Luc,  qui  entre  dans  un  peu 
plus  de  détail.  Ces  deux  évangélistes  ne  parlent  pas  de 
la  particularité  que  Madeleine  était  allée  avertir  saint 
Pierre  et  St.  Jean,  ce  qui  l'avait  séparée  des  autres 
femmes,'  mais  ils  ne  la  contredisent  pas. 

C'est  à  Madeleine  que  Jésus-Christ  dit  de  ne  pas  le 
toucher;  c'est  aux  autres  femmes  qu'il  permet  de  baiser 
ses  pieds.  Il  ne  veut  pas  que  Magdeleine  le  touche, 
c'est-à-dire  qu'elle  l'arrête;  et  la  raison  qu'il  en  donne, 
est  qu'il  ne  remonte  pas  encore  auprès  de  son  Père; 
voulant  par  là  lui  faire  entendre  qu'elle  aurait  le  temps 
de  le  revoir.  Le  motif  qui  l'engage  à  ne  pas  s'arrêter 
avec  Madeleine  ,  est  peut-être  l'empressement  de  se 
montrer  aux  autres  femmes  qui  étaient  en  chemin 
pour  la  ville,  à  qui  il  voulait  se  faire  voir  aussi  avant 
qu'elles  y  arrivassent,  afin  qu'elles  pussent  prévenir 
les  apôtres. 

un.  «  On  lit ,  c'est  encore  une  difficulté  des  adver- 
saires ,  dans  St.  Matthieu  et  dans  St.  Luc ,  que  les 
femmes  allèrent  rapporter  aux  apôtres  ce  qu'elles 
avaient  vu.  St.  Marc  nous  apprend ,  au  contraire , 
qu'épouvantées  par  l'ange,  elles  s'enfuirent,  et  que 
telle  était  leur  frayeur  ,  qu'elles  ne  parlèrent  à 
M   personne.   » 

LIV.  Ces  deux  relations  se  concilient  encore  en 
distinguant  les  temps.  D'abord ,  les  saintes  femmes 
effrayées  comme  il  est  aisé  de  le  croire,  de  l'appa- 
rition d'un  ange,  s'enfuirent;  et  bien  qu'elles  rencon- 
trassent ]des  personnes  de  connaissance ,  elles  ne  leur 
dirent  pas  ce  qu'elles  venaient  de  vesir;  mais  lorsque 
dans  la  suite  de  leur  route  elles  eurent  vu  Jésus-Christ 


SUR    LA    RELIGION.  305 

lui-nième,  qui  se  fit  leconnaitre  à  elles,  rassurées  par 
sa  présence,  et  de  plus  en  recevant  de  lui  l'ordre, 
elles  allèrent  trouver  les  apôtres  et  les  instruire  de  la 
résurrection. 

LV.  «  Selon  St.  jMattliieu,  ajoute-t-on,  Jésus-Christ 
•<  fait  dire  aux  apôtres,  par  les  ieninies^  qu'il  va  se 
«  rendre  en  Galilée  ,  et  qu'il  leur  ordonne  de  s'y 
«<  trouver.  Selon  St.  Jean  ,  il  leur  fait  annoncer  par 
«   Madeleine,  qu'il   remonte  vers  son  Père.    » 

LVJ.  Jésus-Christ  ne  se  contrarie  pas  dans  ces  deux 
avis  qu'il  fait  donner  successivement  aux  apôtres.  Dire, 
je  remonte  vers  mon  Père,  n'est  pas  déclarer  qu'il 
y  monte  dans  le  moment  présent.  C'est  une  mani'ère 
de  parler,  usitée  et  nullement  impropre,  de  dire  qu'on 
va  à  tel  endroit,  ([uand  on  doit  y  aller  bientôt. 

LVII.  «  Que  prouvent,  poursuit-on,  des  apparitions 
«  dans  lesquelles  Jésus -Christ  n'a  pas  été  reconnu 
u  d'abord?  Nous  voyons  31adeleine  le  prendre  pour 
«  un  jardinier;  et  les  deux  disciples  d'Emmaùs  voya- 
.«  gèrent  avec  lui  longtemps  sans  le  connaître.  » 

LVIIÏ.  Observons  les  contradictions  entre  les  diverses 
objections  des  incrédules.  Tantôt  ils  taxent  les  dis- 
ciples d'une  excessive  crédulité,  tantôt  ils  argumentent 
de  leur  lenteur  à  croire. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  Madeleine,  tonte  troublée 
de  l'apparition  d'un  ange  ,  encore  prévenue  qu'on  avait 
enlevé  son  maître,  ne  l'ait  pas  reconnu  à  l'instant  où 
elle  s'est  retournée.  Il  est  même  possible  qu'elle  ne  l'eût 
pas  regardé  en  face;  mais  cette  erreur  d'un  seul  moment 
est  réparée  aussitôt  que  Jésus  l'appelle  par  son  nom. 

Quant  aux  disciples  d'Emmaùs ,  il  paraît  que  l'in- 
tention de  Jésus-Christ  était  de  les  instruire  avant  de  se 
faire  connaître  à  eux,  et  de  leur  montrer,  par  les 
Ecritures,  qu'il  devait  ressusciter  avant  de  les  en  rendre 
témoins.  C'est  pour  cela  que,  comme  l'observe  l'évan- 
géliste  ,  leurs  yeux  étaient  fascinés  (1)  ;  mais  l'illusion 

(i)  Et  quoinodo,   iiiqaiunt,    non  cogiiDScebant  euin  in  itinere,  gi 


3C6  DISSERTATIONS 

fut  dissipée,  et  ils  le  reconnurent  pleinement  au  moment 
du  repas  et  lorsqu'il  eut  terminé  ses  instructions. 

Voilà  toutes  les  objections  que  je  connais  relatives 
aux  diverses  apparitions  faites  aux  saintes  femmes ,  soit 
par  les  anges,  soit  par  Jésus-Christ  lui-même.  On  en 
propose  aussi  plusieurs  autres  sur  les  apparitions  faites 
aux  disciples. 

LIX.  «  Selon  St.  Matthieu,  St.  3Iarc  et  St.  Luc,  Luc 
u  dans  son  évangile  ,  l'apparition  dans  laquelle  Jésus- 
«  Christ  se  fit  voir  à  tous  ses  apôtres  fut  la  dernière 
«  où  ils  le  virent.  Saint  Marc  le  dit  même  positivement  ; 
M  mais  St.  Jean,  St.  Paul  et  St.  Luc  lui-même,  dans 
«  les  Actes  des  Apôtres  ,  font  mention  de-  plusieurs 
»  autres  apparitions.  St.  Matthieu  place  la  scène  de 
«  cette  dernière  apparition  sur  une  montagne  en  Ga- 
u  lilée ,  où  Jésus  avait  fixé  le  rendez-vous  pour  le  soir 
«  de  sa  résurrection.  St.  Marc  et  St.  Luc  la  mettent  à 
n  Jérusalem  ,  et  disent  qu'immédiatement  après  ,  Jésus- 
«  Christ  fut  transporté  dans  les  cieux.  Cependant  le 
«  même  St.  Luc  dit  dans  les  Actes  des  Apôtres  que  Jésus 
«  continua  pendant  quarante  jours  à  se  faire  voir  à 
u  ses  disciples.  On  voit  encore  entre  St.  Matthieu  et 
«  St.  Marc  d'une  part,  et  St.  Luc  de  l'autre  ,  une 
«  opposition.  Les  deux  premiers  disent  que  Jésus  fit 
«  ordonner  à  ses  disciples  de  se  trouver  sur  une  mon- 
"  tagne  de  Galilée f  le  troisième,  au  contraire,  qu'il 
«  leur  défendit  de  sortir  de  Jérusalem.    >» 


ipsurn  habebat  corpns  quod  ante  bal  uil  ?  Andi  scripiuram  diceiiteiu. 
Oculi  eorum  tenebantur  ne  eum  agtioscerent  :  et  rursum  .•  aperti 
sunt  oculi  eoriun  ^  et  cognoverunt  eum.  Nunriuid  alins  fuit  quando 
non  agnosct'Latur,  et  alius  qaando  agnitns  est?  Carte  nnas  atque 
idem  erat.  Cognoî^cere  igitur ,  et  non  cognoscere  ocalornra  fuit,  non 
qus  qui  videbatur  :  licet  et  ipsius  fnerit.  Ocalos  enim  tenebal  eornm, 
ne  agnoscerent.  Denique  ut  scias  eirorem  qui  rersabatur  in  medio , 
non  corpotis  Doinini,  sed  oculoram  fuisse  clausorum ,  aperti  sunt 
oculi  eorum  j  înqnit ,  et  cognoverunt  enm.  Uiide  et  Maria  Magdalent; 
qnando  non  cognoscebat  Jesura ,  et  vivum  qucerebat  inter  raortnos , 
hortalannin  patabat.  Agnoscit,  et  Dominum  vocat.  {S,  Uieron., 
epist.  ss-xv-d,   ad  Pammachium.) 


SDR    LA    RELIGION.  307 

LX.  Toutes  ces  difficultés  portent ,  ou  sur  ce  que  l'on 
attribue  aux  évangélistes  ce  qu'ils  n'ont  pas  dit,  ou  sur 
ce  que  l'on  confond  des  diverses  circonstances  dont  ils 
ont  parlé. 

1*^  Il  n'est  pas  vrai  que  les  trois  premiers  évangélistes 
disent  que  la  première  apparition  de  Jésus -Christ  fut 
aussi  la  dernière.  A  la  vérité,  ils  ne  distinguent  pas 
les  diverses  apparitions  du  Sauveur;  ils  mettent  en- 
semble des  choses  qu'il  a  dites  dans  plusieurs  occasions. 
Nous  avons  observé  que  c'est  la  manière  des  évangélistes, 
et  qu'ils  ne  s'attachent  ni  à  rapporter  tous  les  faits  , 
ni  à  les  rendre  dans  l'ordre  où  ils  se  sont  passés.  St. 
Marc  dit,  il  est  vrai,  qu'en  dernier  lieu  Jésus-Christ 
apparut  aux  onze  ;  mais  il  veut  dire  seulement  que  ce 
fut  la  dernière  apparition  du  jour  de  la  résurrection. 
C'est  après  avoir  parlé  de  celles  faites  le  même  jour  à 
iVIadeleine  et  aux  disciples  d'Emmaus,  qu'il  dit  que 
Jésus  se  montre  enfin  aux  onze  qui  étaient  à  table.  Il 
parle  de  la  même  apparition  que  rapporte  St.  Jean , 
et  il  ne  le  contredit  pas.  St.  Matthieu  mentionne  spé- 
cialement l'apparition  sur  la  montagne  de  Galilée. 
St.  Marc  et  St.  Luc  rapportent  celle  faite  dans  le 
cénacle;  mais  aucun  d'eux  ne  dit  que  celle  qu'il  ra- 
conte ait  été  l'unique.  C'est  un  bien  vicieux  raisonne - 
nient  que  celui-ci  :  trois  évangélistes  n'énoncent  qu'une 
apparition  ;  donc  ils  contredisent  le  quatrième  ,  qui 
en  rapporte  plusieurs. 

2"^  Ce  que  nous  venons  de  dire  répond  à  ce  qu'on 
nous  objecte  :  que  St.  3iarc  et  St.  Luc  disent  que  cette 
unique  apparition  précéda  immédiatement  le  retour  de 
Jésus-Christ  dans  les  cieux.  Ces  deux  écrivains  sacrés, 
après  avoir  rapporté  plusieurs  discours  tenus  par  Jésus- 
Christ  ressuscité ,  racontent  son  ascension  ;  mais  ils  ne 
disent  ni  que  tous  ces  discours  aient  été  tenus  par  lui 
dans  la  même  occasion ,  ni  qu'ils  aient  immédiatement 
précédé  l'ascension.  Le  Sauveur  a  su  très-bien  les  tenir 
dans  différents  temps. 

3"  L'ordre  donné  aux  apôtres  de  se  rendre  sur  une 


308  DISSERTATIONS 

Dioutagne  de  Galilée ,  est  du  jour  même  de  la  résur- 
rection ;  celui  de  ne  pas  sortir  de  Jérusalem  est  du 
jour  de  l'ascension.  Le  premier  avait  pour  objet  de  faire 
voir  Jésus-CLrist  à  ses  apôtres.  L'objet  du  second  était 
de  les  réunir  pour  recevoir  tous  ensemble  le  Saint- 
Esprit.  Le  premier  était  exécuté  avant  que  le  second 
ne  fût  donné. 

LXL  «  On  dit  encore  que  l'apparition  du  soir  de 
«  la  résurrection  se  fit  les  portes  fermées.  Jésus-Chrisî 
«  avait  donc  un  corps  immatériel  ou  incorporel.  Qu'on 
«  nous  explique  ce  que  c'est.  Cependant  cet  esprit  avait 
«  des  plaies,  était  palpable,  prenait  de  la  nourrituie  : 
«  ce  ne  pouvait  donc  être  qu'un  être  fantastique ,  et 
«<  ses  apparitions  de  pures  illusions  des  sens.  » 

LXII.  Supposons  ,  quoique  l'évangéiiste  n'en  dise 
rien ,  que  les  portes  du  cénacle  ne  s'ouvrirent  pas  à 
l'entrée  de  Jésus-Christ  ;  peut-on  disputer  à  Dieu  le 
pouvoir  de  faire  passer  un  corps  d'un  lieu  à  un  autre  à 
travers  d'autres  corps?  Il  n'est  pas  nécessaire  ,  })Our 
expliquer  ce  prodige,  de  recourir  à  Tidée  d'un  corps 
incorporel.  La  toute-puissance  de  Dieu  ,  voilà  la  vraie 
et  la  seule  raison  à  donner  d'un  fait  miraculeux  (1). 

Nous  avons  répondu  ailleurs  à  l'absurde  supposition 
d'un  corps  fantastique  (2).  Contentons-nous  d'observer 
combien  elle  est  contradictoire  et  ridicule  dans  la  bouche 
d'un  incrédule. 

LXTII.  )i  Les  apparitions  dont  parle  St.  Paul,  ajoute- 
«  t-on ,  n'ont  pas  été  vues  par  lui-même  ;  il  n'en  parle 
M  que  sur  des  ouï-dire.  On  sait  qu'il  n'avait  vu  Jésus- 
«  Christ  que  dans  une  vision  ;  il  en  était  peut-être  de 
M   même  des  apôtres  et  des  disciples;   ils    étaient  juifs 


(i)  Nec  nos  laoveat  qnotl  clansis  osliis  sabito  enm  apparuisse  dis- 
cipoHs  suis  scriptnm  Cbt;  ut  propterea  negemus  ilJuJ  fuisse  corpus 
Inmannra;  f(iu;i  contra  naiurara  hojus  corporis  videmns  es>e,  ptr 
ostia  clansa  inirare.  Oinria  enim  possibilia  sant  Ueo.(5.  Jngust.  ,  de 
Agon,  Christ,  j  cap.  xxiv,  n"  26.  ) 

{%)   Voyez  ci-dessns,  n°  xix  ,  pnge  275. 


SUR    LA    RELIGION.  309 

.1   et  enthousiastes ,  et  par  conséquent  sujets  à  rêver  , 
«<   même  étant  éveillés.   » 

LXIV.  Ce  seraient  de  singuliers  rêves  qu'auraient 
PUS  à  la  fois  dans  le  même  moment,  dans  le  même 
lieu,  de  la  même  manière,  tantôt  deux,  tantôt  onze , 
tantôt  plus  de  cinq  cents  personnes.  La  supposition 
d'une  telle  uniformité  de  rêveries  n'est-elle  pas  elle- 
même  une  rêverie  bien  ridicule? 

Ce  n'est  pas  une  vision  que  St.  Paul  eut  de  Jésus- 
Christ;  c'est  lorsqu'il  était  sur  le  chemin  de  Damas 
avec  d'autres  personnes.  Jésus-Clirist  l'a  renversé  ,  lui 
a  parlé,  l'a  rendu  aveugle,  l'a  fait  guérir  par  Ananie. 
Tout  cela  peut-il  être  un  rêve? 

Les  apparitions  de  Jésus-Chrisc  ressuscité  dont  parle 
St.  Paul,  il  les  avait  apprises  des  apôtres  et  des  autres- 
témoins  oculaires.  Si  son  récit  eût  été  contraire  à  ce 
que  les  témoins  lui  avaient  rappci  ié ,  ces  personnes 
encore  vivantes  n'auraient  pas  manqué  de  le  contre- 
dire. 

LXV.  «  Qui  est-ce,  dit-on  de  plus,  qui  peut  attester 
«  ce  que  personne  n'a  vu?  La  résurrection  n'a  eu  aucun 
•  témoin.  Personne  ne  s'y  est  trouvé.  Les  femmes, 
«  les  apôtres  n'y  sont  venus  qu'après  le  temps  où  l'on 
«  dit  que  Jésus-Christ  était  ressuscité  ;  les  gardes  même 
«  ne  l'ont  pas  vu;  ils  ont,  dit-on,  été  effrayés  par 
««  l'apparition  d'un  ange.  Et  pourquoi  les  eflrayer  ? 
««  Jésus-Christ  craignait-il  leur  présence  pour  sortir  du 
«  tombeau?  Il  eût  été  bien  plus  convenable,  bien  plus 
«  utile  pour  la  foi  de  l'événement ,  qu'il  se  fût  passé 
«  devant  eux  ,  et  c{u'ils  fussent  en  état  de  confirmer 
«t  par  leur  récit  le  témoignage  des  apôtres.  Un  fait 
M  aussi  essentiel  pouvait-il  avoir  trop  de  témoins?  » 

LXVL  Je  vous  ai  vu  malade,  ou  j'ai  su  positivement 
que  vous  l'étiez  ;  je  vous  vois  ensuite  en  pleine  santé  , 
puis^je  douter  que  vous  n'ayez  été  guéri?  Est-il  néces- 
saire, pour  en  être  persuadé,  que  j'aie  assisté  à  votre 
guérison?  Il  en  est  de  même  ici.   Les  apôtres  étaient 


310  DISSERTATIONS 

très-certains  de  la  mort  de  leur  maître.  St.  Jean  l'avait 
même  vu  expirer  ;  et  probablement  il  n'était  pas  le 
seul.  Ils  ont  vu  ensuite  leur  maître  vivant  :  ils  ont  eu 
toute  la  (ji^rtitude  possible  qu'il  était  ressuscité. 

Il  aurait  été,  dit-on,  convenable  que  les  gardes  l'eus- 
sent vu  ressusciter  :  il  ne  peut  y  avoir  trop  de  léjnoins 
d'un  fait  aussi  essentiel.  Il  aurait  donc  fallu  aussi  que  le 
sanliédrin  ,  que  tous  les  habitants  de  Jérusalem  y  eussent 
été  appelés. 

Nous  ignorons  si,  en  même  temps  que  les  gardes  ont 
vu  l'ange  écarter  la  pierre  du  tombeau  ,  ils  ont  vu  aussi 
Jésus-Christ   en  sortir.  Le  texte   sacré  ne  fait    aucune 
mention  de  cette  circonstance.    Il  est  possible    que  la 
terreur  où  étaient  les  gardes  les  ait  empêchés  de  rien 
voir.  Mais^  après  leur  frayeur,  demander  si  Jésus-Christ 
a  craint  de  ressusciter  en  leur  présence ,  est  une  absur- 
dité.  L'objet  de  cette  terreur,  imprimée  à   la    solda- 
tesque ,  est  facile  à  apercevoir  :  c'est  de  laisser  l'accès 
du  tombeau  libre  aux  saintes  femmes  et  aux  apôtres. 
Aucun  disciple   n'eût  osé  en  approcher,   s'il  l'eût  vu 
environné  de  soldats.  Au  lieu  de  trouver  extraordinaire 
la  marche  de  la  Providence ,  on  doit ,  au  contraire ,  en 
admirer  la  sagesse  ;  elle  a  voulu  préparer  par  degrés  les 
témoins  de  la  résurrection  à  apprendre  ce  grand  événe- 
ment dont  ils  devaient  un  jour  instruire  l'univers.  C'est 
dans  cette  vue  qu'elle  a  fait  écarter  les  gardes  ,  qu'elle 
a  ensuite  fait  voir  aux  saintes  femmes ,  et  à  St.  Pierre  , 
et  à  St.  Jean  ,  le    tombeau  vide  ,   les  linges  laissés  et 
plies;  qu'elle  a  lait  avertir  les  femmes  de  sa  résurrection 
par  les  anges.  Ce  n'est  qu'après  toutes  ces  précautions 
que  Jésus-Christ  s'est   montré  à   elles  ;   qu'après  avoir 
fait  savoir  sa  résurrection  aux  apôtres  par  elles ,  par  les 
disciples d'Emmails  ,  par  St.  Pierre,  qu'il  s'est  enfin  fait 
voir   à  eux  tous,    qu'il  leur   a    parlé,  qu'il  s'est   fait 
loucher  par  eux  pour  leur  ôter  toute  espèce  de  doute. 
Par  bonté  pour  eux ,  Jésus-Christ  a  voulu  prévenir  le 
trouble   où  les   aurait  jetés   son   apparition   subite    et 


SCR    LA    RELIGION.  311 

entièreinenl  inattendue.  Par  prévoyance  pour  nous,  il 
a  voulu  qu'on  ne  pût  jamais  penser  que  sa  résurrection 
avait  été  crue  légèrement  et  avec  précipitation. 

LXyiI.  Autre  objection.  «  C'était,  selon  les  prédic- 
%  lions  de  Jésus-Clirist ,  après  trois  jours  et  trois  nuits 
«  qu'il  devait  ressusciter.  Au  lieu  de  cela  ,  c'est  le 
«  troisième  jour  qu'il  ressuscite  ,  n'étant  resté  mort 
■  qu'une  seule  nuit.  Voilà  entre  les  prophéties  et  l'ac- 
«  complissement  une  contradiction  manifeste.  » 

LXVIII.  Ces  expressions  :  après  trois  jours  et  trois 
nuits,  après  trois  jours j  le  troisième  jour ,  étaient  syno- 
nymes dans  le  langage  ordinaire  des  Juifs.  Nous  voyons 
Jésus-Christ  annonçant  sa  résurrection  future,  se  servir 
tantôt  de  l'une,  tantôt  de  Tautre.  Ici,  il  dit  que  de 
même  que  Jonas  fut  trois  jours  et  trois  nuits  dans  le 
ventre  de  la  baleine  ,  de  même  le  Fils  de  l'homme  sera 
trois  jours  et  trois  nuits  dans  le  sein  de  la  terre  (1), 
Là  ,  il  annonce  qu'il  ressuscitera  après  trois  jours  (2). 
Dans  plusieurs  autres  endroits  il  prédit  qu'il  ressuscitera 
le  troisième  jour  (3).  Les  Juifs ^  ses  ennemis,  l'enten- 


(r)  Voyez  ci-dessus,  note  q,  page  270. 

(a)  Ft  cœpit  docere  eos  quoniam  oporlet  Filinm  hominis  pati  inulîa 
et  reprohari  a  senioribiis,  et  a  saminis  sacerdolibas  et  scribis,  et  oc- 
cidi,  et  post  très  dies  resurgeie.  {^^Jarc.  viir,  3x.) 

(3)  Exinde  cœpit  Jesas  ostendere  discipulis  qaia  oporferet  eum 
ire  Jerosolymam,  et  malta  pati  a  senioribus  et  scribis,  et  principibus 
sacerdotum,  et  occidi,  et  tertia  die  resargere.  {Matth.  ivi,  ai ,) 

Filias  hominis  tradendas  est  in  raanns  bominutn  :  et  occident 
ecirn  :  et  tertia  die  resorget.  {Ibid.  xvii,  21  ,  22.) 

Et  iradenl  eam  gentibas  ad  illadendam  et  flagellandurn  et  cracifi- 
gendum  :  et  ter'ia  die  resurget.  {^Ibld.  xx,  19) 

Docebat  autem  discipal.js  snos  :  et  dicebat  iHis  :  quoniam  Filias 
hominis  tradetnr  in  manas  horainnm  :  et  occident  eam  :  et  tertia  die 
resarget.  {Marc,  ix  ,  3o.  ) 

Et  illudent  ei ,  et  conspaent  eam,  et  flageliabnnt  eum,  et  int«rC- 
cient  eum,  et  tertia  die  resarget.  ( Ibid.  x,  3  +  .) 

Qaia  oportel  Eliam  hominis  malta  pati,  et  leprobari  a  senioribu» 


312  DISSERTATIONS 

(iaient  dans  ce   tleniier  sens;   ear   étant    allés   trouver 


Pilate,  ils  lui  dirent  que  Jésus-Cluist  avait  dit  ;  Je 
ressusciterai  api  es  trois  jours,  et  ils  lui  demandèrent 
en  conséquence  de  faire  {garder  le  sépulcre  jusqu'au 
troisième  jour  {4).  Ils  croyaient  donc  que  tel  était  le 
sens  de  la  prédiction  ,  que  la  résurrection  s'effectuerait 
le  troisième  jour;  et  racconi[)rissemcnt  y  cadre  parfai- 
tement, Jésus-Clirist  mort  le  vendredi,  étant  ressuscité 
le  dimanche.  D'après  la  demande  d€S  Juifs,  il  est  clair 
que  les  gardes  ne  devaient  rester  au  tombeau  que 
jusqu'au  troisième  jour.  Supposons  ,  comme  en  le  veut 
dans  cette  objection ,  que  Jésus-Christ  ne  fût  ressuscité 
qu'au  bout  de  tiois  jours  et  de  trois  nuits  ,  et  lorsqu'il 
n'y  aurait  plus  eu  de  soldats  au  sépulcre;  ce  serait 
alors  qu'on  ferait  valoir  avec  bien  plus  de  force  et  de 
vraisemblance  la  fable  de  l'enlèvement  du  corps. 

LXIX.  On  argumente  aussi  du  scellé  apposé  au 
tombeau.  ^(  C'était  une  convention  entre  les  deux 
«  parties,  en  vertu  de  laquelle  le  tombeau  ne  devait 
-   être   ouvert   qu'en  présence  des  Juifs.   » 

LXX.  En  parlant  des  deux  parties ,  il  faudrait  spé- 
cifier quelle  était  celle  qui  traitait  avec  les  Juifs  appo- 
seurs  du  scellé.  Etait-ce  Jésus-Christ  qui  était  mort? 
Les  apôtres  qui  étaient  en  fuite?  L'ange  qui  en  ôtant  la 
pierre  a  brisé  le  sceau?  Tout  cela  est  absurde.  La 
précaution  du  scellé  était  prise  contre  les  soldats 
chargés  de  veiller  à  ce  que  le  tombeau  ne  fût  pas 
ouvert.  Si  on  veut  que  c'ait  été  une  convention ,  c'est 


et  principibus  sacerdotam  et  scribis ,  et  occidi,  et  terlia  die  resar- 
geie.  (  Luc.  ix,  22.) 

Et  postqaam  flagellaverint,  occident  euiu  :  et  tertia  die  resnrget. 
{Ibid.  xviii,  33.) 

(4)  Altéra  autem  die  qaae  est  post  parasceven ,  convenerunt  prin- 
cipes sacerdotnm  et  pbarisa-iad  Pilatnm,dicentes  :  Domine,  recordat. 
snmas  quia  sedoctor  ille  dixit  adiiuc  vivens  :  post  très  dies  resurgami 
Jubé  ergo  cnstodiri  sepalcram  asqne  in  diern  tertiam.  [Malt,  xxvn  , 
62,63,64.) 


SUR    LA    RELIGION.  3l3 

avec  pux  qu'elle  a  été  faite.  Ils  devaient,  à  la  fin  de 
leur  consigne ,  remettre  le  tombeau  dans  l'état  où  on 
le  leur  confiait,  c'est-à-dire  muni  du  sceau.  Eux  seuls 
étaient  responsables  envers  leurs  commettants  ,  de  l'in- 
tégrité de  ce  scellé,  et  ils  devaient  être  punis  sévère- 
ment, non-seulement  dans  le  cas  où  ils  l'auraient  brisé 
enx-mèmes ,  mais  encore  dans  celui  où  ils  l'auraient 
laissé  briser  par  d'autres.  Quel  châtiment  leur  a-t-on 
infligé? 

LXXI.  On  combat  aussi  la  narration  de  St.  Matthieu 
sur  l'argent  donné  aux  gardes  pour  les  engager  à  pu- 
blier Tenlèvement  du  corps  de  Jésus-Christ.  «  Il  n'est 
«  pas  })robable  que  les  princes  des  prêtres  et  tout  le 
«  Sanhédrin  ,  s'ils  ont  été  convaincus  du  miracle  de  la 
«  résurrection,  n'en  aient  pas  été  touchés;  qu'ils  aient 
«  été  assez  dépravés  pour  résister  à  une  vérité  qui 
«    leur   aurait  été  aussi  cliiremcnt  prouvée. 

«  En  supposant  tout  le  grand  conseil  assez  méchant 
«  pour  agir  ainsi  contre  sa  conscience  ,  il  n'est  pas 
•«  croyable  qu'il  fut  assez  sot  pour  engager,  à  prix 
«I  d'argent,  la  garde  à  un  silence  qu'on  devait  être 
u  sûr  qu'elle    n'observerait  pas. 

«  On  ne  peut  pas  iniaginer  non  plus  que  les  soldats 
M  si  effrayés,  dit-on,  de  l'apparition  d'un  ange,  aient 
«  consenti  à  accepter  de  l'argent  pour  débiter  un  men- 
M  songe.  S'ils  avaient  effectivement  vu  un  ange  avec 
««  un  aspect  terrible ,  ils  auraient  dû  le  craindre  bien 
M  plus  que  le  sanhédrin  ,  et  espérer  de  leur  fidélité 
*  une  récompense  au-dessus  de  l'argent  qu'on  leur 
•<  offrait. 

«  Voilà  donc  ce  qui  sera  probablement  arrivé.  Les 
«  disciples  seront  venus  dans  la  nuit,  et  auront  effrayé 
M  les  gardes;  et  ceux-ci,  pour  justifier  leur  lâcheté, 
«  auront  eu  recours  à   un  moyen  surnaturel.    » 

LXXlf.  Les  princes  des  prêtres  et  le  sardiédiin ,  en 
avouant  l\  i-.''>u)'rectio:i  de  Jésus -Christ,  s'accusaient 
eux-mêmes  d'une  énorme  injustice.  Ils  se  prononçaient 
coupables ,  dans  l'ordre  civil ,  de  la  mort  du  Messie  ; 

Dissert,  sur  la  Relig.  14 


314  DISSERTATIONS 

dans  r^ordie  (Je  la  religion,  de  déicide.  Il  n'est  que 
trop  commun  de  voir  des  honuiies  placés  entre  un 
intérêt  temporel  et  celui  du  salut ,  préférer  le  premier 
au  second ,  et ,  surtout  quand  il  y  aurait  de  grands 
sacrifices  à  faire,  soit  de  réputation,  soit  de  fortune, 
faire  plutôt  celui  de  leur  conscience.  Une  multitude 
d'autres  exemples  rend  malheureusement  celui-là  très- 
probable» 

Le  sanhédrin  a  dû  naturellement  croire  que  les 
«oldats  qui  acceptaient  son  argent  lui  garderaient  le 
secret.  Il  les  connaissait,  puisqu'il  les  avait  choisis, 
et  de  plus  il  leur  avait  donné  un  si  grand  intérêt ,  qu'il 
avait  droit  de  compter  sur  eux.  D'un  côté  ,  une  récom- 
pe.'ise  ,  de  l'autre,  de  grands  châtiments  ;  voilà  les 
motifs  qui  déterminent  les  hommes  au  mal  comme  au 
bien  :  et  le  sanhédrin  les  avait  réunis  pour  s'assurer 
des  soldats. 

Ce  que  je  viens  de  dire  du  conseil ,  est  aussi  vrai 
des  gardes.  Ces  hommes  se  trouvaient  placés  entre 
l'argent  qu'on  leur  offrait  pour  trahir  leur  conscience, 
et  le  supplice  qu'ils  risquaient  en  lui  obéissaiil.  Com- 
bien peu  d'hommes  résistent  à  cette  double  tentation! 
combien  y  en  a-t-il  qu'une  situation  pareille,  et  sou- 
vent même  moins  critique ,  rend  prévaricateurs  !  Leff 
soldats  ont  plus  redouté  le  sanhédrin  que  l'ange.  L'ange 
était  éloigné  :  le  sanhédrin  était  devant  eux.  La  puni- 
tion de  la  part  de  l'ange  était  incertaine;  et  dans  le  fait, 
il  ne  leur  avait  fait  aucun  mal  :  le  supplice  du  san- 
hédrin était  assuré.  L'argent  qu'ils  tenaient  était  à 
leurs  yeux  préférable  aux  récompenses  incertaines  qu'ils 
pouvaient  recevoir  de  l'autre  côté. 

Toutes  ces  fausses  probabilités,  qu'on  accumule  dans 
l'objection,  conduisent  à  une  conséquence  absurde.  Il 
est  aussi  déraisonnable  de  supposer  que  les  apôtres 
aient  ravi  le  corps  de  leur  Maître ,  de  force  et  malgré 
les  gardes ,  que  de  prétendre  qu'ils  l'ont  dérobé  subite- 
ment pendant  leur  sommeil.  C'est  une  idée  ridicule,  de 
quelque  côté  qu'on  l'envisage.  Du    côté  des  apôtres  : 


SUR    LA    RELIGION.  3l5 

leur  timidité  naturelle,  le  supplice  que  leur  eût  inévi- 
tablement attiré  un  crime  aussi  grave,  un  crime  dont 
la  preuve  eût  été  si  facile,  un  crime  dont  les  juges 
eussent  été  leurs  ennemis ,  ne  permettent  pas  de  croire 
qu'ils  eussent  eu  cette  extravagante  ludace.  Du  côté  du 
sanhédrin  :  s'il  avait  eu  un  si  grave  attentat  à  reprocher 
aux  apôtres,  ne  les  aucait-il  pas  sévèrement  punis? 
Aurait-ce  été  le  pouvoir,  ou  l'intérêt,  ou  le  désir  qui 
lui  aurait  manqué?  Du  côté  des  gardes  :  si  on  avait 
employé  contre  eux  une  force  majeure,  quelle  raison 
auraient-ils  eue  de  débiter  la  fable  de  l'enlèvement 
furtif?  lisse  rendaient  bien  plus  coupables,  en  avouant 
qu'ils  avaient  dormi  contre  leur  consigne ,  qu'en  dé- 
clarant qu'une  troupe  à  laquelle  ils  n'étaient  pas  en 
état  de  résister  les  avait  forcés  de  se  retirer.  Enfin  ,  du 
côté  de  ceux  mêmes  qui  proposent  l'objection  :  leur 
nouvelle  invention,  comme  nous  l'avons  observé,  est 
aujourd'hui  trop  tardive  :  si  elle  eût  été  réelle,  elle  eût 
été  connue  dans  le  temps. 

Voici  enfin  l'objection  que  les  ennemis  du  christia- 
nisme proposent  avec  le  plus  de  confiance,  qu'ils  ré- 
pètent continuellement  d'après  les  incrédules  anciens  (1), 
et  par  laquelle  ils  prétendent  faire  tomber  toutes  les 
preuves  que  nous  avons  données  de  la  résurrection. 

LXXIIÏ.  «  Quel  était  le  but  des  apparitions  de  Jésus- 
«  Christ  dont  on  nous  parle  ?  c'était  de  prouver  évir- 
•«  demment  sa  résurrection.  Il  fallait  donc  que  ces 
«<  apparitions  eussent  le  caractère  nécessaire  pour  for* 
•  mer  une  preuve.  Ce  caractère  ne  pouvait  être  autre 
«  que  la  publicité.  En  se  montrant  publiquement  a 
«  toute  la   Judée,  au  peuple,  aux   chefs  de  la  syna- 


(i)  Po.-^lea  Celsas  qaae  scripta  sont  reprehendens ,  difficnliatem 
objicit  minime  contemriendam  Si  stiam,  inqiiit,  d i vin am  pote n dam 
rêvera  innotescere  voluit  ^  apportait  iitiqne  ut  se  suis  adversariis ,  suo 
j'udici ,  omnibus  omnino  ostenderet.  (Oiigenes  contra  Celsum,  I.  xi 
cap.  63,)  Nota.  Dans  les  chapitres  soivans,  Origènes  répond  ample- 
ment à  cette  difl(  ulté. 


316  DISSERTATIONS 

«  gogue,  à  tous  ceux  qui  l'avaient  vu  mourir,  Jésus- 
*  Clirist  aurait  rempli  son  objet.  En  ne  se  montrant 
«  qu  à  un  petit  nombre  d'amis,  il  le  manque  absolu- 
H  ment.  Une  résurrection  publique  aurait  imposé 
.  silence  à  tous  les  contradicteurs ,  aurait  forcé  tout 
«  l'univers  à  croire  :  une  résurrection  secrète  laisse 
„  un  libre  champ  aux  oppositions.  Il  répugne  à  la 
«  sagesse  divine  de  ne  pas  prendre  les  moyens  qui 
,<  peuvent  atteindre  son  but.  L'objet  était  de  faire 
«  croire  en  Jésus-Christ  ceux  qui  ne  croyaient  pas  en 
..  lui.  C'était  donc  à  eux  principalement  qu'il  fallait 
.  se  montrer,  et  non  pas  seulement  à  ceux  qui  y 
«  croyaient  déjà.  Il  n'en  aurait  pas  plus  coûté  de  se 
«  produire  à  la  nation  entière  qu'à  quelques  individus 
«  choisis.  Le  peuple  juif  a  eu  raison  de  rester  dans  son 
«  incrédulité  ,  puisqu'on  n'a  pas  fait  ce  qui  aurait 
.  été  nécessaire  et  si  facile  pour  l'en  tirer.  Tous  les 
«  motifs  engageaient  Jésus-Christ  à  ressusciter  publi- 
«  quement.  "Quelle  raison  peut-on  donner  de  ce  qu'il 
.<   est  ressuscité  secrètement?   » 

LXXIY.  Cette  objection  rappelle  les  impiétés  que 
vomissaient  les  Juifs  aux  pieds  de  la  croix  où  ils 
avaient  attaché  Jésus- Christ.  Qu'il  descende  tout  à 
l'heure  de  sa  croix  et  nous  croyons  en  lui  (1).  Elle 
ressemble  aussi  au  blasphème  d'un  athée  de  nos  jours, 
qui ,  pour  prouver  son  affreux  système  ,  défiait  Dieu , 
s'il  existe,  disait-il,  de  le  foudroyer  à  l'instant.  C'est 
dans  tous  le  même  sentiment,  le  même  raisonnement. 
Ils  ont  tous  l'audacieuse  présomption  de  prescrire  im- 
périeusement à  Dieu  les  preuves  qu'il  doit  donner  de 
ses  saintes  vérités.  A  telle  condition,  et  non  autre- 
ment, ils  voudront  bien  le  croire. 

Voici  quelle  est  la  substance  du  raisonnement  qu'on 

(I^  Siiui'i'er  et  principes  sacerdotnm  illudentes  cnm  scribis  et  se- 
■iovibos  dicebant  :  Alios  î-alvos  fecit  :  se  ipsum  uou  poiest  salvnm 
facere.  Si  lex  Israël  est,  descendat  nnnc  de  cruce  :  et  crtdjinus  eJ. 
(Hatih.  xxvxi,  41,  42.) 


SUR    LA    RELIGION.  3l7 

nous  oppose.    Jésus-Christ  ,  après  sa    mort,    ne    s'est 
pas  montré  en  public;  donc  il  n'est  pas  ressuscité.  Il 
n'a  pas  été  vu  par  les  Juifs  ;  donc  il  ne  Fa  pas  été  par 
ses  disciples.  Cet  ar>q;ument  est-il  bien  convaincant?  Tel 
fait  n'est  pas  prouvé  par   tels   témoins;   donc  il  n'est 
pas  prouvé.   Quand  ils  voient  une  vérité  démontrée, 
nos  adversaires  s'avisent-ils  de    la  révoquer  en  doute , 
parce  qu'il  lui  manque  un  genre  ou  un  degré  de  preuve 
qu'ils  imaginent?  Qu'importe  que  la  résurrection  soit 
prouvée  de  telle   manière,  pourvu  qu'elle  le  soit  dé- 
monstrativement?  Il  était,  dit-on,  facile  à  Jésus-Christ 
de  donner  à  sa  résurrection  une  plus  grande  publicité  ; 
j'en  conviens.    La   résurrection   rendue    plus  publique 
serait  plus   abondamment    prouvée;    je   le   veux  bien 
encore;  mais  elle  ne  serait  pas  }»our  cela  plus  certaine, 
puisque  les  preuves  qui  existent  en  donnent  une  cer- 
titude  complète,   et   excluent  absolument   tout  doute. 
De  ce  que  Jésus-Christ  a  pu  aisément  rendre  témoins 
de   sa  résurrection  tous  les  Juifs,  s'ensuit- il  qu'il  l'ait 
dû?  Pour  soutenir  cette  étrange  conséquence,  il  faudrait 
avancer  le  principe ,  que  Dieu  est  tenu  de  donner  à  ses 
miracles  les  preuves  les  plus  palpables  qui  puissent  exis- 
ter; de  ce  qu'il  en  a  la  puissance,   il  faudrait  conclure 
qu'il   en  a  l'obligation.    Et   qui  osera  avancer  un   tel 
paradoxe?  Dieu  aurait  sans  doute  la  puissance  ,  il  aurait 
la  facilité  de  nous  donner  la  persuasion  de  sa  rehgion 
sans  aucun  moyen  extérieur,  sans  aucun  raisonnement, 
et  par  une  simple  inspiration.  Prétendra-t-on ,  pour  ce- 
la, qu'il  y   est  tenu?   Maître  de  se  servir  des  motifs  de 
crédibihté,  il  l'est  également  de  leur  donner  le  degré  de 
force  qu'il  lui  plaît;   il  est  certainement  dans  la  puis- 
sance divine,  et  même  sans  qu'il  lui  en  coûte  aucun  ef- 
fort,  d'augmenter  à  l'infini  les  preuves  des  vérités  qu'il 
daigne  nous  enseigner.  On  pourra  donc  toujours  se  re- 
fuser à  celles  qu'il  doimera ,    en  disant  qu'il  aurait  pu 
aisément  en  donner  de  plus  fortes  encore.   (]e  qui  doit 
nous  suffue ,  c'est  que  les  motifs  sur  lesquels  est  fondée 
notre  foi  soient  tels,  que  tout  esprit  raisonnable  soit  te- 


318  DISSERTATIONS 

nu  d*y  donner  son  assentiment.  De  tous  les  faits  que 
l'universalité  des  lioniines ,  et  les  incrédules  comme  les 
autres,  rej^ardent  comme  certains,  il  n'en  est  aucun  qui 
soit  plus  complètement  démontre  que  la  résurrection. 
Que  leur  faut- il  de  plus  pour  en  reconnaître  la  certi- 
tude? 

Et  comment  les  déistes  pourront-ils  répondre  aux 
athées  qui  retourneront  contre  eux  ,  au  sujet  de  l'exis- 
tence de  Dieu ,  l'argument  qu'ils  proposent  contre  sa  ré- 
sunection?  L'existence  de  Dieu  pourrait  avoir  des  preu- 
ves plus  fortes.  Dieu,  s'il  existe,  pourrait,  par  exemple, 
se  faire  voir^  se  faire  entendre  à  chacun  de  nous.  L'exis- 
tence de  Dieu  n'est  donc  pas  suffisanunent  prouvée. 

La  sagesse  divine  prend  nécessairement  les  moyens 
propres  à  atteindre  son  but.  C'est  un  principe  incontes- 
table; mais  est-elle  obligée  de  prendre  la  totalité  des 
moyens  propres  à  remplir  cet  objet?  est-elle  obligée 
d'employer  plus  de  moyens  qu'il  ne  faut  pour  produire 
cet  effet?  Voilà  ce  qu'il  serait  nécessaire  de  prouver,  et 
ce  qu'on  ne  prouvera  jamais.  Pourvu  qu'elle  mette  en 
usage  des  moyens  suffisants,  on  n'est  pas  en  droit  de  lui 
demander  davantage.  On  ne  dira  pas  qu'un  homme 
manque  de  sagesse ,  parce  qu'il  n'emploie  pas  dix  degrés 
de  force  à  ce  qui  n'en  exige  que  cinq.  La  question  est 
donc  de  savoir,  non  pas  si  la  résurrection  pouvait  avoir 
de  plus  nond)reux ,  de  plus  puissants  motifs  de  crédibi- 
lité, mais  si  elle  en  a  de  suffisants  pour  soumettre  notre 
croyance. 

En  rendant  sa  résurrection  aussi  publique  qu'elle  pou- 
vait être,  Jésus-Christ  aurait  rempli  son  objet;  cela  est 
encore  évident.  Mais  on  veut  qu'en  ne  la  rendant  pas 
aussi  publique  il  l'ait  manqué ,  et  cela  est  faux.  Si  les 
témoins  de  la  résurrection  réunissent,  soit  par  leur 
nombre,  soit  par  leur  qualité,  soit  par  les  circonstan- 
ces de  leurs  relations ,  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour 
imprimer  à  leur  témoignage  la  certitude,  on  doit  les 
croire,  quoiqu'ils  eussent  pu  être  plus  nombreux. 

La  résurrection,  dit-on,  a  été  secrète.  Yoilà  une  sin- 


SUR    L\    RELIGION.  319 

gulière  expression.  Est-ce  un  fait  secret  que  celui  qui  a 
été  vu  de  plus  de  cinq  cents  personnes?  La  résurrection 
a  eu  le  degré  de  publicité  que  donnent  à  un  événement 
cinq  cents  témoins  oculaires.  La  difficulté  des  incrédules 
se  réduit  à  demander  pourquoi  elle  n'en  a  pas  eu  une 
plus  grande. 

L'objet  de  la  résurrection  était  de  faire  croire  en  Jé- 
sus-Christ ceux  qui  n'y  croyaient  pas.  C'était  donc,  con- 
clut-on de  là  ,  à  eux  principalement  qu'il  fallait  se  mon- 
trer. Si  cette  conséquence  est  juste,  il  faut  l'admettre 
dans  sa  totalité  :  il  faut  prétendre  que  Jésus-Christ  au- 
rait dû,  après  sa  résurrection,  se  faire  voir  à  tous  ceux 
qui  ne  croyaient  pas  en  lui.  Il  aurait  fallu ,  d'après  ce 
raisonnement,  qu'il  se  montrât,  non-seulement  aux  Juifs 
qui  étaient  à  Jérusalem  ,  mais  à  tous  ceux  qui  étaient  ré- 
pandus par  tout  le  monde  :  il  aurait  fallu  qu'il  allât 
aussi  se  présenter  à  tous  les  paiens ,  qui  ne  croyaient  pas 
plus  en  lui  que  les  Juifs.  La  résurrection  aurait  eu  alors 
une  publicité  plus  grande  encore  que  celle  qu'exigent  nos 
adversaires.  Est-on  pour  cela  en  droit  de  l'exiger?  Non 
sans  doute.  Pour  amener  à  la  foi,  par  le  miracle  de  la 
résurrection,  ceux  qui  ne  croyaient  pas  en  lui.  il  suf- 
fisait que  Jésus-Christ  donnât  à  ce  miracle  la  certitude 
qui  résulte  de  témoins  qui  n'ont  pu  ni  être  trompés,  ni 
voulu  tromper;  et  c'est  ce  qu'il  a  fait. 

Mais  ces  témoins,  dit-on  ,  étaient  les  disciples,  les  amis 
de  Jésus— Christ  ;  il  n'était  pas  nécessaire  qu'il  se  mon- 
trât à  ceux-là.  Je  pourrais  observer  que  la  foi  des  disci- 
ples avait  été  fort  affaiblie  ,  qu'elle  était  même  peut-être 
éteinte  dans  plusieurs  par  la  mort  ignominieuse  de  leur 
maître;  qu'il  n'était  donc  nullement  inutile  qu'il  la  ra- 
nimât par  la  vue  de  sa  résurrection  ;  mais  ce  n'est  seule- 
ment pas  pour  eux  que  Jésus-Christ  leur  est  apparu;  c'est 
pour  tout  l'univers,  c'est  pour  toutes  l«'S  générations.  Il 
n'a  pas  voulu  seulement  des  fidèles  qui  crussent  sa  ré- 
surrection ;  il  a  voulu  des  témoins  qui  l'attestassent  et 
qui  la  fissent  croire  au  monde.  Et  qui  pouvait-il  choisir 
qui  mît  à  ce  ministère  plus  de  zèle  que  ceux  qui  pen- 


320  DISSERTATIONS 

dant  trois  ans  lui  avaient  été  constamment  attacliés?  On 
ne  considère  dans  l'objection  que  des  disciples  à  persua-  . 
der  :  il  faut  voir  en  eux  des  apùlres  chargés  de  convain- 
cre les  autres.  IVous  le  répéterons  donc  toujours,  parce 
que  c'est  là  le  point  de  la  question  ,  le  point  unique,  le 
point  auquel  il  faut  sans  cesse  revenir  :  les  disciples  out- 
ils été  des  témoins  du  fait  qu'ils  annonçaient,  suffisants 
pour  le  rendre  certain?  S'ils  l'étaient ,  comme  nous  l'a- 
vons abondamment  démontré  ,  il  n'est  pas  vrai  que  les 
Juifs  dussent  rester  dans  l'incrédulité^  puisque  Jésus- 
Christ  se  montrant  à  ses  disciples  ,  avait  fait  tout  ce  qu'il 
fallait  pour  les  en  retirer. 

On  avance  une  autre  proposition  :  c'est  que  la  résur- 
rection de  Jésus-Christ  rendue  aussi  publique  que  sa 
mort ,  aurait  imposé  silence  aux  contradicteurs.  Deman- 
dons aux  incrédules  qui  proposent  cette  assertion,  de 
quels  contradicteurs  ils  parlent.  Est-ce  de  ceux  d'alors? 
est-ce  de  ceux  d'à  présent?  est-ce  des  chefs  de  la  syna- 
gogue? est-ce  d'e  ix-mémes? 

D'abord,  comment  peut-on  prétendre  que  les  chefs 
de  la  nation  juive  se  seraient  rendus  au  miracle  de  la 
résurrection  s'ils  en  avaient  été  témoins,  quand  on  les 
voit  résister  constamment  à  tous  les  autres  miracles  que 
pendant  trois  années  consécutives  Jésus-Christ  n'avait 
cessé  d'opérer?  Tous  ces  miracles  avaient  eu  la  publici- 
té que  demandent  les  incrédules.  Le  divin  Sauveur  les 
avait  faits  au  conspect  de  tous  les  Juifs ,  à  la  vue  même 
de  ses  ennemis  les  plus  acharnés.  Les  possédés  délivrés, 
les  malades  guéris ,  les  uiorts  ressuscites  par  lui,  étaient 
au  milieu  d'eux;  et  cependant  ils  s'obstinaient  encore  à 
ne  pas  croire  en  lui.  Ils  ne  niaient  pas,  comme  nous  l'a- 
vons vu ,  la  réalité  de  ces  prodiges  (1)  ;  ils  en  contestaient 
la  conséquence.  Forcés  par  l'évidence,  ils  avouaient  qu'il 
les  avait  opérés  ;  mais  contre  l'évidence ,  ils  soutenaient 
que  c'était  par  un  pouvoir  diabolique  qu'il  les  avait  opé- 


(i)  Voyez  chapitre  premier,  n°  xxx  ei  suiv.  pag.  a43. 


SDR  LA    RELIGION.  321 

rés.  Peu  de  jours  avant  sa  propre  résurrection ,  Jésus- 
Christ  avait  ressuscité  très  publiquement  Lazare.  Ce  qu'a- 
vaient conclu  les  princes  des  prêtres  de  ce  prodige,  et  de 
l'impression  qu'il  faisait  sur  le  peuple,  c'est  qu'il  fallait 
assassiner  Lazare  (J).  Si  les  prodiges  les  plus  solennels 
ne  convainquaient  pas  les  chefs  de  la  synagogue,  la  pu- 
blicité de  sa  résurrection  ne  les  aurait  pas  persuadés  da- 
vantage. Ce  n'aurait  été  qu'un  miracle  de  plus  ajouté  à 
une  multitude  d'autres.  On  a  beau  augmenter  la  lu- 
mière autour  d'un  homme  qui  ferme  volontairement  les 
yeux,  on  ne  le  fait  pas  voir  plus  clairement. 

Seraient-ce  eux-mêmes,  que  les  incrédules  modernes 
disent  qui  auraient  été  forcés  de  se  soumettre  à  la  reli- 
gion,  si  la  résurrection  de  son  auteur  avait  été  aussi  pu- 
blique que  sa  mort?  Il  est  difficile  de  croire  que  cette 
assertion  soit  sérieuse  de  leur  part ,  quand  on  les  voit 
nier  les  autres  miracles  de  Jésus-Christ,  qui,  de  son 
temps,  avaient  une  notoriété  et  une  publicité  telles  que 
ses  ennemis  étaient  forcés  de  les  avouer.  Il  en  serait  du 
prodige  de  la  résurrection  comme  de  tous  les  autres.  Il 
suffit  de  considérer  les  raisons  par  lesquelles  ils  combat- 
tent les  miracles,  pour  voir  qu'ils  les  appliqueraient  de 
même  à  celui-ci.  Les  uns  disent  que  tout  miracle  est  iin- 


(i)  Cogitaverunt  antem  principes  sacerdotnm  ut  et  Lazaiura  in- 
terficerent  :  quia  miiLi  proptei  iilum  abibant  ex  jndaeis,  et  credebant 
in  Jesum.  (^Joann.xn^  lo  ,  ii.) 

Pfudenter  attendite  :  si  quidem  malli  qnxiunt  et  dicant  ,  qaam 
ob  cansam  cnin  rcsnrrexi-set ,  non  statim  judacis  apr;aruit.  Veiuin  sn- 
pervacaneus  et  vanus  est  iste  sermo.  Si  enim  ad  lidem  illos  pellectn- 
rus  fuiiset,  post  lesanectionem  om.ibus  apparere  non  recubasset. 
Caeteiuin  nequam  eos  se  pelleclorarn  fuisse,  si  post  i  esarrectlunctn 
illib  appainisset,  per  Lazaram  indicavit.  Catn  eniiii  bunc  quatiidua- 
num  mortouin  îœtentera  et  coriuptum  suscitas«et  ,  et  feci^set  ut 
ligatns  inslitis  in  conspectuin  omnium  prodiret,  non  sulura  illus  ad 
fidem  non  attraxit,  sed  eiiam  irritavit.  Yenienles  enim,  ip.sura  etiam 
interficere  bac  de  causa  vuluerunt.  Si  eigo,  cnm  alteium  e  raoriuis 
excitasset  non  taraen  crediderunt ,  si  se  ipsum  osten^iaset  a  semet- 
ipso  sascitatura,  nonne  in  ipsuin  fnrore  exarsissent?  {S.Joan.Chrjs.^ 
homil.  citr  in  Pentecost.  eic.n'*  6.) 

14' 


322  DISSERTATIONS 

possible.  Ce  ne  seraient  pas  ceux-là  qui  croiraient  au 
miracle  de  la  résurrection,  s'il  était  plus  public.  Les 
autres  disent  qu'un  fait  miraculeux  ne  peut  être  cru  tout 
au  plus  que  par  ceux  qui  le  voieut ,  et  qu'aucun  témoi- 
gnage ne  peut  en  donner  la  certitude.  Quelque  publique 
qu'eût  été  la  résurrection,  ils  n'auraient  aujourd'hui, 
pour  y  ajouter  foi ,  que  des  relations  de  témoins.  Qu'ils 
s'accordent  donc  avec  eux-mêmes  ;  qu'ils  cessent  ou  de 
soutenir  soit  l'impossibilité  des  miracles^  soit  la  possibi- 
lité de  les  prouver  par  des  témoignages  ,  ou  de  préten- 
dre qu'ils  croiraient  le  miracle  de  la  résurrection  s'il 
était  certifié  par  un  plus  grand  nombre  de  témoignages. 

On  demande  les  raisons  pour  lesquelles  Jésus  Christ 
n'a  pas  donné  à  sa  résurrection  une  plus  grande  publi- 
cité. Nous  n'en  aurions  qu'une  à  donner,  et  celle-là  doit 
satisfaire  tout  esprit  raisonnable.  Il  ne  l'a  pas  voulu. 
Dieu  ne  peut-il  pas  avoir  dans  sa  sagesse  des  raisons  que 
nous  ignorions  ?  Aurions-nous  l'audacieuse  prétention  de 
lui  faire  rendre  compte  de  ses  motifs?  Nous  n'avons 
pas  droit  de  nier  un  fait  parce  que  nous  ignorons  la 
raison  de  son  existence  :  nous  l'avons  encore  bien  moins 
quand  le  fait  est  l'œuvre  immédiate  de  celui  dont  les 
pensées  sont  incompréhensibles  et  les  voies  impénétra- 
bles. 

Et  à  qui  donc  prétend-on  que  Jésus-Christ  était  obli- 
gé de  se  manifester  avec  évidence?  A  ce  lâche  gouver- 
neur qui  l'avait  condamné  contre  sa  conscience;  à  ce 
léger  et  crapuleux  Hérode  qui  l'avait  indignement  rail- 
lé; à  ces  prêtres,  à  ces  docteurs,  à  ces  pharisiens,  qui 
n'avaient  cessé  de  le  poursuivre  de  leurs  calomnies  et 
de  leurs  intrigues  ,  jusqu'à  ce  qu'ils  l'eussent  conduit 
sur  le  Calvaire  ;  à  ces  Juifs  furieux  qui,  comblés  de  ses 
bienfaits,  avaient  demandé  sa  mort  à  grands  cris  et  sou- 
haité que  son  sang  retombât  sur  eux  et  sur  leurs  en- 
fants. Par  où  tous  ces  hommes  si  criminels  avaient-ils 
mérité  le  bienfait  de  son  apparition  (1)?  Il   est   dérai- 


(i)   Deniqiie  iesurrect:Oiiein  saam.  .  uoluit  aiienis  denionstiare,  .sed 


SUR    LA    RELIGION.  SSÎS 

sonnable  de  prétendre  que  Dieu  doive  répandre  ses  grâ- 
ces plus  abondamment,  à  mesure  qu'on  s'en  rend  plu^ 
indigne  ,  et  multiplier  les  preuves  de  sa  foi  à  proportion 
qu'on  y  résiste  davantage. 

En  nous  demandant  la  raison  qui  a  pu  engager  Jésus- 
Christ  à  ne  pas  rendre  sa  résurrection  aussi  publique 
qu'elle  eut  pu  l'être,  les  incrédules  nous  en  indiquent 
eux-mêmes  une  très- vraisemblable.  Il  aurait ,  disent- 
ils,  forcé  la  croyance  universelle;  et  c'est  précisément 
ce  qu'il  ne  voulait  pas.  Son  intention  était  que  sa  ré- 
surrection fût  crue ,  mais  qu'elle  le  fût  volontairement. 
Il  a  voidu  que  nous  fussions  obligés  de  le  croire;  il  n'a 
pas  voulu  que  nous  y  fussions  contraints.  Il  nous  a 
fait  de  cet  article  de  foi  un  devoir  ;  et  pour  que  nous 
le  remplissions ,  il  l'a  fondé  sur  des  preuves  non-seule- 
ment suffisantes,  mais  surabondantes.  Il  ne  nous  en  a 
pas  fait  une  nécessité  ;  et  en  conséquence  il  ne  l'a  pas 
muni  de  preuves  tellement  subjuguantes,  que  nous  fus- 
sions forcés  d'y  céder.  Il  est  dans  ses  vues  sages  et  bien- 
faisantes que  notre  foi  soit  à  la  fois  motivée  et  méri- 
toire. Sans  molifs  ,  nous  ne  croirions  point  ;  sur  des  mo- 
tifs qui  forceraient  notre  assentiment  nous  ne  croirions 
pas  librement.  Il  connaît  dans  sa  science  infinie  le  de- 
gré de  lumière  nécessaire  pour  nous  imposer  l'obliga- 
tion de  croire,  le  degré  convenable  pour  qu'il  reste  à  la 
foi  un  mérite.  Les  preuves  qu'il  donne  à  ses  vérités  re- 
ligieuses, il  les  proportionne  d'une  part  à  notre  intel- 


suis  :  alienis  dico  ,  non  nalurae,  sed  vitio  quod  semper  est  contra  na- 
turam....  Quod  carnem  suam  ressuscitavit ,  et  discipulorum  consptc- 
tibns  et  contaclibus  reddidit ,  ipsisqoe  videntiLus  a^cendit  i.".  cœluni , 
ipsos  aedificavit,  et  qiiid  expectare,  quid  praedicare  debeient ,  evi - 
dentis^ima  veritate  deiuonstravit.  Illos  autem  a  qaibas  taiita  mala  usqnc 
ad  inortem  pcrtalerat,  quasi  de  illo  superato  et  extincto  gloiian  es  , 
in  ea  opinione  dereliquit  :  ut  qnisquis  eotum  sainte  ateina  salvn& 
fieri  vellet ,  boc  de  illius  moitui  resorreciione  crederet,  quod  ii  qui 
vidernnt  signis  contesiantibns  praedicavernnt  ;  et  pro  ea  praedicaion* 
simili»  perpeti  non  dubitaverunt.  (5.  Augustin,  liber  ad  Uonoratum , 
seu  epist.  cxl.  cap.  9,  n°  7.S.) 


324  DISSERTATIONS 

ligence ,  de  l'autre  au  mérite  qu'il  veut  que  nous  ac- 
quérions. Et  c'est  encore  dans  lui  une  infinie  miséricor- 
de ,  de  nous  faire  de  la  foi  une  vertu  qu'il  récompense 
en  la  rendant  si  facile  par  les  démonstrations  dont  il 
l'environne. 

CHAPITRE  III. 

MIRACLES   DES    DISCIPLES    DE    jÉSUS-CHRIST. 

1.  Jésus-Christ  avait  prédit  que  ceux  qui  croiraient  en 
lui  opéreraient  ainsi  que  lui  des  miracles.  Nous  voyons 
cette  promesse  formellement  énoncée  dans  les  Evangi- 
les. «  En  vérité,  dit-il  dans  un  endroit,  celui  qui  croira 
«  en  moi  fera  lui-même  les  œuvres  que  je  fais  ,  et  il  en 
«  fera  de  plus  grandes  encore  (1).  Tels  sont,  dit-il  ail- 
u  leurs,  les  prodiges  qui  suivront  ceux  qui  croiront  en 
rt  moi  :  ils  chasseront  les  démons  en  mon  nom;  ils  par- 
«<  leront  des  langues  nouvelles  ;  ils  manieront  des  ser- 
«t  pents;  s'ils  boivent  des  choses  mortelles,  elles  ne  leur 
M  nuiront  pas  ;  ils  imposeront  les  mains  sur  les  mala- 
«<  des ,  qui  ensuite  se  porteront  bien  (2).  »  Les  Evangiles 
ayant  été  composés  postérieurement  aux  premières  pré- 
dications des  apôtres,  ne  sont  que  le  récit  mis  en  écrit 
des  faits  que  les  apôtres  et  les  autres  témoins  avaient 
publiés  de  vive  voix.  Les  disciples  de  Jésus-Christ  ont 
donc  certainement  ouvert  leur  carrière,  non-seulement 
en  rappelant  aux  Juifs  les  miracles  de  leur  maître  et  en 
publiant  sa  résurrection,  mais  encore  en  annonçant  qu'ils 


(i)  Amen,  amen  dico  vobis,  qni  crédit  in  me,  opeia  qnœ  ego  fa- 
eio,  et  ipse  facial,  et  majora  horum  faciet.  [Joan.  xiv  ,  2.) 

(2)  Signa  autem  eos  qui  eredideiint,  hœc  sequenlar  :  In  ncmine 
Hieo  daemonia  ejicient,  linguis  loquentur  novis  ,  serpentes  tollent  ;  et 
si  mortiferuiB  qnid  bibeiinr,  non  eib  nocebit  ;  super  aegros  manus  im- 
ponent,  et  bene  babebnnt.  (Marc,  xvi,   17,  18.) 


SUR    LA    RELIGION.  325 

avaient  reçu  de  lui  son  pouvoir  d'opérer  des  prodiges. 
Ils  ont  ensuite  donné  plus  de  force  encore  à  cette  dé- 
claration en  la  consi(;nant  dans  leurs  évangiles  et  en  la 
publiant  universellement.  Cette  proclamation  si  solen- 
nelle était  un  engagement  formel  qu'ils  contractaient  de 
faire  aussi  des  miracles.  Ils  prenaient  cet  engagement 
envers  leurs  ennemis  si  acharnés  contre  eux  ,  si  puis- 
sants pour  les  punir  s'ils  manquaient  à  leur  promesse. 
En  le  prenant,  ce  grand  engagement,  ils  donnaient, 
et  au  peuple  juif,  et  à  l'universalité  des  nations  à  qui 
ils  portaient  l'Evangile  ,  un  moyen  certain,  et  en  même 
temps  un  moyen  facile  de  reconnaître  s'ils  étaient  véri- 
tablement les  juinistres  du  Tout-Puissant.  En  promet- 
tant des  merveilles  ils  attiraient  sur  eux  les  regards  du 
monde,  sur  leurs  œuvres  son  attention.  Il  ne  fallait  que 
des  yeux  pour  voir  s'ils  guérissaient  les  malades  par  la 
seule  imposition  des  mains;  que  des  oreilles  pour  s'as- 
surer qu'ils  parlaient  toutes  sortes  de  langues.  La  décla- 
ration publique  cju'ils  font  de  leur  pouvoir  miraculeux 
est  tout  à  la  fois  et  une  invitation  adressée  à  tous  les 
peuples  d'examiner,  d'observer,  de  scruter,  de  juger 
leurs  œuvres,  et  un  défi  porté  aux  incrédules,  soit  de 
leur  temps ,  soit  même  de  tous  les  siècles ,  de  les  trou- 
ver en  faute.  Ils  ne  se  dissimulaient  pas  qu'ils  seraient 
continuellement  environnés  d'hommes  attentifs  à  les 
considérer,  habiles  à  discerner  leurs  actions,  ardents  à 
les  prendre  en  défaut.  Ils  savaient  à  n'en  pas  douter, 
que  leurs  œuvres  auraient  pour  témoins  1rs  Uiagislrats 
juifs  et  idolâtres  qui  avaient  l'intérêt,  le  désir,  l'autorité 
de  les  punir  sur  le  moindre  soupçon  de  fraude.  Ils  étaient 
donc  bien  sûrs  de  leur  puissance  pour  l'annoncer  avec 
une  telle  hauteur?  Ils  auraient  été  des  insensés  (et  nous 
avons  prouvé  qu'ils  ne  l'étaient  pas),  si,  sentant  leur 
impuissance  à  opérer  des  prodiges,  ils  s'étaient  avisés 
de  promettre  aussi  pubhqueinent  des  prodiges.  Qu'ils 
crussent  en  imposer  en  racontant  les  miracKs  de  leiu' 
maître,  cela  même,  comme  nous  l'avons  vu,  eût  été 
souverainement  déraisonnable  ;  mais  qu'ils  eussent  ima- 


326  DISSERTATIONS 

giné  de  tromper  le  monde  entier  sur  leurs  propres  mi- 
racles, sur  des  miracles  annoncés  d'avance  et  sévère- 
ment examinés,  c'eût  été  une  extravagance  dont  on  ne 
connaît  pas  d'exemple.  Un  seul  prodige  annoncé  et  non 
effectué  ,  un  seul  tenté  sans  succès,  une  seule  fraude  dé- 
couverte, leur  ministère  estannéanti  :  un  opprobre  éter- 
nel devient  leur  partage  ,  et  ils  se  sont  livrés  aux  sup- 
plices que  méritent  les  imposteurs.  La  promesse  qu'ils 
font  des  miracles,  en  montrant  leur  assurance  d'en  opé- 
rer, est  déjà  un  j)réjugé  très-fort  en  leur  faveur.  Mais 
voyons  s'ik  l'ont  tenue  et  s'ils  ont  accompli  cette  pro- 
phétie de  leur  maître.  Suivons-les  dans  cette  carrière 
d'œuvres  merveilleuses  qu'ils  vont  parcourir. 

II.  Le  premier  miracle  de  cette  carrière  des  Apôtres, 
c'est  sur  eux-mêmes  qu'il  est  opéré  (1)  :  c'est  celui  qui 
les  rend  capables  de  tous  ceux  dont  ils  rempliront  leur 
vie;  c'est  la  descente  du  Saint-Esprit  sur  eux,  dix  jours 
après  que  Jésus-Christ  fut  reuionté  dans  les  cieux. 

III.  Voudrait- on  révoquer  en  doute  ce  grand  prodi- 
ge ,  et  attaquer  la  véracité  de  l'écîivain  sacré  c[ui  le  rap- 
porte dans  les  Actes  des  Apôtres?  Nous  dirons  qu'il  est 
aussi  complètement  prouvé  que  tous  les  autres  miracles 


(r)  At  nerao  turbeîur  apostolos  sic  iraperfeclos  videns.  jNondum 
cnim  crui  advenejal ,  iionduni  Spiritus  gratia  data  erat.  Si  velis  autera 
ipsoruni  virtutem  ediscere,  p.)st  haeo  illos  conbidera,  videbisque  ipsos 
orani  luorbo  animi  supenores.  (5.  Joan.  Chrjsost.y  in  Matth.. 
homil.  Lxv  alias  lxvi  ,  n"  2.) 

Sed  jam  hic  panlo  ante  tiiuidus,  qnalis  post  adventam  Spiritus  ex - 
titerit    videainus.  Ceite    Lnea  testante  didicmius ,  contra  saceidutes  et 

principes    qmnta    D>>iDinuiu    aui^tor.ta'e  praedicaverit Ecce    ille 

panlo  ante  tiinidus,  jiiin  linguis  loquitur ,  cornscat  luiraculis  ,  infi- 
delitatena  sacerdotuin  ac  pnncipurn  libéra  voce  increpat^  ad  praedi- 
candorn  Jesuni  exempliim  auctoiitatis  caeteiis  prestat.  Ne  in  nornine 
ejus  loqai  debeat  verbeiilius  prohibetar,  nec  tamen  compcscitur. 
Gontemnit  flagetia  caedenfuiu,  qui  paulo  ante  requiientiam  verba  ti- 
maera'  ,  et  qui  aiiciilae  vires  re  pii>itQs  expavit,  vires  piincipnm  caesns 
premit.  Sancti  enim  Spiri'.u^  jam  virtute  sob'datus,  hujiis  mnndi  alii- 
tudines  libertatis  calce  depriœebat.  (  ^.  Gregor.  Magn.,  Moral.  ^ 
lib.  xvir ,  cap.  3i  ,  n"  49.) 


SUR    LA    RELIGION.  327 

dont  nous  avons  démontré  la  réalité.  C'est  dans  le  cé- 
nacle ,  il  est  vrai,  loin  des  regards  du  public,  que  s'est 
passé  le  fait  de  la  descente  du  Saint-Esprit.  Mais  il  y 
avait  dans  le  cénacle  environ  cent  vingt  personnes,  tant 
hommes  que  femmes.  Tout  le  monde  s'y  trouvait  ras- 
semblé pour  attendre  cet  événement  qui  leur  avait  été 
prédit  par  Jésus-Cliiist  avant  son  retour  dans  les  cieux. 
Dira-t-on  que  ces  personnes  se  sont  trompées?  Dira-t-on 
qu'elles  ont  voulu  tromper?  Pour  soutenir  la  première 
hypothèse,  il  faudrait  dire  que  toutes  se  sont  lait  illu- 
sion, et  toutes  la  même  illusion,  sur  un  fait  aussi  frap- 
pant,  qu'elles  avaient  prévu,  qui  leur  était  personnel, 
sur  ses  diverses  circonstances ,  sur  ce  qu'elles  avaient 
vu,  entendu,  éprouvé  ensemble.  Car  il  est  dit  dans  le 
texte  sacré  ,  qu'un  grand  bruit  s'était  fait  entendre ,  sem- 
blable à  celui  d'un  vent  violent,  des  langues  de  feu  étant 
apparues ,  et  étant  venues  se  poser  sur  chacun  des  assis- 
tants, remplis  de  l'Esprit  saint,  ils  commencèrent  tous 
à  parler  diverses  langues,  selon  que  l'Esprit  saint  leur 
ordonnait  de  parler  (1;.  Une  rêverie,  une  folie,  une  il- 
lusion aussi  forte  ,  aussi  unanime  sur  un  tel  fait,  serait 
une  chose  absurde  à  soutenir.  Veut-on  que^saint  Luc 
qui  a  écrit  cet  événement ,  et  que  les  apôtres  qui  l'a- 
vaient précédemment  publié ,  aient  été  des  imposteurs 
qui  aient  abusé  de  la  crédulité  publique?  Il  faudra  né- 
cessairement dire  que  les  cent  vingt  personnes  qui  étaient 
dans  le  cénacle  ont  été  complices  de  l'imposture.  Rap- 
pelons-nous ce  qui  a  été  dit  plus  haut  de  l'impossibilité 
d'un  concert  entre  tant  de  personnes  ;  de  l'impossibilité 
plus  grande  encore  que  ce  concert  se  soutienne  unifor- 


(i)  Cnm  complerentur  dies  Pentecostes ,  erant  omnes  pariter  in 
eodem  loco,  et  facras  est  lepente  de  cœlo  sonus,  tanquam  advenien- 
tis  Spiritus  vebeii;enti.s  ,  et  lepievil  toiam  doraum  uhi  erant  sedentes. 
Et  apparaerunl  illis  dispertitae  Imgaœ  tanquam  igni.s ,  seditque  supra 
singnlos  eorum.  Et  repleti  sont  omnes  Spirifu  sancto,  et  cœpeiant 
loqui  variis  linguis ,  proQt  Spiritns  sanolus  dabaf  eloqni  illis.  [Âct.n, 
I  et  scq.  ) 


328  DISSERTATIONS 

méinent  sans  jamais  varier  sur  aucune  circonstance,  per- 
sévéranunent  sans  jamais  se  démentir,  même  au  milieu 
des  dangers,  des  persécutions,  des  supplices.  Rappelons 
ce  qui  a  été  prouvé  du  caractère  moral  des  témoins,  qui 
écarte  d'eux  tout  soupçon  de  mensonge.  Tous  les  raison- 
nements que  nous  avons  faits  sur  le  témoignage  rendu 
par  eux  aux  miracles  de  Jésus-Christ  établissent  avec  la 
même  force  la  vérité  de  leur  témoignage  sur  le  miracle 
de  la  Pentecôte  (1). 

IV.  Le  fait  même  de  la  descente  visible  du  Saint-Esprit 
s'est  passé  dans  le  cénacle;  et  comme  nous  venons  de  le 
voir,  il  n'en  est  pas  moins  certain.  Mais  ce  qui  a  suvi 
immédiatement  ce  fait ,  d'après  le  récit  de  saint  Luc  ,  a 
eu  pour  témoins  tous  les  Juifs  réunis  à  Jérusalem  à  l'oc- 
casion de  la  fête  ;  c'est  la  sortie  des  apôtres  du  cénacle , 
annonçant  hautement  la  résurrection  de  Jésus-Christ  ; 
c'est  leur  don  de  parler  toutes  sortes  de  langues  ;  c'est 
l'étonnement  des  Juifs  à  la  vue  de  cette  merveille  ;  c'est 
le  succès  prodigieux  des  deux  premières  prédications , 
où  trois  mille,  cinq  mille  se  convertissent;  c'est  la  gué- 
rison  soudaine  d'un  paralytique  à  la  seule  parole  de  saint 
Pierre  ;  c'est  le  courage  avec  lequel  tous  les  apôtres  ré- 
pondent aux  prêtres  et  aux  magistrats.  Or,  il  n'est  pas 
difficile  de  prouver  que  ces  faits ,  qui  ont  eu  toute  la 
publicité  possible  ,  sont  indubitablement  :  1°  véritables; 
2°  les  effets  de  la  descente  du  Saint-Esprit. 

V.  En  premier  lieu ,  lorsque  saint  Luc  écrivait  ces 
faits,  ils  étaient  crus  unanimement  par  les  chrétiens.  Il 
n'aurait  pas  osé  les  produire  s'ils  avaient  été  ou  incon- 
nus, ou  rejetés  par  la  croyance  commune.  Si  son  livre 
des  Actes  n'eût  pas  contenu  des  faits,  tous  reconnus  uni- 
versellement véritables,  nous  ne  le  verrions  pas,  dès  le 
temps  où  il  a  été  publié ,  reçu  avec  respect  dans  toutes 
les  églises,  non-seulement  comme  un  ouvrage  souve- 
rainement véridique  ,  mais  comme  un  ouvrage  inspiré  ; 
nous  ne  le  verrions  pas  inséré  comme  tel  depuis  l'ori- 

(i)   Voyez  ch;ip.  i,  u"  ix ,  et  suiv. ,  page  i47' 


SUR    LA    RELIGION.  3!29 

gine,  dans  le  canon  des  livres  saints.  Puisque  l'Eglise 
entière,  répandue  dans  beaucoup  de  pays,   croyait  et 
regardait  comme  incontcslables    ces   circonstances   qui 
avaient  accompagné  la  descente  du  Saint-Ksprit,  il  est 
certain  que  les  apôtres  les  avaient  publiées  partout,  dès 
les  temps  voisins  de  celui  où  elles  s'étaient  passées.  Au- 
raient-ils osé,  devant  un   si  grand   nombre  de  témoins 
oculaires,  attester  des  faits  aussi   publics,  aussi  frap- 
pants, aussi  importants  ,  qui  eussent  été  faux?  S'ils  l'a- 
vaient osé,  non-seulement  ils  n'auraient  trouvé  aucune 
créance  sur  ce  point-là,  mais  ils  auraient  décrédité  leur 
ministère,  fait  tomber  dès  le  commencement  leur  pré- 
dication.  Ils  n'auraient  pu  ni  imaginer  de  publier  une 
fausse  narration  de  ce  genre ,  ni  réussir  à  la  faire  rece- 
voir. S'ils  avaient  eu  l'ineptie  de  le  tenter,  l'indignation 
ou  le  mépris,  probablement  même  l'une  et  l'autre,  au- 
raient excité  une  réclamation  générale.  Une  seule  de  ces 
circonstances  arguée  de  faux ,  qui  aurait  voulu  se  faire 
chrétien  ?  Pour  soutenir  que  le  récit  de  ces  faits  est  une 
fable,  il   faut  prétendre  que  les  apôtres,  et  tous  leurs 
associés ,  étaient  des  fous  de  les  publier  ;  tous  les  pre- 
miers chrétiens,  des  imbéciles  de  les  croire;    tous  les 
habitants  de  la  Judée  des  sots  de  ne  pas  les  contredire. 
VI.    En  second  lieu,   ces  faits,   qui  sont  bien  cer- 
tains, ont  été  et  n'ont   pu   être    que    les   effets  de    la 
descente  du  Saint-Esprit.  St.  Pierre  le  déclare  formel- 
lement ,   au  nom  de  tous  ses  collègues ,  dans   son  pre- 
mier discours  à  tout  le  peuple  juJ rassemblé,  et  étonné 
des   choses   extraordinaires    qu'il  voyait.     Après    avoir 
rapporté  la  prophétie  de  Joël ,  qui  annonçait  ce   grand 
événement  (1),  il  dit  que  c'en  est  l'acconiplissement  et 


(i)  Sed  hoc  est  qnod  dictuni  est  per  prophetam  Joël;  et  erit  in 
novissimis  diebus,  dicit  Donii.-ius  :  Effundam  de  Spiiilii  meo  saper 
omnem  carnem  ,  et  piDpbetabunl  filii  vestri,  et  filiae  vesirœ,  et  jare- 
nes  veslii  visiones  videbunt ,  et  seniores  ve.stris  orania  soinniabnnt  ;  et 
quidem  super  servos  meos  ,  et  super  anrillas  meas,  in  diebos  illis  , 
elfaudam  de  Spiritu  meo,  et  prophetabant.  (.4ct.  n,i6,  17,18.) 


330  DISSERTATIONS 

que  c'est  l'efFel  de  la  promesse  que  Jésus-Christ  a  faite  , 
de  répandre  cet  Esprit  saint  que  vous  voyez,  ajoute-t-ii, 
et  que  vous  entendez  (1).  Cette  assertion  de  St.  Pierre 
est-elle  vraie?  ou  doit-on  attribuer  ces  faits  à  une 
cause  naturelle?  Il  n'y  a  pas  de  milieu  entre  ces  deux 
propositions.  Tout  ce  qui  s'opérait  alors  était  néces- 
sairement l'elïet ,  ou  de  causes  naturelles  quelconques, 
ou  de  la  cause  surnaturelle. 

Je  demande  quelle  cause  naturelle  a  pu  si  subitement 
transformer  les  apôtres  en  d'autres  hommes;  donner  à 
de  pauvres  pécheurs  ramassés  sur  les  bords  du  lac  de 
Génézareth  ,  sans  lettres ,  sans  instruction .  d'un  esprit 
jusque-là  si  simple  et  si  épais,  qui,  de  leur  propre 
aveu,  quelques  semaines  auparavant,  ne  comprenaient 
pas  ce  que  leur  maître  leur  disait  de  plus  clair;  je 
demande  quelle  cause  naturelle  a  pu  leur  donner  subi- 
tement cette  force  de  parole  que  St.  Pierre  déploie 
dans  ses  deux  premiers  discours;  qui  convertit  dans 
Jérusalem  un  aussi  grand  nombre  de  Juifs;  que  de  là 
ils  vont  tous  porter  dans  les  villes  les  plus  célèbres, 
centres  de  toutes  les  connaissances,  et  avec  laquelle 
ils  combattent  les  savants  les  plus  éclairés  de  ce  siècle 
de  lumières?  je  demande  quelle  cause  naturelle  a  pu 
faire  de  ces  hommes,  auparavant  si  timides  ,  qui  avaient 
abandonné  lâchement  leur  maître  à  son  premier  danger, 
qui  ensuite  tremblants  pour  eux-inémes  d'éprouver  son 
sort,  restaient  enfermés  dans  le  cénacle  ;  quelle  cause 
naturelle,  dis-je,  a  pu  en  faire  dans  un  moment  les 
héros  les  plus  intrépides  que  l'univers  ait  connus;  leui 
donner  le  courage  d'abord  de  répondre  avec  cette 
fermeté  si  hautaine  aux  meurtriers  de  Jésus-Christ 
revêtus  de  la  puissance  et  maîtres  de  les  traiter  comme 
lui ,  et  de  soutenir  constamment  la  même  audace  dans 
tout  le  cours  de  leur  vie  ,  devant  tous  les  tribunaux , 


(i)    Dexfera  igiinr  Dei    exalfaHis,    et   promissione   Spiritas  sancti 
accepra  a  Pâtre,  effndit  hune,  qnem  vos  videtis  et  aoditis.  {Ibid.  33.) 


SUB    LÀ    RELIGION.  331 

et  jusque  sur  les  échafauds  où  on  les  fait  expirer (1)? 
Toutes  les  causes  naturelles  devaient  produire  en  eux 
l'effet  contraire.  Leur  métamorphose  soudaine  non- 
seulement  n'est  pas  dans  la  nature ,  mais  elle  est  en 
contradiction  avec  ce  que,  dans  les  mêmes  circonstances, 
opère  constamment  la  nature.  En  rejetant  le  miracle, 
elle  est  incompréhensible,  mais  elle  s'explique  parfai- 
tement par  la  raison  qu'a  donnée  St.  Pierre,  par  l'in- 
fusion du  Saint-Esprit,  qui  les  a  entièrement  changés. 
Ils  sont  eux-mêmes  le  premier  miracle  de  leur  pré- 
dication (2). 


(r)  In  horadominicae  coraprehensionis  scriptura  de  eisest,  quia,  relie- 
to  Domino  omnes  fogeranl.  An  non  valde  inHrmus  tanc  Petras  erat, 
cam  interrogantis  ancilliilae  vocem  limuit,  et  Pvederaptorera  negavit...? 
Sed  nbi  eos  robur  induit  ,  libet  intueri  quam  foitis  fuir.  Repentino 
quippe  sonitu  saper  eos  SpirifussanctUi  venit  ;  et  eoruna  infirmitatem 
in  mirae  charitatis  virlutein  pernmtavit.  Cœperunt  enim  Christam,  jam 
robore  indati,  praedicare ,  qai  persecatorurn  minas  nun  erubescebant 
delitescendo  fugeie  ,  et  (jui  mniierum  vcrba  timuerant ,  auctoritatem 
principam  libère  frangebant.  Vicit  robur  formidinera  ;  terrores,  mi- 
nas et  caedes  saperav;t;  et  quos  superveniendo  induit  ,  in  cœlesli 
militia  aadaciae  in.>>ignibaa  illusîravit;  ut  inter  flagella,  caedes ,  et 
opprobria,  non  metaerent ,  sed  exultarent.  (^S.  Gregor.  Magn.  in  i. 
Reg.  f  lib.  I ,  cap.  3 ,  n°  la.) 

(2)  Discipuli  admodom  liraidi  erant,  anteqaam  id  qnod  par  erat  edis- 
cerent,  et  donc  Spiritns  sancti  dignarentar.  Postmoduni  vero  leonibas 
aadacjores  faerant.  Et  Pttrus  ,  qui  pueilae  minas  non  talerat,  inverso 
capite  appensus  ,  et  veiberatus,  milieque  periculis  exposifus,  non 
tacebat,  sed,  quasi  baec  per  somniam  pateretar ,  sic  libère  loqoeba- 
tar.  [S.Joan.  Chrysost.,  in  Joan.,  Honi.  Lx.xvr  ;  alias  lxxv  ,  n°   i.) 

Qaibas  profecto  tune  Spiritns  virtuîera  tribait  ,  cnm  in  igneis  lin- 
gais  apparens,  in  cordibus  eorara  divini  flammas  amoris  accendit. 
Quod  qaidem  aperte  cognoscere  posiamas,  si  quales  ante,  quales 
post  adventum  sancti  Spiiitus  fuerint  ,  perpendamiis.  Qai  enim  ad 
passionem  tendentein  Magistrum  fugientes  reliqaeiant,  postmodam, 
per  adjunoram  Spiritus  sancti  gratiam  roboiati.^  constanter  et  poblicc 
nomen  Cbiisti  praedicabant.  Nain,  ut  reliqnos  praetermittamus ,  ipse 
apostoloram  princeps,  (joi  mori  mefuens  vitam  nt-gaverat,  ciim  fac- 
to conventn,  caesis  apoiiolis,  sacerdutes  et  sciibae,  ne  in  nomine 
Christi  loqaerentur,  pruhibererU ,  aiebat  :  Oportet  obedire  Deo  ma- 
gis  quam  hominibus.    Cœlonam   igitur  virtus    de    Spirita  sancto  e^t, 


332  DISSERTATIONS 

Et  les  autres  prodiges  racontes  par  St.  Luc  ,  ce  talent 
qui  n'avait  jamais  été  vu  dans  le  monde,  et  qui  était 
nécessaire  à  l'établissement  de  la  religion  ,  de  parler 
indilléreinment ,  et  sans  hésiter,  toutes  sortes  de  langues 
qu'on  n'a  jamais  apprises  (1)  ;  la  guérison  d'un  paraly- 
tique par  une  seule  parole  ;  sont-ce  là  encore  des  effets 
naturels?  En  les  rapprochant  des  promesses  laites  par 
Jésus-Christ  à  ceux  qui  croiraient  en  lui,  n'est- il  pas 
clair  que  c'en  est  l'exécution?  Concluons  de  là  que  la 
descente  du  Saint-Esprit,  ce  premier  miracle  du  chris- 
tianisme, principe  de  tous  les  autres,  et  de  l'établisse- 
ment même  du  christianisme,  est  positivement  démon- 
trée, d'abord  par  le  témoignage  irréfragable  des  disciples 
qui  en  ont  été  l'objet ,  ensuite  par  les  effets  évidemment 
divins  qu'elle  a  produits.  Passons  aux  autres  miracles 
dont  les  disciples  du  Sauveur  ont  été  non  plus  les 
objets,  mais  les  auteurs,  ou  plutôt  les  ministres,  et 
voyons  s'ils  sont  aussi  bien  prouvés. 

YIÏ.  Je  trouve  une  preuve  générale  que  les  apôtres 
ont  fait  des  miracles,  dans  les  diverses  églises  qu'ils  ont 
fondées.  Que  les  apôtres  aient  établi  des  églises  partout 
où  ils  ont  jeté  les  fondements  de  la  foi,  c'est  un  fait 
tellement  certain  ,  si  clairement  rapporté  par   tous   les 


qaia  per  infusiira  saiicti  Spiritns  gratiain  ,  facti  sunt  in  Chiisti  confeS' 
sione  fortes  apostoli,  qui  prins  fueranl  ex.  fiagilifate  carnis  infirmi. 
Nisi  enjm  proraissa  charismatum  dona  illi  doininici  gregis  pastores 
susceperint,  nnlio  virlutis  décore  claruissent.  (  Opus  S.  Cregor. 
Magn.  attribut.  Exposit.  in  vu  psalm.  pœnit.  ;  in  psalm.  vi,  n°i6.) 

(i)  Gnr  eigo  aiite  omnia  illud  (dunum  linguarum  )  acceperunt 
apostoli?  Quia  per  omnes  orbis  partes  pervasuii  eiaat,  et  siciit  in 
tempore  quo  facta  estturris,  lingua  qnae  erat  tina  dividebatur  in 
mulfas,  ita  tune  qnse  eiant  maltae  s^epe  ibant  ad  uniim  bominem  ;  et 
idem  hoino ,  Persarum  ,  et  Romanorum ,  et  Indorum,  et  aliis  ujultis 
loquebatur  lingais  ,  in  ipso  insonante  Spiiitu.  (.?.  Joan.  Chrys.  ^  in 
epist.  I  ad   Cor. ,  Homil.  xxxv,  n"  i.  ) 

Divinis  autern  apostolis  gratia  Spiritus  lingaarnm  cognitioneni  de- 
derat  ;  quoniam,  cum  esst^nt  omnium  gentiam  doctores  consiituti , 
oportebat  eos  scire  omnium  vores  ,  ut-unicuique  per  propriam  vocem 
evangelicatu  praedicalionem  afferrent.  (  Theodor. ,  in  Epist.  i  ad  Cor., 
tom,  m,  cap,  xii ,  v.  i.) 


SUR    LA    RELlGIOxV.  333 

auteurs  et  chrétiens  et  païens,  que  nos  adversaires  ne  le 
révoquent  pas  en  doute.  Je  le  dirai  d'abord  avec  plu- 
sieurs sainls  Pères  :  Sans  miracles,  ces  églises  auraient- 
elles  pu  se  former  (1)?  Coinnientles  disciples  auraient-ils 
pu  trouver  créance  aupi  es  de  tant  de  peuples  ,  leur  faire 
adopter  une  doctrine  incompréliensdjle  ,  pratiquer  une 
morale  sévère,  s'ils  n'avaient  pas  donné  cette  preuve  de 
la  divinité  de  leur  mission  ?  On  ne  croit  pas  légèrement, 
et  sans  raison ,  qu'un  liomme  est  l'envoyé  de  Dieu.  On 
se   rend  plus  diflicile  encore  à    le   croire,  quand  à  sa 
voix  il  faut   changer   toutes  ses  idées,  réformer  toutes 
ses  inclinations.   Et  quel  autre  motif  que  les   miracles 
les  hommes  apostoliques  auraient-ils  pu  donner  pour  se 
faire  croire  tels?  Observons  de  plus  que  dans  l'Evangile 
qu'ils    publiaient  ,  il    était  formellement    prédit    qu'ils 
feraient  des    miracles.   Cette    prophétie   favorisait   leur 
prédication,  si  en  effet  ils    en  opéraient;  mais  elle  la 
contrariait,  elle  devait  même  la  faire  tomber,  s'ils  n'en 
opéraient  pas.  Voici  qui  est   plus  démonstratif  encore. 
Dans  toutes  ces  églises  fondées  par   les  apôtres  et  par 
leurs    associés  ,   on    était    persuadé   qu'ils    avaient    fait 
beaucoup   de    miracles.    Comment   cette    persuasion    si 
forte,  si  unanime,  se  serait-elle  établie,  s'ils  n'en  avaient 
fait  aucun?   Qui  aurait  pu  persuader  en  même  temps 
à  tant   d'hommes  si    distants  de  pays,   si  différents  de 
langage,    qu'eux,  ou.,    si   l'on    veut,    que  leurs  pères 
avaient  vu  des  miracles   qu'ils    n'avaient  jamais  vus, 
ou    dont  leurs    pères   ne  leur   auraient  jamais    parlé  ? 
Quelle  puissance  assez  forte,  assez  étendue,  aurait  été 


(i)  Jnre  a-itein  signornm  gratiam  pelant.  Non  a!io  en  m  inodo 
ostendere  poreiant  ipsam  resurrexisse,  iiisi  ex  signis.  (S.  Joann. 
Chrysost.^  in  Acta  Apostol.  ,  Homil.  xi,  n"  a.) 

Neque  enim  po  uissfrii  oinnes  gente-.  in  tain  brevi  teiiiporo  r-!;fde- 
rc  ,  nisi  sigiioriiin  iniraculis  (Id;  3  eoinm  qaodani  modo  esset  extorta. 
Lorjuenti')n.s  enim  et  clamantibns  apotolicis  viris  ,  Dominus  signoram 
magnitiîdine  respondchnt.  (5.  Hieronym.  Commemt.  in  Isa'am^ 
lil).  XVIII,  rap.  68.  ) 


334  DISSERTATIONS 

capable  deproduiie  un  effet  aussi  extraordinaire,  aussi 
universel  ?  Cette  foi  unanime  de  toutes  les  é{jlises  formerait 
à  elle  seule  une  preuve  complète  des  miracles  de  leurs 
fondateurs.  Kile  acquiert  un  nouveau  ])oids  et  devient 
une  démonstration  irrésistible ,  quand  on  la  lie  à  l'im- 
possibilité de  la  formation  de  ers  é{;liscs  autrement  que 
par  les  miracles.  L'établissement  de  tant  d'é}',lises  jus- 
tifie leur  croyance  aux  miracles  apostoliques  ;  leur 
croyance  aux  miracles  apostoliques  montre  que  c'est 
par  eux  que  s'est  fait  leur  établissement.  Ces  églises 
donnent  la  preuve  des  miracles  par  leur  formation , 
et  la  raison  de  leur  formation  par  les  miracles(l). 

VIII-  Le  livre  des  Actes  des  Apôtres  où  sont  rap- 
portés beaucoup  de  miracles  des  hommes  apostoliques, 
est  aussi  une  preuve  de  ces  miracles.  Outre  les  prodiges 
du  jour  de  la  Pentecôte  dont  nous  avons  parlé.  St.  Luc 
en  rapporte  beaucoup  d'autres.  La  punition  soudaine 
d'Ananie  et  de  Sapliire  (2)  ;  les  guérisons  de  toutes  les 
sortes  de  maladies  opérées  par  l'ombre  seule  de  St. 
Pierre  (3)  ;  les  apôtres  tirés  de  prison  par  un  ange  (4)  ; 
les  malades  guéris  et  les  possédés  délivrés  par  saint 
Philippe,  à  Samarie,  dont  résulte  la  conversion  de 
Simon  le  magicien  (5);  la  conversion  de  St.  Paul  (6); 
la  guérison  du  paralytique  Enée  ,  et  la  résurrection 
de  Théhite  par  St.  Pierre  (7);  la  descente  visible  du 
Saint- Ksprit  dans  la  maison  du  centenier  Corneille  (8), 


(i)  Haec  (rairacnla)  nt  fîdem  facerent ,  innotoernnt.  Haec  per  fi- 
dem ,  quam  fecciunt,  inuho  clarins  innotoerunt.  Leguntar  qoippe  in 
populis,  ut  ciedantnr;  nec  in  populis  tamen,  nisi  crédita,  legerentur. 
(S.  Augiist. ,  de  Civit.  Dei ,  lib.  xxit,  cap,  8 ,  n°  i.) 

(a)   Act.  V  ,  I  et  seq. 

(3)  Ibid.  i5. 

(4)  Ibid.   19  et  seq. 

(5)  Ibid.  viir,  5  et  seq. 

(6)  Jèid.  IX ,  I  et  seq 

(7)  Il>id.  33  et  seq. 
rS)  Ibid.  X,  44,  45. 


P 


SDR    LA    RELIGION.  335 

à  la  voix  du  iiiéme  apôtre  (1);  les  prophéties  faites  par 
Agabus,  d'une  famine    qui    a    lieu  sous    le   règne  de 
Claude,  et  de  la  persécution  susciiée  à  Jérusalem  contre 
St.  Paul  (2)  ;  la  délivrance  de  St.  Pierre  par  un  ange, 
de  la  prison  où  l'avait  mis  Hérode  (3)  ;  la  mort  soudaine 
de  ce  prince,  en  punition  de  sou  orgueil  (4),  l'aveugle- 
ment subit  du  magicien  î]lymas ,  prodige  qui  soumet  à 
la  foi  un  proconsul  (5);    la  guérison  d'un  boiteux  de 
naissance,   à   Lystres ,   par   St.   Paul  (6)  ;  la  délivrance 
d'une  611e  possédée,   à  Philippes^7)  ;   les  portes  de  la 
prison   où    était    renferiiié    St.    Pierre  ,    ouvertes  avec 
fracas,  ses  chaînes  brisées  et  son  geôlier  converti  (8); 
le  Saint-Esprit  descendu  à  Ephèse  sur  environ  douze 
nouveaux  convertis,  qui  aussitôt  parlent  diverses  lan- 
gues et  prophétisent  (9)  ;  les  malades  guéris  ,  les  possédés 
délivrés  dans  la  même  ville  par   le  seul  attouchement 
des  linges  qui   avaient  servi  à  St.   Paul  (10)  ;  la  résur- 
rection  du  jeune    Entiche,   à    Troade,    par   le   même 
apôtre  (11);  sa  prédiction  dans  une  tempête  de  quatoi-ze 
jours ,  qu'il   n'ari  iverait  nul  malheur  à   aucun    assis- 
tant(12);  la  morsure  d'une  vipère  dans  l'ile  de  Malte, 
dont  il  ne    lui  résulte  aucun   mal  (13;.    Il  paraît,   par 
plusieurs  passages  du  même  livre  ,  qu'il  a  été  fait  par 
les   apôtres  beaucoup   d'autres   miracles  qui   n'y    sont 
pas  rapportés. 


(r)  At-t.  X,  44,  45. 

(a)  Ibid.  xr  ,  28;  XXI,  lo,  il. 

(3)  Ibid.  XII,  3  etseq. 

(4)  Ibid.  2  3. 

(5)  Ibid.  1.111,  8  et  seq. 

(6)  ibid.  XIV,  7  et  seq. 

(7)  Ibid.  XVI,  m  et  seq. 

(8)  Ibid.  2  5  et  seq. 

(9)  Ibid.  XIX  ,6,7. 

(10)  Ibid.  1 1  ,   12. 

(11)  /^/</.  XX,  9  et  seq. 

(12)  Ib'.d.  XXVII,  22  et  seq. 
^3)   Ibid.  xxvni,  3,  4,  5, 


336  DISSERTATIONS 

Ces  récits  de  St.  Luc  sont-ils  certainement  véridiques? 
Cette  question,  comme  nous  l'avons  vu,  en  renferme 
deux.  A-t-il  pu  être  trompé,  a-t-il  voulu  tromper  sur  les 
faits  qu'il  rapporte? 

IX.  D'abord  il  n'a  pu  être  lui-même  dans  l'erreur.  Il 
y  a  bcaucou|T  de  ces  njiracles  dont  il  avait  été  person— 
nellemenl  témoin;  il  yen  a  d'autres  qu'il  rapporte  sur 
la  foi  de  ceux  qui  l'avaient  été.  Il  avait  des  premiers  la 
certitude  physique,  des  seconds  la  certitude  morale.  Di- 
ra-t-on,  sur  les  premiers,  qu'il  se  faisait  illusion  ;  que 
tous  ses  sens  se  trompaient,  non  pas  une  fois,  mais 
presque  continuellement?  Ce  serait  déjà  une  absurdité  ; 
mais  en  voici  une  plus  révoltante  encore.  Saint  Luc 
rapporte  (et  puisqu'on  le  suppose  daris  l'erreur,  il  faut 
le  croire  sincère)  Timpression  que  faisaient  sur  les  assis- 
tants les  miracles  apostoliques,  les  effets  qui  en  résul- 
taient. Tantôt  les  miracles  de  saint  Paul  le  font  prendre 
pour  un  Dieu  ;  tantôt  ils  opèrent  de  grandes  conver- 
sions. D'autres  effets  encore  sont  rapportés  dans  diverses 
circonstances.  Il  faudra  donc  soutenir  que  les  assistants 
qui  voyaient  avec  saint  Luc,  qui  croyaient,  de  même 
que  lui,  les  merveilles  opérées  par  les  apôtres,  se  fai- 
saient la  même  illusion  ,  éprouvaient  la  même  erreur  de 
tous  leurs  sens.  Que  devient  la  certitude  physique  dans 
cette  ridicule   assertion? 

Youdrait-on  dire  que  saint  Luc  a  été  induit  en  erreur 
sur  ceux  des  miracles  dont  il  n'avait  pas  été  témoin  ? 
Mais  il  avait  connu  et  ceux  qui  les  avaient  opérés,  et 
ceux  sur  cjui  ils  avaient  été  opérés,  et  ceux  qui  en 
avaient  été  convertis,  et  tous  ceux  qui  les  avaient  vus. 
Il  les  tenait  des  églises  entières  qui  y  avaient  été  pré- 
sentes. Il  en  avait  vu  les  eff'ets.  Si  on  veut  n'ajouter  foi 
à  un  écrivain  que  sur  ce  qu'il  a  vu  de  ses  propres  yeux , 
qu^le  histoire  pourra-t-on  croire?  Que  devient,  dans 
cette  seconde  supposition,  la  certitude  morale? 

X.  L'assertion  que  saint  Luc  a  voulu  tromper  sur  les 
miracles  des  apôtres ,  n'est  pas  moins  déraisonnable. 
Outre  que  ses  écrits ,  et  son  caractère  moral ,  confirmé 


SCR    LA    RELIGION.  337 

encore  par  celui  de  tous  ses  associés  ,  ne  donnent  aucune 
prise  à  cette  accusation,  il  est  certain  que,  s'il  avait 
voulu  induire  en  erreur,  il  aurait  pris,  pour  y  parve- 
nir, un  moyen  détestable  et  qui  l'aurait  empêché  de 
réussir.  Aux  miracles  qu'il  rapporte  il  joint  toujours 
l'indication  du  lieu  où  ils  ont  été  opérés,  et  souvent  la 
désignation  des  personnes  qui  en  ont  été  les  objets.  Il 
donne  par  là  un  moyen  simple,  naturel,  facile  ,  de  vé- 
rifier les  faits  qu'il  rapporte.  Est-ce  là  la  marche  qu'au- 
rait suivi  un  fourbe?  Son  histoire  renferme  un  inter- 
valle d'environ  trente  ans  qui  venaient  de  s'écouler. 
Dans  tous  les  pays  dont  il  parle ,  il  y  avait  des  hommes 
qui  y  vivaient  lors  des  faits  qu'il  rapporte.  Tous  les  au- 
tres habitants  de  ces  pays  pouvaient  facilement,  de- 
vaient même  naturellement  s'en  informer.  Si  on  vous 
rapportait  que  dans  la  ville  que  vous  habitez  il  s'est  pas- 
sé, il  y  a  dix,  vingt,  vingt-cinq  ans  et  avant  que  vous  y 
fussiez,  un  fait  très-extraordinaire,  très-public,  très- 
frappant,  très -important,  n'iriez- vous  pas  vous  en  in- 
former auprès  de  ceux  qui  habitaient  alors  cette  ville,  et 
qui  ne  peuvent  manquer  d'en  avoir  connaissance  ?  Si  on 
veut  que  St.  Luc  ait  été  ua  imposteur,  on  veut  donc  qu'il 
ait  été  à  la  fois  le  plus  maladroit  et  le  plus  heureux  des 
imposteurs  ;  le  plus  maladroit,  puisque,  par  son  indica- 
tion des  circonstances,  il  fournissait  lui-même  le  moyen 
de  découvrir  sa  fourberie  ;  le  plus  heureux,  puisque, 
malgré  cette  énorme  bévue,  il  est  parvenu  à  procurer  à 
son  ouvrage  la  croyance  et  le  respect  de  ses  conteinpo- 
rains  et  des  générations  suivantes.  L'objet  de  saint  Luc 
était  de  favoriser,  de  confirmer  et  d'étendre  la  religion 
dont  il  était  ministre.  En  insérant  dans  son  livre  des 
faits  faux,  et  dont  la  fausseté  eût  été  facilement  consta- 
tée ,  il  prenait  le  moyen  diamétralement  contraire  à 
son  but.  Quel  effet  et  parmi  les  païens,  et  njéme  dans 
les  églises  chrétiennes  ,  aurait  produit  la  fausseté  recon- 
nue d'un  seul  fait  rapporté  par  un  évangéliste?  En  deux 
mots,  il  est  impossible  que  St.  Luc  ait  menti  sur  des 
miracles  aussi  publics,  aussi  récents,  que  tant  de  per- 
Ditsert.  sur  la  Relig.  15 


338  DISSERTATIONS 

sonnes  de  tout  parti  avaient  et  un  intérêt  majeur  et  une 
tacilité  extrcnie  de  vérifier.   Il  est  évident  qu'il  n'a  pas 
menti ,  puisqu'après  les  vérifications  qu'on  n'a  sûrement 
pas  manqué  de  faire,  son  livre  des  Actes  a  toujours  joui 
de   la  plus  grande   autorité,  et  que  les  faits  qui  y   sont 
rapportés  ont  été  constamment  et  universellement  crus. 
XI.  Voici  un  nouveau  témoin  du  plus  grand  poids, 
et  qui  imprime  aux  miracles  apostoliques  le  motif  de 
certitude  le  plus  convaincant  ;  c'est  l'apôtre  saint  Paul. 
Le  premier  miracle  qu'il  atteste ,   est  celui  que  Jésus- 
Christ  lui-même  a  opéré  sur  sa  personne  ;  c'est  sa  propre 
conversion  (1).  11    serait  absurde    de    soupçonner  qu'il 
s'est  trompé  sur  un  tel  fait.  Il  n'est  pas  plus  raisonnable 
de  l'accuser   d'avoir  voulu   tromper.    1°  Quel  intérêt  y 
aurait-il  eu?  Sa  prédication  devait,  comme  il  l'annonce, 
lui  attirer  les  plus  grands  maux  ;  et  en  effet  il  n'a  cessé , 
dans  le  cours  de  sa  carrière ,  de  les  éprouver.  2.°  11  cite 
les  témoins  du  miracle  qui  l'a  converti  ;  ce  sont  les  gar- 
des qui  l'accompagnaient,  qui  ont  été  frappés  de  la  lu- 
mière, qui  ont  entendu  la  voix  céleste,   qui  l'ont   vu 
renversé,  qui,   le  voyant  aveugle,  l'ont  conduit  par  la 
main  à  Damas.   Si  le  fait  est  faux ,  les  circonstances  le 


(i)  Cum  Paolam  videas  qui  ipsam  (Jesnm)  non  viderat  ,  qui  ip- 
-sum  non  aadierat,  qui  doctiinae  particeps  minime  faerat,  qui  etiam 
post  crncem  ip=,i  bellum  indixerat,  et  eos  qui  in  illum  credebant  in- 
terficiebat,  qui  cmnia  raiscebat  ac  turbabat ,  hune  subito  mutafum  , 
inferendis  pro  praedicatione  verbi  laboiibus  omnes  Chiisii  amicos  su- 
perare;  qnae  tibi,  qaaeso,  deinceps  impudentiae  occasio  relinquitar , 
S!  rciurrectionis  verba  non  credasT  Si  enira  Christus  non  resnrrexis- 
set ,  qnis  honiinam  adeo  crudelem  et  inbnmanura,  quis  adeo  infen- 
sum  et  efferatum  sibi  cor.ciliasset  et  ad  se  adstruxisset  ?  Die  enira, 
quéeso,  Judae,  quis  Paulo  persuasit  nt  Christo  ss  adjongeret  ? 
jNum  Petrus?  Nom  Jacobus?  Num  Joannes  ?  Atqui  omnes  isti  eura 
tiraebant  et  horrebant;  neque  taninm  ante  hoc  tempus,sed  tam 
etiam,  cum  in  amicorcm  nunierum  relatns  erat;  quando  prensum  il- 
1cm  mann  Barnabas  Jerosolyraam  introduxit,  adhnc  illi  propins  5€ 
adiungere  timebant  ;  ac  sedatum  quidem  erat  bellum;  metos  tamen 
adhuc  in  apostolis  permanebat.  [S.  Joan.  Chr^sost.^  Homil.  in  illud : 
San!  adhuc  .'pirans,  n°  5.) 


SUR   LA    RELIGION.  339 

sont  ;  si  elles  le  sont ,  les  témoins  le  démentiraient. 
3°  Accusé  devant  un  tribunal,  il  raconte,  pour  se  jus- 
tifier, le  miracle  de  sa  conversion.  Les  Juifs  ses  accusa- 
teurs^ ses  ennemis  acharnés,  qui  faisaient  tous  leurs 
efforts  pour  le  traîner  à  la  mort,  n'osent  pas  le  contre- 
dire sur  ce  point.  C'est  lorsqu'il  dit  qu'il  a  été  envoyé 
pour  prêcher  aux  nations ,  qu'il  s'élève  un  cri  contre  lui 
et  qu'on  demande  sa  mort ,  en  disant  qu'il  n'est  pas  di- 
gne de  vivre  (1).  Ainsi  on  veut  qu'il  périsse  ,  parce  qu'il 
porte  aux  nations  la  doctrine  qui  devait  rester  concen- 
trée dans  le  peuple  Juif;  mais  on  ne  l'accuse  pas  d'im- 
posture, pour  avancer  le  fait  de  sa  conversion,  ^^'en  est- 
ce  pas  là  une  sorte  d'aveu? 

XII.  Ce  n'est  pas  seulement  le  miracle  de  sa  conver- 
sion que  saint  Paul  atteste  ;  il  fait  mention  des  miracles 
qu'il  avait  opérés,  et  il  les  rappelle  à  ceux  qui  en  avaient 
été  témoins,  u  Notre  prédication  de  l'Evangile  ,  dit-il 
a  à  ses  disciples  de  Thessalonique,  n'a  pas  été  seulement 
«  en  paroles  ,  mais  aussi  en  miracles  ,  et  dans  le  Saint- 
«  Esprit,  et  dans  une  grande  abondance,  comme  vous 
«  savez  que  nous  avons  été  parmi  vous  et  pour  vous  (2;.» 
Il  répète ,  peu  d'années  après ,  la  même  déclaration  aux 
Corinthiens '3,.  Il  leur  dit  ailleurs  que  les  preuves  de 
son  apostolat  ont  été  sa  patience  entière ,  ses  prodiges , 
ses  miracles,  et  les  effets  de  la  force  divine  (4;.  «  Je 
«  vous  ai  écrit  avec  liberté  ,  dit-il  aux  Romains ,  pour 
«  rappeler  à  votre  souvenir  la  grâce  que  Dieu  m'a 
«  accordée  d'être  le  ministre  de  Jésus-Christ  parmi  les 
o   nations  ;   car  ,    ajoute-t-il ,  je  n'ose   parler  de  ce  que 


(i)  Act.  xxn. 

(aj  EvangeLum  nostrum  non  fait  ad  vcs  in  seiraone  tanium,  sed  in 
virtate,  et  in  Spirila  sancto  ,  et  in  plenitadine  multa;  sicatscitis, 
qaaies  faerimas  in  vobis  prupfer  vos,  (  i.  Thessal.  i ,  5-  ) 

(3)  Serrao  meus  et  praedicatio  inea ,  non  in  persuasibilibns  hamanae 
sapientiae  verbis,  sed  in  ostenbione  Spiritus  et  virtaiis;  ot  tides  vestra 
non  sit  in  sapientia  hominarn  ,  sed  in  virtate  Dei.  (  i .  Cor.  ii ,  4  ,  5.  ) 

4)  Signa  taraen  aposto'.atos  mei  facta  sont  saper  vos,  in  omnipa- 
tientid  ,  in  signis,  et  prodigiis ,  et  virtotibus.  (2.  Cor.  xu  ,  12.) 


340  DISSERTATIONS 

«  Jésus-Cliiist  a  fait  pour  moi,  pour  se  soumettre  les 
t<  gentils  par  la  parole  et  par  les  œuvres ,  par  la  vertu 
«  des  miracles  et  des  prodiges  ,  et  par  la  force  du  Saint- 
«  Esprit;  en  sorte  que,  de  Jérusalem  jusqu'à  l'Illyrie, 
«  j'ai  tout  rempli  de  l'Evangile  de  Jésus-Chiistfl;.  » 

Je  demande  à  tout  homme  raisonnable  s'il  pouvait 
entrer  dans  l'esprit  de  St.  Paul  de  dire  aux  Tliessalo- 
niciens,  aux  Corinthiens,  aux  Romains  ,  qu'il  avait  fait 
des  miracles  parmi  eux,  et  d'invoquer,  sur  ces  mi- 
racles ,  leur  témoignage ,  si  effectivement  il  n'avait  fait 
parmi  eux  aucun  miracle^  Je  demande  quel  effet  aurait 
produit  sur  ces  nouveaux  chrétiens  de  différents  pays 
une  déclaration  aussi  insensée?  Que  l'incrédule  qui  nie 
les  miracles  de  St.  Paul ,  se  transporte  aux  lieux  où  ces 
lettres  ont  été  adressées ,  et  au  moment  où  elles  y  sont 
arrivées.  Quelle  idée  prendrait-il  de  l'écrivain  qui  aurait 
été  faire  un  mensonge  aussi  impudent ,  un  mensonge 
nécessairement  reconnu  de  tout  le  monde  aussitôt  qu'il 
aurait  été  produit?  Il  ne  lui  ferait  pas  l'honneur  de  le 
prendre  pour  un  imposteur  qu'il  faut  punir,  il  le  regar- 
derait comme  un  fou  c|u'il  faut  enfermer.  Il  n'y  a  pas 
un  Romain ,  un  Corinthien ,  un  Thessalonicien ,  qui  ait 
pu  penser  autrement,  s'il  n'était  pas  persuadé  des  mi- 
racles de  St.  Paul.  Mais,  au  contraire,  nous  voyons  ces 
lettres  reçues  avec  respect ,  et  par  les  églises  à  qui  elles 
sont  adressées,  et  par  l'Eglise  universelle;  nous  voyons 
que  dès  les  premiers  temps  on  les  lisait  dans  les  assem- 
blées des  fidèles  comme  des  écrits  inspirés.  Nous  avons 
vu  TertuUien  attester  que  les  originaux  de  ces  lettres 
étaient,  de   son  temps,  religieusement  conservés  dans 


(i)  Audacius  sciipsi  vobis,  fratres,  ex  parte,  tanqaam  in  memo- 
riam  vos  reducens  propter  gratiam  qnae  data  est  rnihi  a  Deo  ut  sim 
minisler  Clidsti  Jesu  in  gentibns...  Non  enim  audeo  aliquid  loqui 
eorum ,  quae  per  me  non  efficil  Christns  in  obedientiam  gentiutn  vep- 
ho  ,  et  factis ,  in  virtute  signoram  et  prodigiornm,  in  virtute  Spiri- 
îns  sancti,  ila  nt  ab  Jerasalera  per  circaitam  usque  ad  Illyrirnra  , 
lepleverim,  evangelium  Chrisli.  (/îow.xv,  i5  et  seq.) 


SUR    LA    RELIGION.  341 

les  églises  qui  les  avaient  reçus  (1).  Il  est  donc  évident 
que  les  fidèles  de  Tliessalonique^  de  Corintlie  ,  de 
Rome,  savaient  parfaitement,  et  étaient  intimement 
convaincus  que  St.  Paul  avait  fait  parmi  eux  des  mi- 
racles. Il  est  donc  hors  de  doute  qu'il  en  avait  opéré. 

XIII.  Ce  n'est  pas  tout  encore.  Que  St.  Paul  eût 
persuadé  à  ses  disciples  qu'il  avait  fait  devant  eux  des 
miracles,  quoiqu'ils  n'en  eussent  vu  aucun,  ce  serait 
une  grande  absurdité.  Mais  une  autre  ,  bien  plus  gros- 
sière encore  ,  bien  plus  révoltante,  serait  qu'il  fût 
venu  à  bout  de  faire  croire,  contre  la  vérité,  qu'eux- 
mêmes  avaient  le  pouvoir  de  faire  des  miracles,  et 
qu'ils  en  faisaient  réellement  et  journellement.  C'est 
cependant  ce  qu'il  faut  soutenir,  si  on  veut  révoquer 
en  doute  les  miracles  des  premiers  fidèles.  Ce  n  était 
pas  seulement  à  ses  douze  apôtres ,  c'était  à  tous  ceux 
qui  croiraient  en  lui,  que  Jésus-Christ  avait  promis 
cette  grande  puissance.  Nous  avons  vu  ,  en  citant  les 
miracles  rapportés  aux  actes  des  apôtres,  le  don  des 
langues  et  celui  de  prophétie  être  plusieurs  fois  l'effet 
de  la  descente  du  Saint-Esprit  sur  les  néophytes.  L'a- 
pôtre ,  dans  ses  épîtres ,  leur  parle  souvent  de  ces  dons 
miraculeux  qui  leur  sont  accordés.  Dans  l'épître  aux 
Romains,  traitant  des  différents  dons  que  Dieu  distribue 
aux  membres  de  son  Eglise  ,  il  fait  mention  de  celui 
de  prophétie  (2).  Dans  celle  aux  Galates ,  il  demande 
si  celui  qui  leur  a  donné  son  esprit  opère  parmi  eux 
des  miracles  par  les  œuvres  de  la  loi,  ou  par  la  foi  (3). 
Il  dit  aux  Ephésiens  que  Dieu  a  établi  des  apôtres, 
des  prophètes  ,    des   évangélistes  (4).  Il    recommande 


(i)   Voyez  la  première  Dissertation,  n"  ix,  note,  page  Sg. 

(2)  Habentes  autera  donationes  ,  secandnm  gratiam  quae  data  est 
nobis,  différentes,  sive  per  prophetiam  secandam  rationem  fidei , 
etc.  {Rom.   xii,  6.) 

(3)  Qai  ergo  triboit  vobis  Spirilum,  operatnr  virtutes  in  vobis,  es. 
Qperibus  legis,  an  ex  audifii  fidei  ''  {Galat.  m,  5.  ) 

(4)  Dédit  qaosdam  apostolos,  quosdam  anlem  prophetas ,  alios 
evangelistas,  {Ephes.  iv,   ii.) 


342  DISSERTATIONS 

aux  Thessaloniciens  de  ne  pas  mépriser  les  prophé- 
ties (1).  Mais  c'est  surtout  dans  sa  première  épître  aux 
Corinthiens  qu'il  traite,  à  plusieurs  reprises,  des  dons 
miraculeux  existants  parmi  eux  :  ici ,  détaillant  les 
grâces  que  le  Saint-Esprit  répand  diversement,  il  nomme 
le  don  de  guérir  les  maladies,  celui  des  miracles,  celui 
de  prophétie  ,  celui  de  parler  diverses  langues  (2)  ; 
là,  distinguant  les  divers  ministères,  il  parle  encore  de 
ceux  qui  sont  prophètes ,  de  ceux  qui  font  des  miracles , 
de  ceux  qui  guérissent  les  maladies,  de  ceux  qui  parlent 
diverses  langues  (3)  ;  ailleurs  il  donne  la  préférence  au 
don  de  prophétie  sur  celui  des  langues  (4)  ;  dans  un 
autre  endroit,  il  annonce  la  fin  des  dons  de  prophétie 
et  des  langues;  mais  il  ajoute  que  la  charité,  qui  leur 
est  supérieure,  leur  survivra  (5). 

Est-il  possible  que  St.  Paul  abusât  ses  disciples  sur 
une  puissance  miraculeuse  qu'il  leur  attribuait  à  eux- 
mêmes?  qu'il  leur  persuadât,  contre  leur  propre  raison, 
contre  leur  propre  expérience ,  contre  leur  propre  sen- 
timent ,  qu'ils  exerçaient  journellement  et  habituelle- 
ment cette  puissance  ?  qu'il  leur  fit  accroire  qu'ils 
faisaient  continuellement  des  choses  au-dessus  de  la 
force  humaine?  qu'il  le  fît  accroire,  non  pas  à  un  seul 
homme,  mais  à  des  églises  entières;  non  pas  même  à 


(i)   Prophetias  nolite  spernere.  (i.   Thessal.  v,  20.) 

(2)  Alii  quidem   per    Spirituin  datur Gratia  sanitatam  in  nno 

Spiiitu  ,  a!ii  operatio  virtutum  ,  alii  prophetia,  alii  discretio  spiritunm 
alii    gênera  linguarnm.    (  i.    Cor.  xi: ,    8,    et   seq.  ) 

(3)  Et  qaidem  qnosdam  posait  Deus  in  Ecclesia,  primnin  aposto- 
los ,  secundo  prophetas,  tertio  doctores ,  deinde  virtales,  exinde 
gratia  cnrationum,  opitulationes ,  gubernationes,  gênera  lingnarnm , 
interrogatio  seimonom.  Nuraquid  oranes  apostoli  ?  Numquid  omnes 
prophetae?  Numquid  omnes  doctores?  Nuraqnid  omnes  virtutes  ? 
Numqaid  omnes  gratiara  habentes  cnrationum?  Numquid  omnes  lin- 
guis  loquunlnr  ?  (/Ziî^f.  ,  28  et  seq.') 

(4)  Volo  omnes  vos  loqui  lingois,  magis  antem  prophetare;  nam 
major  est  qui  prophetat ,  quam  qui  loquitur  linguis.  {Ibid.  xiv ,  i5.) 

(5")  Charitas  numquam  excidit;  sive  propheiiae  evacuabuntar ,  sive 
iingua?  cessabunt,  {Ibid.  xiii,  8.) 


SUR    LA    RELIGION.  343 

une  église,  mais  à  plusieurs?  Ou  ces  fidèles  de  divers 
pays  croyaient  effectivement  avoir  cette  puissance  mi- 
raculeuse dont  leur  parlait  St.  Paul,  ou  ils  ne  le 
croyaient  pas.  S'ils  ne  Tavaient  pas  cru  ,  de  quel  front 
l'apôtre  aurait-il  osé  leur  dire  qu'ils  en  étaient  investis  , 
et  qu'ils  en  faisaient  usage?  Avec  quel  mépris  auraient- 
ils  reç  ses  lettres,  traité  sa  personne,  rejeté  sa  doctrine? 
Mais  si,  comme  il  est  évident,  ils  croyaient  avoir  ces 
dons  surnaturels,  ils  les  avaient  donc?  On  pourrait  se 
tromper  sur  quelques  faits  étrangers;  on  ne  se  trompe 
pas  sur  ce  qu'on  peut  faire  soi-même,  sur  ce  qu'on  fait 
actuellement.  L'incrédulité,  qui,  au  bout  de  dix-liuit 
siècles  ,  s'avise  de  révoquer  en  doute  les  dons  miraculeux 
des  premiers  siècles ,  est  obligée  de  dire  que  tous  les 
chrétiens  de  ce  temps-là  ,  qui  faisaient  profession  d'y 
croire,  étaient,  ou  trompés  par  les  apotrcs  ,  ou  trom- 
peurs avec  eux.  Entre  ces  deux  absurdités  nous  lui 
laissons  le  clioix.  Qu'elle  préi^ende ,  si  elle  le  veut, 
que  St.  Paul  est  venu  à  bout  de  persuader  à  la  multi- 
tude des  fidèles  qu'ils  avaient  un  pouvoir  qu'en  effet  ils 
n'avaient  pas  ,  et  qu'ils  faisaient  des  miracles  que  réel- 
lement ils  ne  faisaient  pas'  :  ou  qu'elle  soutienne,  si 
elle  l'aime  mieux,  que  les  preuiiers  chrétiens,  après 
avoir  été  les  objets  et  les  dupes  de  la  fraude  des  apôtres  , 
en  sont  subitement,  après  leur  baptême  ,  devenus  les 
complices  et  les  instruments  ;  et  qu'au  moment  où  ils 
se  sont  aperçus  qu'ils  avaient  été  indignement  abusés, 
tous  unanimement,  attachés  plus  fortement  parla  même 
à  leurs  imposteurs,  se  sont  associés  à  la  fourberie. 

XïY.  Une  dernière  preuve  de  la  vérité  des  miracles 
des  disciples  de  Jésus-Christ,  dans  les  premiers  temps 
de  l'Eglise,  c'est  qu'attestés  et  produits  en  preuve  de  la 
religion  parles  saints  Pères,  ils  n'ont  pas  été  contestés 
par  leurs  adversaires  ,  qui  avaient  un  si  grand  intérêt  à 
les  nier  ,  et  qui  en  auraient  eu  une  si  grande  facilité , 
s'ils  eussent  pu  les  croire  faux. 

XV.  Je  dis,  en  premier  lieu,  que  les  apologistes  de 
la  religion  attestent  ces  miracles.  Et  ce  n'est  pas  seule- 


^^^  DISSERTATIONS 

ment  de  ceux  qui  ont  été  opérés  par  les  apôtres  ,  par  les 
disciples  de  Jésus-CIaist,  par  les  premiers  chrétiens, 
élevés  de  ceux-là,  que  parlent  nos  saints  docteurs: 
ils  annoncent,  ils  attestent,  ils  proclament  ceux  qui 
se  faisaient  encore  de  leur  temps;  car  les  dons  miracu- 
leux n'ont  pas  été  bornés  au  temps  apostolique;  ils  se 
sont  prolongés  dans  l'Eglise  pendant  plusieurs  siècles. 
Les  saints  Pères  de  ces  siècles  parlent  avec  une  ferjue 
assurance  de  ces  prodiges  qui  s'opéraient  encore  publi- 
quement et  fréquemment  dans  les  églises.  Ils  en  parlent, 
non  pas  une  seule  fois  ,  et  comme  en  passant,  mais 
souvent,  et  comme  d'un  motif  puissant  de  croire  en 
Jésus-Christ.  Ils  ne  cherchent  pas  à  les  prouver;  ils  les 
supposent  comme  des  faits  incontestables  et  non  con- 
testés :  tantôt  invitant  les  païens  à  venir  contempler  ces 
spectacles;  tantôt  déSant  qu'on  leur  présente  un  possédé 
du  démon,  qui  ne  soit  aussitôt  délivré  par  un  chrétien 
quelconque  ;  tantôt  alléguant  à  leurs  adversaires  la 
connaissance  qu'ils  ont  eux-mêmes  de  ces  merveilles. 
Que  l'on  lise  ce  qu'en  disaient  au  second  siècle  saint 
Justm,  St.  Irénée,  Tertulhen;  au  troisième,  Origènes,  St. 
Cyprien,  Minutius-FéUx;  au  quatrième,  Lactance  ,  St. 
Jérôme;  et  jusque  dans  le  cinquième  siècle,  saint  Cy- 
rille d'Alexandrie  (1)  :  on  verra  combien  ils  étaient  cer- 


(r)  Id  profecto  ex  his  qaae  omnium  ocnlis  gerantur  perspicere 
potestis.  Pluribus  eiiim  dœraoniis  agilatis  in  toro  orbe  et  in  arbe  ves- 
fra,  mahi  ex  nostris  christianis ,  cum  par  nomen  Jesu  Christi  sab 
Pontio  Pilato  cracifixi  adjararent ,  ab  aîiis  adjutoribus  ,  incantatori- 
bas,  et  venefîcis  non  sanatos  sanaverunt,  atqoe  etiam  nuiic  sanr.nt 
fraclis  et  ejectis  daemonibus  homines  detinentibus.  {S.  Justin^  Apo- 
log.  2  ,  cap.  VI.  ) 

Adjuforem  enim  et  redemptorem  enm  vocamns,  cnjus  qnidem  vel 
nominis  potentiam  daemonia  ipsa  perhorrescunt;  ac  hodie  per  noraen 
Jesu  Christi,  qui  snb  Pontio  Pilato  Jadaeae  piœside  crucifiius  fuit, 
adjnrata  subjiciuntar.  {Idem ,  Dialog.  cum  Trjphone  ^  cap.  xxx.  ) 

Et  nunc  qui  in  cracifixum  sub  Pontio  Pilato  Jesum  Dominnm 
nostrnm  crediraus,  daîmonia  omnia ,  et  malos  spiritns  adjnrando 
poteslati  nostrœ  subjicimus.  [ihid.^    cap.  lxxvi.  ) 

Apad  nos  etiara  nanc  dona  extant  prophetica  ;  ex  que  et  ipsi  in- 


SUR    L\    RELIGION.  345 

tains  des  miracles  dont  ils  font  mention ,  combien  ils 
craignaient  peu  d'être  démentis.  A  ces  témoignages 
généraux  de  la  persévérance  des  dons  miraculeux  parmi 
les  fidèles ,  dans  les  premiers  siècles ,  je  puis  ajouter 
des  miracles  bien  certains ,  rapportés  et  attestés  par  les 
auteurs  les  plus  graves  :  celui  de  la  légion  thébaine, 
sous  Marc-Aurèle,  dont  font  mention  Tertullien  et 
Eusèbe  j  ceux  de  St.  Grégoire-Thaumaturge  ,  rapportés 


telligere  debelis,  quae  apud  vos  olim  fuere  ,  ea  in  nos  esse  translata. 
{^Ibid.,  cap.   Lxxxir.) 

Tantain  aufera  absunt  ab  eo  ,  nt  raortnnm  excitent,  qnemadmo- 
àx^m  Dominas  excitavit  et  apostoli  per  orationem,  et  in  fraternitate 
saepissiine,  propter  aliquod  necessarinm ,  ea ,  qoae  est  in  unoqnoque 
loco ,  eccleda  aniversa  postulante,  per  jejunium  et  snpplicationem 
muitara,  reversas  est  spirirns  motlui,  et  donatus  est  homo  orationi- 
bas  sanctorum.    (S.  Iren.,  cont.  Hœres.    lib.  ii,  cap.  3i,  n°  2.) 

Qaapropter  et  in  illius  nomine,  qui  veie  iilins  snnt  discipuli  ab 
ipso  accipientes  graliam  perficiant  ad  bénéficia  reliqnorum  homi- 
nnm;  qaeraadmodum  unusquisque  accepit  donum  ab  eo.  Alii  eniin 
dœniones  excludunt  firraissime  et  vere,  ut  eliara  sa'pissirae  credant 
ipsi  qui  emundati  sunt  a  nequissimis  spirilibus,  et  sint  in  ecclesia. 
Alii  autem  et  prsescientiam  babent  futurorum  ,  et  visiunes,  et  dictio- 
nes  propheticas.  Alii  autem  laburantes  aliqua  inlirmitate  per  manus 
impositionem  curant  et  sanos  restituant.  Jara  etiara,  quemadmodam 
diximus,  et  mortni  resurrexerunt ,  et  perseveraverunt  nobiscum  an- 
nis  multis.  Et  quid  autem?  ZS^on  est  numerum  dicere  gratiaium  quas 
per  univcrsum  mnndum  ecclesia  accipiens  in  nomine  Cbristi  Jesu 
crucifixi  snb  Pontio  Pilato  per  singujos  dies  in  opitulationera  gen- 
tiara  perficit.    {Ibid.,  cap.  32  ,  n°  4-) 

Edatur  hic  aliquis  sub  tiibanalibas  vestris,  qucm  Jsemone  agi 
ronstet.  Jussos  a  quolibet  Christiano  loqui  spiritns  ille ,  tam  da?rao- 
nem  se  confîtebitur  de  vero ,  quam  alibi  Deum  de  falso.  jEque  prc- 
ducatur  aliquis  ex  iis  qui  de  Deo  pati  existimantnr,  qui  aiis  inha- 
lantes nurr.en  de  nidore  concipiunt,  qui  ruclando  conanfur  ,  qui 
aiihelando  profantnr,  ista  ipsa  virgo  cœlestis  plnviarura  pollicitafrix, 
iste  ips3  ^sculapius  medicin:>rura  demonstrator,  alias  de  moiituris 
Scordii,  et  Donatii  et  Asclepiodoti  subministrator  ;  nisi  se  dsemones 
confessi  fuerint ,  christiano  meniiri  non  audentes,  ibidem  illius  chris- 
tiani  procacissimi  sanguinem  I"undite.  (  Ttrtidl.^  Jpclog.,  cap.  xxiii.) 

Daemones  autem  non  tanlum  respuimus,  verum  eiiam  revincimus, 
et  quotidie  traducimns,  et  de  hominibus  expellimus  :  sicr.t  pir.rlmis 
notum  est.  ibidem  y  ad  Scapulam,  cap.  n.) 

Qain  et  etiamnnm  apud  christianos  nonnnlla  supersunt  illius  Spiii- 

15* 


346  DISSERTATIONS 

par  St.  Basile,  St.  Grégoire  de  Nysse,  Eusèbe  et  saint 
Jérôme  ;  ceux  de  St.  Antoine ,  de  St.  Hilarion ,  de 
St.  Martin,  que  racontent  St.  Athanase ,  St.  Jérôme, 
Sulpice-Scvère,  et  plusieurs  autres;  ceux  faits  à  Milan 
par  St.  Ambroise  ,  au  tombeau  de  St.  Gervais  et  de  saint 
Protais,  dont  ce  saint  docteur  fait  le  récit,  confirmé 
par  St.  Augustin  ;  ceux  que  St.  Augustin  ,  au  livre  xii , 
de  la  Cité  de  Dieu,  dit  avoir  été  faits  de  son  temps; 
le  célèbre  prodige   arrivé  lorsque  Julien  voulut  inuti- 


tus  sancti  qui  colambae  sperie  apparuit ,  vestigia.  Nam  daemonia  eji- 
cinnt;  morbos  curant,  et,  volente  Verbo ,  fntara  praevident.  {Origen. 
contra  Celsum ,  lib.  i,  n°  46.) 

Et  h.odieque  Jesu  numeii  perturbâtes  animos  componit,  exigit  dae- 
mones,  rnedetur  morbis.  (^Ibid.  n°  67.) 

Signa  aatem  Spiritus  sancti  extiteront  sub  initinra  praedicationis 
Jesa,  plura  post  ejas  assumptionem  ,  postea  paucioia.  Hujas  etiam 
vestigia  etiamnam  snnt  apud  paucos,  quorora  animae  doctrina  chris- 
tiana  agendique  ratione  buic  doctrinae  consentanea,  pargatae  sant. 
{Ibid.  lib.  vin,  n°  8.) 

Neqoe  etiiin  potest  daemoniutn  caecoram  oculos  aperire ,  vel  baec 
signa  facere  qnfe  scripta  sant  ;  qaoram  etiam  vestigia  et  reliqniae  vel 
usque  in  praesens  fiunt  in  ecclesiis  in  nomine  Domini.  (Idem,  in 
Joan.  tom.  xx,  n**  28.) 

O  si  audire  eos  velles  et  videre  qaando  a  nobis  adjurantur,  et  tor- 
quentur  (dii  paganorum)  spiritualibus  flagris  ,  et  verborara  tormentis 
de  obsessis  corporibus  ejicinntnr;  quando  ejulantes  ,  et  gementes , 
voce  homana  et  potestate  divina ,  flagella  et  verbera  sentientes ,  ven- 
tnruoï  jtjdicem  confitentar  !  Veni,  el  cognosce  vera  esse  qnse  dicimas. 
(5.    Cyprian.  epist.  ad  Demetrian.^ 

Hi  taraen  (dii)  adjnrati  per  Deam  veram  a  nobis,  statim  cednnt 
atque  fatentnr,  et  de  obsessis  corporibns  exire  cognnfur.  Videas  illos 
nostra  voce  et  operatione  majestatis  occultée,  flagris  caedi ,  igné  tor- 
leri,  incremento  pœnae  propagantis  extendi ,  ejulare  ,  gea^ere  ,  de- 
precari ,  nnde  veniant  et  qaomodo  discedant,  ipsis  etiam  qui  se  ce- 
lant audientibas  ,  confiteri  ;  et  vel  exiliunt  statim,  vel  evanescunt 
gradatim,  pront  fides  patientis  adjuvat,  aat  gratia  curantis  aspirai. 
{Idem,  de  Idolor.  Vanitate.  ) 

Haec  omnia  sciant  pleriqiie  vestium ,  ipsos  daemones  de  semetipsis 
confiteri,  quolies  a  nobis  et  tormentis  verboram,  et  oralionis  incen- 
diis,  de  corporibus  exigantar.  Ipse  Saturnus,  et  Serapis,  et  Jupiter, 
et  qnidquid  daemonum  colilis,  vicii  dolore  ,  quod  sant  eloqnuntnr. 
^ec  Qîique  in  turpitudinem  sui ,  nonnuUis  praeserlira  vestrum  adsis- 
îentibas,  mentiuntur.   Ipsis  tesi.b;is  esse  eos  daemones  de  se  verum 


SUR    LA    RELIGION.  347 

lement  rebâtir  le  temple  de  Jérusalem,  et  qu'attestent 
uon-seulement  les  auteurs  chrétiens  de  ce  siècle  ,  saint 
Grégoire  de  Nazianze  ,  St.  Ambroise,  St.  Cbrysostôme  , 
et  après  eux  tous  les  historiens  ecclésiastiques,  mais 
encore  Ammien-Marcellin  ,  auteur  païen  contemporain  , 
grand  admirateur  de  Julien,  et  cependant  généralement 
estimé  pour  sa  véracité  et  son  jugement.  Et  je  suis  bien 
loin  de  rapporter  tous  les  prodiges  de  ces  premiers 
siècles,  qui  ont,  ou  pour  témoins  ou  pour  historiens, 
les  écrivains  les  plus  véridiques. 

XYI.  Je  dis,  en  second  heu,  qu'à  ces  assertions 
si  formelles,  qu'à  ces  preuves  si  frappantes,  que  don- 
naient de  la  vérité  du  christianisme  ses  défenseurs,  ses 
ennemis  n'ont  jamais  opposé  la  dénégation  des  faits. 
Nous  avons  déjà  employé  ce  raisonnement  pour  prouver 
la  vérité  des  miracles  de  Jésus-Christ  (1).  Ce  que  nous 
avons  dit  à  cet  égard,  peut,  avec  une  égale  justesse, 
s'apphquer  aux  miracles  des  premiers  chrétiens.  Il  est 
vrai  de  même,  que  s'ils  avaient  été  contestés,  nous  en 
verrions  quelque  trace  ,  et  que  les  apologistes  de  la 
religion  n'auraient  pas  pu  s'abstenir  de  répondre  à  cette 


confidentibas  crédite.  Adjurati  enira  per  Deara  vivam  et  solurn  ,  in- 
vili  raiseris  corporibus  inhaîrescant.  {Minutius  Félix   Octafius ,  cap. 

XXVIII.) 

Audito  nomine  Christi  tremunt  (daemones),  exc'amant,  et  nri  se 
verberariqae  testantar  :  et  interrogati  qui  sint  ,  qaando  venerint, 
quando  in  borainera  irrepserint ,  confîtentur.  Sic  extorti  et  excroca- 
ti,  virtQte  divini  nominis  exulant.  Lactant.^  Divin,  institut..,  lib  V, 
cap.  11.) 

AigQinentalur  ( Vigi'antias)  contra  signa  et  virtutes  qoae  m 
basilicis  raartyram  fiant,  et  dicit  eas  incredniis  prodesse,  non  crc- 
dent.bas.  Qaasi  nnnc  boc  quaeratnr  qaibus  fiant,  et  non  qua  virtnte 
fiant.   {S.  Hieronym.  advers.   Vigilant.) 

Licet  autera  bodieque  videre  sancros  ac  venerabiles  viros  in  viitnte 
Christi  per  Spiritum  sanclam  irapnros  daemonas  increpare,  et  qaos 
illi  deos  ac  servatores  esse  credant,  orationis  viitute  conterere,et  ma- 
nns  contdCta  crnciare  ;  quin  etiam  ea  vi  praeditos  nt  vaiiis  segntndi- 
nibns  oppressos  bberare  valeant.  (5.  Cyril.  Alexand.  contra  Julia- 
num  ,  lib.  vi.  ) 

(i)  Voyez  cbap.  I,  n°  xxx  et  saiv.  page  a 4 3- 


348  DISSERTATIONS 

dénégation.  Il  est  vrai,  de  même,  que  non-stulement 
les  ennemis  du  christianisme,  des  premiers  siècles,  n'ont 
pas  tenté  d'ébranler  la  certitude  des  miracles  qui  s'o- 
péraient alors,  mais  qu'ils  l'ont  confirmée  en  les  attri- 
buant à  la  magie.  Nous  avons  vu  que  Porphyre  disait 
que  c'étaient  des  prestiges  du  démon  (Ij;  que  Juhen 
reconnaissait  qu'après  la  mort  de  leur  maître  les  dis- 
ciples avaient  aussi  fait  des  enchantements,  et  qu'il 
regardait  St.  Paul  comme  le  plus  habile  des  faiseurs  de 
prestiges  (2).  Celse  ,  leur  devancier  ,  avait  de  même 
attribué  le  pouvoir  de  chasser  les  esprits  malins,  qu'exer- 
çaient les  chrétiens ,  à  des  enchantements  et  à  la  pro- 
nonciation du  nom  de  certains  démons.  Origènes  le 
réfute  (3) ,  en  disant  que  c'est  en  proférant  le  nom  de 
Jésus ,  et  en  récitant  les  Evangiles  ,  que  les  chrétiens , 
encore  de  son  temps ,  chassent  les  démons.  Je  le  dirai 
toujours  :  attribuer  à  la  magie  un  fait ,  c'est  convenir 
formellement  de  la  réalité  du  fait.  Il  reste  donc  certain 
que ,  dans  les  premiers  siècles  de  notre  ère ,  les  païens 
reconnaissaient  la  vérité  des  miracles  qui  s'opéraient 
actuellement  parmi  les  chrétiens.  Ils  étaient  témoins  de 
ces  miracles;  du  moins,  ils  pouvaient  l'être;  ils  con- 
naissaient certainement  des  personnes  qui  l'avaient  été. 
Ils  devaient  donc  savoir  positivement  si  ces  prodiges 
étaient  ou  n'étaient  pas  réels.  Il  ne  leur  manquait ,  pour 
combattre  des  miracles  qui  auraient  été  faux,  ni  con- 
naissance, ni  habileté,  ni  intérêt,  ni  désir.  Il  ne  leur  a 
donc  manqué  ,  pour  contester  ceux  là ,  que  la  possibilité. 


(i)   Voyez  chap.  n"  xxxv,  note  i,  page  ^48. 

(2)  Voyez  Ibid.^  notes  suivantes. 

(3)  Postea  CeJsus,  nescio  qua  re  motus,  ail  ;  Quara  christiani 
videntur  liabeie  potestatem  ,  eam  ipsos  habere  ex  qnoruradam  dse- 
monnm  nominibus  et  incantationibus  :  opinor  subindicans  ea  qus 
faciunt  apud  nos  ii  qui  daeraones  incanlant  et  expedunt.  In  quo  mani- 
feste nos  calumniatur.  Neqne  enim  hujusmodi  incantationibus  potes- 
tatem habere  videntur;  sed  pronantiando  noraine  Jesu ,  recitandis- 
que  e/angeliis.  Haec  enim  saepe  ex  hominibus  daemones  extruserant. 
(On'gen,  contra  Celsum^  lib.  I,  n°  6.) 


SUR   LA    RELIGION.  349 

Or,  quand  je  vois,  d'une  part,  les  défenseurs  de  la 
religion  parler  avec  la  confiance  la  plus  ferme  ,  des 
miracles  qui  s'opéraient  au  milieu  d'eux ,  et  les  pré- 
senter comme  une  preuve  certaine,  et  que  je  vois,  de 
l'autre  part,  les  ennemis  de  la  religion  ne  pas  nier  la 
réalité  de  ces  miracles  qui  s'opéraient  si  près  d'eux , 
les  avouer  même  formellement,  en  les  attribuant  à 
la  magie ,  peut-il  me  rester  le  plus  léger  doute  sur  ce 
point  essentiel? 

On  demande  pourquoi  ces  dons  si  admirables ,  si 
précieux,  si  utiles,  ont-ils  cessé  dans  l'Eglise?  C'est  une 
des  difficultés  que  je  me  suis  proposé  de  résoudre  dans 
le  chapitre  suivant^  auquel  je  vais  passer. 

SLSL:LJ>-S.JX.XSLJlJi^XJUXJi.JLSLSLJUi-SLSLSLS^^ 


CHAPITRE  rv. 

OBJECTIONS    CONTRE    LES    MIRACLES    DU    CHRISTIANISME, 

Dans  le  chapitre  où  j'ai  traité  de  la  résurrection,  j'ai 
rapporté  et  discuté  les  objections  qu'on  fait  particulière- 
ment contre  la  réalité  de  ce  grand  miracle.  Ce  sont 
donc  celles  qu'on  élève  contre  les  autres  miracles  de 
Jésus-Christ  et  contre  ceux  de  ses  disciples ,  que  j'ai  en 
ce  moment  à  résoudre. 

I.  Une  des  difficultés  sur  lesquelles  l'incrédulité 
insiste  le  plus,  est  que  les  miracles  de  Jésus-Christ  et 
de  ses  disciples  ne  sont  attestés  que  par  des  auteurs 
chrétiens.  «  Un  peuple  entier,  me  direz -vous,  est 
'i  témoin  de  ce  fait  :  oserez- vous  le  contester?  Oui, 
«  j'oserai ,  tant  qu'il  ne  sera  pas  confirmé  par  quelqu'un 
«  qui  ne  sera  pas  de  votre  parti,  et  que  j'ignorerai  que 
0  ce  quelqu'un  était  incapable  de  fanatisme  et  de 
*  séduction.  »  Ainsi  s'exprime  un  célèbre  déiste,  x  Le 
«  silence  des  auteurs  contemporains,  juifs  ou  païens, 
«  forme  ,  disent  quelques  autres ,  contre  ces  miracles , 


350  DISSERTATIONS 

«  un  argument  qui,  tout  né^^atif  qu'il  est,  a  la  plus 
«  grande  force.  Que  l'on  songe  à  l'éclat  que  devaient 
«  avoir  des  faits  miraculeux  aussi  éclatants  et  aussi 
«  nombreux.  S'ils  avaient  été  réels ,  ces  auteurs  au- 
«  raient-ils  manqué  d'en  parler?  Si  quelqu'un  venait 
«  aujourd'hui  vous  dire  qu'il  y  a  cent  ans  un  homme 
««  parut  en  France ,  faisant  des  miracles  tels  qu'on  en 
«  attribue  à  Jésus- Christ ,  cette  fable  ne  serait- elle  pas 
«  réfutée  d'elle-même  par  le  silence  de  tous  les  écrivains 
«  d'alors  ?  Nous  n'avons,  hors  de  la  religion  chrétienne, 
«  aucun  auteur  du  temps  de  Jésus-Christ  et  de  ses 
M  disciples,  qui  ait  parlé  de  leurs  miracles.  C'est  une 
.«  preuve  certaine  qu'ils  n'ont  pas  été  faits.   » 

II.  Cette  difficulté  consiste  en  deux  points  :  le  pre- 
mier, que  le  témoignage  des  auteurs  chrétiens  n'est 
pas  suffisant  pour  établir  la  vérité  des  miracles  du  chris- 
tianisme ;  le  second ,  que  les  écrivains  qui  n'étaient  pas 
chrétiens  n'en  ont  point  parlé.  Je  nie  formellement  ces 
deux  propositions. 

III.  En  premier  lieu ,  je  crois  avoir  prouvé  que  le 
témoignage  des  disciples  de  Jésus-Christ  sur  ses  mi- 
racles ,  et  que  celui  des  premiers  chrétiens  sur  ceux  qui 
se  faisaient  de  leur  temps ,  réunissent  tout  ce  qui  est 
nécessaire  pour  leur  imprimer  la  certitude,  et  que  ces 
témoins  oculaires  n'ont  été  ni  trompeurs  ni  trompés. 
On  oppose  à  leur  assertion  positive  non  pas  l'assertion 
contraire,  mais  seulement  le  silence  de  leurs  adver- 
saires. Est-ce  là  une  preuve  de  la  fausseté  de  leur 
relation?  Au  contraire,  c'est  une  vérité  qui  saute  aux 
yeux,  que  d'une  part  l'assertion  des  miracles  solennelle- 
ment faite  par  les  chrétiens ,  et  d'autre  part  le  silence 
de  leurs  adversaires  intéressés  à  les  contredire  ,  formen  t 
une  démonstration  complète  de  la  réalité  de  ces  mi- 
racles. Lorsque ,  dans  un  procès  ,  l'une  des  parties 
avance  hautement  un  fait  décisif  dans  la  cause ,  et  que 
l'autre  partie  ne  le  conteste  pas  ,  conclut-on  que  le 
fait  est  faux?  Le  silence  des  ennemis  du  christianisme^ 
loin  d'infirmer  la  foi  des  miracles ,   la  confirme  ;   il  ne 


SUR    LA    RELIGIO:^.  351 

peut  avoir  d'autre  cause  que  l'impuissance  de  les  con- 
tester :  il  montre  que  ces  miracles  sont  non-seulement 
prouvés,  mais  avoués. 

IV.  Cet  argument  que  l'on  tire  du  silence  des  Juifs 
et  des  païens  est  purement  négatif;  les  incrédules  ne 
peuvent  pas  en  disconvenir.  Mais  dans  les  règles  de 
la  logique ,  les  arguments  de  ce  genre  n'ont  de  poids , 
que  lorsqu'ils  ne  sont  pas  combattus  par  des  raisonne- 
ments positifs.  Dès  qu'une  chose  est  positivement  prou- 
vée ,  tout  ce  qu'on  lui  oppose  de  raisons  négatives  est 
sans  force. 

V.  Ju'exemple  que  l'on  apporte  pour  donner  du 
corps  à  cette  objection  est  absolument  étranger  à  la 
question  actuelle.  On  suppose  des  faits  antérieurs  de 
cent  ans,  dont  personne  n'aurait  paulé  jusqu'ici.  Est-ce 
là  le  cas  des  miracles  chrétiens  ?  Pour  former  une 
parité  ,  et  en  tirer  quelqu'induction  ,  il  aurait  fallu 
alléguer  des  faits  attestés  dans  le  temps  par  un  grand 
nombre  de  témoins  oculaires ,  et  écrits  par  plusieurs 
d'entre  eux ,  mais  dont  quelques  auteurs  contemporains 
n'auraient  pas  parlé.  Alors  il  serait  raisonnable  d'exa- 
miner de  quel  poids  sont,  d'une  part,  les  témoignages 
en  faveur  de  ces  faits,  et  de  l'autre  le  silence  qu'on  leur 
oppose;  mais  dans  l'hypothèse  que  l'on  forge  ici,  il 
n'y  a  pas  de  pour  et  contre  à  peser  ,  puisqu'il  n'y  a 
qu'un  silence  universel. 

YI.  Pourquoi  ne  veut-on  pas  croire  les  chrétiens 
sur  les  faits  qui  concernent  leur  religion  ?  Les  événe- 
ments des  histoires  grecque  et  romaine  ne  sont  écrits 
que  par  des  Grecs  et  des  Romains.  S'avise- 1- on  pour 
cela  de  les  révoquer  en  doute  ? 

VII.  On  dit,  pour  affaiblir  la  relation  des  auteurs 
chrétiens,  que  ce  sont  des  écrivains  de  parti.  Mais 
peuvent-ils  n'en  pas  être?  S'ils  n'en  étaient  pas,  quelle 
valeur  aurait  leur  témoignage?  Supposons  les  miracles 
du  christianisme  rapportés  par  des  auteurs  restés  juifs 
ou  païens ,  avec   quelle  véhémence  plus  grande  encore 


352  DISSERTATIONS 

les  incrédules  argumenteraient  contre  leur  narration, 
et  opposeraient  leur  croyance  à  leurs  écrits? 

L'impartialité  est  en  général  une  qualité  précieuse 
dans  un  historien.  Mais  on  ne  considère  pas  qu'en 
matière  de  religion  l'impartialité  est  impossible.  L'é- 
crivain qui  rapporte  les  faits  qui  servent  de  fondement 
à  une  religion,  les  croit  ou  ne  les  croit  pas;  il  les 
présente  comme  vrais  ou  comme  faux ,  selon  son  opi- 
nion ;  et  son  opinion  règle  sa  religion.  Il  est  donc 
nécessairement  dans  un  parti ,  et  il  parle  selon  les  idées 
de  ce  parti.  La  première  qualité  de  tout  historien  , 
supérieure  même  à  l'impartialité,  est  sa  sincérité.  On 
n'ajoute  foi  à  son  récit  que  parce  qu'il  en  est  lui-même 
persuadé.  Or,  il  ne  peut  pas  être  persuadé  de  la  réalité 
et  de  la  divinité  des  miracles ,  sans  l'être  de  la  religion 
qu'ils  prouvent.  Les  écrivains  des  premiers  siècles  étaient 
si  convaincus  des  miracles  qu'ils  annonçaient ,  qu'ils 
versaient  leur  sang  pour  en  attester  la  vérité.  Est-ce  là 
une  partialité  qui  doive  les  rendre  suspects? 

VIII.  Quels  étaient-ils  donc  ces  écrivains  dont  on 
récuse  le  témoignage  sur  les  miracles ,  sous  le  prétexte 
qu'ils  étaient  d'un  parti?  C'étaient  des  Juifs  ou  des 
païens ,  convertis  à  la  foi  par  la  certitude  qu'ils  avaient 
de  ces  miracles.  Outre  les  apôtres  et  les  évangélistes, 
nous  pouvons  nommer  St.  Clément ,  St.  Ignace ,  saint 
Polycarpe,  St.  Justin,  Tatien ,  Théophile,  St.  Irénée, 
Athénagore  ,  Tertullien  ,  IViinutius  -  Félix  ,  Arnobe. 
Nous  ne  naissons  pas  chrétiens  ,  disait  Tertullien  ,  nous 
le  devenons  (1).  Joignons  à  ces  auteurs  Quadratus  , 
d'abord  philosophe  athénien  ,  ensuite  cpnverti  à  la  foi , 
et ,  à  ce  que  Ton  croit ,  évêque  d'Athènes.  Il  présenta  à 
l'empereur  Adrien,  vers  l'an  126  de  notre  ère,  une 
apologie  du  christianisme ,  qui  est  maintenant  perdue , 
mais  dont  Eusèbe  nous  a  conservé  un  fragment  bien 


(i)   HcEc  et  nos  risimus  aliqaando.  De  vestris  fuimus.   Fiunt,  non 
nascantur  christiani.  [Tert.  Jpol.  ,  cap.  i8.) 


SUR    LA    RELIGION.  353 

pvécieux  ,  par  le  témoignage  qu'il  rend  aux  miracles  de 
Jésus-Christ.  li  y  atteste,  en  propres  termes,  que  plu- 
sieurs des  malades  guéris  ou  des  morts  ressuscites  par 
le  Sauveur  sont  parvenus  jusqu'à  son  temps  (1).  Je 
demande  à  tout  homme  raisonnable  :  le  témoignage 
de  ces  auteurs ,  qui  tous  rapportent  ou  supposent  les 
miracles ,  est-il  affaibli  parce  qu'ils  ont  été  convertis 
par  les  miracles  ?  Serait-il  plus  convaincant ,  si  les 
écrivains  qui  le  rendent  étaient  restés  dans  leur  re- 
ligion? 

On  leur  reproche  la  partialité  ,  parce  qu'ils  sont,  dit-on, 
du  parti  du  christianisme  :  mais  ils  avaient  été  auparavant 
du  parti  contraire  ;  ils  y  étaient  restés  jusqu'à  ce  que  les 
faits  évangéliquesleur  fussent  démontrés.  Touslespréju- 
gés  de  naissance  ,  d'éducation  ,  de  société,  de  religion  , 
toutes  les  passions,  tous  les  intérêts  s'opposaient  à  ce  qu'ils 
en  changeassent.  Les  apôtres  étaient,  comme  tous  leurs 
compatriotes,  très-attachés  aux  rits  mosaïques.  Leurs  pro- 
sélytes ,  soit  païens  ,  soit  Juifs  étaient  de  même  imbus  des 
principes  de  leurs  religions.  Ils  n'ont  pu  embrasser  une  re- 
ligion différente,  et  surtout  une  religion  qui  exigeait  de 
très-grands  sacrifices,  qu'après  un  examen  sérieux  des 
faits  (2). Ils  ne  se  sont  cer  tainement  pas  portés  à  cet  examen 


(t)  Hoic  (Adiiano)  Quadratus  obtnlit  orationem,  pro  defensione 
religionis  nostrae  idcirco  conscripserat ,  quod  quidam  malevoli  homi- 
nes  vexare  nostios  atque  incessere  conabantar.  Extat  hodieque  apud 
plerosqae  ex  fralribus  haec  oratio,  qnara  nos  etiara  habemcs,  ex  qaa 
ingeniam  hajus  viri,  et  rectara  apostolicse  fidei  doctiinaiu,  perspicne 
iicet  cognoscere.  "Porro  idem  sciiptor  suam  ipsius  antiqnitatera  satia 
déclarât  bis  verbis  :  «  Servatoris  ,  inqait ,  nostri  opéra  seniper  cons- 
«  picaa  erant,  qoi])pe  qu?e  vera  essent ,  iis  scilicet  qui  morbis  libe- 
"  rati,  aat  qui  ex  morte  ad  vitara  revocati  fuerant.  Qui  quidem  non 
«  solum  dam  sanabantar,  aut  dam  ad  vitam  revocabantur ,  cons- 
■  pecti  sunt  ab  omnibas ,  sed  secuto  deinceps  tempore.  Nec  solnra 
«  quamdiu  in  terris  moratus  est  Salvator  noster,  vernm  etiara  post 
«  ejas  discessam  diu  superstites  faerant,  adeo  ut  nonnalli  eorura , 
•  etiam  ad  nostra  nsque  tempora  pervenerint.  »  {^Euseb.^  Hist.  Ec- 
cles.  lib.  IV,  cap.  3.  ) 

(a)  Ex  bis  fiant  christiani  utiqae  de  compertOj  et  incipiant  odisse. 


â54  DISSERTATIONS 

avec  une  prévention  favorable;  mais  pour  y  procéder  uti- 
lement, ils  ont  du  commencer  par  se  revêtir  de  l'impar- 
tialité convenable.  Ils  ont  donc  eu  véritablement  cette 
impartialité.  Ils  l'ont  eue,  quand  elle  était  possible;  ils  ne 
l'ont  plus  eue  ,  quand  elle  est  devenue  impraticable.  Ils 
l'ont  eue,  pour  s'instruire;  ils  n'ont  ni  dû,  ni  pu  l'a- 
voir ,  quand  ils  ont  été  instruits  lis  l'ont  eue  en  vérifiant 
les  faits  :  qu'importe  qu'ils  ne  l'aient  pas  eue,  quand  ils 
les  ont  écrits  ? 

Elle  n'est  donc  pas  vraie ,  la  première  proposition  sur 
laquelle  porte  la  difficulté  proposée ,  savoir ,  que  le  té- 
moignage des  auteurs  chrétiens  ,  par  cela  seul  qu'ils  sont 
chrétiens ,  est  insuffisant  pour  prouver  les  miracles.  Je 
pourrais  m'en  tenir  là  ,  et  l'objection  serait  entièrement 
résolue  ;  mais  allons  plus  loin  ,  et  examinons  la  seconde 
proposition  _,  et  le  fait  qui  y  est  énoncé. 

IX.  Je  dis  donc,  en  second  lieu,  qu'il  n'est  pas  vrai 
que  les  écrivains,  ennemis  du  christianisme,  se  soient 
tus  sur  ses  miracles.  J'ai  prouvé  que  les  plus  ardents  de 
ces  ennemis  ,  les  thalmudistes  ,  Celse  ,  Porphyre  ,  Julien  , 
en  avaient  parlé  ,  et  les  avaient  attribués  à  la  magie.  J'ai 
prouvé  que  cette  assertion  de  leur  part  1°  était  un  aveu 
formel,  fait  par  eux,  de  la  réalité  de  nos  miracles;  2° 
supposait  et  représentait  les  aveux  de  tous  leurs  devan- 
ciers dans  l'opposition  au  christianisme  (1).  Cette  asser- 
tion ,  que  les  miracles  étaient  les  œuvres  du  démon  , 
donne  une  grande  force  à  la  preuve  qui  résulte  des  aveux 
de  ces  écrivains.  Si  en  avouant  les  œuvres  miraculeuses 
de  Jésus-Christ  et  de  ses  disciples  ,  ils  les  avaient  attri- 
buées à  une  vertu  divine  ,  ils  auraient  cessé  d'être  Juifs 
ou  païens  ;  et  les  incrédules  nous  diraient  qu'en  qualité 
de  chrétiens  ils  leur  sont  suspects.  31ais  quand  ils  impu-. 
tent  ces  miracles  à  une  puissance  diabolique  ,  il  est  évi- 
dent que  leur  aveu  est  fait  non-seulement  saBS  préven- 


qnod  faerant,  et  profiteri  qaod  oderant.  (  Tertull.  ,  Apolog. ,  cap.  i.  ) 
(i)  Vovez  chap.  i,  n°  xxxiii  et  saiv.  page  24  5. 


SUR    LA    RELIGION.  355 

tion    favorable ,   mais  avec    une  prévention   contraire. 

jNous  le  dirons  donc  avec  vérité  au  déiste  dont  on  nous 
objecte  le  passage  :  \ous  convenez  que  vous  croirez  aux 
miracles  quand  ils  seront  confirmés  par  quelqu'un  qui 
ne  sera  pas  de  notre  parti ,  et  que  vous  saurez  que  ce 
quelqu'un  était  incapable  de  fanatisme  et  de  séduction. 
Accuserez-vous  les  auteurs  qui  ont  écrit  contre  le  chris- 
tianisme d'être  du  parti  du  christianisme?  direz-vous  qu'ils 
étaient  animés  d'un  esprit  de  fanatisme  pour  le  christia- 
nisuîe  ?  les  soupçonnerez-vous  d'avoir  été  séduits  par  les 
partisans  du  christianisme  ?  Vous  ne  pouvez  pas  refuser 
d'ajouter  foi  à  des  témoins  dont  vous  avez  reconnu  l'ir- 
réfragable autorité.  Vous  avez  prononcé  votre  condam- 
nation :  vous  devez  à  la  bonne  foi  d'y  souscrire. 

X.  Outre  le  silence  des  anciens  auteurs,  on  nous  ob- 
jecte en  particulier  celui  de  l'historien  Josèphe.  «  Cet  au- 
«  teur  est  du  plus  grand  poids  :  il  était  presque  contem- 
o  porain  de  Jésus-Christ ,  parce  qu'il  était  né  l'an  37  de 
a  notre  ère  ,  et  qu'il  a  vécu  jusqu'au  règne  de  Domitien; 
«  il  était  de  race  sacerdotale,  et  descendait  par  sa  mère 
«  des  Asmonéens;  il  jouit  de  la  réputation  la  mieux  méri- 
«  tée  d'érudition  et  de  sincérité.  Le  temps  de  la  vie  de  Jé- 
■  sus-Christ  fait  partie  de  son  Histoire  des  Antiquités  Ju- 
«  daiques.  Il  rapporte  très  en  détail  tous  les  événements 
a  arrivés  alors  dans  sa  nation  ;  il  parle  spécialement  de 
«  plusieurs  faux  messies,  qui  se  sont  élevés  vers  cette 
«  époque.  Si  les  miracles  de  Jésus-Christ  eussent  été 
«  réels  ;  s'il  eussent  eu  la  pubhcité  qu'on  leur  attribue  , 
<«  un  historien  aussi  exact  aurait-il  manqué  d'en  parler  ? 
«  Quelle  raison  aurait  pu  l'engager  à  laisser  une  telle 
«  lacune  dans  son  histoire?  Dès  qu'il  n'en  a  pas  parlé ,  il 
•<  est  clair  que  ces  miracles  n'étaient  pas  crus  dans  leur 
«  temps.  Les  chrétiens  ont  bien  senti  le  tort  que  fai- 
•  sait  à  leurs  parti  le  silence  d'un  auteur  aussi  ins- 
«  truit,  aussi  véridique ,  aussi  attaché  à  rapporter 
«  tous  les  faits  de  quelque  importance ,  favorables  ou 
«  contraires  à  sa  nation. En  conséquence,  ils  ont  fabriqué 
«   un  passage  de  cet  auteur  ,  et  l'ont  inséré  dans  son  ou- 


356  DISSERTATIONS 

«  vrage.  Mais  la  fraude  est  si  maladroitement  tissue , 
<t  qu'elle  se  manifeste  d'elle-même.  Le  texte  interpolé 
<«  parle  si  magnifiquement  de  Jésus-Christ  et  de  sa  ré— 
«  surrection ,  que  ,  s'il  était  réel ,  il  serait  impossible 
«  que  Josèphe  fût  resté  Juif.  D'ailleurs  les  Pères  des 
«  trois  premiers  siècles  de  l'Eglise  n'eu  font  point  men- 
«  tion  ,  et  il  ne  se  trouve  point  dans  les  plus  anciens  ma- 
«  nuscrits.  On  a  bien  voulu  prétendre  que  les  Juifs 
«  avaient  supprimé  ce  passage  dans  les  anciens  exem- 
«  plaires  ;  mais  auraient-ils  pu  commettre  cette  fraude  , 
«  sans  qu'elle  fût  connue  des  chrétiens  ?  D'ailleurs  on 
«  connaît  la  maxime  :  Celui-là  a  commis  le  crime ^  à  qui 
M  il  est  utile.  D'après  ces  raisons  péremptoires  ,  tous  les 
«  vrais  savants  s'accordent  à  rejeter  ce  passage  comme 
«  une  de  ces  pieuses  supercheries  que  les  chrétiens  se 
«  sont  si  souvent  permises.   » 

XI.  Voici  le  passage  de  Josèphe  ,  qui  fait  difficulté. 
«  En  ce  temps-là  était  Jésus  ,  qui  était  un  homme  sage , 
«  si  toutefois  on  doit  le  considérer  simplement  comme 
<»  un  homme ,  tant  ses  œuvres  étaient  admirables.  Il  en- 
«  seignait  ceux  qui  prenaient  plaisir  à  être  instruits  de 
«  la  vérité ,  et  il  fut  suivi  non-seulement  de  plusieurs 
«  Juifs  ,  mais  de  plusieurs  gentils.  C'était  le  Christ.  Des 
«  principaux  de  notre  nation  l'ayant  accusé  devant  Pi- 
«  late ,  il  le  fit  crucifier.  Ceux  qui  l'avaient  aimé  pen- 
«  dant  sa  vie  ne  l'abondonnèrent  pas  après  sa  mort  :  il 
«  leur  apparut  vivant  et  ressuscité  le  troisième  jour  , 
«  comme  les  saints  prophètes  l'avaient  prédit ,  et  qu'il 
a  ferait  plusieurs  autres  miracles.  C'est  de  lui  que  les 
«  chrétiens  que  nous  voyons  encore  aujourd'hui ,  ont 
tf   tiré  leur  nom  (1).   » 

Deux  questions  s'élèvent  relativement  à  ce  passage  :  1*^ 
Est-il  vrai ,  comme  le  prétendent  les  incrédules  ,  qu'il 
ne  soit  pas  réellement  de  Josèphe ,  et  qu'il  ait  été  inséré 


(i)  Josèphe,  Antiqaitéa  Judaïques,  liv.  xvitr,  ch.  4.  Tradaction 
d'Arnand  d'Andilly. 


SUR    LA    RELIGION.  357 

après  coup  clans  son  livre  ;  2°  en  suppposant  qu'il  soit 
faux  ,  et  que  Josèphe  ait  gardé  le  silence  sur  Jésus-Christ 
et  sur  ses  miracles  ,  qu'en  résulte-t-il  relativement  à  ces 
miracles  ? 

Nous  n'avons  pas  grand  intérêt  à  agiter  la  première 
question  :  ce  n'est  pas  sur  le  témoignage  de  cet  historien 
que  nous  établissons  la  preuve  des  miracles.  Il  n'est  ce- 
pendant pas  inutile  d'en  dire  quelques  mots,  pour  faire 
voir  le  peu  de  confiance  que  l'on  doit  prendre  dans  les 
assertions  faites  avec  le  plus  de  hauteur  et  du  ton  le  plus 
triinchant  par  les  incrédules. 

XII.  J'observerai  d'abord  que  si  c'est  là  une  interpo- 
lation ,  elle  est  faite  tout  à  la  fois  avec  bien  de  l'adresse 
et  bien  de  la  maladresse.  Il  y  a  eu  de  l'adresse  à  imiter 
si  parfaitement  le  style  de  l'historien  ,  et  à  placer  le  pas- 
sage d'une  manière  si  naturelle  ,  qu'il  semble  une  suite 
de  l'histoire,  et  que  l'insertion  ne  paraisse  pas.  3Iais , 
d'un  autre  côté  ,  le  faussaire  a  été  bien  maladroit  de  fai- 
re parler  Josèphe  d'une  manière  aussi  forte  de  Jésus- 
Christ  et  de  ses  miracles.  Il  lui  eût  été  bien  facile  d'a- 
doucir les  traits,  de  donner,  à  Josèphe  seulement,  des 
doutes  sur  les  miracles,  ou  de  les  lui  faire  rejeter,  soit  sur 
des  causes  naturelles,  soit,  comme  les  autres,  sur  la 
magie.  On  n'aurait  pas  alors  donné  prise  à  l'objection 
des  critiques  ,  qu'un  homme  restant  juif  ne  devait  pas 
parler  ainsi. 

Tous  les  vrais  savants  ,  disent  les  déistes  ,  conviennent 
que  le  texte  dont  il  s'agit  est  interpolé.  Ces  messieurs  ne 
reconnaissent  de  vrais  savants  que  ceux  qui  pensent 
conformément  à  leurs  idées.  Dès  qu'un  fait  favorable 
à  la  rehgion  est  douteux  et  forme  une  dispute,  ils 
prononcent  hardiment  qu'il  est  décidé  en  leur  faveur 
par  tous  les  vrais  savants.  Le  fait  est  que  ,  jusqu'au  sei- 
zième siècle  ,  le  texte  en  question  a  été  universellement 
regardé  comme  authentique  ;  qu'il  a  été  cité  comme  tel 
par  beaucoup  d'auteurs  ,  et  qu'on  ne  voit  pas  dans  tout 
ce  long  intervalle  une  seule  U'ace  de  contradiction.   Osi- 


358  DISSERTATIONS 

ander,  l'un  des  disciples  de  Luther,  est  le  premier  qui 
se  soit  élevé  contre  l'opinion  générale  :  et  il  est  vrai  qu'il 
a  été  suivi  par  plusieurs  auteurs  de  l'une  et  de  l'autre 
communion.  IMais  un  très-grand  nombre  d'autres  ,  très- 
distingués,  se  sont  déclarés  pour  l'authenticité  de  ce  pas- 
sage. Je  demande  avec  confiance  si  on  ne  doit  pas  placer 
parmi  les  vrais  savants  Pic  de  la  Mirandole  ,  les  centu— 
riateurs  de  Magdebourg ,  Galatin  ,  Sixte  de  Sienne  ,  .Ba- 
ronius  ,  Pagi ,  Tillemont ,  Sponde  ,  Possevin  ,  Vossius  , 
Coccejus,  Bellarmin ,  Spencer,  Valois,  de  Roye,  Span- 
heim  ,  Noël ,  Alexandre ,  Huet ,  Parker ,  Pearson  ,  Hout- 
teville.  Charles  d'Aubuz,  dans  la  dissertation  qu'il  a  faite 
sur  ce  sujet,  et  qu'Havercamp  fait  réimprimer  à  la  suite 
de  la  traduction  de  Josèphe  ,  cite  encore  plusieurs  autres 
auteurs  ,  et  déclare  qu'il  est  bien  loin  de  les  nommer 
tous.  Si  on  veut  décider  cette  question  par  le  nombre  et 
par  le  poids  des  autorités,  je  crois  qu'elle  le  sera  sans 
difficulté  en  faveur  de  l'authenticité  du  passage. 

Mais  dans  ce  débat  entre  les  auteurs  modernes ,  nous 
avons ,  pour  nous  décider,  les  anciens  ,  dont  le  suffrage 
est  bien  d'un  autre  poids.  Eusèbe  était  certainement  un 
homme  fort  savant,  et  tous  ses  ouvrages  en  font  foi. 
Il  copie  en  entier  le  passage  de  Josèphe  sur  Jésus-Christ, 
tel  que  nous  l'avons  rapporté  (1).  On  ne  révoquera 
sûrement  pas  en  doute  la  profonde  érudition  de  saint 
Jérôme,  surtout  dans  ce  qui  concerne  les  antiquités 
judaïques  dont  il  avait  fait  une  étude  particulièire  ; 
il  transcrit  pareillement  le  même  texte ,  et  dans  les 
mêmes  ^rmes  (2).  St.  Isidoie  de  Péluse  le  rapporte 
pareillement  (3). 

Il  y  a  d'anciens  manuscrits  où  ce  passage  ne  se  trouve 
point;  mais  il  y  en  a  d'autres  tout  aussi  anciens  et 
en  aussi  grand  nombre,  où  on  le  lit;  on  dit  même  qu'il 
en  existe  un  d'une  très-haute  antiquité  dans  la  biblio- 


(i)    Eustb.^  H'ist.  Ecçles.^  lib.  i,  cnp.  i. 

(2)  HieroriYin.  catalog.  script,  eccl.  in  Jostphurn. 

(3)  Isidorus  Pelusioca.  Epist.  lib.  tv ,  Epist.  225,  Eudumoni 


SUR    LA    RELIGION.  359 

thèque  du  Vatican,  ou  le  texte  se  trouve,  mais  raturé. 
Il  y  avait  sûrement  été  copié  avant  d'être  effacé.  Il  est 
possible  que  les  chrétiens  l'aient  inséré  dans  quelques 
exemplaires  :  mais  il  est  tout  aussi  possible  que  les 
ennemis  du  christianisjne  l'aient  supprimé  dans  les 
autres.  L'intérêt  des  juifs,  quoiqu'on  en  dise,  était 
aussi  grand  pour  la  suppression  ,  que  celui  des  chrétiens 
pour  l'interpolation  ;  et  si  on  veut  que  les  juifs  n'aient 
pas  pu  retrancher  le  passage  à  l'insu  des  chrétiens,  on 
doit  convenir  qu'il  était  tout  aussi  impossible  aux  chré- 
tiens de  le  glisser  dans  l'ouvrage,  sans  que  les  juifs  et 
les  païens  ne  s'en  aperçussent. 

^lais  les  autorités  que  j'ai  citées  donnent  une  giande 
probabilité  à  l'opinion  que  le   texte  est  véritablement 
de  Josèphe.  Eusèbe   était  né    environ   deux  cents  ans 
après  le   temps  où  écrivait  l'historien  juif.  Je  ne  crois 
pas  que  l'on  connaisse  de  manuscrits  du  livre  dont  il 
s'agit,   antérieurs   à    cette    époque.    Ceux   que    copiait 
Eusèbe  ont  donc  sur  tous  ceux  qu'on  peut  leur  opposer 
deux  avantages  ;  l'ancienneté  et  l'autorité  que  donne  le 
suffrage  d'écrivains  aussi  éclairés  qu'Eusèbe,  St.  Jérôme 
et  St.   Isidore.   En    admettant    l'interpolation,   il   faut 
supposer  qu'elle  a  été  faite  avant  Eusèbe ,   et  que  ni 
Eusèbe,  ni   les  deux  autres  saints   Pères  n'en  ont  eu 
connaissance.    Si   la  supposition  du  passage  avait  été 
faite  avant  le  temps    de  ces   auteurs,  il  y  aurait  eu, 
comme  il  y  a  à  présent,  deux  sortes  de  manuscrits;  les 
uns,    dans   lesquels  se    serait   trouvé    le   passage;    les 
autres,  dans  lesquels  on  ne  l'aurait  pas  lu.  Si  cela  eût 
été,  peut-on  croire  que  des  auteurs  aussi  érudits  l'eus- 
sent ignoré?  Il  y  aurait   eu  dans  ce  cas  des  disputes, 
au  moin  de  l'incertitude;  et  ces  auteurs  si  graves ,  si 
voisins  du  temps  où  se  serait  faite  l'interpolation ,   se 
seraient-ils   permis    de  rapporter    avec    une   confiance 
entière ,  et  sans  l'air  du   moindre   doute ,  un  passage 
falsifié  I  On  croyait,  au  temps  d'Eusèbe  et  de  St.  Jérôme, 
que  ce  passage  était  véritablement  de  Josèphe  ,  et  c'est 
au  moins  une  très-forte  présomption  qu'il  en  est  véri- 


360  DISSERTATIONS 

tablement.  L'argument  que  l'on  tire  de  ce  qu'il  n'a  pas 
été  cité  par  les  pères  antérieurs  à  Eusèbe  ,  est  purement 
négatif,  et  ne  peut  pas  inûrmer  des  autorités  positives 
aussi  graves.  Quand  a-t-on  prétendu  qu'un  passage  n'est 
pas  véritablement  dans  un  ouvrage ,  et  que  c'est  une 
interpolation ,  parce  qu'il  n'a  pas  été  cité  dans  les  temps 
immédiatement  postérieurs  à  la  publication  de  l'ou- 
vrage? 

On  rejette  le  passage  sur  le  fondement  qu'un  homme 
qui  s'exprime  ainsi  se  serait  fait  chrétien.  Observons 
sur  ce  raisonnement  les  contradictions  de  nos  adver- 
saires. Nous  les  avons  vus,  il  n'y  a  qu'un  moment, 
rejeter  comme  suspect  le  témoignage  de  ceux  qui  se 
sont  faits  chrétiens  ;  ici  ils  rejettent  comme  nul  celui  de 
Josèphe,  parce  qu'il  est  resté  juif. 

Pour  répondre  directement  à  cette  difficulté,  j'em- 
prunterai les  expressions  d'un  auteur  que  j'ai  déjà  cité, 
a  Ce  raisonnement  est  spécieux ,  mais  je  ne  le  crois 
«  pas  décisif .  Qui  sait  si,  en  raisonnant  de  cette  ma- 
«  nière,  on  ne  soutiendra  pas,  quelque  jour,  que  ce 
«  morceau  de  V Emile,  où  le  caractère  de  Jésus-Christ 
«  est  peint  avec  tant  d'éloquence  et  de  vérité  ,  n'est  pas 
u  sorti  de  la  plume  de  Rousseau?  L'inconséquence  de 
«  Josèphe  n'est  pas  plus  frappante  que  celle  du  philo- 
«  sophe  de  Genève.  L'opposition  qui  se  trouve  entre  le 
«  passage  cité  de  l'historien  juif  disparaîtrait  peut-être, 
u  si  nous  avions  une  connaissance  exacte  de  ses  prin- 
«  cipes  sur  la  religion.  On  sait  qu'il  rapportait  à  \espa- 
u  sien  ce  que  les  prophètes  avaient  prédit  du  Messie. 
«  Puisqu'il  savait  concilier  une  idée  si  profane  avec  la 
c<  profession  extérieure  du  judaïsme,  il  pouvait  bien 
«  aussi  croire  aux  miracles  de  Jésus-Christ  et  même  à 
a  sa  résurrection ,  sans  se  donner  la  peine  d'en  appro^ 
a  fondir  les  conséquences ,  ou  sans  avoir  le  courage  de 
«  se  déclarer  pour  une  religion  persécutée.  Avec  moins 
«  de  mauvaise  foi  que  la  plupart  des  pharisiens  et  des 
«  prêtres  ses  collègues ,  Josèphe  était  un  de  ces  poli- 
«  tiques  dont  il  est  dit  dans    l'Evangile  qu'ils  aiment 


SUR    LA    RELIGION.  361 

«  mieux  la  gloire  des  hommes  que  la  gloire  de  Dieu  (1).» 
D'après  cela,  je  conclus,  et  cette  conséquence  est 
certainement  très- modérée,  que  le  texte  critiqué  de 
Josèphe  est  au  moins  aussi  probablement  authentique 
qu'apocryphe  ;  et  s'il  est  authentique  ,  c'est  un  des 
plus  forts  témoignages  qui  puissent  exister  en  faveur 
des  miracles  de  Jésus-Christ.  3Iais  je  ne  veux  pas  in- 
sister sur  ce  point ,  et ,  supposant  que  ce  passage  n'est 
pas  réellement  de  Josèphe,  je  vais  raisonner  comme  si 
cet  auteur  avait  réellement  gardé  un  silence  absolu  sur 
les  miracles  de  Jésus-Christ ,  et  examiner  ce  qui  résulte 
de  ce  silence. 

XIII.  Pour  en  connaître  la  conséquence,  examinons- 
en  la  cause.  Je  ne  vois  que  trois  raisons  qui  aient  pu 
.produire  ce  silence ,  et  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  en 
imaginer  une  quatrième  ;  l'ignorance  ,  le  mépris ,  la 
politique.  Il  faut  dire  que  Josèphe  n'a  pas  parlé  de 
Jésus-Christ  et  de  ses  miracles  ,  ou  ])arce  qu'il  n'en  avait 
pas  connaissance,  ou  parce  qu'il  les  méprisait,  ou  enfin 
parce  qu'il  avait  quelqu'intcrêt  particulier  qui  l'en 
empêchait. 

Je  dis  d'abord  que  ce  n'a  pas  été  le  défaut  de  connais- 
sance qui  a  causé  le  silence  de  Josèphe  sur  les  miracles 
du  Sauveur.  Il  était  impossible  qu'un  historien  aussi 
instruit  que  l'était  Josèphe  de  ce  qui  concernait  sa 
nation,  et  surtout  des  événements  si  voisins  de  lui, 
qu'un  historien  qui  rapporte  dans  un  aussi  grand  détail 
tout  ce  qui  s'est  passé  pendant  le  temps  de  la  vie  de 
Jésus-Christ,  qu'un  historien  qui  fait  mention  de  tous 
les  faux  prophètes  qui  se  sont  élevés  à  cette  époque  ,  et 
qui  n'ont  laissé  après  eux  aucune  suite;  il  était,  dis-je, 
impossible  que  cet  historien  ignorât  l'existence  et  les 
faits  principaux  de  la  vie  d'un  homme  qui  avait  fait  si 
récemment  tant  de  bruit  parmi  son  peuple  ,  qui  s'était 


(t)  Démonstration  Evangélnjoe,  par  M.  Daroisin  ,  cinquième  édi- 
tion, page  3o8. 

Ditsert.  sur  la  Relig.  16 


362  DISSERTATIONS 

donné  hautement  pour  le  Messie,  et  qu'un  parti  déjà 
nombreux  présentait  comme  tel  à  la  Judée  et  à  tout 
le  monde.  Mais  nous  ne  sommes  pas  réduits  sur  ce 
point  à  de  simples  conjectures.  Nous  avons  la  preuve 
que  Josèphe  connaissait  Jésus-Christ  par  deux  passages 
de  cet  auteur  dont  l'authenticité  toujours  reconnue  n'est 
pas  révoquée  en  doute  par  les  incrédules  eux-mêmes. 
Le  premier  est  relatif  à  Tcmprisonnement  de  St.  Jean- 
Baptiste ,  dont  il  loue  la  haute  piété,  la  saine  morale, 
et  de  qui  il  rapporte  la  vénération  qu'il  avait  inspirée  à 
tout  le  peuple  (1).  Est-il  possible  qu'il  ait  connu  saint 
Jean-Baptiste,  et  qu'il  n'ait  pas  connu  Jésus-Christ; 
St.  Jean-Baptiste,  qui  n'a  vécu  que  pour  Jésus-Christ; 
St.  Jean  -  Baptiste ,  qui  déclarait  publiquement  qu'il 
n  était  que  le  précurseur  de  Jésus -Christ;  St.  Jean- 
Baptiste,  qui  n'a  cessé  de  prêcher  Jésus- Christ ,  de 
l'exalter ,  de  se  ravaler  lui-même  au-dessous  de  lui  ; 
St.  Jean-Baptiste  enfin ,  dont  on  ne  rapportait  aucun 
miracle ,  tandis  que  de  Jésus-Christ  on  en  rapportait  de 
très-nombreux  et  de  très-éclatants?  Le  second  passage 
est  encore  plus  frappant  :  il  y  parle  de  la  mort  de  St. 
Jacques  le  mineur,  fils  de  Marie,  sœur  de  la  Sainte- 
Vierge  ,  et  par  conséquent  cousin  germain  ,  ou ,  selon 


(i)  Plusieurs  juifs  ont  cru  que  cette  défaite  de  l'armée  d'Hérode 
était  une  punition  de  Dieu,  à  cause  de  la  luort  de  Jean  sninomraé 
Baptiste.  C'était  on  homme  de  grande  piété  ,  qui  exhortait  les  juifs  à 
embrasser  la  vertu,  à  exercer  la  justice,  et  à  recevoir  le  baptême, 
après  s'être  rendus  agréables  à  Dieu,  en  ne  se  contentant  pas  de  ne 
point  commettre  quelques  pé-hés,  mais  en  joignant  la  pureté  du 
corps  à  celle  de  l'âme.  Ainsi ,  comme  une  grande  quantité  de  peuple 
le  suivait  pour  écouler  sa  doctrine,  Hérode  craignant  que  le  pouvoir 
qu'il  avait  sur  eux  n'excitât  quelque  sédition ,  parce  qu'ils  seraient 
toujours  prêts  à  entreprendre  tout  ce  qu'il  leur  commanderait ,  il 
rrnt  devoir  prévenir  ce  mal  pour  n'avoir  pas  sujet  de  se  repentir 
d'avoir  attendu  trop  tard  à  y  remédier.  Pour  cette  raison,  il  l'envoya 
prisonnier  dans  la  citadelle  de  Mâchera,  dont  nous  venons  de  parler  ; 
et  les  juifs  attribuèrent  la  défaite  de  son  aimée  à  un  juste  châtiment 
de  Dieu,  d'une  action  si  injuste.  {Joseph.^  Antiquit.  Judaïq.  ^  liv. 
xviu  ,  chap.  7.) 


SDR    LA    RELIGION.  363 

le  langage  des  Juifs,  frère  de  Jt'sus-Christ.  Parlant  de 
cet  apôtre,  pouvait -il  ignorer  qu'il  était  évéque  de 
Jérusalem  et  chef  de  tous  les  chrétiens  de  la  Judée  ? 
Rapportant  son  martyre,  pouvait-il  ne  pas  savoir  que 
c'était  à  ce  titre  et  pour  cette  raison  qu'il  l'avait  subi> 
Mais  voici  qui  est  plus  décisif  encore.  Il  dit,  en 
propres  ternies,  que  Jacques  était  frère  de  Jésus  nommé 
Christ  (1).  Il  est  donc  évident  qu'il  connaissait  Jésus 
nommé  Christ. 

Il  serait  aussi  déraisonnable  de  dire  que  c'est  par 
inépris  pour  Jésus-Christ  et  pour  ses  miracles  que  Jo- 
sèphe  n'en  a  pas  fait  mention.  Il  aurait  dû  mépriser 
bien  plus  ceux  qui  s'étaient  portés  pour  le  Messie,  et 
dont  le  parti  éphémère  avait  été  promptement  dissipé 
que  Jésus  qui  laissait  après  lui  un  parti  nombreux  ,  se 
grossissant  tous  les  jours  et  se  formant  sans  cesse'  de 
nouveaux  adhérents.  Quelque  faux  qu'il  crût  ses  mi- 
racles, il  ne  pouvait  se  dissimuler  qu'ils  faisaient  une 
grande  sensation  dans  la  Judée  et  jusqu'à  Rome.  Le 
christianisme  commençait  à  prendre  une  telle  consis- 
tance dans  le  monde,  que  Tacite  et  Suétone,  qui  écri- 
vaient l'histoire  romaine  ,  se  crovaient  obligés  d'en 
parler.  Et  un  historien  juif,  écrivant  l'histoire  des  juifs 
rapportant  dans  le  plus  grand  détail  tout  ce  qui  con- 
cernait les  juifs,  surtout  à  cette  époque,  aurait  gardé 
par  mépris  le  silence  sur  un  événement  qui  importait 
autant  aux  Juifs,  et  auquel  ils  prenaient  un  si  vif 
intérêt ,  que  c'étaient  eux  qui,  dans  ces  premiers  temps, 
excitèrent  les  païens  à  persécuter  le  christianisme  nais- 


(x)  Il  (Ananas)  prit  le  temps  de  la  mort  de  Festos,  et  qu'Albinos 
n  était  pas  encore  arrivé  ,  pour  assembler  an  conseil,  dans  Jeqnel  il 
fit  ven,r  Jacques,  frère  de  Jésus  nomme  Chr.st,  et  quelques  autres  • 
les  accusa  d  avoir  contrevenu  à  la  loi ,  et  les  lit  condamner  à  être  la' 
p.des.  Cette  action  déplut  infiniment  à  tous  ceux  des  habitants  qoi 
avaient  de  la  p.ete  et  un  véri.able  au.our  pour  lobserva.ion  des  lois. 
(/6m.  ,bv.  SX,  chap.  8.) 


364  DISSERTATIONS 

sant ,  envoyant  partout  des  émissaires  pour  le  dénoncer 
coinme  une  secte  impie  et  ennemie  des  lois(l)! 

Il  reste  donc  ,  que  le  silence  de  Josèplie  soit  un 
silence  politique  ;  et  dès-lors  ,  que  prouve-t-il  contre  les 
miracles  de  Jésus-Christ?  11  a  eu  des  raisons  personnelles 
de  ne  pas  parler  de  ces  miracles ,  donc  il  les  a  crus 
faux.  C'est  là  un  singulier  raisonnement.  Il  n'y  a  aucune 
relation  entre  les  intérêts  de  l'historien  Josèphe  et  les 
miracles  de  Jésus- Christ. 

Mais  je  vais  plus  loin ,  et  je  prétends  que  ce  silence 
même  est  un  témoignage  en  faveur  des  miracles;  que 
si  Josèphe  les  avait  crus  fabuleux,  il  n'aurait  pas  man- 
qué d'en  parler,  et  que  son  silence  ne  peut  être  expliqué 
qu'en  admettant  qu'il  les  croyait  véritables. 

D'abord  ,  s'il  croyait  faux  les  faits  miraculeux .  tout 
le  portait  à  en  parler  pour  les  combattre.  Juif,  n'avait- 
il  pas  à  soutenir  la  gloire  de  sa  nation  contre  la  terrible 
inculpation  de  déicide?  Pharisien,  n'était-il  pas  natu- 
rellement porté  à  défendre  l'honneur  de  sa  secte,  accusée 
d'hypocrisie ,  d'orgueil ,  d'avarice ,  de  tous  les  vices  ? 
Prêtre ,  pouvait-il  laisser  s'élever  une  religion  ennemie 
de  la  sienne  ?  Historien  ,  n'était-il  pas  de  son  devoir  de 
rapporter  des  faits  qui  avaient  une  grande  importance  , 
qui  en  acquéraient  tous  les  jours  davantage  ,  et  qui 
étaient  intimement  liés  avec  l'histoire  qu'il  écrivait? 
Une  omission  aussi  grave  serait  une  faute  impardon- 
nable dans  tout  écrivain.  Elle  est  surtout  incroyable 
dans  un  auteur  tel  que  Josèphe  ,  qui  rapporte  avec  exac- 
titude tous  les  faits,  qui  aime  à  en  raconter  tous  les 
détails.  S'il  a  cru  l'histoire  évangélique  fausse,  rien  n'a 
dû  l'engager  à  se  taire;  au  contraire,  tous  ses  intérêts 
et  son  caractère  ont  dû  le  porter  à  en  parler. 

Mais,  s'd  les  a  crus  vrais,  on  conçoit  aisément  qu'il 
n'en  ait  rien  dit.  Il  suffit  pour  cela  d'admettre  de  deux 


(i)  Voyez  chap.  ii ,  n**  iir,  note  a  ,  page  26']. 


SUR    LA    RELIGION.  365 

choses  l'une  :  ou  qu'il  ait  craint  de  se  compromettre 
avec  les  Juifs  et  avec  les  Romains  ;  ce  que  les  persécu- 
tions exercées  par  eux  ,  contre  le  christianisme  ,  rendent 
assez  probable  :  ou  qu'il  ait  désiré  de  ne  pas  déplaire  à 
l'empereur  ;  ce  qui  rend  très-vraisemblable  sa  conduite 
basse  et  peu  consciencieuse  envers  ce  prince.  Il  aura  eu 
assez  de  candeur  pour  ne  pas  combattre  la  vérité  ;  il 
n'aura  pas  eu  assez  de  force  pour  la  défendre.  Dans  cette 
disposition  équivoque  ,  qui  n'est  pas  rare  dans  le  monde, 
placé  entre  la  conscience  et  l'intérêt,  désirant  de  ne  pas 
trahir  ouvertement  l'une  ,  mais  aussi  ne  pas  nuire  à 
l'autre  ,  il  n'avait  pas  d'autre  parti  à  prendre  que  le 
silence.  Ce  n'est  pas  la  croyance  qui  lui  a  manqué  pour 
avouer  les  miracles;  c'est  la  force.  Pour  n'en  pas  faire 
mention  ,  il  n'est  pas  nécessaire  qu'il  ait  été  méchant, 
il  suffit  qu'il  ait  été  faible;  et  un  prêtre  juif,  qui  flattait 
Vespasien  de  l'idée  d'être  le  Messie ,  pouvait-il  ne  pas 
l'être?  Le  silence  de  Josèphe,  incompatible  avec  ses 
intérêts  et  son  caractère  ,  s'il  croyait  les  miracles  faux  , 
lui  a  donc  été  commandé  par  ses  intérêts  et  par  son 
caractère ,  s'il  les  a  crus  vrais.  Il  résulte  donc  de  son 
silence  même  qu'il  était  persuadé  de  leur  réalité.  Ce 
silence  est  un  aveu,  un  témoignage  aussi  fort  que  le 
texte  qu'on  lui  dispute.  En  se  taisant,  il  parle  aussi 
hautement  en  leur  faveur.  «  Ce  fut  peut-être ,  dit  un 
«  auteur  moderne  très-judicieux  et  très-savant  ,  par 
«  une  permission  particulière  de  la  Providence  dont 
«  nous  devons  toujours  admirer  les  voies  ^  que  Josèphe 
«  resta  dans  le  judaïsme ,  pour  être  ainsi ,  par  son  his- 
«  toire,  un  témoin  plus  respectable,  et  pour  servir 
«  d'une  manière  plus  éclatante  à  prouver  la  vérité  de 
«   la  religion  chrétienne  (1).  » 

XIY-   Ce  n'est  pas  seulement  du  silence  des  auteurs 
juifs  et  païens  que  l'on  argumente  contre  les  miracles  ; 


(i)  M.  Seignenx  de  Correvon,  Dissertations  sur  Tonvrage  d'Adis- 
•11 ,  tora.  m,  p.  141. 


366  DISSERTATIONS 

c'est  de  l'opposition  formelle  qu'ils  ont  éprouvée  de  •::. 
part  des  juifs  et  des  païens,  «t  Quelle  impression  n'au- 
«  raient  pas  faite  des  miracles  aussi  nombreux  ,  aussi 
»  éclatants  que  ceux  qu'on  attribue  à  Jésus-Cbrist  et  à 
"  ses  apôtres?  Serait-il  possible  qu'il  fût  resté ,  parmi 
'«  les  Juifs  ou  parmi  les  païens,  un  seul  incrédule,  si 
»c  ces  prodiges  avaient  été  crus?  Le  monde  est  bien 
u  aujourd'hui  aussi  peu  disposé  à  croire  qu'il  l'était 
.<  alors.  Cependant  quel  éclat  ne  ferait  pas  la  résur- 
«1  rection  d'un  mort  I  Quelle  impression  ne  produirait- 
i«  elle  pas  sur  nous  -  mêmes!  A  plus  forte  raison  , 
«  jugeons  de  l'effet  que  produirait  une  suite  de  guéri- 
<(  sons  ,  de  résurrections  et  d'autres  œuvres  surnatu- 
"  relies.  Nous  voyons,  au  lieu  de  cela  ,  Jésus-Christ, 
«  au  moment  où  on  dit  qu'il  opérait  cette  multitude 
«  de  prodiges,  traité  d'imposteur,  et  puni  du  dernier 
'«  supplice.  On  ne  croyait  donc  pas  de  son  temps  à  ses 
«  miracles?  Ses  miracles  n'étaient  donc  pas  réels?  On 
"  en  faisait  si  peu  de  cas,  lorsqu'il  était  facile  de  les 
»  vérifier,  qu'on  a  pas  même  daigné  en  faire  d'infor- 
«  mation.  On  conclut  leur  vérité ,  de  ce  qu'ils  ont 
u  converti  quelques  personnes.  Mais  ,  de  ce  qu'ils  n'ont 
«  dans  leur  temps  converti  que  quelques  personnes  ,  on 
«  doit  au  contraire  conclure  qu'ils  n'ont  pas  été  réels. 
«  La  nation  presque  entière,  la  nation  moralement 
««  entière,  avec  ses  chefs,  a  bien  un  autre  poids  pour 
'«  combattre  les  miracles,  que  quelques  individtis  pour 
«<  les  prouver.  INous  pouvons  dire  la  même  chose  des 
"  païens  du  premier  siècle  ,  puisque  le  nombre  de  ceux 
«  qui  se  convertissaient  était  infiniment  petit  en  compa- 
M  raison  de  ceux  qui  restaient  dans  leur  haine  contre  la 
«  religion  naissante.  Il  est  certain ,  et  les  défenseurs  du 
«  christianisme  en  conviennent ,  qu'il  éprouva ,  dans 
<«  son  commencement ,  de  violentes  contradictions  de 
"  la  part  de  tout  le  monde.  Il  est  donc  évident  que  tout 
«  le  monde  regardait  Jésus-Christ  et  ses  apôtres  comme 
'*  des  imposteurs,  et  par  conséquent  leurs  miracles 
"  connue  des  fables.  On  ne  peut  donc  pas  douter  que 


SUR    LA.    RELIGION.  367 

«  l'histoire  de  ces  miracles  n'ait  été  fortement  attaquée 
«  par  écrit  aussitôt  qu'elle  a  été  publiée.  Si  nous  avions 
«  les  ouvrages  des  docteurs  juifs  et  des  philosophes 
«  païens ,  qui  la  combattaient  ,  nous  y  verrions  les 
.<  preuves  de  la  fausseté  des  miracles.  Mais  les  chrétiens 
«  ont  trouvé  plus  facile  de  supprimer  ces  livres  que  de 
<i   leur  répondre.   « 

XV.  Pour  résoudre  cette  difficulté  dans  tous  ses 
points,  je  commence  par  examiner  ce  qui  est  dit  des 
écrits  par  lesquels  on  veut  faire  croire  que  la  vérité  des 
miracles  chrétiens  a  été  combattue  dans  leur  temps;  et 
j'établis  trois  propositions  :  1°  Il  est  très-probable  qu'il 
n'y  a  pas  eu  d'écrit  publié  directement  contre  le  chris- 
tianisme ,  et  dans  lequel  on  combattît  ses  preuves , 
avant  celui  de  Celse^  qui  est  du  second  siècle.  2°  Il  est 
très-certain  que  la  réalité  des  miracles  n'a  été  contestée 
dans  aucun  écrit.  3°  On  accuse  injustement  les  chrétiens 
d'avoir  supprimé  les  ouvrages  de  leurs  adversaires. 

1°  Si,  dans  le  premier  siècle  du  christianisme,  il 
avait  été  publié  quelque  ouvrage  contre  sa  vérité  , 
comment  se  ferait-il  qu'il  n'en  existât  nulle  part  aucun 
vestige  ;  qu'on  ne  connût  le  nom  d'aucun  auteur  qui 
eut  rien  écrit  de  ce  genre;  que  ni  les  écrivains  chrétiens, 
pour  le  réfuter,  ou  au  moins  pour  le  décrier,  ni  les 
païens  pour  s'autoriser  de  son  témoignage  ,  n'en  aient 
dit  un  seul  mot?  Il  paraît  que  ce  n'était  pas  par  des 
livres  qu'on  attaquait  la  religion  naissante. 

2°  Si ,  dans  le  premier  siècle ,  on  avait  combattu  la 
réalité  des  miracles  dans  quelqu'écrit,  on  ne  les  aurait 
pas  attribués,  dans  le  second,  à  la  magie.  Cet  ouvrage 
aurait  été  bien  éphémère  ,  s'il  n'avait  pas  pu  passer 
jusqu'au  temps  de  Celse  I  II  y  a  deux  manières  de  ré- 
pondre à  une  preuve  de  fait  ;  de  nier  le  fait;  d'en 
contester  la  conséquence.  Nous  voyons,  de  tout  temps, 
les  ennemis  du  christianisme  dire  que  les  luiracles  ne 
prouvent  rien,  et  ses  défenseurs  occupés  à  prouver 
qu'ils   forment   une    démonstration.   Nous    ne   voyons 


368  DISSERTATIONS 

nulle  part  ses  adversaires  nier  la  réalité  des  miracles, 
nous  les  voyons  au  contraire  en  convenir  positivement, 
en  les  attribuant  à  la  magie.  Il  est  donc  certain  que  les 
miracles  n'ont  pas  été  niés.  J'ai  développé  ailleurs  ce 
raisonnement.  (1). 

3"  Les  éciits  des  premiers  temps  contre  le  christia- 
nisme étaient  de  deux  sortes  :  ceux  des  juifs  ,  ceux  des 
païens.  Lesquels  accuse-t-on  les  chrétiens  d'avoir  sup- 
primés? Ce  ne  peut  pas  être  ceux  des  juifs.  D'abord  il» 
ne  l'auraient  pas  pu.  Cette  nation  s'étant  constamment 
perpétuée,  séparée  de  toutes  les  autres,  a  conservé  ses 
livres,  et  les  a  transmis  des  pères  aux  enfants.  Quel 
moyen  auraient  eu  les  chrétiens  de  les  leur  enlever? 
Ensuite,  il  est  évident  qu'ils  ne  l'ont  pas  fait,  puisque 
les  livres  les  plus  injurieux  au  christianisme,  les  thal- 
muds  et  autres,  se  sont  conservés  dans  la  nation  juive. 
Dans  ces  écrits,  les  miracles  de  Jésus-Christ,  attribués 
à  un  pouvoir  diabolique,  sont  formellement  avoués. 
Les  juifs  auraient  conservé  avec  beaucoup  plus  de  soin 
encore  ceux  où  les  miracles  auraient  été  contestés.  Ce 
ne  peut  donc  être  que  sur  les  livres  des  païens  que  porte 
l'imputation  de  suppression.  Mais  c'est  un  singulier 
raisonnement,  de  dire  :  Il  y  a  des  écrits  des  païens 
perdus,  donc  ce  sont  les  chrétiens  qui  les  ont  supprimés. 
Accusera-ton  aussi  les  chrétiens  d'avoir  supprimé  beau- 
coup d'autres  ouvrages  intéressants  des  philosophes  , 
des  orateurs ,  des  poètes  ,  des  historiens  ?  Leur  repro- 
chera-t-on  aussi  la  perte  de  beaucoup  d'écrits  (rès  utiles 
à  la  religion  ,  qu'avaient  composés  les  saints  Pères  et  les 
apologistes?  Il  y  a  bien  d'autres  causes  qui  ont  fait 
disparaître  ces  ouvrages  ,  dans  un  temps  où  ils  ne  se 
})erpétuaient  pas  par  l'impression  :  la  vétusté  ,  les  in- 
cendies, les  ravages  des  barbares,  la  difficulté  des  trans- 
criptions. Il  y  a  même  une  raison  particulière  pour  que 


(i)  Voyez  chdp.  i,  u°  xxx  et  suiv.  page  a 4 3. 


SUR    LA    RELIGION.  369 

les  écrits  en  faveur  du  paganisme  aient  péri.  L'idolâtrie 
tombée,  personne  n'a  eu  intérêt  à  les  conserver,  per- 
sonne n'a  dû  en  prendre  la  peine.  Il  n'y  a  pas  eu  un 
projet  de  les  supprimer.  Ils  se  sont  anéantis  d'eux- 
mêmes  avec  la  religion  qu'ils  défendaient. 

XVI.  Le  christianisme  a  éprouvé  dans  son  origine  de 
grandes  contradictions  ;  mais  elles  n'ont  pas  porté  sur  la 
réalité  des  miracles.  Ce  point  établi ,  toute  l'objection 
proposée  tombe.  Puisque  les  miracles  de  Jésus-Christ  et 
de  ses  apôtres  n'ont  point  été  contestés,  ils  ont  été  crus. 
Puisqu'ils  ont  été  crus,  ils  sont  vrais.  Puisqu'ils  sont 
vrais,  ils  prouvent  la  vérité  de  la  religion. 

3Iais  on  exige  que  nous  expliquions  pourquoi  les 
miracles  ,  s'ils  ont  été  si  publics  ,  si  éclatants ,  s'ils  ont 
été  généralement  crus  ,  n'ont  pas  converti  sur-le-champ 
tout  le  monde;  pourquoi  la  majeure  partie  ,  la  presque 
totalité  de  la  nation  juive  a  persévéré  dans  son  incré- 
dulité, a  regardé  Jésus-Christ  comme  un  imposteur,  et 
l'a  traité  comme  tel. 

Je  réponds,  en  premier  lieu,  que  nous  ne  sommes 
pas  obligés  de  donner  cette  explication.  Lorsqu'un  fait 
est  complètement  prouvé  ,  on  n'est  pas  fondé  à  le  con- 
tester sous  prétexte  qu'il  n'a  pas  produit  tel  efïet  qui, 
à  ce  qu'il  semble ,  aurait  dû  en  résulter. 

Je  réponds  ,  en  second  lieu,  que  l'incrédulité  des 
Juifs  sur  Jésus-Christ  ,  et  la  manière  dont  ils  l'ont 
traité,  loin  de  former  un  argument  contre  sa  religion , 
en  sont  au  contraire  une  preuve.  Elles  avaient  été  pré- 
dites par  les  prophètes  en  plusieurs  endroits.  Ils  avaient 
annoncé  que  le  Messie  serait  renié,  méconnu,  persé- 
cuté, mis  à  mort  par  sa  nation.  Jésus-Christ  lui-même 
avait,  en  plusieurs  occasions,  renouvelé  ces  prophéties. 
La  manière  dont  les  juifs  l'ont  traité,  est  l'accomplisse- 
ment de  ces  oracles.  Leur  refus  de  croire  en  lui  est  un 
des  signes  auxquels  on  doit  le  reconnaître  comme 
l'envoyé  céleste.  Il  a  été  dit  avec  raison  ;  »  Nous  devons 
«  croire  en  lui,  parce  que  les  Juifs  n'y  ont  pas  cru. 
«  Un  messie,  que  les  Juifs  auraient  reconnu,  ne  serait 

16* 


370  DISSERTATIONS 

«  pas  le  véritable.  Il  lui  manquerait  un  des  caractères 
•«   expressément  marqué  par  les  propliètes  (1).    » 

Je  réponds ,  en  troisième  lieu  ,  que  l'obstination  des 
juifs  à  ne  pas  recomiaitre  Jésus  Christ  pour  leur  messie, 
malgré  tant  de  miracles,  est,  à  la  vérité,  très- éton- 
nante; mais  qu'en  y  réflécliissant,  on  en  découvre  plu- 
sieurs causes  qui  ont  dû  être  très-puissantes. 

1«  Leurs  préjugés;  et  on  sait  quelle  est  leur  force, 
surtout  en  matière  de  religion  (2).  Ils  attendaient  un 
messie  qui  confirmerait  toute  la  loi  de  Moïse  ;  Jésus- 
Christ  en  abolissait  la  partie  cérémonielle  :  qui  paraîtrait 
dans  la  splendeur;  Jésus-Christ  se  présentait  dans  la 
condition  la  plus  basse  :  qui  fonderait  sur  la  terre  un 
empire  étendu;  Jésus  Christ  prêchait  le  détachement 
de  toutes  les  grandeurs  :  qui  les  délivrerait  du  joug 
des  Romains;  Jésus-Christ  enseignait  à  payer  le  tribut 
à  César. 

2<*  L'autorité  à  laquelle  ils  déféraient.  Ils  avaient  une 
estime  profonde  pour  leurs  pharisiens  ,  une  confiance  en- 
tière dans  leurs  docteurs,  une  pleine  soumission  à  leurs 
prêtres.  Tous  ces  hommes ,  ennemis  déclarés  de  Jésus- 
Christ  ,  qui  démasquait  l'hypocrisie  des  premiers  ,  abais- 
sait l'orgueil  des  seconds,  détruisait  la  puissance  des 
troisièmes  ,  le  poursuivaient  sans  relâche  de  leurs  in- 
trigues ,  dégradant  ses  miracles  ,  et  les  attribuant  au 
pouvoir  du  démon  ;  combattant  sa  mission  ,  et  disant 
tantôt  qu'on  ne  saurait  d'où  viendrait  le  Messie,  mais 
qu'on  savait  d'où  il  venait  ;  tantôt  que  jamais  prophète 
n'était  sorti  de  Nazareth  '^,  calomniant  sa  conduite  ,  et 
l'accusant  ici    de  violer  le  sabbat ,  là  de  vivre  avec  les 


(r)   Démonst.   Evangél.,    par   M.    Davoisin ,    cinquième    édition, 
page  295. 

(2)  Qaippe  lune  vim  habet  contentionis  ainor  et  praeconcepta 
opinio,  qui  iis  assaeli  sont,  ii  rebns  etiara  perspicuis  lefraganlur, 
potiusqoam  0])iniones  ponan?  ,  quihui  eornm  anima  imbuia  est.  Ac 
iiiuUo  facilins  de  aliis  rébus  consuetudines  reliqaerit  qnispiam,  qu.'tni- 
vis  ab  illis  difficile  admodnm  evellalur 
nent.  {Origen.  contra  CeUitrn,  lib.  i,  n°  5a.) 


SUR    LA    RELIGION.  371 

personnes  de  mauvaise  vie.  Et  nous  voyons  en  consé- 
quence le  peuple  partagé  dans  ses  opinions  ;  les  uns  ,  à 
la  vue  de  ses  prodiges,  le  regardant  comme  un  pro- 
phète ;  les  autres ,  sur  la  foi  de  leurs  chefs ,  le  traitant 
de  séducteur  (1). 

3°  Leur  frayeur.  Nous  voyons  ,  dès  le  temps  de  Jésus- 
Christ  ,  un  grand  nombre  de  personnes ,  même  des  plus 
considérables,  croire  en  lui  dans  le  fond  de  leur  cœur, 
et  n'oser  le  manifester  dans  la  crainte  d'être  chassés  de 
la  synagogue  par  les  pharisiens.  La  terreur  dut  être 
^•ien  plus  vive,  quand  la  rage  qui  avait  crucifié  le  maître 
se  tourna  avec  la  même  violence  contre  ses  disciples. 

4^  Leurs  passions  ;  et  cette  dernière  cause  ajoutait  en- 
core aux  autres  une  giande  force.  Qui  est-ce  qui  ignore 
combien  les  passions  sont  Ingénieuses  à  se  forger  des  pré- 
textes ;  quel  poids  elles  donnent  aux  plus  misérables 
motifs?  Embrasser  le  christianisme  ,  était  renoncer  en- 
tièrement à  ses  passions,  se  détacher  de  toutes  ses  incli- 
nations ,  rompre  toutes  ses  liaisons  ,  réformer  toutes  ses 
habitudes  ,  et  remplacer  toutes  les  douceurs  auxquelles 
on  s'était  accoutumé,  par  des  vertus  austères  et  des  de- 
voirs pénibles. 

.  Je  réponds  ,  en  quatrième  lieu  ,  que  ,  malgré  tous  ces 
obstacles  ,  il  ne  faut  pas  croire  que  les  miracles  de  Jé- 
sus-Christ ne  lui  aient  pas  attiré  beaucoup  de  disciples, 
et  pendant  sa  vie  mortelle  et  après  son  ascension.  11  y  en 
avait  qui  croyaient  en  lui  pour  un  temps ,  c'est-à-dire 
lorsqu'ils  étaient  frappés  de  ses  miracles ,  et  qui  ensuite, 
par  légèreté ,  par  insouciance ,  par  dissipation ,  par  la 
diflicuUé  de  croire  ses  mystères ,  par  les  autres  causes 
que  nous  venons  d'exposer,  se  séparaient  de  lai.  Tels 
furent  les  cinq  mille  hommes  qu'il  avait  nourris  dans  le 
désert.  Au  moment  même  ils  voulaient  le  faire  roi  ;  et 


(i)   Maïuaar  autom  eral    in  turba  de   eo.   Qadain  enim    dicebant 
quia  bonus  est.  Alii  autem  dicebani  :  îSoii ,  sei  seducit  turbas.  [Joan. 

vu   ,  12.  ) 


372  DISSERTATIONS. 

peu  de  jours  après  ils  l'abandonnèrent.  Mais  pour  ne 
parler  que  des  conversions  solides ,  après  sa  résurrection 
il  se  fait  voir  à  plus  de  cinq  cents  d'entre  les  frères;  et 
de  ce  nombre  n'était  pas  sans  doute  la  multitude,  que 
la  crainte  des  juifs  empêchait  de  se  montrer.  C'est  en 
annonçant  les  miracles  de  son  maître,  en  invoquant  sur 
leur  réalité  le  témoigna^oe  des  juifs  eux-nièiues,  en  leur 
rappelant  ce  qu'ils  avaient  vu  tout  récemment ,  que  St. 
Pierre,  dans  ses  deux  premières  prédications,  en  con- 
vertit huit  mille.  C'est  la  persuasion  des  miracles  qui  a 
fait  en  peu  d'années  un  grand  nombre  de  prosélytes, 
qui  en  peu  de  siècles  a  rendu  l'univers  chrétien.  Que 
peut-on  demander  de  plus  ? 

Xyil.  On  oppose  le  nombre  plus  petit  des  juifs  et  des 
païens  convertis  dans  le  premier  siècle  par  les  miracles , 
au  nombre  infiniment  plus  grand  de  ceux  qui ,  malgré 
les  miracles ,  sont  restés  dans  leur  croyance  ;  et  on  en 
conclut  que  la  réalité  de  ces  miracles  a  été  généralement 
rejetée. 

D'abord  cette  conséquence  n'est  pas  juste ,  puisque  , 
comme  nous  l'avons  montré  ^  la  question  entre  les  uns 
et  les  autres  était,  non  la  réalité  ,  mais  l'autorité  des  mi- 
racles. 

Mais,  laissant  à  l'écart  cette  première  considération, 
qui  est  cependant  très-grave  et  même  décisive  ,  suppo- 
sons pour  un  moment,  contre  la  vérité,  que  ceux  qui 
ont  refusé  de  croire  à  la  loi  de  Jésus-Christ  ne  croyaient 
pas  à  ses  miracles;  descendons,  j'y  consens,  à  la  com- 
paraison du  grand  nombre  de  ceux  qui  ont  refusé  d'y 
croire,  au  petit  nombre  de  ceux  qui  y  ont  cru.  Pesons 
leurs  témoignages  respectifs.  Je  dis  que  du  côté  du  petit 
nombre  est  le  poids  qui  entraîne  la  balance.  Quand  on 
considère  les  terribles  suites  qu'avait  alors  la  profession 
du  christianisme,  les  sacrifices  qu'elle  exigeait  de  toutes 
les  pensées,  de  toutes  les  passions,  de  toutes  les  inclina- 
tions, de  tous  les  attachements,  les  périls  nombreux  et 
de  tout  genre  auxquels  elle  exposait,  les  maux  affreux 
auxquels  elle  livrait, on  sent  que  pour  s'y  dévouer  il  faU 


SUR   LA    RELIGION.  373 

lait  une  persuasion  intime,  qui  ne  pouvait  être  que  le 
résultat  d'un  examen  bien  approfondi.  Des  miracles 
pour  lesquels  il  faut  mourir  ne  sont  pas  crus  sans  les 
plus  puissants  motifs.  Mais  pour  rester  dans  sa  vieille 
croyance  il  n'était  pas  besoin  de  grandes  réflexions.  La 
légèreté  dans  les  uns,  l'indifTérence  dans  les  autres,  dans 
ceux-ci  l'apathie,  dans  ceux-là  l'habitude,  dans  tous 
rattachement  aux  anciennes  idées ,  l'amour  de  l'aisance, 
le  charme  des  passions ,  la  crainte  de  la  persécution  , 
l'exemple  commun ,  étaient  des  causes  suffisantes  de  de- 
meurer dans  sa  religion  ,  et  de  rejeter  sans  examen  tout 
ce  qui  pouvait  en  retirer.  On  ne  change  point  d'état , 
de  situation ,  sans  des  fortes  raisons.  Pour  rester  comme 
on  est,  il  suffit  de  se  trouver  bien.  Pour  déposer  la  reli- 
gion dans  laquelle  on  est  né ,  et  à  laquelle  on  est  attaché 
par  une  multitude  de  liens,  il  faut  des  motifs  bien  au- 
trement convaincants  que  pour  y  persévérer.  Combien 
d'hommes  forment  leurs  opinions  sur  leurs  désirs  I  et 
combien  de  raisons  faisaient  désirer  de  n'être  pas  obligé 
à  devenir  chrétien  I  Un  seul  juif,  un  seul  païen  converti 
donne  plus  d'autorité  à  la  foi  des  miracles  que  la  résis- 
tance d'un  grand  nombre  ne  la  décrédite.  Elle  suppose 
nécessairement  dans  lui  un  examen  que  les  autres  peu- 
vent n'avoir  pas  fait  ;  elle  exige  de  sa  part  des  sacrifices 
qui,  dès  le  premier  aspect,  ont  dû  effrayer  les  autres. 
Quelle  conviction  ne  doit  donc  pas  opérer  la  multitude 
de  conversions  faites  dans  les  temps  où  les  miracles  en- 
core récents  pouvaient  aisément  être  vérifiés  I 

XVIII.  Il  ne  reste  plus  à  résoudre  que  la  partie  de 
l'objection  où  on  argumente  de  ce  qu'il  n'a  pas  été  fait 
d'informations  sur  les  miracles  de  Jésus-Christ  et  de  ses 
disciples.  Je  pourrais  d'abord  nier  le  fait ,  citer  l'infor- 
mation faite  par  les  pliarisiens ,  au  sujet  de  la  guérisou 
d'un  aveugle  né  ,  et  rapportée  au  chapitre  neuvième  de 
l'évangile  de  St.  Jean ,  et  dire  que  le  peu  de  succès  de 
celle-là  ,  qui  avait  tourné  à  la  confusion  des  ennemis  de 
Jésus-Christ ,  les  a  empêchés  d'en  faire  d'autres.  Je  pour* 
rais  demander  s'il  était  d'usage  chez  lesjuifs  de  faire  des 


374  DISSERTATIONS 

informations  juiidiques  dans  la  forme  observée  parmi 
nous.  Je  pourrais  remarquer  que  Ton  n'en  fait  pas  or- 
dinairement sur  les  faits  publics  passés  sous  les  yeux 
mêmes  des  juj^es;  que  l'on  n'en  fait  pas,  surtout,  quand 
on  est  persuadé,  ou  qu'on  affecte  de  l'être,  que  le  fait  est 
sans  conséquence  et  ne  décide  pas  la  question.  Mais, 
passons  sur  tout  cela.  Je  consens  à  me  réunir  à  nos  ad- 
versaires, pour  admettre  la  nécessité  dont  aurait  été  une 
information  sur  les  miracles,  et  je  dis  :  Ceux-là  ont  tort, 
qui,  pouvant  faire  l'information,  s'y  sont  refusés.  Or, 
entre  les  apôtres  qui  attestent  les  miracles  de  leur  Maî- 
tre ^  et  les  chefs  de  la  synagogue  qui  (nous  continuons 
de  le  supposer)  les  rejettent,  à  qui  appartient-il  de 
faire  des  informations?  Lesquels  sont  revêtus  du  droit 
de  l'ordonner,  delà  puissance  pour  l'effectuer?  Les  apô- 
tres la  provoquent  de  tout  leur  pouvoir,  cette  informa- 
tion, en  publiant  à  haute  voix  les  miracles  de  Jésus- 
Christ,  en  prétendant  eux-mêmes  en  opérer,  en  accusant 
solennellement  le  sanhédrin  de  déicide.  Si  le  sanhédrin 
eût  pensé  qu'une  information  pût  lui  réussir  ,  ne  se 
fût- il  pas  empressé  de  la  faire?  Il  le  pouvait,  l'autorité 
était  entre  ses  mains  ;  il  le  devait ,  son  honneur  était  at- 
taqué ,  sa  réputation  compromise  ,  la  religion  nationale 
intéressée.  Quelle  raison  a  donc  pu  l'en  empêcher ,  lors- 
qu'il en  avait  tant  d'intérêt  et  tant  de  moyens?  Qu'on 
cherche  où  on  voudra  ,  qu'on  se  retourne  de  tous  côtés . 

n  ne  pourra  jamais  en  trouver  qu'une.  Il  n'a  pas  in- 
formé juridiqueineut,  parce  qu'il  n'a  pas  osé.  Il  a  senti 
que  ce  nombre  immense  de  témoins  qui  venaient  ré- 
cemment de  voir  les  mhacles  de  Jésus -Christ ,  qui 
voyaient  encore  tous  les  jours  ceux  de  ses  apôtres,  le 
confondraient  par  leurs  dépositions.  Ce  furent  les  enne- 
mis de  Jésus-Christ  qui  se  refusèrent  alors  à  vérifier  le 
fait  de  ses  miracles  par  une  information;  et  ce  sont  eux 
qui  aujourd'hui  nous  opposent  le  défaut  d'information. 
Comment   ne    sentent  ils  pas  qu'ils  trahissent    par   là 

leur  cause ,  et  qu'ils  se  percent  de  leurs  propres  armes  ? 
XIX.   Aux  contradictions  des  ennemis  de  Ifi  religion  , 


SUR   LA    RELIGION.  375 

les  incrédules  ajoutent  les  oppositions  que  la  foi  des  mi- 
racles a  éprouvées,  selon  eux,  au  sein  même  du  chris- 
tianisme. «  Les  anciens  hérétiques  contemporains  des 
I.  apôtres,  ou  au  moins  de  leurs  disciples, niaient  la  réa- 
u  lité  d'un  grand  nombre  de  miracles.  Les  uns  niaient 
«t  l'incarnation  du  Verbe  ;  les  autres  qu'il  fût  né  d'une 
t«  vierge;  d'autres,  qu'il  eût  un  corps  réel,  qu'il  eût 
«  véritablement  souifert ,  et  par  conséquent  qu'il  fût 
M  ressuscité.  Voilà  donc  les  principaux  faits  démentis 
w  par  des  chrétiens,  dès  le  temps  où  ils  ont  été  publiés 
«  par  d'autres  chrétiens.  Quel  est  celui  des  deux  lémoi- 
<t  gnages  qui  doit  l'emporter?  Il  résulte  de  cette  divi- 
«  sion  entre  les  chrétiens  au  moins  deux  conséquences  : 
«  la  première  ,  qu'il  n'est  pas  vrai  que  les  miracles 
«  de  Jésus-Christ  ait  été  universellement  crus,  même 
«  dans  le  christianisme;  la  seconde,  que  ces  autorités 
"  opposées  doivent  se  contrebalancer ,  et  jettent  sur  les 
«  miracles,  que  l'on  prétend  évidemment  démontrés  , 
«  une  grande  incertitude.   » 

XX.  Cette  difticulté  confond  deux  choses  très-distinc- 
tes :  le  dogme  et  les  miracles,  les  objets  de  la  foi  et  les 
fondejnents  de  la  foi.  L'incarnation  du  Verbe  est  un 
dogme  bien  plus  qu'un  miracle.  La  virginité  de  sa  sainte 
mère  appartient  aussi  plus  à  la  doctrine  qu'on  doit 
croire  ,  qu'au  prodige  qui  fait  croire.  Ce  sont  des  vérités 
que  nous  présentons  à  professer ,  et  non  pas  les  motifs 
par  lesquels  nous  engageons  à  embrasser  la  religion.  Les 
hérétiques,  qui  erraient  sur  ces  deux  points,  n'en 
croyaient  pas  moins  aux  miracles  de  Jésus -Christ.  En 
combattant  la  divinité  du  Verbe ,  Arius  ne  révoquait 
pas  en  doute  ses  prodiges.  Les  incrédules  ont  donc  tort 
d'argumenter  de  l'opinion  de  ces  hérétiques,  et  de  nier 
qu'ils  admissent  les  miracles  rapportés  dans  l'évangile, 
parce  qu'ils  rejetaient  ces  deux  dogmes  enseignés  dans 
l'évangile. 

Les  autres  hérétiques  des  premiers  siècles,  qui  niaient 
la  vérité  des  miracles  de  Jésus-Christ ,  ne  favorisent  pas. 


376  DISSERTATIONS 

plus  rincrédulité  moderne.  En  niant  que  ces  prodiges 
eussent  delà  réalité,  ils  avouaient  qu'ils  en  avaient  eu 
toute  l'apparence.  Les  uns  distinguaient  le  \erbe  d'avec 
Jésus,  ils  ne  niaient  pas  la  naissance,  la  mort,  la  résur- 
rection de  Jésus  ;  ils  prétendaient  que  le   Verbe  était 
pour  rien  dans  tout  cela.   Quant   aux  miracles,   ils  di- 
saient bien  que  Jésus  n'en  avait  point  opéré ,   mais  ils 
disaient  que  c'étaient  des  œuvres  du  Yerbe.  On  ne  peut 
pas  dire  que  ceux-là  contestassent  la  vérité  des  miracles. 
Les  autres  prétendaient  que  ce  que  les  apôtres  avaient 
vu  faire  des  miracles,  mourir  et  ressusciter,   était  un 
corps  fantastique,  semblable  en  tout  à  celui  de  Jésus- 
Christ,  mais  qui  n'était  pas  le  sien.  Il  y  en  avait  qui  di- 
saient que  c'était   une  personne  étrangère  que  Jésus- 
Christ    avait  revêtue  de  sa  Ggure,    qui  était  morte  et 
ressuscitée  pour  lui.  Ces  hérétiques  convenaient  que  Jé- 
sus-Christ avait  été  vu  constamment  pendant  trois  ans, 
faisant  une  suite  de  prodiges  ;  qu'on  l'avait  vu  ensuite 
mourir,  ressusciter,  monter  aux  cieux  :  ils  prétendaient 
seulement  que  tout  cela  n'était  que  des  illusions ,  et  ils 
avouaient  qu'à  moins   de  révélations  particulières  les 
apôtres  avaient  dû  en  croire  la  réalité.  La  dispute  entre 
les  catholiques  et  ces  hérétiques  différait  donc  du  tout 
au  tout  de  la  nôtre  avec  les  déistes.  La  question  alors 
agitée  était  de  savoir  si  les  disciples  et  les  juifs  avaient 
eu  raison  de  croire  la  relation  de  leurs  sens.  La  question 
actuelle   est  de  savoir  si  la  relation  des  sens ,  soit  des 
juifs ,  soit  des  disciples,  a  existé.  Les  incrédules  modernes 
voudraient-ils    convenir  avec  les  hérétiques   anciens , 
que  les  miracles  de  Jésus  «Christ  ont  eu  toute  l'apparence 
de  la  vérité  ,  et  soutenir  avec  eux  que  c'étaient  des  illu- 
sions que  Jésus-Christ  faisait  aux  spectateurs  ?  Faisons 
sur  cette  pitoyable  objection  une  réflexion.  Il  fallait  que 
l'authenticité ,   la  multiplicité ,  la  force  des  témoignages 
fussent  bien  incontestables,  dans  ce  temps  où  les  mira- 
cles étaient  si  récents ,  pour  que  ceux  qui  voulaient  les 
attaquer  fussent  obligés  de  recourir  à  de  si  ridicules 


SUR    LA    RELIGION.  377 

moyens  ;  il  fallait  que  l'évidence  des  miracles  fut  bien 
fortement  établie  ,  pour  qu'on  trouvât  plus  avantageux 
Je  combattre  l'autorité  des  sens,  que  de  révoquer  en 
doute  leurs  relations. 

XXI.  Voici  une  des  objections  que  l'incrédulité  répè- 
te avec  le  plus  de  confiance  :  «  On  vante  beaucoup  le  noin- 
M  bre  des  témoins  qui  ont  attesté  les  miracles,  et  de 
«  ceux  qui,  sur  leur  déposition,  et  après  un  mùr  exa- 
«  men,  y  ont  cru.  Mais  ,  quelle  confiance  peut-on  pren- 
«  dre  dans  de  pareilles  autorités?  Considérons  quels 
«  étaient  ces  premiers  chrétiens  ;  tous  des  hommes  sim- 
«  pies,  grossiers,  une  populace  crédule  ,  incapable  ,  par 
H  défaut  d'éducation,  d'habitude  et  de  lumières,  de 
«  tout  examen.  On  sait  avec  quelle  facilité  de  tels  hom- 
«<  mes  se  font  illusion  et  se  persuadent  les  choses  les  plus 
«  absurdes.   » 

«  On  sait ,  et  l'expérience  de  tous  les  temps  l'a  mon- 
«<  tré  ,  que  le  petit  peuple  a  d'autant  plus  de  propension 
«  à  croire,  que  les  choses  sont  plus  incroyables;  parce 
M  que  le  merveilleux  le  frappe  plus  vivement  que  le 
»  vrai.  Pendant  le  temps  que  le  petit  peuple  reçoit  avi- 
«  dément  le  récit  des  miracles,  nous  voyons  tous  les 
<»  hommes  ayant  quelque  esprit,  quelques  connaissan- 
«  ces,  quelqu'état  dans  le  monde ,  les  prêtres,  les  doc- 
«  teurs,  les  magistrats,  tous  les  hommes  en  place,  rejeter 
M  ces  histoires  comme  des  fables,  et  les  traiter  d'im- 
«  postures.  A  laquelle  de  ces  deux  classes  doit-on  ajou- 
«  ter  foi  ?  N'est-il  pas  plus  aisé  de  concevoir  qu'un  peu- 
«  pie  léger  ,  ignorant  et  brute  ,  a  été  abusé ,  que  d'ima- 
"  giner  que  s'il  y  avait  eu  quelque  fondement  à  ces  mi- 
u  racles,  il  ne  se  fût  trouvé  aucun  homme  de  considé- 
«  ration ,  aucun  ayant  des  talents  et  des  connaissances  , 
«  qui,  après  les  avoir  examinés,  les  eût  crus  vérita- 
u  blés?  » 

XXII.  Je  n'examine  pas  encore  le  fait  sur  lequel  re- 
pose cette  difficulté  ,  savoir ,  que  le  christianisme  n'a  été 
embrassé  dans  sa  naissance  que  par  la  lie  du  peuple  :  je 
le  discuterai  dans  un  moment  ;  maintenant  je  le  suppose. 


378  DISSERTATIONS 

Je  commence  par  altaquer  la  conséquence  de  l'assertion, 
avant  de  combattre  l'assertion  elle-même. 

XXIII.  La  classe  la  plus  liunible  du  peuple  est  facile 
à  tromper  :  mais  sur  quels  objets  ?  Sur  ce  qui  favorise 
ses  préjuges  ,  ses  intérèls,  ses  passions.  Sur  ce  qui  con- 
trarie tout  ce  qu'elle  a  de  cher,  elle  ne  s'en  laisse  pas 
aussi  aisément  imposer.  Elle  croit  avec  facilité  ce  qui  la 
flatte ,  avec  peine  ce  qui  lui  répugne.  On  dit  vulgaire- 
ment ,  et  une  expérience  constante  justifie  cet  adage, 
que  l'homme  le  plus  simple  ne  l'est  pas  sur  ses  intérêts. 
Que  l'on  considère  ce  qui  résultait  de  la  foi  des  mira- 
cles,  et  on  verra  s'il  était  facile  de  les  faire  croire  à  la 
multitude  contre  la  vérité.  En  y  ajoutant  foi,  il  fallait 
déposer  la  religion  dans  laquelle  on  avait  été  élevé  ,  et 
tous  les  principes  que  l'on  avait  sucés  avec  le  lait  ;  il  fal- 
lait sacrifier  toutes  ses  affections ,   abjurer  l'amour  des 
richesses  et  des  plaisirs,  embrasser  la  pratique  des  vertus 
les  plus  pénibles ,   de  la  mortification  ,  de  l'abnégation  , 
de  l'humilité  ,  de  l'amour  des   ennemis  :  il  fallait  s'ex- 
poser à  la  haine  et  au  mépris  de  ses  concitoyens ,  à  la 
persécution  des  hommes  puissants  ,  et  à  ses  terribles  sui- 
tes. Croit-on  qu'il  soit  facile  d'opérer  avec  des  tours  d'a- 
dresse une  telle  métamoi-phose  sur  un  peuple  ,  quelque 
léger ^  quelque  grossier,  quelque  simple  qu'il  soit?  Le 
bon  sens  n'est  pas  tellement  l'apanage  du  rang  et  de  la 
science ,  que  les  ignorants  et  les  petits  en  soient  dépour- 
vus. Le  simple  peuple  a  beau  être  ignorant ,  il  n'est  pas 
insensé.  Ce  serait  être  fou,  que  de  changer  d'idées,  de 
goûts  ,  d'affections  ,  de  sentiments  ,  et  cela  pour  se  met- 
tre plus  mal  que  l'on  était  sans  avoir  examiné  avec  tout 
le  soin  dont  on  est  capable  les  raisons   de   ce  change- 
ment. 

Et  considérons  encore  en  quoi  consistait  cet  examen 
nécessaire  pour  que  le  peuple  ne  fût  pas  trompé  sur  les 
miracles  de  Jésus-Christ  et  de  ses  disciples.  S'agissait-il 
de  raisonnements  qui  passassentsa  portée?  Fallait-il  des 
discussions  profondes,  des  arguments  abstraits?  Rien  de 
tout  cela  assurément.  Il  suffisait  d'avoir  cette  mesure  de 


SUR    L.V    RELIGION.  379 

bon  sens  dont  le  petit  peuple  est  doué  comme  lesliom- 
mes  les  plus  considérables.  On  était  si  voisin  des  faits , 
que  la  vérification  en  était  de  la  plus  extrême  facilité. 
Quand  les  apôtres  prêchaient  pour  la  première  fois  Jé- 
sus-Christ, ils  parlaient  à  des  gens  qui  avaient  été  per- 
sonnellement témoins  de  ses  miracles  ou  qui  étaient  en- 
vironnés d'hommes  qui  les  avaient  vus.  Quand  ils  di- 
saient que  leur  Maître  leur  avait  communiqué  son 
pouvoir  de  faire  des  miracles ,  et  qu'en  conséquence  ils 
en  faisaient ,  on  n'avait  pas  besoin  de  grandes  médita- 
tions pour  s'en  assurer.  Des  yeux,  et  un  jugement  qui 
ne  fût  pas  égaré,  voilà  tout  ce  qui  était  nécessaire.  Par- 
mi les  premiers  chrétiens  ,  il  n'y  en  avait  aucun  qui  ne 
fut  capable  de  cet  examen.  Quand  il  s'agit  de  faits  bien 
palpables  et  bien  solennels,  le  paysan  le  plus  grossier 
peut  en  être  aussi  sûr  que  le  plus  habile  philosophe. 

En  continuant  de  supposer  que  tous  les  premiers  chré- 
tiens, prosélytes  de  Jésus-Christ  et  de  ses  apôtres  ,  hom- 
mes de  la  dernière  classe  du  peuple  ,  et  dépourvus  d'ins- 
truction ,  ont  pu  facilement  se  laisser  abuser,  il  faut  en- 
core admettre  que  l'illusion  a  continué  ,  lorsque  au  bout 
de  quelque  temps  des  hommes  d'un  état  plus  considé- 
rable ,  et  ayant  plus  de  lumières,  sont  entrés  dans  la 
nouvelle  religion.  Mais  de  cette  conséquence  nécessaire 
résultent  deux  graves  absurdités  :  1°  il  faut  adopter  de 
deux  choses  l'une  ;  ou  que  tous, ces  personnages  éclairés 
ont  embrassé  le  christianisme  sans  examen,  malgré  tous 
les  intérêts  qui  devaient  les  en  détourner,  ou  que  l'exa- 
men de  tous  ces  hommes  éclairés  leur  a  fait  croire  ,  con- 
tre toute  espèce  de  raison  ,  des  faits  dénués  de  vraisem- 
blance. 2^  Les  illusions  populaires  ,  faites  par  des  char- 
latans ,  durent  jusqu'au  temps  où  les  hommes  qui  ont 
des  lumières  se  mettent  à  examiner  la  chose,  dissipent  le 
prestige  et  désabusent  le  vulgaire.  Dans  le  fait  du  chris- 
tianisme ,  il  serait  donc  arrivé  le  contraire  de  ce  que 
l'expérience  constante  et  le  sens  commun  montrent  qui 
doit  arriver  toujours.  Ce  seraient  les  hommes  de  l'ordre 
le  plus  humble  de  la  société ,  les  hommes  sans  esprit , 


380  DISSERTATIONS 

sans  connaissance  ,  sans  habitude  de  raisonner,  sans  fa- 
cilité de  s'exprimer  ,  qui  auraient  subjugué  et  amené  à 
leur  manière  de  voir  tous  les  personnages  les  plus  consi- 
dérables, les  plus  savants,  les  plus  éniinenunent  doués 
de  la  force  du  raisonnement  et  de  la  parole. 

De  ce  que  les  premiers  néophytes  étaient  des  hommes 
simples  et  pauvres,  loin  qu'il  s'ensuive  un  argument  con- 
tre la  rehgion  chrétienne  ,  il  résulte  au  contraire  une  con- 
sidération en  sa  faveur  ;  c'est  que  ce  choix  de  la  Provi- 
dence avait  été  prédit  par  les  prophètes.  Isaie  l'avait  spé- 
cialement annoncé  (1);  et  Jésus-Christ  lui-même,  dans 
plusieurs  occasions  ,  s'était  appliqué  cet  oracle,  en  avait 
montré  dans  sa  personne  l'accomplissement,  et  avait  ré- 
clamé ce  témoignage  de  sa  mission  (2).  Ainsi  la  prédica- 
tion de  l'Evangile ,  particulièrement  aux  pauvres ,  était 
un  des  caractères  du  Messie.  Ce  rapport  du  fait  avec  la 
prédiction  montre  que  le  fait_,  loin  de  former  une  diffi- 
culté contre  la  religion ,  donne  au  contraire  une  raison 
de  plus  d'y  croire. 

XXIV.  Passons  maintenant  à  l'examen  du  fait  allé- 
gué ,  et  voyons  s'il  est  vrai ,  comme  on  le  prétend , 
que  l'Evangile  ne  fut  d'abord  reçu  que  par  la  plus  bas- 
se populace,  crédule  et  incapable  de  tout  examen. 


(i)  Spiritas  Domini  saper  me ,  eo  quod  unxit  Dominas  me.  Ad 
annantiandam  mansuetis  inisit  me,  at  mederer  contritis  corde ,  et 
prsedicarem  captivis  indulgentiam  ,  et  clansis  apertionem  •  nt  praedica- 
rem  annam  placabilera  Dom'no ,  et  diem  altionis  Deo  noslro  ;  nt 
consolarer  omnes  lugentes.  (Is.  lxi,  1,2.) 

(2)  Et  traditas  est  ei  liber  Isaise  prophetae  ;  et  ut  revolvit  librnm, 
invenit  locam  abi  scriptam  erat  :  Spiritus  Domini  super  me,  propter 
quod  unxit  me,  evangelizare  paaperibus  raisit  me,  sanare  contritos 
corde;  praedioare  captivis  remissionem,  et  caecis  visnra;  dimiitere 
confractos  in  remissionem  ;  prœdicare  annum  Domini  acceptum  ,  et 
diem  retributionis  ...  Cœpit  autem  dicere  ad  illos  :  Quia  hodie  im- 
pleta  est  baec  scripinra  in  auribns  vestris.  [Luc,  iv ,  17  et  seq.  ) 

Et  respondens  di\it  illis  :  Euntes  renuntiate  Joanni  qnae  audiaiis 
et  vidistis  :  Quia  caeci  vident,  clandi  ambulant,  leprosi  mundanlur, 
sardi  audiunt,  mortui  resurgunt,  pauperes  evangelizantur.  {Idem, 
ï^ii,  aa.) 


SUR    LA    RELIGION.  381 

Jésus-Christ  vivait  encore  ,  et  déjà  il  comptait  parmi 
ses  disciples  plusieurs  personnes  de  considération  :  Ni- 
codème,  un  des  chefs  des  Juifs  (1),  Joseph  d'Arimathie, 
homme  riche  ,  noble  décurion  (2) ,  le  centenier  dont  il 
avait  guéri  le  serviteur  à  Capharnaûm  '^3) ,  au  même 
endroit  un  autre  officier  dont  il  avait  guéri  le  fils  (4) , 
beaucoup  des  principaux  de  la  nation ,  que  la  crainte 
des  Juifs  empêchait  de  se  déclarer  (5).  Ainsi ,  dès  le  temps 
de  son  ascension  il  n'était  pas  vrai  que  sa  doctrine  ne 
fût  embrassée  que  par  ce  petit  peuple  qui  ne  sait  rien 
examiner. 

Il  n'a  pas  plu  à  l'Esprit  saint  de  nous  apprendre  de 
quel  état  étaient  les  huit  mille  hommes  convertis  dans 
les  deux  première;^  prédications  de  l'Evangile;  mais  ce 
qu'il  nous  dit,  qu'immédiatement  après  la  première  de 
ces  prédications  ceux  qui  avaient  des  possessions  les 
vendaient,  et  en  distribuaient  le  prix  aux  indigents, 
selon  leurs  besoins  (6) ,  montre  qu'il  y  avait  des  per- 
sonnes d'un  autre  état  que  de  la  dernière  classe  du 
peuple.  La  foi  était  encore  concentrée  dans  la  Judée,  et 
déjà  une  troupe  de  prêtres,  c'est-à-dire  des  hommes  les 
plus  éclairés  du  peuple  juif,  lui  obéissait  (7). 

De  la  Judée ,  je  suis  la  publication  de  l'Evangile  dans 


(i)  Erat  aotem  homo  es  pharisads ,  Nicodemus  nomine  ,  prioceps 
Jadaeorum.  {Joan.  m,  i.  ) 

(a)  Yenit  quidam  homo  dives  ab  Arimathaea  ,  noraine  Joseph,  qui 
et  ip^e  discipalus  erat.  {^Matth.  xxvu,   5'].) 

Venit  Joseph  ab  Arimathaea  nobiiis  decurio ,  qui  et  ipse  erat  ex- 
pecïans  regnam  Dei.  (^Marc.  xv ,  45.) 

(3)  Match,  vm,  et  seq. 

(4)  Et  credidit  ipse  (Régulas),  et  domas  ejas  tota.  {Joan.  iv,  53.) 

(5)  Vetumtamen  et  ex  priiicipibas  molli  crediderunt  in  eam  ;  sed 
propter  pharisaeos  non  confi'ebanlnr.  {Joan.  xii ,  4ti.) 

(6)  Omnes  autem  qui  credebant,  erant  pariter ,  et  habebant  omnia 
communia,  ]josseswones  et  sabstantias  vendebant ,  et  dividebant  illa 
omnibus,  prout  cuique  opus  erat.  (Act.  ii ,  44 ,  45.) 

(7)  Verbam  Domini  crescebat ,  et  rauliiplicabatur  nnmerus  discipa- 
lorom  in  Jérusalem  valde.  Malta  etiam  turba  sacerdotom  obediebat 
fidei.  {yict.  VI,   7.  ) 


382  DISSERTATIONS 

les  divPi's  pays  où  va  la  porter  le  zèle  dos  apôtres.  Je 
les  vois  établissant  le  théâtre  de  leur  prédicalion  dans 
les  villes  les  plus  grandes  et  les  plus  célèbres,  séjours 
des  personnages  les  plus  distingués,  centres  des  con- 
naissances les  plus  brillantes  et  les  plus  étendues. 
Serait-ce  là  qu'ils  iraient  se  placer,  si  leur  intention 
était  seulement  de  convertir  les  gens  de  la  lie  du  peuple? 
Je  recherclie  les  résultats  de  leurs  exhortations.  Je 
trouve  sur  le  chemin  de  Gaza  l'eunuque  de  la  reine 
d'Ethiopie,  homme  puissant  et  sur-intendant  de  ses 
trésors (1;;  à  Césarée  ,  Corneille,  centurion  d'une  co- 
horte (2)  ;  à  Paphos,  Sergius  Paulus,  proconsul  ro- 
main (3)  ;  à  Athènes,  Denys^  membre  de  l'aréopage  (4); 
à  Ephèse ,  Apollo,  homme  éloquent,  et  puissant  dans 
les  écritures  (5);  à  Corinthe,  Eraste  ,  trésorier  de  la 
ville  (6)  ;  à  Rome,  plusieurs  saints  dans  la  maison  de 
César  (7).  Etaient-ils  de  la  dernière  classe  du  peuple  ces 
chrétiens  formés  par  les  apôtres  7  Je  demande  aussi  s'ils 
étaient  incapables  de  tout  examen,  ces  juifs  de  Bérée , 
les  plus  nobles  de  ceux  de  Thessalonique ,  qui  reçurent 
la  parole  avec  avidité,  après  avoir  étudié  avec  soin, 
dans  les  Ecritures ,  si  ce  qu'on  leur  annonçait  était 
véritable  (8)  ?   S'ils  étaient   des    hommes  sans  aucunes 


(i)  Et  ecce  vir  aethiops ,  eunuchus  potens  Candacis  reginae  iEihio- 
puiK  ,  qui  erat  super  omnes  gazas  ejus.  {^Act.  vixi,  27.  ) 

(2)  Vir  autem  quidam  nomine  Cornélius,  centario  cohortis  quae 
dicitur  italica.  i^Acl.  x,  i.) 

(3)  Cum  proconsul  vidl^set  faclum,  credidit  admirans  saper  doc- 
trina  Doinini.  {^Act.  xiii ,  12.) 

(4)  Quidam  vero  adhicrentes  ei  credideiunt ,  ex  quibas  et  Diony- 
sins  areopagila.  {Act.  xvii  ,  34.) 

(5)  Judseus  autem  quidam,  Apollo  nomine,  alexandrinus  génère, 
vir  eloquens,  venit  Ephesura ,  potens  in  scriplnris.  Hic  erat  cdoctus 
viam  Domini.  {Act.  xviii,  24,  2  5.  ) 

(6)  Srtlutat  vosErastus.  arcarius  civitatis.  (Rom.xvi,  2  3.) 

(7)  Salutant  vos  omnes  sancti,  maxime  autem  qui  de  domo  Caesa- 
ris  sunt.  {Philipp.  xv ,  22.) 

(8)  Hi  autem  nobiliores  erant  eomm  qui  sunt  Thesalonicce ,  qui 
sasceperont  verbum  corn  omni  aviditate,  qaotidie  scrutantes  scripta- 


SUR    LA    RELIGION.  383 

connaissances,  ces  fidèles  d'EpLèse ,  qui,  s'étant  livrés 
autrefois  à  l'étude  des  curiosités  de  la  nature,  brûlèrent, 
après  leur  conversion,  des  livresde  leur  frivole  science,' 
pour  le  prix  de  cinquante  mille  deniers  (1)?  Si  c'étaient 
des  ignorants,  n'ayant  la  teinture  d'aucune  science,  les 
nouveaux  chrétiens  de  Colosses ,  que  l'apôtre  avertit  de 
ne  pas  se  laisser  séduire  par  une  vaine  et  fausse  philoso- 
pliie  (2)?  Si  elles  étaient  de  la  populace  grossière  les 
femmes   à    qui  St.  Pierre   et  St.  Paul   interdisent  les 
frisures  élégantes,  les    parures  magnifiques  (3)?  Nous 
soutiendra-t-on  aussi  que  les  Clément,  les  Ignace,  les 
Polycarpe,  prosélytes  de  la  foi  sous  les  apôtres,  après 
eux  ses  défenseurs,   étaient  des  hommes  sans  esprit  et 
sans  lumières?  Les  apôtres  venaient  de  terminer  leur 
carrière,  et  un  grand  nombre  de  ceux  qui  professaient 
le  christianisme  avaient  été  formés  par  leurs  travaux . 
quand  Pline  écrivait    à   Trajan   que    la  persécution   à 
laquelle  on  dévouait  les  chrétiens  mettait  en  péril  des 
personnes  de  tout  rang  comme  de  tout  âge  et  de  tout 
sexe  (4).  Je  m'arrête  là  ,  et  je  ne  poursuis  pas  la  recher- 
che des  personnes  au-dessus  du  vulgaire  converties  à  la 
religion,  au-delà  du  temps  de  la  prédication  apostolique. 


ras,   si  haec  ita   se  haberent.  Et  raulti  qaidera  crediderunt  ex  eis  et 
mulieram  gentilium  honestaram ,  et  viri  nou  panci.  (Act.  xvii     ii 

12.  )  ^  '  i 

(i)  Molti  ex  eis  qui  faerant  corioba  sectati  contulerunt  libroa  et 
combusseruat  coram  omnibus,  et  compatatis  pieùis  illorum,  invene- 
rant  pecuniam  denariorum  quinqaaginta  milliam.  {Act.  xrx',  19.) 

(:»)  Videle  neqnis  vos  decipiat  per  philosophiam'et  inanem  falla- 
ciam.  {Colo&s.u^  8.) 

(3)  Qaaram  non  sit  extrinsecns  capillatara,  aut  ciicnmdatio  auri 
aut  indaraenti  vestimenloram  caltus.  (i.  Petr.  (ii,  3.)  ' 

Similiter  et  malieres  in-vestita  ornato,  cam  verecandia  «i  sobrietale 
ornantes  so  ,  et  non  in  tortis  crinibus,  aut  anro,  aut  margaritis  aut 
veste  pretiosa.  (Timoth.,  11,  9.)  01 

(4)  Visa    est   mihi  res  digna  consultatione  propter    periditanlium 
unmerum.  Multi  enim  omnis  aetatis  ,  omnis  ordinis,  niriusqne  sexus 
etîam  vocantur  in  periculam,  et  vocabnntur.  {Plin.  secund.  ad  Tra- 
janum.  lib,  x,  episr.  97.) 


384  DISSERTATIONS 

J*aurais  trop  d'avantages  sur  nos  adversaires,  et  je 
n'imagine  pas  qu'eux-mêmes  veuillent  prétendre  que  le 
christianisme ,  à  mesure  qu'il  s'est  étendu  ,  n'a  pas 
acquis  de  néophytes  dans  les  classes  les  plus  élevées  de 
la  société. 

Quel  était  donc,  à  cet  égard,  l'état  de  l'Eglise  dans 
le  temps  des  apôtres,  et  telle  qu'ils  l'avaient  composée? 
St.  Paul  nous  en  donne  l'idée,  quand  il  dit  qu'il  n'y  a 
pas  un  grand  nombre  de  sages  selon  la  chair ,  de  puis- 
sants et  de  nobles  (1).  Il  n'y  en  avait  pas  un  grand 
nombre;  il  y  en  avait  donc  quelques-uns  (2).  L'apôtre 
aurait-il  pu  ,  aurait-il  ose  dire  qu'il  n'y  avait  pas  dans  le 
christianisme  une  grande  quantité  de  savants  et  de 
puissants,  s'il  n'y  en  avait  pas  eu  du  tout?  Sans  doute, 
dans  ces  premiers  temps,  il  y  avait,  comme  il  y  aura 


(i)  Tidete  vocationem  vestram ,  fratres  ;  quia  non  mnlli  sapientes 
secnndnra  carnem,  non  mnlti  potentes  ,  non  mulli  nubiles,  sed  qnas 
sont  stnlta  mnndi  elegit  Dens,  nt  confiindat  fortia  ;  et  ignobilia  mun- 
di  et  contemptibilia  elegit  Deus ,  et  ea  quae  snnt  destrneret.  (i.  Cor. 
I,  26  ,  27  .  28.  ) 

(2)  Fortai-se  etiam  opinion!  eornm,  qui  eroditnm  ,  aut  sapientem , 
ant  prudentem  arbitrantur  ,  in  nostram  societatem  non  recipi ,  locum 
dederit  bic  alius  Pauli  iocus  :  Vidcte  vocationem  vestram ,  etc.  At 
non  dictnm  est  :  JS'emo  sapiens  secundum  carnem  ;  sed,  non  multi  sU' 
pientes  secundum  carnem....  Injuste  igitur  Celsus  in  nos  insnrgit  qua- 
si diceremus  :  Nemo  eruditus,  neino  sapiens,  nemo  prudens  ad  nos 
accédât.  Imrno  accédât  eruditus,  sapiens  et  prudens,  cuin  voluerit  ; 
sed  accédât  nibilorainus  siolidus,  ineruditus,  puer.  PoUicetnr  enim 
nostra  doctrina  se  et  illos  honaines  sanaturam;  si  accesserint,  quippe 
quae  omnes  Deo  dignos  efficiat.  FaUum  et  istnd  tsl ,  fatuos  ,  ignobi- 
les,  stupidos ,  mancipia .,  miilierculas  ,  puerulos  ,  hos  oranes  soles 
esse,  quos  divinae  doctrinae  praecones  sibi  comparare  velint.  Hos 
enim  nostra  doctrina  vocat  quidem ,  ut  meliores  reddat  ;  sed  vocat  et 
alios  ab  illis  longe  diverses.  {Origen,  contra  Cels. ,  lib.in  ,  n"  48, 

4,9-) 

Ne  sibi  contradiccre  videatur  (Paulus)  ;  persuasit  enim  proconsnii, 
persuasit  areopagilœ,  peisuasit  ApoUini;  et  alios  eliara  videmus  sa* 
pientes,  prsedicationem  secutos.  Idcirco  non  dicit  :  Nemo  sapiens  ; 
sed,  Non  multi  sapientes.  Si  quidem  non  per  sortem  indoctos  voca- 
vit,  dimisitautem  sapientes;  sed  et  hos  accepit,  et  illos  longe  magis. 
(S-  Joan.  Chrjiost.  in  epist.  i  ad  Corinth. ,  Homil.) 


SUR   LA    RELIGION.  385 

toujours,  plus  de  chrétiens  de  la  classe  populaire  que 
d'autres.  Il  en  est  une  raison  naturelle  ;  c'est  que  cette 
classe  est  en  tout  temps  et  en  tous  lieux,  de  beaucoup  la 
plus  nombreuse  (3).  Mais  St.  Paul  nous  en  donne  une 
autre  raison  d'un  ordre  supérieur  :  c'est  qu'il  était  dans 
les  décrets  divins,  que  ce  fiit  par  ce  qu'il  y  a  de  plus 
faible  aux  yeux  du  monde  ,  que  la  foi  triomphât  de 
ce  cjue  le  monde  a  de  plus  fort.  J'aurai  occasion  de 
revenir  sur  cette  vue  de  la  Providence  ;  et  d'en  montrer 
la  réalisation  et  la  conséquence. 

Il  reste  donc  prouvé  que,  dans  l'objection  proposée  , 
ni  le  fait  c^u'on  allègue  n'est  exact ,  ni  la  conséquence 
qu'on  en  tire  n'est  juste. 

XXY.  Les  incrédules  insistent  sur  l'amour  des  hommes 
pour  le  merveilleux ,  et  en  concluent  qu'il  n'a  pas  été 
difficile  de  les  induire  en  erreur  sur  les  miracles  du 
christianisme.  «<  Le  peuple,  disent-ils,  n'aime  pas  à 
«  douter,  il  préfère  de  croire;  et  plus  une  chose  est 
u  extraordinaire ,  plus  il  la  croit  facilement.  Il  n'y  a 
«  peut-être  pas  eu ,  depuis  l'origine  du  monde ,  un 
M  fripon  annonçant  des  merveilles  et  ayant  l'air  d'en 
a  faire,  qui  n'ait  trouvé  des  dupes.  Notre  siècle  si  éclairé 
«  en  fournit  plusieurs  exemples.  Mais  c'est  surtout  en 
«  matière  de  religion  qu'il  est  le  plus  facile  de  tromper 
«  le  monde.  Le  sentiment  religieux  l'emporte  sur  le 
«  sens  commun.  Un  homme  qui  professe  une  religion 
«  peut  être  enthousiaste  au  point  d'imaginer  qu'il  voit 


(i)  Quoniam  autpm  plares  ubiqae  snnt  ignari  et  roâtici,  qaam  in 
scientiis  exei'citati ,  necesse  fait  in  tanla  eorarc  inaliitadine  ,  qni  cioc- 
trinae  manns  dabanl  ,  plnres  esse  rades  et  rusticos  ,  qaam  lilteratos. 
Tamen  Celsu*  noiens  ad  haec  aniraara  advertere  ,  benignain  banc  doc- 
trinam  j  et  peitingentem  ad  omiiem  animam  nsque  ad  solis  ortum  , 
pro  siinplicitute  habet;  pntatqae  illa  doctiina  sohis  rudes  devictos  esse 
propterea  quod  rudis  ipsa  est,  et  neqnaqnam  ad  persuadendnm  effi- 
cax.  Neqae  tamen  solos  simplices  dicit  bac  doctrina  ad  Dei  secundum 
Jesam  cultam  adductos  fuisse.  Falelur  enira  ex  eis  maltos  esse  mo- 
destes, temperatos  ,  prudentes,  et  qui  allegoriam  intelligant.  ÇOri- 
gen.  contra  Celsitm  ^  lib.  vu,  cap.  Sg.) 

Dissert,  sur  la  Relig.  17 


3186  DISSERTATIONS 

M  ce  qu'il  ne  voit  point,  ce  qui  n'a  aucune  réalité.  L 

«  est  même  possible  qu'avec  les  meilleures  intentions 

<i  du  monde  ,  et  pour  avancer  les  intérêts  d'une  si  sainte 

«   cause,  il  raconte   ce   qu'il   sait  être  faux.  Ceux  qui 

«  l'écoutent ,  ou  n'auront  pas  assez  de  ju^^ement  pour 

«  apprécier  la  vérité  de  son  rapport;  ou,  s'ils  en  ont, 

u   ils  y  renoncent,  dès  qu'il  s'agit  d'objets  aussi  sublimes. 

«  Dans  le  fait,  quelle  est  la  religion  qui  ne  vante  pas 

.1  ses  miracles?  L'eidèvement  de  Romulus  au  ciel;  le 

c.   fait  d'Altius-Nœvius,  qui  coupa  un  caillou  avec  un 

a   rasoir  ,  et  pour  lequel  on  avait  élevé  à  cet  augure  une 

a  Statue;  celui  de  Curtius  qui,  se  jetant  dans  un  gouffre, 

«  le  fit  fermer  ;  les  mi-racles  d'Apollonius  de  Thyane, 

«t  celui  de  Tespasien  ,  ne  sont  plus  crus  par  personne  ; 

«  ceux  du  diacre  Pâris^  qui  de  nos  jours  avaient  séduit 

«  tant  de  gens  de  si  grave  autorité  sont  aussi  tombés 

a   dans  le  mépris.  Ce  qui   doit  surtout  altérer  la  foi  des 

-   miracles  cbrétiens ,  c'est  la  quantité  de  faux  miracles 

«  allégués  en  faveur  du  christianisme ,  qui  remplissent 

u  les    légendes,   et  dont  tout   le  monde  reconnaît   le 

.(  ridicule.  Au  reste,  si  on  veut  établir  une  religion  sur 

«  les  miracles ,  il  faut  donc  discuter  les   miracles  que 

»  produisent  toutes   les  religions  :  et   cet  examen   est 

«   impraticable  à  la  presque  totalité  des  hommes.  Mais 

u   quand  on  voit  les  hommes  si  souvent  trompés  par  de 

«   ridicules  relations  de  miracles ,  produites  pour  soute- 

«   nir  des  religions,  on  doit  juger  que  la  seule  circons— 

u  tance  ,  qu'une  chose  extraordinaire  est  attachée  à  une 

u  rehgion ,  est  une  preuve  de   fraude  ,    et  doit  ,  sans 

«  autre  examen,  faire  rejeter  le  miracle.  » 

XXYI.  Yoici  en  quoi  consiste  toute  cette  objection , 
que  les  incrédules  aiment  beaucoup  à  répéter. 

Il  a  été  raconté  souvent  de  faux  miracles  ;  donc  il  ne 
faut  ajouter  foi  à  aucun  miracle. 

Toutes  les  religions  vantent  leurs  miracles;  donc  il 
n'y  a  aucune  religion  dont  les  miracles  soient  véri- 
tables. 

L'enthousiasme  fait  croire  trop  facilement  aux   mi- 


SUR    LA    RELIGION.  387 

racles  de  la  religion  que  l'on  professe  ;  donc  la  foi  trop 
facile  aux  miracles  fait  embrasser  légèrement  une 
religion  nouvelle. 

L'examen  des  miracles  de  toutes  les  religions  est 
impraticable  à  la  plupart  des  hommes  ;  donc  tous  les 
hommes  doivent  rejeter  sans  examen  tous  les  miracles 
de  toutes  les  religions. 

Reprenons  ces  divers  points  ,  et  après  avoir  fait  sentir 
le  ridicule  de  ces  raisonnements ,  développons  -  en  le 
vice. 

XXVII.  J'ai  répondu ,  en  examinant  l'objection  pré- 
cédente ,  à  ce  qui  est  dit  ici  de  l'amour  du  peuple  pour 
le  merveilleux.  Ce  merveilleux  que  le  peuple  aime, 
est  celui  qui  flatte  ses  pensées  et  ses  goûts.  Tous  ces 
fripons  qu'on  nous  allègue,  qui  ont  trouvé  des  dupes, 
])romettaient  des  choses  agréables:  l'un,  la  pierre  phi- 
losophale;  l'autre,  des  sources  d'eau;  quelques-uns  la 
vision  de  héros  anciens  ;  la  plupart ,  la  santé.  Mais  que 
l'on  cite  un  seul  qui  ait  réussi  à  se  donner  des  partisans 
par  des  illusions  qui  engageassent  à  de  grands  sacrifices, 
qui  exposassent  à  de  grands  dangers  ;  car  c'est  à  cela 
que  les  apôtres ,  en  annonçant  les  miracles ,  ont  amené 
ceux  qui  ont  cru  en  eux. 

De  l'amour  du  peuple  pour  le  merveilleux ,  il  n'y  a 
qu'une  chose  à  conclure;  et,  nous  l'avons  déjà  dit, 
c'est  qu'il  faut  être  très-circonspect  à  croire  les  mer- 
veilles. Mais  en  inférer  qu'il  est  nécessaire  de  rejeter 
tous  les  miracles,  est  une  conséquence  évidemment 
exagérée  et  déraisonnable.  Il  en  est  à  cet  égard  des  faits 
miraculeux  comme  des  événements  naturels.  Il  y  a  un 
grand  nombre  d'histoires  fausses  :  faut-il ,  pour  cela  , 
ne  croire  aucune  histoire  ? 

XXYIII.  C'est  surtout,  ajoute-t-on,  l'enthousiasme 
religieux  ,  qui  égare  et  qui  fait  perdre  le  jugement. 
Je  réponds  d'abord  que  le  principe  est  ici  très-exagéré. 
L'enthousiasme  peut  effectivement  engager  un  homme 
à  croire  qu'il  voit  ce  qu'il  ne  voit  pas ,  s'il  est  éloigné 
de  l'objet,  s'il  n'y  apporte  pas  une  grande  attention  , 


388  DISSERTATIONS 

si  la  fraude  est  tlssiie  avec  assez  d'art  pour  échapper  à 
son  premier  coujvd'œil.  Mais  ce  n'est  pas  là  notre 
question.  Il  s'agit  de  savoir  si  un  homme  peut  être 
tellement  emporté  par  son  imagination  exaltée ,  qu'il 
croie ,  comme  on  prétend  «jue  l'ont  cru  les  apôtres , 
voir  près  de  lui  ce  qu'il  ne  voit  pas  ,  entendre  ce  qu'il 
n'entend  pas,  toucher  ce  qu'il  ne  touche  pas;  qu'il 
croie  tout  cela  sans  fondement ,  non  pas  une  fois  ,  mais 
souvent,  mais  continuellement,  mais  pendant  une 
longue  suite  de  temps.  Il  s'agit  de  savoir  ,  et  ceci  est 
bien  plus  fort  encore,  si  une  multitude  de  personnes, 
jouissant  de  leurs  sens  physiques  et  moraux  ,  peut  être 
tout  entière  dans  la  même  illusion ,  et  toute  de  la 
même  manière,  et  y  rester  de  même  pei>dant  long- 
temps. 

Je  réponds  ensuite^  qu'il  est  possibleque  l'enthousias- 
me d'une  religion  dont  on  est  persuadé ,  fasse  croire 
trop  légèrement  des  miracles  faits  en  faveur  de  cette 
rehgion;  mais  qu'il  est  absurde  de  prétendre  que  l'en- 
thousiasme fasse  admettre  les  miracles  faits  en  faveur 
d'une  religion  nouvellement  proposée  et  à  laquelle  on 
ne  croit  pas  encore.  Qu'un  homme  publie  faussement, 
dans  un  pays  chrétien ,  un  miracle  opéré  en  faveur  de  la 
religion  chrétienne,  je  ne  serai  pas  surpris  que  beaucoup 
de  gens  le  croient  légèrement.  Mais  qu'on  vienne ,  dans 
ce  même  pays,  annoncer  un  miracle  fait  pour  accréditer 
la  religion  mahométane  ,  je  dis,  et  tout  homme  rai- 
sonnable en  conviendra ,  que  ce  miracle  ne  sera  pas 
cru  légèrement;  les  uns  le  rejeteront  sans  examen,  les 
autres  voudront  l'examiner.  L'objection  sort  donc  évi-  ] 
demment  de  la  question.  Elle  suppose  un  homme  qui  j 
professe  une  religion ,  qui  en  est  persuadé ,  qui  en  est  * 
enthousiaste  ;  et ,  entre  nous  et  les  incrédules  il  s'agit 
d'hommes  qui ,  avant  de  voir  les  miracles ,  étaient  dans 
une  religion  différente,  qui  par  conséquent  avaient  des 
préjugés  contraires  à  cette  rehgion,  que  tous  les  intérêts 
humains  devaient  en  éloigner.  De  tels  hommes  ont-ils 
pu  admettre  les  miracles  par  enthousiasme?  L'enthou- 


SUR    L\    RELIGION.  389 

siasme  a  pu  être  produit  en  eux  par  la  vue  des  prodiges, 
et  ce  n'est  assurément  pas  une  preuve  de  leur  fausseté. 
Mais  il  est  déraisonnable  jusqu'au  ridicule  de  prétendre 
•qu'un  enthousiasme  qu'ils  n'avaient  ni  ne  pouvaient 
avoir,  leur  ait  fait  voir  de  faux  prodiges.  L'enthou- 
siasme a  pu  être  l'effet  de  la  persuasion  des  miracles, 
il  n'a  pu  en  être  la  cause. 

XXIX.  Voici  une  autre  assertion  aussi  extraordi- 
naire; c'est  qu'avec  de  bonnes  intentions  un  homme 
peut  assurer  de  faux  miracles  pour  l'avancement  d'une 
cause  sainte.  D'abord,  s'il  croit  la  cause  sainte^  il  est 
donc  déjà  persuadé  de  sa  vérité  ;  et ,  comme  je  viens 
de  le  dire  ,  ce  n'est  pas  là  l'état  de  la  question  ;  il  s'agit 
d'hommes  convertis  au  christianisme  par  les  miracles. 
De  plus,  s'il  est  possible  qu'un  homme  soit  assez  mal 
organisé  d'esprit  pour  concilier  une  telle  imposture  avec 
les  sentiments  de  religion  qu'on  lui  suppose,  comment 
peut-on  attribuer  à  une  multitude  d'hommes  jouissant 
de  leur  raison  ,  un  mélange  aussi  extraordinaire  de 
vertu  et  de  crime?  Comment  veut-on  que  beaucoup 
d'hommes  croyant  une  religion  qui  réprouve  le  men- 
songe ,  un  Dieu  qui  le  punit,  inventent  une  fourberie, 
la  concertent,  la  soutiennent  unanimement,  constam- 
ment ^  sans  jamais  se  démentir;  le  tout  avec  les  meil- 
leures intentions  du  monde?  Je  crois  difficile  de  pré- 
senter une  idée  plus  incohérente. 

XXX.  Des  témoins  qui  rapportent  faussement  un 
fait  par  enthousiasme,  on  passe  à  ceux  qui  les  écoutent. 
On  dit  d'abord  qu'ils  n'ont  pas  assez  de  jugement  pour 
apprécier  la  vérité  du  rapport ,  ensuite ,  que  ceux  qui 
en  auraient  y  renoncent  dès  qu'il  s'agit  d'objets  aussi 
sublimes.  La  première  assertion  peut  avoir  quelque 
vérité  ,  quand  il  s'agit  d'un  imposteur  qui  choisit  ses 
spectateurs;  mais  quand  le  fait  est  annoncé  publique- 
ment, comme  l'ont  été  les  miracles  du  christianisme  , 
il  y  a  nécessairement ,  dans  la  multitude ,  beaucoup  de 
personnes  qui  sont  en  état  d'examiner  le  rapport,  et 
qui  s'en  donnent  la  peine.   La  seconde  proposition  est 


390  DISSERTATIONS 

absolument  fausse.  C'est,  au  contraire,  quand  il  s'agit 
de  la  religion  ,  que  l'usage  d'un  jugement  sain  est  le 
plus  nécessaire.  Qu'est-ce  donc  qui  empêcherait  des 
hommes  que  l'on  suppose  judicieux  ,  d'examiner  les 
preuves  d'une  religion  qu'on  leur  annonce  ,  et  sur 
laquelle  ils  n'ont  pas  encore  de  préjugés? 

XXXI.  On  dit  que  la  discussion  de  tous  les  miracles , 
de  toutes  les  religions,  est  impraticable  à  la  plupart 
des  hommes.  Mais  leur  est-elle  nécessaire?  A-t-on 
besoin ,  pour  être  assuré  d'une  vérité  ,  d'avoir  réfuté 
toutes  les  objections  qu'on  y  oppose  ?  D'après  cet  étrange 
principe  ,  il  n'y  aurait  presque  rien  dont  le  vulgaire , 
c'est-à-dire  à  peu  près  tous  les  honmies ,  pussent  être 
persuadés.  Et  les  déistes  eux-mêmes  ,  que  de  choses  ne 
croient-ils  pas  ,  sans  avoir  fait  cet  examen  respectif  des 
preuves  et  des  difficultés  ?  Il  en  est  de  la  question  des 
miracles  comme  de  toutes  les  autres.  Il  ne  faut  pas  de 
grandes  lumières  pour  voir  que  ceux  du  christianisme 
sont  au  moins  aussi  bien  prouvés  qu'aucun  autre  fait 
puisse  l'être.  Le  commun  des  hommes  n'a  pas  besoin 
d'en  voir  davantage.  Les  théologiens  examinent  ensuite 
les  difficultés  qu'on  oppose  à  la  réalité  des  miracles  du 
christianisme  ;  ils  les  comparent  à  ceux  des  autres  reli- 
gions, et  en  font  voir  la  différence.  Toute  la  tourbe  des 
déistes  n'a  pas  approfondi  les  subtilités  des  athées.  Ils 
n'en  croient  pas  moins  l'existence  de  Dieu.  Toute  la 
multitude  des  chrétiens  n'a  pas  plus  besoin  ,  pour  croire 
les  miracles  du  christianisme  ,  d'approfondir  les  so- 
phismes  des  déistes ,  des  idolâtres ,  des  mahométans. 
Au  reste,  on  exagère  beaucoup  ici  la  difficulté  de  la 
comparaison  entre  nos  miracles  et  ceux  des  autres  reli- 
gions ;  et  il  ne  faut  assurément  pas  de  grandes  lumières 
pour  en  apercevoir  la  différence.  Tout  honuïie  légère- 
ment instruit  est  en  état  de  juger  que  les  uns  n'ont  pas 
été ,  comme  les  autres ,  prédits  d'avance  ,  opérés  publi- 
quement, attestés  unanimement ,  constamment,  inva- 
riablement, par  beaucoup  de  témoins  oculaires,  irré- 
prochables ,  que  tous  les  intérêts  humains  détournaient 


SUR    LA.    RELIGION.  391 

de  les  publier,  et  avoués  par  ceux  qui  étaient  intéressés 
à  les  contester. 

XXXII.  On  argumente  de  ces  faux  miracles  qui 
ont  été  publiés  dans  les  diverses  religions.  Pour  donner 
du  corps  à  ce  raisonnement,  il  faudrait  dire  :  On  a  été 
souvent  trompé  par  des  miracles  attestés  de  la  même 
manière  que  ceux  du  christianisme  ;  mais  alors  il  serait 
évidemment  faux.  Ajoutons  que  l'erreur  où  on  a  pu  être 
induit  par  ces  miracles  supposés  ,  a  été  plus  ou  moins 
promptement  découverte  par  la  critique;  au  lieu  que 
l'assentiment  de  tous  les  siècles  donne  un  nouveau 
poids  à  nos  miracles.  Enfin  ,  ces  divers  miracles  étaient 
faits,  non  pas  comme  ceux  du  christianisme,  pour  éta- 
blir une  nouvelle  croyance ,  mais  pour  favoriser  des 
religions  déjà  existantes. 

Comme  l'incrédulité  insiste  beaucoup  sur  ces  faux 
miracles,  examinons  ceux  qu'elle  nous  oppose. 

L'enlèvement  de  Romulus  n'a  eu  pour  témoin  qu'un 
sénateur ,  nommé  Proculus ,  intéressé  à  l'inventer , 
pour  cacher  l'assassinat  de  ce  prince.  Il  n'est  rapporté 
que  par  Plutarque,  plus  de  neuf  siècles  après. 

Le  fait  d'Attius-Xœvius  est  rapporté  pçr  Cicéron  et 
par.  Tite-Live  ,  postérieurs  aussi  de  plusieurs  siècles (1;. 


(i)  Id  quia  inaagarato  Romabis  fecerat,  negare  AtîiusZSaevios  in- 
clylus  ea  tempestate  augnr  ,  neque  mntari ,  ncqae  novain  constitai  , 
nisi  a?es  addixissent  ,  posse.  Ex  eo  ira  régi  nioia  ,  eludensqne  arteru 
(  at  feccrant)  ;  Agednm  ,  inquit  ,  <iiV//;e.  Tu  inaugura  fieri  ne  possit 
quod  nunc  mente  concipio.  Qamn  ille  in  angario  rem  expertas  ,  pro- 
fecto  futnram  dixi'ser,  atque  hcec  anlmo  ,  agitavi  ^  inqail  ,  te  nova- 
cuîa  cotem  discissurum.  Cape  hœc  ,  et  perage  quod  aves  tuœ  jierl 
posse pertendunt.  Tam  illura  hanc  canctanter  discidisse  coiem  ferunt. 
Statua  Atti  ,  capite  velato  ,  quo  in  loco  res  acta  esf ,  in  corailio  ,  in 
gradibas  ipsis  ,  ad  laevam  curiae  fuir.  Coterii  qaoqae  eodem  loco  sitam 
fnisse  inemoranl  ,  nt  esset  ad  posteros  miraculi  ejas  monnraentnra. 
(  Tit.  Liv.  ,  Hist.  ,  lib.  i,  rap.  36  ). 

Ex  qno  factura  est,  ut  cum  ad  se  rex  Priscus  arcesseret.  Cujus  cum 
tentaret  scientiam  ,  auguratus  dixit  ei,  cogitare  se  quiddam  :  id  pos- 
setne  fieri  consuluit.  Ille,  augurio  acto,  posse  respondit.  Tarquinius 
autem  dixit  ei  se  cogitare  cotem  novacula  posse  prccidi.  Tum  Attium 


392  DISSERTATIONS 

Celui-ci,  loin  de  l'assurer,  le  donne  connue  un  simple 
bruit,  Cicéron  qui  en  parle  plus  aHirniativcment  ,  ne 
dit  pas  un  mot  de  la  statue ,  qui  aurait  été  un  monument 
du  fait. 

Tite-Live  rapporte  aussi  que  le  nom  de  Curlius  vient 
d'un  chevalier  romain  de  ce  nom ,  qui  avait  comblé 
un  gouffre  en  s'y  précipitant;  mais  il  donne  ce  récit 
comme  une  fable  à  laquelle  il  ne  croit  pas  lui- 
même  (2). 

Les  miracles  d'Apollonius  sont  racontés  par  Philos- 
trate ,  un  siècle  après  si  mort ,  sur  la  foi  d'un  nommé 
Damis  ,  homme  inconnu  ,  qui  peut-être  n'a  jamais 
existé.  On  ne  voit  pas  que  de  son  temps,  et  jusqu'à 
celui  de  son  historien,  ils  aient  fait  du  bruit  dans  le 
monde.  On  ne  connaît  dans  ce  temps-là  personne  qui 
les  ait  crus.  Ils  ont  été  écrits  ,  à  ce  qu'il  paraît ,  pour 
les  opposer  à  ceux  de  Jésus-Christ  ;  et  malgré  l'intérêt 


jussisse  experiii ,  ita  cotem  in  comitium  allatam  ,  inspectante  et  rege 
et  populo,  novacula  esse  discissam.  Ex  eo  venit ,  ut  et  Tarquinius  au- 
gure Attio-Naevio  uteretur ,  et  populis  de  suis  rébus  ad  eum  deferret.  • 
Cotem  autem  illam  et  novaculam  defussam  in  comitio  supraque  impo- 
sitUBi  puteal  accepimus.  [Cicer.  ^  de  Divifiatione  ^  lib.  r.  cap.  17, 
n°  32,  33.) 

(i)  Eodem  anno  ,  seu  mctu  terrae;  sen  qua  vi  alia  ,  forcim  médium 
ferme  specu  vasto  conl.ipsum  in  iinmens^in  altitudinem  dicitnr  , 
neque  fum  voragir.em  conjectu  teriœ  qnara  pro  se  quisque  gereret 
espleri  potuist,e  ,  piiusquam  Deuiii  moniiu  qnaeri  cceptiim  qno  plu- 
rinium  populus  romanus  j.osset.  Id  enim  illi  locjo  dicandum  vates 
canebant  ,  si  rempublicam  romanam  perpetnam  esse  vellent.  Tum 
M.  Cnrtium  juvenem  belle  egreginm  ,  castigasse  ferunt  dubitanles  an 
uUum  magis  roraanura  bonnra  ,  quam  arma  ,  virtnsque  esset.  Silenlio 
facto ,  terapla  deorum  iramortalium  ,  qnae  foro  imminent  ,  Capito- 
liuraque  intuentem  ,  et  manus  ,  nunc  in  cœlam  ,  nunc  in  patentes 
terrœ  hiatus,  ad  Deos  Mânes  porrigentem ,  se  devovisse.  Equo  deiu- 
de  ,  quam  maxime  poteiat ,  exornato  insidentem  ,  se  in  specua:  ira- 
raississe  ;  donaque  ac  fruges  saper  eum  a  mnltitudine  virornm  ac  mu- 
liernm  congesîas  ,  lacuraque  curtiura  ,  non  ab  antiqno  illo  ï.  Tatii 
milite  Curtio  Mette  ,  sed  ab  hoc  appellatum.  Cui-a  non  deesset  si  qua 
ad  verura  via  inquirentem  feriet.  IN'unc  fama  eoium  standum  est  , 
ubi  cerlam  derogat  vetustas  fidem  ;  et  lacus  nemen  ab  bec  recentioî:© 
insigr.itias  fabula  est.  (  Tit.  Liv.,   Hist  ^  lib,  vi,  cap.  6). 


SUR    LA    RELIGION.  393 

qu'avaient  les  païens  à  les  faire  valoir,  ils  n'ont  eu 
aucune  suite,  et  n'ont  donné  à  Apollonius  aucun  sec- 
tateur (Ij. 

Les  miracles  attribués  à  Vespasien  ,  et  racontés  par 
Tacite  et  par  Suétone  (2),  ne  peuvent  pas  plus  que  les 
autres  être  opposés  à  ceux  de  Jésus-Cluist.  1"  On  ne 
rapporte  de  ce  prince  que  deux  miracles,  sur  lesquels 
la  fraude  est  bien  plus  facile  à  supposer  ,  que  sur  la 
multitude  de  ceux  du  Sauveur.  2°  lis  ne  sont  rapportés 
que  par  deux  écrivains,  peu  éloignés  du  temps,  il  est 
vrai ,  mais  qui  ne  les  avaient  pas  vus ,  et  qui  ne  disent 
pas  de  qui  ils  les  tiennent.  Les  faits  miraculeux  de 
Jésus-Christ  ont  pour  écrivains  des  témoins  oculaires 
qui  en  citent  beaucoup  d'autres.  S"  On  voit  à  Vespasien 


(i)  Ona:n  inuîta  ferlar  Appollonius  ille  Thyanaeub  fecisse.  Verum 
uti  scires  omnia  illa  esse  coniicta,  vana ,  nibil  hibentia  \e.i,  exlincta 
snnt ,  et  finem  acceperunt.  (S.  Joan.  Chrys. ,  adv.  Judceos  ,Ot&X.iv^ 
n"  3). 

(2)  Per  eos  menses  quibcs  Vespasianus  Alexandriae  stalos  a^stivis 
flatibas  dies  ,  et  certa  maris  opperiebatur,  inulta  miiacala  evenere, 
qaibus  ccelestis  favor ,  et  qucedam  in  Yespasiannm  inclinatiu  nnmi- 
nam  ostei.deretur.  Es.  plèbe  alexandrins  quidam  oculurum  tabe  no- 
tns  ,  genua  ejas  advolvitur  leraediam  caecitatis  exposcens  gérai  tu  , 
monitus  Serapidis  Dei ,  qnera  dediia  gens  sopersîilionibus  ante  alio-î 
colit ,  precatarqae  principem  nt  gênas  et  oculorum  orbes  dignaretni 
respergere  oris  excieraento.  Alias  manu  œger,  eodem  Ueo  auctcre , 
nt  pcde  ûc  vestigio  Cœsaris  calcarettir  ,  orabat.  Tespasianas  piirao 
irridere  ,  aspernari  ,  atqne  alils  instanlibas  ,  modo  famam  vanitatis 
melaere,  modo  obsecratione  ipsorom  et  vocibos  adulantium  in  spem 
indaci;  postremo  affimari  a  medicis  jabet  an  talis  caeciias  ac  débi- 
litas ope  humana  superabiles  forent.  Medici  varie  dissereie  ,  hu.'c 
non  exesam  vim  lon.inis  ,  et  reditaram  si  pellerentar  ob.'^tantia  ;  illi 
elapsos  in  pravum  artas  ,  si  falutaiis  vix  adhiberetor ,  posse  integra- 
ri  :  id  fortasse  cordi  diis  et  divino  niinislerio  principem  elecium  : 
deinde  patrati  reniedii  gloriam  pênes  Casa  rem  ,  irriti  pênes  mseros 
fore.  Igitar  Vespasianus  ,  cnnc  ta  fortiinae  suae  patere  ratus  ,  nec  quid- 
quam  ulira  incredibile ,  laetu  ipse  vnhn,  erecta  quae  adstabat  maltitu- 
dine  ,  jussa  exequiiur.  Statim  conversa  cd  usum  manas  ,  ac  cceco 
reluxit  dies.  Uttumqne  qui  inierfuere ,  nanc  quoqae  memorant  , 
postquara  nuUom  mendacio  prsemium.  f  Tac.  Hist. ,  lib.  iv,  cap.  8i). 
Ex  plèbe  quidam  lurainibus  orbatus  ,  item  alias    debilis  crure  ,  se- 

17* 


.*594  I)lSSERTATIONS 

un  motif  pour  tromper  ;  il  avait  intérêt  à  se  faire  croire 
appelé  du  ciel  à  l'empire.  Quel  intérêt  pouvait  avoir 
Jésus  ,  que  ses  miracles  conduisaient  ,  comme  il  le 
disait  lui-même,  à  une  mort  ignominieuse?  4°  Ves- 
pasien  avait  en  main  l'autorité,  qui  donne  de  grands 
moyens  pour  ourdir ,  soutenir,  propager  une  imposture. 
La  puissance  publique  était  opposée  à  Jésus.  5'  Les 
témoins  de  Vespasien  sont  ses  courtisans  désirant  le 
flatter,  intéressés  à  ne  pas  révéler  une  fraude.  Ceux  de 
Jésus  sont  ses  ennemis ,  qui  n'auraient  pas  manqué  de 
divulguer  une  tromperie.  G"*  Il  paraît  par  le  récit  de 
Tacite  que  les  deux  malades  furent  amenés  à  Vespasien 
par  des  courtisans.  Jésus  guérit  indistinctement  tous 
ceux  qui  se  présentent  à  lui.  7°  Selon  Tacite ,  les  mé- 
decins avaient  déclaré  que  les  deux  malades  pouvaient 
être  guéris  par  des  moyens  humains.  A-t-on  jamais  dit , 
peut-on  dire  la  même  chose  de  ceux  qu'a  guéris  Jésus? 
Voici  donc  ce  que  l'on  peut  croire  du  double  miracle  de 
Vespasien,  sans  qu'aucune  circonstance  combatte  cette 
présomption.  Pour  donner  de  la  force  au  parti  qui 
relevait  à  l'empire  contre  Vitellius ,  et  pour  inspirer  du 
courage  à  ses  soldats,  lui,  ou  quelqu'un  de  ses  partisans^ 
imagina  de  présenter  un  miracle^  par  lequel  la  Divinité 
parût  se  déclarer  en  sa  faveur.  On  choisit  deux  hommes , 
dont  on  s'assura  aisément  pour  de  l'argent,  qui  se 
dirent  malades,  qui  peut-être  l'avaient  été.  Pour  donner 
plus  de  foi  au  prodige,  l'empereur  parut  résister  et  se  fit 
presser.  Il  n'y  eut  dans  le  secret  que  ces  deux  honmies , 
les  médecins  consultés ,  un  ou  deux  courtisans.  Le  reste 
des  assistants  put  croire  de  bonne  foi  que   c'était  un 


dentem  pro  tiibunali  pariter  adiei-unt  ;  orantes  opem  valetndinis  de- 
monstratam  a  Serapide  per  quielem  ,  reslilutuiunj  ocnlos  ,  si  cous- 
puisset  ;  confirmaturuœ  cras  ,  si  dignaretur  calce  contingere.  Cnm 
vix  fides  esset  rem  ullo  modo  successuram  ,  ideo  ne  experiri  quidem 
auderet  ,  extrême  ,  hurîanlibus  aiaicis  ,  palam  pro  concione  utroin- 
qoe  tenlavit  ,  nec  eventus  defuit.  (  Siieton.  Cccsar.  ,  vita  Vespas.  , 
cnp.  8). 


sua  LA    RELIGION.  39o 

miracle,  le  répandre,  et  le  répéter  encore,  comme  dit 
Tacite ,  lorsque  après  la  mort  de  Vespasien  et  de  ses 
enfants  il  n'y  eut  plus  d'intérêt  à  le  soutenir.  Qu'on 
imagine  une  pareille  présomption  sur  les  miracles  de 
l'origine  du  christianisme  ,  une  multitude  de  circons- 
tances l'aura  aussitôt  dissipée. 

Les  miracles  du  diacre  Paris  se  faisaient  sur  des 
sujets  du  parti ,  que  l'on  avait  soin  de  choisir  et  de 
préparer  convenablement.  Il  fallait  ,  pour  qu'ils  s'o- 
pérassent, qu'on  s'y  prît  d'une  certaine  manière.  Une 
information  juridique ,  dont  le  procès-verbal  fut  déposé 
à  l'ofiicialité ,  en  démontra  la  fausseté ,  et  même  aupa- 
ravant les  honnêtes  gens  de  la  secte  rougissaient  de  ces 
manœuvres.  Ce  qui  les  a  achevés,  a  été  la  proposition 
de  la  police  de  leur  donner  une  loge  à  la  foire.  On  n'a 
plus  osé  ni  les  continuer  ,  ni  y  croire. 

On  nous  oppose  de  faux  miracles  de  nos  vieilles 
légendes.  Je  conviens  que  beaucoup  trop  souvent  la 
crédulité,  la  superstition,  peut-être  un  zèle  mal  entendu, 
quelquefois,  hélas  I  cela  serait  aussi  possible,  un  vil 
intérêt ,  ont  fait  publier  des  miracles  qui  n'avaient  au- 
cune réalité  ,  et  qui  cependant  ont  été  reçus  avec  avi- 
dité :  mais  quelle  différence  de  ces  prétendus  miracles 
avec  ceux  sur  lesquels  est  fondé  le  christianisme!  ne 
fût-ce  que  dans  la  manière  dont  les  uns  et  les  autres  sont 
attestes.  Que  l'on  examine  ces  miracles  des  légendes 
avec  la  même  sévérité  que  ceux  des  livres  saints;  qu'on 
n'admette  que  ceux  qui  seront  positivement  démontrés, 
mais  qu'on  ne  nous  donne  pas  comme  une  preuve  de  la 
fausseté  des  miracles  évangéliques,  d'autres  miracles 
postérieurs  de  beaucoup  de  siècles  ,  et  qui  n'ont  avec 
eux  rien  de  commun. 

XXXIII.  De  tous  ces  raisonnements ,  de  tous  ces 
faits,  on  conclut  hardiment  que  puisqu'on  est  si  facile- 
ment ,  et  que  l'on  a  été  si  souvent  trompé  par  de  faux 
miracles,  il  faut,  dès  qu'un  fait  merveilleux  est  lié  à 
une  religion,  le  rejeter,  par  cela  même,  sans  examen. 


306  DISSERTATIONS 

Belle  conséquence  sans  doute ,  et  qui  résulte  bien  direc- 
teuient  du  principe  I  Puisqu'il  est  facile  et  commua 
d'être  trompé  ,  il  faut  se  garder  d'examiner.  Et  moi ,  je 
dis ,  au  contraire  ,  que  c'est  lorsqu'un  fait  miraculeux 
est  donné  en  preuve  d'une  religion  ,  qu'on  doit  l'exami- 
ner avec  plus  de  soin  ;  d'abord ,  parce  que  c'est  alors 
qu'il  a  plus  d'importance;  ensuite,  parce  que  c'est 
alors  seulement  qu'il  est  possible.  Que  Dieu  interver- 
tisse l'ordre  de  la  nature  pour  notre  instruction  ,  je  le 
conçois  sans  peine  ,  mais  un  miracle  sans  motif  est 
nne  chose  incroyable. 

XXXIY.  «  C'est  surtout ,  disent  encore  les  incrédules, 
a  chez  les  peuples  ignorants,  grossiers  et  superstitieux, 
.»  que  l'on  voit  une  grande  quantité  de  miracles;  mais 
«  à  mesure  que  les  peuples  s'éclairent,  cette  foi  aveugle 
u  aux  prodiges  se  dissipe.  Aujourd'hui  on  ne  voit  plus 
«  de  miracles  ;  serait-ce  que  le  pouvoir  de  Dieu  est 
«  diminué?  Non,  sans  doute;  c'est  que  l'esprit  de 
«  l'homme  s'est  éclairé.  Si  la  religion  chrétienne  était 
«  réellement  fondée  sur  des  miracles,  pourquoi  n'en 
u  ferait-il  plus  de  nos  jours?  Aussi  violemment  atta- 
«  quée  que  jamais,  n'en  a-t-elle  pas  un  aussi  grand 
«  besoin?  » 

XXXV.  Je  demande  si  le  siècle  où  les  miracles  évan- 
géliques  furent  annoncés  n'était  pas  le  siècle  le  plus 
éclairé  que  Ton  ait  vu ,  le  siècle  par  excellence  des 
lettres  et  de  la  philosophie  ;  si  les  grecs  et  les  romains , 
auxquels  ils  ont  été  annoncés  dès  leur  temps  ,  et  dont 
beaucoup  y  ont  cru,  étaient,  surtout  alors,  des  peuples 
ignorants  et  grossiers?  Les  juifs  eux-mêmes,  parmi 
lesquels  ces  miracles  ont  été  opérés,  n'étaient  nulle- 
ment un  peuple  ignorant  ;  c'était  un  peuple  commer- 
çant et  répandu  dans  toutes  les  nations.  Chaque  juif 
était  obligé  de  savoir  et  de  copier  la  loi  de  sa  main  ; 
ils  avaient  donc  tous  un  certain  degré  d'instruction.  Il 
y  avait,  outre  cela,  à  cette  époque,  parmi  eux^  plu- 
sieurs personnages   très  -  savants ,  témoins  Josèphe   et 


SUR    LA    RELIGION.  397 

Philou.  On  ne  peut  donc  pas  attribuer  la  croyance 
qu'ont  obtenue  les  miracles ,  à  l'ignorance  et  à  la 
grossièreté. 

XXXVI.  On  demande  ,  pourquoi  donc  ces  dons  mira- 
culeux qui  étaient,  dit-on,  si  communs  dans  la  pri- 
mitive église,  ne  se  voient-ils  plus?  Je  réponds  qu'ils 
ont  cessé,  parce  qu'ils  devaient  cesser.  Et  l'apôtre  saint 
Paul ,  qui ,  comme  nous  t'avons  vu ,  en  a  parlé  si 
souvent ,  en  a  annoncé  la  fin  (1).  Ils  ont  cessé  d'exister, 
parce  qu'ils  ont  cessé  d'être  nécessaires.  Avant  que  le 
monde  ne  crût,  dit  St.  Augustin  ,  ils  étaient  nécessaires 
pour  que  le  monde  cn.it(2>  IMais ,  l'Evangile  publié, 
la  foi  établie,  l'univers  converti,  leur  objet  est  rempli , 
et  leur  terme  arrivé  (3).  Il  n'est  pas  dans  Tordre  de  la 
suprême  sagesse  de  multiplier  les  prodiges  sans  néces- 
sité. En  devenant  communs,  ils  cesseraient  d'être  frap- 
pants ;  et  riiabitude  d'en  jouir  les  confondrait  avec 
celte  multitude  d'effets  naturels  dont  la  cause  est  in- 
connue (4).  De  quelle  nécessité  est-il  que  ces  miracles  se 


(  I  ^  Charitas  nunquam  excidit ,  sive  prophetiae  evacuabuntur  ,  sive 
linguae  cessabunt.  (  t .  Cor.  xiri ,  8.  ) 

(2)  Cur,  inquiant,  illa  miracnla  ,  qiiae  prsedicatis  facta  esse,  non 
fiunt  ?  Pussum  quidam  dicere ,  necessaria  fuisse  priusquam  crederet 
mundus,  ad  hoc  ut  crederet  mundus.  Quisquis  adhuc  prodigia ,  ut 
credat ,  inquirit ,  magnum  ipse  prodigium  est ,  qui  ,  mundo  credente  , 
non  crédit.  {S.  Aug.,  de  Civ.  Dei,  lib.xxri  ,  cap.  8,  n**  1.) 

(3)  Porro  in  scripturis  qnoque  vides  solem  retrocedentem ,  et  lunam 
rursus  cum  eo  stantem,  et  multa  aba  miracula.  Quando  enim  ejus  co- 
gnitio  nondum  extensa  fuerat,  baec  fiebant.  Nunc  autem  non  est  am- 
plius  opas  bac  doctinna  ,  cum  res  ipsae  clament  et  ostendant  Dominum. 
{'S.  Joan.  Chrjrs.j  expos,  in  psalm.  cxtu,  n"  5.) 

Quidnura  ,  fratres  mei ,  quiaista  signa  non  facitis,  minime  creditis  ? 
Sed  bapc  necessaria  in  exordio  ecclesiœ  fuerunt.  Ut  enim  fîdes  cresce- 
ret ,  miracuKs  fuerat  nutrienda ,  quia  et  nos ,  cum  arbusta  plantamus , 
tandiu  eis  aquam  infundimus ,  quousque  ea  in  terra  jam  convaluisse 
videamus,  et  si  semel  radicem  fixerint ,  in  rigando  cessnmus.  (5.  Gre- 
gor.  Magn.  in  evangel. ,  bb.  11,  Homd.  29  ,  n°  4.  ) 

(4)  Cur,  inquis  ,  ista  modo  non  fiunt  .>'  Qm'a  non  moverent,  nisi 
mira  essent  ;  ad  si  soUta  essent  ;  mira  non  essent.  Num  diei  et  noctis 
vices,  et  constantissinmm  ordinem   rertim   cœlestium  ,   anr.orum  qua- 


898  DISSERTATIONS 

renouvellent  devant  nos  yeux?  Sûrs  qu'ils  ont  existé, 
avons-nous  le  même  besoin  que  les  premiers  chrétiens 
de  les  voir  pour  établir  notre  foi  ?  La  religion  est 
violemment  attaquée  ;  mais  les  preuves  démonstratives 
qu'elle  présente  de  sa  vérité  suffisent  à  sa  défense. 
Dieu  est-il  tenu  de  les  nmltiplier  à  mesure  qu'on  y 
résiste?  Il  a  voulu  que  ces  preuves  qu'il  nous  donne  des 
miracles  rendissent  notre  foi  raisonnable  ,  et  que  l'éloi- 
gnement  <les  miracles  la  rendit  méritoire.  Heureux , 
a-t-il  dit,  ceux  qui  croient  sans  avoir  vu(l)  I  Non,  son 


drifariara  conversionein  ,  redeuntes,  decidentesque  frondes  arboiibns , 
ialinitam  viin  seminum  ,  pulchritudinem  lucis  ,  colonim  ,  sonorum  , 
odorum  ,  saporamqae  varietates ,  da  qui  prirnum  videat  atque  sentiat , 
cum  qao  tainern  loqui  possioius,  hebescit,  obriiiturque  miiaculis.  Nos 
vero  baec  omnia ,  non  cognoscendi  faciUtate ,  quid  eniin  causis  ho- 
rum  obscurius  ?  sed  certe  sentiendi  assidoitate  contemniraus.  Facta 
sunt  igitur  illa  opportnnissitiie ,  ut  in  bis  multitudine  credentium  con- 
gregata ,  atfpie  pvopagata  in  ipsos  mores  utibs  converteretur  auctoritas. 
{s.  Aug. ,  de  Utitit.  credendl ;  cap.  xvi ,  n°  34.  ) 

(i)  Quia  vidisti  me  ,  Thoma ,  credidisti.  Beati  qui  non  videmnt , 
et  crediderunt.  (^Joan.  xx,  ag.  ) 

Yeruni  signa  quaeritis  ,  quae  Uli  ingressi  faciebant;  ieprosos  munda- 
bant.  daemones  ejiciebant,  mortuos  suscitabant.  Sed  et  boc  nobilitaîis 
vestrae  maximum  indicium  est ,  quod  sine  pignoribus  bujusmodi  Dec 
credatis.  Hac  enim  de  causa  cessa  vit  Deus  signa  edere.  (5.  Joan. 
Chrjs. ,  in  Matth. ,  bomil.  xxxii ,  al.  xxxiii  ,  n"  7.  ) 

Xe  itaque  ex  eo  quod  nunc  signa  non  fiant  argumentum  ducas , 
tune  etiaoi  non  fuisse.  Etenim  tune  utiliter  fiebant,  et  nunc  utiUter 
non  fiunt....  Itaque  quanto  inagis  clara ,  et  ad  credendi  nécessitât em 
adducentia  stint  illa,  tanto  magis  fidei  merces  minuitur.  Ideo  nunc 
signa  non  fiunt.  Et  quod  res  se  ita  babeat ,  audi  quid  dicat  ad  Tho- 
mam  !  Beati  qui  non  vid^nint ,  et  crediderunt.  (Idem^  in  epist.  i, 
ad  Cor.  bomil.  vl  ,  n'^'  2  et  3.  ) 

Nemo  itaque  fratres  ,  dicat ,  non  facere  ista  (  miracula  }  Dominum 
nostruin  Jesum  Cbristum  ,  et  propter  boc  praesentibus  ecclesiae  tempo 
ribus  priora  prseponere.  Quodam  qoippe  loco  idem  Doniinus  videnti- 
bus  ,  et  ideo  credentibus ,  praeponit  eos  qui  non  yideraut  et  credide- 
runt.... Et  qijid  Dominus  illi  jam  confitenti  et  dicenti  :  Dominas  meus 
et  Deus  meus?  Quia  vidisti  me  ^  inquit,  credidisti.  Beati  qui  non 
violent  et  credunt.  Quos  dixit ,  fratres,  nisi  nos  !  Non  quia  solos  nos, 
sed  et  post  nos.  Post  parvum  eniru  tempus  ,  postquam  ab  oculis  mor- 
tabbus  recfâsit ,  ut  formaretur  fides  in  cordibus ,  quicumque  credide- 
runt, non    videntes    crediderunt!   et  magnum   meritum    babuit  fides 


SUR    LA    RELIGION.  399 

pouvoir  n'est  pas  diminué .  et  il  nous  en  donne  encore 
quelquefois  des  témoignages;  car,  eu  donnant,  avec 
St.  Augustin,  les  raisons  pour  lesquelles  les  miracles 
sont  devenus  très-rares,  nous  sommes^  comme  lui, 
bien  éloignés  d'avouer  qu'il  ne  s'en  opère  plus  du 
tout  (1).  Il  est  vrai  de  notre  temps,  comme  du  sien, 
que  Dieu  daigne  encore  nous  en  faire  voir  par  inter- 
valles, soit  pour  confondre  les  sectes  hérétiques,  soit 
pour  manifester  la  sainteté  de  ses  serviteurs,  soit  pour 
d'autres  motifs  qui  meuvent  sa  sagesse  suprême '2j. 

XXXYII.  Disons  un  mot  d'une  autre  objection  pro- 
posée par  quelques  déistes ,  savoir  que  «  les  Pères  ont 
M  expliqué  les  miracles  de  Jésus-Clirist  dans  un  sens 
«  allégorique;  qu'ils  ont  donc  cru  qu'on  ne  devait  pas 
«  les  prendre  à  la  lettre,  et  que  dans  le  sens  littéral 
-  ils  sont  absurdes.  On  ne  peut  donc,  conclut-on,  en 
<*   tirer  aucune  preuve.    » 

XXXVill.  Prétendre  que  les  saints  Pères,  qui  tous 
ont  défendu  la  religion  chrétienne  par  les  miracles, 
n'ont  pas  cru  la  réalité  des  miracles ,  est  certainement 
une  des  idées  les  plus  ridicules  qui  soient  jamais  entrées 
dans  l'esprit  humain.  Ils  ont  tiré  des  miracles  des  allé- 
gories ;  donc  ils  n'y  ont  vu  que  des  allégories.  Quel  pi- 
toyable raisonnement  I  Ils  ont  dtt  que  la  lèpre  guérie 
par  Jésus-Christ  était  l'image  du  péché  ;   que  l'aveu- 


eoiuui ,  qui  fîdei  coraparandse  cor  tanturu  admoverunt ,  non  et  pal- 
pantem  raanum.  {S.  Aug. ,  serm.  lxxxvxii  ;  alias  s-vui ,  de  verbis 
Dominl ,  n°  2.  ) 

(i;  Sed  non  sic  accipiendum  est  quod  dixit  ;  ut  nnnc ,  in  Giristi 
nomine  fieri  miracula  nulla  credantur.  '^S.  -Aug.  ^  Retract.  ^  lib.  i, 
cap.  xm,  n"^  7.  ) 

Alio  loco  cum  miracula  comT.emorassem  quae  Dominos  Jésus  fecit , 
cmn  hic  esset  in  carne,  adjunxi  dicens  :  Ctir ,  inquies^  illa  modo  non 
fiant?  atque  respondi  :  Q^uia  non  moverent y  nisi  rnira  essent  ;  si  aii- 
tem  solita  essent,  mira  non  essent.  Hue  autem  dixi ,  quia  non  tanta  , 
née  omnia  modo  ;  non  quia  nulla  sunt  etiam  modo.  {Ibid. ,  cap.  xrv  , 
11°  5.) 

(2)  On  peut  voir  les  preuves  de  cette  véiité  dans  le  savant  ouvrage 
de  Benoit  XIV  ,  sur  la  canonisation  des  saints. 


400  DISSERTATIONS 

gleineiit  qu'il  a  dissipé  dans  quelques  personnes  était  le 
symbole  de  Faveu^lenient  spirituel  ;  que  les  diverses  in- 
firmités qu'il  faisait  disparaître  représentaient  les  infir- 
mités auxquelles  l'àme  est  sujette  ;  que  la  mort  dont  il  a 
rappelé  à  la  vie  était  la  figure  de  la  mort  de  l'ame.  Mais 
aucun  d'eux  n'a  jamais  dit  que  Jésus-Christ  n'eût  ni 
guéri  de  l'épreux,  d'aveugles  ,  de  malades  ,  ni  ressuscité 
de  morts.  Au  contraire ,  ils  supposaient  la  réalité  des 
faits  ,  pour  en  faire  ressortir  des  emblèmes.  Au  sens  lit- 
téral qu'ils  défendaient  contre  les  incrédules  de  leur 
temps  ,  ils  ont  ajouté  un  sens  allégorique ,  qu'ils  expo- 
saient aux  fidèles  pour  régler  leurs  mœurs.  Ils  l'ont 
ajouté,  ils  ne  l'ont  pas  substitué.  Il  serait  si  facile,  en 
rapportant  une  multitude  de  passages  de  tous  ces  saints 
docteurs ,  de  prouver  qu'ils  étaient  persuadés  de  la  vé- 
rité des  miracles ,  que  cela  est  inutile.  Contentons-nous 
de  citer  les  deux  Pères  qui  ont  le  plus  multiplié  les  allé- 
gories ,  et  qu'on  a  le  plus  accusés  de  les  avoir  portées  à 
l'excès  :  Origènes  et  St.  Grégoire  le  Grand.  Le  premier 
défend,  contre  Celse  ,  le  christianisme  par  les  miracles; 
et  il  défend  ,  ainsi  que  nous  l'avons  vu ,  les  miracles 
contre  l'imputation  de  magie.  S'il  avait  cru  que  ce  fus- 
sent de  pures  allégories ,  aurait-il  pu  employer  de  tels 
raisonnements?  Il  semble  qu'il  ait  prévu  qu'on  lui  ferait 
un  jour  l'absurde  inculpation  dont  il  s'agit ,  car  dans 
un  endroit  il  dit  positivement  qu'avant  de  se  livrer  au 
sens  spirituel  il  faut  commencer  par  admettre  la  vérité 
historique  ;  et  dans  un  autre ,  il  s'élève  avec  force 
contre  ceux  qui  font  ce  qn'aujourd'hui  on  lui  reproche  , 
qui  s'éloignant  des  décrets  de  l'Eglise  se  plaisent  à  de 
vaines  allégories  ,  et  rappellent  toutes  les  guérisons  opé- 
rées par  Jésus-Christ  à  la  guérison  de   l'àme  (1).  Saint 


(i)  Hcec  enim  licct  spiritaalem  habeant  intelleclum  ,  tamen  ma- 
nente  prius  iiistoriae  verilate,  etiani  spiritulis  rccipiendus  est  sensus. 
Licet  euim  caecos  seniper  curet  secandam  spiiilalein  intelligenliam  . 
cam  ignorantia  excaecatas  illuminât  mentes,  tamen  et  corporaliler 
tnnc  caecum  sanavi^  Et  mortuos  seraper  suàciiat  ;  fecit  tamen  et  taac 


SDR    LA    RELIGION.  401 

Grégoire  n'est  pas  moins  précis.  Il  faut,  dit-il,  com- 
mencer par  être  persuadé  de  la  vérité  historique  ,  pour 
chercher  ensuite  le  sens  spirituel  ;  et  l'ont  goûte  bien 
mieux  l'allégorie  quand  elle  est  radicalement  fondée  sur 
la  vérité  de  l'histoire  (1). 

Je  ne  prétends  pas  avoir  réfuté  toutes  les  difficultés 
que  les  incrédules  de  nos  jours  ont  ,  ou  réchauffées  des 
temps  anciens,  ou  imaginées  de  nouveau  contre  les  mi- 
racles j  mais  je  crois  avoir  répondu  à  toutes  celles  qui 
méritent  une  réponse  ,  et  qui  peuvent  faire  quelque  im- 
pression. Quand  aux  objections  minutieuses,  dont  l'ab- 
surdité saute  aux  yeux  aussitôt  qu'on  les  présente ,  je 
crois  devoir  en  épargner  aux  lecteurs  l'inutile  et  ennuy- 
euse discussion.  Je  crois  surtout  devoir  mépriser,  lais- 
ser tomber  dans  l'oubli  qu'elles  méritent,  les  railleries 
et  les  injures  dont  les  ennemis  de  la  religion  ont  si  sou- 
vent assaisonné  leurs  blasphèmes  ;  armes  bien  dignes 
d'une  telle  cause,  mais  qu'il  serait  indigne  de  la  cause 
sacrée  que  je  défends  ,  non-seulement  d'employer,  mais 
même  de  repousser. 


hojiisceniodi  mirabilia,  sicut  filiam  principis  synagogae,  et  fîlinm  vi- 
dnae,  et  Lazarum  suscitando.  Et  quaiuvis  semper ,  cuin  excitatur  a 
discipulis,  compescat  eociesiae  turbines  vel  procellas,  tamen  certam 
est  tnnc  gesta  esse  qnae  per  historiam  referuntnr.  (  Origen.  in  epist. 
ad  Galat.) 

Santque  haec  potissimum  dicenda  his  qui  ab  ecclesiae  decretis  dis- 
sident,  gandentes  allegoriis,  et  sanationum  historiam  reducentibus 
ad  carationeni  animae,  qaam  Jésus  libéral  ab  omni  morbo  et  ab  omni 
mollitie.  {idem,  in  Joan.  ^  tom.  xx ,  n°    x8.) 

(i)In  verbis  sacii  eloqaii,  fratres  charissiini ,  prius  servanda  est  Ve- 
ritas hisloriae,  et  postmodura  requirenda.spiritualis  intelligentia  allego- 
riae.  Tnnc  namque  allegoriae  fructus  iuaviter  carpitur,  cura  prius 
per  historiam  in  veiitaiis  radiée  solidatar.  [S.Gregor.  Magn.^  in 
eiHingel.,  lib.  n,  Homil-  40,  n°  i.) 


402  DISSERTATIONS 

TROISIÈME  DISSERTâTIOIS. 

SUR   LA  PROPAG.\TIO>    RAPIDE  DU  ClIRISTIAMSME. 


I.  Après  avoir  prouvé  la  vérité  de  notre  sainte  reli- 
gion par  les  merveilles  qui  ont  procuré  son  établisse- 
ment, je  passe  à  la  merveille  même  de  son  établisse- 
ment. J'entreprends  ,  à  la  suite  de  tous  les  apologistes  , 
de  prouver  que  sa  rapide  propagation  n'a  été  et  n'a  pu 
être  l'effet  d'aucune  cause  humaine ,  et  qu'elle  est  incon- 
testablement l'œuvre  de  la  puissance  divine.  Cette  vérité 
est  le  résultat  nécessaire  de  deux  propositions  dont  je 
vais  montrer  la  certitude  dans  deux  chapitres  succes- 
sifs. 1°  Le  christianisme  s'est  établi  rapidement  dans  le 
monde.  2'*  Il  n'a  dû  sa  rapide  diffusion  à  aucun  princi- 
pe humain  ;  et,  au  contraire,  tous  les  principes  humains 
y  résistaient.  J'ajouterai  un  troisième  chapitre,  pour  ré- 
pondre aux  objections  que  forment  les  incrédules  con- 
tre cette  démonstration. 

JUlSLJLSiJLJiS.  JUL  SULJUlJULJULJLJLJULJiJLJUL  Q^SLSLJLJLJLJLJLSlJL.SULJIJL-S-SI. 

CHAPITRE    I. 

PREUVES    DE    LA     PROMPTE    PROPAGATION    DU    CHRISTIANISME. 

Il  semblerait  qu'une  vérité  aussi  claire  n'aurait  pas 
besoin  d'être  prouvée.  Il  suffit  d'avoir  une  teinture  lé- 
gère de  l'histoire  (1),  pour  savoir  qu'en  moins  de  trois 


(ï)   Ita ,  opitalante  cœlesti  virtule ,  salutaris  Dei    sermo,  fanquam 
8olis  radius 


SUR    LA    RELIGION.  403 

siècles  le  christianisme  ,  s'augmentant  sans  cesse  ,  par- 
vint à  se  répandre  dans  tout  le  monde  alors  connu  ,  et 
que,  spécialement  dans  l'empire  romain  ,  qui  en  faisait 
la  plus  grande  partie ,  il  devint  la  religion  dominante  et 
la  plus  nombreuse.  Mais  il  n'y  a  rien  de  si  évident  que 
l'incrédulité  ne  s'efforce  d'obscurcir ,  rien  de  si  certain 
qu'elle  ne  veuille  faire  révoquer  en  doute.  Reprenons 
donc  les  monuments  de  ces  trois  premiers  siècles  de  la 
religion ,  et  suivons  ses  progrès  continuels  pendant  ce 
temps. 

II.  Nous  avons  vu  que  Jésus-Christ ,  lorsqu'il  remon- 
ta dans  les  cieux,  indépendamment  des  troupes  nom- 
breuses de  peuple  qui  l'avaient  suivi  dans  le  cours  de  sa 
carrière,  et  dont  une  grande  partie  l'avait  abandonné  , 
indépendamment  de  ceux  que  la  crainte  avait  empêchés 
de  se  déclarer  pour  lui,  comptait  plus  de  cinq  cents  dis- 
ciples, auxquels  il  s'était  montré  après  sa  résurrection  (1). 
C'était  beaucoup ,  quand  on  les  considère  comme  les  té- 
moins de  ce  grand  miracle  ;  mais  c'était  bien  peu,  si  on 
veut  voir  en  eux  la  semence  de  cette  multitude  de 
chrétiens  qui  devaient  peu  à  peu  couvrir  la  face  de  la 
terre  (2). 

III.  C'est  après  le  retour  du  divin  Sauveur  dans  les 


in  sacris  litleris  praedictum  faerat ,  in  oninem  terram  exivit  sonus 
evangelistarara ,  siinal  et  apostoloram,  et  usqne  ad  fines  lerrae  verba 
eorum.  Per  omnes  igitur  civitates  et  vicos ,  ecclesiae  infinita  homi- 
num  multitadine  abondantes,  velut  areae  quaedam  frngibus  refertae 
brevi  congregatse  snnt.  [Euseb.  ,  Hist.  Ecoles.  ^  lib.  ii ,  cap.  3.) 

In  prlncipio  itaque  irnperatores,  et  reges  omnes,  et  populi  et  ci- 
vitates,  et  daemonum  phalanges,  et  ipsa  diaboli  tyrannis  ,  et  alia 
innamera  invaserant  ecclesiara.  lUa  taraen  omnia  fracta  et  disâolata 
sunt,  et  interierant.  Ipsa  autem  crevit;  et  in  tantam  provecta  est 
altituditiem  ,  nt  ipsos  etiam  coelo*  superaverit.  (5.  Joann.  Chrysost , 
Expos,  in  psalin.  cxLvn,  n°  4.) 

(i)  Voyez  deuxième  Disseitation  ,  part.  2  ,  cbap.  i ,  n°  m,  note  r, 
page  21 5. 

(2)  Manifestum  qaidem  est  paucos  initio  fuisse  christianos,  si  com- 
parentar  cum  maltitudine  quae  consecuta  est  :  qQanqaain  non  omni- 
no  pauci  erant,  (^Origenes  contra  Celsum ,  lib.  m,  n°  ro.) 


404  DISSERTATIONS 

cieux ,  et  au  momenl  où  ses  disciples  viennent  de  rece- 
voir le  Saint-Esprit ,  que  commence ,  pour  durer  pen- 
dant près  de  trois  cents  ans,  ce  grand  miracle  de  la 
promulgation  de  l'Evangile.  Dès  le  premier  jour  où  les 
apôtres  ouvrent  leur  prédication,  trois  mille  personnes 
sont  converties  (1).  Peu  de  jours  après,  un  second  dis- 
cours de  saint  Pierre  fait  cinq  mille  prosélytes  (2j.  A 
peine  la  foi  a  franchi  les  limites  de  la  Judée ,  et  voilà 
une  multitude  d'églises  fondées  de  tous  côtés  (3).  En- 
viron dix  ans  après  la  mort  de  son  Maître,  saint  Pierre 
adresse  sa  première  épitre  aux  fidèles  dispersés  dans  le 
Pont,  dans  la  Galatie,  dans  la  Cappadoce ,  dans  l'A- 
sie, dans  la  Bitliynie  (4).  Nous  avons  des  épitres  de 
saint  Paul  aux  fidèles  de  Rome,  de  Corinthe ,  de  Ga- 
latie, d'Ephèse ,  de  Colosses,  de  Philippes,  de  Tlies- 
salonique ,  de  Crète.  Les  Actes  des  apôtres  font  men- 
tion de  beaucoup  d'autres  endroits  où  l'Evangile  avait 
déjà  des  disciples,  d'Aiitioche ,  d'Athènes,  de  Damas, 
de  Césarée ,  de  Milet ,  de  plusieurs  autres  villes.  Et  il 
ne  faut  pas  croire  que  ce  fussent  les  seuls  pays  où  la  foi 
eût  été  plantée.  Saint  Paul,  dans  l'épître  aux  Pvomains, 
leur  dit  qu'il  avait  rempli  de  l'Evangile  toutes  les  ré- 


(i)  Appositae  sunt  in  die  illa  animae  circiter  tria  tnillia.  {Act.  ii  , 
41.) 

(2)  Multi  autem  eorarn  qui  aadiebant  verbum  credideiunt  :  et  tac- 
tus  est  namerus  credentium  quinque  ruillia.  {Act.  iv,  4.) 

(3)  Mare  s'wiiil prœdabuntur.  Non  enim  solum  continentein  divini 
apostoli ,  verum  eiiarn  mare  obenntcs  et  insulas,  spirilalis  luminis  ra- 
diam  intalerunt.  Narn  et  in  Cypro  Barnabas  et  Paulus  sacia  copula 
ad  caltaram  gentium  destinati  et  Elym»  refaiarunt  inendacium,  et 
veritatem  deraonstraverunt  :  et  Cietae  aposlolum  Titum  designavit 
beatas  Paulus,  et  Tiniothaeum  Epbesi.  Haec  igitnr  sanctissimus  Spiri- 
tas  per  prophetam  piaedixit  ,  quod  non  terram  tantum  ,  sed  mare  di- 
ripient;  ac  velut  belli  ductores  qoidara ,  gentes  nonnnllas  qnae  defe- 
cerunt,  et  ad  tyrannum  se  adjunxerunt ,  dévidas  subactasque  ad 
nniversornm  regem  adducerent;  et  maria  trajicient  ;  non  jadaeos  ha- 
bentes  gubernatores  et  nantas,  sed  alienigenas  et  allopbylos.  (  Théo- 
doretus  interp.  in  Is.  ^   cap.  xi ,  vers.   14.) 

(4)  Petros  apostolas  Jesu  Cbristi  electis  advenis  Pouti ,  Galatiae, 
Cappadociae,  Asiae  et  Bithyniae>.  (i.  Pet.  1,1.) 


SDR    LA    RELIGION.  405 

gions,  en  tournant  depuis  Jérusalem  jusqu'à  l'Illyrie  (1). 
Il  leur  annonce  que  leur  foi  est  célébrée  dans  tout  le 
monde  (2).  Cette  assertion  ne  doit  pas  nous  étonner, 
quand  nous  voyons  les  autres  apôtres  dispersés  sur  toute 
la  terre ,  portant  la  religion  de  Jésus-Clirist  dans  l'E- 
thiopie ,  dans  la  Scytliie  ,  dans  la  Perse,  et  jusque  dans 
l'Inde.  Tel  était  déjà ,  lorsque  les  apôtres  allèrent  re- 
cevoir le  prix  de  leurs  travaux,  c'est-à-dire  environ 
trente  ans  après  qu'ils  les  avaient  commencés,  l'état 
où  ils  laissaient  la  religion.  Saint  Clément,  qui  occupait 
le  siège  de  Rome  très-peu  d'années  après  saint  Pierre, 
atteste  que  de  son  temps  le  nombre  des  Chrétiens  sur- 
passait déjà  celui  des  Juifs  (3). 

ly.  Nous  pouvons  citer  un  témoin  assurément  non 
suspect,  du  grand  nombre  de  Chrétiens  formés  par  les 
apôtres  dans  le  cours  de  leur  ministère.  C'est  Tacite, 
qui  parle  du  christianisme  de  la  manière  la  plus  dure 
et  la  plus  méprisante.  A  l'occasion  de  l'incendie  de 
Rome,  arrivé  la  dixième  année  de  Néron,  il  raconte 
que  ce  prince  voulant  détourner  sur  d'autres  l'opinion 
publique  qui  l'accusait  de  ce  crime,  chercha  à  le  re- 
jeter sur  les  Chrétiens,  et  les  livra  aux  supplices  (4). 


(i)  Ita  nt  ab  Jerasalem  per  circuitam,  asque  ad  lUyricum  reple- 
verim  evangeliam  Christi.  (Rom.  xv,   19.) 

(2)  Qoia  fides  vestra  aimantiatnr  in  universo  niando  (Rom.    i,  8.) 

(3)  Quod  antem  dixit  :  quia  muhi  Jilii  desertœ ,  magis  quam  ejus 
quce  habet  virum,  quando  quidem  populas  noster  desertus  esse  vide- 
batnr,  et  Deo  orbatus.  2sanc  vero  cam  credidimns  plures  facti  samus 
iis  qui  Deam  babere  rensebantar.  [S.  Clemens ^  épis?.   2,  n°  2.) 

(4)  Sed  non  ope  bnmana,  non  largitionibus  prinripis ,  ant  denin 
placamentis,  decedebat  infamia  qnin  jussam  incendinin  crederetnr. 
Ergo  abolendo  rnmori  Nero  subdidit  bos ,  et  qnaesitissimis  pœnis  af- 
fecit,  quos  per  flagilia  invisos  vnlgas  christianos  appellabat  :  Anctor 
nominis  hnjas  ChiistQS  qoi ,  Tibeiio  imperitante,  per  procoratorem 
Pontiura  Pilalum  supplicie  affectus  erat.  Repressaque  in  praesens  exi- 
tiabilis  guperititio^  rursus  ernrnpebat,  non  modo  per  Jpjdaeam  origi- 
nera  hajasmodi ,  sed  per  urbem  etiain  ,  que  cuncta  undiqne  atrocia, 
aut  pudenda  confinant,  telebrantnrqne-  Igitar,  primo  correpti  qui 
fatebantnr  ,  deinde  indicio  eornm  mnltitudo  ingens,  haud  perinde  in 


406  DISSERTATIONS 

C'est  la  première  persécution ,  dans  laquelle  saint  Pierre 
et  saint  Paul  subirent  le  martyre.  Il  y  a  sur  le  texte 
de  Tacite  plusieurs  choses  à  remarquer  :  d'abord,  le 
mot  dont  il  se  sert  pour  exprimer  le  nombre  des  Chré- 
tiens. //  y  eulj  dit-il,  une  multitude  immense  convaincue, 
non  du  crime  de  Vinccndie ,  mais  de  la  haine  du  genre  hu- 
main. Ensuite,  il  n'est  question  dans  son  récit  que  de 
la  seule  ville  de  Rome.  On  peut ,  d'après  cette  multi- 
tude immense  de  Chrétiens  dans  une  ville ,  juger  de  ce 
qu'il  y  en  avait  dans  les  autres  pays.  Enfin,  il  y  avait 
seulement  vingt-cinq  ans  que  saint  Pierre  était  venu 
porter  l'Evangile  à  Rome,  et  c'était  dans  ce  court  in- 
tervalle de  temps  que  s\  était  formée  cette  immense 
multitude  de  Chiétiens.  Il  n'est  pas  non  plus  hors  de 
propos  d'observer  que  ce  récit  de  Tacite  cadre  avec  ce 
que  dit  saint  Paul,  qu'il  y  avait  des  fidèles  jusque  dans 
h  maison  de  César  (1). 

y.  A  l'époque  dont  parle  Tacite,  Sénèque  vivait. 
Saint  Augustin  en  rapporte  un  texte,  dans  lequel  ce 
philosophe  s'exprime  ainsi  sur  les  Juifs  :  «  Les  coutu- 
a  mes  de  cette  nation  scélérate  ont  fait  de  si  énormes 
««  progrès ,  qu'elles  sont  déjà  reçues  dans  toute  la  terre. 
«  Les  vaincus  ont  donné  des  lois  à  leurs  vainqueurs  (2).  » 
Saint  Augustin  dit  qu'en  nommant  les  Juifs,  Sénèque 
a  en  vue  les  Chrétiens,   que  l'on  confondait  alors  avec 


crimine  incendii ,  quara  odio  humani  generis  convicti  sant.  Et  pere- 
untibus  addita  ludibria,  ut  feraram  tergis  contectii  laniatn  canum 
interirent  :  aul  cacibas  aflixi ,  aut  iiaminandi ,  atque  obi  defecisset 
dies  in  osum  nocturni  luminis  uterentur.  Hortos  siios  ei  spectacolo 
Nero  obtnleral  ;  et  circense  ladicrnm  edebat,  habitu  aniigae  permix- 
tus  plebi,  vel  cnrriculo  insistens.  Unde,  quanqaam  ad  versus  sontes, 
et  novissima  exempla  meritos,  miseratio  oriebatur,  lanquam  non  uti- 
litate  pnblica  ,  sed  in  saevitiam  unias  absnmerentur.  (  Tacit.  Annal.  ^ 
lib.  XV,  cap.  44-) 

(i)  Saluiant  vos  omnes  sancti,  maxime  auteni  qui  de  domo  Cœsa- 
lis  sant.  {Ph'dipp.  iv  >  22.) 

(2)  Sceleratissiinae  genlis  consnetudo  usqne  eo  invalait,  ut  per  om- 
nes jam  terras  recepta  sit.  Vicîi  victoribns  ieges  dederant.  {^S.  Au' 
giist.,  de   Civ.    Dei^  lib.  vr ,  cap.  li.) 


SUR    LA    BELIGION.  407 

les  Juifs  ,  parce  qu'ils  tiraient  leur  origine  du  judaïsme. 
La  conjectuie  du  saint  docteur  est  d'autant  plus  cer- 
taine ,  que  les  Juifs  n'ont  jamais  eu  l'ardeur  de  faire 
embrasser  leur  religion  et  adopter  leurs  mœurs  et  leurs 
coutumes  aux  autres  peuples.  Ainsi  les  expressions  de 
Sénèque ,  appliquées  à  eux  ,  seraient  extraordinaires  et 
même  fausses;  mais  elles  deviennent  exactes^  si  on  les 
entend  des  Chrétiens  qui  avaient  le  zèle  de  propager 
leur  religion. 

YI.  Si ,  au  rapport  même  des  païens ,  le  christianisme 
était  déjà  si  grandement  répandu ,  moins  de  quarante 
ans  après  son  commencement ,  on  ne  doit  pas  s^tonner 
de  voir,  environ  trente  ans  après ,  c'est-à-dire  au  com- 
mencement du  second  siècle ,  un  autre  païen ,  de  haute 
considération,  représenter  la  propagation  de  cette  reli- 
gion comme  étant  encore  bien  plus  étendue.  C'est  Pline 
le  jeune  ,  gouverneur  de  la  Bithynie,  qui  consulte  l'em- 
pereur Trajan  sur  diverses  difficultés  relativement  à  sa 
conduite  envers  les  Chrétiens.  Son  plus  grand  embarras 
est  le  grand  nombre  de  ceux  que  la  persécution  met 
en  danger.  Il  y  en  a  de  tout  âge,  de  tout  ordre,  de 
l'un  et  de  l'autre  sexe.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  les 
villes,  c'est  dans  les  bourgs,  et  jusque  dans  les  cani- 
pagnes,  qu'a  pénétré  la  contagion  de  cette  superstition. 
Il  ajoute  qu'avant  les  moyens  qu'il  avait  employés ,  et 
dont  il  espérait  le  succès,  les  temples  commençaient  à 
être  abandonnés  ;  que  les  solennités  avaient  été  long- 
temps interrompues  ,  et  que  les  victimes  étaient  deve- 
nues très— rares  (1). 


(i)  Visa  est  eniin  mihi  res  digna  consnltatione,  maxime  propter 
periclitantinm  nnmeitim.  Multi  enim  oranis  setatis,  omiiis  ordinis, 
utrinsque  sexus  ctiam  vocantnr  iii  periciilura ,  et  vocabantur.  Neqae 
enim  civitates  tantani,  sed  vicos  etiam  atque  agros  snperstitionis  con- 
lagio  pervagata  est,  quae  videtur  sisti  et  corrigi  posse.  Certe  jam  salis 
constat  prope  jam  desolata  templa  cœpisse  celebrari ,  et  sacra  solem- 
nia  dia  intericiasa  repeii  ;  passimijne  venire  victiraas  qnarum  adhac 
rarissimas  eraptor  inveniebatur.  (P/inius,  2  ad  Trajanum^  ep.^  lib.  x, 
epist.  97.) 


408  DISSERTATIONS 

Vil.  Nous  connaissons  encore  sur  le  même  sujet  une 
épître  au  même  empereur,  d'un  autre  gouverneur  de 
province  ;  c'est  de  Tibérianus ,  préfet  de  la  première 
Palestine.  Cotelier,  qui  rapporte  cette  lettre ,  doute  de 
son  authenticité,  parce  qu'Eusèbe  n'en  parle  pas.  Mais 
Fabricius  et  d'autres  savants  pensent  que  cet  argument 
négatif  ne  doit  pas  la  faire  rejeter.  Tibérianus  rend 
compte  à  Trajan  que ,  selon  ses  ordres ,  il  s'est  lassé  à 
punir  et  à  livrer  à  la  mort  les  Galiléens ,  qui  viennent 
à  lui  sous  le  nom  de  Chrétiens  ;  qu'ils  ne  cessent  de 
s'offrir  d'eux-mêmes  à  la  mort  ;  que  quelques  exhor- 
tations, quelques  menaces  qu'il  ait  employées  pour  les 
détourner  de  se  déclarer  de  cette  religion  ,  la  persécu- 
tion, les  souffrances  ne  les  arrêtent  pas  (1). 

Au  même  siècle ,  deux  auteurs  païens ,  ennemis  très- 
déclarés  du  christianisme,  sont  des  témoins  non  sus- 
pects de  sa  grande  diffusion. 

YIII.  Le  premier  est  Lucien,  qui  introduit  l'impos- 
teur Alexandre,  disant  que  la  province  de  Pont  est 
pleine  d'athées  et  de  Chrétiens,  et  que  si  on  veut  se 
rendre  Dieu  favorable ,  il  faut  les  chasser  à  coups  de 
pierres  (2). 

IX.  Le  second  est  Celse,  qui  tantôt  reproche  aux 
Juifs  d'abandonner  la  loi  de  leurs  pères  pour  un  homme 


(i)  Defaligatns  sum  puniendo  et  neci  tradendo  galilacos  qui  noLis 
veniunt  sob  noinine  christianornm  secandom  vestra  mandata.  Illi  ve- 
ro  non  cessant  ad  caedeoi  sese  palefacere.  Et  licet  tam  adhortaiioni- 
bas  quani  minis  multum  laboraverim,  ut  dogmatis  illius  esse  se  pro- 
fessores  indicare  mibi  non  anderent,  persecntionem  tamen  passi , 
non  qaiescunt.  Quae  igitur  iraperio  vestro  visa  fuerint ,  edicere  mihi 
digne tnr  maj estas  vestra.  (  Tiberiani  ad  Trajaniiin  de  Christ.  Relatio. 
P.  P.  apost.  ,  tora.  Il,  p.  i8i.) 

(a)  Cnra  multi  jam  prudentes  viri ,  qnasi  ex  profunda  se  ebrietate 
recipientes ,  contra  ipsnm  consistèrent,  in  piiinis  quotquot  Epicnri 
sodales  essent  ,  omnes  ilbns  praestigiae,  ac  totns  fabnlae  apparatus 
ferricularaentnin  quoddam  contra  ipsos  expcdit,  dicens  alheis  plé- 
num esse  et  cbristianis  Pontura,  qui  audebant  pessima  de  se  maledic- 
ta  spargere;  quos  lapidibus  jiissit  alàgi,  si  propitiara  habere  vellent 
Deuni.  (Lucianiis  J/exander ,  seu  Pseudomantis ,  n°  2  5.) 


SUR    LA    RELIGION.  409 

puni  (lu  dernier  supplice  (1),  tantôt  regarde  comme  une 
absurdité,  que,  tandis  que  Jésus-Christ  vivant  n'a  pu 
persuader  personne,  après  sa  mort  ses  disciples  per- 
suadent tant  de  choses  à  tous  ceux  qu'ils  veulent  r-2). 

X.  Saint  Justin,  qui  florissait  vers  le  milieu  de  ce 
siècle ,  déclare  qu'il  n'y  a  aucune  sorte  d'hommes , 
Grecs  ou  barbares,  et  de  quelque  nom  qu'ils  soient 
appelés,  soit  hamaxabiens,  qui  habitent  sur  des  char- 
riots,  soit  nomades,  qui  n'ont  point  de  maisons,  soit 
scénites,  qui  vivent  sous  des  tentes,  parmi  lesquels  il 
ne  soit  offert  des  prières  et  des  actions  de  ^^ràces  à  Dieu 
le  père,   au  nom  de  Jésus-Christ  crucifié  (3). 

XL  Saint  Irénée,  postérieur  à  saint  Justin  de  quel- 
que temps,  pour  montrer  que  la  foi  est  la  même  dans 
toute  l'Eglise,  fait  mention  des  églises  qui  sont  dans  la 
Germanie,  dans  l'Espagne,  dans  les  Gaules,  dans  l'O- 
rient ,  dans  l'Egypte ,  dans  l'Afrique  ,  dans  les  régions 
qui  sont  au  milieu  des  terres  f4j. 

XII.  Saint  Clément  d'Alexandrie  observe  que  les 
pbilosopbes  n'ont  pu  communiquer  leur  doctrine  qu'à 
leurs  compatriotes,  parmi  lesquels  encore  ils  n'ont  eu 


(i)  Deinde  illins  (Celsi)  jadaens  eos  qui  e  popnlo  Jesum  sicut 
sunt  sic  alloquitur  :  Heri  et  nudiustertins,  cnm  in  eura  qai  vobis  os 
snbliniebat  animadversnra  est,  a  lege  patria  defecistis,  (  On'gen.  cont. 
Ce/5.  ,  lib.  n,  n°  4.)  * 

(2)  Haec  igitar  apad  illam  ordine  spqnitnr.  Si  dam  viveret  nemini 
persuasit,  post  morfera  antem  ejns  qnicnmqae  volunt  fam  mnlta  per- 
suadent, nonne  res  est  perqnam  absurda?  [Ibid.  n°  46.) 

(3)  ?^allam  enim  oranino  genus  est,  sive  graecornm,  sive  barbaro- 
rnm,  sive  qaolibet  nomine  appellentur ,  val  hamaxabiornm  qni  in 
plaustris  degunt,  vel  nomadum  qni  domibas  carent ,  vel  scenitarnra 
qai  pecora  pascentes  habitant  in  tentoriis,  nullum,  inqaam  ,  hujus- 
modi  genns  est,  in  quo  non  per  noraen  crocUlxi  Jesn  preces  et  gra- 
tiarura  actiones  patri  et  creafori  aniversornm  fiant.  {S.  Justinus , 
Dial.  cum.  Triph.  cap.  117.) 

(4)  At  neqae  hae  qoîe  Germ^niis  sunt  ecc'esiae  aliter  credant,  aut 
alirer  tradunt,  neqne  in  Hfspaniis,  ant  in  Galliis  ,  antin  Oriente,  ant 
in  Egypte,  ant  in  Africa ,  ant  in  mediterraneis  orbis  regionibus 
sedem  habent.  {S.  Iren.  cont.  Hœres.  ,  lih.  i,    cap.  10,  n°  2.) 

Dissert,  sur  la  Relig.  18 


410  DISSERTATIONS 

qu'un  pelit  nombre  de  disciples.  Mais,  ajoute-t-il,  la 
parole  de  notre  maître  n'est  pas  restée  resserrée  dans 
la  Judée,  comme  celle  des  pliilosoplies  dans  la  Grèce; 
elle  s'est  répandue  par  toute  la  terre ,  parmi  les  bar- 
bares comme  parmi  les  Grecs;  elle  a  porté  la  persua- 
sion dans  les  nations,  dans  les  bourj^s ,  dans  des  villes 
entières  ;  elle  a  amené  à  la  vérité  un  grand  nombre  de 
ceux  qui  l'ont  entendue ,  et  même  plusieurs  philoso- 
phes (1). 

XIII.  TertuUien  écrivait  à  la  fin  du  second  siècle,  et 
au  commencement  du  troisième.  On  peut  juger  avec 
sûreté  de  l'état  où  était  le  christianisme  à  cette  époque, 
par  ce  qu'il  en  dit  en  plusieurs  endroits.  Dans  son  ou- 
vrage aux  nations  :  «  Vous  gémissez  ,  leur  dit-il ,  de 
«  voir  croître  tous  les  jours  le  nombre  des  Chrétiens. 
«  Tous  criez  que  la  cité  en  est  obsédée.  A  ous  déplorez 
.<  les  pertes  que  vous  faites  de  Chrétiens  de  tout  sexe , 
«  de  tout  âge,  de  toute  dignité,  qui  vous  abandonnent 
M  dans  les  châteaux  ,  dans  les  campagnes ,  dans  les 
«  îles  (2).  >  Ecrivant  à  Scapula,  gouverneur  d'Afrique, 
qui  était  porté  à  la  persécution  :  u  Que  ferez-vous ,  lui 
«  dit-il,  de  tant  de  milliers  d'hommes  et  de  femmes  de 
«  tout  âge,  de  toute  dignité,  qui  viennent  s'offrir  à 
«  vous?  De  combien  de  bûchers,  de  combien  de  glaives 
»«   n'aurez-vous  pas  besoin?  Que  ne  souffrira  pas  Car- 


(i)  Philosophi  graecis  solis  ,  neqne  iis  omnibns  placuere  :  sed  Pla- 
îoni  qaidem  Socrates  et  Xenocrati  Plato ,  Aiistottles  Ihecphras'o, 
et  Chleanti  Zeno,  qui  snos  solos  pprsuaseinnt  asseclas.  INIagistii  ao- 
tera  nostri  verbum  non  mansit  in  tola  Juc]a?a  ,  sicut  philosophia  in 
Graecia;  sed  diffosum  est  per  lotanjoibem  terrae,  grzecoium  simul  ac 
barbarorum ,  gentibus,  et  vicis,  et  totis  urbibus  persuadens  tutas 
doinos  ;  et  sursum  unumqnenifjne  ex  iis  qui  aubcultabant  ;  et  ex  ipsis 
eliam  pbilosopbis,  non  pancos  jam  iraducens  ad  verifatera.  (S.  Clem. 
Alex.  Stromat.,  lib.  vi,  cap.  i8.) 

(2)  Adeo  qnolidie  adulescenteoi  numeram  cbrîstianorum  ingemi- 
tis.  Obsessam  vociferamini  ci\^ta!em.  In  agiis,in  castellis,  in  insulis 
cbristianos,  omnem  sexum,  omnem  aetatem,  cmnem  deniqae  digni- 
tatem  transgiedi  a  vobis ,  quasi  delrimento  doletis.  (  Tertuîl.  ad  na- 
tionesy  lib.  i,  cap.  i.) 


SUR    L\    RELIGION.  4ll 

s   thage  ,  qu'il  vous  faudra  décimer,  quand  chacun  aura 
u  reconnu  ses  parents ,  ses  commensaux  ;  quand  elle  y 
«  aura  vu  peut-être  des  hommes  et  des  dames  du  plus 
u  Jiaut  rang ,   et  jusque  dans  votre  ordre ,  des  proches 
«   et  des  amis  de  vos  amis?  Ayez  pitié,  sinon  de  nous, 
«  au  moins  de  vous-même.  Ayez  pitié ,  sinon  de  vous , 
H   au  moins  de  Carthage.  Ayez  pitié  de  cette  province, 
«   qui ,  dès  que  votre  intention  sera  connue ,  se  trouvera 
u  exposée  aux  vexations  des  soldais  et  des  ennemis  de 
«  chacun  (1;.  »   îMais  il  ne  parle  nulle  part  avec  plus 
d'étendue    et    d'énergie    que    dans    son    apologétique. 
«  Nous  ne    sommes  que  d'hier,    et   nous   remplissons 
«   tout  votre  empire,  les  villes,   les  îles,  les  châteaux  , 
«   les  compagnies,  les  camps,  les  tribus  ,  les  décuries , 
«   les  palais,   le  sénat,  le  barreau  :  nous  ne  vous  lais- 
«1  sons  que  vos  temples.   ]Nous  pourrions  iiiéme,  sans 
*    armes  et  sans  révolte,  mais  par  notre  seule  sépara- 
*c  tion  ,  vous  combattre.   Si,  étant  une  multitude  aussi 
«   nombreuse,  nous  allions  nous  retirer  dans  quelque 
«  partie  éloignée  de  l'univers ,  votre  domination  serait 
M  confondue  de  la  perte  d'un  si  grand  nombre  de  ci- 
M   toyens.   Leur  seul  éloignement  vous  punirait.   ^  ous 
«  frémiriez  de  la  solitude  où  ils  vous  laisseraient,  de  ce 
«  silence  universel ,   et  de  la  stupeur  où  resterait  votre 
«   univers  comme  mort.  Vous  chercheriez  à  qui  com- 
«  mander  (2).  »    A  ces  textes  si  forts  et  si  concluants 


(i)  Hoc  si  placuerit  fieri,  qnid  faciès  de  tantis  œilLbus  hominnm, 
toi  viris  ac  feminis,  oinnis  sexus,  omnis  aelatis,  oninib  d'gn  ta'js , 
offerentibns  se  tibi  ?  Qaantis  ignibas,  quantis  gladiis  opu^,  eiit?  Qaid 
ipsa  Carlhago  passara  est,  decimanda  a  te;  cora  propinquos,  cam 
contubernales  suos,  illic  unusquisqae  cognover.t;  cam  viderit  ilhc 
fortasse,  et  toi  ordinis  viros  et  matronas,  et  principales  quasqae 
personas,  et  amicoram  taorurn,  ve!  propinquos,  vel  ainicos.  Parce 
ergo  tibi,  si  non  nubis.  Parce  Cartbagini,  si  non  tibi.  Parce  provin- 
cise  qaae,visa  inienlione  tna,  obnox.ia  facta  est  concussionibas  et 
militnru  et  inimicoram  suorum  cujusqoe.  ibidem  y  ad  Scanulam^ 
cap.  V,  versas  tinem.  ) 

(i)  Hestemi  snmas  :  et  vestra  omnia  implevinjas,  arbes  ,  insalas, 
rastella,  municipia  ,  conciliabula,  castiaipsa,  tribas,  decarias,  pala- 


412  DISSERTATIONS 

les  incrédules  répondent  que  ce  sont  là  des  amplifications 
de  rhéteur.  Des  amplifications!  Passons  le  mot;    mais 
sont-ce  des  exagérations?  Observons  que  c'est  dans  des 
apologies  de  la  religion  que  Tertullien  s'exprime  ainsi, 
et  que  c'est  à  des  païens  (ju'il  s'adresse  ,  lesquels  sa- 
vaient indubitablement  si  les  faits  avancés  étaient  faux 
ou  véritables.  Aurait-il  osé  les  assurer,  sûr  d'être  dé- 
menti à  l'instant  par  le  cri  public?  On  dit  que  son  Apo- 
logétique eut  du  succès;  qu'il  arrêta  dans  quelques  lieux 
la  persécution,   la  modéra  dans  d'autres.  Mais  le  ri- 
dicule qu'aurait  jeté  sur  son  ouvrage  une  exagération 
aussi  grossière,  n'en  aurait-il  pas  empêché  tout  l'eftet? 
Enfin  ,  ne  considérons  pas  son  témoignage  comme  isolé  ; 
rapprochons-le  de  ceux  qui  le  précèdent,  et  nous  senti- 
rons qu'il  doit  être  vrai.  Spécialement  ce  que  dit  Pline, 
sans   exagération ,   du  nombre  des   Chrétiens  au  com- 
mencement  du   second   siècle ,   rend   très-probable  ce 
qu'en  assure  Tertullien  à  la  fin  du  même  siècle. 

XIY.  Origènes,  qui  vivait  au  troisième  siècle,  atteste 
la  connaissance  qu'a  tout  le  monde  de  cette  vérité,  que 
la  prédication  de  l'Evangile  s'est  propagée  d'une  extré- 
mité de  la  terre  jusqu'à  l'autre,  et  <iue  déjà  il  n'y  a 
presqu'aucun  lieu  qui  n'ait  reçu  la  semence  de  la  parole 
divine  (1). 

XV.  Un  fait  important  nous  montre  quelle  crainte  la 
grande  multiplication   des  Chrétiens  inspirait,  à  cette 


lium  ,  senatnm,  forom;  sola  vobis  relinqnimns  templa.  Potuimus  et 
inernies,  nec  rebelles  ,  sed  tanturamodo  discordes  ,  solius  divortii  in- 
vidia ,  advcisus  vos  dimicasse.  Si  enim  tanta  vis  bominuni  in  aliqaem 
reinoti  orbis  sinuin  nbrapissemus  a  vobis,  snffudisset  utique  dorai- 
nationem  vestram  tôt  qualiarutumque  amissio  civiura  ;  ironio  etiara  et 
ipsa  destitutione  punisset.  Procul  dabio  expavi.ssetis  ad  sobtudinem 
vestram ,  ad  silentinm  reruin  et  stuporeiu  quemdam  qnasi  mortai  or- 
bis.  Quaesissetis  qaibus  imperaretis.  ibidem  ^  Apol.^  cap.  iri.  ) 

(i)  Qnis  jam  expositione  indiget,  ut  sciât  semen  Christi  qaomodo 
multiplicetar ,  qui  videt  a  finibus  teriae,usqae  ad  fines  terrae,  propa- 
gatam  praedicationem  evangelii,  et  nnllum  pêne  esse  jain  locnm,  qui 
non  semen  verbi  sasceperit.  {^Origen,  in  Gènes. ^  Homil.  ix,  n*  st.) 


SUR    LA    RELIGION.  4l3 

époque,  aux  païens,  de  voir  le  christianisme  devenir 
la  religion  universelle.  L'empereur  Alexandre-Sévère 
avait  envie  d'élever  un  temple  à  Jésus-Christ  et  de  le 
placer  au  rang  des  dieux  ;  mais  il  en  fut  détourné  ,  par- 
ce qu'on  l'assura  qu'après  avoir  consulté  les  choses  sa- 
crées il  avait  été  trouvé  que,  si  son  projet  s'effectuait, 
tout  le  monde  se  ferait  chrétien ,  et  que  les  autres  tem- 
ples seraient  abandonnés.  Si  c'était  un  écrivain  chrétien 
qui  rapportât  ce  trait ,  on  pourrait  en  contester  la  vé- 
rité; mais  il  n'est  pas  possible  de  le  révoquer  en  doute, 
quand  on  le  lit  dans  Lampride,  historien  païen  et  con- 
temporain (1). 

XYI.  Nous  avons  la  preuve  que  le  christianisme  avait 
pénétré  jusque  dans  la  famille  impériale ,  et  y  avait 
beaucoup  de  partisans ,  dans  ce  que  rapporte  Eusèbe , 
que  la  persécution  excitée  contre  le  christianisme,  par 
Maximin  ,  meurtrier  et  successeur  d'Alexandre-Sévère , 
eut  pour  motif  la  haine  que  portait  cet  usurpateur  à 
la  famille  de  son  prédécesseur,  dans  laquelle  il  y  avait 
un  grand  nombre  de  Chrétiens  (2). 

XYII.  Saint  Cyprien  compare  l'Eglise  de  son  temps, 
au  soleil  dont  les  rayons  éclairent  tout  le  monde  ;  à  un 
arbre  dont  les  rameaux  couvrent  toute  la  terre;  à  un 
ruisseau  qui  répand  partout  ses  eaux  (3). 


(i)  Christo  teraplum  facere  voluit  (Alexander  Severos  enmqae  in- 
ter  deos  recipere....  Sed  prohibitas  est  ab  iis  qui,  consulentes  sacra, 
repererunt  omnes  christianos  futures  ,  si  id  optato  evenisset,  et  tem- 
pla  alia  deserenda.  { Lampridius  vita  Alexand.  Sev. ,  cap.  xtiii.  ) 

(2)  Alexandre  Romanoram  imperatori,  cum  tredecim  annis  reipn- 
blicae  gabernaculis  praefuisset ,  Maxiaiinus  Csesar  successit.  Qui  prop- 
ter  invidiam  qua  contra  Alexandri  familiam,  in  qua  coroplares  fidèles 
et  chrisiiani  versabaniur;  flagrabat,  acerbam  persecntionis  tempesta- 
tern  concitavit ,  jnssitqne  solos  ecclesiaruin  prœsides  ,  tanquam  aucto- 
res  doclrinae  evangelicae  neci  dari.  (Eiiseb.  f  Hist.  Eccl.  ^  Lb.  vi  , 
cap.  a8  ) 

(3)  Ecclesia  nna  est  quae  in  multitodinem  laiius  increraento  foe- 
cunditatis  extenditar.  Qnomodo  solis  malti  radii ,  sed  lumen  unura; 
et  raini  arboris  reiulti ,  sed  robur  nnam  teuaci  radice  fandatuni;  et 
cuîu  de  fonle   nno  rivi  plorimi   defluant.  Sic   et  ecclesia  Domini  luce 


414  DISSERTATIONS 

XVIII.  Nous  voyons,  par  l'apologie  de  Minutius- 
Félix,  que  dans  ce  siècle  les  païens  reprochaient  aux 
Chrétiens  les  rapides  accroissements  de  ce  qu'ils  appe- 
laient leur  exécrable  superstition.  Il  leur  répond  en 
convenant  de  cette  prodigieuse  muliiplication  des  Chré- 
tiens. «  Nous  ne  nous  en  glorifions  pas,  dit-il.  A  nos 
«  yeux  nous  sommes  très-nombreux  ;  devant  Dieu  nous 
«   ne  le  sommes  pas  assez  (1).  » 

XIX.  Arnobe  écrivait^  vers  la  fin  du  troisième  siè- 
cle, son  ouvrage  contre  les  nations.  Il  faisait  aux  païens 
d'alors  le  même  raisonnement  que  nous  adressons  aux 
incrédules  d'aujourd'hui.  Il  leur  donnait  de  même, 
comme  une  preuve  de  la  religion  ,  sa  diffusion  rapide  et 
universelle.  Il  presse  cette  preuve  en  divers  endroits  (2). 
«  Si,  comme  vous  le  croyez,  dit -il,  l'histoire  de  ces 
«  faits  n'est  pas  véritable,  comment  a-t-il  pu  se  faire 
"  qu'en  aussi  peu  de  temps  le  monde  entier  se  soit 
«  trouvé  rempli  de  cette  religion?  Comment  des  nations 
«  de  pays  si  éloignés ,  de  climats  si  différents  ,  ont-e  lie 
«  pu  se  réunir  dans  un  seul  esprit?  N'est-ce  pas  ,  re- 
»  prend-il  ailleurs,  à  vos  yeux  ,  un  motif  suffisant  pour 
«  croire,  de  voir  dans  un  temps  aussi  court  nos  dog- 
«  mes  ré])andus  sur  toute  la  terre;  de  voir  qu'il  n'y  a 
«  aucune  nation  de  mœurs  si  barbares  et  si  éloignées  de 
«   toute  douceur,  qui ,  convertie  par  l'amour  de  Jésus- 


perfasa,  per  totum  orbem  radios  snos  porrigit.  Ramos  snos  ia  uni- 
versam  terrain  copia  ubertalis  extendir,  profluentes  largiter  livos  la- 
tins expandit.  (S.  Cyprianiis ,  de  Utrt.  Ecoles.') 

(r)  Ac  jain  at  faecand^ns  nequiora  proveniunt  serpentibos  in  dies 
perditis  moribus  per  oniversum  orbern,  sacraria  ista  tetenimae,  irn- 
piae.  coïtionis  adolescunt,  delestanda  prorsus  baec  et  execranda  sa- 
perstitio...  Nec  nobis  de  nostia  freqnentia  blandiraar.  Mulii  nobis 
videiunr  :  sed  Dec  pauci  snmus.  (Minucius  Félix  Octavius  ^  n°  ix  et 
xxxin.  ) 

(2)  Qaod  si  falsa,  ut  dicitis  ,  historia  illa  rerum  est,  nnde  tara 
Lrevi  tempore  totus  raundus  illa  religione  completns  est  ?  Aat  in 
unara  coire  qui  potuerunl  menlem  gantes  regianibus  disjiinctae,  ven- 
tis  cœli ,  non  couvexionibusque  dimotae  ?  [Arnobius  adv,  gentes  y 
lib,,  cap.  55.) 


SUR    LA    RELIGION.  4l5 

«  Christ,  n'ait  adouci  sa  rudesse,  et,  reprenant  des 
«  sentiments  plus  iiumains,  n'ait  recouvré  sa  tranquil- 
«  lité  (Ij?  »  Dans  un  autre  endroit ,  il  attribue  aux  mi- 
racles du  Sauveur  et  des  prédicateurs  de  sa  loi  cette 
réunion  de  tant  de  nations  et  de  peuples,  si  dilférents 
de  coutumes  ,  dans  une  seule  foi  et  dans  un  même  es- 
prit; il  parle  des  choses  merveilleuses  qui  ont  été  opé- 
rées dans  rinde,  chez  les  Sères,  chez  les  Perses,  chez 
les  Mèdes,  dans  l'Arabie,  dans  l'Egypte,  dans  l'Asie, 
dans  la  Syrie  ,  parmi  les  Galates,  les  Parthes,  les  Phry- 
giens, dans  l'Achaie,  la  Macédoine,  FEpire,  dans  les 
îles,  dans  toutes  les  provinces  que  parcourt  le  soleil  le- 
vant et  le  soleil  couchant  ;  enfin  dans  Rome  la  domina- 
trice ,  dans  laquelle  les  hommes  attachés  aux  institu- 
tions de  Numa  et  aux  antiques  superstitions  n'ont  pas 
laissé  cependant  d'abandonner  les  préjugés  paternels, 
et  de  venir  se  réunir  à  la  vérité  chrétienne  (2;.  Il  fal- 
lait qu'à  cette  époque  la  diffusion  universelle  du  chris- 
tianisir.e  fut  une  vérité  bien  reconnue,  pour  que  les 
défenseurs  de  cette  religion  en  fissent,  contre  leurs  ad- 
versaires, la  base  d'une  de  leurs  preuves,  ne  s'occu- 
passent pas  même  à  la  prouver,  mais  raisonnassent  d'a- 
près ce  fait,  comme  d'après  un  principe  certain  et 
avoué  de  tout  le  monde. 


(i)  Nonne  vel  haec  saltem  Cdem  vobis  facinnt  argaraenta  credendi, 
qnod  jam  pêne  per  omnes  terras  in  tara  brevi  lempore  et  parvo ,  iro- 
raensi  hajiis  sacraraenta  sunt  :  qnod  nnlla  jam  natio  est  tara  barbari 
moris,  et  raansuetudinem  nesciens  ,  diffusa  quae  non  ejns  amore  ver- 
sa ,  molliverit  asperitatem  snain  ,  et  in  placides  sensus  assompta 
tranquillirate  migraverit....  îs'isi  fotte  obtusi  et  fatui  videntur  hi  vo- 
bis ,  qui  per  orbera  jam  totnm  coeunt  et  conspirant  in  UDtun  istitw 
creduliiatis  assensain.  {^Ibid.  lib  ii ,  c^p.  5.) 

'a)  "Virtutes  sub  oculis  positjc,  inauditae,  illa  vis  rernm  qnae  vel 
ab  ipso  fiebat  palani  ,  Vfi  ab  ejns  prœconibus  celebrabaïur  in  toto 
orbe,  eas  sabdidit  appetitionum  flammaset  ad  uniuscredulitalis  assen- 
sora  mente  una  concurreie  gentes  et  populos  fecit ,  et  moribus  dis- 
simillimas  nationes.  Enumerari  enira  pcssant  atqae  in  usum  coinpa- 
tationis  venire,  ea  quae  in  India  gesta  sunt,  apad  Seras,  Persas  et 
Medos  ,  in  Arabia  ,  .ïgypîo  ,  in  Asia  ,  Syria,  apud  Galatas,  Partbos, 


416  DISSERTATIONS 

Toute  cette  chaîne  de  témoignages  sur  l'accroisse- 
jncnt  progressif  et  rapide  de  la  religion  cluélienne, 
nous  conduit  aux  dernières  années  du  troisième  siècle, 
et  au  commencement  du  quatrième,  et  doit  préparer 
à  voir  la  religion  chrétienne  ,  devenue  dans  l'empire 
romain  celle  du  plus  grand  nombre,  en  attendant  que 
nous  la  voyions,  très-peu  de  temps  après,  devenir  la 
religion  dominante  par  la  conversion  de  Constantin. 

XX.  JNous  apprenons  de  Laclance  que  Dioclétien , 
porté  par  son  propre  attachement ,  au  paganisme ,  et 
de  plus,  excité  par  la  rage  de  sa  mère  à  persécuter  les 
Chrétiens ,  fut  cependant  arrêté  pendant  longtemps ,  et 
délibéra  pendant  tout  un  hiver  avant  de  s'y  déterminer. 
Ce  qui  le  retenait  était  la  considération  de  la  grande 
abondance  de  sang  qu'il  lui  faudrait  répandre  ,  et  la 
crainte  du  danger  de  troubler  tout  l'univers  (1). 

Mais  voici  des  faits  qui  établissent  bien  plus  claire- 
ment encore,  qu'à  cette  époque  notre  religion  l'em- 
portait de  beaucoup  sur  l'idolâtrie  par  le  nombre  de 
ses  partisans, 

XXI.  Maxence,  fils  du  persécuteur  Maximin  ,  aussi 
cruel  que  son  père,  et  depuis  persécuteur  comme  lui, 
ayant  usurpé  Fempire,  fit  semblant,  dans  le  commen- 
cement de  sa  domination  ,  de  professer  la  religion  chré- 
tienne, et  cela  dans  la  vue  de  se  conformer  au  peuple 


Phrygas,  in  Achaia ,  Macedonia ,  Epiro,  in  insulis  et  provinciis 
omnibus  qaas  sol  oriens  atque  occidens  lostrat  ;  ipsara  den^que 
apnd  dominam  Romani;  in  qua  mm  bonùnes  tunt  Numœ  régis 
artibns ,  atquae  antiquis  superstitionibus  occupali,  non  dis'ulerunt 
taraen  res  patrias  Jinqiiere ,  et  veritati  coalescere  christianae.  (Ibid.  , 
cap.  12.) 

(i)  Hinc  (mater  Diocletiani^  concepit  odium  adversns  eos  (Chris- 
tianos),  ac  liliani  suum  non  minas  superstiliosum  qnerelis  muliebri- 
bus  ad  tollendos  hojnines  inciiavit.  Ergo ,  habito  inJer  se  per  tolnm 
hiemem  consdio,  cum  nemo  admitteretur ,  et  omnes  de  summo  stata 
reipublicae  nactari  arbitrarentur  ,  dia  senex.  furori  ejus  repugnavit , 
ostendens  qnam  peruiciosum  esset  inquielari  orbem  teria^,  fundi 
sanguinem  maliorum.  [Lactarit.  ,  de  Mort.  Perscc,  cap.  xt. ) 


SUR    LA    RELIGION.  417 

romain  et  de  lui  plaire  (1).  Maxence  croyait  donc  que 
le  parti  des  Chrétiens  était  le  plus  nombreux  et  le  plus 
fort ,  puisque ,  malgré  ses  préjugés ,  il  croyait  utile  de 
s'y  ranger. 

XXII.  Eusèbe  nous  a  conservé  deux  actes  authen- 
tiques de  l'empereur  Maximin  second,  qui  établissent 
incontestablement  la  même  vérité.  Le  premier  est  un 
édit  de  persécution  qu'il  avait  lu  sur  une  colonne ,  et 
dans  lequel  Maximin  disait  que  les  maux  de  l'empire 
étaient  arrivés  à  cause  de  l'erreur  pernicieuse  des  chré- 
tiens, laquelle,  entrant  dans  leurs  esprits,  avait  répan- 
du ses  ténèbres  sur  l'univers  presqu'entier  ^2^.  Le  second 
est  une  lettre  du  même  prince  aux  gouverneurs  de  pro- 
vince, dans  laquelle  il  dit  que  les  empereurs  Dioclé- 
tien  et  Maximien  s'étaient  déterminés  à  persécuter  le 
christianisme ,  parce  que  presque  tous  les  hommes 
abandonnant  le  culte  des  dieux  ,  allaient  se  mêler  et 
s'unir  à  la  gent  chrétienne  (^).  Il  est  impossible  de  pro- 
duire un  témoignage  plus  positif  et  une  autorité  plus 
tranchante. 

XXIII.  Mais  nous  avons  encore  l'aveu  de  nos  adver- 
saires eux-mêmes.  La  plupart  des  incrédules  assurent 
que  ce  ne  fureiit  ni  la  vue  d'une  croix  miraculeuse,  ni 


(i)  Hojns  filins  Maxentius,  qui  Roraae  tyrannidem  airipoit,  prin- 
cipio  quidena  fidei  noslrx*  professionein  aimulavit  ,  ut  in  eo  morem 
gereret ,  blandiietnrque  populo  romane.  (Euseb.y  Hist.  Eccles.  , 
lib.  VIII ,  cap.  14.) 

(2)  Atqae  ista  oniversa  accideront  ob  perniciobum  illnra  et  vanam 
errorem  hominnm  nequ^im  et  improborom ,  chrislianorum  videlicet 
errorem  ,  qui  qnidera  ,  cum  in  illoram  animos  illaberetar,  universum 
prope  dixerini  orbein  terrarum  coufusione  qnadain  oppressit.  [Eiiseb., 
Hist.  Ecdcs.,  lib.  ix ,  cap.  6.) 

{'i^  Cum  apud  tuam  graviiatem,  tum  apad  omnes  bomines  ,  satis 
inciebnisie  arbitrer,  dominos  et  patres  nostros  impeiatores  Diocie- 
tiannin  et  Max'mianuni.  q-.iando  oiuiies  feie  homines,  relicto  deorum 
culta,  se  cura  chrislianorum  gente  commibcuisse ,  conjanxisseque 
intellexiTant,  recte  saneque  mnndabse  ut  cnnc  i  qui  a  deorum  suorum 
iminoitalium  religione  seoessistent ,  aperta  animadversione  et  suppli- 
rio,  ad  eoiara  venerationeni  denuo  revocarentar.  {^Ibid.,  cap.  8.  ; 


418  DISSERTATIONS 

l'examen  des  preuves  du  christianisme,  qui  détermi- 
nèrent Constantin  à  l'embrasser.  Ce  fut,  disent-ils,  la 
politique  de  ce  prince  qui  lui  conseilla  de  mettre  les 
Chrétiens  dans  son  parti.  Nous  sommes  bien  éloignés 
d'admettre  la  vérité  de  cette  inculpation  à  la  mémoire 
d'un  empereur  aussi  religieux;  mais,  de  cette  assertion 
de  ses  ennemis,  il  résulte  évidemment  qu'ils  reconnais- 
sent la  vérité,  qu'ils  nous  forcent  à  prouver  contre  eux, 
savoir  qu'avant  l'avènement  de  Constantin  au  trône ,  le 
christianisme  était  déjà  la  religion  la  plus  nombreuse. 
S'il  ne  l'avait  pas  été ,  la  politique  de  Constantin  eût 
été  la  plus  maladroite  et  la  plus  fausse  du  monde. 

XXIV.  Il  reste  démontré  par  cette  suite  d'autorités , 
tant  de  Chrétiens  que  de  païens,  lesquels,  malgré  leur 
inimitié ,  s'accordent  pour  attester  le  même  fait ,  que  le 
christianisme,  dans  ses  commencements,  s'est  progres- 
sivement et  rapidement  accru  dans  l'empire  romain , 
qui  formait  alors  la  plus  grande  partie  du  monde  con- 
nu (1) ,  tellement  qu'en  moins  de  trois  siècles  il  est  de- 
venu la  religion  la  plus  répandue,  et  qu'au  commen- 
cement du  quatrième  le  nombre  des  chrétiens  excédait 
celui  des  païens.  Nous  n'avons  pas  autant  de  monu- 
ments des  pays  qui  ne  faisaient  pas  partie  de  l'empire ^ 
parce  que  nous  ne  connaissons  pas  d'historiens  de  ces 
nations;  mais  nous  sommes  assurés  que  la  religion  s'y 
était  aussi  établie.  Nous  venons  de  rapporter  des  textes 
de  saint  Justin,  de  saint  Clément  d'Alexandrie,  d'Ar- 
nobe  ,  qui  le  disent  positivement.  Eusebe  et  Théodoret 
rapportent   de    même  que  la    prédication    apostolique 


(i)  Qnin  etiam  qui  occidentem  incolunt  ,  panier  cnm  his  qui  in 
Jocis  versus  Orientem  habitant  ,  ad  enra  eodem  Jemporis  luomento 
collaadandum ,  ipsias  piaeceplis  perdocti  sunt.  Et  qni  versus  Eoream 
doruicilia  reram  suaram  collocaïunt ,  simul  cura  illis  qui  regiones 
versus  Meridiem  accolunt,  uno  concentn  ,  eum  praedirant  piom  Vi- 
vendi inodani  consectantnr ,  iisdein  moribus  et  instituts,  ii:s;ructiim 
anum  Deum  palrera  ,  oroninm  gubernatoiem  praed  catiore  efferunt, 
onigenitura  ejns  Fi'.ium  servatorem  nosjrum  ,  omnium  boroium  auo- 
torera  proflteniur.  {  Eiiseb.^  Orat.  de  Laudibus  Const.  ) 


SDR    LK    RELIGION.  4l9 

s'étendit  bien  loin  au-delà  des  limites  de  l'empire  (Ij. 
On  voit,  du  temps  d'Origènes ,  se  tenir  en  Arabie  des 
conciles  auxquels  ce  grand  docteur  est  appelé.  On  sait 
qu'il  y  a  eu  en  Perse  de  grandes  persécutions  (2). 

La  vérité  de  la  propagation  rapide  du  christianisme 
démontrée,  passons  à  la  seconde  partie  de  notre  preu- 
ve;  et,  le  fait  établi,  établissons-en  la  conséquence. 


(i)  At  vero  apad  oraiies  nomen  Je^a  praedicare  ,  admirabiliaqoe 
eju*  gesta  ,  et  in  urbibus  et  in  agris  docere  et  alios  qnidera  eoruni 
imperiam  romanam  ,  ipsamque  omnium  nrbium  reginara  civitate/u 
invadeie  ,  alios  Peisaiam  regnum  ,  alios  Armenioium  ,  Partbornm 
alios  nationera,  item  alios  Scytharam  ,  qnosdam  etiam  ad  orbis  terras 
venissc  fines,  ludorumqne  regionein  pénétrasse;  alios  vero  trans 
Oceannra  evasisse  ad  eas  insulas  quœ  Britannise  vocantur.  Haec  sane 
ego  nanqaam  hnmana  vi  effecta  putaverim  :  nedum  conatu  leviam 
vulgarinraque  hominam  ;  et  mulio  minas  sedacloram  ,  praestigiisqne 
utentiora.  (  Euseb.  ,  Demonstr.  E^angel. ,  lib.  m,  cap.  7.) 

At  piscatoies  nostri  et  publicani,  satorqne,  cunctis  nationibas  leges 
intuleiunt.  Neqne  solam  Romanos,  quique  sub  illorum  vivunt  impe- 
rio ,  sed  et  Scytbicas  et  sarraaticas  gentes,  et  Indos,  et  ^ihiopes,  et 
Persas,  et  Seras,  et  Hyrcanos,  et  Baotrianos ,  et  Britannos ,  et  Cim- 
bros,  et  Germanos,  a?qne ,  ut  semel  dicam ,  cmne  hominura  genus, 
nationesqne  omnes  indaxerant,  ut  cracifixi  leges  acciperent.  (  Theod. 
aerra.  ix  ,  de  Legibus.  ) 

(2)  Hinc    igitnr   exorsa  procella   gravissimos  et  s?evissimos   contra 
pietatis  alumnos   exoitavit  ,    et   triginta  jam  annis  elapsis  tempestas  a 
magis ,    velat  a  turbinibus   qu;ba->tlam   agitata  daravit.    Magos   vero 
Persae  eos  vocanl  qui  elementa  deos  faciant   quorum  nos  fabnlas  alio 
in  opère  ostendimus  ,  in  quo  ad  qiiaesiiones  illorum  solutiones  attuli- 
mas.    Et    Varrarones  quidera  Isdegerdae    filius   post  mortera  patris  , 
una    cum  regno  bellam    etiara   adversns    pietalem  suscepit.  Moriens 
enim   ille  ambo  conjuncla  filio  reliquit.  Tormentorum  vero  gênera  , 
et    exqoisiti  cruciatus  ,  quibu»  pios  affecerunt,    verbis  expiirai   vix 
possnnt.    Nam  qnorumdam  manibus  ,  aliorura  dorsis  cutem  detraxe- 
re  ;  aliorum    capita  a    fronte    ad  barbam  nsqne  pellibas    nudarunt  : 
alios  semiiecios  arnndinibus  circnmdantes ,  et  qaa  parte  incisae  erant 
corpori  applicantes,   firnïls  deinde    vincniis  a  capite  ad  pedes   usque 
adstringentes  vi   arundines  iingulas  extrahere  ,   ut  vicinam  cu'em  di- 
laniantes ,    acerbiores    dolores    efficerent.   Lacobas  etiam   effossis  ac 
diligenter  obtnratis  ,  magnorum  muriam  grèges  conclusere  ,   pietatis- 
que  atbletas  illis    devorandos    objecere  ,    manibus  eorum  ac   pedibus 
conslrictis  :  ne  abigere  a  se  bestias   possent.  Mores   vero   famé  pressi 
carnes  sanclomm  sensira  depascebantur  ,  longura  illis  et  acre  suppli- 


420  DISSERTATIONS 

SiJiJLS.JLSLJUlSLJUlJLS.JLJLSLJU3.JiJLJLJLSULJiJLJ^  AJLA  JUl 

CHAPITRE  H. 

preuves  qve  la  propagation  du  christianisme  est 
l'oeuvre  de  dieu. 

XXV.  L'établissement  de  la  reli^',ion  est  Tœuvre  de 
Dieu  ou  des  liomnies.  S'il  a  été  opéré  par  des  inovens 
surnaturels  ,  sa  cause  est  divine  ;  si  elle  est  humaine ,  il 
a  été  produit  par  des  moyens  naturels  :  les  hommes 
n'ont  que  ceuv-là  en  leur  pouvoir;  tout  ce  qui  excède 
la  nature  surpasse  leurs  forces.  La  question  se  réduit 
donc  à  ce  point  très-simple  :  Est-ce  par  des  moyens  na- 
turels que  le  christianisme  s'est  propagé  aussi  rapide- 
ment et  aussi  universellement  ?  Si  ce  n'est  pas  par  de 
tels  moyens  ,  c'est  donc  par  des  moyens  supérieurs  à  la 
nature  ;  c'est  donc  par  une  force  divine  ;  le  christianis- 
me vient  donc  de  Dieu  ? 

Nous  disons  que  non-seulement  les  moyens  que  peut 
fournir  la  nature  n'ont  point  concouru  à  la  rapide  diffit- 
sion  de  notre  religion  ,  mais  que  même  toutes  les  causes 
naturelles  connues  s*y  opposaient  ;  et  que  ,  pour  s'établir 
dans  le  monde,  il  a  fallu  que  le  christianisme  surmontât 
les  obstacles  de  tout  genre  qu'elles  opposaient  à  son 
agrandissement. 

XXVL  Keportons-nous  en  esprit  au  temps  où  notre 
religion  fut  donnée  au  monde.  Considérons  en  lui-^mème 
le  projet  de  son  auteur.  Lorsqu'il  donnait  à  ses  apôtres 
la  mission  d'aller  instruire  toutes  les  nations,  il  les  char- 
geait d'opérer  dans  l'univers  la  révolution  la  plus  extra- 


ciura  inferentes.  Qnin  et  alias  qaoqne  liis  graviores  pœnas  excogifa- 
lunt  ,  infesti  naturse  daenionis  ,  veritatisque  hosis  luagisterio  ernditi, 
Atbletarum  taraen  forlitiulinem  non  fiegere.  Sua  enira  sponte  occar- 
rebant  ,  luortera  quœ  imnioilaleoi  viiam  parit  oppetere  cupicnte^. 
(  Thcod.  ,  Hist.  Eccles.  ,  lib.  v,  cap.  38.) 


SUR    LA    RELIGION.  421 

ordinaire,  la  plus  vaste  ,  dont  l'histoire  des  siècles  fasse 
mention.  Les  hommes  avaient  vu  plusieurs  fois  des  états 
changer  de  face,  les  empires  s'écrouler,  et  d'autres  em- 
pires s'élever  sur  leurs  déiiris.  Mais  qu'étaient  ces  événe- 
ments auprès  de  celui  que  Jésus  ordonne  à  ses  apôtres 
d'exécuter?  Il  est  bien  plus  difficile  de  changer  les  na- 
tions que  de  les  soumettre  (1).  Vous  compterez  vingt 
conquérants  pour  un  réformateur.  Et  ici  ce  n'est  pas 
seulement  un  peuple ,  ce  ne  sont  pas  quelques  peu- 
ples qu'il  s'agit  de  transformer,  c'est  l'universalité  des 
peuples  dont  il  faut  réformer  toutes  les  opinions  ;  c'est 
la  totalité  de  toutes  les  pensées  humaines  à  changer.  Il 
fctut  apporter  et  fai^e  recevoir  aux  hommes  d'autres 
principes,  une  autre  morale  ,  d'autres  dogmes,  un  autre 
culte,  un  autre  Dieu.  Il  faut,  du  monde  actuel,  faire 
un  monde  tout  nouveau. 

XXyiI.  Au  seul  aperçu  de  cette  immense  entreprise, 
l'esprit  étonné  se  demande  :  Et  quels  sont  donc  les 
moyens  qui  ont  de  la  proportion  avec  un  si  prodigieux 
eff'et?  Quelle  force  humaine  est  assez  grande  pour  soule- 
ver et  tourner  ainsi  le  genre  humain  entier?  Mais  ne 
nous  arrêtons  pas  à  cette  vue  générale  ;  entrons  dans  le 
détail  des  causes  naturelles  qui  peuvent  faire  recevoir  et 
adopter  aux  hommes  une  doctrine  quelconque.  Nous 
pouvons  les  rapporter  à  cinq  chefs  principaux  : 

1"  La  nature  de  la  doctrine  en  elle-même. 

2*^  Les  dispositions  des  hommes  à  qui  on  la  présente. 

3"  Les  qualités  de  ceux  qui  la  publient. 

4*^  La  manière  dont  ils  font  usage  pour  la  faire  rece- 
voir. 

5°  L'autorité  employée  pour  l'établir. 


(i)  Sic  praesertim  nieara  ostenJam  fortitndinem  ,  cam  oves  lapo« 
vicer.int ,  etianasi  in  medio  Jupoiuna  sinl  ,  et  innumeri^  morsibas  la- 
cerentar  ,  non  modo  non  deleantar,  sed  etiaiu  lupos  convertant  : 
qaod  longe  mirabilius  est  qnam  si  occideieiit,  si  nempeeoium  mutent 
volantatein  ,  animaraque  transforment.  (^S.  J.  Chrjrsost. ,  in  Malth.  y 
bomil.  xxxiii  j  al,  xxxiv  ,  n°  i.  ) 


422  DISSERTATIONS 

Appliquons  ces  diverses  causes  àla  propagation  de  l'E- 
vangile, et  voyons  si  elles  ont  dii  la  favoriser  ou  s'y  op- 
poser. 


ARTICLE    PREMIER. 


Les   dispositions   des  peuples   étaient  -  elles  favorables    ou 
contraires  au  christianisme  ? 


J'intervertis  ici  l'ordre  que  je  viens  de  présenter. 
Avant  d'examiner  quelle  était  en  eUe-méme  la  doc- 
trine prêchée  par  les  apôtres,  je  regarde  ce  qui  existait 
antérieurement  à  sa  publication;  je  considère  l'état  où 
elle  trouve  le  monde  :  j'observe  le  caractère  du  siècle 
auquel  elle  lut  présentée,  et  les  dispositions  qu'appor- 
taient à  la  recevoir  les  peuples  auxquels  on  la  proposait. 
Je  considère  ces  dispositions  sous  quatre  points  de  vue 
principaux  ;  savoir  :.  les  lumières  ,  les  dogmes  religieux , 
les  principes  moraux  ,  les  maximes  politiques. 

XXyiII.  En  premier  lieu ,  de  tous  les  siècles  qui 
s'étaient  écoulés  depuis  la  création ,  celui  où  le  chris- 
tianisme fut  donné  à  la  terre  était  certainement  le  plus 
éclairé.  Jamais  les  sciences  et  les  lettres  n'avaient  été 
portées  à  un  si  haut  degré  de  perfection.  Les  plus  beaux 
génies  dont  l'humanité  se  glorifie ,  avaient  rempli  la 
terre  de  leurs  productions.  La  philosophie ,  surtout , 
était  alors  au  faîte  de  la  gloire.  Chacun  aspirait  à  l'hon- 
neur d'être  philosophe  ;  les  empereurs  eux-mêmes  y 
prétendaient.  C'était  le  ton  général,  et  comme  une 
mode  universelle;  tout  ce  qu'il  y  avait  d'hommes  un 
peu  instruits  ,  religieusement  attachés  à  leur  secte  philo- 
sophique ,  y  plaçaient  leur  amour -propre  ,  et  em- 
ployaient, à  la  faire  prévaloir,  tout  ce  qu'ils  avaient 
de  connaissances ,  de  raison ,  de  talents  et  d'éloquence. 
Le  siècle  où  les  sciences  étaient  aussi  répandues  et  aussi 
approfondies,  était  certainement  celui  auquel  il  était  le 
plus  difficile  d'en  imposer.  Des  hommes  accoutumés  à 
tout  soumettre  au  jugement  de  leur  raison,  ne  pouvaient 


SDR    LA    RELIGION.  423 

adopter  une  religion  nouvelle  qu'avec  de  longues  et 
mûres  réflexions.  Ainsi  le  christianisme  dut ,  à  sa  nais- 
sance, éprouver  de  toutes  parts  des  examens  sévères  ;  et 
déjcà,  sous  ce  premier  point  de  vue,  que  d'obstacles  ne 
devait-il  pas  trouver  à  son  établissement!  obstacles  qui 
fussent  devenus  insurmontables,  s'il  eût  présenté  à  la 
critique  un  côté  faible. 

XXIX.  En  second  lieu  ,  les  idées  religieuses  des 
peuples  s'opposaient  encore  plus  fortement  à  la  propa- 
gation du  christianisme.  Il  fut  présenté  à  deux  classes 
d'hommes,  aux  juifs  et  aux  païens.  La  haine  des  pre- 
miers contre  notre  religion,  laquelle  dure  encore,  ne 
peut  pas  être  douteuse.  Ils  avaient  crucifié  son  auteur  ; 
ils  persécutèrent  en  tout  lieu  ses  fondateurs  ,  et  nous 
avons  vu  que  dès  les  pren)iers  temps  ils  excitèrent 
contre  elle  la  liaine  des  païens ,  et  envoyèrent  de  tous 
côtés  des  émissaires  pour  la  faire  persécuter(l). 

XXX.  Parmi  les  païens  les  principes  religieux  s'é- 
taient autant  dégradés  que  les  lumières  s'étaient  per- 
fectionnées. L'idée  de  la  Divinité  était,  sinon  entière- 
ment effacée,  au  moins  absolument  défigurée.  Des 
diverses  idolâtries  ,  imaginées  dans  tous  les  pays  et  dans 
tous  les  temps,  s'était  formé  le  paganisme.  Cet  amas  de 
cultes,  dont  aucun  n'était  exclusif,  parce  qu'aucun 
n'était  véritable,  que  rien  ne  divisait,  et  que  le  besoin 
connnun  d'une  tolérance  générale  tenait  réunis j  était 
devenu  la  refigion  de  l'univei-s  connu.  Les  peuples  étaient 
fortement  attachés  à  leurs  superstitions  par  des  préjugés 
de  divers  genres. 

XXXI.  Préjugés  d'éducation.  L'incrédule  prétend 
aujourd'hui  réduire  les  principes  de  la  foi  à  ces  pre- 
mières impressions  que  l'on  reçoit  dans  les  premières 
années ,  qui  se  gravent  profondément  dans  l'esprit  en- 
core tendre,   et  qui  y  laissent  des  traces   durables.   Il 


(i)  Voyez  ddaxièrac  Dissertation,  2^  part.,    chapit.    î,   n°   nr, 
note  S,  page  265. 


424  DISSERTATIONS 

doit  sentir  combien  ces  mêmes  impressions  avaient 
alors  de  force  pour  repousser  la  foi.  Outre  la  mythologie 
générale ,  commune  à  tous  les  peuples  ,  chaque  nation , 
cliaque  ville,  chaque  famille  avaient  leurs  divinités 
particulières,  qu'elles  ré'véraient ,  qu'elles  chérissaient 
comme  la  portion  la  plus  précieuse  de  l'héritage  de  leurs 
pères  et  de  toute  la  suite  de  leurs  ancêtres.  C'était  à  ces 
attachements ,  tellement  enracinés  dans  eux  ,  qu'ils  y 
étaient  comme  innés,  et  que  l'habitude  en  avait  fait 
comme  une  seconde  nature,  qu'il  fallait  les  arracher  (1). 
XXXII.  Préjugés  d'imagination.  Les  fables  du  paga- 
nisme, embellies  de  tous  les  charmes  de  la  poésie,  à 
laquelle  elles  devaient  en  grande  partie  leur  origine, 
présentaient  à  Tesprit  les  images  les  plus  agréables. 
Tout  était  animé  par  ces  brillantes  fictions.  Leschamps, 


(i)  Etenim  etiamsi  decem  anrtoram  lantnm  ;  nec  dico  tanti  tempo- 
ris  ,  etsi  paocorum  hominura  ,  nec  dico  tolius  oihis  consnetudinem 
Bgressi  illi  fuissent  ,  sic  qnoqne  mntatio  difficilis  fuisset.  Nunc  antem 
et  sophistae  et  viatores  ,  et  patres,  et  avi  ,  et  abavi ,  et  niiilti  anti- 
qaiores,  eriore  erant  praeoccnpali.  El  terra,  mare,  montes  ,  saltus, 
barbai  orum  omnia  geneia,  grsecorum  populi  onines  ,  sapientes  , 
idiotae',  principes,  subdiii  ,  mulieres  et  viri ,  juvenes  et  senes  ,  heri 
et  servi  ,  agricolse  et  artifices,  qui  urbes  et  qui  vices  incolebant  ,  om- 
nes ,  et  par  erat  ilios  omnes  catechumenos  dicere....  Quoi  eiiam  nonc 
videnius  homines  ex.  prscjudicata  opinione  in  impietate  détentes;  qui 
nihil  possunt  ratione  CQnsonum  dieere  cum  aceusantur  ,  qnod  nt 
genliles  sentiant  :  alleganiqne  patres  ^  avos  et  proavos.  Inde  extero- 
rum  qaidam  consueiudinem  secundam  naturam  vocant.  (Jnm  antem 
in  dogmatibus  consuetudo  adcat  ,  ea  fumior  est.  Omnia  eniiu  facilias 
mntaverint  quam  cultura.  Et  pudor  ,  una  cum  consuelndine  ,  ad  im- 
pediendum  salis  eral  ,  et  qnod  videantnrin  extreraa  senectute  dédis- 
cere  ,  etiamque  ab  iis  qui  minus  intelligerent....  Apostolorura  vero 
tempore  aliud  erat  niajus  impedimenttim  ,  qnod  ïion  modo  consue- 
tudo tara  antiqua  raoïaretor  ,  sed  quod  mntatio  illa  cum  periculo 
fieret.  Non  modo  enirn  a  consuetndine  ad  consnetudinem  trahebant 
ged  a  consuelndine  securitatem  habente,  ad  rem  pericula  miniiantem.. 
Credentem  statim  accidebat  publicari  ,  pelli  ,  a  patria  excidere  ,  ab. 
oranibns  odio  haberi  ,  commanem  boslera  esse  et  sois  et  alienis.  Ita- 
qne  etiamki  vocassent  a  novii^te  ad  consuelndinem  ,  eiiam  sic  res  dif- 
ficibs  fuisset.  Cura  autem  a  consnetudine  ad  novitatem  vocarent  ,  et 
iiaec  adeflsent  mala  ,  cogita  quantum  erat  lUud  impedimentum.  (5. 
Joaan.  Chrysost, ,  in  primam  épis  t.  ad  Cor. ,  bomil.  vii ,  n°  r  .) 


SUR    LA    RELIGION.  -425 

les  bQÎs,  les  eaux,  la  noture  entière  était  peuplée  de 
divinités.  Dans  les  astres  inèine  qui  brillaient  sur  sa 
tête,  le  païen  admirait  ses  dieux,  et  les  lioninies  célèbres 
qui  avaient  mérité  de  le  devenir.  Les  apothéoses  de 
ces  premiers  héros,  la  solennité  des  fêtes  instituées  pour 
les  honorer,  la  pompe  des  sacrifices  qu'on  leur  offrait, 
la  magnificence  des  jeux  et  des  spectacles  où  des  na- 
tions entières  couraient  de  divers  côtés  pour  se  ras- 
sembler, pour  honorer  leur  mémoire,  toutes  les  par- 
ties de  cette  religion  avaient  pour  objet  de  réveiller 
l'attention,  d'amuser  l'esprit,  de  ranimer  sans  cesse 
l'imagination.  Ces  brillantes  rêveries  ,  ces  illusions 
séduisantes,  ces  songes  flatteurs  entretenaient  douce- 
ment le  genre  humain  dans  le  sommeil  de  ses  erreurs  , 
où  il  se  plaisait,  et  dont  le  réveil  ne  pouvait  que  lui 
être  désagréable  et  pénible. 

XXXIII.  Préjugés  d'antiquité.  Emerveillés  de  leurs 
fictions  ,  les  peuples  ne  connaissaient  rien  qui  fût 
plus  ancien  qu'elles.  Les  fables  dont  ils  embellissaient 
leur  origine  la  reportaient  aux  divinités  de  qui  ils 
faisaient  descendre  leurs  fondateurs.  Trouvant  leur 
culte  antérieur  à  leurs  lois,  ils  croyaient  que  rien  ne 
l'avait  précédé.  Leur  religion  déjà  si  chère,  leur  devenait 
infiniment  vénérable  par  l'autorité  de  tant  de  siècles  , 
et  par  cette  longue  perpétuité  qui  était  à  leurs  yeux 
un  garant  de  sa  vérité.  A  ce  seul  titre,  avec  quel  désa- 
vantage ne  se  présentait  pas  une  religion  jusque-là 
inconnue,  un  Dieu  qui  s'annonce,  eu  disant  :  Yoilà 
que  je  rends  tout  nouveau  (1)? 

Que  peut  répondre  à  ces  faits  l'incrédulité  ?  Dira-t-elle 
qu'ils  ne  sont  pas  vrais?  Elle  sera  démentie  au  même 
instant  par  quiconque  a  la  plus  légère  connaissance  de 
l'antiquité.  Prétendra-t-elle  qu'ils  ne  formaient  pas  des 


(i)  Ecce  ego  facio  nova,  et  nanc  orientar  :  aiique  cognosceiis  ea. 
Is.  xLiir ,  49- ) 


4*26  DISSERTATIONS 

obstacles  à  la  fondation  du  christianisme  ?  Ce  serait  une 
aJDSurdité  qui  ne  mérite  pas  qu'on  la  réfute. 

XXXIV.  En  troisième  lieu,  en  dégradant  la  relir^ion  , 
le  genre  humain  avait  aussi  corrompu  la  morale.  C'était 
une  réciprocité  d'erreurs  et  de  vices,  qui  se  soutenaient 
mutuellement.  Le  cœur  avait  séduit  l'esprit,  et  l'esprit 
entretenait,  aggravait  la  dépravation  du  cœur.  En  se 
donnant  des  dieux  au  gré  de  son  imagination  ,  l'homme 
avait  eu  soin  de  les  forger  favorables  à  sa  corruption.  Il 
n'y  a  pas  de  passion  ,  quelque  vile  ,  quelque  odieuse 
qu'elle  pût  être,  qui  n'eût  ses  dieux,  ses  temples,  ses  au- 
tels, ses  prêtres,  son  culte;  et  souvent  ses  mystères  se- 
crets. Les  passions  divinisées ,  on  n'hésita  plus  de  s'y  li- 
vrer avec  une  entière  sécurité.  Parvenu  à  adorer  ce  qu'il 
avait  pratiqué  ,  l'homme  ne  rougit  plus  de  pratique 
ce  qu'il  adorait.  Une  fois  en  possession  du  ciel ,  les  vices 
ne  trouvèrent  plus  de  résistance  à  l'empire  de  la  terre. 
On  en  vint  même  jusqu'à  faire  des  actions  les  plus  hon- 
teuses des  actes  de  religion  ;  et  n'est-ce  pas  une  idée  as- 
sez naturelle ,  de  croire  qu'on  honore  la  Divinité  ,  et 
qu'on  lui  plaît  en  l'imitant?  Rome,  surtout,  devenue 
la  maîtresse  et  le  modèle  du  monde,  donnait  hautement 
aux  peuples  soumis  et  empressés  à  l'imiter  l'exemple  de 
tous  les  crimes.  En  envahissant  les  nations,  elle  s'était  ap- 
propriée leurs  dieux  et  leurs  vices  (1).  La  pudeur  ne  peut 
soutenir  la  lecture  des  satires  qui  dévoilent  ses  dissolu- 
tions. Par  la  licence  avec  laquelle  les  hommes  vertueux 
de  ce  temps  peignent  ces  désordres ,  jugeons  de  l'effré- 
née liberté  avec  laquelle  les  autres  les  commettaient. 
Parmi  les  philosophes  ,  les  deux  sectes  dominantes  favo- 
risaient les  deux  passions  les  plus  chères  à  l'homme  ;  le 
stoïcisme  fomentait  l'orgueil ,  l'épicuréisme  attirait  à  la 
volupté.  Les  riches  étalaient  un  luxe  dont  les  détails  pa- 


(i)  Tôt  sacrilcgia  Roimnornm  ,  q^not  trophaea  ;  tôt  de  diis  ,    quot 
de  gentibns  triumphi-j.  {^TcriulL  ad.  nac,  lib.  u  ,  c.-;p.  17.) 


SDR    LA    RELIGION.  427 

laissent  incroyables,  même  à  notre  siècle,  et  qu'ils  en- 
tretenaient par  les  énormes  usures  dont  ils  dévoraient 
les  pauvres.  Le  peuple  aimait  avec  passion  les  jeux ,  le 
cirque  ,  les  théâtres,  et  se  livrait  avec  transport  à  ces  di- 
vertissements. L'ambition  des  grands,  érigée  en  vertu, 
et  regardée  comme  une  grandeur  d'àme,  après  avoir 
longtemps  troublé  la  république  .  l'avait  enfin  abattue, 
et  menaçait  sans  cesse  le  trône  qu'elle  avait  élevé.  Les 
vengeances  des  hommes  puissants  avaient  souvent  rem- 
pli de  proscriptions ,  et  inondé  de  sang ,  et  la  ville  et 
tout  Tétat.  Imaginez  toutes  les  passions  déchaînées  se  li- 
vrant avec  fureur  à  toute  leur  impétuosité  ,  et  vous  con- 
cevrez une  idée  de  la  morale  de  l'enipire  romain  au 
moment  où  l'Evangile  lui  fut  présenté. 

Je  le  demande  avec  confiance  :  Cet  ordre  de  choses 
était-il  favorable  à  l'introduction  d'une  nouvelle  mo- 
rale? L'attachement  des  peuples  à  des  jouissances  où  ils 
plaçaient  leur  bonheur,  auxquelles  l'inclination  les  por- 
tait, dont  l'habitude  leur  faisait  un  besoin,  que  le  pré- 
jugé général  leur  faisait  regarder  comme  légitimes,  que 
consacrait  l'exemple  des  divinités,  n'était-il  pas  un  obs- 
tacle très-puissant ,  et  supérieur  à  touteà  les  forces  hu- 
maines ,  à  l'établissement  d'une  religion  qui  le  contra- 
riait? 

XXXV.  En  quatrième  lieu,  dans  cet  empire  universel 
que  Rome  exerçait ,  un  lien  intime  unissait  la  religion 
à  l'état.  La  politique  de  Xuma  l'avait  formé  ;  celle  du 
sénat  l'avait  resserré  ;  celle  des  Césars  en  faisait  un  des 
principaux  ressorts  de  leur  gouvernement.  Le  sacerdoce 
et  l'empire,  réunis  dans  la  même  main,  augmentaient 
réciproquement  le  respect  pour  l'un ,  la  soumission  à 
l'autre.  De  magnifiques  temples  décoraient  les  villes  et 
attiraient  le  concours  des  peuples.  De  nombreux  col- 
lèges de  prêtres,  en  augmentant  la  pompe  du  culte, 
multipliaient  les  intéressés  à  sa  conservation.  Des  ves- 
tales ,  décorées  de  superbes  privilèges,  entretenaient 
continuellement  le  feu  sacré  ,  emblème  de  celui  du  pa- 
triotisme.   Toutes  les  entreprises  publiques  commen- 


428  DISSERTATIONS 

çaient  par  des  actes  religieux.  On  offrait  des  pompeux 
sacrifices,  on  interrogeait  les  augures,  on  consultait  les 
oracles.  Dans  les  prospérités,  on  rendait  grâces  aux 
dieux  ;  dans  les  revers  on  les  apaisait.  L'opinion  univer- 
selle était  que  Rome  devait  sa  grandeur  à  leur  protec- 
tion. Que  l'on  juge  quel  devait  être  l'attachement  de 
tout  l'empire,  souverain  et  sujets,  grands  et  petits, 
pour  une  religion  à  laquelle  ils  croyaient  attachées  les 
destinées  de  l'état;  quel  était  leur  éloignement  de  toute 
religion  qui  tendait  à  la  détruire. 

Ainsi,  tout  ce  qui  existait  à  cette  époque,  et  de  bien, 
et  de  mal,  et  de  prinr.ipes,  et  de  préjugés,  et  de  lois, 
et  de  coutumes,  et  d'affections  ,  et  d'antipathies,  se  réu- 
nissait, et  formait  comme  une  ligue,  pour  s'opposer  à 
l'admission  de  la  religion  nouvelle.  \  oyons  maintenant 
ce  que  cette  religion  apportait  par  elle-même ,  et  indé- 
pendamment de  tout  secours  surnaturel,  pour  triom- 
pher de  ces  obstacles. 

ARTICLE    II. 

La  doctrine  chrétienne  était-elle  'par  elle-même  de  nature 
à  être  reçue  favorablement  j  ou  à  être  contredite? 

XXXyi.  Le  premier  caractère  que  je  remarque  dans 
le  christianisme  est  son  opposition  essentielle  à  toute 
autre  doctrine ,  son  impossibilité  absolue  à  s'y  amalga- 
mer. Il  différait  par  là  de  toutes  les  religions  qui  étaient 
venues  successivement  s'incorporer  dans  l'ancienne.  Il 
présentait  au  monde  une  religion  insociable,  un  culte 
incompatible  avec  tous  les  cultes ,  un  Dieu  ennemi  de 
tous  les  autres  dieux  (1).  Croit-on  que  cette  manière  de 


(i)  At  enim  odio  dignus  est  qnod  ex  orbe  religiones  expulit,  qnod 
»d  deorum  cultnm  prohibnir  arredi  ?  Ergone  ille  religionis  cxlinc- 
tor,  et  impiet.Tiis  anctur  iirgiiitur  ,  qni  ver:im  in  oibe  religioneni  in- 
daxit  ?  (  Arnob.  adv.  génies  ,  iib.  ii  ,  cap.  a.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  429 

s'annoncer  dans  le  monde  fiU  bien  propre  à  l'y  faire  re- 
cevoir (1)? 

Mais  entrons  dans  le  détail;  voyons  ce  qu'il  y  avait, 
dans  la  doctrine  chrétienne,  qui  dût  plaire  ou  déplaire 
aux  nations ,  et  les  engager  à  l'adopter  ou  à  la  rejeter. 
Comparons  ce  qu'elle  proposait  au  monde  ,  avec  les  obs- 
tacles que  nous  avons  vu  le  monde  lui  oppser;  et  exami- 
nons si  elle  était  de  nature  à  lever  ou  à  augmenter  ces 
difficultés. 

XXXyiI.  Un  enthousiasme  philosophique  avait  saisi 
tous  les  esprits  ;  la  doctrine  chrétienne  commençait  par 
anéantir  tous  les  systèmes  de  philosophie  alors  existants^ 
et  par  traiter  de  folie  ce  que  le  monde  entier  regardait 
comme  le  chef-d'œuvre  de  la  plus  haute  sagesse  (2).  Il 


(x)  Decrelis  vero  et  regam  ,  et  eoram  qui  leges  priscas  condiderint, 
et    philosophorani  et  poetarnm  et  theologorum  contrarias  leges  po- 
tière ,  quae  simalacrorurn   cullura    oppugnent  ,  quaeqae    quas  volunt 
obtineant  ,  easdemqne  inexpagnabiles  et  invictas  in  perpetaam  cons- 
titaere  ,  qais  ex  oranibas  qui  anqaam  faerint  praestigialor  cogitavit  ? 
At  enim  Salvator  et  Dominus  noster  ,  non  sic  qnidem  cogilavit,  hoc 
at  aggredi  non  sitaasas;  neque  vero  sic  aggressus  est,  ut  postea  non 
perfecerit.  Sed   ano  verbo ,   anaque  voce  ,  cum  dixisset  ad  saos  dis- 
cipnlôs  :  ite  ,  instruite  ornnes  gentes,  Jocentes  eas  servare  qucecumque 
mandavivobis  ;  veibo  rein  atqiie  efticaciarn  adjecit.   Atque  e  vestigio 
in  disciplinara  venit  brevi  teinpore  omne  gênas  et  graecorum  et  bar- 
barornm  ,  et  leges  in    cunctas   nationes   di^seaiinataî    sont  ,  antiqaae 
superslitioni  adversantes  ,   leges  dcemunam  oppugnatrices ,  et  omnes 
in  maltorura  deoram  culta  inimicae;  leges  Scytbaram  et  Persarom  et 
alioruiu  barbaroruin  modératrices,  et  q'iae  damnaverint  oranein  ab  om- 
ni  jure  a'ienum  et  ferinum  coltum  ;  leges  quae  everterint  quaecumqne 
institQta  habaerint  Giaeci  ab  iniiio  buinani   generis,  et  novam  veiam- 
qne  pietatem   indaxerint.  Cur  igitar  antiquis  praestigialoribus  ,  ante 
Jesn  tempora,aut  eliam  post  ,  nibil  taie  aut  simile  incœptnm  est;nt 
probaljiliter  affirmare  possimus  illcm  ;ib  aliis  in  iis  qnae  ad  praestigias 
pertinent  adjutum  fuisse  ?  Qiiod  si  neino  illi  biinileni  quempiam  pro- 
ferre   possit  (  nullns   en:m  lUi   tantae  auctor  virtutis  )  ;  jain  ergo  fa- 
tendnra  sil   inusitatam  qaarndam  divinamque   natuiam  inter  honiines 
esse  versalam,  quae  sola  et  prima  ,  ea  qaae  nanquara  humanis  auribas 
audita  sint  perfecerit.  [Eustb.^  Deinonst.  Evang.  ^  lib.  iii.j 

(2)  Qaod  stallum  est  Dei,  sapientiusest  hominibas.  (  r.  Cor.  i,  aS.') 
Una  igitar  spes  hominibas  vita  est  ,  unus  portos  salutis  ,  unam  re- 


430  DISSERTATIONS 

ne  pouvait  rester  clans  notre  relio;ion  ni  stoïciens,  ni  aca- 
démiciens ,  ni  péripatéticiens  ,  ni  épicuriens  ;  il  ne  pou- 
vait y  avoir  que  des  chrétiens.  Cette  philosopliie  nou- 
velle,  ainsi  l'ont  appelée  plusieurs  saints  Pères,  était 
absolument  exclusive.  Toutes  les  sectes  philosopliiques 
avaient  pour  principe  commun  d'exalter  la  raisun  hu- 
maine, en  soumettant  tout,  sans  exception^  à  ses  juf^e- 
mcnts;  et  le  christianisme  humiliait  la  raison  ,  en  lui 
montrant  ses  limites  ,  en  la  soumettant  à  la  foi ,  en  lui 
présentant  des  mystères  qu'il  est  ordonné  de  croire ,  dé- 
fendu de  sonder,  impossible  d'approfondir  {\].  Pou- 
vons-nous ,  d'après  cela  ,  être  étonnés ,  quand  nous 
voyons  les  philosophes  de  toutes  les  classes,  déposant 
leurs  oppositions  naturelles  ,  se  liguer  et  conspirer  contre 
le  christianisme?  et  ne  conçoit-on  pas  aisément  quelle 
était  sur  l'opinion  publique  l'influence  de  tous  les 
honmies  éclairés ,  réunis  dans  les  mêmes  principes,  et 
combattant  tous  ensemble,  de  concert,  la  religion  nais- 
sante (2). 

XXXyiII.  Xous  avons  vu,  en  second  lieu,  les  na- 


fagium  libertatis,  si  abjectis  quibas  tenebantur  erroribus  ,  aperiant 
oculos  raentis  suae  ,  Deumqae  cogiioscant  ia  qao  solo  domicilium 
veritatis  est,  teriena  et  de  terra  ficta  conteinnere  ;  philosopbiam  qaae 
apad  Deum  staltitia  est  ,  pro  nihilo  compalenl  ;  et  vera  sapientia  , 
id  est,  religione  sasceota ,  fiant  immoi  taies  haeredes.  {^Lactant.  ^ 
Epit.  Divin.    Institut.^  cap.  5i.) 

(r)  Dat  se  Deas  credendam  et  non  definiendarn.  Mihi  enim  cre- 
dere  jassam  est,  non  di^cnte^e  permissura  est.  [S.  Athanas.  ,  de  As- 
snmptione  Hominis  ,  lib.  m.) 

(i)  Qnid  sibi  valt  illud  :  ubi  sa{i;ens  ?  Ac  si  diceret ,  obi  snnt  illa 
philosophoinm  ,  ubi  rhetotom  ,  ubi  sophistarnm  ,  ubi  scriptorum  ? 
Facessunt  omnia  ,  et  perierunt  et  evanuere.  Nam  ita  splt-ndida  fuit 
Victoria  ,  nt  illa  jam  ne  corapaieant  quidam.  Ideo  illis  omnibus  sic 
tanquam  pulvis  dissipatis  ,  interrogat  el  ait:  ubi  sapiens.'*  Apparuit 
crnx  ;  et  illa  orania  solu'a  sunt.  Insonuit  praedicatio  :  et  faciiins 
quam  araneae  tela  dissipata  sunt.  Ubi  sapiens?  Ubi  verboruni  fastus  '? 
Ubi  facundiae  pnlchiitudu?  Ubi  sophismatara  gravitas  .^  Ubi  veibo- 
rum  vis  ?  Ubi  lingna  acuta  ?  Ubi  conventus  et  concessus  .-'  Illa  omnia 
detracta  sunt ,  perierunt  ,  corrnpia  snnt,  abierunt,  terga  dederunt. 
{S.  Joann.  Chrysost.  ,  Homil.  de  Eleazaro  ,  et  de  Septem  titeris  ^ 
n°4.) 


SUR    LA    RELIGION.  431 

lions  fortement  attachées  à  leurs  superstitions ,  et  tenant 
à  leurs  idées  religieuses  par  des  préjugés  fortement 
enracmés.  Le  christianisme  arrive,  prétendant  déraciner 
tous  Jes  attachements,  heurtant  de  front  tous  les  pré- 
jugés- 

L'éducation  les  avait  profondément  gravés  dans  les 
cœurs  et  dans  les  esprits.  Les  hérauts  de  l'Evangile 
crient  hautement  de  tous  cotés:  «  Peuples  ,  égarés  dans 
•  les  régions  de  l'erreur ,  tout  ce  que  vous  avez  cru 
«  jusqu'ici  est  des  fables^  tout  ce  que  vous  avez  révéré 
<  est  des  chimères;  tout  ce  que  vous  avez  adoré  est  des 
a  démons.  Arrachez  de  vos  esprits  les  principes  que 
«  vous  suçâtes  avec  le  lait  ;  étouffez  dans  vos  cœurs  les 
«  affections  dans  lesquelles  une  longue  habitude  vous 
a  fait  placer  votre  bonheur  ;  abjurez  au  pied  des  nou- 
«  veaux  autels  les  dogmes  que,  par  une  succession 
a  immémoriale,  vous  ont  transmis  vos  ancêtres;  ou- 
«  bliez  tout  ce  que  vous  avez  appris ,  détestez  tout  ce 
»  que  vous  avez  chéri,  méprisez  tout  ce  que  vous  avez 
«  respecté»   » 

Et  que  substituera  le  christianisme  à  tout  ce  qu'il 
ôte?  Par  quoi  remplacera-t-il  ce  qu'il  anéantit?  Au  lieu 
de  ces  fictions  enchanteresses  qui  charmaient  et  sédui- 
saient les  esprits ,  il  ordonne  de  croire  des  dogmes  aus- 
tères et  incompréhensibles.  Au  lieu  de  ces  fêtes  pom-* 
penses ,  de  ces  magnifiques  cérémonies  qui  élevaient 
l'âme  en  l'amusaat ,  et  qui  flattaient  par  les  souvenirs 
agréables  auxquels  elles  étaient  liées  ,  il  prescrit  un 
culte  spirituel.  Au  lieu  de  ces  divinités  dans  lesquelles 
le  peuple  admirait  ses  anciens  héros ,  et  que  l'imagi- 
nation m.ultipliait  et  embellissait  à  son  gré,  il  offrait 
aux  adorations  de  la  terre  un  homme  sorti  du  peuple  le 
plus  méprisé,  et  dont  la  vie,  passée  dans  l'état  le  plus 
bas,  a  été  terminée  ,  par  l'ordre  d'un  président  romain  , 
dans  un  supplice  infâme  (1).  Nous  sommes  instruits, 

(i)  Quid  autem  de  illo  dicentes  videbantur  lide  digni  ?  Quod  cru- 


432  DISSERTATIONS 

accoutumés  à  révérer  la  croix  ,  que  nous  regardons 
comme  l'instrument  de  notre  salut;  mais  transportons- 
nous  au  siècle  auquel  Jésus-Christ  y  fut  attaché.  C'était, 
dans  l'opinion  générale ,  le  plus  humiliant  de  tous  les 
supplices,  un  supplice  réservé  aux  esclaves,  et  dont  un 
citoyen  romain  ne  devait  pas  être  souillé  (1).  L'idée 
seule  d'adorer  un  crucifié  jetait  sur  la  religion  qui  la 
proposait,  une  prévention  de  mépris  et  de  dégoût,  et 
élevait  un  des  plus  puissants  obstacles  à  sa  propa- 
gation. 

La  nouveauté  même  du  christianisme ,  que  l'on  com- 
parait à  l'antiquité  révérée  de  l'idolâtrie  ,  formait  contre 
lui  un  violent  préjugé;  et  nous  voyons  ses  apologistes 


cifixas  esset  ;  quotl  ex  paupere  icnliere  jodaea  natus  esset  ,  <jn»  des- 
ponsata  fuerat  judaeo  fabro  ;  quod  ex  gente  esset  orbi  odiosa.  Veiuin 
haec  oninia  non  ra-jdo  non  apta  eiant  ad  persuadendos  et  alliciendos 
auditores  ,  sed  ad  oinnes  adversnm  concilandos  idonea.  (  S.Joann. 
Chrysost.,  in  pr imam  epist.  ad  Cor.  ,  Humil.  v,  n"'  5.) 

Nec  enim  visibile  aliquod  regnuin  sectatoribus  suis  proponnnt 
purpura  ornatum  ,  et  corona  refulgens  ,  scrutatorumque  et  slipato- 
rnni  numéro  et  niagnitudlne  cirturaseptum  ,  et  copiosum  habens 
exercitam  ,  ac  daces  fortiter  in  belle  se  gerentes  ,  alia  deniqoe  orania 
qaae  faina  illustres  possessores  suos  efficiant  ,  sed  speluncara ,  et 
praesepe  ,  et  paaperculam  virginem  et  tenui  fascia  obvclotum  infan- 
tulnra  illo  in  praesepi  reclinatniu  ;  et  oppidum  in  quo  haec  gesta  sont 
pusillum  etignobile  :  crescenlis  ad  haec  Infanlis  paopertatem  ,  et  fa- 
mem  ,  et  sitim  ,  et  langnorem  de  via  :  et  post  haec  passionera  ab  om- 
nibus decantatam  ;  alapas  in  maxillam  inconcussas  :  terga  flagris 
discissa  ,  crucera  ,  clavos  ,  fel ,  acetum  ,  mortem.  Et  taraen  ,  cura  haec 
et  similia  narrent  apostolorum  sciipta  ,  fîdem  facinnt.  (  Theod,  ,  ser- 
vaowïv.,  de  Marlyribus.) 

(r)  Misera  est  ignominia  jadiciorom  pahlicorum ,  misera  mnlatio 
bonoram,  raisernm  exilinra  ,  sed  tamen  in  orani  calamirale  retinetur 
aliquod  \€sJigium  libertatis.  Mors  denique  si  proponitur,  in  libertate 
moriaranr.  Carnifex  autem  ,  et  cbducho  capitis,  et  nomen  ipsnm 
crucis  ,  absit ,  non  modo  a  cfprpore  civinra  romanornm  ,  sed  eiiam 
a  cogitatione,  oculis  ,  auribus.  Hariim  enim  omnium  rerum  ,  non 
solnm  eventus  atqne  perpessiu  ,  sed  eliam  conditio,  expectat  o  ,  mei;- 
tio  ipso  denique  ,  intiigna  cive  romauo  ,  alque  homine  libero  est. 
(  Cicer.  ^pro  M,  Rahirio  ,  n°  5.  ) 


SUR    L\    RELIGION.  433 

occupés  à  réfuter  cette  objectiou  de  ses  adversaires  (1;. 
Les  peuples  voyaient  avec  dédain  le  commencement  du 
christianisme  dans  la  venue  toute  récente  du  Christ.  Ils 
ne  connaissaient  pas  cette  chaîne  de  prophéties  ,  qui 
font  remonter  l'origine  de  notre  religion  jusqu'à  celle 
du  monde ,  et  qui  lient  le  réparateur  du  péché  au 
premier  auteur  du  péché  (2).  Le  respect  naturel  pour 
l'antiquité  ,  le  sentiment  inné  qui  porte  à  révérer , 
comme  des  vérités  incontestables,  ce  .qui  est  consacré 
par  l'assentiment  des  siècles,  les  attachant  à  un  culte 
dont  l'origine  se  perdait  dans  la  nuit  des  temps;  les 
éloignait  de  celui  qui ,  dans  leurs  idées ,  était  sorti  de 
terre  depuis  quelques  jours. 

XXXIX.  Le  troisième  obstacle  que  nous  avons  ob- 
servé dans  les  dispositions  des  peuples  à  la  propagation 
de  l'Evangile  était  la  corruption  universelle  de  la  mo- 
rale ;  et  la  morale  évangélique  était,  par  sa  sévérité,  la 
plus  propre  à  augmenter  encore ,  et  à  porter  au  plus 
haut  degré  cette  difficulté.  Les  hommes  se  livraient 
sans  retenue  ,  comme  sans  scrupule  ,  à  toutes  leurs 
passions;  et  la  loi  chrétienne  ne  tolère  aucune  passion, 
n'en  ménage  aucune,   ne   compose  avec  aucune  ;   elle 


(i)  Adversas  haec  igilur  nobis  negotiam  est,  adverses  inhtitutlo- 
nes  njajurnm  ;  adversas  vefustatem,  consuetadinem  ,  necessitatem  , 
adversus  exeiupia  ,  prodigia  ,  niiracula  ,  quae  omiiia  aduîterinam  is- 
lam divinitatem  corroboraverunt.  (  TertuU.  ad  Mat.  ,  lib,  it ,  cap.  i.) 
Sed  quod  agiraas  novura  esî  :  quod  autem  apud  vos  priscuin  est, 
et  nimia;  veîDslaiis.  Ecquid  istod  vos  javat,  aut  noslrain  caosam  , 
rationemque  contrisiat  ?  (^/-«o^,  adv.  Gentes  ^  lib.  ii  ,  cap.  71.; 

(2)  Errant  igitur  qui  deoinm  cultus  ab  esordio  reruin  fuisse  con- 
tendunt  ;  et  priorem  esse  gentilitatein,  qiiam  Dei  religiunein  ;  qnam 
pnlant  posterins  inventani  ,  quia  fonlem  et  originera  verilaiis  igno- 
rant. {Lactant.,  div.  Instit.  ,  bb.  11,  cap.  14.  ] 

Nam  res  ipsa  qnae  nunc  christiana  rebgio  nuncnpainr  erat  apad 
antiqaos  ,  nec  défait  ab  in'tio  generis  bnmani  ,  qnonsque  ipse  Chris- 
tns  veniiet  in  carne.  Unde  vera  religio  quae  jaiii  erat  ,  cœpit  appel- 
lari  christiana.  {S.  August. ,  retract,  lib.  1,  cap.  i3.  Vid.  id.  ep.  cii, 
ad  Deogratias  ,  qnaest.  secun.  n°  12  .  et  serin.  ccCT  ;  al.  cix  ,  de  Div^_ 
n"'  I  et  2.  ) 

Dissert,  sur  la  Relig.  19 


434  DISSERTATIONS 

ordonne  de  les  combattre ,  de  les  réprimer  toutes.  Les 
hommes  plaçaient  leur  bonheur  dans  leurs  jouissances, 
dont  ils  usaient  avec  l'immodération  la  plus  effrénée;  et 
la  loi  chrétienne  en  prescrit  impérieusement  le  sacrifice  : 
elle  ordonnait  aux  peuples,  qui  n'avaient  jamais  entendu 
ce  langage  ,  de  remplacer  les  agréments  du  luxe  par  les 
rigueurs  de  la  mortification,  d'enchaîner  les  projets  de 
l'ambition  dans  les  liens  de  l'abnégation  ,  d'abaisser  les 
prétentions  de  l'orgueil  sous  le  joug  de  l'humilité,  d'é- 
touffer les  fureurs  de  la  vengeance  dans  les  embrasse- 
nients  de  la  charité ,  de  répandre  les  trésors  de  l'avarice 
dans  les  profusions  de  l'aumône ,  d'éteindre  le  feu  de  la 
volupté  par  les  larmes  de  la  pénitence.  Se  faire  chrétien, 
était  commencer   une    vie    diamétralement   opposée  à 
celle  que  jusque-là  on  avait  menée  avec    une    entière 
sécurité  de  conscience  (1).  Pour  y  engager  les  nations,  il 
fallait  changer  leurs  goûts,  redresser  leurs  penchants, 
abolir  leurs  coutumes,  plier   leurs  habitudes,  anéantir 
eurs  affections.  La  profession  du  christianisme  était  le 
renoncement  à  tout  ce  dont  on  avait  fait  son  souverain 
bien,   l'adoption   de   ce   qu'on  avait    toujours   regardé 
comme  le  coinble  du  malheur  ,  le  détachement  de  toutes 
choses  auxquelles  porte  la  nature  ,  l'attachement  à  toutes 
celles  auxquelles  la  nature   répugne.   Si  on  a  tant  de 


(i)  Praeterea  antem  quœ  dicta  snnt,  aliud  non  levias  erat  qaod  mnta- 
tionera  difficilem  redderet.  Ad  consnetudinem  enim  ,  et  ad  pericula , 
id  addas  quod  haec  prsecepta  onerosiora  essent,  et  ea  a  qu;bus  abda- 
cebant  levia  et  facilia.  Nam  a  fornicatione  ad  oastijatem  vocabant;  ab 
nmore  vitae  ad  inortetn  ,  ab  ebrietate  ad  jejuniam  ,  a  risu  ad  lacrymas 
et  compnnctionein .  ab  avarilia  ad  paupeitatem ,  a  securitate  ad  pe. 
ricala  :  et  per  omnia  extremam  exigebant  accurationem.  Nam  ait  : 
turpitudo  et  stultiloquinm  et  scurrilitas  ne  exeant  ab  ore  vestro.  Et 
bcec  dicebant  iis  qui  nihil  aliud  sciebant.  qaam  inebriari,  ventri  in- 
dalgere  ;  iis  qui  dies  festos  agebant  non  alio  modo  consistentes  ,  qnam 
ex  tnrpitndine,  risu  et  universa  comœdia.  Itaque ,  non  modo  quod 
pbilosophiam  exigèrent  onerosa  illa  praecepta  erant,  sed  quod  ho- 
minibus  proferientnr  ,  qui  in  licentia  ,  tuipitadine  ,  stultiloquio,  risu, 
iebns(ine  comicis  ediicati  essent.  (5.  Joan.  Chrysost.  ,  in  primam 
epist.  ad  Cor.  ;  Homil.vn,  n"  3.) 


SUR  LA    RELIGION.  435 

peine  à  engager  des  hommes  nés  et  élevés  dans  le  seins 
du  christianisme  ,  et  qui  sont  persuadés  de  sa  vérité,  à 
pratiquer  dans  leur  exactitude  ses  saintes  règles ,  quelle 
énorme  difficulté  ne  devait-on  pas  avoir  à  y  amener  des 
honunes  élevés  dans  des  principes  absolument  con- 
traires? Et  }>armi  les  incrédules  de  nos  jours,  presque 
tous ,  tous  peut-être  ,  ne  renoncent  à  la  religion  que  pour 
secouer  le  joug  onéreux  de  sa  morale.  Peuvent-ils  de 
bonne  foi  imaginer  qu'il  fût  dans  la  nature  de  déterminer 
à  s'en  charger  ,  des  hommes  qui  l'avaient  en  aversion 
par  principes,  comme  par  inclination  et  par  habitude  ,  et 
dans  qui  l'horreur  naturelle  pour  la  double  mortification 
des  passions  et  des  sens,  était  soutenue  par  le  préjugé 
antique  ,  fortifiée  par  l'exemple  universel  et  consacrée 
par  celui  des  dieux  (1)? 

XL.  Enfin  le  préjugé  national,  né  de  la  politique  et 
entretenu  par  elle,  qui  attachait  l'universalité  des 
peuples  au  paganisme,  eût  suffi  lui  seul  pour  les  dé- 
tourner d'embrasser  notre  religion.  Le  sacerdoce  et 
l'empire  étaient  réunis  dans  la  même  main;  le  christia- 
nisme les  séparait.  A  côté  du  trône  des  Césars  il  élevait 
la  chaire  des  pontifes.  Il  établissait  vis-à-vis  de  la 
puissance  civile  une  puissance  spirituelle,  non  pas 
opposée  sans  doute,  mais  qu'on  pouvait,  dans  les  idées 
mondaines,  craindre  qui  ne  le  devînt,  et  que  malheu- 
reusement on  a  trop  souvent,  au  préjudice  de  l'une  et 
de  l'autre  ,  regardée  comme  rivale.  Les  immenses  pros- 
pérités de  l'empire  romain  étaient,  dans  l'opinion  uni- 
verselle, attribuées  aux  divinités  qu'il  adorait.  Le  sénat 


(i)  Etenim  qnos  rcmotis  eliam  vitiorum  illecebris  a  malo  avertere 
atque  a  deieriori  parte  ad  meliorem  tiadnceie  difficile  est.  Quis  tan- 
dem his,  ut  placidi  et  njocJerali  sint,  persaaserit  :  cura  deos  viliosa- 
ram  affectionura  duces  ac  patronos  habeant  :  nbi  vitiusnm  esse,  noix 
modo  non  turpe ,  sed  bonorifuuru  etiam  existimalur?  Ut  pote  deo- 
rnin  abqueiu  fiefensorem  ac  pationniu  as-iurciens,  qui  vitiosa  bac  af- 
feclione  laboret  ;  atque  aris  et  saciiliciis  ornatur  ;  legitiraamque  liber- 
tatem  nacta  est.  (^.  Gregor.  Naz.  adv.  Jiilianiim  ,  Oiat,  m ,  n"  1 15.  ) 


436  DISSERTATIONS 

était  venu  à  bout  de  persuader  que ,  lon^^temps  avant, 
elles  avaient  été  prédites  par  les  sibylles.  Comment  faire 
adopter  un  Dieu  qui  proscrivait  ,  qui  réduisait  en 
poudre  tous  ces  dieux  protecteurs?  Et  ce  n'est  pas  ici 
un  raisonnement  de  pure  spéculation.  Lisez  les  écrits 
des  anciens,  et  vous  verrez  que  c'était  là  une  des  difii^ 
cultes  que  les  ennemis  du  christianisme  lui  opposaient. 
Tout  ce  qui  était  arrivé  de  splendeur  à  l'état ,  il  le 
devait  à  sa  religion  (1)  :  tout  ce  qui  arrivait  de  maux 
dans  le  monde ,  la  religion  chrétienne  en  était  respon- 
sable (2).  Pense- t-on  que  ce  fut  une  chose  aisée  de  faire 
revenir  le  peuple  d'une  prévention  aussi  générale,  aussi 
invétérée,  liée  à  d'antiques  prophéties  dont  il  croyait 
voir  l'accomplissement? 


(i)  Sed  qnam  verum  est  fastigiam  romani  dominii  religiositatis 
merilis  deputare  cum  pobt  impeiium  sive  adhuc  regnum ,  auciis  jam 
rebns,  religio  profeceiit.  Nam  etsi  a  Nurua  concepta  est  curiositas 
snporstitiosa  ,  nonduru  taïuen ,    aut  siruulacris,  aut  templis,  res  divi- 

na   apud  Roiuanos  constabat Noiidum  entra  tnnc  ingénia  Grae* 

corum  atqne  Thaseorum  fingendis  simalacris  urbein  inundaverant. 
Ergo  non  ante  religiosi  romani  quam  magni  :  ideoqne  non  hoc 
magni  qr.ia  religiosi.  (  Tertull. ,  apoL  ,  cap.  xxv.) 

(2)  Praetexentes  ad  odii  defensionem  illara  quoque  vanitatem  ,  qnod 
existiment  oîî.'nis  public?e  cladis  ,  omnis  popularis  incommodi  chris- 
tianos  esse  in  causa.  Si  ïiberis  ascendit  in  mœnia  ;  si  Nilus  non  ascen- 
dit  in  arva  ,  si  cœlum  stetit ,  si  terra  movit ,  si  famés  ,  si  lues ,  statim 
christianos  ad  leonem.  (  Tertull.  ,  ApoL  ,  cap.  xxxix.  ) 

Qui  nostrara  omnibus  modis  doctrinam  calamniantar ,  exiitimant 
causam  tanise  quae  nnnc  est  rerum  perturbationis  eam  esse,  quod  fi- 
deliura  namerus  increscit  ;  nec  eos  profligaridos  purent  prapsides ,  it 
snperioribus  temporibus  factitatum.  (  Origen.  contra  Celsum,  lib.  m  , 
n^  i5.) 

Sed  enim  cum  dicas  plurimos  conqneri  quod  bella  crebrius  sur- 
gant ,  quod  Inès,  quod  famés  seviant,  quodque  imbres  et  pluvias  se- 
lena  longa  suspendant,  nobis  iœpntari  :  tacere  ultra  non  oportet  : 
ne  jam  non  verecnndise  ,  sed  diffîdentiae  esse  incipiat  quod  tacemus  : 
et  dura  criminaliones  falsas  contemnimus  refutare  ,  videaranr  crirnen 
agnoscerc.  [S.  Cypriam.  ad  Demetriam.) 

Cnm  igitur  haec  itasint,  nequeuUa  irrnperit  novitas,  quae  tenorem 
perpetunra  rerum  dissociata  continnatione  deduxeril  ,  quid  est  istud 
qnod  diciiur,  invectam  esse   labtm  terris,  postquam  religio  chribtia- 


SDR    L.V    RELIGION.  437 

Il  est  doue  certain  que  uou-seuleuieut  la  doctrine 
chrétienne  n'était  pas,  par  sa  nature,  propre  à  lever 
les  obstacles  qu'apportaient  à  sa  propagation  les  dispo- 
sitions des  peuples ,  mais  que  sa  nature  même  était  un 
obstacle  très-puissant  à  ce  qu'elle  se  propageât. 

ARTICLE    m. 

Les  premiers  prédicateurs  de  la  religion  chrétienne  étaienl- 
ils  choisis  de  manière  à  la  faire  admettre  ou  rejeter? 

XLI.  On  conçoit  aisément  que  le  nom  d'un  auteur 
contribue  à  faire  recevoir  sa  doctrine.  Le  rang,  les 
talents,  la  célébrité  donnent  de  l'influence  sur  l'opinion 
publique.  Les  anciennes  sectes  philosophiques  devaient 
un  grand  nombre  de  leurs  partisans  à  la  réputation  de 
leurs  fondateurs ,  et  il  y  avait  telle  école  où  la  dernière 
raison  qu'on  donnait  d'une  assertion,  était  :  Le  maître 
Ta  dit.  Et  ne  pouvons-nous  pas  observer  aussi  que  ce 
sont  les  funestes  talents,  la  déplorabk  célébrité  de 
plusieurs  des  chefs  de  l'incrédulité ,  qui  attirent  dans 
leur  parti  un  grand  nombre  d'esprits  superficiels,  qui, 
incapables  de  toute  étude,  se  font  un  point  d'honneur 
de  penser  comme  ceux  dont  ils  admirent  le  génie  ? 
Examinons  donc  ici  quels  étaient  ceux  qui  les  premiers 
ont  répandu  l'Evangile  dans  le  monde.  Voyons  s'ils 
étaient  tels ,  qu'ils  dussent  naturellement  opérer  la 
grande  révolution  qui  a  suivi  leur  prédication ,  ou  si , 


na  intallt  se  ranndo  ,  et  verifatis  absconditae  sacramenta  patefecit.  Sed 
pestilentias ,  inqaiunt,  et  siccitates  ,  fragiiru  inopiam,  locustas  ,  mu- 
res, et  grandin«es,  resque  alias  noxias ,  quibus  negotia  incursantar 
humana  ,  dii  nobis  important  ,  injuriis  veslris  atque  offensionibu3 
exaspérât!.  (^Arnob.  adv.  Gentes ^  lib.  i,  cap.  3.  ) 

lUis  enim  qai  contra  christianara  fîdem  querelas  impias  jactare  non 
qniescunt ,  dicentes  quod  anteqnani  ista  doclrina  per  raandum  prae- 
dicaretnr,  tanla  mala  non  patiebatar  genns  humanura  ,  facile  est  ex 
evangelio  respondere.  (5.  Aug.  epist.  cxi  j  al.  cxsii,  ad  Victoria- 
niim ,  n°  2 .  ) 


438  DISSERTATIONS 

au  contraire ,  leurs  personnes  n'étaient  pas  un  obstacle 
naturel  à  leurs  succès. 

XLIÏ.    Où    Jésus-Christ  trouve-t-il  les  instruments 
propres  à  l'exécution  de  son  vaste  projet?  Où  va-t-il 
clierclier   les    hommes   qu'il   charge   d'aller  jusqu'aux 
extrémités  de  la  terre ,  faire  adopter  sa  religion  à  toutes 
les    nations?   Choisit-il,  parmi  ceux    qui   ont    reçu  sa 
doctrine,   des  hommes   doués  de   génie,   puissants   en 
éloquence,  ornés  de    connaissances?  Envoie- 1- il   un 
Joseph  d'Arimathie,  un  Nicodème,  un  Nathanaèl ,  qui 
sont  entre  les  chefs  du  peuple ,  et  dont  le  nom   et  les 
lumières  pourront  donner  du  poids  à  leur.enseignement? 
Non.  Pour  l'entreprise  la  plus  difficile  que  la  terre  eût  ' 
jamais  vue,  pour  faire  abjurer  à  tous  les   peuples  du 
inonde  une  religion  à  laquelle  ils  tiennent  par  tous  les 
genres  de  liens  ,  pour  leur  faire  adopter  universellement 
une  doctrine  qui  répugne  à  toutes  leurs  pensées  comme 
à  toutes  leurs  affections  ,  il  ramasse  sur  les  sables  de  la 
mer ,  dans  dés  comptoirs  de  péagers ,  douze  hommes  de 
la  dernière  classe  du  peuple ,   de  l'intelligence  la  plus 
bornée ,  dépourvus  d'éducation ,  n'ayant  aucune  notion 
des  premiers  éléments  des  sciences,  aucune  idée   des 
arts,  aucune  teinture  des  lettres  (1).  Yoilà  les  hommes  à 
qui  il  donne  la  mission  de  changer  la  face  de  l'univers. 
Ils  sont  faibles  et  timides;  à  son  premier  danger  ils  l'ont 
abandonné  lâchement  ;    le   chef  qu'il   leur   donne  l'a 


( I )  T'Iegit  discipulos  quos  et  apostolos  nominavit ,  humiliter  natos  , 
iniionoiatos  ,  illiteratos  ,  ut  quidquid  magnum  esseat  et  facerent ,  ipse 
in  eis  esset  et  faceret.  {S.  Augiist.  de  Civit.  Dei ,  lib   xviii  ^  cap.  49.  ) 

Praedicatores  infimes  ,  abjectosque  habere  studuit ,  qui  fidèles  po- 
pulos ad  spiritalis  patriae  aedificia  superna  colligerent  :  Unde  in  evan- 
gelio  Dominus  Nathanaelem  laudat  ;  nec  tamen  in  sorte  praedicantium 
nuœerat  :  quia  ad  praedicandum  eura  taies  venire  debuerant ,  qui  de 
laude  propria  nihil  habebant  :  ut  tanto  solidius  veritatis  esse  cognos- 
ceretur  quod  agerent ,  cpianto  et  aperte  cerneretur  quia  ad  id  agendum 
per  se  idonei  non  fuissent.  Ut  ergo  mira  potestas  per  prsedicatorum 
linguas  elucesceret,  nrius  uiirabilius  actum  est  ut  eorumdem  praedican- 
tium meritum  nullum  esset.  (^S.  Gregor.  Mag.  Moral.  ]JLb.  xxxin, 
«ap.  16,  n°  ,^3.) 


SUR    LA    RELIGION.  439 

même  formellement  renié  :  et  c'est  à  eux  qu'il  ordonne 
de  braver  toutes  les  persécutions,  tous  les  supplices 
qu'attirera  sur  eux  leur  prédication  (1;.  Ils  sont  grossiers 
et  delà  plus  profonde  ignorance,  ne  sachant  que  la  langue 
de  leur  pays;  et  ce  sont  eux  qu'il  envoie  défier  les  génies 
les  plus  puissants  et  les  plus  exercés,  et  confondre^ 
dans  toutes  les  langues  ,  les  plus  habiles  philosophes  du 
siècle  le  plus  éclairé. 

XLIII.  Quelle  énorme  disproportion  entre  l'ouvrage 
qu'entreprend  Jésus  et  les  instruments  qu'il  y  em- 
ploie {2)1   Son  intention  est-elle   donc   de    rendre  son 


(i)  Sed  quae  tandem  vox  laudis  ejus  andiri  effîcienda  est,  neque  e^ 
quod  credentium  animos  posuerit  in  vitam  ,  quod  apostolicae  prsedi- 
cationi,  et  martyrum  confession!  constantiara  et  perseverantiam  largitna 
sit   coniitendi  ;    quorum  discursibus    orbem    terrce ,    quibusdaiu    quasi 

pedibus,  cœlestis  regni  praedicatio  transcnrrit Non  enim  huma- 

narum  comminationum  terriculis  apostoli  deflexi  sunt  ;  neque  firmitas 
pedum  insistentiam  a  fidei  gressu  commota  est ,  qui  super  judicii  et 
regni  aeterni  dominum  praeàicarent.  {S.  Hilar.,  Tract,  in  psalin.  lxv, 
n'^  19.) 

(2)  Cum  enim  cogitasset  îd  quod  nulltis  unqtiam  cogitavit,  proprias 
leges  ,  novamque  doctrinam ,  in  omnes  disseminare  nationes  ,  omneqnf 
hominum  genus  eam  docere  pietatem  quae  unum  sapremum  Deum 
veneratnr,  hujusce  rei  se  niagistrum  exhibera  ,  omnium  maxime  agres- 
tibus  ,  maximeque  ignobilibus  putavit  sibi  esse  utendnm  hujtis  consilii 
ministris  :  utpote  cum  verisimile  sit  illum  censuisse  praeter  omnium  ra- 
tionem  haec  se  facturnm.  Quo  enim  pacto  qui  ne  deducere  quidem  os 
idonei  erant ,  saltem  uniuscujuspiam  hominis  prarceptores  fieri  potue- 
runt  ;  nedum  virorum  conventos.  Quomodo  autem  multitudinem  alio- 
qui  erat  instruere,  qui  ab  omni  eruditione  abhorrebant.  Ac  hoc  qui- 
dem fecit ,  quod  et  divinum  consilium  ,  et  vim  divinam  ,  quae  in  iUis 
et  cum  ilUs  ipsum  opus  obihat ,  declararet.  Ergo  cum  illos  vocasset  , 
tum  primum  dixit  :  venite^  sequirnini  me  :  et  faciam  vos  piscatores  ho- 
minum. Cum  vero  jam  illos  sectatores  esset  adeptus  ,  divinaque  sua  vi 
afflasset ,  roboreque  atque  animi  confidentia  complesset ,  jamque  velnti 
qnoddam  vere  Dei  verbum  ipseque  Deus  tantorum  auctor  miraculorum 
inteUigentium  rationaliumque  animarum  creatores  illos  constituisset  , 
remque  ipsam  atque  efficaciam  voci  ilh  qua  dixerat  :  venite.,  sequimini 
ine^  et  jaciam  ^os  piscatores  hominum  ,  simulque  et  operarios  et  ma- 
gistros  pietatis  illos  fecisset,  tum  in  omnes  gentes  dimisit ,  suaeqne 
doctrinae  praecones  declaravit.  Quis  autem  non  stupescat  ?  Quis  non 
incredibile  merito  ezistimet  id  quod  omnem  fidem  superai  miraca^ 


440  DISSERTATIOiNS 

grand  dessein,  déjà  hérissé  de  difficultés  si  énormes, 
plus  impraticable  encore?  Oui,  ce  sont  là  véritablement 
ses  vues.  Il  choisit,  ce  sont  les  apôtres  eux  mêmes  qui  le 
disent,  ce  qu'il  y  a  de  plus  inepte  dans  le  monde  pour 
confondre  tous  les  saj^es  du  monde  ;  ce  que  le  monde  a 
de  plus  faible  ,  pour  triompher  de  ce  qu'il  y  a  de  plu5 
fort;  ce  que  le  monde  re^jarde  comme  le  plus  vil  et  le 
plus  méprisable,  ce  qui  n'existe  en  quelque  sorte  pas  à 
ses  yeux,  pour  abattre  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  de 
plus  grand  (1).  Nous  voyons  le  résultat  de  ce  combat 
d'un  genre  tout  nouveau,  entre  la  simplicité  et  la  dia- 
lectique la  plus  sublime  ,  entre  l'ignorance  et  l'érudition 


lam  ?  ^Xiillus  certe  eorum  qui  unquam  alicujns  claritatis  inter  homines 
fuerunt ,  non  rex  ,  non  legum  inventer ,  non  philosophas  ,  non  grae- 
cus,  non  barharus ,  hujusmodi  quicquam  cogitasse  narratur  :  ac  ne 
somniasse  qnidem  ahquid  quod  ad  hoc  proxime  accédât.  Satis  enim 
superque  unusquisque  tahum  semper  habuit,  dummodo  in  sua  regione 
institutura  suum  propositumque  compleret  ,  et  quae  bonae  utilesque 
vitae  essent  leges  eas  in  una  salteiu  sua  ipsius  gente  sa n cire  ac  tueri 
posset,  At  hic  noster  nihil  mortale  aut  humanum  moUtur.  Considéra 
vero  cum  rursus  tanquam  vere  Deus  vocem  emiserit ,  nhi  suis  iUis 
adeo  ignobilibus  ad  verbum  dixit  discipulis  :  euntes ^  docete  omnes 
gente  s.  Quid  ?  Si  discipuU  ,  ut  fit ,  suo  praeceptori  respondissent  ,  ac 
disissent  :  Quo  tandem  modo  istud  a  nobis  lieri  poterit  ?  Quoinodo 
E-Omanos,  exempUgratia,  publiée  docebimus?  Ouomodo  autem  jEgyp- 
tios  alloquemur  ?  Qua  vero  hngua  homines  unam  syriacam  vocem 
audire  soliti  ,  apud  Graecos  utemur  ?  Qua  apud  Persas  ,  Armenos  , 
Chaldaeos,  Scythas,  Judos,  ac  denique  omnes  quascumque  offendemns 
barbaricas  gentes  ?  Quomodo  iUis  pei-suadebimus ,  ut  deos  quidem  pa» 
trios  deserant ,  unum  veio  omnium  quaecumque  sunt  Deura  opiiicem 
colant  ?  Qua  porro  dicendi  vi  freti  ,  tantum  facinus  aggrediemur  ?  Quae 
autem  perficiendi  spes  aderit  hominibus ,  qui  leges  figere  audeant  con- 
trarias legibus  quascumque  omnes  gentes  de  patiiis  diis  a  condito  aevo 
servaveiint  ?  Quibus  tandem  copiis,  et  qua  vi  nobis  hceat  isti  audaciae 
superesse?  {^Eiueh.  ,  Démons.  Evang.  ,  Ub.  m.) 

(  I  )  Quae  stulta  sunt  mundi  elegit  Deus  ,  ut  confundat  sapientes  ;  et 
infirma  mundi  elegit  Deus ,  ut  confundat  fortia  :  et  ignobiUa  mundi  et 
contemptibiha  elegit  Deus,  et  ea  quae  non  sunt ,  ut  ea  quae  sunt  des- 
trueret.  (  r.  Cor.  i,  17,  28.) 

Infirma  mundi  elegit  Deus  ,  ut  confundat  fortia  :  ignobUes  vocavit 
ut  nobiles  vinceret  ;  piscatores  elegit  ut  reges  subjugaret.  (  S.  Gregor. 
Magn.^  Expos,  in  7  psalm.  pœnit.  inS  psalm.,  n°  2 3.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  44l 

la  plus  profonde ,  entre  la  grossièreté  et  l'éloquence  la 
plus  brillante  (1).  Riches,  pauvres,  nobles,  rois, 
savants,  orateurs  ,  philosophes,  tout  a  fini  par  venir  se 
prendre  dans  le  filet  des  pécheurs  (2).  Figurez -vous , 
cette  comparaison  est  de  St.  Chrysostôme,  douze  hommes 
sans  armes  et  faibles  de  corps  ,  se  jetant  aumiheu  d'une 
nombreuse  multitude  de  guerriers  armés ,  ne  recevant 
aucun  mal  des  traits  innombrables  qu'on  leur  lance ,  et 
sans  autres  armes  que  leurs  mains,  vainquant  leurs 
ennemis ,  tuant  les  uns  ,  amenant  les  autres  captifs. 
Direz-vous  que  cette  victoire  est  due  à  une  force  hu- 
maine? Mais,  ajoute  le  saint  docteur,  le  triomphe  des 
apôtres  est  bien  plus  admirable  encore.  Il  est  moins 
étonnant  de  voir  des  hommes  nus  n'é-tre  pas  blessés,  et 
vaincre  leurs  nombreux  ennemis  ,  que  de  voir  des 
hommes  sans  connaissances  ,  sans  lettres,  de  simples 
pécheurs,  devenir  les  lumières  du  monde  en  surmontant 
de  si  énormes  obstacles ,  et  n'être  arrêtés  dans  leur 
marche  ,  ni  par  leur  petit  nombre  ,  ni  parleur  pauvreté, 
ni  par  leur  ignorance ,  ni  par  leur  timidité ,  ni  par 
l'universalité  des  anciennes  coutumes ,  ni  par  la  grande 
sévérité  de  la  doctrine  qu'ils  prêchent ,  ni  par  les  morts 
cruelles  dont  ils  sont  à  chaque  moment  menacés,  ni  par 
l'immense  multitude  de  ceux  qui  sont  engagés  dans 
l'erreur,  ni  par  l'autorité  imposante  de  ceux  qui  les  y 


(r)  Elegit  qnippe  stalta  mundi,  ut  confundat  sapientes.  Prias  nam- 
que  collegit  indoctos  ,  et  postmodum  philosophos  ;  et  non  per  orato- 
res  docuit  piscatores  ,  sed  mira  potentia  per  pLscatores  subegit  orato- 
res  (S.  Gregor.  Magn.  ,  Moral.  ,  lib.  xxxiit  ,  cap.  i8  ,  n°  35.) 

Çii  111e  qui  discipnlos  suos  fecit  piscatores  hominum  intra  retia  sua 
omne  genus  auctoritatis  inclusit.  Si  multitudir.i  credendum  est ,  quid 
copiosius  ecclesia  toto  orbe  diffusa  ?  Si  divitibus  credendam  est ,  at- 
tendant quoi  pauperum  millia.  Si  nobilibus  intus  est  ,  jam  pêne  tola 
nobibtas.  Si  regibus,  videant  omnes  subditos  Christo.  Si  eloquentiori- 
bus  ,  doctioribus  ,  prudent ioribus  inlueantur,  quanti  oratores  ,  quanti 
periti,  quanti  pliilosophi  hujus  mundi  ab  illis  piscatoribus  irretiti 
sunt,  ut  ad  salutem  de  profundo  adtraherentur.  (6\  August.  serm.  4  ; 
al,  de  Div.  lxiii,  n°  4.  ) 

19* 


442  DISSERTATIONS 

ont  entraînés  (1).  Nous  le  disons  aux  incrédules  avec 
confiance  :  Plus  vous  ravalez  et  avilissez  les  apôtres , 
plus  vous  relevez  leur  courage.  Plus  vous  faites  sentir 
leur  incapacité,  leur  inipuissance  à  établir  la  religion, 
plus  vous  prouvez  qu'elle  a  été  établie  par  une  puis- 
sance supérieure  à  la  leur  (2).  En  supposant  avec  vous 


(  I  )  Dei  enim ,  si  duodecim  viri  rei  militaris  imperitî ,  in  armatam 
pugnatorum  innumerabilium  aciem  irrumpentes ,  non  inennes  tantum, 
sed  corpore  infirmi  ,  ab  illis  nihil  maie  paterentur ,  neque  innumera- 
bilibus  telis  impetiii  sauciarentur  :  babentes  autem  tela  infixa  corpori 
nudo  omnes  prosternèrent ,  non  armis  utentes ,  sed  manu  ferientes  , 
deinde  alios  occiderent ,  alios  captivos  abducerent ,  nullis  acceptis  vul- 
neribus  ;  an  quis  diceret  rem  talem  gestum  humanum  esse  ?  Atqui 
apostolorum  tropœum  longe  illo  mirabilius  est.  Longe  enim  mirabilios 
est  quam  nudum  non  vulnerari  ,  quod  imperitus,  et  illiteratus  atque 
piscator,  tantum  superet  gravitatt-m  ;  ac  neque  a  paucitate  ,  neque  a 
paupertate  ,  neque  a  periculis  ,  neque  a  praevia  consuetudine ,  neque 
a  severitaie  rerum  quas  praecipiebant ,  neque  a  quotidianis  mortibus  , 
neque  ab  eoi-um  qui  decepti  fuerant  multitudine  ,  neque  ab  eorum 
qui  deceperant  auctoritate  impedirentur.  (S.  Joann.  Chrysost. ,  in  ep. 
primam  ad  Cor.  Homil.  m  ,  n°  5.  ) 

(2)  Adstruamas  igitur  pisraforis  artem  frequentias  ,  ut  plenius  de 
virtute  credaraus.  Fuerit  minister  ignobilis ,  nt  sit  evangelista  nobi- 
lior  ;  paupertate  egenus  ,  ut  virtute  locupletior.  Yilis  ad  honorem 
videatur ,  sed  pretiosus  ad  fidem.  Quanto  minus  creditur  piscatori  , 
tanto  amplius  creditur  :  quia  non  sua  ,  sed  divina  sunt  quae  locutus 
est.  Obsequitur  plebea  conditio  :  expectationem  aufert  sapientiae  sasca- 
laiis  ;  opinionem  auget  sapientia  spiritalis.  Qui  legem  non  didicit ,  et 
quae  legis  sunt  sapit  ,  ipse  sibi  lex  est.  Qui  legem  non  didicit ,  et  ultra 
legem  loquitur ,  ab  eo  accepit  a  quo  lex  venit.  (5".  Amhros.  de  Vir- 
gbntnte  ,  cap.  xs  ,  n°  iSa.) 

Et  cum  dixerint  iUos  agrestes  fuisse  apostolos  ,  non  addamus  etiam 
fuisse  indoctos  ,  ilUteratos  ,  pauperes  ,  viles  et  obscuros.  Non  sunt  haec 
maledicta  apostolis  illata  :  sed  ad  illorum  gloriam  cedit ,  quod  taies 
cum  essent,  toto  orbe  terrarum  fuerint  clariores.  Hi  enim  idiotae, 
agrestes  ,  indocti ,  sapientes  illos ,  potentes  tyrannos  qui  divitiis  ,  glo- 
ria ,  et  extemis  caeteris  rébus  fruebantur  et  gloriabantur  quasi  nec  viri 
essent ,  profligarunt.  Unde  palam  est  magnam  esse  crucis  potenti;im  ; 
et  ba?c  non  humana  vi  facta  esse.  Non  enim  bumanae  naturae  sunt 
illa  ;  sed  supra  naturara  patrata  sunt.  Cum  autem  supra  naturam  ,  et 
admodum  ultra  naturam  quaedam  effîciuntur  cum  decoro  et  utilitate  , 
palara  est  illa  ex  divina  quadam  virtute  operatione  facta  esse.  (5. 
Joann.  Chrirsost.  ,  in  epist.  primam  ad  Cor.  homil.  rn,  n"  4-) 


SUR    LA    RELIGION.  4A3 

qu'il  n'y  a  eu,  pour  opérer  cette  immense  révolution , 
que  des  moyens  naturels  ,  c'est,  qu'on  me  pardonne  cette 
expression,  une  ridicule  absurdité  à  Jésus-Christ  d'en 
charger  des  hommes  tels  que  les  apôtres  :  c'en  est  une 
autre  tout  aussi  révoltante  que  des  hommes  tels  que  les 
apôtres  aient  osé  l'entreprendre  (1).  Mais  ce  qui  est  plus 
inconcevable ,  ce  qui  répugne  plus  encore  que  tout  le 
reste ,  c'est  que  des  hommes  tels  que  les  apôtres  aient 
réussi,  et  que  l'univers  entier  se  soit  soumis  à  eux.  Au 
contraire  ,  en  admettant ,  comme  Jésus-Christ  l'annon- 
çait, comme  les  apôtres  le  publiaient,  comme  le  monde 
l'a  reconnu,  que  c'est  une  puissance  surnaturelle  qui 
se  déploie,  Jésus-Christ,  les  apôtres,  le  monde  agissent 
raisonnablement.  Il  n'avait  pas  besoin  de  choisir  des 
hommes  doués  de  talents  et  de  connaissances  ,  celui  qui 
avait  droit  de  leur  dire  :  Quand  vous  serez  interrogés , 
ne  vous  mettez  pas  en  peine  de  ce  que  vous  aurez  à 
répondre.  Ce  ne  sera  pas  vous  qui  parlerez  ,  ce  sera 
l'Esprit  divin  qui  parlera  par  vous  (2).  Il  leur  était 
inutile  d'étaler  dans  leur  prédication  les  discours  per- 
suasifs de  l'éloquence  humaine,  à  ceux  qui  avaient  reçu 
le  pouvoir  de  montrer  les  dons  de  l'Esprit  saint ,  et  la 


(i)  At  illi  non  modo  exempla  non  liabebant  qoeis  se  superataros 
sperarent  ;  sed  etiara  habebant  qood  saperaturi  non  essenr.  Multi 
namqoe  qui  innovare  tentaverant  extincti  faerant.  Non  de  Graecoram 
rébus  loquor  :  illae  qaippe  nondum  erant,  sed  de  ipsi*  Judaeis  eodem 
tempore,  non  cuin  duodecim  horainibns  ,  sed  cnm  magna  muitiiu- 
dine  res  aggressis.  Nara  Theudas  et  Judas  magnos  habentes  boini- 
num  cœtns  ,  cum  discipulis  perierant.  Et  ex  bis  exempiis  ortus  timor 
poterat  ilios  deterrere  ,  nisi  admodum  persuasi  fuissent  sine  divina 
virtute  non  posse  quempiam  superare.  Quod  si  e»iam  se  vincere 
posse  sperabant  ,  qua  spe  folti  tanta  adiisscnt  pericula  nisi  ad  futnra 
respexissent  ?  (^S.  Joann.  Chrysost.  ,  in  epiit.  primam  ad  Cor.  ho- 
mil.  V  ,  n°  3.) 

(i)  Cum  auiera  tradent  vos  ,  nolite  cogitare  quomodo  ant  qnid 
loqaimini.  Dabitnr  enim  vobis  in  illa  hora  quid  loqaamini.  Non  enim 
vos  estis  qui  loqaimini.  Sed  Spirilus  Patrîs  vestri  qui  loquitur  in  vo- 
h\s.  (Mattk.  X,  ig  j  ao.  ) 


444  DISSERTATIONS 

force  divine  (1).  Il  ne  leur  était  pas  nécessaire  d'exami- 
ner quels  étaient  les  discours  des  apôtres ,  à  ceux  qui 
voyaient  leurs  œuvres  miraculeuses (2). 

XLIV.  Jésus-Christ  a  choisi ,  po  ur  établir  sa  religion  , 
des  hommes  à  qui  tout  manquait  pour  un  aussi  grand 
ouvrage.  Quel  a  donc  pu  être  son  motif?  Il  n'en  a  eu, 
il  n'a  pu  en  avoir  d'autre  que  celui  que  déclare  son 
apôtre  :  il  a  voulu  que  l'établissement  de  sa  religion  ne 
pût  jamais  être  attribué  à  la  sagesse  humaine ,  mais 
manifestât  clairement  la  force  de  Dieu  (3).  En  donnant 
à  la  terre  sa  religion ,  il  s'est  proposé  non-seulement  de 
la  répandre  dans  tous  les  pays ,  mais  de  la  perpétuer 
dans  tous  les  siècles.  Son  intention  a  été  que  l'établisse- 
ment même  de  la  foi  fût  dans  tous  les  temps  la  confir- 
mation et  la  preuve  de  la  foi.  Il  a  cherché  exprès  ,  pour 
fonder  sa  religion,  les  hommes  qui  en  étaient  les  plus 
incapables ,  afin  que  nous,  qui  dans  la  suite  des  siècles 
serions  appelés  à  contempler  ce  magnifique  ouvrage,  n'y 
puissions  trouver  aucune  trace  d'une  main  humaine,  et 
que  nous  vissions  partont  empreinte  la  main  divine  dont 
il  est  sorti  (4). 


(i)  Sermo  meus  ,  et  praedicatio  mea  ,  non  in  persuasibilibas  ha- 
manae  sapieniiae  verbis  ,  sed  in  ostensione  spiritas  et  virtutis.  (  i. 
Cor.  II,  4.) 

(2)  In  quibus  (apostolis)  syllogisraos  Aristotelis  contoitaqne  Chry- 
sippi  acumina  resurgens  mortuas  confatabat..  (  S.  Hieron.  episto- 
la  xxxrir ,  ad  Pammachium.  ) 

(3)  Ut  Hdes  vestra  ,  non  in  sapientia  hominum  ,  sed  in  virtate 
Dei.  (  I.  Cor.  xi,  5.) 

(4)  Ergo  ad  haec  respondeo  :  qui  prudenter  et  candide  res  ab  apos- 
toiis  Josu  gesta  possunt  exarainare  ,  iis  œanifestum  fîeri  hos  divina 
virtute  roboratos  fuisse  oportere  ,  ut  edocerent  christiaiiam  religio- 
nem  ,  et  homines  verbe  Dei  subjicerent.  Non  enim  iis  seoundnm  artes 
graecorum  dialeciicas  ,  aut  rhetoricas  discendi  facultas  et  disserendi 
ratio  inerat,  qoa  aaditores  sibi  conciliarenf.  Atque  etiamsi  Jesas 
elegisset,  et  doctrinae  suae  ministres  adhiboisset  eos  qui  multomm 
opinione  sapientes  babentur ,  et  aat  cegitandi  subtililate  ,  aut  serme- 
nis  facundia  muliitudinis  plaasus  captare  pessnnt ,  jnxla,  mee  quidero 


SUR    LA    RELIGION. 


ARTICLE    IV. 


445 


Les  moyens  emjiloycs  par  les  apôtres  étaient-ils,  par  leur 
nature,  propres  à  favoriser  ou  à  empêcher  la  propagation 
de  la  religion  ? 

XLV.  Oublions  pour  un  moment  ce  que  nous  venons 
de  dire  de  l'incopacité  profonde  des  apôtres  ;  supposons- 


jodicio  ,  suspicio  fnisset  simili  cam  ratione  atque  via  qua  philosophr 
sectae  cajuspiam  anctores  usi  snnt  ;  neque  quod  piomissum  est  de 
doctrinae  ejus  divinitate  videretur  adimpletum.  Nam  seinio  et  piaedi- 
catio  fuissent  in  persuasione  illius  sapienliae  ,  quae  verborum  lenoci- 
nia  ,  et  aptae  compositionis  blanditias  affecta*  :  et  fidf  s  hsRC  nostra 
perinde  ac  ea  qnam  sui  dogmatis  babent  hajusrûodi  ph.losopbi  faisset 
m  sapientia  hominitm  et  non  in  virtute  Dei.  Nunc  antem  ecquis  est , 
qui  cum  videt  piscatores  et  pubKcanos,  vel  primornm  elementorom 
imperitos  ,  id  enim  de  illis  scriptura  testaînr  ,  et  Celsus  ipsis  insci- 
tiam  suam  vere  dtscribentibus  crédit),  confîdenter  de  fide  Jesu  ad- 
jungenda  :  non  modo  apnd  judaeos  dispntave,  sed  eliam  apnd  reliquas 
gentes  prospère  Jesum  annuntiare  ,  non  qiiaesierit  onde  illis  inesset 
persuadendi  facultas.  Neque  enim  erat  vulgaris.  Ecquis  non  dixerit 
Jesum  in  apostolis  divina  quadam  virtute  execatum  fuisse  quod  bis 
promiserat  verbis  :  venue  post  me  ;  faciam  vos  piscatores  hominum. 
(  Origen.  contra  Celsiim  ,  lib.  i,  n°  62.) 

Admirabiles  illi  ,  prorsusque  divini  apostoli  Servatoris  nostri.cum 
essent  vita  quidem  et  moribus  castigatissimi,  et  omnibus  virtutibus 
ornati  ,  sermeine  an!em  ipso  rudes  essent  atque  incnlti  ,  freti  divina 
et  mirillca  virtute  ipsis  a  Servatore  concessa  ,  attificioso  verborum 
ornatu  magistri  sui  praîcepta  exponere,  neque  noverant  ,  neque  item 
conabantur.  Sed  adjuvantis  ipsos  Spiritus  sancli  demonstratione  et 
virtute  Christi,  quae  per  ipsos  plurlma  perpetrabat  miracula  ,  tantum- 
modo  utenles  ,  notitiam  regni  cœlorum  orbi  terrarura  nuntiabant. 
{Euseb.^  Hist.  Eccles.Xih.  lu,  cap.  24-) 

Vocavit  discipulos  siios  et  eîegit  diiodecim  ex  ipsis  ,  qnos  ad  pro» 
pagandum  anxilium  salutis  bumanae  per  tenavam  orbem  satores  fidei 
destinare.  Simul  adverte  cœleste  consilium.  Non  sapicntes  aliqnos , 
non  divites,  non  nobiles,  sed  piscatores  et  publicanos  qnos  dirigeret, 
elegit  :  ne  tradoxi^se  prndentia  ,  ne  redemisse  divitiis  ,  ne  potentiae  , 
nobilitatisque  auctoritate,  traxisse  aliquosad  suam  gratiam  videatur  ; 
m  veritatis  ratio,  non  disputations  gratia  praevaleret.  {S.  Ambros.  , 
Expos,  evang.  Liicœ  ^  lib.  v,  n"  44-) 

N?ra  tum  demum  Dei  vis  mox'nie  elucet  ,  cura  per  viles  et  abjec- 


446  DISSERTATIONS 

les,  au  contraire,  contre  l'évidence,  contre  l'opinion 
même  de  nos  adversaires,  des  hommes  profondément 
habiles,  des  imposteurs  de  l'adresse  la  plus  raffinée.  Exa- 
minons connnent  s'y  prendraient  de  tels  hommes  pour 
répandre  une  doctrine  nouvelle;  cherchons  les  moyens 
qu'ils  employeraient  pour  lui  attirer  des  sectateurs.  D'a- 
bord, ils  travailleraient  à  se  donner  à  eux-mêmes  du 
relief,  et  à  accréditer  leur  prédication  par  la  considéra- 
tion personnelle  qu'ils  se  concilieraient;  ensuite  ils  au- 
l'aient  soin  de  composer  une  doctrine  analogue  aux  idées 
les  plus  généralement  reçues,  et  que  l'on  pût  aisément 
goûter.  Ils  la  prôneraient  comme  conforme  à  la  saine 
raison;  ils  la  produiraient  avec  précaution,  d'abord, 
dans  les  lieux  où  ils  espéreraient  trouver  le  moins  de  dif- 
ficultés; ils  pourraient  même,  selon  les  circonstances, 
ne  la  produire  que  peu  à  peu  ,  par  degrés  ,  et  successive- 
ment dans  ses  diverses  parties.  Voilà  les  seuls  moyens 
raisonnables ,  les  seuls  cjui  soient  dans  la  nature ,  pour 
répandre  et  faire  adopter  une  doctrine  nouvelle  et  fausse. 
Des  fourbes  habiles ,  tels  que  dans  ce  moment  on  sup- 
pose les  premiers  prédicateurs  de  l'Evangile  ,  ne  pour- 
raient pas  en  adopter  d'autres.  Tout  plan,  contraire  à 
celui-là  les  éloignerait  évidemment  de  leur  but,  le  leur 
fei'ait  certainement  manquer.  Lors  donc  que  nous  voyons 
les  apôtres  employer  précisément  tous  les  moyens  con- 


tes ingénies  res  patrat.  Ac  proinde  in  alio  etiarn  loco  aiebat  :  Virtus 
mea  in  injirmitate   perficitur.   Qui  in  veteri  qnoqae    testamento   per 

calices  et  muscas  lotos    barbaroium  exercitas  in  fagam    vertebat 

Eodeni  ilaque  modo  ,  hic  quoqne  missis  solum  duodecim  viris  de  or- 
be victoriam  adeptus  est.  Idqne  etiam  cuni  sibi  infesla  omnia  ha- 
berent ,  ac  bello  in  omnibns  vexarenlur.  Dei  ergo  potentiara  admi- 
lemur  et  adoreraus.  Sciscileinur  a  Judaeis  ;  sciscitemar  ex  gentilibos  , 
qnisnam  nniverso  leirarura  orbi  persuaserit  al  a  patriis  inslitulis  abs- 
cederet,  atque  ad  alteraui  viveadi  rationem  sese  conferrel.  Piscalor  , 
an  tentoiiorom  effeclor  ?  Publicana*  ,  an  indoctas  et  litlerariitn  ex- 
pers  ?  Quam  anlera  ralionern  haberet  ,  nisi  vis  divina  fuisset  ,  qaae 
per  illos  omnia  conliceret  ?  (5.  Joan.  ChrysosV  ^  in  episC.  secundam 
ad  Cor.  ,  homil.  viit,  u°  4-) 


SUR    LA    RELIGION.  447 

traires  à  ces  moyens  que  présente  la  nature ,  que  prescrit 
le  bon  sens,  il  faut  en  conclure  que  ,  s'ils  étaient  des  im- 
posteurs ,  ils  étaient  des  imposteurs  bien  maladroits. 
Mais  leur  prodigieux  succès  ne  permet  pas  qu'on  les 
taxe  de  maladresse.  En  un  mot ,  ils  n'étaient  ni  des 
fourbes  habiles,  puisqu'ils  prenaient  toutes  les  mesures 
qui  devaient  les  écarter  de  leur  objet ,  ni  des  fourbes  im- 
béciles, puisqu'ils  ont  converti  le  monde.  Ils  n'étaient 
donc  pas  des  fourbes ,  des  imposteurs.  Nous  devons  donc 
croire  ce  qu'ils  ont  dit,  que  c'était  par  une  force  divine 
qu'ils  agissaient. 

XLVI.  Nous  avons  à  prouver  le  fait,  c'est-à-dire, 
que  tous  les  moyens  dont  nous  venons  de  parler,  qu'au- 
raient pris  des  hommes  agissant  d'après  les  lumières  de 
la  raison,  non-seulement  n'ont  pas  été  suivis,  mais  ont 
été  contrariés  en  tout  point  par  les  apôtres ,  et  que  leur 
marche  a  été  diamétralement  opposée  à  toutes  les  idées 
de  la  sagesse  humaine.  Cette  discussion  nous  ramène  à 
des  choses  que  nous  avons  déjà  traitées,  mais  sur  les- 
quelles il  est  nécessaire  de  revenir. 

XlVII.  Nous  avons  vu  que  ,  loin  de  chercher  à  se 
donner  du  relief  dans  le  monde  ,  les  apôtres  ont  i^ppor- 
té ,  avec  une  sincérité  qu'on  ne  voit  dans  aucun  autre 
écrivain,  tout  ce  qui  pouvait  leur  nuire  dans  l'opinion 
de  ceux  à  qui  ils  parlaient  ;  qu'ils  faisaient  ces  aveux 
spontanément  ;  qu'ils  n'y  étaient  pas  obligés  par  la  suite 
de  leur  narration  ^  que  l'histoire  évangélique  ne  serait 
pas  moins  complète ,  quand  ces  aveux  ne  s'y  trouve- 
raient pas;  enfin  ,  que  sans  eux  nous  ignorerions  ces  cir- 
constances humiliantes  pour  eux  (1).  Etait-ce  un  moyen 
de  se  faire  valoir  aux  yeux  des  peuples  ,  que  de  publier, 
comme  ils  le  faisaient ,  leur  basse  extraction  ,  et  leur 
premier  métier  qui  les  éloignait  de  toute  instruction? 

Quelle  idée  donnaient-ils  d'eux  aux  auditeurs,  quand 
ils  racontaient  leurs  propres  imperfections  et  leurs  dé- 


fi) Voyez  deuxième  Dissert.  ,  part,  2  ,  chap.  i,  n^  xiii,  page  224. 


448  DISSERTATIONS 

fauts,  leur  ambition  qui  aspirait  à  des  grandeurs,  leur 
jalousie  qui  excitait  entre  eux  des  querelles  pour  les 
places  du  royaume  de  Jésus-Christ ,  leur  jactance  loin 
du  danger;  leur  lâcheté  dès  qu'il  était  commencé  ?  En- 
gageaient-ils bien  puissamment  à  adopter  leur  doctrine  , 
quand  ils  racontaient  qu'eux-mêmes  ne  l'avaient  pas 
comprise,  lorsqu'elle  leur  avait  été  enseignée ,  tant  ils 
étaient  bornés?  Si  on  veut  s'obstiner  à  soutenir  que  ce 
sont  là  des  charlatans  ,  il  faut  dire  que  ce  sont  des  char- 
latans d'un  genre  bien  extraordinaire  ,  tels  que  jamais 
on  n'en  a  vu,  et  que  probablement  on  n'en  reverra  ja- 
mais; qui,  pour  se  faire  croire,  imaginent  de  débiter 
tout  ce  qui  doit  leur  ôter  créance;  qui,  pour  se  faire 
chefs  d'une  grande  révolution  dans  le  monde ,  com- 
mencent par  s'avilir  eux-mêmes,  et  par  rapporter  sur 
leur  propre  compte  ce  qui  peut  leur  faire  perdre  toute 
considération  et  toute  estime. 

XLYIII.  Ainsi  dégradés  aux  yeux  du  monde  ,  quelle 
est  la  doctrine  qu'ils  viennent  lui  apporter?  Nous  l'avons 
encore  vu  (1);  c'est  la  doctrine  la  plus  faite  pour  être 
rejetée  par  le  monde,  la  plus  diamétralement  opposée  à 
toutes  les  idées  alors  reçues  dans  le  monde  ,  la  plus 
propre,  par  la  sévérité  de  sa  morale ,  à  révolter  le  monde 
profondément  corrompu ,  et  par  l'incompréhensibilité 
de  ses  dogmes,  à  dégoûter  le  monde  engoué  de  ses 
propres  lumières. 

Et  cette  doctrine  si  nouvelle,  si  opposée  à  tout  ce  que 
l'on  pense,  à  tout  ce  que  l'on  aime,  ils  ne  mettent  au- 
cune adresse  à  la  publier  ;  ils  ne  cherchent  point  à  pal- 
lier l'incompatibilité  de  leur  morale  avec  tous  les  prin- 
cipes qui  dirigent  alors  les  actions  humaines.  Ils  veulent, 
dit-on  ,  séduire  le  monde  ;  et  pour  y  parvenir ,  ils 
commencent  par  déclarer  nettement  qu'il  est  impossible 
de  servir  Dieu  et  le  monde  (2)  ;   que  le  monde  est  l'en- 


(i)  Voyez  ci-dessns,  article  second,  page  428. 

(a.)  Non  potestis  Deo  aervire  et  mammonae.  Luc.  xvi  ,  i3.) 


SUR    LA    RELIGIO.N.  449 

nemi  de  Dieu  (1)  ;  que  la  sagesse  du  monde  est  opposée 
a  celle  de  Dieu  (2)  ;  que  c'est  un  devoir  de  ne  pas  aimer 
le  monde  et  tout  ce  qu'il  renferme  ,  parce  que  tout  ce 
qui  est  dans  le  monde  est  criminel  (3).  Afin  de  se  rendre 
agréables  à  leurs  auditeurs  et  de  capter  leurs  suffages , 
ils  leur  prescrivent ,  sans  aucun  ménagement ,  de  re- 
noncer à  tout  ce  qui  leur  est  cher  et  sacré.  Préjugés^  in- 
clinations ,  mœurs,  habitudes,  affections,  religion,  ils 
ordonnent  impérieusement  de  tout  déposer.  Ils  parlent 
de  même,  sans  feinte  et  sans  détour  ,  des  mystères  qu'ils 
annoncent.  Ils  conviennent  nettement  que  la  religion 
d'un  crucifié  est  une  folie  aux  yeux  des  nations  (4)^  et 
ils  exigent  que  les  nations  y  croient.  Ils  reconnaissent 
que  leur  prédication  doit  paraître  une  folie  (5) ,  et  ils 
prétendent  que  c'est  le  seul  moyen  d'être  sauvé.  Ils  dé- 
clarent que  ce  qui  semble  raisonnable  aux  hommes  est 
aux  yeux  de  Dieu  une  déraison ,  et  que  ce  qui  est  insensé 
devant  Dieu  est  pour  les  hommes  une  sagesse  (6)  :  et  par 
une  telle  prédication  ils  imaginent  de  convertir,  et  ils 
convertissent  en  effet  des  hommes  enthousiasmés  de  leur 
prétendue  sagesse. 

XLIX.  Et  où  vont-ils  prêcher  avec  tant  de  maladresse 
et  si  peu  de  ménagement  une  doctrine  ainsi  faite  pour 
rebuter  leur  siècle?  C'est  précisément  dans  les  lieux  où 


(i)  Nescitis  quia  amicitia  hajns  mnndi  Jnimica  est  Deo  ?  Qnicumqus 
ergo  volnerit  amicns  esse  saeculi  hujns  ,  inimicns  Dei  constittiitar. 
(  Jac ,  IV  ,  3 .  ) 

(2)  Sapientia  carnis  inimica  est  Deo.  [Rom.  vrii,  7.) 

(3)  INolite  diligere  rnnndnm,  neqae  ea  qaae  in  raundo  sunt.  Si  quis 
diligit  mundum  ,  non  est  caritas  Patris  in  eo.  Qaoniara  omne  qnod 
est  in  mnndo  coneapiscentia  camis  est  ,  et  concapiscenlia  ocalorum 
et  saperbia  vitae  .  quae  non  est  ex  Paire,  sed  ex  luundo  est,  (i 
Joan.  II ,  16.) 

(4)  Praedicamas  Christnm  crnoifixum gentibaa  stoltitiam.  (  i. 

Cor.  I,  2  3.) 

(5)  Plaçait  Deo  per  staltiliam  praedicationis  salvos  facere' creden- 
tes.  (  I.  Cor.  1 ,  21.  ) 

(6)  Nonne  slultam  fccit  Dens  sapientiam  hnjas  mundi....?  Qaod 
smlturn  est  Dei  sapientins  est  horainibui.  (  i.  Cor.  i.  20  ,  25.) 


450  DISSERTATIONS 

elle  doit  être  le  moins  accueillie,  et  où  ils  doiveut  trou- 
ver le  plus  d'obstacles  à  leur  enseignement.  Ils  fondent 
leur  religion  sur  des  faits  miraculeux  ;  et  pour  les  pu- 
blier, ils  choisissent,  nous  l'avons  encore  vu,  le  temps 
où  ils  viennent  de  se  passer ,  la  ville  où  ils  ont  eu  lieu  , 
l'occasion  d'une  fête  qui  rassemble  un  grand  nombre 
de  témoins  de  leur  réalité  ou  de  leur  fausseté  (1).  Ce 
n'est  qu'après  que  ces  faits  ont  été  constatés  par  ceux 
qui  le  pouvaient  aisément,  qu'après  qu'ils  ont  été  crus 
par  beaucoup  de  personnes ,  qu'après  que  la  religion  a 
été  professée  dans  la  région  où  elle  est  née,  qu'après 
que  plusieurs  églises  y  ont  été  fondées  ,  que  les  apôtres 
en  partent  pour  aller ,  selon  l'ordre  de  leur  maître  ,  de 
Jérusalem,  de  la  Judée  et  de  la  Samarie,  faire  retentir 
leur  témoignage  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre  (2), 
Voyez  ces  hommes  si  faibles,  si  grossiers,  se  jeter  auda- 
cieusement  au  milieu  du  monde,  non  pas  dans  les  petites 
bourgades,  où  ils  pouraient  espérer  de  convenir  des 
hommes  aussi  peu  instruits  qu'eux  ,  mais  dans  les  villes 
les  plus  célèbres  ,  où  les  lettres  sont  le  plus  cultivées  ,  les 
sciences  le  plus  florissantes,  la  philosophie  le  plus  en 
honneur;  c'est  là,  c'est  où  ils  trouveront  plus  de  vi- 
cieux à  réformer,  plus  de  superstitieux  à  éclairer,  plus 
d'incrédules  à  convaincre  ,  plus  de  savants  à  confondre  , 
plus  de  fatigues  à  essuyer ,  plus  de  dangers  à  braver , 
plus  d'obstacles  de  tout  genre  à  surmonter ,  qu'ils  vont 
arborer  l'étendard  de  la  foi.  Suivez  Pierre  à  Antioche  et 
à  Rome ,  Paul  à  Eplièse ,  à  Corinthe  ,  à  Athènes  :  partout 
où  vous  saurez  que  sont  les  lumières ,  les  talents ,  les 
connaissances  ,  c'est  là  que  vous  trouverez  les  apôtres  (3). 


(i)  Voyez   deuxième  Dissert.,  part.    2  ,  cbap.  i,  n°  xvi ,  p.  228. 

(2)  Eritis  mihi  testes  in  Jérusalem  ,  et  in  orani  Judaea  et  Samaria  , 
ei  nsque  ad  ultimum  terrae.  {Act.  1,8.) 

(3)  Sane  dura  ego  mecum  ia  studio  veritalis  hojasce  rei  rationem 
exploro  ,  nollam  plane  in  ea  vim  ad  probandum  idoneam  ,  neqûe 
grave  quidquam  aut  fide  dignum  invenio ,  at  ne  piobabile  quidem  ; 
nsque  adeo  ut  fatuum   saltem  quempiam  illi  in  suam  sententiam  tra- 


I 


SUR    LA    RELIGION.  451 

L.  Je  crois  que  le  fait  que  je  m'étais  proposé  de  prou- 
ver, l'est  complètement;  savoir:  que  par  la  manière 
dont  les  apôtres  s'y  sont  pris  pour  prêcher  l'Evangile  , 
ils  ont  ajouté  de  nouvelles  difficultés  aux  difficultés  déjà 
si  énormes  que  présentait  leur  prédication.  Il  reste  donc 
certain  que  non-seulement  ils  ont  méprisé,  rejeté  tous 
les  moyens  humains,  mais  que  même  ils  les  ont  mis 
contre  eux ,  et  qu'ils  se  sont  fait  des  obstacles  de  tout  ce 
qui  aurait  pu  leur  servir  de  ressources. 

ARTICLE    V. 

L* autorité  publique  était-elle  favorable  ou  contraire  à   lu 
propagation  du  christianisme  ? 

LI.  Le  christianisme  ,  pendant  ses  trois  premiers 
siècles,  a  été  constamment  contrarié,  et  presque  toujours 
persécuté  par  l'autorité  souveraine.  Cette  vérité  est  évi- 
dente pour  quiconque  a  la  plus  légère  notion  de  l'his- 
toire de  ces  siècles. 

La  religion  chrétienne  était  encore  concentrée  dans  la 
Judée  ,  et  déjà  la  fureur  persécutrice,  qui  avait  fait  périr 
son  auteur,  se  déployait  contre  elle.  Dieu  a  voulu  que, 
dès  l'instant  de  sa  naissance  ,  avant  qu'elle  eût  pu 
prendre  aucune  force,  elle  fût  en  butte  à  la  rage  de 
l'enfer ,  afin  de  montrer  aussi  clairement  qu'il  soit  pos- 


here  possent.  At  rnrsns  dum  ad  ipsias  verbi  potentiam  respicio  nt 
innnmerabilibas  borninum  couventibas  persuaserit  ,  atqae  ut  ab 
ipsis  illls  ignobilissimis,  et  agrestibas  Jesu  discipulis  rmruerosishirriae 
ecclesiae  constitutae  sint  ,  non  in  quibusdam  ignotis  atqoe  obscuris 
locis  ,  sedin  clarihsimis  civitatibus  erectae ,  in  ipsa  ,  in'jnain  ,  aliarum 
nrbiam  regina  roraana  orbe  ,  in  Alexandrina  ,  in  Antbiochensi  ,  per 
totam  .Egyptiim  ac  Libiam  ,  per  Earopam  atqae  Asiam  ,  in  vicis  et 
regiunibas  ,  omnique  modo  variis  gentibas  ;  rétro  cogor  necessitate 
qnadain  ad  ipsias  rei  causam  inquirendam  recnrrere  ,  fateriqne  ,  non 
aliter  ipsos  facinus  tam  audax  obtinuisse,  qnara  diviniori  quadam 
longeqae  huinanam  superante  potentia.  {Eusel/.,  demonst.  Evang.  ^ 
lib.  m.  ) 


452  DISSERTATIONS 

sible ,  que  ce  n'était  pas  par  sa  propre  puissance ,  mais  par 
une  vertu  toute  divine,  qu'elle  résistait  aux  terribles 
efforts  de  ses  ennemis  (1).  A  peine  les  apôtres  ont-ils 
ouvert  leur  prédication ,  nous  voyons  le  sanhédrin  les 
menacer,  s'ils  osent  la  continuer,  et,  sur  leur  désobéis- 
sance, les  emprisonner  et  les  faire  battre  de  verges  (2). 
Bientôt  après  vient  le  martyre  de  St.  Etienne  (3)  ;  il  est 
suivi  d'une  persécution  qui  disperse  les  fidèles  dans  toute 
la  Judée  (4).  Saùl,  depuis  l'un  des  chefs  du  christia- 
nisme,  l'est  d'abord  de  ses  persécuteurs  (5).  Bientôt  le 
roi  Hérode  se  joint  aux  Juifs ,  il  fait  périr  par  le  glaive 


(i)Qaot  enim  bella  adversas  ecclesiam  concitata  sont  !  Quot  exer- 
citus  instracti  !  quae  arma  mota  !  qaod  non  crucialus  et  supplicii 
gênas  excogitatuni  ;  saitagines,  catopaltae,  lebetes  ,  fornaces  ,  lacus 
et  praecipitia  ,  bestiaram  dentés,  maria  et  prosciipliones ,  abaque 
tormentorum  gênera,  neque  dictis  memoranda  ,  neque  factis  tole- 
randa....  Nihil  taraen  boium  dissolvit  ecclesiam  ;  ac  ne  infirmiorem 
qtiidem  reddidit.  Atque  id  sa\ie  mirum  et  incredibile  ,  quod  baec  ex 
ipsis  statim  primordiis  mota  sunt.  Nam  si  tune  irruissent  baec  acerba, 
postquam  radiccs  jam  egerat ,  et  nbiqne  terrarum  plantatum  erat 
evangeliara  ,  hand  perinde  fuisset  admirandum  non  fuisse  subversam 
ecclesiam.  Caeternm  cum  in  ipso  doctiinae  exordio ,  nuper  jacto  fidei 
semine  ,  teneris  etiamnum  auditorum  mentibus  ,  tôt  bella  eruperint , 
res  nostras  non  sohim  nulla  ex  parte  fuisse  diminutas ,  verum  etiam 
mnltam  accessionem  adjunctam  fuisse,  hoc  nimirum  snperat  orane 
niiraculum.  Ne  quis  auiem  dicere  possit  quod  nunc  ecclesia  ,  post 
parem  a  regibus  prat-bitam  constituta  sit  ,  cura  esset  minor ,  cum 
videretur  imbecillior  ,  tune  illam  oppugnari  permisit.  Deus  ,  ut  edis- 
cas ,  etiam  quod  nnnc  in  tuto  sit,  non  tribaendum  esse  paci  quam 
praestant  reges  ;  sed  a  potentia  Dei  proficisci.  (S.  Joann.  Chrjsost., 
contra  Judceos ,  Orat.  iv,  n°  2.) 

(2)  Voyez  Act. ,  cap.  m  et  iv. 

(3j  Toyez  Act.  ,  cap.'  vu. 

(4)  Facta  est  autera  in  illa  die  persecutio  magna  in  ecclesia  qaae 
«:at  Jerosolymis  :  et  omnês  dispersi  sunt  per  regiones  Judeae  ,  ex- 
ceptis  apostolis.  {Act.  viir,  i.) 

(5)  Saulus  autem  devastabat  ecclesiam  ,  per  domos  intrans ,  et  tra- 
hens  vitos  ac  mnberes  tradebat  in  custodiam  {Ibid.  3.) 

Saulus  autera  spirans  minarum  et  caedis  in  discipulos  Domini  ac- 
cessit ad  principem  sacerdolum  ,  et  petiit  ab  eo  epistolas  in  Damas- 
cnm  ad  synagogas  ;  ut  si  qnos  invenissel  hujus  vitae  ,  vinctos  perdu- 
ceret  in  Jérusalem.  {Ibid. ,  ix  ,  1,2.) 


SUR    LA    RELIGION.  453 

St.  Jacques  le  majeur;  il  fait  mettre  en  prison,  pour  le 
livrer  au  supplice  ,  après  la  Pàque  _,  Tapôtre  saint 
Pierre  (1) ,  qui  est  miraculeusement  délivré  (2;. 

De  la  Judée,  les  apôtres  vont  se  répandre  dans  les 
diverses  nations,  pour  les  convertir  à  la  foi.  La  haine 
des  Juifs  les  y  suit  (3).  Ils  écrivent  dans  tous  les  pays 
pour  soulever  contre  eux  les  esprits.  Ils  sont  la  cause 
principale  des  contradictions  que  le  ministère  aposto- 
lique éprouve  de  toutes  parts  dans  les  commencements 
de  la  dispersion  (4). 

LU.  Cependant  le  christianisme,  triomphant  de  ces 
premiers  obstacles ,  prend  de  tous  côtés  de  nouveaux 
accroissements,  et  en  même  temps  la  rage  de  ses  enne- 
mis prend  de  nouvelles  forces.  Une  scène  de  persécution 
bien  plus  désastreuse  va  s'ouvrir.  L'orgueil  philoso- 
phique humilié,  les  préjugés  de  tout  genre  combattus, 
les  passions  réprimées  ont  intéressé  à  leur  cause  les 
maîtres  de  la  terre,  plus  vains  ,  plus  entêtés,  plus 
corrompus  encore  que  leurs  sujets.  Voilà  les  Néron,  les 
Domitien  ,  armés  de  toute  leur  cruauté,  et  poursuivant 
de  toute  leur  puissance  la  religion  naissante.  Ici  com- 
mence, pour  durer  pendant  deux  cent  cinquante  ans, 
entre  l'empire  et  l'Eglise _,  une  lutte  d'un  genre  extraor- 
dinaire, que  les  siècles  précédents  n'avaient  jamais  vue, 
qui   fera   l'étonnement    de    tous    les    siècles    qui    sui- 


(i)  Eodem  lempore  inisit  Herodes  rex  manns,  ut  affligeret  quos- 
dam  de  ecdesia.  Occidit  autem  Jacobum  fratern  Joannis  gladio.  Yi- 
dens  aateru  quia  placerei  judaeis  apposait  at  apprehenderet  et  Petrum. 
Erat  antem  dies  azymomin.  Qaem  cam  apprehendi.^set ,  misit  ia 
carcerern,  tradens  quataor  quaternionibas  militum  custodiendam, 
volens  post  pascha  producere  eum  pupulo  [Ibld  i,  2,  3,  4>  ) 

(2)  Voyez  Act.   v  ,  et  suiv. 

(3)  Uude  etiam  nanc  jadaei  non  moventur  adversas  gentiles  ,  ad* 
versam  eos  qai  idola  colunt  et  Deura  blasphémant,  et  eos  non  ('de- 
rant,  nec  indignantnr  a  vérins  eos,  Adversum  cliristianos  vero  insa- 
tiabili  odio  feruntur,  qni  utique  relictis  idolis  ad  Deum  conversi  sont» 
(On'gen.  in  psa/m.   xxxvi,  horail.i,  n°   i.) 

(4)  "Voyez  deasième  dissert.   chap.  2,  n"  m,  note  3,  page  267. 


454  DISSERTATIONS 

vront(l).  Deux  siècles  et  demi  s'écoulent,  sans  que  le 
glaive  destructeur  s'arrête.  On  compte ,  il  est  vrai , 
vulgairement ,  dix  persécutions  formelles  ;  mais  on  peut 
dire   que   réellement  il    n'y   a  eu    qu'une   persécution 


(i)  Historia  rertim  gestarcm  manifesta  est,  nec  explanalione  indi- 
jjet.  Ex  lis  laraen  quae  gesta  &unt  visibilibus  ,  nostri  dornini  Jesu 
Salvatoris  bella  et  triamphos  quos  egerit  contemplamar  :  quamvis 
etiam  in  ipso  haec  visibiliter  cernamus  expleta.  Convenerunt  enim 
reges  terrae,  senatus  popnlasque,  et  principes  romani,  nt  expngna- 
rent  nomen  Jesu,  et  Israël  simul.  Decreverunt  enim  legibus  suis,  ut 
non  sint  christiani.  Omnis  civiias,  oranis  ordo  christianorura  nomen 
impugnat.  Sed  sicut  tnnc  omnes  illi  reges  contra  Jesom  nihil  facere 
polnerunt,  ita  vel  principes ,  vel  potestates  istae  contrariae,  nt  non 
chrislJanorum  genns  latius  ac  profusias  propagetar ,  obtinere  non 
valebunt.  (  Origen.  in  lib.  Jesu  Nav. ,  bomil.  ix ,  n°  lo.  ) 

Possumus  hoc  et  de  persecntionibns  quae  nostro  accidere  popnlo, 
a  diebas  Neronis,  de  quo  scribit  apostolus,  et  liberatus  est  de  ore  leo- 
nis  ^  usqne  ad  Maximini  tempora  dicere.  (5.  Hier  on.  ^  comm.  in  Je- 
rem,,  lib.  iir ,  cap.   i6*) 

Idcirco  bellum  exarsit  grave,  omniumqne  ssevissiraum.  Omnia  tu- 
multu,  perlurbationé  ac  seditione  redundabant;  urbes ,  omnes  po« 
pnli ,  ac  domns  omnis,  omnis  regio  ,  sive  incolta  esset,  sive  déserta, 
qnod  nimirnm  antiquae  consuemdines  labefactarentnr  ,  et  qaae  tandia 
obtintierat  anlicipata  opinio  convelleretnr ,  cam  nova  dogmata  inve- 
herentar,  qaaî  nemo  onquam  aodiverat,  adversos  ista  saeviebant  re- 
ges, indignabantur  magistratus,  privati  tumnltaabantar ,  fora  pertar- 
babantuf ,  tribunalia  concitabanlur ,  slringebantur  enses  ,  arma 
parabantar,  et  leges  succensebant.  Inde  supplicia,  pœnae,  minaeqae, 
ac  cuncta  commovebantnr  qaae  inter  boœines  gravia  censentnr.  Qae- 
madmodura  cumiratum  est  mare  atque  infausta  naufragia  partarit ,  ni» 
hilominns  in  meliori  erat  in  statu  orbis  terrarum,  cum  religionis  causa 
fîlinm  pater  abdicaret ,  a  socra  nurus  discederet,  fiatres  dividerentur, 
domini  in  famulos  indignarentur,  natura  quodamn^odo  in  se  ipsam 
seditione  commota  insnrgeret  ;  nec  civile  tantam ,  sed  gentile  bellam 
donios  omnes  pervaderet.  Verbara  enim,  gladii  in  morem  penetrans, 
et  quod  morbidam  erat  asano  resecans,  inagnam  ubique  seditionem, 
et  contentionem  excitabat  :  et  effîciebat  ut  innnmerœ  undique  adver- 
sns  fidèles  inimicitiae  ,  pngnapque  insurgèrent.  Hinc  fiebat  ut  in  carce- 
rem  alii  detrnderentnr ,  alii  ad  jndicia  raperentur,  et  ad  viam  quae 
ducit  ad  mortem  :  atque  boruni  qaidera  bona  publicabantur ,  illi  vero 
patria  et  vit;,  ipsa  persaepe  prîvabanJur  :  et  ex  omni  parte ,  crebrius 
qnam  nix  décidât,  malis  obsidebatur.  (5.  Joann.  ^  Chrys.^  homil.  de 
Gloria  in  tribul.^  n°   i.) 


SUR    LA    RELIGION.  455 

continuéfi  pendant  tout  ce  temps.  Tous  les  empereurs 
n'ont  pas  donné  des  édits  pour  faire  punir  les  chrétiens; 
mais  presque  tous,  ou  ont  ordonné,  ou  ont  souffert 
qu'on  exécutât  ceux  de  leurs  prédécesseurs.  A  peine  sur 
le  grand  nombre  de  princes  qui  ont  occupé  le  trône 
depuis  Néron  jusqu'à  Constantin,  s'en  trouve-t-il  trois 
ou  quatre  qui  aient  défendu  la  persécution.  On  ne  voit 
pas  que  le  fanatisme  atroce  des  gouverneurs  de  pro- 
vinces, qui  excédaient  les  ordres  de  leurs  souverains, 
ait  jamais  été  réprimé,  et  on  connaît  des  martyrs  sous 
presque  tous  les  règnes  (1). 


(i)  Namera  qnot  tyranni  ab  illo  terapore  adverses  illam  instruxe- 
rant  aciem ,  qnot  gravissimas  persecutiones  excitarant,  qao  in  statu 
fides  fnerit  toto  illo  quod  praeteriit  tempore,  quando  recens  plantata 
erat,  quando  teneriores  erant  bominum  mentes.  Gentiles  erant  im- 
peratores,  Aogastus  ,  Tiberins  ,  Caïus,  Nero,  Yespasianus  ,  Titus, 
et  post  illum  onines  usque  ad  tempus  beati  Constantini  imperatoiis  : 
omnesqne  illi  alii  minus  ,  alii  vehementius  ecclesiam  oppngnabant. 
OppjJgnabant  tamen  omnes.  Qaod  si  qui  eorum  visi  sunt  mitius  âge- 
re  ,  boc  ipsura  tamen  qaod  iraperatores  palam  in  iinpietate  viverent, 
materia  bellorum  erat  :  cum  aUi ,  qui  ipsis  adulabanlur ,  graliam  illo- 
ram  captantes,  ecclesiae  bellom  inferrent.  (S.  Joann.  Chrys.  ^  Homil. 
quod  Christus   si't  Deus^  n°   i5.) 

Piscatorum  vero  et  Pnbb'canorura  ,  tentotiorumqne  opificis  leges , 
non' Gains,  non  Claudias  dissolvere  poterunt ,  nec  illorura  successor 
Nero.  Hic  enim,  tametsi  duos  optimos  législatures  siistulerit  (Perram 
namque  et  Panlnm  interfici  jussit),  at  leges  cam  legislatoribus  non 
snstulit.  Non  Vespasianus ,  non  Titus,  non  Domitianus  ;  quamvis 
multis  ac  variis  maohinationibas  eam  ôppugnaret.  Multos  en^m  qui 
se  legibus  iliis  addixerant  de  medio  sustulit,  ornne  tormentorum  ge- 
nns  in  eos  intendens.  Trajaims  insuper,  atque  Adrianus  veberaenter 
contra  has  leges  insurrexernnt.  At  Trajanus  Persarum  quidem  irape- 
riam  suhvertit,  Arraeniusque  Romanorum  freno  subjecit,  et  scylbas 
nationes  sceptrissuis  parère  corapulit  :  piscatorum  tamen ,  suforisque 
leges  abolere  non  potuit.  Et  Adrianus  urben  eorura  qui  Jesum  cruci- 
tixerant  funditus  evertit  :  sed  eos  qui  in  illnm  crediderant  abducere 
ab  ejus  servitule  non  potait.  Antoninns  qnoqne  qui  Adriano  sncccs- 
sit  ,  et  "Verus  rjus  lil.us  multa  et  praeclara,  devictis  barbaris,  tro- 
phœa  excitaverunt ,  suoque  jure  vi%'entibus  pi.pulis  jugum  romana?" 
ditionis  imposuernnt  :  neque  tamen  eos  qui  salutare  crucis  jngum 
:)daraarunt; ,  aut  vi  ,  aat  suasionibns  irapulcrunt  ut  raissnra  facerent 
quod  adamaranf  :  quamvis  illos,  et   m.ignis  minis  terrèrent,  etpluii- 


456  DISSERTATIONS 

Jetons  un  moment  les  yeux  sur  les  affreuses  consé- 
quences qu'entraînait  la  profession  du  cliristianisine. 
Se  déclarer  elirétien  était,  d'une  part,  s'assujettir  à  la 
pratique  des  vertus  les  plus  austères,  et  de  l'autre,  se 
livrer  au  mépris  qu'inspirent  les  vices  les  plus  détes- 
tables. La  foi  des  chrétiens  était  accusée  d'athéisme  (1)  ; 


mis  sappliciis  cruciarent.  Atque  nt  Commodum ,  Maximinumqae 
omittam  ,  caeterosque  onines  ,  qui  ad  Aurelianum  usque  ,  et  Caruru 
Carinumque  regnarunt,  quis  Diocletiani  et  Maxiraiani  ,  Maxentii, 
Maximini,  Liciniique  contra  thristianaru  pietatem  friror  fuerit ,  quis 
ignorât  ?  Neque  eiiim  singulos  isli,  binosve  au»  ternos  e  christianis 
impetebant  :  sed  plurimos  gregatim,  et  millenos  simul,  et  decies  mille- 
nos  triicidabant.  Quibusdain  etiam  in  urbibus  plenas  viiis  et  feminis 
et  pueris  ecclesias  incenderunt  :  atque  in  ipso  salulifer»  passionis 
die  in  quo  et  passionis  et  resurreelionis  dominicae  raemoriam  cele- 
bramus,  omnes  ecclesias  quae  in  romanis  finibus  erant  destruxerunt. 
Yerum  illilapiduin  quidem  structuram  ,  compagemque  demuliti  sant  : 
«nimarum  vero  pietatem  non  sustulerunt.  (  Theod. ,  serra,  ix  ,  de 
Legibus.  ) 

(i)  Inde  ortnm  est  ut  athei  appellaremur,  Atque  atheoi  quidem 
uos  esse  confitemur,  si  de  opinatis  ejusmodi  diis  agatur.  Secus  vero 
i\  de  verissimo  illo  et  jastitiae  ac  temperantiaf-,  ac  cœterarum  virtu- 
tuni  pâtre,  nulla  admixta  vitiositate,  Deo.  (5.  Justin.^  Apol.  i, 
cap.  6. ) 

Vide  igitur  an  possint  qui  talia  edocentur  indifferenter  vivere  ,  et 
in  nefariis  flagifis  volotari,  aut  quod  omnem  impietatem  superat, 
carnes  humanas  attingere.  (  Theoph.  ad  Antol.  ,  lib.  m,  cap.  i.  ) 

Tria  nobis  affingunt  criraina;  atbeismura,  tbiesteas  cœnas,  œdipo- 
deos  concubitus.  Quœ  si  vera  snnt ,  nulli  parcite  generi  :  pœnas  sce- 
lernm  repetite  :  radicitus  nos,  cuni  nxoribus  et  pueris  delele  si  quis 
ferarnm  ritu  vivit.  {Athenag.,  légat,   pro  Christ.^  n°  5.  ) 

Nunc  enim  ad  illara  occultorum  facinorum  infaraiam  respondebo  , 
ut  viam  mihi  ad  manifestiora  pnrgfm.  Dicimur  sceleratissimi  de  sa- 
cramenlo,  infanticidii ,  et  pabnlo  ante  et  post  conviviuni  incestos , 
quod  eversores  luaiinum  canes ,  lenones  scilicet  teiiebras  tum  et  libi. 
dinnm  irapiarum  inverecundiae  procurent.  (  Tert. ,  Apol.  ,  cap.  vu.) 
Qua  in  re  similis  (Celsus)  videtur  esse  judaeis,  qui  cnm  primum 
cbristiana  doteielnr  religio,  calomnias  adversus  illam  spargebant , 
mactari  a  christianis  puerum ,  ejns  carnibns  vcsci  illos,  et  opéra  tene- 
brarura  peragere  volentes,  extinctis  lurainibos ,  cum  obvia  qujiqne 
singulos  commisceri.  (  Origen.  contra  Celsum,  lib.  vi,  n°  27.) 

Et  nos  enini  idem  fuinius ,  et  eadem  vobiscura  quondam  adhuc  cseci 
et    hebeles  seutiebamus,    quasi  christiani  monstra  celèrent,  infantes 


SUR    LA    RELIGION.  457 

l^uis  assemblées,  des  barbaries  les  plus  atroces;  leur 
culte,  des  dissolutions  les  plus  honteuses.  Tout  chrétien 
était  ,  aux  yeux  du  peuple  aveii^lé,  un  infâme  ennemi 
des  mœurs,  un  scélérat  ennemi  de  la  patrie,  un  rebelle 
ennemi  des  Césars  ,  un  impie  ennemi  des  dieux. 

LIV.  Et  ce  n'était  pas  seulement  au  mépris  public 
que  les  chrétiens  se  dévouaient;  c'était  avec  le  mépris, 
l'exécration  générale  qu'ils  encouraient  ,  les  persécu- 
tions les  plus  violentes  qu'ils  subissaient.  Un  écrivain 
anglais  a  prétendu  que  le  nombre  des  martyrs  avait  été 
fort  exagéré  (1).  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  discuter 
son  opinion  ;  contentons- nous  de  renvoyer  aux  réfu- 
tations qu'en  ont  faites  plusieurs  savants ,  spécialement 
D.  Ruynart(2).  Mais  ce  que  Dodwel  reconnaît  d'après 
les  témoignages  de  toute  l'antiquité,  c'est  l'atrocité  des 
tourments  infligés  aux  chrétiens.  Les  spoliations ,  les 
bannissements,  les  emprisonnements,  la  mort,  sont 
leurs  moindres  supplices.  Il  n'est  permis  à  leurs  bour- 
reaux de  les  faire  périr,  que  lorsqu'ils  se  seront  lassés  à 
les  tourmenter.  Tout  ce  que  la  rage  des  hommes,  guidée 
par  les  fureurs  de  l'enfer,  peut  inventer  de  tortures, 
est  souvent  réuni  sur  un  seul  chrétien.  Tantôt  on  varie 
les  tourments  pour  les  faire  plus  douloureusement 
ressentir;  tantôt  on  les  suspend,  pour  se  donner  le 
plaisir  d'en  voir  prolonger  la  durée.  Le  sexe  le  plus 
aible  ,  l'âge  le  plus  tendre,  sont  en  proie  à  ces  barbaries 
raflinées(3).   Que  l'on  ne  nous  accuse  pas  ici  d'exagé- 


vocarent,  couvivia  incesta  miscerent.  (Minullus  Félix  Octawius , 
cap.  XXVIII.  ) 

Ergone  impiae  religionis  sumas  apnd  vos  rei ,  et  quod  caput  reram 
el  colamem  venerabilibns  adimas  obseqoiis,  ut  convitio  ulamor  ves- 
tro,  infaasti  et  albei  nuncupamur  ?  {Arnob.  adv.  génies,  lib.  t, 
cap.  29.) 

(i)  Dodwel,  dissert ationes  cyprianicse:  dissert,  xi,  de  Paucitate 
Martyrum. 

(2)  Acta  sincera  martyram.  Prcefatio. 

(3)  Et  qoid  tara  longa  nobis  aniiqaoram  exerapla  revolviraus?  la 
ocalis  nostris  saepe  \idimns  mulieres  et  virgines  primse  adhac  aetatis, 

Dissert,  sur  la  Relig.  20 


458  DISSERTATIONS 

ration.  Il  n'y  a  qu'à  relire  le  texte  de  Tacite  que  nous 
ivons  rapporté  ;  on  y  verra  Néron  se  faisant  de  sa  cruauté 
un  amusement,  tantôt  couvrir  les  clirétiens  de  peaux  de 
bêtes  pour  les  faire  décliiier  par  les  chiens,  tantôt  les 
attacher  en  croix,  tantôt  les  enduire  de  matières  en- 
flammées pour  éclairer  ses  jardins  pendant  la  nuit(l). 
Libanius,  philosophe  païen  ,  rapporte  aussi  les  énormes 
cruautés  exercées  contre  les  chrétiens  ;  et  il  dit  que 
l'enipereur  Julien  s'en  abstint,  parce  qu'il  en  avait 
reconnu  l'inulilité   (2).   Ces    récits  d'historiens,    qu'on 


pvo  inurtTrio  tyrannica  perfnlisse  lormenta  ,  quibus  ad  infîrmitatera 
sexns  novellse  adhnc  vitae  fragilitas  aHdebatur.  {Origen.  in  librum 
Judicnin  ,  Hoinil.  ix,  n°  i.) 

Gujus  numéro  nec  virgines  desnnt,  quibas  ad  sexagenaiium  fruc- 
lum  ceiitenns  accessit,  quasque  ad  cœ'.estera  coronam  gloiia  geiuiiia 
provexit.  In  pancis  quseqae  virtns  major  aetatc  annos  sucs  confessio- 
nis  laude  transcendit;  nt  martyrii  vestri  beatum  gregem  ,  et  sexus  et 
aeias  omnis  ornaret.  [S.  Cyprian.^  epist.  lxx.vii,  ad  Nemesiamim  , 
et  cceter.  Mart.  j 

Beatas  etiam  feminas  qnae  vobiscam  sont  in  eadera  confessionis 
gloria  constitatse ,  quae  dorairicam  fidem  tenantes  ,  et  sexn  sao  fur- 
tiores,  non  solam  ipsae  ad  gloriae  coronam  proximae  sunt,  sed  et 
caeteris  qnoque  feminis  exemplam  de  sua  constantia  praebnerunf.  Ac 
ne  quid  deesset  ad  gloiiam  numeri  vestri,  ut  omnis  vobiscum  et 
sexus  et  cXfas  esset  in  honoie  ,  paeros  efiaiu  vobis  gloriosa  confes- 
sione  sociavit  divina  dignatio;  rcprae^entans  nobis  taie  aliquid,  qaale 
Anan'as,  Azarias  et  Misael ,  illustres  pueri  abquando  fecerunt,  [Idem^ 
epist.  rxxxi,  ad  Sergiuin  Rogationnin  et  ccet.  Cofif.) 
(i)  Voyez  ci  dessus  no  vi ,  note  4,  page  4o5. 
(1)  Et  multnm  quidem  metaebant  ii  qui  corrupfam  sequf-bantur 
religionem;  planeqne  expectabant  fore  ut  oculi  ipsis  eriperentur, 
capite  praescinderpntur,  et  ob  caedes  multip'ii'es  sanguinei  ex-sterent 
fluvii ,  novaque  Dominum  novum  torraenlorum  gênera  credebant  in- 
venturum,  cum  quibus  comparata  levia  viderentur,  fernim  et  ign's, 
submeisionesque  et  vivorum  defos^iones,  mu'ilationes  item  et  ampu- 
tationes.  Talibus  enim  ineos  suppliciis  qui  olim  imperarant  fuerant 
usi  ;  multo  auiem  graviora  nunc  expectabanlur.  Julianus  tamen  ab 
iis  qui  ista,  adversus  eos  palraverunt  toto  animo  disscnsit;  utpote  qui 
id  inteiidebant  consecati  non  fnerint  ;  ipseque  nihil  ejusmodi  tormen- 

fis   utlitatis  ine^se   animadvertit His  itaque  subnixus  rationibus, 

resque  ilîotum  csedibns  capere  incieraenta  edoc'us,  vifavit  illa  quae 
approbare  non  po'erat.  (Liban.,  orat.  parentalis  in  Julianum^  n° 
58,   59.) 


SOR    LA    RELIGIO:«.  459 

n'accusera  certainement  pas  de  partialité  en  faveur  du 
christianisme ,  confirment  et  rendent  croyable  tout  ce 
que  les  auteurs  ecclésiastiques  les  plus  respectables 
racontent  des  barbaries  exercées  contre  les  chrétiens  (1). 
LY.  Au  milieu  de  ces  épouvantables  persécutions , 
comment  l'Eglise  ,  encore  dans  la  faiblesse  de  son 
enfance,  peut-elle  se  soutenir?  Disons  plus  ;  comment, 
sous  les  coups  dont  elle  est  continuellement  frappée, 


(i)  Innoxioî,  JQstos,  Deo  charos,  domo  privas,  patiimonio  spo- 
lias, caienis  preinis,  carcere  inclndis,  gladio  ,  bestiis  ,  ignibus  pu- 
nis :  nec  saltcm  contentas  es  domornm  nostrorum  compendio ,  et 
bimplici  ac  veloci  brevitate  pœnarom,  admoves  laniandis  coqîoribus 
longa  tormenla;  multiplicas  lacerandis  viscenbus  naraerosa  suppli- 
cia :  nec  feritas  atqne  iramanitas  tua  nsitatis  potest  esse  contentit 
formentis.  Excogitat  novas  pœnas  ingeniosa  ciudelitas.  Qnae  haec  est 
insatiabilis  carniticinae  rabies?  Qaae  inexplebilis  libido  saevitiae  ^  (S, 
Cjrprian.    ad  Deinetriatn.) 

Cum  deligati  fuissent,  subdebatar  primo  pedibus  îevis  flararaa 
tamdiu  donec  callnm  solornm  contractnm  igné  ab  ossibus  levellere- 
tnr.  Deinde  incensae  faces  et  extinctae  admovebantor  sjngulis  mem- 
bris  :  ita  ut  locus  nullus  in  corpore  relinqneietur  intactus  :  et  inter 
haec  suffandebatur  faciès  aqua  frigida,  et  os  huiuore  ablaebainrj  ne 
arescentibus  siccitale  faacibns  cito  spiritus  ledderelur  :  quod  pos- 
tremo  accidebat ,  cnra  per  miiltam  diera  ,  decocta  orani  cote  ,  eis  ignis 
ad  intima  viscera  peiietrasset.  Corpora  JHm  cremata ,  lecta  ossa ,  et  in 
palverem  comminuta  jaciabantur  in  flaïuine  ac  in  mari.  (Lactant., 
de  Mort.    Persec,  cap.  xxi.  ) 

Depirgamns  ergo  in  anima  no->tra  hos  jacentes  in  sartagine,  illos 
antem  saper  carbones  extensos,  hos  in  lebetes  dejectos,  illos  in  mare 
demersos  ,  alios  laceratos,  aiios  in  rota  Jisturtos,  alios  in  praecipi- 
tiam  actos;  atqae  hos  qaidera  cum  bestiis  depugnantes ,  illos  vero  in 
barathrnm  devolutos  ,  alios,  ni  cuiqae  contigit,  mortem  obeuntes. 
(S.  Joann.    Chrysost.,  Homil.  in  SS.   Martyres,   n°  3.) 

Neque  vero  siinpliciter  fidem  fecerani  :  sed  tantam  fidem  plarimis 
infixerant,  nt  raoïtem  pro  bis  doginatis  libentissime  oppeterent,  ea 
qaae  inficiari  jobentibas  lingaas  minime  proderent  :  sed  flagris  hu- 
roeros  caedere  volentibus  ,  et  lampadibas,  ungulisque  latera ,  et  cer- 
vices  gladiis  supponerent;  et  tympanis  ac  fîdiculis  extenderentur,  et 
palis  infigerentar  ;  el  tl^mmis  exorerentiir  ;  et  ab  immanibus  feris 
lauiari  corpora  sua  confîceren?.  (  Theod.,  Serm.  vrii,   de  Martyr.  \ 

Qaae  enim  pœnaram  gênera  noviinas,  quae  non  jam  vires  marty- 
rura  exercuisse  gaudemus.  Alios  namque  improviso  icta  immersas 
jngulo  gladius  stravit  :  alios  cracis  pdtibalam  affîxit;  in  que  et  mors 


460  DISSERTATIONS 

peuL-elle  croître  et  se  fortifier  (1)?  Dans  rordre  des 
choses  humaines,  le  meurtre  des  chefs  est  l'anéantisse- 
ment de  leur  p ati  ;  ici ,  il  en  est  l'agrandissement.  Le 
zèle  ardent  des  apôtres  paraissait  nécessaire  à  l'afFer- 
niissement  du  christianisme  ;  c'est  par  leur  mort  que  le 
christianisme  s'aflcrmit(2;.  Les  colonnes  qui  soutenaient 


piovocata  repellitar,  et  repuisa  provocafnr  :  alios  hirsutis  serra  denli- 
bus  attrivit  :  alios  armata  ferro  insnicans  ungala  carpsit  :  alios  bel- 
luina  rabies  morsibus  detruncando  comtninoit  :  alios  ab  intimis  vis- 
ceiura  pcr  cutem  pressa  vis  vcrboroin  rapit  :  alios  effossos  terra 
viventes  operuit  :  alios  in  altum  demersos  in  morteni  praecipilicm 
Iregit  :  alios  in  se  projectos  aqua  replendo  absorbait  :  alios  edax 
flamiua  usqne  ad  cineres  depasta  consumpsit.  (5.  Gregor.  Magn. 
Moral. ^  lib.  xxxii ,  cap.  i5,  n°  24.) 

(i)  Netninem  autem  esse  qui  nos  in  Jesara  per  totum  orbem  ter- 
rarum  credentes  exterreat,  et  in  servitutem  redigat,  in  promptu  est. 
Dure  enim  gladio  percutimor,  dum  crucifigimur,  dura  feris  tradiniur, 
et  vinctilis  et  igni  ,  et  omnibus  aliis  tormentis ,  a  confessione  ut  ma- 
nifeslum  est ,  non  discedimus  :  sed  quanto  magis  niagisque  talia  no- 
bis  inflignntnr,  eo  plures  alii  per  nomen  Jesn  fidèles  et  pii  fiunt; 
Qarmadiuodnm  vitis,  si  quis  partes  illias  ainputet  quae  fructum  fe- 
runt,  ita  proficit,  ut  alios  florentes  et  fructiferos  palmites  rnrsns 
proférât.  Idem  nobis  quoque  evenit.  (5.  Justin,  dial.  ciim  Tryph.y 
cap.  ex. ) 

Nam  sane  in  eccles'a  mirabile  est,  non  quod  vicerit  sed  quod  ita 
vicerit.  Impulsa  enim,  vexata,  innumeris  confusa  modis  ,  non  modo 
non  rainuebatnr,  sed  major  evadebat  :  et  eos  qui  id  faor-re  tentabant , 
patiendo  tandum  profligabat  j  id  quod  adamas  ferro  impetitus  facit, 
dura  percussns  tantum  solvit  percutienris  robur.  (5".  Joann.  Chry- 
sost.,  interp.  in  Isaiarn,   cap.   ii,  n°  2.) 

Ab  initio  in  sanctos  quoque  Israël  impii  sœvierunt  :  sed  ecclesia  . 
sive  in  juventute  sua,  sive  in  aetatp  majore,  sive  in  senectuie  ultimi 
saeculi ,  nullis  oppressionibas  ,  nullis  est  victa  suppliciis  ;  cuiqae  pas- 
siones  et  mortes  snorum  coronae  semper  triumphique  creverunt.  [S. 
Prosper,  Expos,  in  psalm.  cxxviir.^ 

(2)  Immo  vero  longe  majora  sunt  et  clariora  quœ  ab  illis  post- 
quam  bine  abiere  gesta  sunt.  Corn  enim  corpore  induti  inler  bomi- 
nes  versabantur,  modo  ad  hos,  modo  ad  illos  populos  accedebant; 
et  nunc  Romanos,  nunc  Hispanos  ant  Celsas  alloquebanlur.  Postquam 
vero  ad  illura  se  receperunt  a  quo  missi  fuerant  ,  omnes  ill.'s  continuo 
perfruuntur,  non  solutii  Romani ,  qnique  Romanoram  jugum  amant , 
et  ab  illis  gubeinantur,  sed  et  Persse,   et  Scythae  et  Massagetes,  et 


SCR    LA    RELIGION.  461 

l'édifice  sont  abattues  ,  et  l'écUlke  n'en  devient  que  plus 
solide.  De  leur  tombeau  sort  une  multitude  de  chré- 
tiens, qui  volent  au  même  martyre,  pour  devenir 
souvent  à  leur  tour  une  semence  de  nouveaux  cliré- 
tien^s.  Plus  on  en  massacre,  plus  il  s'en  forme (1).  Pour 
un  que  l'on  égorge,  mille  entourent  leséchafauds,  avides 
d'y  monter.  La  cruauté  des  tourments  est  l'attrait  qui 
fait  les  chrétiens.  Paul ,  de  persécuteur  ,  devenu  apôtre , 
trouve  une  multitude  d'imitateurs,  et  les  bourreaux 
eux-mêmes  souvent  ambitioiment  de  devenir  victimes. 
Ils  pourraient,  ces  hommes  que  l'on  place  entre  les 
récompenses,  s'ils  abjurent ,  et  une  mort  affreuse ,  s'ils 
persévèrent ,  détourner  d'un  seul  mot  ces  tortures  de 
leurs  tètes  (2j;  mais  c'est  à  les  subir  qu'ils  aspirent  (3). 


Sarmatce,  et  Indi  ,  et  .'Ethiopes  .  atqie,  ni  seinel  dicam,  omnes  fines 
terrae.    [Theod.,  serin,  vin,  de  ilJarrj-rfèus.) 

(r)   Nec  quidam  taraen  proHcit.  Exjuisitior  quippe  cndelitas  ves- 
tra  illecebra   est  magis  secîae.   Plares  efficimur,  qaoîies  nietimar  a  vo 
bis.  Semen  est  martyrum  sangms  chti^tianorarn.    (  TertuU.^   Apol.^ 
cap.  xLviic.  ) 

Nobii  aotem  sant  qaotidie  redondantes  martyrum  fontes,  qai  nos- 
tris  speclanfur  ocnlis,  qni  torrenlur,  torquentiir  et  capite  trancan- 
tnr.  (S.   Clemens  Alex.  Stroin.   lib.  u,  cap.  20.  ) 

Sclrans  enim  plnres  sacramenturam  divinoram  ignaros  exemplo 
martyrum  ad  martyrium  cucarrisse  ;  et  extra  scientiam  fidei  ante  vi- 
ventes  ,  facto  fidei  prsesentis  efloctos,  ipsam  illam  consamraatse  in 
martyrio  fidei  gloiiam  consecutos.  {S.  Hilar,^  Tract,  in  psalrn.  i.xv, 
n''  26.) 

Occisi  snnt  et  martyres  :  ad  multiplicandam  eccleaiam  valuit  sanc- 
Ins  sangnis  effnsas  :  seminationi  accessit  et  mors  martyrum.  (5.  An- 
gnst.^  Enarr.   in  psalm.  xl  ,  n°  i.) 

(2)  Eant  Romani  ,  et  Mntio  glorientnr,  ant  Regulo  ,  quorum  aller 
necandam  se  hostibns  tradidit  ,  quod  cap'ivum  jmdait  vivere,  alter 
ab  hostibus  deprehensos,  cam  videret  moneni  se  vitare  non  posse , 
manum  foco  injecit,  ut  pro  farinore  suo  satisfaceret  hosti  quem  vo- 
luerat  occidere ,  eaque  pœna  veniam  qoam  non  mernerat  accepit. 
Ecce  sexQS  iufirmus,  et  fragilis,  aeias  dilacerari  se  toto  corpore, 
urique  perpetitur,  non  necessitate,  quia  licel  ei  vitare  si  vellet,  sed 
volnnfate,   quia  ror»fidnnt  Deo.    [  ÏMctant.^  Inst.  Dii>.,   lib.   v,  cap'. 

''3)   Deniqne   com  omni   saevitia   veatra  concertamas,   etiam   ultru 


462  DISSERTATIONS 

Ils  pourraient,  ces  hommes  si  nombreux,  et  animés  d'un 
tel  mépris  de  la  vie,  opposant  la  force  à  la  violence, 


eiurapentes,  niagisque   damnati  qnam  absolatJ  gaadernus.  (  Tertul- 

liann.  ad  Scapulam  ^  cap.  i.) 

Majora  certaniina  majora  seqnantor  prsemia.  Crndelitas  vestra  glo- 

lia  est  nosira.   Vide  tantuin  ne  hoc  ipso  qaod  talia  sustineraus  ,    ad 

hoc  solam  videamur  eraropere,  ut  hoc  ipsum  probemos  nos  haec  non 

iirnere,  sed  nhro  vocare.  (  Ibid.    cap.  iv  et  v.  ) 

Ad  haec  dicimus  unara,  nobis  rationi  consentaneam  videri  ex  bac 

vita  exitum  ,  cum  scilicet  pietatis,  virtatisqne  causa  morimar.  (  Ori- 

gen.  contra  Celsum,  bb.  viii,  n    55.) 

Qaam  pnlcbiuin    spectaculurn  Deo   com    christianns   cara    doloie 

congreditur;  cum  adversus  rainas,  et  suppbcia  ,   et  turmenfa  compo- 

nilur;   cnm  strepitum  mortis  et  horroiem  carnificis  iriidens  insultât; 

cum  bbertatem  suara  adversos  reges  ac  principes  eripit,  sob  Deu  cn- 

jns  est  cedit  ;  cnm  triumphator  et  victor,  ipsi  qui  adversum  se  sen- 
tentiain  dixit,  insaltat.  Yicit  enini  qui  qaod  conlendit  obtinuit.  {Mi- 
nut.  Fel.   OcCav.^  cap.  sxxvir.  ) 

Que  qnidem  terapore  mirabilem  iraprimis  animi  ardorem  ,  vereque 
divinara  virtutem,  et  alaciitatem  eomm  qui  in  Christum  Dei  credi- 
deruiit ,  ocabs  nostris  conspeximus.  Etenira  vixdum  adversus  primes 
lata  erat  sentenlia,  cum  alii ,  alinnde  ad  tribunal  judicis  prosilierunt , 
christianos  sese  confessi.  Et  pericula  qnidem  cunctaque  multiforoinm 
tormentorom  gênera  paivi  dncebant.  Supremi  vero  omnium  numinis 
cnltnra  Lbera  voce  absque  nllo  iiietu  profiiebantur  ,  et  cum  gaudio 
et  bilariîate  ridenies,  capiiabm  senteiitiam  excipiebant  :  adeo  ut  in 
laudem  conditoris  omnium  Dei,  ptalmos ,  hymnosque  et  gratiarum 
acliones,  ad  exireraum  usqiie  s]-iii!um  concinerent.  (^Euseb.  Hist. 
Eccl.^  \\b.  vyi ,  cap.  g.) 

Teiilationum  autein  gênera  ul  diversas  raartyrum  victorias  con- 
tucntes,  scjmus  qnibus  ni.clis  anima  ponatar  advitam,  cujus  con- 
terap'.u  ,  detaevientibus  pœnarujn  ingeniis  ,  a  fidei  gressu  et  leslimonio 
non  moventur.  Alii  enim  in  vincnlis  carcerem  gloiiantnr,  a'ii  csesi 
in  verbeiibus  gralnlantur  ;  alii  potes! ati  irrebgiosorura  dcsecanda  fe- 
bcium  capitum  colia  submittont.  Plures  in  extrnctos  rogos  rurrunt, 
et  irepidaiitibus  paence  miuistiis  ignera  sabu  devotae  festinationis  in- 
sibunt.  Alii  in  profundnm  demergendi,  non  in  aquas  neraturas  ,  sed 
in  refrigeriura  aterna*  beatndiiiis  decidnnf ,  lo'o  ipso  se  coipore  Deo 
tanquain  holocausla  praebentes.  (S.  Hilar.,  Tract,  in  psalm.  lxv, 
n°  21.) 

Nunquara  nobis  am plias  contoleiunt ,  quam  cum  verber;ui  cLris- 
tjanos,  atqne  proscribi  ac  necan  juberent.  Prieiuium  fecii  leligK», 
qaod    peifidia  j  uîabaî    esse  suppiiciuii!.    Per  injurias,   j  er  inupiam , 


SUR    LA    RELIGION.  463 

faire  à  leur  tour  trembler  leurs  enuemis(l);  mais  un 
devoir  sacré  les  soumet  à  leurs  persécuteurs.  En  bravant 
le  fer  qui  les  frappe,  ils  respectent  la  main  qui  l'emploie. 
Sous  les  coups  de  leurs  tyrans  ils  ne  cessent  de  prier 
pour  eux ,  et  leurs  derniers  vœux  sont  encore  pour  la 
prospérité  de  leurs  bourreaux  (2). 

LVI.  Voilà  par  quel  moyen  s'est  établie  la  religion 
chrétienne;  c'est  de  persécution  en  persécution  qu'elle 
s'est  étendue  progressivement  sur  la  terre;  c'est  sous 
les  coups  que  du  trône  des  (césars  on  n'a  cessé  de  fairt 
tomber  sur  elle  pour  l'abattre  ,  qu'elle  s'est  continuelle- 


per  supplicia  nos  crevimas.  [S.  A-nbros.,  epist.  xvixi ,  Valentmia- 
no  ,  Do  1 1 .  ) 

Non  inviti  martvres  passi  sunt,  sed  sponte  ;  et  cam  pênes  illos 
esset  non  pati,  adamante  qaohbet  firmiorem  exhibuere  virtatem.  (S. 
Joann.  Chrysost.  in  epist.  primam  ad  Cor.,  Hornil.  iv,  n'^  4.) 

(i)  Quid  tamen  anqnana  denotastis  de  tam  conspiratis,  de  tan» 
anioiatis  ad  niortem  usrjue  pro  injuria  repensatum?  Qaando  vel  una 
nox  pauculis  faculis  largitor  nltionis  posset  opeiari,  si  raalum  malo 
dispnngi  pênes  nos  iiceret.  Sed  absit  nt,  aut  igni  humano  vindicelar 
divina  secta ,  aat  doleat  pati  in  quo  probatur.  Si  eniin  et  hostes  exer- 
tos,  non  tantom  vindices  occnltos  agere  vellemas,  deesset  nobis  vis 
nnmerornin  et  copiarum?  (  Tertull.  Apol.^  cap.  xxxvii.  ) 

Inde  est  quod  netno  nostram,  quaodo  apprehenditur,  relucîatur  ; 
nec  se  adsersns  injns'arn  violentiani  vestiam,  qnamvis  niniiUs ,  et  cu- 
piosas  noster  sit  populos,   nlciscitur.    {S.  Cyprian.  ad  Demetriam.) 

(î)  Inde  est  inaperatur,  nnde  et  hoino  anîeqaam  imperator.  Inde 
potestas  illi ,  unde  et  spiriius.  lUac  snscipienles  chri-tiani,  nianibas 
expansis  qnia  innocais,  capite  nado  qaia  non  einbesoimus,  deniqae 
sine  monitore,  quia  de  pectore  oraraus  pro  omnibus  iiuperatoribus 
vitam  illis  prolixam  ,  iinperiom  secnrum  ,  doinum  tntam  ,  esercita-, 
fortes,  senatnin  fidelem,  popalum  probnm,  orbera  qnietura,  et  qoae- 
cnmqne  bominis  et  Cœsaris  vota  sont —  S-.c  ita  nos  ad  Deam  ex- 
pansos  nngulae  fodiant,  cruces  snspendant ,  ignés  lanibant,  gladii 
gottura  detruncent,  bestiae  insiliant  :  paralus  est  ad  omne  suppli- 
ciam  babitns  orantis  christiani.  Hoc  agite  boni  praesiiies  :  extorquete 
animatn  Dec   sappHcantem   pro   iinperatore     (  Tertull.    Apol.,    cap. 

XXX.) 

Odiis  vestris  benevolentiam  reddimas  :  et  pro  loimenî:s  ac  snpplt- 
ciis  quae  nobis  iiiferuntur,  salutis  itinera  monstramas.  (5.  Cyprian. 
ad  Demetriati.  ) 


464  DISSERTATIONS 

ineiit  élevée  (1),  jusqu'à  ce  qu'enfin  elle  se  soit  assise 
sur  ce  trône  qui  voulait  l'écraser  (2).  Je  le  demande  à 
tout  lioniuie  doué  de  raison  :  est-ce  là  un  moyen  naturel 
de  propager  une  doctrine?  N'est-ce  pas,  au  contraire, 
le  moyeu  le  plus  puissant  pour  empêcher  une  doctrine 


(i)  Audiant  gentes,  anJiant  jadxi,  benefacta  nostra  andiant , 
inagnam  ecclesise  praeeminentiam.  A  qnam  maltis  oppagnata  est  ec- 
clesia,  nec  taiiien  victa!  Quot  tyranni,  quod  dnces,  qnot  imperato- 
res  ,  Angustiis,  Tiberius,  Gains,  Clautlius,  Nero ,  homines  litteris 
ornati,  potentes.  Tôt  raodis  oppugnarent  recentein  ac  teneram  :  at 
non  radicitus  sostulerunt.., .  Oppngnati  sont  audecim  discipnli  :  to* 
tas  orbis  oppngnabat.  Veruin  qui  oppagnabantor  vicerunt  :  qui  op- 
pugnabant  sablati  sunt.  Oves  devicere  lapos.  (S.  Joan/i.  Chrysost.^ 
in  illnd  vidi  Domitium  ,  Hom.  iv,  n"  3.) 

Fnndendo  sanguinem  et  patiendo,  magis  qnam  faciendo  contame- 
iias,  fundata  est  ecclesia.  Persecntionibus  crevit  :  martyiiis  conorata 
est.   (5.  Hieron.^  epist.  xxxix,  ad  Theophil.) 

Ubi  sunt  qui  dicebant  :  peieat  nomen  christianorum  de  terra.  Cerfe 
aut  moriuntur,  aut  convertaniur..,.  Cura  dicunt  ista,  partira  credi- 
derunt  ,  partira  perierunt ,  partim  timidi  remanserunt.  Qnanta  ira 
iniraicorara  stcviebat,  quando  sanguis  martyrnm  fnndebatur....  Ecce 
illi  qni  martyres  perseqnebantar ,  meraorias  martyram  inquirunt, 
(5.   Augustin.  Enarr.  in  psalm.  cxxxvii,  a°  14.) 

Ligabaniur,  inclndebantur,  caedebantnr,  torqaebantnr,  nrebaniar, 
laniabantur,  trucidabantar,  et  mii'tiplicabantur.  [Idem  ^  de  Civic.  Dei^ 
lîb.  I,  cap.   XIV,  n°  5.) 

Nec  ullo  crudelitatisgeTiere  destrai  potest  sacramento  crucis  Chrisli 
fnndàta  religio.  Non  minuitar  persecntionibns  ecclesia  :  sed  augetur  ; 
et  .seraper  dominions  ager  segeti  ditiori  vestitur,  dura  grana  qnae  sin- 
gula  cadunt  raultiplicala  nascuntur.  Unde  qno  ista  praeclara  divini 
seminis  germina  in  quanfani  sobolem  germinaiint ,  beatorum  niillia 
martyrûm  proseqauntnr;  qui  apostolicorum  aemuli  frinicpboruin  nr- 
bem  nostram  purpuratis,  et  longe  lateqae  rutilantibns  populis  am- 
bierunt,  et  quasi  maltarura  honore  gemmaram  conserto  une  diade- 
mate  coronarunt.  [S.  Léo,  serm.  lxx^x,  m  nat.  SS.  a-:ostoîoruin  Pé- 
tri et  Pauli,  cap.  6.) 

(2)  Quis  in  initio  nascentih  ecclesiae  crederet,  dam  contra  eam  ille 
indomilus  principatus  ferrae,  tôt  minis  et  cruciatibns  saeviret,  qu>a 
rhinocéros  ille  Deo  sementem  redderet;  id  est  acceptam  prsedicatio- 
nis  verbum  operibas  repensaret...  Ecce  enim  modo  pro  ecclesia  le- 
ges  promnlgat,  qui  dudujn  contra  eam  per  varia  tormenta  saeviebat. 
(  S.  Gregor.  ?lagn.,  Moral. ^  lib.  xxxi,  cap.   7,  n°  9.  ) 


SÛR    LA    RELIGION.  465 

qui  serait  purement  humaine^  de  se  répandre (1)?  Que 
l'on  nous  cite  une  autre  doctrine  qui  se  soit  agrandie  de 
même  par  les  efforts  qu'on  faisait  pour  la  réprimer  (2). 
La  nature  de  la  chose ,  l'expérience ,  tout  démontre 
que  le  christianisme  n'aurait  pas  pu  se  fonder,  s'affermir, 
s'étendre  dans  les  violentes  persécutions  qu'on  lui  a  fait 
éprouver,  s'il  n'avait  eu  d'autre  appui  que  les  causes 
naturelles.  La  force  humaine  employée  contre  lui ,  étant 
la  plus  puissante  qui  existe,  aucune  autre  force  hu- 
maine n'aurait  pu  le  défendre  et  le  conserver. 

ARTICLE    VI. 

Résultai  et  confirmation  des  articles  précédents. 

LYIL  Telle  est  donc,  ainsi  que  nous  venons  de  le. 
voir,  la  religion,  dont  nous  soutenons  la  vérité  ,  et  dont 
nous  disons  que  l'établissement  même  prouve  la  divi- 
nité. C'est  une  religion  regardée  comme  nouvelle ,  qui 
fait  disparai tre  tout  ce  que  faisait  révérer  une  antiquité 
immémoriale.  C'est  une  religion ,  ennemie  de  toutes  les 
autres  ,   qui  les  attaque  sans  ménagement  et  les  abat 


(i)  Sed  et  chrislianos  qaod  bpf^ctat,  senatuni  roniannni,  impeia- 
lores  diverbis  temponbus ,  milites,  popalos;  ij.sos  eorum  qui  crede- 
Lant  parentes,  in  eorum  doctrinam  conspirasse,  ut  tut  nndique  ho^- 
linm  insidiis  tii  canivaliata ,  haud  dubie  oppressa  fQis>et ,  nisi  diviffa 
virtatc  snsfentaia,  non  modo  evasisset  alque  tMuersisset ,  sed  etiam 
orbera  anivoisuin  vicisset  in  se  conjnratam.  [On'gen.  contra  Celsuin, 
iib.  I,  n"  3.) 

(2)  Et  graecam  qaidem  philosophiam  ,  si  qaivis  magistratus  pro- 
hibuerit,  ea  statini  per.t.  Nostram  autem  doctrinam  a  prima  usqne 
praedicatione  prohibent  simul ,  reges  et  tyranni,  et  siiiguli  duces,  et 
magistratus  cum  aniversis  sateUitibus,  et  innamerabilibns  etiam  ho- 
minibus  in  nos  belb'gerantes ,  nosqae  pro  vinbus  ex(indere  conantes. 
111a  antem  mngis  eti;im  fluret.  IS'on  pnim  emoritur  ut  doctiina  buma- 
na ,  ncqne  flacessit  ut  dunum  imbecillnm  (nullura  enim  Dei  donuiii 
est  irabecillom.)  Manet  aniem  hojasmudi ,  nt  probiberi  neqnest;  cnm 
praedictam  sit  tore  ut  ea  perpetno  patialur  perseccsionen:.  (5.  Clem. 
yilex.^  Strom.^  !ib.  vi,  cap.   i8.  ) 

20* 


466  DISSERTATIONS 

sans  retour.  C'est  une  religion  qui  fait  croire  des  dogme» 
qui  paraissent  à  la  raison  une  folie  ,  et  qui ,  rompant  des 
attachements  invétérés  et  généralement  regardés  comme 
légitimes,  fait  chérir  et  pratiquer  ce  qui  répugne  le 
plus  à  la  nature.  C'est  une  religion  qui  humilie  ,  sous 
la  foi  des  mystères  incompréhensibles  ,  l'orgueil  philo- 
sophique jaloux  de  tout  soumettre  à  ses  lumières.  C'est 
une  religion  qui  renverse  tous  les  autels  cimentés  par 
l'éducation,  par  l'habitude,  par  la  politique,  abat 
toutes  les  idoles,  et  sur  leurs  débris  dispersés  élève  un 
gibet,  et  fait  adorer  celui  qui  y  est  suspendu.  C'est  une 
rehgion  qui ,  dissipant  toutes  les  fictions ,  abohssant 
toutes  les  fêtes  dont  l'imagination  publique  était  en- 
chantée 5  y  fait  substituer  des  dogmes  austères  et  un 
culte  spirituel.  C'est  une  religion  qui  fait  adopter  la 
morale  la  plus  sévère  qu'aucun  siècle  eût  connue  ,  au 
siècle  le  plus  corrompu  qui  fut  jamais,  et  qui,  à  des 
peuples  dont  le  bonheur  consistait  dans  l'usage  immo- 
déré des  passions ,  fait  abjurer  toutes  les  passions.  C'est 
une  religion  qui,  avant  de  convertir  le  monde  entier, 
commence  par  transformer  ceux  mêmes  qui  l'annon- 
cent ;  qui ,  d'hommes  timides  jusqu'à  la  lâcheté  fait  des 
héros  de  la  plus  extraordinaire  intrépidité,  et  de  pécheurs 
ignorants  et  grossiers  ,  des  orateurs  dont  les  discours  ont 
le  succès  le  plus  rapide  et  le  plus  universel  qu'on  ait  vu. 
C'est  une  religion  qui  inspire  à  ceux  qui  la  prêchent  le 
mépris  de  la  vie  et  l'ardeur  de  répandre  leur  sang, 
comme  en  effet  ils  finissent  par  le  répandre ,  pour  la 
soutenir  et  la  défendre  ;  qui  fait  passer  le  même  enthou- 
siasme à  tous  ceux  qui  la  reçoivent ,  et  le  transmet  de 
génération  en  génération  à  tous  ses  prosélytes  pendant 
plusieurs  siècles.  C'est  une  religion  que  les  persécutions 
les  plus  violentes  ,  les  plus  soutenues  ,  presque  non 
interrompues  pendant  une  suite  de  deux  cent  cinquante 
ans,  non -seulement  n'abattent  pas,  non-seulement 
ii'arrêtent  pas  dans  son  progrès  ,  mais  semblent  au 
contraire  propager;  qui,  à  mesure  qu'on  inimoie  de  ses 
disciples,  en  acquiert  sans  cesse  de  nouveaux  en  plus 


SUR   L\    RELIGION.  467 

grand  nombre;  et  qui ,  à  force  d'être  contrariée,  vexée, 
tourmentée  ,  finit  par  devenir  la  religion  du  genre 
humain. 

Il  faut  nécessairement  dire  de  trois  choses  l'une: 
ou  que  la  propagation  de  cette  religion  s'est  opérée  sans 
cause  suffisante,  et  uniquement  par  le  hasard,  ou 
qu'elle  a  été  produite  par  une  cause  naturelle  ,  ou  enfin 
qu'elle  est  due  à  la  puissance  surnaturelle  de  Dieu. 

LYlIl.  Dire  que  l'établissement  de  la  religion  n'a 
point  eu  de  cause  serait  une  absurdité  grossière.  Il 
n'existe  point  dans  la  nature  d'effet  sans  cause.  Le 
hasard  n'est  rien;  c'est  un  mot  inventé  par  notre  amour- 
propre,  pour  voiler  notre  ignorance  sur  l'origine  des 
choses  (1).  Que  ceux  qui  voudraient  soutenir  ce  ridicule 
système,  nous  expliquent  comment  le  hasard  aurait 
pu  produire  un  effet  aussi  prodigieux  ,  aussi  universel, 
et  engager  la  totalité  des  hommes  au  sacrifice  de  leurs 
opinions,  de  leurs  lumières,  de  leurs  goiits,  de  leurs 
affections ,  de  leurs  plaisirs ,  de  leurs  intérêts ,  de  leur 
honneur  ,  de  leur  religion,  de  leur  vie. 

LIX.  Si  on  aime  mieux  soutenir  que  c'est  une  cause 
naturelle  qui  a  produit  la  diffusion  du  christianisme , 
il.  faut  la  nommer.  Cette  cause  n'aurait  pu  employer 
que  des  moyens  de  deux  sortes,  ou  de  persuasion,  ou 
de  violence.  Nous  venons  d'examiner  les  moyens  de  l'un 
et  de  Tautre  genre,  et  de  voir  que  non-seulement  ils 
n'ont  pas  concouru  à  l'établissement  de  notre  religion  , 
mais  qu'au  contraire  tous,  sans  exception,  ont  été  des 


(r)  Fortuna  er^'o  per  se  r-ihil  est,  nec  sic  habendum  est,  tanquaru 
sit  in  aliqno  sensu.  Si  quidam  fortuna  est  accidentiuni  reruni  fort  ni 
tus  atqae  inopinatas  evenlus.  Yerum  philosophi  nequando  nun  errent 
in  re  sulfa  voiunt  esse  sapienfes  ,  qui  forlunae  sexiira  mutant,  eara- 
que  non  deam  ,  sicut  vulgus.  srd  deuin  esse  dicunt  Eanidem  tamen 
interdara  naluram,  inferdum  forlonam  vocant.  Quod  mnlta  ,  inquit 
Cicero,  effici  ut  mopinata  nohis  ^  propter  obscuntatein  ignorantiam- 
que  causaruin.  Cuni  igilur  causas  ijjnorent  propler  qaas  Oat  aliquid  , 
er  ip>nm  qni  facial  ignorent  neces-e  fS).  (/Mctniit.,  D.vin.  îiistit., 
Ib.  ni,  cap.  29.  ) 


46S  DISSERTATIONS 

obstacles  que  la  religion  a  été  obligée  de  surmonter 
pour  s'établir. 

LX.  Il  reste  donc ,  et  c'est  la  conséquence  nécessaire 
de  tout  ce  que  nous  avons  démontré,  que  le  christianisme 
ait  été  propagé  par  une  force  divine,  qui  ait  dissipé 
toutes  les  difficultés  qui  s'y  opposaient  (1). 

Cette  conséquence  est  encore  confirmée  par  diverses 
considérations  importantes. 


(i)  Neque  enim  gentes  quae  erant  aliénée  a  testiinonio  Dei  et  con- 
vcTsatione  Israël  crcdeie  poierant  evangelio ,  nisi  per  graiiam  quae 
apostolis  fueiat  data  ,  per  quain  praedicantibus  apostolis  in  fidem  obe- 
dire  dciliM,  et  in  oninem  lerram  de  nomine  Chiisti  sonus  gratia?  eo - 
ram  comnieraoratnr  exisse.  {Orig.  in  epist.  ad  Rom. ^  lib.  i,  ii°  7.) 

Sed  nescio  an  hoino  ansus  per  nniversum  orbem  suam  religionem  , 
doctiinamrjue  saam  disseminare,  posset  sine  Deo  facere  oiunia  pro 
arbitrio  ,  snperareqae  eos  onines  qui  suae  doctrinae  promulgationi  ad- 
versarentur,  reges  ,  iinperatores  ,  senatani  romatiam  ,  omnes  omnîura 
gentiuin  principes,  popalom.  Quomodo  aatem  et  ho;niiiis  natnra  ni- 
hil  habens  in  seipsa  praestantius  posset  tantae  muliitudinis  animos 
immatare,  nec  tantiim  sapienlium ,  quod.  miruin  esset,  sed  eoram 
etiam  qui  nalla  ratione  ducuntar,  qui  vitiis  dediti  sunt  ,  qaique  eo 
difficilins  ad  continentiam  adducuntur,  qoominus  rationi  snnt  obse- 
qaentes.  Quoniam  vero  Christus  erat,  et  Dei  virlus  et  Patris  sapien- 
tia  ,  haec  omnia  fecit ,  et  etiam  nunc  facit.  [Idem,  contra  Celsum  ,  hb. 
ir,n°79.) 

Atque  in  principio  qQideni  ex  uno  lunlti  nati  snnt,  cam  lege  na- 
tiirae  cresceret  muhiludo  :  et  ideo  res  tardius  processit.  lempore  aa 
tem  apostoloiam,  non  lege  naiurae  ,  sed  gratia  crescebat  multitudo  : 
et  ideo  uria  slatim,  deinde  tria  rnillia  ,  deinde  quinque  miUia,  dendie 
innnmerabiles  ,  deinde  nniversos  orbis  terrae,  per  pnlchraiu  banc  re- 
generationem  edidit,  ancîi  sont  et  innliiplicati  snnt,  et  qnam  acce- 
perant  benedictionem  Tactis  ipsis  ostenderunt.  (5.  Joann.  Chrjs.^  Ex- 
pos, in  p salin,  cxlvii,  n**  4.) 

Divina  quinpe  virtus  erat,  qaae  baec  omnia  operabarnr  apnd  uni- 
versos.  Eieniui  si  non  ita  se  res  habuisset ,  quomodo  publicanns, 
piscator,  et  illiteratus,  ha?c  potui.ssent  philosojihari  ?  Quœ  enim  ne 
per  somr.iom  quidem  caeteri  imaginari  potueraut  ;  bœc  cum  autori- 
tale  magna  bi  annnntiant  et  suadent,  idque  non  solum  in  vivis  agen- 
tes,  sed  eiiam  defancli;  non  duobus  vel  vigenfi  bominibus,  non 
tenlenis  vel  m. lien  s,  \el  decies  milienis;  sed  urbibus ,  gcnlibus,po- 
pobs,  lerrae  m;iriqae  ,  Grasv^iae^  baibsrcram  regionibiis,  orbi  et  de- 
sertis  :  idque  rnm  de  scripsis  ageretur  naïuiani  nttti.-im  admodcm 
exsuperanîibus.  {Idem.,  in  Matth.^  proœmiam,  Hom    I,    n°  4.  ) 


SUR   LA    RELIGION.  469 

LXI.  J'ai  dit  qu'aucune  cause  naturelle  n'a  influé 
sur  rétablissement  de  notre  religion;  mais  je  puis  aller 
plus  loin,  et  prétendre  qu'il  n'y  a  pas  de  causes  natu- 
relles qui  puissent  établir  aussi  universellement  une 
religion  quelconque,  qui  ne  serait  pas  véritable.  Que 
les  athées  ,  les  déistes ,  tous  les  ennemis  de  la  foi 
cherchent  dans  les  ressources  de  la  plus  habile  politique 
les  moyens  correspondants  à  une  telle  entreprise;  qu'ils 
trouvent  dans  la  nature  des  choses ,  des  causes  qui 
agissent  à  la  fois  dans  les  régions  les  plus  éloignées , 
et  les  plus  diverses  de  coutumes  et  de  mœurs  ,  comme 
de  climats;  dont  le  temps  n'affaiblisse  point  l'influence  ; 
qui  aient  un  égal  empire  sur  tous  les  âges  ,  sur  tous  les 
sexes ,  sur  toutes  les  conditions ,  sur  tous  les  esprits , 
sur  tous  les  caractères  ;  et  qui ,  à  une  universalité  aussi 
étendue  ,  joignent  une  force  assez  puissante  pour  déter- 
miner à  tous  les  sacrifices  qu'exige  le  passage  d'une 
religion  à  une  autre.  Qu'ils  appliquent  ces  moyens  à  la 
religion  qu'ils  auront  inventée.  Tous  ceux  qu'ils  auront 
pu  imaginer  se  réduiront,  comme  je  le  disais  il  n'y  a 
qu'un  moment  ,  à  la  force  ou  à  la  persuasion.  Les 
moyens  de  force  pécheront  toujours  en  deux  points  : 
ils  ne  pourront  avoir  ni  l'universalité  ,  ni  la  continuité 
nécessaire.  Ce  qu'ordonnera  le  souverain  d'un  pays , 
celui  d'une  autre  nation  le  défendra.  En  admettant 
qu'ils  se  soient  accordés  sur  le  fond  de  la  doctrine , 
ils  ne  tarderont  pas  à  varier  dans  les  détails  ;  et  bientôt 
la  religion  ne  sera  pas  la  même  dans  les  diverses 
régions.  Peut-on  se  flatter  aussi  que  pendant  plusieurs 
siècles  toutes  les  autorités  qui  se  succéderont ,  auront 
les  mêmes  principes ,  mettront  le  même  zèle  à  main- 
tenir ,  à  propager  une  religion  qu'elles  sauront  être 
fausse?  Pour  soutenir  cette  hypothèse,  que  la  force 
publique  peut  faire  recevoir  une  doctrine  religieuse, 
comme  a  été  reçue  la  foi  chrétienne,  il  faut  supposer, 
ce  qu'il  est  raisonnable  d'imaginer,  un  concert  unanime, 
d'abord  de  tous  les  souverains,  ensuite  de  tous  leurs 
successeurs,  après   cela  continué    pendant  deux    cent 


470  DISSERTATIONS 

cinquante  ans ,  enfin  soutenu  constamment  sur  tous  les 
mêmes  points.  Les  moyens  de  persuasion  pèchent  par 
leur  faiblesse.  Quelque  génie  que  vous  accordiez  à  un 
philosophe  ,  à  un  orateur,  ses  discours  manqueront 
toujours  d'autorité.  Ses  auditeurs  se  croyant ,  et  étant 
véritablement  en  droit  de  juger  ses  raisonnements , 
n'en  adopteront  que  ce  qu'il  leur  plaira  ;  et  c'est  une 
des  causes  principales,  comme  l'observe  Lactance,  qui 
empêchait  les  enseignements  des  plus  grands  philo- 
sophes d'acquérir  l'universalité  (1).  Mais  d'ailleurs,  de 
quelque  art,  de  quelque  éloquence  qu'on  enveloppe  une 
erreur  ,  peut-on  croire  que  ,  dans  tout  le  genre  humain , 
il  ne  se  trouvera  pas  des  hommes  éclairés  qui  la  décou- 
vriront ,  et  la  feront  apercevoir  aux  autres?  Il  n'y  a  que 
celui  dont  l'autorité  sur  le  genre  humain  est  universelle 
et  toute  puissante  ,  qui  ait  la  force  de  lui  faire  recevoir 
sa  doctrine.  Il  n'y  a  que  celui  qui  peut  inspirer  la  foi , 
qui  ait  le  moyen  de  la  persuader  à  tous  les  hommes. 

LXII.  Nous  avons  un  exemple  sensible  de  cette 
impuissance  des  moyens  humains  à  étabhr  une  religion 
universelle  et  uniforme.  L'idolâtrie,  parce  qu'elle  flattait 
les  sens,  parce  qu'elle  amusait  l'imagination,  parce 
qu'elle  favorisait  les  passions,  était  généralement  ré- 
pandue ;  mais  ce  n'était  pas  une  seule  et  même  religion. 
L'idolâtrie  des  Grecs ,  celle  des  Egyptiens ,  celle  des 
Chaldéens ,  celle  des  Perses  ,  celle  des  Indiens ,  celle  des 
Gaulois  ,  celle  des  peuples  du  nord  ,  n'étaient  pas  les 
mêmes.  C'étaient,  chez  ces  différents  peuples,  divers 
dieux,  divers  dogmes,  diveis  cultes,  Rome  reçut  à  la 
fin  toutes  les  divinités  des  pays  qu'elle  avait  conquis  ; 
mais  elle  ne  força  pas  les  peuples  à  recevoir  cet  amas  de 
dieux.   Toutes  ces  religions  continuèrent  de  différer  et 


(i)  Quid  igitur?  Niliilne  illi  s^mile  praecipiunt?  îmmô  per  multa , 
et  ad  veruin  fréquenter  accedunt.  Sed  nihil  ponderis  habent  ista  prae- 
cepta  ;  quia  suât  liumana,  et  ;iutoritafe  luajori,  id  est  divini  illa  carent. 
Nemo  gitur  crédit  :  quia  tam  se  honiinem  putat  esse,  quam  est  ille  qui 
praecipit    {Laclant.^  Div.  Inst,  lib.  III,  cap.  26.) 


SUR    LA    RELIGION.  471 

d'objets  et  de  principes,  jusqu'à  ce  que  toutes  les  idoles 
étant  renversées ,  et  Jésus-Cluist  ayant  pris  leur  place 
sur  les  autels ,  sa  religion  fût  devenue  celle  du  monde. 

LXIII.  L'auteur  de  VEspril  des  Lois  avance  qu'hu- 
mainement parlant ,  le  climat  met  des  bornes  à  la 
religion  (1).  Je  n'examLne  pas  ici  si  ce  principe  est  véri- 
table ;  mais  je  crois  pouvoir  m'en  servir  contre  les 
incrédules,  qui  regardent  cet  écrivain  comme  un  de 
leurs  coryphées,  et  dont  plusieurs  ont,  d'après  son 
autorité,  répété  la  même  maxime  et  sans  les  menées 
ménagements.  Si  le  climat  met  humainement  des  bornes 
à  la  religion,  c'est  donc  une  puissance  surhumaine  qui 
a  fondé  et  propagé  la  religion  à  laquelle  la  force  du 
climat  n'a  pas  pu  mettre  de  bornes,  qui  s'est  étendue 
de  l'un  à  l'autre  pôle  ,  dans  les  nations  brûlées  du  soleil 
du  midi ,  connue  parmi  les  peuples  qui  vivent  dans  les 
glaces  du  nord. 

LXiy.  "  Le  christianisme  était  prêché  en  même 
«  temps  aux  juifs  et  aux  gentils.  S'il  n'eût  trouvé  de 
«  sectateurs  que  parmi  les  juifs  ,  on  ne  manquerait  pas 
«  de  rejeter  le  succès  sur  l'ignorance,  la  crédulité,  la 
«  superstition  ,  si  souvent  reprochées  à  cette  nation  par 
«  les  écrivains  profanes.  S'il  n'eût  été  embrassé  que  par 
«  des  Grecs  et  des  Romains ,  on  pourrait  se  défier  d'une 
u  opinion  qui  se  serait  formée  loin  du  théâtre  des 
«  événements.  Mais  que  répondre  au  suflVage  réuni  des 
<«   compatriotes  et  des  étrangers  (2j?    < 

LXy.  Le  christianisme,  dans  ses  premiers  temps, 
a  été  embrassé  par  des  hommes  de  tout  rang  et  de 
toute  condition,  par  des  savants  et  par  des  ignorants. 
Nous  avons  prouvé  cette  vérité  (3).  S'il  n'eût  été  ,  comme 
Tout  dit  quelques  incrédules  ,  adopté  que  par  la  lie  du 


(r)  Esprit  des  lois,  1  v.  xxiv,  chap.  26. 

(2)  Démonstration  évangelique  par  'M.  Duvoisin,  cinqxiiême  édiiion, 
page  178. 

(3)  Voyez    deuxièiue    Dissertation,     [art.    2,  cLap.  iv,   n"    xxtv, 
page  3 80. 


472  DISSERTATIONS 

peuple  ,  cela  donnerait  du  poids  à  leur  objection ,  qu'on 
a  pu  aisément  trouiper  des  hommes  crédules  et  inca- 
pables d'examen.  S'il  n'avait  eu  de  prosélytes  que  dans 
la  classe  des  Lommes  éclairés,  on  prétendrait,  avec 
quelques  autres  incrédules,  que  des  honmies  qui  recon- 
naissaient l'absurdité  du  papanisme  avaient  été  facile- 
ment amenés  à  une  autre  religion.  Mais  le  cliristianisme 
ayant  triomphé  des  préjugés  des  unes  et  des  lumières 
des  autres,  est  évidemment  au-dessus  de  ces  vaines 
difficultés. 

LXVI.  Pour  se  donner  le  droit  de  ne  pas  croire 
la  religion,  les  incrédules  réchauffent  les  difficultés  de 
ses  anciens  ennemis,  de  Celse,  de  Porphyre,  etc.  Com- 
ment ue  sentent-ils  pas  que  l'établissement  merveilleux 
de  cette  religion  retourne  contre  eux  leurs  objections? 
C'est  malgré  leurs  sophismes  ,  leurs  subtilités ,  leurs 
railleries,  que  l'univers  s'est  soumis  à  la  foi.  Tous  ces 
arguments  que  faisaient  alors  valoir  les  préjugés ,  les 
intérêts,  les  passions,  ont  été  connus  et  pesés  dans  la 
balance  d'une  raison  intéressée  à  les  adopter.  Le  genre 
humain  a  prononcé  ,  malgré  les  sacrifices  auxquels  il  se 
dévouait,  que  tous  ces  raisonnements  étaient  vains  et 
frivoles.  Il  a  rendu  cet  arrêt  solennel ,  lorsque  les  laits, 
aujourd'hui  contestés,  étaient  encore  tout  récents,  et 
pouvaient  facilement  être  vérifiés.  11  l'a  donc  rendu , 
il  n'a  pu  le  rendre  que  dans  la  plus  entière  connaissance 
de  cause  et  forcé  par  l'évidence.  Toutes  ces  raisons  , 
qu'on  reproduit  aujourd'hui,  ont  fait  partie  des  obs- 
tacles que  la  foi  a  surmontés.  On  lui  oppose  des  ennemis 
qu'elle  a  depuis  longtemps  terrassés. 

Aucune  cause  naturelle  u'a  établi  et  n'aurait  pu 
établir  le  christianisme.  Quels  sont  donc,  demandera- 
t-on  ,  les  moyens  surnaturels  qui  l'ont  répandu  ?  Je 
pourrais  ne  pas  répondre  à  cette  question  ,  et  de  ce  que 
aucune  cause  humaine  n'a  opéré  ce  grand  événement , 
conclure  avec  certitude  qu'il  est  évidemment  l'œuvre 
de  la  puissance  surnaturelle.  Mais  ne  nous  arrêtons  pas 
à  ce  point  ;  montrons  par  quels  moyens  la  propagation 


SUR    L\    RELIGION.  473 

de  la  religion  a  été  opérée.  J'en  remarque  deux  tout 
divins  :  l'influence  intérieure  du  Saint-Esprit,  et  la 
force  extérieure  des  miracles. 

LXVII.  En  premier  lieu ,  tout  homme  qui  n'est 
pas  athée  est  obligé  de  convenir  que  Dieu  possède, 
dans  les  trésors  de  sa  puissance  et  de  sa  sagesse ,  toutes 
les  grâces  propres  à  l'avancement  de  sa  religion;  et  que, 
lorsqu'il  daigne  dicter  aux  hommes  une  loi,  il  peut, 
par  ses  inspirations,  donner  la  grâce  de  force  à  ceux 
qu'il  charge  de  la  publier ,  la  grâce  de  docihté  à  ceux 
devant  qui  il  ordonne  de  la  prêcher.  Aucun  pouvoir  ne 
manque  au  Tout-  Puissant.  S'il  était  dans  l'impuissance 
d'influer  intérieurement  sur  les  cœurs,  il  ne  serait  pas 
Dieu.  La  question  est  donc  de  savoir  si  Dieu  a  fait 
usage  de  ce  pouvoir  pour  établir  la  religion  chré- 
tienne (1).  Mais  pouvons-nous  en  douter,  quand,  d'une 
part,  nous  entendons  Jésus-Christ  dire  à  ses  apôtres, 
à  plusieurs  reprises,  que  ce  sera  par  la  vertu  du  Saint- 
Esprit  qu'ils  agiront (2),  et  ses  apôtres  répéter,  d'après 


(r)  Pliarisaei  stupent  ad  ductrinam  Domini  ;  et  mirantur  in  Petro  et 
Joanne  quoinodo  legem  sciant ,  cam  litteras  non  didicerint.  Quidqnid 
enim  aliis  exercitatio,  et  quotidiana  in  lege  meditatio,  tribuere  solet , 
illis  Spiritus  sanctoâ  soggerebat.  (S.  Hieron. ,  epist.  i,  ad  Paulin am 
secunda.) 

Ipse  enim  est  qai  Spiritu  sancto  ditavit  corda  paupemm ,  et  exina- 
nitas  animas  conlitendo  peccata  implevit  opnlentia  ju^titiae  :  qui  potnit 
divitem  facere  piscatorem  ,  dimittendo  retia  sua,  quôdhabebat  contem- 
nentem,  qnod  non  babebat  baurientem.  Infirma  enim  elegit  Deus,  ut 
confunderet  fortia;  et  non  de  oratore  piscatorem,  sed  de  piscatore 
lacratus  est  oratorem.  (R.  Angust.,  Enar.  in  psalm.  xxxvi,  serm.  2  , 
n"  24.) 

(2)  Voyez  ci-dessus,  notes  ,  page  44 1- 

Ecce  ego  vobscum  sara  om.nibas  diebus  nsque  ad  consummationem 
secnli.  (Matth.  xxxvar,  20.) 

Ecce  ego  luitto  promissum  Patris  mei  in  vos.  Vos  autem  sedete  in 
civitate,  quoadasqne  induamini  virtute  ex  alto.   {Liic.  xxtv,  49.) 

Ego  ro;:aljo  Patrem  ,  et  aliura  Paracletum  dabit  vobis,  ut  maneat 
vobiscum  in  aetemum.  (Joann.  xrv,    16.^ 

Expedit  vobis  ut  ego  vadam  :  si  enim  non  abiero,  Paracletus  non 
veniet  ad  vos  :  si  autem  abiero,  mittam  illum  ad  vos....  Cùm  autem 


474  DISSERTATIONS 

sa  parole,  que  c'est  le  Saint-Esprit  qui  agit  dans  eux(l^; 
et  quand ,  de  l'autre ,  nous  voyons  la  prédiction  du 
maître  et  l'assertion  des  disciples  suivies  d'un  eflet  qui 
cadre  si  parfaitement?  Rappelons-nous  les  preuves  qui 
ont  été  données  dans  la  Dissertation  précédente  ,  du 
grand  miracle  de  la  descente  du  Saint-Esprit,  et  des 
miracles  qui  la  suivirent  immédiatement.  Le  miracle 
de  l'établissement  de  la  religion  en  est  la  continuation; 
c'est  la  même  cause  qui ,  agissant  sans  interruption  . 
ne  cesse  de  produire  son  effet.  Pour  attribuer  la  con- 
version du  monde  à  un  autre  principe,  il  faut  de  deux 
choses  l'une  :  ou  nier  que  les  apôtres  aient  rapporté 
cette  promesse  de  leur  maître,  et  annoncé  que  c'était 
d'après  son  exécution  qu'ils  agissaient ,  et  ce  serait 
contredire  l'authenticité  du  Nouveau  Testament,  qui 
a  été  démontrée  dans  la  première  Dissertation  ;  ou 
soutenir  que  les  apôtres,  en  produisant  publiquement 
ces  déclarations  ,  se  sont  trompés  ,  et  que  c'est  par 
leurs  propres  forces  qu'ils  ont  produit  un  effet  tellement 
hors  de  proportion  avec  leurs  forces^  et  ce  serait  une 
absurdité. 

LXVIII.  En  second  lieu,  nous  avons,  dans  la  pré- 
cédente Dissertation  (2)  ,  démontré  la  réalité  des  mi- 
racles que  les  apôtres  disaient  avoir  été  opérés  par 
Jésus-Christ,  et  de  ceux  que ,  dans  le  cours  de  leur 
prédication ,  ils  opéraient  eux-mêmes.  Ici  nous  en 
voyons  l'effet  (3).  S'ils  ont  été  crus  ,  ils  ont  dû  produire 


venerit  ille  Spiiitus  veritatis ,  docebit  vos  omnem  veritatem.  (Joann.  xvi, 

Accipietis  virtutem  Spritus  sancti  in  vos.  [yfct.  i,  8.) 

(i)  Voyez  deuxième  Diss.,  partie  2  eh.  m,  n"  vi.notes  4  et  5,  p,  829. 

(2)  Yoyezmème  D.ssert. ,  n'^ii,  page   i38  et  suiv. 

(3)  Apostoloram  etiam  qaos  ad  prujuulg.uidum  evangeliuin  misit 
Jésus  peregrinationem  par  univer.-um  orbem  consideranfi,  res  huma- 
nis  viiibns  major  suscepta  Dei  jussu  videbirnr,  et  si  perpendamas 
quo  p;icio  boiiiines  iiuvam  doclrinaiu ,  peregiinosque  sei moues  au- 
dientes,  ad  apo'tolos  se  se  applicaerint ,  et  quomt-do  vuluntatem  illis 
insidiaiidi    posuerint,  divina   quadam  victi  potesiate,  quae  eorum  sa- 


SUR    LA    RELIGION.  475 

une  grande  sensation;  et,  réciproquement^  si,  à  la 
suite  de  la  publication  de  ces  miracles,  on  voit  une 
grande  révolution  survenue  dans  le  monde  ,  il  est 
certain  qu'ils    ont  été   crus.   Mais    deux    autres   vérités 


lali  consulebat  ,  nuUi  dubitabimus  eos  miracula  quoque  edidisse  ,  sei- 
ruonibus  ipsuram  testiinuniuin  reddente  Deo  per  signa  et  prodigia , 
et  varias    virtotcs.  (  Or/^. ,  de  trincipiis ,  lib.  iv,  n°  5.) 

Ad  hsec  coraïuemorat  David  quomodo  praevalaeiint  a])Ostoli  di- 
cens  :  Do/ninus  dabit  verbum  evangelizantibus  virtuCe  multa.  Non 
eriim  ariuis  ,  non  ppcunia  ,  non  roboie  corporis,  non  exercilaum  co- 
piis,  neqne  alio  simili  modo  supetaruiit;  sed  veibo  biniplici  et  mul- 
tam  habente  vinutem  ,  niiratulorum  neinpe  ostentom.  Crnciiixurn 
eiiim  pracdicantes  ,  et  miia(ulj  patranfes  ,  sic  oi  beni  subegetnnf. 
Ideu  ait  :  Dominus  dabit  verbum  evangelizantibus  virtute  muUa,  sic 
miiacula  vucans.  Nam  ineffiibilis  virtuserat  piscatorem  ,  publicanuoi  , 
tentorioiuiij  opiiiccm,  fcolo  praecepto  moitoos  suscilaie ,  daemones 
expellere,  mortem  abigere  ,  pbibjsophorum  liuguam  lefienare,  iheto- 
ram  ora  consaeie,  reges  ac  principes  vinceie  ,  bari>ai°is,  graecis,  ûin- 
nique  naùoni  iinperare.  Et  apposile  .••ic  locutus  est.  IS'atu  haec  oinnia 
verbo  illo  perfecernnt  ;  et  virtute  mulra  mortuosin  vivos  inntarunt  , 
peccatores  in  justos  ,  caecos  in  videntes ,  niorbos  natotae  et  aniiuae 
neqaiiiain  expellentes.  (5.  Joann.  Chrjsost.  ^  Quod  Chrisius  sit  Deus^ 
n°  5.  ) 

Jani  ergo  tiia  snnt  incredibilia  quae  tamen  facta  sont.  Incredibile 
est  Christnm  resurrexisse  in  ca. ne,  et  in  cœluin  ascendisse  cnm 
carne.  Incredibile  est  mandumiem  tani  incredibilem  credidibse.  Incre- 
dibile est  homines  ignoiujes,  iniirmos,  pauci>.sia»os,  ii^peritos,  rem 
tam  incredibdem  Unu  efflcaci:ei  niundo,  et  in  iilo  eiiani  doctis  pei- 
suadere  pcHuisse.  Horum  liinm  incredibiliuin  prirauni  nolunt  isti  cum 
quibus  agimus  credeie.  Strcandum  coguntur  et  <:eineie,  quod  non  in- 
veniunt  nnde  sit  faclnm ,  si  non  ctedant  teriiom.  R.esurreclio  certe 
Christi ,  et  in  rœlum  cnn»  carne  in  qua  resuirexit  ascensio  ,  toto 
jam  mnndo  pracd  caim .  Si  credibilis  non  est,  nnde  ?oto  teirarnm 
orbe  jam  crédita  est?  Si  œuhi  nobiles,  subliiues,  dutti,  eani  se  vidisse 
dixerant,  et  qnod  vidf-rant  diffamare  curtiunt,  eis  iuundnm  credi- 
disse  non  mirum  e.-t.  Sed  istos  adhuc  ciedere  noile  perduium  est.  Si 
aatem,  ut  veinm  est,  |>;iucis,  obscuris.  minimi>  ,  ii.dociis,  eam  se 
vidisse  discentibus  et  scnbenlibus  rredidit  niundus ,  rur  panoi  obsii- 
iiatis.simi  qui  lemansernnt ,  ranndo  jam  credenti  adbuc  nsque  non 
credunt  ;  qui  propterea  nomero  ex  guo  ignobilium ,  infiimorum, 
imperiîornin  hominiim  cied:dit ,  quia  in  tam  contemptibilibus  testi- 
bus  ujnlto  mirabi'ius  diviniias  .'eipsa  peisujisiî.  Eloquia  nanique  per- 
snadenlinra  quae  dicebant,  mira  (aerunt  facta,  non  veiba.  Qï.i  enim 
Chîisium  in  cîirne  resarrexsse,  et  cura  illa  in   cœlum  asccnd  sse  non 


476  DISSERTATIONS 

sont  également  certaines  :  la  première,  qu'il  était  alors 
facile  de  constater  les  miracles  de  Jésus  -  Christ  qui 
étaient  récents,  et  plus  encore  ceux  que  les  apôtres 
opéraient  actuellement  et  journellement  ;  la  seconde, 
qu'on  n'ajoutait  pas  foi  légèrement  et  sans  exanien  à 
des  miracles  dont  la  foi  obligeait  à  tous  les  genres  de 
sacrifices  ,  sans  même  excepter  celui  de  la  vie.  La 
conversion  du  monde  prouve  donc  la  vérité  des  mi- 
racles, et  la  vérité  des  miracles  explique  la  conversion 
du  monde.  Si,  à  l'examen,  les  miracles  annoncés  par 
les  apôtres  avaient  été  trouvés  faux ,  l'univers  ne  se 
serait  pas  fait  chrétien ,  et  si  l'univers  ne  se  fût  pas 
converti  à  l'annonce  et  à  la  vue  des  miracles,  on  en 
tirerait  une  grande  objection  contre  leur  réalité.  Ces 
deux  preuves  de  la  vérité  de  la  religion  sont  intimement 
liées  l'une  à  l'autre ,  et  se  communiquent  réciproque- 
ment une  grande  force.  Nous  disons  à  l'incrédule  : 
Comment  pouvez-vous  croire  que  le  monde  eût  em- 
brassé le  christianisme ,  si  on  lui  eût  présenté  de  faux 
miracles?  Et  comment    pouvez-vous  regarder  aujour- 


viderunt,  id  se  vidisse  narrantibus  ,  non  loquentibas  taninm  ,  sed 
etiam  mirifica  facientibus  signa  credebant.  Homines  quippe  quos 
nnius,  vel  ut  raultam  daarnm  bngaarnni  fuisse  noverant  ,  repente 
linguis  omnium  gentium  loquentes  mirabiliter  audiebanl  ;  claudum 
ab  uberibns  matris  ad  eorum  veibnm  in  Chribti  nomine  post  quadra- 
ginfa  annos  inco'.umem  conslitisse,  &udai'ia  de  corporiLus  eornm 
ablata  sananHis  piofuis>e  iangoentibus ,  in  via  qnafiietunt  iransituri 
positos  in  ordine  iiinumeiabiles  vaiiis  morbis  labcrai)tes,  ut  ambulan- 
timn  super  eos  ombra  transiret ,  rontinno  salulem  soleie  recipere  ,  et 
alia  multa  stupenda  in  Chiisti  àomine  per  eos  faola  ,  posiremo  eliam 
mortaos  resnrrexisse  cernebant.  Quee  si ,  ut  leguntur  ,  gesta  esse  con  - 
cedunt,  ecce  tôt  incredibilia  tribus  illis  incredibilibus  adduntnr.  Et 
ut  credatur  nnnra  incredibile  ,  qnod  de  Garnis  resurrectione  atque  in 
cœlura  ascensione  dicilur,  mnliornm  incredibibum  testinionia  tanta 
coDgerimus,  et  nondum  ad  credendum  bon  enda  duritia  incredulos 
flectimnsi  {S.  Augiist. ,  de   Civ.  Dei ,  bb.  xxii,  cap.    5.) 

Quod  impossibile  hominibus  fuit,  Deo  difficile  non  fuit,  qui  potes- 
tates  bujas  mnndi  rigidas  non  verbis  scd  miracnlis  fregit.  [S.Greg. 
JiJag.  ,  Moral.,  lib.  xxxi,  cap.  2,  n°  2.) 


SDR  La  religion.  477 

d'hui  comme  faux  des  miracles  qui  ^  dans  leur  temps, 
ont  converti  le  monde  (1)  ? 

LXIX.  Au  reste,  la  preuve  que  nous  tirons  de  la 
propagation  du  christianisme  n'a  pas  besoin ,  pour  se 
soutenir,  des  miracles  qui  l'ont  opérée.  Cette  propaga- 
tion est  elle-même  un  miracle  si  éclatant ,  que  si  elle 
ne  suppose  pas  tous  les  autres ,  elle  les  supplée.  C'est  ce 
que  disaient  St.  Chrysostome  et  St.  Augustin  à  ceux 
qui ,  (le  leur  temps ,  s'obstinaient»  à  ne  pas  croire  en 
Jésus-Christ.  Si  les  apôtres  ont  triomphé  de  l'univers 
sans  faire  des  miracles  ,  c'est  un  miracle  bien  plus  ad- 
mirable (2^.  Vous  voudriez  ,  pour  croire,  voir  les  pro- 
diges que  l'on  vous  raconte.   En  voici    un  plus  grand 


(i)  Jam  si  posita  omni  de  miraculis  praejud'cata  opinione  qneeri 
oporiet  bonorie  an  raalo  corisilio  quis  illafeceiit,  ut  ne  aut  omnia  vito- 
perenias,  aut  otnnia  tanquara  divina  adiuiremur  et  admiitaraus  ,  aniion 
perspicuura  est,  et  Moysis  Jesuqne  mi-acuHs,  quibus  integrae  gontes 
constitutae  t.unt ,  eos  divina  potestate  fecisse  ,  quae  scriptuije  narrant. 
Neque  enira  inalis  artibas,  magicisqiie  praestigiis,  constituta  fuisset 
gens  tota,  quae  de^pectis  non  sola:n  siraulacris  ,  falsisque  nnminibas 
quae  reliqni  homines  colebant ,  sed  etiatn  rébus  omnibus  creatis ,  ad 
Deum  rernm  omninm  principium,  principio  carentem,  ipsum  assar- 
git.  {Orii^en.  contra  Celstim  ^  lib.  ii,  cip.  5i.) 

Quaptopter  ex  miracalis  indubitatam  redd  t  re  surrectionem  :  ita 
ut  non  il'.is  tantum  tune  îemporis  hominibns,  sed  omnibus  certa  foret 
resurrectio.  Qnod  enim  in  il!is  effecerunt  conspecta  bigna  ,  hoc  in 
posteris  omn.bus  per  fidem  faturutn  erat.  Ideo  bine  incredolos  argu- 
raenti  inipetimus.  Si  non  resarrexit  ,  sed  mortuus  raanet ,  quomodo 
in  nomine  ejas  apostoli  signa  fecerant?  A.t  non  fecere  iniracula. 
Qnoinodo  ergo  gens  nostra   constitit  ?    Non   enira  huic  veriiati  obsis- 

lent  ;  neque  pognabunt  contra  ea  quae  snb  conspectum  cadant.  {S.  Jo- 

ann.  Chrysost.  ,  in  Acta  Apost.^  hoind.  i,  n°  4.  ) 

(2)   Qnoraodo  autera  persuasissent ,  nisi  signa  edidissent;'  Si  facie- 

bant  quidem,  et  ntiqne  faciebant,    Christi  virtus  erat  id    qnod    fiebat. 

Si  aulem  non  faciebant ,  et    taraen  vincebant ,  longe    tnirabilins    erat 

îUud.  (  S.  Joann.  Chrys. ,  in  primam  épis,  ad  Cor.  ,  homil.  v,  n^  5.  ) 
Itaque  quando    dicunt  non  facta    fuisse  miracula  ,    taato  magis    se 

confundunt.  Hoc  eniru  maximum  esset  miracalam  ,   si  sine  miraculis 

totus  orbis  accurrisset  a  duodecim  panperibus  et  illiteratis  hominibus 

captns.  (  Idem,  in  Acta  Apost. ,  homil.  i ,  n°   4.  ) 

Si   vero    per  apostolos  Christi,   ut  eis  crederetur ,  resurreotionem 

atqne  ascensionem   praedicantibus  Christi,  etiam   ista  miracula  facta 


478  DISSERTATIONS 

encore  :  ce  n'est  pas  un  mort  ressuscité  ,  un  aveugle 
rendu  à  la  lumière ,  un  lépreux  guéri  ;  ce  sont  les  ténè- 
bres qui  conviaient  la  terre  dissipées;  la  lèpre  du  péché 
effacée  dans  tout  le  genre  humain.  Quel  plus  grand 
miracle  pouvez-vous  demander  quand  vous  voyez  une 
aussi  admirable  métamorphose  (1)?  Celui  qui,  pour 
croire ,  exige  de  nouveaux  prodiges ,  est  lui-même  un 
prodige  étonnant ,  puisque  la  foi  du  monde  entier  ne 
peut  pas  déterminer  la  sienne  (2). 

Je  terminerai  ce  chapitre  par  une  réflexion  qui  donne 
à  tous  les  raisonnements  qui  viennent  d'être  faits  un 
nouveau  degré  de  force,  et  qui  porte  au  plus  haut 
point  d'évidence  notre  démonstration  ,  c'est  que  la 
propagation  de  l'Evangile  avait  été  formellement  pré- 
dite, soit  dans  l'ancien,  soit  dans  le  nouveau  Testa- 
ment. 

LXX.  Les  oracles  sur  ce  grand  événement  sont  très- 
clairs  et  très  multipliés  dans  l'ancienne  loi.  Toutes  les 
nations  de  la  terre ,  disait  le  Seigneur  à  Abraham , 
seront  bénies  dans  votre  postérité  (3).  Nous  voyons  dans 
les  psaumes  le  Seigneur  disant  au  Messie  :  Demandez- 


esse  non  crednijt ,  lioc  nobis  unura  grande  miraculam  safficit ,  qnod 
terrarura  orbis  sine  rairacalis  credidit.  [S.  Âitgust.  de  civit.  Dei , 
lib.  XXII,  cap.   5.  ) 

(i)  An  vero  cupis  etianinum  signa  cernere  ?  Tibi  eigo  iila  et  ma- 
jora prioribas  ostendam.  Non  unum  mortuana  !-nscitalura  ;  non  vi- 
SQin  uni  caeco  restitutnm;  sed  descussas  erroris  tecebras  cjaae  totani 
terram  occupaverant  :  non  unum  leprosum  muridatum  ,  sed  tôt  gt-nfes 
qnae  peccati  lepram  absterserunl  ,  a  :  per  lavacram  regenerationis 
innndatae  snnt.  Qood  signuin  niiijus  his  quseris  ,  mi  horao  ?  cum  tan- 
tani  ,  et  tam  apeite  factam  raundationem  conspicias.  (^S.  Joann. 
Chrys.  ,  hoinil.  Citr  in  pentec.  ^  n°  8.) 

(2^  Cur,  inqu'unt,  nnnc  illa  niiracala  qnae  praedicatis  facta  esse, 
non  fiant?  Possuiu  quidem  dicere  necessaria  fuisse  priusqnara  crede- 
ret  miindns,  ad  hoc  nt  ciederel  mandas.  Quisqois  adhuc  j)rodigia 
ut  credat  inqoirit,  magnum  est  ipse  prodigium  ,  qui  mundo  ciedente 
non  crédit.  [S.  Jugust.  ,de  Civ.  Dei,  lib.  xri,  cap.  8.  n"^  i.) 

(3)  Benedicentur  in  semine  tno  oranes  gentes  terrae.  (  Gen.  xxii, 
18  ;  Itern^  xii ,  3  ;  xxvi,  4  ;  ixvni,  4.) 


SUR    LA    RELIGION.  479 

moi,  et  je  vous  donnerai  les  nations  pour  héritage,  et 
les  extrémités  de  la  terre  pour  possession  (1).  Le  psal- 
miste  annonce  encore  que  tous  les  confins  de  la  terre 
se  convertiront  au  Seigneur  ;  que  toutes  les  familles  des 
nations  seront  en  adoration  devant  lui  (2);  que  le 
Messie  dominera  d'une  mer  jusqu'à  l'autre,  et  depuis 
le  fleuve  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre  ;  que  tous  les 
rois  de  la  terre  l'adoreront;  que  toutes  les  nations  le 
serviront  (3).  C'est  peu,  s'écrie  Isaïe,  que  tu  sois  mon 
serviteur,  pour  ranimer  les  tribus  de  Jacob  et  pour 
convertir  la  lie  d'Israël,  voilà  que  je  t'ai  établi  la  lumière 
des  nations,  pour  que  tu  portes  le  salut  qui  vient  de 
moi  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre  (4;.  Le  Seigneur  a 
préparé  son  bras  aux  yeux  de  toutes  les  nations,  et 
toutes  les  extrémités  de  la  terre  verront  le  salut  qui 
vient  de  notre  Dieu  (5).  Malachie  voit  dans  un  esprit 
prophétique  les  juifs  rejetés  ,  le  nom  du  Seigneur 
glorifié  dans  toutes  les  nations ,  du  couchant  à  l'aurore , 
et  une  victime  pure  offerte  en  tout  lieu  à  son  saint 
nom  (6;.  Bien  d'autres  prophéties  encore  annonçaient, 
avant  la  venue  de  Jésus-Christ ,  la  conversion  du  uionde 
à  sa  loi.  Je  les  omets  pour  passer  à  celles  de  Jésus-Christ 


(i)  Pustnla  a  me  et  dabo  tibi  gènes  haereditatein  tnam  ,  et  posses- 
sionem  tnam  ierinino-i  lerrae.   [Psa/m.  ii ,  8.) 

(2)  Coiivertenlar  ad  Duminum  ,universi  fines  lerrae  :  et  adora- 
bantin  conspe.tu  ejas  nniversae  faniiliae  genxiom.  (Psal/n.  xxi,    i8.) 

(3)  Dominabitar  a  mari  usqne  ad  mare,  et  a  flumitie  usque  ad  ter- 
minos  orbls  terrarum.  ...  et  adorabunt  entn  omnes  reges  ferrœ  ; 
omties  gfenies  servient  ei.  (  Psalm.  i.:s.xi^  8,  ri.) 

(4)  Et  dixit  :  panirn  est  nt  sis  mihi  servus  ad  suscitandas  tribus 
Jacob,  et  faeces  Israël  convertendas  :  Ecce  dedi  te  in  Incem  genlium  , 
ut  sit  salus  mea  usqne  ad  terininum  terrae.  (/^.  xlix,    6.) 

(5)  Paravit  Doniinus  brachinm  suum  in  ocul  s  omnium  gentium  : 
et  videbunt  omnes  fines  terrse   salatare  Dei  nosfri.  (Is.  rtr,  lo.) 

(6)  Non  est  mihi  voluntas  in  vobis,  dixit  Dorainus  exercitanm, 
et  mnnns  non  snscipiam  de  mana  vestra.  Ab  ortu  enim  solis  usqne 
ad  occasum,  magnum  est  nomen  meum  in  gentibns  :  et  in  omni  loco 
sacritîcalur  et  offertiir  nomini  meo  oblatio  mnnda.  {Malach.  i,  lo, 
If.)  Voyez  aussi  Matlh,  chap.  xiii. 


480  DISSERTATIONS 

lui-même,  lesquelles  sonl  encore  plus  positives  et  plus 
claires. 

LXXI.  Nous  le  voyons,  tantôt  parlant  en  paraboles, 
comparer  les  accroissements  de  sa  religion  à  la  plus 
petite  des  semences,  devenue,  au  bout  de  peu  de 
temps,  le  plus  grand  des  légumes  ;  au  levain  qui, 
mêlé  en  petite  quantité  avec  la  pâte ,  la  fait  fermentcr 
tout  entière  et  la  dilate  (1;  ;  tantôt,  s'expliquant  plus 
clairement,  annoncer  que  beaucoap  d'étrangers  vien- 
draient d'Orient  et  d'Occident  siéger  dans  le  royaume 
des  cieux  avec  Abraham ,  Isaac  et  Jacob  ,  tandis  que  les 
enfants  du  royaume  seraient  jetés  dans  les  ténèbres 
extérieures  (2);  dans  d'autres  endroits,  déclarer  que  son 
Evangile  sera  prêché  dans  tout  le  monde  (3)  ;  ailleurs, 
dire  que  quand  il  sera  élevé  de  terre ,  c'est  de  sa  mort 
qu'il  parle,  il  attirera  tout  à  lui  (4);  enfin,  terminer  sa 
carrière  par  ordonner  à  ses  apôtres  d'aller  enseigner  et 
baptiser  toutes  les  nations ,  et  les  instruire  à  observer  ses 
commandements  (5).  Ce  n'est  pas  tout  encore  :  il  prédit 
la  manière  dont  s'effectuera  ce  grand  événement  ;  il 
annonce  à  ses  apôtres  les  oppositions  qu'ils  éprouveront, 
les  persécutions  violentes  qu'ils  auront  à  essuyer,  les 
morts   cruelles  qui  termineront  tous  ces  maux  (6)  ;   il 


(i)  Dico  autem  vobis  quod  multi  ab  oriente  et  occidente  venient 
et  recnmbent  cum  Abraham  et  Isaac  et  Jacob;  fibi  autem  regni  eji« 
cientar  in  tenebras  exleiiores.  {Match,  vin,   ii,  12.) 

(2)  Et  prîrdicabifur  hoc  evangelium  in  universo  orbe,  in  tesiimo- 
niam  omnibus  gentibus.    (  Matlh.  xxiv  ,14) 

(3)  Amen,  amen  dico  vobis:  ubicamquc  prsedicatnm  fuerit  hoc 
evangelium  in  toto  mundo ,  dicetur  et  quod  haec  fecit.  I^Ihid.  xxvi , 
t3.) 

('+)  Et  ego  si  exaltatus  fuero  a  terra,  omnia  traham  ad  me  ipsum. 
Hoc  aufem  dicebat ,  signiticans  qaa  morte  esset  morituras.  (7o- 
ann.  xii  ,  82,  33.  ) 

(5)  Euntes  ergo,  docele  omnes  gentes,  baptisantes  eos  in  nomine 
Patris,  et  Filii,  el  Spiritus  sancti  ;  docentes  eos  servare  omnia  quae- 
cnmque  mandavi  vobis.  {^Matlh.  xxviii,  lae,   20.) 

(6)  Eccc  ego  mitto  vos  sicut  oves  in  medio  luporum.  {Matth.  x, 
■  6.) 


SUR    LA    RELIGION.  481 

ies  encourage,  en  leur  déclarant  qu'il  a  vaincu  ce  monde 
dont  ils  auront  tant  à  souffrir  (1)  ,  et  en  leur  promettant 
qu'ils  seront  éclairés  et  fortifiés  par  l'assistance  du  Saint- 
Esprit  (2).  La  conversion  du  monde  ,  les  détails  de  cette 
conversion,  les  moyens  par  lesquels  elle  s'est  opérée, 
Jésus-Christ  a  tout  prédit.  Tout  ce  qui  s'est  passé  pen- 
dant les  trois  siècles  de  la  persécution  et  de  l'agrandis- 
sement de  son  église  ,  n'est  que  l'exécution  de  ses  ordres 
et  l'effet  de  sa  volonté  antérieurement  manifestée. 

LXXII.  Ce  n'est  pas  seulement  de  nos  jours  qu'a  été 
fait  ce  rapprochement  des  oracles  sacrés  avec  l'établisse- 
ment de  la  loi  sainte.  Les  pères  de  la  primitive  éghse 
l'opposaient  aux  incrédules  de  leur  temps.  Ils  leur 
prouvaient  et  la  divine  origine  des  prophéties ,  par 
l'admirable  accomplissement  dont  elles  étaient  suivies, 
et  la  cause  divine  de  l'établissement  de  la  foi ,  par  les 
prophéties  qui  l'avaient  précédé.  En  faisant  aux  incré- 
dules de  nos  jours  le  même  raisonnement,  nous  ne 
faisons  que  répéter  ce  que  disaient  les  Origènes  (3),  les 


Cavete  aatem  ab  hominibas.  Tradent  enim  vos  in  cnnciltis,  et  ia 
syna^ogis  suis  flagellabant  vos;  et  ad  praesides  et  ad  rages  dncemini 
propter  me  ,  in  testimoniam  illis  et  gentibas.  i^Ihid,  ,  17,  18,  j 

Tradet  aatein  frater  fiatrem  in  mortera ,  et  pater  liliam  :  et  insar- 
gent  filii  in  parentes,  et  morte  eos  afficieat  ;  et  eritis  odio  oninibas, 
propter  nonien  meum.    [îbid.,  ar,  22.) 

Venit  hora  ut  omnis  qui  interficit  vos  arbilretur  obseqaium  se 
praestare  Deo.  [Joann.  xvx,  2.)  Et  alibi passirn. 

(i)  lu  mnndo  pressurain  babebitis  :  sed  confidite  :  e^o  vici  man- 
dam.  {Joann.  xvi,  35.) 

(2)  Voyez  ci-dessus,  n°  lxvii,   note  r  ,  page  +73. 

(3)  Criminatur  deinde  discipulos  qiiod  finxerint  prœscisse  illum  ,  et 
prcedixisse  quœcumque  sibi  acciderunt.  Sed  boc  verum  esse,  vel  invite 
Celso  demonstrabimus.  Praesto  enim  sunt  aiulta  quae  Jésus  edidit 
vaticinia  de  rébus  quae  cbristianis  contigerunt,  etiam  subsecutis  tem- 
poribus.  Ecquis  non  admiraretur  istud?  Ante  re^es  et  vrœsides  duce- 
mini  propter  me  in  testimoniam  iUis  et  gentibus  aliave  siiniUa ,  ubi 
praenuntiat  futurum  esse  ut  sui  discipuli  vexationein  patiantur.... 
Ecquis  enim  fingens  fuisse  secum  Christus  loquereturnon  admirabitur 
istud  '.  prœdicabitur  evangelium  istud  in  toto  mundo ,  in  testimonium 
illis  et  gentibus^  si  modo  secum  recogitet  Jesu  Christi  evangelium,  ut 

Dissert,  sur  la  Relig.  21 


482  DISSERTATIONS 

Cyprien  (1),  les  Eusèbe ,  les  CLiysostôme,  les  Jérôme 
les  Au^^usliu  ,  les  Prospère  ,  les  Théodoret. 


ipse  pr*dixeiat  ,  omnibus ,  grsecis ,  barbaris ,  sapientibus  et  insipien- 
tibus ,  ubique  lerrarura  hiisse  prsedicatum.  Omnem  enim  humanam 
natiiram  subegi  verbum  cum  viitute praedicatum  :  nec  ullum  videre  est 
hominuin  genus  quod  Jesu  doctrinam  admittere  recusaverit.  (On'gen. 
contra  Celsnm, hh.  ii,  n°  t.) 

Et  est  videre  quomodo  brevi  tempore  ipsa  religio  crevit ,  pœnis 
cultonim ,  mortibusque  proilciens  ;  sed  et  honorum  direptionibus , 
atque  ab  bis  omni  génère  suppliciorum  tolerato.  Et  eo  maxime  mirum 
est,  quod  ne  doctores  ipsi,  vel  satis  idonei  sunt,  vel  satis  plures. 
Praedicatur  tamen  sermo  iste  in  toto  orbe  terrarum  :  ita  ut  grœci, 
barbari ,  sapientes  ,  et  insipientes ,  religionem  doctiinae  cbristianae 
recipiant.  Ex  quo  dubium  non  est  boc  buraanis  viribus ,  aut  o;)ibus 
non  agi,  ut  cum  omni  crednlitate  et  potestate  sermo  Ghristi  Jesu  apud 
omnium  mentes,  atque  animos  convalescat.  Nam  et  priedicta  esse  ab 
eo  baec  ipsa ,  et  divinis  ab  eo  responsis  conflrmata  manifestum  est  cum 
dicit  :  quia  apud prccsides  etjudlces  ducemini propter  me  in  testimo- 
nium  ipsis  et  gentihas.  Et  rursum  :  prcedicabitur  hoc  evangelium  in 
omnibus  gcndbus.  Et  iterura  :  miilti  inihi  dicent  in  iUa  die  :  Domine  ^ 
Domine,  nonne  in  nomine  tuo  manducavimus  et  bibimus ^  et  in  tuo 
nomine  dcemonia  ejecimus  P  Et  dicam  eis  :  discedite  a  me  operarii 
iniquitatis ;  nunquam  cognovi  vos.  Quae  si  ita  quidem  dicta  ab  eo 
fuissent,  nec  tamen  ad  linem  ea  quae  praedicta  sunt  pervenissent , 
fortasse  minus  vera  esse  viderentur,  nec  babere  aliquid  auctoritatis. 
Nuncvero,  cum  ad  affectum  ea  quse  fuerunt  ab  eo  dicta  perveniant, 
cum  tanta  autem  potestate  atqire  auctoritate  praedicta  sint ,  manifestis- 
sime  declaratur  verum  esse ,  quia  bomo  factus  salutaria  praecepta  bomi- 
nibus  tradidit.  [Origen.  de  Principiis ^  bb.  iv,  n°  2.)j 

(i)  ISecnonDeus  ante  prardixerat  fore  ut  vergente  saecnlo  ,  et  mundi 
fine  jam  proximo ,  ex  omni  gente  et  populo  et  loco ,  cultores  sibi 
adlegeret  Deus   [S.  Cyprianus ,  de  Idol.  Vanit. .,  cap.  vi.) 

Quis  unquam  ab  omni  sapculorum  memoria  ,  aut  tex  ,  aut  princeps  , 
aut  pbilosopbus  ,  aut  legislator ,  aut  propbeta  ,  Sf  u  graecus ,  seu 
barbarus  ille  fuerit ,  tantum  virtutis  decus  est  consecutus,  non  dicam 
post  mortem ,  sed  dum  adbuc  viveret,  spiritumque  duceret.  multumqne 
valeret  potentia,  ut  ipsius  nomen  ad  bominum  omnium  aures,  qui  in 
terris  degebant,  aetatem  permaneret  inque  omnium  ore  ac  sermone 
versaretur  ?  nemo  certe  istud ,  nisi  unus  et  solus  Salvator  noster  ,  post 
victoriam  a  morte  reportatam,  pr^-stitit  :  qui  quidem  discijubs  suis 
boc  verbum  dixe-  at ,  et  idem  et  rêvera  explevit ,  nimirum  :  docete 
omnes  gentes  in  nomine  meo  :  quique  ante  praedixerat  suum  evangelium 
prœdicandum  jore  in  tiniverso  mundo  ,  in  testimonium  omnibus 
gentibus.  Quod  ut  verbis  praedixerat,  sic  reipsa  perfecit.  Nam  baud  ita 


SDR  La.  religion.  483 

LXXIII.  Elles  étaient  bien  hardies  au  moment  où  Jé- 
sus-Christ les  faisait  ces  prédictions  ,  ces  promesses  ,  ces 
injonctions.  Jamais  ni  roi ,  ni  législateur,  ni  philosophe, 


mnlto  post  totus  orbis  terrarum  ejus  verbo  et  doctrina  completus  fuit. 
(Euseb.,  orat.  de  laud.  Const.  F,  idtm  ,  prœp.  ev,  lib.  i,  cap.  3.  ) 

Pervade  ratione  universum  orbein ,  mare,  Graeciam  ,  barbarorum 
sedes ,  terram  habitabilem  et  inhabitabilem  ,  nrbes  quae  sont  in  terra , 
insulas  qnae  in  mari ,  montes  denique  et  saltus  :  et  cum  videris  ubique 
Christi  relucere  potentiam,  omnesque  praestantissimum  ejus  nomen 
praedicare,  reputa  apud  te  eum,  qui  tôt  et  tan  ta  potuit ,  etiam  futura 
poUicitum  esse.  (5.  Joan.  Chrjs.^  Expos,  in  psalm,  cix,  n°  6.) 

Quid  igiturdixit,  ef  orbe  fere  toto  in  impietate  detento  praedixit? 
Super  hanc  petrarn  œdificabo  ecclesiam  :  eC portée  in/eri  non  prœvale- 
bunt  adversus  eam.  Examina  hoc  dictum  ut  libet,  et  veiiratem  ejus 
refulgentem...,  Vidistisne  verba  rébus  lucentia ,  et  vim  insupei abilem 
omma  nuUo  negotio  facientem.  Etsi  enim  brève  sit  dictum  dlud  œdi- 
ficabo ecclesiam  meam  ;  ne  simpliciter  praetereas  :  sed  in  mente 
revolve  et  cogita  quantum  sit  totum  orbem  ,  tam  brevi  tempore  ecclesiis 
replevisse,  tantas  convertisse  gentes;  populis  persuasisse  ut  paternis 
solutis  legibus  radicatam  consuetudinem  evellerent ,  voluptatis  tyranni- 
dem  ,  nequiriae  vim  ut  pulverem  ejicerent;  ar.'S ,  temph ,  idola , 
mysteria,  profanas  solemnita^es,  impurumque  nidorem  ,  quasi  fumum 
quemdam  delerent;  ubiqae  abare  exci tarent  in  regione  Romanoruin , 
Persarum,  Scytharum ,  Maurorum ,  Indorum  :  Quid  dico?  vel  extra 
orbem  nostrnm.  ISam  et  briiannicae  insulse  quse  extra  hoc  mare  sitae 
sunt,  et  in  ipso  oceano,  vim  verbi  senserunt.  [Idem,  Homil.  Quod 
Christus  sit  Dens^  n"   r  2.  ) 

Ubi  manifestissima  prophetia  est ,  et  de  Christi  atque  apostolorum 
ejus  praed;ca;ur  adventu,  et  fide  universanim  gentium  nihil  ampHus 
requiramus.  (5.  Hierom.  co'nm.  in  Zachar.,  hb.  ii,  cap.  g.  ) 

Ibi  scriptum  est  de  ecclesia  ,  et  videtur  quia  est.  Ibi  scriptum  est  de 
idoHs  quia  non  erunt  :  et  videtur  quia  non  sunt.  (  S.  August. ,  F.narr. 
inpsalm.  xxix  ,  n°  28.  ) 

Videtis  certe  simulacrorum  terapla ,  partim  sine  reparatione  collapsa, 
partira  d  ruta,  partim  clausa,  panim  in  usus  alos  commutata,  ipsaque 
simulacra,  vel  confringi,  \A  incendi ,  vel  includi,  vel  destroi  ;  atque 
ipsas  hujus  saeculi  potestates,  quae  aliquando  pro  simulacris  popnlum 
chiistianum  persequebantur,  victas  et  domitas  non  a  repugnantibus  sed 
a  morientibiis  christianis  ,  et  contra  eadem  simulacra  ,  pro  quibus 
chr  stianos  occidebant,  impeius  stios  ,  legesqr.e  vertisse;  et  iiiiperii 
nobil  ssimum  culmen  ad  sepulcrum  piscatoris  Pétri  submisso  diademate 
supplicare.  Haec  omnia  scripturae  divinae,  quae  in  manu  omnium  jam 
venerunt ,  antelongissima  tempora  fatnra  esse  testatae  bunt.  Haec  omnia 
tanto  rubustiore  fide  laetamur  fieri,  quaoto  majore  autoritate  prjedcata 


1 

484  DISSERTATIONS  ^ 

n'avait  osé  produire  des  pareilles  pensées  (1).  A  considé- 
rer la  raison  humaine,  et  l'expérience  de  tous  les  temps, 
qui  jamais  eût  pu  iinaj'iner  qu'elles  obtinssent  leur  effet? 


esse  in   sanctis  litteris  invenimns.  [Idem  epist.  ccxxxii;  al.  xxir  ,    ad 
Madaiiranses ^  no  3  et  4-  ) 

Ouando  dicebatur  ecclesia  Chrisli  futura  per  totum  oihem  terrarum, 
dicebatur  a  paui  is  et  ridebatur  a  multis.  Modo  jam  impleium  est  , 
q!K>d  tanto  ante  praedictum  est.  Diffusa  est  ecclesia  j)er  totnm  orbem 
terrarum.  Antemillia  annorura  proiuissiim  est  Abrabae  In  sein'me  tiio 
hetiedicentur  ornnes  gentes.  Tenit  Christus  ex  semine  Abrabae  ;  bene- 
dictœ  snnt  in  Cbristo  jam  omnes  gentes.  Praedicta  sumt  scbismata  et 
baereses  futurce  :  videmus  illa.  Praedi^-tae  sunt  persecutiones  :  factae  sunt 
a  regibus  colcnlibus  idola.  Pro  ipsis  idohs  adversus  nomen  Christi, 
repleta  est  terra  martyribus.  Sparsura  est  semen  sanguinis  :  surrext 
seges  eeclesiae.  Nec  frustra  oravit  ecclesia  pro  inimicis  suis  :  crediderunt 
et  qui  persequebantur.  Praedictum  est  etiam  qnia  ipsa  idola  evertenda 
essent  per  nomen  Cbiisti  :  nam  et  boc  invenimus  m  scripturis.  Anîc 
paucos  annos  Christiani  illa  legebant ,  et  non  videbant  :  adbuc  futura 
illa  expectabant  ;  et  sic  abierunt.  Non  illa  viderunt  :  sed  tamen  cre- 
dentes  quod  futura  essent ,  cum  Cde  abierunt  ad  Dominum.  IN'ostris 
temporibus  etiam  ista  cernuntur.  Omnia  quœ  ante  pradicta  sunt  de 
ecclesia,  videmns  impleta.  (  Idem  ^  sermo  %.^u,de  uerbis  Psahn., 
al.  cix,  de  temp.  n"  4-  ^  id.  idem,  de  Fide  rerumquœ  non  videntur , 
cap.  IV,  n°  7.) 

Puto  autem  qnod  nemo  audeat  dicere  nllam  mundi  gentem ,  ullam 
terrae  praetermittendam  esse  regionem  ,  in  qua  non  sint  ecclesia?  taber- 
nacula  dilatanda  :  dicente  Deo  ad  filium  :  Postula  a  me .  et  dabo  tibi 
qentes  hœreditatein  tiiam  ;  et  possessionem  tuam  terminos  terrœ  et 
terum  :  Reminiscentar  et  convertentur  ad  Dominum  univer si  fines 
terrœ  :  et  adorabiint  in  conspectu  ejus  otnnes  patriœ  gentiitm  :  dicente 
quoque  ipso  Domino  :  Prœdicubltur  hoc  evangelium  in  universo 
mundo  in  testimoniitm  gentibus  :  et  tune  %feniet  Ji?iis.  Quapcumque  ergo 
nondum  audierunt,  ai^dient  evangebum.  (5.  Prosper ,  epist.  ad  Ruf 
no  16.  ) 

Quid  bis  verbis  manifest"u? .?  Tanquam  praesens  enim ,  spectansque 
orbis  terraium  mutationem ,  et  quasi  atidiret  gentes  ad  pœnitentiam 
conversas ,  deridentesque  idolorum  imbecillitatem ,  sic  oracula  sua 
conscripsit.  (  Theod.  serm.  x  ,  de  Oraculo.  ) 

(i)  Cum  enim  inter  grapcos  et  barbavos,  quam  plurimi  extiterint 
legumlatores,  doctores ,  item  qui  veritatis  notitiam  praeceptis  suis  poUi- 
cerentur ,  nullum  tamen  fuisse  accepimus  legislatorem ,  qui  relicjuis 
gentibus  legum  suarum  suscipiendi  studium  ingenerare  potuerit.  Et 
quamvis  pbilosophi,  cum  multo  prodirent  demonstrationem  apparatn , 
quae  e  ratione  petitae  viderentur,  quaeque  multum  probabilitatis  hahe. 


SUR    LA    RELIGION.  485 

Comment,  s'il  n'était  pas  éclairé  d'une  lumière  divine, 
cet  homme  ,  si  pauvre  qu'il  n'avait  pas  où  reposer  sa 
tête  ,  osait-il  annoncer  avec  assurance  que  bientôt  l'uni- 
vers serait  soumis  à  sa  loi?  Comment  pouvait-il  pro- 
mettre avec  vérité  à  cette  poignée  de  disciples  qui  le 
suivaient,  qu'incessamment  elle  serait  remplacée  par 
tous  les  peuples  de  la  terre  ?  Ce  qui  fut  pour  tous  les 
contemporains  de  Jésus- Christ  une  prophétie,  n'en  est 
plus  une  pour  nous.  Cet  événement,  inimaginable  lors- 
qu'il fut  annoncé,  nous  le  voyons,  nous  en  jouissons, 
nous  en  faisons  nous-mêmes  partie.  Pour  le  prédire,  il 
fallait  la  prescience  de  Dieu  ;  pour  l'effectuer  ,  il  a  fallu 
sa  toute-puissance.  Nous  disons  avec  confiance  :  la  pro- 
pagation rapide  de  l'Evangile  ,  n'eût-elle  pas  été  prédite, 
serait  déjà  une  preuve  complète  de  la  vérité  de  l'Evan- 
gile; mais  l'ayant  été,  de  quel  poids  n'est-elle  pas?  Et 
quel  esprit  raisonnable  peut  se  refuser  à  la  démonstra- 
tion évidente  qui  en  résulte  (1)? 


rent,  nemo  ex  illis  fuit  qui  probatam  sibi  veritatem  diversis  populis  , 
vel  unius  gentis  praecipusc  multitudinij>ersaadere  potueiit.  Atqni  perop- 
tassent  legislatores  et  doctores  illi  iis  quas  bonajs  putabant  legibus 
universum,  si  fieri  potuisset ,  hominum  genus  subjici.  Hi  quam  animo 
conreperant  veritatem  ubique  terramm  disseminare.  Sed  utpote  non 
idonei  qui  alterius  linguae ,  niultarumqne  gentium  homines  ad  legum 
suarura  observationem  ,  et  ad  suatn  disciplinam  suscipiendam  adduce- 
runt,  ne  aggressi  quidem  sunt  id  efficere.  Pradenter  enim  prseviderunt 
id  se  con%equi  nullo  modo  posse.  {Orig.  de  Principus ,  Ub.  iv  ,  n>  i.) 
(i)  Etiamsi  de  Cbiisio  et  de  eccles^a  tes-timonia  nuUa  praecederent, 
quenj  non  movere  deberet  ut  crederet  repente  illnxisse  divinam  hn- 
niano  generi  caritatcm,  quando  videraus  relictis  diis  falsis,  et  eornni 
confractis  usqaequaqae  sininlacris,  templis  subvertis,  sive  in  ubus  alios 
commatatis,  atque  ab  hamana  veterrima  consueludine  toi  vanis 
ritibus  extirpatis,  unum  verum  Deani  invocari  :  et  boc  esse  factnni 
per  unum  horainem  ab  hominibus  illusam  ,  comprehensura  ,  vinctam, 

flagellatcm,    expalmatum  ,    exprobratum  ,    ciaiifixom,   occisaio 

Qnando  tantom  criiciHxoi  ille  potu'sset ,  nisi  Deus  horainem  sasce- 
pisset;  etiaœ.'-i  nul!a  per  prophefas  fatura  talia  praedixisset.  Cam 
vero  tara  magnum  pietatis  sacramenlum  habaerit  antécédentes  vates 
«nos  atque  praecones  ,  qnorum  divinis  vocibus  est  praennnliatam ,  et 
6ic  venerit  qaeraadmodum   est   praenantiatum ,  qiiis  ita  sit   deraens, 


486  DISSERTATIONS 

LXXIV.  Pour  raffaiblir,  que  peut  dire  rincrédulité? 
Niera- t-elle  la  réalité  des  prophéties?  Mais  d'abord  celles 
de  l'ancienne  loi  nous  viennent  des  juifs,  ennemis 
acharnés  du  christianisme  ;  ils  en  reconnaissent  comme 
nous  la  vérité.  Il  faudra  donc  soutenir  qu'ils  se  sont  ac- 
cordés avec  les  chrétiens  pour  corrompre  leurs  livres, 
pour  supposer  des  oracles  dont  les  chrétiens  se  servent 
avec  tant  d'avantage  contre  eux.  Quant  à  celles  de  Jé- 
sus-Christ ,  elles  ont  été  rapportées  par  les  évangélistes 
avant  que  l'événement  les  vérifiât.  D'ailleurs,  que  ga- 
gnerait l'incrédulité  à  les  ôter  à  Jésus-Christ,  si  elle  est 
forcée  de  les  attribuer  à  ses  apôtres?  Dira-l-elle  que  ces 
prophéties  ne  prouvent  rien ,  et  que  leur  accomplisse- 
ment a  pu  être  l'ouvrage  du  hasard  ?  Mais ,  nous  le  di- 
rons toujours^  qu'on  se  reporte  au  temps  où  elles  ont 
été  faites,  et  on  verra  combien  l'événement  qu'elles 
annoncent  était  contraire  à  toute  vraisemblance  ;  qu'on 
examine  tous  les  détails  avec  lesquels  la  conversion  du 
inonde  est  annoncée  par  Jésus-Christ ,  et  on  sentira  que 
le  pur  hasard  n'a  pas  pu  opérer  une  si  grande  conformi- 
té, et  de  l'événement  et  de  toutes  ces  circonstances, 
avec  les  prophéties.  Non-seulement  c'est  ici  une  preuve 
directe  de  la  divinité  de  rétablissement  du  christia- 
nisme ,  et  par  une  conséquence  nécessaire ,  de  la  divinité 
du  christianisme  lui-même  ;  mais,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
c'est  une  preuve  qui  influe  sur  toutes  les  autres  ,  et  qui 
les  corrobore.  Que  l'on  reprenne  tous  les  obstacles  dont 
nous  avons  vu  la  religion  triompher,  on  verra  qu'il 
avait  été  prédit  qu'elle  en  triompherait ,  et  que  consé- 
quemment  c'est  à  une  vertu  divine  qu'elle  a  dû  son 
triomphe.  Qu'on  applique  de  même  cette  considération 
aux  diverses  causes  naturelles  par  lesquelles  l'incrédu- 
lité prétend  que  la  révolution  du  christianisme  a  pu  s'o- 
pérer ,  et  que  j'examinerai  dans  un  moment ,  on  sentira 


ut  dicat  apostolos  de   Christo  fuisse  men'itos.   [S.  Aiigust.,  de  Fide 
Rerum  quœ  non  videntur^  cap.  vit,  n°  lo.^ 


SDR    LA    RELIGION.  487 

qu'aucune  cause  naturelle  n'a  pu  faire  prédire  cette  ré- 
volution dans  un  temps  où  elle  était  si  éloignée  de  l'or- 
dre des  choses  et  de  toutes  les  pensées  humaines.  Je  fais 
d'avance  cette  réflexion ,  pour  n'avoir  plus  à  y  revenir. 


JJ_2  JULJULSUL-U),. 


CHAPITRE  III. 

OBJECTION    CONTRE    LA    PREUVE    TIREE    DE    LA    PROPAGATION 
DU    CHRISTIANISME. 

Telle  est,  dit  St.  Jean-Chrysostôme,  la  nature  de  la 
vérité  ,  que  tout  ce  que  font  ses  ennemis  pour  l'ébran- 
ler,  sert  à  l'affermir  davantage,  et  qu'en  s'efforçant  de 
l'obscurcir  on  la  fait  briller  d'un  nouvel  éclat  (1).  D'a- 
près cette  maxime  bien  certaine,  nous  allons  donner  à 
notre  démonstration  une  nouvelle  force ,  en  rapportant 
toutes  les  chicanes  par  lesquelles  l'incrédulité  essaye  de 
l'affaibhr.  Elle  en  emploie  de  trois  espèces.  Elle  nie  que 
la  religion  se  soit  aussi  rapidement  établie  que  nous  le 
disons.  Elle  prétend  que  la  prompte  propagation  d'une 
religion  ne  prouve  rien  en  sa  faveur.  Elle  soutient  que 
le  christianisme  a  dû  son  agrandissement  à  des  causes 
naturelles. 

LXXV.  «  D'abord  l'incrédulité  nie  que  le  christia- 
«  nisme  se  soit  étendu  aussi  rapidement  etaussi  univer- 
*  sellement  que  nous  l'avons  dit.  Elle  prétend  qu'à  la 
«  fin  du  quatrième  siècle  le  paganisme  était  encore  la 
«  religion  la  plus  nombreuse  de  l'état  ;  que  spéciale- 
«  ment  le  sénat  romain  était  encore  tout  entier  païen. 
«  A  l'appui  de  cette  assertion^  elle  cite  la  requête  pré- 
«  sentée  par  Syminaque  au  nom  du  sénat  entier,  dans 
«  laquelle  il  dit  que  cette  compagnie  l'a  nommé  son 


(i)  Vemm  ipsa  veiitatis  natnra  iisdem  ipsis  fitm:itar  qabus  ab  in- 
sidiatoribus  irapetitur,  iisdem  fulget  quibui  obscurari  tentatur.  (S. 
Joann.  Chrys.,   in  Joan.,  Homil.  lvii;  al.  Lvr ,   n°  r.) 


488  DISSERTATIONS 

«  député  pour  solliciter  le  rétablissement  de  Tautel  de 
¥.  la  victoire  (1).   » 

LXXyi.  Quant  il  serait  vrai  que  sous  le  règne  de 
Valentinien  II ,  la  plus  grande  partie  du  sénat  romain 
fût  encore  païenne,  pourrait-on  en  conclure  que,  dans 
tout  le  reste  de  Tempire ,  la  religion  chrétienne  ne  fût 
pas  la  plus  nombreuse?  Nous  avons  vu  des  empereurs 
païens  et  persécuteurs  en  convenir  quatre-vingts  ans  au- 
paravant. Le  fait  particulier,  allégué  par  Symmaque, 
en  le  supposant  vrai ,  détruirait-il  leurs  aveux?  Et  peut- 
on  douter  que  quatre-vingts  ans  de  faveur  et  de  protec- 
tion continuelles  (excepté  les  dix-huit  mois  du  règne  de 
Julien)  n'eussent  encore  beaucoup  multiplié  les  chré- 
tiens et  diminué  le  nombre  des  païens? 

Mais  ce  qui  renverse  absolument  la  difficulté ,  c'est 
que  le  fait  avancé  par  Symmaque  ,  pour  donner  du  poids 
à  sa  requête,  est  formellement  démenti  par  deux  au- 
teurs de  la  plus  grave  autorité.  Le  premier  est  St.  Am- 
broise ,  lequel  dit  qu'il  s'en  faut  de  beaucoup  que  ce 
soit  le  sénat  qui  ait  fait  la  demande  du  rétablissement 
de  l'autel  de  la  victoire,  et  que  c'est  un  petit  nombre  de 
païens  qui  se  sont  servis  d'une  expression  générale.  Il 
cite  l'autorité  du  pape  Damase  ,  qui ,  deux  ans  aupara- 
vant, lorsque  les  païens  faisaient  une  semblable  tenta- 
tive, lui  avait  envoyé  un  écrit  des  sénateurs  chrétiens, 
en  nombre  innombrable.  Ces  sénateurs  déclaraient  qu'ils 
n'avaient  rien  demandé  de  semblable;  qu'il  ne  leur 
convenait  point  de  donner  leur  consentement  à  une  telle 
demande;  et  ils  disaient,  en  particuher  et  en  public, 
que  si  elle  obtenait  son  effet ,  ils  ne  paraîtraient  plus  au 
sénat  (2).  Le  second  est  Prudence  ,  qui ,  réfutant  en  vers 


(i)  Ubi  primum  senatns  amplissimus ,  sempcrqne  vester,  snbacta 
Irgibns  vitia  cognovit,  et  a  prineipibus  piis  vidit  pnrgari  famam  pro- 
xiniorum  temporum  ,  boni  saeculi  ancioritatern  seculus,  evoraait  dia 
pressura  dolorem  :  atqae  iterum  me  qu<erelarnm  saaruin  jussil  esse 
Ifgaturu.  [Symmachi  posta/,  ad  imp.  epist.,  bb.  x,  epist.  6i.) 

(i)  SeJ  absit  ut  boc  senatas  petiisse  dicator.  Pauci  gentiles  corn- 


SUR    LA.    RELIGION.  489 

la  requête  de  Symmaque  ,  lui  dit  que  le  sénat ,  que  le 
peuple,  sont  chrétiens;  que  Rome  entière  est  chré- 
tienne ;  et  qu'il  compte  pour  rien  un  petit  nombre 
d'hommes  qui  refusent  d'ouvrir  les  yeux  à  la  lumière  (1;. 
Je  crois  que  les  autorités  de  St.  Ambroise  et  de  Pru- 
dence sont  un  peu  plus  considérables  que  celles  de  Sym- 
maque, intéressé,  pour  obtenir  sa  demande  ,  à  grossir 
le  nombre  de  ceux  qui  la  faisaient. 

LXXVIl.  H  Le  christianisme,  dit-on  ensuite,  ne  s'est 
«  étendu  que  peu  à  peu  et  par  degrés;  il  a  mis  trois 
«  siècles  à  s'établir.  Son  progrès  a  donc  été  une  œuvre 
«   purement  humaine.  Dieu  ,  voulant  donner  au  monde 


muni  utantur  nomine.  Nain  et  ante  bienniam  ferme  cnm  hoc  paiiter 
tentarent ,  raisit  ad  me  sanctus  Damasas  roman»  ecclesiœ  sacerdos, 
jadicio    Dei  actas,   libellam  quem    senatores   cbrbliani  dederarit,  et 
qaidem  innameri  ;  postulantes  nihil  se  laie  raanda<-se  ,  non  congraere 
gentiliurn  bajnsmodi  pelitloni  nos  praebere  consensora.  Qaesti  etiam 
pablice,  prii'a'imque  se  non  conversuros  ad  curiam  ,  si  taie  qoid  de- 
cerneretar.  {S.  Ambros.  epist.  xvir,  ad  Valentinianum  itnp.  n°  io,j 
(2)   Si  peràona  aliqua  est ,  atit  si  statas  orbis  in  bis  est 
Si  formaoi  patriae  facit  exceilenlior  01  do, 
Hi  faciant,  jancta  est  qnoties  sententia  plebis. 
Atqae  unam  sapiant   plares  siniol  et  potiores. 
Respice  ai  illustrem  lux  est  ubi  pablica  cellam. 
"Vix  pauca  invenies  gentilibus  obsita  migis 
Ingénia  ,    obiritos  aegre   relinenlia  cultas  ; 
Et  quibas  esactas  placeot  servare  tenebras; 
Splendentemq'ie  die  medio  non  cernere  solem, 
Posthinc  ad  popolam  conyerle  ocolos.  Qaota  pars  est 
Quae  Jovis  infectara  sanie  non  despuat  aram? 
Omnis  qui  celsa  scandit  cœnacala  valgns, 
Quiqae  terit  iilicem  variis  discursibas  atrom 
Et  quem  panis  alit  gradibas  dispersas  ab  altis  , 
Aat  Vatioano  tumulnm  snb  monte  freqaentat, 
Qno  cinis  ille  latet  genitoris  amabilis  obses , 
Caetibas  aoî  magnis  laleranas  curril  ad  aedes  , 
Uude  sacrnra  re'erat  regali  chrismate  ;-ignum. 
Et  dabitaraus  adbuc  Romam  tibi ,  Christe  ,  dioatam 
In  leges  transis-e  taas  ;  omniqne  volentem 
Cam  populo,  ac  summis  cara  civibos,  ardaa  magni 
Jam  super  astra  poli  terrenom  extendere  regnnm. 
N<'C  nioveor  quoi  pars  hominam  raiissiraa  clausos 

2r 


490  DISSERTATIONS 

*<  une  doctrine,  n'aurait  pas  mis  un  si  long  temps  à  la 
«  répandre.   »> 

LXXVIII.  Voici  en  quoi  consiste  la  difficulté.  Dieu 
pouvait  répandre  universellement  tout  d'un  coup  sa  re- 
ligion ;  donc  de  ce  que  la  religion  n'a  été  universelle- 
ment répandue  qu'au  bout  de  trois  siècles ,  il  résulte 
qu'elle  ne  vient  pas  de  Dieu.  Entre  la  conséquence  et 
le  principe  il  y  a  une  proposition  intermédiaire,  dont  il 
aurait  été,  selon  les  règles  de  la  logique ,  nécessaire  d'é  - 
tablir  la  vérité  ;  c'est  que  Dieu  doit  tout  ce  qu'il  peut. 
Sans  doute  Dieu  peut  mettre  plus  ou  moins  de  temps  à 
propager  la  doctrine  qu'il  donne  au  genre  humain  ;  il 
peut  même  ,  s'il  lui  plaît ,  sans  révélation  extérieure , 
l'inspirer  subitement  à  tous  les  esprits.  En  conclura-t-on 
qu'il  y  est  tenu  ?  La  question  n'est  pas  de  savoir  si  le 
miracle  de  la  diffusion  du  christianisme  aurait  pu  être 
opéré  plus  promptement  :  elle  consiste  à  savoir  si  cette 
diffusion  ,  opérée  en  deux  siècles  et  demi ,  est  ou  n'est 
pas  un  miracle.  Il  faut,  ou  nommer  une  cause  humaine 
qui  ait  pu  la  produire  dans  cet  espace  de  temps ,  ou  ne 
pas  dire  que  puisqu'elle  n'a  été  produite  que  dans  cet 
espace  de  temps,  elle  Fa  été  par  une  cause  humaine.  La 
religion ,  adoptée  subitement  et  sans  résistance ,  par 
tous  les  hommes ,  au  premier  moment  où  elle  leur  a  été 
annoncée,  eût  présenté  un  miracle;  cela  est  vrai.  Mais 
la  religion  adoptée  plus  lentement,  et  malgré  les  résis- 
tances de  tous  les  genres  que  les  hommes  puissent  op- 
poser ,  présente  un  autre  miracle ,  ou  plutôt  une  suite 
et  une  continuité  de  miracles.  Dieu  n'a-t-il  pas  pu  vou- 
loir que  tous  les  obstacles  qu'opposeraient  au  christia- 
nisme l'enfer  et  la  terre,  retardassent  son  progrès  ,  pour 
qu'il  fût  évident  que  c'était  le  ciel  qui  ordonnait ,  qui 
dirigeait ,  qui  assurait  sa  marche  ?  Il  a  pu  lui  laisser  li- 


Non  aperit  sob  luce  ocolos,  et  gressibus  enat 
Qaaralibet  illustres  ineritis ,  et  sanguine  clari. 

{Prudent,  cont.  Symm.  lib.  I,  vers  5io  et  srq.  ) 


SDR    LA    RELIGION.  49î 

vrer  des  combats  pour  lui  donuer  des  triomphes.  Déistes, 
d'où  savez-vous  ce  que  vous  avancez  avec  tant  de  con- 
fiance ,  que  Dieu  n'aurait  pas  mis  un  si  long  temps  à 
propager  sa  doctrine?  Demandez-lui  pourquoi  il  a  pré- 
féré le  genre  de  miracle  que  nous  voyons,  à  celui  qu'il 
vous  plaît  d'imaginer?  Nous  n'avons  pas  à  vous  ré- 
pondre sur  ce  point. 

LXTvIX.  «  On  nous  objecte  ensuite  des  religions 
«  fausses,  qui  se  sont  établies  et  répandues  plus  rapide- 
n  ment  encore  que  la  religion  chrétienne  :  on  cite  spé- 
«  cialement  d'abord  le  mahométisme  ;  et  on  en  conclut 
«  que  la  propagation  du  christianisme  en  trois  siècles 
tt  n'est  pas  une  preuve  de  sa  divinité.   »• 

LXXX.  Prétend-on  assimiler  le  siècle  où  parut  Ma- 
homet à  celui  qui  donna  Jésus-Christ  au  monde;  les  lu- 
mières de  la  nation  arabe  d'alors ,  à  celles  des  Romains 
du  siècle  qui  suivit  Auguste;  la  doctrine  musulmane, 
qui  favorise  la  passion  la  plus  chère  au  commum  des 
hommeSj  à  la  doctrine  chrétienne  qui  la  réprime  sévè- 
rement; les  guerres  par  lesquelles  les  mahométans  ont 
répandu  leur  doclrine  ,  à  la  patience  par  laquelle  les 
chrétiens  ont  fait  triompher  la  leur  ?  Tous  les  moyens 
humains  qui  favorisaient  le  mahométisme  ,  avaient 
combattu  le  christianisme.  Pour  ne  parler  que  d'un  seul 
de  ces  moyens ,  il  est  évident  que  c'est  principalement 
au  succès  de  ses  armées  que  l'islamisme  a  dû  celui  de  sa 
doctrine,  puisqu'on  se  sont  arrêtées  ses  armes,  là  a  été 
posée  à  sa  doctrine  une  barrière  impénétrable. 

LXXXI.  «  Un  autre  exemple  qu'on  nous  oppose,  est 
«  la  révolution  à  laquelle  Luther  et  Calvin  ont  donné 
«  lieu.  Tous  les  pays  dont  les  princes  ont  embrassé  la 
«  doctrine  de  ces  hommes  célèbres  ,  ne  sont  remplis  que 
«  de  luthériens  et  de  calvinistes.  Et  c'est  ce  que  l'on 
«  voit  partout  où  un  souverain  embrasse  une  doctrine 
«  nouvelle  ;  bientôt  la  moitié  de  son  état  change  de  re- 
a  ligion.  Supposons  que,  lorsque  Luther  et  Calvin  dé- 
«  clamaient  contre  la  religion  romaine ,  toute  l'Europe 
•I  eût  été  sous  la  domination  d'un  seul  prince  qui  eût 


492  ÔISSERTATIONS 

M  penché  pour  la  nouveauté;   les  catholiques   seraient 
u   aujourd'hui  réduits  à  un  petit  nombre.    »• 

LXXXII.  La  réponse  à  cette  objection  est  dans  l'ob- 
jection même.  Si ,  comme  il  n'est  que  trop  vrai ,  le 
peuple  est  porté  à  suivre  la  religion  de  son  prince,  il  ne 
devait  donc  pas,  dans  les  premiers  siècles ,  embrasser  la 
foi  chrétienne ,  que  persécutaient  les  princes.  Plus  on 
exalte  la  malheureuse  influence  des  souverains,  plus  on 
fait  sentir  quel  énorme  obstacle  était,  à  la  propagation 
du  christianisme,  le  paganisme  des  empereurs,  et  leur 
zèle  si  ardent  à  le  soutenir. 

La  déplorable  politique  qui,  dans  le  seizième  siècle, 
fit  adopter  à  plusieurs  souverains  les  innovations  de  Lu- 
ther et  de  Calvin ,  a  été  ,  et  on  en  convient  ici ,  la  cause 
de  la  propagation  de  ces  hérésies.  Il  y  a  donc  entre  l'é- 
tablissement du  protestantisme  et  celui  du  christianisme 
cette  essentielle  difïérence_,  que  l'un  s'est  établi  par  la 
protection  des  princes ,  et  l'autre  par  la  persécution  des 
princes  ;  et  que  ce  qui  a  été  d'un  coté  un  moyen  natu- 
rel,  a  été,  de  l'autre  ,  dans  l'ordre  de  la  nature,  un 
obstacle.  Comment  donc  peut-on  établir  une  comparai- 
son entre  la  propagation  de  ces  deux  religions? 

Mais  ce  n'est  pas  la  seule  difïerence  qu'il  y  ait  entre 
l'établissement  du  christianisme  et  celui  du  protestan- 
tisme. Dans  le  siècle  où  le  protestantisme  se  produisit , 
les  lettres  commençaient  à  peine  à  renaître  :  le  siècle  où 
se  montra  le  christianisme,  était  celui  de  toutes  les  con- 
naissances. Le  protestantisn^e  afl'ectait  un  grand  respect 
pour  la  religion  ;  sa  prétention  était  de  la  rendre  pure  et 
sans  tache,  par  la  réforme  de  quelques  abus  :  le  chris- 
tianisme heurtait  de  front ,  et  prétendait  détruire  la  re- 
ligion existante.  Le  christianisme  captivait  rintelligence, 
en  soumettant  la  croyance  à  une  autorité  infaillible  ;  le 
protestantisme,  en  renversant  cette  autorité,  flattait  la 
raison,  dont  il  étendait  l'empire,  en  la  rendant  juge  de 
la  foi.  Le  christianisme  mettait  un  frein  à  toutes  les  pas- 
sions alors  très-exaltées,  et  assujettissait  l'homme  à  un 
joug  sévère  :  le  protestantisme  adoucissait  le  joug  de 


SUR    LA    RELIGIOxX.  493 

TEglise  romaine ,  supprimait  la  confession  auriculaire, 
anéantissait  plusieurs  sacrements,  abolissait  les  obser- 
vances de  l'Eglise,  s'emparait  de  ses  biens,  dissolvait  les 
vœux,  autorisait  le  divorce.  Le  christianisme  exposait 
ceux  qui  l'embrassaient  aux  persécutions  ,  aux  confisca- 
tions, aux  emprisonnements,  aux  supplices  :  le  protes- 
tantisme, favorisé  par  les  princes,  ne  faisait  rien  crain- 
dre de  tout  cela.  Enfin  ,  le  christianisme  n'opposait  à 
ses  ennemis  qu'une  inaltérable  patience,  et  ne  faisait 
couler  d'autre  sang  que  celui  de  ses  membres.  Que  de 
révoltes  a  excitées  ,  que  de  guerres  a  fait  naître  ,  que  de 
sang  a  fait  répandre  le  protestantisme  partout  où  il  a 
pénétré  !  Qu'on  cesse  donc  d'opposer  l'établissement  des 
autres  religions  à  celui  de  la  nôtre,  et  qu'on  ne  nous 
donne  pas  des  disparates  pour  des  comparaisons. 

On  nous  dit  que,  si  du  temps  de  Luther  et  de  Calvin, 
tous  les  états  n'avaient  eu  qu'un  souverain  qui  eût  em- 
brassé leur  doctrine,  le  catholicisme  serait  aujourd'hui 
considérablement  diminué.  Cela  est  vrai ,  humainement 
parlant ,  et  indépendamment  du  secours  divin  ;  mais  de 
là  même  il  résulte,  je  le  répète  ,  que  la  propagation  du 
christianisme  est  divine.  Lorsqu'il  s'est  établi,  l'hypo- 
thèse que  l'on  fait  ici  était  réalisée.  L'autorité  sur  la 
plus  grande  partie  de  l'univers  connu  était  réunie  dans 
une  seule  main  ,  et  cette  main  si  puissante  frappait  avec 
une  force  terrible  sur  quiconque  se  faisait  chrétien. 

LXXXIIL  Enfin,  les  ennemis  du  christianisme  pré- 
tendent que  sans  recourir  à  la  puissance  divine  pour 
expliquer  la  propagation  du  christianisme,  il  est  facile 
tl'en  trouver  la  cause  dans  les  principes  naturels.  Nous 
pouvons  rapporter  à  trois  chefs  principaux  les  causes 
naturelles  auxquelles  les  divers  incrédules  attribuent 
cet  événement.  Nous  avons  montré  que  les  dispositions 
des  peuples,  que  la  nature  de  la  doctrine  ,  que  l'autorité 
persécutrice  des  souverains  ,  avaient  été  des  obstacles  à 
l'agrandissement  de  la  religion.  Ils  prétendent,  au  con- 
traire, trouver  dans  CCS  trois  choses  des  moyens  qui  y 
ont  concouru. 


494  DISSERTATIONS 

«  Ils  prétendent  d'abord  que  les  dispositions  natu- 
«  relies  des  lionnnes ,  et  les  dispositions  particulières 
«  des  esprits,  à  la  naissance  du  christianisme,  au  lieu 
«   de  contrarier,  favorisaient  son  succès.   » 

LXXXIV.  «  On  connaît  l'inconstance  naturelle  du 
a  peuple.  Tout  ce  qui  est  nouveau  a  de  l'attrait  pour 
tt  lui  ;  et  à  ce  titre  ,  le  christianisme  ,  qui  contrariait  les 
«  idées  reçues,  devait  lui  plaire.  La  liberté,  naturelle  à 
«  l'esprit  humain ,  le  fit  adopter  dans  sa  naissance, 
«  comme  elle  l'a  fait  souvent  rejeter  dans  sa  vieillesse, 
a  Cette  indépendance ,  plus  amoureuse  de  la  nouveauté 
«  que  de  la  vérité,  devait  lui  procurer  un  grand  nom- 
«  bre  de  sectateurs.  Donnez-moi ,  dit  un  déiste  ,  une 
«<  douzaine  d'hommes  à  qui  je  puisse  peisuader  que  ce 
«  n'est  pas  le  soleil  qui  fait  le  jour ,  je  ne  désespère  pas 
■   que  des  nations  entières  n'embrassent  cette  opinion. 

«  Un  autre  principe ,  qui  est  pareillement  dans  la 
«  nature  humaine,  a  du  aussi  attirer  à  la  rehgion 
«  beaucoup  de  partisans.  Il  faut  au  peuple  du  mer- 
«  veilleux.  Ce  qui  frappe  son  imagination  est  ce  qu'il 
«  croit  le  plus  facilement.  Quelle  est  la  merveille  la 
«  plus  absurde  qui ,  étant  annoncée ,  n'ait  pas  été  crue  ? 
«<  Et  sans  sortir  de  notre  temps,  qui  est  si  éclairé,  n'a- 
«  vons-nous  pas  tous  vu  Cagliostro  ,  Mesmer  ,  le  Sour- 
«  cier,  faire  une  multitude  de  dupes ,  et  s'attirer  des 
«  partisans  dans  toutes  les  conditions  ?  Une  religion  que 
«  l'on  fondait  sur  des  miracles,  qui  présentait  des  mys- 
u  tères  incompréhensibles,  était  naturellement  du  goût 
«  du  peuple  :  plus  ils  étaient  extraordinaires  ,  plus  il 
M   était  porté  à  les  croire.   » 

LXXXy.  i»  3Iais  si  les  dispositions  naturelles  de 
«  l'esprit  humain  concouraient  par  elles-mêmes  à  l'é- 
«  tablisseinent  du  christianisme ,  celles  où  étaient  alors 
«  les  esprits  leur  donnaient  une  grande  force,  et  de- 
«<  vaient  entraîner  dans  ce  parti  un  grand  nombre  de 
"  personnes.  La  raison  humaine  avait  remporté  un 
«  triomphe  facile  sur  les  superstitions  païennes.  Le 
-   paganisme  vleilii  ne  présentait  plus  aux  hommes  que 


I 


SUR    L\    RELIGION.  495 

des  fables  absurdes.  L'incrédulité  était  devenue  géné- 
rale, non-seulement  parmi  les  savants,  mais  encore 
parmi  le  peuple  ,  et  même  parmi  les  esclaves.  Si  on 
en  doute,  qu'on  lise  ce  qu'en  disaient  Cicéron  ,  Lu- 
crèce, Sénèque,  et  tant  d'autres.  L'homme  est  telle- 
ment enclin  à   la   superstition,    que,   tù  on   lui   en 
enlève  une,  il  retombe  aussitôt  dans  une  autre.  Les 
peuples  se   trouvaient  tout  disposés   à  adopter   tout 
autre  objet  de  culte  à  la  place  de  celui  que  la  philo- 
sophie leur  avait  enlevé.  Dans  cet  état  de  choses,  une 
religion  nouvelle,  qui  annonçait  un  Dieu  unique, 
créateur,  tout-puissant,  rémunérateur  de  la  vertu  et 
vengeur  du  vice  ,   se  présentait  avec  bien  de  l'avan- 
tage. Ajoutons  à  cela  que  la  philosophie  avait  mis  à  la 
mode   les    discussions  ,    les  disputes  ,    les  diversités 
d'opinion.   On  voit  aussi  que  dans  ce  temps  l'imagi- 
nation seule  régnait.   On  croyait  facilement  aux  vi- 
sions. Les  miracles  trouvaient  aisément  créance.  Les 
esprits,  les  prestiges,  les  maléfices  étaient  crus  uni- 
versellement. Faut-il  s'étonner   qu'on    ait    cru   une 
religion  qui  favorisait  tout  cela?  L'état  civil  et  poli- 
tique de  l'empire  était  même,  pour  le  christianisme, 
une  cause  d'accroissement.  Les  peuples  étaient  livrés 
à  toutes  sortes  de  maux  par  la  barbarie  des  tyrans 
qui  régissaient  l'empire ,  par  les  vexations  des  gou- 
verneurs   de   provinces  ,    par   les   extorsions    et    les 
rapines  des  employés  de  tout  genre ,  par  les  inon- 
dations des  barbares,  par  les  fléaux  multipliés  qui 
ravageaient  alors  la  terre.  Il  est  tout  simple  que  les 
peuples  désolés ,  qui  ne  voyaient  sur  la  terre  que  des 
oppresseurs,  aient  cherché  du  secours  dans  le  ciel; 
et  que,  déjà  dégoûtés  de    leur  vieille  religion,   qui 
d'ailleurs  n'apportait  aucun  remède  à  leurs  malheurs, 
ils  se  soient  retournés  vers  la  religion  nouvelle ,  qui 
apprend  à  souffrir,  et  qui  console  l'infortuné  par  les 
immenses  dédommagements  qu'elle  lui  présente.   » 
LXXXVL   «  Loin  que  la  doctrine  chrétienne  fût  de 
nature  à  être  contredite,  elle  était  au  contraire  très- 


496  DISSERTATIONS 

«  propre  à  être  accueillie ,  à  raison  de  ses  dogmes ,  de 
«  sa  morale  et  de  sa  discipline.  » 

LXXXyiI.  «  Elle  ofïrait,  à  la  vérité,  à  l'adoration 
«  des  peuples  un  crucifié  ;  mais  on  disait  que  ce  crucifié 
«  était  Dieu;  on  annonçait  qu'il  avait  fait  des  miracles  : 
•  les  premiers  chrétiens  avaient  aussi  la  prétention  d'en 
c  faire.  Tout  cela  devait  faire  impression  sur  un  peuple 
a  incapable  de  réflexion  et  d'examen.  Tandis  qu'on 
«  frappait  son  esprit  du  récit  de  ses  merveilles,  on 
«  touchait  son  cœur  en  disant  que  c'était  pour  son  salut 
«  que  ce  crucifié  était  mort.  La  croyance  inébranlable 
«  d'une  vie  future  était  aussi  très- propre  à  concilier  à 
««  la  nouvelle  doctrine  beaucoup  de  partisans.  Parmi 
«t  les  philosophes ,  très-peu  croyaient  à  l'immortalité 
«  de  Tâme  ;  et  ceux  qui  admettaient  cette  vérité  se 
«  moquaient  des  peines  et  des  récompenses  futures  , 
«  que  le  peuple  croyait  réservées  aux  méchants  et 
«  aux  bons.  Les  chrétiens  ayant  établi  comme  un  dogme 
«  certain  la  réalité  de  la  vie  future  ,  qui  jusque-là 
«  n'avait  été  proposée  que  comme  un  système,  durent 
«  d'abord  engager  par  là  dans  leur  parti  tous  ceux  qui 
«  sentent  le  besoin  qu'a  la  morale  de  cet  appui.  Il 
«  n'est  pas  étonnant  ensuite  que  la  magnifique  pro- 
«  messe  qu'ils  faisaient  d'une  vie  souverainement  el 
«  éternellement  heureuse,  à  condition  d'embrasser  l'E- 
«  vangile  et  de  pratiquer  ses  commandements,  ait  fait 
«  la  plus  grande  sensation,  et  ait  été  accueillie  d'un 
<«  grand  nombre  de  personnes.  La  croyance  où  on  était , 
«  dans  la  primitive  Eglise,  que  la  fin  du  monde  et  le 
«  royaume  du  ciel  étaient  proches,  faisait  encore  sur 
«  les  espi'its  une  vive  impression,  et  les  disposait  à 
«   recevoir  favorablement  la  religion.   » 

LXXXyiIL  a  A  ces  dogmes  étonnants  et  consolants 
«  on  joignait  la  morale  la  plus  propre  à  être  adoptée. 
«  Pendant  que  les  vices  abominables  des  souverains 
"  sapaient  le  paganisme ,  les  vertus  qui  accompagnent 
«  toujours  le  prosélytisme  achevaient  de  le  renverser. 
«  Une  religion  née  dans  les  calamités  publiques,  devait 


SUR    LA    RELIGION.  497 

«  donner  à  ceux  qui  la  prêchaient  beaucoup  d^empire 
I  snr  les  malheureux  qui  se  réfugiaient  dans  son  sein. 
«  La  charité ,  l'union  des  premiers  chrétiens  entre  eux  , 
i  était  un  charme  qui  engageait  à  se  réunir  à  eux  ;   et 
I  les  aumônes  abondantes  qu'ils  répandaient,  un  appât 
I  qui    leur    attirait  tous  les   misérables.     Le  désir   de 
i  soutenir  la  bonne  réputation  de  leur  société  était  un 
«   motif  qui  influait  principalement  sur  leur  conduite 
i   pure  et  sainte  ,  et  cette  réputation  qu'ils  se  donnaient 
K  grossissait  encore  le  nombre  de  leurs  prosélytes.  La 
»  facilité  d'obtenir  le  pardon  de  ses  péchés,  dans  cette 
K  religion,  y  attirait  aussi  beaucoup   de  païens  agités 
»   de  remords  de  leur  vie  passée ,   et  ne  trouvant  dans 
«   leurs  temples  aucuns  moyens  de  réconciliation.   L'n 
u   autre  point  de  la  morale  chrétienne  ,  très-propre  à  la 
«  faire  fleurir,  était  le  zèle  exclusif  et  intolérant  qu'elle 
«  inspirait  à  ses  sectateurs.  Regardant  comme  réprouvés 
a   tous  ceux  qui  professaient    une  autre  religion  ,   les 
«  chrétiens  se  faisaient  un  devoir  de  prêcher  la  leur  et 
4   de  l'étendre.  Elle  prêchait,  à  la  vérité,   la  mortifi- 
«  cation  des  passions  et  des  sens;  mais,  bien  loin  que 
«  le  peuple  soit  éloigné   d'embrasser  une  religion  con- 
«  traire  aux  sens ,  elle  est  en  cela  plus  de  son  goût.   » 

LXXXIX.  «  La  constitution  de  l'Eglise  était  aussi 
«  très-propre  à  son  agrandissement.  Elle  avait  d'abord 
«  été  gouvernée  par  des  prophètes;  mais  le  don  de 
«  prophétie  ayant  cessé,  on  établit  des  évêques,  ou 
«  anciens,  pour  la  régir,  et  des  ministres  de  difl'érents 
a  ordres.  Ces  places  flattaient  l'ambition  et  la  cupidité 
*  des  chrétiens  ,  et  les  attachaient  de  plus  en  plus  à  leur 
«  religion.  D'ailleurs  ,  ces  ministres  dirigeaient  et 
«  conduisaient  les  autres  fidèles ,  les  retenaient  dans  le 
«  même  esprit,  entretenaient  en  eux  le  zèle  de  la 
«  religion ,  et  donnaient  à  leurs  efforts  la  supériorité 
«  qu'un  petit  nombre  de  volontaires  bien  conduits  ont 
«   sur  une  multitude  sans  discipline.   » 

XC.  «  Enfin  les  persécutions,  qae  l'on  regarde  comme 
«  un  obstacle  à  l'accroissement  du  christianisme,   n'^y 


498  DISSERTATIONS 

«  ont  pas  nui ,  comme  on  veut  le  croire.  Il  s'en  faut 
«  de  beaucoup  qu'elles  aient  été  perpétuelles.  Il  y  a 
«  eu  des  alternatives  de  persécution  et  de  tolérance 
M  qui  ont  servi  le  christianisme.  La  persécution  a  hdté 
«  les  progrès  que  lui  avait  ouverts  la  tolérance.  On  sait 
«  combien  Tesprit  de  parti  a  de  force,  surtout  dans  un 
«  parti  persécuté.  Le  silence  et  la  proscription,  la  clé- 
u  mence  et  la  rigueur  ,  tout  est  devenu  utile  à  celui-là. 
«  Si  on  eût  continué  constamment  à  déployer  contre 
«  les  chrétiens  une  exacte  sévérité  ,  on  aurait  détruit  la 
«  secte.  Si  on  avait  toujours  suivi  le  plan  de  la  mépriser, 
«  la  secte  serait  tombée  d'elle-même.  On  a  d'autant 
«  plus  tort  de  faire  valoir,  en  faveur  du  christianisme  , 
«  les  persécutions,  que  c'est  aux  persécutions  qu'il  a 
tt  intentées  qu'il  a  dû  son  agrandissement  et  son  affer- 
it  missement.  Constantin  ,  despote  crédule  et  barbare , 
«  poursuivit  de  toute  sa  puissance  l'idolâtrie ,  défendit 
a  les  sacrifices ,  dépouilla  des  temples ,  en  fit  démolir 
«<  d'autres  ,  et  couronna  son  zèle  par  la  mort  du  philo- 
a  sophe  Sopàtre,  uniquement  par  haine  contre  le  paga- 
»  nisme,  ainsi  que  le  rapporte  Suidas  (1).  Les  succes- 
«  seurs  de  ce  prince ,  tous  persécuteurs  ainsi  que  lui , 
a  achevèrent ,  par  leur  cruauté  ,  la  ruine  du  paganisme. 
«<  Le  zèle  intolérant  des  empereurs  païens  avait  com- 
«  mencé  l'ouvrage  de  l'élévation  du  christianisme  ;  le 
«   zèle  intolérant  des  empereurs  chrétiens  l'acheva.   » 

XCI.  Voilà,  je  crois,  toutes  les  causes  auxquelles 
l'incrédulité  attribue  l'établissement  de  la  religion. 
En  rapprochant  ce  qui  est  épars  dans  les  écrits  des 
différents  déistes,  je  ne  crois  pas  l'affaiblir.  On  pour- 
rait même  trouver ,  dans  la  réunion  de  ces  divers 
moyens  ,  quelque  chose  de  plus  spécieux  que  dans 
chacun  d'eux  isolé ,  et  dire  que  si  aucun  n'était  assez 


(i)  Sopater  apamensis,  sophista  et  philosophas,  discipulus  Jam- 
blici.  quem  Gœsar  Consraritinus  interfecit ,  ut  confirmarel  se  non 
amplius  esse  geniili  religioni  addictam,  Eraf  eaira  ei  farailiaris  prias. 
{Suidas  in  Sopatro.) 


SUR    LA    RELIGION.  499 

fort  en  lui-même  pour  opérer  la  révolution  dont  il 
s'agit,  chacun  a  pu  y  contribuer  pour  sa  portion,  et 
que,  de  leur  coopération  simultanée,  l'elfet  général  a 
a  pu  résulter.  Mais  s'il  est  vrai  qu'aucune  de  ces  causes 
n'a  eu  part  à  l'établissement  du  christianisme  ,  il  est 
évident  que  leur  concours  n'a  pas  pu  l'effectuer.  Si 
aucune  n'en  a  opéré  une  partie ,  l'ensemble  n'a  pas 
produit  le  tout.  Reprenons  donc ,  article  par  article  , 
toutes  les  parties  de  l'objection ,  et  montrons  que  de 
tous  les  moyens  naturels  qu'on  nous  oppose ,  il  n'y  en  a 
aucun  qui  ait  contribué  à  la  propagation  du  christia- 
nisme ,  que  plusieurs  même  y  ont  été  des  obstacles. 

XCII.  On  nous  parle  de  l'inconstance  naturelle  au 
peuple,  de  son  amour  pour  la  nouveauté.  Mais,  reve- 
nons à  considérer  ce  qu'exigeait  des  néophytes  la  pro- 
fession du  christianisme.  Il  leur  fallait  d'abord  renoncer 
aux  préjugés ,  aux  habitudes,  aux  affections,  aux  jouis- 
sances dont  depuis  longtemps  ils  faisaient  leur  bonheur; 
il  leur  fallait  ensuite  s'exposer  au  mépris,  aux  spolia- 
tions, aux  emprisonnements,  aux  supplices,  à  la  mort. 
Je  demande  si  l'inconstance  et  l'amour  de  la  nouveauté 
auraient  pu  déterminer  les  hommes  à  tous  ces  sacrifices? 
Est-ce  l'inconstance  qui  produit  des  opinions  tellement 
constantes,  ou  l'amour  de  la  nouveauté  qui  excite  des 
attachements  tellement  solides,  qu'on  meurt  pour  les 
soutenir?  Supposons  un  homme  que  ces  motifs  eussent 
attiré  dans  le  christianisme  :  il  n'y  serait  pas  resté 
longtemps  ;  il  en  serait  au  moins  sûrement  sorti  trè5- 
promptement  ,  dès  qu'il  aurait  commencé  à  souffrir 
quelques-uns  des  maux  qu'entraînait  la  pratique  de  la 
religion. 

XCIII.  On  nous  parle  de  la  liberté  naturelle  à  l'esprit 
humain  ,  de  l'indépendance  amoureuse  de  la  nouveauté. 
Mais  ces  sentiments  de  liberté  et  d'indépendance  de- 
vaient retenir  dans  le  paganisme ,  qui  laissait  toutes  les 
opinions  libres  ,  qui  permettait  de  prendre  dans  la 
religion  et  d'en  rejeter  tout  ce  que  l'on  voulait,  comme 
on  le  voit  dans  les  diverses    sectes  philosophiques.  Ils 


500  DISSERTATIONS 

devaient,  au  contraire,  éloigner  de  la  religion  chré- 
tienne, qui  assujettit  la  raison  à  son  autorité,  et  lui 
ordonne  de  croire  ses  mystères,  en  lui  défendant  de  les 
approfondir. 

XCiy.  L'hypothèse  que  fait  un  déiste,  d'une  douzaine 
d'hommes  à  qui  on  persuade  ,  et  qui  persuaderont 
ensuite  à  des  nations  entières,  que  le  soleil  ne  produit 
pas  le  jour ,  est  à  mes  yeux  un  aveu  de  la  faiblesse  de  sa 
cause.  Il  faut  se  sentir  bien  dépourvu  de  raison  pour 
recourir  à  une  supposition  aussi  absurde  et  aussi  ridi- 
cule. Je  crois  n'avoir  à  y  faire  qu'une  réponse.  Je  veux 
bien  convenir  qu'il  est  aussi  possible  que  des  moyens 
humains  aient  propagé  la  rehgion ,  qu'il  est  possible 
que  douze  hommes ,  qui  ne  sont  pas  fous ,  d'abord  se 
persuadent  que  le  jour  ne  vient  pas  du  soleil  j  et  ensuite 
le  persuadent  à  des  peuples  entiers. 

XCy.  On  objecte  l'amour  des  peuples  pour  le  mer- 
veilleux. Mais  ce  motif  aurait  dû  plutôt  retenir  les 
peuples  attachés  aux  fictions  enchanteresses  du  paga- 
nisme, que  les  attirer  aux  dogmes  austères  de  l'Evangile. 
J'ai  d'ailleurs  répondu  à  cette  difficulté  (1).  1°  Le  peuple 
s'engoue  du  merveilleux  ,  mais  de  celui  qui  frappe  ses 
idées  et  ses  goûts.  Son  enthousiasme  ne  porte  jamais  sur 
les  doctrines  métaphysiques,  beaucoup  moins  encore 
sur  ce  qui  exige,  comme  le  christianisme,  de  grands 
sacrifices.  Mesmer  promettait  la  santé;  Cagliostro,  de 
plus^  flattait  de  l'idée  devoir  des  héros  morts  depuis  des 
siècles  ;  Bleton  devait  faire  trouver  des  fontaines  utiles. 
On  ne  citera  jamais  que  de  tels  exemples.  Que  l'on  nous 
nomme  un  charlatan  qui  ait  abusé  le  monde  sur  des 
objets  qui  présentassent  autant  de  maux  à  souffrir,  qu'en 
présentait  alors  la  profession  du  christianisme.  2°  Les 
charlatans  ,  quelque  admirables  que  soient  leurs  pro- 
messes ,  quelque   merveilleux  que   soient  leurs  tours , 


(i)  Voyez  a^  Disseit.,  part,  a  ,  ch.  IV,  n°  xxur ,  page  37a. 


SUR    LA    RELIGION.  50t 

n'abusent  que  le  menu  peuple  ,  et  quelques  têtes 
chaudes,  qui  à  cet  égard  sont  peuple;  mais  l'illusion 
est  bientôt  dissipée  quand  les  hommes  raisonnables  et 
de  sang-froid  l'examinent.  Combien  ont  duré  celles  que 
l'on  cite? 

XCYI.  On  prétend  que  tout  le  monde  était  dégoûté 
du  paganisme;    que  personne  dans  aucune   classe   n'y 
croyait  plus.   D'abord ,  en  supposant  l'idolâtrie  facile  à 
détruire,  il  ne  s'ensuivrait  nullement  que  le  christia- 
nisme fût  aisé  à  établir.  Il  y  avait  encore  loin  de  ren- 
verser  les  idoles   de  leurs   autels ,  à  y   placer    Jésus- 
Christ.  Ensuite ,  sur  quoi  fonde-t-on  l'assertion  ?  Sur  les 
ouvrages  de  trois  ou  quatre  écrivains  qui   avaient  senti 
le  ridicule  des  fables  populaires.  Mais  où  les  conduisait 
leur  prétendue  sagesse?  Elle  avait   amené   l'épicurien 
Lucrèce  à  rejeter  jusqu'à  Texistence  de  Dieu  ;  Cicéron  et 
Sénèque  ,  qui  sentaient  la  nécessité   d'une  religion ,  à 
déclarer  qu'on  doit  suivre  celle  qu'on  trouve  établie  (1). 
Je  demande  si,   même  dans  le  petit  nombre  d'auteurs 
que  l'on  cite ,  c'étaient  là  des  dispositions  à  embrasser  la 
religion  chrétienne.  3Iais  voit-on  que  le  grand  nombre 
des  hommes  instruits  partageassent  l'opinion  de  ceux-là 
sur  le  paganisme?  Ne  sont-ce   pas,    au  contraire,   des 
philosophes,   Celse ,   Porphyre,   Jamblique,   Hiéroclès, 
Julien,  Libanius ,  Symmaque,  qui  se  font,  contre  notie 
Dieu,  les  défenseurs  des  divinités  païennes?  et  la  mcisse 
du  public ,  la  presque  totalité ,  disons  même  la  totalité 
du  peuple  ,  loin  d'être  désabusée  des  superstitions  ,  v 


(i)  A  patribus  acceptes  deos  plaçait  coli...  Illad  ex  instirntis  pon* 
tifîcum  et  araspicurn  non  inutandam  est ,  quibus  bostiis  immolandaœ 
cnique  Deo.  (Cicer.,  de  Legibus  ^  lib.  ii.  ) 

In  11  s  sacris  civilis  theologiœ  bas  partes  potius  elegit  Seneca  «a- 
pienti,  ut  eas  in  animi  reUgione  non  babeat,  sed  in  actibas  fingat. 
Ait  enim  :  quce  omnia  sapiens  servabit ,   tanqunm  legibtis  jussa.  non 

tanquam    diis  grata Oinnem   islam   ignobilem  deorum   turbam , 

quam  longo  (Evo  supersticio  congessic ^  sic  adorablmus ^  ut  memineri- 
mus  cultuin  ejiis  magis  ad  more  m  ^  quam  ad  rem  pcrtinere.  (S,  Au- 
gust.,  de  Civ.  Dei,  lib,  vi,  cb.  lo,  n''  5.) 


502  DISSERTATIONS 

conservait  le  même  attachement.  Le  culte  était  toujours 
aussi  fréquenté;  la  religion  faisait  autant  que  jamais 
une  partie  de  Tordre  public.  Si  les  absurdités  du  paga- 
nisme étaient  universellement  reconnues  ,  pourquoi 
n'ont-elles  été  rejetées  que  quand  les  apôtres  les  ont 
combattues  ? 

XCYII.  On  ajoute  que  les  discussions  étaient  alors  de 
mode.  Je  conviens  du  fait,  et  j'en  conclus  le  contraire 
de  ce  que  prétendent  nos  adversaires.  Si  on  aimait  à 
discuter,  on  discuta  donc,  et  beaucoup,  les  motifs  de 
crédibilité  du  christianisme;  il  ne  fut  donc  adopté  qu'a- 
près un  très-long,  très-sérieux  et  très-profond  exa- 
men. 

XCYÏII.  Je  nie  formellement  que  lorsque  le  chris- 
tianisme parut,  l'imagination  seule  régnât.  Il  n'y  a  pas 
eu ,  au  contraire ,  de  temps  où  la  philosophie  et  le  rai- 
sonnement aient  été  plus  à  la  mode.  11  était  arrivé  au 
siècle  qui  suivit  celui  d'Auguste ,  ce  que  nous  voyons 
dans  le  nôtre,  qui  vient  à  la  suite  de  Louis  XIT.  Aux 
talents  et  au  génie  avait  succédé  la  philosophie ,  ou  sa 
prétention.  C'est  la  marche  ordinaire  de  l'esprit  humain, 
que  la  manie  de  raisonner  s'augmente  dans  les  siècles 
éclairés,  à  mesure  que  l'imagination  se  dessèche  et 
s'éteint. 

XCIX.  Il  y  avait  dans  ce  temps-là ,  comme  il  y  en 
a  dans  tous  les  temps,  des  têtes  échauffées^  des  esprits 
simples,  qui  croyaient  facilement  aux  visions  ,  aux 
prodiges;  mais  ce  n'était  pas  plus  la  manie  de  ce  siècle 
que  des  autres;  c'était  même,  beaucoup  moins  que 
jamais,  l'inclination  des  hommes  éclairés.  Les  épicuriens 
rejetaient  sans  examen,  comme  des  fables,  tout  ce  qui 
sortait  du  cours  naturel.  Les  académiciens  avaient  pour 
principe  de  tout  soumettre  à  la  discussion,  et  de  n'ad- 
mettre que  ce  qui  leur  était  prouvé  par  la  raison.  La 
maxime  des  stoïciens  était  de  s'en  tenir  aux  doctrines 
antiques.  Les  pythagoriciens  reconnaissaient  pour  règles 
les  décisions  de  leur  maître.  Tous  ces  hommes  étaient- 
ils  disposés  à  adopter  aisément  des  visions?  Lorsque  le 


SUR    LA    RELIGION.  503 

christianisme  est  venu  se  présenter  à  eux  ,  leur  appor- 
tant ses  miracles ,  pense- t-on  qu'ils  les  aient  crus  sur 
parole  et  sans  examen  ? 

C.  On  nous  paile  de  maux  physiques  qui  pesaient 
sur  les  peuples ,  et  qui  attiraient  naturellement  à  une 
religion  consolatrice. 

J'observe ,  d'abord ,  que  parmi  ces  fléaux  auxquels 
l'incrédule  veut  rapporter  l'origine  du  christianisme , 
il  place  les  inondations  des  barbares,  qui  ne  commencent 
qu'au  cinquième  siècle,  lorsque  le  christianisme  était 
certainement  bien  établi.  Cet  anachronisme  grossier  ne 
doit  pas  donner  une  haute  idée  du  reste  de  l'ob- 
jection. 

On  insiste  sur  les  vexations  des  tyrans  et  sur  les 
malheurs  des  peuples  sous  leurs  règnes.  Mais  que  l'on 
considère  donc  qu'un  des  temps  où  le  christianisme  a  le 
plus  étendu  ses  progrès  a  été  le  second  siècle,  sous  la 
domination  de  Trajan,  d'Adrien,  d'Antonin ,  et  de 
Marc-Aurèle  ;  ce  qui  forme  un  espace  de  quatre-vingt- 
deux  ans.  Jamais  royaume  n'a  été  plus  sagement  gou- 
verné ,  jamais  les  peuples  n'ont  été  plus  heureux  que 
sous  ces  quatre  empereurs. 

Il  est  d'ailleurs  tellement  contraire  à  la  vérité  que  les 
malheurs  publics  attirassent  le  peuple  au  christianisme, 
que  c'était  au  contraire  au  christianisme  qu'il  les  attri* 
buait ,  et  qu'ils  étaient  un  prétexte  de  persécution. 
INous  avons  vu  la  preuve  de  cette  imputation,  et  les 
défenseurs  de  la  religion  se  plaindre  de  cette  injustice  et 
la  réfuter (1). 

Je  passe  au  second  genre  de  moyens  naturels  que 
Ton  prétend  avoir  concouru  à  la  propagation  du  chris- 
tianisme, et  que  l'on  tire  de  sa  doctrine. 

CI.  On  argumente,  d'abord,  de  ce  qu'en  présentant 
aux  adorations  des  hommes  un  crucifié,  on  leur  disait 
que  ce  crucifié  avait  fait  des  miracles;  et  de  ce  que  les 


V(jyer  ci-dessas,  no  xl,  note  i,  page  436. 


504  DISSERTATIONS 

prédicateurs  de  sa  doctrine  prétendaient  avoir  encore 
le  pouvoir  d'en  faire. 

Sur  les  miracles  de  Jésus-Christ  je  propose  à  l'incré- 
dulité cette  alternative  :  Ces  faits  miraculeux  étaient-ils 
prouvés,  ne  l'étaient-ils  pas?  Si  on  convient  qu'ils 
l'étaient ,  la  question  est  décidée.  La  religion  s'est  éta- 
blie par  le  moyen  surnaturel  des  miracles.  Si  on  pré- 
tend que  les  prodiges  attribués  à  Jésus-Christ  n'étaient 
pas  prouvés,  je  dis  que  la  conversion  du  monde,  par 
l'annonce  des  miracles,  est  un  phénomène  insoluble  à 
la  raison  ;  et  pour  le  montrer,  je  fais  cet  autre  dilemme. 
Ou  le  public  fut  persuadé  de  la  réalité  de  ces  miracles , 
ou  il  ne  le  fut  pas.  Qu'on  admette  l'un  ou  l'autre,  on 
tombe  dans  une  absurdité.  Soutenir  que  l'univers  ait 
cru,  sans  preuves,  des  miracles  aussi  extraordinaires; 
que  sur  la  foi  aussi  légèrement  conçue  de  ces  miracles , 
et  sans  en  avoir  aucune  raison,  il  ait  consenti  à  admettre 
des  mystères  aussi  au-dessus  de  la  raison,  et  se  soit 
déterminé  aux  plus  rigoureux  sacrifices,  est  souverai- 
nement déraisonnable.  Des  miracles  jiour  lesquels  il 
faut  souftrir  tout  ce  qu'entraînait  de  maux  la  profession 
du  christianisme,  ne  sont  pas  crus  sur  parole  et  sans  de 
très-fortes  preuves.  Si  on  aime  mieux  prétendre  que  la 
religion  chrétienne  fut  embrassée  par  l'univers,  quoi- 
qu'il ne  crût  pas  vrais  les  miracles  de  son  auteur,  ce  sera 
une  assertion  souverainement  ridicule.  Le  monde  se 
serait  laissé  entraîner  à  adorer  un  crucifié  sur  l'annonce 
de  ses  miracles ,  quoiqu'il  fût  persuadé  de  la  fausseté  de 
ces  miracles. 

Par  rapport  aux  miracles  des  premiers  chrétiens, 
l'objection  est,  s'il  est  possible,  plus  pitoyable  encore. 
Ils  se  vantaient  de  faire  actuellement  des  miracles.  Pour 
savoir  si  leur  prétention  était  fondée ,  il  n'y  avait  pas 
besoin  de  raisonnement ,  il  ne  fallait  que  des  yeux.  On 
ne  pouvait  pas  sur  ce  point  être  dans  l'erreur,  ni  même 
dans  l'incertitude.  S'ils  opéraient  les  prodiges  qu'ils 
promettaient,  la  religion  a  été  étabhe  par  un  moyen 
surnaturel  et  par  la  puissance  divine.  Si,  promettant  des 


SUR    LA    RELIGION.  505 

miracles ,  ils  n'en  avaient  point  opéré  ,  ils  auraient 
perdu  toute  créance  et  décrétUlé  leur  doctrine.  L'annonce 
des  miracles  était  un  moyen  puissant  de  fonder  le 
christianisme  ,  s'ils  étaient  réels  ,  mais  en  même  temps 
elle  était  un  obstacle  insurmontable  à  la  fondation  du 
christianisme,  s'ils  étaient  faux.  Le  christianisme  a  été 
établi  par  l'annonce  des  miracles;  donc  les  miracles  ont 
été  véritablement  opérés. 

CIL  On  nous  donne  comme  un  moyen  naturel  d'at- 
tirer au  christianisme  les  païens,  la  doctrine  du  chris- 
tianisme sur  la  vie  future ,  où  la  vertu  et  le  vice  rece- 
vront leur  salaire.  Ce  n'était  que  dans  quelques  écoles 
de  philosophie  que  Its  peines  et  les  récompenses  d'une 
autre  vie  étaient  rendues  problématiques.  Le  peuple 
n'en  doutait  point.  L'élysée  et  le  tartare  faisaient  partie 
de  la  religion  généralement  reçue.  Celle  que  l'on  pré- 
sentait éclaircissait  et  confirmait  ce  qu'enseignait  l'an- 
cienne. Etait-ce  une  raison  pour  en  changer?  D'ailleurs ^ 
si  cette  ferme  croyance  d'une  autre  vie  devait  naturelle- 
ment attirer  les  hommes  dans  une  doctrine,  pourquoi 
ne  les  avait-elle  pas  tous  attirés  dans  le  stoïcisme,  qui 
en  faisait  un  dogme  fondamental?  Comment^  après 
l'établissement  de  cette  secte ,  se  trouvait-il  encore  des 
épicuriens  qui  rejetaient  l'autre  vie ,  des  académiciens 
qui  en  doutaient?  Quelle  force  a  existé  dans  le  christia- 
nisme, pour  opérer  ce  que,  durant  trois  siècles,  le 
stoïcisme  n'avait  pu  faire? 

CIIL  On  nous  donne  comme  la  croyance  de  toute 
la  primitive  église,  une  opinion  que  très-peu  de  per- 
sonnes ,  que  peut-être  personne  n'avait  ;  savoir ,  que  la 
fin  du  monde  était  proche.  L'apôtre  St.  Paul  avait 
réfuté  cette  erreur,  et  dissipé  l'illusion  où  avaient  pu 
être  quelques   esprits  (1),   D'ailleurs  ,  supposant  sans 


(j)  Rogamas  antem  vos  fratrcs;...  ut  non  cilo  moveamini  a  ves- 
tro  sensu,  neque  terreamini ,  neqne  per  spiritum,  neqiie  per  episto- 
lam ,  tanquam  per  nos  missam ,  quasi  instet  dies  Doraini.  (2.  Thes- 
ial.ll,  I,  2.) 

Dissert,  sur  la  Relig,  22 


506  DISSTATIERONS 

fondement ,  et  contre  la  vérité ,  que  c'était  une  croyance 
générale  dans  TEglise,  comment  aurait-elle  pu  y  attirer 
les  païens,  qui  ne  l'avaient  pas?  Pour  leur  imprimer 
cette  terreur  de  la  fin  du  monde,  il  aurait  fallu  com- 
mencer par  leur  prouver  la  vérité  de  la  religion  ;  mais 
cette  terreur  ne  pouvait  pas  être  pour  eux  une  raison  de 
croire  que  la  religion  fût  véritable. 

CIV.   On  nous  donne    comme  un  moyen  naturel  de 
la  propagation  du  christianisme,  la  beauté  de  sa  morale, 
la  manière  dont  elle  était  pratiquée,  la  charité  et  l'union 
des  premiers  chrétiens.  Je  crois  bien  que  le  spectacle, 
si  nouveau  parmi  les  païens,  de  la  vie  pure  et  pleine  de 
vertus  que  menaient  les  premiers  chrétiens ,  dût  faire 
une  grande  impression ,  et  disposer  les  esprits  raison- 
nables ,  qui  se  donnaient  la  peine  d'examiner,  en  faveur 
de  la  religion  qui  procurait  ce  bien  à  l'humanité.  Mais 
je  demanderai  d'abord  si  on  peut  regarder  comme  une 
chose  naturelle ,  que  douze  pécheurs  ,  d'un  esprit  simple 
et  grossier ,  aient  présenté  au  genre  humain  une  morale 
aussi  sublime  ,  aussi  parfaite ,  qui  sui*passe  de  beaucoup 
tout  ce  qu'avaient  pu  imaginer  les  plus  profonds  philo- 
sophes? Je  demanderai  ensuite  si  c'est  encore  une  chose 
naturelle,  que  cette  morale  si  austère,  qui  non-seule- 
ment  conseille  ,    mais    commande  les  vertus  les   plus 
contraires  à  la  nature  et  aux  inclinations  de  l'homme , 
ait  été  adoptée  si  généralement  à  la  voix  de  ces  douze 
hommes    sans   autorité    comme    sans   lumières  ;    qu'ils 
aient   eu   le   pouvoir    d'engager   un   si    grand   nombre 
d'hommes  à  se  dépouiller  des  vices   qu'ils  avaient  pra- 
tiqués  toute  leur  vie  sans  scrupules  et  sans  frein,   et 
dans    lesquels   ils   plaçaient    leur    bonheur  ,    en    leur 
faisant  embrasser  subitement  toutes  les  vertus  contraires  : 
à  l'égoïste ,  la  charité  fraternelle  ;  à  l'orgueilleux ,  l'hu- 
milité;   à  l'ambitieux,  le  désintéressement;  à  l'avare, 
le  mépris   des  richesses;    au    vindicatif,   l'amour  des 
ennemis  ;  aux  voluptueux  ,  la  mortification.  Que  l'on 
compare  ce  qu'avaient  produit  depuis  plusieurs  siècles , 
pour  la  perfection  de  la  morale,  les  plus  beaux  génies 


SUR   LA    RELIGION.  507 

dont  niumanité  se  glorifie ,  à  ce  qu'ont  opéré ,  dès  le 
premier  moment  de  leur  prédication  ,  ces  esprits  si 
épais  et  si  bornés,  et  qu'on  vienne  nous  dire  ensuite  que 
le  succès  de  ceux-ci  est  un  effet  naturel.  On  nous  donne 
comme  une  cause  naturelle  de  ces  vertus  de  l'Eglise 
primitive,  le  désir  de  soutenir  la  bonne  réputation  de 
la  société.  C'était  véritablement  un  sentiment  naturel  à 
des  hommes  pénétrés  de  la  vérité  et  de  la  sainteté  de 
leur  religion  ,  de  désirer  en  persuader  tous  les  autres. 
Mais,  1"  ce  motif  seul  aurait-il  été  capable  de  les  porter 
à  tous  les  sacrifices  qu'exigeait  le  christianisme?  2°  Le 
désir  de  procurer  au  christianisme  une  bonne  réputa- 
tion ,   pouvait-il  attirer  au  christianisme  les  païens? 

Cy.  Pour  faire  regarder  comme  naturelles  les  mœurs 
vertueuses  et  pures  des  premiers  chrétiens ,  on  dit  que 
les  vertus  accompagnent  toujours  le  prosélytisme.  Cette 
assertion  n'est  assurément  pas  exacte.  Combien  de  sec- 
taires ont  été  des  hommes  sans  vertus  I  combien  de 
sectes  ont  dû  leurs  progrès  à  ce  qu'elles  lâchaient  la 
bride  aux  passions  ! 

CVI.  «  Comment  l'incrédule  ose-t-il  compter  parmi 
«  les  moyens  de  séduction  les  espérances,  les  consola- 
«  tions,  et  jusqu'aux  aumônes  que  le  christianisme 
«  offrait  à  ses  prosélytes?  Les  espérances  et  les  conso- 
«  lations  de  la  foi  chrétienne  n'étaient  pas  de  nature  à 
«  éblouir  la  multitude;  elles  ne  pouvaient  faire  quelque 
K  impression  que  sur  des  âmes  vertueuses ,  fortement 
«  déterminées  à  sacrifier  tous  les  intérêts  du  monde  et 
'i  des  passions  au  désir  du  salut  éternel.  Que  le  peuple 
«  se  laisse  prendre  à  l'appât  de  la  licence  et  de  l'impu- 
«  nité,  c'est  une  chose  naturelle  et  trop  ordinaire  ; 
u  mais  que,  sans  motif,  sans  examen,  malgré  tous  ses 
«  préjugés,  il  embrasse  une  doctrine  qui  l'oblige  à  la 
«  vertu  la  plus  austère  ,  qui  ne  lui  présente  aucun 
«  avantage  temporel ,  et  qui  l'expose  à  de  nouvelles 
«  peines  et  à  de  nouveaux  dangers,  c'est  un  genre  de 
«  séduction  dont  il  n'y  avait  pas  encore  eu  d'exemple, 
u  Ces  aumônes,  si  recommandées  dans  les  épîtres  de 


508  DISSERTATIONS 

<(  St.  Paul  5  étaient  un    bien    faible  dédommagement 
«  pour  la  gêne  et    les    périls  inséparables   alors  de  la 
«t   profession  du  christianisme.  Tl  s'en  fallait  de  beaucoup     | 
«   qu'elles  pussent  suffire  aux  besoins  de  tous  les  con- 
«  vertis ,  et  certainement  elles  n'étaient  pas  destinées  à 
«   nourrir  l'oisiveté.  Car  St.  Paul  fait  une  loi  rigoureuse 
rt  du  travail ,  en  disant  que  celui  qui  ne  travaille  pas  ne     3 
«  mérite  pas    de    manger   (1).    Quelle    injustice,  quel     \ 
«   travers  d'esprit ,  de  chercher  un  argument  contre   le 
«   christianisme  dans  une  institution  où  l'on  ne  devrait 
a   qu'admirer   le    désintéressement  et    la    charité   qu'il     i 
«   inspire  I  Quelle  inconséquence  de  ranger  les  aumônes     j 
<(  parmi   les  moyens  de  séduction ,   quand  on  prétend 
«   que  l'Eglise  n'était  alors  composée  que  de  misérables? 
«  Etaient-ce  les  juifs  ouïes  païens  qui  en  faisaient  les 
«  fonds?    Et  si  c'étaient  des  chrétiens,  comme  il   faut 
«  bien  le  supposer,  par  quels  motifs  ces  hommes  opu- 
««  lents  avaient-ils  été  gagnés  à  la  nouvelle  religion  (2)?» 
CVII.  On  nous  présente  encore  comme  un  moyen  de 
grossir  le  parti  chrétien    la    facilité   qu'on  y    trouvait 
d'obtenir  le  pardon  de  ses  péchés,   ce  que  n'offrait  pas 
le  paganisme.  D'abord  cette  dernière  partie  de  l'objec- 
tion   n'est    pas  vraie.   On    connaît    les  initiations   par 
lesquelles  les  prêtres  des  faux  dieux  prétendaient  faire 
pardonner  les  plus  grands  crimes.  D'ailleurs  ce  motif 
n'aurait  pu  attirer  au  christianisme  qu'un  bien  petit 
nombre  de  personnes.   La  vie  austère  et  pénitente  qu'il 
prescrivait ,  était  bien  plus    propre   à    en  éloigner  les 
grands  pécheurs.  Enfin, pour  chercher  dans  une  religion 
le  pardon  de  ses  fautes,  il  faut  avoir  reconnu  la  vérité 
de   cette    religion.  Un  homme   assez  repentant  de  ses 
péchés  pour  vouloir  les  expier ,  n'ira  pas  tête  baissée 
s'adresser  à  une  secte  qu'il  ne  croit  pas  véritable. 


(i)   Si  qais  non  vult  operari ,  neç  nianducet.  {1.  Thessal.  III,  10.) 
(2)  Démonstration  évangëlique,  par  M.  Duvoisin  ;  cinquième  édi- 
tion, pages  181  et  182. 


SCR    LA    RELIGIO.N.  509 

GVIII.  Il  est  vrai  que  la  religion  de  Jésus-Christ  est 
intolérante,  en  ce  qu'elle  est  une  ,  et  qu'elle  n'admet  le 
mélange  d'aucune  erreur,  à  la  différence  du  paganisme, 
qui  était  un  composé  de  diverses  idolâtries.  3Iais  cette 
insociabilité  du  christianisme  avec  lus  autres  religions, 
au  lieu  d'être  un  attrait  pour  ceux  qui  professaient  ces 
religions,  devait  être  au  contraire  un  obstacle  qui  les 
repoussât.  Je  conçois  aisément  qu'un  païen  admît  sans 
beaucoup  de  difficulté  un  Dieu  qui  ne  l'empêchait  pas 
d'adorer  ses  autres  dieux  ;  mais  que,  pour  recevoir  un 
Dieu  nouveau  ,  on  abjurât  tout  ce  qu'on  avait  de  préju- 
gés de  naissance,  d'éducation,  d'exemple,  cela  n'est 
pas  aussi  aisé  à  croire.  La  persuasion  où  étaient  les 
chrétiens  ,  de  la  vérité  de  leur  religion  ,  et  de  la  fausseté 
de  toutes  les  autres,  était  bien  une  raison  pour  donner 
à  leur  prédication  de  l'activité  ,  mais  nullement  pour 
lui  attirer  du  succès. 

CIX.  On  prétend  qu'une  religion  qui  prêche  la  luor- 
tification  des  passions  et  des  sens ,  loin  d'éloigner  le 
peuple  ,  est  en  cela  même  plus  de  son  goût.  Quand  on 
avance  une  assertion  aussi  contraire  à  toutes  les  idées 
reçues ,  il  faudrait  en  donner  quelque  preuve ,  tirée  du 
raisonnement  ou  de  l'expérience.  Tous  les  hommes ,  en 
général ,  sont  portés  au  plaisir  des  sens ,  à  la  satisfaction 
des  passions.  Si  on  se  bornait  à  dire  qu'il  peut  se  trouver 
quelques  esprits  amateurs  des  idées  abstraites,  qui,  se 
montant  au  goût  de  la  métaphysique  ,  s'enthousias- 
mèrent d'une  doctrine  qui  ordonnait  de  renoncer  aux 
sens  ,  on  pourrait  passer  cette  assertion.  Mais  les  esprits 
de  cette  trempe  sont  excessivement  rares ,  ils  font  une 
exception  très-peu  nombreuse  dans  la  masse  du  genre 
humain  ,  qui  est  d'une  nature  absolument  contraire , 
et  pour  qui  par  conséquent  les  sacrifices  exigés  par  le 
clnistianisme  étaient  une  très- forte  raison  de  le  rejeter. 
On  nous  citera  peut-être  le  stoïcisme  comme  un  exemple 
de  l'empire  que  peut  avoir  une  doctrine  qui  réprime  les 
passions,  et  qui  est  contraire  aux  sens.  Mais  d'abord,  est- 
il  vrai  que  le   stoïcisme  interdit  les  plaisirs  des  sens  ; 


510  DISSERTATIONS 

que  le  christianisme  condamne?  Ensuite  le  motif  qui 
animait  les  stoïciens  n'était-il  pas  l'orgueil  et  l'amour  de 
la  réputation?  Ils  ne  réprimaient  les  autres  passions  que 
pour  donner  plus  de  carrière  à  celle-là,  que  le  chris- 
tianisme réprouve  ainsi  que  toutes  les  autres.  Enfin  , 
si  le  sacrifice  des  passions  et  des  sens  est  naturel  à 
l'homme,  pourquoi  le  stoïcisme^  depuis  Zenon,  avait-il 
fait  peu  de  prosélytes?  Pourquoi  le  christianisme ,  sous 
les  apôtres,  fit-il  tant  de  conquêtes? 

ex.  La  uiorale  chrétienne  est  subhme;  mais  elle 
était  calomniée.  On  accusait  les  chrétiens  des  barbaries 
les  plus  atroces,  des  dissoluiions  les  plus  honteuses; 
c'était  là  ce  que  le  vulgaire  croyait  de  leurs  mœurs. 
Nous  avons  vu  qu'un  des  principaux  objets  des  apolo- 
gistes était  de  justifier  le  christianisme  de  ces  impu- 
tations, qui  le  rendaient  généralement  odieux  (1).  Il 
n'est  donc  pas  vrai  que  la  beauté  de  sa  morale  attirât 
en  général  les  païens  dans  son  sein. 

CXI.  De  la  morale  de  notre  religion  on  passe  à  sa 
discipline.  On  donne  la  constitution  de  l'Eglise  comme 
un  moyen  naturel ,  qui  a  dii  contribuer  à  son  agran- 
dissement. Sur  cela ,  j'observe  d'abord  que  ce  qui  est 
dit  de  cette  constitution  est  absolument  faux.  On  pré- 
tend que  l'Eglise,  gouvernée  d'abord  par  des  prophètes  , 
le  fut,  après  la  cessation  du  don  de  prophétie ,  par  des 
évéques.  Il  y  a  eu  dès  le  premier  temps ,  et  lorsque  le 
don  de  prophétie  existait  encore ,  des  évèques  à  la 
tête  des  églises.  Les  apôtres,  à  mesure  qu'ils  en  avaient 
fondé  une,  y  préposaient  un  évèque  ,  et  St.  Paul,  qui 
fait  souvent  mention  du  don  de  prophétie  ,  comme 
existant,  avait  établi  des  évêques  en  divers  lieux  de 
sa  prédication. 

On  dit  que  les  diverses  places  établies  dans  le  clergé 
excitaient  l'ambition  des  chrétiens.  C'étaient  de  bien 
misérables  objets  de  l'ambition  humaine,  que  ceux  qui , 


(i)  Yi)yez  ci-dessas ,  n°  LUI,  note  i,  page  456. 


SUR    LA    RELIGION.  51  l 

ne  rapportant  aucun  avantage  temporel ,  dévouaient  à 
déplus  grandes  fatigues,  et  exposaient,  dans  ces  temps 
de  persécution,  à  de  plus  grands  dangers.  D'ailleurs, 
ces  divers  ministères  excitaient-ils  aussi  l'ambition  des 
païens  pour  les  faire  entrer  dans  le  christianisme? 

On  ajoute  que  ces  ministres,  dirigeant  les  infidèles, 
unissaient  les  efforts  de  leur  zèle.  Mais  je  voudrais 
savoir  comment  des  évèques,  répandus  d'une  extrémité 
du  monde  connu  jusqu'à  l'autre,  et  qui  n'avaient  en- 
tre eux  que  de  très-difficiles  communications,  auraient 
pu  donner  cette  unité  à  un  zèle  qui  n'aurait  pas  été 
fondé  sur  la  vérité.  Je  voudrais  aussi  que  l'on  me  dît 
si  les  efforts  dirigés  contre  le  christianisme  par  un  seul 
souverain,  revêtu  d'une  immense  puissance,  ne  devaient 
pas  avoir  plus  d'unité  que  ceux  que  pouvait  faire  cette 
multitude  d'évèques  dispersés.  Les  nombreux  volon- 
taires ,  puisqu'on  se  sert  de  cette  comparaison^  qui 
combattaient  la  rehgion,  devaient,  humainement  par- 
lant, être  mieux  disciplinés  que  le  petit  nombre  de 
volontaires  qui  la  défendaient. 

CXIl.  Il  ne  me  reste  à  répondre  qu'à  la  dernière 
partie  de  l'objection  ,  qui  donne  les  persécutions  comme 
un  moyen  qui  a  dû  naturellement  contribuer  à  l'a- 
grandissement du  christianisme.  Elles  n'y  ont  pas  nui, 
dit-on.  Si  on  entend  par  là  qu'elles  ne  l'ont  pas  em- 
pêché de  se  propager,  on  ne  dit  rien  que  de  vrai; 
mais  de  cette  vérité  il  résulte  qu'une  force  supé- 
rieure (1)  à  celle  des  souverains  l'a  protégé  contre  leur 


(i)  Qaibasnara  snffragiis  ad  praedicandam  evangelinm  apostoli  usi 
snnt?  Quibus  adjuti  potestatibus  Christum  praedicavemnt,  gentesque 
fere  omnes  ab  ido'is  ad  Deam  transulerunt?  Anne  aliqaam  sibi  assa- 
mebant  e  palatio  dignitaJem,  hymnnm  Deo  in  carcere  inter  catenas , 
et  post  flagella  cantantes,  edictisque  regiis  Paulus  cam  in  theatro 
spectaculura  ipse  esset  Christo  ecclesiam  congregabat?  Nerone  se, 
credo,  ant  Vespasiano  aut  Decio ,  pairocinaniibas  tuebatur,  quorum 
in  nos  odiis  confessio  divinae  praedicalionis  efflornit,  Illi  maiia  atqae 
opère  se  celantes,  intra  cœnacala  secretaqne  ooeuntes,  vicos  et  cas- 
tella  ,  gentesqae  fere  omnes,  terra  acmari,  contra  senalusconsalta  , 


512  DISSERTATIONS 

violence.  Si  on  prétend  que  les  persécutions  ont  servi  le 
christianisme,  je  demanderai  que  l'on  montre  comment 
la  persécution  est  un  moyen  naturel  de  propager  une 
religion ,  et  que  l'on  donne  quelque  raison  de  ce  sin- 
gulier paradoxe. 

On  croit  l'expliquer  ,  et  lui  donner  un  air  de  vérité , 
en  disant  que  la  persécution  ne  fut  pas  perpétuelle , 
qu'i  y  eut  des  alternatives,  et  que  la  persécution  hâta 
les  progrès  qu'avait  ouvert  la  tolérance  l  La  tolérance  I 
et  dans  quel  temps  ouvrit-elle  les  progrès  du  christia- 
nisme? Nous  avons  vu  que  ceux  mêmes  des  empereurs 
qui  n'avaient  pas  donné  d'édits  pour  persécuter  les 
chrétiens,  n'avaient  pas  révoqué  ceux  de  leurs  prédé- 
cesseurs. Nous  avons  vu  que  sous  les  empereurs  les 
moins  portés  à  la  persécution,  le  zèle  barbare  de  plu- 
sieurs gouverneurs  de  provinces,  abusant  des  lois  an- 
ciennes, sévissait  contre  les  chrétiens,  sans  que  jamais 
on  le  réprimât.  Nous  avons  vu  que  pendant  deux  cent 
cinquante  ans  il  y  eut  contre  l'Eglise  une  persécution 
continue,  qui  était  redoublée  par  intervalles.  Il  est  aussi 
contraire  à  la  vérité  de  dire  que  la  tolérance  a  ouvert 
les  voies  au  christianisme ,  qu'il  répugne  à  la  raison  que 
la  persécution  ait  pu  hâter  ses  progrès. 

CXIII.  On  parle  de  l'esprit  de  parti  qui  attache  sur- 
tout à  une  religion  persécutée.  Tertullien  répondait ,  il 
y  a  seize  cents  ans  :  Nous  fûmes  autrefois  des  vôtres  ; 
on  devient,  on  ne  naît  pas  chrétien  (1).  L'esprit  de  parti 
ne  fait  pas  changer  de  parti.  On  ne  montre  point  son  at- 
tachement à  sa  secte,  en  la  quittant.  Que  l'on  accuse  de 
cette  opiniâtreté  les  païens ,  qui  refusaient  de  se  conver- 
tir; mais  il  est  déraisonnable   et  ridicule   de  l'imputer 


et  regam  edic!a  peragrantes,  claves  regni  cœlorum  non  habebant? 
Ant  non  manifesta  se  tnm  Dei  virtas  contra  odia  humana  porrexit , 
cnm  tanto  raagis  Christus  praedicaretar,  qaanto  magis  praedicari  in- 
bibereînr.  {S.  Hilariiis  contra  jéuxeiitium  ^  n°  3.) 

(i)  Aliqaando  de  vestris  faimus,  Fiunt ,  non  nascuntur  christiani. 
(  TertiilL,  Apol.^  cap.  xvni.  ) 


SUR    LA    RELIGION.  5I3 

aux  néophytes  chrétiens  qui  commençaient  par  fouler 
aux  pieds  les  opinions  auxquelles  ils  avaient  été  atta- 
chés. 

D'où  savent  les  incrédules  que,  si  on  avait  continué 
de  persécuter  avec  la  même  violence  le  christianisme , 
pendant  une  longue  suite  d'années,  on  l'aurait  étouffé  ; 
et  que  si  on  avait  toujours  suivi  le  plan  de  le  mépriser, 
on  l'aurait  fait  tomber  de  lui-même?  Ce  n'est  point  par 
des  présomptions  qu'il  faut  combattre  des  faits  positifs. 
Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que  la  persécution  et 
le  mépris  sont  des  moyens  propres  à  faire  tomber  une 
fausse  doctrine.  Mais  cette  vérité  milite  pour  notre  reli- 
gion. Elle  a  subi  la  double  persécution  de  la  cruauté  et 
du  mépris,  plus  de  temps  qu'il  n'en  aurait  fallu  pour 
anéantir  dix  religions  qui  auraient  été  fausses. 

CXIV.  On  veut  enfin  attribuer  l'accroissement  du 
christianisme  aux  persécutions  des  empereurs  chrétiens 
contre  le  paganisme.  Avant  d'examiner  le  fait,  exami- 
nons ce  qu'on  peut  en  conclure.  Deux  siècles  et  demi  de 
persécution,  depuis  Néron  jusqu'à  Constantin,  ont 
agrandi  le  christianisme.  Un  peu  plus  d'un  siècle  de 
persécution,  depuis  Constantin  jusqu'à  31arcien  ,  ont 
anéanti  le  paganisme.  Quelle  peut  être  la  raison  de  cotte 
différence,  sinon  la  vérité  de  l'une  de  ces  religions,  et 
la  fausseté  de  l'autre? 

Reprenant  l'assertion  en  rlie-mème  ,  je  dis  qu'elle  est 
tellement  démentie  par  tous  les  monuments  historiques, 
qu'il  est  étonnant  qu'on  ait  osé  la  produire.  Le  christia- 
nisme était,  au  commencement  du  règne  de  Constantin, 
la  religion  la  plus  nombreuse.  J'ai  prouvé  cette  vérité 
par  l'autorité  des  païens  ,  des  persécuteurs  eux-mêmes  , 
par  la  conduite  de  3Iaxence,  jiar  les  édits  de  JMaxi- 
min  (1).  Comment  peut-on  attribuer  aux  persécutions 


(i)  Voyez  ci-deà?uî,  n''  xxi  et  xxii,  page  417,  note  i  et  3. 

22* 


514  DISSERTATIONS 

de  Constantin  et  de  ses  successeurs  un  accroissement  qui 
existait  avant  Constantin? 

CX\.  Les  ennemis  du  christianisme  déchirent  ce 
prince  qui ,  le  premier ,  a  professé  et  protégé  le  christia- 
nisme. Je  n'entreprends  point  de  venger  la  mémoire  de 
ce  grand  empereur  ;  je  laisse  ce  soin  à  l'Iùsloire.  Elle  lui 
reproche  quelques  défauts,  quelques  fautes;  mais  avec 
la  même  impaitiaUté  elle  raconte  ses  hautes  vertus,  ses 
brillantes  qualités,  ses  grandes  actions.  Je  n'ai  ici  à  le 
laver  que  de  l'inculpation  de  persécution. 

Si  Constantin  avait  été  persécuteur,  Eusèbe  aurait-il 
osé  avancer  le  contraire ,  à  la  face  de  tout  l'empire  qui 
l'aurait  démenti?  Ce  qui  est  plus  fort  encore,  si  Cons- 
tantin eût  été  persécuteur  ,  Zozime,  si  ardent  contre  sa 
mémoire,  Julien,  Libanius,  Ammien-Marcellin,  Eu- 
nape  ,  tous  écrivains  païens ,  ne  le  lui  auraient-ils  pas 
reproché  ? 

Pour  justifier  entièrement  Constantin  à  ce  sujets  il  n'y 
a  qu'à  lire  l'édit  qu'il  donna  en  faveur  de  la  religion 
chrétienne  ,  où  il  permet  formellement  l'exercice  de  l'i- 
dolâtrie. Eusèbe  nous  Ta  conservé  en  entier  (1). 

Il  serait  trop  long  de  suivre  le  détail  des  imputations 
faites  à  ce  prince  sur  l'interdiction  de  l'idolàlrie  ,  la  des- 


(i^  Equidem  populnin  tnum  pacale  3C  sine  ulla  diîione  degere  , 
pro  coinmani  totius  orbis  et  cnnc'orum  mortalium  ulil:tate  desidero. 
Qui  autem  gentilitatis  errore  iinplicali  sont  ,  ipsi  quoque  eauidein 
cuin  fidelibus  pacis  et  quietis  oblectationera  laeii  petcipiant.  Haec  enim 
coinmnnionis  et  societatis  inntuae  reparalio  ad  homjnt-s  in  reclam 
viam  reducendos  pb^rimam  valet.  Nemo  alteri  molestiam  facessat. 
Quod  atriqae  bbi'uiu  fuerit  ,  id  agat,  Illud  tamen  apad  eos  qui  recte 
sentiant  fixutn,  rataraqne  esse  oportet ,  so!os  illos  sancte,  casteqne 
esse  victuros,  quos  tu  ipse  ad  hoc  vocasti,  ut  sacrosancfis  tnis  legi- 
bns  acquiesçant.  Qui  veio  se  ipsos  snbtrahnnt ,  habeant  siLi  raenda- 
ciorum  delnbra,  quando  ita  volunt.  Nos  splendidissimam  doiiiura 
veiitatis  tuœ ,  quani  nascentibus  nobis  donasti  retinerons.  Id  ipsam 
qnoqoe  illis  optanius,  nt  scilicet  ex  coramuni  oinniTim  consensu  ,  at- 
qae  concordia  inaximnm  capiant  volaptalem.  (Eiiseb.  vita  Constan-^ 
tini  ^  lib.  II.  cap.  56.) 


SUR    LA    RELIGION.  515 

truction  et  la  spoliation  des  temples.  Ce  point  a  été  sa- 
vamnieait  discuté  dans  un  mémoire  de  31.  le  baron  de  la 
Bastie,  sur  le  souverain  pontificat  des  empereurs  ro- 
mains (1).  Il  y  établit  que  si  Constantin  supprima  quel- 
ques cultes,  c'étaient  ceux  qui  servaient  d'occasion  au 
libertinage  ;  que  si  ce  prince  se  saisit  des  revenus  des 
temples,  et  fit  enlever  quelques-unes  de  leurs  statues 
pour  décorer  sa  ville  de  Constantinople,  il  les  laissa ,  en 
tout  le  reste ,  dans  leur  premier  état  ;  ce  qu'il  prouve 
par  les  autorités  non  suspectes  de  Libanius  et  de  Julien. 
Il  cite  une  loi  de  Constance  et  de  Constant,  fils  de  Cons- 
tantin ,  par  laquelle  ils  confirment  la  loi  de  leur  père  sur 
les  sacrifices,  mais  sans  aller  au-delà.  Il  convient  qu'il 
existe  dans  le  cod^  Tliéodosien  des  lois  de  sang  contre 
la  pratique  de  l'idolâtrie;  mais  il  ajoute  que  ces  lois 
n'ont  jamais  été  exécutées,  ni  même  publiées,  et  que 
Tliéodose  le  Jeune  les  a  fait  mettre  dans  son  recueil , 
parce  qu'on  les  avait  trouvées  dans  les  papiers  de  la  se- 
crétairerie  d'état.  Il  confirme  son  assertion  par  l'auto- 
rité de  Simmaque,  qui  dit  positivement  que  cet  empe- 
reur ne  porta  aucune  atteinte  à  l'ancien  culte,  et  par  des 
monuments  que  rapporte  Gruter,  lesquels  prouvent  que 
les  fêtes  païennes  se  célébraient  malgré  ces  prétendues 
lois. 

Nous  avons  de  très-graves  autorités  qui  prouvent  que 
ni  Constantin ,  ni  ses  successeurs  dans  le  quatrième  siè- 
cle ,  et  au  commencement  du  cinquième,  n'intentèrent 
contre  les  païens  les  violentes  persécutions  qu'on  leur 
impute. 

Saint  Ambroise,  écrivant  à  Yalentinien  [I ,  lui  dit 
qu'il  est  juste  qu'on  lui  laisse  la  liberté  de  pratiquer  sa 
religion,  comme  lui-même  l'accorde  aux  autres '2}. 


(i)  Mémoires  de  rAcadéraie  des  Inicriptions  el  Belles  Lettre* , 
tom.  XV,  in- 4°,  page  90  et  sniv. 

(2)  Inviturn  non  cogiiis  culere  qnod  nolit.  Hoc  idem  vobis  liceat 
imperator  :  et  unasqaisqne  patienter  ferai  si  non  exrorqneat  irapera- 
tori ,  quod  moleste  ferret  si  ei  extorquere  cnperet  imperator.  [S, 
Ambros.,  epist.  xvii,  ad  Falentinianum  y  u"  6.) 


516  DISSERTATIONS 

Prudence,  dans  son  poënie  en  réponse  à  Symmaque  , 
dit  que  c'est  librement,  de  cœur,  et  sans  contrainte, 
qu'on  se  donne  à  la  religion  chrétienne.  11  ajoute  que  la 
profession  du  paganisme  n'exclut  personne  des  hon- 
neurs qu'il  a  mérités  ;  et  il  cile  par  exemple  Symmaque 
lui-même,  éievé  par  l'empereur  à  la  dignité  de  con- 
sul (2). 

Saint  Jean  Chrysostôme  déclare  en  propres  termes 
qu'aucun  des  empereurs  chrétiens  n'a  employé  la  vio- 
lence pour  faire  embrasser  le  christianisme  ;  mais  que  l'i- 
dolàtrie  ,  malgré  la  paix  dont  on  la  laissait  jouir  ,  s'est  dé- 
truite d'elle-même  ,  semblable  aux  coi-ps  intérieurement 
gangrenés ,  qui  ,  sans  qu'on  les  touche ,  tombent  en  dis- 
solution (1). 


(i)  Qua  vocal  egregii  senientia  principis,  illac 
L'bera ,  cnm  pedibus ,  tum  corde  freqneniia  transit. 
TSec  locos  invidiae  est  :  nallarn  vis  aspera  terret; 
Ante  octilos  sic  velle  patet  :  cunctique  probatQiu  , 
Non  jassnm,  sola  capli  ratione  seqauulur. 
Denique  pro  meritis  terrestribus  seqaa  rependens 
Munera,  sacricolis  œqoos  impertit  honores 
Dux  bonus,  et  certare  sinit  cura  lande  snornnj. 
Nec  pago  impbcitos  per  débita  culraina  raaiidi 
Ire   viros  probibet  :  quoniam  cœlestia  nunqaam 
Terrenis  solitara  per  iter  gradientibus  obstant. 
Ipse  magi-itratum  tibi  consalis,  ipse  tribunal 
Contalit,  anratnmqae  togœ   donavit  amictuia  , 
Cajas  religio  tîbi  displicet ,  o  pereantnra 
Asserlor  Divara  ! 

{Prudent,  cont.  Symmach.  lib.  I,  vers.  6i2  et  seq.) 
(2)   Nullus   autem    ex    piis  imperatoribus  nnqaam  abdnctus  est  nt 
virum  infidelem  torqaeret,  ac  snppliciis  togeret  ab  errore  d  scedere. 
{S.  Joaii.  Chry'sosC,  Homil    de  Droside  ^  n°  2.) 

Et  nostraram  quideni  rerum  illa  est  raljo  :  vestras  autem  res  op- 
pagnavit  nenio  onqaam.  Neqae  enim  fas  est  christianis  necessitate 
ac  violentia  errorein  subvertere;  &ed  saadela ,  serruone  et  raansneta- 
dine  borainnm  salus  cnranda  est.  Qaamobrem  neino  ex  christianis 
iraperatoribas  talia  contra  vos  posait  décréta,  qnalia  contra  nos  ii 
qai  dacmones  colebjnt.  Attamen  error  ille  gentilium,  tantara  conse- 
catas  qaietem,  et  a  neraine  tarbatas  nnqaam,  per  se  tamen  extinc- 
tns  est ,  et  in  se  ipse  corruit  :   more   corpornm  ,  qaae  diuturna   tabe 


SUR    LA.    RELIGION.  5l7 

Nous  voyons  dans  ce  même  temps  plusieurs  païens , 
honorés  de  places  distinguées  ,  spécialement  ,  outre 
Symmaque,  Boèce,  et  Macrobe  proconsul  d'Afrique  et 
grand  chambellan  de  Théodose  II.  Des  empereurs  per- 
sécuteurs du  paganisme  auraient-ils  traité  ainsi  des 
païens  célèbres? 

CXyi.  Quand  nous  disons  que  le  christianisme  a  es- 
suyé ,  pendant  deux  siècles  et  demi ,  de  violentes  et  san- 
glantes persécutions,  nous  en  produisons  les  preuves. 
Nous  montrons  une  suite  continue  et  très-nombreuse 
de  martyrs,  dont  le  sang  a  été  répandu  en  haine  de  la 
religion.  Pour  soutenir  que  les  mêmes  persécutions  ont 
eu  lieu  contre  le  paganisme ,  les  incrédules  devraient 
produire  la  même  preuve  ;  ils  devraient  nommer  ceux 
qui  ont  été  mis  à  mort  pour  les  forcer  à  quitter  l'idolâ- 
trie. Mais  ils  ont  eu  beau  se  retourner  de  tous  côtés , 
chercher  dans  tous  les  écrivains,  chrétiens  et  païens, 
contemporains  et 'postérieurs,  ils  n'ont  pu  trouver  que 
le  seul  philosophe  Sopàtre,  décapité,  disent-ils,  pour 
cause  de  religion  ;  et  c'est  sur  ce  seul  fait  qu'ils  assurent 
qu'il  y  a  eu  une  persécution  continue  et  violente ,  sous 
Constantin  et  ses  successeurs  :  mais  leur  assertion  même 
est  fausse  ,  et  il  est  aisé  de  le  démontrer. 

Le  seul  écrivain  qui  attribue  la  mort  de  Sopâtre  à  l'a- 
version de  Constantin  contre  le  paganisme  ,  est  Suidas, 
postérieur  de  cinq  ou  six  siècles ,  et  dont  l'autorité  n'est 
pas  en  elle-même  fort  cansidérée.  Mais  nous  avons  à  lui 
opposer  deux  auteurs  beaucoup  plus  croyables  ;  d'abord , 
parce  qu'étant  très-voisins  du  fait,  ils  ont  dû  en  être 
bien  instruits;  ensuite  ,  parce  qu'étant  païens  et  haïssant 
violemment  Constantin ,  leur  témoignage  en  sa  faveur 
ne  peut  être  dicté  que  par  la  vérité.  Le  premier  est  Zo- 
zime,  lequel  rapporte  que  Constantin  le  jeune  condam- 
na à   mort  Abladius,  préfet    du  prétoire,  parce  qu'd 


infecta,  nemine  laedente,  per  se  corrampuntar,  et  paalatimdissolata 
pereufit.  (5.  Joann   Chijsost.,  lib.  in  S.  Babylam  ,  n"  3.) 


518  DISSERTATIONS 

avait  fait  périr  Sopâtre  par  ses  intrigues,  étant  jaloux 
de  la  familiarité  dont  l'honorait  Constantin  (1).  L'autre 
est  Eucrape^  qui  entre  dans  un  peu  plus  de  détails.  Se- 
lon son  récit ,  Sopâtre  vint  à  la  cour  pour  calmer  par  ses 
raisons  la  haine  de  Constantin  contre  le  paganisme.  Il 
acquit  auprès  de  ce  prince  tant  de  faveur,  et  reçut  de 
lui  tant  d'honneurs,  qu'il  donna  de  l'envie  aux  courti- 
sans. Ils  profitèrent  d'un  moment  où  Byzance  souffrait 
d'une  disette  de  blé ,  pour  accuser  Sopâtre  de  retenir  les 
vents  par  son  art  magique ,  et  d'empêcher  les  navires 
d'apporter  les  grains.  L'auteur  de  cette  intrigue  fut 
Abladius ,  préfet  du  prétoire,  jaloux  de  la  supériorité 
qu'avait  sur  lui  Sopâtre.  Constantin  crût  la  calomnie, 
et  fit  mourir  Sopâtre  (2).  Il  résulte  de  la  narration  de 
ces  auteurs  deux  choses  :  1°  Que  ce  fut  une  intrigue  de 
cour,  et  non  un  motif  de  religion  qui  fit  mourir  So- 
pâtre. 2°  Que  Constantin  vivait  avec  lui  dans  une  grande 
intimité,  quoiqu'il  sût  fort  bien  qu'il  était  païen;  ce 
que  dit  aussi  Suidas.  Un  prince  qui  admettait  des  païens 
à  sa  familiarité,  ne  persécutait  certainement  pas  les 
païens. 


(i)  Tanc  et  Abladins  praefectDs  praetorio  necatas  est ,  ipsa  vindic- 
ta  mérita  hotuinera  pœna  mnlctante,  qaod  per  insidias  Sopatro  phi- 
losophe mortem  raachinatus  fuisset ,  dura  ei  Constantini  familiarita- 
tem  invideref.  {Zozimi  Historia  ^  lib.  II,  cap.  40.) 

(2)  At  Sopaler  caeteris  eloquentior,  natura  snblimiornm  honoram 
appetens  ,  animoque  magnus  et  ferox,  a>peinatus  leliqna  in  tarba 
aetatem  degere ,  icagna  celeiifate  ad  snlain  imperatoriara  accurrit , 
qaasi  Constantini  propositnm  atqae  impetura  domiturus,  et  ratione 
«aperatnrus.  Cerle  eo  existimationis  potentiaeque  pervenit,  nt  impe- 
rator  deiinitus,  captuique  ab  hoinine ,  assessoiem  eam  ad  dexteram. 
publiée  habuerit  ;  res  auditu  ,  visuqae  incredibilis  :  proceres  aobci 
invidia  dirupti....  AccidJt  forte  ut  cum  Bysantii  posita  raale  conve- 
niret  naviam  appellantium  atcosus,  ni  secundus,  purusque  auster 
afflaret...  Interea  invidi  opportnuam  ciim  priiuis  tempus  se  inveriisse 
rati,  Sopater,  inquiant ,  tantis  per  te  honoribus  cumulatus  bénéficie 
somraae  peritiae  quae  te  quoque  laudatorem  habet,  et  per  quain  im- 
peratorio  in  sulio  residet,  ventos  vinxit.  Qiio  audito  ciedulus  Cons- 
lantinus  secari  virum  percati  mandat.   Malevoli  dicto   citias  cxequi 


SUR    LA    RELIGION.  519 

CXVII.  A  toutes  ces  preuves  que  je  viens  de  donner, 
qu'il  n'est  pas  vrai  que  les  empereurs  clirétiens  aient 
propagé  leur  religion  par  des  persécutions  contre  l'ido- 
lâtrie j  j'ajouterai  ce  que  répondait  Théodoret  à  ceux 
qui  auraient  pu  dire  que  l'autorité  impériale  a  été  le 
principe  de  l'agrandissement  du  cliristianisme.  Si  l'on 
veut  croire  que  ^autorité  des  empereurs  a  donné  quelque 
poids  aux  dogmes  prêches  par  les  péclieurs,  que  l'on 
considère  quelle  a  été  la  force  de  ces  dogmes.  Les 
princes  n'auraient  jamais  abandonné  tes  lois  antiques, 
les  institutions  des  ancêtres,  la  coutume  immémoriale^ 
s'ils  n'avaient  pas  admiré  la  vérité  de  notre  doctrine. 
Pour  combattre  cette  opinion  que  la  puissance  des  Césars 
a  contribué  à  augmenter  l'Eglise ,  il  rappelle  les  persé- 
cutions qu'un  grand  nombre  d'entre  eux  ont  suscitées 
contre  l'Eglise ,  et  par  lesquelles  l'Eglise  s'est  accrue. 
Il  rend  cette  preuve  encore  plus  sensilDle ,  en  rapportant 
la  persécution  récemment  élevée  en  Perse  contre  les 
chrétiens  ,  et  qui  ne  peut  pas  détacher  les  chrétiens  de 
leur  religion  (1).   Je  le  dirai  à  la  suite  de    ce  célèbre 


jussa  festinant.  lUiu'»  raali  auctor  fuit  Ablavias  praetorii  praefecta*  , 
qai  a  Sopatro  claritate  saperabatnr.  (Eunap.,  in  vita  Edesii.) 

(i)  Qaod  si  qnis  existimat  fidem  chrisiiiiriam  iiuperatorum  robur 
p:scatorain  dogmalibus  acldidisse,  vel  hoc  ipso  quanta  dogrnatam  il- 
loram  vis  faerit  osfendit.  Neqne  enira  et  antiquas  leges  et  majoram 
scripta  monumenta  et  inoliiam  consuetadinem ,  et  patria  iustitata 
contempsissent,  nisi  illoru.n  admiiati  essent  veritatem,  istoram  odium 
concepissent.  Car  aafem  memoria  non  repetitis  illata  ecclesise  bella. 
Inde  enim  profecto  opinionem  istara  facile  diluetis.  Si  enim  tut  tan- 
tique  imperatores  omni  contentione  contra  ecclesiam  pngnantes, 
cnnctis  illalis  machinis,  ne  niinimani  quidera  concussionein  ill'os 
manibus  attalerunt ,  slo'.idus  profecto  ac  plane  stupidus  horao  sit , 
qui  non  divinara  pctat  esse  piscatorum  virfatem  ,  sed  hanc  iinpera- 
torum  potentia  auctain  fuisse  oj;inalur.  Quod  ut  vobis  cljrius  inno- 
tescat ,  audite,  quaeso ,  qaalia  Persae  nnpcr  sint  ausi.  Qaod  enina 
sapplicii  genns  in  christianos  non  est  excogitatnm?  Non  excorialio- 
nes  ,  non  manuum,  pediiiuque  abscissiones  ;  non  aurinm  ,  naiiumqne 
mutilationes;  et  ad  doloris  excessura  coraparala  vincla  ;  et  foveae  ac- 
curatissime  oblitae,  niaribusque  maxiîcis  refertae  ,  qui  colligatos  dé- 
vorent.  Et  tamen,   cura  tantos  cruciatus,  afqne  bis   similes   contra 


520  DISSERTATIONS 

écrivain  :  Si  c'était  la  persécution  des  empereurs  chré- 
tiens contre  le  paganisme  qui  de  son  temps  eût  élevé  le 
christianisme  sur  les  débris  de  l'idolâtrie,  qui  est-ce 
qui  dans  le  même  temps  soutenait  en  Perse  le  christia- 
nisme contre  la  persécution  des  rois  ? 

ex VIII.  Je  viens  ,  en  reprenant  toutes  les  causes 
naturelles  que  l'incrédulité  a  pu  imaginer  pour  leur 
attribuer  la  grande  révolution  opérée  dans  le  monde  par 
le  christianisme  ,  de  montrer  qu'aucune  d'elles  n'y  a  con- 
couru. Je  termine  cette  réponse  par  une  réflexion  géné- 
rale. Pour  qu'une  chose  puisse  être  regardée  comme  la 
cause  naturelle  de  l'établissement  du  christianisme ,  il 
faut  d'abord  qu'elle  soit  naturelle  en  elle-même  ;  ensuite, 
que  par  sa  nature  elle  ait  dû  produire  l'effet  de  faire 
embrasser  la  religion  chrétienne.  Or,  tout  ce  qu'on  nous 
présente  de  prétendues  causes  naturelles  de  la  propa- 
gation du  christianisme  ne  peut  pas  l'être,  au  moins 
par  le  défaut  de  l'une  de  ces  conditions,  quelquefois 
même  par  l'absence  de  toutes  les  deux. 


christianos  exercèrent,  concidant  qnidem  illis  corpora  et  obtruncant, 
penitasqae  destraunt  :  fidei  autem  thesaarum  diripere  non  possunt  : 
atqoe  aliis  quidera  legibm  suis  snccarabere  subd^tos  suos  cogunt  :  at 
plscatoiam  leges  nt  ejicerent,  fidebbas  non  persuadent.  {Tbcod.  de 
Prov'.d.^  serra.  IX,  de  Lesriixis.) 


FIN. 


TABLE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME. 

PREMIÈRE  DISSERTATION. 

SUR  l'autue>ticité  des  livres  du  >ouveau 

TESTAMENT. 

Pagef. 

Disconrs  préliminaire.  5 

CHAPITRE  PREMIER. 

Authenticité  du  \oiiveau  Testament. 

A8TICLE    PREMIER. 
Preuves    de    l'authenticité. 

I.  NoTîoiï  de  l'aathenticité.  3  3 

II.  Division  de  la  dissertation.  Ibid' 
II[.   On  peut  être  assuré  de  l'authenticité  d'un  livre.  34 
rV.   Motifs   d'après   lesquels   on  peut  être  certain  d'une  au- 
thenticité. 35 

V.  Première   preuve  '.    Conformité   du  !Nouveau  Testament 

avec  l'bistoiie.  36 

VI.  Et  avecles  circonstances  particulières  du  temps.  37 

VII.  Seconde  preuve  :  Le  Nouveau  Testament  écrit  avant  la 
ruine  de  Jérusalem.  38 

YIII. Trois. ème  preuve:  Impossibilité  de  tromperies  églises 
sur  les  épîtres  apostoliques.  39 

IX.  Quatrième  preuve  :  Publicité  du  Nouveau  Testament.       Ibid. 

X.  Cinquième   preuve  :  Le  Nouveau  Testament  cité  des  les 
premiers  siècles.  4i 

XI.  Saint  Clément ,  pape.  4» 

XII.  Saint  Barnabe.  45 


522 


TABLE 


Pages' 

XIII.  Saint  Ignace.  ^6 

XIV.  Saint  Polycarpe.  4^ 

XV.  Papias.  Ibid. 

XVI.  Hermias.  4q 

XVII.  Saint  Jastîn.  5o 

XVIII.  Tatien.  Sa 

XIX.  Hermias.  Ibid. 

XX.  Athénagore.  53 

XXI.  Théophile  d'Antiocbe.  Ibid. 

XXII.  Saint  Irénée.  54 

XXIII.  Tertullien.  67 

XXIV.  Saint  Clément  d'Alexandrie.  58 

XXV.  Conséquences  de  ces  autorités.  59 

XXVI.  Sixième   preuve  :    Tradition   ancienne    et   univer- 
selle. 60 

XXVII.  Septième  preuve  :  Difficulté  de  tromper  une  société 
intéressée.  64 

XXVIII.  Surtout  si  elle  est  fort  répandue.  Ibid. 

XXIX.  Huitième  preuve  :  Accord  des  hérétiques.  65 

XXX.  Neuvième  preuve  :  La  supposition  inij  ossible  dans 
aucun  temps.  68 

XXXI.  Dixième  preuve  :  Aveux  des   ennemis  du  christia- 
nisme. 69 

XXXII.  Conclusion.  70 

ARTICE   II. 

Objections  contre  l'authenticité. 

XXXIII.  Première  objection  ,  tirée  des  livres  apocryphes.  71 

XXXIV.  Réponse.  7a 

XXXV.  Première  observation  :  Livres  apocryphes,  catholi- 
ques et  hérétiques.  Ibid. 

XXXVI.  Seconde  observation  :  Temps  où  ils  ont  été  compo- 
sés. 76 

XXXVII.  Troisième  observation  :  Sur  le  mol  Jpocryphe.  78 

XXXVIII.  Réponse  à  l'existence  des  livres  apocryphes.  79 

XXXIX.  Quels  partisans    avaient    les   apoèryphes  héréti- 
ques .3  80 

XL.  En  quel  sens  en  avaient  les  apocryphes  catholiques.'  81 

XLI.  On  n'a  pas  été  trompé  sur  les  apocryphes.  82 

XLII.  Les  faux  évangiles  prouvent  l'authenticité  des  nôtres.  83 


DES   MATIÈRES.  523 

Pages. 

XLIII.   Prétendues  citations   des    apocryphes  par  les    pre- 
miers pères.  8^ 
XLIV.  Conséquences  de  ces  citations.  89 
XLV.  Les  premiers  pères   n'ont  cité  que  des  livres  authen- 
tiques.                                                                                                          90 
XLVI.  Ils  n'ont  cité  que  des  ouvrages  pieux.                              Ibid. 
XLVII,   Ils    n'ont  pas   égalé  les   apocryphes    aux   canoni- 
ques,                                                                                                            g  2 

XLVIII,  Réponse  à  l'oLjection  que  tous  les  premiers  pètes 
n'ont  pas  cité  le  Nouveau  Testament.  94 

XLIX.  Contradiction  des  incrédules.  gS 

L.  Réponse  à  1  objection   que   les  premiers  pères  n'ont   pas 
cité  les  évangélistes.  96 

LI.   Réponse    à    l'objection  que  les  premiers  pères   ont  cité 
d'après  une  tradition.  Ibid. 

LU.   Réponse  à   l'objection   que  les  citations   des   premiers 
pères  peuvent  être  d'après  les  apocryphes.  97 

LUI.   Les   saints   pères  du  second  âge  prouvent  la  doctrine 
de  ceux  du  premier.  g  8 

LIV.  Les  pères  du  second  siècle  n'ont  pas  cité  indifférem- 
ment les  canoniques  et  les  apocryphes.  99 
LV.  Texte  de  saint  Sérapion.                                                           100 
LYI.   Résumé  de  l'objection  et  de  la  réponse.                                  10 1 
LVII.  Seconde  objection.  Style  da  Nouveau  Testament ,  dé- 
sordre,  anachronisme,  obscurité,  contradictions.                               ioa 
LVIII.   Réponse  à  l'objection  sur  le  style.                                    Ibid. 
LIX.   Réponse  à  l'objection    du    désordre    et  des   anachro- 
nismes.                                                                                                       107 
LX.  Réponse  à  l'objection  des  obscurités.                                        108 
LXI.  Réponse  à  l'objection  des  contradictions.                            Ibid. 
LXII.   Troisième  objection.  L'authenticité   du  Nouveau  Tes- 
tament n'a  jamais  été  prouvée.                                                              Ibid. 

LXIII.   Réponse  :    1°    Elle  n'a  pas  été  prouvée    quand    elle 
n'était  pas  contestée.  109 

LXIV.   %°  Elle  a  été  prouvée  aussitôt  qu'elle  a  été  attaquée.       iio 
LXV,  Quatrième  objection.  Plusieurs  livres  du  Nou\eau  Tes- 
tament n'étaient  pas  reçus  autrefois.  ii4 

LXVI.  Réponse.  L'auîhenticité  des  principaux  livres  a  ton- 
jours  été  reconnue.  Ii5 
LXVII.   Ce  qui  résulte  des  doutes  sur  les  autres.  116 
LXVIII.  Comment  le  concile  de  Nicée  a  jugé  rauihenticité.      117 


524  TABLE 

Pages 

LXIX.  Réponse  à  l'objection  d'an  cercle  vicieux.  117 

LXX.  Ciiiqiiième  objection.  Le  Nouveau  Testament  fabriqué 
après  les  ruines  de  Jérusalem.  Fraudes  pieuses  dans  ce  temps. 

Clandestinité  des  Livres  saints.  n8 

LXXI.  Réponse,  lO  à  la  fabrication  du  Nouveau  Testament 

après  les  luines  de  Jérusalem.  119 

LXXIî.   2°  Aux  fraudes  pieuses.  Ibid. 

LXXIIL    3**  A  la  clandestinité.  120 

LXXIV.  Sixième  objection.    On  ignore  le  temps  où  ont  été 

écrits  les  livres  du  Nouveau  Testament.  121 

LXXV.  Réponse.  Ibid. 

LXXYL   Septième   objection.  Anachronisme   de    l'évangile 

sur  Zacharie  ,  fils  de  Barachie.  Ibid. 

LXXVII.  Réponse.  122 

CHAPITRE  II. 

Intégrité  du  Nouveau  Testament. 

LXXYIII.  Exposition  de  la  question.  12% 
LXXIX.  Objection  contre  cette  exposition.  12 5 
LXXX.  Réponse.  Ibid. 
LXXXL  Première  preuve  ;  Uniformité  des  exemplaires.  126 
LXXXII.  Deuxième  preuve  :  Diffusion  du  Nouveau  Testa- 
ment dans  tontes  les  églises.  127 

LXXXIII.  Troisième  preuve  :  Tentatives  sans  effets  des  hé- 
rétiques. Ibid. 

LXXXIV.   Quatrième    preuve    :    Attention  à   conserver  le 

texte  pur.  i  3o 

LXXXV.    Fait  de  Spiridion.  Ibid. 

LXXXVI.  Fait  de  Théodoret.  i3r 

LXXXYII.  Fait  relatif  à  la  version  de  saint  Jérôme.  i32 
LXXXVIU.  Cinquième  preuve  :  Citations  faites  par  les  saints 

pères.  i33 

LXXXIX.   Première  objection  ,  tirée  d'Origènes.  Ib;d. 

XC.   Réponse.  Ibid. 
XCI.  Seconde  objection   ;    Suppression   de  l'histoire  de  la 

femme  adultère.  i34 

XCn.  Réponse.  Ibid. 

XCIIL  Troisième  objection  ,  tirée  de  Victor  de  Tniu's.  i35 

XGIV.  Réponse.                                                                     .  i36 


DES    MATIERES. 


525 


SECOINDE  DISSERTATION. 

DES    MIRACLES    SUR    LESQUELS    EST    FO>jDÉE    LA 
CERTITUDE    DU    CURISTIA?hISME. 


Pages, 

i38 


PREMIÈPxE  PARTIE. 

DU     MIRACLE     EN     GENERAL. 

I.  Divisio:?  de  celte  partie. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Possihililé  du  miracle. 

II.  Notion  do  miracle.  ^^'^• 

III.  Le  miracle  ne  peut  être  opéré  qne  de  Dieu. 

IV.  Objet  du  miracle. 

V.  Avea  d'nn  déiste  sur  la  possibilité  da  miracle. 

VI.  Objection  nniver^elle  de  cette  possibilité.  ^^i^- 

.  YII.  Le  miracle  ne  répugne  pas  en  lui-même.  i4a 

YIII.    Le   miracle    n'est   pas   an-dessns   de    la  puissance  de 
^.  Ihid. 

IX.  Le  miracle  est  très-conforme  à  la  puissance  divine.  U^ 

X.  Le  miracle  est  un  langage  digne  de  Dieu.  Ibid. 
XI    Le  miracle  est   un  langage    très- adapté  à   la  nature   de 

,,.  Ibid. 

1  homme. 

Xir.    Le   miracle   forme    nne    démonstration  rigoureuse.  i44 

XIII.  La  démonstration  opérée  par  le  miracle  est  A  la  portée 

i45 
de  tous  les  esprits. 

XIV.  Objection.  Inutilité  des  miracles.  ^4» 

XV.  Réponse  :   i°  Qaand  on  n'en  venait  pas  l'utilté  ,  on  ne 
devrait  pas  en  nier  la  possibilité. 

XVI.  2°  Utilité  du  miracle.    Autres   moyens  qui  pourraient 
être  employés. 

XVII.  Le  miracle  convinc  les  présents  et  les  absents. 

XVIII.  Objection.  Dieu  pourrait  n'enseigner  que  des  vérités 
,  , ,  Ihd. 
évidentes. 


140 

Ibid. 

i4i 


Ibid. 


Ibid. 
147 


526  TABLE 

Pages. 

XIX.  Réponse.    Quelles    sont   ces    vérités  d'une  telle   évi- 
dence qu'où  soit  forcé    de  les  admettre?  147 

XX.  Objection.  Le  miracle  serait  un  changement  dani  Dieu 

et  dans  ses  imniuiibies  décrets.  149 

XXI.  Réponse.    Le  miracle  n'est  pas  un  changement  dans 
Dieu.  Ibid. 

XXII.  Ni  dans  les  décrets  de  Dieu.  Ibid. 

XXIII.  S'il  n'y  a  pas  de  succession  dans  Dieu,  il  n'y  a  pas 

de  changement.  .  i5o 

XXIT.  Dieu  a  décrété  le  miracle  en  même  temps  que  la  loi 

générale.  Ibid. 

XXY.  Autre  manière  dont  on  présente  la  même  objection  , 

et  réponse,  i53 

CHAPITRE  II. 

Possibilité  de  la  certitude  du  miracle. 

XXVI.  Division  de  ce  chapitre.  i54 

ARTICLE    PREMIER. 

Notion  de  la  certitude. 

XXVII.  Qu'est-ce  que  la  certitude  ?  i55 
XXTIII-    La  certitude  est  un  point  fjxe  ;    elle  n'admet  pas 

le  plus  et  le  moins.  Ibid. 

XXIX.  Certitude  de  l'objet,  cerlilude  du  sujet.  i56 

XXX.  Certitude  métaphysique  ,  physique  et  morale.  Ibid. 

XXXI.  îS^otion  de  la  certitude  métaphysique.  Ibid. 

XXXII.  Et  de  la  certitude  physique.  Ibid. 

XXXIII.  Et  de  la  certitude  morale.  iSy 

XXXIV.  Il  existe  un  ordre  moral.  Ibid. 

XXXV.  Différence  entre  l'ordre   physique  et   l'ordre  mo- 
ral. i58 

XXXVI.  Objection.  Diversité  des  actions  des  hommes.  Ibid. 

XXXVII.  Réponse.  iSg 

XXXVIII.  Le  témoignage  des  hommes  ,  motif  le   plus  ordi- 
naire de  la  certitude  morale.  160 

XXXIX.  Différence  entre  la  certitude  métaphysique   et  les 
deux  antres.  161 


DES  MATIÈRES.  527 

Pages. 
XL.  Caractère  aaqael  on  peut  reconnaître  la  certitnde  mo- 
rale. 162 
XLI.  Les  déistes  tient  la  certitude  morale.                                 Ibid. 

ARTICLE    II. 
Existence  de  la  certitude  morale. 

§  L     Preuves  de  l'existence  de  la  certitude  morale.  i63 

XLII.  Première  preuve.  Dieu  nous  a  donné  la  certitude  mo- 
rale ,  puisijn'elle  nous  est  nécessaire.  Ibid. 

XLIIL  Deuxième  preuve.  La  certitude  morale  règle   tonte  la 
société.  164 

XLIV.  Troisième  preuve.  Faits  éloignés  aussi  fermement  crus 
que  ceux  qu'on  voit.  166 

XLY.  Quatrième  preuve.    Analyse  des   principes  des  certi- 
tudes physique  et  morale.  167 

XLYL  La  certitude  métaphysique  n'est  pas  plus  grande, 
quoique  scientifique.  169 

XLTIL  Caractère  que  doit  avoir  un  témoignage  pour  opérer 
la  certitnde.  Ibid. 

XLVIII.  Les  caractères  se  trouvent,  i**  quand  le  témoignage 
est  rendu  par  une  nombreuse  multitude.  191 

XLIX.  2°  Quand  la  qualité  des  témoins  supplée  à  leur  quan- 
tité :  conditions  nécessaires  à  cet  effet.  173 

L.  Les  caractères  ne  garantissent   la  certitude  que  dn  simple 
fait  palpable.  "174 

§  IL  Répense  aux  objections  contre  l'existence  de   la  certi- 
tude morale.  175 

LL  Piemière  objection.  Tout  le  monde  est  plus  certain  de  ce 
ce  qu'il  voit ,  que  de  ce  qa'il  entend  dire.  Ibid. 

LIL  Réponse.  On  confond  la  certitude  dn  fait  avec  l'impres- 
sion qu'il  produit.  Ibid. 
Lin.  Cas  où  on  croit  plus  les  témoins  que  ses  propres  sens.     Ibid. 
LI"V.      Seconde     objection.     Les    témoignages   ne   donnent 
que  des  probabilitésqui  ne  peuvent  former  une  certitude.  176 

LV.  -Réponse.   Pourquoi    un    grand    nombre  de    probabilités 
u'opérerait-il  pas  la  certitude  ?  Ibid 

LVL  Raison  de  l'illusion  à  ce  sujet.  178 

LVII.  Troisième  objection.  Le  témoignage  perd  de  sa  force 
^  mesure  qu'il  s'éloigne  de  sa  source.  Ibid. 


528  TABLE 


Pase. 


LVIII.  Réponse.  Le  témoignage  conserve  sa  force  tant  qu'on 
est  sûr  qu'il  a  été  reiidu  avec  vérité.  i«q 

LIX.  Ce  n'est  pas  i'amienneté ,  mais  l'ignorance  des  motifs 
de  crédibilité,  qui  rend  incertaine  l'histoire.  r8x 

LX.  Pourquoi  on  croit  plus  un  fait  de  la  première  main  (jae 
delà  seconde  ,  et  ainsi  des  antres.  i8a 

LXI.  La  certitude  peut  acquérir  de  nouveaux  motifs  dans  le 
conrs  des  siècles.  Ibid. 

LXII.  Réponse  au  prétendu  <;alcnl  sur  la  décroissance  de  la 
persuasion.  i83 

LXIII.  Divers  moyens  par  lesquels  un  fait  se  transmet.  184 

LXIV.  Tradition  orale.  Ibid. 

LXV.  Monuments  publics.  i85 

LXYL  Histoire  écrite.  Ibid. 

LXYII.  L  histoire  contemporaine  et  non  contredite  prouve 
la  certitude  du  temps  où  elle  est  écrite.  186 

LXTIII.  Et  la  fait  passer  sans  altération  de  siècle  en  siècle.      187 

LXIX.  Quatrième  objection.  Il  y  a  beaucoup  d'histoires  apo- 
cryphes. 188 

LXX.  Réponse.  Ibid. 

LXXL  Cinquième  objec'ion.  Fausseté  des  histoires,  préjugés, 
passions,  etc.,  des  historiens  :  leurs  contradictions,  leuis  di- 
verses manières  de  voir.  189 

LXXIL  Réponse  à  la  fausseté  des  histoires^  Ibid 

LXXIIL  Réponse  aux  préjugés  ,  aux  passions  ,  etc.,  des  his- 
toriens. 190 

LXXIV.  Réponse  à  leurs  contradictions.  Ibid. 

LXXV.  Réponse  à  leurs  diverses  manières  de  voir.  ig  r 

ARTICLE    III. 
Possibilité  de  la  certitude  morale  des  miracles. 

LXXTI.  Le  miracle  est,  comme  l'événement  naturel,  un  fait 
sensible,  susceptible  d'être  connu,  par  le  témoignage  ,  comme 
par  le  sens.  192 

LXXTII.  Cas  où  on  doit  ajouter  plus  de  foi ,  sur  un  mira- 
cle, au  témoignage  qu'aux  sens.  198 

LXXVIII.  Si  j'étais  trompé,  sur  le  miracle,  parle  témoi- 
gnage idoine  ,  je  le  serais  par  Dien.  Ibid. 

LXXIX.  Première  objection.  Tous  les  hommes  croient  plus  | 

facilement  les  faits  naturels  que  les  miracles.  194  I 


DES   MAtiÈRES.  529 

Page,. 

LX-X-X..  Répon'^e.  i*^  Tous  les  honi;nes  croient  aax  mira- 
cles. 194 

LXXXI.  1°  R;ii<ons  pour  exiger  plas  btrictemenl  les  preuves 
(la  miracle  (jiie  du  fait  naturrl.  Ibid. 

LXXXII.  Deuxième  objeclion.  Pour  croire  au  miracle  ,  il  y 
a  à  sutmonier  l'obsiacle  de  son  impossibilité  physique.  igS 

LXXXIII.  Réponse.  Il  n'y  a  pas  plus  de  diflicuhé  à  croire 
ce  que  Dieu  n'a  pas  plus  de  difficnlté  à  faire.  196 

LXXXIV.  Explication  du  mot  Impossibilicé physique.  Ibicl. 

LXXXV.  Troisième  objection.  La  ceriitode  morale  repose 
sur  Tcxperience ,  qui  est  plus  constante  contre  le  miracle  que 
pour.  197 

LXXXVI.  Réponse.  Il  n'e:,t  pas  raisonnable  de  nier  l'oeuvre 
dj  Diea  sur  le  fondement  de  l'expérience.  Ibïd. 

LXXXVII.  Comment  l'expérience  nous  conduit  à  la  croyan- 
ce certaine  da  miracle.  198 

LXXXVIII.  L'expérieHce  de  Torde  physique  et  celle  de 
l'ordre  morat  ne  sont  point  •)pposées.  199 

LXXXIX.  Le  faux  témoignage  d'un  peuple  sur  un  fait  qu'il 
a  vu,  se. ait  un  prodige  auisi  grand  qu'une  résurrection.  200 

XC.  Et  un  prodige  bien  moins  croyable.  201 

XCI.  Quatrième  objection.  Hypothèse  d'aa  fait  bien  écla- 
tant suppose,  et  cependant  pleinement  attcjté.  Ihid, 

XCII.  Réponse.  202 

XjCIII.  C  nquième  objection.  Pour:jUoi  faut-il  qu'il  y  ait 
entre  Dieu  et  moi  des  intermédiaires  ?  2o3 

XCIV.  Réponse.  Ibid. 

XCV".  Sixième  objection.  C'est  une  grande  tentation  que  celle 
de  se  faire  passer  pour  un  envoyé  céleste.  204 

XCVI.  Réponse.  Ihid, 

XCVn.  Septième  objection.  Exemples  de  peuples  entiers 
abusés  par  de  prétendus  miracles.  Ibid. 

XCVin.  Réponse.  Ils  ont  été  abusés  sur  la  qualité  des  faits, 
et  non  sur  leur  réalité.  Ibid. 

XCIX.Haitiè.-ne  objection.  Il  n'y  a  pas  de  m'racles  dont  la 
réalité  ne  soit  combattue  par  d'autres  miracles.  206 

C.   Réponse-  »  Ibid. 

CI.  Neuvième  objection.  Pour  être  certain  d'un  miracle,  il 
faadrait  connaitr*  toutes  les  lois  de  la  nature.  207 

Cil.   Réponse.  20S 

Dissert,  sur  la  Relig.  23 


530  TABLE 

Page». 

<^;ill.    Dixiènjc    ol)jecliojj.    Miracles    da    démon.  Cercle  vi- 
cieux, a  09 
CIV.  Ptéponse.  1°  Aux  miracles  di  démon.  210 
OV.   2"  Au  cercle  vicieux.  aia 

DEUXIÈME  PARTIE. 

DES   MIRACLES    DU    CHRISTIANISME. 

CHAPITRE  PREMIER. 

Miracles  de  Noire-Seigneur  Jésus- Clirisl, 

î.   Un  fait  e?t   certain  quand  rhistorien  n'est  ni  trompé,  ni 
trompeur.  2i5 

II.  Les  écrivains  sacrés  n'ont  pas  pn  être  à  la  fois   trompés 

et  trompeurs.  Ibid. 

III.  Grand    nombre    de    témoins    des    miracles    de   Jésus- 
Christ.  Ibid. 

IV.  Preuve  que  les  disciples  de  Jésus-Christ  n'ont  pas  été 
abusés.  216 

V.  Ils  n'étaient  pas  insensés.  219 

VI.  Ils  étaient  ignorants  et  crédules.  Ibid. 
VIL  P\.éponse   an  reproche  d'ignorance.  Ibid. 

VIII.  Objection.  Réponse  au  reproche  de  crédulité.  aao 

IX.  Les  témoins  des  miracles  de  Jésus-Christ  n'ont  pas  voulu 
tromper.  2  ai 

X.  Le  projet  seul  de  tromper  eût  été  une  extravagance.         Ibid. 

XI.  Si  les  apôtres  avaient  voulu  tromper,  ils   auraient   été 

(le  très-grands  scéléiats.  aaa 

XII.  Probité  des  premiers  prédicateurs  de  la  foi  prouvée , 

1"  par  leurs  écrits.  2a3 

XIII.  2°  Par  la  suite  de  leur  vie.  2a4 

XIV.  Par  l'aveu  de  leurs  ennemis.  227 

XV.  Simplicité  de  leur  narration.  Ibid. 

XVI.  Circonstances  dans  lesquelles  les  apôtres  outrent  leur 
prédication.  2a  8 

XVII.  Les   apôtres  appellent  en   témoignage   des  miracles 
ceux  à  qui  ih les  prêchent,  aag 

XVIII.  Invariable  conformité  du  témoignage  rendu  aux  mi- 
racles de  Jésus-Christ.  2  3o 


DES    MATIÈRES.  531 

Page. 

XIX.  Quelques    différences  dans  le  mude  du   lëmoigriage  en 
prouvent  encore  la  vérité.  23  r 

XX.  Inébranlable  persévérance  des  témoins  jusque  dans  les 
{.applices.  2  33 

XXI.  Jésus-Ch^Ët  se  forme  des  apôtres,  en  leur  promettant 

des  souffrances.  2  34 

XXII.  Les  apôires  entraient  âav.s  leur  ministère  avec  la  per- 
suasion des  maux  qu'il  leur  auireiait.  2  35 

XXIII.  Maux  affreux  auxquels  ils  se  livrent  volontairement.       236 

XXIV.  Objection.  Les  autres  religions  ont  eu  aussi  des  niar- 

lyts  :  et  réponse.  233 

XXV.  Objection.  Les  apôtres  trouvaient  dans  leur  ministère 

une  vie  assuré  et  douce  ;  et  réponse.  239 

XXVI.  Objection.  C'est  une  grande  tentation  que  celle  de 
former  une  sec: e.  240 

XXVII.  Réponse.  Ibid. 

XXVIII.  Tous  les  intérêts  humains  devaient   détourner  les 
apôtres  du  témoignage.  241 

XXIX.  Autre  preuve  de  la  sincérité  du  témoignage  ;  repen- 

Ùr  de  saint  Pierre  et  de  Judas.  lèid. 

XXX.  Les  miracles  de    Jésus-Christ    avoués  formellement 

par  ses  ennemis.  243 

XXXI.  Les  chefs  des  Juifs  auraient   nié    ces  miracles   s'ils 
l'avaient  pu.  Ibid. 

XXXII.  La  réalité  des  miracles  n'a  point  été  contestée.  244 

XXXIII.  Imputation  de   magie    faite    j)ar    les   pharisiens  à 
Jésus-Christ  sur  ses  miracles.  245 

XXXIV.  Et  renouvelée  après  eux  par  les  rabbins.  247 

XXXV.  Aven  des  païens  des  premiers  siècles  sur  la  réalité 

des  miracles  de  Jésus-Christ.  248 

XXXVI.  Conséquence  de  ces  aveux  et  de   l'imputation  de 
magie,  25 1 

XXXVII.  Objection.  Les  aveux  d<.'s   philosophes  ne  prou- 
vent pas  plus  les  miracles  de  Jésus-Christ  ,  que  cens  des  pères 

les  miracles  du  paganisme.  253 

XXXVIII.  Réponse.  254 

XXXIX.  Les  miracles  de  Jésus-Christ  prouvent  sa  religion.      25? 
XL.  Ces  miracles  n'ont  pas  été  opérés  par  un  •  puissance  in- 
termédiaire entre  Dieu  et  l'homme.  aSg 

XLI.    lia  ne  sont  pas  non  plus  des  effets   de  1  adresse    hu- 
maine. af)0 


532  TABLE 

Pagex 
XLll.   Ils   viennent  donc  de  Dieu,  et   prouvent  la   religion 
chrétienne.  263 

XLIII.  Objection.  Les  miiacles  de  Jéius  -  Christ  sont  des 
œnvres  de  bienfaisance,  et  n'ont  pas  pour  objet  de  prouver  sa 
religion.  Ihid. 

XLIV.   Réponse.  '  Ihid. 

CHAPITRE  IT. 

Résurrection  de  Notre-Seigneur  Jcsus-Chrisl. 

I.  La  résarreclion  est  le  principal  fondement  de  la  foi.  260 

II.  Récit  des  témoins  delà  résurrection.  266 
IJI.  Récit  dcj  Juifs,  du  corps    de   Jésus-Christ  furtivement 

enlevé.  ^{j". 

IV.  Il  n'a  pas  été  opposé  au   récit   de-i   témoins  d  autre  fait 

que  celui  de  renlèvement.  268 

V.  Les  circonstances  dans  lesquelles  s'accordent  les  deux  ré- 
crits sont  certaines.  lèid. 

VI.  Jésns-Cbrist  est  très-certainement  mort,  269 
"VU.  Gardes  mis  au  tombeaa  :  preuves  que  Jésus-Christ  avait 

prédit  .'a  résurrection.  270 

TIII.  On  ne  peut  opposer  aujourd'hui  au  fait  de  la  résurrec- 
tion que  celai  de  l'enlèvement.  Ilid. 

IX.  Preuves  de  la  Vérité  du  témoignage  rendu  à  la  résurre^î- 
tion.  272 

X.  Les  témoins  de  la  résurrection  n'ont  pas  pu  y  être  trom- 
pés. Ibid. 

XL  Ils  n'avaient  pas  l'esprit  aliéné.  Ibid. 

XII.  Ils  connaissaient  parfaitement  Jésus-Christ.  llrid. 

XIII.  Ils  n'ont  pas  pu  être  dans  Terreur  sur  ce  qu'ils  racon- 
tent d'eux  mêmes.  Ibid. 

XIV.  Les  témoins  ont  été  en  grand  nombre.  273 

XV.  Ils  ont  vu  ,  souvent  Jésus-Christ  pendant  qnarante 
joars.  Ibid. 

XVI.  Pendant  tout  ce  temps  ils  ont  vn  ,  entendu,  touché 
Jésus-Chriâl.  Ibid. 

XVIÎ.  On  ne  peut  pas  dire  que  les  disciples  croyant  voir  Jé- 
sus-Christ ,  n'or.l  rien  vu.  275 

XVIII.  Ni  qu'ils  ont  pris  un  antre  homme  pour  lui,  Ibid, 

XIX.  Ni  qu'au  lieu  de  lui  ils  avaient  vu  un  fantôme.  Ibid, 


DES    MATIÈBES.  533 

Pages. 

XX.  Objection.   Les  apôtiei  étaient  préoccupés  de  la  réiur- 
rectioii  ,  et  très-crédules.  275 

XXI.  Réponse.  Ibid. 

XXII.  Les  témoins  de  la  résarrecilon  n'ont  pas  voulu  trom- 
per. 278 

XXIII.  Sincérité    des  ténioins  ;   circonstances,  uniformité, 
persévérance  da  tétm.ignage.  Ibid. 

XXIV.  Toutes  les  probabilités  éiaient  contre  les  témoins.  279 
XXY.  Jéaus-Christ  mort  ,    les  apôtres  n'avaient  rien  à   en 

espérer.  Ibid. 

XXVI.  S;i  mort  aurait  dû  les  dcîacher  de  lui.  2S0 

XXVII.  Risqnes  qu'auraient  courus    les    témoins,    si  le  fait 

eût  été  faux.  282 

XXVIII.  Circonstances  qu'ils  joignent  à  leur  relation.  Ibid. 

XXIX.  Fausseté   de  l'enlèvement  furtif  du  corps  de  Jésus- 
Christ.  28  3 

XXX.  Timidité  des  dii-ciples.  28^ 

XXXI.  Nombre  de  ceux  qui  auraient  été  dans  le  secret.  aSS 

XXXII.  Les  seuls  témoins  de  l'accusation  sont  des  hommes 
endormis.  286 

XXXIII.  Impossibilité  que  les  disciples  aient  enlevé  le  corps 
pendant  le  sommeil  des  gardes.  Ibid. 

XXXIV.  Maladresse  et  dextérité    supposées  à  la   fois    dans 

les  disciples.  287 

XX.XV.  Les  gardes  n'ont  pas   été  punis.  288 

XXXVI.  Les  apôtres  ne  l'ont  pas  été  non  plus.  Ibid. 

XXXVII.  Le  sanhédrin  passe  sous  silence  ce  prétendu  délit.  289 

XXXVIII.  Fait  qui  prouve  que  le  sanhédrin  ne  croyait  pas 

à  l'enlèvement.  200 

XXXIX.  Récapitulation  des  preuves  ci-dessus.  292 
XL.  Objections  con'.re  la   réiurrection  ;  confusion  ,  contra- 

dî^-iions  des  relations.  29? 

XLI.  Observations  générales  sur  ces  objecrions.  Ibid. 

XLII.  Rapprochement  et   concorde    des  quatre  relations 

évangéliqnt's.  294 

XLIII.  Objection.  Inutilité  de  l'einbaumement.  3oo 

XLIV.  Réponse.  Ibid. 

XLV.  Objec'ion.  Contradictions  sur  les  vioites   des  saintes 

fetnm''s  au  tombeau.  3or 

XLVI.  Réno.nse.  Ibid. 


534  TABLE 

fagcs, 

XLVII.  Objection.  Contradictions  sur  !a  visi'e  particulière 
de  Madeleine.  3o2 

XLYIII.  Réponse.  Ibid. 

XLIX.  Objection.  Contradictions  relatives  anx  anges.  3o3 

L.  Réponse.  Ibid. 

LI.  Objection.  Contradictions  sur  les  apparitions   de  Jésas- 
Christ  aux  saintes  femmes.  Ibid. 

LU.  Réponse.  3o.'i 

LUI,  Objection.  Contradictions  sur  le  récit  des  saintes  femmes 
aux  apôtres.  Ibid. 

LIV.  Réponse.  Ibid. 

LV.  Objection.  Contradictions  sur  l'ordre  donné  anx  a[>ôt:es 
d'aller  en  Galilée.  3o5 

LVr,  Réponse.  Ibid. 

LVII.  Objection.  Jésus-Christ  n'a    pas  été  reconnu  dans  pin. 
sieors  apparitions.  Ibid. 

LVIII.  Réponse.  Ibid. 

LIX.    Objection.    Contradictions    entre    les    apparitions  de 
Jésus-Christ  à  ses  apôtres.  3o6 

LX.  Réponse.  3o7 

LXL  Objection.  Jésus-Christ  avait-il  un  corps  immatériel?  3o8 

LXIL  Réponse.  Ibid. 

LXIII.  Objection.  Saint  Paul  n'a  pas  vu  les  apparitions  dont 
il  parle.  ^bid. 

LXIV.  Réponse.  Sog 

LXV.  Objection.  Personne  n'a  vu  Jésus-Christ  ressusciter.      Ib^M. 

LXYL  Réponse.  Ibid. 

LXVII.  Objection.  Jésus-Christ  ne   devait  ressusciter   qna- 
près  trois  jonrs  et  trf>is  iinits.  3r  i 

LXYIIL  Réponse.  Ibid. 

LXIX.  Objection  tirée  du  scellé  apposé  au  tombeau.  3i  i 

LXX.  Réponse.  Ibid 

LXXI.  Obection.   Invraisemblance  de   l'argent  donné  aux 
gardes.  ProbabiUté  de  ce  qui  a  du  arriver.  3  i  3 

LXXIL   Réponse.  Jbid. 

LXXIII.  Ohjection.   La    résurrection   aurait    dû    être  aussi 
pnblique  qoe  la  mort.  3i3 

LXXIV.  Réponse.  3^6 


DES  MATIÈRES.  53^ 

CHAPITRE  III. 

Miracles  des  disciples  de  Jésus-Chrisi. 

I.  Les  apôtres,    en    annonçant  qae  Jésus-Christ  lear  avair 
donné  le  don  des  miracles ,  s'engageaient  à  en  faire.  3.^  4 

II.  Première  preuve.  Miracle  de  la  descente  du  Saint-Esprit.      3a6 

III.  Certitude  de  ce  miracle.  ^^- , 

IV.  Circonstances  qni   suivent   immédiatement  la  descente 
(la  Saint-Esprit. 

V.  Certitude  des  circonstances  miracuJenses.  /,^,V/ 

VI.  Elles  sont  les  effets  de  la  descente  du  Saint-Esprit.  3^,] 

VII.  Seconde  prenve.   Eglises  fondées  par  les  apoties.  33"^ 

VIII.  Troisième  preuve.    Miracles   rapportes  aux   actes  des 
apôtres. 

IX.  Saint  Luc  n  a  pas  pu   être  induit  en  erreur  sur  ces  mi- 
lacles. 

A.  li  n  a  pas  vou.u  non  plus  en   imposer.  //,/j_ 

XI.  Quatrième  preuve.  Conversion  de  saint  Paul.  338 

XII.  Cinquième  preuve.  Miracles   que  saint  Paul   dit  avoir 
opères.  ^^ 

XIII.  Sixième  preuve.   Miracles  que  saint  Panl  dit  à  ses  dis-  ^ 
ciples  qu'ils  opéraient  eux-mêmes.                                                             3, 

XIV.  Septième  preuve.  Dons  miraculeux  existants  dans  les 
premiers  siècles  de  lEslise.  ,  ,  ^ 

vv    T  ■  -  ^^^ 

.V\  .  Les  samts  pere^  attestent  îiantement  l'existenca  de  ces 
dons. 

Yvr    T  ^^''^^ 

3_\  I.  Les  païens  en  cjnvicnnent.  5,  _ 

"*■+  7 

CHAPITRE  ly. 

Objections  contre  les  miracles  du,  christianisme. 

I.  Première  objection.  Les  miracles  ne  sont  attestés  que  par 

dei  auteurs  chrétiens.  *  0, 

II.  Réponse.  ,!'^ 

3  .■)  o 
ni.  L'assertion  des  chrétiens  ,  la  non  dénégation  des   païens 
forment  une  prenve.  ,,  -, 

IV.  L'objection    n'est    qu'an    argument    négatif    entre   les 
preuves  positives. 

V.  Disparité  d'un  exemple  allégaé.  j^-j 
Vf.  Le-s  histoires  écrites  par  les  hommes  da  pays.  ii>jd. 


536  TABLE 

Pages 

YII.  Les  écrivains  snr  ane  religion  ne  peuvent  pas  être  en- 
tièrement impaitiaux.  35i 

YIII.  Ceux,  qui  rapportent  les  miracles  avaient  été  d  autres 
leligions.  352 

IX.  Les  miracles  du  christianisme  attestés  par  ses  ennemis.        354 

X.  Deuxième  objection.  Silence  de  riiistorien  Josèphe.  355 
XL  Réponse.  Passage  de  Josèphe  sur  JésusChiist.  356 
XU.  Raisons  de  croire  que  ce  passage  est  de  lui.  357 
XII [.  Supposant  le  passage  interpolé,  qu'en  résulte-til.^  36 1 

XIV.  Troisième  oBjection.  De  vrais  miracles  auraient  tout 
converti;  opposition  générale;  écrits  par  lesquels  on  les  com- 
battait, 365 

XV.  Réponse  à  ce  qui  est  dit  des  écrits  contre  les  miracles.  367 
X.VI.  Réponse  à  l'objection  de  l'obstination  des  Juifs.  369 

XVII.  Ceas  que  les  miracles  ont  convertis  ont  plus  d  autorité 

que  ceux  qui  sont  restés  incrédules.  37a 

XVIII.  Pourquoi  il  n'a  pxis   été  fait  d'information  sur   les 
miracles.  373 

XIX.  Quatrième  objection.  Oppositions  que  la  foi  des  mi- 
racles a  éprouvées  jusque  dans  le  christianisme.  874 

XX.  Réponse.  3'] 5 

XXI.  Cinquième  objection.  Les  premiers  chrétiens   étaient 

une  populace  ignorante  et  crédule.  877 

XXIL   Réponse.  Ibid. 

XXIII.  1°  Supposant  tons  les  premiers  chrétiens  hommes 
du  peuple,  on  ne  peut  rien  en  conclure.  378 

XAiA'.  2°  Fausseté  du  fait.  Premiers  chrétiens  hommes  de 
considération  et  de  mérite.  38o 

XX\'.  Sixième  objection.  Facilité  de  tromper  le  peuple, 
surtont  en  matière  de  religion.  Exemples  de  faux  miracles.  385 

XXM.  Réponse.  3^7 

?î?v\"II.  Que  résulte  t  il  de  l'amour  du  peuple  pour  le 
merveilleux?  387 

XX\  111.  L'enthousiasme  religieux  n"a  pas  pu  faire  croire 
légère;iîent  les  miracles  de  la  religion  chiéticnne  nouvellement 
annoncée.  làid. 

XXIX.  Impossibilité  que  les  apôtres  aient  menti  par  en- 
thousiasme. 389 

XXX  Et    que  les  premiers  chrétiens  aient  cru  sans  examen.  Ibid, 

XX XI  Pou"  croire  les  miracles  chrétiet.s,  il  n'est  pas  néces- 
saire de  discuter  ceux  des  antres  religions.  3go 


DES  MATIERES.  5.^7 

Pages, 

XXXII.  Fxaraen  des  miracles  objectés.  jgi 

XXXIII.  Conclusion  absarde  des  inciédnles.  39''» 
XXXI\  .   Septième   objection.  Les  niii'acles  commuas  chez 

les  peuples  ignorants.  Pourquoi  ne  s'en  fait-il  plus.^  396 

XXXV.  Réponse.   Les  peuples  à  qui  on  a  annoiice  njs  mi- 
racles n'étaient  point  ignorants.  Ibid. 

XXXVI.  Pourquoi  les  miraclrs  soni  rares.  897 

XXXVII.  Huitième  objection.  Les  pères  ont   expliqué  les 
miracles  dans  un  sens  allégorique.  ^99 

XXXVIII.  Réponse.  Ibcd. 

TROISIÈME  DISSERTATION. 

SUR  LA  PROP.\GATIO>    RAPIDE  DU  CHRISTIANISME. 

Pagec. 

L  Division  de  cette  dissertation.  402 

CHAPITRE  PREMIER. 

Preuves  de  la  propagation  rapide  du  christianisme. 


II.  Etat  du  christianisme  au 

retour  de  Jésus-Christ  dans 

les 

cienx. 

4o3 

III.  Progrès  de  la  religion  sous  les  apôtres. 

Ibid. 

IV.  Témoignage  d-i  Tacite. 

40  5 

V.  De  Sénèque. 

406 

VL  De  Pline. 

407 

VII.  De  T.bérianus. 

408 

VIIL  De  Lucien. 

Ihd. 

IX.  De  Celse. 

Ibid. 

X.   De  saint  Justin. 

409 

XI.   De  saint  Irénée. 

Ibid. 

XII.   De  saint  Clément  d  Alexandrie. 

Ibid. 

XIII.   De  Tertnllien. 

410 

XIV.   D'Origèries. 

412 

XV.  Fait  relatif  à  .\lexannre 

-Sévère. 

Ibid. 

XVI.  Cause  de  la  persécution 

1  de  Maxiuin  I. 

4i3 

538  TABLE 

Page.,. 

XVII.  Témoignage  de  saint  Gyprien.  4ii 

XVIII.  De  Mitmcios  Félix.  414 
XIX..  D'Aniobe.                                                                               Ibid. 

XX.  Hésitation  de  Diuclétiea  à  persécuter  les  chrétiens  ,  à 
c»ase  de  lear  noiubre.  416 

XXI.  Maxence  fait  semblant  de  professer  le  christianisme.       ibid. 

XXII.  Edits  de  Maximin  II.  417 

XXIII.  La  conversion  de  Constantin  attribuée  par  les   incré- 
diiles  à  la  politique.  Ibid. 

A\l\.  Conclusion  de  ce  chapitre.  418 

CHAPITRE  II. 

Preuves  que  la  pro]imgatio7Ï  du  chrislianisme  est  l'œuvre 
de  Dieu. 

XXV.  Etat  de  la  question.  420 

XXVI.  Combien   en    soi    était    difficile    l'établissement    du 
christianisme.  Ibid. 

XXVIT.  Cinq  causes  naturelles  qui  peuvent  faire  recevoir 
une  doctrine.  43  i . 

A&TICLE    PREMIER. 

Les  dispositions  des  peuples  étaient-elles  favorables  ou  contraires 
au  christianisme  ? 

XXVIIT.   Les  lumières  du  siècle  ;  premier  obstacle.  !^ix 

XXIX.  Idées  religieuses  du  peuple  ;  second  obstacle.  4a  3 

XXX.  Divers  préjugés  qui  attachaient    les  païens  à  leurs 
idées.  Ibid. 

XXXJ.   Préjugés  d'éducation.  Ibid. 

XXXII.  PréjUgés  d'imagination.  424 

XXXIII.  Préjugés  d'antiquité.  4-25 
XXX iV.  Corruption  de  la  morale  ;   troisième  obstacle.  426 
XXXV.   Union  de  la  religion  et  de  l'état;   quatrième  obs- 
tacle. 427 

ARTICLE    II. 

La  doctrine  chrétienne  était^elle  par  elle-même  de  nature  à  être 
reçue  favorablement  y  ou  à  être  contredite  ? 

X^vXA'J.  Incompatibilité  du   christ-anisrae  avec   les   autres 
religions.  4a8 


DES    MATIÈRES.  539 

Page.. 
XXX\  17.   Le    christianisme    confondart  toai    les    principes 
pUilosophiqaes.  43.9 

XXXVIII.  Il  dissipait  tontes  les  idées  :  eligieas'-s.  43o 

XXXIX.  Il  réformait  la   morale   corrompae  à   laquelle    on 

était  attaché.  433 

XL.  Il  rompait  le  lien  politiqus  entre  la  religion  et  l'eL'it.         435 

ARTICLE    III. 

L?s premiers  prédicateurs  de  la   religion  chrétienne  étaient-ils  choisis 
de  manière  à  la  faire  admettre  ou  rejeter  ? 

XLT.  Les  qualités  da  chef  dune  sects  cuntrib  lent  à  la  ré- 
pandre. 337 

XLlî.   Quels  étaient  les  apôtres.  43^ 

XLIII.  Pourquoi  Jésus-Christ  les  i  choisis  tels.  Leurs  suc- 
cès. 439 

XLIV.   Ce  succès  ne  peut  être  attrib'.ié  qu'à  une  fon-e   di- 
vine. 444 
ARTICLE    IV. 

Les  moyens  employés  par  les  apôtres  étaient-ils  par  leur  nature  pro- 
près  à  favoriser  ou  à  empêcher  La  propagation  de  la  religion  P 

XLV.   Quels  moyens  auraient  employés  des  imposteurs.  4  v5 
XLVI.  Les  apôtres  emploient  tous  les  moyens  contraires.  4  +  7 
XLVIT.  Ils  commencent  par  se  décrier  enx-mèmes.  lùid. 
XLVIl}.   Ils  prêchent  sans  ménagements  une  docuine    op- 
posée à  tontes  les   idées  reçues.  448 

XLIX.  Temps  et  lieux  que  choisbsent  les  apôtres  pour  leur 

prédication.  44g 

L.   Ils  ont  rejeté  tous  les  moyens  qui  auraieat  pu  les  servir.  45  x 

ARTICLE    V. 

L'autorité  publique  était-elle  ja\>orahle  ou  contraire  à  la  propagation 
de  la  religion  ? 

LI.  Le  christianisme  persécuté  dès  le  commencement  dans 
la  Judée.  45  I 

LU.  Et  ensuite,  pendant  Jeas  siècles  et  dem.i  ,  dans  l'empire 
rumain.  45  3 


540  TABLE 


Fa^f» 


LUI.   Accasations  injurieuses  intentées  aux   premiers   chré- 
tiens. 456 
LIV.    Supplices  atroces  qu'on    leur  fait  subir.  457 
LV.    Le  cliri»tianism«  u'élève  dans  les  persécutions.                      459 
LVI.  Son   accroissement  n'est  donc  pas  l'ouvrage   des  hom> 
mes.                                                                                                                      463 
ARTICLE    VI. 
Résultat  et  confirmation  des  articles  précédents. 

LVIL    Résnmé  des  précédents  articles.  465 
LYIII.  La  propagation  du  christ;anibme  n'est    pas  un   effet 
du  hasard.  467 
LIX.   E  le  ne  pent  être  attriboée  à  aucune  cause  naturelle.  Ihid. 
La.    Elle  est  donc  l'œuvre  de  Dieu.  468 
LXI.   Aucune  cause  naturelle  ne  pourrait  faire   recevoir  de 
même  une  docîrine  fausse.  469 
LXll.   L'idolâtrie  n'était  pas  partout  la  même  religion.  470 
LXni.  Le  climat  n'a  pas  mis  de  bornes  à  la  propagation  du 
christianisme.  471 
LXIV,  Le  christianisme  prêché  aux  Juifs  et  hux  païens.  Ibid. 
LXV.   Aux  hommes  du  peuple  et  aux  hommes  éclairés.  Ibid. 
LXVL   Les  objections  des  ennemis  du  christianisme,  qne  ré- 
pètent  nos  incrédules,  ne  l'ont  pas  empêché  de  s'établir.  47* 

LX^^IÎ.  Le  christianisme  établi  par  l'influence  surnaturelle 
du  Saint-Esprit.  47$ 
LXVIII.  Et  par  la  force    divine  des  miracles.  4,74 
LXlX.    La  propagation  de  la   religion    la  prouve,    indépen- 
damment des  miracles.  477 

LXX.  L'établissement  de  la  religion  prédit  dans  TAncien 
Testament.  478 
LXXT.  Et  dans  la  Nouveau.  480 
LXXII.  Le  saints  pères  opposaient  ces  prophéties  aux  in- 
crédules de  leur  temps.  48 1 
LXXIIT.  Force  que  donnent  ces  prophéties  à  notre  preuve.  4^3 
LXXn  .    On  ne  peut  rien  y  opposer  de  raisonnable.  486 

CHAPITRE  III. 

Objections  contre  la  preuve  tirée  de  la  propagation 
du  christianisme. 

LXXV.   Première   objection.    Le    christianisme  ne   s'est   pas 
répanda  aussi  rapidement  qu'on  Je  dit.  4^7." 


DES    MATIÈRES.  541 

Pa^e^. 

L?\-WI.  Réponse.  488 
I.\'X\'1T.    Denxième  objecuon.  Le  chrisUanisiue  a  mis  trois 

siècles  à  s'étaLlii'.  ^^89 

L^XMII.    Réponse.  490 
LXXIX.  Troisième  objec;i-jn.  Religions  fausses  établies  plus 

rapidement.  Premier  exemple,    le  mabométisme.  491 

I.XXX.  Réponse.  ibid. 

l.XXXl.  Deuxième  exemple  ,  le  protestantisme.  Ibid. 

LXXXTI.  Réponse.  492 
LXXXllI.   Quairième  objection.   Moyens   naturels  qui   ont 

pu  établir  le  cbrislianisme.  493 

LXXXIV.    Premier     moyen.    Dispositions     naturelles    des 

bommes.  494 

LXXX^  .  Et  dispositions  particulières  des  esprits  à  la  nais- 
sance du  christianisme.  Ibid. 
hXXXVI.  Deuxième  moyen.  La  doctrine  do  christianisme.  495 
LXXXVII.  Ses  dogmes.  496 
LXXXVllT.  Sa  morale.  Ibid. 
LXXXlX.  Sa  constitution.  49; 
XC.  Troisième  moyen.  Les  persécutions.  Ibid. 
XCI.  Réponse.  498 
XCII.  A  ce  qui  est  dit  de  l'inconstance  du  peuple.  499 
XClïT.  Et  de  la  liberté  naturelle  de  Tesprit  humain.  Ibid. 
XCIV.  Et  de  l'hypothèse  d'un  déiste.  5oo 
XCV.  Et  de  l'amour  du  merveilleux.  Ibid 
XCVT.  Et  du  dégoût  où  on  était  du  paganisme.  5oi 
XCVir.  Et  de  la  mode  des  discussions.  5o2 
XCVIIT.  Et  du  règne  de  l'imapination.  Ibid. 
XCIX.  Et  de  la  crédulité  aux  visions.  Ibid. 
C.  Et  des  maux  physiques  qui  désolaient  l'empire.  5o3 
CI.  Réponse  à  ce  qui  est  objecté  sur  l'annonce  des  mi- 
racles. '  Ibid. 
CIL  Et  sur  la  doctrine  de  la  vie  future.  5o5 
cm.  Et  sur  l'opinion  de  la  (in  du  monde.  Ibid. 
CIV.  Ce  n'était  pas  nne  chose  naturelle  que  douze  pêcheurs 
propageassent  1h  morale  chrétienne.  5o6 

CV.   Les    vertus    n'accompagnent  pas  toujours   le    prosély- 
tisme. 5o7 

CTI.   Les   espérances   et  les    aumônes   du    christianisme    ne 

pouvaieià   pas  le  propager.  Ibid. 

C"VII.  La  faciii'é   d'obtenir  le  pardon  des  péchés  n'était  pas 

an  moyen  de  propagation.  5 08 


542  TABLE  DES  MATIERES. 

CYIII.   Non  pins  qae  le  zèle  intolérant    des  chréliens.  609 

ClX.   Une  religion  qui  prêche  la  mortification    n'est  pas  du 
goût  da  peuple.  Ibid. 

ex.    Calomnies  répandues  contie  la  morale  ctirélienne.  5  10 

(,X1.  La  constjîntion  de  l'Eglise  n'a  pas  été  une  cause  de  son 
extension.  Ibld. 

ex  11.  Les  persécutions  qae    la  religion  a    fonffcr'.es  n'ont 
pas  pu  l'acroître.  5i  i 

CXIII.   L'esprit  de  parti  n'a  pas  pu  attirer  au  christianisme 
les  païens.  5 1 1 

CXn  .   Les  persécutions  des  empereurs  chrédens  contre  le 
paganisme  n'ont  pas  établi  le  chtistianisme.  fi  1  3 

<  X^^  Constantin  et  ses  successears  n'ont  pas  persécuté  les 
idolâtres.  5 14 

CX^  I.   Ce  n'est  pas  un  motif  de  religion  qui  a  fait  périr  So- 
pâtre.  5  1 7 

CXVII.    Réponse   de  Théodoret  à  l'objection  que  l'autorité 
impériale  a  agrandi  l'Eglise.  5  19 

CXVIIL   Réi'Iexion  générale   sur  les  moyens  auxquels  on 
attribue  la  révolution  opérée  par  le  christianisme.  5ao 


us    r£    LA    TABLE. 


501rS0>S.    IMPRIMERIE    DE  EM.   FOSSE    DABCOSSE, 

IMPRIMLVr.   LEL'tNËCHÉ,    RVE    LES    RATS,    10. 


BX  1752  .L3  1843 

SMC 

La  Luzerne, 

Cisar-Gui llaume  de, 
Dissertations  sur  la 

viriti  de  la 
AZD-9524  (mcih) 


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