I
U8RARY
UNIV"-^"'^ Of CAUFORNIA
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/documentssecretsOOIalo
LES
DOCUMENTS SECRETS
PUBLIES
PAR LES BOLCHEVIKS
DU MÊME AUTEUR
La Question de la nouvelle salle à la Bibliothèque
Nationale. Paris, 1912. (N'est pas dans le commerce.)
Les Plans de Catherine II pour la conquête de Cons-
tantinople. Paris, E. Rahir, 1910. (Extrait des Mélanges
offerts à M. Emile Picot.)
La Langue française cessera-t-elle dans peu de temps
d'être une langue scientifique ? (Mercure de France,
i" décembre igiS.)
Enigmes du Grand Siècle : le Masque de fer, Jacques Stuart
de la Cloche, Vabbé Prignani, Roux de Marsilly. Paris, H. Le
Soudier, 191 3.
De Clausewitz à Hindenbourg. (Mercure de France, tG juin
1916.)
La Diplomatie de Guillaume II (1888-U août lOl^J. Paris,
éditions Bossard^ i9'7-
Le Livre Jaune sur TAlliance franco-russe. (^Mercure de
France, iG septembre 1918.)
Le Kaiser et la neutralité de la Hollande. {Mercure de
France, iG décembre 19 18.)
X-^-*tZS3^37
EMILE LALOY
. I 1
LES
DOCUMENTS SECRETS
DES ARCHIVES DU MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
DE RUSSIE
PUBLIÉS PAR
LES BOLCHEVIKS
EDITIONS BOSSARD
43, RUE MADAME, 43
PARIS
1919
D3^
H55-^!??5^?^^^?^^3>?^t5>?:?^^^?^'^5)<?5ît5>?!§2f5)
AVERTISSEMENT
Le Recueil de Documents secrets extraits des
Archives de V ancien ministère russe des Affaires
étrangères, publié en russe par les Bolcheviks de
décembre 1917a février 19 18, était destiné par eux
à leur fournir des arguments dans leur propagande
contre les impérialistes de tous pays. Les docu-
ments y sont insérés sans aucun ordre, chacun
des sept fascicules renfermant les pièces les plus
compromettantes (î!) « pour la bourgeoisie » saisies
depuis l'envoi précédent. Une note à la fin du fas-
cicule 7 avertit que « pour des motifs techniques,
la rédaction est forcée de cesser la publication
momentanément ». Ces « motifs techniques » étaient
l'invasion allemande. Quoique les Bolcheviks eussent
surtout publié des documents émanant des gouver-
nements alliés, ils avaient aussi occasionnellement
inséré des pièces gênantes pour l'Allemagne et
celle-ci n'avait aucune garantie qu'ils ne continue-
raient pas. En suspendant leur publication, ont-ils
6 AVERTISSEMENT
cédé à une menace de cette puissance ou ont-ils com-
pris d'eux-mêmes que leurs révélations déloyales
empiraient leur situation en les brouillant avec
tout le monde ? Nous ne savons.
Dans la traduction abrégée qui suit, on a rangé
les documents dans l'ordre chronologique, mais le
titre de chaque pièce est suivi de son numéro dans
le recueil russe. Toutefois, les numéros 68 à 78,
déjà employés par les Russes dans le cahier 6, ayant
été utilisés à nouveau par eux dans le cahier 7, on
a distingué les pièces du cahier 7 en les faisant
suivre de la mention (7).
Les portions des documents qui ne sont qu'ana-
lysées sont placées entre crochets carrés.
(8nSH5)^^^?^H^^?^SH5^^S^?^^?^§^^^^^5^5^^
1. _ Traité des trois Empereurs. (N° 71 [7])-
p
ROFiTAM' du refroidissement entre l'Allemagne
_ et la Russie causé par la colère que manifes-
tait la presse russe de la médiocrité des résultats
obtenus par le gouvernement russe au Congrès de
Berlin, Bismarck signa secrètement le 7 octobre 1879
avec l'Autriche une alliance qui était surtout dirigée
contre la Russie. A ce moment, un nouvel ambassa-
deur russe, P. Sabouroff, arrivait à Berlin. 11 était
très convaincu de l'avantage pour la Russie de
s'entendre avec l'Allemagne et venait proposer à
Bismarck une alliance russo-allemande. Elle ne
pouvait naturellement être dirigée que contre
l'Autriche. Bismarck lui répondit qu'il désirait au
contraire réconcilier ces deux puissances et mit en
avant l'idée d'une alliance à trois (( pour creuser un
fossé entre l'Autriche et les puissances occiden-
tales ». Le gouvernement du Tsar accepta cette pro-
position, mais l'Autriche fit beaucoup de difficultés
pour se laisser convaincre.
Finalement les négociations aboutirent au texte
suivant qui ne contenait guère que des obligations
imposées à la Russie sans qu'elle obtînt des avan-
tages correspondants. On avait toujours dit que ce
8 DOCUMENTS SECRETS
traité ne liait les mains de la Russie que si nous
attaquions l'Allemagne : on remarquera que c'était
faux. Quant à l'Allemagne, elle ne se liait les mains
€n réalité que pour le cas d'une guerre anglo-russe !
1. Dans le cas où l'une des Hautes Parties
contractantes ferait la guerre avec une qua-
trième grande puissance, les deux autres gar-
deront une neutralité bienveillante à son égard
ot emploieront tous leurs efforts à abréger le
conflit. Cet accord s'étendra aussi au cas d'une
f»uerre entre Tune des trois Puissances et la
Turquie, mais seulement dans le cas où un
accord préalable aurait été conclu entre les
Irois Puissances au sujet des résultats de cette
guerre.
2. La Russie, en plein accord avec l'Alle-
magne, déclare sa ferme résolution de prendre
en considération les intérêts de l'Autriche-
ïlongrie qui découlent de sa nouvelle situation,
affermie par le traité de Berlin. Les trois Puis-
sances, désireuses d'éviter tout ce qui pourrait
susciter de la discorde entre elles, s'engagent
à prendre en considération leurs intérêts réci-
proques dans la presqu'île des Balkans. Elles
se promettent que de nouveaux changements
dans le statu quo territorial de la Turquie
d'Europe ne pourront être introduits que de
leur consentement réciproque. Pour faciliter
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 9
cet accord dont il est fort difficile de prévoir
les détails, les trois Puissances ratifient dès
maintenant, dans un protocole annexé au
traité, les points sur lesquels elles se sont déjà
mises d'accord.
3. Les trois Puissances reconnaissent l'im-
portance européenne delà fermeture des détroits
du Bosphore et des Dardanelles établie par les
traités... Elles veilleront en commun à ce que
la Turquie ne fasse point d'exclusions à cette
règle en cédant à un belligérant pour des opé-
rations de guerre la partie de son empire où se
trouvent les détroits. En cas de violation ou
pour prévenir une violation possible, les trois
Puissances préviendront la Turquie que dans
ce cas elles la considéreront comme s'étant
déclarée en état de guerre à l'égard de la Puis-
sance à laquelle elle portera ce préjudice et que
par suite elle sera privée des avantages de la
sécurité du statu quo territorial établi à son
profit dans le traité de Berlin.
l\. La présente convention durera trois ans
à partir de l'échange des ratifications.
5. Les Hautes Parties contractantes se pro-
mettent réciproquement de tenir secret, non
seulement le contenu du présent traité, mais
même son existence ainsi que celle du proto-
cole annexe.
10 DOCUMENTS SECRETS
6. Les conventions secrètes conclues entre
l'Allemagne et la Russie et entre l'Autriche-
Hongrie et la Russie en iS-S sont remplacées
par le présent traité.
7. [Ratification dans les quinze jours.]
Fait à Berlin le 28 juin 1881. Signé : \. Bis-
marck, SzÉCHÉNYI, SaBOUROV.
Protocole annexe
1. Bosnie et Herzégovine. — L'Autriche-Hon-
grie se réserve le droit d'annexer ces deux
provinces quand elle le jugera important pour
elle.
2. Sundjak de Nom-Bazar. — La déclaration
échangée par les plénipotentiaires austro hon-
grois et russes au Congrès de Berlin le i3/i juil-
let 1878 reste en vigueur.
3. Houmélie orientale. — Les trois Puissances
se déclarent complètement d'accord pour pré-
venir une occupation possible, soit du côté de
la Roumélie orientale, soit du côté des Balkans,
à cause de ses dangers pour la paix générale.
En cas de nécessité, elles s'efforceront de
détourner la Porte d'une entreprise de ce genre,
pourvu que de leur côté la Bulgarie et la Rou-
mélie orientale s'abstiennent de soutenir des
attaques partant de leur territoire et dirigées
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 11
contre d'autres provinces de l'Empire turc.
^. Bulgarie. — Les trois Puissances ne s'op-
poseront pas à la réunion de la Bulgarie et de
la Roumélie orientale dans leurs limites terri-
toriales du traité de Berlin si elles y sont ame-
nées par la force des circonstances. Elles con-
viennent de détourner les Bulgares de toutes
attaques contre les provinces voisines, et en
particulier contre la Macédoine, et leur décla-
reront que dans ce cas ils agiront à leurs
risques et périls.
5. [Des instructions seront envoyées aux
agents des trois Puissances en Orient pour
qu'ils mettent fin à leurs désaccords par des
explications amicales et s'adressent à leurs
gouvernements quand ils ne pourront y arriver
aiasi.]
Berlin, 1 8 juin i88i. Signé: v. Bismarck,
SzÉCHÉNYI, SaBOUROV.
2. — Convention militaire franco-russe. (N° i).
SiG!<ÉE le i7/3o août 1892, elle a été publiée en
original daus le livre jaune sur L'Alliance
franco-russe et dans le vol. 129 du Mercure de
France,
12 DOCUMENTS SECRETS
3. — Alliance contre les Anarchistes. (N*' 72).
L'Allemagne, l' Autriche-Hongrie, le Dane-
mark, la Roumanie, la Russie, la Serbie, la
Suède-Norvège, la Turquie et la Rulgarie, péné-
trées de la nécessité de s'opposer énergique-
ment au développement du mouvement
anarchiste... ont convenu des mesures sui-
vantes :
1. Tout anarchiste expulsé du territoire de
l'une des parties contractantes sera reconduit
par le chemin le plus court dans le pays dont
il est sujet. [La police de ce pays doit en être
immédiatement avertie.]
2. Dans chaque pays sera établi un Bureau
central de police pour recueillir les renseigne-
ments sur les anarchistes et leurs actes.
3. Le Bureau central de chaque Puissance
décidera comment les organes compétents lui
fourniront les renseignements nécessaires sur
les anarchistes de leurs territoires et sur leurs
aventures.
4. [Chaque Bureau central doit informer au
plus vite les autres bureaux de l'expulsion et
du départ volontaire des anarchistes. Il accom-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 13
pagnera cette information d'un mémoire sur
leur passé et de leur photographie.]
5. [Chaque Bureau communiquera immé-
diatement à tous les autres ses renseignements
sur les conspirations anarchistes.]
6. [Chaque Bureau communiquera au moins
tous les six mois à tous les autres ses renseigne
ments sur le mouvement anarchiste et répon-
dra aux questions que les autres lui poseront.]
Ces mesures entreront en vigueur dès la
signature du présent protocole... Les Puissances
qui ne le signeront pas pourront y adhérer par
acte séparé signifié par voie diplomatique au
Gouvernement russe et par lui aux autres
Gouvernements...
[Ce protocole, qui doit demeurer secret, a
été signé à Saint-Pétersbourg le i/i4 mars 1904
en un seul exemplaire qui sera gardé par la
Russie.]
Appendice. A. [La Turquie, se référant à sa
déclaration faite à la Russie le 6 septembre 1899,
déclare que le protocole actuel ne modifie en
rien les accords entre la Porte et la Russie au
sujet du retour de certaines catégories d'émi-
grants arméniens se trouvant en Russie.]
— B. [Le Danemark déclaie que les points
2 à 6 du protocole seront exécutés par la police
de Copenhague.]
14 DOCUMENTS SECRETS
— C. [La Roumanie se réserve le drok
exclusif d'apprécier le caractère d'anarchiste
chez ceux contre lesquels on lui demandera
de prendre des mesures.]
— D. [Les obligations des articles 2 à 6 seront
exécutées en Suède par le Chef de la police
de Stockholm et en Norvège par la police de
Christiania.]
4. — Convention russo-bulgare. (N° 25).
EN 1900, un vif conflit surgit entre la Roumanie
et la Bulgarie à la suite de l'assassinat à
Bucarest d'un nommé Mihaleanu.
Une convention militaire fut conclue entre l'Au-
triche et la Roumanie en septembre 1900. Dans son
préambule, il était dit que le désir de la Roumanie
d'accroître ses possessions par l'acquisition d'une
partie de la Bessarabie, de la forteresse de Silistrie
et si possible, de Roustchouk, Schoumen et Varna,
apparaissait comme très légitime (Guechoff, l'Al-
liance Balkanique, p. 61). La Russie (ou plus pro-
bablement la Bulgarie) ayant eu connaissance du
texte de cette convention, en informa l'autre puis-
sance menacée et des pourparlers russo-bulgares
commencèrent. Ils aboutirent à un projet de « con-
vention militaire » signé par le général-major
Jilinski et envoyé par le ministre de la guerre
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 15
A. N. Kouropatkin le i6 mai 1902 au comte Y. N.
LamsdorfF, minisire des affaires étrangères ; il com-
prenait les 9 articles suivants :
1. Le présent accord ne poursuit pas des
buts agressifs, mais seulement de faire échec à
la convention militaire entre l'Autriche-Hon-
gvie et la Roumanie.
2. Il n'a donc en vue qu'une action contre
l'Autriche et la Roumanie et ne peut être dirigé
ni contre la Turquie, ni contre aucune autre
puissance balkanique.
3. La Russie coopérera de toutes ses forces
à la défense de l'intégrité et de l'inviolabilité
du territoire de la Bulgarie.
4. En cas d'attaque de l'Autriche-Hongrie ou
de la Roumanie (ou de ces deux puissances ou
de la Triple Alliance) contre la Bulgarie ou la
Russie (ou contre ces deux puissances), les
puissances contractantes devront employer
toutes leurs forces et leurs ressources à lutter
contre l'agresseur, sans reculer devant aucun
sacrifice pour atteindre un complet succès.
5. [Si rx\utriche n'aide pas l'agression rou-
maine contre la Bulgarie, la Russie peut rester
neutre.]
6. [En cas de guerre avec la Roumanie et
l'Autriche, la Bulgarie gardera la plus stricte
neutralité à l'égard de la Turquie et apportera
16 DOCUMENTS SECRETS
la plus grande circonspection dans ses rapports
avec elle. Ne laissant au sud des Balkans qu'un
corps d'observation, elle réunira le reste de
son armée sur le Danube.]
7. Les plans de mobilisation et de concen-
tration de l'armée bulgare et ceux de défen-
sive et d'offensive pour exécuter des missions
et atteindre des buts indiqués par l'État-major
général russe devront être élaborés le plus tôt
possible sous la direction de cet état-major en
collaboration avec le ministère de la guerre
bulgare. Ils devront être ratifiés par S. M. l'Em-
pereur...
8. Le généralissime russe commandera en
temps de guerre les armées de la Russie et de
la Bulgarie et dirigera leurs opérations, qu'elles-
agissent ensemble ou séparément... Si Son
Altesse nomme un généralissime, il devra,
ainsi que le chef d'état-major, être choisi
d'accord avec le ministère de la guerre russe
et sous réserve de l'approbation de S. M. l'Em-
pereur. [Près du commandant de l'armée
bulgare et de chacun de ses corps et détache-
ments sera placé un officier russe qui aura voix
délibéralive dans les conseils.]
9. [La flotte russe pourra utiliser les ports
bulgares et prendre les mesures nécessaires à
leur défense.]
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 17
Le 22 mai, Lamsdorffsoumit ce projet àPapproba-
tiondii Tsar, en proposant d'y ajouter un lo* article:
10. [La présente convention entre en vigueur
immédiatement et constitue un secret d'Etat
particulièrement important.]
Le Tsar approuva la convention et cette adjonc-
tion ; le 23 mai, Lamsdortï en informa Kouropat-
kine, l'avertissant qu'à raison de la qualité de vassal
du prince Ferdinand, il ne pouvait être question de
la signature du Tsar, mais seulement (comme dans
le cas de la convention militaire franco- russe), d'un
échange de lettres annonçant la ratification de la
convention après sa signature par les plénipoten-
tiaires. Le 3i mai/i3 juin 1902, le général Paprikoff
signa cette convention pour la Bulgarie.
5. — Convention douanière serbo-bulgare.
(N"^ 22-24).
DANS la nuit du 11 au 12 juin 1903, le roi Milan
et la reine Draga furent assassinés à Belgrade.
Avec Milan finit la dynastie des Obrenovitch qui,
depuis le traité de Berlin, avait été l'alliée et la pro-
tégée de l'Autriche. Le prince Pierre Karageor-
gevitch, qui monta alors sur le trône sous le nom
de Pierre P'", appartenait au contraire à une famille
inféodée de tout temps à la Russie. Celle-ci, qui
adhérait d'ailleurs, au moins depuis le Congrès de
18 DOCUMENTS SECRETS
Berlin, à la maxime: les Balkans aux Balkaniques,
encouragea certainement son alliée la Bulgarie à
s'entendre avec la Serbie. Les circonstances d'ail-
leurs y poussaient. La Russie était depuis le 8 fé-
vrier 1904 en guerre avec le Japon et était de moins
en moins en état de protéger la Serbie et la Bul-
garie. Les pourparlers serbo-bulgares aboutirent
alors le 3o mars/ 12 avril 1904 au bizarre traité de
commerce suivant :
[Les Gouvernements serbe et bulgare, pro-
fondément pénétrés de la communauté des
destinées de leurs peuples parents et voisins
et désireux de faciliter leur développement
pacifique par une union amicale et fraternelle,
ont conclu l'accord suivant :]
1. Ils ouvriront réciproquement leurs fron-
tières à tous leurs produits indigènes, s'effor-
çant d'avoir une politique douanière identique
et de la poursuivre jusqu'à la conclusion d'un
Zollverein.
2. Ils faciliteront l'échange et le transit de
tous leurs produits sur leurs territoires par
l'abaissement des tarifs de transport...
3. Ils égaliseront leurs taxes postales et
télégraphiques...
4. Ils supprimeront les passeports...
5-6. [Us conclueront des conventions judi-
ciaires et monétaires.]
rUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 19
7. Le présent accord ne pourra être publié
que du consentement des deux Puissances
contractantes...
Le 28 avril/ II mai 1904, le traité fut ratifié par
le roi Pierre P^
La Russie avait-elle été informée au jour le jour
des négociations relatives à ce traité ? On ne sait. Il
résulte en tout cas d'une dépêche de lou. Bakhme-
tev, ministre de Russie à Sofia, en date du 21 sept./
k octobre 1904, 1° que celui-ci avait pu en communi-
quer les parties essentielles à son gouvernement le
3/16 mai 1904 \ 2" que le texte venait de lui en être
communiqué sous condition du secret par le gou-
vernement bulgare, ce dernier ayant été informé
par le gouvernement serbe qu'il allait faire la même
<communication au ministre russe à Belgrade.
6. — Traité russo-allemand. (N*» 38).
DÈS que la guerre russo-japonaise eut éclaté,
Guillaume chercha à profiter de cette conjonc-
ture pour écraser la Russie, mais le refus de Fran-
çois-Joseph de le suivre dans cette voie le força à
chercher autre chose. Ce fut alors qu'il conçut le
plan de nous chercher querelle à l'occasion du Ma-
roc, et pour nous attaquer quand nous serions sans
alliés, s'efforça d'amener un choc entre l'Angleterre
et la Russie (incitations de la correspondance Willy-
20 DOCUMENTS SECRETS
Nicky, incident du Doggerbank). Il ne réussit pas.
L'Angleterre laissa même voir l'intention de nous
soutenir s'il nous attaquait : au lieu d'un allié contre
l'Allemagne, nous allions en avoir deux. Guillaume
ne s'en efforça que plus ardemment de détacher la
Russie de nous en persuadant à Nicolas qu'il dési-
rait l'aider contre l'Angleterre et que nous étions
les alliés de cette dernière (ce qui nous eut été en
effet facile à ce moment). Il parvint ainsi à décider
le Tsar à signer à l'entrevue de Rjœrkœ (i 1/24 juil-
let 1905) un traité d'alliance défensive qui eut per-
mis à l'Allemagne en cas de guerre franco-allemande
de prétendre que l'alliance franco-russe avait été
virtuellement abolie par cette nouvelle alliance.
Cette dernière n'imposait d'ailleurs à ce moment-
là aucune charge à l'Allemagne, puisque ce traité
ne devait entrer en vigueur qu'après la fm de la
guerre russo-japonaise et l'on croyait que celle-ci
était encore fort éloignée.
LL. MM. Impériales l'empereur de toutes
les Russies d'un côté et l'empereur d'Allemagne
de l'autre, afin d'assurer la paix de l'Europe,
se sont mises d'accord sur les articles suivants
d'un traité d'alliance défensive.
1. Si un Etat européen quelconque attaque
l'un des deux Empires, son allié s'engage à
l'aider en Europe par toutes ses forces de terre
et de mer.
2. Les Hautes Parties contractantes s'en-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 21
o-ao-ent à ne conclure de paix séparée avec
aucun adversaire commun.
3. Le présent traité entrera en vigueur au
moment de la conclusion de la paix entre la
Russie et le Japon et doit être dénoncé un an à
l'avance.
4. L'Empereur de toutes les Russies, après
l'entrée en vigueur de ce traité, entreprendra les
démarches nécessaires pour le faire connaître
à la France et lui proposer d'y accéder en qua-
lité d'alliée.
Signé : \Yilhelm, von ïschirschky u.nd
BÔGE.XDORFF, NiCOLAS, BiRILEV.
7. — Lamsdorff et les Anarchistes. (N^ t^)-
R
APPORT de ce ministre des affaires étrangères
, au Tsar sur la lutte contre les anarchistes
et sur la part des Juifs dans leur mouvement
(3/1 6 janvier 1906). Il a été publié en entier dans le
Mercure de France du i" octobre 19 18, p. 55 1, et
y a donné lieu à une polémique.
22 DOCUMENTS SECRETS
8. — Guillaume II à Nicolas II. (N° 4).
PRÈS la Conférence d'Algésiras, quoique la
Russie nous y eut soutenu, les rapports de
Giullaume et de Nicolas restèrent très amicaux. La
lettre suivante, non datée, est un spécimen de leur
correspondance à cette épo({ue :
Mon cher Niki, merci de ta lettre que m'a
remise Tatichtchev, et de la seconde qui m'a
été remise aujourd'hui [i4 juin 1906] par Vla-
dimir. Je suis en pleine communauté de senti-
ments avec toi dans ces temps si durs. Le
meilleur moyen d'oublier l'ennui et les
inquiétudes que te cause l'état des choses dans
ton pays est de faire ce que tu fais déjà et de
l'occuper de ton admirable Garde, organisant
ses revues et l'entretenant avec elle. Cela te
fera plaisir à toi et aux troupes qui, au moment
du danger, t'en remercieront les armes à la
main.. .
Je suis tout à fait d'accord avec toi au sujet
des anarchistes. Leur attentat [à Madrid, le
3i mai] a été lâche et criminel. La difficulté
de la lutte contre cette plaie de l'humanité
réside dans ce fait que ces bandits peuvent
vivre impunément dans certains pays, en
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 23
particulier en Angleterre, et y tramer leurs
complots. Je sais que le premier-ministre
espagnol a prié le prince de Galles de dire au
roi Edouard YII le désir du peuple espagnol
de le voir intervenir auprès du Gouvernement
britannique pour que celui-ci adhère à un
accord des puissances continentales visant à
des mesures sérieuses de répression contre
cette secte. Cette démarche prouve que la
surveillance établie par nos deux gouverne-
ments sur ces individus a complètement
échoué parce qu'ils peuvent vivre à Londres
sans crainte d'être punis et y tramer leurs
plans homicides... Toutes les Puissances conti-
nentales devraient envoyer à Londres une
communication en commun au Gouvernement
anglais pour qu'il s'unisse à l'accord interna-
tional pour combattre ces bêles féroces. Je
pense que par un accord général, il serait pos-
sible, pour défendre la vie et la civilisation,
d'interdire la fabrication des produits chi-
miques pour les bombes, sous menace de
peines sévères.
La Douma rend la situation difTicile pour
ton gouvernement et la complique. On peut
espérer qu'on trouvera bientôt les moyens
pour un mochis vivendi raisonnable... Comme
j'ai supposé, ton choix est tombé sur Izvolsky
24 DOCUMENTS SECRETS
qui, j'en suis convaincu, te donnera satisfac-
tion. C'est un homme intelligent, qui saura
pratiquer une politique russe pacifique confor-
mément à ton désir. Il a donné un sage conseil
à Schœn sur la question du chemin de fer de
Bagdad, aussi j'espère que mon gouvernement
pourra travailler avec lui sur la hase d'une
confiance mutuelle, résultant de la commu-
nauté d'intérêts. ?sos intérêts dans ce chemin
de fer sont purement économiques et commer-
ciaux...
Je comprends bien que les Anglais, comme
tu le dis, te courtisent au sujet de l'Asie, mais
que tu as résolu d'attendre tranquillement
leurs propositions. Je suis convaincu que si
elles sont acceptables en ce qui concerne
l'Asie centrale, un accord avec eux écartera
beaucoup de causes de frottement et de conflit,
ce qui me fera aussi plaisir.
Il est naturellement clair pour tous que le
moment actuel choisi par la flotte anglaise
pour sa visite non sollicitée est absolument
intempestif pour toi et ton pays, et je suis
fermement convaincu de l'indignation qu'elle
te cause, me rappelant mes sentiments lors de
sa visite de l'année dernière. Ils comptent
naturellement renforcer chez toi le parti ultra-
libéral. Leur flotte a annoncé l'intention de
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 25
visiter au retour Pillau et Traveniûnde. Je
les ferai surveiller avec soin...
[Guillaume continuait en proposant à
Nicolas de fixer leur entrevue au i""' août à
Swinemiinde. Il parlait ensuite de sa visite
[6 juin] à François Joseph qu'il avait trouvé
(( aussi fort irrité de la conduite de son Par-
lement )).]
9. — Le Japon et la Mongolie. (N° 3i).
DÈS son arrivée au miaistère, M. Izvolskv se pro-
posa comme but de réconcilier la Russie avec
l'Angleterre et le Japon. Ce dernier était suspecté
par les États-Unis de vouloir subalterniser la Chine
et la méfiance qui en résultait avait pour consé-
quence par contre-coup un relâchement de l'amitié
anglo-japonaise. Le Japon n'en accepta que plus
volontiers les offres d'entente du gouvernement
russe. Le 26 avril/9 mai 1907, D. S. S. Bakhmetev,
ministre de Russie au Japon, télégraphiait de
Tokyo :
Hayashi [le ministre des affaires étrangères
japonais] m'exprima sa reconnaissance sincère
pour l'obligeance montrée par le Gouverne-
ment impérial envers le Japon. Il s'efforcera
de son côté de donner une solution heureuse
26 DOCUMENTS SECRETS
et définitive à la négociation au sujet de nos
industriels de l'île Saghalien. Parlant du second
traité, il m'expliqua qu'il serait difficile à son
Gouvernement d'assumer des obligations au
sujet de la Mongolie. Cette province se trouve
en dehors de la sphère d'action du Japon et
celui-ci n'a aucune intention de s'y opposer au
développement de nos intérêts si naturels. Il
contracterait volontiers avec nous un accord
secret sur cette question, mais y consacrer un
article dans le traité ne serait pas, dans la
pensée du ministre, en accord avec l'esprit du
traité avec la Chine et pourrait être interprété
dans un sens défavorable pour le Japon. S'il
a prescrit à Motono [l'ambassadeur à S*-Péters-
bourg] de présenter une nouvelle rédaction»
c'est parce qu'il n'a pas considéré comme
convenable de lui confier officiellement d'ex-
pliquer ce qu'il venait de me dire confidentiel-
lement...
10, — Traité russo-anglais. Ç^° 55).
LES Bolcheviks se sont trompés en considérant
ce traité, conclu le i8/3i août 1907, comme
inédit. Il avait été communiqué officiellement aux
Puissances le 24 septembre 1907 et peut être lu
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 27
dans le Nouveau Recueil général des traités de Mar-
tens, 3' série, t. I, p. 8.
11, — Protocole russo-allemand relatif à la
Baltique. (N« 54).
L
A Russie et l'Allemagne] reconnaissant la
communauté de leurs intérêts politiques
en ce qui concerne la Baltique... déclarent dans
le présent protocole que leur politique com-
mune dans cette région a pour objet la conser-
vation du statu quo territorial... [Elles ont
donc] résolu de conserver dans leur inviola-
l)ilité complète leurs droits sur leurs posses-
sions de terre ferme et dans les îles de cette
région.
Les deux autres Etats riverains de la Baltique
(c'est-à-dire la Suède et le Danemark), pour-
ront contracter avec les deux Empires des
conventions particulières reconnaissant leur
inviolabilité territoriale...
En ce qui concerne l'annulation projetée au
profit de la Russie de la convention conclue à
Paris le 3o mars i856 entre la Russie, la
France et la Grande Bretagne, il est évident
que le Gouvernement allemand ne la considé-
rera pas comme contraire aux principes ci-
28 DOCUMENTS SECRETS
dessus puisqu'en réalité elle n'en découle
point.
Les deux Gouvernements conviennent de
tenir secret le présent protocole jusqu'au
moment où, par entente réciproque, ils consi-
déreront comme utile de le faire connaître
otriciellement à tous les gouvernements ou
seulement à certains d'entre eux.
S*-Pétersbourg, le 16/29 octobre iQfy.
Signé : Goubastov. Ja>îow.
12. — L'intervention russe en Perse. (N° 82).
LE traité conclu entre la Russie et la Grande-
Bretagne le 3i août 1907 permettait à chacune
des deux puissances d'intervenir à main armée en
Perse pour y défendre ses intérêts. Au commen-
cement d'octobre 1908, pendant que le ministre des
affaires étrangères Izvolsky voyageait dans l'Europe
occidentale pour s'y concerter avec les autres cabi-
nets au sujet d'une protestation contre l'annexion
de la Bosnie-Herzégovine, il apprit u à son profond
regret que le Conseil des ministres avait décidé d'en-
voyer à Tebriz, principale ville du nord-est de la
Perse, un escadron de cosaques et deux compagnies
d'infanterie». Il télégraphia aussitôt (5/ 18 oc-
tobre) :
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 29
Dans les circonstances actuelles, cette me-
sure, coïncidant avec le départ de Téhéran à
Tebriz des Cosaques persans, ne sera évidem-
ment pas interprétée, tant en Perse qu'en
Angleterre, comme une précaution pour
défendre nos nationaux, mais comme une
intervention armée au profit du gouvernement
du Shah. Il est pour moi complètement clair
que tel est le but de Hartwig ; on ne voit pas
cependant dans ses télégrammes que la vie et
les biens des sujets russes à Tebriz aient
éprouté jusqu'à présent un préjudice sérieux.
Je suis convaincu... que le premier pas est fait
pour une intervention plus étendue. C'est
complètement contraire à mes assurances à
Londres et au programme indiqué par moi,
et ce sera une raison suffisante pour demander
mon remplacement.
M. Izvolsky avait raison de se préoccuper de ce
qui pourrait accroître la défiance des Anglais envers
la Russie, car, comme le prouve la dépêche sui-
vante, à ce moment même, ceux-ci prenaient à
Constantinople des précautions contre les Pvusses.
30 DOCUMENTS SECRETS
13, Les Anglais demandent aux Turcs de for-
tifier le Bosphore. (N" i6).
Dépêche de D. T. S. Zinoviev, ambassadeur de
Russie à Constantinople (13/26 nov. 1908).
PAR ma dépêche n** 2^0 du i/i4 de ce
mois, V. E. a pu voir qu'y étant poussé par
les conseils de l'ambassadeur d'Angleterre, le
Grand Vizir insista plus d'une fois auprès du
Sultan pour qu'il approuve le projet de ren-
forcement des fortifications du Bosphore éla-
boré par une Commission spéciale... ]N 'ayant
pas obtenu de réponse à une nouvelle demande
faite à la suite d'une nouvelle démarche de
l'ambassadeur d'Angleterre, le Grand Vizir
avertit le Sultan qu'à l'ouverture du Parlement
turc, le ministère serait interpellé au sujet des
causes ayant incité le Gouvernement à inter-
rompre le renforcement de la défense du Bos-
phore et que dans ce cas, pour se justifier, le
ministère serait forcé de présenter la corres-
pondance échangée sur la question entre Yildiz
et le ministère. Kiamil Pacha ajouta que le
désir de défendre le Sultan contre toute res-
ponsabilité, l'avait poussé à demander l'ap-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS SI
probation la plus rapide du projet de fortifi-
cations nouvelles.
Le Sultan répondit... qu'à raison des senti-
ments amicaux témoignés par la Russie à la
7'urquie lors de la crise (sentiments qui méri-
taient de la reconnaissance), il considérait
comme inopportun de recourir à des mesures
pouvant paraître offensantes pour le Gouver-
nement russe et par suite d'activer la réalisa-
lion des fortifications du Bosphore. [Le Sultan
annonça aussi au Grand Vizir qu'il chargeait
le maréchal Cliakir Pacha d'examiner les
fortifications du Bosphore.]
Dans sa réponse, le Grand Vizir expliqua au
Sultan que s'il éludait la ratification du projet
de fortifications, il donnerait lieu à des bruils
désavantageux pour lui, des personnes suppo-
sant que cette opposition avait pour origine
l'intention du Sultan de faciliter l'accès du
Bosphore à l'armée russe et de l'utiliser... [Le
Sultan signa immédiatement le projet.]
32 DOCUMENTS SECRETS
14, — En janvier 1909, TAllemagne préparait
une agression. (N°' 68-71).
Le comle Osten-Sacken, ambassadeur de
Russie à Berlin, à M. Izvolsky.
PAR les rapports ci-joints... V. E. pourra
voir avec quelle hâte fiévreuse on active
dans les administrations les travaux ayant un
caractère indubitable de préparation à un
conflit armé. Contre qui ?
[L'incident du Daily Telegraph] a donné un
accès plus aisé au parti militaire auprès de
TEmpereur et dispose celui-ci à écouter plus
favorablement son avis au sujet du meilleur
moyen de sortir de la situation critique ac-
tuelle... [Or, ce parti] considère la guerre
comme le seul moyen possible de rétablir aux
yeux des masses le prestige du pouvoir monar-
chique ébranlé par les derniers événements...
[parce qu'il croit] que la supériorité transitoire
actuelle de son armée donne à rAllemagnc
les meilleures chances de succès... [D'un autre
côté, une guerre heureuse pourrait, au moins
pendant quelque temps, diminuer la pression
des courants radicaux pour des modifications
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 33
libérales de la constitution en Prusse et en
Allemagne...]
En ce qui concerne la politique étrangère
de l'Allemagne, sans parler du mécontentement
de l'Empereur au sujet de notre rapproche-
ment avec l'Angleterre et de ses reproches
sur notre prétendue ingratitude pour sa par-
tialité à notre égard pendant la guerre russo-
japonaise, il n'y a pas de doute que ces senti-
ments peuvent l'amener à se joindre au camp
des adversaires du monde slave et à utiliser de
concert avec l'Autriche la minute oi^i nous
sommes faibles militairement...
L'empressement du Cabinet de Berlin à agir
de concert avec l'Autriche-Hongrie dans les
affaires balkaniques est d'autant plus remar-
quable que l'extension de l'action de la Triple
Alliance aux questions de l'Ori^snt turc était
considéréejusqu'à présent comme contraire aux
intérêts de l'Allemagne à raison de ses rap-
ports traditionnels d'amitié avec la Russie. Il
est remarquable aussi que les efforts de l'Alle-
magne à Constantinople sont tournés contre
nos efforts pour éloigner les complications
provoquées dans la péninsule des Balkans par
cette politique du baron d'.Erenthal que le
Cabinet de Berlin en principe n'approuve pas.
Cette contradiction est particulièrement cho-
3
3i DOCUMENTS SECRETS
quante dans la position prise par rAllemagne
à Constantinople au sujet de notre dernière
proposition où nous nous efforçons de régler
le côté financier du conflit turco-bulgare. L'in-
sinuation que notre proposition cache la
pensée de regagner notre ancienne influence
prépondérante sur le monde slave des Balkans
vient indubitablement de Berlin et est l'un
des principaux arguments pour agir auprès de
la Porte contre nos efforts pacificateurs.
Tout ceci nous impose l'obligation d'agir
avec circonspection, et cela d'autant plus qu'il
est présentement difficile de prévoir le but
actuel et les conséquences possibles de l'en-
trevue qui va avoir lieu à Berlin entre le roi
Edouard et l'empereur Guillaume. La finesse
du roi et le tempérament impulsif de l'em-
pereur présentant un vaste champ pour les
éventualités les plus inattendues, tout rappro-
chement entre les Cabinets de Berlin et de
S'-James apparaîtrait comme un coup porté à
notre situation parmi les Grandes Puissances...
Suivaient trois rapports demandés par Osten-
Sacken aux attachés techniques de son ambassade :
1" Celui de l'attaché militaire A. Michelsson (20 jan-
vier/2 février 1909).
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 35
i . — Considérations militaires techniques
Celui qui a le plus de chances de réussir est
en général celui qui prend l'initiative de la
l^uerre. Comme condition du succès dans une
guerre contemporaine apparaît la préparation
de l'organisation, du matériel et de l'ins-
truction...
A) L'organisation de l'armée allemande...
s'est développée de telle façon que depuis plus
de dix ans elle a atteint une stabilité presque
complète. Les perfectionnements qui y sont
introduits annuellement concernent surtout
les armes techniques et le renforcement des
cadres des réserves. Les premiers sont la con-
séquence des perfectionnements techniques et
les seconds celle de l'accroissement de la
population. Ils sont la condition pour que
V organisation de l'armée ne vieillisse pas. Grâce
à cela, l'armée allemande... maintient cons-
tamment son organisation à la hauteur des
exigences contemporaines... et peut com-
mencer la guerre à tout instant. Par suite, il
est dijficile de trouver dans cette orgcmisation
des indications sur la proximité de la guerre...
B) Les moyens matériels du combat, grâce au
rapide développement de la technique con-
36 DOCUMENTS SECRETS
temporaine, changent constamment... Le
maximum de la préparation pour la guerre
est atteint quand ils sont parfaits. Lors du
séjour à Berlin du chef d'état-major géné-
ral F. F. Palitsyn à la fin de 1907, je lui ai
exposé que suivant moi ce maximum serait
atteint par F Allemagne au printemps de 1909...
i) Le réarmement de t' infanterie par des fusils
Mauser modèle 98 avec balle c S » qui dure de-
puis 1898 avec des retards à cause de change-
ments dans le modèle du fusil, puis de la balle
(actuellement u S » pointue) est terminé. Non
seulement toute l'infanterie, mais aussi les
réserves en sont armées. Quoique les Allemands
aient été un peu désillusionnés sur les résultats
de la balle S et en cherchent une nouvelle, il
n'en est pas moins certain que l'armement de
leur infanterie, l'année prochaine, ne le cédera
en rien à celui des infanteries russe et fran-
çaise...
Le réarmement de la cavalerie par la nou-
velle carabine (1898) n'est pas encore effectué.
D'après certains renseignements les carabines
sont prêtes... Cette lacune n'a pas d'impor-
tance décisive à cause de la distribution déjà
effectuée de mitrailleuses à la cavalerie.
Les mitrailleuses commandées il y a trois
ans sont maintenant prêtes et distribuées...
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 37
Jusqu'à présent, nous en étions mieux pourvus
que les Allemands ; le rapport a changé depuis
cette année.
2) Le réarmement de r artillerie de campagne
avec un affût sans recul et à boucliers (modèle
1896 A) devait être achevé à la fin de 1908...
Il est possible que l'armée de seconde ligne
{das Besatzungsheer) n'en recevrait pas, mais
toute l'armée de campagne et la réserve de
première ligne en sont déjà réarmées. Seules,
les 63 batteries d'obusiers légers de campagne
n'ont pas été transformées, mais dans la
grande quantité d'artillerie de campagne
(583 batteries), cela n'a pas grande impor-
tance...
3) Réarmement de l'artillerie lourde. Je n'ai
pas de données précises sur le degré oii il se
trouve, mais il n'y a pas de doute que les Alle-
mands, sous ce rapport, ont été toujours en
avance non seulement sur la Russie, mais
même sur la France qui s'eff'orce seulement
maintenant d'égaler l'artillerie lourde de cam-
pagne des Allemands en introduisant de gros
€alibres. Les nouveaux obusiers lourds sans
recul (i5 cm. de campagne et 23 cm. de siège)
et le canon long de 10 cm. augmentent encore
la supériorité précédente des Allemands. Cette
puissante artillerie lourde peut nettoyer rapi-
38 DOCUMENTS SECRETS
dément la route pour l'avance des troupes de
campagne jusqu'au fond du territoire ennemi...
4) La reconstruction des forteresses n'est pas
terminée, mais il semble que c'est surtout vrai
de Kehl, Germersheim et Mayence où les tra-
vaux dureront probablement encore deux ans.
Les autres forteresses, à en juger par le budget
de 1909, ont encore à recevoir leur artillerie
et d'autres moyens de défense, mais le plus
gros de leur reconstruction est évidemment
terminé...
5) Le réseau des chemins de fer et des
canaux a depuis longtemps atteint une grande
puissance... J'indiquerai seulement, comme
dernières mesures, la reconstruction du pont
de Dirschau aujourd'hui terminée, la recons
Iruction qui s'achève du nouveau pont de
MarieuAverder, le renforcement imminent du
pont de chemin de fer de Graudenz et le déve-
loppement du réseau de la Prusse orientale...
Il est intéressant de remarquer que l'on con-
tinue à voir dans les grandes stations de
chemins de fer ces immenses tas de charbon
de terre qui apparurent lors du conflit d'Al-
gésiras.
6) Les troupes techniques ont atteint un
degré extraordinaire, sinon comme qualité,
tout au moins comme quantité. Les Allemands
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 39
jugent avec raison qu'il est plus avantageux
de munir toute l'armée de téléphones et de
télégraphes sans fil qui ne sont que bons plu-
tôt que de ne doter qaane partie de l'armée
d'appareils parfaits, qu'il vaut mieux avoir
i3 ballons dirigeables et beaucoup de ballons
captifs que de s'acharner tellement à la pour-
suite d'un dirigeable supérieur, qu'on n'en a
aucun à emmener à la guerre et qu'on la
fera à l'aveugle comme autrefois, qu'il vaut
mieux s'assurer rapidement par voie de réqui-
sition des automobiles et des routières lourdes
et d'occasion qne d'attendre l'apparition de
types plus parfaits. — Tout cela n'est d'ailleurs
important que si la guerre est proche. Si
nous faisons la supposition inverse, la façon
d'agir des Allemands ne sera pas raisonnable.
Le fait qu'ils la pratiquent est donc une indi-
cation qu'ils se préparent, non à une guerre
éloignée, mais bien à une guerre très proche.
7) Nous ne connaissons pas l'étendue de
leurs approvisionnements en munitions et en
vivres. Mais s'ils n'étaient pas suffisants pour
toute une campagne, la puissance de produc-
tion de l'industrie militaire allemande est si
grande qu'elle pourra fournir les quantités
nécessaires pendant la guerre même. L'aug-
mentation des approvisionnenients de réserve
40 DOCUMENTS SECRETS
dans les dépôts de la frontière prévue par le
budget de 1909 mérite en tout cas l'attention.
Le transport déjà commencé des munitions
d'artillerie lourde à la frontière est aussi une
indication importante.
C) Je passe maintenant à linstruction des
troupes. L'introduction de nouvelles armes a
forcé naturellement à la modifier... Presque
tous les règlements ont été revus en 1907 et
1908. — En 1907, les troupes parurent aux
manœuvres médiocrement instruites, mais en
1908 elles possédaient parfaitement les nou-
veaux règlements... Il est donc probable que
la publication des nouveaux règlements sera
terminée et que les troupes les auront appris
au printemps de 1909...
Je conclus : l'armée allemande a depuis
longtemps le meilleur commandement, son
etlectif a cru avec la population ; celle-ci aime
son armée et lui donne les soldats dont elle a
besoin, sans s'occuper des fermentations
sociales, L'armée allemande peut donc être
considérée comme la meilleure armée de terre
Cil égard à son effeclif. . .
2. — Consldéralions politico-militaires.
i) Les forces maritimes de l' Allemagne
croissent si vile qu'elles menacent la prépon-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 41
dérance de l'Angleterre sur mer et la sûreté de
ses îles. A cet accroissement on ne voit pas
encore de limites. L'accroissement parallèle
des forces maritimes de l'Angleterre, quoi-
qu'elles soient encore prépondérantes, a une
limite peu éloignée dans l'absence de service
militaire obligatoire en Angleterre et dans
l'aversion qu'il inspire à la population. Théo-
riquement, il doit arriver un moment oii la
prépondérance passera de l'Angleterre à l'Alle-
magne. Il est donc avantageux pour l'Angle-
terre de ne pas attendre ce moment et d'abaisser
les forces maritimes de l'Allemagne à un
niveau sans danger pour elle. On comprend
par suite la peur que l'Allemagne a actuelle-
ment de l'Angleterre. Cette peur et la convic-
tion générale que l'Angleterre ne permettra
pas à l'x^llemagne d'augmenter sa flotte, sont
si grandes que la pensée de prévenir ce
danger anglais par une attaque soudaine sur
la flotte anglaise « à la japonaise » à l'aide des
j3 dirigeables et de la flottille des torpilleurs,
devient ici une idée fixe. Cette manœuvre se
trouve déjà dans les limites du possible et
c'est ce qui rend la situation si tendue et fait
que des deux côtés on désire s'affranchir
de ce cauchemar réciproque et conclure un
accord.
42 DOCUMENTS SECRETS
2) Si cet accord n'est pas conclu, je suis
profondement convaincu que l'Allemagne res-
tera tranquille et ne se hasardera pas à faire la
guerre à qui que ce soit sur le continent.
3) Si cet accord est conclu, les mains de
l'Allemagne deviennent libres... et il est très
séduisant pour elle de rétablir d'un seul et
puissant coup dans son ancien éclat son
influence militaire... Pour une pareille pers-
pective, l'Angleterre peut obtenir beaucoup...
Il faut ajouter à cela la situation intérieure
de l'Allemagne... Un général prussien haut
placé disait récemment : c L'air chez nous en
Allemagne est devenu si étouffant et si malsain
que nous avons besoin d'air frais. Seule la
guerre peut nous le donner >...
Si la guerre n'éclate pas maintenant et si les
événements se continuent avec la même rapi-
dité dans le même sens, la situation suivante
peut se produire : la Triple Alliance peut
s'écrouler, le mouvement slave se cristalliser
dans un tout bien ordonné, désavantageux
pour le pangermanisme. Il n'est pas avanta-
geux pour les Allemands d'attendre cela en
croisant les bras. D'autre part, l'opinion
démesurée qu'ils ont actuellement d'eux-
mêmes empêchera les Allemands de conclure
avec la Russie l'accord amical qui leur est tou-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 43
jours possible. Ils comprennent bien que sur le
continent le temps combat contre eux et pour la
Russie et les Slaves, tandis que sur mer, il est
pour eux et contre l'Angleterre. Dans ces deux
aspects de la situation de l'Allemagne est la clef
des rapports politiques actuels et la cause du
rôle décisif de l'Angleterre. .
Le second rapport annexé à celui d'Osten-Sacken
était celui de l'attaché naval B. Bopp [ou de Bock]
(i8/3i janvier 1907).
Pendant les deux derniers mois, l'activité
fiévreuse dans les ports de Kiel et de A^ ilhelm-
shafen a été particulièrement remarquable...
La série des faits énumérés ci-après m'a con-
vaincu qu'ils constituent clairement une pré-
paration à des actes de guerre.
Ce qui me frappa d'abord fut le grand
nombre de vaisseaux marchands qui se trouven t
inactifs dans les ports allemands... En ayant
causé avec les officiers allemands, ils me
dirent que c'était le résultat de la stagnation
dans le transport des émigrants, mais cette
explication n'est certes pas exacte car ces
navires sont des navires de charge impropres
44 DOCUMENTS SECRETS
au transport des émigrants. D'après mon
calcul, les seuls navires de la ligne Hambourg-
America suffiraient pour transporter deux
corps d'armée.
J'appris ensuite que l'Allemagne avait (ce
qu'elle cachait avec soin), acheté 700.000 tonnes
de charbon de Cardiff sous condition de
livraison avant le i" mars (n. s.) dans les ports
de guerre de l'Allemagne. Jusqu'à cette année,
la flolte ne consommait guère que du charbon
allemand ; on n'en achetait en Angleterre que
des quantités insignifiantes.
Outre ce charbon, on en a encore acheté en
Angleterre une certaine quantité que l'on a
chargée sur quelques transports et dirigée pro-
visoirement à Vigo. Cette provision a été faite
pour l'escadre de croiseurs envoyée le
7 février (n. s.) de Kiel dans l'Atlantique...
Pendant tout le dernier mois, le croiseur
Scharnhorsi et quelques torpilleurs sortirent
chaque jour du port de Kiel au crépuscule.
A leur arrivée en mer, ils éteignaient leurs
feux et exécutaient toute la nuit certains
travaux. Le matin ils revenaient à Kiel. Ces
expéditions nocturnes m'intéressèrent forte-
ment, et autant que j'ai pu savoir, elles étaient
consacrées à la pose de mines de fond et à la
recherche de notre câble de Paris. Ce dernier
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 45
renseignement est confirmé par les journaux
danois (*).
L'accroissement du travail dans les états-
majors pendant les derniers temps est aussi
remarquable : il n'est pas interrompu long-
temps, même la nuit. D'après mes renseigne-
ments, il concernait la mobilisation.
Dans mes conversations des derniers temps
avec des officiers allemands, je trouvai la
confirmation de mes suppositioxis. On parle
beaucoup parmi eux de la possibilité d'une
guerre avec nous. Ils considèrent que le cou-
pable d'une pareille guerre sera exclusivement
l'Angleterre qui s'efforce de toutes ses forces
d'abaisser l'Allemagne qui s'élève rapide-
ment.
La flotte allemande est donc absolument prélc
pour la guerre ; quant aux ports, ils sont aussi
absolument prêts à l'exception de AVilhelm-
shafen où l'on travaille avec hâte pour être
prêt dès le commencement du printemps de
cette année. Cette hâte est le résultat d'un ordre
de l'EiTipereur donné il y a environ trois mois,
et autant que j'ai pu voir les travaux, ils
seront certainement prêts au commencement
(*') Ce câble fut en eîTet coupé dès la déclaration de guerre
en 191/i.
46 DOCUMENTS SECRETS
d'avril, tandis que d'après le programme, ce
port devait être à peine prêt à la fin de 1910...
Le troisième rapport envoyé par Osten-Sacken
était celui de l'attaché financier Paul Miller (21 jan-
vier/3 février 1909) :
En réponse à la demande de V. E. , j'ai
l'honneur d'exposer que dans les sphères
financières allemandes, on ressent indubita-
blement quelque irritation contre la Russie,
en particulier depuis la visite du roi d'Angle-
terre en Russie au printemps dernier. Cette
irritation trouve son expression dans le fait
qu'approximativement depuis le printemps de
1908, il a été extrêmement ditricile, pour ne
pas dire impossible, de trouver en Allemagne
des capitaux pour les entreprises financières
russes, malgré l'abondance croissante des
capitaux disponibles. Il y a un an, les banques
de première classe à Berlin donnaient 01/2 *'/.,
sur les comptes courants, maintenant elles ne
donnent que i °/o.
Les cercles financiers berlinois voient dans
un changement d'attitude de la société russe
à l'égard de l'Allemagne (exprime par des
attaques de la presse russe contre l'Allemagne)
la cause de ce changement dans les rapports
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 47
des hommes d'affaires allemands et russes...
Ces cercles considèrent que ce changement de
la société russe à l'égard de l'Allemagne est un
acte de déloyauté et d'ingratitude. Ils rappellent
la conduite de l'Allemagne au temps de la
guerre russo-japonaise, la sympathie montrée
alors par l'Allemagne au point de violer le
droit international, son attitude en ce qui
concerne la garde de notre frontière occiden-
tale, le charbon fourni à notre escadre,
l'emprunt de igoS conclu, malgré la dureté des
temps, à des conditions plus favorables pour la
Russie que l'emprunt contracté en France
l'année précédente. A tout cela s'ajoute,
remarquent ces financiers, le sentiment alar
mant que la séculaire « Culture » allemande
dont s'enorgueillit chaque Allemand, est en
péril par suite du caractère agressif du mou-
vement slave qui trouve lui-même un appui
dans la société russe...
D'après mes renseignements, la ^Vilhelm-
strasse après l'entrevue de Revel, déconseilla
les opérations financières avec la Russie, disant
qu'une guerre était possible. Cette situation se
prolongea tout l'été et l'automne. Ainsi, encore
en août, quand notre ministre des finances
avait entamé les négociations au sujet de
l'emprunt (qui vient d'être conclu), la banque
48 DOCUMENTS S E C ]l E T S
Mendelsson de Berlin déclara nettement que le
capital allemand ne participerait pas à
l'emprunt russe. A la vérité, cela s'explique par
le fait que l'Allemagne a elle-même besoin de
forts capitaux pour mettre de l'ordre dans ses
finances et n'est pas par suite disposée à prêter
à l'étranger, mais l'influence politique s'y
faisait sentir. Apiès l'heureuse terminaison de
l'incident de Casablanca, le v^eto du ministère
des affaires étrangères allemand s'adoucit
quelque peu, et il ne proscrivit même plus les
emprunts russes, mais à la condition toutefois
que les sommes ne fussent pas grandes. A
cette époque se rapporté, entre autres, le voyage
à S*-Pétersbourg d'un des directeurs de la
banque de Darmstadt qui proposait d'achever
l'emprunt. L'opinion des cercles financiers
reste cependant hostile à la Russie...
Tous ces faits n'apparaissent pas comme des
signes que la guerre approche, mais ils carac-
térisent complètement la situation tendue et
l'attitude inimicale.
L'Allemagne est-elle prête à la guerre au
point de vue financier .^... La guerre actuelle-
ment coûte si colossalement cher que pas une
des Puissances n'est en état et qu'il ne serait
pas rationnel de réunir en temps opportun les
sommes nécessaires pour une guerre. La pré-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 49
paration d'un État est déterminée par l'équi-
libre de son budget du temps de paix, par
l'élasticité de ses revenus, par l'inépuisabilité
de son crédit et par la capacité pour la banque
centrale d'émission d'ouvrir à l'État, au com-
merce et à l'industrie un large crédit à court
terme... L'Allemagne fait actuellement les der-
niers pas pour atteindre à cet état de prépara-
tion et sera complètement prête sous ce
rapport au printemps de cette année...
[Pour faciliter le vote des lois militaires et
navales, on avait laissé de côté leurs répercus-
sions financières. Maintenant, on établit une
base financière solide sous le couvert des
réformes militaires et maritimes. Les nouvelles
sources de revenus ont été comptées largement,
de façon à permettre des augmentations de
dépenses, le système des emprunts a été amé-
lioré, l'encaisse de la Banque impériale en or
porté dans la seule année 1908 de ^97 millions
de marks à 81 1 (soit 63 " / 0 d'augmentation). On
peut calculer que pendant les premiers jours
de la guerre, l'Allemagne pourrait disposer de
4.450 millions de marks. Dans le cours de la
première année de guerre, l'Allemagne pour-
rait obtenir io.l\^o millions de marks, ce qui
permettrait de couvrir les dépenses de la guerre
pendant 10 mois. La seconde année, elle pour-
4
50 DOCUMENTS SECRETS
rait encore recueillir 7.300 millions de marks.
Mais ces calculs ne tiennent pas compte des
pertes de revenu de l'Allemagne en cas de
guerre avec la Russie. Aussi peut-on croire
que les Allemands se hâteront de porter la
guerre sur le sol russe pour vivre à ses dépens
et finir la guerre en quelques mois par une
attaque puissante.]
15. — Projet de traité russo-allemand. (N" 2).
LE 4/17 mai 1909, N. V. Tcharikov, adjoint au
ministre des afïaires étrangères, lut au Tsar le
projet de traité suivant, daté à tort du 4 mai 1907
dans la 2" édition du Sbornik (la date 1909 a été
donnée par le Matin du 27 novembre 191 7 d'après
les Izviestild). Ce projet montre combien étaient
pacifiques, modestes et résignées les intentions du
gouvernement russe si peu après f ultimatum humi-
liant qui lui avait été adressé par IWllemagne le
22 mars :
I. Anéantir, conformément au désir de
l'Allemagne, la u légende » et dissiper la mé-
sintelligence russo-allemande qui s'était déve-
loppée d'une façon visible à l'occasion du
conflit austro-serbe, sans cependant rendre plus
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 51
mauvais les rapports des cabinets de Saint-
Pétersbourg et de Vienne.
2. L^Allemagne adhère à l'accord austro-
russe de 1897 avec les modifications répondant
aux derniers événements.
3. L'Allemagne garantit l'exécution par
l'Autriche-Hongrie de l'obligation que celle-ci
a contractée dans le traité ci-dessus de s'abs-
tenir de toutes entreprises militaires dans la
péninsule balkanique au delà des limites
actuelles. Dans le cas contraire, l'Allemagne
ne considérera pas l'entrée des armées russes
en Autriche-Hongrie comme un casas fœderis .
4. En attendant l'établissement par les puis-
sances signatrices du traité de Berlin des
sanctions formelles indispensables pour un
changement, l'iVUemagne prête à la Russie l'ap-
pui diplomatique effectif désirable pour une
solution définitive de la question des Détroits.
5. L'Allemagne promet le même appui pour
l'établissement rapide du chemin de fer du
Danube à l'Adriatique.
6. En Perse, l'Allemagne reconnaît les droits
découlant pour la Russie du traité russo-anglais
de 1907.
Article secret. En cas d'attaque de l'Angle-
terre contre l'Allemagne, la Russie restera
neutre.
52 DOCUMENTS SECRETS
L'Italie, la Fiance et l'AiigleteiTe adhére-
raient aux parties de ce traité les concernant
respectivement.
16. — Projet de traité russo-bulgare. (N° 26).
UN peu avant l'annexion de la Bosnie, le prince
de Bulgarie s'était entendu avec l'Autriche
pour se proclamer indépendant et tsar lorsqu'elle
serait annoncée. Il avait donc pendant la crise plutôt
été du côté de l'Autriche que de celui de la Russie à
laquelle le traité d'alliance de 1902 le liait. Pendant
la crise, la tension des rapports entre la Turquie et
la Bulgarie avait été grande. Elle fut diminuée en
partie grâce au sacrifice que fit la Russie au profit
de la Bulgarie d'une portion de l'indemnité de
guerre que lui devait la Turquie. Les Jeunes-Turcs,
alors au pouvoir, n'en restèrent pas moins très hos-
tiles à la Bulgarie. L'Allemagne, dont ils devenaient
les partisans acharnés, comprit qu'elle ne pourrait
compter sur leur coopération que si elle les soute-
nait contre la Bulgarie. Elle commença à préconiser
une alliance turco-austro-roumaine, capable d'écra-
ser d'un coup la Bulgarie au commencement d'une
guerre. Ces menées allemandes trouvèrent surtout
leur expression publique en septembre 1910. Elles
échouèrent à cause des intelligences secrètes de
Ferdinand avec l'Autriche. Celle-ci semble avoir eu
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 53
de la répugnance à créer une situation qui l'aurait
placée, sans possibilité de trouver un contre-appui
éventuel, entre l'Allemagne d'une part, la Rouma-
nie, la Turquie et l'Italie de l'autre, puissances qui
formulaient toutes des revendications sur des terri-
toires austro-hongrois. Mais à Saint-Pétersbourg on
ignorait plus ou moins les liens qui liaient Ferdi-
nand à l'Autriche, et voyant que la Russie et la
Bulgarie paraissaient avoir les mêmes ennemis, on
y rédigea en décembre 1909, certainement de concert
avec le représentant de la Bulgarie, le projet de
traité russo-bulgare reproduit ci-après : il était des-
tiné à apporter au traité de 1902 les modifications
rendues nécessaires par le changement inquiétant
survenu dans les relations de la Russie avec la Tur-
quie et l'Allemagne. L'initiative de la rédaction de
ce traité était-elle venue de la Russie ou de la Bul-
garie? A-t-il été signé et puis détruit en conformité
avec son article 16 quand il est devenu nul ? C'est
ce que nous ne savons. On peut simplement remar-
quer que GuéchofT parle du traité de 1902 comme
encore en vigueur en 191 2.
Les Gouvernements Impérial russe etTsarien
bulgare ont convenu de contracter au nom de
leurs intérêts communs l'accord secret suivant :
I . En cas de guerre de la Russie simultané-
ment avec l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et
la Roumanie, ou avec rAutriche-lïongrie et la
Roumanie, et aussi en eus de guerre entre la
54 DOCUMENTS SECRETS
Russie et la Turquie, quelle que soit la Puissance
qui ait pris l'initiative de la guerre, la Bulgarie
s'engage, si le Gouvernement russe l'exige, à
mobiliser aussitôt toutes ses forces, à com-
mencer les opérations en conformité avec les
plans élaborés à l'avance, et à ne pas les arrêter
avant que les buts visés dans ces plans aient
été complètement atteints, et en tout cas, pas
avant d'avoir obtenu le consentement du Gou-
vernement russe.
2. Si r Autriche-Hongrie, alliée à une autre
puissance non provoquée par la Bulgarie,
attaque cette dernière, la Russie s'engage à
procurer à la Bulgarie un appui militaire
effectif.
3. Si la Turquie, sans y avoir été provoquée
par la Bulgarie, ouvre les hostilités contre
celle-ci, la Russie s'engage à mobiliser suftî-
samment de troupes dans le Caucase (et si c'est
nécessaire dans le district militaire d'Odessa)
pour alléger la situation de l'armée bulgare sur
le théâtre de la guerre en Europe. Tout en
conservant pour elle-même la liberté d'agir
suivant les circonstances, la Russie contracte
en tout cas l'engagement d'aider effectivement
la Bulgarie par les armes si une troisième
puissance, sans y avoir été provoquée par la
Bulgarie, prenait parti contre la Bulgarie dans
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 55
une guerre de celle-ci contre la Turquie.
Ix. Dans le cas d'issue heureuse d'une guerre
avec l'Autriche-Hongrie et la Roumanie ou
avec l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la
Roumanie, la Russie s'engage à faire son pos-
sible pour l'agrandissement du territoire bul-
gare avec les localités à population bulgare
situées entre la mer Noire et la rive droite du
Danube. En outre, la Russie prêtera à la Bul-
garie un appui efficace pour la rectification,
dans la mesure du possible, des autres fron-
tières du royaume de Bulgarie dans les direc-
tions où il la désire. De plus la Bulgarie aura
droit dans les indemnités de guerre à une
part proportionnée à la participation de ses
forces à la guerre et aux dépenses qu'elle aura
entraînées.
5. Consciente que la réalisation, si chère à
la Russie, des idéals élevés des peuples slaves
dans la péninsule balkanique, ne sera possible
qu'après une terminaison heureuse de la lutte
de la Russie avec l'Allemagne et l'Autriche-
Hongrie, la Bulgarie contracte l'engagement
solennel dans ce cas (et aussi dans celui de
l'union de la Roumanie et de la Turquie aux
Puissances sus-mentionnées) de faire tous ses
efforts pour empêcher l'élargissement du cadre
de la guerre. En ce qui concerne les puissances,
56 DOCUMENTS SECRETS
soit alliées, soit amies de la Russie, le gouver-
nement bulgare observera à leur égard une
attitude amicale.
6. En cas d'issue heureuse de la guerre avec
la Turquie, la Russie s'oblige à faire tout son
possible pour que le territoiie bulgare soit
augmenté des localités à population bulgare,
par exemple dans les limites fixées dans les
préliminaires de paix conclus à Saint-Stefano
le 19 février 1878.
7. Si les résultats de la guerre dans les cas
prévus par les articles i, 2 et 3 du présent
traité, ne répondent pas complètement aux
buts fixés, la Russie s'engage à employer tous
ses efforts à conserver à la Bulgarie ses fron-
tières actuelles et à faire limiter dans la mesure
du possible les indemnités qui lui seront
demandées.
8. [Rédaction en commun du plan d'opéra-
tions et de ses modifications, la masse bulgare
principale devant agir contre le principal
ennemi commun.]
9. Dès l'ouverture des opérations, l'armée
bulgare agira indépendamment, mais en se
guidant vers les buts fixés à l'avance et dont
elle ne pourra se désister que d'accord avec le
haut commandement russe ou sous l'influence
d'une force majeure. Si au cours de la guerre
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 57
ce haut commandement juge nécessaire de
changer les huts fixés d'abord, les directives
correspondantes seront complètement obliga-
toires pour l'armée bulgare. Le traité actuel ne
sera obligatoire dans toutes ses conséquences
qu'en cas d'exécution complète de cette exi-
gence, si nécessaire pour le succès de la
guerre.
10. En cas de coopération des armées russe
et bulgare sur un même théâtre de la guerre,
le commandement en commun sera exercé par
le généralissime russe. [Dans tous les autres
cas, ce commandement appartiendra au com-
mandant de l'unité la plus importante, et si
les unités sont de même rang, au plus ancien
des commandants.]
11. [Un plénipotentiaire militaire russe sera
attaché au généralissime bulgare, et d'autres
officiers aux autres détachements bulgares s'il
y a lieu. Ils auront voix délibérative, mais on
pourra ne pas suivre leurs avis en en donnant
la raison par écrit.]
12. [Obligation pour la Bulgarie de s'en-
tendre d'avance avec la Russie pour la nomi-
nation du généralissime (si le tsar bulgare ne
commande pas lui-même) et du chef d'Etat-
major général.]
i3. [Droit de réquisition égal pour chaque
58 DOCUMENTS SECRETS
armée sur le territoire de l'autre. Mise à la dis-
position des Russes des ports bulgares.]
i4. [La présente convention est conclue
pour une durée de cinq ans et continuera
ensuite jusqu'à l'expiration d'une année après
sa dénonciation.]
i5. [La convention doit être tenue secrète.]
i6. [En cas de dénonciation de la convention,
ses deux exemplaires seront détruits et on con-
tinuera à la tenir secrète.]
17. — Traités serbo-bulgares de 1912,
(N°^ 27-28 et 4o-4i)
LES Bolcheviks ont publié comme inédits le traité
serbo-bulgare du 29 février/ 13 mars 1912 et
son annexe. Ils étaient déjà connus et sont impri-
més en original dans Iv.-E. GuéchofT, L'Alliance
balkanique, p. 191.
Il en est de même de la convention militaire
serbo-bulgare du 29 avril/ 12 mai 191 2, qui est
publiée par GuéchofT, p. 202. Une lettre de Nik.
Harlwig, ministre de Russie à Belgrade, du 22 mai/
/j juin 1912 accompagnait la traduction de la con-
vention faite et envoyée par lui à Saint-Pétersbourg.
Il y disait que le premier projet de la convention
avait été rédigé par le gouvernement serbe, mais ne
fut pas accepté par les Bulgares quand il leur fut
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 5^
présenté en avril. La difficulté portait sur le com-
mandement à exercer en commun. Le soin d'arran-
ger la difficulté fut confié aux généraux Putnik
(serbe) et Fi tchefî (bulgare) qui réglèrent la chose
dans une entrevue qu'ils eurent ensemble à la fin
d'avril (n. s.) à Boukovo (près de Negotin). Les
gouvernements serbe et bulgare furent très satis-
faits de la convention ainsi élaborée. Il en fut de
même du roi Pierre, mais l'approbation de Ferdi-
nand de Bulgarie se fît attendre. Il s'était retiré dans
un château suburbain et les ministres eux-mêmes
ne pouvaient le voir pour présenter leurs rapports»
Guéchoff, alors premier ministre, expliquait par
cette circonstance le retard de la ratification, mais
ajoutait qu'il ne doutait pas de l'approbation de
son roi. Dans son livre (p. 6i), il laisse entendre
que l'hésitation de celui-ci venait de l'obligation
qui allait être contractée d'agir éventuellement
contre l'Autriche. Finalement, quelques jours avant
la lettre de Hartwig, Ferdinand ratifia.
18. — Prêt à Ferdinand de Bulgarie. (iV 07-59).
LE 12/25 novembre 191 1, A. Neklioudov écri-
vait de Sofia à A. A. Neratov, adjoint au mi-
nistre des affaires étrangères de Russie, au sujet
d'une (( affaire délicate » dont il avait déjà entretenu
S. D. Sazonov, le ministre des affaires étrangères, à
60 DOCUMENTS SECRETS
Davos (EngadineV Deux mois auparavant, Ferdi-
nand de Bulgarie l'avait fait sonder d'abord par le
ministre des fmances TodorofY et ensuite par son
secrétaire intime Dobrovitch, sur la possibilité pour
lui d'emprunter en Russie à des conditions de
faveur environ trois millions de francs. Xeklioudov
avait déjà entendu dire que la situation pécuniaire
du roi n'était pas brillante. 11 avait beaucoup acheté
et bâti en Bulgarie. La princesse Clémentine, après
avoir beaucoup dépensé en Bulgarie pour affermir
le trône de son fils favori, ne l'avait pas avantagé
dans son testament comme on s'y attendait, si bien
qu'il n'avait hérité que de 6 à 700 mille francs de
revenu. Quant aux propriétés de Ferdinand en Bul-
garie, elles représentaient il est vrai une valeur
importante (plus de 4 millions de francs, déclara-
t-on à Neklioudov), mais non seulement elles ne
rapportaient rien, mais coûtaient tous les ans des
sommes importantes. Or, le Roi devait à la Banque
nationale près de 2 millions à 7 °/o- De plus, il y
faisait renouveler tous les ans des lettres de change,
de sorte qu'il payait tous les ans dans cet établisse-
ment p/vre' plus de 200.000 francs d'intérêt. Ferdi-
nand désirait donc, en donnant pour gage ses pro-
priétés en Bulgarie, emprunter 3 millions de francs
à4°/o, plus 1/2 Vo pour l'amortissement. Ce prêt
serait effectué par le trésor russe sous le couvert
d'une banque rusge privée, comme il avait été fait
pour le prêt de 4 millions à la Réunion des officiers
de Belgrade pour le paiement des dettes du prince
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 61
héritier George. Le trésor russe aurait donc vrai-
semblablement à payer i 7o pour les frais, soit
So.ooo francs par an.
NeklioudoY considérait l'opération comme « sans
danger » au point de vue financier, « le roi Ferdi-
nand n'étant toujours pas comme le roi Milan ou le
prince George » et le gage offert ayant (et surtout
devant avoir) une réelle valeur. Quant h son utilité
politique, Xekiioudov écrivait : « Penser que nous
achèterons le roi Ferdinand par un prêt de 3 mil-
lions serait naïf et même peu digne. L'homme qui,
sur le trône ou près du trône, trafique de son
influence politique, est également capable, comme
l'a fait Milan, de tromper ceux qui ont cru en lui.
Mais notre coopération amiable et sans marchan-
dage aux affaires pécuniaires de la cour bulgare
augmentera notre influence sur le Roi. Actuelle-
ment, il se tient au carrefour entre nous et l'Au-
triche, s'approchant plus vite de nous. Le service
personnel que nous lui aurons rendu pourra don-
ner une impulsion de plus en notre faveur. Voilà
pourquoi je préconise de donner satisfaction au
désir du Roi. »
Neklioudov terminait en recommandant d'agir
avec délicatesse « pour relever Ferdinand à ses
propres yeux » et surtout de garder le secret.
L'affaire traîna longtemps. Ce n'est que le 9/ 2 2 juil-
let 191 2 que Nicolas II, sur le rapport du ministre
des finances Kokovlsov, autorisa le Trésor impérial
à porter en compte une dépense de 60.000 francs
€2 DOCUMENTS SECRETS
représentant une partie de l'amortissement du prêt
que l'on se proposait de faire à Ferdinand, et qui
devait être fait par le Ministère de la Maison de
l'Empereur. Le 12/26 juillet, le ministre des finances
Kokovtsov en informa Sazonov, le priant en même
temps de demander à Ferdinand comment il lui
serait agréable de contracter le prêt. Celui-ci fut
signé le 2/1 5 septembre 191 2 à Sofia.
Ferdinand reconnaissait « avoir reçu en prêt du
Gouvernement russe 3 millions de francs et s'en-
gageait à payer 5 7o d'intérêts pendant 25 ans et
7 mois, après quoi le prêt serait considéré comme
amorti. 11 gageait l'emprunt sur ses propriétés
immobilières situées dans les environs de Sofia, et
en particulier sur son palais de « Vrana )) qui, avec
les 4 rnillions de mètres carrés qui en dépendaient,
était estimé valoir 3 millions de francs en or.
19. — Ferdinand de Bulgarie à Nicolas II.
(>" 74:7])-
LES accords bulgaro-serbes mentionnés au nu-
méro 17 préparaient la guerre turco-balka-
nique. Elle éclata en octobre et fut suivie d'un
prompt triomphe des Balkaniques. La Roumanie
annonça alors son intention de demander à la Bul-
garie une compensation de l'agrandissement qu'al-
lait recevoir cette dernière. Le 24 décembre 1912/
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 63
€ janvier 1913, Ferdinaad de Bulgarie écrivit à ce
sujet à Nicolas II :
Après avoir remercié de la sympathie
avec laquelle Nicolas et le peuple russe
avaient suivi les combats de l'armée bulgare,
présenté ses souhaits de nouvel an et parlé de
son u éternelle reconnaissance » envers la
Russie, Ferdinand disait :
M. Theodoroff exposera à V. M. le danger
que crée actuellement pour la Bulgarie la
position, grosse de conséquences, prise parla
Roumanie qui, non contente d'une rectification
de la frontière à Girla, veut forcer la Bulgarie
à des cessions importantes en reconnaissance
de sa neutralité pendant la dernière campagne
et exige la ville de Silistrie que l'armée rou-
maine se prépare à prendre actuellement.
Si désireuse que soit la Bulgarie d'entrete-
nir avec la Roumanie de cordiaux rapports qui
pourraient être convertis ensuite en un lien
encore plus étroit et quoiqu'elle soit décidée
(à regret) à une rectification de frontière, il est
d'autant plus impossible pour le peuple bul-
gare... de sacrifier une ville aussi importante
que Silistrie... J'espère fermement que V. M.,
au nom de l'équité, est pénétrée du sentiment
qui fait que la Bulgarie et son roi sont inébran-
64 DOCUMENTS SECRETS
labiés sur cette question. Je prie M. Theodoroff
de demander à V. M. son puissant appui pour
que la Roumanie, grâce à une pression éner-
gique du gouvernement impérial, se contente
d'une compensation oij Siiistrie n'entrerait
pas.
Il est un autre point, encore plus délicat et
aussi important, dont M. Theodorofî parlera à
V. M. 11 concerne la nouvelle frontière turco-
bulgare qui sera délimitée par les plénipoten-
tiaires à Londres. La Bulgarie désirerait qu'elle
soit formée par une ligne allant de Rodosto à
Midia. Il nous semble que la pensée du gou-
vernement russe est que la Bulgarie, si l'on ne
peut faire mieux, se contente de la ligne Saros-
Midia. Je me permets de mettre sous les yeux
de V. M. les raisons qui militent en faveur des
propositions de la Bulgarie. Tout d'abord ne
serait-il pas juste que cette terre, arrosée du
sang de 40.000 braves Bulgares, reste la pro-
priété de ceux qui par des efforts surhumains
l'ont conquise. En second lieu, en rendant aux
Turcs le territoire situé entre les lignes Ro-
dosto-Midia et Saros-Midia, on soumettra la
population chrétienne de ce territoire aux plus
terribles dangers de la cruauté turque. Enfin
la présence à Rodosto du Bulgare, factionnaire
intelligent et mobile, ne servirait-elle pas
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 65
d'appui à la Russie elle-même pour faire décider
dans un avenir indéterminé le problème des
Détroits?
[Je fais cette prière à V. M. au nom de mes
officiers et de mes soldats qui prient Dieu tous
les jours que la Grande Russie les préserve de
la douleur de perdre Rodosto, fruit de leurs
victoires.]
20. — François-Joseph à Nicolas II. (N° 60).
LA victoire des Balkaniques contre la Turquie
n'avait été possible que parce que la Russie,
maintenant de gros effectifs dans plusieurs corps
d'armée voisins de l'Autriche, avait laissé entendre
clairement à l'Autriche et à la Roumanie qu'elle ne
resterait pas inactive si elles intervenaient dans le
conflit. L'Autriche, en réponse, mobilisa partielle-
ment son armée. Il en résulta une situation fort
tendue, et imposant à l'Autriche de grands sacri-
fices d'argent.
Le i^' février 1913, pour y mettre fin, François-
Joseph, mieux inspiré qu'en 191/1, écrivit au Tsar la
lettre suivante :
Je considère comme mon devoir dans le
temps critique oii nous vivons de m'adresser
à Toi sans intermédiaire pour prévenir les
5
66 D O C U M E N T S S E C R E T S
malentendus qui semblent se préparer avec la
Russie à l'occasion de notre politique et mettre
fin à des inventions qui peuvent être préjudi-
ciables aux bons rapports qui se sont heureu-
sement établis entre nos deux pays.
C'est pourquoi j'ai chargé le prince Godefroy
de Hohenlohe-Schillingsfûrst, mon allié, que tu
connais personnellement depuis qu'il a sé-
journé en Russie, d'aller à Saint-Pétersbourg
pour te remettre cette lettre et t'exprimer mes
sentiments d'amitié infinie.
Mon Gouvernement, dès le commencement,
était animé du seul désir de ne point ajouter
de nouveaux malheurs aux agitations dont les
Ralkans étaient le théâtre. J'ai été très cha-
griné d'apprendre que sa politique était inter-
prétée ironiquement en Russie.
Si nous nous sommes abstenus de toute
immixtion dans le conflit, si nous avons
accepté l'invitation des Puissances d'examiner
u en commun » les questions dans lesquelles
nous étions plus que les autres intéi^essés, si
enfin à l'époque de ces délibérations nous
avons été guidés seulement par un sentiment
de conciliation, tout cela a prouvé que notre
principal souci était d'écarter tout ce qui pour-
rait engendrer la plus petite cause de discorde
entre nos Empires.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 67
Tu sais toi-même quelle lourde responsabi-
lité pèse sur nous quand une question concer-
nant les intérêts de nos peuples est en jeu
dans une crise politique qui se décide près de
nos frontières. Ce serait pécher contre notre
sainte mission que ne pas se rendre compte
des répressions que de telles évolutions peu-
vent entraîner dans nos contrées. Si pendant
la crise actuelle j'ai accepté la conciliation
dans le souci de garder de bons rapports avec
la Russie, j'ose espérer que Toi, appréciant
mes efforts, tu sauras développer dans une
bonne harmonie entre nos peuples les grands
avantages de la paix européenne.
21. — Le roi de Monténégro à Nicolas II. (N» 65).
Au moment où cédant à la pression de l'Au-
triche, les Puissances allaient attribuer Scutari
à l'Albanie, le roi de Monténégro écrivit au Tsar le
1^121 février 1913 :
[V. M. a suivi avec la plus vive sympathie
les efforts militaires de mon peuple.] Elle a
toujours été bienveillante envers mes sujets
qui sont ses obligés pour une grande quantité
de munitions. Le grand cœur slave de V. M. a
68 DOCUMENTS SECRETS
forcément été ravi des exploits de nos soldats.
Mais je crains qu'ils ne soient pas loin de
perdre la sympathie et la bienveillance de
V. M., car le temps n'est plus éloigné où ils ne
lui obéiront plus. La politiqvie de Y. M., trop
circonspecte, semble en effet devoir prendre
des décisions contraires aux intérêts les plus
chers de mon pays afin d'éviter des complica-
tions sérieuses et possibles. Elle est sur le
point de souscrire une convention pernicieuse
pour nous au sujet des limites de l'Albanie à
laquelle Scutari sera unie. Scutari, pays slave
comme Cetinie, Scutari notre vieille capitale
pendant trois siècles, Scutari qui n'a jamais
été albanaise, par l'influence de l'Autriche
nous échappe. Pendant trois mois, nous l'avons
bloquée rigoureusement, sa chute est immi-
nente... Si la Conférence des ambassadeurs à
Londres l'attribue à un autre qu'à nous, et la
diplomatie russe sous la pression des circons-
tances y souscrit, l'Europe sera étonnée par
l'énergie de notre défense. Mon pays est prêt
aux derniers sacrifices et préfère périr que
d'abandonner cette ville... [Dans cette situation,
je ne ferai pas appel à des souvenirs chers à
mon cœur et je ne rappelle pas les mots his-
toriques prononcés autrefois à Peterhof par
votre défunt père, afin de vous faciliter la
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 69
neutralité dans le drame qui attend mon pays.
Nous saurons mourir dignement en invoquant
le nom de Dieu.]
22. — François-Ferdinand à Nicolas II. ÇS" 66).
Au cours de l'audience qu'il avait accordée à
Godefroi de llohenlohe (voir § 20), le tsar avait
laissé percer quelque inquiétude au sujet des dispo-
sitions de l'archiduc héritier. Celui-ci lui écrivit à
€e sujet le 20 mars 1913 la lettre suivante :
Je considère comme mon devoir de l'expri-
mer ma satisfaction au sujet du bon accueil
que tu as fait au prince de Hohenlohe, porteur
de la lettre de S. M. Convaincu qu'en présence
des ruines qui s'entassent en Orient, un contact
cordial de nos deux monarchies est la garantie
la plus solide d'un développement pacifique
de la crise, j'ai été pleinement heureux et de
l'auguste initiative de mon oncle qui s'est
adressé à toi et de l'empressement avec lequel
tu lui as répondu. Depuis mon enfance, j'ai
toujours considéré que des rapports d'amitié
et de confiance entre l'Autriche et la Russie
sont ce qui peut le mieux renforcer les prin-
cipes monarchiques et conservateurs qui ser-
vent de base à nos deux Etats.
70 DOCUMENTS SECRETS
Je ne puis aussi te cacher mon étonnement
au sujet des bruits publiés et répandus en
Russie. Ils engendrent en moi de tout autres
sentiments. Ne désirant pas chercher la source
de ces légendes, il me semble qu'ils sont
répandus par des éléments destructeurs préoc-
cupés d'affaiblir les liens qui existent heureu-
sement entre nos deux dynasties. J'ose espérer
que de telles tendances ne tarderont pas à
disparaître en face des magnanimes inten-
tions exprimées des deux côtés à l'occasion de
la visite du prince de Hohenlohe...
23. — Convention austro'italienne relative à
l'Albanie. (N° 87).
LA création du royaume d'Albanie donna lieu à
la signature à Rome le 8 mai 191 3 de la con-
vention secrète suivante entre 1 "Autriche et l'Italie :
Convention conclue pour rétablir le plus
rapidement possible l'ordre intérieur et les
bases d'un développement régulier du com-
merce et de l'industrie sur le territoire consti-
tuant l'Albanie...
I. Les Hautes Parties contractantes sont
d'accord que le ferme rétablissement du calme
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 71
en Albanie et d'une tendance régulière à une
vie pacifique doivent être la base principale du
système politique de leur entente amicale,
2. Si l'accomplissement des mesures propo-
sées pour atteindre les buts fixés dans l'art, i
se heurtait à l'intervention de certaines puis-
sances, cette convention amicale aurait la
valeur d'un traité d'alliance.
3. Pour atteindre plus rapidement les buts
indiqués à l'art, i, les Hautes Parties contrac-
tantes se réservent le droit d'occuper de leur
propre autorité le territoire de l'Albanie qu'elles
ont divisé à ce point de vue en deux parties
égales.
^. [La démarcation de ces sphères d'in-
fluence doit être fixée par une Commission
spéciale sur la base de l'opinion exprimée par
la conférence diplomatique tenue à Rome le
2 mai 1913.]
5. [En cas de formation de détachements des
deux puissances pour une action militaire,
Teflectifde chacun d'eux sera limité à 2^ ba-
taillons d'infanterie et 12 batteries avec la
cavalerie et les services auxiliaires nécessaires.
Ces effectifs ne pourront être dépassés qu'après
accord préalable.]
6. [Pour atteindre les buts indiqués à l'art, i,
les Hautes Parties contractantes se proposent
72 DOCUMENTS SECRETS
de prendre comme elles le jugeront bon, les
mesures suivantes : i^-S" employer leurs trou-
pes comme il sera nécessaire pour le rétablis-
sement et le maintien de l'ordre dans les
limites du territoire occupé et en fixer la dislo-
cation comme elles le jugeront bon ; k" établir
des administrations et des tribunaux mili-
taires ; 5° établir des quarantaines ; 6° déve-
lopper le commerce et l'industrie ; 7" déve-
lopper les voies de communication ; S** déve-
lopper le commerce extérieur ; 9'' satisfaire aux
besoins religieux ou sanitaires de la population ;
lo** armer les éléments honnêtes de la popula-
tion, sans leur confier cependant d'artillerie et
de mitrailleuses; 11° constituer une milice
albanaise; 12" former une gendarmerie ; iS"
diminuer dans le territoire occupé les troupes
d'occupation ; 14" prendre, d'après les circons-
tances, les mesures pour le développement et
le maintien des causes pouvant servir de
fondement à l'occupation et à sa prolonga-
tion.]
7. [Les Hautes Parties contractantes s'obli-
gent i** à ne pas ériger de fortifications, sauf
celles de campagne nécessaires pour la sûreté
des postes ; 2° à ne pas introduire d'artillerie
lourde ; 3" à ne pas intervenir sans nécessité
dans l'administration locale ; 4" à ne pas créer
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS :3
de monopoles ; 5' à ne pas introduire de pro-
duits nuisibles.]
8. [La durée de l'occupation sera déterminée
par les circonstances indiquées à l'art, i. De
plus, tous les six mois aura lieu un échange
de vues.j
9. Les Hautes Parties contractantes consi-
dèrent comme indispensable de prévenir les
Puissances intéressées à la politique des Bal-
kans, I- du moment où commencera l'occu-
pation quand la déclaration l'annonçant sera
publiée ; 2" de sa terminaison six mois à
Tavance.
10. Les articles de la présente convention
entreront en vigueur au moment de la publi-
cation de la déclaration annonçant l'occupa-
tion (à l'exception du point i4 de l'art. 6 qui
peut, si les circonstances l'exigent, être exécuté
avant la déclaration d'occupation).
11. Le texte de la déclaration d'occupation
devra être publié pour l'information générale
en français, mais pour la population alba-
naise, il le sera dans les deux dialectes du
pays ; de plus l'original devra être ratifié par
l'autorité suprême des Hautes Puissances con-
tractantes et contresigné par les plénipoten-
tiaires autorisés à rédiger et à signer la présente
convention.
74 DOCUMENTS SECRETS
12. [Les cas non prévus devront faire l'objet
d'accords subséquents. (La fin n'était pas
déchiffrée)].
Copie d'après V original : le colonel d'état
major, Samoilo.
23 6w, — Conférence russe au sujet de l'attaque
des Détroits. (N°=' 68-70 [7];.
EN novembre 191 3, le ministre des affaires étran-
gères russes exposa au Tsar la nécessité de
prendre des mesures pour s'emparer de Constan-
tinople si l'Empire turc s'écroulait. Les documents
suivants nous renseignent à ce sujet :
Sazonov à Nicolas II fSainl-Pétersbourg,
23 mars i9M)
Dans le rapport que j'ai présenté à V. M. en
novembre, je lui ai exposé la nécessité de
travailler à un vaste programme d'action pour
résoudre la question des Détroits d'une façon
heureuse pour nous si les événements nous
forçaient à défendre nos intérêts sur le Bos-
phore et les Dardanelles. V. M. a bien voulu
m'approuver et autoriser la réunion d'une
Conférence des administrations qui y sont le
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 75
plus intéressées. Elle a eu lieu le 8 février sur
ma convocation. J'ai l'honneur de soumettre à
V. M. le procès-verbal de cette Conférence, et
d'accord avec ses membres de solliciter ses
ordres au sujet des mesures qu'elle a préco-
nisées...
Mémorandum de Bazili [le vice-directeur de la
Chancellerie du ministère des ajfaires étrcmgères]
au sujet des Détroits (^).
Considérations préliminaires au sujet des pro-
blèmes maritimes russes dans la région de la mer
Noire.
La situation actuelle pouvant conduire à une
dislocation plus ou moins rapide de la Turquie,
nous impose d'une façon urgente l'obligation
de prévoir dès maintenant la possibilité que
la question des Détroits soit posée de nouveau.
Nous devons donc déterminer notre situation
à son égard.
I . Il faut donc sans retard procéder au ren-
forcement de nos forces (et en particulier de
celles navales) dans la région de la mer Noire
afin qu'au moment où la crise éclatera nous
(') C'est ainsi que la pièce est intitulée dans le texte russe.
Ce rapport est évidemment celui qu'au commencement de la
séance du 8 février, Sazonov déclara être de lui et avoir été
soumis par lui à l'Empereur.
76 DOCUMENTS SECRETS
puissions résoudre la question des Détroits de
la façon désirée par nous. Dans Timpossibilité
de prévoir avec exactitude ce moment, peut-
être si proche, il est nécessaire de développer
nos forces dans la région de la mer rSoire le
plus rapidement possible, et cela d'une façon
progressive, et non pour une date fixe.
[Peut-on augmenter suffisamment notre
flotte dans la mer Noire par nos moyens dans
cette mer ou faut-il y adjoindre de grands
navires venus d'ailleurs, et en particulier les
drcadnoughts que nous construisons dans la
Baltique ? Il faudrait pour cela un changement
du droit international qui interdit le passage
des vaisseaux de guerre par les Détroits turcs.
A raison de l'opposition immémoriale des
puissances, il est fort douteux qu'on y arrive.
D'ailleurs, en cas de crise brusque, les drcad-
noughts de la Baltique arriveraient trop tard.
De plus, il faut remarquer que l'Europe ne
consentirait pas à l'ouverture des Détroits
pour les seuls riverains et que s'il existe des
chances de l'obtenir par voie diplomatique,
elle implique le libre accès dans la mer Noire
des A aisseaux de guerre de toutes les nations.
Or notre point de vue traditionnel est que tant
que les Détroits ne seront pas à nous, nos
intérêts stratégiques exigent que la mer Noire
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 77
soit fermée aux escadres étrangères, de façon
que les puissances qui nous sont hostiles ne
puissent pas préparer en temps de paix
d'attaque contre nous dans la mer Noire. On
objecte maintenant que les avantages résultant
de la fermeture des Détroits sont plus négatifs
que positifs, que celle-ci ne nous garantit pas
contre l'entrée d'une flotte ennemie dans la mer
Noire en temps de guerre avec le consentement
de la Turquie dont elle utilisera les ports et
qu'elle nous fait seulement croire à tort que
notre seul adversaire sur celte mer est la
Turquie...]
2. [Notre problème historique en ce qui con-
cerne les Détroits consiste à nous en emparer.
On ne pourrait conclure autrement que s'il
devait en résulter une perte de force défavorable
à notre développement. (C'est tout au plus dans
ce cas que leur a neutralisation » pourrait
devenir utile, car elle ne nous garantit ni la
certitude de la sortie pour nos navires, ni la
fermeture du passage à nos ennemis.) Notre
domination doit s'étendre sur les deux Détroits
pour nous assurer la sortie dans la Méditer-
ranée. La possession du seul Bosphore servi-
rait seulement à la défense de nos intérêts
dans la mer Noire. Cette domination peut être
accompagnée de la possession d'un hinterland
78 DOCUMENTS SECRETS
plus OU moins considérable ou se borner à
celle des points nécessaires pour assurer la
maîtrise des détroits. Les administrations com-
pétentes doivent étudier immédiatement le
plan de la réaliser.]
3. [Pour la prise des Détroits, nous ne
devons compter que sur nos moyens et ne pas
espérer une coopération. — Il est fort vrai-
semblable que nous ne résoudrons ce pro-
blème que pendant une guerre européenne.
Dans ce cas, nous sommes en droit de sup-
poser que les flottes de l'Angleterre et de la
France paralyseront celles de la Triple Alliance,
et encore seulement tant que nos alliés
n'auront pas essuyé de défaite. Nous ne pou-
vons pas espérer beaucoup de ce côté là. La
coopération de la Grèce, nous fournissant une
base navale dans la mer Egée pour agir contre
les Détroits, est si peu vraisemblable qu'on ne
peut y compter. La Grèce est sortie de la crise
beaucoup plus forte et son idéal national s'est
agrandi. Son rêve au sujet de Constantinople
«era probablement un obstacle à un plus
grand rapprocliement avec elle. D'ailleurs
l'organisation par nous d'une base dans la mer
Egée entraînerait les plus sérieuses complica-
tions. — La possibilité de s'emparer des
Détroits dépend d'une conjoncture favorable.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 79
La créer est le but de l'action du ministère des
affaires étrangères. — L'opération elle-même
exige que l'on prépare à la fois la flotte et le
débarquement. Il ne faut pas renouveler la
faute du plan de 1896 qui n'accordait qu'une
attention insufQsante au débarquement. —
Pour le transport rapidement d'une grande
quantité de troupes sur les Détroits, il faut
que leur dislocation s'y prête, que des moyens
existent de les transporter rapidement sur des
vapeurs et que ceux-ci soient en quantité
suffisante. Cette dernière condition suppose
une politique économique définie. Le côté
financier ne doit pas être oublié. La conquête
des Détroits exige donc la coopération de
nombre d'administrations.]
Procès-verbal de la Conférence du 8 février i91û.
Président : S. D. Sazonov, ministre des
affaires étrangères.
Membres : Grigorovitch, ministre de la
marine ; la. G. Ji lin ski, chef de l'état-major
général de l'armée ; M. N. Giers, ambassadeur
à Constantiriople ; Neratov, adjoint au ministre
des affaires étrangères; Danilov, quartier-
maître général; Averianov, quartier-maître
en second ; Nenioukov, capitaine faisant fonc-
80 DOCUMENTS SECRETS
tion de chef d'état-major de la marine ; le
prince Troubetzkoï, chef de la section de
rOrient musulman au ministère des affaires
étrangères ; le capitaine Nemitz. chef du bureau
des opérations à l'état-major général de la
marine.
Secrétaires : Bioutsov, adjoint au chef de la
section de l'Orient musulman ; Bazili, vice-
directeur de la chancellerie du ministère des
affaires étrangères,
[A l'ouverture de la séance, le ministre des
affaires étrangères rappelle aux membres que
dans le mémoire qu'ils connaisseni et qu'il a
soumis à l'Empereur en novembre dernier, il
a considéré comme son devoir de l'avertir
qu'il est impossible de ne pas prévoir la pos-
sibilité d'événements, peut-être très proches,
qui changeront complètement la situation
dans les Détroits, et qu'il était nécessaire de
prendre des mesures immédiatement pour
résoudre heureusement cette question à ce
moment là. L'Empereur l'a approuvé et a
décidé la réunion de la Conférence. — Après
avoir fait remarquer qu'actuellement des chan-
gements politiques considérables sont peu
vraisemblables, le ministre dit qu'il est
impossible d'être assuré du maintien de
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 81
l'état de choses actuel en Turquie, même pour
un avenir très proche. Il exprime la ferme
conviction que si les Turcs doivent perdre les
Détroits, la Russie ne peut pas permettre aune
autre puissance de s'y affermir et peut être par
suite forcée de s'en emparer pour y établir un
état de choses conforme à ses intérêts. Le
succès de cette opération dépendra de la rapi
dite de son exécution, et celle-ci de sa prépa-
ration. Le ministre propose d'en étudier
successivement les diverses parties.]
I. Le corps expéditionnaire, sa composilion
et sa mobilisation. [Le général Ji lin ski dit que les
troupes qui seront désignées seront les plus
proches, c'est-à-dire celles des régions de Sébas-
topol et d'Odessa, formant les 7*^ et 8^ corps, ren-
forcées probablement de deux corps de l'inté-
rieur. Le premier échelon du corps expédition-
naire, ayantà débarquer simultanément, ne doit
pas comprendre moins d'un corps d'armée,
c'est-à-dire 3o à 5o.ooo hommes : plus faible, il
pourrait être facilement écrasé. A raison des
grandes difficultés du débarquement, le pre-
mier échelon ne peut être limité à un seul
corps que dans des conditions particulière-
ment favorables, quand il n'y a pas à attendre
une grande résistance. Le premier échelon
sera formé de portions des 7*^ et 8*^ corps
6
82 DOCUMENTS SECRETS
(i3'' division, Sébastopol et Simféropol ;
ij" division et 4*" brigade de tirailleurs,
Odessa). Se référant à ce qu'il a dit sur le
lien entre l'effectif du corps expéditionnaire et
la situation politique et stratégique, la. G. Ji-
linski se demande quels seront les adversaires ?
Comme tels, il voit tout d'abord les Turcs. Ils
disposent actuellement sous Constantinople du
7*" corps. D'après le nouveau plan d'Enver
Pacha, de réalisation d'ailleurs douteuse, ils
veulent en établir 3 sur la rive européenne des
Détroits.]
[Le ministre des affaires étrangères fait
remarquer que la Bulgarie et la Grèce peuvent
aussi intervenir contre nous, mais qu'à cause
de leurs haines historiques, si l'une intervient
dans un sens, l'autre paralysera son action en
intervenant en sens inverse. — A la question :
peut-on compter dans ce cas sur l'appui de la
Serbie, S. D. Sazonov répond qu'il est impos-
sible de supposer que notre expédition contre les
Détroits s'accomplira sans guerre européenne et
qu'il est probable que dans ce cas la Serbie diri-
gera toutes ses forces contre l'Autriche-Hongrie.
— Jilinski fait remarquer l'importance d'une
attaque serbe contre l'Autriche en cas de guerre
de la Russie contre cette dernière. L'Autriche
devrait détacher 4 à 5 corps contre la Serbie. Il
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 83
attire aussi rattention sur l'importance de
l'attitude que prendra la Roumanie en cas de
guerre générale. — S. D. Sazonov répond que
quoique la Roumanie ne soit pas entrée for-
mellement dans la Triple Alliance, elle a
incontestablement conclu avec l'Autriche un
accord militaire contre la Russie. De Giers, qui
a servi précédemment en Roumanie, confirme
ce qua dit le ministre. Ce dernier ajoute que
le changement favorable à nous, observé en ce
moment dans la politique et l'opinion publique
€n Roumanie, autorise à douter que celle-ci
agisse effectivement contre nous en cas de
guerre austro-russe, mais nous n'avons pas de
raisons sûres de l'espérer. Revenant à la ques-
tion de nos adversaires possibles dans les
Détroits, S. D. Sazonov dit que dans le cas de
guerre de la Triple Alliance avec la Russie,
l'Allemagne et l'Autriche n'enverront pas de
troupes dans les Détroits et que tout au plus
l'Italie pourrait y envoyer un corps expédi-
tionnaire, quoiqu'il lui sera dangereux de
dégarnir sa frontière avec la France.]
[S'en référant à ce qu'a dit le ministre de la
situation générale, Jilinski dit qu'il est con-
vaincu que la lutte pour Constantinople est
difficilement possible sans une guerre géné-
rale. La possibilité de distraire des troupes
84 DOCUMENTS SECRETS
contre Constantinople et la possibilité de
l'expédition elle-même dépendent des conjonc-
tures au commencement de la guerre. Les
corps du sud désignés pour y prendre part ne
peuvent être mis en mouvement contre Cons-
tantinople que si on ne se bat pas sur le front
occidental ou si on y a remporté des succès :
sinon, ces troupes doivent y être dirigées, car
un succès sur la frontière occidentale décide
aussi de la question des Détroits. D'après le
plan pour le cas de guerre sur le front occi-
dental, toutes les troupes doivent y être
dirigées. S. D. Sazonov ayant demandé si
l'augmentation prévue de l'armée n'apporterait
pas de changements, Jilinski répond qu'elle ne
consistera qu'en deux corps, à former en 191.")
et en 1916. Ils seront placés sur la frontière
occidentale et compenseront à peine les aug-
mentations des armées allemande et autri-
chienne. De plus, la formation de deux corps
ne peut pas donner les moyens d'en envoyer
quatre à Constantinople.]
[M. N. Giers en conclut que l'on pourrait
peut-être désigner les corps du Caucase pour
l'expédition contre Constantinople. En cas
d'anarchie dans cette ville, il n'y aura pas de
combats sur notre frontière turque et nos corps
du Caucase seront libres. — Jilinski juge
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 85
cette proposition inadmissible, l'expédition
contre Constantinople ne dispensant pas de la
guerre sur la frontière du Caucase. Une
grande partie des troupes turques est en Asie-
Mineure. D'après le plan d'Enver Pacha, trois
€orps seulement doivent rester en Europe. En
cas de débarquement contre Constantinople,
nous devons donc retenir les autres sur la
frontière du Caucase. Nos trois corps du Cau-
case devront être mobilisés dans ce but dès
que l'expédition commencera.]
[Danilov fait observer qu'il est d'autant plus
impossible de désigner les troupes du Caucase
pour l'expédition qu'à cause des conditions
locales leur mobilisation est plus lente. La
capacité des chemins de fer est faible dans le
Caucase, la population russe y est rare, on est
forcé de la compléter par des réservistes de
l'intérieur ; la mobilisation dans le Caucase
prend par suite trois semaines. Danilov
s'oppose donc absolument à la désignation des
troupes pour l'expédition contre Constanti-
nople. Indépendamment de la difficulté de
s'emparer de cette ville, située au fond du Bos-
phore, quelle que soit notre quantité de troupes
(et même si nous en avions davantage), nous
devons toujours prévoir la nécessité de les
diriger toutes à l'ouest contre l'Allemagne
86 DOCUMENTS SECRETS
et l'Autriche. La victoire sur ce front amènera
une solution heureuse de toutes les autres
questions. Détacher 4 corps pour agir contre
Constantinople en cas de guerre à l'ouest est
purement impossible. Empêcher de tierces
puissances de s'emparer de Constantinople
dans ce cas est un problème politique.]
[Nemitz est d'un avis différent. Sans doute, il
faut être fort surtout contre le principal adver-
saire, mais celui-ci ne se trouve pas sur la
route de Constantinople. Une victoire contre
l'Allemagne et l'Autriche ne nous donnera pas^
les Détroits. D'autres peuvent les prendre pen-
dant que nous combattrons sur notre frontière
occidentale. Nous pouvons être contraints à
nous emparer de Constantinople pendant notre
lutte dans l'ouest si nous voulons arguer du
fait de la possession au moment où l'on trai-
tera. Ce n'est que dans ce cas que l'Europe
acceptera au sujet des Détroits les conditions
qui nous sont nécessaires. Si nos forces
actuelles sont insuffisantes pour nous en em-
parer, il faut les augmenter de 3 corps.]
[Jilinski répond que la création de ces corps
est actuellement irréalisable. 11 ajoute que
l^our tout Russe, les Détroits ont une impor-
tance si grande que s'ils couraient risque
d'être enlevés à la Turquie, nous ne pourrions
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 87
nous dispenser de nous en emparer et par
conséquent d'envoyer immédiatement une
armée à Constantinople. Mais cela ne peut se
faire que pendant une crise entraînant la guerre
générale. Il est possible que la guerre pour
les Détroits précède celle sur notre front occi-
dental. D'après Jilinski, il est même probable
qu'il en sera ainsi. Dans ce cas, on peut faire
le détachement. Il n'est impossible que dans
l'autre cas. Pour l'expédition, on a désigné
le 7^ et le 8*' corps, mais ils sont également
désignés par le plan de guerre pour le front
occidental. Le premier doit dans ce cas faire
partie de l'armée opérant contre l'Autriche, le
second est destiné à agir contre la Roumanie.
Ce n'est que dans le cas de neutralité de
celle-ci que le 8^ corps demeure disponible.]
[A une question de Sazonov, Jilinski répond
que la mobilisation du premier échelon (i3^ et
iS" divisions et 4^ brigade de tirailleurs) s'ac-
complit en 5 jours pour des compagnies de
6o files (sauf les parcs d'artillerie). Le reste des
7*" et 8* corps n'a que 48 files dans les com-
pagnies et mobilise par suite en 8 à 9 jours,
c'est-à-dire en autant de temps que les deux
autres corps prenant part à l'expédition.
D'après le nouveau plan de renforcement de
l'armée, toutes les compagnies doivent être
88 DOCUMENTS SECRETS
portées à 60 files et leur mobilisation s'effec-
tuera par suite en 5 ou 6 jours, l'augmentation
du nombre des files dans la compagnie rétré-
cissant le rayon de mobilisation. Si c'était
reconnu nécessaire, on pourrait augmenter le
degré de préparation des troupes expédition-
naires en les portant à 84 ou même à 100 files
par compagnie. Le nouveau plan prévoit l'in-
troduction de cet effectif supérieur pour cer-
taines troupes, mais surtout du front occi-
dental. On pourrait donc porter le premier
échelon à 84 files, mais il serait impossible
d'en faire autant pour le reste, car alors on
affaiblirait le front ouest. Tout ceci ne con-
cerne d'ailleurs que l'infanterie. En ce qui
concerne l'artillerie, elle n'attelait jusqu'à
présent en temps de paix que 4 pièces et 2 cais-
sons par batterie et sa mobilisation durait
18 jours. D'après le nouveau plan, elle attellera
dans tous les arrondissements de la frontière
6 pièces et 12 caissons. De cette façon elle
pourra partir le 2^ ou le 3" jour de la mobili-
sation. Dans les arrondissements de l'intérieur,
l'artillerie attellera 4 pièces et 4 caissons et
mobilisera en 12 ou 1 4 jours. Comme l'arron-
dissement d'Odessa est compté parmi ceux de
l'intérieur, l'amélioration pour les 7^ et 8^ corps
serait donc faible. On pourrait porter, en
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 89
tout OU en partie l'artillerie de l'arrondisse-
ment d'Odessa au pied de paix renforcé.
Quant à la cavalerie, elle se trouve toujours en
état d'être mobilisée. On se propose d'ailleurs
de n'en emmener qu'un régiment par corps
d'armée.]
[Pour ce qui est du transport et de l'embar-
quement, ils peuvent être effectués sans délai
par les i3'^ et ib" divisions et la 4^ brigade de
tirailleurs qui sont à Odessa, Sébastopol et
Simféropol. Le transport du reste des 7^ et
8^ corps ne prendra pas plus de 2 ou 3 jours.
Pour les deux autres corps, il faut prévoir
6 jours.]
[D'après les renseignements du chef de l'état-
major, étant donné la faiblesse des moyens de
transport dans la mer Noire, il faut un peu
plus de temps actuellement pour les préparer
que pour mobiliser. Par suite il pense que
tant que leur préparation n'aura pas été amé-
liorée, il n'est pas nécessaire de prendre des
mesures pour activer la mobilisation.]
[Le ministre de la marine confirme l'exac-
titude de ce que vient de dire Jilinski. Actuel-
lement le premier échelon ne peut pas être
embarqué avant le 10^ jour.]
2. Voies de communication nécessaires pour
amener le corps expéditionnaire aux ports d'em-
90 DOCUMENTS SECRETS
barquement. [Jilinski dit qu'elles sont en
général suffisantes. Celles conduisant à Odessa
viennent d'être renforcées.]
3. Moyens de transport nécessaires pour la des-
cente. [Le ministre de la marine dit que nos
moyens de transport dans la mer Noire sont
complètement insuffisants. Ils sont d'ailleurs
impropres au transport des troupes et il n'existe
pas d'organisation régulière pour leur mobi-
lisation. Le transport en un court délai d'un
corps expéditionnaire nombreux ne peut être
rendu possible que par une série de mesures
exigeant des eff'orts de plusieurs administra-
tions. Le ministre prie alors le capitaine Nemitz
de donner à la Conférence des renseignements
plus détaillés. Celui-ci dit que la préparation
des transports exigeant actuellement lo à
12 jours, il s'écoulera deux semaines entre le
jour où la mobilisation sera déclarée et celui
où aura lieu la descente. Si les vaisseaux s'en
retournent aux points d'embarquement immé-
diatement après la descente, ils ne pourront
faire le second voyage qu'une semaine après
le premier. Dans l'état actuel des choses, la
quantité de troupes pouvant être transportée
en une fois ne dépasse pas 20.000 hommes.
Pour transporter en une fois un corps d'armée,
il faudrait créer une organisation permettant
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 9Î
de mobiliser tout l'effectif de notre flotte com-
merciale dans la mer Noire, mais une partie
seulement de celle-ci se trouve dans cette mer.
En deux ou trois ans de travail, on arriverait
à préparer le transport d'une plus grande
quantité de troupes, 2 ou 3 corps d'armée par
exemple, mais il serait nécessaire pour cela
d'employer aussi les vaisseaux étrangers. Le
principal moyen de faciliter le transport réside
donc dans le développement de notre flotte de
commerce. Pour y arriver, le Gouvernement
devrait conclure avec les sociétés de navigation
subventionnées (et en particulier avec la flotte
volontaire) un accord pour qu'elles augmen-
tent leurs flottes (spécialement avec des vais-
seaux adaptés aux conditions de transport
des troupes). L'addition de i5 transports de
ce genre permettrait de porter à un corps^
la quantité de troupes passant en un seul
voyage.]
[Le prince Troubetzkoi souligne l'impor-
tance de l'augmentation de notre flotte de la
mer Noire, même au point de vue écono-
mique. 95 "/o de notre exportation par la mer
Noire a lieu sur des navires étrangers.]
[Sur la proposition du ministre des affaires
étrangères, la Conférence émet le vœu que
l'on procède immédiatement à l'élaboration
92 DOCUMENTS SECRETS
de mesures pour renforcer notre flotte com-
merciale dans la mer Noire.]
[M. N. Giers revient à la question du délai
nécessaire pour accomplir le transport. Le
délai de deux semaines indiqué par Nemitz
comme nécessaire pour l'arrivée de troupes
devant Constantinople, peut, suivant Giers,
être trop long dans certains cas. Si l'expédi-
tion contre cette ville était provoquée par
l'anarchie qui y régnerait et par le danger de
massacre, il serait nécessaire d'agir extrême-
ment rapidement. Il demande à combien on
pourrait raccourcir le délai inévitable avant la
descente.]
[Nemitz répond que tout dépend du degré
de préparation de la flotte de commerce. Si on
pouvait militariser suffisamment la flotte vo-
lontaire, une division sur pied de guerre pour-
rait être transportée à Constantinople au bout
d'une semaine.]
[Sazonov exprime le vœu que tout le premier
échelon de l'armée expéditionnaire (c'est-à-
dire le corps combiné dont on se propose de
Induire la mobilisation à 3 ou 4 jours), puisse
aussitôt être embarqué et arrive de cette façon
dans le Bosphore 4 ou 5 jours après la décla-
ration de la mobilisation.]
[Jilinski appelle l'attention sur l'importance
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 93
de munir dès le temps de paix: du matériel
nécessaire (écuries démontables, cuisines, cha-
loupes, etc.) les navires qui seront employés
au transport des troupes. Le transport de l'ar-
tillerie exige des préparatifs spéciaux. Il faut
imposer aux compagnies subventionnées de
munir leurs vaisseaux en conséquence. On
établirait aussi dans les ports des dépôts des
objets nécessaires à la descente.]
[Après avoir fait remarquer que jusqu'à pré-
sent très peu a été fait pour l'adaptation des
navires au transport des troupes, le ministre
de la marine dit que l'essai de descente qui
sera accompli cet été dans la mer Noire don-
nera beaucoup de renseignements utiles. Il
renseignera aussi sur la rapidité avec laquelle
elle peut être exécutée. A l'époque des ma-
nœuvres d'été, on se propose de transporter
sur le rivage du Caucase en deux voyages une
division sur pied de guerre. La moitié de ces
troupes descendra dans un port, mais l'autre
sur un rivage dépourvu d'abri. Dans le premier
cas, les conditions de descente seraient celles
que nous rencontrerions si nous utilisions les
ports bulgares; dans le second, les conditions
seront les mêmes que pour une descente sur
le rivage turc. Malheureusement, par économie
et pour ne pas gêner le commerce, on ne
^4 DOCUMENTS SECRETS
peut pas y employer un grand nombre de
\apeurs.]
[Jilinski remarque qu'il serait utile d'avoir
toujours prêts des vaisseaux de transport
spéciaux. — Le ministre de la marine répond
que cela nécessiterait de grandes dépenses qui
pèseraient comme un poids'mort sur la flotte ;
or, actuellement beaucoup de personnes (en
particulier dans les corps législatifs) considè-
rent que notre flotte n'est pas assez spécialisée
pour le combat. — Cette objection, d'après
Sazonov, n'est pas juste contre l'idée d'avoir
des vaisseaux de transport militaires puisqu'ils
seront destinés à une opération de guerre. — .
IVemitz dit que l'état-major de la marine étudie
la question de l'achat de quelques vapeurs
pour les munir de ce qui est nécessaire pour
le transport des chevaux. Comme leur trans-
port présente des difficultés spéciales, cette
mesure abrégera d'une façon essentielle la
durée de la descente.]
4. Forces maritimes dans la mer Noire. [La
Conférence examine ensuite les moyens de
mettre notre flotte de guerre de la mer Noire
en état de dominer la flotte ottomane et
de forcer les Détroits pour s'en emparer.
Nenioukov dit que jusqu'à présent, notre flotte
domine incontestablement la mer Noire, mais
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 95
à l'automne de cette année deux dreadnoughis
(le Rechad I, commandé par la Turquie en
Angleterre et le Rio de Janeiro acheté au Brésil),
viendront renforcer la flotte ottomane. Nous
ne pouvons pas malheureusement leur op-
poser un seul dreadnought dans la mer Noire
et la supériorité passera donc à la flotte otto-
mane. Tant qu'elle la possédera, nous ne pour-
rons pas attaquer les Détroits. Cette situation
ne changera que pendant l'été de 19 15, à la
condition toutefois que la flotte turque n'ac-
quière point de nouveaux navires, ce à quoi,
le passé Ta montré, il n'y a même pas d'obs-
tacles financiers. Grâce aux mesures énergi-
ques prises par l'Amirauté, on est parvenu à
hâter tellement la construction de nos dre-
adnoughis sur les chantiers de la mer Noire
qu'on peut compter que V Impératrice Marie et
V Alexandre III seront prêts le i''' juin et le
1*"' septembre de 19 r 5 au lieu de 1916 comme
il était marqué dans les contrats. Ayant rap-
pelé que l'on pense généralement que les
dreadnoughts turcs sont supérieurs aux nôtres
pour le combat, Nenioukov dit qu'ils n'ont
pas en réalité une grande supériorité. 11 est
vrai qu'ils ont une artillerie de i3 pouces 1/2
(34 cm.) tandis que les nôtres n'en ont qu'une
de 12 (3o cm.), de sorte qu'à tir égal les Turcs
96 DOCUMENTS SECRETS
auraient une supériorité incontestable, mais la
flotte turque est munie de munitions anglaises
qui sont beaucoup plus faibles que les nôtres
à calibre égal, de sorte que l'on peut espérei'
que les deux dreadnoughts turcs seront plus
ou moins égalés par la mise en service de
V Impératrice Marie et de 1 '/l lexandre III en 1 9 1 5 .
La supériorité nous sera alors donnée par le
reste de la flotte, c'est-à-dire par les quatre
cuirassés déjà vieillis (Panteleimon, loan Zla-
loousL Evstajii et Tri Svialitelia) qui ont une
supériorité considérable sur les forces dont
les Turcs disposeront avant l'arrivée de leurs
dreadnoughts. A la fin de 191 5, notre flotte de
la mer ^'oire sera encore renforcée par un
troisième dreadnought du même type (le Ca-
Iherine II) et en 1916 par deux croiseurs. Enfin
on a décidé de construire un quatrième dre-
adnought de même type que les autres, il doit
être prêt en 191 7 et compléter la formation
d'une brigade de dreadnoughts. Outre ce qua-
trième dreadnought, on a encore résolu de
construire 2 croiseurs, 8 torpilleurs, et 6 sous-
marins qui seront prêts en 191 7. La piopor-
tion dans laquelle notre domination sur la
mer Noire sera afTermie par ces navires, dé-
pend des armements ultérieurs tant des Turcs
que de nous. Le programme turc prévoit Tac-
PUBLIES PAR LES B O L C II E V I KS 97
quisition de 6 dreadnoughts et de 12 torpil-
leurs d'escadre, mais sa réalisation est natu-
rellement très incertaine.]
[Le ministre de la marine annonce que
l'administration de la marine a l'intention
de renforcer encore considérablement notre
flotte dans les années suivantes par la forma-
tion d'une seconde brigade de dreadnoughts
complètement à la hauteur des progrès. —
La Conférence accueille cette communication
avec une grande satisfaction et souhaite que
sa réalisation ait lieu le plus tôt possible. —
Le ministre de la marine expose alors pourquoi
on n'est pas arrivé à empêcher cette cession
à la Turquie du Rio de Janeiro, si ennuyeuse
pour nous. L'administration de la marine
avait soulevé la question de son achat parla
Russie, mais ensuite, elle fut informée par des
sources anglaises que le vaisseau ne serait pas
vendu. L'administration de la marine est ac-
tuellement très soucieuse de ne pas laisser
passer dans les mains de la Turquie d'autres
dreadnoughts qu'elle pourrait acheter. D'après
ses renseignements, le gouvernement argentin
consentirait peut-être à vendre le Pàvadavia et
le Moreno qu'il fait construire aux Etats L'nis.
Le gouvernement chilien serait aussi disposé
à vendre deux dreadnoughts du type Almirante
7
98 DOCUMENTS SECRETS
Latorre. En l'absence d'autres unités à vendre,
leur acquisition empêcherait un nouveau ren-
forcement de la flotte turque et abrégerait la
reconstitution de notre flotte. S. M. a approuvé
ces considérations et a ordonné d'acheter les
dreadnoughts qui se vendront. Les moyens
peuvent en être obtenus sur l'article 117. Les
dreadnoughts qui seront achetés formeront le
noyau d'une nouvelle escadre de la Méditer-
ranée dont la tâche stratégique sera de com-
penser la supériorité de la flotte turque sur
notre flotte de la mer Noire. — Giers exprime
sa satisfaction de cette résolution. — Sazonov
l'approuve, et fait remarquer l'importance que
peut avoir l'apparition de nos navires dans la
Méditerranée en détournant les forces turques
de la mer \oire. — Giers s'étend sur la grande
force morale que l'acquisition des deux dre-
adnoughts a donnée aux Turcs. — Le ministre
de la marine remarque que les Turcs ne se
familiariseront pas tout d'un coup avec des
vaisseaux aussi compliqués que les dre-
adnoughts actuels, ils ne pourront pas les
diriger sans l'aide d'étrangers et il faut au
moins trois mois pour apprendre à commander
de tels navires.]
5. Chemins de fer du Caucase. [Jilinski dit
que la défense nationale exige que l'on cons-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 99
Il Liise aussitôt que possible un chemin de fer
traversant le Caucase. Tant que ça ne sera
pas fait, notre armée, en cas de guerre sur la
frontière turque, n'aura pas de communica-
tions satisfaisantes avec l'arrière. La ligne de
la mer Noire ne peut remplacer le Transcau-
casien et est au plus un palliatif : elle peut être
détruite de la mer et débouche à Souram
d'une façon qui lui fait perdre beaucoup de
son utilité. La construction d'une ligne trans-
caucasienne est d'ailleurs indispensable pour la
mobilisation des troupes du Caucase qui est
très lente actuellement. Comme en cas d'at-
taque contre Constantinople, on ne peut se
dispenser d'attaquer sur la frontière turque,
la construction du Transcaucasien doit être
comprise parmi les mesures préparant l'attaque
contre le Bosphore.]
[Le prince Troubetzkoï fait remarquer que
des combats sur la frontière russo-turque peu-
vent résulter, soit d'un combat vers les Détroits,
soit de troubles en Arménie. La construction
du Transcaucasien diminuera le danger que
présente pour nous la construction de chemins
de fer dans les provinces turques voisines du
Caucase, Interdire d'y construire des chemins
de fer n'est plus possible. Nous avons dû con-
sentir à la construction d'un réseau de chemins
100 DOCUMENTS SECRETS
de fer en Asie-Mineure et à reprendre en mains
nous-mêmes la construction des chemins de
fer de la zone frontière. La raison exige que
nous terminions la construction du Transcau-
casien avant que les chemins de fer turcs arri-
vent à notre frontière.]
[Jilinski dit qu'outre le Transcaucasien, il
faut encore quelques chemins de fer straté-
giques dans le Caucase : i" l'établissement de
deux voies sur la ligne Tiflis-Kars-Sar\ kamych-
Karaourgan (frontière turque) ; on est en train
de l'exécuter ; 2° la construction d'une ligne
allant de la station de Mikhaïlovo (près Sou-
ram) jusqu'à Kars (par Borjom) ; elle aurait
un embranchement jusqu'à Olty ; S"* une ligne
de Batoum à Kars présenterait de l'utilité ; il
semble d'ailleurs que des particuliers soient
prêts à l'entreprendre.]
La Conférence, avant de se séparer, chargea le
ministre des affaires étrangères de soumettre à
l'approbation de l'Empereur les projets préconisés.
Celui-ci s'acquitta de cette commission à Tsarskoe
Selo le 2 3 mars/ 5 avril 1914. L'Empereur écrivit
sur le procès-verbal de la Conférence : J'approuve
complètement ces conclusions.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 101
^4. _ Tentative de réconcilier la Bulgarie et la
Serbie. (N^ Sg).
LE 5 août, l'Autriche-Hongrie, déjà en guerre
avec la Serbie depuis le 28 juillet, déclara la
guerre à la Russie. Jusqu'alors la Russie n'avait
soutenu la Serbie que par ses bons offices diploma-
tiques ; ayant désormais le môme ennemi, elle dut
penser à ce qui pouvait fortifier la cause commune.
Une attaque de la Bulgarie contre la Serbie était à
craindre, car la Turquie depuis le commencement
de la crise donnait des marques visibles d'hostilité
contre la Russie. D'autre part, la Roumanie était
l'alliée de l'Autriche. On ne pouvait compter que
sur la Grèce pour aider la Serbie en cas d'attaque
bulgare, et il n'était pas certain que l'armée grecque
put sauver la Serbie attaquée de deux côtés. Sazonov
pensa donc faire une chose prudente en cherchant
à réconcilier la Serbie et la Bulgarie sur la base du
traité de 1912. Il envoya en conséquence le 28 juil-
let/5 août le télégramme suivant au chargé d'af-
faires de Russie en Serbie :
Faites la communication suivante à Pachitch :
A l'heure actuelle, il faut laisser de côté les
petits calculs et agir résolument et vite. Par-
tant de ce point de vue, nous croyons que la
coopération de la Bulgarie, indépendamment
102 DOCUMENTS SECRETS
du résultat de la guerre, ne peut être assurée
que si on lui remet maintenant Iclitip et
Kotchana avec le territoire jusqu'au Vardar.
En cas de guerre victorieuse, la Bulgarie rece-
vrait le territoire désigné comme contesté dans
l'art. 2 de l'annexe secrète à la convention
serbo-bulgare du 29 février 1912 depuis le
mont Golem (au nord de Kriva-Palanka) jus-
qu'au lac d'Okhrida y compris Strouga.
Si la Bulgarie voyait des difficultés à inter-
venir par les armes, mais observait une neu-
tralité loyale, elle pourrait être récompensée
par Kotchana et Ichtip avec le territoire jus-
qu'au Yardar, mais seulement en cas de guerre
victorieuse. La Serbie en remettrait l'engage-
ment à la Russie et celle-ci le remettrait à la
Bulgarie.
En faisant cette communication, dites à
Pachitch notre point de vue général : iNous
commençons une guerre qui exige la tension
de toutes nos forces. Elle a été causée par la
défense que nous avons prise de la Serbie.
Avec l'aide de Dieu, elle conduira à l'accom-
plissement de nos idéals nationaux. La Russie
est certaine que le Gouvernement serbe ira
sans hésitation au devant de son désir sacré de
rétablir la fraternité des peuples et avant tout
des Serbes et des Bulgares. Les sacrifices que
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 103
la Serbie doit faire pour cela ne sont pas com-
parables avec ceux que doit faire la Russie. Il
va de soi que les conditions communiquées à
Pachitch ne doivent pas être communiquées
aussitôt aux Bulgares. Nous avons seulement
besoin d'un consentement prompt et catégo-
rique du Gouvernement serbe à donner à la
Russie de pleins pouvoirs pour commencer les
négociations sur les bases indiquées ci-dessus.
Nous considérerions comme absolument per-
nicieuse toute hésitation à l'heure actuelle.
Le lendemain 24 juillet/6 août 1914, le chargé
d'affaires russe Strandtmann télégraphiait de Nich
à Sazonov :
Informé du contenu de votre télégramme,
Pachitch m'a dit qu'à son profond chagrin il
ne pouvait absolument pas me donner la
plus petite illusion au sujet de l'opinion de
ses collègues du Cabinet concernant le plan
d'action proposé par vous. Ils ne le compren-
dront pas, il en est convaincu, car ayant ef-
fleuré avec ses plus proches amis, ceux sur
lesquels il compte, la question d'attirer la Bul-
garie de leur côté en lui donnant des compen-
sations territoriales, il s'est heurté au refus le
plus décidé. Ils le fondent sur les considéra-
tions suivantes ; la position de la Bulgarie est
104 DOCUMENTS SECRETS
telle qu'elle ne peut agir contre la Russie sans
risquer son existence. La Grèce et la Roumanie
garantissent la Serbie contre le danger d'être
attaquée dans le dos par la Bulgarie et cette
dernière en a été informée. Quoique les rap-
ports de la Turquie et de la Bulgarie dans les
derniers temps se soient considérablement
améliorés, il n'en subsiste pas moins entre eux
un manque de confiance ineffaçable. Le gou-
vernement bulgare actuel voit les fautes du
précédent, mais n'en accuse pas tant les Serbes
que Guechoff et Daneff. Au sujet des senti-
ments réciproques des deux peuples slaves
voisins, il fimt craindre de faire coopérer deux
armées qui, il y a un an, luttaient avec achar-
nement l'une contre l'autre ; de plus l'impres-
sion que produira sur l'armée serbe la nouvelle
d'une cession de territoire à la Bulgarie en
échange de son concours actif (que cette armée
ne désire pas) échappe à toute prévision et
pourrait être funeste aux forces morales de
l'armée. Pachitch croit qu'il est infaillible que
l'on arrivera prochainement à un rapproche-
ment avec la Bulgarie. Il considère comme
indispensable de récompenser la neutralité
(( bienveillante » de la Bulgarie. La Russie
pourrait lui déclarer que dans le cas d'obser-
vation loyale de la neutralité, si la guerre a
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 105
une issue heureuse, la Serbie lui concédera un
territoire dont les limites exactes ne peuvent
être déterminées actuellement. Exclusivement
pour la formation de V. E., Pachitch me con-
fia les traits généraux de la nouvelle frontière
qu'il projette pour la Bulgarie : la Bregalnitza
(avec Ichtip et Radoviclite aux Bulgares), puis
au sud de l'embouchure de la Loukovitza dans
la Bregalnitza, le long de la ligne de sépara-
tion des eaux la plus proche du Vardar du
côté oriental. Pachitch sait que le gouverne-
ment roumain observe avec inquiétude les
rapports serbo-bulgares et préférerait, si c'était
nécessaire, apporter au traité de Bucarest des
changements en commun avec tous les signa-
taires, sans exclure la possibilité, pour apaiser
définitivement la Bulgarie, d'obtenir pour elle
des cessions d'autres que du Gouvernement
serbe. Cette dernière particularité aurait
l'énorme signification d'alléger considérable-
ment sa responsabilité devant l'opinion pu-
blique. Je dois ajouter à ceci que mon impres-
sion, lors de mes dernières conversations avec
Pachitch, a été que si la Serbie obtenait la
Bosnie et une issue sur l'Adriatique, elle pour-
rait céder davantage, mais qu'elle ne peut
maintenant faire aucune déclaration là-dessus.
106 DOCUMENTS SECRETS
25. — Convention russo-roumaine de 1914.
(N- 72-73 [7];.
Note adressée au ministre de Boamanie en Russie
{Tsarskoe Selo, 18 septembre/ P' octobre 19 lu).
GOMME suite à nos conversations, j'ai l'hon-
neur de vous faire la déclaration suivante :
La Russie s'engage à s'opposer à toute
atteinte au stata quo tcriitorial de la Roumanie
dans ses frontières actuelles. Elle s'oblige
également à reconnaître à la Roumanie le
droit de s'annexer les portions de la monarchie
austro-hongroise habitées par des Roumains.
Pour la Bukovine le principe des nationalités
servira de base à la déli mi nation des terri-
toires annexés par la Russie et la Roumanie.
Cette délimitation sera effectuée après des
constatations faites sur les lieux. Pour cela,
une commission interadministrative sera
nommée et elle recevra des instructions pleines
de l'esprit conciliant dont sont animés les deux
gouvernements.
La Roumanie peut occuper les territoires
ci-dessus mentionnés quand elle le jugera
bon. — La Russie s'oblige à faire approuver
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 107
par les cabinets de Londres et de Paris les ins-
tructions ci dessus.
Il est entendu que la présente déclaration
sera tenue secrète jusqu'au moment où la
Roumanie annexera les territoires qui y sont
mentionnés.
Le même jour, M. Diamandi, ministre de Rouma-
nie, accusait réception de cette lettre ; il ajoutait :
En échange de cette déclaration, je suis au-
torisé par M. Bratiano, président du Conseil
des ministres de Roumanie, à vous dire que la
Roumanie s'engage de son côté à garder une
neutralité amicale à l'égard de la Russie
jusqu'au moment oii elle occupera les parties
de la monarchie austro-hongroise habitées par
des Roumains.
25 bis, — Accord au sujet des Détroits.
[Pravda, 10/28 nov. 1917 (})].
Note. — Le 19 février/4 mars 19 15, le minis-
tre des affaires étrangères remit aux ambassa-
(1) Cette pièce et plusieurs autres que nous donnons plus
loin n'ont pas été comprises par les Bolcheviks dans le Sbornik,
quoiqu'ayant même origine que les documents dont il se
compose. Nous indiquons pour chacune le numéro de la
Pravda auquel elle a été empruntée.
108 DOCUMENTS SECRETS
deurs de France et de Grande-Bretagne un
mémorandum où était exposé le désir d'unir
à la Russie, en cas de succès, les territoires
suivants : la ville de Gonstantinople, le rivage
occidental du Bosphore, la mer de Marmara
et les Dardanelles, la ïhrace méridionale jus-
qu'à la ligne Enos-Midia, la côte de l'Asie
Mineure entre le Bosphore, la rivière Sakaria
et un point à déterminer plus lard sur le golfe
d'Ismid ; les îles de la mer de Marmara et les
îles d'Imbros et de Ténédos. Les droits de la
France et de l'Angleterre dans les territoires
ainsi délimités resteraient intacts.
Les Gouvernements français et britannique
donnèrent leur consentement sous condition
de terminaison heureuse de la guerre et de
satisfaction de toute une série de prétentions
françaises et anglaises dans l'Empire Ottoman
et ailleurs.
En ce qui concerne la Turquie, ces préten-
tions étaient :
La déclaration que Gonstantinople serait un
port franc pour le transit des marchandises ne
venant pas et n'allant pas en Russie et la liberté
du passage par les détroits pour les navires de
commerce ;
La reconnaissance des droits de l'Angleterre
et de la France dans la Turquie d'Asie,
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 109
après détermination précise par voie d'accord
particulier entre la France, l'Angleterre et la
Russie ;
Le maintien des Lieux Saints musulmans et
de l'Arabie sous un gouvernement musulman
indépendant;
L'inclusion dans la sphère d'influence an-
glaise de la zone neutre établie en Perse par
l'accord de 1907 entre l'Angleterre et la Russie.
En acceptant ces demandes d'une façon géné-
rale, le Gouvernement russe fit cependant
quelques réserves :
Dans le but de formuler nos désirs au sujet
des Lieux Saints musulmans, il serait néces-
saire de préciser dès maintenant s'ils restent
sous la suzeraineté de la Turquie, le Sultan
conservant le titre de Calife, ou si l'on se pro-
pose de créer de nouveaux Etats. D'après
nous, il serait souhaitable de séparer le Califat
de la Turquie. En tout cas la liberté de pèle-
rinage doit être assurée ;
Tout en consentant à l'inclusion de la zone
neutre de la Perse dans la sphère d'influence
anglaise, le Gouvernement russe considère
cependant comme équitable de convenir que
les régions des villes d'Ispahan et de lezd
seront assurées à la Russie et que la portion
de zone neutre qui s'enfonce comme un coin
110 DOC U M E x\ T S SECRETS
entre les frontières russe et afghane et touche
à la frontière russe à Zoulfagar, sera comprise
dans la sphère d'influence russe ;
Le Gouvernement russe considère comme
désirable que la question de l'Afghanistan
septentrional contigu à la Russie soit réglée
conformément aux désirs exprimés par lui
lors des pourparlers de 191^.
Quand l'Italie prit part à la guerre, nos désirs
furent communiqués au Gouvernement italien
et il y donna son consentement sous condition
d'une heureuse terminaison de la guerre, de
la satisfaction des prétentions italiennes en
général et de celles en Orient en particulier,
et de la reconnaissance par nous à l'Italie dans
les territoires qui nous seraient cédés de droits
égaux à ceux de la France et de l'Angleterre.
23 ter. — Alliance entre l'Entente et l'Italie.
(Pravda, i5/j8 novembre 1917.)
PAR ordre de son gouvernement, le marquis
Imperiali, ambassadeur d'Italie à Londres,
a l'honneur de communiquer à Sir Ed. Grey et
à MM. Gambon et de Benckendorff le mémo-
randum suivant :]
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 111
Art. i. Une convention militaire devra être
conclue immédiatement entre les états-majors
généraux de France, de Grande-Bretagne, de
Russie et d'Italie : cette convention fixera le
minimum de forces militaires que la Russie
devra employer contre l'Autriche-Hongrie si
cette dernière voulant diriger toutes ses forces
contre l'Italie, la Russie se décidait à attaquer
principalement l'Allemagne. Cette convention
réglera également les questions relatives aux
armistices, pour autant que par leur nature
ils sont compris dans la sphère du comman-
dement suprême des armées.
Art. 2. De son côté l'Italie s'engage à faire
campagne avec tous les moyens à sa disposi-
tion, d'accord avec la France, la Grande-Bre-
tagne et la Russie contre les Puissances qui
leur font la guerre.
Art. 3. Les forces maritimes de la France et
de la Grande-Bretagne devront coopérer éner-
giquement avec l'Italie jusqu'au moment où la
flotte autrichienne sera anéantie ou jusqu'au
moment de la conclusion de la paix. Une con-
vention maritime devra être conclue immé-
diatement dans ce but entre la France, la
Grande-Bretagne et l'Italie.
Art. ^. Lors de la paix future, l'Italie devra
obtenir : le Trentin, le Tyrol méridional dans
112 DOCUMENTS SECRETS
sa limite naturelle qui paraît être le Brenner»
la ville de Trieste et ses environs, le comté de
Goritz avec Gradisca, toute l'Istrie jusqu'au
Quarnero (y compris Yolosca) et les îles
istriennes de Cherso et de Lussin avec les
petites îles de Plavnik, Unia, Canidoli, Palaz-
zuola, San Pietro Nerovio, Asinello et Gruica,
avec les îlots voisins.
Remarque i. Comme complément à ce qui
est dit à l'art. 4 ci-dessus, la frontière passera
par les points suivants : depuis le sommet de
rUmbrile dans la direction du nord jusqu'au
Stelvio et ensuite jusqu'à la ligne de partage
des eaux des Alpes Rhétiques, d'où elle ira
aux sources des rivières Adige et Eisak. Elle con-
tinuera ensuite {sic) par les monts (sic) Reschen
et Brenner et par les sommets [des Alpes] de
l'Œtz- et du Zillerlhal, puis descendra vers le
sud et coupant au mont {sic) Toblach, attein-
dra la frontière actuelle de la Carinthie sur les
Alpes. Suivant celle ci, elle ira jusqu'au mont
{sic) Tarvis, puis passera par la ligne de partage
des eaux des Alpes Juliennes à travers les monts
Prédit , Mangart, Triglav et les cols de Podberda,
de Podlansko etd'Idria. De là, la frontière ira
dans la direction du sud-est jusqu'au Schnee-
berg de façon à ce que le bassin de la Save et
de ses affluents reste exclu du territoire italien.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 113
Du Schneeberg, la frontière se dirigera vers la
cote de façon à comprendre Castua, Matulje et
Volosca dans le territoire italien.
Art. 5. L'Italie obtient également la pro-
vince de Dalmalie telle qu'elle est actuelle-
ment, y compris au nord Lissarika et Trebînje,
et au sud tout son territoire jusqu'à une ligne
partant du rivage au cap Planka et se dirigeant
vers l'est par la ligne de partage des eaux, de
façon à ce que le territoire italien comprenne
toutes les vallées formées par les rivières
débouchant à Sebenico, telles que le Cicola,
la Kerka et la Butisnica avec tous leurs affluents.
L'Italie recevra également toutes les îles au
nord et à l'est des côtes de la Dalmatie, en com-
mençant au nord parles lies Premuda, Selvo,
Ulbo, Skerda, Maon, Pago et Puntadura, etc., et
en allant au sud jusqu'à Meleda, puis les îles de
S. Andréa, Busi, Lissa, Lésina, Torcola, Cur-
zola, Gazza et Lagosta avec tous les écueils et
îlots qui les avoisinent, et l'île de Pelagosa,
mais à l'exclusion des îles Zirona grande et
piccolo, Bua, Solta et Brazza.
Seront neutralisés : i) tout le rivage depuis
le cap Planka au nord jusqu'à l'extrémité méri-
dionale de la presqu'île de Sabbioncello au sud
(y compris toute cette presqu'île) ; 2) la partie
du rivage commençant à un point situé à
8
114 DOCUMENTS SECRETS
10 kil. au sud du cap de Ragusa Yecchia et
s'étendant au sud jusqu'à la rivière Voiussa, de
façon que dans les limites de cette zone neutie
soient compris tout le golfe de Cattaro avec
ses ports, Antivari, Dulcigno, San Giovanni di
Medua et Durazzo, sans que par là les droits
du Monténégro, découlant des déclarations
échangées en avril et en mai 1909, puissent
être entravés. Toutefois, ces droits n'ayant été
reconnus que pour les possessions actuelles du
Monténégro, ils ne pourront pas être étendus
aux terres et ports qui seraient dans la suite
réunis au Monténégro, mais toutes les restric-
tions légales, qui concernent le port d'Antivari,
auxquelles le Monténégro lui-même a donne
sa complète adhésion en 1909, demeurent en
vigueur ; 3) les îles qui ne seront pas cédées à
l'Italie.
Remarque 2. Seront comprises dans les
limites de la Croatie, de la Serbie et du Monté-
négro par les Puissances de la Quadruple
Entente les territoires suivants : au nord de
l'Adriatique tout le rivage qui, commençant
à la baie de \ olosca sur la frontière de l'Istrie,
va jusqu'à la frontière septentrionale de la
Dalmatie et comprend toute la côte apparte-
nant actuellement à la Hongrie et toute la côte
de la Croatie, le port de Fiume et les petits
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 115
ports de Novi et de Garlopago, avec les îles
de Veglia, Pervico, Gregorio, Kali et Arbe ;
sur l'Adriatique méridionale, où sont inté-
ressés la Serbie et le Monténégro, toute la côte
depuis le cap Planka jusqu'à la rivière Drin
avec les importants ports de Spaiato, Raguse,
Cattaro, Antivari, Dulcigno et San Giovanni
di Medua et avec les îles Zirona piccola et
grande, Buja, Solta, Brazza, Jaklian et Gala-
motta.
Le port de Durazzo pourra être donné à un
Etat mahométan albanais indépendant.
Art. 6. L'Italie reçoit en toute propriété Yal-
lona, l'île Saseno et un territoire suffisamment
étendu pour rendre leur défense possible, com-
pris approximativement entre la rivière Voiussa
au nord et à lest et allant au sud jusqu'aux
limites du cercle de Chimara.
Art. 7. L'Italie, obtenant le Trentin et
ristrie par l'article 4, la Dalmatie et les îles
de l'Adriatique par l'article 5 et le golfe de
Yallona, devra, en cas de formation en Alba-
nie d'un petit État autonome neutralisé, ne
pas s'opposer au désir qu'auraient la France,
la Grande-Bretagne et la Russie de répartir
entre le Monténégro, la Serbie et la Grèce les
confins septentrionaux et méridionaux de
l'Albanie. La côte méridionale de celle-ci depuis
116 DOCUMENTS SECRETS
la frontière de la province italienne de Yallona
jusqu'au cap Stylos est soumise à la neutra-
lisation.
L'Italie recevra le droit de diriger les rela-
tions extérieures de l'Albanie ; eu tout cas,
elle sera obligée de veiller à ce que l'Alba-
nie ait un territoire suffisamment étendu
pour que ses frontières touchent à l'ouest
du lac d'Okhrika celles de la Grèce et de la
Serbie.
Art. 8. L'Italie reçoit en pleine propriété
toutes les îles du Dodécanèse qu'elle occupe,
actuellement.
Art. 9. La France, la Grande-Bretagne et la
Russie reconnaissent le fait que l'Italie est
intéressée au maintien de l'équilibre dans la
Méditerranée et son droit à obtenir en cas de
partage de la Turquie une part égale à la leur
danslebassin»de cette mer, et spécialement dans
cette partie qui touche à la province d'Adalia où
l'Italie a déjà acquis des droits particuliers et
des intérêts expliqués dans la convention italo-
britannique. La zone qui doit être remise à
l'Italie sera [délimitée avec plus de précision
en temps opportun et en liaison avec les inté-
rêts vitaux '"de la France et de la Grande-Bre-
tagne. Les intérêts de l'Italie seront également
pris en considération dans le cas où l'inté-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 117
grité territoriale de la Turquie d'/Vsie serait
maintenue par les Puissances pour une période
de temps éloignée et s'il ne s'agissait entre
elles que d'une délimitation des zones d'in-
fluence. Dans ce cas, si la France, la Grande-
Bretagne et la Russie, au cours de cette guerre,
s'emparaient de provinces de la Turquie d'Asie,
toute province conliguë à celle d'Adalia...
devra être laissée à l'Italie qui se réserve le
droit d'en prendre possession.
Art. 10. En Lybie, tous les droits encore
réservés au Sultan par le traité de Lausanne
sont reconnus à l'Italie.
Art. a. L'Italie recevra une part d'indem-
nité correspondant à ses sacrifices et à ses
efforts.
Art. 12. L'Italie s'unit à la déclaration faite
par la France, l'Angleterre et la Russie, au
sujet de la remise de l'Arabie et des Lieux
Saints musulmans à une puissance musulmane
indépendante.
Art. 13. En cas d'extension des possessions
coloniales françaises et anglaises aux dépens
-de l'Allemagne, la France et la Grande-Bre-
tagne reconnaissent en principe à l'Italie le
droit d'exiger des compensations par l'exten-
sion de ses possessions dans l'Erythrée, le
Somaliland, la Lvbie et les territoires colo-
118 DOCUMENTS SECRETS
niaux voisins des colonies françaises et an-
glaises.
Art. iù. L'Angleterre s'oblige à faciliter ù
l'Italie la réalisation immédiate sur le marché
de Londres, à des conditions avantageuses,
dun emprunt d'au moins 5o millions de livres
sterling.
Art. 15. La France, l'Angleterre et la Russie
prennent l'engagement de soutenir l'Italie en
ce qui concerne la non-admission de repré-
sentants du Saint-Siège dans quelque démarche
que ce soit relative à la conclusion de la paix
ou au règlement de questions liées à la pré-
sente guerre (^).
Art. 16. La présente convention devra être
tenue secrète. En ce qui concerne l'adhésion
de l'Italie à la déclaration du 5 septembre 191 4,
cette déclaration ne sera publiée qu'après que la
guerre aura été déclarée à l'Italie ou par l'Italie.
(') Le texte exact de l'art. i5 est le suivant :
« La France, la Grande-Bretagne et la Russie appuieront
l'opposition que l'Italie formera à toute proposition tendant à
introduire un représentant du Saint-Siège dans toutes les
négociations pour la paix et pour le règlement des questions-
soulevées par la présente guerre. »
C'est la différence des deux textes qui a permis à M. Sonnino
(!c déclarer — non sans quelque artifice — à la séance de la
Cliambre italienne du i3 février 19 iS, que le texte entier du
traité tel que l'avaient publié les Bolcheviks, et que venait de
Je lire le député Bevione, était inexact.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 119
[... Les représentants de la France, de la
Grande-Bretagne et de la Russie expriment
leur plein consentement à ce qui est dit dans
le présent mémorandum... En ce qui concerne
les articles i, 2 et 3, relatifs à l'entente des
autorités militaires et navales des quatre puis-
sances, l'Italie déclare qu'elle interviendra
activement aussitôt que possible, et en tout cas,
pas plus tard qu'un mois après la signature du
présent document.]
Londres, 26 avril 191 5. Signé : Sir E. Grey,
Cambon, marquis Imperiali, comte Bencren-
DORFF.
26. — Convention secrète pusso-japonaîse. (N" 3).
LA Russie et le Japon] pour raffermir les
liens d'étroite amitié établis entre eux par
les conventions secrètes du 17/30 juillet 1907,
du 21 juin/4 juillet 1910 et du 25 juin/8 juil-
let 191 2, ont convenu de les compléter par
les articles suivants :
i. Les Hautes Parties contractantes recon-
naissent que les intérêts vitaux de l'une et de
l'autre exigent que la Chine soit préservée de
la domination politique d'une tierce puissance,
120 DOCUMENTS SECRETS
quelle qu'elle soit, nourrissant des intentions
inimicales à l'égard de la Russie ou du Japon ;
par suite, elles s'obligent à l'avenir, chaque
fois que les circonstances l'exigeront, à entrer
Tune avec l'autre en rapports loyaux et fondés
sur une pleine confiance pour prendre en
commun les mesures suivantes ayant pour
objet de rendre impossible l'établissement en
Chine d'un pareil ordre de choses.
2. Si à la suite des mesures prises d'un com-
mun accord par la Russie et le Japon sur la
base de l'article précédent, une tierce puissance
déclarait la guerre à l'un des contractants,
l'autre devra, sur la demande de son allié,
venir à son aide ; chacune des Hautes Parties
contractantes s'oblige dans le cas où se pro-
duirait une telle situation à ne pas conclure
la paix avec l'ennemi commun sans avoir
obtenu préalablement le consentement de son
allié.
3. Les conditions auxquelles chacune des
Hautes Parties contractantes donnera à l'autre
Partie, conformément à l'article précédent, son
concours armé, et les voies par lesquelles ce
concours devra être réalisé, devront être con-
venues en commun par les autorités compé-
tentes des deux puissances.
4. L'une et l'autre des Hautes Parties ne
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 121
sera obligée de fournir son aide armée à l'autre,
conformément à l'art. 2, qu'autant que les
4illiés de celle-ci lui donneront des garanties
qu'ils lui fourniraient, dans la mesure de leurs
moyens, une aide répondant au sérieux du
conflit.
5. La présente convention entre en vigueur
le jour de sa signature et demeure en force jus-
qu'au i/i4 juillet 1921. [Dans le cas 011 l'une
des Parties ne la dénoncerait pas 12 mois avant
l'expiration de ce délai, elle restera en vigueur
jusqu'à une année après sa dénonciation.]
6. La présente convention devra rester abso
lument secrète pour tous...
Petrograd, 20 juin/3 juillet 19 15. Signé :
Sazonov, Motono.
27. — Ferdinand de Bulgarie à Savinski. (N° 64).
IETTRE extrêmement afTectueiise adressée à ce
J ministre plénipotentiaire de Russie à Sofia en
T915, lors de la rupture des relations entre la
Russie et la Bulgarie. Le roi met son meilleur
Avagon à sa disposition pour aller jusqu'à Rous-
tchouk et y passer la nuit. Un adjudant-général
l'accompagnera. (Samedi midi, sans date.)
122 DOCUMENTS SECRETS
28. — Plan d'Alekséev en novembre 1915.
(N° 12).
Sazonov aux ambassadeurs à Paris, Londres
et Rome {li /2U novembre 1915).
A raison de l'extrême difficulté de rompre
la résistance des Allemands, tant sur le
front occidental que sur l'oriental, le général
Alekséev considère comme indispensable de
chercher une nouvelle voie pour que les
Alliés, toutes leurs forces étant réunies, portent
un coup décisif à notre ennemi sur son côté le
plus vulnérable. Pour cela, à son avis, il con-
viendrait de ne laisser sur les fronts occiden-
tal et oriental que les troupes nécessaires pour
la défensive, puis on réunirait rapidement
dans la péninsule balkanique au moins dix
corps d'armée anglo-français, on rejetterait les
Austro- Allemands sur le Danube et, conver-
tissant la Serbie en base pour les opérations
ultérieures, on développerait une offensive sur
Budapest. De notre côté, dix corps russes au
moins entreprendraient simultanément une
offensive sur Budapest pour donner la main
aux Alliés. Ce mouvement concerté permet-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 123
trait aux Italiens dans le même temps de
s'avancer sur Vienne pendant que les Serbes
garderaient l'arrière contre les Bulgares. Le suc-
cès d'une pareille offensive pourrait non seule-
ment entraîner enfin la Grèce et la Roumanie,
mais encore donner définitivement un tour
nouveau à la guerre à notre avantage.
Veuillez porter ceci absolument confiden-
tiellement à la connaissance du Gouvernement
français (etc.) et lui exprimer l'espoir que le
plan du général Alekséev obtiendra l'approba
tion générale et une prompte réalisation.
29. — La France demande des troupes russes.
(N° 56).
Le prince N. Koadachev à S. D. Sazonov (da
quartier-général impérml, le i/iU décembre
1915).
Paul Doumer est venu hier de Petrograd.
Il a eu riionneur d'être invité à la table
impériale et d'être reçu en audience privée par
S. M. Après l'audience, M. Paul Doumer est allé
trouver le général xVlekséev et a eu avec lui
une longue conversation. Le chef de fétat-
major m'a demandé de lui servir d'interprète.
124 DOCUMENTS SECRETS
car quoique comprenant bien le français, il
s'exprime avec difficulté dans cette langue. Il
m'a chargé de vous faire connaître confiden-
tiellement cette conversation, son objet étant
plutôt de la compétence du ministre de la
guerre que de celle du chef de l'état-major
général.
Le but du voyage de Doumer (il vous est
sans doute connu) a semblé être d'obtenir le
consentement de S. M. et de son chef d'état-
major à l'envoi de soldats russes en France.
Les Français s'en réfèrent à leurs pertes
effroyables en hommes (en moyenne i/jo.ooo
par mois), à la quantité limitée de matériel
humain en France (on y a déjà appelé sous
les drapeaux plus de lô "/o de la population),
et à la signification fatale qu'aurait non seule-
ment pour la France elle-même, mais aussi
pour la Quadruple-Alliance, la rupture de la
ligne française, qui se trouve si près du cœur
de la France. Pour empêcher cette rupture,
les Français ont tout ce qu'il faut, sauf une
quantité suffisante d'hommes : ils se tournent
vers leurs Alliés pour l'avoir. Exposant sa
demande d'une façon tout à fait persuasive et
élégante, M. Doumer eut l'imprudence d'in-
sister trop sur les services réciproques que se
rendent les Alliés. Les Français nous donnent
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 125
des fusils (il nous en a promis encore iSo.ooo
en sus de ceux promis précédemment), nous
leur donnerons des hommes. Cette proposition
d'échanger des objets inanimés contre des
hommes vivants a humilié particulièrement le
général Alekséev, déjà peu enclin à envoyer
nos soldats en groupes séparés à des expédi-
tions lointaines et énigmatiques. Il a répondu
à Doumer que la question de cette expédition
était trop importante pour pouvoir répondre
sur-le-champ, que d'ailleurs à première vue il
trouve beaucoup d'inconvénients et de diffi-
cultés à satisfaire la demande des Français,
mais qu'il est particulièrement tourmenté de
la responsabilité morale à l'égard de ces
hommes que l'on se propose d'envoyer se battre
parmi des étrangers, sur une terre étrangère,
sous des chefs étrangers. Il fit même allusion
à la possibililé du découragement parmi eux,
ce qui ne se produirait pas s'ils combattaient
sur leur terre natale, pour un but compris
d'eux, etc. Finalement, il dit qu'il en conférera
avec le ministre de la guerre et que c'est celui-
ci qui fera connaître ce qui aura été décidé en
dernier ressort. Le seul point sur lequel il a
donné son consentement a été la formation en
Russie d'un ou de deux régiments (composés
surtout de volontaires) qui seraient envoyés en
126 DOCUMENTS SECRETS
France à titre d'expérience. De plus, il est
nécessaire que ce détachement soit complète-
ment spécialisé et que les éléments étrangers
qui y entreront ne comprennent qu'un nombre
déterminé d'officiers français, puisque nous
ne pouvons pas donner suffisamment de nos
officiers. Enlin, il est entendu que ce détache-
ment ne doit pas être pris sur le front, mais
dans les réserves ou dans les nouvelles levées.
Il est visible que les deux interlocuteurs ne
paraissent pas avoir été très satisfaits du résul-
tat de leur conversation. Le soir même, le
général Alekséev me dit qu'il n'appuiera guère
la demande française. Il ajouta qu'il faudrait
vraisemblablement tout de même faire quelque
chose pour nos Alliés et envoyer une de nos
divisions en France, mais que là se borneront
nos secours en hommes (Doumer demandait
l'envoi de 4o.ooo hommes par mois). Le géné-
ral Alekséev n'a pas fait mention à M. Doumer
de l'envoi de cette division.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 127
30 — Projet de paix séparée avec la Turquie.
(N° 5).
Le prince N. Koudachev à S. D Sazonov {du quar-
tier-général de l'Empereur, le 5/18 février 1916).
LE 5 août, quand les Turcs apprirent que l'An-
gleterre avait déclaré la guerre à l'Allemagne,
leur situation aurait dû être claire pour eux : ils ne
pouvaient plus attaquer la Russie sans tomber à la
discrétion de la Bulgarie. Si cette puissance se joi-
gnait à l'entente pour écraser la Turquie, cette
dernière, prise entre la Bulgarie, la Russie, l'An-
gleterre et la Grèce, était perdue. Les Turcs atta-
quèrent cependant et leur châtiment traîna d'abord.
C'est que la Bulgarie ne voulait marcher que si on
lui donnait Constantinople. La Russie, à qui elle
était promise, ne put se résoudre à acheter de ce
prix le concours bulgare. Le résultat en fut d'abord
la perte de Varsovie, Lemberg, Czernowitz, Vilna
et Mitau, puis celle de la Serbie et du Monténégro.
L'optimisme diminua alors, comme le prouve la
lettre suivante :
Hier, sur l'invitation du général Alekséev,
i'ai examiné avec lui comment utiliser le plus
avantageusement la prise d'Erzeroum par nous.
Il n'y a pas de doute que ce succès détermine
128 DOCUMENTS SECRETS
le moment psychologique connu et il convient
de ne pas le laisser passer. S'il est reconnu
qu'il est avantageux de conclure la paix ^vec
les Turcs, il ne faut pas perdre de vue qu'un
moment aussi favorable ne se retrouvera pas
d'aussitôt...
On pourrait aussi utiliser le brillant succès
de notre armée du Caucase exclusivement pour
son développement militaire, mais cela ne
serait pas facile, étant donné le nombre relati-
vement insignifiant de nos troupes pour de
vastes espaces comme ceux du front du Cau-
case, toujours considéré comme secondaire, et
de l'impossibilité, selon les' mots du général
Alekséev, de retirer un seul soldat du front
principal.
Sans vouloir se faire l'avocat d'une réconci-
liation à tout prix avec la Turquie, le général
Alekséev m'a prié de vous confier quelques-
unes de ses pensées à ce sujet...
Quels qu'aient été nos espoirs et nos calculs
d'utiliser l'intervention de la Turquie pour
nous dédommager à ses dépens lors de la con-
clusion de la paix, nous devons reconnaître
que nos calculs ne se sont pas trouvés justes
et n'ont plus guère de chance de le devenir.
D'autre part, si la guerre se prolonge, après sa
terminaison, toute entreprise nous deviendra
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 120
fort pénible. Ce serait en particulier le cas de
celle contre les Détroits. Sur cette question,
les généraux Danilov et Alekséev sont absolu-
ment du même avis. (Sur l'opinion de Dani-
lov, vous vous rappelez mes leltres de décembre
191/1 et de janvier igiB). Pour nous l'impor-
tant est d'atteindre notre but principal qui
doit être de vaincre notre ennemi principal.
De là dépend le rétablissement de notre fron-
tière et la reprise du territoire perdu. Notre
principal adversaire est l'Allemagne, et comme
il est certes plus important pour nous de
recouvrer la Courlande que de conquérir les
Détroits, notre premier but doit être l'écrase-
ment de l'Allemagne. C'est une tâche si diffi-
cile que son accomplissement exige toutes nos
forces... et le sacrifice de quelques-unes de nos
espérances... INous pouvons proposer la paix
à la Turquie sans rien sacrifier de nos inté-
rêts réels et en renonçant seulement pour un
certain temps à nous emparer des Détroits.
Elle aurait pour base le staia quo ante hélium
avec rétablissement des capitulations et des
autres droits acquis par traités. De plus, on
exigerait l'éloignement des Allemands et on
promettrait de protéger la Turquie contre
l'Allemagne en cas de représailles de cette
dernière. Si la paix avec la Turquie était réta-
9
130 DOCUMENTS SECRETS
blie sur cette base, l'armée du Caucase devien-
drait disponible... On pourrait la transporter
en Bessarabie et peut-être ainsi entraîner la
Roumanie, ou, si la Turquie le demandait,
l'envoyer défendre Constantinople. L'Angle-
terre respirerait plus librement quand les dan-
gers de l'expédition d'Egypte et du mouvement
musulman auraient disparu. Elle pourrait diri-
ger son armée d'Egypte (9 divisions) à Salo-
nique et à Kavalla, faire changer l'attitude de
la Bulgarie, et avec l'armée serbe reconstituée
et les troupes françaises et italiennes délivrer
la Serbie. Si la Turquie cesse d'être notre
ennemie, tout change dans les Balkans en
notre faveur... Sans doute nous devons sacri-
fier quelques beaux rêves pour y arriver, mais
rien ne nous empêche de continuer à les cares-
ser dans l'avenir. . .
Je vois que j'ai un peu emmêlé mes pensées
avec celles du général Alekséev, quoique j'aie
très nettement exprimé ces dernières. Bien que
le général Alekséev déclare avec instance qu'il
ne désire pas passer pour le champion et l'ini-
tiateur de la paix avec la Turquie, dans le fond
de mon âme je suis convaincu qu'il la consi-
dère comme la chose la plus favorable pour
nous.
Sans doute les difficultés de cette paix sépa-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 131
rée ne seront pas petites... Il faudra persuader
les Turcs. On pourra agir sur eux par la
logique et par l'argent. Je suis convaincu
qu'une fois qu'ils seront convaincus qu'on ne
leur demande plus de céder leur capitale, il ne
sera pas difficile de leur faire comprendre qu'ils
tirent les marrons du feu pour les Allemands. . .
31. — Constantin à la Reine Olga. ÇS" i8).
LE 5/i8 février 1916, Constantin, roi de Grèce,
écrivit d'Athènes à la reine Olga, sa mère, qui
§e trouvait à Saint-Pétersbourg, la lettre suivante
qui prouve que les ménagements des Alliés envers
ce traître étaient dus aux sentiments de solidarité
monarchique du Tsar :
Merci. Les actes des Alliés sont très sus-
pects. Ils occupent des îles terrorisées par la
faim sous le prétexte que la population désire
Vénizélos. Je crains des pièges et qu'on ne
nous déclare la guerre après avoir enfermé nos
armées dans le Péloponèse. Si l'Empereur
persistait dans ses demandes, les Alliés seraient
forcés de se désister. La France a pris l'initia-
tive aujourd'hui, grâce à ses sombres plans.
Elle patronne ouvertement la politique de
132 DOCUMENTS SECRETS
Vénizélos, lui fournissant des armes et exci-
tant à la révolution. L'Empereur connaît mon
honnêteté. Elle rend inutile et ridicule toute
mesure qui exclurait une indemnité pour les
dommages.
32. — L'archevêque Evdokim à Sturmer,
(N- 33-34),
1. 21 février 1916. Il le complimente de sa nomi-
nation à la présidence du Conseil des minisires.
Lui-même vit en Amérique où il a beaucoup de tra-
vail. L'église épiscopalienne désire faire cause com-
mune avec eux et il faut entretenir avec soin les
bons rapports avec elle. Les uniates russo-hongrois
s'éveillent du sommeil magyaro-latin. 11 en est de
même de ceux de la Galicie. Serbes, Arabes, Rou-
mains, Albanais, Grecs et même Bulgares de-
mandent de l'aide. Il y a des infortunes sans
nombre à secourir, mais les conversions augmentent
et de i8 paroisses il y a 20 ans nous sommes mon-
tés à 4oo. Malheureusement la Russie ne veut pas
aider la Mission qui a cependant envoyé plus de
3oo mille roubles pour les besoins de la guerre et
qui est en partie la cause de ce qu'il y a de sympa-
thie pour la Russie en Amérique.
2. New York, U mars 1916. Les révolutionnaires
de toute espèce attaquent avec acharnement la
PUBLIÉS PAR LES BOLCHETVIKS 133
nalion russe. Ils ont accaparé presque toutes les
branches d'activité sociale. Pour lutter contre eux,
Evdokim a acheté à New York une maison de six
étages qui contient 200 chambres et où il leur fera
concurrence. Il demande une subvention, car elle a
coûté 160.000 roubles.
Celui qui a organisé l'irruption dans l'apparte-
ment de Stolypin est en Amérique.
33. — Khvostov et Sturmer. (N° 19).
LA lettre suivante, interceptée par les agents du
premier ministre Sturmer, donne une idée de
ce que dans la haute société russe on pensait des
ministres qui avaient la faveur du Tsar et de l'avenir
de son gouvernement. Khvostov, ministre de l'inté-
rieur, était tombé pour avoir été pris organisant
avec les crédits budgétaires des manifestations de
paysans contre la Douma.
Le comte L. Ignatiev (Petrograd, 15/28 mars
1916) à la comtesse E. L. fgnatieva, à Bosyi
Brod {gouv. de Kiev).
ïu écris : ce malheureux Khvostov. Mais
cette révoltante histoire de Khvostov et de
Béletski (pour parler comme les anciens) est
sans exemple dans l'histoire du ministère de
134 DOCUMENTS SECRETS
l'intérieur. On dit qu'une enquête sénatoriale
aura lieu pour examiner leur gestion. Khvostov
le lendemain de sa révocation a quitté le
ministère et la maison est vacante. 11 ne sou-
riait d'ailleurs pas à Sturmer, entre nous,
d'aller dans l'immeuble gouvernemental, car
lui non plus ne pourra pas y rester long-
temps...
Je peux beaucoup pleurer et dire des choses
inutiles, mais l'événement du 17 octobre, étant
donnés les signes croissants de faiblesse du
pouvoir, prend des mesures toujours plus
grandes, et Sturmer et C'*" n'arrêteront pas,
hélas I la marche des événements.
Malgré les attaques des droitiers, mon frère
Paul a eu à la Douma le triomphe attendu. Il
était très ému, mais les octobristes et les
gauches l'ont convaincu que son budget pas
sera brillamment. Avec Sturmer, ses rapports
sont supportables et en tout cas meilleurs
qu'avec Goremykin.
34. — Compensations offertes à la Grèce. (N° 67).
I. OJfre de r Albanie méridionale. Le 22 no-
vembre 191 4, les envoyés de Russie, d'Angle-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 135
terre et de France à Athènes pioposèrent au
Gouvernement grec la partie méridionale de
l'Albanie (à l'exclusion de Vallona) si elle
aidait immédiatement la Serbie. Pour agir
immédiatement, Venizelos exigea « une ferme
garantie de la Roumanie » contre une attaque
bulgare. Cette garantie n'ayant pas été
donnée, la Grèce n'aida pas la Serbie, et la
proposition tomba.
2. Offre à la Grèce d'un territoire en Asie
Mineure. Le 12 janvier 191 5, l'envoyé anglais
à Athènes, d'ordre de son gouvernement,
déclara à Venizelos que si la Grèce, au moment
d'une nouvelle attaque de l'Allemagne contre
la Serbie, secourait cette dernière, les Gouver-
nements ;( reconnaîtraient à la Grèce d'impor-
tantes acquisitions territoriales sur la côte de
l'Asie Mineure ». Le 1 5 janvier 1916, les envoyés
grecs à Petrograd, Paris et Londres, remirent la
réponse du Gouvernement grec à la proposi
lion anglaise : elle contenait une série de condi-
tions. Le 20 janvier 1915, Venizelos, dans une
conversation avec l'envoyé anglais, indiqua
plus nettement les desiderata du Gouverne-
ment grec en Asie Mineure. Ces pourparlers
furent retardés par d'autres au sujet de l'entrée
de la Bulgarie dans l'Entente (ce qui était une
des conditions grecques) et furent intcr-
136 DOCUMENTS SECRETS
rompus par la démission de Yenizelos le
2 1 février 1910.
Le 9 mars 19 15, le ministre des affaires
étrangères grec Zographos remit aux trois
envoyés à Athènes une note dans laquelle le
Cabinet Gounaris exprimait le désir de
reprendre les pourparlers interrompus par le
départ de Venizelos. Le 3o mars, les envoyés
des puissances de l'Entente répondirent en
déclarant que les Gouvernements russe,
anglais et français étaient prêts à garantira la
Grèce des acquisitions dans le vilayet d'Aïdin,
si elle attaquait la Turquie. Ils ajoutèrent ver-
balement que la proposition deviendrait nulle
si la Grèce ne s'engageait pas à attaquer immé-
diatement. Le Cabinet Gounaris répondit le
1" avril 191 5 [qu'il était prêt à attaquer, mais
seulement après que les puissances de l'Entente
se seraient préparées à agir contre la Turquie
conjointement avec les armées grecques. De
plus, il était exigé une garantie formelle de
l'intégrité de la Grèce (y compris l'Epire sep-
tentrionale et les îles) pour la durée de la
guerre et pour une certaine période ensuite-
Les acquisitions territoriales de la Grèce en
Asie Mineure et dans d'autres lieux devaient
être l'objet de négociations postérieures. Les
pourparlers ne furent pas renouvelés pendant
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 137
un mois et le i''' mai le ministre des affaires
étrangères grec déclara que les Puissances de
l'Entente n'ayant évidemment pas l'intention
de garantir l'intégrité territoriale de la Grèce,
le Cabinet Gounaris prenait la résolution de
garder désormais la neutralité.
3. La question de la cession de Kavalla par les
Grecs. Le 20 janvier igiô, Venizelos chargea
l'envoyé anglais à Athènes d'avertir Grey que,
d'accord avec le Roi, il consentait à céder
Kavalla aux Bulgares sous condition que la
Bulgarie s'allierait à l'Entente. Après le départ
de Venizelos, les vues du Gouvernement grec
au sujet de la cession de Kavalla changèrent et
dans une note du 18 mai igiô, il protesta
contre la déclaration que firent le 16 mai les trois
envoyés de l'Entente à Sofia à Radoslavov
au sujet du consentement de leurs gouver-
nements à employer tous leurs efforts pour
assurer à la Bulgarie la cession de Kavalla. Il
ne fut pas répondu à cette protestation.
Le 21 juillet 1915, les envoyés de Russie,
d'Angleterre, de France et d'Italie communi-
quèrent au ministre grec des affaires étran-
gères la partie de la déclaration faite simulta-
nément par l'envoyé britannique à Sofia, qui
concernait la question de la remise de Kavalla
avec son hinterland aux Bulgares. Les dimen-
138 DOCUMENTS SECRETS
sions de cet hinlerland devaient dépendre de
rétendue des acquisitions grecques en Asie
Mineure. Le 3o juillet, le Gouvernement grec
présenta une nouvelle note protestant contre
la remise de Kavalla aux Bulgares.
[\. La question de la cession du cercle de
Doiran par la Serbie à la Grèce. Dans une con-
versation avec l'envoyé serbe à Athènes, le
8 septembre iQiS, Venizelos exigea que dans le
cas oii la Grèce aiderait la Serbie, cette der-
nière lui cède le cercle de Doiran-Guevgheli,
et en cas de succès contre les Bulgares n'élève
pas de prétentions sur Stroumitza. Le ii sep-
tembre 1915, le Gouvernement serbe consentit
à la cession de Doiran en cas de guerre heu-
reuse et prit aussi l'engagement demandé en
ce qui concerne Stroumitza.
Après la retraite de Venizelos, la Grèce con-
servant la neutralité en octobre 1 9 1 5. on souleva
la question de l'occupation par les Grecs du
cercle de Doiran après son évacuation par les
Serbes. Cette occupation ne fut pas réalisée par
suite de la répugnance de la Grèce à se mêler à la
guerre serbo-bulgare et le 11 octobre 191 5, le
roi de Grèce déclara que le bruit d'une inten-
tion de la Grèce d'occuper Monastir, Guevgheli
et Doiran, ou quelque portion que ce fut du
territoire serbe, était dépourvu de tout fonde-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 139
ment, et que la Grèce continuerait à se consi-
dérer comme l'alliée de la Serbie.
5. Offre de Vile de Chypre à la Grèce. Le
7 octobre igiS, l'envoyé britannique à Athènes
déclara au ministre des affaires étrangères
grec que l'Angleterre était prête à céder à la
Grèce l'île de Chypre si elle marchait immé-
diatement avec toute son armée au secours de
la Serbie. Le 12 octobre igiô, le gouvernement
anglais déclara qu'il considérait cette proposi-
tion comme devenue caduque, la Grèce n'ayant
pas le désir d'aller au secours de la Serbie.
" 6. Engagements des Puissances de r Entente au
sujet de Salonique. Le 10 novembre igiS, les
envoyés des Puissances de l'Entente firent une
démarche en raison de l'occupation de Salo-
nique et de ses environs par les armées alliées.
Dans leur note, les Puissances prenaient
l'obligation de restituer tous les territoires
occupés et d'indemniser pour toutes les pertes
causées par leur occupation. Le Gouvernement
grec prit acte de cette déclaration dans la noté
par laquelle il y répondit le 11 novembre 191 5.
7. Situation de lEpire septentrionale. L'anar-
chie augmentant en Epire, Yenizelos, au
commencement d'octobre igi/i, demanda
l'intervention du Cabinet de Londres pour
ménager entre la Grèce et Rome des pouipar-
140 DOCUMENTS SECRETS
lers pour rétablissement par les armées
grecques d'une police surveillant l'Epire sep-
tentrionale, sans qu'il fut préjugé par là du
sort de ces localités. L'Italie obtiendrait la
même surveillance dans la région de Vallona.
Le Gouvernement italien y donna son consen-
tement. Le i4 octobre, les troupes grecques
procédèrent à l'occupation de Santi-Quaranta,
Premeti et Argirokaslro.
Le i/i février 19 15, les envoyés des trois
Puissances de l'Entente firent une démarche à
Athènes pour mettre en garde contre de nou-
veaux empiétements en Albanie. Venizelos
leur assura qu'il n'avait pas l'intention de
procéder à des empiétements quels qu'ils
fussent. En mai igiS, les troupes grecques
occupèrent 18 villages au nord-ouest de Korfou.
L'apparition de bandes albanaises à Béral
en février 19 16 provoqua la présentation le
26 février 19 16 par les quatre envoyés des
Puissances de l'Entente à Athènes d'une pro-
testation contre la formation de ces bandes
dans la zone de contrôle militaire grec et
contre leur recrutement parmi les Grecs
locaux. Dans sa note en réponse, le Gouverne-
ment grec déclara que des bandes ne s'orga-
nisent pas dans le rayon d'occupation grecque,
et que dans les bandes opérant à Bérat et qui
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 141
se composent de 1.600 Mirdites, il n'y a pas
un seul Grec.
Le 7 mars 1916, le Président du Conseil des
ministres grecs Skouloudis, répondant à une
question du député Spiromilo au sujet de
l'Epire septentrionale, exprima sa conviction
que (( l'Epire septentrionale dans ses limites
actuelles constitue dès maintenant une partie
inséparable du royaume de Grèce. » Avant
cela, en février 19 16, le Gouvernement grec
avait nommé en Epire deux préfets à Argy-
rokastro et à Korfou, les substituant aux auto-
rités militaires d'occupation, et à l'ouverture
de la nouvelle Chambre grecque, le 11 jan-
vier 1916, il avait admis à siéger les députés
de l'Epire. Contre ces actes [du Gouvernement
grec ayant pour but de réunir l'Epire à la
Grèce, les envoyés des quatre Puissances de
l'Entente présentèrent le i3 mars 1916 une pro-
testation montrant l'incompatibilité de ces
mesures avec les déclarations solennelles
contenues dans la note grecque du 3o sep-
tembre/1 3 octobre 19 1 4-
Dans sa réponse du 16 mars 1916, le Gou-
vernement hellénique déclara qu'il ne perd
pas de vue ses assurances de 19 14 et qu'il a
seulement considéré comme nécessaire de
remplacer en Epire par une administration
142 DOCUMENTS SECRETS
civile conforme auv lois générales du
royaume, l'administration militaire qui ne
répond pas à l'esprit libéral des Grecs. Le
même jour, les envoyés des quatre Puissances
présentèrent au Gouvernement grec une nou-
velle note dans laquelle ils exigeaient des
explications au sujet du désaccord entre
l'admission des députés grecs de l'Epire sep-
tentrionale et les assurances qui avaient été
données à ce sujet par les Cabinets Gounaris
et Yenizelos en août igiS. Dans une note du
i8 mars 1916, le Cabinet Skouloudis répondit
que la cause de cette participation des députés
de l'Epire était la nécessité de dépenses pour
l'administration de l'Epire, couverte par des
impôts de la population locale, ce qui néces-
sitait de lui fournir un droit de contrôle à
leur sujet.
35. — Illégalité commise par le Tsar. ÇS"^ 20-21).
NICOLAS II et la famille impériale avaient de la
peine à se défaire des habitudes autocratiques.
En dehors de toute intervention ministérielle, le
prince Alexandre d'Oldenbourg, chef des services
sanitaires et d'évacuation, fit signer au Tsar l'ordre
de débourser immédiatement 5 millions de roubles
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 143
et d'effectuer des paiements semblables ensuite,
pour faire recueillir, préparer et cultiver les plantes
pharmaceutiques dans l'Empire et pour développer
la production chimico-pharmaceutique. Le prince
communiqua l'ordre au ministre le i^'juin 1916. Le
7 juin, le Conseil des ministres décida d'en sus-
pendre l'exécution parce qu'il n'avait pas été
informé au préalable. Le t2 juin, le prince fît savoir
que le 10, l'ordre avait été effectivement donné. Le
Conseil des ministres protesta alors de nouveau en
disant que « la communication faite sous cette
forme par le prince le privait de la possibilité d'exa-
miner les crédits demandés pour les besoins sani-
taires tant au point de vue de leur légitimité que de
leur montant >).
36. — La France demande Tintervention de la
Roumanie, 12 25 juin 1916. (N° i3).
IE ministre des affaires étrangères n'étant
J pas revenu de Tsarskoe Selo à cause du
dimanche, l'ambassadeur de France rendit
visite au baron Schilling et dès les premiers
înots lui déclara que le Gouvernement de la
République lui avait demandé d'insister de la
façon la plus vive auprès du Gouvernement
russe pour le transport du matériel destiné à
la Roumanie qui se trouvait à Arkhangel et à
144 DOCUMENTS SECRETS
Vladivostok. Il expliqua qu'en France on
désirait ardemment l'entrée en ligne de la
Roumanie le plus tôt possible, et que comme
Bratiano pour justifier de nouveaux retards
alléguait la non-réception du m.atériel de
guerre indispensable qui devait être transporté
à travers la Russie, M. Briand considère comme
nécessaire d'enlever au président du Conseil
des ministres roumains la possibilité d'invo-
quer ce prétexte. M. Paléologue exprima le
désir du Gouvernement français dans une
lettre privée au ministre des affaires étrangères ;
il demanda qu'elle lui lut transmise le jour
même et exprima l'espoir que le ministre,
après rapport du général Alekséev, considére-
rait comme possible de donner une réponse
entièrement favorable. Dans le cas contraire,
l'ambassadeur a l'intention de solliciter une
audience de S. M. pour lui demander d'inter-
venir personnellement dans cette affaire à
laquelle le Gouvernement français attache une
grande importance.
Le baron Schilling dit que la lettre pour le
ministre partirait le jour même et qu'il ne se
jugeait pas autorisé à rien de plus officiel-
lement sur ce sujet. Néanmoins il se déclara
prêt, sur la demande de l'ambassadeur, à
exposer d'une façon absolument privée sa pen-
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 145
sée personnelle. Sans nier que le transport du
matériel rounriain soit en partie retardé par
suite des sentiments de méfiance à l'égard de
la Roumanie, indéniables chez les autorités
militaires et civiles russes, le baron Schilling
rappela que ce retard s'expliquait aussi par les
difficultés matérielles avec lesquelles on savait
que nous avions à lutter sur nos chemins de
fer. Par suite, si le Gouvernement français
accorde une telle importance au transport du
matériel roumain, il devrait le faciliter en
donnant satisfaction à la demande que nous
lui avons faite de mille puissantes locomotives
belges et aussi décider la Roumanie à accom-s
plir nos demandes au sujet du matériel roulant
autrichien de la Bukovine. Au contraire, des
déclarations à Bucarest telles que celles qui
viennent d'être prescrites à Blondel (télé-
gramme de Paris, n° 433) peuvent plutôt avoir
des conséquences négatives, car plus les Alliés
exhorteront la Roumanie à attaquer, plus
ceux-ci penseront que nous en avons extrême-
ment besoin et que par conséquent il serait
plus avantageux pour les Roumains de traîner
en longueur, exigeant toujours un plus grand
prix pour sa coopération armée. Personne, dit
le baron Schilling, n'apprécie davantage que
nous l'importance de l'entrée en ligne de la
10
146 DOCUMENTS SECRETS
Roumanie. Son armée soutiendrait immédia-
tement notre flanc gauche et par conséquent
on peut être convaincu que la Russie est plus
disposée que personne à faire ce qui sera
nécessaire pour la décider. Mais cela suppose
une condition indispensable, à savoir que
l'attaque roumaine sera faite en temps voulu.
Si les Roumains attaquaient maintenant ou
tout au moins dans les semaines qui vont
suivre, leur coopération aurait pour nous un
grand prix. Mais si leur attaque devait avoir
lieu seulement quand l'écrasement de l'Au-
triche aura été assuré par nos victoires et nos
♦sacrifices, elle serait non seulement superflue,
mais même indésirable, car elle serait liée au
paiement d'un compte sans objet. Nous ne
voulons qu'une offensive roumaine utile pour
nous, tandis qu'en France vous êtes prêts à
favoriser toute intervention de sa part, quelles
que soient les circonstances et quelle qu'en
soit l'époque.
M. Paléologue ne nia pas qu'il y ait quelque
différence entre les points de vue russe et fran-
çais au sujet de loft'ensive roumaine, mais
justifia la nervosité manifestée sur ce sujet par
le Gouvernement français par « la fatigue iné-
vitable qui commence à se remarquer chez le
peuple français ». L'ambassadeur l'expliqua
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 147
par les énormes pertes subies dans les derniers
temps. D'après lui, la défense de Verdun aurait
coûté à la France jusqu'à présent Sio.ooo hom-
mes, et quoique l'adversaire ait perdu de
son côté sous les murs de cette forteresse
45o.ooo hommes, la perte de l'armée française
est particulièrement sensible à cause de la fai-
blesse relative de la population française.
Vers 5 heures, l'ambassadeur de France
ayant appelé le baron Schilling au téléphone,
lui dit qu'il serait très désirable de se hâter de
décerner à la ville de Verdun la croix de
Saint-George qu'on se proposait de lui accor-
der, car il avait reçu des renseignements lui
faisant considérer la chute de la forteresse
comme possible dans les circonstances actuelles.
M. Paléologue pria de transmettre cette de-
mande au ministre des affaires étrangères.
37. — Chtcherbatov à Alexis Âleksievitch. (N° 17).
LETTRE d'un membre de la légation de Bucarest à
un petit fonctionnaire du ministère des affaires
élrangères pour demander l'envoi de musique par
la valise diplomatique, car il n'a pas reçu celle qu'il
avait ordonne de lui envoyer par la poste ordinaire
(18 juin/ 1" juillet 1916). Les Bolcheviks ont pubhé
148 DOCUMENTS SECRETS
cette lettre comme montrant a les mœurs de con-
trebandiers » des fonctionnaires !
38. — La retraite de Sazonov. (N° 45).
i. Télégramme secret du maître de la Cour
Neratov \adjoint au ministre des affaires étran-
gères Sazonov] au directeur de la Chancellerie
diplomatique {7/20 juillet 1916).
JE vous prie de soumettre d'urgence à S. M.
le très obéissant rapport suivant :
« Les ambassadeurs de Grande-Bretagne et
de France m'ont rendu A'isite pour s'informer
de l'exactitude des renseignements présentant
comme imminent le congédiement du maître
de la Cour Sazonov du poste de ministre des
affaires étrangères. Les deux ambassadeurs ont
fait remarquer d'une part, l'alarme que cau-
serait en Angleterre et en France la nouvelle
du changement d'un ministre des affaires
étrangères avec lequel ils avaient déjà solu-
tionné tant de questions de première impor-
tance, d'autre part le danger que ce change-
ment soit exploité par les Gouvernements
ennemis dans le sens d'une victoire de leur
politique et d'un changement de celle de la
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 149
Russie. J'ai déclaré aux ambassadeurs que je
n'ai aucune raison de confirmer ces bruits.
2. Noie autographe da tsar Nicolas {du quar-
tier général impérial, le 8/21 juillet 1916).
Les bruits du départ de Sazonov sont exacts.
Expliquez aux ambassadeurs que, quel que soit
son successeur, la politique de la Russie ne
changera en rien.
39. — Convention militaire russo-roumaine.
(V 36).
IES soussignés : i) colonel A. Tatarinov,
À 2) A. M. F. M. Desprès, 3) S. B. Thomson et
4) colonel L. G. Ferigo, attachés militaires
accrédités particulièrement par les hauts com-
mandements de leurs armées d'une part, et
S. E. le président du Conseil des ministres
Jean J. S. Bratiano, ministre de la guerre,
d'autre paît, ont conclu ce qui suit :]
I. Pour compléter le traité d'alliance conclu
le 4/17 août 1916 entre la Russie, la France,
la Grande-Bretagne, l'Italie et la Roumanie,
la Roumanie s'oblige à mobiliser toutes ses
forces de terre et de mer et à attaquer l'iVu-
150 DOCUMENTS SECRETS
triche-Hongrie au plus tard le 16/28 août 191 6
(8 jours après l'offensive par Salonique). Les
attaques de l'armée roumaine commenceront
le jour même de la déclaration de la guerre.
2. Depuis le moment delà signature de la
présente convention et pendant la mobilisation
et la concentration de l'armée roumaine,
l'armée russe s'oblige à agir de la façon la
plus énergique sur tout le front autrichien
pour faciliter à la Roumanie ces opérations.
Ces actions seront particulièrement agressives
et fortes en Bukovine où l'armée russe devra
pour le moins maintenir ses positions et ses
efFectifs actuels. A partir du 12/25 août, la flotte
russe devra protéger le port de Constantza,
s'opposer à toute descente des troupes enne-
mies sur les côtes roumaines et à toute péné-
tration dans le Danube en amont de l'embou-
chure de ce fleuve.
De son côté la Roumanie reconnaît à la flotte
russe de la mer Noire le droit d'utiliser Cons-
tantza comme port de guerre et de prendre les^
mesures nécessaires contre les sous-marin&
ennemis. Les navires de guerre russes qui uti-
liseront le Danube tant pour défendre ses rives
que pour coopérer avec l'armée et la flotte
roumaines seront placés sous les ordres du
commandement suprême de l'armée rou-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 151
maine et opéreront sur cette rivière conjointe-
ment avec l'escadre de monitors roumains.
Les détails de cette action commune seront
déterminés en conformité avec la présente
convention.
3. La Russie s'oblige à envoyer dans la
Dobroudja au moment de la mobilisation de
l'armée roumaine deux divisions d'infanterie
et une de cavalerie pour coopérer avec l'armée
îoumaine contre l'armée bulgare.
Les Alliés s'obligent à faire exécuter une
offensive résolue par leur armée de Salonique
au plus tard 8 jours avant le commencement
de l'attaque de la Roumanie afin de faciliter la
mobilisation et la concentration de son armée.
Cette offensive commencera le 7/20 août 1916.
Si au cours des opérations militaires, les
Puissances alliées, d'accord avec leurs états-ma-
jors, reconnaissaient la nécessité d'augmenter
les contingents de leurs armées coopérant avec
Tarmée roumaine, cette augmentation ne
modifierait en rien les dispositions des conven-
tions conclues.
4. La Russie, la France, la Grande-Bretagne
et l'Italie s'obligent à fournir à la Roumanie
des munitions et du matériel. Le transport
en sera effectué par des vaisseaux roumains et
alliés et passera en transit à travers la Russie.
152 DOCUMENTS SECRETS
[Ces fournitures et transport devront compor-
ter au minimum en moyenne 3oo tonnes par
jour].
5. Les Alliés s'obligent également à fournir
à la Roumanie dans les limites du possible
des chevaux, des médicaments, des vivres et
des équipements...
6. Ils mettront à sa disposition le personnel
technique indispensable pour la préparation
chez elle des munitions et du matériel.
7. Dès la conclusion du présent accord, les
états-majors des armées russo-roumaines et
ceux des armées de Salonique s'entendront au
sujet de leur coopération. L'accord au sujet des
opérations militaires russo-roumaines ou tout
changement, explication et complément pour
le maintien d'un lien constant s'organisera au
quartier général compétent comme il sera dit
ci-dessous.
8. La coopération des armées alliées ne sup-
pose aucune subordination de l'une des armées
contractantes à l'autre ; elles se proposent
seulement de prendre librement les disposi-
tions découlant de la situation générale, des
besoins créés par le but poursuivi et de la fra-
ternité d'armes.
9. Les armées roumaine et russe conserve-
ront en principe leur commandement propre,
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 153
leur zone d'opération et leur complète indé-
pendance dans la conduite des opérations. La
liofne de démarcation entre les deux armées
partira de Dorna Vatra, suivra la Bistritz et les
vallées des rivières Sajo et Szamos jusqu'à
Debreczin. L'objectif principal de l'action rou-
maine sera, dans la mesure où la situation
militaire au sud du Danube le permettra, une
avance à travers la Transylvanie sur Budapest.
L'armée russe prévue par l'article 3 et desti-
née à coopérer avec l'armée roumaine, sera
placée sous la direction du commendement
suprême de l'armée roumaine. Dans le cas où
ie contingent des troupes russes opérant au sud
du Danube serait considérablement augmenté
au point d'égaler en nombre ou de dépasser
celui des troupes roumaines avec lesquelles il
coopérera, ce contingent pourra former à la
sortie du territoire roumain une armée indé-
pendante subordonnée au commandement
général russe. Dans ce cas, cette armée, agis-
sant hors du territoire roumain, aura une zone
d'opérations particulière et se dirigera confor-
mément aux dispositions du Haut Commande-
ment russe, complètement en harmonie avec
les plans des deux quartiers généraux, d'après
les principes établis ci-dessus.
10. En principe, les armées de l'une des
154 DOCUMENTS SECRETS
parties contractantes ne peuvent s'avancer sur
le territoire de l'autre ou sur le territoire con-
quis par celle-ci que quand l'intérêt et le but
général l'exigent et après entente préalable et
par écrit dans chaque cas.
11. [L'utilisation des chemins de fer sur le
territoire de l'une par des troupes de l'autre
sera réglée par des délégués des quartiers
généraux.]
12. [Partage égal des prisonniers et du
butin, sauf privilège à l'armée roumaine pour
ce dont elle manquera.]
i3. [Des représentants de l'armée roumaine
seront attachés aux quartiers généraux alliés
et réciproquement.]
i4. [Les questions imprévues seront résolues
dans chaque quartier général de concert avec
le délégué de l'armée alliée.]
i5. Afin d'avoir la possibilité de prendre les
mesures préparatoires à l'ouverture des opéra-
tions, les parties contractantes s'entendront
relativement au plan d'opérations jusqu'à ce
que l'armée roumaine attaque.
i6. [Les armistices seront décidés d'un com-
mun accord.]
17. [La présente convention restera en force
jusqu'à la paix générale.]
Bucarest, 4/^7 ^oût 1916.
PUBLIÉS PAR LES B 0 L C H E V I K S 155
40. — Bakhmetev à Sturmer. (N°' li'-ô-j).
RAPPORT de cet ambassadeur de Russie aux
États-Unis en date du 12/25 octobre 191 G
pour dénoncer deux ecclésiastiques russes :
1° L'évêque aléoutien Alexandre, actuellement au
Canada. En 1906, il avait non seulement parlé pour
r «indépendance » de l'Ukraine, sa patrie, et pour
son affranchissement du joug moscovite, mais il
avait de plus exprimé les idées anti-dynastiques les
plus extrêmes. En septembre 1915, il a diffamé
l'ordre établi, insulté séditieusement notre empe-
reur et souhaité son renversement. Récemment il a
écrit un article où il traite les Anglais de « crimi-
nels » pour avoir fait exécuter Casement. Il est au
Canada actuellement.
2° Le prêtre galicien Fedorenko incite à la révo-
lution.
L'archevêque Evdokim n'ose sévir contre
Alexandre et n'en a pas les moyens contre Fedo-
renko. Bakhmetev demande contre eux une puni-
tion sévère.
156 DOCUMENTS SECRETS
41. — Traité entre la France et la Russie.
(N° 42).
PENDANT son séjour à Pétrograd en janvier
191 7, M. Doumergue, premier plénipoten-
tiaire français à la Conférence des Alliés, fit con-
naître le désir de la France de se procurer des
garanties à la fin de la guerre actuelle, non
seulement par la reprise de l'Alsace-Lorraine et
par une position particulière dans la vallée de
la Sarre, mais aussi par l'établissement d'une
séparation politique entre l'Allemagne et ses
provinces trans-rhénanes par l'organisation de
ces dernières sur des bases particulières, de
façon que le Rhin soit à l'avenir une frontière
stratégique solide contre une invasion alle-
mande. M. Doumergue exprima le désir que le
Gouvernement russe ne se refuse pas à donner
son agrément à ces projets.
Le ministre des affaires étrangères N. N. Po-
krovski télégraphia à ce sujet à l'ambassadeur à
Paris (^) qu'il consentait à satisfaire le désir de
notre alliée, mais qu'il considérait comme son
(1) Le 20 (?) janvier [2 (?) février] 1917. Il réclamait en oulre
notre consentement à la suppression de la servitude pesant
sur les îles d'Aland. (Pravda, 10/28 nov. 1917).
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 157
devoir de rappeler le point de vue exprimé
encore en février igi6 par S. D. Sazonov :
(( donnant à l'Angleterre et à la France pleine
liberté de fixer les frontières occidentales de
l'Allemagne, la Russie demande qu'à son tour
ses Alliés lui laissent une égale liberté au sujet
de ses frontières avec l'Allemagne et l'Au-
triche-Hongrie » (^).
Le Cabinet de Paris accepta ce point de vue ;
après quoi il fut procédé à l'échange des deux
documents diplomatiques suivants :
1° Par une note du i/i4 février 19 17,
N. ]N. Pokrovski informa AI. Paléologue du
consentement de la Russie au sujet des projets
français relatifs à la détermination des fron-
tières occidentales de FAllemagne.
2"" Le 26 tévrier/ii mars 1917, M. Izvolski,
ambassadeur à Paris, communiqua le texte
d'une note du ministre des affaires étrangères
(1) 2/j février/8 mars 1916. Dans ce télégramme, envoyé en
vue de la Conférence des Alliés, Sazonov, après avoir protesté
contre tout changement dans les conventions conclues au sujet
des buts de guerre, réclamait en outre : 1° que la question
polonaise soit exclue des règlements internationaux ; 2° que
l'on s'efforce de détourner la Suède de faire la guerre à la
Russie et que l'on attire la Norvège du côté des Alliés pour le
cas 011 l'on ne réussirait pas à éviter la guerre avec la Suède;
3° que l'on cesse de solliciter inutilement la Roumanie ; 4° que
la question de l'exclusion des Allemands du marché chinois
soit réservée à une conférence à laquelle le Japon prendrait
part. (Pravda, 10/23 nov. 1917.)
158 DOCUMENTS SECRETS
français reconnaissant à la Russie la pleine
liberté de fixer ses frontières occidentales.
42. — Résumé sur la question de l'Asie Mineure.
(>■' 29;.
COMME résultat des négociations qui ont eu
lieu en 1916 à Londres et à Pétrograd, les
Gouvernements alliés de Grande-Bretagne, de
France et de Russie se sont mis d'accord au
sujet de la délimitation future de leurs zones
d'influence et d'acquisitions territoriales dans
l'Asie turque, et aussi au sujet de la formation
dans les limites de l'Arabie d'un État arabe
indépendant ou d'une Confédération d'États
arabes.
Cet accord dans ses lignes générales revient
à ce qui suit :
La Russie acquiert les vilayets d'Erzeroum,
Trébizonde, Van et Bitlis, et un territoire dans
le Kurdistan méridional jusqu'à la ligne Mouch-
Ser-Ibn Omar-Amalia frontière persane. Le
point final des acquisitions russes sur le rivage
de la mer Noire sera à fixer ultérieurement à
l'ouest de Trébizonde.
La France obtient en Syrie une bande le
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 159
long de la côte, le vilayet d'Adana et son terri-
toire borné au sud par la ligne Aintab-Mardin
jusqu'à la future frontière russe et au nord par
la ligne Ala- dagh-Kaisarie-Ak-dagh-Yildiz-
dagh-Zarra-Egin-Charput.
La Grande-Bretagne acquiert la portion méri-
dionale de la Mésopotamie avec Bagdad et se
réserve en Syrie les ports de Caifa et d'Akka.
Par accord entre la France et l'Angleterre,
la zone entre les provinces françaises et
anglaises est formée par la Confédération des
États arabes ou par un Etat arabe indépen-
dant; les zones d'influence sur celui-ci ont été
déterminées simultanément.
Alexandrette est déclarée port libre.
Comme garantie des intérêts religieux des
puissances alliées, la Palestine et les Lieux
Saints sont détachés du reste de l'Empire turc
et seront soumis à un régime spécial confor-
mément déterminé par la Russie, la France et
l'Aiigleterre.
Comme règle générale, les Puissances con-
tractantes s'obligent à maintenir les conces-
sions et privilèges ayant existé jusqu'au moment
de la guerre dans les territoires acquis par elles.
Elles conviennent de prendre une part de la
dette ottomane proportionnelle aux acquisi-
tions faites par elles.
160 DOCUMENTS SECRETS
43. — Télégrammes d'Espagne. (N° 53).
1. — 7 jW mars 1917. Comme conséquence
d'une question du Gouvernement espagnol, je
vous prie de me faire connaître qui représente
le pouvoir suprême, car ni votre communica-
tion n" 665, ni les télégrammes des agences ne
précisent ce point. (Signé :) Koudachev, ambas-
sadeur.
2. _ 10/23 mars 1917, Le Roi, revenu
aujourd'hui d'Andalousie m'a fait venir. S. M.
est très inquiète au sujet du sort de la famille
impériale et craint d'autre part que le séjour
en Russie de l'Empereur qui a abdiqué puisse
provoquer une révolution et une forte effusion
de sang. Quoique la conversation ait eu un
caractère privé et quoique le Roi m'ait prié de
ne pas vous en faire part, je considère comme
mon devoir de vous avertir que l'ambassadeur
d'Espagne recevra l'ordre de s'adresser au
Gouvernement provisoire au sujet du sort ulté-
rieur de la famille impériale. Le détail ne
m'est pas connu. Le Roi craint que les événe-
ments en Russie n'aient leur répercussion en
Espagne. On remarque déjà une fermentation
dans les sphères ouvrières. A Barcelone, il y
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 161
a eu des désordres avec morts d'hommes que
l'on s'efforce de cacher. (Signé :) Koudachev.
3. _ 17/30 avril i9l7. [Meeting des con-
servateurs extrêmes.]
[^ — 18 avril/ V' mai 1917. [Fête du i*"^ mai.]
5. — 21 avril/â mai 1917. La situation ici
est inquiétante. D'une façon inattendue pour
l'Espagne, vivant isolément jusqu'à présent, la
politique extérieure est venue faire une irrup-
tion violente dans sa vie intérieure pendant
cette phase nouvelle de la guerre, et d'elle
dépend le sort même de la dynastie. L'initia-
tive des républiques américaines, dont on
apprécie fort ici les liens d'origine, souligne
encore la pusillanimité de ce Gouvernement-ci.
Le désir obstiné du Roi de garder coûte que
coûte la neutralité s'expliquait précédemment
par son désir de jouer le rôle de principal
médiateur à la fin de la guerre ; on l'interprète
maintenant en Espagne dans les cercles libé-
raux comme de la germanophilie et on l'ex-
])lique par l'influence de sa mère et de courti-
sans partisans de l'Allemagne. Le Roi devra
se décider promptement à céder au puissant
désir de son peuple et à lier son sort à celui
des Alliés, ou il risquera son trône par sympa-
thie pour l'Allemagne... {Signé:) Soloviev,
chargé d'affaires.
11
162 DOCUMENTS SECRETS
6. — 15/28 mal 1917. [Meeting anti-alle-
mand des progressistes espagnols.]
7. — 17/30 mai 1917. [Nombreuses arres-
tations d'officiers de la garnison de Barcelone.
On a évidemment découvert une conspiration
militaire. (Signé:) Soloviev.J
8. — 20 mai/ 2 juin 1917. Hier, j'ai eu à
rimproviste chez moi une longue conversation
avec le Roi sur la situation actuelle en Russie.
J'ai eu l'impression que le Roi commençait à
se réconcilier avec le nouvel ordre des choses
qui s'établit chez nous. Une grande facilité
d'adaptation est une particularité de son carac-
tère très vif et de son naturel très allant.
Cependant, pour agir contre les informations
hostiles venues de Berlin au sujet de la situa-
tion sur notre front, il serait très désirable
d'activer l'arrivée de l'attaché militaire nommé
récemment pour ici. J'ai aussi des raisons de
croire que l'ambassadeur d'Espagne à Pétro-
grad dans ses rapports donne une appréciation
quelque peu tendancieuse de notre situation
politique intérieure. [Signé :) Soloviev.
9. — 28 mai/ 10 Juin 1917. [Le Comité de
défense des olficiers de Barcelone impose la
libération de ceux de ses membres qui ont été
arrêtés.]
10. — 28 mai/ 10 juin 1917. Le ministère
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 163
Garcia Prieto a démissionné cette nuit. Un
nouveau ministère n'est pas encore formé. La
situation est extrêmement sérieuse. Dirigé
contre le favoritisme de la Cour, le mouve-
ment des officiers prend un caractère nette-
ment anti-dynastique. Au nombre des exi-
gences des ofRciers est compris l'éloignement
<\e quelques-uns des personnages les plus in-
lluents de l'entourage du Roi. {Signé:) Soloviev.
II. — 29 mai/11 juin 1917. [Cabinet con-
servateur Dato.]
12 — 6/19 juin 1917. Dans les derniers
temps, les cas de désobéissance se sont multi-
pliés parmi les soldats de la garnison de
Madrid. Un régiment désigné pour aller dans
une autre garnison n'a pas voulu quitter la
capitale. En même temps, la fermentation croît
parmi la population. — Ces jours-ci, au Club
des Mauristes, on a déchiré le portrait du Roi,
et au moment des ovations qui lui ont été faites
au Théâtre royal après la représentation de
notre ballet, on a entendu des sifflets. {Signé :)
Soloviev.
i3. — 6/19 juin 1917. [Le ministère Dato a
accepté tous les articles du statut présenté par
les officiers. Pas un officier ne pourra être ni
promu ni muté sans le consentement de la
Junte. Le Roi a évidemment résolu de s'ap-
164 DOCUMENTS SECRETS
puyer jusqu'au bout sur l'armée ; il espère en
cédant aux officiers conserver leur dévoue-
ment.] {Signé :)SoLO\iE\.
i/j. _ i2/25 juin 1917, [Grèves. Juntes de
sous-offîciers et de soldats]. D'après tous les
signes, une crise révolutionnaire approche.
(Signé :) Solo vie v.
i5. — 13/26 juin 1917. [Etat de siège. Cen-
sure.]
i6. — 19 juin /2 Juillet 1917. [... L'opinion
des gens expérimentés est que si la crise mili-
taire se résout heureusement, il n'y aura pas
de crise politique... La situation se com-
plique de ce que le parti libéral, qui soutient
le Roi et est soutenu par lui, est maintenant
troublé par la situation et reste inaclif. La
cause en est qu'en Espagne, comme partout
d'ailleurs, une grande quantité de peuple ne
comprend la vraie démocratie que comme un
travail sérieux pour la solution des problèmes
sociaux. Les libéraux espagnols (y compris
même les républicains) considèrent toujours
comme la seule base de leur activité la lutte
avec le cléricalisme et la réaction. Or, la réac-
tion est tout à fait calmée, et le cléricalisme
peut tous les jours prendre de nouvelles
formes tout à fait inattendues. On ne voit pas
de main étrangère dans les événements, sauf à
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 165
Barcelone où /[o.ooo anarchistes, déserteurs
français et canailles de tout genre, vivent en
cjuelque sorte de l'argent distribué par les
agents allemands. C'est de Barcelone que me-
nace le plus grand danger pour le cas où les
agents allemands désireraient, par des attentats
anarchistes et par la terreur, procurer une vic-
toire, même momentanée, à la réaction aristo-
cratique qui en tout temps a les yeux tournés
vers Berlin. {Signé :) Neklioudov [ambassa-
deur.]
17. — 23 juin/ 6 juillet 1917. On ne donne
pas ici une importance particulière au mouve-
ment parmi les soldats. Jusqu'à présent il ne
-s'est formé que des <( juntes de sergents »...
Le gouvernement ces jours ci est allé au-devant
des désirs des soldats en augmentant leur paye
et en améliorant leur situation. Pour apaiser
le mécontentement parmi les généraux et les
officiers, le Roi a signé un décret disant que les
officiers de sa suite ne peuvent pas rester à la
Cour plus de 4 ans... Cette mesure a été avant
tout appliquée aux chefs du quartier militaire
et de la chancellerie du Roi. les comtes de
Grove et Aibar, contre lesquels était parti-
culièrement montée l'opinion des généraux et
■des officiers. D'une façon générale d'ailleurs,
le Pioi de lui-même et sur le conseil du prési-
166 DOCUMENTS SECRETS
dent du Conseil se montre très accessible et
plein de prévenance envers les militaires, mais
son prestige parmi eux qui avait semblé jus-
qu'à présent aux connaisseurs des choses espa-
gnoles très considérable, ne paraît plus aussi
fort et en tout cas est chancelant. Néanmoins,
on considère ici les difficultés militaires
comme presque arrangées. On ne voit plus de
danger que dans la garnison de Barcelone où
Ton dit que parmi les sergents et les soldats
existent des courants séparatistes catalans»
{Signé :) Neklioudov.
i8. — '23 juin/ 6 juillet 19 17. [Les Alliés ont
confiance dans le cabinet Dato.]
19. — 26 juin/8 juillet 1917 (sic). [Le Por-
tugal rêve presqu'ouvertement de convertir
l'Espagne à l'aide de l'Angleterre en une série
de républiques à capitales dans des ports. Elles
constitueraient une fédération ibérique avec le
Portugal en tête. La France, qui joue ici natu
Tellement le premier rôle, y poursuit de petits
buts et pratique sans interruption à Madrid une
politique réactionnaire. {Signé :) Soloviev,
conseiller d'ambassade.]
20. — 28 juin/11 juillet 1917. [Dépêche de
(iouLKEviTCH, minlstrc russe à Stockholm. Un
Suédois a dit que la révolution éclaterait en
Espagne dans une semaine ou deux.]
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 1G7
21. — 2/ 15 jaillet 1917. [Les ambassadeurs
de l'Entente sont très contents du Cabinet
Dato et le soutiennent. Signé : Neklioudov.]
22. — 7/20 juillet 1917. [L'Assemblée cata-
lane a été dispersée.]
23. — 28 juillet/ 10 août 1917. [Agitation des
cheminots.]
2^. — 31 juillet/ 12 août 1917 (sic). Grève de
Bilbao. Les grévistes ont de l'argent. « Mal-
heureusement, on suppose qu'une partie en a
été fournie par des agents allemands. Leur but
est d'efîrayer la Cour et de ramener un Cabinet
Garcia-Prieto, pseudo libéral, en réalité par-
tisan de la paix allemande. » Signé : Nek-
lioudov.
20. — 1/15 (sic) août 19 17 . [Etat de siège.
Insurrections à Madrid, Barcelone, Bilbao,
Burgos et Saragosse.]
26. — 3/16 août 1917. [Le mouvement est
étouffé, sauf à Barcelone.]
27. — ^/17 août 1917. [Nombreuses arres-
tations.]
28. — 6/19 août 1917 . [Le mouvement avait
partout un caractère révolutionnaire.]
29. — 9/22 août 1917 . [Grande effusion de
sang lors de la répression, u Les membres du
gouvernementprovisoire.pourle cas où le mou-
vement réussirait, étaient déjà nommés. Mais
168 DOCUMENTS SECRETS
l'armée est restée fidèle au pouvoir royal. Le Roi
ne revint pas à Madrid, ce qui dans les cercles
sociaux en vue est très critiqué. J'ai des
raisons sérieuses de croire qu'il est resté à
Santander, non par pusillanimité, mais par
désir intelligent de ne pas prendre part person-
nellement à l'écrasement sanglant du soulève-
ment populaire. » L'organisation socialiste s'y
est montrée peu développée, u Les monar-
chistes d'ici croient fermement aux bruits
ineptes que ce mouvement révolutionnaire a
été provoqué et soutenu par de l'argent envoyé
d'Angleterre et d'Amérique. De l'argent a été
effectivement distribué, mais il venait d'Alle-
magne. Il est très vraisemblable que ce mou-
vement était soutenu du Portugal, mais cet
appui a dû consister plutôt dans la coopéra-
lion personnelle d'agents portugais et dans la
fourniture d'armes à travers la frontière. »
Signé : Xeklioldov.]
3o. — 23 août/ 5 septembre 1917. [Quoi que
disent les ambassadeurs alliés, je crois à l'exac-
titude de ce que rapporte des événements de
Barcelone le prince Gagarine et je crois que des
événements nouveaux et plus sérieux auront
lieu dans 2 ou 3 mois. Signé : ^'EkLlouDov.]
01. — 12/15 sept. 1917. [Dato appelé à S*-
Sébastien.]
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 169
32. — 19 sepL/2 oct. 1917 . [Jugement des
insurgés.]
ZZ. — 23 sept. 16 oct. 1917. [Mauvaise situa-
tion économique. La popularité du Roi parmi
le peuple a décru remarquablement pendant
les derniers temps. Signé : Solo vie v.]
35. _ 10 123 oct. 1917. [Grâce à ses conces-
sions aux juntes d'officiers, le gouvernement a
pu écraser les insurrections. Mais les juntes
sont les maîtresses. Elles prononcent l'ostra-
cisme tantôt contre un général, tantôt contre
un autre. Elles ont fait remplacer le ministre
de la guerre par le général Marino qui leur
était agréable. Dans leurs réunions secrètes,
elles mettent aux voix même la personne du
monarque ou la forme du gouvernement.
Beaucoup d'officiers sont républicains et
Alphonse n'a été conservé que grâce à une
faible majorité. Le Roi ne se maintient d'accord
avec les juntes que par des concessions conti-
nuelles. Signé : Solo vie v.]
34. (.sie.) _ i^t/'27 octobre 1917. [Chute de
Dato.]
170 DOCUMENTS SECRETS
44. — Renne à Antonomov. (N° 35).
De Toklo, le 19 jiiin/2 juillet 1917. — Le baron
Renne, attaché à la légation de Tokio, prie AK
Al. Antonomov, secrétaire de la section d'Ex-
trême-Orient au ministère des affaires étrangères^
de lui faciliter le change de ses roubles. Suivent
quelques détails sur le personnel actuel de la léga-
tion et sur son genre de vie. L'alTluence des « bour-
geois » quittant la Russie a diminué.
45. — Mauvais canons fournis par les Alliés»
Télégramme envoyé de l'armée d'opération par le
ministre de la guerre Kerenski, le 20 juin/
3 juillet 1917.
DITES aux ambassadeurs que l'artillerie
lourde envoyée par leurs Gouvernements
est visiblement composée en partie de rebuts.
35 "/„ de ces pièces n'ont pas supporté deux
jours d'une canonnade mesurée. Insistez sur la
fourniture hors série d'appareils d'aviation
dont des portions avaient dû être chan-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 171
gées. Obtenez le rappel du front du colonel
Nox : il ne cesse de fronder. Activez la convo-
cation de la Conférence des Alliés. Il est abso-
lument indispensable que la diplomatie alliée
agisse plus vite et travaille plus clairement.
11 est nécessaire d'utiliser l'effort du front
de toute manière à raison de ce que vous
savez de la situation du pays et de l'armée.
Souvenez -vous que chaque pas du front nous
cause un travail immense. Ce n'est que par
des actions combinées et opportunes de la
diplomatie et de l'armée que nous raffer-
mirons la situation et que nous éviterons un
fiasco. — Télégraphiez la situation. Salut.
46. — L'état de choses en Russie. (^° i5).
Télégramme da ministre des ajffaires étrangères
Terechtchenko du 13/26 juillet 1917 aux
ambassadeurs à Londres, etc.
LA situation militaire, nos troupes ne tenant
pas et retraitant, est toujours pénible. Les
événements du front et les émeutes de Pétro-
grad ont créé une scission sociale. Les troubles
causés parles bolcheviks et l'espionnage alle-
mand, croissent. Un revirement se remarque
472 DOCUMENTS SECRETS
à un haut degré dans la garnison de Petrograd
et aussi parmi les ouvriers où la désillusion est
grande. Le Conseil des députés ouvriers songe
à exclure les bolcheviks et a dispensé les mi-
nistres socialistes de lui demander son avis.
Hier, la peine de mort a été rétablie pour la
trahison et les délits militaires du front. On
supprimera les journaux excitant à l'indisci-
pline et on va rétablir l'ordre à Pétrograd.]
47. — Les troupes russes en France. (N"» 6-11;.
7/20 août 1917. Télégramme de Sévastopoulo,
chargé dajjalres russes à Paris. [Le général
Zankevitch avait agi jusqu'à présent confoi-
mément aux ordres excluant le retour de sa
brigade en Russie. La situation semblait par
suite sans issue, étant impossible d'agir par
force contre cette i'^'" brigade, la 2% d'abord très
loyale, étant devenue mauvaise par suite de
son désir de ne pas aller à Salonique, et de
plus à cause des conséquences regrettables
qu'aurait un choc des forces françaises avec les
nôtres. Le général est entré en rapports avec
les autorités militaires françaises pour entou-
rer la i'" brigade, la réduire par la faim et la
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 173
forcer à rendre ses armes. Mais ce projet, s'il
pouvait réussir, pouvait aussi amener une
collision ou le pillage des villages voisins.
Le gouvernement français ne s'y est pas
décidé.]
7 jW août. Télégramme de Sévasiopoulo,
[Zankevitch télégraphie que les soldats du
camp de la Courtine, appartenante la i'® bri-
gade, n'ont pas encore été réduits à l'obéis-
sance. Fermentation dans la 2^ brigade. Une
des causes est dans les officiers, partie insuffi-
sants, partie démoralisés. On a renvoyé les plus
mauvais et on les a remplacés par les meilleurs
sous-officiers.]
7/20 août 1917. Télégramme de Sévastopoulo,
[Zankevitch télégraphie que la 2^ brigade n'a
pas refusé nettement d'agir contre les déso-
béissants, mais que son état est tel qu'on ne
peut l'y employer. Il va à la Courtine.]
7/20 août 1917 . Télégramme de Sévastopoulo.
[La seule issue serait le retour de la brigade en
Russie. Le gouvernement français avait tout
préparé pour le renvoi de ces troupes à Arkhan-
gel il y a un mois. Maintenant se poserait la
question du tonnage (car il ne faut pas dimi-
nuer l'envoi de notre matériel de guerre). Il
est aussi possible que les soldats exigent une
amnistie pour déposer les armes.]
174 DOCUMENTS SECRETS
7 1^0 août 1917. Télégramme de Sévastopoulo.
[On a déjà télégraphié il y a un mois à Bara-
novski, chef du cahinet du ministre de la
guerre, que la seule issue était le retour des
troupes.]
9/22 août 1917. Télégramme de Sévastopoulo.
[Impossible d'apprécier si Zankevitch aurait
pu faire mieux. Je puis seulement dire que
Rappe, le commissaire du gouvernement pro-
visoire, agit d'accord avec lui. Zankevitch a
évité d'avoir recours aux Français pour faire
obéir les troupes. Quand il vit que la 2^ bri-
gade ne pouvait être employée à agir contre la
i'% il demanda le retour de nos troupes pour
liquider celte triste affaire sur notre territoire.
]Ne l'ayant pas obtenu, il fut contraint de
s'adresser aux Français, espérant qu'il suffirait
de mesures passives. Je puis rendre témoi-
gnage à ses hautes qualités, à son tact et à son
jugement. Rappe jouit aussi ici de la considé-
ration de tous, et il n'y a pas lieu de croire
que si un autre avait été à sa place, l'affaire
aurait pris une autre tournure.]
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 175
48. — Pas de négociations avec PAllemagne.
(N° 46).
Terechtchenko à l amhassadear à Madrid
{21 août/ 3 sept. 1917). Si les Austro-Allemands
essayaient d'avoir recours à l'intervention
pacifique de l'Espagne et si le Roi ou le Gou-
vernement touchaient ce sujet avec vous,
dites que la résolution de la Russie de continuer
la guerre demeure inflexible...
49. — Affaire Kornilov. TX"^ i^i et 40).
/ . Télégramme envoyé au ministre des affaires
étrangères par le prince Troabetzkoï, directeur
de la Chancellerie diplomatique du généralissime
{28 août/10 sept. 1917). [La majorité des
officiers et les meilleurs éléments soutiennent
Kornilov. Il a pour lui les Cosaques et les écoles
militaires. A la force physique il faut unir
une bonne organisation militaire et l'assenti-
ment moral des parties non socialistes de la
nation. ?sul doute qu'une grande partie des
socialistes martovistes ne tarderait pas à s'y
joindre. D'autre part, les derniers événements
176 DOCUMENTS SECRETS
du front et de l'arrière ont prouvé qu'une ca-
tastrophe est inévitable si un revirement ne se
produit pas immédiatement. C'est sans doule
ce qui a décidé Kornilov. Si les hommes au
pouvoir s'opposent à ce revirement, ils pren-
dront la responsabilité de nouveaux malheurs.
Seule l'arrivée immédiate du ministre-président
et de vous pour coopérer avec le généralissime
peut conjurer la discorde.]
2. Le ministre des ajjaires étrangères Terecht-
chenko aux ambassadeurs à Paris, etc. {31 août/
13 sept. 1917). [Annonce la liquidation de
laffaire Kornilov sans effusion de sang et le
nouveau programme du gouvernement. On va
introduire l'état de siège à Pétrograd et Mos-
cou.]
50. — Les Anglais au Siam. (N° 3o).
/. Loris-Metikov, ministre de Russie au Siam, à
Kazakov, chef de la section d^ Extrême-Orient
{11 /2ù septembre 1917).
I. — [Ne peut comprendre pourquoi on lui
a télégraphié de se tenir à l'écart des compéti-
tions entre Anglais et Français au Siam, en
particulier dans la question de la réquisition
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 177
des navires allemands. Il l'a toujours fait. Des
complications anglo-françaises au Siam sont
toujours possibles. La politique très asiatique
des Siamois y contribue. Le ministre français,
M. Lefèvre-Pontalis, qui s'occupe de politique
siamoise depuis environ 27 ans, m'a assuré
plus d'une fois que le ministre des affaires
étrangères reçoit une pension du gouverne-
ment anglais.]
[Quoiqu'en 1894, l'Angleterre ait refusé de
devenir suzeraine du Siam, elle s'est ravisée,
et grâce à son énergie, ce pays est dans ses
mains. Jusqu'à l'entrée du Siam dans la
guerre, on disait ouvertement que son sort
est fixé, qu'il deviendra en entier une
colonie anglaise ou sera partagé entre TAngle-
terre et la France. On comprend par suite la
con-trariélé causée aux Anglais par la résolution
du roi de Siam, sur mon conseil, d'entrer
dans la ligue des Puissances défendant la
liberté et l'indépendance des petits Etats. Ils
y virent avec raison Tintention du Siam
d'échapper à leur trop puissante tutelle. Ils
sefTorcèrent de l'empêcher par tous les
moyens, en particulier en représentant aux
Siamois que leurs soldats ne supporteraient
pas les climats froids. Mais les Siamois, se
sentant sur le terrain de l'indépendance,
12
178 DOCUMENTS SECRETS
répondirent avec ardeur à l'appel de leur roi
d'aller sur le théâtre de la guerre. Les Anglais
en furent fort étonnés et on leur entendit sou-
vent dire que les Siamois s'enorgueillissaient.
Les Anglais profitèrent de la déclaration de
guerre à l'Allemagne pour accaparer toutes
les places tenues par des Allemands. Ils vou-
lurent aussi accaparer tous leurs navires, mais
la France et le Japon s'y opposèrent.]
2. — [A reçu la liste des étrangers employés
par le gouvernement siamois. 11 y a ii3 An-
glais (occupant tous les postes ayant do
l'importance économique); 27 Danois (dans la
marine et la police) ; 20 Italiens (dans les
services artistiques de la Cour) ; 20 Français
(dans l'administration de la justice et dans les
services de Bankok), etc. Il n'y a pas un
Japonais : ils avaient été appelés avec enthou-
siasme après la guerre russo-japonaise, mais
leur caractère envahissant a fait que leurs
contrats n'ont pas été renouvelés.]
51. — Démarche des trois ambassadeurs. (N° 43).
Le ministre des affaires étrangères Terecht-
chenko à l'ambassadeur à Washington {26 sept./
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 170
9 oct. 1917). Les ambassadeurs d'Angleterre,
de France et d'Italie ont été reçus aujourd'hui
par le ministre-président et lui firent une
communication au nom de leurs gouverne-
ments au sujet de la nécessité de rétablir la
capacité de combattre de notre armée. Cette
démarche ne pouvait produire sur le Gouver-
nement provisoire qu'une impression pénible,
d'autant plus que nos Alliés connaissent ses
efforts pour poursuivre sans en dévier la lutte
contre l'ennemi commun. Je vous prie dédire
à Lansing combien nous avons apprécié la
réserve de l'ambassadeur américain qui n'a
pas pris part à cette démarche collective.
1-2. Terechtchenko à l'ambassadeur à Rome
et aux chargés cV affaires à Paris et à Londres
{26 sept./9 oct. 1917). [Récit de la démarche.
Les ambassadeurs demandèrent à être reçus
ensemble et dirent que l'opinion publique
allait demander des comptes à leurs gouverne-
ments au sujet de l'aide matérielle donnée à la
liussie. Le Gouvernement russe doit montrer
par des actes sa volonté d'employer tous les
moyens de rétablir la discipline et le véritable
esprit militaire dans l'armée. Iverenski leur
répondit que la situation actuelle était à un
haut degré la conséquence de l'ancien régime
180 DOCUMENTS SECRETS
et des irrégularités dans la fourniture par les
Alliés de matériel de guerre à la Russie.
Celle-ci continuera la guerre et son Gouverne-
ment s'occupe de rétablir la discipline. Quant
au caractère collectif de la démarche des
ambassadeurs, Kerenski fit remarquer que la
Russie était toujours une grande puissance.]
3. Terechtchenko à l'ambassadeur à Rome et
aux chargés d'affaires à Londres et à Paris
(28 sept./ II oct: 1917). [La démarche des
ambassadeurs a produit sur nous une impres-
sion pénible tant dans sa substance que dans
sa forme. Demandez qu'elle soit tenue secrète.]
4. Télégramme de r ambassadeur à Rome
(2/15 oct. 1917). [Sonnino lui a dit que la
démarche collective avait pour but de fournir
un appui au Gouvernement provisoire. Signé :
GlERS.J
5. Télégramme du chargé d'affaires à Paris
(^ / 17 oct. 1917). [Ai communiqué verbale-
ment votre télégramme à Ribot. Il était sous
l'impression des nouvelles de la Chambre au
sujet des révélations sur la lettre de Briand et
était très agité. Il a dit que la démarche avait
été résolue dans d'autres circonstances et a
déploré qu'elle ait eu lieu au moment même où
nous formions un nouveau gouvernement. —
Cambon m'a dit que par épuisement et par
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 181
habitude française de critiquer, on avait ici,
dans certains cercles, l'impression que notre
gouvernement pourrait, en s'appuyant sur les
troupes fidèles, rétablir la capacité de com-
battre de l'armée et écraser les maximalistes.
Signé : Sevastopoulo.]
6. Télégramme du chargé dCajJaires à Londres
{^/i7 oct. 1917). [Ai communiqué votre télé-
gramme à Balfour. Lui ai rappelé qu'au com-
mencement d'août, on avait parlé à la Confé-
rence internationale d'une démarche collective
à Pétrograd et que j'avais réussi, à l'aide de
Thomas, à convaincre les Alliés de son inop-
l^ortunité. Balfour déplora que l'ambassadeur
britannique ait dû, comme le plus ancien,
remettre la communication. J'ai pu conclure
de ses paroles que l'initiative de l'incident ne
Aâent pas d'ici. Je crois que les alliés ont
reconnu leur erreur et que plus vite cet inci-
dent humiliant sera oublié, mieux ce sera. —
Au cours de la conversation, j'ai essayé de
vérifier la communication contenue dans le
lélégramme 88 de Lysokovski. Balfour me dit
qu'il ne tient pas compte de ces manifes-
tations indirectes et privées des Allemands qui
doivent parler officiellement s'ils ont quelque
chose à dire. En second lieu, l'Angleterre
n'admet pas que févacuation delà Russie soit
182 DOCUMENTS SECRETS
(( un pion dans le jeu allemand )>. L'occupation
de la Belgique n'est pas « une conquête »,
mais la violation d'une neutralité garantie et
son évacuation doit précéder des négociations
quelles qu'elles soient. Signé : Nabokov.]
52. — Les Diplomates russes à Tétranger*
(N°^ G 1-63;.
IE i8/3i mars 1917, le ministre-président prince
J Lvov avait chargé S. G. Svatikov d'organiser
une Administration centrale de la milice à la place
du Département de la police qui avait été supprimé.
Le 17/30 mai suivant, le Gouvernement provisoire
lui confia la réforme de l'Agence politique du Dépar-
lement de la police à l'étranger. Un télégramme de
Kerenski du 20 août/ 7 septembre mit fin à cette
mission. Svatikov, en octobre 1917, en exposa les
résultats dans deux rapports sans date.
I, I. Coopération de quelques diplomates à
Vokhrana {police secrète). [Pas de trace qu'elle
ait eu lieu à Stockholm et à Christiania. A
Londres, elle s'est bornée à l'expédition du
courrier du policier Litvin. A Paris, les diplo-
mates russes n'avaient de contact avec Krasil-
nikov et son agence russe et étrangère que
parce qu'il occupait deux chambres à l'ambas-
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 183
sade. Celle-ci ne l'invitait que rarement à des
cérémonies officielles et n'y tenait aucun
compte de la croix de la Légion d'honneur
qui lui avait été donnée. Au contraire, Gor-
nostaev, ancien consul à Gênes, et son succes-
seur lanichovski avaient travaillé avec l'okh-
rana. Il en était de même du consul à Naples
von Wisel, qui avait fait surveiller Max. Gorki
pendant son séjour à Capii. Svatikov avait en
vain demandé la révocation de Gornostaev,
devenu consul à Genève. A la légation auprès
du Vatican, où avait jadis fonctionné le poli-
cier Manousevitch-Manouilov, Bock, le titulaire
actuel, déclara n'avoir rien trouvé dans les ar-
chives. Le chargé d'affaires à Berne A. M. Onou
lit la même déclaration, tout en reconnaissant
que son prédécesseur M. M. Bihikov avait pro-
hablement détruit beaucoup de papiers. Svati-
kov arriva à la conclusion que Bihikov, son
prédécesseur Bacheracht, le vice-consul à Da-
vos Golike, le président de la Croix-Rouge
Bereznikov et le consul à Genève Gornostaev
avaient travaillé pour l'okhrana.]
I, 2. Silaalion de la diplomatie russe à l'étran-
ger {mai septembre 1917). [L'ahsence de titu-
laires fait beaucoup de tort. Au cours de la
visite que Svatikov fit à Poincaré, celui-ci se
levant brusquement et faisant le tour de la
184 DOCUMENTS SECRETS
chambre, s'écria : o Quand donc la Russie nous
enverra-t-elle un ambassadeur! » Le gouver-
nement a eu tort de ne pas continuer l'épura-
lion commencée par P. N. Milioukov. La plu-
part des diplomates restés en fonctions sont
dévoués à la contre-révolution. De plus, saul"
les chefs de mission, ils sont misérablement
payés. — Les Alliés voient d'ailleurs avec
alarme c^ qui se passe en Russie. Toute l'Eu-
rope occidentale était avec Kornilov et sa presse
ne cessait de dire : Assez de paroles, des actes I]
I, 3. Conversations avec des personnages poli-
iiques. [Visite à Poincaré (rapport du 28 août/
5 sept. 191 7). Il était très ému de la prise de
Riga. Il discuta les conséquences immédiates
d'un coup contre Pétrograd qu'il considère
0omme presque sans défense, u Nous souhai-
tons de toute notre âme, dit-il, le succès des
énergiques eflbrts de Kerenski pour rétablir
l'ordre. L'écroulement de la Russie serait
maintenant un malheur national pour la
France. » Le président exprima ensuite sa con-
fiance dans le général Zankevitch, homme
énergique qui a su éviter une collision entre
Français et Russes au camp de la Courtine. —
Le président du Conseil des ministres Ribot me
parut complètement écrasé des événements de
Russie. Il parla avec un franc pessimisme du
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 185
rôle futur de la Russie dans la guerre, plai-
gnant amèrement la France du malheur de
l'écroulement russe. Il parut extraordinaire-
ment intéressé par le fait que Kerenski appa-
raît à son entourage comme un homme ferme
et énergique. Jamais je n'avais vu un homme
aussi désespéré que Ribot au moment de notre
entretien. Quand je dis le jour suivant à Poin-
caré que je ne comprenais pas qu'on puisse
être aussi impressionnable et aussi abattu que
Ribot l'était à cause de la prise de Riga, il me
répondit avec tristesse qu'il n'en était pas
moins ému et qu'il y voyait le commencement
des malheurs de la Russie. Poincaré, Ribot et
Jules Cambon étaient très intéressés par la per-
sonnalité de Kornilov, Savinkov et de quelques
autres qu'ils considéraient comme de bons
amis et collaborateurs de Kerenski dans le
rétablissement de l'ordre. Ils me demandèrent
tous trois quand la Russie passerait de la
parole aux actes et s'il n'y avait pas une main
ferme en Russie. Les cercles dirigeants en
France me parurent surtout préoccupés de
savoir qui apparaissait en Russie comme
r (( homme d'avenir » {sic'. — Poincaré et
Cambon m'exprimèrent aussi le désir que vous
sachiez la mauvaise impression produite en
France par l'idée d'échanger les plus anciens
186 DOCUMENTS SECRETS
prisonniers de guerre en faisant traverser les
lignes à des armées entières autour de Minsk.
Elle leur était si désagréable qu'ils offrirent de
renoncer au même échange avec les Allemands.
— En résumé, tous depuis Poincaré et Guesde
jusqu'aux anarchistes interventionnistes ita-
liens se placent au point de vue de la défense
et s'étonnent du stupéfiant assoupissement de
la démocratie russe.]
11. Le mouvement eontre-révolationnaire à
l'étranger. [L'ordre actuel n'est pas menacé
seulement par les anarchistes, mais aussi par
la contre-révolution, quoique la dynastie des
Romanoffs puisse être considérée comme enter-
rée pour toujours, — 11 existe des centres
contre-révolutionnaires à Stockholm, Londres,
Nice, Rome, ^aples et surtout en Suisse. Ceux
qui fuient la révolution s'arrêtent d'abord à
Stockholm, et y entrent en relations avec des
brasseurs d'affaires et des agents allemands.
D'autres contre-révolutionnaires sont grou-
pés à Londres autour des Romanoffs qui y
habitent. On y complote de mettre sur le trône
le grand-duc Dmitri Pavlovitch parce qu'il est
un des meurtriers de Raspoutine. On y parle
même de la restauration de Nicolas IL]
[Paris est aussi un grand centre contre-révo-
lutionnaire. Il comprend des membres de la
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 187
droite, des banquiers et même des diplomates
(parmi ces derniers, d'après le comte Paul
Ignatiev, il faut compter le secrétaire d'ambas-
sade VI. M. Gorlov et l'assesseur G. A. Liiders-
Weymarn). Au ministère des affaires étran-
gères, on s'étonna du maintien comme attaché
militaire du richissime comte Alexis Ignatiev
que les Français considèrent comme contre-
révolutionnaire et germanophile. Les contre-
révolutionnaires russes à Paris ont pour organe
Le Gaulois. Quoique le comte Paul Ignatiev,
qui dirige la section russe du bureau allié
de contre-espionnage à Paris, m'ait fourni
quelques renseignements, je ne dois pas cacher
que son bras droit est le policier qui s'est sous-
trait si longtemps aux recherches de la police
française et a dirigé jusqu'en 1909 la police
de l'ancien régime à l'étranger, le fameux
A. M. Harting ou Landezen (de son vrai nom
Abraham Hekelmann). Ce condamné de la
justice française a sûrement ne doit point hési-
ter à vendre nos secrets de guerre aux Alle-
mands )). A. A. Krasilnikov, qui a dirigé les
services de l'Agence policière pendant les sept
dernières années, doit y aider aussi. Des ren-
seignements fournis par des réfugiés russes
m'ont convaincu qu'aux désordres du camp de
La Courtine ont pris part non seulement des
188 DOCUMENTS SECRETS
anarchistes et des bolcheviks, mais aussi des
agents allemands et contre-révolutionnaires
qui excitèrent les soldats à pousser leurs exi-
gences jusqu'à l'absurde. Le président Poin-
caré m'exprima l'hypothèse qu'il y avait là
non seulement de la propagande russe anar-
chiste, mais aussi allemande et tsariste. Des
proclamations monarchistes et antisémites ont
été répandues dans les camps de Felletin, de
La Courtine et dans les hôpitaux russes. A
^ice, les contre-révolutionnaires sont, dit-on,
en relations avec la grande-duchesse \nastasie
Mikhailovna, qui séjourne tantôt là, tantôt
en Suisse. Dans ce dernier pays, d'après des
cercles touchant de près au ministère des
affaires étrangères français, le défunt ministre
de Russie à Berne, Bacheracht, paraissait à un
haut degré suspect de liaison avec les Alle-
mands. L'attaché militaire général Golovan
m'a dit la même chose de sa veuve... Golovan
et les Français soupçonnent aussi Bibikov, qui
avait succédé à Bacheracht. Il a été révoqué
par Milioukov, mais séjourne encore en
Suisse (*). Bibikov et un certain Boubnov
(1) Le iG/29 septembre 1917, il télégraphiait au ministre des
affaires étrangères qu'il ne pouvait rentrer en Russie avant
d'avoir été autorisé à se faire transférer 200.000 roubles à un
taux de faveur. {Pravda, 16/29 nov. 1917-)
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 180
seraient liés avec une comtesse Golitsyn qui
habitait à Munich avant la guerre et serait la
maîtresse de l'attaché militaire allemand.
D'autre part, la veuve de Bacheracht aurait
autrefois été la femme morganatique d'un
grand-duc de Hesse. — D'une façon générale,
le personnel diplomatique actuel est tou-
jours dévoué à l'ancien régime et continue
à se montrer hostile aux réfugiés révolution-
naires]
53. — Le traité entre le Japon et l'Amérique.
EN octobre 191 7, les Etats-Unis et le Japon con-
clurent un traité pour interdire « à quelque
gouvernement que ce soit d'acquérir en Chine des
droits et privilèges particuliers incompatibles avec
l'intégrité et l'indépendance de la Chine », les Etats-
Unis reconnaissant cependant au Japon désintérêts
spéciaux en Chine, attendu, était-il dit, que « sa
position géographique lui donne un droit à de tels
intérêts ». A. Alek a publié à ce sujet dans la
Pravda du 16/29 ^^^- ^9^1 ^^ article citant un
grand nombre de dépêches secrètes :
Le ministre des affaires étrangères du Japon,
vicomte Motono, a donna à comprendre » à
190 DOCUMENTS SECRETS
l'ancien ambassadeur de Russie, lorsqu'il lui
communiqua le texte du traité japono-amé-
ricain, que lui « Motono, dans la réalité, se
rend bien compte qu'il sera impossible d'éviter
plus tard des malentendus avec l'Amérique.
Mais, il se rend compte aussi que l'influence
prépondérante du Japon en Chine elles moyens
de pression dont il dispose, lui donnent la
supériorité sur les Etats-Unis pour réaliser son
interprétation du traité ('). »
Quels sont ces « moyens de pression » ?
L'ambassadeur britannique a répondu : « Sir
W. Conyngham Greene m'a dit confidentielle-
ment que d'après les rapports de l'attaché mili-
taire anglais au Japon, ce dernier pays a l'in-
tention d'armer l'année prochaine ses troupes
de carabines d'un modèle perfectionné, ce qui
lui permettra alors de céder à la Chine toutes
les carabines qu'il aura en trop... Le Cabinet
de Tokio ne vit aucun motif de ne pas donner
satisfaction aux désirs du ministère de la guerre
chinois, d'autant plus que les armes vendues
à la Chine ne serviront pas à équiper une
expédition punitive, mais à transformer deux
ou trois divisions modèles. On a en vue, en
(*) Dépêche secrète n" 76 de Tokio à Tereclitchcnko, 28 oct./
5 nov. 1917.
PUBLIÉS PAR LES BOLCHEVIKS 191
outre, de remettre à la Chine 3oo canons avec
leurs munitions, mais il faut 12 à 18 mois
pour les préparer... »
La fourniture d'armes à la Chine ne produisit
pas une impression favorable sur les Anglais
et les Américains... L'envoyé américain à Pékin
fit des représentations ou du moins mit en
garde le Gouvernement chinois en ce qui con-
cerne le genre d'agissements des Japonais sur
cette question. Quand on demanda au ministre
du Japon s'il y avait quelque chose de vrai
dans ce qu'annonçaient les journaux au sujet
des remontrances américaines, « le vicomte
Motono haussa les épaules et dit que la con-
duite de l'ambassadeur américain l'étonnait et
qu'il ne pouvait se l'expliquer que par le désir
des diplomates américains de donner sur
toutes choses des conseils au Gouvernement
chinois (^). »
[Comment la Chine a-t-elle accepté son rôle
de pupille ? Le prince Koudachev, l'ancien
envoyé à Pékin, télégraphiait le 27 octobre/
9 novembre à ïerechtchenko] :
« On a publié les protocoles de la mission Lan-
sing au sujet de la reconnaissance par l'Amé-
(') Dépêche 7Ô, 23 oct., / 5 nov. 19 17.
1)2 DOCUMENTS SECRETS
rique d'intérêts spéciaux du Japon en Chine :
ils ont produit ici une impression écrasante.
Les journaux remarquent que la reconnais-
sance par deux gouvernements d'intérêts spé-
ciaux sur le territoire d'un troisième est un
affront pour ce dernier. Beaucoup pensent que
le prestige des Etats-Unis en diminuera dès
maintenant, car ils ont fait voir à la Chine
qu'elle n'a pas à attendre leur aide dans les
affaires politiques. »
Si les Américains « avec la naïveté qui est le
propre de la diplomatie américaine » (comme
l'écrivait à Terechtchenko l'ancien ambassadeur
à Washington Bakhmetev [le i/i-27 octobre
1917]), malgré toutes leurs protestations ami-
cales que la tutelle est interprétée très large-
ment par les Japonais et que cette interpréta-
tion produit des conséquences regrettables,
font semblant de ne pas se rendre compte de
la position de la Chine, les Chinois eux s'en
rendent compte nettement, et à ce sujet, il
existe parmi eux deux courants :
L'un, représenté parla Gazette de Pékin, jour-
nal officiel, comprend le gouvernement et « le
monde des affaires » et exprime les dispositions
des marchands et des fonctionnaires... Cette
(( bourgeoisie » fut affligée de ce que l'envoyé
chinois à AVashington resta dans l'ignorance
PUBLIES PAR LES BOLCHEVIKS 193
au sujet d'un acte de première gravité (*);,.
[mais depuis elle s'est consolée en songeant
aux avantages que lui apportera la collabora-
tion économique du Japon. L'autre courant est
représenté par la presse du sud de la Chine :
elle ne s'intéresse pas à la position de l'Amé-
rique, car elle sait que la diplomatie améri-
caine, comme l'européenne, a deux poids et
deux mesures, l'un pour les forts et l'autre
pour les faibles.]
(1) A dire vrai, l'envoyé russe à Washington ne prévit rien
non pins. Il rapporte de la mission d'Ishii à Washington :
« Actuellement nous nous expliquons graduellement les pro-
blèmes de la mission du marquis Ishii et les résultats aux;-
quels il est arrivé. Je sais que les prétentions du Japon à des
droits prépondérants en Chine ne peuvent faire l'objet d'une
négociation avec la diplomatie américaine... Je dois dire que
mes conversations avec des financiers américains m'ont con-
firmé dans ce que je soupçonnais de la méfiance des capi-
talistes aniéricains à l'égard" des propositions du Japon. »
(27 sept. 1917.)
13
S^l?!!?^^<?^?t?^?^^^^^^^'?^^^^^^^^^^^ '1t"^??^
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Avertissement 5
I . — Traité des trois Empereurs 7
•}.. — Convention militaire franco-russe. . . ii
8. — Alliance contre les Anarchistes. ... 12
4. — Convention russo-bulgare i4
5. — Convention douanière serbo-bulgare . . 17
, 6. — Traité russo-allemand 19
7. — Lamsdorff et les Anarchistes 21
8. — Guillaume II à Nicolas II 22
9. — Le Japon et la Mongolie. ..'.... 25
10. — Traité russo-anglais 26
11. — Protocole russo-allemand relatif à la Bal-
tique 37
12. — I/intervention russe en Perse. .... 28
i3. — Les Anglais demandent aux Turcs de
fortifier le Bosphore ....... 3o
\'a. — En janvier 190g, l'Allemagne préparait
une agression 02
i5. — Projet de traité russo-allemand. ... 5o
16. — Projet de traité russo-bulgare 02
17.— Traités serbo-bulgares de 191 2 .... 58
196 TABLE DES MATIÈRES
i8. — Prêt à Ferdinand de Bulgarie 59
19. — Ferdinand de Bulgarie à Nicolas H. . . 62
20. — François-Joseph à Nicolas II 65
21. — Le roi de Monténégro à Nicolas IL . . 67
22. — François-Ferdinand à Nicolas II. . . . 69
23. — Conférence austro-italienne relative à
l'Albanie 70
2 3 bis. — Conférence russe au sujet de l'attaque
des Détroits 7^1
2!\. — Tentative de réconcilier la Bulgarie et la
Serbie 101
25. — Convention russo-roumaine de 1914 • • 106
20 bis. — Accord au sujet des Détroits .... 107
20 ter. — Alliance entre l'Entente et l'Italie . . 110
26. — Convention secrète russo-japonaise. . . 119
27.- Ferdinand de Bulgarie à Savinski . . . 121
28. — Plan d'Alekséev en novembre 1910 . . . 122
^29. — - La France demande des troupes russes. i23
• 3o. — Projet de paix séparée avec la Turquie. . 127
3i. — Constantin à la reine Olga i3i
02. — L'archevêque Evdokim à Sturmer. . . i32
33. — Khvoslov 'et Sturmer i33
34. — Compensations offertes à la Grèce ... i34
35. — Illégalité commise par le Tsar 1^2
36. — La France demande l'intervention de la
Roumanie, 12/25 juin 1916 i43
37. - Chtcherbatov à Alexis Aleksievitch. . . 1/I7
38. — La retraite de Sazonov i48
39. — Convention militaire russo-roumaine. . i49
40. — Bakhmetev à Sturmer i55
4i- — Traité entre la France et la Russie. . . i56
42. — Résumé sur la question de l'Asie Mineure. i58
43. — Télégrammes d'Espagne i<3o
TABLE D E S MATIÈRES 197
44- — Renne à Antonomov . 170
45. — Mauvais canons fournis par les Alliés. . 170
46. — L'état de choses en Russie 171
47. — Les troupes russes en France 172
48. — Pas de négociations avec l'Allemagne. . 176
49. — Affaire Kornilov 170
50. — Les Anglais au Siani 17O
5i. — Démarche des trois ambassadeurs. . . 178
02. — Les Diplomates russes à l'étranger. . . 182
53. — Le traité entre" le Japon et l'Amérique. . 189
ÉDITIONS BOSSARD, 43, rue Madame
PARIS (Vie)
EXTRAIT DU CATALOGUE
Auguste Gauvain. — L'Europe au Jour le Jour. — Recueil
d'histoire contemporaine, grand in-octavo.
Tome 1. — La Crise Bosniaque (1908-1909). Prix... 7.50
Tome II. — De la contre - révolution turque au
Coup d'Agadir (i909-i9ii).Prix 7.50
Tome III. — Le Coup d'AcADiR (191 1). Prix 7.50
Tome IV. — La Première Guerre Balkanique (191 2).
Prix ' 7.50
Tome V. — La Deuxième Guerre Balkanique (1918).
Prix 9 ,>
Tome VI. — Les Préliminaires de la Guerre Euro-
péenne (191 8-191/1). Prix 9 »
(Le Tome 17/ paraîtra le 1" Décembre I9ID.)
Auguste Gauvain. — L'Encerclement de rAllemagne. —
Un vol, in-16 Bossard. Prix 3 »
Fernand Roches. — Manuel des Origines de la Guerre.
— Causes lointainei. — Cause immédiate. Préface de
M. A. DE Lapradelle, professeur de Droit des Gens à la
Faculté de Droit de Paris. Avec un tableau synoptique en
deux encres et vin index des noms propres (5oo pages).
Prix 6.60
A. LuGAN. — Les Problèmes internationaux et le Con-
grès de la Paix (]'ue d'ensemble). Un vol. in-8.
Prix 3.90
EDOUARD Payen. — Belgique et Congo. — Une carte. Un
vol. in-16 Bossard. Prix 2 »
Louis Engerand. — L'Opinion Publique dans les Pro-
vinces Rhénanes et en Belgique. 1789-181.5. Préface
de M. Louis Marin, député de Nancy. Un vol. in-8.
Prix. 4.20
Editions BOSSARD, 43, rue Madame, Paris (VP)
Président W. Wilson. — Messages, Discours, Docu-
ments diplomatiques relatifs à la guerre mon-
diale. — Traduction conforme aux textes officiels, publiée
avec des notes Iiistoriques et un index par Désiré Rous-
TAN, professeur de philosoptiie au Lycée Louis-le-Grand.
Volume I : 18 août 191U-8 janvier 1918 ; Volume II :
// février i918-U mars 1919. — Appendice et Index. 2 vol.
in-S {se vendant séparément). Prix de cliacun 4-. 50
James Fîrown Scott. — Notes de James Madison sur les
Débats de la Convention fédérale de 1787 et leur
relation à une plus parfaite Société des Nations. —
Traduit et préfacé par M. A. de Lapradelle, professeur
de Droit des Gens à l'Université de Paris. Un vol. in-8.
Prix 4.50
A. Albert-Petit. — La France de la Guerre. — Recueil
grand in-octavo : Tome 1 (Août 191^ — Mars 191O). Tomell
(Mars 1916 — Septembre 1917). Pour paraître: Tome III
(Septembre 19 17 — Juin 1919;. Prix de chaque
Tome 9 »
Edouard Paye>. — La Neutralisation de la Suisse et de
la Savoie. — Une carte liors teste. Un vol, in-iG Bossard.
Prix 2 »
Charles Frégier. — Les Étapes de la Crise Grecque. —
Un vol. in 16 Bossard. Prix 3.90
Jules Chopin (alias Jules Pichon). — L'Unité de la Poli-
tique Italienne. — Une carte hors texte. Un vol in-iTi
Bossard. Prix 2.70
Louis Hautecoeur. — L'Italie sous le iviinistère Orlando.
1917-1919. - Un vol. in-8. Prix 7.50
D. Draghicesco. — Les Roumains (Transylvanie-Blcovine-
Baîiat). — Une carte. Un vol. in-i6 Bossard. Prix. 3.90
P.-N. Milioukov. — Le Mouvement intellectuel russe.
— k portraits hors texte. Un vol. grand in-N. Prix. 12 »
A. Chaboseau. — Les Serbes, Croates et Slovènes. —
Un vol. in-i6 Bossard. Prix 1.80
Editions BOSSARD, 43, rue Madame, Paris (VP).
Fraxo Cviétisa. — Les Yougoslaves. — Deux cartes hors
texte. Un vol. in-i6 Bossard. Prix 3.60
Olof Hôijer. - Le Seandinavisme dans le passé et
dans le présent. — Un vol. iiiiO Bossard. Prix. 1.80
Louis DiMLR. — Les Deux Suisse — 1914-1918 — Un
vol. in-8. Prix 6 »
V. DÉDÉCEK. — La Tchécoslovaquie et les Tchécoslo-
vaques. — Préface de M. Jules Chopin. Une carte hors
texte. Un vol. in-iO Bossard. Prix 3.90
Bertrv^d BvuEiLLEs. — Lc Rapport Secret de Carathéo-
dory Pacha, premier plénipotentiaire ottoman, sur
le Congrès de Berlin, adressé à la S. Porte. — Un
vol. in-iG Bossard. Prix 3.90
Jacques At^cel. — L'Unité de la Politique Bulgare.
Une carte. Un vol. in-i6. Prix 2.40
Jules Chopix. — Le Complot de Sarajevo. — Une carte.
Un vol. in-iG. Prix 2.40
Stephex Osusry et Jules Chopin. — Magyai^s et Panger-
manistes. — Deux cartes hors lexte. Un vol. in-i6 Bos-
sard. Prix 3.60
Les Discours de Guillaume II pendant la Guerre,
recueillis et traduits par M°' M\rie Mûring. — Une bro-
chure in-8. Prix 1.80
Julien Rovère. — L'Affaire de Saverne. — Un vol. in if'
Bossard. Prix 1.80
Charles Andler. — Le Socialisme impérialiste dans
l'Allemagne contemporaine. Dossier d'une polémique
avec Jean Jaurès. 1912-1913. (Collection de la Revue
« L'Action Nationale »). Prix 4.50
Alfredo Niceforo. — Les Germains. — Histoire d'une idée
et d'une « race ». Traduction de / Gennani, par Georges
Hervo. Édition revue et remaniée i^ar l'auteur.
Prix 3.90
Abbeville. — Imprimerie F. Paillart.
DATE DUE
i
1^
OAVLORO
PRINTED IMU S «
FACIL
A 000 647 431