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DOMINICALES
DU
CURE DE CAMPAGNE
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PROPRIÉTÉ DES EDITEURS
191 D
Tous droits réservés
DOMINICALES
DU
CURÉ DE CAMPAGNE
INSTRUCTIONS SIMPLES ET PRATIQUES
POUR CHAQUE DIMANCHE DE L'ANNÉE
AVEC UNE HOMÉLIE
SUR L'ÉVANGILE DU JOUR
SUIVIES DE PLUSIEURS PANÉGYRIQUES ET DE SUJETS DE CIRCONSTANCE
PAR
L'Abbé JOUVE
Curé-Archiprêtre de Savines (Hautes- Alpes), auteur du Missionnaire
de la Campagne, etc, etc.
TOME PREMIER
DIXIÈME ÉDITION
-t©i-
PARIS
LIBRAIRIE SAINT-JOSEPH
TOLRA ET M. SIMONET, ÉD
28, RUE d'aSSAS ET RUE DE VAUGI
1910
Tous droits réservés
PRÉFACE
L'accueil si bienveillant fait au Missionnaire de
la Campagne et à notre Vie des Saints nous a
inspiré la pensée de compléter notre œuvre,
afin d'être plus directement utile à ceux de nos
confrères qui exercent, au milieu de nos popu-
lations rurales, non plus les fonctions de mis-
sionnaires, mais celles de pasteurs. Dans ce but
nous leur donnons, dans ces Dominicales, une
série d'homélies et d'instructions pour tous les
dimanches de l'année.
L'évangile du jour sert de base et à l'homélie
et à l'instruction ; l'une le développe en entier,
l'autre n'en explique qu'un passage. Cette der-
il PRÉFACE
nière n'est quelquefois qu'indiquée, mais le
prédicateur en trouvera toujours le développe-
ment dans le Missionnaire.
Ces homélies et ces instructions, suivies de
plusieurs panégyriques et de divers sujets de
circonstance, sont écrites comme nos œuvres
précédentes, simplement et dans un langage à
la portée de toutes les intelligences. Elles sont
dogmatiques à l'occasion, mais elles sont sur-
tout pratiques, visant à amener les auditeurs à
l'accomplissement des devoirs de la vie chré-
tienne.
Si nous ne nous faisons illusion, les prédica-
teurs trouveront également dans notre Vie des
Saints, dans les réflexions et les plans de médi-
tations qui les accompagnent de nombreux traits
d'histoire et d'utiles matériaux pour composer
ou perfectionner leurs instructions. Nous avons
du reste élaboré cette œuvre avec le plus grand
soin, et nous la recommandons en toute sim-
plicité à nos vénérés confrères, heureux de par-
ticiper ainsi au bien qu'ils feront eux-mêmes au
milieu de nos populations des champs, et de
PRÉFACE III
contribuer ainsi à leur conserver cette foi vive
et agissante qui les caractérise.
Daignent le Seigneur Jésus et sa divine Mère,
à qui nous dédions ce nouvel ouvrage, bénir
notre pieux dessein et réaliser notre plus douce
espérance.
Savines, le 15 août 1884, en la Fête de l'Assomption
de la Sainte Vierge.
DOMINICALES
DUN
CURE DE CAMPAGNE
PREMIER DIMANCHE DE L'AVENT
ÉVANGILE
Jésus dit à ses disciples: « 11 y aura des prodiges
dans le soleil, dans la lune, et dans les étoiles. Les
peuples de la terre seront dans la consternation, par
le trouble que causera le bruit de la mer et des flots.
Les hommes sécheront de frayeur dans l'attente de
ce qui doit arriver à tout l'univers, car les vertus
célestes seront ébranlées ; alors ils verront le Fil> de
l'homme sur une nuée, revêtu d'une grande puis-
sance et d'une grande majesté. Lorsque ces choses
commenceront à s'accomplir, levez la tête et regar-
dez en haut, parce que le temps de votre rédemption
approche. » Il leur proposa ensuite cette comparai-
son : « Voyez le figuier et les autres arbres. Lors-
qu'ils commencent à pousser, vous reconnaissez que
i. 1
2 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
l'été est proche : de même, lorsque vous verrez arri-
ver ces choses, sachez que le royaume de Dieu est
proche. Je vous dis en vérité que cette général ion
ne passera point que tout cela n'arrive. Le ciel et la
terre passeront, mais mes paroles ne passeront
point. Prenez donc garde à vous; de peur que vos
cœurs ne s'appesanti>sent par l'excès des viandes et
du vin, et par les souci* de cette vie et que ce jour
ne vienne tout à coup vous surprendre; car il enve-
loppera comme un filet tous ceux qui sont sur la
face de la terre. Veillez donc, et priez en tout
temps, afin d'être trouvé^ dignes d'éviter tous ces
maux qui doivent arriver, et de paraître avec con-
fiance devant le Fils de l'homme. » (Luc, xxi,
25-36.)
HOMÉLIE SUR LES SŒURS PRÉCURSEURS DU JUGEMENT
UKIVlRSEL
Et tune vidtbunt Filium hominia
vtnîpnt^m in nube, cum poiestate
maijna et majestate. (Luc. xxi, 27.)
A'.ors ils \erront le Fils de
l'homme, qui viendra sur une nuée,
av-c une grande puissance et une
grande majesté.
Mes Frères,
La vie présente est le champ de la liberté hu-
maine. L'homme y court à droite ou à gauche
selon ce qui lui plaît. Dieu le regarde, mais le laisse
faire, se réservant de lui demander un jour ua
HOMELIES- ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 3
compte rigoureux du bou ou mauvais usage de sa
liberté.
Quand viendra ce jour de la justice divine? Nous
n'en savons rien, car il est écrit que ni l'homme, ni
l'ange, ni le Fils de l'homme lui-même ne connais-
sent ni le temps, ni l'heure où le Seigneur entrera
en compte avec ses créatures. Non est vestrum nosse
tem/jora vel momenta. De die autem Ma nemo scit nuque
anyeli.y neque Filium hominis, nisi solus Pater.
Quelques signes néanmoins annonceront ce #rand
jour, jour de justice et de colère, de trouble et d'an-
goisse, de misère et de calamité. Apprenons à les
connaître afin que nous attendions avec confiance,
si nous sommes justes, mais que nous tremblions si
nous sommes pécheurs ; car si d'un côté Dieu, par
ces signes, veut nous donner un dernier avertisse-
ment, pour nous faire éviter le péché et échapper à
la justice, selon cette parole du Prophète : Dedisti
metumtihus te signifîcationem ut fugiant à facie arcûs ;
il veut d'un autre côté nous montrer par ce qu'il y a
de terrible dans ces signes, combien grande et redou-
table sera sa colère contre ceux qui auront méprisé
ses avertissements et seront morts dans le péché.
Je me transporte en esprit à la fin des temps, à
ces jours qui seront les derniers des jours, et je vois
s'accomplir une à une toutes les prophéties qui
annoncent les affreux malheurs, les épouvantables
bouleversements qui seront comme l'agonie du
genre humain. Quel spectacle !
D'abord, je vois paraître sur la scène de ce monde
4 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
qui penche vers sa ruine, un personnage en qui tout
tient de l'extraordinaire, c'est l'Antéchrist, l'homme
du péché, le fils de perdition.
Il est néàBabylone, la ville infâme; il appartient
par l'un de ses parents à la tribu de Dan, la seule qui,
d'aprr» saint Jean, n'a pas donné au ciel ses douze
mille prédestinés. Un crime lui a donné le jour et
dan> ses veines coule un mélange impie de sang
chrétien et de sang juif. Son extraction est vile et
son berceau déshonoré. Dès ie sein de sa mère, il
appâtent au démon qui lui façonne un tempéra-
ment propre à tous les crimes, à toutes les abomi-
nations : Cujus est advcntns stcundum operatwuem Sa~
tanse (S. Paul, II T<m., n, '.».)
Dès ses premières années, il devient entre les
mains de Satan un prodige d'hypocrisie et de
malice. Afin d'arriver plus facilement à séduire les
pei'pUs, il se couvre du manteau de la religion; il
feint un grand zèle pour la loi de Dieu ; il est
humain, doux, pieux ; il paraît même tempérant,
cha>ie et dé-intéressé ; mais au fond il est impie,
cruel, cupide, ambitieux, dissolu et esclave de tous
les vices. Il cache maintenant ce qu'il y a en lui de
perversité et de corruption, mais quand il aura
séduit les multitudes, quan i il aura réussi à se faire
proclamer roi et à se faire passer pour le vrai Christ,
le vrai Messie, il jettera le masque et ne gardera
plus de mesure. Il sera alors véritablement, comme
le dit saint Paul : Homo peccati, films perditionis, Me
'niquus, l'homme' de péché, le fils de perdition, le
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 5
méchant par excellence. « J'ai vu, dit saint Jean
dans son Apocalipse, j'ai vu la bête venant des bords
de la mer... Elle porte sur son front les noms du
blasphème... Elle est semblable au léopard, et sa
bouche e>t comme celle du lion. Et le dragon in-
fernal lui a donné sa puissance, puissance formi-
dable. La terre entière a été fascinée par la bête; et
ils ont adoré le dragon qui a donné son pouvoir à la
bête, et ils ont adoré la bête, disant: Qui est sem-
blable à la bêle et qui pourra combattre contre elle?
Quis similis bestiœ ? et guis pottrit pugnare cum eâ ?
« Il lui a été donné une bouche apte aux grands
discours et aux blasphèmes ; et elle a proféré les
blasphèmes contre Dieu, contre son nom, contre le
tabernacle et contre ceux qui habitent le ciel... Et
elle a fait des prodiges étonnants ; elle a pu même
faire descendre le feu du ciel en présence d'une
multitude d'hommes... Et l'un de ses ministres a
séduit tout l'univers et décidé les hommes à se faire
des images de la bête et à les porter dans leurs
mains ou sur leur front, et tous, excepté ceux qui
sont écrits dans le livre de vie, grands et petits,
riches et pauvres, libres et esclaves se sont armés
ou du caractère de la bête, ou de son nom, ou du
nombre de son nom qui est six cent soixante-six. »
Voilà, mes frères, la vision de saint Jean à Path-
mos. Elle nous fait voir dans un tableau saisissant
ce que sera cet ennemi de Dieu et des hommes, à
qui Satan aura communiqué toute sa puissance,
toute son astuce, toute sa malice. A force de ruses
6 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
et d'hypocrisies, il a fasciné les peuples et surtout
les .luifs, il s'est imposé comme le vrai Messie ; il a
flatté les enfants d'Israël en leur promettant toutes
sottes de biens temporels ; puis il a rétabli le temple
et il y a placé l'idole de Maozim, c'est-à-dire le Dieu
de la force ; il s'est fixé lui-même dans la maison de
Dieu et il s'y est fait rendre les honneurs divins :
ExtolUtur suprà omne quod dicitur Deus, ità ut in
tenifjlo Dei sedeal , ostendens se tanquàm sit Deus.
(il Thess., ii, 4.)
Maître de l'esprit et du cœur des Juifs, il en fait ses
soldats, afin d'accroître son empire qui, dit-il,
d'après les prophéties, doit s'étendre à tout l'uni-
vers. Il déclare la guerre aux monarques voisins et
Dieu permet que la victoire lui reste. Dès lors, il ne
garde plus de mesure; il agrandit le champ de
ses luttes et bientôt c'est sur toutes les contrées du
globe qu'on rencontre ce prodige d'iniquité soufflant
partout la guerre de la chair contre l'esprit, de
l'erreur contre la vérité, de l'hérésie contre la loi, de
l'apostasie contre la fidélité ; bientôt l'univers n'est
qu'une sanglante arène où l'homme d'iniquité s'a-
charne contre le Christ, la bête contre l'Agneau.
Tous les peuples apostasient et c'est à peine si les
élus ne sont pas ébranlés.
Tant de défections ont amassé sur les peuples
d'immenses trésors de colère ; le bras du Seigneur
s'est levé pour frapper les coups de sa justice.
Peuples, séchez de frayeur, voici venir le jour de la
vengeance divine ; les foudres de l'Éternel vont
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 7
éclater. Malheur! malheur ! de l'Orient et de l'Occi-
dent, du septentrion et du midi, je sens venir un
vent brûlant, un vent de feu ; c'est le souffle de la
colère divine qui allume la guerre au cœur des rois
et de leurs peuples.
L'homme d'iniquité a détruit partout les notions
du droit et de la justice ; le droit de la force a rem-
placé la force c1 i droit ; l'égoïsme et l'ambition sont
les seules règles des nations. Dès lors, les intérêts se
brouillent, les cœurs s'ulcèrent et ne respirent plus
que haine et vengeance. La guerre s'allume, guerre
terrible, guerre universelle, guerre impitoyable.
Quelle horreur! Quel acharnement! Quelles cruautés!
Ce ne sont point des hommes qui luttent entre
eux, ce sont des tigres altérés de sang et de carnage
qui se déchirent. Le fer lui-même et le salpêtre
semblent partager ces horribles dispositions des
combattants ; car l'un paraît ne jamais s'émousser
et l'autre s'enflamme plus vite et lance avec plus de
force les projectiles de mort. La terre n'est bientôt
plus qu'un vaste champ jonché de cadavres et ar-
rosé par des torrents de sang. Dans ce carnage
affreux rien n'est respecté, rien n'est épargné. L'âge,
le sexe, les conditions qui, en tout temps et en tout
pays avaient pu efficacement demander merci, ne
sont plus maintenant écoutés. Le vieillard est
frappé sur le bord de sa tombe, la vierge dans sa
solitude, le prêtre à l'autel, l'enfant entre les bras
de sa 2>ère ou même dans son sein. Plus de pitié I
plus de miséricorde ! Rien ne saurait trouver grâce
8 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
devant la férocité de ces hommes transformés en
tigres. L'innocence, la candeur, la faiblesse, une
tête blanchie par les ans, un caractère auguste et
sacré sont impuissants à désarmer la verge de ces
barbares qui ne savent plus hurler que ces mots :
Du sang ! du sang !
Eh ! bien, ils l'ont ce sang qu'ils demandent, ils
l'ont par torrents, mais comme si ce n'était point
encore assez, ils y ajoutent le leur : ne trouvant
plus à égorger dans les camps ennemis, ils s'égor-
gèrent entre eux.
Cependant le bruit des armes a cessé, l'airain ne
tonne plus et n'ébranle plus les vallées ; partout
règne un morne silence, un silence de mort. Quel-
ques milliers de victimes échappées aux fureurs de
la guerre se montrent çà et là sur la surface du
globe ensanglanté. Elles lèvent les yeux vers le
Ciel, comme pour le remercier de les avoir pro-
tégées, mais hélas ! leur prière n'est pas achevée
que déjà surgit sur le monde un autre fléau non
moins cruel. De ce vaste champ de mort couvert de
cadavres en dissolution , s'élèvent de noires et
fétides exhalaisons, c'est l'odeur du sang et de la
putréfaction. Ces émanations délétères empoi-
sonnent l'air qui, dès lors, cesse d'être une source
de vie pour devenir un principe de mort. Aussi
bientôt on ne rencontre partout que des êtres chan-
celants, en proie à d'affreuse tortures qui les em-
portent en quelques heures. La peste se promène
ainsi dans le monde, non moins homicide que la
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES V
guerre. Et comme si ce n'était assez de ce fléau pour
arracher le dernier souffle de vie au petit nombre de
mortels qui survivent, voici la famine avec toutes ses
horreurs.
Tandis qu'elle arrosait le globe par des flots de
sang, la guerre dévastait les campagnes, transfor-
mait les champs de blé en champs de mort et ne lais-
sait pas au laboureur le temps de confier à la terre une
nouvelle semence. Aussi maintenant l'on n'entend
plus que les cris de la faim. On dispute aux vils ani-
maux leur immonde nourriture et toute chair, quelle
qu'elle soit, devient un aliment sapide. L'homem va
même jusqu'à jeter sur les membres de son sem-
blable un regard de convoitise. L'enfant, rendu
cruel par la faim, déchire le sein de sa mère, et
celle-ci meurt un instant après, si elle n'est assez
barbare pour étouifer dans ses mains celui qu'elle a
porté dans son sein et lui redemander le sang
qu'elle vient de lui donner. Oh ! malheur, alors, mal-
heur aux femmes qui allaiteront ; malheur à celles
dont les entrailles seront fécondes : Vœ autem prœ-
gnantibus et nutrientibus in illis diebus !
Enfin l'heure de l'agonie va sonner. Tourmentée
par les abîmes de feu qu'elle renferme dans son
sein, la terre tremble comme une feuille de peuplier
agitée par le vent ; elle entr'ouvre à chaque pas des
gouffres profonds, engloutit les derniers de ses maî-
tres, et l'univers semble vouloir expirer avec son
roi.
Les vents déchaînés excitent partout les plus
1.
10 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
affreuses tempêtes ; la mer rugit comme un lion fu-
rieux ; dans sa rage elle élève ses flots jusques aux
nues et la précipite soudain dans les abîmes ou les
brise contre les rochers du "rivage. Le soleil s'enve-
loppe d'un crêpe de nuages sombres, la lune devient
rouge de sang, les étoiles sortent de leur orbite et
se précipitent en tourbillons à travers les cieux ;
mille et mille éclairs sillonnent les airs; le tonnerre
gronde dans les profondeurs de l'espace.
Au milieu de ce bouleversement général, un ange
descend du ciel et, au nom de l'Éternel, jure ce ser-
ment effroyable : « Désormais il n'y aura plus de
temps. Tempus non eril ampltus. » Soudain un fleuve
de feu envahit la terre entière qui n'est bientôt plus
qu'un monceau de cendres. Les jours de l'homme
sont passés, le jour de Dieu commence.
Mes frères, nous ne verrons pas ces terribles
choses, mais nous ne devons pas moins en faire
notre profit; car elles nous disent combien redou-
table sera la justice divine au moment où elle en-
trera en compte avec ses créatures. Selon le conseil
de l'Apôtre, préparons nos cœurs à ce grand événe-
ment; prenons garde qu'ils s'appesantissent dans
l'ivresse, la sensualité et les sollicitudes de cette
\ie. Veillons et prions, afin que nous soyons trouvés
dignes d'échapper à ces rigueurs et de nous présen-
ter avec confiance au tribunal du Fils de l'homme :
Vig'date ut/que, omnl tempnre oi^antes ut diyni habea-
mini fuyere ista omnia, auœ futur a sunt, et stare antè
Filiuin hominis.
BOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES il
POUR LE MÊME DIMANCHE
JUGEMENT UNIVERSEL
Rlum.ino.bit absconâita tenebrarum
et tun- laus e it unicuigue à Deo.
(I Corinth., iv. 5.)
Mes Frères,
Ces paroles annoncent le terrible événement qui
mettra fin à tous les événements, le jour après le-
quel il n'y aura plus de jours et qui fermera, à tout
jamais, l'ère des incessantes révolutions qui boule-
versent la figure transitoire de ce monde.
Universelle dans son étendue, éternelle dans sa
durée, cette dernière transformation sera terrifiante
dans son exécution. Ce sera le jour de la suprême
justice, le jour des grandes assises où l'humanité
tout entière sera citée au tribunal du Souverain
Juge. Jour de calamité et de désespoir pour le plus
grand nombre, jour de paix et de bonheur pour
quelques-uns seulement ; l'attente des justes, la ter-
reur des méchants, le jour décisif de la destinée de
tous.
La pensée de ce jour terrible rendait les premiers
chrétiens patients dans la persécution, joyeux dans
12 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
les souffrances, fiers dans les opprobres. Elle faisait
la force des martyrs, la constance des vierges, la
ferveur des anachorètes ; elle fait aujourd'hui en-
core le missionnaire et la sœur de charité ; puisse-
t-elle faire de vous tous de parfaits chrétiens. C'est
dans ce but que je viens vous aider à la méditer.
1
Il y aura à la fin du monde un jugement général.
C'est l'Évangile qui nous l'enseigne. « Le Fils de
l'homme doit venir dans la gloire de son Père,
escorté de ses anges (Chap. xvi, f. 7), et alors il ren-
dra à chacun selon ses œuvres. Filius enim hominis
venturus est in gloria Patris, cum angelis suis ; et tune
reddet unicuique secundum opéra ejus. Plus loin : Tune
parebit signum FUii hominis (Chap. xxvi, f 30, 71) in
cœlo, et tune plan g ent omnes tribus terrœ ; et videbunt
Filivm hominis venientem in nubibus cœli cum virtute
multâ et majestate. — Et mittet angelos suos cum tuba
et voce magna, et congregabunt et ctos ejus à quatuor
ventis... Et un peu plus loin encore : Cum autem ve-
nerit Filius hominis in majestate suâ, et omnes angeli
cum eo, tune sedebit super sedem majestatis suœ : et
congre g abuntur antè eum omnes gentes, et separabtt eos
ab invicem, sicut pastor segregat oves ab hœdis ; et sta-
tuet oves quidam a dextris suis hœdos autem à sùi>slris.
Tune dicet Rex his qui à dextris ejus erunt : Venite, be-
nedicti Patris mei, possidete paratum vobis regnum à
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 13
constilutione mundi... Tune dicet et his gui à smistris
erunt : Discedite à me, maledœti, in ignem œternum,
qui paratus est diabolo et angelis ejus.
Pour mieux graver dans nos esprits la pensée du
jugement général, le divin Sauveur nous la rappelle
au moment de sa passion, le jour même de sa mort.
Les paroles d'un mourant sont sacrées, et quand
elles sortent de la bouche d'un père, un enfant bien
né ne les oublie jamais.
Jésus est en présence de Caïphe qui fait fonction
de Grand-Prêtre et qui, à ce titre, l'interpelle en ces
termes :
« Je vous adjure au nom du Dieu vivant, de nous
dire si vous êtes le Christ, Fils de Dieu. — Vous
l'avez dit, répond Jésus, je le suis. » Puis il ajouta
aussitôt : « Je vous déclare que vous verrez un jour
le Fils de l'homme assis à la droite de la majesté de
Dieu et venant sur les nuées du ciel. » C'est clair.
Les apôtres ont redit au monde cet enseignement,
Qui ne' connaît ces énergiques paroles de saint Paul:
« Il faut que nous soyons tous manifestés au tribu-
nal du Christ, afin d'y rendre compte chacun des œu-
vres que nous aurons faites, bonnes ou mauvaises. » ?
Saint Jean à Pathmos vit les morts grands et petits
debout en présence du trône de l'Agneau ; et des
livres furent ouverts ; et il fut ouvert un livre qui
est le livre de vie ; et les morts furent jugés d'après
ce qui était écrit dans les livres, conformément à
leurs œuvres.
L'Église a fait de cette doctrine un article de son
14 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
symbole. Je crois en Jésus-Christ ressuscité et monté-
aux cieux, d'où il viendra pour juger les vivants et
les morts, et la saine raison reconnaît qu'il doit en
être ainsi.
En créant l'homme, Dieu lui a tracé ses devoirs,
puis il Ta mis entre les mains de son conseil, pro-
mettant de le récompenser s'il est fidèle, et l'assu-
rant d'un châtiment éternel, s'il devient prévarica-
teur.
Cette loi primordiale a été renouvelée sur le mont
Sinaï et confirmée par les enseignement- de l'Homme-
Dieu. Mais, quoiqu'elle vienne de Dieu et qu'elle
n'ait pour but que le bonheur de celui à qui elle est
imposée, elle serait néanmoins imparfaite si elle
manquait de sanction, c'est-à-dire si le souverain
législateur ne récompensait pas ceux qui l'observent
et ne punissait pas ceux qui la violent. Or, cette
punition et cette récompense où sont-elles ? Est-ce
que le juste, ici- bas, reçoit la peine due à ses bonnes
œuvres? Est-ce que le pécheur reçoit sur terre la
peine due à ses crimes?
Le contraire ne semble-t-il pas vrai? Tandis que
la victime innocente est jetée dans la misère, est-ce
qu'on ne voit pas dans l'abondance et les plaisirs
celui qui l'a dépouillée injustement de ses biens ?
N'est-il pas vrai que la vertu est méprisée, tandis
que le vice triomphe ? Ne rencontrez-vous pas au-
jourd nui, presque partout, des hommes qui se
jouent de la loi de Dieu et de Dieu lui-même, qui le
blasphèment, qui méprisent son Évangile, son
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 15
Église, ses ministres, ses fêtes, ses sacrements ? Et
cependant quel châtiment reçoivent-ils ici-bas? Ah!
sans doute, Dieu les jugera à l'heure de la mort, et
alors il rendra à chacun selon ses œuvres. Il a l'éter-
nité pour punir. Et cependant ce jugement particu-
lier, qui n'a d'autre témoin que le coupable et son
juge ne suffît pas. Le divin Législateur a été outragé
publiquement, sa loi a été violée, parfois, avec un
éclat qui a frappé tous les yeux, avec un cyni-me qui
s'est a! fiché de toutes parts: ne faut-il pas que la
réparation soit publique? Le pécheur a triomphé
contre Dieu devant les foules, devant l'univers entier,
n'est-il pas juste qu'il soit humilié devant tous? Les
justes ont été tournés en dérision devant leurs en-
nemis, ne convient-il pas qu'ils soient exaltés en
leur présence?
Non, le jugement particulier ne suffit pas, pour
réparer les outrages et les scandales éclatants des
pécheurs, les violations publiques de la loi; les mé-
pris affectés de la puissance, de la justice, de la sain-
teté et de la sagesse de Dieu; il faut un jugement
général qui venge publiquement le Créateur, jus-
tifie publiquement les bons et confonde publique-
ment les méchants.
II
Ce jugement nécessaire que sera-t-il?
Transportons-nous à lafiu des t;jmps. Les anges ont
16 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
fait retentir aux quatre coins du monde cette puissante
et terrible parole : « Surgite, mortui, venue adjudicium :
Morts, levez-vous, venez au jugement. » Soudain
les os desséchés, la cendre, la poussiè.'e froide s'é-
meuvent dans les tombeaux; la terre, la mer, les
abîmes se préparent à rendre leurs victimes. Celui
qui, d'un mot, a fait jaillir du néant l'univers en-
tier, peut aussi, d'un mot, arracher l'homme aux
horreurs de la mort : Surgite mortui! Que les géné-
rations donc se lèvent de leur lit de pierre où elles
ont dormi tant de siècles !... La voix du Créateur est
entendue : l'humanité tout entière est debout et
réunie dans l'attente de son juge. Tout à coup les
portes éternelles s'ouvrent ; la Croix, symbole de
justice et de miséricorde, la croix sur laquelle Dieu
a voulu subir les conséquences d'un jugement hu-
main, apparaît au haut des cieux avec un merveil-
leux éclat. Après elle se montre le Fils de l'homme,
environné de myriades d'esprits célestes ; sa gloire
resplendit comme mille soleils ; son aspect est sé-
vère, sa démarche imposante ; son œil est brillant
comme l'éclair, sa bouche semble prête à proférer
des paroles terribles ; sa droite tient le livre de vie,
et dans sa gauche est la balance du sanctuaire. C'est
le Législateur souverain qui vient demander compte
à de grands coupables des infractions qu'ils ont
faites à sa loi; c'est le Maître universel qui vient
punir tout crime et récompenser toute vertu ; c'est
le Sauveur méconnu et méprisé qui vient redeman-
der à des ingrats son sang et sa vie. Un saisissement
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 17
de crainte parcourt ces rangs immenses et serrés;
toutes les tribus de la terre versent des pleurs amers
et exhalent de douloureux gémissements : Tune plan-
gent omnes tribus terrœ. Le Seigneur a ramassé toutes
les nations dans la vallée de Josaphat, et il va entrer
avec elles et surtout avec son peuple dont il fera
voir les ignominies. Congregaho omnes nationes, et
deducam eos in vallem Josaphat, et disceptabo cum eis
super populo meo et hœreditate meâ... Relebabo pu-
denda tua in facie tua, et ostendam gentibus nuditatem
tuam.
Judieium sedit et libri aperti sunt. Le Juge est assis,
et le livre de la vie ouvert; venez, peuples; venez,
princes ; venez sujets, qui que vous soyez, riches,
pauvres, savants, ignorants, grands et petits, en-
fants et vieillards, venez et entrez en compte avec
votre Dieu.
Approchez d'abord, ô vous justes, au front des-
quels déjà resplendit la gloire des élus, venez rece-
voir des mains de votre Dieu l'une des plus belles
récompenses dues à vos vertus, c'est-à-dire la ma-
nifestation qui en est faite devant le genre humain
tout entier. Tandis que vous gémissiez dans la terre
d'exil, vos vertus se cachaient aux yeux du monde,
ou si elles se montraient quelquefois ce n'était que
pour recueillir le sarcasme et le mépris.
Eh ! bien, il est juste que maintenant elles se
montrent dans tout leur éclat aux yeux de vos con-
tempteurs, afin qu'ils voient, eux qui vous traitaient
d'insensés, de quel côté était la véritable folie
18 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Vous m'avez reconnu et confessé par vos œuvres,
tandis que vous étiez au milieu du monde;- eh !
bien, maintenant, selon que je vous l'avais promis,
je veux vous reconnaître pour mes vrais disciples
devant mon Père, devant mes anges et devant tout
l'univers. J'ai eu faim et vous m'avez donné du pain ;
j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'ai été
infirme et prisonnier, et vous m'avez visité ; j'ai été
voyageur et vous m'avez abrité; ehl bien, mainte-
nant je vais vous nourrir éternellement du pain des
anges, vous enivrer de mes délices, vous revêtir de
ma gloire, vous donner une liberté inadmissible et
des forces inaltérables, en un mot, je vais vous cons-
tituer dans un bonheur sans fin dans le royaume de
mon Père.
Yenez donc, serviteurs fidèles; venez, saints pa-
triarches, glorieux prophètes, courageux apôtres,
généreux martyrs, pieux confesseurs, chastes vier-
ges, venez recevoir la récompense de vos vertus,
«entrez dans la joie de votre Seigneur.
Yenez, saints rois qui avez préféré une couronne
immortelle à une couronne périssable ; venez, magis-
trats, puissants de la terre, dépositaires du pouvoir,
qui n'avez jamais souillé vos mains par l'injus-
tice; venez, soldats chrétiens, qui avez généreu-
sement versé votre sang pour Dieu et la patrie;
Tenez, humbles laboureurs, modestes artisans, qui
avez aimé la pauvreté et l'obscurité de votre con-
dition, venez tous prendre votre part du céleste héri^
4age.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 19
Venez, parents chrétiens, qui n'avez vécu que pour
donner à Dieu de vrais et fidèles adorateurs; venez,
enfants pieux, qui avez honoré les auteurs de vos
jours ; venez, vieillards vénérables, qui avez su rem-
plir votre longue vie par les œuvres de la piété 1 1 de
la vertu; venez, époux fidèles, qui avez rénh-é en
vous l'union ineffable du Christ et de son Égli>e ;
venez, jeune homme, au cœur pur, jeune tille à
l'âme candide, qui avez su ré-ister au torrent des
passions, aux appâts du vice, aux entraînements du
monde, venez recueillir les palmes impérissables de
vos généreuses luttes. « Venez tous, ô les bénis de
mon Père, venez posséder le royaume qui vous est
préparé dès le commencement du monde ! » O
douces, ô ineffables paroles ! Elles sont pour la mul-
titude des Justes une source inépuisable des plus
saintes émotions, des plus douces joies, des plus
pures délices. Dans l'excès de leur ravissement, ces
bienheureux exhalent leur amour et leur reconnais-
sance par des chants divins, répétant en chœur le
céleste trisagion : Saint, saint, saint est le Dieu des
arméesi Et dans ces transports d'un indicible
bonheur ils se rangent, sous les ordres des anges, à
la droite du Juge suprême.
Mais tandis que les élus sont ainsi glorifiés, tan-
dis qu'ils commencent à jouir de leur bonheur, la
foule des réprouvés est envahie par la terreur, dé-
chirée par les remords, agitée par la honte et le dé-
sespoir. A la vue des Justes ils sont troublés. ~Ji, sai-
sis d'effroi, ils s'étonnent de leur salut inespéré. Ils
20 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
disent en eux-mêmes, se repentant et gémissant
dans l'angoisse de leur cœur : « Les voilà ceux que
nous avions en mépris, et qui étaient l'objet de nos
outrages. Nous, insensés,, nous regardions leur vie
comme une folie et leur fin comme un opprobre, et
les voilà maintenant au nombre des enfants de Dieu,
et leur partage est parmi les Saints. Nous nous
sommes donc trompés ; la lumière de la Justice n'a
pas lui à nos yeux et le soleil de l'intelligence ne
s'est pas levé sur nous. Nous nous sommes lassés
dans la voie de l'iniquité et de la perdition ; nous
avons marché par des chemins difficiles, et nous
avons ignoré la voie du Seigneur. Que nous a servi
l'orgueil? Toutes ces choses ont passé comme le
coursier qui se hâte, comme le vaisseau qui fend les
ondes, comme l'oiseau qui traverse les airs ou comme
xh flèche qui dévore l'espace... Nous n'avons donné
aucun signe de vertu et nous nous sommes consuin-
més dans notre malice »
A ces aveux accablants que la vérité arrache aux
réprouvés, la Justice divine va ajouter le poids écra-
sant d'une solennelle manifestation. Il faut que le
mal comme le bien paraisse aux yeux de tout le
monde, car l'Apôtre a dit : « Omnes enim nos mantfes-
tari oportet antè tribunal Chr/sti, ut referai uvusquis-
que propia corporis, prout gessit, sive bonum, sive ma-
/wm.Nous devons tous paraître au tribunal du Christ,
afin que chacun réponde de ses actions, bonnes ou
mauvaises. »
Paraissez donc, pécheurs, et soutenez, si vous le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 21
pouvez, le poids des accusations portées contre
Tous par Celui qui sonde les reins et les cœurs. Vous
ne sauriez échapper à la souveraine Justice. Quels
qu'aient été votre rang, voire condition, votre sexe,
votre âge, votre pays, votre siècle, vous avez à ré-
pondre à votre Créateur de l'usage que vous avez fait
de votre vie, de votre santé, de vos forces, de votre
intelligence, de votre raison, de votre corps et de
ses sens, du monde et de ses biens, de la foi et des
sacrements, en un mot de tous les dons de la
nature et de la grâce dont Dieu s'est plu à vous
comb'er.
Lisez dans le livre de vie : Voici toutes les cir-
constances de votre existence terrestre, votre en-
fance avec ses faiblesses, votre jeunesse avec ses
emportements, votre maturité avec ses vaines préoc-
cupations, votre vieillesse avec son endurcissement et
ses basses passions. Puis c'est l'histoire de votre
esprit, de votre cœur et de vos sens; ce sont vos
pensées impies, injustes, orgueilleuses, impures; ce
sont vos imaginations désordonnées et immondes,
vos affections illicites, vos haines furibondes, vos
désirs, bas, ignobles et injustes, vos actions crimi-
nelles. Voyez ensuite cette longue série d'omissions,
ces talents enfouis ou mal dirigés, ces ignorances
coupables et les crimes qui s'en sont suivis. Voyez
tous ces crimes que vous n'avez ^s empêchés quand
il était en votre pouvoir et de votre devoir de le faire ;
voyez tous ces jours passés dans l'oisiveté; tous ces
bons mouvements, toutes ces saintes inspirations,
22 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
tous ces remords salutaires que vous avez méprisés ;
voyez enfin tous ces péchés que vous avez fait com-
mettre, toutes ces âmes que vous avez perdues par
vos mauvais exemples, par vos scandales et par vos
détestables conseils.
Voilà donc, pécheur, l'état affreux de votre âme;
vos membres tremblent, votre cœur défaille devant
ce hideux et horrible spectacle ! N'importe! il vous
faut le contempler. Autrefois vous cherchiez les té-
nèbres pour vous livrer au mal. Non content de vous
cacher aux yeux des hommes, vous vous efforciez de
vous cacher à vous-même; mais le moment est venu
où vous devez être en spectacle à vos propres yeux
et à ceux de tous les hommes, car il est écrit. : Domi-
na* illumiuabit abscondita tenebrarum, et manifestabit
consiUa cordium. Aucune illusion n'est plus possible :
vous êtes obligé de vous voir tel que vous êtes.
Quelle honte! Ah! si du moins vous pouviez vous
dérober aux regards de vos semblables ! mais non.
Le Seigneur a dit : R^relabo pudenda tua in facie
tua, et osiendam gentibus nuditatem tuam; il faut que
cette parole s'accomplis>e. En vain vous essayeriez
de voiler vos ignominies : il faut qu'elles paraissent
aux yeux de tous. Voilà donc ce Dieu que vous ou-
tragiez en disant : Non vldebii Dominus, non intelliget
Deus Jacob; il vous faut maintenant supporter la sé-
vérité et la pénétration de son regard. Voilà cet
ange qui veillait à votre garde et que vous avez forcé
à se voiler de ses ailes pour n'être point témoin de
yos infamies; voilà ce père, cette mère à la surveil-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 23'
lance desquels vous avez voulu échapper; mainte-
nant il vous faut affronter leur présence et rougir
devant eux des désordres que vous avez voulu leur
cacher. Voilà cet homme de Dieu qui a tout fait pour
vous tenir dans la bonne voie ou pour vous y rame-
ner : vous lui avez celé vos crimes; maintenant il
les voit dans toute leur perversité. Voilà ces amis
que vous avez trahis : seuls ils vous gardaient
quelque estime ; maintenant ils vous reprochent
d'avoir trompé leur bonne foi ou abusé de leur fai-
blesse. Voilà ces âmes simples et pures dont vous
faisiez l'objet de vos railleries et de vos mépris;
maintenant leur tour est venu : c'est à vous d'essuy-er
leurs justes dédains et d'entendre de leur bouche
cette amère ironie : Voilà donc celui qui s'élevait
contre Dieu, qui sonnait de la trompette et décla-
rait la guerre au Tout Puissant, et qui nous trou-
vait >i insensés de le servir. Sa gloire est tombée
dans l'abîme; son cadavre est étendu sur la terre et
les insectes forment son vêtement. Voilà cette foule
innombrable d'indifférents qui Tie s'occupaient point
de vous autrefois, mais maintenant tous prennent
cause contre vous, et, selon le mot énergique du Pro-
phète : « silflent sur vos têtes, sibilaoerunt super te. »
Voila enfin ces complices et ces victimes de vos dé-
sordres. Je les vois fondre sur vous comme des fu-
ries vengeresses, redemandant avec les accents de la
rage et du désespoir, leur âme et leur paradis que
vous leur avez fait perdre. C'est toi, vil séducteur
qui m'as ravi l'honneur et la vertu I — C'est toi,
24 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
femme sans pudeur, qui m'as entraîné dans l'abîme
de la honte ! — C'est toi, père dénaturé, mère sans
entrailles, qui par tes mauvais exemples as causé mon
malheur éternel 1 — C'est toi, frère pervers, sœur
débauchée, qui as corrompu mon jeune cœur! —
C'est toi, ami perfide qui m'as conduit dans la voie
de la perdition! Les malédictions les plus épouvan-
tables accompagnent ces justes reproches. En est-ce
assez, ô pécheurs? Votre honte est-elle assez grande?
L'humanité entière est témoin de vos ignominies ;
c^est devant elle aussi que va être prononcé l'arrêt
irrévocable de votre condamnation. «J'ai compté vos
jours, dit le Souverain Juge; j'ai pesé vos œuvres
bonnes et mauvaises; je vous ai trouvé trop léger ;
c'est pourquoi allez, maudit, allez au feu éternel
préparé au démon et à ses anges. Vous avez insulté
à votre Dieu et à la religion, allez continuer vos
blasphèmes dans la société des démons ; vous avez
été impudique, orgueilleux, colère, avare : vous
aurez toute l'éternité pour comprendre le prix de
l'humilité, de la douceur, de la chasteté, du désin-
téressement et de toutes les vertus. »
Quels cris de rage, quels accents de désespoir sui-
vront cette terrible sentence ! « Montagnes, tombez
sur nous; collines, ensevelissez-nous! Inutile prière!
Farrêt reçoit son exécution. La foule des justes
s'élève triomphante au ciel et la multitude des ré-
prouvés est précipitée dans l'abîme qui est scellé
par la colère de Dieu avec ce mot épouvantable :
Éternité!... »
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 25
Il ne tient qu'à nous, mes frères, de faire tourner
à noire gloire cette manif -station du dernier jour :
nous n'avons qu'à avoir toujours présente à l'esprit la
pensée de ce suprême jugement. « Vviez, dit saint
Augustin, comme si votre juge était là sur le point
de venir, et lorsqu'il viendra vous n'aurez plus à le
redouter : Sic vivp </->asi renturus $it, et non ttmeôii
cùm venent» » Ainsi aoit-ii.
26 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
IJ DIMANCHE DE L'AVENT
ÉVANGILE
En ce temps-là, Jean, ayant appris dans sa prison
les œuvres de Jésus-Christ, envoya vers lui deux de
ses disciples avec ces paroles : « Êtes-vous Celui qui
doit venir ou devons-nous en attendre un autre? »
Et Jésus leur répondit : « Allez, rapporter à Jean ce
que vous avez entendu et vu : les aveugles voient,
les boiteux marchent, les lépreux sont guéri>, les
sourds entendent, les morts ressuscitent, les pau-
vres sont évangélisés; et bienheureux celui q*u
ne se scandalisera pas de moi. » Comme ils s'en
retournaient, Jésus commença à dire de Jean à la
multitude : « Qu'êtes-vous allés voir au désert? Un
roseau agité par lèvent? Mais encore qu'êtes-vous
allés voir? Un homme vêtu mollement? M-iis ceux
qui sont mollement habillés habitent les palais des
rois. Qu'êtes-vous donc allés voir? Un prophète?
Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophèle; car c'est
de lui qVil est écrit : Voici que j'envoie mon ange
devant \olre face , afin qu'il prépare vos voies. »
(Mat*., xi. 2-10.)
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 27
HOMELIE
Jean -Baptiste était en prison en punition de la
sainte liberté avec laquelle il avait osé reprocher à
Hérode le double scandale de son adultère et de son
inceste. Ce saint personnage a accompli sa mission,
il a montré l'Agneau qui porte les péchés du monde ;
il ne lui resfee plus qu'à couronner sa vie par le mar-
tyre. Il s'y prépare dans son cachot. En attendant, il
se préoccupe de l'avenir de ses disciples. Prêt à les
quitter, il s'alarme pour eux; il craint qu'après sa
mort, ils n'oublient tout ce qu'il leur a dit sur Jésus-
Christet qu'ils ne méconnaissent Celui qu'il a cher-
ché à leur faire connaître. C'est pourquoi il députe
deux d'entre eux au Sauveur pour leur fournir l'oc-
casion de voir et d'entendre par eux-mêmes toutes
les merveilles qui remplissent le pays à son sujet. Il
fait demander à Jésus s'il est véritablement le
Messie ou si on doit en attendre un autre. Ce n'est
pas pour sa propre satisfaction que le Précurseur fait
cette question. Lui, qui avait vu l'Esprit de Dieu des-
cendre sur le Sauveur sur les bords du Jourdain; lui
qui avait entendu la voix du Père proclamant que
Jésus est son Fils bien-aimé, n'avait pas besoin
d'autres preuves pour reconnaître l'Envoyé de Dieu;
mais il tient à ce que ses disciples soient confirmés
dans leur foi par le Sauveur lui-même ; il veut
qu'ils s'attachent à lui et devienent ses plus fidèles
disciples. Jusque-là ces hommes simples et charnels
28 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
n'avaient vu en Jésus qu'un homme ordinaire, une
sorte de concurrent de Jean-Baptiste cherchant à
faire école. Ils avaient même conçu quelques jalou-
sies contre lui. Ce qui explique les reproches qu'ils
lui fai-aient de baptiser comme leur Maître et de ne
pas exiger de ses disciples le jeûne et les autres pra-
tiques de la pénitence. Pour guérir ces préventions,
Jean les envoie à Jésus-Christ lui-même. Sa voix les
instruira, ses miracles les convaincront; en le
voyant de plus près ils apprendront à le connaître.
C'est là, c'est à l'école de Jésus-Christ que l'on s'ins-
truit, c'est là qu'on acquiert la vraie connaissance
de Dieu et de soi-même, la science qui rend saint
et fait gagner le paradis.
A la question que lui posent les disciples de son
Précurseur, Jésus répond : « Allez rapportera Jean
ce que vous avez vu et entendu. Les aveugles voient,
les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les
sourds entendent, les morts ressuscitent, l'Évangile
est annoncé aux pauvres, et heureux qui ne se scan-
dalisera pas à mon sujet. »
Au témoignage de saint Luc, avant de tenir celan-
gage, le Sauveur fit en présence des disciples de
Jean un certain nombre de miracles : il guérit des
malades, rendit la vue à plusieurs aveugles et chassa
les démons. In ipsâ autem hora multos curavit à lan-
guoribus et spiritibus malis, et cœcis mullis donavit
visum. 11 connaissait l'intention qu'avait eue Jean
en lui députant deux de ses disciples : entrant donc
dans cette intention, il lui fait la réponse que lui
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 29
seul pouvait faire, il répond en Dieu. Sa manière de
les éclairer est de faire briller à leurs yeux quelques
rayons de sa divinité. Il ne dit pas qu'il est le Mossie,
il le prouve. Que Minos, Numa, Mahomet et cent
autres, se vantant d'avoir des communications in-
times avec la Divinité, aient voulu être crus sur pa-
role : c'est la prétention de l'imposture. Mais Celui
qui est venu pour être la lumière du monde opère
ses miracles à la face de toute la terre.
Saint Jeùr* interrogé par les Juifs s'il était le
Messie, avait déclaré nositivement qu'il ne l'était pas.
A la même question, la réponse de Jésus est de faire
voir en sa personne les caractères du Messie. Ce
qu'il eût dit, eût pu laisser des doutes, ce qu'il fait
n'en permet point. La nature, à qui tout est soumis,
l'obéit qu'à son Maître; et pour déroger à ses lois il
aut la puissance qui les a faites. C'est pourquoi
Jésus n'a pas de preuve plus incontestable à donner
de sa mission divine que les merveilles qu'il opère
comme en se jouant. Du reste, ce caractère distinc-
tif du Messie a été marqué et prédit par les pro-
phètes : « Dieu lui-même viendra, avait dit Isaïe, et
il vous sauvera. Alors seront ouverts les yeux des
aveugles et les oreilles des sourds ; alors le boiteux
bondira comme un cerf, et la langue des muets sera
déliée . Deus ipse veniet, et saluabit vos. Tune aperien*
tur ocuii cœcorum, et aures surdorum patebunt. Tune
saliet sicut cervus claudus, et aperta erit lingua muto-
rum. n Ce qu'Isaïe avait prédit, Jésus le montre en
réalité. Il opère les merveilles annoncées par le pro-
2.
30 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
phète : il est donc celui qui avait été annoncé par ce
prophète. Or, Isaïe avait annoncé que ces grandes
cho-es seraient faites par un Dieu : Jésus e>t donc
Dieu. Voilà le raisonnement que devaient faire les
disciples de Jean. Inconcevable aveuglement des
Juifs ! Us ont entre les mains les livres qui leur font
connaître d'avance Jésus-Christ, et ils ne veulent
pas reconnaître Jésus-Christ! Aveuglement plus in-
croyable encore des incrédules ! Le Messie annoncé
par les prophètes est venu, il a réalisé dans sa per-
sonne tous les caractères qui le désignaient à la foi
des peuples ; il a fait les œuvres d'un Dieu; il est là
encore vivant dans son Église par sa doctrine, par
sa morale, par sa grâce, après trois siècles de per-
sécutions et quinze siècles de luttes de tout genre,
et ils ne le voient pas ! et ils ne croient pas en lui !
mes frères, il faut plaindre ceux que le soleil laisse
dans les ténèbres.
Après avoir parlé de ses miracles, Jésus ajoute que
l'Évangile est annoncé aux pauvres; et c'est là en-
core un trait auquel on doit reconnaître en lui l'En-
vc vé de Dieu. Ce caractère du Messie avait aussi été
annoncé par Isaïe. « L'E-prit du Seigneur est sur
moi parce qu'il m'a consacré. Il m'a envoyé pour
instruire ceux qui sont doux, pour guérir les cœurs
brisés par la douleur, pour annoncer le pardon aux
captifs... En ce temps-là les pauvres se réjouiront
dans le Saint d'Israël. » Ce caractère du Messie, Jé-
sus l'a parfaitement réalisé en sa personne et dans
sa vie. On peut même dire qu'il l'a fait à l'exclusion
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 31
de tous les autres maîtres. C'est un bienfait qu'on
chercherait en vain en dehors de sa religion. Tous
les moralistes qui l'avaient précédé, tous ceux qui
l'ont suivi ont débité leurs leçons dans des écoles où
ne pouvaient se rendre que quelques intelligences
privilégiées. Jésus-Christ seul a ouvert une école
pour les petits, les pauvres, les délaissés. Il a com-
mencé , Lui , à réunir autour de sa personne
quelques bateliers ignorants; il s'est fait le maître
d'école des multitudes, laissant de côté les savants
docteurs de la loi. Après lui, ses apôtres et leurs
successeurs ont suivi le même système :ilsontévan-
gélisé les pauvres, laissant aux maîtres profanes les
intelligences trop fières d'elles-mêmes pour se cour-
ber sous le joug de la foi.
Enfin, Jésus-Christ déclare heureux ceux qui ne se
scandaliseront pas à son sujet. Au jourde la présen-
tation de lEnfant-Dieu au temple, le vieillard Siméon
avait dit cette étonnante parole : « Cet enfant a été
envoyé dans le monde pour être un principe de
ruine pour un grand nombre de fils d'Israël. » Plus
tard saint Paul dira à peu près la même chose. Telle
est, en efiet, la malice du cœur humain, qu il trouve
la mort là où il devrait trouver la vie; il se fait une
pierre d'achoppement du roi destiné à le soutenir.
Les docteurs de la loi se scandalisaient des instruc-
tions du Sauveur, parce qu'elles montraient leur
ignorance; les pharisiens se scandalisaient de ses
vertus simples et modestes, parce qu'elles condam-
naient leur hypocrisie et leur orgueil; le vulgaire se
32 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
scandalisait de sa pauvreté et de son état Obscur,
parce qu'ils démentaient l'idée qu'il s'était faite du
Messie; les disciples de Jean eux-mêmes, de sa
conduite, qu'ils ne trouvaient pas assez sévère, et de
ses miracles qu'ils trouvaient trop bruyants. Hélas!
mes frères, les Juifs n'ont pas été seuls à se scan-
daliser de Jésus -Christ. Que de chrétiens trouvent
en lui un signe de contradiction, une pierre d'a-
choppement! Les incrédules se scandalisent de l'in-
compréhensibilité de ses mystères ; les hérétiques, de
l'autorité infaillible de son Église; les libertins, les
intempérants, les rapaces, les voleurs, les assassins,
tous les pécheurs, de la sévérité de sa morale. On ne
veut plus aujourd'hui aucune entrave ni pour l'es-
prit, ni pour le cœur, ni pour le corps ; liberté de
tout penser, de tout dire, de tout faire; morale
indépendante, c'est-à-dire sans règle, sans responsa-
bilité : voilà le rêve d'un trop grand nombre de chré-
tiens de nos jours. L'Évangile, ledécalogue, les mys-
tères, le culte, l'Église : tout cela est suranné; tout
cela gêne; tout cela doit disparaître. Voyez, mes
frères, si vous ne participez pas un peu à cet esprit
d'indépendance absolue; si, par conséquent, Jésus-
Christ n'est pas pour vous, à un certain degré, un
signe de contradiction, une pierre de scandale? Pre-
nez-y garde : Si Jésus-Christ vous scandalise, au lieu
de vous donner la vie, il vous donnera la mort. Heu-
reux ceux qui ne sont pas scandalisés par le Sau-
veur! Heureux ceux qui trouvent dans sa loi, non
pas une occasion de chute, mais un moyen de salut;
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 33
qui soumettent avec docilité leur esprit à ses dogmes,
leur vie tout entière à ses préceptes!
Dès que les disciples de Jean furent repartis, Jésus
se mit à parler au peuple de cet homme admirable.
Il y a de ce fait plusieurs instructions à retirer. Re-
marquons d'abord que le Sauveur ne loue Jean-Bap-
tiste ni en sa présence, ni en la présence de ses dis-
ciples. Il a voulu par là nous apprendre que l'éloge
direct doit être rare, car il arrive trop souvent qu'il
prend le caractère de la flatterie; il devient ainsi fu-
neste à celui qui le donne; et ensuite, si celui qui le
reçoit n'est pas d'une humilité solide, il peut lui
faire du mal en fournissant un aliment à son or-
gueil.
En second lieu il est à remarquer que notre divin
Maître n'a jamais loué son précurseur, tant que ce-
lui-ci était libre; mais il le loue sans crainte mainte-
nant qu'il est au pouvoir du prince cruel qui le per-
sécute , il prend hautement sa défense en prison.
Il y a peu de courage à dire du bien de ceux à qui
tout prospère, qui sont l'objet de la considération
universelle; mais il y en a beaucoup à prendre leur
défense, quand ils sont persécutés. Rien de plus com-
mun que d'entendre débiter la calomnie ; rien de plus
rare que de la repousser. Combien de fois n'avons-
nous pas entendu déchirer la réputation du prochain,
sans nous mettre en devoir de le justifier 1 La crainte
de déplaire au méchant nous empêchait de soutenir
les droits de la justice. Qui sait même si une secrète
malignité ne nous faisait pas trouver quelque plaisir
34 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
à entendre ces cruelles imputations? Ne nous est-il
pas arrivé aussi quelquefois de donner un rire de
complaisance à de sanglantes railleries? Notre si-
lence mêmen'a-t-il pas élé coupable? On accrédite la
calomnie, lorsqu'on ne dit pas ce qui pourrait la faire
tomber. Rappelons-nous que Dieu nous a faits tous
solidaires, quil a confié à chacun de nous le soin de
notée prochain, et par conséquent de sa réputation.
Sachons triompher du respect humain en prenant
sa défense devant ses calomniateurs. Loin de nous
condamner, le monde applaudira à notre courage, et
Dieu nous ménagera des défenseurs si le jour de
l'épreuve arrive pour nous.
Nuire Sauveur prend la défense de Jean en louant
sa fermeté et sa mortification. « Qu êtes-vous allés
voir au désert? Est-ce un roseau agité par le vent? »
Non, Jean-Baptiste n'est pas un roseau qui plie au
moindre vent; ce n'est pas un homme tournant à
tout vent de doctrine , changeant à tout instant
d'état dévie; aujourd'hui pieux, demain indifférent,
un jour dans la soliiude , le lendemain dans le
mcnde; le matin au temple, le soir au spectacle.
Jean est à la fin de sa vie, ce qu'il a été dès les pre-
mières années, homme d'une foi solide, de mœurs
austères. La prison , la persécution ne l'ont point
changé; il a rempli son devoir au péril de sa vie; il
attend avec un courage invincible la mort qui lui est
réservée. Combien, mes frères, cette conduite de
Jean condamne la nôtre! Notre vie est une alterna-
tive de résolutions et de chutes, de désirs et de re-.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 35
grets, de péchés et de repentirs. Nous connaissons
nos oevoirs, mais nous n'avons pas la force de les
remplir; nous voulons le bien, mais nous n'avons
pas le courage de le faire. Que l'exemple de Jean-
Baptiste nous fasse rougir de notre perpétuelle mo-
bilité; prenons enfin cette consistance qui est le ca-
ractère de la vraie vertu, et méritons de recevoir un
jour de la bouche de Notre-Seigneur l'éloge qu'il fait
aujourd'hui de son précurseur.
Après avoir loué la constance de saint Jean, Jésus
fait l'éloge de sa mortification; aucun homme jus-
que-là ne l'avait portée si loin. Depuis son enfance il
avait vécu au désert, n'ayant pour tout vêtement
qu'une ceinture en poils de chameau et pour toute
nourriture que des sauterelles et du miel sauvage.
Avant de prêcher la pénitence, cet homme qui n'a-
vait jamais eu de fautes à expier, avait pratiqué les
plus rigoureuses attentés. Il s'était fait le modèle
de la pénitence, afin d'avoir le droit de la prêcher.
C'était cette vie de privations, de veilles, de jeûnes,
de macérations qui avait attiré près de lui les multi-
tudes étonuées d'une si haute perfection. Jésus Christ
consacre cette vénération des peuples en faisant l'é-
loge de ce qui la produisait. Mais en louant Jean-Bap-
tiste le Seigneur nous condamne, car nous sommes
loin de la mortification du Précurseur. Le luxe,
la mollesse, la vie sensuelle ne se trouvent plus seu-
lement en haut, dans les rangs de la société dont elle
semble l'apanage naturel, mais ils ont tout envahi.
Toutes les couditions sont alfainées de jouissances.
36 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
Od ne recherche plus que cela, on ne travaille plus
que pour cela, on ne vit plus que pour cela. Aussi,
toute-t sacrifié au sensualisme : la vie de famille,
les bonnes mœurs, la réputation, la santé, jusqu'à
la conscience. Pour jouir, le chef de famille sacri-
fie l'éducation de ses enfants; la femme vend sa pu-
deur; le magistrat transige avec la justice; le militaire
foi fait à l'honneur; le financier, le négociant, l'indus-
triel se font un jeu de la probité. Quelle déplorable
situation! On oublie qu'il n'y a qu'un chemin pour
aller au ciel, c'est le chemin de la croix, le chemin
des modifications. Jésus-Christ â passé par là; tous
les saints l'y ont suivi ; et nous croirions y aller par
une autre voie, par la voie des fleurs, des plaisirs,
des satisfactions sensuelles I Ah! détrompons-vous.
L'Évangile n'a pas changé; il faut le suivre ou se dé-
cider d'avance à se passer du ciel.
Notre Seigneur complète l'éloge de saint Jean en
proclamant que c'est un prophète et plus qu'un pro-
phète, n (Ju'êtes-vous donc allés voir au désert? Un
prophète? Oui, et, je vous le dis, plus qu'un pro-
phète. » L'humilité de saint Jean l'avait empêché de
se reconnaître pour un prophète, la justice de Jésus-
Christ l'en récompense en le plaçant au-dessus des
prophète-. Non seulement il est, comme eux, porteur
des oracles divins, mais, ce qui n'a été accordé à
aucun d'eux, il est l'objet des oracles.
Tous les siècles concourent à sa gloire : ceux qui
l'ont précédé en le prédisant; ceux qui le suivent, en
l'honorant. Il n'annonce pas seulement de loin le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 37,
Christ, comme ont fait les autres prophètes, il le
montre à la terre. Il ferme la succession des prophètes
et ouvre celle des apôtres. Il appartient tout à la
fois à la loi ancienne et à la nouvelle. l>ophète
apôtre, docteur, solitaire, vierge, martyr, il esi tout
cela en même temps. Il réunit tous les titres à la
sainteté. Aussi le Sauveur termine-t-il son éloge en
déclarant qu'entre tous les fils des femmes il n'en est
pas de plus grand que Jean-Baptiste. L'éloge ne peut
pas aller plus loin.
Un saint qui a mérité d'être ainsi loué par Celui
qui voit des taches dans les anges doit avoir au ciel
un grand crédit. Adressez-vous donc à lui, mes frères,
en toute confiance pour obtenir de Dieu la grâce
de marcher comme lui dans la voie de la justice avec
une constance et une fermeté invariables, afin de
mériter comme lui d'être loués par le Juge suprême
des vivants et des morts. Amen,
38 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
POUR LE MEME DIMANCHE
MISSION DIVINE DE JÉSUS-CHRIST
Cceci vident... pauperes evangelisan»
tur, et beatus qui non fuerit scandalisé'
tus in me. (Math., xi, 5.)
Mes Frères,
Du fond de la prison où l'a enfermé le cruel Hé-
rode, Jean-Baptiste entend parler des merveilles
opérées par Jésus de Nazareth ; aussitôt il envoie
deux de ses disciples pour lui poser cette question :
« Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en
attendre un autre : Tu es qui ventwws es, analium
expectamus? » Jésus répond : « Allez dire à votre
maître ce que vous avez vu : les aveugles voient, les
boiteux marchent droit, les sourds entendent, les
lépreux sont guéris, les pauvres sont évangélisés,
et heureux celui qui ne trouvera pas en moi
une pierre de scandale. » Est-ce que Jean doute
de la mission divine du Sauveur? Est-ce pour
lui qu'il fait demander à Jésus s'il est réellement le
Messie promis ? Évidemment non. Abraham a vu le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 39
jour du Seigneur ; Isaïe a vu sa gloire et nous l'a dé-
peinte; tous les prophètes l'ont vu en esprit ; et celui
qui est plus qu'un prophète l'aurait ignoré ! Celui
qui a été envoyé pour rendre témoignage à la lu-
mière aurait été dans les lénèbres! Non, cela n'est
pas possible. Jean a vu l'Agneau sans tache, il l'a
montré au monde; il a entendu la voix du Père pro-
clamer son Fils bien-aimé. Ce n'est donc pas pour
satisfaire sa curiosité qu'il envoie des disciples à
Jésus, mais pour amener ses disciples à reconnaître
dans Jésus le vrai Christ envoyé pour sauver le genre
humain.
Et quelles preuves Jésus donne-t-il de la divinité
de sa mission? Il affirme que les infirmités humaines
sont guéries, que les pauvres sont évangélisés et
qu'il est lui-même un scandale pour un grand
nombre. Suivons ces pensées.
Saint Pierre a dit du Sauveur qu'il a passé en fai-
sant le bien. C'est, en effet, ce que racontent les évan-
gélistes. « Il parcourait, disent-ils, toute la Galilée,
guérissant toute langueur et toute infirmité parmi le
peuple. Et sa réputation se répandit dans toute la
Syrie, et on lui présenta tous ceux qui avaient quel-
que mal, qui étaient affligés de quelque maladie, de
quelque souffrance, qui étaient possédés par le dé-
40 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
mon, ou qui étaient paralytiques, et il les guérit. —
Et une multitude nombreuse était venue de Judée
de Jérusalem, des bords de la md-, de Tyr, de
Sidon, pour l'entendre et pour être guérie. Et ceux
qui étaient tourmentés par les esprits immondes
étaient délivrés. — Et toute la foule cherchait à le
toucher, parce qu'une vertu surhumaine s'échappait
de lui. »
Ainsi, non seulement de toutes parts on amenait
les malades à Jésus, mais lui-même allait eu quel-
que sorte à leur recherche : il parcourait non seu-
lement la Judée, mais la Galilée, la Syrie, les régions
maritimes et Tyr et Sidon. Saint Pierre a bien raison
de dire : Tramiil benefaciendo. Quand les panégyristes
profanes veulent exalter un glorieux conquérant ils
disent : u Non tam passibus quam victoriis peragravitr
Chaque pas a été marquée par une victoire, » quoique
chaque victoire ne soit autre chose que le pillage, le
carnage, la dévastation et la mort. Mais tout autre
est le passage du Sauveur : ses pas sont marqués
par des bienfaits. Quand il avait passé par quelque
endroit, il ne fallait plus après y chercher un ma-
lade : Jésus avait tout guéri.
Or, cette puissance si absolue, si constante sur la
maladie de quelque nom qu'elle s'appelle, n'est-elle
pas un témoignage incontestable d'une mission di-
vine? Quel est donc le médecin qui a su guérir toutes
les maladies sans aucun remè'de, par un seul acte de
sa volonté? Que toutes les illustrations médicales se
réunissent et disent à un paralytique de trentd*
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 41
huit ans : Prends ton grabat et marche; et on verra
s'ils seront obéis.
Quand donc Jésus dit aux disciples de Jean : Les
aveugles voient, les muets parlent, les sourds
entendent, les boiteux marchent, les morts ressus-
citent, etc, il leur donne la preuve la plus incontes-
table de la divinité de sa mission. Celui qui com-
mande avec cette autorité à la maladie, celui qui se
montre ainsi le maître de la santé, de la vie et de la
mort ne peut pas être un simple mortel. La nature
n'obéit avec cette docilité qu'à celui qui est son au*
teur. Jésus réalise donc un caractère attribué au
Messie. Ce qui le prouve mieux encore, c'est que les
pauvres sont évangélisés.
Dans les sociétés païennes le pauvre était compté
pour rien; nul ne songeait à lui si ce n'est pour en
tirer des services. Quant à l'instruire on s'en fût bien
gardé, de peur de lui donner des idées d'indépen-
dance. Les philosophes avaient des écoles dont la re-
nommée est arrivée jusqu'à nous; mais ils n'avaient
qu'un très petit nombre de disciples, et ces disci-
ples étaient choisis exclusivement chez les riches.
11 était réservé au Christ de tirer le pauvre de son
abjection et de l'élever par l'instruction. Aussi Isaïe
annonçant le Messie met dans sa bouche ces
paroles : L'Esprit de Dieu est sur moi, parce qu'il
42 DOMINICAINS DUN CURÉ DE CAMPAGNE
m'a sacré et m'a envoyé évangéliser les pauvres,
guérir les cœurs affligés, prêcher la liberté aux
captifs, consoler ceux qui pleurent et changer
en joie la tristesse de ceux qui se lamentent en
Sion. Cette prophétie regarde évidemment le Sau-
veur. Il se l'est appliquée un jour en présence de
toute la synagogue à Nazareth. Du reste, son évan-
gile est plein d'enseignements pour les pauvres.
Écoutez son premier sermon; ses premières paroles
sont pour les pauvres : « Bienheureux les pauvres
par l'esprit car le royaume des cieuxest à eux : Beati
paupercs spiritu, quia ipsorum est regnum cœlorum.
Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront
consolés, Beati qui lu g ent quia ipsi consolaôuntur...»
« Oh ! que Jésus-Christ est ancien dans la nouveauté
de son évangile! s'écrie Tertullien : 0 Christumet in
novis veterum! » Ce qu'il fait est nouveau, parce que
personne ne l'a fait avant lui ; ce qu'il fait est néan-
moins ancien parce que le prophète l'avait prédit.
Quel autre a jamais apporté de meilleures nouvelles
aux pauvres que celles que le pauvre Jésus leur a an-
noncées, auand il leur a prêché sa venue! 0 pauvres,
réjouissez-vous, voici un compagnon qui vous ar-
rive ; mais un compagnon si grand, si admi-
rable, qu'il vaut mieux être pauvre en sa compagnie
que d'être maître et tout-puissant dans les assemblées
des mondains. Les pauvres sont ses bons amis : ce
sont eux qu'il choisit pour ses apôtres ; ce scKit eux
qu'il admet dans ses confidences; c'est à eux qu'il
dévoile tous ses mystères : et cum siinplicibus sermoci-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 43
natio ejus; ce sont eux qu'il va prendre sous le chaume
et à la masure pour les placer parmi les princes de
son peuple : Et de stercore erigens pauperem utcollocet
eum cum principibus populi sui.
Ce que Jésus-Christ a fait, l'Eglise, héritière de sa
doctrine et de ses sentiments, le fait encore tous les
jours. Elle a pour les pauvres une prédilection par-
ticulière; elle bâtit pour elle des asiles semblables à
des châteaux; elle donne à leurs intelligences les lu-
mières de la foi ; elle met dans leurs cœurs les plus
nobles sentiments; elle donne à leurs corps la nour-
riture quand ils se portent bien et les remèdes quand
ils sont malades. Il n'est pas un besoin, pas une
souffrance qui lui échappe. Elle a des cœurs dévoués
pour toutes les nécessités. Il est donc vrai de dire
qu* tnniours les pauvres sont évangélisés, pauperes
'■ vangelisantur.
III
Le Seigneur ajoute : « Bienheureux celui qui ne se
scandalisera pas de moi : « Beatus qui non fuerit scan-
datisatus in me. » Jésus -Christ n'a été que trop bon
prophète : il est devenu le scandale des Juifs et des
mauvais chrétiens. Cela étonne. Une mission si bien
attestée par toutes sortes de prodiges et par .les pro-
phéties les plus éclatantes peut-elle être contestée?
Puis où trouver plus de sainteté? QeDile abnégation!
L'a-t-on vu à la porte des grands pour mendier leurs
44 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
faveurs? S'est-il intrigué dans les affaires du monde?
A-t-il flatté l'ambition et la vanité des princ 3? N'a-
t-il pas, au contraire, mené la vie la plus obscure, la
plus commune, fréquentant les pauvres, soutirant
toutes sortes de privations? Dans sa carrière apos-
tolique quel renoncement ! Il ne se recherche pas
lui- même ; il vit au jour le jour ; il fuit les honneurs ;
il parle avec modestie, sans art, en paraboles, de
manière à être compris de tous; il dédaigne les res-
sources delà rhétorique, les artifices de l'art oratoire;
il se contente d'exposer dans le langage le plus simple
les vérités les plus sublimes parlant néanmoins avec
autorité et une sainte liberté. Eh bien, que pouvait-
on trouver à redire dans une vie si bien réglée? Et
cependant il sait qu'il sera pour un grand nombre un
sujet de scandale; il le déclare et il déclare bien-
heureux celui qui ne trouvera pas en lui une pierre
d'achoppement : Beatus qui non fuerit scandalisatus
in me.
Isaïe avait dit de lui : « Il sera pour vous un prin-
cipe de sanctification. Et erit vobis in sanctificalionem ;
mais il sera une pierre d'achoppement, un scandale
pour les deux maisons d'Israël : In lapidem autem offen-
îionis, et in petram scandait duabus domibus Israël; il
sera pour les habitants d'Israël un piège et un prin-
cipe de ruine : In laqueum et in ruinan habilantibus Jé-
rusalem. » C'est encore de lui que le Psalmiste a dit :
« La pierre que l'architecte a repoussée est devenue
la pierre angulaire de l'édifice : Lapidem quem reproba*
verunt œdificantes factus est in caput anguli. » C'est dé
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 45
lui aussi que le vieillard Siméon a dit : « Cet enfant
est placé dans le monde pour la ruine d'un grand
nombre et comme signe de contradiction : Posdus est
hic in ruinam... et in signum cui contradicetur. » C'est
de lui enfin qu'il a dit lui-même : « Je suis venu en
ce monde pour le juger, afin que ceux qui ne voient
pas arrivent à la lumière et que ceux qui voient de-
viennent aveugles : In judicium ego in hune mundum
veni, ut qui non vident videant, et qui vident cœci fiant. »
Toutes ces paroles se sont réalisées. L'esprit de
l'homme n'a rien compris à l'œuvre admirable de
Jésus-Christ. Il s'agissait de réhabiliter le genre
humain, de réparer le mal qui lui avait été fait par
la chute originelle. Le Sauveur a employé sa vie
tout entière à refaire l'édifice détruit par le péché.
Mais l'homme sensuel, descendu à la stupidité ani-
male par suite des ravages exercés sur lui par ses
passions, n'a pas su seulement soulever un coin du
voile du chef-d'œuvre de Dieu. Dans cette œuvre
tout le choque, tout l'embarrasse, tout le trouble,
tout le scandalise. De là la résistance opposée à la
parole et aux préceptes du Sauveur. Les ans disent
que c'est un séducteur; les autres l'accusent de
blasphémer. S'il guérit un paralytique le jour du
sabbat, ils vont jusqu'à lui en faire un crime et à le
regarder comme un violateur de la loi; s'il chasse
les démons, ils disent que c'est au nom de Beelzé-
buth. Ils l'accusent d'impiété s'il se dit fils de Dieu;
et quand il affirme qu'il était avant Abraham, ils le
traitent de fou et de démoniaque.
3.
46 DOMINICALES D'UN CURE DE COMPAGNE
Les Gentils à leur tour ont trouvé en lui une pierre
d'achoppement. Ils se sont scandalisés de ses anéan-
tissements, de sa pauvreté volontaire et surtout de
sa mort. Un Dieu qui se laisse tuer est pour eux le
dernier des scandales. Sa doctrine qui enseigne des
vérités inaccessibles à la raison, sa morale qui va à
rencontre de toutes les passions, ont été regardées
par eux comme la plus grande folie sortie d'un cer-
veau humain.
Et parmi ceux qui se rangèrent d'abord sous sa
discipline, combien qui s'en sont ensuite scanda-
lisés ! Toutes les vérités chrétiennes n'ont-elles pas
été attaquées par des esprits qui faisaient profession
de christianisme? Arius a nié la divinité de Jésus-
Christ; Marcion, son humanité; Nestorius- a divisé
les personnes; Eutychès a confondu les natures.
Quant à la doctrine du Sauveur, il n'est pas un seul
point qui n'ait été attaqué, qui ne soit devenu une
hérésie et n'ait donné naissance à une secte.
Que les Gentils, les Juifs et les hérétiques se soient
scandalisés du Seigneur Jésus, cela peut se com-
prendre ; on peut s'attendre à cela de la part
d'hommes prévenus, égarés par leurs passions, en-
nemis déclarés; mais que des catholiques, en-
fants de l'Église, disciples du Sauveur, vivent de
manière à faire voir que Jésus-Christ les choque et
les scandalise, c'est ce que l'on ne conçoit pas, ce
qui est déplorable au suprême degré. L'un trouve
une pierre d'achoppement dans l'humilité du Sau-
veur, et croit qu'il faut savoir garder sa dignité;
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 47
l'autre la trouve dans ses humiliations et son amour
pour la croix et dit tout haut que ce n'est pas savoir
Tivre que ne pas rechercher ici-bas la plus grande
somme possible de jouissance.
A vrai dire, tous plus ou moins, nous nous scan-
dalisons de Jésus-Christ. Nous aimons les richesses,
et Jésus les méprisait; nous nous attachons au
monde, et Jésus l'a condamné. Oui, Jésus vous est
un scandale, ô vindicatif, parce qu'il a pardonné les
injures ; Jésus vous est un scandale, ô riche avare,
parce qu'il est le père et le protecteur des pauvres;
Jésus vous est un scandale, ô hypocrite, parce que
vous faites servir sa religion de couverture à vos
mœurs corrompues ; Jésus vous est un scandale,
vous tous qui, par les désordres de votre vie, faitts
blasphémer son saint nom par ses ennemis.
En présence de ce scandale universel, efforçons-
nous, chrétiens, de nous rapprocher plus que jamais
de notre Sauveur. Disons comme saint Pierre :
« Quand même, ô Seigneur, tous se scandaliseraient
en vous, moi je ne m'en scandaliserai jamais.
Etiamn omnes scandalisati fuerint in te, ego numquarn
scandalisabor. » Que sa doctrine devienne la règle de
notre conduite; que sa loi soit l'objet de tous nos
respects; que sa vie soit le modèle de la nôtre, et
nous mériterons par là de le posséder éternellement
dans le ciel. Amen.
48 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
IIIe DIMANCHE DE L'AVENT
EVANGILE
Les Juifs envoyèrent de Jérusalem des prêtres et
des lévites vers Jean, pour lui demander : Qui êtes-
vous ? et il le confessa, et il ne le nia point, et il dé-
clara qu'il n'était point le Christ. Et ils lui deman-
dèrent : Quoi donc? Êtes-vous Élie? Il dit : Je ne le
suis point. Êtes-vous un prophète ? Et il répondit :
non. Ils lui dirent donc : Qui êtes-vous, afin que
nous rendions compte à ceux qui nous ont envoyés?
Que dites-vous de vous-même? Je suis, dit-il, la voix
de Celui qui crie dans le désert : Rendez droite la
voie du Seigneur, ainsi que l'a dit le prophète Isaïe.
Or, ceux qui avaient été envoyés étaient des Phari-
siens, et ils lui firent encore cette demande : Pour-
quoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ,
ni Élie, ni un prophète? Jean leur répondit : Pour
moi je baptise dans l'eau ; mais au milieu de vous
se tient un Homme que vous ne connaissez pas ;
c'est celui qui doit venir après moi, qui a été fait
avant moi, et je ne suis pas digne de délier la cour-
roie de ses souliers. Cela se passa à Béthanie, au
delà du Jourdain, où Jean baptisait. (Jean, i, 19-28.)
HCMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 49
MÉLIE
Miserunt Judœi sacer dotes ad eum,
ut interrogarent eum : Tu guis es?
(Jean i, 19.)
En ce temps-là, les Juifs envoyèrent à Jean des
ambassadeurs, pour lui demander : Qui êtes-vous?...
Êtes-vous le Messie? Il répondit humblement qu'il
n'était qu'une voix envoyée de Dieu pour les avertir
de se préparer à recevoir le Messie.
Voilà ce qui se passe à Béthanie, au delà du Jour-
dain, où saint Jean-Baptiste baptisait. Voici les
réflexions que nous suggère, de cet Évangile, le pas-
sage cité en commençant. Cette question : Tu quis
es ? adressée à Jean par les Juifs, je vous l'adresse à
vous-mêmes : Tu quis es? Quid dicis de teipso? Assez
longtemps vous avez parlé des autres, dans vos
conversations et dans vos jugements. Occupez-vous
aujourd'hui de vous-mêmes : Attende tibi. Quid dicis
de teipso? Tu quis es? Je vous adresse cette question
avec l'autorité que me donne le ministère de la
parole sainte, sans respect humain, mais avec l'amour
que vous a voué mon cœur de prêtre, sans aigreur.
Pour faire à ma demande des réponses pertinentes,
convenables , recueillez-vous , étudiez-vous vous-
mêmes ; considérez votre existence et vos qualités ;
examinez vos rapports avec Dieu, avec les hommes,
avec vous-mêmes ; de cet examen jaillira un rayon
lumineux qui, vous montrant ce que vous êtes, vous
montrera ce que vous devez faire.
50 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
1
Donc, je vous le demande : Tu quises?... J'entends
quelqu'un de vous répondre : Je suis F ouvrage des
mains de Dieu, je suis sa créature. Cette réponse est
aussi profonde dans sa vérité qu'elle est étendue
dans son objet. Oui, c'est vrai, c'est Dieu qui vous
a créé et donné tout ce que vous avez, tout ce que
vous êtes. Il y a cependant dans le monde des
hommes qui se disent savants, et qui nient cette vé-
rité. Ils rient de pitié en face de celui qui leur soutient
qu'une horloge, qu'une maison, qu'une statue sont
le produit du hasard et ils se fâchent si on leur dit :
l'existence de l'homme prouve l'existence de Dieu. —
Laissons-les à leur logique boiteuse. Mais si vous êtes
la créature de Dieu, vous lui devez Y adoration à cause
du domaine absolu qu'il a sur vous et de votre dépen-
dance entière à son égard. — La reconnaissance, à,
cause de tous les biens dont il vous a comblés. —
Y! amour, puisqu'il est votre père. — La prière, puis-
qu'il est le bienfaiteur libéral de qui seul vous pou-
vez recevoir ce qui vous est nécessaire. Et voilà,
en deux mots, prouvée la nécessité de la religion ; et
si vous avez bien saisi cette pensée, ce raisonne-
ment est inattaquable.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 51
II
Tu guis es? Je suis chrétien, me répond un autre
auditeur. Vous êtes chrétien, c'est vrai, mais quelle
grâce vous a été accordée à votre baptême, au pre-
mier jour de votre vie, et préférablement à tant de
millions d'hommes ! Quelle grâce ! par elle vous êtes
affranchi de l'esclavage du démon, lavé de la souil-
lure originelle... Vous êtes l'enfant adoptif et l'héri-
tier de Dieu le Père, l'affranchi de Jésus-Christ et un
membre de son corps mystique, — le temple du
Saint-Esprit, •— l'enfant de la sainte Église, — l'hé-
ritier du ciel... Vous êtes chrétien ! Il y a bon nombre
de gens baptisés qui crient : Je suis chrétien, et à
qui on peut répondre : A en juger par votre conduite,
on ne l'aurait pas soupçonné. Mais enfin, je crois
sur parole. Eh bien, ne l'oubliez pas, un chrétien
purifié du péché ne doit plus en commettre. L'en-
fant de Dieu et de l'Église doit en observer intégra-
lement les commandements. — Un disciple de Jésus-
Christ, doit en imiter les exemples. Un temple du
Saint-Esprit doit être respecté et saint. — Un héri-
tier du ciel ne doit pas s'attacher outre mesure à
cette terre qui n'est qu'un pèlerinage; il doit faire
de la céleste patrie l'objet de ses pensées, de ses dé-
sirs, de ses affections et de. ses efforts.
52 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
III
Tu quis es? Je suis membre de la grande famille
du genre humain, au sein de laquelle je vis avec des
supérieurs, des égaux et des inférieurs, me répond
un troisième auditeur. Cette réponse philosophique
contient, dans son laconisme, tout un code de mo-
rale. Oui, tous les hommes de la terre ne forment
qu'une même famille ; tous sont frères les uns des
autres; tous ont le même père, qui est Dieu. La
société est la famille dilatée. De ce principe si simple,
que de conséquences rigoureuses et obligatoires !
Ils sont donc des parricides, ceux qui, par les révo-
lutions, conspirent contre la vie de la société î Ils
sont donc de mauvais frères, ceux qui, loin d'aimer
le prochain d'un amour d'estime, d'un amour de
support, d'un amour de secours conservent contre
iui des sentiments de haine, d'aversion, de jalousie,
d'envie. Quils sont donc coupables ceux qui ne res-
pectent dans les autres hommes ni les biens de la
fortune, ni ceux de la réputation, ni ceux du corps,
ni ceux de l'âme !
A ces devoirs généraux, joignez ceux qui résultent
des divers degrés de la société civile et religieuse :
la déférence aux supérieurs ; l'affabilité envers les
égaux; le respect et l'édification des inférieurs.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 53
IV
Tu quîs es? Je suis un vieillard à la marche chan-
celante, à la tête courbée vers la terre, à la tête
chauve et blanchie par les ans. — Vous êtes un vieil-
lard? Que vous êtes vénérable, si votre front porte,
avec la couronne de vos cheveux blancs, celle d'une
vie pure! Si vos épaules fléchissent autant sous le
poids des vertus que sous le poids des ans ! Mais que
vous êtes méprisable au jugement des hommes,
condamnable au jugement de Dieu, si vous étiez
octogénaire par l'âge, enfant par la prudence; si
vous ressembliez à ces montagnes dont la tête est
blanche de neige et dont les entrailles renferment
un feu incandescent! 0 vieillard! réparez le passé,
profitez du présent; préparez-vous à l'avenir.
Tu quis es ? Je suis jeune homme, me répond avec
bonheur une voix douce et sonore. Ma taille droite,
ma démarche dégagée, mes joues colorées, ma vie
joyeuse accusent ma jeunesse.
0 jeunesse! on dit que vous êtes au printemps de
la vie. Vous pouvez avoir du printemps quelques
fleurs, mais, à coup sûr, vous avez de l'hiver les tour-
mentes, de l'été les tempêtes, et de l'automne peu
54 DOMINICALES D UN CURÉ DE CAMPAGNE
de fruits. Jeunes gens, jeunes filles, defiez-vous du
bouillonnement de vos veines, de l'effervescence de
votre imagination, des feux de votre cœur. Gardez-
vous de jeter de l'huile sur le feu par l'approche
des occasions du péché. Puisez dans de fréquentes
et ferventes communions l'esprit de pureté que vous
ne pouvez ni trouver ailleurs, ni nourrir autrement.
Ne prenez jamais pour votre directeur ni votre ima-
gination sans règle, ni votre cœur de feu ; suivez les
conseils du directeur de votre âme. Ainsi votre jeu-
nesse, naturellement ardente pour le mal deviendra
fervente dans le bien.
VI
Tu quis es? Je suis un enfant. — Enfant, faites
avec moi ces petites réflexions. Flexible comme un
roseau ballotté par le vent, faible comme le jeune
arbre auquel le jardinier donne un tuteur, impres-
sionnable comme la cire molle, l'enfant a besoin
d'être dirigé, élevé; soyez donc heureux d'être
repris de vos défauts; laissez semer dans votre cœur
le germe des vertus, vous en recueillerez un jour les
fruits : Quœ seminavetit homo, hœc et metet.
VII
Tu quis es ? Il y a peut-être quelqu'un dans cet
auditoire qui désapprouve mon langage et semble
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 55
me dire : Vous nous parlez comme on parlait au
moyen âge. Ces siècles d'obscurantisme sont passés.
Le soleil de l'intelligence s'est levé et nous voilà au
siècle des lumières. La vapeur et les chemins de fer
ont fait disparaître les distances. L'électricité et le
télégraphe transportent la pensée et la parole avec
la rapidité de l'éclair. La science a remplacé la foi,
et la raison est devenue notre seul guide. Nous
sommes arrivés au siècle de la libre pensée et je suis
libre-penseur.
Mon frère, votre franchise me plaît, mais votre
malheur me touche. Ce qui était vrai il y a 400 ans
ne le serait-il plus aujourd'hui? Les lumières du
dix-neuvième siècle ont-elles découvert que deux et
deux ne font plus quatre? La vapeur et les chemins
de fer ont-ils emporté Dieu dans le néant? L'élec-
tricité a-t-elle consumé Celui qui l'a créée? 0 libre-
penseur! que signifie ce mot? que vous pensez
librement, que vous vous affranchissez de la foi ? Eh
bien, je vous plains ! Jeune et innocent vous croyiez
à la religion et à tous ses dogmes; alors vous éliez
pur, et c'est depuis l'explosion des passions que,
sans de nouvelles études, vous ne croyez plus? Vous
faites ainsi votre confession publique en laissant
entrevoir la cause de votre incrédulité. C'est souvent
vrai, on a mal à la tête, parce que le cœur n'est pas
sain. Guérissez votre cœur et la foi vous reviendra.
56 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
VIII
Tuquis es? Grâces à Dieu, je suis une personne
désabusée du monde... Je vous comprends : Vous
faites profession de piété. Comme vous et avec vous
je dis : grâces immortelles en soient rendues à Dieu.
Vous avez reçu des yeux qui ont vu, des oreilles qui
ont entendu, un esprit qui a compris, un cœur qui a
«enti combien est petit tout ce qui est terrestre :
Quam tenue sit quod terrenum est, quam grande quod
divinum, quam brève quod temporaneum, quam dura-
bile quod œternum. La futilité des choses de la terre,
le prix de l'âme, la gravité du péché, l'éternité heu-
reuse et malheureuse. Vous avez pris au sérieux
l'amour de Dieu et la sanctification de votre âme ; et
vous vous êtes résolument lancée dans la voie des
commandements de Dieu et dans la pratique de tous
ou du moins de plusieurs conseils évangéliques. Eh
bien, ne regardez pas en arrière; les pa§ rétrogrades
offensent Dieu et scandalisent le prochain. Ne ba-
lancez pas entre Dieu et le monde, entre la ferveur
et la tiédeur; ce va-et-vient n'est ni fructueux, ni
honorable. Ne soyez pas stationnaire; les grâces si
nombreuses et si choisies que vous recevez chaque
jour réclament hautement une correspondance de
votre part et par conséquent quelques progrès.
Soyez une lampe ardente et luisante glorifiant Dieu
par votre ferveur, édifiant le prochain par votre
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 57
conduite, de laquelle vous excluerez les médisances,
les irrévérences à l'église et les imprudences capa-
bles d'exposer votre vertu.
Assez, mes frères, la question que j'ai posée dans
cette instruction aux diverses classes de chrétiens,
vous devez vous la poser à vous-même, non seule-
ment aujourd'hui, mais souvent devant Dieu, afin
que si votre conscience vous répond que vous n'êtes
pas ce que Dieu veut que vous soyez, vous mettiez
ordre à votre conduite. C'est le seul moyen de mé-
riter qu'à l'heure de la mort Dieu vous reconnaisse
pour lun de ses fidèles serviteurs et vous introduise
dans ses tabernacles éternels. Amen,
58 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
POUR LE MÊME DIMANCHE
Miserunt Judœi ab Jerosolymis sa-
cerdotes et levitas ad eum, vt in-
terrogarent eum : Tu quis e*7 (Jean,
ï, 19.)
Toutes les nations étaient dans l'attente du Libé-
rateur promis à nos pères. Le temps fixé par les pro-
phètes était arrivé, et les justes croyaient à chaque
instant entendre sonner l'heure du salut. Or, voici
qu'un homme s'éloigne de la contagion du siècle
pour habiter le désert; on raconte les circonstances
merveilleuses de sa naissance; on répète le cri d'ad-
miration échappé aux témoins de ces prodiges :
k Que pensez-vous que sera un jour cet enfant? »
L:austérité d'une vie encore inconnue au monde est
un prodige permanent qui frappe les yeux de la
foule; il parle le langage des prophètes; il reprend,
il menace, il exhorte avec cette autorité que donne
la connaissance de l'avenir et le titre d'envoyé du
ciel. « Race de vipères, s'écrie-t-il en s'adressant
aux Juifs endurcis, qui vous apprendra à éviter la
Yengeance à venir? »
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 59
La pénitence : voilà le texte des prédications qu'il
fait entendre sur îes rives du Jourdain : « Faites de
dignes fruits de pénitence, car le royaume des cieux
est proche. Faites pénitence, car la cognée est déjà
à la racine de l'arbre, et tout arbre qui ne porte pas
de bons fruits sera coupé et jeté au feu. » Toutes
ses paroles sont comme autant de coups de tonnerre
qui jetient la terreur dans les âmes rebelles, engen-
drent la componction et font couler les larmes.
Cependant la foule se presse au désert; on y ac-
court de toutes parts ; la Judée tout entière s'y pré
cipite; la synagogue elle-même s'émeut. Veut-elle
s'assurer des droits du saint Précurseur aux hom-
mages de la nation? Le regarde-t-on comme un pro-
phète? Doute-t-elle s'il est le Messie, ou craint-elle
de perdre le reste de sa puissance? C'est là, mes
frères, le secret de Dieu qui sonde les cœurs. Tou-
tefois elle n'hésite pas à lui envoyer une députation
de prêtres et de lévites pour lui demander qui il est:
Tu quis es?
Va-t-il se prévaloir de ces honneurs, cet homme si
digne des respects qui l'entourent? Il craindrait
sans doute d'usurper des hommages qui ne sont dus
qu'au Messie; mais ne doit-il pas se ménager un
crédit utile, nécessaire même au but de sa mission?
Non, mes frères, saint Jean se souvient que, comme
les autres hommes, il n'est que cendre et poussière.
Il sait qu'il prépare les voies à un Dieu humble de
cœur, qui doit enseigner l'humilité aux hommes, et
il veut, en foulant aux pieds l'orgueil, toucher des
60 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
cœurs superbes; aussi il confesse et ne nie point, il
confesse qu'il n'est point le Christ.
Ne vous semble-t-il pas confus et comme indigné
de la haute opinion qu'on a conçue de lui? Non, non,
répond-il avec une vertueuse énergie que l'Écriture
a peinte par une triple répétition; non, je ne suis
point le Christ : Nonsum ego Christus, tant il craint de
passer pour ce qu'il n'est pas. Etes-vous Élie? lui di-
rent les envoyés de la synagogue. Il l'est par le zèle
et le caractère, mais il n'en porte pas le nom. Que
va-t-il répondre? Qu'il ne l'est pas. Non sum. — Êtes-
vous prophète? Non, toujours non. Cependant il est
prophète et plus que prophète, et il s'abaisse et s'a-
baisse encore. Le saint Précurseur redoute tout ce
qui peut l'élever au-dessus des autres hommes. 11 se
croit le dernier de tous et on l'a pris pour le Messie.
Est-ce ainsi que nous agissons, mes frères, lorsque
par nos manières hautaines, nous cherchons à l'em-
porter sur les autres et à briller plus qu'eux? Que
nous sommes loin d'avoir l'humilité de saint Jean-
Baptiste lorsque nous écoutons avec complaisance
les louanges qu'on nous donne et que nous cherchons
à attirer celles qu'on nous refuse? Hélas! qu'il est
donc vrai que la vanité nous tient sous ses chaînes !
Surpris de sa réponse, les députés lui dirent : Qui
êtes-vous donc, afin que nous puissions rendre
compte à ceux qui nous ont envoyés? Que dites-
vous de vous-même? L'occasion est délicate: Jean-
Baptiste est forcé de parler de sa sublime mission,
il est obligé de déclarer la vérité, mais il le fera sans
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 61
orgueil, comme sans emphase; il saura dans les
termes de la plus noble simplicité, rendre aa Dieu
qui l'envoie le témoignage le plus solennel : « Je
suis, répondit-il, la voix de celui qui crie dans le dé-
sert : Applanissez les voies du Seigneur. » Descen-
dant des princes de la nation, il est issu du sang le
plus illustre d'Israël. Il est le précurseur du Messie,
l'ange annoncé par les prophètes; prophète lui-
même, il pourrait se glorifier de ses titres; mais son
humilité s'y refuse; il n'est à ses yeux qu'une voix
qui crie dans le désert.
Mettons-nous pour un moment dans la situation
où se trouvait alors saint Jean-Baptiste. Imaginons-
qu'on vienne nous demander avec autorité : Qui
êtes-vous? Que dites-vous de vous-même? Et, sans
chercher à nous abuser, examinons quelle sera
d'après nos dispositions la réponse que nous ferons.
Serons-nous, comme le Précurseur, principalement
occupés à prévenir l'opinion trop avantageuse qu'on
pourrait prendre de nous? Dirons-nous, à son
exemple, avec complaisance ce que nous ne sommes
pas, avec peine ce que nous sommes? Reconnaîtrons-
nous avec la même franchise ce qui nous manque?
Attendrons-nous avec la même humilité que nous y
soyons forcés, pour déclarer ce qui peut nous hono-
rer? Obligés enfin de parler de ce qui nous est avan-
tageux, en parlerons-nous aussi simplement, aussi
modestement? Ils sont bien rares ceux qui, sem-
blables à Jean-Baptiste craignent plus les éloges que
les censures et sont plus empressés à faire connaître
I. 4
62 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
ce qui les abaisse, que ce qui les élève. Rendons-
nous justice et considérons que notre première et
presque notre unique occupation est, au ccntraire,
de nous faire valoir. Nos défauts, nous les cachons
avec soin, nous les pallions avec adresse, nous les
justifions avec sensibilité. Nos qualités, au contraire,
ou réelles ou imaginaires, nous nous efforçons de
les faire ressortir. Ainsi, sommes-nous d'une nais-
sance distinguée? nous parlons avec complaisance
de notre famille, de nos parents, de nos ancêtres, de
nos alliances. Sommes-nous d'une naissance obs-
cure? Nous la dissimulons, nous l'oublions. Avons-
nous du talent? nous ne le laissons pas ignorer;
nous voulons qu'on le sache. Sommes-nous dans la
souffrance? nous voulons que tout le monde nous
plaigne et que tous prennent part à nos peines ; s'ils
ne le font pas, nous les traitons d'indifférents et de
mauvais cœurs. "Vous le voyez, le monde est un
théâtre de prétention et d'orgueil.
Les Pharisiens ayant entendu dire à Jean-Baptiste
qu'il n'est que la voix de celui qui crie dans le désert,
lui dirent : Pourquoi donc, si vous n'êtes ni un pro-
phète, ni Élie, ni le Christ, vous ingérez-vous à donner
le baptême? Si vous n'êtes envoyé que pour annoncer
le Messie, qu'il vous suffise de parler, n'agissez pas
en maître. Pourquoi faites-vous descendre ce peuple
dans le Jourdain pour verser à flots les eaux du
fleuve sur des têtes humiliées? Quid ergo baptisas, si
tu non es Christus? Jean-Baptiste répond qu'il admi-
nistre un baptême symbolique pour disposer le
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 63
peuple juif à recevoir le baptême sacramentel que
Jésus-Christ devait instituer.
Pour moi, dit-il, je ne baptise que dans l'eau : Ego
baptiso in aquâ, mais Jésus-Christ baptisera dans le
Saint-Esprit et dans le feu. Je la"e le corps, Jésus-
Christ puritiera l'âme et la remplira da Paraclet. Le
baptême que j'administre, n'efface point le péché, il
sert seulement à faire comprendre aux pécheurs que
de même que l'eau lave leurs corps, ainsi la péni-
tence doit purifier leurs âmes. Il va venir celui qui
lavera les âmes comme je lave les corps, celui qui
baptisera non plus dans l'eau seule, mais dans l'eau
et l'Esprit-Saint, celui-là fera du baptême un sacre-
ment qui effacera tous les péchés commis avant de
le recevoir. Celui-là sera plus qu'un prophète et plus
qu'Élie ; il sera le Christ. Il me suivra de très près :
Post me venturus est. Mais quoique venant après moi,
il existait avant moi : Antè me factus est. Il est telle-
ment au-dessus de moi que je ne suis pas digne de
dénouer les cordons de sa chaussure.
Celui qui baptisera dans l'eau et le Saint-Esprit
est déjà au milieu de vous, Déjà il a opéré des mi-
racles qui prouvent sa divinité, déjà il a étonné le
peuple par la sainteté de sa vie, la sublimité de sa
doctrine et la simplicité familière de son enseigne-
ment. Les pauvres, les pêcheurs de la Galilée, les
humbles habitants des campagnes se pressent sur
son passage ; mais vous, superbes pharisiens, vous
ne le connaissez pas : Médius vestrum stdit quem vos
nescitis.
64 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
Le reproche que Jean-Baptiste faisait aux Juifs de
ne pas connaître le Messie, le Christ, combien de
chrétiens le méritent encore aujourd'hui ! Voilà dix-
huit siècles que Jésus vit au milieu de vous par ses
sacrements, voilà dix-huit siècles qu'il illumine les
intelligences par sa doctrine, qu'il dirige les âmes
par ses préceptes moraux et ses conseils de perfec-
tion, qu'il gouverne la grande famille chrétienne par
son Église, et cependant combien' qui ne connais-
sent pas Jésus-Christ! combien pour qui il est un
Dieu inconnu! combien qui ignorent sa loi, qui sont
étrangers à sa vie, qui s'affranchissent du joug de
l'Église! Ils sont chrétiens, mais ils ne le sont que
par le baptême ; leur vie est toute païenne. Ils ont
connu autrefois les éléments de la doctrine du Christ,
mais ils ont tout oublié. Ils ont participé dans leur
enfance aux divins sacrements, mais depuis leur
jeunesse, ils ont abandonné ces sources de vie spi-
rituelle. Jeunes encore, ils respectaient l'Église leur
mère, mais l'âge des passions leur a fait secouer son
joug et ils vivent au gré de leurs caprices. Oui, pour
eux, Jésus est un étranger, un inconnu.
Mais nous-mêmes, chrétiens, nous qui en appa-
rence sommes plus fidèles, pouvons-nous dire que
nous connaissons bien Jésus-Christ?
Nous ne pouvons ignorer que Jésus-Christ est au
milieu de nous : nous savons qu'il a fixé sa demeure
dans nos tabernacles ; nous croyons qu'il y est
réellement présent sous les voiles eucharistiques, et
que s'il y est ce n'est que pour se donner à nous et
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 65
pour nous attirer à lui. Mais avons-nous soin d'aller
le visiter, /'adorer et le recevoir ? Hélas ! vous le
savez, mes frères, la plupart des chrétiens sont
assez ingrats pour l'oublier, pour l'abandonner,
pour le fuir. S'ils viennent de temps à autre dans ses
temples, c'est par habitude et par respect humain,
plutôt que par un véritable esprit de piété ; c'est
pour l'outrager par leurs irrévérences, plutôt que
pour l'honorer par le juste tribut de leurs adorations,
en sorte que quoiqu'il soit au milieu de nous, à en
juger par notre conduite, on dirait comme les Juifs,
que nous ne le connaissons pas.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer que ce
divin Sauveur réside au milieu de nous, dans la per-
sonne des pauvres, puisqu'il nous déclare expressé-
ment dans l'Evangile que lorsqu'il viendra juger
tous les hommes rassemblés au pied de son tribunal
il récompensera les uns pour avoir secouru l'infor-
tune et condamnera les autres pour avoir négligé de
le faire. « Venez, dira-t-il aux premiers, venez rece-
voir la récompense due à votre charité : lorsque j'ai
eu faim, vous m'avez donné à manger ; lorsque j'ai
été dévoré par la soif, vous m'avez donné une eau
rafraîchissante ; lorsque vous m'avez rencontré
privé de vêtements, vous m'avez vêtu ; quand j'étais
malade, vous m'avez soulagé ; quand j'étais enchaîné
dans une prison, vous m'avez visité. » Mais il dira
aux seconds : « Retirez- vous, maudits, allez loin de
moi subir la juste peine que vous avez méritée par
votre cruelle insensibilité. Vous m'avez vu pauvre,
4.
66 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
nu, souffrant et abandonné et vous n'avez pas daigné
me secourir. » Aimons-nous les pauvres, les respec-
tons-nous, les soulageons-nous? Hélas! le luxe, la
vanité, l'égoïsme ont étouffé la charité dans bien des
cœurs. Cette flamme divine brûle-t-elle encore dans
le nôtre? Chrétiens, au nom de nos intérêts les plus
sacrés, assistons les pauvres, écoutons leurs prières,
secourons les malheureux et Dieu sera pour nous
plein de miséricorde. Allons souvent visiter celui qui
par amour a établi sa demeure à côté de nos habita-
tions ; allons l'adorer, le prier, et un jour parce que
nous l'aurons connu, aimé, adoré et servi, il nous
admettra dans les splendeurs de la bienheureuse
éternité. \men,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES GT
IVe DIMANCHE DE L'AVENT
ÉVANGILE
La quinzième année de l'empire de César>Tibère,
Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode
tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, tétrarque
de l'Iturée et de la Trachonitide, et Lysinias tétrar-
que d'Abilène, sous les grands prêtres Anne et
Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert
à Jean, fils de Zacharie, et il vint dans tout le pays
du Jourdain, prêchant le baptême et la pénitence,
pour la rémission des péchés, selon ce qui est écrit
dans le livre du prophète Isaïe. Une voix crie dans
le désert : <; Préparez la voie du Seigneur, rendez
droits les sentiers ; toute vallée sera comblée, toute
montagne et toute colline seront abaissées ; les che-
mins tortueux deviendront droits et les raboteux
unis ; et toute chair verra le salut de Dieu. »
(Luc, i, 6.)
HOMÉLIE
Par ces paroles, l'écrivain sacré désigne la date
précise des événements qu'il raconte, et qui avaient
ە$ DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
été prédfts plusieurs siècles à l'avance. Les faits
évangéliques ne reposent point sur des traditions
populaires qui n'ont aucune origine, ou qui vont se
perdre dans une antiquité inconnue et fabuleuse. Ils
ne sont point comme ces fables païennes ou maho-
métanes qui n'ont point eu de témoins. Mais la
désignation exacte des personnes et des lieux, la date
précise des temps marqués sont parfaitement d'ac-
cord avec les livres prophétiques. Dès le commence-
ment de la prédication évangélique, les prophéties
commencent à s'accomplir, et c'est ce que font
soigneusement observer les quatre évangélistes. Le
Précurseur paraît le long du Jourdain, comme il est
écrit au livre des prophéties d'Isaïe, et il est la voix
de celui qui crie dans le désert : « Préparez la voie
du Seigneur ; rendez droits ses sentiers. Voilà que
j'envoie mon ange devant votre face qui, marchant
devant vous, vous préparera le chemin. » Cet ange
montré de loin, c'est Jean-Baptiste. Le voilà sur les
bords du Jourdain fidèle à la mission que lui avaient
tracée les prophètes. Le premier objet de sa prédica-
tion aux hommes est la pénitence ; c'est aussi par là
que le Sauveur commence la sienne : « Cœpit Jésus
praedicare et dicere : Pœnitentiam agite; » c'est ainsi
pareillement que les apôtres ouvrent la leur: Petrus
vwo ad illos : Pœnitentiam, inquit, agite. La pénitence
est la porte du ciel. Pour aller à Dieu, il faut avant
tout quitter la route qui en éloigne. Pour remplir
son âme des vertus qui font la justification, il est
indispensable delà vider des vices qui s'y opposent.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 69
On ne peut pas être aimé de Dieu en restant chargé
des crimes qu'il abhorre ; on ne peut pas l'aimer en
conservant de l'attachement pour les objets de son
aversion. Un plaisir criminel fît entrer le péché dans
votre âme ; il faut qu'une douleur religieuse l'en
fasse sortir. La pénitence est un devoir universel.
Dieu ordonne aux hommes, par le ministère de son
apôtre, que tous et en tous lieux fassent pénitence :
Deus nunc annuntiat hominibus, ut omnes ubique pœni-
tentiarn agent. Aux pécheurs, le sacrement de péni-
tence est essentiel ; aux justes, la vertu de pénitence
est nécessaire. Comme il n'y a personne qui puisse
se juger exempt de péché, il n'y a personne qui
doive se croire dispensé de la pénitence. Et ne
voyons-nous pas les plus grands saints faire les péni-
tences les plus austères? Saint Jean-Baptiste et tous
les apôtres ne l'ont-ils pas pratiquée d'une manière
extraordinaire? Sommes-nous plus justes qu'eux?
Ne sommes-nous pas, au contraire, de grands cou-
pables? Que de trangressions à la loi de Dieu ! Que
de négligence dans l'accomplissement de nos de-
voirs ! Or, sachons-le bien, Dieu n'accorde le pardon
qu'au repentir.
Mais, chrétiens, ce n'est pas seulement à faire
pénitence que saint Jean-Baptiste exhortait les hom-
mes de son temps et, en leur personne, les hommes
de tous les siècles, c'était à faire des fruits et de
dignes fruits de pénitence. Mais en quoi consistent
ces dignes fruits de pénitence? Notre Évangile les
fait consister en quatre choses-
70 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
1° Toute vallée sera comblée : Omnis vallis impie-
bitur ;
2° Toute montagne et toute colline seront abais-
sées : Et omnis mo?is humiliabitur ;
3° Les chemins tortueux seront redressés : Et erunt
prava in directa ;
4° Les voies raboteuses seront aplanies: Etaspera
in vias planas.
Ainsi ce qu'on fait pour préparer le chemin par où
doit passer un roi, un puissant du siècle, c'est ce que
le prophète nous ordonne de faire pour préparer la
voie du Seigneur et nous disposer à recevoir les
bienfaits de la Rédemption divine.
1° Il faut d'abord que toute vallée soit comblée :
ojnnis vallis implebitur, que tous les fossés du chemin
soient remplis et élevés. Ces vallées sont la figure des
vides qui se trouvent dans notre vie et de l'omission
de nos devoirs. Que de vallées le péché et l'indiffé-
rence ont laissées dans votre âme ! Que de fossés y
a creusé votre négligence à remplir vos obliga-
tions envers Dieu, envers le prochain et envers vous-
même-s. Permettez-moi de vous en énumérer quel-
ques-uns. Dieu vous ordonnede le prier chaque jour,
et, malgré ce précepte, vos journées commencent et
finissent sans la prière. Tous êtes obligés de sancti-
fier les dimanches et fêtes par des exercices de
piété ; ne les passez-vous pas dans la dissipation et
dans le crime? 11 y a un précepte qui prescrit for-
mellement le jeûne, l'abstinence, l'aumône, la con-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 71
fession et la communion ; combien qui n'en tiennent
aucun compte?
2° Il faut ensuite que toute montagne et toute
colline soient abaissées : Omnis mons et collis humilia-
bitur, Le pécbé est représenté par une montagne à
cause de l'orgueil qui le produit ; car l'orgueil est la
racine de tous les péchés : il a causé la perte du
premier homme, il est encore la cause de tous le»
désordres qui bouleversent le monde. C'est l'orgueil,
dans ses diverses nuances, qui nous fait violer la loi
divine. L'orgueil d'indépendance est la source des
révoltes contre nos supérieurs. L'orgueil d'ambition
est la source des catastrophes qui désolent la société.
L'orgueil de la raison est le principe de l'incrédulité
qui refuse le joug de la foi. L'orgueil de la science
est la cause des schismes qui déchirent le sein de
l'Église. L'orgueil du respect humain nous fait rou-
gir de notre foi et abandonner nos devoirs de chré-
tiens. L'orgueil de la vanité enfante l'amour du
monde, le goût de la parure, le luxe, la ruine des
familles, la perte de l'innocence. Devons-nous nous
étonner si le Sauveur Jésus est l'ennemi juré de l'or-
gueil, qu'il est venu détruire sur la terre. Nous
devons donc détruire l'orgueil et tous les autres
péchés qui en découlent, par la pénitence et, en
particulier, par le sacrement de réconciliation qui
est l'océan des miséricordes divines. Voilà les mon-
tagnes qu'il faut venir abaisser aux pieds de Jésus-
Christ : Omnis mons et collis humiliabitur.
Quant à vous qui n'êtes point accablés sous le poids
12 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
des montagnes, c'est-à-dire de fautes graves, n'au-
riez-vous pas néanmoins sur votre conscience quel-
ques collines, c'est-à-dire quelques habitudes de
péché véniel? Ces attaches désordonnées au péché
véniel contrastent le cœur de Dieu et pourraient
vous conduire insensiblement à de plus grandes
fautes Ce sont des collines qui doivent aussi être
abais>ées, si nous voulons participer abondamment
aux fruits de la naissance de Jésus-Christ.
3° Et erunt prava in directa : les sentiers tortueux
seront redressés. Sous ces expressions symboliques
sont indiquées des vertus que le monde ne soup-
çonne guère, mais que l'œil de Dieu contemple avec
complaisance, ce sont la pureté d'intention et l'es-
prit de foi. L'intenlion est le chemin qui doit nous
mener à Dieu, C'est cet œil de l'Évangile, qui, s'il est
clair lui-même, éclairera tout le corps de nos
actions, et s'il est malheureusement obscur, le plon-
gera tout entier dans les ténèbres. Or, jusqu'à pré-
sent, nos intentions ont-elles été toujours bien
pures? N'avons-nous agi que pour Dieu et en vue de
Dieu? Hélas ! notre propre satisfaction, l'estime du
monde, l'amour des créatures, un vil intérêt, un
frivole plaisir n'ont-ils pas été bien souvent le mobile
de nos actions ? Nos bonnes œuvres n'ont-elles pas
été inspirées plutôt par la bonté de notre cœur que
par la charité? Dans nos prières, dans nos confes-
sions et nos communions ne nous sommes-nous pas
laissés diriger par l'habitude ou par des considéra-
tions humaines ? Rectifions ces vues trop naturelles
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 73
par la simplicité du cœur et la rectitude de nos in-
tentions, et nous aurons rendu droits les sentiers
qui doivent nous mener au Seigneur,
4° Enfin, il faut que les endroits raboteux soient
aplanis : Et aspera in vias planas. Que d'inégalités
dans notre humeur, dans notre conduite et jusque
dans notre dévotion ! Que de choses âpres, dures et
difficiles dans nos manières, dans nos paroles et
jusque dans notre zèle ! Aplanissons, unissons,
adoucissons tout, si nous voulons préparer la voie
du Seigneur, si nous désirons qu'il vienne à nous.
Surmontons avec courage les répugnances et les
difficultés que le démon ne manque pas de nous
faire éprouver dans la pratique des vertus chré-
tiennes. Si nous faisons cela, notre chair verra le
salut de Dieu, et videbit omnis caro salutare Dei ; les
bénédictions, et les consolations célestes descendront
sur nous, comme une rosée vivifiante, pour corriger
nos défauts, réformer nos inclinations perverses,
perfectionner notre vie et nous rendre dignes du
Ciel. Amen,
74 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
POUR LE MÊME DIMANCHE
PRÉPARATION A LA NOËL
Parate viam Domini; rectas facile
semilas ejus. (Marc, 7, 3.)
Pendant l'Avent et surtout durant les jours qui
précèdent immédiatement la grande solennité dô
Noël, l'Église nous rappelle sans cesse et les soupirs
des patriarches qui appelaient de leurs vœux impa-
tients l'arrivée du Sauveur du monde, et les oracles
des prophètes qui l'annonçaient. C'est pour nous
îappeler à nous-mêmes les dispositions par lesquelles
nous devons nous préparer à cette fête. Afin d'en-
trer dans les vues de l'Église, notre mère, méditons
le grand mystère de la venue de Notre-Seigneur et
recherchons quelles dispositions nous devons ap-
porter dans la célébration de la solennité qui nous
le rappelle.
Quel est celui qui va venir et dont nous allonc
célébrer la venue? Comment vient-il? Quels son^
les fruits de sa venue? Que devons-nous faire pou^
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 75
y participer? Voilà ce que nous alions examiner
dans ce court entretien.
Quel est celui qui vient habiter parmi nous ? Quel
est ceiui qui a inspiré aux prophètes ces transports
d'allégresse, ces images magnifiques, ces idées su-
blimes qui élèvent nos âmes et nous annoncent la
grandeur de leur objet? C'est le Messie, le désiré des
nations, l'attente d'Israël, c'est le Verbe éternel
consubstantiel au Père; c'est la sagesse incrée, dont
la parole a fécondé le néant ; c'est celui qui a fait le
ciel, la terre, tout ce qu'ils contiennent, qui les sou-
tient par sa puissance et qui pourrait d'un seul re-
gard les faire rentrer dans le néant; c'est le Fils de
Dieu, qui, pour élever l'homme jusqu'à lui, descend,
s'abaisse jusqu'au niveau de l'homme.
Le soleil, mes frères, se contente d'envoyer ses
rayons à la terre; mais il demeure toujours dans sa
splendeur, sans jamais se rapprocher de nous. Le
Verbe du Père descend parmi nous, il se couvre du
voile de notre chair, non pour obscurcir son éclat,
mais pour le tempérer et le proportionner à la fai-
blesse de nos regards. En un mot, c'est un Dieu qu
se fait homme, c'est le Verbe qui se fait chair et qui
vient habiter parmi nous : et Verbum caro factura est,
et habitavit in nobis.
70 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Iî
Gomment vient-il? Quelles sont les circonstances
qui accompagnent l'avènement du Fils de Dieu ?
Vient-il avec l'éclat de sa majesté? Non. Viest-il
au moins avec l'éclat qui environne les puissants de
la terre? Ne va-t-il pas choisir la capitale du monde
pour le lieu de sa naissance ? N'aura-t-il pas un trône
pour berceau ? Ne fera-t-il pas reconnaître son au-
torité par tous les grands du monde, dans une bril-
lante cour? Juifs charnels, voilà bien le Messie tel
que vous l'attendiez ; voilà aussi les signes auxquels
nous voudrions le reconnaître. Mais, chrétiens, les
pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes.
Ce n'est pas ainsi que doit apparaître à la terre le
Sauveur que Dieu a promis aux hommes. Voici sous
quels traits l'ange du Seigneur désigne le Messie aux
bergers de Bethléem : « Je vous annonce une nou-
velle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une
grande joie. Il vous est né aujourd'hui, en la cité de
David, un Sauveur qui est le Christ. Et voici à quels
signes vous le reconnaîtrez, et hoc vobis signum :
Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et
couché dans une crèche, invenietis infantem pannis
invûlutum, positum in prosœpio. »
Allaz dans la cour des rois, nous dit Bossuet, vous
reconnaîtrez le prince nouveau-né par les couver-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 77
tures rehaussées d'or, et par un superbe berceau
dont on voudrait bien faire un trône. Mais pour
reconnaître le Christ qui vous est né, ce Seigneur si
haut, que David, son père, tout roi qu'il est, l'appelle
son Seigneur, on ne vous donne pour signal que la
crèche où il est couché et les pauvres langes dans
lesquels est enveloppée sa faible enfance, c'est-à-
dire qu'on ne vous donne qu'une nature semblable
à la nôtre. Car qui de nous, dit toujours Bossuet,
qui de nous est né dans une étable? qui de vous,
pour pauvre qu'il soit, donne à ses enfants une
crèche pour berceau ? Jésus est le seul que l'on voit
délaissé jusqu'à cette extrémité, et c'est à cette
marque qu'il veut être reconnu.
Il quitte le ciel, où il a établi le trône de sa gloire,
il descend sur la terre, et il y paraît dans l'humilia-
tion et l'abaissement. Dieu fait homme, il se soumet
à tous les besoins attachés à la nature humaine, à
ce que l'intempérie des saisons a de plus rigoureux,
à ce que la pauvreté a de plus extrême et de plus
humiliant.
Riches, il a voulu abaisser la hauteur de votre or-
gueil. Pauvres, il a voulu vous consoler dans les pri-
vations qui sont la suite de votre position si humble.
Et voilà pourquoi il préfère votre condition à. l'état si
recherché et si envié des heureux du siècle. Loin de
vous donc les plaintes et les murmures au sein du
dénûment et de la douleur.
78 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
III
Pourquoi vient-il? L'homme s'était révolté contre
le ciel. Tous les vices réunis inondaient la surface de
la terre. Touché de commisération pour ses mal-
heureux habitants, l'Homme-Dieu entreprend d'en
renouveler la face, d'y faire régner la justice et la
paix. De réparer l'injure infinie que l'homme cri-
minel avait faite à la souveraineté de Dieu. Pour que
la réparation fût égale à l'offense, il fallait qu'un
Dieu en fût l'auteur. Tous les hommes ensemble
auraient été impuissants à donner à Dieu une satis-
faction suffisante. Jésus-Christ, pressé par son amour
pour nous, l'a donnée en réunissant en sa personne,
par l'Incarnation, la nature divine à la nature hu-
maine. En sorte que l'Homme-Dieu a effacé les
crimes dont les hommes s'étaient rendus coupables.
Ainsi, mes frères, le règne de la paix rétabli sur la
terre ; la terre réconciliée avec le ciel ; la justice di-
vine pleinement satisfaite parles mérites et la satis-
faction d'un Dieu : Voilà les fruits qu'il apporte au
milieu de nous, en allumant dans les cœurs le feu de
la charité : lgnem veni mittere in terrain, et quid vola
nisl ni accendatur.
Quels puissants motifs de nous préparer à la venue
du Sauveur et de nous mettre à même d'en recueillir
les fruits !
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 79
IV
Que devons-nous faire pour participer aux fruits
de sa venue ? Qu'un prince de la terre daigne quitta
sa capitale pour honorer de sa visite les provinces
de son empire, quels préparatifs ne fait-on pas pour
le recevoir ! Les populations se mettent en mouve-
ment, remplissent les routes et les disposent pour
son passage; partout s'élèvent des arcs de triomphe
en son honneur, et les fleurs jonchent le chemin
qu'il doit parcourir; de toutes parts on entend ré-
péter ces paroles : Préparons-nous à recevoir le
prince qui daigne visiter son peuple. Eh bien ! mes
frères, le Roi des rois va descendre du ciel sur la
terre pour venir visiter ses créatures, les combler de
grâces et de bienfaits. Déjà, Jean-Baptiste nous le
montre et nous invite à lui faire honneur : Parate
viam D'imini, rectas facite semitas ej'us. Que demande-
t-il de nous? Quelques fleurs, quelques arcs de
triomphe ? Il faut des choses plus sérieuses et plus
agréables à notre D;eu. Il veut que le péché dispa-
raisse de notre âme par une pénitence expiatrice,
c'est-à-dire par la digne réception du Sacrement qui
est l'océan des miséricordes divines. Il faut donc net-
toyer, purifier et rendre propres nos consciences par
une bonne confession. Il faut bannir de notre esprit
et de notre cœur tout ce qui n'est pas droit, sincère,
80 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
et remplir le vide de notre vie par toutes sortes de
bonnes œuvres et par la pratique de toutes les vertus
chrétiennes. Omnis vallis implebitvr. Oh ! que du vide
il y a dans le cours de notre existence par l'oisiveté,
l'amusement, la bagatelle et les habitudes vicieuses!
Réparons tout cela par une sincère pénitence, par
un redoublement de ferveur dans l'accomplissement
de tous nos devoirs. Nous mériterons ainsi que les
bénédictions célestes descendent abondamment dans
notre âme. Et, après avoir largement participé aux
bienfaits de la rédemption divine, nous aurons un
jour le droit de régner avec Jésus dans les splendeurs
du ciel. Amen.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 81
DIMANCHE DANS L'OCTAVE DE NOËL
ÉVANGILE
En ce temps-là Joseph et Marie, mère de Jésus,
étaient dans l'admiration des choses merveilleuses
qu'on disait de lui. Siméon les bénit et dit à Marie
sa mère : « Cet enfant est établi pour la ruine et la
résurrection de plusieurs en Israël, et pour être
l'objet de la contradiction ; et votre âme même sera
transpercée d'un glaive, afin que les pensées des
cœurs de plusieurs soient manifestées. » Il y avait
aussi une prophétesse, nommée Anne, fille de Pha-
nuel, de la tribu d'Aser. Cette sainte veuve, fort
avancée en âge, adora aussi ce divin eufant et publia
partout qu'elle avait le bonheur de voir le Rédemp-
teur du peuple juif. Après quoi Marie retourna à Na-
zareth, où Jésus croissait et se fortifiait, faisant
éclater la grâce de Dieu et la sagesse qui était en
lui. (Luc, xi, 33-40.)
82 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
HOMÉLIE
Erce pos'tus est hic in ruinam et
resurreriionem multorum in Is aël .
Cel ii-e a été établi pour ii ruina
et p"Ur la résurrection d'un _Tand
nombre en Israël. (Luc, u, 34.)
Un saint vieillard nommé Siméon, homme juste
et craignant Dieu, avait reçu du ciel l'assurance qu'il
ne mourrait point sans avoir vu le Messie, objet de
l'attente de toutes les nations. Quelques jours après
la naissance du Sauveur, cet homme conduit par
l'inspiration divine vint dans le temple. Il y est à
peine entré qu'il aperçoit Joseph et Marie portant
dans leurs bras l'Enfant-Dieu. Marie était venue à
Jérusalem pour accomplir la loi de la purification et
pour offrir son fils au Seigneur. A la vue du libéra-
teur d'Israël, qu'il attendait avec tant d'impatience,
le saint vieillard tressaille; il s'approche, prend l'en-
fant entre ses bras, le contemple avec amour, l'ar-
rose de ses larmes, et, levant les yeux aux cieux, il
s'écrie dans l'ivresse de la joie : « Seigneur, vous
m'avez promis de prolonger mes jours jusqu'à la
venue du Messie, et vous avez tenu votre promesse ;
le Messie est venu, mes yeux le contemplent, mes
bras l'entourent ; maintenant, Seigneur, laissez aller
en paix votre serviteur. Mes yeux ont vu, mes mains ont
porté le Sauveur, que vous donnez à la terre. »
L'humble Joseph et Marie elle-même en enten-
dant les choses merveilleuses qu'on disait de l'En-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 83
Tant Jésus étaient dans l'admiration : Et erat paier
ejus et mater mirantes super his quœ dicebantur de Mo.
La sainte Vierge bénissait Dieu de ce que son divin
Fils, en entrant pour la première fois dans la maison
de son Père céleste, n'y apparaissait pas comme un
étranger, de ce qu'il était reconnu et adoré par un
vieillards qui représentait les patriarches, les pro-
phètes, les prêtres de l'ancienne loi.
Mais la joie de Marie devait bientôt faire place à
une immense douleur. Siméon porte ses regards de
''Enfant, qu'il tient entre ses bras, aux parents qui
J'ont présenté. Il les bénit. Puis, embrassant d'un
coup d'oeil tous les effets que produira sur la terre
la venue du Rédempteur, tous les prodiges que sa
justice et sa miséricorde opéreront dans le cours des
. siècles, il renferme tout en deux mots, et adresse à
Marie cette parole prophétique, dont le sens est si
étendu : « Celui-ci est établi pour la ruine et pour la
résurrection de plusieurs : Positus est hic in ruinam et
in resurrectionem multorum. » Un sauveur des âmes,
occasion de la perte des âmes, non de quelques-
unes, mais d'un grand nombre : multorum. Triste
mystère de la perversité humaine.
Cette prophétie du vieillard Siméon devait avoir
un prompt accomplissement. Le peuple juif, non
coûtent de méconnaître celui que Dieu lui a envoyé
pour le combler des bienfaits du Seigneur, le persé-
cute et le met à mort. Aussi est-il le premier dont la
ruine atteste la puissance vengeresse de ce divin Roi.
Mais quelle ruine! En fut-il jamais d'aussi affreuse,
84 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
et qui portât si visiblement l'empreinte de la co-
lère céleste? Ai-je besoin de retracer ici les hor-
reurs d'i siège de Jérusalem à jamais mémorable,
où, par Tane complication de maux sans exemple,
la famine, la contagion, la guerre intestine et la
guerre étrangère unissent leurs ravages, les ci-
toyens s'acharnant les uns contre les autres, avec
plus de fureur que ne le faisait l'ennemi, les mères,
ô cieux, frémissez! les mères dévorant le fruit de
leurs propres entrailles? On vit périr dans l'espace
de quelques mois jusqu'à onze cent mille âmes.
Ai-je besoin de rappeler cette destruction de la su-
perbe cité, où il ne resta pas pierre sur pierre, et
celle du temple, la merveille du monde, qu'il ne fut
jamais possible de reconstruire. Est-il besoin sur-
tout que je parle de la dispersion prédite et exécutée
de la nation juive réprouvée ? Depuis dix- huit
siècles cette nation, plus attachée qu'aucune autre à
sa religion et à sa croyance, erre dans toutes les
parties du monde, haïe et persécutée, n'ayant ni
temples, ni autel, ni prêtres, ni sacrifice, ni culte.
Où est celui qui à la vue d'un si étrange phénomène
ne voit le fidèle accomplissement de la prophétie du
vieillard Siméon : Positus est hic in ruinam et in re-
surrectionem mullorum in Isi'aël.
Avançons. Rome païenne fut après la nation juive,
la plus implacable ennemie du nom chrétien. Ses
empereurs et ses magistrats inondèrent, pendant
trois cents ans, toute la terre du sang des confes-
seurs et des martyrs. Rome dut être la seconde vie-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 85
time immolée à la gloire du Dieu de l'Évangile. Que
devint cette ville orgueilleuse, s'appelant avec em-
phase la maîtresse de l'univers et la ville éternelle?
Elle fut humiliée; son empire idolâtre ruiné, et les
princes, persécuteurs du christianisme, terminèrent
leur cruelle existence par une mort prompte et tra-
gique. Quelle a été la destinée des nations qui, après
avoir connu Jésus-Christ, ont abandonné son culte
et perdu la foi? Interrogez l'histoire. Voyez, dans
l'Asie, ces villes fameuses d'Ephèse, d'Antioche, de
Césarée, de Nicomédie où régnaient, avec le christia-
nisme, toutes les vertus, les arts, les sciences et les
lettres ; regardez à l'extrémité de l'Europe cette
Constantinople, jadis si policée, si savante ; tournez
ensuite les yeux vers cette Afrique, patrie des Atha-
nase, des Cyrille, des Tertullien, des Augustin. Com-
parez leur état présent avec ce qu'elles furent. Ces
pays ont perdu, avec la vraie religion, la gloire, la
liberté, la science, les mœurs et la civilisation :
voilà le châtiment des peuples qui renoncent à la
foi : Positus est hic in ruinam. — Mais pourquoi cher-
cher des exemples si loin, quand, hélas ! on peut en
trouver si près de soi ? 0 France, ô nation très
chrétienne, très civilisée, très prospère ! Quand as-
tu vu tous les fléaux à la fois fondre sur toi, boule-
verser l'ordre social, insulter les prêtres et tout ce
qu'il y a d'honnête, fouler aux pieds la religion?
C'est le jour où tu as essayé de secouer le joug du
Seigneur. *
*2t aujourd'hui pourquoi les sociétés secrètes
86 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
réussissent-elles à détruire la foi et à implanter l'in-
crédulité, non seulement chez les grands, mais chez
les petits ; pourquoi voit-on le catéchisme et l'image
du Christ bannis des écoles, les religieux et les
prêtres chassés des hospices, les cimetières profanés,
les croix renversées, les églises pillées, nos taber-
nacles vidés? pourquoi sommes-nous condamnés
à contempler chaque jour l'impiété, l'immoralité,
l'injustice et tous les crimes les plus monstrueux,
marchant tête levée, menaçant d'entraîner dans une
ruine universelle la société tout entière? Parce que
les faux prophètes crient partout que le christia-
nisme est l'ennemi qu'il faut abattre. Eh bien! pour
ces apôtres de l'enfer et pour ceux qui les écoutent
Jésus-Christ est établi pour leur ruine : Positus est
hic in ruinam.
En terminant cette partie de mon homélie, ne me
sera-t-il pas permis de vous demander si Jésus-
Christ ne sera pas un jour pour vous aussi un sujet
de ruine ? 11 ne le sera pas certainement si vous êtes
fidèles à vos engagements du baptême et de la pre-
mière communion, si vous suivez Jésus-Christ avec
courage et sans respect humain ; mais si vous re-
poussez la croix; si vous n'écoutez pas l'enseigne-
ment de son Église ; si vous abandonnez ses sacre-
ments; si vous ne voulez vivre que pour la volupté,
l'avarice, l'ambition ; si, dans votre orgueil, vous ne
voulez avoir d'autre Dieu que vous-même, d'autre loi
que votre raison, oui, Jésus-Christ sera pour vous
un sujet de ruine : Positus est hic in ruinam.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 8?
Mais il est dit aussi que ce même Enfant-Dieu sera
pour plusieurs un principe de résurrection : Posi-
tus est hic in resurrectionem multorum. Cet aspect e#* 3a
prophétie de Siméon est plus consolant. Arrêto; --•
nous-y quelques instants.
Nous avons vu tomber les Juifs déicides. Avec ©^
semblaient périr le peuple de Dieu, la race choi>ie,
les promesses faites aux patriarches, les espérances
de l'univers. Mais il n'en est rien; tout renaît avec
l'Église chrétienne.
Oh ! que cette résurrection est admirable ! L,e
Tout-Puissant se réserve, de toute la nation juive,
douze hommes qu'il disperse par toute la terre, pour
aller semer la parole de vie; et voilà qu'aussitôt
s'élève de toutes parts une moisson abondante d'a-
dorateurs en esprit et en vérité. Le nouveau peuple-
est en tout supérieur à l'ancien. Il entre dans tous
ses droits, recueille tout son héritage, et y ajoute
d'autres richesses bien plus précieuses. Il a la réalité
des figures et le fruit des promesses. Le premier
peuple était resserré dans les étroites limites de la
Palestine, le second n'a point d'autres limites que le
monde ; celui-là ne devait durer qu'un temps, celui-
ci ne finira qu'avec les siècles : la parole du Maître
est expresse : Allez, enseignez toutes les nations, et
voilà aue je suis avec vous jusqu'à la consommation des
tiède*. Cette divine parole ne sera pas démentie par
L'événement.
Mais que d'obstacles l'enfer suscitera, que de res-
sorts il fera jouer pour s'opposer à son accomplisse-
88 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
ment ! N'importe : tout s'exécutera de point en
point. Les savants et les sages, le peuple et les
grands, les bourreaux, les soldats, les Césars s'oppo-
seront à la conquête de l'univers entreprise par
douze humbles bateliers ; mais ces douze pauvres
pécheurs, semblables à des géants, fourniront leur
immense carrière, avec la même rapidité que le so-
leil franchit le vaste espace des cieux. A peine sont-
ils partis de la Judée que déjà ils sont parvenus aux
extrémités du monde... Leur voix retentit partout,
comme un bruyant tonnerre, ébranle l'empire de
l'idolâtrie, fait tomber les idoles, renverse les tem-
ples. En vain l'enfer arme contre l'Église naissante
tout ce qu'il y a de plus fort et de plus puissant, du-
rant trois siècles, l'univers se prosterne et adore le
Christ. A cette première victoire succèdent de nou-
velles guerres, celles du schisme et de l'hérésie ;
l'Église, armée d'une croix, triomphe encore de ces
ennemis.
Les philosophes du dix-huitième siècle, à leur
tour, se liguent avec une cruauté sans égale contre
l'Église; ils croient à leur victoire et crient de
toutes leurs forces : « L'Église est perdue, elle n'a
plus vingt ans d'existence ; » mais ces ennemis du
Christ sont confondus et disparaissent, et l'Église
continue de vivre et de régner sur l'univers entier :
Positus est hic in resurrectionem.
En voyant plus tard le souverain pontife arraché
de ses États, chargé de chaînes et traîné dans l'exil,
les fidèles tremblent et les méchants poussent des
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 8$
cris de triomphe; mais celui qui a dit : Je suis avec
vous jusqu'à la consommation des siècles, le ra-
mène comme pnrla main, sur son siège, pour con-
tinuer de gouverner la barque de Pierre et conduire
les âmes au ciel. Positus est in resurrectionem.
L'oracle de Simoén est donc vrai. Si Jésus est la
ruine des méchants, il est la cause du salut des
justes, qui n'ont cessé d'écouter sa voix, de croire à
sa parole, d'obéir à ses préceptes et de correspondre
à sa grâce.
Siméon ajoute que cet enfant sera en butte à la
contradiction des hommes : Et in signum cui contra-
dicetur. En effet, n'a-t-il pas été, dans tous les siècles,
comme le but contre lequel les méchants n'ont cessé
de décocher toutes leurs flèches? Les Juifs, les infi-
dèles, les hérétiques ne l'ont-ils pas contredit? De
nombreux chrétiens ne continuent-ils pas de le con-
tredire par les dérèglements de leur conduite ? Sou-
mis par la foi, ne sont-ils pas rebelles par la morale?
Le superbe contredit son humilité, le sensuel sa
pureté, l'avare sa pauvreté volontaire, l'envieux sa
charité, l'emporté sa douceur. Toutes ses vertus, en
un mot, sont contredites par autant de vices oppo-
sés. C'est ainsi qu'après avoir été en butte à la con-
tradiction des Juifs, des païens, des hérétiques, il
l'est encore à celle des catholiques : Positus est hic
in ruinam et in resurrectionem multorum in Israël, et in
signum cui contradicetur.
Le saint vieillard, après avoir prédit ce qui regar-
dait le Fils, dit à la mère : « Un glaive de douleur
90 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
transpercera votre âme, votre cœur maternel n'en
sera pas seulement effleuré, il en sera percé de part
en part. »
Le martyre de la très sainte Vierge a deux causes.
La première, les cruelles persécutions et les ineffa-
bles douleurs de Jésus. Aussitôt que Siméon a parlé,
Marie voit clairement les destinées futures de son
Fils. Transportée des clartés de Bethléem aux om-
bres du Calvaire, elle n'aperçoit plus les bergers illu-
minant la nuit et chantant des cantiques, les rois de
l'Orient prodiguant les plus riches trésors des terres
lointaines; elle voit, dans un prochain avenir, son
Fils en butte à la haine, aux calomnies, aux persécu-
tions de ses ennemis; elle voit poindre l'aurore de ce
jour où Jésus sera chargé d'une croix et couronné
d'épines. Elle entend les soldats romains, les bour-
reaux, tout un peuple qui demande son sang. Ce
spectacle ne la quitte plus. Le glaive de douleur ne
sera plus arraché de son âme.
La seconde cause de son martyre, c'est l'inutilité
des souffrances de son Fils pour un grand nombre
de pécheurs. Marie, par amour pour nous, avait con-
senti à ce que le sang de son bien-aimé fût répandu
pour le salut des hommes. Mais ce sang, dont plu-
sieurs n'auront pas profité, criera vengeance contre
les coupables et augmentera leurs tourments éter-
nels. Cette pensée amère, cette vision accablante
achève d'abreuver son âme de douleur : Tuam ipsius
animam pertransibit gladius.
Tandis que Siméon parlait encore, survint un nou-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 91
▼eau témoin, également suscité de Dieu pour an-
noncer les hautes destinées de l'Enfant nouveau-né.
H y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel,
de la tribu d'Aser;elle était chargée de jours, et n'avait
vécu, depuis sa virginité, que sept ans avec son mari*
Restée veuve, et âgée alors de quatre-vingt-quatre ans,
elle ne quittait point le. temple, servant Dieu nuit et jour,
dans les jeûnes et les prières. Elle aussi survenait à cette
heure, elle se mit à louer Dieu et à parler de lui à tous
ceux qui attendaient la rédemption d'Israël.
La vertueuse prophétesse, dont le Saint-Esprit
loue la viduité, n'est pas seulement le modèle' des
jeunes filles, ni celui des épouses et des mères, dont
elle a accompli tous les devoirs, mais de tous les
chrétiens, par son attachement au Seigneur. Elle
était constamment dans le temple où elle priait, où
elle jeûnait et se mortifiait sans cesse. Elle parlait
du Sauveur à tous ceux qui attendaient la rédemp-
tion d'Israël. Elle exerce les fonctions d'apôtre. A
son exemple, le chrétien ne doit-il pas être a^siduà
l'église, y vaquer à la prière, joindre aux exercices
de la religion celui de la pénitence et de la mortifi-
cation? Ne doit-il pas y ajouter une sainto conver-
sation avec les gens du monde pour faire con-
naître et aimer Dieu?
Après avoir accompli les rites de la loi, Joseph et
Marie s'en retournèrent en Galilée, dans la ville de
Nazareth. Là ils mènent une vie retirée et se livrent
à la pratique de toutes les vertus. L'Enfant-Dieu, té-
moin de leurs exemples, croissait et se fortifiait sous
92 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
leurs yeux : Puer autem crescebat et confortabatur.
Voilà le grand modèle que doivent copier tous les
enfants. Voulez-vous, pères et mères de famille, que
ces petits êtres que le Ciel vous a confiés vous inon-
dent de joie et dé consolation? Apprenez leur par
vos leçons à être véritablement sages, et animez-les
par vos exemples à conserver précieusement la
grâce de Dieu qu'ils ont reçue au baptême. C'est de
là que dépend leur bonheur et le vôtre. Tant que la
sagesse et l'innocence régneront dans leur cœur, ils
seront heureux et feront votre joie. Mais s'ils viennent
à donner dans les travers du vice, en faisant leur
propre malheur, ils abreuveront d'amertume votre
existence. N'oubliez donc rien pour entretenir en eux
l'amour de la vertu, le goût de la piété ; et puisque
vous dites que vous les aimez, témoignez-leur sur-
tout votre amour en vous appliquant à les rendre
vertueux et pieux, puisque ce n'est que par ce moyen
qu'ils pourront devenir heureux dans le temps et
mériter de l'être pendant toute l'éternité. Amen.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 93
POUft LE MÊME DIMANCHE
IMITATION DE JÉSUS-CHRIS1
Un jeune enfant de quelques jours est porté au
temple sur les bras d'un vieillard et d'une jeune
vierge pour y être offert au Seigneur, et pour y être
racheté par l'offrande des pauvres. Rien extérieure-
ment ne le distingue des enfants ordinaires, et
cependant il est la consolation d'Israël, le désiré des
nations, l'objet de l'attente de tous les peuples. En
un mot, il est le Messie. Au moment où le nouveau-
né est au pied des autels, un saint vieillard, conduit
par l'inspiration divine, entre dans le temple. Il n'y
a pas plus tôt aperçu l'Enfant-Dieu, muet encore et
enveloppé de langes, que transporté d'un amour plus
fort que le respect, il le prend dans ses bras et, em-
brassant d'un seul coup d'œil tous les effets que pro-
duira sur la terre la venue du Rédempteur, il adresse
à Marie cette parole prophétique, qui se réalise
chaque jour dans toutes les parties du monde : Posi-
tus est hic in ruinam et in resurrectionem multorum in
Israël,
94 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Comment le Messie qui vient sur la terre pour dé-
truire l'empire du péché et rétablir le règne de la
grâce, peut-il être un objet de ruine pour plusieurs ?
Oui, mes frères, de même que Jésus-Christ sera véri-
tablement un principe de vie spirituelle et de résur-
rection glorieuse pour ceux qui l'écoutent, marche-
ront sur ses traces et le copieront trait pour trait,
il sera également un principe de ruine et de répro-
bation pour tous ceux qui refuseront de l'entendre,
de le suivre et de l'imiter. L'imitation de Jésus-Christ
est donc un point capital pour tout chrétien désireux
d'arriver au ciel. C'est pour cela que je veux voas
parler de cette imitation. Nous en ferons le sujet de
deux instructions aussi importantes qu'utiles. Dans la
première, nous vous prouverons l'obligation où nous
sommes d'imiter Jésus-Christ, et dans la seconde,
je vous dirai en quoi nous devons l'imiter.
(Voir le Missionnaire de la campagne, tome III, 9i
et 98).
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 95
PREMIER DIMANCHE APRÈS L EPIPHANIE
ÉVANGILE
• Les parents de Jésus allaient tous les ans à Jérusa-
lem à la fête de Pâque. Lorsqu'il fut âgé de douze
ans, ils allèrent, selon la coutume qu'ils observaient,
à cette fête. Comme ils s'en retournaient, les jours
de solennité étant passés, l'Enfant Jésus demeura à
Jérusalem, sans que ses parents s'en aperçussent,
pensant qu'il était avec quelqu'un de leur compa-
gnie, ils marchèrent une journée entière. L'ayant
cherché parmi leurs parents et ceux de leur connais-
sance, et ne l'ayant pas trouvé, ils revinrent à Jéru-
salem. Après trois jours, ils le trouvèrent dans
le temple assis au milieu des docteurs, les écoutant
et les interrogeant. Et tous ceux qui l'entendaient
étaient étonnés de la sagesse de ses réponses. Marie
et Joseph, en le voyant, furent remplis d'admira-
tion, et sa mère lui dit : Mon fils, pourquoi avez-
vous agi ainsi cvec nous ? Voilà que votre père et
moi, nous vous cherchions fort affligés. Mais il leur
répondit: Pourquoi me cherchiez-vous? Ne saviez-
vous pas qu'il faut que je sois aux choses qui regar-
dent mon Père? Mais ils ne comprirent point ce
96 DOMINICALES Dl'N CURl! DE CAMPAGNE
qu'il leur disait : 11 s'en retourna ensuite avec euxr
et vint à Nazareth, et il leur était soumis. Or, Marie
conservait toutes ces choses en son cœur, et Jésus
croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu
et devant les hommes. (Saint Luc, il, 40-52.)
HOMÉLIE
Trois fois chaque année, aux fêtes de Pâques, de
la Pentecôte, et des Tabernacles, les Juifs se ren-
daient à Jérusalem, lorsqu'ils n'étaient pas trop
éloignés, pour accomplir ce devoir. L'Évangile nous
apprend que saint Joseph et la sainte Vierge se con-
formaient fidèlement aux usages pratiqués par les
Juifs pieux. Toutes les années, au jour solennel de
la Pâque, ils allaient se mêler aux innombrables
Israélites qui accouraient dans le temple de toutes
parts pour obéir à la loi et satisfaire leur piété. Une
loi semblable nous appelle régulièrement dans nos
églises ; et comment l'observons-nous ? Aimons-
nous à nous rendre aux saintes assemblées de nos
temples? Sommes-nous animés du désir de recueil-
lir les grâces précieuses que Jésus promet à ceux qui
sont assemblés en son nom? Et quand une obliga-
tion si stricte, la décence publique, la crainte d'être
remarqués, ou le désir d'être aperçus nous y condui-
sent, comment nous y présentons-nous? Y sommes-
nous dans ce tremblement respectueux que doit im-
primer la présence de Jésus-Christ sur son autel, et
que les anges éprouvent au pied de son trône? Com-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 97
bien de chrétiens qui au lieu de venir dans nos
églises pour offrir à Dreu le tribut de leur adoration,
n'y viennent que pour y étaler leur vanité ou y pro-
mener leurs regards sur tout ce qui peut flatter leur
curiosité. Ne serions-nous pas de ce nombre?
L'Évangile nous dit expressément que c'est à la
fête de Pâques que Marie et Joseph allèrent à Jéru-
salem; et c'est alors aussi que nous devons surtout
venir dans nos églises pour y remplir l'obligation où
nous sommes tous de recevoir, pendant le temps pas-
cal, le corps adorable de Jésus-Christ caché dans le
sacrement de l'Eucharistie sous les espèces du pain.
Mais cette obligation est-^lle remplie aussi exacte-
ment qu'elle l'était autrefois par tous les fidèles ?
Ah ! alors il n'y en avait aucun qui ne se fît un de-
voir de se présenter à la Table sainte et qui n'eût
cru se déshonorer aux yeux des hommes comme à.
ceux de Dieu, s'il eût été assez irréligieux pour s'en
éloigner. Mais dans ce siècle d'indifférence et d'in-
crédulité, que de défections ! Et ce navrant spectacle
que nous sommes condamnés à subir, ne nous est
pas offert par quelques hommes et quelques jeunes
gens isolés, mais par de nombreux pères de famille
qui apprennent par leur exemple funeste, à leurs
enfants, à violer le plus saint et le plus auguste de
tous les devoirs que la religion nous impose. Oh l
que la conduite de Marie et de Joseph fut bien dif-
férente ! Ils ne se contentèrent pas d'aller à Jérusa-
lem à la fête de Pâques, ils eurent encore soin d'y
conduire Jésus : Et cum factus esset annorum duode*
I. ô
98 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
cim, ascendentibus Mis Jerosolimam, secundum consae-
tudinem diei festi. Quel exemple donné aux chefs de
famille!
En conduisant assidûment au temple l'Enfant
Jésus, parents, chrétiens, Marie et Joseph vous ap-
prennent que c'est pour vous un devoir essentiel
d'aller fréquemment présenter vos enfants à Dieu
dans son temple; et en l'implorant pour eux, de
leur apprendre à l'implorer eux-mêmes. Qu'à son
-exemple vos enfants se rendent assidus aux instruc-
tions que l'Église leur fait donner. Veillez à ce qu'ils
en profitent : Suivez avec attention leurs progrès ;
hâtez-en le développement par vos propres soins,
et formez-les, dès leurs premières années aux devoirs
et aux vertus qu'ils auront à pratiquer toute leur vie.
Comme ils' s' en retournaient, les jours de la solennité
étant passés, l'Enfant Jésus resta à Jérusalem sans que
ses parents s'en aperçussent. Les pèlerins s'éloignant
de la ville marchaient par groupes séparés. Les di-
verses caravanes comptaient au moins trois cents
personnes. Les hommes marchaient ensemble ; les
femmes et les enfants étaient réunis. Lorsqu'on fut
arrivé au lieu de repos de la première journée, Jo-
seph et Marie se réunirent. Leur premier mouvement
fut de se demander l'un à l'autre s'il n'avait pas avec
lui Jésus. Hélas ! ils l'ont perdu 1 Ils ne peuvent pas
douter de son absence. Ils cherchent parmi les divers
groupes, ils interrogent leurs parents et leurs amis.
Personne qui puisse leur donner des nouvelles de
Jésus. Marie se souvient de la prophétie du vieillard
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 9$
Siméon. Que de douleurs à la fois envahissent son
âme! Douleur de la séparation ! Elle ne possède plus
celui qui a daigné naître d'elle. Ses yenz le cher-
chent sans rencontrer son regard, sa voix l'appelle
sans que son nom arrive jusqu'à lui. Elle n'a plus
son Fils ! Il ne lui dit plus : Ma mère! Elle est seule,
elle a tout perdu. Douleur de délaissement! Pour-
quoi son fils ne s'est-il pas attaché à ses pas ? Ne
veut-il plus avoir de mère? Sa mission auprès de lui
est-elle finie ? Elle peut exprimer son angoisse avec
les paroles qu'un jour le Sauveur exhalera sur la
croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous
abandonné ! Douleur de l'incertitude ! Qu'est devenu
son fils? Que fait-il en ce moment? Où est-il? Vit-il
encore? Est-il allé se présenter à Hérode ? Veut-il
mourir déjà pour le salut du genre humain, mourir
loin de sa mère, mourir sans lui adresser un su-
prême adieu? Tel est le nouveau coup de glaive qui
frappe Marie. Elle en souffrira pendant trois jours.
Elle cherche avec une indicible ardeur le fils dont
elle est séparée. Elle revient sur ses pas, elle re-
tourne à Jérusalem. Chemin faisant elle peut dire
à ceux qu'elle rencontre : « 0 vous tous qui passez,
regardez et voyez s'il est une douleur comparable à
la mienne. »
Telle est la douleur que nous devons ressentir,
nous chrétiens, lorsque, par notre faute, nous avons
eu le malheur de nous séparer de Jésus-Christ. Bien
plus malheureux que Joseph et Marie, ce n'est pas
par une simple inadvertance que nous l'avons perdu,
100 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
c'est avec une pleine connaissance et une entière
liberté. En nous séparant de lui, nous n'avons pas
seulement cessé de jouir de sa présence ; mais nous
nous sommes privés de son amitié et nous avons en-
couru sa disgrâce. Ce n'est point lui qui s'est éloigné
de nous; mais c'est nous qui l'avons chassé de notre
cœur pour y faire régner le péché. N'avons-nous
donc pas sujet d'être affligés encore plus que ne le
furent ses parents désolés? Et, puisque nous compre-
nons la grande perte que nous avons faite en per-
dant Jésus, qui seul peut faire notre bonheur, ne
devons-nous pas nous empresser de le chercher et
de nous réunira lui? A l'exemple de Joseph et de
Marie, allons à sa recherche; appelons-le de tous nos
vœux. Prenons tous les moyens les plus sûrs pour le
retrouver. Mais la première démarche qu'il faut
faire, c'est d'avoir un grand regret de l'avoir perdu :
Dolentes; car malheur à ceux qui ne comptent pour
rien cette perte et qui disent dans un aveuglement
d'esprit et un endurcissement de cœur déplorable :
J'ai péché et que rn est-il arrivé'! Peccavi et quid mihi
accidit triste. Mais ce n'est pas assez d'être fâché de
l'avoir perdu, il faut encore le chercher pour le
Tetrouver; et il faut le chercher promptement et avec
persévérance à l'exemple de Marie et de Joseph. Dès
qu'ils se furent aperçus qu'il n'était ni avec l'un ni
avec l'autre, ils le cherchèrent parmi leurs parents
et ceux de leur connaissance. Mais ce n'est pas là
qu'ils le trouvèrent, c'est au temple, au pied des
docteurs qui expliquaient la loi du Seigneur. You-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 101
lez-vous. pécheurs qui avez eu le malheur de perdre
Dieu, voulez-vous le retrouver sûrement? N'allez pas
le chercher parmi vos amis et vos connaissances du
siècle où il est presque toujours oublié, souvent
offensé, quelquefois blasphémé. C'est dans son
temple, dans les saintes assemblées des fidèles qu'il
se plaît et que vous le trouverez. C'est là qu'il est
assis sur le trône de la miséricorde, non parmi les
docteurs, mais au milieu des esprits célestes qui
l'environnent. C'est là qu'il est toujours prêt à nous
recevoir, à se réconcilier avec nous, à se donner
même à nous. Allons-donc nous prosterner devant
lui avec un cœur contrit et humilié. Allons nous
jeter aux pieds des ministres à qui il a donné le
pouvoir de nous remettre les péchés qui nous l'ont
fait perdre, et en le trouvant comme Marie et Jo-
seph, nous recouvrerons, comme eux, la paix et le
bonheur, dont on ne peut jouir que lorsqu'on le
possède.
Après trois jours de séparation Joseph et Marie
trouvèrent Jésus au temple de Jérusalem. L'enfant
Dieu était assis au milieu des docteurs. Il les interro-
geait sur le sens et l'esprit de la loi mosaïque. Ses
questions révélaient une si haute intelligence de la
loi, que les maîtres en Israël étaient dans le ravisse-
ment. Pour se rendre compte exactement du degré
de son instruction, ils l'interrogèrent à leur tour;
mais ils furent confondus par la sagesse de ses
réponses. Ils ne pouvaient pas s'expliquei comment,
à un âge si tendre, il avait une si profonde connais-
6.
102 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
sance de la loi. Ils ne savaient pas qu'ils avaient au
milieu d'eux la sagesse même du Père, le Verbe
éternel, celui dont les prophètes n'étaient que les
messagers, celui qui devait dire un jour : Je suis la
lumière du monde : Ego sum lux mundi.
Lorsque Marie et Joseph aperçurent Jésus au mi-
lieu des docteurs, les interrogeant et leur répondant,
ils furent saisis d'admiration. Joseph, muet de sur-
prise et de joie, n'osait interrompre les paroles
échangées entre les docteurs et Jésus. Mais une
mère peut toujours se. faire entendre : Mon Fils, dit
la sainte Vierge, d'où vient que vous avez agi ainsi
envers nous ? Mais écoutez la sage réponse que lui
fait Jésus-Christ, et apprenez, en l'entendant, que,
quelque vive que soit l'affection que nous avons
pour nos proches, nous devons toujours préférer les
intérêts du Ciel à leur satisfaction, et nous confor-
mer à la volonté de Dieu, plutôt qu'à leurs désirs,
parce que Dieu étant au-dessus de tout, sa volonté
doit l'emporter surtout. Pourquoi me cherchiez-vous'l
répondit Jésus à sa tendre mère. Ne saviez-vous pas
quil faut que je sois occupé à ce qui concerne mon Père?
Si donc il arrivait jamais que par des vues trop na-
turelles, vos parents voulussent s'opposera l'exécu-
tion des desseins que Dieu peut avoir sur vous,
répondez-leur comme Jésus-Christ : Pourquoi cher-
chez-vous à me faire adopter vos idées et vos projets?
Ne devez-vous pas savoir que mon premier devoir est
de remplir les desseins de Dieu que je dois regarder
comme mon premier Père? Par ce moyen, vous
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 103
accomplirez toute justice, et sans manquer à ceux
qui vous ont donné la vie, vous obéirez à Celui pour
qui seul vous devez vivre.
Jésus, après avoir accompli la volonté de son Père
céleste se réunit à Joseph et à Marie pour retourner
avec eux à Nazareth. Que faisait dans cette retraite
ignorée, dans l'humble demeure d'un artisan le
Maître du ciel et de la terre? // leur était soumis, dit
l'Évangile : Et erat subdUus Mis. C'est tout ce que
nous savons de Jésus depuis l'âge de douze ans jus-
qu'à trente. L'auteur de toute justice donnait ainsi
l'exemple d'un des principaux devoirs de justice,
qui est la soumission à ceux dont on a reçu le jour.
Il commençait dès lors par cette obéissance à expier
le péché de la désobéissance d'Adam. Ce seul mot
que nous dit l'Évangéliste de la vie de Jésus- Christ,
renferme tout l'abrégé de la vie chrétienne. L'esprit
de la religion est un esprit de soumission. La pra-
tique de la religion est celle de l'obéissance. Obéis-
sons à Dieu, et tous nos devoirs religieux seront
remplis; obéissons aux supérieurs qu'il nous donne
sur la terre et nous nous serons acquittés de tous nos
devoirs civils.
Obéissons-nous à nos supérieurs comme Jésus
obéissait à Joseph et à Marie. Qu'ils rougissent de
bonté, ces enfants qui, après avoir vu le Créateur à
qui tout est soumis, se soumettre à des créatures,
osent néanmoins se soustraire à l'obéissance qu'ils
doivent à leurs parents!
Enfin, l'Esprit-Saint nous dit que Jésus, à mesure
104 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
qii il avançait en âge, croissait en grâee et en sagesse de-
vant Dieu et devant les hommes. Cela veut dire que
Jésus, la Sagesse même, à mesure qu'il avançait en
âge, faisait paraître de plus en plus au dehors cette
sagesse dont il était rempli au dedans; et que par
des œuvres de sainteté et de grâce, il développait
peu à peu les rayons de sa divinité cachée sous les
nuages de son corps. Voilà ce que devrait être le
cours de notre vie. Nous devrions tendre continuel-
lement à croître en vertus et en mérites; car celui
qui n'avance pas dans la voie du salut, recule in-
failliblement. Il ne nous est pas donné d'atteindre
au faîte de la perfection, mais il nous est ordonné
d'y aspirer. Le faisons-nous? Hélas! combien qui,
au lieu de croître en sagesse et en grâce devant Dieu
et devant les hommes, se montrent moins sages
dans un âge avancé, que dans les premières années
de leur vie ! Combien, qui au lieu d'avancer toujours
plus dans la carrière de la vertu, s'égarent toujours
davantage dans les routes du vice. Ne seriez -vous
pas de ce nombre? Évitons ce malheur. Pour cela
travaillons sans relâche à tendre à l'heureuse fin
pour laquelle nous avons été créés. N'employons ce
qui nous reste de vie qu'à servir Dieu avec zèle, qu'à
l'aimer avec ardeur et nous nous rendrons ainsi
dignes de le posséder éternellement dans le ciel.
Amen,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 105
POUR LE MÊME DIMANCHE
COMMENT ON DOIT CHERCHER DIEU
Ecce pater tuus et ego dolentes
quœrebamus te. (Luc, H 48.)
Mes Frères,
Qui pourrait peindre l'inquiétude amère et la
douleur poignante de Joseph et de Marie après avoir
perdu Jésus-Christ, la lumière divine, la vie de leur
âme, celui qu'ils aimaient plus qu'eux-mêmes! Où
est-il? Qu'est-il devenu? Où le chercher? Où le trou-
ver? Telles étaient les noires pensées qui traver-
saient leur esprit. Ce fut vraiment en cette occasion
qu'un glaive de douleur transperça l'âme de Marie.
Dès le moment qu'elle s'aperçut que l'Enfant-Dieu
n'était ni avec elle, ni avec Joseph, elle se hâta de le
chercher et de demander à ses parents et à ses amis
s'ils ne l'avaient point vu. Cène fut que le troisième
our que les saints époux le trouvèrent, non pas
dans le tumulte, au milieu du monde, mais dans le
temple. La conduite de Joseph et de Marie, cherchant
avec anxiété l'Enfant qu'ils avaient perdu doit être
106 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
la règle que doivent suivre ceux qui ont perdu Dieu.
La première démarche qu'ils doivent faire pour le
recouvrer c'est d'avoir le regret de l'avoir perdu, do-
lentes. Nous nous attristons de la perte de notre
santé, de la perte de nos biens temporels, pourrions-
nous être insensibles à la perte de Dieu ? Mais Joseph
et Marie ne se contentent pas de pleurer et, de gémir
ils le cherchent. Et comment le cherchent-ils? Avec
empressement, avec confiance et avec persévérance.
C'est ainsi que nous devons le chercher nous-mêmes.
Avant d'entrer dans le développement de ces pen-
sées, voyons comment on peut perdre Dieu.
Joseph et Marie, séparés d'un Fils qui était l'objet
de leur tendresse et la source de tout leur bonheur,
nous prouvent que les justes et les pécheurs peuvent
perdre Dieu, mais d'une manière bien dilférente.
Les ju tes le perdent parce que Dieu se cache quel-
quefois aux âmes les plus ferventes; il leur retire ses
consolations afin de les instruire et de les perfec-
tionner, afin qu'elles comprennent que les douceurs
sen>ibles de la dévotion sont des dons de Dieu qui
ne leur sont pas dus, afin qu'elles donnent des
preuves de leur fidélité et de leur amour, et qu'elles
s'accoutument à servir le Seigneur pour lui-même et
non pas pour ses dons. Ces épreuves ne sont ordi-
nairement ni longues, ni fréquentes et sont toujours
méritoires quand on sait en faire un saint usage.
L'absence de Dieu les livre à des sécheresses, à des
ennuis, à des dégoûts qui les désolent. 0 vous dont
Dieu s'est ainsi éloigné, atfligez-vous; ce sentiment
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 107
est naturel, mais ne désespérez pas, s'il vous éprouve,
son éloignement est un bienfait. Il veut ranimer
vos dé>irs, réchauffer votre piété, donner une nou-
velle ardeur à votre zèle, ou bien vous faire expier
vos imperfections, vos dissipations, vos fautes pas-
sées.
Mais la perte la plus désolante est celle qui s'opère
par le péché. Elle est un châtiment. Dès que le péché
mortel s'introduit dans une âme, le démon y entre
ausr>i et Dieu s'en va. Il la laisse seule avec l'horrible
maître qu'elle a choisi. Perdre Dieu, son amitié, sa
grâce, ia suavité de ses entretiens, la douceur de ses
bénédictions, la consolation de son amour; perdre
ce Dieu qui fait au ciel la joie des Anges et des élus,
et retrouver à sa place l'ange des ténèbres, le tyran
de l'enfer et le bourreau des réprouvés, quelle
perte! quel malheur! Et voilà pourtant le sort que
vous vous êtes fait à vous-mêmes par le péché. Vous
avez perdu Dieu votre créateur, le Saint-Esprit,
votre sanctificateur, Jésus, cet ami de votre enfance
qui reçut naguère vos premières promesses et vos
premiers serments; Jésus, qui bégayait avec vous
les leçoBs si simples de la foi, qui vous appelait à
manger avec lui un pain délicieux, qui répandait
dans votre âme des douceurs dont le souvenir peut-
être a fait couler plus d'une fois vos larmes; oh! que
vous êtes à plaindre! Vous en avez certainement
éprouvé des remords et ces remords ont produit sans
doute en vous une certaine douleur; mais ce n'est
pas assez, il faut, à l'exemple de Joseph et de Marie
108 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
chercher votre Dieu. Et comment devez-vous le cher-
cher?
I. Avec empressement. Voyez Marie; à peine s'est-
elle aperçue de l'absence de son Jésus qu'elle se met
à sa recherche; elle le demande à tous ceux qu'elle
rencontre, elle l'appelle par ses cris, elle n'a pas de
repos qu'elle ne l'ait trouvé; suivez cet exemple.
Quand vous avez eu le malheur de perdre Dieu par
le péché, rappelez-le aussitôt; courez vous jeter aux
pieds du prêtre, implorez votre pardon, méritez-le
par votre repentir. Pourquoi rester dans l'inimitié
du Seigneur, une semaine, un jour? Ne savez-vous
pas que, si vous veniez à mourir dans cet état, votre
malheur éternel serait assuré? et vous pouvez mou-
rir à toute heure, à tout moment.
Est-ce ainsi que nous l'avons cherché? Et si après
l'avoir perdu une première fois, nous nous sommes
mis en mesure de le recouvrer ; aveuglés, aiïaiblis
par de nouvelles fautes, ne nous sommes-nous pas
découragés? Ah! continuons de le chercher.
II. Avec confiance. Après une chute et des re-
chutes n'aggravez pas votre malheur par le découra-
gement et la défiance. Pourquoi vous rebuter? La
vertu est un sentier rude et escarpé; il n'y a rien
d'extraordinaire à ce que votre marche soit lente,
difficile, signalée par des chutes; mais ces chutes,
ces obstacles sont-ils des raisons pour vous rebuter,
vous décourager? Non, Joseph et Marie ne trouvent
pas Jésus immédiatement, ils ne se découragent pas,
ils le cherchent un jour, deux jours; ils le cherchent
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 109
encore; ce n'est qu'après trois jours de peines qu'ils
retrouvent l'objet de leur amour. A leur exemple,
entourons-nous d'une plus grande vigilance, déve-
loppons une plus grande énergie, cherchons en Dieu
une force que nous n'avons pas en nous-mêmes, et
avançons avec confiance. Le voyageur qui se rebu-
terait de la longueur ou des difficultés du chemin
n'arriverait jamais au but; celui-là seul arrive qui
continue sa marche résolument. Cherchons donc
Dieu avec confiance, bien assurés qu'il nous aidera
dans nos recherches, qu'il nous accueillera avec une
bonté toute paternelle.
III. Cherchons Dieu avec persévérance. Notre-Sei-
gneur a dit une parole qu'il nous faut souvent mé-
diter : celui-là seul sera sauvé qui aura persévéré jus-
qu'à la fin. C'est quelque chose de bien commencer;
c'est une grande chose dans la vie qu'une éducation
bien chrétienne; c'est une heureuse garantie pour
le salut qu'une jeunesse passée dans la pratique et
l'amour de la vertu, mais ce n'est pas tout. — Il
faut persévérer; et c'est là le difficile. La constance
semble être une vertu inconnue au cœur humain;
beaucoup commencent bien et finissent mal; ne les
imitez pas, mais imitez Marie dans son ardeur et sa
persévérance à chercher le divin Enfant. Elle ne se
lasse pas ; elle ne se rebute pas ; elle poursuit ses
recherches jusqu'à ce qu'elle ait trouvé l'objet de ses
regrets et de ses larmes. Vous avez prié, vous priez
encore, et Dieu se dérobe toujours à vos empresse-
ments, ne vous rebutez pas, continuez, multipliez
i. 7
iiO DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
vos prières, à proportion que la prière devient plus
difficile, Dieu vous rendra les consolations ^e son
amour. Il vous tiendra compte de ces soupirs qui
tant de fois sont montés inutilement vers le Ciel, de
ces prières qui furent souvent une croix et une croix
sans onction. Plus l'épreuve aura été pénible, plus
la récompense sera grande.
Finissons en disant comment on trouve Dieu.
C'est dans le temple que Marie rencontre son Fils,
c'est aussi dans le temple que vous retrouverez Dieu
quand vous l'aurez perdu. Si sa perte est la punition
de vos péchés, il a dans sa maison une piscine salu-
taire au bord de laquelle il vous attend pour vous
guérir. Dieu n'est point dans les assemblées profanes
où vous allez vous étourdir pour échapper aux re-
mords qui troublent votre conscience. — Il n'est
point dans ces livres frivoles qui ne peuvent qu'ache-
ver en vous la ruine de la piété. — Il n'est point au
milieu de ces compagnies légères dont la dissipation
sert d'excuse à la vôtre; il est dans le temple, c'est
là qu'il faut venir le chercher. On vous dira au tri-
bunal de la pénitence ce que vous devez faire pour
vous rapprocher de lui; ou plutôt il reviendra lui-
même à vous; il vous parlera par la bouche de son
ministre, il rentrera dans votre cœur avec le pardon
de vos fautes, et vous retrouverez le bonheur en re-
trouvant sa grâce.
Si la perte de Jésus est une épreuve, c'est encore
dans le temple qu'on peut le retrouver. Là, il y a
l'autel, — sur cet autel il y a le tabernacle, —
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES lii
l'amour y tient Jésus enfermé; c'est là qu'il faut
venir le chercher dans la communion ou du moins
dans la prière. Oui, sur cette route où vous cheminez
péniblement, ainsi qu'autrefois cheminait le pro-
phète accablé sous le fardeau de la vie, l'ange du
Seigneur vous présente comme à lui, le pain de la
solitude; — écoutez cette voix amie, n'écoutez point
de vaines terreurs qui ne serviraient qu'à vous éloi-
gner davantage de votre Maître. Mangez, mangez à
la sueur de votre front, s'il le faut, ce pain mysté-
rieux que vous aimez et que vous redoutez tout à la
fois. Si vous avez la foi, dit saint Augustin, l'absence
du Seigneur n'est qu'apparente, il est là tout près de
vous caché sous les voiles de l'Eucharistie. Allez-
vous jeter dans ses bras avec une confiance toute
filiale, et vous sentirez la paix renaître dans votre
cœur. Amen*
\[~2 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
IIe DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE
EVANGILE
En ce temps-là, il se lit des noces à Cana, en Gali-
lée, et la mère de Jé-us y était. Jésus y futaus^i con-
vié avec ses disciples. Et comme le vin vint à man-
quer, la mère de Jésus lui dit : «Ils n'ont point de
vin. » Jésus lui répondit : h Femme, que vous importe
à vous et à moi? Mon heure n'est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Faites tout ce
qu'il vous dira. » Or, il y avait là six grandes urnes
de pierre, pour servir aux purifications qui étaient en
usa^e parmi les Juifs, dont chacune tenait deux ou
trois mesures. Jésus leur dit : « Emplissez les urnes
d'eau. » Et ils les emplirent jusqu'en haut. Alor> il
leur dit : a Puisez maintenant, et portez-en au
maîire d'hôtel, » et ils lui en portèrent. Le m-iîire
d'hôtel ayant goûté de celte eau qui avait été chan-
gée en vin, et ne sachant d'où venait ce vin, quoique
les serviteurs qui avaient puisé l'eau le sussent bien,
appela l'époux et lui dit : « Tout homme sert d'abord
le bon vin; et après qu'on a beaucoup bu, il en sert
alors du moindre : mais pour vous, vous avez ré-
servé jusqu'à cette heure le bon vin. » Ce fut là le
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 113
premier des miracles de Jésus, qui fut fait à Gana
en Galilée, pour manifester sa gloire. Et ses disciples
crurent en lui.
HOMÉLIE
Jésus avait mené, jusqu'à ce jour, une vie obscure
et ignorée. Retiré dans l'atelier d'un simple artisan,
il n'avait rien en apparence qui le distinguât du
commun des hommes. Des anges, il est vrai, avaient
pris soin d'apprendre à des bergers la naissance de
leur Sauveur; une étoile merveilleuse avait appelé
du fond de l'Orient des mages pour venir reconnaître
son empire, et le saint vieillard Siméon avait con-
senti, sans regret, à quitter la vie, après avoir vu
Celui qui devait être un jour la lumière des nations
et la gloire d'Israël. Mais quelque grands que fus-
sent ces prodiges, quelque éclat qu'ils répandissent
sur la naissance de Jésus-Christ, ce n'était pas assez.
Il était temps qu'il se dédommageât de trente ans
d'obscurité, et que, revendiquant en quelque sorte
ses droits, il manifestât sa gloire et décidât de nom-
breux di-ciples à croire en lui : Manifestavit gloriam
suam, crediderunt in eum discipuli ejus.
Ce n'est pas en apaisant une tempête que le divin
Sauveur commence la série des miracles qui doi-
vent prouver sa divinité. Ce n'est pas en nourrissant,
avec quelques pains, une foule immense, ni en arra-
chant aux ombres du trépas un mort enseveli depuis
trois jours, c'est en se trouvant invité à des noces,
114 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
en bénissant, par sa présence, le mariage de deux
jeunes époux. N'en soyons pas surpris, Jésus-Christ
s'est incarné pour renouveler la face de la terre. Ce
n'est qu'en transformant le mariage qu'il transfor-
mera l'ordre social, qu'il créera un peuple nouveau.
La société vaut ce que valent les familles, et les fa-
milles valent ce que vaut le mariage. C'est pour cela
qu'il voulut sanctifier le mariage et l'élever à la hau-
teur d'un sacrement pour faire jouir, ceux qui se
livrent par un contrat irréfragable, des grâces parti-
culières dont ils auront besoin pour l'accomplis-
sement de leurs nombreuses obligations.
Or, Jésus fut aussi appelé à ces noces. Ces deux époux
de Cana n'avaient pas oublié qu'ils étaient les en-
fants des saints; c'est pour cela qu'ils appelèrent
Jésus et Marie à partager leur modeste repas et
leur innocente joie. Oh! combien peu d'époux chré-
tiens imitent la conduite des deux époux de notre
Évangile! Que de mariages d'où l'amour et la crainte
de Dieu sont bannis! Que d'alliances que Jésus-
Christ réprouve! Le divin Sauveur fut donc appelé à
ces noces, et pour donner au mariage une approba-
tion solennelle et préluder à l'institution qu'il fera
un jour de ce sacrement , il y assista. Les deux
époux simples et pleins de foi auraient cru qu'il
manquerait quelque chose à leur bonheur, et leur
joie aurait été imparfaite si Jésus ne l'eût partagée.
Où une pareille conduite trouve-t-elle aujourd'hui
des imitateurs? Où sont les époux qui appellent Jé-
sus et Marie à leurs noces? Quels sont ceux qui les
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 115
invitent à l'acte solennel de leur union, et qui veu-
lent les fairt présider à leurs fêtes? Nous ne pouvons
pas, il est vrai, jouir comme les deux époux de notre
Évangile, de sa présence sensible et causer avec lui.
Mais maintenant encore, inviter Jésus-Christ à ses
noces, c'est le consulter sur le choix de la personne
à qui on doit être uni. Les parents, dit le Sage, peu-
vent bien vous donner les richesses; mais une femme
vertueuse, c'est Dieu qui la donne : Divitiœ dantur a
parentibut ; a Domino autem proprie uxor prudens.
Qu'est-ce qu'inviter Jésus-Christ à ses noces? C'est,
nous disent les saints Pères, recevoir ce sacrement en
état de grâce ; s'y disposer par une bonne confession
et une fervente communion ; ne pas attendre comme
on fait trop souvent, la veille du mariage pour se
présenter au saint tribunal. Un chrétien qui appelle
Jésus-Christ à ses noces n'attend pas le dernier mo-
ment, il s'y prend d'avance; il consulte son confes-
seur; il purifie avec soin sa conscience par la digne
réception des sacrements. Ce n'est que par ce moyen
qu'un mariage est béni du Ciel. Est-ce là ce qui se
pratique dans la paroisse? Hélas! Dans ces circons-
tances on pense atout; on prépare tout; on ne né-
glige que l'essentiel : la préparation de l'âme pour
attirer sur elle les grâces divines.
Les époux de notre Évangile appelèrent encore à
leurs uoees Marie, mère de Jé^us, et les disciples de
Jésus-Christ.
Qu'est-ce qu'appeler xMarie à ses noces? C'est se
mettre sous sa protection, et implorer par de fer-
116 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Tentes prières sa puissante intercession. Quoi de
plus puissant que l'intercession de Marie? Nous le
voyons bien dans notre Évangile. Si donc vous vou-
lez que Marie vous protège, faites un mariage chré-
tien, un mariage pur, un mariage saint; et alors
Marie y prendra part. Oh ! quel bonheur d'avoir Ma-
rie à ses noces! Les deux époux de notre Évangile
l'éprouvèrent bien. Elle fut pour eux une source de
:onsolations et de grâces; elle le sera pour vous,
mes chers auditeurs, si, comme eux, vous l'invitez
à votre mariage, et si vous vous rendez par votre con-
duite dignes de sa maternelle proteclion.
Qu'est-ce enfin qu'appeler les disciples de Jésus-
Christ à ses noces? C'est y appeler les pauvres; car
les pauvres sont les véritables disciples de Jésus-
Christ. Les inviter donc à vos noces, c'est faire quel-
ques aumônes proportionnées à vos facultés, pour
attirer les bénédictions du ciel sur votre nouvel état;
car l'aumône, nous dit l'Esprit-Saint, est une prière
qui pénètre le Ciel, et qui s'élève jusqu'au trône de
Dieu. Ce furent les aumônes de Tobie qui procurè-
rent à son fils un saint et heureux mariage. Appeler
à ses noces les disciples de Jé?us-Christ, c'est en
bannir les libertins et les impies ; ne pas souffrir
qu'on y tienne des discours contraires à la religion
et aux bonnes mœurs; c'est ne pas tolérer des amu-
sements, des danses contraires à la pudeur et des
promenades scandaleuses.
Et co mm e le vin manquait, la mère de Jésus lui dit:
Ils n'ont plus de vin : Vinum non habent. Marie s'a-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 117
percevant que le vin manquait, sentit toute la peine
que les époux éprouveraient de cette révélation pu-
blique de leur pauvreté. C'est pour cela qu'elle s'a-
dressa, pleine de confiance, à Jésus-Christ, pour lui
demander le soulagement de leur détresse. Pour l'at-
tendrir il ne lui faut ni discours touchants, ni lon-
gues prières, elle expose leurs besoins : Vinum non
habent.
Si ce jour est celui où Jésus veut manifester sa
gloire, il est aussi celui où Marie nous montre sa
sollicitude et son ineffable charité pour nous. C'est
à ce jour qu'elle prend le titre de médiatrice, et
qu'elle en remplit les consolantes fonctions. C'est à
ce jour où nous commençons à connaître combien
le cœur de Marie est sen>ible à nos misères et com-
bien elle est puissante pour y porter remède. Au
même instant, quoique Jésus dise à sa mère que
l'heure des miracles n'est point encore arrivée, il en
opère un bien frappant en changeant l'eau en un vin
délicieux.
Marie ayant appelé les serviteurs leur dit : « Faites
tout ce que vous dira mon Fils : Quodcumque dixerit
vobis, facite. » C'est aussi ce qu'elle nous recom-
mande à nous, si nous voulons ressentir les heureux
effets de sa protection. Écoutez ses commandements,
observez sa loi, et je lui ferai agréer vos vœux.
Or, dit l'Évangile, il y avait là six grandes urnes de
pierre, pour servir aux purifications des Juifs, dont
chacune contenait deux ou trois mesures. Jésus leur dit :
v« Emplissez les vases d'eau; » et ils les emplirent jus-
7.
Îi8 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
qu'au haut. Jésus ajouta : « Puisez maintenant, et por-
tez-en au maître d hôtel; » et ils lui en portèrent. Quand
le maître d'hôtel eut goûté de cette eau qui était changée
en vin, ne sachant d'où venait ce vin, quoique les servi-
teurs qui avaient puisé l'eau le sussent bien, il appela
V époux et lui dit : « Tout le monde sert d'abord le bon
vin, et lorsqu'on a beaucoup bu, on donne du moindre^
mais vous, vous avez réservé le bon vin jusqu'à cette
heure. »
Quels durent être les sentiments des époux et des
convives lorsqu'ils apprirent des serviteurs, qu'au
lieu de l'eau qu'ils avaient mise dans les vases, pour
se conformer aux ordres de Jésus-Christ, il en était
sorti un vin délicieux? Ah! sans doute qu'à la vue de
ce changement merveilleux, ils admirèrent la puis-
sance de ce Dieu-Sauveur, ils furent pénétrés de re-
connaissance pour ses bienfaits ; ils s'attachèrent à
lui, et se firent une gloire d'être au nombre de ses
disciples.
Jésus-Christ, mes frères, opère en notre faveur
un miracle dont celui que je viens de citer n'est
qu'une faible image. 11 change dans le sacrement de
J'Eucharistie, le pain en son corps adorable, et le
vin en son sang précieux, comme il changea l'eau
en vin aux noces de Cana. Mais pourquoi opère-t-il
un changements! merveilleux? C'est pour nous don-
ner comme aux époux de Cana, une marque écla-
tante de sa bonté; c'est pour nous secourir dans nos
besoin;, c'e^t pour nous enrichir de ses dons; c'est,
en un mot, pour se donner à nous, pour s'unir à
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 119
nous par ïa communion. N'est-ce pas là une faveur
infiniment plus sérieuse que celle qu'il accorda à
ceux pour qui il changea l'eau en vin. Et si nous ne
sentions pas tout le prix de cette faveur, ou si nous
négligions d'en profiter, ne serions-nous pas les plus
ingrats et les plus insensés de tous les hommes?
Ayons donc pour Jésus-Christ les mêmes sentiments
que les époux et les convives de Gana. Faisons écla-
ter envers lui notre juste reconnaissance, et empres-
sons-nous de participer au pain mystérieux qu'il
nous offre, comme les Juifs se «hâtèrent de faire
usage du vin miraculeux qu'il leur accorda.
Ce fut là, dit l'Évangile, le premier miracle de Jésus ;
il le fit à Caria en Galilée, et il manifesta sa gloire, et
ses disciples crurent en lui. Comment, en effet, au-
raient-ils pu ne pas croire en voyant le grand pro-
dige qu'il venait d'opérer? Ne savaient-ils pas qu'il
n'y a que l'Auteur de la nature qui puisse en dis-
poser à son gré ; et dès qu'ils le virent changer l'eau
en vin, par un seul acte de sa volonté, ne devaienl-
ils pas naturellement en conclure qu'un pouvoir di-
vin résidait en lui, et que par conséquent il était
véritablement Dieu? Mais si ce premier miracle suf-
fisait pour assurer leur foi, combien ne dut-elle pas
s,'affermir, lorsqu'ils le virent dans la suite guérir
les malades, éclairer les aveugles et ressusciter les
morts! Aussi l'on vit ces fidèles disciples s'attacher
toujours plus étroitement à lui, le suivre partout,
partager ses travaux, publier sa gloire; même après
sa mort, devenir ses apôtres, et finir par être les
120 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
martyrs de sa religion. C'est par e^ix, mes frères,
que nous avons appris les vérités de cette religion
salutaire, et nous n'avons pas moins raison de les
croire, qu'ils n'en avaient eux-mêmes, puisque nous
les croyons d'après le témoignage qu'ils en ont
rendu et qu'ils ont scellé de leur propre sang. Fai-
sons donc en sorte qu'on puisse dire de nous, comme
on le disait d'eux : Ils crurent en Jésus-Christ. Et
pour que notre foi nous procure les avantages qu'ils
retirèrent de la leur, ne nous contentons pas de
croire; mais appliquons-nous surtout à conformer
nos mœurs à notre croyance, et soyons chrétiens
par nos œuvres , autant que nous le sommes par
notre foi, puisque la foi sans les œuvres nous serait
inutile, et que ce ne seront que les œuvres jointes à
la foi, qui pourront nous rendre dignes de la vie éter-
nelle. Amen,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES \%X
POUR LE MÊME DIMANCHE
SUR LE MARIAGE
Vocatus est autem et Jésus att
nuptias* (JOA.N., h.) #
Mes Frères,
L'évangile de ce jour nous rappelle que Notre-Sei-
gneur Jésus-Christ a daigné sanctifier par sa pré-
sence le mariage des pieux époux de Cana. On croit
assez généralement que c'est en cette circonstance
qu'il a élevé à la dignité de sacrement l'union des
époux chrétiens, voulant que cette union fût sem-
blable par la noblesse et la sainteté à celle qu'il avait
lui-même contractée avec son Église. Et c'est ce qui
a fait dire à saint Paul : « Ce sacrement est grand
dans le Christ et dans l'Église : Sacramentum hoc
magnum est, ego dico in Christo et in Eeclesia. » Oui
véritablement grand est ce contrat qui réunit deux
existences dans un centre commun d'affections et de
joies, de labeurs et de peines, pour augmenter la
somme des unes et alléger le poids des autres ; mais
122 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
grand seulement lorsqu'il se fait selon Jésus-Christ
et son EgJise : Magnum dico in Christo et in Ecclesia.
Or, mes frères, ce n'est pas toujours d'après les
règles établies par le Sauveur et la société dont il
est le chef que se contractent les unions matrimo-
niales, même parmi les chrétiens.
Tombés dans une indifférence coupable pour tout
ce qui tient à la religion, un trop grand nombre en
sont venus à jeter une sorte de mépris sur tout ce
qui se rattache au culte. En particulier ils ne regar-
dent plus que comme de pures cérémonies ce qui
concerne le contrat dont il est question. Nous nous
proposons de leur montrer en ce jour que rien n'est
petit de ce qui touche de près ou de loin à ce pacte
à la fois social et chrétien.
Nous considérerons d'abord le mariage au point
de vue de son importance, puis dans les conditions
qu'il exige, et enfin dans les iormalités qui doivent
le précéder.
Au point de vue social, après les grands intérêts
de l'ordre et de la tranquillité, est-il rien de plus
important que le pacte conjugal? N'est-ce pas ïà ce
qui constitue réellement la famille 3t par consé-
quent la société ? N'est-ce pas dans la famille bien
organisée que se trouvent les plus sûres garanties
d'ordre, de pais, de prospérité pour tout l'État?
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 123
N'est-ce pas au sanctuaire domestique, au sein de
la famille que les membres d'une société font l'ap-
prenti>sage de la subordination, de l'abnégation, du
dévouement qui deviennent, en prenant de l'exten-
sion, des vertus éminemment sociales sous les noms
de soumission aux lois, respect de l'autorité, dévoue-
ment à la chose publique et amour de son pays ou
patriotisme? N'est-ce pas enfin de la famille bien
organisée que sortent, animés des plus nobles senti-
ments, les hauts conseillers du souverain, les sages
législateurs, les magistrats intègres et les guerriers
valeureux ?
Par contraire, qui ne sait que l'anarchie des fa-
milles est un terrible ferment de discorde pour les
sociétés ? La violation du pacte conjugal et des de-
voirs qu'il impose, ne peut, quand elle cesse d'être
un lait isolé, que menacer le pacte social. Les rebelles
au joug de la famille ne sont guère capables de
supporter celui de la société; et quand la famille
n'existe plus, la société n'est pas loin de sa mort.
C'est l'état sauvage ou quelque chose de pire encore
qui vient prendre sa place.
Qui oserait donc contester l'importance du ma-
riage? Qu'on le veuille ou non, il est une des bases
les plus solides des sociétés. Si donc on l'ébranlé,
inévitablement la société qu'elle soutient chancelle,
et si on la mine, on mine avec elle tout le corps
social. Sa ru;.ne entraîne celle de l'édifice qu'elle
supporte.
Outre cet intérêt social le pacte matrimonial en a
124 DOMINICALES DUN CURE DE CAMPAGNE
un autre qui, quoique moins grand, mérite cepen-
dant considération. Il n'étend plus ses influences
sur tout le corps ; il n'agit que sur la famille, et ses
limites ne dépassent pas le seuil du sanctuaire do-
mestique, mais toute restreinte que soit son action,
elle n'en est pas moins réelle et sérieuse.
Voici deux cœurs qui, attirés l'un vers l'autre par
un sentiment aussi fort que pur, demandent à être
unis, non plus seulement par les liens de la plus
étroite et de la plus sainte amitié, mais par le nœud
plus serré et plus sacré du pacte conjugal. Or que
va-t-il se passer? Comment va se réaliser ce vœu?
Jeunes époux, étrangers l'un à l'autre jusqu'à ces
derniers temps, vous allez mettre en commun vos
joies et vos plaisirs, vos douleurs et vos peines; vous
allez prendre à deux le fardeau de la vie pour le
rendre ainsi plus facile à porter; puis, selon les
desseins de la divine Providence, vous donnerez à
Dieu de nouveaux adorateurs, à la patrie de nou-
veaux citoyens, à la société de nouveaux membres,
et, il faut l'espérer, au ciel de nouveaux élus. Or,
dites-moi, n'est-ce rien que tout cela ? N'y a-t-il pas
là un but bien noble, capable de relever à vos yeux
le contrat qui en est le principe ?
Mais ce n'est point tout encore. Grand déjà au
point de vue social et humain, le mariage le devient
encore davantage au point de vue de la foi et de la
religion. Considéré sous ce dernier aspect, il n'est
plus simplement un contrat naturel réglant les droits
et les bénéfices, les charges et les devoirs du père,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 125
de la mère, des enfants, mais il devient un véritable
sacrement, c'est-à-dire une chose sainte et divine.
Dès le principe, aux premiers jours de la société,
le mariage était un pacte sacré auquel présidait la
religion ; plus tard l'excès de dépravation dans lequel
tomba le genre humain lui fit perdre ce caractère
surnaturel, et il ne fut plus qu'un calcul, une ty-
rannie, un moyen d'assouvir les plus dégradantes
convoitises, ou tout au plus un contrat que les par-
ties pouvaient briser selon leur bon plaisir.
Le Sauveur vint rendre au pacte conjugal sa di-
gnité première en y ajoutant encore : il en fit un
sacrement. Dès ce moment le mariage pour les chré-
tiens n'est rien moins que le plus grand de tous les
pactes, cimenté par le sang d'un Dieu. Oui, époux
chrétiens, cette foi que vous vous jurez mutuelle-
ment au pied des autels est en quelque manière
signée avec le sang du Sauveur, de sorte qu'elle ne
saurait être violée par l'un ou par l'autre sans une
espèce de sacrilège. Unis d'une manière indissoluble
par des liens sacrés, vous devez être une copie vi-
vante et fidèle de l'estime et parfaite union de Jésus-
Christ et d^ son Église. Combien ces considérations
élèvent le mariage! Combien elles le rendent respec»
table et saint aux yeux de la foi 1
126 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNK
II
Qui oserait dès lors tenir pour pures bagatelles les
conditions et les formalités dont la société chré-
tienne l'environne? Une chose aussi haute, aussi
sacrée ne couvre-t-elle pas de son éclat tout ce
qui de près ou de loin a quelque rapport avec
elle? Ne traiter donc point à la légère les empêche-
ments que l'Église met à certaines unions, et l'obli-
gation qu'elle vous impose de les faire connaître,
ainsi que la prescription qu'elle fait aux époux de se
purifier par le sacrement de pénitence avant de re-
cevoir la bénédiction nuptiale. Certes, quand on
considère la grandeur et la sainteté du mariage chré-
tien, il n'y a là rien de petit, rien de méprisable.
Puisque l'union des époux se fait sur le modèle de
celle de Jésus-Christ et de son Église, puisque le
Sauveur a fait du contrat matrimonial un vrai sa-
crement, ne convient-il pas que la société chré-
tienne, gardienne de tout ce qui est saint, l'environne
de tout ce qui peut le préserver de la profanation? Si
elle ne le faisait point, elle manquerait à sa mis-
sion, et, selon l'expression de l'Écriture, elle jetterait
les perles aux pourceaux.
Or, qui peut nier que les empêchements établis
par l'Église ne soient tous de sûrs préservatifs contre
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 127
îa profanation du mariage? Qui peut nier qu'ils ne
soient une puissante sauvegarde pour la sainteté de
cet état? Mais, direz- vous, s'il en est ainsi, pour-
quoi l'Église dispense-t-elle de ces empêchements?
Ahl mes frères, c'est bien contre son gré qu'elle se
relâche de sa sévérité. Quand elle consent à lever les
obstacles qui s'opposeraient à certaines unions, ce
n'est que pour éviter de plus grands maux et à cause
de la dureté des cœurs : Propter duritiam cordis.
Or, si les empêchements établis parl'Église ont un
motif si grand, si .sérieux, qui serait assez impie pour
les ridiculiser ou les outrepasser? Ne serait-ce pas se
rendre coupable d'une profanation et fouler aux
pieds le sang de Jésus-Christ. Qu'on le veuille ou
non, un mariage contracté avec un empêchement
dirimant est nul aux yeux de Dieu et de l'Église et il
mérite d'être flétri par la qualification honteuse que
l'on attache à toute union illégitime.
Mais si de la révélation des empêchements dépen-
dent la validité et par conséquent la sainteté du ma-
riage, qui pourrait tenir pour inepte l'obligation de
la faire? qui peut condamner la loi qui prescrit de
dénoncer à plusieurs reprises à la solennité du prône
tout projet de mariage?
Que dirons-nous maintenant de l'obligation im-
posée aux époux de se présenter au tribunal de la pé-
nitence avant de recevoir le sacrement de mariage?
Faudra-t-il la venger des outrages dont l'accahlent
un trop grand nombre de chrétiens? Hélas! pocr
128 DOMINICALES D'UN GURÉ DE CAMPAGNE
l'honneur delà religion catholique, nous devrions être
dispensés d'élever la voix à ce sujet. On ne comprend
pas, en effet, que des époux nés, élevés au sein du
catholicisme osent regarder cette obligation comme
un fardeau qu'ils cherchent à esquiver par tous les
moyens possibles. Malheureux! si vous aviez un peu
plus de foi, vous n'attendriez pas que l'Église vous
fasse un devoir de la confession avant votre mariage,
mais vous iriez de vous-mêmes, aussitôt que votre
projet est arrêté, vous réconcilier avec Dieu, afin de
le mettre dans vos intérêts, d'obtenir ses grâces
pour faire un acte aussi important, un acte auquel
est attaché votre félicité pour cette vie et pour
l'autre. « Tu vas te marier, écrivait quelqu'un à un
de ses amis ; c'est bien, mais fais en sorte, le jour de
ta noce, d'introduire deux personnes dans ta maison :
le bon Dieu et ta femme. » Celui qui écrivait une
chose si raisonnable était convaincu que le véritable
moyen d'introduire Dieu dans sa maison, c'est de le
faire entrer d'abord dans son âme par une bonne
confession. Que penser donc de ces malheureux
époux qui ont la sacrilège audace de se présenter
pour la forme au tribunal sacré et d'estorquer au
prêtre un billet de confession? Insensés! ils vont
fouler aux pieds le sang du Sauveur, mais ce sang
va se lever contre eux pour faire de l'état dans lequel
ils vont entrer un apprentissage de l'enfer qui les
attend.
Terminons ces considérations par quelques mots
sur la cérémonie de la bénédiction nuptiale.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 129
Voici deux époux qui sortent de la maison où
viennent de les bénir la main d'un père et le cœur
d'une mère. Accompagnés par tout ce qui leur est
uni par les liens du sang et de l'amitié, ils se diri-
gent vers la maison de Dieu. Ils entrent, et au lieu de
s'arrêter non loin du vestibule, comme ils le faisaient
jusque-là, ils s'avancent jusqu'à la porte du sanc-
tuaire. Aussitôt vient à eux le ministre de Jésus-
Christ, revêtu des ornements sacrés. D'une voix grave
et solennelle il demande à chacun des époux l'expres-
sion claire et formelle de son consentement à l'union
projetée. Prenez-y garde, époux chrétiens, c'est en
présence de Dieu, devant les saints autels où Jésus-
Christ va s'immoler, devant le tabernacle où il ré-
side, en présence des anges qui adorent en tremblant
le Dieu caché sous les emblèmes eucharistiques, en
pré>ence de vos parents et de vos amis que vous
allez laire vos serments. Tremblez donc de les faire à
la légère, sans discernement et sans bon propos; car
si jamais vous étiez assez malheureux pour les ou-
blier, non seulement alors votre Dieu, votre cons-
cience, les anges, vos parents, ;os amis vous les
rappelleraient, mais les murs eux-mêmes, les pierres
de cet édifice seraient là pour vous reprocher vos in-
fidélités et vos parjures.
Mais 'c'en est fait, le consentement est donné; la
foi est jurée; Dieu et les hommes en sont témoins et
le sang de Jésus-Christ va sceller cette alliance so-
lennelle. Le prêtre étend la main sur les époux, ap-
pelle sur eux les bénédictions du Ciel, et, au nom de
130 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
l'adorable Trinité, il les déclare à jamais uni* par les
mérites du Rédempteur. Y a-t-il, mes frères, dans
l'espèce, rien de plus grand, de plus solennel que le
mariage des chrétiens? Que penser donc de ceux
qui n'ont que du mépris pour tout ce qui tient à ce
grand acte ? Que dire de ces catholiques qui. comme
des païens, n'en font qu'une affaire de calcul et n'y
cherchent que le moyen d'assouvir plus librement de
grossiers appétits? Que dire de ces malheureux «jui
se présentent à l'autel avec une conscience soi.illée
par le crime ? Quel nom donner à ces indignes chré-
tiens qui ne craignent pa> de recevoir la bénédiclion
nuptiale, sachant qu'il exi>te un ou plusieurs empê-
chements qui rendent leur union illégitime aux yeux
de Dieu et de l'Église ? Que penser de ces parents, de
ces amis qui, connaissant ces empêchements, ne les
font pas connaître?Ah! que tous ceux-là sontcou-
pables devant Dieu! Tous plus ou moins directement,
plus ou moins efficacement, contribuent à attirer les
malédictions du Ciel sur ce couple malheureux qui
aurait pu cependant trouver au pied des autels le
gage du vrai bonheur. Aussi viendra le moment où
ces époux maudiront le jour qui vit former leur
union et tous ceux qui, le pouvant et le devant, ne
se sont point opposés à ce qu'elle ait été souillée par
le sacrilège. Malédictions affreuses qui ne seront que
lepréiude de celles qu'ils vomiront éternellement
dans l'enfer.
Plabe à Dieu, ô chrétiens, que ce malheur ne
tombe jamais sur vous I Fasse le Ciel que ce sanc-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 131
tuaire ne soit jamais profané par des unions sacri-
lèges, que cette paroisse ne compte jamais des
époux que Dieu n'a pas bénis ! Nous demandons cette
grâce à Celui qui fait les mariages saints, les famille»
chrétiennes et les heureux de l'Éternité. Amen*
132 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
IIIe DIMANCHE APRES L'EPIPHANIE
ÉVANGILE
En ce temps-là, Jésus étant descendu de la mon-
tagne, une grande foule de peuple le suivit, et un
lépreux venant à lui l'adorait en lui disant : Sei-
gneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. Jésus
étendant la main, le touche et lui dit : Je le veux,
soyez guéri! Et la lèpre fut guérie au même instant.
Alors Jésus lui dit : Gardez-vous bien de parler de
ceci à personne, mais allez vous montrer au prêtre,
et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur
serve de témoignage. (Math., viii, 1-5.)
HOMÉLIE
L'Évangile de ce jour raconte encore le miracle
opéré en faveur du serviteur du centenier ; mais pour
ne pas être trop long, nous en parlerons dans une
autre instruction.
Notre-Seigneur venait d'instruire le peuple sur la
montagne. Il lui avait appris en quoi consiste le
vrai bonheur. Il avait proclamé ces huit béatitudes
qui devaient consoler jusqu'à la fin des âges ceux
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 133
qui sont pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui sont
pei sécutés ; il avait rappelé la bonté de Dieu, toujours
prêta écouter favorablement ceux qui l'implorent avec
une piélè sincère; il avait dit: Demandez et vous
recevrez; cnerchez et vous trouverez; frappez et on
vous ouvrira. Quiconque demande reçoit, quiconque
cherche irouve, quiconque trappe voit la porte s'ou-
vrir pour le laisser entrer. — Or, descendant de la
montagne où il venait de donner au peuple de si
beaux enseignements, une occasion se présenta de
confirmer par un fait éditant la vérité de ce qu'il
avait dit. — Un lépreux qui ne s'était pas mêlé à la
foule avide d'entendre le divin Maître, mais qui
s'était tenu à l'écart, se dirigea vers le Sauveur.
Peut-être étaient-elles venues jusqu'à ses oreilles,
ces paroles consolantes qui annonçaient que Dieu
exauce la prière des malheureux, qu'il répand ses
bien laits sur tous ceux qui les demandent avec fer-
veur. Qui avait plus besoin des secours du Ciel que
ce lépreux? Il était affligé d'une maladie épouvan-
table; repoussé de tout le monde, il se faisait hor-
reur à lui-même et ne pouvait se supporter. Obligé
de se tenir loin de la société des hommes, aucun
témoignage d'amitié n'arrivait jusqu'à lui. Il vivait
seul avec ses douleurs que nul remède ne soulageait.
Mais il va éprouver la vérité des promesses faites par
Jésus-Christ. Le bon Maître avait dit : Venez à moi,
vous tous qui êtes dans la peine et dans la souffrance
et je vous soulagerai. Demandez et vous recevrez.
Aussi, plein de confiance, il va implorer sa bonté,
i. 8
134 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Dès le moment qu'il aperçoit le Sauveur, il s'approche-
de lui, se prosterne à ses pieds et lui dit : « Seigneur,
si vous le voulez, vous pouvez me guérir : Domine,
si v<s, putes me mundare. »
Ce lépreux est la figure du pécheur. Il était banni
de la société des hommes, parce que cette maladie
éminemment contagieuse se propageait par le com-
merce de ceux qui en étaient inlectés. Le péché est
également un mal contagieux; il se communique
par les pensées, par les paroles, par les exemples ; et
les suites du scandale sont souvent irréparables. Le
péché exclut l'homme de la présence intime et con-
solante du Seigneur, le retranche de la société des
anges et des saints. La lèpre couvrait le corps d'une
humeur sèche et infecte, le rendait hideux et dif-
forme; le péché déûgure l'âme, le chef-d'œuvre de
la main divine, le prix du sang de Jésus-Christ; en la
couvrant de souillures et en effaçant en elle l'image
de Dieu, en fait un objet d'horreur. Le lépreux
connaît du moins son état, il sent profondément sa
misère et en désire vivement la guérison; mais 1©
pécheur, souvent, connaît d'autant moins son état
qu'il est plus triste; comment songerait-il à s'en
guérir?
Dès que l'infortuné lépreux voit Jésus, il recourt à
lui avec humilité et confiance pour être guéri de son
humiliante infirmité. Seigneur, s'écrie-t-il, après
s'être fêté à genoux et prosterné la face contre terre.
Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me purifier :
Domine, si vis, votes me mundare. Que de sentiments
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 135
dans ce peu de mots ! Quelle foi dans 'a puissance
du Sauveur! Quelle confiance en sa bonté! Quelle
humilité! Quelle soumission à sa volonté! Il se
reconnaît indigne de la grâce qu'il sollicite; il ne
l'attend que de la pure libéralité de Jésus-Christ; il
croit qu'il peut la lui accorder, qu'il n'a pour cela
qu'à le vouloir, et il espère qu'il le voudra. Que ne
prions-nous de la sorte pour obtenir le pardon de
nos péchés et pour surmonter nos nombreuses ten-
tations!
Après ce peu de paroles, le lépreux, toujours
prosterné aux pieds de Jésus, attendait la décision
de son sort. Dans cette attente, quels sentiments
s'élevaient dans son cœur? Sentiments d'une douce
joie, causée par la ferme espérance d'être guéri
purifié; sentiments d'un tendre amour pour celui
dont il espérait son salut, avec une forte résolution
de s'attacher à lui et de le servir ; sentiments de
.crainte à la vue de son indignité, telle qu'on l'éprouve
toujours quand on attend une grande grâce que Ton
ne mérite pas ! Mais la bonté de Jésus ne se fit pas
attendre. Jésus ayant pitié de lui, et étendant la main,
le toucha et lui dit : Je le veux, soyez guéri; et à l'ins-
tant la lèpre disparut. La réponse du Sauveur est
l'écho de la prière humble et fervente du lépreux.
Plus est profonde la misère du pauvre pécheur, plus
Jésus-Christ, loin de le rebuter, l'accueille avec com-
misération et tendresse. Apprenons du lépreux à
recourir à Jésus-Christ dans nos besoins et ce non
père dira : Volo mundare. C'est encore de la même
136 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
manière qu'il QDère dans l'ordre de la grâce; c'est
encore avec la même autorité communiquée à ses
ministres qu'il dissipe la lèpre spirituelle. Le prêtre,
dans le saint tribunal, remet véritablement, à l'exem-
ple de Jésus-Christ, tous nos péchés, comme le Sau-
veur guérissait la lèpre. De même que Jésus-Christ
disait : « Je le veux, sois guéri; » de même son délé-
gué dit : « Ego te absolvo. » C'est le même pouvoir
suprême qui fait disparaître les diverses lèpres. C'est
la même parole à laquelle obéissent les maladies du
corps et celles de l'âme.
Alors Jésus lui dit : « Gardez-vous de parler de ceci à
personne, mais allez vous présenter au prêtre. » Si
Notre-Seigneur, pour nous donner une leçon de
modestie et nous éloigner de l'ostentation, impose
silence au lépreux sur le bienfait qu'il vient de lui
accorder, il lui commande d'aller se présenter de-
vant le prêtre pour constater sa guérison : Vade
oslende te sacerdoti, c'est aussi le devoir des pécheurs
qui veulent se convertir. Un tribunal de miséricorde
les attend; un juge doit prononcer sur eux une sen-
tence de pardon. Il faut qu'ils aillent se montrer à
un prêtre, à un ministre du sacrement de pénitence,
à un de ceux qui ont reçu le pouvoir conféré par ces
paroles : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous
les remettrez* ils seront retenus à ceux à qui vous les
retiendrez; » et que doivent-ils montrer? Leurs
larmes, leurs sanglots, leur front humilié, leur
visage abattu? Non. Ils doivent montrer leur âme
souillée. Ils doivent révéler leur conscience cou-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 13~
pable, faire l'aveu de toutes les fautes mortelles
qu'ils ont commises depuis qu'ils se sont éloignés
de Dieu, ne rien déguiser, ne rien diminuer, se ma-
nifester i.ols qu'ils sont simplement et sincèrement :
Ostende te sacerdoti. Que cet aveu ne les épouvante
pas ; il est moins pénible qu'il ne semble au premier
aspect. N'y a-t-il pas dans le coupable un instinct
qui le pousse à confesser sa faute? Il sent que cet
aveu le soulagera ; il se sentira meilleur à ses propres
yeux quand il se sera déclaré criminel. Allez donc
sans crainte, ô pécheurs, allez recevoir, non point
des paroles de reproches, vous le savez bien, mais
des paroles de pardon, des paroles d'absolution et
d'encouragement, des paroles qui vous délivreront
du fardeau de vos iniquités, des paroles qui rendront
à votre âme troublée le calme et la paix : Ostende te
sacerdoti.
Prenez en ce moment la résolution que prit autre-
fois le roi-prophète et dites avec lui : Dixi : Confitebor
adversum me injustitiam meam Domino; et tu remi-
sisti impietatem peccati mer. Dixi : Je l'ai dit, et c'est
à vous, ô mon Dieu ! qui m'invitez à la pénitence et
qui m'offrez mon pardon que je le répète : Je ne
manquerai plus à ma parole : confitebor : J'avouerai
dans l'amertume de mon âme toutes mes fautes. Je
dirai tout le mal que j'ai fait : injustitiam meam. Je
parlerai des injustices que j'ai commi^s contre
Dieu, des grâces dont j'ai abusé, des ton* faits à
mon prochain, des intérêts de mon âme volontaire-
ment négligés. Je ferai une confession humble, en-
8.
138 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
tière et ?m~ère au ministre de votre miséricorde qui
tient votre place, ô mon Dieu, Domino. Et vous
m'accorderez la grâce de purifier de plus en plus
mon âme coupable : Et tu remisisti impietatem pec-
cati met. Je me rendrai ain>i digne de votre amour e.
de la gloire éternelle. Amen.
POUR LE MÊME DIMANCHE
ÉYANGILE
Comme Jésus était entré dans Capharnaum, un
centurion s'approcha de lui, le priant et disant:
« Seigneur, mon serviteur gît paralytique dans ma
maison, et il souffre violemment. » Jésus lui dit :
« J'irai et le guérirai. » Mais le centurion répon-
dit : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous
entriez sous mon toit ; mais dites seulement une
parole et mon serviteur sera guéri. Car moi, quoique
soumis à la puissance d'un autre, j'ai sous moi des
soldats. Or, je dis à l'un : Va, et il va ; et à un autre :
Viens, et il vient, et à mon serviteur : Fais cela, el il
le fait. » Jésus, l'entendant fut dans l'admiration. Et
il dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le
déclare, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans
Israël. Aussi, je vous dis que beaucoup viendront de
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 139
l'Occident et auront place dans le royaume des
Cieux avec Abraham, Isaac et Jacob ; tandis que les
entants du royaume seront jetés dans les ténèbres
extérieures. Là, seront les pleurs et le grincement
de dents. » Alors Jésus dit au centurion : « Va, et
que selon que tu as cru. il le soit fait; » et son ser-
vit» ur l'ut guéri à cette heure même. (Mathieu,
VIII, 5-14.)
HOMÉLIE
Comme Jésus entrait à Capharnaiim, un centurion
romain, c'est-à-dire un officier commandant à cent
soldats, avait un serviteur qu'il aimait beaucoup et
qui était malade et se mourait. Cet officier avait
sans nul doute beaucoup entendu parler de Jésus, de
ses œuvres merveilleuses, des prodiges qu'il 0| érait,
de sa bonté toujours prête à mettre sa puissance
extraordinaire au service des infortunés. 11 s'appro-
cha de lui comme le lépreux, il adressa une prière à
Celui qui commande en maître à la maladie et à la
mort : « Seigneur, dit-il, j'ai dans ma demeure un
serviteur qui souffre beaucoup ; la maladie lui ôte
l'usage de ses membres : Puer meus jacet in domo
•paralyticus, et maie torquetur. »
Admirons ici la sollicitude de ce centurion pour
son serviteur ; il le traite, non pas comme un
esclave, mais comme son propre enfant. Il va expo-
ser au Sauveur, l'état déplorable où se trouve cet
infortuné. C'est ainsi que les maîtres chrétiens
140 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
doivent se conduire envers leurs serviteurs. Avez-
vous pour vos domestiques, pour vos inférieurs,
pour vos frères, la même charité? Ayez-la du moins
pour votre âme ; n'est-elle pas depuis longtemps
comme paralytique et sans mouvement pour les
choses du Ciel et pour les bonnes œuvres, tandis
qu'elle est si vive et si ardente pour les choses de la
terre ?
Le centurion ne demande rien, il se contente
d'exposer l'état du malade et c'en est assez pour le
cœur de Jésus. Représentez-lui vous-mêmes avec
une pareille confiance les infirmités de votre âme,
ses plaies et ses langueurs, ses péchés et sa tiédeur,
et il la guérira. Jésus lui répondit : « J'irai voir le
malade et je le guérirai. » « Ah ! Seigneur, reprit le
centurion confus, je n'ose prétendre à cet honneur:
Vous, venir chez moi, ce n'est pas ce que je vous
demande ; je ne suis pas digne que vous entriez dans
ma maison ; dites seulement une parole, et mon serviteur
sera guéri. » Le centurion révèle sa foi vive en même
temps que sa profonde humilité. Il croit que tout
doit obéir au Sauveur ; que, de loin comme de près,
rien ne résiste à sa volonté divine. « Seigneur,
ajoute-t-il, moi qui suis constitué en dignité, moi
qui ai sous mes ordres des soldats, je n'ai qu'à pro-
noncer un mot pour être obéi à l'instant ; je dis à
l'un : Va l et il va ; je dis à un autre : Viens ! et il
vient ; je dis à mon serviteur : Fais ceci, et il le fait.
Or, vous commandez à toute la nature avec bien plus
d'autorité que je ne commande à mes soldats. Pou-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 141
vait-on reconnaître et confesser plus énergiquement
la divinité de Jésus-Christ? Quelle profession de foi
pour un Gentil ! Il reconnaît que le Sauveur a un
pouvoir souverain et illimité, qu'il n'a qu'à parler
pour être obéi. Ne nous formerons-nous donc jamais
une pareille idée du pouvoir du divin Maître? Pour-
quoi, en nous adressant à lui, cette timidité, cette
défiance, cette inquiétude secrète qui nous resserrent
le cœur? Ah! c'est que nous ne connaissons ni son
pouvoir, ni sa bonté ; c'est que nous n'avons ni foi
en l'un, ni confiance en l'autre. Apprenons-donc
aujourd'hui à connaître notre Sauveur. Commençons
à croire en lui et à mettre en lui toute notre con-
fiance. »
Jésus, l'entendant parler ainsi, fut dans l'admiration,
et dit à ceux qui le suivaient : « Je vous dis en vérité, je
n'ai point trouvé une si grande foi dans Israël. » Quand
donnerons-nous à Jésus-Christ cette satisfaction de
voir et de louer en nous une foi vive et parfaite ? Un
étranger a plus de foi que les Israélites, un homme
engagé dans le monde et dans la profession des
armes, en a quelquefois plus que des chrétiens qui
vivent dans la retraite et fréquentent les sacrement^.
Que ce contraste est glorieux pour les uns et humi-
liant pour les autres ! Audiens autem Jésus, mira-
tus est.
Le centurion était Gentil d'origine ; il avait vécu
longtemps dans des pays idolâtres, il avait cepen-
dant plus de foi que les Juifs, nés dans le sein de la
vraie religion. C'est pourquoi Jésus-Christ dit à ceux
142 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
qui le suivaient : « Je v<-us déclare que beaucoup vien-
dront de r Orient et de l'Occident, c'est-à-dire des diffé-
rentes parties de l'univers, presque entièrement
plongées dans les ténèbres de l'idolâtrie, régneront
dans le Ciel avec Abraham, Isnac et Jacob, tandis que les
enfants du royaume, c'est-à-dire les Juifs qui étaient
plus particulièrement appelés à y régner, seront
jetés dans les ténèbres, oh il y aurait des pleurs et des
grincements de dents. » C'e>t là en effet ce qui arriva.
Ces Juifs infidèles qui avaient abusé de toutes les
grâces dont Dieu les avait comblés, et qui avaient
fermé les yeux à la lumière de l'Évangile, furent
réprouvés et tombèrent dans les ténèbres, tandis que
les Gentils que Dieu semblait avoir abandonnés,
furent substitués à ce peuple aveugle, et occupèrent
dans le ciel les places qui lui étaient destinées. C'est
là aussi, mes frères, ce qui. nous arriverait à nous-
mêmes, si nous abusions du précieux don de la foi
dont le Seigneur nous a enrichis, et si, étant envi-
ronnés de lumières, nous ne faisions que des œuvres
de ténèbres. Dieu, pour nous punir, laisserait
obscurcir en nous les clartés de la foi et ferait passer
ce précieux héritage en d'autres mains. Ce terrible
châtiment dont il se sert pour punir ceux qui repous-
sent les lumières de la religion n'est point inouï. Des
nations entières l'ont déjà subi ; et si nous imitions
leur endurcissement et leur incrédulité, nous pour-
rions bien le subir nous-mêmes. Mais il en sera tout
autrement, si nous conservons soigneusement la foi
qui est la source de tous les biens.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 143
Àiissilôt que Jésus eut looé la loi du centurion, il
lui dit: « Allez, et qu'il vous soit fait selon ce que vous
avez cru. » Et à C heure même soti serviteur fut guéri.
Par ces paroles, le divin Maître nous apprend que la
foi qui anime nos prières, est la mesure de leur
efficacité. Si nous le suDulions avec la confiance
ferme et ardente du centurion, il nous est accordé
selon que nous avons cru. Si nos prières émanent
d'une foi faihle et chancelante, il i>e bous est encore
fait que selon ce que nous avons cru.
Nous nous plaignons souvent que nos vœux ne
sont pas exaucés. Voulez-vous en connaître la rai-
son ? Saint Jacques vous la donne : « Vous deman-
dez, dit-il, et vous n'obtenez pas, parce que vous
demandez mal : Petitis, et non accipitisy eo quod maie
petntis. » L'un des principaux vices de nos prières
est qu eiies ne reçoivent pas de notre foi l'impulsion
qui les fait monter jusqu'au trône de l'Éternel.
« Demandez, nous dit le même apôtre, avec foi, sans
défiance, sans hésitation. La prière qui procède
d'une foi hésitante, ressemble au flot incertain qui,
après avoir été poussé de côté et d'autre, vain jouet
des vents, retombe sur lui-même et se brise sans
effet. » Lors donc que nous voyons nos prières ne
pas atteindre leur effet, cherchons le remède dans
nous-mêmes ; ranimons notre foi, et comptant sur
la parole sacrée qui ne peut jamais tromper, soyons
assurés de recevoir tout ce que nous demanderons
avec foi. Et omnia quœcumque petieritis in orattone,
credentes, accipietis. Dans nos infirmités spirituelles
144 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
et corporelles, au sein de nos douleurs et de nos
chagrins, recourons à Jésus-Christ avec la foi du cen-
turion, et comme lui nous serons guéris et consolés.
Amen.
POUR LE MÊME DIMANCHE
SUR LA CONFESSION
Varie, ostende te sacerdoti
A.Uez, montrez-vous au prêtre.
(Math., \ ni, 4)
Voir le Missionnaire de la Campagnet U I, p. 341
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES
:. -IVe DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE
Domine, saîva not, piermus. (Math., tiii, 5.)
ÉVANGILE
Après une journée de bienfaits et de miracles,
Jésus-Christ monta dans une barque, et ses disci-
ples le suivirent. Et aussitôt il s'éleva sur la mer une
tempête si grande, que la barque était couverte par
les vagues. Cependant Jésus dormait. Ses disciples
s'approchèrent de lui et l'éveillèrent en lui disant :
« Seigneur, sauvez-nous, nous périssons I » Jésus
leur répondit : « Pourquoi tremblez-vous, hommes de
peu de foi? » Et se levant aussitôt, il commanda aux
vents et à la mer, et il se fit un grand calme. A cette
vue tous furent saisis d'étonnement et se disaient :
« Quel est cet homme à qui les vents et la mer
obéissent?» (Math.,viii, 23-27.)
HOMÉLIE
L'histoire émouvante de cette tempête qui cons-
terne les disciples et que Jésus-Ghrist apaisa est aussi
i. 9
146 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
l'histoire des orages dont l'Église n'a cessé et ne ces-
sera d'être agitée. Le divin Maître avait prédit à ses
Apôtres qu'ils seraient persécutés et mis à mort à
cause de son nom. L'accomplissement suivit de prèî
la prédiction. Dès que l'Église sortit du Cénacle, le
premier ennemi qui s'arma contre elle pour l'anéan-
tir, fut la synagogue. Les docteurs juifs, sentant
par instinct que leur lègne allait finir et 'que le
temps était arrivé de faire place à une nouvelle reli-
gion, se mirent à la persécuter. Ils rirent alors appel
à toutes les haines, ils armèrent tous les bras, aigui-
sèrent tous les glaives, remuèrent toutes les chaînes,
pour étouffer dans son berceau cette Église naissante
encore enveloppée des langes de l'enfance. Les dis-
ciples de l'Évangile furent poursuivis de ville en
ville, de bourgade en bourgade; les Apôtres traînés
en prison et chargés de fers ; et saint Etienne, le
premier diacre, expira noyé dans les flots de son
sang.
0 sainte Église, n'y a-t-il pas à redouter que ceux
qui ont été hier les témoins de votre naissance, ne
le soient aujourd'hui de votre mort?
Mes frères, ne craignez rien pour l'Église. Le Dieu
qui l'a fondée saura bien la défendre. Ne lisons-nous
pas en effet dans l'histoire qu'au moment même où
l'infidèle Jérusalem s'apprêtait à célébrer ses funé-
railles dans la personne de son chef, un ange appa-
rut dans la prison. A sa voix les fers retombent des
mains de Pierre, les portes de son cachot s'ouvrent
devant lui. Hérode, le plus acharné des persécu-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 14T
teurs de l'Apôtre expire sous les coups de la ven-
geance divine. Saul est terrassé sur le chemin de
Damas. Les chefs de la nation quittent la synagogue
pour l'Église; les contrées voisines donnent l'hospi-
talité aux apôtres, les captifs recouvrent la liberté,
les luyards reviennent se ranger sons sa bannière
sainte. Et c'est ainsi, qu'alors comme dans tous les
temps, la persécution qui devait amener la mort de
cette société naissante, ne servit qu'à la propager
partout et à multiplier le nombre de ses enfants.
Mais le signal est donné. A partir de ce jour, vous
ne trouverez ni intelligence qui se lasse à attaquer
l'Église naissante, ni bras qui se fatiguent à meur-
trir ses épaules sacrées. On a vu la Syrie, l'Asie Mi-
neure, la Grèce se précipiter sur elle à son passade,
lui prodiguer l'insulte et l'outrage, lui livrer les com-
. bats les plus sanglants. Mais c'est par-delà les mers,
sur les rivages du Tibre que l'attendaient des
épreuves devant lesquelles n'étaient que des jeux
d'enfants, celles qu'elle avait subies jusque-là.
Après une navigation que signalèrent mille périls,
elle arriva enfin aux portes de Rome. Des cris féroces
retentissaient dans toutes les rues de la viiie. C'était
le peuple qui revenait des jeux sanglants du cirque,
Néron et les proconsuls jetèrent en passant un re-
gard de mépris sur la pauvre étrangère et allèrent
leur chemin. Mais quelques jours plus tard, quand
elle eut t'ait connaissance avec les principaux quar-
tiers de la capitale, qu'elle se fut glissée au milieu
des esclaves, dans les salons des riches et la chaire
148 DOMINICALES l/'UN CURÉ DE CAMPAGNE
des philosophes, l'empereur effrayé des progrès de
cette nouvelle puissance qui se remuait autour de
son trône, s'écria comme Pharaon effrayé des pro-
grès du peuple juif : « Tirons notre épée du fourreau
et exterminons cette race abominable. »
Le glaive fut tiré, ce glaive qui jusque-là n'avait
frappé que les peuples puissants, ce glaive qui ne
s'était levé que pour de grandes choses, il se levait
cette fois pour frapper sur les enfants, sur les
femmes, sur nos mères, sur nos sœurs, sur nos
vieux pères. Us n'ont épargné ni l'âge, ni le sexe. Les
places publiques, les routes, les champs même, jus-
qu'aux lieux les plus dé-erts, se couvrent d'instru-
ments de torture, de bûchers, d'échafauds. Quelque
part qu'on jette les yeux, on ne rencontre que des ca-
davres ; quelque part qu'on aille, on marche dans le
sang Pendant trois siècles on poursuit l'Église dans
les campagnes, au fond des catacombes. Qui pourrait
dire le nombre des victimes qui ont succombé pen-
dant cette effroyable guerre! Si je consulte les his-
toriens, ceux qui disent le moins, me répondant dix
à douze millions, ceux qui disent le plu> : quatorze
et quinze millions. Mais si les catacombes qui ren-
ferment leurs ossements, si tous les endroits de la
terre qui ont gardé les traces de leur sang, si tous
les échos des siècles pouvaient parler en ce moment,
peut-être nous révéleraient-ils un nombre de mar-
tyrs qui nous ferait frissonner. Oh! quoi qu'il en soit
des chiffres, il faut que l'extermination ait été bien
effroyable, puisque l'empereur Dioclétien, à la fin
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 149
de cette Jutte, fit frapper une médaille sur laquelle
on lisait ces mots : « Christiano nomine deleto :
Gloire à Dioclétien qui a aboli partout le nom chré-
tien. »
Ne vous semble-t-il pas, mes frères, qu'une per-
sécution si vive, si universelle et surtout si persévé-
rante, devait naturellement amener la mort de
l'Église? Avez-vous jamais vu une institution hu-
maine, marcher sans mourir pendant trois cents ans
dans les Qots de son sang? Et pourtant il n'en est pas-
ainsi. Loin de trouver la mort sous ce glaive qui veut
l'exterminer, elle y trouve une surabondance de vie.
Elle grandit si étrangement, si prodigieusement, que
tout à coup les empereurs laissent tomber leur
glaive devant ce géant. Le sang des martyrs est une
semence si féconde de chrétiens que, dix ans après
la mort de Dioclétien, celle que l'on croyait morte
sortait des catacombes et remplissait l'univers tout
entier. Quelle résurrection ! Quelle vie ! quel éclat I
quelle grandeur ! L;Église est libre et l'Empire est
chrétien. Cependant le triomphe n'était que com-
mencé. On entendit du côté du Nord des bruits qui
ressemblaient à ceux d'une horde sauvage. C'étaient
les barbares qui inondaient l'Empire. Venus de tous
les vents du ciel, les uns sur des chars grossiers, les
autres sur des coursiers rapides, avec les caractères
les plus opposés, les mœurs les plus diverses, ils ont
tous un mstinct commun, l'instinct de la destruc-
tion. L'Empire romain est écrasé sous leur masse.
Cinq cents villes sont en feu; les campagnes sont
150 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
rendues désertes; Rome est pillée. Ils se gorgent
tour à tour de pillage, de meurtre et de sang.
0 sainte Église de Dieu, où êtes-vous? On ne voit
plus que carnage, que décombres, que ruines. Où
êtes-vous donc, ô sainte Église du Christ ? Mais quoi,
je regarde et la force qui a tout détruit a épargné
l'Église. Elle se lève sur ces nations sauvages qui
campent sur ces cadavres entassés. Elle vient avec
sa croix, son baplême, ses sacrements, et lavant dans
ses eaux mystérieures le sang dont ces barbares sont
couverts, elle commence le miraculeux enfantement
du monde chrétien. Penchée sur ce jeune peuple
comme autrefois, Elisée sur le fils de la veuve de
Sarepta, elle leur communique sa vie divine. Elle
le fait penser, parler, agir non plus selon la nature,
mais selon la grâce et l'Évangile. Gloire à l'Église !
elle est ressuscitée d'entre les ruines et les morts,
elle ressuscitera le monde avec elle. O mort, où est
ta victoire?
Voyant que le glaive était impuissant à lui donner
la mort, Julien l' Apostat se lève et dit : « Qu'il n'y
ait plus d'épée pour la frapper, mais ne lui donnons
aucun accès dans les charges publiques, et l'ambi-
tion fera ce que n'a pu exécuter le glaive. » Et aussi-
tôt les chrétiens sont bannis des écoles aussi bien
que des charges; ils sont exclus des assemblées, ils
sont rejetés du gouvernement, des armées et de la
province, ils sont voués à une vie pauvre et obscure.
Lucien les raille dans ses Dialogues et l'empereur
dans ses lettres. Il distille le venin à pleins flots sur
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 151
cette immortelle épouse du Christ. Il s'applaudit de
son ouvrage, et apercevant un jour un solitaire qui
bêchait son jardin, il l'interpelle l'injure à la
bouche : « Eh bien, dit-il, que fait maintenant le Ga-
liiéen? — Il fait un cercueil », répond le pieux céno-
bite. C'était le cercueil de l'empereur, et 1 un pour-
rait dire que depuis lors il en fait bien d'autres. Quel-
ques mois après, l'Apostat tombait, en effet, sous
les coups des Perses dans un combat sanglant. Il
regardait si bien cette mort inattendue comme le
châtiment de sa haine contre l'Église, qu'avant d'ex-
pirer, recueillant le sang qui sortait de sa blessure,
il le lança contre le ciel en disant : Tu as vaincu, Ga-
liléen. Le Galiléen, c'était Jésus-Christ. Et voilà en-
core un triomphe pour l'Église, une nouvelle résur-
rection. Saint Ambroise, saint Augustin, saint
Grégoire deNaziance se réunissent pour le chanter
dans ce concert harmonieux de l'Église grecque et
de l'Église latine. Et le siècle ou Julien a voulu
mettre le chritianisme au tombeau est celui qui reçut
peut-être le plus éclatant témoignage de ses desti-
nées immortelles.
L'Église a triomphé du glaive et des séductions de
l'ambition, mais voici venir un nouveau genre d'é-
preuve, plus dur peut-être que les deux premiers
parce qu'il lui vient de la part de ses enfants. C'est
Arius, Nestorius, Photius qui déchirent son sein par
l'hérésie. Plus tard ce sont Luther, Calvin qui, à
l'exemple des fils ingrats, se font un jeu barbare de
lui arracher la vie en la divisant avec elle-même. La
152 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
plume de ces hommes distille sans pudeur le venin
le plus mortel sur cette épouse immaculée du Christ.
0 tristes et odieux souvenirs ! Quels torrents d'in-
jures ne vomirent-ils pas contre l'Église, le Pape, les
mystères, les sacrements, le culte de la Vierge et
des saînts. Au bruit de leurs blasphèmes, l'Alle-
magne, la Suisse, l'Angleterre, la Suède et le Dane-
mark se séparent de l'Église. Une partie de la France
imite ce triste exemple. La guerre est partout. On
n'entend plus d'un bout de l'Europe à l'autre que la
détonation d'armes meurtrières qui portent partout
la désolation et la mort.
0 sainte Épouse du Christ ! cette fois, c'est certain,
on célébrera vos funérailles, parce que ce sont vos
enfants eux-mêmes qui vous meurtrissent de coups
et qui creusent votre tombe. — Non, mes frères,
L'Église ne périra pas encore cette fois ; et si vous
voulez la voir, ne la cherchez pas sous les voiles de
la mort, ni sous le suaire du cercueil. Jamais, au
contraire, elle n'a été plus vivante qu'à cette époque.
Si je considère sa fécondité à produire des saints, je
rencontre à cette heure les Ignace, les Xavier, les
Philippe de Néri ; et si j'arrête mes regards sur les
établissements de bienfaisance qu'elle crée sur ses
pas, je la vois fondant de ses mains bénies des sémi-
naires, des monastères, des hôpitaux, des collèges
célèbres. Si, franchissant les mers, je la suis dans
ses conquêtes, je l'aperçois captivant sous sa loi de
nombreuses peuplades dans les Indes, l'Afrique,
l'Amérique. Dites-moi, est-ce là le règne de la mort?
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 153
Saluons donc encore une fois l'Église victorieuse des
schismes, des hérésies, de tous ses déchirement?.
Réjouissons-nous, car c'est là une preuve encore de-
son immortalité.
Je passe sous silence ces époques critiques où des
/ois puissants levèrent les mains sur elle, chargèrent
ses bras de chaînes et traînèrent ses pontifes dans
l'exil, pour arriver à la dernière de ses épreuves dont
toutes celles d'aujourd'hui ne sont que le triste pro-
longement; je veux dire l'épreuve de la fausse
science.
Rappelez-vous cette grande conspiration de tous
nos savants du siècle dernier. Quel spectacle fut
donné alors à la terre ! Vous eussiez entendu retentir
d'un bout du monde à l'autre un cri de guerre que
je n'oserais pas vous redire, parce que c'est un hor-
rible blasphème. Ce cri, remarquez-le, il n'appelait
plus les bourreaux, il appelait des savants ; il appe-
lait tous les hommes qui avaient voué leur génie à
la destruction du bien. Tous ces hommes s'étaient
compris sur tous les points de l'univers. Réunissons,
disaient-ils, tous les rayons épars de la science, réu-
nissons toutes les étincelles, allumons comme une
fournaise ardente; que l'Église y soit jetée, elle ne
résistera pas longtemps à l'action de ce feu dévorant.
Poètes, orateurs, philosophes, géologues, à l'instant
même se sont mis à l'œuvre. « Il faut écraser l'in-
fâme, » c'était la devise et le but. Railler, mentir et
mentir toujours, c'était le moyen. Et il faut leur
rendre justice, ils ont bien menti, l'un dans la litté-
9.
154 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
rature, l'autre dans l'histoire, l'autre dans la philo-
sophie. Or qu'est-il arri\é? ce qui arrivera toujours
lor-que l'homme voudra lutter contre Dieu :
Le dix-huitième siècle avait évoqué la science pour
insulter l'Église et la science s'est mise à la bénir et
à la glorifier. On a vu l'histoire jeter de nouvelles
clartés sur son origine, la géologie rendre justice à
Ja cosmogonie de Moïse. Enfin on a vu l'Église ca-
tholique sortir, comme les trois jeunes Hébreux de la
fournaise ardente et sourire encore à ses enfants en
leur disant : « Je suis la vie, vita;jesuis aussi la vérité,
veritas; et tandis que tous ses ennemis s'effaçaient
de la terre, elle continuait sa marche triomphale à
travers les siècles, répandant partout ses bienfaits,
multipliant le nombre de ses enfants, donnant au
monde le spectacle de son immortalité.
Vous le voyez, mes frères, la vie de l'Église est une
vie de lutte et de combat. Il y a près de vingt siècles
que Jésus-Christ l'a lancée sur l'océan agité du
monde et depuis lors elle n'a pas eu un seul instant
de repos.
Après les rudes épreuves que lui ont fait subir
les incrédules du dix-huitième siècle, une foule
d'hommes impies qui se disaient les amis du peuple
se sont levés vers la fin du siècle dernier pour lui
porter le dernier coup. Us ont aboli son culte et ses
lois. Ils ont fait entendre à ce peuple séduit et
trompé qu'ils ne voulaient point détruire la religion,
mais simplement l'épurer. Et cependant est-il un
moyen qu'ils aient négligé pour lui arracher la vie?
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 155
Non contents d'avoir calomnié et décrié ses mi-
nistres, ils sont allés jusqu'à les dépouiller, jusqu'à
les im-noler comme des ennemis publics. Yous savez
enfin que, ne gardant plus aucune mesure, ils
finirent par renverser les autels, pat* détruire les
temples; et que là où ils les conservèrent, ce ne fut
que pour y venir adorer, sous le nom de Raison, une
divinité chimérique qu'ils avaient substituée au vrai
Dieu. Le chef de l'Église ne fut pas plus épargné que
l'Église elle-même : on le vit dépouillé de son au-
torité, renversé de son trône, chassé de ses États et
venir finir ses jours dans l'exil et l'esclavage.. Les
partisans de l'impiété en triomphèrent et ils se flat-
tèrent d'avoir enfin aboli la religion du Christ. Mais
ils se sont trompés ; les ennemis du nom chrétien
ont disparu et la religion compte un triomphe de
plus.
De nos jours, l'Église est-elle traitée avec plus de
ménagements que par le passé? Au contraire, jamais
le dragon déchaîné dont parle saint Jean, n'a déployé
plus de fureur pour la détruire que dans les malheu-
reux temps que nous traversons. Sans parler de la
presse immonde et impie dont il se sert pour tout
corrompre dans les dernières campagnes comme
dans les premières cités, ne poursuit-il pas par son
œuvre de perversion, par le moyen des sociétés se-
crètes et par ces légions d'hommes orgueilleux, hy-
pocrites, menteurs effrontés qui mettent leur gloire à
tromper et à perdre les âmes? Leur haine satanique ne
poursuit plus seulement, les religieux, les prêtres, les
156 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
pontifes, mais elle s'attaque à ceux dont le christia-
nisme a toujours pris un soin particulier : l'enfant et
la femme. On a inventé, dans ce but, l'école laïque
que le bon sens public a défini plus clairement :
l'école sans Dieu. Plus d'enseignement religieux dans
les écoles, plus de prière, plus de signe extérieur de
la foi. Le nom de Dieu est soigneusement écarté des
lèvres du petit enfant, comme s'il était une souillure.
L'image de Marie immaculée, dont le regard seul
suffisait pour entretenir dans l'âme de la jeune fille
un parfum de pureté et d'innocence est remplacé par
l'emblème d'une femme sans vertu et sans pudeur.
Le crucifix lui-même, ce signe adorable de notre
rédemption qui a éclairé tant de ténèbres, consolé
tant de douleurs, fortifié tant de défaillances est dé-
croché et jeté à la voirie comme un meuble de rebut.
La haine satanique des ennemis de l'Eglise est ailée
encore plus loin. Ils ont compris dès le début de la
lutte la résistance de la femme à leur ignoble ensei-
gnement, aussi a-t-elle dit par la voix de l'un de ses
coryphées : « Pour abattre le catholicisme, il fau-
drait supprimer la femme », mais puisque sa
suppression est impossible, corrompons-la. Pour
atteindre ce but infernal, on a imaginé d'ouvrir des
casernes d'un nouveau genre qu'on appelle des lycées
de filles. Dans ces maisons destinées à fournir des
maîtresses capables de former à la société de nou-
velles épouses, de futurs mères de famille, on rem-
placera la pudeur par la vanité, la foi par l'incré-
culité.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 157
Que verrons-nous sortir de ces gynécées où l'on
n'aura jamais appris à ces jeunes filles la mission
religieuse et domestique que la femme a reçue de
Dieu? Verrons-nous des mères affectueuses et dé-
vouées? des épouses chastes et fidèles? desjeunes filles
obéissantes et réservées? Non, non. A côté de quel-
ques précieuses ridicules, on verra des femmes éhon-
tées, dévergondées; et la famille ne sera pas seule
avilie, la patrie elle-même pourra alors couvrir sa
tête d'un voile de deuil ; car, comme l'a dit un brillant
orateur à la tribune nationale : « Si les femmes chré-
tiennes ont fait de la France la première nation du
monde, nos libres-penseuses sont appelées à en faire
la dernière des nations. »
En présence d'entreprises si audacieuses et si im-
pies, en face de tant de dangers, devons-nous nous
décourager? Nullement, parce que l'Église a reçu de
solennelles promesses d'immortalité; nous devons
tourner vers Jésus-Christ nos cœurs et nos mains
suppliantes et lui dire avec les Apôtres : Domine, salua
nos, perimus. Seigneur, sauvez-nous de ces doctrines
impies qui vous offensent et nous affligent; sauvez-
nous de ces crimes qui provoquent votre justice et
attirent sur nous tant de fléaux vengeurs; sauvez-
nous de ces hommes cruels et sans remords qui blas-
phèment contre vous et qui menacent vos adorateurs ;
arrachez à la mort nos enfants si cruellement per-
sécutés. Domine, salva nos, perimus. Tels sont les cris
de détresse que nous devons pousser vers Jésus-
Christ. La prière est l'arme unique et l'arme vrai-
158 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
ment puissante que nous devons employer. Ceux
mêmes qui s'étaient déshabitués de la prière doivent
joindre leurs voix aux nôtres pour supplier le Fils de
Dieu d'avoir pitié de nos malheurs. Que notre foi soit
donc ferme, notre confiance sans bornes, notre prière
ardente, et Jésus sous un sommeil apparent dissipera
les complots de l'impiété. Ne le connaissez-vous pas?
Quid timidi estis? Soyons pleins d'espérance et de foi,
marchons vaillamment dans la carrière du combat et
du triomphe et nous mériterons ainsi d'entrer dans
le port de la bienheureuse éternité. Ame-
EÏOMELTES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 159
POUR LE MÊME DIMANCHE
DANGERS DE LAME
Et ecce motus magnus factus est
in mari, ita ut namrula operiretur
fluctibus, ipse vero dormiebat.
(Math, viii.)
Le récit simple mais majestueux et touchant de la
tempête sur la mer de Galilée renferme de nombreux
enseignements. La barque où étaient Notre-Seigneur
et ses disciples, n'est pas seulement l'image de l'É-
glise et de ses combats, mais aussi de l'âme obligée
de vivre au milieu d'un monde semblable à une mer
parsemée d'écueils et fécondes en naufrages : Ecce
motus magnus factus est in mari. La tempête qui me-
nace de tout submerger représente les passions, les
désirs, les tentations qui agitent notre âme et lui
préparent souvent sa ruine à travers sa marche vers
''éternité : Ecce motus. Le reproche du Sauveur <*ux
apôtres : Quid timidi estis s'applique à nos faiblesses,
à nos lâchetés dans le service de Dieu. L'apaisement
160 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
de la tempête d'une seule parole nous montre la puis-
sance divine. Quant au cri d'effroi des apôtres à demi
submergés : Domine, salva nos, perimus, c'est notre
cri journalier, pauvres voyageurs dans cette vallée de
larmes où l'orage, la tempête, c'est-à-dire les épreuves
sont sur chacun de nos pas. C'est sous ce rapport des
combats de l'âme chrétienne que nous allons consi-
dérer l'Évangile de ce jour.
L — Dangers de cette vie pou?' l'âme.
La vie de chaque fidèle est traversée par des
épreuves que l'on peut comparer à des tempêtes
violentes. La joie et la douleur se partagent inégale-
ment nos jours. Souvent, lorsque tout sourit à nos
désirs, lorsque nous croyons réaliser nos plus belles
espérances, lorsque le lendemain semble nous pro-
mettre encore plus de félicité que la veille, un
malheur inattendu nous accable tout à coup d'un
poids écrasant; les ténèbres s'amassent autour de
nous. La barque perdue au milieu des flots d'une
mer en fureur est moins agitée que notre cœur. II
nous semble que nous sommes condamnés à une in-
fortune sans terme. Nous essayons de réagir contre
les chagrins qui nous oppressent et nous retombons
dans un abattement plus profond. Tant il est vrai
que la vie de l'homme et principalement colle du
chrétien, est une guerre perpétuelle : Militia est vita
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 161
hominis saper terram. Son existence est remplie de
beaucoup de misères. Les maladies du corps, les in-
quiétudes de l'âme, la malice des hommes, l'incons-
tance des événements, les rigueurs de la pauvreté,
les chagrins domestiques ne le laissent jamais jouir
d'une paix durable et le font sans cesse passer du
contentement à la tristesse, de la joie à la douleur.
Inutilement chercherions-nous à nous soustraire
à tous les maux dont nous sommes continuellement
menacés. Quelques moyens que nous puissions
prendre pour éviter les souffrances, nous avons tou-
jours quelque chose à souffrir. Et à ces épreuves nul
ne peut échapper; l'enfant et le jeune homme,
l'homme fait et le vieillard; le solitaire dans son dé-
sert aussi bien que le mondain au milieu de ses
fêtes. Ce ne sont pas seulement ceux qui s'éloignent
de Jésus-Christ qui essuient les tempêtes de l'âme.
Ils les éprouvent aussi, comme les apôtres, ceux qui
traversent avec Lui la mer du monde, et qui atta-
chés à Lui, ne quittent pas sa compagnie. Ames
fidèles, qui avez le bonheur de le posséder, ne vous
étonnez pas si, malgré sa présence, vous ressentez
des orages intérieurs; si vous êtes assaillies de ten-
tations violentes : N'a-t-il pas voulu lui-même être
tenté? Croyez-vous être plus privilégiées que Lui?
Quand les Apôtres faillirent être submergés sous les
flots de la tempête, n'étaient-ils pas en la société de
Jésus-Christ? Saint Paul, ce vase d'élection ravi au
troisième ciel n'était-il pas persécuté? Les martyrs
n'avaient-ils pas la charité et la piété en partage?
162 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
La sainteté la plus éminente ne détruit point les
passions, mais les réprime; elle n'empêche point
les tentations, mais elle les surmonte. Votre piété et
votre innocence seront, au contraire, une raison pour
le démon de faire plus d'efforts, afin de vous sou-
mettre à son empire. Il a assez de cœurs qui se livrent
d'eux-mêmes; de ceux-là, il est rassasié; mais ii est
friand d'âmes comme la vôtre ; il attache à leur con-
quête un certain prix qui lui fait redoubler se tenta-
tives de séduction. Il ne faut donc pas vous décou-
rager des tentations qui vous assaillent; voyez-y
plutôt une preuve que vous n'appartenez pas encore
au démon. Les chiens, dit saint François de Sales,
n'aboient pas après les gens de la maison, mais après
les étrangers; ainsi le démon laisse dans une paix
funeste ceux qu'il sait lui appartenir, il fatigue les
autres de ses poursuites, inventant mille artifices,
pour les détourner des voies de la vertu. Hélas! il
ne réussit que trop! Regardez autour de vous? — Où
sont tant de vos parents, de vos amis autrefois si
fervents? Que sont-ils devenus? Ils sont devenus la
proie du démon, et maintenant ils languissent, loin
de Dieu et de la vertu-, dans un honteux esclavage;
plaignez-les et conjurez Notre-Seigneur Jésus-Christ
d'éloigner de vous un pareil malheur.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 163
II. — Que fait Dieu lorsque nous sommes éprouvés?
Pour donner pîus d'éclat à la confiance de ses en-
fants, pour leur fournir l'occasion d'acquérir plus de
mérites, de les obliger de reconnaître leur faiblesse
et de réveiller leur foi, le Seigneur semble dormir et
le^ oublier, mais il n'en est rien. Quand Jésus dort
sur la barque, abandonne-t-il ses apôtres ?Cesse-t-il
de veiller sur eux? Les abandonne-t-il au moment du
danger? Au contraire, c'est alors qu'il use de sa
puissance pour opérer en leur faveur un miracle
d'amour.
C'est ainsi qu'il agit à l'égard de chacun de nous.
Et lorsque au fort de la tempête, nos épreuves sont
si fortes, si violentes que notre cœur en est tout
abattu et accablé, comme les apôtres nous nous
tournons vers Dieu. C'est très bien; mais est-ce pour
lui dire avec confiance : « Seigneur, soutenez-nous
au milieu des combats; aidez-nous à porter notre
croix à votre suite; nous avons besoin de souffrir
pour expier nos fautes...? » Non, nous jetons vers lui
un cri de détresse : Domine, salva nos, perimus. Sei-
gneur, sauvez-nous! c'est assez de souffrances, nos
forces s'épuisent, la tristesse a rongé toutes les fibres
de notre cœur; nous tombons anéantis, nous allons
périr : Domine, salva nos, perimus. Telle est notre
faiblesse devant la souffrance.
N'a-t-il pas le droit de nous dire comme à ses dis-
164 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
ciples sur le lac de Génésareth? D'où vient que vous
avez peur? Pourquoi cette lâcheté au jour de l'é-
preuve? Quid timidi estis? Vous avez bien peu de
confiance en moi. N'ai-je pas promis que vous ne
seriez jamais tentés au-dessus de vos forces? Ne
suis-je pas toujours près de vous pour vous soutenir?
Je sais, moi qui ai fait votre cœur, je sais jusqu'à
quel degré de vertu vous pourriez arriver, si vous
étiez moins effrayés et si vous aviez plus de foi :
Quid timidi estis, modicœ fidei? Mais tout en nous re-
prochant notre faiblesse, Jésus-Christ se hâtera de
nous sauver. La paix reviendra comme était venue
la tempête, au moment où nous l'attendrons le
moins; nous sentirons l'espérance renaître dans nos
cœurs désolés; nous marcherons vaillamment dans
la carrière que nous aura tracé la Providence; rien
ne semblera trop difficile à notre bonne volonté ar-
mée d'une nouvelle énergie; nous communiquerons
notre courage autour de nous à ceux qu'épouvante
le souvenir des épreuves passées; nous tendrons
même une main secourable à ceux qui gémissent
sous leur fardeau, comme nous gémissions autre-
fois; nous jouirons au' dedans et au dehors d'une
tranquillité parfaite. Le Sauveur commandera aux
vents et aux flots. Ceux qui nous ont vus si agités,
seront surpris de nous voir maintenant si calmes.
Ils demanderont avec étonnement : Qui donc a tari
leurs pleurs? Qui donc a secouru leur infortune?
Qui donc a dissipé tous leurs chagrins? Qui donc
leur prodigue des consolations qui les rendent si
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 165
heureux? Le monde ne comprendra pas la cause de
ce changement, parce qu'il arrête ses regards sur la
terre et ne distingue pas ce qui vient du Ciel.
Nous pourrons lui répondre : Celui qui a fait suc-
céder pour nous la joie à la tristesse, c'est le divin
Sauveur, l'ami divin de tous les affligés ; celui qui se
leva pour commander aux flots du lac de Génésa-
reth ; celui qui apaise les orages du cœur avec autant
de facilité que les tempêtes de l'océan ; celui qui di-
rige notre marche incertaine sur la mer dangereuse
de ce monde; celui enfin qui nous fera un jour ren-
trer dans le port de la bienheureuse éternité. Amen.
166 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE:
V DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE
Siniie utraque crescere usque ad messcm.
(Math., xiii, 30.)
Laissez-les croître Tua et l'autre jusqu'à
la moisson.
ÉVANGILE
Le royaume des cieux, dit l'évangile de ce jour, est
semblable à un homme qui avait semé du grain dans
son champ, mais pendant que les hommes dormaient
l'ennemi vint et sema de l'ivraie et se retira. L'herbe
ayant donc poussé et étant montée en épi, l'ivraie
parut aussi. Alors les serviteurs du père de famille
vinrent lui dire : « Maître, n'avez- vous pas semé du
bon grain dans votre champ? D'où vient donc qu'il
s'y trouve de l'ivraie? » « C'est, répondit-il, mon
ennemi qui l'y a semé. » Les serviteurs reprirent :
« Voulez-vous que nous allions l'arracher? » « Non,
dit le maître, de peur qu'en cueillant l'ivraie vous
n'arrachiez aussi le froment. Laissez croître l'un et
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 167
l'autre jusqu'à la moisson, et au temps de la mois-
son,.fe dirai aux moissonneurs : cueillez première-
ment l'ivraie et liez-la en petites gerbes pour la
brûler; mais amassez le froment dans mon grenier.
(Math., xm, 24-30.)
HOMÉLIE
Mes frères, en jetant un regard tant soit peu
attentif sur la scène de ce monde, nous sommes
frappés par le spectacle qu'offre le mélange des bons
et des méchants. Nous voyons le mal marcher la
tête levée à côté du bien, la corruption à côté de la
sainteté, Terreur à côté de la vérité. Nous aper-
cevons de toutes parts l'ivraie croître à côté du
bon grain. Près d'un homme vertueux et craignant
Dieu, il s'en rencontre un autre sans piété et sans-
religion. A côté du jeune homme vertueux et rangé
vous voyez le prodigue et le libertin. Ici, une mère
de famille remplit fidèlement sa mission en ne don-
nant à ses enfants que des leçons de vertu; là, elle
néglige ses devoirs et ne sème autour d'elle que d£
pernicieux exemples. A côté de la jeune fille mo-
deste et pieuse, on voit la fille sans honneur et sans
pudeur.
D'où vient ce mélange; — pourquoi ce mélange ;
— quels devoirs ressortent pour nous de ce mélange ;
— comment finira ce mélange : c'est ce que nous
allons examiner dans cet entretien simple et fami^
lier.
168 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
D'où vient ce mélange des bons et des méchants
qui désole l'Église et afflige le cœur de Dieu? Il ne
vient pas du Tout-Puissant, puisque après la création
de l'univers, portant ses regards sur son œuvre, il
nous assure que tout était bon : Et erant valde bona.
L'homme surtout, l'homme fait à son image et à
sa ressemblance avait le cœur droit; aussi était-il
l'objet de son amour et de sa sollicitude. Il le fit roi
de la création et lui donna le domaine absolu de
toutes choses. Les animaux les plus féroces devaient
lui être soumis et le servir comme de vrais domes-
tiques. Mais, hélas ! les choses ne restèrent pas
longtemps dans cet heureux état. L'ennemi de Dieu
et de l'homme, c'est-à-dire le démon, qui s'était
révolté contre le Créateur, jaloux de la félicité de
l'homme, résolut de l'associer à ses malheurs, en le
rendant complice de son crime. C'est pour cela qu'il
se mit à semer la zizanie dans le champ divin et à
gâter le magnifique ouvrage qui venait de sortir pur
et accompli des mains du Créateur. Depuis, que
voyons-nous partout et toujours? Nous voyons
l'ivraie mêlée au bon grain, c'est-à-dire les méchants
à côté des bons, Caïn à côté d'Abel, Noé et sa famille
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 169
à côté d'un monde corr ompu, les Israélites confondus
avec le* Égyptiens; dans l'Église, des justes et des
pécheur>, des persécuteurs et des persécutés, des
martyrs et des bourreaux... Le mal e-t si gr^nd, le
mélange est si complet, que les serviteurs du père
de famille lui dirent : « N'avez-vous pas semé du
bon grain dans votre champ? D'où vient qu'on y
trouve de l'ivraie? » Écoutez la réponse de la vérité
éternelle : Cest mon ennemi qui Va fait; ininucus
homo hoc fecit. C'est le démon qui a semé le mau-
vais grain. Ce séducteur a épié une occasion favo-
rable pour gâter ce champ fertile, qui promettait une
si riche moisson. 11 a profilé du moment où tous les
serviteurs étaient plongés dans un profond sommeil :
Cùm autem dormirent homines. Voilà notre hi-toirp, et
voilà l'histoire de la société dans laquelle nous
vivons. Si déterminés que nous soyons à nous main-
tenir purs, fidèles en toutes choses, dociles aux ins-
pirations de la grâce, il nous arrive de surprendre
en nous des désirs inattendus, des langueurs qui
nous attristent, des défaillances qui nous étonnent.
Le joug du Seigneur nous paraît lourd à porter,
nous tournons vers le monde des regards d'envie.
D'où vient que nous sommes si près de tomber? C'est
que nous nous sommes endormis. Nous avons oublié
la recommandation que faisait le Sauveur à ses
apôtres : « Veillez et priez, de peur que vous ne suc-
combiez à la tentation. » L'ennemi de nos âmes
attendait ce défaut de vigilance. Dès que nous avons
cessé d'être attentifs sur nous-mêmes, il a semé ses
I. 10
170 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
fatales inspirations ; de là cette ivraie qui a menacé
un instant d'étouffer le bon grain de nos cœurs.
Si nous devons veiller toujours sur notre âme,
ceux qui dirigent la société civile ou la société do-
mestique doivent éviter tout sommeil imprudent. Il
faut qu'ils aient l'œil toujours ouvert pour que l'en-
nemi ne puisse accomplir son œuvre de corruption.
D'où vient que ces enfants, hier encore si candides,
sentent monter à leur front une rougeur qui n'est
plus celle de l'innocence? D'où vient que le scan-
dale est arrivé jusqu'à eux? D'où vient qu'ils ont
perdu le goût de la piété qui leur faisait aimer la
prière à l'ombre des autels? C'est que l'ennemi des
âmes pures a semé en eux une ivraie qui a jeté déjà
de profondes racines. Le père de famille dormait;
tous ceux qui devaient, comme lui, veiller sur ce
champ cultivé avec tant de soin, dormaient comme
lui.
Mais le démon, pour semer l'ivraie, c'est-à-dire
pour faire son œuvre de corruption, n'agit pas seul;
il a à son service de nombreux agents. Il emploie le
monde avec ses fausses maximes et tout ce qu'il a de
mauvais. Il commande à cet homme débauché, à ce
jeune libertin dont les discours licencieux et les rail-
leries impies portent partout la perversion de l'esprit
et la corruption du cœur. Il fait agir cet ami déréglé,
cette compagne vicieuse, qui entraînent les bons,
malgré eux, au fond de l'abîme. Il met à son service
la plume de l'impie qui attaque les choses les plus
saintes et sème l'impiété et l'erreur dans la ville et
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 171
la campagne. Il commande au scandale de se pro-
mener ouvertement et de tout entraîner dans une
ruine universelle.
Voilà l'ennemi qui sème l'ivraie parmi le froment.
Mais pourquoi Dieu per.met-il ce mélange?
II
Les serviteurs du père de famille, surpris de voir
la quantité d'ivraie qui avait crû dans son champ,
lui dirent : « Maître, voulez-vous que nous allions
arracher le mauvais grain? Vis, irnus et colligimus ea? »
« Non, répondit le maître, de crainte qu'en arrachant
l'ivraie vous n'arrachiez aussi le bon grain. Laissez
croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson : Sinite
utraque crescere usque admessem. » On ne distingue pas
'encore assez l'ivraie du froment, puisque quand elle
;est en herbe, elle a avec lui de nombreux traits de
ressemblance. Ainsi en est-il souvent des hommes.
11 n'est pas toujours aisé de distinguer les bons des
méchants. Combien d'hypocrites qui se déguisent
sous le masque de la piété !
Vis, irnus, et colligimus ea? Voilà les hommes;
voilà le oésir de beaucoup de chrétiens pusillanimes
qui voudraient que la justice de Dieu extirpât de la
terre tous les méchants. Et, dans leur zèle impru-
172 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
dent et indiscret, ils se scandalisent de ce que le
Dieu qui poursuit d'une haine implacable le péché,
ferme les yeux sur les iniquités qui se commettent
tous les jours en si grand nombre. Pourquoi, ô mon
Dieu, s'écrient-ils, pourquoi laissez-vous marcher
tranquillement les hommes dans la voie large de la
perdition? Comment tolérez-vous les impies au mi-
lieu des justes, comme l'ivraie parmi le froment?
L'orgueilleux préfère sa gloire à la vôtre; l'avare
aime plus son or que vous; le libertin se glorifie de
son crime quand il devrait en rougir; le scandaleux
ne se contente pas de vous faire la guerre, mais il
entraîne de nombreuses victimes avec lui dans la
ruine. Juste juge, vous voyez tout cela, vous êtes
témoin de toutes ces abominations, et vous paraissez
insensible à tant de crimes ! Eh quoi ! vous n'auriez
qu'à vouloir, et l'univers combattrait pour vous
contre tous les insensés ; vous n'auriez qu'à parler,
et le ciel lancerait sa foudre sur tous ceux qui n'ont
que le blasphème à la bouche et la haine au cœur;
vous n'auriez qu'à commander, et l'air suffoquerait
immédiatement les impies, les sacrilèges, les scan-
daleux; vous n'auriez qu'à donner des ordres, et la
terre engloutirait dans ses abîmes cet impudique,
qui ne rêve que plaisirs honteux, ce rancuneux, dont
les lèvres sont écumantes de rage, ce médisant, ce
calomniateur, qui sèment partout la discorde et la
haine. Mais, ô Dieu vengeur du crime ! Non seule-
ment vous ne commandez pas l'extermination du
mal, mais encore vous semblez indifférent à tant de
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 173
crimes ! Que dis-je ? vous entourez les méchants de
mille soins ; vous commandez au soleil de les éclai-
rer, à la terre de les nourrir, aux animaux de les
servir, à tous les hommes de les aimer; bien plus,
vous voulez qu'ils aient part aux suffrages de l'Église,
à la sollicitude des pasteurs ; vous les appelez à la
conversion par le remords, par les bonnes inspira-
tions, par les bons exemples! Oh! de grâce, laissez-
nous agir et nous exterminerons le mal : Vis, imus,
et colligimus ea?
Laissons parler saint Augustin. Il nous apprendra
pourquoi Dieu suspend l'arrêt de sa colère. S'il
souffre le mélange des bons avec les méchants, c'est
pour convertir les uns et faire obtenir des mérites
aux autres.
1° Pour convertir les pécheurs. La longue patience
de Dieu, dit saint Paul, invite les coupables à la pé-
nitence : Benignitas Dei ad pœnitentiam te adducit. C'est
pour leur pardonner, dit Isaïe, qu'il les attend; car,
ajoute Ézéchiel, Dieu ne veut pas la mort du pécheur,
mais sa conversion et sa vie : Nolo mortem impii, sed
ut convertatur impius via sua, et vivat.
Lorsque le premier homme s'est rendu coupable,
pourquoi le Très-Haut ne le frappe-t-il pas immé-
diatement? Pourquoi daigne-t-il le chercher et lier
conversation avec lui ? Adam, ubi es ? Adam, où êtes-
vous ? Qu'avez-vous fait? A quels excès vous êtes-
vous livré? Dans quel triste état vous êtes-vous pré-
cipité? Ces délais et cette manière d'agir de la part
de Celui qui sonde les reins et les cœurs, avaient
10.
174 DOMINICALES D*UN CURE DE CAMPAGNE
pour but, dit saint Augustin, de donner au coupable
le temps et l'occasion de confesser humblement sa
faute et d'en obtenir le pardon. Si Dieu l'avait puni
immédiatement après son péché, que serait-il devenu
et quel aurait été le sort de ses descendants? Si le
bras de la justice divine s'était appesanti sur David
aussitôt après son péché, aurait-il été un modèle
achevé de pénitence, et serait-il au ciel? Si Saul,
persécuteur, avait été écrasé par la foudre du ciel
après son premier crime, serait-il devenu un vase
d'élection, un grand apôtre et un intrépide prédica-
teur? Si >aint Augustin avait été immolé par la jus-
tice divine après sa première faute, serait-il devenu
un grand docteur de l'Église? Et si la justice in-
flexible du Tout-Puissant nous avait frappés lorsque
nous étions sous le joug de nos premiers péchés, où
serions-nous maintenant? D'un autre côté, les exem-
ples de vertu que donnent les bons disent éloquem-
ment aux pécheurs que, s'ils le veulent, la pratique
du bien est possible.
2* Par rapport aux justes, le mélange des pécheurs
sert à leur sanctification. C'est dans les persécutions
que la vertu s'épure ; c'est dans les tentations qu'elle
se fortifie; elle a besoin pour se soutenir d'être
exercée : Virtus agitaia crescit... in infirmitate perfi-
citur. L'épreuve est donc utile aux bons. Les persé-
cutions de tout genre que les pécheurs leur font
subir les obligent à se défier d'eux-mêmes et à veiller
sans cesse sur leur cœur. Elles leur font pratiquer
la patience et exercer la charité : témoins, Job ty-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 175
rannisé par sa femme ; sainte Monique martyrisée
par les débauches de son époux et les égarements de
son fils; sainte Glotilde brutalisée par la dureté de
son époux. Tous ces mauvais traitements leur font
acquérir toutes sortes de mérites et les conduisent
au ciel. Où seraient les martyrs sans les bourreaux?
Où serait le triomphe sans les combats? Il est donc
vrai que Dieu a des raisons pour tolérer le mélange
des bons avec les méchants.
III
Quelle conduite devons-nous tenir à l'égard des
hommes pervers? La tolérance dont Dieu use à let,r
égard nous oblige à les supporter nous-mêmes, à les
traiter avec douceur et indulgence. Et de quel droit
croiiiez-vous pouvoir rejeter ceux que Dieu supporte?
Peut-être ce pécheur, cet ami, ce compagnon, dont
la conduite vous indigne, sont-ils appelés à devenir
des vases d'élection ; peut-être sont-ils appelés à une
plus haute sainteté que vous, dont la sévérité veut
les frapper d'anathèmes ! Et ce zèle âpre et dur que
vous voulez déployer contre les méchants, est-il
excité en vous par la charité? N'est-il pas plutôt le
produit de l'orgueil, de Tégoïsme, de la jalousie ou
de la haine? Hélas! quand on a soi-même besoin
d'indulgence, on a mauvaise grâce de se montrer
«ans miséricorde pour les autres.
176 DOMINICALES D'CJN CURE DE CAMPAGNE
Un second devoir envers les pécheurs, c'est de tra-
vailler autant qu'il est en nous à leur conversion. Il
y a deux moyens pour atteindre ce but si désirable.
C'est d'abord notre exemple. Ce moyen est le pre-
mier de tous, le plus efficace, le plus exempt d'in-
convénients. Donnons aux pécheurs une salutaire
horreur pour le vice par le spectacle de nos vertus.
Faisons en sorte qu'en voyant ce que nous sommes,
ils apprennent à rougir de ce qu'ils sont.
Le second moyen de convertir les méchants, c'est
la prière. Les prières des justes attirent sur ceux qui
ne le sont pas la grâce de la conversion. Ce fut aux
vœux de saint Etienne que Saul se convertit ; ce fut
aux supplications de»sainte Monique qu'Augustin
dut son retour à la vertu. Dieu ne demande qu'à par-
donner et à bénir, mais il faut que sa miséricorde
soit provoquée par la prière des justes ; j'ai cherché,
dit-il par la bouche d'Ézéchiel, j'ai cherché un
homme qui se mît entre ma justice et le pécheur,
pour arrêter mon bras, et je ne l'ai pas trouvé : Et
quœsivi de eis virum, qui interponeret spem, et staret
oppositus contra mepro terra, ne dissiparem eam, et non
inveni. Faites-vous donc un devoir de vous interposer
entre Dieu et tant de pécheurs qui courent en aveu-
gles vers l'abîme. Ce devoir doit être doux à remplir
quand il s'agit d'obtenir la conversion d'un ami»
d'un proche, le salut d'un père, d'une mère. Pour-
quoi refusez-vous de vous procurer une jouissance,
si digne d'»r cœur chrétien?
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES
IV
Comment finira ce mélange ? Par le châtiment des
méchants et la récompense des bons. Au temps de
la moisson, le père de famille dira à ses serviteurs:
Arrachez premièrement ï ivraie et liez-la en bottes pour
la brûler. Quelle est cette moisson ? Elle commence
tous les jours sous nos yeux. Sans cesse quelqu'un
tombe devant vous ou à vos côtés. La mort, avec sa
faux tranchante, parcourt les rangs et frappe indis-
tinctement tous les élats et tous les âges. Voilà la
moisson particulière qui se fait tous les jours ; mais,
outre celle-là, il y en a une générale. Quand le
nombre des siècles sera révolu, quand celui des élus
sera complet, tout rentrera dans l'ordre, les
méchants seront punis et les justes récompensés.
Alors, Dieu commandera à ses anges, ministres
et exécuteurs de sa justice, de séparer l'ivraie du pur
froment, c'est-à-dire les mauvais d'avec les bons :
Exibunt angeli et separabunt. Aussitôt, ils exécuteront
les ordres de leur Maître. Ils parcourront tous les
rangs ^distinctement, et selon qu'ils liront sur le
front de chacun : innocence ou péché, crime ou
vertu, ils les feront passer à droite ou à gauche, à
droite les bons, à gauche les méchants.
Ramassez d'abord l'ivraie, c'est-à-dire les pé-
178 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
cheurs. Tant qu'ils étaient vivants, ils pouvaient
profiter de ma grâce et se convertir; mais mainte-
nant que le temps de la miséricorde est passé et
qu'il ne reste plus que le règne de la justice, liez-les
en faisceaux : Alligate ea in fasciculos. Réunissez
tout ce qu'il y a de plus ignoble, de plus dégoûtant,
de plus criminel sur la terre ; prenez les voluptueux,
les voleurs, les meurtriers, les parjures, les sacri-
s, les impies, les fourbes, les blasphémateurs ;
jetez-les dans la fournaise ardente où il n'y aura
plus que pleurs et grincements de dents. Voilà la
destinée des méchants ; elle est affreuse.
Voici celle des justes. Dieu commandera à ses
anges de ramasser le froment dans son grenier,
c'est-à-dire les âmes généreuses dans le service de
Dieu, fidèles à l'accomplissement de leurs devoirs, et
ae les placer dans son royaume pour y bii 1er
corane le soleil dacs son plus beau jour. Soyons de
ce nombre. Mais pour cela, arrachons dès mainte-
nant l'ivraie de notre cœur, faisons-y germer, croître
et mûrir toutes les vertus, et, au jour de la moi-son,
nous serons reçus dans les greniers du Père céleste.
Amen,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 179
POUR LE MÊME DIMANCHE
CONDUITE DE JÉSUS-CHRIST ET DU DÉMON ENTER»
LES HOMMES
L'Église sera jusqu'à la fin des temps une aire où
la paille sera mêlée au bon grain, un troupeau com-
posé de brebis fidèles et de brebis errantes, un festin
où seront réunis les bons et les méchants. Ce mé-
lange dont le spectacle nous attriste, est nécessaire
autant pour la sanctification des uns que pour la
conversion des autres. C'est ce que nous indique le
divin Maître dans l'Evangile de ce jour, où il est dit
que, quoique le père de famille n'eût semé que du
bon grain dans son champ, l'ivraie ne tarda pas à se
montrer. Cette parabole nous découvre : i° la con-
duite de Notre-Seigneur envers les hommes ; 2° celle
du démon ; 3» celle des hommes ; 4° une autre con-
duite de Dieu à l'égard des hommes, lorsqu'ils n'ont
pas profité de sa première conduite.
180 DOMINICALES D UN CURÉ DE CAMPAGNE
I. — Conduite de Notre- Seigneur envers les homme».
Qui seminat bonum semen est filius hominis. Jésus-
Christ, en venant au monde, ne s'est pas contenté
de naître, ue souffrir, de mourir; il a semé un bon
grain, sa divine parole, sa doctrine, son Evangile,
ses vertus, ses exemples, ses grâces, l'Eucharistie,
dans la vue de les faire fructifier, afin de nous éloi-
gner du vice, de nous porter à la vertu et de nous
rendre doux, humbles, chastes, patients, modérés,
équitables, sévères envers nous-mêmes, zélés pour la
gloire de Dieu, exacts à rempiir tous nos devoirs.
Dans quel champ le Sauveur a-t-il jeté cette
semence? Dans le monde entier. Il a commencé lui-
même ce travail de sanctification ; ii a chargé les
apôtres et les prêtres, leurs successeurs, de le conti-
nuer dans toutes les parties du monde et jusqu'à la
fin des temps... Ce champ est surtout chaque pays
où l'Eglise catholique est souveraine ; c'est cette
paroisse où l'on ne cesse de vous adresser la parole
divine. Oh ! si tous les hommes mettaient en pratique
cette admirable doctrine ; s'ils étaient assez sages
pour en faire la règle de leur conduite, on ne verrait
parmi eux aucun désordre, aucune injustice, aucun
scandale; on apercevrait, au contraire, partout le
spectacle ravissant qu'offre une famille où règne le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 181
bon ordre, l'union, la concorde, rattachement
mjtuel des membres qui la composent, et la terre
serait l'image du Ciel.
II. — Conduite du démon,
Cet ennemi implacable de notre salut s'occupe
constamment à semer partout la zizanie : Venit ini-
micus et sup erse min avit zizania. Il le fait par lui-
même, puisque, errant sans cesse autour de nous,
comme un lion dévorant, il épie le moment où il
pourra nous surprendre. Il le fait par ceux qui sont
les instruments de sa malice. C'est tantôt le monde
qui n'enseigne que des maximes erronées, qui ne
suit que des usages et ne donne que des exemples
propres à dégoûter de la vertu et à inspirer l'amour
du vice. G'est tantôt cet homme débauché, ce jeune
libertin, dont les discours licencieux et les railleries
impies ne peuvent produire d'autre effet que de per-
vertir l'esprit et de gâter le cœur de ceux qui les
écoutent. D'autres fois, c'est un ami, un compagnon
pervers qui entraînent dans leurs désordres tous
ceux qui les fréquentent.
Mais les ennemis qui, en nos temps, portent le
plus grand ravage dans le champ du père de
famille, ce sont les romans, les mauvais livres, les
i. il
182 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
feuilletons immoraux, les journaux impies, qui pro-
mènent ouvertement le scandale et pervertissent les
âmes. C'est la concupiscence qui est en nous et
nous entraîne sans cesse au mal.
Que devons-nous faire en présence de tant d'enne-
mis qui veulent nous perdre? Nous devons nous en
défler et éviter les pièges qui nous sont tendus.
Quelles précautions prendriez-vous si vous étiez
as-urés qu'un de vos ennemis veut mettre le feu à
votre maison ou ravager vos champs? Vous veilleriez
constamment. Faites de même pour votre âme, et
Fenne mi ne jettera point de mauvais germes dans
votre cœur.
III, — Conduite déplorable des hommes»
Ils s'endorment du sommeil de la paresse, de la
négligence et de l'insensibilité. Ils ne veillent pas, et
ils ne comptent pour rien les tentations, les mau-
vais exemples, les doutes, les propos antireligieux,
les mauvaises compagnies, l'indifférence, l'orgueil,
l'amour-propre, le mensonge, les médisances. Cepen-
dant, est-il une parole qui soit plus souvent sortie de
la bouche de Notre-Seigneur que celle-ci : Vigilatet
veillez? Il a dit à tout le monde sans exception:
Vigilate.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 183
Si le père de famille, dit-il, savait l'heure où les
voleurs doivent venir, il ne s'endormirait pas, mais
il veillerait pour les empêcher de pénétrer dans sa
maisoD. La maison que nous avons à garder, c'est
notre âme ; les voleurs, ce sont le démon, le monde
et nos passions : et comme ces voleurs sont toujours
à la porte, pour semer la zizanie, nous devons tou-
jours veiller, afin qu'ils ne puissent jamais nous
surprendre. Or, vous veillerez toujours sur vous-
mêmes, mes frères, si vous prenez garde à toutes
les pensées qui se présentent à votre esprit, à tous
les sentiments qui s'élèvent dans votre cœur, à
toutes les paroles qui sortent de votre bouche, à
tous les discours qui frappent vos oreilles, afin que
rien ne puisse blesser votre conscience. Vous veille-
rez sur vous-mêmes, si dans toutes vos actions,
dans toutes vos démarches, vous examinez, devant
Dieu, quels sont vos motifs et vos intentions.
JNT'est-ce pas l'orgueil qui me fait parler ou agir
ainsi? N'est-ce pas l'esprit d'intérêt ? N'est-ce pas la
colère ou la mauvaise humeur? N'est-ce pas une
inclination charnelle, une passion impure? Oh l
chrétiens, prenez bien garde qu'aucun de ces ser-
pents ne siffle à vos oreilles, ne fasse mouvoir votre
langue, ne fasse agir vos mains et ne conduise
vos pas.
Imitez un homme sage, obligé de marcher dans
un sentier étroit, glissant et bordé de précipices. Il
marche avec précaution, il prend garde où il pose
ses pieds et il fait attention à tous ses pas. Faites de
184 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
même. « Prenez garde, dit saint Paul: Videte;» oui,
prenez garde à la manière dont vous marchez dans
la voie du salut. Veillez sur vos yeux, sur vos oreilles,
sur votre langue, de peur qu'il ne vous arrive de
regarder, d'écouter ou de dire quelque chose qui
souillera votre âme, et conduisez-vous en tout avec
la plus grande réserve : Videte quomodo cautè ambu-
letis. Si vous cessez un seul instant de prendre
garde, le démon profitera de votre négligence pour
vous perdre.
IV. — Autre conduite de Dieu envers les hommes, lo?'s-
quHls n'ont pas profité de sa première conduite.
Dieu, voyant que nous ne voulons pas de sa pre-
mière conduite toute bienfaisante, pour nous con-
vertir, nous laissera, infortunés criminels, croître en
malice : Sinite crescere. A la mort, il fera de nous des
victimes de ses vengeances, n'ayant pas pu en faire
des héritiers de son royaume. Il enverra ses anges
qui enlèveront de son royaume tous les scandales et
ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront
dans la fournaise ardente ; là, il y aura des pleurs et
des grincements de dents.
Voilà la destinée des méchants. Ne sera-t-elle pas
la nôtre?
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 185
Combien celle des justes est digne d'envie ! Alors,
dit Jésus-Christ, les justes grilleront comme le soleil,
dans le royaume de leur père ; et il ajoute : Que celui-là
entende qui a des oreilles pour entendre.
0 mon Dieu, qui pourrait n'être pas réveillé de
son assoupissement en méditant ces grandes vérités !
Que l'impie et le libertin se bouchent les oreilles
pour ne pas entendre, c'est une folie et un malheur !
Pour moi, ô mon Dieu! je vous demande un cœur
docile pour profiter d'une leçon si importante.
Détachez-moi de tout ce qui passe, afin que je com-
prenne et que je goûte ce qui est éternel. Ah I Sei-
gneur, faites que votre justice m'effraye, que votre
bonté me rassure, que votre loi me serve de règle,
afin que, marchant ici-bas dans la lumière, je par-
Tienne un jour à votre gloire. Amen,
18Ô DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
VIe DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE
ÉVANGILB
En ce temps-là, Jésus proposa une parabole, di-
sant : « Le royaume du Ciel est semblable à un grain
de sénevé, qu'un bomme prit et sema dans son
cbamp. C'est, à la vérité, le plus petit de tous les
grains, mais lorsqu'il a crû, il est plus grand que
toutes les plantes, et il devient un arbre; de sorte
que les oiseaux du ciel viennent babiter dans ses ra-
meaux. »
il leur dit encore, cette autre parabole : a Le
royaume du Ciel est semblable au levain qu'une
femme prend et mêle dans trois mesures de farine,
jusqu'à ce que tout ait fermenté. » Jésus dit toutes
ces cboses en paraboles à la multitude et il ne lui
parlait point sans paraboles ; afin que s'accomplît la
parole du prophète, disant : « J'ouvrirai ma bouche
en paraboles et je révélerai des choses cachées de-
puis la fondation du monde. »
HOMÉLIE
Le semeur dont parle l'Évangile de ce jour c'est
Jésus-Christ. Et le grain de sénevé si petit, que
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 187
l'Homme-Dieu confie à la terre, c'est l'Église si faible
dans ses commencements par le nombre et la qua-
lité des personnes qui la composent. Elle ne compte
que quelques adeptes relégués au fond du Cénacle.
Ce sont douze bateliers et quelques disciples débiles,
irrésolus, timides, sans naissance, sans fortune,
sans science et sans armes. Ce sont quelques hommes
envoyés au sein d'une nation païenne et puissante
par le nombre et par la force dont elle peut disposer.
C'est au milieu d'elle, que les disciples d'un Dieu
crucifié sont jetés comme des agneaux au milieu des
loups. Ils ont reçu la mission de détruire le paga-
nisme qui couvrait la terre de ses temples et de ses
autels ; et de substituer à une religion qui favorisait
toutes les passions , une religion sévère qui con-
damne tous les vices et prescrit toutes les vertus. Il
s'agissait de montrer à l'univers entier, ignominieu-
sement courbé aux pieds de vaines idoles, que la re-
ligion qu'il professait était absurde. Quelle entre-
prise gigantesque 1 1!
Le paganisme qui puisait sa force invincible dans
la perversité des passions humaines, était maintenu
par la bonne foi des peuples idolâtres. Il était fortifié
par l'autorité et les exemples des grands : les plus
grands rois, les plus illustres capitaines, les plus sages
politiques, les plus célèbres philosophes adoraient les
dieux de leurs pays, avec la môme simplicité que le
peuple le plus grossier et le plus stupide. Il est vrai
que la persuasion où étaient les païens, touchant
l'existence de leurs faux dieux, était le fruit du pré-
188 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
jugé et non de la raison; mais cette persuasion n'en
était pas pour cela plus facile à détruire, parce que
le préjugé qui en était la source, était, chez tous les
peuples, un préjugé national, et que partout les pré-
jugés nationaux sont pour ainsi dire invincibles,
surtout quand ils favorisent les passions humaines.
D'ailleurs encore, l'idolâtrie était chez chaque peuple
la religion de l'Etat, et tenait étroitement à ses lois
et à sa constitution : or, la nouvelle religion était si
opposée à l'ancienne, qu'elle ne pouvait s'élever que
sur ses ruines; en sorte que les empereurs, les ma-
gistrats et le peuple, devaient craindre de voir s'é-
iever contre l'État des troubles et des orages capa-
bles de le renverser. Et certes, cette considération
suffisait bien, ce semble, pour porter les princes et
les magistrats à employer la force, le zèle et toutes
les ressources du talent au maintien de l'idolâtrie
parmi les peuples de leurs temps. Aussi n'ont-ils
pas manqué de le faire : durant trois cents ans, la
persécution s'opposa à l'établissement de la religion
chré ienne. Tel était, mes frères, l'état du monde
entier qu'il fallait changer complètement. Tel était
ce champ inculte et désert, rempli de ronces et de
cailloux où il fallait semer le grain évangélique.
J'ai dit le grain évangélique. Ahl mes frères, qu'il
aura de peine à pousser, ce grain, dans une terre si
mal préparée! Qu'il est petit ! mais qu'il est fort! Il
est petit, c'est la loi d'un Dieu crucifié que l'on prê-
che, et on la prêche à des gens qui ne connaissent
d'autre grandeur que celle que donnent les dignités
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 189
ou les richesses. Il est fort cependant dans sa peti-
tesse : il subjugue tout l'homme, son esprit et son
cœur. Son esprit, on le soumet aux mystères les plus
inexplicables à la raison : le mystère d'un seul Dieu
créateur, et dans ce Dieu unique, trois personnes
qui participent à la divinité sans la diviser et sans
la multiplier; en un mot, l'unité de nature dans la
Trinité des personnes. Avec le mystère de la Trinité,
le mystère plus incompréhensible encore d'un Dieu
fait homme ; à ces deux grands mystères, joignez le
dogme du péché originel et toutes les vérités qui s'y
rattachent : le genre humain tout entier, atteint par
la faute d'un seul; les enfants même souillés dès le
sein de leur mère ; une Vierge qui enfante sans cesser
d'être vierge; un Dieu qui meurt sur une croix; ce
premier sacrifice renouvelé de siècle en siècle sur
nos autels; les prêtres revêtus du pouvoir de Remettre
les péchés et, ce qui est plus prodigieux encore, les
prêtres à l'autel, créateurs en quelque sorte de Dieu
lui-même, distribuant aux fidèles rangés autour
d'une table commune le Dieu qui, après les avoir
rachetés, les nourrit de sa substance. Voilà la foi
imposée à l'esprit de l'homme.
Son cœur, on l'oblige à se haïr : quel sacrifice!
Quel effort surhumain! Quoi de plus naturel que de
s'aimer! Quoi de plus pénible que de se faire la
guerre! Son corps même, son corps n'échappe pas
à ce glaive spirituel : il faut le dompter, le punir, le
mortifier, fit en adorant un Dieu crucifié, il faut en-
tièrement se crucifier soi-même. Voici le code démo-
li.
190 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
raie de la nouvelle religion : Bienheureux ceux qui
souffrent.... Que celui qui veut être à moi se renonce
lui-wî>me, qu'il porte sa croix tous les jours et qu'il me
suive... Aimez vos ennemis... Faites du bien à ceux qui
vous font du mal... Ces maximes, ces préceptes étaient
loin d'être attrayants. Mais ces obstacles, quelque
grands qu'ils soient, sont peu de chose en compa-
raison des efforts que fait le monde entier pour em-
pêcher l'établissement du christianisme. Qui ne sait
que l'enfer déchaîné soulève contre lui toutes les
puissances de la terre? Qu'il déploie pour l'étouffer
toutes les ressources du génie, de la science et de
la force? Les ouvriers évangéliques sont arrêtés, mis
en prison, chargés de chaînes et condamnés à mort.
L'ange du Seigneur leur rend la liberté. Saint Pierre
continue de prêcher et en un seul jour il convertit
dans la ville déicide huit mille païens. Les Apôtres
poursuivis se dbpersent; c'est pour jeter aux quatre
coins de l'univers le grain de sénevé qui, tout à
coup, devient un arbre majestueux qui a étendu ses
branches jusqu'aux extrémités de la terre, et a cou-
vert le monde entier de son ombre bienfaisante : Fit
arbor magna. « Nous ne sommes que d'hier, disait
Tertullien dès le second siècle, et déjà nous remplis-
sons les villes, les bourgades, les camps, le sénat et
les places publiques. »
En sorte que les oiseaux du ciel viennent se porcher
sur ses branches. Les branches de cet arbre sont la
doctrine évangélique , la loi du christianisme, ses
conseils, ses sacrements, ses sacrifices et ses mys-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 191
tères. Les oiseaux qui viennent s'y reposer, sont les
peuples chrétiens, ce sont les rois, les empereurs
eux-mêmes qui, après avoir émoussé, brisé leurs ha-
ches, leurs glaives et tous leurs instruments de
mort dans le dessein d'étouffer cette modeste plante
dans sa racine, sont venus se réfugier sous cet arbre
divin. En déposant leur sceptre et leur couronne au
pied des autels du christianisme, ils ont trouvé dans
l'humilité de l'Évangile une gloire plus solide que
celle qui environnait leur trône. Sous cet arbre, les
plus sublimes esprits ont abaissé leur esprit et leurs
lumières, et ils ont trouvé dans la soumission de la
foi des vérités plus consolantes que celles qui fai-
saient l'objet de leurs vaines recherches. Sous cette
ombre, les plus insignes pécheurs ont immolé leur
cœur et leurs passions, et ils ont trouvé dans les ri-
gueurs de la pénitence des délices plus pures que
celles qu'ils recherchaient dans les voies de l'ini-
quité.
Et vous, mes frères, qui connaissez la religion
chrétienne et qui lui appartenez , conformez-vous
votre conduite à ses enseignements? Réglez-vous vos
mœurs sur ses maximes et ses préceptes? Cependant
elle est l'œuvre de Dieu. Quand elle vous parle, c'est
Dieu qui vous parle par sa bouche. Suivez donc avec
docilité les règles de conduite qu'elle vous trace.
Votre soumission vous conduira sûrement au port
du bonheur éternel.
Pour nous montrer d'une façon plus saisissante
192 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
encore les fruits de sa religion sainte, le Sauveur
nous propose une seconde parabole. Étudions-la
brièvement :
Le royaume des deux, nous dit-il, est semblable à un
levain qu'une femme prend et met dans trois mesures de
farine, jusqu'à ce que tout soit levé.
La femme qui prend le levain qu'elle met dans
trois mesures de farine et qui fait fermenter toute
la masse, c'est l'Église. C'est à l'époux qu'il appar-
tient d'aller aux champs pour y répandre la se-
mence; l'épouse, au contraire, reste dans la maison
pour y pétrir et préparer un pain délicieux, digne
d'être placé sur la table du père de famille. De même
c'est Jésus-Christ qui a fondé la religion, qui l'a éta-
blie sur la terre; mais c'est l'Église ensuite qui, avec
l'aide de son divin Epoux, achève ce bel ouvrage et
qui fait passer dans chacun de nous, avec le présent
inestimable de la foi, les vertus chrétiennes qui
nous rendent dignes du Ciel. Son enseignement agit
sur l'humanité avec une force que rien ne saurait
arrêter. Malgré les obstacles qu'il a rencontrés pour
s'établir dans les cœurs, en prescrivant l'amour de
la pauvreté, de la souffrance, de l'abnégation, la
pratique des vertus les plus difficiles : l'humilité, la
chasteté, l'amour des ennemis, le pardon des in-
jures, il ne parvient pas moins à son but. 11 com-
munique à l'homme une force secrète qui l'élève au-
dessus des faiblesses de la nature. Oui, à mesure
que le christianisme pénètre dans l'homme, il le
change tout entier, il réforme toutes ses puissances:
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 193
son esprit, son cœur, son corps même, et le rend un
objet digne du respect de l'univers, de l'admiration
des anges et de l'amour de Dieu. Pour vous en con-
vaincre, jetez un regard rapide sur ce qu'était le
monde avant la propagation de l'Évangile. Hélas !
ce n'était qu'un amas d'erreurs, de superstitions, de
crimes et de désordres. L'idolâtrie y avait aveuglé
tous les esprits, et les passions qu'elle autorisait, y
avaient corrompu tous les cœurs. L'on y adorait
tout, excepté le Dieu véritable; et les fausses divi-
nités à qui l'on offrait un encens sacrilège, donnaient
à leurs adorateurs l'exemple de tous les vices. Aussi
la vengeance, la cruauté, l'ambition, l'avarice, l'im-
pudicité régnaient en tous lieux sans le moindre
obstacle; et la dépravation était si générale, que
même parmi les faux sages du paganisme, qui fai-
saient profession de vertu, on aurait eu peine à
trouver un homme véritablement vertueux.
Mais que ce monde si profondément corrompu,
offrit un spectacle bien différent, lorsqu'il eut reçu
les salutaires influences de la religion ! Alors les er-
reurs se dissipèrent, les superstitions s'évanouirent,
les désordres cessèrent, et les vertus les plus sublimes
remplacèrent les vices honteux qui déshonoraient
l'humanité. Alors on vit briller, parmi les gens du
monde même, l'humilité, la chasteté, le pardon des
injures, le renoncement à soi-même et l'amour des
souffrances qui étaient entièrement inconnus parmi
les hommes. Alors, les riches se firent un devoir de
partager leurs richesses avec les pauvres, les heu-
194 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
reux du siècle mirent leur bonheur à soulager les
malheureux; tous les fidèles se regardèrent, s'aimè-
rent comme des frères, parmi lesquels il n'y avait
qu'un cœur et qu'une âme,' et toute la chrétienté fut
comme une grande et nombreuse famille, dont tous
les membres étaient tellement unis par les liens de
la charité, que les idolâtres eux-mêmes ne pou-
vaient les voir, sans être forcés de s'écrier : Voyez
comme ils s'aiment les uns les autres. Voilà, mes
frères, l'admirable changement que le christianisme
opéra dans le monde. Voilà l'heureux effet qu'il a
produit partout où il s'est établi. Voilà la force de
ce levain auguste et salutaire que l'Église a insinué
dans les âmes. Tels sont les effets prodigieux qu'il a
produits chez les nations les plus barbares dont elle
a fait les peuples les plus humains et les plus doux.
Mais, chrétiens, ce levain si efficace, qu'a-t-il pro-
duit jusqu'à présent dans vous? Depuis le temps
que vous entendez les vérités de la religion sainte,
qu'ont-elles opéré dans votre cœur, dans votre
esprit, dans votre âme?
Hélas ! bien peu de choses. Votre esprit est tou-
jours peut-être livré à une incrédulité monstrueuse,
et votre cœur peut-être livré à une corruption plus
monstrueuse encore. Quoi donc ! cette religion qui
a fait tant de vierges chrétiennes qui ont mené une
vie angélique dans un corps humain, ne peut nous
rendre chastes nous-mêmes ! Cette Église qui a en-
fanté tant de martyrs généreux, qui ont répandu
leur sang et donné leur vie pour elle, ne peut vous
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 195>
élever au-dessus du respect humain, d'une crainte
servile, d'un regard insultant, d'une parole de mé-
pris, d'une raillerie légère ! Cette parole qui a pro-
duit tant d'apôtres zélés qui ont volé jusqu'aux extré-
mités du monde pour y faire connaître Jésus-Christ,
ne peut vous déterminer vous-mêmes à la faire con-
naître au moins par vos discours, par vos exemples,
par vos soins, dans le sein de votre famille! Cette
foi qui a porté tant de confesseurs illustres à endu-
rer pour elle les plus grands affronts, les plus grands
mépris, les plus graves injures, ne peut vous faire
oublier une fatale inimitié, vous faire terminer une
querelle injuste ! Cet amour qui a enflammé le cœur
de tant de saints pénitents, qui leur a fait trouver
douces les plus cruelles macérations, les plus cruci-
fiantes austérités, ne peut vous faire renoncer à cette
vie molle et sensuelle que vous menez depuis si
longtemps! Cette grâce qui a retiré du monde tant
de saints anachorètes, et qui leur a fait chercher
dans la solitude et les déserts un asile à leur inno-
cence, ne peut vous guérir de cet esprit de monda-
nité qui vous a séduits et qui vous perd ! En un mot,
ce levain qui a fait tant de saints, ne peut pas vous
sauver vous-mêmes I Est-ce donc là cette même reli-
gion qui a produit tous ces miracles? D'où vient
qu'elle est si stérile dans vous ? Serait-ce parce
qu'elle ne vous fait plus entendre ses enseignements?
Mais la parole divine ne cesse de retentir à vos
oreilles. D'où vient qu'elle est si peu efûcace? Vou-
lez-vous en savoir la raison, mes frères ? La voici ;
196 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
C'est que vous conservez, que vous nourrissez que
vous fomentez dans votre âme un levain étranger
qui détruit toute la force de celui que l'Église vou-
drait y mettre; c'est que vous aimez mieux ce levain
de malice et de corruption, que celui de sainteté et
de justice; c'est que vous êtes pécheurs et que vou*
voulez toujours l'être. Chassez donc ce levain ancien
de votre esprit et de votre cœur; mettez-y le levain
de l'Évangile : et la religion vous rendra une créa-
ture nouvelle; elle vous purifiera, vous sanctifiera,
et un jour enfin vous couronnera.
Religion sainte, vous avez triomphé de tout l'uni-
vers; vous avez soumis les pays les plus inconnus,
les nations les plus éloignées, les peuples les plus
barbares; vous avez passé les mers, traversé les
déserts, franchi les montagnes; en un mot vous avez
parcouru le monde entier. iMais, hélas ! il y a un
lieu tout près de vous, où vous n'avez pas encore
pénétré; et ce lieu, c'est mon esprit, c'est mon
cœur. Entrez-y, religion sainte! Vous avez chassé
les ténèbres de la gentilité ; dissipez aussi celles de
mon incrédulité. Vous avez brisé les idoles du paga-
nisme; détruisez aussi mes passions, ces honteuses
idoles de mon cœur. Enfin vous régnez dans l'uni
vers; régnez aussi dans moi et faites-moi à jamais
régner avec vous dans la gloire. Amen.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 107
POUR LE MÊME DIMANCHE
ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION CHRÉTIENNE
Qu:est-ce que ce grain de sénevé dont il est parlé
dans l'Évangile de ce jour; ce grain, la plus petite
des semences, qui devient un grand arbre et dont
les branches servent d'asile aux oiseaux du ciel?
Ce grain de sénevé, c'est le royaume des cieux sur
la terre, c'est l'établissement de la religion chré-
tienne qui s'est répandue peu à peu dans le monde,
et dont les progrès successifs ont envahi l'univers.
Or l'établissement et les progrès de la religion chré-
tienne en présence des obstacles sans nombre qu'elle
rencontrait et les faibles moyens employés pour les
renverser ne purent être que l'ouvrage de Dieu : Di-
gitus Dei est hic.
Quand on examine de près la naissance de la reli-
gion chrétienne et que l'on fixe un moment ses re-
gards attentifs sur cette œuvre merveilleuse, on ne
peut se défendre de s'écrier : « Ce travail est l'œuvre
du Seigneur : A Domino factura est istud. » Lui seul
a pu concevoir et conduire à bonne fin une entre-
prise si merveilleuse aux yeux du monde entier : Et
198 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
est mirabile in oculis nostris. L'établissement de la
religion chrétienne nous présente trois circonstances
qui nous forcent de conclure à sa divinité : 1° projet
le plus difficile; 2° moyens pour y réussir les plus
impuissants; 3° succès le plus rapide et le plus in-
croyable.
(Voir Le Missionnaire de la campaone, tome IIf
page 83.)
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES
DIMANCHE DE LA SEPTUAGÉSIME
ÉVANGILE
Le royaume des Cieux, dit Jésus-Christ dans l'é-
vangile de ce jour, est semblable à un père de fa-
mille qui sortit dès la première aube du jour, afin de
louer des ouvriers pour sa vigne. Il convint avec eux
d'un denier par jour, et il les envoya à sa vigne.
Étant sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres
qui se tenaient sur la place sans rien faire, et il leur
dit : « Allez, vous aussi, à ma vigne, et ce qui sera
juste, je vous le donnerai. » Ils obéirent. Iî sortit
encore vers la sixième et vers la neuvième heure, et
il fit la même chose. Enfin étant sorti vers la on-
zième heure, il en trouva d'autres encore qui étaient
oisifs, et il leur dit : « Pourquoi restez-vous là tout le
jour, sans rien faire ? — Parce que personne ne nous
a loués, répondirent-ils. » Le chef de famille reprit :
a Allez aussi, vous autres, à ma vigne. » Le soir
venu, le maître dit à son régisseur : « Appelez les ou-
vriers, et payez leur le salaire, en commençant par
les derniers venus, et finissant par les premiers. »
200 DOMïmCALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Ceux donc qui étaient venus vers la onzième heure
s'approchèrent, et chacun d'eux reçut un deDier.
Les prenrers s'approchant à leur tour, s'attendaient
à recevoir davantage, mais ils ne reçurent aussi cha-
cun qu'un denier. Or, en le recevant, ils murmu-
raient contre le père de famille, disant : « Ces der-
niers n'ont travaillé qu'une heure ; et vous les égalez
à nous, qui avons porté le poids du jour et de la
chaleur ! » Mais s'adressant à l'un d'eux, il lui dit : .
« Mon ami, je ne vous fait point d'injustice. N'êtes-
vous point convenu avec moi d'un denier? Prenez
ce qui vous revient et allez-vous-en. Il me plaît de
donner à ce dernier autant qu'à vous. Est-ce qu'il
ne m'est pas permis de faire ce que je veux de mon
bien ? Votre œil doit-il être mauvais, parce que je
suis bon? » C'est ainsi que Jes derniers seront les
premiers, et les premiers seront les derniers; car
beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.
HOMÉLIE
Quel est ce père de famille sorti dès l'aurore pour
chercher des ouvriers et les envoyer travailler à sa
vigne? C'est Dieu, le Père de la grande famille hu-
maine, le Maître souverain du ciel et de la terre, notre
Créateur et notre Sauveur. Les ouvriers qu'il veut
louer sont tous les peuples, tous les hommes vivant
ici-bas. La vigne où il veut les envoyer, c'est notre
âme que nous devons cultiver pour y faire germer les
vertus chrétiennes. Les différentes heures où il nous
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 201
appelle, sont les différents âges de la vie auxquels
les hommes se donnent à Dieu en cédant à l'action de
la grâce. La journée de travail c'est toute la vie pré-
sente qui n'est qu'un jour très court, comparé à l'é-
ternité. Enfin, le denier qu'il nous promet, c'est la
félicité sans bornes et sans fin dans la céleste patrie.
D'après cette explication, il est aisé do voir quel
est le but que Jésus-Christ s'est proposé en nous
mettant cette parabole sous les yeux. Il a voulu nous
apprendre que Dieu exige que tous les hommes le
servent, et que quel que soit leur âge, ils peuvent
tous le servir. Il a voulu ensuite nous faire com-
prendre que pour le servir comme il le désire, nous
devons travailler à cultiver notre âme et à la uendre
fertile en vertus et en bonnes œuvres.
H sortit de grand matin, a fin de louer des ouvriers
pour travailler à sa vigne. Chaque jour, ce père com-
mun de tous les hommes vient continuellement à
nous pour nous presser de travailler à notre sancti-
fication. Il vient nous chercher sur la place pu-
blique, c'est-à-dire au milieu des dissipations, des
agitations, des affaires, des plaisirs du monde.
Quelque part que nous soyons, il nous presse par
toutes sortes de moyens : par ses ministres, par les
exemples de vertu dont il nous rend témoins, par les
disgrâces et les revers dont il nous afflige, par les
secrets mouvements de sa grâce, de travailler à sa
vigne, c'est-à-dire à la culture de notre âme. Si on
nous représente la vigne où le père de famille envoie
des ouvriers, comme la figure de notre âme, c'est
202 DOMIMCALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
d'après la parole de Dieu même. En effet, partout,
dans les -aintes Écritures, Dieu revendique notrr âme
comme son domaine: « Vinea Domini exercituum ffomus
Israël est : La maison d'Israël est la vigne du Sei-
gneur des armées. » Et cette vigne lui appartient : Ite
in vineam meam. Il l'a plantée de ses propres mains.
Non content d'avoir créé notre âme et de l'avoir
enrichie des dons les plus magniûques, Dieu l'a con-
quise sur le démon en la rachetant de son sang; de
telle sorte que nous lui appartenons par le triple
droit de naissance, de conquête et d'amour. Celte
âme ainsi rachetée, Dieu la remet entre nos mains ;
c'est un dépôt qu'il nous confie, c'est une terre qu'il
nous ordonne de cultiver et de faire fructifier pour
lui.
Mais en quoi consiste cette culture? Elle consiste
à ôter les pierres et les mauvaises herbes qui épuisent
laterre, en d'autres termes, à ôter de notre âme les
péchés, les mauvaises habitudes : l'orgueil, l'avarice,
l'amour déréglé des plaisirs; la volupté, l'intempé-
rance; à bêcher, à labourer profondément la terre,
afin que les racines puissent la percer facilement et
que les pluies du ciel puissent la pénétrer, c'est-à-
dire à secouer fortement notre conscience endurcie
et insensible, afin que la grâce divine puisse pénétrer
notre cœur, et y faire sentir sa divine influence; à
planter ou prodiguer les ceps de vigne, c'est-à-dîre, à
planter dans notre cœur les trois vertus théologales:
la Foi, l'Espérance et la Charité, .d'où doivent sortir
les autres rejetons des vertus chrétiennes; à effeuil-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 203
1er, ébourgeonner, épamprer les ceps, afin que les
branches inutiles ne détournent pas à leur profit la
sève qui doit faire croître et mûrir le raisin; c'est-à-
dire, à retrancher, par la mortification chrétienne,
les soucis inutiles et exagérés pour la vie présente,
afin que l'âme puisse employer toute son application
et tous ses efforts à la grande et importante affaire de
son salut; à attacher le cep de vigne aux échalas, afin
qu'il ne tombe pas à terre, ou qu'il ne soit pas em-
porté ou brisé par le vent; c'est-à-dire, à attacher
fermement notre âme, par le lien de la foi et* de la
confiance à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et à la co-
lonne inébranlable de l'Église catholique, afin qu'elle
puisse surmonter les orages du doute, des tentations
et des persécutions; à entourer la vigne d'une haie
forte et vive, qui puisse la défendre contre les vio-
lences et les irruptions des bêtes sauvages ; c'est-à-
dire, de veiller sur notre âme et à recourir à la
prière pour la défendre contre les attaques de ses
ennemis acharnés : le monde, la chair et Satan.
Nous pouvons facilement réussir dans ce rude et
continuel travail avec l'abondance des grâces que
Dieu ne cesse de faire tomber sur cette terre Dénie.
Tâchons de recevoir dignement les sacrements qui
nous les méritent et adressons à Dieu des prières fer-
ventes qui nous les obtiennent. Fixons aussi le Ciel
qui sera la récompense de nos travaux et nous nous
sentirons animés à travailler généreusement à la cul-
ture de notre âme.
Jésus-Christ pour nous apprendre que nous pou*
204 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
vons y travailler à tout âge, nous y appelle à tous les
temps de la vie. Il nous y a appelé nous-mêmes dès
la première heure, c'est-à-dire dès l'enfance. Avons-
nous toujours pris soin de cette âme qui a été com-
mise à nos soins ? L'avons-nous fait croître de jour en
jour en ardeur et en amour pour Dieu? Nous sommes-
nous appliqués par notre obéissance, notre piété, à
faire la joie et le bonheur de nos parents, l'édifica-
tion de la paroisse et la consolation de notre pas-
teur?Hélas! combien dont la légèreté, la dissipation et
peut-être même une corruption prématurée affligent
le cœur de Dieu!
Mais le père de famille non content d'avoir loué
des ouvriers dès la pointe du jour, sortit sur la troi-
sième heure; et en ayant vu d'autres qui demeuraient
oisifs sur la place, il leur dit : Allez aussi à ma vigne et
je vous donnerai ce qui sera raisonnable.
Cette troisième heure c'est l'âge de l'adolescence,
où notre raison commençant à se développer, l'Église
nous admet pour la première fois à la table sainte...
Que ne fit-elle pas alors pour chacun de nous ! Rap-
pelez-vous ces soins assidus dont vous fûtes en-
tourés par les ministres du Seigneur : Que d'ins-
tructions, que de conseils, que de leçons, que de
confessions ! Après avoir purifié votre âme le prêtre
vous a admis au banquet divin. Yous avez renouvelé
vous-mêmes les promesses de votre baptême. Y
avez-vous été fidèles? Où sont ceux parmi vous qui
peuvent se flatter de ne les avoir jamais violées?
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 205
Combien qui depuis ont vécu dans les amusements^
a dissipation et l'oisiveté!
Le père de famille sortit encore sur la sixième et
sur la neuvième heure du jour, et ayant encore
trouvé des oisifs il leur commanda d'aller travailler
à la vigne. La sixième et la neuvième heure repré-
sentent ces époques critiques de la jeunesse et de
l'âge mûr où les uns emportés par le délire des pas-
sions et les autres par le tourbillon des affaires tem-
porelles négligent le salut de leur âme. Chacun d'eux
ne rêve que plaisirs, divertissements, richesses, hon-
neurs et consument ainsi les plus belles années de
leur vie sans penser aux choses sérieuses qui inté-
ressent leur âme. Et ainsi ils passent leur jeunesse
et l'âge mûr dans l'oisiveté, car sans parler ici de
ceux qui vivent dans le péché mortel, combien n'en
voyons-nous pas dont la vie s'écoule ou à ne rien
faire de bien, ou à faire tout autre ouvrage que celur
qui leur est commandé ! Où en êtes-vous, chrétiens
qui m'entendez, de la sanctification de votre âme t
A quelle heure avez-vous commencé de vous en oc-
cuper sérieusement? Quelle heure est-il maintenant
pour vous? Peut-être, que quoique jeunes, vous êtes
au terme de votre carrière. Commencez donc, quel-
que heure qu'il soit, à travailler sérieusement et nô
différez pas davantage. Vous n'avez été, hélas I que
trop oisifs.
Enfin le père de famille étant sorti à la onzième
heure, il en trouva d'autres qui se tenaient debout,
sans rien faire, et il leur dit : Pourquoi demeurez*
I. 12
206 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
vous là tout le jour sans travailler? Parce que, lui
dirent-ils, personne ne nous a loués. Il leur dit :
Allez-vous-en aussi à ma vigne.
Voilà, mes frères, des paroles bien capables de
consoler les pécheurs. La grande miséricorde du
Seigneur ouvre les bras et appelle à sa vigne ceux-
mêmes qui, après avoir donné leur vie aux affaires
du siècle et aux plaisirs du monde, n'ont plus que
quelques jours à rester sur la terre. Ce sont ceux-là
qu'elle recherche avec le plus de sollici'ude, c'est à
eux qu'elle s'adresse pour leur dire : Regardez vos
mains ! qu'avez-vous gagné au service de celui que
vous m'avez préféré? Le monde vous fit autrefois de
brillantes promesses : que vous a-t-il donné et que
vous en reste-t-il à cette heure? Ah! venez aussi à
ma vigne; mieux vaut tard que jamais, vous travail-
lerez quelque peu et vous serez récompensés avec
libéralité : Jte et vos in vineam meam.
Chrétiens qui jusqu'ici auriez négligé votre âme,
pourriez-vous ne pas entendre et accueillir cet appel
bienveillant de votre Dieu? Hâtez-vous de consacrer
à son service le dernier souffle de vie qui vous reste ;
ne négligez plus un seul instant de réparer le temps
perdu, recourez à la prière avec autant d'assiduité
que vous avez autrefois négligé ce saint exercice ;
fréquentez les sacrements avec d'autant plus d'exac-
titude et de piété que vous les avez peu et mal re-
çus jusqu'ici ; expiez votre dissipation parle recueil-
lement, vos vains discours par le silence, vos
sensualités par vos privations, votre avarice par vos
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 207
aumônes; en un mot, qu'une vie sainte et fervente,,
pleine de bonnes œuvres et de vertus fasse oublier
au Seigneur votre indifférence et vos impiétés pas-
sées : Ite et vos in vineam meam. Et vous ne resterez
pas sans récompense.
Or, le soir étant venu, le maître de la vigne dit à son
économe : Appelez les ouvriers et payez-les, en commen-
çant par les derniers jusqu'aux premiers. Ceux donc qui
étaient allés au travail sur la onzième heure, s? étant ap-
prochés, reçurent chacun un denier.
Le soir dont il est ici question, c'est la fin de la
vie... L'économe, c'est Jésus-Christ. Quand il sera
arrivé, ce soir de la vie, ce moment solennel où se
termineront nos travaux et où commencera notre
récompense, nous paraîtrons devant l'économe du
Père, juge des vivants et des morts. Au sortir du corps
où elle Ait si longtemps enfermée, notre âme se verra
subitement transportée au pied du tribunal suprême,
et l'état où elle se trouvera à cet instant fixera son
sort pour l'éternité. Elle restera éternellement ou
ornée et brillante des vertus dont nous l'aurons en-
richie, ou souillée et punie pour les péchés dont nous
l'aurons infectée.
Le denier remis à chaque ouvrier laborieux, c'est
la vie éternelle, partage de tous les élus. Et si vous
vous étonnez que les ouvriers de la dernière heure
reçoivent, comme ceux qui ont soutenu le travail de
la journée entière, ce denier de la béatitude infinie,
rappelons-nous que Dieu distribue ses récompenses,
non pas d'après le temps, mais d'après la ferveur du
208 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
travail. Il a égard à la qualité et non à la quantité
des œuvres ; il les pèse, il ne les compte pas. Ils sont
heureux, ceux qui, dès leur première jeunesse, por-
tent le joug du Seigneur, et ils ont de grands avan-
tages ; mais enfin la durée du travail peut être com-
pensée par l'ardeur, par l'énergie et la force de la
volonté. Le voyageur qui s'est mis trop tard en
marche peut, en précipitant sa course, atteindre, et
même dépasser celui qui, parti de grand matin, a
marché plus lentement. Celui-là a toujours suffisam-
ment travaillé à la vigne du Seigneur, qui a bien
travaillé. Et puis, n'oubliez pas ce mot du Sauveur :
Dans la maison de mon père il y a plusieurs demeures...
Rappelons-nous aussi cette parole de l'apôtre : De
' même que les étoiles différent en clarté, il en sera ainsi
dans la résurrection des morts; chacun recevra sa ré-
compense selon son travail. Tous reçoivent la même
. récompense, mais ils ne la reçoivent pas tous égale.
Elle est la même dans sa nature qui est le ciel et la
possession de Dieu ; mais elle n'est pas pour cela la
même dans son intensité. Sa mesure dans les uns et
dans les autres est différente. Ainsi les réprouvés
subissent dans l'enfer le même châtiment, quoique
leurs peines soient toutes proportionnées à leurs
crimes. Voilà ce qui explique cette parole du père de
famille : Les derniers seront les premiers, et les pre*
miers seront les derniers. 0 vous, chrétiens fortunés,
qui avez été attachés au service du Seigneur dès
enfance, ne vous laissez point atteindre par ceux
qui ont différé leur conversion jusqu'à un âge avancé,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 209
Efforcez-vous, par votre ferveur, d'occuper constam-
ment le premier rang. Et vous qui avez longtemps
négligé d'aller travailler à la vigne du grand Maître,
ne vous découragez pas, vous pouvez, par votre fer-
veur, atteindre encore ceux qui ont-commencé avant
TOUS.
L'Évangile nous dit que les premiers, en voyant
qu'ils ne recevaient qu'un denier comme les der-
niers, se mirent à murmurer, en disant : « Ceux-ci
n'ont travaillé qu'une heure et vous leur donnez au-
tant qu'à nous qui avons supporté le poids du jour
et de la chaleur. » Déjà dans le cœur du frère de
l'enfant prodigue, nous avons trouvé quelque chose
de ces murmures qui se reproduisent dans l'évangile
de ce jour. Ne les partageons pas. L'envie détruit la
chanté fraternelle et ne peut exister avec la véritable
sainteté. Réjouissons-nous, au contraire, de ce que
Dieu tend la main aux pauvres pécheurs et parta-
geons la joie des anges, plus heureux de voir revenir
un pécheur pénitent que de voir quatre-vingt-dix-
neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence. Le
père de famille ayant entendu le murmure de ses
ouvriers, répondit à l'un d'eux : « Mon ami, je ne
vous fais point de tort : N'êtes- vous pas convenu avec
moi d'un denier pour votre journée ? Prenez ce qui
est à vous et allez-vous-en : je veux donner à ce der-
nier autant qu'à vous. » N'oublions jamais que Dieu
étant le maître de tous les biens, il peut répandre
ses dons et ses faveurs quand et sur qui il lui plaît.
Les f/âces. qu'il accorde à nos semblables ne dimi-
12.
210 ddiinicales d'un cure de campagne
nuent en rien celles qu'il nous réserve à nous-mêmes.
Nous n'avons donc aucun droit à nous plaindre. La
seule chose que nous ayons à faire c'est de faire va-
loir le talent qui nous a été confié.
Notre Évangile se termine par ces terribles paroles
que les plus grands saints n'ont pu entendre sans
être saisis de crainte : Comparativement au nombre
des réprouvés, le nombre des élus sera bien faible.
Ce n'est point le petit nombre des élus qui doit plus
nous épouvanter, c'est notre conduite ; car pour
être élus, il faut avoir évité le mal et pratiqué le
bien ; en d'autres termes, il faut avoir soigneusement
cultivé la vigne du Seigneur, c'est-à-dire notre âme.
Puisqu'il en est ainsi, jeunes gens que Dieu sollicite,
levez en haut vos cœurs ; travaillez au salut de votre
âme : Ite et vos in vineam meam. Chrétiens mûris par
l'âge etj'expérience, comprenez la vanité des joies
mondaines, et travaillez à gagner les biens éternels :
Ite et vos in vineam meam. Et vous qui touchez aux
années de la vieillesse, vous que Dieu appelle à la
dernière heure du jour, répondez à cette invitation
suprême, expiez vos égarements passés, rendez-vous
dignes d'entendre ces paroles, quand vous apparaî-
trez devant Dieu pour être jugés. Allez, vous aussi,
dans le champ du père de famille; entrez, vous aussi,
dans les splendeurs de l'éternité : Ite et vos in vineam
meam. Ainsi-soit-il.
HOMÉLIE HT INSTRUCTIONS PRATIQUES *U
POUR LE MÊME DIMANCHE
SUR LE TRAVAIL
Quid lac statis tota die oVosi? {te
et vos in vineam meam. (Math., xx, 6.)
Ce reproche que le père de famille adresse à ceux
qu'il voit inoccupés sur la place publique, ne pour-
rions-nous pas l'adresser à un bon nombre de chré-
tiens indolents et paresseux qui passent leur vie dans
une criminelle oisiveté? Un grand nombre ne fait
rien, et les autres travaillent, à la vérité, mais ils font
mal ce qu'ils font. En agissant ainsi, ils se privent les
uns et les autres des bénédictions que Dieu répand
sur le travail accompli dans un esprit chrétien.
Pour obvier à ce double malheur, disons aux pre-
miers qu'il y a pour eux obligation de travailler et
apprenons aux seconds, les moyens à prendre pour
sanctifier ïe travail.
(Voir Le Missionnaire de la campagne, tome III}
page 153.)
2i2 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
POUR LE MÊME DIMANCHE
LE SALUT
Quid hi- statis tota die otiosi?
(Math., xx, 6.)
A combien de chrétiens ne pourrait-on pas faire
le même reproche que le père de famille fait dans
notre Évangile à ces ouvriers qui, à l'égard de leur
salut, vivent dans une funeste oisiveté! Ils ne sont
point inoccupés, à la vérité, pour les affaires du
monde, au contraire, on en voit travailler sans re-
lâche du matin au soir, les uns pour amasser du
bien, les autres pour s'élever aux honneurs ou se
procurer des plaisirs, mais la grande, l'importante
affaire du salut a-t-elle une large part dans leurs oc«
cupations? Nullement; ils l'oublient et la négligent
comme si elle était de nulle conséquence, ou comme
si elle ne les regardait pas; aussi peut-on leur dire
avec le père de famille : Quid hic statis tota die otiosi?
Mais d'où vient cette criminelle oisiveté d'un grand
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 213
nombre de chrétiens à l'égard de leur salut? Elle
vient de ce qu'ils n'ont jamais réfléchi sur son im-
portance. Essayons de méditer aujourd'hui ce grave
sujet et de leur apprendre ce que c'est que le salut.
Voici les trois pensées sur lesquelles j'appelle votre
bienveillante attention :
Le salut est ;. 1° notre affaire ; 2° notre grande af-
faire; 3° notre unique affaire. (Voir Le Missionnaire
de la campagne, tome Ier, page 89.)
214 DOMINICALES* D'UN CURE DE CAMPAGNE
DIMANCHE DE LA SEXAGÊSIMB
Durant les trois dernières années de sa vie mor-
telle, notre divin Sauveur parcourait les villes et les
campagnes de la Galilée et de la Judée pour an-
noncer les grandes vérités du salut. Les multitudes
ravies de la beauté de son enseignement, et frappées
par l'éclat des nombreux miracles qu'il opérait, se
pressaient sur ses pas partout où il allait pour le voir
et l'entendre. Cependant, la parole merveilleuse qui
sortait de sa bouche ne subjuguait pas tous les cœurs,
et ne faisait pas de tous ceux qui l'entendaient des
disciples dévoués. Plusieurs, attirés auprès de Jésus
parla curiosité, le quittaient après une émotion pas-
sagère et reprenaient leurs habitudes, sans accom-
plir dans leur vie religieuse aucun changement. De'
ce nombre étaient surtout les Scribes et les Phari-
siens. Le divin Maître qui connaissait les dispositions
diverses de cette multitude mobile et changeante,
lui expliqua les obstacles que sa prédication ren-
contrait dans les cœurs et lui apprit les dispositions
qu'elle devait apporter pour l'entendre avec fruit;
HOMELIES ET- INSTRUCTIONS PRATIQUES 215
c'est pour cela qu'il lui dit cette parabole que nous
lisons dans l'Évangile de ce jour :
« Celui qui sème s'en alla semer son grain. Or,
pendant qu'il le jetait dans les sillons destinés à le
recevoir, une partie de la semence tomba le long du
chemin où elle fut foulée aux pieds, et servit de pâ-
ture aux oiseaux du ciel. Une autre partie tomba sur
des pierres ; mais dès qu'elle eut germé, elle se
dessécha parce que les racines ne pouvaient puiser
dans ce terrain pierreux un suc assez abondant. Une
autre partie tomba au milieu des épines, elle germa
et prit quelque développement; mais avant d'arriver
à l'époque de la floraison, elle fut étouffée par les
ronces et les épines qui croissaient avec plus de vi-
gueur. Enfin, une dernière partie tomba sur un bon
terrain; là, non seulement elle germa, *e développa
et fleurit, mais elle porta du fruit et donna cent
grains pour un au jour de la moisson. »
HOMÉLIE
Semen est verbum Det.
Luc, vni, l<y)
Quel est cet auguste semeur qui nous est présenté
dès le commencement de notre parabole? C'est
Jésus-Christ qui est sorti du sein de son Père pour
répandre partout sa divine parole. Sa mission est de
216 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
prêcher : Evangelizare pauperibus misit me. Dieu, dit
l'Apôtre, après avoir parlé longtemps aux hommes
par la bouche de ses prophètes, a voulu, dans ces
derniers temps, leur parler par son propre Fils. Ce
divin Maître venant au monde a pratiqué, durant les
trente premières années, ce qu'il devait enseigner
aux autres. Ensuite il a consacré trois ans à l'exer-
cice de son ministère : il a parcouru toute la Judée
en annonçant partout son Évangile; enfin, arrivé au
terme de sa course, il a envoyé ses apôtres et leurs
successeurs pour exercer après lui le même minis-
tère. « Recevez le Saint-Esprit, leur dit-il, je vous en-
voie comme mon Père m'a envoyé. Celui qui vous
écoute, m'écoute; et celui qui vous méprise, me
méprise : allez, enseignez toutes les nations, voilà
que je suis avec vous jusqu'à la consommation des
siècles : Ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usquè
ad consiimmationem sœculi. » Or, de là il suit, mes
frères, que lorsque nous vous annonçons la divine
parole, c'est Jésus-Christ qui vous prêche par notre
bouche : Exiit. La terre sur laquelle le divin Maître,
et, après lui, tous les ouvriers évangéliques répan-
dent la divine parole, ce sont les âmes dans les-
quelles elle doit fructifier et produire des vertus
solides et nombreuses : Semen est verbum Dei.
Et, tandis qu'il jette la semence, une partie
tombe le long du chemin, où elle est foulée aux pieds
et mangée par les oiseaux du ciel. Quels sont, mes
frères, les auditeurs qui ressemblent à un chemin
battu, et dans le cœur desquels la semence reste à
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 217
la surface sans pouvoir pénétrer intérieurement ? Ce
sont le- âmes dissipées, ouvertes à toutes sortes ae
pensées, toujours frivoles et souvent criminelles,
qui se succèdent sans cesse. Le démon entretient
dans ces âmes une dissipation continuelle, pour em-
pêcher la semence divine d'y croître et d'y fructifier.
Cette première classe d'auditeurs bien coupables se
compose de chrétiens qui assistent aux prédications
avec un cœur endurci et un esprit dissipé, écoutent
la parole de Dieu sans attention, se laissant aller à
toutes les distractions possibles. Le corps est pré-
sent, l'esprit est éloigné. Pour eux, la parole sainte
n'est qu'un son qui se perd dans les airs, qui frappe
à peine leurs oreilles. De tels auditeurs, au sortir de
la prédication, seraient en peine pour dire le sujet
qui a été traité. Ils viennent à la prédication avec
l'intention perverse de critiquer le prédicateur dont
on a entendu parler, ou pour entendre des choses
nouvelles. Tout ce qu'ils en retiennent, ce sont cer-
taines expressions peu châtiées, des termes un peu
durs, des fautes contre la grammaire. Non seule-
ment ils ne profitent pas de ce qu'ils ont entendu,
mais ils sont cause que les autres en perdent le fruit.
Ces sortes d'auditeurs aiment à entendre parler
contre les défauts d'autrui, pourvu qu'on n'attaque
pas les leurs. Ils sont fort aises qu'on leur annonce
des vérités consolantes, capables de rassurer les
consciences inquiètes; mais ils se récrient si on les
entretient des vérités terribles qui éveillent le re-
mords. Ils disent comme les Juifs au prophète Is&Te .♦,
I. 13
218 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
Die nobis placentia ; dites-nous des choses agréables t
noue ne tenons pas à entendre le prédicateur le plus
solide, le plus instructif, le plus persuasif, mais îe
plus tolérant, le plus discret, le plus fleuri, le plus
agréable : Die nobis placentia.
Ils saisissent avec avidité tout ce qui peut servir à
la critique d'autrui. Si le prédicateur attaque cer-
tains vices, certains défauts : Voilà, disent-ils, qui
regarde un tel ou une telle ; si ce médisant, si ce
blasphémateur, si cet intempérant ne s'est pas re-
connu dans tel tableau, il est bien aveugle; mais ils
ne prennent jamais pour eux les vérités qu'ils en-
tendent. Oh! que de chrétiens accueillent ainsi la
parole de Dieu ! Ne serions-nous point de ce nombre?
Une autre partie du grain tomba sur un terrain //ter-
reux, et le grain sécha dès qu'il fut levé, faute d humi-
dité. Ce terrain pierreux représente ces auditeurs qui
écoutent volontiers la parole de Dieu, la reçoivent
avec joie et en proclament la vérité. Cette précieuse
semence ne reste pas chez eux à la surface, elle pé-
nètre au dedans, elle y germe même. On dirait, à les
voir, à les entendre, qu ils l'ont goûtée profondé-
ment, qu'ils vont, pour tout de bon, se mettre à
l'œuvre et travailler sérieusement à leur salut. Mais
hélas! ferveur d'un jour! Attendez demain; vous les
trouverez dans leur froideur et leur négligence ha-
bituelles ; tout sera oublié. Hier, en entendant prê-
cher contre la volupté, non seulement ils détestaient
ce péché, mais ils avaient honte d'en être coupables
et us formaient les meilleures résolutions; mais sui-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 219
vez-les et dans quelques jours, lorsque la passion les
poussera de nouveau au mal, vous les verrez céder
de nouveau à leurs désirs criminels. Naguère vous
les entendiez désavouer, condamner leur conduite
passée, bientôt vous les verrez retomber dans les
péchés qu'ils pleuraient et rentrer dans les sociétés
qu'ils avaient promis de quitter. Il n'y a pas de fond
chez eux : Et hi radiées non habentj leur piété est vaine :
une raillerie les renverse; le moindre embarras, la
première tentation un peu violente dissipent toutes
leurs résolutions, leur font lâchement abandonner
les vérités qu'ils ont admirées. Ils aiment le bien et
ne le font pas; ils haïssent le mal et ne le quittent
point. Oh! que le nombre des chrétiens chez qui la
semence divine reste stérile est grand! Parce qu'ils
forment quelque vague projet de conversion; parce
qu'ils éprouvent certains désirs du bien, quelques
sentiments pieux, quelques mouvements de ferveur,
ils se rassurent et se croient dans la bonne voie, ou
en état d'y rentrer quand ils le voudront. Illusion
déplorable! Erreur funeste, qui ne servira qu'aies
endurcir de plus en plus dans le mal !
Une autre partie tomba dans les épines, et les épines
venant à croître en même temps, elles t étouffèrent. Cette
troisième partie représente ceux qui entendent la
parole de Dieu, la reçoivent dans leur cœur où elle
germe, prend des racines, se développe jusqu'au
moment de porter du fruit; mais en ce moment dé-
cisif, des épines funestes, des attachements dan-
gereux, des préoccupations trop multipliées, qui
220 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
paraissent peu de choses dans les commencements
et dont on n'avait pas prévu l'accroissement, se sont
élevées avec elle, et, gagnant successivement et par
degrés le dessus, l'ont absolument dominée et ont
fini par l'étouffer entièrement. Examinons quelles
sont ces épines qui délient la moisson du Seigneur.
Jé>us-Christ nous apprend que ce sont les attaches
aux biens de ce monde, les sollicitudes, les richesses
et les plaisirs de la vie. Ces objets qui ne sont point
criminels en eux-mêmes le deviennent par l'abus
que nous en faisons et l'affection que nous y por-
tons. Le divin Sauveur compare ces divers attache-
ments aux épines parce qu'ils produisent le même
effet. S'ils commencent à présenter sur notre route
quelques fleurs agréables, bientôt ils l'embarrasse-
ront : ils nous font ensuite sentir leurs pointes ai-
guës, et ils finissent par nous déchirer.
Voyez cet homme qui a reçu avec joie et docilité
la parole divine, qui en a profité, qui cultive avec
soin les vertus qu'elle a fait germer dans son cœur,
mais qui nourrit en même temps l'amour des choses
du siècle, des richesses et des plaisirs. Il n'y a rien
jusque-là de coupable; mais peu à peu cet amour
va en croissant; à mesure qu'il se développe, ses
inclinations religieuses diminuent, peu à peu il se
néglige et finit par abandonner les pratiques de piété.
Voilà où conduisent, de degrés en degrés, les attache-
ments profanes, quand on ne les déracine pas de
bonne heure.
Voyez ce jeune homme, cette jeune personne
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 221
pieux et modestes qui mettent tout leur bonheur à
pratiquer la religion. Ils se laissent aller à fréquenter
le monde qu'ils méprisaient tout d'abord; peu à peu
l'amour des plaisirs entre dans leur cœur; bientôt
ils n'ont plus que du dégoût pour la prière et les
sacrements, et ils les abandonnent. Voilà les tristes
décadences où conduisent sans s'en douter les affec-
tions mondaines.
Une autre partie tomba sur la bonne terre, et ayant
levé, porta du fruit au centuple. Quels sont les heu-
reux auditeurs dans lesquels la divine parole produit
des fruits abondants? Ce sont ceux qui, en premier
lieu, lui donnent entrée dans leur cœur et l'écoutent
avec les sentiments qu'elle demande ; qui, en second
lieu, après l'avoir reçue, en retiennent précieuse-
ment les impressions en la méditant; qui, en troi-
sième lieu, la cultivent soigneusement en écartant
les obstacles à son accroissement. Que faut-il faire
pour cela? Ce que l'on fait dans un champ où l'on
veut ramasser une récolte abondante. Si on y trouve
des ronces et des épines, on les arrache; si on y ren-
contre des pierres, on les en ôte; s'il est trop sec,
on l'arrose : Faites de même dans le champ de votre
âme, arrachez-en les ronces, les épines et les pierres,
qui sont vos péchés, vos mauvaises habitudes, votre
dissipation. Arrosez-le avec les eaux vivifiantes
de la grâce, que vous obtiendront vos prières bien
faites.
En employant ces moyens, cette terre fertile
cette terre de bénédiction vous donnera des fruits
222 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
abondants, dont vous jouirez durant la bienheu-
reuse éternité que je vous souhaite. Amen.
POUR LE MÊME DIMANCHE
Voir deux instructions sur la parole de Dieu, Mis-
êtonnaire de la Campagne, tome III, pages 23 et 32.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 223
DIMANCHE DE LA QUINQUAGÉSIME
ABRÉGÉ DE L'ÉYANGILK
Le Sauveur, en allant à Jérusalem, leur prédit
tout ce qu'il devait endurer dans cette ville sous peu
de jours. Mais ils ne comprirent rien alors à ce qu'il
leur disait. Comme il approchait de Jéricho, il se
trouva un aveugle assis sur le bord du chemin, où il
demandait l'aumône. Entendant passer une troupe
de gens, il demanda ce que c'était. On lui dit que
C'était Jésus de Nazareth qui passait. Il se mit aussi-
tôt à crier : « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi I »
Alors, Jésus s'arrêtant, commanda qu'on le lui ame-
nât. Et lorsqu'il se fut approché, il lui demanda :
« Que voulez-vous que je fasse?» « Seigneur, repar-
tit l'aveugle, que je voie. » Jésus lui dit : « Yuyez I
votre foi vous a sauvé. » Et à l'instant il vit, et il
suivait en glorifiant Dieu. Et tout le peuple qui le
vit loua Dieu. (Luc, xvin. 31,-43.)
4 DOMINICALES D*UN CURE DE CAMPAGNE
HOMELIE
Cacus quidam sedebat secvs viam,
mendicans. (Luc, xvm, 35.)
Le divin Sauveur venait de prédire sa passion à
ses disciples, et il approchait de Jéricho par où il
devait passer pour se rendre à Jérusalem, lorsqu'un
aveugle, qui était assis sur le bord du chemin et
mendiait, entendant le bruit de la foule, demanda
ce que c'était; dès qu'il eut appris que Jésus pas-
sait, il s'écria : m Jésus, fils de David, ayez pitié de
moi! » Le divin Maître le fait amener et lui demande
ce qu'il veut, a Seigneur, répondit-il, faites que je
voie. » « Voyez! lui dit Jésus, votive foi vous a sauvé. »
Au même instant il est guéri et il se met à la suite
du Sauveur.
Un aveugle, tristement assis sur le bord du che-
min, n'ayant d'autre ressource que la pitié publique,
quelle affligeante situation! C'est celle d'un grand
nombre de chrétiens esclaves du péché mortel, aussi
aveugles que cet infortuné et aussi pauvres que lui.
I. Ils sont aveugles comme lui. Privés des lu-
mières de la grâce, ils ne voient point les choses di-
vines ; ils n'ont plus la connaissance de Dieu, d'eux-
mêmes, ni des vérités nécessaires au salut. Assis sur
les bords de l'abîme, ils n'en peuvent découvrir la
profondeur. D'après l'expression du prophète, ils di-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 225
sent que *e bien est le mal, et que le mal est le bien ;
ils donnent aux ténèbres le nom de lumière, et à la
lumière le nom de ténèbres ; ils font passer pour doux
ce qui est amer et pour amer ce qui est doux. Leur
raison obscurcie par le péché leur fait imaginer
qu'ils sont les seuls sages et que ceux qui ne sont
pas comme eux sont des insensés. De là ces doutes
intéressés sur les vérités terribles de notre foi, qui
partent moins d'un esprit convaincu que d'un cœur
corrompu par la passion; de là ces excuses frivoles
dont ils se servent pour justifier leur conduite cou-
pable; de là, en un mot, cette fausse conscience
qu'ils se forment, ces vaines interprétations qu'ils
admettent pour calmer leurs remords. Ce sont de
pauvres aveugles : Cœcus.
Ce qu'il y a de pire, c'est que ces malheureux
sont assis : Sedebat. Ils se reposent dans leurs crimes
avec une parfaite sécurité. Cet état si triste, si com-
mun pourtant, et les divers degrés qui y conduisent,
nous sont admirablement dépeints par le prophète-
roi. Écoutez : « Heureux, dit-il, l'homme qui n'a pas
été dans le conseil des méchants, qui ne s'est pas
arrêté dans la voie des pécheurs et qui ne s'est pas
assis dans la chaire de pestUence. Beatus vir qui non
abiit in consilio impiorum, et in via peccatorum non ste-
tit, et in cathedra pestilentiœ non sedit. » On commence
par aller dans une mauvaise compagnie : abiit; on
continue en y restant : stetit; on finit par s'y asseoir :
sedit. Y aller, est le crime; y rester, c'est l'habitude
du crime; s'v asseoir, c'est l'endurcissement dans
13.
226 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
le crime. On n'est d'abord que séduit, on recherche
ensuite la séduction et on en vient enfin jusqu'à sé-
duire les autres.
Ah! mes frères, que cet état est dangereux pour
le salut! Qu'il est terrible! Jamais un malade n'est
plus à plaindre que lorsqu'il ne sent plus son mal.
Et jamais un pécheur n'est plus près de la réproba-
tion que lorsqu'il ne sent plus ses crimes. Est-ce
Dieu qui se tait alors, ou est-ce le pécheur qui ne
veut plus l'entendre? C'est en môme temps l'un et
l'autre : mais l'un et l'autre sont affreux ! Cet état
pourtant, tout malheureux qu'il est, n'en est pas
pour cela plus rare. Vous en voyez tous les jours
dans le monde de ces aveugles assis dans l'iniquité,
qui, ayant tout perdu, et les mœurs et la foi, se rail-
lent impunément de nos plus saints mystères. Vous-
même, mon cher auditeur, n'avez-vous pas été de
ce nombre, et n'en êtes-vous pas peut-être en-
core?
Ce qui met le comble à l'infortuné aveugle de
notre EvaDgile, c'est qu'il est sur le bord du chemin.
Le pécheur se tient aussi sur le bord du chemin
qui conduit à la vie; il y voit passer les justes, les
bons chrétiens qui suivent Jé?us, mais il n'a pas le
courage d'y entrer. Il est là avec le monde maudit
et réprouvé de Dieu, avec le monde esclave des
modes, des usages, des maximes, des coutumes con
traires à la loi de Dieu, qui perdent tous les jours
tant d'âmes que la multitude suit en aveugle , et
auxquelles le pécheur se conforme, vivant partout
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 227
tranquille parce qu'il vit comme le grand nombre :
Juxta viam.
Et voilà, mes frères, le grand prétexte, la cause
ordinaire de l'aveuglement et de l'endurcissement de
la plupart des hommes : l'autorité de la foule et la
séduction de l'exemple. Lorsque le prêtre, au nom
du Ciel, condamne dans ces pécheurs la difformité
de leurs mœurs, lorsqu'il leur montre les dangers
terribles auxquels ils s'exposent par leur conduite,
que répondent-ils à nos charitables remontrances?
Rien autre chose que ces froides paroles : « Je suis un
honnête homme, je ne fais tort à personne. Du
reste, je vis comme les autres. Si ce que vous me
reprochez est capable de me perdre, il faudra dam-
ner tous les hommes. » Et parce qu'ils ne font pas
pire que les autres, ils se rassurent dans leurs pé-
chés.
Enfin, la dernière vérité que l'Evangile nous ap-
prend de cet homme, c'est qu'il était pauvre, misé-
rable et obligé, du matin au soir, de tendre la main
aux passants, pour leur demander de le secourir
dans sa détresse : Cœcus quidam mendicans. Connais-
sant sa misère, il disait avec le prophète : « Pour
moi)t;'e suis un mendiant et un pauvre. »
Le pécheur endurci au contraire croit être riche,
et ne manquer de rien, et il ne sent pas, dit l'apôtre
saint Jean, qu'il est malheureux, misérable, indigent,
aveugle, nu. Oui, il est pauvre, bien pauvre aux
yeux de la Vérité éternelle et de ses anges. Le pé-
ché, en lui ôtant Dieu, lui ôte tout. Il lui enlève sa
228 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
grâce, son amitié, le droit à son royaume qui devait
être son héritage, le prix de ses vertus passées, le
mérite de ses souffrances présentes, l'espoir même
des biens à venir. Il le dépouille de sa robe nuptiale,
dont il avait été revêtu dans le baptême ; il le prive
de tous les dons du Saint-Esprit et de tous les mé-
rites de Jésus-Christ. Biens uniquement spirituels,
il est vrai; mais biens réels, précieux et solides, à
l'abri de tous les événements et de toutes les vicissi-
tudes; biens éternels, en un mot, les seuls dignes
de porter ce titre ; un seul péché mortel les enlève
tous à une âme, et la réduit par là à la pauvreté la
plus affreuse : Pauper.
Ce n'est pas tout : le péché, ayant ôté à l'homme
ses véritables biens, lui en présente de faux et d'ap-
parents, car le cœur de l'homme ne peut pas exister
sans aimer, sans désirer, sans rechercher un bien
quelconque; l'amour du bien est sa vie. Or, ayant
perdu l'amour de Dieu qui est le souverain bien, il
sera obligé de s'en forger d'autres à son gré, qui
puissent tenir sa place , et voilà l'origine de son
amour pour les plaisirs, pour les honneurs, pour les
richesses, biens apparents qu'il a substitués au vé-
ritable.
Suivez de l'œil ce mendiant mondain; observez-le
attentivement. Est-il ambitieux? Il tend la main aux
honneurs et leur demande à hauts cris de le faire
monter plus haut. Et pour s'élever au-dessus de ses
semblables, que de peines il se donne! que de bas-
sesses il faitl que de sacrifices il s'impose! Et après
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 229
mille tourments, est-il content? Non, il ne l'est pas.
Semblable à un hydropique, il a d'autant plus soif
qu'il boit davantage.
Est-il avare? Il travaille sans relâche à amasser
des trésors, et plus il entasse or sur or et plus sa soif
des biens de la terre augmente, et plus sa cupidité
le réduit à une mendicité honteuse. Pour vous con-
vaincre de cette vérité, interrogez tous les Crésus
du monde et ils vous répondront : « Nul mortel n'est
plus indigent que nous. » Le désir d'accroître nos
trésors, la crainte de les perdre, l'embarras de les
administrer, les soins qu'il faut prendre pour les
conserver, ne nous laissent pas un seul instant de
repos.
Est-il voluptueux? Voyez-le depuis le matin jus-
qu'au soir tendre la main pour demander aux créa-
tures des satisfactions qu'elles ne peuvent lui
procurer. Son esprit et son imagination sont cons-
tamment en route pour découvrir quelque pâture à
ses grossières jouissances. La volupté fatigue et
épuise. C'est un poison qui ronge jusqu'aux os au
lieu de satisfaire. Ici faisons un appel à l'expérience:
Il n'est peut-être pas de mortel qui ait plus souvent
et plus longtemps approché de ses lèvres la coupe
de la volupté que le grand Salomon. Ecoutez-le ce-
pendant parler lui-même : Il a laissé échapper un
mot qui a retenti aux quatre coins du monde et qui
est arrivé jusqu'à nous. Il a confessé à la face de l'u-
nivers que tout cela n'est que vanité et affliction
d'esprit : Vanitas vanitatum et omnia vanitas.
230 DOMINICALES D ON CURE DE CAMPAGNE
Il n'y a en cela rien d'étonnant; le cœur de
l'homme étant fait pour Dieu, il est infini dans se?
désirs, immense dans sa cupidité; il n'y a que Tin-
fini qui puisse le remplir; plusieurs objets finis,
ajoutés l'un à l'autre, ne parvenant jamais à l'infini,
le laisseront toujours -tilde. De là cette insatiabilité
qui entretient, au milieu du monde, le tumulte et la
confusion qui y régnent. C'est un homme altéré au-
quel on ne présente qu'une goutte d'eau, un affamé
à qui on ne donne qu'une miette; et pour nous en
tenir à notre Evangile, c'est un mendiant qui, ne
recevant que des secours faibles et insuffisants, con-
damné à une mendicité perpétuelle, voit renaître à
tout moment et ses besoins et ses souffrances : Afen-
dicans.
0 pécheurs qui m'entendez, que vous êtes malheu-
reux de chercher loin de Dieu un apaisement à vos
maux et des biens capables de vous tirer de votre
indigence ! connaissez votre état et désirez-en au
moins le remède! Et vous, Seigneur, qui savez enri-
chir les pauvres et qui pouvez rendre la vue aux
aveugles, venez à notre secours, et appliquez un
remède à nos maux. Pour cela, imitons la conduite
de l'aveugle de Jéricho.
Cuelles sont les dispositions qui conduisent cet
infortuné à la grâce de sa guérison? L'aveugle, en-
tendant le bruit de la foule, demanda ce que c'était ;
on lui dit que c'était Jésus de Nazareth qui passait.
Aussitôt il s'écria : « Jésus, fils de David, ayez pitié de
moil » Cet homme crie parce qu'il sent son mal,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 231
parce qu'il désire ardemment d'être guéri. Il adresse
ses cris au Sauveur du monde parce qu'il a entendu
parler de ses miracles. Les prodiges sans nombre
que ce puissant Maître avait opérés, lui donnent
l'assurance qu'il peut lui rendre la vue. Sa foi est si
vive qu'il attend tout de sa bonté et de sa puissance,
Toilà pourquoi il prie. Que dis-je? Il ne prie pas,
mais il crie: Clamabat. Ce sont des cris qui partent
moins de la boucbe que du cœur; aussi, Jésus-Christ
ne peut-il s'empêcber de les entendre. Tels étaient
les sentiments du prophète-roi, lorsqu'il disait à
Dieu : « Seigneur, du fond de l'abîme où mes péchés
m'ont réduit, j'ai crié vers vous ; du haut de votre
trône, prêtez l'oreille à ma prière. » Tels étaient les
sentiments et les cris de l'aveugle de Jéricho : Cla-
mabat. Quand il demande quel est le bruit qu'il
entend ; on lui répond : « C'est Jé.,us de Nazareth
qui passe » et il est si pleinement convaincu de sa
puissance qu'il ne doute pas un seul instant qu'en
le priant de le guérir, il excitera sa commiséra-
tion et lui accordera ce qu'il désire; voilà pour-
quoi il lui dit : « Jésus, fils de David, ayez pitié de
moi! »
La confiance de l'aveugle en Jésus-Christ est donc
bien grande, puisqu'il espère en obtenir un miracle.
C'est de cette même confiance que nous devons être
animés toutes les fois que nous nous présentons
devant notre libérateur. Nous devons tout attendre
de sa miséricorde, puisqu'il est aussi puissant que
nous sommes faibles. Quand donc le Seigneur pas»
232 DOMINICALES D UN CURÉ DE CAMPAGNE
sera près de nous, soit par une inspiration secrète,
soit par une prédication touchante, soit par un
exemple édifiant qui nous émeut, soit pai toute
autre manière, allons à lui, exprimons-lui nos désirs
par une prière simple, mais brûlante comme celle
de l'aveugle de Jéricho.
Et ceux qui allaient devant le reprenaient et lui
disaient de se taire ; mais il criait encore beaucoup
plus fort : « Fils de David, ayez pitié de moi ! » Dès
qu'on veut se donner sincèrement au Seigneur, il
faut s'attendre à bien des contradictions de la part
des hommes lâches qui ne manquent pas de s'oppo-
ser à notre dessein et d'y former des obstacles ;
mais ne perdons pas courage, dit saint Augustin, si
nous persévérons, ces mêmes chrétiens qui nous
blâmaient d'abord nous approuveront dans la suite.
Ce peuple qui reprenait le pauvre aveugle en lui im-
posant silence, va tout à l'heure entonner un can-
tique de joie et de reconnaissance à l'occasion de sa
guérison. Ainsi, mes frères, malgré les difficultés
qui nous environnent et les tentations qui nous
assiègent, prions, prions beaucoup. Plus les obsta-
cles grandissent, plus aussi doivent grandir nos
efforts. Alors notre prière ira jusqu'au cœur de
Jésus qui fera pour nous ce qu'il a fait pour
l'aveugle.
Alors Jésus s'arrêta et commanda qu'on le lui
amenât, et s' étant approché, Jésus lui demanda :
« Que voulez-vous que je vous fasse ? » L'aveugle
répondit : « Seigneur, faites que je voie ; et à l'ins««
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 233
tant même il vit. Voilà l'efficacité de la prière qui
émane d'un cœur bien disposé. L'aveugle ne
demande qu'une chose, celle qu'il a le plus à cœur
et qui lui semble plus importante que toutes les
autres. Faisons comme lui et disons comme lui :
« Seigneur, faites que je voie le néant, la folie de
tous ces vains plaisirs, ces faux honneurs, ces éphé-
mères richesses dont j'ai été jusqu'à présent si
engoué ; que je voie toute la profondeur de l'abîme
où je me suis volontairement précipité ; que je voie
l'épouvantable danger où m'ont conduit mes crimes ;
que je voie les douceurs attachées à votre service;
que je voie la félicité que vous me destinez, si je re-
viens à vous avec sincérité. » Et le Seigneur nous
dira aussi : « Votre foi vous a sauvé, et une lumière
divine illuminera votre âme. »
Chrétiens, lorsque votre prière aura été exaucée,
n'aurez-vous plus rien à faire? Vous aurez à vous
joindre à la foule pour glorifier le Seigneur et lui
offrir les accents de votre reconnaissance ; vous
vous attacherez comme l'aveugle de Jéricho à votre
divin bienfaiteur ; vous marcherez sur ses traces au
chemin de la vertu et s'il le faut au sentier du sacri-
fice ; et ce bon Maître, après avoir été notre modèle,
sera notre récompense. Amen
nOMUXICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
El LE MEME DIMANCHE
AVEUGLEMENT SPIRITUEL
Les Pères de l'Eglise ont va dans l'aveugle assis le
long des chemins, demandant l'aumône, le symbole
de l'aveuglement spirituel où le péché plonge les
hommes : état déplorable où les vives lumières de
la religion ne frappent plus l'intelligence ; où les
vérités terribles qu'elle enseigne: une mort certaine,
un jugement rigoureux, un supplice sans fin, ne
font plus aucune impression ; où les dogmes les
plus consolants n'excitent plus aucune émotion, au-
cun sentiment. Ces hommes rebelles à la lumière
sont comme l'aveugle au milieu de la nature. Envi-
ronnés de ses merveilles, ils n'en jouissent pas. Leur
âme, fermée comme ses yeux, est devenue de même
insensible, ne reçoit plus aucune impression, ni de
confiance, ni d'espoir, ni de crainte, ni d'amour.
Tels que ce malheureux forcé de rester assis et de
demander l'aumône sur le bord du chemin, ils sont
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 235
dans l'impuissance de rien faire d'utile ; et réduits à
l'inaction, ils le sont aussi à la pauvreté, sans
vertus, sans bonnes œuvres, sans aucun mérite. La
charité de l'Eglise qui leur accorde le secours de ses
exhortations et de ses prières, est tout ce qu'il leur
reste.
Mais parmi tant de malheureux traits de confor-
mité entre l'aveugle de Jéricho et l'aveugle spirituel,
il y a une différence bien plus lamentable encore.
Notre aveugle connaissait son malheur et faisait tout
ce qu'il pouvait pour être guéri, tandis que la plu-
part des pécheurs croient avoir de bons yeux et au
lieu de vouloir guérir de leur aveuglement, ils
aiment leur triste état, et repoussent les remèdes
qui pourraient les guérir. Réfléchissons quelques
instants sur les caractères et les remèdes de la plaie
morale de ces âmes malheureuses.
Caractères de l'aveuglement spirituel.
Gomme Jésus-Christ approchait de Jéricho, il
rencontra un aveugle assis sur le bord du chemin où
il demandait l'aumône : Cœcus quidarp sedebat juxta
viam mendicans. Pour comprendre l'espèce cfe cécité
dont/sont frappés les pécheurs figurés par l'aveugle
236 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
de Jéricho, vous n'ayez qu'à regarder autour de
vous. — N'avez-vous pas été parfois épouvantés de
l'insensibilité de certains hommes pour les intérêts
de leur éternité ? Cette religion, qui a converti le
monde par la sublimité de ses dogmes, n'est pour
eux qu'un amas de grossières rêveries. Cette morale,
qui a ramené sur la terre le règne de la vertu, n'est
à leurs yeux que fanatisme ou superstition. Les
exemples les plus héroïques de vertu, au lieu d'exci-
ter en eux un sentiment d'admiration, ne provo-
quent qu'une dédaigneuse pitié. Les exhortations les
plus touchantes éveillent leur curiosité sans rien
dire à leur esprit ou à leur cœur. Ils commettent
crime sur crime, ils violent les plus saints engage-
ments, ils jouent avec le blasphème, et ils sont tran-
quilles ; ils laissent de côté les devoirs que tout être
raisonnable doit à son auteur ; ils foulent aux pieds
les lois de l'Eglise, auxquelles tout chrétien doit être
soumis ; ils affichent le scandale et l'irréligion, et ils
se croient irréprochables. Quel mal faisons-nous?
disent-ils. A qui faisons-nous tort? Notre conduite
n'est pas plus mauvaise que celle des autres ! Ils
vivent donc sans remords, ils meurent sans inquié-
tude, et ils vont tomber entre les mains vengeresses
d'un Dieu qu'ils ont méconnu ; peut-il y avoir un
état plus épouvantable aux yeux de la raison comme
aux yeux de la foi ?
L'aveugle de Jéricho demandait aux passants pour
soutenir sa triste existence, une aumône souvent
refusée: Mendie ans. C'est le deuxième caractère de
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 237
l'aveuglement spirituel. Au sein de cette Eglise
catholique dépositaire des vérités éternelles, au
milieu de ces torrents de lumière dont le christia-
nisme a inondé le monde, au milieu de tant de
moyens de trouver le repos de l'esprit et la paix du
cœur, ceux qui en sont atteints mendient ! Ils
demandent à la raison des lumières qu'elle n'a pas ;
à la sagesse humaine, la vérité qu'elle ne saurait
donner ; à la volupté, des joies que la volupté
ignore ; au monde, un bonheur que le monde ne
connaît pas.
Dans le besoin de jouissances qui les tourmente,
ces affamés spirituels tendent la main à toutes les
passions, à tous les plaisirs ; chaque passion, chaque
plaisir dépose son aumône, mais ce n'est qu'une au-
mône ; elle peut bien suffire pour soulager, ou plutôt
pour distraire le cœur, un instant, mais ce n'est pas
assez pour satisfaire le besoin qui le dévore ; il reste
donc affamé et voit renaître à chaque instant et ses
besoins et ses souffrances. 11 est toujours mendiant:
Mendicans,
L'aveugle de Jéricho était assis près de la route :
Sedebat secus viam. C'est le dernier trait qui carac-
térise les aveugles spirituels. Ils sont près du sentier
qui conduit à la vérité, à la vertu, à la vie et ils ne
veulent pas y entrer. Méditez cette expression qui
renferme un sens si profond et si vrai : Sedebat, il
était assis. On ne dit pas qu'il fût debout et prêt à
marcher; mais il était assis, il se tenait là dans un
repos stupide, insouciant à tout ce qui se passait
238 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
autour de lui : Sedebat. Cette expression laisse suffi-
samment entendre qu'il se complaisait dans sa mal-
neureuse insouciance, qu'il s'y croyait heureux et
qu'il préférait un indigne repos à un effort généreux
qui eût pu le remettre dans le droit chemin. Voilà
l'image trop vraie de ce qui se passe dans le cœur
des pécheurs dont il est ici question; ils sont hors
de la voie qui conduit au salut; n'essayez pas de les
y faire rentrer. Il leur faudrait, pour cela, se donner
du mouvement, s'instruire de leurs devoirs, résister
à leurs passions, faire au moins quelques efforts,
mais ils aiment avant tout leur repos, et rien ne
peut les déterminer à en sortir. Ainsi la privation de
toute vérité, cœcus, le dénûment de toute bonne
œuvre, mendicans, l'insouciance pour le salut, sedebat,
tels sont les caractères de cette maladie terrible, de
cette plaie morale qu'on appelle l'aveuglement spiri-
tuel. Voyons comment on peut en guérir.
U
Pour guérir l'aveuglement spirituel, la première
chose que doit faire celui qui en est atteint est de
s'instruire de sa religion, d'exposer ses incertitudes
et ses doutes à ceux qui peuvent les résoudre. En
entendant le bruit que faisait autour de lui la foule
dont Jésus-Christ était environné, l'aveugla s'informe
de ce qui se passe : Interrogavit quid esset. Cette noix-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 2°>9
velle est pour son âme un rayon d'espéraDce. II a
entendu parler de Jésus, de son pouvoir, de sa bonté,
de sa tendre compassion pour les malheureux, il
sait qu'il a guéri d'autres aveugles, et même un
aveugle de naissance. Il se gardera bien de négliger
une rencontre si favorable pour lui demander sa
guérison.
Eh bien ! Jésus-Christ passe encore tous les jours
près de vous, et vous négligez, vous refusez même
positivement d'en profiter. Le christianisme passe
près de vous avec ses lois, ses dogmes, ses bienfaits,
ses menaces, ses promesses ; cette multitude qui se
rend dans nos temples vous invite par son exemple
à l'y suivre. Ce temps favorable de l'Avent ou du
Carême vous appelle à des prédications salutaires.
Cette retraite, cette mission, ce Jubilé qui vont s'ou-
vrir, vous présentent de saints exercices. C'est Jésus-
Christ qui s'offre à vous sous toutes les formes, qui
cherche par divers moyens à vous attirer à sa suite.
Il passe même dans vous. Ces remords, ces inspira-
tions, ces pieux mouvements que vous éprouvez,
toutes les grâces en un mot que vous recevez, sont
autant de passages de Jésus-Christ; avez-vous fait
quelques démarches pour profiter de ces précieuses
occasions? Avez-vous travaillé à mériter les biens
qu'il vous promet et à éviter les maux dont il vous
menace? Certes, une éternité heureuse ou malheu-
reuse vaut bien la peine que vous vous en inquiétiez.
L'indiffét-ence ici ne saurait se justifier que par la
folie.
240 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
La deuxième chose à faire pour guérir l'aveugle-
ment spirituel, c'est de prier. La foi est un don de
Dieu; ce don, nous le recevons tous dans le baptême,
voilà ce qui explique la facilité avec laquelle on croit
les plus hauts mystères dans l'âge innocent, et tant
que l'on conserve la pureté du cœur. Mais quand,
par des lectures funestes, par des conversations cou-
pables, par des doutes volontaires, par les égare-
ments des passions, nous avons chassé l'esprit de
foi de notre intelligence, nous ne pouvons le rap-
peler que par des prières ardentes : Clamavit, mise-
rere mei. Vous dites : « Je voudrais bien avoir la
foi. » — Avez-vous crié pour l'obtenir? Ne dirait-on
pas que vous faites une grâce au bon Dieu quand
vous voulez bien lui demander la foi. Méditez donc
cette prière de l'aveugle implorant sa guéiison,
tâchez d'en imiter la ferveur : « Ayez pitié de moi,
Seigneur, fils de David! » Voyez comme il sent son
mal, comme il désire sa guérison, comme il persé-
vère dans sa prière ; ceux qui allaient devant s'effor-
çaient de lui imposer silence, mais sans se décon-
certer de leurs duretés, il criait encore plus fort : —
Imitez-le. Du moment qH3 vous voudrez être à Dieu,
le monde vous blâmera, les préjugés, les habitudes,
les passions, s'efforceront de vous détourner de la
prière; restez-y fidèle, votre guérison, votre salut
sont attachés à votre persévérance (1).
Jésus s'arrête : S tans Jésus. Miraculeux effet d'une
(i) Tiré en partie de l'abbé Larfeuil.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 241
humble supplication animée par la confiance ! Elle
arrête le Tout Puissant, désarme son bras, nous
ouvre son cœur. Mondains aveugles, n'adresserez-
vous pas aussi votre demande à Jésus-Christ? Ignorez-
vous sa puissance et son inclination à faire du bien?
N'entendez-vous pas le bruit de cette multitude qui
va l'adorer dans ses sanctuaires? Interrogez au
moins, cherchez à savoir ce que c'est. On vous
répondra : « C'est le Sauveur qui passe; c'est votre
Dieu qui vous offre le pardon, la paix, une éternelle
félicité; c'est une occasion de salut qui s'en va;
reviendra-t-elle jamais? Qu'allez-vous faire? »
Jésus commande qu'on lui amène l'aveugle. « Le-
vez-vous ! » vient-on lui dire, « il vous appelle ». 0
surprise agréable ! ô joie de l'espérance pour cet
infortuné! il traverse la foule, le cœur agité... Le
voilà en présence du suprême Consolateur : « Quid
tibi vis faciam? » lui dit ce bon Maître. « Parlez, que
désirez-vous que je vous fasse? » « O Fils de Dieu,
mettez-vous donc aussi votre puissance, mettez-vous
tous vos trésors à la discrétion d'un pauvre aveugle
que tout le monde abandonne ? » « Oui, je suis prêt
à lui accorder ce qu'il voudra. » Que va-t-il deman-
der? Qu'auriez-vous demandé à sa place? A quoi
lui serviraient tous les biens tant qu'il sera privé de
la lumière? Pour un aveugle, y a-t-il un plus grand
bien que devoir? « Domine, ut videam. » Jésus lui dit:
« Votre foi vous a sauvé. » Au même instant l'aveugle
voit. Rempli de joie il loue le Seigneur et se met à la
suite du Fils de Dieu. Ainsi, pour être comblé des
l* 14
242 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
dons du Sauveur, il suffît de s'approcher de lui et de
le prier avec foi. Languirons-nous plus longtemps
dans nos infirmités spirituelles, ayant un moyen si
facile d'en être délivrés? Convaincus de nos misères,
jetons des cris vers le Ciel, et malgré l'opposition de
ceux qui veulent nous imposer silence et nous
détourner de nos devoirs, continuons de prier, et
Jésus nous dira aussi : « Mon fils, votre foi vous a
sauvé. » Dès ce moment nous le suivrons avec fidé-
lité et nous aurons le bonheur de régner un jour
avec lui dans le ciel. Amen.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 243
I» DIMANCHE DE CARÊME
ÉVANGILE
Et ce temps-là, Jésus fut conduit par l'Esprit-
Saint ians le désert, pour y être tenté par le démon;
et lorsqu'il eut jeûné quarante jours et quarante
nuits, il eut faim. Alors le tentateur s'approchant,
lui dit : « Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez
que ces pierres se changent en pain. » Mais Jésus
lui répondit : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seu-
lement de pain, mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu. » Le démon alors le transporta dans
fia ville sainte, et l'ayant placé sur le haut du temple,
jil lui dit : « Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous
'en bas ; car il est écrit : il a commandé à ses anges
d'avoir soin de vous, et ils vous porteront entre leurs
mains, de peur que votre pied ne heurte contre
quelque pierre. » Jésus lui répondit : « Il est encore
écrit : « Vous ne tenterez point le Seigneur votre
Dieu, n Le démon le transporta ensuite sur une mon-
tagne très élevée ; et, de là, lui montrant tous les
royaumes du monde avec toute leur gloire, il lui dit:
244 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
« Je vous donnerai toutes ces choses, si, en vous
pro>ternant, vous m'adorez. » Mais Jésus lui dit :
« Retire-toi, Satan, car il est écrit : Vous adorerez le
Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui
seul. » Alors le démon le laissa/et aussitôt les anges
s'approchèrent et le servirent.
HOMÉLIE
Le divin Sauveur venait de donner au monde une
leçon d'humilité et de pénitence, en voulant rece-
voir le baptême des mains de Jean-Baptiste, son pré-
curseur, lorsqu'il fut conduit par l'Esprit- Saint dans
le désert. C'est dans cette profonde solitude, où il
passa quarante jours et quarante nuits qu'il se pré-
para par la prière, la pénitence et la mortification,
aux attaques qu'il devait bientôt subir et à la prédi-
cation de l'Évangile qu'il crevait commencer bientôt.
Ce grand Modèle des chrétiens, sachant que la
tentation ou l'épreuve est la loi commune de l'hu-
manité, a voulu subir lui-même cette loi générale
pour nous mieux montrer comment nous devons
nous préparer à la tentation et nous en assurer le
triomphe. « Ce n'est point, nous dit-il par sa con-
duite, en allant imprudemment au-devant d'un
ennemi qui a juré notre perte, mais en fuyant le
monde dont il se sert pour nous conduire à la per-
dition. » Écoutons l'historien sacré : « Jésus fut
conduit par l'Esprit-Saint dans le désert pour y être
tenté par le démon. » Ces premières paroles de notre
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 245
évangile nous apprennent qu'au lieu d'aller affronter
la tentation, Jésus a attendu que la tentation vmt
l'attaquer. C'est ainsi que nous devons agir nous-
mêmes en nous éloignant des occasions dangereuses
et en recourant à la mortification . Il jeûne quarante
jours et quarante nuits. N'espérons pas, sans ces pré-
cautions, éviter les pièges de l'ennemi. Les saints
n'ont pas employé d'autres moyens. Si Jésus vient
encore au désert pour s'y préparer d'une manière
prochaine au ministère évangélique, c'est pour nous
dire que c'est dans la retraite que nous devons nous
préparer aux grandes choses et aux grands devoirs
que chacun est appelé à remplir. Et si nous n'avons
pas, mes frères, une grande mission à remplir ici-
bas, tous nous avons à subir des tentations plus ou
moins terribles, plus ou moins fréquentes. Gomment
y résisterons-nous avec notre faiblesse native? En
nous y préparant dans le recueillement et dans la
retraite comme Notre-Seigneur, qui nous donne
aujourd'hui un si touchant exemple.
« Et ayant jeûné quarante jours et quarante nuits, il
eut faim ensuite. » Il est une sorte de démon qu'on
ne chasse que par le jeûne et la prière. Voilà les
armes du chrétien dans ces grandes luttes de l'âme
qu'il est appelé à soutenir tous les jours. Pour que
l'âme soit forte, il faut que le corps soit affaibli.
« Lorsqup je suis faible, dit l'Apôtre, c est alors que je
guis fort! car la vertu se perfectionne dans la faiblesse. »
Puis il ajoute : « Je châtie mon corps et le réduis en
servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres
14.
246 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
je ne devienne réprouvé moi-même. » Tons les saints
à son exemple se sont fait un devoir de dompter
leurs corps rebelles, non seulement par le jeûne,
mais par les austérités les plus rigoureuses. Or, si
les saints n'ont pas cru triompher de cet ennemi
domestique sans le mortifier, nous qui ne sommes
que de faibles et malheureux pécheurs, pouvons-
nous espérer de le vaincre en le ménageant et en le
flattant? Non, mes frères, il n'y a que la mortifica-
tion qui pui-se nous rendre victorieux des violents
assauts qu'il ne cesse de nous livrer; et c'est pour
nous faire pratiquer cette mortification que l'Église
nous fait une obligation de jeûner pendant toute la
sainte quarantaine que nous venons de commencer.
Faites-vous donc un devoir d'observer cette loi qui
oblige tous les chrétiens ; ou si les pénibles travaux
qui sont attachés à votre état vous rendent le ji une
impraticable, suppléez à cet exercice de mortifica-
tion en vous privant autant que vous le pourrez de
tout ce qui peut flatter la sensualité de ce corps
rebelle, qui s'élève sans cesse contre l'esprit et qui
devient pour nous un tyran, lorsque nous n'avons
pas soin de le traiter en esclave. Jésus-Christ n'avait
rien à craindre du sien, et s'il l'a mortifié par le
jeûne, ce n'e^t que pour nous donner l'exemple de
la mortification. Ne serions-nous pas entièrement
inexcusables, si nous refusions de l'imiter?
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, ce
divin Sauveur eut faim, et le tentateur s' approchant, lui
dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 247
deviennent des pains. Le Sauveur ne raisonne pas avec
l'ennemi, il n'entame pas d'arguments pour com-
battre la fausseté de sa proposition. Sans contenter
sa vaine curiosité, il lui répond : L'hom%ie ne vit pas
seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la
bouche de Dieu.
Vous voyez le langage que le démon tient à Jésus-
Christ. Il est des tentations du cœur qui nous atta-
quent en flattant notre inclination, et qui nous por-
tent, par de légers commencements aux plus grands
désordres... Notre-Seigneur, au bout de quarante
jours, ayant voulu éprouver la faim, le démon pour
le tenter se présente à lui sous une forme humaine;
le voyant épuisé, il lui propose un moyen pour re-
médier à ses besoins. Vous sourirez, lui dit-il, et cet
aride désert ne vous offre rien; mais vous savez ce
que Dieu peut, vous savez ce que vous êtes; si vous
êtes le Fils de Dieu, commandez que ces pierres devien-
nent des pains. C'est ainsi que le démon profilant de
notre situation, de nos faiblesses et de nos besoins,
examinant notre tempérament, notre humeur, notre
penchant, notre passion dominante, nous excite à
nous satisfaire. C'est par le prétexte du besoin et de
la faim qu'il engage souvent les pauvres à usurper
ce qui ne leur appartient pas, et à changer en pain
ce qu'ils volent aux autres. C'est par la vanité et les
désirs de plaire qu'il conduit cette jeune personne
au milieu du monde et qu'il parvient à la dépraver.
C'est par de légères négligences dans l'accomplisse-
ment de nos devoirs qu'il nous conduit aux plus
248 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
graves prévarications et nous fait arriver à l'iniquité..
C'est donc au premier pas, comme Jésus-Christ,
qu'il faut arrêter l'ennemi de notre âme. C'est au
début de la tentation qu'il faut répondre : L'homme
ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole
qui sort de la bouche de Dieu.
L'Esprit de ténèbres ne se lasse point d'attaquer
notre divin Maître. N'ayant pu le prendre par les
tentations physiques, il a recours à celles de l'esprit
qui flattent l'orgueil et conduisent à l'erreur et à la
présomption. Le démon le prit alors et le transporta
dans la Cité sainte et le mettant sur le haut du temple, il
lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas;
car il a recommandé à ses anges de prendre soin de vous,
et ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous
ne heurtiez le pied contre quelque pierre.
Le démon, déconcerté par la sage réponse que
Jésus vient de lui faire, essaie de le saisir par l'or-
gueil, la vaine gloire, la présomption. L'orgueil peut
avoir plusieurs objets et le démon choisit pour nous
tenter celui qui est le plus analogue à notre nature.
Il nous présente, selon nos dispositions, l'orgueil de la
naissance, l'orgueil des dignités, l'orgueil du pou-
voir, l'orgueil de la considération, l'orgueil des ri-
chesses, l'orgueil de la beauté, l'orgueil des con-
naissances, l'orgueil des talents et jusqu'à l'orgueil
de la vertu et de la piété qui n'est ni le moins com-
mun, ni le moins dangereux. C'est par ce genre
d'orgueil qu'il attaque le Sauveur. Voilà pourquoi il
l'emporte au plus haut du temple et l'engage à se
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 249
jeter de haut en bas afin qu'en ne recevant aucun
mal de sa chute, le monde croie qu'il est véritable-
ment le Fils de Dieu et qu'il deviendra pour le peuple
un sujet d'admiration. Voilà la tentation de l'hon-
neur et le chatouillement de la vaine gloire. Mais que
fait Jésus? Il le confond par une réponse qui ren-
ferme pour nous une profonde instruction : Il lui
rappelle la défense de tenter Dieu; et ce serait le
tenter que d'exiger de lui un miracle pour se con-
server la vie. Ce n'est point par des miracles que
Dieu veut nous conduire au salut ; il a établi un ordre
de choses général et son intention est que nous le
suivions. Regardons comme des tentations du dé-
mon ces idées qui quelquefois nous poussent à nous
jeter dans des voies extraordinaires. C'est nous éloi-
gner du but, que de nous écarter de la route où Dieu
nous a placés. Nous sommes assurés des secours di-
vins tant que nous la suivons avec simplicité; mais
Dieu ne nous doit plus rien dès que nous en sortons
pour suivre celles qui flattent notre orgueil. La voie
commune de l'humilité, de l'obéissance aux supé-
rieurs, de la fuite des occasions, voilà celle qui nous
est tracée et que nous ne pouvons quitter sans dan-
ger. Le démon présente souvent à ceux qui ont fait
quelques progrès dans la piété la même tentation
qu'à Jésus-Christ. Il leur dit : Jetez-vous dans ce
précipice ; ne craignez rien, votre vertu est assez af-
fermie; les anges eux-mêmes viendront, s'il le faut,
à votre secours : entretenez hardiment cette liaison
qui ferait pécher un autre; voyez librement cette
250 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
personne; allez sans inquiétude dans telles et telles
sociétés, où périraient des âmes moins profondément
enracinées dans la vertu ; la vôtre ne fera que s'épu-
rer : Dieu que vous servez si fidèlement, vous y as-
sistera de ses grâces.
D'autres fois, au lieu de vous dire : Jetez-vous en
bas, il nous invitera à monter au-dessus du pinacle,
de chercher la gloire, de briguer tes honneurs, les
emplois, et lorsqu'il nous aura montré les ressorts
à faire jouer pour y parvenir et nous mettre en me-
sure de satisfaire notre orgueil, il nous fera regarder
avec dédain et mépris ceux qui sont au-dessous de
nous. C'est ainsi qu'il nous perdra par l'orgueil et la
vaine gloire.
D'autres fois, pour nous faire perdre le mérite de
nos meilleures actions, il nous fera agir en vue des
louanges et des applaudissements des témoins de
nos bonnes œuvres; c'est ainsi que nous perdons le
mérite de nos jeûnes, de nos aumônes et de nos
prières. Que devons-nous faire pour résister sûre-
ment à ces séductions. Nous devons répondre haute-
ment avec Jésus-Christ : Tu ne tenteras pas le Seigneur
ton Dieu.
Alors le démon sans se déconcerter, le transporte
sur une haute montagne où il étale à ses yeux tout
ce que le monde a de plus séduisant. Il lui en fait
voir la grandeur et la gloire : Tout cela m'appartient,
lui dit-il, je suis le maître d'en disposer, et je vais
vous le livrer à vous-même si vous voulez m'adorer :
Si cadens adoraveris me. Quel blasphème horrible I
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 25i
quelle imposture! quelle perfidie! quelle proposi-
tion! Se substituer à Dieu, être adoré... Voilà ce
qu'il demande à tout homme qu'il porte au mal, et
pour le gagner il a recours à de vains fantômes, à
de chimériques promesses, à de trompeuses illu-
sions; il séduit son imagination et trouble ses sens.
Cet imposteur promet ce qu'il n'a pas. Il montre les
objets les plus agréables : Ostendit omnia régna mundi.
11 les promet : hœc omnia tibi dabo; mais avant de les
donner il veut qu'on se prosterne devant lui pour
l'adorer : Si cadens adoraveris me; c'est-à-dire qu'il
veut se rendre le souverain des cœurs, pour être le
maître de refuser ensuite ce qu'il promet et qu'il ne
peut nullement donner: et c'est cependant par ce&
illusions grossières qu'il séduit encore aujourd'hui
tant de chrétiens : car combien n'en voyons-nous
pas qui, sur les vaines espérances qu'il leur donne
de leur faire part des biens et des grandeurs do
siècle, commencent d'abord par se donner à lui, et
par se prosterner devant lui pour l'adorer, sans que
l'exemple de tous ceux qu'il a séduits, soit capable
de les détromper : Enfants des hommes, jusques à
quand vos cœurs seront-ils endurcis ? Pourquoi aimez-
vous tant la vanité, et d'où vient que vous cherchez
le mensonge? Voyez-vous, de bonne foi, que ceux
qui se rendent les esclaves du démon, en soient
plus heureux et plus fortunés : cet ambitieux se
prosterne devant lui depuis tant d'années, en est-il
plus élevé? Cet avare, le reconnaît pour son dieu, en
est-il plus riche?
252 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
A peine le divin Sauveur eut-il entendu la propo-
sition sacrilège qu'osa lui faire cet esprit imposteur,
en l'invitant à l'adorer et à se prosterner devant lui,
qu'il lui répondit avec un ton de mépris et d'indi-
gnation : Retire-toi, Satan, car il est écrit : Vous ado-
rerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui
seul. Voilà la maxime qui doit nous servir de règle.
Il n'y a qu'un seul maître qu'on doive adorer et ser-
vir. Ce maître est Dieu; et c'est Dieu seul que j'a-
dorerai et servirai.
En opposant ces résolutions et ces sentiments
religieux aux suggestions impies de l'esprit tentateur,
vous le confondrez, vous le mettrez en fuite; et vous
verre? comme Jésus-Christ les douceurs delà paix
remplacer la peine du combat; car, après Ja dernière
réponse de ce Dieu Sauveur, le démon le laissa, aus-
sitôt les anges s'approchèrent de lui et le servirent.
Voilà le dénouement de la tentation du Sauveur.
L'angedéchu se retire, honteux, couvert de coiiiu.sion.
Les anges du ciel se pré>entent et servent au Sauveur
la suave nourriture qui dissipera sa faim. Gracieuse
image de ce qui aura lieu pour nous, mes frères, si
nous combattons saintement les combats du Sei-
gneur. Le démon un jour cessera de nous pour-
suivre, il se retirera définitivement, il ne pourra plus
rien pour notre perte... Et les anges qui nous au-
font protégés pendant la vie, s'approcheront de nous
à la dernière heure, ils viendront nous servir les
dernières consolations que le chrétien espère ici-bas.
ils viendront prendre notre âme pour la porter
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 253
aux célestes demeures de la radieuse éternité;
Amen.
POUR LE MÊME DIMANCHE
Les Tentations, voir le Missionnaire de la campagne,
tome Ier, page 200.
15
II« DIMANCHE DE CARÊME
EVANGILE
En ce temps-là, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean
son t r ère, et les conduisit sur une haute montagne,
à l'écart. Et il fut transfiguré devant eux ; sa face
resplendit comme le soleil, et ses vêtements devin-
rent blanc^ comme la neige. Et voilà que Moïse et
Élie leur apparurent, s'entretenant avec lui. Or
prenant la parole, Pierre dit à Jésus : Seigneur, il
nous est bon d'être ici; si vous voulez, faisons trois
tentes, une pour vous, une pour Moïse et l'autre pour
Elie. Il parlait encore lorsqu'une muée lumineuse
les couvrit.
Et voici une voix de la nuée disant : Celui-ci est
mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis toutes mes com-
plaisances, écoutez-le. Or, les disciples en entendant
cela, tombèrent sur leur face et furent saisis d'une
frayeur extrême. Mais Jésus s'approcha et les toucha ,
et il leur dit : Levez-vous et ne craignez point. Alors
levant les yeux, ils ne virent plus personne, si ce
n'est Jésus seul. Et comme ils descendaient de la
montagne, Jésus leur commanda disait ; Ne parlez
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 255
à personne de cette vision jusqu'à ce que le Fils de
l'homme ressuscite d'entre les morts.
HOMÉLIE
Mes Frères,
On regarde communément la transfiguration de
Nôtre-Seigneur comme un miracle, et comme un
miracle éclatant; et néanmoins il n'en est rien. Plus
le divin Sauveur se montre avec splendeur et ma-
jesté, plus il se rapproche de son état naturel. Le
véritable miracle, le miracle permanent est qu'il
cache à nos regards pendant trente-trois ans la gloire
dont il est naturellement revêtu. Il ne faut que des
yeux pour voir un Dieu sur le Thabor, il faut la foi
pour le reconnaître dans tout le reste de sa vie. Sa
transfiguration satisfait la raison; son état ordinaire
la confond.
Pourquoi Jésus-Christ s'est-il transfiguré en pré-
sence de ses Apôtres? Pour fortifier leur foi et la
nôtre. Il voulait prémunir les uns et les autres contre
le scandale de sa Passion et de sa mort. Nous de-
vions le voir noyé dans un océan d'opprobres et de
douleurs : il se montre auparavant tout rayonnant
de lumière et de gloire afin que la splendeur de son
premier état balance dans notre esprit l'ignominie
du second, et que le voyant humilié, après l'avoir vu
glorifié, nous soyons persuadé5» qu'il ne souffre que
parce qu'il le veut.
256 DOMINICALES D UN CURÉ DE CAMPAGNE
Jésus-Christ n'admet pas tous ses apôtres au spec-
tacle de sa transfiguration. Il fait un choix des plus
dignes, nous apprenant ainsi que les grâces qui sor-
tent de l'ordre commun ne sont le partage que de
quelques âmes privilégiées.
Tandis que le Sauveur montrait aux trois apôtres
bien-aimés un rayon de sa gloire, Moïse et Élie se
trouvèrent au milieu d'eux et s'entretenaient avec le
divin Maître. De quoi parlaient-ils ? Saint Luc
nous le dit : Dicebant encessum ejus, quem completurus
erut in Jérusalem : il parlait de l'excès de son amour
qu'i. allait accomplir en mourant à Jérusalem. Oui,
c'estde samortquele Sauveur s'entretient avec Moïse
et Elie. Comme elle était le bot de sa mission, elle
était l'objet de toutes ses pensées. Sa mort si cruelle,
si humiliante est encore ce qui l'occupe au sein
même de la gloire dont il est revêtu. Quelle différence
cependant entre Jésus sur le Thabor, et Jésus sur le
Calvaire. Aujourd'hui il apparaît environné de ma-
jesté, plus tard on le verra couvert de blessures,
semblable à un ver de terre; sur le Thabor retentit la
voix du Père Eternel qui le proclame son Fils bien-
aimé, sur le Calvaire le Fils criera avec douleur :
Mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné? Au-
jourd'hui, assisté par les deux plus grands person-
nages de la* Loi, il reçoit leurs adorations, alors il
sera exposé entre deux larrons, aux rires et aux ou-
trages de la multitude. En ce jour les apôtres vou-
draient ne jamais plus se séparer de lui, plus tard ils
l'abandonneront honteusement, et Pierre qui aujour-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 257
d'hui est le premier à manifester son désir de rester
avec lui, alors sera le premier à le renier. Pourquoi,
mes frères, Notre -Seigneur rapproche- t-il deux
choses aussi disparates? C'est pour nous rappeler que
l'ignominie et la gloire, les souffrances et la joie sont
unies comme le principe et la conséquence , et que
les unes mènent nécessairement aux autres.
Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi Notre-
Seigneur fait apparaître Moïse et Eliedans la scène
de la transfiguration? C'est parce que ces deux saints
et illustres personnages représentent et rappellent les
deux grands faits qui ont préparé la venue du Messie:
la loi et la prophétie. Jésus-Christ est le terme- de
l'une et de l'autre : c'était pour préparer le peuple
juif à le recevoir que la loi avait été donnée, c'était
pour l'annoncer que les prophètes avaient parlé. Tout
«hez les Juifs était figure ; tout avait rapport à Jésus-
Christ : préceptes, promesses, cérémonies, sacrifices,
sacerdoce, personnages même, patriarches, justes,
prophètes, tout avait pour objet de le figurer et de le
promettre. Jésus-Christ expirant sur la croix, toutes
les figures sont réalisées, tous les oracles sont ac-
complis, la loi ancienne cesse et la nouvelle com-
mence. Moïse et Elie sur le Thabor reconnaissent
que leur rôle est fini, et qu'avec Jésus va commen
cer pour le monde une ère nouvelle.
Frappés de l'admirable spectacle qui s'offre à leurs
yeux les apôtres sont ravis d'un bonheur ineffable.
Pierre ne peut s'empêcher de l'exprimer avec sa viva-
cité ordinaire : « Seigneur, dit-il, nous sommes bien
258 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
ici, faisons-y trois tentes.» Oui, c'est là, c'est au sein
de la gloire que l'on est bien. Ce n'est même que là
que se trouve le vrai bonheur. Tous ces faux biens de
la terre dans lesquels nous cherchons la félicité ne
donnent que des plaisirs toujours mêlés de peine,
souvent accompagnés de soucis, presque toujours
suivis de regrets. Le bonheur n'appartient pas à ce
monde. Dieu l'a placé au delà des limites de la vie.
Il nous est promis ; il ne nous est pas encore accordé;
nous n'en jouirons qu'à condition de le mériter;
nous pouvons le poursuivre pendant la vie, mais nous
ne l'atteindrons qu'après la mort. En ce moment,
notre âme, dégagée du poids du corps, se trouvera
soudainement en présence de Jésus-Christ rayonnant
d'une gloire plus éclatante encore que celle du Tha-
bor, environné non seulement de Moïse et d'Eiie,
mais de tous les saints de l'ancienne et de la nou-
velle loi, et prononçant sur elle son irrévocable arrêt.
Quelle sera cette sentence? Il ne tient qu'à nous de
la préparer. Notre sort est entre nos mains ; nous
sommes les maîtres de nos destinées éternelles. Tra-
vaillons à les rendre heureuses tant que les temps et
les moyens nous en sont donnés.
Saint Pierre parlait encore, lorsqu'une nuée lumi-
neuse les enveloppa. Et en même temps une voix
venant de la nue disait : C'est là mon Fils bien-aimé
en qui j'ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le.
Nous trouvons ici deux choses : un témoignage
éclatant rendu à Jésus-Christ par son Père en pré-
sence des représentants de la loi ancienne et de la
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 259
loi nouvelle, et un précepte de l'écouter. Dieu rap-
pelle ce qu'il avait déjà fait entendre sur les bords du
Jourdain 2t reconnaît hautement Jésus-Christ pour
son Fils. Il confirme ainsi le dogme sacré, rejeté
avec dédain par l'incrédulité, combattu avec fureur
par diverses hérésies, que Jésus-Christ est la seconde
personne de la Sainte Trinité, engendrée dans l'éter-
nité, née dans le temps; Dieu comme son Père,
homme comme nous.
Et ce Fils bien-aimé, Dieu le Père nous commande
de l'écouter. Ce commandement fait aux Apôtres doit
retentir dans tous les pays et dans tous les temps :il
oblige tout homme venant en ce monde.
Or, Jésus-Christ nous parle d'abord par son Église
à laquelle il a confié, avec le dépôt de son enseigne-
ment, la prérogative de son infaillibilité. Celui qui
vous écoute, dit-il à ses Apôtres m'écoute; celui qui
vous méprise, me méprise, et en moi méprise Celui
qui m'a envoyé. Nous devons donc écouter l'Église,
croire les vérités qu'elle enseigne, rejeter les erreurs
qu'elle condamne et suivre les lois qu'elle pro-
clame.
Cette obligation d'écouter l'Église nous fait un
devoir de repousser tout enseignement qui serait
contraire au sien; de nous prémunir contre toutes
les doctrines suspectes de mensonge ou d'immora-
lité
Jésus-Christ nous parle aussi, et c'est là son organe
le plus direct, par le ministère évangélique, c'est-
à-dire par les évoques et les prêtres ; mais ces repré-
260 DOMINICALES D'EN CURÉ DE CAMPAGNE
sentants du divin Maître, comment les écoutons-nous?
Nous rendons-nous avec assiduité à leurs salutaires
prédications? Et lorsque nous y assistons, quel est
l'esprit que nous y apportons? La parole divine,
hélas! trop souvent nous pèse et nous ennuie, et
nous n'allons pas l'écouter; trop souvent nous la
regardons comme un vrai amusement, et nous n'en
retirons aucun profit. Nous ne l'écoutons pas ou
nous l'écoulons mal, et à cause de cela nous tour-
nons contre nous ce grand bienfait de Dieu; nous
trouvons la mort là où Dieu avait placé la vie.
Jésus-Christ nous parle encore par les saintes pen-
sées, les pieux mouvements qu'il fait naître en nous.
Cette horreur naturelle que vous ressentez pour le
mal, c'est sa voix qui vous engage à le fuir; ce re-
mords qui trouble votre conscience, c'est sa voix qui
vous appelle au repentir; ce désir que vous éprouvez
de faire une bonne oeuvre, de résister à une passion,
de vaincre une mauvaise habitude, c'est sa voix qui
vous pousse au bien, à la vertu; ces mouvements
pieux qui attendrissent votre âme, c'est sa voix qui
vous presse de l'aimer. Dites donc aujourd'hui comme
le prophète : Audiam quid loquatur in me Dominus
meus.
Enfin Jésus-Christ nous parle par les événements.
Tous ceux qu'il fait passer sous nos yeux sont des
leçons. Quand il lance son tonnerre sur les empires,
quand il livre les sociétés aux révolutions, il nous
montre l'instabilité des choses humaines; quand il
renverse les trônes, brise les sceptres, anéantit les
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 261
dignités, déchire les titres, il nous enseigne le néant
des grandeurs terrestres; quand il arrête l'impie, le
libertin, le riche avare, le mondain au milieu de
leurs triomphes, il nous donne un exemple de sa
rigoureuse justice. Par les prospérités honnêtes, il
nous excite à la reconnaissance; par les adversités,
a l'humiliation et à la prière. La rencontre d'un
pauvre nous prêche l'aumône, celle d'une croix la
mortification; un convoi funèbre nous dit que la
mort est à nos portes. Dans l'intérieur de nos mai-
sons, sur les places publiques, dans la solitude,
Jésus-Christ nous parle. Écoutez-le, chrétiens ; n'en-
durcissez pas vos cœurs, mais soyez dociles à sa
voix : Hodiè si vocern Domini audieritis, nolite obdurare
tarda vestra.
Mais ne nous contentons pas d'écouter notre
Maîtr°,; obéissons-lui. Si vous vous contentez, dit
saint Jacques, d'écouter la parole de Dieu sans la
mettre en pratique, vous vous faites la plus dange-
reuse illusion : Estote autcm factures verbi, et non au-
ditores tanlum, fallentes vosmetipsos. Celui qui se con-
tente de l'entendre sans la suivre, ressemble à
l'homme qui regarde rapidement son visage dans
un miroir, il passe, et aussitôt il a oublié les traits
de sa figure; mais celui qui médite sérieusement la
loi divine et la traduit dans ses actes, celui-là sera
heureux par ses œuvres : Hic beatus in facto suo erit.
Les apôtres en entendant la voix qui venait de la
nue furent saisis de frayeur et tombèrent le visage
contre terre, mais Jésus les touchant de la main leur
P.
262 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
dit : « Levez-vous et ne craignez point. » Il y a une
crainte qui est salutaire, qui est le commencement
de la sagesse, et cette crainte-là, non seulement le
Sauveur ne veut pas nous en débarrasser, mais il
désire que nous la conservions, car c'est la crainte
d'un fils qui redoute d'offenser son père, ou d'un
criminel qui tremble devant la sentence que son juge
peut prononcer contre lui. Mais il est une crainte
qui est mauvaise : c'est celle qui nous fait redouter
les maux de la vie présente, car ces maux sont sou-
vent des grâces de la miséricorde de Dieu et rare-
ment les châtiments de son infaillible justice. Il y a
aussi la crainte qui fait éviter le péché simplement
à cause de l'enfer qui doit le punir. Cette crainte
est purement servile. Devant ces deux craintes-là
Jésus-Christ nous dit avec raison : « Ne craignez
pas. » Mettons toute notre confiance en Dieu, mes
frères, soit pour les choses spirituelles, soit pour les
jesoins temporels. Il connaît notre faiblesse, notre
misère, et il est tout disposé à nous venir en aide.
Disons donc comme le saint roi David : In te, Domine,
spe?*avi, non confundûr in œternum. Cette confiance ab-
solue nous méritera d'être transfigurés un jour dans
le ciel et de contempler à jamais Celui qui sera le
principe de notre gloire. Amen.
dOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 263
POUR LE MÊME DIMANCHE
NOUS DEVONS SUIVRE LA VOIX DE JÉSUS-CHRIST
Hic ett Filius meus dilectus in quo
mihi benè Cumplacui : ipsum audite.
Dans l'Evangile de ce jour, Dieu le Père, après
avoir proclamé hautement la divinité de Jésus-Christ
et déclaré qu'il est son Fils bien-aimé, l'objet de ses
complaisances, nous intime l'ordre de l'écouter :
Ipsum audite ; écoutez-le, dit la voix céleste. Ce mot
est important ; comprenons-en toute la portée.
Il signifie prêter l'oreille à la parole de Jésus, l'en-
tendre volontiers, de bon cœur ; il signifie de plus
écouter, méditer ce que l'on entend, en approfondir
le sens t il signifie encore exécuter ce qu'on a
entendo et compris : Ipsum audite. Ecoutez-le l
c'est-à-dire recevez ses enseignements, méditez-le»,
pratiquez-les.
264 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
Ce précepte n'émane point des princes de la terre,
mais du souverain Maître du ciel. Soyons donc
attentifs à cette voix salutaire, et considérons en
combien de manières elle se fait entendre. Jésus-
Christ nous parle :
1° Par les décisions de son Eglise, à laquelle il a
confié, avec le dépôt de son enseignement, la préro-
gative de son infaillibilité. 11 a promis d'être avec
elle jusqu'à la fin des siècles, l'assurant que les portes
de l'enfer ne prévaudraient pas contre elle ; elles pré-
vaudraient, si l'erreur pouvait se glisser dans son
enseignement. Il avait dit auparavant: « Quand vous
prêcherez, ce ne sera pas vous qui parlerez, mais ce
sera l'Esprit de mon Père qui parlera par votre
bouche. » C'est à ses apôtres et, en leur personne, à
tous leurs successeurs, que Jésus-Christ adressait ces
paroles. Elles prouvent évidemment le devoir, pour
tout fidèle, d'écouter l'Eglise et de lui obéir. Vous
devez donc croire avec fermeté les vérités qu'elle en-
seigne, rejeter avec indignation les erreurs qu'elle
condamne, recevoir avec docilité les instructions
qu'elle publie, pratiquer avec exactitude les pré-
ceptes qu'elle dicte. Cette soumission que vous devez
à l'Eglise vous impose l'obligation de repousser loin
de vous tout enseignement qui n'en émane pas, de
rejeter, comme des poisons mortels, toutes les doc-
trines qui ne vous sont pas présentées par elle, de
vous éloigner soigneusement de ces chaires empes-
tées où l'hérésie distribue insidieusement, sous le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES
nom de doctrine évangélique, le mensonge et l'er-
ivur. Rentrez un instant au dedans de vous-même.
L'Eglise est-elle pour vous cette mère chérie dont la
voix ne s'élève jamais en vain ? Prenez-vous pitié de
ses larmes? Cherchez-vous à consoler ses douleurs ?
Vous réjouissez-vous avec elle lorsqu'elle est dans
l'allégresse? Quel respect portez-vous aux pasteurs
de l'Eglise et à vos pères dans la foi? En quels
termes en parlez-vous? Avec quelle docilité acceptez-
vous leur enseignement?
2° Jésus-Christ nous parle par la voix des prédica-
teurs qu'il appelle ses agents, ses ambassadeurs, ses
représentants, ses porte-voix : Pro Christo legatione
fungimur ; ses coadjuteurs dans l'œuvre du salut:
Dei sumus adjutores. C'est ce divin Sauveur qui les
envoie parmi nous pour nous instruire : Sicut misit
me Pater, et ego mitto vos... Evangelizare pauperibus
misit me Pater.., Euntes, docete omnes gentes... Qui vos
audit me audit ; qui vos spernit me spernit.
Le prédicateur est donc l'organe le plus direct qui
nous fait entendre les oracles de Jésus-Christ. Les
exhortations du ministère pastoral sont donc la
parole du divin Maître ; et le Père éternel nous
ordonne de l'écouter attentivement : Ipsum audite.
Ecoutez sa doctrine, pratiquez sa loi, imitez ses
exemples, prenez son esprit, suivez ses maximes.
Sommes-nous dociles à cette voix du Thabor ?
L'avons-nous comprise ? Interrogeons notre con-
266 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
duite. Est-ce Jésus-Christ que nous avons écoulé?
N'est-ce pas bien souvent le démon, le monde,
nous-mêmes, notre humeur et nos passions? Ecou-
tons-nous Jésus-Christ, lorsqu'il nous dit de renon-
ter à ce péché, de rompre cette habitude, de résis-
ter à cette passion, d'étouffer ces mouvements de
notre cœur, de réprimer nos sens, de retenir nos
regards, d'arrêter notre langue; lorsqu'il nous dit de
fuir la dissipation, de nous livrer à la prière, à la
lecture des Livres saints, à la méditation ? Ah !
n'étouffons-nous pas sa voix, ne fermons-nous pas
l'oreille pour ne pas l'entendre, n'y résistons-nous
pas ouvertement lorsque nous l'entendons? S'il en
est ainsi, que faisons-nous du précepte : Ipsum au-
dite? Et quelle responsabilité n'assumons-nous pas
devant Celui qui sera notre juge ?
3° Jésus-Christ nous parle encore par les pensées
saintes qu'il fait naître dans notre esprit. Cette hor-
reur naturelle que nous ressentons pour le mal, c'est
sa voix qui nous engage à l'éviter; ce remords qui
trouble notre conscience, c'est sa voix qui nous
appelle à la pénitence ; ce désir que nous éprouvons
de faire une bonne œuvre, c'est sa voix qui nous y
encourage ; ces mouvements pieux qui attendrissent
notre âme, c'est sa voix qui nous presse de l'aimer.
« J'écouterai, dit le prophète, ce que le Seigneur
daignera dire au dedans de moi. » Nous devons de
même prêter une oreille continuellement attentive
à cette voix qu'il fait pénétrer dans notre cœur. Elle
est douce, et pour être entendue, elle a besoin dètre
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 267
écoutée avec un grand recueillement. Hélas ! com-
bien le défaut de recueillement nous a fait perdre de
salutaires inspirations ! Combien de fois Dieu nous a
parlé, tantôt nous suggérant une bonne action,
tantôt nous détournant d'une mauvaise ; ici, nous
rappelant les préceptes de la loi, là, nous en présen-
tant les promesses ouïes menaces! Et nous, empor-
tés par notre dissipation, nous ne l'avons pas seule-
ment entendu. Nous avons méconnu ses dons,
ignoré ses grâces, été sourds à ses instructions ;
nous en avons été punis par la perte des bienfaits
qu'il nous offrait.
4° Jésus-Christ emploie un autre langage plus sen-
sible que les précédents, et encore moins écouté :
c'est celui des événements. Tous ceux qu'il fait pas-
ser sous nos yeux sont des instructions qu'il nous
donne. Quant il lance son tonnerre sur les empires
et qu'il les bouleverse par des révolutions, il nous
révèle l'instabilité des choses humaines : quand il
précipite du faîte de leur puissance ceux qu'il y avait
élevés, il nous apprend le néant des grandeurs ter-
restres: quand il frappe, au milieu de leur carrière,
et enlève soudainement de la terre des victimes de
sa justice, il nous avertit de la certitude de la mort
et de l'incertitude de son heure. Les exemples de
vertu nous apprennent ce que nous devons faire,
ceux du vice- nous disent ce que nous devons éviter.
Par les prospérités, il nous excite à lui rendre grâces ;
par les adversités, il nous engage à recourir à lui.
La rencontre d'un pauvre est une exhortation à Tau-
2Ô8 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
mône ; l'aspect d'un temple est une invitation à la
prière ; la vue d'une croix est un souvenir de la Pas-
sion. Dans l'intérieur de nos maiso-ns comme au
milieu des places publiques, dans le silence de la
solitude comme dans la dissipation des sociétés,
partout Jésus-Christ nous parle. Il nous parle encore
par les livres de piété aujourd'hui si répandus dans
le monde. Lisez-les avec soin et recueillement ; vous
y découvrirez la voix de Dieu.
Il nous parle surtout au cœur dans la divine com-
munion, quand il se renferme en nous, comme un
ami qui vient s'asseoir au foyer de son ami... Mais
■vous, mes frères, l'écoutez-vous bien? L'écoutez-
vous comme Madeleine quand elle le recevait à
Béthanie, dévorant en quelque sorte les paroles qui
s'échappaient de la bouche divine? Cependant le
Père céleste nous commande de l'écouter et de l'é-
couter attentivement : Jpsum audite.
Mais, insensés que nous sommes ! nous vivons en-
vironnés de ses instructions sans y prendre garde ;
nous marchons à travers ses avertissements, ses
exhortations, ses instances, sans y réfléchir, sans les
apercevoir. Les événements nous frappent, et ils
ne nous instruisent pas; nous en parlons, nous en
Taisonnons, nous en recherchons les causes, nous en
calculons les effets; la seule chose que nous n'y
voyons pas, c'est ce qu'il nous serait le plus utile
d'y voir, ce que Dieu y a mis pour nous instruire,
nous exhorter et nous toucher. Habituons-nous donc
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 269
à reconnaître la voix de Jésus toutes les fois qu'il
nous parle durant le cours de notre pèlerinage ;
profitons de toutes les instructions qu'il nous donne;
c'est à cette docilité qu'est attachée notre sanctifica-
tion et, par suite, notre salut éternel. Amen,
270 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE?
POUR LE MÊME DIMANCHE
LE THABOR ET LE CALVAIRE
Dictbant excessum ej'&s guem
complecturus erat in Jérusalem*
(Luc, ix, 31.)
Sur la montagne du Thabor, en montrant à Moïse,
àÉlie et à trois de ses disciples un coin de sa gloire,
Jésus-Christ leur parlait des ignominies qui l'atten-
daient à Jérusalem, lorsque serait venu le jour de sa
Passion.
Il peut nous paraître étrange, mes frères, qu'au
milieu des splendeurs de sa Transfiguration, le Sau-
veur parle des opprobres de sa mort. Qu'y avait-il
de commun entre le Thabor et le Calvaire? Pourquoi
rapprocher et réunir deux situations si opposées ?
Dans le premier de ces mystères tout est gloire et
délices pour Jésus-Christ : les rayons de sa'divinité
l'enveloppent tout entier et transfigurent son huma-
nité sainte : K* resplenduit faciès ejus sicut sol. Dieu 1©
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 271
t
Père proclame sa divinité et son indéfectible sainteté
en reconnaissant en lui son Fils bien-aimé et l'éter-
nel objet de ses complaisances : Hic est Filius meus
dilectus, in quo mihi benè complacui. Dans le second,
tout est opprobre et souffrance : Ego autem sum ver-
mis et non homo, opprobrium hominum et abjectio pie»
bis. — Foderunt manus meas et pedes meos et dinume-
raverunt ossa mea. Sur le Thabor son visage est
éclatant comme le soleil, la lumière qui l'environne
lui forme un magnifique vêtement : Et vestimenta ejus
facta sunt alba sicut nix; sur le Calvaire il est nu, défi-
guré, ensanglanté : Non est ei neque species neque de-
cor. Dwiserunt sibi vestimenta ejus. Là, le Père éternel
le proclame son Fils bien-aimé, ici, le Fils se plaint
d'être méconnu et délaissé par son propre Père :
Deus meus, ut quid derelicuisti me. Aujourd'hui ses
apôtres ne peuvent s'éloigner de lui : Domine, bonum
est nos hic esse, faciamus hic tria tabernacula ; au jour
de sa mort, ils l'abandonneront tous, et Pierre lui-
même le reniera : Nescio kominem. Cependant, mes
frères, ces deux grands mystères se rapprochent par
des relations profondes et s'éclairent mutuellement.
Méditons ces rapports et prenons garde de ne ja-
mais séparer ces deux grandes choses, le Thabor et
le Calvaire.
1° Le Thabor nous montre la gloire et le bonheur
qui nous attendent au ciel ; le Calvaire nous fait
connaître à quel prix nous pouvons obtenir cette
impérissable couronne. Leur union nous apprend
que sur la terre les douceurs et les amertumes, le§
272 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
consolations et les tristesses, la gloire et l'ignominie
ne peuvent être séparées pour longtemps. Lorsque
Dieu nous donne ses douceurs, ses consolations,
prenons garde de nous enorgueillir, car bientôt arri-
veront les amertumes et les délaissements; la fer-
veur est souvent suivie de la sécheresse, et le goût
des choses de Dieu est fréquemment remplacé par-
le dégoût de ces mêmes choses. Jésus nous donne les
uns pour nous préparer aux autres, comme il a
voulu que sa transfiguration préparât ses apôtres au
scandale de sa passion.
L'union du Thabor et du Calvaire modère nos
joies dans la prospérité; elle nous avertit que le bon*
heur ici-bas est éphémère, et que la Croix seule peut
nous mériter des félicités qui ne passent pas. Mais,
d'un autre côté, nous trouvons dans l'union de ces
deux mystères de quoi nous consoler dans nos
épreuves et nous animer par l'espérance d'une éter-
nelle transfiguration.
Cette union a surtout une force merveilleuse pour
embraser nos cœurs du feu sacré de l'amour di-
vin. Sans la Transfiguration nous serions moins
touchés de la Passion. C'est après avoir contemplé la
grandeur du Fils de Dieu, que nous apprécions
mieux la charité qui l'a fait descendre pour nous
au dernier degré de l'abaissement. S'il n'avait eu
soin de nous révéler sa gloire, aurions-nous pensé
au sacrifice qu'il nous a fait, non pendant quelques
heures seulement, mais pendant tout le cours de sa
vie ? Car, soyons bien convaincus, l'état de Jésus-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 273
Christ sur le Thabor était son état naturel, autant
que des yeux mortels pouvaient en soutenir l'éclat,
et sa Transfiguration ne fut point un miracle, mais
l'interruption momentanée d'un miracle d'amour,
sans lequel il n'aurait pu ni s'humilier, ni souffrir,
ni mourir pour nous. Le miracle permanent était
que Jésus nous cachait sa gloire pour ne pas nous
éblouir et pour arriver au fond de l'abîme des humi-
liations, selon la parole de l'Apôtre : Exinanivit se-
mé tipsum.
2° Mais pourquoi Jésus-Christ n'appelle-t-il à être
les témoins de sa transfiguration que trois apôtres :
saint Pierre, saint Jacques et saint Jean? Première-
ment parce que ces trois apôtres devaient plus tard
être les témoins de son agonie, et le Sauveur, en leur
montrant quelques rayons de sa gloire, a voulu les
prémunir contre le scandale qu'aurait pu leur don-
ner ses défaillances au Jardin des Olives. En second
lieu, ces trois apôtres, par leur caractère distinctif,
symbolisent admirablement les trois catégories de
bienheureux qui auront au ciel une gloire plus
grande : les défenseurs de la vérité les, martyrs et
les vierges, tous ceux, en d'autres termes, qui au-
ront triomphé de l'esprit de mensonge, du démon et
de la chair. Les premiers sont représentés sur le
Thabor par saint Pierre, le maître par excellence de
la Foi, chargé de la défendre et de l'enseigner d'une
manière infaillible à tous les peuples, jusqu'à la con-
sommation des siècles. Les seconds sont représentés
par saint Jacques, qui le premier des apôtres signe
■274 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
de son sang la vérité évangélique. Le* troisièmes
enfin se reconnaissent dans la personne de saint
Jean, à qui Notre-Seigneur, vierge par excellence,
confie la Vierge immaculée, sa mère, parce qu'il était
vierge lui-même : Cui Christus in cruce matrem vir-
ginem virgini cornmandavit. Or, tous les chrétiens,
surtout de nos jours, doivent être les apôtres, les
défenseurs delà vérité. Le temps est venu où chacun
de nous doit faire profession publique de sa foi. En
face de l'incrédulité qui se montre le front haut,
qui s'affiche en tous lieux, qui envahit les lois,
les gouvernements, les tribunaux, les écoles; qui
s'étale dans les livres, les brochures, les journaux,
ce serait un crime pour nous, chrétiens, de cacher
notre foi au sanctuaire de notre conscience, au
loyer domestique même. Nous devons, à l'exemple
des apôtres, de saint Pierre en particulier, la profes-
ser sans respect humain et la défendre dans la me-
sure de notre science et dans le cercle de nos rela-
tions, envers tous ceux qui la blasphèment par
lâcheté ou par ignorance. En affrontant ainsi les
. sarca.^mes, les railleries des incroyants, en nous ex-
posant peut-être à la malveillance de gouvernements,
de *upé"ieurs incrédules, nous couvrirons nos fronts
de l'auréole des martyrs, et nous participerons au
triomphe de saint Jacques et de tous ceux qui ont
donné à Jésus-Christ le témoignage du sang. Nous
aurons notre part aussi à la gloire de saint Jean et
des vierges, en environnant notre chair de la morti-
fication de Jésus-Christ, en résistant à ses convoi-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 275
tises, à ses appétits sensuels. Le sensualisme le plus
brutal nous envahit à la suite de l'impiété, il faut
lui opposer la digue d'une chasteté en rapport avec
notre condition : chasteté conjugale dans le saint
état du mariage, chasteté virginale en dehors de cet
état.
3° Le Thabor et le Calvaire sont deux choses qui
se tiennent; l'un est souvent la conséquence de
l'autre. Jésus nous conduit au Thabor pour nous
préparer au Calvaire, et il nous fait monter au Cal-
vaire pour nous conduire ensuite au Thabor. Et ce-
pendant, combien de chrétiens cherchent à séparer
ces deux grands mystères ! Combien qui seraient
heureux de monter avec Jésus au Thabor, mais qui
refusent de le suivre au Calvaire! Ce sont to'is ceux
que séduisent les illusions d'une vie commode, d'une
dévotion facile. On s'abstient des grands crimes, on
remplit les devoirs les plus rigoureux de la vie chré-
tienne ; mais c'est tout. De contrainte, de mortifica-
tion, de pénitence, de croix, on n'en veut pas.
Comme saint Pierre on veut être avec Jésus-Christ,
on dit comme lui : Bonum est nos hic esse, mais c'est à
la condition que ce sera dans les honneurs et les
délices, au Thabor et non au Calvaire. On veut delà
piété, mais d'une piété qui s'allie avec la recherche
de ses aises : on court après les consolations du ser-
vice de Dieu, mais on en fuit les peines, les amer-
tumes. Quelle chimère ! Quelle dangereuse illusion I
Jésus notre Maître, notre modèle, n'a passé qu~
quelques instants sur le Thabor, et encore il s'y ea&
576 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
occupé de sa croix et de sa mort, et vous voudriez
que votre vie fût un Thabor continuel. La vie entière
de Jésus n'a été qu'un martyre prolongé, et vous
voudriez gue la vôtre fût un festin continuel ? Com-
ment ne voyez-vous pas que vous vous mettez ainsi
en contradiction avec Jésus-Christ et que vous l'o-
bligez ainsi à vous dire : Nescio vos ? Ses exemples
vous montrent la piété dans un sacrifice continuel
de votre esprit, de votre cœur, de votre volonté, de
votre corps, de votre vie; sa doctrine la fait consister
dans ces trois choses : se renoncer, porter sa croix
et le suivre : Si quis vult post me venire, abneget seme-
tipswn, et tollat crucem suam, et sequatur me. Ces trois
mots sont le précis de la morale, et dès lors com-
ment prétendez-vous vivre sans croix? Vous voulez
être le compagnon de Jésus à sa table, mais vous le
délaissez quand il va au désert; vous le suivez volon-
tiers jusqu'à la fraction du pain, mais vous refusez
de boire le calice de sa Passion. Avec le prêtre vous
renouvelez peut-être chaque jour à l'autel la mé-
moire d'un Dieu pénitent, mourant pour nous sur le
Calvaire, mais vous n'entrez jamais sérieusement
dans les pratiques de la pénitence. Ah ! mes frères,
ce n'est pas là l'esprit de Jésus-Christ, et si nous
n'avons pas l'esprit du Sauveur il ne nous compte
pas parmi les siens ; Si quis spiritum Christi non ha-
bet, hic non est ejus. Entrez donc enfin courageuse-
ment dans la voie de la Croix, marchez-y avec per-
sévérance ; c'est le seul moyen d'arriver un jour au
Thabor éternel. Amen.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 277
IIIe DIMANCHE DE CARÊME
ÉVANGILE
En ce temps-là, Jésus chassa un démon qui était
muet, et lorsqu'il eut chassé ce démon, le muet
parla, et le peuple en fut dans l'admiration. Néan-
moins il y en eut quelques-uns qui dirent : « C'est par
Belzébuth, prince des démons, qu'il chasse les dé-
mons. » Et d'autres, pour le tenter, lui demandaient
un prodige dans le Ciel; mais Jésus, connaissant
leurs pensées, leur dit: « Tout royaume divisé contre
lui-même sera détruit, et toute maison divisée
contre elle-même tombera. » Si donc Satan est divisé
contre lui-même, comment son royaume pourra-t-
il subsister? Cependant vous dites que c'est par
Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos
enfants les chassent-ils? C'est pour cela qu'ils seront
eux-mêmes vos juges. Mais si c'est par l'esprit de
Dieu que je chasse les démons, assurément le
royaume de Dieu est parmi vous. Lorsque le fort
armé garde sa maison, tout ce qu'il possède est en
sûreté. Mais s'il en survient un autre plus fort que
i. 16
278 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
lui, qui le renverse, il lui enlèvera toutes ses irmes
dans lesquelles il mettait toute sa confiance, et il
partagera ses dépouilles. Celui qui n'est point avec
moi, est contre moi; et celui qui n'amasse point
avec moi, dissipe. Lorsque l'esprit immonde est
sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cher-
chant du repos, et il n'en trouve point; il dit alors :
Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti. Il
y revient, et la trouve nettoyée et parée. Alors il s'en
va prendre avec lui sept autres esprits plus méchants
que lui, et entrant dans cette maison, ils y demeu-
rent, et le dernier état de cet homme devient pire
que le premier. Or, il arriva, comme il disait ces
choses, qu'une femme du peuple élevant la voix lui
dit : heureuses les entrailles qui vous ont porté et le
sein qui vous a nourri ! Jésus lui répondit : « Heu-
reux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et
la pratiquent! » (Saot Luc, xi, 14-28.)
HOMÉLIE
La seconde année de sa prédication, Notre-Sei-
gneur, après avoir donné à ses apôtres une impor-
tante instruction sur la prière, revint dans sa de-
meure ordinaire de Capharnaùm; mais la foule s'y
porta en si grand nombre que ni lui, ni ses apôtres
ne pouvaient même prendre leur repas. Sur ces en-
trefaites on lui présenta un possédé que le démon
rendait jveugle et muet et il le guérit, il le délivra à
la fois du démon et des maladies corporelles dont le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 279
malin esprit était sans doute la première cause, de
sorte que le malade voyait et parlait.
L'état de ce malheureux affligé de trois maux à la
fois, était bien triste. Il ne fallait rien moins qu'un
miracle pour l'en retirer; aussi était-ce le miracle
que le peuple attendait de Jésus en lui présentant
cet infortuné.
Ce possédé rendu muet par le démon nous offre
l'image du pécheur coupable d'une faute mortelle.
Par son péché il appartient au démon dont il est
l'esclave; il est en sa possession invisible, il est
vrai, mais réelle.
Le pécheur est aveuglé sur l'état affreux de sa
conscience, sur les périls de cet état, aveuglé sur
l'énormité des péchés qu'il a commis, sur l'état mi-
sérable de son âme, la honte de ses passions cou-
pables; sur les suites funestes de son péché, dans
cette vie et bien plus encore dans l'autre.
Il est muet pour prier, muet pour s'accuser, muet
pour glorifier Dieu. Le Seigneur, du haut du Ciel
entend les pécheurs qui l'invoquent du plus profond
de leur cœur pour lui exposer leurs misères. Quand
ils crieront vers moi, je les exaucerai, nous dit-il par
la bouche du prophète Jérémie; mais pour en être
entendu, il faut lui parler. Combien qui restent
muets, et s'ils parlent, ce n'est qu'à des confidents
de leurs passions, propres à les y entretenir ou à
leur fournir des moyens de les satisfaire.
Pour recevoir la rémission de ses péchés et être
purifié de toute iniquité le pécheur doit les confes-
280 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
ser ; car, dit l'Apôtre, s'il faut croire de cœur pour ob-
tenir la justice, on doit confesser de bouche pour obtenir
le salut. Or, comme le démon craint que ceux qui lui
sont assujettis lui échappent, il les éloigne du tri-
buna delà pénitence, ou bien il leur ferme la bouche
par la dissimulation dans l'aveu de leurs fautes.
Mais les ravages du démon muet ne sont jamais
plus déplorables que quand il enchaîne la langue
des pères, des mères, des supérieurs chargés par
état d'avertir, de reprendre, d'instruire et de cor-
riger. Les uns et les autres sont obligés de prendre
en main la cause de Dieu et du prochain. Le seul si-
lence dans ces graves circonstances est souvent un
crime énorme et une cause de grands maux. Il est
plus funeste que celui que gardait le muet de notre
Évangile; et il vaudrait mieux être privé de la faculté
de parler que de ne pas en user, quand on le peut
et qu'on le doit. Dans le premier cas, on n'est que
malheureux, mais dans le second, l'on se rend cou-
pable, l'on pèche, et il n'y a point d'aussi grand mai
que le péché. Rentrons donc en nous-mêmes, exa-
minons l'état de notre âme et voyons si nous avons
parlé toutes les fois que nous y étions obligés. Si
jusqu'ici nous avons gardé un fatal silence, deman-
dons à Notre- Seigneur de délier notre langue comme
au possédé de notre Évangile et de nous donner le
courage de parler à propos toutes les fois que le de-
voir l'exige.
Mais pendant que tout le peuple, témoin de la
guérison du possédé, s'écriait avec admiration :
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 281
N'est-ce point là le fils de David, le Sauveur promis que
nous attendons? les pharisiens disent : C'est pat
Belzébuth, prince des démons, qu'il chasse les démons.
Voilà le langage dicté par l'envie et l'incrédulité.
Parce que ces ennemis irréconciliables du Fils de
Dieu ne peuvent contester la vérité des faits, ils blâ-
ment la manière dont ils sont produits et empoison-
nent le principe d'où ils émanent.
D'autres, pour le tenter, demandaient qu'il fît un
miracle dans le ciel. Était-ce pour croire qu'ils de-
mandaient de nouveaux prodiges? Mais ils en avaient
déjà tant vu! Le Sauveur n'avait pas seulement
chassé les démons en leur présence, mais il avait
aussi guéri les lépreux, ressuscité les morts, apaisé
les flots d'une mer irritée et remis les péchés des
hommes. Ce n'était donc pas pour croire qu'ils de-
mandaient de nouveaux miracles, mais pour le ten-
ter. S'il en avait opéré de nouveaux et de plus écla-
tants ils les auraient attribués à des causes purement
naturelles ou à la magie.
Et aujourd'hui encore, mes frères, nous rencon-
trons des incrédules, de prétendus esprits forts qui
disent : Donnez-nous des miracles, montrez-nous
des prodiges et nous croirons. Des miracles, mes
frères, il en est un permanent, perpétuel, de premier
ordre, c'est l'existence de l'Église, de cette Église
qui n'a point de soldats pour se défendre, d'armées
pour étendre au loin ses conquêtes; de cette Église
qui est toujours attaquée, toujours persécutée, de
cette Église dont on sonne si souvent le glas funèbre,
16.
282 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
dont on annonce si haut les prochaines funérailles,
et qui, malgré cela est toujours debout, toujours
forte, toujours belle, toujours victorieuse de ceux
qui avaient annoncé sa ruine et juré sa mort. Ah!
plaignons ceux qui ne veulent pas voir ce merveil-
leux prodige.
Jésus connaissant leurs pensées, leur dit : Tout royaume
divisé contre lui-même sera détruit et la maison s'écrou-
lera sur elle-même. Si donc Satan est divisé contre lui»
même, comment son royaume subsistera-t-il? Cependant
vous dites que c'est par Belzébuth que je chasse les dé-
mons. Ici, Jésus ne répond point aux paroles des
pharisiens mais à leurs pensées. Or, qui peut péné-
trer les pensées? Dieu seul. Il leur prouve donc
ainsi sa divinité: mais indépendamment de cette
preuve il leur fait voir qu'il y a inconséquence dans
leur raisonnement. Si donc Satan est divisé contre
lui-même, ajoute- t-il, comment son règne subsistera-
t-il? Pour qu'il pût subsister, il faudrait qu'il fût
vrai; mais s'il est vrai comme vous le prétendez,
qu'étant possédé moi-même du démon, je chasse
les démons, il est visible que les démons se combat-
tent, qu'ils sont opposés les uns aux autres, et que,
par conséquent, leur puissance étant divisée contre
elle-même elle ne pourra plus subsister.
Ce raisonnement que saint Jean Chrysostôme met
dans la bouche de Jésus-Christ était bien propre à
faire sentir à ses ennemis qu'en le calomniant ils se
contredisaient eux-mêmes ; mais pour les convaincre
encore mieux, il leur cita l'exemple de leurs exor-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 283
cistes, désignés sous le nom de leurs enfants, approu-
vés par les scribes et les pharisiens et qui, eux aussi,
au nom du vrai Dieu, conjuraient les démons et les
chassaient. Or, répond Jésus-Christ, je fais ce que
font vos disciples, c'est le même Dieu qu'ils invo-
quent, et que je reconnais; c'est par lui et par sa
vertu que je chasse les démons. Vous adoptez ce
que font vos enfants, pourquoi refusez-vous donc de
reconnaître ce que je fais? Cest pourquoi ils sei'ont
eux-mêmes vos juges, et ils prouveront que tout ce
que vous avez dit contre moi, n'a été dicté que par
l'envie et par la partialité.
Et il leur dit encore : « Si vous étiez justes et
équitables, vous verriez que c'est par le doigt de Dieu
que je chasse les démons, et vous en concluriez que le
royaume de Dieu est venu jusqu'à vous; puisque ce
n'est que pour l'établir parmi vous que j'ai été in-
vesti du pouvoir de chasser les démons, et que les
miracles que j'opère au nom de Dieu, sont une
preuve que c'est Dieu qui m'a envoyé. »
Pour leur faire sentir encore mieux c'jtte vérité, il
ajouta : « Lorsqu'un homme fort et bwn armé garde
sa maison, tout ce qu'il possède est en sûreté; mais
s'il en survient un plus fort que lui, qui le surmonte,
il enlèvera toutes ses armes dans lesquelles il mettait
toute sa confiance, et il partagera ses dépouilles. »
Cet homme fort et bien armé dont parle ici l'Evan-
gile, c'est le démon qui s'était emparé de l'esprit et
du cœur de l'homme, où il avait établi sa demeure et
OÙ il régnait en paix. Mais Jésus-Christ, plus fort
284 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
que l'esprit des ténèbres, l'en a chassé; il Ta dé-
pouillé de ses armes; il l'a vaincu, et nous a appris
à le vaincre nous-mêmes. Profitons de ces leçons
ainsi que de ses exemples, et puisque nous avons
été délivrés de l'esclavage de Satan, ne nous atta-
chons plus qu'au divin Libérateur qui nous en a ti-
rés, en nous mettant au nombre des enfants de Dieu :
Car il faut nécessairement choisir entre lui et le
tyran infernal dont il est venu détruire l'empire.
Celui qui ri est pas avec moi, nous dit-il, est contre
moi, et celui qui n'amasse point avec moi dissipe. Que
de leçons dans ces quelques paroles ! Comprenez-
vous qu'il n'y a pas ici de milieu possible et qu'il
faut de toute nécessité être avec Jésus ou contre Jé-
sus. Que penser après cela de ces demi-chrétiens
qui veulent accorder ensemble dans leur cœur Jésus-
Christ et le démon, l'Evangile et le monde? Qui con-
sentent à remplir quelques-unes des pratiques du
christianisme et qui se permettent aussi ce que ré-
prouve la loi de Dieu? Qui viennent dans nos églises
pour y participer à nos offices et à nos prières, et
qui fréquentent les lieux de plaisir où ils boivent à
longs traits à la coupe des voluptés coupables; qui,
pendant les dernières semaines de Carême, feront
trêve avec les joies profanes et qui les reprendront
bien vite aussitôt que le devoir pascal aura été rem-
pli? De tels chrétiens sont-ils avec le Sauveur? Non,
mes frèr^i, il sont contre lui; ils ne comptent pas
parmi ses véritables disciples, et si quelquefois ils
donnent au Sauveur un baiser passager et rapide,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 285
ah! qu'il est à craindre que ce baiser ressemble à
celui que le Sauveur reçut au Jardin des Oliviers. Et
que devient celui qui n'amasse point avec Jésus-
Christ? Il dissipe, il reste les mains vides. Sans
doute, il peut amasser de riches trésors, accroître
et multiplier ses domaines.... et quand même il ga-
gnerait l'univers tout entier, à quoi bon, s'il vient à
perdre son âme? Et c'est là le dénouement d'une vie
passée loin du Sauveur; cette vie est nulle, stérile;
elle n'a rien produit pour le Ciel, elle n'a rien amassé
pour l'éternité.
Quand l'esprit impur est sorti d'un homme, il s'en
va par les lieux arides, cherchant du repos ; et comme
il n'en trouve point, il dit : « Je retournerai dans ma
maison d'où je suis sorti. » D'après les Pères, Jésus-
Christ prédit ici l'aveugtement des Juifs devenus
l'opprobre et le mépris de toutes les nations. L'es-
prit impur était sorti de leur cœur quand ils reçu-
rent la loi divine, mais depuis qu'ils ont méconnu
Jésus-Christ et qu'ils ont blasphémé contre lui, ils
sont possédés aujourd'hui d'un plus grand nombre
de démons. Laissons ce peuple déicide dans son
aveuglement et occupons-nous de nous-mêmes.
D'après ce que nous dit Jésus-Christ, il ne suffit
pas d'être rentré dans la voie du salut, il faut y per-
sévérer. Ce n'est pas assez d'avoir chassé de notre âme
l'esprit impur, il faut l'empêcher d'y revenir. Après
notre victoire sur le démon, nous nous endormons,
mais le démon veille; nous nous livrons au repos et
il ne se repose jamais : nous ne pensons plus à lui,
286 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
il ne cesse de s'occuper de nous; nous restons tran-
quilles, il agit sans cesse. Il rôde sans trêve autour
de la maison qui fut son domaine. Il observe le côté
mal gardé pour y rentrer par surprise, le côté faible
pour s'en emparer par force. Avons-nous raison de
yods dire : « Vigilate et orate. » Veillez toujours, car
le démon ne sera pas seul à travailler à votre ruine;
sept autres esprits plus méchants que lui uniront
leurs efforts aux siens. En vous tenant sur vos gardes,
vous vivrez et vous mourrez dans la grâce de Dieu
et dans son saint amour. Ainsi soit-il.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 287
POUR LE MÊME DIMANCHE
MUTISME SPIRITUEL
Et er,t ejiciens dœmonium et ilbtd
erat mutuum. (Luc, xi, 15.)
11 chassa un démon qui était muet.
Cet homme de notre Evangile que le démon ren-
dait muet et qui était en même temps aveugle, est
la figure triste mais vraie des effets que le péché
opère dans les âmes. Le péché non seulement nous
rend aveugles en fermant nos yeux aux merveilles de
la religion, non seulement nous rend sourds à la pa-
role divine, mais il nous rend aussi muets, en liant
notre langue et en l'empêchant de servir aux objets
pour lesquels Dieu nous l'a donnée. Le muet spiri-
tuel n'a pas perdu l'usage physique de la parole,
mais il en a perdu l'usage moral. La parole nous a
été donnée pour prier, pour confesser nos fautes et
pour glorifier Dieu; examinons dans cet entretien
comment le mutisme spirituel nous empêche de
remplir ce triple devoir.
288 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Le démon muet nous empêche de prier. La prière
est l'arme que la religion met entre les mains du
chrétien pour le faire triompher de tous les obstacles.
Les effets en sont admirables : Toute-puissante sur
le cœur de Dieu, elle fait tomber la foudre de ses
mains vengeresses, elle ouvre le trésor de ses miséri-
cordes. — Soutien de notre pèlerinage ici-bas, elle
nous donne la force de remplir tous nos devoirs,
nous console dans les épreuves de la vie, nous ob-
tient le succès de nos entreprises. — Aliment de la
vie chrétienne, la prière est à l'âme ce que le pain
est au corps. Une âme bien nourrie par la prière est
une âme forte et énergique dans le bien; comme
aussi celle qui ne fait pas un usage fréquent de ce
pain spirituel est faible et sans courage : « Mon cœur
est desséché et mon âme languissante, s'écriait le pro-
phète, parce que je lui ai refusé le pain de la prière. »
Le démon sait très bien que notre sanctification
dépend de notre fidélité à la prière, et le premier
objet de ses efforts est de nous en éloigner. Aussi,
qu'arrive-t-il? Hélas ! vous le savez peut être par
votre propre expérience ; à l'âge où un chrétien fait
son entrée dans le monde, où les passions se déve-
loppent avec violence, où les écueils deviennent plus
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 289
nombreux, il éprouve un dégoût presque insurmon-
table pour la prière. — Autrefois la prière lui était
facile, les saints exercices de la piété étaient pour
lui pleins de douceurs. Au jour de l'épreuve, tout
est changé; il faut qu'il se fasse violence pour épan-
cher son âme dans l'oraison : plus il cède à ce dé-
troût, plus il augmente; et en perdant ses relations
avec Dieu, l'âme a perdu toute son énergie pour le
bien.
Comment arrive ce changement? On peut en si-
gnaler plusieurs causes. Il y a d'abord les passions,
et, par ce mot, il ne faut pas entendre précisé rient
ces commotions violentes qui bouleversent l'âme
usque dans ses profondeurs; mais tout sentiment
qui, habituellement, dissipe l'esprit et agite le cœur :
la préoccupation trop vive pour les intérêts même
les plus légitimes : pour l'étude, pour notre avenir;
les attache* trop sensibles qui, en rapprochant le
cœur de la créature, Téloignent et le dégoûtent
de Dieu; les lectures romanesques et des pensées
plus romanesques encore; l'habitude des plaisirs
du monde; elle engendre des dégoûts tout mon-
dains, qui remplacent bien vite le goût des choses
de Dieu, elle fait naître des pensées frivoles, riantes,
qui exaltent l'imagination, flattent les passions mau-
vaises. Lorsqu'elle n'a pas su résister à la voix de
ces sirènes, l'âme en devient l'esclave; elle veut en
vain s'occuper de Dieu. Semblable à un cheval rétif
qui se refuse à une direction opposée à ses allures
ordinaires, l'imagination, habituée à courir la bride
h 17
290 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
sur le cou, se roidit contre des pensées qui ne lui
sont point familières. Si donc vous voulez conserver
l'esprit de prière indispensable au soutien de la vie
chrétienne, entretenez en vous la pensée de Dieu
par des retours fréquents vers lui, une grande vigi-
lance à éviter les écarts de votre imagination et la fi-
délité à résister aux entraînements de votre cœur.
L'avez-vous fait jusqu'ici, êtes-vous résolu à le faire
désormais?
Le deuxième devoir du chrétien c'est la confession
de ses fautes. Après la prière, rien de plus impor-
tant, pour le soutien de la vie chrétienne, que la con-
fession fréquente. L'âme y trouve des grâces de force
dans la vertu du sacrement, des grâces d'encoura-
gement dans les avis du confesseur, des grâces de
lumière dans l'examen de conscience.
La pensée seule qu'il faudra confesser sa faute est
lin puissant motif pour l'éviter; de là, les efforts du
démon ttses artifices pour nous en éloigner. La ré-
pugnance pour la confession se fait sentir le jour
même où commence le dégoût de la prière. Tant
que le coeur est pur, qu'il est libre de toute affec-
tion au péché, la confession e;t douce, facile; on est
fidèle à l'appel du confesseur. Devient-on coupable?
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 201
Ton éprouve des disposions toutes contraires.
Ainsi l'on abandonne la confession, précisément au
moment où elle serait plus nécessaire.
Les ruses dont le démon se sert pour nous éloi-
gner d'un moyen si puissant de persévérance sont
nombreuses : la première, c'est le découragement.
Il nous fait entrevoir tant de difficultés dans la per-
sévérance ; il nous montre la piété sous un aspect
si sévère; il nous effraye tellement parla vue des
combats qu'il faudra livrer, des victoires qu'il faudra
remporter, que nous jetons bas les armes en nous
écriant les larmes aux yeux : « Jamais je ne pourrai
me sauver ! » Nous oublions que si le cœur hu-
main ne peut rien par lui-même, il est tout-pubsant
avec le secours de la grâce. Ah! sans doute, seuls
nous ne saurions rester vertueux, mais aussi
pourquoi compter sur nous-mêmes? Prions avec
plus de ferveur, confessons-nous plus souvent, et
espérons I
Le deuxième motif pour lequel on fuit la confes-
sion, c'est la honte de dire son péché. Ici l'on prend
le change et l'on confond les choses ; il y a de la
honte à faire une chose mauvaise, c'est vrai; mais il
y a de la gloire à avouer qu'on l'a faite ; cet aveu
convient à une grande âme. Un jour que Socrate
parcourait une des rues d'Athènes, il aperçut un de
ses disciples qui sortait d'une maison mal famée ;
celui-ci , confus d'être surpris par son maître,
cherche à se cacher à ses regards. Le philosophe
«'approchant, lui dit : « Mon ami, il y a de la honte
292 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
à entrer là, il n'y en a pas à en sortir. » Du reste, la
honte est l'expiation du péché ; si vous refusez de
rougir au pied de Jésus-Christ dans le tribunal de la
pénitence, il vous faudra rougir devant Jésus-Christ
devenu votre Juge, et en présence de tout l'univers;
choisissez 1
ni
Le troisième devoir du chrétien, c'est de prendre
en main la cause de Dieu et du prochain, quand
l'un ou l'autre est offensé. Ce devoir e<t rigoureux,
on n'y manque jamais quand il s'agit d'un père, d'un
ami, d'un bienfaiteur. Mais Dieu est plus que tout
cela pour nous, comment donc y manquons-nous
quand il s'agit de sa gloire? D'où vient ce silence
qui semble autoriser certains propos impies? D'où
vient ce lâche sourire qui vient se placer sur vos
lèvres, en écoutant des railleries indécentes contre
la religion, ses cérémonies, ses ministres, les per-
sonnes de piété et contre les saintes pratiques de la
piélé elle-même? Ne voyons-nous pas que, par
cette approbation tacite donnée à ceux qui outragent
noire foi, l'objet de nos adorations et de notre
amour, nous faisons acte d'impiété, nous autorisons
les blasphèmes, nous enhardissons les blasphéma-
teurs! Hélas! en parcourant la route du Calvaire,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 293
Jésus rencontre une femme généreuse qui, à tra-
vers les soldats et les ennemis du Sauveur, vient
essuyer le sang et la poussière qui défiguraient sa
face auguste; tous les jours la religion de Jésus-
Christ est défigurée, outragée, couverte de boue,
ne se trouvera-t-il donc pas une âme assez géné-
reuse pour prendre sa défense et la venger de l'ou-
trage ?
Si la religion nous oblige de prendre en main la
cause de Dieu, la charité nous fait un devoir de dé-
fendre le prochain quand sa réputation est compro-
mise. Mais, de même que le respect humain nous
rend muets dans le premier cas, une secrète jalousie
ou une criminelle curiosité nous rend muets dans le
second. Au lieu de fermer la bouche à la médisance,
nous la provoquons, nous l'écoutons avec complai-
sance, et nous devenons responsables de tout le mal
qui se dit et de tout le tort qui se fait.
0 mon Dieu, faites-moi comprendre les devoirs
que m'impose le don de la parole I Puissé-je ne
m'en servir jamais que pour sanctifier votre saint
nom, édifier le prochain et travailler à roa propre
sanctification (1). Ainsi soit-il.
(1) Tiré de l'abbé Larfeuil.
294 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
IVe DIMANCHE DE CARÊME
ÉVANGILE
Jésus étant allé au delà de la mer de Galilée,
qui est celle de Tibé'riade, une grande multitude de
peuple le suivait, parce qu'ils voyaient les miracles
qu'il opérait sur les malades. C'est pour cela que
Jésus se retira sur une montagne où il s'assit avec
ses disciples. Or, la Pâque qui est La fête des Juifs,
était proche. Jésus ayant donc levé les yeux, et vu
venir à lui une grande foule de peuple, dit à Phi-
lippe : « Où achèterons-nous du pain pour faire
manger tout ce monde? » Mais il disait cela pour
réprouver ; car il savait bien ce qu'il devait faire.
Philippe lui répondit : « La valeur de cent deniers
de pain ne suffirait pas pour que chacun en eût un
petit morceau. » Un de ses disciples, André, frère
de Simon-Pierre, lui dit : «Il y a ici un petit garçon
qui a cinq pains d'orge et deux poissons; mais
qu'est-ce que cela pour tant de monde? » Jésus dit :
« Faites asseoir tous ces hommes. » Il y avait en ce
lieu-là beaucoup d'herbe. Ils s'assirent au nombre
d'environ cinq mille. Jésus prit donc les pains, et
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 295
après avoir rendu grâces, il les distribua à ceux qui
étaient assis. Il leur donna de même des deux pois-
sons autant qu'ils en voulurent. Quand ils furent ras-
sasiés, il dit à ses disciples : « Ramassez les mor-
ceaux qui restent, afin qu'ils ne se perdent pas. »
Ils les ramassèrent donc, et ils emplirent douze pa-
niers des morceaux des cinq pains d'orge, qui
étaient les restes de ceux qui en avaient été rassa-
siés. Ces gens-là ayant vu le miracle qu'avait fait
Jésus, disaient : « C'est là véritablement le prophète
qui doit venir dans le monde. » Mais Jésus sachant
qu'ils devaient venir l'enlever pour le faire Roi, s'en-
fuit une seconde fois sur la montagne. (Juan, yi.
4-15.)
HOMÉLIE
Les disciples de Jean-Baptiste ayant enseveli le
corps de leur Maître mis à mort par Hérode, vinrent
trouver Jésus à Capharnaum pour lui faire part de
ce qui venait de se passer. Ce divin Sauveur écouta
avec bonté et attendrissement les circonstances tra-
giques de la mort de son piécurseur, et consola les
disciples affligés. Les apôtres, de leur côté, de retour
de la mission que leur avait confiée le divin Maître
d'aller de ville en ville annoncer la bonne nouvelle
et guérir les malades, vinrent lui rendre compte de
leurs travaux et de leurs succès. Jésus les instruisit
et les encouragea. Voulant ensuite leur donner quel-
ques moments de relâche et leu? ouvrir son cœur
296 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
tout tnûlant de charilé i! leur dit : Venite seorsum in
desertum locum, et requiescite pusillum. Aussitôt ils
prirent le chemin du désert. Les peuples ayant ap-
pris la détermination du Sauveur, accoururent en
foule des villes voisines et marchèrent avec tant de
diligence qu'ils le devancèrent dans ces lieux retirés.
Quand Jé^us fut arri\é sur la montagne avec ses
âi-ciplt s et qu'il connut les besoins de la foule im-
mense qui l'avait suivi, il opéra en sa faveur le
grand miracle de la multiplication des pains, mi-
racle qui n'est qu'une pâle figure d'un miracle plus
étonnant qui s'opère tous les jours au milieu de
nous dans l'Eucharistie.
Ce n'est clone pas sans raison que l'historien sacré
nous fait observer que la Pàque qui est la fête des
Juifs, était proche lorsqu'il opéra cet étonnant pro-
dige : Erat autem proximum pascha, dies festm Judœo-
rum. Comme la Pâque des Juifs était la figure de
celle des chrétiens ; comme nous approchons de
cette fêle, et que Jésus-Christ doit nous accorder
dans le temps que nous la célébrerons, une faveur
infiniment plus précieuse que celle qu'il accorda àla
multitude qui l'avait suivi, l'Église a cru devoir nous
en rappeler par avance le souvenir afin qu^ nous
nous préparions de bonne heure à la bien célébrer,
et à nous rendre dignes autant qu'il est possible, du
pain céleste que nous devons recevoir durant cette
grande so'ennité. Entrons donc, mes frères, entrons
dans les vues de cette Église sainte, et depuis ce
jour, jusqu'à celui où Jésus-Christ viendra habiter
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 297
dans nos cœurs, employons tous nos soins à imiter
la conduite du peuple juif. D'abord que fait ce
peuple? 1° Il désire Jésus et le cherche avec empres-
sement. Quand il apprend que l'Homije-Dieu s'est
embarqué et s'est retiré dans le désert, une foule
immense d'hommes, de femmes, d'enfants, d'in-
firmes se mettent en mesure de le rejoindre. Jésus
voit avec joie cette multitude qui l'avait prévenu et
en attendant que le reste du peuple qui accourait
fût rassemblé, il conduisit ses disciples sur une mon-
tagne voisine oh il s'assit avec eux quelque temps, et
ce fut là tout le repos qu'ils prirent. Jésus ne tarda
pas à descendre dans la plaine où l'attendaient avec
une sorte d'impatieuce cinq mille hommes, sans comp-
ter les femmes et les enfants... Avons-nous la même
ferveur que ce peuple à chercher Jésus et à nous
disposer à le recevoir pour notre nourriture? Quelle
négligence ! quelle lâcheté ! Combien le reçoivent
sans goût, sans désir, sans préparation ! Combien,
sous le moindre prétexte, se dispensent de le rece-
voir I Ah ! la ferveur surmonte tous les obstacles,
elle ne trouve rien de pénible, rien d'impossible.
Jésus ayant levé les yeux sur la multitude de ceux qui
l'avaient suivi, il fut ému de compassion, parce quils
étaient comme des brebis destituées de leur pasteur et qui
le cherchent, dit à Philippe : « Où achèterons-nous du
pain pour faire manger tout ce monde? » Mais il disait
cela pour l'éprouver, car il savait bien ce qu'il devait
faire. Philippe lui répondit : « La valeur de cent deniers
de pain ne suffirait pas pour que chacun en eût un petit
17.
298 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
morceau. o Un de ses disciples, André, frère de Sùu n
Pierre, lui dit : « // y a ici un petit garçon qui a cinq
pains d'orge et deux poissons. Mais qu'est-ce que cela
pour tant de monde? »
Ce petit nombre de pains et de poissons était en
effet une ressource très insuffisante pour subvenir
aux besoins de ce peuple immense ; il devait plonger
dans l'embarras les Apôtres et mettre leur foi à de
rudes épreuves ; mais ce qui est impossible aux sim-
ples mortels ne l'est pas à Dieu. Jésus va le prouver
en faisant trouver l'abondance au sein môme de la
disette.
Alors Jésus dit à ses disciples : « Apportez-moi ici ces
cinq pains et ces deux poissons, et faites asseoir tout le
monde sur l'herbe. » Ils s'assirent au nombre d'environ
cinq mille. Cet ordre étant exécuté, Jésus leva les
yeux au ciel, fit sa prière, rendit grâces à Dieu son
Père du pouvoir qu'il lui avait accordé, et bénit les
pains et les poissons ; ensuite il rompit les pains,
coupa les poissons et les donna à ses apôtres pour
les distribuer. C'est ainsi que Notre-Seigneur affer-
missait la foi de ses disciples, qu'il' leur donnait
l'idée de sa toute-puissance, et les préparait par la
ressemblance des cérémonies au grand mystère qu'il
devait instituer pour être la nourriture du peuple
chrétHn. Nous qui voyons aujourd'hui l'Église ré-
pandue dans l'univers et partagée en grandes trou-
pes, chacune sous des pasteurs particuliers, de qui
elle reçoit le pain céleste, pouvons-nous ne pas voir
ci avec admiration l'image de ce grand événement
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 299
et ne pas en ressentir une douce consolation qui
nous fasse aimer et estimer notre sainte religion?
Les Apôtres distribuèrent les dons de Dieu, et
entre leurs mains, sans qu'ils sussent comment cela
s'opérait, cette miraculeuse nourriture se multiplia
par la bénédiction du Seigneur, de telle sorte qu'ils
eurent de quoi donner à cinq mille hommes, sans
compter les femmes et les enfants, du pain et du
poisson autant que chacun en voulut. Quand ils
furent rassasiés, il dit à ses disciples : « Ramassez les
morceaux gui restent afin qu'ils ne se perdent pas. » fis
les ramassèrent donc, et ils emplirent douze paniers des
morceaux de pains d'orge, gui étaient les restes de ceux
qui avaient été rassasiés.
Vous admirez sans doute, mes frères, la puissance
et la bonté que Jésus-Christ fit éclater en cette occa-
sion, et vous enviez peut-être le sort des Juifs qui
furent les témoins du grand miracle qu'il opéra pour
subvenir à leurs besoins et pour les nourrir. Mais
nous n'avons rien à leur envier et Jésus-Christ se
montre encore plus puissant et meilleur envers nous
qu'il le fut envers eux. Il ne leur donna dans le dé-
sert qu'un pain terrestre et matériel, au lieu qu'il
nous donne dans nos temples un pain céleste et
divin dont celui qu'ils mangèrent n'était que la
figure. Il ne les nourrit qu'avec une substance étran-
gère, au lieu qu'il nous offre pour aliment son corps
etsonsangprecieux.il ne les nourrit ainsi qu'une
seule fois, au lieu qu^il n'est aucun jour où il ne soit
disposé à nous servir lui-môme de nourriture. Le
300 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
pain miraculeux qu'il leur distribua n'était fait que
pour fortifier leur corps, au lieu que celui qu'il nous
offre est destiné à sanctifier nos âmes. Le premier
n'était que le soutien de la vie temporelle, au lieu que
le second est le gage de la vie éternelle. Pouvait-il
nous faire un plus grand don? Pourrions-nous ja-
mais lui en témoigner assez de reconnaissance et
serions-nous insensibles à sa bonté, jusqu'au point
de refuser ce don précieux, ou de ne le recevoir
qu'avec indifférence? Ne serions-nous pas les plus
odieux de tous les ingrats ? Imitons donc la conduite
des Juifs ; et puisque nous sommes encore plus favo-
risés qu'eux, soyons du moins aussi reconnaissants.
Les Juifs nourris dans le désert d'une manière si
rîiiraculeuse furent ravis d'admiration et anittiés par
la reconnaissance ; aussi chacun d'eux s'écriait avec
transport : C'est là véritablement le propl ète qui doit
venir dans le monde, c'est là le Christ^ le Messie
attendu. Après l'avoir reconnu pour tel, us voulaient
le choisir pour leur roi; et si Jésus-Christ se fût
prêté à leurs desseins et à leurs désirs, ils se seraient
tous accordés et empressés à l'élever sur le trône.
Mais pour ne pas leur donner lieu de croire qu'il
devait venir, comme ils se l'imaginaient, établir une
puissance temporelle; pour leur apprendre, au con-
traire, que son règne n'était pas de ce monde, que
ce n'était que sur les cœurs qu'il voulait régner, et
que s'il cherchait à les assujettir à son empire, c'était
pour les faire régner un jour avec lui dans le ciel, il
s'enfuit une seconde fois sur la montagne.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 301
Les Juifs, charnels et terrestres, croyant qu'un
royaume temporel serait du goût du Sauveur, au-
raient voulu, pour lui témoigner leur gratitude,
l'élever sur le trône et le proclamer roi. Mais Jésus,
dont les pensées sont toutes surnaturelles, déconcerta
toutes leurs mesures par la fuite. Et pour montrer
aux Juifs, à ses Apôtres et à nous-mêmes que nous
avons tort de nous laisser éblouir par les richesses,
les plaisirs et les honneurs de ce monde, en voulant
en faire notre royaume au risque de perdre celui du
ciel, il s'enfuit secrètement sur la montagne. Imi-
tons cette conduite du divin Maître. Comme lui, ne
soupirons que pour le ciel, et pour y parvenir,
écartons de nous tout ce qui peut nous flatter, nous
séduire et attacher notre cœur. Éloignons-nous du
tumulte du monde, vivons dans la retraite, appro-
chons-nous de Jésus par la sainte communion. Ce
n'est que pour régner dans nos âmes, ce n'est que
pour établir sa demeure en nous et son trône dans
notre cœur qu'il a institué la divine Eucharistie.
Peut-il y avoir rien de plus glorieux et de plus avan-
tageux pour nous que de nous en approcher souvent?
Si un roi de la terre daignait seulement honorer de
sa présence l'humble toit que nous habitons, nous
nous en féliciterions, nous nous en réjouirions, nous
nous croirions au comble de la joie et du bonheur,
nous soupirerions sans cesse après l'heureux mo-
ment où nous pourrions le recevoir, nous ne négli-
gerions rien pour orner la demeure qu'il aurait
choisie et la rendre agréable à ses yeux ; nous le
302 DOMINICALES D'CN CURE DE CAMPAGNE
recevrions avec tout l'empressement, avec tout le
respect, avec toute l'affection dont nous serions
capables; nous n'oublierions rien pour nous rendre
dignes de ses bienfaits et pour les obtenir. Ah î son-
geons, mes frères, songeons que celui qui veut bien
s'abaisser jusqu'à venir en nous par la communion,
est le Roi des rois et le souverain Maî're de l'univers.
Songeons qu'étant Dieu, il est infiniment plus au-
dessus de nous qu'un souverain n'est au-dessus de
ses sujets. Songeons que les biens qu'il est disposé
à répandre dans nos âmes sont infiniment plus pré-
cieux que tous ceux que nous pourrions recevoir de
la main des hommes ; et faisons du moins pour lui
ce que nous ferions pour un roi de !a terre. Appli-
quons-nous à lui préparer dans noû cœurs une de-
meure où il puisse venir habiter avec complaisance.
Empressons-nous de l'y recevoir, mais ne le rece-
vons jamais qu'avec les sentiments de respect, d'hu-
milité, de reconnaissance et d'amour qu'exigent sa
suprême grandeur et son infinie bonté. Alors il
régnera véritablement dans nos cœurs, et en l'y fai-
sant régner nous mériterons de régner un jour avea
lui dans le ciel. Amen (1).
(1) Tiré en partie de l'abbé Revre.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS FRATIQUES 2Q3
POUR LE MÊME DIMANCHE
SUR LES DIFFÉRENTS SECTATEURS DE JÉSUS
Et sequebatur eum mu/iiludo
i. (Joan., v , 2.)
Mes Frères,
«tétait sans contredit un spectacle bien intéressant
.-jue ces multitudes qui s'empressaient auprès du
Sauveur, s'attachaient en quelque sorte à ses pas, le
suivaient partout où il allait, et oubliaient même de
prendre la nourriture nécessaire. Sans doute, il y
avait dans la personne du Sauveur des charmes qui
attiraient; puis sa doctrine était si admirable et sa
conduite si parfaite! Mais c'étaient surtout ses mi-
racles qui ravissaient les foules et les attachaient à
sa suite : Quia videbant signa quœ faciebat super his
qui infîrmabantur. Tout cela, en apparence, n'a rien
que de naturel et de légitime, et il semble qu'il est
impossible de suspecter les motifs qui inspiraient
ceux qui suivaient Jésus. Et ué anoins nous savons
304 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
par plusieurs endroits du saint Évangile que tous
ces gens-là n'étaient pas mus par les mêmes inten-
tions. Essayons, mes frères, de sonder les cœurs de
ces multitudes; nous y trouverons, à l'égard du Sau-
veur, des dispositions bien différentes qui nous per-
mettront de dévoiler celles qui animent encore
aujourd'hui les différentes classes de chrétiens.
Parmi ces nombreux Juifs qui suivaient Jésus,
même au désert, il y en avait qui étaient mus par
une simple curiosité. Ils avaient entendu dire de lui
des choses si extraordinaires ! C'était un homme
comme jamais on n'en avait vu, un homme qui parlait
comme jamais homme n'avait parlé, un homme en-
coreplus puissant en œuvres qu'en paroles, unhomme
qui guérissait toutes les maladies par un seul mot,
un homme qui commandait en maître à la nature et
même à la mort. On serait donc curieux de connaître
cet homme, de l'entendre, de le voir opérer quelque
prodige. Et c'est ce qui faisait qu'on se mêlait à la
foule. Vous comprenez, mes frères, combien ce désir
de se récréer par un spectacle nouveau était frivole
et indigne de Jésus-Christ. A coup sûr le Sauveur
n'aurait pas dit un seul mot, pas fait le plus petit
miracle pour satisfaire de tels hommes s'ils avaient
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 305
été seul •* aie suivre. Aussi l'Évangile uous dit qu'il
ne fit aucun miracle dans sa patrie à cause des mau-
vaises dispositions de ses compatriotes : Et non fecit
ibivirtules mu'las propter incredulitatem ef/rum. Plus
tard, voyez ce qui se passe au prétoire d'flérode. Ce
prince apercevant Jésus en fut dans une grande
joie : Herodes autem, viso Jesu, gauisus est valde. Pour-
quoi ? Ah ! c'est qu'il désirait depuis longtemps voir
cet homme extraordinaire dont il avait entendu dire
des choses si étranges et qu'il espérait lui voir faire
quelque miracle : Erat enim cupiens ex mu/to tempore
videre eum% eo quod audierat multa de eo, et sperabat
signum aliquod videre ab eo fîeri. Est-ce que le Sau-
veur va contenter les désirs de ce prince? Lui qui a
tant fait pour les petits ne fera-t-il rien pour les
grands ? Ne serait-ce pas le moyen de se rendre
favorable un personnage si puissant, que défaire en
sa présence quelque prodige d'éclat? Non, Jésus
non seulement n'accueillera pas le vœu d'Hérode,
parce qu'il ne procède que d'une vaine curiosité,
mais il montrera combien il le réprouve en gardant
devant ce prince un silence obstiné : Jnterrogabat
autein eum multis sermonibus. At ipse nihil illi respon-
debat.
A côté des simples curieux, il y avait une classe
de sectateurs animés de sentiments plus pervers
encore. C'étaient les scribes, les pharisiens, les
princes des prêtres et tous les ennemis de Jésus.
Tous ceux-là trouvaient dans les paroles et la vie de
Jésus la condamnation de leur propre doctrine et de
306 DOMINICALES D'Ulf CURE DE CAMPAGNE
leurs propres actes; et c'est pourquoi ils auraient
vouiu trouver le moyen de s'en débarrasser. Dans
leur aveugle fureur ils avaient dit : Deleamus eum
de libre vitœ, effaçons-le du livre de vie. Et dans ce
but ils cherchaient une occasion de le traduire de-
vant la justice humaine ; et pour trouver cette occa-
sion ils se mêlaient à la foule qui suivait Jésus, ils
épiaient tous les actes du Sauveur, ils pesaient toutes
sis paroles, espérant le surprendre en flagrant délit
de violation de la loi ou d'enseignement hétérodoxe.
Vous savez, mes frères, que ces ennemis du Sauveur
ont poussé l'audace jusqu'à lui reprocher comme
une transgression de la loi les miracles qu'il opérait
au jour du sabbat, et qu'ils ont fini par le traiter de
blasphémateur parce qu'il se disait le Fils de Dieu.
Mais la curiosité et la haine n'étaient pas heureu-
sement dans tous les cœurs. Un grand nombre
étaient mus par un motif plus pur. Us tenaient à voir
par eux-mêmes si les cho es admirables qu'on disait
de Jésus étaient réelles ; ils voulaient s'assurer qu'il
était véritablement le Messie, l'envoyé de Dieu. Cette
disposition était raisonnable et digne de tout éloge.
Le Sauveur la récompensa en éclairant les intelli-
gences par sa doctrine et ses miracles, et en entraî-
nant les cœurs par la sainteté de sa vie.
Un autre motif qui entraînait le plus grand n ombre
sur les pas du Sauveur, c'était le désir d'entendre ses
instructions et de s'édifier par le spectacle de ses
vertus. Sans doute tous ceux-là ne se prononçaient
pas ouvertement pour Jésus comme les apôtres et
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 307
les soixante-douze disciples. Malgré la haine et les
calomnies des scribes, des pharisiens, des chefs d*
la synagogue, ils croyaient en Jésus, mais la crainte
les empêchait de prendre rang parmi ses disciples.
Us n'osaient manifester leur opinion, mais ils la
portaient dans leur cœur. Leur foi était intimidée,
mais non détruite; faible mais réelle. Avec cette dis-
position ils se confondaient dans la foule que la
curiosité conduisait autour de Jésus, et là, satisfai-
saient à la fois leur croyance et leur frayeur, ils
écoutaient, sans être reconnus, les paroles de vie qui
sortaient de sa bouche.
Enfin il y avait les disciples et les apôtres .qui,
sans crainte et sans respect humain, suivaient Jésus.
Ils reconnaissaient ouvertement en lui le Messie pro-
mis à Adam et aux patriarches, le vrai Fils de Dieu,
Dieu lui-même, se déclaraient publiquement ses dis-
ciples et se faisaient une loi de suivre en tout sa
morale et sa doctrine.
II
Nous retrouvons, mes frères, toutes ces catégories
de sectateurs de Jésus parmi les chrétiens de nos
jours. Us sont nombreux, en effet, ceux qui com-
posent la grande famille chrétienne; ce sont des
multitudes qui se comptent par centaines de millions;
308 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
mais, hélas ! tous ceux qui se rangent sous la hou-
lette du Christ, tous ceux qui ont la prétention de
le suivre, ne sont pas animés des mêmes sentiments.
Voyez ces foules qui se pressent dans nos ru°s aux
jours de dimanche, aux jours de grande solennité
surtout; où vont-elles ? Elles vont au temple, parce
que Jésus est là, parce qu'il doit y parler par l'or-
gane de ses prêtres, parce qu'il doit y accomplir un
grand miracle environné de mystère, il est vrai,
mais accompagné de chants et de cérémonies propres
à frapper les sens. Il y aura là une occasion d'en-
tendre une parole éloquente, des chants bien exé-
cutés, d'y voir des cérémonies bien faites : c'est un
spectacle qui a son mérite; il faut y consacrer une
heure de la matinée, sauf à employer une partie de
la soirée aux spectacles que le monde étale sur ses
places publiques et sur ses théâtres.
Tous ceux qui vont au saint temple, sans doute
n'y apportent pas ces dispositions; mais vous con-
viendrez, mes frères, qu'un grand nombre n'y sont
amenés que par la curiosité. On veut entendre, et
Ton veut voir. Quant à s'instruire, à s'édifier, à
prier, à s'unir au sacrifice du prêtre et de Jésus
Christ, on y pense peu. N'y a-t-il pas là un abus
souverainement déplorable ? Ne vaudrait-il pas
mieux se tenir loin de l'église que d'y apporter de
si détestables dispositions ? Voyez, mes frères, si
votre conscience ne vous reproche pas quelque
chose de semblable, et si elle condamne votre con-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 309
duite passée, donnez-lui satisfaction en vous amen-
dant pour l'avenir.
A coté de ces chrétiens que dirige une sotte
curio^té, il en est d'autres qu'animent des senti-
ments encore plus pervers. Ils lisent l'Ecriture
sainte, les livres de piété, les journaux religieux; ils
vont entendre les orateurs catholiques, les prédica-
teurs de la parole divine ; mais ne croyez pas que ce
soit pour s'instruire des vérités religieuses, pour
apprendre leurs devoirs, pour s'édifier par les
exemples des saints ; non, c'est pour se procurer le
malin plaisir de contredire, de critiquer, de mépri-
ser et les auteurs, et les orateurs, et les prédicateurs
et leurs enseignements, et le culte, et les cérémo-
nies, et l'Eglise, et Jésus-Christ.
Le dogme va contre l'indépendance de leur rai-
son, la morale commande le sacrifice de leurs pas-
sions ; les vertus des bons chrétiens, la perfection
du pi être, la sainteté de l'Eglise, la divinité de Jésus-
Christ, tout cela condamne 1 iniquité et la bassesse
de leur conduite, tout cela leur dit qu'ils sont par-
jures à leur baptême, traîtres à leur foi ; et c'est
pourquoi ils cherchent toutes les occasions de
déverser sur tout cela le flot empoisonné de leurs
sottes railleries, de leurs ineptes critiques.
Ces dispositions perverses ne sont pas cependant
celles du plus grand nombre. Il en est beaucoup qui
lisent nos livres, suivent nos instructions avec le
désir sincère de connaître la vérité, d'arriver à cette
foi raisonnable que recommande l'Apôtre : Rationa-
310 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
bile obsequium vestrum. L'incrédulité toujours injuste,
et qui ne peut attaquer la religion qu'en la calom-
niant, lui reproche d'exiger une foi servile, et d'in-
terdire tout examen. Parce que la foi doit être sou-
mise sur les objets révélés, elle l'accuse d'être
aveugle sur les motifs de la révélation. Non, notre
sainte religion n'empêche paonne d'examiner ses
fondements. Yoici quelle est notre profession. Il est
raisonnable d'examiner si Dieu a parlé par Jésus-
Christ ; mais ce serait le comble de la déraison
d'examiner si Dieu, ayant parlé, il doit être cru.
Loin de défendre qu'on discutât sa mission, notre
divin Maître y encourageait les Juifs. Et quels sont
les témoignages qu'il invoque? Ce sont ceux que de
nos jours nous opposons encore à l'incrédulité. Ce
sont d'abord les miracles qu'il opère. « Les oeuvres
que je fais au nom de mon Père, dit-il, rendent témoi-
gnage de moi et prouvent ma mission divine : Opéra
quœ ego facto, testimonium perhibmt de me, quia Pater
misii me. » Ce sont ensuite les prophéties. «Examinez
les Ecritures, dit-il, vous qui reconnaissez qu'elles
contiennent les paroles de vie. Ce sont encore elles
qui rendent témoignage de moi : Scrutamini scriptu-
ras, quia vos putatis in ipsis vitam habere, et illœ sunt
quœ testimonium perhibent de me. » Ce que le Sauveur
disait aux Juifs nous le disons aux chrétiens chance-
lants de notre époque. Examinez ses miracles, voyez
comment il* sont attestés ; étudiez ses prophéties,
voyez comment elles se sont réalisées. Non, l'Eglise
ne vous défend pas d'examiner les fondements de
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 311
îs.î ctv yances, elle y pousse, au contraire, afin que
la raison \ienne à l'appui de la foi.
Mais cet examen a ses règles et ses bornes. Il doit
être fait dans le désir sincère de connaître la venté,
et avec la ferme résolution de la suivre. Si vous por-
tez dans l'étude de la religion un esprit critique, le
désir de trouver des difficultés qui vous autorisent à
rester dans votre incrédulité et à pactiser avec vos
passions, vous aurez le malheur d'y trouver ce que
vous cherchez. Tandis que l'esprit simple et droit est
récompensé par la conviction que la vérité lui
apporte, vous serez punis par un aveuglement de
plus en plus fort.
Une autre règle essentielle de cet examen, c'est
qu'il soit renfermé dans de justes bornes. Son objet
est de nous faire connaître si Dieu a parlé ; il ne
doit pas aller au delà. Assuré d'avoir entendu la voix
divine, il ne me reste plus rien à discuter ; je n'ai
plus qu'à croire. Ma raison doit se courber devant la
raison divine. Elle ne peut pas déchirer complète-
ment le voile du mystère, mais elle est assez illu-
minée pour savoir qu'elle n'est pas dans Terreur.
Elle peut donc attendre avec patience l'heure où il
plaira à Dieu de l'introduire dans ses splendeurs
éternelles.
Enfin, mes frères, parmi la multitude des chré-
tiens qui ont conservé la foi de leur baptême, il en
est un trop grand nombre qui n'osent pas se mon-
trer ouvertement disciples du Sauveur, qui n'osent
pas manifester leur foi par les pratiques de la vie
.312 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
chrétienne. Esclaves du respect humain, ils cachent
soigneusement leur foi au fond de leur âme, ils s'en
servent au besoin quand le monde ne les voit pas,
ils élèvent leur cœur vers Dieu dans une secrète
prière, mais de faire profession publique de cette
foi, ils n'en ont pas le courage. Aussi, voyez que de
lâchetés ! Ils sont bien aises, et, au besoin, ils
exigent que les membres de leur famille prient en
commun, assistent au divin sacrifice, participent
aux sacrements, observent les lois de l'Eglise, mais
eux se dispensent de tout cela. Croyez-vous que ce
soit par incrédulité? Non, puisqu'ils y poussent les
autres ; mais c'est parce qu'ils n'osent pas. Ils ont
peur d'être raillés par les libertins et les impies. La
peurl la peur 1 voilà, chrétiens ce qui rend un si
grand nombre d'entre vous traîlres à leur foi, par-
jures envers leur Dieu. Ah 1 de grâce, un peu de
courage 1 Vous ne souffririez jamais que l'un de vos
semblables vous jetât à la face ces humiliantes
paroles : « Tu es un lâche, » et vous ne redoutez pas
que votre Dieu vous dise un jour en présence de
tous les hommes : « Tu as rougi de moi devant tes
frères, je te renie devant mon Père. Retire-toi de
moi ; je ne te connais pas. »
Ah î plutôt, mes frères, imitez ces Juifs qui bra-
vèrent la haine des Scribes, des Pharisiens, des
chefs de la Synagogue et s'attachèrent ouvertement
au Sauveur, se rangeant parmi ses disciples ou
devenant ses apôtres. Sans doute, ils eurent à subir
bien des humiliations, bien des persécutions, mais
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 313
ils étaient soutenus par l'espoir d'une éternelle
félicité. Cet espoir ne les a pas trompés, et aujour-
d'hui leurs persécuteurs livrés aux tortures de la
rage et du désespoir, sont obligés de dire : Ergo
erravimus ; nous nous sommes trompés. Insensés
que nous étions ! nous pensions que la vie de ces
disciples du Christ était une folie : Nos insensati vitam
illorum sestimabamus insaniam. Nous étions persuadés
que leur mort serait sans honneur : Et finem Worum
sine honore; mais voilà qu'ils sont comptés parmi les
enfants de Dieu et leur sort est celui des bienheu-
reux: Ecce quomodo computati sunt inter filios Dei et
inter sanctos sors illorum est. Vous pouvez, mes
frères, vous faire une semblable destinée. Rangez-
vous donc parmi ces vrais chrétiens qui ne rougis-
sent pas de Jésus-Christ, qui sont fiers du signe de
leur baptême, qui suivent leur Maître dans l'accom-
plissement des devoirs les plus difficiles, qui savent
triompher des séductions du monde et de l'entraîne-
ment des passions, qui montrent leur foi par leurs
œuvres, encore plus que par leurs paroles, qui
savent défendre cette foi quand elle est attaquée et
qui, au besoin, sauraient mourir plutôt que d'en
renier le dernier article. Ces vrais disciples du
Christ sont peu nombreux, sans doute, mais rappe-
lons-nous que 'e Sauveur n'en eut de son vivant que
soixante et douze; rappelons-nous que s'il y a eu
beaucoup d'appelés, il n'y aura qu'un très petit nom
bre d'élus. Efforçons-nous, mes frères, par une vie
sérieusement et franchement chrétienne, de mériter
I. 18
314 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
d'être de ce nombre, afin qu'un jour, nous aussi,
nous soyons rangés parmi les enfants de Dieu dans
le ciel, et que nos destinées soient celles des bienheu-
reux : Computati sunt inter filios Dei, et inter sancto*
sors illorum est. Amen,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 315
DIMANCHE DE PASSION
ÉYANGILE
Jésus dit aux Juifs : « Qui de vous me convaincra
de péché? Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me
croyez-vous pas? Celui qui est de Dieu, écoute les
paroles de Dieu. Ce qui fait que vous ne les écoutez
pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu. » Les Juifs
lui répondirent : « N'avons-nous pas raison de dire
que vous êtes un Samaritain et un possédé du dé-
mon? » Jésus leur repartit : « Je ne suis point pos-
sédé du démon; mais j'honore mon Père, et vous
m'avez déshonoré. Pour moi je ne cherche point ma
gloire; un autre en prendra soin et me rendra jus-
tice. En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un
observe ce que j'enseigne, il ne mourra jamais. »
Alors les Juifs lui dirent : « C'est maintenant que
nous connaissons que vous êtes possédé du démon.
Abraham est mort et les prophètes aussi ; et vous
dites : Si quelqu'un observe ce que j'enseigne, il ne
mourra jamais. Êtes-vous plus grand que notre père
Abraham qui est mort, et que les prophètes qui sont
morts aussi? Qui prétendez-vous être? » Jésus re»
316 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
partit : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire
n'est rien; celui qui me glorifie, c'est mon Père que
vous dites être votre Dieu, et que vous ne connaissez
pas; mais moi, je le connais, et si je disais que je
ne le connais pas, je serais un menteur comme vous.
Mais je connais et j'observe sa parole. Abraham,
votre père, a désiré avec ardeur de voir mon jour;
il l'a vu, et a été comblé de joie. » Les Juifs lui
dirent : « Vous n'avez pas encore cinquante ans, et
vous avez vu Abraham ? » Jésus leur repartit : « En
vérité, en vérité, je vous le dis, je suis avant qu'Abra-
ham lût au monde. » Là-dessus ils prirent des pierres
pour les lui jeter; mais Jésus se cacha et sortit du
temple. (Jean, viii, 46-59.)
HOMÉLIE
Jésus, étant allé à Jérusalem quelques jours avant
la fête des Tabernacles, parla au peuple juif de sa
mission divine et de l'aveuglement de ceux qui refu-
saient de le reconnaître. 11 leur fit voir ensuite com-
bien ils sont inexcusables de ne pas croire en lui,
puisqu'il est irrépréhensible dans sa personne, dans
sa morale, dans ses dogmes, dans ses miracles.
S'adressant à ses ennemis les plus déclarés il leur
dit : a Quis ex vobis arguet me de peccato? Qui de vous
me convaincra de péché ? » Quelle hardie provo-
cation le Sauveur fait aujourd'hui à ceux qui lui ont
voué une haine implacable ! Il livre à leur critique
sa personne entière, toute sa vie, toutes ses paroles
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 317
et il leur porte hautement le défi d'y trouver aucun
défaut à relever, aucune passion à réformer, aucun
vice à corriger, aucune faute à expier. 11 n'appar-
tenait qu'à Jésus-Christ, Fils de Dieu, le Saint des
saints, la sainteté même de tenir un pareil langage,
de délier ses ennemis les plus acharnés de pouvoir
lui reprocher même la faute la plus légère. Cet
Homme-Dieu avait pris toutes nos infirmités, il s'était
assujetti à toutes nos souffrances; mais il ne permit
jamais que le moindre péché, que la plus légère im-
perfection ternît l'éclat de son âme innocente et
pure.
Qu'il serait à désirer que nous pussions tenir' le
même langage : Quis ex vobis arguet me de peocato?
Mais hélas! tristes et malheureux enfants d'un père
coupable, notre âme a été aussi vite souillée que
réunie à notre corps. Et depuis notre baptême, que
de fois cette âme régénérée n'a-t-elle pas reçu de
mortelles atteintes? Nous sommes donc pécheurs.
Cependant, ohl aberration profonde, aveuglement
inconcevable! ne rencontre-t-on pas des hommes
qui osent dire : « Je n'ai rien à me reprocher ! » —
Vous n'avez rien à vous reprocher? Mais la sainte
Écriture ne nous dit-elle pas : Omnes declinaverunt...
Le juste pèche sept fois le jour? Ne nous déclare-t-
elle pas que celui qui se croit sans péché se fait
illusion et est un menteur?... Donc, ô vous qui
tenez ce langage ou vous êtes dans l'illusion, ou vous
affirmez que le Saint-Esprit s'est trompé.
Vous n'avez rien à vous reprocher ! Êtes-vous plus
18.
318 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
justes que les grands saints ? Or, tous se sont voués à
la pénitence et sont allés se purifier à la fontaine
salutaire du sacrement de la réconciliation. Saint
Paul, ce vase d'élection, avait peur d'être réprouvé
après avoir travaillé sans relâche à la conversion des
autres ; et vous, mes frères, vous êtes sans craintes I
Tous n'avez rien à vous reprocher! Vous n'avez
donc jamais manqué à aucun de vos devoirs ? Inter-
rogez votre conscience î N'avez-vous jamais omis de
fléchir le genou pour adorer Dieu et le remercier?
N'avez-vous pas souvent souillé votre langue par des
blasphèmes et des imprécations ? Mais souvenez-
vous de vos médisances, de vos scandales, de votre
négligence à élever vos enfants dans la crainte de
Dieu... N'oubliez pas votre dureté envers vos servi-
teurs et les pauvres !...
Vous n'avez rien à vous reprocher I Mais n'avez-
vous pas manqué au devoir sacré imposé par la foi
et la religion : Ton créateur tu recevras, au moins à
Pâques humblement?
Vous n'avez rien à vous reprocher f c'est le témoi-
gnage que rendait aussi de lui-même le pharisien
guperbe, réprouvé par Jésus-Christ : « Seigneur, di-
sait-il, je vous rends grâce de ce que je ne suis pas
comme les autres hommes, enclin à toutes sortes
de vices : voleur, injuste, adultère... » Dites plutôt,
mes frères, comme l'humble publicain, confessant
sa culpabilité : Propitius esto mihi peccatori. Et comme
lui vous mériterez une sentence de grâce et de
pardon.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 319
Si donc je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-
vous pas? Ce reproche que Jésus-Christ fait aux Juifs,
à combien de chrétiens ne pourrait-on pas l'appli-
quer ? Sans parler des incrédules déclarés qui ne
croient à rien et se moquent de tout, ne voyons-
nous pas, en trop grand nombre hélas ! des hommes
qui affectent une sorte de neutralité entre Baal et le
Dieu d'Israël, entre la foi et l'incrédulité? Ils accep-
tent une foi spéculative et historique, mais ils redou-
tent les devoirs que la religion impose. Là-dessus
ils cherchent à s'illusionner.
Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. Ce
qui fait que vous ne les écoutez pas, c'est que vous n'êtes
pas de Dieu. Ceux qui auraient le plus besoin de la
parole de Dieu sont précisément ceux qui s'en éloi-
gnent. Tandis que le juste fait ses délices de la
loi sainte, la contemple, l'étudié, la médite sans
cesse, le pécheur qui aurait tant d'intérêt à s'en pé-
nétrer, la repousse loin de lui, comme ennuyeuse à
son esprit, et comme importune à ses passions.
Ainsi le malade hors de sens craint plus les remèdes
qui le dégoûtent que le mal qui le conduit à la mort.
Une des marques les plus sûres de notre avance-
ment ou de notre décadence dans la piété, est notre
goût ou notre dégoût pour la parole divine : et
Jésus-Christ nous doune ici cette règle pour con-
naître si nous sommes ou si nous ne sommes pas
de Dieu. Ils ne sont pas de Dieu, ceux qui n'assis-
tent jamais à la distribution de sa parole, ou qui s'y
présentent rarement, ou qui s'y traînent avec repu-
320 DOMINICALES D*UN CURE DE CAMPAGNE
gnance. Ils ne sont pas de Dieu, ceux qui écoutent
sa parole avec légèreté, et pour qui elle n'est qu'un
son qui frappe l'oreille sans pénétrer jusqu'au cœur.
Ils ne sont pas de Dieu, ceux qui y recherchent non
ce qui vient de Dieu, l'instruction et l'édification,
mais ce qu'y met l'homme, les ornements de l'élo-
quence mondaine. Ils ne sont pas de Dieu, en un
mot, ceux qui au lieu d'y venir avec foi et respect,
y apportent un esprit de critique, et viennent juger
la parole qui sera un jour leur juge.
Les Juifs eurent l'insolence de répondre au Fils
de Dieu : « N'avons-nous pas raison de dire que vous
êtts un Samaritain et un possédé du démon ? » Jésus-
Christ un Samaritain ! Jésus-Christ à la fois si ver-
tueux et si bon! Jésus-Christ si parfait et si pur!
Jésus-Christ si parfait et si humble ! Jésus-Christ un
Samaritain, c'est-à-dire un schismatique! un ido-
lâtre? C'est-à-dire pour les Juifs ce qu'il y avait de
plus vil et de plus odieux ! Jésus-Christ un possédé
du démon ; c'est-à-dire un malheureux abandonné
de Dieu! Quelle insulte! quel blasphème! Voilà les
injures absurdes vomies par la haine. Les calomnies
et les outrages sont souvent le partage des âmes
fidèles sincèrement attachées à la religion. En en-
trant dans la carrière de la piété attendons-nous à
des railleries et à des persécutions qui honorent les
serviteurs de Jésus-Christ en leur donnant un trait
de ressemblance avec ce Dieu outragé et calomnié.
Le divin Sauveur leur repartit avec sa modestie
ordinaire : Je ne suis point possédé du démon, maii
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 321
f honore mon Père et vous me déshonorez. Pour moi je
ne cherche point ma propre gloire, un autre la recher-
chera et me fera justice. Quel modèle ! Quelle leçon
nous donne Jésus-Christ lorsque nous sommes acca-
blés d'injures ! Violemment attaqué, il se borne à
nier ce que la calomnie lui impute. Il ne se permet
ni récriminations, ni reproches contre ses ennemis.
Il se contente de se plaindre à eux-mêmes de ce
que, tandis qu'il rend honneur à son Père, ils cher-
chent à lui ravir le sien. Formé sur ce modèle, le
chrétien en butte aux traits de la calomnie, les
écarte et ne les renvoie pas. Il pare les coups qu'on
lui porte, mais il se garde d'en porter. Supérieur
à la vengeance, non seulement il pardonne, mais
il prie pour ses persécuteurs. Il fait plus, à l'exemple
du Sauveur, il ne recherche pas sa propre gloire,
mais celle de Dieu, et il la recherche en tout. Est-ce
là ce que nous faisons nous-mêmes? Ne l'avons
nous pas souvent déshonoré par notre respect hu-
main, par nos irrévérences au pied des autels ?
En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un ob-
serve ce que f enseigne, il ne mourra jamais. Quelle
magnifique promesse! Jésus-Christ la vérité éter-
nelle; Jésus-Christ qui ne peut ni se tromper, ni
nous tromper attache comme récompense à l'ob-
servation de sa loi, le ciel, sa gloire et sa félicité
immortelles.
Les Juifs prévenus et mal intentionnés interpré-
tèrent mal cet oracle, et croyant que Jésus-Christ
parlait de la vie présente et non de la vie future, de
322 DOMINICALES D UN CURÉ DE CAMPAGNE
la mort du corps et non de celle de l'âme, s'écrièrent
avec une -urprise affectée : « Nous connaissons bien
maintenant que vous êtes possédé du démon. Abra-
ham est mort et les prophètes sont morts. Cepen-
dant on ne peut pas reprocher* Abraham d'avoir
violé la loi; il est prouvé aussi que les plus grands
prophètes ont mis la plus grande exactitude à suivre
la parole de Dieu; comment donc pouvez-vous vous
attribuer le droit de communiquer la vie par votre
parole et empêcher ceux qui l'écoutent de mourir?
Seriez-vous plus grand que notre père Abraham?
Qui prétendez-vous être? Quem te ipsum facis? »
Jésus ne change point de langage et répond : « Je ne
m'arroge rien de ce qui ne m'est pas légitimement
dû. Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien.
Mais qu'ai-je besoin de vos louanges? G'fcst mon
Père cul me glorifie par la puissance miraculeuse
q :\. me communique, Lui que vous proclamez votre
Dieu, et que vous ne connaissez point; mais moi je
le connais, et si je disais que je ne le connais point,
je serais comme vous, un menteur. Mais je le connais,
et je garde sa parole. Tout à l'heure, avec une insul-
tante raillerie vous me demandiez si je suis plus
grand qu'Abraham ; oui, je le suis, et j'ajoute qu'A-
braham votre père a désiré ardemment voir mon avè-
nement sur la terre; il l'a vu, du moins en esprit et
par la révélation de Dieu, et il a été ravi de joie. » Sans
être ni aigri par la contradiction, ni révolté par l'in-
justice, ni échauffé par la violence, Jésus-Cnrist
continue de dire aux Juifs la vérité. Il trouve le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 323
secret de concilier avec le témoignage glorieux qu'il
se doit l'humilité dont il est le modèle, il dit ce qu'il
est, et il ne se glorifie pas de l'être. Il se déclare
nettement le fils de Dieu; c'est l'hommage qu'il doit
à la \éri'é; il refuse en cette qualité de se donner
gloire à lui-môme; voilà l'exemple d'humilité qu'il
veut donner. Quand la vérité exigera que nous par-
lions de nous, disons les choses telles qu'elles sont;
et si nous reconnaissons dans notre âme quelques
bonnes qualités, rapportons-en le mérite à Dieu et
souvenons-nous que s'il y a en nous un peu de bien
il y a encore plus de mai,
Les Juifs l'interrompant : « Quoi 1 s'écrièrent-ils :
vous n'avez pas encore cinquante ans et vous osez dire
que vous avez vu Abraham/ » Jésus leur répondit : « En
vérité, en vérité, je vous le dis : je suis avant Abra-
ham. » Leur parler de la sorte, c'était leur dire clai-
rement que si, comme homme, il n'avait pas encore
trente-trois ans, comme Dieu, égal à son Père, il
était éternel, il existait avant Abraham et avant toos
les temps ; mais savez-vous ce que cette grande vé-
rité qui aurait dû les faire tomber aux pieds de
ce Dieu-Sauveur, produisit sur l'esprit des hommes
aveugles à qui il l'adressait? Ils prirent des pierres,
dit l'Évangile, pour les lui jeter. Effroyable et incom-
préhem'hle mystère que l'endurcissement des pé-
cheurs, qui résistent opiniâtrement à la grâce, et à
qui rien ne peut ouvrir les yeux l Craignons ce fu-
324 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
neste endurcissement et prions le Seigneur de nous
en préserver.
Jésus pour se soustraire à leurs poursuites sortit
du temple et se cacha. Est-ce la crainte qui l'engage à
éviter leur fureur? Mais bientôt allant au-devant de
ses persécuteurs il leur demande: Quem qnœritist
Ah ! mes frères, sa conduite est aussi irrépréhen-
sible et quand il se ca<he et quand il se montre. Ses
exemples sont aussi utiles quand il évite la persécu-
tion que quand il se livre à ses persécuteurs ; iî nous
apprend à ne pas prévenir les moments du S igneur,
et à ne pas éluder ses volontés et ses ordres quand
il s'explique.
Que de chrétiens méritent les blâmes de Dieu, non
pas précisément pour avoir négligé les bonnes
œuvres, mais pour les avoir faites à contretemps,
de s'être montrés lorsqu'il eût été plus utile de se ca-
cher, d'avoir parlé, repris, corrigé lorsqu'il eût été
plus édifiant de se taire, de supporter et d'attendre !
Prenons garde d'être de ce nombre ; étudions tou-
jours la volonté de Dieu pour y conformer notre con-
duite et nos œuvres.
Et vous, Seigneur, faites-nous-la connaître, cette
volonté; rendez-nous dociles à la suivre afin qu'au
jour de votre justice nous méritions de nous réunir
à vous et de jouir de vos ineffables délices. Amen,
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 25
POUR LE MÊME DIMANCHE
DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST
Amen, amen dieo vobis, antequain
Akr ham fleret, Ego sum.
(JOAN., VIII.)
Mes Frères,
Il n'est pas un seul d'entre vous qui ne soit inti-
mement convaincu de la divinité de Notre-Seigneur
Jésus-Christ ; mais il n'en est pas ainsi de tous les
hommes. Il en est que leur ignorance et leurs pré-
jugés ont empêché jusqu'ici d'apercevoir cette pro-
fonde vérité. Aussi, au lieu d'adorer le Christ comme
le Fils éternel du Père, ne faisant avec lui et l'Esprit-
Saint qu'un seul et même Dieu, ils ne l'honorent que
comme un sage, un bienfaiteur de l'humanité.
Nous ne parlons pas de ces impies forcenés que le
seul nom de Christ fait bondir de fureur, vrais sup-
pôts de l'enfer, ils en partagent toute la rage ; et
avec des esprits si peu calmes, des cœurs si pleins
i. 19
326 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
de colère, il serait inuile de discuter. Nous nous
contenterons de prier pour eux.
Nous ne nous adressi-rons donc aujourd'hui qu'à
ceux dont la foi en la d.vinité de notre Sauveur
pourrait avoir été ébranlée ou par les passions, ou
par l'ignorance, ou par les préjugés, ou par de mau-
vaises lectures, ou enfin par des conversations im-
pies. Nous espérons raffermir leur foi en exposant
simplement deux des preuves sur lesquelles repose
le dogme en question, le caractère et les œuvres du
divin Sauveur.
Le caractère de Notre-Seigneur Jésus-Christ peut
être étudié sous deux faces : sous le rapport moral
et sous le rapport intellectuel.
Le caractère de Jésu>, tel qu'il nous apparaît
lorsque nous lisons les Évangiles, est quelque chose
de si parfait que nous serions tentés de* le prendre
pour une fiction si une fiction aussi parfaite pou-
vait être conçue par un cerveau humain.
Parmi nous, hommes, la perfection est partagée
de manière à se reproduire également en divers
sujets. Ainsi, si vous cherchez le nom le plus illustre
parmi les sages, en exceptant Jésus-Christ, il nous
sera difficile de prononcer entre Anaxagore, Socrate,
Platon, Aristote, Caton, etc.
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 327
Si vous demandez le nom du plus grand capitaine,
on vous présentera àl'envi Alexandre, César, Annibal,
Charlemagne, Napoléon. Si vous recherchez le prince
des orateurs, on vous désignera Démosthônc, Cicé-
ron, Bossuet. Si même, sur les traces de Jésus Christ,
vous demandez quel est le plus saint entre les saints,
on vous exhibera une longue liste de ces héros,
tous également dignes d'admiration et d'amour. Au-
cun homme, dans aucun genre, ne possède une per-
fection supérieure de manière à le mettre au-dessus
de tous les autres. Mais piononce-t-on le nom de
Jésus-Christ, aussitôt tout s'abaisse, tout rentre dans
l'ombre autour de lui, et l'idée de sa perfection de-
meure surhumaine et incompréhensible.
Et ce qui relève singulièrement cette perfection,
c'est qu'elle est innée en Jésus-Chiist. Les plus par-
faits d'entre les hommes ne le sont que parce qu'ils
ont profité de la perfection de ceux qui les. ont pré-
cédés. Les plus sages ne 1 ont été que parce qu'ils
ont mis à profit la sagesse d'autrui. Les plus illus-
tres génies ont profité des lumières de leurs devan-
ciers. Les plus grands saints ont bâti leur sainteté
sur lemodèle de celle des autres saints et surtout
sur celle de Jésus-Christ. Ainsi la perfection des
hommes ne leur vient pas exclusivement de leur
propre tond. Celle de Jésus-Christ ne dérive que de
lui-même.
Et pourtant, mes frères,, toute sublime que soit
cette perfection, elle est cependant la plus imitable,
et celle qui a fait le plus de disciples. Tandis que
328 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
tous les sages de tous les temps n'ont pu même
influer, comme dit Voltaire, sur les mœurs de la rue
qu'ils habitaient, Jésus-Christ a influé sur le monde
entier : tout s'est réformé à son image, tout e»t de-
venu chrétien ou tend à le devenir.
Cette perfection de Jésus-Christ est si réelle que
nul n'ose la contester. Ses ennemis eux-mêmes sont
forcés de la reconnaître. Ainsi on peut, sans crainte,
en parler dans les termes les plus magnifiques.
Dans le panégyrique de ce sage l'exagération n'est
pas possible. La louange peut aller jusqu'à l'adora-
tion et c'est dans toute sa rigueur qu'en parlant de
lui on peut employer le mot divin.
Et de fait, quel ensemble de vertus 1 et quelle per-
fection dans chacune d'elles! Comme elles s'accor-
dent sans se nuire ! Comme elles savent se tenir
dans leur propre limite, et se préserver de l'exagéra-
tion, terme où commence le défaut ! En lui la bonté
est sans faiblesse, le zèle sans intolérance, la fer-
meté sans raideur, l'humilité sans bassesse, la rési-
gnation sans abattement, la patience sans fierté, la
charité sans bornes et sans ostentation. Là, rien de
guindé, rien de faux, rien d'outré, rien de heurté.
La nature humaine s'y laisse voir dans toutes ses
émotions légitimes, et la nature divine dans toute
la sublimité de ses attributs. Jésus-Christ est ver-
tueux comme un Homme-Dieu. En lui l'homme et
le Dieu sont entiers. Et c'est cet accord divinement
harmonieux entre les deux natures qui nous charme
et nous attire ; c'est ce qui fait que le modèle le
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 329
plus parfait est en môme temps le moins désespé-
rant. Avec Jésus on peut se plaindre, on peut pleu-
rer, on peut repousser la souffrance, on peut tolérer
les pécheurs, on peut aimer ce qui est aimable.
Rousseau avait raison de dire : « Une des choses qui
me charment dans le caractère de Jésus n'est pas
seulement la douceur des mœurs, la simplicité, mais
la facilité et la grâce. Il ne fuyait point les fêtes, il
allait aux noces, il cultivait l'amitié, il jouait avec
les enfants, il mangeait chez les publicains. Il était
à la fois indulgent et juste, doux aux faibles, terrible
aux méchants. Sa morale avait quelque chose d'at-
trayant, de tendre; il avait le cœur sensible. Quand
il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été
le plus aimable. »
Que de traits, en effet, se présentent à l'appui
de ce jugement ! tout l'Évangile en est plein. Rappe-
lons seulement en passant la Madeleine, la Samari-
taine, la femme adultère, la Chananéenne, le fils de
la veuve de Naïm rendu à sa mère, Lazare rendu à
ses sœurs, les multitudes nourries, les malades gué-
ris, les petits enfants caressés, les humbles publi-
cains visités, Judas accueilli par un baiser, Pierre
converli par un regard, le bon larron consolé parla
promesse du ciel, et enfin Jean, le disciple bien-
aimé, récompensé de son amour par le don inef-
fable de l'Auguste Marie. Quelle bonté ! Quelle jus-
tice ! Quelle sagesse! En un mot, quelle plénitude de
gi âce et de vérité l Vidimus, eum plénum graliœ et
verilalis.
330 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
Voilà, mes frères, une légère esquisse du caractère
de Jé?us-Clirist envisagé dans son côté moral. Un
mot pour vous le montrer dans son côté intellectuel.
Si Jésus-Christ a été vertueux au point de pouvoir
dite sans orgueil : « Qui de vous me convaincra de
péché ? Qws ex vobis arguet me de peccato? » Il aurait
pu dire aussi : « Qui de vous me convaincra d'er-
reur? » Saint Paul, écrivant aux Colossiens, fait en
deux mots l'éloge de l'intelligence de Jésus-Christ :
« C'est en lui que se trouvent renfermés tous les
trésors de la sagesse et de la science : In quo sunt
omnes thesauri sapientiœ, et scientiœ absconditi. » Bien
avant l'Apôtre, le vieillard Siméon avait rendu témoi-
gnage à l'éclatante lumière que le Fils de Marie de-
vait projeter sur le monde : « Maintenant, ô Sei-
gneur, vous pouvez renvoyer votre serviteur en paix,
car mes yeux ont vu la lumière qui doit éclairer les
nations : Lumen ad revelationem gentium. Renchéris-
sant sur cette parole le disciple bien-aimé, l'aigle de
Palmos, commence son évangile en déclarant à la
face du ciel et de la terre quecelui dont il va retra-
cer la vie terrestre est le Verbe de Dieu, la lumière
qui éclaire tout homme venant en ce monde : Erat
lux vera quse illuminât omnem hominem venientem in
hune mundum.
Ces témoignages et cent autres que nous pourrions
emprunter aux Livres saints sont appuyés sur des
faits réels, éclatants, incontestables. Jésus-Christ
fut réellement doué d'une intelligence plus qu'hu-
maine, plus qu'angélique. Dès ses plus tendres an-
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 331
nées on voyait qu'il croissait en sagesse plus encore
qu'en âge, et à douze an^ il étonnait les plus savants
docteurs d'Israël par les profondeurs de ses pensées,
par la pénétration de son esprit, par son habileté à
interpréter les divines Ecritures. Quelques années
plus tard, les Scribes, le> princes des prêtres, les
docteurs de la loi se demandaient en l'entendant
parler, si c'était bien là le (ils de l'artisan Joseph.
« D'où lui vient cette sagesse, se disaient-ils? N'est-
ce pas le fils du charpentier Joseph? Gomment sait-
il les lettres, lui qui n'a pas étudié? Nonne hic est
fahri filiu.s?... Undè kui<- sa/jientia hœc? Quomodo kic
litteras scit, cum non didkerU ?
Ainsi, sans étude, sans travail aucun, Jésus-Christ
possède une science qui é onne les plus hautes in-
telligences. Il parle, et sa parole ravit et entraîne les
multitudes; il parle et sa parole met dans Je plus
grand jour ces vérilé> sublimes que le mensonge
avait enveloppées de ténè ires; il parle et sa parole
donne la solution la plu- claire, la plus satisfaisante
à tous les problèmes, à toutes les questions sur Dieu
et sur l'homme qui avaient fait jusque-là le déses-
poir des plus grands génies; en un mot, il parle, et
celte parole créatrice comme celle qui, au commen-
cement des temps, produisit la lumière matérielle,
la lumière des corps, fut suivie d'une telle irradia-
tion de lumière spirituelle qu'on peut dire en toute
vérité pour le monde moral, comme pour le monde
physique : Et facta est lux, et la lumière fut faite.
Jésus ne discute pas, no pérore pas; il émet sa
332 DOMINICALES D'UN CURÉ DE CAMPAGNE
doctrine sans art, sans effort, sans préoccupation de
n'être pas compris, avec une simplicité confiante.
Plein des mystères d'en haut, il en parle sans ef-
fort; la vérité lui est familière; il la sait, il l'expose
simplement et avec une telle netteté que les Juifs
sont obligés de s'écrier : a Jamais personne n'a parlé
comme cet homme. »
Et par le fait, telle est la puissance de cette parole
que, méditée, discutée, attaquée, disséquée par toutes
les sciences, par toutes les haines, appliquée aux so-
ciétés, aux peuples, aux individus, elle n'a jamais pu
être convaincue d'erreur. Toujours elle est re^-tée, et
elle est encore la lumière du monde; et chaque jour
vérifie ce que le Maître a prédit : « Le ciel et la terre
passeront, mais ma parole ne passera pas : Cœlum et
terra transibunt, verba autem mea non prœterihunt.
Et après cela, mes frères, dirons-nous que Jésus-
Christ est un pur homme? Si avec le caractère que
nous venons de lui voir le Sauveur est un pur
homme, il faut dire qu'il n'y a aucune différence
entre l'homme et Dieu. Ce qui est un horrible blas-
phème. Ah! plutôt tombons à ses pieds et confessons
avec saint Pierre qu'il est le Fils du Dieu vivant, vrai
Dieu comme lui : Tu es Christus Filius Dei vivi. Un
regard jeté sur ses œuvres va achever de nous con-
vaincre.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 333
Au fruit on connaît l'arbre; par le travail on ap-
précie l'ouvrier. Les œuvres de Jésus-Christ, portant
le cachet de l'opération divine, nous disent qu'il est
Dieu. Étudions-en quelques-unes. Jésus était àJéru-
salem pour la fête des Tabernacles. Un pauvre men-
diant, aveugle de naissance, se présente à lui :
« Maître, disent les apôtres, quel péché a été commis
par cet homme ou ses parents pour qu'il soit
aveugle? — Ce n'est point, répond le Sauveur, parce
qu'ils ont péché, mais afin que l'œuvre de Dieu «oit
manifestée en lui. » En même temps, Jésus fait delà
boue avec sa salive, en met sur les yeux de l'aveugle
et lui dit : « Va et lave-toi à la piscine de Siloë. »
L'aveugle s'en va, se lave et voit.
Aux portes de la ville de Naïm, Jésus rencontre
ud cortège funèbre. Ce sont les funérailles d'un
jeune homme, fils unique d'une veuve désolée. A la
vue des larmes de la mère, Jésus touche le cercueil et
dit au mort : « Lève -toi, je te l'ordonne. » Et le mort
se lève et Jésus le rend à sa mère.
Dans une autre circonstance Jésus est suivi au
désert par une foule nombreuse. Voilà trois jours
que ces gens-là s'empressent pour l'écouter. Ils sont
harassés de fatigue et de faim. Il y a là un jeune
19.
334 DOMINICALES D ON CURE DE CAMPAGNE
homme qui possède encore cinq pains d'orge et
<ieux poissons. « Faites asseoir tout le monde sur
l'herbe, dit Jésus aux apôtres, et distribuez-leur ces
provisions. » On obéit; tout le monde, c'est-à-dire
plus de cinq mille personnes sont rassasiées, et l'on
recueille encore deux corbeilles de restes.
Un soir les apôtres prirent une barque au rivage
de Bethsaïde et naviguèrent vers Capharnaiim. Un
vent furieux les arrêta en route. Vers la quatrième
heure du matin, ils virent Jésus marchant sur les
eaux et venant à eux. Ils le prirent pour un fantôme
et poussèrent des cris d'effroi. Mais lui les rassura
en disant : « C'est moi, ne craignez rien. — Si
c'est vous, Seigneur, dit Pierre, ordonnez que j'aille
à vous. ." Viens donc, reprend Jésus.» Aussitôt
Pierre descendit de la barque et ût quelques pas sur
les eaux; mais voyant la violence des vagues, il eut
peur, et, comme il commençait à enfoncer, il s'é-
cria : « Seigneur, Seigneur, sauvez -moi. » Jésus
lui tendit la main, lui reprochant son peu de foi,
et ensemble ils entrèrent dans la barque. Aussitôt
la tempête cessa.
Jésus étant en Galilée, dit un jour à ses disciples :
« Lazare, notre ami est mort, et je me réjouis à cause
de vous de n'avc:r point été là, afin que votre foi
soit confirmée.
Il revint donc à Béthanie, et lorsqu'il y arriva
Lazare était mort depuis quatre jours. Les deux
sœurs du défunt allant au-devant de lui, s'écrièrent :
« Seigneur, si vous eussiez été ici, notre frère ne
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 333
serait pas mort. — Où l'avez-vous déposé ? — Sei-
gneur, venez et voyez. » Et Jésus pleura, puis fré-
missant en lui-même, il dit : « Olez cette pierre, a
Mais Marthe répliqua : « Seigneur, il sent déjà mau-
vais, car voici quatre jours qu'il est mort. » Lorsque
la pierre fut enlevée, Jésus leva les yeux au ciel et
dit : « Mon Père, je vous rends grâce de ce que vous
m'entendez. Pour moi, je sais que vous m'exaucez
toujours, mais je le dis pour ce peuple, afin qu'il
sache que c'est vous qui m'envoyez. » Et aussitôt il
s'écria : « Lazare, sors du tombeau. » Et Lazare se
leva, sortit et marcha.
Voilà quelques-unes des œuvres de Jésus ; nous
pourrions en citer cent autres aussi belles, aussi
éclatantes, aussi merveilleuses. Toutes ont eu pour
témoins des personnes nombreuses, de tout rang,
de tout âge, de toute condition ; toutes, par consé-
quent, sont incontestables. Or, mes frères, sont-ce
là des œuvres humaines? Jamais l'homme fit-il en
son propre nom, en vertu d'un pouvoir inhérent à
sa nature de semblables prodiges ?
Mais ce n'est point tout encore. Quatorze fois dans
le cours de ses prédications, le Christ avait annoncé
qu'après sa mort, il ressusciterait le troisième jonr,
et il indiquait d'avance cette résurrection comme le
signe définitif auquel non seulement ses apôtres,
mais les Juifs infidèles eux-mêmes pourraient recon-
naître un jour sa divinité.
« Cette génération perverse et adultère, disait-il,
demande un signe, et il ne lui en sera point donné
330 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
d'autre que celui de Jonas. De même que Jonas resta
trois jours dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils
de l'homme, après avoir été trahi, bafoué et crucifié,
sera déposé dans le tombeau et ressuscitera le troi-
sième jour. »
Cette prophétie qui annonçait le miracle des mi-
racles se réalisa de la manière la plus éclatante. Le
Christ, trahi par Judas, abandonné par les siens,
livré aux soldats, traîné devant les tribunaux, con-
damné par Pilate, crucifié entre deux larrons, était
mort sur son gibet. Un coup de lance donné par un
soldat ouvrit le cœur inanimé de Jésus ; il en sortit
du sang et de l'eau, preuve incontestable d'une
mort réelle. Déposé de la croix, le corps du Sauveur
fut mis dans un sépulcre tout neuf, taillé dans le
roc. Une lourde pierre fut placée à l'ouverture et
scellée du sceau public. Des gardes furent consti-
tués par ordre du gouverneur pour veiller autour
de ce tombeau et empêcher que personne ne vînt
ravir le sacré dépôt qu'il renfermait.
Or, il advint que le troisième jour après la mort
de Jésus, au moment où les premières lueurs de
l'aube commençaient à percer les ténèbres de la
nuit, le divin tombeau fut ébranlé tout à coup. Un
ange brillant comme réclair apparut au milieu des
gardes, qui tombèrent à la renverse ; la pierre scellée
se brisa et se renversa ; le Christ était ressuscité.
Il venait d'accomplir sa parole : « Je quitte ma vie
pour la reprendre. Personne ne me l'ôte ; c'est par
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 337
ma propre volonté que je l'abandonne. J'ai le pou-
voir de la quitter et de la reprendre. »
La mort était vaincue, et le Christ en se ressusci-
tant lui-môme venait de donner au monde le témoi-
gnage le plus fort, le plus incontestable de sa divi-
nité. Désormais les hommes, à l'exemple de saint
Thomas, l'apôtre incrédule, devaient dire : « Vous
êtes mon Seigneur et mon Dieu. » Cependant le
Sauveur voulut leur donner une dernière et éclatante
preuve de sa divinité.
Après avoir consacré quarante jours à se manifes-
ter à ses apôtres et à ses disciples, à achever de les
instruire et à les préparer à l'effusion de son Esprit,
il les réunit au nombre de plus de cinq cents sur la
montagne des Oliviers. Il était midi. S'adressant à
ses apôtres : « Voici, dit-il, que je vais vous envoyer
du ciel le Paraclet que mon Père vous a promis;
vous allez être régénérés dans le Saint-Esprit, et
vous rendrez témoignage de moi à Jérusalem, dans
toute la Judée et jusqu'aux extrémités de la terre. »
Puis, élevant les mains pour les bénir, il ajoute:
« La toute-puissance m'a été donnée au ciel et sur la
terre. Allez donc et prêchez l'Evangile à toute créa-
ture, enseignez toutes les nations, et apprenez-leur
à observer ma loi, les baptisant au nom du Père, du
Fils et du Saint-Esprit ; et voici que je suis avec
vous jusqu'à Ja fin des siècles. » En achevant ces
mots, il s'élève majestueusement vers le ciel et
bientôt une nuée le dérobe à tous les regards.
Telle est, mes frères , la dernière preuve de la
333 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
divinité de Noire-Seigneur Jésus-Christ. C'en est
assez ; c'est plus qu'il n'en faut pour éclairer ceux
qui ne ferment pas volontairement les yeux. Confes-
sons donc hautement la divinité de notre Sauveur;
publions sans crainte ce dogme divin ; mais surtout
faisons-en la règle de notre conduite. Après avoir
par nos paroles et par nos actes confessé que Jésus-
Christ est véritablement Dieu, nous mériterons
qu'un jour il nous fasse partager éternellement son
bonheur et sa gloire. Amen,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 330
DIMANCHE DES RAMEAUX
ÉVANGILE
Jésus approchant de Jérusalem, et étant déjà ar-
rivé à Bethphagé, près de ia montagne des Oliviers,
envoya deux de ses disciples, en leur disant : «Allez
à ce village qui est devant vous, et vous y trouverez
•en arrivant une ânesse qui est attachée, et son ânon
avec elle; déliez-la, et amenez-les-moi; et si quel-
qu'un vous dit quelque chose, dites que c'est lo Sei-
gneur qui en a besoin, et aussitôt on les laissera
amener, » Or, tout cela se passa ainsi, afin qu<; cette
parole du Prophète fût accomplie : « Dites à la fille
de Sion : Voici votre Roi, qui vient à vous plein de
douceur, monté sur une ânesse qui porte le joug et
sur son ânon. » Les disciples étant allés, firent ce
que leur avait ordonné Jésus. Ils lui amenèrent l'â-
nesse et Tânon, et les ayant couverts de leurs ha-
bits, ils le firent monter dessus. Alors une grande
multitude de peuple étendit aussi ses habits sur le
chemin ; d'autres coupaient des branches d'arbres,
elles jetaient sur son passage; et tous ensemble,
340 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
soit ceux qui marchaient devant lui, soit ceux qui 1&
suivaient, criaient: « Hosanna au Fils de David! Béni
soit celui qui vient au nom du Seigneur 1 Hosanna
au plus haut des cieux! » ( Math., xxi, i-9.)
HOMÉLIE
Notre divin Sauveur avait souvent annoncé à ses
disciples qu'il irait à Jérusalem pour y souffrir sa
passion douloureuse, mais il leur avait déclaré qu'il
ne mourrait que lorsqu'il le voudrait et que son
heure n'était point encore venue. Toutefois cette
heure ne tardera pas de sonner. Plus que cinq jours
et tout sera consommé. Le divin Maître s'achemi-
nait à pied vers Jérusalem. Quand il ne fut plus sé-
paré de la ville sainte que de la distance d'un mille,
il appela deux de ses disciples et leur dit : « Voyez-
vous le village qui est devant vous? Allez-y, vous
verrez en entrant une ânesse et son poulain liés en
dehors d'une porte au milieu de la voie publique.
Ne demandez pas quel est leur maître; déliez-les et
amenez-les-moi. Si quelqu'un vous dit : Que faites-
vous? De quel droit vous emparez-vous de ces ani-
maux qui ne vous appartiennent pas? Sans entrer
en explication, répondez simplement : le Seigneur
en a besoin : Dicite quia Dominus his opus habet, et nul
ne vous résistera. » Tout arriva comme Jésus l'avait
prédit.
Le récit que vous venez d'entendre, tout simple
qu'il est, renferme une grande leçon et nous offre
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 341
de grands exemples. Il nous apprend d'abord une
vérité bien importante et souvent oubliée, c'est que
Jésus-Christ pénètre les secrets des cœurs, voit tout,
connaît tout et que, par conséquent, il est Dieu,
puisqu'il n'y a qu'un Dieu qui puisse tout voir et
tout connaître. Comment en effet ce divin Sauveur
aurait-il pu savoir que dans le village où il envoyait
deux de ses disciples, ils trouveraient une ânesse
attachée et son inon avec elle? Comment aurait-il
pu prévoir ce que répondraient les propriétaires?
N'est-ce pas là une preuve évidente qu'il voit tout,
qu'il connaît tout et que par conséquent il est Dieu,
puisqu'il n'appartient qu'à la divinité de franchir, par
ses lumières infinies, l'intervalle des lieux, comme
celui des temps; de voir l'avenir comme le présent,
et ce qu'il y a de plus caché, comme ce qu'il y a de
plus connu? Mais s'il est vrai que Dieu voit tout, il
est également vrai que nous ne saurions nous déro-
ber à sa présence, ni nous soustraire à ses regards.
Or, si nous étions bien persuadés de cette vérité
comme nous devons l'être, faudrait-il rien de plus
pour nous empêcher de faire le mal, pour nous ani-
mer à faire le bien?
Il n'y a aucun homme, quelque audacieux, quelque
pervers que vous le supposiez, qui osât commettre
une action criminelle et déshonorante sous les yeux
des autres hommes. Les plus méchants mêmes ont
coutume de cacher leurs infamies du voile secret
ou des ombres de la nuit; et quelque penchant
qu'ils aient à faire le mal, ils ne le feraient pourtant
342 DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
pas, s'ils ne pouvaient le faire sans être vus. Or, si
la seule crainte des regards des hommes est capable
de nous arrêter, lorsque nous sommes lentes de
nous livrer au crime, combien plus ne nous abstien-
drions-nous pas, si nous pensions bien que nous ne
saurions le commettre sans que Dieu nous vît 1
Comme on sollicitait un saint solitaire à faire une
action criminelle et honteuse : « J'y consens, répon-
dit-il, en faisant semblant d'entrer dans les vues de
la personne qui était venu le solliciter; mais je n'y
consens qu'à condition que ce crime sera commis
en plein jour et au milieu de la place publique. Cette
condition fut rejetée avec indignation, parce que la
personne à qui on la proposait craignaU de se dés-
honorer aux yeux des hommes. Mais le saint reli-
gieux, profitant de cette occasion pour lui donner
une leçon salutaire : « Quoi ! lui dit-il, vous crai-
gnez les regards de vos semblables, et vous ne crai-
gnez pas les regards de votre Dieu! Vos semblables
ne pourraient pourtant que vous mépriser; au lieu
que votre Dieu pourrait vous punir au moment que
vous l'offenseriez. Allez donc, retirez-vous, et son*-
venez-vous que si nous devons craindre les hommes
nous devons encore plus redouter Celui devant qui
tous les hommes ne sont que néant. »
Souvenez-vous-en aussi, mes frères; n'oubliez ja-
mais que vous êtes toujours sous l'œil inévitable de
Dieu; et si la passion venait vous assaillir dans les
ombres de la solitude, ou au milieu des ténèbres de
la nuit, dites-vous à vous-mêmes, comme la chaste
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 343
Suzanne : «Je suis, il est vrai, à l'abri des regards
des hommes, mais Dieu me voit, et que me servi-
rait-il d'être innocent aux yeux du monde, si je me
rendais coupable aux yeux de ce Dieu puissant et
terrible qui pourrait m'accabler sous les traits de sa
redoutable ^ustice au moment môme où j'oserais me
révolter contre lui ? » Si vous avez soin de faire cette
réflexion : Dieu me voit, la crainte s'em paiera de
votre âme, la passion s'éteindra dans votre cœur, et
non seulement vous n'oserez pas commettre le mal,
mais encore vous vous porterez avec ardeur à faire
tout le bien dont vous êtes capable.
Quand un serviteur travaille sous les yeux de son
maître, quelque indolent qu'il puisse être, il déploie
tout ce qu'il a d'adresse et d'activité pour faire, aussi
parfaitement qu'il le peut, l'ouvrage qui lui a été
commandé. Quand un guerrier sait que son roi est
témoin du combat qu'il a à soutenir, quoiqu'il soit
naturellement lâche, il sent naître dans son cœur
un courage qui l'élève au-dessus de son caractère;
ilattaque l'ennemi, il affronte les périls, il brave la
mort, et le désir qu'il a de plaire à son souverain le
transforme en héros. Or, il en est de même d'un
chrétien qui pense qu'il est constamment sous le
regard de Dieu, et que ce Dieu infiniment clair-
voyant voit tout ce qu'il fait. Quoiqu'il sente en lui-
même une secrète répugnance pour le bien et qu'il
soit d'abord rebuté par les difficultés que la pratique
de la vertu lui présente, il ne peut se dire intérieu-
rement à lui-même : Dieu me voit, sans se sentir
344 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
animé d'un courage dont il se croyait incapable, et
la seule idée de la présence de Dieu qu'il regarde
comme son souverain Maître et comme son Roi,
suffit pour lui faire surmonter tous les obstacles qui
l'arrêtaient. Dites-vous donc souvent, âmes tièdes :
Dieu me voit, et ces paroles seront pour vous comme
aulant de coups d'aiguillon qui vous feront marcher
avec ardeur dans les routes de la piété. Dites-vous-le
souvent, âmes calomniées et injustement opprimées,
et ces paroles vous consoleront de l'injustice des
hommes. Dites-vous-le souvent, âmes affligées, et
ces paroles seront pour vous comme un baume salu-
taire qui adoucira toute l'amertume des maux que
vous avez à souffrir.
Tels sont les fruits précieux que vous retirerez de
l'exercice de la présence de Dieu si recommandé par
tous les Pères de la vie spirituelle.
Et si quelqu'un vous dit : Pourquoi faites-vous cela?
Répondez : Le Seigneur en a besoin. — Jésus-Christ a
besoin de nous, comme la lumière a besoin des
ténèbres, comme la source rafraîchissante a besoin
du voyageur altéré, comme le médecin a besoin des
malades, comme le riche bienfaisant a besoin du
pauvre. C'est l'amour qui a besoin de s'épancher, de
se communiquer, de répandre des bienfaits. — Et
nous aussi, nous surtout, nous avons besoin de
Jésus-Christ, comme le malade a besoin du médecin,
comme le pauvre a besoin du riche, comme l'enfant
a besoin de sa mère. — Avec Jésus nous possédons
tout, sans lui nous manquons de tout... Avec lui, la
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 345
souverain bonheur, sans lui, la souveraine misère.
— Donnons-lui sans réserve tout ce que nous possé-
dons, lout ce que nous sommes ; nous retrouverons
tout en lui, au centuple.
Les disciples s'en allèrent et firent ce que Jésus leur
avait ordonné. La commission que Jé^us donna à ses
Apôtres pouvait leur paraître singulière, et assez
diflicile à remplir, car ils ignoraient comment ils
seraient reçus. Mais le Seigneur a parlé ; ils obéissent
aveuglément et sans se permettre de discuter. Est-ce
ainsi que nous obéissons à la volonté de Dieu, lors-
qu'elle se manifeste à nous par la voix de nos supé-
rieurs? Que de lenteurs! que de résistances peut-
être!
Oi\ tout cela eut lieu, afin que s'accomplît l'oracle du
Prophète : Dites à la fille de Sion : Voici que ton roi
vient à toi plein de douceur, assis sur un âne, sur le
poulain de celle qui est sous le joug.
Jésus-Christ est vraiment le Roi et le Messie pré-
dit par les prophètes ; il l'a lui-même déclaré à
Pilate en termes formels, ajoutant que son royaume
n!e>t pas de ce monde. Quand le peuple émerveillé
de ses miracles voulait le faire roi, c'était parce
qu'il reconnaissait en lui son Messie ; quand ses
ennemis par dérision affichaient sur sa croix qu'il
était le roi des Juifs, ils voulaient l'accuser de s'être
donné pour le Messie. Mais cette vérité que nous
croyons, que nous professons, en adoptons-nous
la conséquence? La suivons-nous dans la pratique?
Jésus-Christ règne-t-il dans nos cœurs ? Exerce-t-il
346 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
l'autorité qui lui appartient, l'autorité aussi absolue
même qu'un souverain dans son empire ? Lui ren-
dons-nous l'obéissance passive, qui fait exécuter
avec célérité, avec plaisir, l'universalité de ses pré-
ceptes? Lui vouons-nous celte fidélité entière qui
nous rend pleins de dévouement dans son service?
Jésus-Christ est annoncé dans la prophétie d'isaïe
comme un roi plein de douceur, dérobant sous un
voile mystérieux l'éclat de sa majesté afin de ne pas
nous éblouir et de ne pas nous effrayer ; ici, il est
peint sous la figure d'un agneau qui se lai?se con-
duire à la mort sans se plaindre ; ailleurs, il est
appelé le Prince de la paix qui veut subjuguer le
cœur de tous les hommes, non par la force et la vio-
lence, mais par l'amour.
Une foule nombreuse que la fête de Pâques avait
attirée à Jérusalem, ayant appris que Jésus se rendait
en cette ville, accourut au-devant de lui, portant des
palmes à la main. Et à mesure que Jésus avançait, cette
multitude étendait ses vêtements le long du cheminy
d 'autres coupaient des branches d'arbres, et en jonchaient
la terre sous ses pas. Et tous criaient à Venvi: Hosannay
salut au Fils de David, béni soit celui qui vient au nom
du Seigneur ! Hosanna au plus haut des deux / La
pompe qui environne aujourd'hui Jésus-Christ, est
d'un genre bien extraordinaire et bien différent des
pompes mondaines. Une troupe confuse d'hommes,
de femmes, d'enfants, tous de la classe du peuple,
accourant au-devant de lui, bénissant à haute voix
le Fils de David, celui qui vient au nom du- Soi-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 3i7
gneur ; quelques pauvres habits, étendus sur son
chemin, des branches d'arbres jetées sur son pas-
sage, lui-même au milieu de ce pauvre et bruyant
cortège, monté sur un âne, voilà tout l'appareil do
cette marche triomphante. Il veut par sa conduite
nous apprendre à fuir le faste et le luxe, à nous con-
tenter de ce qui nous est nécessaire et à pratiquer
l'humilité.
Ces démonstrations d'amour et de reconnais>ance
que font éclater les Juifs, naguère témoins de ses
nombreux miracles, sont celles que nous devons
nous-mêmes lui témoigner ; car il est notre Roi
comme il était le leur, et il n'a pas été moins bien-
faisant envers nous qu'il ne le fut envers eux. Né
nous a-t-il pas fait naître au sein de son Eglise? Ne
nous a-t-il pas adoptés pour ses enfants, ses lrères-
et ses cohéritiers par le baptême?
Mais n'imitons pas la légèreté et l'inconstance de
cette toule si empressée à l'honorer. Vous l'enten-
dez aujourd'hui acclamer Jésus-Christ de ses cris de
joie et de triomphe et dire : Hosanna filio Daoïdt Dans
quelques jours vous la verrez réunie à ses persécu-
teurs et vous l'entendrez crier de toutes ses lorces :
Crucifiyaiurl 0 inconstance inconcevable du cœur
humain I N'avons-nous jamais été coupables de ce
péché?
Ah ! mes frères, si après les résolutions sérieuses,
d'une retraite, d'une mission, d'une communion
pascale ou d'une grande solennité, nous avons été
inlUèies ; si par des chutes graves nous avons chassé
348 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
Dieu de nos cœurs, et nous avons, en conséquence,
crié aussi : CrucifigaturI qu'il n'en soit plus ainsi à
l'avenir ; que notre fidélité, au contraire, dans les
pratiques du bien soit une preuve de notre sincère
retour à Dieu, elle sera aussi un gage assuré de sa
félicité éternelle que je vous souhaite. Amen,
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 349
POUR LE MÊME DIMANCHE
PRÉPARATION A LA COMMUNION PASCALE
Dieite, filiœ Si on : Ecee rex tuxu.
venittibimansnetus (Mith., xx ,5.)
Dites à la allé de Siuo Voici
votre roi qui vient à vous pleia
de douceur.
C'est moi qui suis chargé de la part de Dieu de
dire à la fille de Sion, c'est-à-dire de vous aDnoncer
à vous-mêmes qu'un grand roi plein de mansuétude
doit venir parmi vous. Ce roi, c'est Jésus-Christ, le Fils
éternel de Dieu, le Désiré des nations, le Messie, le
Sauveur du monde. Il veut faire son entrée solennelle
dans vos âmes par la sainte communion. Il vous
invite donc tous, à l'occasion des fêtes pascales, au
banquet des anges. Mais avant de recevoir cette
visite royale, laissez-moi vous dire ce que vous devez
faire pour vous y préparer et pour en bien profiter.
Tout cela est marqué dans l'évangile de ce jour.
Avant de nous approcher de la table angélique, nous
le 80
350 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
devons nous préparer à recevoir Jésus-Christ, pre-
mière réflexion ; en quoi consiste cette préparation,
seconde réflexion; après la sainte communion nous
devons faire notre action de grâces, troisième
réflexion.
Nécessité de cette préparation. En voici les motifs :
1° Ecce rex tuus. Jésus est le roi du ciel et de la
terre ; c'est le vôtre, c'est votre roi : mais quel roi?
C'est un roi qui est en même temps Dieu et votre
Dieu, le Saint des saints. Que le modeste appareil
sous lequel vous le voyez caché, les modestes es-
pèces du pain et du vin ne vous rebutent pas, il n'en
est pas moins grand et adorable; Jérusalem ne laisse
pas que de le reconnaître pour son maître, pour son
roi et de lui décerner des triomphes, quoiqu'il fasse
son entrée sur un vil animal : Sedens super pullum
asinœ.
Ecce : le voilà ce Dieu si puissant en œuvres et en
paroles; c'est lui qui vient de ressusciter Lazare;
c'est lui qui avait ouvert les yeux à tant d'aveugles,
qui avait purifié de nombreux lépreux. Ecce venil rie
voilà qui vient au-devant de vous; il n'attend pas
que vous veniez au-devant de lui, mais il vous pré-
vient : Ecce venit. Il vous invite tous. Vous qui
HOMÉLIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 351
jouissez de la santé, comme vous qui êtes malades
et infirmes; il vous appelle, vous qui êtes à la fleur
de l'âge, comme vous qui êtes accablés sous le poids
des années ; à tous il vous dit : Ven'Ue ad me omnes qui
laboralis et onerati estis et ego re/lciam vos. Il est em-
pressé de se donner à vous. Il tarde à son cœur de
s'unir intimement au vôlre : Desiderio desideravi hoc
pascha manducare vubiscum. Comme une épouse
fidèle, allez au-devant du saint Époux : Ecce sponsus
venit, exite obviam ei.
Venit tibi. Il vient à vous, le Roi du ciel et de la
terre, le Juge suprême des vivants et des morts, il
vient à vous, chétive créature, à vous, néant révolté.
Quel abaissement pour un Dieu de visiter sa créature
souillée ! Il vient pour vous et non dans son intérêt;
il n'a besoin de personne, il se suffit à lui-même;
mais il sait que vous êtes pauvre et que vous ne
pouvez pas vous passer de lui, c'est pour cela qu'il
vient vous combler de ses grâces, de ses faveurs et
de ses biens : Venit tibi.
';> Il vient avec un air de bonté et de douceur ravis-
sante : Venit tibi mansuetus. Dans ce mystère, sa
/ tendre charité et sa douceur effacent pour ainsi dire
l'éclat de ses autres vertus : Mansuetus. Il était doux
à Bethléem, quand il vint au monde; il était doux
dans son entrée à Jérusalem; autour de lui, en lui,
rien n'excitait la frayeur, tout portait à la confiance ;
il est encore plus doux lorsqu'il se donne à vous par
la sainte communion. On dirait qu'il ferme les yeux
sur nos défauts et qu'il ne veut apercevoir que nos
352 DOMINICALES D'UN CURE DE CAMPAGNE
mi-ères. 11 vient : Venit, sans attendre que nous
allions à lui; il vient non plus au monde, nia un
peuple, ni à une cité, mais à nous : Venil tibi, du
sein cre son Père dans le nôtre ! Comment peut-il
habiter au milieu de nos tiédeurs, de nos pensées
frivoles, de nos négligences, de nos innombrables
imperfections? Il vient pour nous ; que peut-il gagner
à cette union? Quelle convenance y trouverait-il
s'il ne convenait à la bonté de faire du bien ?
Oui, Seigneur, dans ce triomphe tout est pour
nous. Vous nous apportez la compassion de votre
cœur, le secours de votre toute-puissance, les tré-
sors de votre grâce. Vous venez éclairer des aveugles,
délivrer des captifs, rendre à notre âme une heu-
reuse liberté, en brisant tous les liens qui rattachent
aux créatures, nous donner la paix en soumettant
tous nos penchants à votre loi. Que de motifs pour
nous de bien nous préparer à bien recevoir sa visite !
II
Quelle doit être cette préparation? Il faut vous
préparer comme les habitants de Jérusalem : 1° Ils se
dépouillent de leurs habits et en couvrent les che-
mins par où Jésus Christ leur roi doit passer : Strave-
runt vestimenta sua in via. Dépouillez-vous de vos
mauvaises dispositions par une bonne confession.
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 353
Etablissez-vous dans une grande pureté de cœur.
Dépouillez-vous de tous vos attachements aux créa-
tures, pour vous attacher totalement et uniquement
à Jésus-Christ. Quittez dans votre extérieur toutes
ces parures qui, si elles n'ont rien d'indécent, sont
au moins trop conformes à la vanité mondaine et
relevez-vous d'une grande modestie : Straverunt ves-
timenta sua. — Induite vos sicut électif dit saint Paul,
humilitatem, modestiam.
2° Les Juifs coupent des branches de palmier et
d'olivier , les tiennent à la main et les agitent en
signe de réjouissance, et en jonchent les chemins:
Cœdebant ramos de arborions et sternebant in via. Or-
nez votre âme de toutes sortes de bonnes œuvres et
de vertus; remplissez-la de bons sentiments de reli-
gion, et de piété par la méditation et la lecture de
bons livres.
3° Ils louent et bénissent hautement ce divin roi :
Clamantes et dicentes : HosannaFilio David, Benedictus
qui venit in nomine Domini. Approchez ensuite de
Jésus-Christ avec une foi vive et animée. L'Eucha-
ristie est par excellence le mystère de la foi. La foi
seule découvre un Dieu sous les voiles eucharisti-
ques. Nulle part il n'est caché comme dans ce sacre-
ment. Apportons ensuite, à la Table Sainte, une piété
fervente, et, s'il se peut, une dévotion tendre, un
cœur brûlant d'amour et laissons échapper de nos
cœurs ces paroles que répétait le peup'.e qui accom-
pagnait Jésus dans son triomphe : Benedictus qui
venit in nomine Domini.
«0.
DOMINICALES D UN CURE DE CAMPAGNE
m
' Après votre communion, prenez encore pour mo-
dèle la conduite du peuple de Jérusalem, et imitez
ce qui se passe dans cette ville à la présence de Jé-
sus-Christ.
1° Jésus étant entré dans Jérusalem, toute la ville
est dans une sainte émotion : Commota est universa
civ tas. Et on se demande les uns aux autres : Quis
est hic? Et on répond : C'est Jésus, prophète de Naza-
reth. Selon ce modèle, après avoir communié et
reçu Jésus-Christ, entrez dans l'étonnement et l'ad-
miration en connaissant que Celui qui est venu vous
visiter, c'est Jésus-Christ. Adorons-le profondément,
prosternons-nous et anéantissons-nous à ses pieds;
remercions-le et demandons-lui tout ce dont nous
avons be^in pour l'aimer et le servir fidèlement
tous les jours de notre existence.
2° Jésus-Christ étant entré dans le temple, il en
chasse les vendeurs et les acheteurs, disant que sa
maison doit être une maison de prières et non de
négoce et d'affaires : Domus mea, domus orationis est.
Il guérit les aveugles et les boiteux : Et accesserunt ad
eum cœci et claudi in templo, et sanavit eos. Priez-le
maintenant qu'il a fait son entrée dans votre cœur,
de ne plus rien y souffrir de tout ce qui l'avait oc-
HOMELIES ET INSTRUCTIONS PRATIQUES 355
cupé jusqu'alors, d'en ôter tout ce qui pourrait pro-
faner la sainteté de ce cœur devenu le temple du
Très- Haut : Templum Dei sanctum est quod esiis vos.
Ce Dieu Sauveur vous exaucera, il bannira tout ce
qui pourrait lui déplaire : Et ejiciebat omnes vendentes.
Priez-le de guérir vos infirmités spirituelles : Et ac»
ce>se>unt ad eum cœci et claudi, et sanauil eo?,. Re-pré-
sentez-lui vos ténèbres, et votre aveuglement spiri-
tuel, et la faiblesse extrême qui vous empêvhe de
marcher dans la voie du salut et de la vertu. Et si
votre âme devient véritablement une maison de
prières, un sanctuaire où retentit souvent l'hymne
de la reconnaissance, Jésus fera ses délices de de-
meurer avec vous tous les jours de votre pèlerinage;
et ce sera pour vous faire régner éternellement avec
lui dans le ciel. Amen.
FIN DU PREMIER VOLUMB
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME PREMIER
Page»
Préface
I" Dimanche de l'Avent : Dominicale sur les signes pré-
curseurs du Jugement universel 1
Pour le même Dimanche : Juymeni universel. 11
II* Dimanche de l'Avent : Homélie 26
Pour le même Dimanche : Mission divine de J.-G. ... 38
IIP Dimanche de l'Avent : Tu quis es? 48
Pour le môme Dimanche : Homélie 58
IV* Dimanche de l'Avent : Homélie 67
Pour le même Dimanche : Préparation à la Noël. ... 74
Dimanche dans l'octave de Noël : Homélie 81
Pour le même Dimanche : Imitation de J.-C 93
I* Dimanche après l'Epiphanie : Homélie 95
Pour le même Dimanche : Obligation et manière de cher-
cher Dieu 105
II» Dimanche après l'Epiphanie : Homélie 112
Pour le même Dimanche : Sur le mariage 121
IIP Dimanche après l'Epiphanie : Homélie 132
Pour le même Dimanche 138
Pour le même Dimanche : la Confession 144
IV» Dimanche après l'Epiphanie : Tempêtes soulevées
contre l'Eglise 145
358 TABLE DES MATIERES
Pour le même Dimanche : Dangers de l'âme 1S£
V« Dimanche après l'Epiphanie : Mélange des bons et des
méchants 16<J
Pour le même Dimanche: Conduite de J.-C. et du démon
envers les hommes 179
YI» Dimanche après l'Epiphanie : Homélie. . . . 186
Pour le même jour : Établissement de la religion chré
tienne 197
Dimanche de la Septuagésime : Homélie 199
Pour le même Dimanche : Le Travail 21 1
Pour le même Dimanche : Le Salut. 212
Dimanche de la Sexagésime : Parole de Dieu 214
Pour le même Dimanche : Parole de Dieu 222
Dimanche de la Quinquagésime : Homélie sur l'Aveugle
de Jéricho 223
Pour le même Dimanche : Aveuglement spirituel. . . . 234
I»r Dimanche de carême : Home ie 243
Pour le même Dimanche : Les Tentations 253
II» Dimanche de carême : Homélie 254
Pour le même Dimanche : Suivie la voie de J.-C. . . . 263
Pour le même Dimanche : le Thabor et le Calvaire. ... 272
III» Dimanche de carême : Homélie 277
Pour le même Dimanche : Mutisme spirituel 287
IVe dimanche de carême : Homélie 294
Pour le même dimanche : Sur les différents sectateurs
de J.-C ^03
Dimanche de Passion : Homélie 315
Pour le même dimanche : Divinité de J.-C 325
Dimanche des Rameaux : Homélie 339
Pour lr même dimanche : Préparation à la communion
pascale 349
FIN DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME
SAINT-AMAND (CHER). — IMPRIMERIE BUSSIERE
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Le tome IV», complément des éditions précédentes,
se vend seul i*eparéuit'nt. Prix : 3 fr.40
Les sermonnaires abondent pour nos grandes chaires catho-
liques, mais peu d'ouvrages traitent les dogmes relevés de la
Rel gion chrétienne d'une manière assez simple pour être à la
portée intellectuelle des peuples de nus campagnes, d'une ma-
nière assez pratique pour répondre à leurs besoins.
Le succès croissant et rapide obtenu par le Missionnaire met
en évidence son utilité pratique. Trois éditions écoulées en très
peu de temps établissent d'une manière incontestable l'autorité
de l'auteur. Mais le succès oblige : aussi, pour mériter Ge plus
en plus les suffrages de ses lecteurs, M. l'Abbé JOUVE, lépon-
dant à l'appel qui lui a été fait de toutes parts, s'est décidé à
compléter le plan de son ouvrage par un certain nombre
iïinstrueti&ns nouvelles et l'addition d'un quatrième volume.
Celui-ci se vend séparément et sert de complément aux exem-
plaires des éditions précédentes.
Cette quatrième édition, ainsi augmentée et fixée définitive-
ment, embrasse un plan général d'enseignement. De nom-
breux sujets de circonstance intéressa 0 s et variés enrichissent
l'ouvrage dont l'écoulement, nous ne doutons pas, sera plus
rapide encore que les trots premières éditions.
PLAN GENERAL DE L'OUVRAGE
Tome I
WANT-PROPOS. — GRACES D'TTNE MISSION. — LA RETRAIT»
MOYEN DE BIEN FAIRE LA MISSION OU LA RETRAITE
Section première
ORIGINE DE L'HOMME LT SA DESTINEE
Pourquoi suis-je sur la terre? — J'ai une âme. — Mon Ame est
immortelle. — Que vaut mon âme ? Je dois sauver mon âme, etc.
Deuxième Section
OBSTACLES A LA FIN DE L'HOMME
1» Le péché mortel : Mal de Dieu. — Mal de l'homme. — Ses fruits amers.
Le péché véniel 1» Sa nature? — 2° Ses effets; — Ses châtiments.
2* Causes du péché : Les tentations. — L-s occasions prochaines.
3* Suites du péché : La mort. — Le jugement. — L'enfer. — Le purga-
toire.
4° Remèdes au péché : La pénitence vertu. — La pénitence sacrement.
— La conversion. — La misé rie or e. — La contrition*
Tome II
TRAIT D'UNION DE LA TERRE AU CIEL, OU RAPPORTS
DE LA CRÉATURE AU CREATEUR
La Religion. — Jésus-Christ. — Sa vie. — Sa passion. — Sa résur-
rection. — Sa divinité. — Etablissement de la religion chrétienne.
CHEMIN DU CIEL OU LE DÉCALOQUE
Loi iê Dieu. — Commandements de Dieu. — Commandements
de l'Église.
Tome III
LE BATON DU VOYAOEUR OU MOYEN D'ARRIVER AU CIEL
La prière. — La parole de Dieu — L'Eucharistie. — La Sainte Com-
munion. — La Sainte Messe. — L'Imitation de Jésus-Christ. - Les
bonnes œuvres. — La vraie dévotion. — Le travail. — Les souf-
france.-. — La Providence, etc. — La dévotion à la Sainte-Vier-e.
La persévérance, etc.
Tome IV
I. Fête de Notre-Seigneur Jésus-i hrist — II. Fêtes de la Ste-Vierge.
III. Sujets nombreux de circonstance.
AVIS. — Les trois premiers volumes de cette édition ne sont pas la
reproduction textuelle de ceux des éditions précédentes, ils ont été
augmentés et ne ee vendent pas séparément.
Le tome IV, complément des éditions précédentes, se vend seul,
séparément. Prix : 3 fr. 50 c.
BÂ.i/pb .Joy lid iyiu i.i
SMC
Jouve,
Joseph-Louis-Marie.
Dominicales du cure de
campagne