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Full text of "Dominicales du curé de campagne : instructions simples et pratiques pour chaque dimanche de l'année, avec une homélie surl'évangile du jour, suivies de plusieurs panégyriques et de sujets de circonstance"

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DOMINICALES 


DU 


CURE  DE  CAMPAGNE 

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PROPRIÉTÉ  DES  EDITEURS 


191  D 


Tous  droits  réservés 


DOMINICALES 

DU 

CURÉ  DE  CAMPAGNE 

INSTRUCTIONS  SIMPLES  ET  PRATIQUES 

POUR    CHAQUE    DIMANCHE    DE    L'ANNÉE 

AVEC    UNE    HOMÉLIE 

SUR  L'ÉVANGILE   DU  JOUR 

SUIVIES  DE  PLUSIEURS  PANÉGYRIQUES  ET  DE    SUJETS  DE  CIRCONSTANCE 

PAR 

L'Abbé    JOUVE 

Curé-Archiprêtre  de  Savines  (Hautes- Alpes),  auteur  du  Missionnaire 
de  la  Campagne,  etc,  etc. 


TOME    PREMIER 


DIXIÈME      ÉDITION 


-t©i- 


PARIS 

LIBRAIRIE  SAINT-JOSEPH 

TOLRA   ET   M.    SIMONET,   ÉD 

28,    RUE    d'aSSAS    ET    RUE    DE    VAUGI 

1910 
Tous  droits  réservés 


PRÉFACE 


L'accueil  si  bienveillant  fait  au  Missionnaire  de 
la  Campagne  et  à  notre  Vie  des  Saints  nous  a 
inspiré  la  pensée  de  compléter  notre  œuvre, 
afin  d'être  plus  directement  utile  à  ceux  de  nos 
confrères  qui  exercent,  au  milieu  de  nos  popu- 
lations rurales,  non  plus  les  fonctions  de  mis- 
sionnaires, mais  celles  de  pasteurs.  Dans  ce  but 
nous  leur  donnons,  dans  ces  Dominicales,  une 
série  d'homélies  et  d'instructions  pour  tous  les 
dimanches  de  l'année. 

L'évangile  du  jour  sert  de  base  et  à  l'homélie 
et  à  l'instruction  ;  l'une  le  développe  en  entier, 
l'autre  n'en  explique  qu'un  passage.  Cette  der- 


il  PRÉFACE 

nière  n'est  quelquefois  qu'indiquée,  mais  le 
prédicateur  en  trouvera  toujours  le  développe- 
ment dans  le  Missionnaire. 

Ces  homélies  et  ces  instructions,  suivies  de 
plusieurs  panégyriques  et  de  divers  sujets  de 
circonstance,  sont  écrites  comme  nos  œuvres 
précédentes,  simplement  et  dans  un  langage  à 
la  portée  de  toutes  les  intelligences.  Elles  sont 
dogmatiques  à  l'occasion,  mais  elles  sont  sur- 
tout pratiques,  visant  à  amener  les  auditeurs  à 
l'accomplissement  des  devoirs  de  la  vie  chré- 
tienne. 

Si  nous  ne  nous  faisons  illusion,  les  prédica- 
teurs trouveront  également  dans  notre  Vie  des 
Saints,  dans  les  réflexions  et  les  plans  de  médi- 
tations qui  les  accompagnent  de  nombreux  traits 
d'histoire  et  d'utiles  matériaux  pour  composer 
ou  perfectionner  leurs  instructions.  Nous  avons 
du  reste  élaboré  cette  œuvre  avec  le  plus  grand 
soin,  et  nous  la  recommandons  en  toute  sim- 
plicité à  nos  vénérés  confrères,  heureux  de  par- 
ticiper ainsi  au  bien  qu'ils  feront  eux-mêmes  au 
milieu  de  nos  populations  des  champs,  et  de 


PRÉFACE  III 

contribuer  ainsi  à  leur  conserver  cette  foi  vive 
et  agissante  qui  les  caractérise. 

Daignent  le  Seigneur  Jésus  et  sa  divine  Mère, 
à  qui  nous  dédions  ce  nouvel  ouvrage,  bénir 
notre  pieux  dessein  et  réaliser  notre  plus  douce 
espérance. 


Savines,  le  15  août  1884,  en  la  Fête  de  l'Assomption 
de  la  Sainte  Vierge. 


DOMINICALES 


DUN 


CURE  DE  CAMPAGNE 


PREMIER  DIMANCHE  DE  L'AVENT 

ÉVANGILE 

Jésus  dit  à  ses  disciples:  «  11  y  aura  des  prodiges 
dans  le  soleil,  dans  la  lune,  et  dans  les  étoiles.  Les 
peuples  de  la  terre  seront  dans  la  consternation,  par 
le  trouble  que  causera  le  bruit  de  la  mer  et  des  flots. 
Les  hommes  sécheront  de  frayeur  dans  l'attente  de 
ce  qui  doit  arriver  à  tout  l'univers,  car  les  vertus 
célestes  seront  ébranlées  ;  alors  ils  verront  le  Fil>  de 
l'homme  sur  une  nuée,  revêtu  d'une  grande  puis- 
sance et  d'une  grande  majesté.  Lorsque  ces  choses 
commenceront  à  s'accomplir,  levez  la  tête  et  regar- 
dez en  haut,  parce  que  le  temps  de  votre  rédemption 
approche.  »  Il  leur  proposa  ensuite  cette  comparai- 
son :  «  Voyez  le  figuier  et  les  autres  arbres.  Lors- 
qu'ils commencent  à  pousser,  vous  reconnaissez  que 
i.  1 


2  DOMINICALES  D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

l'été  est  proche  :  de  même,  lorsque  vous  verrez  arri- 
ver ces  choses,  sachez  que  le  royaume  de  Dieu  est 
proche.  Je  vous  dis  en  vérité  que  cette  général  ion 
ne  passera  point  que  tout  cela  n'arrive.  Le  ciel  et  la 
terre  passeront,  mais  mes  paroles  ne  passeront 
point.  Prenez  donc  garde  à  vous;  de  peur  que  vos 
cœurs  ne  s'appesanti>sent  par  l'excès  des  viandes  et 
du  vin,  et  par  les  souci*  de  cette  vie  et  que  ce  jour 
ne  vienne  tout  à  coup  vous  surprendre;  car  il  enve- 
loppera comme  un  filet  tous  ceux  qui  sont  sur  la 
face  de  la  terre.  Veillez  donc,  et  priez  en  tout 
temps,  afin  d'être  trouvé^  dignes  d'éviter  tous  ces 
maux  qui  doivent  arriver,  et  de  paraître  avec  con- 
fiance devant  le  Fils  de  l'homme.  »  (Luc,  xxi, 
25-36.) 

HOMÉLIE    SUR   LES   SŒURS    PRÉCURSEURS   DU   JUGEMENT 
UKIVlRSEL 


Et  tune  vidtbunt  Filium  hominia 
vtnîpnt^m  in  nube,  cum  poiestate 
maijna  et  majestate.  (Luc.  xxi,  27.) 

A'.ors  ils  \erront  le  Fils  de 
l'homme,  qui  viendra  sur  une  nuée, 
av-c  une  grande  puissance  et  une 
grande  majesté. 


Mes  Frères, 
La  vie  présente  est  le   champ  de  la   liberté  hu- 
maine.  L'homme   y  court   à    droite   ou   à    gauche 
selon  ce  qui  lui  plaît.  Dieu  le  regarde,  mais  le  laisse 
faire,   se  réservant  de  lui  demander   un  jour  ua 


HOMELIES-  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  3 

compte  rigoureux  du  bou  ou  mauvais  usage  de  sa 
liberté. 

Quand  viendra  ce  jour  de  la  justice  divine?  Nous 
n'en  savons  rien,  car  il  est  écrit  que  ni  l'homme,  ni 
l'ange,  ni  le  Fils  de  l'homme  lui-même  ne  connais- 
sent ni  le  temps,  ni  l'heure  où  le  Seigneur  entrera 
en  compte  avec  ses  créatures.  Non  est  vestrum  nosse 
tem/jora  vel  momenta.  De  die  autem  Ma  nemo  scit  nuque 
anyeli.y  neque  Filium  hominis,  nisi  solus  Pater. 

Quelques  signes  néanmoins  annonceront  ce  #rand 
jour,  jour  de  justice  et  de  colère,  de  trouble  et  d'an- 
goisse, de  misère  et  de  calamité.  Apprenons  à  les 
connaître  afin  que  nous  attendions  avec  confiance, 
si  nous  sommes  justes,  mais  que  nous  tremblions  si 
nous  sommes  pécheurs  ;  car  si  d'un  côté  Dieu,  par 
ces  signes,  veut  nous  donner  un  dernier  avertisse- 
ment, pour  nous  faire  éviter  le  péché  et  échapper  à 
la  justice,  selon  cette  parole  du  Prophète  :  Dedisti 
metumtihus  te  signifîcationem  ut  fugiant  à  facie  arcûs  ; 
il  veut  d'un  autre  côté  nous  montrer  par  ce  qu'il  y  a 
de  terrible  dans  ces  signes,  combien  grande  et  redou- 
table sera  sa  colère  contre  ceux  qui  auront  méprisé 
ses  avertissements  et  seront  morts  dans  le  péché. 

Je  me  transporte  en  esprit  à  la  fin  des  temps,  à 
ces  jours  qui  seront  les  derniers  des  jours,  et  je  vois 
s'accomplir  une  à  une  toutes  les  prophéties  qui 
annoncent  les  affreux  malheurs,  les  épouvantables 
bouleversements  qui  seront  comme  l'agonie  du 
genre  humain.  Quel  spectacle  ! 

D'abord,  je  vois  paraître  sur  la  scène  de  ce  monde 


4  DOMINICALES  D'UN  CURÉ  DE  CAMPAGNE 

qui  penche  vers  sa  ruine,  un  personnage  en  qui  tout 
tient  de  l'extraordinaire,  c'est  l'Antéchrist,  l'homme 
du  péché,  le  fils  de  perdition. 

Il  est  néàBabylone,  la  ville  infâme;  il  appartient 
par  l'un  de  ses  parents  à  la  tribu  de  Dan,  la  seule  qui, 
d'aprr»  saint  Jean,  n'a  pas  donné  au  ciel  ses  douze 
mille  prédestinés.  Un  crime  lui  a  donné  le  jour  et 
dan>  ses  veines  coule  un  mélange  impie  de  sang 
chrétien  et  de  sang  juif.  Son  extraction  est  vile  et 
son  berceau  déshonoré.  Dès  ie  sein  de  sa  mère,  il 
appâtent  au  démon  qui  lui  façonne  un  tempéra- 
ment propre  à  tous  les  crimes,  à  toutes  les  abomi- 
nations :  Cujus  est  advcntns  stcundum  operatwuem  Sa~ 
tanse   (S.  Paul,  II  T<m.,  n,  '.».) 

Dès  ses  premières  années,  il  devient  entre  les 
mains  de  Satan  un  prodige  d'hypocrisie  et  de 
malice.  Afin  d'arriver  plus  facilement  à  séduire  les 
pei'pUs,  il  se  couvre  du  manteau  de  la  religion;  il 
feint  un  grand  zèle  pour  la  loi  de  Dieu  ;  il  est 
humain,  doux,  pieux  ;  il  paraît  même  tempérant, 
cha>ie  et  dé-intéressé  ;  mais  au  fond  il  est  impie, 
cruel,  cupide,  ambitieux,  dissolu  et  esclave  de  tous 
les  vices.  Il  cache  maintenant  ce  qu'il  y  a  en  lui  de 
perversité  et  de  corruption,  mais  quand  il  aura 
séduit  les  multitudes,  quan  i  il  aura  réussi  à  se  faire 
proclamer  roi  et  à  se  faire  passer  pour  le  vrai  Christ, 
le  vrai  Messie,  il  jettera  le  masque  et  ne  gardera 
plus  de  mesure.  Il  sera  alors  véritablement,  comme 
le  dit  saint  Paul  :  Homo  peccati,  films  perditionis,  Me 
'niquus,  l'homme'  de  péché,  le  fils  de  perdition,  le 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  5 

méchant  par  excellence.  «  J'ai  vu,  dit  saint  Jean 
dans  son  Apocalipse,  j'ai  vu  la  bête  venant  des  bords 
de  la  mer...  Elle  porte  sur  son  front  les  noms  du 
blasphème...  Elle  est  semblable  au  léopard,  et  sa 
bouche  e>t  comme  celle  du  lion.  Et  le  dragon  in- 
fernal lui  a  donné  sa  puissance,  puissance  formi- 
dable. La  terre  entière  a  été  fascinée  par  la  bête;  et 
ils  ont  adoré  le  dragon  qui  a  donné  son  pouvoir  à  la 
bête,  et  ils  ont  adoré  la  bête,  disant:  Qui  est  sem- 
blable à  la  bêle  et  qui  pourra  combattre  contre  elle? 
Quis  similis  bestiœ  ?  et  guis  pottrit  pugnare  cum  eâ  ? 

«  Il  lui  a  été  donné  une  bouche  apte  aux  grands 
discours  et  aux  blasphèmes  ;  et  elle  a  proféré  les 
blasphèmes  contre  Dieu,  contre  son  nom,  contre  le 
tabernacle  et  contre  ceux  qui  habitent  le  ciel...  Et 
elle  a  fait  des  prodiges  étonnants  ;  elle  a  pu  même 
faire  descendre  le  feu  du  ciel  en  présence  d'une 
multitude  d'hommes...  Et  l'un  de  ses  ministres  a 
séduit  tout  l'univers  et  décidé  les  hommes  à  se  faire 
des  images  de  la  bête  et  à  les  porter  dans  leurs 
mains  ou  sur  leur  front,  et  tous,  excepté  ceux  qui 
sont  écrits  dans  le  livre  de  vie,  grands  et  petits, 
riches  et  pauvres,  libres  et  esclaves  se  sont  armés 
ou  du  caractère  de  la  bête,  ou  de  son  nom,  ou  du 
nombre  de  son  nom  qui  est  six  cent  soixante-six.  » 

Voilà,  mes  frères,  la  vision  de  saint  Jean  à  Path- 
mos.  Elle  nous  fait  voir  dans  un  tableau  saisissant 
ce  que  sera  cet  ennemi  de  Dieu  et  des  hommes,  à 
qui  Satan  aura  communiqué  toute  sa  puissance, 
toute  son  astuce,  toute  sa  malice.  A  force  de  ruses 


6  DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

et  d'hypocrisies,  il  a  fasciné  les  peuples  et  surtout 
les  .luifs,  il  s'est  imposé  comme  le  vrai  Messie  ;  il  a 
flatté  les  enfants  d'Israël  en  leur  promettant  toutes 
sottes  de  biens  temporels  ;  puis  il  a  rétabli  le  temple 
et  il  y  a  placé  l'idole  de  Maozim,  c'est-à-dire  le  Dieu 
de  la  force  ;  il  s'est  fixé  lui-même  dans  la  maison  de 
Dieu  et  il  s'y  est  fait  rendre  les  honneurs  divins  : 
ExtolUtur  suprà  omne  quod  dicitur  Deus,  ità  ut  in 
tenifjlo  Dei  sedeal ,  ostendens  se  tanquàm  sit  Deus. 
(il  Thess.,  ii,  4.) 

Maître  de  l'esprit  et  du  cœur  des  Juifs,  il  en  fait  ses 
soldats,  afin  d'accroître  son  empire  qui,  dit-il, 
d'après  les  prophéties,  doit  s'étendre  à  tout  l'uni- 
vers. Il  déclare  la  guerre  aux  monarques  voisins  et 
Dieu  permet  que  la  victoire  lui  reste.  Dès  lors,  il  ne 
garde  plus  de  mesure;  il  agrandit  le  champ  de 
ses  luttes  et  bientôt  c'est  sur  toutes  les  contrées  du 
globe  qu'on  rencontre  ce  prodige  d'iniquité  soufflant 
partout  la  guerre  de  la  chair  contre  l'esprit,  de 
l'erreur  contre  la  vérité,  de  l'hérésie  contre  la  loi,  de 
l'apostasie  contre  la  fidélité  ;  bientôt  l'univers  n'est 
qu'une  sanglante  arène  où  l'homme  d'iniquité  s'a- 
charne contre  le  Christ,  la  bête  contre  l'Agneau. 
Tous  les  peuples  apostasient  et  c'est  à  peine  si  les 
élus  ne  sont  pas  ébranlés. 

Tant  de  défections  ont  amassé  sur  les  peuples 
d'immenses  trésors  de  colère  ;  le  bras  du  Seigneur 
s'est  levé  pour  frapper  les  coups  de  sa  justice. 
Peuples,  séchez  de  frayeur,  voici  venir  le  jour  de  la 
vengeance   divine  ;   les    foudres   de   l'Éternel   vont 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  7 

éclater.  Malheur!  malheur  !  de  l'Orient  et  de  l'Occi- 
dent, du  septentrion  et  du  midi,  je  sens  venir  un 
vent  brûlant,  un  vent  de  feu  ;  c'est  le  souffle  de  la 
colère  divine  qui  allume  la  guerre  au  cœur  des  rois 
et  de  leurs  peuples. 

L'homme  d'iniquité  a  détruit  partout  les  notions 
du  droit  et  de  la  justice  ;  le  droit  de  la  force  a  rem- 
placé la  force  c1  i  droit  ;  l'égoïsme  et  l'ambition  sont 
les  seules  règles  des  nations.  Dès  lors,  les  intérêts  se 
brouillent,  les  cœurs  s'ulcèrent  et  ne  respirent  plus 
que  haine  et  vengeance.  La  guerre  s'allume,  guerre 
terrible,  guerre  universelle,  guerre  impitoyable. 
Quelle  horreur!  Quel  acharnement!  Quelles  cruautés! 

Ce  ne  sont  point  des  hommes  qui  luttent  entre 
eux,  ce  sont  des  tigres  altérés  de  sang  et  de  carnage 
qui  se  déchirent.  Le  fer  lui-même  et  le  salpêtre 
semblent  partager  ces  horribles  dispositions  des 
combattants  ;  car  l'un  paraît  ne  jamais  s'émousser 
et  l'autre  s'enflamme  plus  vite  et  lance  avec  plus  de 
force  les  projectiles  de  mort.  La  terre  n'est  bientôt 
plus  qu'un  vaste  champ  jonché  de  cadavres  et  ar- 
rosé par  des  torrents  de  sang.  Dans  ce  carnage 
affreux  rien  n'est  respecté,  rien  n'est  épargné.  L'âge, 
le  sexe,  les  conditions  qui,  en  tout  temps  et  en  tout 
pays  avaient  pu  efficacement  demander  merci,  ne 
sont  plus  maintenant  écoutés.  Le  vieillard  est 
frappé  sur  le  bord  de  sa  tombe,  la  vierge  dans  sa 
solitude,  le  prêtre  à  l'autel,  l'enfant  entre  les  bras 
de  sa  2>ère  ou  même  dans  son  sein.  Plus  de  pitié  I 
plus  de  miséricorde  !  Rien  ne  saurait  trouver  grâce 


8  DOMINICALES   D'UN  CURÉ  DE   CAMPAGNE 

devant  la  férocité  de  ces  hommes  transformés  en 
tigres.  L'innocence,  la  candeur,  la  faiblesse,  une 
tête  blanchie  par  les  ans,  un  caractère  auguste  et 
sacré  sont  impuissants  à  désarmer  la  verge  de  ces 
barbares  qui  ne  savent  plus  hurler  que  ces  mots  : 
Du  sang  !  du  sang  ! 

Eh  !  bien,  ils  l'ont  ce  sang  qu'ils  demandent,  ils 
l'ont  par  torrents,  mais  comme  si  ce  n'était  point 
encore  assez,  ils  y  ajoutent  le  leur  :  ne  trouvant 
plus  à  égorger  dans  les  camps  ennemis,  ils  s'égor- 
gèrent entre  eux. 

Cependant  le  bruit  des  armes  a  cessé,  l'airain  ne 
tonne  plus  et  n'ébranle  plus  les  vallées  ;  partout 
règne  un  morne  silence,  un  silence  de  mort.  Quel- 
ques milliers  de  victimes  échappées  aux  fureurs  de 
la  guerre  se  montrent  çà  et  là  sur  la  surface  du 
globe  ensanglanté.  Elles  lèvent  les  yeux  vers  le 
Ciel,  comme  pour  le  remercier  de  les  avoir  pro- 
tégées, mais  hélas  !  leur  prière  n'est  pas  achevée 
que  déjà  surgit  sur  le  monde  un  autre  fléau  non 
moins  cruel.  De  ce  vaste  champ  de  mort  couvert  de 
cadavres  en  dissolution ,  s'élèvent  de  noires  et 
fétides  exhalaisons,  c'est  l'odeur  du  sang  et  de  la 
putréfaction.  Ces  émanations  délétères  empoi- 
sonnent l'air  qui,  dès  lors,  cesse  d'être  une  source 
de  vie  pour  devenir  un  principe  de  mort.  Aussi 
bientôt  on  ne  rencontre  partout  que  des  êtres  chan- 
celants, en  proie  à  d'affreuse  tortures  qui  les  em- 
portent en  quelques  heures.  La  peste  se  promène 
ainsi  dans  le  monde,  non  moins  homicide  que  la 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  V 

guerre.  Et  comme  si  ce  n'était  assez  de  ce  fléau  pour 
arracher  le  dernier  souffle  de  vie  au  petit  nombre  de 
mortels  qui  survivent,  voici  la  famine  avec  toutes  ses 
horreurs. 

Tandis  qu'elle  arrosait  le  globe  par  des  flots  de 
sang,  la  guerre  dévastait  les  campagnes,  transfor- 
mait les  champs  de  blé  en  champs  de  mort  et  ne  lais- 
sait pas  au  laboureur  le  temps  de  confier  à  la  terre  une 
nouvelle  semence.  Aussi  maintenant  l'on  n'entend 
plus  que  les  cris  de  la  faim.  On  dispute  aux  vils  ani- 
maux leur  immonde  nourriture  et  toute  chair,  quelle 
qu'elle  soit,  devient  un  aliment  sapide.  L'homem  va 
même  jusqu'à  jeter  sur  les  membres  de  son  sem- 
blable un  regard  de  convoitise.  L'enfant,  rendu 
cruel  par  la  faim,  déchire  le  sein  de  sa  mère,  et 
celle-ci  meurt  un  instant  après,  si  elle  n'est  assez 
barbare  pour  étouifer  dans  ses  mains  celui  qu'elle  a 
porté  dans  son  sein  et  lui  redemander  le  sang 
qu'elle  vient  de  lui  donner.  Oh  !  malheur,  alors,  mal- 
heur aux  femmes  qui  allaiteront  ;  malheur  à  celles 
dont  les  entrailles  seront  fécondes  :  Vœ  autem  prœ- 
gnantibus  et  nutrientibus  in  illis  diebus  ! 

Enfin  l'heure  de  l'agonie  va  sonner.  Tourmentée 
par  les  abîmes  de  feu  qu'elle  renferme  dans  son 
sein,  la  terre  tremble  comme  une  feuille  de  peuplier 
agitée  par  le  vent  ;  elle  entr'ouvre  à  chaque  pas  des 
gouffres  profonds,  engloutit  les  derniers  de  ses  maî- 
tres, et  l'univers  semble  vouloir  expirer  avec  son 
roi. 

Les    vents  déchaînés  excitent  partout  les    plus 

1. 


10  DOMINICALES   D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

affreuses  tempêtes  ;  la  mer  rugit  comme  un  lion  fu- 
rieux ;  dans  sa  rage  elle  élève  ses  flots  jusques  aux 
nues  et  la  précipite  soudain  dans  les  abîmes  ou  les 
brise  contre  les  rochers  du  "rivage.  Le  soleil  s'enve- 
loppe d'un  crêpe  de  nuages  sombres,  la  lune  devient 
rouge  de  sang,  les  étoiles  sortent  de  leur  orbite  et 
se  précipitent  en  tourbillons  à  travers  les  cieux  ; 
mille  et  mille  éclairs  sillonnent  les  airs;  le  tonnerre 
gronde  dans  les  profondeurs  de  l'espace. 

Au  milieu  de  ce  bouleversement  général,  un  ange 
descend  du  ciel  et,  au  nom  de  l'Éternel,  jure  ce  ser- 
ment effroyable  :  «  Désormais  il  n'y  aura  plus  de 
temps.  Tempus  non  eril  ampltus.  »  Soudain  un  fleuve 
de  feu  envahit  la  terre  entière  qui  n'est  bientôt  plus 
qu'un  monceau  de  cendres.  Les  jours  de  l'homme 
sont  passés,  le  jour  de  Dieu  commence. 

Mes  frères,  nous  ne  verrons  pas  ces  terribles 
choses,  mais  nous  ne  devons  pas  moins  en  faire 
notre  profit;  car  elles  nous  disent  combien  redou- 
table sera  la  justice  divine  au  moment  où  elle  en- 
trera en  compte  avec  ses  créatures.  Selon  le  conseil 
de  l'Apôtre,  préparons  nos  cœurs  à  ce  grand  événe- 
ment; prenons  garde  qu'ils  s'appesantissent  dans 
l'ivresse,  la  sensualité  et  les  sollicitudes  de  cette 
\ie.  Veillons  et  prions,  afin  que  nous  soyons  trouvés 
dignes  d'échapper  à  ces  rigueurs  et  de  nous  présen- 
ter avec  confiance  au  tribunal  du  Fils  de  l'homme  : 
Vig'date  ut/que,  omnl  tempnre  oi^antes  ut  diyni  habea- 
mini  fuyere  ista  omnia,  auœ  futur  a  sunt,  et  stare  antè 
Filiuin  hominis. 


BOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  il 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


JUGEMENT   UNIVERSEL 


Rlum.ino.bit  absconâita  tenebrarum 
et  tun-  laus  e  it  unicuigue  à  Deo. 
(I  Corinth.,  iv.  5.) 


Mes  Frères, 

Ces  paroles  annoncent  le  terrible  événement  qui 
mettra  fin  à  tous  les  événements,  le  jour  après  le- 
quel il  n'y  aura  plus  de  jours  et  qui  fermera,  à  tout 
jamais,  l'ère  des  incessantes  révolutions  qui  boule- 
versent la  figure  transitoire  de  ce  monde. 

Universelle  dans  son  étendue,  éternelle  dans  sa 
durée,  cette  dernière  transformation  sera  terrifiante 
dans  son  exécution.  Ce  sera  le  jour  de  la  suprême 
justice,  le  jour  des  grandes  assises  où  l'humanité 
tout  entière  sera  citée  au  tribunal  du  Souverain 
Juge.  Jour  de  calamité  et  de  désespoir  pour  le  plus 
grand  nombre,  jour  de  paix  et  de  bonheur  pour 
quelques-uns  seulement  ;  l'attente  des  justes,  la  ter- 
reur des  méchants,  le  jour  décisif  de  la  destinée  de 
tous. 

La  pensée  de  ce  jour  terrible  rendait  les  premiers 
chrétiens  patients  dans  la  persécution,  joyeux  dans 


12  DOMINICALES  D'UN  CURÉ  DE   CAMPAGNE 

les  souffrances,  fiers  dans  les  opprobres.  Elle  faisait 
la  force  des  martyrs,  la  constance  des  vierges,  la 
ferveur  des  anachorètes  ;  elle  fait  aujourd'hui  en- 
core le  missionnaire  et  la  sœur  de  charité  ;  puisse- 
t-elle  faire  de  vous  tous  de  parfaits  chrétiens.  C'est 
dans  ce  but  que  je  viens  vous  aider  à  la  méditer. 


1 


Il  y  aura  à  la  fin  du  monde  un  jugement  général. 
C'est  l'Évangile  qui  nous  l'enseigne.  «  Le  Fils  de 
l'homme    doit  venir  dans  la   gloire   de   son    Père, 
escorté  de  ses  anges  (Chap.  xvi,  f.  7),  et  alors  il  ren- 
dra à  chacun  selon  ses  œuvres.  Filius  enim  hominis 
venturus  est  in  gloria  Patris,  cum  angelis  suis  ;  et  tune 
reddet  unicuique  secundum  opéra  ejus.  Plus  loin  :  Tune 
parebit  signum  FUii  hominis  (Chap.  xxvi,  f  30,  71)  in 
cœlo,  et  tune  plan  g  ent  omnes  tribus  terrœ  ;  et  videbunt 
Filivm  hominis  venientem  in  nubibus  cœli  cum  virtute 
multâ  et  majestate.  —  Et  mittet  angelos  suos  cum  tuba 
et  voce  magna,  et  congregabunt  et  ctos  ejus  à  quatuor 
ventis...  Et  un  peu  plus  loin  encore  :  Cum  autem  ve- 
nerit  Filius  hominis  in  majestate  suâ,  et  omnes  angeli 
cum  eo,  tune  sedebit  super  sedem  majestatis  suœ  :  et 
congre  g  abuntur  antè  eum  omnes  gentes,  et  separabtt  eos 
ab  invicem,  sicut  pastor  segregat  oves  ab  hœdis  ;  et  sta- 
tuet  oves  quidam  a  dextris  suis  hœdos  autem  à  sùi>slris. 
Tune  dicet  Rex  his  qui  à  dextris  ejus  erunt  :  Venite,  be- 
nedicti  Patris  mei,  possidete  paratum  vobis  regnum  à 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  13 

constilutione  mundi...  Tune  dicet  et  his  gui  à  smistris 
erunt  :  Discedite  à  me,  maledœti,  in  ignem  œternum, 
qui  paratus  est  diabolo  et  angelis  ejus. 

Pour  mieux  graver  dans  nos  esprits  la  pensée  du 
jugement  général,  le  divin  Sauveur  nous  la  rappelle 
au  moment  de  sa  passion,  le  jour  même  de  sa  mort. 
Les  paroles  d'un  mourant  sont  sacrées,  et  quand 
elles  sortent  de  la  bouche  d'un  père,  un  enfant  bien 
né  ne  les  oublie  jamais. 

Jésus  est  en  présence  de  Caïphe  qui  fait  fonction 
de  Grand-Prêtre  et  qui,  à  ce  titre,  l'interpelle  en  ces 
termes  : 

«  Je  vous  adjure  au  nom  du  Dieu  vivant,  de  nous 
dire  si  vous  êtes  le  Christ,  Fils  de  Dieu.  —  Vous 
l'avez  dit,  répond  Jésus,  je  le  suis.  »  Puis  il  ajouta 
aussitôt  :  «  Je  vous  déclare  que  vous  verrez  un  jour 
le  Fils  de  l'homme  assis  à  la  droite  de  la  majesté  de 
Dieu  et  venant  sur  les  nuées  du  ciel.  »  C'est  clair. 

Les  apôtres  ont  redit  au  monde  cet  enseignement, 
Qui  ne' connaît  ces  énergiques  paroles  de  saint  Paul: 
«  Il  faut  que  nous  soyons  tous  manifestés  au  tribu- 
nal du  Christ,  afin  d'y  rendre  compte  chacun  des  œu- 
vres que  nous  aurons  faites,  bonnes  ou  mauvaises.  »  ? 
Saint  Jean  à  Pathmos  vit  les  morts  grands  et  petits 
debout  en  présence  du  trône  de  l'Agneau  ;  et  des 
livres  furent  ouverts  ;  et  il  fut  ouvert  un  livre  qui 
est  le  livre  de  vie  ;  et  les  morts  furent  jugés  d'après 
ce  qui  était  écrit  dans  les  livres,  conformément  à 
leurs  œuvres. 

L'Église  a  fait  de  cette  doctrine  un  article  de  son 


14  DOMINICALES  D  UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

symbole.  Je  crois  en  Jésus-Christ  ressuscité  et  monté- 
aux  cieux,  d'où  il  viendra  pour  juger  les  vivants  et 
les  morts,  et  la  saine  raison  reconnaît  qu'il  doit  en 
être  ainsi. 

En  créant  l'homme,  Dieu  lui  a  tracé  ses  devoirs, 
puis  il  Ta  mis  entre  les  mains  de  son  conseil,  pro- 
mettant de  le  récompenser  s'il  est  fidèle,  et  l'assu- 
rant d'un  châtiment  éternel,  s'il  devient  prévarica- 
teur. 

Cette  loi  primordiale  a  été  renouvelée  sur  le  mont 
Sinaï  et  confirmée  par  les  enseignement-  de  l'Homme- 
Dieu.  Mais,  quoiqu'elle  vienne  de  Dieu  et  qu'elle 
n'ait  pour  but  que  le  bonheur  de  celui  à  qui  elle  est 
imposée,  elle  serait  néanmoins  imparfaite  si  elle 
manquait  de  sanction,  c'est-à-dire  si  le  souverain 
législateur  ne  récompensait  pas  ceux  qui  l'observent 
et  ne  punissait  pas  ceux  qui  la  violent.  Or,  cette 
punition  et  cette  récompense  où  sont-elles  ?  Est-ce 
que  le  juste,  ici- bas,  reçoit  la  peine  due  à  ses  bonnes 
œuvres?  Est-ce  que  le  pécheur  reçoit  sur  terre  la 
peine  due  à  ses  crimes? 

Le  contraire  ne  semble-t-il  pas  vrai?  Tandis  que 
la  victime  innocente  est  jetée  dans  la  misère,  est-ce 
qu'on  ne  voit  pas  dans  l'abondance  et  les  plaisirs 
celui  qui  l'a  dépouillée  injustement  de  ses  biens  ? 
N'est-il  pas  vrai  que  la  vertu  est  méprisée,  tandis 
que  le  vice  triomphe  ?  Ne  rencontrez-vous  pas  au- 
jourd  nui,  presque  partout,  des  hommes  qui  se 
jouent  de  la  loi  de  Dieu  et  de  Dieu  lui-même,  qui  le 
blasphèment,    qui    méprisent    son    Évangile,    son 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  15 

Église,  ses  ministres,  ses  fêtes,  ses  sacrements  ?  Et 
cependant  quel  châtiment  reçoivent-ils  ici-bas?  Ah! 
sans  doute,  Dieu  les  jugera  à  l'heure  de  la  mort,  et 
alors  il  rendra  à  chacun  selon  ses  œuvres.  Il  a  l'éter- 
nité pour  punir.  Et  cependant  ce  jugement  particu- 
lier, qui  n'a  d'autre  témoin  que  le  coupable  et  son 
juge  ne  suffît  pas.  Le  divin  Législateur  a  été  outragé 
publiquement,  sa  loi  a  été  violée,  parfois,  avec  un 
éclat  qui  a  frappé  tous  les  yeux,  avec  un  cyni-me  qui 
s'est  a! fiché  de  toutes  parts:  ne  faut-il  pas  que  la 
réparation  soit  publique?  Le  pécheur  a  triomphé 
contre  Dieu  devant  les  foules,  devant  l'univers  entier, 
n'est-il  pas  juste  qu'il  soit  humilié  devant  tous?  Les 
justes  ont  été  tournés  en  dérision  devant  leurs  en- 
nemis, ne  convient-il  pas  qu'ils  soient  exaltés  en 
leur  présence? 

Non,  le  jugement  particulier  ne  suffit  pas,  pour 
réparer  les  outrages  et  les  scandales  éclatants  des 
pécheurs,  les  violations  publiques  de  la  loi;  les  mé- 
pris affectés  de  la  puissance,  de  la  justice,  de  la  sain- 
teté et  de  la  sagesse  de  Dieu;  il  faut  un  jugement 
général  qui  venge  publiquement  le  Créateur,  jus- 
tifie publiquement  les  bons  et  confonde  publique- 
ment les  méchants. 


II 


Ce  jugement  nécessaire  que  sera-t-il? 
Transportons-nous  à  lafiu  des  t;jmps.  Les  anges  ont 


16  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

fait  retentir  aux  quatre  coins  du  monde  cette  puissante 
et  terrible  parole  :  «  Surgite,  mortui,  venue  adjudicium  : 
Morts,  levez-vous,  venez  au  jugement.  »  Soudain 
les  os  desséchés,  la  cendre,  la  poussiè.'e  froide  s'é- 
meuvent dans  les  tombeaux;  la  terre,  la  mer,  les 
abîmes  se  préparent  à  rendre  leurs  victimes.  Celui 
qui,  d'un  mot,  a  fait  jaillir  du  néant  l'univers  en- 
tier, peut  aussi,  d'un  mot,  arracher  l'homme  aux 
horreurs  de  la  mort  :  Surgite  mortui!  Que  les  géné- 
rations donc  se  lèvent  de  leur  lit  de  pierre  où  elles 
ont  dormi  tant  de  siècles  !...  La  voix  du  Créateur  est 
entendue  :  l'humanité  tout  entière  est  debout  et 
réunie  dans  l'attente  de  son  juge.  Tout  à  coup  les 
portes  éternelles  s'ouvrent  ;  la  Croix,  symbole  de 
justice  et  de  miséricorde,  la  croix  sur  laquelle  Dieu 
a  voulu  subir  les  conséquences  d'un  jugement  hu- 
main, apparaît  au  haut  des  cieux  avec  un  merveil- 
leux éclat.  Après  elle  se  montre  le  Fils  de  l'homme, 
environné  de  myriades  d'esprits  célestes  ;  sa  gloire 
resplendit  comme  mille  soleils  ;  son  aspect  est  sé- 
vère, sa  démarche  imposante  ;  son  œil  est  brillant 
comme  l'éclair,  sa  bouche  semble  prête  à  proférer 
des  paroles  terribles  ;  sa  droite  tient  le  livre  de  vie, 
et  dans  sa  gauche  est  la  balance  du  sanctuaire.  C'est 
le  Législateur  souverain  qui  vient  demander  compte 
à  de  grands  coupables  des  infractions  qu'ils  ont 
faites  à  sa  loi;  c'est  le  Maître  universel  qui  vient 
punir  tout  crime  et  récompenser  toute  vertu  ;  c'est 
le  Sauveur  méconnu  et  méprisé  qui  vient  redeman- 
der à  des  ingrats  son  sang  et  sa  vie.  Un  saisissement 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  17 

de  crainte  parcourt  ces  rangs  immenses  et  serrés; 
toutes  les  tribus  de  la  terre  versent  des  pleurs  amers 
et  exhalent  de  douloureux  gémissements  :  Tune  plan- 
gent  omnes  tribus  terrœ.  Le  Seigneur  a  ramassé  toutes 
les  nations  dans  la  vallée  de  Josaphat,  et  il  va  entrer 
avec  elles  et  surtout  avec  son  peuple  dont  il  fera 
voir  les  ignominies.  Congregaho  omnes  nationes,  et 
deducam  eos  in  vallem  Josaphat,  et  disceptabo  cum  eis 
super  populo  meo  et  hœreditate  meâ...  Relebabo  pu- 
denda  tua  in  facie  tua,  et  ostendam  gentibus  nuditatem 
tuam. 

Judieium  sedit  et  libri  aperti  sunt.  Le  Juge  est  assis, 
et  le  livre  de  la  vie  ouvert;  venez,  peuples;  venez, 
princes  ;  venez  sujets,  qui  que  vous  soyez,  riches, 
pauvres,  savants,  ignorants,  grands  et  petits,  en- 
fants et  vieillards,  venez  et  entrez  en  compte  avec 
votre  Dieu. 

Approchez  d'abord,  ô  vous  justes,  au  front  des- 
quels déjà  resplendit  la  gloire  des  élus,  venez  rece- 
voir des  mains  de  votre  Dieu  l'une  des  plus  belles 
récompenses  dues  à  vos  vertus,  c'est-à-dire  la  ma- 
nifestation qui  en  est  faite  devant  le  genre  humain 
tout  entier.  Tandis  que  vous  gémissiez  dans  la  terre 
d'exil,  vos  vertus  se  cachaient  aux  yeux  du  monde, 
ou  si  elles  se  montraient  quelquefois  ce  n'était  que 
pour  recueillir  le  sarcasme  et  le  mépris. 

Eh  !  bien,  il  est  juste  que  maintenant  elles  se 
montrent  dans  tout  leur  éclat  aux  yeux  de  vos  con- 
tempteurs, afin  qu'ils  voient,  eux  qui  vous  traitaient 
d'insensés,  de    quel  côté  était    la    véritable  folie 


18  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

Vous  m'avez  reconnu  et  confessé  par  vos  œuvres, 
tandis  que  vous  étiez  au  milieu  du  monde;-  eh  ! 
bien,  maintenant,  selon  que  je  vous  l'avais  promis, 
je  veux  vous  reconnaître  pour  mes  vrais  disciples 
devant  mon  Père,  devant  mes  anges  et  devant  tout 
l'univers.  J'ai  eu  faim  et  vous  m'avez  donné  du  pain  ; 
j'ai  eu  soif  et  vous  m'avez  donné  à  boire  ;  j'ai  été 
infirme  et  prisonnier,  et  vous  m'avez  visité  ;  j'ai  été 
voyageur  et  vous  m'avez  abrité;  ehl  bien,  mainte- 
nant je  vais  vous  nourrir  éternellement  du  pain  des 
anges,  vous  enivrer  de  mes  délices,  vous  revêtir  de 
ma  gloire,  vous  donner  une  liberté  inadmissible  et 
des  forces  inaltérables,  en  un  mot,  je  vais  vous  cons- 
tituer dans  un  bonheur  sans  fin  dans  le  royaume  de 
mon  Père. 

Yenez  donc,  serviteurs  fidèles;  venez,  saints  pa- 
triarches, glorieux  prophètes,  courageux  apôtres, 
généreux  martyrs,  pieux  confesseurs,  chastes  vier- 
ges, venez  recevoir  la  récompense  de  vos  vertus, 
«entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur. 

Yenez,  saints  rois  qui  avez  préféré  une  couronne 
immortelle  à  une  couronne  périssable  ;  venez,  magis- 
trats, puissants  de  la  terre,  dépositaires  du  pouvoir, 
qui  n'avez  jamais  souillé  vos  mains  par  l'injus- 
tice; venez,  soldats  chrétiens,  qui  avez  généreu- 
sement versé  votre  sang  pour  Dieu  et  la  patrie; 
Tenez,  humbles  laboureurs,  modestes  artisans,  qui 
avez  aimé  la  pauvreté  et  l'obscurité  de  votre  con- 
dition, venez  tous  prendre  votre  part  du  céleste  héri^ 
4age. 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  19 

Venez,  parents  chrétiens,  qui  n'avez  vécu  que  pour 
donner  à  Dieu  de  vrais  et  fidèles  adorateurs;  venez, 
enfants  pieux,  qui  avez  honoré  les  auteurs  de  vos 
jours  ;  venez,  vieillards  vénérables,  qui  avez  su  rem- 
plir votre  longue  vie  par  les  œuvres  de  la  piété  1 1  de 
la  vertu;  venez,  époux  fidèles,  qui  avez  rénh-é  en 
vous  l'union  ineffable  du  Christ  et  de  son  Égli>e  ; 
venez,  jeune  homme,  au  cœur  pur,  jeune  tille  à 
l'âme  candide,  qui  avez  su  ré-ister  au  torrent  des 
passions,  aux  appâts  du  vice,  aux  entraînements  du 
monde,  venez  recueillir  les  palmes  impérissables  de 
vos  généreuses  luttes.  «  Venez  tous,  ô  les  bénis  de 
mon  Père,  venez  posséder  le  royaume  qui  vous  est 
préparé  dès  le  commencement  du  monde  !  »  O 
douces,  ô  ineffables  paroles  !  Elles  sont  pour  la  mul- 
titude des  Justes  une  source  inépuisable  des  plus 
saintes  émotions,  des  plus  douces  joies,  des  plus 
pures  délices.  Dans  l'excès  de  leur  ravissement,  ces 
bienheureux  exhalent  leur  amour  et  leur  reconnais- 
sance par  des  chants  divins,  répétant  en  chœur  le 
céleste  trisagion  :  Saint,  saint,  saint  est  le  Dieu  des 

arméesi Et  dans  ces  transports  d'un  indicible 

bonheur  ils  se  rangent,  sous  les  ordres  des  anges,  à 
la  droite  du  Juge  suprême. 

Mais  tandis  que  les  élus  sont  ainsi  glorifiés,  tan- 
dis qu'ils  commencent  à  jouir  de  leur  bonheur,  la 
foule  des  réprouvés  est  envahie  par  la  terreur,  dé- 
chirée par  les  remords,  agitée  par  la  honte  et  le  dé- 
sespoir. A  la  vue  des  Justes  ils  sont  troublés.  ~Ji,  sai- 
sis d'effroi,  ils  s'étonnent  de  leur  salut  inespéré.  Ils 


20  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

disent  en  eux-mêmes,  se  repentant  et  gémissant 
dans  l'angoisse  de  leur  cœur  :  «  Les  voilà  ceux  que 
nous  avions  en  mépris,  et  qui  étaient  l'objet  de  nos 
outrages.  Nous,  insensés,,  nous  regardions  leur  vie 
comme  une  folie  et  leur  fin  comme  un  opprobre,  et 
les  voilà  maintenant  au  nombre  des  enfants  de  Dieu, 
et  leur  partage  est  parmi  les  Saints.  Nous  nous 
sommes  donc  trompés  ;  la  lumière  de  la  Justice  n'a 
pas  lui  à  nos  yeux  et  le  soleil  de  l'intelligence  ne 
s'est  pas  levé  sur  nous.  Nous  nous  sommes  lassés 
dans  la  voie  de  l'iniquité  et  de  la  perdition  ;  nous 
avons  marché  par  des  chemins  difficiles,  et  nous 
avons  ignoré  la  voie  du  Seigneur.  Que  nous  a  servi 
l'orgueil?  Toutes  ces  choses  ont  passé  comme  le 
coursier  qui  se  hâte,  comme  le  vaisseau  qui  fend  les 
ondes,  comme  l'oiseau  qui  traverse  les  airs  ou  comme 
xh  flèche  qui  dévore  l'espace...  Nous  n'avons  donné 
aucun  signe  de  vertu  et  nous  nous  sommes  consuin- 
més  dans  notre  malice » 

A  ces  aveux  accablants  que  la  vérité  arrache  aux 
réprouvés,  la  Justice  divine  va  ajouter  le  poids  écra- 
sant d'une  solennelle  manifestation.  Il  faut  que  le 
mal  comme  le  bien  paraisse  aux  yeux  de  tout  le 
monde,  car  l'Apôtre  a  dit  :  «  Omnes  enim  nos  mantfes- 
tari  oportet  antè  tribunal  Chr/sti,  ut  referai  uvusquis- 
que  propia  corporis,  prout  gessit,  sive  bonum,  sive  ma- 
/wm.Nous  devons  tous  paraître  au  tribunal  du  Christ, 
afin  que  chacun  réponde  de  ses  actions,  bonnes  ou 
mauvaises.  » 

Paraissez  donc,  pécheurs,  et  soutenez,  si  vous  le 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  21 

pouvez,  le  poids  des  accusations  portées  contre 
Tous  par  Celui  qui  sonde  les  reins  et  les  cœurs.  Vous 
ne  sauriez  échapper  à  la  souveraine  Justice.  Quels 
qu'aient  été  votre  rang,  voire  condition,  votre  sexe, 
votre  âge,  votre  pays,  votre  siècle,  vous  avez  à  ré- 
pondre à  votre  Créateur  de  l'usage  que  vous  avez  fait 
de  votre  vie,  de  votre  santé,  de  vos  forces,  de  votre 
intelligence,  de  votre  raison,  de  votre  corps  et  de 
ses  sens,  du  monde  et  de  ses  biens,  de  la  foi  et  des 
sacrements,  en  un  mot  de  tous  les  dons  de  la 
nature  et  de  la  grâce  dont  Dieu  s'est  plu  à  vous 
comb'er. 

Lisez  dans  le  livre  de  vie  :  Voici  toutes  les  cir- 
constances de  votre  existence  terrestre,  votre  en- 
fance avec  ses  faiblesses,  votre  jeunesse  avec  ses 
emportements,  votre  maturité  avec  ses  vaines  préoc- 
cupations, votre  vieillesse  avec  son  endurcissement  et 
ses  basses  passions.  Puis  c'est  l'histoire  de  votre 
esprit,  de  votre  cœur  et  de  vos  sens;  ce  sont  vos 
pensées  impies,  injustes,  orgueilleuses,  impures;  ce 
sont  vos  imaginations  désordonnées  et  immondes, 
vos  affections  illicites,  vos  haines  furibondes,  vos 
désirs,  bas,  ignobles  et  injustes,  vos  actions  crimi- 
nelles. Voyez  ensuite  cette  longue  série  d'omissions, 
ces  talents  enfouis  ou  mal  dirigés,  ces  ignorances 
coupables  et  les  crimes  qui  s'en  sont  suivis.  Voyez 
tous  ces  crimes  que  vous  n'avez  ^s  empêchés  quand 
il  était  en  votre  pouvoir  et  de  votre  devoir  de  le  faire  ; 
voyez  tous  ces  jours  passés  dans  l'oisiveté;  tous  ces 
bons  mouvements,  toutes  ces  saintes  inspirations, 


22  DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE  CAMPAGNE 

tous  ces  remords  salutaires  que  vous  avez  méprisés  ; 
voyez  enfin  tous  ces  péchés  que  vous  avez  fait  com- 
mettre, toutes  ces  âmes  que  vous  avez  perdues  par 
vos  mauvais  exemples,  par  vos  scandales  et  par  vos 
détestables  conseils. 

Voilà  donc,  pécheur,  l'état  affreux  de  votre  âme; 
vos  membres  tremblent,  votre  cœur  défaille  devant 
ce  hideux  et  horrible  spectacle  !  N'importe!  il  vous 
faut  le  contempler.  Autrefois  vous  cherchiez  les  té- 
nèbres pour  vous  livrer  au  mal.  Non  content  de  vous 
cacher  aux  yeux  des  hommes,  vous  vous  efforciez  de 
vous  cacher  à  vous-même;  mais  le  moment  est  venu 
où  vous  devez  être  en  spectacle  à  vos  propres  yeux 
et  à  ceux  de  tous  les  hommes,  car  il  est  écrit.  :  Domi- 
na* illumiuabit  abscondita  tenebrarum,  et  manifestabit 
consiUa  cordium.  Aucune  illusion  n'est  plus  possible  : 
vous  êtes  obligé  de  vous  voir  tel  que  vous  êtes. 
Quelle  honte!  Ah!  si  du  moins  vous  pouviez  vous 
dérober  aux  regards  de  vos  semblables  !  mais  non. 

Le  Seigneur  a  dit  :  R^relabo  pudenda  tua  in  facie 
tua,  et  osiendam  gentibus  nuditatem  tuam;  il  faut  que 
cette  parole  s'accomplis>e.  En  vain  vous  essayeriez 
de  voiler  vos  ignominies  :  il  faut  qu'elles  paraissent 
aux  yeux  de  tous.  Voilà  donc  ce  Dieu  que  vous  ou- 
tragiez en  disant  :  Non  vldebii  Dominus,  non  intelliget 
Deus  Jacob;  il  vous  faut  maintenant  supporter  la  sé- 
vérité et  la  pénétration  de  son  regard.  Voilà  cet 
ange  qui  veillait  à  votre  garde  et  que  vous  avez  forcé 
à  se  voiler  de  ses  ailes  pour  n'être  point  témoin  de 
yos infamies;  voilà  ce  père,  cette  mère  à  la  surveil- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  23' 

lance  desquels  vous   avez  voulu  échapper;  mainte- 
nant il  vous  faut  affronter  leur  présence  et  rougir 
devant  eux  des  désordres  que  vous  avez   voulu  leur 
cacher.  Voilà  cet  homme  de  Dieu  qui  a  tout  fait  pour 
vous  tenir  dans  la  bonne  voie  ou  pour  vous  y  rame- 
ner :  vous  lui  avez  celé  vos  crimes;  maintenant  il 
les   voit  dans  toute  leur  perversité.  Voilà  ces  amis 
que    vous   avez    trahis   :   seuls    ils   vous   gardaient 
quelque   estime  ;   maintenant   ils    vous   reprochent 
d'avoir  trompé  leur  bonne  foi  ou  abusé  de  leur  fai- 
blesse. Voilà  ces  âmes   simples  et  pures  dont  vous 
faisiez  l'objet  de  vos   railleries   et  de  vos  mépris; 
maintenant  leur  tour  est  venu  :  c'est  à  vous  d'essuy-er 
leurs  justes  dédains  et  d'entendre  de  leur  bouche 
cette  amère  ironie  :  Voilà  donc  celui  qui  s'élevait 
contre  Dieu,  qui  sonnait  de  la  trompette   et  décla- 
rait la  guerre  au  Tout  Puissant,  et  qui  nous  trou- 
vait >i  insensés  de  le  servir.  Sa  gloire  est  tombée 
dans  l'abîme;  son  cadavre  est  étendu  sur  la  terre  et 
les  insectes  forment  son  vêtement.  Voilà  cette  foule 
innombrable  d'indifférents  qui  Tie  s'occupaient  point 
de  vous  autrefois,  mais  maintenant  tous  prennent 
cause  contre  vous,  et,  selon  le  mot  énergique  du  Pro- 
phète :  «  silflent  sur  vos  têtes,  sibilaoerunt  super  te.  » 
Voila  enfin  ces  complices  et  ces  victimes  de  vos  dé- 
sordres. Je  les  vois  fondre  sur  vous  comme  des  fu- 
ries vengeresses,  redemandant  avec  les  accents  de  la 
rage  et  du  désespoir,  leur  âme  et  leur  paradis   que 
vous   leur  avez  fait  perdre.  C'est  toi,  vil  séducteur 
qui  m'as   ravi  l'honneur  et  la  vertu I  —  C'est  toi, 


24  DOMINICALES  D'UN  CURÉ   DE  CAMPAGNE 

femme  sans  pudeur,  qui  m'as  entraîné  dans  l'abîme 
de  la  honte  !  —  C'est  toi,  père  dénaturé,  mère  sans 
entrailles,  qui  par  tes  mauvais  exemples  as  causé  mon 
malheur  éternel  1  —  C'est  toi,  frère  pervers,  sœur 
débauchée,  qui  as  corrompu  mon  jeune  cœur!  — 
C'est  toi,  ami  perfide  qui  m'as  conduit  dans  la  voie 
de  la  perdition!  Les  malédictions  les  plus  épouvan- 
tables accompagnent  ces  justes  reproches.  En  est-ce 
assez,  ô  pécheurs?  Votre  honte  est-elle  assez  grande? 
L'humanité  entière  est  témoin  de  vos  ignominies  ; 
c^est  devant  elle  aussi  que  va  être  prononcé  l'arrêt 
irrévocable  de  votre  condamnation.  «J'ai  compté  vos 
jours,  dit  le  Souverain  Juge;  j'ai  pesé  vos  œuvres 
bonnes  et  mauvaises;  je  vous  ai  trouvé  trop  léger  ; 
c'est  pourquoi  allez,  maudit,  allez  au  feu  éternel 
préparé  au  démon  et  à  ses  anges.  Vous  avez  insulté 
à  votre  Dieu  et  à  la  religion,  allez  continuer  vos 
blasphèmes  dans  la  société  des  démons  ;  vous  avez 
été  impudique,  orgueilleux,  colère,  avare  :  vous 
aurez  toute  l'éternité  pour  comprendre  le  prix  de 
l'humilité,  de  la  douceur,  de  la  chasteté,  du  désin- 
téressement et  de  toutes  les  vertus.  » 

Quels  cris  de  rage,  quels  accents  de  désespoir  sui- 
vront cette  terrible  sentence  !  «  Montagnes,  tombez 
sur  nous;  collines,  ensevelissez-nous!  Inutile  prière! 
Farrêt  reçoit  son  exécution.  La  foule  des  justes 
s'élève  triomphante  au  ciel  et  la  multitude  des  ré- 
prouvés est  précipitée  dans  l'abîme  qui  est  scellé 
par  la  colère  de  Dieu  avec  ce  mot  épouvantable  : 
Éternité!...  » 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  25 

Il  ne  tient  qu'à  nous,  mes  frères,  de  faire  tourner 
à  noire  gloire  cette  manif -station  du  dernier  jour  : 
nous  n'avons  qu'à  avoir  toujours  présente  à  l'esprit  la 
pensée  de  ce  suprême  jugement.  «  Vviez,  dit  saint 
Augustin,  comme  si  votre  juge  était  là  sur  le  point 
de  venir,  et  lorsqu'il  viendra  vous  n'aurez  plus  à  le 
redouter  :  Sic  vivp  </->asi  renturus  $it,  et  non  ttmeôii 
cùm  venent»  »  Ainsi  aoit-ii. 


26  DOMINICALES   D  UN   CURE   DE   CAMPAGNE 


IJ  DIMANCHE   DE    L'AVENT 

ÉVANGILE 

En  ce  temps-là,  Jean,  ayant  appris  dans  sa  prison 
les  œuvres  de  Jésus-Christ,  envoya  vers  lui  deux  de 
ses  disciples  avec  ces  paroles  :  «  Êtes-vous  Celui  qui 
doit  venir  ou  devons-nous  en  attendre  un  autre?  » 
Et  Jésus  leur  répondit  :  «  Allez,  rapporter  à  Jean  ce 
que  vous  avez  entendu  et  vu  :  les  aveugles  voient, 
les  boiteux  marchent,  les  lépreux  sont  guéri>,  les 
sourds  entendent,  les  morts  ressuscitent,  les  pau- 
vres sont  évangélisés;  et  bienheureux  celui  q*u 
ne  se  scandalisera  pas  de  moi.  »  Comme  ils  s'en 
retournaient,  Jésus  commença  à  dire  de  Jean  à  la 
multitude  :  «  Qu'êtes-vous  allés  voir  au  désert?  Un 
roseau  agité  par  lèvent?  Mais  encore  qu'êtes-vous 
allés  voir?  Un  homme  vêtu  mollement?  M-iis  ceux 
qui  sont  mollement  habillés  habitent  les  palais  des 
rois.  Qu'êtes-vous  donc  allés  voir?  Un  prophète? 
Oui,  je  vous  le  dis,  et  plus  qu'un  prophèle;  car  c'est 
de  lui  qVil  est  écrit  :  Voici  que  j'envoie  mon  ange 
devant  \olre  face ,  afin  qu'il  prépare  vos  voies.  » 
(Mat*.,  xi.  2-10.) 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  27 


HOMELIE 

Jean -Baptiste  était  en  prison  en  punition  de  la 
sainte  liberté  avec  laquelle  il  avait  osé  reprocher  à 
Hérode  le  double  scandale  de  son  adultère  et  de  son 
inceste.  Ce  saint  personnage  a  accompli  sa  mission, 
il  a  montré  l'Agneau  qui  porte  les  péchés  du  monde  ; 
il  ne  lui  resfee  plus  qu'à  couronner  sa  vie  par  le  mar- 
tyre. Il  s'y  prépare  dans  son  cachot.  En  attendant,  il 
se  préoccupe  de  l'avenir  de  ses  disciples.  Prêt  à  les 
quitter,  il  s'alarme  pour  eux;  il  craint  qu'après  sa 
mort,  ils  n'oublient  tout  ce  qu'il  leur  a  dit  sur  Jésus- 
Christet  qu'ils  ne  méconnaissent  Celui  qu'il  a  cher- 
ché à  leur  faire  connaître.  C'est  pourquoi  il  députe 
deux  d'entre  eux  au  Sauveur  pour  leur  fournir  l'oc- 
casion de  voir  et  d'entendre  par  eux-mêmes  toutes 
les  merveilles  qui  remplissent  le  pays  à  son  sujet.  Il 
fait  demander  à  Jésus  s'il  est  véritablement  le 
Messie  ou  si  on  doit  en  attendre  un  autre.  Ce  n'est 
pas  pour  sa  propre  satisfaction  que  le  Précurseur  fait 
cette  question.  Lui,  qui  avait  vu  l'Esprit  de  Dieu  des- 
cendre sur  le  Sauveur  sur  les  bords  du  Jourdain;  lui 
qui  avait  entendu  la  voix  du  Père  proclamant  que 
Jésus  est  son  Fils  bien-aimé,  n'avait  pas  besoin 
d'autres  preuves  pour  reconnaître  l'Envoyé  de  Dieu; 
mais  il  tient  à  ce  que  ses  disciples  soient  confirmés 
dans  leur  foi  par  le  Sauveur  lui-même  ;  il  veut 
qu'ils  s'attachent  à  lui  et  devienent  ses  plus  fidèles 
disciples.  Jusque-là  ces  hommes  simples  et  charnels 


28  DOMINICALES   D'UN  CURÉ  DE  CAMPAGNE 

n'avaient  vu  en  Jésus  qu'un  homme  ordinaire,  une 
sorte  de  concurrent  de  Jean-Baptiste  cherchant  à 
faire  école.  Ils  avaient  même  conçu  quelques  jalou- 
sies contre  lui.  Ce  qui  explique  les  reproches  qu'ils 
lui  fai-aient  de  baptiser  comme  leur  Maître  et  de  ne 
pas  exiger  de  ses  disciples  le  jeûne  et  les  autres  pra- 
tiques de  la  pénitence.  Pour  guérir  ces  préventions, 
Jean  les  envoie  à  Jésus-Christ  lui-même.  Sa  voix  les 
instruira,  ses  miracles  les  convaincront;  en  le 
voyant  de  plus  près  ils  apprendront  à  le  connaître. 
C'est  là,  c'est  à  l'école  de  Jésus-Christ  que  l'on  s'ins- 
truit, c'est  là  qu'on  acquiert  la  vraie  connaissance 
de  Dieu  et  de  soi-même,  la  science  qui  rend  saint 
et  fait  gagner  le  paradis. 

A  la  question  que  lui  posent  les  disciples  de  son 
Précurseur,  Jésus  répond  :  «  Allez  rapportera  Jean 
ce  que  vous  avez  vu  et  entendu.  Les  aveugles  voient, 
les  boiteux  marchent,  les  lépreux  sont  guéris,  les 
sourds  entendent,  les  morts  ressuscitent,  l'Évangile 
est  annoncé  aux  pauvres,  et  heureux  qui  ne  se  scan- 
dalisera pas  à  mon  sujet.  » 

Au  témoignage  de  saint  Luc,  avant  de  tenir  celan- 
gage,  le  Sauveur  fit  en  présence  des  disciples  de 
Jean  un  certain  nombre  de  miracles  :  il  guérit  des 
malades,  rendit  la  vue  à  plusieurs  aveugles  et  chassa 
les  démons.  In  ipsâ  autem  hora  multos  curavit  à  lan- 
guoribus  et  spiritibus  malis,  et  cœcis  mullis  donavit 
visum.  11  connaissait  l'intention  qu'avait  eue  Jean 
en  lui  députant  deux  de  ses  disciples  :  entrant  donc 
dans  cette  intention,  il  lui  fait  la  réponse  que  lui 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  29 

seul  pouvait  faire,  il  répond  en  Dieu.  Sa  manière  de 
les  éclairer  est  de  faire  briller  à  leurs  yeux  quelques 
rayons  de  sa  divinité.  Il  ne  dit  pas  qu'il  est  le  Mossie, 
il  le  prouve.  Que  Minos,  Numa,  Mahomet  et  cent 
autres,  se  vantant  d'avoir  des  communications  in- 
times avec  la  Divinité,  aient  voulu  être  crus  sur  pa- 
role :  c'est  la  prétention  de  l'imposture.  Mais  Celui 
qui  est  venu  pour  être  la  lumière  du  monde  opère 
ses  miracles  à  la  face  de  toute  la  terre. 

Saint  Jeùr*  interrogé  par  les  Juifs  s'il  était  le 
Messie,  avait  déclaré  nositivement  qu'il  ne  l'était  pas. 
A  la  même  question,  la  réponse  de  Jésus  est  de  faire 
voir  en  sa  personne  les  caractères  du  Messie.  Ce 
qu'il  eût  dit,  eût  pu  laisser  des  doutes,  ce  qu'il  fait 
n'en  permet  point.  La  nature,  à  qui  tout  est  soumis, 
l'obéit  qu'à  son  Maître;  et  pour  déroger  à  ses  lois  il 
aut  la  puissance  qui  les  a  faites.  C'est  pourquoi 
Jésus  n'a  pas  de  preuve  plus  incontestable  à  donner 
de  sa  mission  divine  que  les  merveilles  qu'il  opère 
comme  en  se  jouant.  Du  reste,  ce  caractère  distinc- 
tif  du  Messie  a  été  marqué  et  prédit  par  les  pro- 
phètes :  «  Dieu  lui-même  viendra,  avait  dit  Isaïe,  et 
il  vous  sauvera.  Alors  seront  ouverts  les  yeux  des 
aveugles  et  les  oreilles  des  sourds  ;  alors  le  boiteux 
bondira  comme  un  cerf,  et  la  langue  des  muets  sera 
déliée  .  Deus  ipse  veniet,  et  saluabit  vos.  Tune  aperien* 
tur  ocuii  cœcorum,  et  aures  surdorum  patebunt.  Tune 
saliet  sicut  cervus  claudus,  et  aperta  erit  lingua  muto- 
rum.  n  Ce  qu'Isaïe  avait  prédit,  Jésus  le  montre  en 
réalité.  Il  opère  les  merveilles  annoncées  par  le  pro- 

2. 


30  DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

phète  :  il  est  donc  celui  qui  avait  été  annoncé  par  ce 
prophète.  Or,  Isaïe  avait  annoncé  que  ces  grandes 
cho-es  seraient  faites  par  un  Dieu  :  Jésus  e>t  donc 
Dieu.  Voilà  le  raisonnement  que  devaient  faire  les 
disciples  de  Jean.  Inconcevable  aveuglement  des 
Juifs  !  Us  ont  entre  les  mains  les  livres  qui  leur  font 
connaître  d'avance  Jésus-Christ,  et  ils  ne  veulent 
pas  reconnaître  Jésus-Christ!  Aveuglement  plus  in- 
croyable encore  des  incrédules  !  Le  Messie  annoncé 
par  les  prophètes  est  venu,  il  a  réalisé  dans  sa  per- 
sonne tous  les  caractères  qui  le  désignaient  à  la  foi 
des  peuples  ;  il  a  fait  les  œuvres  d'un  Dieu;  il  est  là 
encore  vivant  dans  son  Église  par  sa  doctrine,  par 
sa  morale,  par  sa  grâce,  après  trois  siècles  de  per- 
sécutions et  quinze  siècles  de  luttes  de  tout  genre, 
et  ils  ne  le  voient  pas  !  et  ils  ne  croient  pas  en  lui  ! 
mes  frères,  il  faut  plaindre  ceux  que  le  soleil  laisse 
dans  les  ténèbres. 

Après  avoir  parlé  de  ses  miracles,  Jésus  ajoute  que 
l'Évangile  est  annoncé  aux  pauvres;  et  c'est  là  en- 
core un  trait  auquel  on  doit  reconnaître  en  lui  l'En- 
vc  vé  de  Dieu.  Ce  caractère  du  Messie  avait  aussi  été 
annoncé  par  Isaïe.  «  L'E-prit  du  Seigneur  est  sur 
moi  parce  qu'il  m'a  consacré.  Il  m'a  envoyé  pour 
instruire  ceux  qui  sont  doux,  pour  guérir  les  cœurs 
brisés  par  la  douleur,  pour  annoncer  le  pardon  aux 
captifs...  En  ce  temps-là  les  pauvres  se  réjouiront 
dans  le  Saint  d'Israël.  »  Ce  caractère  du  Messie,  Jé- 
sus l'a  parfaitement  réalisé  en  sa  personne  et  dans 
sa  vie.  On  peut   même  dire  qu'il  l'a  fait  à  l'exclusion 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  31 

de  tous  les  autres  maîtres.  C'est  un  bienfait  qu'on 
chercherait  en  vain  en  dehors  de  sa  religion.  Tous 
les  moralistes  qui  l'avaient  précédé,  tous  ceux  qui 
l'ont  suivi  ont  débité  leurs  leçons  dans  des  écoles  où 
ne  pouvaient  se  rendre  que  quelques  intelligences 
privilégiées.  Jésus-Christ  seul  a  ouvert  une  école 
pour  les  petits,  les  pauvres,  les  délaissés.  Il  a  com- 
mencé ,  Lui ,  à  réunir  autour  de  sa  personne 
quelques  bateliers  ignorants;  il  s'est  fait  le  maître 
d'école  des  multitudes,  laissant  de  côté  les  savants 
docteurs  de  la  loi.  Après  lui,  ses  apôtres  et  leurs 
successeurs  ont  suivi  le  même  système  :ilsontévan- 
gélisé  les  pauvres,  laissant  aux  maîtres  profanes  les 
intelligences  trop  fières  d'elles-mêmes  pour  se  cour- 
ber sous  le  joug  de  la  foi. 

Enfin,  Jésus-Christ  déclare  heureux  ceux  qui  ne  se 
scandaliseront  pas  à  son  sujet.  Au  jourde  la  présen- 
tation de  lEnfant-Dieu  au  temple,  le  vieillard  Siméon 
avait  dit  cette  étonnante  parole  :  «  Cet  enfant  a  été 
envoyé  dans  le  monde  pour  être  un  principe  de 
ruine  pour  un  grand  nombre  de  fils  d'Israël.  »  Plus 
tard  saint  Paul  dira  à  peu  près  la  même  chose.  Telle 
est,  en  efiet,  la  malice  du  cœur  humain,  qu  il  trouve 
la  mort  là  où  il  devrait  trouver  la  vie;  il  se  fait  une 
pierre  d'achoppement  du  roi  destiné  à  le  soutenir. 
Les  docteurs  de  la  loi  se  scandalisaient  des  instruc- 
tions du  Sauveur,  parce  qu'elles  montraient  leur 
ignorance;  les  pharisiens  se  scandalisaient  de  ses 
vertus  simples  et  modestes,  parce  qu'elles  condam- 
naient leur  hypocrisie  et  leur  orgueil;  le  vulgaire  se 


32  DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

scandalisait  de  sa  pauvreté  et  de  son  état  Obscur, 
parce  qu'ils  démentaient  l'idée  qu'il  s'était  faite  du 
Messie;  les  disciples  de  Jean  eux-mêmes,  de  sa 
conduite,  qu'ils  ne  trouvaient  pas  assez  sévère,  et  de 
ses  miracles  qu'ils  trouvaient  trop  bruyants.  Hélas! 
mes  frères,  les  Juifs  n'ont  pas  été  seuls  à  se  scan- 
daliser de  Jésus -Christ.  Que  de  chrétiens  trouvent 
en  lui  un  signe  de  contradiction,  une  pierre  d'a- 
choppement! Les  incrédules  se  scandalisent  de  l'in- 
compréhensibilité  de  ses  mystères  ;  les  hérétiques,  de 
l'autorité  infaillible  de  son  Église;  les  libertins,  les 
intempérants,  les  rapaces,  les  voleurs,  les  assassins, 
tous  les  pécheurs,  de  la  sévérité  de  sa  morale.  On  ne 
veut  plus  aujourd'hui  aucune  entrave  ni  pour  l'es- 
prit, ni  pour  le  cœur,  ni  pour  le  corps  ;  liberté  de 
tout  penser,  de  tout  dire,  de  tout  faire;  morale 
indépendante,  c'est-à-dire  sans  règle,  sans  responsa- 
bilité :  voilà  le  rêve  d'un  trop  grand  nombre  de  chré- 
tiens de  nos  jours.  L'Évangile,  ledécalogue,  les  mys- 
tères, le  culte,  l'Église  :  tout  cela  est  suranné;  tout 
cela  gêne;  tout  cela  doit  disparaître.  Voyez,  mes 
frères,  si  vous  ne  participez  pas  un  peu  à  cet  esprit 
d'indépendance  absolue;  si,  par  conséquent,  Jésus- 
Christ  n'est  pas  pour  vous,  à  un  certain  degré,  un 
signe  de  contradiction,  une  pierre  de  scandale?  Pre- 
nez-y garde  :  Si  Jésus-Christ  vous  scandalise,  au  lieu 
de  vous  donner  la  vie,  il  vous  donnera  la  mort.  Heu- 
reux ceux  qui  ne  sont  pas  scandalisés  par  le  Sau- 
veur! Heureux  ceux  qui  trouvent  dans  sa  loi,  non 
pas  une  occasion  de  chute,  mais  un  moyen  de  salut; 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  33 

qui  soumettent  avec  docilité  leur  esprit  à  ses  dogmes, 
leur  vie  tout  entière  à  ses  préceptes! 

Dès  que  les  disciples  de  Jean  furent  repartis,  Jésus 
se  mit  à  parler  au  peuple  de  cet  homme  admirable. 
Il  y  a  de  ce  fait  plusieurs  instructions  à  retirer.  Re- 
marquons d'abord  que  le  Sauveur  ne  loue  Jean-Bap- 
tiste ni  en  sa  présence,  ni  en  la  présence  de  ses  dis- 
ciples. Il  a  voulu  par  là  nous  apprendre  que  l'éloge 
direct  doit  être  rare,  car  il  arrive  trop  souvent  qu'il 
prend  le  caractère  de  la  flatterie;  il  devient  ainsi  fu- 
neste à  celui  qui  le  donne;  et  ensuite,  si  celui  qui  le 
reçoit  n'est  pas  d'une  humilité  solide,  il  peut  lui 
faire  du  mal  en  fournissant  un  aliment  à  son  or- 
gueil. 

En  second  lieu  il  est  à  remarquer  que  notre  divin 
Maître  n'a  jamais  loué  son  précurseur,  tant  que  ce- 
lui-ci était  libre;  mais  il  le  loue  sans  crainte  mainte- 
nant  qu'il  est  au  pouvoir  du  prince  cruel  qui  le  per- 
sécute ,  il  prend  hautement  sa  défense  en  prison. 
Il  y  a  peu  de  courage  à  dire  du  bien  de  ceux  à  qui 
tout  prospère,  qui  sont  l'objet  de  la  considération 
universelle;  mais  il  y  en  a  beaucoup  à  prendre  leur 
défense,  quand  ils  sont  persécutés.  Rien  de  plus  com- 
mun que  d'entendre  débiter  la  calomnie  ;  rien  de  plus 
rare  que  de  la  repousser.  Combien  de  fois  n'avons- 
nous  pas  entendu  déchirer  la  réputation  du  prochain, 
sans  nous  mettre  en  devoir  de  le  justifier  1  La  crainte 
de  déplaire  au  méchant  nous  empêchait  de  soutenir 
les  droits  de  la  justice.  Qui  sait  même  si  une  secrète 
malignité  ne  nous  faisait  pas  trouver  quelque  plaisir 


34  DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

à  entendre  ces  cruelles  imputations?  Ne  nous  est-il 
pas  arrivé  aussi  quelquefois  de  donner  un  rire  de 
complaisance  à  de  sanglantes  railleries?  Notre  si- 
lence mêmen'a-t-il  pas  élé  coupable?  On  accrédite  la 
calomnie,  lorsqu'on  ne  dit  pas  ce  qui  pourrait  la  faire 
tomber.  Rappelons-nous  que  Dieu  nous  a  faits  tous 
solidaires,  quil  a  confié  à  chacun  de  nous  le  soin  de 
notée  prochain,  et  par  conséquent  de  sa  réputation. 
Sachons  triompher  du  respect  humain  en  prenant 
sa  défense  devant  ses  calomniateurs.  Loin  de  nous 
condamner,  le  monde  applaudira  à  notre  courage,  et 
Dieu  nous  ménagera  des  défenseurs  si  le  jour  de 
l'épreuve  arrive  pour  nous. 

Nuire  Sauveur  prend  la  défense  de  Jean  en  louant 
sa  fermeté  et  sa  mortification.  «  Qu  êtes-vous  allés 
voir  au  désert?  Est-ce  un  roseau  agité  par  le  vent?  » 
Non,  Jean-Baptiste  n'est  pas  un  roseau  qui  plie  au 
moindre  vent;  ce  n'est  pas  un  homme  tournant  à 
tout  vent  de  doctrine ,  changeant  à  tout  instant 
d'état  dévie;  aujourd'hui  pieux,  demain  indifférent, 
un  jour  dans  la  soliiude  ,  le  lendemain  dans  le 
mcnde;  le  matin  au  temple,  le  soir  au  spectacle. 
Jean  est  à  la  fin  de  sa  vie,  ce  qu'il  a  été  dès  les  pre- 
mières années,  homme  d'une  foi  solide,  de  mœurs 
austères.  La  prison ,  la  persécution  ne  l'ont  point 
changé;  il  a  rempli  son  devoir  au  péril  de  sa  vie;  il 
attend  avec  un  courage  invincible  la  mort  qui  lui  est 
réservée.  Combien,  mes  frères,  cette  conduite  de 
Jean  condamne  la  nôtre!  Notre  vie  est  une  alterna- 
tive de  résolutions  et  de  chutes,   de  désirs  et  de  re-. 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  35 

grets,  de  péchés  et  de  repentirs.  Nous  connaissons 
nos  oevoirs,  mais  nous  n'avons  pas  la  force  de  les 
remplir;  nous  voulons  le  bien,  mais  nous  n'avons 
pas  le  courage  de  le  faire.  Que  l'exemple  de  Jean- 
Baptiste  nous  fasse  rougir  de  notre  perpétuelle  mo- 
bilité; prenons  enfin  cette  consistance  qui  est  le  ca- 
ractère de  la  vraie  vertu,  et  méritons  de  recevoir  un 
jour  de  la  bouche  de  Notre-Seigneur  l'éloge  qu'il  fait 
aujourd'hui  de  son  précurseur. 

Après  avoir  loué  la  constance  de  saint  Jean,  Jésus 
fait  l'éloge  de  sa  mortification;  aucun  homme  jus- 
que-là ne  l'avait  portée  si  loin.  Depuis  son  enfance  il 
avait  vécu  au  désert,  n'ayant  pour  tout  vêtement 
qu'une  ceinture  en  poils  de  chameau  et  pour  toute 
nourriture  que  des  sauterelles  et  du  miel  sauvage. 
Avant  de  prêcher  la  pénitence,  cet  homme  qui  n'a- 
vait jamais  eu  de  fautes  à  expier,  avait  pratiqué  les 
plus  rigoureuses  attentés.  Il  s'était  fait  le  modèle 
de  la  pénitence,  afin  d'avoir  le  droit  de  la  prêcher. 
C'était  cette  vie  de  privations,  de  veilles,  de  jeûnes, 
de  macérations  qui  avait  attiré  près  de  lui  les  multi- 
tudes étonuées  d'une  si  haute  perfection.  Jésus  Christ 
consacre  cette  vénération  des  peuples  en  faisant  l'é- 
loge de  ce  qui  la  produisait.  Mais  en  louant  Jean-Bap- 
tiste le  Seigneur  nous  condamne,  car  nous  sommes 
loin  de  la  mortification  du  Précurseur.  Le  luxe, 
la  mollesse,  la  vie  sensuelle  ne  se  trouvent  plus  seu- 
lement en  haut,  dans  les  rangs  de  la  société  dont  elle 
semble  l'apanage  naturel,  mais  ils  ont  tout  envahi. 
Toutes  les  couditions  sont  alfainées  de  jouissances. 


36  DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

Od  ne  recherche  plus  que  cela,  on  ne  travaille  plus 
que  pour  cela,  on  ne  vit  plus  que  pour  cela.  Aussi, 
toute-t  sacrifié  au  sensualisme  :  la  vie  de  famille, 
les  bonnes  mœurs,  la  réputation,  la  santé,  jusqu'à 
la  conscience.  Pour  jouir,  le  chef  de  famille  sacri- 
fie l'éducation  de  ses  enfants;  la  femme  vend  sa  pu- 
deur; le  magistrat  transige  avec  la  justice;  le  militaire 
foi  fait  à  l'honneur;  le  financier,  le  négociant,  l'indus- 
triel se  font  un  jeu  de  la  probité.  Quelle  déplorable 
situation!  On  oublie  qu'il  n'y  a  qu'un  chemin  pour 
aller  au  ciel,  c'est  le  chemin  de  la  croix,  le  chemin 
des  modifications.  Jésus-Christ  â  passé  par  là;  tous 
les  saints  l'y  ont  suivi  ;  et  nous  croirions  y  aller  par 
une  autre  voie,  par  la  voie  des  fleurs,  des  plaisirs, 
des  satisfactions  sensuelles  I  Ah!  détrompons-vous. 
L'Évangile  n'a  pas  changé;  il  faut  le  suivre  ou  se  dé- 
cider d'avance  à  se  passer  du  ciel. 

Notre  Seigneur  complète  l'éloge  de  saint  Jean  en 
proclamant  que  c'est  un  prophète  et  plus  qu'un  pro- 
phète, n  (Ju'êtes-vous  donc  allés  voir  au  désert?  Un 
prophète?  Oui,  et,  je  vous  le  dis,  plus  qu'un  pro- 
phète. »  L'humilité  de  saint  Jean  l'avait  empêché  de 
se  reconnaître  pour  un  prophète,  la  justice  de  Jésus- 
Christ  l'en  récompense  en  le  plaçant  au-dessus  des 
prophète-.  Non  seulement  il  est,  comme  eux,  porteur 
des  oracles  divins,  mais,  ce  qui  n'a  été  accordé  à 
aucun  d'eux,  il  est  l'objet  des  oracles. 

Tous  les  siècles  concourent  à  sa  gloire  :  ceux  qui 
l'ont  précédé  en  le  prédisant;  ceux  qui  le  suivent,  en 
l'honorant.  Il  n'annonce  pas   seulement  de  loin  le 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES  37, 

Christ,  comme  ont  fait  les  autres  prophètes,  il  le 
montre  à  la  terre.  Il  ferme  la  succession  des  prophètes 
et  ouvre  celle  des  apôtres.  Il  appartient  tout  à  la 
fois  à  la  loi  ancienne  et  à  la  nouvelle.  l>ophète 
apôtre,  docteur,  solitaire,  vierge,  martyr,  il  esi  tout 
cela  en  même  temps.  Il  réunit  tous  les  titres  à  la 
sainteté.  Aussi  le  Sauveur  termine-t-il  son  éloge  en 
déclarant  qu'entre  tous  les  fils  des  femmes  il  n'en  est 
pas  de  plus  grand  que  Jean-Baptiste.  L'éloge  ne  peut 
pas  aller  plus  loin. 

Un  saint  qui  a  mérité  d'être  ainsi  loué  par  Celui 
qui  voit  des  taches  dans  les  anges  doit  avoir  au  ciel 
un  grand  crédit.  Adressez-vous  donc  à  lui,  mes  frères, 
en  toute  confiance  pour  obtenir  de  Dieu  la  grâce 
de  marcher  comme  lui  dans  la  voie  de  la  justice  avec 
une  constance  et  une  fermeté  invariables,  afin  de 
mériter  comme  lui  d'être  loués  par  le  Juge  suprême 
des  vivants  et  des  morts.  Amen, 


38  DOMINICALES   D  UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


POUR    LE    MEME    DIMANCHE 

MISSION  DIVINE  DE  JÉSUS-CHRIST 


Cceci  vident...  pauperes  evangelisan» 
tur,  et  beatus  qui  non  fuerit  scandalisé' 
tus  in  me.  (Math.,  xi,  5.) 


Mes  Frères, 
Du  fond  de  la  prison  où  l'a  enfermé  le  cruel  Hé- 
rode,  Jean-Baptiste  entend  parler  des  merveilles 
opérées  par  Jésus  de  Nazareth  ;  aussitôt  il  envoie 
deux  de  ses  disciples  pour  lui  poser  cette  question  : 
«  Êtes-vous  celui  qui  doit  venir,  ou  devons-nous  en 
attendre  un  autre  :  Tu  es  qui  ventwws  es,  analium 
expectamus?  »  Jésus  répond  :  «  Allez  dire  à  votre 
maître  ce  que  vous  avez  vu  :  les  aveugles  voient,  les 
boiteux  marchent  droit,  les  sourds  entendent,  les 
lépreux  sont  guéris,  les  pauvres  sont  évangélisés, 
et  heureux  celui  qui  ne  trouvera  pas  en  moi 
une  pierre  de  scandale.  »  Est-ce  que  Jean  doute 
de  la  mission  divine  du  Sauveur?  Est-ce  pour 
lui  qu'il  fait  demander  à  Jésus  s'il  est  réellement  le 
Messie  promis  ?  Évidemment  non.  Abraham  a  vu  le 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  39 

jour  du  Seigneur  ;  Isaïe  a  vu  sa  gloire  et  nous  l'a  dé- 
peinte; tous  les  prophètes  l'ont  vu  en  esprit  ;  et  celui 
qui  est  plus  qu'un  prophète  l'aurait  ignoré  !  Celui 
qui  a  été  envoyé  pour  rendre  témoignage  à  la  lu- 
mière aurait  été  dans  les  lénèbres!  Non,  cela  n'est 
pas  possible.  Jean  a  vu  l'Agneau  sans  tache,  il  l'a 
montré  au  monde;  il  a  entendu  la  voix  du  Père  pro- 
clamer son  Fils  bien-aimé.  Ce  n'est  donc  pas  pour 
satisfaire  sa  curiosité  qu'il  envoie  des  disciples  à 
Jésus,  mais  pour  amener  ses  disciples  à  reconnaître 
dans  Jésus  le  vrai  Christ  envoyé  pour  sauver  le  genre 
humain. 

Et  quelles  preuves  Jésus  donne-t-il  de  la  divinité 
de  sa  mission?  Il  affirme  que  les  infirmités  humaines 
sont  guéries,  que  les  pauvres  sont  évangélisés  et 
qu'il  est  lui-même  un  scandale  pour  un  grand 
nombre.  Suivons  ces  pensées. 


Saint  Pierre  a  dit  du  Sauveur  qu'il  a  passé  en  fai- 
sant le  bien.  C'est,  en  effet,  ce  que  racontent  les  évan- 
gélistes.  «  Il  parcourait,  disent-ils,  toute  la  Galilée, 
guérissant  toute  langueur  et  toute  infirmité  parmi  le 
peuple.  Et  sa  réputation  se  répandit  dans  toute  la 
Syrie,  et  on  lui  présenta  tous  ceux  qui  avaient  quel- 
que mal,  qui  étaient  affligés  de  quelque  maladie,  de 
quelque  souffrance,  qui  étaient  possédés  par  le  dé- 


40  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

mon,  ou  qui  étaient  paralytiques,  et  il  les  guérit.  — 
Et  une  multitude  nombreuse  était  venue  de  Judée 
de  Jérusalem,  des  bords  de  la  md-,  de  Tyr,  de 
Sidon,  pour  l'entendre  et  pour  être  guérie.  Et  ceux 
qui  étaient  tourmentés  par  les  esprits  immondes 
étaient  délivrés.  —  Et  toute  la  foule  cherchait  à  le 
toucher,  parce  qu'une  vertu  surhumaine  s'échappait 
de  lui.   » 

Ainsi,  non  seulement  de  toutes  parts  on  amenait 
les  malades  à  Jésus,  mais  lui-même  allait  eu  quel- 
que sorte  à  leur  recherche  :  il  parcourait  non  seu- 
lement la  Judée,  mais  la  Galilée,  la  Syrie,  les  régions 
maritimes  et  Tyr  et  Sidon.  Saint  Pierre  a  bien  raison 
de  dire  :  Tramiil  benefaciendo.  Quand  les  panégyristes 
profanes  veulent  exalter  un  glorieux  conquérant  ils 
disent  :  u  Non  tam  passibus  quam  victoriis  peragravitr 
Chaque  pas  a  été  marquée  par  une  victoire,  »  quoique 
chaque  victoire  ne  soit  autre  chose  que  le  pillage,  le 
carnage,  la  dévastation  et  la  mort.  Mais  tout  autre 
est  le  passage  du  Sauveur  :  ses  pas  sont  marqués 
par  des  bienfaits.  Quand  il  avait  passé  par  quelque 
endroit,  il  ne  fallait  plus  après  y  chercher  un  ma- 
lade :  Jésus  avait  tout  guéri. 

Or,  cette  puissance  si  absolue,  si  constante  sur  la 
maladie  de  quelque  nom  qu'elle  s'appelle,  n'est-elle 
pas  un  témoignage  incontestable  d'une  mission  di- 
vine? Quel  est  donc  le  médecin  qui  a  su  guérir  toutes 
les  maladies  sans  aucun  remè'de,  par  un  seul  acte  de 
sa  volonté?  Que  toutes  les  illustrations  médicales  se 
réunissent  et  disent  à   un  paralytique  de  trentd* 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES  41 

huit  ans  :  Prends  ton  grabat  et  marche;  et  on  verra 
s'ils  seront  obéis. 

Quand  donc  Jésus  dit  aux  disciples  de  Jean  :  Les 
aveugles  voient,  les  muets  parlent,  les  sourds 
entendent,  les  boiteux  marchent,  les  morts  ressus- 
citent, etc,  il  leur  donne  la  preuve  la  plus  incontes- 
table de  la  divinité  de  sa  mission.  Celui  qui  com- 
mande avec  cette  autorité  à  la  maladie,  celui  qui  se 
montre  ainsi  le  maître  de  la  santé,  de  la  vie  et  de  la 
mort  ne  peut  pas  être  un  simple  mortel.  La  nature 
n'obéit  avec  cette  docilité  qu'à  celui  qui  est  son  au* 
teur.  Jésus  réalise  donc  un  caractère  attribué  au 
Messie.  Ce  qui  le  prouve  mieux  encore,  c'est  que  les 
pauvres  sont  évangélisés. 


Dans  les  sociétés  païennes  le  pauvre  était  compté 
pour  rien;  nul  ne  songeait  à  lui  si  ce  n'est  pour  en 
tirer  des  services.  Quant  à  l'instruire  on  s'en  fût  bien 
gardé,  de  peur  de  lui  donner  des  idées  d'indépen- 
dance. Les  philosophes  avaient  des  écoles  dont  la  re- 
nommée est  arrivée  jusqu'à  nous;  mais  ils  n'avaient 
qu'un  très  petit  nombre  de  disciples,  et  ces  disci- 
ples étaient  choisis  exclusivement  chez  les  riches. 
11  était  réservé  au  Christ  de  tirer  le  pauvre  de  son 
abjection  et  de  l'élever  par  l'instruction.  Aussi  Isaïe 
annonçant  le  Messie  met  dans  sa  bouche  ces 
paroles  :  L'Esprit  de  Dieu  est  sur  moi,  parce   qu'il 


42  DOMINICAINS   DUN  CURÉ  DE   CAMPAGNE 

m'a  sacré  et  m'a  envoyé  évangéliser  les  pauvres, 
guérir  les  cœurs  affligés,  prêcher  la  liberté  aux 
captifs,  consoler  ceux  qui  pleurent  et  changer 
en  joie  la  tristesse  de  ceux  qui  se  lamentent  en 
Sion.  Cette  prophétie  regarde  évidemment  le  Sau- 
veur. Il  se  l'est  appliquée  un  jour  en  présence  de 
toute  la  synagogue  à  Nazareth.  Du  reste,  son  évan- 
gile est  plein  d'enseignements  pour  les  pauvres. 
Écoutez  son  premier  sermon;  ses  premières  paroles 
sont  pour  les  pauvres  :  «  Bienheureux  les  pauvres 
par  l'esprit  car  le  royaume  des  cieuxest  à  eux  :  Beati 
paupercs  spiritu,  quia  ipsorum  est  regnum  cœlorum. 
Bienheureux  ceux  qui  pleurent,  parce  qu'ils  seront 
consolés,  Beati  qui  lu  g  ent  quia  ipsi  consolaôuntur...» 
«  Oh  !  que  Jésus-Christ  est  ancien  dans  la  nouveauté 
de  son  évangile!  s'écrie  Tertullien  :  0  Christumet  in 
novis  veterum!  »  Ce  qu'il  fait  est  nouveau,  parce  que 
personne  ne  l'a  fait  avant  lui  ;  ce  qu'il  fait  est  néan- 
moins ancien  parce  que  le  prophète  l'avait  prédit. 
Quel  autre  a  jamais  apporté  de  meilleures  nouvelles 
aux  pauvres  que  celles  que  le  pauvre  Jésus  leur  a  an- 
noncées, auand  il  leur  a  prêché  sa  venue!  0  pauvres, 
réjouissez-vous,  voici  un  compagnon  qui  vous  ar- 
rive ;  mais  un  compagnon  si  grand,  si  admi- 
rable, qu'il  vaut  mieux  être  pauvre  en  sa  compagnie 
que  d'être  maître  et  tout-puissant  dans  les  assemblées 
des  mondains.  Les  pauvres  sont  ses  bons  amis  :  ce 
sont  eux  qu'il  choisit  pour  ses  apôtres  ;  ce  scKit  eux 
qu'il  admet  dans  ses  confidences;  c'est  à  eux  qu'il 
dévoile  tous  ses  mystères  :  et  cum  siinplicibus  sermoci- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES  43 

natio  ejus;  ce  sont  eux  qu'il  va  prendre  sous  le  chaume 
et  à  la  masure  pour  les  placer  parmi  les  princes  de 
son  peuple  :  Et  de  stercore  erigens  pauperem  utcollocet 
eum  cum  principibus  populi  sui. 

Ce  que  Jésus-Christ  a  fait,  l'Eglise,  héritière  de  sa 
doctrine  et  de  ses  sentiments,  le  fait  encore  tous  les 
jours.  Elle  a  pour  les  pauvres  une  prédilection  par- 
ticulière; elle  bâtit  pour  elle  des  asiles  semblables  à 
des  châteaux;  elle  donne  à  leurs  intelligences  les  lu- 
mières de  la  foi  ;  elle  met  dans  leurs  cœurs  les  plus 
nobles  sentiments;  elle  donne  à  leurs  corps  la  nour- 
riture quand  ils  se  portent  bien  et  les  remèdes  quand 
ils  sont  malades.  Il  n'est  pas  un  besoin,  pas  une 
souffrance  qui  lui  échappe.  Elle  a  des  cœurs  dévoués 
pour  toutes  les  nécessités.  Il  est  donc  vrai  de  dire 
qu*  tnniours  les  pauvres  sont  évangélisés,  pauperes 
'■  vangelisantur. 


III 


Le  Seigneur  ajoute  :  «  Bienheureux  celui  qui  ne  se 
scandalisera  pas  de  moi  :  «  Beatus  qui  non  fuerit  scan- 
datisatus  in  me.  »  Jésus -Christ  n'a  été  que  trop  bon 
prophète  :  il  est  devenu  le  scandale  des  Juifs  et  des 
mauvais  chrétiens.  Cela  étonne.  Une  mission  si  bien 
attestée  par  toutes  sortes  de  prodiges  et  par  .les  pro- 
phéties les  plus  éclatantes  peut-elle  être  contestée? 
Puis  où  trouver  plus  de  sainteté?  QeDile  abnégation! 
L'a-t-on  vu  à  la  porte  des  grands  pour  mendier  leurs 


44  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

faveurs?  S'est-il  intrigué  dans  les  affaires  du  monde? 
A-t-il  flatté  l'ambition  et  la  vanité  des  princ  3?  N'a- 
t-il  pas,  au  contraire,  mené  la  vie  la  plus  obscure,  la 
plus  commune,  fréquentant  les  pauvres,  soutirant 
toutes  sortes  de  privations?  Dans  sa  carrière  apos- 
tolique quel  renoncement  !  Il  ne  se  recherche  pas 
lui-  même  ;  il  vit  au  jour  le  jour  ;  il  fuit  les  honneurs  ; 
il  parle  avec  modestie,  sans  art,  en  paraboles,  de 
manière  à  être  compris  de  tous;  il  dédaigne  les  res- 
sources delà  rhétorique,  les  artifices  de  l'art  oratoire; 
il  se  contente  d'exposer  dans  le  langage  le  plus  simple 
les  vérités  les  plus  sublimes  parlant  néanmoins  avec 
autorité  et  une  sainte  liberté.  Eh  bien,  que  pouvait- 
on  trouver  à  redire  dans  une  vie  si  bien  réglée?  Et 
cependant  il  sait  qu'il  sera  pour  un  grand  nombre  un 
sujet  de  scandale;  il  le  déclare  et  il  déclare  bien- 
heureux celui  qui  ne  trouvera  pas  en  lui  une  pierre 
d'achoppement  :  Beatus  qui  non  fuerit  scandalisatus 
in  me. 

Isaïe  avait  dit  de  lui  :  «  Il  sera  pour  vous  un  prin- 
cipe de  sanctification.  Et  erit  vobis  in  sanctificalionem  ; 
mais  il  sera  une  pierre  d'achoppement,  un  scandale 
pour  les  deux  maisons  d'Israël  :  In  lapidem  autem  offen- 
îionis,  et  in  petram  scandait  duabus  domibus  Israël;  il 
sera  pour  les  habitants  d'Israël  un  piège  et  un  prin- 
cipe de  ruine  :  In  laqueum  et  in  ruinan  habilantibus  Jé- 
rusalem. »  C'est  encore  de  lui  que  le  Psalmiste  a  dit  : 
«  La  pierre  que  l'architecte  a  repoussée  est  devenue 
la  pierre  angulaire  de  l'édifice  :  Lapidem  quem  reproba* 
verunt  œdificantes  factus  est  in  caput  anguli.  »  C'est  dé 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  45 

lui  aussi  que  le  vieillard  Siméon  a  dit  :  «  Cet  enfant 
est  placé   dans   le  monde  pour  la  ruine   d'un  grand 
nombre  et  comme  signe  de  contradiction  :  Posdus  est 
hic  in  ruinam...  et  in  signum  cui  contradicetur.  »  C'est 
de  lui  enfin  qu'il  a  dit  lui-même  :  «   Je  suis  venu  en 
ce  monde  pour  le  juger,  afin  que  ceux  qui  ne  voient 
pas  arrivent  à  la  lumière  et  que  ceux  qui  voient  de- 
viennent aveugles  :  In  judicium  ego  in  hune  mundum 
veni,  ut  qui  non  vident  videant,  et  qui  vident  cœci  fiant.  » 
Toutes  ces  paroles  se  sont  réalisées.   L'esprit  de 
l'homme  n'a  rien  compris  à  l'œuvre  admirable  de 
Jésus-Christ.   Il   s'agissait   de   réhabiliter   le   genre 
humain,  de  réparer  le  mal  qui  lui  avait  été  fait  par 
la  chute  originelle.   Le  Sauveur  a  employé  sa  vie 
tout  entière  à  refaire  l'édifice   détruit  par  le  péché. 
Mais  l'homme  sensuel,  descendu  à  la  stupidité  ani- 
male par  suite  des  ravages  exercés  sur  lui  par  ses 
passions,  n'a  pas  su  seulement  soulever  un  coin  du 
voile  du  chef-d'œuvre  de  Dieu.   Dans  cette   œuvre 
tout  le  choque,  tout  l'embarrasse,  tout  le  trouble, 
tout  le  scandalise.  De  là  la  résistance  opposée  à  la 
parole  et  aux  préceptes  du  Sauveur.  Les  ans  disent 
que  c'est  un  séducteur;   les   autres  l'accusent  de 
blasphémer.   S'il  guérit   un  paralytique  le  jour  du 
sabbat,  ils  vont  jusqu'à  lui  en  faire  un  crime  et  à  le 
regarder  comme  un   violateur  de  la  loi;   s'il  chasse 
les  démons,  ils  disent  que  c'est  au  nom  de  Beelzé- 
buth.  Ils  l'accusent  d'impiété  s'il  se  dit  fils  de  Dieu; 
et  quand  il  affirme  qu'il  était  avant  Abraham,  ils  le 
traitent  de  fou  et  de  démoniaque. 

3. 


46  DOMINICALES  D'UN    CURE    DE   COMPAGNE 

Les  Gentils  à  leur  tour  ont  trouvé  en  lui  une  pierre 
d'achoppement.  Ils  se  sont  scandalisés  de  ses  anéan- 
tissements, de  sa  pauvreté  volontaire  et  surtout  de 
sa  mort.  Un  Dieu  qui  se  laisse  tuer  est  pour  eux  le 
dernier  des  scandales.  Sa  doctrine  qui  enseigne  des 
vérités  inaccessibles  à  la  raison,  sa  morale  qui  va  à 
rencontre  de  toutes  les  passions,  ont  été  regardées 
par  eux  comme  la  plus  grande  folie  sortie  d'un  cer- 
veau humain. 

Et  parmi  ceux  qui  se  rangèrent  d'abord  sous  sa 
discipline,  combien  qui  s'en  sont  ensuite  scanda- 
lisés !  Toutes  les  vérités  chrétiennes  n'ont-elles  pas 
été  attaquées  par  des  esprits  qui  faisaient  profession 
de  christianisme?  Arius  a  nié  la  divinité  de  Jésus- 
Christ;  Marcion,  son  humanité;  Nestorius- a  divisé 
les  personnes;  Eutychès  a  confondu  les  natures. 
Quant  à  la  doctrine  du  Sauveur,  il  n'est  pas  un  seul 
point  qui  n'ait  été  attaqué,  qui  ne  soit  devenu  une 
hérésie  et  n'ait  donné  naissance  à  une  secte. 

Que  les  Gentils,  les  Juifs  et  les  hérétiques  se  soient 
scandalisés  du  Seigneur  Jésus,  cela  peut  se  com- 
prendre ;  on  peut  s'attendre  à  cela  de  la  part 
d'hommes  prévenus,  égarés  par  leurs  passions,  en- 
nemis déclarés;  mais  que  des  catholiques,  en- 
fants de  l'Église,  disciples  du  Sauveur,  vivent  de 
manière  à  faire  voir  que  Jésus-Christ  les  choque  et 
les  scandalise,  c'est  ce  que  l'on  ne  conçoit  pas,  ce 
qui  est  déplorable  au  suprême  degré.  L'un  trouve 
une  pierre  d'achoppement  dans  l'humilité  du  Sau- 
veur, et  croit  qu'il  faut  savoir  garder  sa  dignité; 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES  47 

l'autre  la  trouve  dans  ses  humiliations  et  son  amour 
pour  la  croix  et  dit  tout  haut  que  ce  n'est  pas  savoir 
Tivre  que  ne  pas  rechercher  ici-bas  la  plus  grande 
somme  possible  de  jouissance. 

A  vrai  dire,  tous  plus  ou  moins,  nous  nous  scan- 
dalisons de  Jésus-Christ.  Nous  aimons  les  richesses, 
et  Jésus  les  méprisait;  nous  nous  attachons  au 
monde,  et  Jésus  l'a  condamné.  Oui,  Jésus  vous  est 
un  scandale,  ô  vindicatif,  parce  qu'il  a  pardonné  les 
injures  ;  Jésus  vous  est  un  scandale,  ô  riche  avare, 
parce  qu'il  est  le  père  et  le  protecteur  des  pauvres; 
Jésus  vous  est  un  scandale,  ô  hypocrite,  parce  que 
vous  faites  servir  sa  religion  de  couverture  à  vos 
mœurs  corrompues  ;  Jésus  vous  est  un  scandale, 
vous  tous  qui,  par  les  désordres  de  votre  vie,  faitts 
blasphémer  son  saint  nom  par  ses  ennemis. 

En  présence  de  ce  scandale  universel,  efforçons- 
nous,  chrétiens,  de  nous  rapprocher  plus  que  jamais 
de  notre  Sauveur.  Disons  comme  saint  Pierre  : 
«  Quand  même,  ô  Seigneur,  tous  se  scandaliseraient 
en  vous,  moi  je  ne  m'en  scandaliserai  jamais. 
Etiamn  omnes  scandalisati  fuerint  in  te,  ego  numquarn 
scandalisabor.  »  Que  sa  doctrine  devienne  la  règle  de 
notre  conduite;  que  sa  loi  soit  l'objet  de  tous  nos 
respects;  que  sa  vie  soit  le  modèle  de  la  nôtre,  et 
nous  mériterons  par  là  de  le  posséder  éternellement 
dans  le  ciel.  Amen. 


48  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


IIIe  DIMANCHE  DE  L'AVENT 

EVANGILE 

Les  Juifs  envoyèrent  de  Jérusalem  des  prêtres  et 
des  lévites  vers  Jean,  pour  lui  demander  :  Qui  êtes- 
vous  ?  et  il  le  confessa,  et  il  ne  le  nia  point,  et  il  dé- 
clara qu'il  n'était  point  le  Christ.  Et  ils  lui  deman- 
dèrent :  Quoi  donc?  Êtes-vous  Élie?  Il  dit  :  Je  ne  le 
suis  point.  Êtes-vous  un  prophète  ?  Et  il  répondit  : 
non.  Ils  lui  dirent  donc  :  Qui  êtes-vous,  afin  que 
nous  rendions  compte  à  ceux  qui  nous  ont  envoyés? 
Que  dites-vous  de  vous-même?  Je  suis,  dit-il,  la  voix 
de  Celui  qui  crie  dans  le  désert  :   Rendez  droite  la 
voie  du  Seigneur,  ainsi  que  l'a  dit  le  prophète  Isaïe. 
Or,  ceux  qui  avaient  été  envoyés  étaient  des  Phari- 
siens, et  ils  lui  firent  encore  cette  demande  :  Pour- 
quoi donc  baptisez-vous,  si  vous  n'êtes  ni  le  Christ, 
ni  Élie,  ni  un  prophète?  Jean  leur  répondit  :  Pour 
moi  je  baptise  dans  l'eau  ;  mais  au  milieu  de  vous 
se  tient  un  Homme  que  vous  ne  connaissez  pas  ; 
c'est  celui  qui  doit  venir  après  moi,  qui  a  été  fait 
avant  moi,  et  je  ne  suis  pas  digne  de  délier  la  cour- 
roie de  ses  souliers.   Cela  se  passa  à  Béthanie,   au 
delà  du  Jourdain,  où  Jean  baptisait.  (Jean,  i,  19-28.) 


HCMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  49 

MÉLIE 

Miserunt  Judœi  sacer dotes  ad  eum, 
ut  interrogarent  eum  :  Tu  guis  es? 
(Jean  i,  19.) 

En  ce  temps-là,  les  Juifs  envoyèrent  à  Jean  des 
ambassadeurs,  pour  lui  demander  :  Qui  êtes-vous?... 
Êtes-vous  le  Messie?  Il  répondit  humblement  qu'il 
n'était  qu'une  voix  envoyée  de  Dieu  pour  les  avertir 
de  se  préparer  à  recevoir  le  Messie. 

Voilà  ce  qui  se  passe  à  Béthanie,  au  delà  du  Jour- 
dain, où  saint  Jean-Baptiste  baptisait.  Voici  les 
réflexions  que  nous  suggère,  de  cet  Évangile,  le  pas- 
sage cité  en  commençant.  Cette  question  :  Tu  quis 
es  ?  adressée  à  Jean  par  les  Juifs,  je  vous  l'adresse  à 
vous-mêmes  :  Tu  quis  es?  Quid  dicis  de  teipso?  Assez 
longtemps  vous  avez  parlé  des  autres,  dans  vos 
conversations  et  dans  vos  jugements.  Occupez-vous 
aujourd'hui  de  vous-mêmes  :  Attende  tibi.  Quid  dicis 
de  teipso?  Tu  quis  es?  Je  vous  adresse  cette  question 
avec  l'autorité  que  me  donne  le  ministère  de  la 
parole  sainte,  sans  respect  humain,  mais  avec  l'amour 
que  vous  a  voué  mon  cœur  de  prêtre,  sans  aigreur. 
Pour  faire  à  ma  demande  des  réponses  pertinentes, 
convenables ,  recueillez-vous  ,  étudiez-vous  vous- 
mêmes  ;  considérez  votre  existence  et  vos  qualités  ; 
examinez  vos  rapports  avec  Dieu,  avec  les  hommes, 
avec  vous-mêmes  ;  de  cet  examen  jaillira  un  rayon 
lumineux  qui,  vous  montrant  ce  que  vous  êtes,  vous 
montrera  ce  que  vous  devez  faire. 


50  DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 


1 


Donc,  je  vous  le  demande  :  Tu  quises?...  J'entends 
quelqu'un  de  vous  répondre  :  Je  suis  F  ouvrage  des 
mains  de  Dieu,  je  suis  sa  créature.  Cette  réponse  est 
aussi  profonde  dans  sa  vérité  qu'elle  est  étendue 
dans  son  objet.  Oui,  c'est  vrai,  c'est  Dieu  qui  vous 
a  créé  et  donné  tout  ce  que  vous  avez,  tout  ce  que 
vous  êtes.  Il  y  a  cependant  dans  le  monde  des 
hommes  qui  se  disent  savants,  et  qui  nient  cette  vé- 
rité. Ils  rient  de  pitié  en  face  de  celui  qui  leur  soutient 
qu'une  horloge,  qu'une  maison,  qu'une  statue  sont 
le  produit  du  hasard  et  ils  se  fâchent  si  on  leur  dit  : 
l'existence  de  l'homme  prouve  l'existence  de  Dieu.  — 
Laissons-les  à  leur  logique  boiteuse.  Mais  si  vous  êtes 
la  créature  de  Dieu,  vous  lui  devez  Y  adoration  à  cause 
du  domaine  absolu  qu'il  a  sur  vous  et  de  votre  dépen- 
dance entière  à  son  égard.  —  La  reconnaissance,  à, 
cause  de  tous  les  biens  dont  il  vous  a  comblés.  — 
Y! amour,  puisqu'il  est  votre  père.  —  La  prière,  puis- 
qu'il est  le  bienfaiteur  libéral  de  qui  seul  vous  pou- 
vez recevoir  ce  qui  vous  est  nécessaire.  Et  voilà, 
en  deux  mots,  prouvée  la  nécessité  de  la  religion  ;  et 
si  vous  avez  bien  saisi  cette  pensée,  ce  raisonne- 
ment est  inattaquable. 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  51 


II 


Tu  guis  es?  Je  suis  chrétien,  me  répond  un  autre 
auditeur.  Vous  êtes  chrétien,  c'est  vrai,  mais  quelle 
grâce  vous  a  été  accordée  à  votre  baptême,  au  pre- 
mier jour  de  votre  vie,  et  préférablement  à  tant  de 
millions  d'hommes  !  Quelle  grâce  !  par  elle  vous  êtes 
affranchi  de  l'esclavage  du  démon,  lavé  de  la  souil- 
lure originelle...  Vous  êtes  l'enfant  adoptif  et  l'héri- 
tier de  Dieu  le  Père,  l'affranchi  de  Jésus-Christ  et  un 
membre  de  son  corps  mystique,  —  le  temple  du 
Saint-Esprit,  •—  l'enfant  de  la  sainte  Église,  —  l'hé- 
ritier du  ciel...  Vous  êtes  chrétien  !  Il  y  a  bon  nombre 
de  gens  baptisés  qui  crient  :  Je  suis  chrétien,  et  à 
qui  on  peut  répondre  :  A  en  juger  par  votre  conduite, 
on  ne  l'aurait  pas  soupçonné.  Mais  enfin,  je  crois 
sur  parole.  Eh  bien,  ne  l'oubliez  pas,  un  chrétien 
purifié  du  péché  ne  doit  plus  en  commettre.  L'en- 
fant de  Dieu  et  de  l'Église  doit  en  observer  intégra- 
lement les  commandements.  — Un  disciple  de  Jésus- 
Christ,  doit  en  imiter  les  exemples.  Un  temple  du 
Saint-Esprit  doit  être  respecté  et  saint.  —  Un  héri- 
tier du  ciel  ne  doit  pas  s'attacher  outre  mesure  à 
cette  terre  qui  n'est  qu'un  pèlerinage;  il  doit  faire 
de  la  céleste  patrie  l'objet  de  ses  pensées,  de  ses  dé- 
sirs, de  ses  affections  et  de.  ses  efforts. 


52  DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 


III 


Tu  quis  es?  Je  suis  membre  de  la  grande  famille 
du  genre  humain,  au  sein  de  laquelle  je  vis  avec  des 
supérieurs,  des  égaux  et  des  inférieurs,  me  répond 
un  troisième  auditeur.  Cette  réponse  philosophique 
contient,  dans  son  laconisme,  tout  un  code  de  mo- 
rale. Oui,  tous  les  hommes  de  la  terre  ne  forment 
qu'une  même  famille  ;  tous  sont  frères  les  uns  des 
autres;  tous  ont  le  même  père,  qui  est  Dieu.  La 
société  est  la  famille  dilatée.  De  ce  principe  si  simple, 
que  de  conséquences  rigoureuses  et  obligatoires  ! 
Ils  sont  donc  des  parricides,  ceux  qui,  par  les  révo- 
lutions, conspirent  contre  la  vie  de  la  société  î  Ils 
sont  donc  de  mauvais  frères,  ceux  qui,  loin  d'aimer 
le  prochain  d'un  amour  d'estime,  d'un  amour  de 
support,  d'un  amour  de  secours  conservent  contre 
iui  des  sentiments  de  haine,  d'aversion,  de  jalousie, 
d'envie.  Quils  sont  donc  coupables  ceux  qui  ne  res- 
pectent dans  les  autres  hommes  ni  les  biens  de  la 
fortune,  ni  ceux  de  la  réputation,  ni  ceux  du  corps, 
ni  ceux  de  l'âme  ! 

A  ces  devoirs  généraux,  joignez  ceux  qui  résultent 
des  divers  degrés  de  la  société  civile  et  religieuse  : 
la  déférence  aux  supérieurs  ;  l'affabilité  envers  les 
égaux;  le  respect  et  l'édification  des  inférieurs. 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  53 


IV 


Tu  quîs  es?  Je  suis  un  vieillard  à  la  marche  chan- 
celante, à  la  tête  courbée  vers  la  terre,  à  la  tête 
chauve  et  blanchie  par  les  ans.  —  Vous  êtes  un  vieil- 
lard? Que  vous  êtes  vénérable,  si  votre  front  porte, 
avec  la  couronne  de  vos  cheveux  blancs,  celle  d'une 
vie  pure!  Si  vos  épaules  fléchissent  autant  sous  le 
poids  des  vertus  que  sous  le  poids  des  ans  !  Mais  que 
vous  êtes  méprisable  au  jugement  des  hommes, 
condamnable  au  jugement  de  Dieu,  si  vous  étiez 
octogénaire  par  l'âge,  enfant  par  la  prudence;  si 
vous  ressembliez  à  ces  montagnes  dont  la  tête  est 
blanche  de  neige  et  dont  les  entrailles  renferment 
un  feu  incandescent!  0  vieillard!  réparez  le  passé, 
profitez  du  présent;  préparez-vous  à  l'avenir. 


Tu  quis  es  ?  Je  suis  jeune  homme,  me  répond  avec 
bonheur  une  voix  douce  et  sonore.  Ma  taille  droite, 
ma  démarche  dégagée,  mes  joues  colorées,  ma  vie 
joyeuse  accusent  ma  jeunesse. 

0  jeunesse!  on  dit  que  vous  êtes  au  printemps  de 
la  vie.  Vous  pouvez  avoir  du  printemps  quelques 
fleurs, mais,  à  coup  sûr,  vous  avez  de  l'hiver  les  tour- 
mentes, de  l'été  les  tempêtes,  et  de  l'automne  peu 


54  DOMINICALES   D  UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

de  fruits.  Jeunes  gens,  jeunes  filles,  defiez-vous  du 
bouillonnement  de  vos  veines,  de  l'effervescence  de 
votre  imagination,  des  feux  de  votre  cœur.  Gardez- 
vous  de  jeter  de  l'huile  sur  le  feu  par  l'approche 
des  occasions  du  péché.  Puisez  dans  de  fréquentes 
et  ferventes  communions  l'esprit  de  pureté  que  vous 
ne  pouvez  ni  trouver  ailleurs,  ni  nourrir  autrement. 
Ne  prenez  jamais  pour  votre  directeur  ni  votre  ima- 
gination sans  règle,  ni  votre  cœur  de  feu  ;  suivez  les 
conseils  du  directeur  de  votre  âme.  Ainsi  votre  jeu- 
nesse, naturellement  ardente  pour  le  mal  deviendra 
fervente  dans  le  bien. 


VI 


Tu  quis  es?  Je  suis  un  enfant.  —  Enfant,  faites 
avec  moi  ces  petites  réflexions.  Flexible  comme  un 
roseau  ballotté  par  le  vent,  faible  comme  le  jeune 
arbre  auquel  le  jardinier  donne  un  tuteur,  impres- 
sionnable comme  la  cire  molle,  l'enfant  a  besoin 
d'être  dirigé,  élevé;  soyez  donc  heureux  d'être 
repris  de  vos  défauts;  laissez  semer  dans  votre  cœur 
le  germe  des  vertus,  vous  en  recueillerez  un  jour  les 
fruits  :  Quœ  seminavetit  homo,  hœc  et  metet. 


VII 


Tu  quis  es  ?   Il  y  a  peut-être  quelqu'un   dans  cet 
auditoire  qui  désapprouve  mon  langage  et  semble 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  55 

me  dire  :  Vous  nous  parlez  comme  on  parlait  au 
moyen  âge.  Ces  siècles  d'obscurantisme  sont  passés. 
Le  soleil  de  l'intelligence  s'est  levé  et  nous  voilà  au 
siècle  des  lumières.  La  vapeur  et  les  chemins  de  fer 
ont  fait  disparaître  les  distances.  L'électricité  et  le 
télégraphe  transportent  la  pensée  et  la  parole  avec 
la  rapidité  de  l'éclair.  La  science  a  remplacé  la  foi, 
et  la  raison  est  devenue  notre  seul  guide.  Nous 
sommes  arrivés  au  siècle  de  la  libre  pensée  et  je  suis 
libre-penseur. 

Mon  frère,  votre  franchise  me  plaît,  mais  votre 
malheur  me  touche.  Ce  qui  était  vrai  il  y  a  400  ans 
ne  le  serait-il  plus  aujourd'hui?  Les  lumières  du 
dix-neuvième  siècle  ont-elles  découvert  que  deux  et 
deux  ne  font  plus  quatre?  La  vapeur  et  les  chemins 
de  fer  ont-ils  emporté  Dieu  dans  le  néant?  L'élec- 
tricité a-t-elle  consumé  Celui  qui  l'a  créée?  0  libre- 
penseur!  que  signifie  ce  mot?  que  vous  pensez 
librement,  que  vous  vous  affranchissez  de  la  foi  ?  Eh 
bien,  je  vous  plains  !  Jeune  et  innocent  vous  croyiez 
à  la  religion  et  à  tous  ses  dogmes;  alors  vous  éliez 
pur,  et  c'est  depuis  l'explosion  des  passions  que, 
sans  de  nouvelles  études,  vous  ne  croyez  plus?  Vous 
faites  ainsi  votre  confession  publique  en  laissant 
entrevoir  la  cause  de  votre  incrédulité.  C'est  souvent 
vrai,  on  a  mal  à  la  tête,  parce  que  le  cœur  n'est  pas 
sain.  Guérissez  votre  cœur  et  la  foi  vous  reviendra. 


56  DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 


VIII 


Tuquis  es?  Grâces  à  Dieu,  je  suis  une  personne 
désabusée  du  monde...  Je  vous  comprends  :  Vous 
faites  profession  de  piété.  Comme  vous  et  avec  vous 
je  dis  :  grâces  immortelles  en  soient  rendues  à  Dieu. 
Vous  avez  reçu  des  yeux  qui  ont  vu,  des  oreilles  qui 
ont  entendu,  un  esprit  qui  a  compris,  un  cœur  qui  a 
«enti  combien  est  petit  tout  ce  qui  est  terrestre  : 
Quam  tenue  sit  quod  terrenum  est,  quam  grande  quod 
divinum,  quam  brève  quod  temporaneum,  quam  dura- 
bile  quod  œternum.  La  futilité  des  choses  de  la  terre, 
le  prix  de  l'âme,  la  gravité  du  péché,  l'éternité  heu- 
reuse et  malheureuse.  Vous  avez  pris  au  sérieux 
l'amour  de  Dieu  et  la  sanctification  de  votre  âme  ;  et 
vous  vous  êtes  résolument  lancée  dans  la  voie  des 
commandements  de  Dieu  et  dans  la  pratique  de  tous 
ou  du  moins  de  plusieurs  conseils  évangéliques.  Eh 
bien,  ne  regardez  pas  en  arrière;  les  pa§  rétrogrades 
offensent  Dieu  et  scandalisent  le  prochain.  Ne  ba- 
lancez pas  entre  Dieu  et  le  monde,  entre  la  ferveur 
et  la  tiédeur;  ce  va-et-vient  n'est  ni  fructueux,  ni 
honorable.  Ne  soyez  pas  stationnaire;  les  grâces  si 
nombreuses  et  si  choisies  que  vous  recevez  chaque 
jour  réclament  hautement  une  correspondance  de 
votre  part  et  par  conséquent  quelques  progrès. 
Soyez  une  lampe  ardente  et  luisante  glorifiant  Dieu 
par  votre   ferveur,  édifiant  le  prochain  par   votre 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES  57 

conduite,  de  laquelle  vous  excluerez  les  médisances, 
les  irrévérences  à  l'église  et  les  imprudences  capa- 
bles d'exposer  votre  vertu. 

Assez,  mes  frères,  la  question  que  j'ai  posée  dans 
cette  instruction  aux  diverses  classes  de  chrétiens, 
vous  devez  vous  la  poser  à  vous-même,  non  seule- 
ment aujourd'hui,  mais  souvent  devant  Dieu,  afin 
que  si  votre  conscience  vous  répond  que  vous  n'êtes 
pas  ce  que  Dieu  veut  que  vous  soyez,  vous  mettiez 
ordre  à  votre  conduite.  C'est  le  seul  moyen  de  mé- 
riter qu'à  l'heure  de  la  mort  Dieu  vous  reconnaisse 
pour  lun  de  ses  fidèles  serviteurs  et  vous  introduise 
dans  ses  tabernacles  éternels.  Amen, 


58  DOMINICALES   D'UN    CURÉ   DE   CAMPAGNE 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


Miserunt  Judœi  ab  Jerosolymis  sa- 
cerdotes  et  levitas  ad  eum,  vt  in- 
terrogarent  eum  :  Tu  quis  e*7  (Jean, 
ï,  19.) 


Toutes  les  nations  étaient  dans  l'attente  du  Libé- 
rateur promis  à  nos  pères.  Le  temps  fixé  par  les  pro- 
phètes était  arrivé,  et  les  justes  croyaient  à  chaque 
instant  entendre  sonner  l'heure  du  salut.  Or,  voici 
qu'un  homme  s'éloigne  de  la  contagion  du  siècle 
pour  habiter  le  désert;  on  raconte  les  circonstances 
merveilleuses  de  sa  naissance;  on  répète  le  cri  d'ad- 
miration échappé  aux  témoins  de  ces  prodiges  : 
k  Que  pensez-vous  que  sera  un  jour  cet  enfant?  » 
L:austérité  d'une  vie  encore  inconnue  au  monde  est 
un  prodige  permanent  qui  frappe  les  yeux  de  la 
foule;  il  parle  le  langage  des  prophètes;  il  reprend, 
il  menace,  il  exhorte  avec  cette  autorité  que  donne 
la  connaissance  de  l'avenir  et  le  titre  d'envoyé  du 
ciel.  «  Race  de  vipères,  s'écrie-t-il  en  s'adressant 
aux  Juifs  endurcis,  qui  vous  apprendra  à  éviter  la 
Yengeance  à  venir?  » 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  59 

La  pénitence  :  voilà  le  texte  des  prédications  qu'il 
fait  entendre  sur  îes  rives  du  Jourdain  :  «  Faites  de 
dignes  fruits  de  pénitence,  car  le  royaume  des  cieux 
est  proche.  Faites  pénitence,  car  la  cognée  est  déjà 
à  la  racine  de  l'arbre,  et  tout  arbre  qui  ne  porte  pas 
de  bons  fruits  sera  coupé  et  jeté  au  feu.  »  Toutes 
ses  paroles  sont  comme  autant  de  coups  de  tonnerre 
qui  jetient  la  terreur  dans  les  âmes  rebelles,  engen- 
drent la  componction  et  font  couler  les  larmes. 

Cependant  la  foule  se  presse  au  désert;  on  y  ac- 
court de  toutes  parts  ;  la  Judée  tout  entière  s'y  pré 
cipite;  la  synagogue  elle-même  s'émeut.  Veut-elle 
s'assurer  des  droits  du  saint  Précurseur  aux  hom- 
mages de  la  nation? Le  regarde-t-on  comme  un  pro- 
phète? Doute-t-elle  s'il  est  le  Messie,  ou  craint-elle 
de  perdre  le  reste  de  sa  puissance?  C'est  là,  mes 
frères,  le  secret  de  Dieu  qui  sonde  les  cœurs.  Tou- 
tefois elle  n'hésite  pas  à  lui  envoyer  une  députation 
de  prêtres  et  de  lévites  pour  lui  demander  qui  il  est: 
Tu  quis  es? 

Va-t-il  se  prévaloir  de  ces  honneurs,  cet  homme  si 
digne  des  respects  qui  l'entourent?  Il  craindrait 
sans  doute  d'usurper  des  hommages  qui  ne  sont  dus 
qu'au  Messie;  mais  ne  doit-il  pas  se  ménager  un 
crédit  utile,  nécessaire  même  au  but  de  sa  mission? 
Non,  mes  frères,  saint  Jean  se  souvient  que,  comme 
les  autres  hommes,  il  n'est  que  cendre  et  poussière. 
Il  sait  qu'il  prépare  les  voies  à  un  Dieu  humble  de 
cœur,  qui  doit  enseigner  l'humilité  aux  hommes,  et 
il  veut,  en  foulant  aux  pieds  l'orgueil,  toucher  des 


60  DOMINICALES   D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

cœurs  superbes;  aussi  il  confesse  et  ne  nie  point,  il 
confesse  qu'il  n'est  point  le  Christ. 

Ne  vous  semble-t-il  pas  confus  et  comme  indigné 
de  la  haute  opinion  qu'on  a  conçue  de  lui?  Non,  non, 
répond-il  avec  une  vertueuse  énergie  que  l'Écriture 
a  peinte  par  une  triple  répétition;  non,  je  ne  suis 
point  le  Christ  :  Nonsum  ego  Christus,  tant  il  craint  de 
passer  pour  ce  qu'il  n'est  pas.  Etes-vous  Élie?  lui  di- 
rent les  envoyés  de  la  synagogue.  Il  l'est  par  le  zèle 
et  le  caractère,  mais  il  n'en  porte  pas  le  nom.  Que 
va-t-il  répondre?  Qu'il  ne  l'est  pas.  Non  sum.  —  Êtes- 
vous  prophète?  Non,  toujours  non.  Cependant  il  est 
prophète  et  plus  que  prophète,  et  il  s'abaisse  et  s'a- 
baisse encore.  Le  saint  Précurseur  redoute  tout  ce 
qui  peut  l'élever  au-dessus  des  autres  hommes.  11  se 
croit  le  dernier  de  tous  et  on  l'a  pris  pour  le  Messie. 
Est-ce  ainsi  que  nous  agissons,  mes  frères,  lorsque 
par  nos  manières  hautaines,  nous  cherchons  à  l'em- 
porter sur  les  autres  et  à  briller  plus  qu'eux?  Que 
nous  sommes  loin  d'avoir  l'humilité  de  saint  Jean- 
Baptiste  lorsque  nous  écoutons  avec  complaisance 
les  louanges  qu'on  nous  donne  et  que  nous  cherchons 
à  attirer  celles  qu'on  nous  refuse?  Hélas!  qu'il  est 
donc  vrai  que  la  vanité  nous  tient  sous  ses  chaînes  ! 

Surpris  de  sa  réponse,  les  députés  lui  dirent  :  Qui 
êtes-vous  donc,  afin  que  nous  puissions  rendre 
compte  à  ceux  qui  nous  ont  envoyés?  Que  dites- 
vous  de  vous-même?  L'occasion  est  délicate:  Jean- 
Baptiste  est  forcé  de  parler  de  sa  sublime  mission, 
il  est  obligé  de  déclarer  la  vérité,  mais  il  le  fera  sans 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  61 

orgueil,  comme  sans  emphase;  il  saura  dans  les 
termes  de  la  plus  noble  simplicité,  rendre  aa  Dieu 
qui  l'envoie  le  témoignage  le  plus  solennel  :  «  Je 
suis,  répondit-il,  la  voix  de  celui  qui  crie  dans  le  dé- 
sert :  Applanissez  les  voies  du  Seigneur.  »  Descen- 
dant des  princes  de  la  nation,  il  est  issu  du  sang  le 
plus  illustre  d'Israël.  Il  est  le  précurseur  du  Messie, 
l'ange  annoncé  par  les  prophètes;  prophète  lui- 
même,  il  pourrait  se  glorifier  de  ses  titres;  mais  son 
humilité  s'y  refuse;  il  n'est  à  ses  yeux  qu'une  voix 
qui  crie  dans  le  désert. 

Mettons-nous  pour  un  moment  dans  la  situation 
où  se  trouvait  alors  saint  Jean-Baptiste.  Imaginons- 
qu'on  vienne  nous  demander  avec  autorité  :  Qui 
êtes-vous?  Que  dites-vous  de  vous-même?  Et,  sans 
chercher  à  nous  abuser,  examinons  quelle  sera 
d'après  nos  dispositions  la  réponse  que  nous  ferons. 
Serons-nous,  comme  le  Précurseur,  principalement 
occupés  à  prévenir  l'opinion  trop  avantageuse  qu'on 
pourrait  prendre  de  nous?  Dirons-nous,  à  son 
exemple,  avec  complaisance  ce  que  nous  ne  sommes 
pas,  avec  peine  ce  que  nous  sommes?  Reconnaîtrons- 
nous  avec  la  même  franchise  ce  qui  nous  manque? 
Attendrons-nous  avec  la  même  humilité  que  nous  y 
soyons  forcés,  pour  déclarer  ce  qui  peut  nous  hono- 
rer? Obligés  enfin  de  parler  de  ce  qui  nous  est  avan- 
tageux, en  parlerons-nous  aussi  simplement,  aussi 
modestement?  Ils  sont  bien  rares  ceux  qui,  sem- 
blables à  Jean-Baptiste  craignent  plus  les  éloges  que 
les  censures  et  sont  plus  empressés  à  faire  connaître 
I.  4 


62  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

ce  qui  les  abaisse,  que  ce  qui  les  élève.  Rendons- 
nous  justice  et  considérons  que  notre  première  et 
presque  notre  unique  occupation  est,  au  ccntraire, 
de  nous  faire  valoir.  Nos  défauts,  nous  les  cachons 
avec  soin,  nous  les  pallions  avec  adresse,  nous  les 
justifions  avec  sensibilité.  Nos  qualités,  au  contraire, 
ou  réelles  ou  imaginaires,  nous  nous  efforçons  de 
les  faire  ressortir.  Ainsi,  sommes-nous  d'une  nais- 
sance distinguée?  nous  parlons  avec  complaisance 
de  notre  famille,  de  nos  parents,  de  nos  ancêtres,  de 
nos  alliances.  Sommes-nous  d'une  naissance  obs- 
cure? Nous  la  dissimulons,  nous  l'oublions.  Avons- 
nous  du  talent?  nous  ne  le  laissons  pas  ignorer; 
nous  voulons  qu'on  le  sache.  Sommes-nous  dans  la 
souffrance?  nous  voulons  que  tout  le  monde  nous 
plaigne  et  que  tous  prennent  part  à  nos  peines  ;  s'ils 
ne  le  font  pas,  nous  les  traitons  d'indifférents  et  de 
mauvais  cœurs.  "Vous  le  voyez,  le  monde  est  un 
théâtre  de  prétention  et  d'orgueil. 

Les  Pharisiens  ayant  entendu  dire  à  Jean-Baptiste 
qu'il  n'est  que  la  voix  de  celui  qui  crie  dans  le  désert, 
lui  dirent  :  Pourquoi  donc,  si  vous  n'êtes  ni  un  pro- 
phète, ni  Élie,  ni  le  Christ,  vous  ingérez-vous  à  donner 
le  baptême?  Si  vous  n'êtes  envoyé  que  pour  annoncer 
le  Messie,  qu'il  vous  suffise  de  parler,  n'agissez  pas 
en  maître.  Pourquoi  faites-vous  descendre  ce  peuple 
dans  le  Jourdain  pour  verser  à  flots  les  eaux  du 
fleuve  sur  des  têtes  humiliées?  Quid  ergo  baptisas,  si 
tu  non  es  Christus?  Jean-Baptiste  répond  qu'il  admi- 
nistre un  baptême    symbolique  pour    disposer  le 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  63 

peuple  juif  à  recevoir  le  baptême  sacramentel  que 
Jésus-Christ  devait  instituer. 

Pour  moi,  dit-il,  je  ne  baptise  que  dans  l'eau  :  Ego 
baptiso  in  aquâ,  mais  Jésus-Christ  baptisera  dans  le 
Saint-Esprit  et  dans  le  feu.  Je  la"e  le  corps,  Jésus- 
Christ  puritiera  l'âme  et  la  remplira  da  Paraclet.  Le 
baptême  que  j'administre,  n'efface  point  le  péché,  il 
sert  seulement  à  faire  comprendre  aux  pécheurs  que 
de  même  que  l'eau  lave  leurs  corps,  ainsi  la  péni- 
tence doit  purifier  leurs  âmes.  Il  va  venir  celui  qui 
lavera  les  âmes  comme  je  lave  les  corps,  celui  qui 
baptisera  non  plus  dans  l'eau  seule,  mais  dans  l'eau 
et  l'Esprit-Saint,  celui-là  fera  du  baptême  un  sacre- 
ment qui  effacera  tous  les  péchés  commis  avant  de 
le  recevoir.  Celui-là  sera  plus  qu'un  prophète  et  plus 
qu'Élie  ;  il  sera  le  Christ.  Il  me  suivra  de  très  près  : 
Post  me  venturus  est.  Mais  quoique  venant  après  moi, 
il  existait  avant  moi  :  Antè  me  factus  est.  Il  est  telle- 
ment au-dessus  de  moi  que  je  ne  suis  pas  digne  de 
dénouer  les  cordons  de  sa  chaussure. 

Celui  qui  baptisera  dans  l'eau  et  le  Saint-Esprit 
est  déjà  au  milieu  de  vous,  Déjà  il  a  opéré  des  mi- 
racles qui  prouvent  sa  divinité,  déjà  il  a  étonné  le 
peuple  par  la  sainteté  de  sa  vie,  la  sublimité  de  sa 
doctrine  et  la  simplicité  familière  de  son  enseigne- 
ment. Les  pauvres,  les  pêcheurs  de  la  Galilée,  les 
humbles  habitants  des  campagnes  se  pressent  sur 
son  passage  ;  mais  vous,  superbes  pharisiens,  vous 
ne  le  connaissez  pas  :  Médius  vestrum  stdit  quem  vos 
nescitis. 


64  DOMINICALES  D  UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

Le  reproche  que  Jean-Baptiste  faisait  aux  Juifs  de 
ne  pas  connaître  le  Messie,  le  Christ,  combien  de 
chrétiens  le  méritent  encore  aujourd'hui  !  Voilà  dix- 
huit  siècles  que  Jésus  vit  au  milieu  de  vous  par  ses 
sacrements,  voilà  dix-huit  siècles  qu'il  illumine  les 
intelligences  par  sa  doctrine,  qu'il  dirige  les  âmes 
par  ses  préceptes  moraux  et  ses  conseils  de  perfec- 
tion, qu'il  gouverne  la  grande  famille  chrétienne  par 
son  Église,  et  cependant  combien' qui  ne  connais- 
sent pas  Jésus-Christ!  combien  pour  qui  il  est  un 
Dieu  inconnu!  combien  qui  ignorent  sa  loi,  qui  sont 
étrangers  à  sa  vie,  qui  s'affranchissent  du  joug  de 
l'Église!  Ils  sont  chrétiens,  mais  ils  ne  le  sont  que 
par  le  baptême  ;  leur  vie  est  toute  païenne.  Ils  ont 
connu  autrefois  les  éléments  de  la  doctrine  du  Christ, 
mais  ils  ont  tout  oublié.  Ils  ont  participé  dans  leur 
enfance  aux  divins  sacrements,  mais  depuis  leur 
jeunesse,  ils  ont  abandonné  ces  sources  de  vie  spi- 
rituelle. Jeunes  encore,  ils  respectaient  l'Église  leur 
mère,  mais  l'âge  des  passions  leur  a  fait  secouer  son 
joug  et  ils  vivent  au  gré  de  leurs  caprices.  Oui,  pour 
eux,  Jésus  est  un  étranger,  un  inconnu. 

Mais  nous-mêmes,  chrétiens,  nous  qui  en  appa- 
rence sommes  plus  fidèles,  pouvons-nous  dire  que 
nous  connaissons  bien  Jésus-Christ? 

Nous  ne  pouvons  ignorer  que  Jésus-Christ  est  au 
milieu  de  nous  :  nous  savons  qu'il  a  fixé  sa  demeure 
dans  nos  tabernacles  ;  nous  croyons  qu'il  y  est 
réellement  présent  sous  les  voiles  eucharistiques,  et 
que  s'il  y  est  ce  n'est  que  pour  se  donner  à  nous  et 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES  65 

pour  nous  attirer  à  lui.  Mais  avons-nous  soin  d'aller 
le  visiter,  /'adorer  et  le  recevoir  ?  Hélas  !  vous  le 
savez,  mes  frères,  la  plupart  des  chrétiens  sont 
assez  ingrats  pour  l'oublier,  pour  l'abandonner, 
pour  le  fuir.  S'ils  viennent  de  temps  à  autre  dans  ses 
temples,  c'est  par  habitude  et  par  respect  humain, 
plutôt  que  par  un  véritable  esprit  de  piété  ;  c'est 
pour  l'outrager  par  leurs  irrévérences,  plutôt  que 
pour  l'honorer  par  le  juste  tribut  de  leurs  adorations, 
en  sorte  que  quoiqu'il  soit  au  milieu  de  nous,  à  en 
juger  par  notre  conduite,  on  dirait  comme  les  Juifs, 
que  nous  ne  le  connaissons  pas. 

Nous  ne  pouvons  pas  non  plus  ignorer  que  ce 
divin  Sauveur  réside  au  milieu  de  nous,  dans  la  per- 
sonne des  pauvres,  puisqu'il  nous  déclare  expressé- 
ment dans  l'Evangile  que  lorsqu'il  viendra  juger 
tous  les  hommes  rassemblés  au  pied  de  son  tribunal 
il  récompensera  les  uns  pour  avoir  secouru  l'infor- 
tune et  condamnera  les  autres  pour  avoir  négligé  de 
le  faire.  «  Venez,  dira-t-il  aux  premiers,  venez  rece- 
voir la  récompense  due  à  votre  charité  :  lorsque  j'ai 
eu  faim,  vous  m'avez  donné  à  manger  ;  lorsque  j'ai 
été  dévoré  par  la  soif,  vous  m'avez  donné  une  eau 
rafraîchissante  ;  lorsque  vous  m'avez  rencontré 
privé  de  vêtements,  vous  m'avez  vêtu  ;  quand  j'étais 
malade,  vous  m'avez  soulagé  ;  quand  j'étais  enchaîné 
dans  une  prison,  vous  m'avez  visité.  »  Mais  il  dira 
aux  seconds  :  «  Retirez- vous,  maudits,  allez  loin  de 
moi  subir  la  juste  peine  que  vous  avez  méritée  par 
votre  cruelle  insensibilité.  Vous  m'avez  vu  pauvre, 

4. 


66  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

nu,  souffrant  et  abandonné  et  vous  n'avez  pas  daigné 
me  secourir.  »  Aimons-nous  les  pauvres,  les  respec- 
tons-nous, les  soulageons-nous?  Hélas!  le  luxe,  la 
vanité,  l'égoïsme  ont  étouffé  la  charité  dans  bien  des 
cœurs.  Cette  flamme  divine  brûle-t-elle  encore  dans 
le  nôtre?  Chrétiens,  au  nom  de  nos  intérêts  les  plus 
sacrés,  assistons  les  pauvres,  écoutons  leurs  prières, 
secourons  les  malheureux  et  Dieu  sera  pour  nous 
plein  de  miséricorde.  Allons  souvent  visiter  celui  qui 
par  amour  a  établi  sa  demeure  à  côté  de  nos  habita- 
tions ;  allons  l'adorer,  le  prier,  et  un  jour  parce  que 
nous  l'aurons  connu,  aimé,  adoré  et  servi,  il  nous 
admettra  dans  les  splendeurs  de  la  bienheureuse 
éternité.  \men, 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  GT 


IVe  DIMANCHE  DE  L'AVENT 


ÉVANGILE 

La  quinzième  année  de  l'empire  de  César>Tibère, 
Ponce  Pilate  étant  gouverneur  de  la  Judée,  Hérode 
tétrarque  de  la  Galilée,  Philippe,  son  frère,  tétrarque 
de  l'Iturée  et  de  la  Trachonitide,  et  Lysinias  tétrar- 
que d'Abilène,  sous  les  grands  prêtres  Anne  et 
Caïphe,  la  parole  de  Dieu  fut  adressée  dans  le  désert 
à  Jean,  fils  de  Zacharie,  et  il  vint  dans  tout  le  pays 
du  Jourdain,  prêchant  le  baptême  et  la  pénitence, 
pour  la  rémission  des  péchés,  selon  ce  qui  est  écrit 
dans  le  livre  du  prophète  Isaïe.  Une  voix  crie  dans 
le  désert  :  <;  Préparez  la  voie  du  Seigneur,  rendez 
droits  les  sentiers  ;  toute  vallée  sera  comblée,  toute 
montagne  et  toute  colline  seront  abaissées  ;  les  che- 
mins tortueux  deviendront  droits  et  les  raboteux 
unis  ;  et  toute  chair  verra  le  salut  de  Dieu.  » 
(Luc,  i,  6.) 

HOMÉLIE 

Par  ces  paroles,  l'écrivain  sacré  désigne  la  date 
précise  des  événements  qu'il  raconte,  et  qui  avaient 


ە$  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

été  prédfts  plusieurs  siècles  à  l'avance.  Les  faits 
évangéliques  ne  reposent  point  sur  des  traditions 
populaires  qui  n'ont  aucune  origine,  ou  qui  vont  se 
perdre  dans  une  antiquité  inconnue  et  fabuleuse.  Ils 
ne  sont  point  comme  ces  fables  païennes  ou  maho- 
métanes  qui  n'ont  point  eu  de  témoins.  Mais  la 
désignation  exacte  des  personnes  et  des  lieux,  la  date 
précise  des  temps  marqués  sont  parfaitement  d'ac- 
cord avec  les  livres  prophétiques.  Dès  le  commence- 
ment de  la  prédication  évangélique,  les  prophéties 
commencent  à  s'accomplir,  et  c'est  ce  que  font 
soigneusement  observer  les  quatre  évangélistes.  Le 
Précurseur  paraît  le  long  du  Jourdain,  comme  il  est 
écrit  au  livre  des  prophéties  d'Isaïe,  et  il  est  la  voix 
de  celui  qui  crie  dans  le  désert  :  «  Préparez  la  voie 
du  Seigneur  ;  rendez  droits  ses  sentiers.  Voilà  que 
j'envoie  mon  ange  devant  votre  face  qui,  marchant 
devant  vous,  vous  préparera  le  chemin.  »  Cet  ange 
montré  de  loin,  c'est  Jean-Baptiste.  Le  voilà  sur  les 
bords  du  Jourdain  fidèle  à  la  mission  que  lui  avaient 
tracée  les  prophètes.  Le  premier  objet  de  sa  prédica- 
tion aux  hommes  est  la  pénitence  ;  c'est  aussi  par  là 
que  le  Sauveur  commence  la  sienne  :  «  Cœpit  Jésus 
praedicare  et  dicere  :  Pœnitentiam  agite;  »  c'est  ainsi 
pareillement  que  les  apôtres  ouvrent  la  leur:  Petrus 
vwo  ad  illos  :  Pœnitentiam,  inquit,  agite.  La  pénitence 
est  la  porte  du  ciel.  Pour  aller  à  Dieu,  il  faut  avant 
tout  quitter  la  route  qui  en  éloigne.  Pour  remplir 
son  âme  des  vertus  qui  font  la  justification,  il  est 
indispensable  delà  vider  des  vices  qui  s'y  opposent. 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  69 

On  ne  peut  pas  être  aimé  de  Dieu  en  restant  chargé 
des  crimes  qu'il  abhorre  ;  on  ne  peut  pas  l'aimer  en 
conservant  de  l'attachement  pour  les  objets  de  son 
aversion.  Un  plaisir  criminel  fît  entrer  le  péché  dans 
votre  âme  ;  il  faut  qu'une  douleur  religieuse  l'en 
fasse  sortir.  La  pénitence  est  un  devoir  universel. 
Dieu  ordonne  aux  hommes,  par  le  ministère  de  son 
apôtre,  que  tous  et  en  tous  lieux  fassent  pénitence  : 
Deus  nunc  annuntiat  hominibus,  ut  omnes  ubique  pœni- 
tentiarn  agent.  Aux  pécheurs,  le  sacrement  de  péni- 
tence est  essentiel  ;  aux  justes,  la  vertu  de  pénitence 
est  nécessaire.  Comme  il  n'y  a  personne  qui  puisse 
se  juger  exempt  de  péché,  il  n'y  a  personne  qui 
doive  se  croire  dispensé  de  la  pénitence.  Et  ne 
voyons-nous  pas  les  plus  grands  saints  faire  les  péni- 
tences les  plus  austères?  Saint  Jean-Baptiste  et  tous 
les  apôtres  ne  l'ont-ils  pas  pratiquée  d'une  manière 
extraordinaire?  Sommes-nous  plus  justes  qu'eux? 
Ne  sommes-nous  pas,  au  contraire,  de  grands  cou- 
pables? Que  de  trangressions  à  la  loi  de  Dieu  !  Que 
de  négligence  dans  l'accomplissement  de  nos  de- 
voirs !  Or,  sachons-le  bien,  Dieu  n'accorde  le  pardon 
qu'au  repentir. 

Mais,  chrétiens,  ce  n'est  pas  seulement  à  faire 
pénitence  que  saint  Jean-Baptiste  exhortait  les  hom- 
mes de  son  temps  et,  en  leur  personne,  les  hommes 
de  tous  les  siècles,  c'était  à  faire  des  fruits  et  de 
dignes  fruits  de  pénitence.  Mais  en  quoi  consistent 
ces  dignes  fruits  de  pénitence?  Notre  Évangile  les 
fait  consister  en  quatre  choses- 


70  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

1°  Toute  vallée  sera  comblée  :  Omnis  vallis  impie- 
bitur  ; 

2°  Toute  montagne  et  toute  colline  seront  abais- 
sées :  Et  omnis  mo?is  humiliabitur ; 

3°  Les  chemins  tortueux  seront  redressés  :  Et  erunt 
prava  in  directa  ; 

4°  Les  voies  raboteuses  seront  aplanies:  Etaspera 
in  vias  planas. 

Ainsi  ce  qu'on  fait  pour  préparer  le  chemin  par  où 
doit  passer  un  roi,  un  puissant  du  siècle,  c'est  ce  que 
le  prophète  nous  ordonne  de  faire  pour  préparer  la 
voie  du  Seigneur  et  nous  disposer  à  recevoir  les 
bienfaits  de  la  Rédemption  divine. 

1°  Il  faut  d'abord  que  toute  vallée  soit  comblée  : 
ojnnis  vallis  implebitur,  que  tous  les  fossés  du  chemin 
soient  remplis  et  élevés.  Ces  vallées  sont  la  figure  des 
vides  qui  se  trouvent  dans  notre  vie  et  de  l'omission 
de  nos  devoirs.  Que  de  vallées  le  péché  et  l'indiffé- 
rence ont  laissées  dans  votre  âme  !  Que  de  fossés  y 
a  creusé  votre  négligence  à  remplir  vos  obliga- 
tions envers  Dieu,  envers  le  prochain  et  envers  vous- 
même-s.  Permettez-moi  de  vous  en  énumérer  quel- 
ques-uns. Dieu  vous  ordonnede  le  prier  chaque  jour, 
et,  malgré  ce  précepte,  vos  journées  commencent  et 
finissent  sans  la  prière.  Tous  êtes  obligés  de  sancti- 
fier les  dimanches  et  fêtes  par  des  exercices  de 
piété  ;  ne  les  passez-vous  pas  dans  la  dissipation  et 
dans  le  crime?  11  y  a  un  précepte  qui  prescrit  for- 
mellement le  jeûne,  l'abstinence,  l'aumône,  la  con- 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  71 

fession  et  la  communion  ;  combien  qui  n'en  tiennent 
aucun  compte? 

2°  Il  faut  ensuite  que  toute  montagne  et  toute 
colline  soient  abaissées  :  Omnis  mons  et  collis  humilia- 
bitur,  Le  pécbé  est  représenté  par  une  montagne  à 
cause  de  l'orgueil  qui  le  produit  ;  car  l'orgueil  est  la 
racine  de  tous  les  péchés  :  il  a  causé  la  perte  du 
premier  homme,  il  est  encore  la  cause  de  tous  le» 
désordres  qui  bouleversent  le  monde.  C'est  l'orgueil, 
dans  ses  diverses  nuances,  qui  nous  fait  violer  la  loi 
divine.  L'orgueil  d'indépendance  est  la  source  des 
révoltes  contre  nos  supérieurs.  L'orgueil  d'ambition 
est  la  source  des  catastrophes  qui  désolent  la  société. 
L'orgueil  de  la  raison  est  le  principe  de  l'incrédulité 
qui  refuse  le  joug  de  la  foi.  L'orgueil  de  la  science 
est  la  cause  des  schismes  qui  déchirent  le  sein  de 
l'Église.  L'orgueil  du  respect  humain  nous  fait  rou- 
gir de  notre  foi  et  abandonner  nos  devoirs  de  chré- 
tiens. L'orgueil  de  la  vanité  enfante  l'amour  du 
monde,  le  goût  de  la  parure,  le  luxe,  la  ruine  des 
familles,  la  perte  de  l'innocence.  Devons-nous  nous 
étonner  si  le  Sauveur  Jésus  est  l'ennemi  juré  de  l'or- 
gueil, qu'il  est  venu  détruire  sur  la  terre.  Nous 
devons  donc  détruire  l'orgueil  et  tous  les  autres 
péchés  qui  en  découlent,  par  la  pénitence  et,  en 
particulier,  par  le  sacrement  de  réconciliation  qui 
est  l'océan  des  miséricordes  divines.  Voilà  les  mon- 
tagnes qu'il  faut  venir  abaisser  aux  pieds  de  Jésus- 
Christ  :  Omnis  mons  et  collis  humiliabitur. 

Quant  à  vous  qui  n'êtes  point  accablés  sous  le  poids 


12  DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

des  montagnes,  c'est-à-dire  de  fautes  graves,  n'au- 
riez-vous  pas  néanmoins  sur  votre  conscience  quel- 
ques collines,  c'est-à-dire  quelques  habitudes  de 
péché  véniel?  Ces  attaches  désordonnées  au  péché 
véniel  contrastent  le  cœur  de  Dieu  et  pourraient 
vous  conduire  insensiblement  à  de  plus  grandes 
fautes  Ce  sont  des  collines  qui  doivent  aussi  être 
abais>ées,  si  nous  voulons  participer  abondamment 
aux  fruits  de  la  naissance  de  Jésus-Christ. 

3°  Et  erunt  prava  in  directa  :  les  sentiers  tortueux 
seront  redressés.  Sous  ces  expressions  symboliques 
sont  indiquées  des  vertus  que  le  monde  ne  soup- 
çonne guère,  mais  que  l'œil  de  Dieu  contemple  avec 
complaisance,  ce  sont  la  pureté  d'intention  et  l'es- 
prit de  foi.  L'intenlion  est  le  chemin  qui  doit  nous 
mener  à  Dieu,  C'est  cet  œil  de  l'Évangile,  qui,  s'il  est 
clair  lui-même,  éclairera  tout  le  corps  de  nos 
actions,  et  s'il  est  malheureusement  obscur,  le  plon- 
gera tout  entier  dans  les  ténèbres.  Or,  jusqu'à  pré- 
sent, nos  intentions  ont-elles  été  toujours  bien 
pures?  N'avons-nous  agi  que  pour  Dieu  et  en  vue  de 
Dieu?  Hélas  !  notre  propre  satisfaction,  l'estime  du 
monde,  l'amour  des  créatures,  un  vil  intérêt,  un 
frivole  plaisir  n'ont-ils  pas  été  bien  souvent  le  mobile 
de  nos  actions  ?  Nos  bonnes  œuvres  n'ont-elles  pas 
été  inspirées  plutôt  par  la  bonté  de  notre  cœur  que 
par  la  charité?  Dans  nos  prières,  dans  nos  confes- 
sions et  nos  communions  ne  nous  sommes-nous  pas 
laissés  diriger  par  l'habitude  ou  par  des  considéra- 
tions humaines  ?  Rectifions  ces  vues  trop  naturelles 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  73 

par  la  simplicité  du  cœur  et  la  rectitude  de  nos  in- 
tentions, et  nous  aurons  rendu  droits  les  sentiers 
qui  doivent  nous  mener  au  Seigneur, 

4°  Enfin,  il  faut  que  les  endroits  raboteux  soient 
aplanis  :  Et  aspera  in  vias  planas.  Que  d'inégalités 
dans  notre  humeur,  dans  notre  conduite  et  jusque 
dans  notre  dévotion  !  Que  de  choses  âpres,  dures  et 
difficiles  dans  nos  manières,  dans  nos  paroles  et 
jusque  dans  notre  zèle  !  Aplanissons,  unissons, 
adoucissons  tout,  si  nous  voulons  préparer  la  voie 
du  Seigneur,  si  nous  désirons  qu'il  vienne  à  nous. 
Surmontons  avec  courage  les  répugnances  et  les 
difficultés  que  le  démon  ne  manque  pas  de  nous 
faire  éprouver  dans  la  pratique  des  vertus  chré- 
tiennes. Si  nous  faisons  cela,  notre  chair  verra  le 
salut  de  Dieu,  et  videbit  omnis  caro  salutare  Dei  ;  les 
bénédictions,  et  les  consolations  célestes  descendront 
sur  nous,  comme  une  rosée  vivifiante,  pour  corriger 
nos  défauts,  réformer  nos  inclinations  perverses, 
perfectionner  notre  vie  et  nous  rendre  dignes  du 
Ciel.  Amen, 


74  DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


PRÉPARATION    A   LA   NOËL 


Parate  viam  Domini;  rectas  facile 
semilas  ejus.   (Marc,  7,  3.) 


Pendant  l'Avent  et  surtout  durant  les  jours  qui 
précèdent  immédiatement  la  grande  solennité  dô 
Noël,  l'Église  nous  rappelle  sans  cesse  et  les  soupirs 
des  patriarches  qui  appelaient  de  leurs  vœux  impa- 
tients l'arrivée  du  Sauveur  du  monde,  et  les  oracles 
des  prophètes  qui  l'annonçaient.  C'est  pour  nous 
îappeler  à  nous-mêmes  les  dispositions  par  lesquelles 
nous  devons  nous  préparer  à  cette  fête.  Afin  d'en- 
trer dans  les  vues  de  l'Église,  notre  mère,  méditons 
le  grand  mystère  de  la  venue  de  Notre-Seigneur  et 
recherchons  quelles  dispositions  nous  devons  ap- 
porter dans  la  célébration  de  la  solennité  qui  nous 
le  rappelle. 

Quel  est  celui  qui  va  venir  et  dont  nous  allonc 
célébrer  la  venue?  Comment  vient-il?  Quels  son^ 
les  fruits  de  sa  venue?  Que  devons-nous  faire  pou^ 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  75 

y  participer?   Voilà  ce  que  nous   alions  examiner 
dans  ce  court  entretien. 


Quel  est  celui  qui  vient  habiter  parmi  nous  ?  Quel 
est  ceiui  qui  a  inspiré  aux  prophètes  ces  transports 
d'allégresse,  ces  images  magnifiques,  ces  idées  su- 
blimes qui  élèvent  nos  âmes  et  nous  annoncent  la 
grandeur  de  leur  objet?  C'est  le  Messie,  le  désiré  des 
nations,  l'attente  d'Israël,  c'est  le  Verbe  éternel 
consubstantiel  au  Père;  c'est  la  sagesse  incrée,  dont 
la  parole  a  fécondé  le  néant  ;  c'est  celui  qui  a  fait  le 
ciel,  la  terre,  tout  ce  qu'ils  contiennent,  qui  les  sou- 
tient par  sa  puissance  et  qui  pourrait  d'un  seul  re- 
gard les  faire  rentrer  dans  le  néant;  c'est  le  Fils  de 
Dieu,  qui,  pour  élever  l'homme  jusqu'à  lui,  descend, 
s'abaisse  jusqu'au  niveau  de  l'homme. 

Le  soleil,  mes  frères,  se  contente  d'envoyer  ses 
rayons  à  la  terre;  mais  il  demeure  toujours  dans  sa 
splendeur,  sans  jamais  se  rapprocher  de  nous.  Le 
Verbe  du  Père  descend  parmi  nous,  il  se  couvre  du 
voile  de  notre  chair,  non  pour  obscurcir  son  éclat, 
mais  pour  le  tempérer  et  le  proportionner  à  la  fai- 
blesse de  nos  regards.  En  un  mot,  c'est  un  Dieu  qu 
se  fait  homme,  c'est  le  Verbe  qui  se  fait  chair  et  qui 
vient  habiter  parmi  nous  :  et  Verbum  caro  factura  est, 
et  habitavit  in  nobis. 


70  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


Iî 


Gomment  vient-il?  Quelles  sont  les  circonstances 
qui  accompagnent  l'avènement  du  Fils  de  Dieu  ? 
Vient-il  avec  l'éclat  de  sa  majesté?  Non.  Viest-il 
au  moins  avec  l'éclat  qui  environne  les  puissants  de 
la  terre?  Ne  va-t-il  pas  choisir  la  capitale  du  monde 
pour  le  lieu  de  sa  naissance  ?  N'aura-t-il  pas  un  trône 
pour  berceau  ?  Ne  fera-t-il  pas  reconnaître  son  au- 
torité par  tous  les  grands  du  monde,  dans  une  bril- 
lante cour?  Juifs  charnels,  voilà  bien  le  Messie  tel 
que  vous  l'attendiez  ;  voilà  aussi  les  signes  auxquels 
nous  voudrions  le  reconnaître.  Mais,  chrétiens,  les 
pensées  de  Dieu  ne  sont  pas  les  pensées  des  hommes. 
Ce  n'est  pas  ainsi  que  doit  apparaître  à  la  terre  le 
Sauveur  que  Dieu  a  promis  aux  hommes.  Voici  sous 
quels  traits  l'ange  du  Seigneur  désigne  le  Messie  aux 
bergers  de  Bethléem  :  «  Je  vous  annonce  une  nou- 
velle qui  sera  pour  tout  le  peuple  le  sujet  d'une 
grande  joie.  Il  vous  est  né  aujourd'hui,  en  la  cité  de 
David,  un  Sauveur  qui  est  le  Christ.  Et  voici  à  quels 
signes  vous  le  reconnaîtrez,  et  hoc  vobis  signum  : 
Vous  trouverez  un  enfant  enveloppé  de  langes  et 
couché  dans  une  crèche,  invenietis  infantem  pannis 
invûlutum,  positum  in  prosœpio.  » 

Allaz  dans  la  cour  des  rois,  nous  dit  Bossuet,  vous 
reconnaîtrez  le  prince  nouveau-né  par  les  couver- 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  77 

tures  rehaussées  d'or,  et  par  un  superbe  berceau 
dont  on  voudrait  bien  faire  un  trône.  Mais  pour 
reconnaître  le  Christ  qui  vous  est  né,  ce  Seigneur  si 
haut,  que  David,  son  père,  tout  roi  qu'il  est,  l'appelle 
son  Seigneur,  on  ne  vous  donne  pour  signal  que  la 
crèche  où  il  est  couché  et  les  pauvres  langes  dans 
lesquels  est  enveloppée  sa  faible  enfance,  c'est-à- 
dire  qu'on  ne  vous  donne  qu'une  nature  semblable 
à  la  nôtre.  Car  qui  de  nous,  dit  toujours  Bossuet, 
qui  de  nous  est  né  dans  une  étable?  qui  de  vous, 
pour  pauvre  qu'il  soit,  donne  à  ses  enfants  une 
crèche  pour  berceau  ?  Jésus  est  le  seul  que  l'on  voit 
délaissé  jusqu'à  cette  extrémité,  et  c'est  à  cette 
marque  qu'il  veut  être  reconnu. 

Il  quitte  le  ciel,  où  il  a  établi  le  trône  de  sa  gloire, 
il  descend  sur  la  terre,  et  il  y  paraît  dans  l'humilia- 
tion et  l'abaissement.  Dieu  fait  homme,  il  se  soumet 
à  tous  les  besoins  attachés  à  la  nature  humaine,  à 
ce  que  l'intempérie  des  saisons  a  de  plus  rigoureux, 
à  ce  que  la  pauvreté  a  de  plus  extrême  et  de  plus 
humiliant. 

Riches,  il  a  voulu  abaisser  la  hauteur  de  votre  or- 
gueil. Pauvres,  il  a  voulu  vous  consoler  dans  les  pri- 
vations qui  sont  la  suite  de  votre  position  si  humble. 
Et  voilà  pourquoi  il  préfère  votre  condition  à. l'état  si 
recherché  et  si  envié  des  heureux  du  siècle.  Loin  de 
vous  donc  les  plaintes  et  les  murmures  au  sein  du 
dénûment  et  de  la  douleur. 


78  DOMINICALES    D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 


III 


Pourquoi  vient-il?  L'homme  s'était  révolté  contre 
le  ciel.  Tous  les  vices  réunis  inondaient  la  surface  de 
la  terre.  Touché  de  commisération  pour  ses  mal- 
heureux habitants,  l'Homme-Dieu  entreprend  d'en 
renouveler  la  face,  d'y  faire  régner  la  justice  et  la 
paix.  De  réparer  l'injure  infinie  que  l'homme  cri- 
minel avait  faite  à  la  souveraineté  de  Dieu.  Pour  que 
la  réparation  fût  égale  à  l'offense,  il  fallait  qu'un 
Dieu  en  fût  l'auteur.  Tous  les  hommes  ensemble 
auraient  été  impuissants  à  donner  à  Dieu  une  satis- 
faction suffisante.  Jésus-Christ,  pressé  par  son  amour 
pour  nous,  l'a  donnée  en  réunissant  en  sa  personne, 
par  l'Incarnation,  la  nature  divine  à  la  nature  hu- 
maine. En  sorte  que  l'Homme-Dieu  a  effacé  les 
crimes  dont  les  hommes  s'étaient  rendus  coupables. 

Ainsi,  mes  frères,  le  règne  de  la  paix  rétabli  sur  la 
terre  ;  la  terre  réconciliée  avec  le  ciel  ;  la  justice  di- 
vine pleinement  satisfaite  parles  mérites  et  la  satis- 
faction d'un  Dieu  :  Voilà  les  fruits  qu'il  apporte  au 
milieu  de  nous,  en  allumant  dans  les  cœurs  le  feu  de 
la  charité  :  lgnem  veni  mittere  in  terrain,  et  quid  vola 
nisl  ni  accendatur. 

Quels  puissants  motifs  de  nous  préparer  à  la  venue 
du  Sauveur  et  de  nous  mettre  à  même  d'en  recueillir 
les  fruits  ! 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  79 


IV 


Que  devons-nous  faire  pour  participer  aux  fruits 
de  sa  venue  ?  Qu'un  prince  de  la  terre  daigne  quitta 
sa  capitale  pour  honorer  de  sa  visite  les  provinces 
de  son  empire,  quels  préparatifs  ne  fait-on  pas  pour 
le  recevoir  !  Les  populations  se  mettent  en  mouve- 
ment, remplissent  les  routes  et  les  disposent  pour 
son  passage;  partout  s'élèvent  des  arcs  de  triomphe 
en  son  honneur,  et  les  fleurs  jonchent  le  chemin 
qu'il  doit  parcourir;  de  toutes  parts  on  entend  ré- 
péter ces  paroles  :  Préparons-nous  à  recevoir  le 
prince  qui  daigne  visiter  son  peuple.  Eh  bien  !  mes 
frères,  le  Roi  des  rois  va  descendre  du  ciel  sur  la 
terre  pour  venir  visiter  ses  créatures,  les  combler  de 
grâces  et  de  bienfaits.  Déjà,  Jean-Baptiste  nous  le 
montre  et  nous  invite  à  lui  faire  honneur  :  Parate 
viam  D'imini,  rectas  facite  semitas  ej'us.  Que  demande- 
t-il  de  nous?  Quelques  fleurs,  quelques  arcs  de 
triomphe  ?  Il  faut  des  choses  plus  sérieuses  et  plus 
agréables  à  notre  D;eu.  Il  veut  que  le  péché  dispa- 
raisse de  notre  âme  par  une  pénitence  expiatrice, 
c'est-à-dire  par  la  digne  réception  du  Sacrement  qui 
est  l'océan  des  miséricordes  divines.  Il  faut  donc  net- 
toyer, purifier  et  rendre  propres  nos  consciences  par 
une  bonne  confession.  Il  faut  bannir  de  notre  esprit 
et  de  notre  cœur  tout  ce  qui  n'est  pas  droit,  sincère, 


80  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

et  remplir  le  vide  de  notre  vie  par  toutes  sortes  de 
bonnes  œuvres  et  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus 
chrétiennes.  Omnis  vallis  implebitvr.  Oh  !  que  du  vide 
il  y  a  dans  le  cours  de  notre  existence  par  l'oisiveté, 
l'amusement,  la  bagatelle  et  les  habitudes  vicieuses! 
Réparons  tout  cela  par  une  sincère  pénitence,  par 
un  redoublement  de  ferveur  dans  l'accomplissement 
de  tous  nos  devoirs.  Nous  mériterons  ainsi  que  les 
bénédictions  célestes  descendent  abondamment  dans 
notre  âme.  Et,  après  avoir  largement  participé  aux 
bienfaits  de  la  rédemption  divine,  nous  aurons  un 
jour  le  droit  de  régner  avec  Jésus  dans  les  splendeurs 
du  ciel.  Amen. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  81 


DIMANCHE  DANS  L'OCTAVE  DE  NOËL 

ÉVANGILE 

En  ce  temps-là  Joseph  et  Marie,  mère  de  Jésus, 
étaient  dans  l'admiration  des  choses  merveilleuses 
qu'on  disait  de  lui.  Siméon  les  bénit  et  dit  à  Marie 
sa  mère  :  «  Cet  enfant  est  établi  pour  la  ruine  et  la 
résurrection  de  plusieurs  en  Israël,  et  pour  être 
l'objet  de  la  contradiction  ;  et  votre  âme  même  sera 
transpercée  d'un  glaive,  afin  que  les  pensées  des 
cœurs  de  plusieurs  soient  manifestées.  »  Il  y  avait 
aussi  une  prophétesse,  nommée  Anne,  fille  de  Pha- 
nuel,  de  la  tribu  d'Aser.  Cette  sainte  veuve,  fort 
avancée  en  âge,  adora  aussi  ce  divin  eufant  et  publia 
partout  qu'elle  avait  le  bonheur  de  voir  le  Rédemp- 
teur du  peuple  juif.  Après  quoi  Marie  retourna  à  Na- 
zareth, où  Jésus  croissait  et  se  fortifiait,  faisant 
éclater  la  grâce  de  Dieu  et  la  sagesse  qui  était  en 
lui.  (Luc,  xi,  33-40.) 


82  DOMINICALES   D'UN  CURÉ   DE   CAMPAGNE 


HOMÉLIE 


Erce  pos'tus  est  hic  in  ruinam  et 
resurreriionem  multorum  in  Is  aël . 

Cel  ii-e  a  été  établi  pour  ii  ruina 
et  p"Ur  la  résurrection  d'un  _Tand 
nombre  en  Israël.  (Luc,  u,  34.) 


Un  saint  vieillard  nommé  Siméon,  homme  juste 
et  craignant  Dieu,  avait  reçu  du  ciel  l'assurance  qu'il 
ne  mourrait  point  sans  avoir  vu  le  Messie,  objet  de 
l'attente  de  toutes  les  nations.  Quelques  jours  après 
la  naissance  du  Sauveur,  cet  homme  conduit  par 
l'inspiration  divine  vint  dans  le  temple.  Il  y  est  à 
peine  entré  qu'il  aperçoit  Joseph  et  Marie  portant 
dans  leurs  bras  l'Enfant-Dieu.  Marie  était  venue  à 
Jérusalem  pour  accomplir  la  loi  de  la  purification  et 
pour  offrir  son  fils  au  Seigneur.  A  la  vue  du  libéra- 
teur d'Israël,  qu'il  attendait  avec  tant  d'impatience, 
le  saint  vieillard  tressaille;  il  s'approche,  prend  l'en- 
fant entre  ses  bras,  le  contemple  avec  amour,  l'ar- 
rose de  ses  larmes,  et,  levant  les  yeux  aux  cieux,  il 
s'écrie  dans  l'ivresse  de  la  joie  :  «  Seigneur,  vous 
m'avez  promis  de  prolonger  mes  jours  jusqu'à  la 
venue  du  Messie,  et  vous  avez  tenu  votre  promesse  ; 
le  Messie  est  venu,  mes  yeux  le  contemplent,  mes 
bras  l'entourent  ;  maintenant,  Seigneur,  laissez  aller 
en  paix  votre  serviteur.  Mes  yeux  ont  vu,  mes  mains  ont 
porté  le  Sauveur,  que  vous  donnez  à  la  terre.  » 

L'humble  Joseph  et  Marie  elle-même  en  enten- 
dant les  choses  merveilleuses  qu'on  disait  de  l'En- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES  83 

Tant  Jésus  étaient  dans  l'admiration  :  Et  erat  paier 
ejus  et  mater  mirantes  super  his  quœ  dicebantur  de  Mo. 
La  sainte  Vierge  bénissait  Dieu  de  ce  que  son  divin 
Fils,  en  entrant  pour  la  première  fois  dans  la  maison 
de  son  Père  céleste,  n'y  apparaissait  pas  comme  un 
étranger,  de  ce  qu'il  était  reconnu  et  adoré  par  un 
vieillards  qui  représentait  les  patriarches,  les  pro- 
phètes, les  prêtres  de  l'ancienne  loi. 

Mais  la  joie  de  Marie  devait  bientôt  faire  place  à 
une  immense  douleur.  Siméon  porte  ses  regards  de 
''Enfant,  qu'il  tient  entre  ses  bras,  aux  parents  qui 
J'ont  présenté.  Il  les  bénit.  Puis,  embrassant  d'un 
coup  d'oeil  tous  les  effets  que  produira  sur  la  terre 
la  venue  du  Rédempteur,  tous  les  prodiges  que  sa 
justice  et  sa  miséricorde  opéreront  dans  le  cours  des 
.  siècles,  il  renferme  tout  en  deux  mots,  et  adresse  à 
Marie  cette  parole  prophétique,  dont  le  sens  est  si 
étendu  :  «  Celui-ci  est  établi  pour  la  ruine  et  pour  la 
résurrection  de  plusieurs  :  Positus  est  hic  in  ruinam  et 
in  resurrectionem  multorum.  »  Un  sauveur  des  âmes, 
occasion  de  la  perte  des  âmes,  non  de  quelques- 
unes,  mais  d'un  grand  nombre  :  multorum.  Triste 
mystère  de  la  perversité  humaine. 

Cette  prophétie  du  vieillard  Siméon  devait  avoir 
un  prompt  accomplissement.  Le  peuple  juif,  non 
coûtent  de  méconnaître  celui  que  Dieu  lui  a  envoyé 
pour  le  combler  des  bienfaits  du  Seigneur,  le  persé- 
cute et  le  met  à  mort.  Aussi  est-il  le  premier  dont  la 
ruine  atteste  la  puissance  vengeresse  de  ce  divin  Roi. 

Mais  quelle  ruine!  En  fut-il  jamais  d'aussi  affreuse, 


84  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

et  qui  portât  si  visiblement  l'empreinte  de  la  co- 
lère céleste?  Ai-je  besoin  de  retracer  ici  les  hor- 
reurs d'i  siège  de  Jérusalem  à  jamais  mémorable, 
où,  par  Tane  complication  de  maux  sans  exemple, 
la  famine,  la  contagion,  la  guerre  intestine  et  la 
guerre  étrangère  unissent  leurs  ravages,  les  ci- 
toyens s'acharnant  les  uns  contre  les  autres,  avec 
plus  de  fureur  que  ne  le  faisait  l'ennemi,  les  mères, 
ô  cieux,  frémissez!  les  mères  dévorant  le  fruit  de 
leurs  propres  entrailles?  On  vit  périr  dans  l'espace 
de  quelques  mois  jusqu'à  onze  cent  mille  âmes. 
Ai-je  besoin  de  rappeler  cette  destruction  de  la  su- 
perbe cité,  où  il  ne  resta  pas  pierre  sur  pierre,  et 
celle  du  temple,  la  merveille  du  monde,  qu'il  ne  fut 
jamais  possible  de  reconstruire.  Est-il  besoin  sur- 
tout que  je  parle  de  la  dispersion  prédite  et  exécutée 
de  la  nation  juive  réprouvée  ?  Depuis  dix- huit 
siècles  cette  nation,  plus  attachée  qu'aucune  autre  à 
sa  religion  et  à  sa  croyance,  erre  dans  toutes  les 
parties  du  monde,  haïe  et  persécutée,  n'ayant  ni 
temples,  ni  autel,  ni  prêtres,  ni  sacrifice,  ni  culte. 
Où  est  celui  qui  à  la  vue  d'un  si  étrange  phénomène 
ne  voit  le  fidèle  accomplissement  de  la  prophétie  du 
vieillard  Siméon  :  Positus  est  hic  in  ruinam  et  in  re- 
surrectionem  mullorum  in  Isi'aël. 

Avançons.  Rome  païenne  fut  après  la  nation  juive, 
la  plus  implacable  ennemie  du  nom  chrétien.  Ses 
empereurs  et  ses  magistrats  inondèrent,  pendant 
trois  cents  ans,  toute  la  terre  du  sang  des  confes- 
seurs et  des  martyrs.  Rome  dut  être  la  seconde  vie- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  85 

time  immolée  à  la  gloire  du  Dieu  de  l'Évangile.  Que 
devint  cette  ville  orgueilleuse,  s'appelant  avec  em- 
phase la  maîtresse  de  l'univers  et  la  ville  éternelle? 
Elle  fut  humiliée;  son  empire  idolâtre  ruiné,  et  les 
princes,  persécuteurs  du  christianisme,  terminèrent 
leur  cruelle  existence  par  une  mort  prompte  et  tra- 
gique. Quelle  a  été  la  destinée  des  nations  qui,  après 
avoir  connu  Jésus-Christ,  ont  abandonné  son  culte 
et  perdu  la  foi?  Interrogez  l'histoire.  Voyez,   dans 
l'Asie,  ces  villes  fameuses  d'Ephèse,  d'Antioche,  de 
Césarée,  de  Nicomédie  où  régnaient,  avec  le  christia- 
nisme, toutes  les  vertus,  les  arts,  les  sciences  et  les 
lettres  ;    regardez  à  l'extrémité   de   l'Europe  cette 
Constantinople,  jadis  si  policée,  si  savante  ;  tournez 
ensuite  les  yeux  vers  cette  Afrique,  patrie  des  Atha- 
nase,  des  Cyrille,  des  Tertullien,  des  Augustin.  Com- 
parez leur  état  présent  avec  ce  qu'elles  furent.  Ces 
pays  ont  perdu,  avec  la  vraie  religion,  la  gloire,  la 
liberté,   la   science,  les   mœurs   et  la  civilisation  : 
voilà  le  châtiment  des  peuples  qui  renoncent  à  la 
foi  :  Positus  est  hic  in  ruinam.  —  Mais  pourquoi  cher- 
cher des  exemples  si  loin,  quand,  hélas  !  on  peut  en 
trouver   si   près   de   soi  ?  0  France,  ô  nation  très 
chrétienne,  très  civilisée,  très  prospère  !   Quand  as- 
tu  vu  tous  les  fléaux  à  la  fois  fondre  sur  toi,  boule- 
verser l'ordre  social,  insulter  les  prêtres  et  tout  ce 
qu'il  y  a  d'honnête,  fouler  aux  pieds  la  religion? 
C'est  le  jour  où  tu  as  essayé  de  secouer  le  joug  du 
Seigneur.        * 
*2t    aujourd'hui   pourquoi    les  sociétés    secrètes 


86  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

réussissent-elles  à  détruire  la  foi  et  à  implanter  l'in- 
crédulité, non  seulement  chez  les  grands,  mais  chez 
les  petits  ;  pourquoi  voit-on  le  catéchisme  et  l'image 
du  Christ  bannis  des  écoles,  les  religieux  et  les 
prêtres  chassés  des  hospices,  les  cimetières  profanés, 
les  croix  renversées,  les  églises  pillées,  nos  taber- 
nacles vidés?  pourquoi  sommes-nous  condamnés 
à  contempler  chaque  jour  l'impiété,  l'immoralité, 
l'injustice  et  tous  les  crimes  les  plus  monstrueux, 
marchant  tête  levée,  menaçant  d'entraîner  dans  une 
ruine  universelle  la  société  tout  entière?  Parce  que 
les  faux  prophètes  crient  partout  que  le  christia- 
nisme est  l'ennemi  qu'il  faut  abattre.  Eh  bien!  pour 
ces  apôtres  de  l'enfer  et  pour  ceux  qui  les  écoutent 
Jésus-Christ  est  établi  pour  leur  ruine  :  Positus  est 
hic  in  ruinam. 

En  terminant  cette  partie  de  mon  homélie,  ne  me 
sera-t-il  pas  permis  de  vous  demander  si  Jésus- 
Christ  ne  sera  pas  un  jour  pour  vous  aussi  un  sujet 
de  ruine  ?  11  ne  le  sera  pas  certainement  si  vous  êtes 
fidèles  à  vos  engagements  du  baptême  et  de  la  pre- 
mière communion,  si  vous  suivez  Jésus-Christ  avec 
courage  et  sans  respect  humain  ;  mais  si  vous  re- 
poussez la  croix;  si  vous  n'écoutez  pas  l'enseigne- 
ment de  son  Église  ;  si  vous  abandonnez  ses  sacre- 
ments; si  vous  ne  voulez  vivre  que  pour  la  volupté, 
l'avarice,  l'ambition  ;  si,  dans  votre  orgueil,  vous  ne 
voulez  avoir  d'autre  Dieu  que  vous-même,  d'autre  loi 
que  votre  raison,  oui,  Jésus-Christ  sera  pour  vous 
un  sujet  de  ruine  :  Positus  est  hic  in  ruinam. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  8? 

Mais  il  est  dit  aussi  que  ce  même  Enfant-Dieu  sera 
pour  plusieurs  un  principe  de  résurrection  :  Posi- 
tus  est  hic  in  resurrectionem  multorum.  Cet  aspect  e#*  3a 
prophétie  de  Siméon  est  plus  consolant.  Arrêto;  --• 
nous-y  quelques  instants. 

Nous  avons  vu  tomber  les  Juifs  déicides.  Avec  ©^ 
semblaient  périr  le  peuple  de  Dieu,  la  race  choi>ie, 
les  promesses  faites  aux  patriarches,  les  espérances 
de  l'univers.  Mais  il  n'en  est  rien;  tout  renaît  avec 
l'Église  chrétienne. 

Oh  !  que  cette  résurrection  est  admirable  !  L,e 
Tout-Puissant  se  réserve,  de  toute  la  nation  juive, 
douze  hommes  qu'il  disperse  par  toute  la  terre,  pour 
aller  semer  la  parole  de  vie;  et  voilà  qu'aussitôt 
s'élève  de  toutes  parts  une  moisson  abondante  d'a- 
dorateurs en  esprit  et  en  vérité.  Le  nouveau  peuple- 
est  en  tout  supérieur  à  l'ancien.  Il  entre  dans  tous 
ses  droits,  recueille  tout  son  héritage,  et  y  ajoute 
d'autres  richesses  bien  plus  précieuses.  Il  a  la  réalité 
des  figures  et  le  fruit  des  promesses.  Le  premier 
peuple  était  resserré  dans  les  étroites  limites  de  la 
Palestine,  le  second  n'a  point  d'autres  limites  que  le 
monde  ;  celui-là  ne  devait  durer  qu'un  temps,  celui- 
ci  ne  finira  qu'avec  les  siècles  :  la  parole  du  Maître 
est  expresse  :  Allez,  enseignez  toutes  les  nations,  et 
voilà  aue  je  suis  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des 
tiède*.  Cette  divine  parole  ne  sera  pas  démentie  par 
L'événement. 

Mais  que  d'obstacles  l'enfer  suscitera,  que  de  res- 
sorts il  fera  jouer  pour  s'opposer  à  son  accomplisse- 


88  DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

ment  !  N'importe  :  tout  s'exécutera  de  point  en 
point.  Les  savants  et  les  sages,  le  peuple  et  les 
grands,  les  bourreaux,  les  soldats,  les  Césars  s'oppo- 
seront à  la  conquête  de  l'univers  entreprise  par 
douze  humbles  bateliers  ;  mais  ces  douze  pauvres 
pécheurs,  semblables  à  des  géants,  fourniront  leur 
immense  carrière,  avec  la  même  rapidité  que  le  so- 
leil franchit  le  vaste  espace  des  cieux.  A  peine  sont- 
ils  partis  de  la  Judée  que  déjà  ils  sont  parvenus  aux 
extrémités  du  monde...  Leur  voix  retentit  partout, 
comme  un  bruyant  tonnerre,  ébranle  l'empire  de 
l'idolâtrie,  fait  tomber  les  idoles,  renverse  les  tem- 
ples. En  vain  l'enfer  arme  contre  l'Église  naissante 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort  et  de  plus  puissant,  du- 
rant trois  siècles,  l'univers  se  prosterne  et  adore  le 
Christ.  A  cette  première  victoire  succèdent  de  nou- 
velles guerres,  celles  du  schisme  et  de  l'hérésie  ; 
l'Église,  armée  d'une  croix,  triomphe  encore  de  ces 
ennemis. 

Les  philosophes  du  dix-huitième  siècle,  à  leur 
tour,  se  liguent  avec  une  cruauté  sans  égale  contre 
l'Église;  ils  croient  à  leur  victoire  et  crient  de 
toutes  leurs  forces  :  «  L'Église  est  perdue,  elle  n'a 
plus  vingt  ans  d'existence  ;  »  mais  ces  ennemis  du 
Christ  sont  confondus  et  disparaissent,  et  l'Église 
continue  de  vivre  et  de  régner  sur  l'univers  entier  : 
Positus  est  hic  in  resurrectionem. 

En  voyant  plus  tard  le  souverain  pontife  arraché 
de  ses  États,  chargé  de  chaînes  et  traîné  dans  l'exil, 
les  fidèles  tremblent  et  les  méchants  poussent  des 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  8$ 

cris  de  triomphe;  mais  celui  qui  a  dit  :  Je  suis  avec 
vous  jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  le  ra- 
mène comme  pnrla  main,  sur  son  siège,  pour  con- 
tinuer de  gouverner  la  barque  de  Pierre  et  conduire 
les  âmes  au  ciel.  Positus  est  in  resurrectionem. 

L'oracle  de  Simoén  est  donc  vrai.  Si  Jésus  est  la 
ruine  des  méchants,  il  est  la  cause  du  salut  des 
justes,  qui  n'ont  cessé  d'écouter  sa  voix,  de  croire  à 
sa  parole,  d'obéir  à  ses  préceptes  et  de  correspondre 
à  sa  grâce. 

Siméon  ajoute  que  cet  enfant  sera  en  butte  à  la 
contradiction  des  hommes  :  Et  in  signum  cui  contra- 
dicetur.  En  effet,  n'a-t-il  pas  été,  dans  tous  les  siècles, 
comme  le  but  contre  lequel  les  méchants  n'ont  cessé 
de  décocher  toutes  leurs  flèches?  Les  Juifs,  les  infi- 
dèles, les  hérétiques  ne  l'ont-ils  pas  contredit?  De 
nombreux  chrétiens  ne  continuent-ils  pas  de  le  con- 
tredire par  les  dérèglements  de  leur  conduite  ?  Sou- 
mis par  la  foi,  ne  sont-ils  pas  rebelles  par  la  morale? 
Le  superbe  contredit  son  humilité,  le  sensuel  sa 
pureté,  l'avare  sa  pauvreté  volontaire,  l'envieux  sa 
charité,  l'emporté  sa  douceur.  Toutes  ses  vertus,  en 
un  mot,  sont  contredites  par  autant  de  vices  oppo- 
sés. C'est  ainsi  qu'après  avoir  été  en  butte  à  la  con- 
tradiction des  Juifs,  des  païens,  des  hérétiques,  il 
l'est  encore  à  celle  des  catholiques  :  Positus  est  hic 
in  ruinam  et  in  resurrectionem  multorum  in  Israël,  et  in 
signum  cui  contradicetur. 

Le  saint  vieillard,  après  avoir  prédit  ce  qui  regar- 
dait le  Fils,  dit  à  la  mère  :  «  Un  glaive  de  douleur 


90  DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

transpercera  votre  âme,  votre  cœur  maternel  n'en 
sera  pas  seulement  effleuré,  il  en  sera  percé  de  part 
en  part.  » 

Le  martyre  de  la  très  sainte  Vierge  a  deux  causes. 
La  première,  les  cruelles  persécutions  et  les  ineffa- 
bles douleurs  de  Jésus.  Aussitôt  que  Siméon  a  parlé, 
Marie  voit  clairement  les  destinées  futures  de  son 
Fils.  Transportée  des  clartés  de  Bethléem  aux  om- 
bres du  Calvaire,  elle  n'aperçoit  plus  les  bergers  illu- 
minant la  nuit  et  chantant  des  cantiques,  les  rois  de 
l'Orient  prodiguant  les  plus  riches  trésors  des  terres 
lointaines;  elle  voit,  dans  un  prochain  avenir,  son 
Fils  en  butte  à  la  haine,  aux  calomnies,  aux  persécu- 
tions de  ses  ennemis;  elle  voit  poindre  l'aurore  de  ce 
jour  où  Jésus  sera  chargé  d'une  croix  et  couronné 
d'épines.  Elle  entend  les  soldats  romains,  les  bour- 
reaux, tout  un  peuple  qui  demande  son  sang.  Ce 
spectacle  ne  la  quitte  plus.  Le  glaive  de  douleur  ne 
sera  plus  arraché  de  son  âme. 

La  seconde  cause  de  son  martyre,  c'est  l'inutilité 
des  souffrances  de  son  Fils  pour  un  grand  nombre 
de  pécheurs.  Marie,  par  amour  pour  nous,  avait  con- 
senti à  ce  que  le  sang  de  son  bien-aimé  fût  répandu 
pour  le  salut  des  hommes.  Mais  ce  sang,  dont  plu- 
sieurs n'auront  pas  profité,  criera  vengeance  contre 
les  coupables  et  augmentera  leurs  tourments  éter- 
nels. Cette  pensée  amère,  cette  vision  accablante 
achève  d'abreuver  son  âme  de  douleur  :  Tuam  ipsius 
animam  pertransibit  gladius. 

Tandis  que  Siméon  parlait  encore,  survint  un  nou- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  91 

▼eau  témoin,  également  suscité  de  Dieu  pour  an- 
noncer les  hautes  destinées  de  l'Enfant  nouveau-né. 
H  y  avait  aussi  une  prophétesse,  Anne,  fille  de  Phanuel, 
de  la  tribu  d'Aser;elle  était  chargée  de  jours,  et  n'avait 
vécu,  depuis  sa  virginité,  que  sept  ans  avec  son  mari* 
Restée  veuve,  et  âgée  alors  de  quatre-vingt-quatre  ans, 
elle  ne  quittait  point  le. temple,  servant  Dieu  nuit  et  jour, 
dans  les  jeûnes  et  les  prières.  Elle  aussi  survenait  à  cette 
heure,  elle  se  mit  à  louer  Dieu  et  à  parler  de  lui  à  tous 
ceux  qui  attendaient  la  rédemption  d'Israël. 

La  vertueuse  prophétesse,  dont  le  Saint-Esprit 
loue  la  viduité,  n'est  pas  seulement  le  modèle' des 
jeunes  filles,  ni  celui  des  épouses  et  des  mères,  dont 
elle  a  accompli  tous  les  devoirs,  mais  de  tous  les 
chrétiens,  par  son  attachement  au  Seigneur.  Elle 
était  constamment  dans  le  temple  où  elle  priait,  où 
elle  jeûnait  et  se  mortifiait  sans  cesse.  Elle  parlait 
du  Sauveur  à  tous  ceux  qui  attendaient  la  rédemp- 
tion d'Israël.  Elle  exerce  les  fonctions  d'apôtre.  A 
son  exemple,  le  chrétien  ne  doit-il  pas  être  a^siduà 
l'église,  y  vaquer  à  la  prière,  joindre  aux  exercices 
de  la  religion  celui  de  la  pénitence  et  de  la  mortifi- 
cation? Ne  doit-il  pas  y  ajouter  une  sainto  conver- 
sation avec  les  gens  du  monde  pour  faire  con- 
naître et  aimer  Dieu? 

Après  avoir  accompli  les  rites  de  la  loi,  Joseph  et 
Marie  s'en  retournèrent  en  Galilée,  dans  la  ville  de 
Nazareth.  Là  ils  mènent  une  vie  retirée  et  se  livrent 
à  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  L'Enfant-Dieu,  té- 
moin de  leurs  exemples,  croissait  et  se  fortifiait  sous 


92  DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

leurs  yeux  :  Puer  autem  crescebat  et  confortabatur. 
Voilà  le  grand  modèle  que  doivent  copier  tous  les 
enfants.  Voulez-vous,  pères  et  mères  de  famille,  que 
ces  petits  êtres  que  le  Ciel  vous  a  confiés  vous  inon- 
dent de  joie  et  dé  consolation?  Apprenez  leur  par 
vos  leçons  à  être  véritablement  sages,  et  animez-les 
par  vos  exemples  à  conserver  précieusement  la 
grâce  de  Dieu  qu'ils  ont  reçue  au  baptême.  C'est  de 
là  que  dépend  leur  bonheur  et  le  vôtre.  Tant  que  la 
sagesse  et  l'innocence  régneront  dans  leur  cœur,  ils 
seront  heureux  et  feront  votre  joie.  Mais  s'ils  viennent 
à  donner  dans  les  travers  du  vice,  en  faisant  leur 
propre  malheur,  ils  abreuveront  d'amertume  votre 
existence.  N'oubliez  donc  rien  pour  entretenir  en  eux 
l'amour  de  la  vertu,  le  goût  de  la  piété  ;  et  puisque 
vous  dites  que  vous  les  aimez,  témoignez-leur  sur- 
tout votre  amour  en  vous  appliquant  à  les  rendre 
vertueux  et  pieux,  puisque  ce  n'est  que  par  ce  moyen 
qu'ils  pourront  devenir  heureux  dans  le  temps  et 
mériter  de  l'être  pendant  toute  l'éternité.  Amen. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  93 


POUft    LE    MÊME    DIMANCHE 


IMITATION    DE   JÉSUS-CHRIS1 

Un  jeune  enfant  de  quelques  jours  est  porté  au 
temple  sur  les  bras  d'un  vieillard  et  d'une  jeune 
vierge  pour  y  être  offert  au  Seigneur,  et  pour  y  être 
racheté  par  l'offrande  des  pauvres.  Rien  extérieure- 
ment ne  le  distingue  des  enfants  ordinaires,  et 
cependant  il  est  la  consolation  d'Israël,  le  désiré  des 
nations,  l'objet  de  l'attente  de  tous  les  peuples.  En 
un  mot,  il  est  le  Messie.  Au  moment  où  le  nouveau- 
né  est  au  pied  des  autels,  un  saint  vieillard,  conduit 
par  l'inspiration  divine,  entre  dans  le  temple.  Il  n'y 
a  pas  plus  tôt  aperçu  l'Enfant-Dieu,  muet  encore  et 
enveloppé  de  langes,  que  transporté  d'un  amour  plus 
fort  que  le  respect,  il  le  prend  dans  ses  bras  et,  em- 
brassant d'un  seul  coup  d'œil  tous  les  effets  que  pro- 
duira sur  la  terre  la  venue  du  Rédempteur,  il  adresse 
à  Marie  cette  parole  prophétique,  qui  se  réalise 
chaque  jour  dans  toutes  les  parties  du  monde  :  Posi- 
tus  est  hic  in  ruinam  et  in  resurrectionem  multorum  in 
Israël, 


94  DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

Comment  le  Messie  qui  vient  sur  la  terre  pour  dé- 
truire l'empire  du  péché  et  rétablir  le  règne  de  la 
grâce,  peut-il  être  un  objet  de  ruine  pour  plusieurs  ? 
Oui,  mes  frères,  de  même  que  Jésus-Christ  sera  véri- 
tablement un  principe  de  vie  spirituelle  et  de  résur- 
rection glorieuse  pour  ceux  qui  l'écoutent,  marche- 
ront sur  ses  traces  et  le  copieront  trait  pour  trait, 
il  sera  également  un  principe  de  ruine  et  de  répro- 
bation pour  tous  ceux  qui  refuseront  de  l'entendre, 
de  le  suivre  et  de  l'imiter.  L'imitation  de  Jésus-Christ 
est  donc  un  point  capital  pour  tout  chrétien  désireux 
d'arriver  au  ciel.  C'est  pour  cela  que  je  veux  voas 
parler  de  cette  imitation.  Nous  en  ferons  le  sujet  de 
deux  instructions  aussi  importantes  qu'utiles.  Dans  la 
première,  nous  vous  prouverons  l'obligation  où  nous 
sommes  d'imiter  Jésus-Christ,  et  dans  la  seconde, 
je  vous  dirai  en  quoi  nous  devons  l'imiter. 

(Voir  le  Missionnaire  de  la  campagne,  tome  III,  9i 
et  98). 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  95 


PREMIER   DIMANCHE    APRÈS   L  EPIPHANIE 

ÉVANGILE 

•  Les  parents  de  Jésus  allaient  tous  les  ans  à  Jérusa- 
lem à  la  fête  de  Pâque.  Lorsqu'il  fut  âgé  de  douze 
ans,  ils  allèrent,  selon  la  coutume  qu'ils  observaient, 
à  cette  fête.  Comme  ils  s'en  retournaient,  les  jours 
de  solennité  étant  passés,  l'Enfant  Jésus  demeura  à 
Jérusalem,  sans  que  ses  parents  s'en  aperçussent, 
pensant  qu'il  était  avec  quelqu'un  de  leur  compa- 
gnie, ils  marchèrent  une  journée  entière.  L'ayant 
cherché  parmi  leurs  parents  et  ceux  de  leur  connais- 
sance, et  ne  l'ayant  pas  trouvé,  ils  revinrent  à  Jéru- 
salem. Après  trois  jours,  ils  le  trouvèrent  dans 
le  temple  assis  au  milieu  des  docteurs,  les  écoutant 
et  les  interrogeant.  Et  tous  ceux  qui  l'entendaient 
étaient  étonnés  de  la  sagesse  de  ses  réponses.  Marie 
et  Joseph,  en  le  voyant,  furent  remplis  d'admira- 
tion, et  sa  mère  lui  dit  :  Mon  fils,  pourquoi  avez- 
vous  agi  ainsi  cvec  nous  ?  Voilà  que  votre  père  et 
moi,  nous  vous  cherchions  fort  affligés.  Mais  il  leur 
répondit:  Pourquoi  me  cherchiez-vous?  Ne  saviez- 
vous  pas  qu'il  faut  que  je  sois  aux  choses  qui  regar- 
dent mon  Père?  Mais  ils  ne  comprirent  point  ce 


96  DOMINICALES   Dl'N   CURl!  DE   CAMPAGNE 

qu'il  leur  disait  :  11  s'en  retourna  ensuite  avec  euxr 
et  vint  à  Nazareth,  et  il  leur  était  soumis.  Or,  Marie 
conservait  toutes  ces  choses  en  son  cœur,  et  Jésus 
croissait  en  sagesse,  en  âge  et  en  grâce  devant  Dieu 
et  devant  les  hommes.  (Saint  Luc,  il,  40-52.) 

HOMÉLIE 

Trois  fois  chaque  année,  aux  fêtes  de  Pâques,  de 
la  Pentecôte,  et  des  Tabernacles,  les  Juifs  se  ren- 
daient à  Jérusalem,  lorsqu'ils  n'étaient  pas  trop 
éloignés,  pour  accomplir  ce  devoir.  L'Évangile  nous 
apprend  que  saint  Joseph  et  la  sainte  Vierge  se  con- 
formaient fidèlement  aux  usages  pratiqués  par  les 
Juifs  pieux.  Toutes  les  années,  au  jour  solennel  de 
la  Pâque,  ils  allaient  se  mêler  aux  innombrables 
Israélites  qui  accouraient  dans  le  temple  de  toutes 
parts  pour  obéir  à  la  loi  et  satisfaire  leur  piété.  Une 
loi  semblable  nous  appelle  régulièrement  dans  nos 
églises  ;  et  comment  l'observons-nous  ?  Aimons- 
nous  à  nous  rendre  aux  saintes  assemblées  de  nos 
temples?  Sommes-nous  animés  du  désir  de  recueil- 
lir les  grâces  précieuses  que  Jésus  promet  à  ceux  qui 
sont  assemblés  en  son  nom?  Et  quand  une  obliga- 
tion si  stricte,  la  décence  publique,  la  crainte  d'être 
remarqués,  ou  le  désir  d'être  aperçus  nous  y  condui- 
sent, comment  nous  y  présentons-nous?  Y  sommes- 
nous  dans  ce  tremblement  respectueux  que  doit  im- 
primer la  présence  de  Jésus-Christ  sur  son  autel,  et 
que  les  anges  éprouvent  au  pied  de  son  trône?  Com- 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES  97 

bien  de  chrétiens  qui  au  lieu  de  venir  dans  nos 
églises  pour  offrir  à  Dreu  le  tribut  de  leur  adoration, 
n'y  viennent  que  pour  y  étaler  leur  vanité  ou  y  pro- 
mener leurs  regards  sur  tout  ce  qui  peut  flatter  leur 
curiosité.  Ne  serions-nous  pas  de  ce  nombre? 

L'Évangile  nous  dit  expressément  que  c'est  à  la 
fête  de  Pâques  que  Marie  et  Joseph  allèrent  à  Jéru- 
salem; et  c'est  alors  aussi  que  nous  devons  surtout 
venir  dans  nos  églises  pour  y  remplir  l'obligation  où 
nous  sommes  tous  de  recevoir,  pendant  le  temps  pas- 
cal, le  corps  adorable  de  Jésus-Christ  caché  dans  le 
sacrement  de  l'Eucharistie  sous  les  espèces  du  pain. 
Mais  cette  obligation  est-^lle  remplie  aussi  exacte- 
ment qu'elle  l'était  autrefois  par  tous  les  fidèles  ? 
Ah  !  alors  il  n'y  en  avait  aucun  qui  ne  se  fît  un  de- 
voir de  se  présenter  à  la  Table  sainte  et  qui  n'eût 
cru  se  déshonorer  aux  yeux  des  hommes  comme  à. 
ceux  de  Dieu,  s'il  eût  été  assez  irréligieux  pour  s'en 
éloigner.  Mais  dans  ce  siècle  d'indifférence  et  d'in- 
crédulité, que  de  défections  !  Et  ce  navrant  spectacle 
que  nous  sommes  condamnés  à  subir,  ne  nous  est 
pas  offert  par  quelques  hommes  et  quelques  jeunes 
gens  isolés,  mais  par  de  nombreux  pères  de  famille 
qui  apprennent  par  leur  exemple  funeste,  à  leurs 
enfants,  à  violer  le  plus  saint  et  le  plus  auguste  de 
tous  les  devoirs  que  la  religion  nous  impose.  Oh  l 
que  la  conduite  de  Marie  et  de  Joseph  fut  bien  dif- 
férente !  Ils  ne  se  contentèrent  pas  d'aller  à  Jérusa- 
lem à  la  fête  de  Pâques,  ils  eurent  encore  soin  d'y 
conduire  Jésus  :  Et  cum  factus  esset  annorum  duode* 
I.  ô 


98  DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

cim,  ascendentibus  Mis  Jerosolimam,  secundum  consae- 
tudinem  diei  festi.  Quel  exemple  donné  aux  chefs  de 
famille! 

En  conduisant  assidûment  au  temple  l'Enfant 
Jésus,  parents,  chrétiens,  Marie  et  Joseph  vous  ap- 
prennent que  c'est  pour  vous  un  devoir  essentiel 
d'aller  fréquemment  présenter  vos  enfants  à  Dieu 
dans  son  temple;  et  en  l'implorant  pour  eux,  de 
leur  apprendre  à  l'implorer  eux-mêmes.  Qu'à  son 
-exemple  vos  enfants  se  rendent  assidus  aux  instruc- 
tions que  l'Église  leur  fait  donner.  Veillez  à  ce  qu'ils 
en  profitent  :  Suivez  avec  attention  leurs  progrès  ; 
hâtez-en  le  développement  par  vos  propres  soins, 
et  formez-les,  dès  leurs  premières  années  aux  devoirs 
et  aux  vertus  qu'ils  auront  à  pratiquer  toute  leur  vie. 

Comme  ils' s' en  retournaient,  les  jours  de  la  solennité 
étant  passés,  l'Enfant  Jésus  resta  à  Jérusalem  sans  que 
ses  parents  s'en  aperçussent.  Les  pèlerins  s'éloignant 
de  la  ville  marchaient  par  groupes  séparés.  Les  di- 
verses caravanes  comptaient  au  moins  trois  cents 
personnes.  Les  hommes  marchaient  ensemble  ;  les 
femmes  et  les  enfants  étaient  réunis.  Lorsqu'on  fut 
arrivé  au  lieu  de  repos  de  la  première  journée,  Jo- 
seph et  Marie  se  réunirent.  Leur  premier  mouvement 
fut  de  se  demander  l'un  à  l'autre  s'il  n'avait  pas  avec 
lui  Jésus.  Hélas  !  ils  l'ont  perdu  1  Ils  ne  peuvent  pas 
douter  de  son  absence.  Ils  cherchent  parmi  les  divers 
groupes,  ils  interrogent  leurs  parents  et  leurs  amis. 
Personne  qui  puisse  leur  donner  des  nouvelles  de 
Jésus.  Marie  se  souvient  de  la  prophétie  du  vieillard 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  9$ 

Siméon.  Que  de  douleurs  à  la  fois  envahissent  son 
âme!  Douleur  de  la  séparation  !  Elle  ne  possède  plus 
celui  qui  a  daigné  naître  d'elle.  Ses  yenz  le  cher- 
chent sans  rencontrer  son  regard,  sa  voix  l'appelle 
sans  que  son  nom  arrive  jusqu'à  lui.  Elle  n'a  plus 
son  Fils  !  Il  ne  lui  dit  plus  :  Ma  mère!  Elle  est  seule, 
elle  a  tout  perdu.  Douleur  de  délaissement!  Pour- 
quoi son  fils  ne  s'est-il  pas  attaché  à  ses  pas  ?  Ne 
veut-il  plus  avoir  de  mère?  Sa  mission  auprès  de  lui 
est-elle  finie  ?  Elle  peut  exprimer  son  angoisse  avec 
les  paroles  qu'un  jour  le  Sauveur  exhalera  sur  la 
croix  :  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  pourquoi  m'avez-vous 
abandonné  !  Douleur  de  l'incertitude  !  Qu'est  devenu 
son  fils?  Que  fait-il  en  ce  moment?  Où  est-il?  Vit-il 
encore?  Est-il  allé  se  présenter  à  Hérode  ?  Veut-il 
mourir  déjà  pour  le  salut  du  genre  humain,  mourir 
loin  de  sa  mère,  mourir  sans  lui  adresser  un  su- 
prême adieu?  Tel  est  le  nouveau  coup  de  glaive  qui 
frappe  Marie.  Elle  en  souffrira  pendant  trois  jours. 
Elle  cherche  avec  une  indicible  ardeur  le  fils  dont 
elle  est  séparée.  Elle  revient  sur  ses  pas,  elle  re- 
tourne à  Jérusalem.  Chemin  faisant  elle  peut  dire 
à  ceux  qu'elle  rencontre  :  «  0  vous  tous  qui  passez, 
regardez  et  voyez  s'il  est  une  douleur  comparable  à 
la  mienne.  » 

Telle  est  la  douleur  que  nous  devons  ressentir, 
nous  chrétiens,  lorsque,  par  notre  faute,  nous  avons 
eu  le  malheur  de  nous  séparer  de  Jésus-Christ.  Bien 
plus  malheureux  que  Joseph  et  Marie,  ce  n'est  pas 
par  une  simple  inadvertance  que  nous  l'avons  perdu, 


100        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

c'est  avec  une  pleine  connaissance  et  une  entière 
liberté.  En  nous  séparant  de  lui,  nous  n'avons  pas 
seulement  cessé  de  jouir  de  sa  présence  ;  mais  nous 
nous  sommes  privés  de  son  amitié  et  nous  avons  en- 
couru sa  disgrâce.  Ce  n'est  point  lui  qui  s'est  éloigné 
de  nous;  mais  c'est  nous  qui  l'avons  chassé  de  notre 
cœur  pour  y  faire  régner  le  péché.  N'avons-nous 
donc  pas  sujet  d'être  affligés  encore  plus  que  ne  le 
furent  ses  parents  désolés?  Et,  puisque  nous  compre- 
nons la  grande  perte  que  nous  avons  faite  en  per- 
dant Jésus,  qui  seul  peut  faire  notre  bonheur,  ne 
devons-nous  pas  nous  empresser  de  le  chercher  et 
de  nous  réunira  lui?  A  l'exemple  de  Joseph  et  de 
Marie,  allons  à  sa  recherche;  appelons-le  de  tous  nos 
vœux.  Prenons  tous  les  moyens  les  plus  sûrs  pour  le 
retrouver.  Mais  la  première  démarche  qu'il  faut 
faire,  c'est  d'avoir  un  grand  regret  de  l'avoir  perdu  : 
Dolentes;  car  malheur  à  ceux  qui  ne  comptent  pour 
rien  cette  perte  et  qui  disent  dans  un  aveuglement 
d'esprit  et  un  endurcissement  de  cœur  déplorable  : 
J'ai  péché  et  que  rn  est-il  arrivé'!  Peccavi  et  quid  mihi 
accidit  triste.  Mais  ce  n'est  pas  assez  d'être  fâché  de 
l'avoir  perdu,  il  faut  encore  le  chercher  pour  le 
Tetrouver;  et  il  faut  le  chercher  promptement  et  avec 
persévérance  à  l'exemple  de  Marie  et  de  Joseph.  Dès 
qu'ils  se  furent  aperçus  qu'il  n'était  ni  avec  l'un  ni 
avec  l'autre,  ils  le  cherchèrent  parmi  leurs  parents 
et  ceux  de  leur  connaissance.  Mais  ce  n'est  pas  là 
qu'ils  le  trouvèrent,  c'est  au  temple,  au  pied  des 
docteurs  qui  expliquaient  la  loi  du  Seigneur.  You- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         101 

lez-vous.  pécheurs  qui  avez  eu  le  malheur  de  perdre 
Dieu,  voulez-vous  le  retrouver  sûrement?  N'allez  pas 
le  chercher  parmi  vos  amis  et  vos  connaissances  du 
siècle  où  il   est  presque  toujours  oublié,   souvent 
offensé,    quelquefois    blasphémé.     C'est    dans   son 
temple,  dans  les  saintes  assemblées  des  fidèles  qu'il 
se  plaît  et  que  vous  le  trouverez.  C'est  là  qu'il  est 
assis  sur  le  trône  de  la  miséricorde,  non  parmi  les 
docteurs,  mais  au   milieu  des  esprits   célestes  qui 
l'environnent.  C'est  là  qu'il  est  toujours  prêt  à  nous 
recevoir,  à  se  réconcilier  avec  nous,  à  se   donner 
même  à  nous.  Allons-donc  nous  prosterner  devant 
lui  avec  un  cœur   contrit  et  humilié.  Allons  nous 
jeter  aux  pieds  des  ministres   à  qui  il  a  donné  le 
pouvoir  de  nous  remettre  les  péchés  qui  nous  l'ont 
fait  perdre,  et  en  le  trouvant  comme  Marie  et  Jo- 
seph, nous  recouvrerons,  comme  eux,  la  paix  et  le 
bonheur,  dont  on  ne  peut  jouir  que  lorsqu'on   le 
possède. 

Après  trois  jours  de  séparation  Joseph  et  Marie 
trouvèrent  Jésus  au  temple  de  Jérusalem.  L'enfant 
Dieu  était  assis  au  milieu  des  docteurs.  Il  les  interro- 
geait sur  le  sens  et  l'esprit  de  la  loi  mosaïque.  Ses 
questions  révélaient  une  si  haute  intelligence  de  la 
loi,  que  les  maîtres  en  Israël  étaient  dans  le  ravisse- 
ment. Pour  se  rendre  compte  exactement  du  degré 
de  son  instruction,  ils  l'interrogèrent  à  leur  tour; 
mais  ils  furent  confondus  par  la  sagesse  de  ses 
réponses.  Ils  ne  pouvaient  pas  s'expliquei  comment, 
à  un  âge  si  tendre,  il  avait  une  si  profonde  connais- 

6. 


102        DOMINICALES   D'UN  CURE   DE   CAMPAGNE 

sance  de  la  loi.  Ils  ne  savaient  pas  qu'ils  avaient  au 
milieu  d'eux  la  sagesse  même  du  Père,  le  Verbe 
éternel,  celui  dont  les  prophètes  n'étaient  que  les 
messagers,  celui  qui  devait  dire  un  jour  :  Je  suis  la 
lumière  du  monde  :  Ego  sum  lux  mundi. 

Lorsque  Marie  et  Joseph  aperçurent  Jésus  au  mi- 
lieu des  docteurs,  les  interrogeant  et  leur  répondant, 
ils  furent  saisis  d'admiration.  Joseph,  muet  de  sur- 
prise et  de  joie,  n'osait  interrompre  les  paroles 
échangées  entre  les  docteurs  et  Jésus.  Mais  une 
mère  peut  toujours  se. faire  entendre  :  Mon  Fils,  dit 
la  sainte  Vierge,  d'où  vient  que  vous  avez  agi  ainsi 
envers  nous  ?  Mais  écoutez  la  sage  réponse  que  lui 
fait  Jésus-Christ,  et  apprenez,  en  l'entendant,  que, 
quelque  vive  que  soit  l'affection  que  nous  avons 
pour  nos  proches,  nous  devons  toujours  préférer  les 
intérêts  du  Ciel  à  leur  satisfaction,  et  nous  confor- 
mer à  la  volonté  de  Dieu,  plutôt  qu'à  leurs  désirs, 
parce  que  Dieu  étant  au-dessus  de  tout,  sa  volonté 
doit  l'emporter  surtout.  Pourquoi  me  cherchiez-vous'l 
répondit  Jésus  à  sa  tendre  mère.  Ne  saviez-vous  pas 
quil  faut  que  je  sois  occupé  à  ce  qui  concerne  mon  Père? 
Si  donc  il  arrivait  jamais  que  par  des  vues  trop  na- 
turelles, vos  parents  voulussent  s'opposera  l'exécu- 
tion des  desseins  que  Dieu  peut  avoir  sur  vous, 
répondez-leur  comme  Jésus-Christ  :  Pourquoi  cher- 
chez-vous à  me  faire  adopter  vos  idées  et  vos  projets? 
Ne  devez-vous  pas  savoir  que  mon  premier  devoir  est 
de  remplir  les  desseins  de  Dieu  que  je  dois  regarder 
comme  mon  premier  Père?  Par  ce  moyen,   vous 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         103 

accomplirez  toute  justice,  et  sans  manquer  à  ceux 
qui  vous  ont  donné  la  vie,  vous  obéirez  à  Celui  pour 
qui  seul  vous  devez  vivre. 

Jésus,  après  avoir  accompli  la  volonté  de  son  Père 
céleste  se  réunit  à  Joseph  et  à  Marie  pour  retourner 
avec  eux  à  Nazareth.  Que  faisait  dans  cette  retraite 
ignorée,  dans  l'humble  demeure  d'un  artisan  le 
Maître  du  ciel  et  de  la  terre?  //  leur  était  soumis,  dit 
l'Évangile  :  Et  erat  subdUus  Mis.  C'est  tout  ce  que 
nous  savons  de  Jésus  depuis  l'âge  de  douze  ans  jus- 
qu'à trente.  L'auteur  de  toute  justice  donnait  ainsi 
l'exemple  d'un  des  principaux  devoirs  de  justice, 
qui  est  la  soumission  à  ceux  dont  on  a  reçu  le  jour. 
Il  commençait  dès  lors  par  cette  obéissance  à  expier 
le  péché  de  la  désobéissance  d'Adam.  Ce  seul  mot 
que  nous  dit  l'Évangéliste  de  la  vie  de  Jésus- Christ, 
renferme  tout  l'abrégé  de  la  vie  chrétienne.  L'esprit 
de  la  religion  est  un  esprit  de  soumission.  La  pra- 
tique de  la  religion  est  celle  de  l'obéissance.  Obéis- 
sons à  Dieu,  et  tous  nos  devoirs  religieux  seront 
remplis;  obéissons  aux  supérieurs  qu'il  nous  donne 
sur  la  terre  et  nous  nous  serons  acquittés  de  tous  nos 
devoirs  civils. 

Obéissons-nous  à  nos  supérieurs  comme  Jésus 
obéissait  à  Joseph  et  à  Marie.  Qu'ils  rougissent  de 
bonté,  ces  enfants  qui,  après  avoir  vu  le  Créateur  à 
qui  tout  est  soumis,  se  soumettre  à  des  créatures, 
osent  néanmoins  se  soustraire  à  l'obéissance  qu'ils 
doivent  à  leurs  parents! 

Enfin,  l'Esprit-Saint  nous  dit  que  Jésus,  à  mesure 


104  DOMINICALES  D  UN  CURE  DE  CAMPAGNE 
qii  il  avançait  en  âge,  croissait  en  grâee  et  en  sagesse  de- 
vant  Dieu  et  devant  les  hommes.  Cela  veut  dire  que 
Jésus,  la  Sagesse  même,  à  mesure  qu'il  avançait  en 
âge,  faisait  paraître  de  plus  en  plus  au  dehors  cette 
sagesse  dont  il  était  rempli  au  dedans;  et  que  par 
des  œuvres  de  sainteté  et  de  grâce,  il  développait 
peu  à  peu  les  rayons  de  sa  divinité  cachée  sous  les 
nuages  de  son  corps.  Voilà  ce  que  devrait  être  le 
cours  de  notre  vie.  Nous  devrions  tendre  continuel- 
lement à  croître  en  vertus  et  en  mérites;  car  celui 
qui  n'avance  pas  dans  la  voie  du  salut,  recule  in- 
failliblement. Il  ne  nous  est  pas  donné  d'atteindre 
au  faîte  de  la  perfection,  mais  il  nous  est  ordonné 
d'y  aspirer.  Le  faisons-nous?  Hélas!  combien  qui, 
au  lieu  de  croître  en  sagesse  et  en  grâce  devant  Dieu 
et  devant  les  hommes,  se  montrent  moins  sages 
dans  un  âge  avancé,  que  dans  les  premières  années 
de  leur  vie  !  Combien,  qui  au  lieu  d'avancer  toujours 
plus  dans  la  carrière  de  la  vertu,  s'égarent  toujours 
davantage  dans  les  routes  du  vice.  Ne  seriez -vous 
pas  de  ce  nombre?  Évitons  ce  malheur.  Pour  cela 
travaillons  sans  relâche  à  tendre  à  l'heureuse  fin 
pour  laquelle  nous  avons  été  créés.  N'employons  ce 
qui  nous  reste  de  vie  qu'à  servir  Dieu  avec  zèle,  qu'à 
l'aimer  avec  ardeur  et  nous  nous  rendrons  ainsi 
dignes  de  le  posséder  éternellement  dans  le  ciel. 
Amen, 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         105 


POUR    LE    MÊME    DIMANCHE 


COMMENT  ON  DOIT   CHERCHER  DIEU 

Ecce  pater  tuus  et  ego  dolentes 
quœrebamus  te.  (Luc,  H  48.) 

Mes  Frères, 
Qui  pourrait  peindre  l'inquiétude  amère  et  la 
douleur  poignante  de  Joseph  et  de  Marie  après  avoir 
perdu  Jésus-Christ,  la  lumière  divine,  la  vie  de  leur 
âme,  celui  qu'ils  aimaient  plus  qu'eux-mêmes!  Où 
est-il?  Qu'est-il  devenu?  Où  le  chercher?  Où  le  trou- 
ver? Telles  étaient  les  noires  pensées  qui  traver- 
saient leur  esprit.  Ce  fut  vraiment  en  cette  occasion 
qu'un  glaive  de  douleur  transperça  l'âme  de  Marie. 
Dès  le  moment  qu'elle  s'aperçut  que  l'Enfant-Dieu 
n'était  ni  avec  elle,  ni  avec  Joseph,  elle  se  hâta  de  le 
chercher  et  de  demander  à  ses  parents  et  à  ses  amis 
s'ils  ne  l'avaient  point  vu.  Cène  fut  que  le  troisième 
our  que  les  saints  époux  le  trouvèrent,  non  pas 
dans  le  tumulte,  au  milieu  du  monde,  mais  dans  le 
temple.  La  conduite  de  Joseph  et  de  Marie,  cherchant 
avec  anxiété  l'Enfant  qu'ils  avaient  perdu  doit  être 


106        DOMINICALES   D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

la  règle  que  doivent  suivre  ceux  qui  ont  perdu  Dieu. 
La  première  démarche  qu'ils  doivent  faire  pour  le 
recouvrer  c'est  d'avoir  le  regret  de  l'avoir  perdu,  do- 
lentes. Nous  nous  attristons  de  la  perte  de  notre 
santé,  de  la  perte  de  nos  biens  temporels,  pourrions- 
nous  être  insensibles  à  la  perte  de  Dieu  ?  Mais  Joseph 
et  Marie  ne  se  contentent  pas  de  pleurer  et,  de  gémir 
ils  le  cherchent.  Et  comment  le  cherchent-ils?  Avec 
empressement,  avec  confiance  et  avec  persévérance. 
C'est  ainsi  que  nous  devons  le  chercher  nous-mêmes. 

Avant  d'entrer  dans  le  développement  de  ces  pen- 
sées, voyons  comment  on  peut  perdre  Dieu. 

Joseph  et  Marie,  séparés  d'un  Fils  qui  était  l'objet 
de  leur  tendresse  et  la  source  de  tout  leur  bonheur, 
nous  prouvent  que  les  justes  et  les  pécheurs  peuvent 
perdre  Dieu,  mais  d'une  manière  bien  dilférente. 
Les  ju  tes  le  perdent  parce  que  Dieu  se  cache  quel- 
quefois aux  âmes  les  plus  ferventes;  il  leur  retire  ses 
consolations  afin  de  les  instruire  et  de  les  perfec- 
tionner, afin  qu'elles  comprennent  que  les  douceurs 
sen>ibles  de  la  dévotion  sont  des  dons  de  Dieu  qui 
ne  leur  sont  pas  dus,  afin  qu'elles  donnent  des 
preuves  de  leur  fidélité  et  de  leur  amour,  et  qu'elles 
s'accoutument  à  servir  le  Seigneur  pour  lui-même  et 
non  pas  pour  ses  dons.  Ces  épreuves  ne  sont  ordi- 
nairement ni  longues,  ni  fréquentes  et  sont  toujours 
méritoires  quand  on  sait  en  faire  un  saint  usage. 
L'absence  de  Dieu  les  livre  à  des  sécheresses,  à  des 
ennuis,  à  des  dégoûts  qui  les  désolent.  0  vous  dont 
Dieu  s'est  ainsi  éloigné,  atfligez-vous;  ce  sentiment 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         107 

est  naturel,  mais  ne  désespérez  pas,  s'il  vous  éprouve, 
son  éloignement  est  un  bienfait.  Il  veut  ranimer 
vos  dé>irs,  réchauffer  votre  piété,  donner  une  nou- 
velle ardeur  à  votre  zèle,  ou  bien  vous  faire  expier 
vos  imperfections,  vos  dissipations,  vos  fautes  pas- 
sées. 

Mais  la  perte  la  plus  désolante  est  celle  qui  s'opère 
par  le  péché.  Elle  est  un  châtiment.  Dès  que  le  péché 
mortel  s'introduit  dans  une  âme,  le  démon  y  entre 
ausr>i  et  Dieu  s'en  va.  Il  la  laisse  seule  avec  l'horrible 
maître  qu'elle  a  choisi.  Perdre  Dieu,  son  amitié,  sa 
grâce,  ia  suavité  de  ses  entretiens,  la  douceur  de  ses 
bénédictions,  la  consolation  de  son  amour;  perdre 
ce  Dieu  qui  fait  au  ciel  la  joie  des  Anges  et  des  élus, 
et  retrouver  à  sa  place  l'ange  des  ténèbres,  le  tyran 
de  l'enfer  et  le  bourreau  des  réprouvés,  quelle 
perte!  quel  malheur!  Et  voilà  pourtant  le  sort  que 
vous  vous  êtes  fait  à  vous-mêmes  par  le  péché.  Vous 
avez  perdu  Dieu  votre  créateur,  le  Saint-Esprit, 
votre  sanctificateur,  Jésus,  cet  ami  de  votre  enfance 
qui  reçut  naguère  vos  premières  promesses  et  vos 
premiers  serments;  Jésus,  qui  bégayait  avec  vous 
les  leçoBs  si  simples  de  la  foi,  qui  vous  appelait  à 
manger  avec  lui  un  pain  délicieux,  qui  répandait 
dans  votre  âme  des  douceurs  dont  le  souvenir  peut- 
être  a  fait  couler  plus  d'une  fois  vos  larmes;  oh!  que 
vous  êtes  à  plaindre!  Vous  en  avez  certainement 
éprouvé  des  remords  et  ces  remords  ont  produit  sans 
doute  en  vous  une  certaine  douleur;  mais  ce  n'est 
pas  assez,  il  faut,  à  l'exemple  de  Joseph  et  de  Marie 


108        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

chercher  votre  Dieu.  Et  comment  devez-vous  le  cher- 
cher? 

I.  Avec  empressement.  Voyez  Marie;  à  peine  s'est- 
elle  aperçue  de  l'absence  de  son  Jésus  qu'elle  se  met 
à  sa  recherche;  elle  le  demande  à  tous  ceux  qu'elle 
rencontre,  elle  l'appelle  par  ses  cris,  elle  n'a  pas  de 
repos  qu'elle  ne  l'ait  trouvé;  suivez  cet  exemple. 
Quand  vous  avez  eu  le  malheur  de  perdre  Dieu  par 
le  péché,  rappelez-le  aussitôt;  courez  vous  jeter  aux 
pieds  du  prêtre,  implorez  votre  pardon,  méritez-le 
par  votre  repentir.  Pourquoi  rester  dans  l'inimitié 
du  Seigneur,  une  semaine,  un  jour?  Ne  savez-vous 
pas  que,  si  vous  veniez  à  mourir  dans  cet  état,  votre 
malheur  éternel  serait  assuré?  et  vous  pouvez  mou- 
rir à  toute  heure,  à  tout  moment. 

Est-ce  ainsi  que  nous  l'avons  cherché?  Et  si  après 
l'avoir  perdu  une  première  fois,  nous  nous  sommes 
mis  en  mesure  de  le  recouvrer  ;  aveuglés,  aiïaiblis 
par  de  nouvelles  fautes,  ne  nous  sommes-nous  pas 
découragés?  Ah!  continuons  de  le  chercher. 

II.  Avec  confiance.  Après  une  chute  et  des  re- 
chutes n'aggravez  pas  votre  malheur  par  le  découra- 
gement et  la  défiance.  Pourquoi  vous  rebuter?  La 
vertu  est  un  sentier  rude  et  escarpé;  il  n'y  a  rien 
d'extraordinaire  à  ce  que  votre  marche  soit  lente, 
difficile,  signalée  par  des  chutes;  mais  ces  chutes, 
ces  obstacles  sont-ils  des  raisons  pour  vous  rebuter, 
vous  décourager?  Non,  Joseph  et  Marie  ne  trouvent 
pas  Jésus  immédiatement,  ils  ne  se  découragent  pas, 
ils  le  cherchent  un  jour,  deux  jours;  ils  le  cherchent 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         109 

encore;  ce  n'est  qu'après  trois  jours  de  peines  qu'ils 
retrouvent  l'objet  de  leur  amour.  A  leur  exemple, 
entourons-nous  d'une  plus  grande  vigilance,  déve- 
loppons une  plus  grande  énergie,  cherchons  en  Dieu 
une  force  que  nous  n'avons  pas  en  nous-mêmes,  et 
avançons  avec  confiance.  Le  voyageur  qui  se  rebu- 
terait de  la  longueur  ou  des  difficultés  du  chemin 
n'arriverait  jamais  au  but;  celui-là  seul  arrive  qui 
continue  sa  marche  résolument.  Cherchons  donc 
Dieu  avec  confiance,  bien  assurés  qu'il  nous  aidera 
dans  nos  recherches,  qu'il  nous  accueillera  avec  une 
bonté  toute  paternelle. 

III.  Cherchons  Dieu  avec  persévérance.  Notre-Sei- 
gneur  a  dit  une  parole  qu'il  nous  faut  souvent  mé- 
diter :  celui-là  seul  sera  sauvé  qui  aura  persévéré  jus- 
qu'à la  fin.  C'est  quelque  chose  de  bien  commencer; 
c'est  une  grande  chose  dans  la  vie  qu'une  éducation 
bien  chrétienne;  c'est  une  heureuse  garantie  pour 
le  salut  qu'une  jeunesse  passée  dans  la  pratique  et 
l'amour  de  la  vertu,  mais  ce  n'est  pas  tout.  —  Il 
faut  persévérer;  et  c'est  là  le  difficile.  La  constance 
semble  être  une  vertu  inconnue  au  cœur  humain; 
beaucoup  commencent  bien  et  finissent  mal;  ne  les 
imitez  pas,  mais  imitez  Marie  dans  son  ardeur  et  sa 
persévérance  à  chercher  le  divin  Enfant.  Elle  ne  se 
lasse  pas  ;  elle  ne  se  rebute  pas  ;  elle  poursuit  ses 
recherches  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  trouvé  l'objet  de  ses 
regrets  et  de  ses  larmes.  Vous  avez  prié,  vous  priez 
encore,  et  Dieu  se  dérobe  toujours  à  vos  empresse- 
ments, ne  vous  rebutez  pas,  continuez,  multipliez 
i.  7 


iiO        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

vos  prières,  à  proportion  que  la  prière  devient  plus 
difficile,  Dieu  vous  rendra  les  consolations  ^e  son 
amour.  Il  vous  tiendra  compte  de  ces  soupirs  qui 
tant  de  fois  sont  montés  inutilement  vers  le  Ciel,  de 
ces  prières  qui  furent  souvent  une  croix  et  une  croix 
sans  onction.  Plus  l'épreuve  aura  été  pénible,  plus 
la  récompense  sera  grande. 

Finissons  en  disant  comment  on  trouve  Dieu. 
C'est  dans  le  temple  que  Marie  rencontre  son  Fils, 
c'est  aussi  dans  le  temple  que  vous  retrouverez  Dieu 
quand  vous  l'aurez  perdu.  Si  sa  perte  est  la  punition 
de  vos  péchés,  il  a  dans  sa  maison  une  piscine  salu- 
taire au  bord  de  laquelle  il  vous  attend  pour  vous 
guérir.  Dieu  n'est  point  dans  les  assemblées  profanes 
où  vous  allez  vous  étourdir  pour  échapper  aux  re- 
mords qui  troublent  votre  conscience.  —  Il  n'est 
point  dans  ces  livres  frivoles  qui  ne  peuvent  qu'ache- 
ver en  vous  la  ruine  de  la  piété.  —  Il  n'est  point  au 
milieu  de  ces  compagnies  légères  dont  la  dissipation 
sert  d'excuse  à  la  vôtre;  il  est  dans  le  temple,  c'est 
là  qu'il  faut  venir  le  chercher.  On  vous  dira  au  tri- 
bunal de  la  pénitence  ce  que  vous  devez  faire  pour 
vous  rapprocher  de  lui;  ou  plutôt  il  reviendra  lui- 
même  à  vous;  il  vous  parlera  par  la  bouche  de  son 
ministre,  il  rentrera  dans  votre  cœur  avec  le  pardon 
de  vos  fautes,  et  vous  retrouverez  le  bonheur  en  re- 
trouvant sa  grâce. 

Si  la  perte  de  Jésus  est  une  épreuve,  c'est  encore 
dans  le  temple  qu'on  peut  le  retrouver.  Là,  il  y  a 
l'autel,    —  sur  cet  autel  il  y  a  le  tabernacle,  — 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         lii 

l'amour  y  tient  Jésus  enfermé;  c'est  là  qu'il  faut 
venir  le  chercher  dans  la  communion  ou  du  moins 
dans  la  prière.  Oui,  sur  cette  route  où  vous  cheminez 
péniblement,  ainsi  qu'autrefois  cheminait  le  pro- 
phète accablé  sous  le  fardeau  de  la  vie,  l'ange  du 
Seigneur  vous  présente  comme  à  lui,  le  pain  de  la 
solitude;  —  écoutez  cette  voix  amie,  n'écoutez  point 
de  vaines  terreurs  qui  ne  serviraient  qu'à  vous  éloi- 
gner davantage  de  votre  Maître.  Mangez,  mangez  à 
la  sueur  de  votre  front,  s'il  le  faut,  ce  pain  mysté- 
rieux que  vous  aimez  et  que  vous  redoutez  tout  à  la 
fois.  Si  vous  avez  la  foi,  dit  saint  Augustin,  l'absence 
du  Seigneur  n'est  qu'apparente,  il  est  là  tout  près  de 
vous  caché  sous  les  voiles  de  l'Eucharistie.  Allez- 
vous  jeter  dans  ses  bras  avec  une  confiance  toute 
filiale,  et  vous  sentirez  la  paix  renaître  dans  votre 
cœur.  Amen* 


\[~2        DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 


IIe  DIMANCHE  APRÈS  L'EPIPHANIE 


EVANGILE 

En  ce  temps-là,  il  se  lit  des  noces  à  Cana,  en  Gali- 
lée, et  la  mère  de  Jé-us  y  était.  Jésus  y  futaus^i  con- 
vié avec  ses  disciples.  Et  comme  le  vin  vint  à  man- 
quer, la  mère  de  Jésus  lui  dit  :  «Ils  n'ont  point  de 
vin.  »  Jésus  lui  répondit  :  h  Femme,  que  vous  importe 
à  vous  et  à  moi?  Mon  heure  n'est  pas  encore  venue.  » 
Sa  mère  dit  à  ceux  qui  servaient  :  «  Faites  tout  ce 
qu'il  vous  dira.  »  Or,  il  y  avait  là  six  grandes  urnes 
de  pierre,  pour  servir  aux  purifications  qui  étaient  en 
usa^e  parmi  les  Juifs,  dont  chacune  tenait  deux  ou 
trois  mesures.  Jésus  leur  dit  :  «  Emplissez  les  urnes 
d'eau.  »  Et  ils  les  emplirent  jusqu'en  haut.  Alor>  il 
leur  dit  :  a  Puisez  maintenant,  et  portez-en  au 
maîire  d'hôtel,  »  et  ils  lui  en  portèrent.  Le  m-iîire 
d'hôtel  ayant  goûté  de  celte  eau  qui  avait  été  chan- 
gée en  vin,  et  ne  sachant  d'où  venait  ce  vin,  quoique 
les  serviteurs  qui  avaient  puisé  l'eau  le  sussent  bien, 
appela  l'époux  et  lui  dit  :  «  Tout  homme  sert  d'abord 
le  bon  vin;  et  après  qu'on  a  beaucoup  bu,  il  en  sert 
alors  du  moindre  :  mais  pour  vous,  vous  avez  ré- 
servé jusqu'à  cette  heure  le  bon  vin.  »  Ce  fut  là  le 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES         113 

premier  des  miracles  de  Jésus,  qui  fut  fait  à  Gana 
en  Galilée,  pour  manifester  sa  gloire.  Et  ses  disciples 
crurent  en  lui. 

HOMÉLIE 

Jésus  avait  mené,  jusqu'à  ce  jour,  une  vie  obscure 
et  ignorée.  Retiré  dans  l'atelier  d'un  simple  artisan, 
il  n'avait  rien  en  apparence  qui  le  distinguât  du 
commun  des  hommes.  Des  anges,  il  est  vrai,  avaient 
pris  soin  d'apprendre  à  des  bergers  la  naissance  de 
leur  Sauveur;  une  étoile  merveilleuse  avait  appelé 
du  fond  de  l'Orient  des  mages  pour  venir  reconnaître 
son  empire,  et  le  saint  vieillard  Siméon  avait  con- 
senti, sans  regret,  à  quitter  la  vie,  après  avoir  vu 
Celui  qui  devait  être  un  jour  la  lumière  des  nations 
et  la  gloire  d'Israël.  Mais  quelque  grands  que  fus- 
sent ces  prodiges,  quelque  éclat  qu'ils  répandissent 
sur  la  naissance  de  Jésus-Christ,  ce  n'était  pas  assez. 
Il  était  temps  qu'il  se  dédommageât  de  trente  ans 
d'obscurité,  et  que,  revendiquant  en  quelque  sorte 
ses  droits,  il  manifestât  sa  gloire  et  décidât  de  nom- 
breux di-ciples  à  croire  en  lui  :  Manifestavit  gloriam 
suam,  crediderunt  in  eum  discipuli  ejus. 

Ce  n'est  pas  en  apaisant  une  tempête  que  le  divin 
Sauveur  commence  la  série  des  miracles  qui  doi- 
vent prouver  sa  divinité.  Ce  n'est  pas  en  nourrissant, 
avec  quelques  pains,  une  foule  immense,  ni  en  arra- 
chant aux  ombres  du  trépas  un  mort  enseveli  depuis 
trois  jours,  c'est  en  se  trouvant  invité  à  des  noces, 


114        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

en  bénissant,  par  sa  présence,  le  mariage  de  deux 
jeunes  époux.  N'en  soyons  pas  surpris,  Jésus-Christ 
s'est  incarné  pour  renouveler  la  face  de  la  terre.  Ce 
n'est  qu'en  transformant  le  mariage  qu'il  transfor- 
mera l'ordre  social,  qu'il  créera  un  peuple  nouveau. 
La  société  vaut  ce  que  valent  les  familles,  et  les  fa- 
milles valent  ce  que  vaut  le  mariage.  C'est  pour  cela 
qu'il  voulut  sanctifier  le  mariage  et  l'élever  à  la  hau- 
teur d'un  sacrement  pour  faire  jouir,  ceux  qui  se 
livrent  par  un  contrat  irréfragable,  des  grâces  parti- 
culières dont  ils  auront  besoin  pour  l'accomplis- 
sement de  leurs  nombreuses  obligations. 

Or,  Jésus  fut  aussi  appelé  à  ces  noces.  Ces  deux  époux 
de  Cana  n'avaient  pas  oublié  qu'ils  étaient  les  en- 
fants des  saints;  c'est  pour  cela  qu'ils  appelèrent 
Jésus  et  Marie  à  partager  leur  modeste  repas  et 
leur  innocente  joie.  Oh!  combien  peu  d'époux  chré- 
tiens imitent  la  conduite  des  deux  époux  de  notre 
Évangile!  Que  de  mariages  d'où  l'amour  et  la  crainte 
de  Dieu  sont  bannis!  Que  d'alliances  que  Jésus- 
Christ  réprouve!  Le  divin  Sauveur  fut  donc  appelé  à 
ces  noces,  et  pour  donner  au  mariage  une  approba- 
tion solennelle  et  préluder  à  l'institution  qu'il  fera 
un  jour  de  ce  sacrement ,  il  y  assista.  Les  deux 
époux  simples  et  pleins  de  foi  auraient  cru  qu'il 
manquerait  quelque  chose  à  leur  bonheur,  et  leur 
joie  aurait  été  imparfaite  si  Jésus  ne  l'eût  partagée. 
Où  une  pareille  conduite  trouve-t-elle  aujourd'hui 
des  imitateurs?  Où  sont  les  époux  qui  appellent  Jé- 
sus et  Marie  à  leurs  noces?  Quels  sont  ceux  qui  les 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES        115 

invitent  à  l'acte  solennel  de  leur  union,  et  qui  veu- 
lent les  fairt  présider  à  leurs  fêtes?  Nous  ne  pouvons 
pas,  il  est  vrai,  jouir  comme  les  deux  époux  de  notre 
Évangile,  de  sa  présence  sensible  et  causer  avec  lui. 
Mais  maintenant  encore,  inviter  Jésus-Christ  à  ses 
noces,  c'est  le  consulter  sur  le  choix  de  la  personne 
à  qui  on  doit  être  uni.  Les  parents,  dit  le  Sage,  peu- 
vent bien  vous  donner  les  richesses;  mais  une  femme 
vertueuse,  c'est  Dieu  qui  la  donne  :  Divitiœ  dantur  a 
parentibut  ;  a  Domino  autem  proprie  uxor  prudens. 

Qu'est-ce  qu'inviter  Jésus-Christ  à  ses  noces?  C'est, 
nous  disent  les  saints  Pères,  recevoir  ce  sacrement  en 
état  de  grâce  ;  s'y  disposer  par  une  bonne  confession 
et  une  fervente  communion  ;  ne  pas  attendre  comme 
on  fait  trop  souvent,  la  veille  du  mariage  pour  se 
présenter  au  saint  tribunal.  Un  chrétien  qui  appelle 
Jésus-Christ  à  ses  noces  n'attend  pas  le  dernier  mo- 
ment, il  s'y  prend  d'avance;  il  consulte  son  confes- 
seur; il  purifie  avec  soin  sa  conscience  par  la  digne 
réception  des  sacrements.  Ce  n'est  que  par  ce  moyen 
qu'un  mariage  est  béni  du  Ciel.  Est-ce  là  ce  qui  se 
pratique  dans  la  paroisse?  Hélas!  Dans  ces  circons- 
tances on  pense  atout;  on  prépare  tout;  on  ne  né- 
glige que  l'essentiel  :  la  préparation  de  l'âme  pour 
attirer  sur  elle  les  grâces  divines. 

Les  époux  de  notre  Évangile  appelèrent  encore  à 
leurs  uoees  Marie,  mère  de  Jé^us,  et  les  disciples  de 
Jésus-Christ. 

Qu'est-ce  qu'appeler  xMarie  à  ses  noces?  C'est  se 
mettre  sous  sa  protection,  et  implorer  par  de  fer- 


116        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

Tentes  prières  sa  puissante  intercession.  Quoi  de 
plus  puissant  que  l'intercession  de  Marie?  Nous  le 
voyons  bien  dans  notre  Évangile.  Si  donc  vous  vou- 
lez que  Marie  vous  protège,  faites  un  mariage  chré- 
tien, un  mariage  pur,  un  mariage  saint;  et  alors 
Marie  y  prendra  part.  Oh  !  quel  bonheur  d'avoir  Ma- 
rie à  ses  noces!  Les  deux  époux  de  notre  Évangile 
l'éprouvèrent  bien.  Elle  fut  pour  eux  une  source  de 
:onsolations  et  de  grâces;  elle  le  sera  pour  vous, 
mes  chers  auditeurs,  si,  comme  eux,  vous  l'invitez 
à  votre  mariage,  et  si  vous  vous  rendez  par  votre  con- 
duite dignes  de  sa  maternelle  proteclion. 

Qu'est-ce  enfin  qu'appeler  les  disciples  de  Jésus- 
Christ  à  ses  noces?  C'est  y  appeler  les  pauvres;  car 
les  pauvres  sont  les  véritables  disciples  de  Jésus- 
Christ.  Les  inviter  donc  à  vos  noces,  c'est  faire  quel- 
ques aumônes  proportionnées  à  vos  facultés,  pour 
attirer  les  bénédictions  du  ciel  sur  votre  nouvel  état; 
car  l'aumône,  nous  dit  l'Esprit-Saint,  est  une  prière 
qui  pénètre  le  Ciel,  et  qui  s'élève  jusqu'au  trône  de 
Dieu.  Ce  furent  les  aumônes  de  Tobie  qui  procurè- 
rent à  son  fils  un  saint  et  heureux  mariage.  Appeler 
à  ses  noces  les  disciples  de  Jé?us-Christ,  c'est  en 
bannir  les  libertins  et  les  impies  ;  ne  pas  souffrir 
qu'on  y  tienne  des  discours  contraires  à  la  religion 
et  aux  bonnes  mœurs;  c'est  ne  pas  tolérer  des  amu- 
sements, des  danses  contraires  à  la  pudeur  et  des 
promenades  scandaleuses. 

Et  co  mm  e  le  vin  manquait,  la  mère  de  Jésus  lui  dit: 
Ils  n'ont  plus  de  vin  :  Vinum  non  habent.  Marie  s'a- 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        117 

percevant  que  le  vin  manquait,  sentit  toute  la  peine 
que  les  époux  éprouveraient  de  cette  révélation  pu- 
blique de  leur  pauvreté.  C'est  pour  cela  qu'elle  s'a- 
dressa, pleine  de  confiance,  à  Jésus-Christ,  pour  lui 
demander  le  soulagement  de  leur  détresse.  Pour  l'at- 
tendrir il  ne  lui  faut  ni  discours  touchants,  ni  lon- 
gues prières,  elle  expose  leurs  besoins  :  Vinum  non 
habent. 

Si  ce  jour  est  celui  où  Jésus  veut  manifester  sa 
gloire,  il  est  aussi  celui  où  Marie  nous  montre  sa 
sollicitude  et  son  ineffable  charité  pour  nous.  C'est 
à  ce  jour  qu'elle  prend  le  titre  de  médiatrice,  et 
qu'elle  en  remplit  les  consolantes  fonctions.  C'est  à 
ce  jour  où  nous  commençons  à  connaître  combien 
le  cœur  de  Marie  est  sen>ible  à  nos  misères  et  com- 
bien elle  est  puissante  pour  y  porter  remède.  Au 
même  instant,  quoique  Jésus  dise  à  sa  mère  que 
l'heure  des  miracles  n'est  point  encore  arrivée,  il  en 
opère  un  bien  frappant  en  changeant  l'eau  en  un  vin 
délicieux. 

Marie  ayant  appelé  les  serviteurs  leur  dit  :  «  Faites 
tout  ce  que  vous  dira  mon  Fils  :  Quodcumque  dixerit 
vobis,  facite.  »  C'est  aussi  ce  qu'elle  nous  recom- 
mande à  nous,  si  nous  voulons  ressentir  les  heureux 
effets  de  sa  protection.  Écoutez  ses  commandements, 
observez  sa  loi,  et  je  lui  ferai  agréer  vos  vœux. 

Or,  dit  l'Évangile,  il  y  avait  là  six  grandes  urnes  de 
pierre,  pour  servir  aux  purifications  des  Juifs,  dont 
chacune  contenait  deux  ou  trois  mesures.  Jésus  leur  dit  : 
v«  Emplissez  les  vases  d'eau;  »  et  ils  les  emplirent  jus- 

7. 


Îi8        DOMINICALES  D  UN   CURE   DE  CAMPAGNE 

qu'au  haut.  Jésus  ajouta  :  «  Puisez  maintenant,  et  por- 
tez-en au  maître  d  hôtel;  »  et  ils  lui  en  portèrent.  Quand 
le  maître  d'hôtel  eut  goûté  de  cette  eau  qui  était  changée 
en  vin,  ne  sachant  d'où  venait  ce  vin,  quoique  les  servi- 
teurs qui  avaient  puisé  l'eau  le  sussent  bien,  il  appela 
V époux  et  lui  dit  :  «  Tout  le  monde  sert  d'abord  le  bon 
vin,  et  lorsqu'on  a  beaucoup  bu,  on  donne  du  moindre^ 
mais  vous,  vous  avez  réservé  le  bon  vin  jusqu'à  cette 
heure.  » 

Quels  durent  être  les  sentiments  des  époux  et  des 
convives  lorsqu'ils  apprirent  des  serviteurs,  qu'au 
lieu  de  l'eau  qu'ils  avaient  mise  dans  les  vases,  pour 
se  conformer  aux  ordres  de  Jésus-Christ,  il  en  était 
sorti  un  vin  délicieux?  Ah!  sans  doute  qu'à  la  vue  de 
ce  changement  merveilleux,  ils  admirèrent  la  puis- 
sance de  ce  Dieu-Sauveur,  ils  furent  pénétrés  de  re- 
connaissance pour  ses  bienfaits  ;  ils  s'attachèrent  à 
lui,  et  se  firent  une  gloire  d'être  au  nombre  de  ses 
disciples. 

Jésus-Christ,  mes  frères,  opère  en  notre  faveur 
un  miracle  dont  celui  que  je  viens  de  citer  n'est 
qu'une  faible  image.  11  change  dans  le  sacrement  de 
J'Eucharistie,  le  pain  en  son  corps  adorable,  et  le 
vin  en  son  sang  précieux,  comme  il  changea  l'eau 
en  vin  aux  noces  de  Cana.  Mais  pourquoi  opère-t-il 
un  changements!  merveilleux?  C'est  pour  nous  don- 
ner comme  aux  époux  de  Cana,  une  marque  écla- 
tante de  sa  bonté;  c'est  pour  nous  secourir  dans  nos 
besoin;,  c'e^t  pour  nous  enrichir  de  ses  dons;  c'est, 
en  un  mot,  pour  se  donner  à  nous,   pour  s'unir  à 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         119 

nous  par  ïa  communion.  N'est-ce  pas  là  une  faveur 
infiniment  plus  sérieuse  que  celle  qu'il  accorda  à 
ceux  pour  qui  il  changea  l'eau  en  vin.  Et  si  nous  ne 
sentions  pas  tout  le  prix  de  cette  faveur,  ou  si  nous 
négligions  d'en  profiter,  ne  serions-nous  pas  les  plus 
ingrats  et  les  plus  insensés  de  tous  les  hommes? 
Ayons  donc  pour  Jésus-Christ  les  mêmes  sentiments 
que  les  époux  et  les  convives  de  Gana.  Faisons  écla- 
ter envers  lui  notre  juste  reconnaissance,  et  empres- 
sons-nous de  participer  au  pain  mystérieux  qu'il 
nous  offre,  comme  les  Juifs  se  «hâtèrent  de  faire 
usage  du  vin  miraculeux  qu'il  leur  accorda. 

Ce  fut  là,  dit  l'Évangile,  le  premier  miracle  de  Jésus  ; 
il  le  fit  à  Caria  en  Galilée,  et  il  manifesta  sa  gloire,  et 
ses  disciples  crurent  en  lui.  Comment,  en  effet,  au- 
raient-ils pu  ne  pas  croire  en  voyant  le  grand  pro- 
dige qu'il  venait  d'opérer?  Ne  savaient-ils  pas  qu'il 
n'y  a  que  l'Auteur  de  la  nature  qui  puisse  en  dis- 
poser à  son  gré  ;  et  dès  qu'ils  le  virent  changer  l'eau 
en  vin,  par  un  seul  acte  de  sa  volonté,  ne  devaienl- 
ils  pas  naturellement  en  conclure  qu'un  pouvoir  di- 
vin résidait  en  lui,  et  que  par  conséquent  il  était 
véritablement  Dieu?  Mais  si  ce  premier  miracle  suf- 
fisait pour  assurer  leur  foi,  combien  ne  dut-elle  pas 
s,'affermir,  lorsqu'ils  le  virent  dans  la  suite  guérir 
les  malades,  éclairer  les  aveugles  et  ressusciter  les 
morts!  Aussi  l'on  vit  ces  fidèles  disciples  s'attacher 
toujours  plus  étroitement  à  lui,  le  suivre  partout, 
partager  ses  travaux,  publier  sa  gloire;  même  après 
sa  mort,  devenir  ses  apôtres,  et  finir  par  être  les 


120        DOMINICALES  D'UN  CURÉ  DE  CAMPAGNE 

martyrs  de  sa  religion.  C'est  par  e^ix,  mes  frères, 
que  nous  avons  appris  les  vérités  de  cette  religion 
salutaire,  et  nous  n'avons  pas  moins  raison  de  les 
croire,  qu'ils  n'en  avaient  eux-mêmes,  puisque  nous 
les  croyons  d'après  le  témoignage  qu'ils  en  ont 
rendu  et  qu'ils  ont  scellé  de  leur  propre  sang.  Fai- 
sons donc  en  sorte  qu'on  puisse  dire  de  nous,  comme 
on  le  disait  d'eux  :  Ils  crurent  en  Jésus-Christ.  Et 
pour  que  notre  foi  nous  procure  les  avantages  qu'ils 
retirèrent  de  la  leur,  ne  nous  contentons  pas  de 
croire;  mais  appliquons-nous  surtout  à  conformer 
nos  mœurs  à  notre  croyance,  et  soyons  chrétiens 
par  nos  œuvres ,  autant  que  nous  le  sommes  par 
notre  foi,  puisque  la  foi  sans  les  œuvres  nous  serait 
inutile,  et  que  ce  ne  seront  que  les  œuvres  jointes  à 
la  foi,  qui  pourront  nous  rendre  dignes  de  la  vie  éter- 
nelle. Amen, 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES        \%X 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


SUR   LE  MARIAGE 


Vocatus  est  autem  et  Jésus  att 
nuptias*  (JOA.N.,  h.)  # 


Mes  Frères, 
L'évangile  de  ce  jour  nous  rappelle  que  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ  a  daigné  sanctifier  par  sa  pré- 
sence le  mariage  des  pieux  époux  de  Cana.  On  croit 
assez  généralement  que  c'est  en  cette  circonstance 
qu'il  a  élevé  à  la  dignité  de  sacrement  l'union  des 
époux  chrétiens,  voulant  que  cette  union  fût  sem- 
blable par  la  noblesse  et  la  sainteté  à  celle  qu'il  avait 
lui-même  contractée  avec  son  Église.  Et  c'est  ce  qui 
a  fait  dire  à  saint  Paul  :  «  Ce  sacrement  est  grand 
dans  le  Christ  et  dans  l'Église  :  Sacramentum  hoc 
magnum  est,  ego  dico  in  Christo  et  in  Eeclesia.  »  Oui 
véritablement  grand  est  ce  contrat  qui  réunit  deux 
existences  dans  un  centre  commun  d'affections  et  de 
joies,  de  labeurs  et  de  peines,  pour  augmenter  la 
somme  des  unes  et  alléger  le  poids  des  autres  ;  mais 


122        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

grand  seulement  lorsqu'il  se  fait  selon  Jésus-Christ 
et  son  EgJise  :  Magnum  dico  in  Christo  et  in  Ecclesia. 

Or,  mes  frères,  ce  n'est  pas  toujours  d'après  les 
règles  établies  par  le  Sauveur  et  la  société  dont  il 
est  le  chef  que  se  contractent  les  unions  matrimo- 
niales, même  parmi  les  chrétiens. 

Tombés  dans  une  indifférence  coupable  pour  tout 
ce  qui  tient  à  la  religion,  un  trop  grand  nombre  en 
sont  venus  à  jeter  une  sorte  de  mépris  sur  tout  ce 
qui  se  rattache  au  culte.  En  particulier  ils  ne  regar- 
dent plus  que  comme  de  pures  cérémonies  ce  qui 
concerne  le  contrat  dont  il  est  question.  Nous  nous 
proposons  de  leur  montrer  en  ce  jour  que  rien  n'est 
petit  de  ce  qui  touche  de  près  ou  de  loin  à  ce  pacte 
à  la  fois  social  et  chrétien. 

Nous  considérerons  d'abord  le  mariage  au  point 
de  vue  de  son  importance,  puis  dans  les  conditions 
qu'il  exige,  et  enfin  dans  les  iormalités  qui  doivent 
le  précéder. 


Au  point  de  vue  social,  après  les  grands  intérêts 
de  l'ordre  et  de  la  tranquillité,  est-il  rien  de  plus 
important  que  le  pacte  conjugal?  N'est-ce  pas  ïà  ce 
qui  constitue  réellement  la  famille  3t  par  consé- 
quent la  société  ?  N'est-ce  pas  dans  la  famille  bien 
organisée  que  se  trouvent  les  plus  sûres  garanties 
d'ordre,  de  pais,   de  prospérité  pour  tout  l'État? 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         123 

N'est-ce  pas  au  sanctuaire  domestique,  au  sein  de 
la  famille  que  les  membres  d'une  société  font  l'ap- 
prenti>sage  de  la  subordination,  de  l'abnégation,  du 
dévouement  qui  deviennent,  en  prenant  de  l'exten- 
sion, des  vertus  éminemment  sociales  sous  les  noms 
de  soumission  aux  lois,  respect  de  l'autorité,  dévoue- 
ment à  la  chose  publique  et  amour  de  son  pays  ou 
patriotisme?  N'est-ce  pas  enfin  de  la  famille  bien 
organisée  que  sortent,  animés  des  plus  nobles  senti- 
ments, les  hauts  conseillers  du  souverain,  les  sages 
législateurs,  les  magistrats  intègres  et  les  guerriers 
valeureux  ? 

Par  contraire,  qui  ne  sait  que  l'anarchie  des  fa- 
milles est  un  terrible  ferment  de  discorde  pour  les 
sociétés  ?  La  violation  du  pacte  conjugal  et  des  de- 
voirs qu'il  impose,  ne  peut,  quand  elle  cesse  d'être 
un  lait  isolé,  que  menacer  le  pacte  social.  Les  rebelles 
au  joug  de  la  famille  ne  sont  guère  capables  de 
supporter  celui  de  la  société;  et  quand  la  famille 
n'existe  plus,  la  société  n'est  pas  loin  de  sa  mort. 
C'est  l'état  sauvage  ou  quelque  chose  de  pire  encore 
qui  vient  prendre  sa  place. 

Qui  oserait  donc  contester  l'importance  du  ma- 
riage? Qu'on  le  veuille  ou  non,  il  est  une  des  bases 
les  plus  solides  des  sociétés.  Si  donc  on  l'ébranlé, 
inévitablement  la  société  qu'elle  soutient  chancelle, 
et  si  on  la  mine,  on  mine  avec  elle  tout  le  corps 
social.  Sa  ru;.ne  entraîne  celle  de  l'édifice  qu'elle 
supporte. 

Outre  cet  intérêt  social  le  pacte  matrimonial  en  a 


124        DOMINICALES  DUN  CURE  DE   CAMPAGNE 

un  autre  qui,  quoique  moins  grand,  mérite  cepen- 
dant considération.  Il  n'étend  plus  ses  influences 
sur  tout  le  corps  ;  il  n'agit  que  sur  la  famille,  et  ses 
limites  ne  dépassent  pas  le  seuil  du  sanctuaire  do- 
mestique, mais  toute  restreinte  que  soit  son  action, 
elle  n'en  est  pas  moins  réelle  et  sérieuse. 

Voici  deux  cœurs  qui,  attirés  l'un  vers  l'autre  par 
un  sentiment  aussi  fort  que  pur,  demandent  à  être 
unis,  non  plus  seulement  par  les  liens  de  la  plus 
étroite  et  de  la  plus  sainte  amitié,  mais  par  le  nœud 
plus  serré  et  plus  sacré  du  pacte  conjugal.  Or  que 
va-t-il  se  passer?  Comment  va  se  réaliser  ce  vœu? 
Jeunes  époux,  étrangers  l'un  à  l'autre  jusqu'à  ces 
derniers  temps,  vous  allez  mettre  en  commun  vos 
joies  et  vos  plaisirs,  vos  douleurs  et  vos  peines;  vous 
allez  prendre  à  deux  le  fardeau  de  la  vie  pour  le 
rendre  ainsi  plus  facile  à  porter;  puis,  selon  les 
desseins  de  la  divine  Providence,  vous  donnerez  à 
Dieu  de  nouveaux  adorateurs,  à  la  patrie  de  nou- 
veaux citoyens,  à  la  société  de  nouveaux  membres, 
et,  il  faut  l'espérer,  au  ciel  de  nouveaux  élus.  Or, 
dites-moi,  n'est-ce  rien  que  tout  cela  ?  N'y  a-t-il  pas 
là  un  but  bien  noble,  capable  de  relever  à  vos  yeux 
le  contrat  qui  en  est  le  principe  ? 

Mais  ce  n'est  point  tout  encore.  Grand  déjà  au 
point  de  vue  social  et  humain,  le  mariage  le  devient 
encore  davantage  au  point  de  vue  de  la  foi  et  de  la 
religion.  Considéré  sous  ce  dernier  aspect,  il  n'est 
plus  simplement  un  contrat  naturel  réglant  les  droits 
et  les  bénéfices,  les  charges  et  les  devoirs  du  père, 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        125 

de  la  mère,  des  enfants,  mais  il  devient  un  véritable 
sacrement,  c'est-à-dire  une  chose  sainte  et  divine. 

Dès  le  principe,  aux  premiers  jours  de  la  société, 
le  mariage  était  un  pacte  sacré  auquel  présidait  la 
religion  ;  plus  tard  l'excès  de  dépravation  dans  lequel 
tomba  le  genre  humain  lui  fit  perdre  ce  caractère 
surnaturel,  et  il  ne  fut  plus  qu'un  calcul,  une  ty- 
rannie, un  moyen  d'assouvir  les  plus  dégradantes 
convoitises,  ou  tout  au  plus  un  contrat  que  les  par- 
ties pouvaient  briser  selon  leur  bon  plaisir. 

Le  Sauveur  vint  rendre  au  pacte  conjugal  sa  di- 
gnité première  en  y  ajoutant  encore  :  il  en  fit  un 
sacrement.  Dès  ce  moment  le  mariage  pour  les  chré- 
tiens n'est  rien  moins  que  le  plus  grand  de  tous  les 
pactes,  cimenté  par  le  sang  d'un  Dieu.  Oui,  époux 
chrétiens,  cette  foi  que  vous  vous  jurez  mutuelle- 
ment au  pied  des  autels  est  en  quelque  manière 
signée  avec  le  sang  du  Sauveur,  de  sorte  qu'elle  ne 
saurait  être  violée  par  l'un  ou  par  l'autre  sans  une 
espèce  de  sacrilège.  Unis  d'une  manière  indissoluble 
par  des  liens  sacrés,  vous  devez  être  une  copie  vi- 
vante et  fidèle  de  l'estime  et  parfaite  union  de  Jésus- 
Christ  et  d^  son  Église.  Combien  ces  considérations 
élèvent  le  mariage!  Combien  elles  le  rendent  respec» 
table  et  saint  aux  yeux  de  la  foi  1 


126        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNK 


II 


Qui  oserait  dès  lors  tenir  pour  pures  bagatelles  les 
conditions  et  les  formalités  dont  la  société  chré- 
tienne l'environne?  Une  chose  aussi  haute,  aussi 
sacrée  ne  couvre-t-elle  pas  de  son  éclat  tout  ce 
qui  de  près  ou  de  loin  a  quelque  rapport  avec 
elle?  Ne  traiter  donc  point  à  la  légère  les  empêche- 
ments que  l'Église  met  à  certaines  unions,  et  l'obli- 
gation qu'elle  vous  impose  de  les  faire  connaître, 
ainsi  que  la  prescription  qu'elle  fait  aux  époux  de  se 
purifier  par  le  sacrement  de  pénitence  avant  de  re- 
cevoir la  bénédiction  nuptiale.  Certes,  quand  on 
considère  la  grandeur  et  la  sainteté  du  mariage  chré- 
tien, il  n'y  a  là  rien  de  petit,  rien  de  méprisable. 
Puisque  l'union  des  époux  se  fait  sur  le  modèle  de 
celle  de  Jésus-Christ  et  de  son  Église,  puisque  le 
Sauveur  a  fait  du  contrat  matrimonial  un  vrai  sa- 
crement, ne  convient-il  pas  que  la  société  chré- 
tienne, gardienne  de  tout  ce  qui  est  saint,  l'environne 
de  tout  ce  qui  peut  le  préserver  de  la  profanation?  Si 
elle  ne  le  faisait  point,  elle  manquerait  à  sa  mis- 
sion, et,  selon  l'expression  de  l'Écriture,  elle  jetterait 
les  perles  aux  pourceaux. 

Or,  qui  peut  nier  que  les  empêchements  établis 
par  l'Église  ne  soient  tous  de  sûrs  préservatifs  contre 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         127 

îa  profanation  du  mariage?  Qui  peut  nier  qu'ils  ne 
soient  une  puissante  sauvegarde  pour  la  sainteté  de 
cet  état?  Mais,  direz- vous,  s'il  en  est  ainsi,  pour- 
quoi l'Église  dispense-t-elle  de  ces  empêchements? 
Ahl  mes  frères,  c'est  bien  contre  son  gré  qu'elle  se 
relâche  de  sa  sévérité.  Quand  elle  consent  à  lever  les 
obstacles  qui  s'opposeraient  à  certaines  unions,  ce 
n'est  que  pour  éviter  de  plus  grands  maux  et  à  cause 
de  la  dureté  des  cœurs  :  Propter  duritiam  cordis. 

Or,  si  les  empêchements  établis  parl'Église  ont  un 
motif  si  grand,  si  .sérieux,  qui  serait  assez  impie  pour 
les  ridiculiser  ou  les  outrepasser?  Ne  serait-ce  pas  se 
rendre  coupable  d'une  profanation  et  fouler  aux 
pieds  le  sang  de  Jésus-Christ.  Qu'on  le  veuille  ou 
non,  un  mariage  contracté  avec  un  empêchement 
dirimant  est  nul  aux  yeux  de  Dieu  et  de  l'Église  et  il 
mérite  d'être  flétri  par  la  qualification  honteuse  que 
l'on  attache  à  toute  union  illégitime. 

Mais  si  de  la  révélation  des  empêchements  dépen- 
dent la  validité  et  par  conséquent  la  sainteté  du  ma- 
riage, qui  pourrait  tenir  pour  inepte  l'obligation  de 
la  faire?  qui  peut  condamner  la  loi  qui  prescrit  de 
dénoncer  à  plusieurs  reprises  à  la  solennité  du  prône 
tout  projet  de  mariage? 

Que  dirons-nous  maintenant  de  l'obligation  im- 
posée aux  époux  de  se  présenter  au  tribunal  de  la  pé- 
nitence avant  de  recevoir  le  sacrement  de  mariage? 
Faudra-t-il  la  venger  des  outrages  dont  l'accahlent 
un  trop  grand  nombre  de  chrétiens?  Hélas!  pocr 


128        DOMINICALES   D'UN   GURÉ  DE  CAMPAGNE 

l'honneur  delà  religion  catholique,  nous  devrions  être 
dispensés  d'élever  la  voix  à  ce  sujet.  On  ne  comprend 
pas,  en  effet,  que  des  époux  nés,  élevés  au  sein  du 
catholicisme  osent  regarder  cette  obligation  comme 
un  fardeau  qu'ils  cherchent  à  esquiver  par  tous  les 
moyens  possibles.  Malheureux!  si  vous  aviez  un  peu 
plus  de  foi,  vous  n'attendriez  pas  que  l'Église  vous 
fasse  un  devoir  de  la  confession  avant  votre  mariage, 
mais  vous  iriez  de  vous-mêmes,  aussitôt  que  votre 
projet  est  arrêté,  vous  réconcilier  avec  Dieu,  afin  de 
le  mettre  dans  vos  intérêts,  d'obtenir  ses  grâces 
pour  faire  un  acte  aussi  important,  un  acte  auquel 
est  attaché  votre  félicité  pour  cette  vie  et  pour 
l'autre. «  Tu  vas  te  marier,  écrivait  quelqu'un  à  un 
de  ses  amis  ;  c'est  bien,  mais  fais  en  sorte,  le  jour  de 
ta  noce,  d'introduire  deux  personnes  dans  ta  maison  : 
le  bon  Dieu  et  ta  femme.  »  Celui  qui  écrivait  une 
chose  si  raisonnable  était  convaincu  que  le  véritable 
moyen  d'introduire  Dieu  dans  sa  maison,  c'est  de  le 
faire  entrer  d'abord  dans  son  âme  par  une  bonne 
confession.  Que  penser  donc  de  ces  malheureux 
époux  qui  ont  la  sacrilège  audace  de  se  présenter 
pour  la  forme  au  tribunal  sacré  et  d'estorquer  au 
prêtre  un  billet  de  confession?  Insensés!  ils  vont 
fouler  aux  pieds  le  sang  du  Sauveur,  mais  ce  sang 
va  se  lever  contre  eux  pour  faire  de  l'état  dans  lequel 
ils  vont  entrer  un  apprentissage  de  l'enfer  qui  les 
attend. 

Terminons  ces  considérations  par  quelques  mots 
sur  la  cérémonie  de  la  bénédiction  nuptiale. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        129 

Voici  deux  époux  qui     sortent  de  la  maison  où 
viennent  de  les  bénir  la  main  d'un  père  et  le  cœur 
d'une  mère.  Accompagnés  par  tout  ce  qui  leur  est 
uni  par  les  liens  du  sang  et  de   l'amitié,  ils  se  diri- 
gent vers  la  maison  de  Dieu.  Ils  entrent,  et  au  lieu  de 
s'arrêter  non  loin  du  vestibule,  comme  ils  le  faisaient 
jusque-là,  ils  s'avancent  jusqu'à  la  porte   du  sanc- 
tuaire. Aussitôt  vient  à  eux  le  ministre  de  Jésus- 
Christ,  revêtu  des  ornements  sacrés.  D'une  voix  grave 
et  solennelle  il  demande  à  chacun  des  époux  l'expres- 
sion claire  et  formelle  de  son  consentement  à  l'union 
projetée.  Prenez-y  garde,  époux  chrétiens,   c'est  en 
présence  de  Dieu,  devant  les  saints  autels  où  Jésus- 
Christ  va  s'immoler,  devant  le  tabernacle  où  il  ré- 
side, en  présence  des  anges  qui  adorent  en  tremblant 
le  Dieu  caché  sous  les  emblèmes  eucharistiques,  en 
pré>ence   de  vos  parents   et   de  vos  amis  que  vous 
allez  laire  vos  serments.  Tremblez  donc  de  les  faire  à 
la  légère,  sans  discernement  et  sans  bon  propos;  car 
si  jamais  vous  étiez  assez  malheureux  pour  les  ou- 
blier, non  seulement  alors  votre  Dieu,  votre  cons- 
cience, les  anges,   vos  parents,    ;os   amis  vous  les 
rappelleraient,  mais  les  murs  eux-mêmes,  les  pierres 
de  cet  édifice  seraient  là  pour  vous  reprocher  vos  in- 
fidélités et  vos  parjures. 

Mais 'c'en  est  fait,  le  consentement  est  donné;  la 
foi  est  jurée;  Dieu  et  les  hommes  en  sont  témoins  et 
le  sang  de  Jésus-Christ  va  sceller  cette  alliance  so- 
lennelle. Le  prêtre  étend  la  main  sur  les  époux,  ap- 
pelle sur  eux  les  bénédictions  du  Ciel,  et,  au  nom  de 


130        DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 

l'adorable  Trinité,  il  les  déclare  à  jamais  uni*  par  les 
mérites  du  Rédempteur.  Y  a-t-il,  mes  frères,  dans 
l'espèce,  rien  de  plus  grand,  de  plus  solennel  que  le 
mariage  des  chrétiens?  Que  penser  donc  de  ceux 
qui  n'ont  que  du  mépris  pour  tout  ce  qui  tient  à  ce 
grand  acte  ?  Que  dire  de  ces  catholiques  qui.  comme 
des  païens,  n'en  font  qu'une  affaire  de  calcul  et  n'y 
cherchent  que  le  moyen  d'assouvir  plus  librement  de 
grossiers  appétits?  Que  dire  de  ces  malheureux  «jui 
se  présentent  à  l'autel  avec  une  conscience  soi.illée 
par  le  crime  ?  Quel  nom  donner  à  ces  indignes  chré- 
tiens qui  ne  craignent  pa>  de  recevoir  la  bénédiclion 
nuptiale,  sachant  qu'il  exi>te  un  ou  plusieurs  empê- 
chements qui  rendent  leur  union  illégitime  aux  yeux 
de  Dieu  et  de  l'Église  ?  Que  penser  de  ces  parents,  de 
ces  amis  qui,  connaissant  ces  empêchements,  ne  les 
font  pas  connaître?Ah!  que  tous  ceux-là  sontcou- 
pables  devant  Dieu!  Tous  plus  ou  moins  directement, 
plus  ou  moins  efficacement,  contribuent  à  attirer  les 
malédictions  du  Ciel  sur  ce  couple  malheureux  qui 
aurait  pu  cependant  trouver  au  pied  des  autels  le 
gage  du  vrai  bonheur.  Aussi  viendra  le  moment  où 
ces  époux  maudiront  le  jour  qui  vit  former  leur 
union  et  tous  ceux  qui,  le  pouvant  et  le  devant,  ne 
se  sont  point  opposés  à  ce  qu'elle  ait  été  souillée  par 
le  sacrilège.  Malédictions  affreuses  qui  ne  seront  que 
lepréiude  de  celles  qu'ils  vomiront  éternellement 
dans  l'enfer. 

Plabe  à  Dieu,  ô   chrétiens,   que  ce  malheur  ne 
tombe  jamais  sur  vous  I  Fasse    le  Ciel  que  ce  sanc- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        131 

tuaire  ne  soit  jamais  profané  par  des  unions  sacri- 
lèges, que  cette  paroisse  ne  compte  jamais  des 
époux  que  Dieu  n'a  pas  bénis  !  Nous  demandons  cette 
grâce  à  Celui  qui  fait  les  mariages  saints,  les  famille» 
chrétiennes  et  les  heureux  de  l'Éternité.  Amen* 


132        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


IIIe  DIMANCHE  APRES  L'EPIPHANIE 

ÉVANGILE 

En  ce  temps-là,  Jésus  étant  descendu  de  la  mon- 
tagne, une  grande  foule  de  peuple  le  suivit,  et  un 
lépreux  venant  à  lui  l'adorait  en  lui  disant  :  Sei- 
gneur, si  vous  voulez,  vous  pouvez  me  guérir.  Jésus 
étendant  la  main,  le  touche  et  lui  dit  :  Je  le  veux, 
soyez  guéri!  Et  la  lèpre  fut  guérie  au  même  instant. 
Alors  Jésus  lui  dit  :  Gardez-vous  bien  de  parler  de 
ceci  à  personne,  mais  allez  vous  montrer  au  prêtre, 
et  offrez  le  don  prescrit  par  Moïse,  afin  que  cela  leur 
serve  de  témoignage.  (Math.,  viii,  1-5.) 

HOMÉLIE 

L'Évangile  de  ce  jour  raconte  encore  le  miracle 
opéré  en  faveur  du  serviteur  du  centenier  ;  mais  pour 
ne  pas  être  trop  long,  nous  en  parlerons  dans  une 
autre  instruction. 

Notre-Seigneur  venait  d'instruire  le  peuple  sur  la 
montagne.  Il  lui  avait  appris  en  quoi  consiste  le 
vrai  bonheur.  Il  avait  proclamé  ces  huit  béatitudes 
qui  devaient  consoler  jusqu'à  la  fin  des  âges  ceux 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        133 

qui  sont  pauvres,  ceux  qui  pleurent,  ceux  qui  sont 
pei  sécutés  ;  il  avait  rappelé  la  bonté  de  Dieu,  toujours 
prêta  écouter  favorablement  ceux  qui  l'implorent  avec 
une  piélè  sincère;  il  avait  dit:  Demandez  et  vous 
recevrez;  cnerchez  et  vous  trouverez;  frappez  et  on 
vous  ouvrira.  Quiconque  demande  reçoit,  quiconque 
cherche  irouve,  quiconque  trappe  voit  la  porte  s'ou- 
vrir pour  le  laisser  entrer.  —  Or,  descendant  de  la 
montagne  où  il  venait  de  donner  au  peuple  de  si 
beaux  enseignements,  une  occasion  se  présenta  de 
confirmer  par  un  fait  éditant  la  vérité  de  ce  qu'il 
avait  dit.  —  Un  lépreux  qui  ne  s'était  pas  mêlé  à  la 
foule  avide  d'entendre  le  divin  Maître,  mais  qui 
s'était  tenu  à  l'écart,  se  dirigea  vers  le  Sauveur. 
Peut-être  étaient-elles  venues  jusqu'à  ses  oreilles, 
ces  paroles  consolantes  qui  annonçaient  que  Dieu 
exauce  la  prière  des  malheureux,  qu'il  répand  ses 
bien  laits  sur  tous  ceux  qui  les  demandent  avec  fer- 
veur. Qui  avait  plus  besoin  des  secours  du  Ciel  que 
ce  lépreux?  Il  était  affligé  d'une  maladie  épouvan- 
table; repoussé  de  tout  le  monde,  il  se  faisait  hor- 
reur à  lui-même  et  ne  pouvait  se  supporter.  Obligé 
de  se  tenir  loin  de  la  société  des  hommes,  aucun 
témoignage  d'amitié  n'arrivait  jusqu'à  lui.  Il  vivait 
seul  avec  ses  douleurs  que  nul  remède  ne  soulageait. 
Mais  il  va  éprouver  la  vérité  des  promesses  faites  par 
Jésus-Christ.  Le  bon  Maître  avait  dit  :  Venez  à  moi, 
vous  tous  qui  êtes  dans  la  peine  et  dans  la  souffrance 
et  je  vous  soulagerai.  Demandez  et  vous  recevrez. 
Aussi,  plein  de  confiance,  il  va  implorer  sa  bonté, 
i.  8 


134        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

Dès  le  moment  qu'il  aperçoit  le  Sauveur,  il  s'approche- 
de  lui,  se  prosterne  à  ses  pieds  et  lui  dit  :  «  Seigneur, 
si  vous  le  voulez,  vous  pouvez  me  guérir  :  Domine, 
si  v<s,  putes  me  mundare.  » 

Ce  lépreux  est  la  figure  du  pécheur.  Il  était  banni 
de  la  société  des  hommes,  parce  que  cette  maladie 
éminemment  contagieuse  se  propageait  par  le  com- 
merce de  ceux  qui  en  étaient  inlectés.  Le  péché  est 
également  un  mal  contagieux;  il  se  communique 
par  les  pensées,  par  les  paroles,  par  les  exemples  ;  et 
les  suites  du  scandale  sont  souvent  irréparables.  Le 
péché  exclut  l'homme  de  la  présence  intime  et  con- 
solante du  Seigneur,  le  retranche  de  la  société  des 
anges  et  des  saints.  La  lèpre  couvrait  le  corps  d'une 
humeur  sèche  et  infecte,  le  rendait  hideux  et  dif- 
forme; le  péché  déûgure  l'âme,  le  chef-d'œuvre  de 
la  main  divine,  le  prix  du  sang  de  Jésus-Christ;  en  la 
couvrant  de  souillures  et  en  effaçant  en  elle  l'image 
de  Dieu,  en  fait  un  objet  d'horreur.  Le  lépreux 
connaît  du  moins  son  état,  il  sent  profondément  sa 
misère  et  en  désire  vivement  la  guérison;  mais  1© 
pécheur,  souvent,  connaît  d'autant  moins  son  état 
qu'il  est  plus  triste;  comment  songerait-il  à  s'en 
guérir? 

Dès  que  l'infortuné  lépreux  voit  Jésus,  il  recourt  à 
lui  avec  humilité  et  confiance  pour  être  guéri  de  son 
humiliante  infirmité.  Seigneur,  s'écrie-t-il,  après 
s'être  fêté  à  genoux  et  prosterné  la  face  contre  terre. 
Seigneur,  si  vous  le  voulez,  vous  pouvez  me  purifier  : 
Domine,  si  vis,  votes  me  mundare.  Que  de  sentiments 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        135 

dans  ce  peu  de  mots  !  Quelle  foi  dans  'a  puissance 
du  Sauveur!  Quelle  confiance  en  sa  bonté!  Quelle 
humilité!  Quelle  soumission  à  sa  volonté!  Il  se 
reconnaît  indigne  de  la  grâce  qu'il  sollicite;  il  ne 
l'attend  que  de  la  pure  libéralité  de  Jésus-Christ;  il 
croit  qu'il  peut  la  lui  accorder,  qu'il  n'a  pour  cela 
qu'à  le  vouloir,  et  il  espère  qu'il  le  voudra.  Que  ne 
prions-nous  de  la  sorte  pour  obtenir  le  pardon  de 
nos  péchés  et  pour  surmonter  nos  nombreuses  ten- 
tations! 

Après  ce  peu  de  paroles,  le  lépreux,  toujours 
prosterné  aux  pieds  de  Jésus,  attendait  la  décision 
de  son  sort.  Dans  cette  attente,  quels  sentiments 
s'élevaient  dans  son  cœur?  Sentiments  d'une  douce 
joie,  causée  par  la  ferme  espérance  d'être  guéri 
purifié;  sentiments  d'un  tendre  amour  pour  celui 
dont  il  espérait  son  salut,  avec  une  forte  résolution 
de  s'attacher  à  lui  et  de  le  servir  ;  sentiments  de 
.crainte  à  la  vue  de  son  indignité,  telle  qu'on  l'éprouve 
toujours  quand  on  attend  une  grande  grâce  que  Ton 
ne  mérite  pas  !  Mais  la  bonté  de  Jésus  ne  se  fit  pas 
attendre.  Jésus  ayant  pitié  de  lui,  et  étendant  la  main, 
le  toucha  et  lui  dit  :  Je  le  veux,  soyez  guéri;  et  à  l'ins- 
tant la  lèpre  disparut.  La  réponse  du  Sauveur  est 
l'écho  de  la  prière  humble  et  fervente  du  lépreux. 
Plus  est  profonde  la  misère  du  pauvre  pécheur,  plus 
Jésus-Christ,  loin  de  le  rebuter,  l'accueille  avec  com- 
misération et  tendresse.  Apprenons  du  lépreux  à 
recourir  à  Jésus-Christ  dans  nos  besoins  et  ce  non 
père  dira  :  Volo  mundare.  C'est  encore  de  la  même 


136        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

manière  qu'il  QDère  dans  l'ordre  de  la  grâce;  c'est 
encore  avec  la  même  autorité  communiquée  à  ses 
ministres  qu'il  dissipe  la  lèpre  spirituelle.  Le  prêtre, 
dans  le  saint  tribunal,  remet  véritablement,  à  l'exem- 
ple de  Jésus-Christ,  tous  nos  péchés,  comme  le  Sau- 
veur guérissait  la  lèpre.  De  même  que  Jésus-Christ 
disait  :  «  Je  le  veux,  sois  guéri;  »  de  même  son  délé- 
gué dit  :  «  Ego  te  absolvo.  »  C'est  le  même  pouvoir 
suprême  qui  fait  disparaître  les  diverses  lèpres.  C'est 
la  même  parole  à  laquelle  obéissent  les  maladies  du 
corps  et  celles  de  l'âme. 

Alors  Jésus  lui  dit  :  «  Gardez-vous  de  parler  de  ceci  à 
personne,  mais  allez  vous  présenter  au  prêtre.  »  Si 
Notre-Seigneur,  pour  nous  donner  une  leçon  de 
modestie  et  nous  éloigner  de  l'ostentation,  impose 
silence  au  lépreux  sur  le  bienfait  qu'il  vient  de  lui 
accorder,  il  lui  commande  d'aller  se  présenter  de- 
vant le  prêtre  pour  constater  sa  guérison  :  Vade 
oslende  te  sacerdoti,  c'est  aussi  le  devoir  des  pécheurs 
qui  veulent  se  convertir.  Un  tribunal  de  miséricorde 
les  attend;  un  juge  doit  prononcer  sur  eux  une  sen- 
tence de  pardon.  Il  faut  qu'ils  aillent  se  montrer  à 
un  prêtre,  à  un  ministre  du  sacrement  de  pénitence, 
à  un  de  ceux  qui  ont  reçu  le  pouvoir  conféré  par  ces 
paroles  :  «  Les  péchés  seront  remis  à  ceux  à  qui  vous 
les  remettrez*  ils  seront  retenus  à  ceux  à  qui  vous  les 
retiendrez;  »  et  que  doivent-ils  montrer?  Leurs 
larmes,  leurs  sanglots,  leur  front  humilié,  leur 
visage  abattu?  Non.  Ils  doivent  montrer  leur  âme 
souillée.  Ils  doivent  révéler  leur   conscience   cou- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        13~ 

pable,  faire  l'aveu  de  toutes  les  fautes  mortelles 
qu'ils  ont  commises  depuis  qu'ils  se  sont  éloignés 
de  Dieu,  ne  rien  déguiser,  ne  rien  diminuer,  se  ma- 
nifester i.ols  qu'ils  sont  simplement  et  sincèrement  : 
Ostende  te  sacerdoti.  Que  cet  aveu  ne  les  épouvante 
pas  ;  il  est  moins  pénible  qu'il  ne  semble  au  premier 
aspect.  N'y  a-t-il  pas  dans  le  coupable  un  instinct 
qui  le  pousse  à  confesser  sa  faute?  Il  sent  que  cet 
aveu  le  soulagera  ;  il  se  sentira  meilleur  à  ses  propres 
yeux  quand  il  se  sera  déclaré  criminel.  Allez  donc 
sans  crainte,  ô  pécheurs,  allez  recevoir,  non  point 
des  paroles  de  reproches,  vous  le  savez  bien,  mais 
des  paroles  de  pardon,  des  paroles  d'absolution  et 
d'encouragement,  des  paroles  qui  vous  délivreront 
du  fardeau  de  vos  iniquités,  des  paroles  qui  rendront 
à  votre  âme  troublée  le  calme  et  la  paix  :  Ostende  te 
sacerdoti. 

Prenez  en  ce  moment  la  résolution  que  prit  autre- 
fois le  roi-prophète  et  dites  avec  lui  :  Dixi  :  Confitebor 
adversum  me  injustitiam  meam  Domino;  et  tu  remi- 
sisti  impietatem  peccati  mer.  Dixi  :  Je  l'ai  dit,  et  c'est 
à  vous,  ô  mon  Dieu  !  qui  m'invitez  à  la  pénitence  et 
qui  m'offrez  mon  pardon  que  je  le  répète  :  Je  ne 
manquerai  plus  à  ma  parole  :  confitebor  :  J'avouerai 
dans  l'amertume  de  mon  âme  toutes  mes  fautes.  Je 
dirai  tout  le  mal  que  j'ai  fait  :  injustitiam  meam.  Je 
parlerai  des  injustices  que  j'ai  commi^s  contre 
Dieu,  des  grâces  dont  j'ai  abusé,  des  ton*  faits  à 
mon  prochain,  des  intérêts  de  mon  âme  volontaire- 
ment négligés.  Je  ferai  une  confession  humble,  en- 

8. 


138        DOMINICALES   D'UN    CURÉ  DE  CAMPAGNE 

tière  et  ?m~ère  au  ministre  de  votre  miséricorde  qui 
tient  votre  place,  ô  mon  Dieu,  Domino.  Et  vous 
m'accorderez  la  grâce  de  purifier  de  plus  en  plus 
mon  âme  coupable  :  Et  tu  remisisti  impietatem  pec- 
cati  met.  Je  me  rendrai  ain>i  digne  de  votre  amour  e. 
de  la  gloire  éternelle.  Amen. 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

ÉYANGILE 

Comme  Jésus  était  entré  dans  Capharnaum,  un 
centurion  s'approcha  de  lui,  le  priant  et  disant: 
«  Seigneur,  mon  serviteur  gît  paralytique  dans  ma 
maison,  et  il  souffre  violemment.  »  Jésus  lui  dit  : 
«  J'irai  et  le  guérirai.  »  Mais  le  centurion  répon- 
dit :  «  Seigneur,  je  ne  suis  pas  digne  que  vous 
entriez  sous  mon  toit  ;  mais  dites  seulement  une 
parole  et  mon  serviteur  sera  guéri.  Car  moi,  quoique 
soumis  à  la  puissance  d'un  autre,  j'ai  sous  moi  des 
soldats.  Or,  je  dis  à  l'un  :  Va,  et  il  va  ;  et  à  un  autre  : 
Viens,  et  il  vient,  et  à  mon  serviteur  :  Fais  cela,  el  il 
le  fait.  »  Jésus,  l'entendant  fut  dans  l'admiration.  Et 
il  dit  à  ceux  qui  le  suivaient  :  «  En  vérité,  je  vous  le 
déclare,  je  n'ai  pas  trouvé  une  si  grande  foi  dans 
Israël.  Aussi,  je  vous  dis  que  beaucoup  viendront  de 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES        139 

l'Occident  et  auront  place  dans  le  royaume  des 
Cieux  avec  Abraham,  Isaac  et  Jacob  ;  tandis  que  les 
entants  du  royaume  seront  jetés  dans  les  ténèbres 
extérieures.  Là,  seront  les  pleurs  et  le  grincement 
de  dents.  »  Alors  Jésus  dit  au  centurion  :  «  Va,  et 
que  selon  que  tu  as  cru.  il  le  soit  fait;  »  et  son  ser- 
vit» ur  l'ut  guéri  à  cette  heure  même.  (Mathieu, 
VIII,  5-14.) 

HOMÉLIE 

Comme  Jésus  entrait  à  Capharnaiim,  un  centurion 
romain,  c'est-à-dire  un  officier  commandant  à  cent 
soldats,  avait  un  serviteur  qu'il  aimait  beaucoup  et 
qui  était  malade  et  se  mourait.  Cet  officier  avait 
sans  nul  doute  beaucoup  entendu  parler  de  Jésus,  de 
ses  œuvres  merveilleuses,  des  prodiges  qu'il  0|  érait, 
de  sa  bonté  toujours  prête  à  mettre  sa  puissance 
extraordinaire  au  service  des  infortunés.  11  s'appro- 
cha de  lui  comme  le  lépreux,  il  adressa  une  prière  à 
Celui  qui  commande  en  maître  à  la  maladie  et  à  la 
mort  :  «  Seigneur,  dit-il,  j'ai  dans  ma  demeure  un 
serviteur  qui  souffre  beaucoup  ;  la  maladie  lui  ôte 
l'usage  de  ses  membres  :  Puer  meus  jacet  in  domo 
•paralyticus,  et  maie  torquetur.  » 

Admirons  ici  la  sollicitude  de  ce  centurion  pour 
son  serviteur  ;  il  le  traite,  non  pas  comme  un 
esclave,  mais  comme  son  propre  enfant.  Il  va  expo- 
ser au  Sauveur,  l'état  déplorable  où  se  trouve  cet 
infortuné.    C'est    ainsi   que  les    maîtres   chrétiens 


140        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

doivent  se  conduire  envers  leurs  serviteurs.  Avez- 
vous  pour  vos  domestiques,  pour  vos  inférieurs, 
pour  vos  frères,  la  même  charité?  Ayez-la  du  moins 
pour  votre  âme  ;  n'est-elle  pas  depuis  longtemps 
comme  paralytique  et  sans  mouvement  pour  les 
choses  du  Ciel  et  pour  les  bonnes  œuvres,  tandis 
qu'elle  est  si  vive  et  si  ardente  pour  les  choses  de  la 
terre  ? 

Le  centurion  ne  demande  rien,  il  se  contente 
d'exposer  l'état  du  malade  et  c'en  est  assez  pour  le 
cœur  de  Jésus.  Représentez-lui  vous-mêmes  avec 
une  pareille  confiance  les  infirmités  de  votre  âme, 
ses  plaies  et  ses  langueurs,  ses  péchés  et  sa  tiédeur, 
et  il  la  guérira.  Jésus  lui  répondit  :  «  J'irai  voir  le 
malade  et  je  le  guérirai.  »  «  Ah  !  Seigneur,  reprit  le 
centurion  confus,  je  n'ose  prétendre  à  cet  honneur: 
Vous,  venir  chez  moi,  ce  n'est  pas  ce  que  je  vous 
demande  ;  je  ne  suis  pas  digne  que  vous  entriez  dans 
ma  maison  ;  dites  seulement  une  parole,  et  mon  serviteur 
sera  guéri.  »  Le  centurion  révèle  sa  foi  vive  en  même 
temps  que  sa  profonde  humilité.  Il  croit  que  tout 
doit  obéir  au  Sauveur  ;  que,  de  loin  comme  de  près, 
rien  ne  résiste  à  sa  volonté  divine.  «  Seigneur, 
ajoute-t-il,  moi  qui  suis  constitué  en  dignité,  moi 
qui  ai  sous  mes  ordres  des  soldats,  je  n'ai  qu'à  pro- 
noncer un  mot  pour  être  obéi  à  l'instant  ;  je  dis  à 
l'un  :  Va  l  et  il  va  ;  je  dis  à  un  autre  :  Viens  !  et  il 
vient  ;  je  dis  à  mon  serviteur  :  Fais  ceci,  et  il  le  fait. 
Or,  vous  commandez  à  toute  la  nature  avec  bien  plus 
d'autorité  que  je  ne  commande  à  mes  soldats.  Pou- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        141 

vait-on  reconnaître  et  confesser  plus  énergiquement 
la  divinité  de  Jésus-Christ?  Quelle  profession  de  foi 
pour  un  Gentil  !  Il  reconnaît  que  le  Sauveur  a  un 
pouvoir  souverain  et  illimité,  qu'il  n'a  qu'à  parler 
pour  être  obéi.  Ne  nous  formerons-nous  donc  jamais 
une  pareille  idée  du  pouvoir  du  divin  Maître?  Pour- 
quoi, en  nous  adressant  à  lui,  cette  timidité,  cette 
défiance,  cette  inquiétude  secrète  qui  nous  resserrent 
le  cœur?  Ah!  c'est  que  nous  ne  connaissons  ni  son 
pouvoir,  ni  sa  bonté  ;  c'est  que  nous  n'avons  ni  foi 
en  l'un,  ni  confiance  en  l'autre.  Apprenons-donc 
aujourd'hui  à  connaître  notre  Sauveur.  Commençons 
à  croire  en  lui  et  à  mettre  en  lui  toute  notre  con- 
fiance. » 

Jésus,  l'entendant  parler  ainsi,  fut  dans  l'admiration, 
et  dit  à  ceux  qui  le  suivaient  :  «  Je  vous  dis  en  vérité,  je 
n'ai  point  trouvé  une  si  grande  foi  dans  Israël.  »  Quand 
donnerons-nous  à  Jésus-Christ  cette  satisfaction  de 
voir  et  de  louer  en  nous  une  foi  vive  et  parfaite  ?  Un 
étranger  a  plus  de  foi  que  les  Israélites,  un  homme 
engagé  dans  le  monde  et  dans  la  profession  des 
armes,  en  a  quelquefois  plus  que  des  chrétiens  qui 
vivent  dans  la  retraite  et  fréquentent  les  sacrement^. 
Que  ce  contraste  est  glorieux  pour  les  uns  et  humi- 
liant pour  les  autres  !  Audiens  autem  Jésus,  mira- 
tus  est. 

Le  centurion  était  Gentil  d'origine  ;  il  avait  vécu 
longtemps  dans  des  pays  idolâtres,  il  avait  cepen- 
dant plus  de  foi  que  les  Juifs,  nés  dans  le  sein  de  la 
vraie  religion.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ  dit  à  ceux 


142        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

qui  le  suivaient  :  «  Je  v<-us  déclare  que  beaucoup  vien- 
dront de  r Orient  et  de  l'Occident,  c'est-à-dire  des  diffé- 
rentes parties  de  l'univers,  presque  entièrement 
plongées  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie,  régneront 
dans  le  Ciel  avec  Abraham,  Isnac  et  Jacob,  tandis  que  les 
enfants  du  royaume,  c'est-à-dire  les  Juifs  qui  étaient 
plus  particulièrement  appelés  à  y  régner,  seront 
jetés  dans  les  ténèbres,  oh  il  y  aurait  des  pleurs  et  des 
grincements  de  dents.  »  C'e>t  là  en  effet  ce  qui  arriva. 
Ces  Juifs  infidèles  qui  avaient  abusé  de  toutes  les 
grâces  dont  Dieu  les  avait  comblés,  et  qui  avaient 
fermé  les  yeux  à  la  lumière  de  l'Évangile,  furent 
réprouvés  et  tombèrent  dans  les  ténèbres,  tandis  que 
les  Gentils  que  Dieu  semblait  avoir  abandonnés, 
furent  substitués  à  ce  peuple  aveugle,  et  occupèrent 
dans  le  ciel  les  places  qui  lui  étaient  destinées.  C'est 
là  aussi,  mes  frères,  ce  qui. nous  arriverait  à  nous- 
mêmes,  si  nous  abusions  du  précieux  don  de  la  foi 
dont  le  Seigneur  nous  a  enrichis,  et  si,  étant  envi- 
ronnés de  lumières,  nous  ne  faisions  que  des  œuvres 
de  ténèbres.  Dieu,  pour  nous  punir,  laisserait 
obscurcir  en  nous  les  clartés  de  la  foi  et  ferait  passer 
ce  précieux  héritage  en  d'autres  mains.  Ce  terrible 
châtiment  dont  il  se  sert  pour  punir  ceux  qui  repous- 
sent les  lumières  de  la  religion  n'est  point  inouï.  Des 
nations  entières  l'ont  déjà  subi  ;  et  si  nous  imitions 
leur  endurcissement  et  leur  incrédulité,  nous  pour- 
rions bien  le  subir  nous-mêmes.  Mais  il  en  sera  tout 
autrement,  si  nous  conservons  soigneusement  la  foi 
qui  est  la  source  de  tous  les  biens. 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         143 

Àiissilôt  que  Jésus  eut  looé  la  loi  du  centurion,  il 
lui  dit:  «  Allez,  et  qu'il  vous  soit  fait  selon  ce  que  vous 
avez  cru.  »  Et  à  C  heure  même  soti  serviteur  fut  guéri. 
Par  ces  paroles,  le  divin  Maître  nous  apprend  que  la 
foi  qui  anime  nos  prières,  est  la  mesure  de  leur 
efficacité.  Si  nous  le  suDulions  avec  la  confiance 
ferme  et  ardente  du  centurion,  il  nous  est  accordé 
selon  que  nous  avons  cru.  Si  nos  prières  émanent 
d'une  foi  faihle  et  chancelante,  il  i>e  bous  est  encore 
fait  que  selon  ce  que  nous  avons  cru. 

Nous  nous  plaignons  souvent  que  nos  vœux  ne 
sont  pas  exaucés.  Voulez-vous  en  connaître  la  rai- 
son ?  Saint  Jacques  vous  la  donne  :  «  Vous  deman- 
dez, dit-il,  et  vous  n'obtenez  pas,  parce  que  vous 
demandez  mal  :  Petitis,  et  non  accipitisy  eo  quod  maie 
petntis.  »  L'un  des  principaux  vices  de  nos  prières 
est  qu  eiies  ne  reçoivent  pas  de  notre  foi  l'impulsion 
qui  les  fait  monter  jusqu'au  trône  de  l'Éternel. 
«  Demandez,  nous  dit  le  même  apôtre,  avec  foi,  sans 
défiance,  sans  hésitation.  La  prière  qui  procède 
d'une  foi  hésitante,  ressemble  au  flot  incertain  qui, 
après  avoir  été  poussé  de  côté  et  d'autre,  vain  jouet 
des  vents,  retombe  sur  lui-même  et  se  brise  sans 
effet.  »  Lors  donc  que  nous  voyons  nos  prières  ne 
pas  atteindre  leur  effet,  cherchons  le  remède  dans 
nous-mêmes  ;  ranimons  notre  foi,  et  comptant  sur 
la  parole  sacrée  qui  ne  peut  jamais  tromper,  soyons 
assurés  de  recevoir  tout  ce  que  nous  demanderons 
avec  foi.  Et  omnia  quœcumque  petieritis  in  orattone, 
credentes,  accipietis.  Dans  nos  infirmités  spirituelles 


144        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

et  corporelles,  au  sein  de  nos  douleurs  et  de  nos 
chagrins,  recourons  à  Jésus-Christ  avec  la  foi  du  cen- 
turion, et  comme  lui  nous  serons  guéris  et  consolés. 
Amen. 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


SUR    LA     CONFESSION 


Varie,  ostende  te  sacerdoti 
A.Uez,  montrez-vous  au  prêtre. 

(Math.,  \ ni,  4) 


Voir  le  Missionnaire  de  la  Campagnet  U  I,  p.  341 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES 


:.  -IVe  DIMANCHE  APRÈS   L'EPIPHANIE 

Domine,  saîva  not,  piermus.  (Math.,  tiii,    5.) 
ÉVANGILE 

Après  une  journée  de  bienfaits  et  de  miracles, 
Jésus-Christ  monta  dans  une  barque,  et  ses  disci- 
ples le  suivirent.  Et  aussitôt  il  s'éleva  sur  la  mer  une 
tempête  si  grande,  que  la  barque  était  couverte  par 
les  vagues.  Cependant  Jésus  dormait.  Ses  disciples 
s'approchèrent  de  lui  et  l'éveillèrent  en  lui  disant  : 
«  Seigneur,  sauvez-nous,  nous  périssons  I  »  Jésus 
leur  répondit  :  «  Pourquoi  tremblez-vous,  hommes  de 
peu  de  foi?  »  Et  se  levant  aussitôt,  il  commanda  aux 
vents  et  à  la  mer,  et  il  se  fit  un  grand  calme.  A  cette 
vue  tous  furent  saisis  d'étonnement  et  se  disaient  : 
«  Quel  est  cet  homme  à  qui  les  vents  et  la  mer 
obéissent?»  (Math.,viii,   23-27.) 

HOMÉLIE 

L'histoire  émouvante  de  cette  tempête  qui  cons- 
terne les  disciples  et  que  Jésus-Ghrist  apaisa  est  aussi 
i.  9 


146        DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 

l'histoire  des  orages  dont  l'Église  n'a  cessé  et  ne  ces- 
sera d'être  agitée.  Le  divin  Maître  avait  prédit  à  ses 
Apôtres  qu'ils  seraient  persécutés  et  mis  à  mort  à 
cause  de  son  nom.  L'accomplissement  suivit  de  prèî 
la  prédiction.  Dès  que  l'Église  sortit  du  Cénacle,  le 
premier  ennemi  qui  s'arma  contre  elle  pour  l'anéan- 
tir, fut  la  synagogue.  Les  docteurs  juifs,  sentant 
par  instinct  que  leur  lègne  allait  finir  et 'que  le 
temps  était  arrivé  de  faire  place  à  une  nouvelle  reli- 
gion, se  mirent  à  la  persécuter.  Ils  rirent  alors  appel 
à  toutes  les  haines,  ils  armèrent  tous  les  bras,  aigui- 
sèrent tous  les  glaives,  remuèrent  toutes  les  chaînes, 
pour  étouffer  dans  son  berceau  cette  Église  naissante 
encore  enveloppée  des  langes  de  l'enfance.  Les  dis- 
ciples de  l'Évangile  furent  poursuivis  de  ville  en 
ville,  de  bourgade  en  bourgade;  les  Apôtres  traînés 
en  prison  et  chargés  de  fers  ;  et  saint  Etienne,  le 
premier  diacre,  expira  noyé  dans  les  flots  de  son 
sang. 

0  sainte  Église,  n'y  a-t-il  pas  à  redouter  que  ceux 
qui  ont  été  hier  les  témoins  de  votre  naissance,  ne 
le  soient  aujourd'hui  de  votre  mort? 

Mes  frères,  ne  craignez  rien  pour  l'Église.  Le  Dieu 
qui  l'a  fondée  saura  bien  la  défendre.  Ne  lisons-nous 
pas  en  effet  dans  l'histoire  qu'au  moment  même  où 
l'infidèle  Jérusalem  s'apprêtait  à  célébrer  ses  funé- 
railles dans  la  personne  de  son  chef,  un  ange  appa- 
rut dans  la  prison.  A  sa  voix  les  fers  retombent  des 
mains  de  Pierre,  les  portes  de  son  cachot  s'ouvrent 
devant  lui.   Hérode,    le  plus  acharné  des  persécu- 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         14T 

teurs  de  l'Apôtre  expire  sous  les  coups  de  la  ven- 
geance divine.  Saul  est  terrassé  sur  le  chemin  de 
Damas.  Les  chefs  de  la  nation  quittent  la  synagogue 
pour  l'Église;  les  contrées  voisines  donnent  l'hospi- 
talité aux  apôtres,  les  captifs  recouvrent  la  liberté, 
les  luyards  reviennent  se  ranger  sons  sa  bannière 
sainte.  Et  c'est  ainsi,  qu'alors  comme  dans  tous  les 
temps,  la  persécution  qui  devait  amener  la  mort  de 
cette  société  naissante,  ne  servit  qu'à  la  propager 
partout  et  à  multiplier  le  nombre  de  ses  enfants. 

Mais  le  signal  est  donné.  A  partir  de  ce  jour,  vous 
ne  trouverez  ni  intelligence  qui  se  lasse  à  attaquer 
l'Église  naissante,  ni  bras  qui  se  fatiguent  à  meur- 
trir ses  épaules  sacrées.  On  a  vu  la  Syrie,  l'Asie  Mi- 
neure, la  Grèce  se  précipiter  sur  elle  à  son  passade, 
lui  prodiguer  l'insulte  et  l'outrage,  lui  livrer  les  com- 
.  bats  les  plus  sanglants.  Mais  c'est  par-delà  les  mers, 
sur  les  rivages  du  Tibre  que  l'attendaient  des 
épreuves  devant  lesquelles  n'étaient  que  des  jeux 
d'enfants,  celles  qu'elle  avait  subies  jusque-là. 

Après  une  navigation  que  signalèrent  mille  périls, 
elle  arriva  enfin  aux  portes  de  Rome.  Des  cris  féroces 
retentissaient  dans  toutes  les  rues  de  la  viiie.  C'était 
le  peuple  qui  revenait  des  jeux  sanglants  du  cirque, 
Néron  et  les  proconsuls  jetèrent  en  passant  un  re- 
gard de  mépris  sur  la  pauvre  étrangère  et  allèrent 
leur  chemin.  Mais  quelques  jours  plus  tard,  quand 
elle  eut  t'ait  connaissance  avec  les  principaux  quar- 
tiers de  la  capitale,  qu'elle  se  fut  glissée  au  milieu 
des  esclaves,  dans  les  salons  des  riches  et  la  chaire 


148        DOMINICALES  l/'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

des  philosophes,  l'empereur  effrayé  des  progrès  de 
cette  nouvelle  puissance  qui  se  remuait  autour  de 
son  trône,  s'écria  comme  Pharaon  effrayé  des  pro- 
grès du  peuple  juif  :  «  Tirons  notre  épée  du  fourreau 
et  exterminons  cette  race  abominable.  » 

Le  glaive  fut  tiré,  ce  glaive  qui  jusque-là  n'avait 
frappé  que  les  peuples  puissants,  ce  glaive  qui  ne 
s'était  levé  que  pour  de  grandes  choses,  il  se  levait 
cette  fois  pour  frapper  sur  les  enfants,  sur  les 
femmes,  sur  nos  mères,  sur  nos  sœurs,  sur  nos 
vieux  pères.  Us  n'ont  épargné  ni  l'âge,  ni  le  sexe.  Les 
places  publiques,  les  routes,  les  champs  même,  jus- 
qu'aux lieux  les  plus  dé-erts,  se  couvrent  d'instru- 
ments de  torture,  de  bûchers,  d'échafauds.  Quelque 
part  qu'on  jette  les  yeux,  on  ne  rencontre  que  des  ca- 
davres ;  quelque  part  qu'on  aille,  on  marche  dans  le 
sang  Pendant  trois  siècles  on  poursuit  l'Église  dans 
les  campagnes,  au  fond  des  catacombes.  Qui  pourrait 
dire  le  nombre  des  victimes  qui  ont  succombé  pen- 
dant cette  effroyable  guerre!  Si  je  consulte  les  his- 
toriens, ceux  qui  disent  le  moins,  me  répondant  dix 
à  douze  millions,  ceux  qui  disent  le  plu>  :  quatorze 
et  quinze  millions.  Mais  si  les  catacombes  qui  ren- 
ferment leurs  ossements,  si  tous  les  endroits  de  la 
terre  qui  ont  gardé  les  traces  de  leur  sang,  si  tous 
les  échos  des  siècles  pouvaient  parler  en  ce  moment, 
peut-être  nous  révéleraient-ils  un  nombre  de  mar- 
tyrs qui  nous  ferait  frissonner.  Oh!  quoi  qu'il  en  soit 
des  chiffres,  il  faut  que  l'extermination  ait  été  bien 
effroyable,  puisque  l'empereur  Dioclétien,  à  la  fin 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES        149 

de  cette  Jutte,  fit  frapper  une  médaille  sur  laquelle 
on  lisait  ces  mots  :  «  Christiano  nomine  deleto  : 
Gloire  à  Dioclétien  qui  a  aboli  partout  le  nom  chré- 
tien. » 

Ne  vous  semble-t-il  pas,  mes  frères,  qu'une  per- 
sécution si  vive,  si  universelle  et  surtout  si  persévé- 
rante, devait  naturellement  amener  la  mort  de 
l'Église?  Avez-vous  jamais  vu  une  institution  hu- 
maine, marcher  sans  mourir  pendant  trois  cents  ans 
dans  les  Qots  de  son  sang?  Et  pourtant  il  n'en  est  pas- 
ainsi.  Loin  de  trouver  la  mort  sous  ce  glaive  qui  veut 
l'exterminer,  elle  y  trouve  une  surabondance  de  vie. 
Elle  grandit  si  étrangement,  si  prodigieusement,  que 
tout  à  coup  les  empereurs  laissent  tomber  leur 
glaive  devant  ce  géant.  Le  sang  des  martyrs  est  une 
semence  si  féconde  de  chrétiens  que,  dix  ans  après 
la  mort  de  Dioclétien,  celle  que  l'on  croyait  morte 
sortait  des  catacombes  et  remplissait  l'univers  tout 
entier.  Quelle  résurrection  !  Quelle  vie  !  quel  éclat  I 
quelle  grandeur  !  L;Église  est  libre  et  l'Empire  est 
chrétien.  Cependant  le  triomphe  n'était  que  com- 
mencé. On  entendit  du  côté  du  Nord  des  bruits  qui 
ressemblaient  à  ceux  d'une  horde  sauvage.  C'étaient 
les  barbares  qui  inondaient  l'Empire.  Venus  de  tous 
les  vents  du  ciel,  les  uns  sur  des  chars  grossiers,  les 
autres  sur  des  coursiers  rapides,  avec  les  caractères 
les  plus  opposés,  les  mœurs  les  plus  diverses,  ils  ont 
tous  un  mstinct  commun,  l'instinct  de  la  destruc- 
tion. L'Empire  romain  est  écrasé  sous  leur  masse. 
Cinq  cents  villes  sont  en  feu;  les  campagnes  sont 


150        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

rendues  désertes;  Rome  est  pillée.  Ils  se  gorgent 
tour  à  tour  de  pillage,  de  meurtre  et  de  sang. 

0  sainte  Église  de  Dieu,  où  êtes-vous?  On  ne  voit 
plus  que  carnage,  que  décombres,  que  ruines.  Où 
êtes-vous  donc,  ô  sainte  Église  du  Christ  ?  Mais  quoi, 
je  regarde  et  la  force  qui  a  tout  détruit  a  épargné 
l'Église.  Elle  se  lève  sur  ces  nations  sauvages  qui 
campent  sur  ces  cadavres  entassés.  Elle  vient  avec 
sa  croix,  son  baplême,  ses  sacrements,  et  lavant  dans 
ses  eaux  mystérieures  le  sang  dont  ces  barbares  sont 
couverts,  elle  commence  le  miraculeux  enfantement 
du  monde  chrétien.  Penchée  sur  ce  jeune  peuple 
comme  autrefois,  Elisée  sur  le  fils  de  la  veuve  de 
Sarepta,  elle  leur  communique  sa  vie  divine.  Elle 
le  fait  penser,  parler,  agir  non  plus  selon  la  nature, 
mais  selon  la  grâce  et  l'Évangile.  Gloire  à  l'Église  ! 
elle  est  ressuscitée  d'entre  les  ruines  et  les  morts, 
elle  ressuscitera  le  monde  avec  elle.  O  mort,  où  est 
ta  victoire? 

Voyant  que  le  glaive  était  impuissant  à  lui  donner 
la  mort,  Julien  l' Apostat  se  lève  et  dit  :  «  Qu'il  n'y 
ait  plus  d'épée  pour  la  frapper,  mais  ne  lui  donnons 
aucun  accès  dans  les  charges  publiques,  et  l'ambi- 
tion fera  ce  que  n'a  pu  exécuter  le  glaive.  »  Et  aussi- 
tôt les  chrétiens  sont  bannis  des  écoles  aussi  bien 
que  des  charges;  ils  sont  exclus  des  assemblées,  ils 
sont  rejetés  du  gouvernement,  des  armées  et  de  la 
province,  ils  sont  voués  à  une  vie  pauvre  et  obscure. 
Lucien  les  raille  dans  ses  Dialogues  et  l'empereur 
dans  ses  lettres.  Il  distille  le  venin  à  pleins  flots  sur 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        151 

cette  immortelle  épouse  du  Christ.   Il  s'applaudit  de 
son  ouvrage,  et  apercevant  un  jour  un  solitaire  qui 
bêchait    son    jardin,    il    l'interpelle    l'injure   à   la 
bouche  :  «  Eh  bien,  dit-il,  que  fait  maintenant  le  Ga- 
liiéen?  —  Il  fait  un  cercueil  »,  répond  le  pieux  céno- 
bite. C'était  le  cercueil  de  l'empereur,  et  1  un  pour- 
rait dire  que  depuis  lors  il  en  fait  bien  d'autres.  Quel- 
ques mois  après,  l'Apostat  tombait,  en   effet,   sous 
les  coups  des  Perses  dans  un  combat  sanglant.  Il 
regardait  si  bien  cette  mort  inattendue  comme  le 
châtiment  de  sa  haine  contre  l'Église,  qu'avant  d'ex- 
pirer, recueillant  le  sang  qui  sortait  de  sa  blessure, 
il  le  lança  contre  le  ciel  en  disant  :  Tu  as  vaincu,  Ga- 
liléen.  Le  Galiléen,  c'était  Jésus-Christ.   Et  voilà  en- 
core un  triomphe  pour  l'Église,  une  nouvelle  résur- 
rection.    Saint    Ambroise,    saint    Augustin,    saint 
Grégoire  deNaziance  se  réunissent  pour  le  chanter 
dans  ce  concert  harmonieux  de  l'Église  grecque  et 
de  l'Église  latine.  Et  le  siècle  ou  Julien  a   voulu 
mettre  le  chritianisme  au  tombeau  est  celui  qui  reçut 
peut-être  le  plus  éclatant  témoignage  de  ses  desti- 
nées immortelles. 

L'Église  a  triomphé  du  glaive  et  des  séductions  de 
l'ambition,  mais  voici  venir  un  nouveau  genre  d'é- 
preuve, plus  dur  peut-être  que  les  deux  premiers 
parce  qu'il  lui  vient  de  la  part  de  ses  enfants.  C'est 
Arius,  Nestorius,  Photius  qui  déchirent  son  sein  par 
l'hérésie.  Plus  tard  ce  sont  Luther,  Calvin  qui,  à 
l'exemple  des  fils  ingrats,  se  font  un  jeu  barbare  de 
lui  arracher  la  vie  en  la  divisant  avec  elle-même.  La 


152    DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

plume  de  ces  hommes  distille  sans  pudeur  le  venin 
le  plus  mortel  sur  cette  épouse  immaculée  du  Christ. 
0  tristes  et  odieux  souvenirs  !  Quels  torrents  d'in- 
jures ne  vomirent-ils  pas  contre  l'Église,  le  Pape,  les 
mystères,  les  sacrements,  le  culte  de  la  Vierge  et 
des  saînts.  Au  bruit  de  leurs  blasphèmes,  l'Alle- 
magne, la  Suisse,  l'Angleterre,  la  Suède  et  le  Dane- 
mark se  séparent  de  l'Église.  Une  partie  de  la  France 
imite  ce  triste  exemple.  La  guerre  est  partout.  On 
n'entend  plus  d'un  bout  de  l'Europe  à  l'autre  que  la 
détonation  d'armes  meurtrières  qui  portent  partout 
la  désolation  et  la  mort. 

0  sainte  Épouse  du  Christ  !  cette  fois,  c'est  certain, 
on  célébrera  vos  funérailles,  parce  que  ce  sont  vos 
enfants  eux-mêmes  qui  vous  meurtrissent  de  coups 
et  qui  creusent  votre  tombe.  —  Non,  mes  frères, 
L'Église  ne  périra  pas  encore  cette  fois  ;  et  si  vous 
voulez  la  voir,  ne  la  cherchez  pas  sous  les  voiles  de 
la  mort,  ni  sous  le  suaire  du  cercueil.  Jamais,  au 
contraire,  elle  n'a  été  plus  vivante  qu'à  cette  époque. 
Si  je  considère  sa  fécondité  à  produire  des  saints,  je 
rencontre  à  cette  heure  les  Ignace,  les  Xavier,  les 
Philippe  de  Néri  ;  et  si  j'arrête  mes  regards  sur  les 
établissements  de  bienfaisance  qu'elle  crée  sur  ses 
pas,  je  la  vois  fondant  de  ses  mains  bénies  des  sémi- 
naires, des  monastères,  des  hôpitaux,  des  collèges 
célèbres.  Si,  franchissant  les  mers,  je  la  suis  dans 
ses  conquêtes,  je  l'aperçois  captivant  sous  sa  loi  de 
nombreuses  peuplades  dans  les  Indes,  l'Afrique, 
l'Amérique.  Dites-moi,  est-ce  là  le  règne  de  la  mort? 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         153 

Saluons  donc  encore  une  fois  l'Église  victorieuse  des 
schismes,  des  hérésies,  de  tous  ses  déchirement?. 
Réjouissons-nous,  car  c'est  là  une  preuve  encore  de- 
son  immortalité. 

Je  passe  sous  silence  ces  époques  critiques  où  des 
/ois  puissants  levèrent  les  mains  sur  elle,  chargèrent 
ses  bras  de  chaînes  et  traînèrent  ses  pontifes  dans 
l'exil,  pour  arriver  à  la  dernière  de  ses  épreuves  dont 
toutes  celles  d'aujourd'hui  ne  sont  que  le  triste  pro- 
longement; je  veux  dire  l'épreuve  de  la  fausse 
science. 

Rappelez-vous  cette  grande  conspiration  de  tous 
nos  savants  du  siècle  dernier.  Quel  spectacle  fut 
donné  alors  à  la  terre  !  Vous  eussiez  entendu  retentir 
d'un  bout  du  monde  à  l'autre  un  cri  de  guerre  que 
je  n'oserais  pas  vous  redire,  parce  que  c'est  un  hor- 
rible blasphème.  Ce  cri,  remarquez-le,  il  n'appelait 
plus  les  bourreaux,  il  appelait  des  savants  ;  il  appe- 
lait tous  les  hommes  qui  avaient  voué  leur  génie  à 
la  destruction  du  bien.  Tous  ces  hommes  s'étaient 
compris  sur  tous  les  points  de  l'univers.  Réunissons, 
disaient-ils,  tous  les  rayons  épars  de  la  science,  réu- 
nissons toutes  les  étincelles,  allumons  comme  une 
fournaise  ardente;  que  l'Église  y  soit  jetée,  elle  ne 
résistera  pas  longtemps  à  l'action  de  ce  feu  dévorant. 
Poètes,  orateurs,  philosophes,  géologues,  à  l'instant 
même  se  sont  mis  à  l'œuvre.  «  Il  faut  écraser  l'in- 
fâme, »  c'était  la  devise  et  le  but.  Railler,  mentir  et 
mentir  toujours,  c'était  le  moyen.  Et  il  faut  leur 
rendre  justice,  ils  ont  bien  menti,  l'un  dans  la  litté- 

9. 


154        DOMINICALES   D  UN    CURE   DE   CAMPAGNE 

rature,  l'autre  dans  l'histoire,  l'autre  dans  la  philo- 
sophie. Or  qu'est-il  arri\é?  ce  qui  arrivera  toujours 
lor-que  l'homme  voudra  lutter  contre  Dieu  : 

Le  dix-huitième  siècle  avait  évoqué  la  science  pour 
insulter  l'Église  et  la  science  s'est  mise  à  la  bénir  et 
à  la  glorifier.  On  a  vu  l'histoire  jeter  de  nouvelles 
clartés  sur  son  origine,  la  géologie  rendre  justice  à 
Ja  cosmogonie  de  Moïse.  Enfin  on  a  vu  l'Église  ca- 
tholique sortir,  comme  les  trois  jeunes  Hébreux  de  la 
fournaise  ardente  et  sourire  encore  à  ses  enfants  en 
leur  disant  :  «  Je  suis  la  vie,  vita;jesuis  aussi  la  vérité, 
veritas;  et  tandis  que  tous  ses  ennemis  s'effaçaient 
de  la  terre,  elle  continuait  sa  marche  triomphale  à 
travers  les  siècles,  répandant  partout  ses  bienfaits, 
multipliant  le  nombre  de  ses  enfants,  donnant  au 
monde  le  spectacle  de  son  immortalité. 

Vous  le  voyez,  mes  frères,  la  vie  de  l'Église  est  une 
vie  de  lutte  et  de  combat.  Il  y  a  près  de  vingt  siècles 
que  Jésus-Christ  l'a  lancée  sur  l'océan  agité  du 
monde  et  depuis  lors  elle  n'a  pas  eu  un  seul  instant 
de  repos. 

Après  les  rudes  épreuves  que  lui  ont  fait  subir 
les  incrédules  du  dix-huitième  siècle,  une  foule 
d'hommes  impies  qui  se  disaient  les  amis  du  peuple 
se  sont  levés  vers  la  fin  du  siècle  dernier  pour  lui 
porter  le  dernier  coup.  Us  ont  aboli  son  culte  et  ses 
lois.  Ils  ont  fait  entendre  à  ce  peuple  séduit  et 
trompé  qu'ils  ne  voulaient  point  détruire  la  religion, 
mais  simplement  l'épurer.  Et  cependant  est-il  un 
moyen  qu'ils  aient  négligé  pour  lui  arracher  la  vie? 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         155 

Non  contents  d'avoir  calomnié  et  décrié  ses  mi- 
nistres, ils  sont  allés  jusqu'à  les  dépouiller,  jusqu'à 
les  im-noler  comme  des  ennemis  publics.  Yous  savez 
enfin  que,  ne  gardant  plus  aucune  mesure,  ils 
finirent  par  renverser  les  autels,  pat*  détruire  les 
temples;  et  que  là  où  ils  les  conservèrent,  ce  ne  fut 
que  pour  y  venir  adorer,  sous  le  nom  de  Raison,  une 
divinité  chimérique  qu'ils  avaient  substituée  au  vrai 
Dieu.  Le  chef  de  l'Église  ne  fut  pas  plus  épargné  que 
l'Église  elle-même  :  on  le  vit  dépouillé  de  son  au- 
torité, renversé  de  son  trône,  chassé  de  ses  États  et 
venir  finir  ses  jours  dans  l'exil  et  l'esclavage..  Les 
partisans  de  l'impiété  en  triomphèrent  et  ils  se  flat- 
tèrent d'avoir  enfin  aboli  la  religion  du  Christ.  Mais 
ils  se  sont  trompés  ;  les  ennemis  du  nom  chrétien 
ont  disparu  et  la  religion  compte  un  triomphe  de 
plus. 

De  nos  jours,  l'Église  est-elle  traitée  avec  plus  de 
ménagements  que  par  le  passé?  Au  contraire,  jamais 
le  dragon  déchaîné  dont  parle  saint  Jean,  n'a  déployé 
plus  de  fureur  pour  la  détruire  que  dans  les  malheu- 
reux temps  que  nous  traversons.  Sans  parler  de  la 
presse  immonde  et  impie  dont  il  se  sert  pour  tout 
corrompre  dans  les  dernières  campagnes  comme 
dans  les  premières  cités,  ne  poursuit-il  pas  par  son 
œuvre  de  perversion,  par  le  moyen  des  sociétés  se- 
crètes et  par  ces  légions  d'hommes  orgueilleux,  hy- 
pocrites, menteurs  effrontés  qui  mettent  leur  gloire  à 
tromper  et  à  perdre  les  âmes?  Leur  haine  satanique  ne 
poursuit  plus  seulement,  les  religieux,  les  prêtres,  les 


156        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

pontifes,  mais  elle  s'attaque  à  ceux  dont  le  christia- 
nisme a  toujours  pris  un  soin  particulier  :  l'enfant  et 
la  femme.  On  a  inventé,  dans  ce  but,  l'école  laïque 
que  le  bon  sens  public  a  défini  plus  clairement  : 
l'école  sans  Dieu.  Plus  d'enseignement  religieux  dans 
les  écoles,  plus  de  prière,  plus  de  signe  extérieur  de 
la  foi.  Le  nom  de  Dieu  est  soigneusement  écarté  des 
lèvres  du  petit  enfant,  comme  s'il  était  une  souillure. 
L'image  de  Marie  immaculée,  dont  le  regard  seul 
suffisait  pour  entretenir  dans  l'âme  de  la  jeune  fille 
un  parfum  de  pureté  et  d'innocence  est  remplacé  par 
l'emblème  d'une  femme  sans  vertu  et  sans  pudeur. 
Le  crucifix  lui-même,  ce  signe  adorable  de  notre 
rédemption  qui  a  éclairé  tant  de  ténèbres,  consolé 
tant  de  douleurs,  fortifié  tant  de  défaillances  est  dé- 
croché et  jeté  à  la  voirie  comme  un  meuble  de  rebut. 
La  haine  satanique  des  ennemis  de  l'Eglise  est  ailée 
encore  plus  loin.  Ils  ont  compris  dès  le  début  de  la 
lutte  la  résistance  de  la  femme  à  leur  ignoble  ensei- 
gnement, aussi  a-t-elle  dit  par  la  voix  de  l'un  de  ses 
coryphées  :  «  Pour  abattre  le  catholicisme,  il  fau- 
drait supprimer  la  femme  »,  mais  puisque  sa 
suppression  est  impossible,  corrompons-la.  Pour 
atteindre  ce  but  infernal,  on  a  imaginé  d'ouvrir  des 
casernes  d'un  nouveau  genre  qu'on  appelle  des  lycées 
de  filles.  Dans  ces  maisons  destinées  à  fournir  des 
maîtresses  capables  de  former  à  la  société  de  nou- 
velles épouses,  de  futurs  mères  de  famille,  on  rem- 
placera la  pudeur  par  la  vanité,  la  foi  par  l'incré- 
culité. 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         157 

Que  verrons-nous  sortir  de  ces  gynécées  où  l'on 
n'aura  jamais  appris  à  ces  jeunes  filles  la  mission 
religieuse  et  domestique  que  la  femme  a  reçue  de 
Dieu?  Verrons-nous  des  mères  affectueuses  et  dé- 
vouées? des  épouses  chastes  et  fidèles?  desjeunes  filles 
obéissantes  et  réservées?  Non,  non.  A  côté  de  quel- 
ques précieuses  ridicules,  on  verra  des  femmes  éhon- 
tées,  dévergondées;  et  la  famille  ne  sera  pas  seule 
avilie,  la  patrie  elle-même  pourra  alors  couvrir  sa 
tête  d'un  voile  de  deuil  ;  car,  comme  l'a  dit  un  brillant 
orateur  à  la  tribune  nationale  :  «  Si  les  femmes  chré- 
tiennes ont  fait  de  la  France  la  première  nation  du 
monde,  nos  libres-penseuses  sont  appelées  à  en  faire 
la  dernière  des  nations.  » 

En  présence  d'entreprises  si  audacieuses  et  si  im- 
pies, en  face  de  tant  de  dangers,  devons-nous  nous 
décourager?  Nullement,  parce  que  l'Église  a  reçu  de 
solennelles  promesses  d'immortalité;  nous  devons 
tourner  vers  Jésus-Christ  nos  cœurs  et  nos  mains 
suppliantes  et  lui  dire  avec  les  Apôtres  :  Domine,  salua 
nos,  perimus.  Seigneur,  sauvez-nous  de  ces  doctrines 
impies  qui  vous  offensent  et  nous  affligent;  sauvez- 
nous  de  ces  crimes  qui  provoquent  votre  justice  et 
attirent  sur  nous  tant  de  fléaux  vengeurs;  sauvez- 
nous  de  ces  hommes  cruels  et  sans  remords  qui  blas- 
phèment contre  vous  et  qui  menacent  vos  adorateurs  ; 
arrachez  à  la  mort  nos  enfants  si  cruellement  per- 
sécutés. Domine,  salva  nos,  perimus.  Tels  sont  les  cris 
de  détresse  que  nous  devons  pousser  vers  Jésus- 
Christ.  La  prière  est  l'arme  unique  et  l'arme  vrai- 


158        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

ment  puissante  que  nous  devons  employer.  Ceux 
mêmes  qui  s'étaient  déshabitués  de  la  prière  doivent 
joindre  leurs  voix  aux  nôtres  pour  supplier  le  Fils  de 
Dieu  d'avoir  pitié  de  nos  malheurs.  Que  notre  foi  soit 
donc  ferme,  notre  confiance  sans  bornes,  notre  prière 
ardente,  et  Jésus  sous  un  sommeil  apparent  dissipera 
les  complots  de  l'impiété.  Ne  le  connaissez-vous  pas? 
Quid  timidi  estis?  Soyons  pleins  d'espérance  et  de  foi, 
marchons  vaillamment  dans  la  carrière  du  combat  et 
du  triomphe  et  nous  mériterons  ainsi  d'entrer  dans 
le  port  de  la  bienheureuse  éternité.  Ame- 


EÏOMELTES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        159 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


DANGERS   DE    LAME 


Et  ecce  motus  magnus  factus  est 
in  mari,  ita  ut  namrula  operiretur 
fluctibus,  ipse  vero  dormiebat. 
(Math,  viii.) 


Le  récit  simple  mais  majestueux  et  touchant  de  la 
tempête  sur  la  mer  de  Galilée  renferme  de  nombreux 
enseignements.  La  barque  où  étaient  Notre-Seigneur 
et  ses  disciples,  n'est  pas  seulement  l'image  de  l'É- 
glise et  de  ses  combats,  mais  aussi  de  l'âme  obligée 
de  vivre  au  milieu  d'un  monde  semblable  à  une  mer 
parsemée  d'écueils  et  fécondes  en  naufrages  :  Ecce 
motus  magnus  factus  est  in  mari.  La  tempête  qui  me- 
nace de  tout  submerger  représente  les  passions,  les 
désirs,  les  tentations  qui  agitent  notre  âme  et  lui 
préparent  souvent  sa  ruine  à  travers  sa  marche  vers 
''éternité  :  Ecce  motus.  Le  reproche  du  Sauveur  <*ux 
apôtres  :  Quid  timidi  estis  s'applique  à  nos  faiblesses, 
à  nos  lâchetés  dans  le  service  de  Dieu.  L'apaisement 


160        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

de  la  tempête  d'une  seule  parole  nous  montre  la  puis- 
sance divine.  Quant  au  cri  d'effroi  des  apôtres  à  demi 
submergés  :  Domine,  salva  nos,  perimus,  c'est  notre 
cri  journalier,  pauvres  voyageurs  dans  cette  vallée  de 
larmes  où  l'orage,  la  tempête,  c'est-à-dire  les  épreuves 
sont  sur  chacun  de  nos  pas.  C'est  sous  ce  rapport  des 
combats  de  l'âme  chrétienne  que  nous  allons  consi- 
dérer l'Évangile  de  ce  jour. 


L  —  Dangers  de  cette  vie  pou?'  l'âme. 

La  vie  de  chaque  fidèle  est  traversée  par  des 
épreuves  que  l'on  peut  comparer  à  des  tempêtes 
violentes.  La  joie  et  la  douleur  se  partagent  inégale- 
ment nos  jours.  Souvent,  lorsque  tout  sourit  à  nos 
désirs,  lorsque  nous  croyons  réaliser  nos  plus  belles 
espérances,  lorsque  le  lendemain  semble  nous  pro- 
mettre encore  plus  de  félicité  que  la  veille,  un 
malheur  inattendu  nous  accable  tout  à  coup  d'un 
poids  écrasant;  les  ténèbres  s'amassent  autour  de 
nous.  La  barque  perdue  au  milieu  des  flots  d'une 
mer  en  fureur  est  moins  agitée  que  notre  cœur.  II 
nous  semble  que  nous  sommes  condamnés  à  une  in- 
fortune sans  terme.  Nous  essayons  de  réagir  contre 
les  chagrins  qui  nous  oppressent  et  nous  retombons 
dans  un  abattement  plus  profond.  Tant  il  est  vrai 
que  la  vie  de  l'homme  et  principalement  colle  du 
chrétien,  est  une  guerre  perpétuelle  :  Militia  est  vita 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         161 

hominis  saper  terram.  Son  existence  est  remplie  de 
beaucoup  de  misères.  Les  maladies  du  corps,  les  in- 
quiétudes de  l'âme,  la  malice  des  hommes,  l'incons- 
tance des  événements,  les  rigueurs  de  la  pauvreté, 
les  chagrins  domestiques  ne  le  laissent  jamais  jouir 
d'une  paix  durable  et  le  font  sans  cesse  passer  du 
contentement  à  la  tristesse,  de  la  joie  à  la  douleur. 
Inutilement  chercherions-nous  à  nous  soustraire 
à  tous  les  maux  dont  nous  sommes  continuellement 
menacés.  Quelques  moyens  que  nous  puissions 
prendre  pour  éviter  les  souffrances,  nous  avons  tou- 
jours quelque  chose  à  souffrir.  Et  à  ces  épreuves  nul 
ne  peut  échapper;  l'enfant  et  le  jeune  homme, 
l'homme  fait  et  le  vieillard;  le  solitaire  dans  son  dé- 
sert aussi  bien  que  le  mondain  au  milieu  de  ses 
fêtes.  Ce  ne  sont  pas  seulement  ceux  qui  s'éloignent 
de  Jésus-Christ  qui  essuient  les  tempêtes  de  l'âme. 
Ils  les  éprouvent  aussi,  comme  les  apôtres,  ceux  qui 
traversent  avec  Lui  la  mer  du  monde,  et  qui  atta- 
chés à  Lui,  ne  quittent  pas  sa  compagnie.  Ames 
fidèles,  qui  avez  le  bonheur  de  le  posséder,  ne  vous 
étonnez  pas  si,  malgré  sa  présence,  vous  ressentez 
des  orages  intérieurs;  si  vous  êtes  assaillies  de  ten- 
tations violentes  :  N'a-t-il  pas  voulu  lui-même  être 
tenté?  Croyez-vous  être  plus  privilégiées  que  Lui? 
Quand  les  Apôtres  faillirent  être  submergés  sous  les 
flots  de  la  tempête,  n'étaient-ils  pas  en  la  société  de 
Jésus-Christ?  Saint  Paul,  ce  vase  d'élection  ravi  au 
troisième  ciel  n'était-il  pas  persécuté?  Les  martyrs 
n'avaient-ils  pas  la  charité  et  la  piété  en  partage? 


162        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

La  sainteté  la  plus  éminente  ne  détruit  point  les 
passions,  mais  les  réprime;  elle  n'empêche  point 
les  tentations,  mais  elle  les  surmonte.  Votre  piété  et 
votre  innocence  seront,  au  contraire,  une  raison  pour 
le  démon  de  faire  plus  d'efforts,  afin  de  vous  sou- 
mettre à  son  empire.  Il  a  assez  de  cœurs  qui  se  livrent 
d'eux-mêmes;  de  ceux-là,  il  est  rassasié;  mais  ii  est 
friand  d'âmes  comme  la  vôtre  ;  il  attache  à  leur  con- 
quête un  certain  prix  qui  lui  fait  redoubler  se  tenta- 
tives de  séduction.  Il  ne  faut  donc  pas  vous  décou- 
rager des  tentations  qui  vous  assaillent;  voyez-y 
plutôt  une  preuve  que  vous  n'appartenez  pas  encore 
au  démon.  Les  chiens,  dit  saint  François  de  Sales, 
n'aboient  pas  après  les  gens  de  la  maison,  mais  après 
les  étrangers;  ainsi  le  démon  laisse  dans  une  paix 
funeste  ceux  qu'il  sait  lui  appartenir,  il  fatigue  les 
autres  de  ses  poursuites,  inventant  mille  artifices, 
pour  les  détourner  des  voies  de  la  vertu.  Hélas!  il 
ne  réussit  que  trop!  Regardez  autour  de  vous?  — Où 
sont  tant  de  vos  parents,  de  vos  amis  autrefois  si 
fervents?  Que  sont-ils  devenus?  Ils  sont  devenus  la 
proie  du  démon,  et  maintenant  ils  languissent,  loin 
de  Dieu  et  de  la  vertu-,  dans  un  honteux  esclavage; 
plaignez-les  et  conjurez  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
d'éloigner  de  vous  un  pareil  malheur. 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES         163 


II.  —  Que  fait  Dieu  lorsque  nous  sommes  éprouvés? 

Pour  donner  pîus  d'éclat  à  la  confiance  de  ses  en- 
fants, pour  leur  fournir  l'occasion  d'acquérir  plus  de 
mérites,  de  les  obliger  de  reconnaître  leur  faiblesse 
et  de  réveiller  leur  foi,  le  Seigneur  semble  dormir  et 
le^  oublier,  mais  il  n'en  est  rien.  Quand  Jésus  dort 
sur  la  barque,  abandonne-t-il  ses  apôtres  ?Cesse-t-il 
de  veiller  sur  eux?  Les  abandonne-t-il  au  moment  du 
danger?  Au  contraire,  c'est  alors  qu'il  use  de  sa 
puissance  pour  opérer  en  leur  faveur  un  miracle 
d'amour. 

C'est  ainsi  qu'il  agit  à  l'égard  de  chacun  de  nous. 
Et  lorsque  au  fort  de  la  tempête,  nos  épreuves  sont 
si  fortes,  si  violentes  que  notre  cœur  en  est  tout 
abattu  et  accablé,  comme  les  apôtres  nous  nous 
tournons  vers  Dieu.  C'est  très  bien;  mais  est-ce  pour 
lui  dire  avec  confiance  :  «  Seigneur,  soutenez-nous 
au  milieu  des  combats;  aidez-nous  à  porter  notre 
croix  à  votre  suite;  nous  avons  besoin  de  souffrir 
pour  expier  nos  fautes...?  »  Non,  nous  jetons  vers  lui 
un  cri  de  détresse  :  Domine,  salva  nos,  perimus.  Sei- 
gneur, sauvez-nous!  c'est  assez  de  souffrances,  nos 
forces  s'épuisent,  la  tristesse  a  rongé  toutes  les  fibres 
de  notre  cœur;  nous  tombons  anéantis,  nous  allons 
périr  :  Domine,  salva  nos,  perimus.  Telle  est  notre 
faiblesse  devant  la  souffrance. 

N'a-t-il  pas  le  droit  de  nous  dire  comme  à  ses  dis- 


164        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

ciples  sur  le  lac  de  Génésareth?  D'où  vient  que  vous 
avez  peur?  Pourquoi  cette  lâcheté  au  jour  de  l'é- 
preuve? Quid  timidi  estis?  Vous  avez  bien  peu  de 
confiance  en  moi.  N'ai-je  pas  promis  que  vous  ne 
seriez  jamais  tentés  au-dessus  de  vos  forces?  Ne 
suis-je  pas  toujours  près  de  vous  pour  vous  soutenir? 
Je  sais,  moi  qui  ai  fait  votre  cœur,  je  sais  jusqu'à 
quel  degré  de  vertu  vous  pourriez  arriver,  si  vous 
étiez  moins  effrayés  et  si  vous  aviez  plus  de  foi  : 
Quid  timidi  estis,  modicœ  fidei?  Mais  tout  en  nous  re- 
prochant notre  faiblesse,  Jésus-Christ  se  hâtera  de 
nous  sauver.  La  paix  reviendra  comme  était  venue 
la  tempête,  au  moment  où  nous  l'attendrons  le 
moins;  nous  sentirons  l'espérance  renaître  dans  nos 
cœurs  désolés;  nous  marcherons  vaillamment  dans 
la  carrière  que  nous  aura  tracé  la  Providence;  rien 
ne  semblera  trop  difficile  à  notre  bonne  volonté  ar- 
mée d'une  nouvelle  énergie;  nous  communiquerons 
notre  courage  autour  de  nous  à  ceux  qu'épouvante 
le  souvenir  des  épreuves  passées;  nous  tendrons 
même  une  main  secourable  à  ceux  qui  gémissent 
sous  leur  fardeau,  comme  nous  gémissions  autre- 
fois; nous  jouirons  au'  dedans  et  au  dehors  d'une 
tranquillité  parfaite.  Le  Sauveur  commandera  aux 
vents  et  aux  flots.  Ceux  qui  nous  ont  vus  si  agités, 
seront  surpris  de  nous  voir  maintenant  si  calmes. 
Ils  demanderont  avec  étonnement  :  Qui  donc  a  tari 
leurs  pleurs?  Qui  donc  a  secouru  leur  infortune? 
Qui  donc  a  dissipé  tous  leurs  chagrins?  Qui  donc 
leur  prodigue    des  consolations  qui  les  rendent  si 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         165 

heureux?  Le  monde  ne  comprendra  pas  la  cause  de 
ce  changement,  parce  qu'il  arrête  ses  regards  sur  la 
terre  et  ne  distingue  pas  ce  qui  vient  du  Ciel. 

Nous  pourrons  lui  répondre  :  Celui  qui  a  fait  suc- 
céder pour  nous  la  joie  à  la  tristesse,  c'est  le  divin 
Sauveur,  l'ami  divin  de  tous  les  affligés  ;  celui  qui  se 
leva  pour  commander  aux  flots  du  lac  de  Génésa- 
reth  ;  celui  qui  apaise  les  orages  du  cœur  avec  autant 
de  facilité  que  les  tempêtes  de  l'océan  ;  celui  qui  di- 
rige notre  marche  incertaine  sur  la  mer  dangereuse 
de  ce  monde;  celui  enfin  qui  nous  fera  un  jour  ren- 
trer dans  le  port  de  la  bienheureuse  éternité.  Amen. 


166        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE: 


V  DIMANCHE  APRÈS  L'EPIPHANIE 


Siniie  utraque  crescere  usque  ad  messcm. 
(Math.,  xiii,  30.) 

Laissez-les  croître  Tua  et  l'autre  jusqu'à 
la  moisson. 


ÉVANGILE 

Le  royaume  des  cieux,  dit  l'évangile  de  ce  jour,  est 
semblable  à  un  homme  qui  avait  semé  du  grain  dans 
son  champ,  mais  pendant  que  les  hommes  dormaient 
l'ennemi  vint  et  sema  de  l'ivraie  et  se  retira.  L'herbe 
ayant  donc  poussé  et  étant  montée  en  épi,  l'ivraie 
parut  aussi.  Alors  les  serviteurs  du  père  de  famille 
vinrent  lui  dire  :  «  Maître,  n'avez- vous  pas  semé  du 
bon  grain  dans  votre  champ?  D'où  vient  donc  qu'il 
s'y  trouve  de  l'ivraie?  »  «  C'est,  répondit-il,  mon 
ennemi  qui  l'y  a  semé.  »  Les  serviteurs  reprirent  : 
«  Voulez-vous  que  nous  allions  l'arracher?  »  «  Non, 
dit  le  maître,  de  peur  qu'en  cueillant  l'ivraie  vous 
n'arrachiez  aussi  le  froment.  Laissez  croître  l'un  et 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         167 

l'autre  jusqu'à  la  moisson,  et  au  temps  de  la  mois- 
son,.fe  dirai  aux  moissonneurs  :  cueillez  première- 
ment l'ivraie  et  liez-la  en  petites  gerbes  pour  la 
brûler;  mais  amassez  le  froment  dans  mon  grenier. 
(Math.,  xm,  24-30.) 

HOMÉLIE 

Mes  frères,  en  jetant  un  regard  tant  soit  peu 
attentif  sur  la  scène  de  ce  monde,  nous  sommes 
frappés  par  le  spectacle  qu'offre  le  mélange  des  bons 
et  des  méchants.  Nous  voyons  le  mal  marcher  la 
tête  levée  à  côté  du  bien,  la  corruption  à  côté  de  la 
sainteté,  Terreur  à  côté  de  la  vérité.  Nous  aper- 
cevons de  toutes  parts  l'ivraie  croître  à  côté  du 
bon  grain.  Près  d'un  homme  vertueux  et  craignant 
Dieu,  il  s'en  rencontre  un  autre  sans  piété  et  sans- 
religion.  A  côté  du  jeune  homme  vertueux  et  rangé 
vous  voyez  le  prodigue  et  le  libertin.  Ici,  une  mère 
de  famille  remplit  fidèlement  sa  mission  en  ne  don- 
nant à  ses  enfants  que  des  leçons  de  vertu;  là,  elle 
néglige  ses  devoirs  et  ne  sème  autour  d'elle  que  d£ 
pernicieux  exemples.  A  côté  de  la  jeune  fille  mo- 
deste et  pieuse,  on  voit  la  fille  sans  honneur  et  sans 
pudeur. 

D'où  vient  ce  mélange;  —  pourquoi  ce  mélange  ; 

—  quels  devoirs  ressortent  pour  nous  de  ce  mélange  ; 

—  comment  finira  ce  mélange  :  c'est  ce  que  nous 
allons  examiner  dans  cet  entretien  simple  et  fami^ 
lier. 


168        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 


D'où  vient  ce  mélange  des  bons  et  des  méchants 
qui  désole  l'Église  et  afflige  le  cœur  de  Dieu?  Il  ne 
vient  pas  du  Tout-Puissant,  puisque  après  la  création 
de  l'univers,  portant  ses  regards  sur  son  œuvre,  il 
nous  assure  que  tout  était  bon  :  Et  erant  valde  bona. 
L'homme  surtout,  l'homme  fait  à  son  image  et  à 
sa  ressemblance  avait  le  cœur  droit;  aussi  était-il 
l'objet  de  son  amour  et  de  sa  sollicitude.  Il  le  fit  roi 
de  la  création  et  lui  donna  le  domaine  absolu  de 
toutes  choses.  Les  animaux  les  plus  féroces  devaient 
lui  être  soumis  et  le  servir  comme  de  vrais  domes- 
tiques. Mais,  hélas  !  les  choses  ne  restèrent  pas 
longtemps  dans  cet  heureux  état.  L'ennemi  de  Dieu 
et  de  l'homme,  c'est-à-dire  le  démon,  qui  s'était 
révolté  contre  le  Créateur,  jaloux  de  la  félicité  de 
l'homme,  résolut  de  l'associer  à  ses  malheurs,  en  le 
rendant  complice  de  son  crime.  C'est  pour  cela  qu'il 
se  mit  à  semer  la  zizanie  dans  le  champ  divin  et  à 
gâter  le  magnifique  ouvrage  qui  venait  de  sortir  pur 
et  accompli  des  mains  du  Créateur.  Depuis,  que 
voyons-nous  partout  et  toujours?  Nous  voyons 
l'ivraie  mêlée  au  bon  grain,  c'est-à-dire  les  méchants 
à  côté  des  bons,  Caïn  à  côté  d'Abel,  Noé  et  sa  famille 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         169 

à  côté  d'un  monde  corr  ompu,  les  Israélites  confondus 
avec  le*  Égyptiens;  dans  l'Église,  des  justes  et  des 
pécheur>,  des  persécuteurs  et  des  persécutés,   des 
martyrs  et  des  bourreaux...  Le  mal  e-t  si  gr^nd,  le 
mélange  est  si  complet,   que  les  serviteurs  du  père 
de  famille  lui  dirent  :  «  N'avez-vous  pas  semé  du 
bon  grain  dans  votre  champ?  D'où  vient  qu'on  y 
trouve  de  l'ivraie?  »  Écoutez  la  réponse  de  la  vérité 
éternelle  :    Cest  mon   ennemi  qui  Va   fait;  ininucus 
homo  hoc  fecit.  C'est  le  démon  qui  a  semé  le  mau- 
vais grain.  Ce  séducteur  a  épié  une  occasion  favo- 
rable pour  gâter  ce  champ  fertile,  qui  promettait  une 
si  riche  moisson.  11  a  profilé  du  moment  où  tous  les 
serviteurs  étaient  plongés  dans  un  profond  sommeil  : 
Cùm  autem  dormirent  homines.  Voilà  notre  hi-toirp,  et 
voilà   l'histoire   de   la   société   dans   laquelle    nous 
vivons.  Si  déterminés  que  nous  soyons  à  nous  main- 
tenir purs,  fidèles  en  toutes  choses,  dociles  aux  ins- 
pirations de  la  grâce,  il  nous  arrive  de  surprendre 
en  nous  des  désirs  inattendus,  des  langueurs  qui 
nous  attristent,  des  défaillances  qui  nous  étonnent. 
Le  joug  du  Seigneur  nous  paraît  lourd  à  porter, 
nous  tournons  vers  le  monde  des  regards  d'envie. 
D'où  vient  que  nous  sommes  si  près  de  tomber?  C'est 
que  nous  nous  sommes  endormis.  Nous  avons  oublié 
la   recommandation   que   faisait  le   Sauveur  à   ses 
apôtres  :  «  Veillez  et  priez,  de  peur  que  vous  ne  suc- 
combiez à  la  tentation.   »  L'ennemi  de  nos  âmes 
attendait  ce  défaut  de  vigilance.  Dès  que  nous  avons 
cessé  d'être  attentifs  sur  nous-mêmes,  il  a  semé  ses 
I.  10 


170        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

fatales  inspirations  ;  de  là  cette  ivraie  qui  a  menacé 
un  instant  d'étouffer  le  bon  grain  de  nos  cœurs. 

Si  nous  devons  veiller  toujours  sur  notre  âme, 
ceux  qui  dirigent  la  société  civile  ou  la  société  do- 
mestique doivent  éviter  tout  sommeil  imprudent.  Il 
faut  qu'ils  aient  l'œil  toujours  ouvert  pour  que  l'en- 
nemi ne  puisse  accomplir  son  œuvre  de  corruption. 
D'où  vient  que  ces  enfants,  hier  encore  si  candides, 
sentent  monter  à  leur  front  une  rougeur  qui  n'est 
plus  celle  de  l'innocence?  D'où  vient  que  le  scan- 
dale est  arrivé  jusqu'à  eux?  D'où  vient  qu'ils  ont 
perdu  le  goût  de  la  piété  qui  leur  faisait  aimer  la 
prière  à  l'ombre  des  autels?  C'est  que  l'ennemi  des 
âmes  pures  a  semé  en  eux  une  ivraie  qui  a  jeté  déjà 
de  profondes  racines.  Le  père  de  famille  dormait; 
tous  ceux  qui  devaient,  comme  lui,  veiller  sur  ce 
champ  cultivé  avec  tant  de  soin,  dormaient  comme 
lui. 

Mais  le  démon,  pour  semer  l'ivraie,  c'est-à-dire 
pour  faire  son  œuvre  de  corruption,  n'agit  pas  seul; 
il  a  à  son  service  de  nombreux  agents.  Il  emploie  le 
monde  avec  ses  fausses  maximes  et  tout  ce  qu'il  a  de 
mauvais.  Il  commande  à  cet  homme  débauché,  à  ce 
jeune  libertin  dont  les  discours  licencieux  et  les  rail- 
leries impies  portent  partout  la  perversion  de  l'esprit 
et  la  corruption  du  cœur.  Il  fait  agir  cet  ami  déréglé, 
cette  compagne  vicieuse,  qui  entraînent  les  bons, 
malgré  eux,  au  fond  de  l'abîme.  Il  met  à  son  service 
la  plume  de  l'impie  qui  attaque  les  choses  les  plus 
saintes  et  sème  l'impiété  et  l'erreur  dans  la  ville  et 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        171 

la  campagne.  Il  commande  au  scandale  de  se  pro- 
mener ouvertement  et  de  tout  entraîner  dans  une 
ruine  universelle. 

Voilà  l'ennemi  qui  sème  l'ivraie  parmi  le  froment. 
Mais  pourquoi  Dieu  per.met-il  ce  mélange? 


II 


Les  serviteurs  du  père  de  famille,  surpris  de  voir 
la  quantité  d'ivraie  qui  avait  crû  dans  son  champ, 
lui  dirent  :  «  Maître,  voulez-vous  que  nous  allions 
arracher  le  mauvais  grain?  Vis,  irnus  et colligimus  ea?  » 
«  Non,  répondit  le  maître,  de  crainte  qu'en  arrachant 
l'ivraie  vous  n'arrachiez  aussi  le  bon  grain.  Laissez 
croître  l'un  et  l'autre  jusqu'à  la  moisson  :  Sinite 
utraque crescere  usque  admessem.  »  On  ne  distingue  pas 
'encore  assez  l'ivraie  du  froment,  puisque  quand  elle 
;est  en  herbe,  elle  a  avec  lui  de  nombreux  traits  de 
ressemblance.  Ainsi  en  est-il  souvent  des  hommes. 
11  n'est  pas  toujours  aisé  de  distinguer  les  bons  des 
méchants.  Combien  d'hypocrites  qui  se  déguisent 
sous  le  masque  de  la  piété  ! 

Vis,  irnus,  et  colligimus  ea?  Voilà  les  hommes; 
voilà  le  oésir  de  beaucoup  de  chrétiens  pusillanimes 
qui  voudraient  que  la  justice  de  Dieu  extirpât  de  la 
terre  tous  les  méchants.  Et,   dans  leur  zèle  impru- 


172        DOMINICALES  D  UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

dent  et  indiscret,  ils  se  scandalisent  de  ce  que  le 
Dieu  qui  poursuit  d'une  haine  implacable  le  péché, 
ferme  les  yeux  sur  les  iniquités  qui  se  commettent 
tous  les  jours  en  si  grand  nombre.  Pourquoi,  ô  mon 
Dieu,  s'écrient-ils,  pourquoi  laissez-vous  marcher 
tranquillement  les  hommes  dans  la  voie  large  de  la 
perdition?  Comment  tolérez-vous  les  impies  au  mi- 
lieu des  justes,  comme  l'ivraie  parmi  le  froment? 
L'orgueilleux  préfère  sa  gloire  à  la  vôtre;  l'avare 
aime  plus  son  or  que  vous;  le  libertin  se  glorifie  de 
son  crime  quand  il  devrait  en  rougir;  le  scandaleux 
ne  se  contente  pas  de  vous  faire  la  guerre,  mais  il 
entraîne  de  nombreuses  victimes  avec  lui  dans  la 
ruine.  Juste  juge,  vous  voyez  tout  cela,  vous  êtes 
témoin  de  toutes  ces  abominations,  et  vous  paraissez 
insensible  à  tant  de  crimes  !  Eh  quoi  !  vous  n'auriez 
qu'à  vouloir,  et  l'univers  combattrait  pour  vous 
contre  tous  les  insensés  ;  vous  n'auriez  qu'à  parler, 
et  le  ciel  lancerait  sa  foudre  sur  tous  ceux  qui  n'ont 
que  le  blasphème  à  la  bouche  et  la  haine  au  cœur; 
vous  n'auriez  qu'à  commander,  et  l'air  suffoquerait 
immédiatement  les  impies,  les  sacrilèges,  les  scan- 
daleux; vous  n'auriez  qu'à  donner  des  ordres,  et  la 
terre  engloutirait  dans  ses  abîmes  cet  impudique, 
qui  ne  rêve  que  plaisirs  honteux,  ce  rancuneux,  dont 
les  lèvres  sont  écumantes  de  rage,  ce  médisant,  ce 
calomniateur,  qui  sèment  partout  la  discorde  et  la 
haine.  Mais,  ô  Dieu  vengeur  du  crime  !  Non  seule- 
ment vous  ne  commandez  pas  l'extermination  du 
mal,  mais  encore  vous  semblez  indifférent  à  tant  de 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         173 

crimes  !  Que  dis-je  ?  vous  entourez  les  méchants  de 
mille  soins  ;  vous  commandez  au  soleil  de  les  éclai- 
rer, à  la  terre  de  les  nourrir,  aux  animaux  de  les 
servir,  à  tous  les  hommes  de  les  aimer;  bien  plus, 
vous  voulez  qu'ils  aient  part  aux  suffrages  de  l'Église, 
à  la  sollicitude  des  pasteurs  ;  vous  les  appelez  à  la 
conversion  par  le  remords,  par  les  bonnes  inspira- 
tions, par  les  bons  exemples!  Oh!  de  grâce,  laissez- 
nous  agir  et  nous  exterminerons  le  mal  :  Vis,  imus, 
et  colligimus  ea? 

Laissons  parler  saint  Augustin.  Il  nous  apprendra 
pourquoi  Dieu  suspend  l'arrêt  de  sa  colère.  S'il 
souffre  le  mélange  des  bons  avec  les  méchants,  c'est 
pour  convertir  les  uns  et  faire  obtenir  des  mérites 
aux  autres. 

1°  Pour  convertir  les  pécheurs.  La  longue  patience 
de  Dieu,  dit  saint  Paul,  invite  les  coupables  à  la  pé- 
nitence :  Benignitas  Dei  ad  pœnitentiam  te  adducit.  C'est 
pour  leur  pardonner,  dit  Isaïe,  qu'il  les  attend;  car, 
ajoute  Ézéchiel,  Dieu  ne  veut  pas  la  mort  du  pécheur, 
mais  sa  conversion  et  sa  vie  :  Nolo  mortem  impii,  sed 
ut  convertatur  impius  via  sua,  et  vivat. 

Lorsque  le  premier  homme  s'est  rendu  coupable, 
pourquoi  le  Très-Haut  ne  le  frappe-t-il  pas  immé- 
diatement? Pourquoi  daigne-t-il  le  chercher  et  lier 
conversation  avec  lui  ?  Adam,  ubi  es  ?  Adam,  où  êtes- 
vous  ?  Qu'avez-vous  fait?  A  quels  excès  vous  êtes- 
vous  livré?  Dans  quel  triste  état  vous  êtes-vous  pré- 
cipité? Ces  délais  et  cette  manière  d'agir  de  la  part 
de  Celui  qui  sonde  les  reins  et  les  cœurs,  avaient 

10. 


174  DOMINICALES  D*UN  CURE  DE  CAMPAGNE 
pour  but,  dit  saint  Augustin,  de  donner  au  coupable 
le  temps  et  l'occasion  de  confesser  humblement  sa 
faute  et  d'en  obtenir  le  pardon.  Si  Dieu  l'avait  puni 
immédiatement  après  son  péché,  que  serait-il  devenu 
et  quel  aurait  été  le  sort  de  ses  descendants?  Si  le 
bras  de  la  justice  divine  s'était  appesanti  sur  David 
aussitôt  après  son  péché,  aurait-il  été  un  modèle 
achevé  de  pénitence,  et  serait-il  au  ciel?  Si  Saul, 
persécuteur,  avait  été  écrasé  par  la  foudre  du  ciel 
après  son  premier  crime,  serait-il  devenu  un  vase 
d'élection,  un  grand  apôtre  et  un  intrépide  prédica- 
teur? Si  >aint  Augustin  avait  été  immolé  par  la  jus- 
tice divine  après  sa  première  faute,  serait-il  devenu 
un  grand  docteur  de  l'Église?  Et  si  la  justice  in- 
flexible du  Tout-Puissant  nous  avait  frappés  lorsque 
nous  étions  sous  le  joug  de  nos  premiers  péchés,  où 
serions-nous  maintenant?  D'un  autre  côté,  les  exem- 
ples de  vertu  que  donnent  les  bons  disent  éloquem- 
ment  aux  pécheurs  que,  s'ils  le  veulent,  la  pratique 
du  bien  est  possible. 

2*  Par  rapport  aux  justes,  le  mélange  des  pécheurs 
sert  à  leur  sanctification.  C'est  dans  les  persécutions 
que  la  vertu  s'épure  ;  c'est  dans  les  tentations  qu'elle 
se  fortifie;  elle  a  besoin  pour  se  soutenir  d'être 
exercée  :  Virtus  agitaia  crescit...  in  infirmitate  perfi- 
citur.  L'épreuve  est  donc  utile  aux  bons.  Les  persé- 
cutions de  tout  genre  que  les  pécheurs  leur  font 
subir  les  obligent  à  se  défier  d'eux-mêmes  et  à  veiller 
sans  cesse  sur  leur  cœur.  Elles  leur  font  pratiquer 
la  patience  et  exercer  la  charité  :  témoins,  Job  ty- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         175 

rannisé  par  sa  femme  ;  sainte  Monique  martyrisée 
par  les  débauches  de  son  époux  et  les  égarements  de 
son  fils;  sainte  Glotilde  brutalisée  par  la  dureté  de 
son  époux.  Tous  ces  mauvais  traitements  leur  font 
acquérir  toutes  sortes  de  mérites  et  les  conduisent 
au  ciel.  Où  seraient  les  martyrs  sans  les  bourreaux? 
Où  serait  le  triomphe  sans  les  combats?  Il  est  donc 
vrai  que  Dieu  a  des  raisons  pour  tolérer  le  mélange 
des  bons  avec  les  méchants. 


III 


Quelle  conduite  devons-nous  tenir  à  l'égard  des 
hommes  pervers?  La  tolérance  dont  Dieu  use  à  let,r 
égard  nous  oblige  à  les  supporter  nous-mêmes,  à  les 
traiter  avec  douceur  et  indulgence.  Et  de  quel  droit 
croiiiez-vous  pouvoir  rejeter  ceux  que  Dieu  supporte? 
Peut-être  ce  pécheur,  cet  ami,  ce  compagnon,  dont 
la  conduite  vous  indigne,  sont-ils  appelés  à  devenir 
des  vases  d'élection  ;  peut-être  sont-ils  appelés  à  une 
plus  haute  sainteté  que  vous,  dont  la  sévérité  veut 
les  frapper  d'anathèmes  !  Et  ce  zèle  âpre  et  dur  que 
vous  voulez  déployer  contre  les  méchants,  est-il 
excité  en  vous  par  la  charité?  N'est-il  pas  plutôt  le 
produit  de  l'orgueil,  de  Tégoïsme,  de  la  jalousie  ou 
de  la  haine?  Hélas!  quand  on  a  soi-même  besoin 
d'indulgence,  on  a  mauvaise  grâce  de  se  montrer 
«ans  miséricorde  pour  les  autres. 


176        DOMINICALES  D'CJN   CURE  DE   CAMPAGNE 

Un  second  devoir  envers  les  pécheurs,  c'est  de  tra- 
vailler autant  qu'il  est  en  nous  à  leur  conversion.  Il 
y  a  deux  moyens  pour  atteindre  ce  but  si  désirable. 
C'est  d'abord  notre  exemple.  Ce  moyen  est  le  pre- 
mier de  tous,  le  plus  efficace,  le  plus  exempt  d'in- 
convénients. Donnons  aux  pécheurs  une  salutaire 
horreur  pour  le  vice  par  le  spectacle  de  nos  vertus. 
Faisons  en  sorte  qu'en  voyant  ce  que  nous  sommes, 
ils  apprennent  à  rougir  de  ce  qu'ils  sont. 

Le  second  moyen  de  convertir  les  méchants,  c'est 
la  prière.  Les  prières  des  justes  attirent  sur  ceux  qui 
ne  le  sont  pas  la  grâce  de  la  conversion.  Ce  fut  aux 
vœux  de  saint  Etienne  que  Saul  se  convertit  ;  ce  fut 
aux  supplications  de»sainte  Monique  qu'Augustin 
dut  son  retour  à  la  vertu.  Dieu  ne  demande  qu'à  par- 
donner et  à  bénir,  mais  il  faut  que  sa  miséricorde 
soit  provoquée  par  la  prière  des  justes  ;  j'ai  cherché, 
dit-il  par  la  bouche  d'Ézéchiel,  j'ai  cherché  un 
homme  qui  se  mît  entre  ma  justice  et  le  pécheur, 
pour  arrêter  mon  bras,  et  je  ne  l'ai  pas  trouvé  :  Et 
quœsivi  de  eis  virum,  qui  interponeret  spem,  et  staret 
oppositus  contra  mepro  terra,  ne  dissiparem  eam,  et  non 
inveni.  Faites-vous  donc  un  devoir  de  vous  interposer 
entre  Dieu  et  tant  de  pécheurs  qui  courent  en  aveu- 
gles vers  l'abîme.  Ce  devoir  doit  être  doux  à  remplir 
quand  il  s'agit  d'obtenir  la  conversion  d'un  ami» 
d'un  proche,  le  salut  d'un  père,  d'une  mère.  Pour- 
quoi refusez-vous  de  vous  procurer  une  jouissance, 
si  digne  d'»r  cœur  chrétien? 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES 


IV 


Comment  finira  ce  mélange  ?  Par  le  châtiment  des 
méchants  et  la  récompense  des  bons.  Au  temps  de 
la  moisson,  le  père  de  famille  dira  à  ses  serviteurs: 
Arrachez  premièrement  ï  ivraie  et  liez-la  en  bottes  pour 
la  brûler.  Quelle  est  cette  moisson  ?  Elle  commence 
tous  les  jours  sous  nos  yeux.  Sans  cesse  quelqu'un 
tombe  devant  vous  ou  à  vos  côtés.  La  mort,  avec  sa 
faux  tranchante,  parcourt  les  rangs  et  frappe  indis- 
tinctement tous  les  élats  et  tous  les  âges.  Voilà  la 
moisson  particulière  qui  se  fait  tous  les  jours  ;  mais, 
outre  celle-là,  il  y  en  a  une  générale.  Quand  le 
nombre  des  siècles  sera  révolu,  quand  celui  des  élus 
sera  complet,  tout  rentrera  dans  l'ordre,  les 
méchants  seront  punis  et  les  justes  récompensés. 

Alors,  Dieu  commandera  à  ses  anges,  ministres 
et  exécuteurs  de  sa  justice,  de  séparer  l'ivraie  du  pur 
froment,  c'est-à-dire  les  mauvais  d'avec  les  bons  : 
Exibunt  angeli  et  separabunt.  Aussitôt,  ils  exécuteront 
les  ordres  de  leur  Maître.  Ils  parcourront  tous  les 
rangs  ^distinctement,  et  selon  qu'ils  liront  sur  le 
front  de  chacun  :  innocence  ou  péché,  crime  ou 
vertu,  ils  les  feront  passer  à  droite  ou  à  gauche,  à 
droite  les  bons,  à  gauche  les  méchants. 

Ramassez  d'abord   l'ivraie,   c'est-à-dire  les  pé- 


178        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

cheurs.  Tant  qu'ils  étaient  vivants,  ils  pouvaient 
profiter  de  ma  grâce  et  se  convertir;  mais  mainte- 
nant que  le  temps  de  la  miséricorde  est  passé  et 
qu'il  ne  reste  plus  que  le  règne  de  la  justice,  liez-les 
en  faisceaux  :  Alligate  ea  in  fasciculos.  Réunissez 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  ignoble,  de  plus  dégoûtant, 
de  plus  criminel  sur  la  terre  ;  prenez  les  voluptueux, 
les  voleurs,  les  meurtriers,  les  parjures,  les  sacri- 
s,  les  impies,  les  fourbes,  les  blasphémateurs  ; 
jetez-les  dans  la  fournaise  ardente  où  il  n'y  aura 
plus  que  pleurs  et  grincements  de  dents.  Voilà  la 
destinée  des  méchants  ;  elle  est  affreuse. 

Voici  celle  des  justes.  Dieu  commandera  à  ses 
anges  de  ramasser  le  froment  dans  son  grenier, 
c'est-à-dire  les  âmes  généreuses  dans  le  service  de 
Dieu,  fidèles  à  l'accomplissement  de  leurs  devoirs,  et 
ae  les  placer  dans  son  royaume  pour  y  bii  1er 
corane  le  soleil  dacs  son  plus  beau  jour.  Soyons  de 
ce  nombre.  Mais  pour  cela,  arrachons  dès  mainte- 
nant l'ivraie  de  notre  cœur,  faisons-y  germer,  croître 
et  mûrir  toutes  les  vertus,  et,  au  jour  de  la  moi-son, 
nous  serons  reçus  dans  les  greniers  du  Père  céleste. 
Amen, 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        179 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


CONDUITE   DE  JÉSUS-CHRIST   ET   DU   DÉMON    ENTER» 
LES   HOMMES 

L'Église  sera  jusqu'à  la  fin  des  temps  une  aire  où 
la  paille  sera  mêlée  au  bon  grain,  un  troupeau  com- 
posé de  brebis  fidèles  et  de  brebis  errantes,  un  festin 
où  seront  réunis  les  bons  et  les  méchants.  Ce  mé- 
lange dont  le  spectacle  nous  attriste,  est  nécessaire 
autant  pour  la  sanctification  des  uns  que  pour  la 
conversion  des  autres.  C'est  ce  que  nous  indique  le 
divin  Maître  dans  l'Evangile  de  ce  jour,  où  il  est  dit 
que,  quoique  le  père  de  famille  n'eût  semé  que  du 
bon  grain  dans  son  champ,  l'ivraie  ne  tarda  pas  à  se 
montrer.  Cette  parabole  nous  découvre  :  i°  la  con- 
duite de  Notre-Seigneur  envers  les  hommes  ;  2°  celle 
du  démon  ;  3»  celle  des  hommes  ;  4°  une  autre  con- 
duite de  Dieu  à  l'égard  des  hommes,  lorsqu'ils  n'ont 
pas  profité  de  sa  première  conduite. 


180        DOMINICALES  D  UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 


I.  —  Conduite  de  Notre- Seigneur  envers  les  homme». 

Qui  seminat  bonum  semen  est  filius  hominis.  Jésus- 
Christ,  en  venant  au  monde,  ne  s'est  pas  contenté 
de  naître,  ue  souffrir,  de  mourir;  il  a  semé  un  bon 
grain,  sa  divine  parole,  sa  doctrine,  son  Evangile, 
ses  vertus,  ses  exemples,  ses  grâces,  l'Eucharistie, 
dans  la  vue  de  les  faire  fructifier,  afin  de  nous  éloi- 
gner du  vice,  de  nous  porter  à  la  vertu  et  de  nous 
rendre  doux,  humbles,  chastes,  patients,  modérés, 
équitables,  sévères  envers  nous-mêmes,  zélés  pour  la 
gloire  de  Dieu,  exacts  à  rempiir  tous  nos  devoirs. 

Dans  quel  champ  le  Sauveur  a-t-il  jeté  cette 
semence?  Dans  le  monde  entier.  Il  a  commencé  lui- 
même  ce  travail  de  sanctification  ;  ii  a  chargé  les 
apôtres  et  les  prêtres,  leurs  successeurs,  de  le  conti- 
nuer dans  toutes  les  parties  du  monde  et  jusqu'à  la 
fin  des  temps...  Ce  champ  est  surtout  chaque  pays 
où  l'Eglise  catholique  est  souveraine  ;  c'est  cette 
paroisse  où  l'on  ne  cesse  de  vous  adresser  la  parole 
divine.  Oh  !  si  tous  les  hommes  mettaient  en  pratique 
cette  admirable  doctrine  ;  s'ils  étaient  assez  sages 
pour  en  faire  la  règle  de  leur  conduite,  on  ne  verrait 
parmi  eux  aucun  désordre,  aucune  injustice,  aucun 
scandale;  on  apercevrait,  au  contraire,  partout  le 
spectacle  ravissant  qu'offre  une  famille  où  règne  le 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        181 

bon  ordre,  l'union,  la  concorde,  rattachement 
mjtuel  des  membres  qui  la  composent,  et  la  terre 
serait  l'image  du  Ciel. 


II.  —  Conduite  du  démon, 


Cet  ennemi  implacable  de  notre  salut  s'occupe 
constamment  à  semer  partout  la  zizanie  :  Venit  ini- 
micus  et  sup  erse  min  avit  zizania.  Il  le  fait  par  lui- 
même,  puisque,  errant  sans  cesse  autour  de  nous, 
comme  un  lion  dévorant,  il  épie  le  moment  où  il 
pourra  nous  surprendre.  Il  le  fait  par  ceux  qui  sont 
les  instruments  de  sa  malice.  C'est  tantôt  le  monde 
qui  n'enseigne  que  des  maximes  erronées,  qui  ne 
suit  que  des  usages  et  ne  donne  que  des  exemples 
propres  à  dégoûter  de  la  vertu  et  à  inspirer  l'amour 
du  vice.  G'est  tantôt  cet  homme  débauché,  ce  jeune 
libertin,  dont  les  discours  licencieux  et  les  railleries 
impies  ne  peuvent  produire  d'autre  effet  que  de  per- 
vertir l'esprit  et  de  gâter  le  cœur  de  ceux  qui  les 
écoutent.  D'autres  fois,  c'est  un  ami,  un  compagnon 
pervers  qui  entraînent  dans  leurs  désordres  tous 
ceux  qui  les  fréquentent. 

Mais  les  ennemis  qui,  en  nos  temps,  portent  le 
plus   grand    ravage   dans    le    champ   du    père   de 
famille,  ce  sont  les  romans,  les  mauvais  livres,  les 
i.  il 


182        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

feuilletons  immoraux,  les  journaux  impies,  qui  pro- 
mènent ouvertement  le  scandale  et  pervertissent  les 
âmes.  C'est  la  concupiscence  qui  est  en  nous  et 
nous  entraîne  sans  cesse  au  mal. 

Que  devons-nous  faire  en  présence  de  tant  d'enne- 
mis qui  veulent  nous  perdre?  Nous  devons  nous  en 
défler  et  éviter  les  pièges  qui  nous  sont  tendus. 
Quelles  précautions  prendriez-vous  si  vous  étiez 
as-urés  qu'un  de  vos  ennemis  veut  mettre  le  feu  à 
votre  maison  ou  ravager  vos  champs?  Vous  veilleriez 
constamment.  Faites  de  même  pour  votre  âme,  et 
Fenne mi  ne  jettera  point  de  mauvais  germes  dans 
votre  cœur. 


III,  —  Conduite  déplorable  des  hommes» 


Ils  s'endorment  du  sommeil  de  la  paresse,  de  la 
négligence  et  de  l'insensibilité.  Ils  ne  veillent  pas,  et 
ils  ne  comptent  pour  rien  les  tentations,  les  mau- 
vais exemples,  les  doutes,  les  propos  antireligieux, 
les  mauvaises  compagnies,  l'indifférence,  l'orgueil, 
l'amour-propre,  le  mensonge,  les  médisances.  Cepen- 
dant, est-il  une  parole  qui  soit  plus  souvent  sortie  de 
la  bouche  de  Notre-Seigneur  que  celle-ci  :  Vigilatet 
veillez?  Il  a  dit  à  tout  le  monde  sans  exception: 
Vigilate. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         183 

Si  le  père  de  famille,  dit-il,  savait  l'heure  où  les 
voleurs  doivent  venir,  il  ne  s'endormirait  pas,  mais 
il  veillerait  pour  les  empêcher  de  pénétrer  dans  sa 
maisoD.  La  maison  que  nous  avons  à  garder,  c'est 
notre  âme  ;  les  voleurs,  ce  sont  le  démon,  le  monde 
et  nos  passions  :  et  comme  ces  voleurs  sont  toujours 
à  la  porte,  pour  semer  la  zizanie,  nous  devons  tou- 
jours veiller,  afin  qu'ils  ne  puissent  jamais  nous 
surprendre.  Or,  vous  veillerez  toujours  sur  vous- 
mêmes,  mes  frères,  si  vous  prenez  garde  à  toutes 
les  pensées  qui  se  présentent  à  votre  esprit,  à  tous 
les  sentiments  qui  s'élèvent  dans  votre  cœur,  à 
toutes  les  paroles  qui  sortent  de  votre  bouche,  à 
tous  les  discours  qui  frappent  vos  oreilles,  afin  que 
rien  ne  puisse  blesser  votre  conscience.  Vous  veille- 
rez sur  vous-mêmes,  si  dans  toutes  vos  actions, 
dans  toutes  vos  démarches,  vous  examinez,  devant 
Dieu,  quels  sont  vos  motifs  et  vos  intentions. 
JNT'est-ce  pas  l'orgueil  qui  me  fait  parler  ou  agir 
ainsi?  N'est-ce  pas  l'esprit  d'intérêt  ?  N'est-ce  pas  la 
colère  ou  la  mauvaise  humeur?  N'est-ce  pas  une 
inclination  charnelle,  une  passion  impure?  Oh  l 
chrétiens,  prenez  bien  garde  qu'aucun  de  ces  ser- 
pents ne  siffle  à  vos  oreilles,  ne  fasse  mouvoir  votre 
langue,  ne  fasse  agir  vos  mains  et  ne  conduise 
vos  pas. 

Imitez  un  homme  sage,  obligé  de  marcher  dans 
un  sentier  étroit,  glissant  et  bordé  de  précipices.  Il 
marche  avec  précaution,  il  prend  garde  où  il  pose 
ses  pieds  et  il  fait  attention  à  tous  ses  pas.  Faites  de 


184        DOMINICALES   D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

même.  «  Prenez  garde,  dit  saint  Paul:  Videte;»  oui, 
prenez  garde  à  la  manière  dont  vous  marchez  dans 
la  voie  du  salut.  Veillez  sur  vos  yeux,  sur  vos  oreilles, 
sur  votre  langue,  de  peur  qu'il  ne  vous  arrive  de 
regarder,  d'écouter  ou  de  dire  quelque  chose  qui 
souillera  votre  âme,  et  conduisez-vous  en  tout  avec 
la  plus  grande  réserve  :  Videte  quomodo  cautè  ambu- 
letis.  Si  vous  cessez  un  seul  instant  de  prendre 
garde,  le  démon  profitera  de  votre  négligence  pour 
vous  perdre. 


IV.  —  Autre  conduite  de  Dieu  envers  les  hommes,  lo?'s- 
quHls  n'ont  pas  profité  de  sa  première  conduite. 


Dieu,  voyant  que  nous  ne  voulons  pas  de  sa  pre- 
mière conduite  toute  bienfaisante,  pour  nous  con- 
vertir, nous  laissera,  infortunés  criminels,  croître  en 
malice  :  Sinite  crescere.  A  la  mort,  il  fera  de  nous  des 
victimes  de  ses  vengeances,  n'ayant  pas  pu  en  faire 
des  héritiers  de  son  royaume.  Il  enverra  ses  anges 
qui  enlèveront  de  son  royaume  tous  les  scandales  et 
ceux  qui  commettent  l'iniquité,  et  ils  les  jetteront 
dans  la  fournaise  ardente  ;  là,  il  y  aura  des  pleurs  et 
des  grincements  de  dents. 

Voilà  la  destinée  des  méchants.  Ne  sera-t-elle  pas 
la  nôtre? 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         185 

Combien  celle  des  justes  est  digne  d'envie  !  Alors, 
dit  Jésus-Christ,  les  justes  grilleront  comme  le  soleil, 
dans  le  royaume  de  leur  père  ;  et  il  ajoute  :  Que  celui-là 
entende  qui  a  des  oreilles  pour  entendre. 

0  mon  Dieu,  qui  pourrait  n'être  pas  réveillé  de 
son  assoupissement  en  méditant  ces  grandes  vérités  ! 
Que  l'impie  et  le  libertin  se  bouchent  les  oreilles 
pour  ne  pas  entendre,  c'est  une  folie  et  un  malheur  ! 
Pour  moi,  ô  mon  Dieu!  je  vous  demande  un  cœur 
docile  pour  profiter  d'une  leçon  si  importante. 
Détachez-moi  de  tout  ce  qui  passe,  afin  que  je  com- 
prenne et  que  je  goûte  ce  qui  est  éternel.  Ah  I  Sei- 
gneur, faites  que  votre  justice  m'effraye,  que  votre 
bonté  me  rassure,  que  votre  loi  me  serve  de  règle, 
afin  que,  marchant  ici-bas  dans  la  lumière,  je  par- 
Tienne  un  jour  à  votre  gloire.  Amen, 


18Ô        DOMINICALES   D  UN  CURE   DE   CAMPAGNE 


VIe  DIMANCHE  APRÈS  L'EPIPHANIE 

ÉVANGILB 

En  ce  temps-là,  Jésus  proposa  une  parabole,  di- 
sant :  «  Le  royaume  du  Ciel  est  semblable  à  un  grain 
de  sénevé,  qu'un  bomme  prit  et  sema  dans  son 
cbamp.  C'est,  à  la  vérité,  le  plus  petit  de  tous  les 
grains,  mais  lorsqu'il  a  crû,  il  est  plus  grand  que 
toutes  les  plantes,  et  il  devient  un  arbre;  de  sorte 
que  les  oiseaux  du  ciel  viennent  babiter  dans  ses  ra- 
meaux. » 

il  leur  dit  encore,  cette  autre  parabole  :  a  Le 
royaume  du  Ciel  est  semblable  au  levain  qu'une 
femme  prend  et  mêle  dans  trois  mesures  de  farine, 
jusqu'à  ce  que  tout  ait  fermenté.  »  Jésus  dit  toutes 
ces  cboses  en  paraboles  à  la  multitude  et  il  ne  lui 
parlait  point  sans  paraboles  ;  afin  que  s'accomplît  la 
parole  du  prophète,  disant  :  «  J'ouvrirai  ma  bouche 
en  paraboles  et  je  révélerai  des  choses  cachées  de- 
puis la  fondation  du  monde.  » 

HOMÉLIE 

Le  semeur  dont  parle  l'Évangile  de  ce  jour  c'est 
Jésus-Christ.  Et  le   grain  de  sénevé  si  petit,   que 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES        187 

l'Homme-Dieu  confie  à  la  terre,  c'est  l'Église  si  faible 
dans  ses  commencements  par  le  nombre  et  la  qua- 
lité des  personnes  qui  la  composent.  Elle  ne  compte 
que  quelques  adeptes  relégués  au  fond  du  Cénacle. 
Ce  sont  douze  bateliers  et  quelques  disciples  débiles, 
irrésolus,  timides,  sans  naissance,  sans  fortune, 
sans  science  et  sans  armes.  Ce  sont  quelques  hommes 
envoyés  au  sein  d'une  nation  païenne  et  puissante 
par  le  nombre  et  par  la  force  dont  elle  peut  disposer. 
C'est  au  milieu  d'elle,  que  les  disciples  d'un  Dieu 
crucifié  sont  jetés  comme  des  agneaux  au  milieu  des 
loups.  Ils  ont  reçu  la  mission  de  détruire  le  paga- 
nisme qui  couvrait  la  terre  de  ses  temples  et  de  ses 
autels  ;  et  de  substituer  à  une  religion  qui  favorisait 
toutes  les  passions  ,  une  religion  sévère  qui  con- 
damne tous  les  vices  et  prescrit  toutes  les  vertus.  Il 
s'agissait  de  montrer  à  l'univers  entier,  ignominieu- 
sement courbé  aux  pieds  de  vaines  idoles,  que  la  re- 
ligion qu'il  professait  était  absurde.  Quelle  entre- 
prise gigantesque  1 1! 

Le  paganisme  qui  puisait  sa  force  invincible  dans 
la  perversité  des  passions  humaines,  était  maintenu 
par  la  bonne  foi  des  peuples  idolâtres.  Il  était  fortifié 
par  l'autorité  et  les  exemples  des  grands  :  les  plus 
grands  rois,  les  plus  illustres  capitaines,  les  plus  sages 
politiques,  les  plus  célèbres  philosophes  adoraient  les 
dieux  de  leurs  pays,  avec  la  môme  simplicité  que  le 
peuple  le  plus  grossier  et  le  plus  stupide.  Il  est  vrai 
que  la  persuasion  où  étaient  les  païens,  touchant 
l'existence  de  leurs  faux  dieux,  était  le  fruit  du  pré- 


188        DOMINICALES   D'UN   CURE    DE   CAMPAGNE 

jugé  et  non  de  la  raison;  mais  cette  persuasion  n'en 
était  pas  pour  cela  plus  facile  à  détruire,   parce  que 
le  préjugé  qui  en  était  la  source,  était,  chez  tous  les 
peuples,  un  préjugé  national,  et  que  partout  les  pré- 
jugés  nationaux  sont  pour   ainsi   dire  invincibles, 
surtout  quand  ils  favorisent  les  passions  humaines. 
D'ailleurs  encore,  l'idolâtrie  était  chez  chaque  peuple 
la  religion  de  l'Etat,  et  tenait  étroitement  à  ses  lois 
et  à  sa  constitution  :  or,  la  nouvelle  religion  était  si 
opposée  à  l'ancienne,  qu'elle  ne  pouvait  s'élever  que 
sur  ses  ruines;  en  sorte  que  les  empereurs,  les  ma- 
gistrats et  le  peuple,  devaient  craindre  de  voir  s'é- 
iever  contre  l'État  des  troubles  et  des  orages  capa- 
bles de  le  renverser.  Et  certes,  cette  considération 
suffisait  bien,  ce  semble,  pour  porter  les  princes  et 
les  magistrats  à  employer  la  force,  le  zèle  et  toutes 
les  ressources   du  talent  au  maintien  de  l'idolâtrie 
parmi  les  peuples  de  leurs  temps.   Aussi  n'ont-ils 
pas  manqué  de  le  faire  :  durant  trois  cents  ans,  la 
persécution  s'opposa  à  l'établissement  de  la  religion 
chré  ienne.   Tel  était,  mes  frères,   l'état  du  monde 
entier  qu'il  fallait  changer  complètement.  Tel  était 
ce  champ  inculte  et  désert,   rempli  de  ronces  et  de 
cailloux  où  il  fallait  semer  le  grain  évangélique. 

J'ai  dit  le  grain  évangélique.  Ahl  mes  frères,  qu'il 
aura  de  peine  à  pousser,  ce  grain,  dans  une  terre  si 
mal  préparée!  Qu'il  est  petit  !  mais  qu'il  est  fort!  Il 
est  petit,  c'est  la  loi  d'un  Dieu  crucifié  que  l'on  prê- 
che, et  on  la  prêche  à  des  gens  qui  ne  connaissent 
d'autre  grandeur  que  celle  que  donnent  les  dignités 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES        189 

ou  les  richesses.  Il  est  fort  cependant  dans  sa  peti- 
tesse :  il  subjugue  tout  l'homme,  son  esprit  et  son 
cœur.  Son  esprit,  on  le  soumet  aux  mystères  les  plus 
inexplicables  à  la  raison  :  le  mystère  d'un  seul  Dieu 
créateur,  et  dans  ce  Dieu  unique,  trois  personnes 
qui  participent  à  la  divinité  sans  la  diviser  et  sans 
la  multiplier;  en  un  mot,  l'unité  de  nature  dans  la 
Trinité  des  personnes.  Avec  le  mystère  de  la  Trinité, 
le  mystère  plus  incompréhensible  encore  d'un  Dieu 
fait  homme  ;  à  ces  deux  grands  mystères,  joignez  le 
dogme  du  péché  originel  et  toutes  les  vérités  qui  s'y 
rattachent  :  le  genre  humain  tout  entier,  atteint  par 
la  faute  d'un  seul;  les  enfants  même  souillés  dès  le 
sein  de  leur  mère  ;  une  Vierge  qui  enfante  sans  cesser 
d'être  vierge;  un  Dieu  qui  meurt  sur  une  croix;  ce 
premier  sacrifice  renouvelé  de  siècle  en  siècle  sur 
nos  autels;  les  prêtres  revêtus  du  pouvoir  de  Remettre 
les  péchés  et,  ce  qui  est  plus  prodigieux  encore,  les 
prêtres  à  l'autel,  créateurs  en  quelque  sorte  de  Dieu 
lui-même,  distribuant  aux  fidèles  rangés  autour 
d'une  table  commune  le  Dieu  qui,  après  les  avoir 
rachetés,  les  nourrit  de  sa  substance.  Voilà  la  foi 
imposée  à  l'esprit  de  l'homme. 

Son  cœur,  on  l'oblige  à  se  haïr  :  quel  sacrifice! 
Quel  effort  surhumain!  Quoi  de  plus  naturel  que  de 
s'aimer!  Quoi  de  plus  pénible  que  de  se  faire  la 
guerre!  Son  corps  même,  son  corps  n'échappe  pas 
à  ce  glaive  spirituel  :  il  faut  le  dompter,  le  punir,  le 
mortifier,  fit  en  adorant  un  Dieu  crucifié,  il  faut  en- 
tièrement se  crucifier  soi-même.  Voici  le  code  démo- 
li. 


190        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

raie  de  la  nouvelle  religion  :  Bienheureux  ceux  qui 
souffrent....  Que  celui  qui  veut  être  à  moi  se  renonce 
lui-wî>me,  qu'il  porte  sa  croix  tous  les  jours  et  qu'il  me 
suive...  Aimez  vos  ennemis...  Faites  du  bien  à  ceux  qui 
vous  font  du  mal...  Ces  maximes,  ces  préceptes  étaient 
loin  d'être  attrayants.  Mais  ces  obstacles,  quelque 
grands  qu'ils  soient,  sont  peu  de  chose  en  compa- 
raison des  efforts  que  fait  le  monde  entier  pour  em- 
pêcher l'établissement  du  christianisme.  Qui  ne  sait 
que  l'enfer  déchaîné  soulève  contre  lui  toutes  les 
puissances  de  la  terre?  Qu'il  déploie  pour  l'étouffer 
toutes  les  ressources  du  génie,  de  la  science  et  de 
la  force?  Les  ouvriers  évangéliques  sont  arrêtés,  mis 
en  prison,  chargés  de  chaînes  et  condamnés  à  mort. 
L'ange  du  Seigneur  leur  rend  la  liberté.  Saint  Pierre 
continue  de  prêcher  et  en  un  seul  jour  il  convertit 
dans  la  ville  déicide  huit  mille  païens.  Les  Apôtres 
poursuivis  se  dbpersent;  c'est  pour  jeter  aux  quatre 
coins  de  l'univers  le  grain  de  sénevé  qui,  tout  à 
coup,  devient  un  arbre  majestueux  qui  a  étendu  ses 
branches  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre,  et  a  cou- 
vert le  monde  entier  de  son  ombre  bienfaisante  :  Fit 
arbor  magna.  «  Nous  ne  sommes  que  d'hier,  disait 
Tertullien  dès  le  second  siècle,  et  déjà  nous  remplis- 
sons les  villes,  les  bourgades,  les  camps,  le  sénat  et 
les  places  publiques.  » 

En  sorte  que  les  oiseaux  du  ciel  viennent  se  porcher 
sur  ses  branches.  Les  branches  de  cet  arbre  sont  la 
doctrine  évangélique  ,  la  loi  du  christianisme,  ses 
conseils,  ses  sacrements,  ses  sacrifices  et  ses  mys- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         191 

tères.  Les  oiseaux  qui  viennent  s'y  reposer,  sont  les 
peuples  chrétiens,  ce  sont  les  rois,  les  empereurs 
eux-mêmes  qui,  après  avoir  émoussé,  brisé  leurs  ha- 
ches,  leurs  glaives  et  tous  leurs  instruments  de 
mort  dans  le  dessein  d'étouffer  cette  modeste  plante 
dans  sa  racine,  sont  venus  se  réfugier  sous  cet  arbre 
divin.  En  déposant  leur  sceptre  et  leur  couronne  au 
pied  des  autels  du  christianisme,  ils  ont  trouvé  dans 
l'humilité  de  l'Évangile  une  gloire  plus  solide  que 
celle  qui  environnait  leur  trône.  Sous  cet  arbre,  les 
plus  sublimes  esprits  ont  abaissé  leur  esprit  et  leurs 
lumières,  et  ils  ont  trouvé  dans  la  soumission  de  la 
foi  des  vérités  plus  consolantes  que  celles  qui  fai- 
saient l'objet  de  leurs  vaines  recherches.  Sous  cette 
ombre,  les  plus  insignes  pécheurs  ont  immolé  leur 
cœur  et  leurs  passions,  et  ils  ont  trouvé  dans  les  ri- 
gueurs de  la  pénitence  des  délices  plus  pures  que 
celles  qu'ils  recherchaient  dans  les  voies  de  l'ini- 
quité. 

Et  vous,  mes  frères,  qui  connaissez  la  religion 
chrétienne  et  qui  lui  appartenez ,  conformez-vous 
votre  conduite  à  ses  enseignements?  Réglez-vous  vos 
mœurs  sur  ses  maximes  et  ses  préceptes?  Cependant 
elle  est  l'œuvre  de  Dieu.  Quand  elle  vous  parle,  c'est 
Dieu  qui  vous  parle  par  sa  bouche.  Suivez  donc  avec 
docilité  les  règles  de  conduite  qu'elle  vous  trace. 
Votre  soumission  vous  conduira  sûrement  au  port 
du  bonheur  éternel. 

Pour  nous  montrer  d'une  façon  plus  saisissante 


192        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

encore  les  fruits  de  sa  religion  sainte,  le  Sauveur 
nous  propose  une  seconde  parabole.  Étudions-la 
brièvement  : 

Le  royaume  des  deux,  nous  dit-il,  est  semblable  à  un 
levain  qu'une  femme  prend  et  met  dans  trois  mesures  de 
farine,  jusqu'à  ce  que  tout  soit  levé. 

La  femme  qui  prend  le  levain  qu'elle  met  dans 
trois  mesures  de  farine  et  qui  fait  fermenter  toute 
la  masse,   c'est  l'Église.  C'est  à  l'époux  qu'il  appar- 
tient d'aller  aux    champs   pour  y  répandre  la   se- 
mence; l'épouse,  au  contraire,  reste  dans  la  maison 
pour  y  pétrir  et  préparer  un  pain  délicieux,  digne 
d'être  placé  sur  la  table  du  père  de  famille.  De  même 
c'est  Jésus-Christ  qui  a  fondé  la  religion,  qui  l'a  éta- 
blie sur  la  terre;  mais  c'est  l'Église  ensuite  qui,  avec 
l'aide  de  son  divin  Epoux,  achève  ce  bel  ouvrage  et 
qui  fait  passer  dans  chacun  de  nous,  avec  le  présent 
inestimable  de  la  foi,    les  vertus    chrétiennes  qui 
nous  rendent  dignes  du  Ciel.  Son  enseignement  agit 
sur  l'humanité  avec  une  force  que  rien  ne  saurait 
arrêter.  Malgré  les  obstacles  qu'il  a  rencontrés  pour 
s'établir  dans  les  cœurs,  en  prescrivant  l'amour  de 
la  pauvreté,    de  la  souffrance,  de  l'abnégation,  la 
pratique  des  vertus  les  plus  difficiles  :  l'humilité,  la 
chasteté,  l'amour  des  ennemis,   le  pardon  des  in- 
jures, il  ne  parvient  pas  moins  à  son   but.  11  com- 
munique à  l'homme  une  force  secrète  qui  l'élève  au- 
dessus  des  faiblesses  de  la  nature.  Oui,  à  mesure 
que  le  christianisme  pénètre  dans  l'homme,  il  le 
change  tout  entier,  il  réforme  toutes  ses  puissances: 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         193 

son  esprit,  son  cœur,  son  corps  même,  et  le  rend  un 
objet  digne  du  respect  de  l'univers,  de  l'admiration 
des  anges  et  de  l'amour  de  Dieu.  Pour  vous  en  con- 
vaincre, jetez  un  regard  rapide  sur  ce  qu'était  le 
monde  avant  la  propagation  de  l'Évangile.  Hélas  ! 
ce  n'était  qu'un  amas  d'erreurs,  de  superstitions,  de 
crimes  et  de  désordres.  L'idolâtrie  y  avait  aveuglé 
tous  les  esprits,  et  les  passions  qu'elle  autorisait,  y 
avaient  corrompu  tous  les  cœurs.  L'on  y  adorait 
tout,  excepté  le  Dieu  véritable;  et  les  fausses  divi- 
nités à  qui  l'on  offrait  un  encens  sacrilège,  donnaient 
à  leurs  adorateurs  l'exemple  de  tous  les  vices.  Aussi 
la  vengeance,  la  cruauté,  l'ambition,  l'avarice,  l'im- 
pudicité  régnaient  en  tous  lieux  sans  le  moindre 
obstacle;  et  la  dépravation  était  si  générale,  que 
même  parmi  les  faux  sages  du  paganisme,  qui  fai- 
saient profession  de  vertu,  on  aurait  eu  peine  à 
trouver  un  homme  véritablement  vertueux. 

Mais  que  ce  monde  si  profondément  corrompu, 
offrit  un  spectacle  bien  différent,  lorsqu'il  eut  reçu 
les  salutaires  influences  de  la  religion  !  Alors  les  er- 
reurs se  dissipèrent,  les  superstitions  s'évanouirent, 
les  désordres  cessèrent,  et  les  vertus  les  plus  sublimes 
remplacèrent  les  vices  honteux  qui  déshonoraient 
l'humanité.  Alors  on  vit  briller,  parmi  les  gens  du 
monde  même,  l'humilité,  la  chasteté,  le  pardon  des 
injures,  le  renoncement  à  soi-même  et  l'amour  des 
souffrances  qui  étaient  entièrement  inconnus  parmi 
les  hommes.  Alors,  les  riches  se  firent  un  devoir  de 
partager  leurs  richesses  avec  les  pauvres,  les  heu- 


194        DOMINICALES    D'UN    CURE  DE   CAMPAGNE 

reux  du  siècle  mirent  leur  bonheur  à  soulager  les 
malheureux;  tous  les  fidèles  se  regardèrent,  s'aimè- 
rent comme  des  frères,  parmi  lesquels  il  n'y  avait 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme,' et  toute  la  chrétienté  fut 
comme  une  grande  et  nombreuse  famille,  dont  tous 
les  membres  étaient  tellement  unis  par  les  liens  de 
la  charité,  que  les  idolâtres  eux-mêmes  ne  pou- 
vaient les  voir,  sans  être  forcés  de  s'écrier  :  Voyez 
comme  ils  s'aiment  les  uns  les  autres.  Voilà,  mes 
frères,  l'admirable  changement  que  le  christianisme 
opéra  dans  le  monde.  Voilà  l'heureux  effet  qu'il  a 
produit  partout  où  il  s'est  établi.  Voilà  la  force  de 
ce  levain  auguste  et  salutaire  que  l'Église  a  insinué 
dans  les  âmes.  Tels  sont  les  effets  prodigieux  qu'il  a 
produits  chez  les  nations  les  plus  barbares  dont  elle 
a  fait  les  peuples  les  plus  humains  et  les  plus  doux. 

Mais,  chrétiens,  ce  levain  si  efficace,  qu'a-t-il  pro- 
duit jusqu'à  présent  dans  vous?  Depuis  le  temps 
que  vous  entendez  les  vérités  de  la  religion  sainte, 
qu'ont-elles  opéré  dans  votre  cœur,  dans  votre 
esprit,  dans  votre  âme? 

Hélas  !  bien  peu  de  choses.  Votre  esprit  est  tou- 
jours peut-être  livré  à  une  incrédulité  monstrueuse, 
et  votre  cœur  peut-être  livré  à  une  corruption  plus 
monstrueuse  encore.  Quoi  donc  !  cette  religion  qui 
a  fait  tant  de  vierges  chrétiennes  qui  ont  mené  une 
vie  angélique  dans  un  corps  humain,  ne  peut  nous 
rendre  chastes  nous-mêmes  !  Cette  Église  qui  a  en- 
fanté tant  de  martyrs  généreux,  qui  ont  répandu 
leur  sang  et  donné  leur  vie  pour  elle,  ne  peut  vous 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         195> 

élever  au-dessus  du  respect  humain,  d'une  crainte 
servile,  d'un  regard  insultant,  d'une  parole  de  mé- 
pris, d'une  raillerie  légère  !  Cette  parole  qui  a  pro- 
duit tant  d'apôtres  zélés  qui  ont  volé  jusqu'aux  extré- 
mités du  monde  pour  y  faire  connaître  Jésus-Christ, 
ne  peut  vous  déterminer  vous-mêmes  à  la  faire  con- 
naître au  moins  par  vos  discours,  par  vos  exemples, 
par  vos  soins,  dans  le  sein  de  votre  famille!  Cette 
foi  qui  a  porté  tant  de  confesseurs  illustres  à  endu- 
rer pour  elle  les  plus  grands  affronts,  les  plus  grands 
mépris,  les  plus  graves  injures,  ne  peut  vous  faire 
oublier  une  fatale  inimitié,  vous  faire  terminer  une 
querelle  injuste  !  Cet  amour  qui  a  enflammé  le  cœur 
de  tant  de  saints  pénitents,  qui  leur  a  fait  trouver 
douces  les  plus  cruelles  macérations,  les  plus  cruci- 
fiantes austérités,  ne  peut  vous  faire  renoncer  à  cette 
vie  molle  et  sensuelle  que  vous  menez  depuis  si 
longtemps!  Cette  grâce  qui  a  retiré  du  monde  tant 
de  saints  anachorètes,  et  qui  leur  a  fait  chercher 
dans  la  solitude  et  les  déserts  un  asile  à  leur  inno- 
cence, ne  peut  vous  guérir  de  cet  esprit  de  monda- 
nité qui  vous  a  séduits  et  qui  vous  perd  !  En  un  mot, 
ce  levain  qui  a  fait  tant  de  saints,  ne  peut  pas  vous 
sauver  vous-mêmes  I  Est-ce  donc  là  cette  même  reli- 
gion qui  a  produit  tous  ces  miracles?  D'où  vient 
qu'elle  est  si  stérile  dans  vous  ?  Serait-ce  parce 
qu'elle  ne  vous  fait  plus  entendre  ses  enseignements? 
Mais  la  parole  divine  ne  cesse  de  retentir  à  vos 
oreilles.  D'où  vient  qu'elle  est  si  peu  efûcace?  Vou- 
lez-vous en  savoir  la  raison,  mes  frères  ?  La  voici  ; 


196        DOMINICALES  D  UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

C'est  que  vous  conservez,  que  vous  nourrissez  que 
vous  fomentez  dans  votre  âme  un  levain  étranger 
qui  détruit  toute  la  force  de  celui  que  l'Église  vou- 
drait y  mettre;  c'est  que  vous  aimez  mieux  ce  levain 
de  malice  et  de  corruption,  que  celui  de  sainteté  et 
de  justice;  c'est  que  vous  êtes  pécheurs  et  que  vou* 
voulez  toujours  l'être.  Chassez  donc  ce  levain  ancien 
de  votre  esprit  et  de  votre  cœur;  mettez-y  le  levain 
de  l'Évangile  :  et  la  religion  vous  rendra  une  créa- 
ture nouvelle;  elle  vous  purifiera,  vous  sanctifiera, 
et  un  jour  enfin  vous  couronnera. 

Religion  sainte,  vous  avez  triomphé  de  tout  l'uni- 
vers; vous  avez  soumis  les  pays  les  plus  inconnus, 
les  nations  les  plus  éloignées,  les  peuples  les  plus 
barbares;  vous  avez  passé  les  mers,  traversé  les 
déserts,  franchi  les  montagnes;  en  un  mot  vous  avez 
parcouru  le  monde  entier.  iMais,  hélas  !  il  y  a  un 
lieu  tout  près  de  vous,  où  vous  n'avez  pas  encore 
pénétré;  et  ce  lieu,  c'est  mon  esprit,  c'est  mon 
cœur.  Entrez-y,  religion  sainte!  Vous  avez  chassé 
les  ténèbres  de  la  gentilité  ;  dissipez  aussi  celles  de 
mon  incrédulité.  Vous  avez  brisé  les  idoles  du  paga- 
nisme; détruisez  aussi  mes  passions,  ces  honteuses 
idoles  de  mon  cœur.  Enfin  vous  régnez  dans  l'uni 
vers;  régnez  aussi  dans  moi  et  faites-moi  à  jamais 
régner  avec  vous  dans  la  gloire.  Amen. 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         107 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

ÉTABLISSEMENT   DE    LA   RELIGION   CHRÉTIENNE 

Qu:est-ce  que  ce  grain  de  sénevé  dont  il  est  parlé 
dans  l'Évangile  de  ce  jour;  ce  grain,  la  plus  petite 
des  semences,  qui  devient  un  grand  arbre  et  dont 
les  branches  servent  d'asile  aux  oiseaux  du  ciel? 

Ce  grain  de  sénevé,  c'est  le  royaume  des  cieux  sur 
la  terre,  c'est  l'établissement  de  la  religion  chré- 
tienne qui  s'est  répandue  peu  à  peu  dans  le  monde, 
et  dont  les  progrès  successifs  ont  envahi  l'univers. 
Or  l'établissement  et  les  progrès  de  la  religion  chré- 
tienne en  présence  des  obstacles  sans  nombre  qu'elle 
rencontrait  et  les  faibles  moyens  employés  pour  les 
renverser  ne  purent  être  que  l'ouvrage  de  Dieu  :  Di- 
gitus  Dei  est  hic. 

Quand  on  examine  de  près  la  naissance  de  la  reli- 
gion chrétienne  et  que  l'on  fixe  un  moment  ses  re- 
gards attentifs  sur  cette  œuvre  merveilleuse,  on  ne 
peut  se  défendre  de  s'écrier  :  «  Ce  travail  est  l'œuvre 
du  Seigneur  :  A  Domino  factura  est  istud.  »  Lui  seul 
a  pu  concevoir  et  conduire  à  bonne  fin  une  entre- 
prise si  merveilleuse  aux  yeux  du  monde  entier  :  Et 


198        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

est  mirabile  in  oculis  nostris.  L'établissement  de  la 
religion  chrétienne  nous  présente  trois  circonstances 
qui  nous  forcent  de  conclure  à  sa  divinité  :  1°  projet 
le  plus  difficile;  2°  moyens  pour  y  réussir  les  plus 
impuissants;  3°  succès  le  plus  rapide  et  le  plus  in- 
croyable. 

(Voir   Le  Missionnaire  de  la  campaone,  tome  IIf 
page  83.) 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES 


DIMANCHE  DE  LA  SEPTUAGÉSIME 


ÉVANGILE 

Le  royaume  des  Cieux,  dit  Jésus-Christ  dans  l'é- 
vangile de  ce  jour,  est  semblable  à  un  père  de  fa- 
mille qui  sortit  dès  la  première  aube  du  jour,  afin  de 
louer  des  ouvriers  pour  sa  vigne.  Il  convint  avec  eux 
d'un  denier  par  jour,  et  il  les  envoya  à  sa  vigne. 
Étant  sorti  vers  la  troisième  heure,  il  en  vit  d'autres 
qui  se  tenaient  sur  la  place  sans  rien  faire,  et  il  leur 
dit  :  «  Allez,  vous  aussi,  à  ma  vigne,  et  ce  qui  sera 
juste,  je  vous  le  donnerai.  »  Ils  obéirent.  Iî  sortit 
encore  vers  la  sixième  et  vers  la  neuvième  heure,  et 
il  fit  la  même  chose.  Enfin  étant  sorti  vers  la  on- 
zième heure,  il  en  trouva  d'autres  encore  qui  étaient 
oisifs,  et  il  leur  dit  :  «  Pourquoi  restez-vous  là  tout  le 
jour,  sans  rien  faire  ?  —  Parce  que  personne  ne  nous 
a  loués,  répondirent-ils.  »  Le  chef  de  famille  reprit  : 
a  Allez  aussi,  vous  autres,  à  ma  vigne.  »  Le  soir 
venu,  le  maître  dit  à  son  régisseur  :  «  Appelez  les  ou- 
vriers, et  payez  leur  le  salaire,  en  commençant  par 
les  derniers  venus,  et  finissant  par  les  premiers.  » 


200   DOMïmCALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

Ceux  donc  qui  étaient  venus  vers  la  onzième  heure 
s'approchèrent,  et  chacun  d'eux  reçut  un  deDier. 
Les  prenrers  s'approchant  à  leur  tour,  s'attendaient 
à  recevoir  davantage,  mais  ils  ne  reçurent  aussi  cha- 
cun qu'un  denier.  Or,  en  le  recevant,  ils  murmu- 
raient contre  le  père  de  famille,  disant  :  «  Ces  der- 
niers n'ont  travaillé  qu'une  heure  ;  et  vous  les  égalez 
à  nous,  qui  avons  porté  le  poids  du  jour  et  de  la 
chaleur  !  »  Mais  s'adressant  à  l'un  d'eux,  il  lui  dit  :  . 
«  Mon  ami,  je  ne  vous  fait  point  d'injustice.  N'êtes- 
vous  point  convenu  avec  moi  d'un  denier?  Prenez 
ce  qui  vous  revient  et  allez-vous-en.  Il  me  plaît  de 
donner  à  ce  dernier  autant  qu'à  vous.  Est-ce  qu'il 
ne  m'est  pas  permis  de  faire  ce  que  je  veux  de  mon 
bien  ?  Votre  œil  doit-il  être  mauvais,  parce  que  je 
suis  bon?  »  C'est  ainsi  que  Jes  derniers  seront  les 
premiers,  et  les  premiers  seront  les  derniers;  car 
beaucoup  sont  appelés,  mais  peu  sont  élus. 

HOMÉLIE 

Quel  est  ce  père  de  famille  sorti  dès  l'aurore  pour 
chercher  des  ouvriers  et  les  envoyer  travailler  à  sa 
vigne?  C'est  Dieu,  le  Père  de  la  grande  famille  hu- 
maine, le  Maître  souverain  du  ciel  et  de  la  terre,  notre 
Créateur  et  notre  Sauveur.  Les  ouvriers  qu'il  veut 
louer  sont  tous  les  peuples,  tous  les  hommes  vivant 
ici-bas.  La  vigne  où  il  veut  les  envoyer,  c'est  notre 
âme  que  nous  devons  cultiver  pour  y  faire  germer  les 
vertus  chrétiennes.  Les  différentes  heures  où  il  nous 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        201 

appelle,  sont  les  différents  âges  de  la  vie  auxquels 
les  hommes  se  donnent  à  Dieu  en  cédant  à  l'action  de 
la  grâce.  La  journée  de  travail  c'est  toute  la  vie  pré- 
sente qui  n'est  qu'un  jour  très  court,  comparé  à  l'é- 
ternité. Enfin,  le  denier  qu'il  nous  promet,  c'est  la 
félicité  sans  bornes  et  sans  fin  dans  la  céleste  patrie. 

D'après  cette  explication,  il  est  aisé  do  voir  quel 
est  le  but  que  Jésus-Christ  s'est  proposé  en  nous 
mettant  cette  parabole  sous  les  yeux.  Il  a  voulu  nous 
apprendre  que  Dieu  exige  que  tous  les  hommes  le 
servent,  et  que  quel  que  soit  leur  âge,  ils  peuvent 
tous  le  servir.  Il  a  voulu  ensuite  nous  faire  com- 
prendre que  pour  le  servir  comme  il  le  désire,  nous 
devons  travailler  à  cultiver  notre  âme  et  à  la  uendre 
fertile  en  vertus  et  en  bonnes  œuvres. 

H  sortit  de  grand  matin,  a  fin  de  louer  des  ouvriers 
pour  travailler  à  sa  vigne.  Chaque  jour,  ce  père  com- 
mun de  tous  les  hommes  vient  continuellement  à 
nous  pour  nous  presser  de  travailler  à  notre  sancti- 
fication. Il  vient  nous  chercher  sur  la  place  pu- 
blique, c'est-à-dire  au  milieu  des  dissipations,  des 
agitations,  des  affaires,  des  plaisirs  du  monde. 
Quelque  part  que  nous  soyons,  il  nous  presse  par 
toutes  sortes  de  moyens  :  par  ses  ministres,  par  les 
exemples  de  vertu  dont  il  nous  rend  témoins,  par  les 
disgrâces  et  les  revers  dont  il  nous  afflige,  par  les 
secrets  mouvements  de  sa  grâce,  de  travailler  à  sa 
vigne,  c'est-à-dire  à  la  culture  de  notre  âme.  Si  on 
nous  représente  la  vigne  où  le  père  de  famille  envoie 
des  ouvriers,  comme  la  figure  de  notre  âme,  c'est 


202        DOMIMCALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

d'après  la  parole  de  Dieu  même.  En  effet,  partout, 
dans  les  -aintes  Écritures,  Dieu  revendique  notrr  âme 
comme  son  domaine:  «  Vinea  Domini exercituum  ffomus 
Israël  est  :  La  maison  d'Israël  est  la  vigne  du  Sei- 
gneur des  armées.  »  Et  cette  vigne  lui  appartient  :  Ite 
in  vineam  meam.  Il  l'a  plantée  de  ses  propres  mains. 
Non  content  d'avoir  créé  notre  âme  et  de  l'avoir 
enrichie  des  dons  les  plus  magniûques,  Dieu  l'a  con- 
quise sur  le  démon  en  la  rachetant  de  son  sang;  de 
telle  sorte  que  nous  lui  appartenons  par  le  triple 
droit  de  naissance,  de  conquête  et  d'amour.  Celte 
âme  ainsi  rachetée,  Dieu  la  remet  entre  nos  mains  ; 
c'est  un  dépôt  qu'il  nous  confie,  c'est  une  terre  qu'il 
nous  ordonne  de  cultiver  et  de  faire  fructifier  pour 
lui. 

Mais  en  quoi  consiste  cette  culture?  Elle  consiste 
à  ôter  les  pierres  et  les  mauvaises  herbes  qui  épuisent 
laterre,  en  d'autres  termes,  à  ôter  de  notre  âme  les 
péchés,  les  mauvaises  habitudes  :  l'orgueil,  l'avarice, 
l'amour  déréglé  des  plaisirs;  la  volupté,  l'intempé- 
rance; à  bêcher,  à  labourer  profondément  la  terre, 
afin  que  les  racines  puissent  la  percer  facilement  et 
que  les  pluies  du  ciel  puissent  la  pénétrer,  c'est-à- 
dire  à  secouer  fortement  notre  conscience  endurcie 
et  insensible,  afin  que  la  grâce  divine  puisse  pénétrer 
notre  cœur,  et  y  faire  sentir  sa  divine  influence;  à 
planter  ou  prodiguer  les  ceps  de  vigne,  c'est-à-dîre,  à 
planter  dans  notre  cœur  les  trois  vertus  théologales: 
la  Foi,  l'Espérance  et  la  Charité, .d'où  doivent  sortir 
les  autres  rejetons  des  vertus  chrétiennes;  à  effeuil- 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES         203 

1er,  ébourgeonner,  épamprer  les  ceps,  afin  que  les 
branches  inutiles  ne  détournent  pas  à  leur  profit  la 
sève  qui  doit  faire  croître  et  mûrir  le  raisin;  c'est-à- 
dire,  à  retrancher,  par  la  mortification  chrétienne, 
les  soucis  inutiles  et  exagérés  pour  la  vie  présente, 
afin  que  l'âme  puisse  employer  toute  son  application 
et  tous  ses  efforts  à  la  grande  et  importante  affaire  de 
son  salut;  à  attacher  le  cep  de  vigne  aux  échalas,  afin 
qu'il  ne  tombe  pas  à  terre,  ou  qu'il  ne  soit  pas  em- 
porté ou  brisé  par  le  vent;  c'est-à-dire,  à  attacher 
fermement  notre  âme,  par  le  lien  de  la  foi  et*  de  la 
confiance  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  à  la  co- 
lonne inébranlable  de  l'Église  catholique,  afin  qu'elle 
puisse  surmonter  les  orages  du  doute,  des  tentations 
et  des  persécutions;  à  entourer  la  vigne  d'une  haie 
forte  et  vive,  qui  puisse  la  défendre  contre  les  vio- 
lences et  les  irruptions  des  bêtes  sauvages  ;  c'est-à- 
dire,  de  veiller  sur  notre  âme  et  à  recourir  à  la 
prière  pour  la  défendre  contre  les  attaques  de  ses 
ennemis  acharnés  :  le  monde,  la  chair  et  Satan. 
Nous  pouvons  facilement  réussir  dans  ce  rude  et 
continuel  travail  avec  l'abondance  des  grâces  que 
Dieu  ne  cesse  de  faire  tomber  sur  cette  terre  Dénie. 
Tâchons  de  recevoir  dignement  les  sacrements  qui 
nous  les  méritent  et  adressons  à  Dieu  des  prières  fer- 
ventes qui  nous  les  obtiennent.  Fixons  aussi  le  Ciel 
qui  sera  la  récompense  de  nos  travaux  et  nous  nous 
sentirons  animés  à  travailler  généreusement  à  la  cul- 
ture de  notre  âme. 
Jésus-Christ  pour  nous  apprendre  que  nous  pou* 


204        DOMINICALES   D  UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

vons  y  travailler  à  tout  âge,  nous  y  appelle  à  tous  les 
temps  de  la  vie.  Il  nous  y  a  appelé  nous-mêmes  dès 
la  première  heure,  c'est-à-dire  dès  l'enfance.  Avons- 
nous  toujours  pris  soin  de  cette  âme  qui  a  été  com- 
mise à  nos  soins  ?  L'avons-nous  fait  croître  de  jour  en 
jour  en  ardeur  et  en  amour  pour  Dieu?  Nous  sommes- 
nous  appliqués  par  notre  obéissance,  notre  piété,  à 
faire  la  joie  et  le  bonheur  de  nos  parents,  l'édifica- 
tion de  la  paroisse  et  la  consolation  de  notre  pas- 
teur?Hélas!  combien  dont  la  légèreté,  la  dissipation  et 
peut-être  même  une  corruption  prématurée  affligent 
le  cœur  de  Dieu! 

Mais  le  père  de  famille  non  content  d'avoir  loué 
des  ouvriers  dès  la  pointe  du  jour,  sortit  sur  la  troi- 
sième heure;  et  en  ayant  vu  d'autres  qui  demeuraient 
oisifs  sur  la  place,  il  leur  dit  :  Allez  aussi  à  ma  vigne  et 
je  vous  donnerai  ce  qui  sera  raisonnable. 

Cette  troisième  heure  c'est  l'âge  de  l'adolescence, 
où  notre  raison  commençant  à  se  développer,  l'Église 
nous  admet  pour  la  première  fois  à  la  table  sainte... 
Que  ne  fit-elle  pas  alors  pour  chacun  de  nous  !  Rap- 
pelez-vous ces  soins  assidus  dont  vous  fûtes  en- 
tourés par  les  ministres  du  Seigneur  :  Que  d'ins- 
tructions, que  de  conseils,  que  de  leçons,  que  de 
confessions  !  Après  avoir  purifié  votre  âme  le  prêtre 
vous  a  admis  au  banquet  divin.  Yous  avez  renouvelé 
vous-mêmes  les  promesses  de  votre  baptême.  Y 
avez-vous  été  fidèles?  Où  sont  ceux  parmi  vous  qui 
peuvent  se  flatter  de  ne  les  avoir  jamais  violées? 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES        205 

Combien  qui  depuis  ont  vécu  dans  les  amusements^ 
a  dissipation  et  l'oisiveté! 

Le  père  de  famille  sortit  encore  sur  la  sixième  et 
sur  la  neuvième  heure  du  jour,  et  ayant  encore 
trouvé  des  oisifs  il  leur  commanda  d'aller  travailler 
à  la  vigne.  La  sixième  et  la  neuvième  heure  repré- 
sentent ces  époques  critiques  de  la  jeunesse  et  de 
l'âge  mûr  où  les  uns  emportés  par  le  délire  des  pas- 
sions et  les  autres  par  le  tourbillon  des  affaires  tem- 
porelles négligent  le  salut  de  leur  âme.  Chacun  d'eux 
ne  rêve  que  plaisirs,  divertissements,  richesses,  hon- 
neurs et  consument  ainsi  les  plus  belles  années  de 
leur  vie  sans  penser  aux  choses  sérieuses  qui  inté- 
ressent leur  âme.  Et  ainsi  ils  passent  leur  jeunesse 
et  l'âge  mûr  dans  l'oisiveté,  car  sans  parler  ici  de 
ceux  qui  vivent  dans  le  péché  mortel,  combien  n'en 
voyons-nous  pas  dont  la  vie  s'écoule  ou  à  ne  rien 
faire  de  bien,  ou  à  faire  tout  autre  ouvrage  que  celur 
qui  leur  est  commandé  !  Où  en  êtes-vous,  chrétiens 
qui  m'entendez,  de  la  sanctification  de  votre  âme  t 
A  quelle  heure  avez-vous  commencé  de  vous  en  oc- 
cuper sérieusement?  Quelle  heure  est-il  maintenant 
pour  vous?  Peut-être,  que  quoique  jeunes,  vous  êtes 
au  terme  de  votre  carrière.  Commencez  donc,  quel- 
que heure  qu'il  soit,  à  travailler  sérieusement  et  nô 
différez  pas  davantage.  Vous  n'avez  été,  hélas  I  que 
trop  oisifs. 

Enfin  le  père  de  famille  étant  sorti  à  la  onzième 
heure,  il  en  trouva  d'autres  qui  se  tenaient  debout, 
sans  rien  faire,  et  il  leur  dit  :  Pourquoi  demeurez* 
I.  12 


206        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

vous  là  tout  le  jour  sans  travailler?  Parce  que,  lui 
dirent-ils,  personne  ne  nous  a  loués.  Il  leur  dit  : 
Allez-vous-en  aussi  à  ma  vigne. 

Voilà,  mes  frères,  des  paroles  bien  capables  de 
consoler  les  pécheurs.  La  grande  miséricorde  du 
Seigneur  ouvre  les  bras  et  appelle  à  sa  vigne  ceux- 
mêmes  qui,  après  avoir  donné  leur  vie  aux  affaires 
du  siècle  et  aux  plaisirs  du  monde,  n'ont  plus  que 
quelques  jours  à  rester  sur  la  terre.  Ce  sont  ceux-là 
qu'elle  recherche  avec  le  plus  de  sollici'ude,  c'est  à 
eux  qu'elle  s'adresse  pour  leur  dire  :  Regardez  vos 
mains  !  qu'avez-vous  gagné  au  service  de  celui  que 
vous  m'avez  préféré?  Le  monde  vous  fit  autrefois  de 
brillantes  promesses  :  que  vous  a-t-il  donné  et  que 
vous  en  reste-t-il  à  cette  heure?  Ah!  venez  aussi  à 
ma  vigne;  mieux  vaut  tard  que  jamais,  vous  travail- 
lerez quelque  peu  et  vous  serez  récompensés  avec 
libéralité  :  Jte  et  vos  in  vineam  meam. 

Chrétiens  qui  jusqu'ici  auriez  négligé  votre  âme, 
pourriez-vous  ne  pas  entendre  et  accueillir  cet  appel 
bienveillant  de  votre  Dieu?  Hâtez-vous  de  consacrer 
à  son  service  le  dernier  souffle  de  vie  qui  vous  reste  ; 
ne  négligez  plus  un  seul  instant  de  réparer  le  temps 
perdu,  recourez  à  la  prière  avec  autant  d'assiduité 
que  vous  avez  autrefois  négligé  ce  saint  exercice  ; 
fréquentez  les  sacrements  avec  d'autant  plus  d'exac- 
titude et  de  piété  que  vous  les  avez  peu  et  mal  re- 
çus jusqu'ici  ;  expiez  votre  dissipation  parle  recueil- 
lement, vos  vains  discours  par  le  silence,  vos 
sensualités  par  vos  privations,  votre  avarice  par  vos 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        207 

aumônes;  en  un  mot,  qu'une  vie  sainte  et  fervente,, 
pleine  de  bonnes  œuvres  et  de  vertus  fasse  oublier 
au  Seigneur  votre  indifférence  et  vos  impiétés  pas- 
sées :  Ite  et  vos  in  vineam  meam.  Et  vous  ne  resterez 
pas  sans  récompense. 

Or,  le  soir  étant  venu,  le  maître  de  la  vigne  dit  à  son 
économe  :  Appelez  les  ouvriers  et  payez-les,  en  commen- 
çant par  les  derniers  jusqu'aux  premiers.  Ceux  donc  qui 
étaient  allés  au  travail  sur  la  onzième  heure,  s? étant  ap- 
prochés, reçurent  chacun  un  denier. 

Le  soir  dont  il  est  ici  question,  c'est  la  fin  de  la 
vie...  L'économe,  c'est  Jésus-Christ.  Quand  il  sera 
arrivé,  ce  soir  de  la  vie,  ce  moment  solennel  où  se 
termineront  nos  travaux  et  où  commencera  notre 
récompense,  nous  paraîtrons  devant  l'économe  du 
Père,  juge  des  vivants  et  des  morts.  Au  sortir  du  corps 
où  elle  Ait  si  longtemps  enfermée,  notre  âme  se  verra 
subitement  transportée  au  pied  du  tribunal  suprême, 
et  l'état  où  elle  se  trouvera  à  cet  instant  fixera  son 
sort  pour  l'éternité.  Elle  restera  éternellement  ou 
ornée  et  brillante  des  vertus  dont  nous  l'aurons  en- 
richie, ou  souillée  et  punie  pour  les  péchés  dont  nous 
l'aurons  infectée. 

Le  denier  remis  à  chaque  ouvrier  laborieux,  c'est 
la  vie  éternelle,  partage  de  tous  les  élus.  Et  si  vous 
vous  étonnez  que  les  ouvriers  de  la  dernière  heure 
reçoivent,  comme  ceux  qui  ont  soutenu  le  travail  de 
la  journée  entière,  ce  denier  de  la  béatitude  infinie, 
rappelons-nous  que  Dieu  distribue  ses  récompenses, 
non  pas  d'après  le  temps,  mais  d'après  la  ferveur  du 


208        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

travail.  Il  a  égard  à  la  qualité  et  non  à  la  quantité 
des  œuvres  ;  il  les  pèse,  il  ne  les  compte  pas.  Ils  sont 
heureux,  ceux  qui,  dès  leur  première  jeunesse,  por- 
tent le  joug  du  Seigneur,  et  ils  ont  de  grands  avan- 
tages ;  mais  enfin  la  durée  du  travail  peut  être  com- 
pensée par  l'ardeur,  par  l'énergie  et  la  force  de  la 
volonté.  Le  voyageur  qui  s'est  mis  trop  tard  en 
marche  peut,  en  précipitant  sa  course,  atteindre,  et 
même  dépasser  celui  qui,  parti  de  grand  matin,  a 
marché  plus  lentement.  Celui-là  a  toujours  suffisam- 
ment travaillé  à  la  vigne  du  Seigneur,  qui  a  bien 
travaillé.  Et  puis,  n'oubliez  pas  ce  mot  du  Sauveur  : 
Dans  la  maison  de  mon  père  il  y  a  plusieurs  demeures... 
Rappelons-nous  aussi  cette  parole  de  l'apôtre  :  De 

'  même  que  les  étoiles  différent  en  clarté,  il  en  sera  ainsi 
dans  la  résurrection  des  morts;  chacun  recevra  sa  ré- 
compense selon  son  travail.  Tous  reçoivent  la  même 

.  récompense,  mais  ils  ne  la  reçoivent  pas  tous  égale. 
Elle  est  la  même  dans  sa  nature  qui  est  le  ciel  et  la 
possession  de  Dieu  ;  mais  elle  n'est  pas  pour  cela  la 
même  dans  son  intensité.  Sa  mesure  dans  les  uns  et 
dans  les  autres  est  différente.  Ainsi  les  réprouvés 
subissent  dans  l'enfer  le  même  châtiment,  quoique 
leurs  peines  soient  toutes  proportionnées  à  leurs 
crimes.  Voilà  ce  qui  explique  cette  parole  du  père  de 
famille  :  Les  derniers  seront  les  premiers,  et  les  pre* 
miers  seront  les  derniers.  0  vous,  chrétiens  fortunés, 
qui  avez  été  attachés  au  service  du  Seigneur  dès 
enfance,  ne  vous  laissez  point  atteindre  par  ceux 
qui  ont  différé  leur  conversion  jusqu'à  un  âge  avancé, 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        209 

Efforcez-vous,  par  votre  ferveur,  d'occuper  constam- 
ment le  premier  rang.  Et  vous  qui  avez  longtemps 
négligé  d'aller  travailler  à  la  vigne  du  grand  Maître, 
ne  vous  découragez  pas,  vous  pouvez,  par  votre  fer- 
veur, atteindre  encore  ceux  qui  ont-commencé  avant 

TOUS. 

L'Évangile  nous  dit  que  les  premiers,  en  voyant 
qu'ils  ne  recevaient  qu'un  denier  comme  les  der- 
niers, se  mirent  à  murmurer,  en  disant  :  «  Ceux-ci 
n'ont  travaillé  qu'une  heure  et  vous  leur  donnez  au- 
tant qu'à  nous  qui  avons  supporté  le  poids  du  jour 
et  de  la  chaleur.  »  Déjà  dans  le  cœur  du  frère  de 
l'enfant  prodigue,  nous  avons  trouvé  quelque  chose 
de  ces  murmures  qui  se  reproduisent  dans  l'évangile 
de  ce  jour.  Ne  les  partageons  pas.  L'envie  détruit  la 
chanté  fraternelle  et  ne  peut  exister  avec  la  véritable 
sainteté.  Réjouissons-nous,  au  contraire,  de  ce  que 
Dieu  tend  la  main  aux  pauvres  pécheurs  et  parta- 
geons la  joie  des  anges,  plus  heureux  de  voir  revenir 
un  pécheur  pénitent  que  de  voir  quatre-vingt-dix- 
neuf  justes  qui  n'ont  pas  besoin  de  pénitence.  Le 
père  de  famille  ayant  entendu  le  murmure  de  ses 
ouvriers,  répondit  à  l'un  d'eux  :  «  Mon  ami,  je  ne 
vous  fais  point  de  tort  :  N'êtes- vous  pas  convenu  avec 
moi  d'un  denier  pour  votre  journée  ?  Prenez  ce  qui 
est  à  vous  et  allez-vous-en  :  je  veux  donner  à  ce  der- 
nier autant  qu'à  vous.  »  N'oublions  jamais  que  Dieu 
étant  le  maître  de  tous  les  biens,  il  peut  répandre 
ses  dons  et  ses  faveurs  quand  et  sur  qui  il  lui  plaît. 
Les  f/âces.  qu'il  accorde  à  nos  semblables  ne  dimi- 

12. 


210      ddiinicales  d'un  cure  de  campagne 

nuent  en  rien  celles  qu'il  nous  réserve  à  nous-mêmes. 
Nous  n'avons  donc  aucun  droit  à  nous  plaindre.  La 
seule  chose  que  nous  ayons  à  faire  c'est  de  faire  va- 
loir le  talent  qui  nous  a  été  confié. 

Notre  Évangile  se  termine  par  ces  terribles  paroles 
que  les  plus  grands  saints  n'ont  pu  entendre  sans 
être  saisis  de  crainte  :  Comparativement  au  nombre 
des  réprouvés,  le  nombre  des  élus  sera  bien  faible. 
Ce  n'est  point  le  petit  nombre  des  élus  qui  doit  plus 
nous  épouvanter,  c'est  notre  conduite  ;  car  pour 
être  élus,  il  faut  avoir  évité  le  mal  et  pratiqué  le 
bien  ;  en  d'autres  termes,  il  faut  avoir  soigneusement 
cultivé  la  vigne  du  Seigneur,  c'est-à-dire  notre  âme. 
Puisqu'il  en  est  ainsi,  jeunes  gens  que  Dieu  sollicite, 
levez  en  haut  vos  cœurs  ;  travaillez  au  salut  de  votre 
âme  :  Ite  et  vos  in  vineam  meam.  Chrétiens  mûris  par 
l'âge  etj'expérience,  comprenez  la  vanité  des  joies 
mondaines,  et  travaillez  à  gagner  les  biens  éternels  : 
Ite  et  vos  in  vineam  meam.  Et  vous  qui  touchez  aux 
années  de  la  vieillesse,  vous  que  Dieu  appelle  à  la 
dernière  heure  du  jour,  répondez  à  cette  invitation 
suprême,  expiez  vos  égarements  passés,  rendez-vous 
dignes  d'entendre  ces  paroles,  quand  vous  apparaî- 
trez devant  Dieu  pour  être  jugés.  Allez,  vous  aussi, 
dans  le  champ  du  père  de  famille;  entrez,  vous  aussi, 
dans  les  splendeurs  de  l'éternité  :  Ite  et  vos  in  vineam 
meam.  Ainsi-soit-il. 


HOMÉLIE   HT   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        *U 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


SUR   LE    TRAVAIL 


Quid   lac  statis  tota  die  oVosi?  {te 
et  vos  in  vineam  meam.  (Math.,  xx,  6.) 


Ce  reproche  que  le  père  de  famille  adresse  à  ceux 
qu'il  voit  inoccupés  sur  la  place  publique,  ne  pour- 
rions-nous pas  l'adresser  à  un  bon  nombre  de  chré- 
tiens indolents  et  paresseux  qui  passent  leur  vie  dans 
une  criminelle  oisiveté?  Un  grand  nombre  ne  fait 
rien,  et  les  autres  travaillent,  à  la  vérité,  mais  ils  font 
mal  ce  qu'ils  font.  En  agissant  ainsi,  ils  se  privent  les 
uns  et  les  autres  des  bénédictions  que  Dieu  répand 
sur  le  travail  accompli  dans  un  esprit  chrétien. 
Pour  obvier  à  ce  double  malheur,  disons  aux  pre- 
miers qu'il  y  a  pour  eux  obligation  de  travailler  et 
apprenons  aux  seconds,  les  moyens  à  prendre  pour 
sanctifier  ïe  travail. 

(Voir  Le  Missionnaire  de  la  campagne,  tome  III} 
page  153.) 


2i2        DOMINICALES   D'UN    CURE   DE   CAMPAGNE 


POUR  LE  MÊME   DIMANCHE 


LE    SALUT 


Quid    hi-    statis    tota    die     otiosi? 
(Math.,  xx,  6.) 


A  combien  de  chrétiens  ne  pourrait-on  pas  faire 
le  même  reproche  que  le  père  de  famille  fait  dans 
notre  Évangile  à  ces  ouvriers  qui,  à  l'égard  de  leur 
salut,  vivent  dans  une  funeste  oisiveté!  Ils  ne  sont 
point  inoccupés,  à  la  vérité,  pour  les  affaires  du 
monde,  au  contraire,  on  en  voit  travailler  sans  re- 
lâche du  matin  au  soir,  les  uns  pour  amasser  du 
bien,  les  autres  pour  s'élever  aux  honneurs  ou  se 
procurer  des  plaisirs,  mais  la  grande,  l'importante 
affaire  du  salut  a-t-elle  une  large  part  dans  leurs  oc« 
cupations?  Nullement;  ils  l'oublient  et  la  négligent 
comme  si  elle  était  de  nulle  conséquence,  ou  comme 
si  elle  ne  les  regardait  pas;  aussi  peut-on  leur  dire 
avec  le  père  de  famille  :  Quid  hic  statis  tota  die  otiosi? 

Mais  d'où  vient  cette  criminelle  oisiveté  d'un  grand 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        213 

nombre  de  chrétiens  à  l'égard  de  leur  salut?  Elle 
vient  de  ce  qu'ils  n'ont  jamais  réfléchi  sur  son  im- 
portance. Essayons  de  méditer  aujourd'hui  ce  grave 
sujet  et  de  leur  apprendre  ce  que  c'est  que  le  salut. 
Voici  les  trois  pensées  sur  lesquelles  j'appelle  votre 
bienveillante  attention  : 

Le  salut  est  ;.  1°  notre  affaire  ;  2°  notre  grande  af- 
faire; 3°  notre  unique  affaire.  (Voir  Le  Missionnaire 
de  la  campagne,  tome  Ier,  page  89.) 


214       DOMINICALES*  D'UN   CURE   DE  CAMPAGNE 


DIMANCHE  DE  LA  SEXAGÊSIMB 


Durant  les  trois  dernières  années  de  sa  vie  mor- 
telle, notre  divin  Sauveur  parcourait  les  villes  et  les 
campagnes  de  la  Galilée  et  de  la  Judée  pour  an- 
noncer les  grandes  vérités  du  salut.  Les  multitudes 
ravies  de  la  beauté  de  son  enseignement,  et  frappées 
par  l'éclat  des  nombreux  miracles  qu'il  opérait,  se 
pressaient  sur  ses  pas  partout  où  il  allait  pour  le  voir 
et  l'entendre.  Cependant,  la  parole  merveilleuse  qui 
sortait  de  sa  bouche  ne  subjuguait  pas  tous  les  cœurs, 
et  ne  faisait  pas  de  tous  ceux  qui  l'entendaient  des 
disciples  dévoués.  Plusieurs,  attirés  auprès  de  Jésus 
parla  curiosité,  le  quittaient  après  une  émotion  pas- 
sagère et  reprenaient  leurs  habitudes,  sans  accom- 
plir dans  leur  vie  religieuse  aucun  changement.  De' 
ce  nombre  étaient  surtout  les  Scribes  et  les  Phari- 
siens. Le  divin  Maître  qui  connaissait  les  dispositions 
diverses  de  cette  multitude  mobile  et  changeante, 
lui  expliqua  les  obstacles  que  sa  prédication  ren- 
contrait dans  les  cœurs  et  lui  apprit  les  dispositions 
qu'elle  devait  apporter  pour  l'entendre  avec  fruit; 


HOMELIES   ET- INSTRUCTIONS  PRATIQUES        215 

c'est  pour  cela  qu'il  lui  dit  cette  parabole  que  nous 
lisons  dans  l'Évangile  de  ce  jour  : 

«  Celui  qui  sème  s'en  alla  semer  son  grain.  Or, 
pendant  qu'il  le  jetait  dans  les  sillons  destinés  à  le 
recevoir,  une  partie  de  la  semence  tomba  le  long  du 
chemin  où  elle  fut  foulée  aux  pieds,  et  servit  de  pâ- 
ture aux  oiseaux  du  ciel.  Une  autre  partie  tomba  sur 
des  pierres  ;  mais  dès  qu'elle  eut  germé,  elle  se 
dessécha  parce  que  les  racines  ne  pouvaient  puiser 
dans  ce  terrain  pierreux  un  suc  assez  abondant.  Une 
autre  partie  tomba  au  milieu  des  épines,  elle  germa 
et  prit  quelque  développement;  mais  avant  d'arriver 
à  l'époque  de  la  floraison,  elle  fut  étouffée  par  les 
ronces  et  les  épines  qui  croissaient  avec  plus  de  vi- 
gueur. Enfin,  une  dernière  partie  tomba  sur  un  bon 
terrain;  là,  non  seulement  elle  germa,  *e  développa 
et  fleurit,  mais  elle  porta  du  fruit  et  donna  cent 
grains  pour  un  au  jour  de  la  moisson.  » 


HOMÉLIE 


Semen  est  verbum  Det. 
Luc,  vni,  l<y) 


Quel  est  cet  auguste  semeur  qui  nous  est  présenté 
dès  le  commencement  de  notre  parabole?  C'est 
Jésus-Christ  qui  est  sorti  du  sein  de  son  Père  pour 
répandre  partout  sa  divine  parole.  Sa  mission  est  de 


216        DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

prêcher  :  Evangelizare  pauperibus  misit  me.  Dieu,  dit 
l'Apôtre,  après  avoir  parlé  longtemps  aux  hommes 
par  la  bouche  de  ses  prophètes,  a  voulu,  dans  ces 
derniers  temps,  leur  parler  par  son  propre  Fils.  Ce 
divin  Maître  venant  au  monde  a  pratiqué,  durant  les 
trente  premières  années,  ce  qu'il  devait  enseigner 
aux  autres.  Ensuite  il  a  consacré  trois  ans  à  l'exer- 
cice de  son  ministère  :  il  a  parcouru  toute  la  Judée 
en  annonçant  partout  son  Évangile;  enfin,  arrivé  au 
terme  de  sa  course,  il  a  envoyé  ses  apôtres  et  leurs 
successeurs  pour  exercer  après  lui  le  même  minis- 
tère. «  Recevez  le  Saint-Esprit,  leur  dit-il,  je  vous  en- 
voie comme  mon  Père  m'a  envoyé.  Celui  qui  vous 
écoute,  m'écoute;  et  celui  qui  vous  méprise,  me 
méprise  :  allez,  enseignez  toutes  les  nations,  voilà 
que  je  suis  avec  vous  jusqu'à  la  consommation  des 
siècles  :  Ecce  ego  vobiscum  sum  omnibus  diebus,  usquè 
ad  consiimmationem  sœculi.  »  Or,  de  là  il  suit,  mes 
frères,  que  lorsque  nous  vous  annonçons  la  divine 
parole,  c'est  Jésus-Christ  qui  vous  prêche  par  notre 
bouche  :  Exiit.  La  terre  sur  laquelle  le  divin  Maître, 
et,  après  lui,  tous  les  ouvriers  évangéliques  répan- 
dent la  divine  parole,  ce  sont  les  âmes  dans  les- 
quelles elle  doit  fructifier  et  produire  des  vertus 
solides  et  nombreuses  :  Semen  est  verbum  Dei. 

Et,  tandis  qu'il  jette  la  semence,  une  partie 
tombe  le  long  du  chemin,  où  elle  est  foulée  aux  pieds 
et  mangée  par  les  oiseaux  du  ciel.  Quels  sont,  mes 
frères,  les  auditeurs  qui  ressemblent  à  un  chemin 
battu,  et  dans  le  cœur  desquels  la  semence  reste  à 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        217 

la  surface  sans  pouvoir  pénétrer  intérieurement  ?  Ce 
sont  le-  âmes  dissipées,  ouvertes  à  toutes  sortes  ae 
pensées,  toujours  frivoles  et  souvent  criminelles, 
qui  se  succèdent  sans  cesse.  Le  démon  entretient 
dans  ces  âmes  une  dissipation  continuelle,  pour  em- 
pêcher la  semence  divine  d'y  croître  et  d'y  fructifier. 
Cette  première  classe  d'auditeurs  bien  coupables  se 
compose  de  chrétiens  qui  assistent  aux  prédications 
avec  un  cœur  endurci  et  un  esprit  dissipé,  écoutent 
la  parole  de  Dieu  sans  attention,  se  laissant  aller  à 
toutes  les  distractions  possibles.  Le  corps  est  pré- 
sent, l'esprit  est  éloigné.  Pour  eux,  la  parole  sainte 
n'est  qu'un  son  qui  se  perd  dans  les  airs,  qui  frappe 
à  peine  leurs  oreilles.  De  tels  auditeurs,  au  sortir  de 
la  prédication,  seraient  en  peine  pour  dire  le  sujet 
qui  a  été  traité.  Ils  viennent  à  la  prédication  avec 
l'intention  perverse  de  critiquer  le  prédicateur  dont 
on  a  entendu  parler,  ou  pour  entendre  des  choses 
nouvelles.  Tout  ce  qu'ils  en  retiennent,  ce  sont  cer- 
taines expressions  peu  châtiées,  des  termes  un  peu 
durs,  des  fautes  contre  la  grammaire.  Non  seule- 
ment ils  ne  profitent  pas  de  ce  qu'ils  ont  entendu, 
mais  ils  sont  cause  que  les  autres  en  perdent  le  fruit. 
Ces  sortes  d'auditeurs  aiment  à  entendre  parler 
contre  les  défauts  d'autrui,  pourvu  qu'on  n'attaque 
pas  les  leurs.  Ils  sont  fort  aises  qu'on  leur  annonce 
des  vérités  consolantes,  capables  de  rassurer  les 
consciences  inquiètes;  mais  ils  se  récrient  si  on  les 
entretient  des  vérités  terribles  qui  éveillent  le  re- 
mords. Ils  disent  comme  les  Juifs  au  prophète  Is&Te  .♦, 
I.  13 


218        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

Die  nobis placentia ;  dites-nous  des  choses  agréables  t 
noue  ne  tenons  pas  à  entendre  le  prédicateur  le  plus 
solide,  le  plus  instructif,  le  plus  persuasif,  mais  îe 
plus  tolérant,  le  plus  discret,  le  plus  fleuri,  le  plus 
agréable  :  Die  nobis  placentia. 

Ils  saisissent  avec  avidité  tout  ce  qui  peut  servir  à 
la  critique  d'autrui.  Si  le  prédicateur  attaque  cer- 
tains vices,  certains  défauts  :  Voilà,  disent-ils,  qui 
regarde  un  tel  ou  une  telle  ;  si  ce  médisant,  si  ce 
blasphémateur,  si  cet  intempérant  ne  s'est  pas  re- 
connu dans  tel  tableau,  il  est  bien  aveugle;  mais  ils 
ne  prennent  jamais  pour  eux  les  vérités  qu'ils  en- 
tendent. Oh!  que  de  chrétiens  accueillent  ainsi  la 
parole  de  Dieu  !  Ne  serions-nous  point  de  ce  nombre? 

Une  autre  partie  du  grain  tomba  sur  un  terrain  //ter- 
reux, et  le  grain  sécha  dès  qu'il  fut  levé,  faute  d  humi- 
dité. Ce  terrain  pierreux  représente  ces  auditeurs  qui 
écoutent  volontiers  la  parole  de  Dieu,  la  reçoivent 
avec  joie  et  en  proclament  la  vérité.  Cette  précieuse 
semence  ne  reste  pas  chez  eux  à  la  surface,  elle  pé- 
nètre au  dedans,  elle  y  germe  même.  On  dirait,  à  les 
voir,  à  les  entendre,  qu  ils  l'ont  goûtée  profondé- 
ment, qu'ils  vont,  pour  tout  de  bon,  se  mettre  à 
l'œuvre  et  travailler  sérieusement  à  leur  salut.  Mais 
hélas!  ferveur  d'un  jour!  Attendez  demain;  vous  les 
trouverez  dans  leur  froideur  et  leur  négligence  ha- 
bituelles ;  tout  sera  oublié.  Hier,  en  entendant  prê- 
cher contre  la  volupté,  non  seulement  ils  détestaient 
ce  péché,  mais  ils  avaient  honte  d'en  être  coupables 
et  us  formaient  les  meilleures  résolutions;  mais  sui- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        219 

vez-les  et  dans  quelques  jours,  lorsque  la  passion  les 
poussera  de  nouveau  au  mal,  vous  les  verrez  céder 
de  nouveau  à  leurs  désirs  criminels.  Naguère  vous 
les  entendiez  désavouer,  condamner  leur  conduite 
passée,  bientôt  vous  les  verrez  retomber  dans  les 
péchés  qu'ils  pleuraient  et  rentrer  dans  les  sociétés 
qu'ils  avaient  promis  de  quitter.  Il  n'y  a  pas  de  fond 
chez  eux  :  Et  hi  radiées  non  habentj  leur  piété  est  vaine  : 
une  raillerie  les  renverse;  le  moindre  embarras,  la 
première  tentation  un  peu  violente  dissipent  toutes 
leurs  résolutions,  leur  font  lâchement  abandonner 
les  vérités  qu'ils  ont  admirées.   Ils  aiment  le  bien  et 
ne  le  font  pas;  ils  haïssent  le  mal  et  ne  le  quittent 
point.  Oh!  que  le  nombre  des  chrétiens  chez  qui  la 
semence  divine  reste  stérile  est  grand!  Parce  qu'ils 
forment  quelque  vague  projet  de  conversion;  parce 
qu'ils  éprouvent  certains  désirs  du  bien,  quelques 
sentiments  pieux,  quelques  mouvements  de  ferveur, 
ils  se  rassurent  et  se  croient  dans  la  bonne  voie,  ou 
en  état  d'y  rentrer  quand  ils  le  voudront.  Illusion 
déplorable!  Erreur  funeste,  qui  ne  servira  qu'aies 
endurcir  de  plus  en  plus  dans  le  mal  ! 

Une  autre  partie  tomba  dans  les  épines,  et  les  épines 
venant  à  croître  en  même  temps,  elles  t étouffèrent.  Cette 
troisième  partie  représente  ceux  qui  entendent  la 
parole  de  Dieu,  la  reçoivent  dans  leur  cœur  où  elle 
germe,  prend  des  racines,  se  développe  jusqu'au 
moment  de  porter  du  fruit;  mais  en  ce  moment  dé- 
cisif, des  épines  funestes,  des  attachements  dan- 
gereux,  des  préoccupations  trop   multipliées,  qui 


220        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

paraissent  peu  de  choses  dans  les  commencements 
et  dont  on  n'avait  pas  prévu  l'accroissement,  se  sont 
élevées  avec  elle,  et,  gagnant  successivement  et  par 
degrés  le  dessus,  l'ont  absolument  dominée  et  ont 
fini  par  l'étouffer  entièrement.  Examinons  quelles 
sont  ces  épines  qui  délient  la  moisson  du  Seigneur. 
Jé>us-Christ  nous  apprend  que  ce  sont  les  attaches 
aux  biens  de  ce  monde,  les  sollicitudes,  les  richesses 
et  les  plaisirs  de  la  vie.  Ces  objets  qui  ne  sont  point 
criminels  en  eux-mêmes  le  deviennent  par  l'abus 
que  nous  en  faisons  et  l'affection  que  nous  y  por- 
tons. Le  divin  Sauveur  compare  ces  divers  attache- 
ments aux  épines  parce  qu'ils  produisent  le  même 
effet.  S'ils  commencent  à  présenter  sur  notre  route 
quelques  fleurs  agréables,  bientôt  ils  l'embarrasse- 
ront :  ils  nous  font  ensuite  sentir  leurs  pointes  ai- 
guës, et  ils  finissent  par  nous  déchirer. 

Voyez  cet  homme  qui  a  reçu  avec  joie  et  docilité 
la  parole  divine,  qui  en  a  profité,  qui  cultive  avec 
soin  les  vertus  qu'elle  a  fait  germer  dans  son  cœur, 
mais  qui  nourrit  en  même  temps  l'amour  des  choses 
du  siècle,  des  richesses  et  des  plaisirs.  Il  n'y  a  rien 
jusque-là  de  coupable;  mais  peu  à  peu  cet  amour 
va  en  croissant;  à  mesure  qu'il  se  développe,  ses 
inclinations  religieuses  diminuent,  peu  à  peu  il  se 
néglige  et  finit  par  abandonner  les  pratiques  de  piété. 
Voilà  où  conduisent,  de  degrés  en  degrés,  les  attache- 
ments profanes,  quand  on  ne  les  déracine  pas  de 
bonne  heure. 

Voyez  ce  jeune  homme,   cette  jeune  personne 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        221 

pieux  et  modestes  qui  mettent  tout  leur  bonheur  à 
pratiquer  la  religion.  Ils  se  laissent  aller  à  fréquenter 
le  monde  qu'ils  méprisaient  tout  d'abord;  peu  à  peu 
l'amour  des  plaisirs  entre  dans  leur  cœur;  bientôt 
ils  n'ont  plus  que  du  dégoût  pour  la  prière  et  les 
sacrements,  et  ils  les  abandonnent.  Voilà  les  tristes 
décadences  où  conduisent  sans  s'en  douter  les  affec- 
tions mondaines. 

Une  autre  partie  tomba  sur  la  bonne  terre,  et  ayant 
levé,  porta  du  fruit  au  centuple.  Quels  sont  les  heu- 
reux auditeurs  dans  lesquels  la  divine  parole  produit 
des  fruits  abondants?  Ce  sont  ceux  qui,  en  premier 
lieu,  lui  donnent  entrée  dans  leur  cœur  et  l'écoutent 
avec  les  sentiments  qu'elle  demande  ;  qui,  en  second 
lieu,  après  l'avoir  reçue,  en  retiennent  précieuse- 
ment les  impressions  en  la  méditant;  qui,  en  troi- 
sième lieu,  la  cultivent  soigneusement  en  écartant 
les  obstacles  à  son  accroissement.  Que  faut-il  faire 
pour  cela?  Ce  que  l'on  fait  dans  un  champ  où  l'on 
veut  ramasser  une  récolte  abondante.  Si  on  y  trouve 
des  ronces  et  des  épines,  on  les  arrache;  si  on  y  ren- 
contre des  pierres,  on  les  en  ôte;  s'il  est  trop  sec, 
on  l'arrose  :  Faites  de  même  dans  le  champ  de  votre 
âme,  arrachez-en  les  ronces,  les  épines  et  les  pierres, 
qui  sont  vos  péchés,  vos  mauvaises  habitudes,  votre 
dissipation.  Arrosez-le  avec  les  eaux  vivifiantes 
de  la  grâce,  que  vous  obtiendront  vos  prières  bien 
faites. 

En  employant  ces  moyens,    cette  terre  fertile 
cette  terre  de  bénédiction  vous  donnera  des  fruits 


222        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

abondants,   dont  vous  jouirez  durant  la  bienheu- 
reuse éternité  que  je  vous  souhaite.  Amen. 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

Voir  deux  instructions  sur  la  parole  de  Dieu,  Mis- 
êtonnaire  de  la  Campagne,  tome  III,  pages  23  et  32. 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        223 


DIMANCHE  DE  LA  QUINQUAGÉSIME 


ABRÉGÉ    DE    L'ÉYANGILK 

Le  Sauveur,  en  allant  à  Jérusalem,  leur  prédit 
tout  ce  qu'il  devait  endurer  dans  cette  ville  sous  peu 
de  jours.  Mais  ils  ne  comprirent  rien  alors  à  ce  qu'il 
leur  disait.  Comme  il  approchait  de  Jéricho,  il  se 
trouva  un  aveugle  assis  sur  le  bord  du  chemin,  où  il 
demandait  l'aumône.  Entendant  passer  une  troupe 
de  gens,  il  demanda  ce  que  c'était.  On  lui  dit  que 
C'était  Jésus  de  Nazareth  qui  passait.  Il  se  mit  aussi- 
tôt à  crier  :  «  Jésus,  fils  de  David,  ayez  pitié  de  moi  I  » 
Alors,  Jésus  s'arrêtant,  commanda  qu'on  le  lui  ame- 
nât. Et  lorsqu'il  se  fut  approché,  il  lui  demanda  : 
«  Que  voulez-vous  que  je  fasse?»  «  Seigneur,  repar- 
tit l'aveugle,  que  je  voie.  »  Jésus  lui  dit  :  «  Yuyez  I 
votre  foi  vous  a  sauvé.  »  Et  à  l'instant  il  vit,  et  il 
suivait  en  glorifiant  Dieu.  Et  tout  le  peuple  qui  le 
vit  loua  Dieu.  (Luc,  xvin.  31,-43.) 


4       DOMINICALES  D*UN   CURE  DE  CAMPAGNE 


HOMELIE 


Cacus  quidam  sedebat  secvs  viam, 
mendicans.  (Luc,  xvm,  35.) 


Le  divin  Sauveur  venait  de  prédire  sa  passion  à 
ses  disciples,  et  il  approchait  de  Jéricho  par  où  il 
devait  passer  pour  se  rendre  à  Jérusalem,  lorsqu'un 
aveugle,  qui  était  assis  sur  le  bord  du  chemin  et 
mendiait,  entendant  le  bruit  de  la  foule,  demanda 
ce  que  c'était;  dès  qu'il  eut  appris  que  Jésus  pas- 
sait, il  s'écria  :  m  Jésus,  fils  de  David,  ayez  pitié  de 
moi!  »  Le  divin  Maître  le  fait  amener  et  lui  demande 
ce  qu'il  veut,  a  Seigneur,  répondit-il,  faites  que  je 
voie.  »  «  Voyez!  lui  dit  Jésus,  votive  foi  vous  a  sauvé.  » 
Au  même  instant  il  est  guéri  et  il  se  met  à  la  suite 
du  Sauveur. 

Un  aveugle,  tristement  assis  sur  le  bord  du  che- 
min, n'ayant  d'autre  ressource  que  la  pitié  publique, 
quelle  affligeante  situation!  C'est  celle  d'un  grand 
nombre  de  chrétiens  esclaves  du  péché  mortel,  aussi 
aveugles  que  cet  infortuné  et  aussi  pauvres  que  lui. 

I.  Ils  sont  aveugles  comme  lui.  Privés  des  lu- 
mières de  la  grâce,  ils  ne  voient  point  les  choses  di- 
vines ;  ils  n'ont  plus  la  connaissance  de  Dieu,  d'eux- 
mêmes,  ni  des  vérités  nécessaires  au  salut.  Assis  sur 
les  bords  de  l'abîme,  ils  n'en  peuvent  découvrir  la 
profondeur.  D'après  l'expression  du  prophète,  ils  di- 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        225 

sent  que  *e  bien  est  le  mal,  et  que  le  mal  est  le  bien  ; 
ils  donnent  aux  ténèbres  le  nom  de  lumière,  et  à  la 
lumière  le  nom  de  ténèbres  ;  ils  font  passer  pour  doux 
ce  qui  est  amer  et  pour  amer  ce  qui  est  doux.  Leur 
raison  obscurcie  par  le  péché  leur  fait  imaginer 
qu'ils  sont  les  seuls  sages  et  que  ceux  qui  ne  sont 
pas  comme  eux  sont  des  insensés.  De  là  ces  doutes 
intéressés  sur  les  vérités  terribles  de  notre  foi,  qui 
partent  moins  d'un  esprit  convaincu  que  d'un  cœur 
corrompu  par  la  passion;  de  là  ces  excuses  frivoles 
dont  ils  se  servent  pour  justifier  leur  conduite  cou- 
pable; de  là,  en  un  mot,  cette  fausse  conscience 
qu'ils  se  forment,  ces  vaines  interprétations  qu'ils 
admettent  pour  calmer  leurs  remords.  Ce  sont  de 
pauvres  aveugles  :  Cœcus. 

Ce  qu'il  y  a  de  pire,  c'est  que  ces  malheureux 
sont  assis  :  Sedebat.  Ils  se  reposent  dans  leurs  crimes 
avec  une  parfaite  sécurité.  Cet  état  si  triste,  si  com- 
mun pourtant,  et  les  divers  degrés  qui  y  conduisent, 
nous  sont  admirablement  dépeints  par  le  prophète- 
roi.  Écoutez  :  «  Heureux,  dit-il,  l'homme  qui  n'a  pas 
été  dans  le  conseil  des  méchants,  qui  ne  s'est  pas 
arrêté  dans  la  voie  des  pécheurs  et  qui  ne  s'est  pas 
assis  dans  la  chaire  de  pestUence.  Beatus  vir  qui  non 
abiit  in  consilio  impiorum,  et  in  via  peccatorum  non  ste- 
tit,  et  in  cathedra pestilentiœ  non  sedit.  »  On  commence 
par  aller  dans  une  mauvaise  compagnie  :  abiit;  on 
continue  en  y  restant  :  stetit;  on  finit  par  s'y  asseoir  : 
sedit.  Y  aller,  est  le  crime;  y  rester,  c'est  l'habitude 
du  crime;  s'v  asseoir,  c'est  l'endurcissement  dans 

13. 


226        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

le  crime.  On  n'est  d'abord  que  séduit,  on  recherche 
ensuite  la  séduction  et  on  en  vient  enfin  jusqu'à  sé- 
duire les  autres. 

Ah!  mes  frères,  que  cet  état  est  dangereux  pour 
le  salut!  Qu'il  est  terrible!  Jamais  un  malade  n'est 
plus  à  plaindre  que  lorsqu'il  ne  sent  plus  son  mal. 
Et  jamais  un  pécheur  n'est  plus  près  de  la  réproba- 
tion que  lorsqu'il  ne  sent  plus  ses  crimes.  Est-ce 
Dieu  qui  se  tait  alors,  ou  est-ce  le  pécheur  qui  ne 
veut  plus  l'entendre?  C'est  en  môme  temps  l'un  et 
l'autre  :  mais  l'un  et  l'autre  sont  affreux  !  Cet  état 
pourtant,  tout  malheureux  qu'il  est,  n'en  est  pas 
pour  cela  plus  rare.  Vous  en  voyez  tous  les  jours 
dans  le  monde  de  ces  aveugles  assis  dans  l'iniquité, 
qui,  ayant  tout  perdu,  et  les  mœurs  et  la  foi,  se  rail- 
lent impunément  de  nos  plus  saints  mystères.  Vous- 
même,  mon  cher  auditeur,  n'avez-vous  pas  été  de 
ce  nombre,  et  n'en  êtes-vous  pas  peut-être  en- 
core? 

Ce  qui  met  le  comble  à  l'infortuné  aveugle  de 
notre  EvaDgile,  c'est  qu'il  est  sur  le  bord  du  chemin. 
Le  pécheur  se  tient  aussi  sur  le  bord  du  chemin 
qui  conduit  à  la  vie;  il  y  voit  passer  les  justes,  les 
bons  chrétiens  qui  suivent  Jé?us,  mais  il  n'a  pas  le 
courage  d'y  entrer.  Il  est  là  avec  le  monde  maudit 
et  réprouvé  de  Dieu,  avec  le  monde  esclave  des 
modes,  des  usages,  des  maximes,  des  coutumes  con 
traires  à  la  loi  de  Dieu,  qui  perdent  tous  les  jours 
tant  d'âmes  que  la  multitude  suit  en  aveugle  ,  et 
auxquelles  le  pécheur  se  conforme,   vivant  partout 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         227 

tranquille  parce  qu'il  vit   comme  le  grand  nombre  : 
Juxta  viam. 

Et  voilà,  mes  frères,  le  grand  prétexte,  la  cause 
ordinaire  de  l'aveuglement  et  de  l'endurcissement  de 
la  plupart  des  hommes  :  l'autorité  de  la  foule  et  la 
séduction  de  l'exemple.  Lorsque  le  prêtre,  au  nom 
du  Ciel,  condamne  dans  ces  pécheurs  la  difformité 
de  leurs  mœurs,  lorsqu'il  leur  montre  les  dangers 
terribles  auxquels  ils  s'exposent  par  leur  conduite, 
que  répondent-ils  à  nos  charitables  remontrances? 
Rien  autre  chose  que  ces  froides  paroles  :  «  Je  suis  un 
honnête  homme,  je  ne  fais  tort  à  personne.  Du 
reste,  je  vis  comme  les  autres.  Si  ce  que  vous  me 
reprochez  est  capable  de  me  perdre,  il  faudra  dam- 
ner tous  les  hommes.  »  Et  parce  qu'ils  ne  font  pas 
pire  que  les  autres,  ils  se  rassurent  dans  leurs  pé- 
chés. 

Enfin,  la  dernière  vérité  que  l'Evangile  nous  ap- 
prend de  cet  homme,  c'est  qu'il  était  pauvre,  misé- 
rable et  obligé,  du  matin  au  soir,  de  tendre  la  main 
aux  passants,  pour  leur  demander  de  le  secourir 
dans  sa  détresse  :  Cœcus  quidam  mendicans.  Connais- 
sant sa  misère,  il  disait  avec  le  prophète  :  «  Pour 
moi)t;'e  suis  un  mendiant  et  un  pauvre.  » 

Le  pécheur  endurci  au  contraire  croit  être  riche, 
et  ne  manquer  de  rien,  et  il  ne  sent  pas,  dit  l'apôtre 
saint  Jean,  qu'il  est  malheureux,  misérable,  indigent, 
aveugle,  nu.  Oui,  il  est  pauvre,  bien  pauvre  aux 
yeux  de  la  Vérité  éternelle  et  de  ses  anges.  Le  pé- 
ché, en  lui  ôtant  Dieu,  lui  ôte  tout.  Il  lui  enlève  sa 


228        DOMINICALES  D'UN  CURÉ  DE  CAMPAGNE 

grâce,  son  amitié,  le  droit  à  son  royaume  qui  devait 
être  son  héritage,  le  prix  de  ses  vertus  passées,  le 
mérite  de  ses  souffrances  présentes,  l'espoir  même 
des  biens  à  venir.  Il  le  dépouille  de  sa  robe  nuptiale, 
dont  il  avait  été  revêtu  dans  le  baptême  ;  il  le  prive 
de  tous  les  dons  du  Saint-Esprit  et  de  tous  les  mé- 
rites de  Jésus-Christ.  Biens  uniquement  spirituels, 
il  est  vrai;  mais  biens  réels,  précieux  et  solides,  à 
l'abri  de  tous  les  événements  et  de  toutes  les  vicissi- 
tudes; biens  éternels,  en  un  mot,  les  seuls  dignes 
de  porter  ce  titre  ;  un  seul  péché  mortel  les  enlève 
tous  à  une  âme,  et  la  réduit  par  là  à  la  pauvreté  la 
plus  affreuse  :  Pauper. 

Ce  n'est  pas  tout  :  le  péché,  ayant  ôté  à  l'homme 
ses  véritables  biens,  lui  en  présente  de  faux  et  d'ap- 
parents, car  le  cœur  de  l'homme  ne  peut  pas  exister 
sans  aimer,  sans  désirer,  sans  rechercher  un  bien 
quelconque;  l'amour  du  bien  est  sa  vie.  Or,  ayant 
perdu  l'amour  de  Dieu  qui  est  le  souverain  bien,  il 
sera  obligé  de  s'en  forger  d'autres  à  son  gré,  qui 
puissent  tenir  sa  place  ,  et  voilà  l'origine  de  son 
amour  pour  les  plaisirs,  pour  les  honneurs,  pour  les 
richesses,  biens  apparents  qu'il  a  substitués  au  vé- 
ritable. 

Suivez  de  l'œil  ce  mendiant  mondain;  observez-le 
attentivement.  Est-il  ambitieux?  Il  tend  la  main  aux 
honneurs  et  leur  demande  à  hauts  cris  de  le  faire 
monter  plus  haut.  Et  pour  s'élever  au-dessus  de  ses 
semblables,  que  de  peines  il  se  donne!  que  de  bas- 
sesses il  faitl  que  de  sacrifices  il  s'impose!  Et  après 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        229 

mille  tourments,  est-il  content?  Non,  il  ne  l'est  pas. 
Semblable  à  un  hydropique,  il  a  d'autant  plus  soif 
qu'il  boit  davantage. 

Est-il  avare?  Il  travaille  sans  relâche  à  amasser 
des  trésors,  et  plus  il  entasse  or  sur  or  et  plus  sa  soif 
des  biens  de  la  terre  augmente,  et  plus  sa  cupidité 
le  réduit  à  une  mendicité  honteuse.  Pour  vous  con- 
vaincre de  cette  vérité,  interrogez  tous  les  Crésus 
du  monde  et  ils  vous  répondront  :  «  Nul  mortel  n'est 
plus  indigent  que  nous.  »  Le  désir  d'accroître  nos 
trésors,  la  crainte  de  les  perdre,  l'embarras  de  les 
administrer,  les  soins  qu'il  faut  prendre  pour  les 
conserver,  ne  nous  laissent  pas  un  seul  instant  de 
repos. 

Est-il  voluptueux?  Voyez-le  depuis  le  matin  jus- 
qu'au soir  tendre  la  main  pour  demander  aux  créa- 
tures des  satisfactions  qu'elles  ne  peuvent  lui 
procurer.  Son  esprit  et  son  imagination  sont  cons- 
tamment en  route  pour  découvrir  quelque  pâture  à 
ses  grossières  jouissances.  La  volupté  fatigue  et 
épuise.  C'est  un  poison  qui  ronge  jusqu'aux  os  au 
lieu  de  satisfaire.  Ici  faisons  un  appel  à  l'expérience: 
Il  n'est  peut-être  pas  de  mortel  qui  ait  plus  souvent 
et  plus  longtemps  approché  de  ses  lèvres  la  coupe 
de  la  volupté  que  le  grand  Salomon.  Ecoutez-le  ce- 
pendant parler  lui-même  :  Il  a  laissé  échapper  un 
mot  qui  a  retenti  aux  quatre  coins  du  monde  et  qui 
est  arrivé  jusqu'à  nous.  Il  a  confessé  à  la  face  de  l'u- 
nivers que  tout  cela  n'est  que  vanité  et  affliction 
d'esprit  :  Vanitas  vanitatum  et  omnia  vanitas. 


230        DOMINICALES   D  ON   CURE   DE   CAMPAGNE 

Il  n'y  a  en  cela  rien  d'étonnant;  le  cœur  de 
l'homme  étant  fait  pour  Dieu,  il  est  infini  dans  se? 
désirs,  immense  dans  sa  cupidité;  il  n'y  a  que  Tin- 
fini  qui  puisse  le  remplir;  plusieurs  objets  finis, 
ajoutés  l'un  à  l'autre,  ne  parvenant  jamais  à  l'infini, 
le  laisseront  toujours -tilde.  De  là  cette  insatiabilité 
qui  entretient,  au  milieu  du  monde,  le  tumulte  et  la 
confusion  qui  y  régnent.  C'est  un  homme  altéré  au- 
quel on  ne  présente  qu'une  goutte  d'eau,  un  affamé 
à  qui  on  ne  donne  qu'une  miette;  et  pour  nous  en 
tenir  à  notre  Evangile,  c'est  un  mendiant  qui,  ne 
recevant  que  des  secours  faibles  et  insuffisants,  con- 
damné à  une  mendicité  perpétuelle,  voit  renaître  à 
tout  moment  et  ses  besoins  et  ses  souffrances  :  Afen- 
dicans. 

0  pécheurs  qui  m'entendez,  que  vous  êtes  malheu- 
reux de  chercher  loin  de  Dieu  un  apaisement  à  vos 
maux  et  des  biens  capables  de  vous  tirer  de  votre 
indigence  !  connaissez  votre  état  et  désirez-en  au 
moins  le  remède!  Et  vous,  Seigneur,  qui  savez  enri- 
chir les  pauvres  et  qui  pouvez  rendre  la  vue  aux 
aveugles,  venez  à  notre  secours,  et  appliquez  un 
remède  à  nos  maux.  Pour  cela,  imitons  la  conduite 
de  l'aveugle  de  Jéricho. 

Cuelles  sont  les  dispositions  qui  conduisent  cet 
infortuné  à  la  grâce  de  sa  guérison?  L'aveugle,  en- 
tendant le  bruit  de  la  foule,  demanda  ce  que  c'était  ; 
on  lui  dit  que  c'était  Jésus  de  Nazareth  qui  passait. 
Aussitôt  il  s'écria  :  «  Jésus,  fils  de  David,  ayez  pitié  de 
moil  »  Cet  homme  crie  parce  qu'il  sent  son  mal, 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        231 

parce  qu'il  désire  ardemment  d'être  guéri.  Il  adresse 
ses  cris  au  Sauveur  du  monde  parce  qu'il  a  entendu 
parler  de  ses  miracles.  Les  prodiges  sans  nombre 
que  ce  puissant  Maître  avait  opérés,  lui  donnent 
l'assurance  qu'il  peut  lui  rendre  la  vue.  Sa  foi  est  si 
vive  qu'il  attend  tout  de  sa  bonté  et  de  sa  puissance, 
Toilà  pourquoi  il  prie.  Que  dis-je?  Il  ne  prie  pas, 
mais  il  crie:  Clamabat.  Ce  sont  des  cris  qui  partent 
moins  de  la  boucbe  que  du  cœur;  aussi,  Jésus-Christ 
ne  peut-il  s'empêcber  de  les  entendre.  Tels  étaient 
les  sentiments  du  prophète-roi,  lorsqu'il  disait  à 
Dieu  :  «  Seigneur,  du  fond  de  l'abîme  où  mes  péchés 
m'ont  réduit,  j'ai  crié  vers  vous  ;  du  haut  de  votre 
trône,  prêtez  l'oreille  à  ma  prière.  »  Tels  étaient  les 
sentiments  et  les  cris  de  l'aveugle  de  Jéricho  :  Cla- 
mabat. Quand  il  demande  quel  est  le  bruit  qu'il 
entend  ;  on  lui  répond  :  «  C'est  Jé.,us  de  Nazareth 
qui  passe  »  et  il  est  si  pleinement  convaincu  de  sa 
puissance  qu'il  ne  doute  pas  un  seul  instant  qu'en 
le  priant  de  le  guérir,  il  excitera  sa  commiséra- 
tion et  lui  accordera  ce  qu'il  désire;  voilà  pour- 
quoi il  lui  dit  :  «  Jésus,  fils  de  David,  ayez  pitié  de 
moi!  » 

La  confiance  de  l'aveugle  en  Jésus-Christ  est  donc 
bien  grande,  puisqu'il  espère  en  obtenir  un  miracle. 
C'est  de  cette  même  confiance  que  nous  devons  être 
animés  toutes  les  fois  que  nous  nous  présentons 
devant  notre  libérateur.  Nous  devons  tout  attendre 
de  sa  miséricorde,  puisqu'il  est  aussi  puissant  que 
nous  sommes  faibles.  Quand  donc  le  Seigneur  pas» 


232        DOMINICALES  D  UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

sera  près  de  nous,  soit  par  une  inspiration  secrète, 
soit  par  une  prédication  touchante,  soit  par  un 
exemple  édifiant  qui  nous  émeut,  soit  pai  toute 
autre  manière,  allons  à  lui,  exprimons-lui  nos  désirs 
par  une  prière  simple,  mais  brûlante  comme  celle 
de  l'aveugle  de  Jéricho. 

Et  ceux  qui  allaient  devant  le  reprenaient  et  lui 
disaient  de  se  taire  ;  mais  il  criait  encore  beaucoup 
plus  fort  :  «  Fils  de  David,  ayez  pitié  de  moi  !  »  Dès 
qu'on  veut  se  donner  sincèrement  au  Seigneur,  il 
faut  s'attendre  à  bien  des  contradictions  de  la  part 
des  hommes  lâches  qui  ne  manquent  pas  de  s'oppo- 
ser à  notre  dessein  et  d'y  former  des  obstacles  ; 
mais  ne  perdons  pas  courage,  dit  saint  Augustin,  si 
nous  persévérons,  ces  mêmes  chrétiens  qui  nous 
blâmaient  d'abord  nous  approuveront  dans  la  suite. 
Ce  peuple  qui  reprenait  le  pauvre  aveugle  en  lui  im- 
posant silence,  va  tout  à  l'heure  entonner  un  can- 
tique de  joie  et  de  reconnaissance  à  l'occasion  de  sa 
guérison.  Ainsi,  mes  frères,  malgré  les  difficultés 
qui  nous  environnent  et  les  tentations  qui  nous 
assiègent,  prions,  prions  beaucoup.  Plus  les  obsta- 
cles grandissent,  plus  aussi  doivent  grandir  nos 
efforts.  Alors  notre  prière  ira  jusqu'au  cœur  de 
Jésus  qui  fera  pour  nous  ce  qu'il  a  fait  pour 
l'aveugle. 

Alors  Jésus  s'arrêta  et  commanda  qu'on  le  lui 
amenât,  et  s' étant  approché,  Jésus  lui  demanda  : 
«  Que  voulez-vous  que  je  vous  fasse  ?  »  L'aveugle 
répondit  :  «  Seigneur,  faites  que  je  voie  ;  et  à  l'ins«« 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        233 

tant  même  il  vit.  Voilà  l'efficacité  de  la  prière  qui 
émane  d'un  cœur  bien  disposé.  L'aveugle  ne 
demande  qu'une  chose,  celle  qu'il  a  le  plus  à  cœur 
et  qui  lui  semble  plus  importante  que  toutes  les 
autres.  Faisons  comme  lui  et  disons  comme  lui  : 
«  Seigneur,  faites  que  je  voie  le  néant,  la  folie  de 
tous  ces  vains  plaisirs,  ces  faux  honneurs,  ces  éphé- 
mères richesses  dont  j'ai  été  jusqu'à  présent  si 
engoué  ;  que  je  voie  toute  la  profondeur  de  l'abîme 
où  je  me  suis  volontairement  précipité  ;  que  je  voie 
l'épouvantable  danger  où  m'ont  conduit  mes  crimes  ; 
que  je  voie  les  douceurs  attachées  à  votre  service; 
que  je  voie  la  félicité  que  vous  me  destinez,  si  je  re- 
viens à  vous  avec  sincérité.  »  Et  le  Seigneur  nous 
dira  aussi  :  «  Votre  foi  vous  a  sauvé,  et  une  lumière 
divine  illuminera  votre  âme.  » 

Chrétiens,  lorsque  votre  prière  aura  été  exaucée, 
n'aurez-vous  plus  rien  à  faire?  Vous  aurez  à  vous 
joindre  à  la  foule  pour  glorifier  le  Seigneur  et  lui 
offrir  les  accents  de  votre  reconnaissance  ;  vous 
vous  attacherez  comme  l'aveugle  de  Jéricho  à  votre 
divin  bienfaiteur  ;  vous  marcherez  sur  ses  traces  au 
chemin  de  la  vertu  et  s'il  le  faut  au  sentier  du  sacri- 
fice ;  et  ce  bon  Maître,  après  avoir  été  notre  modèle, 
sera  notre  récompense.  Amen 


nOMUXICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


El   LE  MEME  DIMANCHE 


AVEUGLEMENT   SPIRITUEL 


Les  Pères  de  l'Eglise  ont  va  dans  l'aveugle  assis  le 
long  des  chemins,  demandant  l'aumône,  le  symbole 
de  l'aveuglement  spirituel  où  le  péché  plonge  les 
hommes  :  état  déplorable  où  les  vives  lumières  de 
la  religion  ne  frappent  plus  l'intelligence  ;  où  les 
vérités  terribles  qu'elle  enseigne:  une  mort  certaine, 
un  jugement  rigoureux,  un  supplice  sans  fin,  ne 
font  plus  aucune  impression  ;  où  les  dogmes  les 
plus  consolants  n'excitent  plus  aucune  émotion,  au- 
cun sentiment.  Ces  hommes  rebelles  à  la  lumière 
sont  comme  l'aveugle  au  milieu  de  la  nature.  Envi- 
ronnés de  ses  merveilles,  ils  n'en  jouissent  pas.  Leur 
âme,  fermée  comme  ses  yeux,  est  devenue  de  même 
insensible,  ne  reçoit  plus  aucune  impression,  ni  de 
confiance,  ni  d'espoir,  ni  de  crainte,  ni  d'amour. 
Tels  que  ce  malheureux  forcé  de  rester  assis  et  de 
demander  l'aumône  sur  le  bord  du  chemin,  ils  sont 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        235 

dans  l'impuissance  de  rien  faire  d'utile  ;  et  réduits  à 
l'inaction,  ils  le  sont  aussi  à  la  pauvreté,  sans 
vertus,  sans  bonnes  œuvres,  sans  aucun  mérite.  La 
charité  de  l'Eglise  qui  leur  accorde  le  secours  de  ses 
exhortations  et  de  ses  prières,  est  tout  ce  qu'il  leur 
reste. 

Mais  parmi  tant  de  malheureux  traits  de  confor- 
mité entre  l'aveugle  de  Jéricho  et  l'aveugle  spirituel, 
il  y  a  une  différence  bien  plus  lamentable  encore. 
Notre  aveugle  connaissait  son  malheur  et  faisait  tout 
ce  qu'il  pouvait  pour  être  guéri,  tandis  que  la  plu- 
part des  pécheurs  croient  avoir  de  bons  yeux  et  au 
lieu  de  vouloir  guérir  de  leur  aveuglement,  ils 
aiment  leur  triste  état,  et  repoussent  les  remèdes 
qui  pourraient  les  guérir.  Réfléchissons  quelques 
instants  sur  les  caractères  et  les  remèdes  de  la  plaie 
morale  de  ces  âmes  malheureuses. 


Caractères  de  l'aveuglement  spirituel. 

Gomme  Jésus-Christ  approchait  de  Jéricho,  il 
rencontra  un  aveugle  assis  sur  le  bord  du  chemin  où 
il  demandait  l'aumône  :  Cœcus  quidarp  sedebat  juxta 
viam  mendicans.  Pour  comprendre  l'espèce  cfe  cécité 
dont/sont  frappés  les  pécheurs  figurés  par  l'aveugle 


236        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

de  Jéricho,  vous  n'ayez  qu'à  regarder  autour  de 
vous.  —  N'avez-vous  pas  été  parfois  épouvantés  de 
l'insensibilité  de  certains  hommes  pour  les  intérêts 
de  leur  éternité  ?  Cette  religion,  qui  a  converti  le 
monde  par  la  sublimité  de  ses  dogmes,  n'est  pour 
eux  qu'un  amas  de  grossières  rêveries.  Cette  morale, 
qui  a  ramené  sur  la  terre  le  règne  de  la  vertu,  n'est 
à  leurs  yeux  que  fanatisme  ou  superstition.  Les 
exemples  les  plus  héroïques  de  vertu,  au  lieu  d'exci- 
ter en  eux  un  sentiment  d'admiration,  ne  provo- 
quent qu'une  dédaigneuse  pitié.  Les  exhortations  les 
plus  touchantes  éveillent  leur  curiosité  sans  rien 
dire  à  leur  esprit  ou  à  leur  cœur.  Ils  commettent 
crime  sur  crime,  ils  violent  les  plus  saints  engage- 
ments, ils  jouent  avec  le  blasphème,  et  ils  sont  tran- 
quilles ;  ils  laissent  de  côté  les  devoirs  que  tout  être 
raisonnable  doit  à  son  auteur  ;  ils  foulent  aux  pieds 
les  lois  de  l'Eglise,  auxquelles  tout  chrétien  doit  être 
soumis  ;  ils  affichent  le  scandale  et  l'irréligion,  et  ils 
se  croient  irréprochables.  Quel  mal  faisons-nous? 
disent-ils.  A  qui  faisons-nous  tort?  Notre  conduite 
n'est  pas  plus  mauvaise  que  celle  des  autres  !  Ils 
vivent  donc  sans  remords,  ils  meurent  sans  inquié- 
tude, et  ils  vont  tomber  entre  les  mains  vengeresses 
d'un  Dieu  qu'ils  ont  méconnu  ;  peut-il  y  avoir  un 
état  plus  épouvantable  aux  yeux  de  la  raison  comme 
aux  yeux  de  la  foi  ? 

L'aveugle  de  Jéricho  demandait  aux  passants  pour 
soutenir  sa  triste  existence,  une  aumône  souvent 
refusée:  Mendie  ans.  C'est  le  deuxième  caractère  de 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        237 

l'aveuglement  spirituel.  Au  sein  de  cette  Eglise 
catholique  dépositaire  des  vérités  éternelles,  au 
milieu  de  ces  torrents  de  lumière  dont  le  christia- 
nisme a  inondé  le  monde,  au  milieu  de  tant  de 
moyens  de  trouver  le  repos  de  l'esprit  et  la  paix  du 
cœur,  ceux  qui  en  sont  atteints  mendient  !  Ils 
demandent  à  la  raison  des  lumières  qu'elle  n'a  pas  ; 
à  la  sagesse  humaine,  la  vérité  qu'elle  ne  saurait 
donner  ;  à  la  volupté,  des  joies  que  la  volupté 
ignore  ;  au  monde,  un  bonheur  que  le  monde  ne 
connaît  pas. 

Dans  le  besoin  de  jouissances  qui  les  tourmente, 
ces  affamés  spirituels  tendent  la  main  à  toutes  les 
passions,  à  tous  les  plaisirs  ;  chaque  passion,  chaque 
plaisir  dépose  son  aumône,  mais  ce  n'est  qu'une  au- 
mône ;  elle  peut  bien  suffire  pour  soulager,  ou  plutôt 
pour  distraire  le  cœur,  un  instant,  mais  ce  n'est  pas 
assez  pour  satisfaire  le  besoin  qui  le  dévore  ;  il  reste 
donc  affamé  et  voit  renaître  à  chaque  instant  et  ses 
besoins  et  ses  souffrances.  11  est  toujours  mendiant: 
Mendicans, 

L'aveugle  de  Jéricho  était  assis  près  de  la  route  : 
Sedebat  secus  viam.  C'est  le  dernier  trait  qui  carac- 
térise les  aveugles  spirituels.  Ils  sont  près  du  sentier 
qui  conduit  à  la  vérité,  à  la  vertu,  à  la  vie  et  ils  ne 
veulent  pas  y  entrer.  Méditez  cette  expression  qui 
renferme  un  sens  si  profond  et  si  vrai  :  Sedebat,  il 
était  assis.  On  ne  dit  pas  qu'il  fût  debout  et  prêt  à 
marcher;  mais  il  était  assis,  il  se  tenait  là  dans  un 
repos  stupide,  insouciant  à  tout  ce  qui  se  passait 


238        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

autour  de  lui  :  Sedebat.  Cette  expression  laisse  suffi- 
samment entendre  qu'il  se  complaisait  dans  sa  mal- 
neureuse  insouciance,  qu'il  s'y  croyait  heureux  et 
qu'il  préférait  un  indigne  repos  à  un  effort  généreux 
qui  eût  pu  le  remettre  dans  le  droit  chemin.  Voilà 
l'image  trop  vraie  de  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur 
des  pécheurs  dont  il  est  ici  question;  ils  sont  hors 
de  la  voie  qui  conduit  au  salut;  n'essayez  pas  de  les 
y  faire  rentrer.  Il  leur  faudrait,  pour  cela,  se  donner 
du  mouvement,  s'instruire  de  leurs  devoirs,  résister 
à  leurs  passions,  faire  au  moins  quelques  efforts, 
mais  ils  aiment  avant  tout  leur  repos,  et  rien  ne 
peut  les  déterminer  à  en  sortir.  Ainsi  la  privation  de 
toute  vérité,  cœcus,  le  dénûment  de  toute  bonne 
œuvre,  mendicans,  l'insouciance  pour  le  salut,  sedebat, 
tels  sont  les  caractères  de  cette  maladie  terrible,  de 
cette  plaie  morale  qu'on  appelle  l'aveuglement  spiri- 
tuel. Voyons  comment  on  peut  en  guérir. 


U 


Pour  guérir  l'aveuglement  spirituel,  la  première 
chose  que  doit  faire  celui  qui  en  est  atteint  est  de 
s'instruire  de  sa  religion,  d'exposer  ses  incertitudes 
et  ses  doutes  à  ceux  qui  peuvent  les  résoudre.  En 
entendant  le  bruit  que  faisait  autour  de  lui  la  foule 
dont  Jésus-Christ  était  environné,  l'aveugla  s'informe 
de  ce  qui  se  passe  :  Interrogavit  quid  esset.  Cette  noix- 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         2°>9 

velle  est  pour  son  âme  un  rayon  d'espéraDce.  II  a 
entendu  parler  de  Jésus,  de  son  pouvoir,  de  sa  bonté, 
de  sa  tendre  compassion  pour  les  malheureux,  il 
sait  qu'il  a  guéri  d'autres  aveugles,  et  même  un 
aveugle  de  naissance.  Il  se  gardera  bien  de  négliger 
une  rencontre  si  favorable  pour  lui  demander  sa 
guérison. 

Eh  bien  !  Jésus-Christ  passe  encore  tous  les  jours 
près  de  vous,  et  vous  négligez,  vous  refusez  même 
positivement  d'en  profiter.  Le  christianisme  passe 
près  de  vous  avec  ses  lois,  ses  dogmes,  ses  bienfaits, 
ses  menaces,  ses  promesses  ;  cette  multitude  qui  se 
rend  dans  nos  temples  vous  invite  par  son  exemple 
à  l'y  suivre.  Ce  temps  favorable  de  l'Avent  ou  du 
Carême  vous  appelle  à  des  prédications  salutaires. 
Cette  retraite,  cette  mission,  ce  Jubilé  qui  vont  s'ou- 
vrir, vous  présentent  de  saints  exercices.  C'est  Jésus- 
Christ  qui  s'offre  à  vous  sous  toutes  les  formes,  qui 
cherche  par  divers  moyens  à  vous  attirer  à  sa  suite. 
Il  passe  même  dans  vous.  Ces  remords,  ces  inspira- 
tions, ces  pieux  mouvements  que  vous  éprouvez, 
toutes  les  grâces  en  un  mot  que  vous  recevez,  sont 
autant  de  passages  de  Jésus-Christ;  avez-vous  fait 
quelques  démarches  pour  profiter  de  ces  précieuses 
occasions?  Avez-vous  travaillé  à  mériter  les  biens 
qu'il  vous  promet  et  à  éviter  les  maux  dont  il  vous 
menace?  Certes,  une  éternité  heureuse  ou  malheu- 
reuse vaut  bien  la  peine  que  vous  vous  en  inquiétiez. 
L'indiffét-ence  ici  ne  saurait  se  justifier  que  par  la 
folie. 


240        DOMINICALES   D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

La  deuxième  chose  à  faire  pour  guérir  l'aveugle- 
ment spirituel,  c'est  de  prier.  La  foi  est  un  don  de 
Dieu;  ce  don,  nous  le  recevons  tous  dans  le  baptême, 
voilà  ce  qui  explique  la  facilité  avec  laquelle  on  croit 
les  plus  hauts  mystères  dans  l'âge  innocent,  et  tant 
que  l'on  conserve  la  pureté  du  cœur.  Mais  quand, 
par  des  lectures  funestes,  par  des  conversations  cou- 
pables, par  des  doutes  volontaires,  par  les  égare- 
ments des  passions,  nous  avons  chassé  l'esprit  de 
foi  de  notre  intelligence,  nous  ne  pouvons  le  rap- 
peler que  par  des  prières  ardentes  :  Clamavit,  mise- 
rere mei.  Vous  dites  :  «  Je  voudrais  bien  avoir  la 
foi.  »  —  Avez-vous  crié  pour  l'obtenir?  Ne  dirait-on 
pas  que  vous  faites  une  grâce  au  bon  Dieu  quand 
vous  voulez  bien  lui  demander  la  foi.  Méditez  donc 
cette  prière  de  l'aveugle  implorant  sa  guéiison, 
tâchez  d'en  imiter  la  ferveur  :  «  Ayez  pitié  de  moi, 
Seigneur,  fils  de  David!  »  Voyez  comme  il  sent  son 
mal,  comme  il  désire  sa  guérison,  comme  il  persé- 
vère dans  sa  prière  ;  ceux  qui  allaient  devant  s'effor- 
çaient de  lui  imposer  silence,  mais  sans  se  décon- 
certer de  leurs  duretés,  il  criait  encore  plus  fort  :  — 
Imitez-le.  Du  moment  qH3  vous  voudrez  être  à  Dieu, 
le  monde  vous  blâmera,  les  préjugés,  les  habitudes, 
les  passions,  s'efforceront  de  vous  détourner  de  la 
prière;  restez-y  fidèle,  votre  guérison,  votre  salut 
sont  attachés  à  votre  persévérance  (1). 

Jésus  s'arrête  :  S  tans  Jésus.  Miraculeux  effet  d'une 

(i)  Tiré  en  partie  de  l'abbé  Larfeuil. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        241 

humble  supplication  animée  par  la  confiance  !  Elle 
arrête  le  Tout  Puissant,  désarme  son  bras,  nous 
ouvre  son  cœur.  Mondains  aveugles,  n'adresserez- 
vous  pas  aussi  votre  demande  à  Jésus-Christ?  Ignorez- 
vous  sa  puissance  et  son  inclination  à  faire  du  bien? 
N'entendez-vous  pas  le  bruit  de  cette  multitude  qui 
va  l'adorer  dans  ses  sanctuaires?  Interrogez  au 
moins,  cherchez  à  savoir  ce  que  c'est.  On  vous 
répondra  :  «  C'est  le  Sauveur  qui  passe;  c'est  votre 
Dieu  qui  vous  offre  le  pardon,  la  paix,  une  éternelle 
félicité;  c'est  une  occasion  de  salut  qui  s'en  va; 
reviendra-t-elle  jamais?  Qu'allez-vous  faire?  » 

Jésus  commande  qu'on  lui  amène  l'aveugle.  «  Le- 
vez-vous !  »  vient-on  lui  dire,  «  il  vous  appelle  ».  0 
surprise  agréable  !  ô  joie  de  l'espérance  pour  cet 
infortuné!  il  traverse  la  foule,  le  cœur  agité...  Le 
voilà  en  présence  du  suprême  Consolateur  :  «  Quid 
tibi  vis  faciam?  »  lui  dit  ce  bon  Maître.  «  Parlez,  que 
désirez-vous  que  je  vous  fasse?  »  «  O  Fils  de  Dieu, 
mettez-vous  donc  aussi  votre  puissance,  mettez-vous 
tous  vos  trésors  à  la  discrétion  d'un  pauvre  aveugle 
que  tout  le  monde  abandonne  ?  »  «  Oui,  je  suis  prêt 
à  lui  accorder  ce  qu'il  voudra.  »  Que  va-t-il  deman- 
der? Qu'auriez-vous  demandé  à  sa  place?  A  quoi 
lui  serviraient  tous  les  biens  tant  qu'il  sera  privé  de 
la  lumière?  Pour  un  aveugle,  y  a-t-il  un  plus  grand 
bien  que  devoir?  «  Domine,  ut  videam.  »  Jésus  lui  dit: 
«  Votre  foi  vous  a  sauvé.  »  Au  même  instant  l'aveugle 
voit.  Rempli  de  joie  il  loue  le  Seigneur  et  se  met  à  la 
suite  du  Fils  de  Dieu.  Ainsi,  pour  être  comblé  des 
l*  14 


242        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

dons  du  Sauveur,  il  suffît  de  s'approcher  de  lui  et  de 
le  prier  avec  foi.  Languirons-nous  plus  longtemps 
dans  nos  infirmités  spirituelles,  ayant  un  moyen  si 
facile  d'en  être  délivrés?  Convaincus  de  nos  misères, 
jetons  des  cris  vers  le  Ciel,  et  malgré  l'opposition  de 
ceux  qui  veulent  nous  imposer  silence  et  nous 
détourner  de  nos  devoirs,  continuons  de  prier,  et 
Jésus  nous  dira  aussi  :  «  Mon  fils,  votre  foi  vous  a 
sauvé.  »  Dès  ce  moment  nous  le  suivrons  avec  fidé- 
lité et  nous  aurons  le  bonheur  de  régner  un  jour 
avec  lui  dans  le  ciel.  Amen. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        243 


I»  DIMANCHE  DE  CARÊME 


ÉVANGILE 

Et  ce  temps-là,  Jésus  fut  conduit  par  l'Esprit- 
Saint  ians  le  désert,  pour  y  être  tenté  par  le  démon; 
et  lorsqu'il  eut  jeûné  quarante  jours  et  quarante 
nuits,  il  eut  faim.  Alors  le  tentateur  s'approchant, 
lui  dit  :  «  Si  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  commandez 
que  ces  pierres  se  changent  en  pain.  »  Mais  Jésus 
lui  répondit  :  «  Il  est  écrit  :  L'homme  ne  vit  pas  seu- 
lement de  pain,  mais  de  toute  parole  qui  sort  de  la 
bouche  de  Dieu.  »  Le  démon  alors  le  transporta  dans 
fia  ville  sainte,  et  l'ayant  placé  sur  le  haut  du  temple, 
jil  lui  dit  :  «  Si  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  jetez-vous 
'en  bas  ;  car  il  est  écrit  :  il  a  commandé  à  ses  anges 
d'avoir  soin  de  vous,  et  ils  vous  porteront  entre  leurs 
mains,  de  peur  que  votre  pied  ne  heurte  contre 
quelque  pierre.  »  Jésus  lui  répondit  :  «  Il  est  encore 
écrit  :  «  Vous  ne  tenterez  point  le  Seigneur  votre 
Dieu,  n  Le  démon  le  transporta  ensuite  sur  une  mon- 
tagne très  élevée  ;  et,  de  là,  lui  montrant  tous  les 
royaumes  du  monde  avec  toute  leur  gloire,  il  lui  dit: 


244        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

«  Je  vous  donnerai  toutes  ces  choses,  si,  en  vous 
pro>ternant,  vous  m'adorez.  »  Mais  Jésus  lui  dit  : 
«  Retire-toi,  Satan,  car  il  est  écrit  :  Vous  adorerez  le 
Seigneur  votre  Dieu,  et  vous  ne  servirez  que  lui 
seul.  »  Alors  le  démon  le  laissa/et  aussitôt  les  anges 
s'approchèrent  et  le  servirent. 

HOMÉLIE 

Le  divin  Sauveur  venait  de  donner  au  monde  une 
leçon  d'humilité  et  de  pénitence,  en  voulant  rece- 
voir le  baptême  des  mains  de  Jean-Baptiste,  son  pré- 
curseur, lorsqu'il  fut  conduit  par  l'Esprit- Saint  dans 
le  désert.  C'est  dans  cette  profonde  solitude,  où  il 
passa  quarante  jours  et  quarante  nuits  qu'il  se  pré- 
para par  la  prière,  la  pénitence  et  la  mortification, 
aux  attaques  qu'il  devait  bientôt  subir  et  à  la  prédi- 
cation de  l'Évangile  qu'il  crevait  commencer  bientôt. 

Ce  grand  Modèle  des  chrétiens,  sachant  que  la 
tentation  ou  l'épreuve  est  la  loi  commune  de  l'hu- 
manité, a  voulu  subir  lui-même  cette  loi  générale 
pour  nous  mieux  montrer  comment  nous  devons 
nous  préparer  à  la  tentation  et  nous  en  assurer  le 
triomphe.  «  Ce  n'est  point,  nous  dit-il  par  sa  con- 
duite, en  allant  imprudemment  au-devant  d'un 
ennemi  qui  a  juré  notre  perte,  mais  en  fuyant  le 
monde  dont  il  se  sert  pour  nous  conduire  à  la  per- 
dition. »  Écoutons  l'historien  sacré  :  «  Jésus  fut 
conduit  par  l'Esprit-Saint  dans  le  désert  pour  y  être 
tenté  par  le  démon.  »  Ces  premières  paroles  de  notre 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        245 

évangile  nous  apprennent  qu'au  lieu  d'aller  affronter 
la  tentation,  Jésus  a  attendu  que  la  tentation  vmt 
l'attaquer.  C'est  ainsi  que  nous  devons  agir  nous- 
mêmes  en  nous  éloignant  des  occasions  dangereuses 
et  en  recourant  à  la  mortification  .  Il  jeûne  quarante 
jours  et  quarante  nuits.  N'espérons  pas,  sans  ces  pré- 
cautions, éviter  les  pièges  de  l'ennemi.  Les  saints 
n'ont  pas  employé  d'autres  moyens.  Si  Jésus  vient 
encore  au  désert  pour  s'y  préparer  d'une  manière 
prochaine  au  ministère  évangélique,  c'est  pour  nous 
dire  que  c'est  dans  la  retraite  que  nous  devons  nous 
préparer  aux  grandes  choses  et  aux  grands  devoirs 
que  chacun  est  appelé  à  remplir.  Et  si  nous  n'avons 
pas,  mes  frères,  une  grande  mission  à  remplir  ici- 
bas,  tous  nous  avons  à  subir  des  tentations  plus  ou 
moins  terribles,  plus  ou  moins  fréquentes.  Gomment 
y  résisterons-nous  avec  notre  faiblesse  native?  En 
nous  y  préparant  dans  le  recueillement  et  dans  la 
retraite  comme  Notre-Seigneur,  qui  nous  donne 
aujourd'hui  un  si  touchant  exemple. 

«  Et  ayant  jeûné  quarante  jours  et  quarante  nuits,  il 
eut  faim  ensuite.  »  Il  est  une  sorte  de  démon  qu'on 
ne  chasse  que  par  le  jeûne  et  la  prière.  Voilà  les 
armes  du  chrétien  dans  ces  grandes  luttes  de  l'âme 
qu'il  est  appelé  à  soutenir  tous  les  jours.  Pour  que 
l'âme  soit  forte,  il  faut  que  le  corps  soit  affaibli. 
«  Lorsqup  je  suis  faible,  dit  l'Apôtre,  c  est  alors  que  je 
guis  fort!  car  la  vertu  se  perfectionne  dans  la  faiblesse.  » 
Puis  il  ajoute  :  «  Je  châtie  mon  corps  et  le  réduis  en 
servitude,  de  peur  qu'après  avoir  prêché  aux  autres 

14. 


246        DOMINICALES   D  UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

je  ne  devienne  réprouvé  moi-même.  »  Tons  les  saints 
à  son  exemple  se  sont  fait  un  devoir  de  dompter 
leurs  corps  rebelles,  non  seulement  par  le  jeûne, 
mais  par  les  austérités  les  plus  rigoureuses.  Or,  si 
les  saints  n'ont  pas  cru  triompher  de  cet  ennemi 
domestique  sans  le  mortifier,  nous  qui  ne  sommes 
que  de  faibles  et  malheureux  pécheurs,  pouvons- 
nous  espérer  de  le  vaincre  en  le  ménageant  et  en  le 
flattant?  Non,  mes  frères,  il  n'y  a  que  la  mortifica- 
tion qui  pui-se  nous  rendre  victorieux  des  violents 
assauts  qu'il  ne  cesse  de  nous  livrer;  et  c'est  pour 
nous  faire  pratiquer  cette  mortification  que  l'Église 
nous  fait  une  obligation  de  jeûner  pendant  toute  la 
sainte  quarantaine  que  nous  venons  de  commencer. 
Faites-vous  donc  un  devoir  d'observer  cette  loi  qui 
oblige  tous  les  chrétiens  ;  ou  si  les  pénibles  travaux 
qui  sont  attachés  à  votre  état  vous  rendent  le  ji  une 
impraticable,  suppléez  à  cet  exercice  de  mortifica- 
tion en  vous  privant  autant  que  vous  le  pourrez  de 
tout  ce  qui  peut  flatter  la  sensualité  de  ce  corps 
rebelle,  qui  s'élève  sans  cesse  contre  l'esprit  et  qui 
devient  pour  nous  un  tyran,  lorsque  nous  n'avons 
pas  soin  de  le  traiter  en  esclave.  Jésus-Christ  n'avait 
rien  à  craindre  du  sien,  et  s'il  l'a  mortifié  par  le 
jeûne,  ce  n'e^t  que  pour  nous  donner  l'exemple  de 
la  mortification.  Ne  serions-nous  pas  entièrement 
inexcusables,  si  nous  refusions  de  l'imiter? 

Après  avoir  jeûné  quarante  jours  et  quarante  nuits,  ce 
divin  Sauveur  eut  faim,  et  le  tentateur  s' approchant,  lui 
dit  :  Si  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  dites  que  ces  pierres 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         247 

deviennent  des  pains.  Le  Sauveur  ne  raisonne  pas  avec 
l'ennemi,  il  n'entame  pas  d'arguments  pour  com- 
battre la  fausseté  de  sa  proposition.  Sans  contenter 
sa  vaine  curiosité,  il  lui  répond  :  L'hom%ie  ne  vit  pas 
seulement  de  pain,  mais  de  toute  parole  qui  sort  de  la 
bouche  de  Dieu. 

Vous  voyez  le  langage  que  le  démon  tient  à  Jésus- 
Christ.  Il  est  des  tentations  du  cœur  qui  nous  atta- 
quent en  flattant  notre  inclination,  et  qui  nous  por- 
tent, par  de  légers  commencements  aux  plus  grands 
désordres...  Notre-Seigneur,  au  bout  de  quarante 
jours,  ayant  voulu  éprouver  la  faim,  le  démon  pour 
le  tenter  se  présente  à  lui  sous  une  forme  humaine; 
le  voyant  épuisé,  il  lui  propose  un  moyen  pour  re- 
médier à  ses  besoins.  Vous  sourirez,  lui  dit-il,  et  cet 
aride  désert  ne  vous  offre  rien;  mais  vous  savez  ce 
que  Dieu  peut,  vous  savez  ce  que  vous  êtes;  si  vous 
êtes  le  Fils  de  Dieu,  commandez  que  ces  pierres  devien- 
nent des  pains.  C'est  ainsi  que  le  démon  profilant  de 
notre  situation,  de  nos  faiblesses  et  de  nos  besoins, 
examinant  notre  tempérament,  notre  humeur,  notre 
penchant,  notre  passion  dominante,  nous  excite  à 
nous  satisfaire.  C'est  par  le  prétexte  du  besoin  et  de 
la  faim  qu'il  engage  souvent  les  pauvres  à  usurper 
ce  qui  ne  leur  appartient  pas,  et  à  changer  en  pain 
ce  qu'ils  volent  aux  autres.  C'est  par  la  vanité  et  les 
désirs  de  plaire  qu'il  conduit  cette  jeune  personne 
au  milieu  du  monde  et  qu'il  parvient  à  la  dépraver. 
C'est  par  de  légères  négligences  dans  l'accomplisse- 
ment de  nos  devoirs  qu'il  nous   conduit  aux  plus 


248        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

graves  prévarications  et  nous  fait  arriver  à  l'iniquité.. 
C'est  donc  au  premier  pas,  comme  Jésus-Christ, 
qu'il  faut  arrêter  l'ennemi  de  notre  âme.  C'est  au 
début  de  la  tentation  qu'il  faut  répondre  :  L'homme 
ne  vit  pas  seulement  de  pain,  mais  de  toute  parole 
qui  sort  de  la  bouche  de  Dieu. 

L'Esprit  de  ténèbres  ne  se  lasse  point  d'attaquer 
notre  divin  Maître.  N'ayant  pu  le  prendre  par  les 
tentations  physiques,  il  a  recours  à  celles  de  l'esprit 
qui  flattent  l'orgueil  et  conduisent  à  l'erreur  et  à  la 
présomption.  Le  démon  le  prit  alors  et  le  transporta 
dans  la  Cité  sainte  et  le  mettant  sur  le  haut  du  temple,  il 
lui  dit  :  Si  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  jetez-vous  en  bas; 
car  il  a  recommandé  à  ses  anges  de  prendre  soin  de  vous, 
et  ils  vous  porteront  dans  leurs  mains,  de  peur  que  vous 
ne  heurtiez  le  pied  contre  quelque  pierre. 

Le  démon,  déconcerté  par  la  sage  réponse  que 
Jésus  vient  de  lui  faire,  essaie  de  le  saisir  par  l'or- 
gueil, la  vaine  gloire,  la  présomption.  L'orgueil  peut 
avoir  plusieurs  objets  et  le  démon  choisit  pour  nous 
tenter  celui  qui  est  le  plus  analogue  à  notre  nature. 
Il  nous  présente,  selon  nos  dispositions,  l'orgueil  de  la 
naissance,  l'orgueil  des  dignités,  l'orgueil  du  pou- 
voir, l'orgueil  de  la  considération,  l'orgueil  des  ri- 
chesses, l'orgueil  de  la  beauté,  l'orgueil  des  con- 
naissances, l'orgueil  des  talents  et  jusqu'à  l'orgueil 
de  la  vertu  et  de  la  piété  qui  n'est  ni  le  moins  com- 
mun, ni  le  moins  dangereux.  C'est  par  ce  genre 
d'orgueil  qu'il  attaque  le  Sauveur.  Voilà  pourquoi  il 
l'emporte  au  plus  haut  du  temple  et  l'engage  à  se 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        249 

jeter  de  haut  en  bas  afin  qu'en  ne  recevant  aucun 
mal  de  sa  chute,  le  monde  croie  qu'il  est  véritable- 
ment le  Fils  de  Dieu  et  qu'il  deviendra  pour  le  peuple 
un  sujet  d'admiration.  Voilà  la  tentation  de  l'hon- 
neur et  le  chatouillement  de  la  vaine  gloire.  Mais  que 
fait  Jésus?  Il  le  confond  par  une  réponse  qui  ren- 
ferme pour  nous  une  profonde  instruction  :  Il  lui 
rappelle  la  défense  de  tenter  Dieu;  et  ce  serait  le 
tenter  que  d'exiger  de  lui  un  miracle  pour  se  con- 
server la  vie.  Ce  n'est  point  par  des  miracles  que 
Dieu  veut  nous  conduire  au  salut  ;  il  a  établi  un  ordre 
de  choses  général  et  son  intention  est  que  nous  le 
suivions.  Regardons  comme  des  tentations  du  dé- 
mon ces  idées  qui  quelquefois  nous  poussent  à  nous 
jeter  dans  des  voies  extraordinaires.  C'est  nous  éloi- 
gner du  but,  que  de  nous  écarter  de  la  route  où  Dieu 
nous  a  placés.  Nous  sommes  assurés  des  secours  di- 
vins tant  que  nous  la  suivons  avec  simplicité;  mais 
Dieu  ne  nous  doit  plus  rien  dès  que  nous  en  sortons 
pour  suivre  celles  qui  flattent  notre  orgueil.  La  voie 
commune  de  l'humilité,  de  l'obéissance  aux  supé- 
rieurs, de  la  fuite  des  occasions,  voilà  celle  qui  nous 
est  tracée  et  que  nous  ne  pouvons  quitter  sans  dan- 
ger. Le  démon  présente  souvent  à  ceux  qui  ont  fait 
quelques  progrès  dans  la  piété  la  même  tentation 
qu'à  Jésus-Christ.  Il  leur  dit  :  Jetez-vous  dans  ce 
précipice  ;  ne  craignez  rien,  votre  vertu  est  assez  af- 
fermie; les  anges  eux-mêmes  viendront,  s'il  le  faut, 
à  votre  secours  :  entretenez  hardiment  cette  liaison 
qui  ferait  pécher  un  autre;   voyez   librement  cette 


250        DOMINICALES  D  UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

personne;  allez  sans  inquiétude  dans  telles  et  telles 
sociétés,  où  périraient  des  âmes  moins  profondément 
enracinées  dans  la  vertu  ;  la  vôtre  ne  fera  que  s'épu- 
rer :  Dieu  que  vous  servez  si  fidèlement,  vous  y  as- 
sistera de  ses  grâces. 

D'autres  fois,  au  lieu  de  vous  dire  :  Jetez-vous  en 
bas,  il  nous  invitera  à  monter  au-dessus  du  pinacle, 
de  chercher  la  gloire,  de  briguer  tes  honneurs,  les 
emplois,  et  lorsqu'il  nous  aura  montré  les  ressorts 
à  faire  jouer  pour  y  parvenir  et  nous  mettre  en  me- 
sure de  satisfaire  notre  orgueil,  il  nous  fera  regarder 
avec  dédain  et  mépris  ceux  qui  sont  au-dessous  de 
nous.  C'est  ainsi  qu'il  nous  perdra  par  l'orgueil  et  la 
vaine  gloire. 

D'autres  fois,  pour  nous  faire  perdre  le  mérite  de 
nos  meilleures  actions,  il  nous  fera  agir  en  vue  des 
louanges  et  des  applaudissements  des  témoins  de 
nos  bonnes  œuvres;  c'est  ainsi  que  nous  perdons  le 
mérite  de  nos  jeûnes,  de  nos  aumônes  et  de  nos 
prières.  Que  devons-nous  faire  pour  résister  sûre- 
ment à  ces  séductions.  Nous  devons  répondre  haute- 
ment avec  Jésus-Christ  :  Tu  ne  tenteras  pas  le  Seigneur 
ton  Dieu. 

Alors  le  démon  sans  se  déconcerter,  le  transporte 
sur  une  haute  montagne  où  il  étale  à  ses  yeux  tout 
ce  que  le  monde  a  de  plus  séduisant.  Il  lui  en  fait 
voir  la  grandeur  et  la  gloire  :  Tout  cela  m'appartient, 
lui  dit-il,  je  suis  le  maître  d'en  disposer,  et  je  vais 
vous  le  livrer  à  vous-même  si  vous  voulez  m'adorer  : 
Si  cadens   adoraveris  me.  Quel  blasphème  horrible  I 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES        25i 

quelle  imposture!  quelle  perfidie!  quelle  proposi- 
tion! Se  substituer  à  Dieu,  être  adoré...  Voilà  ce 
qu'il  demande  à  tout  homme  qu'il  porte  au  mal,  et 
pour  le  gagner  il  a  recours  à  de  vains  fantômes,  à 
de  chimériques  promesses,  à  de  trompeuses  illu- 
sions; il  séduit  son  imagination  et  trouble  ses  sens. 
Cet  imposteur  promet  ce  qu'il  n'a  pas.  Il  montre  les 
objets  les  plus  agréables  :  Ostendit  omnia  régna  mundi. 
11  les  promet  :  hœc  omnia  tibi  dabo;  mais  avant  de  les 
donner  il  veut  qu'on  se  prosterne  devant  lui  pour 
l'adorer  :  Si  cadens  adoraveris  me;  c'est-à-dire  qu'il 
veut  se  rendre  le  souverain  des  cœurs,  pour  être  le 
maître  de  refuser  ensuite  ce  qu'il  promet  et  qu'il  ne 
peut  nullement  donner:  et  c'est  cependant  par  ce& 
illusions  grossières  qu'il  séduit  encore  aujourd'hui 
tant  de  chrétiens  :  car  combien  n'en  voyons-nous 
pas  qui,  sur  les  vaines  espérances  qu'il  leur  donne 
de  leur  faire  part  des  biens  et  des  grandeurs  do 
siècle,  commencent  d'abord  par  se  donner  à  lui,  et 
par  se  prosterner  devant  lui  pour  l'adorer,  sans  que 
l'exemple  de  tous  ceux  qu'il  a  séduits,  soit  capable 
de  les  détromper  :  Enfants  des  hommes,  jusques  à 
quand  vos  cœurs  seront-ils  endurcis  ?  Pourquoi  aimez- 
vous  tant  la  vanité,  et  d'où  vient  que  vous  cherchez 
le  mensonge?  Voyez-vous,  de  bonne  foi,  que  ceux 
qui  se  rendent  les  esclaves  du  démon,  en  soient 
plus  heureux  et  plus  fortunés  :  cet  ambitieux  se 
prosterne  devant  lui  depuis  tant  d'années,  en  est-il 
plus  élevé?  Cet  avare,  le  reconnaît  pour  son  dieu,  en 
est-il  plus  riche? 


252        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

A  peine  le  divin  Sauveur  eut-il  entendu  la  propo- 
sition sacrilège  qu'osa  lui  faire  cet  esprit  imposteur, 
en  l'invitant  à  l'adorer  et  à  se  prosterner  devant  lui, 
qu'il  lui  répondit  avec  un  ton  de  mépris  et  d'indi- 
gnation :  Retire-toi,  Satan,  car  il  est  écrit  :  Vous  ado- 
rerez le  Seigneur  votre  Dieu,  et  vous  ne  servirez  que  lui 
seul.  Voilà  la  maxime  qui  doit  nous  servir  de  règle. 
Il  n'y  a  qu'un  seul  maître  qu'on  doive  adorer  et  ser- 
vir. Ce  maître  est  Dieu;  et  c'est  Dieu  seul  que  j'a- 
dorerai et  servirai. 

En  opposant  ces  résolutions  et  ces  sentiments 
religieux  aux  suggestions  impies  de  l'esprit  tentateur, 
vous  le  confondrez,  vous  le  mettrez  en  fuite;  et  vous 
verre?  comme  Jésus-Christ  les  douceurs  delà  paix 
remplacer  la  peine  du  combat;  car,  après  Ja  dernière 
réponse  de  ce  Dieu  Sauveur,  le  démon  le  laissa,  aus- 
sitôt  les  anges  s'approchèrent  de  lui  et  le  servirent. 
Voilà  le  dénouement  de  la  tentation  du  Sauveur. 
L'angedéchu  se  retire,  honteux,  couvert  de  coiiiu.sion. 
Les  anges  du  ciel  se  pré>entent  et  servent  au  Sauveur 
la  suave  nourriture  qui  dissipera  sa  faim.  Gracieuse 
image  de  ce  qui  aura  lieu  pour  nous,  mes  frères,  si 
nous  combattons  saintement  les  combats  du  Sei- 
gneur. Le  démon  un  jour  cessera  de  nous  pour- 
suivre, il  se  retirera  définitivement,  il  ne  pourra  plus 
rien  pour  notre  perte...  Et  les  anges  qui  nous  au- 
font  protégés  pendant  la  vie,  s'approcheront  de  nous 
à  la  dernière  heure,  ils  viendront  nous  servir  les 
dernières  consolations  que  le  chrétien  espère  ici-bas. 
ils    viendront   prendre  notre  âme  pour  la  porter 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        253 

aux  célestes    demeures    de    la    radieuse    éternité; 
Amen. 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

Les  Tentations,  voir  le  Missionnaire  de  la  campagne, 
tome  Ier,  page  200. 


15 


II«  DIMANCHE  DE  CARÊME 


EVANGILE 

En  ce  temps-là,  Jésus  prit  Pierre,  Jacques  et  Jean 
son  t r ère,  et  les  conduisit  sur  une  haute  montagne, 
à  l'écart.  Et  il  fut  transfiguré  devant  eux  ;  sa  face 
resplendit  comme  le  soleil,  et  ses  vêtements  devin- 
rent blanc^  comme  la  neige.  Et  voilà  que  Moïse  et 
Élie  leur  apparurent,  s'entretenant  avec  lui.  Or 
prenant  la  parole,  Pierre  dit  à  Jésus  :  Seigneur,  il 
nous  est  bon  d'être  ici;  si  vous  voulez,  faisons  trois 
tentes,  une  pour  vous,  une  pour  Moïse  et  l'autre  pour 
Elie.  Il  parlait  encore  lorsqu'une  muée  lumineuse 
les  couvrit. 

Et  voici  une  voix  de  la  nuée  disant  :  Celui-ci  est 
mon  Fils  bien  aimé,  en  qui  j'ai  mis  toutes  mes  com- 
plaisances, écoutez-le.  Or,  les  disciples  en  entendant 
cela,  tombèrent  sur  leur  face  et  furent  saisis  d'une 
frayeur  extrême.  Mais  Jésus  s'approcha  et  les  toucha , 
et  il  leur  dit  :  Levez-vous  et  ne  craignez  point.  Alors 
levant  les  yeux,  ils  ne  virent  plus  personne,  si  ce 
n'est  Jésus  seul.  Et  comme  ils  descendaient  de  la 
montagne,  Jésus  leur  commanda  disait  ;  Ne  parlez 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        255 

à  personne  de  cette  vision  jusqu'à  ce  que  le  Fils  de 
l'homme  ressuscite  d'entre  les  morts. 


HOMÉLIE 

Mes  Frères, 

On  regarde  communément  la  transfiguration  de 
Nôtre-Seigneur  comme  un  miracle,  et  comme  un 
miracle  éclatant;  et  néanmoins  il  n'en  est  rien.  Plus 
le  divin  Sauveur  se  montre  avec  splendeur  et  ma- 
jesté, plus  il  se  rapproche  de  son  état  naturel.  Le 
véritable  miracle,  le  miracle  permanent  est  qu'il 
cache  à  nos  regards  pendant  trente-trois  ans  la  gloire 
dont  il  est  naturellement  revêtu.  Il  ne  faut  que  des 
yeux  pour  voir  un  Dieu  sur  le  Thabor,  il  faut  la  foi 
pour  le  reconnaître  dans  tout  le  reste  de  sa  vie.  Sa 
transfiguration  satisfait  la  raison;  son  état  ordinaire 
la  confond. 

Pourquoi  Jésus-Christ  s'est-il  transfiguré  en  pré- 
sence de  ses  Apôtres?  Pour  fortifier  leur  foi  et  la 
nôtre.  Il  voulait  prémunir  les  uns  et  les  autres  contre 
le  scandale  de  sa  Passion  et  de  sa  mort.  Nous  de- 
vions le  voir  noyé  dans  un  océan  d'opprobres  et  de 
douleurs  :  il  se  montre  auparavant  tout  rayonnant 
de  lumière  et  de  gloire  afin  que  la  splendeur  de  son 
premier  état  balance  dans  notre  esprit  l'ignominie 
du  second,  et  que  le  voyant  humilié,  après  l'avoir  vu 
glorifié,  nous  soyons  persuadé5»  qu'il  ne  souffre  que 
parce  qu'il  le  veut. 


256        DOMINICALES  D  UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

Jésus-Christ  n'admet  pas  tous  ses  apôtres  au  spec- 
tacle de  sa  transfiguration.  Il  fait  un  choix  des  plus 
dignes,  nous  apprenant  ainsi  que  les  grâces  qui  sor- 
tent de  l'ordre  commun  ne  sont  le  partage  que  de 
quelques  âmes  privilégiées. 

Tandis  que  le  Sauveur  montrait  aux  trois  apôtres 
bien-aimés  un  rayon  de  sa  gloire,  Moïse  et  Élie  se 
trouvèrent  au  milieu  d'eux  et  s'entretenaient  avec  le 
divin  Maître.  De  quoi  parlaient-ils  ?  Saint  Luc 
nous  le  dit  :  Dicebant  encessum  ejus,  quem  completurus 
erut  in  Jérusalem  :  il  parlait  de  l'excès  de  son  amour 
qu'i.  allait  accomplir  en  mourant  à  Jérusalem.  Oui, 
c'estde  samortquele  Sauveur  s'entretient  avec  Moïse 
et  Elie.  Comme  elle  était  le  bot  de  sa  mission,  elle 
était  l'objet  de  toutes  ses  pensées.  Sa  mort  si  cruelle, 
si  humiliante  est  encore  ce  qui  l'occupe  au  sein 
même  de  la  gloire  dont  il  est  revêtu.  Quelle  différence 
cependant  entre  Jésus  sur  le  Thabor,  et  Jésus  sur  le 
Calvaire.  Aujourd'hui  il  apparaît  environné  de  ma- 
jesté, plus  tard  on  le  verra  couvert  de  blessures, 
semblable  à  un  ver  de  terre;  sur  le  Thabor  retentit  la 
voix  du  Père  Eternel  qui  le  proclame  son  Fils  bien- 
aimé,  sur  le  Calvaire  le  Fils  criera  avec  douleur  : 
Mon  Père,  pourquoi  m'avez-vous  abandonné?  Au- 
jourd'hui, assisté  par  les  deux  plus  grands  person- 
nages de  la* Loi,  il  reçoit  leurs  adorations,  alors  il 
sera  exposé  entre  deux  larrons,  aux  rires  et  aux  ou- 
trages de  la  multitude.  En  ce  jour  les  apôtres  vou- 
draient ne  jamais  plus  se  séparer  de  lui,  plus  tard  ils 
l'abandonneront  honteusement,  et  Pierre  qui  aujour- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES        257 

d'hui  est  le  premier  à  manifester  son  désir  de  rester 
avec  lui,  alors  sera  le  premier  à  le  renier.  Pourquoi, 
mes  frères,  Notre -Seigneur  rapproche- t-il  deux 
choses  aussi  disparates?  C'est  pour  nous  rappeler  que 
l'ignominie  et  la  gloire,  les  souffrances  et  la  joie  sont 
unies  comme  le  principe  et  la  conséquence  ,  et  que 
les  unes  mènent  nécessairement  aux  autres. 

Vous  vous  êtes  peut-être  demandé  pourquoi  Notre- 
Seigneur  fait  apparaître  Moïse  et  Eliedans  la  scène 
de  la  transfiguration?  C'est  parce  que  ces  deux  saints 
et  illustres  personnages  représentent  et  rappellent  les 
deux  grands  faits  qui  ont  préparé  la  venue  du  Messie: 
la  loi  et  la  prophétie.  Jésus-Christ  est  le  terme-  de 
l'une  et  de  l'autre  :  c'était  pour  préparer  le  peuple 
juif  à  le  recevoir  que  la  loi  avait  été  donnée,  c'était 
pour  l'annoncer  que  les  prophètes  avaient  parlé.  Tout 
«hez  les  Juifs  était  figure  ;  tout  avait  rapport  à  Jésus- 
Christ  :  préceptes,  promesses,  cérémonies,  sacrifices, 
sacerdoce,  personnages  même,  patriarches,  justes, 
prophètes,  tout  avait  pour  objet  de  le  figurer  et  de  le 
promettre.  Jésus-Christ  expirant  sur  la  croix,  toutes 
les  figures  sont  réalisées,  tous  les  oracles  sont  ac- 
complis, la  loi  ancienne  cesse  et  la  nouvelle  com- 
mence. Moïse  et  Elie  sur  le  Thabor  reconnaissent 
que  leur  rôle  est  fini,  et  qu'avec  Jésus  va  commen 
cer  pour  le  monde  une  ère  nouvelle. 

Frappés  de  l'admirable  spectacle  qui  s'offre  à  leurs 
yeux  les  apôtres  sont  ravis  d'un  bonheur  ineffable. 
Pierre  ne  peut  s'empêcher  de  l'exprimer  avec  sa  viva- 
cité ordinaire  :  «  Seigneur,  dit-il,  nous  sommes  bien 


258        DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

ici,  faisons-y  trois  tentes.» Oui,  c'est  là,  c'est  au  sein 
de  la  gloire  que  l'on  est  bien.  Ce  n'est  même  que  là 
que  se  trouve  le  vrai  bonheur.  Tous  ces  faux  biens  de 
la  terre  dans  lesquels  nous  cherchons  la  félicité  ne 
donnent  que  des   plaisirs   toujours   mêlés  de  peine, 
souvent    accompagnés   de  soucis,   presque  toujours 
suivis   de  regrets.  Le  bonheur  n'appartient  pas  à  ce 
monde.  Dieu  l'a  placé  au  delà   des  limites  de  la  vie. 
Il  nous  est  promis  ;  il  ne  nous  est  pas  encore  accordé; 
nous  n'en  jouirons    qu'à  condition    de  le   mériter; 
nous  pouvons  le  poursuivre  pendant  la  vie,  mais  nous 
ne  l'atteindrons  qu'après  la  mort.  En  ce   moment, 
notre  âme,  dégagée  du  poids  du  corps,  se  trouvera 
soudainement  en  présence  de  Jésus-Christ  rayonnant 
d'une  gloire  plus  éclatante  encore  que  celle  du  Tha- 
bor,  environné  non  seulement   de  Moïse  et  d'Eiie, 
mais  de  tous  les  saints  de  l'ancienne  et  de  la  nou- 
velle loi,  et  prononçant  sur  elle  son  irrévocable  arrêt. 
Quelle  sera  cette  sentence?  Il  ne  tient  qu'à  nous  de 
la  préparer.   Notre  sort  est  entre  nos  mains  ;  nous 
sommes  les  maîtres  de  nos  destinées  éternelles.  Tra- 
vaillons à  les  rendre  heureuses  tant  que  les  temps  et 
les  moyens  nous  en  sont  donnés. 

Saint  Pierre  parlait  encore,  lorsqu'une  nuée  lumi- 
neuse les  enveloppa.  Et  en  même  temps  une  voix 
venant  de  la  nue  disait  :  C'est  là  mon  Fils  bien-aimé 
en  qui  j'ai  mis  toutes  mes  complaisances  ;  écoutez-le. 

Nous  trouvons  ici  deux  choses  :  un  témoignage 
éclatant  rendu  à  Jésus-Christ  par  son  Père  en  pré- 
sence des  représentants  de  la  loi  ancienne  et  de  la 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        259 

loi  nouvelle,  et  un  précepte  de  l'écouter.  Dieu  rap- 
pelle ce  qu'il  avait  déjà  fait  entendre  sur  les  bords  du 
Jourdain  2t  reconnaît  hautement  Jésus-Christ  pour 
son  Fils.  Il  confirme  ainsi  le  dogme  sacré,  rejeté 
avec  dédain  par  l'incrédulité,  combattu  avec  fureur 
par  diverses  hérésies,  que  Jésus-Christ  est  la  seconde 
personne  de  la  Sainte  Trinité,  engendrée  dans  l'éter- 
nité, née  dans  le  temps;  Dieu  comme  son  Père, 
homme  comme  nous. 

Et  ce  Fils  bien-aimé,  Dieu  le  Père  nous  commande 
de  l'écouter.  Ce  commandement  fait  aux  Apôtres  doit 
retentir  dans  tous  les  pays  et  dans  tous  les  temps  :il 
oblige  tout  homme  venant  en  ce  monde. 

Or,  Jésus-Christ  nous  parle  d'abord  par  son  Église 
à  laquelle  il  a  confié,  avec  le  dépôt  de  son  enseigne- 
ment, la  prérogative  de  son  infaillibilité.  Celui  qui 
vous  écoute,  dit-il  à  ses  Apôtres  m'écoute;  celui  qui 
vous  méprise,  me  méprise,  et  en  moi  méprise  Celui 
qui  m'a  envoyé.  Nous  devons  donc  écouter  l'Église, 
croire  les  vérités  qu'elle  enseigne,  rejeter  les  erreurs 
qu'elle  condamne  et  suivre  les  lois  qu'elle  pro- 
clame. 

Cette  obligation  d'écouter  l'Église  nous  fait  un 
devoir  de  repousser  tout  enseignement  qui  serait 
contraire  au  sien;  de  nous  prémunir  contre  toutes 
les  doctrines  suspectes  de  mensonge  ou  d'immora- 
lité 

Jésus-Christ  nous  parle  aussi,  et  c'est  là  son  organe 
le  plus  direct,  par  le  ministère  évangélique,  c'est- 
à-dire  par  les  évoques  et  les  prêtres  ;  mais  ces  repré- 


260        DOMINICALES   D'EN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 

sentants  du  divin  Maître,  comment  les  écoutons-nous? 
Nous  rendons-nous  avec  assiduité  à  leurs  salutaires 
prédications?  Et  lorsque  nous  y  assistons,  quel  est 
l'esprit  que  nous  y  apportons?  La  parole  divine, 
hélas!  trop  souvent  nous  pèse  et  nous  ennuie,  et 
nous  n'allons  pas  l'écouter;  trop  souvent  nous  la 
regardons  comme  un  vrai  amusement,  et  nous  n'en 
retirons  aucun  profit.  Nous  ne  l'écoutons  pas  ou 
nous  l'écoulons  mal,  et  à  cause  de  cela  nous  tour- 
nons contre  nous  ce  grand  bienfait  de  Dieu;  nous 
trouvons  la  mort  là  où  Dieu  avait  placé  la  vie. 

Jésus-Christ  nous  parle  encore  par  les  saintes  pen- 
sées, les  pieux  mouvements  qu'il  fait  naître  en  nous. 
Cette  horreur  naturelle  que  vous  ressentez  pour  le 
mal,  c'est  sa  voix  qui  vous  engage  à  le  fuir;  ce  re- 
mords qui  trouble  votre  conscience,  c'est  sa  voix  qui 
vous  appelle  au  repentir;  ce  désir  que  vous  éprouvez 
de  faire  une  bonne  oeuvre,  de  résister  à  une  passion, 
de  vaincre  une  mauvaise  habitude,  c'est  sa  voix  qui 
vous  pousse  au  bien,  à  la  vertu;  ces  mouvements 
pieux  qui  attendrissent  votre  âme,  c'est  sa  voix  qui 
vous  presse  de  l'aimer.  Dites  donc  aujourd'hui  comme 
le  prophète  :  Audiam  quid  loquatur  in  me  Dominus 
meus. 

Enfin  Jésus-Christ  nous  parle  par  les  événements. 
Tous  ceux  qu'il  fait  passer  sous  nos  yeux  sont  des 
leçons.  Quand  il  lance  son  tonnerre  sur  les  empires, 
quand  il  livre  les  sociétés  aux  révolutions,  il  nous 
montre  l'instabilité  des  choses  humaines;  quand  il 
renverse  les  trônes,  brise  les  sceptres,  anéantit  les 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        261 

dignités,  déchire  les  titres,  il  nous  enseigne  le  néant 
des  grandeurs  terrestres;  quand  il  arrête  l'impie,  le 
libertin,  le  riche  avare,  le  mondain  au  milieu  de 
leurs  triomphes,  il  nous  donne  un  exemple  de  sa 
rigoureuse  justice.  Par  les  prospérités  honnêtes,  il 
nous  excite  à  la  reconnaissance;  par  les  adversités, 
a  l'humiliation  et  à  la  prière.  La  rencontre  d'un 
pauvre  nous  prêche  l'aumône,  celle  d'une  croix  la 
mortification;  un  convoi  funèbre  nous  dit  que  la 
mort  est  à  nos  portes.  Dans  l'intérieur  de  nos  mai- 
sons, sur  les  places  publiques,  dans  la  solitude, 
Jésus-Christ  nous  parle.  Écoutez-le,  chrétiens  ;  n'en- 
durcissez pas  vos  cœurs,  mais  soyez  dociles  à  sa 
voix  :  Hodiè  si  vocern  Domini  audieritis,  nolite  obdurare 
tarda  vestra. 

Mais  ne  nous  contentons  pas  d'écouter  notre 
Maîtr°,;  obéissons-lui.  Si  vous  vous  contentez,  dit 
saint  Jacques,  d'écouter  la  parole  de  Dieu  sans  la 
mettre  en  pratique,  vous  vous  faites  la  plus  dange- 
reuse illusion  :  Estote  autcm  factures  verbi,  et  non  au- 
ditores  tanlum,  fallentes  vosmetipsos.  Celui  qui  se  con- 
tente de  l'entendre  sans  la  suivre,  ressemble  à 
l'homme  qui  regarde  rapidement  son  visage  dans 
un  miroir,  il  passe,  et  aussitôt  il  a  oublié  les  traits 
de  sa  figure;  mais  celui  qui  médite  sérieusement  la 
loi  divine  et  la  traduit  dans  ses  actes,  celui-là  sera 
heureux  par  ses  œuvres  :  Hic  beatus  in  facto  suo  erit. 

Les  apôtres  en  entendant  la  voix  qui  venait  de  la 
nue  furent  saisis  de  frayeur  et  tombèrent  le  visage 
contre  terre,  mais  Jésus  les  touchant  de  la  main  leur 

P. 


262        DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

dit  :  «  Levez-vous  et  ne  craignez  point.  »  Il  y  a  une 
crainte  qui  est  salutaire,  qui  est  le  commencement 
de  la  sagesse,  et  cette  crainte-là,  non  seulement  le 
Sauveur  ne  veut  pas    nous  en  débarrasser,  mais  il 
désire  que  nous  la  conservions,  car  c'est  la  crainte 
d'un  fils  qui  redoute  d'offenser  son  père,  ou  d'un 
criminel  qui  tremble  devant  la  sentence  que  son  juge 
peut  prononcer  contre  lui.  Mais  il  est  une  crainte 
qui  est  mauvaise  :  c'est  celle  qui  nous  fait  redouter 
les  maux  de  la  vie  présente,  car  ces  maux  sont  sou- 
vent des  grâces  de  la  miséricorde  de  Dieu  et  rare- 
ment les  châtiments  de  son  infaillible  justice.  Il  y  a 
aussi  la  crainte  qui  fait  éviter  le  péché  simplement 
à  cause  de  l'enfer  qui  doit  le  punir.  Cette  crainte 
est  purement  servile.  Devant  ces  deux  craintes-là 
Jésus-Christ  nous  dit  avec  raison  :  «  Ne   craignez 
pas.  »  Mettons  toute  notre  confiance  en  Dieu,  mes 
frères,  soit  pour  les  choses  spirituelles,  soit  pour  les 
jesoins  temporels.  Il  connaît  notre  faiblesse,  notre 
misère,  et  il  est  tout  disposé  à  nous  venir  en  aide. 
Disons  donc  comme  le  saint  roi  David  :  In  te,  Domine, 
spe?*avi,  non  confundûr  in  œternum.  Cette  confiance  ab- 
solue nous  méritera  d'être  transfigurés  un  jour  dans 
le  ciel  et  de  contempler  à  jamais  Celui  qui  sera  le 
principe  de  notre  gloire.  Amen. 


dOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        263 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


NOUS    DEVONS    SUIVRE   LA   VOIX    DE   JÉSUS-CHRIST 


Hic  ett  Filius  meus  dilectus  in  quo 
mihi  benè  Cumplacui  :  ipsum  audite. 


Dans  l'Evangile  de  ce  jour,  Dieu  le  Père,  après 
avoir  proclamé  hautement  la  divinité  de  Jésus-Christ 
et  déclaré  qu'il  est  son  Fils  bien-aimé,  l'objet  de  ses 
complaisances,  nous  intime  l'ordre  de  l'écouter  : 
Ipsum  audite  ;  écoutez-le,  dit  la  voix  céleste.  Ce  mot 
est  important  ;  comprenons-en  toute  la  portée. 

Il  signifie  prêter  l'oreille  à  la  parole  de  Jésus,  l'en- 
tendre volontiers,  de  bon  cœur  ;  il  signifie  de  plus 
écouter,  méditer  ce  que  l'on  entend,  en  approfondir 
le  sens  t  il  signifie  encore  exécuter  ce  qu'on  a 
entendo  et  compris  :  Ipsum  audite.  Ecoutez-le  l 
c'est-à-dire  recevez  ses  enseignements,  méditez-le», 
pratiquez-les. 


264        DOMINICALES  D  UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

Ce  précepte  n'émane  point  des  princes  de  la  terre, 
mais  du  souverain  Maître  du  ciel.  Soyons  donc 
attentifs  à  cette  voix  salutaire,  et  considérons  en 
combien  de  manières  elle  se  fait  entendre.  Jésus- 
Christ  nous  parle  : 

1°  Par  les  décisions  de  son  Eglise,  à  laquelle  il  a 
confié,  avec  le  dépôt  de  son  enseignement,  la  préro- 
gative de  son  infaillibilité.  11  a  promis  d'être  avec 
elle  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  l'assurant  que  les  portes 
de  l'enfer  ne  prévaudraient  pas  contre  elle  ;  elles  pré- 
vaudraient, si  l'erreur  pouvait  se  glisser  dans  son 
enseignement.  Il  avait  dit  auparavant:  «  Quand  vous 
prêcherez,  ce  ne  sera  pas  vous  qui  parlerez,  mais  ce 
sera  l'Esprit  de  mon  Père  qui  parlera  par  votre 
bouche.  »  C'est  à  ses  apôtres  et,  en  leur  personne,  à 
tous  leurs  successeurs,  que  Jésus-Christ  adressait  ces 
paroles.  Elles  prouvent  évidemment  le  devoir,  pour 
tout  fidèle,  d'écouter  l'Eglise  et  de  lui  obéir.  Vous 
devez  donc  croire  avec  fermeté  les  vérités  qu'elle  en- 
seigne, rejeter  avec  indignation  les  erreurs  qu'elle 
condamne,  recevoir  avec  docilité  les  instructions 
qu'elle  publie,  pratiquer  avec  exactitude  les  pré- 
ceptes qu'elle  dicte.  Cette  soumission  que  vous  devez 
à  l'Eglise  vous  impose  l'obligation  de  repousser  loin 
de  vous  tout  enseignement  qui  n'en  émane  pas,  de 
rejeter,  comme  des  poisons  mortels,  toutes  les  doc- 
trines qui  ne  vous  sont  pas  présentées  par  elle,  de 
vous  éloigner  soigneusement  de  ces  chaires  empes- 
tées où  l'hérésie  distribue  insidieusement,  sous  le 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES 

nom  de  doctrine  évangélique,  le  mensonge  et  l'er- 
ivur.  Rentrez  un  instant  au  dedans  de  vous-même. 
L'Eglise  est-elle  pour  vous  cette  mère  chérie  dont  la 
voix  ne  s'élève  jamais  en  vain  ?  Prenez-vous  pitié  de 
ses  larmes?  Cherchez-vous  à  consoler  ses  douleurs  ? 
Vous  réjouissez-vous  avec  elle  lorsqu'elle  est  dans 
l'allégresse?  Quel  respect  portez-vous  aux  pasteurs 
de  l'Eglise  et  à  vos  pères  dans  la  foi?  En  quels 
termes  en  parlez-vous?  Avec  quelle  docilité  acceptez- 
vous  leur  enseignement? 

2°  Jésus-Christ  nous  parle  par  la  voix  des  prédica- 
teurs qu'il  appelle  ses  agents,  ses  ambassadeurs,  ses 
représentants,  ses  porte-voix  :  Pro  Christo  legatione 
fungimur  ;  ses  coadjuteurs  dans  l'œuvre  du  salut: 
Dei  sumus  adjutores.  C'est  ce  divin  Sauveur  qui  les 
envoie  parmi  nous  pour  nous  instruire  :  Sicut  misit 
me  Pater,  et  ego  mitto  vos...  Evangelizare  pauperibus 
misit  me  Pater..,  Euntes,  docete  omnes  gentes...  Qui  vos 
audit  me  audit  ;  qui  vos  spernit  me  spernit. 

Le  prédicateur  est  donc  l'organe  le  plus  direct  qui 
nous  fait  entendre  les  oracles  de  Jésus-Christ.  Les 
exhortations  du  ministère  pastoral  sont  donc  la 
parole  du  divin  Maître  ;  et  le  Père  éternel  nous 
ordonne  de  l'écouter  attentivement  :  Ipsum  audite. 
Ecoutez  sa  doctrine,  pratiquez  sa  loi,  imitez  ses 
exemples,  prenez  son  esprit,  suivez  ses  maximes. 
Sommes-nous  dociles  à  cette  voix  du  Thabor  ? 
L'avons-nous  comprise  ?   Interrogeons  notre   con- 


266        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

duite.  Est-ce  Jésus-Christ  que  nous  avons  écoulé? 
N'est-ce  pas  bien  souvent  le  démon,  le  monde, 
nous-mêmes,  notre  humeur  et  nos  passions?  Ecou- 
tons-nous Jésus-Christ,  lorsqu'il  nous  dit  de  renon- 
ter  à  ce  péché,  de  rompre  cette  habitude,  de  résis- 
ter à  cette  passion,  d'étouffer  ces  mouvements  de 
notre  cœur,  de  réprimer  nos  sens,  de  retenir  nos 
regards,  d'arrêter  notre  langue;  lorsqu'il  nous  dit  de 
fuir  la  dissipation,  de  nous  livrer  à  la  prière,  à  la 
lecture  des  Livres  saints,  à  la  méditation  ?  Ah  ! 
n'étouffons-nous  pas  sa  voix,  ne  fermons-nous  pas 
l'oreille  pour  ne  pas  l'entendre,  n'y  résistons-nous 
pas  ouvertement  lorsque  nous  l'entendons?  S'il  en 
est  ainsi,  que  faisons-nous  du  précepte  :  Ipsum  au- 
dite?  Et  quelle  responsabilité  n'assumons-nous  pas 
devant  Celui  qui  sera  notre  juge  ? 

3°  Jésus-Christ  nous  parle  encore  par  les  pensées 
saintes  qu'il  fait  naître  dans  notre  esprit.  Cette  hor- 
reur naturelle  que  nous  ressentons  pour  le  mal,  c'est 
sa  voix  qui  nous  engage  à  l'éviter;  ce  remords  qui 
trouble  notre  conscience,  c'est  sa  voix  qui  nous 
appelle  à  la  pénitence  ;  ce  désir  que  nous  éprouvons 
de  faire  une  bonne  œuvre,  c'est  sa  voix  qui  nous  y 
encourage  ;  ces  mouvements  pieux  qui  attendrissent 
notre  âme,  c'est  sa  voix  qui  nous  presse  de  l'aimer. 
«  J'écouterai,  dit  le  prophète,  ce  que  le  Seigneur 
daignera  dire  au  dedans  de  moi.  »  Nous  devons  de 
même  prêter  une  oreille  continuellement  attentive 
à  cette  voix  qu'il  fait  pénétrer  dans  notre  cœur.  Elle 
est  douce,  et  pour  être  entendue,  elle  a  besoin  dètre 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        267 

écoutée  avec  un  grand  recueillement.  Hélas  !  com- 
bien le  défaut  de  recueillement  nous  a  fait  perdre  de 
salutaires  inspirations  !  Combien  de  fois  Dieu  nous  a 
parlé,  tantôt  nous  suggérant  une  bonne  action, 
tantôt  nous  détournant  d'une  mauvaise  ;  ici,  nous 
rappelant  les  préceptes  de  la  loi,  là,  nous  en  présen- 
tant les  promesses  ouïes  menaces!  Et  nous,  empor- 
tés par  notre  dissipation,  nous  ne  l'avons  pas  seule- 
ment entendu.  Nous  avons  méconnu  ses  dons, 
ignoré  ses  grâces,  été  sourds  à  ses  instructions  ; 
nous  en  avons  été  punis  par  la  perte  des  bienfaits 
qu'il  nous  offrait. 

4°  Jésus-Christ  emploie  un  autre  langage  plus  sen- 
sible que  les  précédents,  et  encore  moins  écouté  : 
c'est  celui  des  événements.  Tous  ceux  qu'il  fait  pas- 
ser sous  nos  yeux  sont  des  instructions  qu'il  nous 
donne.  Quant  il  lance  son  tonnerre  sur  les  empires 
et  qu'il  les  bouleverse  par  des  révolutions,  il  nous 
révèle  l'instabilité  des  choses  humaines  :  quand  il 
précipite  du  faîte  de  leur  puissance  ceux  qu'il  y  avait 
élevés,  il  nous  apprend  le  néant  des  grandeurs  ter- 
restres: quand  il  frappe,  au  milieu  de  leur  carrière, 
et  enlève  soudainement  de  la  terre  des  victimes  de 
sa  justice,  il  nous  avertit  de  la  certitude  de  la  mort 
et  de  l'incertitude  de  son  heure.  Les  exemples  de 
vertu  nous  apprennent  ce  que  nous  devons  faire, 
ceux  du  vice-  nous  disent  ce  que  nous  devons  éviter. 
Par  les  prospérités,  il  nous  excite  à  lui  rendre  grâces  ; 
par  les  adversités,  il  nous  engage  à  recourir  à  lui. 
La  rencontre  d'un  pauvre  est  une  exhortation  à  Tau- 


2Ô8        DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 

mône  ;  l'aspect  d'un  temple  est  une  invitation  à  la 
prière  ;  la  vue  d'une  croix  est  un  souvenir  de  la  Pas- 
sion. Dans  l'intérieur  de  nos  maiso-ns  comme  au 
milieu  des  places  publiques,  dans  le  silence  de  la 
solitude  comme  dans  la  dissipation  des  sociétés, 
partout  Jésus-Christ  nous  parle.  Il  nous  parle  encore 
par  les  livres  de  piété  aujourd'hui  si  répandus  dans 
le  monde.  Lisez-les  avec  soin  et  recueillement  ;  vous 
y  découvrirez  la  voix  de  Dieu. 

Il  nous  parle  surtout  au  cœur  dans  la  divine  com- 
munion, quand  il  se  renferme  en  nous,  comme  un 
ami  qui  vient  s'asseoir  au  foyer  de  son  ami...  Mais 
■vous,  mes  frères,  l'écoutez-vous  bien?  L'écoutez- 
vous  comme  Madeleine  quand  elle  le  recevait  à 
Béthanie,  dévorant  en  quelque  sorte  les  paroles  qui 
s'échappaient  de  la  bouche  divine?  Cependant  le 
Père  céleste  nous  commande  de  l'écouter  et  de  l'é- 
couter attentivement  :  Jpsum  audite. 

Mais,  insensés  que  nous  sommes  !  nous  vivons  en- 
vironnés de  ses  instructions  sans  y  prendre  garde  ; 
nous  marchons  à  travers  ses  avertissements,  ses 
exhortations,  ses  instances,  sans  y  réfléchir,  sans  les 
apercevoir.  Les  événements  nous  frappent,  et  ils 
ne  nous  instruisent  pas;  nous  en  parlons,  nous  en 
Taisonnons,  nous  en  recherchons  les  causes,  nous  en 
calculons  les  effets;  la  seule  chose  que  nous  n'y 
voyons  pas,  c'est  ce  qu'il  nous  serait  le  plus  utile 
d'y  voir,  ce  que  Dieu  y  a  mis  pour  nous  instruire, 
nous  exhorter  et  nous  toucher.  Habituons-nous  donc 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        269 

à  reconnaître  la  voix  de  Jésus  toutes  les  fois  qu'il 
nous  parle  durant  le  cours  de  notre  pèlerinage  ; 
profitons  de  toutes  les  instructions  qu'il  nous  donne; 
c'est  à  cette  docilité  qu'est  attachée  notre  sanctifica- 
tion et,  par  suite,  notre  salut  éternel.  Amen, 


270       DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE? 


POUR  LE  MÊME   DIMANCHE 


LE    THABOR    ET    LE    CALVAIRE 


Dictbant  excessum  ej'&s  guem 
complecturus  erat  in  Jérusalem* 
(Luc,  ix,  31.) 


Sur  la  montagne  du  Thabor,  en  montrant  à  Moïse, 
àÉlie  et  à  trois  de  ses  disciples  un  coin  de  sa  gloire, 
Jésus-Christ  leur  parlait  des  ignominies  qui  l'atten- 
daient à  Jérusalem,  lorsque  serait  venu  le  jour  de  sa 
Passion. 

Il  peut  nous  paraître  étrange,  mes  frères,  qu'au 
milieu  des  splendeurs  de  sa  Transfiguration,  le  Sau- 
veur parle  des  opprobres  de  sa  mort.  Qu'y  avait-il 
de  commun  entre  le  Thabor  et  le  Calvaire?  Pourquoi 
rapprocher  et  réunir  deux  situations  si  opposées  ? 
Dans  le  premier  de  ces  mystères  tout  est  gloire  et 
délices  pour  Jésus-Christ  :  les  rayons  de  sa'divinité 
l'enveloppent  tout  entier  et  transfigurent  son  huma- 
nité sainte  :  K*  resplenduit  faciès  ejus  sicut  sol.  Dieu  1© 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES         271 

t 

Père  proclame  sa  divinité  et  son  indéfectible  sainteté 
en  reconnaissant  en  lui  son  Fils  bien-aimé  et  l'éter- 
nel objet  de  ses  complaisances  :  Hic  est  Filius  meus 
dilectus,  in  quo  mihi  benè  complacui.  Dans  le  second, 
tout  est  opprobre  et  souffrance  :  Ego  autem  sum  ver- 
mis  et  non  homo,  opprobrium  hominum  et  abjectio  pie» 
bis.  —  Foderunt  manus  meas  et  pedes  meos  et  dinume- 
raverunt  ossa  mea.  Sur  le  Thabor  son  visage  est 
éclatant  comme  le  soleil,  la  lumière  qui  l'environne 
lui  forme  un  magnifique  vêtement  :  Et  vestimenta  ejus 
facta  sunt  alba  sicut  nix;  sur  le  Calvaire  il  est  nu,  défi- 
guré, ensanglanté  :  Non  est  ei  neque  species  neque  de- 
cor.  Dwiserunt  sibi  vestimenta  ejus.  Là,  le  Père  éternel 
le  proclame  son  Fils  bien-aimé,  ici,  le  Fils  se  plaint 
d'être  méconnu  et  délaissé  par  son  propre  Père  : 
Deus  meus,  ut  quid  derelicuisti  me.  Aujourd'hui  ses 
apôtres  ne  peuvent  s'éloigner  de  lui  :  Domine,  bonum 
est  nos  hic  esse,  faciamus  hic  tria  tabernacula ;  au  jour 
de  sa  mort,  ils  l'abandonneront  tous,  et  Pierre  lui- 
même  le  reniera  :  Nescio  kominem.  Cependant,  mes 
frères,  ces  deux  grands  mystères  se  rapprochent  par 
des  relations  profondes  et  s'éclairent  mutuellement. 
Méditons  ces  rapports  et  prenons  garde  de  ne  ja- 
mais séparer  ces  deux  grandes  choses,  le  Thabor  et 
le  Calvaire. 

1°  Le  Thabor  nous  montre  la  gloire  et  le  bonheur 
qui  nous  attendent  au  ciel  ;  le  Calvaire  nous  fait 
connaître  à  quel  prix  nous  pouvons  obtenir  cette 
impérissable  couronne.  Leur  union  nous  apprend 
que  sur  la  terre  les  douceurs  et  les  amertumes,  le§ 


272        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

consolations  et  les  tristesses,  la  gloire  et  l'ignominie 
ne  peuvent  être  séparées  pour  longtemps.  Lorsque 
Dieu  nous  donne  ses  douceurs,  ses  consolations, 
prenons  garde  de  nous  enorgueillir,  car  bientôt  arri- 
veront les  amertumes  et  les  délaissements;  la  fer- 
veur est  souvent  suivie  de  la  sécheresse,  et  le  goût 
des  choses  de  Dieu  est  fréquemment  remplacé  par- 
le dégoût  de  ces  mêmes  choses.  Jésus  nous  donne  les 
uns  pour  nous  préparer  aux  autres,  comme  il  a 
voulu  que  sa  transfiguration  préparât  ses  apôtres  au 
scandale  de  sa  passion. 

L'union  du  Thabor  et  du  Calvaire  modère  nos 
joies  dans  la  prospérité;  elle  nous  avertit  que  le  bon* 
heur  ici-bas  est  éphémère,  et  que  la  Croix  seule  peut 
nous  mériter  des  félicités  qui  ne  passent  pas.  Mais, 
d'un  autre  côté,  nous  trouvons  dans  l'union  de  ces 
deux  mystères  de  quoi  nous  consoler  dans  nos 
épreuves  et  nous  animer  par  l'espérance  d'une  éter- 
nelle transfiguration. 

Cette  union  a  surtout  une  force  merveilleuse  pour 
embraser  nos  cœurs  du  feu  sacré  de  l'amour  di- 
vin. Sans  la  Transfiguration  nous  serions  moins 
touchés  de  la  Passion.  C'est  après  avoir  contemplé  la 
grandeur  du  Fils  de  Dieu,  que  nous  apprécions 
mieux  la  charité  qui  l'a  fait  descendre  pour  nous 
au  dernier  degré  de  l'abaissement.  S'il  n'avait  eu 
soin  de  nous  révéler  sa  gloire,  aurions-nous  pensé 
au  sacrifice  qu'il  nous  a  fait,  non  pendant  quelques 
heures  seulement,  mais  pendant  tout  le  cours  de  sa 
vie  ?  Car,   soyons  bien  convaincus,   l'état  de  Jésus- 


HOMÉLIES   ET    INSTRUCTIONS   PRATIQUES        273 

Christ  sur  le  Thabor  était  son  état  naturel,  autant 
que  des  yeux  mortels  pouvaient  en  soutenir  l'éclat, 
et  sa  Transfiguration  ne  fut  point  un  miracle,  mais 
l'interruption  momentanée  d'un  miracle  d'amour, 
sans  lequel  il  n'aurait  pu  ni  s'humilier,  ni  souffrir, 
ni  mourir  pour  nous.  Le  miracle  permanent  était 
que  Jésus  nous  cachait  sa  gloire  pour  ne  pas  nous 
éblouir  et  pour  arriver  au  fond  de  l'abîme  des  humi- 
liations, selon  la  parole  de  l'Apôtre  :  Exinanivit  se- 
mé tipsum. 

2°  Mais  pourquoi  Jésus-Christ  n'appelle-t-il  à  être 
les  témoins  de  sa  transfiguration  que  trois  apôtres  : 
saint  Pierre,  saint  Jacques  et  saint  Jean?  Première- 
ment parce  que  ces  trois  apôtres  devaient  plus  tard 
être  les  témoins  de  son  agonie,  et  le  Sauveur,  en  leur 
montrant  quelques  rayons  de  sa  gloire,  a  voulu  les 
prémunir  contre  le  scandale  qu'aurait  pu  leur  don- 
ner ses  défaillances  au  Jardin  des  Olives.  En  second 
lieu,  ces  trois  apôtres,  par  leur  caractère  distinctif, 
symbolisent  admirablement  les  trois  catégories  de 
bienheureux  qui  auront  au  ciel  une  gloire  plus 
grande  :  les  défenseurs  de  la  vérité  les,  martyrs  et 
les  vierges,  tous  ceux,  en  d'autres  termes,  qui  au- 
ront triomphé  de  l'esprit  de  mensonge,  du  démon  et 
de  la  chair.  Les  premiers  sont  représentés  sur  le 
Thabor  par  saint  Pierre,  le  maître  par  excellence  de 
la  Foi,  chargé  de  la  défendre  et  de  l'enseigner  d'une 
manière  infaillible  à  tous  les  peuples,  jusqu'à  la  con- 
sommation des  siècles.  Les  seconds  sont  représentés 
par  saint  Jacques,  qui  le  premier  des  apôtres  signe 


■274        DOMINICALES   D'UN   CURÉ   DE   CAMPAGNE 

de  son  sang  la  vérité  évangélique.  Le*  troisièmes 
enfin  se  reconnaissent  dans  la  personne  de  saint 
Jean,  à  qui  Notre-Seigneur,  vierge  par  excellence, 
confie  la  Vierge  immaculée,  sa  mère,  parce  qu'il  était 
vierge  lui-même  :  Cui  Christus  in  cruce  matrem  vir- 
ginem  virgini  cornmandavit.  Or,  tous  les  chrétiens, 
surtout  de  nos  jours,  doivent  être  les  apôtres,  les 
défenseurs  delà  vérité.  Le  temps  est  venu  où  chacun 
de  nous  doit  faire  profession  publique  de  sa  foi.  En 
face  de  l'incrédulité  qui  se  montre  le  front  haut, 
qui  s'affiche  en  tous  lieux,  qui  envahit  les  lois, 
les  gouvernements,  les  tribunaux,  les  écoles;  qui 
s'étale  dans  les  livres,  les  brochures,  les  journaux, 
ce  serait  un  crime  pour  nous,  chrétiens,  de  cacher 
notre  foi  au  sanctuaire  de  notre  conscience,  au 
loyer  domestique  même.  Nous  devons,  à  l'exemple 
des  apôtres,  de  saint  Pierre  en  particulier,  la  profes- 
ser sans  respect  humain  et  la  défendre  dans  la  me- 
sure de  notre  science  et  dans  le  cercle  de  nos  rela- 
tions, envers  tous  ceux  qui  la  blasphèment  par 
lâcheté  ou  par  ignorance.  En  affrontant  ainsi  les 
.  sarca.^mes,  les  railleries  des  incroyants,  en  nous  ex- 
posant peut-être  à  la  malveillance  de  gouvernements, 
de  *upé"ieurs  incrédules,  nous  couvrirons  nos  fronts 
de  l'auréole  des  martyrs,  et  nous  participerons  au 
triomphe  de  saint  Jacques  et  de  tous  ceux  qui  ont 
donné  à  Jésus-Christ  le  témoignage  du  sang.  Nous 
aurons  notre  part  aussi  à  la  gloire  de  saint  Jean  et 
des  vierges,  en  environnant  notre  chair  de  la  morti- 
fication de  Jésus-Christ,  en  résistant  à  ses  convoi- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES         275 

tises,  à  ses  appétits  sensuels.  Le  sensualisme  le  plus 
brutal  nous  envahit  à  la  suite  de  l'impiété,  il  faut 
lui  opposer  la  digue  d'une  chasteté  en  rapport  avec 
notre  condition  :  chasteté  conjugale  dans  le  saint 
état  du  mariage,  chasteté  virginale  en  dehors  de  cet 
état. 

3°  Le  Thabor  et  le  Calvaire  sont  deux  choses  qui 
se  tiennent;  l'un  est  souvent  la  conséquence  de 
l'autre.  Jésus  nous  conduit  au  Thabor  pour  nous 
préparer  au  Calvaire,  et  il  nous  fait  monter  au  Cal- 
vaire pour  nous  conduire  ensuite  au  Thabor.  Et  ce- 
pendant, combien  de  chrétiens  cherchent  à  séparer 
ces  deux  grands  mystères  !  Combien  qui  seraient 
heureux  de  monter  avec  Jésus  au  Thabor,  mais  qui 
refusent  de  le  suivre  au  Calvaire!  Ce  sont  to'is  ceux 
que  séduisent  les  illusions  d'une  vie  commode,  d'une 
dévotion  facile.  On  s'abstient  des  grands  crimes,  on 
remplit  les  devoirs  les  plus  rigoureux  de  la  vie  chré- 
tienne ;  mais  c'est  tout.  De  contrainte,  de  mortifica- 
tion, de  pénitence,  de  croix,  on  n'en  veut  pas. 
Comme  saint  Pierre  on  veut  être  avec  Jésus-Christ, 
on  dit  comme  lui  :  Bonum  est  nos  hic  esse,  mais  c'est  à 
la  condition  que  ce  sera  dans  les  honneurs  et  les 
délices,  au  Thabor  et  non  au  Calvaire.  On  veut  delà 
piété,  mais  d'une  piété  qui  s'allie  avec  la  recherche 
de  ses  aises  :  on  court  après  les  consolations  du  ser- 
vice de  Dieu,  mais  on  en  fuit  les  peines,  les  amer- 
tumes. Quelle  chimère  !  Quelle  dangereuse  illusion  I 
Jésus  notre  Maître,  notre  modèle,  n'a  passé  qu~ 
quelques  instants  sur  le  Thabor,  et  encore  il  s'y  ea& 


576        DOMINICALES  D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

occupé  de  sa  croix  et  de  sa  mort,  et  vous  voudriez 
que  votre  vie  fût  un  Thabor  continuel.  La  vie  entière 
de  Jésus  n'a  été  qu'un  martyre  prolongé,  et  vous 
voudriez  gue  la  vôtre  fût  un  festin  continuel  ?  Com- 
ment ne  voyez-vous  pas  que  vous  vous  mettez  ainsi 
en  contradiction  avec  Jésus-Christ  et  que  vous  l'o- 
bligez ainsi  à  vous  dire  :  Nescio  vos  ?  Ses  exemples 
vous  montrent  la  piété  dans  un  sacrifice  continuel 
de  votre  esprit,  de  votre  cœur,  de  votre  volonté,  de 
votre  corps,  de  votre  vie;  sa  doctrine  la  fait  consister 
dans  ces  trois  choses  :  se  renoncer,  porter  sa  croix 
et  le  suivre  :  Si  quis  vult  post  me  venire,  abneget  seme- 
tipswn,  et  tollat  crucem  suam,  et  sequatur  me.  Ces  trois 
mots  sont  le  précis  de  la  morale,  et  dès  lors  com- 
ment prétendez-vous  vivre  sans  croix?  Vous  voulez 
être  le  compagnon  de  Jésus  à  sa  table,  mais  vous  le 
délaissez  quand  il  va  au  désert;  vous  le  suivez  volon- 
tiers jusqu'à  la  fraction  du  pain,  mais  vous  refusez 
de  boire  le  calice  de  sa  Passion.  Avec  le  prêtre  vous 
renouvelez  peut-être  chaque  jour  à  l'autel  la  mé- 
moire d'un  Dieu  pénitent,  mourant  pour  nous  sur  le 
Calvaire,  mais  vous  n'entrez  jamais  sérieusement 
dans  les  pratiques  de  la  pénitence.  Ah  !  mes  frères, 
ce  n'est  pas  là  l'esprit  de  Jésus-Christ,  et  si  nous 
n'avons  pas  l'esprit  du  Sauveur  il  ne  nous  compte 
pas  parmi  les  siens  ;  Si  quis  spiritum  Christi  non  ha- 
bet,  hic  non  est  ejus.  Entrez  donc  enfin  courageuse- 
ment dans  la  voie  de  la  Croix,  marchez-y  avec  per- 
sévérance ;  c'est  le  seul  moyen  d'arriver  un  jour  au 
Thabor  éternel.  Amen. 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        277 


IIIe  DIMANCHE  DE  CARÊME 


ÉVANGILE 

En  ce  temps-là,  Jésus  chassa  un  démon  qui  était 
muet,  et  lorsqu'il  eut  chassé  ce  démon,  le  muet 
parla,  et  le  peuple  en  fut  dans  l'admiration.  Néan- 
moins il  y  en  eut  quelques-uns  qui  dirent  :  «  C'est  par 
Belzébuth,  prince  des  démons,  qu'il  chasse  les  dé- 
mons. »  Et  d'autres,  pour  le  tenter,  lui  demandaient 
un  prodige  dans  le  Ciel;  mais  Jésus,  connaissant 
leurs  pensées,  leur  dit:  «  Tout  royaume  divisé  contre 
lui-même  sera  détruit,  et  toute  maison  divisée 
contre  elle-même  tombera.  »  Si  donc  Satan  est  divisé 
contre  lui-même,  comment  son  royaume  pourra-t- 
il  subsister?  Cependant  vous  dites  que  c'est  par 
Belzébuth  que  je  chasse  les  démons,  par  qui  vos 
enfants  les  chassent-ils?  C'est  pour  cela  qu'ils  seront 
eux-mêmes  vos  juges.  Mais  si  c'est  par  l'esprit  de 
Dieu  que  je  chasse  les  démons,  assurément  le 
royaume  de  Dieu  est  parmi  vous.  Lorsque  le  fort 
armé  garde  sa  maison,  tout  ce  qu'il  possède  est  en 
sûreté.  Mais  s'il  en  survient  un  autre  plus  fort  que 
i.  16 


278        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

lui,  qui  le  renverse,  il  lui  enlèvera  toutes  ses  irmes 
dans  lesquelles  il  mettait  toute  sa  confiance,  et  il 
partagera  ses  dépouilles.  Celui  qui  n'est  point  avec 
moi,  est  contre  moi;  et  celui  qui  n'amasse  point 
avec  moi,  dissipe.  Lorsque  l'esprit  immonde  est 
sorti  d'un  homme,  il  va  par  des  lieux  arides,  cher- 
chant du  repos,  et  il  n'en  trouve  point;  il  dit  alors  : 
Je  retournerai  dans  ma  maison  d'où  je  suis  sorti.  Il 
y  revient,  et  la  trouve  nettoyée  et  parée.  Alors  il  s'en 
va  prendre  avec  lui  sept  autres  esprits  plus  méchants 
que  lui,  et  entrant  dans  cette  maison,  ils  y  demeu- 
rent, et  le  dernier  état  de  cet  homme  devient  pire 
que  le  premier.  Or,  il  arriva,  comme  il  disait  ces 
choses,  qu'une  femme  du  peuple  élevant  la  voix  lui 
dit  :  heureuses  les  entrailles  qui  vous  ont  porté  et  le 
sein  qui  vous  a  nourri  !  Jésus  lui  répondit  :  «  Heu- 
reux plutôt  ceux  qui  écoutent  la  parole  de  Dieu  et 
la  pratiquent!  »  (Saot  Luc,  xi,  14-28.) 

HOMÉLIE 

La  seconde  année  de  sa  prédication,  Notre-Sei- 
gneur,  après  avoir  donné  à  ses  apôtres  une  impor- 
tante instruction  sur  la  prière,  revint  dans  sa  de- 
meure ordinaire  de  Capharnaùm;  mais  la  foule  s'y 
porta  en  si  grand  nombre  que  ni  lui,  ni  ses  apôtres 
ne  pouvaient  même  prendre  leur  repas.  Sur  ces  en- 
trefaites on  lui  présenta  un  possédé  que  le  démon 
rendait  jveugle  et  muet  et  il  le  guérit,  il  le  délivra  à 
la  fois  du  démon  et  des  maladies  corporelles  dont  le 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES        279 

malin  esprit  était  sans  doute  la  première  cause,  de 
sorte  que  le  malade  voyait  et  parlait. 

L'état  de  ce  malheureux  affligé  de  trois  maux  à  la 
fois,  était  bien  triste.  Il  ne  fallait  rien  moins  qu'un 
miracle  pour  l'en  retirer;  aussi  était-ce  le  miracle 
que  le  peuple  attendait  de  Jésus  en  lui  présentant 
cet  infortuné. 

Ce  possédé  rendu  muet  par  le  démon  nous  offre 
l'image  du  pécheur  coupable  d'une  faute  mortelle. 
Par  son  péché  il  appartient  au  démon  dont  il  est 
l'esclave;  il  est  en  sa  possession  invisible,  il  est 
vrai,  mais  réelle. 

Le  pécheur  est  aveuglé  sur  l'état  affreux  de  sa 
conscience,  sur  les  périls  de  cet  état,  aveuglé  sur 
l'énormité  des  péchés  qu'il  a  commis,  sur  l'état  mi- 
sérable de  son  âme,  la  honte  de  ses  passions  cou- 
pables; sur  les  suites  funestes  de  son  péché,  dans 
cette  vie  et  bien  plus  encore  dans  l'autre. 

Il  est  muet  pour  prier,  muet  pour  s'accuser,  muet 
pour  glorifier  Dieu.  Le  Seigneur,  du  haut  du  Ciel 
entend  les  pécheurs  qui  l'invoquent  du  plus  profond 
de  leur  cœur  pour  lui  exposer  leurs  misères.  Quand 
ils  crieront  vers  moi,  je  les  exaucerai,  nous  dit-il  par 
la  bouche  du  prophète  Jérémie;  mais  pour  en  être 
entendu,  il  faut  lui  parler.  Combien  qui  restent 
muets,  et  s'ils  parlent,  ce  n'est  qu'à  des  confidents 
de  leurs  passions,  propres  à  les  y  entretenir  ou  à 
leur  fournir  des  moyens  de  les  satisfaire. 

Pour  recevoir  la  rémission  de  ses  péchés  et  être 
purifié  de  toute  iniquité  le  pécheur  doit  les  confes- 


280        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

ser  ;  car,  dit  l'Apôtre,  s'il  faut  croire  de  cœur  pour  ob- 
tenir la  justice,  on  doit  confesser  de  bouche  pour  obtenir 
le  salut.  Or,  comme  le  démon  craint  que  ceux  qui  lui 
sont  assujettis  lui  échappent,  il  les  éloigne  du  tri- 
buna  delà  pénitence,  ou  bien  il  leur  ferme  la  bouche 
par  la  dissimulation  dans  l'aveu  de  leurs  fautes. 

Mais  les  ravages  du  démon  muet  ne  sont  jamais 
plus  déplorables  que  quand  il  enchaîne  la  langue 
des  pères,  des  mères,  des  supérieurs  chargés  par 
état  d'avertir,  de  reprendre,  d'instruire  et  de  cor- 
riger. Les  uns  et  les  autres  sont  obligés  de  prendre 
en  main  la  cause  de  Dieu  et  du  prochain.  Le  seul  si- 
lence dans  ces  graves  circonstances  est  souvent  un 
crime  énorme  et  une  cause  de  grands  maux.  Il  est 
plus  funeste  que  celui  que  gardait  le  muet  de  notre 
Évangile;  et  il  vaudrait  mieux  être  privé  de  la  faculté 
de  parler  que  de  ne  pas  en  user,  quand  on  le  peut 
et  qu'on  le  doit.  Dans  le  premier  cas,  on  n'est  que 
malheureux,  mais  dans  le  second,  l'on  se  rend  cou- 
pable, l'on  pèche,  et  il  n'y  a  point  d'aussi  grand  mai 
que  le  péché.  Rentrons  donc  en  nous-mêmes,  exa- 
minons l'état  de  notre  âme  et  voyons  si  nous  avons 
parlé  toutes  les  fois  que  nous  y  étions  obligés.  Si 
jusqu'ici  nous  avons  gardé  un  fatal  silence,  deman- 
dons à  Notre- Seigneur  de  délier  notre  langue  comme 
au  possédé  de  notre  Évangile  et  de  nous  donner  le 
courage  de  parler  à  propos  toutes  les  fois  que  le  de- 
voir l'exige. 

Mais  pendant  que  tout  le  peuple,  témoin  de  la 
guérison    du  possédé,    s'écriait  avec  admiration  : 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        281 

N'est-ce  point  là  le  fils  de  David,  le  Sauveur  promis  que 
nous  attendons?  les  pharisiens  disent  :  C'est  pat 
Belzébuth,  prince  des  démons,  qu'il  chasse  les  démons. 
Voilà  le  langage  dicté  par  l'envie  et  l'incrédulité. 
Parce  que  ces  ennemis  irréconciliables  du  Fils  de 
Dieu  ne  peuvent  contester  la  vérité  des  faits,  ils  blâ- 
ment la  manière  dont  ils  sont  produits  et  empoison- 
nent le  principe  d'où  ils  émanent. 

D'autres,  pour  le  tenter,  demandaient  qu'il  fît  un 
miracle  dans  le  ciel.  Était-ce  pour  croire  qu'ils  de- 
mandaient de  nouveaux  prodiges?  Mais  ils  en  avaient 
déjà  tant  vu!  Le  Sauveur  n'avait  pas  seulement 
chassé  les  démons  en  leur  présence,  mais  il  avait 
aussi  guéri  les  lépreux,  ressuscité  les  morts,  apaisé 
les  flots  d'une  mer  irritée  et  remis  les  péchés  des 
hommes.  Ce  n'était  donc  pas  pour  croire  qu'ils  de- 
mandaient de  nouveaux  miracles,  mais  pour  le  ten- 
ter. S'il  en  avait  opéré  de  nouveaux  et  de  plus  écla- 
tants ils  les  auraient  attribués  à  des  causes  purement 
naturelles  ou  à  la  magie. 

Et  aujourd'hui  encore,  mes  frères,  nous  rencon- 
trons des  incrédules,  de  prétendus  esprits  forts  qui 
disent  :  Donnez-nous  des  miracles,  montrez-nous 
des  prodiges  et  nous  croirons.  Des  miracles,  mes 
frères,  il  en  est  un  permanent,  perpétuel,  de  premier 
ordre,  c'est  l'existence  de  l'Église,  de  cette  Église 
qui  n'a  point  de  soldats  pour  se  défendre,  d'armées 
pour  étendre  au  loin  ses  conquêtes;  de  cette  Église 
qui  est  toujours  attaquée,  toujours  persécutée,  de 
cette  Église  dont  on  sonne  si  souvent  le  glas  funèbre, 

16. 


282        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

dont  on  annonce  si  haut  les  prochaines  funérailles, 
et  qui,  malgré  cela  est  toujours  debout,  toujours 
forte,  toujours  belle,  toujours  victorieuse  de  ceux 
qui  avaient  annoncé  sa  ruine  et  juré  sa  mort.  Ah! 
plaignons  ceux  qui  ne  veulent  pas  voir  ce  merveil- 
leux prodige. 

Jésus  connaissant  leurs  pensées,  leur  dit  :  Tout  royaume 
divisé  contre  lui-même  sera  détruit  et  la  maison  s'écrou- 
lera sur  elle-même.  Si  donc  Satan  est  divisé  contre  lui» 
même,  comment  son  royaume  subsistera-t-il?  Cependant 
vous  dites  que  c'est  par  Belzébuth  que  je  chasse  les  dé- 
mons. Ici,  Jésus  ne  répond  point  aux  paroles  des 
pharisiens  mais  à  leurs  pensées.  Or,  qui  peut  péné- 
trer les  pensées?  Dieu  seul.  Il  leur  prouve  donc 
ainsi  sa  divinité:  mais  indépendamment  de  cette 
preuve  il  leur  fait  voir  qu'il  y  a  inconséquence  dans 
leur  raisonnement.  Si  donc  Satan  est  divisé  contre 
lui-même,  ajoute- t-il,  comment  son  règne  subsistera- 
t-il?  Pour  qu'il  pût  subsister,  il  faudrait  qu'il  fût 
vrai;  mais  s'il  est  vrai  comme  vous  le  prétendez, 
qu'étant  possédé  moi-même  du  démon,  je  chasse 
les  démons,  il  est  visible  que  les  démons  se  combat- 
tent, qu'ils  sont  opposés  les  uns  aux  autres,  et  que, 
par  conséquent,  leur  puissance  étant  divisée  contre 
elle-même  elle  ne  pourra  plus  subsister. 

Ce  raisonnement  que  saint  Jean  Chrysostôme  met 
dans  la  bouche  de  Jésus-Christ  était  bien  propre  à 
faire  sentir  à  ses  ennemis  qu'en  le  calomniant  ils  se 
contredisaient  eux-mêmes  ;  mais  pour  les  convaincre 
encore  mieux,  il  leur  cita  l'exemple  de  leurs  exor- 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        283 

cistes,  désignés  sous  le  nom  de  leurs  enfants,  approu- 
vés par  les  scribes  et  les  pharisiens  et  qui,  eux  aussi, 
au  nom  du  vrai  Dieu,  conjuraient  les  démons  et  les 
chassaient.  Or,  répond  Jésus-Christ,  je  fais  ce  que 
font  vos  disciples,  c'est  le  même  Dieu  qu'ils  invo- 
quent, et  que  je  reconnais;  c'est  par  lui  et  par  sa 
vertu  que  je  chasse  les  démons.  Vous  adoptez  ce 
que  font  vos  enfants,  pourquoi  refusez-vous  donc  de 
reconnaître  ce  que  je  fais?  Cest  pourquoi  ils  sei'ont 
eux-mêmes  vos  juges,  et  ils  prouveront  que  tout  ce 
que  vous  avez  dit  contre  moi,  n'a  été  dicté  que  par 
l'envie  et  par  la  partialité. 

Et  il  leur  dit  encore  :  «  Si  vous  étiez  justes  et 
équitables,  vous  verriez  que  c'est  par  le  doigt  de  Dieu 
que  je  chasse  les  démons,  et  vous  en  concluriez  que  le 
royaume  de  Dieu  est  venu  jusqu'à  vous;  puisque  ce 
n'est  que  pour  l'établir  parmi  vous  que  j'ai  été  in- 
vesti du  pouvoir  de  chasser  les  démons,  et  que  les 
miracles  que  j'opère  au  nom  de  Dieu,  sont  une 
preuve  que  c'est  Dieu  qui  m'a  envoyé.  » 

Pour  leur  faire  sentir  encore  mieux  c'jtte  vérité,  il 
ajouta  :  «  Lorsqu'un  homme  fort  et  bwn  armé  garde 
sa  maison,  tout  ce  qu'il  possède  est  en  sûreté;  mais 
s'il  en  survient  un  plus  fort  que  lui,  qui  le  surmonte, 
il  enlèvera  toutes  ses  armes  dans  lesquelles  il  mettait 
toute  sa  confiance,  et  il  partagera  ses  dépouilles.  » 
Cet  homme  fort  et  bien  armé  dont  parle  ici  l'Evan- 
gile, c'est  le  démon  qui  s'était  emparé  de  l'esprit  et 
du  cœur  de  l'homme,  où  il  avait  établi  sa  demeure  et 
OÙ  il  régnait  en  paix.  Mais  Jésus-Christ,    plus  fort 


284        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

que  l'esprit  des  ténèbres,  l'en  a  chassé;  il  Ta  dé- 
pouillé de  ses  armes;  il  l'a  vaincu,  et  nous  a  appris 
à  le  vaincre  nous-mêmes.  Profitons  de  ces  leçons 
ainsi  que  de  ses  exemples,  et  puisque  nous  avons 
été  délivrés  de  l'esclavage  de  Satan,  ne  nous  atta- 
chons plus  qu'au  divin  Libérateur  qui  nous  en  a  ti- 
rés, en  nous  mettant  au  nombre  des  enfants  de  Dieu  : 
Car  il  faut  nécessairement  choisir  entre  lui  et  le 
tyran  infernal  dont  il  est  venu  détruire  l'empire. 

Celui  qui  ri  est  pas  avec  moi,  nous  dit-il,  est  contre 
moi,  et  celui  qui  n'amasse  point  avec  moi  dissipe.  Que 
de  leçons  dans  ces  quelques  paroles  !  Comprenez- 
vous  qu'il  n'y  a  pas  ici  de  milieu  possible  et  qu'il 
faut  de  toute  nécessité  être  avec  Jésus  ou  contre  Jé- 
sus. Que  penser  après  cela  de  ces  demi-chrétiens 
qui  veulent  accorder  ensemble  dans  leur  cœur  Jésus- 
Christ  et  le  démon,  l'Evangile  et  le  monde?  Qui  con- 
sentent à  remplir  quelques-unes  des  pratiques  du 
christianisme  et  qui  se  permettent  aussi  ce  que  ré- 
prouve la  loi  de  Dieu?  Qui  viennent  dans  nos  églises 
pour  y  participer  à  nos  offices  et  à  nos  prières,  et 
qui  fréquentent  les  lieux  de  plaisir  où  ils  boivent  à 
longs  traits  à  la  coupe  des  voluptés  coupables;  qui, 
pendant  les  dernières  semaines  de  Carême,  feront 
trêve  avec  les  joies  profanes  et  qui  les  reprendront 
bien  vite  aussitôt  que  le  devoir  pascal  aura  été  rem- 
pli? De  tels  chrétiens  sont-ils  avec  le  Sauveur?  Non, 
mes  frèr^i,  il  sont  contre  lui;  ils  ne  comptent  pas 
parmi  ses  véritables  disciples,  et  si  quelquefois  ils 
donnent  au  Sauveur  un  baiser  passager  et  rapide, 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS  PRATIQUES        285 

ah!  qu'il  est  à  craindre  que  ce  baiser  ressemble  à 
celui  que  le  Sauveur  reçut  au  Jardin  des  Oliviers.  Et 
que  devient  celui  qui  n'amasse  point  avec  Jésus- 
Christ?  Il  dissipe,  il  reste  les  mains  vides.  Sans 
doute,  il  peut  amasser  de  riches  trésors,  accroître 
et  multiplier  ses  domaines....  et  quand  même  il  ga- 
gnerait l'univers  tout  entier,  à  quoi  bon,  s'il  vient  à 
perdre  son  âme?  Et  c'est  là  le  dénouement  d'une  vie 
passée  loin  du  Sauveur;  cette  vie  est  nulle,  stérile; 
elle  n'a  rien  produit  pour  le  Ciel,  elle  n'a  rien  amassé 
pour  l'éternité. 

Quand  l'esprit  impur  est  sorti  d'un  homme,  il  s'en 
va  par  les  lieux  arides,  cherchant  du  repos  ;  et  comme 
il  n'en  trouve  point,  il  dit  :  «  Je  retournerai  dans  ma 
maison  d'où  je  suis  sorti.  »  D'après  les  Pères,  Jésus- 
Christ  prédit  ici  l'aveugtement  des  Juifs  devenus 
l'opprobre  et  le  mépris  de  toutes  les  nations.  L'es- 
prit impur  était  sorti  de  leur  cœur  quand  ils  reçu- 
rent la  loi  divine,  mais  depuis  qu'ils  ont  méconnu 
Jésus-Christ  et  qu'ils  ont  blasphémé  contre  lui,  ils 
sont  possédés  aujourd'hui  d'un  plus  grand  nombre 
de  démons.  Laissons  ce  peuple  déicide  dans  son 
aveuglement  et  occupons-nous  de  nous-mêmes. 

D'après  ce  que  nous  dit  Jésus-Christ,  il  ne  suffit 
pas  d'être  rentré  dans  la  voie  du  salut,  il  faut  y  per- 
sévérer. Ce  n'est  pas  assez  d'avoir  chassé  de  notre  âme 
l'esprit  impur,  il  faut  l'empêcher  d'y  revenir.  Après 
notre  victoire  sur  le  démon,  nous  nous  endormons, 
mais  le  démon  veille;  nous  nous  livrons  au  repos  et 
il  ne  se  repose  jamais  :  nous  ne  pensons  plus  à  lui, 


286        DOMINICALES   D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

il  ne  cesse  de  s'occuper  de  nous;  nous  restons  tran- 
quilles, il  agit  sans  cesse.  Il  rôde  sans  trêve  autour 
de  la  maison  qui  fut  son  domaine.  Il  observe  le  côté 
mal  gardé  pour  y  rentrer  par  surprise,  le  côté  faible 
pour  s'en  emparer  par  force.  Avons-nous  raison  de 
yods  dire  :  «  Vigilate  et  orate.  »  Veillez  toujours,  car 
le  démon  ne  sera  pas  seul  à  travailler  à  votre  ruine; 
sept  autres  esprits  plus  méchants  que  lui  uniront 
leurs  efforts  aux  siens.  En  vous  tenant  sur  vos  gardes, 
vous  vivrez  et  vous  mourrez  dans  la  grâce  de  Dieu 
et  dans  son  saint  amour.  Ainsi  soit-il. 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES         287 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


MUTISME    SPIRITUEL 


Et  er,t  ejiciens  dœmonium  et  ilbtd 
erat  mutuum.  (Luc,  xi,  15.) 
11  chassa  un  démon  qui  était  muet. 


Cet  homme  de  notre  Evangile  que  le  démon  ren- 
dait muet  et  qui  était  en  même  temps  aveugle,  est 
la  figure  triste  mais  vraie  des  effets  que  le  péché 
opère  dans  les  âmes.  Le  péché  non  seulement  nous 
rend  aveugles  en  fermant  nos  yeux  aux  merveilles  de 
la  religion,  non  seulement  nous  rend  sourds  à  la  pa- 
role divine,  mais  il  nous  rend  aussi  muets,  en  liant 
notre  langue  et  en  l'empêchant  de  servir  aux  objets 
pour  lesquels  Dieu  nous  l'a  donnée.  Le  muet  spiri- 
tuel n'a  pas  perdu  l'usage  physique  de  la  parole, 
mais  il  en  a  perdu  l'usage  moral.  La  parole  nous  a 
été  donnée  pour  prier,  pour  confesser  nos  fautes  et 
pour  glorifier  Dieu;  examinons  dans  cet  entretien 
comment  le  mutisme  spirituel  nous  empêche  de 
remplir  ce  triple  devoir. 


288       DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 


Le  démon  muet  nous  empêche  de  prier.  La  prière 
est  l'arme  que  la  religion  met  entre  les  mains  du 
chrétien  pour  le  faire  triompher  de  tous  les  obstacles. 
Les  effets  en  sont  admirables  :  Toute-puissante  sur 
le  cœur  de  Dieu,  elle  fait  tomber  la  foudre  de  ses 
mains  vengeresses,  elle  ouvre  le  trésor  de  ses  miséri- 
cordes. —  Soutien  de  notre  pèlerinage  ici-bas,  elle 
nous  donne  la  force  de  remplir  tous  nos  devoirs, 
nous  console  dans  les  épreuves  de  la  vie,  nous  ob- 
tient le  succès  de  nos  entreprises.  —  Aliment  de  la 
vie  chrétienne,  la  prière  est  à  l'âme  ce  que  le  pain 
est  au  corps.  Une  âme  bien  nourrie  par  la  prière  est 
une  âme  forte  et  énergique  dans  le  bien;  comme 
aussi  celle  qui  ne  fait  pas  un  usage  fréquent  de  ce 
pain  spirituel  est  faible  et  sans  courage  :  «  Mon  cœur 
est  desséché  et  mon  âme  languissante,  s'écriait  le  pro- 
phète, parce  que  je  lui  ai  refusé  le  pain  de  la  prière.  » 

Le  démon  sait  très  bien  que  notre  sanctification 
dépend  de  notre  fidélité  à  la  prière,  et  le  premier 
objet  de  ses  efforts  est  de  nous  en  éloigner.  Aussi, 
qu'arrive-t-il?  Hélas  !  vous  le  savez  peut  être  par 
votre  propre  expérience  ;  à  l'âge  où  un  chrétien  fait 
son  entrée  dans  le  monde,  où  les  passions  se  déve- 
loppent avec  violence,  où  les  écueils  deviennent  plus 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         289 

nombreux,  il  éprouve  un  dégoût  presque  insurmon- 
table pour  la  prière.  —  Autrefois  la  prière  lui  était 
facile,  les  saints  exercices  de  la  piété  étaient  pour 
lui  pleins  de  douceurs.  Au  jour  de  l'épreuve,  tout 
est  changé;  il  faut  qu'il  se  fasse  violence  pour  épan- 
cher son  âme  dans  l'oraison  :  plus  il  cède  à  ce  dé- 
troût,  plus  il  augmente;  et  en  perdant  ses  relations 
avec  Dieu,  l'âme  a  perdu  toute  son  énergie  pour  le 
bien. 

Comment  arrive  ce  changement?  On  peut  en  si- 
gnaler plusieurs  causes.  Il  y  a  d'abord  les  passions, 
et,  par  ce  mot,  il  ne  faut  pas  entendre  précisé  rient 
ces  commotions  violentes  qui  bouleversent  l'âme 
usque  dans  ses  profondeurs;  mais  tout  sentiment 
qui,  habituellement,  dissipe  l'esprit  et  agite  le  cœur  : 
la  préoccupation  trop  vive  pour  les  intérêts  même 
les  plus  légitimes  :  pour  l'étude,  pour  notre  avenir; 
les  attache*  trop  sensibles  qui,  en  rapprochant  le 
cœur  de  la  créature,  Téloignent  et  le  dégoûtent 
de  Dieu;  les  lectures  romanesques  et  des  pensées 
plus  romanesques  encore;  l'habitude  des  plaisirs 
du  monde;  elle  engendre  des  dégoûts  tout  mon- 
dains, qui  remplacent  bien  vite  le  goût  des  choses 
de  Dieu,  elle  fait  naître  des  pensées  frivoles,  riantes, 
qui  exaltent  l'imagination,  flattent  les  passions  mau- 
vaises. Lorsqu'elle  n'a  pas  su  résister  à  la  voix  de 
ces  sirènes,  l'âme  en  devient  l'esclave;  elle  veut  en 
vain  s'occuper  de  Dieu.  Semblable  à  un  cheval  rétif 
qui  se  refuse  à  une  direction  opposée  à  ses  allures 
ordinaires,  l'imagination,  habituée  à  courir  la  bride 

h  17 


290        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

sur  le  cou,  se  roidit  contre  des  pensées  qui  ne  lui 
sont  point  familières.  Si  donc  vous  voulez  conserver 
l'esprit  de  prière  indispensable  au  soutien  de  la  vie 
chrétienne,  entretenez  en  vous  la  pensée  de  Dieu 
par  des  retours  fréquents  vers  lui,  une  grande  vigi- 
lance à  éviter  les  écarts  de  votre  imagination  et  la  fi- 
délité à  résister  aux  entraînements  de  votre  cœur. 
L'avez-vous  fait  jusqu'ici,  êtes-vous  résolu  à  le  faire 
désormais? 


Le  deuxième  devoir  du  chrétien  c'est  la  confession 
de  ses  fautes.  Après  la  prière,  rien  de  plus  impor- 
tant, pour  le  soutien  de  la  vie  chrétienne,  que  la  con- 
fession fréquente.  L'âme  y  trouve  des  grâces  de  force 
dans  la  vertu  du  sacrement,  des  grâces  d'encoura- 
gement dans  les  avis  du  confesseur,  des  grâces  de 
lumière  dans  l'examen  de  conscience. 

La  pensée  seule  qu'il  faudra  confesser  sa  faute  est 
lin  puissant  motif  pour  l'éviter;  de  là,  les  efforts  du 
démon  ttses  artifices  pour  nous  en  éloigner.  La  ré- 
pugnance pour  la  confession  se  fait  sentir  le  jour 
même  où  commence  le  dégoût  de  la  prière.  Tant 
que  le  coeur  est  pur,  qu'il  est  libre  de  toute  affec- 
tion au  péché,  la  confession  e;t  douce,  facile;  on  est 
fidèle  à  l'appel  du  confesseur.  Devient-on  coupable? 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  201 
Ton  éprouve  des  disposions  toutes  contraires. 
Ainsi  l'on  abandonne  la  confession,  précisément  au 
moment  où  elle  serait  plus  nécessaire. 

Les  ruses  dont  le  démon  se  sert  pour  nous  éloi- 
gner d'un  moyen  si  puissant  de  persévérance  sont 
nombreuses  :  la  première,  c'est  le  découragement. 
Il  nous  fait  entrevoir  tant  de  difficultés  dans  la  per- 
sévérance ;  il  nous  montre  la  piété  sous  un  aspect 
si  sévère;  il  nous  effraye  tellement  parla  vue  des 
combats  qu'il  faudra  livrer,  des  victoires  qu'il  faudra 
remporter,  que  nous  jetons  bas  les  armes  en  nous 
écriant  les  larmes  aux  yeux  :  «  Jamais  je  ne  pourrai 
me  sauver  !  »  Nous  oublions  que  si  le  cœur  hu- 
main ne  peut  rien  par  lui-même,  il  est  tout-pubsant 
avec  le  secours  de  la  grâce.  Ah!  sans  doute,  seuls 
nous  ne  saurions  rester  vertueux,  mais  aussi 
pourquoi  compter  sur  nous-mêmes?  Prions  avec 
plus  de  ferveur,  confessons-nous  plus  souvent,  et 
espérons  I 

Le  deuxième  motif  pour  lequel  on  fuit  la  confes- 
sion, c'est  la  honte  de  dire  son  péché.  Ici  l'on  prend 
le  change  et  l'on  confond  les  choses  ;  il  y  a  de  la 
honte  à  faire  une  chose  mauvaise,  c'est  vrai;  mais  il 
y  a  de  la  gloire  à  avouer  qu'on  l'a  faite  ;  cet  aveu 
convient  à  une  grande  âme.  Un  jour  que  Socrate 
parcourait  une  des  rues  d'Athènes,  il  aperçut  un  de 
ses  disciples  qui  sortait  d'une  maison  mal  famée  ; 
celui-ci ,  confus  d'être  surpris  par  son  maître, 
cherche  à  se  cacher  à  ses  regards.  Le  philosophe 
«'approchant,  lui  dit  :  «  Mon  ami,  il  y  a  de  la  honte 


292        DOMINICALES   D  UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

à  entrer  là,  il  n'y  en  a  pas  à  en  sortir.  »  Du  reste,  la 
honte  est  l'expiation  du  péché  ;  si  vous  refusez  de 
rougir  au  pied  de  Jésus-Christ  dans  le  tribunal  de  la 
pénitence,  il  vous  faudra  rougir  devant  Jésus-Christ 
devenu  votre  Juge,  et  en  présence  de  tout  l'univers; 
choisissez  1 


ni 


Le  troisième  devoir  du  chrétien,  c'est  de  prendre 
en  main  la  cause  de  Dieu  et  du  prochain,  quand 
l'un  ou  l'autre  est  offensé.  Ce  devoir  e<t  rigoureux, 
on  n'y  manque  jamais  quand  il  s'agit  d'un  père,  d'un 
ami,  d'un  bienfaiteur.  Mais  Dieu  est  plus  que  tout 
cela  pour  nous,  comment  donc  y  manquons-nous 
quand  il  s'agit  de  sa  gloire?  D'où  vient  ce  silence 
qui  semble  autoriser  certains  propos  impies?  D'où 
vient  ce  lâche  sourire  qui  vient  se  placer  sur  vos 
lèvres,  en  écoutant  des  railleries  indécentes  contre 
la  religion,  ses  cérémonies,  ses  ministres,  les  per- 
sonnes de  piété  et  contre  les  saintes  pratiques  de  la 
piélé  elle-même?  Ne  voyons-nous  pas  que,  par 
cette  approbation  tacite  donnée  à  ceux  qui  outragent 
noire  foi,  l'objet  de  nos  adorations  et  de  notre 
amour,  nous  faisons  acte  d'impiété,  nous  autorisons 
les  blasphèmes,  nous  enhardissons  les  blasphéma- 
teurs! Hélas!  en  parcourant  la  route  du  Calvaire, 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        293 

Jésus  rencontre  une  femme  généreuse  qui,  à  tra- 
vers les  soldats  et  les  ennemis  du  Sauveur,  vient 
essuyer  le  sang  et  la  poussière  qui  défiguraient  sa 
face  auguste;  tous  les  jours  la  religion  de  Jésus- 
Christ  est  défigurée,  outragée,  couverte  de  boue, 
ne  se  trouvera-t-il  donc  pas  une  âme  assez  géné- 
reuse pour  prendre  sa  défense  et  la  venger  de  l'ou- 
trage ? 

Si  la  religion  nous  oblige  de  prendre  en  main  la 
cause  de  Dieu,  la  charité  nous  fait  un  devoir  de  dé- 
fendre le  prochain  quand  sa  réputation  est  compro- 
mise. Mais,  de  même  que  le  respect  humain  nous 
rend  muets  dans  le  premier  cas,  une  secrète  jalousie 
ou  une  criminelle  curiosité  nous  rend  muets  dans  le 
second.  Au  lieu  de  fermer  la  bouche  à  la  médisance, 
nous  la  provoquons,  nous  l'écoutons  avec  complai- 
sance, et  nous  devenons  responsables  de  tout  le  mal 
qui  se  dit  et  de  tout  le  tort  qui  se  fait. 

0  mon  Dieu,  faites-moi  comprendre  les  devoirs 
que  m'impose  le  don  de  la  parole  I  Puissé-je  ne 
m'en  servir  jamais  que  pour  sanctifier  votre  saint 
nom,  édifier  le  prochain  et  travailler  à  roa  propre 
sanctification  (1).  Ainsi  soit-il. 

(1)  Tiré  de  l'abbé  Larfeuil. 


294        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


IVe   DIMANCHE  DE  CARÊME 

ÉVANGILE 

Jésus  étant  allé  au  delà  de  la  mer  de  Galilée, 
qui  est  celle  de  Tibé'riade,  une  grande  multitude  de 
peuple  le  suivait,  parce  qu'ils  voyaient  les  miracles 
qu'il  opérait  sur  les  malades.  C'est  pour  cela  que 
Jésus  se  retira  sur  une  montagne  où  il  s'assit  avec 
ses  disciples.  Or,  la  Pâque  qui  est  La  fête  des  Juifs, 
était  proche.  Jésus  ayant  donc  levé  les  yeux,  et  vu 
venir  à  lui  une  grande  foule  de  peuple,  dit  à  Phi- 
lippe :  «  Où  achèterons-nous  du  pain  pour  faire 
manger  tout  ce  monde?  »  Mais  il  disait  cela  pour 
réprouver  ;  car  il  savait  bien  ce  qu'il  devait  faire. 
Philippe  lui  répondit  :  «  La  valeur  de  cent  deniers 
de  pain  ne  suffirait  pas  pour  que  chacun  en  eût  un 
petit  morceau.  »  Un  de  ses  disciples,  André,  frère 
de  Simon-Pierre,  lui  dit  :  «Il  y  a  ici  un  petit  garçon 
qui  a  cinq  pains  d'orge  et  deux  poissons;  mais 
qu'est-ce  que  cela  pour  tant  de  monde?  »  Jésus  dit  : 
«  Faites  asseoir  tous  ces  hommes.  »  Il  y  avait  en  ce 
lieu-là  beaucoup  d'herbe.  Ils  s'assirent  au  nombre 
d'environ  cinq  mille.  Jésus  prit  donc  les  pains,  et 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         295 

après  avoir  rendu  grâces,  il  les  distribua  à  ceux  qui 
étaient  assis.  Il  leur  donna  de  même  des  deux  pois- 
sons autant  qu'ils  en  voulurent.  Quand  ils  furent  ras- 
sasiés, il  dit  à  ses  disciples  :  «  Ramassez  les  mor- 
ceaux qui  restent,  afin  qu'ils  ne  se  perdent  pas.  » 
Ils  les  ramassèrent  donc,  et  ils  emplirent  douze  pa- 
niers des  morceaux  des  cinq  pains  d'orge,  qui 
étaient  les  restes  de  ceux  qui  en  avaient  été  rassa- 
siés. Ces  gens-là  ayant  vu  le  miracle  qu'avait  fait 
Jésus,  disaient  :  «  C'est  là  véritablement  le  prophète 
qui  doit  venir  dans  le  monde.  »  Mais  Jésus  sachant 
qu'ils  devaient  venir  l'enlever  pour  le  faire  Roi,  s'en- 
fuit une  seconde  fois  sur  la  montagne.  (Juan,  yi. 
4-15.) 

HOMÉLIE 

Les  disciples  de  Jean-Baptiste  ayant  enseveli  le 
corps  de  leur  Maître  mis  à  mort  par  Hérode,  vinrent 
trouver  Jésus  à  Capharnaum  pour  lui  faire  part  de 
ce  qui  venait  de  se  passer.  Ce  divin  Sauveur  écouta 
avec  bonté  et  attendrissement  les  circonstances  tra- 
giques de  la  mort  de  son  piécurseur,  et  consola  les 
disciples  affligés.  Les  apôtres,  de  leur  côté,  de  retour 
de  la  mission  que  leur  avait  confiée  le  divin  Maître 
d'aller  de  ville  en  ville  annoncer  la  bonne  nouvelle 
et  guérir  les  malades,  vinrent  lui  rendre  compte  de 
leurs  travaux  et  de  leurs  succès.  Jésus  les  instruisit 
et  les  encouragea.  Voulant  ensuite  leur  donner  quel- 
ques moments  de  relâche  et  leu?  ouvrir  son  cœur 


296        DOMINICALES    D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

tout  tnûlant  de  charilé  i!  leur  dit  :  Venite  seorsum  in 
desertum  locum,  et  requiescite  pusillum.  Aussitôt  ils 
prirent  le  chemin  du  désert.  Les  peuples  ayant  ap- 
pris la  détermination  du  Sauveur,  accoururent  en 
foule  des  villes  voisines  et  marchèrent  avec  tant  de 
diligence  qu'ils  le  devancèrent  dans  ces  lieux  retirés. 

Quand  Jé^us  fut  arri\é  sur  la  montagne  avec  ses 
âi-ciplt  s  et  qu'il  connut  les  besoins  de  la  foule  im- 
mense qui  l'avait  suivi,  il  opéra  en  sa  faveur  le 
grand  miracle  de  la  multiplication  des  pains,  mi- 
racle qui  n'est  qu'une  pâle  figure  d'un  miracle  plus 
étonnant  qui  s'opère  tous  les  jours  au  milieu  de 
nous  dans  l'Eucharistie. 

Ce  n'est  clone  pas  sans  raison  que  l'historien  sacré 
nous  fait  observer  que  la  Pàque  qui  est  la  fête  des 
Juifs,  était  proche  lorsqu'il  opéra  cet  étonnant  pro- 
dige :  Erat  autem  proximum  pascha,  dies  festm  Judœo- 
rum.  Comme  la  Pâque  des  Juifs  était  la  figure  de 
celle  des  chrétiens  ;  comme  nous  approchons  de 
cette  fêle,  et  que  Jésus-Christ  doit  nous  accorder 
dans  le  temps  que  nous  la  célébrerons,  une  faveur 
infiniment  plus  précieuse  que  celle  qu'il  accorda  àla 
multitude  qui  l'avait  suivi,  l'Église  a  cru  devoir  nous 
en  rappeler  par  avance  le  souvenir  afin  qu^  nous 
nous  préparions  de  bonne  heure  à  la  bien  célébrer, 
et  à  nous  rendre  dignes  autant  qu'il  est  possible,  du 
pain  céleste  que  nous  devons  recevoir  durant  cette 
grande  so'ennité.  Entrons  donc,  mes  frères,  entrons 
dans  les  vues  de  cette  Église  sainte,  et  depuis  ce 
jour,  jusqu'à  celui   où  Jésus-Christ  viendra  habiter 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        297 

dans  nos  cœurs,  employons  tous  nos  soins  à  imiter 
la  conduite  du  peuple  juif.  D'abord  que  fait  ce 
peuple?  1°  Il  désire  Jésus  et  le  cherche  avec  empres- 
sement. Quand  il  apprend  que  l'Homije-Dieu  s'est 
embarqué  et  s'est  retiré  dans  le  désert,  une  foule 
immense  d'hommes,  de  femmes,  d'enfants,  d'in- 
firmes se  mettent  en  mesure  de  le  rejoindre.  Jésus 
voit  avec  joie  cette  multitude  qui  l'avait  prévenu  et 
en  attendant  que  le  reste  du  peuple  qui  accourait 
fût  rassemblé,  il  conduisit  ses  disciples  sur  une  mon- 
tagne voisine  oh  il  s'assit  avec  eux  quelque  temps,  et 
ce  fut  là  tout  le  repos  qu'ils  prirent.  Jésus  ne  tarda 
pas  à  descendre  dans  la  plaine  où  l'attendaient  avec 
une  sorte  d'impatieuce  cinq  mille  hommes,  sans  comp- 
ter les  femmes  et  les  enfants...  Avons-nous  la  même 
ferveur  que  ce  peuple  à  chercher  Jésus  et  à  nous 
disposer  à  le  recevoir  pour  notre  nourriture?  Quelle 
négligence  !  quelle  lâcheté  !  Combien  le  reçoivent 
sans  goût,  sans  désir,  sans  préparation  !  Combien, 
sous  le  moindre  prétexte,  se  dispensent  de  le  rece- 
voir I  Ah  !  la  ferveur  surmonte  tous  les  obstacles, 
elle  ne  trouve  rien  de  pénible,  rien  d'impossible. 

Jésus  ayant  levé  les  yeux  sur  la  multitude  de  ceux  qui 
l'avaient  suivi,  il  fut  ému  de  compassion,  parce  quils 
étaient  comme  des  brebis  destituées  de  leur  pasteur  et  qui 
le  cherchent,  dit  à  Philippe  :  «  Où  achèterons-nous  du 
pain  pour  faire  manger  tout  ce  monde?  »  Mais  il  disait 
cela  pour  l'éprouver,  car  il  savait  bien  ce  qu'il  devait 
faire.  Philippe  lui  répondit  :  «  La  valeur  de  cent  deniers 
de  pain  ne  suffirait  pas  pour  que  chacun  en  eût  un  petit 

17. 


298        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

morceau.  o  Un  de  ses  disciples,  André,  frère  de  Sùu  n 
Pierre,  lui  dit  :  «  //  y  a  ici  un  petit  garçon  qui  a  cinq 
pains  d'orge  et  deux  poissons.  Mais  qu'est-ce  que  cela 
pour  tant  de  monde?  » 

Ce  petit  nombre  de  pains  et  de  poissons  était  en 
effet  une  ressource  très  insuffisante  pour  subvenir 
aux  besoins  de  ce  peuple  immense  ;  il  devait  plonger 
dans  l'embarras  les  Apôtres  et  mettre  leur  foi  à  de 
rudes  épreuves  ;  mais  ce  qui  est  impossible  aux  sim- 
ples mortels  ne  l'est  pas  à  Dieu.  Jésus  va  le  prouver 
en  faisant  trouver  l'abondance  au  sein  môme  de  la 
disette. 

Alors  Jésus  dit  à  ses  disciples  :  «  Apportez-moi  ici  ces 
cinq  pains  et  ces  deux  poissons,  et  faites  asseoir  tout  le 
monde  sur  l'herbe.  »  Ils  s'assirent  au  nombre  d'environ 
cinq  mille.  Cet  ordre  étant  exécuté,  Jésus  leva  les 
yeux  au  ciel,  fit  sa  prière,  rendit  grâces  à  Dieu  son 
Père  du  pouvoir  qu'il  lui  avait  accordé,  et  bénit  les 
pains  et  les  poissons  ;  ensuite  il  rompit  les  pains, 
coupa  les  poissons  et  les  donna  à  ses  apôtres  pour 
les  distribuer.  C'est  ainsi  que  Notre-Seigneur  affer- 
missait la  foi  de  ses  disciples,  qu'il' leur  donnait 
l'idée  de  sa  toute-puissance,  et  les  préparait  par  la 
ressemblance  des  cérémonies  au  grand  mystère  qu'il 
devait  instituer  pour  être  la  nourriture  du  peuple 
chrétHn.  Nous  qui  voyons  aujourd'hui  l'Église  ré- 
pandue dans  l'univers  et  partagée  en  grandes  trou- 
pes, chacune  sous  des  pasteurs  particuliers,  de  qui 
elle  reçoit  le  pain  céleste,  pouvons-nous  ne  pas  voir 
ci  avec  admiration  l'image  de  ce  grand  événement 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        299 

et  ne  pas  en  ressentir  une  douce  consolation  qui 
nous  fasse  aimer  et  estimer  notre  sainte  religion? 

Les  Apôtres  distribuèrent  les  dons  de  Dieu,  et 
entre  leurs  mains,  sans  qu'ils  sussent  comment  cela 
s'opérait,  cette  miraculeuse  nourriture  se  multiplia 
par  la  bénédiction  du  Seigneur,  de  telle  sorte  qu'ils 
eurent  de  quoi  donner  à  cinq  mille  hommes,  sans 
compter  les  femmes  et  les  enfants,  du  pain  et  du 
poisson  autant  que  chacun  en  voulut.  Quand  ils 
furent  rassasiés,  il  dit  à  ses  disciples  :  «  Ramassez  les 
morceaux  gui  restent  afin  qu'ils  ne  se  perdent  pas.  »  fis 
les  ramassèrent  donc,  et  ils  emplirent  douze  paniers  des 
morceaux  de  pains  d'orge,  gui  étaient  les  restes  de  ceux 
qui  avaient  été  rassasiés. 

Vous  admirez  sans  doute,  mes  frères,  la  puissance 
et  la  bonté  que  Jésus-Christ  fit  éclater  en  cette  occa- 
sion, et  vous  enviez  peut-être  le  sort  des  Juifs  qui 
furent  les  témoins  du  grand  miracle  qu'il  opéra  pour 
subvenir  à  leurs  besoins  et  pour  les  nourrir.  Mais 
nous  n'avons  rien  à  leur  envier  et  Jésus-Christ  se 
montre  encore  plus  puissant  et  meilleur  envers  nous 
qu'il  le  fut  envers  eux.  Il  ne  leur  donna  dans  le  dé- 
sert qu'un  pain  terrestre  et  matériel,  au  lieu  qu'il 
nous  donne  dans  nos  temples  un  pain  céleste  et 
divin  dont  celui  qu'ils  mangèrent  n'était  que  la 
figure.  Il  ne  les  nourrit  qu'avec  une  substance  étran- 
gère, au  lieu  qu'il  nous  offre  pour  aliment  son  corps 
etsonsangprecieux.il  ne  les  nourrit  ainsi  qu'une 
seule  fois,  au  lieu  qu^il  n'est  aucun  jour  où  il  ne  soit 
disposé  à  nous  servir  lui-môme  de  nourriture.  Le 


300        DOMINICALES   D'UN    CURE   DE   CAMPAGNE 

pain  miraculeux  qu'il  leur  distribua  n'était  fait  que 
pour  fortifier  leur  corps,  au  lieu  que  celui  qu'il  nous 
offre  est  destiné  à  sanctifier  nos  âmes.  Le  premier 
n'était  que  le  soutien  de  la  vie  temporelle,  au  lieu  que 
le  second  est  le  gage  de  la  vie  éternelle.  Pouvait-il 
nous  faire  un  plus  grand  don?  Pourrions-nous  ja- 
mais lui  en  témoigner  assez  de  reconnaissance  et 
serions-nous  insensibles  à  sa  bonté,  jusqu'au  point 
de  refuser  ce  don  précieux,  ou  de  ne  le  recevoir 
qu'avec  indifférence?  Ne  serions-nous  pas  les  plus 
odieux  de  tous  les  ingrats  ?  Imitons  donc  la  conduite 
des  Juifs  ;  et  puisque  nous  sommes  encore  plus  favo- 
risés qu'eux,  soyons  du  moins  aussi  reconnaissants. 
Les  Juifs  nourris  dans  le  désert  d'une  manière  si 
rîiiraculeuse  furent  ravis  d'admiration  et  anittiés  par 
la  reconnaissance  ;  aussi  chacun  d'eux  s'écriait  avec 
transport  :  C'est  là  véritablement  le  propl  ète  qui  doit 
venir  dans  le  monde,    c'est   là  le  Christ^   le   Messie 
attendu.  Après  l'avoir  reconnu  pour  tel,  us  voulaient 
le  choisir  pour  leur  roi;  et  si  Jésus-Christ  se  fût 
prêté  à  leurs  desseins  et  à  leurs  désirs,  ils  se  seraient 
tous  accordés  et  empressés  à  l'élever  sur  le  trône. 
Mais  pour  ne  pas  leur  donner  lieu  de  croire  qu'il 
devait  venir,  comme  ils  se  l'imaginaient,  établir  une 
puissance  temporelle;  pour  leur  apprendre,  au  con- 
traire, que  son  règne  n'était  pas  de  ce  monde,  que 
ce  n'était  que  sur  les  cœurs  qu'il  voulait  régner,  et 
que  s'il  cherchait  à  les  assujettir  à  son  empire,  c'était 
pour  les  faire  régner  un  jour  avec  lui  dans  le  ciel,  il 
s'enfuit  une  seconde  fois  sur  la  montagne. 


HOMÉLIES  ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        301 

Les  Juifs,  charnels  et  terrestres,  croyant  qu'un 
royaume  temporel  serait  du  goût  du  Sauveur,  au- 
raient voulu,  pour  lui  témoigner  leur  gratitude, 
l'élever  sur  le  trône  et  le  proclamer  roi.  Mais  Jésus, 
dont  les  pensées  sont  toutes  surnaturelles,  déconcerta 
toutes  leurs  mesures  par  la  fuite.  Et  pour  montrer 
aux  Juifs,  à  ses  Apôtres  et  à  nous-mêmes  que  nous 
avons  tort  de  nous  laisser  éblouir  par  les  richesses, 
les  plaisirs  et  les  honneurs  de  ce  monde,  en  voulant 
en  faire  notre  royaume  au  risque  de  perdre  celui  du 
ciel,  il  s'enfuit  secrètement  sur  la  montagne.  Imi- 
tons cette  conduite  du  divin  Maître.  Comme  lui,  ne 
soupirons  que  pour  le  ciel,  et  pour  y  parvenir, 
écartons  de  nous  tout  ce  qui  peut  nous  flatter,  nous 
séduire  et  attacher  notre  cœur.  Éloignons-nous  du 
tumulte  du  monde,  vivons  dans  la  retraite,  appro- 
chons-nous de  Jésus  par  la  sainte  communion.  Ce 
n'est  que  pour  régner  dans  nos  âmes,  ce  n'est  que 
pour  établir  sa  demeure  en  nous  et  son  trône  dans 
notre  cœur  qu'il  a  institué  la  divine  Eucharistie. 
Peut-il  y  avoir  rien  de  plus  glorieux  et  de  plus  avan- 
tageux pour  nous  que  de  nous  en  approcher  souvent? 
Si  un  roi  de  la  terre  daignait  seulement  honorer  de 
sa  présence  l'humble  toit  que  nous  habitons,  nous 
nous  en  féliciterions,  nous  nous  en  réjouirions,  nous 
nous  croirions  au  comble  de  la  joie  et  du  bonheur, 
nous  soupirerions  sans  cesse  après  l'heureux  mo- 
ment où  nous  pourrions  le  recevoir,  nous  ne  négli- 
gerions rien  pour  orner  la  demeure  qu'il  aurait 
choisie  et  la  rendre  agréable  à  ses  yeux  ;   nous  le 


302        DOMINICALES   D'CN   CURE   DE  CAMPAGNE 

recevrions  avec  tout  l'empressement,  avec  tout  le 
respect,  avec  toute  l'affection  dont  nous  serions 
capables;  nous  n'oublierions  rien  pour  nous  rendre 
dignes  de  ses  bienfaits  et  pour  les  obtenir.  Ah  î  son- 
geons, mes  frères,  songeons  que  celui  qui  veut  bien 
s'abaisser  jusqu'à  venir  en  nous  par  la  communion, 
est  le  Roi  des  rois  et  le  souverain  Maî're  de  l'univers. 
Songeons  qu'étant  Dieu,  il  est  infiniment  plus  au- 
dessus  de  nous  qu'un  souverain  n'est  au-dessus  de 
ses  sujets.  Songeons  que  les  biens  qu'il  est  disposé 
à  répandre  dans  nos  âmes  sont  infiniment  plus  pré- 
cieux que  tous  ceux  que  nous  pourrions  recevoir  de 
la  main  des  hommes  ;  et  faisons  du  moins  pour  lui 
ce  que  nous  ferions  pour  un  roi  de  !a  terre.  Appli- 
quons-nous à  lui  préparer  dans  noû  cœurs  une  de- 
meure où  il  puisse  venir  habiter  avec  complaisance. 
Empressons-nous  de  l'y  recevoir,  mais  ne  le  rece- 
vons jamais  qu'avec  les  sentiments  de  respect,  d'hu- 
milité, de  reconnaissance  et  d'amour  qu'exigent  sa 
suprême  grandeur  et  son  infinie  bonté.  Alors  il 
régnera  véritablement  dans  nos  cœurs,  et  en  l'y  fai- 
sant régner  nous  mériterons  de  régner  un  jour  avea 
lui  dans  le  ciel.  Amen  (1). 

(1)  Tiré  en  partie  de  l'abbé  Revre. 


HOMELIES  ET   INSTRUCTIONS   FRATIQUES        2Q3 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

SUR   LES   DIFFÉRENTS   SECTATEURS   DE   JÉSUS 


Et  sequebatur  eum  mu/iiludo 
i.  (Joan.,  v  ,  2.) 


Mes  Frères, 
«tétait  sans  contredit  un  spectacle  bien  intéressant 
.-jue  ces  multitudes  qui  s'empressaient  auprès  du 
Sauveur,  s'attachaient  en  quelque  sorte  à  ses  pas,  le 
suivaient  partout  où  il  allait,  et  oubliaient  même  de 
prendre  la  nourriture  nécessaire.  Sans  doute,  il  y 
avait  dans  la  personne  du  Sauveur  des  charmes  qui 
attiraient;  puis  sa  doctrine  était  si  admirable  et  sa 
conduite  si  parfaite!  Mais  c'étaient  surtout  ses  mi- 
racles qui  ravissaient  les  foules  et  les  attachaient  à 
sa  suite  :  Quia  videbant  signa  quœ  faciebat  super  his 
qui  infîrmabantur.  Tout  cela,  en  apparence,  n'a  rien 
que  de  naturel  et  de  légitime,  et  il  semble  qu'il  est 
impossible  de  suspecter  les  motifs  qui  inspiraient 
ceux  qui  suivaient  Jésus.  Et  ué  anoins  nous  savons 


304        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

par  plusieurs  endroits  du  saint  Évangile  que  tous 
ces  gens-là  n'étaient  pas  mus  par  les  mêmes  inten- 
tions. Essayons,  mes  frères,  de  sonder  les  cœurs  de 
ces  multitudes;  nous  y  trouverons,  à  l'égard  du  Sau- 
veur, des  dispositions  bien  différentes  qui  nous  per- 
mettront de  dévoiler  celles  qui  animent  encore 
aujourd'hui  les  différentes  classes  de  chrétiens. 


Parmi  ces  nombreux  Juifs  qui  suivaient  Jésus, 
même  au  désert,  il  y  en  avait  qui  étaient  mus  par 
une  simple  curiosité.  Ils  avaient  entendu  dire  de  lui 
des  choses  si  extraordinaires  !  C'était  un  homme 
comme  jamais  on  n'en  avait  vu,  un  homme  qui  parlait 
comme  jamais  homme  n'avait  parlé,  un  homme  en- 
coreplus  puissant  en  œuvres  qu'en  paroles,  unhomme 
qui  guérissait  toutes  les  maladies  par  un  seul  mot, 
un  homme  qui  commandait  en  maître  à  la  nature  et 
même  à  la  mort.  On  serait  donc  curieux  de  connaître 
cet  homme,  de  l'entendre,  de  le  voir  opérer  quelque 
prodige.  Et  c'est  ce  qui  faisait  qu'on  se  mêlait  à  la 
foule.  Vous  comprenez,  mes  frères,  combien  ce  désir 
de  se  récréer  par  un  spectacle  nouveau  était  frivole 
et  indigne  de  Jésus-Christ.  A  coup  sûr  le  Sauveur 
n'aurait  pas  dit  un  seul  mot,  pas  fait  le  plus  petit 
miracle  pour  satisfaire  de  tels  hommes  s'ils  avaient 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        305 

été  seul  •*  aie  suivre.  Aussi  l'Évangile  uous  dit  qu'il 
ne  fit  aucun  miracle  dans  sa  patrie  à  cause  des  mau- 
vaises dispositions  de  ses  compatriotes  :  Et  non  fecit 
ibivirtules  mu'las  propter  incredulitatem  ef/rum.  Plus 
tard,  voyez  ce  qui  se  passe  au  prétoire  d'flérode.  Ce 
prince  apercevant  Jésus  en  fut  dans  une  grande 
joie  :  Herodes  autem,  viso  Jesu,  gauisus  est  valde.  Pour- 
quoi ?  Ah  !  c'est  qu'il  désirait  depuis  longtemps  voir 
cet  homme  extraordinaire  dont  il  avait  entendu  dire 
des  choses  si  étranges  et  qu'il  espérait  lui  voir  faire 
quelque  miracle  :  Erat  enim  cupiens  ex  mu/to  tempore 
videre  eum%  eo  quod  audierat  multa  de  eo,  et  sperabat 
signum  aliquod  videre  ab  eo  fîeri.  Est-ce  que  le  Sau- 
veur va  contenter  les  désirs  de  ce  prince?  Lui  qui  a 
tant  fait  pour  les  petits  ne  fera-t-il  rien  pour  les 
grands  ?  Ne  serait-ce  pas  le  moyen  de  se  rendre 
favorable  un  personnage  si  puissant,  que  défaire  en 
sa  présence  quelque  prodige  d'éclat?  Non,  Jésus 
non  seulement  n'accueillera  pas  le  vœu  d'Hérode, 
parce  qu'il  ne  procède  que  d'une  vaine  curiosité, 
mais  il  montrera  combien  il  le  réprouve  en  gardant 
devant  ce  prince  un  silence  obstiné  :  Jnterrogabat 
autein  eum  multis  sermonibus.  At  ipse  nihil  illi  respon- 
debat. 

A  côté  des  simples  curieux,  il  y  avait  une  classe 
de  sectateurs  animés  de  sentiments  plus  pervers 
encore.  C'étaient  les  scribes,  les  pharisiens,  les 
princes  des  prêtres  et  tous  les  ennemis  de  Jésus. 
Tous  ceux-là  trouvaient  dans  les  paroles  et  la  vie  de 
Jésus  la  condamnation  de  leur  propre  doctrine  et  de 


306        DOMINICALES   D'Ulf  CURE    DE  CAMPAGNE 

leurs  propres  actes;  et  c'est  pourquoi  ils  auraient 
vouiu  trouver  le  moyen  de  s'en  débarrasser.  Dans 
leur  aveugle  fureur  ils  avaient  dit  :  Deleamus  eum 
de  libre  vitœ,  effaçons-le  du  livre  de  vie.  Et  dans  ce 
but  ils  cherchaient  une  occasion  de  le  traduire  de- 
vant la  justice  humaine  ;  et  pour  trouver  cette  occa- 
sion ils  se  mêlaient  à  la  foule  qui  suivait  Jésus,  ils 
épiaient  tous  les  actes  du  Sauveur,  ils  pesaient  toutes 
sis  paroles,  espérant  le  surprendre  en  flagrant  délit 
de  violation  de  la  loi  ou  d'enseignement  hétérodoxe. 
Vous  savez,  mes  frères,  que  ces  ennemis  du  Sauveur 
ont  poussé  l'audace  jusqu'à  lui  reprocher  comme 
une  transgression  de  la  loi  les  miracles  qu'il  opérait 
au  jour  du  sabbat,  et  qu'ils  ont  fini  par  le  traiter  de 
blasphémateur  parce  qu'il  se  disait  le  Fils  de  Dieu. 

Mais  la  curiosité  et  la  haine  n'étaient  pas  heureu- 
sement dans  tous  les  cœurs.  Un  grand  nombre 
étaient  mus  par  un  motif  plus  pur.  Us  tenaient  à  voir 
par  eux-mêmes  si  les  cho  es  admirables  qu'on  disait 
de  Jésus  étaient  réelles  ;  ils  voulaient  s'assurer  qu'il 
était  véritablement  le  Messie,  l'envoyé  de  Dieu.  Cette 
disposition  était  raisonnable  et  digne  de  tout  éloge. 
Le  Sauveur  la  récompensa  en  éclairant  les  intelli- 
gences par  sa  doctrine  et  ses  miracles,  et  en  entraî- 
nant les  cœurs  par  la  sainteté  de  sa  vie. 

Un  autre  motif  qui  entraînait  le  plus  grand  n  ombre 
sur  les  pas  du  Sauveur,  c'était  le  désir  d'entendre  ses 
instructions  et  de  s'édifier  par  le  spectacle  de  ses 
vertus.  Sans  doute  tous  ceux-là  ne  se  prononçaient 
pas  ouvertement  pour  Jésus  comme  les  apôtres  et 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        307 

les  soixante-douze  disciples.  Malgré  la  haine  et  les 
calomnies  des  scribes,  des  pharisiens,  des  chefs  d* 
la  synagogue,  ils  croyaient  en  Jésus,  mais  la  crainte 
les  empêchait  de  prendre  rang  parmi  ses  disciples. 
Us  n'osaient  manifester  leur  opinion,  mais  ils  la 
portaient  dans  leur  cœur.  Leur  foi  était  intimidée, 
mais  non  détruite;  faible  mais  réelle.  Avec  cette  dis- 
position ils  se  confondaient  dans  la  foule  que  la 
curiosité  conduisait  autour  de  Jésus,  et  là,  satisfai- 
saient à  la  fois  leur  croyance  et  leur  frayeur,  ils 
écoutaient,  sans  être  reconnus,  les  paroles  de  vie  qui 
sortaient  de  sa  bouche. 

Enfin  il  y  avait  les  disciples  et  les  apôtres  .qui, 
sans  crainte  et  sans  respect  humain,  suivaient  Jésus. 
Ils  reconnaissaient  ouvertement  en  lui  le  Messie  pro- 
mis à  Adam  et  aux  patriarches,  le  vrai  Fils  de  Dieu, 
Dieu  lui-même,  se  déclaraient  publiquement  ses  dis- 
ciples et  se  faisaient  une  loi  de  suivre  en  tout  sa 
morale  et  sa  doctrine. 


II 


Nous  retrouvons,  mes  frères,  toutes  ces  catégories 
de  sectateurs  de  Jésus  parmi  les  chrétiens  de  nos 
jours.  Us  sont  nombreux,  en  effet,  ceux  qui  com- 
posent la  grande  famille  chrétienne;  ce  sont  des 
multitudes  qui  se  comptent  par  centaines  de  millions; 


308        DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

mais,  hélas  !  tous  ceux  qui  se  rangent  sous  la  hou- 
lette du  Christ,  tous  ceux  qui  ont  la  prétention  de 
le  suivre,  ne  sont  pas  animés  des  mêmes  sentiments. 
Voyez  ces  foules  qui  se  pressent  dans  nos  ru°s  aux 
jours  de  dimanche,  aux  jours  de  grande  solennité 
surtout;  où  vont-elles  ?  Elles  vont  au  temple,  parce 
que  Jésus  est  là,  parce  qu'il  doit  y  parler  par  l'or- 
gane de  ses  prêtres,  parce  qu'il  doit  y  accomplir  un 
grand  miracle  environné  de  mystère,  il  est  vrai, 
mais  accompagné  de  chants  et  de  cérémonies  propres 
à  frapper  les  sens.  Il  y  aura  là  une  occasion  d'en- 
tendre une  parole  éloquente,  des  chants  bien  exé- 
cutés, d'y  voir  des  cérémonies  bien  faites  :  c'est  un 
spectacle  qui  a  son  mérite;  il  faut  y  consacrer  une 
heure  de  la  matinée,  sauf  à  employer  une  partie  de 
la  soirée  aux  spectacles  que  le  monde  étale  sur  ses 
places  publiques  et  sur  ses  théâtres. 

Tous  ceux  qui  vont  au  saint  temple,  sans  doute 
n'y  apportent  pas  ces  dispositions;  mais  vous  con- 
viendrez, mes  frères,  qu'un  grand  nombre  n'y  sont 
amenés  que  par  la  curiosité.  On  veut  entendre,  et 
Ton  veut  voir.  Quant  à  s'instruire,  à  s'édifier,  à 
prier,  à  s'unir  au  sacrifice  du  prêtre  et  de  Jésus 
Christ,  on  y  pense  peu.  N'y  a-t-il  pas  là  un  abus 
souverainement  déplorable  ?  Ne  vaudrait-il  pas 
mieux  se  tenir  loin  de  l'église  que  d'y  apporter  de 
si  détestables  dispositions  ?  Voyez,  mes  frères,  si 
votre  conscience  ne  vous  reproche  pas  quelque 
chose  de  semblable,  et  si  elle  condamne  votre  con- 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         309 

duite  passée,  donnez-lui  satisfaction  en  vous  amen- 
dant pour  l'avenir. 

A  coté  de  ces  chrétiens  que  dirige  une  sotte 
curio^té,  il  en  est  d'autres  qu'animent  des  senti- 
ments encore  plus  pervers.  Ils  lisent  l'Ecriture 
sainte,  les  livres  de  piété,  les  journaux  religieux;  ils 
vont  entendre  les  orateurs  catholiques,  les  prédica- 
teurs de  la  parole  divine  ;  mais  ne  croyez  pas  que  ce 
soit  pour  s'instruire  des  vérités  religieuses,  pour 
apprendre  leurs  devoirs,  pour  s'édifier  par  les 
exemples  des  saints  ;  non,  c'est  pour  se  procurer  le 
malin  plaisir  de  contredire,  de  critiquer,  de  mépri- 
ser et  les  auteurs,  et  les  orateurs,  et  les  prédicateurs 
et  leurs  enseignements,  et  le  culte,  et  les  cérémo- 
nies, et  l'Eglise,  et  Jésus-Christ. 

Le  dogme  va  contre  l'indépendance  de  leur  rai- 
son, la  morale  commande  le  sacrifice  de  leurs  pas- 
sions ;  les  vertus  des  bons  chrétiens,  la  perfection 
du  pi  être,  la  sainteté  de  l'Eglise,  la  divinité  de  Jésus- 
Christ,  tout  cela  condamne  1  iniquité  et  la  bassesse 
de  leur  conduite,  tout  cela  leur  dit  qu'ils  sont  par- 
jures à  leur  baptême,  traîtres  à  leur  foi  ;  et  c'est 
pourquoi  ils  cherchent  toutes  les  occasions  de 
déverser  sur  tout  cela  le  flot  empoisonné  de  leurs 
sottes  railleries,  de  leurs  ineptes  critiques. 

Ces  dispositions  perverses  ne  sont  pas  cependant 
celles  du  plus  grand  nombre.  Il  en  est  beaucoup  qui 
lisent  nos  livres,  suivent  nos  instructions  avec  le 
désir  sincère  de  connaître  la  vérité,  d'arriver  à  cette 
foi  raisonnable  que  recommande  l'Apôtre  :  Rationa- 


310        DOMINICALES   D'UN   CURE    DE    CAMPAGNE 

bile  obsequium  vestrum.  L'incrédulité  toujours  injuste, 
et  qui  ne  peut  attaquer  la  religion  qu'en  la  calom- 
niant, lui  reproche  d'exiger  une  foi  servile,  et  d'in- 
terdire tout  examen.  Parce  que  la  foi  doit  être  sou- 
mise sur  les  objets  révélés,  elle  l'accuse  d'être 
aveugle  sur  les  motifs  de  la  révélation.  Non,  notre 
sainte  religion  n'empêche  paonne  d'examiner  ses 
fondements.  Yoici  quelle  est  notre  profession.  Il  est 
raisonnable  d'examiner  si  Dieu  a  parlé  par  Jésus- 
Christ  ;  mais  ce  serait  le  comble  de  la  déraison 
d'examiner  si  Dieu,  ayant  parlé,  il  doit  être  cru. 
Loin  de  défendre  qu'on  discutât  sa  mission,  notre 
divin  Maître  y  encourageait  les  Juifs.  Et  quels  sont 
les  témoignages  qu'il  invoque?  Ce  sont  ceux  que  de 
nos  jours  nous  opposons  encore  à  l'incrédulité.  Ce 
sont  d'abord  les  miracles  qu'il  opère.  «  Les  oeuvres 
que  je  fais  au  nom  de  mon  Père,  dit-il,  rendent  témoi- 
gnage de  moi  et  prouvent  ma  mission  divine  :  Opéra 
quœ  ego  facto,  testimonium  perhibmt  de  me,  quia  Pater 
misii  me.  »  Ce  sont  ensuite  les  prophéties.  «Examinez 
les  Ecritures,  dit-il,  vous  qui  reconnaissez  qu'elles 
contiennent  les  paroles  de  vie.  Ce  sont  encore  elles 
qui  rendent  témoignage  de  moi  :  Scrutamini  scriptu- 
ras,  quia  vos  putatis  in  ipsis  vitam  habere,  et  illœ  sunt 
quœ  testimonium  perhibent  de  me.  »  Ce  que  le  Sauveur 
disait  aux  Juifs  nous  le  disons  aux  chrétiens  chance- 
lants de  notre  époque.  Examinez  ses  miracles,  voyez 
comment  il*  sont  attestés  ;  étudiez  ses  prophéties, 
voyez  comment  elles  se  sont  réalisées.  Non,  l'Eglise 
ne  vous  défend  pas  d'examiner  les  fondements  de 


HOMÉLIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES         311 

îs.î  ctv  yances,  elle  y  pousse,  au  contraire,  afin  que 
la  raison  \ienne  à  l'appui  de  la  foi. 

Mais  cet  examen  a  ses  règles  et  ses  bornes.  Il  doit 
être  fait  dans  le  désir  sincère  de  connaître  la  venté, 
et  avec  la  ferme  résolution  de  la  suivre.  Si  vous  por- 
tez dans  l'étude  de  la  religion  un  esprit  critique,  le 
désir  de  trouver  des  difficultés  qui  vous  autorisent  à 
rester  dans  votre  incrédulité  et  à  pactiser  avec  vos 
passions,  vous  aurez  le  malheur  d'y  trouver  ce  que 
vous  cherchez.  Tandis  que  l'esprit  simple  et  droit  est 
récompensé  par  la  conviction  que  la  vérité  lui 
apporte,  vous  serez  punis  par  un  aveuglement  de 
plus  en  plus  fort. 

Une  autre  règle  essentielle  de  cet  examen,  c'est 
qu'il  soit  renfermé  dans  de  justes  bornes.  Son  objet 
est  de  nous  faire  connaître  si  Dieu  a  parlé  ;  il  ne 
doit  pas  aller  au  delà.  Assuré  d'avoir  entendu  la  voix 
divine,  il  ne  me  reste  plus  rien  à  discuter  ;  je  n'ai 
plus  qu'à  croire.  Ma  raison  doit  se  courber  devant  la 
raison  divine.  Elle  ne  peut  pas  déchirer  complète- 
ment le  voile  du  mystère,  mais  elle  est  assez  illu- 
minée pour  savoir  qu'elle  n'est  pas  dans  Terreur. 
Elle  peut  donc  attendre  avec  patience  l'heure  où  il 
plaira  à  Dieu  de  l'introduire  dans  ses  splendeurs 
éternelles. 

Enfin,  mes  frères,  parmi  la  multitude  des  chré- 
tiens qui  ont  conservé  la  foi  de  leur  baptême,  il  en 
est  un  trop  grand  nombre  qui  n'osent  pas  se  mon- 
trer ouvertement  disciples  du  Sauveur,  qui  n'osent 
pas  manifester  leur  foi  par  les  pratiques  de  la  vie 


.312        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

chrétienne.  Esclaves  du  respect  humain,  ils  cachent 
soigneusement  leur  foi  au  fond  de  leur  âme,  ils  s'en 
servent  au  besoin  quand  le  monde  ne  les  voit  pas, 
ils  élèvent  leur  cœur  vers  Dieu  dans  une  secrète 
prière,  mais  de  faire  profession  publique  de  cette 
foi,  ils  n'en  ont  pas  le  courage.  Aussi,  voyez  que  de 
lâchetés  !  Ils  sont  bien  aises,  et,  au  besoin,  ils 
exigent  que  les  membres  de  leur  famille  prient  en 
commun,  assistent  au  divin  sacrifice,  participent 
aux  sacrements,  observent  les  lois  de  l'Eglise,  mais 
eux  se  dispensent  de  tout  cela.  Croyez-vous  que  ce 
soit  par  incrédulité?  Non,  puisqu'ils  y  poussent  les 
autres  ;  mais  c'est  parce  qu'ils  n'osent  pas.  Ils  ont 
peur  d'être  raillés  par  les  libertins  et  les  impies.  La 
peurl  la  peur  1  voilà,  chrétiens  ce  qui  rend  un  si 
grand  nombre  d'entre  vous  traîlres  à  leur  foi,  par- 
jures envers  leur  Dieu.  Ah  1  de  grâce,  un  peu  de 
courage  1  Vous  ne  souffririez  jamais  que  l'un  de  vos 
semblables  vous  jetât  à  la  face  ces  humiliantes 
paroles  :  «  Tu  es  un  lâche,  »  et  vous  ne  redoutez  pas 
que  votre  Dieu  vous  dise  un  jour  en  présence  de 
tous  les  hommes  :  «  Tu  as  rougi  de  moi  devant  tes 
frères,  je  te  renie  devant  mon  Père.  Retire-toi  de 
moi  ;  je  ne  te  connais  pas.  » 

Ah  î  plutôt,  mes  frères,  imitez  ces  Juifs  qui  bra- 
vèrent la  haine  des  Scribes,  des  Pharisiens,  des 
chefs  de  la  Synagogue  et  s'attachèrent  ouvertement 
au  Sauveur,  se  rangeant  parmi  ses  disciples  ou 
devenant  ses  apôtres.  Sans  doute,  ils  eurent  à  subir 
bien  des  humiliations,  bien  des  persécutions,  mais 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        313 

ils  étaient  soutenus  par  l'espoir  d'une  éternelle 
félicité.  Cet  espoir  ne  les  a  pas  trompés,  et  aujour- 
d'hui leurs  persécuteurs  livrés  aux  tortures  de  la 
rage  et  du  désespoir,  sont  obligés  de  dire  :  Ergo 
erravimus  ;  nous  nous  sommes  trompés.  Insensés 
que  nous  étions  !  nous  pensions  que  la  vie  de  ces 
disciples  du  Christ  était  une  folie  :  Nos  insensati  vitam 
illorum  sestimabamus  insaniam.  Nous  étions  persuadés 
que  leur  mort  serait  sans  honneur  :  Et  finem  Worum 
sine  honore;  mais  voilà  qu'ils  sont  comptés  parmi  les 
enfants  de  Dieu  et  leur  sort  est  celui  des  bienheu- 
reux: Ecce  quomodo  computati  sunt  inter  filios  Dei  et 
inter  sanctos  sors  illorum  est.  Vous  pouvez,  mes 
frères,  vous  faire  une  semblable  destinée.  Rangez- 
vous  donc  parmi  ces  vrais  chrétiens  qui  ne  rougis- 
sent pas  de  Jésus-Christ,  qui  sont  fiers  du  signe  de 
leur  baptême,  qui  suivent  leur  Maître  dans  l'accom- 
plissement des  devoirs  les  plus  difficiles,  qui  savent 
triompher  des  séductions  du  monde  et  de  l'entraîne- 
ment des  passions,  qui  montrent  leur  foi  par  leurs 
œuvres,  encore  plus  que  par  leurs  paroles,  qui 
savent  défendre  cette  foi  quand  elle  est  attaquée  et 
qui,  au  besoin,  sauraient  mourir  plutôt  que  d'en 
renier  le  dernier  article.  Ces  vrais  disciples  du 
Christ  sont  peu  nombreux,  sans  doute,  mais  rappe- 
lons-nous que  'e  Sauveur  n'en  eut  de  son  vivant  que 
soixante  et  douze;  rappelons-nous  que  s'il  y  a  eu 
beaucoup  d'appelés,  il  n'y  aura  qu'un  très  petit  nom 
bre  d'élus.  Efforçons-nous,  mes  frères,  par  une  vie 
sérieusement  et  franchement  chrétienne,  de  mériter 
I.  18 


314        DOMINICALES  D'UN    CURE  DE   CAMPAGNE 

d'être  de  ce  nombre,  afin  qu'un  jour,  nous  aussi, 
nous  soyons  rangés  parmi  les  enfants  de  Dieu  dans 
le  ciel,  et  que  nos  destinées  soient  celles  des  bienheu- 
reux :  Computati  sunt  inter  filios  Dei,  et  inter  sancto* 
sors  illorum  est.  Amen, 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        315 


DIMANCHE  DE  PASSION 

ÉYANGILE 

Jésus  dit  aux  Juifs  :  «  Qui  de  vous  me  convaincra 
de  péché?  Si  je  vous  dis  la  vérité,  pourquoi  ne  me 
croyez-vous  pas?  Celui  qui  est  de  Dieu,  écoute  les 
paroles  de  Dieu.  Ce  qui  fait  que  vous  ne  les  écoutez 
pas,  c'est  que  vous  n'êtes  pas  de  Dieu.  »  Les  Juifs 
lui  répondirent  :  «  N'avons-nous  pas  raison  de  dire 
que  vous  êtes  un  Samaritain  et  un  possédé  du  dé- 
mon? »  Jésus  leur  repartit  :  «  Je  ne  suis  point  pos- 
sédé du  démon;  mais  j'honore  mon  Père,  et  vous 
m'avez  déshonoré.  Pour  moi  je  ne  cherche  point  ma 
gloire;  un  autre  en  prendra  soin  et  me  rendra  jus- 
tice. En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  si  quelqu'un 
observe  ce  que  j'enseigne,  il  ne  mourra  jamais.  » 
Alors  les  Juifs  lui  dirent  :  «  C'est  maintenant  que 
nous  connaissons  que  vous  êtes  possédé  du  démon. 
Abraham  est  mort  et  les  prophètes  aussi  ;  et  vous 
dites  :  Si  quelqu'un  observe  ce  que  j'enseigne,  il  ne 
mourra  jamais.  Êtes-vous  plus  grand  que  notre  père 
Abraham  qui  est  mort,  et  que  les  prophètes  qui  sont 
morts  aussi?  Qui  prétendez-vous  être?  »  Jésus  re» 


316        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

partit  :  «  Si  je  me  glorifie  moi-même,  ma  gloire 
n'est  rien;  celui  qui  me  glorifie,  c'est  mon  Père  que 
vous  dites  être  votre  Dieu,  et  que  vous  ne  connaissez 
pas;  mais  moi,  je  le  connais,  et  si  je  disais  que  je 
ne  le  connais  pas,  je  serais  un  menteur  comme  vous. 
Mais  je  connais  et  j'observe  sa  parole.  Abraham, 
votre  père,  a  désiré  avec  ardeur  de  voir  mon  jour; 
il  l'a  vu,  et  a  été  comblé  de  joie.  »  Les  Juifs  lui 
dirent  :  «  Vous  n'avez  pas  encore  cinquante  ans,  et 
vous  avez  vu  Abraham  ?  »  Jésus  leur  repartit  :  «  En 
vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  je  suis  avant  qu'Abra- 
ham lût  au  monde.  »  Là-dessus  ils  prirent  des  pierres 
pour  les  lui  jeter;  mais  Jésus  se  cacha  et  sortit  du 
temple.  (Jean,  viii,  46-59.) 

HOMÉLIE 

Jésus,  étant  allé  à  Jérusalem  quelques  jours  avant 
la  fête  des  Tabernacles,  parla  au  peuple  juif  de  sa 
mission  divine  et  de  l'aveuglement  de  ceux  qui  refu- 
saient de  le  reconnaître.  11  leur  fit  voir  ensuite  com- 
bien ils  sont  inexcusables  de  ne  pas  croire  en  lui, 
puisqu'il  est  irrépréhensible  dans  sa  personne,  dans 
sa  morale,  dans  ses  dogmes,  dans  ses  miracles. 
S'adressant  à  ses  ennemis  les  plus  déclarés  il  leur 
dit  :  a  Quis  ex  vobis  arguet  me  de  peccato?  Qui  de  vous 
me  convaincra  de  péché  ?  »  Quelle  hardie  provo- 
cation le  Sauveur  fait  aujourd'hui  à  ceux  qui  lui  ont 
voué  une  haine  implacable  !  Il  livre  à  leur  critique 
sa  personne  entière,  toute  sa  vie,  toutes  ses  paroles 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS    PRATIQUES         317 

et  il  leur  porte  hautement  le  défi  d'y  trouver  aucun 
défaut  à  relever,  aucune  passion  à  réformer,  aucun 
vice  à  corriger,  aucune  faute  à  expier.  11  n'appar- 
tenait qu'à  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  le  Saint  des 
saints,  la  sainteté  même  de  tenir  un  pareil  langage, 
de  délier  ses  ennemis  les  plus  acharnés  de  pouvoir 
lui  reprocher  même  la  faute  la  plus  légère.  Cet 
Homme-Dieu  avait  pris  toutes  nos  infirmités,  il  s'était 
assujetti  à  toutes  nos  souffrances;  mais  il  ne  permit 
jamais  que  le  moindre  péché,  que  la  plus  légère  im- 
perfection ternît  l'éclat  de  son  âme  innocente  et 
pure. 

Qu'il  serait  à  désirer  que  nous  pussions  tenir' le 
même  langage  :  Quis  ex  vobis  arguet  me  de  peocato? 
Mais  hélas!  tristes  et  malheureux  enfants  d'un  père 
coupable,  notre  âme  a  été  aussi  vite  souillée  que 
réunie  à  notre  corps.  Et  depuis  notre  baptême,  que 
de  fois  cette  âme  régénérée  n'a-t-elle  pas  reçu  de 
mortelles  atteintes?  Nous  sommes  donc  pécheurs. 
Cependant,  ohl  aberration  profonde,  aveuglement 
inconcevable!  ne  rencontre-t-on  pas  des  hommes 
qui  osent  dire  :  «  Je  n'ai  rien  à  me  reprocher  !  »  — 
Vous  n'avez  rien  à  vous  reprocher?  Mais  la  sainte 
Écriture  ne  nous  dit-elle  pas  :  Omnes  declinaverunt... 
Le  juste  pèche  sept  fois  le  jour?  Ne  nous  déclare-t- 
elle  pas  que  celui  qui  se  croit  sans  péché  se  fait 
illusion  et  est  un  menteur?...  Donc,  ô  vous  qui 
tenez  ce  langage  ou  vous  êtes  dans  l'illusion,  ou  vous 
affirmez  que  le  Saint-Esprit  s'est  trompé. 

Vous  n'avez  rien  à  vous  reprocher  !  Êtes-vous  plus 

18. 


318        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

justes  que  les  grands  saints  ?  Or,  tous  se  sont  voués  à 
la  pénitence  et  sont  allés  se  purifier  à  la  fontaine 
salutaire  du  sacrement  de  la  réconciliation.  Saint 
Paul,  ce  vase  d'élection,  avait  peur  d'être  réprouvé 
après  avoir  travaillé  sans  relâche  à  la  conversion  des 
autres  ;  et  vous,  mes  frères,  vous  êtes  sans  craintes I 

Tous  n'avez  rien  à  vous  reprocher!  Vous  n'avez 
donc  jamais  manqué  à  aucun  de  vos  devoirs  ?  Inter- 
rogez votre  conscience  î  N'avez-vous  jamais  omis  de 
fléchir  le  genou  pour  adorer  Dieu  et  le  remercier? 
N'avez-vous  pas  souvent  souillé  votre  langue  par  des 
blasphèmes  et  des  imprécations  ?  Mais  souvenez- 
vous  de  vos  médisances,  de  vos  scandales,  de  votre 
négligence  à  élever  vos  enfants  dans  la  crainte  de 
Dieu...  N'oubliez  pas  votre  dureté  envers  vos  servi- 
teurs et  les  pauvres  !... 

Vous  n'avez  rien  à  vous  reprocher  I  Mais  n'avez- 
vous  pas  manqué  au  devoir  sacré  imposé  par  la  foi 
et  la  religion  :  Ton  créateur  tu  recevras,  au  moins  à 
Pâques  humblement? 

Vous  n'avez  rien  à  vous  reprocher  f  c'est  le  témoi- 
gnage que  rendait  aussi  de  lui-même  le  pharisien 
guperbe,  réprouvé  par  Jésus-Christ  :  «  Seigneur,  di- 
sait-il, je  vous  rends  grâce  de  ce  que  je  ne  suis  pas 
comme  les  autres  hommes,  enclin  à  toutes  sortes 
de  vices  :  voleur,  injuste,  adultère...  »  Dites  plutôt, 
mes  frères,  comme  l'humble  publicain,  confessant 
sa  culpabilité  :  Propitius  esto  mihi  peccatori.  Et  comme 
lui  vous  mériterez  une  sentence  de  grâce  et  de 
pardon. 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  319 
Si  donc  je  vous  dis  la  vérité,  pourquoi  ne  me  croyez- 
vous  pas?  Ce  reproche  que  Jésus-Christ  fait  aux  Juifs, 
à  combien  de  chrétiens  ne  pourrait-on  pas  l'appli- 
quer ?  Sans  parler  des  incrédules  déclarés  qui  ne 
croient  à  rien  et  se  moquent  de  tout,  ne  voyons- 
nous  pas,  en  trop  grand  nombre  hélas  !  des  hommes 
qui  affectent  une  sorte  de  neutralité  entre  Baal  et  le 
Dieu  d'Israël,  entre  la  foi  et  l'incrédulité?  Ils  accep- 
tent une  foi  spéculative  et  historique,  mais  ils  redou- 
tent les  devoirs  que  la  religion  impose.  Là-dessus 
ils  cherchent  à  s'illusionner. 

Celui  qui  est  de  Dieu  écoute  les  paroles  de  Dieu.  Ce 
qui  fait  que  vous  ne  les  écoutez  pas,  c'est  que  vous  n'êtes 
pas  de  Dieu.  Ceux  qui  auraient  le  plus  besoin  de  la 
parole  de  Dieu  sont  précisément  ceux  qui  s'en  éloi- 
gnent. Tandis  que  le  juste  fait  ses  délices  de  la 
loi  sainte,  la  contemple,  l'étudié,  la  médite  sans 
cesse,  le  pécheur  qui  aurait  tant  d'intérêt  à  s'en  pé- 
nétrer, la  repousse  loin  de  lui,  comme  ennuyeuse  à 
son  esprit,  et  comme  importune  à  ses  passions. 
Ainsi  le  malade  hors  de  sens  craint  plus  les  remèdes 
qui  le  dégoûtent  que  le  mal  qui  le  conduit  à  la  mort. 
Une  des  marques  les  plus  sûres  de  notre  avance- 
ment ou  de  notre  décadence  dans  la  piété,  est  notre 
goût  ou  notre  dégoût  pour  la  parole  divine  :  et 
Jésus-Christ  nous  doune  ici  cette  règle  pour  con- 
naître si  nous  sommes  ou  si  nous  ne  sommes  pas 
de  Dieu.  Ils  ne  sont  pas  de  Dieu,  ceux  qui  n'assis- 
tent jamais  à  la  distribution  de  sa  parole,  ou  qui  s'y 
présentent  rarement,  ou  qui  s'y  traînent  avec  repu- 


320        DOMINICALES  D*UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

gnance.  Ils  ne  sont  pas  de  Dieu,  ceux  qui  écoutent 
sa  parole  avec  légèreté,  et  pour  qui  elle  n'est  qu'un 
son  qui  frappe  l'oreille  sans  pénétrer  jusqu'au  cœur. 
Ils  ne  sont  pas  de  Dieu,  ceux  qui  y  recherchent  non 
ce  qui  vient  de  Dieu,  l'instruction  et  l'édification, 
mais  ce  qu'y  met  l'homme,  les  ornements  de  l'élo- 
quence mondaine.  Ils  ne  sont  pas  de  Dieu,  en  un 
mot,  ceux  qui  au  lieu  d'y  venir  avec  foi  et  respect, 
y  apportent  un  esprit  de  critique,  et  viennent  juger 
la  parole  qui  sera  un  jour  leur  juge. 

Les  Juifs  eurent  l'insolence  de  répondre  au  Fils 
de  Dieu  :  «  N'avons-nous  pas  raison  de  dire  que  vous 
êtts  un  Samaritain  et  un  possédé  du  démon  ?  »  Jésus- 
Christ  un  Samaritain  !  Jésus-Christ  à  la  fois  si  ver- 
tueux et  si  bon!  Jésus-Christ  si  parfait  et  si  pur! 
Jésus-Christ  si  parfait  et  si  humble  !  Jésus-Christ  un 
Samaritain,  c'est-à-dire  un  schismatique!  un  ido- 
lâtre? C'est-à-dire  pour  les  Juifs  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  vil  et  de  plus  odieux  !  Jésus-Christ  un  possédé 
du  démon  ;  c'est-à-dire  un  malheureux  abandonné 
de  Dieu!  Quelle  insulte!  quel  blasphème!  Voilà  les 
injures  absurdes  vomies  par  la  haine.  Les  calomnies 
et  les  outrages  sont  souvent  le  partage  des  âmes 
fidèles  sincèrement  attachées  à  la  religion.  En  en- 
trant dans  la  carrière  de  la  piété  attendons-nous  à 
des  railleries  et  à  des  persécutions  qui  honorent  les 
serviteurs  de  Jésus-Christ  en  leur  donnant  un  trait 
de  ressemblance  avec  ce  Dieu  outragé  et  calomnié. 

Le  divin  Sauveur  leur  repartit  avec  sa  modestie 
ordinaire    :   Je  ne  suis  point  possédé  du  démon,  maii 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         321 

f  honore  mon  Père  et  vous  me  déshonorez.  Pour  moi  je 
ne  cherche  point  ma  propre  gloire,  un  autre  la  recher- 
chera et  me  fera  justice.  Quel  modèle  !  Quelle  leçon 
nous  donne  Jésus-Christ  lorsque  nous  sommes  acca- 
blés d'injures  !  Violemment  attaqué,  il  se  borne  à 
nier  ce  que  la  calomnie  lui  impute.  Il  ne  se  permet 
ni  récriminations,  ni  reproches  contre  ses  ennemis. 
Il  se  contente  de  se  plaindre  à  eux-mêmes  de  ce 
que,  tandis  qu'il  rend  honneur  à  son  Père,  ils  cher- 
chent à  lui  ravir  le  sien.  Formé  sur  ce  modèle,  le 
chrétien  en  butte  aux  traits  de  la  calomnie,  les 
écarte  et  ne  les  renvoie  pas.  Il  pare  les  coups  qu'on 
lui  porte,  mais  il  se  garde  d'en  porter.  Supérieur 
à  la  vengeance,  non  seulement  il  pardonne,  mais 
il  prie  pour  ses  persécuteurs.  Il  fait  plus,  à  l'exemple 
du  Sauveur,  il  ne  recherche  pas  sa  propre  gloire, 
mais  celle  de  Dieu,  et  il  la  recherche  en  tout.  Est-ce 
là  ce  que  nous  faisons  nous-mêmes?  Ne  l'avons 
nous  pas  souvent  déshonoré  par  notre  respect  hu- 
main, par  nos  irrévérences  au  pied  des  autels  ? 

En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  si  quelqu'un  ob- 
serve ce  que  f  enseigne,  il  ne  mourra  jamais.  Quelle 
magnifique  promesse!  Jésus-Christ  la  vérité  éter- 
nelle; Jésus-Christ  qui  ne  peut  ni  se  tromper,  ni 
nous  tromper  attache  comme  récompense  à  l'ob- 
servation de  sa  loi,  le  ciel,  sa  gloire  et  sa  félicité 
immortelles. 

Les  Juifs  prévenus  et  mal  intentionnés  interpré- 
tèrent mal  cet  oracle,  et  croyant  que  Jésus-Christ 
parlait  de  la  vie  présente  et  non  de  la  vie  future,  de 


322        DOMINICALES  D  UN   CURÉ  DE   CAMPAGNE 

la  mort  du  corps  et  non  de  celle  de  l'âme,  s'écrièrent 
avec  une  -urprise  affectée  :  «  Nous  connaissons  bien 
maintenant  que  vous  êtes  possédé  du  démon.  Abra- 
ham est  mort  et  les  prophètes  sont  morts.  Cepen- 
dant on  ne  peut  pas  reprocher*  Abraham  d'avoir 
violé  la  loi;  il  est  prouvé  aussi  que  les  plus  grands 
prophètes  ont  mis  la  plus  grande  exactitude  à  suivre 
la  parole  de  Dieu;  comment  donc  pouvez-vous  vous 
attribuer  le  droit  de  communiquer  la  vie  par  votre 
parole  et  empêcher  ceux  qui  l'écoutent  de  mourir? 
Seriez-vous  plus  grand  que  notre  père  Abraham? 
Qui  prétendez-vous  être?  Quem  te  ipsum  facis?  » 
Jésus  ne  change  point  de  langage  et  répond  :  «  Je  ne 
m'arroge  rien  de  ce  qui  ne  m'est  pas  légitimement 
dû.  Si  je  me  glorifie  moi-même,  ma  gloire  n'est  rien. 
Mais  qu'ai-je  besoin  de  vos  louanges?  G'fcst  mon 
Père  cul  me  glorifie  par  la  puissance  miraculeuse 
q :\.  me  communique,  Lui  que  vous  proclamez  votre 
Dieu,  et  que  vous  ne  connaissez  point;  mais  moi  je 
le  connais,  et  si  je  disais  que  je  ne  le  connais  point, 
je  serais  comme  vous,  un  menteur.  Mais  je  le  connais, 
et  je  garde  sa  parole.  Tout  à  l'heure,  avec  une  insul- 
tante raillerie  vous  me  demandiez  si  je  suis  plus 
grand  qu'Abraham  ;  oui,  je  le  suis,  et  j'ajoute  qu'A- 
braham  votre  père  a  désiré  ardemment  voir  mon  avè- 
nement sur  la  terre;  il  l'a  vu,  du  moins  en  esprit  et 
par  la  révélation  de  Dieu,  et  il  a  été  ravi  de  joie.  »  Sans 
être  ni  aigri  par  la  contradiction,  ni  révolté  par  l'in- 
justice, ni  échauffé  par  la  violence,  Jésus-Cnrist 
continue  de  dire  aux  Juifs   la  vérité.  Il  trouve  le 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         323 

secret  de  concilier  avec  le  témoignage  glorieux  qu'il 
se  doit  l'humilité  dont  il  est  le  modèle,  il  dit  ce  qu'il 
est,  et  il  ne  se  glorifie  pas  de  l'être.  Il  se  déclare 
nettement  le  fils  de  Dieu;  c'est  l'hommage  qu'il  doit 
à  la  \éri'é;  il  refuse  en  cette  qualité  de  se  donner 
gloire  à  lui-môme;  voilà  l'exemple  d'humilité  qu'il 
veut  donner.  Quand  la  vérité  exigera  que  nous  par- 
lions de  nous,  disons  les  choses  telles  qu'elles  sont; 
et  si  nous  reconnaissons  dans  notre  âme  quelques 
bonnes  qualités,  rapportons-en  le  mérite  à  Dieu  et 
souvenons-nous  que  s'il  y  a  en  nous  un  peu  de  bien 
il  y  a  encore  plus  de  mai, 


Les  Juifs  l'interrompant  :  «  Quoi  1  s'écrièrent-ils  : 
vous  n'avez  pas  encore  cinquante  ans  et  vous  osez  dire 
que  vous  avez  vu  Abraham/ »  Jésus  leur  répondit  :  «  En 
vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis  :  je  suis  avant  Abra- 
ham. »  Leur  parler  de  la  sorte,  c'était  leur  dire  clai- 
rement que  si,  comme  homme,  il  n'avait  pas  encore 
trente-trois  ans,  comme  Dieu,  égal  à  son  Père,  il 
était  éternel,  il  existait  avant  Abraham  et  avant  toos 
les  temps  ;  mais  savez-vous  ce  que  cette  grande  vé- 
rité qui  aurait  dû  les  faire  tomber  aux  pieds  de 
ce  Dieu-Sauveur,  produisit  sur  l'esprit  des  hommes 
aveugles  à  qui  il  l'adressait?  Ils  prirent  des  pierres, 
dit  l'Évangile,  pour  les  lui  jeter.  Effroyable  et  incom- 
préhem'hle  mystère  que  l'endurcissement  des  pé- 
cheurs, qui  résistent  opiniâtrement  à  la  grâce,  et  à 
qui  rien  ne  peut  ouvrir  les  yeux  l  Craignons  ce  fu- 


324        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

neste  endurcissement  et  prions  le  Seigneur  de  nous 
en  préserver. 

Jésus  pour  se  soustraire  à  leurs  poursuites  sortit 
du  temple  et  se  cacha.  Est-ce  la  crainte  qui  l'engage  à 
éviter  leur  fureur?  Mais  bientôt  allant  au-devant  de 
ses  persécuteurs  il  leur  demande:  Quem  qnœritist 
Ah  !  mes  frères,  sa  conduite  est  aussi  irrépréhen- 
sible et  quand  il  se  ca<he  et  quand  il  se  montre.  Ses 
exemples  sont  aussi  utiles  quand  il  évite  la  persécu- 
tion que  quand  il  se  livre  à  ses  persécuteurs  ;  iî  nous 
apprend  à  ne  pas  prévenir  les  moments  du  S  igneur, 
et  à  ne  pas  éluder  ses  volontés  et  ses  ordres  quand 
il  s'explique. 

Que  de  chrétiens  méritent  les  blâmes  de  Dieu,  non 
pas  précisément  pour  avoir  négligé  les  bonnes 
œuvres,  mais  pour  les  avoir  faites  à  contretemps, 
de  s'être  montrés  lorsqu'il  eût  été  plus  utile  de  se  ca- 
cher, d'avoir  parlé,  repris,  corrigé  lorsqu'il  eût  été 
plus  édifiant  de  se  taire,  de  supporter  et  d'attendre  ! 
Prenons  garde  d'être  de  ce  nombre  ;  étudions  tou- 
jours la  volonté  de  Dieu  pour  y  conformer  notre  con- 
duite et  nos  œuvres. 

Et  vous,  Seigneur,  faites-nous-la  connaître,  cette 
volonté;  rendez-nous  dociles  à  la  suivre  afin  qu'au 
jour  de  votre  justice  nous  méritions  de  nous  réunir 
à  vous  et  de  jouir  de  vos  ineffables  délices.  Amen, 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES  25 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 


DIVINITÉ   DE   JÉSUS-CHRIST 


Amen,  amen  dieo  vobis,  antequain 
Akr  ham  fleret,  Ego  sum. 

(JOAN.,  VIII.) 


Mes  Frères, 

Il  n'est  pas  un  seul  d'entre  vous  qui  ne  soit  inti- 
mement convaincu  de  la  divinité  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  tous  les 
hommes.  Il  en  est  que  leur  ignorance  et  leurs  pré- 
jugés ont  empêché  jusqu'ici  d'apercevoir  cette  pro- 
fonde vérité.  Aussi,  au  lieu  d'adorer  le  Christ  comme 
le  Fils  éternel  du  Père,  ne  faisant  avec  lui  et  l'Esprit- 
Saint  qu'un  seul  et  même  Dieu,  ils  ne  l'honorent  que 
comme  un  sage,  un  bienfaiteur  de  l'humanité. 

Nous  ne  parlons  pas  de  ces  impies  forcenés  que  le 
seul  nom  de  Christ  fait  bondir  de  fureur,  vrais  sup- 
pôts de  l'enfer,  ils  en  partagent  toute  la  rage  ;  et 
avec  des  esprits  si  peu  calmes,  des  cœurs  si  pleins 
i.  19 


326        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

de  colère,  il  serait  inuile   de  discuter.  Nous  nous 
contenterons  de  prier  pour  eux. 

Nous  ne  nous  adressi-rons  donc  aujourd'hui  qu'à 
ceux  dont  la  foi  en  la  d.vinité  de  notre  Sauveur 
pourrait  avoir  été  ébranlée  ou  par  les  passions,  ou 
par  l'ignorance,  ou  par  les  préjugés,  ou  par  de  mau- 
vaises lectures,  ou  enfin  par  des  conversations  im- 
pies. Nous  espérons  raffermir  leur  foi  en  exposant 
simplement  deux  des  preuves  sur  lesquelles  repose 
le  dogme  en  question,  le  caractère  et  les  œuvres  du 
divin  Sauveur. 


Le  caractère  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  peut 
être  étudié  sous  deux  faces  :  sous  le  rapport  moral 
et  sous  le  rapport  intellectuel. 

Le  caractère  de  Jésu>,  tel  qu'il  nous  apparaît 
lorsque  nous  lisons  les  Évangiles,  est  quelque  chose 
de  si  parfait  que  nous  serions  tentés  de*  le  prendre 
pour  une  fiction  si  une  fiction  aussi  parfaite  pou- 
vait être  conçue  par  un  cerveau  humain. 

Parmi  nous,  hommes,  la  perfection  est  partagée 
de  manière  à  se  reproduire  également  en  divers 
sujets.  Ainsi,  si  vous  cherchez  le  nom  le  plus  illustre 
parmi  les  sages,  en  exceptant  Jésus-Christ,  il  nous 
sera  difficile  de  prononcer  entre  Anaxagore,  Socrate, 
Platon,  Aristote,  Caton,  etc. 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES       327 

Si  vous  demandez  le  nom  du  plus  grand  capitaine, 
on  vous  présentera  àl'envi  Alexandre,  César,  Annibal, 
Charlemagne,  Napoléon.  Si  vous  recherchez  le  prince 
des  orateurs,  on  vous  désignera  Démosthônc,  Cicé- 
ron,  Bossuet.  Si  même,  sur  les  traces  de  Jésus  Christ, 
vous  demandez  quel  est  le  plus  saint  entre  les  saints, 
on  vous  exhibera  une  longue  liste  de  ces  héros, 
tous  également  dignes  d'admiration  et  d'amour.  Au- 
cun homme,  dans  aucun  genre,  ne  possède  une  per- 
fection supérieure  de  manière  à  le  mettre  au-dessus 
de  tous  les  autres.  Mais  piononce-t-on  le  nom  de 
Jésus-Christ,  aussitôt  tout  s'abaisse,  tout  rentre  dans 
l'ombre  autour  de  lui,  et  l'idée  de  sa  perfection  de- 
meure surhumaine  et  incompréhensible. 

Et  ce  qui  relève  singulièrement  cette  perfection, 
c'est  qu'elle  est  innée  en  Jésus-Chiist.  Les  plus  par- 
faits d'entre  les  hommes  ne  le  sont  que  parce  qu'ils 
ont  profité  de  la  perfection  de  ceux  qui  les.  ont  pré- 
cédés. Les  plus  sages  ne  1  ont  été  que  parce  qu'ils 
ont  mis  à  profit  la  sagesse  d'autrui.  Les  plus  illus- 
tres génies  ont  profité  des  lumières  de  leurs  devan- 
ciers. Les  plus  grands  saints  ont  bâti  leur  sainteté 
sur  lemodèle  de  celle  des  autres  saints  et  surtout 
sur  celle  de  Jésus-Christ.  Ainsi  la  perfection  des 
hommes  ne  leur  vient  pas  exclusivement  de  leur 
propre  tond.  Celle  de  Jésus-Christ  ne  dérive  que  de 
lui-même. 

Et  pourtant,  mes  frères,,  toute  sublime  que  soit 
cette  perfection,  elle  est  cependant  la  plus  imitable, 
et  celle  qui  a  fait  le  plus  de  disciples.  Tandis  que 


328        DOMINICALES  D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

tous  les  sages  de  tous  les  temps  n'ont  pu  même 
influer,  comme  dit  Voltaire,  sur  les  mœurs  de  la  rue 
qu'ils  habitaient,  Jésus-Christ  a  influé  sur  le  monde 
entier  :  tout  s'est  réformé  à  son  image,  tout  e»t  de- 
venu chrétien  ou  tend  à  le  devenir. 

Cette  perfection  de  Jésus-Christ  est  si  réelle  que 
nul  n'ose  la  contester.  Ses  ennemis  eux-mêmes  sont 
forcés  de  la  reconnaître.  Ainsi  on  peut,  sans  crainte, 
en  parler  dans  les  termes  les  plus  magnifiques. 
Dans  le  panégyrique  de  ce  sage  l'exagération  n'est 
pas  possible.  La  louange  peut  aller  jusqu'à  l'adora- 
tion et  c'est  dans  toute  sa  rigueur  qu'en  parlant  de 
lui  on  peut  employer  le  mot  divin. 

Et  de  fait,  quel  ensemble  de  vertus  1  et  quelle  per- 
fection dans  chacune  d'elles!  Comme  elles  s'accor- 
dent sans  se  nuire  !  Comme  elles  savent  se  tenir 
dans  leur  propre  limite,  et  se  préserver  de  l'exagéra- 
tion, terme  où  commence  le  défaut  !  En  lui  la  bonté 
est  sans  faiblesse,  le  zèle  sans  intolérance,  la  fer- 
meté sans  raideur,  l'humilité  sans  bassesse,  la  rési- 
gnation sans  abattement,  la  patience  sans  fierté,  la 
charité  sans  bornes  et  sans  ostentation.  Là,  rien  de 
guindé,  rien  de  faux,  rien  d'outré,  rien  de  heurté. 
La  nature  humaine  s'y  laisse  voir  dans  toutes  ses 
émotions  légitimes,  et  la  nature  divine  dans  toute 
la  sublimité  de  ses  attributs.  Jésus-Christ  est  ver- 
tueux comme  un  Homme-Dieu.  En  lui  l'homme  et 
le  Dieu  sont  entiers.  Et  c'est  cet  accord  divinement 
harmonieux  entre  les  deux  natures  qui  nous  charme 
et  nous  attire  ;  c'est  ce  qui  fait  que  le  modèle  le 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        329 

plus  parfait  est  en  môme  temps  le  moins  désespé- 
rant. Avec  Jésus  on  peut  se  plaindre,  on  peut  pleu- 
rer, on  peut  repousser  la  souffrance,  on  peut  tolérer 
les  pécheurs,  on  peut  aimer  ce  qui  est  aimable. 
Rousseau  avait  raison  de  dire  :  «  Une  des  choses  qui 
me  charment  dans  le  caractère  de  Jésus  n'est  pas 
seulement  la  douceur  des  mœurs,  la  simplicité,  mais 
la  facilité  et  la  grâce.  Il  ne  fuyait  point  les  fêtes,  il 
allait  aux  noces,  il  cultivait  l'amitié,  il  jouait  avec 
les  enfants,  il  mangeait  chez  les  publicains.  Il  était 
à  la  fois  indulgent  et  juste,  doux  aux  faibles,  terrible 
aux  méchants.  Sa  morale  avait  quelque  chose  d'at- 
trayant, de  tendre;  il  avait  le  cœur  sensible.  Quand 
il  n'eût  pas  été  le  plus  sage  des  mortels,  il  en  eût  été 
le  plus  aimable.  » 

Que  de  traits,  en  effet,  se  présentent  à  l'appui 
de  ce  jugement  !  tout  l'Évangile  en  est  plein.  Rappe- 
lons seulement  en  passant  la  Madeleine,  la  Samari- 
taine, la  femme  adultère,  la  Chananéenne,  le  fils  de 
la  veuve  de  Naïm  rendu  à  sa  mère,  Lazare  rendu  à 
ses  sœurs,  les  multitudes  nourries,  les  malades  gué- 
ris, les  petits  enfants  caressés,  les  humbles  publi- 
cains visités,  Judas  accueilli  par  un  baiser,  Pierre 
converli  par  un  regard,  le  bon  larron  consolé  parla 
promesse  du  ciel,  et  enfin  Jean,  le  disciple  bien- 
aimé,  récompensé  de  son  amour  par  le  don  inef- 
fable de  l'Auguste  Marie.  Quelle  bonté  !  Quelle  jus- 
tice !  Quelle  sagesse!  En  un  mot,  quelle  plénitude  de 
gi  âce  et  de  vérité  l  Vidimus,  eum  plénum  graliœ  et 
verilalis. 


330        DOMINICALES  D  UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

Voilà,  mes  frères,  une  légère  esquisse  du  caractère 
de  Jé?us-Clirist  envisagé  dans  son  côté  moral.  Un 
mot  pour  vous  le  montrer  dans  son  côté  intellectuel. 

Si  Jésus-Christ  a  été  vertueux  au  point  de  pouvoir 
dite  sans  orgueil  :  «  Qui  de  vous  me  convaincra  de 
péché  ?  Qws  ex  vobis  arguet  me  de  peccato?  »  Il  aurait 
pu  dire  aussi  :  «  Qui  de  vous  me  convaincra  d'er- 
reur? »  Saint  Paul,  écrivant  aux  Colossiens,  fait  en 
deux  mots  l'éloge  de  l'intelligence  de  Jésus-Christ  : 
«  C'est  en  lui  que  se  trouvent  renfermés  tous  les 
trésors  de  la  sagesse  et  de  la  science  :  In  quo  sunt 
omnes  thesauri  sapientiœ,  et  scientiœ  absconditi.  »  Bien 
avant  l'Apôtre,  le  vieillard  Siméon  avait  rendu  témoi- 
gnage à  l'éclatante  lumière  que  le  Fils  de  Marie  de- 
vait projeter  sur  le  monde  :  «  Maintenant,  ô  Sei- 
gneur, vous  pouvez  renvoyer  votre  serviteur  en  paix, 
car  mes  yeux  ont  vu  la  lumière  qui  doit  éclairer  les 
nations  :  Lumen  ad  revelationem  gentium.  Renchéris- 
sant sur  cette  parole  le  disciple  bien-aimé,  l'aigle  de 
Palmos,  commence  son  évangile  en  déclarant  à  la 
face  du  ciel  et  de  la  terre  quecelui  dont  il  va  retra- 
cer la  vie  terrestre  est  le  Verbe  de  Dieu,  la  lumière 
qui  éclaire  tout  homme  venant  en  ce  monde  :  Erat 
lux  vera  quse  illuminât  omnem  hominem  venientem  in 
hune  mundum. 

Ces  témoignages  et  cent  autres  que  nous  pourrions 
emprunter  aux  Livres  saints  sont  appuyés  sur  des 
faits  réels,  éclatants,  incontestables.  Jésus-Christ 
fut  réellement  doué  d'une  intelligence  plus  qu'hu- 
maine, plus  qu'angélique.  Dès  ses  plus  tendres  an- 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         331 

nées  on  voyait  qu'il  croissait  en  sagesse  plus  encore 
qu'en  âge,  et  à  douze  an^  il  étonnait  les  plus  savants 
docteurs  d'Israël  par  les  profondeurs  de  ses  pensées, 
par  la  pénétration  de  son  esprit,  par  son  habileté  à 
interpréter  les  divines  Ecritures.  Quelques  années 
plus  tard,  les  Scribes,  le>  princes  des  prêtres,  les 
docteurs  de  la  loi  se  demandaient  en  l'entendant 
parler,  si  c'était  bien  là  le  (ils  de  l'artisan  Joseph. 
«  D'où  lui  vient  cette  sagesse,  se  disaient-ils?  N'est- 
ce  pas  le  fils  du  charpentier  Joseph?  Gomment  sait- 
il  les  lettres,  lui  qui  n'a  pas  étudié?  Nonne  hic  est 
fahri  filiu.s?...  Undè  kui<-  sa/jientia  hœc?  Quomodo  kic 
litteras  scit,  cum  non  didkerU  ? 

Ainsi,  sans  étude,  sans  travail  aucun,  Jésus-Christ 
possède  une  science  qui  é  onne  les  plus  hautes  in- 
telligences. Il  parle,  et  sa  parole  ravit  et  entraîne  les 
multitudes;  il  parle  et  sa  parole  met  dans  Je  plus 
grand  jour  ces  vérilé>  sublimes  que  le  mensonge 
avait  enveloppées  de  ténè  ires;  il  parle  et  sa  parole 
donne  la  solution  la  plu-  claire,  la  plus  satisfaisante 
à  tous  les  problèmes,  à  toutes  les  questions  sur  Dieu 
et  sur  l'homme  qui  avaient  fait  jusque-là  le  déses- 
poir des  plus  grands  génies;  en  un  mot,  il  parle,  et 
celte  parole  créatrice  comme  celle  qui,  au  commen- 
cement des  temps,  produisit  la  lumière  matérielle, 
la  lumière  des  corps,  fut  suivie  d'une  telle  irradia- 
tion de  lumière  spirituelle  qu'on  peut  dire  en  toute 
vérité  pour  le  monde  moral,  comme  pour  le  monde 
physique  :  Et  facta  est  lux,  et  la  lumière  fut  faite. 

Jésus  ne  discute  pas,  no  pérore  pas;  il  émet  sa 


332        DOMINICALES  D'UN   CURÉ  DE  CAMPAGNE 

doctrine  sans  art,  sans  effort,  sans  préoccupation  de 
n'être  pas  compris,  avec  une  simplicité  confiante. 
Plein  des  mystères  d'en  haut,  il  en  parle  sans  ef- 
fort; la  vérité  lui  est  familière;  il  la  sait,  il  l'expose 
simplement  et  avec  une  telle  netteté  que  les  Juifs 
sont  obligés  de  s'écrier  :  a  Jamais  personne  n'a  parlé 
comme  cet  homme.  » 

Et  par  le  fait,  telle  est  la  puissance  de  cette  parole 
que,  méditée,  discutée,  attaquée,  disséquée  par  toutes 
les  sciences,  par  toutes  les  haines,  appliquée  aux  so- 
ciétés, aux  peuples,  aux  individus,  elle  n'a  jamais  pu 
être  convaincue  d'erreur.  Toujours  elle  est  re^-tée,  et 
elle  est  encore  la  lumière  du  monde;  et  chaque  jour 
vérifie  ce  que  le  Maître  a  prédit  :  «  Le  ciel  et  la  terre 
passeront,  mais  ma  parole  ne  passera  pas  :  Cœlum  et 
terra  transibunt,  verba  autem  mea  non  prœterihunt. 

Et  après  cela,  mes  frères,  dirons-nous  que  Jésus- 
Christ  est  un  pur  homme?  Si  avec  le  caractère  que 
nous  venons  de  lui  voir  le  Sauveur  est  un  pur 
homme,  il  faut  dire  qu'il  n'y  a  aucune  différence 
entre  l'homme  et  Dieu.  Ce  qui  est  un  horrible  blas- 
phème. Ah!  plutôt  tombons  à  ses  pieds  et  confessons 
avec  saint  Pierre  qu'il  est  le  Fils  du  Dieu  vivant,  vrai 
Dieu  comme  lui  :  Tu  es  Christus  Filius  Dei  vivi.  Un 
regard  jeté  sur  ses  œuvres  va  achever  de  nous  con- 
vaincre. 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         333 


Au  fruit  on  connaît  l'arbre;  par  le  travail  on  ap- 
précie l'ouvrier.  Les  œuvres  de  Jésus-Christ,  portant 
le  cachet  de  l'opération  divine,  nous  disent  qu'il  est 
Dieu.  Étudions-en  quelques-unes.  Jésus  était  àJéru- 
salem  pour  la  fête  des  Tabernacles.  Un  pauvre  men- 
diant, aveugle  de  naissance,  se  présente  à  lui  : 
«  Maître,  disent  les  apôtres,  quel  péché  a  été  commis 
par  cet  homme  ou  ses  parents  pour  qu'il  soit 
aveugle?  —  Ce  n'est  point,  répond  le  Sauveur,  parce 
qu'ils  ont  péché,  mais  afin  que  l'œuvre  de  Dieu  «oit 
manifestée  en  lui.  »  En  même  temps,  Jésus  fait  delà 
boue  avec  sa  salive,  en  met  sur  les  yeux  de  l'aveugle 
et  lui  dit  :  «  Va  et  lave-toi  à  la  piscine  de  Siloë.  » 
L'aveugle  s'en  va,  se  lave  et  voit. 

Aux  portes  de  la  ville  de  Naïm,  Jésus  rencontre 
ud  cortège  funèbre.  Ce  sont  les  funérailles  d'un 
jeune  homme,  fils  unique  d'une  veuve  désolée.  A  la 
vue  des  larmes  de  la  mère,  Jésus  touche  le  cercueil  et 
dit  au  mort  :  «  Lève -toi,  je  te  l'ordonne.  »  Et  le  mort 
se  lève  et  Jésus  le  rend  à  sa  mère. 

Dans  une  autre  circonstance  Jésus  est  suivi  au 
désert  par  une  foule  nombreuse.  Voilà  trois  jours 
que  ces  gens-là  s'empressent  pour  l'écouter.  Ils  sont 
harassés  de  fatigue  et  de  faim.  Il  y  a  là  un  jeune 

19. 


334        DOMINICALES   D  ON   CURE   DE    CAMPAGNE 

homme  qui  possède  encore  cinq  pains  d'orge  et 
<ieux  poissons.  «  Faites  asseoir  tout  le  monde  sur 
l'herbe,  dit  Jésus  aux  apôtres,  et  distribuez-leur  ces 
provisions.  »  On  obéit;  tout  le  monde,  c'est-à-dire 
plus  de  cinq  mille  personnes  sont  rassasiées,  et  l'on 
recueille  encore  deux  corbeilles  de  restes. 

Un  soir  les  apôtres  prirent  une  barque  au  rivage 
de  Bethsaïde  et  naviguèrent  vers  Capharnaiim.  Un 
vent  furieux  les  arrêta  en  route.  Vers  la  quatrième 
heure  du  matin,  ils  virent  Jésus  marchant  sur  les 
eaux  et  venant  à  eux.  Ils  le  prirent  pour  un  fantôme 
et  poussèrent  des  cris  d'effroi.  Mais  lui  les  rassura 
en  disant  :  «  C'est  moi,  ne  craignez  rien.  —  Si 
c'est  vous,  Seigneur,  dit  Pierre,  ordonnez  que  j'aille 
à  vous.  ."  Viens  donc,  reprend  Jésus.»  Aussitôt 
Pierre  descendit  de  la  barque  et  ût  quelques  pas  sur 
les  eaux;  mais  voyant  la  violence  des  vagues,  il  eut 
peur,  et,  comme  il  commençait  à  enfoncer,  il  s'é- 
cria :  «  Seigneur,  Seigneur,  sauvez -moi.  »  Jésus 
lui  tendit  la  main,  lui  reprochant  son  peu  de  foi, 
et  ensemble  ils  entrèrent  dans  la  barque.  Aussitôt 
la  tempête  cessa. 

Jésus  étant  en  Galilée,  dit  un  jour  à  ses  disciples  : 
«  Lazare,  notre  ami  est  mort,  et  je  me  réjouis  à  cause 
de  vous  de  n'avc:r  point  été  là,  afin  que  votre  foi 
soit  confirmée. 

Il  revint  donc  à  Béthanie,  et  lorsqu'il  y  arriva 
Lazare  était  mort  depuis  quatre  jours.  Les  deux 
sœurs  du  défunt  allant  au-devant  de  lui,  s'écrièrent  : 
«  Seigneur,  si  vous  eussiez  été  ici,  notre  frère  ne 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        333 

serait  pas  mort.  —  Où  l'avez-vous  déposé  ?  —  Sei- 
gneur, venez  et  voyez.  »  Et  Jésus  pleura,  puis  fré- 
missant en  lui-même,  il  dit  :  «  Olez  cette  pierre,  a 
Mais  Marthe  répliqua  :  «  Seigneur,  il  sent  déjà  mau- 
vais, car  voici  quatre  jours  qu'il  est  mort.  »  Lorsque 
la  pierre  fut  enlevée,  Jésus  leva  les  yeux  au  ciel  et 
dit  :  «  Mon  Père,  je  vous  rends  grâce  de  ce  que  vous 
m'entendez.  Pour  moi,  je  sais  que  vous  m'exaucez 
toujours,  mais  je  le  dis  pour  ce  peuple,  afin  qu'il 
sache  que  c'est  vous  qui  m'envoyez.  »  Et  aussitôt  il 
s'écria  :  «  Lazare,  sors  du  tombeau.  »  Et  Lazare  se 
leva,  sortit  et  marcha. 

Voilà  quelques-unes  des  œuvres  de  Jésus  ;  nous 
pourrions  en  citer  cent  autres  aussi  belles,  aussi 
éclatantes,  aussi  merveilleuses.  Toutes  ont  eu  pour 
témoins  des  personnes  nombreuses,  de  tout  rang, 
de  tout  âge,  de  toute  condition  ;  toutes,  par  consé- 
quent, sont  incontestables.  Or,  mes  frères,  sont-ce 
là  des  œuvres  humaines?  Jamais  l'homme  fit-il  en 
son  propre  nom,  en  vertu  d'un  pouvoir  inhérent  à 
sa  nature  de  semblables  prodiges  ? 

Mais  ce  n'est  point  tout  encore.  Quatorze  fois  dans 
le  cours  de  ses  prédications,  le  Christ  avait  annoncé 
qu'après  sa  mort,  il  ressusciterait  le  troisième  jonr, 
et  il  indiquait  d'avance  cette  résurrection  comme  le 
signe  définitif  auquel  non  seulement  ses  apôtres, 
mais  les  Juifs  infidèles  eux-mêmes  pourraient  recon- 
naître un  jour  sa  divinité. 

«  Cette  génération  perverse  et  adultère,  disait-il, 
demande  un  signe,  et  il  ne  lui  en  sera  point  donné 


330        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

d'autre  que  celui  de  Jonas.  De  même  que  Jonas  resta 
trois  jours  dans  le  ventre  de  la  baleine,  ainsi  le  Fils 
de  l'homme,  après  avoir  été  trahi,  bafoué  et  crucifié, 
sera  déposé  dans  le  tombeau  et  ressuscitera  le  troi- 
sième jour.  » 

Cette  prophétie  qui  annonçait  le  miracle  des  mi- 
racles se  réalisa  de  la  manière  la  plus  éclatante.  Le 
Christ,  trahi  par  Judas,   abandonné  par  les  siens, 
livré  aux  soldats,  traîné  devant  les  tribunaux,  con- 
damné par  Pilate,  crucifié  entre  deux  larrons,  était 
mort  sur  son  gibet.  Un  coup  de  lance  donné  par  un 
soldat  ouvrit  le  cœur  inanimé  de  Jésus  ;  il  en  sortit 
du   sang  et   de   l'eau,    preuve  incontestable   d'une 
mort  réelle.  Déposé  de  la  croix,  le  corps  du  Sauveur 
fut  mis  dans  un  sépulcre  tout  neuf,  taillé  dans  le 
roc.  Une  lourde  pierre  fut  placée  à  l'ouverture  et 
scellée  du  sceau  public.  Des  gardes  furent  consti- 
tués par  ordre  du  gouverneur  pour   veiller  autour 
de  ce  tombeau  et  empêcher  que  personne  ne  vînt 
ravir  le  sacré  dépôt  qu'il  renfermait. 

Or,  il  advint  que  le  troisième  jour  après  la  mort 
de  Jésus,  au  moment  où  les  premières  lueurs  de 
l'aube  commençaient  à  percer  les  ténèbres  de  la 
nuit,  le  divin  tombeau  fut  ébranlé  tout  à  coup.  Un 
ange  brillant  comme  réclair  apparut  au  milieu  des 
gardes,  qui  tombèrent  à  la  renverse  ;  la  pierre  scellée 
se  brisa  et  se  renversa  ;  le  Christ  était  ressuscité. 
Il  venait  d'accomplir  sa  parole  :  «  Je  quitte  ma  vie 
pour  la  reprendre.  Personne  ne  me  l'ôte  ;  c'est  par 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        337 

ma  propre  volonté  que  je  l'abandonne.  J'ai  le  pou- 
voir de  la  quitter  et  de  la  reprendre.  » 

La  mort  était  vaincue,  et  le  Christ  en  se  ressusci- 
tant lui-môme  venait  de  donner  au  monde  le  témoi- 
gnage le  plus  fort,  le  plus  incontestable  de  sa  divi- 
nité. Désormais  les  hommes,  à  l'exemple  de  saint 
Thomas,  l'apôtre  incrédule,  devaient  dire  :  «  Vous 
êtes  mon  Seigneur  et  mon  Dieu.  »  Cependant  le 
Sauveur  voulut  leur  donner  une  dernière  et  éclatante 
preuve  de  sa  divinité. 

Après  avoir  consacré  quarante  jours  à  se  manifes- 
ter à  ses  apôtres  et  à  ses  disciples,  à  achever  de  les 
instruire  et  à  les  préparer  à  l'effusion  de  son  Esprit, 
il  les  réunit  au  nombre  de  plus  de  cinq  cents  sur  la 
montagne  des  Oliviers.  Il  était  midi.  S'adressant  à 
ses  apôtres  :  «  Voici,  dit-il,  que  je  vais  vous  envoyer 
du  ciel  le  Paraclet  que  mon  Père  vous  a  promis; 
vous  allez  être  régénérés  dans  le  Saint-Esprit,  et 
vous  rendrez  témoignage  de  moi  à  Jérusalem,  dans 
toute  la  Judée  et  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre.  » 
Puis,  élevant  les  mains  pour  les  bénir,  il  ajoute: 
«  La  toute-puissance  m'a  été  donnée  au  ciel  et  sur  la 
terre.  Allez  donc  et  prêchez  l'Evangile  à  toute  créa- 
ture, enseignez  toutes  les  nations,  et  apprenez-leur 
à  observer  ma  loi,  les  baptisant  au  nom  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit  ;  et  voici  que  je  suis  avec 
vous  jusqu'à  Ja  fin  des  siècles.  »  En  achevant  ces 
mots,  il  s'élève  majestueusement  vers  le  ciel  et 
bientôt  une  nuée  le  dérobe  à  tous  les  regards. 

Telle  est,  mes  frères ,  la  dernière  preuve  de  la 


333        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

divinité  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ.  C'en  est 
assez  ;  c'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  éclairer  ceux 
qui  ne  ferment  pas  volontairement  les  yeux.  Confes- 
sons donc  hautement  la  divinité  de  notre  Sauveur; 
publions  sans  crainte  ce  dogme  divin  ;  mais  surtout 
faisons-en  la  règle  de  notre  conduite.  Après  avoir 
par  nos  paroles  et  par  nos  actes  confessé  que  Jésus- 
Christ  est  véritablement  Dieu,  nous  mériterons 
qu'un  jour  il  nous  fasse  partager  éternellement  son 
bonheur  et  sa  gloire.  Amen, 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        330 


DIMANCHE  DES  RAMEAUX 


ÉVANGILE 

Jésus  approchant  de  Jérusalem,  et  étant  déjà  ar- 
rivé à  Bethphagé,  près  de  ia  montagne  des  Oliviers, 
envoya  deux  de  ses  disciples,  en  leur  disant  :  «Allez 
à  ce  village  qui  est  devant  vous,  et  vous  y  trouverez 
•en  arrivant  une  ânesse  qui  est  attachée,  et  son  ânon 
avec  elle;  déliez-la,  et  amenez-les-moi;  et  si  quel- 
qu'un vous  dit  quelque  chose,  dites  que  c'est  lo  Sei- 
gneur qui  en  a  besoin,  et  aussitôt  on  les  laissera 
amener,  »  Or,  tout  cela  se  passa  ainsi,  afin  qu<;  cette 
parole  du  Prophète  fût  accomplie  :  «  Dites  à  la  fille 
de  Sion  :  Voici  votre  Roi,  qui  vient  à  vous  plein  de 
douceur,  monté  sur  une  ânesse  qui  porte  le  joug  et 
sur  son  ânon.  »  Les  disciples  étant  allés,  firent  ce 
que  leur  avait  ordonné  Jésus.  Ils  lui  amenèrent  l'â- 
nesse  et  Tânon,  et  les  ayant  couverts  de  leurs  ha- 
bits, ils  le  firent  monter  dessus.  Alors  une  grande 
multitude  de  peuple  étendit  aussi  ses  habits  sur  le 
chemin  ;  d'autres  coupaient  des  branches  d'arbres, 
elles  jetaient  sur  son  passage;  et  tous  ensemble, 


340        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

soit  ceux  qui  marchaient  devant  lui,  soit  ceux  qui  1& 
suivaient,  criaient:  «  Hosanna  au  Fils  de  David!  Béni 
soit  celui  qui  vient  au  nom  du  Seigneur  1  Hosanna 
au  plus  haut  des  cieux!  »  (  Math.,  xxi,  i-9.) 

HOMÉLIE 

Notre  divin  Sauveur  avait  souvent  annoncé  à  ses 
disciples  qu'il  irait  à  Jérusalem  pour  y  souffrir  sa 
passion  douloureuse,  mais  il  leur  avait  déclaré  qu'il 
ne  mourrait  que  lorsqu'il  le  voudrait  et  que  son 
heure  n'était  point  encore  venue.  Toutefois  cette 
heure  ne  tardera  pas  de  sonner.  Plus  que  cinq  jours 
et  tout  sera  consommé.  Le  divin  Maître  s'achemi- 
nait à  pied  vers  Jérusalem.  Quand  il  ne  fut  plus  sé- 
paré de  la  ville  sainte  que  de  la  distance  d'un  mille, 
il  appela  deux  de  ses  disciples  et  leur  dit  :  «  Voyez- 
vous  le  village  qui  est  devant  vous?  Allez-y,  vous 
verrez  en  entrant  une  ânesse  et  son  poulain  liés  en 
dehors  d'une  porte  au  milieu  de  la  voie  publique. 
Ne  demandez  pas  quel  est  leur  maître;  déliez-les  et 
amenez-les-moi.  Si  quelqu'un  vous  dit  :  Que  faites- 
vous?  De  quel  droit  vous  emparez-vous  de  ces  ani- 
maux qui  ne  vous  appartiennent  pas?  Sans  entrer 
en  explication,  répondez  simplement  :  le  Seigneur 
en  a  besoin  :  Dicite  quia  Dominus  his  opus  habet,  et  nul 
ne  vous  résistera.  »  Tout  arriva  comme  Jésus  l'avait 
prédit. 

Le  récit  que  vous  venez  d'entendre,  tout  simple 
qu'il  est,  renferme  une  grande  leçon  et  nous  offre 


HOMELIES   ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES        341 

de  grands  exemples.  Il  nous  apprend  d'abord  une 
vérité  bien  importante  et  souvent  oubliée,  c'est  que 
Jésus-Christ  pénètre  les  secrets  des  cœurs,  voit  tout, 
connaît  tout  et  que,  par  conséquent,  il  est  Dieu, 
puisqu'il  n'y  a  qu'un  Dieu  qui  puisse  tout  voir  et 
tout  connaître.  Comment  en  effet  ce  divin  Sauveur 
aurait-il  pu  savoir  que  dans  le  village  où  il  envoyait 
deux  de  ses  disciples,  ils  trouveraient  une  ânesse 
attachée  et  son  inon  avec  elle?  Comment  aurait-il 
pu  prévoir  ce  que  répondraient  les  propriétaires? 
N'est-ce  pas  là  une  preuve  évidente  qu'il  voit  tout, 
qu'il  connaît  tout  et  que  par  conséquent  il  est  Dieu, 
puisqu'il  n'appartient  qu'à  la  divinité  de  franchir,  par 
ses  lumières  infinies,  l'intervalle  des  lieux,  comme 
celui  des  temps;  de  voir  l'avenir  comme  le  présent, 
et  ce  qu'il  y  a  de  plus  caché,  comme  ce  qu'il  y  a  de 
plus  connu?  Mais  s'il  est  vrai  que  Dieu  voit  tout,  il 
est  également  vrai  que  nous  ne  saurions  nous  déro- 
ber à  sa  présence,  ni  nous  soustraire  à  ses  regards. 
Or,  si  nous  étions  bien  persuadés  de  cette  vérité 
comme  nous  devons  l'être,  faudrait-il  rien  de  plus 
pour  nous  empêcher  de  faire  le  mal,  pour  nous  ani- 
mer à  faire  le  bien? 

Il  n'y  a  aucun  homme,  quelque  audacieux,  quelque 
pervers  que  vous  le  supposiez,  qui  osât  commettre 
une  action  criminelle  et  déshonorante  sous  les  yeux 
des  autres  hommes.  Les  plus  méchants  mêmes  ont 
coutume  de  cacher  leurs  infamies  du  voile  secret 
ou  des  ombres  de  la  nuit;  et  quelque  penchant 
qu'ils  aient  à  faire  le  mal,  ils  ne  le  feraient  pourtant 


342        DOMINICALES   D  UN   CURE  DE  CAMPAGNE 

pas,  s'ils  ne  pouvaient  le  faire  sans  être  vus.  Or,  si 
la  seule  crainte  des  regards  des  hommes  est  capable 
de  nous  arrêter,  lorsque  nous  sommes  lentes  de 
nous  livrer  au  crime,  combien  plus  ne  nous  abstien- 
drions-nous pas,  si  nous  pensions  bien  que  nous  ne 
saurions  le  commettre  sans  que  Dieu  nous  vît  1 
Comme  on  sollicitait  un  saint  solitaire  à  faire  une 
action  criminelle  et  honteuse  :  «  J'y  consens,  répon- 
dit-il, en  faisant  semblant  d'entrer  dans  les  vues  de 
la  personne  qui  était  venu  le  solliciter;  mais  je  n'y 
consens  qu'à  condition  que  ce  crime  sera  commis 
en  plein  jour  et  au  milieu  de  la  place  publique.  Cette 
condition  fut  rejetée  avec  indignation,  parce  que  la 
personne  à  qui  on  la  proposait  craignaU  de  se  dés- 
honorer aux  yeux  des  hommes.  Mais  le  saint  reli- 
gieux, profitant  de  cette  occasion  pour  lui  donner 
une  leçon  salutaire  :  «  Quoi  !  lui  dit-il,  vous  crai- 
gnez les  regards  de  vos  semblables,  et  vous  ne  crai- 
gnez pas  les  regards  de  votre  Dieu!  Vos  semblables 
ne  pourraient  pourtant  que  vous  mépriser;  au  lieu 
que  votre  Dieu  pourrait  vous  punir  au  moment  que 
vous  l'offenseriez.  Allez  donc,  retirez-vous,  et  son*- 
venez-vous  que  si  nous  devons  craindre  les  hommes 
nous  devons  encore  plus  redouter  Celui  devant  qui 
tous  les  hommes  ne  sont  que  néant.  » 

Souvenez-vous-en  aussi,  mes  frères;  n'oubliez  ja- 
mais que  vous  êtes  toujours  sous  l'œil  inévitable  de 
Dieu;  et  si  la  passion  venait  vous  assaillir  dans  les 
ombres  de  la  solitude,  ou  au  milieu  des  ténèbres  de 
la  nuit,  dites-vous  à  vous-mêmes,  comme  la  chaste 


HOMÉLIES    ET    INSTRUCTIONS   PRATIQUES         343 

Suzanne  :  «Je  suis,  il  est  vrai,  à  l'abri  des  regards 
des  hommes,  mais  Dieu  me  voit,  et  que  me  servi- 
rait-il d'être  innocent  aux  yeux  du  monde,  si  je  me 
rendais  coupable  aux  yeux  de  ce  Dieu  puissant  et 
terrible  qui  pourrait  m'accabler  sous  les  traits  de  sa 
redoutable  ^ustice  au  moment  môme  où  j'oserais  me 
révolter  contre  lui  ?  »  Si  vous  avez  soin  de  faire  cette 
réflexion  :  Dieu  me  voit,  la  crainte  s'em paiera  de 
votre  âme,  la  passion  s'éteindra  dans  votre  cœur,  et 
non  seulement  vous  n'oserez  pas  commettre  le  mal, 
mais  encore  vous  vous  porterez  avec  ardeur  à  faire 
tout  le  bien  dont  vous  êtes  capable. 

Quand  un  serviteur  travaille  sous  les  yeux  de  son 
maître,  quelque  indolent  qu'il  puisse  être,  il  déploie 
tout  ce  qu'il  a  d'adresse  et  d'activité  pour  faire,  aussi 
parfaitement  qu'il  le  peut,  l'ouvrage  qui  lui  a  été 
commandé.  Quand  un  guerrier  sait  que  son  roi  est 
témoin  du  combat  qu'il  a  à  soutenir,  quoiqu'il  soit 
naturellement  lâche,  il  sent  naître  dans  son  cœur 
un  courage  qui  l'élève  au-dessus  de  son  caractère; 
ilattaque  l'ennemi,  il  affronte  les  périls,  il  brave  la 
mort,  et  le  désir  qu'il  a  de  plaire  à  son  souverain  le 
transforme  en  héros.  Or,  il  en  est  de  même  d'un 
chrétien  qui  pense  qu'il  est  constamment  sous  le 
regard  de  Dieu,  et  que  ce  Dieu  infiniment  clair- 
voyant voit  tout  ce  qu'il  fait.  Quoiqu'il  sente  en  lui- 
même  une  secrète  répugnance  pour  le  bien  et  qu'il 
soit  d'abord  rebuté  par  les  difficultés  que  la  pratique 
de  la  vertu  lui  présente,  il  ne  peut  se  dire  intérieu- 
rement à  lui-même  :  Dieu  me  voit,  sans  se  sentir 


344        DOMINICALES   D'UN   CURE  DE   CAMPAGNE 

animé  d'un  courage  dont  il  se  croyait  incapable,  et 
la  seule  idée  de  la  présence  de  Dieu  qu'il  regarde 
comme  son  souverain  Maître  et  comme  son  Roi, 
suffit  pour  lui  faire  surmonter  tous  les  obstacles  qui 
l'arrêtaient.  Dites-vous  donc  souvent,  âmes  tièdes  : 
Dieu  me  voit,  et  ces  paroles  seront  pour  vous  comme 
aulant  de  coups  d'aiguillon  qui  vous  feront  marcher 
avec  ardeur  dans  les  routes  de  la  piété.  Dites-vous-le 
souvent,  âmes  calomniées  et  injustement  opprimées, 
et  ces  paroles  vous  consoleront  de  l'injustice  des 
hommes.  Dites-vous-le  souvent,  âmes  affligées,  et 
ces  paroles  seront  pour  vous  comme  un  baume  salu- 
taire qui  adoucira  toute  l'amertume  des  maux  que 
vous  avez  à  souffrir. 

Tels  sont  les  fruits  précieux  que  vous  retirerez  de 
l'exercice  de  la  présence  de  Dieu  si  recommandé  par 
tous  les  Pères  de  la  vie  spirituelle. 

Et  si  quelqu'un  vous  dit  :  Pourquoi  faites-vous  cela? 
Répondez  :  Le  Seigneur  en  a  besoin.  —  Jésus-Christ  a 
besoin  de  nous,  comme  la  lumière  a  besoin  des 
ténèbres,  comme  la  source  rafraîchissante  a  besoin 
du  voyageur  altéré,  comme  le  médecin  a  besoin  des 
malades,  comme  le  riche  bienfaisant  a  besoin  du 
pauvre.  C'est  l'amour  qui  a  besoin  de  s'épancher,  de 
se  communiquer,  de  répandre  des  bienfaits.  —  Et 
nous  aussi,  nous  surtout,  nous  avons  besoin  de 
Jésus-Christ,  comme  le  malade  a  besoin  du  médecin, 
comme  le  pauvre  a  besoin  du  riche,  comme  l'enfant 
a  besoin  de  sa  mère.  —  Avec  Jésus  nous  possédons 
tout,  sans  lui  nous  manquons  de  tout...  Avec  lui,  la 


HOMÉLIES   ET   INSTRUCTIONS    PRATIQUES        345 

souverain  bonheur,  sans  lui,  la  souveraine  misère. 
—  Donnons-lui  sans  réserve  tout  ce  que  nous  possé- 
dons, lout  ce  que  nous  sommes  ;  nous  retrouverons 
tout  en  lui,  au  centuple. 

Les  disciples  s'en  allèrent  et  firent  ce  que  Jésus  leur 
avait  ordonné.  La  commission  que  Jé^us  donna  à  ses 
Apôtres  pouvait  leur  paraître  singulière,  et  assez 
diflicile  à  remplir,  car  ils  ignoraient  comment  ils 
seraient  reçus.  Mais  le  Seigneur  a  parlé  ;  ils  obéissent 
aveuglément  et  sans  se  permettre  de  discuter.  Est-ce 
ainsi  que  nous  obéissons  à  la  volonté  de  Dieu,  lors- 
qu'elle se  manifeste  à  nous  par  la  voix  de  nos  supé- 
rieurs? Que  de  lenteurs!  que  de  résistances  peut- 
être! 

Oi\  tout  cela  eut  lieu,  afin  que  s'accomplît  l'oracle  du 
Prophète  :  Dites  à  la  fille  de  Sion  :  Voici  que  ton  roi 
vient  à  toi  plein  de  douceur,  assis  sur  un  âne,  sur  le 
poulain  de  celle  qui  est  sous  le  joug. 

Jésus-Christ  est  vraiment  le  Roi  et  le  Messie  pré- 
dit par  les  prophètes  ;  il  l'a  lui-même  déclaré  à 
Pilate  en  termes  formels,  ajoutant  que  son  royaume 
n!e>t  pas  de  ce  monde.  Quand  le  peuple  émerveillé 
de  ses  miracles  voulait  le  faire  roi,  c'était  parce 
qu'il  reconnaissait  en  lui  son  Messie  ;  quand  ses 
ennemis  par  dérision  affichaient  sur  sa  croix  qu'il 
était  le  roi  des  Juifs,  ils  voulaient  l'accuser  de  s'être 
donné  pour  le  Messie.  Mais  cette  vérité  que  nous 
croyons,  que  nous  professons,  en  adoptons-nous 
la  conséquence?  La  suivons-nous  dans  la  pratique? 
Jésus-Christ  règne-t-il  dans  nos  cœurs  ?  Exerce-t-il 


346        DOMINICALES   D'UN   CURE   DE   CAMPAGNE 

l'autorité  qui  lui  appartient,  l'autorité  aussi  absolue 
même  qu'un  souverain  dans  son  empire  ?  Lui  ren- 
dons-nous l'obéissance  passive,  qui  fait  exécuter 
avec  célérité,  avec  plaisir,  l'universalité  de  ses  pré- 
ceptes? Lui  vouons-nous  celte  fidélité  entière  qui 
nous  rend  pleins  de  dévouement  dans  son  service? 

Jésus-Christ  est  annoncé  dans  la  prophétie  d'isaïe 
comme  un  roi  plein  de  douceur,  dérobant  sous  un 
voile  mystérieux  l'éclat  de  sa  majesté  afin  de  ne  pas 
nous  éblouir  et  de  ne  pas  nous  effrayer  ;  ici,  il  est 
peint  sous  la  figure  d'un  agneau  qui  se  lai?se  con- 
duire à  la  mort  sans  se  plaindre  ;  ailleurs,  il  est 
appelé  le  Prince  de  la  paix  qui  veut  subjuguer  le 
cœur  de  tous  les  hommes,  non  par  la  force  et  la  vio- 
lence, mais  par  l'amour. 

Une  foule  nombreuse  que  la  fête  de  Pâques  avait 
attirée  à  Jérusalem,  ayant  appris  que  Jésus  se  rendait 
en  cette  ville,  accourut  au-devant  de  lui,  portant  des 
palmes  à  la  main.  Et  à  mesure  que  Jésus  avançait,  cette 
multitude  étendait  ses  vêtements  le  long  du  cheminy 
d 'autres  coupaient  des  branches  d'arbres,  et  en  jonchaient 
la  terre  sous  ses  pas.  Et  tous  criaient  à  Venvi:  Hosannay 
salut  au  Fils  de  David,  béni  soit  celui  qui  vient  au  nom 
du  Seigneur  !  Hosanna  au  plus  haut  des  deux  /  La 
pompe  qui  environne  aujourd'hui  Jésus-Christ,  est 
d'un  genre  bien  extraordinaire  et  bien  différent  des 
pompes  mondaines.  Une  troupe  confuse  d'hommes, 
de  femmes,  d'enfants,  tous  de  la  classe  du  peuple, 
accourant  au-devant  de  lui,  bénissant  à  haute  voix 
le  Fils  de  David,  celui  qui  vient  au  nom  du- Soi- 


HOMELIES  ET  INSTRUCTIONS  PRATIQUES  3i7 
gneur  ;  quelques  pauvres  habits,  étendus  sur  son 
chemin,  des  branches  d'arbres  jetées  sur  son  pas- 
sage, lui-même  au  milieu  de  ce  pauvre  et  bruyant 
cortège,  monté  sur  un  âne,  voilà  tout  l'appareil  do 
cette  marche  triomphante.  Il  veut  par  sa  conduite 
nous  apprendre  à  fuir  le  faste  et  le  luxe,  à  nous  con- 
tenter de  ce  qui  nous  est  nécessaire  et  à  pratiquer 
l'humilité. 

Ces  démonstrations  d'amour  et  de  reconnais>ance 
que  font  éclater  les  Juifs,  naguère  témoins  de  ses 
nombreux  miracles,  sont  celles  que  nous  devons 
nous-mêmes  lui  témoigner  ;  car  il  est  notre  Roi 
comme  il  était  le  leur,  et  il  n'a  pas  été  moins  bien- 
faisant envers  nous  qu'il  ne  le  fut  envers  eux.  Né 
nous  a-t-il  pas  fait  naître  au  sein  de  son  Eglise?  Ne 
nous  a-t-il  pas  adoptés  pour  ses  enfants,  ses  lrères- 
et  ses  cohéritiers  par  le  baptême? 

Mais  n'imitons  pas  la  légèreté  et  l'inconstance  de 
cette  toule  si  empressée  à  l'honorer.  Vous  l'enten- 
dez aujourd'hui  acclamer  Jésus-Christ  de  ses  cris  de 
joie  et  de  triomphe  et  dire  :  Hosanna  filio  Daoïdt  Dans 
quelques  jours  vous  la  verrez  réunie  à  ses  persécu- 
teurs et  vous  l'entendrez  crier  de  toutes  ses  lorces  : 
Crucifiyaiurl  0  inconstance  inconcevable  du  cœur 
humain  I  N'avons-nous  jamais  été  coupables  de  ce 
péché? 

Ah  !  mes  frères,  si  après  les  résolutions  sérieuses, 
d'une  retraite,  d'une  mission,  d'une  communion 
pascale  ou  d'une  grande  solennité,  nous  avons  été 
inlUèies  ;  si  par  des  chutes  graves  nous  avons  chassé 


348       DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

Dieu  de  nos  cœurs,  et  nous  avons,  en  conséquence, 
crié  aussi  :  CrucifigaturI  qu'il  n'en  soit  plus  ainsi  à 
l'avenir  ;  que  notre  fidélité,  au  contraire,  dans  les 
pratiques  du  bien  soit  une  preuve  de  notre  sincère 
retour  à  Dieu,  elle  sera  aussi  un  gage  assuré  de  sa 
félicité  éternelle  que  je  vous  souhaite.  Amen, 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES        349 


POUR  LE  MÊME  DIMANCHE 

PRÉPARATION   A  LA  COMMUNION   PASCALE 


Dieite,  filiœ  Si  on  :  Ecee  rex  tuxu. 
venittibimansnetus  (Mith.,  xx  ,5.) 

Dites  à  la  allé  de  Siuo  Voici 
votre  roi  qui  vient  à  vous  pleia 
de  douceur. 


C'est  moi  qui  suis  chargé  de  la  part  de  Dieu  de 
dire  à  la  fille  de  Sion,  c'est-à-dire  de  vous  aDnoncer 
à  vous-mêmes  qu'un  grand  roi  plein  de  mansuétude 
doit  venir  parmi  vous.  Ce  roi,  c'est  Jésus-Christ,  le  Fils 
éternel  de  Dieu,  le  Désiré  des  nations,  le  Messie,  le 
Sauveur  du  monde.  Il  veut  faire  son  entrée  solennelle 
dans  vos  âmes  par  la  sainte  communion.  Il  vous 
invite  donc  tous,  à  l'occasion  des  fêtes  pascales,  au 
banquet  des  anges.  Mais  avant  de  recevoir  cette 
visite  royale,  laissez-moi  vous  dire  ce  que  vous  devez 
faire  pour  vous  y  préparer  et  pour  en  bien  profiter. 
Tout  cela  est  marqué  dans  l'évangile  de  ce  jour. 
Avant  de  nous  approcher  de  la  table  angélique,  nous 

le  80 


350        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE  CAMPAGNE 

devons  nous  préparer  à  recevoir  Jésus-Christ,  pre- 
mière réflexion  ;  en  quoi  consiste  cette  préparation, 
seconde  réflexion;  après  la  sainte  communion  nous 
devons  faire  notre  action  de  grâces,  troisième 
réflexion. 


Nécessité  de  cette  préparation.  En  voici  les  motifs  : 
1°  Ecce  rex  tuus.  Jésus  est  le  roi  du  ciel  et  de  la 
terre  ;  c'est  le  vôtre,  c'est  votre  roi  :  mais  quel  roi? 
C'est  un  roi  qui  est  en  même  temps  Dieu  et  votre 
Dieu,  le  Saint  des  saints.  Que  le  modeste  appareil 
sous  lequel  vous  le  voyez  caché,  les  modestes  es- 
pèces du  pain  et  du  vin  ne  vous  rebutent  pas,  il  n'en 
est  pas  moins  grand  et  adorable;  Jérusalem  ne  laisse 
pas  que  de  le  reconnaître  pour  son  maître,  pour  son 
roi  et  de  lui  décerner  des  triomphes,  quoiqu'il  fasse 
son  entrée  sur  un  vil  animal  :  Sedens  super  pullum 
asinœ. 

Ecce  :  le  voilà  ce  Dieu  si  puissant  en  œuvres  et  en 
paroles;  c'est  lui  qui  vient  de  ressusciter  Lazare; 
c'est  lui  qui  avait  ouvert  les  yeux  à  tant  d'aveugles, 
qui  avait  purifié  de  nombreux  lépreux.  Ecce  venil  rie 
voilà  qui  vient  au-devant  de  vous;  il  n'attend  pas 
que  vous  veniez  au-devant  de  lui,  mais  il  vous  pré- 
vient :  Ecce   venit.  Il  vous   invite  tous.  Vous  qui 


HOMÉLIES  ET  INSTRUCTIONS   PRATIQUES        351 

jouissez  de  la  santé,  comme  vous  qui  êtes  malades 
et  infirmes;  il  vous  appelle,  vous  qui  êtes  à  la  fleur 
de  l'âge,  comme  vous  qui  êtes  accablés  sous  le  poids 
des  années  ;  à  tous  il  vous  dit  :  Ven'Ue  ad  me  omnes  qui 
laboralis  et  onerati  estis  et  ego  re/lciam  vos.  Il  est  em- 
pressé de  se  donner  à  vous.  Il  tarde  à  son  cœur  de 
s'unir  intimement  au  vôlre  :  Desiderio  desideravi  hoc 
pascha  manducare  vubiscum.  Comme  une  épouse 
fidèle,  allez  au-devant  du  saint  Époux  :  Ecce  sponsus 
venit,  exite  obviam  ei. 

Venit  tibi.  Il  vient  à  vous,  le  Roi  du  ciel  et  de  la 
terre,  le  Juge  suprême  des  vivants  et  des  morts,  il 
vient  à  vous,  chétive  créature,  à  vous,  néant  révolté. 
Quel  abaissement  pour  un  Dieu  de  visiter  sa  créature 
souillée  !  Il  vient  pour  vous  et  non  dans  son  intérêt; 
il  n'a  besoin  de  personne,  il  se  suffit  à  lui-même; 
mais  il  sait  que  vous  êtes  pauvre  et  que  vous  ne 
pouvez  pas  vous  passer  de  lui,  c'est  pour  cela  qu'il 
vient  vous  combler  de  ses  grâces,  de  ses  faveurs  et 
de  ses  biens  :  Venit  tibi. 
';>  Il  vient  avec  un  air  de  bonté  et  de  douceur  ravis- 
sante :  Venit  tibi  mansuetus.  Dans  ce  mystère,  sa 
/  tendre  charité  et  sa  douceur  effacent  pour  ainsi  dire 
l'éclat  de  ses  autres  vertus  :  Mansuetus.  Il  était  doux 
à  Bethléem,  quand  il  vint  au  monde;  il  était  doux 
dans  son  entrée  à  Jérusalem;  autour  de  lui,  en  lui, 
rien  n'excitait  la  frayeur,  tout  portait  à  la  confiance  ; 
il  est  encore  plus  doux  lorsqu'il  se  donne  à  vous  par 
la  sainte  communion.  On  dirait  qu'il  ferme  les  yeux 
sur  nos  défauts  et  qu'il  ne  veut  apercevoir  que  nos 


352        DOMINICALES  D'UN  CURE  DE   CAMPAGNE 

mi-ères.  11  vient  :  Venit,  sans  attendre  que  nous 
allions  à  lui;  il  vient  non  plus  au  monde,  nia  un 
peuple,  ni  à  une  cité,  mais  à  nous  :  Venil  tibi,  du 
sein  cre  son  Père  dans  le  nôtre  !  Comment  peut-il 
habiter  au  milieu  de  nos  tiédeurs,  de  nos  pensées 
frivoles,  de  nos  négligences,  de  nos  innombrables 
imperfections?  Il  vient  pour  nous  ;  que  peut-il  gagner 
à  cette  union?  Quelle  convenance  y  trouverait-il 
s'il  ne  convenait  à  la  bonté  de  faire  du  bien  ? 

Oui,  Seigneur,  dans  ce  triomphe  tout  est  pour 
nous.  Vous  nous  apportez  la  compassion  de  votre 
cœur,  le  secours  de  votre  toute-puissance,  les  tré- 
sors de  votre  grâce.  Vous  venez  éclairer  des  aveugles, 
délivrer  des  captifs,  rendre  à  notre  âme  une  heu- 
reuse liberté,  en  brisant  tous  les  liens  qui  rattachent 
aux  créatures,  nous  donner  la  paix  en  soumettant 
tous  nos  penchants  à  votre  loi.  Que  de  motifs  pour 
nous  de  bien  nous  préparer  à  bien  recevoir  sa  visite  ! 


II 


Quelle  doit  être  cette  préparation?  Il  faut  vous 
préparer  comme  les  habitants  de  Jérusalem  :  1°  Ils  se 
dépouillent  de  leurs  habits  et  en  couvrent  les  che- 
mins par  où  Jésus  Christ  leur  roi  doit  passer  :  Strave- 
runt  vestimenta  sua  in  via.  Dépouillez-vous  de  vos 
mauvaises  dispositions  par  une  bonne  confession. 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES       353 

Etablissez-vous  dans  une  grande  pureté  de  cœur. 
Dépouillez-vous  de  tous  vos  attachements  aux  créa- 
tures, pour  vous  attacher  totalement  et  uniquement 
à  Jésus-Christ.  Quittez  dans  votre  extérieur  toutes 
ces  parures  qui,  si  elles  n'ont  rien  d'indécent,  sont 
au  moins  trop  conformes  à  la  vanité  mondaine  et 
relevez-vous  d'une  grande  modestie  :  Straverunt  ves- 
timenta  sua.  —  Induite  vos  sicut  électif  dit  saint  Paul, 
humilitatem,  modestiam. 

2°  Les  Juifs  coupent  des  branches  de  palmier  et 
d'olivier ,  les  tiennent  à  la  main  et  les  agitent  en 
signe  de  réjouissance,  et  en  jonchent  les  chemins: 
Cœdebant  ramos  de  arborions  et  sternebant  in  via.  Or- 
nez votre  âme  de  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres  et 
de  vertus;  remplissez-la  de  bons  sentiments  de  reli- 
gion, et  de  piété  par  la  méditation  et  la  lecture  de 
bons  livres. 

3°  Ils  louent  et  bénissent  hautement  ce  divin  roi  : 
Clamantes  et  dicentes  :  HosannaFilio  David,  Benedictus 
qui  venit  in  nomine  Domini.  Approchez  ensuite  de 
Jésus-Christ  avec  une  foi  vive  et  animée.  L'Eucha- 
ristie est  par  excellence  le  mystère  de  la  foi.  La  foi 
seule  découvre  un  Dieu  sous  les  voiles  eucharisti- 
ques. Nulle  part  il  n'est  caché  comme  dans  ce  sacre- 
ment. Apportons  ensuite,  à  la  Table  Sainte,  une  piété 
fervente,  et,  s'il  se  peut,  une  dévotion  tendre,  un 
cœur  brûlant  d'amour  et  laissons  échapper  de  nos 
cœurs  ces  paroles  que  répétait  le  peup'.e  qui  accom- 
pagnait Jésus  dans  son  triomphe  :  Benedictus  qui 
venit  in  nomine  Domini. 

«0. 


DOMINICALES    D  UN   CURE  DE   CAMPAGNE 


m 


'  Après  votre  communion,  prenez  encore  pour  mo- 
dèle la  conduite  du  peuple  de  Jérusalem,  et  imitez 
ce  qui  se  passe  dans  cette  ville  à  la  présence  de  Jé- 
sus-Christ. 

1°  Jésus  étant  entré  dans  Jérusalem,  toute  la  ville 
est  dans  une  sainte  émotion  :  Commota  est  universa 
civ  tas.  Et  on  se  demande  les  uns  aux  autres  :  Quis 
est  hic?  Et  on  répond  :  C'est  Jésus,  prophète  de  Naza- 
reth. Selon  ce  modèle,  après  avoir  communié  et 
reçu  Jésus-Christ,  entrez  dans  l'étonnement  et  l'ad- 
miration en  connaissant  que  Celui  qui  est  venu  vous 
visiter,  c'est  Jésus-Christ.  Adorons-le  profondément, 
prosternons-nous  et  anéantissons-nous  à  ses  pieds; 
remercions-le  et  demandons-lui  tout  ce  dont  nous 
avons  be^in  pour  l'aimer  et  le  servir  fidèlement 
tous  les  jours  de  notre  existence. 

2°  Jésus-Christ  étant  entré  dans  le  temple,  il  en 
chasse  les  vendeurs  et  les  acheteurs,  disant  que  sa 
maison  doit  être  une  maison  de  prières  et  non  de 
négoce  et  d'affaires  :  Domus  mea,  domus  orationis  est. 
Il  guérit  les  aveugles  et  les  boiteux  :  Et  accesserunt  ad 
eum  cœci  et  claudi  in  templo,  et  sanavit  eos.  Priez-le 
maintenant  qu'il  a  fait  son  entrée  dans  votre  cœur, 
de  ne  plus  rien  y  souffrir  de  tout  ce  qui  l'avait  oc- 


HOMELIES   ET   INSTRUCTIONS   PRATIQUES         355 

cupé  jusqu'alors,  d'en  ôter  tout  ce  qui  pourrait  pro- 
faner la  sainteté  de  ce  cœur  devenu  le  temple  du 
Très- Haut  :  Templum  Dei  sanctum  est  quod  esiis  vos. 
Ce  Dieu  Sauveur  vous  exaucera,  il  bannira  tout  ce 
qui  pourrait  lui  déplaire  :  Et  ejiciebat  omnes  vendentes. 
Priez-le  de  guérir  vos  infirmités  spirituelles  :  Et  ac» 
ce>se>unt  ad  eum  cœci  et  claudi,  et  sanauil  eo?,.  Re-pré- 
sentez-lui  vos  ténèbres,  et  votre  aveuglement  spiri- 
tuel, et  la  faiblesse  extrême  qui  vous  empêvhe  de 
marcher  dans  la  voie  du  salut  et  de  la  vertu.  Et  si 
votre  âme  devient  véritablement  une  maison  de 
prières,  un  sanctuaire  où  retentit  souvent  l'hymne 
de  la  reconnaissance,  Jésus  fera  ses  délices  de  de- 
meurer avec  vous  tous  les  jours  de  votre  pèlerinage; 
et  ce  sera  pour  vous  faire  régner  éternellement  avec 
lui  dans  le  ciel.  Amen. 


FIN    DU   PREMIER   VOLUMB 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU    TOME    PREMIER 


Page» 
Préface 

I"  Dimanche  de  l'Avent  :  Dominicale  sur  les  signes  pré- 
curseurs du  Jugement  universel 1 

Pour  le  même  Dimanche  :  Juymeni  universel. 11 

II*  Dimanche  de  l'Avent  :  Homélie 26 

Pour  le  même  Dimanche  :  Mission  divine  de  J.-G.   ...  38 

IIP  Dimanche  de  l'Avent  :  Tu  quis  es? 48 

Pour  le  môme  Dimanche  :  Homélie 58 

IV*  Dimanche  de  l'Avent  :  Homélie 67 

Pour  le  même  Dimanche  :  Préparation  à  la  Noël.   ...  74 

Dimanche  dans  l'octave  de  Noël  :  Homélie 81 

Pour  le  même  Dimanche  :  Imitation  de  J.-C 93 

I*  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Homélie 95 

Pour  le  même  Dimanche  :  Obligation  et  manière  de  cher- 
cher Dieu 105 

II»  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Homélie 112 

Pour  le  même  Dimanche  :  Sur  le  mariage 121 

IIP  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Homélie 132 

Pour  le  même  Dimanche 138 

Pour  le  même  Dimanche  :  la  Confession 144 

IV»  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Tempêtes  soulevées 

contre  l'Eglise 145 


358  TABLE   DES   MATIERES 

Pour  le  même  Dimanche  :  Dangers  de  l'âme 1S£ 

V«  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Mélange  des  bons  et  des 

méchants 16<J 

Pour  le  même  Dimanche:  Conduite  de  J.-C.  et  du  démon 

envers  les  hommes 179 

YI»  Dimanche  après  l'Epiphanie  :  Homélie.  .  .  .  186 
Pour  le  même  jour  :  Établissement  de  la  religion  chré 

tienne 197 

Dimanche  de  la  Septuagésime  :  Homélie 199 

Pour  le  même  Dimanche  :  Le  Travail 21 1 

Pour  le  même  Dimanche  :  Le  Salut. 212 

Dimanche  de  la  Sexagésime  :  Parole  de  Dieu 214 

Pour  le  même  Dimanche  :  Parole  de  Dieu 222 

Dimanche  de  la  Quinquagésime  :  Homélie  sur  l'Aveugle 

de  Jéricho 223 

Pour  le  même  Dimanche  :  Aveuglement  spirituel.   .   .    .  234 

I»r  Dimanche  de  carême  :  Home  ie 243 

Pour  le  même  Dimanche  :   Les  Tentations 253 

II»  Dimanche  de  carême  :  Homélie 254 

Pour  le  même  Dimanche  :  Suivie  la  voie  de  J.-C.    .   .   .  263 

Pour  le  même  Dimanche  :  le  Thabor  et  le  Calvaire.  ...  272 

III»  Dimanche  de  carême  :  Homélie 277 

Pour  le  même  Dimanche  :  Mutisme  spirituel 287 

IVe  dimanche  de  carême  :  Homélie 294 

Pour  le  même  dimanche  :   Sur  les  différents  sectateurs 

de  J.-C ^03 

Dimanche  de  Passion  :  Homélie 315 

Pour  le  même  dimanche  :  Divinité  de  J.-C 325 

Dimanche  des  Rameaux  :  Homélie 339 

Pour  lr  même  dimanche  :  Préparation  à  la  communion 

pascale 349 


FIN    DE    LA    TABLE    DU   PREMIER    VOLUME 


SAINT-AMAND    (CHER).    —    IMPRIMERIE   BUSSIERE 


A  LA   MÊME   LIBRAIRIE 


LE    MISSIONNAIRE 

DE    LA    CAMPAGNE 
cours  d'instructions  simples  et  pratiques 

Pour  les  Missions,  les  Retraites,  les   Congrégations,  l'Adoration 
perpétuelle  et  la  première  Comu.union 

Par    M.    l'Abbé   JOUVE 

Missionnaire  Apost' Iique  de  Notre-Dame  du  Laua,  Archiprêtre 
de  iavines 

OUATRE  BEAUX  VOLUMES  GRAND  IN-18  JÊ3US.  —  PRIX  :  14  FRANCS 

Le  tome  IV»,  complément  des  éditions  précédentes, 
se  vend  seul  i*eparéuit'nt.  Prix  :  3  fr.40 


Les  sermonnaires  abondent  pour  nos  grandes  chaires  catho- 
liques, mais  peu  d'ouvrages  traitent  les  dogmes  relevés  de  la 
Rel  gion  chrétienne  d'une  manière  assez  simple  pour  être  à  la 
portée  intellectuelle  des  peuples  de  nus  campagnes,  d'une  ma- 
nière assez  pratique  pour  répondre  à  leurs  besoins. 

Le  succès  croissant  et  rapide  obtenu  par  le  Missionnaire  met 
en  évidence  son  utilité  pratique.  Trois  éditions  écoulées  en  très 
peu  de  temps  établissent  d'une  manière  incontestable  l'autorité 
de  l'auteur.  Mais  le  succès  oblige  :  aussi,  pour  mériter  Ge  plus 
en  plus  les  suffrages  de  ses  lecteurs,  M.  l'Abbé  JOUVE,  lépon- 
dant  à  l'appel  qui  lui  a  été  fait  de  toutes  parts,  s'est  décidé  à 
compléter  le  plan  de  son  ouvrage  par  un  certain  nombre 
iïinstrueti&ns  nouvelles  et  l'addition  d'un  quatrième  volume. 
Celui-ci  se  vend  séparément  et  sert  de  complément  aux  exem- 
plaires des  éditions  précédentes. 

Cette  quatrième  édition,  ainsi  augmentée  et  fixée  définitive- 
ment, embrasse  un  plan  général  d'enseignement.  De  nom- 
breux sujets  de  circonstance  intéressa 0  s  et  variés  enrichissent 
l'ouvrage  dont  l'écoulement,  nous  ne  doutons  pas,  sera  plus 
rapide  encore  que  les  trots  premières  éditions. 


PLAN    GENERAL   DE  L'OUVRAGE 
Tome  I 

WANT-PROPOS.    —    GRACES    D'TTNE    MISSION.    —    LA    RETRAIT» 
MOYEN   DE  BIEN    FAIRE  LA  MISSION  OU  LA  RETRAITE 

Section  première 

ORIGINE   DE   L'HOMME   LT   SA   DESTINEE 

Pourquoi  suis-je  sur  la  terre?  —  J'ai  une  âme.  —  Mon  Ame  est 
immortelle.  —  Que  vaut  mon  âme  ?  Je  dois  sauver  mon  âme,  etc. 

Deuxième  Section 

OBSTACLES   A   LA   FIN   DE  L'HOMME 

1»  Le  péché  mortel  :  Mal  de  Dieu.  —  Mal  de  l'homme.  —  Ses  fruits  amers. 
Le  péché  véniel     1»  Sa  nature?  —  2°  Ses  effets;  —  Ses  châtiments. 

2*  Causes  du  péché  :  Les  tentations.  —  L-s  occasions  prochaines. 

3*  Suites  du  péché  :  La  mort.  —  Le  jugement.  —  L'enfer.  —  Le  purga- 
toire. 

4°  Remèdes  au  péché  :  La  pénitence  vertu.  —  La  pénitence  sacrement. 
—  La  conversion.  —  La  misé  rie  or  e.  —  La  contrition* 

Tome  II 

TRAIT  D'UNION   DE   LA  TERRE   AU   CIEL,    OU  RAPPORTS 
DE   LA  CRÉATURE    AU  CREATEUR 

La  Religion.  —  Jésus-Christ.  —  Sa  vie.  —  Sa  passion.  —  Sa  résur- 
rection. —  Sa  divinité.  —  Etablissement  de  la  religion  chrétienne. 

CHEMIN   DU   CIEL   OU    LE    DÉCALOQUE 

Loi  iê  Dieu.  —  Commandements  de  Dieu.  —  Commandements 

de  l'Église. 

Tome  III 

LE  BATON  DU  VOYAOEUR  OU  MOYEN  D'ARRIVER  AU  CIEL 
La  prière.  —  La  parole  de  Dieu  —  L'Eucharistie.  —  La  Sainte  Com- 
munion. —  La  Sainte  Messe.  —  L'Imitation  de  Jésus-Christ.  -  Les 
bonnes  œuvres.  —  La  vraie  dévotion.  —  Le  travail.  —  Les  souf- 
france.-. —  La  Providence,  etc.  —  La  dévotion  à  la  Sainte-Vier-e. 
La  persévérance,  etc. 

Tome  IV 

I.  Fête  de  Notre-Seigneur  Jésus-i  hrist    —  II.  Fêtes  de  la  Ste-Vierge. 

III.  Sujets  nombreux  de  circonstance. 


AVIS.  —  Les  trois  premiers  volumes  de  cette  édition  ne  sont  pas  la 
reproduction  textuelle  de  ceux  des  éditions  précédentes,  ils  ont  été 
augmentés  et  ne  ee  vendent  pas  séparément. 

Le  tome  IV,  complément  des  éditions  précédentes,  se  vend  seul, 
séparément.  Prix  :  3  fr.  50  c. 


BÂ.i/pb    .Joy  lid  iyiu    i.i 
SMC 
Jouve, 

Joseph-Louis-Marie. 
Dominicales  du  cure  de 
campagne