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Full text of "Du c dans les langues romanes"

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DU    C 


DANS 


LES   LANGUES   ROMANES 


OUVRAGES  DU  MEME  AUTEUR. 


Loi  des  finales  en  espagnol^  in- 8°.  Nogent-Ie-Rotrou,  1872. 

sous  PRESSE  : 
Essai  sur  le  patois  normand  du  Bessin. 

POUR   PARAÎTRE   PROCHAINEMENT  : 

Gœthe  et  Herder  et  la  période  d'orage. 

Du  rhotacisme  dans  les  langues  germaniques. 

La  littérature  allemande  en  France  avant  la  Révolution. 


BIBLIOTHEQUE 

DE    L'ÉCOLE 


DES  HAUTES  ÉTUDES 


PUBLIEE   SOUS   LES   AUSPICES 


DU  MINISTÈRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE 


SCIENCES  PHILOLOGIQUES  ET   HISTORIQUES 


SEIZIÈME    FASCICULE 

DU   G   DANS   LES  LANGUES   ROMANES,    PAR   GH.    JOUET,  ANCIEN  ÉLÈVE  DE  l'ÉCOLE 
DES   HAUTES   ÉTUDES,    PROFESSEUR    AGRÉGÉ   AU   LYCÉE   GHARLEMAGNE. 


PARIS 

LIBRAIRIE   A.    FRANCK 

F.    VIEWEG,    PROPRIÉTAIRE 

RUE  RICHELIEU,  67 
187Ù 


DU    C 


LES  LANGUES  ROMANES 


Charles   JORET, 


ANCIEN  ÉLÈVE  DE  l'ÉCOLE  DES  HAUTES  ÉTUDES,  PROFESSEUR  AORÉOÉ 
AU  LYCÉE  CHARLEMAGNE. 


PARIS 
LIBRAIRIE  A.  FRANCK 

F.    VIEWEG,    PROPRIÉTAIRE 
67,    RUE   RICHELIEU 

187A 


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A   MESSIEURS 


Emile    LITTRÉ, 


MEMBRE  DE   L  INSTITUT, 


Gaston    PARIS, 


PROFESSEUR   AU    COLLEGE   DE   FRANCE. 


PRÉFACE 


On  sait  généralement  aujourd'hui  que  l'italien  et  le  roumain, 
l'espagnol  et  le  portugais  ,  le  provençal  et  le  français ,  qui 
constituent  ce  qu'avec  quelques  dialectes  moins  importants  on 
désigne  ordinairement  sous  le  nom  de  langues  romanes,  sont 
sortis,  non  de  l'idiome  classique  des  anciens  Romains,  mais  du 
latin  vulgaire ,  transporté  pa  r  la  conquête  dans  les  provinces  situées 
entre  les  Balkans  et  le  Danube  et  dans  les  divers  pays  qui  compo- 
saient l'empire  d'Occident.  Ce  parler  populaire  toutefois  fut  long- 
temps tenu  en  échec  par  la  langue  littéraire;  les  choses  changèrent 
au  v^  siècle.  L'invasion  des  barbares,  la  destruction  de  l'empire 
d'Occident  qui  en  fut  la  suite,  la  suppression  de  toute  centralisation 
poHtique  et  httéraire,  en  arrêtant  subitement  la  civilisation  latine, 
portèrent  à  la  langue  savante  un  coup  mortel,  et  le  parler  vulgaire 
qui  avait  toujours  subsisté,  mais  dédaigné  et  comme  asservi,  à 
côté  d'elle,  s'affranchit  définitivement  des  entraves  qu'elle  lui  impo- 
sait, et,  recouvrant  son  indépendance  native,  finit  par  devenir 
prédominant.  Cette  première  révolution  fut  suivie  d'une  autre 
encore  plus  importante. 

Au  milieu  de  la  division  de  l'empire,  dans  la  confusion  de 
toutes  choses  où  vivait  le  monde  romain,  la  langue  ne  pouvait 
échapper  à  ce  double  travail  de  décomposition  et  de  recomposition 
dont  les  sociétés  modernes  devaient  sortir  ;  elle  se  transforma  à  la 
fois  et  se  reconstitua  sur  d'autres  bases.  C'est  ainsi  que  les  formes 


complexes,  quelelatin  vulgaire  possédait  en  commun  avec  la  langue 
savante,  finirent  par  s'oblitérer,  que  ses  terminaisons  encore 
nombreuses  se  perdirent  en  partie  ou  se  simplifièrent,  et  que 
l'idiome  synthétique  des  anciennes  peuplades  du  Latium,  dépouillé 
peu  à  peu  de  ses  flexions,  prit  le  caractère  analytique  propre  aux 
langues  modernes  de  l'Europe  occidentale.  Mais  en  même  temps 
qu'il  se  simplifiait  et,  à  certains  égards,  qu'il  s'appauvrissait  ainsi, 
le  roman  créait  de  nouvelles  formes  et  se  reconstituait  à  nouveau. 
Désormais  et  pour  longtemps,  libre  de  toute  règle  et  de  toute 
contrainte,  abandonné  à  l'action  inconsciente  de  populations 
sans  culture  et  ramené  par  là  en  quelque  sorte  à  l'état  de  nature, 
il  obéit  à  ce  travail  incessant  de  transformation  auquel  est  soumis, 
surtout  dans  ces  conditions  qui  semblent  en  augmenter  la  force 
végétative,  tout  langage  humain. 

Il  était  impossible  qu'au  milieu  de  cette  œuvre  de  décomposi- 
tion et  de  lente  reconstitution  les  voyelles  et  les  consonnes 
conservassent  toujours  leur  valeur  primordiale ,  aussi  ont- 
elles  été  souvent  modifiées;  mais  les  changements  qu'elles 
ont  subis  ont  varié  suivant  les  idiomes  auxquels  elles  appar- 
tiennent. Comment,  en  efiet,  tant  de  races  difîérentes,  habitant 
sous  des  latitudes  et  dans  des  climats  si  divers,  auraient- 
elles  altéré  de  la  même  manière  les  sons  qu'elles  trouvaient 
dans  le  latin?  Cependant,  quelque  grands  et  variés  que  soient 
les  changements  que  ces  sons  ont  éprouvés,  on  peut  tenter  de 
remonter  à  leur  origine  et  d'en  retrouver  les  lois  qui  ne  sont 
autres  que  les  lois  générales  du  langage.  L'étude  de  ces  trans- 
formations est  la  base  de  la  grammaire  comparée  des  langues 
sœurs  sorties  du  latin  vulgaire  ;  elle  constitue  dans  son  ensemble 
la  phonétique  romane.  Mais  quelque  avantage  qu'il  y  ait  à 
étudier  simultanément  les  difierents  sons  dont  elle  s'occupe, 
on  peut  aussi  considérer  isolément,  pour  en  faire  l'historique,  l'un 
quelconque  d'entre  eux  ;  c'est  ce  que  je  me  propose  d'essayer  pour 
la  gutturale  c.  Il  m'a  semblé,  en  efiet,  qu'il  ne  serait  peut-être 
pas  sans  intérêt,  —  afin  de  montrer,  par  l'étude  complète  d'un  son 
particulier,- de  quelles  ressources  variées,  de  quelle  force  de 
transformation  est  doué  le  langage,  —  de  rechercher  quelles 
modifications  cette  lettre,  qui  en  a  incontestablement  le  plus 
éprouvé,  avait  subies  dans  le  passage  du  latin  au  roman,  et  jus- 
qu'au moment  de  la  constitution  définitive  des  idiomes  néo-latins. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  remarquer  quelles  diflficultés  ofi're 
cette  étude  :  suis-je  parvenu  à  en  résoudre  quelques-unes  et  à 
éclaircir  plusieurs  des  points  obscurs  que  présente  la  théorie  des 


—   XI   — 

gutturales?  Ce  n'est  pas  à  moi  de  répondre  à  cette  question,  et  je 
reconnais  par  avance  que,  si  j'y  ai  réussi,  le  mérite  en  revient 
en  partie  à  ceux  qui  se  sont  occupés  avant  moi  de  ce  sujet.  J'ai 
cité,  avec  tout  le  soin  possible,  les  ouvrages  où  j'ai  puisé  quel- 
ques renseignements  dans  le  cours  de  mes  recherches  ;  mais 
c'est  un  devoir  pour  moi  de  mentionner  d'une  manière  toute 
spéciale  la  Grammaire  comparée  des  langues  romanes  de 
Fr.  Diez,  ce  livre  qui  est  et  restera  longtemps  le  point  de  départ 
de  la  connaissance  des  idiomes  issus  du  latin.  Je  dois  aussi  de 
précieuses  indications  à  M.  Paul  Meyer,  professeur  à  l'Ecole  des 
chartes,  et  surtout  à  M.  Gaston  Paris,  professeur  au  Collège  de 
France,  qui  m'a  même  suggéré  l'idée  de  cette  étude.  D'utiles 
corrections  m'ont  également  été  indiquées  par  MM.  A.  Darme- 
steter  et  L.  Havet,  mes  anciens  condisciples  à  l'Ecole  des  hautes 
études.  Qu'ils  veuillent  bien  recevoir  ici  l'expression  de  ma 
reconnaissance. 


Paris,  15  mars  1873. 


ABRÉVIATIONS. 


mod. 

moderne. 

V. 

vieux. 

s. 

savant. 

IDIOMES   INDO-EUROPÉENS. 

got. 

gothique. 

scr. 

sanscrit. 

gr- 

grec. 

si. 

slavon. 

1.  (lat.) 

latin. 

z. 

zend. 

LANGUES    GERMANIQUES. 

ail. 

allemand. 

fr. 

frison 

a.  h.  a. 

ancien  bas-allemand. 

a.  fr. 

ancien  frisor 

1. 

a.  h.  a. 

ancien  haut-allemand. 

néerl.  (n.) 

néerlandais. 

m.  h.  a. 

moyen  haut-allemand. 

m.  néerl. 

moyen  néerlandais. 

ang. 

anglais. 

nor. 

norois  ou  islandais. 

a.  ang. 

ancien  anglais. 

sax.  (s). 

saxon. 

dan. 

danois. 

a.  sax. 

ancien  ou  vieux  saxon 

LANGUES 

ROMANES. 

cat. 

catalan. 

lad. 

ladin. 

esp. 

espagnol. 

Pg- 

portugais. 

fr. 

français. 

pr. 

provençal. 

it. 

italien. 

DIALECTES 

roum. 
ITALIENS. 

roumain. 

gén. 

génois. 

s.  gall. 

sarde  gallurien. 

mant. 

mantouan. 

s.  log. 

sarde  logoudorien. 

mil. 

milanais. 

s.  Sass. 

sarde  de  Sassari. 

pad^ 

padouan. 

sic. 

sicilien. 

piém. 

piémontais.         * 

tosc. 

toscan. 

rom. 

romagnol. 

vén. 

vénitien. 

s.  camp. 

sarde  campidanien. 

DIALECTES   LADINS. 

roum. 

roumanche. 

tir. 

Tyrol 

(dial.  du). 

E. 

Engaddine. 

Ag. 

Agordo 

(dial.  d'). 

B.  E. 

Basse  Engaddine. 

Com. 

Comelico 

(dial.  de). 

H.  E. 

Haute  Engaddine. 

Gad. 

Gadera 

id. 

Ob. 

Oberland. 

Gard. 

Gardena 

id. 

fr. 

Frioul  (dial.  du). 

N.  b. 

Nonsberg 

id. 

ist. 

Istrie  (dial.  d') 

Oltr. 

Oltrechiusa 

(dial.  d'). 

Pir. 

Pirano  (dial.  de). 

DIALECTES   PROVENÇAUX. 

auv. 

auvergnat 

lim. 

limousin. 

daup. 

dauphinois. 

sav. 

savoyard. 

gasc.  (g.) 

gascon. 

s.  rom. 

suisse  romand. 

DIALECTES 

FRANÇAIS, 

bourg. 

bourguignon. 

norm. 

normand. 

fr.-c. 

franc-comtois. 

pic. 

picard. 

H.M. 

Haut-Maine  (dial.  du) 

poit. 

poitevin. 

J. 

Jura                 id. 

roue. 

rouchi. 

lor. 

lorrain. 

w(al.) 

wallon. 

LISTE 


DES   PRINCIPAUX   AUTEURS   CITES   DANS   CET   OUVRAGE. 


Abhandlungen  der  Berliner  Akademie  der  Wiszenschaften. 

Academy  {The),  a  record  of  literature,  Learning,  Science  and  Art. 

A.  N.  Actes  normands,  v.  Léop.  Delisle. 

Adam,  drame  anglo-normanddii XII'^  siècle,  ^.]).Luza.TChe,m-8,To\xrs,  1854. 

Adam  de  la  Halle.  V,  Théâtre  français. 

Adenes  li  Rois,  v.  Berte  aux  grans  pies  et  Cléomadès. 

Aleb.  Alebrant,  cité  par  Littré. 

Al.  Alexandre  {El  libre  de),  p.  p.  Janer  in-8.  Madrid,  1861.  V.  Poetas  cas- 

tellanos. 
Alix.  Alixandre  (Li  Romans  d'),  pub.  p.  H.  Michelant.  Stuttgard,  1846. 
Al.  Alexis  {La  vie  de  saint),  texte  du  XI'  siècle,  v.  Gaston  Paris. 
Altfranzœsische  Lieder,  berechtigt  und  erlxutert  von  Ed.  Meetmer.  Berlin, 

1853. 
Altfranzœsische  Lieder  und  Leiche  v.  W.  Wackernagel. 
Amador  de  los  Rios  :  Historia  critica  de  la  lileratura  espanola,  4  vol.  in-8. 

Madrid,  1861. 
Anciens  poètes  de  la  France  (les)  p.  sous  la  direction  de  M.  F.  Guessard. 
Andeer,  P.  J.  Ueber  Ursprungund  Geschichte  der  RhœtoroinanischenSprache. 

In-12.  Coire,  1862. 

A.  N.  Anthonii  Nebrissensis  Diccionarium.  in-4.  1574. 

Ap.  Apollonio  {El  Libre  de)  p.  p.  Janer,  in-8.  Madrid,  1861.  V.  Poetas  cas- 
tellanos. 

Appendix  Probi.  V.  Grammatici  latini. 

H.  Arc.  Archiv.  fur  das  Studium  der  neueren  Spruchen  und  Literaturen.  p. 
p.  L.  Herrig. 

Arcipreste  de  Hita  {Poesias  del).  V.  Poetas  castellanos. 

Ascoli,  G.  I.  Archivio  glottologico  italiano.  I.  Saggi  ladini,  in-8.  Roma,  1873. 
id.         Lezioni  di  fonologia  comparata,  in-8.  Firenze,  1870. 
id.         Studji  critici,  in-8.  Milano,  1861. 

Barlaam  et  Josaphat.  Franzœsisches  Gedicht  des  Xlllten  Jahrhunderts,  von 
Gui  de  Cambrai  p.  p.  Herm.  Zotenberg  und  Paul  Meyer,  in-8.  Stutt- 
gard, 1864. 

B.  Chr.  Bartsch,  k.  Chrestomathie  de  l'ancien  français,  in-4.  Leipz.  1866. 

id.  Chrestomathie  provençale,  1'  édit.  in-4.  Elberf.  1868. 

id.  Grundriss  zur  Geschichte  der  provenzalischeuLiteratur , 

in-8.  Elberf.  1872. 
Bataille  d'Aleschans,  v.  Chansons  de  geste  du  XH"  et  XIIP  siècle. 
Baudry,  F.  Grammaire  comparée  des  langues  classiques,  in-8.  Paris,  1868. 
Beauchet-Filleau  :  Essai  sur  le  patois  poitevin,  etc.,  in-8.  Melle,  1864. 


—   XIV   — 

Berceo  :  Del  sacriflcio  de  la  Missa.  V.  Poêlas  castellanos.  v.  XV. 
B.  M.      id.       MUagros  de  nuestra  senora  id. 

B.  SD.    id.        San  Domingo  de  Silos  id. 

B.  SM.    id.        San  Millan  {Vida  de)  id. 

Bernard,  Aug.  Geoffroy,  Tory,  peintre  et  graveur,  in-8.  Paris,  1863. 
Berte  aus  grans pies  {Li  romans  de),  p.  p.  Paulin  Paris,  in-8, 1836. 
Bestiaire  v.  Philippe  de  Thaon. 

Biondelli  :  Saggio  dei  dialetti  gallico-italiani,  in  8.  Milano,  1853. 
Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes. 
Bibliothèque  de  l'École  des  Hautes-Etudes. 

Blanc,  D"  L.  G.  :  Grammatik  der  italienischen  Sprache.  ln-8,  1844. 
Blancandin  et  l'Orgueilleuse  d'amour,  p.  p.  Michelant.  In-8,  Paris,  1872. 
Bodel  (Jehan)  :  Li  jus  Saint  Nicholas,  v.  Théâtre  finançais  au  Moyen-Age. 

id.  La  Chanson  des  Saxons,  v.  Saxons. 

B.  Boece,  p.  p.  P.  Meyer,  in-8,  Nogent-le-Rotrou,  1872. 
Boehmer,  Ed.  Romanische  Studien,  in-4.  Halle,  1871,  1872. 
Bopp.  Fr.  Vergleichende  Grammatik  der  indergermanischen  Sprachen,    in-8, 

BerJin,  1833. 
Bouillii  (Car.)  Samarobrini  liber  de  differentia  vulgarium  linguarum  et  gal- 

lici  sermonis  varietate.  Par.  Ex  off.  Rot).  Stephani,  1533,  in-4. 
Brachet  :  Dictionnaire  étymologique  de  la  langue  française,  in-12,  1868. 
Brambach,  Wilh  :  Die  Neugestaltung  der  lateinischen  Orthographie,   in-8. 

Leipz.  184'8. 
Brandan  {Voyage  de  Saint).  V.  Larue,  Trouvères. 
Bréquigny  et  Laporte  du  Theil  :  Diplomata,  in-fol.  Paris,  1791. 
Bridel  (le  doyen)  :  Glossaire  des  mots  du  patois  de  la  Suisse  romande  re- 
cueillis et  annotes  par  L.  Favrat,  in-8,  Lausanne,  1866. 
Briicke  :  GrandzUge  der  Physiologie  und  Systematik  der  Sprachlaute,  in-8. 

Wien,  1856. 
Brunetto  Latino  :  Li  Livres  dou  trésor  p.  p.  Chabaille,  Paris  1863. 
Brut  {Roman  de)  p.  p.  Le  Roux  de  Lincy.  2  vol.  in-8,  Rouen  1836.  V.Wace. 
Burguy  :  Grammaire  de  la  langue  d'oïl  et  de  ses  dialectes  au  XIII*  siècle, 

3  vol.  in-8,  2»  édit.,  1870. 
Cancioneiro  d'el  rei  D.  Diniz,  p.  p.  Lopes  de  Moura,  in-8,  Paris,  1847. 
Canti  antichi  portoghesi  tratti  dal  codice  vaticano  4803  con  traduzione  e 

note  a  cura  di  Ernesto  Monaci,  in-I8.  Imola,  1873. 
Carisch,  0.  Grammatische  Lehrmethode  der  rhœto-r omanischen  Sprache,  in- 
18,  Coire  1849. 
id.    Wœrterbuch  der  rhœto-romanischen  Sprache,  in-18,  Coire  1852. 
G.  A.  Cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint  Silvain  d'Auchy   en  Artois,  p.  p.  de 

Bétencourt,  in-4,  1788. 
Chansons  de  gestes  des  XI"  et  XIP  siècles,  publiées  pour  la  première  fois 

par  W.  J.  A  Joncbloet,  2  vol.  ln-8,  La  Haye,  1854. 
Charlemagne,  an  anglo-norman  poem  of  the  XlP  century,  p.  p.  Fr.  Michel, 

Oxf.  1848. 
Charpentier,  N.  La  parfaite  méthode  pour  entendre,  écrire  et  parler  la 

langue  espagnole,  in-18,  Paris,  1546. 
Chartes  {Recueil  de)  en  langue  vulgaire.  V.  Natalis  de  Wailly. 
Cherubini,  Fr.  Vocabolario  mantouan-italienese,  in-8,  Milano,  1827. 
Choix,  V.  Raynouard. 
Chronique  des  ducs  de  Normandie  p.  p.  Fr.  Michel,  3  v.  in-8,  Paris,  1836-1844. 


—  XV  — 

Chroniques  onglo-iiormandes,  p.  p.  Fr.  Michel;  3  v.  in-8,  Paris,  1840. 

Coucy  (Chansons  du  Châtelain  de)  p.  p.  Fr.  Michel,  Paris,  1830. 

Gihac  (A.  de)  :  Dictionnaire  d'ëtijmologie  daco-romane,  in-8,  Frankf.  1870. 

Clari  (Robers  de)  :  Li  estoires  de  chiaus  qui  conquisent  Consiantinoble,  in-4. 

Cleomades  p.  Adenes  le  roi,  v.  Bartsch,  Chreslomathie. 

Colleccûo  de  livras  ineditos  de  historia  portuguesa,  in-4,  Lisboa. 

Compoz  (Li)  Philippe  de  Thaiin,  h.  gg.  v.  Ed.  Mail,  in-12,  Strassb.,  1873. 

Corblet  :   Glossaire  étymologique  et  comparatif  du  patois  picard  ancien  et 

moderne,  in-8,  Paris  1851. 
Corssen  :  Veber  Aussprache,  Vocalismus  und  Betonung  der  lateinischen  Sprache, 

2«  cdit.,  Leipz.  1868-1870. 
Grestiens  de  Troie  :  Li  conte  del  Graal. 

id.  Guillaume  d'Angleteire,  V.  Chroniques  normandes. 

id.  Li  romans  doit  chevalier  au  Lyon  p.  p.  Holland,  in-8, 

Hanover,  1862. 
Cov.  Covarrubias  Orozco  (Don  Seb.  de)  :  Tesoro  de  la   lengua  castellana, 

in-fol.,  Madr.  1610. 
Cuesta  (Juan  de  la)  :  Libro  y  tratado  para  ensenar  leer  y  escrivir,  in-4,  En 

Alcala  de  Henares,  1580. 
Curtius  (Georg),  Grundzuge  der  griechischen  Etymologie,  in-8,  2"  édit.  Leip- 
zig, 1869. 
Deschamps  (Eustache),  Poésies  morales  et  historiques  ]).i>.  A..  CraTpelet,  in-8, 

Paris,  1832. 
Delius,  J.  Der  Sardinische Dialékt  des  XlIIten  Jahrhunderts,  in-4,  Bonn,  1868. 
Delisle  (Léopold  de)  :  Actes  normands  de  la  chambre  des  comptes  de  Rouen, 
in-8,  Rouen,  1870. 
id.  Etudes  sur  la  condition  de  la  classe  agricole  et  de 

l'agriculture  en  Normandie,  in-8,  Evreux,  1851. 
id.  Histoire  du  châteaii  et  des  sires  de  Beaumont-le- Vi- 

comte, in-8,Valognes,  1861. 
Dialogues  de  Grégoire.  V.  Edelest.  Duméril,  Essai  philosophique. 
Diccionario  etymologico  v.  Monlau. 
Dictionnaire  d'étymologie  daco-romane,  v.  De  Gihac. 
Dictionnaire  étymologique  de  la  langue  française,  y.  Brachet. 
Dictionnaire  étymologique  de  la  langue  wallonne  par  Gh.  Grandgagnage, 

in-8,  Liège,  1850. 
Dictionnaire  de  la  langue  française,  v.  Littré. 
Dictionnaire  français-rouchi  p.  Hécart,  in-8,  Valenciennes,  1834. 
Dictionnaire  franco-normand  ou  recueil  de  mots  patois  en  dialecte  de  Quer- 

nesey  p.  p.  Métivier,  in-8,  London,  1870. 
Dictionnaire  du  patois  normand  par  Edelestand  et  Alfred  Duméril,  in-12, 

Gaen,  1849. 
Dictionnaire  du  patois  du  pays  de  Bray  par  l'abbé  Decorde,  in-8,  Neufchâ- 

tel,  1852. 
Dictionnaire  rouchi-français  p.  p.  G.  Hécart,  in-8,  Valenciennes,  1834. 
Didot  F.  Observations  sur  l'orthographe  française,  in-8,  Paris,  2"  édit.,  1868. 
Diez^  Fr.  Altromanische  Sprachdenkmale,  in-8,  Bonn,  1846. 

id.       Etymologisches   Wœrterbuch  der  romanischeii  Sprachen,  2  v.  in-8, 
3e  cdit.,  Bonn,  18G9-1870. 

id.       Grammatik  der  romanischen  Sprachen,  3  v.  in-8,  3°  édit.,  Bonn, 
1870,  1871,  1872. 


—  XVI  — 

Diez,  Fr.  Das  Leben  der  Troubadours,  in-8,  Zwickau,  1827. 

id.       Ueber  die  altportugiesische  Hof-und  Kunstpoesie,  in-12,  Bonn,  1864. 

id.       Zwei  altromanische  (iedichte  berechtigt  und  erlxutert,  in-8,  Bonn, 1852. 

Dinaux,  Art.  Trouvères,  jongleurs  et  ménestrels  du  Nord  de  la  France  et  du 

Midi  de  la  Belgique,  3  vol.  in-8,  Paris,  1837-1843. 

id.  Trouvères  brabançons,  namurois,  hennuyers,  etc.,  in-8,  Paris, 

Brux.  1863. 

Discursos  leidos  en  las  receptiones  publicas  que  ha  celebrado  desde  1847  la 

real  academia  espanola,  in-8,  Madrid,  Imp.  nacional,  1861. 
Documents  inédits  sur  l'histoire  de  France^  in-8,  v. 
Doergangk,  H.  Institutiones  in  linguam  Hispanicam,  authore  Doergangk, 

apud  Ubios  Colon:  Agripp:  linguarum  Hispanicae,  Italicse  et  Gallicœ 

professore,  in-12,  Col.  1614. 
Ducange,  Glossarium  mediœ  et  infimœ  latinitatis.  7  v.  in-4.  Paris,  1840-47. 
Dumèril  (Edélestand)  :  Essai  philosophique  sur  la  formation  de  la  langue 
française,  in-8. 
id.  Dictionnaire  du  patois  normand,  in-8,  Caen,  1849. 

Egger,  E.  Mémoires  d'histoire  ancienne  et  de  philologie,  in-8,  Paris,  1863. 
Eilis,  Al.  On  early  English  pronunciation,  2  vol.  in-8,  London. 
Ensayo  de  una  bibliotheca  espanola  de  libros  raros  y  curiosos,  p.  D.  Bart. 

José  Gallardo.  2  vol.  in-4,  Madrid  1863. 
Eneas  [Essai  sur  le  roman  d')  p.  A.  Pey,  in-8,  Paris,  1856. 
Eracles  l'Empereor  par  Gautier  d'Arras,  h.  gg. .  v.  F.   Massmann,   in-8, 

Quedl.  1842. 
Espana  sagrada.  Teatro  geographico-historico  de  la  iglesia  de  Espaha.  in-8, 

Madrid,  1754. 
Etudes  sur  la  condition  de  la  classe  agricole,  etc.  V.  Léop.  Delisle. 
Eulalie  (Cantilène  de  Sainte).  V.  F.  Diez  Altrom.  Sprachd. 
Fabliaux  et  contes  des  poètes  français  p.p.  Méon,  Paris,  1808. 
Fallût  :  Recherches  sur  les  formes  grammaticales  de  la  langue  française  et  de 

ses  dialectes  au  XIII'  siècle,  in-8,  Paris,  1839. 
Fauriel  (C),  Histoire  de  la  croisade  contre  les  hérétiques  albigeois,  écrite  en 

vers  provençaux,  in-8,  Paris,  1847. 
Favre,  L.  Glossaire  du  Poitou,  de  la  Saintonge  et  de  l'Aunis,  in-8,  Niort,  1867. 
Flamenca  (Le  roman  de)  p.  p.  Paul  Meyer,  in-8,  Paris,  1865. 
Floire  et  Blanceflors,  poèmes  du  xiii"  siècle  publ.  par  Edélestand  Dumé- 

ril,  in-18,  Paris,  1856. 
Foros  de  Beja  F.  B.,  Foi'os  de  Garda  F.  G.,  Foros  de  Gravâo  F.  Gr.,  Foros 

de  San  Martinho  de  Mouros  F.  S  M.,  Foros  de  Santarem  F.  S.,  Foros  de 

Torres  novas'Ç,  T.,  V.  Colleccâo. 
Foucaud  :  Poésies  en  patois  limousin,  p.  p.  E.  Ruben,  in-8,  Paris,  1867. 
Fragment  de  Valenciennes.  V.  La  Chanson  de  Roland,  par  Génin. 
Froissart  (Jeh.).  Les  chroniques  de  Sire  Jehan  Froissart  p.    p.  Buchon,  in-8, 

Paris,  1832. 
Génin,  F.  :  La  Chanson  de  Roland,  in-8,  Paris,  1850. 
Gibers  de  Montreuil  :  Roman  de  la    Violette  ou  de  Gérard  de  Nevers  p.  p. 

Fr.  Michel,  in-8,  Paris,  1834. 
Girartz  de  Rossilho,  nach  der  Pariser  Handschrift  h.  gg.,  v.  G.  Hoffmann, 

Berlin,  1855. 
Glossaire  du  patois  normand  par  Louis  Du  Bois,  p.  p.  J.  Travers,  in-8,  Caen, 

1856. 


—  XVII  — 

Glossaire  du  Poitou,  de  la  Saintonge,  etc.  V.  Favre. 

Glossaire  du  patois  poitevin,  par  l'abbé  Lalanne.  V,  Mém.  de  la  Société  des 

Antiq.  de  l'Ouest,  XXXII,  1'  partie,  1867. 
Glossaire  du  Centre  de  la  France  par  le  comte  Jaubert,  2' édit.,  in-4,  Paris, 

1864. 
Glossaire  étymologique  et  comparatif  du  patois  picard.  V.  Corblet. 
Glossaires  romans  {Anciens),  corrigés  et  expliqués  par  Fr.  Diez,  tr.  par  A. 

Bauer,    in-8,  Paris,  \870.  {Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Hautes- Etudes, 

5"  fascicule.) 
Gœttinger  {Gelehrte  Anzeigen). 
Grammaires  provençales  de  Hugues  Faidit  et  de  Raimond  Vidal  de  Besau- 

dun,  2*  édit.,  revue  p.  F.  Guessard,  in-8,  Paris,  1858. 
Grammatici  Mini,  éd.  Keil  (K),  6  vol.  in-8.  Lips.  1857-68. 
Grammaiici  veteres  éd.  Putsch  (P.),  1  vol.  in-8. 
Grammaticorum  latinorum  veterum  (Corpus)  éd.  Lindemann,  3  vol.  in-8, 

1831. 
Grégoire  le  Grand  {Vie  du  pape)  p.  p.  Luzarche,  in-18.  Tours  186  . 
Grimm,  J.  Deutsche  Grammatik,  2  vol.  in-8,  Berlin,  2*  édit.,  1869, 1870. 

id.        Geschichte  der  deutschen  Sprache,  2  vol.  in-8,  Leipzig,  2"  éd.  1853. 
G.  0.  Guillaume  dOrange  p.  p.  W.  J.  A.  Joncbloet,  in-8,   La  Haye,  1854. 

V.  Chansons  de  geste. 
Guillaume  de  Poitiers.  V.  Bartsch,  Chrestomathie  provençale. 
Helmholz,  H.  Die  Lehre  vonden  Tonempfindungen,  in-8.  Berlin,  1865. 
Herman  de  Valenciennes,  Bible  de  Sapience.  V.  Dinaux. 
Histoire  du  château  et  des  sires  de  Beaumont-le-Vicomte,  v.  Léop.  Delisle. 
Histoire  littéraire  de  la  France,!.  XVIII, —  XXIH. 
Historiée  patrix  monumenta,  T.  X,  Codex  diplomaticus  Sardiniee,   in- fol., 

Turin,  1861. 
Huon  de  Bordeaux,  chanson  de  Geste,  p.  p.  MM.  F.  Guessard  et  G.  Grand- 
maison,  in-18,  Paris,  1860. 
Ignaurès  {Le  lai  d')  ou  du  prisonnier  par  Renaut,  p.  p.  J.  J.  N.  Monmerquè 

et  Fr.  Michel,  in-8,  Paris,  1832. 
Institucion  {Util  y  brève)  para  aprender  los  principios  y  fundamentos  de 

la  lengua  Hespanola.   Lovanii  ex   officina  Bartholomei  Gravii,  anno 

1551.  V.  Ensayo  de  una  bibliotheca. 
Institutiones  v.  Doergangk. 
Introduction  en  la  langue  castillane  par  le  moyen  de  la  française  par  J. 

Saulnier,  in-12,  Paris,  1608. 
Isagoge  in  linguam  gallicam  (Sylvius).  P.  Ex  off.  Rob.  Stephani  1531,  in-4. 
Isidori  Hispaliensis  Originum  libri,  éd.  Lindemann. 
Jasmin  :  Las  papillotas,  4  v.  in-8. 

Joinville  (Jehan  de),  Histoire  de  Saint  Louis,  p.  p.  Natalis  de  Wailly. 
J.  R.  Joan  Rois,  arcipreste  de  Hita  (Poesias  de),  p.  p.  Janer.  V.  Poetas 

castellanos. 
Koch  :  Historische  Grammatik  der  englischen  Sprache,  3  vol.  in-8,  1863. 
Kuhn's  Zeitschrift  fiir  vergleichende  Sprache. 

Larue  (abbé  de  la)  :  Bardes  et  trouvères  normands,  3  vol.  in-8,  Caen,  1824. 
Le  fléricher.  Histoire  et  glossaire  du  normand,  de  l'anglais  et  de  la  langue 

française,  3  v.  in-8,  Paris,  1862. 
Le  Roux  de  Lincy  :  Recueil  de  chants  historiques  français,  2  vol.  in-12, 

Paris,  1861. 


—  XVlll  — 
Ji.  Ps.  Libri  Psalmorum  versio  aniiqua  gallica,  p.  p.  F.  Michel,  in-8,  Oxo- 

nii,  1860. 
Littré,  E.  Dictionnaire  de  la  langue  française,  4  v.  in-fol.,  Paris,  1872- 
1873. 

id.       Histoire  de  la  langue  française,  2  v.  in-12,  Paris,  5'  éd.  1869. 
Livre  des  Créatures  {Le).  V.  Philippe  de  Thaon. 
L.  Met.  Livre  des  Métiers,  p.  p.  C.  B.  Depping,  Paris,  1837. 
L.  R.  Livres  des  Rois  {Les)  p.p.  Leroux  de  Lincy,  in-8,  Paris,  1841. 
Leys  d'amor  {Las)  p.   p.   Gatien-Arnoult.  {Monuments  de   la  littérature 

romane  v.  1.) 
Lois  de  Guillaume  le  Conquérant  p.  p.  B.  Schmid.  —  Die  Gesetze  der  Angel- 

sachsen,  in-8,  2°  édit.  1868. 
Longet  :  Traité  de  physiologie.  3  vol.  in-8,  Paris,  5'  édit,  1858. 
Mabillon  :  De  re  diplomatica,  in-fol.,  Paris,  1708. 
Marin!  {Papiri  diplomatici  raccolti  etillustrati  dalV  abate)  in-fol.,  1803. 
Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Normandie. 
Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  l'Ouest. 
Méthode  {La  parfaite)  pour  entendre,  escrire  et  parler  la. langue  espagnole, 

in-12,  Paris,  1546. 
Meurier,  Gabr.  Coloquios  familiares  muy  convenientes,  etc.,  in-12,  Anvers, 

1568. 
Meyer  (Paul),  Poésies  religieuses  en  langue  d'oc,  in-8,  Paris,  1861. 

id.  V.  Barlaam,  Boece  et  Flamenca. 

Milà  y  Fontanals,  De  los  trobadores  en  Espana,  in-8,  Barcelona,  1860. 
Mireio,  par  Mistral,  in-12,  Paris. 
Misterio  de  los  reyes  Magos  {El),  v.  Jahrbuch  XII. 
Muller  (Max)  :  Nouvelles  leçons  sur  la  science  du  langage,  trad.  p.  G.  Harris, 

2  vol.  in-8,  Paris,  1867. 
Millier  (Ed.):  Etymologisches  Wœrterbuchder  englischen  Sprache,  in-8,  1865. 
Muratori,  Antiquitates  lialiœ,  in-folio,  1703. 
Muse  normande  {La)  de  Louis  Petit  de  Rouen  en  patois  normand  1653,  p.  p. 

Alp.  Chassant,  in-12,  Rouen,  1853. 
Muse  normande  {Inventaire  général  de  la),  divisée  en  XXVIII  parties,  p. 

David  Ferrand  de  Rouen  chez  l'autheur,  in-12, 1655. 
Mussafia,  Ad.   Darstellung  der  altmailandischen  Mundart  nach  Bonvesins 
Schriften  {Sitzungsberichte  der  Kaiserlichen  Akademie  der 
Wissenschaften  zu  Wien,  LIX,  1868). 
id.  Darstellung  der  romagnolischen  Mundai't,  m-8,  yfien,  1871. 

Oberlin,  Essai  sur  le  patois  lorrain  du  ban  de  la  Roche,  in-12.  Strasb.  1775. 
Oudin  (César),  Grammaire  espagnole  mise  et  expliquée  en  français,  in-16, 

Paris,  1612,  1659. 
Palsgrave  (Jean)  :  Lesclaircissement  de  la  langue  françoise,  p.  p.  L.  Genin , 

in-4,  Paris,  1844. 
Paris  (Gaston)  :  La  Vie  de  Saint  Alexis,  in-8,  Paris,  1872. 
Paris  (Paulin)  :  Le  Romancero  français.  In- 12,  Paris,  1833. 
P.  Passion,  y.  Diez,  Zwei  altromanische  Gedichte. 
Pathelin  {La  farce  de  Maistre)  p.  p.  Ed.  Fournier.  In-8,  Paris,  1872. 
Patois  {Le)  des  Fourgs,  arrondissement  de  Pontarlier,  par  J.  Tissot,  in-8, 

Paris,  1865. 
Pirona,  Jac.  Vocàbolario  friulano  publicato  per  cura  del  dottore  Giul.  And. 

Pirona,  Ven.  1871. 


—  XIX   — 

PC.  Poema  del  Cid.  V.  Poetas  castellanoa. 

Pluquet,  Fréd.  Contes  populaires,  préjugés,  patois,  proverbes,  noms  de  lieux 

de  l'arrondissement  de  Bat/eux,  2' édit.,  in-8,  Rouen,  1834. 
Poesias  castellanas  anleriores  al  siglo  XV  (Coleccion  de)  p.  p.  D.  T.  A.  San- 

chez^  in-8,  Paris,  1842. 
Poésies  religieuses  en  langue  d'oc,  v.  P.  Meyer. 

Poetas  castellanos  anteriores  al  siglo  XV,  p.' p.  Janer,  in-8,  Madrid,  1861. 
Pont,  G.  Les  origines  du  patois  delà  Tareniaise,  in-8,  Paris,  1871. 
Prûtiçukhya  du  Rig-Ve'da,  tr.p.  Ad.  Régnier,  in-8,  Paris,  1859. 
Psautier  d'Oxford.  V.  Libri  Psalmorum. 
Quicherat,  J.  Traité  de  la  formation  française  des  anciens  noms  de  lieu,  in- 

12,  Paris,  1867. 
Raumer  (Rud.  von):  Gesammtesprachewissenschaftlichte  Schriften.  ln-8, 1868. 
Raynouard  :  Choix  des  poésies  originales  des  troubadours,  5  vol.  in-8,  Paris, 
1824. 
id.         Lexique  roman  ou  dictionnaire  de  la  langue  des  Troubadours, 
6  vol.  in-8,  Paris,  1838. 
Recueil  de  Chartes  en  langue  vulgaire,  v.  Natalis  de  Wailly. 
Renart  {Li  Roman  du)  p.  p.  Méon,  4  vol.,  Paris,  1826. 
Rencesval  :  Edition  critique  du  texte  d'Oxford  de  la  Chanson  de  Roland, 

p.  Ed.  Boehmer,  in-12.  Halle,  1872. 
Revue  des  langues  romanes,  in-8,  Montpellier,  Paris,  1870-1873. 
Revue  critique  d' histoire  et  de  littérature,  in-8,  Paris,  1866-1873. 
Rivista  di  filologia  romanza,  in-8^  Roma,  1873. 
Bochegude  :  Dictionnaire  occitanien,  in-8,  1808, 

Roi.  Roland  {La  Chanson  de)  p.  p.  Léon  Gautier,  2  vol.  in-8.  Tours,  1871. 
id.  id.  3*  édition,  in- 18, 

Tours  1872. 
Romania,  recueil  trimestriel  consacré  à  l'étude  des  langues  et  des    littératures 

romanes,  p.  p.  Paul  Meyer  et  Gaston  Paris,  in-8,  Paris  1872-73. 
Romans  [Li)  d'Alixandre,  v.  Alixandre. 

Romans  (Li)  de  Beaudouin  de  Sebourc,  2  vol.  in-8,  Valenciennes,  1842. 
B.  Roman  de  Brut  p.  p.  Le  Roux  de  Lincy,  2  vol.  in-8,  Rouen,  1836. 
Roman  d'Eneas,  v.  Eneas. 

Roman  {Le)  du  Mont  Saint-Michel  par  Guillaume  de  Saint-Pair ,  poème  anglo- 
normand  du  XII'  siècle  p.  p.  Fr.  Michel,  in-12,  1856. 
Roman  de  la  Rose  p.  p.  Fr.  Michel,  Paris,  1864. 

R.  Roman  de  Rou  p.  p.  F.  Pluquet  et  Le  Prévost,  2  v.  in-4,  Rouen,  1827. 
R.  Tr.  Roman  de  Troie  p.  p.  Joly,  in-4»  Gaen,  1870. 
Roman  de  la  Violette,  v.  Gibers  de  Montreuil. 
Rotuli  {Magni)  scacarii  Normannix  sub  regibus  Anglix,  éd.  Stapleton,  2  vol. 

in-8,  Lond.  1854. 
Rutebeuf.  Œuvres  complètes  recueillies  p.  Ach.  Jubinal,  2  vol.,  Paris,  1839. 
S.  B.  Saint  Bernard  (Sermons  de).  V.  Livres  des  Rois. 
S.  L.  Saint  Léger,  v.  Diez.  Zwei  altromanische  Gedichte  et  Romania,  l,  273. 
Sanchez.  V.  Poesias. 
Saxons  [Chanson  des)  par  Jean  Bodel  p.  p.  Fr.  Michel,  2  vol,  in-12,  Paris, 

1830. 
Schleicher,  A.  Compendium  der  vergleichenden  Grammatik  der  indogerma- 
nischen  Sprachen,  2"  édit.,  in-8,  Weimar,  1866. 
id.  Deutsche  Sprache,  in-8,  Stuttgard,  2*  édit.  1869. 


—   XX  — 

Schneller,  Ghr.   Lie  romanischen  Volksmundarten  in  SvdtiroL,  in-8,  Géra, 

1870. 
Schuchart,  Vocalismus  des  Vulgarlateins,  3  vol.  in-8,  Leipzig,  1866. 
Serments  de  842,  v.  Bartsch,  Chrestomathie.  Chevalet,  Origines   et  Diez, 

Altr.  Sprachd. 
Sitzungsberichte  der  Kœn.  K.  Akademie  der  Wissenschaften  zu  Wien. 
Sitzungsberichte  der  Kœnigl.  ba^er.  Akademie  der  Wissenschaften  zu  Miin- 

chen,  1868. 
Société  des  Bibliophiles  français. 
Sotomayor  :  Gramatica  con  reglas  muy  provechosas  y  necessarias  para  apren- 

der  la  lengua  frdncesa,  in-12.  En  Alcala  de  Henares,  1565. 
Spano  (Giovano)  :  Ortografia  sarda  nazionale  ossia  gramatica  delta  Ungua 

logudorese  paragonata  alV  italiana,  in-8,  Cagliari,  1840. 
Sylvius  :  In  linguam  gallicam  Isagoge. 
Tardif,  J.  :  Monuments  historiques,  in-4,  Paris,  1866. 
Teulet  :  Layettes  du  trésor  des  Chartes,  in-8,  Paris,  1868. 
Thaon  (Philippe  de),  v.  Bestiaire,  Comput  et  Livre  des  Créatures. 
Théâtre  français  au  Moyen-Age  p.  p.  MM.  Monmerqué  et  Fr.  Michel,  in-8, 

Paris,  1839. 
Thomas:  A  ireatise of creol  grammar,  in-12,  London,  1869. 
Thomas  Martyr  {La  Vie  de  Saint)  p.  p.  Bekker.  Abhandl.  der  Berl.  Akad. 

1838. 
Tissot.  V.  Le  patois  des  Fourgs,  in-8,  Paris,  1861. 
Vilh.  Villehardouin  (JofT.  de).  De  la  conqueste  de  Constantinople  p.  p. 

Michaud  et  Poujoulat,  in-8,  Paris,  1836. 
Vocabulaire  français-valaque  par  Poyenar,  F.  Aaron  et  G.  Hill,  2  v.  in-8, 

Boucaresc,  1840. 
Vocabulaire  du  Haut-Maine  par  G.  R.  de  M(ontesson),  in-8,   Le  Mans, 

1'  éd.,  1859. 
Vocabolario  dei  dialetti  délia  città  e  diocesi  di  Como  di  Pietro  Menti,  in-8, 

Milano,  1845. 
"Wace,  V.  Roman  de  Brut  et  Roman  de  Rou. 

Wailly  (Natalis  de)  :  Recueil  de  Chartes  en  langue  vulgaire,  in-8,  Paris,  1870. 
id.  Observations  grammaticales  sur  les  chartes  françaises 

d'Aire  en  Artois,  in-8,  Paris,  1872. 
Wentrup,  Beitrœge  zur  Kenntniss  der  neapolitanischen  Mundart,  in-4.  Wit- 
tenhg,  1855. 

id.         Beitrœge  zur  Kenntniss  der  sicilischen  Mundart.  V.  Hs.  Archiv, 
XXV. 
Yepes,  Cronica  de  la  orden  de  San  Benito. 
Zeitschrift  fur  vergleichende  Sprachwissenschaft  V.  Kuhn. 


INTRODUCTION 


Une  double  méthode  se  présente  pour  étudier  les  transforma- 
tions du  c  latin;  la  méthode  historique  ou  à  posteriori  qui  consiste 
à  en  suivre,  à  l'aide  de  documents  contemporains,  les  modifications 
diverses  dans  les  dififérentes  langues  romanes  ;  la  méthode  phoné- 
tique qui  en  recherche  à  priori  les  changements  possibles  ;  on 
comprend  d'ailleurs  que  ces  deux  méthodes  ne  puissent  se  séparer 
et  qu'elles  doivent  nécessairement  se  compléter  l'une  l'autre.  De 
ce  qu'une  modification  est  possible,  il  ne  s'ensuit  pas,  en  efiet, 
qu'elle  se  soit  produite,  et  nous  verrons  que  chaque  langue 
romane  a  traité  le  c  latin  d'une  manière  particulière;  il  faut 
donc  que  les  renseignements  historiques  viennent  ici  au  secours 
de  la  théorie  ;  mais,  d'un  autre  côté,  il  ne  nous  est  pas  permis, 
faute  de  documents,  de  suivre  toujours  depuis  leur  origine  les 
transformations  successives  du  c  ;  si  donc  nous  n'appelions  à 
notre  aide  la  phonétique,  il  nous  serait  difficile  souvent  d'expli- 
quer celles  que  nous  rencontrons  et  plus  encore  d'en  déterminer 
l'ordre  et  la  marche  progressive.  Aussi  m'efForcerai-je  toujours 
dans  ce  travail  de  faire  marcher  de  front  les  renseignements 
historiques  et  l'explication  physiologique  des  sons. 

Mais  avant  d'aborder  le  sujet  que  je  me  suis  proposé  de  traiter, 
une  double  question  se  présente  :  comment  d'abord  les  sons,  et 
en  particulier  les  sons  de  consonnes,  puisque  c'est  d'une  con- 
sonne qu'il  s'agit  ici,  peuvent-ils  se  transformer  et  se  substituer 
les  uns  aux  autres?  j'y  répondrai  en  faisant  la  théorie  de 
l'alphabet  indo-européen.  Quel  était  —  et  c'est  la  seconde  ques- 
tion à  examiner  —  le  rôle  et  la  valeur  du  c  au  moment  de  la 
formation  des  langues  romanes  ?  cela  m'amènera  naturellement 
à  faire  l'histoire  des  gutturales  latines.  Commençons  par  la 
théorie  de  l'alphabet. 


—  2  — 


L  ALPHABET    INDO-EUROPEEN  \ 

«  La  voix  est  un  son  que  l'homme  et  certains  animaux  font 
entendre  en  chassant  l'air  de  leurs  poumons  à  travers  la  glotte  ^.  /> 
Mais  il  ne  suffit  pas  que  l'air  soit  chassé  du  poumon  pour  qu'il 
y  ait  phonation  ;  il  faut  encore  que  les  lèvres  de  la  glotte  soient 
suffisamment  rapprochées  pour  lui  imprimer  les  vibrations  sans 
lesquelles  il  ne  peut  y  avoir  production  du  son  ;  dans  ce  phéno- 
mène la  glotte  joue  le  rôle  d'une  anche,  la  bouche  celui  de  réson- 
nateur.  Telles  sont  les  conditions  essentielles  à  la  formation  de 
la  voix  ;  mais  pour  qu'elle  se  change  en  parole,  —  laquelle  n'est 
autre  que  la  voix  articulée,  —  quelque  chose  de  plus  est  néces- 
saire ;  il  faut  que  les  harmoniques  produites  par  la  glotte  soient 
modifiées,  amplifiées  ou  étouffées  d'une  certaine  manière  par  le 
résonnateur,  c'est-à-dire  par  la  bouche  '^  ;  c'est,  en  effet,  des 
diverses  positions  que  peuvent  occuper  les  unes  par  rapport  aux 
autres  les  différentes  parties  qui  la  composent,  langue,  dents, 
lèvres,  palais  dur  ou  mou,  voile  du  palais,  des  contractions  ou 
des  dilatations  qu'elles  éprouvent  que  dépend  la  nature  des 
différents  sons  élémentaires,  voyelles  ou  consonnes,  qui  consti- 
tuent la  parole  humaine. 

Voyelles.  —  Si,  tandis  que  l'air  est  chassé  du  poumon,  la 
glotte  étant  d'ailleurs  rétrécie  de  manière  à  ce  que  les  cordes 
vocales  entrent  en  vibration,  nous  arrondissons  les  lèvres  en  les 
avançant  et  abaissons  la  langue  et  le  larynx  de  manière  à  ce 
que  la  cavité  buccale,  servant  de  résonnateur,  soit  aussi  allongée 
que  possible,  nous  faisons  entendre  le  son  u  (ou);  si,  au  con- 

1.  Il  ne  s'agit  pas  naturellement  ici  de  l'alphabet  aryen  ou  indo-euro- 
péen primitif,  mais  bien  d'un  alphabet  renfermant  toutes  les  lettres 
communes  aux  langues  de  la  famille  indo-européenne. 

2.  Longet,  Traité  de  physiologie,  II,  708.  On  trouve  résumés  dans  ce 
livre  la  plupart  des  travaux  et  des  découvertes  de  la  science  moderne 
sur  la  théorie  de  la  voix;  malheureusement  l'auteur  n'a  point  connu  le 
mémoire  de  Brûcke  «  Grundzùge  der  Physiologie  und  Systematik  der 
Sprachlaute  »,  aussi  son  ouvrage  exact  et  précieux  pour  la  partie  anato- 
mique  est  fort  médiocre,  au  contraire,  pour  la  partie  phonétique. 

3.  Helmholz.  Die  Lehre  der  Tonempf. 

4.  Brûcke,  Grundziige,  p.  17  et  suiv.  Max  Mûller,  Nouv.  leçons  sur  la 
science  du  langage.  Trad.  ],  147. 


—  3  — 

traire,  tout  en  relevant  à  la  fois  le  larynx  et  ouvrant  les  lèvres, 
ce  qui  donne  à  la  cavité  buccale  la  moindre  longueur  possible, 
nous  appliquons  les  deux  bords  de  la  langue  contre  le  palais,  de 
manière  à  ne  laisser  qu'un  espace  étroit  en  son  milieu  pour  le 
passage  de  l'air,  nous  faisons  entendre  le  son  i.  Relève-t-on  le 
larynx,  moins  toutefois  que  pour  prononcer  i,  et  laisse-t-on  à  la 
langue  sa  position  naturelle,  tout  en  ouvrant  légèrement  les 
lèvres,  le  son  que  Ton  fait  entendre  alors  en  chassant  l'air  du 
poumon  au  dehors  est  celui  de  a.  A  des  positions  intermédiaires 
des  organes  de  la  voix  correspondent  les  sons  o,  e  et  toutes  les 
autres  variétés  de  voyelles  ;  mais  ce  qui  précède  suffit  pour  faire 
comprendre  ce  que  j'aurai  à  en  dire  plus  tard. 

Aspiration.  —  Dans  la  production  des  voyelles  la  cavité 
buccale,  par  les  différentes  formes  qu'elle  affecte,  joue  un  rôle 
prédominant  ;  ce  sont,  en  effet,  les  modifications  qu'y  reçoivent 
les  ondes  sonores  mises  en  vibration  dans  leur  passage  à  travers 
la  glotte  qui  en  déterminent  la  nature  et  la  formation  ;  mais  il 
peut  se  faire  que  l'air  soit  chassé  au  dehors  sans  éprouver  de 
résonnance  à  l'intérieur  de  la  bouche  ;  dans  ce  cas  encore  il  peut 
arriver  de  deux  choses  l'une,  ou,  la  glotte  étant  toute  grande 
ouverte,  l'air  est  expulsé  saiis  qu'on  entende  autre  chose  que  le 
bruit  de  l'expiration,  ou,  les  lèvres  de  la  glotte  étant  suffisamment 
rapprochées,  on  entend  ce  son  particulier  qui  caractérise  Vaspi- 
ration,  l'esprit  rude  des  Grecs,  Y  h  allemand  ou  anglais^.  Il  faut 
en  distinguer  l'aspiration  plus  faible,  dont  peut  être  accompagnée 
une  voyelle  initiale,  et  qu'on  produit  en  ouvrant  brusquement  la 
glotte,  sans  que  les  cordes  vocales  entrent  en  vibration,  c'est 
l'esprit  doux  des  Grecs,  Vh  de  l'alphabet  roman  et  peut-être  aussi 
celui  de  l'alphabet  latin. 

Consonnes.  —  Dans  la  production  des  voyelles,  à  plus  forte 
raison  dans  celle  du  son  h,  pour  lequel  les  organes  vocaux 
restent  dans  leur  position  normale,  le  passage  à  l'air  chassé  du 
poumon  peut  être  plus  ou  moins  rétréci;  il  n'est  ni  entravé 
d'une  manière  continue,  ni  fermé  momentanément  d'une  manière 
complète;  mais  au  lieu  de  laisser  ainsi  s'échapper  librement  l'air 
chassé  du  poumon,  nous  pouvons  l'arrêter  à  son  passage,  en  lui 
faisant  un  instant  obstacle  soit  à  l'aide  de  la  langue  et  du  palais. 


1.  Brûcke.  id.  7.  —  Joli.  Czermak.  Sitzungsb.  der  hais.  Akad.  der  Wiss. 
1865.  Contrairement  à  cette  manière  de  voir,  0.  \\o\ï  {Sprache  iind  Ohr 
40)  fait  de  h  une  consonne  accompagnée  du  son  de  la  voyelle  o;  théorie 
qui  me  paraît  complètement  inadmissible. 


—  4   — 

soit  à  l'aide  des  lèvres  ;  ou  bien  encore  nous  pouvons  rapprocher 
ces  organes  de  manière  non  plus  à  former  un  obstacle  complet  à 
l'air  expulsé  du  poumon,  mais  à  le  forcer  à  passer  lentement  à 
travers  l'espace  resserré  qu'ils  laissent  entre  eux,  en  produisant 
un  frottement  continu  contre  leurs  parois  ;  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  le  son  ainsi  produit  est  un  son  de  consonne,  et  l'on  voit 
que  ce  qui  constitue  la  différence  entre  les  consonnes  et  les 
voyelles,  c'est  que  dans  la  production  de  ces  dernières  il  n'y  a 
ni  obstacle  formé  au  passage  de  l'air,  ni  espace  resserré  qu'il 
doive  traverser,  tandis  que  pour  la  production  des  premières 
l'une  de  ces  conditions  est  nécessaire. 

Le  double  mode  de  formation  que  je  viens  d'assigner  aux 
consonnes  les  divise  d'abord  en  deux  classes,  les  explosives 
et  les  continues  ou  spirantes  ^  ;  il  montre  en  même  temps 
qu'elles  diffèrent  entre  elles  par  la  nature  du  son,  non  par 
la  nature  de  l'organe  qui  concourt  à  leur  formation,  puisque  ce 
sont  les  mêmes  organes,  seulement  disposés  d'une  manière  un 
peu  différente,  dont  on  se  sert  pour  les  produire.  Une  condition 
est  d'ailleurs  encore  nécessaire  à  la  production  de  chacune  d'elles, 
c'est  que  le  passage  à  l'air  à  travers  les  fosses  nasales  soit 
fermé  par  le  voile  du  palais  ;  quand  il  reste  ouvert,  au  lieu  de 
l'explosive  ou  de  la  spirante  ordinaire,  on  fait  entendre  la  réson- 
nante ou  nasale  correspondante.  Il  peut  se  faire  aussi  que,  le 
passage  étant  fermé  à  l'air  par  le  voile  du  palais,  une  partie  de 
la  cavité  buccale  soit  disposée  de  manière  à  entrer  en  vibration 
au  moment  de  son  passage  ;  alors  se  produit  le  son  trémulant 
de  l'r.  Telles  sont  les  quatre  grandes  divisions  entre  lesquelles 
Brùcke  a  réparti  les  consonnes;  à  la  seconde,  il  faut  encore 
rattacher  les  variétés  du  son  l,  qui  ne  diffèrent  des  spirantes 
ordinaires  qu'en  ce  que  l'espace  étroit  que  doit  traverser  l'air 
au  lieu  d'être  formé  au  milieu  de  la  cavité  buccale,  est  formé  de 
chaque  côté,  entre  les  bords  de  la  langue  et  les  molaires  ^. 

Les  explosives  et  les  spirantes  peuvent  d'ailleurs  se  diviser 
elles-mêmes  en  deux  classes  ;  on  peut,  en  effet,  produire  cha- 
cune d'elles  en  laissant  la  glotte  à  peu  près  grande  ouverte,  alors 
on  a  l'explosive  ou  la  spirante  qu'on  pourrait  appeler  fondamen- 
tale ou  élémentaire,  ou  bien  on  peut  rétrécir  la  glotte  au  moment 
où  l'air  est  aspiré,  et,  alors  —  fait  constaté  déjà  par  les  auteurs 
des  Prâtiçâkhyas^  —  en  frottant  contre  les  cordes  vocales,  il  les 


1.  Reibungsgerœusche  de  Brùcke.  —  2.  Brûcke,  ici.  30. 

3.  «  Ce  sont  là  les  natures  des  lettres  :  —  l'expiration  (est  la  nature) 


fait  résonner;  dans  ce  cas,  au  lieu  de  faire  entendre  l'explosive 
ou  spirante  fondamentale,  on  fait  entendre  un  son  plus  faible, 
dérivé  du  premier,  la  sonore,  moyenyie  ou  douce  correspon- 
dante ;  par  opposition  on  appelle  la  première  sourde,  tenue  ou 
forte  *.  Ces  considérations  générales  étant  établies,  essayons  de 
préciser  la  nature  de  chacune  des  diverses  espèces  de  consonnes. 

Gutturales  ^.  —  Si,  après  avoir  appliqué  la  partie  moyenne 
ou  postérieure  de  la  langue  contre  la  partie  postérieure  du 
palais,  et  fermé  à  l'aide  du  voile  du  palais  tout  passage  à  travers 
les  fosses  nasales,  nous  chassons  l'air  du  poumon  en  interrom- 
pant brusquement  l'obstacle  ainsi  formé  à  sa  libre  sortie,  nous 
faisons  entendre  le  son  sourd  k. 

Or  le  contact  de  la  langue  peut  avoir  lieu  au-delà  du  palais  dur, 
contre  le  palais  mou  et  près  le  voile  du  palais,  c'est  ce  qui  arrive 
le  plus  souvent  quand  au  son  k  nous  joignons  une  des  voyelles 
a,  0,  u,  ou  bien  le  contact  a  lieu  en  deçà  du  palais  mou,  contre 
le  palais  dur,  c'est  ce  qui  arrive  ordinairement  quand  le  son  k 
doit  être  suivi  d'une  des  voyelles  e,  i  ;  dans  le  premier  cas  on 
fait  entendre  ce  que  Briicke  appelle  k  vélaire  om  postérieur , 
c'est  le  son  du  c  français  dans  le  mot  car  ou  de  qu  dans  qualité  ; 
je  le  désignerai  par  k  ;  dans  le  second  cas,  l'on  fait  entendre  ce 
que  Briicke  appelle  k  palatal  ou  antérieur,  —  le  ^  latninaire  de 
Bœhmer  ^,  —  c'est  à  peu  près  le  son  de  qu  français  dans  quel  et 
du  k  allemand  dans  Kind,  prononcé  surtout  par  un  Allemand  du 
Nord;  ce  devait  être  aussi,  d'après  la  description  des  Pràtiçà- 
khyas,  celui  de  /j  palatal  de  l'ancien  sanscrit,  qu'on  prononce 
ordinairement  tch.  Je  le  désignerai  par  k^  *. 


des  sourdes;  —  le  son  (celle)  des  autres.  »  Traduction  d'Ad.   Régnier, 
Études  védiques,  p.  6. 

1.  Briicke,  id.  33,  45.—  G-  Gottfr.  Weiss,  AUg.  Stimmhildwigslehre,  cité 
par  0.  Wolf,  Sprache  und  Ohr,  13. 

2.  Il  n'y  a  point  —  le  ft  indo-européen  et  quelques  autres  lettres 
sémitiques  exceptées,  —  à  vrai  dire,  de  gutturales,  puisque  le  larynx  ou 
gosier  concourt  également  à  la  production  de  toutes  les  lettres,  et  no 
concourt  exclusivement  à  la  production  d'aucune  d'elles;  mais  en 
attendant  qu'on  ait  trouvé  une  dénomination  universellement  acceptée 
pour  les  sons  k  et  g,  je  me  servirai  au  besoin,  pour  les  désigner,  de  l'an- 
cien nom  de  gutturales. 

3.  Bœhmer,  Romanische  Studien,  I,  298. 

4.  Ces  deux  sons  sont  d'ailleurs  essentiellement  primitifs  et  se  ren- 
contrent également,  seulement  plus  ou  moins  purs,  dans  toutes  les 
langues  indo-européennes.  Ainsi  cA  dans  l'italien  chiaro  est  un  k.  palatal 
formé  le  plus  en  avant  possible  du  palais  mou,  qu  dans  le  français  qui 
est  un  k  palatal  formé  vers  la  limite  du  palais  dur  et  mou  ;  le  h  de 


—  6  — 

A  chaque  espèce  de  h,  c'est-à-dire  à  la  sourde  vélaire  et  pala- 
tale, correspond  une  forme  particulière  du  g,  c'est-à-dire  une 
sonore  vélaire  et  palatale.  On  les  obtient  d'ailleurs  en  donnant 
aux  organes  de  la  voix  la  même  position  que  pour  la  production 
des  sons  h,  en  rétrécissant  seulement,  au  moment  du  passage  de 
l'air,  l'ouverture  de  la  glotte  de  manière  à  faire  résonner  les 
cordes  vocales.  Le  g  vélaire  est  le  son  du  g  français  dans  le  mot 
garçon  ;  je  le  désignerai  par  la  lettre  g;  le  g  palatal  est  le  son 
du  gu  français  dans  guirlande  ou  du  g  allemand  dans  gdhneUy 
prononcé  surtout  par  un  Allemand  du  Nord  ;  c'était  aussi  proba- 
blement celui  du  g  palatal  sanscrit,  qu'on  prononce  aujourd'hui 
dj  ;  je  le  désignerai  par  g^.  J'ajouterai  que  tout  dérivé  du  k 
qu'il  paraisse  être  et  qu'il  est  en  réalité,  le  g  n'est  pas  dans  le  fait 
un  son  moins  primitif,  et  que,  comme  lui,  il  se  retrouve  dans 
toutes  les  langues  indo-européennes. 

Dentales.  —  Quand  au  lieu  de  former  le  contact,  nécessaire 
à  la  production  des  explosives  avec  la  partie  postérieure  de  la 
langue  et  la  partie  postérieure  du  palais,  on  applique  la  partie 
antérieure  de  la  première  contre  le  palais  et  les  dents,  le  passage 
à  la  sortie  de  l'air  à  travers  les  fosses  nasales  étant  d'ailleurs 
fermé,  au  lieu  du  son  k  on  fait  entendre  le  son  t.  Le  contact  peut 
avoir  lieu  d'ailleurs  de  diverses  manières,  et  il  en  résulte  natu- 
rellement autant  d'espèces  différentes  de  t.  Si,  par  exemple,  en 
même  temps  que  les  côtés  de  la  langue  s'appuient  contre  les 
molaires  supérieures,  la  pointe  vient  s'appliquer  contre  les 
gencives,  on  produit  le  t  alvéolaire  ;  c'est  le  t  ordinaire  des 
langues  romanes  et  germaniques,  tel  qu'on  l'entend  dans  le 
français  tant  et  l'allemand  Taube ,  le  ^  ^  de  Briicke  ;  je  le 
désignerai  par  la  lettre  t.  Au  lieu  d'aUer  s'appliquer  contre  les 
gencives,  la  pointe  de  la  langue  se  relève-t-elle,  au  contraire, 
pour  frapper  en  sa  partie  la  plus  élevée  la  voûte  du  palais,  on  a 
le  t  cérébral  ou  cacuminal  du  sanscrit^  le  ^  ^  de  Briicke  ;  je  le 
désignerai  par  t.  Tandis  que  la  partie  antérieure  de  la  langue  va 
s'écraser  contre  la  partie  antérieure  du  palais,  la  pointe  peut 
encore  s'abaisser  vers  les  incisives  inférieures,  dans  cette  position 
se  produit  le  t  dorsal  du  tchèque,  le  ^  ^  de  Briicke  ;  comme  il  ne 
se  rencontre  point  dans  les  langues  romanes,  je  ne  lui  donnerai 
aucune  désignation  particulière.  Enfin,  si  la  langue  forme  avec 

rallemand  wickeln  est  intermédiaire  à  l'un  et  à  l'autre.  De  même  le  k 
de  l'allemand  stock  se  forme  à  la  limite  antérieure  du  palais  dur,  le  k 
de  cappa  à  la  limite  postérieure. 


__  7  — 

les  dents  seules  Tobstacle  destiné  à  arrêter  l'air  chassé  des 
poumons,  on  fait  entendre  le  t  dental  proprement  dit,  souvent 
confondu  avec  le  t  alvéolaire  et  formé  à  sa  place,  c'est  le  i  ^  de 
Briicke;  je  le  désignerai  simplement  par  t,  comme  le  t  alvéolaire. 

A  chacune  des  variétés  du  t  correspond  une  espèce  particulière 
de  d  :  \e  d  alvéolaire,  d;  le  d  cérébral,  d,  du  sanscrit;  le  d 
dorsal  ;  enfin  le  d  dental  proprement  dit,  c'est  le  d^,  <i^,  c?•^ 
d'^  de  Briicke  ^ . 

Labiales.  —  L'obstacle  destiné  à  arrêter  l'air  à  sa  sortie 
du  poumon,  au  lieu  d'être  formé  par  la  langue  et  le  palais,  peut 
l'être  par  les  lèvres  ;  si,  alors,  le  voile  du  palais  fermant  toute 
communication  entre  le  larynx  et  les  fosses  nasales,  l'air  est 
chassé  à  travers  la  glotte  entr'ouverte,  on  produit,  en  ouvrant 
les  lèvres,  le  son  J9.  Fait-on  vibrer,  en  rétrécissant  l'ouverture 
de  la  glotte,  les  cordes  vocales  au  moment  de  la  production  du 
son,  on  a,  au  lieu  de  la  sourde  jo,  la  sonore  correspondante  b.'^ 

Aspirées.  —  Quand,  au  lieu  d'interrompre  brusquement 
l'obstacle  formé  par  la  langue,  les  dents  ou  les  lèvres  et  destiné 
à  arrêter  l'air  au  moment  où  celui-ci  est  chassé  au  dehors,  on 
laisse  l'haleine  traverser  librement  et  pendant  quelque  temps  la 
glotte  restée  ouverte,  avant  que  le  son  ait  cessé  d'être  entendu, 
à  la  place  d'une  explosive  ordinaire,  on  produit  une  aspirée^. 
L'aspirée  est  donc  comme  l'addition  d'un  h  au  son  primordial  de 
la  lettre  correspondante,  et  elle  doit  nécessairement  se  produire 
toutes  les  fois  qu'on  cherche  à  prolonger  le  son  d'une  tenue  ou 
d'une  sonore  en  faisant  afïluer  l'air  du  poumon  en  plus  grande 
quantité  ou  pendant  un  temps  plus  considéi'able  ;  c'est  donc  le 
résultat  ou  d'une  liabitude  prise  ou  d'une  conformation  orga- 
nique particulière.  Aussi  rien  de  variable  comme  les  aspirées  des 
idiomes  indo-européens.  La  langue  aryenne  primitive  ne  possé- 
dait que  l'aspirée  de  g,  d,  b  :  gh,  dh,  bh,  c'est-à-dire  des  trois 
sonores  fondamentales  ;  le  sanscrit,  —  pour  ne  parler  ni  des 
palatales,  ni  des  linguales,  —  avait,  outre  l'aspiration  des 
sonores,  les  aspirées  des  trois  muettes  k,  t  ei  p  :  kh,  th  et  ph  ; 
le  grec  n'avait  que  ces  dernières  comme  l'ancien  irlandais,  tandis 
que  le  latin,  comme  le  lithuanien,  les  avait  toutes  perdues '^ 

Nous  avons  vu  qu'à  chaque  ordre  d'explosives  correspondent 

1.  Brucke,  id.  36. 

2.  Brucke,  id.  32. 

3.  Brucke,  id.  57. 

4.  Sclileicher,  Compendium  der  vergleichenden  Gram.,  10,  14,  54,  79,  113, 
133. 


—  8  — 

diverses  espèces  de  sons  continus,  qui  en  dérivent  plus  ou  moins 
directement  ;  ce  sont  eux  maintenant  qu'il  nous  faut  étudier.  Je 
commencerai  par  les  spirantes. 

Spirantes.  —  EUes  sont,  comme  les  explosives,  de  trois 
espèces  :  gutturales,  dentales  et  labiales. 

1°  Quand,  au  lieu  de  former  complètement  l'obstacle  comme 
pour  produire  le  k  vélaire,  on  laisse  un  passage  étroit  à  l'air, 
de  manière  qu'il  glisse  au-dessus  de  la  langue  et  vienne  frap- 
per le  palais  mou,  on  fait  entendre  le  son  du  ch  allemand  après 
a,  0,  u,  comme  dans  ach,  Loch,  ou  du  x  des  Grecs  modernes 
dans  les  mots  où  il  est  suivi  de  l'une  de  ces  voyelles,  par  exemple 
dans  '/cpoç;  je  le  désignerai  par  ■/.  Si  la  langue  a  pris,  sans 
former  entièrement  l'obstacle  nécessaire  à  la  production  du  k 
palatal,  la  position  qu'elle  occupe  quand  ce  son  se  fait  entendre, 
on  a  alors  celui  du  ch  allemand  après  ou  avants,  i,  comme  dans 
ich,  Sichel,  ou  du  -/  moderne  dans  les  mots  où  il  est  suivi  de 
l'une  de  ces  vojelles,  par  exemple  dans  Z£''p;  je  le  désignerai  par  y  i . 

Quand  on  rétrécit  la  glotte  en  faisant  vibrer  les  cordes  vocales 
au  moment  où  on  produirait  le  son  y,  au  lieu  de  ce  son  on  fait 
entendre  celui  du  g,  tel  qu'on  le  prononce  en  bas-aUemand,  par 
exemple  dans  lag  (Luge),  ou  encore  un  son  analogue  à  celui  du 
V  des  Grecs  modernes  suivi  de  a,  o,  w,  comme  dans  Ywvta  ;  je 
désignerai  pour  cela  par  v  cette  spirante  du  g  vélaire.  Fait-on, 
au  contraire,  résonner  les  cordes  vocales  au  moment  où  les 
organes  de  la  voix  sont  disposés  pour  produire  la  spirante  Xp 
on  fait  entendre  le  son  i  consonne  ou  y,  tel  qu'on  les  prononce 
dans  l'allemand  Jahr,  l'anglais  yacht,  le  français  yeux;  je 
désignerai  par  y  cette  spirante  du  g  palatale 

2"  Si  on  place  la  langue  dans  la  position  nécessaire  pour 
former  le  son  du  t,  mais  sans  fermer  complètement  le  passage  à 
l'air  et  en  lui  permettant,  au  contraire,  de  glisser  entre  la  langue 
et  le  palais,  de  manière  à  venir  frapper  les  dents,  au  lieu  du  son 
t  on  fait  entendre  celui  de  la  spirante  correspondante.  Quand  la 
langue  est  dans  la  position  où  se  produit  le  t  alvéolaire,  c'est-à- 
dire  quand  la  pointe  est  appliquée  contre  les  gencives,  on  a  un  son 
approchant  de  notre  s  dur  pour  lequel  il  est  souvent  employé, 
peut-être  l'i  sanscrit,  rangé  par  les  grammairiens  dans  la  série 
des  dentales  ;  quand,  au  contraire,  elle  se  relève  vers  la  partie 
la  plus  élevée  du  palais  dans  la  position  où  se  produit  le  t  cacu- 
minal,  on  a  ce  qui  dut  être  le  s  cérébral  de  l'ancien  sanscrit, 

1.  Brucke,  id.  47.  Max  Mûller,  id.  I,  163. 


—  9  — 
'prononcé  aujourd'hui  ch  ou  sh.  La  met-on  dans  la  position  où 
se  forme  le  t  dorsal,  ono^le  s  (ç)  dur,  du  français  et  de  l'alle- 
mand, comme  dans  sage,  leçon,  liesz,  dasz.  Enfin,  quand  la 
langue  vient  s'appuyer  entre  les  dents,  de  manière  à  laisser  un 
passage  étroit  à  l'air  chassé  du  poumon,  on  fait  entendre  le 
son  0  du  grec  moderne  ou  le  th  dur  des  Anglais,  spirante  du  t 
dental  proprement  dit,  par  exemple  Géoç,  that. 

Si,  au  moment  de  produire  ces  quatre  sons,  on  fait,  en  rétré- 
cissant l'ouverture  de  la  glotte,  résonner  les  cordes  vocales,  on 
obtient  les  spirantes  sonores  correspondantes  aux  quatre  espèces 
de  d.  La  première  est,  comme  la  sourde  correspondante,  souvent 
employée  à  la  place  de  la  troisième  ;  la  seconde,  sur  laquelle  je 
reviendrai,  paraît  être  le  z  du  zend  ;  la  troisième  est  notre  s 
doux,  comme  dans  /^ose,  ou  notre  ^,  comme  dans  zèle,  ou 
encore  Vs  initial  ou  médial  des  Allemands,  tel  que  Sohn,  lesen  ; 
la  spirante  sonore  correspondante  à  la  quatrième  espèce  de  d 
est  le  th  doux  anglais,  le  S  des  Grecs  modernes,  comme  dans 
other,  Atoç  ^ 

3®  Quand  on  forme  l'obstacle  destiné  à  arrêter  l'air  non  avec 
la  langue  et  le  palais,  mais  avec  les  lèvres,  on  produit  alors  une 
labiale,  et  si  la  fermeture  n'a  point  heu  complètement,  la  spirante 
correspondante  ;  or,  pour  la  produire,  on  peut  ou  rapprocher  les 
incisives  supérieures  des  lèvres  inférieures ,  ou  rapprocher 
simplement  les  deux  lèvres  l'une  de  l'autre  ;  dans  les  deux  cas, 
on  fait  entendre  la  spirante  de  ^,  f,  mais  plus  forte  dans  le 
premier  cas,  comme  dans  Vater,  façon,  plus  douce  dans  le 
second,  comme  dans  sauf,  vif  Si,  en  voulant  prononcer  le 
premier  f,  —  le  f^  de  Briicke,  —  on  fait  résonner  les  cordes 
vocales,  on  fait  entendre  le  son  v  —  le  t«  ^  de  Briicke  —  des  mots 
va,  voix  ;  je  le  représenterai  par  v  ;  si  on  fait  résonner  la  voix, 
au  contraire,  en  essayant  de  prononcer  la  seconde  espèce  de  f 
—  le  f^  de  Briicke  —  on  produit  le  son  ûi,  iie  —  le  w^  de 
Briicke  —  tel  qu'on  l'entend  en  allemand  dans  le  mot  Quelle, 
en  français  dans  écuelle,  en  anglais  dans  wind  ;  je  le  représen- 
terai par  ly.^ 

Liquides.  —  Les  quatre  espèces  de  spirantes  correspondant 
aux  quatre  espèces  de  t  ne  sont  pas  les  seules  qu'on  puisse 
dériver  de  ce  son;  si  on  forme,  comme  pour  produire  cette  lettre, 
un  obstacle  en  avant  de  la  bouche  tout  en  ménageant  de  chaque 
côté  des  dernières  molaires  un  passage  à  l'air,  de  manière  que 


1.  Brûcke,  id.  30.  Max  Mùller,  id.  \,  165,  167. 
■2.  Brûcke,  id.  34. 


—   10  — 

l'onde  sonore,  se  partageant  au  contact  de  la  langue,  s'écoule 
par  cette  double  ouverture  le  long  des  parois  intérieures  de  la 
mâchoire,  nous  faisons  entendre  les  quatre  sons  de  l  sourd, 
correspondant  aux  quatre  espèces  de  t  ;  si  on  fait  en  même  temps 
résonner  les  cordes  vocales,  on  a  les  quatre  espèces  de  l  sonore, 
correspondant  aux  quatre  variétés  du  d.  Les  quatre  espèces  de 
/  sourd,  que  Briicke  désigne  par  les  lettres  \^,  a ~,  a 3,  X^,  ont 
été  signalées  par  J.  Millier  en  allemand,  par  Purkine  en  polo- 
nais. Des  quatre  variétés  de  l  sonores,  la  première  est  le  l  ordi- 
naire, le  l  alvéolaù'e  (l)  des  Romans,  qu'on  entend  en  français 
dans  les  mots /«rpm,  loge;  la  seconde  (l)  est  probablement  le 
Ira  du  dialecte  du  Vèdas,  parfois  aussi,  à  ce  qu'il  semble,  le  l 
barré  (l)  des  Polonais  ;  la  troisième  variété  est  l  mouillé,  c'est- 
à-dire,  d'après  Chladni,  le  l  suivi  d'un  i  intermédiaire  entre  i 
ordinaire  eij;  ainsi  àSiUs  paglia,  paille,  llano;  je  le  désignerai 
par  II.  Enfin  la  quatrième  espèce  de  /  ou  ^  dental  est  celui  qu'on 
produit  quand  on  parle  à  voix  basse  ;  il  ne  diffère  pas  essentielle- 
ment de  1'^  alvéolaire,  et  est  souvent  confondu  avec  lui.  C'est  à 
lui  ou  au  premier  que  se  rapporte,  d'après  Briicke,  le  l  de 
l'alphabet  sanscrite 

Trémulantes.  —  Nous  avons  vu  comment  on  produit  les 
trémulantes  ou  les  sons  de  r  ;  il  faut  néanmoins  préciser  davan- 
tage le  mode  de  production  de  chacun  d'eux. 

1°  Si  on  place  la  langue  dans  la  position  où  se  produit  la  spi- 
rante  vélaire,  mais  en  formant  en  son  milieu,  à  la  place  où 
s'applique  la  luette,  un  sillon  profond,  de  manière  à  ce  que  cette 
dernière  entre  en  vibration  lors  du  passage  de  l'air,  on  produit 
le  son  de  Yr  guttural  ou  uvulaire  sourd  (r),  et  en  faisant 
résonner  les  cordes  vocales  l'r  sonore  correspondant,  Yr  uvulaire 
du  provençal^. 

2°  Si  on  place  la  langue  dans  sa  position  habituelle  en  en 
relevant  seulement  l'extrémité  et  les  bords  antérieurs  vers  les 
alvéoles  des  dents  supérieures,  mais  sans  former  un  obstacle 
complet  au  passage  de  l'air,  comme  pour  la  production  du  t,  ni 
d'espace  étroit,  comme  quand  on  veut  faire  entendre  la  spirante 
s,  l'air  chassé  du  poumon,  en  frappant  la  partie  ainsi  relevée 
de  la  langue,  lui  imprime  un  mouvement  vibratoire,  et  produit, 
alors,  si  les  cordes  vocales  résonnent  en  même  temps,  le  son  de  l'r 
ordinaire  des  langues  romanes  et  germaniques,  sans  doute  aussi 
Yr  du  sanscrit,  quoique  ce  dernier  fût  rangé  parmi  les  cérébrales, 
et  que  notre  r  commun  soit  véritablement  alvéolaire  ^. 

1.  Briicke,  id.  40.  —  2.  Brûcke,  id.  49.  —  3.  Briicke,  id.  42. 


—  u  — 

Il  n'y  a  pas,  à  vrai  dire,  de  r  labial  dans  les  langues  indo- 
européennes ;  aussi,  sans  m'arrêter  à  le  décrire,  j'arrive  aux 
résonnantes*. 

Résonnantes .  —  Nous  avons  vu  que  les  organes  qui  servent 
à  produire  les  résonnantes  sont  ceux-là  mêmes  qui  forment  les 
explosives  ;  on  comprend  donc  qu'à  chaque  espèce  de  ces  der- 
nières corresponde  une  espèce  particulière  de  résonnante. 

1°  Forme-t-on,  par  exemple,  l'obstacle  nécessaire  à  la  pro- 
duction de  la  vélaire  g  et  de  la  palatale  ^  p  en  abaissant,  au 
moment  de  l'expiration ,  le  voile  du  palais  pour  laisser  un 
passage  libre  à  l'air  à  travers  les  fosses  nasales,  on  fait  entendre 
dans  le  premier  cas  le  son  de  n  suivi  de  g  et  précédé  de  a,  o  ou 
u,  comme  en  allemand  dans  Schwang ,  Wange,  c'est  Yn 
guttural  ou  vélaire  (ng  ou  h)  ;  dans  le  second  cas  on  produit  l'n 
palatal  (ng^^  ou  n  J,  qu'on  entend  également  devant  g,  mais  après 
e  ou  i,  comme  dans  Engel,  Klingel'^. 

2°  Quand  on  forme  l'obstacle  au  passage  de  l'air,  comme  pour 
la  production  des  difïérentes  espèces  de  d,  on  obtient  les  quatre 
espèces  de  n  correspondantes  :  Vn  alvéolaire,  notre  n  ordinaire 
qu'on  entend  dans  nom,  probablement  aussi  Vn  dental  du  sans- 
crit ;  Vn  cérébral  de  ce  même  idiome  ;  Vn  mouillé,  c'est-à-dire, 
d'après  Brïicke,  le  son  de  n  ordinaire  suivi  de  J,  comme  dans 
campagne,  Espaîïa,  je  le  désignerai  par  n;  enfin  Vn  dental 
confondu  parfois  dans  la  prononciation  avec  Vn  alvéolaire,  et 
que  je  désigne  par  n  comme  ce  dernier^. 

3"  Quand  on  ferme  les  lèvres,  comme  pour  produire  le  h, 
et  qu'au  lieu  de  laisser  sortir  l'air  chassé  du  poumon  par  la 
bouche,  on  le  force  à  traverser  les  fosses  nasales,  on  fait  entendre 
le  son  m,  c'est-à-dire  la  résonnante  des  labiales  ^. 


1.  Voir  à  ce  sujet  Briicke,  id.  35.   ' 

2.  Brûcke,  id.  50. 

3.  Brùcke,  id.  42. 

4.  Briicke,  id.  35.  —  J'ai  suivi  dans  ce  qui  précède  presque  exclusive- 
ment la  classification  de  Briicke,  la  meilleure,  sinon  la  seule  qui  per- 
mette de  se  rendre  compte  des  transformations  des  consonnes.  0.  Wolf 
{Spr.  u.  Ohr)  en  a  proposé  une  autre  :  il  divise  les  consonnes  simples  — 
pour  ne  parler  que  de  celles-là  —  en  consonnes  indépendantes  de  tout 
son  de  voyelle  (selbstœnende)  et  en  consonnes  proprement  dites,  c'est-à- 
dire  qui  sont  accompagnées  d'un  son  de  voyelle  (tonborgende).  Les  pre- 
mières comprennent  1°  la  série  R  (r  et  x).  2°  la  série  B  {b  etp),  3°  la  série 
K  (A:  et  g),  4°  la  série  T  {t  et  d),  5°  la  série  F  (f  et  v),  6°  le  son  S,  7°  la 
série  G  (g,  et  y..)-  —  Les  consonnes  proprement  dites  sont  1°  H,  2°  L,  3*  M 
et  4°  N.  On  voit  quelles  lacunes  et  quels  inconvénients  présente  cette 
classification;  on  y  cherche  en  vain  k,  et  le  jot;  la  quadruple  série  des 


—  ^2  — 

Transformation  des  sons. — On  voit  par  ce  qui  précède  com- 
ment les  spirantes,  les  trémulantes  et  les  résonnantes  dérivent  des 
explosives,  et  l'on  comprend  facilement  comment  l'une  quelconque 
de  ces  dernières  peut  en  se  modifiant  se  changer  en  la  spirante 
correspondante,  parfois  même  en  la  résonnante  de  même  espèce  ; 
c'est  là,  avec  l'affaiblissement  des  sourdes  en  sonores,  un  change- 
ment que  dans  toute  modification  importante  d'une  langue  quelcon- 
que, les  consonnes  doivent  presque  fatalement  éprouver  ;  mais  il 
en  est  d'autres  qui  peuvent  encore  se  produire.  La  théorie  même 
de  la  formation  des  différentes  espèces  de  consonnes,  explosives, 
spirantes,  trémulantes  et  résonnantes  gutturales,  dentales  ou 
labiales,  montre  que  pour  passer  d'une  espèce  à  l'autre^  il  suffit 
de  déplacer  l'obstacle  destiné  à  arrêter  l'air,  ou  bien  l'espace 
étroit  qu'il  doit  traverser,  à  sa  sortie  du  poumon  ;  on  comprend 
dès  lors  que  les  diverses  consonnes  puissent  d'autant  plus  facile- 
ment se  substituer  les  unes  aux  autres  que  cet  obstacle  est  formé 
par  les  mêmes  organes  et  se  fait  vers  le  même  point  ;  c'est  ce  qui 
a  lieu  en  particulier  pour  les  gutturales  palatales  et  pour  les 
dentales,  surtout  les  dentales  dorsales  et  cacuminales  ;  pour  peu 
qu'on  recule,  en  effet,  l'obstacle  formé  dans  la  production  des 
dentales,  il  a  lieu  à  l'endroit  où  on  le  forme  dans  la  production 
des  palatales,  et  alors,  au  lieu  de  faire  entendre  un  t  ou  un  d,  on 
fait  entendre  leson^^  ou  ^;  réciproquement  si  on  avance  la  langue, 
quand  on  veut  former  ce  dernier  son,  au-delà  de  l'endroit  où 
doit  se  faire  l'obstacle  destiné  à  arrêter  l'air,  au  lieu  d'un  k  ou 
d'un  g  on  produit  le  son  t  ou  d.  Nous  avons  tous  entendu  pronon- 
cer amiquié  pour  amitié^  quien  pour  tien,  gueu  pour  Dieu. 
On  trouve  dans  toutes  les  langues  des  exemples  de  confusion 
analogues*;  elles  en  offrent  même,  comme  nous  verrons,  de  la 
substitution  des  labiales  en  gutturales,  changement  bien  autre- 
ment surprenant  en  apparence. 

Composition  et  décomposition  des  sons.  —  De  même  qu'il 
s'explique  sans  peine  qu'un  son  puisse  être  formé  à  la  place  d'un 
autre,  de  même  il  peut  arriver  que  deux  sons  de  consonnes  voisines 


dentales  est  réduite  à  une,  ainsi  que  celle  de  S;  enfin  des  sons  qui  ont 
la  plus  grande  affinité  entre  eux  se  trouvent  séparés;  c'est  ce  qui  a  lieu 
en  particulier  pour  g  et  g,,  et  pour  toutes  les  spirantes  par  rapport  aux 
explosives  de  même  ordre. 

1.  «  Dans  les  langues  des  îles  Sandwich  k  et  t  se  confondent  tellement 
qu'il  est  impossible  à  un  étranger  de  dire  si  ce  qu'il  entend  est  un  son 
guttural  ou  un  son  dental.  Le  même  mot  est  écrit  souvent  avec  un  k 
par  les  missionnaires  protestants  et  avec  un  t  par  les  missionnaires 
catholiques.  »  M.  Millier,  id.  I,  211. 


—  <3  — 

s'unissent  et  se  confondent,  et  forment  ce  que  Max-MûUer  a 
appelé  d'une  expression  ingénieuse  une  consonne  diplithongue. 
Si  par  exemple,  tandis  qu'on  produit  la  spirante  gutturale  -/,  on 
recourbe  la  partie  antérieure  de  la  langue  de  manière  à  ce 
qu'elle  occupe  la  place  correspondante  à  1'^  alvéolaire,  on  fera 
entendre  le  son  s/,  composé,  comme  on  voit,  du  son  y  et  de  la 
spirante  dentale  5,  c'est  celui  du  sch,  tel  qu'on  le  prononce  dans 
certaines  parties  de  l'Allemagne,  en  particulier  en  Westphalie; 
est-ce  là  aussi  le  son  du  ch  français  et  du  sh  anglais?  Briicke 
l'affirme  ^  de  même  qu'il  ne  fait  point  de  différence  dans  la 
prononciation  du  sch  allemand,  et  qu'à  quelque  région  qu'il 
appartienne,  il  le  considère  toujours  comme  égal  à  5  +  /  ;  mais  ceci 
a  été  contesté,  et  Fr.  von  Raumer  en  particulier  ne  voit  dans  ce 
son  que  la  spirante  du  t  cérébral  ou  lingual,  le  s  (notation  de 
Bopp),  s  (notation  de  Schleicher)  de  l'alphabet  sanscrit  et  zend, 
par  conséquent  une  lettre  simple^.  Je  ne  me  prononcerai  pas 
entre  ces  deux  opinions  qui  pourraient  bien  être  toutes  deux 
vraies.  Si  on  remarque  que  le  plus  souvent  sch  ou  sh  dans  les 
langues  germaniques,  et  souvent  aussi  ch  dans  les  langues 
romanes,  est  le  résultat  de  la  transformation  du  groupe  se,  on 
comprend  qu'à  l'origine  ce  son  ait  pu  être  composé,  comme  il 
l'est  encore  dans  le  dialecte  westphalien  ;  mais  l'est-il  toujours 
resté?  et  l'est-il  encore  quand  il  n'est,  comme  cela  a  lieu  en 
particulier  dans  quelques  patois  provençaux,  qu'une  modification 
de  1'^  alvéolaire  ou  dorsale?  Je  ne  le  crois  pas,  et  on  peut 
admettre  que  ce  son  est  alors  simple.  Quoi  qu'il  en  soit,  à  l'occa- 
sion je  lui  donnerai  le  nom  de  chuintante,  nom  dont  l'insigni- 
fiance a  l'avantage  de  ne  pas  en  préjuger  la  nature,  et  je  le 
représenterai  avec  von  Raumer  et  Schleicher,  comme  il  l'est 
parfois  d'ailleurs  dans  les  langues  slaves,  où  il  apparaît  fré- 
quemment,— par  ex.  nolti,  v.  bulg.  (lat.  noctem), —  par  le  signe  s 
(le  sz  de  l'alphabet  polonais) .  La  sonore  correspondante  à  l  est 
moins  fréquente  que  ce  son  ;  on  ne  la  retrouve  ni  dans  le  sanscrit 
ni  dans  les  langues  germaniques,  qui  possèdent  celui-ci,  mais  elle 
existe  dans  les  autres;  c'est  le  y  du  français  actuel;  par  ex,  dans 
joie,  le  z  des  langues  slaves  et  du  zend  ;  par  ex.  dans  le  polonais 
zona  (épouse),  et  le  zend  znu  (sansc.  ganu,  lat.  genu).  Briicke, 
considérant  ce  son  comme  composé,  le  représente  par  zy,  c'est- 
à-dire  par  z  ei  y  sonores  de  5/,  je  le  désignerai  par  2,  comme 

1.  Brùcke,  id.,  p.  64. 

2.  Rud.  V.  Raumer,  Sxmmtl.  sprachw.  Schriften.  p.  22.  —  Dernièrement, 
au  contraire,  0.  Wolf  (Spr.  u.  Ohr,  32)  a  admis  de  nouveau  que  l  était 
un  son  composé. 


—  u  — 

il  l'est  par  les  grammairiens  tchèques,  et  lui  donnerai,  ainsi 
qu'à  s,  le  nom  de  chuintante. 

c  et  g.  —  On  peut  disputer  sur  la  nature  de  s  (ch),  et  de  z  (j), 
on  ne  peut  pas  ne  pas  admettre  que  tch  et  dj  ne  soient  des  sons 
composés,  et  l'on  voit  qu'ils  sont  formés,  le  premier  de  t  et  de  s, 
le  second  des  sonores  correspondantes  cl  et  z.  Pour  le  produire, 
il  faut  donc  former  d'abord  l'obstacle  nécessaire  à  l'interruption 
du  passage  de  l'air,  comme  pour  former  le  t  ou  h  d  dorsal, 
puis  donner  à  la  langue,  au  moment  même  où  cet  obstacle  est 
supprimé,  la  position  qu'elle  doit  prendre  pour  la  production  de  ^ 
ou  de  z.  Au  reste  ces  sons  sont  très-communs  :  tch  se  rencontre 
dans  presque  toutes  les  langues  indo-européennes  ;  c'est  celui 
qu'on  donne  généralement  en  Europe  au  k  palatal  du  sans- 
crit^ ;  c'est  celui  aussi  du  ch  anglais  ou  espagnol;  par  ex.  dans 
church,  chaza,  du  c  italien  suivi  de  e  ou  de  i,  comme  dans 
città,  enfin  du  c  des  langues  slaves  {cz  poL),  par  ex.  ocese,  gén. 
sing.  du  slavon  oko  (oculus).  C'est  de  ce  signe  c  que  je  me 
servirai  ordinairement  pour  représenter  le  son  composé  tch. 
Quant  à  dj,  c'est-à-dire  à  la  sonore  correspondante  à  tch,  on  la 
rencontre,  comme  lui,  dans  la  plupart  des  langues  indo-euro- 
péennes ;  c'est  le  son  qu'on  donne  actuellement  au  g  palatal  sans- 
crit; c'est  aussi  celui  àuj  anglais;  par  ex.  àans Joy,  du p^  italien 
suivi  de  e  ou  de  i  comme  dans  gemere.  Je  la  désignerai  par  g. 

Ts  et  dz  . —  Si  après  avoir  formé  l'obstacle  comme  pour  trans- 
former le  t  alvéolaire,  on  donne,  au  moment  où  cet  obstacle  est 
supprimé,  à  la  langue  la  position  qu'elle  doit  prendre  pour  la 
production  de  s  dorsal,  on  fait  entendre  le  son  composé  ts.  Ce 
son  est  celui  du  c  des  langues  slaves,  par  ex.  dans  zlatica,  v.' 
tch.  (pièce  d'or),  du  z  allemand  dans  Zeit  et  du  z  dur  italien, 
comme  dans  razza  (race),  etc.  Si  au  moment  où  on  donne  aux 
organes  de  la  voix  la  position  nécessaire  pour  produire  le  son  ts 
on  fait  vibrer  les  cordes  vocales,  on  obtient  la  sonore  corres- 
pondante dz;  c'est  le  son  du  Ç  grec  dans  i^u^év,  du  z  italien 
dans  razza  (raie) . 

Les  sons  composés  que  nous  venons  d'étudier  sont  —  la  plupart 
du  moins  —  d'origine  relativement  récente,  et  dans  les  langues 
où  nous  les  rencontrons  ils  tiennent  le  plus  souvent  la  place  de 
sons  primitivement  simples;  c'est  ainsi  que  le  son  composé  tch 
du  c  de  l'italien  città  représente  le  son  simple  du  c  palatal  du 
latin  civitatem,  de  même  le  son  composé  dj  du  g  de  l'italien 
gemere  s'est  substitué  au  son  simple  du  g  du  latin  gemere,  le 

1.  Les  Hindous  lui  donnent  encore  un  son  qui  se  rapproche  de  Uj. 


—  ^5  — 

n  composé  ts  du  z  de  cymbello  remplace  le  c  simple  et  palatal 
cymhalum.  Ainsi  un  son  simple  peut,  en  se  transformant, 
donner  naissance  à  un  son  composé,  mais  le  contraire,  on  le 
comprend  facilement,  peut  également  arriver,  c'est-à-dire  qu'un 
son  composé  peut,  par  une  série  de  dégradations,  se  réduire  à  un 
son  simple  ;  mais  dans  ce  cas  le  son  simple  dérivé  est  toujours 
d'un  ordre  différent  du  son  simple  primitif,  d'où  il  est  sorti  par 
l'intermédiaire  du  son  composé.  Ainsi  le  son  ts  du  c  dé  l'ancien 
français,  dégradation  probable  déjà  du  son  tch  du  c  latin,  est,  en 
se  modifiant,  devenu  s,  consonne  simple  de  l'ordre  des  dentales, 
tandis  que  le  c  latin,  d'où  il  est  sorti,  en  passant  par  les  sons 
composés  tch,  ts  intermédiaires,  était  aussi  une  consonne  simple, 
mais  de  l'ordre  des  gutturales.  On  voit  d'ailleurs  facilement 
comment  la  langue  a  pu  passer  d'un  son  composé  à  un  son 
moins  complexe  ou  simple,  et  l'on  comprend  aussi  sans  peine 
comment,  en  se  modifiant  dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  un 
même  son  composé  a  pu  donner,  tout  comme  une  consonne  pri- 
mitive ordinaire,  des  sons  simples  difiërents.  Ainsi  tch  a  pu, 
soit  perdre  son  t,  et  alors  on  a  eu  le  son  ch  (s),  soit  modifier  le 
son  s  qu'il  renfermait  en  le  changeant  en  s,  et  alors  il  a  donné  le 
son  ts.  Si  ce  dernier  son  perd  aussi  son  t,  sans  modifier  la  nature 
de  la  spirante,  il  reste  s;  mais  il  peut  se  faire  aussi  que  ts,  en  se 
simplifiant,  ne  perde  pas  seulement  le  t,  mais  encore  qu'il  trans- 
forme la  spirante,  et  la  change  d'alvéolaire  ou  de  dorsale  s  en 
dentale  proprement  dite  0  ;  ce  qui  aura  lieu  si  la  pointe  de  la  langue 
vient  s'appuyer  non  plus  contre  le  palais  ou  les  gencives,  mais 
contre  les  dents  ou  même  entre  les  dents.  La  première  transforma- 
tion du  ts  a  eu  lieu  dans  le  français,  la  seconde  dans  le  castillan. 
Dans  cette  étude  je  conserverai  la  division  des  consonnes  en 
gutturales,  dentales  et  labiales  ;  toutefois  je  donnerai  de  préfé- 
rence aux  premières  le  nom  de  vélaires  et  de  palatales  ou  lami- 
naires dans  lesquelles  elles  se  subdivisent;  je  désignerai  les  secon- 
des, c'est-à-dire  les  dentales,  par  le  nom  de  la  partie  de  la  cavité 
buccale  où  se  forme  l'obstacle  au  passage  de  l'air  ou  l'espace 
rétréci,  nécessaire  à  leur  production.  Je  suivrai  la  classification 
habituelle  pour  les  labiales;  et,  comme  je  l'ai  dit,  je  donnerai  le 
nom  de  chuintantes  au  son  I  et  z.  Je  n'en  attribuerai  point  de 
particulier  aux  composées  tch,  dj,  ts,  dz.  Le  tableau  suivant 
montre  rapprochées  et  groupées  les  diverses  consonnes  indo-euro- 
péennes, dont  j'ai  étudié  le  mode  de  formation  et  indique  en  même 
temps  les  signes  dont  je  me  servirai  au  besoin  pour  les  représenter 
d'une  manière  abrégée.  Les  signes  placés  entre  parenthèses  sont 
ceux  de  Brùcke. 


Voyelles. 


^6  — 


Résonnantes. 


Trémulanles. 


•5^  g- 


-I    (H    m    ^ 


■3^ 


1 

P 

ss: 

K 

H 

§5 

^ 

Ç5 

O 

*>& 

O 

g 

.Cl 

V. 

Liquides. 


Sp  Iran  tes. 


IN      ->  Il 


^7^0^    ce     '* 
f,^  "v»  ^^  "*■» 

-o  -Si  ^s;  "^ 
r<  r<  ><  r< 


rt    o^    eo    ■* 
>-?    »^    ^?    <î 

<V. 

-I      W      05      ^ 
Co     SO     Co   ^ 

Ce  >^     Co   Œ» 
<Vi. 


Aspirées. 


^«e  '«î  -<  -< 


Sonores,  moyennes 
ou  douces. 

Sourdes,  tenues 
ou  fortes. 


-.    (^J    co    -r        oi     ^ 


•K>    •hi.to    "te 


?^?5, 


OS    g) 

Si    « 


-O»  co 


«3 


O) 


^  ^  fe  g 


H 


D 
H 
H 


ce 

o 

o 


Q 


5 


n. 


LES   GUTTURALES   LATINES. 


L'ancien  alphabet  latin,  sorti  de  l'alphabet  dorien  des  Grecs 
de  Cumes  et  de  Sicile,  comprenait  trois  gutturales  :  c,  kei  q,  et 
une  aspirée  h^.  A  l'origine  de  la  langue  k  représentait  la  guttu- 
rale sourde,  vélaire  ou  palatale  ;  c,  la  sonore  correspondante  ;  la 
valeur  primitive  de  ces  deux  lettres  ne  présente  donc  pas  de 
difficulté  ;  elles  étaient  pour  les  anciens  Romains  ce  que  y  et  y. 
étaient  pour  les  Grecs.  Quant  à  q,  il  représentait  aussi  la  guttu- 
rale sourde,  mais  accompagnée,  ce  semble,  du  son  u  qu'elle  a 
développé  dans  un  certain  nombre  d'idiomes  indo-européens. 

La  valeur  des  trois  gutturales  latines  toutefois  ne  tarda  pas  à 
s'obscurcir  et  à  se  modifier  ;  c  et  ^  finirent  par  se  confondre  et  il 
arriva  ce  fait  singulier  que  la  langue  n'eut  plus,  au  troisième 
siècle  avant  notre  ère,  de  signe  pour  représenter  la  sonore,  et  fut 
obligée  d'en  créer  un  nouveau,  le  g,  tandis  qu'elle  possédait  à  la 
fois  trois  lettres  pour  représenter  la  sourde;  aussi  les  gutturales 
furent-eDes  le  plus  souvent  pour  les  anciens  grammairiens  une 
énigme  qu'ils  s'efforcèrent  en  vain  d'expliquer.  Voyons  ce 
qu'elles  étaient  devenues,  ainsi  que  l'aspirée,  à  l'époque  de  la 
destruction  de  l'empire. 

1°  H. 

Vh  latine  représente  le  plus  souvent  l'aspirée  gutturale  pri- 
mitive gh  et  a  pour  équivalent  y,  ou  ■/  en  grec,  g  en  allemand; 
exemples  : 

Lat.  Grec  Allem. 

Hiare  /at'veiv  Gàhnen 

Heri  yUç  Gestern 

Hordeum  '/.ptOY;  Gerste 

Hortus  ■/-p'foç  Garten,  etc.  *. 

Cette  origine  et  la  circonstance  que  h  remplace  dans  certains 
dialectes  italiens,  par  exemple  dans  l'ombrien,  le  c  latin  permet 
de  supposer  que  cette  lettre  à  l'origine  avait,  peut-être  comme 
en  gothique,  un  son  analogue  à  l'aspirée  gutturale  ch;  mais  ce 

1.  Gorssen,  Aussp.  \,  5. 

2.  Gorssen,  id.  I,  97.  —  Fr.  Baudry,  Gram.  comp.  128. 

•1 


—  -18  — 

son,  s'il  exista  jamais  réellement  dans  le  latin,  ne  tarda  pas  à 
disparaître  et  l'h  ne  fut  plus  dès  lors  à  vrai  dire  une  lettre,  mais 
un  simple  signe  d'aspiration.  C'est  comme  telle  seulement  que  la 
connaissent  les  grammairiens  latins  ;  «  H  vero  aspirationis  nota, 
et  nihil  aliud  litterae,  nisifiguram,  »  dit  Priscien'.  Telle  est  aussi 
l'opinion  de  Marius  Victorinus-,  de  NigidiusFigulus^  de  Teren- 
tianus  Maurus'^,  d'Isidore  de  Séville^  etc.  C'était  déjà  celle  de 
Varron  et  de  Macer,  qui  la  voulaient  même  retrancher  comme 
telle  de  l'alphabet  latin  :  «  Auctoritas  tum  Varronis  quam  Macri, 
teste  Censorino,  nec  k,  neque  q,  neque  h  in  numéro  adhibet 
literarum^.  »  Diomède,  U  est  vrai,  semble  encore  reconnaître  à  l'A 
son  double  caractère  :  «  H  quoque  interdum  consonans,  dit-il, 
interdum  aspirationis  creditur  nota"^.  »  Mais  cette  assertion 
isolée  ne  saurait  infirmer  le  témoignage  unanime  de  tous  les 
autres  grammairiens. 

Ce  rôle  de  simple  aspirée  auquel  elle  était  descendue,  proba- 
blement à  l'époque  des  rois,  Vh  latine  le  conserva  sans  doute, 
bien  qu'amoindri,  longtemps  encore  :  «  profundo  spiritu,  anhelis 
faucibus,  explose  ore,  fanditur,  »  dit  au  quatrième  siècle  Marius 
Victorinus,  exprimant  toutefois  peut-être  plutôt  une  règle 
consacrée  par  la  théorie  que  par  l'usage  de  son  temps.  L'aspira- 
tion, en  effet,  si  prononcée  aux  premiers  âges  de  la  langue,  finit 
par  s'afîaiblir  au  point  que  la  conscience  s'en  perdit  presque,  et 
qu'on  ne  sut  le  plus  souvent  dans  quels  mots  elle  devait  se  trouver. 
Toujours  justifiée  par  l'étymologie  dans  les  inscriptions  de  la 
république,  l'usage  en  devient  incertain  et  sans  règle  fixe  dès 
les  premiers  temps  de  l'empire.  On  trouve  déjà  dans  les  graphites 
de  Pompei,  aheto,  abuerit,  Ermus,  Ispanus,  lacintus,  ym- 
nus,  etc.  Cette  suppression  de  l'aspirée  devait  encore  se  généra- 
liser au  temps  de  l'empire.  On  voit  par  des  exemples  donnés  par 
Quintilien^    quel    arbitraire  régnait  parfois    dans  l'emploi  de 

1.  Gramm.  veteres.  Ed.  Putsch.  544. 

2.  «  H  quoque  inter  litteras  otiosam  grammatici  tradiderunt  eamque 
aspirationis  notam  conjunctis  vocalibus  pr;bflci.  »  Id.  P.  2455. 

3.  «  Nigidius  Figulus...  H  non  esse  litteram,  sed  notam  aspirationis 
tradidit.  »  Id.  P.  2456. 

4.  «  H  litera  est  nota  quod  spiret  anlielum.  •>  Id.  P.  2398. 

5.  «  A  plerisque  aspiratio  putatur  {H)  esse,  non  litera,  quo  proinde 
aspirationis  nota  dicitur.  »  Isid.  Hisp.  Corp.  Gramm.  lat.  vet.  Ed.  Lind., 
JII,  18. 

6.  Gr.  vet.  P.  544. 

7.  Id.  P.  418. 

8.  Inst.  or.  I,  5  et  6. 


—  19  — 

aspiration ,  tant  le  sentiment  en  était  devenu  incertain.  Aussi 
était-ce  un  défaut  commun  aux  gens  sans  éducation,  et  parfois 
aussi  aux  gens  prétentieux,  de  faire  entendre  une  aspiration  là 
où  il  ne  devait  pas  y  en  avoir  ;  on  connaît  l'épigramme  célèbre  de 
Catulle  sur  un  contemporain  : 

Chommoda  dicebat,  siquando  commoda  vellet 
Dicere,  et  hinsidias  Arrius  insidias*. 

«  Rusticus  fit  sermo,  si  aspires  perperam,  »  remarque  un  peu 
plus  tard  Aulu-Gelle^;  ce  qui  prouve  à  la  fois  que  les  paysans  de 
son  temps  faisaient  encore  entendre  l'aspiration  dans  des  mots 
que  les  gens  cultivés  n'aspiraient  plus,  et  qu'ils  l'employaient 
dans  d'autres  où  elle  n'avait  point  de  raison  étymologique.  Faite 
d'abord  par  les  ignorants,  cette  confusion  cessa  bientôt  de  leur 
être  particulière,  et  tous  les  efibrts  des  grammairiens  pour  y 
mettre  un  terme  furent  inutiles  ;  ils  rencontraient  un  obstacle 
insurmontable  dans  l'affaiblissement  progressif  de  l'aspiration. 
Vers  la  fin  de  l'empire,  elle  cessa  à  peu  près  de  se  faire  sentir,  et 
Yh  ne  fut  plus  qu'un  signe  orthographique  qu'on  employait  ou 
qu'on  négligeait,  on  le  voit  par  les  anciens  manuscrits,  un  peu 
au  hasard^.  Tel  était  l'état  dans  lequel  les  langues  romanes 
reçurent  Y  h  latine:  aussi  quand  elle  n'a  pas  été  supprimée, 
comme  cela  a  presque  toujours  lieu  en  italien,  n'a-t-elle  le  plus 
souvent  persisté  que  pour  conserver  en  quelque  sorte  au  mot  sa 
physionomie  originelle;  et,  chose  remarquable,  l'aspiration  qui 
existe  encore,  et  qui  se  faisait  sentir  surtout  autrefois,  dans 
quelques-unes  de  ces  langues,  en  particulier  dans  le  français  et 
le  roumain,  n'est  point  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  un 
héritage  du  latin,  mais  ou  vient  d'un  autre  idiome,  ou  bien 
encore  est  une  création  de  la  langue,  soit  de  toute  pièce,  comme 
dans  le  français  haut  (1.  altus),  soit  par  la  transformation  d'un 
autre  son,  comme  dans  le  français  hors  (1.  forts),  le  roumain 
hed,  dérivé  de  fœdus'^. 

2"  Q. 
La  grammaire  comparée  a  montré  que  la  gutturale  a  développé 


1.  Q.  Val.  Gatulli  liber,  LXXXIV.  Ed.  Rossbach. 

2.  Nocl.  ait.  XIII,  6,  3. 

3.  Gorssen,  id.  I,  107. 

4.  On  sait  que  cette  transformation  de /"en  h  est  un  procédé  habituel 
de  la  langue  espagnole;  ex.  hado  {fatum),  hierro  [ferrum),  etc.  Mais  1'^ 
qui  en  résulte  est  muette,  du  moins  dans  l'état  actuel  de  la  langue. 


—  20  — 

après  elle  dans  les  langues  indo-européennes  tantôt  un  i,  d'où 
est  sorti  le  son  c,  comme  dans  le  sanscrit,  le  zend  et  les  idiomes 
slaves,  tantôt  un  u,  qu'on  retrouve  dans  le  latin  qu,  et  dans  le 
gothique  hv;  ex.:  lat.  aqua,  got.  ahva.  Mais  cette  découverte, 
fondée  sur  l'étude  comparée  des  langues  indo-européennes,  et 
qui  rend  raison  de  phénomènes  phonétiques  jusque-là  inexpli- 
qués, ne  pouvait  être  pressentie  par  les  grammairiens  latins, 
qui  n'avaient  pour  point  de  comparaison  que  le  grec,  et  pour  qui 
tout  lait  étranger  à  cet  idiome  était  inexplicable  ;  aussi  le  q 
resta-t-il  toujours  une  énigme  pour  eux.  Cette  lettre  avait 
la  valeur  de  la  gutturale  sourde,  mais  cette  gutturale  était  aussi 
représentée  par  k,  et  surtout  par  c;  il  y  avait  ainsi  en  latin  trois 
signes  différents  pour  figurer  un  même  son.  Embarrassés  par 
cette  ressemblance  multiple,  les  anciens  grammairiens,  qui  ne 
trouvaient  point  d'ailleurs  le  q  dans  l'alphabet  grec,  ou  ne  le 
reconnaissaient  pas  dans  le  koppa,  remarquant  aussi  que  cette 
lettre  était  d'ordinaire  accompagnée  de  zt,  crurent  qu'elle  résultait 
de  la  fusion  de  c,  m'.  Cette  circonstance  fit  penser  qu'on  pourrait 
s'en  passer  facilement,  et  plusieurs  écrivains,  à  ce  qu'il  paraît, 
afiectèrent  de  ne  pas  se  servir  de  cette  lettre  que  l'osque  et 
l'ombrien  avaient  perdue.  «  Nigidius  Figulus  »,  rapporte  Marius 
Victorinus^  «  in  commentariis  suis  nec  k  posuit  nec  q,  »  ainsi 
qu'il  faut  lire  probablement^  ;  et  plus  loin  :  «  Licinius  Calvus  q 
littera  non  est  usus.  »  Dès  les  temps  de  la  république,  Varron 
aussi,  la  regardant  sans  doute  comme  superflue,  voulait  la 
bannir  de  l'alphabet  latine  Cette  opinion  fut  celle  de  presque 
tous  les  grammairiens  de  l'empire.  «  K  et  q  supervacuo  numéro 
litterarum  inseri  doctorum  plerique  contendunt,  scilicet  quod  c 
litera  harum  officium  possit  implere,  »  dit  Marius  Victorinus^. 
Diomède^,  Cliarisius '''  et  Velius  Longus^  sont  du  même  avis,  et 

1.  <t  Multi  illam  (Q)  excluserunt,  quoniam  nihil  aliud  sit  quam  c  ettt,  » 
dit  Velius  Longus,  Gr.  vet.,  P.  2218;  et  ailleurs  :  «  Nonnulli  quis  et  qux 
et  quia  per  g  et  i  et  s  scripserunt  et  per  qœ  et  per  qia.  quoniam  scilicet 
in  q  esset  c  et  u.  »  Id.  P.  2219. 

2.  Id.  P.  2456. 

3.  Putsch  donne  :  «  Nig.  Figulus  nec  K  pro  Q,  »  ce  qui  est  évidemment 
une  fausse  leçon.  Cf.  Brambach,  Neugest.  d.  Ori.,  p.  280. 

4.  «  Auctoritas  tum  Varronis  quam  Macri,  teste  Censorino,  nec  K,  nec 
Q,  neque  H  in  numéro  adhibet  literarum.  »  Id.  P.  544. 

5.  Id.  P.  2456. 

6.  Id.  P.  418. 

7.  Gram.  lat.  K,  I. 

8.  Gram.  vet.  P.  2218. 


—  2^  — 

s  expriment  presque  dans  les  mêmes  termes.  Cependant  d'autres 
grammairiens  pensaient  qu'il  fallait  au  moins  conserver  q  devant 
u  :  «  Duras  et  illa  (littera)  syllabas  facit,  lit-on  dans  Quintilien*, 
quae  ad  conjungendas  demum  subjectas  sibi  vocales  est  utilis, 
alias  supervacua,  ut  equos,  liac  et  equum  scribimus.  »  Ce  fut 
même  là  l'orthographe  qui  tendit  à  prévaloir  toutes  les  fois  que 
Vu  fut  suivi  d'une  autre  voyelle;  «  q  vero,  remarque  Sergius  dans 
son  traité  de  littera,  quam  antiqui,  quotiens  u  sequebatur, 
prseponebant,  praesenti  usu  tune  cum  post  u  aliqua  ex  vocalibus 
fuerit  secuta,  prseponi  débet,  ut  quando,  quendam,  quia,  et 
juxta  antiques  equs;  alias  enim  per  c  non  per  q  scribendum  est, 
ut  cwr,  cum^.  »  Pompeius^,  dans  son  commentaire  sur  Donat, 
ServiusS  Charisius^,  etc.,  tiennent  le  même  langage.  Cette 
règle  devait  mettre  fin  aux  manières  d'écrire  telles  que  pequnia, 
qura,  etc.,  en  usage  du  temps  de  la  république,  mais  elle  ne 
fixa  pas  cependant  d'une  manière  définitive  l'emploi  du  q.  L'éty- 
mologie  à  laquelle  on  eut  recours  ne  fut  pas  non  plus  un  sûr 
moyen  de  se  fixer  à  cet  égard  ;  les  mots  en  quus  offrent  un 
exemple  curieux  de  l'incertitude  orthographique  qui  régnait 
parfois  au  sujet  de  c  et  de  q,  considérés  comme  signes  de  la 
gutturale  tenue.  A  une  époque  où  la  règle  donnée  par  Sergius  et 
Pompeius,  etc.,  n'était  pas  formulée,  ou  n'avait  pas  encore  force 
de  loi,  on  avait  supprimé  un  des  deux  u  de  cette  désinence,  tout 
en  conservant  le  q,  et  l'on  écrivait  ainsi  equs,  coqus,  etc.  Plus 
tard,  quand  on  l'appliqua,  on  eut  ecus,  cocus,  etc.  Mais  alors 
on  avait  à  côté  de  cocus,  écrit  avec  c,  coquere  écrit  avec  q;  des 
grammairiens  n'hésitèrent  pas  à  proposer,  pour  faire  disparaître 
cette  anomalie,  d'écrire  aussi  cocere  avec  c,  ce  que  permettait 
d'ailleurs  la  prononciation  actuelle  du  c^.  Néanmoins  cette 
orthographe  fut  le  plus  souvent  combattue  :  «  equs  non  ecus, 


1.  XII,  10,  30. 

2.  Gram.  lut.  K.  277. 

3.  «Item  antiqui  nostri,  quotiens  î*  sequebatur,  per  g  scribebant...  nun- 
quam  possumus  nos  per  q  scribere,  nisi  post  q  sequatur  u,  et  post  u 
alia  sequatur  vocalis,  ut  puta  quia,...  si  autem  non  sequatur  alia  vocaiis, 
per  c  scribimus,  ut  si  dicamus  mm,  per  c  scribimus.  »  Id.  K.  I,  110. 

4.  «  Illi  (majores)  q  prœponebant,  quotiens  u  sequebatur,  ut  qum;  nos 
vero  non  possumus  q  praeponere,  nisi  et  w  sequatur  et  post  ipsam  alia 
vocalis,  ut  quoniam.  »  Jd.  K.  I,  423. 

5.  «  Q  litteram  nusquam  volunt  poni  alias,  nisi  ut  duse  vocales  se- 
quantur,  quarum  prior  sit  u.  »  Id.  K,  I,  107. 

6.  Bramb.,  id.  230.  «  Goquo  vel,  ut  alii,  coco,  »  dit  Priscien  (Gram.  lat. 
II,  504). 


—  22  — 

coqus  non  cocus,  coqueus  non  coceus,  dit  l'Appendix  Probi^ 
(p.  197).  Mais  ces  exemples,  qu'il  serait  facile  de  multiplier, 
montrent  quelles  difficultés  les  grammairiens  ne  cessèrent  de 
rencontrer  dans  l'emploi  de  c  et  de  q.  EUes  devaient  s'accroître 
avec  la  décadence  delà  langue;  nous  savons,  en  effet,  parles 
témoignages  contemporains  à  quelles  étranges  confusions  donnait 
lieu  parfois  le  choix  de  ces  lettres  :  «  vacua,  non  vaqua;  vacui, 
non  vaqui,  »  lit-on  encore  dans  l'Appendix  Probi^ 

Cependant,  malgré  cette  incertitude  orthographique,  et  bien 
qu'il  ait  dû  faire  place  parfois  à  c,  ^  a  persisté,  au  milieu  de  la 
décadence  du  latin,  et  le  valaque  excepté,  il  est  passé,  comme 
gutturale,  vélaire  ou  palatale,  dans  toutes  les  langues  romanes, 
tantôt  avec  le  son  coua,  comme  dans  l'it.  quale,  tantôt  avec  le 
simple  son  k,  comme  dans  l'espagnol  quatorce,  le  français 
quatre,  tantôt  aussi  en  se  changeant  en  la  sonore  ou  moyenne 
g,  comme  dans  l'esp.  agua,  le  provençal  aigua,  etc.  Parfois 
aussi  il  s'est,  devant  e  et  i,  changé  en  c;  par  exemple  dans 
l'italien  cinque,  cuocere,  valaque  cincî,  coace  ;  ou  bien  il  s'est 
assibilé,  par  ex.  dans  l'espagnol  cinco,  français  cinq.  Mais 
dans  la  plupart  de  ces  cas,  ce  n'est  pas,  à  vrai  dire,  le  q,  mais  le 
c,  lequel  l'avait  remplacé  dans  le  latin  vulgaire,  qui  a  subi  ces 
modifications;  chose  remarquable,  en  effet,  tandis  que  le  c  palatal 
s'est  transformé  en  c  dans  celles  de  l'Est,  ou  s'est  assibilé  dans  le 
double  groupe  occidental,  que  le  c  vélaire  s'est  changé  parfois 
en  c  ou  5  dans  les  langues  du  Nord-Ouest,  q,  soit  vélaire,  soit 
palatal,  maintenu  sans  doute  par  Yu  qui  l'accompagne,  a,  dans 
tous  les  idiomes  romans  —  le  valaque  excepté  —  conservé  le  plus 
souvent  le  son  guttural  que  perdait  le  c  ;  c'est  ainsi  que,  tandis 
que  carnem  a  donné  chair  en  français,  quare  y  a  donné  car; 
que  qui  est  resté  qui  en  français  et  devenu  chi  en  italien,  tandis 
que  civitatem  a  donné  città  en  italien  et  cité  en  français,  etc. 

Il  y  a  plus,  non-seulement  le  g  a  conservé  en  général  le  son 
guttural  des  mots  latins  où  il  se  trouvait,  mais  encore  il  est 
devenu  une  véritable  lettre  romane,  dont  chacune  des  langues 
qui  l'ont  adoptée  s'est  servi  suivant  son  génie  particulier,  pour 
représenter  au  besoin  le  son  guttural,  quand  le  c  n'aurait  pu  le 
représenter  ;  c'est  ainsi  qu'il  apparaît  en  français  dans  marquis, 
en  espagnol  dans  marquez  ;  c'est  pour  la  même  raison  que  cette 
dernière  langue  l'emploie  à  la  place  du  ch,  qui  a  un  son  chuintant, 

1.  Gram.  lat.,  IV,  197  K. 

2.  Id.,  id. 


—  23  — 

dans  quimia,  quimera,  etc.,  et  à  la  place  du  c,  qui  serait 
assibilé,  dans  la  conjugaison,  aux  personnes  où  l'a  étymologique 
se  change  en  e,  ainsi  :  quepo,  quepa,  quepas,  etc.,  de  caber 
(capere). 

3°  K. 

A  l'origine  de  la  langue  latine  la  gutturale  sourde  ou  tenue 
était  représentée  par  k,  la  moyenne  ou  sonore  par  c;  mais  la 
distinction  entre  ces  deux  sons  fondamentaux  ne  tarda  pas,  à  ce 
qu'il  semble,  par  se  perdre,  et  vers  l'époque  des  Décemvirs  c 
était  employé  indifféremment  pour  représenter  les  deux  guttu- 
rales ;  c'est  ce  que  prouvent  les  passages  de  la  Loi  des  douze 
tables,  cités  parles  anciens  grammairiens,  «  ni  cum  eo  pacit*  », 
et  «  ni  pacunt^  »,  comparés  avec  le  pagunt  de  la  Rhétorique  à 
Herennius  :  «  Rem  ubi  pagunt,  orato;  ni  pagunt  ^»  Le  k  devint 
donc  par  là  inutile  ;  il  disparut  aussi  dans  l'alphabet  étrusque,  tan- 
dis, il  est  vrai,  qu'il  se  maintenait  à  l'exclusion  duc  dans  l'ombrien; 
mais  en  latin,  quoique  presque  hors  d'usage,  il  se  conserva  néan- 
moins dans  quelques  mots,  non-seulement  au  temps  de  la  république, 
mais  encore  sous  l'empire.  On  trouve  dans  les  inscriptions  de  la 
première  époque  :  kalendœ,  interkalares,  kalwnnia,  haussa, 
met^katus,  indikandis,  Kailius,  Kalcnus,  Kastorus,  Kami  et 
même  Ke7'i  et  Dekembres'^ .  De  la  seconde  époque  on  âVolkani 
(Ann.  dei  inscr.  rom.  1857,  p.  323),  kapitulari  (Orell.  6086), 
karissir/io,  karissima  (Mommsen  L  A.  N.)  Kœsones  (C.  L 
Rhen.-Brambach).  Mais  on  trouve  en  même  temps  avec  c  :  ca- 
lendis,  calendas  (Momms.),  calumniœ,  mercatus,  cœlius, 
Calenus,  Castoren,  etc.^.  On  le  voit,  il  n'y  avait  rien  de  fixe 
dans  l'emploi  du  k,  et  il  ne  manquait  pas  de  gens  qui  regardaient 
cette  lettre,  avec  encore  plus  de  raison  que  le  q,  comme  superflue. 
«  K  et  q  supervacuo  numéro  litterarum  inseri  doctorum  plerique 
contendunt,  dit  Maximus  Victorinus^,  scilicet  quod  c  litera 
harum  officium  possit  implere.  »  Cette  opinion,  comme  on  le  voit 
par  le  témoignage  de  Probus^,  avait  de  nombreux  partisans. 


1.  Festus,  V.  talionis. 

2.  Scaurus,  De  orthogr.  —  Gram.  vet.  P.  2253. 

3.  Rhet.  ad  Her.  II,  13,  20.  —  Cf.  Bhein.  Mus.  XV,  464. 

4.  Momnisen,  G.  I.  L.,  p.  601.  —  Ritschl,  de  fict.  liit.  lai.  ant.  ot  Prise. 
Lut.  mon.  epig.,  cités  par  Corssen,  Ausspr.  I,  8. 

5.  Corssen,  id.  I,  8. 

6.  Gr.  vet.  P.  2455. 

7.  «  Nunc  supervacuse  quibusdam  k  et  q  Utterœ  positee  esse  videntur.. 


—  24  — 

D'autres,  toutefois,  tout  en  admettant  l'inutilité,  croyaient  qu'on 
pouvait  la  garder  comme  signe  abréviatii"  pour  désigner  certains 
mots  commençant  par  une  gutturale  sourde  :  «  K  quidam  super- 
vacuam  esse  literam  indicaverunt,  dit  Scaurus,  quoniam  vice 
illius  fungi  c  satis  posset,  sed  retenta  est,  ut  quidam  putant, 
quoniam  notas  quasdam  significaret  ut  Kaesonem,  ut  kaput  et 
kalumnias  et  kalendasK  »  Dès  les  temps  de  la  république, 
Varron,  ce  grammairien  novateur,  avait  déjà  voulu  supprimer  k, 
ainsi,  nous  l'avons  vu,  que  h  et  q^.  Ici  la  réforme  qu'il  proposait, 
était,  ce  semble,  plus  facile  et  plus  fondée  ;  si  l'afifaiblissement  de 
l'aspiration  pouvait  faire  paraître  h  inutile,  on  pouvait  dire 
qu'elle  conservait  du  moins  au  mot  son  orthographe  étymolo- 
gique; q  s'employait  avec  u,  il  n'y  avait  pas,  au  contraire,  de 
raison  pour  maintenir  k;  c'était  ce  que  faisaient  valoir  les  parti- 
sans de  sa  suppression,  et  il  n'en  manqua  pas  après  Varon.  «  K 
quidam  penitus  supervacua  est,  dit  Priscien^;  nulla  enim  videtur 
ratio,  cur  a  sequente  hœc  scribi  debeat  :  Carthago  enim  et 
caput,  sive  per  c  sive  per  k  scribantur,  nullam  faciunt  nec  in 
sono  nec  in  potestate  ejusdem  consonantis  differentiam.  »  Malgré 
ces  raisons  si  irréfutables,  quelques  grammairiens  continuèrent 
à  préférer  kh.c  devant  a.  «  Prœponitur  k,  dit  Charisius,  quo- 
tiens  a  sequitur,  ut  kalendœ*.  »  Donat  n'est  pas  moins  expli- 
cite :  «  Quotiens  u  sequitur,  k  litteram  praeponendam  esse,  non 
c^.  »  Toutefois  cette  distinction  finit  par  être  plutôt  théorique 
qu'appliquée  dans  la  pratique,  et  cessa  bientôt  d'être  en  usage, 
comme  nous  le  voyons  par  le  témoignage  de  Serviuset  de  Cledo- 
nius.  «  K  vero  aliter  nos  utimur,  aliter  usi  sunt  majores  nostri; 
namque  illi,  quotiens  a  sequebatur,  k  praeponebant  in  omni 
parte  orationis,  ut  kaput  et  similia  ;  nos  vero  non  usurpamus  k 
litteram  nisiin  kalendarum  nomme  scribendo^.»  «  Apud  veteres 
hsec  erat  orthographia,  dit  le  second,  ut  quotiens  a  sequeretur, 
k  esset  prseposita,  ut  kaput,  kalendœ,  sed  usus  noster  mutavit 
praeceptum  et  ejus  vicem  c  implet''.  » 

quod  dicunt  c  literam  eârumdem  locum  posse  explere,  ut  puta  Carthago 
pro  Karthago.  »  Gr.  lat.  I,  50  K. 

1.  Gram.  vet.  P.  iïb2. 

2.  Voir  plus  haut,  p.  18  et  20. 

3.  Gr.  lat,  I,  14  K. 

4.  Id.  I,  8  K. 

5.  Id.  I,  368  K. 

6.  Id.  Commentarius  in  Donatum,  1,  422  K. 

7.  Id.  Ars  grammatica,  I,  28  K. 


—  25  — 

Ainsi  au  iv®  siècle  de  notre  ère  la  lettre  k  pouvait  être 
considérée  comme  hors  d'usage  ;  disparut-elle  complètement  de 
l'alphabet  lalin  ?  cela  n'est  point  probable,  car,  si  elle  a  étért^etée 
par  le  valaque,  l'italien,  l'espagnol  et  le  portugais,  le  provençal 
et  l'ancien  français  surtout  l'ont  conservée  en  particulier  pour 
représenter  la  gutturale  tenue  devant  e  ei  i\  mais  peut-être  aussi 
faut-il  voir  là  un  effet  de  l'influence  des  langues  germaniques  sur 
ces  idiomes,  ou  plutôt  l'emprunt  fait  à  ces  langues  par  les 
copistes  d'un  signe  commode,  qu'on  finit  d'ailleurs  par  négliger 
et  remplacer  par  q^. 

4°  G. 


Quand  vers  le  temps  des  Décemvirsle  c  servit  à  la  fois  à  repré- 
senter la  gutturale  sourde  et  la  sonore,  la  langue  latine  n'eut  plus 
de  signe  particulier  pour  exprimer  cette  dernière  ;  il  en  fut  ainsi 
pendant  un  siècle  et  demi.  Mais  cet  emploi  d'une  même  lettre 
comme  signe  de  deux  sons  différents  présentait  plus  d'un  incon- 
vénient, et  vers  l'épociue  où  les  Romains  entrèrent  en  relation 
avec  les  Grecs,  on  résolut  de  distinguer  de  nouveau  par  l'écriture 
les  deux  gutturales,  comme  on  les  distinguait  dans  la  prononcia- 
tion ;  et,  conservant  le  c  comme  signe  de  la  gutturale  tenue  ou 
sourde,  on  inventa  le  g,  modification  du  c,  pour  représenter  la 
gutturale  sonore^  La  nouvelle  lettre  paraît  pour  la  première  fois 
sur  le  sarcophage  de  L.  Corn.  Scipion  Barba  tus,  peu  après 
290  av.  J.-C,  dans  les  mots  gnaivod,  prognatus,  subigiP  ;  et 
dès  lors  elle  prit  place  dans  l'alphabet  latin,  où  elle  se  conserva 
jusqu'à  la  chute  de  l'empire,  pour  passer  de  là  dans  les  langues 
romanes. 

Mais  que  l'ancienne  gutturale  sonore  soit  devenue  pendant  un 
temps  le  signe  commun  de  la  sonore  et  de  la  muette,  c'est  la 
preuve  d'une  tendance  de  la  langue  à  affaiblir  cette  dernière  et 
de  la  facilité  avec  laquelle  les  deux  gutturales  pouvaient  êti*e 


1.  «  Item  que  vel  qui  consuevit  olim  scribi  cum  k  secundum  usum  ve- 
terem,  sed  secundum  modernos  commutatur  k  in  q,  exceptis  propriis 
nominibus  et  cognominibus.  »  Lond.  Docum.  Altd.  Blœlter,  II,  193.  Les 
copistes  picards  et  anglo-normands,  toutefois,  continuèrent  longtemps 
encore  à  se  servir  de  k.  V.  plus  loin  liv.  II,  chap.  3,  l'explication  de  cet 
emploi. 

2.  Cors.,  id.,  I.  77. 

3.  Ritschl,  Mon.  epigr.,  XXXVII.  —Cors.,  id.,  l.  10. 


—  26  — 


prises  l'une  pour  l'autre.  Dans  beaucoup  de  mots  latins  aussi  le 
g  n'est  pas  étymologique,  mais  provient  de  l'affaiblissement  de 
la  tenue  c  =  •/.  gr.  ou  du  moins  en  tient  lieu.  Ceci  devient  évi- 
dent quand  on  compare  les  mots  : 


gloria 

duo,  vXùu) 

gobius 

xw^t'oç 

grabatus 

xpi^atoç 

Gnossus 

Kvwaaoç 

gubernator 

xujSspvTp.irT); 

Saguntum 

ZixuvOo; 

triginta 

TptaxovTa 

vigesimus 

vicesimus 

quadringenti,  quingenti,  etc.,  centum  Ixatov. 

Ce  penchant  de  la  langue  s'était  manifesté  de  bonne  heure 
dans  la  formation  des  mots;  c'est  ce  que  montrent  clairement  les 
noms  de  nombre  ;  il  apparaît  d'une  manière  non  moins  évidente 
dans  les  composés,  ainsi  :  negotium  {nec-otium),  neglego 
(nec-lego),  singulus  [sin-cu-lus),  ningulus  pour  ninculus 
(Festus,  177)1. 

Cependant  cette  tendance  de  la  gutturale  sourde  à  se  changer 
en  sonore,  après  s'être  manifestée  ainsi  dans  les  premiers  temps 
de  la  langue,  s'arrête  et  reste,  en  quelque  sorte,  stationnaire 
pendant  plusieurs  siècles;  elle  devait  reparaître  dans  toute  sa 
force  à  l'époque  de  la  décadence  de  la  langue  littéraire  et  de  la 
prédominance  du  parler  vulgaire,  et  nous  en  verrons  l'action 
incessante  surtout  dans  la  formation  des  langues  du  double 
groupe  occidental. 

5°  C. 

Nous  avons  vu  que  c  représentait  originairement  la  gutturale 
sonore,  tandis  que  k  était  le  signe  de  la  sourde,  mais  que,  la 
différence  entre  les  deux  sons  s' étant  obscurcie,  k  devint  presque 
hors  d'usage,  et  c  désigna  à  la  fois  les  deux  gutturales.  Nous 
avons  vu  aussi  qu'à  l'époque  de  la  première  guerre  punique,  le 
besoin  s'étant  fait  sentir  de  distinguer  de  nouveau  les  deux  gut- 
turales, on  prit  c  pour  signe  de  la  sourde,  et  on  inventa  g  pour 
représenter  la  sonore,  rôle  que  conservèrent  désormais  ces  deux 
lettres  pendant  toute  la  durée  de  la  langue  latine,  abstraction 

1.  Cors.,  id.  I,  78,  79,  80. 


—  27  — 

taite  des  modifications  que  purent  recevoir  les  sons  qu'elles 
représentaient.  Mais  de  ce  que  la  lettre  c  représentait  d'abord  la 
sonore,  il  en  résulta  qu'on  conserva  encore  dans  de  vieilles  ins- 
criptions l'usage  de  cette  lettre  pour  la  figurer,  alors  que  ce 
son  avait  déjà  pour  signe  habituel  g^.  C  continua  même  toujours 
de  s'écrire  pour  g  dans  les  abréviations  ;  ainsi  C  et  Cn  pour 
Gaius  et  Gneus^;  Marins  Victorinus  mentionne  encore  les 
formes  archaïques  Cabino,  lece,  acna  ^.  Les  restaurateurs  de 
la  colonne  rostrale,  au  temps  de  Claude,  suivirent  encore  l'an- 
cienne orthographe  dans  les  mots  lecione,  ynacistratos ,  exfo- 
ciont,  pucnandod,  cartacinienses"^.  Toutefois,  ce  sont  là  des 
cas  isolés,  et,  pendant  cinq  à  six  siècles,  on  distingua  sans  peine 
le  rôle  du  c  et  du  g  dans  l'orthographe  latine.  Mais  quelle  fut, 
à  vrai  dire,  pendant  cette  période,  c'est-à-dire  depuis  l'invention 
de  la  sonore  g  jusqu'à  la  division  définitive  de  l'empire,  la  pro- 
nonciation du  c? 

Ce  son  était,  dans  tous  les  cas,  celui  de  la  gutturale  sourde  k 
que  c  avait  remplacé  et  qu'on  employait  quelquefois  encore 
concurremment  avec  lui,  c'est-à-dire  celui  de  la  gutturale  sourde, 
palatale  ou  vélaire,  suivant  que  la  voyelle  suivante  était  e  ou  i, 
ou  bien  encore  a,  o  ou  u.  Les  inscriptions  des  premiers  temps 
de  la  république  Keri,  Dekem{bres)  relevées  par  Mommsen  et 
Ritschl,  les  transcriptions  Aecetiai  pour  Aequitiae  et  Cinti 
pour  Quintius,  où  qu  ne  peut  représenter  que  le  son  de  la  guttu- 
rale sourde,  en  sont  une  preuve  directe.  Les  transcriptions, 
faites  plus  tard  en  caractères  grecs,  de  mots  latins  montrent 
aussi  indirectement  la  persistance  du  son  guttural  dans  tous  les 
cas.  Ainsi  : 

Kyjvcov,  KIXaoç,  Inscrip.  grœc,  ii,  3497,  3751. 

KsvTupia,  Bull.  delV  Inst.  Rom.,  1867,  p.  17. 

n(x£VT£ç  (Strab.-Polyb.,  m,  86). 

Ktpxaiou  (Strab.). 

K'.yipwv  (Plut.,  Cic.  vita). 

IlaTpaîouç  (Plut.,  Rom.  vita). 

De  même  les  Romains  rendaient  le  y.  grec  par  c.  Exemples  : 
Cecrops,  Ciliœ,  Cybele,  Cimon,  Cineas,  etc. 


1.  Cors.,  id.  I,  8. 

2.  Quint,  1,  7,  28.  —  Terent.  Maurus,  Gr.  vet.  2402  P. 

3.  Id.  2459  P. 

4.  Ritschl  Priscx  lai.  monum.  82,  83.  —  Corssen,  id.  1,  8. 


—  28  ~ 

Ainsi  il  n'y  a  pas  de  difficulté  pour  l'époque  de  la  République 
et  pour  les  premiers  temps  de  l'Empire;  en  fut-il  encore  de  même 
dans  les  siècles  suivants  ?  On  peut  déjà  conclure  du  silence  des 
grammairiens  des  quatre  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  que 
c  conservait  vraisemblablement  encore  à  cette  époque,  dans  tous 
les  cas,  sa  valeur  gutturale  ;  aucun  ne  pai'le  de  modifications 
déterminées  dans  le  son  du  c  par  la  nature  de  la  voyelle  sui- 
vante, et  cette  circonstance  aussi  que  la  plupart  d'entre  eux 
considéraient  les  gutturales  k  eX  q  comme  superflues,  attendu 
que  c  pouvait  en  tenir  lieu,  montre  bien  que  cette  dernière  lettre 
ne  pouvait  avoir  qu'un  son  guttural.  Ce  son,  d'ailleurs,  est  le 
seul  qu'ils  lui  attribuent  dans  tous  les  cas.  Cette  manière  de  voir 
est  d'ailleurs  pleinement  confirmée  par  la  substitution  de  g  à  c 
dans  les  mots  hujusque  pour  hujusce,  Paquius  pour  pacius, 
Proquilia  pour  Procilia  \  laquelle  ne  saurait  s'expliquer  que 
par  la  valeur  identique  de  c  et  de  q,  et  qu'autant  dès  lors  que  c 
avait  encore  conservé  un  son  guttural  devant  e  et  i.  On  trouve 
même  cette  substitution  dans  une  charte  de  Ravenne  de  650,  dans 
le  mot  quaimenio  pour  caemento  ^,  ce  qui  reporterait  beaucoup 
plus  loin  encore  la  persistance  de  la  valeur  gutturale  de  c. 

Une  autre  preuve  est  fournie  par  les  inscriptions  du  temps.  On 
a  trouvé  dans  les  catacombes  de  Rome  les  transcriptions  en 
caractères  grecs  suivantes  : 

Tcaxe  (pace),  Roma  subt.,  A  ring.,  ii,  p.  121. 

7C£px,£T:T0(;  (perceptus),  id.,  id. 

et  les  archives  de  Ravenne  du  vi®  et  du  vif  siècle  offrent  de 
nombreux  exemples  du  même  genre  ;  ainsi  : 

Sexet  (decem),  Mar.  Pap.  dipL,  cxiv,  96  (vi«  siècle 

SwvaTpixt  (donatrici), 

Fevexeiavi  (Geniciani), 

xi6tTaT£  (civitate), 

xpouxe;  (cruces), 

çae-c  (fecit), 

çsixaepoufA  (fecerunt), 

izctv.eiifiY.oç  (pacificus), 

Pou(5Tiy,£tava  (Rusticiana) , 


1.  Corssen,  id.  1,  47. 

2.  Maffei,  cité  par  Diez  Gr.  l,  250. 


id.. 

xciii,  86  ( 

id. 

id., 

cxxir,  78  ( 

id. 

id., 

xcn,    18  ( 

id. 

id., 

xciii,  87  ( 

id. 

id., 

id.       ( 

id. 

id., 

cxxn,  81  ( 

id. 

id.. 

id.     78  ( 

id. 

id., 

id.     79  ( 

id. 

-  29  — 

TïevîsTpixai  (venditrice) ,  id., 

^ixeBwixevov  (vicedomium),      id., 
ouvxeiapiou[A  (unciarium),        id., 


id.    id.  ( 

id. 

xcm,    90  ( 

id. 

cxxn,  78  ( 

id. 

)'• 


Jamais,  par  contre,  le  c  n'est  rendu  par  î^,  tî;,  a  ou  ccr,  devant  e 
ou  i,  comme  cela  eut  lieu  plus  tard  ;  donc,  à  l'époque  lombarde, 
c  avait  encore,  devant  e  ou  i,  le  son  guttural  en  Italie,  ou  du 
moins  ce  son  n'avait  point  encore  été  universellement  remplacé 
par  le  son  c  ou  ts  qui  finit,  comme  nous  le  verrons,  par  s'y 
substituer.  Cette  conclusion  trouve  un  nouvel  appui  dans  cette 
circonstance  que  le  sarde  logoudorien  a  jusqu'à  aujourd'hui 
conservé,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  à  la  gutturale  palatale 
aussi  bien  qu'à  la  vélaire,  sa  valeur  originelle  ;  ce  qui  semble  bien 
indiquer  qu'au  moment  de  la  séparation  politique  de  la  Sardaigne 
et  de  l'Italie,  le  c  avait  encore,  devant  toutes  les  voyelles,  sa 
prononciation  gutturale,  et  que,  par  suite,  on  disait  alors  dans 
la  péninsule,  comme  aujourd'hui  encore  dans  le  terrritoire  de 
Logudoro,  kera,  fekit,  ce  qui  est  l'orthographe  même  des 
archives  de  Ravenne. 

Une  troisième  preuve,  enfin,  de  la  persistance  du  son  guttural 
du  c  à  cette  époque  nous  est  donnée  par  les  emprunts  faits  alors 
par  les  langues  étrangères  au  latin.  Les  rapports  fréquents  des 
Germains  avec  l'empire  déterminèrent  l'introduction  dans  l'an- 
cien allemand  de  mots  latins  qui  durent  y  être  représentés  par 
des  sons  équivalents  ;  or,  on  trouve  dans  le  gothique  les  mots 
akeit  (acefum),  faskja  {fascia),  karkara  {carcery,  nouvel 
haut  allemand  kerker,  et  dans  la  langue  actuelle  les  mots 
kaiser  {Caesa?-),  keller  (cellarium),  key^hel  [cerefolium), 
kicher  (cicer),  kirsche  {cerasus),  kiste  (cista),  dont  l'intro- 
duction remonte  à  une  époque  très-reculée  ^.  Or,  ces  mots  mon- 
trent que  le  c  latin  suivi  de  e  ou  de  i  devait,  au  moment  de  leur 
admission  dans  l'ancien  allemand,  se  prononcer  k  ;  hypothèse 
confirmée  par  cette  circonstance  que  dans  les  mots  d'adoption 
plus  récente  le  c  latin,  au  contraire,  est  représenté  par  z  ;  par 
exemple  ^e//er  (cella),  zepter  {sceptrum).  Les  emprunts  faits 
par  l'anglo-saxon  au  latin,  à  la  tin  du  vi^  siècle  de  notre  ère, 
nous  amènent  à  la  même  conclusion  ;  les  missionnaires  romains 
de  la  Grande-Bretagne  ont  rendu,  en  efiet,  purement  et  simple- 


1.  Cf.  Gorssen.  id.  1,  48  et  49.  —  Diez  id.  1,  205. 
2.-  Ulfllas,  Bibelubers.  Me.  15,  36.  —  Joh.  11,  44. 
3.  Diez,  Gr.  I,  250.  —  Cors.,  id.  I,  45  et  60. 


Mt.  h,  25,  etc. 


—  30  — 

ment  la  gutturale  sourde  de  l'anglo-saxon  par  un  c  latin  ;  ainsi  : 
cène  {audax),  cild  {in fans),  cyning  {reœ)^\  donc  ils  recon- 
naissaient à  celui-ci  la  même  valeur  qu'à  la  première,  c'est-à- 
dire  le  son  de  k. 

Il  ressort  de  ce  qui  précède  qu'au  v®  siècle  et  probablement 
même  au  vi®  siècle  de  notre  ère,  le  c  palatal  avait  encore,  comme 
le  c  vélaire,  un  son  guttural,  ou  que  du  moins  c'était  encore  à 
cette  époque  la  prononciation  généralement  usitée  ^. 


6"  CH. 


L'alphabet  latin  ne  renfermait  pas  de  signe  correspondant 
au  X  pas  plus  qu'au  ç  et  au  8  ;  quand  l'introduction  de  mots  grecs 
dans  la  langue  rendit  nécessaire  d'exprimer  ces  sons,  on  les 
représenta  par  la  muette  correspondante  suivie  de  fi,  c'est-à-dire 
par  ch,  ph,  th.  Ces  signes,  cependant,  ne  furent  pas  usités  uni- 
quement dans  les  mots  grecs,  on  s'en  servit  aussi  dans  certains 
mots  d'origine  latine,  et  il  semble  que  l'aspiration  des  consonnes 
inconnue  jusque-là  dans  la  langue  s'y  acclimata  et  s'y  développa, 
et  que  l'usage  en  devint  fréquent  vers  la  fin  du  vii^  siècle  de 
Rome  ;  c'est  ce  qu'il  faut  conclure  du  passage  suivant  de  Cicé- 
ron  :  «  Quin  ego  ipse,  cum  scirem  ita  majores  locutos  esse,  ut 
nusquam,  nisi  in  vocali,  aspiratione  uterentur,  loquebar  sic  ut 
pulcros,  Cetegos,  triumpos.  Kart  a  ginem  dicerem  :  aliquando, 
idque  sero,  convitio  aurium  cum  extorta  mihi  veritas  esset,  usum 
loquendi  populo  concessi,  scientiam  mihi  reservari.  Orcivios 
tamem  et  Matones,  Otones,  Caepiones,  sepulcra,  coronas, 
lacrimas  dicimus,  quiaper  aurium  judicium  licet  ^.  »  Mais  non- 
seulement  l'aspiration,  en  particulier  après  c,  fut  dès  lors  d'un 


1.  Diez,  id.,  I,  250. 

2.  Quelques  inscriptions  pourraient  même  faire  reculer  cette  date, 
que  j'ai  choisie  comme  minimum.  Il  en  est  de  même  du  témoignage 
d'Isidore  de  Séville.  Chose  remarquable,  en  effet,  tandis  que  le  gram- 
mairien espagnol  mentionne  lassibilation  de  ti  suivi  d'une  voyelle,  il 
ne  semble  reconnaître  au  c  qu'un  son  guttural,  et  ne  parle  point  du 
moins  d'un  autre  son  propre  à  cette  lettre  :  «  k,  dit-il,  supervacuo 
dicitur,  quia,  exceptis  kalendis,  supervacua  indicatur  ;  per  c  enim 
universa  exprimimus.  »  Oîig.  lib.  1,  Corp.  Gram.  lai.  vet.  III,  19.  —  Edit. 
Fr.  Lind. 

3.  Orator,  18,  g  162. 


M   — 

isage  ordinaire  dans  un  certain  nombre  de  mots,  Quintilieu 
"nous  apprend  qu'après  l'avoir  si  longtemps  ignorée,  on  finit  par 
en  abuser:  «  Diu  servatum,  dit-il',  ne  consonantibus  aspirèrent, 
ut  in  Graecis  et  in  trium.pis  ;  erupit  brevi  tempore  nimius  usus 
ut  choronae,  chenturiones ,  praechones  adhuc  quibusdam  in- 
scriptionibus  maneant.  »  L'épigramme  de  Catulle  que  j'ai 
citée  plus  haut  est  un  autre  exemple  de  l'étrange  abus  qu'on  fit  à 
une  époque  de  l'aspiration  ;  toutefois,  une  réaction  en  sens  con- 
traire ne  tarda  pas  à  se  produire  ;  Aulu-Gelle,  nous  avons  vu, 
traitait  de  «  rustique  »  l'emploi  fautif  qu'on  en  faisait  ;  avant  lui 
déjà,  Probus  ne  la  regardait  comme  légitime  que  dans  trois  mots 
d'origine  latine  :  «  hoc  tamen  scire  debemus,  quod  omnia 
nomina  post  c  litteram  habentia  h  peregrina  sunt  :  chorus, 
Anchemolus,  charta,  Charon,  Chrysus,  Chalybes,  exceptis 
tvïbus,  qusBlsiiinsi  srnit  lurcho,  pulcher,  Orchus  ;  sic  enim  in 
antiquioribus  reperies,  non  Orcus  ^.  »  Trois  siècles  plus  tard,  le 
commentateur  de  Virgile,  Servius,  tenait  le  même  langage,  bien 
qu'il  différât  sur  les  mots  dans  lesquels  il  admettait  l'aspiration  : 
«  Tria  tantum  (majores)  habebant  nomina,  in  quibus  c  litteram 
sequeretur  aspiratio  :  sepulchrum,  Orchus,  pulcher,  e  quibus 
pulcher  tantum  hodiè  recipit  aspirationem^.»  Ainsi,  au  v*  siècle, 
excepté  peut-être  dans  pulcher,  l'aspiration  du  c  avait  fini, 
après  bien  des  hésitations,  par  être  regardée  comme  fautive  ; 
avait-elle  complètement  disparu  ;  ne  subsistait-elle  point  encore 
çà  et  là  dans  le  langage  populaire  ?  Il  est  difficile  de  le  dire,  bien 
que  cela  soit  assez  peu  probable;  mais  en  tout  cas  l'aspiration  après 
une  consonne  est  inconnue  des  langues  romanes  qui  n'ont  que  des 
spirantes  et  point  d'aspirées  véritables.  Quoi  qu'il  en  soit,  au 
reste,  de  la  condamnation  par  les  grammairiens  de  l'aspiration, 
ils  furent  impuissants  à  proscrire  l'usage  du  ch  dans  l'ortho- 
graphe latine  ;  employé  d'abord  pour  représenter  le  y  dans  les 
mots  tirés  du  grec,  il  finit,  après  l'affaiblissement  ou  la  dispari- 
tion de  l'aspiration,  par  être  mis  un  peu  au  hasard,  comme  nous 
le  montrent  les  inscriptions,  à  la  place  du  c  ;  plus  tard,  quand  le 
c  palatal  latin  se  modifia,  tandis  que  le  ch  =  x  gardait  sa  valeur 
primordiale,  moins  l'aspiration,  on  eut  recours  à  ce  signe  pour 
représenter  la  gutturale  palatale;  c'est  ce  qu'ont  fait  en  particulier 


1.  Inst.  orator.  I,  5  g  19-20. 
1.  Gram.  lat.  l,  10  k. 
3.  In  Georg.,  III,  224. 


—  32  — 

l'italien  et  le  valaque,  circonstance  qui  témoigne  de  l'antiquité  et 
montre  bien  l'origine  de  cet  emploi  du  ch  * . 


1.  Schuchardt  a  distingué  trois  époques  dans  l'emploi  du  ch  :  celle 
où  il  fut  employé  arbitrairement  à  la  place  de  toute  espèce  de  c;  une 
seconde  où  on  s'en  serait  servi  pour  représenter  la  gutturale  vélaire, 
après  l'assimilation  du  c  palatal;  enfin  une  troisième  —  celle-ci  est 
exclusivement  romane  —  où  on  ne  l'aurait  employé  que  devant  e  et  », 
pour  représenter  la  gutturale  palatale.  Mais  il  cite  lui-même  des 
exemples,  comme  chingxit  (a.  676),  vachis  (a.  712),  où  ch  se  trouve  à  la 
place  du  c  qu'il  suppose  depuis  longtemps  assibilé,  et  on  trouve  à  cette 
même  époque  ch  employé  devant  o,  par  ex.  dans  monacos  (Arch. 
mérov.);  cette  classification  paraît  donc  peu  sûre,  du  moins  pour  les 
deux  premières  époques  ;  quant  à  la  troisième,  il  aurait  fallu  montrer 
l'origine  de  cet  emploi  particulier  du  ch,  la  seule  chose  qui  impor- 
tait, et  c'est  ce  que  M.  Schuchardt  n'a  point  fait.  Cf.  Vocal,  des  Vulgati. 
l,  73. 


DU    C    ROMAN. 


Nous  avons  vu  qu'au  v^  siècle  de  notre  ère,  le  c  vélaire  et  le  c  pa- 
latal latin  avaient  conservé  leur  valeur  gutturale  originelle;  mais 
cet  état  de  choses  ne  tarda  pas  à  changer,  et  bientôt  commença, 
différente  pour  chacun  d'eux,  —  du  moins  dans  presque  tous  les 
.cas,  —  une  lente  transformation  qui  se  continua  pendant  des 
siècles.  Le  bouleversement  politique  et  social,  dont  la  destruc- 
tion de  l'empire  fut  l'occasion  et  la  cause,  eut  son  contre-coup 
dans  le  langage;  le  système  phonétique  du  latin  fut  ébranlé  et  de 
nombreux  changements  s'j  produisirent,  d'autant  plus  grands 
que  les  idiomes  où  ils  se  firent  avaient  moins  bien  gardé  les 
traditions  de  la  langue  mère.  C'est  ainsi,  pour  ne  parler  ici  que 
du  c,  que  par  une  série  de  modifications  insensibles,  cette  lettre, 
qui  avait  jusque-là  conservé  fidèlement  son  caractère  guttural 
primitif,  se  transforma,  dans  son  passage  du  latin  au  roman, 
en  presque  toutes  les  explosives  et  les  spirantes  que  nous  offrent 
les  langues  indo-européennes. 

Les  deux  c  ont  eu  au  reste,  dans  cette  espèce  de  reconstruction 
de  l'alphabet,  à  l'aide  de  la  gutturale,  en  général,  un  rôle  diffé- 
rent ;  le  premier,  le  c  vélaire,  a  donné  naissance  aux  sons  de 
même  ordre  que  lui,  c'est-à-dire  à  la  sonore  g,  aux  spirantes 
vélaires  et  palatales  ;  il  a  été  aussi  parfois  remplacé  parles  explo- 
sives et  par  les  spirantes  labiales,  par  t,  par  h  et  par  les  voyelles 
i  —  modification  de  la  spirante  palatale  y  —  et  m  —  affaiblisse- 
ment de  la  spirante  labiale  v.  —  Enfin,  nous  le  verrons  encore 

3 


—  34   — 

se  transformer  plus  ou  moins  complètement  en  la  série  c,  g,  ts, 
dz,  s,  z,  s  (çj,  6  et  S.  Ce  sont  les  sons  de  cette  série  qui  ont  ordi- 
nairement remplacé  le  c  palatal,  et  ce  n'est  qu'exceptionnellement 
qu'il  a  fait  place  aux  spirantes  gutturales,  encore  plus  excep- 
tionnellement aux  labiales. 

Tels  sont  les  changements  multiples  qu'a  subis  le  double  c  dans 
son  passage  du  latin  au  roman.  Ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que 
ces  changements  se  soient  également  produits  dans  tous  les 
idiomes  néo-latins,  et  nous  verrons  que  chacun  des  trois  groupes 
dans  lesquels  on  peut  les  diviser  ^  a  le  plus  souvent  modifié  le  c 
d'une  manière  qui  lui  est  propre  ;  c'est  ainsi,  par  exemple,  qu'on 
chercherait  en  vain  dans  les  langues  du  groupe  oriental  le  chan- 
gement du  c  vélaire  en  la  série  c,  g,  ts,  s,  G,  qu'on  trouve  dans 
celles  du  Nord-Ouest,  que  0  ou  s  représentent  aujourd'hui,  dans 
les  langues  du  Sud-Ouest,  le  c  palatal  latin,  auquel  s'est,  au 
contraire,  substitué  en  général  c  dans  celui  de  l'Est.  Néanmoins, 
quand  on  embrasse  dans  son  ensemble  l'histoire  des  diverses 
langues  romanes  et  qu'on  les  étudie  dans  chacun  de  leurs  dia- 
lectes, on  s'aperçoit  qu'il  est  peu  de  modifications  du  c  que  l'une 
quelconque  d'entre  elles  n'ait  possédée  à  un  moment  donné  de  son 
développement  phonétique  ou  en  un  point  de  son  territoire  ; 
ainsi,  tandis  que  l'italien  classique  ne  reconnaît  que  la  trans- 
formation c  et  exceptionnellement  ^  du  c  palatal,  on  trouve  dans 
les  divers  dialectes  de  la  péninsule  les  formes  s,  z,  p  et  5  qu'il 
a  perdues  ou  ignorées.  Il  ne  suffira  donc  point  pour  faire  l'his- 
toire complète  du  c  roman  de  l'étudier  dans  les  six  principales 
langues  néo-latines  ;  mais  —  et  c'est  même  là  une  condition 
indispensable,  le  plus  souvent,  pour  renouer  la  série  interrompue 
de  ses  transformations  —  il  faudra  encore  en  suivre  les  modifi- 
cations successives  dans  les  différents  dialectes  entre  lesquels  se 
partage  chacun  des  idiomes  romans. 

Quant  à  la  marche  que  je  me  propose  de  suivre  dans  ce  travail, 
elle  est  indiquée  par  la  nature  même  du  sujet  que  j'ai  à  traiter  ; 


I.  Je  rappelle,  une  fois  pour  toutes,  que  ces  groupes  sont  le  groupe 
oriental  qui  comprend  le  valaque  ou  roumain  et  l'italien,  le  groupe  du 
Sud-Ouest  qui  renferme  l'espagnol  et  le  portugais,  enfin  le  groupe  du 
Nord-Ouest  où  l'on  trouve  le  provençal  et  le  français.  Les  dialectes 
ladins  du  Nord  de  l'Italie  et  du  Tyrol  avec  le  roumanche,  parlé  dans  le 
canton  des  Grisons,  forment  un  quatrième  groupe,  le  groupe  central, 
dont  M.  G.-J.  Ascoli  vient  de  faire  l'histoire  dans  le  premier  volume 
(Saggi  ladini)  de  ÏArcMvio  glottologico ,  recueil  consacré  à  l'étude  des 
divers  idiomes  modernes  de  l'Italie. 


—  35  — 

de  même,  en  effet,  que  le  c  se  dédouble  en  quelque  sorte  en  c 
vêla  ire  et  en  c  palatal,  de  même  ce  travail  se  divisera  d'abord  en 
deux  parties  :  l'étude  des  transformations  générales  du  c  vélaire 
latin,  celle  des  modifications  du  c  palatal  ;  ce  sera  l'objet  du 
premier  et  du  second  livre.  Dans  un  troisième,  j'étudierai  la 
transformation,  propre  aux  idiomes  du  Nord-Ouest  et  à  quelques 
dialectes  ladins,  du  c  vélaire  en  la  série  c,  s,  g,  ts,  dz,  6  (S),  s, 
et  je  rechercherai  ensuite  ce  que  les  deux  gutturales  sont 
devenues  en  particulier  dans  le  picard  et  le  normand  qui 
présentent  des  difficultés  non  encore  toutes  résolues.  Enfin,  dans 
un  quatrième  et  dernier  livre,  je  passerai  en  revue  les  divers 
changements  du  c,  soit  vélaire,  soit  palatal,  dans  les  différents 
groupes  de  consonnes  où  il  peut  entrer.  Mais  avant  d'en  com- 
mencer l'étude,  je  place  ici  le  tableau  synoptique  des  trans- 
formations du  c  ;  on  en  saisira  mieux  l'ensemble  et  la  diversité. 


en   O        a,   o 


a-i» 


^  en 


Gutturales 


Composées  . 


vélaires. 


( 


Dentales. 


t 


9 


palatales.    (   c,     g^ 
f  is    dz 


Labiales \   p    {b) 


sfç)  z 

V  K 

S  z 

0  0 


r 


{V) 

{w)     (m)     u 


LIYRE   PREMIER. 


TRANSFORMATIONS  DU  C  VELAIRE 


Tandis  que  le  c  palatal  n'a  persisté  —  le  sarde  logoudorien 
excepté  —  dans  aucune  langue  romane,  le  c  vélaire  est,  au 
moins  dans  certains  cas,  resté  dans  toutes;  mais  non  moins 
souvent  et,  dans  certains  idiomes,  plus  souvent  encore,  il  s'est 
modifié  ou  complètement  transformé.  Sa  conservation  et  les 
transformations  qu'il  a  subies  ont  d'ailleurs  dépendu  d'une  double 
circonstance  :  de  la  place  qu'il  occupait  dans  le  mot  latin  où 
il  se  trouvait,  de  l'idiome  qui  a  emprunté  ce  mot  à  la  langue 
mère.  Tandis,  en  effet ,  qu'il  persiste  dans  le  plus  grand  nombre 
de  cas  au  commencement  des  mots,  dans  tous  les  idiomes 
romans  ;  au  milieu,  s'il  persiste  encore  souvent  dans  le  groupe 
oriental,  dans  le  groupe  du  Sud-Ouest  il  se  change  toujours 
en  sonore,  et  dans  le  groupe  du  Nord-Ouest,  en  même  temps 
qu'il  éprouve  la  même  modification,  il  s'atténue  le  plus  souvent 
en  i  ou  même  disparaît  complètement.  On  voit  par  là  à  quel 
point  la  place  de  la  gutturale  et  l'idiome  auquel  appartient  le 
mot  qui  la  renferme  peuvent  influer  sur  sa  transformation  ou 
sa  conservation  définitive.  Aussi  dans  l'étude  des  modifications 
du  c  vélaire,  comme  d'ailleurs  dans  celles  du  c  palatal,  je  le 
considérerai  successivement  au  commencement,  au  milieu  et  à  la 
fin  des  mots,  en  même  temps  que  je  suivrai  son  histoire  dans 
chacune  des  langues  romanes  où  il  apparaît.  Comme  le  c  vélaire 
persiste  parfois,  il  y  aura  d'abord  lieu  d'examiner  les  cas  où 
cette  persistance  a  lieu  ;  ensuite,  je  passerai  successivement  en 
revue  ses  diverses  transformations,  d'abord  son  changement  en 
g,  puis  son  afiaiblissement  en  i,  sa  suppression  complète,  enfin 
son  remplacement  par  ^  et  5^ 


1.  11  ne  s'agit  ici,  comme  je  l'ai  dit,  que  des  modifications  générales 
du  c.  vélaire  ;  sa  transformation  en  la  série  c,  g,  tz,  dz,  s,  d,  8,  devant 
faire  l'objet  du  livre  troisième. 

1.  Je  n'examinerai  le  remplacement  du  c  vélaire  par  les  labiales  p,  b. 


—  38  — 


CHAPITRE  1« 


PERSISTANCE   DU   C   VÉLAIRE.    —   SON   CHANGEMENT   EN   G 
ET   EN   LA   SPIRANTE   X. 

Nous  avons  vu  *  qu'à  l'époque  de  la  constitution  définitive  de 
la  langue  latine  la  gutturale  sourde  primitive  avait  été  souvent 
remplacée  par  la  sonore  correspondante  ;  ce  changement,  qui 
avait  frappé  les  grammairiens  romains,  et  fait  époque  dans 
l'histoire  des  gutturales  latines,  apparaît  de  bonne  heure  devant 
les  voyelles  et  les  liquides,  ainsi  qu'avant  et  après  n  ;  c'est  ce 
que  montrent  les  exemples  suivants  : 

Devant  a  :    gaunaceam  a  côté  de  caunaceam 

Ter.  Scaur.  Gr.  v.  P.  2252. 

promulgare  promulcuTn  Fest .  p .  224 . 

Devant  o  :    negotium  nec-otium. 

Devant  u  :     gurgulio  Prise.  V,  9, 11  curculio  Plante. 
Devant  /  et  r  ;  neg-lego  nec-lego . 

con-gruere  rac.  cru-, 

ATanlel  après  n  :  Gnidius  Grut.  Cnidus  Prise.  I,  61,  14. 

singulus  sin-cu-lus  ^ . 

Cette  transformation  une  fois  faite,  le  c  et  le  p^  conservèrent, 
pendant  la  période  classique,  chacun  leur  domaine  propre  ;  mais 
dans  les  derniers  temps  de  l'empire  il  y  eut  de  nouveau  tendance 
à  substituer  la  gutturale  sonore  à  la  sourde  ^  ;  «  calathus  non 
galatus,  »  lit-on  dans  l'Appendix  Probi^,  et  un  glossaire  du  temps 
avertit  d'écrire  «  Corax  per  c,  non  per  g,  »  «  clangor^er  c  nonper 
g*.  »  Mais  les  efforts  des  grammairiens  ne  purent  ni  empêcher  ni 
même  retarder  cette  transformation  devenue  inévitable.  Cepen- 
dant l'affaiblissement  de  la  gutturale  ne  dut  pas  encore  bien  se 
faire  sentir  avant  le  partage  de  l'empire,  puisque  le  o  a  persisté 
presque  toujours  en  roumain;  mais  après  ce  grand  événement  il 


f,  V,  w,  u,  ainsi  que  par  h  et  u  qu'à  la  fin  du  second  livre,  en  même 
temps  que  la  substitution  de  ces  lettres  au  c  palatal. 

1.  Voir  plus  haut,  p.  25. 

2.  Gorssen,  id.  I,  77  et  78. 

3.  Gr.  laL,  I,  198  K. 

4.  Apud.  Mai.  Cl.  auct.  Vi,  578. 


—  39  — 

n'agit,  du  moins  en  Occident,  qu'avec  plus  d'énergie;  les  inscrip- 
tions et  les  chartes  du  vf  et  surtout  du  vn®  siècle  montrent  sur 
tous  les  points  de  l'empire  le  g  se  substituant  au  c;  dans  la 
langue  populaire,  cette  substitution  s'}'  fit  d'ailleurs  à  peu  près 
dans  les  mêmes  cas,  et  obéit  aux  mêmes  lois  que  six  siècles  aupa- 
ravant dans  la  langue  littéraire.  Ainsi  on  la  voit  se  produire  : 

1°  Tantôt  au  commencement  des  mots  : 
a.  devant  les  voyelles  ;  exemples  :  galatus,  gorax,  cités  plus 

haut. 
a.  devant  les  liquides  ;  ainsi  : 

grasswn  Arc,  I,  Grom.  214,  5. 

Grassimius       Bull.  arch.  Neap.  VII,  168,  27  (Nersse). 

Grisanti  Mar.  Pap.  dipl.  GXLIII,  a  (v.600ap.  J.-C). 

2°  Plus  souvent  au  milieu  des  mots, 
^.  entre  les  voyelles  : 

Dragontianus  Inscr.  nap.  172  (Salerne). 

segundœ  Mur.  2076,  10  (Laibach). 

segundo  Pard.  CCCXCIV,  22  (680  ap.  J.-C). 

logationis         Flor.  Dig.  XXIV,  III,  7. 

matrigolarius  Mar.  Pap. dipl.  LXV,5,11  (v.  657 ap.  J.-C). 

vigarius  id.        id. 

vindegare  id.        id.       CXXIX,  18  (691  ap.  J.-C). 

vogatur  Pard.  CCCCXLI,  4  (697  ap.  J.-C). 

P  devant  les  liquides  : 

sagramenta     Mar.  P«2^.c?z^9^.XCV,35(Rav.639ap.  J.-C). 

sagrata  Pard.  CGCGXXIX,  8  (692  ap.  J.-C). 

aeglesie  Mar.  Pap.  dipl.  CX,  33  (Ravenne). 

eglesie  Nouv. traité  de  dipl. \\,Q^0{Q2Q3.^.i.-C.),eW. 

Ainsi  au  vif  siècle  de  notre  ère,  g  tendait  à  se  substituer  au  c 
vélaire  dans  le  latin  populaire,  et  les  vieux  manuscrits  nous 
montrent  même,  par  de  nombreux  exemples,  les  copistes  portant 
cette  nouvelle  orthographe  dans  les  textes  anciens.  Si  nous  en 
exceptons  le  roumain,  resté  presque  étranger,  comme  je  l'ai  dit, 
à  ce  changement,  cet  affaiblissement  de  la  gutturale  ne  fit  que  se 
développer  pendant  la  période  de  formation  des  langues  romanes  ; 
ce  n'était,  d'ailleurs,  qu'un  cas  particuher  de  la  tendance  géné- 
rale, qui  se  manifesta  alors,  bien  qu'inégalement  sur  les  différents 
points  du  domaine  roman  et  dans  les  différentes  parties  du  mot, 
de  substituer  la  sonore  à  la  sourde.  Il  v  a  lieu,  en  effet,  comme 


1.  Cf.  Schuchardt.  Voc.  des  Vulgarl.,  I,  126. 


—  40  — 

je  l'ai  remarqué,  de  distinguer  non-seulement  entre  les  différents 
idiomes  néo-latins,  mais  aussi  suivant  la  j)lace  occupée  par  le  c 
dans  le  mot  latin.  Tandis  que  l'affaiblissement  du  c  vélaire  en  g 
se  poursuivait,  en  effet,  au  milieu  des  mots,  il  s'arrêta,  par 
contre,  au  commencement  ;  aussi  —  pour  ne  pas  parler  ici  de 
son  changement  en  chuintante  dans  quelques  idiomes  —  le  ^  y 
a-t-il  persisté  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  ;  pourtant 
si  l'on  excepte  le  roumain  ^  où  il  persiste  toujours,  il  s'est  affaibli 
en  g  dans  les  mots  suivants  et  leurs  dérivés  : 

LAT.  ITAL.  ESP.  PORT.  PROV.  FRANC. 

cammarum  gambero   gdmbaro       —  —  — 

camellam           —        gamella  gamella  —  gmnelle 

castigare  gastigœre  gastigar       —  —  — 

cattum  gatto         gato  gato  gat  — 

I   caveam  gabhia      gavia            —  gabia  — 

(   caveolam           —        gûyola  gaiola  —  — 

cavillare  gavillare       —             —  —  — 

conflare  gonfiare         —             —  —  gonfler 

crassum  grasso       graso            —  gras  gras 

craticulam  graticola       —  grelha{s)       —  grille 

cribellum  crivello     garbillo        —  —  — 

cretam               —              —             —  greda  — 

quiritare  gridare     gritar  gritar  —  — 

crocum              —              —             —  gruec  — 

cubitum  gômito           —              —  —  — 

Le  français  offrirait  encore  un  certain  nombre  de  mots  comme 
gale  (caUum),  glaire  (claream),  glas  (classicum),  gourde  (cu- 
curbitum),  gobelet  (*  cupelletum),  etc.,  qu'il  n'a  pas  empruntés 
aux  mêmes  racines  que  les  autres  langues  romanes  ;  il  a  aussi 
souvent,  ainsi  que  certains  dialectes  provençaux  et  ladins,  changé 
la  gutturale  vélaire  en  ch,  par  exemple  dans  chair,  chat, 
chose,  etc.  Je  reviendrai  plus  loin  sur  cette  transformation,  une 
des  plus  curieuses  du  c  latin  dans  les  langues  romanes  ;  mais  si 
on  la  laisse  de  côté,  on  voit  par  ce  qui  précède  que  le  c  vélaire 
initial  a  persisté  le  plus  souvent  en  passant  du  latin  dans  ces 
idiomes  ^  ;  il  ne  s'est,  en  effet,  changé  en  sonore  que  cinq  fois 


1.  On  trouve  cependant  dans  cette  langue  pras  (crassum),  comme  dans 
tous  les  autres  idiomes  romans,  ce  qui  semble  indiquer  que  le  c  de 
ce  mot  s'était  déjà  changé  en  g  dans  le  latin  vulgaire. 

2.  Je  ne  parle  point  naturellement  ici  des  mots  comme  galoscia,  golfo, 
grotta,  etc.,  dont  l'origine  est  grecque. 


devant  a,  deux  fois  devant  o  (w),  six  fois  devant  r,  et  encore  non 
pas  dans  tous  ;  partout  ailleurs,  pour  ne  pas  parler  des  quelques 
mots  propres  au  français  cités  plus  haut,  il  est  resté  sans  modi- 
fication ^  En  cela,  le  c  vélaire  initial  s'est  comporté  comme  les 
deux  autres  sourdes  t  et  p,  dont  la  première  a  persisté  dans  tous 
les  cas  et  dont  la  seconde  ne  s'est  affaiblie  en  &  ou  -y  que  dans 
un  petit  nombre  de  mots.  Tout  autre  est  la  manière  dont  a  été 
traité  le  c  médial. 

Tandis  qu'au  commencement  des  mots  les  sourdes  ont 
généralement  persisté^,  au  milieu  elles  se  sont,  au  contraire,  le 
plus  souvent  modifiées,  mais  non  toutefois  de  la  même  manière 
dans  les  différentes  langues  romanes  ;  ainsi,  dans  le  groupe 
oriental,  t,  resté  raédial,  a  persisté  toujours  en  roumain,  le  plus 
souvent  en  italien,  mais  dans  le  groupe  du  Sud-Ouest,  il  s'est 
régulièrement  transformé  en  d  ;  dans  le  groupe  du  Nord-Ouest 
il  s'est  aussi,  en  provençal  du  moins,  changé  ordinairement  en 
sonore,  tout  en  persistant  aussi  dans  quelques  mots,  ou  même 
quoique  rarement,  il  est  vrai,  en  tombant  ;  en  français,  au 
contraire,  c'est  cette  dernière  transformation  qui  est  de  règle  ; 
t,  après  s'être  changé  d'abord  en  d,  a  fini  par  être  rejeté  complè- 
tement. Le  p  médial  a  subi  des  modifications  analogues  à  celles 
de  t  ;  persistant  le  plus  souvent  dans  les  idiomes  de  l'Est,  tout  en 
se  changeant  aussi  parfois,  du  moins  en  italien,  en  b  ou  v,  il  se 
transforme  en  sonore  dans  les  langues  du  Sud-Ouest  ;  il  en  est  de 
même  en  provençal,  mais  en  français  il  s'est,  évidemment  après 
s'être  changé  en  b,  transformé  définitivement  en  la  spirante  v. 
Le  c  vélaire  médial  offre  réunies  toutes  les  modifications  des  deux 
autres  muettes  t  etp  :  persistance,  transformation  en  sonore,  affai- 
blissement en  spirante,  chute.  Ainsi  au  miheu  des  mots,  le  c  vé- 
laire persiste  toujours  en  roumain,  excepté  dans  agris  (acris),  7ne- 
gris  (*  macriceus  rumex),  megure  (macula,  pris  dans  le  sens  de 
colline),  sgaibe  (*scabia),  sgure  (scoria),  sigw^  (securus),  où  il 
s'affaiblit  en  sonore^  ;  en  italien  il  persiste  souvent  encore,  quoique 


1.  Dans  certains  dialectes  toutefois,  en  particulier  dans  le  sarde  logou- 
dorien,  la  gutturale  sonore  est  d'un  emploi  bien  plus  grand  que  dans 
les  divers  idiomes  dont  je  viens  de  parler;  ainsi  on  trouve  :  gasi  (quasi), 
gollire  (coUigere),  gortello  (cultellum),  gotale  (ital.  cotale),  gruche  (cru- 
cem),  etc.  Cf.  Delius,  De7-  sard.  Dial.  p.  6.  Les  patois  poitevin  et  normand 
et  le  ladin  —  du  moins  dans  le  groupe  cr  —  en  offrent  aussi  des  exemples 
qui  leur  sont  particuliers.  V.  plus  loin  liv.  IJI,  chap.  III  et  liv.  IV,  cliap.  VI. 

2.  De  Ciliac.  Dict.  d'éti/m.  daco-romane.  Je  conserve  le  mode  de 
transcription  de  Diez,  malgré  tous  ses  défauts,  comme  le  plus  généra- 
lement connu,  tout  en  avouant  que  celui  de  Gihac  me  paraît  de  beau- 
coup préférable. 


—  42  — 

non  moins  souvent  il  se  change  en  g;  cette  dernière  transforma- 
tion est  presque  la  seule  que  connaissent  l'espagnol  et  le  portu- 
gais; le  provençal  change  également  le  c  médial  en  g,  tout  en 
le  transformant  aussi  en  la  spirante  y  ;  c'est  cette  modification 
qu'on  rencontre  le  plus  ordinairement  en  français,  mais  parfois 
aussi  c  s'y  affaiblit  simplement  en  sonore,  ou  bien  même  il 
peut  tomber,  ce  qui  a  lieu  aussi,  mais  beaucoup  plus  rarement, 
en  provençal.  Les  exemples  suivants  permettent  de  se  faire  une 
idée  comparative  du  rapport  d'après  lequel  les  diverses  langues 
romanes  ont  conservé  ou  changé  en  sonore  le  c  médial. 


LAT. 

ITAL. 

ESP. 

PORT. 

PROV. 

FRANC. 

acrum 

agro 

agrio 

agro 

agre 

aigre 

1  acum 

ago 

— 

— 

— 

— 

[  acuculam 

aguglia 

aguja 

agulha 

agulh 

aiguille 

acutum 

aguto  (acuto) 

agudo 

agudo 

agut 

aigu 

alacrem(*um)  allegro 

alegre 

alegre 

alegre 

alegre 

amicam 

arnica 

amiga 

amiga 

amiga 

— 

amaricare 

— 

amorgar 

— 

— 

— 

anlicum 

antico 

antiguo 

antigo 

— 

— 

bracam 

— 

braga 

braga 

braga 

— 

caecam 

cieca 

ciega 

cega 

cega 

— 

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caricare 

cargar 

carregar 

cargar 

— 

ciconiam 

cigogna 

cigiiena 

cegonha 

— 

cigogne, 
V.  céoine 

cicutam 

cicuta 

cicuta 

cegude 

— 

cigûe, 
V.  ceile 

delicatum 

delicalo 

delgado 

delgado 

delgat 

— 

dico 

dico 

digo 

digo 

— 

— 

draconem 

dragone 

dragon 

dragûo 

drago 

dragon 

ebriacum 

briaco 

embriago 

embriagado 

— 

— 

ficam 

fica 

higa 

— 

figa 

figue, 
V.  fie 

ficarium 

— 

Figuera 

— 

figueira 

figuier, 
V.  fier 

ficatum 

fégato 

higado 

figado 

— 

— 

focale 

— 

fogar 

fogal 

fogal 

— 

focum 

fuoco 

fuego 

fogo 

— 

— 

formicam 

formica 

hormiga 

formiga 

— 

— 

jocare 

giucare 

jugar 

jogar 

jogar 

— 

lacuni 

lago 

lago 

lago 

— 

— 

lacunam 

laguna 

laguna 

lagôa 

— 

— 

lactucam 

lattuga 

lechuga 

— 

— 

— 

locale 

locale 

lugar 

lugar 

logal 

local  sav. 

locum 

luogo 

luego 

logo 

— 

— 

raàcriim 

magro 

magro 

magro 

magre 

maigre 

miraculura 

miraculo 

milagro 

milagre 

miracle 

miracle 

raecum 

meco 

migo 

migo 

— 

— 

micam 

miga  v. 

miga 

— 

miga 

_ 

Michael 

Michèle 

Miguel 

Miguel 

— 

— 

—  43  — 


necare 

{an)negare 

{a)negar 

{a)negar 

'^^^^^^B 

•  nucariara 

— 

noguera 

nogueira 

"H 

pacare 

pagare 

pagar 

pagar 

pagar                  — ^^ 

paucum 

poco 

poco 

pouco 

—                      — 

picam 

pica 

pega 

pega 

—                       — 

plicare 

piegare 

plegar 

— 

plegar                 — 

'  precare 

pregare 

pregar 

— 

pregar                 — 

sacrum 

sagro  (sacro) 

sagro 

sacro 

sagre                    — 

sacrât  uni 

sagraio 

sagrado 

sagrado 

—               sacré  sav. 

sambucum 

sambuco 

— 

sabugo 

—                       — 

*  saucum 

— 

sauco 

— 

—                       — 

secale 

segola 

— 

— 

segle               seigle 

secare 

segare 

segar 

segar 

—                      — 

secretum 

segreto 

segretoBc 

segredo 

secret        segroisK  Tr. 

seculum 

secolo 

siglo,  sie- 
glo  P.  G. 

seculo 

segle               siècle 

secundum 

seconde 

segundo 

segundo 

segun              segondv. 

securiin 

secure 

segur 

segure 

—                 — 

securum 

securo 

seguro 

seguro 

segur          segur  R.Tr. 

*  sequire 

seguire 

seguir 

seguir 

segre,  seguir        — 

soc(e)rum 

— 

suegro 

sogro 

suegre                 — 

spicam 

spiga 

espiga 

espiga 

—                — 

slomacum 

stomaco 

estomago 

estomago 

—      estomac  sav. 

trilicum 

— 

trigo 

trigo 

—                 — 

verecundiam 

vo'gogna 

vergîlenz 

a  vergonha 

vergonha        vergogne 

verrucam 

verruca 

verruga 

verruga 

—                 — 

vesicam 

vesica 

vesiga 

vesiga 

—                 — 

On  voit  par  ce  qui  précède  que  l'italien,  tout  en  conservant, 
comme  je  l'ai  dit,  assez  souvent  le  c  médial,  le  change 
toutefois  plus  souvent  en  g  ;  cette  substitution  est  bien  plus 
fréquente  encore  dans  les  dialectes,  au  moins  dans  ceux  du 
Nord  ;  ceux  du  Sud ,  au  contraire ,  ont  conservé  le  c  plus 
fidèlement  que  la  langue  littéraire.  Ainsi  on  trouve  avec  un  g, 
amigo  mil.  rom.,  antigo  id.,  antigu  s.  1.,  cariga  rom.,  figa 
id.,  fogo  id.,  formiga  id.,  miga  id.,  mandigare  s.  1.  {man- 
ducare),  pegore  rom.,  segoro  id.  etc.,  mots  que  le  toscan  écrit 
par  un  c*.  Par  contre,  en  napolitain  et  en  sicilien,  aco  n., 
fecato  n.,  ficatu^.,  lattucan.,  loco  n.,  locu  s.,  spica  n., 


1.  Mussafla.  Darst.  der  romagn.  Mund.  51.  —  Biondelli.  Saggio  dei  dia- 
letti  passim.  —  Mussf.  Darst.  der  allmail.  Mund.  14.  —  Spano,  Ort.  sarda. 
passim.  Il  faut  remarquer  toutefois  que  ces  dialectes  conservaient 
autrefois  la  sourde  bien  plus  fréquemment  qu'aujourd'hui  ;  ainsi  dans 
le  sarde  logoudorien  du  xiv  siècle  on  trouve  souvent  écrits  avec  c  des 
mots  qui  le  sont  aujourd'hui  par  un  g  ;  ainsi  pacu  (paucum),  sacramen- 
tum,  secretu,  etc. 


secï'eto  n.  etc.,  mots  qui  prennent  un  g  dans  l'italien  classique, 
ont  conservé  le  c  latin  ^ 

L'espagnol  a  donné  décidément  la  préférence  à  la  gutturale 
sonore;  il  n'y  a  peut-être  de  mots  réellement  populaires  que 
poco  et  sauco  qui  aient  conservé  le  c  médial  ;  les  autres  mots 
qui  l'ont  aujourd'hui,  ou  l'ont  repris,  comme  secreto,  écrit  avec 
un  g  dans  Berceo,  ou  bien  sont  de  formation  savante  ou  récente  ; 
c'est  ce  qui  a  lieu  surtout  pour  les  suffixes  en  ico,  icar,  uco,  etc., 
comme  dans  medico  (v.  miege),  rustico,  musica,  implicar, 
indicar,  caduco,  etc.  Le  portugais  se  comporte,  à  deux  ou  trois 
exceptions  près,  absolument  comme  l'espagnol  ;  ainsi  il  a  donné 
à  cicuta  la  forme  populaire  cegude,  mais  il  a  pris  pour  seculum 
la  forme  savante  seculo  ;  il  a  aussi  changé  en  pr  le  c  de  sam- 
bucum,  conservé  par  l'espagnol  dans  sauco  ;  mais  dans  tous  les 
autres  mots  le  c  médial  y  est  traité  comme  dans  cette  langue, 
c'est-à-dire  qu'il  s'est  partout  changé  en  g,  excepté  dans  les 
mots  d'origine  savante. 

Dans  les  mots  où  il  est  resté  médial  2,  le  c  a  aussi  presque 
partout  en  provençal  fait  place  au  g  ;  je  ne  connais  que  le  mot 
secret  où  le  c  ait  persisté  ;  mais  parfois  aussi,  comme  nous 
verrons  plus  loin,  il  s'y  est  changé  en  y  (i)  ou  même  est  tombé. 
La  transformation  du  c  en  la  spirante  y  ou  sa  chute  est  le  cas  le 
plus  ordinaire  en  français  ;  cependant  devant  /  ou  r  ^  —  après  la 
tonique  —  et  parfois  devant  u  ou  même  0  accentué,  c  s'est 
seulement  affaibli  en  g.  Quant  aux  formes  où  le  c  persiste,  elles 
sont  presque  exclusivement  d'origine  savante  ou  moderne,  ou 
bien  ont  été  refaites  sur  le  latin;  tels  sont  7niracle,  second,  siè- 
cle, etc.  ;  parfois  aussi  l'idiome  vulgaire  y  change,  comme  l'an- 
cienne langue,  cen  g  ;  c'est  ainsi  qu'on  entend  prononcer  segond, 
segret,  la  seule  prononciation  d'ailleurs  que  le  dictionnaire  de 
l'Académie  regardait  encore  comme  régulière  dans  son  édition  de 
1694.  Je  parlerai  plus  loin  de  l'affaiblissement  du  c  en  y  (i) 
et  de  sa  suppression,  ainsi  que  de  son  changement  en  ch  (s), 
qui  peut  avoir  lieu  au  milieu  comme  au  commencement  des  mots. 
J'arrive  au  c  final. 


1.  Wentrup.  Beiir.  zur  Kenntn.  der  neap.  Mund.  12.  —  Id.  Beitr.  zur 
Kenntn.  der  sic.  Mund.  (Herrigs,  Archiv.  XXV,  159). 

2.  La  chute  de  la  terminaison  peut  changer,  en  efifet,  le  c  médial  latin 
en  c  final  roman;  dans  ce  cas,  le  provençal  le  conserve^  et  parfois 
aussi  le  français. 

3.  Voir  plus  loin  le  groupe  cl  et  cr,  livre  IV,  chap.  V  et  VI. 


—  45  — 

Le  c  vélaire  final  est  rare  en  latin  ;  parmi  les  mots  où  il 
î  apparaît,  je  ne  connais  que  adhuc,  fac,  hoc,  illuc  et  tune  qui 
aient  passé  dans  les  langues  romanes.  Je  reviendrai  plus  loin  sur 
le  premier  ;  quant  au  second ,  c  y  est  tombé  dans  l'italien  fà  ; 
il  s'est  changé ,  au  contraire ,  en  i  dans  le  français  fai(s)  ; 
e  étant  égal  k  a  +  i,  on  peut  dire  que  la  même  transformation 
a  eu  lieu  dans  l'espagnol  et  le  roumain  fe.  Par  contre,  le  c  de 
hoc  a  persisté  dans  le  provençal  oc,  employé  adverbialement  — 
bien  qu'il  tombe  le  plus  souvent  dans  le  démonstratif  o  et  ses 
composés  aco  (ecc'hoc),  perd  (perhoc),  etc.  —  dans  le  vieux 
français  oec  (Al.  109,  2  L.),  hoc  (id.  3,  5  L.)  et  le  composé 
avec,  V.  avoc  (apud  hoc),  ainsi  que  dans  l'italien  introcque 
(inter  hoc),  avec  addition  de  la  syllabe  que.  Le  vieux  français 
Hoc  (Al.  QQ,  3),  iloec  (id.  67,  1),  iluec,  illec  nous  montre 
également  le  c  final  de  illuc  ou  illoc  persistant.  Enfin  si  l'on 
fait  venir  donc  de  tune  on  aura  un  nouvel  exemple  de  la  conser- 
vation du  c  final  latin,  qu'on  retrouve  aussi  sous  la  forme  que, 
peut-être  pour  cque,  dans  l'italien  dunque. 

Mais  si,  comme  on  le  voit  par  ce  qui  précède,  le  c  final  latin 
ne  pouvait  passer  dans  les  langues  romanes  que  dans  un  très- 
petit  nombre  de  cas,  ce  n'est  pas  à  dire  que  la  gutturale  latine 
n'y  apparaisse  presque  jamais  à  la  fin  des  mots  ;  les  terminaisons 
latines  autres  que  a  tombant  régulièrement,  en  efiet,  en  provençal 
et  en  français,  ainsi  que  dans  les  dialectes  ladins  ou  italiens  du 
Nord,  et  le  roumain  perdant  en  général  les  voyelles  finales 
autres  que  a=:  e  ei  e,  le  c  médial  latin  devient  ainsi  final  dans 
ces  idiomes*;  dans  ce  cas,  il  persiste  toujours  en  provençal  et 
en  roumain  ;  en  français,  au  contraire,  il  tombe  ou  se  change 
en  y  (i),  excepté  quand  il  est  appuyé  ;  quant  aux  dialectes 
italiens  il  s'y  change  en  g,  comme  quand  la  terminaison  per- 
siste; il  en  est  de  même  souvent  dans  les  dialectes  ladins,  mais 
parfois  aussi  c  y  persiste  comme  en  provençal  et  en  roumain,  ou 
bien  il  tombe  comme  en  français,  c'est  ce  qui  a  lieu  en  particulier 
quand  la  voyelle  qui  précède  est  brève  ^.  Voici  quelques  exem- 
ples qui  permettront  de  se  faire  une  idée  de  la  manière  dont  le  c 


I.  L'espagnol  en  général  et  le  portugais  perdent  aussi  cala  terminaison, 
mais  dans  ce  cas  le  c  se  change  en  z,  parfois  aussi  en  s  en  portugais. 
Cf.  Rom.  I,  454.  11  ne  peut  donc  être  question  ici  de  la  persistance  de 
la  gutturale,  et  d'ailleurs  c'est  à  une  palatale  non  à  une  vélaire  que  l'on 
a  affaire. 

1.  Muss.  Darst.  der  rom.  Mund.  51.  —  Asc.  Archiv.  gloit.  J,  pass.  Cf.  plus 
loin,  livre  111,  chap.  II  et  livre  IV,  chap.  II. 


—  46  — 

médial  latin  devenu  final  a  été  traité  dans  ces  différents  idiomes  : 


ROUM. 

amie 


amicura 
anticum 
arcum 
cœcum 
casticum 
cinque  * 
*coco 
dico 
duco 
fîcum 
focum 
iniraicum 
iniquum 
jocum 
lacum 
locum 
mendicum     — 
paucum      poc 


arc 


coc 

zic 
duc 

foc 


JOC 

lac 
loc 


sambucum  — 
^saucum 
spicum 
sulcum 
vicum  — 


soc 
spic 


DIAL.   ITAL.  DIAL.   LAD. 


ami 


amie 

antic 

arc 

cec 

castic 

cinc 

die 

duc 

fie 

foc 

enemic 

enic 

joc,  juec  jeu 


amigh 
antigh 


arc 

cliasti  V. 
cinc  V. 

cui(s) 

di(s) 

dui(s) 

feu 
ennemi 


cog 
degg 

fig 
fog 


lac 
loc 

mendie 
pauc 


sauc 
espie 


lac,  V.  lai^ 
leu,  v.lieu 

poc  S.  B., 
poi  V.,  peu 

seu  v.-n. 
épi 


ami  g  r. 
antig  fr, 
arc  r. 

castig  fr. 


gig  r. 
duj 
fig  fr. 
fuoe  tir. 
anamig  r. 


—  lac  r. 

—  leuc  r. 

—  puoc  tir. 

—  suvig  Y. 

—  spig  fr. 

—  suie  V. 

—  m  g  r. 


A  cette  liste  il  faudrait  ajouter  en  provençal  les  noms  propres 
de  lieux  formés  à  l'aide  du  suffixe  iaeum,  lesquels  se  ter- 
minent en  ae  et  quelquefois  ec  ;  ainsi  : 

Aureliacum  Aurilhac 

Calviacum  Calviac 

Floriacum  Florac 


1.  Ici  nous  n'avons  pas  à  proprement  parler  une  vélaire,  comme  le 
prouve  la  forme  roumaine  cinci  qui  suppose  une  palatale  ;  mais  le  pro- 
vençal et  le  français  ont  traité  q{u€)  comme  vélaire,  et  cela  suffit  pour 
expliquer  que  ce  mot  figure  dans  cette  liste. 

2.  Il  est  douteux  que  lac  soit  vraiment  d'origine  populaire,  ce  qui 
n'a  rien  d'extraordinaire  si  on  songe  qu'il  n'y  a  pas  un  seul  lac  véri- 
table au  nord  de  la  Loire  ;  l'ancienne  forme  lai  montre  d'ailleurs  une 
tentative  de  la  langue  pour  donner  à  ce  mot  une  forme  plus  régulière  ; 
c'est  ainsi  que  poc  est  devenu  poi,  puis  définitivement  peu. 


—  47  — 

Ruffiacum  Ruffec 

Sabiniacum  Savignac,  etc.*. 

En  français,  c  n'étant  pas  appuyé   s'y  change  en  y   (i)   ou 
tombe,  comme  nous  verrons  plus  loin. 

IP.   ' 

Au  lieu  d'affaiblir  le  c  vélaire  en  g,  plusieurs  dialectes  l'ont 
transformé  en  la  spirante  -/  ;  ce  son  est  fréquent  en  espagnol,  où 
il  est  représenté  devant  u  ovl  o  par  la^  et  devant  e  ou  i  par  la  g, 
parfois  aussi  par  la  œ,  mais,  comme  nous  le  verrons,  il  ne  paraît 
pas  y  être  le  résultat  de  la  transformation  directe  des  gutturales 
explosives  :  au  contraire,  dans  les  dialectes  italiens  où  il  se 
présente  il  me  paraît  impossible  de  ne  pas  voir  dans  le  son  y_  une 
modifiation  directe  du  c  latin,  puisqu'on  n'y  trouve  pas  d'inter- 
médiaire entre  k  et  y.  Cette  modification  n'en  est  que  plus 
curieuse  ;  à  quelle  époque  s'est-elle  produite  ?  Il  est  difficile  de  le 
dire  ;  mais  on  n'y  saurait  voir  du  moins,  comme  l'a  fait  Fernow, 
cité  par  Diez^,  un  reste  ou  comme  un  écho  des  idiomes  primi- 
tifs de  l'Italie,  dans  lesquels  il  n'a  supposé  sans  doute  l'exis- 
tence de  sons  analogues  à  ceux  qui  existent  maintenant  dans  le 
toscan  et  quelques  autres  dialectes,  que  par  suite  de  la  confusion 
de  l'aspirée  kh  et  de  la  spirante  y.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  spi- 
rante X  s'est  substituée  au  c  vélaire  latin  dans  le  toscan,  devant 
a,  0,  u,  où  on  lui  donne,  au  commencement  comme  au  milieu 
des  mots,  un  son  analogue  à  celui  du  ch  allemand  ou  de  la  J 
espagnole  ;  ainsi  casa,  cosa,  locanda,  securo  se  prononcent 
chasa,  chosa,  lochanda,  sechuro.  Le  même  fait  se  produit, 
d'après  Spano^  dans  le  dialecte  de  plusieurs  districts  de  la 
Sardaigne  pour  les  syllabes  sca,  rca  ;  ainsi  machu  pour  marcu 
(ital.  macchio),  pacha  "^ouvpasca  (ital.  pasqua),  etc. 

CHAPITRE  II. 
CHANGEMENT  DU  C  VELAIRE  EN  Y  (l). 

Nous  avons  vu  comment  on  peut  passer  du  k  vélaire  à  sa 
spirante  y  et  du  g  vélaire  à  la  spirante  correspondante  y  ;  et  nous 


1.  Quich.  Form.  franc,  des  anc.  noms  de  lieu,  p.  25  et  suiv 

2.  Gram.  h  254. 

3.  Ort.  sarda  p.  28.  Cf.  Jahrb.  X,  401. 


—  48  — 

savons  d'un  autre  côté  que  le  c  s'affaiblit  souvent  en  g  ;  mais 
du  moment  que  le  c  vélaire  peut  se  changer  une  première  fois 
en  g,  on  comprend  qu'il  s'affaiblisse  encore  par  une  nouvelle 
dégradation  de  son  en  ^  ;  de  même  on  s'explique  que  le  k^  palatal, 
après  s'être  changé  en  g^,  puisse  encore  s'affaiblir  en  y;  ou 
encore  que  le  k  vélaire  se  'change  d'abord  en  k^  palatal,  puis 
en  pfj  et  enfin  en  y  ;  ou  bien  qu'après  avoir  descendu  la  série 
k,  g,  Y»  il  subisse  un  dernier  affaiblissement  et  de  y  se 
change  en  y.  Ces  modifications,  dont  la  théorie  démontre  la 
possibilité,  apparaissent  toutes  en  réalité  dans  les  langues  indo- 
européennes. Les  idiomes  germaniques,  en  particulier  l'anglo- 
saxon,  nous  montrent  les  deux  g  se  changeant  en  y  (i),  c'est- 
à-dire  subissant  le  premier  les  transformations  successives  g,  y, 
y  ou  plutôt  g,  g^,  y,  le  second  s'affaiblissant  simplement  en  ?/*• 
Ces  changements  peuvent  d'ailleurs  avoir  lieu  au  commen- 
cement, au  milieu  ou  à  la  fin  des  mots  ;  ainsi  on  a  1°  pour 
g  initial  : 


a.  —  g  vélaire  : 

V.SAX.OUNOR. 

garu  v.s. 
garn  n. 
gîna  n. 
—  g^  palatal, 
gulr  n. 


geolu 


2^  pour  le  g  médial  : 
auga  n.,  ôga  v.s. 
fagrn.,  fagar  v.s. 
magad  v.s. 
nagli  n.,  nagal  v.s. 


ANGL.-SAX. 

gearo 
gearn 
sfânian 


gestran 
gist 

eage 
fseger 
msegd 
naegel 


DAN.  OU  SUED. 


yare 
yarn 
yawn 

yellow 
yester 
yest,  yeast 

eye 
fair 
maid 
nail 


oie  d. 
feir^. 


1.  Au  milieu  des  mots  et  devant  une  consonne  Vy  est  remplacé  par  i; 
ce  n'est  là  qu'un  nouvel  affaiblissement  et  le  changement  de  la  demi- 
voyelle  y  ou  de  ,/  consonne  en  i  voyelle,  changement  qui  s'explique 
sans  la  moindre  difficulté.  «  JNous  avions  pour  point  de  départ  dans 
nos  recherches,  dit  Vaïsse  [Encyclopédie  moderne  au  mot  parole),  ce  fait 
que  la  disposition  extérieure  des  organes  de  la  parole  pouvait  donner 
lieu  indifféremment  à  l'émission  d'une  consonne  ou  à  celle  d'une 
voyelle;  que,  par  exemple,  les  lèvres  (?)  et  la  langue  se  trouvaient 
dans  une  position  identiquement  la  même  pour  prononcer  notre  i 
voyelle  et  l'y  consonne  des  Anglais,  qui  n'est  autre  que  le  ;  des  Alle- 
mands, etc.  » 


—  49  — 


3"  Enfin  pour  g  final 


dagrn.,  dag  v.s.         daeg 


caeg  v.s. 
liggian 
mega  n. 
weg  v.s. 


v.s. 


caeg 
licg 


an 


magan 
vaeg 


day 

key 

lay 

'inay 

way 


ma  s. 
xieià. 


Le  frison  donnerait  lieu  à  des  observations  analogues. 

Cette  transformation  de  la  gutturale  sonore  en  y  (^),  si  com- 
mune, comme  nous  le  voyons,  dans  les  langues  germaniques,  ne 
Test  pas  moins  dans  les  idiomes  romans  ;  toutefois,  elle  n'a  lieu  en 
général  au  commencement  et  à  la  fin  des  mots  que  pour  le  g 
palatal;  le  g  vélaire,  au  contraire,  y  persiste  ou  —  à  la  fin 
des  mots  du  moins  —  se  transforme  parfois  en  u  en  provençal, 
et  même  en  français  quand  il  n'est  pas  appuyé.  Le  provençal 
change  d'ailleurs  g  final,  quand  il  persiste,  en  c,  en  vertu  d'une 
loi  propre  à  cet  idiome.  Ainsi  : 


largum  larg  lare  — 

longum  —  lonc  long 

plango  plung  plane  ^ —    etc. 

Au  milieu  des  mots,  au  contraire,  le  g  vélaire  se  transforme 
régulièrement  en  y  [i)  dans  les  idiomes  du  Nord-Ouest,  ainsi 
que  dans  les  dialectes  romans  du  Tyrol  et  quelques  dialectes  ladins 
du  Nord  de  l'Italie,  parfois  aussi  en  portugais  dans  le  groupe  gr, 
il  est  vrai.  Ainsi  : 


DIAL.  LAD.  ET  ITAL. 


fragam 

fragrare 

ligare 

negare 

paganum 

plagam 


fraja 


neier  v. 
païen 
plaie,  etc. 


—  cheirar  flairar    flairer 

lejà  fr.,  le  je  tir.  —             —         leierY. 

nejà  fr.  ■  —             — 

—  —  payan 

plaja  nap.  —  playa 

Nous  avons  là  un  procédé  de  transformation  analogue  à  ce  qui 
se  passe  dans  les  langues  germaniques  ;  mais  tandis  que  dans 
celles-ci  le  g  seul  à  peu  près  peut  se  changer  en  y,  dans  les 
idiomes  romans  le  c,  après  s'être  affaibli  en  g,  peut  à  son  tour  se 
transformer  en  cette  demi-voyelle. 


1.  Plango  donne  plain{s)  en  français,  mot  où  il  semble  bien  que  le  g 
se  soit  changé  en  i,  lequel  a  été  ensuite  préposé  à  n.  V.  plus  loin  pour 
le  changement  de  g  en  «,  livre  11,  chap.  IX. 


—  50  — 

Cette  transformation  toutefois  n'a  pas  lieu  également  dans 
tous  ;  inconnue  presque  complètement  à  ceux  du  groupe  oriental 
et  du  Sud-Ouest,  qui  se  sont  arrêtés  au  changement  de  c  en  g, 
elle  n'appartient  en  propre  qu'aux  idiomes  du  Nord-Ouest,  en 
particulier  au  français,  dont  elle  est,  avec  la  suppression  de  la 
gutturale,  le  procédé  de  dérivation  le  plus  ordinaire,  tandis 
qu'en  provençal  on  rencontre  presque  toujours  concurremment  une 
forme  avec  g  et  une  autre  avec  y  ou  i.  Les  dialectes  ladins  du 
Tyrol,  du  canton  des  Grisons  et  de  l'Italie  connaissent  aussi 
cette  modification  de  la  gutturale,  dont  on  rencontre  même 
quelques  cas  au  Sud  de  la  Péninsule.  Le  changement  de  c  en 
y  [i]  ne  se  produit  point  d'ailleurs  au  commencement  des  mots, 
mais  il  est  fréquent  au  milieu  ;  en  voici  quelques  exemples  : 


LAT.            DIAL.  LAD.  ET  ITAL. 

PRO 

V. 

FRANC. 

amicam 

— 

amiga 

atnia 

amie 

bracam 

hraja  tir. 

braga 

braya 

hraie 

carrucam 

charuja  tir 

'.     — 

— 

— 

dicam 

— 

diga 

dia 

die 

(ex)sucare 

sujà  fr. 

— 

— 

essuyer 

ficam 

— 

figa 

fia 

fie  V. 

focarium 

— 

fogal 

— 

foyer 

jocare 

zujè  tir. 

jogar 

— 

— 

micam 

— 

miga 

miyaB., 

,  mia  mie 

necare 

— 

negar 

neyar 

noyer 

pacare 

pajàîv., 
pajè  tir. 

payar 

payar 

payer 

plicare 

plejà  fr. 

plegar 

pleyar 

pleier  (s.e.), 
plier 

*precare^ 

prejâ  fr. 
prejè  lomb 

pregar 

prejar 

preier{s.E.), 
prier 

*spicare 

— 

espigar 

espiar 

épier 

secare 

sejà  fr. 

— 

— 

seier\., scier 

securum 

sigurfr., 
sijur  tir. 

segur 

■^ 

segur  v. 

verrucam 

baruja  tir. 

verruga 

— 

— 

vesicam 

valija  roum. 

vesiga 

— 

vessie,  etc. 2. 

1.  En  sicilien  preco  donne  aussi,  avec  j  =  ij,  preju. 

2.  Sclineller.    Die  roman.  Mimd,  von  Tirol.  —  Ascoli.  Archiv.  glott.  \, 
pass. 


—  5^ 


Il  faut  ajouter  à  cette  liste  les  mots  où  se  trouvent  les  groupes 
et  ou  es,  lesquels  changent  ordinairement  e  en  i  en  portugais, 
en  provençal  et  en  français  ;  ainsi  : 


lat.  factum      port,  feito 
sex  (secs)  seis 


prov.  fait       franc,  fait 

seis  sis  Y., etc. K 


Après  0  et  a  la  gutturale  persiste,  en  s' affaiblissant  en  sonore, 
en  provençal,  ainsi  fogal  et  non  foyal,  jogar  et  non  joyar, 
verruga  non  verruya  ;  en  français,  elle  peut  se  résoudre  en 
y  {i),  indifféremment  dans  tous  les  cas  ;  il  en  est  de  même  dans  les 
dialectes  ladins. 

Vi  provenant  de  la  transformation  du  c  médial  a  disparu  en  pro- 
vençal, en  ladin  et  surtout  en  français  dans  un  grand  nombre  de 
mots,  où  il  était  précédé  d'un  i  étjmologique,  et  il  semble  dès 
lors  que  le  e  y  soit  tombé  purement  et  simplement  ;  mais  l'an- 
cienne langue  permet  souvent  d'en  retrouver  la  trace;  c'est  ainsi 
que  les  formes  miga  et  miya  {mija  P.  Meyer)  qu'on  rencontre 
dans  le  Boèce  (v.  11,  180  et  189),  nous  permettent  de  recons- 
tituer la  série  des  transformations  du  latin  micam  dans  son 
passage  au  roman  : 

micam,  m.ica,  miga,  m,iya,  mia,  mie. 

De  même  plier  et  prier  n'ont  point  conservé  de  trace  du  c 
de  plicare  et  precare,  mais  on  le  retrouve  sous  Yi  de  pleier 
{ple-i-er)  et  de  preier  [pre-i-er),  formes  que  nous  donne  la 
Cantilène  de  Sainte  Eulalie,  et  dont  la  première  s'est  d'ailleurs 
conservée  avec  le  changement  de  ei  en  oi  dans  le  français  moderne 
ployer.  On  ne  peut  donc  pas  dire  qu'il  y  a  eu,  dans  ce  cas, 
chute  véritable  du  c. 

Nous  avons  vu  qu'à  la  fin  des  mots  c  persiste  en  provençal,  en 
roumain  et  en  ladin,  parfois  aussi  en  français  ;  mais  le  plus 
souvent  dans  cette  dernière  langue,  et  quelquefois  même  en 
provençal,  il  se  change  en  i;  ou  bien  encore  en  u.  Je  parlerai 
plus  loin  de  cette  dernière  transformation  ;  quant  à  celle 
du  c  eni,  il  n'est  pas  toujours  facile  de  la  constater  ;  dans  les 
mots  qai  ont  un  i  avant  le  c,  en  effet,  on  ne  saurait  dire  souvent 
si  le  c  est  tombé  simplement,  ou  bien  si  Yi  devenu  final  repré- 
sente à  la  fois  Yi  étymologique  et  un  i  secondaire  provenant  de 
l'afiaiblissement  du  c  ;  cet  i  apparaît  du  moins  aussitôt  que  la 
voyelle  qui  précède  le  c  est  a,  et  forme  avec  elle  la  diphthongue 


1.  Voir  plus  loin.  Livre  IV,  chap.  VII  et  VIII. 


—  52  — 

ai;  c'est  ce  qui  a  lieu  en  français  et  parfois  aussi  en  provençal 
dans  les  adjectifs  et  les  substantifs  formés  à  l'aide  du  suffixe 
acum  ;  ainsi  : 

LAT.  PROV.  FRANC. 

*bracum  —  brai 

ebriacum  ibriai  — 

*veracum  veray  vrai,  etc. 

Ce  fait  se  présente  en  particulier  en  français  dans  les  noms  de 
lieu  en  {i)dcum,  terminaison  qui  a  été  toutefois,  suivant  la 
région,  traitée  d'une  manière  différente  :  c  se  changeant  en  y, 
on  a  d'abord,  comme  pour  le  suffixe  acum,  après  la  chute  de  Yi 
protonique,  la  terminaison  ay,  qu'on  rencontre  dans  presque 
toute  l'étendue  de  l'ancienne  langue  d'oil  ;  ainsi  : 

Alisiacum      Alizay  (Eure), 
Corturiacum  Courir  ay  (Belgique), 
Gradiacus       Gray  (Haute-Saône), 
Severiacus      Civray  (Indre-et-Loire,  Vienne). 

Cette  terminaison  paraît  s'être  modifiée  en  ey  dans  un  certain 
nombre  de  noms,  surtout  de  la  région  orientale  ^  par  exemple 
dans  : 

Angeliacum  Langey  (Eure-et-Loir), 

Poliacum  Pouilley  (Doubs), 

Vinciacus  Vincey  (Vosges), 

Vidiliacus  Villey  (Meurthe). 

D'autres  fois  ay  semble  s'être  modifié  en  é,  sans  doute  en  passant 
par  la  forme  intermédiaire  è  ;  c'est  ce  qui  a  eu  lieu  surtout  dans 
la  région  de  l'Ouest  ;  ainsi  dans  : 

Camiliacum  Chemillé  (Indre-et-Loire), 

Floriacum  Fleuré  (Vienne), 

Matiriacus  Mère  (Seine-et-Oise), 

Sabiacum  Ce  {Pont-de-)  (Maine-et-Loire). 

Mais  il  a  pu  se  faire  aussi  que  l'accent  au  lieu  d'être  sur  ac  fût 
reporté  sur  i  ;  dans  ce  cas,  Va  de  iac{um)  a  dû  tomber,  et  le  c 
ou  s'est  changé  en  y  qui  s'est  confondu  avec  Vi  étymologique  ou 
est  lui-même  tombé  ;  le  suffixe  iacum  s'est  ainsi  trouvé  réduit 
à  y,  comme  dans  : 

1.  11  peut  se  faire  aussi  que  ey  soit  le  résultat  de  la  transformation 
directe  de  ce,  modification  de  ac,  forme  trouvée  dans  d'anciennes 
chartes.  Cf.  Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  l'Ouest.  1867,  2'  partie,  Intr.  p.  2. 


—  53  — 

Aciniacum       Acquigny  (Eure), 
Forminiacum  Formigny  (Calvados), 
Rotegiacum     Rouy  (Nièvre), 
Victoriacum    Vitry  (Marne)*. 

Une  question  se  présente  naturellement  avant  de  terminer  ce 
chapitre,  c'est  celle  de  savoir  à  quelle  époque  a  eu  lieu  le  chan- 
gement de  <?  en  2/  («")•  ^  dut  sans  doute  se  produire  de  bonne 
heure,  puisqu'on  voit  le  c  disparaître  complètement  dans  un 
certain  nombre  de  mots  dès  le  vf  siècle  ;  mais  cette  transforma- 
tion commencée  dès  les  premiers  temps  du  roman  se  continua 
sans  doute  pendant  plusieurs  siècles.  Dans  les  Serments  on 
trouve  encore  le  mot  sagrament,  qui  devait  devenir  bientôt 
sairement,  c'est-à-dire  que  le  c  n'est  encore  changé  qu'en  g, 
mais  dreit,  plaid  nous  le  montrent  en  même  temps  déjà  trans- 
formé en  i.  Dans  la  Cantilène  de  Sainte  Eulalie  le  g  vélaire  a 
persisté  —  en  devenant  palatal,  il  est  vrai  —  dans  regiel,  v.  8, 
pagiens,  v.  12  et  21  ;  mais  le  c  est  partout  changé  en  i,  ainsi 
coist,  contredist,  prêter.  On  le  retrouve  sans  doute  dans  le 
Saint  Léger,  par  exemple  dans  sancz  1,  2;  9,  2  ;  sanct  5,  6; 
12,  2;  fincta  19,  1,  et  lucrat,  36,  4  ;  mais  ces  mots  ont  un 
caractère  savant  ;  il  en  est  de  même  de  sacrarie  dans  l'Alexis, 
qui  nous  montre,  si  l'on  excepte  le  mot  siècle,  partout  ailleurs  le 
t'échange  en  i.  Ainsi  à  partir  de  cette  époque  on  peut  regarder 
le  changement  de  c  en  ^  (^)  comme  accompli  dans  le  français. 
Nous  avons  vu  néanmoins  que  c  s'est  affaibli  seulement  en  g 
dans  un  certain  nombre  de  mots  où  il  précédait  immédiatement 
la  voyelle  accentuée  {u  ou  o),  ou  la  suivait  en  se  trouvant  dans 
le  groupe  cl  ou  cr.  C'est  dans  ces  groupes  aussi  avant  l'accent 
qu'il  paraît  avoir  le  plus  longtemps  résisté  sous  la  forme  g, 
tandis  qu'entre  deux  vojelles  dont  la  seconde  était  accentuée  et 
représentée  par  a,  et  dans  le  groupe  et  il  semble  s'être  transformé 
en  y  {i),  dès  les  premiers  temps  de  la  langue.  Dans  le  provençal 
on  sait  que  les  deux  formes  g  et  y  subsistèrent  presque  toujours 
l'une  à  côté  de  l'autre,  il  n'y  a  donc  pas  lieu  d'y  rechercher 
l'époque  du  changement  définitif  de  c  en  i.  Quant  à  son  affaiblis- 
sement en  g,  nous  avons  vu  qu'il  remonte  au  latin  vulgaire,  il  a 
donc  dû  se  produire  aux  Yf  et  vu''  siècles  dans  les  divers  idiomes 
où  il  apparaît. 


I.  Cf.  Quicherat.  Form.  des  noms  de  lieu,  p.  37.  La  terminaison  ay,  ey 
{iacum)  passa  à  son  tour  dans  le  latin  du  moyen  âge  ;  ainsi  hiniacum 
y  devient  Isigneium;  Sabiniacum,  Savigneium,  etc. 


CHAPITRE  m. 

CHUTE   DU    C.  —  DÉVELOPPEMENT   DE    I   PAR   LE    VOISINAGE 
DE    LA   GUTTURALE. 

r. 

Dans  un  certain  nombre  des  exemples  que  j'ai  cités  du  change- 
ment de  c  en  i,  il  est  difficile  de  retrouver  la  trace  de  cette  trans-» 
formation  ;  si  le  vieux  français  nous  donne  parfois  des  formes 
qui  montrent  encore  Vi  provenant  de  l'affaiblissement  de  la 
gutturale  comme  prêter,  pleier  c.  e.,  lairine  (lacrymam),  sai- 
rement  (sacramentum),  il  s'en  faut  qu'il  nous  en  fournisse 
toujours,  et  il  est  des  cas  où  le  c  paraît  bien  être  tombé  —  et 
cela  peut-être  dès  l'origine  de  la  langue  —  sans  laisser  de  traces  ; 
tels  sont  les  mots  français  amie,  die  (dicam),  mie,  pie,  etc.;  les 
mots  ladins  carié,  formia,  mania,  mastié,plié,  sié,  spias,  etc. 
Toutefois  on  pourrait  à  la  rigueur,  dans  ce  cas,  croire  encore  à 
une  contraction  de  Yi  étymologique  latin  et  de  Vi  résultant  de  la 
transformation  du  c;  mais  il  est  impossible  d'en  soupçonner 
l'existence  dans  des  mots  comme  verrue  (verrucam),  et  il  faut 
bien  admettre  qu'ici  le  c  latin  est  purement  et  simplement  tombé, 
sans  laisser  de  traces  dans  le  roman.  C'était  d'ailleurs  le  terme 
inévitable  où  par  un  affaiblissement  graduel  devait  arriver  cette 
consonne,  et  cette  suppression  ne  lui  appartient  pas  en  propre  ; 
elle  a  lieu  aussi  pour  les  dentales  et  dans  les  mêmes  conditions  et 
dans  les  mêmes  idiomes,  c'est-à-dire  que  nulle  ou  à  peu  près  au 
commencement  des  mots,  elle  apparaît  surtout  au  mQieu  et  est 
presque  générale  à  la  fin  ;  qu'inconnue  à  peu  près  des  langues 
du  groupe  oriental,  elle  se  montre  déjà  dans  celles  du  Sud-Ouest, 
pour  devenir  fréquente  dans  celles  du  Nord-Ouest  et  en  parti- 
culier dans  le  français  ^  Ce  qu'il  est  facile  de  prévoir  aussi  c'est 
que  la  suppression  atteint  plus  facilement  la  sonore  que  la 
muette,  et  cela  est  vrai  des  gutturales  comme  des  dentales  ; 
ainsi,  pour  ce  qui  est  des  dernières,  tandis  que  le  t  médial 
persiste  toujours  en  italien,  qu'il  ne  tombe  en  espagnol  que  dans 


l.  La  labiale  i),  au  contraire,  ne  connaît,  à  vrai  dire,  que  l'affaiblisse- 
ment en  sonore  ou,  en  français,  en  spirante  :  sa  suppression  est  excep- 
tionnelle. Voir  d'ailleurs  sur  ce  sujet  plus  loin,  livre  II,  chap.  IX. 


—  55 

10  (triticum),  en  provençal  que  dans  le  groupe  tr,  par 
exemple  paire  (patrem),  et  exceptionnellement  dans  puor 
(putorem),  tuar  (*  tutare),  via  (vitam),  en  français  enfin  dans 
un  nombre  encore  restreint  de  mots  comme  chaîne,  menue, 
nourrir,  roue,  saluer,  tuer,  verre,  vouer,  etc.,  et  les  parti- 
cipes en  atuTYh  ;  le  d  disparaît  déjà  en  italien  dans  quelques  mots 
comme  aoperare  (adoperare),  gioja  (gandia),  vo  (vado),  etc.  ; 
il  tombe  fréquemment  en  espagnol  et  en  portugais  et  souvent  en 
provençal,  où  il  est  parfois  aussi,  il  est  vrai,  remplacé  par  z, 
et  toujours  ou  à  peu  près  en  français  ;  ainsi  on  a  : 


LAT. 

ESP. 

PORT. 

PROV. 

FRANC. 

badium 

bayo 

bai 

bai 

bai 

cadere 

caer 

cair 

caer 

choir 

credere 

créer 

crer 

creir 

croire 

hodie 

hoij 

hoje 

hui 

hui,  oiy. 

,  etc 

De  même  pour  les  gutturales  ;  ainsi,  pour  ne  parler  ici  que  du 
g  vélaire,  persistant  presque  toujours  au  commencement  des 
mots,  il  disparaît  souvent  au  milieu  dans  tous  les  idiomes 
romans,  mais  surtout  cependant  en  provençal  et  en  français, 
comme  le  montrent  les  exemples  suivants  .* 


ego  îo  —  —  leu  eo  s. 

integrum  intero  entero      enteiro  enteir  entier 

legalem  leal  leal  leal  leial  léal  v. 

legumen  légume  legumbre  légume  lium  leu7nL.R. 

ligare  ligare  liar  liar  liar  ■  lier 

nigrum  nero  negro        negro  neir  neir  n. 

peregrinum  pellegrino  peregrino  peregrino  pellerin  pèlerin 

pigritiam  pigrizia  pereza      preguiça  pigreza  paresse 

regalem  realey.  real  real  real  royal, etc. 

On  voit  par  ces  exemples  que  quand  il  tombe  en  italien  et  en 
espagnol,  le  g  tombe  complètement,  quelle  que  soit  la  place  qu'il 
occupe  ;  il  en  est  aussi  .de  même  en  général  entre  deux  voyelles 
dans  les  autres  langues  ;  ainsi  prov.  aost,  franc.  <20w^  ;  prov. 
rw(2  (rugam),  franc,  rue;  pr.  aûr  (augurium),  v.franç.  «wr, 
franc. mod.  heur,  etc.  ;  mais  dans  le  groupe  gr  le  g  n'y  tombe 
qu'avant  l'accent,  par  exemple  dans  pellerin  prov.,  pèlerin 
franc.,  jt^are^^c  franc.;  après  il  persiste  en  s'afiaiblissant  en  i, 
comme  dans  enteiro  portug.,  enteir  prov.,  entier  franc.,  neir 
prov.,  neir  norm. 


—  d6  — 

Mais  tandis  que  la  chute  du  g  est,  comme  on  voit,  assez  fré- 
quente, celle  du  c  médial^  au  contraire,  est  exceptionnelle  et  ne 
se  présente  point,  comme  celle  du  g,  dans  tous  les  idiomes 
romans.  Inconnue  du  toscan,  ainsi  que  son  affaiblissement  en  i, 
bien  qu'elle  apparaisse  parfois  dans  les  dialectes  du  Sud  et  du 
Nord,  on  ne  la  rencontre  dans  les  langues  liispaniques  que  dans 
deux  ou  trois  mots  ;  mais  en  provençal,  dans  les  dialectes  ladins 
et  français  surtout,  elle  apparaît  comme  un  procédé  régulier 
de  dérivation.  Ces  langues  n'ont  fait  que  continuer  en  cela 
d'ailleurs  un  procédé  du  latin  vulgaire,  qui  laissait  déjà  tomber 
la  gutturale  médiale  ;  ainsi  dès  l'an  558  —  après  i,  il  est  vrai, 
—  lona  pour  Icona  (Yonne).  Cette  suppression  exceptionnelle 
encore,  à  ce  qu'il  semble,  pour  le  c,  est  fréquente  pour  le  g  ; 
ainsi  on  trouve  dès  le  vf  siècle  les  formes  Cytheo  pour  Cethego, 
eo  pour  ego,  frualitas'^çiMvfrug alitas,  liones  pour  ligones,etc. , 
et  dans  un  document  de  646,  fridus  pour  frigidus  (Yepes  II, 
n.  13)2. 

Dans  ces  exemples,  il  semble  bien  que  la  chute  de  la  consonne 
a  eu  lieu  directement,  et  il  en  a  été  souvent  ainsi  ;  d'autres  fois, 
du  moins  pour  ce  qui  est  du  c,  il  y  a  eu  d'abord  affaiblissement 
de  celui-ci  en  g,  puis  chute  de  ce  dernier,  ou  bien  encore  trans- 
formation du  g  en  y,  suivie  de  la  fusion  de  cet  y  avec  un  i  pré- 
cédent, et  par  suite  disparition  des  dernières  traces  de  la  guttu- 
rale, ce  qui  ne  permet  plus  de  dire  s'il  y  a  eu  véritable  chute  ou 
simple  affaiblissement  du  c.  Parfois  même  après  la  disparition 
de  la  consonne,  il  y  a  eu  contraction  des  deux  syllabes  qu'elle 
séparait  et,  partant,  changement  complet  de  la  physionomie  du 
mot  qu'il  serait  impossible  de  reconnaître  si  l'on  n'avait  point  les 
formes  intermédiaires  entre  le  latin  et  le  roman  actuel.  C'est 
ainsi  que  securum  a  donné  successivement  segur,  sé'iir  et  enfin 
sûr.  Nous  avons  là  un  exemple  du  second  mode  de  suppression 
du  c  ;  lona  pour  Icona,  semble  être,  au  contraire,  un  exemple 
de  chute  non  précédée  d'adoucissement  ;  quant  aux  cas  de 
contraction  de  Vi  provenant  du  c  avec  une  voyelle  précédente, 


1.  Je  dis  le  c  médial,  c'est  en  effet  le  soûl  qui  —  avec  le  c  final  — 
tombe  d'une  manière  générale  ;  toutefois  dans  le  sarde  logoudorien  on 
trouve  quelques  exemples  de  chute  du  c  initial,  ainsi  Mm/7are(cumflare), 
umpare  (cum  pare).  Del.  Der  sardin.  Bial.,  p.  6. 

1.  D'ailleurs  cette  chute  de  la  consonne  entre  deux  voyelles  ou 
devant  une  liquide  ne  fut  pas  propre  seulement  aux  gutturales,  elle 
eut  lieu  aussi  pour  les  dentales  ;  ainsi  frari  pour  fratri,  mari  (matri), 
Beorigas  (Bituriges),  Donnus  pour  Donatus^  etc.  Cf.  Schuch.  I,  130. 


—  57  — 
5ûS"eir  avons  vu  un  exemple  dans  pleier,  prêter  de  la  Cantilène 
de  Sainte  Eiilalie,  et  il  est  probable  qu'il  en  est  de  même  des 
mots  amie,  mie,  pie,  et  en  général  de  ceux  où  le  c  médial  est 
précédé  de  i.  Le  nombre  des  cas  aussi  où  la  disparition  du  c  est 
vraiment  complète  est  assez  restreint  ;  on  la  trouve  dans  le 
dialecte  napolitain,  entre  deux  voyelles  et  devant  r  ;  dans 
hriogna  (verecundiam),  prea  (*  precat),  rotta  (crjptam)  ;  en 
sicilien  dans  putia  (apothecam),  adduari  (allocare)  ^  ;  dans  le 
sarde  logoudorien  neuna  (nec  unam),  dans  l'espagnol  em- 
plear  (implicare),  dans  verdear  esp.  et  portug.  (viridicare) 
et  dans  les  mots  français  Saône  (Sauconam),  sûr  (securum), 
verdir,  verrue  (verrucam)  et  Yonne  ;  en  provençal  il  y  a 
presque  toujours  eu  changement  du  c  en  i  ou  même  simple  affai- 
blissement en  g. 

A  la  an  des  mots,  le  c,  nous  l'avons  vu,  s'est  conservé  ordi- 
nairement en  provençal  et  en  roumain  ;  en  français  il  a  parfois 
aussi  persisté^  plus  souvent  toutefois  il  s'est  affaibli  en  y  (z)  ;  mais 
dans  quelques  cas  aussi  il  y  a  eu  chute  complète  du  c  ;  c'est  ce 
qui  est  arrivé,  ce  semble,  dans  les  mots  français  ami,  ennemi, 
di{s)  (dico),  fourmi  (formicum),  etc.;  ainsi  qu'en  ladin  dans 
ami  fr.,  —  à  côté  de  amig,  il  est  vrai,  —  caluni  fr.  (canoni- 
cum),  /?,  fr.,  —  à  côté  de  flg,  —  miedi  fr.,  ni^ni  fr.,  spi,  — 
là  côté  de  spig,  —  etc.,  et  en  particulier  dans  les  dérivés  en 
aticum,  comme  salvadi  fr.  et  tir.,  viadi,  etc.  Cette  suppression 
toutefois  ayant  lieu  après  i,  on  ne  peut  pas  dire  s'il  n'y  a  point  eu 
contraction  de  cet  i  étymologique  et  de  Vi  secondaire  provenant 
de  c,  lequel,  comme  nous  avons  vu,  apparaît  presque  toujours 
aussitôt  que  la  voyelle  précédente  n'est  plus  i. 

Il  est  un  cas  cependant  où  la  suppression  du  c  final  avait  lieu 
réellement  dans  le  français  du  moyen-âge,  c'est  quand  c  était 
suivi  d'un  s,  soit  à  l'ancien  nominatif  singulier,  soit  à  l'accusatif 
pluriel  ;  c'est  ce  qui  est  arrivé  au  mot  blanc  dans  les  vers 
suivants  : 

Et  ont  les  dens  plus  blans  que  yvores  planés.  (Rom.  d'Al.'.) 
An  blans  dras  déliez  de  lin.  (Conte  del  Graal*.) 


i.  Wentr.  Beitr.  zur  Kenntn.  derneap.  Mund.  13.— Id.  Beitr.  zur  Ketintn. 
der  sicil.  Mund  (Herrig's  Archiv.  XX,  160.) 

2.  Voir  plus  haut,  p.  46.  —  Contrairement  cependant  à  ce  qui  se 
passe  en  provençal  et  en  français  le  c  tombe  le  plus  souvent  en  ladin 
dans  les  noms  de  lieu  dérivés  en  iacum;  ainsi  Luzariâ  (Luceriacum), 
Pahà  (Paniacum),  à  côté  de  Pahac,  etc.  Cf.  Asc.  Arch.  glott.  I,  523. 

3.  Bartsch,  Chrest.  110,  7.  -  4.  Id.,  id.  146,  40. 


—  58  — 

Il  en  est  de  même  du  mot  hauberc  dans  ces  vers  de  Blancandin 
et  l'Orgueilleuse  d'amour  : 

Et  li  ont  un  hauberc  vestu... 
Mult  ont  et  haubers  et  escus 
Destriers  et  auferrans  gernus  '. 

Les  exemples  suivants,  empruntés  à  l'Histoire  de  la  langue 
française  de  M.  Littré  ^,  mettent  ce  fait  en  évidence  :  «  Galiens 
ne  loe  mie  le  bouc  a  manger  par  ce  qu'il  engenre  mauvais  sanc. . 
e  se  li  bous  est  de  grand  aage.  »  (Alebrant,  fol.  46.)  — 
«  Si  devez  savoir  que  li  cos,  quant  il  commenche  à  canter  vaut 
miex  que  li  femiele...  Qui  prent  un  cok  bien  viel...»  (Id.,  f*»  47.) 
Cette  règle  n'est  d'ailleurs  qu'un  cas  particulier  d'une  règle 
plus  générale  qui  veut  que  toute  muette  tombe  devant  s;  les 
exemples  précédents  le  montrent  pour  t  etp  {dens  pour  dents, 
dras  pour  draps,  auferrans  pour  auf errants),  en  même  temps 
que  pour  c. 

Toutefois  les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  n'observent 
point  toujours  cette  règle  ;  ainsi  on  trouve  dans  la  Cantilène  de 
Sainte  Eulalie  corps  v.  2,  dans  le  Saint-Léger  sancz  1,  2;  9, 
2;  ainsi  que  corps,  sangs,  temps  82,  1;  32,  3;  53,  3,  etc., 
dans  la  Passion;  mais  l'Alexis  donne  déjà  régulièrement  bans, 
cors,  dras,  retors,  etc.  Au  contraire,  dans  la  Chanson  de  Roland, 
c  persiste  souvent  quoique  suivi  de  5,  comme  on  le  voit  dans 
ces  vers  : 

Sur  pâlies  ôtonw  siedent  cil  cevalers,       v.  110. 

Li  sancs  tuz  clers  parmi  le  cors  li  raiet,  v.  1980. 

Iloec  avuns  perduz  trestuz  nez  Francs,   v.  2062. 

Plaies  ai  mortels  as  costez  et  as  flancs,  v.  2065. 

De  tûtes  parz  m'ist  fores  li  clers  sancs,  v.  2066. 

Gez  blancs  osbercs  ki  dune  oïst  frémir,     v.  3484,  etc. 

Mais  jo  et  t  sont  tombés  dans  cors  v.  1980  et  parz  v.  2066, 
et  c  ou  t  est  tombé  lui-même  dans  branz  qu'on  trouve  assonnant 
avec  Francs  dans  le  vers  : 

Vengez  nos  somes  as  noz  acerins  branz,  v.  2063  ' 

On  le  voit,  au  moment  où  a  été  écrit  le  manuscrit  du  Roland 
la  règle  de  la  suppression  de  la  muette  suivie  de  s  n'était  pas 
encore  toujours  observée,  mais  elle  existait,  comme  le  montre  ce 

1.  V.  5272  et  5331. 

2.  5""'  édit.  Il,  355. 

3.  Cependant  comme  z  est  égal  en  général  à  ts,  on  ne  peut  pas  dire 
d'une  manière  absolue  que  t  soit  tombé  dans  branz,  parz,  etc.  Les  vers 
2062,  2063,  2065  et  2066  sont  cités  d'après  l'édition  de  Th.  MuUer. 


—  59  — 

Ixte  en  tant  de  passages,  et  surtout  celui  de  l'Alexis  où 
elle  n'est  jamais  violée  ;  déjà  même  au  xf  siècle  on  commençait, 
ce  semble,  à  l'appliquer;  ainsi,  tandis  qu'on  trouye  s  ancz  dans  le 
Saint  Léger,  la  Passion  nous  donne  la  forme  sanz,  13,  4  ; 
après  un  siècle  d'hésitation,  le  son  de  la  muette  dans  la  combi- 
naison es,  ps,  ts  étant  devenu  sans  doute  complètement  insensible 
à  l'oreille,  on  supprima  cette  lettre  dans  l'écriture;  c'est  ce 
que  font  toujours  les  meilleurs  manuscrits  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  période  classique  du  moyen  âge  ;  il  en  fut  de  même 
jusqu'à  ce  qu'une  fausse  érudition  vint  au  xv^  et  au  xvi^  siècle 
rétablir  ces  lettres  inutiles,  puisque  la  prononciation  n'en  tenait 
plus  compte. 

11°. 

Dans  les  exemples  que  j'ai  cités  dans  le  chapitre  précédent, 
i  apparaît  comme  le  représentant  de  la  gutturale  vélaire,  et 
nous  verrons  plus  loin  qu'il  peut  aussi  tenir  lieu  d'une  gutturale 
palatale  ;  mais  il  arrive  aussi  que,  la  gutturale  subsistant,  un  i 
n'apparaît  pas  moins  comme  produit  en  quelque  sorte  par  le 
voisinage  de  celle-ci  ;  c'est  là  un  fait  extrêmement  curieux  et 
qu'on  retrouve  à  la  fois  en  portugais  aussi  bien  qu'en  espagnol  ; 
il  semble  même  s'être  produit  dans  l'italien  allegro  (*  alacrum). 
Si  on  considère  le  changement  de  œ  {es)  en  ss  en  français  et  en 
provençal  comme  une  simple  assimilation,  \'i  qui  se  trouve  dans 
les  mots  comme  laissar  prov . ,  laisser  iranç. ,  doit  être  considéré 
non  comme  provenant  du  c,  remplacé  dans  ce  cas  par  s,  mais 
comme  produit  par  son  voisinage,  ainsi  que  cela  a  lieu  dans  le 
portugais  leixar  ;  et  l'on  a  là  dans  ces  deux  langues  un  exemple 
de  cette  production  de  Yi  par  le  voisinage  de  la  gutturale, 
qu'offrent  si  manifestement  les  idiomes  du  Sud-Ouest  et  que  les 
mots  alègre,  aigre,  etc.,  montrent  d'ailleurs  d'une  manière  non 
moins  évidente.  Cet  i  a  pu,  au  reste,  comme  cela  a  lieu  en  parti- 
culier en  espagnol,  ou  se  confondre  avec  a,  pour  donner  la 
voyelle  e  (=  a  +  i),  ou  bien,  comme  en  portugais,  donner  nais- 
sance à  la  diphthongue  ei;  dans  les  deux  cas  sa  présence  n'en 
est  pas  moins  certaine.  Voici  quelques  exemples  de  ce  singuHer 
phénomène  grammatical  : 


LAT. 

acrem 
acutum 


aigre 

agu*  V.,  aigu 


Cette  forme  agu  qu'on  trouve  encore  au  xiu'  siècle,  ainsi  dans  ce 


60  — 


alacrem 

alegre 

— 

alegre 

alegre 

aquam 

aequalem 

factum 

igual 
hecho 

— 

aigua 

ague*  V., 

*lactem 

lèche 

— 

— 

— 

laxus,  laxare  lexos 

leixar  v. 

laissar 

laisser 

macrura 
mataxam 

madexa 

madeixa 

— 

maigre 

nigrum 
pactum 

neg?'o 
pecho 

negro 

"~~ 

'~~ 

saxum 

— 

seixo 

— 

— 

aigue 


—     etc. 

Ces  exemples  nous  montrent  i  apparaissant  soit  isolé,  soit  dans 
la  diphthongue  ai  ou  ei  ou  encore  dans  e  =  ai,  dans  le  voisi- 
nage de  la  gutturale  vélaire  ;  mais  comment  en  expliquer  le 
développement?  Je  crois  que  pour  cela  on  peut  supposer  que 
pendant  la  période  de  formation  des  langues  romanes,  le  son  i 
qui  prend  si  facilement  naissance  à  la  suite  d'une  gutturale  s'est 
développé  après  le  c,  puis  a  passé  dans  la  syllabe  précédente, 
comme  Vi  de  primarium  est  venu  former  avec  a  la  diphthongue 
ie  dans  le  français  premier,  la  voyelle  e  dans  .l'espagnol 
prim^ero. 

Avec  ce  fait  se  termine  l'étude  des  transformations  générales 
du  c  vélaire  dans  la  série  gutturale ,  étude  qui  nous  l'a  montré 
persistant  le  plus  souvent  au  commencement  des  mots  et  parfois 
aussi  à  la  jSn,  s'affaibhssant,  au  contraire,  ordinairement  au 
milieu  en  g  on  en  y  (z),  ou  même  tombant.  Pour  épuiser  la  série 
de  ses  transformations,  il  faudrait  encore  parler  de  son  change- 
ment en  c,  g,  s,  z,  ts  ou  s,  qui  se  produit  surtout  dans  le  groupe 
des  langues  du  Nord-Ouest  ;  mais  je  crois  préférable  de  n'aborder 
ce  côté  de  la  question  qu'après  avoir  étudié  les  transformations 
du  c  palatal,  transformations  analogues  et  qui,  comme  telles,  sont 
le  prélude  naturel  de  l'examen  des  modifications  de  même  ordre 
du  c  véJaire.  Je  remettrai  aussi  à  la  fin  du  livre  second,  qui  doit 
être  consacré,  comme  je  l'ai  dit,  à  la  première  de  ces  lettres,  à 
parler  de  la  substitution  des  labiales  p,  b,  v,  w  ei  àe  u  aux 


vers  de  Blancandin  : 

A  l'escu  d'or,  a  l'elme  agu,  v.  5494- 

semble  bien  prouver  que  la  gutturale  a  conservé  longtemps  le  pouvoir 
de  développer  le  son  i. 

l.  Rom.  des  deux  sœurs.  Bartsch.  Chresi.  49,  47. 

Quant  avras,  Orriour,  de  Vague  prise. 


—  61   — 
leux  c  ;  pour  le  moment,  je  me  bornerai  à  dire  quelques  mots 
du  remplacement  du  c  vélaire  par  t  ou  s  dans  les  quelques  idiomes 
où  il  paraît  se  présenter. 


CHAPITRE  IV. 
SUBSTITUTION   DE   T   ET   DE   S   AU   C   VÉLAIRE. 

P. 

Nous  avons  vu  *  avec  quelle  facilité  on  peut  passer  théorique- 
ment du  son  k  au  son  t  ;  on  ne  doit  donc  pas  être  surpris  de  voir 
ces  sons  se  substituer  l'un  à  l'autre  dans  les  différents  idiomes 
indo-européens  ;  cependant  cette  substitution  n'y  est  pas  aussi 
fréquente  qu'on  pourrait  s'y  attendre  ;  on  la  trouve  toutefois 
dans  le  grec  tîç  comparé  au  latin  quis  et  au  sanscrit  kas  ;  dans 
■jrÉvTs  comparé  à  quinque  et  à  pankan  ;  dans  Téacapeç  à  côté  de 
xÉTjpsç,  de  katvâras  et  de  quatuor^.  Cette  substitution  de  sons 
que  nous  offrent  les  principales  langues  indo-européennes,  se 
retrouve  aussi  dans  l'histoire  du  latin  et  de  ses  dérivés. 

Quintilien  avait  déjà  signalé,  seulement,  il  est  vrai,  comme  un 
simple  vice  de  prononciation  enfantine,  la  substitution  d'une 
gutturale  à  une  dentale  ;  elle  se  produisait  sans  doute  à  Rome, 
comme  chez  nous  dans  les  mots  amiquié  cour  amitié,  Guieu  pour 
Dieu,  etc.  Cette  confusion  paraît  s'être  augmentée  à  l'époque  de 
la  décadence  de  la  langue  ;  elle  se  manifeste  surtout  dans  le 
groupe  tl,  changé,  comme  les  grammairiens  du  temps  nous 
l'apprennent,  dans  le  langage  populaire  en  cl  :  «  statlaris, 
sine  c  littera  scribendum  est  »,  remarque  Caper  ;  «  capitulum 
non  capiclum  »,  dit  également  l'Appendix  Probi,  et  encore 
«  vitulus  non  viclus,  —  vetulus  non  veclus^  »  ;  un  document 
de  752  donne  aussi  la  forme  veclo  qui  devait  persister,  en  se 
transformant,  dans  l'italien  vecchio  et  le  roumain  vecchiu, 
comme  capitulum,  changé  en  capiclum,  a  donné  dans  la 
première  de  ces  langues  capocchio,  etc.  On  trouve  également 
sida  pour  sit{u)la  dans  la  Loi  des  Alamans  et  sclopus  pour 
stlopus,  sclupaverit  dans  la  Loi  Salique,  etc. 


1.  P.  12. 

2.  Baudry.  Gram.  comp.  p.  108.  —  Schleicher.  Comp-  passim. 

3.  Gram.  veter.  P.  2246.  —  Gram.  M.  K.  I,  197,  198. 


—  62  — 

Tandis  que  le  changement  de  ^  en  c?  apparaît  ainsi  à  chaque 
instant,  —  du  moins  dans  le  groupe  tl  —  les  exemples  de  la 
substitution  de  tac  sont  assez  rares,  on  peut  citer  cependant 
sartophagi  (?)  Grut.,  portulaca  Var.,  martulus,  faltus  pour 
falco  (Form.  Baluze),  où  le  c  étymologique  est  précédé  de  r 
ou  de  U. 

Ces  formes  du  latin  vulgaire  ont  passé  —  celles  du  moins  où 
se  trouve  le  groupe  cl  —  dans  les  idiomes  romans  ;  c'est  ainsi 
que  martellus  substitué  à  martulus  (=  marculus)  a  donné  en 
vieux  français  martel,  qu'on  rencontre  déjà  dans  les  gloses  de 
Cassel,  franc. mod.  marteau,  prov.  martel,  ital.  martello, 
esp.  martillo,  roumanche  marti.  Ce  mot,  toutefois,  est  le  seul 
commun  aux  divers  idiomes  romans  que  je  connaisse  où  t  prenne 
la  place  de  c,  mais  les  dialectes  ladins  du  Tyrol  présentent  un 
assez  grand  nombre  de  mots  où  cette  substitution  a  eu  lieu  dans 
le  groupe  cl  initial,  mêdial  ou  final;  ainsi  tlamé  (clamare),  tlé 
(clavem),  tlau  (clavum),  tler  (clarum),  tlines  (crines),  stlù 
(claudere),  cè'rtlè  (circulare),  fiertla  (*  fericulam),  batotl 
{*  battuculum),  sartl,  zertl  (sarculum),  etc.^. 

Dans  tous  les  exemples  cités  jusqu'à  présent  du  changement 
de  c  en  ^  en  roman,  le  c  étymologique  entrait  toujours  dans  le 
groupe  cl,  dans  le  français  cartre,  chartre  (carcerem),  au 
contraire,  t  s'est  substitué  à  c  précédé  de  r  et  suivi  de  e  ou  plutôt 
d'un  second  r,  puisque  \e  doit  tomber  comme  voyelle  atone. 
Mais  c'est  là  un  fait  isolé  et  qui  ne  suppose  pas  même  nécessaire- 
ment la  substitution  de  ^  à  c^. 

Un  cas  de  confusion  entre  c  et  ^,  tout  différent  de  ceux  que 
nous  avons  étudiés  jusqu'ici,  se  présente  à  la  fin  des  mots  dans  les 
langues  du  Nord-Ouest.  Ainsi  on  trouve  dans  les  dialectes 
provençaux  du  Nord  t  substitué  à  c  dans  fiot  (focum),  formit 
(*formicum),  Mzr^aif  (Marsiacum),  Mézériat  (Miziriacus),  etc. 
Il  en  est  de  même  dans  le  ladin  du  Frioul,  dans  les  mots  bivort 
(bifulcum),  lat  et  lad  (lacum),  savût  et  saut  (sam(b)ucum)  ^. 
Le  français,  en  particulier  le  français  moderne,  substitue  aussi 


1.  Cf.  Schuch.  I,  160.  —  Diez.  Gram.  I,  210. 

2.  Schneller.  Die  rom.  Mund.  von  Tirol.  Cf.  plus  loin.  Livre  IV,  chap.  V. 

3.  Il  pourrait  se  faire,  en  effet,  que  chartre  fût  une  forme  analogue 
à  celle  du  vieux  français  vintre  (vincere),  mot  dans  lequel  il  ne  faut  pas 
voir  un  exemple  de  substitution  de  t  à  c,  mais  bien  plutôt,  le  c  étant 
tombé,  de  simple  intercalation  d'un  t  après  nr  semblable  au  t  adventif 
qu'on  trouve  entre  s  et  r  dans  connaistre,  naistre. 

4.  Asc.  Arch.  glott.  l,  522  et  523. 


—  «3  — 

parfois  t  h  c  final;  ainsi  abricot  (ital.  alberco),  artichaut  (ital. 
irticiocco),  gerfault  (ail.  gerfalc),  haubert  (ail.  halsberc), 
'lerbert  (Bert.)  pour  herberc,  paletot  pour  paletoc;  et  dans  les 
noms  de  lieu  Carbonnat  (Carbonnacum),  CM55e^(Cotiacum),etc. 
L'ancien  français  conservait,  au  contraire,  en  général,  le  c, 
par  exemple  dans  branc,  aubère,  etc.  ;  certains  manuscrits  le 
substituent  même  à  ^  et  à  d,  ainside fenc  (Huon),  renc  (Blanc), 
etc.  La  même  chose  se  présente  souvent  en  provençal,  par 
exemple  ca^ec  (cadit),  correc  (*currit),  moc  (movit),  parec 
(paruit),  parlée  (*parabolavit),  valc  (valuit),  etc. 

Quand  c  se  trouve,  comme  dans  les  exemples  qui  précèdent, 
seul  à  la  fin  du  mot,  il  est  difficile,  attendu  qu'il  est  —  du  moins 
aujourd'hui  —  le  plus  souvent  muet,  de  dire  jusqu'à  quel  point, 
lorsque  ^  en  a  pris  la  place,  il  y  a  eu  substitution  véritable  d'un 
son  à  l'autre,  ou  s'il  n'y  a  pas  là  un  simple  caprice  orthogra- 
phique ;  aussi  ne  peut-on  rien  conclure  dans  tous  ces  mots  du 
changement  du  c  ou  du  ^  étymologique  en  ^  ou  c  ;  mais  il  n'en 
est  pas  de  même  dans  les  groupes  que  j'ai  examinés  auparavant  : 
là,  la  substitution  est  incontestable. 


IP. 


Un  certain  nombre  de  noms  de  lieu  formés  à  l'aide  du  suffixe 
iacum  ou  iacus  prennent  en  provençal,  au  lieu  de  la  terminaison 
ac  ou  at,  la  finale  as  ;  par  exemple  Amas,  Arnacus  (Rhône) , 
Marsas,  Marciacum  (Gironde),  Unias,  Unisiacus  (Loire),  etc. 
Cette  désinence  se  retrouve  aussi  dans  des  noms  formés  à  l'aide 
du  suffixe  ate,  atis  ;  ainsi  dans  Carpentras  (Carpentrate), 
Coussenas  (Gurcionatis),  etc.  Comment  expliquer  la  présence 
de  r*  final  dans  ces  mots  ?  Si  on  considère  les  dérivés  en  atis, 
auxquels  les  dérivés  en  ate  auront  été  évidemment  assimilés,  on 
peut  y  voir,  je  crois,  le  résultat  de  l'assibilation  du  t  de  ate, 
atis  ;  si  on  remarque,  d'un  autre  côté,  que  c  se  change  parfois 
en  t  dans  le  suffixe  iacum,  on  pourra  admettre  qu'après  ce 
premier  changement  il  y  a  eu,  comme  dans  les  noms  en  ate,  atis, 
transformation  du  ^  en  5.  On  aurait  donc  ici  une  nouvelle 
modification  du  c  vélaire.  Mais  il  peut  se  faire  aussi,  ce  qui  est 
pourtant  moins  probable,  que,  le  c  étant  tombé  purement  et 
simplement,  Y  s  finale  ne  soit  autre  chose  que  la  terminaison  de 
l'ancien  nominatif  singulier,  trouvée  dans  le  mot  latin  lui-même 


—  64  — 

pour  les  dérivés  en  iacus,  ajoutée  par  analogie  aux  noms  formés 
à  l'aide  du  suffixe  neutre  iacum.  Quoi  qu'il  en  soit,  laissant  de 
côté  cette  forme  sans  importance,  je  termine  ici  l'étude  des  trans- 
formations générales  du  c  vélaire  pour  passer  à  celles  du  c 
palatal,  objet  du  livre  suivant. 


LIVRE  SECOND. 


TRANSFORMATIONS  DU  C  PALATAL. 


L'histoire  du  c  palatal  présente  des  difficultés  particulières, 
non  que  les  modifications  en  soient  beaucoup  plus  nombreuses 
que  celles  du  c  vélaire,  mais  à  cause  de  l'obscurité  qui  a  été  jetée 
sur  cette  question.  En  voulant,  en  effet,  comme  l'ont  fait  plusieurs 
linguistes,  trompés,  je  crois,  par  l'apparence,  en  expliquer  les 
transformations  comme  celles,  ou  même  à  l'aide  de  celles,  du  t., 
suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle,  au  lieu  de  le  faciliter,  on  a  seu- 
lement compliqué  le  problème  ;  on  n'a  fait  du  moins  que  ramener 
à  une  cause  particulière,  qui  ne  pouvait  en  rendre  raison,  un 
phénomène  général  de  phonétique.  Pour  éviter  cet  écueil,  je 
m'attacherai  à  ne  demander  qu'à  des  faits  certains  les  renseigne- 
ments dont  j'aurai  besoin,  et  je  m'efforcerai  surtout  de  ne  point 
confondre  dans  une  même  théorie  des  modifications  phonétiques 
qui,  pour  être  analogues,  n'en  reconnaissent  pas  moins  des  causes 
diverses  et  demandent  dès  lors  une  explication  différente.  La 
première  question  que  je  chercherai  d'abord  à  résoudre,  c'est 
celle  de  la  date  à  laquelle  le  c  palatal  a  dû  perdre  sa  valeur  gut- 
turale; ce  ne  sera  qu'après  y  avoir  répondu  que  j'aborderai  la 
théorie  des  diverses  modifications  qu'il  a  subies  ;  puis,  après 
avoir  examiné  rapidement  les  cas  où  il  persiste  exceptionnellement 
ou  se  change  en  spirante  gutturale,  je  passerai  en  revue  sa  transfor- 
mation en  c,  g,  s,  z,  ts  ei  dz  ,  enfin  en  spirante  dentale  {s  ou  ç, 
z,  6  et  S) .  Je  suivrai  d'aiUeurs  dans  l'étude  des  modifications  du  c 
palatal  la  même  marche  que  pour  celles  du  c  vélaire,  et  j'en  cher- 
cherai autant  que  possible  l'explication  dans  la  modification 
physiologique  des  sons,  afin  d'en  déterminer  plus  sûrement  la 
véritable  succession  chronologique. 


—  66  — 

CHAPITRE  P'. 
TRANSFORMATION    DE    CI  ET    DE   TI    SUIVIS   d'uNE    VOYELLE. 


Nous  avons  vu  qu'au  moment  de  l'invasion,  la  gutturale  pala- 
tale avait,  aussi  bien  que  la  gutturale  vèlaire,  conser\  é  sa  valeur 
primitive  ;  cependant,  tandis  que  celle-ci  a  persisté  dans  un 
grand  nombre  de  cas,  la  première,  à  de  très-rares  exceptions, 
s'est  modifiée  d'une  manière  qui  a  pu  être  différente  sans  doute, 
mais  qui  se  retrouve  également  dans  toutes  les  langues  néo-la- 
tines, et  n'a  gardé  dans  aucune  sa  prononciation  gutturale^;  cette 
transformation  se  présente  donc  comme  un  fait  véritablement 
roman  et  doit  dès  lors  être  très-ancienne  ;  mais  à  quelle  époque 
a-t-elle  eu  lieu  en  réalité  ?  Les  grammairiens  latins  du  v®  et  du 
vf  siècle,  à  plus  forte  raison  ceux  des  siècles  précédents,  l'igno- 
rent, ou  du  moins,  ce  qui  revient  au  même,  —  car  il  est  difficile 
de  supposer,  alors  qu'ils  ont  noté  avec  tant  de  soin,  comme  nous 
allons  voir,  le  changement  de  la  prononciation  de  t  devant  i  suivi 
d'une  autre  voyelle,  qu'ils  eussent  gardé  le  silence  sur  un  fait 
analogue,  s'il  s'était  produit  de  leur  temps,  —  ils  n'en  ont  point 
parlé. 

Mais,  si  les  témoignages  -directs  nous  font  défaut,  nous  en 
trouvons  d'indirects  dans  la  substitution  de  ci  à  ti  dans  les  ins- 
criptions, t  suivi  de  ^  et  d'une  autre  voyelle  avait  au  vf ,  et 
peut-être  même  au  v®  siècle  de  notre  ère,  perdu  le  son  dental 
pour  se  changer  en  sifflante.  Nous  avons  à  cet  égard  les  témoi- 
gnages les  plus  formels  :  «  Quotiescunque  post  ti  vel  di  syllabam 
sequitur  vocalis,  illud  ti  vel  dim  sibilum  vertitur  ~,  »  dit  l'Afri- 
cain Pompeius,  qui  vivait  probablement  au  vi®  siècle.  Dans  son 
Ars  de  Barbarismis,  un  disciple  de  Donat,  le  Gaulois  Consen- 
tius,  originaire  d'une  famille  connue  dans  les  lettres  au  v'^  siècle, 
parle  lui  aussi  de  cette  assibilation  de  ti,  mais  comme  d'un  fait 
qui  n'était  pas  encore  généralement  répandu  :  «  In  littera  t,  dit- 
il  ^,  aliquid  ita  pingue  nescio  quid  sonant,  ut  cum  dicunt  etiam, 


1.  Il  faut  excepter  toutefois  le  sarde  logoudorien,  comme  je  l'ai  déjà 
dit  et  comme  on  verra  plus  loin. 

2.  Gramm.  lut.  V,  286  K. 

3.  Gramm.  lut.  V,  395  K.  Le  défaut  contre  lequel  Gonsentius  s'élève 


—  67  — 

nihil  de  média  syllaba  infringant.  Grseci  contra,  uM  non  debent 
infringere,  de  sono  ejus  infringunt,  ut,  cum  dicunt  Ojjthnum, 
mediam  syllabam  ita  sonent  quasi,  post  t,  z  grsecum  ammis- 
ceant.  »  —  «  Cum  justitia  z  litterse  sonum  exprimat,  tamen 
quia  latinum  est  per  t  scribendum  est,  sicut  militia,  malitia, 
nequitia  et  caetera  similia,  »  disait  à  son  tour,  à  la  fin  du  vf  ou 
au  commencement  du  vip  siècle,  Isidore  de  Séville  K  Ainsi, 
d'après  Pompeius,  ti  suivi  d'une  autre  voyelle  avait  un  son 
sifflant,  et  d'après  Consentius  et  Isidore  de  Séville,  ce  son  était 
analogue  à  celui  du  Z,  grec,  c'est-à-dire  à  ts  ou  dz. 

Ces  témoignages  si  positifs  se  trouvent  encore  confirmés  par 
les  transcriptions  grecques  des  mots  latins  au  vf  et  vii^  siècle  ; 
ti,  qui  sous  l'empire  était  représenté  par  xt,  —  ainsi  Mapxioç  {Mar- 
tius)  Roxovxtoç  (  VocontiusJ,  —  l'est  maintenant  par  C^  ;  on  lit 
dans  les  Chartes  de  Ravenne  : 

3o)vaCto(v£),  SwvaÇiovcii,  Mar.  Pap.  dip.  xciii,  83,  89. 

Bovax^iovEç  id.                       ex,     9. 

axxî^to  id,                        ex,     18. 

xopsî^ovs  id.                     xeiii,  83^. 

On  trouve  également  dans  les  Chartes  de  Naples  le  gothique 
Kautsjôn  pour  cautionem.  Enfin  les  inscriptions  latines  de  la 
même  époque  nous  offrent  plus  d'un  exemple  de  cette  trans- 
formation du  t  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle.  On  trouve  peut- 
être  dès  le  iv^  siècle  Constanzii,  Tezianus,  qui  nous  montrent 
le  t  de  ti  suivi  d'une  autre  voyelle  remplacé  par  z,  avec  persis- 
tance de  Vi  atone  ^.  A  la  place  de  tzi  ou  zi,  des  inscriptions 
donnent  5^,  par  exemple  Volcasius,  Vessius  (Renier),  Vocon- 
sius  (Steiner),  nunsius  (Fabr.),  observasione  (Leblant,  Lyon, 
v«  siècle),  Marsius  (Pard.  670  ap.  J.-C),  etc.  Dans  d'autres, 
au  contraire,  i  disparaît,  et  ti  est  par  conséquent  remplacé  par 
tz,  ts,  z  ou  zz  ;  ainsi  Caritze,  Bonizza,  Costantso  et  Cos- 


n'était  autre  que  Viotacisme,  signalé  aussi  par  Pompeius  :  «  lotacismi 

fît  iioc  vitium,  quotiens  post  ii  vel  di  syllabam  sequitur  vocalis,  si  non 
sibilus  sit.  Non  debemus  dicere  ita,  quemadmod um  scribitur,  Jï7ms,  sed 
TUsius.Ev%o  si  volueris  ti  velrfi.  noli,  quemadmodum  scribitur,  proferre, 
sed  sibilo  profer.  »  (Id.,  V,  280.) 

1.  Origines.  L.  I,  26.  Ed.  Lind. 

2.  Cf.  Cors.  id.  I,  65.  —  Schuch.  id.  ],  153.  —  Diez,  Gr.  I,  229. 

3.  Schucbardt  donne  encore  Bonifatsius  que  Corssen  rejette  non  sans 
raison,  je  crois,  comme  douteux,  et  Cretsentsianus,  cité  par  Gruter,  mais 
qui  est  évidemment  une  leçon  fautive.  Cf.  Sch.  Voc.  J,  153  et  Cors. 
Aussp.  1,  65. 


—  68  — 

tanzo,  TCopeî^cve  (Arch.  Rav.).  On  trouve  même  avec  ss  ou  sim- 
plement s  :  Crassano  (Mai,  iv"  siècle),  Marsas  (Ren.  442  ap. 
J.-C),  sapiensa^. 

Toutes  ces  inscriptions  n'ont  pas  sans  doute  la  même  valeur, 
et  peut-être  quelques-unes,  au  lieu  de  témoigner  d'une  modifica- 
.  tion  récente  du  ^,  ne  sont-elles  que  des  provincialismes  ou  des 
restes  de  l'assibilation  de  ^z  particulière  de  tout  temps  à  l'ombrien 
et  à  l'osque  ^  ;  mais  le  témoignage  formel  des  grammairiens  que 
j'ai  cités,  et  les  exemples  multipliés  qui  apparaissent  depuis  le 
v"  siècle  prouvent  de  la  manière  la  plus  certaine  qu'à  partir  de 
cette  époque  t ,  suivi  d'un  i  et  d'une  autre  voyelle,  tendit  à  se 
changer  définitivement  en  ts,  son  qui  fut  désormais  reconnu 
comme  le  seul  régulier,  quoiqu'il  ne  fût  pas,  comme  nous  l'ap- 
prennent Consentius  et  Pompeius,  toujours  employé^. 

Mais  on  ne  trouve  pas  seulement  ti  remplacé  par  {t)zi  ou  si, 
on  rencontre  aussi  à  sa  place  la  transcription  ci.  Cette  substitu- 
tion se  présente  d'ailleurs  dans  les  conditions  les  plus  différentes 
et  qui  dès  lors  n'ont  pas  la  même  signification.  Ainsi  il  semble 
qu'on  écrivit  indifféremment  par  ci  ou  ti  les  mots  Larcins  et 
Lariius,  Marcius  et  Martia,  Mucius  et  Mutins,  Volcacius 
et  Volcatius,  etc.^.  Dans  les  suivants,  au  contraire,  cza  été  cer- 
tainement mis  pour  ti  : 

terminac(iones),  defenicionis  Rev.  arch.  Par.  x,  218.  (Med- 

jana,  a  220-235.) 
disposicionem,        Inscr.  R.  Neap.  109. 
periciœ  Corp.  Inscr.  Rhen.  Bramb.  1070. 

ocio  Gruter  462,  1.  (389  apr.  J.-C.) 

Prudencius  Corp.  Inscr.  Rhen.  —  Bramb.  1048,  etc. 

Enfin  du  commencement  du  vif  siècle  : 

neguciatoris  ^ 

recordacionis  I       Le  Blant,  Insc.  chrét.  IV,  17.  (Lyon, 

oracionem      l  601  ap.  J.-C.) 

stacio  ) 

colpacioni  id.  id.  10  (Autun),  etc. 

En  Gaule,  en  particulier,  cette  confusion  devint  générale  à 


1.  Schuch.  id.  I,  152. 

2.  Cors.  id.  I,  62. 

3.  Voir  plus  haut^  p.  66. 

4.  Cors.  id.  I,  53. 


—  69  — 

partir  du  vif  siècle,  et  les  Chartes  mérovingiennes  en  offrent  de 
nombreux  exemples  ;  la  substitution  de  ci  à  ti  y  apparaît,  même, 
dès  le  siècle  précédent,  mais  seulement  comme  exception,  soit 
qu'on  ne  confondît  encore  que  rarement  ces  deux  sons  dans  le 
langage,  soit  que  les  copistes  eussent  conservé  encore  les  anciennes 
traditions  orthographiques  ;  ainsi  on  trouve  dans  une  charte  de 
558  precio  pour  pretîo,  et  par  contre  juditiaria  ipour  Judi- 
ciaria  ;  mais  partout  ailleurs  ci  et  ti  persistent.  Il  en  est  tout 
autrement  dans  les  chartes  du  temps  de  Dagobert,  de  Chlodovig 
et  de  Chlotaire  II  ;  ti  n'est  plus  qu'une  forme  exceptionnelle,  ci 
la  forme  ordinaire  ;  ainsi  donaciones,  referencia,  gracia,  sub- 
scricionebus  ;  —  à  côté,  il  est  vrai,  encore  de^e^zV^,  donatione, 
prescriptionem  (a.  625),  etiameiprœceptione,  etc.  (a.  627);  — 
peticionibus,  propicio,  adjaeenciis,  roboracione,  vendi- 
cionis,  porciones,  postolacione ,  tucius,  suscripcionebus,  et 
seulement  prœceptio  et  pactione  (a.  628)  ;  une  charte  de  l'an- 
née 631  faite  à  Clichy  et  portée  sous  le  n"  7  de  la  collection 
Tardif  a  partout  ci  à  la  place  de  ti  ;  dans  la  charte  suivante,  au 
contraire,  ti  apparaît  trois  fois  dans  benefitia,  famulantiuni, 
redibitiones ;  les  chartes  n°  11  de  653,  n"  12  de  656,  etc., 
n'offrent  plus  que  ci;  la  charte  n°  10  de  652,  par  laquelle 
l'évêque  de  Paris,  Landry,  faisait  abandon  de  ses  droits  épisco- 
paux  sur  l'abbaje  de  Saint-Denis,  fait  exception  ;  ci  pour  ti  ne 
s'y  rencontre  qu'une  fois,  ti  a  persisté  partout  ailleurs  ;  ainsi 
gratia,  providentia,  altiora,  eicJ  Evidemment  cette  exacti- 
tude orthographique  tient  à  ce  que  le  scribe  avait  une  connais- 
sance du  latin  plus  grande  que  ses  devanciers  ou  que  ses  succes- 
seurs ;  mais  quand  la  tradition  ne  les  faisait  pas  se  conformer  à 
l'ancienne  orthographe  latine,  les  scribes  du  vif  siècle,  on  le 
voit,  mettaient  presque  constamment  ci  à  la  place  de  ti. 

Comment  expliquer  cette  confusion  entre  deux  sons  originai- 
rement si  différents?  répondait-elle  à  une  confusion  de  prononcia- 
tion, rendue  seulement  possible  par  une  transformation  delà  syllabe 
ci  analogue  à  celle  de  ti?  Il  faut  distinguer  entre  les  époques;  les 
témoignages  nombreux  et  irréfutables  que  j'ai  donnés  de  la  per- 
sistance du  son  guttural  du  c  palatal  jusqu'au  vf  siècle  ne  per- 
mettent pas  de  croire,  pour  les  exemples  du  m®,  que  ci  y  repré- 
sente la  prononciation  de  ti  assibilé  ;  ce  n'est  pas  non  plus  entre 
le  son  assibilé  de  ti  et  celui  qu'eut  ci  après  sa  transformation 
définitive  que  la  confusion  eut  alors  lieu ,  mais  entre  le  son  que 


1.  Monuments  historiques,  p.  p.  J.  Tardif. 


—  70  — 

prirent  ces  deux  syllabes  avant  de  se  changer  en  tsi  ou  ci\ 
antérieurement  à  cette  transformation  dernière,  en  effet,  comme 
le  remarque  avec  raison  R.  vonRaumer^  ci  et  ti  durent  prendre  un 
son  palatal  qui  les  rendit  presqu  identiques  ;  c'est  par  la  confu- 
sion entre  ces  sons  kjy  tj,  intermédiaires  à  ki  et  ti  d'une  part, 
à  tsi  ou  ci  de  l'autre,  que  s'explique  celle  qui  se  fit  alors  dans 
l'emploi  du  <?  et  du  ^  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle.  Quant  aux 
exemples  du  vu®  siècle,  ils  ont  une  tout  autre  signification  ;  à 
cette  époque,  t  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle  avait  perdu  depuis 
plus  d'un  siècle  sa  prononciation  dentale  originaire  et  pris  le  son 
tsi,  zi  ou  ts,  z  ;  pour  qu'on  pût  donc  lui  substituer  ci,  il  fallait 
que  le  c  de  cette  dernière  syllabe  eût  de  son  côté  perdu  sa 
valeur  gutturale  primitive  et  pris  une  prononciation  analogue  à 
celle  de  ti  transformé,  c'est-à-dire  à  ts{i)  ou  z.  Quelques  inscrip- 
tions viennent  confirmer,  à  ce  qu'il  semble,  ce  fait  ;  ainsi  : 

LuziœeiMarziœ'^ViY2ii.Ant.Italicœil04:,^ei\S92,i2{\Jce\Àdi) 
onzias  Mui-at.  id.  II,  25  (Lomb.  715?) 

Il  faut  probablement  y  joindre 

Felissiosa  Renier  I,  2358  (Aquartillse). 

provins.  Bull.  arch.  Rom.  1860  p.  171  ^. 

Si  la  confusion  était  possible  entre  ci  et  ti,  le  son  de  ces  deux 
syllabes  était-il  identique?  En  d'autres  termes  ci  avait-il  au 
moment  où  il  a  commencé  à  être  confondu  avec  ti  le  même  son 
que  cette  sjdlabe?  D'après  un  commentateur  de  Donat,  dont  nous 
ignorons  malheureusement  l'époque  et  la  nationalité,  ci  et  ti  ne 
se  prononçaient  pas  de  la  même  manière  :  «  alterum  sonum,  dit-il, 
habet  i  post  t  et  alterum post c ,  nam  post  c  habet  pinguem  sonum, 
post  t  gracilem  ^.  »  Quel  était  ce  son  grêle  que  i  prenait  après  t, 
le  son  épais  qu'il  avait  après  c?  Le  renseignement  du  disciple  de 
Donat  s'applique-t-il  à  la  période  où  c  et  ^  s'étaient  complète- 
ment transformés,  ou  à  cette  période  antérieure  où  ils  avaient 
une  valeur  palatale  ?  Il  est  difficile  de  répondre  à  cette  question , 
mais  il  semble  qu'à  l'origine  ci  et  ti  transformés  eurent  une 
valeur  distincte,  et  cette  circonstance  que  l'italien,  qui  mieux  que 
les  autres  langues  romanes  a  dû  conserver  les  traditions  de  l'an- 
cienne prononciation,  a  donné  en  général  à  ti  le  son  àez{i),  à  ci, 


1.  R.  von  Raumer,  Gesamm.  sprachw.  Schriften,  92. 

2.  Cf.  Schuch.  id.  1,  155.  —  Cors.  id.  I,  59. 

3.  Gramm.  lat.  V,  327  K. 


—  71    — 

au  contraire,  celui  de  c(^i),  m'en  paraît  une  preuve  irréfutable  ; 
seulement  dans  certains  cas  aussi,  ces  deux  syllabes  purent  avoir 
la  même  prononciation,  de  même  qu'en  se  modifiant  simultané- 
ment, elles  finirent  par  devenir  identiques  dans  les  langues  du 
double  groupe  occidental^,  tandis  qu'au  contraire  elles  sont  restées 
distinctes,  pour  le  plus  grand  nombre  de  cas,  dans  le  groupe 
oriental  ^ 

Nous  sommes  arrivés  à  ce  résultat  qu'au  vif  siècle  de  notre 
ère,  c,  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle  avait  perdu  sa  prononcia- 
tion gutturale  ;  mais  en  était-il  de  même  quand  c  était  suivi  d'un 
seul  i  ou  d'un  seul  e  ?  Les  linguistes  qui  ont  cherché  unique- 
ment dans  le  changement  de  la  voyelle  i  de  la  terminaison  dus 
en  i  consonne  l'explication  de  la  transformation  du  c  qui  le  pré- 
cède, ont  rencontré  ici  une  insurmontable  difficulté  :  pourquoi, 
en  efiet,  si  Yi,  en  se  consonnifiant,  est  la  seule  cause  de  la  trans- 
formation du  c  précédent ,  cette  consonne  a-t-elle  pris  aussi 
devant  un  seul  e  ou  i  le  même  son  c?  Evidemment  il  n'y  a  pas 
de  réponse  à  la  question  ainsi  posée,  et  rien  ne  prouve  mieux 
qu'il  faut  chercher  ailleurs  la  solution  du  problème.  D'ailleurs 
cette  explication  même  ne  ferait  que  reculer  la  difficulté  sans  la 
résoudre  :  il  resterait  toujours  à  dire,  en  effet,  —  ce  qu'on  n'a  point 
fait  encore,  je  crois, — pourquoi  Yi  demeuré  voyelle  jusque-là  s'est 
tout-à-coup  changé  en  consonne  ;  or  ces  deux  faits,  consonnifi- 
cation  de  Yi,  modification  de  la  consonne  précédente,  sont  soli- 
daires l'un  de  l'autre  ;  si  le  second  suppose  le  premier,  le  premier 
ne  suppose  pas  moins  dans  une  certaine  mesure  le  second,  et  tous 
deux  ne  sont  que  le  résultat  complexe  de  l'ébranlement  qui  se 
produisit  alors  dans  le  système  phonétique  du  latin.  Mais  une 
fois  que  cet  ébranlement,  qui  a  surtout  affecté  les  gutturales,  se 
fut  produit,  il  n'y  avait  pas  de  raison  pour  que  le  c  palatal,  — 
pour  ne  parler  que  de  cette  lettre,  —  conservât  sa  valeur  origi- 
naire devant  une  voyelle  simple  plutôt  que  devant  le  groupe  ia 
ou  ius.  D'où  vint  en  effet  sa  transformation?  De  la  modification 


1.  Voir  plus  loin,  ch.  IV  et  V.  —  Il  peut  se  faire  aussi  que  la  différence 
qui  apparaît  clans  le  traitement  de  ti  et  de  ci  en  italien  tienne  à  ce  que 
ti  s'étant  modifié  plus  tôt  que  ci  est  ai-rivé  à  la  forme  is,  alors  que  ci 
n'en  était  qu'à  c;  d'ailleurs  ti  précédé  de  c  ou  de  7;  a  donné  c  comme  ci. 
La  seule  différence  fondamentale  qui  a  dû  se  manifester  dans  la  trans- 
formation de  c  et  de  t  n'existe  à  vrai  dire  que  dans  le  cas  où  ils  sont 
suivis  d'un  seul  e  ou  d'un  seul  i;  c  est  devenu  alors,  comme  quand  il 
est  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle,  c;  t,  au  contraire,  quand  il  s'est 
modifié,  n'a  pu  donner  que  ts. 


—  72  — 

apportée  aux  gutturales  à  l'époque  de  la  destruction  de  l'empire. 
Jusque-là  on  avait  formé  l'obstacle  nécessaire  à  la  production  de 
la  gutturale  palatale  assez  en  arrière  du  palais  dur,  près  de  la 
limite  du  palais  mou,  on  le  forma  désormais  plus  avant,  dans  la 
position  où  se  fait  entendre  la  vraie  palatale  k  ;  en  avançant 
encore  cet  obstacle,  on  devait  naturellement  arriver  au  son  c, 
que  le  c  fut  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle  ou  d'un  seul  e  ou  i  atone 
ou  accentué.  C'est  dans  le  fait  ce  qui  a  eu  lieu.  Nous  avons  vu 
que  la  transformation  de  dus,  cia,  cium  ne  devint  générale 
qu'à  la  fin  du  vf  ou  au  vii^  siècle  de  notre  ère  ;  dès  le  suivant,  le 
c  suivi  d'un  seul  e  ou  i  qui  était  remplacé  jusque-là  par  k  en 
allemand,  y  est  représenté  maintenant  par  z  ou  par  c,  par 
exemple  : 

chruzes       (crucis)      Hymn.  'cet.  eccl.  xxvi,  éd.  J.  Grimm 

p.  40  (viiF  siècle). 
cit  pour  zît  (tempus)      Kero  p.  17  (vers  750). 
luciles  (parvi)  '    Tat.  (ix^  siècle)  lu,  5. 

lucil  (parvum)  id.      id.         cxxxix,  10. 

Des  inscriptions  latines  de  la  même  époque,  ou  même  anté- 
rieures, nous  montrent  également  c  suivi  d'un  seul  e  ou  i  déjà 
transformé  ;  ainsi  : 

Bincentce         Mai.  Inscr.  chrét.  423,  1. 
intcitamento     Bull.  arch.  rom.  1857,  p.  37.  (Aricia,  prem. 

moitié  du  v*  siècle.) 
paze  Mur.  1915,  3.  (Interamna,  fin  du  vi*  siècle.) 

Tzitane,  Zitane  (Kst-awe),  etc.  Mar.  Pap.  dipL  cxxii  (Rav. 

591  ap.  J.-C.) 
zeterorum        Pard.  App.  xiii,  6  (Kopie,  700  ap.  J.-C.) 
sisternœ  (.?)  id.         cxi,  65  (  id.    528        id.     ) 

cathazizat        Gloss.  du  viip  siècle.  Grafï.  A.  h.  d.  sprach- 

denk.^ 

Ainsi  la  modification  du  c  suivi  d'un  seul  e  ou  i  s'est  produite 
suivant  toute  vraisemblance  en  même  temps  que  sa  transforma- 
tion devant  i,  suivi  d'une  autre  voyelle,  ou  ne  lui  a  pas  été  de 
beaucoup  postérieure  ^.  Mais  comment  expliquer  le  changement 
d'une  gutturale  simple  dans  un  des  sons  composés  c,  g  ou  ts,  et 
quelles  en  ont  été  les  modifications  successives?  Telle  est  la 

1.  Cf.  Schuch.  id.  \,  163. 

2.  C'est  aussi  l'opinion  de  Diez,  Gr.  I,  251,  et  de  Schuch.  id.  I,  163. 


—  7H  — 

double  question  qu'il  me  faut  maintenant  essayer  de  résoudre 
phonétiquement,  après  en  avoir,  comme  je  me  suis  efforcé  de  le 
taire  jusqu'ici,  déterminé  la  date  et  montré  le  développement 
historique. 


CHAPITRE   Jl. 
CHANGEMENT   DU   C   PALATAL   EN    G. 

Le  son  c  est  commun  dans  les  langues  indo-européennes,  et  il 
y  apparaît  le  plus  souvent  comme  une  transformation  de  la  guttu- 
rale soit  palatale,  soit  même  vélaire  ^  C'est  comme  tel  que  le 
connaissent  parmi  les  anciens  idiomes  le  sanscrit,  le  zend  et  l'an- 
cien bulgare  ou  slavon.  Ainsi  : 

lat.  quatuor  lit.  keturi  scr.  katur      si.  cetyryge 

lat.  quinque  scr.  panJian 

scr.  kan  (prier)  zend  kahara  (3e  p.  s. 

parf.  ) 
scr.  kart  (fendre)  lit.  kertu  (je  coupe)         si.  crutati  (échancrer) 
scr.  kas    lat.  quis,  quid  zend  Ras,  Rit 

lat.  vocern  scr.  vaJiam  ^ 

Les  idiomes  modernes,  ceux-là  mêmes  qui  sont  sortis  des 
langues  primitives  qui,  comme  le  latin  et  les  anciens  dialectes 
germaniques,  avaient  conservé  le  plus  fidèlement  au  k  sa  valeur 
originelle,  n'offrent  pas  de  moins  nombreux  exemples  de  la  trans- 
formation de  cette  gutturale  en  c.  Ainsi  en  ancien  norois  le  k 
avait  gardé  sa  valeur  gutturale  ;  mais  le  suédois  l'a  changé, 
d'après  Rask,  en  c  au  commencement  des  mots  ;  ainsi  kek 
(mâchoire),  kisel  (caillou),  kenna  (connaître),  kysk{ch.2iSie),  se 
prononcent  tchek,  tchisel,  tchenna,  tckysk.  Le  k  prend  aussi 
souvent  un  son  analogue  en  danois  ;  il  ne  s'est  pas  moins  profon- 


1.  Cette  transformation  n'est  pas  d'ailleurs  particulière  à  ces  idiomes, 
mais  on  la  retrouve  dans  presque  toutes  les  langues;  ainsi,  tandis  que 
les  Arabes  d'Egypte  donnent  au  chien  le  nom  de  kelk,  les  Bédouins  du 
désert  l'appellent  ischelk;  dans  le  chinois  aussi  kh,  k,  h  se  changent 
parfois  en  ts,  ds.  Encijcl.  von  Eisch  u.  Gruber,  Art.  c. 

2.  Schleicher,  Comp.  passim.  II  ne  faut  pas  oublier  toutefois  qu'en 
sanscrit  k'  paraît  représenter  bien  plutôt  la  vraie  palatale  A-,  que  la  chuin- 
tante c. 


_  74  — 

dément  modifié  dans  le  frison  ^;  mais  parmi  les  idiomes  germa- 
niques, c'est  surtout  dans  le  passage  de  l'anglo-saxon  à  l'anglais 
que  les  exemples  de  la  transformation  du  c  {k)  en  c  {ch)  abondent, 
et  que  ce  phénomène  s'est  à  la  fois  étendu  et  généralisé.  Tandis, 
en  effet,  que  le  c  anglo-saxon  a  gardé  sa  valeur  gutturale  en  anglais 
devant  a,  o,  u  et  l,  n,  r,  il  s'est  presque  toujours  dans  ce  der- 
nier idiome  changé  en  c  devant  les  voyelles  e  et  i  et  les  diph- 
thongues  ou  brechungs  commençant  par  l'une  d'elles,  transfor- 
mation qui  se  manifeste  déjà  dans  le  nouvel  anglo  -  saxon , 
quoique  peut-être  d'une  manière  moins  générale.  Voici  quelques 
exemples  de  cette  modification  de  la  palatale  germanique  : 

ANGL. 

Chili 
cheese 
chin 
child 
check 
chaff 
chalk 
cheap 
churl 
(to)  choose 

Quand  la  gutturale  primitive  était  représentée  par  ku  ou  qu, 
elle  a  persisté  malgré  la  chute  de  Yu.  Ainsi  : 


V.   ANG.-SAX. 

cele 

N.  ANGL.-SAX 

chele 

cêse 

cin 

cild 

chin 
child 

ceâc 
ceaf 
cealc 

chaf 

ceâp 
ceorl 

cheorl 

ceosan 

cheosey 

quellian  cvellan 

V.  h.  a.  kuani  cène 


kiU 
keen 


Il  en  est  de  même  parfois  quand  c  est  suivi  de  e  ou  i,  non  pri- 
mitifs mais  substitués  à  a,  o,  et  le  plus  souvent  de  y,  umlaut  de 
u.  Ainsi  on  a  par  exemple  : 


GOT. 

V.  ANG.  SAX. 

N.  ANG.   SAX. 

ANQ. 

katils 

cetel 

— 

kettle 

cunni 

cynn 

ken 

kin 

cuning 

cyning 

king 

king 

cussian 

cyssan 

— 

(to) 

\  kiss 

— 

cyrice 

chirche 

éc. 

church 
kirke^. 

t.  Grimm,  Gesch.  der  deutschen  Sprache,  l,  272.  —  Id.  Deutsche  Gram. 
I»,  232,  474,  485. 

2.  Koch,  Eng.  Gram.  I,  128,  129.  —  W.  MûUer,  Etym.  Wœrt.  der  engl. 
Sprache,  s.  v.  —  Grimm,  Deustche  Gram.  1%  437. 


—  73  — 
mns  les  langues  romanes,  le  changement  du  c  en  c  est, 
comme  dans  les  langues  germaniques,  devenu  un  procédé  régu- 
lier de  formation  ;  habituel  en  italien,  en  roumanche  au  commen- 
cement des  mots,  et  dans  un  des  dialectes  roumains,  —  celui  du 
Nord,  —  devant  e  eti,  il  se  produit  aussi  en  français  et  souvent 
en  provençal,  ainsi  que  dans  certains  dialectes  ladins,  devant  a, 
et  parfois  même  devant  o  et  u,  affaiblis,  il  est  vrai,  en  o,  e  ou  u\ 
comment  expliquer  cette  transformation  commune  à  tant 
d'idiomes,  parlés  par  des  peuples  si  divers  et  nés  sous  des  climats 
non  moins  différents  ?  Peut-on  et  doit-on  l'attribuer  à  une  seule 
et  même  cause,  ou  bien  faut-il,  comme  on  l'a  fait  parfois,  cher- 
cher une  explication  particulière  pour  le  changement  du  c  suivi 
de  i  et  d'une  autre  voyelle,  ou  seulement  de  i  ou  de  e,  ou  encore 
d'une  voyelle  autre  que  i  ou  e?On  pourrait  se  borner  à  constater 
le  fait  et  conclure  de  sa  généralité  à  la  loi  qui  le  régit  ;  mais  il 
est  possible  d'aller  plus  loin. 

Un  fait  qui  frappe  dans  l'étude  des  transformations  du  c  roman, 
c'est  que  l'obstacle  nécessaire  à  sa  production,  lequel  se  formait  à 
l'origine  au  fond  de  la  cavité  bucale  près  du  palais  mou,  ou  contre 
le  palais  mou,  suivant  qu'il  s'agit  du  c  palatal  ou  du  c  vélaire, 
s'est,  dans  les  modifications  successives  subies  par  cette  lettre, 
formé  de  plus  en  plus  en  avant,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été,  dans 
l'espagnol  et  dans  quelques  dialectes  provençaux  ou  ladins,  formé 
par  la  pointe  de  la  langue  et  le  bord  des  dents  ;  il  y  a  là  une 
tendance  difficile  à  expliquer,  mais  à  laquelle  ont  obéi 
fatalement  les  peuples  romans.  Ceci  posé,  voyons  ce  qui  se  passe 
quand  la  langue,  au  lieu  de  venir  s'appuyer  contre  le  palais  mou, 
pour  former  l'obstacle  nécessaire  à  la  production  du  k  vélaire, 
forme  cet  obstacle  plus  en  avant.  Dans  ce  cas,  au  lieu  de  la 
vélaire  k,  on  produit  la  palatale  k^;  si  on  forme  l'obstacle  encore 
plus  en  avant,  on  produit  un  son  approchant  de  celui  de  kj\ 
composé  de  la  gutturale  proprement  dite  suivie  de  la  spirante 
correspondante  ;  en  avançant  encore  davantage  l'obstacle  formé 
par  la  langue,  on  franchit  le  domaine  du  k  pour  entrer  dans 
celui  du  t,  et  au  lieu  du  son  kj,  on  fait  entendre  le  son  c,  composé 
du  t  dorsal  et  de  la  spirante  s,  c'est-à-dire  ts  ou  tch. 

On  le  voit  par  là,  c  est  le  son  qui  se  produit  quand  on  passe  de 
la  série  du  k  à  celle  du  t,  c'est  une  espèce  de  compromis  entre  le 
son  guttural  pur  et  le  son  dental;  aussi  n'a-t-il  pu  prendre 
naissance  que  dans  les  idiomes  dont  le  système  phonétique  avait 
perdu  sa  force  primitive  ;  voilà  pourquoi  sans  doute  on  ne  le  ren- 
contre ni  dans  l'ancien  grec,  ni  dans  le  latin,  ni  dans  le  gothique. 


—  76  — 

où  gutturales  et  dentales  ont  conservé  fidèlement  leur  valeur  ori- 
ginaire ;  il  apparaît,  au  contraire,  dans  la  plupart  des  langues 
qui  en  sont  dérivées,  et  qui,  comme  nous  le  savons,  ont  profondé- 
ment modifié  leurs  consonnes  ;  on  voit  même  ce  son  c  coexister 
avec  le  son  guttural  dans  certains  dialectes,  c'est  ainsi  qu'en 
normand  chien  se  dit  suivant  les  localités  et  parfois  dans  la  même 
localité  tchien  ou  kien,  qu'en  vénitien  chiave  se  prononce  indif- 
féremment kiave  et  ciave,  etc.  Il  y  a  là  ainsi  comme  une  erreur 
de  la  langue  qui  prend  au  hasard  la  position  où  se  produit  la  gut- 
turale, ou  une  position  intermédiaire  entre  le  lieu  où  se  produit 
cette  dernière  et  la  dentale.  Cette  position  intermédiaire  étant 
celle  qui  correspond  à  la  formation  de  Yi,  et  aussi,  à  peu  près  du 
moins,  à  celle  de  l'e,  le  changement  de  ^  en  c  doit  avoir  lieu 
surtout,  et  les  faits  le  démontrent,  pour  la  gutturale  palatale;  a, 
au  contraire,  étant  de  même  ordre  que  la  gutturale  vélaire,  sa 
juxtaposition  à  cette  dernière  ne  peut  qu'en  favoriser  la  conser- 
vation, u  {ou)  appartenant  à  l'ordre  des  labiales,  sa  présence  à 
côté  de  la  gutturale  ne  peut  non  plus  amener  l'affaiblissement  ou 
la  modification  de  celle-ci  ;  aussi  k  suivi  de  u  a-t-il  persisté,  à 
part  de  très-rares  exceptions,  dans  toutes  les  langues  romanes,  et 
ne  s'est-il  modifié  devant  a  que  dans  un  petit  nombre  d'entre 
elles.  Comment  même  a-t-il  pu  se  transformer  devant  cette  der- 
nière voyelle  ? 

J'ai  déjà  implicitement  répondu  à  cette  question  en  montrant 
que  si  au  lieu  de  former  l'obstacle  nécessaire  à  la  production  de 
la  gutturale  contre  le  palais  mou,  on  le  forme  contre  le  palais  dur, 
au  lieu  d'une  vélaire  on  donne  naissance  à  une  palatale,  laquelle, 
étant  traitée  comme  une  palatale  primitive,  donnera  forcément, 
en  se  modifiant,  le  son  c.  L'histoire  des  langues  nous  montre  par 
le  fait  que  cette  transformation  est  fréquente  ;  elle  n'est  pas  rare 
en  sanscrit,  et  Bopp,  généralisant  trop,  il  est  vrai,  un  fait  parti- 
culier, est  allé  jusqu'à  regarder  les  palatales  comme  sorties  des 
gutturales  ^  On  la  retrouve  en  zend,  et  les  idiomes  modernes 
nous  en  offrent  de  nombreux  exemples  ;  ainsi  en  anglais  les  mots 
card,  cube,  cow,  sont  souvent  prononcés  kyard,  kyube,  kyow^; 
et  si  c'est  là  une  prononciation  provinciale  ou  archaïque,  du 
temps  de  Walker  elle  était  tellement  en  usage  qu'il  trouvait 


1.  «  Dièse  Classe,  dit-il  en  parlant  des  premières,  ist  aus  der  vorher- 
gehenden  entsprungen  und  als  Erweichung  derselben  anzusehen.  » 
Vergl.  Gram.  p.  13. 

2.  Max  Miillcr.  Nouv.  leç.  sur  la  science  du  langage,  I,  179. 


—  77  — 

^^mpbssible  »  de  prononcer  carriage ,  gaTrxsmT^  sans  faire 
suivre  la  gutturale  du  son  i  ' . 

Là  se  sont  arrêtées,  en  ce  qui  concerne  le  c  vélaire  du  moins, 
les  langues  germaniques  ;  les  langues  romanes  sont  allées  plus 
loin.  Nous  trouvons  en  particulier  dans  les  dialectes  ladins  toute  la 
série  des  transformations  du  c  vélaire  dans  son  passage  du  son  k 
au  son  c;  ainsi  dans  le  roumanche,  carnem  a  donné  carn;  can- 
tare,  cantà  ;  mais  dans  le  dialecte  de  l'Engaddine,  dans  celui  du 
Frioul  et  dans  plusieurs  dialectes  du  Tyrol,  le  c  vélaire  apparaît 
transformé  en  vraie  palatale,  que  je  désignerai  pour  plus  de  sim- 
plicité par  a  ^  ;  ainsi  cantare  y  est  devenu  cantar,  êanta  et 
canti  ;  enfin  dans  deux  ou  trois  dialectes  du  Tyrol,  nous  trou- 
vons la  forme  c,  par  exemple  canta  (cantare),  dans  le  dialecte 
d'Ampezzo. 

Cette  coexistence  dans  la  même  région  des  sons  c,  c,  c,  mon- 
tre facilement  comment  le  premier  a  pu  se  transformer  dans  le 
dernier,  et  comment  aussi  il  a  pu  s'arrêter  au  son  c.  Au  reste  la 
palatale  ordinaire  a  pu  aussi,  ou  s'arrêter  au  son  c  ou  kj ,  ou  se 
changer  définitivement  en  c  ;  ainsi  dans  le  danois  le  k  suivi  de 
œ,  e,  0,  i  prend  le  son  kj ,  il  en  est  de  même  dans  les  dialectes 
du  Nord  du  Jutland  ;  en  suédois,  au  contraire,  la  transformation 
a  été  complète,  et  le  k  y  prend  alors  d'ordinaire  le  son  c  ^.  On 
comprend  d'après  cela  qu'avant  le  changement  complet  de  c,  il  y 
ait  pu  avoir  une  période  plus  ou  moins  longue  où  il  ait  pris  le  son 
kj  ou  c. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  le  c  vélaire,  pour  se  trans- 
former en  c,  a  dû  se  changer  d'abord  en  c  palatal  par  suite  du 
déplacement  de  l'obstacle  nécessaire  à  sa  formation  vers  la  région 
propre  à  ce  dernier,  et  que  le  c  palatal  s'est  transformé  en  c  quand, 
le  sentiment  de  sa  valeur  originelle  se  trouvant  en  quelque  sorte 
perdu,  l'obstacle  nécessaire  à  sa  production  se  forma  vers  la 
région  du  t  et  non  plus  à  la  partie  postérieure  du  palais  dur  ;  cela 
eut  lieu,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  vers  le  septième 
siècle  de  notre  ère  ;  quant  à  la  transformation  du  c  vélaire,  elle 
est  évidemment  postérieure,  et  elle  pourrait  bien  n'avoir  com- 
mencé qu'un  ou  deux  siècles  plus  tard. 


1.  Al.  J.  EUis,  On  early  english pronunciation^  1,  206. 

2.  Il  ne  faut  pas  oublier,  comme  je  l'ai  remarqué  déjà  (v.  p.  5),  que 
la  palatale  a  une  valeur  différente  suivant  que  l'obstacle  se  forme  plus 
ou  moins  près  du  palais  mou  ;  c'  représente  la  palatale  qui  en  est  formée 
le  plus  loin,  à  la  limite  du  domaine  guttural  ;  il  est  à  peu  près  égal  à  kj. 

3.  Grimm,  Gram.  I«,  474,  485.  —  K\ihn's  Zeitschrift,  XII,  147. 


—  78  — 
Telle  est  l'explication  que  l'on  peut,  je  crois,  donner  de  la 
transformation  du  c  en  chuintante  ;  elle  repose  sur  la  théorie  de 
Briicke,  et  est  d'accord  avec  ce  que  Max  MuUer,  Gorssen  et  A^on 
Raumer  ont  dit  sur  le  sujet  ;  mais  elle  diffère  de  ceUe  qui  a  été 
proposée  par  plusieurs  linguistes,  en  particulier  par  Schu- 
chardt.  Commentant  Schleicher,  et  se  préoccupant  uniquement 
du  changement  de  c  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle,  le  savant 
auteur  du  «  Vocalisme  du  latin  vulgaire  »  a  voulu  j  voir  le 
résultat  de  ce  qu'il  appelle  la  palatisation  de  i,  c'est-à-dire  du 
changement  de  i  voyelle  en  i  consonne  ;  il  suppose  que  ci  suivi 
d'une  voyelle  s'est  d'abord  changé  en  kj,  puis  en  kf  {f  ayant  le 
son  de  ch  dans  l'allemand  sichel),  puis  en  âf  et  en  t'j"  (il  ne  dit 
pas  ce  qu'il  représente  par  H,  et  t'J,  ensuite  en  tf  et  enfin  en  ^s  ^ 
Il  est  difficile  à  la  fantaisie  d'allei'  plus  loin  ;  malheureusement 
rien  ne  vient  justifier  cette  série  si  laborieusement  composée,  et 
les  exemples,  destinés  à  la  vérifier,  la  contredisent  bien  plutôt.  Si 
ci,  en  effet,  se  changeait  ainsi  en  ts  (tch),  Viqni  suit  le  t  dans  le 
mot  latin  aurait  toujours  dû  disparaître  ;  or  de  l'aveu  même  de 
Schuchardt,  il  subsiste  comme  voyelle  plus  souvent  qu'il  ne 
tombe ^,  ce  qui  n'empêche  pas  le  c  de  se  transformer  dans  l'un 
comme  dans  l'autre  cas  ;  mais  Yi  ne  peut  à  la  fois  persister  et  se 
modifier  ;  cette  modification  n'ayant  pas  toujours  lieu  n'est  donc 
point  indispensable  à  la  transformation  du  c  et  ne  saurait  dès 
lors  l'expliquer  à  elle  seule.  D'ailleurs  cette  suppression  même  de 
Vi  du  suffixe  dus,  cia,  ciu?n,  qui  apparaît  surtout  dans  le  double 
groupe  occidental,  est  bien  plutôt  la  conséquence  de  la  loi,  en 
vertu  de  laquelley  tombe  toute  voyelle  posttonique  autre  que  a,  que 
celle  de  sa  transformation.  Mais  le  plus  grand  défaut  de  la  théorie 
de  Schuchardt,  c'est  de  ne  pas  donner  d'explication  pour  la 
transformation  du  c  suivi  de  i  accentué  et  d'une  autre  voyelle, 
ou  d'un  seul  i  ou  e  accentué  ou  atone,  ou,  à  plus  forte  raison, 
d'une  autre  voyelle  que  e  ou  i  ;  aussi  l'auteur,  arrêté  sans  doute 
par  l'impossibilité  d'en  donner  la  raison,  s'est-il  borné  à  constater 
le  fait,  sans  chercher  à  l'expliquer  ;  mais  pourquoi  n'avoir  pas 
fait  de  même  pour  le  c  suivi  de  i  atone  et  d'une  seconde  voyelle  ? 
Enfin  il  y  a  dans  cette  théorie  une  supposition  gratuite  et  une 
confusion  :  la  supposition  c'est  d'admettre  sans  en  donner  la 
raison  que  Yi  de  dus  depuis  si  longtemps  voyelle  passe  tout-à- 
coup  à  l'état  de  consonne  ;  la  confusion  c'est  d'attribuer  à  cet  i 

1.  Schuch.  id.  I,   150.  —  N'ayant  point  à  ma  disposition  les  signes  j 
et  t  accentués,  j'ai  dû  les  remplacer  parj  et  t  avec  apostrophe. 

2.  Id.  J,  156. 


—  79  — 

consonne  ce  qui  ne  lui  appartient  pas  ou  ne  lui  appartient  qu'en 
partie.  L'^  consonne  s'est  souvent  changé  en  chuintante  ;  ainsi 
jugum  a  donné  en  français  joug,  anciennement  djoug,  et  a 
alors  î;  pour  équivalent  en  grec,  —  par  exemple  !;6yov  comparé 
au  latin  jugum,  au  sanscrit  jugam  ;  —  c'est  là  un  fait  de 
même  nature  —  puisque  1'*  consonne  est  une  palatale  —  que  la 
transformation  de  c  ou  de  pr  en  chuintante  et  qui,  comme  tel,  ne 
présente  pas  de  difficulté.  Il  faut  distinguer  cependant  ;  quand  il 
est,  en  effet,  précédé  d'une  consonne,  le  changement  de  i  voyelle 
en  jot  (j)  suppose  en  général  l'affaiblissement  de  la  consonne 
précédente  ;  le  j  semble  même  le  plus  souvent  ne  s'être  développé 
complètement  qu'aux  dépens  de  celle-ci,  et  en  en  entraînant  la 
suppression^;  c'est  ce  qui  est  arrivé  en  espagnol  pour  1'^  de 
filium  devenu  hijo  dans  cette  langue,  en  français  au  second^ de 
pipionem  transformé  en  pigeon,  tandis  qu'en  itahen  on  a  pour 
le  premier  flglio  avec  conservation  de  l,  pour  le  second  pipione 
avec  celle  Àxxp  ^.  Mais  ici  les  choses  ne  se  sont  point,  —  d'ordi- 
naire du  moins,  —  passées  ainsi,  et  il  y  a  lieu  de  distinguer  le 
cas  où  i  a  persisté  et  celui  où  il  est  tombé  ;  dans  le  premier,  il  n'y 
a  eu  évidemment  que  transformation  du  c  d'abord  en  c,  puis  en  c, 
\i  restant  intact,  tout  en  ayant  servi  par  sa  présence  à  la  modifi- 
cation du  c  précédent  ;  dans  le  second  au  contraire,  si  toutefois, 
comme  je  l'ai  fait  remarquer,  il  n'est  point  tombé  comme  atone, 
\'i  voyelle  s'est  changé  d'abord  en  i  consonne  ou  palatal,  puis 
transformé  en  c,  le  c  s'assimilant  ou  tombant.  Ily  a  loin  de  là,  on 
le  voit,  quelque  hypothèse  que  l'on  admette,  à  la  série  de  trans- 
formations inventées  par  Schuchardt,  transformations  aussi 
inutiles  d'ailleurs  qu'elles  sont  fausses  pour  la  plupart. 

Mais  quel  a  été  au  juste  le  son  du  c  après  sa  transformation  ? 
Diez  suppose  qu'il  fut  celui  même  que  semblent  indiquer  les 
transcriptions  à  la  fois  pour  ti  et  ci,  c'est-à-dire  z  =  ts,  son  qui 
se  serait  affaibli  en  5  ou  p,  ^,  6  ou  B  dans  le  double  groupe  occidental, 
se  serait  épaissi,  au  contraire,  le  plus  souvent  en  c  dans  le  groupe 
oriental.  Je  ne  crois  pas  que  cette  supposition  soit  admissible. 


1.  Cf.  Schleicher,  Die  dexdsche  Sprache,  p.  56.  La  consonne  persiste 
cependant  quelquefois,  ainsi  en  provençal  sapcha,  sapchon;  mais  le  plus 
souvent  sa  présence  n'a  servi  qu'à  déterminer  la  transformation  d'« 
consonne  en  chuintante  sourde  ou  sonore.  Ce  qui  précède  ne  s'applique 
pas  toutefois  aux  nasales  qui  peuvent  persister,  que  ïi  reste  intact  ou 
se  transforme. 

2.  L'i  de  pipionem  s'est  aussi  cliangè  en  c  en  italien,  mais  alors  le  p  est 
tombé  et  on  a  eu  piccione. 


—  80  — 

D'abord  elle  est  en  opposition  avec  la  théorie  de  la  transformation 
des  gutturales  que  j'ai  donnée  plus  haut;  d'après  ce  que  nous 
avons  vu,  en  effet,  c  se  change  d'abord  en  c,  puis  en  c  ;  l'accord 
d'une  partie  des  langues  indo-européennes  ne  peut  laisser  aucun 
doute  sur  ce  point  ;  dans  quelques-unes  sans  doute  on  trouve 
d'autres  formes  à  la  place  de  la  gutturale  primitive  comme  s,  ts, 
mais  ces  formes  paraissent  dérivées  de  c  ;  c'est  donc  à  ce  son 
qu'il  en  faut  toujours  revenir.  D'un  autre  côté,  on  ne  voit  pas 
comment,  après  avoir  passé  de  la  série  palatale  à  la  dentale  en 
traversant  la  série  intermédiaire  c,  le  c  serait  revenu  de  la 
seconde  à  cette  dernière,  surtout  quand  aucun  fait  positif  ne  vient 
appuyer  cette  supposition,  ni  pourquoi  il  n'y  serait  revenu  que 
pour  un  certain  nombre  de  mots  et  nonpaspour  tous  '.  D'ailleurs, 
si  l'on  étudie  les  transformations  du  c  vélaire  en  c  et  en  spirante 
dentale,  lesquelles  sont  chronologiquement  beaucoup  plus  facQes 
à  suivre  que  celles  du  c  palatal,  nous  voyons  que  c  est  la  forme 
la  plus  ancienne  et  que  ce  n'est  que  postérieurement  qu'on  ren- 
contre les  sens  dérivés  s,  ts,  s  ou  0.  Enfin  la  manière  dont  le  g 
s'est  transformé  dans  son  passage  du  latin  au  roman  est  encore 
une  preuve,  je  crois,  que  ts  n'est  point  la  modification  primitive 
du  (?,  mais  bien  c.  Les  langues  du  Nord-Ouest,  les  seules  où  il 
cesse  d'être  guttural,  nous  montrent  le  g  vélaire  se  trans- 
formant successivement  en  g  et  en  z,  absolument  comme  le  c 
vélaire  y  devient  c  puis  s  ;  d'un  autre  côté,  dans  toutes  les 
langues  romanes,  celles  de  l'Est  comme  celles  de  l'Ouest,  — 
l'espagnol  moderne  excepté,  —  p'  ou  sa  forme  dérivée  z  est  égale- 
ment le  mode  de  transformation  du  g  palatal,  dz  n'y  apparais- 
sant que  comme  forme  exceptionnelle  ou  dialectale  ;  n'est-il  pas 
naturel  dès  lors  que  c  soit  aussi  le  point  de  départ,  la  forme  pri- 
mitive, des  transformations  du  c  palatal,  comme  g  l'est  des  modi- 
fications du  g,  et  que  par  conséquent  on  ait  soit  c,  s,  soit  c,  ts,  s, 
et  nonts,  c  ou  ts,  s,  s  pour  la  série  régulière  de  ses  transformations? 
Ainsi  c  a  dû  être  la  forme  première  des  transformations  du  c 
palatal  ;  elle  n'apparaît  point,  il  est  vrai,  ni  dans  les  anciennes 
inscriptions  latines,  ni  dans  les  transcriptions  en  langues  étran- 
gères, mais  il  n'en  pouvait  être  autrement,  puisque  ni  le  roman, 
ni  le  grec  ou  l'ancien  allemand  n'avaient  de  signe  particulier 
pour  le  son  c  ;  il  ne  restait  dès  lors  aux  scribes  qu'à  prendre 

1.  «  Wenn  Diez  aile  italienischen  tsche  aus  fruherem  tse  vergrœbert 
werden  laeszt,  so  bedarf  dies  wenigstens  noch  andere  Nachweise,  als 
die  er  beibringt.  »  R.  von  Raumer.  id.  95. 


—  8^  — 

celui  qui  s'en  rapprochait  le  plus,  c'est-à-dire  t,ovi  z;  c'est  ainsi 
qu'au  xif  siècle  les  Grecs  écrivaient  'l*ixCapco;  le  nom  du  roi 
d'Angleterre  Richard,  représentant  par  Ç  le  signe  ch,  dont  le 
son  ne  pouvait  être  que  c  ou  s,  et  que  de  même  on  trouve  dans  le 
moyen  néerlandais  Charles  transcrit  par  Tsarels,  Chartreux 
par  Tsartroisen  K  Au  reste  il  est  probable  que  c  a  dû  dans  les 
idiomes  où  il  n'a  point  persisté  s'affaiblir  de  bonne  heure  en  ts, 
et  il  est  même  possible  que  dans  tous  il  ait,  surtout  pour  certaines 
formes  de  la  terminaison,  pris  presqu'aussitôt  après  sa  transfor- 
mation cette  forme  affaiblie.  Quant  à  t  suivi  de  i  et  d'une  autre 
voyelle  il  a  pu,  je  crois,  se  changer  directement  en  ts,  puisque  ce 
changement  consiste  à  le  faire  suivre  du  son  de  la  spirante  de 
même  ordre  ;  cette  transformation  a  eu  lieu  comme  l'on  sait  dans 
le  haut  allemand  pour  le  t  gothique,  quelle  que  fût  d'ailleurs  la 
voyelle  suivante  ;  les  langues  romanes  ne  sont  pas  non  plus  res- 
tées complètement  étrangères  à  cette  modification;,  quand  le  t 
latin  est  suivi  d'un  seul  e  ou  f  ;  le  roumain  du  Nord  en  offre 
de  nombreux  exemples  ;  on  la  rencontre  aussi  parfois  en 
provençal  et  assez  souvent  dans  les  dialectes  ladins,  sous  une  de 
ses  formes  affaiblies,  il  est  vrai  ;  enfin  elle  apparaît  comme  un 
procédé  régulier  de  formation  dans  le  sarde  logoudorien.  Il  n'y  a 
donc  pas,  ce  semble,  de  raisons  pour  que  le  t  suivi  de  i  et  d'une 
autre  voyelle  ne  se  soit  pas  changé  directement  en  ts,  comme 
quand  il  est  suivi  d'un  seul  i  ou  e  ;  mais  dans  le  premier  cas  il  a 
pu  aussi,  ainsi  que  nous  le  montrent  un  certain  nombre  de  mots 
et  d'idiomes,  en  particulier  quand  t  est  précédé  d'une  autre  con- 
sonne, se  changer,  comme  ci,  en  c(i). 

Quoi  qu'il  en  soit  des  transformations  de  ti  dans  les  langues 
romanes,  on  trouve,  pour  celles  du  c  palatal,  c  et  toutes  ses  formes 
dérivées  :  g  la  sonore  correspondante,  la  sourde  5,  qui  n'est  autre 
que  c  moins  le  son  dental  t,  z  la  sonore  correspondante,  ts  et  dz 
et  leurs  modifications  successives  p  ou  5  sourd,  ;s,  6  et  3.  Ces  diverses 
formes  ne  se  sont  d'ailleurs  produites,  ou  plutôt  maintenues,  le  plus 
souvent  chacune  que  dans  une  région  déterminée  ;  ainsi  c  et  ^ 
sont  particuliers  aux  idiomes  du  groupe  oriental  ;  s  et  z  n'appa- 


1.  Je  trouve  dans  un  article  de  Max  Mûller  sur  la  prononciation  du  c 
latin  suivi  de  e,  i,  y,  la  même  opinion  exprimée  en  termes  presque 
semblables.  «  This  does  not  prove,  »  dit  l'illustre  linguiste  parlant  de  la 
représentation  du  c  palatal  latin  par  s  ou  tz  en  allemand,  «  that  Latin  c 
before  e  and  i  was  then  pronounced  exactly  like  the  German  -  or  iz,  but 
only  that  German  z  and  iz  corne  nearer  to  the  Latin  sound  of  c  before 
e  and  i  than  German  k  or  ch.  »  The  Academy,  1871,  p.  146. 

6 


—  82  — 
raissent  que  comme  formes  exceptionnelles  et  le  plus  souvent 
dans  des  dialectes  secondaires  ;  ts  avec  ses  formes  aâaiblies  est 
la  transformation  propre  aux  langues  du  double  groupe  occidental 
et  au  dialecte  roumain  du  Sud.  Ce  sont  ces  modifications  du  c 
palatal  qui  doivent  maintenant  nous  occuper  ;  mais  avant  d'en 
aborder  l'étude,  il  me  faut  parler  des  cas  où  il  persiste  ou  se 
change  en  spirante. 


CHAPITRE   m. 

PERSISTANCE   DU   0  PALATAL.    —    SON    CHANGEMENT   EN   SONORE 
ET     EN     SPIRANTE. 

Bien  que  la  gutturale  palatale  se  soit  changée  en  c,  g  ou  en 
spirante  dentale  dans  presque  tous  les  cas,  cependant  elle  a  per- 
sisté aussi  dans  un  certain  nombre  de  mots,  surtout  de  ceux  où 
elle  est  représentée  par  qu.  Pour  ceux-ci,  comme  cette  lettre  a 
toujours  conservé  sa  valeur  gutturale,  les  scribes  n'étaient  pas 
en  peine  de  chercher  un  signe  nouveau  pour  la  représenter  ;  il 
n'en  fut  pas  de  même  à  ce  qu'il  semble  pour  les  autres  mots  ;  q 
s'offrait  bien  à  eux,  ainsi  que  k,  tout  délaissé  qu'il  était  dans  les 
derniers  temps  de  l'empire  ;  ils  s'en  servirent  parfois  aussi,  mais 
ces  signes  ne  leur  suffirent  pas  et  ils  en  cherchèrent  un  autre  ; 
ils  le  trouvèrent  dans  le  ch  inventé  autrefois  par  les  grammai- 
riens latins  pour  représenter  le  y  grec  ;  après  avoir  servi  unique- 
ment à  cet  usage,  ce  signe,  comme  nous  avons  vu,  avait  fini  par 
être  employé  indifféremment  à  la  place  du  c  vélaire  ou  palatal  ; 
après  la  transformation  de  ce  dernier,  il  parut  commode  pour 
représenter  la  gutturale  palatale  dans  les  mots  où  elle  avait  per- 
sisté ;  ainsi  laissant  à  c  le  son  c  ou  ts,  on  représenta  la  gutturale 
palatale  par  k,  qu  et  ch. 

Ces  trois  signes  ne  furent  point  toutefois  employés  indistinc- 
tement, ni  dans  les  mêmes  pays.  Ch  servit  surtout  en  Italie,  où 
il  se  substitua  même  parfois  à  qu,  —  conservé  aussi  néanmoins, 
—  comme  le  montrent  déjà  les  chartes  de  785  à  825 ,  où  on 
trouve  chi  pour  qui^.  Il  en.  a  été  de  même  dans  le  roumain,  qui 
a  même  perdu  complètement  le  q. 

1.  Au  Nord  de  l'Italie  on  employa  parfois  aussi  le  k;  qu  y  apparaît 
également  dans  des  cas  où  le  toscan  employait  ch  ;  ainsi  dans  l'ancien 


—  83  — 

k  est  employé  à  la  place  de  qu  suivi  de  i  dans  les  plus  anciens 
monuments  de  notre  langue,  par  exemple  dans  l'Alexis,  la  Chan- 
son de  Roland,  les  Livres  des  Rois,  les  Sermons  de  Saint  Bernard, 
etc.  ;  ch  s'y  rencontre  aussi,  soit  seul,  comme  dans  le  Psautier 
d'Oxford,  soit  concurremment  avec  qu  ou  li,  comme  dans  la  Pas- 
sion ,  le  Saint  Léger,  l'Alexis,  la  Chanson  de  Roland,  le  Guil- 
laume d'Orange,  le  Brut,  le  Rou,  le  Roman  d'Alexandre,  le 
Chevalier  au  Lyon,  etc.  Quant  à  que  (quod),  on  le  trouve  le 
plus  souvent  écrit  avec  qu^  cependant  ce  signe  a  fait  place  à  k 
dans  les  Sermons  de  Saint  Bernard,  dans  les  Chansons  du  Châte- 
lain de  Coucy,  les  Chansons  de  Quesne  de  Béthune,  —  où  ^  se 
trouve  toutefois  à  côté  de  qu,  —  la  Romance  du  Chapelain  de 
Loon,  etc.  Cependant  qu  devait  finir  par  se  substituer  à  ch  et  à 
k  :  l'exclusion  de  ch,  qui  servait  comme  signe  des  sons  c  et  5 
s'explique  sans  peine  ;  pour  k,  l'auteur  du  fragment  de  Londres 
que  j'ai  déjà  cité  en  blâmait  l'emploi  dès  le  commencement  du 
xiir  siècle  et  ne  l'admettait  que  pour  les  noms  propres  ;  les  scribes 
picards  s'en  servirent  toutefois  pendant  presque  tout  le  moyen  âge'  ; 
mais  il  n'en  a  pas  moins  disparu,  ainsi  que  le  ch  comme  signe  de  la 
gutturale  palatale  en  français,  laquelle  n'a  plus  été  représentée 
que  par  qu.  Les  vers  suivants  montrent  comment  l'ancienne 
langue  employait  les  signes  ch,  k  et  qu. 

Chi  rex  erct  a  cels  dis  sovre  pagiens.  (Gant.  v.  12.) 
Mais  nenpero  granz  fu  11  dois 
Chi  traverse!  per  lo  son  cor.  (Pass.) 

Bienheureux  li  huem  cM  ne  alat  el  conseil  des  félons.  {L.  Ps,  I.) 
Al  servi  lor  qui  serveit  al  aller.  {Al.  34,  4.) 
Jo  n'en  ai  osl  qui  bataille  li  dunne 
Ne  n'ai  tel  gent  ki  la  sue  derurapet.  (Roi.  v.  18.) 
Ki  lui  portât  suef  le  fist  nurrir.  {Al.  7,  1.) 
E  par  la  barbe  ki  al  piz  me  venlelet.  {Roi.  42.) 
'  Se  saichenl  jones  et  viaus 
Ke  par  ceu  ke  chievrefiaus 
Est  plux  dous  et  flaire  miaus 
K'erhe  ke  on  voie  as  jaus,  {Aîtfr.  Lied.  Wackern.  p.  22.) 

C'est  le  q  aussi  qu'on  rencontre  ordinairement  en  provençal, 
k  et  ch  n'y  apparaissent  que  comme  exception,  par  exemple 
dans  ces  vers  de  Boèce  : 


milanais  d'après  Bonvesin,  on  trouve  ki  B.  3  et  que  B.  487.  —  Mussafla, 
Barst.  der  altmail.  Mund.  —  Sitzungsb.  der  k.  k.  Akademie  der  Wiss.  zu 
Wien.  1868. 

1.  Ceci  tient  évidemment  à  ce  que  dans  ce  dialecte  c  suivi  d'une 
voyelle  palatale  pouvait  avoir  le  son  ch.  Voir  Liv.  III,  ch.  III. 


—  84  — 
Kil  mort  et  viii  tôt  a  in  jutjamen  (v.  17.) 
Clii  nos  redems  de  so  sang  dolzament  (v.  153.) 

Aujourd'hui  q  est  le  signe  exclusif  de  la  gutturale  palatale  en 
espagnol,  et,  si  l'on  en  excepte  les  mots  d'origine  étrangère 
comme  chimica,  etc.,  aussi  en  portugais,  ch  étant  réservé  pour 
représenter  le  son  c  en  espagnol,  s  en  portugais  ;  mais  il  n'en 
était  pas  de  même  à  l'origine  de  la  langue  ;  les  formes  Chintila  à 
côté  de  Quintila,  Rechila  à  côté  de  Requila,  etc.^  qu'on  trouve 
dans  des  documents  du  x"  siècle,  nous  en  offrent  la  preuve  irré- 
cusable; au  siècle  suivant  même  dans  le  poème  espagnol  de  «  Los 
reyes  magos  »,  ch  apparaît  encore  avec  la  valeur  gutturale  dans 
achesta  v.  2,  achesto  v.  14,  achest  v.  16  et  85  qu'on  y  ren- 
contre à  côté  de  aquesta  v.  12  ^.  Au  xiri^  siècle,  on  trouve  encore 
ch,  en  même  temps  aussi  que  q,  comme  signe  de  la  gutturale 
palatale  en  portugais,  dans  le  «  Cancioneiro  d'ei  rei  D.  Diniz,  » 
ainsi  che  (quod)  8,  2.  Ce  ne  fut  donc,  comme  on  le  voit,  qu'assez 
tard  que  q  fut  seul  employé  dans  les  idiomes  du  Sud-Ouest  pour 
représenter  la  palatale,  et  encore,  comme  je  l'ai  dit,  ch  a-t-il 
continué  en  portugais  d'avoir  le  son  k  dans  les  mots  d'origine 
étrangère. 

Malgré  les  signes  nombreux  qui  servent  ou  ont  servi  à  la 
représenter,  la  gutturale  palatale  latine  n'a  persisté  dans  les 
langues  romanes  qu'assez  rarement,  elle  n'y  apparaît  même  d'une 
manière  générale  —  le  roumain  excepté  toutefois  —  qu'à  la 
place  àe  qu^,  par  exemple  : 

LAT.  IT.  ESP.  PG.  PR.  FR. 

querelam  querela    querella  querela    querelha  querelle 
quœrere     cherere     querer      querer      querre      quérir 
qui,  quem  c^z  qui{en)      quem        qui,chi,kiqui,chiY., 

kl  V. 

quod^        che  que  que  que  que,  ke 

quietum     cheto         quieto       quieto       quel  —  etc. 


1.  Esp.  sagr.  XVIII,  312  (an.  927). 

2.  Amador  de  los  Bios,  Hist.  crit.  de  la  lit.  esp.  III,  658.  —  Jahrbuch, 
XII  (1871),  46.  Ed.  Lidforss.  Si  on  ne  trouvait  dans  ce  texte  les  mots  dicho 
(dictum)  etnoches  (noctes),  dans  lesquels  ch  d'après  son  origine  doit  avoir 
le  son  c,  on  pourrait  croire  qu'à  cette  époque  encore  ch  ne  représentait  en 
espagnol  que  la  gutturale  ;  cette  orthographe  montre  du  moins  d'une 
manière  irréfutable  combien  longtemps  il  continua  d'en  être  le  signe  à 
côté  de  q  et  plus  souvent  même  que  cette  lettre. 

3.  En  anglais  le  c  substitué  à  cv  {=qu)  anglo-saxon  persiste  toujours 
également,  comme  nous  avons  vu  plus  haut. 

4.  Le  qu  de  quod  est  vélaire  en  latin  ;  mais,  par  le  changement  de  o  en 


—  85  — 

Quand  elle  était,  nu  contraire,  représentée  par  c,  la  gutturale 
palatale  latine  n'a  persisté  qu'exceptionnellement.  Le  seul  mot 
italien  où  on  la  rencontre  en  dehors  de  la  flexion  est  ciechità 
(csecitatem),  à  côté,  il  est  vrai,  de  cecità.  Le  roumain  en  offre 
un  plus  grai;id  nombre  d'exemples.  Ainsi,  au  commencement  des 
mots  suivants  : 


LAT.-GREC 


xéSpov 

x,u[Aa,  cymam 

cellarium  (formé  sur  /.eXXap-rjv) 

decembrem  ou  §£/,eiJi.6p(ov 


ROUM. 

chedru 

chime 
> 

chelariu 
dechemvrie 


Diez  voit  une  influence  grecque  dans  la  conservation  de  la 
gutturale  que  présentent  ces  mots  ;  cela  est  possible,  encore  que 
cette  influence  ne  se  soit  pas  fait  sentir  sur  cetere  (y.'.Oipa), 
ceremide  (/.£pa[j,iGa),  dont  le  c  s'est  changé  en  c.  Dans  les  mots 
suivants,  au  contraire,  il  faut,  je  crois,  expliquer  la  persis- 
tance de  la  gutturale  par  son  changement  de  palatale  en  vélaire, 
lequel  est  lui-même  la  conséquence  du  changement  de  Ye  ou  de 
^^  latin  en  m,  uoMe;  tels  sont  : 


cicutam 

cucute 

panticera 

pentecu    roum.  mér 

piscem 

pescu          id.       id. 

scintillam 

scenteie 

tacendo 

tacund 

Il  en  est  de  même  de  l'italien  duca,  où  —  peut-être  sous  l'in- 
fluence de  la  forme  grecque  Bouxa,  —  Ye  de  ducem  s'est  changé 
en  a.  La  conservation  de  la  vélaire  sonore  en  espagnol  et  en 
portugais  dans  lagarto  est  due  aussi  au  changement  de  e  en  (2  — 
lacartus  pour  lacertus,  —  changement  fréquent  devant  r  dans 
le  latin  vulgaire,  comme  on  le  voit  par  les  efforts  des  grammai- 
riens du  temps  pour  l'empêcher  :  «  passer  non  passar,  » 
«  anser  non  ansar,  »  lit-on  par  exemple  dans  l'Appendice 
Probi.  Quant  aux  mots  roumains  nuce  et  salce,  ils  nous  offrent 
non  point,  ce  me  semble,  un  exemple  de  la  conservation  du  son 
guttural  devant  e  latin,  mais  bien  devant  a  —  devenu  e  Qwà, 
suivant  le  mode  de  transformation  propre  au  roumain,  —  nuce  et 
salce  venant  non  de  nucem  et  de  salicem,  mais,  par  un  change- 
ment de  déclinaison  de  *  nucam  et  de  *  salicam.  Le  même  phé- 


e,  il  est  devenu  palatal  dans  les  langues  romanes. 


—  86  — 

nomène  grammatical  se  présente  aussi  en  italien  dans  radica, 
sorgo  {sorco  Dante)  ^  et  en  espagnol  dans  pulga.  De  même,  en 
effet,  que  dans  le  latin  classique  on  ironxefulica  à  càiè  de  fulix, 
il  a  pu  exister  à  la  fois  les  formes  radica  et  radix,  pulica  et 
puliûo,  soricus  et  sorix.^ku  contraire,  dans  l'italien  giuschiamo, 
esTpagnol  Jiisquiamo,  irançRis  jusquiame,  et  dans  l'espagnol 
squirol,  provençal  escurol,  français  écureuil,  italien  scojatolo, 
c'est  le  changement  de  la  sourde  c  en  qu,  quia  amené  la  conser- 
vation du  son  guttural;  ces  mots  viennent,  en  effet,  nonde%05- 
ciamwn  et  de  sciurum,  sciurolum,  mais  d'une  forme  vulgaire 
*jusquiamum,  *squirolum^.  Le  français  duc,  prov,  duc,  esp. 
et  pg.  duque,  ainsi  que  le  mot  napolitain  jureche  (judicem), 
semblent  bien,  par  contre,  offrir  un  exemple  de  la  conservation 
du  son  guttural  du  c  latin,  comme  cela  a  lieu  dans  un  des  dia- 
lectes sardes. 

Bien  que,  en  effet,  comme  nous  venons  de  le  voir,  le  c  palatal 
se  transforme  d'ordinaire  en  c  ou  ts  dans  les  six  idiomes  romans, 
un  dialecte,  le  sarde  logoudorien,  fait  exception  à  cette  loi  et  offre 
de  nombreux  exemples  de  persistance  de  la  gutturale  palatale. 
Ainsi  au  commencement  des  mots  : 


LAT. 

IT. 

SARDE     LOG. 

cœlum 

cielo 

chelu 

cœnam 

cena 

chena 

centum 

cento 

chentu 

ceram 

cera 

chera 

cervicem 

cervice 

chervija 

cespitem 

cespite 

chesva 

cUiam 

ciglia 

chiza 

cinerem 

cinere 

chijna 

qusBsitam 

— 

chescia,  etc. 

Le  plus  souvent  au  milieu  des  mots  le  c  palatal,  tout  en  con- 
servant sa  valeur  gutturale,  s'est,  comme  le  c  vélaire,  changé 
dans  ce  dialecte  en  sonore.  Exemples  : 


cimicem 

cimice 

chimighe 

crucem 
ducentos 

croce 
ducentos 

rughe 
dughentos 

1.  Tra  maie  gatte  era  venuto'l  sorco.  Inf.  XII,  58. 

2.  C'est  sans  doute  aussi  parce  que  les  mots  roumains  berbec,  nue 
(noyer)  et  soaric  viennent  non  de  *berbicem,  niicem  ou  de  soricem,  mais 
de  "berbicum,  *nucum  ou  de  soricum,  qu'ils  se  terminent  par  un  c  vélaire. 

3.  Diez,  Etym.  Wœrt.  s.  voc.  giuschiamo  et  scojattolo. 


—  87 


facere 

— 

faghere 

fornacem 

fornace 

furraghe 

jiidicem 

giudice 

juighe 

lucëm 

luce 

lughe 

nucem 

noce 

nughe 

pacem 

pace 

paghe 

picem 

pece 

pighe 

placere 

piacere 

piaghere 

pulicem 

pulice 

pulighe 

soricem 

sorice 

sorighe 

vocem 

voce 

boghe,  etc 

Il  en  est  de  même  en  général  de  tous  les  substantifs  ou  adjectifs 
dérivés  en  «^,  acis  ;  ex,  ecis  ;  ix,  icis;  ox,  ocis  ;  ux,  ucis, 
—  à  l'exception  de  atroce  et  de  v/eloce,  —  et  des  verbes  ter- 
minés en  cere.  Toutefois  la  sourde  a  persisté  dans  quelques  mots, 
ainsi  : 


dulcem 

dolce 

dulche 

uncinam 

uncino 

unchinu 

vervecem 

— 

herbeche,  etc 

et  en  particulier  dans  le  groupe  se,  changé  en  5  =  se  en  italien, 
par  exemple  : 

conoscere  conoscere  conosehere 

crescere  crescere  eresehere 

piscinam  piscina  pisehina,eic.^. 

Ces  mots  n'ont  fait  d'ailleurs  que  conserver  leur  forme  primi- 
tive; le  changement  du  eh  en  gh  est,  en  effet,  assez  récent;  dans 
les  statuts  de  la  commune  de  Sassari  du  commencement  du 
xiv^  siècle,  et  même  dans  ceux  du  siècle  suivant,  on  trouve 
encore  eh  médiat  conservé  presque  partout,  ainsi  :  faeher, 
paehet,  —  à  côté  àe  paghet  et  de  paguet,  il  est  vrai,  — pla- 
eher,  etc.^. 

Bien  que  le  e  palatal  se  soit  transformé  ordinairement  en  c  ou 
ts  dans  les  divers  idiomes  romans,  il  ne  s'ensuit  pas  que  cette 
gutturale  y  ait  disparu  ;  ces  idiomes,  en  effet,  l'ont  le  plus  sou- 


I.  Giov.  Spano,  Ortog.  sarda,  passim. 

1.  Codex  diplomat.  Sardinix,  I,  passim  (t.  X  des  Hist.  pair,  monum.)  — 
Cf. N.Delius.  Der  sardin.  Dialekt  des  ["iien  Jahrh.  —  Il  est  surprenant  que 
l'auteur  dise  p.  18  que  la  gutturale  sourde  médiale  s'est  changée  en 
sonore  au  xv  siècle,  quand  les  statuts  de  cette  époque  donnés  par  lui  la 
montrent  persistant  presque  partout. 


—  88  — 
vent  reconstituée  en  modifiant  soit  le  vocalisme,  soit  le  conson- 
nantisme  latin.  C'est  ainsi  que  par  le  changement  de  a  en  e  la 
gutturale  vélaire  du  latin  capere  s'est  changée  en  palatale  dans 
l'espagnol  quepo  (capio),  que  la  gutturale  vélaire  de  caudam 
est  devenue  une  palatale  dans  le  français  queue.  De  même  par 
le  changement  de  l  eni,  le  c  vélaire  du  latin  clarum  s'est  trans- 
formé en  palatal  dans  l'italien  chiaro  et  le  roumain  chiar. 

IP. 

Quoique  plus  rarement  les  langues  romanes  ont  aussi  recons- 
titué, —  ou  plutôt  constitué,  puisqu'elle  n'existait  pas  en  latin, 
—  l'aspirante  x-  On  la  retrouve  en  espagnol  et  dans  quelques 
dialectes  de  la  Sardaigne.  Ainsi  dans  le  dialecte  de  Sassari,  c 
suivi  de  e  ou  de  i  et  précédé  de  l  prend  le  son  du  ch  allemand 
devant  les  mêmes  voyelles,  c'est-à-dire  le  son  ■/  ;  par  exemple 
alchi  pluriel  de  alcu  (arcum)  se  prononce  à  peu  près  ay;/i  ; 
molchi  (musci)  est  prononcé  mo/xi^-  H  en  est  de  même  dans 
quelques  autres  districts  de  la  même  île  pour  les  terminaisons 
rche,  sche,  dont  le  c  palatal,  comme  le  c  vélaire  de  rca,  sca,  se 
change  en  spirante^  x  est  aussi  le  son  que  prennent  en  espagnol 
la  g,  la  j  et  la  ^  ;  mais  depuis  quand  ces  trois  consonnes  ont- 
elles  pris  ce  son?  C'est  là  une  question,  comme  celle  de  leur 
emploi,  sur  laquelle  je  reviendrai  plus  tard,  me  bornant  pour  le 
moment  à  l'indiquer^. 


CHAPITRE  IV. 
CHANGEMENT   DU    C    PALATAL   EN   C    ET    EN     G,     EN   S   ET    EN    Z. 

Quoique  c  soit,  suivant  toute  vraisemblance,  la  forme  la  plus 
ancienne  du  c  palatal  transformé,  elle  n'apparaît,  à  vrai  dire, 

1.  Jahrbuch,  X,  403.  —  2.  Spano,  Ortogr.  sarda  p.  28. 

3.  Voir  plus  loin  liv.  III,  ch.  II.  —  Dans  tout  ce  qui  précède,  je  n'ai 
eu  en  vue  que  la  gutturale  latine,  la  palatale  d'origine  allemande  a,  le 
français  excepté,  persisté  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  ;  ainsi  on  a: 


kiol 

it.chiglia 

esp.quilla 

Pg 

.  quilha 

—        fr.  quille 

prikken 

— 

— 

— 

—          esprequery. 

skina 

schiena 

esquena 

esquina 

pr.  esquina      échine 

skella 

squilla 

esquila 

— 

esquila              — 

vlacke 

— 

— 

— 

—             flaque 

zicki 

ticchio 

— 

— 

—               —  etc. 

Voir  même  chapitre,  III"  s  =  c. 


—  89  — 

ainsi  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  le  remarquer,  comme  modifi- 
cation régulière  de  cette  lettre  que  dans  les  langues  du  groupe 
oriental  et,  souvent  du  moins,  dans  le  roumanche  ;  les  idiomes 
du  double  groupe  occidental  ayant  préféré  la  forme  ts,  on  n'y 
rencontre  c  et  son  dérivé  s  que  comme  exception  ou  dans  les  dia- 
lectes. D'ailleurs  c  n'a  point  été  la  seule  forme  qu'ait,  même 
dans  le  groupe  qui  le  préfère,  toujours  prise  le  c  palatal  ;  on  y 
trouve  aussi,  mais  exceptionnellement,  la  sonore  correspondante 
g,  et  parfois  même  ainsi  que  dans  les  idiomes  occidentaux,  les 
formes  affaiblies  is,  dz,  5  et  5  ou  ;s;.  Parlons  d'abord  de  la  forme 
primordiale  c. 

Cette  forme  est  celle  qu'a  prise,  au  commencement  des  mots,  le 
c  palatal  dans  l'italien  du  centre  et  le  plus  souvent  du  Sud  de  la 
Péninsule,  dans  le  dialecte  roumain  du  Nord  ^  et  dans  le  rou- 
manche de  la  vallée  du  Rhin.  Voici  quelques  exemples  de  cette 
transformation  : 


LAT. 

ROUM". 

ITAL. 

ROUMANCHK. 

caecum 



cieco 

tschocc 

cœlum 

lier 

cielo 

tschiel 

cœnam 

cine 

cena 

tscheina 

centum 

— 

cento 

tschient 

caepam 

ceape 

cipolla 

tschagoula 

ceram 

ceare 

cera 

tschêra 

*ceraseam 

cireale 

ciriegia 

tseharscher 

cernere 

cerne 

cernere 

tscherner 

certare 

certà 

certar,e 

— 

cervellum 

— 

cervello 

tschervè  e. 

cervicem 

cerbice 

cervice 

— 

cervum 

cerb 

cervo 

tschierv 

cessare 

— 

cessar 

tschessar 

cibum 

cib 

cibo 

— 

cymam 

— 

cinia 

tschimma 

cinerem 

cenuse{* 

cinuceam)cmere 

tschendra 

cingulam 

cinge 

cinghia 

tschinta  (cinctam) 

*  cinque 

cinci 

cinque 

tschinsch 

cippum 

— 

ceppo 

tschepp 

circum(cellu 

vciVcerc 

circo 

tscherschel 

1.  Le  roumain  a  étendu  ce  mode  de  transformation  à  la  gutturale 
représentée  par  qu,  même  dans  les  mots  où  elle  persiste  dans  les  autres 
langues  romanes;  ainsi  ce  (qui,  quid),  nici  (neque),  cinci  (*  cinque),  etc. 


ci(vi)tatem 
ecc'hoc 


cetate 


90  — 

città 
cio 


tschou,  etc. 


Au  milieu  des  mots,  les  choses  se  passent  de  la  même  manière 
en  italien,  ainsi  qu'en  roumain,  quoique  parfois  on  trouve  dans 
ce  dernier  idiome  la  forme  ts  à  côté  de  c  ;  quant  au  roumanche, 
c  s'y  est  affaibli  le  plus  souvent  en  5,  excepté  quand  il  est 
suivi  de  i  atone  et  d'une  autre  voyelle,  cas  où  il  conserve  le 
son  c.  Exemples  : 


brachium 

— 

braccio 

bratsch 

coquere 

coace 

cuocere 

— 

decem 

zece 

dieci 

diesch 

ducere 

duce 

ducey^e 

— 

dulcem 

dulce 

dolce 

dulsch 

*faciam 

— 

faccia 

fatscha 

*glaciem 

ghioccia 

glatsch 

jacere 

zete 

giacere 

— 

lanceam 

lance 

lancia 

lonscha 

mercedem 

— 

mercede 

mersche  e 

pulicem 

purice 

pulice,  pulce 

— 

tacere 

tece 

tacere 

tascher 

*aucellum 

— 

uccello 

utschel 

vicinum 

vecin 

vicino 

—  etc. 

Les  langues  du  groupe  du  Sud-Ouest  fournissent  aussi  quel- 
ques exemples  du  changement  de  c  initial  ou  médial  en  c;  ainsi 
en  espagnol  chicharo  (cicerem),  chico  (ciccum),  chine he  (cimi- 
cem),  lechino  (licinium),  marcAzYo(marcidum),_pzc/zo(piceum); 
en  portugais  murcho  (murcidum).  Il  faut  y  ajouter,  il  semble, 
un  certain  nombre  de  dérivés  en  aceus,  oceus  et  uceus  comme 
borracha,  garnacha,  hornacha,  muchacho,  penacho,  rica- 
cho,  verdacho,  vulgacho,  esp.  friacho,  lebracho,  riacho^  pg. 
garrocha,  aguilucho,  avechucho,  carducha,  capucho, 
mazucho,  esp. 

Cette  transformation  du  c  médial  en  c  est  la  plus  ordinaire  en 
italien  ;  cependant  dans  les  dérivés  formés  à  l'aide  des  suffixes 

1.  On  trouve  également  dans  le  patois  de  la  Suisse  romande  c 
changé  en  c  dans  tchierno  (?circinum)  et patche,  marché,  (pacem),  — que 
Bridel  fait  venir  à  tort  de  pactionem,  lequel  aurait  donné  pachon, 
comme  actionem  a  donné  achon  ;  —  ainsi  que  dans  un  certain  nombre 
de  mots  du  patois  poitevin  de  Melle  par  ex.  tchou,  tchel,  itchi,  etc. 
Mémoires  de  la  Société  des  Antiq.  de  l'Ouest,  XXXII,  1"  partie  1867,  s.  v. 

1.  De  Cihac,  Did.  d'étym.  daco-rom.  —  0.  Carisch,  Wœrt. 


—  9^  — 

^ceus,  icius,  oceus  et  uceus  ;  on  trouve  parfois  au  lieu  de  c  sa 
forme  amoindrie  ts  ;  cette  modification  paraît  avoir  été  préférée 
en  particulier  par  les  dialectes  du  Sud  de  l'Italie  et  par  le  sarde 
logoudorien  ;  c'est  elle  aussi  qu'on  rencontre  ordinairement  en  ce 
cas,  —  parfois,  il  est  vrai,  à  côté  de  s,  —  dans  le  roumain, 
comme  nous  le  verrons  plus  loin.  Dans  ce  dernier  idiome,  c  s'est 
aussi  substitué  parfois  à  ti  suivi  d'une  autre  voyelle,  qui  y  est 
régulièrement,  comme  en  italien,  remplacé  par  ts,  par  ex.  dans 
certeciune  {œrtationem), inchineciune  (inclinationem),  neciune 
(nationem),  plececiune  (*plicationem),  teciune  (titionem).  En 
italien,  c  ne  se  substitue  à  ti  que  quand  cette  syllabe  est  précédée 
d'une  autre  consonne  ;  il  en  est  de  même  en  roumanche,  quoiqu'on 
y  rencontre  aussi  c  à  la  place  de  ti  entre  deux  voyelles  ;  ainsi  : 
*captiare       ii.  cacciare  roum.  oberl.  catschar 

*  comtiare  conciare  cuntschar 

*  suctiare  succiare  et  suzzare  — 
pretium                     —                          roum.  eng.  pritsch 

A  la  flexion,  le  c  latin  vraiment  palatal,  c'est-à-dire  celui  qui 
est  suivi  d'un  i  ou  d'un  e  étymologique,  se  change  en  c  en  italien 
et  en  roumain,  dans  la  déclinaison  des  substantifs  comme  des 
adjectifs  ;  ainsi  on  a  : 

ROUM. 

dulc-e 


LAT. 

dulcem 
pac-em 
voc-em 


pece 
boace 


IT. 

dolc-e 
pac-e 
voc-e. 


De  même  les  verbes  dicere  et  ducere  donnent  au  singulier  du 
présent  de  l'indicatif  dans  ces  deux  langues  : 


Lat. 

Roum. 

It. 

Lat. 

Roiun. 

It. 


dic-ere 

zic-e 

di-re 
duc-ere 
duc-e 
dur-re 


dic-o 

zic 

dic-o 

duc-o 

duc 

duc-o 


dic-is 

zic-i 

dic-i 

duc-is 

duc-i 

duc-i 


dic-it 

zic-e 

dic-e 

duc-it 

duc-e 

duc-e 


Quand,  au  lieu  d'un  c  palatal  étymologique,  il  s'agit  d'un  c 
vélaire  latin  devenu  palatal  par  la  modification  de  la  voyelle  sui- 
vante, le  roumain  et  l'italien  né~sFXDmportent  plus  de  la  même 
manière;  le  premier,  ayant  sans  doute  perdu  complètement 
conscience  de  la  valeur  de  la  voyelle  primitive  et  n'ayant  égard 
qu'à  celle  de  la  voyelle  actuelle,  change  toujours  le  c  en  c  dans 
la  déclinaison  comme  dans  la  conjugaison,  devant  les  voyelles 
palatales  iei  e.  Exemples  : 


92  — 


arc§  (arcam) 

arc-e 

buce  (buccam) 

buc-i 

furnice  (formicam) 

furnic-i 

nuce  (*  nucam) 

nuc-e  et  nuc-i 

sec,  seace  (siccura,  siccam) 

sec-i,  sec-e 

vacç  (vaccam) 

vac-i. 

De  même  on  a  pour  le  présent  du  subjonctif  du  verbe  dicere  : 

Lat.         dic-am    dic-as    dic-at     dic-amus    dic-atis    dic-ant 
Roum.      zic  zic-i       zic-e      zic-em       zic-etzi    zicç 

En  italien,  au  contraire,  le  c  reste  guttural  dans  la  conjugai- 
son devant  i  substitué  h  \m  a  étymologique,  à  la  seconde  per- 
sonne singulier  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  delà  première 
conjugaison  et  à  la  seconde  personne  singulier  du  subjonctif  pré- 
sent des  verbes  de  la  seconde  et  de  la  troisième  conjugaison  ; 
dans  la  déclinaison  il  persiste  également  au  pluriel  en  e  des  fémi- 
nins en  a  ;  il  persiste  ou  se  change,  au  contraire,  en  c  devant  i, 
terminaison  du  pluriel  des  masculins  en  a  et  en  o.  Ainsi  on  a 
par  exemple  au  présent  de  l'indicatif  de  peccare  : 

Lat.    pecc-o  pecc-as  pecc-at 

It.       pecc-0  pecch-i  pecc-a 

et  au  présent  du  subjonctif  de  *  torcere  : 

Lat.  *torc-am  *torc-as  *torc-at 

It.       torc-a  torch-i  torc-a 

Au  pluriel  l'intercalation  de  i  entre  le  c  et  Va  de  la  terminai- 
son détermine  le  changement  de  la  vélaire  en  palatale,  change- 
ment que  la  modification  de  Y  a  n'avait  pu  produire  au  singulier, 
ainsi  on  a  pour  le  pluriel  du  présent  du  subjonctif  de  *  torcere  : 

torc-i-amo,  torc-i-ate  torc-ano 

formes  correspondant  à  : 

*  torc-amus  *  torc-atis  *  torc-ant. 

On  a  également  une  gutturale  au  pluriel  des  substantifs  et  des 
adjectifs  féminins  en  ca  ;  ainsi  : 

amica  (amicam)  amich-e 

nemica  (inimicam)  nemich-e 

magica  (magicam)  magich-e 

unica  (unicam)  unich-e,  etc. 


—  93 

ja  règle  est  plus  compliquée  quand  c  est  suivi  de  i,  c'est-à- 
dire  dans  les  substantifs  et  les  adjectifs  masculins  terminés  par 
a,  ou  le  plus  souvent  par  o,  au  singulier.il  faut  distinguer  entre 
les  dissyllabes  et  les  polysyllabes.  Les  premiers,  à  l'exception  de 
porco,  de  vico  et  de  Grseco,  employé  comme  nom  propre  de 
peuple,  conservent  la  gutturale  au  pluriel.  Exemples  : 


arco  (arcum) 
cieco  (caecum) 
fico  (ficum) 
foco  (focum) 
giuoco  (jocum) 
ricco  (*riccum) 
succo  (succum) 


archi 

ciechi 

fichi 

fochi 

giuochi 

ricchi 

succhi,  etc. 


Parmi  les  polysyllabes,  ceux  qui  ont  dans  la  syllabe  qui  pré- 
cède le  c  une  voyelle  autre  que  i  conservent  également  la  guttu- 
rale au  pluriel  ;  ainsi  : 


adunco  (aduncum) 

adunchi 

caduco  (caducum) 

caduchi 

opaco  (opacum) 

opachi 

paroco  (parochum) 

parochi, 

etc. 


Les  polysyllabes  qui  ont  i  devant  le  c,  c'est-à-dire  ceux  qui 
sont  terminés  en  ico  au  singulier, 

1°  ou  conservent  la  gutturale  ou  bien  la  changent  en  c,  par 
exemple  : 


aprico  (apricum) 
critico  (criticum) 
domestico  (domesticumj 
fisico  (fisicum) 
istorico  (historicum) 
mendico  (mendicum) 
monaco  (monacum) 
portico  (porticum) 
traffico  (trafficum) 
salvatico  (silvaticum) 
unico  (unicum) 


aprichi,  aprici 
critichi,  critici 
domestichi,  domestici 
fisichi,  fisici 
istorichi,  istorici 
mendichi,  mendici 
monachi,  monaci 
portichi,  portici 
traffiohi,  traffici 
salvatichi,  salvatici 
unichi,  unici,  etc. 


2°  ou  ils  changent  c  en  c  au  pluriel,  comme 


amico  (amicum) 
canonico  (canonicum) 


amici 
canonici 


—  94  — 

caustico  (causticum) 

caustici 

laico  (laicum) 

laici 

medico  (medicum) 

medici 

nemico  (nemicum) 

nemici 

pacifico  (pacificum) 

pacifici 

tragico  (tragicum) 

tragici,  etc.^ 

Ainsi  il  semble  qu'il  y  ait  eu  influence  de  Yi  qui  précède  le  c 
pour  faciliter  la  transformation  de  cette  gutturale  en  c  sous 
l'action  de  Yi  suivant,  tandis  que  les  voyelles  a,  o,  u,  au  con- 
traire, ont  contribué,  malgré  Yi  de  la  terminaison,  à  conserver 
au  c  sa  valeur  gutturale.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  explication 
que  j'emprunte  à  M.  Tobler^,  je  crois  qu'on  peut  voir  dans  ce 
fait  de  la  persistance  si  fréquente  de  la  gutturale  à  la  terminai- 
son et  de  son  rare  changement  en  c  une  preuve  que  le  pluriel  des 
noms  et  des  adjectifs  italiens  vient  non,  comme  le  soutenait  der- 
nièrement encore  M.  d'Ovidio  ^,  du  nominatif,  mais  de  l'accusatif 
latin,  ainsi  que  cela  a  lieu  en  général  dans  les  autres  langues 
romanes.  Cette  circonstance  que  la  gutturale  persiste,  comme 
nous  avons  vu,  dans  la  conjugaison  devant  i  provenant  de  a 
transformé,  tandis  qu'elle  se  change  en  c  devant  Yi  épenthique 
de  la  1''^  et  de  la  2"  personne  pluriel  du  subjonctif  présent,  semble 
bien  indiquer,  en  effet,  que  quand  c  persiste  devant  une  voyelle 
palatale,  c'est  que  cette  voyelle  n'est  point  étymologique,  et  qu'il 
ne  s'est  transformé  en  c  dans  un  certain  nombre  de  cas  que  par 
suite  de  l'oubli  où  l'on  a  été  de  la  valeur  primitive  de  la  voyelle 
suivante.  C'est  ainsi  qu'en  roumain  le  c  vélaire  s'est  changé  en  c 
partout  où  Y  a  ou  Yo  primitif  sont  devenus  e  ou  ^,  tandis  que  dans 
les  dialectes  picard  et  normand  la  transformation  de  a  en  e  n'a 
pu  lui  faire  perdre  en  général  sa  valeur  gutturale  originelle.  Je 
reviendrai  plus  loin  sur  ce  phénomène  grammatical,  qui  cons- 
titue un  des  exemples  les  plus  curieux  de  la  conservation  de 
la  vélaire  changée  en  palatale. 

irg  =  c,. 

Au  lieu  de  la  transformation  du  c  palatal  en  la  sourde  c,  le 
toscan  et  les  dialectes  du  Midi  de  l'Italie  présentent  aussi  quel- 

1.  D''  L.  G,  Blanc,  Gram.der  ital.  Sprache.  —  Diez,  Gram.  IP,  28  et  68. 

2.  Gœttinger  Anzeigen,  1872.  N°  48,  p.  1892. 

3.  SuW  origine  delV  unica  forma flessionale  del  nome  italiano.  Cf.  Romania, 
I,  492. 


—  95  —  

ques  exemples  de  sa  transformation  en  la  sonore  correspondante 
g.  Pour  expliquer  ce  changement,  on  peut,  je  crois,  admettre 
que  le  c  palatal  s'est  changé  d'abord  en  g  également  palatal,  — 
modification  que  nous  montre,  ainsi  que  nous  venons  de  le  voir, 
le  sarde  logoudourien  ;  —  puis  ce  g  se  serait,  comme  cela  a  lieu 
régulièrement  pour  cette  lettre,  transformé  en  g;  ou  bien  on 
peut  supposer  que  le  c  s'est  d'abord  transformé  en  c,  lequel  s'est 
ensuite  affaibli  en  g.  Quoiqu'il  en  soit,  voici  les  mots,  assez  rares 
d'ailleurs,  qui  présentent  cette  particularité  : 


abbracchiare 

abbragiare 

*  aucellum 

augello  à  côté  de  uccello 

concinnare? 

congegnare 

*dominicellam 

damigella 

ducem 

doge 

ducentos  (cf.  quingenti) 

dugento  (s.  log.  dughentos) 

celsum 

gelso 

cilium 

gigghiu  sic.  (ciglio  it.) 

placentem 

piagente 

socerum 

soggiru  sic.  (suocero  it.) 

soricem 

surgi  sic.  (sorice  it.) 

vacillare 

vagellare 

Il  en  est  de  même  en  roumain  dans  ager  (acer)  —  à  côté  de 
acru  (acrum)  et  de  agyns  (acris),  —  et  dans  vinge  (vincit).  Ce 
changement  paraît  d'ailleurs  particulier  aux  idiomes  du  groupe 
oriental,  les  langues  du  Sud-Ouest  ne  le  présentent  pas,  que  je 
sache,  et  celles  du  Nord-Ouest,  qui  l'ont  appliqué  à  la  gutturale 
vélaire,  ne  connaissent  en  général,  comme  elles,  pour  la  guttu- 
rale palatale  d'autre  transformation  que  ts  et  ses  dérivés.  On 
trouve  cependant  g  —  à  côté  de  dz  il  est  vrai,  —  dans  pedje 
et  pedze  (picem),  ainsi  que  dans  son  dérivé  pedji,  en  suisse 
roman  ;  mais  c'est  le  seul  exemple  qu'il  y  ait,  je  crois,  de  cette 
modification. 

g  qui  s'est  substitué  à  g  palatal  et  à  i  consonne  en  italien  se 
rencontre  aussi  exceptionnellement  à  la  place  de  ti,  dont  le  mode 
ordinaire  de  transformation  est,  comme  je  l'ai  dit,  ts.  Parfois 
même  les  deux  formes  ts  et  g  coexistent  l'une  à  côté  de  l'autre. 
Ainsi  on  a  : 

palatium  palagio  palazio 

presentationem       presentagione  — 


—  96  — 

rationem  ragione 

servitium  servigio  servizio 

stationem  stagione 

venationera  venagione 

vexationem  vexagione 

Il  n'est  pas  hors  de  propos  de  remarquer  que  dans  plusieurs  de 
ces  mots  la  palatale  a  été  remplacée  aussi  dans  le  double  groupe 
occidental  par  une  sonore,  seulement  comme  il  convient  à  ses 
langues,  par  une  spirante  dentale. 

l  est  d'ordinaire  un  affaiblissement  manifeste  de  c,  et  l'on 
peut  supposer  que  la  seconde  de  ces  formes  a  presque  toujours 
précédé  la  première  ;  celle-ci  n'en  est  pas  moins  la  seule  que  l'on 
rencontre  dans  quelques  idiomes  qui  semblent  être  primitife, 
comme  le  lithuanien ,  mais  dont  on  ne  connaît  que  des  monu- 
ments récents  ;  c'est  la  seule  aussi  qu'on  trouve  dans  un  certain 
nombre  de  dialectes  romans.  Bien  que  les  grammaires  semblent 
dire  le  contraire,  5  est  la  vraie  prononciation  que  les  Toscans 
donnent  au  c  suivi  de  e  ou  de  z,  prononcé  tch  dans  la  plupart  des 
autres  dialectes  italiens,  comme  ils  donnent  au  g  un  son  analogue 
à  celui  du  j  français.  Cette  valeur  s  est  aussi,  comme  nous 
l'avons  vu,  celle  que  prend  en  général,  au  milieu  des  mots,  le  c 
palatal  dans  le  roumanche  de  l'Oberland,  tandis  qu'au  commen- 
cement il  a  la  valeur  c  ;  dans  le  roumanche  de  la  vallée  de  l'Inn, 
au  contraire,  le  c  palatal  s'est  d'ordinaire,  au  commencement 
comme  au  milieu  des  mots,  changé  en  s;  il  en  est  de  même 
assez  souvent  dans  les  dialectes  de  la  Suisse  romande  ^  ;  ainsi  au 
commencement  des  mots  : 


LAT. 

s.   ROM. 

ROUMANCHE   ENG. 

ROUMANCHE     OBERL 

centum 

cheint 

schient 

tschient 

certum 

— 

schert 

—~ 

1.  Souvent  aussi,  il  est  vrai,  on  trouve  en  même  temps  les  deux  for- 
mes s  et  5;  ainsi  se  (ce)  et  che,  ceint  et  cheint,  chin  et  cein,  etc.  Or  si  l'on 
remarque  que  ïs  étymologique  s'épaissit  souvent  en  ch,  comme  dans 
chen  (sanctum),  chon  (sont),  etc,  on  sera  amené  à  penser  que  le  ch  qui 
représente  parfois  dans  les  patois  suisses  le  c  palatal  latin  transformé 
est  peut-être,  —  souvent  du  moins,  —  non  l'affaiblissement  immédiat  du 
son  composé  tch,  mais,  comme  ch  substitué  à  s  étymologique,  un 
épaississement  ultérieur  de  la  spirante  dentale  alvéolaire;  à  moins  qu'on 


-  97  — 

vv 

cmeram 

cheindre 

schendra 

tschendra 

cinque 

chin 

schinc 

tschinscit 

cinctara 

— 

schinta 

tschinta 

cœlum 

chi 

— 

tschiel 

ecc'  hic  (hoc) 

chi,  cite 

— 

tschou 

ecc'  illum 

chel 

— 

tschell,  etc 

Au  milieu  des  mots,  les  dialectes  ladins  du  Tyrol,  à  côté  de  sa 
transformation  en  ts,  p,  6  ou  o  offrent  aussi,  comme  les  deux  dia- 
lectes roumanches,  quelques  cas  du  changement  du  c  palatal  en 
s.  Exemples  : 


LAT. 

ROUMANCHE    OBERL 

.     ROUMANCHE    ENG. 

LAD.    TYR. 

acetum 

as 



—. 

calicem 

— 

calisch 



crucem 

crusch 

crusch 

cros 

decem 

diesch 

disch 

— 

decet 

descha 

— 

— 

dulcem 

— 

dulscJi 



forbicem 

forsch 

forscli 

forfel,  forbel 

hirpicem 

— 

— 

erpel 

laricem 

larisch 

larsch 

lars,  larel 

lucem 

— 

glûscJi 

— 

mercedem 

— 

mersch 

— 

pacem 

pasch 

pasch 

pas  Amp. 

picem 

— 

— 

pel 

placere 

plascher 

plascher 

plaler 

pernicem 

— 

pernisch 

— 

*  pollicem 

— 

pollisch.polsch        — 

*  pulicinum 

— 

pluschein 

— 

romancium 

rumonsch 

— 

— 

salicem 

— 

salisch 

— 

vascellum 

— 

vaschi 

— 

vocem 

vusch 

vusch 

1 

Il  en  est  de  même  dans  le  patois  savoyard  de  la  Tarentaise  dans 
daouche  (dulcem),  viche  (vicium),  etc. 

Dans  quelques  dialectes  du  Nord  de  l'Italie,  en  particulier 


ne  voie,  ce  qui  sera,  je  crois,  plus  exact,  dans  la  substitution  de  ?  à  s 
étymologique,  une  extension  du  son  5,  transformation  du  c  palatal,  à 
cette  spirante. 

1.   0.   Carisch,  id.  —    Schneller,    Die  rom.  Mund.  v.  Tirol.  —  Ascoli, 
Archivio  glotlol.  pass. 


—  98  — 

dans  le  Milanais,  ainsi  que  dans  certains  patois  du  Tessin,  le  c 
palatal  se  transforme  parfois  en  s{sc), — en  même  temps,  il  est  vrai, 
qu'en  z  (=  ts)  ou  s,  ou  même  en  c,  comme  en  italien.  —  C'est  ce 
qui  a  lieu  au  commencement  des  mots  suivants  : 


LAT. 

ITAL- 

MILAN. 

DIAL.    D.    LEVANTINA 

*  ceraseam 
cervellum 

ciriegia 
cervello 

sciurvel 

scireisa 

cimicem 
cinerem 

cimice 
cinere 

~~' 

scimas 
scendra 

cippum 

ceppo 

scepp 

— 

Il  en  est  de 

même  pour  le 

c  médial  dans  les  mots  : 

*  feciam 
lucium 

feccia 
luccio 

fescia 
lusc 

I 

*panticeam 
porci 
*  torcere 

pancia 

porci 

torcere 

panscia 
porscei 

storsc  ^ 

On  rencontre  encore  parfois  s  en  roumain  à  la  place  du  c 
palatal  dans  les  dérivés  formés  à  l'aide  des  suffixes  en  acius, 
icius  et  uceus  ;  ainsi 

1"  pour  les  dérivés  en  aceus  ou  acius  : 


LAT. 

*  anellaceum 

*  arendaceum 

*  arraaceum 

*  caballaraceum 

*  calceonaceum 

*  digitaceum 

*  palumbaceum 

*  vitellaceum 


ROUM. 

inelas 

arendas  (fermier) 

armas 

cèleras 

celtzunal 

degetas 

porumhas  (prunelle) 

vitzelas,  etc. 


2"  pour  les  dérivés  en  iceus  ou  icius  et  uceus  : 

ascutzis 
albul 
ceus,  etc.^ 

Enfin,  comme  nous  le  verrons,  s  est  la  forme  que  le  c  palatal 
prend  presque  toujours  en  picard  et  le  plus  souvent  aussi  en 


*  acuticium 

*  albuceum 

*  cauceum 


t.  Biond.  Saggio,  passim.  —  Ascoli,  Archivio,  pass. 

2.  Diez,  Gram.  li,  314  et  suiv.  —  De  Cihac,  Dict.  s.  voc 


99  — 


normand,  il  en  est  de  même  dans  les  mots  français  suivants,  la 
plupart,  il  est  vrai,  d'origine  douteuse  : 


*  capitium 
cicerem      ) 
ciccum        \ 
cichoreum 
cifram 


chevêche 

chiche 

chicorée 
chiffre 


circare 
ferocem  (?) 
*pulicem 
ramicem 


chercher 
farouche 
pouliche 
ranche^. 


Chiffre  est  d'origine  arabe  ;  l'ancienne  forme  de  chercher  est 
cercher  ;  la  forme  chercher  apparaît  d'abord  dans  Commine, 
c'est-à-dire  à  la  fin  du  xv"  siècle;  depuis  lors  elle  a  été  la  seule 
usitée  ;  on  a  dit  chercher  pour  cercher  probablement  par  assi- 
milation. Il  a  dû  en  être  de  même  pour  chevêche,  l'ancienne 
langue  disait  chevece.  Mais  pourquoi  chicorée,  qui  s'écrivait 
aussi  autrefois  cicorée,  a-t-il  pris  sa  forme  actuelle  ?  Il  est  assez 
difficile  de  le  dire;  au  xvf  siècle,  Olivier  de  Serres  emploie  encore 
la  forme  cicorée,  en  même  temps,  il  est  vrai,  que  chicorée  ;  peut- 
être  y  a-t-il  eu  dans  le  choix  de  cette  dernière  une  influence  de  l'ita- 
lien acorea.  i^«rowc/ie  n'est  pas  moins  obscur,  mais  son  origine 
est  plus  ancienue,  et  on  le  trouve  dèslexiif  siècle;  si  on  remarque 
que  la  forme  provençale  correspondante  est  ferotge  ou  ferogge, 
on  sera  tenté  de  le  faire  venir  d'un  type  *  feroticmn  plutôt  que 
àe  ferocetn.  Pouliche  n'est  point  français,  pulicem  ou  *puli- 
ciam  eût  donné  poulisse,  comme  junicem  ou  *juniciam  a  donné 
génisse  ;  la  forme  pouliche  est  un  emprunt  fait  par  le  dialecte 
de  l'Ile  de  France  au  normand  ou  au  picard,  qui  disent  l'un  et 
l'autre  'pouliche  et  geniche.  Peut-être  ranche  appartient-il 
aussi  au  picard,  ainsi  .que  chiche  (cicerem)  ;  mais  le  mot 
chiche  (ciccum)  reste  une  énigme  ;  ciccum  ne  pouvant  donner 
que  cic,  il  faudrait  pour  l'expliquer  supposer  une  forme 
*  dccam,  qui  donnerait  sans  doute  régulièrement  ciche,  d'où 


1.  On  admot  d'ordinaire  qu'il  en  est  encore  de  même  pour  les  mots 
suivants:  barbiche,  bourriche,  bretèche,  caniche,  caboche,  coqueluche,  cjrino- 
che,  filoche,  gallesche  \.,  galoche,  guenuche,  levriche,  litoche,  mailloche, 
panache,  peluche,  pioche,  revéche,  rondache,  taloche,  qu'on  regarde  comme 
des  dérivés  en  acius,  ictus,  oceus  ou  uceus  ;  j'aime  mieux  y  voir  pour  Ja 
plupart  des  dérivés  en  acus  ou  ascus,  icus  ou  iscus,  ocus,  ucus  ou  uscus 
et  (n)ticus;  l'ancienne  orthographe  bretesche,  gallesche,  revesche,  à  côté 
de  revois,  et  les  formes  picardes  ou  normandes  epinoque,  filoque,  pluqur, 
rendent  cette  étymologie  évidente  pour  les  mots  correspondants;  quant 
aux  autres,  ou  ils  ont  une  même  origine,  ou  bien  ils  ont  été  empruntés 
par  le  français  à  d'autres  dialectes. 


—  ^oo  — 

par  assimilation  chiche,  mais  qui  est  inconnue  ^  Quant  à  bam- 
boche^ bravache,  cartouche,  corniche,  douche,  escarmouche, 
ganache,  gouache,  moustache,  postiche,  sacoche,  la  chuin- 
tante s  qui  s'y  trouve  provient  de  l'affaiblissement  du  c  des  mots 
italiens  dont  ils  sont  dérivés  ;  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  les  compter 
ici. 


De  même  qu'à  côté  de  c  on  rencontre  la  sonore  correspondante 
^ ,  de  même  les  dialectes  ladins  de  l'Engaddine  et  du  Tyrol,  et 
quelques  dialectes  du  Centre  et  du  Nord  de  l'Italie  offrent  au  lieu 
de  s  la  forme  i  à  la  place  du  c  palatal  médial  ;  soit  que  celui-ci  se 
soit  d'abord  transformé  en  g,  lequel  donne  souvent  z  dans  ces 
dialectes,  soit  qu'il  ne  faille  voir  dans  ce  sonz  qu'un  simple  affai- 
blissement de  s  en  sa  sonore^.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  quelques 
exemples  de  cette  transformation .  Dans  le  sarde  et  le  génois  x=-z. 


LAT. 

LAUIN 

DIAL.   IT-N.            SARDE     CAMP, 

ROUM. 

TYR. 

acetum 

az  B.  E. 

aze,  azedo 

—           axedu 

acinam 

— 

— 

—           axina 

'  aucellum 

— 

— 

uzelw  Borm.     — 

calicem 

— 

— 

—           calixi 

'  cimiceum 

— 

— 

—           cimixiu 

cruces 

— 

crozes 

— ■                — 

decem 

— 

— 

—           dexi 

dicebam 

— 

dizeva 

—                 — 

larices 

— 

larzi 

—                 — 

lucem 

— 

— 

—           luxi 

nocere 

nouzer 

— 

—                 — 

placere 

plazer  Ob. 

plazer. 

plazer                — 

plazairB.E 

.piezer 

V.  Borm. 

pulicem  — 


—  pulixi 


1.  Cf.  Littré.  Dict.  s.  v.  Dans  ce  qui  précède  je  n'ai  parlé  que  de  la 
palatale  d'origine  latine,  la  palatale  d'origine  germanique  a  été  traitée 
tout  autrement  et,  ou  elle  a  persisté,  ou,  comme  la  spirante  de  même 
ordre,  elle  s'est  changée  en  ch,  ainsi  :  déchirer  (skerran),  échine  (skina), 
eschielle  v-  (skella),  hache  (hacke),  7-iche  (rîchi),  tricher  (trekken). 

2.  Cette  seconde  supposition  acquiert  un  degré  de  vraisemblance 
d'autant  plus  grand  qu'on  rencontre  les  deux  formes  s  et  z  parfois  dans 
le  même  mot,  ainsi  cros,  plur.  crozes,  lars  et  larzi  dans  le  ladin  d'Am- 
pezzo,  piazer  et  pias  dans  celui  du  val  de  Fassa. 


—  ^0^   — 


racemum 

tacere 

vicinum 

vincere 

vocem 


—  ruzm 
tazair  b.  e.  te^er 

—  veHn 

—  venzer 


—  biœinu,  veœin  gën. 

—  boœe,  etc.^ 


Cette  forme  z  commune  dans  les  langues  du  groupe  du  Nord- 
Ouest  comme  modification  de  la  gutturale  vélaire  ne  s'y  substitue 
que  très-exceptionnellement  à  la  gutturale  palatale,  —  par 
exemple  en  berrichon  pege  (picem) ,  ugé  (aucellum)  dans  le 
Jura,  auge  dans  les  Vosges,  oujà  à  Namur,  forges  (forflces)  en 
normand,  en  tarin  regin,  vegin,  à  côté  de  resin,  vesin;  —  ces 
langues,  ainsi  que  celles  du  Sud-Ouest,  ne  connaissent  véritable- 
ment, si  Ton  en  excepte  quelques  dialectes,  que  la  transforma- 
tion du  c  palatal  en  ts  et  en  ses  dérivés  ;  c'est  de  ces  modifications 
du  c  qu'il  me  faut  maintenant  parler. 


CHAPITRE    V 


CHANGEMENT  DU  C  PALATAL  EN  TS  ET  DZ. 

La  transformation  du  c  en  ts  est  fréquente  :  on  la  rencontre 
dans  les  langues  slaves  qui  l'appliquent  au  c  vélaire,  comme  au 
c  palatal  ;  ainsi  en  slavonc^rz,  abréviation  decè5«n(ca3sarem), 
rosse  tsar  ;  cvetû  (fleur)  en  slavon,  à  côté  du  tchèque  kvet  ^ .  ts 
est  aussi  le  son  que  le  c  palatal  a  pris  souvent  dans  le  néerlan- 
dais et  déjà  dans  l'ancien  frison;  ainsi  :  tzierke  fr.  tsierke  n. 
(s.  circe),  tzieseîv.  (v.  fr.  kiasa)  ;  tsierl  n.  (a.  s.  ceorl.)  ^.  Mais 
quoique  ts  apparaisse  ainsi  comme  la  transformation  directe  du 
k  primitif  ;  il  n'y  faut  voir  néanmoins  qu'un  affaiblissement  du 
son  plus  complexe  c,  qui  d'ailleurs  subsiste  soit  seul,  soit  à  côté 
de  ts,  dans  plusieurs  idiomes  de  la  même  famille  ;  ainsi  le  slavon 
connaît  à  la  fois  c,  —  par  exemple  dans  crûvï,  sanscrit  krmis 
(ver),  — et  c  {ts);  —  par  exemple  dans  cvetû. — De  même  à  côté 
du  frison  tzierke,  néerlandais  tsierke,  on  a  l'anglais  church  ; 
au  fr.  tziese  correspond  l'ang.  c/^oo■se,  aunéerl.  tsiev'l,  churl. 
Les  idiomes  romans,  comme  nous  le  savons,  possèdent  aussi  les 
deux  formes  ;  ainsi  l'italien  et  le  dialecte  roumain  du  Nord  ont 

1.  Spano,  Orlog.sarda  passim.  —  Ascoli,  ^rc^ï«/o,  pass. 

2.  Schl.  Comp.  pass.  —  Dans  la  plupart  des  idiomes  slaves  c  =  Is. 

3.  Grimm,  Deut.  Grain.  1  \  232,  424. 


—  ^02  — 

c  là  où  les  idiomes  occidentaux  font  usage  de  ts  ou  de  ses  formes 
affaiblies.  Cette  double  manière  de  représenter  le  c  palatal  latin 
divise  ainsi  les  langues  romanes  en  deux  groupes  distincts,  celles 
de  l'Est  qui  l'ont  transformé  en  c,  celles  de  l'Ouest  qui  l'ont 
assibilé:  ce  n'est  pas,  comme  nous  verrons  et  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  qu'on  ne  rencontre  dans  chacun  de  ces  groupes  des  formes 
qui  ne  lui  appartiennent  pas  en  propre,  mais,  malgré  quelques 
exceptions,  il  n'en  reste  pas  moins  ce  fait  incontestable  et  phoné- 
tiquement si  curieux  et  important  que  les  Romans  de  l'Ouest 
n'ont,  depuis  une  époque  reculée,  connu  en  général  qu'une  seule 
forme  ts\  pour  le  c  palatal  et  le  t  modifié,  tandis  que  les  Romans 
de  l'Est  ont  en  général  distingué  les  modifications  de  ces  deux 
lettres  en  donnant  à  la  première  le  son  c,  à  la  seconde  celui  de  ts. 
Mais  à  quelle  époque  eut  lieu  le  changement  du  c  palatal  en 
ts  ?  J'ai  admis  qu'il  dut,  dans  tout  le  domaine  roman,  se  trans- 
former d'abord  en  c,  son  qu'il  a  conservé  le  plus  souvent  dans 
l'italien,  le  dialecte  roumain  du  Nord  et  le  roumanche,  et  a,  au 
contraire,  atténué  en  ts  dans  la  plupart  des  idiomes  du  double 
groupe  occidental.  Des  documents  incontestables  nous  montrent 
qu'au  XII''  et  au  xiif  siècle  le  c  avait  en  français  le  son  ts,  c'est- 
à-dire  celui  du  z  allemand  ou  du  ^  grec.  Ainsi  c'est  par  ts 
qu'on  le  trouve  représenté  en  néerlandais  dans  les* mots  fortse- 
ren,  fatsoen,  etc  ;  l'allemand  de  son  côté  le  représente  par  z 
==  ts,  par  exemple  garzûn,  merzî,  puzile,  etc.  Les  trans- 
criptions hébraïques  des  mots  français  contenus  dans  un  voca- 
bulaire du  xiif  siècle,  publié  dans  la  seconde  livraison  des 
«  Romanische  Studien  »  de  M.  Bœhmer^  nous  le  montrent  éga- 
lement représenté  par  ts  ;  ainsi,  tsindres  (cineres),  forteretse 
(fortalicium),  poits  (picem),  tsentener  (centenarium),  à  tser- 
kier  (ad  indagandum),  etc.  Or  à  cette  époque  l'allemand,  sinon 
le  hollandais,  avait  un  signe  particulier  pour  le  son  c  ;  le  diction- 
naire hébreu  figure  aussi  en  plusieurs  endroits  ce  son  ou  sa 
forme  amoindrie  s;  ici  donc  on  ne  peut  supposer  que  nous 
avons  des  transcriptions  approximatives  du  son  qu'avait  alors 
c,   mais  bien  ce  son  lui-même.   Mais  depuis  quand  c  se  pro- 

1.  La  forme  cho  qu'on  rencontre  dans  la  Passion  où  ch  ne  peut  avoir 
que  la  valeur  s  ou  plutôt  c,  semble  bien  indiquer  que  c  avait  encore,— 
parfois  au  moins,  —  ce  son  devant  e  ou  i.  Nous  verrons  que  dans  les 
dialectes  normands  et  picards  cette  forme  ch  =  s,  affaiblissement  de  c, 
s'est  conservée.  JNous  avons  là,  je  crois,  autant  de  formes  plus  ou  moins 
complètes  de  la  modification  primitive  du  c  palatal,  c. . 

2.  Rom.  Stud.  1872,  p.  163. 


—  -103  — 

nonçait-il  ts  ?  Si  l'on  admettait  que  ti  suivi  d'une  autre  vo}-elIe 
n'a  pu  prendre  que  le  son  ts,  la  confusion  de  ci  et  de  ti  dans  les 
chartes  mérovingiennes  prouverait  que  c  avait  alors  comme  ti 
dans  cette  circonstance  le  son  ^5,  mais  comme  il  se  peut  aussi  que 
liait  pris  alors  comme  ci  le  son  c,  cette  confusion  ne  prouve  rien. 
Il  en  est  de  même  de  l'orthographe  du  mot  manatce  de  la  Cantilène 
deS'^Eulalie  et  des  gloses  de  Reichenau  dans  laquelle  on  avouluvoir 
une  preuve  du  son  ts  qu'aurait  eu  alors  le  c,  puisqu'elle  peut  aussi 
bien  avoir  servi  à  figurer  le  son  tch.  La  représentation  de  c  par 
z  dans  les  anciens  monuments  romans  a  une  tout  autre  impor- 
tance, et  semble  indiquer  qu'on  attribuait  dès  lors  au  c  la  valeur 
ts  que  devait  avoir  certainement  alors  le  z  :  tel  est  fazet  (feciet) 
dans  les  Serments,  domnizelle  dans  la  Cantilène  de  Sainte 
Eulalie.  Cette  représentation  du  c  par  z  apparaît  aussi  dans  le 
plus  ancien  monument  du  provençal,  le  Boèce,  où  Ton  trouve 
penedenza  (v.  13),  fazia  (v.  23).  On  voit  également  z  se  sub- 
stituer à  c  dans  les  plus  anciens  textes  espagnols,  par  exemple 
freznedo  (fraxinetum)  Yepes  III  n.  17  (a.  780)  ;  dezimo  pour 
diezmo  id.  IV,  11  ;  Oza  villa  id.  28  ;  pozo  (puteum)  id.  38  ; 
foz  Esp.  sagr.  XXVI,  445  (a.  804)  ;  calzada  id.  ;  plumazos 
XL,  400  (a.  934)  ^  Dans  les  plus  anciens  manuscrits,  soit  espa- 
gnols, soit  portugais,  on  voit  également  c  et  ^  employés  assez 
arbitrairement  à  la  place  du  c  palatal  latin. 

Ainsi  il  semble  résulter  de  cet  ensemble  de  preuves  que  le  c 
palatal  eut  au  milieu  du  Moyen-Age  le  son  ts  dans  le  double 
groupe  occidental  ;  nos  anciens  grammairiens  du  xv*^  et  du 
XVI®  siècle  ne  connaissent  plus  ce  son,  et  nous  verrons  com- 
ment il  s'est  modifié  en  espagnol;  le  provençal  et  le  portugais 
ne  le  connaissent  plus  aussi  en  général  aujourd'hui,  mais  il  s'est 
conservé  dans  quelques-uns  de  leurs  dialectes,  ainsi  que  sur 
certains  points  de  l'Espagne,  reste  évident  de  l'ancienne  pro- 
nonciation ;  nous  pouvons  donc  admettre  comme  démontré 
qu'en  France,  comme  dans  la  péninsule  hispanique,  le  c  pala- 
tal latin  a  pris,  à  une  époque  suivant  toute  vraisemblance 
reculée,  le  son  ts^.  C'est  ce  son  qu'il  a  aujourd'hui  encore  d'ordi- 
naire dans  le  dialecte  roumain  du  Sud  et  souvent  aussi  dans 
celui  du  Nord.  Il  l'a  également  parfois  dans  le  ladin  du  Tyrol 
et  du  Frioul,  et  dans  certains  dialectes  itahens  ;  c'est  ce  qui  a 


1.  Cf.  Diez,  Gr.  I,  364. 

2.  Naturellement  fs  ou  dz,  suivant  qu'il  s'était  transformé  en  sourde 
ou  en  sonore,  comme  nous  verrons  par  la  suite. 


—  -104  — 

lieu  en  particulier  dans  le  sarde  logoudorien,  qui  donne  généra- 
lement le  son  ts  au  c  palatal  latin ,  toutes  les  fois  qu'il  ne 
lui  a  pas  conservé  sa  valeur  gutturale.  Il  en  est  de  même 
parfois  dans  le  milanais  et  le  vénitien^  qui  changent  cependant 
plus  souvent  c  en  c  ou  en  5.  Enfin  on  trouve  même  dans  le  tos- 
can, encore  plus  dans  les  dialectes  du  Sud,  des  exemples  de  cette 
transformation  du  c  en  ts.  La  liste  suivante  présente  rapprochés 
un  certain  nombre  de  mots  roumains,  italiens  ou  provençaux  dans 
lesquels  ce  changement  a  eu  lieu  ;  les  mots  roumains  qui  ne  sont 
accompagnés  d'aucune  indication  appartiennent  au  dialecte  du 
Nord;  de  même  les  mots  italiens  donnés  sans  mention  particulière 
sont  tirés  de  la  langue  classique  ou  du  toscan  : 


LAT. 

ROUM. 

LAD. 

DIAL.    ITAL. 

DlAL.   PROV. 

accidiam 





aczidiavom. 



accidente 





azzidente 



acetum 

otzet 



nap. 



acceptare 

— 



azzettare 



aciam 

aize 



nap.  sic. 

— 

aciarium 

— 

— 

azzaru  sic. 



'  arancium 

— 



aranzu  s.  1. 

brachium 

bratz 



brazzu    sic. 

bratz 

calcem 

— 

cauz 

— 

— 

'carcerum 

— 

— 

carzaru  sic. 

— 

cœcura 

— 

— 

zegu  s.  log. 

— 

cedere 

— 

— 

zed  V.  Lev. 

— 

cedrum 

tzedru 

R.S.       — 

zëdar   rom. 

— 

cœlum 

— 

ziel  Tir. 

zel  mil.  zelu 

s. s.  — 

cœnam 

— 

zéna  Ag. 

zenna  mil. 

— 

ceram 

— 

— 

zera  mant. 

— 

^cerefohatum 

— 

— 

—     tser  fouillé  s. R 

cernere 

— 

zerne  Ag. 

— 

— 

certum 

— 

— 

— 

— 

cervellum 

— 

— 

zervel  mdiXii. 

— 

cervum 

— 

zerv 

— 

— 

cesarem 

tzar 

— 

— 

— 

cespite 

tzespet 

R.S.    — 

— 

— 

cibum 

— 

— 

zibu  s.  log. 

— 

cicutam 

— 

— 

zgudammii. 

— 

cifram 

tzifre 

— 

— 

— 

cilium 

— 

— 

^2;' mil.  zidaTadiiii. 

—  ^05  — 


cygnum 

cymam 

cymbalum 

cimicem 

*  cineram 
cinque 

cypressum 

*  circare 
circiim 


tzemn  — 


tzintzR.s. 


zign  mil. 

zima   mant.  — 

zimbello,  — 
zimbelmRTii. 

zimas  mant.  — 
zènera  Pir.  tselle  s.r. 

zincu^.^SiW.  — 

zinch  mant.  — 
zipress  mant. 


—  zerce,  zerca 

tzearc  r.s.    — 


—         tsertsi  s.r. 


citare  —  — 

citrum  tzitre  — 

dulcem  —  dolz 

duodecimam  —  — 

ecc'hoc  —  — 

ericium  —  — 

facetum  —  — 

facilem  —  — 

faciam  fatze  fazza 

falcem  —  fauz 

*glaciam  ghiatze  gaz  Ag. 

lanceam  —  — 

licitum  —  — 

lynceam  —  — 

mercedem  —  — 

(ad)minaciare     —  — 

receptum  —  — 

secium  —  — 

sincerum  —  — 

socium  sotz  — 

*  stracium  —  — 

sucidum  —  — 

suspicionem  —  — 

Tpi'xa,  *  tricheam  —  — 

unciam  —  — 

vincere  —  venzer 

vicinum  vitzinuR.^.  — 


zer  rom. 
zerc  mant. 
zitare  nap. 

dolz  r.  mil. 
dozzina 
zo  nap. 
rizza  sic. 
fazet  rom. 
fazil  rom. 


lanzas.  log. 
lizeto  nap. 
lonza 

merzè  nap. 
minazzari 
rezzettona]^. 
sezzo 

sinzè'r  rom. 
sozzejo  nap. 
strazzu  sic. 
sozzo 
sospizione 
trizza^Aog. 
onza  nap. 


zo  cat. 


glatz 


vezi,  etc. 


1.  Biond.  id.  —  Spano,  id.  —  Muss.  id.  —  Fr  Gheriibini,  Vocab.  mant.— 
De  Cihac,  id.  —  Schneller,  id.  —  Ascoli,  Archivio. 


—  -106  — 

Dans  quelques  mots  italiens  la  langue  paraît  avoir  hésité  entre 
c  et  ts,  que  l'on  trouve  l'un  à  côté  de  l'autre,  ainsi  : 


hack 

accia 

azza 

calceum 

calcio 

calzo 

judicium 

giudicio 

giudizio 

officium 

oficio 

ofizio 

socium 

socio 

sozio 

speciem 

specie 

spezie,  etc 

Mais  peut-être  ne  faut-il  voir  dans  ce  fait  que  le  mélange  dans 
l'italien  classique  de  formes  dialectales  diverses,  ou  le  retour 
pour  les  mots  qui  avaient  z  à  l'orthographe  latine  ;  z  paraît  bien, 
en  effet,  une  forme  populaire  dans  les  dérivés  itaUens  ou  rou- 
mains formés  à  l'aide  des  suffixes  acius,  icius,  oceus,  uceus, 
dans  lesquels  le  c  a  été  traité  comme  le  t  suivi  de  i  et  d'une 
autre  voj  elle,  fait  qui  s'explique  sans  peine  par  la  facilité  avec 
laquelle  ces  suffixes,:  surtout  acius  et  icius,  peuvent  se  confondre 
avec  atius  et  itius.  Voici  quelques  exemples  de  ces  transforma- 
tions que  les  dialectes  du  Sud  de  l'Italie  paraissent  préférer  : 


l"en  acius  : 

LAT. 

ITAL. 

ROUM. 

*  brunaceum 

brunazzo 

— 

*  canacium 

canazzu  s.  camp. 



*  caudaceum 

codazzo 

— 

*  coriaceam 

corazza 



*  galeaceam 

galeazza 

— 

*  muhaceam 

mogliazzo 



*palidaceum 

palidazzo 



*  populaceum 

popolazzo 

— 

*  ragaceum 

ragazzo 

— 

*  spoliaceam 

spogliazza 

— 

*  terraceum 

terrazzo 



*  vinaceum 

vignazzo 



2°  en  icius  : 

*albicium 



albetz 

*  baroniciam 

— 

haronitze 

*  cantaricium 

— 

cunteretz 

*  capricium 

caprizzi  pad. 

— 

*  ficticium 

fîttizio 

— 

*  lumicium 

— 

lumetz 

*  saliriciam 

— 

sarnitze 

—  ^07  — 


3°  en  oceus  : 

^^^^1 

*barboceam 

barbozza 

^^^^ 

*  basioceum 

baciozzo 

— 

*  carroceam 

carrozza 

— 

*frescoceum 

frescozzo 

— 

*  lilioceum 

gigliozzo 

— 

*  muttoceum 

mottozzo 

— 

4"  en  uceum  : 

*  acuceum 



acutz 

*  albuceum 

— 

albutz 

*  animaluceum 

animaluzzo 

— 

*  barbuceam 

bm'buzza  s. 

berbutze 

*  bonuceum 

— 

bunutz 

*donuceum 

donuzzo 



*  dulcuceum 

— 

dulcutz 

*  foliuceum 

fogliuzzo 

— 

*  focuceum 

— 

focutz 

*  lunguceum 

— 

lungutz 

*  medicuceum 

medicuzzo 

— 

*  peluceum 

peluzzo 

— 

*  superbuceum 

superbuzzo 

— 

*  vacuceam 

— 

vecutze 

*  vasuceum 

— 

vesutz,  etc.^ 

Les  terminaisons  itz  et  utz  sont  parfois  remplacées  en  rou- 
main par  is  et  us,  ou  même  ces  deux  formes  subsistent  l'une  à 
côté  de  l'autre;  ainsi  vitzelutz  et  vitzelus  (vitelluceum);  pour  le 
suffixe  acius,  as  paraît  même  s'être  complètement  substitué  à 
atz  ^. 

Si  ts  n'apparaît  qu'exceptionnellement  comme  modification  du 
c  palatal  en  italien,  dans  le  dialecte  roumain  du  Nord  et  souvent 
en  roumanche,  il  est  au  contraire,  commenous  avons  vu,  la  forme 
ordinaire  qu'y  a  prise  H  suivi  d'une  voyelle  ;  en  voici  quelques 
exemples  : 


*  abantiare         avanzare 
abundantiam    abo7ida,nza 
*acutiare  aguzzare 


ascutzi 


ROUMANCHE. 

vanzar  ob. 
abundanza  e. 


1.  Wentrup,  id.  -  Diez,  Gram.  315,  317,  319.  -  Do  Gihac,  etc. 

2.  Voir  pi.  h.  p.  98. 


~  -108  — 


*  altiare 

alzare 

— 

alzar  ob. 

annuntiare 

annunziare 

— 

annunziaT 

*  antianum 

anziano 

~ 

_^ 

astutiam 

astuzia 

— 

_^ 

bibitionem 

pozione 

— 



cadentiam 

cadenza 

cadentze 

—^ 

cantionem 

canzone 

— 

canzun  ob. 

confidentiara 

confidenza 

cufldentze 

__ 

*  dationem 

dazione 



___ 

*debolitiam 

deholezza 

__ 

__ 

decentiam 

decenza 

__ 

___ 

dominationem  dominazione 

— 

_^ 

exhalationem 

esalazione 

— 

__ 

*  fortiam 

forza 

— 

forza  OB. 

*  fortitiam 

fortezza 

forteretze 

fortezza  OB. 

gratiam 

grazia 

— 

grazia  ob. 

*  gravitiam 

gravezza 

— 

gravezza  ob 

habitationem 

abitazione 

— 



inclinazionem  inchinazione 



^_ 

infantiam 

infanzia 

— 

— 

justitiam 

giustizia, 
giustezza 

— 

— 

*juvenitiam 

giovinezza 

— 

— 

largitiam 

larghezza 

— 

largiezza  e. 

lenteolum 

lenzuolo 

— 

— 

letitiam 

letizia 

— 

— 

malitiam 

malizia 

— 

malizia  ob. 

martium 

tnarzo 

— 

marz  ob. 

*  ma  team 

mazza 

— 

mazza  ob. 

mollitiam 

mollezza 

moleatze 

— 

nationem 

nazione 

natzie 

naziun  ob. 

nuptias 

nozze 

nuntzi 

nozza  ob. 

nuntium 

nunzio 

— 

nunzi 

otiosum 

ozioso 

— 

— 

patientiam 

pazienza 

— 

pazienzia  e. 

petiam 

pezza 

— 

piez,  pezz  e, 

plateam 

piazza 

— 

plazz  OB. 

pretium 

prezzo 

pretz 

prezzi  ob. 

pigritiam 

pigrizia 

— 

— 

potentiam 

potenzia 

putintze 

— 

puteum 

pozzo 

putz 

— 

reformationem  riformazione 

reformatzie 

— 

^^^^^1 

P 

^09  — 

spatmm 

spazio 

spatziu 

spazzi  ob. 

sperantiam 

speranza 

— 

spronza 

titionem 

tizzone 

— 

tizzun 

tristitiam 

tristezza 

— 

tristezia  ob 

*  viriditiam 

verdezza 

verdeatze 

— 

vitium 

vizio,  vezzo 

mtziu 

vizzi  OB. 

Et  tous  les  dérivés  en  antia,  entia,  itius,  et  la  plupart  des 
dérivés  en  tio,  tionis,  du  moins  en  italien. 

irdz=c,. 

Nous  avons  vu  que  le  roumain  a  une  prédilection  toute 
particulière  pour  les  explosives  sourdes  ;  l'italien  semble 
aussi  les  préférer  aux  sonores,  tandis  que  la  plupart  de  ses  dia- 
lectes donnent  au  contraire  la  préférence  à  celles-ci;  quelque 
chose  d'analogue  se  passe  pour  les  spirantes  ou  les  chuintantes 
dérivées  de  c  ;  le  roumain  ne  connaît  que  les  sourdes  ;  ce  sont  elles 
aussi  que  l'italien  préfère  de  beaucoup  ;  cependant  j'ai  signalé 
déjà  un  certain  nombre  de  mots  où  la  sourde  c  a  été  remplacée 
par  la  sonore  correspondante  g  ;  on  peut  aussi  en  citer  quelques- 
uns  où  la  sonore  dz  s'est  substituée  à  la  sourde  ts.  Comme  on 
peut  s'y  attendre,  cette  substitution  a  lieu  surtout  dans  les  dia- 
lectes. Ainsi  dans  le  dialecte  de  Sassari  en  particulier  z  =  ts  se 
change  dz  au  milieu  des  mots  et  même  au  commencement  après 
l'article  ^  Cependant  en  général  ts  est  resté  le  mode  de  transfor- 
mation du  c  palatal,  dz  celui  du  g  palatal  ;  voici  toutefois  quel- 
ques exemples  où  cette  dernière  forme  représente  un  c  étymolo- 
gique dans  les  dialectes  italiens  ou  provençaux  : 


cincturam 

crucem 

decem 

*  dominicellam 
lucem 
pacem 
picem 

*  puUicem 

*  romancium 
saracenum 
vide  ecc'hic 


DIAL.    PROV. 

dzeuntros.R. 


cruzi  Sass, 
dezi  s.  gall. 
donzella 
luzi  Sass. 
pazi  Sass. 


romanzo 


padze  s.r. 
pedze  s.r. 
poudze  sav. 

saradzin  sav. 
veidze  s.r. 


Jahrbuch,  X,  403. 


—   \iO  — 

Si  l'on  fait  abstraction  des  dialectes  du  Nord  et  pour  quelques 
cas  de  ceux  du  Sud  ou  du  Centre  de  l'Italie,  c,  g,  s,  z,  ts  et  dz 
épuisent  les  formes  que  le  c  palatal  a  prises  en  se  modifiant  dans  le 
double  groupe  oriental  ;  les  idiomes  occidentaux,  au  contraire,  ne 
connaissent  ces  formes  qu'à  titre  d'exception,  et  poussant  plus  loin 
la  simplification,  ils  ne  se  sont  arrêtés  qu'aux  formes  dérivées  de 
ts  et  àe  dz  :  s  ou  ç,z,(ieto;  mais  tous  n'ont  pas  procédé  dans 
ce  travail  de  simplification  de  la  même  manière  ;  les  langues  du 
groupe  du  Nord-Ouest  s'en  sont  en  général  tenues  aux  deux 
formes  s  (ç,  ss)  et  ^';  c'est  aussi  celles  que  le  portugais  connaît 
presque  exclusivement  ;  quant  à  l'espagnol,  à  une  époque  qui 
paraît  relativement  récente,  il  a  donné  définitivement  le  son  0  au 
c  transformé.  C'est  l'histoire  de  ces  modifications  de  la  palatale 
dans  les  quatre  idiomes  occidentaux  et  dans  les  dialectes  qui  les 
ont  acceptées  qu'il  me  faut  maintenant  examiner.  Je  commen- 
cerai par  le  français  où,  si  elle  est  plus  compliquée,  elle  est  aussi 
plus  facile  à  suivre  à  cause  du  grand  nombre  de  monuments 
qu'on  possède  de  l'ancienne  langue. 


CHAPITRE  VI. 

CHANGEMENT    DU    C    PALATAL   EN    Ç    (s ,    SS)    ET    EN    Z    (s),    EN 
FRANÇAIS,    EN    PROVENÇAL     ET    DANS  LES    DIALECTES    LADINS   OU 

ITALIENS. 

Après  la  transformation  de  la  gutturale  palatale  en  c  ou  ts,  les 
scribes  durent  se  trouver  fort  embarrassés  pour  représenter  ces 
nouveaux  sons  ;  le  c  étant  naturellement  conservé  devant  a,  o, 
u,  c'est-à-dire  pour  figurer  la  gutturale  vélaire,  qui  n'avait  point 
changé,  pouvait-on  et  devait-on  encore  s'en  servir  comme  signe 
des  sons  nouveaux  du  c  palatal  ?  En  Italie  la  solution  fut  très- 
simple  ;  on  conserva  le  c  devant  e  et  i,  partout  où  il  prit  le  son 
c  :  quand  il  prit,  au  contraire,  le  son  ts,  on  le  représenta,  comme 
le  t  assibilé,  par  z.  Les  choses  se  passèrent  moins  simplement  en 
France.  Le  c  palatal  y  ayant  pris  de  bonne  heure  le  son  ts,  il 
semble  qu'on  n'avait  qu'une  de  ces  deux  choses  à  faire,  ou  con- 
server devant  a,  0,  uet  e,  i,  le  signe  c,  qui  aurait  eu  alors  à 
la  fois  le  son  k  et  le  son  ts,  comme  en  Italie  il  avait  en  même 
temps  le  son  k  et  le  son  c,  ou  bien  garder  c  comme  signe  de  la 

1.  Il  faut,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  excepter  le  normand  et  le  picard. 


—  Ui   — 

guïïume  vélaire  et  se  servir  du  z  pour  figurer  la  gutiuraie  pala- 
tale  transformée.  Il  semble  qu'on  dût  songer  à  cette  seconde  solu- 
tion ;  dans  les  plus  anciens  monuments  romans,  en  effet,  nous 
rencontrons  fréquemment  le  c  palatal  remplacé  par  z;  ainsi  dans 
Yepes  nous  trouvons  avec  z  :  freznedo  III,  n.  17  (a.  780)  ; 
dezimo  IV,  n.  11  I  ;  pozo  n.  38,  et  dans  l'Espaiia  sagrada  foz 
XXVI,  445  (a.  804),  calzada  xà.plumazos^h,  400  (a.  934). 
z  apparaît  également,  comme  nous  allons  voir,  dans  les  Serments, 
la  Cantilène,  la  Passion,  etc.  Cependant  cette  tentative  ne  devait 
point  aboutir,  et  en  même  temps  que  z  était  employé  pour  repré- 
senter le  son  ts  du  c  palatal  assibilé,  c  fut  conservé,  plus  souvent 
même  qu'il  n'était  remplacé.  Le  choix  de  ce  signe  ne  devait  pas 
être,  au  reste,  complètement  indififérent. 

Tandis,  en  effet,  que  le  c  palatal  transformé  a  le  plus  souvent 
donné  naissance  dans  la  langue  du  groupe  oriental  à  une  spi- 
rante  sourde,  les  langues  du  double  groupe  occidental,  obéissant 
en  cela  à  une  tendance  qui  leur  est  propre,  l'ont  dans  un  grand 
nombre  de  cas  changé  en  sonore  ;  on  dut  naturellement  dès  lors 
chercher,  autant  que  cela  était  possible,  à  représenter  par  des 
signes  différents  ces  sons  différents;  l'italien,  ayant  donné  devant 
e  et  i  la  valeur  c  au  c,  n'avait  que  le  signe  z  pour  représenter  ts 
et  dz,  et  il  n'a  point  cherché  à  distinguer  par  l'écriture  ces  deux 
spirantes  ;  les  idiomes  occidentaux  ont  procédé  autrement,  et  de 
bonne  heure  ils  paraissent,  comme  jele  montrerai  plus  loin,  avoir 
choisi  en  général  c  pour  représenter  la  sourde  ts,  z  au  contraire 
comme  signe  de  la  sonore  dz.  Mais  ces  deux  signes,  même  ainsi 
répartis,  ne  devaient  pas  être  trouvés  suffisants. 

Une  difficulté  que  rencontrèrent,  en  effet ,  tout  d'abord  les 
scribes,  ce  fut  la  manière  de  représenter  ts  quand  ce  son  devait 
être  suivi,  non  de  e  ou  de  i,  mais  d'une  des  voyelles  a,  o,  u; 
comme  alors  c  prenait  le  son  k,  on  sentit  la  nécessité  de 
lui  substituer  une  autre  lettre  ou  de  le  modifier  pour  éviter  toute 
confusion.  Le  z  se  présentait  naturellement,  on  le  trouve  aussi 
anciennement  employé  dans  ce  cas,  ainsi  aezo  (ecce  hoc)  dans 
la  Cantilène  de  Sainte  Eulalie  v.  21,  ^o  dans  la  Passion  v.  34, 
2;  31,  1  ;  fazon  dans  les  Sermons  de  Saint  Bernard  p.  528,  532, 
etc.  ;  anzois  id.  p.  568,  etc.  Mais  quand  on  eut  choisi  définiti- 
vement z  comme  signe  de  la  sonore,  on  fut  obligé  de  renoncer  à 
l'employer  dans  les  mots  où  le  c  suivi  de  a,  o,  u  s'était  changé 
en  spirante  sourde,  et  on  dut  naturellement  chercher  un  autre 
moyen  de  représenter  cette  dernière.  Celui  auquel  eurent  recours 
les  plus  anciens  scribes  de  la  langue  d'oïl  fut  de  faire  suivre  le 


—  U2  — 

c  d'un  e  muet,  parfois  même  d'un  i  ;  ainsi  cio  dans  la  Passion 
50,  3  ;  de  même  dans  le  Saint-Léger  cio  5,  3  ;  7,  1  ;  9,  4,  5  ; 
15,  3;  16,  1  ;  17,  3;  18,  4;  19,  2,4;  20,  5;  33,  3;  reciut  A,  4; 
22,  4;  ceos  dans  les  Sermons  de  Saint  Bernard  p.  521,  522,  523, 
524,  525,  etc.  ^  Cette  notation,  qui  rappelle  celle  que  nous  emplo- 
yons aujourd'hui  encorepour  donner  au  g  suivi  d'une  vojelle  non 
palatale  la  valeur  z,  fut  usitée  pendant  tout  le  Moyen-Age; 
cependant  le  plus  souvent  on  se  borna  à  écrire  aussi  un  simple 
c,  qui  se  trouve  ainsi  avoir  à  la  fois  devant  a,  o,  u  la  valeur  k  et 
ts  ou  s;  parfois  cependant  pour  distinguer  c  =  ts  de  c  ^  k  on  le 
surmonta  d'un  trait  (')  ;  mais  cette  notation  est  assez  rare^.  On 
rencontre  aussi  c  en  provençal  avec  la  valeur  ts  devant  une 
voyelle  non  palatale,  par  exemple  co  B.  v.  243,  dreca  v.  168. 
Mais  cette  langue  se  servit  aussi  de  ^,  —  ainsi  zo  dans  le  Boëce 
V.  47,  203,  206,  etc.,  —  dans  la  période  où  le  c  avait  encore  la 
valeur  ts,  plus  tard,  comme  nous  le  verrons,  elle  le  remplaça 
ordinairement  par  5  ou  ss.  Les  langues  de  la  péninsule  hispa- 
nique montrent  aussi  dans  quelques  textes  s  substitué  à  c  ou  ^  ; 
mais  elles  se  contentèrent  en  général  du  premier  signe,  seule- 
ment en  lui  faisant  subir  une  modification  particulière.  Pour 
indiquer  que  c  suivi  de  a,  o  ou  w  devait  prendre  la  valeur  ts,  on 
eut  l'idée  de  le  faire  suivre  d'un  2,  ce  qui  donna  cz,  notation 
qu'on  trouve  encore  employée  dans  les  manuscrits  vaudois  ; 
mais  le  plus  souvent  on  plaça  le  z  sous  le  c,  et  on  eut  ainsi  le  c 
cédille  ;  telle  est  du  moins  l'origine  qu'on  lui  attribue  ordinaire- 
ment ^,  quoique  la  cédille  ait  plutôt  la  figure  d'un  c  renversé  que 
d'un  z. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ç  apparaît  d'abord  dans  les  textes  espagnols. 
Le  plus  ancien  monument  que  nous  ayons  de  cette  langue,  «  El 
misterio  de  los  Reyes  magos  »  ne  le  présente  point,  il  est  vrai  ; 
mais  comme  il  ne  contient  point  de  mots  où  c  soit  suivi  d'une 
voyelle  non  palatale,  on  ne  peut  conclure  de  l'absence  du  signe 

1.  On  trouve  aussi  ceo  dans  l'Alexis  (man.  F.),  et  dans  le  Psautier 
d'Oxford,  où  cette  notation  abonde,  menceunge ,  p.  3,  4,  etc.,  benediceun, 
p.  3,  24,  etc.,  exhalceat,  p.  32,  etc.;  de  même  dans  le  Bestiaire  de  Phi- 
lippe de  Thaon,  ceo  v.  12,  14,  67,  iceo  v..  22,  etc.;  dans  le  Gharlemagne, 
ceo  V.  374,  376,  386,  etc.  Mais  ces  textes  étant  normands  il  peut  se  faire 
que  c  ait  ici  non  la  valeur  ts,  mais  c  ou  5  ;  voilà  pourquoi  je  n'en  parle 

•pas.  Voir  liv.  III,  ch.  111. 

2.  On  la  rencontre  en  particulier  dans  le  manuscrit  du  Bestiaire,  dans 
celui  du  Saint  Brandan,  etc.,  ainsi  dans  des  textes  normands  où  c  peut 
dès  lors  avoir  une  valeur  autre  que  ç. 

3.  Cf.  Diez,  Gram.  \,  459. 


-  U3  — 

ç  dans  ce  texte  qu'il  n'existait  point  encore  à  l'époque  où  il  fut 
écrit  ;  on  le  trouve  du  moins  dans  le  monument  espagnol  le  plus 
ancien  après  «  El  misterio  »,  dans  le  poème  du  Cid,  et  il  appa- 
raît dans  tous  les  textes  espagnols  du  Moyen- Age,  non-seule- 
ment devant  a,  o,  u,  mais  souvent  aussi  devant  e  et  i.  Nous  le 
rencontrons  également  dans  les  plus  anciens  monuments  portu- 
gais, lesquels,  il  est  vrai,  ne  sont  pas  antérieurs  au  xiri^  siècle. 
En  France,  l'usage  de  la  cédille  ne  pénétra  qu'à  la  fin  du  premier 
tiers  du  xvi»  siècle  ;  jusque-là,  les  mots  où  c  devait  prendre  le 
son  s  furent  écrits,  comme  ceux  où  il  a  le  son  k,  par  un  simple 
c  ;  mais  parfois  aussi,  comme  cela  avait  lieu  dans  les  premiers 
temps  de  la  langue,  on  faisait  suivre  le  c  d'un  e  ^.  C'est  à  Geof- 
froy Tory  que  revient  le  mérite  d'avoir  introduit  la  cédille  dans 
notre  système  orthographique.  J.  Sylvius  dans  son  «  Isagoge  in 
linguam  galUcam  »  avait  en  1531  proposé  de  surmonter  le  c,  de 
deux  s  {ï^,  toutes  les  fois  qu'il  avait  le  son  de  s  sourd  entre  deux 
voyelles,  comme  dans  limace,  limaçon.  Cette  notation  bizarre 
ne  fut  pas  avec  beaucoup  de  raison  adoptée,  et  deux  ans  plus 
tard,  en  1533,  Tory,  dans  l'édition  de  1' «Adolescence  clémen- 
tine »  de  Clément  Marot,  faisait  pour  la  première  fois  en  France 
usage  de  la  cédille,  dont  il  avait  proposé  l'emploi  dès  1529  dans 
le  «  Champ-Fleuri  »  ^.  Cette  réforme  ne  pouvait  manquer  d'atti- 
rer l'attention.  L'année  ne  s'était  pas  encore  écoulée  qu'un  autre 
imprimeur  de  Paris,  Antoine  Augereau,  publiait  sur  la  matière 
un  petit  traité  intitulé  «  Briefve  doctrine  pour  deuement  escripre 
selon  la  propriété  du  languaige  francois,  »  Cependant  l'usage  de 
la  cédille  ne  devint  pas  général  sans  opposition.  Dans  son 
«  Traicté  de  la  grammaire  francoise  »,  publié  en  1557,  Robert 
Estienne  ne  s'en  servit  pas  encore,  il  n'en  admit  l'emploi  que 


1.  J.  Palsgravp,  Lesdaircissement  de  la  langue  francoyse,  p.  27.  C  comyng 

before  a,  o,  or  u  shall  hâve  the  sound  of  k except  where  c  commeth 

before  a  or  o  in  the  formation  of  sache  tenses  as  come  of  verbs  of  the 
fyrst  conjugation  in  the  french  tonge.  In  ail  sache,  c  comyng  before 
oye,  oy,ant  shall  hâve  the  soande  of  s  and  not  of /c.  Bat  many  tymes 
1  fynde  in  sach  tenses  an  e  added  after  the  c,  as  laceoye,  laceay,  laceant, 
which  they  use  to  writte  to  shewe  that  c  in  sache  verbes  may  not 
hâve  the  sounde  of  k,  etc. 

2.  A.  F.  Didot.  Observations  sur  l'orthographe  française,  p.  177.  —  Aug. 
Bernard,  Geoffroy  Tory,  peintre  et  graveur,  p.  374.  Le  titre  portait  :  «Auec 
certains  accens  notez ,  cest  assaaoir  sur  le  e  masculin   différent  du 

féminin et  soubz  le  ç,  quand  il  tient  de  la  prononciation  de  le  s,  ce 

qui  par  cy  devant  par  faulte  daduis  n'a  esté  faite  au  langaige  françoys, 
combien  qu'il  y  fust  et  soyt  très  nécessaire.  » 

8 


—  UA  — 

dans  la  seconde  édition  en  1563;  à  partir  de  ce  moment,  la 
cédille  fut  universellement  adoptée  par  les  éditeurs. 

Ainsi  c,  ç  et  z,  tels  sont  les  signes  que  l'espagnol  et  le  portu- 
gais employèrent  presqu'exclusivement  au  Moyen-Age  pour 
représenter  le  c  palatal  transformé  ;  c  —  seul  ou  suivi  de  e  ou  i 
en  français  —  et  z,  sont,  au  contraire,  les  signes  qui  servirent 
surtout  à  le  représenter  tout  d'abord  dans  les  langues  du  Nord- 
Ouest;  mais  à  ces  signes  s'en  joignirent  bientôt  d'autres.  Dans  le 
Fragment  de  Valenciennes  on  trouve  déjà  fisient  (fecissent), 
fesist  (fecisset),  ainsi  5  à  la  place  du  c  médial;  on  ne  devait  pas 
tarder  non  plus  à  le  rencontrer  parfois  même  à  la  place  du  c 
initial,  et  en  provençal  cette  substitution  de  5  au  c  initial,  de  s 
ou  de  ss  au  c  médial  devint  bientôt  fréquente  ;  à  la  place  du  c 
final,  outre  z  ei  s,  x  apparaît  aussi  en  français  \zoutz  et  5  en 
provençal  ;  enfin  dans  ce  dernier  idiome  on  trouve  encore  cz  à 
la  place  du  c  palatal  transformé,  soit  initial,  soit  médial,  soit 
final,  tandis  qu'en  ancien  français  on  rencontre  parfois  les 
notations  sz,  se,  zc  à  la  place  du  c  médial.  Tels  sont  les 
signes  nombreux  employés  pour  représenter  cette  lettre;  voyons 
quelle  en  a  été  la  valeur  et  l'usage  aux  diverses  époques  de  la 
langue. 

1°.  —  Du  c  palatal  transformé  en  français. 

Dans  rétude  des  transformations  du  c  palatal  en  français,  il 
importe  de  distinguer  entre  le  c  initial,  le  c  médial  et  le  c  final  ; 
à  ces  trois  places  il  n'a  pas  eu  toujours  la  même  valeur,  et  n'a 
pas  été  indifféremment  représenté  par  les  mêmes  signes  ;  mais 
avant  de  suivre  l'histoire  du  c  au  commencement,  au  milieu  et 
à  la  flin  des  mots,  il  est  un  fait  qu'il  importe  d'essayer  de  préciser, 
c'est  celui  de  la  transformation  du  son  ts,  que  le  c  avait,  comme 
je  l'ai  montré  dans  les  premiers  temps  de  la  langue  en  s  sourde 
ou  sonore.  Que  cette  transformation  se  soit  faite  de  bonne  heure 
dans  la  conjugaison,  c'est  ce  que  nous  montre  le  changement  de 
c  en  5  que  j'ai  signalé  déjà  pour  le  verbe  faire  dans  le  Fragment 
de  Valenciennes.  Mais  comme  il  y  a  eu  peut-être  là  une  influence 
particulière  due  à  la  contraction  de  la  forme  primitive  du  verbe, 
je  laisse  ces  mots  et  ceux  qui  leur  ressemblent  de  côté,  pour  en 
examiner  qui  aient  mieux  conservé  leur  physionomie  originale. 
Dans  ces  derniers  nous  voyons  le  e  final  représenté  souvent  déjà  par 
s  dans  des  textes  originairement  du  xii"  siècle,  mais  recopiés  plus 
tard,  il  est  vrai,  du  moins  pour  la  plupart  ;  au  xiii«  siècle,  cette 


—  ^^5  — 

substitution  est  de  plus  en  plus  fréquente,  pour  aevenir  générale 
au  xiv^.  Au  milieu  des  mots  les  choses  se  passent  d'une  manière 
un  peu  plus  complexe ,  ici  il  y  a  lieu,  en  effet,  de  distinguer 
entre  le  c  sourd  et  le  c  sonore,  c'est-à-dire  entre  les  sons  primi- 
tifs ts  et  dz.  J'ai  dit  que  l'ancienne  langue  semble  avoir  voulu 
choisir  z  pour  signe  de  ce  dernier  son,  mais  dès  le  xii^  siècle, 
s  devient  la  manière  la  plus  ordinaire  de  représenter  dans  ce  cas 
le  c  transformé,  c  =  ts,  au  contraire,  a  plus  longtemps  résisté. 
Cependant  dès  la  fin  du  xn*'  siècle  on  trouve  aussi,  dans  deux  ou 
trois  mots,  ss  à  la  place;  le  xiii*  n'en  offre  pas  davantage,  et 
ce  n'est  qu'au  xiv°  que  ss  paraît  s'être  substitué  indifférem- 
ment à  c  transformé.  Au  commencement  des  mots  il  en  est 
absolument  de  même  ;  au  xii"  siècle,  s  apparaît  à  la  place  de 
c  comme  exception;  ainsi  dans  seleberroit  S.  B.  p.  522; 
au  xiif  siècle  les  exemples  de  s  substitués  à  c  initial  sont 
encore  très-rares  ;  ce  n'est  qu'au  xiv"  qu'on  en  rencontre  un 
certain  nombre.  On  voit  par  là  que  le  son  dz  pris  souvent  par 
c  au  milieu  des  mots  s'affaiblit  de  bonne  heure  en  ;^  ou  5  sonore; 
le  son  ts,  pris  par  c  au  commencement  et  souvent  aussi  au 
milieu  des  mots,  dut  persister  plus  longtemps  et  ne  se  changea 
probablement  en  s  sourd  qu'à  la  fin  du  xiif  ou  même  au 
xiv  siècle.  Ceci  posé,  voyons  comment  on  représenta  le  c  trans- 
formé dans  les  diverses  positions  qu'il  peut  occuper  dans  le  mot. 
Au  commencement  des  mots,  où  il  est  toujours  suivi  de  e  ou  i, 
excepté  dans  co  (ce),  le  c  persiste  dans  tous  les  plus  anciens 
monuments  ;  ainsi  cist  dans  les  Serments  ;  ciel,  cels,  celle  dans 
la  Cantilène  de  Sainte  Eulalie  ;  celor,  co,  cel,  cil,  cest  dans  le 
Fragment  de  Valenciennes  ;  il  en  est  de  même  dans  la  Passion, 
—  où  l'on  trouve  cependant  zo  pour  co  —  le  Saint  Léger,  etc. 
Toutefois  on  trouve  seleberroit  avec  s  dans  les  Sermons  de 
Saint  Bernard  p.  522,  sengles  dans  le  Raoul  de  Cambrai  ^  sele 
pour  celé  dans  Huon  de  Bordeaux ^  sel  dans  Renart^,  sil  dans 
les  «  Altfranzosische  Leichen  und  Lieder  »  de  Wackernagel  ^ 
seinture  dans  un  portrait  de  femme  publié  par  M.  Paul  Meyer^, 
seinturete  dans   les  Altfr.  Leichen  und  Lieder  ^  ;  serchoient 


1.  Lq^  sengles  routes,  les  resnes  traînant.  Lit.  Dict 

2.  Sele  fontaine  un  serpent  le  gardoit.      v.  5555. 

3.  Sel  me  laciez  bien  a  la  qeue.       B.  Ghr.  231,  26. 
4-  Maix  sil  kl  rekuel.      p.  19. 

5.  Par  la  sdn^wre  grêle  a  poien(t).      Jahrh.  v,  400. 

6.  Je  sent  les  douls  mais  leis  ma  senturete.     p.  84. 


—  ^^e  — 

dans  Guillaume  de  MachauS  cf.  l'angl.  search,  ^er/"  (cervum). 
B.  Chr.  ;  séries  Grég.  p.  2  ^,  etc. 

Cependant  cet  empiétement  de  l'^  sur  le  c  initial,  si  fréquent 
comme  nous  verrons  en  provençal,  s'est  vite  arrêté,  et  c  a  été 
presque  exclusivement  conservé  dans  ce  cas  ;  ainsi  : 


LAT. 

FR. 

LAT. 

FR. 

cedere 

céder 

ciconiam 

cigogne 

cedrum 

cèdre 

cicutam 

cigûe 

celare 

celer 

cimam 

cime 

celebrem 

célèbre 

cœmentum 

ciment 

cellarium 

cellier 

cœmeterium 

cimetière 

cœlum 

ciel 

cingere 

ceindre 

censum 

cens 

*cingulare 

cingler 

centum 

cent 

cincturam 

ceinture 

centrum 

centre 

*  cinque 

cinq 

csepam 

cive 

cippum 

cep 

*caepullam 

ciboule 

circulum 

cercle 

ceram 

cire 

circum- 

circon- 

cerasum 

cerise 

cirrum 

cire 

ceream 

cierge 

? 

ciseau 

ceretolium 

cerfeuil 

cisternum 

citerne 

*  certanum 

certain 

citare 

citer 

cervellum 

cerveau 

*  citronem 

citron 

cervum 

cerf 

civitatem 

cité 

cervisiam 

cervoise 

*  civitadanum 

citoyen 

cessare 

cesser 

civilem 

civil,  etc. 

ciborium 

ciboire 

Les  seuls  mots  que  je  connaisse  où  c  latin  initial  a  été  définiti- 
vement changé  en  s  sont  sangle  (cingulum),  siller  (ciliare), 
serin  (citrinum?)  et  peut-être  ^er/bm'/*  qu'on  trouve  écrit  cerfoïr 
dans  le  roman  de  la  Rose  v.  20322.  Par  contre  c  s'est  substitué 


1.  En  ceaus  qui  serchoient  les  guerres,     B.  Chr.  385,  5. 

2.  Mais  ce  qui  est  plus  étrange,  on  trouve  dans  cette  même  vie  de 
Grégoire  c  substitué  à  s;  ainsi  cMl  p.  3,  c'esposée  p.  4,  eticemble  p.  7,  ci 
p.  8,  irespencive  p.  9,  pends  p.  10,  concenti  p.  11,  acemblastes,  id.,"  etc. 
Cette  particularité  orthographique,  que  je  ne  connais  dans  aucun 
autre  texte  français,  mais  qui  est  très-commune  dans  les  textes  pro- 
vençaux, ne  peut  s'expliquer,  je  crois,  qu'en  admettant  que  le  copiste 
du  poème  de  Grégoire  était  originaire  du  Midi.  L'observation  du  manus- 
crit vient  de  conduire  M.  Léop.  Delisle  à  la  même  conclusion.  Cf.' 
Rom.,  n,  95. 


—  Ul  — 

à  s  étymologique  dans  cercueil  (sarcophagiim),  cidre  autrefois 
sidre  (siceram)  et  cingler  (n.  sigla). 

On  le  voit,  rien  de  plus  simple  que  la  manière  dont  le  c  initial 
a  été  traité  ;  tout  autres  ont  été  les  variations  orthographiques 
du  c  raédial  transformé.  Dans  les  Seianents  nous  trouvons  déjà  z 
à  sa  place  dans  faz et  (faciat).  La  Cantilène  de  Sainte  Eulalie 
nous  offre  à  la  fois  c  et  z  ;  ainsi  pulcella,  manatce  avec  c  ; 
aezo,  laszier,  avec  z  ayant  probablement  la  valeur  ts  ;  domni- 
zelle,  au  contraire,  avec  z  mis  vraisemblablement  pour  dz. 
Dans  le  Fragment  de  Valenciennes  nous  trouvons  c  dans  corre- 
cious,  faciest,  escit,  mais  en  même  temps  nous  rencontrons  s  à 
sa  place  dans  fesist,  flsient.  Dans  la  Passion  nous  avons  égale- 
ment avec  c  :  occir  44,  2  ;  terce  49,  2  ;  aucid  56,  4  ;  recevent 
61,  3  ;  conducent  61,  4  ;  faitice  67,  4  ;  mercet  14,  3,  etc.  ; 
avec  z  seulement  azet  (acetum)  77,  2  et  raizon  128,  36,  c'est- 
à-dire  que  c  a  dans  ce  texte  la  valeur  ts  et  z  évidemment  celle 
àedz^.  Le  poème  de  Saint  Léger  n'emploie  z  médial  que  deux 
fois  dans  le  mot  raizon,  ainsi  pour  représenter  ti  transformé  et 
sans  doute  aussi  avec  la  valeur  dz  ^  ;  partout  ailleurs  le  c  palatal 
transformé  a  persisté  au  milieu  des  mots  ;  ainsi  :  occist  2,  2  ; 
occidre  37,  4,  reciuvre  10,  3.  Dans  la  Vie  de  Saint  Alexis  le  c 
médial  assibilé  a  également  persisté  partout  où  il  se  trouve  ;  il  en 
est  de  même  le  plus  souvent  dans  la  Chanson  de  Roland  ;  cepen- 
dant on  trouve  dans  ce  dernier  texte  s  substitué  à  c  dans  la  con- 
jugaison de  faire,  ainsi  fesimes  v.  22,  fesis  v.  151,  etc.,  de 
même  luises  (luces)  172,  etc.  ;  s  y  apparaît  aussi  à  la  place  de  ti, 
ainsi  que  dans  l'Alexis,  par  exemple  :  justise  Al.  1,2;  servise 
Al.  123,  1  ;  raisun  Al.  (Prologue)  ;  raison  Roi.  5,  14,  25,  etc. 
traison  Roi.  16,  etc..  justise  Roi.  37,  etc.  amendise  Roi.  39, 
etc.  On  trouve  même  ^  à  la  place  de  c  dans  le  Roland,  par  ex. 
quinze  14.  Mais  l'origine  de  ces  deux  textes  étant  douteuse  sous 
le  rapport  de  la  langue,  je  ne  m'y  arrête  pas  plus  longtemps  ; 


1.  Dans  les  dialectes  ladins  le  cd'acetum  a  donné  en  général  naissance 
à  une  spirante  sonore. 

2.  Voici  ces  deux  vers  : 

Et  en  raizons  bels  oth  sermons     6,  5. 

Donc  oct  ab  lui  dures  raizons        32,  4. 
M.  G.  Paris  [Rom.  I,  305  et  314)  les  a  restitués  ainsi  : 

Et  en  raisons  bels  aut  sermons 

Donc  autod  lui  dures  raisons. 
Mais  peut-être  valait-il  mieux  conserver  le  :;  qui  figure  l'ancienne  pro- 
nonciation dz,  que  ti  avait  encore  vraisemblablement  à  cette  époque. 


—  ^^8  — 

je  ne  parlerai  pas  davantage  ici  du  Psautier,  deHuon,  etc.  ;  pour 
me  borner  à  l'examen  de  monuments  incontestablement  français. 

Dans  les  plus  anciens  que  nous  ayons,  après  ceux  que  j'ai 
examinés  jusqu'ici,  «  Li  Livres  des  Reis  »S  les  «  Sermons  de 
Saint  Bernard  »,  et  le  «  Gjiillaume  d'Orange  »  nous  voyons  c 
persister,  quand  il  est  resté  sourd,  qu'il  représente  c  et  ti  trans- 
formé ;  à  côté  de  cette  notation  on  trouve  dans  les  Livres  des 
Rois  zc,  par  exemple  esleezciez  p.  6  ;  5^  dans  esdresze  p.  7  et 
se  dans  esleescie  p.  6,  blesciez  p.  68  ;  cette  dernière  notation 
se  rencontre  également  dans  les  Sermons,  par  exemple  richesces, 
—  à  côté  de  richeses,  il  est  vrai,  —  et  dans  le  Guillaume 
d'Orange,  ainsi  :  dy^esce  B.  Chr.  ;  62,  21  ;  proesce  id.  64,  19 
etc.  On  trouve  aussi,  notation  exceptionnelle,  z  dans  les  Ser- 
mons, par  exemple  auzois,  b68  ;  fazon,  528.  532,  etc.  ;  tenzon 
567.  Quant  au  c  transformé  en  spirante  sonore,  représenté  jusque 
là  encore  par  z,  il  l'est  bientôt  le  plus  souvent  par  s  ;  ainsi  on 
trouve  avec  z  dezoit  (dicebat)  dans  les  Sermons,  quinze  dans 
le  Guillaume,  treze  àam^le^  Livres  des  Rois,  mais  avec  5,  gésir 
Chr.  63,  17,  gisent  G.  0.  B.  Chr.  65,  41  ;  oisels  L.  R.;  raison 
Chr.,  75,  17;  tison  S.B.  etc.  ;  on  trouve  même  s  substituée  seule 
à  cou  à  ti  dans  quelques  mots  où  ces  sons  sont  sourds  aujourd'hui, 
ce  qui  semblerait  faire  croire  que  la  spirante  y  était  sonore  autre- 
fois ;  c'est  ce  que  peut  faire  supposer  du  moins  l'orthographe  des 
mots  covise,  S.L.B.  \juise,  Ps.  I,  6;  saerifise  L.R.  ;  servise 
L.  R.  et  G.  0.;  ruysel  S.  B. ,  sausoie,  Guesc.  etc.  ^. 

Les  monuments  postérieurs  donnent  lieu  à  des  observations 
analogues;  la  spirante  sourde  y  est  généralement  représentée 
par  c  ;  z  n'y  apparaît  que  comme  exception  encore  plus  rare  que 
dans  les  monuments  précédents,  par  exemple  comenza  dans  le 
Roman  de  Troie  B.  Chr.  157,  19.  Mais  déjà  on  trouve  ss  au  lieu 
de  c  ;  ainsi  missel  dans  la  Romance  de  Couci  v.  38,  parosses 
dans  le  poème  de  Thomas  le  Martyre,  v.  132;  verjnissels  même 
dans  les  Sermons  de  saint  Bernard,  p.  535.  Cette  transcrip- 
tion rare  encore  jusque-là  devient  fréquente  au  xiv^  siècle  ;  ainsi 
avarisse  (Brut),  chausses  Liv.  des  Met.,  hérisser  Ménag., 
poussin  {Rom.  de  la  Rose)v.  9399,  etc.,  elle  prouve  que  c  avait 
alors  perdu  la  valeur  ts.  Quant  à  la  spirante  sonore  elle  est  presque 

1.  J'avais  admis  d'abord,  sur  l'autorité  de  M.  Le  Roux  de  Lincy,  que 
les  Livres  des  Bois  étaient  un  texte  français;  mais  après  examen  il  me 
paraît  incontestable  que  c'est  un  texte  normand,  copié  par  un  scribe 
français. 

2.  En  berrichon  on  dit  encore  saulzaie{sauzaie.) 


toujours  représentée  par  s;  ainsi  damoisele  (Chevalier  au  Lyon), 
gésir,  ijleisir  (Saint  Graal),  raison,  oreisun  (Bestiaire),  etc; 
z  apparaît  aussi,  en  particulier,  dans  les  composés  ou  les  dérivés 
de  decem,  et  il  a  persisté  jusqu'à  nos  jours  à  côté  de  s  comme 
signe  de  la  spirante  sonore  provenant  de  la  transformation  du 
c  palatal  médial  ;  z  a  disparu,  au  contraire,  avec  zc,  so^,  et  sz, 
comme  signe  de  la  spirante  sourde,  qui  n'est  plus  représentée  que 
par  c  ou  ss,  complication  bien  inutile  encore  de  notre  système 
orthographique  ;  au  lieu  de  quatre  signes,  il  eût  été  plus  simple, 
en  effet,  de  n'en  avoir  que  deux,  c  pour  représenter  la  spirante 
sourde,  z  comme  signe  de  la  sonore. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c  médial  a  persisté  dans  les  mots  suivants  et 
leurs  dérivés  : 


LAT. 

V.    FRANC. 

FR.   MOD. 

*  aciarium 

«cer  Roi.  acier  Sax. 

acier 

antecessorem 

ancessor  Al. 

ancêtre 

arcionem 

arcon  g.  o. 

arçon 

bilanciam 

balance  Roi. 

balance 

bisacciam 

— 

besace 

cancellare 

chanceler  Ronc. 

chanceler 

cipere  (con-. 

de-. 

conçoivent  Job 

con, -de, -per-,  re 

per-,  re-) 

(cevoir) 

cisare  (in,  prae) 

— 

inciser,  préciser 

commercium 

— 

commerce 

comi)licem 

complice  g.  Ross. 

complice 

cisum  (con-. 

prse- 

-)              - 

concis,  précis 

coriaceum 

corias  Percef. 

coriace 

decembrem 

— 

décembre 

decessum 

deces  Al. 

décès 

discipulum 

deciple  L.  Ps. 

disciple 

*excorticeam 

escorce  Romane. 

écorce 

incingere 

ensaint  e.  d. 

enceindre 

incensum 

encens  Roi. 

encens 

speciem 

espice  Rose  espesses  M 

).  espèce,  épice 

faciem 

face  Couci 

face 

facilera 

— 

facile 

Franciam 

France 

France 

focaciam 

fouasse  Duc. 

fouace 

glaciem 

glace  Couci 

glace 

se  a  persisté  dans  le  seul  mot  vesce  (viciam). 


—   120  — 


*  grimaciam 

grimace  Jeh. 

grimace 

*hamecionem 

amecon  Graal 

hameçon 

lanceam 

lance  Roi. 

lance 

*  macionem 

maconL.TA.massonE.i. 

\. maçon 

medicinum(am) 

médecine  L.  Ps. 

médecin{e) 

mercedem 

merciz  g.o. 

merci 

*  minaciam 

manatce  Eul. 

menace 

monticellum 

muncel  Roi. 

monceau 

navicellara 

nacele  Al. 

nacelle 

necessariam 

nécessaire  l.r. 

nécessaire 

nutricem 

nurriceM  noris se gr. 

.  nourrice 

occidere 

ocire  l.  r. 

occire 

ofRcium 

office  L.  R. 

office 

unciam 

unce  L.  R. 

once 

*  penicellum 

pincel  L.  M. 

pinceau 

pumicem 

ponce  Oresme 

pouce 

ponti-,  punicellum 

ponciel  Chr.  —  xvi«  s 

.ponceau 

pollicem 

Xjols  Berie pousse  Vilh  pouce 

principem 

prince  g.  o. 

prince 

pulicem 

pulce  L.  R. 

puce 

*pulicellam 

pulcellaE.  pulceleh.R 

..pucelle 

*  radicinam 

racine  r.  c. 

racine 

*  ramicellum 

rainsel  r.  c. 

rinceau 

sacriflcium 

sacre  fisc  l.  r. 

sacrifice 

suspicionem 

soupecon  Sax. 

soupçon 

vacillare 

vaxiller  e.  d. 

vaciller,  etc 

Il  en  est  de  même  des  composés  de  céder,  celer,  ceindre, 
cens,  citer,  et  de  cide  dans  parricide,  fratricide,  etc.  Le  c 
médial  a  également  persisté,  on  le  comprend  sans  peine,  dans  un 
certain  nombre  de  mots  d'origine  plus  ou  moins  savante  comme 
acerhe,  acérer,  acide,  cancer,  cicatrice,  décent,  docile, 
exceller,  félicité,  matrice,  orifice,  pernicieux,  populace, 
récent,  ulcère,  véloce,  vice-,  vicinal,  villace,  etc. 

Au  contraire  c  a  fait  place  définitivement  à  ss  entre  deux 
voyelles  ou  à  5  après  une  consonne,  notation  bizarre  qui  trouble 
la  régularité  de  l'orthographe,  dans  les  mots  suivants  :  1°  h.  ss  : 


LAT. 

V.   FR. 

FRANC.     MOD. 

bacchinon 

bacin  Ronc. 

bassin 

*brachiam 

brace  Rose 

brasse 

calceas 

chauces  Ronc. 

chausses 

calciatam 

chaude  Berte 

chaussée 

^^ 

^p          _  \2\  — 

*  crocciam 
? 

croce  Roi. 
hericer  Ch.  au  lyon. 

croise 
hérisser 

*  ericionem 

hericonL.  Ps. 

hérisson 

faciam 

face  Roi. 

fasse  (que  je) 

glocire 
*galbiniciam 

Jaunisse  Rose 

glousser 
Jaunisse 

junicem 
parœciam 
pelliciam 
*pullicenum 
rivicellum 

genice  Ren. 
parosse  Th.  le  Mart. 
pelice  Sax. 
pulcins  L.Ps. 
missel  Couci 

genisse 

paroisse 

pelisse 

poussin 

ruisseau 

salicetum 

sausoie  Guesc. 

saussaie 

*vermiceUum 

vermissels  s.  b. 

vermisseau 

et  en  particulier  dans  les  dérivés  en  acius,  bécasse  (*beccaciam), 
bestiasse  (*bestiaciam),  cognasse  (*cotonaceam),  crevasse^ 
crevace  L.  Ps.  (*crepaciam),  cuirasse  (*coriaceam),  lavasse 
(*lavaciam),  liasse  (*ligaciam),  mollasse  (*mollacium),  pail- 
lasse (*paliaceam),  tétasse  (*testaciam),  tirasse  (*tiraciam). 


2"  à  5  ; 

hirpicem 
panticem 


herce  l.  r. 
pance  Rose 


herse 
panse  ^ 


Dans  quelques  mots  l'orthographe,  preuve  de  l'arbitraire  qui  y 
règne,  a  hésité  entre  les  formes  ss  eic;  ainsi  on  trouve  galéace 
et  galéasse  {*gaieacmm),  pinace  et  pinasse  (*pinaciam).  D'au- 
trefois la  langue  a  affecté  à  chaque  forme  du  mot  une  signification 
différente,  comme  dans  bonasse  (trop  bon)  et  bonace  (calme 
plat).  Enfin  dans  le  mot  vesce,  o  est  remplacé  par  se,  comme  si 
ce  mot  venait  non  de  viciam,  mais  de  viscicl^n. 

Les  mêmes  transcriptions  ont  eu  lieu  pour  i(z  transformé  ;  ainsi 
cette  spirante  est  représentée  par  c  dans  agencer  (*agentiare), 
ancien  {* antianum) ,  annoncer  {anmmtiare),  astuce  (astutiam), 
avancer  (*abantiare) ,  chance  (*cadentiam),  cotnmencer  (*cumi- 
nitiare),  confiance  (confidentiam),  enfance  (infantiam),  espace 
(spatium),  espérance  (sperantiam),  exaucer  i^ei^aSSxave),  force 
(*  fortiam) ,  grâce  (gratiam) ,  Jouvence  (juventiam) ,  Justice 
(justitiam) ,  linceul  (linteolum) ,  malice  (malitiam) ,  nonce 
(nuntmm),  mece  (*neptiam),  noces  (nuptias),  pièce  (*petiam), 
place  (plateam),    police  (politiam),  puissance  (potentiam). 


1.  Cf.  Littré,  Dictionnaire  s.  v.  —  Diez,  Grrnn   II  316. 


—  422  — 

séance  (*sedentiam),  service  (servitium)^  sèvice  (saevitiam), 
silence  (silentium),  tancer  (*tentiare),  tiercer  (tertiare),  ven- 
geance (*vindicaiitiam) ,  etc.  Il  tient  la  place  de  cti  ou  pti  dans  : 
façon  (factionem),  leçon  (lectionem),  poinçon  (punctionem), 
rançon  (redemptionem),  suçon  (suctionem). 

ss  s'est,  au  contraire,  substitué  à  ^z  transformé  dans  bâtisse  (?), 
boisson  (*bibitionem),  chasse  (*captiam),  écusson  (scutionem), 
forteresse  {*toria.lï[i\im) ,  hausser  {*altiâre) ,  Justesse  (justitiam), 
largesse  {largiiiam),  liesse  (letitiam),  masse  C^mateam),  mol- 
lesse (moUitiam),  noblesse  (nobilitiam),  nourrisson  (nutritio- 
nem),  paresse  (pigritiam),  saucisse  (salsitiam),  tristesse  (tris- 
ûimm),  trousser  (*tortiare),  ^remoM55er(*  transmotiare),  vous- 
ser  (*voltiare).  Il  tient  la  place  de  c^^dans:  cwmon  (coctionem), 
détresse  (*districtiam),  dresser  (*drictiare),  frisson  (frictionem), 
plisser  (*plictiare).  Enfin  on  trouve  s  sourd  substitué  à  ti  dans 
chanson  (cantionem)^ 

La  spirante  sonore  résultant  de  la  transformation  du  c  a  été, 
comme  je  l'ai  dit,  représentée  en  général  par  s  entre  deux 
voyelles,  par  z  après  une  consonne  et  dans  quelques  mots  aussi, 
—  la  plupart  dérivés  de  decem,  —  entre  deux  voyelles.  On 
trouve  s  sonore  dans  les  mots  : 


LAT. 

V.    FR. 

FR.    MOD. 

*aucellum 

oisel  Roi. 

oiseau 

coquinam 
*  culicinum 

quesineh.  R. 

cuisine 
cousin 

*  cruciare 

croiser  Berte 

croiser 

dicimus 

disons  B.  Chr. 

disons 

*  dominicellam 

damoisele  Rose 

demoiselle 

*dominicellum 

damisel  Ronc. 

damoiseau 

ducimus 

duisons  B.  Chr. 

duisons 

facimus 

faisons  B.  Chr. 

faisons 

jacere 
licere 

gésir  Roi. 
leisir  Roi. 

gésir 
loisir 

lucimus 

— 

luisons 

mucere 

muisir  Rut. 

moisir 

noceraus 

— 

nuisons 

*  pacibilem 

paisible  L.  R. 

paisible 

1.  Cf.  Brachet.  Dictionnaire,  s.  v.  agencer.  Inutile  de  dire  qu'au  Moyen- 
Age  l'orthographe  des  mots  en  ss  était  ordinairement  différente;  ainsi 
on  trouve  :  chacier  G.  0.  116,  chancon  G.  0.  12,  etc. 


^K            —  ^23  — 

placere 

plesir  Couci 

plaisir 

racemum 

rdsin  Liv.  des  met. 

raisin 

reticellum 

roisel  Ren. 

réseau 

tacemus 

— 

taisons 

vicinum 

voisin  Ronc. 

voisin. 

Il  en  est  de  même  au  présent  du  subjonctif  de  duire,  gire, 
luire,  moisir,  nuire,  plaire,  taire,  ainsi  qu'au  même  temps  de 
dire,  où  le  s  représente  un  c  vélaire  primitif,  devenu  palatal 
par  le  changement  de  l'a  de  la  terminaison  en  e. 

Dans  les  mots  suivants  et  leurs  dérivés,  c  a  été  remplacé  non 
par  s,  mais  par  ^  : 


*decianum  (am) 

— 

dizain{e)  *■ 

undecim 

onze  Roi. 

onze 

duodecim 

douze  Roi.  Vilh. 

douze 

*duodecianam 

dozaine  Roi. 

douzaine 

tredecim 

treze  l.  r. 

treize 

quatuordecim 

quatorze  Sax. 

quatorze 

quindecim 

quinze  Roi. 

quinze 

sedecim 

seize  Berte 

seize 

ainsi  que  dans  : 

*  dominicellam 

domnizelle  Eul. 

donzelle 

duciculum 

douisil  D.  c. 

donzil 

lacertum,  lacertam  lisarde  Br.  Lat. 

lézard,  lézarde 

La  spirante  sonore  s  s'est  aussi  substituée  à  ti  transformé 
dans  un  certain  nombre  de  mots,  z  au  contraire  n'en  a  pas  pris 
la  place  ^.  Exemples  :  aiguiser  (acutiare),  ainenuiser  (*admi- 
nutiare),  arbouse  (arbuteam),  cargaison  (*carricationem) , 
exhalaison  (exhalationem) ,  glaise  (gliteam) ,  inclinaison 
(inclinationem),  liaison  (ligationem) ,  livraison  (liberationem) , 
oiseux  (otiosum),  poison{^oiïon.&m),  priser  i^^reiiSiVe), puiser 
(*puteare),  raison  (rationem),  refuser  (*  ref utiare) ,  saison 
(sationem),  tison  (titionem),  trahison  (traditionem)  ;  venaison 
(venationem). 

Ainsi,  tout  borné  qu'il  est,  le  nombre  des  spirantes  sonores 


1.  Dans  dixième,  x  représente  une  spirante  sonore,  mais  il  faut  voir 
dans  ce  mot  plutôt  un  dérivé  du  français  dix  que  du  latin  decimum, 
circonstance  qui  explique  l'anomalie  orthographique  qu'il  présente. 

2.  Lézerle  dans  le  patois  auvergnat. 

3.  Bronze  par.  ex.  où  on  le  trouve  est  d'origine  italienne. 


—  ^24  — 

résultant  de  la  transformation  du  c  palatal  et  de  ti  suivi  d'une 
voyelle  a  encore  une  certaine  importance,  quoique  de  beaucoup 
inférieur  à  celui  des  spirantes  sourdes  de  même  origine  ;  il  semble 
même  que  la  langue  pour  ne  pas  s'amollir,  après  avoir  dans  un 
certain  nombre  de  mots,  comme  nous  avons  vu,  donné  la  préfé- 
rence aux  sonores,  s'en  est  tenue  définitivement  aux  sourdes, 
plus  rudes  et  par  suite  plus  énergiques.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce 
fait,  après  cette  étude  peut-être  un  peu  longue  des  transforma- 
tions du  c  palatal  médial,  j'arrive  à  celles  du  c  final. 

L'hésitation  que  la  langue  a  montrée  dans  la  représentation  du 
premier,  se  retrouve  dans  celle  du  second,  et  si  elle  s'est  bornée 
définitivement  aux  signes  s  ei  x ,  pour  en  tenir  lieu,  elle  a 
longtemps  employé  concurremment  z  et  même  c,  et  sans  règle 
certaine  5  et  ^.  Cependant  le  choix  de  ces  signes  n'a  pas 
été  complètement  arbitraire.  Le  c  ayant  naturellement  à  la  fin 
des  mots  une  valeur  gutturale,  il  était  difficile  de  le  garder 
comme  signe  d'une  spirante  dentale,  aussi  disparut-il  bien- 
tôt dans  les  mots  où  il  était  devenu  final  par  l'apocope  de  la 
terminaison,  et  ne  se  rencontre-t-il qu'exceptionnellement  ;  ainsi 
anc  Huon,  hrac  id.  et  Gér.  Ross.,  chauc  Aleb.  f.  341 
(Littré),  doue  B.  Chr.,  fauc,  Taill.  (id.),  foie  Sax.  etc. 
Il  fit  d'abord  place  à  z.  Cette  lettre,  qui  servait  d'ordinaire  à 
représenter  t  suivi  de  5,  à  la  fin  des  mots,  ou  s  précédé  de  l, 
par  ex.  :  granzVdi^.,  Saint  Lég.,  Roi.,  forz  Roi.,  piz  id.  fiz 
Best,  ehalz  Roi.,  etc.,  se  présentait  tout  naturellement  pour 
remplacer  le  e  final  ;  elle  devint  bientôt  aussi  d'un  usage  général  ; 
ainsi  braz  Roi.  597;  herbiz  Thom.  Mart.  v.  120;  eruz  Pass. 
57,  2  ;  eruiz  Roi.  2504  ;  dulz  Roi.  1861;  /èùRol.  v.  567;  lariz 
Roi.  1084  ;  noiz  Pass.  78,  2  ;  peiz  Roi.  1635  ;  perdriz  L.  R.  ; 
suriz  Bat.  Al,  3986  ;  voiz  Roi.  1757,  etc.  Mais  quand  à  la  fin 
des  mots  la  spirante  issue  du  e  transformé  se  fut  affaiblie  du  son 
ts  ou  dz  en  s  ovlZ,  z  fit  alors,  comme  au  milieu  des  mots,  place  à 
5  ;  ce  dernier  signe  apparaît  de  très-bonne  heure  et  finit  —  avec 
ce  toutefois  —  par  se  substituer  complètement  à  ^  ^  Ainsi  on  a  : 
bras  Roi.  ;  brebis  Rose  ;  crois  Vilh.  ;  dis  Roi.  v.  41  ;  dous. 
Rose  2683;  fais  Roi.  76;  fois  Ronc.  ;  nois  Sax.  ;  pais,  id.  ; 
pois  Vilh.  ;  perdis  Rose  v.  20348  ;  suris  L.  R.  ;  vois  Sax. 


1.  s  d'un  si  grand  usage  autrefois  à  la  fin  des  mots  (cf.  sur  son  emploi 
Gast.  Paris  Alexis,  p.  99),  ne  s'est  conservé  qu'à  la  place  de  s  dans  les 
mots  chez  (casam),  nez  (nasum),  rez  (rasum)..  ou  de  is  dans  assez  (adsatis), 
lez  (latus). 


■^  ^25  - 

Il  eût  été  désirable  qu'on  s'en  lut  tenu  à  ce  mode  de  représen- 
tation de  la  spirante  finale,  mais  bientôt  x  fut  employé,  concur- 
remment avec  5,  pour  en  être  le  signe,  x,  destiné  à  représenter 
d'abord  es,  comme  on  le  voit  par  l'orthographe  du  mot  amix  (S. 
Lég.  19,  4)  comparé  à  amies  (Pas.  38,  1),  fut  aussi,  surtout  à 
partir  du  xiif  siècle,  employé  à  la  place  de  Is  ou  même  de  s 
seule;  ainsi  :  hiax  G.  0.,  batiax  G.  A.,  chevax  Gr.,  ciex,  fix, 
genox  llyxoYi  ;  mantiax  id.  ;  oisiax  G.  A.  ;  paradix  R.  Al, 
solax  id.  ;  vassax  Huon  ;  Dex  G.  0.,  etc.  On  s'en  servit  égale- 
ment comme  signe  du  c  final  assibilé  dans  la  plupart  des  mots 
qui  ont  x  ^=  es  2iU  nominatif  latin  et  dans  deux  ou  trois  autres  ; 
par  exemple:  berbix  S.B.  526;  cax  Rou  10211;  eroixS. 
Lég.  25,  2;  dix  Brut;  doux  Frois.  III,  14.  faux  La  Char. 
3100,  faulx  Frois.;  faix  Frois;  noix  xy^  siècle;  paix  S.  B.  547, 
Frois.;  perdrix  Ch.  d'Ant.  III,  181  ;  voix  Rom.  Coucy.  19 ^ 

Tandis  que  z  a  complètement  disparu  comme  signe  du  c  final 
transformé  en  spirante,  xets  ont  persisté  dans  la  plupart  des 
mots  où  ils  se  sont  substitués  dès  le  Moyen- Age  ;  5  est  resté  dans 
les  suivants  : 


LAT. 

V.FR. 

FR.    MOD. 

bracchium 

braz  Roi.  Ben. 

bras 

vervex,  vervecem^ 

berbiz  Th.  mart. 

brebis 

vix,  vicem 

/m  Roi.,  fois  Couci 

fois 

nidax,  nidacem 

niais  Br.  Lat. 

niais 

radix,  radicem 

radis e  R.  Alex. 

radis 

sorix,  soricem 

suriz  Bat.  d'Ales. 

souris 

ainsi  que  dans  les  dérivés  en  aeius  et  ieius  :  bourras,  coutelas, 
éehalas,  eynbarras,  fatras,  plâtras,  traeas,  et  abatis,  eha- 
blis,  ehassis,  eoulis,  éboulis,  gâehis ,  haehis,  lattis,  lavis, 
levis,  logis,  poestis  v.,  roulis,  taillis,  traitis  v.  troussis, 
voutis  V. 

Au  contraire,  x  a  pris  définitivement  la  place  du  c  dans  les 
mots: 

calx,  calcem  cax  Rou.  chaux 

crux,  crucem  cruiz'R.ol.  crois  yWh.  croix 

decem  diz  Roi.  dis  Ronc.  dix 

dulcis,  dulcem  dulz  Roi.  dous  Berte  doux 

faix,  falcem  fauz  La  Char.  faux 

fascis,  fascem  fais  Roi.  fès  Rut.  faix 


1.  Cf.  [Àiirê.  Dictionnaire,  &.  v.  —  2.  Changé  en  berbicem.L.  Sal. 


—  426   — 

nux,  nucem  nouiz  St  Gr.  nois  Sax.      noix 

pax,  pacem  pais  Roi.  Vilh.  paix 

pix,  picem  peiz  Roi.  pois  Vilh.         j902;37 

perdix,  perdicem  perdrix  L.R.perdisRoseperdrix 

vox,  vocem  voiz  Roi.  ■yoz5  Sax.  'yo^â?  ^. 

Ainsi  des  signes  nombreux  employés  par  l'ancienne  langue 
pour  représenter  la  spirante  provenant  de  la  transformation  du 
c  palatal,  il  est  resté  au  commencement  des  mots  où  elle  est  tou- 
jours sourde,  c  et  exceptionnellement  5  ;  au  milieu  c  {ç)etss  {sç 
après  une  consonne),  quand  elle  est  sourde,  s  eiz  quand  elle  est 
sonore,  enfin  5  et  â?  à  la  fin  des  mots,  auquel  cas  elle  est  muette 
devant  une  consonne,  et  sonore  en  général — quelquefois  aussi  elle 
reste  muette  —  devant  une  voyelle.  Nous  allons  voir  que  le  pro- 
vençal a  procédé  d'une  manière  un  peu  difiérente. 

IP  Du  c  palatal  transformé  en  provençal. 

Les  signes  c,  s,  ss,  z  ayant  eu  et  ayant  en  provençal  la  même 
valeur  à  peu  près  qu'en  français,  les  observations  générales  que 
j'ai  faites  sur  leur  emploi  pour  la  représentation  de  la  gutturale 
dans  cette  dernière  langue  s'appliquent  aussi  à  l'usage  qu'en  a 
fait  le  provençal  ;  je  ne  les  répéterai  donc  pas  ici.  Un  fait  dis- 
tingue cependant  les  deux  idiomes  à  cet  égard,  c'est  que  le  pro- 
vençal ne  connaît  pas  x,  ni  le  français  tz,  comme  signe  de  la 
palatale  transformée  finale  ;  le  provençal  a  de  bonne  heure  aussi 
abandonné  l'usage  du  c  pour  représenter  le  son  ts  ou  s  devant 
une  voyelle  non  palatale,  tandis  que  le  français  l'a,  nous  avons 
vu,  assez  souvent  conservé  dans  ce  cas.  Il  en  est  de  même  en 
catalan  ^.  Voyons  comment  le  provençal  proprement  dit  a  procédé, 
en  commençant  par  le  c  initial. 

Dans  le  Boëce,  le  plus  ancien  monument  provençal,  c  initial  a 
persisté  presque  partout  ;  ainsi  cil  (ecc'illum)  v.   70,  213,  cel 

1.  Littré,  id.  —  Diez,  Gram.,  II,  316. 

2.  Les  poésies  religieuses,  publiées  en  1842  par  Im.  Bekker,  dans 
les  Abhandlungen  der  berliner  Akademie  der  Wiss.,  nous  montrent 
aussi  c  (?  ç)  au  milieu,  et,  ce  qui  est  plus  surprenant,  même  à  la  fin  des 
mots;  mais  c'est  là  un  système  orthographique  propre  au  copiste,  et  dû 
peut-être  à  ce  qu'il  était  d'origine  française.  On  peut  en  dire  autant  à 
plus  forte  raison  de  la  Ballade  publiée  par  Bartsch,  Chr.,  107,  d'après  le 
manuscrit  fr.  de  la  Bibl.  Nat.,  anc.  1989,  et  dont  les  formes  provençales 
ont  été  même  par  place  remplacées  par  le  scribe  par  des  formes 
françaises. 


—  <27  — 

'(cœlum)  V.  74,  98,  146,  157,  168,  co  (ecc'hoc)  v.  243;  cerca 
V.  238  ;  cependant  il  a  été  remplacé  par  ^  dans  le  mot  zo,  v.  47, 
106,  196,  207,  228,  232,  237,  248,  257,  substitution  qui  s'ex- 
plique sans  peine,  le  copiste  de  ce  poème  n'ayant  point  connu  la 
notation  ce  ou  ci,  usitée  par  nos  anciens  scribes.  D'ailleurs  ce 
mode  de  transcription  prouve  lui-même  que  le  c  devait  encore 
alors  avoir  la  valeur  ts  ,  ce  qui  est  vrai  du  c  liiédial  comme  du 
c  initial.  Il  ne  dut  pas  toutefois  la  conserver  longtemps  après 
l'époque  où  fut  écrit  ce  poème;  quoique  la  langue  paraisse  avoir 
hésité  souvent  encore  entre  le  son  ts  et  s.  Dans  les  «  Poésies 
religieuses  en  langue  d'oc  »,  publiées  par  M.  PaulMejer  d'après 
les  manuscrits  1139  et  1743  de  la  Bibliothèque  nationale  ^  et 
regardées  souvent  comme  le  monument  en  langue  provençale  le 
plus  ancien  après  le  Boèce,  nous  trouvons  à  la  place  de  zo  ou 
co,  suivant  l'orthographe  du  scribe  de  ce  dernier  poème,  so  par 
un  s;  transcription  qui  s'explique  difficilement,  sil'on  ne  suppose 
que  le  c  initial  avait  alors  le  son  de  s  sourd  ;  il  est  vrai  on  trouve 
encore  zo  et  non  so  dans  les  trois  Sermons  limousins  publiés 
également  par  M.  P.  Meyer^  ;  mais  dans  les  monuments  posté- 
rieurs z  initial  n'apparaît  plus  qu'exceptionnellement  à  la  place 
de  c,  par  exemple  dans  zai  dans  une  charte  de  1122  ^  ;  et  il  y  est 
presque  toujours  devant  une  voyelle  non  palatale  représenté  par 
5.  Il  y  a  plus,  s  se  substitue  aussi  à  c  suivi  d'une  voyelle  pala- 
tale, ainsi  sembel  pour  cembel  dans  le  Girart  de  Rossilho,  B. 
Chr.  33,  39  et  34,  15  ;  et  si  cette  orthographe,  absolument  inex- 
plicable si  c  n'avait  pas  alors  un  son  analogue  à  celui  de  s  sourd, 
est  rare  dans  les  monuments  du  xii^  siècle,  elle  devient  fréquente 
dans  ceux  du  xiii^  ;  et  à  partir  de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle, 
les  scribes  emploient  non-seulement  indifféremment  s  pour  c  ini- 
tial, mais  parfois  même  c  pour  s,  p.  ex.  cenhor  et  senhor  (senio- 
rem)  dans  Lunel  de  Monteg,  B.  Chr.  356,  3  et  355,  3  ;  ceser 
pour  sezer  (sedere)  dans  Guillem  de  Gerveira,  B.  Chr.  298,  23, 
etc.  Ainsi  on  ne  peut  douter  que,  comme  un  peu  plus  tard  dans 
la  langue  d'oïl,  le  c  initial  provençal  n'ait  pris  la  valeur  de  s 
sourd  ;  il  en  fut  de  même  le  plus  souvent,  comme  nous  allons 
voir,  du  c  médial^. 


1.  Bibliot.  de  l'École  des  chartes,  1860. 

2.  Jahrb.,  VII,  78. 

3.  Layettes  du  trésor  des  chartes,  par  A.  Teulet,  p.  45. 

4.  Un  témoignage  contemporain  confirme  ces  conclusions,  «  c  sona 
un  petit  mays  fort  que  s  »  dit  l'auteur  des  Leys  d'amor(ll,  54),  mar- 
quant ici,  ce  semble,  la  différence  qui  aurait  existé  entre  le  c  et  Vs 


—  ^28  — 

Mais  tandis  que^malgré  la  confusion  du  son,  l'ancien  français, 
comme  le  français  moderne  d'ailleurs,  n'a  jamais  substitué  qu'ex- 
ceptionnellement sac  initial,  en  provençal  cette  substitution  a 
eu  lieu  pour  presque  tous  les  mots,  que  le  c  étymologique  fût 
suivi  d'une  voyelle  non  palatale  ou  d'une  voyelle  palatale  \  avec 
cette  différence  toutefois  que  dans  le  premier  cas  z  s'est  d'abord 
substitué  à  c  pour  être  ensuite  définitivement  remplacé  par  s, 
tandis  que  dans  le  second  il  y  a  eu  directement  substitution  de  s 
à  c.  Les  exemples  suivants  montreront  comment  le  c  palatal 
latin  a  été  traité  au  commencement  des  mots  : 


ecc'hac 

zai  Lay.,  45 

sai 

ecc'hoc 

zoB. 

co  B.  V.  243. 

50  31,242 

cœcum 

— 

cec  179,  18 

sec  374, 11 

ecc'illum 

— 

cel  36,  28; 

sel2m,  10 

celh 

selh  276,  2 

cœlum 

■'  — 

cel  40, 35 

sel 

celare 

■  — 

celar  22,  23 

selar 

cellarium 

— 

celier 

selier 

cymballum 

— 

cembel 

semhel  33,  39 

cœnam 

— 

cena  7,  29 

centum 

— 

cenll,23 

sert  290,  2 

cingere 

— 

cenher  31,  16 

senher 

cincturam 

— 

centura2Qi, 2i  sentura  293,29 

cercare 

— 

cercaréi,  33 

sercar  253,  28 

certum 

— 

cert  27,  31 

sert  278,  35 

cervellum 

— 

cervel  202,  19 

5erTe/326,  23 

cervum 

— 

— 

ser  283,  1 

cessare 

— 

cessar  325,  4 

sessar  396,   37 

ecc'istum 

— . 

cest  43,  4 

sest  253,  35 

cymam 

— 

cima  197,  3 

sima  338,  3 

cinque 

— 

cinc  113,  22 

sine  294,  23 

sonore  bien  plus  qu'entre  c  et  s  sourd,  lesquels  se  confondent,  tandis 
que  les  premiers  sont  toujours  distincts. 

1.  Le  vers  suivant  de  Flamenca,  où  nous  trouvons  c  et  s  l'un  à  côté 
de  l'autre, 

Mas  ben  i  ac  plus  de  cinc  sen      v.  520. 

montre  avec  quelle  indifférence  les  scribes  employaient  ces  deux  signes 
au  commencement  des  mots. 

2.  Les  exemples  qui,  comme  celui-ci,  ne  sont  pas  accompagnés  de 
désignation  particulière  sont  tirés  de  la  Ghrestomathie  de  Bartsch. 


—  ^29  — 


^circulum 
civitatem 


clutat  22,  22 


sercle  292,  23 
sieutat  388,  7 
etc. 


Comme  en  français,  il  faut  pour  le  c  médial  transformé  distin- 
guer en  provençal  entre  la  spirante  sourde  et  la  sonore.  Nous 
avons  vu  que  dans  la  langue  d'oïl  celle-ci  fut  de  bonne  heure 
représentée  par  z,  puis  par  s  ;  il  en  a  été  de  même  dans  la  langue 
d'oc  ;  cependant  soit  qu'il  y  ait  eu  hésitation  de  la  langue  entre 
la  spirante  sourde  et  la  sonore,  soit  que  les  scribes  aient  été 
embarrassés  pour  les  représenter,  il  y  a  eu  souvent  confusion, 
dans  les  premiers  temps  du  moins,  dans  les  signes  qui  les  figu- 
rent. Ainsi  dans  le  Boèce^  tandis  qu'on  trouve  écrits  avec  c 
marce  v.  76,  aucis\.  181,  tristicia  v.  221,  mots  où  le  c  repré- 
sente évidemment  la  sourde  ts,  et,  au  contraire,  avec  z,  razo  v. 
50  et  234,  donzella  v.  215  et  244,  auzil  v.  226  et  231,  où  z 
doit  représenter  la  sonore  dz,  on  a  avec  z  traazo,  v.  57,  et  avec  c, 
trdicio  v.  236,  mot  dont  la  spirante  paraît  aussi  avoir  été  sonore  ; 
de  même  dans  dicent  v.  145  le  c  a  persisté,  bien  qu'il  doive  avoir 
ici,  à  ce  qu'il  semble  bien,  la  valeur  dz,  comme  le  prouve  l'or- 
thographe de  ce  mot  dans  les  Poésies  religieuses,  où  il  est  écrit 
dizent.  Plus  tard  cependant  cette  irrégularité  tendit  à  disparaître, 
•mais  s  ne  se  substitua  pas  à  z,  comme  cela  a  eu  lieu  entre  deux 
voyelles  dans  presque  tous  les  cas  en  français,  z  subsista  le  plus 
souvent  à  côté  de  s,  et  même  plus  souvent  que  s.  Seulement  la 
substitution  de  ces  deux  lettres  l'une  à  l'autre  montre  qu'à  partir 
de  l'époque  où  elle  eut  lieu,  c'est-à-dire  depuis  le  xi®  siècle  pro- 
bablement —  elle  apparaît  déjà  dans  les  Poésies  religieuses,  ainsi 
aiso  1743  v.  95  ;  oraso  id.  v.  246  ;  —  z  n'eut  plus,  dans  ce 
cas,  que  la  valeur  de  s  sonore.  Il  n'y  a  pas  de  doute  du  moins  à 
avoir  quand  zei  s  se  substituent  entre  deux  voyelles  ;  les  Leys 
d'amor  disent  expressément  que  telle  était  alors  la  valeur  de  z  et 
de  5,  et  la  comparaison  avec  les  mots  français  des  mots  pro- 
vençaux où  ils  se  trouvent  l'un  et  l'autre  en  est  une  preuve  ; 
'  ainsi  dans  auzel  et  ausel,  fr.  oiseau  ;  damizella  et  damai- 
sella,  fr.  demoiselle  ;  lezer  ou  luzir  et  lusir,  fr.  loisir,  etc., 
on  ne  peut  douter  qu'on  n'ait  une  spirante  sonore.  Mais  z 
a-t-il  toujours  cette  valeur  entre  deux  voyelles  ou  après 
une  consonne,  par  exemple  dans  pereza,  à  côté  du  français 


1.  Je  me  sers  du  texte  tel  que   M.  Meyer  l'a  établi  dans  son  édition 
faite  pour  l'École  des  chartes. 

9 


—  ^30   — 

paresse,  dans  plazer  à  côté  de  placer,  dans  donzel  à  côté  de 
donsel?  Il  faut  distinguer  entre  les  époques,  et  peut-être  entre 
les  dialectes.  Il  est  certain  que  z,  du  moins  au  commencement 
des  mots,  a  eu  d'abord  la  valeur  ts,  c'est-à-dire  qu'il  représentait 
une  sourde,  c'est  ce  que  prouve  la  transcription  zo  du  Boèce 
et  des  Sermons  limousins  à  côté  de  co  du  même  Boèce  et  de 
so  des  autres  monuments.  En  a-t-il  été  de  même  au  milieu  des 
mots  ?  Peut-être  à  l'origine,  mais  il  n'en  put  être  ainsi  longtemps; 
la  substitution  àe  z  k  s,  entre  deux  voyelles,  où  cette  dernière 
lettre  est  sonore,  prouve  que  z  avait  aussi  la  même  valeur  ; 
l'avait-il  également,  comme  en  français  après  une  consonne, 
tandis  que  s  y  aurait  été  sourde  ?  Les  transcriptions  comme 
donzel  et  donselc^uon  rencontre  par  exemple  dans  Guillaume  IX 
de  Poitiers,  B.  Clir.  35,  4  et  33,  33,  pourraient  donner  des 
doutes  à  cet  égard  ;  mais  si  l'on  remarque  que  très-souvent  la 
spirante  dentale  précédée  d'une  consonne  est  représentée  par 
deux  s,  orthographe  entièrement  inconnue  au  français,  où  une 
seule  s  suffit  dans  ce  cas  pour  être  le  signe  de  la  sourde,  on  sera 
porté  à  penser  qu'en  provençal  il  en  était  autrement,  et  qu'après 
une  consonne  s  seule  pouvait  probablement  représenter  indiffé- 
remment une  sourde  et  une  sonore,  l'emploi  dés  deux  s  étant 
sans  doute  destiné  à  empêcher  cette  confusion.  Ainsi  on  ne  peut 
conclure,  je  crois,  de  la  substitution  de  5  à  ^  après  une  consonne 
que  z  n'y  représentait  pas  une  sonore  comme  entre  deux  voyelles; 
ce  qui,  nous  avons  vu,  a  toujours  lieu  en  français.  Mais  comment 
expliquer  la  présence  de  z  médiat  et  de  c  ou  ss  dans  le  même 
mot  ?  Quand  la  spirante  sourde  est  la  forme  la  plus  ancienne,  il 
faut  admettre  que  la  spirante  après  avoir  été  sourde  s'est  changée 
en  sonore,  c'est  ce  qui  a  eu  lieu  par  exemple  pour /Mc?2c?t  (judi- 
ciura)  devenu  définitivement  juzizi.  Quand ,  au  contraire ,  la 
forme  avec  c  ou  ss  est  la  plus  récente,  ou  quand  les  deux  formes 
c  et  5  se  trouvent  dans  des  textes  de  même  époque,  il  faut  voir  là 
ou  une  hésitation  de  la  langue  entre  la  sourde  ou  la  sonore,  ou 
une  influence  dialectale.  Cependant  il  y  a  un  certain  nombre  de 
mots  où  le  c  palatal  s'est  uniquement  et  définitivement  changé  en 
spirante  sourde,  cela  a  lieu  en  particulier  dans  les  composés,  en 
même  temps  que  c  y  persiste  aussi  le  plus  souvent  ;  d'autres,  au 
contraire,  où  il  a  donné  naissance  à  une  spirante  sonore.  On 
trouve  une  sourde  seulement,  à  ce  qu'il  semble,  dans  les  mots 
suivants  : 


—  ^3^   — 


I 


I 


LAT. 

-ad  certas 
I  aciarium 
1  ancillam 
'antecessorera 

*  brachiam 

*  bucellara 

*  balanciam 
cipere  (con, 

de,  re) 
discernere 

*  ericionem 

*  excorticeam 
faciam 

*juvenice]lura 
lanceam 
mercedem 
minaciam 

*  nutriciam 

*  pelliciam 
principem 
provinciam 

*  suspicionem 
vincere 


acertas  13,  16  —  — 

acier  33,  31      assier  258,  17  — 

ancela  18,  19  —  — 

ancesso7''d>^è'à  17  —  .  — 

—  brassa  385,  22  — 
bucella  9,  44              —                      — 

—  balanssa  balansa  51 ,  23 
cebre  (con,  de,  dessebre  338,  — 

re)  16  — 

decernir  198,31         —  — 

—  erisson  328, 39  — 

—  escorssa  Rayn.c^cor^a  135,  2 
facia                fassa  — 
jovencel  34,  11          —            jovensel  303,  9 

—  —  lansa  31,  17 
mer  ce  21 ,  6                 —  mer  se  20,  24 

—  menassa  233, 7  — 

—  noyrissa'Rayn.  — 

—  pelissa  57, 6  — 
prince  161,  22                          ^rm5^  Rayn. 

—  —  proensa 


vencer  15,  14 


venser  Rayn. 


lien  est  de  même  dans  les  dérivés  en  tia,  tio,  etc.,  comme 
aussar  (*  altiare),  speransa  (sperantiam) ,  massa  (mateam) 
negligensa  (negligentiam) ,  obediensa  (obedientiam),  orde- 
nensa  (*  ordinentiam),  plassa  (plateam),  sentensa  (sententiam), 
tristessa  (tristitiam),  etc. 

Dans  les  mots  suivants ,  au  contraire,  la  langue  paraît  avoir 
hésité  entre  la  sourde  et  la  sonore  : 


ecc'hoc 

—           aisso  22,  i  9     aho  -12,  36    aiso  42,  25 

ecc'illum 

a^ce/ 26,  37    aisselMoylV)   aizel  4\,  \S           — 

?*dulciam 

—           doussa27,  25  dolza  3,  2      dousa2A^,  9 

duodecim 

dotze  Rayn.            —           dozen  Rayn.          — 

jacere 

jacer  46,  4     jasser 33i,2o  jazer^QTj^  20  jaser  46,  27 

medicinam 

7netzina         medissina       meizina6i^\6        — 

n7,  35 

occidere 

aucire  B.  \8i  aussire  2^ ,  9^  5        —          ausire  237 ,  i  7 

placere 

placer  AO,  H         —            plazerAS,  il plaser 

*  radicinam 

racina  Rayn.         —            razina                   — 

tredecim 

treize  Rayn.          —           trezen  Rayn.          — 

—  ^32  — 

Il  en  est  de  même  dans  les  dérivés  en  tia  ou  tio,  chaussa, 
cauzo  QxSiCauso  {Q^^)X\(m.&[Ci),  faisso,  faizo  (factionem)  ^racm 
et  grasia  (gratiam),  leisso  et  leizo  (lectionem),  riquessa, 
riqueza  et  riquesa  (*richitiam),  traicio,  tî^assio,  traazo  et 
traisio  (traditionem),  etc. 

Au  coiitraire.il  semble  bien  que  dans  les  dérivés  suivants  on 
n'ait  qu'une  spirante  sonore  : 


acetum 

azet  Rayn. 

— 

*aucellum 

auzel,auzilB.Y. 

226  ausel 

dicimus 

dizem  370,  31 

— 

*dominicellum 

donzel  35,  4 

donsel 

ducimus 

duzem 

— 

duciculum 

douzil 

_ . 

faciendam 

fazenda  QQ,  31 

fasenda  333,  34 

licere 

lezer  91,  25 

léser  Roch. 

lucere 

luzir  31,  15 

lusir 

placere 

plazer  48,  17 

plaser 

undecim 

onze  77,  13 

onse  cat. 

quatuordecim 

quatorze  209,  9 

catorse  cat. 

quindecim 

quinze  218,  11 

quinse  cat. 

sedecim 

seize  76,  17 

seisen  Rayn. 

racemum 

razim  Rayn.  v. 

51   rasim  289,  39 

tacere 

tazer  100,  30 

— 

vicinum 

vezi  68,  5 

vesi  335,  5 

Il  en  est  de  même  dans  les  dérivés  en  tia  ou  tio,  tionis  ;  àbu- 
zio  (*  abutionem),  *  alteza  et  altesa  (*altitiam),  fablazo  (fabu- 
tionem),  pereza  (pigritiam),  prezar  et  presar  (*pretiare),  quas- 
tiazo  (castigationem) ,  razo  et  raso  (rationem),  savieza  et 
saviesa  (*sapietiam),  sazo  eX  saso  (sationem),  vengaso  (vendi- 
cationem),  etc. 

On  voit  que  dans  la  transformation  de  la  palatale  médiale,  le 
provençal,  à  part  cette  incertitude  de  formes  qui  lui  est  propre, 
offre  une  assez  grande  analogie  avec  le  français,  il  en  diffère 
entièrement,  à  son  époque  de  complet  développement,  dans  le 
traitement  de  la  palatale  finale.  Le  Boèce  nous  offre  c  transformé 
devenu  final  dans  forfaz  (foris  facit)  v.  15,  faz  (facio)  v.  79  et 
90;  /e^  (fecit)  v.  52,  59,  71,  188;  forfez  v.  179;  jaz  (jacet) 
V.  158  ;  reluz  (relucet)  v.  162.  où  nous  le  voyons  représenté  par 
z;  dans/«5  (facis)  v.  88  et  dis  (dixit)  v.  100,  au  contraire,  il 
est  représenté  par  s.  Dans  les  «  Poésies  religieuses  »  publiées  par 
M.  P.  Meyer  d'après  le  manuscrit  1743  de  la  Bibliothèque  natio- 


nale,  on  trouve  à  la  fois 


—  ^33  — 

z  et 


même  tz  ;  ainsi  fis  (feci)  v.  128, 
dis  (dixi)  id.  v.  129,  f'es  (lecit)  id.  v.  144  avec  s; plaz\.  42, 
22  et  220,  au  contraire,  avec  z  ;  enfin  fetz  v.  40  avec  tz.  Dans 
le  Martyre  de  Saint  Estève,  on  trouve  s  àans  pas  (pacem)  v.  1 
et  dis  (dixit)  v.  2  p.  151.  Dans  les  Sermons  limousins,  au  con- 
traire, nous  avons  à  la  fois  z  et  s;  z  dans  fez  (fecit)  II,  p.  82; 
diz  (dixit)  II  p.  83,  II,  84  ;  dis  id.  Il  en  est  de  même  dans 
l'Evangile  selon  Saint  Jean  ;  ainsi  on  a  2:  dans  faz  (facio)  B.  Chr. 
9,  2;  11,  6;  12,6;  diz  (dicis)  10,  45;  15,  4,  ;9a;r  (pacem)ll,  42; 
15,  12  ;  on  trouve  s  ou  même  ss  —  cette  dernière  notation,  il  est 
vrai,  pour  x  —  dans  fas  (facis)  9,  46  ;  diis  (dixit)  9,  12  ;  9,  39  ; 
diiss  (id.)  8,  30  ;  9,  2,  etc.  Dans  les  monuments  postérieurs  on 
rencontre  encore  z  et  s,  ainsi  dans  les  poésies  de  Guillaume  IX 
de  Poitiers,  braz  28,  14  ;  faiz  (facis)  28,  40  ;  diz  (dixit)  29,  22  ; 
et  dans  Girart  de  Rossilho  dis  37,  22.  Mais  ces  formes,  pendant 
toute  la  période  classique  du  provençal,  sont  exceptionnelles,  la 
forme  ordinaire  est  tz;  ainsi  dans  Guillaume  de  Poitiers  patz  16, 
18  ;  et  dans  Girart  de  Rossilho  Ihutz  31,  15  ;  ditz  35,  30,  etc. 
vetz  35,  29 ',platz  36,  Ufetz  36,  8,  etc.  bratz  40,3;  crotz  44, 
8  ;  emperairitz  40,  25,  etc. 

Cette  modification  orthographique  témoigne  d'une  modification 
dans  la  prononciation  ;  ^  et  5  au  milieu  des  mots,  du  moins  entre 
deux  voyelles,  représentent  une  sonore,  et  il  est  difficile  de  leur 
attribuer  à  la  fin  des  mots  une  autre  valeur  ;  tz,  au  contraire, 
représente  une  sourde,  il  faut  donc  voir  ici  l'application  aux  spi- 
rantes  de  la  loi  par  suite  de  laquelle  le  provençal  ne  soufire  à  la 
terminaison  que  les  muettes  sourdes  ;  cette  loi  n'était  point  ob- 
servée rigoureusement,  excepté  peut-être  pour  les  dentales,  par 
l'ancienne  langue,  qui  conservait  souvent  comme  finales  les 
sonores  h  et  g,  ou  même  changeait  les  sourdes  p  et  c  euh  ei  g; 
ainsi  dans  le  Boèce  aprop  v.  35,  amig  v.  45,  138,  185,  fog 
V.  251,  252  ;  dans  les  Sermons  leg,  long,  mond;  dans  les  Poé- 
sies rehgieuses  en  langue  d'oc,  chab,  gab,  receb,  sab,  mots  qui 
sont  devenus  amie,  aprop,  ehap,  foe,  lonc,  etc.,  c'est-à-dire 
qui  ont  conservé  la  sourde  médiale  latine,  ou  ont  changé  la 
sonore  en  sourde ^  Quelque  chose  d'analogue  s'est  évidemment 
produit  pour  les  spirantes  dentales  ;k  z,  s  sonores,  —  ou  qui,  si 
elles  ne  l'étaient  pas  d'abord,  le  devinrent  vers  le  xii®  siècle,  — 


■  I.  CL  Jahrb.  l,  364.  On  trouve  aussi  dans  ces  textes  les  formes  ag, 
conog,  veng,  volg,  au  lieu  de  ac,  conoc,  venc,  vole:  De  même  dans  la 
Passion  ag,  fogjag,  etc. 


—  ^34  — 

s'est  substituée  la  sourde  tz,  qui  apparaît  ainsi  partout  où  c 
devient  final  par  la  chute  de  la  terminaison,  en  particulier  dans 
les  dérivés  en  ax,  acis;  ix,  icis  ;  ox,  ocis  ;  ux,  ucis,  etc., 
quoique  à  côté,  comme  je  l'ai  dit,  on  rencontre  aussi  les  notations 
z  eis.  Exemples  : 


brachium 

bratz 

braz  28,  13 

bras 

*berbix,  berbicem 

hrëbitz 

— 

— 

capax,  capacem 

capatz 

— 

— 

crux,  crucem 

crotz 

— 

cros  p.  R.  39 

decem 

detz 

— 

des  330,  26 

dicit 

ditz 

diz  Ev.  J. 



duodecim 

dotz[e) 

— 

— 

facio 

fatz 

faz  B.  79 

fas  B.  88 

*formix,  formicem 

formitz 

— 

— 

glaciem 

glatz 

— 

— 

*  imperatricem 

-,  emperairitz 

—7 

— 

*jacet 

jatz 

jaz  B.  158 

— 

lucet 

lutz 

{Ye)luz  B.  162       — 

pax,  pacem 

paiz 

paz  Ev.  J. 

pas 

perdix,  perdicem 

perditz 

— 

— 

placet 

platz 

— 

^^«5  34,10 

radix,  radicem 

razitz,  raitz 

mù364,  21. 

— 

sorix,  soricem 

soritz 

— 

— 

vix,  vicem 

vetz 

— 

— 

vox,  vocem 

VOtZyVOtSV.R, 

.231  — 

— 

Il  en  est  de  même  dans  les  dérivés  en  tium,  par  exemple  dans 
palatz  (palatium),  pretz  (pretium),  etc. 

A  ces  signes  assez  compliqués  de  la  palatale  transformée,  il  faut 
ajouter  la  lettre  double  cz  qu'on  rencontre  à  côté  de  ^  et  de  5,  en 
particulier  dans  les  manuscrits  des  poésies  vaudoises,  pour  la 
représenter  au  commencement,  au  milieu  ou  même  à  la  fin  des 
mots.  Ainsi  dans  «  La  nobla  Leyczon  »  :  czo  v.  8,  14,  48,  50, 
etc.  ;  ayczo  v.  11  et  73  ;  pacz  v.  89;  crocz  v.  320.  De  même 
pour  ti,  co77ienczar  v.  28  ;  comenczament  v.  23  ;  poisscncza 
V.  34;  fortalecza  v.  36;  sapiencza  v.  39.  —  Dans  ^<  Lo  payre 
eternal  »  :  doczas  v.  5,  3,  etc.  ;  dans  «  Lo  novel  confort  »  fac- 
zent  2,  4  ;  vocz  11,  4  ;  dans  «  Lo  despréczidel  mont  »,  czoy.  7. 
docz,  id.,  etc.  On  trouve  encore  cette  notation  dans  unfragment 
de  la  vie  de  Sainte  Fides  d'Agen,  par  ex.  canczonx.  1.  Au  vers, 
2  de  ce  même  poème  on  trouve  razo  avec  z  ;  de  même  dans  «  Lo 
novel  confort  »  on  a  aussi  avec  z,  plazer  3,  2  ;  si  on  remarque 


—  ^35  — 

que  dans  ces  deux  mots  la  spirante  est  évidemment  sonore,  on 
serait  porté  à  voir  dans  cz  un  signe  de  la  sourde,  tandis  que  les 
scribes  qui  s'en  servaient  réservaient  z  pour  représenter  la  sonore, 
mais  comme  on  trouve  aussi  raczo  N.  Lee.  v.  353,  placzent  N. 
Conf.  11,  4  et  même  placer  N.  Lee.  v.  455,  on  ne  peut  rien 
conclure  de  la  valeur  de  ce  signe  au  milieu  des  mots. 

D'après  cela  nous  voyons  que  le  provençal  avait,  si  Ton  omet 
cz,  quatre  signes  pour  représenter  la  spirante  sourde,  c  et  5  au 
commencement  des  mots  ;  c  ei  ss,  —  s  parfois  aussi  après  une 
consonne,  —  au  milieu  ;  ^^  à  la  fin.  La  sonore  qui  ne  se  trouve 
régulièrement,  à  partir  du  xn^  siècle,  qu'au  milieu  des  mots  était 
représentée  par  s  ei  z.  Le  provençal  avait  donc  de  plus  que  le 
français  comme  signes  de  la  spirante  tz,  mais  il  n'avait  point  x, 
pas  plus  qu'il  ne  paraît  avoir  connu  sz,  se  et  zc,  notations  excep- 
tionnelles, il  est  vrai,  de  la  langue  d'oïl. 

Iir.  —  Transformation  du  c  palatal  en  s  ou  çdans  les 
dialectes  italiens  et  ladins. 

Nous  avons  vu  qu'encore  que  le  c  palatal  latin  se  fût  en  géné- 
ral transformé  en  chuintante  c  dans  le  groupe  oriental,  cependant 
il  s'y  était  aussi  parfois  changé  en  ts  ;  cela  a  lieu  en  roumain, 
surtout  dans  le  dialecte  méridional,  cela  a  même  lieu  dans  l'ita- 
lien classique  pour  certains  suffixes,  mais  surtout  dans  ses  dia- 
lectes. On  ne  doit  pas  dès  lors  être  surpris  de  retrouver  dans  ces 
divers  idiomes,  comme  dans  ceux  du  Nord-Ouest,  les  formes 
affaiblies  de  ts  ;  on  les  rencontre  aussi  dans  plusieurs  dialectes 
italiens  ;  ainsi  on  trouve  à  la  place  de  c  ou  ts,  au  commencement 
des  mots,  s  en  romagnol  et  en  piémontais,  ç  en  génois  et  dans  le 
sarde  campidanien  ;  au  milieu,  ss  dans  le  sarde  logoudorien,  ç 
dans  le  campidanien,  quand  la  spirante  est  sourde,  s,  au  con- 
traire, dans  le  milanais,  le  piémontais,  le  romagnol,  etc.  où  elle 
est  sonore,  quand  elle  n'est  pas  précédée  d'une  muette  sourde. 
Dans  les  dialectes  ladins  du  Tyrol  on  trouve  également  f,  au  com- 
mencement et  au  milieu  des  mots,  pour  représenter  la  spirante 
sourde,  z  pour  représenter  la  sonore.  Voici  quelques  exemples 
de  ces  diverses  transformations.  1°  au  commencement  des  mots  : 


LAT. 

DIAL.  LAD. 

mil.-rOm.-piém. 

GÉN.    SARDE   CAMP 
ET   LOG. 

cœnam 

çena  tir. 

— 



coelura 

ciel  ven. 

— 



ceraseam 

çeriesa  ven. 

— 



—  ^36  — 


cercare 

çerca  tir. 

— 

— 

cernere 

çernir  v.  çerni  \ 

^     — 

— 

certum 

— 

— 

çerto  gén. 

cervum 

cerf  tir. 

— 

— 

cilium 

çeje  fr. 

5i^n  p. 

— 

cymam 

— 

sima  p. 

— 

cimicem 

çimese  ven. 

cimes  p. 

— 

cinerem 

çendro  tir. 

sener  p. 

— 

cinque 

— 

sinque  ven. 

— 

cippum 

— 

— 

seppo  gén. 

circinare 

çerçena  fr. 

— 

— 

circulum 

— 

5erc^  parm. 

— 

civitatem 

— 

5z^à  p. 

çittadi  s.  c. 

civilem 

— 

siîJi7  fer. 

— 

ecc'hoc 

ce  tir. 

— 

— 

2°  au  milieu  des  mots  ou  à  la  fin  par  apocope 

de  la  termina: 

son  : 

a),  s  sourd  : 

=  ss  ou  ç. 

accia  it. 

açe  fr. 

__ 

„_ 

brachium 

braç  fr. 

^ 

— 

calcem 

cauç  tir. 

— 

causi  sic. 

cornicem 

curniç  fr. 

— 

— 

crucem 

cros  Ist. 

_ 

— 

decimum 

— 

— 

deçimu  s.  c 

docilem 

— 

^ 

doçilis.  c. 

faciem 

face  fr. 

— 

— 

falcem 

falç.  fr.  fauç.  tir 

— 

— 

laucem 

foç  fr. 

— 

— 

felicem 

— 

— 

feliçi  s.  c. 

fecem 

feçe  fr. 

— 

— 

forficem 

for f es  tir. 

— 

— 

glaciem 

glace,  glaç  tir. 

— 

— 

judicem 

judiç  fr. 

— 

— 

laqueum 

laç  fr. 

— 

— 

laricem 

lariçÎT.  lares  tir. 

— 

— 

lucem 

/wp  fr.  lus  tir. 

— 

— 

officium 

— 

— 

offissiu  s.  g. 

pacem 

joap  tir.  pas  Ist. 

— 

— 

picem 

pepe  tir. 

— 

— 

placere 

placer  tir.  fr. 

— 

— 

pulicinum 

pulçin  fr. 

— 

— 

137 


(e)ricium 
*  querciam 
sacrificium 
soricem 
viciam 
vincer 
vocem 


riç  fr. 


sores  tir. 
veçe  fr. 
venger  tir. 
voce  tir. 


cersa  sic. 
sacrifissiu  s. 


Il  en  est  de  même  dans  les  diminutifs  romagnols  formés  à  l'aide 
des  suffixes  cellus  et  cinus,  par  exemple  :  alsena  (alicinam), 
assicena  (assicinam),  budsella  (botticellam),  cardsena  (carti- 
cinam),  dindsell  (it.  denticello),  purdsena  (porticinam),  jownc?- 
sell  (ponticellum) ,  etc.  ^ 

P).  s  sonore  =  z  ou  s. 


acetum 

acinum 

cimicem 

coquinam 

(con)ducere 

placere 

recinctum 

tacere 

vicinum 

vocem 


azedîv.,  azeoiiT.  — 

azin  fr.  — 

cimese  — 

cuzine  fr.  — 

{Q,ovi)duzi  fr.  — 


rezint  fr. 
taze  fr. 
vizin  fr. 


piasi  p. 

vesin  mil. 
ose  ven. 


On  trouve  aussi  en  portugais,  à  la  place  du  c  palatal  latin,  ç  et 
z  avec  la  même  valeur  qu'en  français  ;  mais  ces  signes ,  s'ils  ne 
se  prononcent  point  aujourd'hui  comme  en  espagnol,  ayant  été 
à  l'origine  employés  en  portugais  à  peu  près  comme  dans  cette 
langue,  il  ne  faut  point  séparer  l'étude  des  transformations  du 
c  palatal  dans  les  deux  idiomes  hispaniques.  Elle  fera  l'objet 
principal  du  chapitre  suivant. 


1.  Muss.  Darst.  der  rom.  Mund.  p.  35  et  52. 

2.  Biond.  id.  —  Schnel.  id.  —  Asc.  id.  —  Spano^  id.  passim. 


—  ^38 


CHAPITRE   Vil. 


TRANSFORMATION  DU  C  PALATAL  EN  ESPAGNOL  ET  •  EN  PORTU- 
GAIS. —  SON  CHANGEMENT  EN  0  ET  0  DANS  LES  DIALECTES 
PROVENÇAUX   ET   LADINS. 

Dans  l'afiaiblissement  de  ts,  issu  de  la  transformation  du  c 
palatal,  il  peut  se  faire  que  le  i  ne  disparaisse  pas  seulement, 
mais  encore  que  la  spirante  qui  subsiste,  d'alvéolaire  ou  de  dor- 
sale qu'elle  était  et  qu'elle  est  restée  en  provençal  et  en  français, 
devienne  dentale  proprement  dite  0  ou  S,  son  qui  prend  naissance 
comme  nous  avons  vu,  quand  la  pointe  de  la  langue,  au  lieu  de 
s'appuyer  contre  le  palais  ou  les  gencives  supérieures,  vient 
se  poser  contre  les  dents,  ou  mieux  entre  les  dents.  Cette  trans- 
formation du  c  palatal,  la  dernière  qu'il  nous  reste  à  étudier, 
comme  elle  est  aussi  la  plus  extérieure  et  par  suite  la  plus 
récente,  s'est  produite  en  espagnol,  dans  le  savoyard,  dans 
quelques  dialectes  de  la  Suisse  romande  et  de  l'Italie  septen- 
trionale, ainsi  que  dans  plusieurs  dialectes  ladins. 

L'absence  d'anciens  monuments  ne  nous  permet  pas  de  suivre 
dans  ces  derniers  idiomes  les  modifications  successives  de  la  spi- 
rante sortie  du  c  palatal  latin,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  en 
espagnol  et  en  portugais,  c'est  l'historique  de  ces  di^'ers  change- 
ments qu'il  me  faut  d'abord  faire. 

P  Du  c  palatal  transformé  en  ancien  espagnol. 

L'espagnol  n'a  aujourd'hui  que  deux  signes  pour  représenter 
le  c  palatal  transformé,  c  devant  e  et  ^,  z  devant  les  autres 
voyelles,  ou  devant  les  consonnes;  il  n'en  était  pas  de  même  dans 
l'ancienne  langue,  qui  distinguait,  grâce  à  des  notations  diffé- 
rentes, des  sons  originairement  différents,  mais  aujourd'hui  con- 
fondus. 

Le  plus  ancien  monument  authentique  de  la  langue  espagnole 
de  quelque  étendue  «  El  misterio  de  los  reyes  magos  » ,  qu' Ama- 
dor  de  los  Rios  suppose  être  du  xi°  siècle,  n'a  que  deux  signes, 
du  moins  d'après  l'édition  de  Lidforss,  pour  la  palatale  trans- 
formée c  ei  z^\  c  apparaît  seul  au  commencement  des  mots,  ainsi 

t.  Jahrb.,  XII,  46-52.  Dans  l'édition  donnée  par  Amador  de  los  Rios  il  y 
en  a  quatre  :  c,  ç,  z  et  s. 


—  ^39  — 

certas  v.  24,  celo  v.  37,  cilo  v.  43,  etc.  Au  milieu  on  trouve  à 
la  fois  c  et  ^,  <?  dans  nacida  v.  4  et  95;  nacido  v.  5,  15,  24, 
30,  40,  48,  56,  80,  86,  96,  135;  pace\.  25  et  87;  facienda 
V.  34  ;  acenso  v.  70  ;  encenso  v.  74  ;  occidente  v.  27  ;  ofre- 
c{e)remos  v.  70;  pertenecera  v.  14:  percibida  v.  103;  face 
V.  96;  Jace  v,  127  ;  enfin  décides  v.  81  et  decidme  v.  83  ;  :; 
ne  se  trouve  que  dans  jo/<2^6?  v.  129,  et  dans  la  conjugaison  de 
decir,  ainsi  c^^^?^  v.  53  et  134,  dizeremos  v.  77  et  92,  dizen 
V.  84,  dezivN.  127,  et  dezhnos  v.  147.  Dans  tous  ces  mots  z 
semble  bien  désigner  une  sonore  ;  mais  comme  on  trouve  décides 
et  decid  écrits  avec  un  c,  on  voit  que  la  distinction  entre  c  et  ^ 
n'était  point  encore  tranchée  ou  du  moins  n'a  point  été  obser- 
vée par  le  scribe.  De  même  c  étant  toujours  dans  ce  texte  suivi 
de  e  ou  de  ^,  et  ç  n'étant  point  dès  lors  nécessaire,  on  ne  peut 
conclure  de  son  absence  qu'il  n'était  point  encore  connu  ;  il  appa- 
raît dans  tous  les  autres  monuments. 

Le  premier  en  date  que  nous  trouvons,  «  El  poema  del  Cid  », 
dont  le  texte  actuel  est  probablement  de  1245  \  nous  montre  le 
c  palatal  ou  ti  transformé  représenté,  quelle  que  soit  la  voyelle 
suivante,  ordinairement  par  p,  —  quelquefois  aussi  par  c,  quand 
il  a  la  valeur  d'une  spirante  sourde,  par^,  au  contraire,  en  géné- 
ral dans  les  mots  où  elle  paraît  avoir  dû  être  sonore  ;  ç  est  d'ail- 
leurs d'un  usage  bien  plus  fréquent  que  z  ;  c'est  lui  seul  qui  appa- 
raît au  commencement  des  mots,  et  au  milieu  on  le  rencontre  en- 
core dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  ;  à  la  fin  des  mots,  au  con- 
traire, on  ne  trouve  que  z.  Nous  voyons  là,  à  part  la  difiérence  de 
signes,  la  plus  grande  analogie  de  transformation  avec  ce  qui  se 
passe  en  français  et  en  provençal.  Ainsi,  dans  les  cinq  cents 
premiers  vers,  avec  ç  initial  :  Cid,  6,  7,  etc.  ;  çerrada  32,  39  ; 
çinxiestes  70,  439  ;  çinxo  58  ;  çerca  76,  212  ;  çientos  135, 
147,  206  ;  çinco  187,  240  ;  çielo  217,  330,  330,  331  ;  çiego 
352;  çcnado  404  ;  çevado  420,  429  ;  çelada  437,  438,  441, 
464  ;  çega  449,  452,  455,  583  ;  etcipdad  397  avec  c.  Au  milieu 
des  mots,  ç  se  trouve  dans  cabeça  2  ;  uços  3  ;  meçio  13  ;  alhri- 
çias  14  ;  fuerça  24  ;  'Goçes  35  ;  graçia{s)  50,  248  ;  coraçon 
53,  276  ;  oraçion  54  ;  arlançon  55  ;  naçido  71  ;  preçio  11  ; 
lançalQ;  palaçio{s)  115,  184;  ganançia{s)  130,  165,  465, 
474,  478,  480  ;  esforçados  171  ;  rançal  183;  7nereçedes  194  ; 


1.  Poetas  castellanos  anteriores  alsiglo  xv,  p.  p.  Janer,  col.  Rivanereida. 
Per  Abbat  le  escribio  en  el  mes  de  maio 
En  era  mill  e  ce.  xlv  anos.        v.  3743-44. 


—  uo  — 

calças  189,  195  ;  mereçer  197  ;  reçibio  199,  215, 245  ;  braços 
202,  255,  275,  488  ;  falleçiere  258  ;  merçed  268  ;  naçio  294; 
creçe  296  ;  reçebir  297,  487  ;  troçir  306  ;  açerra  321  ;  ifier- 
f  ero  331  ;  encarnaçion  333  ;  apareçist  334  ;  offreçieron  338  ; 
carçel  340  ;  esfuerços  379  ;  alcançar  390,  492  ;  calçada 
400;  c?M/fe  407  ;  lanças  419;  Garcia  444,  preçia  475;  e^pe- 
rança  490  ^  On  rencontre,  au  contraire,  ;2;  à  la  place  de  c  pala- 
tal ou  de  ^z  ou  c?2  transformé  dans  vazias  4,  dizian  19,  c^ejszV 
30  ;  c?^>en  347,  436  ;  faze  139,  433,  437  ;  fdzeredes  233  ; 
fazer  252  ;  /a^en  285  ;  fezist  331,  332,  345,  351  ;  ^îzû  428  ; 
fazed  452  ;  aduzid  144  ;  aduzes  263  ;  plazo  212,  305,  309, 
321,  396,  414  ;  quinze  291,  472  ;  jazer  393  ;  razon  19  et  ^o^o 
385.  On  trouve  à  la  fois  p  et  ^  dans  alzo  216  et  «/po  355  et 
dezid  129  à  côté  de  decildes  pour  decidles  389.  Il  semble  qu'il 
y  ait  eu  dans  ces  mots  hésitation  de  la  langue  ou  incertitude  du 
scribe  entre  la  sourde  et  la  sonore.  Si  on  compare,  au  contraire, 
les  mots  précédents  aux  mots  analogues  du  provençal  et  du  fran- 
çais, on  voit  que  ceux  où  la  palatale  transformée  est  représentée 
par  ç  correspondent  aux  mots  où  elle  s'est  changée  d'ordinaire 
en  spirante  sourde  dans  ces  idiomes,  et  qu'à  z  espagnol  y  répond 
par  contre  une  spirante  sonore.  Enfin,  comme  je  l'ai  dit,  à  la  fin 
des  mots,  z  s'est  partout  substitué  à  c  palatal  ou  à  ti  assibilé, 
ainsi  :  plaz  191  ;  solaz  218  ;  cruz  358,  352;  faz  (faciem)  356; 
faz  (*  face)  365,  etc. 

Dans  les  poèmes  de  Berceo^,  textes  du  xiii^  siècle,  comme 
celui  du  Gid,  nous  trouvons,  ainsi  que  dans  ce  dernier,  la  spi- 
rante provenant  de  la  transformation  du  c  palatal  ou  de  ti  repré- 
sentée toujours  par  p  ou  c  au  commencement  des  mots,  par  ,2  à  la 
fin.  Ainsi  dans  les  cinquante  premières  stances  de  la  «  Vida  de 
Santo  Domingo  de  Silos  »,  on  a  avec  ç  initial  :  çepa  9,  1  ; 
çimiento  9,  3  ;  çebo  16,  3  ;  çierto  22,  1  ;  çerca  22,  3  ;  çielo 
26,  3  ;  çielos  31,  4  ;  et  avec  c,  cenidos  12,  3.  Enfin  nous  trou- 
vons z  final  dans  diz  5,  1  ;  faz  20,  1  ;  luz  40,  4.  De  même  dans 
la  «  Vida  de  San  Millan  »  dulz  11,  1  ;  feliz  15,  2;  raiz,  18, 
2,  etc.  Le  c  palatal  transformé  est  donc  absolument  traité  ici,  au 
commencement  et  à  la  fin  des  mots,  comme  dans  le  poème  du  Cid. 
Au  milieu  des  mots,  au  contraire,  il  offre  quelques  différences. 
Ainsi  on  le  trouve  représenté  par  p  dans  iJepmo  2,  2;  diçen  3,  4; 
preçio  4,  2;  laçerio  4,  3;  serviçio  4,  4;  deçir  8,  1;  12,  4;  33, 


t.  ç  représente  aussi  s  initial  dans  çervicio  v.  69. 
2.  Poêlas  anteriores  al  siglo  xv,  id. 


—   i'r\    — 

4;  conoçientes  13,  3;  feçe  14,  4;  façie  16,  4;  24,  4;  40,  3; 
deçie  17,  1;  oraçiones  17,  3;  peonçiello  19,  1;  obedeçio  19, 
3;  reçïbrie  21,  2;  2/<^pe?r  21,  4  ;  fiçieron  23,  3  ;  gracia  25,  2; 
sacrifiçio  26,  2  ;  /?p20  26,  3  ;  o/?pzo  28,  4  ;  pastorçiello  34,  1  ; 
monaçiello  36,  1  ;  ^/apz'e  39,  3  ;  bendiçion  40,  1  ;  mançebio 
40,  2;  orapzon  46,  3;  sentençias  31,  1;  ahstinençias  41,  2; 
fallençias  41,  3;  convenençias  41,  4  ;  saçerdote  43,  1  ;  no-yz- 
pzo  id,,  o/îpz'o  43,  2;  serviçio  43,  3  ;  'y2pzo43,  4;  lacer o  44,  4; 
deçhnos  58,  1;  cobdiçia  50,  3;  enfin  par  c  dans  ^ermmaczone^ 
28,  4.  Le  xr  s'est  substitué  au  c  palatal  transformé  dans  fizo  1, 
1;  24,  2;  razonidat  14,  4;  razon  16,  1;  razones  28,  1  ;  sazon 
24,  1  ;  viltanza  29, 1;  lanza29,  3;  duhdanza  29,  4;  comienzo 
31,  3;  fazannas  34,  S;pereza,  39,  1,  43,  4;  agudeza  39  ,  2; 
jorot«eza49,  3;  corteza  39,  4;  mo^o  40,  1,  44,  1;  corazon 
40,  4;  lozano  42,  2;  enxalzada  45,  1.  Dans  quelques-uns  de 
ces  mots  comme  r^ï^on,  sazon,  etc.,  le  ;2;  représente  évidemment 
une  spirante  sonore;  en  est-il  de  même  dans  tous  les  autres,  par 
exemple  dans  dubdanza,  lanza,  etc.  ?  Cela  peut  paraître  dou- 
teux. D'un  autre  côté  il  semble  bien  que  ç  représente  une  sonore 
dans  diçen,  veçino,  etc.  et  non  une  sourde,  comme  dans  reçibrie, 
mançebio,  etc.  Onle  voit  donc,  dans  ce  texte,  l'arbitraire  le  plus 
grand  paraît  avoir  régné  dans  la  représentation  de  la  palatale 
transformée  au  milieu  des  mots.  Il  est  surprenant  au  moins  que, 
comme  aujourd'hui  où  on  ne  distingue  plus  de  spirante  dentale 
sourde  ou  sonore,  ç  n'apparaisse  que  devant  e  ou  i,  z  devant 
les  autres  voyelles. 

Dans  la  «  Vida  de  Santo  Domingo  de  Silos  »,  on  trouve  z 
médial  devant  e  et  z,  ainsi  faziese  22,  4;  luzerio  33,  4  ;  mais  ç 
ne  se  trouve,  du  moins  dans  les  cinquante  premières  stances, 
jamais  devant  a  o\iu,  c'est  toujours  z  qu'on  rencontre  dans  ce 
cas  même  dans  des  mots  où  comme  esfuerzo  29,  3;  rezaba  33, 
1,  etc.,  la  spirante  semble  bien  être  sourde.  Par  contre  ç  se 
trouve  dans  certains  mots,  comme  façie  8,  4;  12,  4;  37,  1, 
yaçie  11,2,  etc.,  où  il  représente  probablement  une  sonore.  Ce 
texte  offre  donc  encore,  nous  le  vojons,  la  plus  grande  incerti- 
tude ortliographique  dans  la  représentation  de  la  spirante  den- 
tale médiale.  Il  en  est  tout  autrement  dans  «  Del  sacriâçio  de  la 
Missa  ». 

Dans  les  vingt-cinq  premières  stances  de  ce  poème,  ç  médial  ne 
paraît  représenter  que  la  spirante  sourde,  et  on  le  rencontre 
indifféremment  devant  toutes  les  voyelles,  ainsi  ençierto,  2,  3  ; 
sacrifiçio{s)  3,  4;  4,  2;  adoçien  5,  2;  offreçien  7,  2;  offregio 


—  U2  — 

18,  4;  hraços  8,  3;  bocaça  9,  3;  saçer dotes  9,  4;  sacerdotal 

19,  i\  preçiosa  11,  4;  significança  18,  2;  ençierra  24,  4. 
A  l'exception  des  mots  comienzo  1,  2  et  de  vezerra  16,  4,  dont 
la  spirante  est  d'une  nature  douteuse,  z  représente  évidemment 
dans  tous  les  autres  une  sonore,  ainsi  fazer  2,  4  ;  fazie  3,  4 , 
fazien  5,  1  ;  /«;2:e  20,  1;  20,  3;  23,  2\jazie  7,  4:jazia  16,  1; 
17,  4  ;  dize  17,  2;  c?«^e?2  17,  3.  Nous  sommes  donc  ici  en  pré- 
sence d'un  texte  d'une  orthographe  plus  sûre  que  les  deux  précé- 
dents ;  mais,  comme  on  le  voit,  il  n'y  a  de  différence  entre  ces 
diiSérents  textes  que  pour  la  -représentation  du  c  médial,  tous 
s'accordant  à  le  représenter  par  ç  au  commencement  des  mots, 
par  z  k\a  fin.  Il  en  est  de  même  encore  dans  les  monuments  que 
j'ai  à  examiner,  je  ne  m'occuperai  donc  que  du  c  médial. 

Dans  «  El  libre  de  Alexandre  »,  texte  du  xiv''  siècle  d'après 
Sanchez,  du  xiii''  d'après  Amador  de  los  Rios  ^  ç  apparaît 
comme  signe  de  la  spirante  sourde,  z  en  général  comme  celui 
de  la  sonore  ;  ainsi  nous  trouvons  avec  ç  :  serviçio  1 ,  1  ; 
pHnçepe  6,  1  ;  vençio  6,  3  ;  naçemiento  11,  1  ;  creçiendo 
12,  3;  coraçon  14,  1  ;  17,  3;  18,  2;  18,  4;  20,  2;  nous  avons, 
au  contraire,  avec  z  :  clerezia  2,  2  ;  plazer  3,  2;-  fazer  4,  1  ; 
reziente  10,  2  ;  franqueza  12,  2  ;  (J)azie  14,  2  ;  criazon 
14,  3;  razon  14,  4;  18,  2;  fazie  17,  2;  sazon,  22,  1  ;  dezia 
24,  3.  Nous  arrivons  donc  à  la  même  conclusion  que  pour  «  El 
sacrifiçio  de  la  Missa  » . 

L'orthographe  de  «  El  libre  de  Apollonio  »  au  contraire, 
poème  qu' Amador  de  los  Rios  croit  antérieur  de  quelques  années 
au  poème  d' Alexandre,  mais  dont  le  texte  est  évidemment  de  la 
même  époque,  témoigne  d'une  grande  incertitude  de  la  part  du 
copiste  dans  la  représentation  de  la  spirante  médiale,  à  laquelle 
il  donne  pour  signe  assez  indifféremment  ç  ou  z  :  par  exemple 
diçian  20,  4  avec  ç,  et  dizen  45,  2  avec  z;  de  même  fizo  3,  3 
avec  z  et  fiço  6,  3  avec  ç,  etc.  Un  fait  plus  surprenant  c'est  de 
trouver,  comme  en  provençal,  tz  à  la  place  de  c  final,  dans  ditz 
17,  3  ;  mais,  on  le  voit,  ce  texte  ne  permet  pas  de  rien  conclure 
de  certain  sur  la  valeur  de  p  et  de  5:  comme  signe  du  c  palatal 
transformé  ;  il  en  est  de  même  de  la  «  Vida  de  Santa  Maria  egyp- 
tiaca  »  et  de  «  La  adoraçion  de  los  santos  reyes  »  qui  se  trouvent 
dans  le  même  manuscrit  que  «El  Romance  de  Apollonio  ».  Tout 
autre  est  l'importance  du  texte  des  poésies  de  l'archiprêtre  de 
Hita  «  Joan  Rois  »,  poète  du  xive  siècle. 

1.  Poetas  castell.  ant.al  sigloxv,  p.ïli.—Hist.crit.  delalit.espanola,lU,279. 


—   \',3   — 

Dans  les  divers  poèmes  du  xiii''  dont  je  viens  de  parler,  ç  et  z 
représentent  presqu'exclusivement  la  spirante  issue  de  la  trans- 
formation de  la  palatale;  ici  à  côté  de  ces  signes,  qui  y  sont  d'ail- 
leurs employés  comme  par  le  passé,  nous  trouvons  fréquemment 
s  au  milieu  et  à  la  fin  des  mots,  par  exemple  faser  3,  3;  40,  2; 
41,  3 ,  etc.  ;  romanse  4,  2  ;  désir  b,  3  ;  35,  4,  etc.  ;  rason  6, 3, 
etc.  ;  yase  6,  3  ;  8,  i,  etc.  ;  plaseres  34,  3 ,  etc.  ;  fisiese  41,  4  ; 
fesiera  49,  4 ,  etc.  ;  fas  4,4;  pas  4,  2  ;  solas  4,4;  ijas  4,3; 
dis  9,  4  ;  47,  3  ;  51,  2,  etc.  Or  si  l'on  remarque  que  1*5  espagnole 
seule  entre  deux  voyelles  n'était  pas  au  Moyen-Age  sourde  comme 
aujourd'hui,  —  ainsi  que  nous  l'apprennent,  outre  le  témoignage 
des  anciens  grammairiens,  les  transformations  de  l'ancien  espagnol 
dans  les  langues  étrangères,  en  particulier  en  hébreu,  et  cette  cir- 
constance qu'on  la  trouve  souvent  redoublée  dans  des  mots  où  on 
l'emploie  seule  aujourd'hui,  — nous  voyons  qu«  la  spirante  qu'elle 
sert  à  représenter  dans  le  texte  que  nous  examinons  devait  être 
une  sonore  ;  conclusion  à  laquelle  m'avait  déjà  conduit  sa  repré- 
sentation ordinaire  par  z.  Mais  cette  circonstance  que  cette  der- 
nière lettre  a  été,  comme  en  français,  remplacée  par  s,  doit  nous 
faire  supposer  de  plus  que  vers  l'époque  où  furent  écrites  les 
poésies  de  Juan  Ruiz,  le  son  dz  de  la  spirante  sonore  dut  s'affai- 
blir en  z.  La  substitution  àe  ç  k  s  àe  cerviçio  PC.  v.  69,  si  ce 
n'est  point  une  faute  de  copiste,  semble  bien  indiquer  que  le  ç  ne 
devait  plus  alors  aussi  avoir  rigoureusement  la  valeur  ts,  mais 
un  son  se  rapprochant  de  s  sourd. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  vers  le  xiv^  siècle  la  spirante 
composée,  issue  de  la  transformation  du  c  palatal,  dut  en  espa- 
gnol, comme  cela  eut  lieu  à  la  même  époque  en  français  et  en 
provençal,  tendre  à  se  simplifier  et  à  prendre  un  son  approchant 
de  5  ou  de  p  ;  que  de  plus,  malgré  les  exceptions  que  j'ai  relevées, 
dans  les  meilleurs  textes  elle  fut  ordinairement  représentée  au 
Moyen-Age  par  ç  quand  elle  était  sourde,  par  z  quand  elle  était 
sonore.  L'examen  des  textes  galliciens  conduit  à  la  même  conclu- 
sion, à  laquelle  nous  amènera  aussi  l'étude  des  monuments  por- 
tugais contemporains.  Ainsi  dans  les  poésies  des  trouvères  galle- 
go-portugais,  publiées  par  Milà  y  FontanalsS  nous  trouvons  la 
spirante  dentale  médiale  représentée  par  ç  dans  provençal, 
proençaes  p.  501,  coraçon  p.  502,  etc.  ;  par  z,  au  contraire, 
dans  fazer,  dizen,  p.  501,  c'est-à-dire  par  ç  quand  eWe  est 
sourde,  par  z  quand  elle  est  sonore. 


1.  D.  Man.  Milà  y  Fontanals,  De  los  trovadores  en  Espaha. 


—  U4  — 

L'examen  des  textes  du  xv^  siècle  donnerait  les  mêmes  résul- 
tats que  ceux  des  siècles  précédents  ;  seulement,  devant  e  et  ^,  c 
se  substitue  à  ç  réservé  pour  représenter  la  spirante  suivie  de  a, 
de  w  ou  de  0.  Il  en  est  encore  de  même  au  xvi^  et  au  xvii''  siècle, 
du  moins  pour  ce  qui  est  des  signes,  car,  ainsi  que  je  le  montre- 
rai plus  loin,  la  prononciation  de  pet  de  s  changea  au  xvi**  siècle. 
Ils  allaient  même  finir  bientôt  par  se  confondre  ;  mais,  à  cette 
époque,  comme  pendant  toute  la  période  précédente,  ç  et  z 
avaient  encore  une  valeur  différente  que  les  grammairiens  du 
temps  s'attachent  à  faire  remarquer,  peut-être  parce  qu'elle 
devenait  sans  doute  chaque  jour  moins  marquée  :  «  Hase  de 
tener  muy  gran  cuento,  disait  en  1580  Juan  de  la  Cuesta  ^  que 
en  esto  de  las  pronunciaciones  desdeluego  sepan  los  ninosdistin- 
guir  el  sonido  de  la  ç  et  de  la^.»  Nous  verrons  quel  était  au  juste 
le  son  que  la  f  etla^  prirent  au  temps  même  de  Juan  de  la  Cuesta, 
mais  en  comparant  les  renseignements  donnés  par  les  grammai- 
riens, on  voit  quela  ç  à  laquelle  Doergangk  attribue  la  valeur  ss 
était  sourde,  que  la  z,  au  contraire,  qu'il  dit  s'être  prononcée  ds, 
était  une  spirante  sonore  ^  :  nouvelle  confirmation  des  résultats 
auxquels  j'étais  arrivé  par  la  comparaison  des  textes  du  Moyen- 
Age.  L'étude  des  monuments  de  l'ancien  portugais  viendra 
encore  le  corroborer. 

IP  Transformation  du  c  palatal  en  portugais. 

Il  est  moins  facile,  soit  par  l'absence  d'anciens  monuments, 
soit  par  le  manque  de  publications  dont  ils  aient  été  l'objet,  de 
suivre  les  modifications  de  l'orthographe  du  c  palatal  transformé 
en  portugais  qu'en  espagnol  ;  par  contre  elle  paraît  avoir  subi 
moins  de  changements  depuis  l'époque  où  nous  pouvons  l'ob- 
server. 

Dans  le  «  Gancioneiro  d'el  rei  D.  Diniz,  »  le  recueil  le  plus 
ancien  que  j'aie  eu  à  ma  disposition,  nous  trouvons  la  spirante 
qui  en  résulte  représentée  par  p  ou  c  quand  elle  est  sourde,  — 
ç  devant  a,  o  ouu,  c  devant  e  i;  par  z,  au  contraire,  quand  eUe 
semble  être  sonore;  c  ou  ç  apparaît  seul  d'ailleurs,  comme  en 
espagnol,  au  commencement  des  mots,  z  à  la  fin.  Ainsi  on  a, 
dans  les  cinquante  premières  stances,  avec  c  initial  :  certo  4,1; 

1.  Lihro  e  tratado  para  ensenar  leer  e  escrivir,  compuesto  por  Juan  de  la 
Cuesta,  etc.  p.  7. 

2.  Institutiones  in  linguam  hispanicam,  authore  H.  Doergangk,  etc.,  p.  2. 


—  445  — 

cedo  6,  G  ;  et  avec  z  final  :  fez  2,  3  ;  4,  6  ;  7,  1  ;  14,  7  ;  15,  7  ; 
19,5;  20,  5;  21,1;  30,2;  44,  1;46,  1;  faz  11,  6;  35,6; 
36,  6  ;  37,  6  ;  o?ù  37,  1 .  Au  milieu  des  mots  on  trouve  c  dans 
tnereci  10,  3  et  12,  5;  receey  13,  2;  conhecesse  19,  4; 
padecesse  20,  1  ;  percebesse  21,  1  ;  falecesse  21,  4;  servie' 
3,  5M  et  f  dans  coraçon  11,  4;  18,  1  ;  43,  4;  49,  2;  ^r,  au 
contraire,  dans  o?ùer  3,  4;  7,  0;  8,  6;  15,  3;  17,4;  22,  8,  etc., 
dizen  35,  1  ;  /a^er  1,  4;  9,  6;  30,  2;  41,  6,  etc.,  fazedes  16, 
4;  18,  2  ;  31,  8;  38,  1  ;  47,  8,  etc.  ;  fazenda  29,  3;  30,  3;  31, 
3;  prazer  2,  1  ;  14,  3;  36,  4,  etc.  ;  razon  10,  1  ;  11,  1  ;  49,  6; 
sazon  39,  1.  Dans  tous  ces  mots  z  représente  une  spirante 
sonore,  tandis  que  dans  les  précédents  la  sourde  c  (p)  a  persisté 
jusqu'à  ce  jour. 

Dans  les  «  Canti  antichi  portoghesi  »  que  vient  de  publier 
M.  E.  Monaci^,  nous  trouvons  absolument  les  mêmes  signes, 
employés  de  la  même  manière,  pour  représenter  les  transforma- 
tions du  c  palatal  et  de  ti;  ainsi  nous  avons  cintas  XII,  10  avec 
c  initial,  et  avec  z  final  :  faz  IV,  6,  12,  18;  voz  IX,  8; 
diz  XI,  12  ;  fiz  XII,  6.  Au  milieu  des  mots  nous  trouvons  c 
dans  pareeer  et  parecemos  III,  15;  franees  XI,  2  ;  et  p  dans 
moça  IX,  1,  7;  pareçia  id.  7;  coraçonià..  13;^ec'id.  16; 
pediçon  id.,  peça  X,  17;  orthographe  qui  est  encore  aujour- 
d'imi  la  même;  nous  avons  z,  au  contraire,  àdtW^prazo,  I,  17, 
20;  prazer  XI,  20;  fazemos  III,  15;  diziayil,  5,  10,  12, 
15,  20;  IX,  2;  X,  23;  XI,  7;  dizedesià.  11;  dizerià.  18; 
vezes  X,  19;  sazon  XI,  14;  jora^er  id.,  20;  donzella  XII, 
7  ;  razoada  id.  25,  dont  la  spirante  a  continué  d'être  sonore. 

L'examen  des  fragments  poétiques  qui  se  trouvent  dans  le 
livre  de  Fr.  Diez  «  Uber  die  erste  portugiesische  Kunst-  und 
Hofpoesie  »  donne  des  résultats  analogues  ;  ainsi  pour  ne  parler 
que  de  la  spirante  médiale  nous  la  voyons  représentée  par  c  dans 
acontece  p.  82;  escaecer  p.  82  et  91  ;  pareeer  p.  85  et  91  ; 
gradecer  p.  85,  et  facen  p.  89  ;  par  ç  dans  proençal  p.  27  et 
88;  coraçon^.  40,  45,  76,  79,  83,  90;  faça  p.  44;  traiçon 
p.  45  ;  lançastes  p.  47  ;  forçon  et  força  p.  76  ;  louçano  p.  98. 
Nous  trouvons  z,  au  contraire,   dans  dizer  p.   22,  38,  44,  70, 


1.  Lopes  de  Moura,  l'éditeur  du  Cancioneiro,  a  écrit  serviç{o)  avec  un 
ç,  mais  il  n'y  a  qu'un  c  dans  le  fac-similé  du  manuscrit  qu'il  a  lui- 
même  donné,  peut-être  en  est-il  de  même  pour  coraçon,  ce  qui  au 
reste  importe  peu. 

2.  Canti  anti.  port.  Iratti  dal  codice  vatic.  4803.  Im.  1873. 

40 


—  -146  — 
75,  77,  83,  86,  91,  etc.  ;  dizen  p.  43,  75,  82;  dizede  p.  44, 
77,  79; /-«^^er  p.  25,  27,  44,  67,  77,  86,  88,  ^d\fazend'^. 
4:4i  ;  prazer  p.  38,  44, 69,  75  ;  sazon  p.  25,  46  ;  razon  p.  45, 
82,  83;  vezes  p.  90  et  91  ;  semelhanza  et  crianza  p.  25.  Si 
l'on  excepte  facen,  qui,  comparé  à  fazer,  fazend' ,  paraît  une 
faute  de  copiste,  c  et  p  représentent  une  sourde  ;  quant  à  z,  il  est 
resté  dans  les  mots  où  nous  le  voyons  ici,  excepté  dans  crianza, 
semelhanza,  qui  s'écrivent  aujourd'hui  par  un  ç. 

Les  monuments  contenus  dans  la  «  Coleccâo  de  libros  inédi- 
tes de  historia  portugueza  »  nous  offrent  ceci  de  particulier  que 
les  plus  anciens  d'entre  eux,  tels  que  la  «  Carta  d'el  papa  a  el  rei 
de  Portugal  »  (D .  Pedro  I),  les  Foros  «  de  Santarem  »,  les  «  Foros 
de  S.  Mai'tinho  de  Mouros  »  et  les  «  Foros  de  Torres  Novas  »  ont 
ç  devant  e  et  i  aussi  bien  que  devant  a,  o,  u\  dans  les  «  Foros 
de  Gravâo,  »  qui  sont  de  la  fin  du  xiii®  siècle,  ainsi  que  dans  ceux 
de  Garda  et  de  Beja,  qui  sont  du  xiv%  on  ne  trouve  plus  que  c 
devant  e  et  i,  ç  étant  exclusivement  employé  devant  les  autres 
voyelles,  ainsi  que  cela  se  fait  aujourd'hui.  Quanta  la  valeur  des 
signes  employés  pour  représenter  les  spirantes  nées  de  la  trans- 
formation de  la  palatale,  c  eiç  se  trouvent  en  général  dans  les 
mots  où  elle  est  sourde  aujourd'hui,  par  exemple  dans  _pW/îp2pe5 
Cart.  (IV,  11),  merçees  id.;  graça  For.  S.  (id.  531),  conçelho 
id.  541  ;  serviço  For.  S.  M.  (id.  579),  força  For.  T.  IV  (id. 
608);  receberYoY.  Gr.  (V,  381);  ^nerece  For.  B.  (id.  461); 
coraçonYov.  S.  (IV,  531),  etc.  Il  en  est  de  même  dans  les  mots /<2p<2 
For.  S.  M.  (IV,  hS2)\praço,  façam,  faça  For.  Gr.  (V,  376); 
façades  For.  Gar.  (id.  399J;  façan,  praça  For.  Bej.  (id.  457); 
faço  id.  461.  Mais  on  rencontre  z,  comme  aujourd'hui  dans  les 
moi&razom,  tristezza,  clareza,  Cart.  (IV,  11),  Portuguezes, 
homezio,  vezes  For.  S.  (IV,  531),  fazer,  dizima  id.  533, 
duzentos,  dezasete  id.  539  ;  faziam,  vezinho,  prazo  id.  541  ; 
trezentos,  onze  For.  S.  M.  (IV,  579)  ;  fazemos,  dizima  id. 
580  ;  fazer,  dizer  id.  581  ;  fezer  For.  Gr.  (V,  375)  ;  vizinno 
id.  376  ;  vezinho  id.  379,  vezino  id.  384  ;  doze,  dizer,  juyzes 
id.  378  ;  fazerem  id.  379  ;  juizo  For.  Gar.  (id.  400),  etc.  On 
le  voit,  à  part  quelques  hésitations  de  la  langue,  ç  ei  z  avaient 
au  Moyen  Age  la  même  valeur  qu'aujourd'hui. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  palatale  en  se  transformant 
en  spirante  dentale  est  restée  sourde  au  commencement  des  mots 
en  portugais,  comme  dans  les  langues  du  Nord-Ouest  et  dans 
l'ancien  espagnol.  Ainsi  on  a  : 


—  -147  — 


LAT. 

l'ORT. 

V.   ESP. 

cœcum 

cego 

çiego  pc.  352 

cœlum 

céo 

çielo  B.  SD. 

centum 

cem 

çiento  pc.  291 

certum 

certo 

çierto  b.  sd.  etc 

La  palatale  raédiale  a  donné  naissance,  au  contraire,  à  une 
spirante  sourde,  représentée  par  c{ç),  ou  sonore  représentée  par 
z .  Elle  est  sourde  dans  les  mots  suivants  et  leurs  dérivés  : 


acer(em) 


acer 


*acinni,  aciariuni 

aço 

açeiro 

*  arcionem 

arçâo 

— 

*  bacceam 

bacia 

bacia  a.n. 

bilanciam 

balança 

balança  Gov. 

brachium 

braço 

hraço  pc.  202 

calceas 

calças 

calças  PC 

carcerem 

carcere 

carçel  pc.  340 

canceUare 

cancellar 

— 

concilium 

concelho 

concejo  Ap. 

complicem 

complice 

complice 

*  corticeam 

cortiça 

— 

docilem 

docil 

docil  Gov. 

dulcem 

doce 

dulçe  PC. 

faciem 

face 

— 

facilem 

facil 

facil  A.  N. 

junceam 

junça 

— 

lanceam 

lança 

lança  pc. 

raercedem 

merce 

merçed  pc. 

medicinam 

medicina 

m,edicina 

(ad)minaciam 

a-  meaça 

a-  menaça  Gov. 

officium 

officio 

OffîçiOB.  SM. 

onciam 

onça 

— 

*  panticeam 

pança,  pansa 

pança  a.  n. 

penicellum 

pincel 

pincel  Gov. 

principem 

princepe 

principe  a.  n. 

*  pulicellam 

pucella 

puncella  Sanc. 

*  romancium 

romance 

romance  Ap. 

sacrificium 

sacriflcio 

sacrificio  b.  sm 

suspicionem 

suspeiçào 

— 

vacillare 

vacillar 

vacilar 

vincere 

vencer 

vencer  Gov. 

—  us  — 

ainsi  que  la  plupart  des  dérivés  formés,  à  l'aide  de  préfixes  de  mots 
commençant  par  c,  comme  cima,  ceber,  esp.  cebir,  céder,  ces- 
sar,  etc.  C'est  aussi  naturellement  la  spirante  sourde,  représentée 
par  c{ç),  qu'on  trouve  d'ordinaire  dans  les  mots  de  formation 
savante  ou  récente,  ainsi  dans  acido  et  aceto,  pg.  à  côté  de 
azedo,  acerbo,  acervo,  acerar,  cancer,  décente,  etc. 

C'est  aussi  par  la  spirante  sourde  p  ou  c  que  ti  a  été  remplacé 
en  particulier  dans  les  dérivés  en  antia,  entia,  tio,  tionis,  par 
exemple  dans  agenciar,  alçar,  ancido,  esp.  anciano,  astucia, 
atiçar,  avançar,  pg.  boliço  (*bullitium),  caça,  cançâo,  esp. 
cancion,  carregaçào,  esp.  cargaçon,  carduça,  começar, 
confiança,  coraçon,  criança,  doaçào.,  esp.  donacion,  espaço, 
esp.  espacio,  esperança,  estaçào,  esp.  estacion,  força, 
graça,  justiça,  ligaçdo,  esp.  ligaçon,  onaça,  nuncio,  nup- 
cias,  nutriçào,  esp.  nutricion,  palacio,  preço^  esp.  precio, 
i^g.  preguiça,  {j^igritiam),  peça  (*petiam),  esp.  pieça,  praça 
(*plateam),  es^. plaça,  policia,  service,  esp.  servicio,  silencio, 
terço,  esp.  tercio,  tiçào,  traiçào,  esp.  traicion,  pg.  veaçào 
(venationem),  etc. 

La  palatale  médiale  c  s'est,  au  contraire,  changée  en  sonore 
z  dans  les  mots  suivants  et  leurs  dérivés  : 


LAT. 

V.    PG. 

PG.   M. 

V.  ESP. 

acetum 



azedo 

azedo  Cov. 

*aquivinum 



azemnho 

azebo  a.  n. 

coquinam 



cozinha 

cozina  a.  n. 

cruciare 



cruzar 

cruzar 

decembrem 



dezembre 

deziembreCoY. 

decimum 

dizimoF.s. 

dizimo 

dezimo,dezemo 

decem  sex 

dezaseis 

dezaseis 

deziseis 

decem  septem 

dezasete  F. s. 

dezasete 

— 

dicere 

dizer  Cane. 

dizer 

dezer  PC. 

duodecim 

doze^.GT. 

doze 

doze  A.  N. 

*  dominicellam 

donzella  Cane 

.  donzella 

donzella  a.  n. 

ducere 

— 

duzir 

aduzer  pc. 

ducentos 

duzentosY.^. 

duzentos 

dozientos  a.  n. 

facere 

fazer  f  .  s .  fezerfazer 

fazer  vc. 

jacere 

jazer  Cane. 

jazer 

jazer  pg. 

judicium 

juizo  F.  G. 

juizo 

— 

lucere 

— 

luzir 

luzir  k-ii. 

*  nubenicinam 

— 

nubenzinha 

— 

monticellum 

— 

-- 

montezillo 

undecim 

onze  p.  SM. 

onze 

onze  A.  N. 

placere 
quatuordecim 
quindecim 
*reticinam 
trecentos 
tredecim 
vicinum 


—  U9  — 

prazer  Cane,  prazer 

—  quatorze 

—  quinze 

—  redezinha 
trezentosF.SM.  trezentos 

—  treze 
vezinho  F .  s .      vizinho 


plazer  A.  n. 
catorze 
quinze  pc. 

trezientos  pc. 
treze  a.  n. 
vezino  a.  n. 


ainsi  que  dans  les  dérivés  portugais  en  zinho  et  les  diminutifs 
espagnols  en  zillo  et  zico. 

Si  on  compare  ces  mots  du  portugais  et  de  l'ancien  espagnol 
aux  mots  correspondants  qui  se  trouvent  dans  les  langues  du 
Nord-Ouest,  on  voit  que  la  palatale  c  s'y  est  cliangée  en  général 
en  spirante  sonore  dans  les  quatre  idiomes.  Quant  aux  dérivés  en 
ti,  il  n'y  a  que  les  deux  mots  sazào  et  razào  v.  pg.  et  esp.  sazon 
et  razon,  où  ^z  ait  fait  place  à  une  sonore  dans  les  quatre  langues*; 
les  autres  mots  où  il  y  en  a  une  en  français  et  en  provençal  ont 
une  sourde  en  portugais  ;  par  contre  ti  a  fait  place  à  la  sonore 
z,  en  cette  dernière  langue  et  souvent  en  espagnol,  dans  les 
dérivés  en  itia,  où  ce  suffixe  s'est  changé  en  eza,  transformation 
qu'on  rencontre  parfois  aussi  en  provençal,  quoique  le  plus  sou- 
vent on  y  trouve  la  forme  ess{a),  la  seule  que  connaisse  le  fran- 
çais. Tels  sont  :  pg.  baroneza,  braveza,  pg.  careza,  clareza, 
corteza,  fortaleza,  graveza,  grande za,  pg.  justeza,  lar- 
gueza,  pg.  molleza,  pg.  nobreza,  esp.  nohleza,  proeza, 
riqueza,  pg.  sorpreza,  triste za,  etc. 

On  voit  que  l'accord  le  plus  grand  régnait  autrefois  entre  l'es- 
pagnol et  le  portugais  dans  le  traitement  de  la  palatale  médiale 
et  de  (fz  ;  l'orthographe  et  la  prononciation  modernes  ont,  comme 
nous  verrons,  détruit  cet  accord  au  milieu  des  mots,  mais  il  sub- 
siste, —  du  moins  pour  l'orthographe,  —  encore  à  la  fin. 

Dans  ce  cas,  en  effet,  les  deux  langues  hispaniques  ont  changé 
le  c  palatal  en  z\  parfois  aussi,  mais  rarement,  —  du  moins  en 
portugais,  —  par  s,  qui  prend  d'ailleurs  alors  la  prononciation 
de  z,  c'est-à-dire  que  le  c  palatal  devenu  final  a  fait  place  dans 
les  deux  idiomes  à  une  spirante  dentale  sonore.  Cette  transfor- 

1.  Il  faut  y  ajouter  j)re;ar  pg.  :  ~  à  côté  depreco,  il  est  vrai,  —  dont 
la  spirante  sonore  en  français  est  sourde  ou  sonore  indifféremment  en 
provençal.  Dans  tizon,  H  a  été  au  contraire  remplacé  par  une  spirante 
sonore  en  espagnol,  comme  en  français  et  en  provençal,  tandis  qu'une 
sourde  s'y  est  substituée  en  portugais.  On  trouve  également  criazon  AI. 
14,  3,  pg.  creaçào. 


—  <50  — 

mation  a  eu  lieu  toujours  en  espagnol  et  le  plus  souvent  en  portu- 
gais dans  les  dérivés  formés  à  l'aide  de  l'un  des  suffixes  û^^^r,  alds; 
aux,  aucis  ;  ax,  acis;  ex  et  ix,  ïcis  et  îcis  ;  ox,  ocis  ;  ux, 
ucis;et  trix,  triais  K  Exemples  : 


calcem 

eaz 

— 

falcem 

hoz 

— 

faucem 

hoz 

foz,  fos 

pacem 

paz 

paz 

rapacem 

rapaz 

rapaz 

judïcem 

juez 

juiz 

pumïcem 

pomez 

pomes 

felicem 

feliz 

feliz 

radîcem 

raiz 

raiz 

calïcem 

caliz 

caliz,  calis 

vïcem 

vez 

vez 

ferocem 

feroz 

feroz 

vocem 

voz 

voz 

crucem 

cruz 

cruz 

lucem 

luz 

luz 

imperatricem 

emperadriz 

iD.  17,4 

emperatriz 

nutricem 

nodriz  b. 

SM 

.  19,3 

— 

Au  pluriel  le  portugais  conserve  en  général  le  z  et  par  consé- 
quent la  sonore  du  singulier  ;  ainsi  on  dit  cruzes,  fozes,  Juizes, 
felizes,  raizes,  vozes,  etc.,  l'ancien  espagnol  n'a  pas  toujours 
observé  cette  règle  très-exactement  ;  ainsi  on  trouve  voçes 
dans  le  poème  du  Cid,  etc.  Faut-il  voir  là  une  faute  de  copiste, 
ou  une  marque  nouvelle  de  l'incertitude  où  l'on  semble  avoir  été 
parfois  sur  la  vraie  valeur  de  la  spirante  médiale  ?  Quoi  qu'il  en 
soit,  au  xv!**  siècle  cette  hésitation  n'existait  plus  ;  Antoine  de 
Nébrisse  dans  son  dictionnaire  conserve  au  pluriel  le  z  des  déri- 
vés qui  l'avaient  au  singulier,  et  au  siècle  suivant  C.  Oudin  faisait 
encore  de  cette  conservation  une  règle  de  sa  grammaire. 

Ainsi  dans  l'ancien  espagnol,  comme  dans  le  portugais,  les 
spirantes  sorties  de  la  transformation  de  la  palatale  étaient  dis- 
tinguées en  sonores  et  en  sourdes  ;  mais  quelle  était  au  juste  leur 
valeur,  et  comment  se  fait-il  que,  tandis  que  le  portugais  a  con- 
servé cette  distinction,  l'espagnol  ne  la  connaisse  plus?  Telle  est 
la  double  question  qu'il  me  reste  maintenant  à  examiner. 


1.  Cf.  Romania,  I,  454. 


—  45^ 


^rans formation  de  la  spirante  dentaf^n 
dans  l'espagnol  moderne. 

II  n'y  cl  pas  de  raison  pour  supposer  que  le  c  palatal  se  soit 
transformé  dans  les  langues  hispaniques  autrement  que  dans  les 
autres  idiomes  romans  ;  on  doit  donc  admettre  que  c  a  été  la  pre- 
mière modification  qu'il  ait  éprouvée,  seulement,  comme  dans  le 
groupe  du  Nord-Ouest,  c  dut  bientôt  s'affaiblir  en  ts,  son  qu'il 
avait  certainement  à  l'époque  où  furent  écrits  les  plus  anciens 
monuments  qui  nous  restent  de  l'espagnol  et  du  portugais  ; 
l'emploi  même  de  z,  dont  la  valeur  a  dû  être  d'abord  ts  dans  tout 
le  domaine  roman,  la  substitution,  que  j'ai  signalée  plus  haut, 
de  tz'^  cette  lettre  dans  le  mot  ditz  (Ap.  17,  3),  rimant  avec 
imperadriz,  enfin  la  persistance  du  son  ts  et  dz  jusqu'à  nos 
jours  dans  les  dialectes  du  Nord  et  de  l'Ouest,  tout  prouve  que 
tel  a  dû  être  le  son  qu'avaient  autrefois  c  ei  z  dans  toute  la 
Péninsule.  Mais  comment  ce  son  est-il  devenu  ce  qu'il  est  aujour- 
d'hui dans  les  deux  idiomes  hispaniques  ?  Ici  il  faut  distinguer 
entre  l'espagnol  et  le  portugais.  L'absence  de  documents  ou  de 
témoignages  contemporains  ne  permet  pas  de  rien  préciser  au 
sujet  de  cette  dernière  langue,  mais  cette  circonstance  que  ç  ei  z 
s'y  prononcent  aujourd'hui  comme  en  fi:'ançais  peut  faire  supposer 
qu'ils  s'y  sont  à  peu  près  modifiés  comme  dans  cet  idiome.  La 
question  est  plus  complexe  en  ce  qui  concerne  l'espagnol,  mais 
nous  avons  aussi  plus  de  moyens  de  la  résoudre. 

J 'ai  dit  qu'au  xiii*  siècle  c  et  ^  avaient  probablement  encore 
d'ordinaire  en  espagnol,  comme  en  français,  la  valeur  ts  et  dz  ; 
la  substitution  de  5  à  ^  au  siècle  suivant  dans  les  poésies  de  l'ar- 
cliiprêtre  de  Hita  indique  évidemment  une  modification  de  ce  son, 
lequel,  on  le  sait,  devint  en  français  vers  la  même  époque  ou  un 
peu  plus  tôt  z  de  dz  qu'il  était  auparavant.  Il  en  fut  de  même 
évidemment  pour  c  ;  mais  cette  nouvelle  modification  commençâ- 
t-elle en  même  temps  que  celle  du  z  ?  Cela  est  vraisemblable  ; 
mais  quand  fut-elle  définitive  pour  les  deux  lettres  ?  Il  ne  semble 
pas  que  cela  ait  eu  lieu  avant  le  xvf  siècle.  Il  résulterait  même 
du  témoignage  de  plusieurs  des  grammairiens  de  cette  époque  que 
z  avait  encore  alors  le  son  composé  dz  '.  «  z  se  doit  prononcer,  » 
dit  l'auteur  anonyme,  de  «  La  parfaite  méthode  pour  entendre, 
escrire  et  parler  la  langue  espagnole  S   »  comme  ds,  non  comme 


1.  Un  vol.  in- 18,  Paris  1546.  L'exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale 


—  ^o2  — 

s  ou  double  ss.  »  —  «  z,  disait  encore  Doergangk  en  16J4, 
effertur  Germanico  more  et  quasi  ds,  ut  aspreza,  vel  ut  Italicè 
duo  zz,  ut  alteza,  riqueza,  dulceza,  vezino,  quasi  altedsa, 
aspredsa,  dulcedsa,  vedsino  »  ^  ;  mais  ce  qui  est  plus  surpre- 
nant, c'est  qu'en  même  temps  que  Doergangk  attribue  k  z  la. 
valeur  double  ds,  il  regarde  ç  comme  ayant  la  valeur  de  ss, 
c'est-à-dire  de  s  sourd  :  «  ç  candatum,  dit-il  p.  2,  effertur  ut 
geminum  ss,  ut  caçar,  quasi  cassar,  »  ce  qui  ne  l'empêche  pas 
d'ajouter  plus  loin  :  «  c  caudatum  idem  valet  ut  apud  Italos  uni- 
cum  z.  »  On  a  dans  ces  explications  fantaisistes  du  professeur  de 
Cologne  un  exemple  de  l'incertitude  qui  régnait  encore  souvent 
à  l'étranger  au  commencement  du  xvif  siècle  sur  la  valeur  véri- 
table de  la  p  et  de  la  ^ .  En  Espagne  même  on  ne  s'en  était  pas  tou- 
jours rendu  bien  compte.  L'auteur  de  1'  «  Util  y  brève  institution 
para  aprender  los  principios  y  fundamentos  de  la  lengua  Hes- 
panola,  »  —  publiée,  il  est  vrai,  à  Louvain,  —  donnait  en  1555 
cette  singulière  définition  de  la  ç  :  «  Pronunciase  ç  mas  aspera- 
mente  que  la  5  y  mas  delicadamente  que  si  fuese  z;  de  manera 
que  es  média  pronunciacion  entre  las  dos  y  hace  un  son  templado 
de  las  dos^.  »  Tout  inintelligible  qu'elle  est,  c'était  cette  défini- 
tion que  répétait  encore  en  1565  presque  mot  pour  mot  Soto- 
mayor  dans  sa  «  Gramatica  con  reglas  muy  provechosas  para 
aprender  la  lengua  francesa  »  ^.  Heureusement  nous  avons  de 
cette  même  époque  des  renseignements  plus  précis  et  plus  exacts. 
Dès  1546,  Charpentier,  l'auteur  présumé  de  la  «  Parfaite 
méthode  »,  donnait  de  la  ç  une  définition  qu'on  pourrait  encore 
accepter  aujourd'hui  ;  «ç,  dit-il  p.  5,  avec  une  apostrophe  dessous 
se  prononce  avec  un  doux  sifflement,  en  mettant  le  bout  de  la 
langue  entre  les  dents.  »  Cette  définition  est  entièrement  confir- 
mée par  celles  qu'ont  données  de  la  ç  Juan  de  la  Cuesta  et 
Velasco,  qui  en  même  temps,  ce  que  Charpentier  n'avait  pas  fait, 
nous  indiquent  d'une  manière  claire  quelle  était  alors 
la  vraie  valeur  de  la  z.  «  La  ç,  disait  le  premier  en  1580  "*,  tiene 


que  j'ai  eu  entre  les  mains  porte  écrit  à  la  main  «  N.  Charpentier,  » 
avec  cette  note  «  roué  en  avril  1597.  » 

1.  Institut iones  in  linguam  hispanicam,  p.  21. 

2.  Ensaijo  de  una  bibliotheca  eApahola,  p.  D.  Bart.  José  Gallardo,  I,  857. 

3.  En  Alcala  de  Henares.  «La  ç,  dit-il  dans  son  français  baroque,  fault 
que  se  prononce  ung  peu  plus  pesantement  que  las,  et  plus  doucement 
que  la  z,  modérément  de  sorte  qu'elle  rende  une  voix  tempérée  des 
deux.  » 

4.  Ubro  y  tralado,  p.  7. 


—  ^53  — 

el  sonido  rezio  y  doblado  que  la  ^  y  se  pronuncia  allegando  los 
dientes  algo,  porque  al  tiempo  que  tornemos  a  abrir  los  dientes  se 
haze  de  golpe  el  sonido  deUa  en  la  punta  de  la  lengua  y  en  los 
dentés.  »  Et  plus  loin  ;  «  la  ;2  como  tengo  dicho  tiene  sa  sonido 
mas  floxo  y  se  pronuncia  abriendo  algo  los  dientes  y  metiendo  la 
punta  de  la  lengua  entre  ellos  que  saïga  la  lengua  unpoco  fuera.» 
—  «  El  sonido  de  la  p,  disait  deux  ans  »près  Velasco  ',  se  forma 
con  la  estremidad  de  la  lengua  casi  mordida  de  los  dientes  no 
apretados.  »  Le  son  de  la  z  se  forme  de  la  même  manière,  mais 
«  arrimada  la  parte  anterior  de  la  lengua  a  los  dientes,  no  tan 
apegada  como  para  la  p,  sino  de  manera  que  quede  passo  para 
algun  aliento  o  espiritu,  que  adelgazado  o  con  fuerça  saïga  con 
alguna  manera  de  zumbido  que  es  en  lo  que  diffiere  de  la  p.  » 

Il  ressort  de  ces  définitions  que  la  ç  ei  \d.  z  avaient  vers  la 
moitié  du  xvi^  siècle  un  son  analogue  à  celui  du  th  anglais  ou  du 
0  dans  le  grec  moderne  ;  mais  celui  de  la  z  étant  d'après  Velasco 
accompagné  d'une  espèce  de  bourdonnement,  c'est-à-dire  sans 
doute  de  la  résonnance  produite  par  les  cordes  vocales  au  moment 
de  sa  formation,  ce  son  devait  être  à  celui  de  la  ç  dans  le  rapport 
d'une  sonore  à  une  sourde  ;  c'est,  je  l'ai  montré,  ce  qu'étaient 
pendant  le  Moyen  Age  la  ç  et  la  z,  alors  qu'elles  avaient  respec- 
tivement la  valeur  ts  et  dz.  Mais  comment  la  ç  et  la  ^  en  sont- 
elles  venues  à  prendre  ces  sons  nouveaux  et  ont-elles  passé 
directement  du  son  ts  ou  dz  au  son  0  ou  S  ?  Si  l'on  remarque  que 
les  sons  0  et  S,  c'est-à-dire  les  spirantes  deiitales  proprement 
dites  sont  les  plus  extérieurs  de  la  série  dentale,  on  pourra 
admettre  qu'après  avoir  perdu  la  valeur  ts  et  dz,  la  p  et  la  ^  ont 
pris  d'abord  les  sons  s  ei  z,  —  précisément  ceux  que  semblerait 
indiquer  l'orthographe  du  manuscrit  des  poésies  de  Juan  Ruiz, 
ceux  qu'ont  aujourd'hui  encore  ces  lettres  en  portugais,  —  et 
qu'ensuite  par  un  nouveau  mouvement  en  avant  la  spirante  dor- 
sale ou  alvéolaire  est  devenue  dentale  proprement  dite.  On  pour- 
rait même  voir  dans  les  indications  inexactes  de  quelques  gram- 
mairiens étrangers  du  temps  un  reflet  de  cet  état  intermédiaire, 
à  l'existence  duquel  ils  auraient  encore  cru,  alors  qu'il  avait  fait 
place  à  la  transformation  définitive  en  6. 

Un  autre  fait  non  moins  obscur,  mais  postérieur,  c'est  celui 
de  la  confusion  des  sons  de  la  ç  et  de  la  z,  si  soigneusement  dis- 
tingués par  les  grammairiens  du  xvi^  siècle.  Charpentier  disait 
déjà  en  parlant  de  la  ^  :  «  quelques  Espagnols  la  prononcent 


1.  Orthographia  y  pronunciacion,  citée  par  Diez,  Gram.  l,  364  et  366. 


—  -154  — 

comme  la  ^  »  ;  et  le  soin  avec  lequel  Juan  de  la  Guesta  insiste 
pour  apprendre  à  bien  distinguer  le  son  de  la  ç  de  celui  de 
la  z,  semble  indiquer  aussi  une  tendance  à  les  confondre. 
Il  est  probable  que  cette  tendance  ne  fit  qu'augmenter  ; 
G.  Oudin  dans  sa  Grammaire  déclare  que  la  z  avait  le 
même  son  que  la  cS  et  rapporte  qu'on  écrivait  déjà  souvent 
c  à  la  place  de  z  ;  aussi  il  dut  arriver  qu'à  la  fin  du  xvif  siècle, 
sinon  avant,  on  avait  perdu  le  sentiment  de  toute  difierence 
entre  la  p  et  la  ^  ;  ces.  deux  lettres  devinrent  ainsi  des  signes 
employés  arbitrairement  et  ce  fut  sans  doute  en  partant  de  ce 
fait  —  sans  cela  la  mesure  serait  inexplicable  —  que  l'Acadé- 
mie espagnole  décida,  au  commencement  du  dix-huitième  siècle, 
que  la  c  ne  s'emploierait  que  devant  e  et  i,  la  z  devant  les  autres 
voyelles ,  la  ç  étant  supprimée  dès  lors  comme  inutile  ;  —  réforme 
logique  en  apparence,  mais  qui  a  bouleversé  l'ancien  système 
orthographique  de  l'espagnol,  basé  sur  le  développement  histo- 
rique même  de  la  langue. 

IV°  Transformation  de  la  palatale  en^  etl  dans  les 
dialectes  provençaux  et  ladins. 

L'espagnol  n'est  pas  le  seul  idiome  où  le  c  palatal  se  soit 
changé  en  dentale  proprement  dite,  certains  patois  de  la  Suisse 
romande,  en  particulier  celui  de  la  Gruyère  ^  le  savoyard  et 
quelques  dialectes  ladins  ou  italiens  du  Tyrol,  de  la  Vénétie  et  de 
ristrie  nous  montrent  la  même  transformation  souvent,  il  est 
vrai,  à  côté  de  la  modification  de  la  palatale  en  ts,  dz,  s  ouz^. 
On  ne  peut  douter  que,  comme  en  espagnol,  ces  modifications  ne 
soient  relativement  récentes  ;  et  c'est  là  la  raison  peut-être  pour- 
quoi on  ne  la  rencontre  en  général  que  dans  des  dialectes  qui 

1.  II  dit  bien  que  quelquefois  la  z  se  prononçait  plus  durement  que 
la  ç,  ajoutant  «  comme  notre  z  français  »  ce  qui  est  inintelligible,  s  étant 
plus  doux  que  ç.  On  a  là  encore  une  de  ces  explications  absurdes  si 
communes  chez  les  grammairiens  du  temps. 

2.  Dans  ce  patois  st  se  change  aussi  en  ih,  ainsi  nuçron  (nostrum) 
—  ç  =z  th,  —  içe  (estis),  etc.  Je  dois  ce  renseignement  à  M.  I.  Cornu. 
Cf.  Riv.  di  filol.  rom.  I,  98.  Il  en  est  de  même  d'ailleurs  dans  le  dialecte 
savoyard  de  la  Tarentaise,  ainsi  etheila  (stellam),  ethrangla  (strangulare). 

3.  La  distinction  entre  ces  différents  sons  n'est  pas  toujours  très-rigou- 
reuse; par  ex.  dans  le  dialecte  véronais,  s  prend  souvent  le  son  th,  ainsi 
que  l'indique  cette  règle  de  prononciation  reproduite  par  Ascoli  [Arch. 
glott.  I,  428  en  note),  «  la  consonante  s  si  vuol  pronunciare  corne  si  pro- 
nuncia  ordinariamente  lo  6  dei  Greci  ?  » 


—  -155  — 

ont  conservé  longtemps  leur  indépendance,  tandis  que  les  dia- 
lectes congénères  soumis  plus  tôt  à  l'influence  étrangère,  qui  en 
a  arrêté  le  développement  normal,  ne  présentent  point  le  même 
phénomène.  Une  autre  particularité  de  ces  idiomes,  c'est  que 
contrairement  à  ce  qui  est  arrivé  en  espagnol  ils  ont  conservé 
souvent  la  distinction  entre  la  spirante  sourde  et  la  sonore.  Je 
représenterai  la  première,  qui  est  de  beaucoup  la  forme  la  plus 
fréquente,  par  th,  la  seconde  par  dh.  Voici  quelques  exemples 
du  changement  de  c  palatal  en  spirante  dentale  sourde  th. 


LAT. 

LAD.    OLTRKC. 
COMKL. 

—         VEN.-PIR. 

SAV. 

SUISSE  ROM. 

aciarium 





athié  tar. 



bracchium 



brath 

— 



calceam 

cautha 

— 

tsathe  tar. 



coenam 

thena 

— 

— 



centum 

— 

— 

— 

then  Gr. 

ceram 

thiera 

— 

thera  tar. 

thire  Gr. 

cerasum 

— 

— 

thriget  tar. 

— 

cernere 

thème 

— 

— 

— 

cinque 

— 

— 

thin  tar. 

— 

cercare 

therca 

— 

— 

— 

cœlum 

— 

— 

thiel,  thié  tai 

— 

cervum 

— 

— 

— 

thè  Gr. 

cilium 

theje 

thee  z. 

— 

— 

cinerem 

thendre 

thendre  z 

— 

— 

dulcem 

dolthe 

— 

— 

— 

faciem 

— 

— 

— 

fathe  Gr. 

facio 

fatho 

— 

— 

— 

falcem 

fauthe 

— 

— 

— 

glaciam 

gatho,  getha  Com. 

— 

— 

pacem 

pathe 

— 

— 

— 

panticem 

— 

pantha 

panthe  tar. 

panthes 

processum 

i          — 

— 

— 

prothe  Gr 

unciam 

— 

— 

onthe 

— 

viciam 

— 

— 

vithe  tar. 

— 

vicium 

— 

— 

vithio  tar. 

— 

vincere 

vinthe 

venthe  z. 

— 

— 

A  cette  liste  il  faut  ajouter  les  mots  suivants  du  patois  poite- 
vin de  Melle  ^^to  (ecc'hoc),  thiel  (écc'illum),  et  leurs  dérivés*. 


1.  Beauchet-Filleau,  Essai  sur  le  patois  poitevin,  s.  v.  thiau. 


—  <56  — 

Comme  cela  est  naturel  H  a  été  souvent  traité  de  même  dans 
ces  dialectes  ;  on  a  par  ex.  : 

cantionem          —                —                —  tsanthonoY. 

fectionem           —                —        fathoniar.  — 

fortiam              —        fortha        fourthe  tar.  — 

—  giustithia           —  — 

—  mathar               —  — 


justitiam 
*matiare 
nuptias 
scientiam 


scient  he  tar. 


nothe  Gr. 
—  etc. 


On  trouve  également  th  à  la  place  du  c  vélaire  devenu  palatal 
par  le  changement  de  la  voyelle  suivante,  par  ex.  amithi,  por- 
thei,  etc.,  dans  le  dialecte  vénitien  d'entre  «  l'alto  Bacchiglione 
e  l'alta  Livenza  ». 

Au  milieu  des  mots  la  spirante  dentale  est  souvent  sonore, 
cela  a  lieu  en  particulier  dans  le  dialecte  istrien  de  Pirano,  et 
parfois  aussi  dans  les  dialectes  savoyards.  Exemples  : 


LAT. 

acetum 
acinura 
crucem 
^cocere 
decem 
duodecim 
laricem 
pacem 
placere 
picem 
pollicem 
pulicem 
vocem 


COM. 


piadhe 


adhedo 

— 

adheno 

— 

crodhe 

— 

codhi 

— 

diedhe 

— 

— 

dodhe  Ch. 

laredhe 

— 

padhe 

— 

pidhe 

— 

— 

poudhe  tar, 

— 

pidhe  Ch. 

vodhe 


1.  Cf.  Asc.  Archiv.  glottolog.  pass.  —  Pont,  Origines  du  patois  de  la  Ta- 
rentaise.  —  BrideJ,  Gloss.  du  patois  de  la  Suisse  romande.  —  N.  Délius  (Der 
Sardinische  Dialekt,  p.  6)  a  admis  que  le  c  palatal  transformé  avait  pu 
avoir  au  xiii'  siècle  le  son  9  dans  le  sarde  logodorien,  parce  qu'on  l'y 
trouve  souvent  représenté  par  th;  je  crois  qu'il  y  a  là  une  erreur;  il 
n'est  pas  probable  d'abord  qu'aucune  langue  romane  ait  eu  aussitôt  le 
son  9;  ensuite  si  le  sarde  avait  connu  autrefois  ce  son,  on  ne  voit  pas 
comment  il  l'aurait  perdu  pour  prendre  celui  de  s  ou  ts,  attendu 
que  9  dérive  sans  peine  de  s  ou  de  ts,  mais  qu'on  ne  comprend  pas 
comment,  au  contraire,  ces  sons  pourraient  en  sortir.  Aussi  il  me  semble 
qu'il  ne  faut  voir  dans  ce  signe  ih  qu'une  manière  de  représenter  le  son 


—  ^57  — 

^changement  du  c  palatal  en  G  et  en  S  épuîs^TsSrîe  de  ses 
transformations  en  spirante  dentale.  Reste  maintenant  à  étudier 
son  affaiblissement  en  i  consonne  ou  même  en  i  voyelle  et  sa 
suppression.  Ce  sera  l'objet  du  chapitre  suivant;  j'y  joindrai 
l'étude  de  la  transformation  du  c  palatal  en  spirante  malgré  la 
suppression  de  la  voyelle  qui  le  suit,  ainsi  que  celle  du  dévelop- 
pement du  son  i  par  son  voisinage. 


CHAPITRE  VIII 

ASSIBILATION   ANOMALE   DU   C   PALATAL,  —  SA   TRANSFORMATION 
EN   I   ou   EN   U,  —  SA    SUPPRESSION. 


F 


Bien  que  l'assibilation  du  c  soit  particulière  aux  idiomes  du 
double  groupe  occidental^  et  ne  se  rencontre  pour  les  langues 
du  groupe  oriental  que  dans  les  dialectes  ou  quelques  formes 
particulières,  il  est  un  cas  cependant  où  elle  paraît  avoir  lieu, 
—  quoique  le  feit  se  présente  surtout,  il  est  vrai,  dans  les 
langues  du  Nord-Ouest  —  indistinctement  dans  tous  les  idiomes 
romans,  c'est  celui  où  par  suite  de  la  suppression  d'une  voyelle 
atone  le  c,  tout  en, persistant,  se  trouve  immédiatement  suivi 
d'une  consonne  autre  que  Z  ou  r^.  Ainsi  dans  *  amicitaiem  la 
chute  de  Vi  bref  protonique  ayant  donné  amic'tatem,  le  c  s'est 
changé  en  5,  et  on  a  eu  en  italien  amistà,  esp.  amistad,  prov. 
amistat,  v.  fr.  amisted,  fr.  mod.  amitié.  De  même  decimam 
devenu  dec'mam,  a  donné  en  français  disnie,  cliangé  ensuite 
en  dîme.  En  français,  on  le  voit,  1'*,  assibilation  duc,  a  fini  par 
tomber.  En  provençal,  par  suite  de  la  chute  du  t,  qui  a  lieu 
régulièrement  à  la  troisième  personne  singulier  du  présent  de 
l'indicatif  et  souvent  aussi  à  la  troisième  personne  singulier  du 
parfait,  le  groupe  c't  s'est  changé  dans  ce  cas,  non  en  st,  comme 
dans  amistad,  mais  en  tz,  lequel  s'est  réduit  parfois  kzou.  même 
à  s,  ou  encore  a  fini  par  disparaître  ;  c'est  ainsi  que  fecit  {fec't) 


ts,  qu'on  trouve  d'ailleurs  à  côté  de  th  sous  sa  forme  naturelle  s,  laquelle 
a  persisté  jusqu'à  nos  jours. 

1.  Dans  le  groupe  cV  la  transformation  du   c  en  spirante   n'a  lieu 
qu'exceptionnellement;  je  n'en  connais  pas  d'exemple  dans  le  groupe  c'I. 


—  458  — 

est  devenu  dans  cette  langue  fetz^  fez,  fe. 
exemples  d'assibilation  ainsi  produite  ^  : 


Voici  quelques 


LAT. 

*  ac(e)rem 
'  amic(i)talem 

dic(i)l 

dec(i)raum,  am 
'  dec(oe)nare 
fec(i)l 
fec(e)runt 
jar(e)t 
jac(i)lam 
lic(e)t 

mendic(i)tatem 

plac(e)t 

tac{e)l 


amistà 


ESP. 

asre* 
amistad 


diezmo 


PROV.  V.    FR. 

—  esr  (arbre) 
amistat        amisted, 

amistié 
ditz,  diz,  di  dist  R. 

—  dlsme 
disnar,  dinar  disner 

fist 
fisdrent 


feiz,  fez 
jatz,  jaz 


FR.    MOD. 

ér(able) 
amitié 

dit 

dîme 

dîner 

fît 

firent 

gît 

gîte 


—         letz,  lez 


gist 

giste 

loists.B.  567.      — 

lezs.L.  16,3 
—         mendisted  '         — 
jilatz,  plaz  plaistu.vM7&  plaît 
tatz,  lai        taist,lest*'       tait 


Dans  le  français  fis{d)rent  (fecerunt)  c,  quoique  suivi  de  r, 
s'est  changé  en  s  ;  il  en  a  été  tout  autrement  en  provençal  ;  fece- 
runt avec  e  atone  (fec'runt)  s'y  est  changé,  d'après  un  procédé  de 
formation  que  j'expliquerai  au  groupe  cr,  en  feiron. 


IP 


Comme  le  c  vélaire,  le  c  palatal  peut  se  résoudre  en  i.  Ce 
changement  est  fréquent  pour  le  g  palatal,  et  peut  avoir  lieu  au 
commencement  et  au  milieu,  comme  à  la  fin  des  mots.  Les  dia- 
lectes du  Sud  de  l'Italie  et  l'espagnol  nous  offrent  un  certain 
nombre  d'exemples  du  changement  du  g  palatal  initiaient  ou^  ; 
ainsi  : 


LAT. 

gelu 

NAP. 

jelo 

SIC. 

jelu 

ESP. 

yelo 

gemmam 

— 

— 

yema 

generum 

jennero 

— 

yerno 

genistam 

— 

jinestra 

— 

gentilem 

jentile 

— 

— 

1.  Le  roumain  connaît  aussi  ce  mode  de  transformation,  mais  le  c  y  est 
représenté  par  s  non  par  5  ;  ainsi  dihne  (decimam). 

2.  Diez,  Etym.  Wœrt.  s.  v.  acero. 

3.  Tanz  riches  reis  cunduit  a  mendisted.  Roi.  40,  8. 

4.  Mes  plus  se  test  qu'il  ne  convient.  Grest.  Conte  del  Graal.  B.  Chrest., 
144,  31. 


genuculum 

gypsum 


-(59  — 

jinocchiu 
jissu 


yeso^ 


Au  milieu  des  mots  g  tombe  le  plus  souvent,  mais  il  se  change 
parfois  en  ?/  ;  en  voici  quelques  exemples  : 


fugientem  fojentenQ:^.fuyente  — 

legem         le  je  nap.             —  — 

legendam           —        leyenda  — 

magis         maje  nap.           —  — 

reginam     reina^.       reina  reyna 

sagittam     ««/e^^anap.        —  sajeta 


fuyant 


mais 
reine 
saeite  v.^. 


A  la  fin  des  mots  cette  transformation  de  ^  en  y  se  rencontre 
dans  tous  les  idiomes  de  l'Ouest  ;  ainsi  on  a  : 


LAT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

legem 

ley 

ley 

lei 

loi 

regem 

rey 

rey 

rei 

roi 

fugit 

— 

— 

fui 

fuit,  etc 

Contrairement  à  ce  qui  a  lieu  pour  le  g  palatal  et  pour  le  c 
vélaire,  le  c  palatal  ne  se  change  ordinairement  en  y  ou  i  qu'à  la 
fin  des  mots  ^  ;  cette  transformation  a  lieu  en  particulier  en  fran- 

1.  Wentr.  Beiir.  zur  Kennt.  der  neap.  u.  sic.  Mund.  p.  13-161.  —  Diez, 
Gram.  I,  270.  Comme  l'e  tonique  bref  ou  en  position  devient  ie  en  espa- 
gnol, on  peut  se  demander  si  dans  les  mots  yelo,  yerno,  etc.,  il  n'y  a 
point  eu  simple  chute  du  g,  ye  représentant  alors  seulement  la 
voyelle  e  transformée;  je  crois  néanmoins  qu'il  vaut  mieux  regarder  ye 
comme  le  résultat  de  la  fusion  de  y  =  g»  et  de  la  diphthongue  ie  prove- 
nant de  e,  hypothèse  que  confirme  l'analogie  des  formes  congénères  des 
dialectes  italiens  et  cette  circonstance  que  le  g  initial  n'est  point  tombé 
en  général  en  espagnol,  mais  qu'il  y  est  représenté  par  h,  comme  dans 
hermano,  et  même  dans  hielo,  Mémo,  formes  qui  existent  à  côté  de  yelo, 
yerno. 

2.  Quand  le  g  est  suivi  d'un  i  accentué,  comme  dans  reginam,  cet  i 
devant  persister,  il  est  impossible  de  dire  s'il  y  a  eu  simple  chute  du  g, 
ou  transformation  de  cette  gutturale  en  y  (i),  suivie  de  la  fusion  de  cet 
y  (i)  avec  1'/  étymologique;  quand  Vi  est  bref  et  atone,  au  contraire,  par 
exemple  dans  fugientem,  comme  il  tombe  en  général,  on  peut  bien  voir 
dans  l'y  de  fuyente,  fuyant,  le  résultat  de  la  transformation  du  g  primi- 
tif; à  moins  encore  qu'on  ne  préfère  admettre  qu'il  y  a  eu  partout  chute 
du  g,  —  ce  que  j.e  ne  crois  pas,  —  et  ne  voir  dans  y  qu'une  voyelle 
intercalaire  destinée  à  éviter  l'hiatus. 

3.  Il  est  difficile,  en  effet,  de  dire  si  Vy  des  mots  catalans  deya  (dice- 
bat),  feya  (faciebat)  représente  le  c  médial  qui  s'y  trouve.  Quant  au  c 


—  HO  — 

çais  à  la  première  personne  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes 
f'ai{s)  {{acio);  plai{s)  (placeo),  etc.  Elle  semble  aussi  avoir  lieu  en 
provençal  à  la  troisième  personne  singulier  dans  les  formes  fai 
{facit),  j'ai  (jacet),  plai  (placet),  etc.  ;  mais  il  est  plus  exact,  je 
crois,  de  les  regarder  comme  venant  de  fac't,  jac't,  plac't, 
avec  c  vélaire,  lesquelles  ont  donné  régulièrement  après  le  chan- 
gement ordinaire  de  ce  c  en  i  et  la  chute  du  t  :  fai,  jai,  plai  ; 
les  formes  fac(i)t,  jac(e)t,  plac(e)t,  au  contraire,  avec  le  c  palatal, 
ont  donné,  comme  nous  avons  vu  plus  haut  :  fatz,  jatz,  platz  ^ 
Au  lieu  de  i  on  trouve  en  catalan  u  substitué  au  c  palatal, 
par  exemple  dans  cy^eu  (crucem),  diu  (dicit),  feu  (fecit),  nou 
(nucem),  pau  (pacem),  veu  (vocem).  Mais  je  remets  à  parler  de 
ce  changement  si  étrange  au  chapitre  suivant  où  j'étudierai  la 
substitution  des  labiales  aux  gutturales. 

iir 

Enfin,  comme  le  c  vélaire  encore,  le  c  palatal  peut  tomber. 
Cette  suppression  a  eu  lieu  fréquemment  pour  le  g  palatal  sur- 
tout au  milieu  des  mots,  par  ex.  dans  : 


LAT. 

IT. 

ROUMANCHE         ESP.-PG. 

PR. 

FR. 

cogitare 

coitare 

quitar           ciiidar 

cuidar 

aiider 

digitum 

dito 

—         dedo 

det 

— 

frigidum 

freddo 

—         frio 

— 

— 

intelligere 

— 

antallir  Ob.          — 

— 

— 

originem 

— 

—                  — 

— 

orine  S.B, 

sagiltam 

saetta 

saetta  E.       saeta 

saeta 

— 

trigenta 

trenta 

trenta           treinta,trinta  trenta 

trente 

ainsi  que  dans  les  autres  noms  de  dizaine. 

A  la  fin  des  mots  g  tombe  parfois  en  italien,  tandis  qu'il  se 
change  en  y{i)  dans  les  langues  du  double  groupe  occidental,  par 
exemple  dans  : 


—       reij 


Mais  cette  suppression,  on  le  voit,  est,  même  au  milieu  des  mots, 


initial,  je  ne  connais  son  changement  en  ij  (j)  que  dans  jisterna  sic.  (cis- 
ternam). 

1.  Dans  les  mots  français  plaire,  taire,  ce  n'est  pas  non  plus,  à  vrai  dire, 
un  c  palatal,  mais  le  c  vélaire  de  plac're,  tac're  qui  s'y  est  changé  en  i. 
Voir  plus  loin  Liv.  IV,  ch.  VI.  Il  en  est  de  même  de  plaid,  esp.  pleito; 
qui  vient  non  de  plac{i)tum,  avec  c  palatal,  lequel  aurait  donné  plaist  en 
français,  plezdo  en  espagnol,  mais  de  i:ilactum,  avec  c  vélaire,  lequel 
changement  de  c  en  é  donne  régulièrement  plaid  et  pleito.  Voir  Liv.  IV, 
chap.  VIII. 


—  ^6^  — 

assez  rare  ;  elle  l'est  bien  plus  encore  pour  le  c  palatal.  Voici 
cependant  quelques  exemples  où  c  médial  en  latin  est  tombé  : 


dicere 

dire 

— 

— 

far 

dire 

facere 

fare 

— 

fer  p,  c* 

— 

— 

faciunt 

— 

feent 

— 

fan 

font 

hirpicem 

— 

{ï)erpi 

— 

— 

— 

recipere 

— 

— 

— 

rebre  cat. 

— 

Il  est  peut-être  aussi  tombé  en  catalan  dans  dehemhre  (decem- 
brem),  vehi  (vicinum),  etc.  où  17^  pourrait  bien  n'être  destinée 
qu'à  éviter  l'hiatus  ^. 

A  la  fin  des  mots  la  chute  du  c  palatal  est  encore  plus  rare  ;  en 
efiet,  ou  il  s'y  transforme  en  spirante,  ou  il  y  est  remplacé  par  i 
ou  u.  Les  quelques  exemples,  comme  fa  (facit)  pr. ,  di  (dicit)  id. , 
dit  fr.,  etc.,  où  il  a  disparu,  ne  sont  même  le  plus  souvent  que 
des  affaibhsseraeuts  de  formes  plus  complètes  ;  ainsi  di  de  dii  ou 
ditz,  dit  de  dist,  etc. 

lyo 

Non-seulement  le  c  palatal  peut,  comme  le  c  vélaire,  se  chan- 
ger en  i,  mais  il  paraît  aussi,  comme  lui,  pouvoir  donner  nais- 
sance au  son  i  par  son  voisinage.  Quand  le  c  est  vélaire,  on  peut 
supposer,  comme  je  l'ai  dit,  que  le  son  i  s'est  développé  à  sa 
suite  pour  donner  ki  et  qu'ensuite  Vi  de  ce  son  complexe  a  été 
préposé  à  la  gutturale  ;  dans  le  cas  du  c  palatal,  la  transforma- 
tion de  celui-ci  rend  l'explication  plus  difficile  ;  le  plus  simple,  je 
crois,  est  d'admettre  que  la  spirante  née  de  cette  transformation, 
possède  elle  aussi  la  faculté  de  développer  le  son  i,  qui  vient  se 
joindre  à  la  voyelle  précédente  pour  la  modifier  ou  la  changer 
en  diphthongue.  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  quelques  exemples  de  ce 
phénomène  phonétique  si  curieux  ;  on  ne  le  rencontre  que  dans 
le  double  groupe  occidental  et  le  plus  souvent  dans  le  voisinage 
de  cs{x)  3. 


LAT. 

acidum 
axem, 


eœe 


PO.  PR.-LAD. 

—        aisch  roum. 
(?2a7o(*axum)        — 


ais 


1.  La  chute  du  c  est  plus  apparente  que  réelle  dans  fer;  en  effet  e 
étant  égal  à  ai,  dont  ïi  représente  le  c  de  facere,  celui-ci  se  trouve  dans 
le  fait  représenté  dans  l'e  de  fer.  On  peut  en  dire  autant  du  roumanche 
feent. 

2.  Voir  chap.  suivant,  III». 

3.  Cf.  Liv.  VI,  ch.  VII. 

\\ 


462  — 


axillam          — 

— 

aissella 

aisselle 

exilium           — 

— 

eissil 

— 

fascem           — 

feiœe 

faissa 

faix 

fraxinum    fresno 

freixo 

fraisse 

fraisse  v. 

maxillam    mexilla 

— 

maissella 

maisselleY 

paxillum         — 

— 

— 

paisseau 

pacem            — 

— 

paisch  roum. 

paix 

piscem       peœe 

peixe 

peisson 

poisson,  etc, 

C'est  par  là  que  je  termine  l'étude  des  transformations  du  c 
palatal  dans  son  passage  du  latin  au  roman  :  elles  ont,  comme 
nous  avons  vu,  pour  point  de  départ  son  changement  en  c,  con- 
servé ou  affaibli  successivement  en  l,  z  ou  encore  ents',  ç  ou  s, 
2  ;  6,  g.  Dans  le  livre  suivant  j'étudierai  les  changements  analo- 
gues du  c  vélaire,  présentés  surtout  par  les  idiomes  du  Nord- 
Ouest.  Mais  avant  d'aborder  cette  question  si  curieuse  et  encore 
si  peu  étudiée,  il  me  faut  examiner  la  substitution  réelle  ou  appa- 
rente des  labiales,  de  i^  et  de  n  à  c  soit  vélaire,  soit  palatal. 

Ce  sera  l'objet  du  chapitre  suivant  qui  servira  ainsi  de  complé- 
ment aux  deux  premiers  livres  de  ce  travail. 


CHAPITRE    IX 

SUBSTITUTION    DES   LABIALES  P,  B,  F,  V,  U,  DE  H  ET  DE  N 
AU    C    VÉLAIRE    OU    PALATAL. 

P  Substitution  des  labiales  à  la  gutturale. 

Quelque  différentes  que  soient,  physiologiquement  parlant,  les 
gutturales  et  les  labiales,  elles  ne  s'en  substituent  pas  moins 
les  unes  aux  autres.  Presque  toutes  les  langues  indo-européennes 
en  fournissent  des  exemples  ;  ainsi  le  sanskrit  et  XezenàpanHan, 
grec  TuévTs,  cymrique  pi^np,  lithuanien  penki,  slavon  petï, 
gothique  fimf,  à  côté  du  latin  quinque  et  du  vieil  irlandais  cdic  ; 
de  même  le  sanskrit  et  le  zend  paU-anu,  grec  rAr.-iù,  slavon 
p'ek-a,  comparés  au  lithuanien  kep-û  et  au  latin  coq-uo  ;  le 
grec  Pi-^vî-jj-i  à  côté  du  sanskrit  gi-gà-mi  ;  le  sanskrit  gara  et  le 
grec  Pap6  ;  le  sanskrit  gau  et  le  latin  bos,  grec  ^ouç*,  etc.  Ces 


1.  Schleicher,  CoTm.]^.  d.  vergl.  Gram.  pass.  —  Grimm.  Gesch.  d.  deutsch. 
Spr.  1»,  243. 


—  463  — 

permutations  entre  les  gutturales  et  les  labiales  se  rencontrent 
aussi  dans  les  dialectes  grecs,  par  exemple  r/aoç  [Ehj.m.)  à  côté 
de  ÎTr-oç.  Il  en  est  de  même  dans  les  dialectes  italiques  ;  ainsi  le 
latin  quis  avait  pour  équivalent  en  ombrien  pis,  à  quod  répon- 
dait jOMC?,  quatuor  se  disait  en  OB({\jiQ  pétera,  en  omhvienpetur  ; 
à  gmmjfwe  répondait  l'ombrien  pomptis  ;  àdiH^  la  langue  clas- 
sique elle-même  pe  était  parfois  remplacé  par  ce,  par  exemple 
quippe  à  côté  de  ecce,  etc.  Quand  la  gutturale  primitive  est  g, 
elle  peut  même  avoir  v  pour  équivalent,  comme  on  le  voit  en 
comparant  la  racine  sanscrite  g  a  et  le  latin  venir  e,  gr  eivorare 
(grec  ^i-^pwcy.w),  ningere  et  nives^. 

Les  idiomes  romans,  qui  reproduisent  les  phénomènes  les  plus 
importants  de  la  phonétique  indo-européenne,  nous  offrent  des 
faits  analogues  de  transformation,  et  on  y  rencontre  des  exem- 
ples de  substitution  de  la  série  complète  des  labiales  explosives 
et  spirantes  à  la  gutturale  vélaire  ou  palatale  sourde  ou  sonore. 

Ainsi  en  roumain  c  se  change  réguhèrement  en  p  dans  le 
groupe  et;  mais  ce  changement  peut  aussi  avoir  lieu  au  commen- 
cement ou  au  milieu  des  mots,  —  devant  une  voyelle,  —  surtout 
quand  la  gutturale  est  représentée  par  qu  ou  gu.  Dans  le  sarde 
logoudorien,  c'est  en  h,  non  enp  que  la  transformation  a  lieu  ;  et 
d'autres  fois  en  roumain  et  aussi,  quoique  isolément,  en  français, 
c'est  /"qui  s'est  substitué  à  la  gutturale,  ou  même,  du  moins  dans 
le  vieux  français,  vouw^.  On  a  ainsi  toute  la  série  des  labiales  ; 
un  dernier  terme  manque  encore,  Yu  ;  nous  verrons  qu'il  peut 
aussi  comme  ^^,  dernier  terme  delà  série  gutturale,  se  substituer 
au  c. 

Les  exemples  suivants  permettront  de  se  faire  une  idée  compa- 
rative de  ces  curieuses  transformations.  Considérons  d'abord  le 
cas  où  la  gutturale  latine  est  suivie  de  u  et  d'une  autre  voyelle. 


LAT.     q 

P 

b 

f                           V                          10 

aquilam 

— 

abila  s. 

log. 

—                 _                 — 

aquam 

ape  roiim. 

abba  s. 

log. 

—           eave,  eve\.f.ewe\.  f.  l.  r 

anliquum 

— 

— 

antif  V.  fr.           —                — 

antiquam 

— 

— 

—           antive  v.  fr.         — 

aequalare 

— 

— 

—                 —           ewier  s.  b. 

aeqiialem 

— 

— 

—                 —          ewal  s.  B. 

equam 

eap§  roum. 

ebba  s. 

log. 

—           tjve  V.  fr.            — 

1.  Fr.  Baudry,  Gramm.  comp.  111  et  112. 

2.  Je  parlerai  plus  loin  de  la  substitution  de  f  et  de  v  aux  spirantes 
dentales,  résultant  de  la  transformation  de  la  gutturale.  V.  Liv.  III, 
ch.  II. 


—  ^64  — 

quadragintâ           —           baranta  id.  — 

quatuor          patru  roum.  battor     id.  — 

quindecim             —           bindeghi  id.  — 

qui  a  que                 —           quimbe    id.  — 


De  même  gu  suivi  d'une  voyelle  fait  place  à  b,  ainsi  : 


anguillam 
inguinam 
linguam 
sanguinem 


limbe  roum. 


ambidda  s.  log. 
imbena       id. 
limba  id. 

sambene      id. 


On  trouve  également  la  gutturale  vélaire,  suivie  d'une  seule 
voyelle  ou,  en  roumain,  d'une  consonne  dans  le  groupe  et,  rem- 
placée par  une  labiale,  ainsi  : 


acucleonem          — 

— 

âcuclam                 — 

— 

"avicam                  — 

— 

cattum                  — 

battu  s.  log. 

colligere               — 

boddire  id. 

cultellum              — 

bultedduià. 

facluram        fepture  roum.      — 

lecticam         leptice  roum.        — 

De  même  avec  la 

sonore  b  : 

gulam 

gustuni 

*gutteum 

awillon  s.  b. 
aweie  w. 
awe  w. 


leftice  roum. 


bula  s.  log. 
bustu  id. 
buttiu  id.^ 


Dans  le  groupe  gn  le  seul  où,  étant  suivi  d'une  consonne,  il 
se  transforme,  gdi  même  fait  en  roumain  place  à  m,  la  résonnante 
labiale,  par  exemple  : 


lignum 
signum 


lemn  roum. 
semn    id. 


La  palatale,  —  la  sonore  du  moins,  je  n'en  connais  point 
d'exemple  pour  la  sourde,  —  a  subi  des  transformations  analo- 
gues ;  ainsi  : 


gelare 

gelu 

generum 


belare     s.  log. 
belu  id. 

benneru     id. 


1.  Spano,  Ortog.  sarda,  pass. 


^65  — 


*genuclum 
ginestrum 


bennuju     id. 
binistro      id.    etc. 


Enfin  on  trouve  dans  le  dialecte  roumain  du  Sud  et  dans  les 
dialectes  méridionaux  de  l'Italie  des  exemples  de  transformation 
inverse,  c'est-à-dire  du  changement  de  la  labiale  en  gutturale. 
Ainsi  : 


LAT. 

ROUM.    SEPT. 

ROUM.    MKR. 

pectus 

piept 

chiept 

pellem 

piele 

chiele 

perdo 

pierd 

chierd 

perire 

pier 

chier 

petram 

piètre 

chietre 

picum 

pic 

chic 

pilam 

pine 

chine 

> 

*  piperem 

piper 

chiper 

On  trouve  également  : 

bubalum 

bivol 

ghihol 

vitellum 

vitzel 

ghitzel  ^ 

Il  en  est  de  même  en  napolitain  et  en  sicilien  pour  pi  provenant 
de  pi  modifié  ;  par  exemple  : 


LAT. 

TOSCAN. 

NAP. 

SICIL. 

cap(u)lam 

coppia 

cocchia 

cucchia 

explicare 

spiegare 

schiejare 

— 

plagam 

piaga 

chiaja 

chiaga 

planum 

piano 

chiano 

chianu 

plantam 

pianta 

chianta 

chianta 

planctum 

pianto 

chianto 

chiantu 

plateam 

piazza 

chiazza 

chiazza 

plénum 

pieno 

chieno 

chinu 

plumbum 

piombo 

chiummo 

chiummu 

plus 

piu 

chiu 

chiu 

pop(u)lum 

— 

chiuppo 

chiuppu 

De  même  bi  provenant  de  bl  donne  parfois  naissance  à  gh, 
mais  le  plus  souvent  b  tombe  et  i  se  change  enjot.  Ainsi  : 


blancum 


bianco 


janco 


jancu 


1.  De  Gihac,  Bict.  d'étym.  daco-romane.  s.  v. 


—  ^66  — 

—  biondo  junno  junnu 

nebulam  nebbia  —  negghia^ 

Comment  expliquer  ces  transformations  ?  Pour  les  mots  où  la 
gutturale  est  représentée  par  qu  ou  gu  suivi  d'une  voyelle,  rien 
de  plus  simple,  à  ce  qu'il  semble  ;  Vu  de  qu  ou  gu  s'est  changé 
en  consonne  et  a  donné  ainsi  qv  et  gv,  groupes  qui  ont  ensuite 
perdu  leur  q  ou  leur^  ;  certains  idiomes,  le  français  entre  autres, 
s'en  sont  tenus  à  ce  premier  changement  ;  d'autres,  au  contraire, 
comme  le  roumain  et  le  sarde,  ont  transformé  la  spirante  v  en 
explosive,  —  modification  commune  dans  ces  deux  idiomes,  ainsi 
que  le  montrent  les  moisbentu  (ventum)  s.  log.,  berme  (ver- 
mem);  id.,  besice  (vesicam),  serbà  (servare)roum.  ;  —  sourde, 
quand  q  préexistait  comme  dans  le  roumain,  sonore  quand  il  y 
avait  un  g  étymologique,  ou  que  le  q  primitif  s'était  changé 
en  cette  sonore.  C'est  ainsi  que  l'on  a  pour  le  roumain  ape,  par 
exemple,  la  série  des  transformations  successives  : 

aquam  aqva{m)         a[q)pa         ape 

et  pour  le  sarde  logoudorien  àbba  : 

aquam  aguam  agva{m)    a{g)ba    abba. 
En  vieux  français  on  a  : 
aqudm  {aguam),  ag{v>)a,  ave,  eave  ou  eve,  enfin  ewe. 

On  expliquerait  de  la  même  manière  le  sarde  abila,  ebba, 
ambidda,  etc.,  le  roumain  eape,  patru,  limbe,  ;  le  vieux  fran- 
çais antive,  ewal,  yve,  etc.  Quant  à  antif,  1'/" s'est  substitué  au 
V  qui  ne  peut  être  final  dans  notre  langue  ^. 

La  transformation  est  plus  difficile  à  expliquer  quand  k  ou  g 
sont  suivis  d'une  seule  voyelle  ;  M.  Ascoli,  dans  ses  «  Leçons  de 
phonologie  comparée  ^  »  a  montré  que  la  gutturale  sourde  ou 
sonore  primitive  pouvait  développer  après  elle  le  son  de  i  ou  de 
u  ;  dans  le  premier  cas  la  gutturale  devient  palatale,  si  elle  ne 
l'était  déjà,  ou  même  se  transforme  en  la  série  c  ;  dans  le  second, 
ou  Yu  ainsi  développé  persiste,  et  alors  la  gutturale  ne  change 
pas,  ou  bien  il  se  transforme  en  spirante  ou  en  explosive  labiale, 
et  alors,  la  gutturale  tombant,  elle  se  trouve  définitivement  rem- 
placée par  une  labiale^.  On  trouve  dans  les  dialectes  sardes  un 

1.  Wentrup,    Beilr.    zur    Kenntn.  der  neapol.  Mund.  p.  U.  —  Id.    Sicil. 
Mund.  {Herrigs  Archiv.  XXV,  157.) 

2.  Cf.  G.  F.  Ascoli,  Studj  critici,  p.  20. 

3.  G.  F.  AscoJi,  Lezioni  di  foîiol.  comp.  p.  76,  133. 

4.  Nous  avons  vu  et  nous  verrons  de  nombreux  exemples  du  dévelop- 


—  <67  — 

exemple  qui  montre  comment  ces  formes  ont  pu  se  substituer  les 
unes  aux  autres,  c'est  ghettare  (it.  gettare)  à  côté  duquel  on 
rencontre  gueitare  et  enfin  le  logoudorien  bettare,  la  série  des 
transformations  est  ainsi  : 

ghettare  guettare  gvettare  bettare. 

On  expliquerait  de  même  la  formation  des  autres  mots  du  sarde 
logoudorien  ;  pour  le  wallon  aweie,  au  contraire,  il  faut  mieux 
admettre,  je  crois,  qu'après  le  changement  de  cl  en  il  ou  ez,  Vu 
de  eu  se  trouvant  suivi,  non  plus  d'une  consonne,  mais  d'une 
voyelle,  s'est,  conformément  à  ce  que  j'ai  dit  précédemment, 
changé  euv  ovlWjCQ  qui  a  donné  la  série  de  transformations 

acuclam,     acuité  (acueie)      a{c)veie     aweie. 

Pour  awe,  de  avicam,  on  a  eu  probablement  à  la  suite  de  la 
chute  de  i  atone  et  de  la  transformation  de  u,  la  série  : 


avicam 


avca 


a{c)va 


ave  et  awe. 


Un  cas  reste  à  expliquer,  c'est  celui  où  <?  ou  ^  sont  suivis 
d'une  consonne  qui  ne  tombe  pas  ;  quand  cette  consonne  est  t  ou 
n,  le  changement  de  la  gutturale  n'a  pas  moins  lieu  en  roumain, 
en  p  ou  /"dans  le  premier  cas,  en  m  dans  le  second.  Il  est  diffi- 
cile dans  ces  deux  cas  de  supposer  que  u  se  soit  développé  après 
la  gutturale,  et  il  faut  admettre,  je  crois,  une  transformation 
directe,  sous  l'influence  de  la  consonne  suivante,  de  la  première 
en  labiale  ^ 

Telle  est  l'explication  qu'on  peut,  je  crois,  donner  de  la  substi- 
tution des  labiales  aux  gutturales;  tout  autre  est  celle  du  rem- 
placement des  premières  par  les  secondes.  Dans  les  exemples 
comme  ghihol  de  bubalum,  ghitzel  de  vitellum,  on  peut  supposer 
que  le  v  initial  ou  ô  =  v  s'est  changé  en  g,  transformation  dont 
on  retrouve  des  exemples  dans  toutes  les  langues  romanes,  ainsi 
guardare  it.  (wardôn),  guivre  v.  fr.  (viperam);  mais  dans  ceux 
comme  chiept  roum.,  cocchia  nap.,  la  modification  a  été  plus 
profonde  et  plus  complexe  ;  il  semble  qu'ici  il  y  a  eu  d'abord 
changement  de  Yi,  qui  s'est   développé  après  p,  en  c,  lequel, 

pement  de  i  après  la  gutturale  et  de  son  changement  en  c  ;  le  dialecte 
sicilien  en  offre  du  développement  de  u  après  c  ;  ainsi  quacina  (*ca]ci- 
nam),  quaciari  (calcare),  qiiadara  (calidariam),  quaseUa  (calceam).  Cf. 
Wentrup,  Die  sic.  Mund.  {Herrigs  Archiv,  XXV,  159).  Mais  peut-être  ne  faut- 
il  voir  là  que  le  résultat  de  la  transposition  des  éléments  de  la  diph- 
thongue  mi,  issue  do  al  transformé. 
1.  Voir  plus  loin,  Liv.  IV,  chap.  Vlll. 


—  468  — 

tout  étonnante  que  puisse  paraître  cette  transformation^  s'est 
modifié  en  h  ;  nous  verrons  ^  au  reste  que  les  sons  c  ou  s  se  sont 
transformés  en  espagnol  en  spirante  gutturale  x^  ou  7  ;  il  a  pu  se 
faire  aussi  que  dans  les  dialectes  méridionaux  de  l'Italie  et  de  la 
Roumanie,  ils  se  soient  changés  en  simple  gutturale  2. 

IP  Substitution  de  u  au  c  vélaire  ou  palatal. 

Mais  les  explosives  et  les  continues  labiales  ne  se  substituent 
pas  seules  aux  gutturales,  la  voyelle  de  même  ordre  u  peut  éga- 
lement prendre  la  place,  tout  comme  i,  de  c  et  de  ^.  La  substitu- 
tion àeih.c  o\xg  s'explique  sans  peine,  comme  nous  avons  vu, 
par  l'affaiblissement  graduel  de  ces  consonnes  en  la  spirante  ou 
semi-vojelle  y,  puis  en  la  voyelle  de  même  ordre  i  ;  mais  com- 
ment se  rendre  compte  du  changement  de  la  gutturale  en  la 
voyelle  palatale  u?  Le  plus  souvent  on  s'est  borné  à  constater  le 
fait,  sans  chercher  à  l'expliquer^;  essayons  d'aller  plus  loin. 

Avant  tout  il  faut  remarquer  que,  pour  ne  pas  parler  de  /,  w  se 
substitue  à  toutes  les  labiales  ;  ainsi  : 

l"Ap,  en  espagnol  dans  caM^it?o  (captivum),  raudo  (rapidum); 
en  portugais  dans  bauiiçar  v.  (baptizare)  ;  en  provençal  et  en 
français  dans  saurai  (sapere  habeo),  dans  malaut  pr.  (maie 
aptum)  et  dans  jowree,  v.  fr.  peurée  (*piperitam),  peule  (popu- 
lum),  S.  B.  p.  523,  531,  546,  548,  552,  etc. 

2°  A  &,  en  espagnol  dans  ausente  (absentem);  en  provençal 
dans  laudacisme  Leys  d'am.  III,  5  (labdacismum),  laurar 
(laborare),  rouvre  (*roborem),  trau  (trabem)  ;  en  français, — en 
particulier  dans  le  dialecte  bourguignon,  —  dans  diaule  (diabo- 
lum),  qui  apparaît  déjàdanslaCantilène  de  sainte  Eulalie,  et  qu'on 
retrouve  p.  523,  524,  etc.,  dans  les  Sermons  de  Saint  Bernard, 
amiaule  (amabilem)  id.  p.  530,  aurons  (abrotonum),  cove- 
naule  (*  convenabilem)  S.  B.  p.  522,  544,  etc.  \  despeitaule 
(despectabilem),  id.  p.  550,  deleitaule  (delectabilem) ,  id.  p.  530, 
539,  etc.  ;  encer chaule  (*incercabilem),  id.  p.  531  ;  faurge 
aujourd'hui  forge  (fabricam)  ;  honoraule  (honorabilem)  S.  B. 
p.  531;  paisiule  (pacibilem),  id.  p.  538;  estaule  (stabilem), 


t.  Liv.  m,  ch.  IL 

2.  Le  sicilien  gigghiu  (cilium)  offre  bien  du  moins,  je  crois,  un  exem- 
ple de  la  substitution  d'une  gutturale  è.jot  transformé  :  cilium,  cilju, 
gigiu,  enfin  gigghiu. 

3,  Voir  cependant  l'explication  que  Diez  a  essayée,  Gram.  I,  256. 


—  -169  — 
S.  B.  p.  532,  550,  etCart.  d'Auchy;  taule  (tabulam),  aujour- 
d'hui tôle  ;  veritaule  (veritabilem),  S.  B.  p.  535;  enfin  en  espa- 
gnol et  en  provençal  dans  paraula  (parabolam),  fr.  parole  eten 
provençal  et  en  français  dans  aurai  (habere  habeo). 

3°  à  i;.  Cette  substitution  déjà  connue,  aussi  bien  que  celle  de 
u  h  b,  du.  latin,  qui  en  offre  de  nombreux  exemples,  —  ainsi 
aufero  pour  abfero,  aucellus  pour  avicellus ,  naufragiuva 
pour  nav{i)fragium),  nauta  pour  navita,  —  se  retrouve  en 
provençal  dans  auca  (av(i)cam),  aulana  (*avelanam),  eau 
(cavum),yoM5 — dijaus  en  béarnais — (Jovis  dies),  nou  (novem), 
pau  (pavum)  ;  en  français  dans  autruche  (avis  struthio)  ;  en 
roumain  dans  nou  (novum),  noue  (novem),  nour  (*nubilum). 

Dans  tous  ces  exemples  il  est  naturel  de  voir  l'affaiblissement 
graduel  de  la  labiale,  descendant  la  série  p,  b,  v,  u,  —  b,  v,  u 
ou  simplement  v,  u,  suivant  qu'il  s'agit  de  la  transformation  en 
M  de  J3,  de  ô  ou  de  -y.  Quant  au  changement  de  v  enu,  auquel 
il  en  faut  ainsi  toujours  revenir,  ce  n'est,  comme  pour  le  chan- 
gement de  y  en  i,  que  la  transformation  presque  forcée  de  la 
spirante  ou  demi-voyelle  labiale  en  la  voyelle  correspondante. 
Mais  si  cette  transformation  se  comprend  ainsi  sans  peine,  il  n'en 
est  pas  de  même  de  la  substitution  de  u  aux  gutturales  et  même 
aux  dentales,  transformées  ou  non,  ainsi  que  cela  a  lieu  pour 
ces  dernières  en  catalan  dans  amau  (amatis),  palau  (palatium), 
preu  (pretium),  etc.  Cette  substitution,  pour  ne  parler  ici  que 
des  gutturales,  a  heu  également  pour  g  et  pour  c  ;  ainsi  pour  c, 
en  espagnol  dans  auto  (actum),  carauter  (characterem),  con- 
trauto  S.R.  (contractum)  ;  en  portugais  dans  awpom  (actionem), 
autivo  (activum),  auto,  doutor  (doctorem),  outubro  à  côté,  il 
est  vrai,  de  oytubro  v.  ;  en  provençal  pour  g  dans  sauma 
(sagma),  et  peut-être  pour  c  dans  amiu  (amicum)  pour  amie, 
castiu  pour  castic  (casticum),  formes  blâmées  par  Raimon 
Vidal,  et  dans  enemiu  (inimicum)  Chx.  III,  192  ;  en  français 
pour  g  dans  fleume  (flegma),  reule  S.  B.,  pour  c  médial  dans 
aveule  C^  shocxAvim) ,  seure  (*sequere)  id.  p.  543,  ei  seule  (secu- 
lum)  Gant.  S.  E.  et  S.  B.  p.  535,  546, 560,  567,  569,  v.  24,  pour 
c  final  peut-être  dans  feu,  v.  foc,  fou  (focum)  ;  lieuY.  lou,  liu, 
leu  (locum)  ;  ^et*,  Y.poc,  pou  (paucum),  etc.  Enfin  en  catalan 
u  apparaît  à  la  fois  à  la  place  du  c  vélaire  et  du  c  palatal,  par 
exemple  dans  Jaume  (Jacobum)  —  espagnol  Jaime,  —  faure 
(facere),  plaure  (placere),  creu  (crucem),  diu  (dicit),  nou 
{nucetn),  pau  (pacem),  veu  (vocem)  ^ 


1.  La  substitution  d'une  labiale  à  une  gutturale  n'est  point  particulière 


—  no  — 

Comment  rendre  compte  de  ces  transformations  si  diverses  ? 
Diez,  ne  l'étudiant  que  dans  le  catalan  et  frappé  de  la  difficulté 
d'expliquer  la  substitution  de  w  à  une  gutturale  ou  à  une  den- 
tale, incline  à  y  voir  la  substitution  de  u  à  i  dans  les  diphthon- 
gues  nées  de  l'affaiblissement  de  la  gutturale  ou  de  la  dentale  en 
cette  dernière  voyelle  ;  il  est  possible  que  cela  ait  eu  lieu  dans 
certains  cas,  mais  cette  explication  ne  saurait  convenir  évidem- 
ment dans  tous,  et  il  faut  voir,  je  crois,  le  plus  souvent  dans  ce 
fait  le  résultat  de  la  transformation  d'une  labiale  substituée  à  la 
gutturale  primitive,  parfois  même  peut-être  le  résultat  du  déve- 
loppement de  u  sous  l'influence  de  la  gutturale,  ou  la  conserva- 
tion d'un  u  primitif,  tombé  dans  les  autres  idiomes.  Ainsi  dans 
aveule,  reule,  seule,  seure,  il  est  possible  qu'il  y  ait  chute  du 
c  ou  du  g,  et  conservation  de  Vu,  ou  plutôt  diplithongaison,  sous 
son  influence,  de  la  voyelle  précédente  en  eu.  On  en  peut  dire 
autant  de  feu,  lieu,  peu,  etc.,  quoiqu'on  puisse  voir  aussi 
simplement  dans  ces  formes  le  résultat  de  la  chute  du  c  final,  suivie 
de  la  transformation  ordinaire  de  o  bref  accentué  en  eu.  Mais 
il  faut  chercher  une  autre  explication  pour  rendre  compte  des 
formes  comme  amiu,  castiu,  ou  auto,  carauter,  doutor,  etc.  ; 
et  il  faut  bien  ici  admettre  une  substitution  directe  àe  u  kc, 
a-t-elle  été  précédée  de  la  substitution  préalable  à  c  d'une  labiale 
explosive  ou  spirante,  affaiblie  plus  tard  en  u;  ainsi  doutor  par 
exemple  suppose-t-il  une  forme  doftor  qu'on  retrouve  en  rou- 
main, et  qui  n'est  elle-même  qu'un  affaiblissement  ou  une  modifi- 
cation de  doptor?  ou  bien  faut-il  supposer  que  ces  formes  en  ou, 
eu,  ont  été  précédées  de  formes  en  oi,  ei,  auxquelles  elles  se 
seraient  substituées,  que  outuhro,  par  exemple,  serait  pour 
oytuhro,  que  peu  viendrait  de  poi?  Il  est  difficile  de  se  pronon- 
cer entre  ces  deux  hypothèses,  toutes  deux  vraies  peut-être,  et 
qui  pourraient  bien  représenter  seulement  deux  procédés  diffé- 
rents de  la  langue  dans  le  changement  du  c. 

IIP  Substitution  de  h  à  la  gutturale. 

La  gutturale  soit  vélaire,  soit  palatale,  initiale  ou  médiale,  peut 
faire  place  à  ^.  On  trouve  ^  substituée  à  g  en  espagnol  dansAer- 
mano  (germanum)  et  ses  dérivés,  dans  hielo  {gelu) ,  hiema  (gem- 
mam),  hierno  (generum),  hieso  (gypsum),  Calahorra  (Calagur- 


aux  idiomes  romans,  on  la  retrouve  dans  les  langues  germaniques,  en 
particulier  dans  l'anglais;  ainsi  à  draw  correspond  le  v.  sBxon  dragau, 
law  est  dérivé  de  lagu  et  sorrow  de  sorga. 


—  n^  — 

rim)  et  Mahon  (Magonem) .  Le  c,  soit  seul,  soit  précédé  de  5,  a 
fait  non  moins  souvent  place  à  h,  en  particulier  en  catalan  et  en 
wallon  ;  ainsi  en  catalan  dehembre  (decembrem),  vehi  (vici- 
num)  ;  en  wallon  damehele  (dominicellam),  formihe  (formi- 
cam),  haie  (scalam)  —  chaule  dans  le  dialecte  de  Namur,  — 
kinohe  (conoscere),  nam.  conoche,  etc.  ^. 

\Jh  n'est  plus  aspirée  en  espagnol  et  en  catalan,  mais  elle  a  dû 
l'être  autrefois,  et  on  ne  s'expliquerait  pas  sans  cela  comment 
elle  aurait  pu  se  substituer  à  /"  ~  ;  elle  l'est  encore  fortement  en 
wallon  ;  il  est  donc  difficile  de  voir  ici  une  simple  lettre  interca- 
laire, destinée  à  empêcher  la  rencontre  de  deux  voyelles,  comme 
cela  a  eu  lieu  probablement  dans  envahir,  trahir,  etc. ,  écrits 
souvent  sans  h  autrefois.  De  plus  si  l'on  remarque  que  h  se  sub- 
stitue aussi  à  5  en  wallon,  par  exemple  dans  mohone  (mansio- 
nem)j  cas  dans  lequel  elle  est  remplacée  par  j  dans  le  dialecte 
de  Namur,  tandis  que  ch  en  tient  la  place  dans  ce  même  dialecte, 
quand  elle  se  substitue  à  5C,  on  aura  la  preuve  qu'il  y  a  là  un 
procédé  régulier  de  transformation  du  c.  Mais  comment  se  iait 
cette  transformation?  Si  nous  comparons  directement  le  mot 
catalan  ou  wallon  au  latin,  comme  les  formes  intermédiaires 
manquent,  il  sera  diiScile  de  répondre  à  cette  question  ;  mais  les 
formes  ch  eij  du  dialecte  de  Namur  équivalentes  à  Vh  du  wallon, 
ainsi  que  la  comparaison  du  provençal  prezar  et  du  catalan 
preJiar,  de  cazer  en  provençal  et  de  cahir  en  portugais,  sem- 
blent montrer  dans  cette  lettre  une  transformation  des  spirantes 
5  ou  z,  5  ou  z,  lesquelles,  se  déduisant  sans  peine  de  la  gutturale, 
servent  d'intermédiaire  naturel  entre  celle-ci  et  Y  h  qui  s'y  sub- 
stitue. 

IV°  Substitution  de  n  à  c. 

Nous  avons  vu  ^  que,  le  roumain  et  le  provençal  exceptés,  le  c 
final  tombe  dans  toutes  les  langues  romanes  ;  cependant  dans  un 
certain  nombre  de  mots  il  semble  avoir  été  remplacé  par  n\  c'est 
ce  qu'on  peut  supposer  avoir  eu  lieuen  espagnol  dans  6ïi<n(adlmc), 
allin  (illic)  G.  Vie,  nin  (nec),  sin  (sic)  ;  ces  deux  derniers  mots 
sont  en  portugais  nem,  sim,  (et  son  composé  assim),  avec  m  à 


1.  Vh  se  substitue  aussi  aux  dentales,  ainsi  en  catalan  pj-e/tarfpre tiare), 
rahô  (rationem),  en  portugais  cahir  v.  (cadere). 

2.  Voir  à  ce  sujet  Diez,  Gr.  I,  373. 

3.  V.  plus  haut  p.  46  et  57. 


—  n2  — 

la  place,  coniormêment  au  génie  de  cette  langue,  del'nfinalespa- 
gnol.  Cette  substitution  de  n  k  c  semble  encore  avoir  eu  lieu, 
mais  au  milieu  du  mot,  en  espagnol  dans  ansi  (aeque  sic) ,  peut- 
être  aussi  dans  l'adjectif  enteco  (hecticum),  en  portugais  dans 
pentem  (*pectinem)  et  dans  le  français  ainsi.  EUe  apparaît 
également  à  la  fin  du  mot,  en  provençal  dans  aissin  synonyme 
de  ansi^  en  vieux  français  dans  «w?m(amicum),  anemin  (inimi- 
cum  S.  B.  537,  543  ;  en  normand  dans  ichin  (eccehic),  sti-chin 
et  autres  composés  de  hic  ;  et  à  la  fois  au  milieu  et  à  la  fin  du  mot 
dans  le  bourguignon  ansin,  le  picard  ensm,  vieux  français  «ms- 
sin  G.  Ros.,  provençal  moderne  ansin  Mireio  I,  7,  a  '.  Comment 
expliquer  cette  substitution  de  n  à  c  ?  Y  a-t-il  d'abord  transfor- 
mation véritable  de  la  seconde  de  ces  deux  lettres  en  la  première? 
Cela  paraît  peu  probable  ;  il  semble  bien  plutôt  que  cet  n  soit 
tout  simplement  une  lettre  intercalaire,  que  les  idiomes  romans 
de  l'Ouest  mettaient  parfois  avant  la  gutturale  ;  dans  les  exem- 
ples précédents,  celle-ci  serait  tombée,  tandis  que  n  restait  ;  cette 
dernière  lettre  se  serait  ainsi  indirectement  substituée  au  c  pri- 
mitif. Cette  manière  de  voir  est  d'ailleurs  confirmée  par  un  cer- 
tain nombre  de  mots,  où  la  gutturale  a  subsisté  à  côté  de  n.  L'in- 
tercalation  de  n  devant  une  gutturale,  non  suivie  de  la  chute  de 
celle-ci,  se  présente,  en  effet,  dans  le  provençal  engual  ou 
engal  (aequalem)  ;  l'espagnol  nenguno  (nec  unum)  —  cf.  le 
latin  archaïque  nmcM^M5  ou  mn^M/w5,  — enxambre  (ecsambre, 
encsambre,  enxambre)  —  portugais  enxambre  —  et  d'autres 
semblables  comme  enœemplo,  enxugar,  etc.,  nous  montrent 
encore  le  même  phénomène^.  Le  vieux  français  ainsinc,  aujour- 
d'hui ainsi,  présente  les  deux  cas  :  intercalation  de  n  et  chute 
du  c,  ou  sa  transformation  en  i  dans  la  première  syllabe,  inter- 
calation de  n  et  conservation  du  c  dans  la  seconde.  Il  ne  peut 
donc  y  avoir  de  doute  sur  la  manière  dont  la  langue  a  procédé  ; 
mais  le  c  final  tombant  en  français  de  très-bonne  heure,  on  voit 
que  les  mots  où  n  en  tient  la  place  supposent  que  l'intercalation 
de  cette  lettre  devant  c  doit  remonter  aux  premiers  temps  du 
roman  ■ 


3 


1.  Cf.  Diez,  Ettjm.  Wœrterb.  s.  v.  cosi. 

2.  Le  normand  aingue  (aide)  offre  un  exemple  curieux  de  cette  inter- 
calation de  n  devant  une  gutturale,  en  même  temps  que  du  changement 
de  la  dentale  d  en  g. 

3.  L'w  ne  s'est  point  d'ailleurs  développé  uniquement  devant  une  gut- 
turale, on  en  trouve  aussi  des  exemples  devant  s,  ainsi  en  normand 
queminse  (camisiam),  cheminche  dans  le  patois  de  Metz  ;  mais  peut-être 


—  473 


C'est  par  là  que  je  terminerai  la  théorie  des  modifications  géné- 
rales du  c  vélaire  et  du  c  palatal  ;  j'arrive  maintenant  à  l'étude 
des  transformations  du  premier,  — propres  aux  langues  du  Nord- 
Ouest  et  aux  dialectes  ladins,  —  dans  la  série  é,  c,s,  g,  z,  ts, 
dz,  s  et  z. 


y  a-t-il  là  simple  nasalisation  de  IH  accentué,  et  il  ne  serait  pas  impos- 
sible qu'il  en  fût  de  même,  dans  quelques-uns  du  moins,  des  exemples 
précédents.  Les  Actes  normands  —  fait  très-rare  —  en  présentent  aussi 
un  exemple  après  e  dans  chen  pour  che  (ecc'hoc),  mot  qui  n'existe  plus, 
je  crois,  dans  le  patois  actuel. 


LIVRE   TROISIEME. 


TRANSFORMATION  DE  LA  GUTTURALE  VELAIRE 
EN  c  ET  EN  SES  DÉRIVÉS. 


Dans  le  passage  du  latin  au  roman,  le  c  vélaire  a,  nous  avons 
vu,  conservé,  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  sa  valeur  guttu- 
rale ;  mais  dans  un  certain  nombre  aussi,  surtout  dans  les  langues 
du  Nord-Ouest,  il  s'est  changé  en  chuintante  ;  c'est  cette  trans- 
formation nouvelle  qu'il  nous  faut  maintenant  étudier  ;  elle  n'est 
d'ailleurs,  quoique  beaucoup  plus  rare,  pas  plus  surprenante 
que  celle  du  <?  palatal  en  c  et  en  ses  dérivés  ;  et,  comme  celle-ci, 
elle  apparaît  dans  une  partie  des  langues  indo-européennes  ;  voilà 
pourquoi  je  n'ai  point  cru  devoir  précédemment  séparer  l'expli- 
cation phonétique  du  changement  des  deux  gutturales  ;  c'est 
aussi  à  ce  que  j'en  ai  dit  dans  le  livre  précédent  que  je  renvoie  le 
lecteur.  J'ajouterai  seulement  quelques  faits  à  ceux  que  j'ai  déjà 
cités. 

J'ai  montré  que  le  changement  du  c  vélaire  en  c  suppose  son 
changement  préalable  en  c  palatal  ;  les  idiomes  romans,  en  parti- 
culier les  dialectes  ladins,  nous  offrent  la  série  complète  de  ces 
transformations  ;  ainsi  tandis  que  le  c  de  campum  persiste  dans 
(?am^,  motduroumanchedel'Oberland,  les  dialectes  du  Frioul 
nous  le  montrent  changé  en  palatale  vraie  dans  écunp,  et  le  dia- 
lecte tyrolien  d'Ampezzo  Ta  transformé  définitivement  en  c  dans 
campo.  Le  dialecte  du  canton  du  Tessin  nous  montre  également 
le  c  de  carnem,  prenant  suivant  les  localités  la  valeur  k,  k  ou  c, 
ainsi  : 

carn,  —  chiarn,  chern,  chiern,  —  cern  ^ 

1.  Biondelli,  Saggi,  p.  11. 


—  ne  — 

Le  normand  nous  présente  des  formes  non  moins  curieuses  ; 
c'est  ainsi  que  le  mot  càballum  y  est  devenu  ordinairement 
cheva,  ou  mieux  j'va,  affaiblissement  évident  de  tcheva\  mais 
dans  certaines  parties  de  la  province  où  on  le  parle  on  dit  aussi 
queva  ou  g' va;  or  dans  les  comptes  de  l'hôpital  des  Veys  (1350), 
située  dans  une  région  où  l'on  prononce  aujourd'hui  Jva ,  on 
trouve  kievauœ^  ;  ainsi  pour  le  copiste  du  xiv"  siècle,  le  c  vélaire 
ne  s'était  pas  encore  transformé  en  chuintante  ou  linguale,  il  était 
devenu  seulement  palatal. 

Dans  ces  exemples  et  dans  ceux  qu'offrent  la  plupart  des  lan- 
gues, le  c  vélaire,  transformé  en  palatale  ou  c,  est  originaire- 
ment suivi  de  a  ;  cependant  les  idiomes  romans  offrent  quelques 
exemples  où  le  c  suivi  de  t;  ou  de  u  étymologiques  s'est  aussi 
changé  en  c  ou  en  s,  après  le  changement  préalable,  il  est  vrai, 
de  0  ou  de  M  en  o,  û,  eu,  etc.  Ainsi  dans  le  dialecte  de  la  vallée 
d'Engaddine,  le  c  vélaire  suivi  de  o  ou  de  u,  des  mots  suivants 

corium  culum  cunam  curam 

s'est  changé  en  palatale  vraie  {ch  :=  c), 

chô'r  chûl  chûnna  chûra 

de  même  que  c  suivi  de  a  dans 

caveam  carnem  caminum  catenam 

y  a  donné 

chabgia         charn  chiamin  chadaine. 

Certains  dialectes  français,  allant  plus  loin,  ont  transformé 
définitivement  dans  ce  cas  le  c  vélaire  en  c.  C'est  ainsi  que  les 
mots 

corium  coxam  culum 

ont  donné  dans  le  normand  du  Bessin 

tcheu  ,  tcheusse  tchu. 

Le  patois  poitevin  des  Sables  en  offre  également  quelques 
exemples,  ainsi  tchuder  (cogitare)^,  tchur  (cor)^,    tchulotte 


1.  Ed.  Du  Méril,  Dictionnaire  du  patois  normand  s.  v.  quiérue. 

ï.  Favre,  Glossaire  du  Poitou,  s.  v.  tchuder,  p.  ex. 
Gn'ai  pas  tchudé  faire  quieu. 

3.  Id.  id.  Ex. 

Tôt  d'suit  man  tchur  fut  chatouillou 
Tôt  d'suit  san  tchur  soupire.  Intr.  p.  48, 50. 


—  n7  — 

(*cuIotum),  boutchuet  ^  (*bosquetum).  On  l'y  trouve  aussi,  fait 
non  moins  surprenant,  dans  les  adjectifs  indéfinis  et  démonstra- 
tifs tchieuque  (qualem  quam),  tchou  (ecce  hoc),  tchelle  (ecce  il- 
lam)^,  etc.  Si  l'on  compare  à  ces  derniers  mots  les  formes  ordinaires 
quiou  (ce),  quielle,  etc.,  du  même  patois,  on  sera  amené  à  y  voir 
non  le  produit  de  la  transformation  directe  des  formes  latines 
ecce  hoc,  ecce  illam,  etc.,  mais  des  formes  romanes  g w^ow, 
quielle,  et  par  conséquent  nous  avons  là,  je  crois,  une  modifi- 
cation relativement  récente  de  la  gutturale.  On  peut  et  on  doit, 
il  me  semble,  en  dire  autant  des  formes  tchiider,  tchur,  tchu- 
lotte,  boutchuet,  etc.,  et  en  général  des  mots  où  c  suivi  d'une 
voyelle  autre  que  a  s'est  transformé  en  chuintante  ;  à  l'origine  le 
dialecte  poitevin  a,  comme  le  français  proprement  dit,  changé 
en  c,  affaibli  plus  tard  en  l,  la  gutturale  vélaire  suivie  de  a,  en 
la  conservant  devant  les  autres  voyelles  non  palatales  ;  mais  par 
la  suite  ces  voyelles  s'étant  modifiées,  la  vélaire  qui  les  précé- 
dait s'est  changée  en  palatale,  puis  en  c.  Ce  qui  confirme  cette 
manière  de  voir,  c'est  que  le  picard,  qui  conserve  toujours,  ou  à 
peu  près,  comme  je  le  montrerai,  la  gutturale  vélaire,  offre 
cependant,  exception  singulière,  quelques  exemples  où  elle  prend 
le  son  c,  tels  sont  tchien,  (canem)  et  tcher  (cadere),  dans  le 
patois  de  Santerre,  tcheur  (cor)  dans  celui  de  l'Amiénois.  Ces 
formes,  qui  n'apparaissent  dans  aucun  texte  ancien,  sont  évidem- 
ment d'origine  moderne  ;  et  il  en  est  de  même  de  la  plupart  de 
celles  où  l'on  trouve  dans  le  normand  la  gutturale  suivie  de  o  ou 
de  u  primitif,  transformée  en  c  ;  ainsi  que  nous  le  verrons,  en 
effet,  ce  dialecte  conserve,  comme  le  picard,  la  gutturale  vélaire 
dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  dans  les  mots  où  elle  n'a  pas 
persisté,  sa  transformation,  surtout  en  c,  ne  peut  remonter  dès  lors 
bien  loin  dans  le  passé.  Un  fait  incontestable  prouve  du  moins  que 
le  son  c  a  pu  se  substituer  à  la  gutturale  à  une  époque  récente ,  c'est 
son  apparition  dans  les  idiomes  créoles  sortis  du  français  depuis 
que  celui-ci  ne  connaissait  plus  le  son  c.  On  trouve  par  exemple 
dans  le  dialecte  de  la  Trinité  ce  même  mot  tchulotte,  que  je  mon- 
trais tout  à  l'heure  dans  le  patois  poitevin  des  Sables,  sous  la  forme 
chilotte  [ch  =  c)  ;  de  même  chuite  (coctam),  chouler  (*culare), 
chinze  (quindecim),  etc.^. 

1.  Favre,  id.  p.  50.  Ex. 

I  prenis  ma  tchulotte 

Man  boutchuet  de  bergamotte. 

2.  Id.  id.  p.  48,  49,  50.  —  Lalanne,  Gloss.  Intr. 

3.  Thomas,  A  treaty  of  creol  grammar. 

\2 


—  178  — 
Quoi  qu'il  en  soit  au  reste  de  l'époque  précise  de  ces  transfor- 
mations, nous  avons  ici  conservée  dans  des  dialectes  français  la 
prononciation  primitive  du  c  vélaire  changé  en  chuintante,  celle 
qu'il  a  encore  en  espagnol  et  souvent  aussi  en  provençal,  mais 
qui  s'est  affaiblie  en  l  en  portugais.  Tout  nous  porte  à  croire,  en 
effet,  que  ch  avait  à  l'origine  la  valeur  c  dans  ces  différents 
idiomes.  L'explication  physiologique  de  ce  son  en  est  une  preuve 
intrinsèque,  nous  en  trouvons  une  preuve  extrinsèque  dans  sa 
persistance  jusqu'à  nos  jours  dans  un  certain  nombre  de  dialectes 
et  encore  plus  dans  les  transcriptions  anciennes  des  mots  où  se 
trouve  ch  dans  les  idiomes  étrangers.  J'ai  déjà  cité  quelques  mots 
normands  qui  offrent  le  son  c  ;  on  le  rencontre  aussi  dans  le 
patois  lorrain,  ainsi  :  dchva  (caballum),  dchamp  (campum), 
dchamhy^e  (cameram),  vaitche  (vaccam),  etc.^  On  le  trouve 
même,  nous  venons  de  voir^  dans  le  dialecte  picard  de  Santerre 
qui,  à  côté  de  quien,  a  la  forme  tchien.  Certains  dialectes  pro- 
vençaux modernes  ont  également  conservé  à  ch  sa  pro- 
nonciation c  primitive,  souvent,  il  est  vrai,  en  y  faisant  sentir 
très-peu  le  son  du  t  initial,  et  la  transcription  tg  ou  dg  qu'on 
rencontre  si  souvent  figure  même  cette  prononciation  ou  celle  de 
la  sonore  correspondante^.  Enfin  si  le  portugais  donne  en  géné- 
ral à  ch  la  même  prononciation  que  le  français,  c'est-à-dire  s, 
dans  la  province  de  Tras-os-Montes,  on  lui  donne,  comme  en 
Espagne,  celle  de  c,  qui,  il  n'en  faut  point  douter,  a  dii  être 
commune  autrefois  à  toute  la  péninsule. 

Les  transcriptions  en  langues  étrangères  viennent,  du  moins 
pour  le  français  et  le  provençal,  confirmer  ces  inductions  tirées 
de  la  persistance  du  son  c  dans  les  dialectes.  Ainsi  on  rencontre 
dans  le  moyen  haut-allemand  tschapel  (chapel),  —  il  est  vrai  à 
côté  de  schapel,  —  tschière  (chière),  hastche,  rotsche,  Rits- 
chard  ;  en  moyen  néerlandais  'roetsche  (roche) ,  Tsarels 
(Charles),  tsartroisen  (chartreux).  En  grec  nous  trouvons 
'PtTÎ^àpooç  (Richard).  D'un  autre  côté,  des  manuscrits  des  Lois 
de  Guillaume  offrent  pour  chose  la  transcription  jose,  où  le  j 
avait  nécessairement  la  prononciation  dj  ;  on  peut  en  dire  autant 
du  provençal  Jausi?'  pour  chausir  qu'on  rencontre  dans  le  Frag- 
ment de  l'Alexandre  trouvé  à  Florence.  «  Bons  œivaliers  avant» 
fait  dire  aussi  aux  Français  le  catalan  Bernât  d'Esclot,  dans  la 


1.  Oberlin,  Patois  lorrain  du  Ban  de  la  Roche,  p.  88.  Je  me  sers  de  la 
notation  même  d'Oberlin,  toute  fautive  qu'elle  est;  il  est  certain  qu'il 
faudrait  tchamp  et  non  pas  dchamp,  djva  et  non  dchva. 


—  179  — 

langue  duquel  x  avait  le  son  c  *.  On  peut  encore  ajouter  à  ces 
faits  que  dans  les  mots  empruntés  au  français,  comme  challenge, 
chamher,  chant,  charm,  etc.,  le  ch  a  en  anglais,  qui  a  cepen- 
dant sh  pour  représenter  le  son  actuel  de  ce  signe  en  français,  la 
même  valeur  c  -.  Tout  semble  donc  prouver  que  ch  avait  autrefois 
dans  notre  langue  la  prononciation  tcJi,  qu'il  a  aujourd'hui  encore 
en  espagnol.  11  en  est  de  même  pour  le  provençal.  Ainsi  l'italien 
représente  par  ciausir\e\evhe  chausir  emprunté  à  cette  langue; 
on  trouve  également  dans  les  manuscrits  de  Pétrarque  (canz.  7) 
ciant  pour  représenter  le  mot  chant  ;  le  t  que  l'on  rencontre 
aussi,  quoique  rarement,  devant  œ  en  catalan,  par  exemple  dans 
cotœos  =  cochos  est  encore  une  preuve  du  son  composé  de  ch 
et  de  sa  valeur  tch'^''.  Quant  à  l'espagnol,  on  voit  chy  apparaître 
comme  chuintante  certainement  au  xi*"  siècle  dans  Sanchez  et 
Sanchiz  (Yepes,  I,  n.  23,  an.  1022),  valeur  que  confirme  encore 
l'orthographe  Sangez  du  même  mot  (Yepes,  I,  n.  24,  an.  1077) 
et  Sangiz  (id.  n.  25,  an.  1092),  où  g  ne  peut  avoir  eu,  ce 
semble,  que  la  prononciation  provençale  ou  catalane.  On  ren- 
contre même,  évidemment  avec  cette  valeur,  ch  dès  la  fin  du 
viif  siècle,  dans  Chave  (rivolum  Chave,  Yepes,  IV,  n.  29  an. 
791),  mot  où  ce  signe  substitué  au  groupe  fi  transformé  a  dû 
représenter  le  dernier  terme  de  la  série  fl,  fi,  {f)j,  c'^-  C'est 
d'ailleurs  la  valeur  que,  malgré  quelques  divergences  appa- 
rentes d'opinion,  les  anciens  grammairiens  les  plus  autorisés 
espagnols  ou  étrangers  assignent  à  ch,  «  c  précédant  h,  et 
immédiatement  suivant  une  voyelle,  est  conforme  à  la  pronon- 
ciation anglaise  »,  écrivait  en  1558  l'auteur  des  «  Coloquios 
famihares  »,  Gabriel  Meurier,  et  quelques  années  plus  tard, 
en  1614,  Doergangk,  professeur  d'espagnol,  d'itahenet  de  fran- 
çais à  Cologne,  décrivant  à  son  tour  la  prononciation  du  cli 
espagnol,  lui  attribuait  le  son  tch  :  «  ch,  dit-il,  effertur  ut  ch 
apud  Gallos,  vel  ut  sch  apud  Germanos  ita  tamen  pressé  ut  t 
prœponi  videatur,  ut  mucho,  muchacho,  quasi  tnoutcho,  mout- 


1.  «  Le  nostre  sillabe  xa,  xe,  etc.  si  profferiscono  corne  le  toscane  cia, 
ce  «dit  le  catalan  Bastero,  cité  par  Diez,  Gr.  l,  115.  Cf.  id.  410,  400. 

2.  On  pourrait,  il  est  vrai,  supposer  que  l'anglais  ayant  conservé  l'or- 
thographe de  ces  mots  a  donné  au  ch  qui  s'y  trouve  la  prononciation  de 
cette  lettre  dans  les  mots  issus  de  l'anglo-saxon.  C'est  ce  qui  est  arrivé 
en  effet,  en  espagnol  aux  mots  chamberga,  choflo  dérivés  de  l'allemand 
Schomberg.  schœrl,  où  l  primitif  a  pris  ainsi  la  valeur  c- 

3.  Diez,  id.  I,  410. 

4.  Cf.  Diez,  id.  2l2et«67. 


—  480  — 

chatcho  Gallicè,  vel  7nutscho,  mutschatscho  Germanicè  ^ .  » 
En  présence  de  témoignages  aussi  précis  on  ne  peut  accorder 
aucune  créance  à  des  grammairiens  tels  que  Sotomajor  qui, 
après  avoir  rangé  cependant  ch  parmi  les  lettres  qui  n'ont  pas 
la  même  valeur  en  français  et  en  espagnol,  dit  qu'il  doit  se  pro- 
noncer comme  en  notre  langue^,  ou  bien  l'auteur  anonyme 
(M.  Charpentier?)  de  «  La  parfaite  méthode  pour  entendre, 
escrire  et  parler  la  langue  espagnole  »  qui  se  borne  à  figurer  par 
le  ch  français,  ainsi  d'ailleurs  que  Jean  Saulnier  dans  son 
«  Introduction  en  la  langue  espagnole  »  le  ch  castillan  ^. 

Ainsi  ch  paraît  bien  avoir  eu  autrefois  dans  le  double  groupe 
occidental  la  valeur  c,  qu'il  a  encore  aujourd'hui  en  espagnol  et 
dans  plusieurs  dialectes  provençaux  et  portugais  ;  mais  quelle  est 
l'origine  de  ce  signe  employé  par  les  Romans  de  l'Ouest  pour 
représenter  le  son  c  ou  s,  tandis  que  chez  les  Romans  de  l'Est  et 
parfois  aussi  —  du  moins  autrefois,  comme  nous  avons  vu,  — 
chez  les  premiers,  il  a  servi  ou  sert  à  représenter  la  gutturale 
palatale  ?  J'ai  dit  que  le  çh,  signe  de  la  gutturale,  était  emprunté 
à  l'alphabet  latin,  où  il  avait  souvent  représenté  les  deux  guttu- 
rales, doit-on  attribuer  la  même  origine  au  ch  employé  par  les 
langues  du  double  groupe  occidental,  comme  signe  des  chuin- 
tantes c  et  s?  Diez  n'est  pas  éloigné  de  croire  que  ce  signe  est 
passé  de  l'allemand,  ou  plutôt  du  franc  dans  le  français,  comme 
il  veut  voir  dans  la  spirante  ch  ou  hh  de  ces  idiomes  l'origine  de 
la  chuintante  substituée  à  la  gutturale  vélaire  romane  '*  ;  mais 
alors  comment  expliquer  la  présence  de  ch  en  provençal  et  dans 
les  idiomes  de  la  péninsule  hispanique  ?  Faut-il  supposer  que  les 
scribes  provençaux  ou  espagnols  l'aient  emprunté  aux  copistes 
français  ?  Cette  hypothèse  me  paraît  aussi  peu  admissible  que  peu 
utile  ;  il  ne  faut  point,  en  effet,  chercher  au  ch,  signe  de  la  chuin- 


1.  Institutiones  in  linguam  hispanicam,  p.  2. 

2.  «  Ch  fault  que  se  prononce  comme  en  français,  »  dit-il  dans  son  style 
baroque,  p.  11  du  Vocabolario  de  las  vocables  que  mas  comunamente  se 
suelen  usar. 

3.  On  pourrait  joindre  à  ces  témoignages  celui  de  Tauteur  anonyme 
de  r«  Util  y  brève  institution  »,  dont  José  Gallardo  a  donné  des  extraits 
p.  857  du  premier  volume  de  son  «  Ensayo  de  unaBibliothecaespanola,  » 
et  que  je  cite  comme  modèle  de  l'incertitude  des  renseignements  fournis 
parfois  par  les  grammairiens  du  xvi"  siècle  •  «  Ch.  dit-il,  tiene  tal  pro- 
nu  ciacion  como  x  (cappa  de  los  griegos)  antes  de  t  o  iota  o  ni  mas  ni 
menos  o  casi  asi  como  en  frances  pronuncian  charetier,  chappon,  asi  en 
espanol  mucho,  muchacho.  » 

4.  Gram.  I,  248  et  461.  * 


—  ^8^  — 

tante,  d'autre  origine  qu'au  ch,  signe  de  la  gutturale  ;  nous 
savons  que  ce  signe  employé  par  le  latin  de  la  décadence  pour 
représenter  les  deux  gutturales  avait  été  adopté  par  les  langues 
du  groupe  oriental,  comme  signe  de  la  palatale;  j'en  ai  signalé 
aussi  l'emploi  dans  les  langues  du  Nord-Ouest  et  du  Sud  Ouest, 
surtout  aux  premiers  siècles  du  Moyen  Age  ^  ;  l'on  peut  même 
dire  que,  jusqu'au  huitième  siècle  et  sans  doute  même  plus  tard, 
il  servit  dans  tous  les  pays  romans  uniquement  à  représenter  la 
gutturale  palatale.  Il  a  continué  d'en  être  ainsi  dans  les  idiomes 
orientaux,  qui  employaient  c  pour  figurer  la  gutturale  vélaire  et 
la  chuintante  c  issue  de  la  palatale,  mais  les  idiomes  occidentaux 
se  servant  de  c,  comme  leurs  congénères  de  l'Est,  pour  repré- 
senter la  gutturale  vélaire,  et,  ce  qui  leur  était  particulier,  pour 
représenter  la  palatale  assibilée,  se  trouvaient  dans  la  nécessité 
ou  de  l'employer  encore  comme  signe  de  la  chuintante  ou  de  choi- 
sir pour  cette  dernière  une  autre  lettre;  ils  prirent  alors  ch,  qu'ils 
remplacèrent  peu  à  peu,  comme  signe  de  la  gutturale  vélaire, 
par  g  ou  ;^  ;  mais  cette  substitution  ne  se  fit  que  lentement,  de  là 
une  source  de  confusion  dans  la  phonétique  de  ces  idiomes,  comme 
j'aurai  souvent  occasion  de  le  signaler  par  la  suite. 

Le  ch  est  donc  d'après  cela  d'origine  latine,  c'est  l'ancien  signe 
inventé  au  if  siècle  avant  notre  ère  pour  remplacer  le  x  dans  les 
mots  empruntés  au  grec  par  le  latin  ;  quant  à  l'origine  du  son 
qu'il  représente  dans  le  double  groupe  occidental,  il  est,  comme 
je  l'ai  dit,  le  résultat,  le  produit  naturel  pourrait-on  dire,  de  la 
transformation  du  c  vélaire  ;  si  cette  modification  n'apparaît 
point  ou  n'apparaît  qu'exceptionnellement  dans  le  groupe  orien- 
tal, c'est  que  les  langues  qui  le  composent  ont  conservé  plus 
fidèlement  le  son  primitif  du  k  vélaire,  gardé  sans  modification 
par  le  latin,  comme  parle  grec;  les  langues  du  double  groupe 
occidental ,  au  contraire,  ayant  moins  respecté  la  gutturale  vé- 
laire, devaient  aussi  la  changer  plutôt  en  chuintante,  et  ce  n'est 
pas  un  effet  du  hasard,  mais  la  conséquence  même  de  la  pertur- 
bation apportée  dans  le  système  phonétique  du  latin,  que  celui  de 
ces  idiomes  qui  l'a  le  plus  profondément  modifié  soit  aussi  celui 
qui  nous  présente  la  transformation  la  plus  complète  du  c  vélaire 
en  c.  On  comprend  d'après  cela  que  je  ne  puisse  accepter  l'in- 
fluence germanique  à  laquelle  Diez  semble  attribuer  ce  phéno- 
mène si  naturel  de  transformation*  ;  on  ne  voit  pas,  en  effet,  com- 


1.  Voir  pi.  haut  Liv.  11,  Gli.  111.  p.  82. 


—  482  — 

ment  la  spirante  des  dialectes  francs  aurait  pu  déterminer  le 
changement  du  c  vélaire  latin  en  chuintante,  ce  qu'elle  n'a  point 
fait  dans  le  domaine  germanique,  et  encore  moins  pourquoi,  si 
l'influence  germanique  a  déterminé  le  changement  du  c  latin  en 
c  ou  5,  elle  ne  l'a  pas  fait  toujours  pour  le  c  d'origine  allemande, 
lequel  reste  guttural  dans  un  nombre  assez  considérable  de  mots; 
il  y  a  plus,  il  me  semble,  si  on  peut  sur  ce  point  si  obscur  hasar- 
der une  hypothèse,  que,  loin  d'avoir  contribué  à  transformer  le 
c  vélaire,  l'influence  germanique  a  servi  à  lui  conserver  son 
caractère  primitif,  car  c'est  précisément  —  la  Lorraine  et  les 
pays  wallons  exceptés  —  dans  les  contrées  où  l'élément  germa- 
nique a  prédominé  au  moment  de  la  formation  définitive  de  la 
langue  que  le  c  vélaire  a  persisté  ;  comme  cela  a  lieu  presque 
toujours  dans  le  picard,  et  en  général  aussi  dans  le  normand  et  le 
roumanche  du  Nord.  Quant  à  la  théorie  de  Burguy  qui  explique 
la  présence  du  ch  en  français  et  la  conservation  du  c  en  picard, 
—  il  ne  paraît  pas  savoir  que  cette  conservation  a  lieu  aussi  en 
normand,  —  par  ce  qui  se  serait  passé  dans  les  idiomes  celtiques 
et  où  par  parenthèse  il  confond  la  spirante  gutturale  ch  de  l'ir- 
landais avec  la  chuintante  ch  des  dialectes  français,  elle  ne 
mérite  pas  même  d'être  examinée  ^. 

Si  le  c  vélaire  paraît  ainsi  s'être  d'abord  changé  —  là  où  il  s'est 
modifié  —  en  c,  il  n'a  point  conservé  ce  son  dans  tous  les  idiomes 
romans  du  double  groupe  occidental  ;  le  plus  souvent,  en  eflet,  il 
y  a  pris,  comme  en  français,  le  son  5,  d'autres  fois  aussi  il  s'est 
transformé  en  ^g  ou  dans  le  son  afl'aibli  z  ;  enfin  dans  certains  dia- 
lectes provençaux  on  le  trouve  changé  en  ts,  dz,  s  et  même  en  0 
et  S  ;  l'étude  historique  de  ces  diverses  transformations  fera  l'objet 
de  ce  troisième  livre  ;  j'y  joindrai  celle  des  changements  du  c  vé- 
laire en  spirante  gutturale,  fait  présenté  par  l'espagn^^l ,  enfin 
l'examen  non  moins  intéressant  de  la  transformation  des  deux 
gutturales  dans  le  picard  et  le  normand. 


t.  K.  M.  Rapp,  Physiol.  d.  Spr.  11,  51,  a  encore  renchéri  sur  l'affirmation 
hypothétique  de  Diez  et  déclare  la  transformation  de  ca  en  cha  pour 
«  inexplicable  sans  une  influence  germanique  ».  V.  Schneller,  id.  p.  87. 

2.  Burguy,  Gr.  de  la  langue  d'oil,  P,  35. 


—  -183  — 


CHAPITRE    I« 


TRANSFORMATION   DU   C   VELAIRE   EN   O,    C   ET   EN   S. 


Si  l'on  excepte  quelques  dialectes  du  Nord  de  l'Italie,  en  parti- 
culier ceux  du  Tyrol,  qui  appartiennent  ou  se  rattachent  au 
groupe  ladin,  la  transformation  du  c  vélaire  suivi  de  <2  en  c 
ne  se  rencontre  que  dans  deux  ou  trois  mots  italiens,  encore 
n'est-ce  point  le  changement  de  c  pur,  mais  du  groupe  d'c  qui 
présente  ce  fait,  et  la  transformation  a  eu  lieu  en  g,  non  en  c^ 
Quant  au  roumain,  il  n'oifre  aussi  d'exemples,  que  je  sache,  que 
du  changement  de  c  en  g,  et  en  bien  petit  nombre  ;  on  peut  donc 
dire  que  cette  transformation,  et  plus  généralement  que  la  pré- 
sence de  c  devant  une  voyelle  non  palatale,  est  inconnue  aux 
idiomes  du  groupe  oriental. 

Dans  ceux  du  Sud-Ouest,  au  contraire,  ch  se  rencontre  assez 
souvent  devant  a,  o  qimu,  avec  le  son  c  en  espagnol  et  dans  le 
dialecte  portugais  de  Tras-os-Montes,  avec  la  valeur  de  5,  affai- 
blissement évident  de  c,  dans  le  portugais  des  autres  pro- 
vinces ;  mais  dans  ces  deux  langues  ch  ne  représente  pas 
d'ordinaire  un  simple  c,  mais  le  plus  souvent  la  transforma- 
tion d'un  des  groupes  c/,  _p/,  tl,  fi,  qui  donnent  aussi  naissance 
en  espagnol  au  son  II  ;  cette  transformation  peut  d'ailleurs  avoir 
lieu  au  commencement  comme  au  milieu  des  mots,  exemple  : 


clamare 

llamare,  v.  chamar 

chamar 

fac(u)lam 

hacha 

fâcha 

plagam 

Uaga 

chaga 

inflare 

inchar 

inchar 

cat(u)lum 

cacho 

cacho 

Ch  remplace  aussi  en  espagnol  et,  parfois  pt  et  It,  et  même  5; 
mais  représente-t-il  réellement  dans  cette  langue,  ainsi  qu'en 
portugais,  le  c  vélaire  latin?  Il  semble  bien,  il  est  vrai,  le 


1.  11  semble  cependant  que,  dans  le  dialecte  sicilien,  c  se  soit  trans- 
formé en  c,  dans  ciarmu  (carmen),  ciminia  (*  caminatam)  —  peut-être 
emprunté  au  français,  —  et  quaciari  (caicare).  Cf.  Wentrup.,  Beitr.  zur 
Kennln.  der  SicU.  Mund.  p.  159  et  160. 


—  ^84  — 

remplacer  dans  un  certain  nombre  de  mots,  mais  la  question  est 
de  savoir  si  ces  mots  sont  espagnols,  ou  bien ,  comme  Diez 
l'admet,  d'origine  étrangère  ;  pour  la  plupart  d'entre  eux,  cette 
circonstance  qu'ils  existent  en  double  à  côté  d'autres  mots  qui  ont 
la  gutturale  vélaire  ne  peut  guère  laisser  de  doute  à  cet  égard  ; 
tels  sont,  par  exemple,  en  espagnol  chaza  à  côté  de  caza, 
merchante  et  mercante,  etc.  ;  en  portugais  chaça  et  caça, 
cantor  et  chantre ,  etc.  ;  mais  je  ne  sais  si  l'on  doit  encore 
admettre  une  origine  étrangère  pour  quelques  autres  qui  n'ont 
que  la  forme  ch,  comme  le  portugais  charma,  etc. ,  et  s'il  n'y  faut 
pas  voir  le  résultat,  dû  peut-être  à  une  influence  locale,  de  la 
transformation  de  c  {k)  en  c.  On  serait  tenté  même,  quand  on 
lit  les  anciens  textes,  de  supposer  que  cette  modification 
de  la  gutturale  vélaire  avait  lieu  autrefois  dans  des  mots  où 
elle  a  repris  son  son  primitif,  ainsi  on  trouve  dans  le  poème  du 
Cid  archas  v.  84,  119,  127,  144,  161,  166,  à  côté,  il  est  vrai, 
à'arcas  v.  113  et  183  ;  or  faut-il  admettre,  comme  cela  avait 
lieu  parfois  devant  e  ou  i,  qu'on  représentait  indifféremment  la 
gutturale  vélaire  par  c  ou  ch,  surtout  quand  on  trouve  au  vers 
147  les  mots  archas,  aduchas,  où,  si  dans  le  premier  ch  pou- 
vait avoir  le  son  k,  il  devait  nécessairement  avoir  le  son  c  dans 
le  second?  Il  est  difficile  de  répondre  à  cette  question;  aussi 
tout  en  admettant  que  les  langues  de  la  péninsule  hispanique 
avaient  en  elles  la  faculté  de  développer  le  son  c  du  c  vélaire 
seul,  comme  elles  l'ont  dérivé  de  cl,  et  et  de  plusieurs  autres 
groupes,  il  faut  reconnaître  aussi  que  le  c  vélaire  n'y  a  pas  été 
assez  ébranlé  pour  se  modifier  —  sinon  exceptionnellement  —  et 
qu'il  a  dans  la  plupart  des  cas  conservé  sa  valeur  originelle.  Il 
n'en  a  pas  été  de  même  dans  les  idiomes  du  Nord-Ouest,  dans 
le  roumanche  et  les  dialectes  ladins  du  Tyrol  et  du  Nord  de 
l'Italie,  où  le  c  vélaire  n'a  persisté  qu'exceptionnellement  ;  mais 
les  modifications  qu'il  a  subies  ont  varié  avec  chacun  de  ces 
idiomes;  il  faut  donc  examiner  séparément  ce  qu'elles  ont  été 
dans  chacun  d'eux.  Commençons  par  les  dialectes  ladins  où  elles 
sont  le  plus  compliquées. 

P  Transformation  du  c  vélaire  dans  les 
dialectes  ladins. 

Des  sources  du  Rhin  au  fond  de  l'Adriatique  s'étend,  en  sui- 
vant la  courbure  des  Alpes,  une  large  bande  de  terrain  où  se 
parlent  divers  dialectes  romans,  débris  évidents,  malgré  les  difîe- 


—  ^85  — 

rences  qui  les  séparent,  d'une  même  langue  plus  ancienne,  dont 
ils  ne  sont  au  fond  que  des  formes  particulières.  Ces  dialectes*, 
auxquels  se  rattachent  par  plus  d'un  point  ceux  du  Tessin,  de  la 
Lombardie  et  de  la  Vénétie,  et  qui  occupèrent  sans  doute  autre- 
fois un  territoire  bien  plus  étendu,  mais  amoindri  par  les  empié- 
tements de  l'italien  d'un  côté  et  des  idiomes  germaniques  et  slaves 
de  l'autre  ^  se  divisent  géographiquement,  sinon  toujours  phoné- 
tiquement, en  trois  groupes  principaux  :  le  groupe  occidental  ou 
du  canton  des  Grisons,  qui  comprend  le  dialecte  de  l'Oberland  ou 
roumanche,  parlé  dans  les  vallées  du  Rhin  antérieur  et  du  Rhin 
postérieur,  et  le  dialecte  de  la  vallée  de  l'Inn  ou  Engaddine  ^  ;  le 
groupe  central  ou  des  dialectes  romans  du  Tyrol  S  parlés  surtout 
à  l'Ouest  dans  les  vallées  du  Noce,  de  l'Avisio  et  de  la  Gardera, 
à  l'Est  dans  celles  de  la  Gadera,  du  Cordevole  et  de  la  Haute- 
Piave  ;  enfin  le  groupe  oriental  ou  du  Frioul  ^,  comprenant  les 
sous-dialectes  de  Pordenone,  de  la  Carnia ,  du  territoire  d'Udine,  etc. 
Je  n'ai  point  ici  à  étudier  les  caractères  généraux  qui  distin- 
guent ces  divers  dialectes^  je  ne  veux  que  rechercher  la  manière 
dont  la  gutturale  vélaire  y  est  traitée  ^,  soit  qu'elle  persiste,  soit 
qu'elle  se  transforme  en  palatale  ou  en  chuintante,  son  change- 
ment en  spirante  ou  sa  suppression  ayant  été  examinés  dans  le 
premier  livre.  Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  les  dialectes  ladins 
ont  ceci  de  particulier  qu'ils  offrent  toutes  les  formes  traversées 
par  la  vélaire  dans  son  passage  du  son  k  au  son  c,  tandis  que  les 
idiomes  du  Nord-Ouest  ne  présentent  que  les  formes  extrêmes  k 
et  c,  ou  son  dérivé  s.  Ainsi,  tandis  que  dans  le  dialecte  de  l'Ober- 
land, et  parfois  aussi,  mais  exceptionnellement,  dans  les  autres, 
le  c  vélaire  persiste ,  il  se  change  en  palatale  proprement 
dite  dans  le  dialecte  de  l'Engaddine,  dans  les  dialectes  romans 
de  l'Ouest  du  Tyrol,  à  l'Est  dans  ceux  du  Val  de  Passa,  et  des 
vallées  de  la  Gardera  et  de  la  Gardena,  ainsi  que  dans  tous  ceux 


1.  Connus  déjà  pour  la  plupart  par  des  travaux  particuliers,  ces  dia- 
lectes viennent  d'être,  de  la  part  de  M.  G.-J.  Ascoli,  l'objet  d'un  travail 
d'ensemble  considérable,  que  j'ai  le  regret  de  n'avoir  pas  connu  avant 
d'avoir  fini  cette  étude,  mais  auquel  j'ai  pu  cependant  encore  emprunter 
quelques  renseignements  précieux  ou  quelques  utiles  rectifications. 

2.  Cf.  Bom.  1,  9. 

3.  0.  Carisch,  Taschenwœrterbuch  der  rhœtorom.  Sprache.  —  Id.  Gram. 
Lehrmethode  der  rhetor.  Sprache. 

4.  Chr.  Schneller,  Bie  roman.  Volktsmund.  in  Sud- Tir ol 

5.  Jac.  l'irona,  Vocabul.  friul.  p.p.  mra  del  dott.  Giul.  And.  Plrona. 

6.  Il  s'agit  naturellement  de  la  vélaire  suivie  de  a. 


—  186  — 
du  Frioul,  et  se  transforme  en  c  dans  les  dialectes  tyroliens 
d'Agordo,  d'Ampezzo,  d'Oltrechiusa  et  de  Comelico,  qui  offrent 
néanmoins  un  certain  nombre  de  mots,  variant  d'ailleurs  pour 
chacun  d'eux,  où  la  vélaire  persiste,  ainsi  que  dans  quelques  dia- 
lectes vénitiens. 

Les  transformations  dont  je  viens  déparier  s'appliquent  indiffé- 
remment à  la  vélaire,  qu'elle  soit  initiale  ou  médiale^  pourvu 
qu'elle  soit  suivie  de  a;  quand  elle  est  suivie^  au  contraire,  d'une 
autre  voyelle  non  palatale,  elle  persiste,  à  part  quelques  excep- 
tions, dans  tous  les  dialectes.  Les  exemples  suivants  donneront 
une  idée  de  ces  modifications  du  c  devant  a  dans  les  divers  dia- 
lectes ladins  ;  c  désigne  le  son  tch,  c  représente  la  vraie  palatale 
ou  ce  son  écrasé  dont  parle  Carisch,  figuré  tantôt  par  ch,  tantôt 
par  g  ou  même  ç. 

1"  c  initial  : 


LAT. 

c  =z  k 

c  z=c                c  =  c 

caballum 

cavaigl  Ob. 

cavaigl  e.         caval  Ag. 

cadere 

— 

cade  Fr.                     — 

*  calcaneum 

calcoign  Ob. 

calcogn  e.                  — 

*  calcinam 

calschinnaOh. 

,  cuts china  b.  e.           — 

calicem 

— 

caliç  Fr.                      — 

calidum 

cauld  Ob. 

caudi.î.,cod^.î.caudo  01.  Amp 

*cambiare 

— 

cambiar  v.  r.            — 

*  caminum 

camin  Ob. 

camin  e.           camin  Com. 

camisiam 

camischa  Ob. 

camischa  e  . ,  cameza  Amp . 
camise  Fr. 

campnm 

camp  Ob. 

camp  Fr.          campo  Amp. 

canalem 

canal  Ob. 

canal  e.                      — 

candelam 

candeila  Oh. 

candaila  e.                — 

canem 

can  Ob. 

caunB.^canFv.          — 

*  cannabarium 

canval  Ob. 

canval  e.  ,  canapia  Ag. 
canaipe  Fr. 

canonem 

canun  Ob. 

canun  e.                    — 

cantare 

cantar  Ob. 

cantar  e.          tant  a  Amp. 

*cantonem 

cantun  Ob. 

canton  Fr.       canton  kmç. 

capillum 

cavell  Ob. 

cavel  e.                      — 

1.  Elles  ne  s'appliquent  toutefois  en  général  à  la  vélaire  médiale 
qu'autant  que  celle-ci  est  appuyée,  c'est-à-dire  précédée  d'une  autre 
consonne  ;  précédée  d'une  voyelle,  au  contraire,  elle  s'affaiblit  en  g  ou 
le  plus  souvent,  comme  nous  avons  vu,  se  transforme  enjot.  Cf.  pi. 
haut  Liv.  I,  Gh.  Il,  p.  50. 


^87  — 


*  capellum 

capialla  Ob. 

6'6ï/3e  E., 

capel  Fas. 

cajoe^  Amp. 

*  capum 

eau  Ob. 

mwE.  ce«wOb 

.  caw  Oltr. 

caponem 

capun  Ob. 

capon  Fr. 

— 

capram 

caura  Ob. 

cavra  e. 

caura  Amp. 

capsam 

cassa  Ob. 

cascha  e. 

— 

*  captiare 

catschar  Ob. 

catschar  e. 

— 

carbonem 

— 

carbon  Fr. 

— 

*cardonem 

cardun  Ob. 

cardun  e. 

— 

*  carricare 

cargar  Ob. 

cargiar  e. 

c  arj  é  Am^. 

carnem 

carn  Ob. 

carn  E.  Fr. 

— 

carrum 

carr  Ob. 

(7ar(r)  Fr.  e. 

car  Amp. 

carum 

car  Ob. 

mr  Fr.  e. 

caro  Amp. 

cartam 

carta  Ob. 

éû^rte  e. 

— 

casam 

casa  Ob. 

m^a  Gad.  F. 

C(25a  Amp. 

castellum 

castell  Amp. 

castiell  Fr. 

castel  Oit. 

castigare 

castiar  Ob. 

castiar  e. 

— 

catenam 

cadena  Ob. 

cadeina  e. 

cadena  Amp. 

cattam 

— 

m^a  Fr. 

c«^tï  Amp. 

causam 

caussa  Ob. 

caussa,  cosaE.causa  Amp. 

cavare 

cavar  Ob. 

cavar  e. 

— - 

2°  c  médial 

I 

*  aucara 

oc<2  Amp. 

owmGard., 

OCO  V.  R. 

— 

barcam 

— 

&arc'è  Fr. , 
barca  e. 

— 

buccam 

bucca  Ob. 

&oée  Fr., 

— . 

&0CC?<2  E. 

èoc«  V.  R. 

*cercare 

zerca  Amp. 

cerca  Fr. 

;3;crce  Ag. 

*  figicare 

— 

/?ca  Fr, 

— 

furcanri 

— 

força,  forcèFv 

./brca  Amp. 

siccare 

seca  Amp. 

seca  Fr. 

— 

tincam 

— 

ifmée  Fr. 

— 

vaccam 

— 

i?«ca  Fr. 

vaca  Ag.,  etc. 

Dans  les  exemples  qui  précèdent  le  c  vélaire  est  suivi  de  a, 
dans  quelques  mots  où  il  était  primitivement  suivi  de  o  ou  de  w, 
modifiés  depuis  en  d'y  u,  etc. ,  il  a  subi  les  mêmes  changements 
que  devant  a,  moins  toutefois  la  transformation  en  c,  que  je  ne 
connais  pas.  Ainsi  on  a  : 


1.  0.  Garisch,  Woert.  s,  v.  —  G.  Ascoli,  Archivio,  passim. 


— 

-188  — 

corium 

— 

cirO\).  cà'r-E.            — 

*corpum 

corji  Ob.- 

-B.E 

.   cierp  Ob.  cûerp  h.e.  — 

cornu 

— 

ciern  Ob.                    — 

corvum 

corxi  E. 

cierv  Ob.                     — 

culum 

— 

cil  Ob.  cul  E.              — 

cunam 

— 

cinna  Ob.  cïinna  e.   — 

curam 

— 

ciraOh.cûra^.          — 

Il  a  été  dit  ^  que  le  c  vélaire  final  persiste  souvent  dans 
les  dialectes  ladins,  soit  sans  modification,  soit  en  s'afiaiblissant 
en  g  ;  mais,  fait  caractéristique  de  ces  idiomes,  ils  peuvent  aussi 
transformer  la  vélaire  finale,  comme  l'initiale  ou  la  médiale,  en 
<?,  g,  ou  même  h  ;  ainsi  à  côté  de  amig  on  trouve  une  forme 
ami'g  et  amie  ou  amih  ;  dico  a  donné  à  la  fois  dig  et  die  ; 
focum,  fuec  et  fœc  ;  à  côté  de  lac  (lacum)  on  rencontre  encore 
laie  B.  E.  ;  vicum  a  donné  vig  et  vih,  etc.  Les  autres  idiomes 
romans  n'ofirent  rien  de  comparable  ^. 

On  voit  par  tous  ces  exemples  à  quelles  hésitations  ont  obéi 
les  dialectes  ladins  dans  le  traitement  de  la  gutturale  vélaire,  et 
la  diversité  des  influences  qui  ont  dû  y  agir  pour  la  modifier  ;  la 
transformation  a  été  plus  simple  dans  les  langues  du  Nord-Ouest; 
voyons  comment  elles  ont  procédé,  en  commençant  par  le  pro- 
vençal où  le  problème  est  plus  compliqué  à  cause  des  difîérences 
que  présentent  à  cet  égard  les  difierents  dialectes. 

IP  Transformation  du  c  vélaire  dans  les  dialectes 
provençaux. 

Nous  avons  vu  que  ck  conserva  en  provençal,  ainsi  que  dans 
les  autres  langues  de  l'Ouest,  sa  valeur  gutturale  devant  e  et  i 
jusqu'en  plein  Moyen  Age  ;  il  n'en  dut  pas  moins  devenir  d'assez 
bonne  heure  le  signe  du  son  c,  qui  s'est  conservé  plus  ou  moins 
modifié  dans  cet  idiome.  C'est  comme  tel  sans  doute  que  nous  le 
trouvons  dans  le  plus  ancien  monument  de  la  langue,  le  Boèce, 
oii  il  apparaît  toutefois  à  côté  de  c  ;  ainsi  on  y  trouve  charcer 
(v.  71),  eharceral  (158) ,  mais  carcer  (96  et  101)  ;  cliaitiveza 
(88)  et  quaUiu  (126)  ;  schalas  (149,  156),  schala  (216, 232) , 
eschalo  (237),  mdX^scalas  (146)  ;  chadeu  (147)  ei  eadegut {72); 
chastiament  (111)  et  quastiazo  {22)  avec  c  ouch;  enûn  chanut 
(107),  Mc/ia  (130),  schapla  (207)  avec chseu\,k  cote  de  riqueza 

1.  V.  pi.  haut  Liv.  I,  Ch.  I,  p.  45.  —  2.  Ascoli,  Arch.  I,  76,  207. 


—  -189  — 

{S3)Mp  (116),  cap  (167),  caritat  (217),  castitat  (223)  ,peccaz 
(228),  cerqua  et  cerca  (238),  écrits  seulement  par  c,  k  ou  q. 

Que  faut-il  conclure  de  cette  double  orthographe,  qui  nous  est, 
comme  nous  le  verrons  par  la  suite,  présentée  par  tant  de  textes? 
Que  dans  certains  mots  c  suivi  de  a  avait  encore  la  prononcia- 
tion gutturale,  tandis  que  dans  d'autres  il  prenait  le  son  c?  Cette 
supposition  serait  acceptable  si  les  mêmes  mots  avaient  toujours' 
la  même  orthographe  ;  il  est  difficile  de  l'admettre  devant  de 
doubles  leçons  comme  chaitiveza  et  quaitiu;  il  ne  reste,  je  crois, 
qu'une  hypothèse  de  possible,  c'est  que  nous  sommes  en  présence 
non  d'un  texte  primitif,  mais  d'un  texte  remanié  ou  modifié  par 
un  copiste  dont  la  langue  était  autre  que  celle  du  poète  ;  il  n'est 
pas  improbable,  en  effet,  que  celui-ci ,  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  le  premier  copiste  du  poème  ne  connût  que  le  son  guttu- 
ral du  c,  le  copiste  du  texte  que  nous  possédons  connaissant,  au 
contraire,  le  son  c  de  la  gutturale  vélaire  transformée  l'aura 
rétabli  par  mégarde  ou  à  dessein  dans  les  mots  que  j'ai  relevés. 
C'est  là  un  fait  que  nous  verrons  se  reproduire  bien  des  fois,  et 
qui  est  d'une  importance  capitale  dans  l'étude  phonétique  des 
textes  du  Moyen  Age,  dont  il  peut  seul  expliquer  les  anomalies 
et  les  contradictions  orthographiques  ;  il  ne  saurait,  en  effet,  dans 
des  textes  recopiés  pour  la  plupart  plusieurs  fois  dans  des  lieux 
et  en  des  temps  différents,  être  question  d'unité  d'orthographe  et 
parfois  même  d'idiome  ;  il  ne  saurait  être  non  plus,  la  plupart  du 
temps,  question  de  la  langue  du  poète,  mais  seulement  de  celle 
du  copiste  du  manuscrit  que  nous  avons  sous  les  yeux ,  et  parfois 
même,  pour  les  poèmes  du  moins  qui  ont  passé  par  plusieurs 
mains,  le  texte  n'est  lui-même  qu'un  compromis  entre  la  langue 
de  celui  qui  nous  l'a  transmis  et  celle  de  ses  devanciers.  Ainsi 
pour  le  cas  particulier  qui  nous  occupe  en  ce  moment,  on  peut 
croire  que  l'auteur  du  Boèce  ignorait  encore,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  la  transformation  de  ca  en  cha,  mais  qu'au  contraire  le 
copiste  du  xi®  siècle,  auquel  nous  devons  le  texte  que  nous  en 
avons,  la  connaissait  déjà  et  l'a  rétablie  dans  un  certain  nombre 
de  mots.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  hypothèse,  ce  qui  ressort  d'une 
manière  incontestable  de  ce  qui  précède,  c'est  qu'au  xi®  siècle  la 
transformation  du  c  en  c  avait  déjà  eu  lieu  au  moins  dans  un  des 
dialectes  du  provençal. 

S'était-elle  produite  dans  tous  ?  comment  chacun  d'eux  en  par- 
ticulier a-t-il  traité  la  gutturale  vélaire  suivie  de  a  ?  Telle  est  la 
question  qu'il  me  faut  examiner,  et  dont  la  solution  offre  plus 
d'une  difficulté.  Ce  qui  complique,  en  effet,  l'étude  de  la  phoné- 


—  490  — 
tique  du  provençal,  c'est  la  multiplicité  de  ses  dialectes  et  l'igno- 
rance où  l'on  est  encore  le  plus  souvent  sur  leurs  caractères  dis- 
tinctifs  ;  ce  n'est  pas  que  ces  dialectes  aient  tous  la  même  impor- 
tance, ni  qu'il  y  ait  eu  sans  doute  autrefois  entre  eux  une  diffé- 
rence aussi  grande  qu'aujourd'hui;  il  semble  même  qu'il  se  forma 
vers  le  xii''  siècle  une  espèce  de  langue  poétique  conventionnelle, 
commune  ou  à  peu  près  à  tous  les  troubadours  *  ;  néanmoins 
toutes  les  dififérences  dialectales,  malgré  l'uniformité  apparente 
de  cet  idiome  littéraire,  ne  purent  disparaître,  elles  subsistèrent 
dans  la  langue  usuelle,  et  reflétées  plus  ou  moias  déjà  dans  les 
ouvrages  du  temps,  eUes  se  sont  perpétuées  jusqu'à  nos  jours.  Je 
n'ai  pas  la  prétention  de  faire  ici  l'histoire  trop  peu  connue  des 
dialectes  provençaux,  je  voudrais  seulement,  en  m'attachant  aux 
principaux  d'entre  eux,  essayer  de  montrer  quelles  ont  été  les 
vicissitudes  du  c  vélaire  dans  l'idiome  parlé  au  Sud  de  la  Loire. 
Etudions-le  d'abord  dans  les  monuments  les  plus  importants 
qu'il  nous  a  laissés. 

Le  premier  que  nous  rencontrons  après  le  Boèce  sont  les 
«  Poésies  religieuses  en  langue  d'oc  ^  »  publiées  par  M.  Paul 
Meyer,  d'après  les  manuscrits  1139  et  1743  de  la  Bibliothèque 
nationale,  lesquels  semblent,  comme  celui  de  ce  poème,  être  du 
xr  siècle.  Leur  examen  nous  donne  un  résultat  différent.  Ainsi 
dans  la  pièce  de  vers  la  plus  étendue,  espèce  de  confession 
tirée  du  manuscrit  1743,  c  persiste  sans  exception  ;  dans  les  can- 
tiques tirés  du  manuscrit  1139,  au  contraire,  c  devant  a  se 
change  en  ch,  par  exemple  chab,  chastitat,  chausit.  Il  est  évi- 
dent qu'on  a  affaire  à  des  monuments  d'origine  différente. 
M.  Meyer  croit  que  la  plus  longue  de  ces  poésies  religieuses  en 
langue  d'oc,  celle  du  manuscrit  1743,  est  écrite  dans  le  dialecte 
d'Auvergne;  j'inclinerais  à  lui  attribuer  une  origine  plus  méridio- 
nale. Le  manuscrit  1139,  provenant  de  l'abbaye  de  Saint-Martial 
de  Limoges,  les  deux  cantiques  qui  en  sont  tirés  sont,  suivant 
toute  vraisemblance,  écrits  en  limousin  ;  ainsi  au  xi®  siècle  ce 
dialecte  changeait  déjà  régulièrement  le  c  vélaire  suivi  de  a  en  c. 
Cette  manière  de  voir  trouve  sa  confirmation  dans  le  consonnan- 
tisme  des  trois  sermons  limousins  publiés  également  par  M.  Meyer 
dans  le  sixième  volume  à.\x  Jahv'huch'K  Dans  le  premier,  c{a)  est 
changé  en  cha  sept  fois,  tandis  qu'il  ne  persiste  que  trois  fois  ;  le 


1.  Cf.  Bartsch,  Grundriss  zur  Geschicfe  der  provenzalischen  Literatur,Tp.  69. 

2.  Paris,  ia-8",  1860,  et  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes,  5""' série,  l,  481. 

3.  P.  78  et  suiv. 


—  i9\    — 

second  nous  donne  quatre  exemples  de  transformation  de  c{a)  et 
deux  seulement  de  sa  persistance  ;  dans  le  troisième  nous  trou- 
vons six  exemples  du  changement  de  c{a)  en  ch  et,  pour  ne  pas 
parler  de  pascam,  un  seul  riqueza,  mot  d'origine  germanique 
encore,  où  il  persiste;  la  transformation  du  c  vélaire  est  donc  de 
beaucoup  le  fait  le  plus  ordinaire  en  limousin.  On  la  retrouve 
aussi  dans  la  traduction  de  l'évangile  de  Saint  Jean,  écrit  selon 
M.  P.  Meyer  ^  dans  le  dialecte  vaudois,  mais  probablement  pas 
avant  le  xii**  siècle.  Dans  ce  texte,  publié  d'abord  par  M.  K. 
Hoffmann  dans  les  «  Gelehrte  Anzeigen  der  Kœniglichen  baye- 
rischen  Akademie  der  Wissenschaften  »  (1858)  et  peu  après 
(1860)  par  M.  Fr.  Michel  dans  son  édition  du  Psautier  d'Oxford  2, 
nous  voyons  ch  substitué  partout  à  c  suivi  de  a  ou  de  au,  lequel 
ne  persiste  pas  une  seule  fois,  tandis  que  sa  transformation  ch  se 
rencontre  plus  de  trente  fois. 

On  le  voit,  à  cette  époque  le  changement  du  c  vélaire  en  c 
était  un  fait  fréquent  dans  les  dialectes  de  la  région  septentrio- 
nale du  domaine  de  la  langue  d'oc.  C'est  de  cette  région  aussi,  à 
ce  qu'il  semble  3,  que  le  poète  du  «  Girart  de  Rossilho  »  était 
originaire,  cependant  c{a)  persiste  dans  ce  roman  bien  plus  sou- 
vent qu'il  ne  se  change  en  ch  ;  ainsi  dans  les  443  vers  donnés  par 
Bartsch  d'après  l'édition  de  Conr.  Hoffmann,  j'ai  compté  qua- 
rante-cinq mots  où  c{a)  persiste  contre  vingt  où  il  se  transforme 
en  ch. 

Il  est  difficile  de  savoir  si  les  poésies  des  troubadours  nous 
sont  parvenues  dans  leur  pureté  première,  ou  si  le  texte  en  a  été 
remanié,  et  dans  quelle  mesure  il  a  pu  l'être  par  les  scribes  qui 
nous  les  ont  transmises.  Cependant  il  est  peu  probable  que  le 
consonnantisme  en  ait  été  complètement  changé  ;  aussi  est-il 
permis  d'y  chercher  quelques  renseignements  sur  la  manière 
dont  le  c  vélaire  était  traité  dans  les  provinces  d'où  les  divers 
troubadours  étaient  originaires.  Commençons  par  ceux  du  Nord. 

Le  son  c  domine  dans  les  poésies  de  Guillaume  de  Poitiers;  dans 
les  fragments  de  ce  troubadour  donnés  dans  la  Chrestomathie, 
je  compte  quinze  mots  où  on  le  trouve,  cinq  seulement  où  il 
fait  place  à  ch.  La  même  chose  a  lieu  dans  les  Poésies  du  péri- 
gourdin  Bertran  de  Born  ;  sur  deux  cents  et  quelques  vers  que 
donne  Bartsch,  il  y  a  treize  cas  de  persistance  du  c  vélaire,  trois 


1.  V.  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes.  S"""  série  p.  530.  —  Rom.  I,  383. 

2.  Libri  Psalmorum  vei'sio  antiqua  gallica^  in-8°;  Paris,  p.  369-376. 

3.  Bartsch,  Grundriss,  p.  19. 


—  492  — 

seulement  de  son  changement  en  chuintante.  Dans  Arnaut  Daniel, 
compatriote  de  Bertran  de  Born,  on  trouve  la  même  proportion 
entre  les  cas  où  c  suivi  de  a  persiste  et  ceux  où  il  se  change  en 
ch  ;  ainsi  sur  quatre-vingt-huit  vers  donnés  dans  la  Chrestoma- 
thie,  on  trouve  c{a)  persistant  quatorze  fois  et  se  changeant  en  ch 
trois  fois  seulement.   C[a)  paraît  persister  plus  souvent  encore 
dans  Bernart  de  Ventadour  qu'il  ne  se  change  en  ch,  mais  la 
proportion  est  bien  moins  forte  que  chez  les  deux  troubadours 
dont  je  viens  de  parler,  elle  est  de  neuf  cas  sur  sept  seulement 
dans  celles  de  ses  poésies  données  par  Bartsch  ;  cependant  dans 
les  vers  adressés  à  Peirol,  cha  est  plus  fréquent  que  ca,  on  le 
trouve  huit  fois  et  trois  fois  seulement  cette  dernière  forme.  La 
conservation  de  c  devant  a  paraît  également  avoir  eu  lieu  plus 
souvent  dans  le  troubadour  limousin  Gaucelm  Faidit  que  sa  mo- 
dification en  ch;  mais  la  différence  entre  le  nombre  de  cas  où  ca 
persiste  et  ceux  où  il  se  transforme  est  insignifiante.  Il  n'en  est  pas 
de  même  dans  les  poésies  de  Guiraut  de  Borneuil  ;  ici  toutefois 
c'est  en  sens  inverse  qu'est  changée  la  proportion  ;  c{où)  se  change 
le  plus  souvent  en  ch;  il  ne  persiste,  au  contraire,  qu'assez  rare- 
ment, à  peu  près  dans  la  proportion  de  une  fois  sur  trois,  à  en 
juger  par  les  fragments  donnés  par  Bartsch.  Ce  résultat  n'a  rien 
qui  doive  surprendre  ;  nous  avons  vu,  en  effet,  dans  les  monu- 
ments limousins  ca  se  transformer  le  plus  souvent  en  cha;  il  n'est 
donc  pas  étonnant  que  les  troubadours  limousins  aient  donné  la 
préférence  à  cette  dernière  forme. 

Il  y  a  peu  de  choses  à  dire  de  l'état  de  la  gutturale  dans  les 
poésies  de  Peirol  :  les  formes  ca  et  cha  paraissent  s'y  rencontrer 
à  peu  près  indifféremment.  Dans  Peire  Rogier,  troubadour  ori- 
ginaire d'Auvergne  comme  Peirol,  la  forme  ch  semble  être  plus 
fréquente  que  ca  ;  dans  Peire  d'Alvernhe,  au  contraire,  ca  per- 
siste plus  souvent  qu'il  ne  se  change  en  cha;  sur  les  cent  quatre- 
vingt-douze  vers  donnés  dans  la  Chrestomathie  la  première  forme 
se  rencontre  douze  fois,  la  seconde  seulement  neuf.  Il  est  difficile 
de  rien  conclure  de  positif,  sur  l'ancien  consonnantisme  du  dia- 
lecte velaisien,  de  l'examen  des  poésies  des  deux  troubadours  qui 
ont  illustré  la  contrée  du  Puy  ;  dans  celles  de  Pons  de  CapdoiU, 
le  plus  ancien  des  deux,  ca  et  cha  paraissent  indifféremment 
emploj^és  ;  dans  les  poèmes  de  Peire  Cardinal,  au  contraire,  on 
trouve  presque  toujours  la  première  forme,  la  seconde  est  pres- 
que exceptionnelle. 

C'est  aussi  la  forme  ca  qu'on  rencontre  presqu'exclusivement 
chez  les  deux  troubadours  d'Orange  Raimbaut  III  et  Raimbaut 


—  493  — 

de  Vaqueiras  ;  ch  n'y  apparaît  que  très-rarement.  Mais  chez 
les  troubadours  toulousains  Peire  Raimon  et  Peire  Vidal,  nous 
retrouvons  à  la  fois  caet  cha,  assez  inégalement  cependant  ;  dans 
les  poésies  du  premier,  si  j'en  juge  par  le  court  fragment  que 
donne  la  Chrestomathie,  ces  deux  formes  se  rencontrent  indiffé- 
remment ;  dans  les  poésies  du  second,  bien  que  ch  soit  d'un  usage 
assez  fréquent,  ca  est  beaucoup  plus  employé  ;  dans  les  frag- 
ments donnés  par  Bartsch,  ca  se  trouve  sept  fois,  ch  deux  fois 
seulement.  C'est  encore  la  forme  gutturale  qui  l'emporte  chez 
Uc  de  Saint-Cire,  ch  ne  s'y  rencontre  qu'exceptionnellement. 
On  ne  doit  pas  être  surpris  de  trouver  aussi  presque  exclu- 
sivement la  forme  ca  dans  le  troubadour  de  Carcassonne, 
Marcabrun  ;  on  ne  s'en  étonne  que  plus  de  rencontrer  presque 
aussi  souvent  cha  que  ca  dans  les  Poésies  de  son  compatriote 
Raimon  de  Miraval  ;  et  il  faut  voir  évidemment  dans  cette 
dififérence  de  langue  entre  deux  poètes  originaires  du  même 
pays  un  exemple  de  la  liberté  dont  jouissaient  les  trouba- 
dours dans  le  choix  des  formes  dialectales  qu'ils  employaient,  ou 
des  changements  que  les  copistes  ont  parfois  apportés  aux  textes 
qu'ils  nous  ont  transmis.  Cette  supposition  trouve,  je  crois,  sa 
confirmation  dans  cette  circonstance  qu'on  rencontre  les  mêmes 
formes  —  je  ne  parle  ici  que  de  la  gutturale  vélaire  et  de  son 
changement  en  chuintante  —  chez  des  poètes  nés  dans  des  contrées 
aussi  éloignées  que  Gaucelm  Faidit  et  Folquet  de  Marseille,  qui 
donne  comme  lui  la  préférence  à  la  forme  ca,  ou  même  chez  des 
troubadours  étrangers,  comme  Alfonse  II,  roi  d'Aragon.  Voilà 
pourquoi  je  n'ai  pas  poussé  plus  loin  l'étude  du  consonnantisme 
dans  les  poésies  des  troubadours  du  xif  et  du  commencement  du 
xiif  siècle,  et  me  suis  en  général  contenté  des  fragments  donnés 
par  Bartsch  dans  sa  Chrestomathie  provençale.  J'ajouterai 
cependant  à  ce  qui  précède  quelques  observations  sur  plusieurs 
poèmes  et  troubadours  du  milieu  et  de  la  seconde  moitié  du 
XIII*  siècle.  Dans  les  poésies  de  GuiUem  Figueira  et  de  Peire  de 
Corbiac  on  trouve  les  formes  ca  et  cha  ;  mais  la  première  est 
beaucoup  plus  commune  que  la  seconde.  Dans  Raimon  Vidal  et 
Peire  Guilleni,  la  forme  cha  n'apparaît  plus  que  comme  très- 
rare  exception,  la  gutturale  vélaire  persiste  presque  partout.  On 
n'en  est  que  plus  surpris  de  la  voir  se  changer  assez  fréquemment 
en  chuintante  dans  les  poésies  de  Guiraut  Riquier,  troubadour 
narbonnais,  quoiqu'elle  y  persiste  encore  plus  souvent  qu'elle 
ne  se  transforme. 

Cette  fréquence  du  son  c  substitué  à  la  vélaire  k  est  presque 

43 


—  ^194  — 

un  fait  isolé  à  cette  époque  ;  loin  de  se  transformer,  le  c  suivi  de 
a  persiste  plus  que  jamais,  on  pourrait  croire  que  l'influence  des 
formes  limousines  a  cessé  de  se  faire  sentir,  et  dans  les  poèmes 
de  la  seconde  moitié  du  xiif  siècle  ca  est  la  forme  qui  prédomine^ 
quand  elle  n'est  pas  à  peu  près  exclusivement  employée.  Ainsi 
c'est  elle  qu'on  rencontre  le  plus  souvent  dans  la  «  Chanson  de  la 
croisade  albigeoise  »*;  dans  «  Li  auzel  cazador  »,  poème  peut- 
être  un  peu  antérieur  à  cette  époque,  on  ne  rencontre  même  à 
peu  près  qu'elle,  à  en  juger  du  moins  par  le  fragment  donné  dans 
la  Ghrestomathie,  d'après  Sainte-Palaye.  Sur  les  quatre  cent 
quarante-huit  vers  qu'elle  renferme  du  «  Roman  de  Jaufre  »  on 
ne  rencontre  aussi  qu'une  seule  fois  la  forme  ch,  partout  ailleurs 
la  gutturale  persiste.  1/ examen  de  «  Flamenca  »  donne  lieu  à  la 
même  observation  ^  ;  dans  les  quatre  cents  premiers  vers ,  je  n'ai 
compté  que  quatre  mots  où  apparaisse  ch,  dechai,  marcha, 
cJiascun  écrit  neuf  fois  avec  un  simple  c,  et  Flamencha,  trois 
fois  à  côté  de  neuf  fois  Flamenca.  La  nouvelle  assez  longue 
d'Arnaut  de  Carcasse,  donnée  dans  laChrestomathie,  n'a  que  trois 
fois  la  forme  ch  sur  vingt-trois  cas  de  persistance  de  la  vélaire. 
Le  fragment  du  «  Breviari  d'amor  »  de  Matfre  Ermengau  de 
Béziers,  donné  également  par  Bartsch,  n'offre  pas  même  d'exem- 
ple du  changement  de  ca  en  cha,  et  je  n'en  ai  relevé  qu'un  seul 
cas  dans  le  passage  cité  par  Rajnouard,  chascus  à  côté  de 
cascus^. 

Ainsi  la  forme  ca,  qui  avait  paru  au  xif  siècle  dans  tant  de 
monuments,  même  des  pays  les  plus  méridionaux  de  la  langue 
d'oc,  devoir  faire  place  à  cha,  a  repris  ses  droits  au  xm'',  du 
moins  dans  les  provinces  voisines  des  Pyrénées  et  de  la  Méditer- 
ranée, et  l'inspection  dès  chartes  du  siècle  précédent,  publiées 
par  M.  A.  Teulet,  montre  même  que  cette  transformation  de  la 
vélaire  n'avait  lieu  ou  à  peu  près  que  dans  la  langue  des  trouba- 
dours; dans  toutes,  en  effet,  on  ne  trouve  que  la  forme  ca;  ch 
n'apparaît  pour  la  première  fois  qu'au  xiif  siècle  dans  une  charte 
de  Toulouse  de  1225^.   C'est  également  ca  seul  que  je  trouve 


1.  Publiée  par  Fauriel,  Paris  1837. 

2.  Flamenca,  publiée  par  Paul  Meyer,  in-S»,  Paris  1864.  Le  savant  édi- 
teur pense  que  ce  poème  a  été  composé  entre  1220  et  1250;  Bartsch,  au 
contraire,  le  croit  postérieur  à  cette  dernière  date. 

3.  Raynouard,  Choix  des  poésies  originales  des  Troubadours,  \,  259.  —  Id. 
Lexique!,  515. 

4.  Layettes  du  trésor  de  l'École  des  chartes  p.  p.   A.  Teulet. 


—  -195  — 

dans  une  charte  albigeoise  du  même  siècle  (1211),  donnée  par 
la  «  Revue  des  Langues  romanes  »  ^ 

Si  la  langue  change  au  xiv*  et  surtout  au  xv®  siècle,  la  guttu- 
rale n'en  persiste  pas  moins  le  plus  souvent  comme  par  le  passé  ; 
c'est  elle  presque  exclusivement  qu'on  rencontre  dans  la  traduc- 
tion du  «Livre  de  Sydrac»  et  du  «  Livre  des  vices  et  des  vertus», 
dans  r  «  Evangile  de  Nicodème  »  et  1'  «  Evangile  de  l'enfance  », 
ainsi  que  dans  1'  «  Histoire  abrégée  de  la  Bible  »  ;  ch  n'apparaît 
assez  souvent  que  dans  «  Las  Leys  d'Amor  »  ;  mais  tout  à  la  fin 
de  cette  période  on  voit  ca  persister  presque  seul  encore  dans  le 
texte  d'une  Délibération  de  la  commune  de  Tarascon  et  dans  la 
«  Canso  de  plang  » ,  donnée  par  Bartsch  à  la  fin  de  sa  Chresto- 
mathie  provençale  ;  cependant  des  formes  en  ch  apparaissent  de 
temps  en  temps  comme  char  amen,  chins,  dans  le  «  Ludus 
sancti  Jacob  »,  écrit  probablement  en  Provence.  Faut-il  voir  là 
un  effet  de  l'influence  du  français  sur  la  langue  d'oc  ?  Peut-être 
dans  une  certaine  mesure  ;  mais  je  crois  qu'il  est  difficile  d'ad- 
mettre que  cette  influence  ait  seule  contribué  à  déterminer  le 
changement  de  la  gutturale  vélaire  en  c,  quand  il  a  eu  lieu,  dans 
les  dialectes  parlés  au  Sud  de  la  Loire,  puisque  je  l'ai  signalé 
dans  les  plus  anciens  monuments,  écrits  à  une  époque  où  la 
langue  d'oïl  ne  pouvait  exercer  au  loin  une  influence  pareille  sur 
le  parler  populaire.  Le  fait  même  de  l'inégale  transformation  de 
la  gutturale  vélaire  dans  les  dialectes  provençaux  et  son  affaiblis- 
sement évidemment  postérieur  en  ts  montrent  qu'elle  est  due  sur- 
tout à  la  force  de  développement  propre  à  chacun  d'eux. 

Rien  de  plus  divers,  en  effet,  que  les  modifications  de  la  guttu- 
rale dans  les  dialectes  modernes  du  provençal  ;  dans  le  dialecte 
du  Haut-Limousin,  pour  lequel  je  prends  les  poésies  de  Foucaud 
comme  modèle,  et  dans  la  Basse-Auvergne  elle  se  change  régu- 
lièrement en  ch,  prononcé  tch,  en  faisant  toutefois  très-peu 
entendre  le  son  du  t  initial ,  mais  dans  le  Bas-Lirnousin  et  la 
Haute-Auvergne  elle  s'est  transformée  en  ts~  ;  il  en  est  de  même 
en  général  dans  le  patois  du  Velay  ;  dans  celui  du  Forez,  au 
contraire,  le  c  vélaire  s'est  changé  en  ch  avec  la  même  valeur  5 
qu'en  français-*;  c'est  aussi  celle  qu'il  prend  dans  le  dialecte 
dauphinois,  tel  que  le  montrent  les  «  Poésies  en  patois  du  Dau- 
phiné  ^  cela  a  lieu  parfois  aussi  en  savoyard,  mais  plus  souvent 


1.  Ann.  187-2,  p.  7. 

2.  Foucaud,  Poésies  en  patois  limousin  publiées  par  Em.  Ruben,  p.  61. 

3.  Legras,  Patois  fore'zien.  —  4.  Poésies  en  patois  du  Dauphiné.  Gren.  in-12. 


—  -196  — 

c  s'y  change  en  ts  ou  même  en  ih  (G) ,  Dans  le  provençal  pro- 
prement dit,  les  deux  formes  c  et  ch  coexistent  l'une  à  côté  de 
l'autre,  mais  c  persiste  bien  plus  souvent  qu'il  ne  se  change  en 
ch  ;  ce  dernier  signe  ne  représente  pas  d'ailleurs  dans  ce  dialecte 
le  son  c  ou  5,  mais  à  peu  près  celui  de  ts''.  Dans  le  premier 
chant  de  Miréio,  par  exemple,  on  ne  rencontre  la  forme  ch 
substituée  au  c  vélaire  latin  que  dans  huit  à  dix  mots,  tandis 
que  dans  tous  les  autres,  c'est-à-dire  plus  de  vingt  fois,  celui-ci 
a  persisté.  Dans  le  Languedoc  c  l'emporte  de  beaucoup  sur 
ch,  mais  le  rapport  qui  existe  entre  ces  deux  formes  varie  avec 
les  localités  ;  il  en  est  de  même  de  la  valeur  de  ch.  Ainsi  dans 
le  sous-dialecte  de  Montpellier,  et  dans  presque  tout  l'Hérault, 
le  c  vélaire  a  le  plus  souvent  persisté,  eich,  qui  le  remplace  aussi, 
quoique  rarement,  se  prononce  tcli^.  Dans  le  dialecte  de  Carcas- 
sonne  et  de  Narbonne,  c  est  aussi  la  forme  dominante  et  ch  se 
prononce  tch  ;  mais  sans  sortir  du  département ,  du  côté  de 
Pamiers  et  sur  les  frontières  du  Tarn,  il  prend  le  son  ts  ^  ;  c'est 
celui  qu'on  lui  donne  en  général  dans  le  Nord  de  la  province,  en 
particulier  dans  le  Quercy,  sans  toutefois  qu'il  se  substitue  plus 
souvent  au  c  vélaire,  ainsi  dans  un  échantillon  du  dialecte  rouer- 
guat,  que  je  trouve  encore  dans  la  Revue  des  langues  romanes  *, 
c  a  toujours  persisté  dans  les  quelques  mots  où  il  apparaît.  Le 
dialecte  de  la  Gascogne  a  le  plus  souvent  conservé  le  c  vélaire , 
on  y  rencontre  aussi  parfois  ch,  lequel  se  prononce  tch,  et 
chose  singulière  dans  des  mots  même  dont  la  forme  ordinaire  est 
c,  c'est  ainsi  que  Jasmin  écrit  cha7i{s)  I,  10,  II,  5,  mais  can- 
tara,  canti  I,  7  et  9  ;  cansons  II,  9^  Quant  au  catalan,  il  n'a 
guère  pris  part  plus  que  les  autres  idiomes  de  la  péninsule  hispa- 
nique au  changement  de  c{a)  en  ch{a)  ;  le  c  vélaire  y  persiste  à 
peu  près  dans  tous  les  cas. 


1.  Fr.  Mistral,  Miréio.  Avis,  p.  l  :  nCh  se  prononce  ts  »  ;  on  est  surpris  de 
voir  l'auteur  ajouter  «  comme  dans  le  mot  espagnol  muchacho  »,  puisque 
ch  s'y  prononce  non  ts,  mais  tch  ;  on  dit  moutchaicho,  non  moutsatso. 

2.  Revue  des  langues  romanes,  ann.  1870,  p.  122  et  156. 

3.  Id.,  id.  p.  314. 

4.  Janv.  1872,  p.  81. 

5.  Juni  ta  boues  laougèro  à  mous  chans  faribols.  I,  10, 
Canti  lou  trin,  la  guerro  et  lous  famus  souldats.  1,  9. 
Baci  lou  chan  qu'on  entendit.  II,  5. 

Al  brut  de  vint  cansons  jouyouzos.  II,  9. 


—  -197  — 

Iir  Transformation  du  c  vélaire  en  c  (s)  dans  le 

français  proprement  dit. 


tialecte 


J'arrive  maintenant  à  la  langue  d'oïl.  Des  différents  dialectes 
qu'elle  comprend,  je  ne  m'occupe  pour  le  moment  que  de  celui 
qui  en  se  modifiant  est  devenu  le  français  moderne,  le  dialecte 
parlé  avec  quelques  différences  au  centre  du  royaume,  dans  l'Ile- 
de-France,  l'Orléanais,  la  Touraine,  la  Champagne,  la  Bour- 
gogne et  désigné  parfois  sous  le  nom  de  dialecte  bourguignon, 
et  comme  tel  opposé  au  picard  et  au  normand  ^  Le  c  vélaire  suivi 
de  «  a  pris  dans  ce  dialecte,  —  que  a  ait  persisté  ou  se  soit 
changé  en  e,  ie,  ai,  —  le  son  s,  affaibhssement  du  son  plus  com- 
plet c,  qu'il  a  dû,  comme  je  l'ai  montré,  avoir  au  Moyen  Age  ; 
mais  à  quelle  époque  cette  transformation  de  k  en  c  a-t-elle  eu 
lieu  ?  EUe  remonte  sans  doute  fort  haut,  mais  elle  est  évidemment 
de  beaucoup  postérieure  au  changement  de  la  gutturale  palatale 
en  spirante  ;  celle-ci,  comme  nous  l'avons  vu,  s'était  modifiée  à 
partir  du  v"  siècle  et  probablement  était  complètement  transformée 
en  Gaule  au  vu''  ;  mais  rien  ne  prouve  qu'alors,  et  même  bien 
plus  tard,  la  gutturale  vélaire  eût  encore  été  altérée,  et  si  nous 
nous  en  rapportons  aux  premiers  documents  de  la  langue,  nous 
en  reporterons  l'époque  assez  loin  de  ses  commencements. 

Les  «  Serments,  »  le  premier  document  français  et  même  roman 
que  nous  ayons,  contiennent  plusieurs  mots  où  c  initial  suivi  de  a 
ou  de  0  est  devenu  ch  en  français,  mais  tous  ces  mots  y  sont  écrits 
par  un  c  simple  :  faut-il  supposer  que  c  pouvait  alors  avoir  à  la 
fois  le  son  c  ou  c  devant  «,  o  ?  que  par  exemple  on  devait  le 
prononcer  c  dans  case  tandis  qu'il  avait  le  son  k  dans  commun; 
cela,  malgré  l'opinion  contraire  de  M.  Gaston  Paris  ^,  me  paraît 
difficile  à  admettre;  il  eût  fallu,  en  effet,  pour  qu'il  en  fût  ainsi, 
que  c  eût  pu  avoir  les  trois  sons  k,  c  et  ts  —  ce  dernier  devant 
e  eii  —  ce  qui  n'a  d'analogue  dans  aucune  langue  romane,  où  il 
n'en  représente  que  deux  à  la  fois  ^;  on  ne  peut  du  moins,  je  crois, 
supposer  qu'on  ait  alors  prononcé  Charles  le  nom  que  Nithard  a 
sans  doute  à  dessein  et  en  souvenir  de  son  origine  germanique 
écrit  quatre  fois  par  un  k.  Ainsi  au  milieu  du  ix^  siècle  on  ne 


1.  Voir  même  livre,  chap.  III  pour  les  autres  dialectes  français. 

2.  Alexis  p.  86. 

3.  Il  est  vrai  que  si  on  supposait  que  c  suivi  de  e,  i  avait  encore  la 
valeur  c,  l'objection  tomberait  par  là  même. 


—  ^98  — 

connaissait  probablement  pas  encore  la  transformation  de  c  en  c; 
mais  il  est  possible  qu'il  se  fût  déjà  changé  en  palatale  li,  et  que 
les  copistes  impuissants  à  figurer  ce  son  nouveau  l'aient  tout 
simplement  désigné  par  c  comme  la  gutturale  vélaire  K 

Dans  la  «  Cantilène  de  Sainte  Eulalie  »,  le  second  document  que 
nous  ayons  en  notre  langue,  nous  trouvons  ch  dans  les  mots 
chielt  (calet)  v.  13  et  c/wee/'(caput)  v.  22,  et  dans  chi  (qui)  v.  6 
et  12  ;  mais  le  scribe  a  écrit  par  c  ou  par  k  (qui)  cose  v.  9  et  kose 
V.  23  de  même  que  colpes  v.  20,  corps  v.  2,  eskoltet  v.  5,  coist 
V.  20.  Faut-il  voir  là  un  simple  caprice  orthographique  ?  Devant  e, 
i  ou  ie  provenant  de  e  ou  i  latin,  le  c  avait  alors,  comme  nous 
avons  vu,  probablement  déjà  le  son  ts,  le  scribe  a  senti  aussi  le 
besoin  de  mettre  devant  ie,  venant  de  a,  où  le  c  ne  devait  pas  avoir 
ce  son,  un  signe  particulier,  il  a  eu  recours  à  ch,  afin  qu'on  ne 
prononçât  point  la  première  lettre  de  ces  deux  mots  comme  celle  de 
ciel  V,  6  et  25  ;  mais  quelle  valeur  a-t-il  attribuée  à  ce  signe  ?  Au 
vers  6  et  12,  dans  le  mot  chi,  ch  représente  certainement  la  gut- 
turale palatale  ;  en  est-il  de  même  dans  chieef  et  chielt  ?  Il  est 
difficile  de  répondre  à  cette  question  ;  on  pourrait  objecter  que  si 
dans  ces  derniers  mots  ch  représente  la  chuintante  c,  il  est  sur- 
prenant que  le  scribe  n'ait  pas  employé  pour  désigner  la  gutturale 
de  chi  un  des  signes  qoM  k  dont  il  s'est  servi  dans  omqi  v.  9  et 
13  et  dans  esJwltet  v.  5;  mais  on  rencontre  ch  avec  la  double 
valeur  c  ou  s  et  h,  dans  des  monuments  postérieurs,  par  exemple 
dans  le  Psautier  d'Oxford,  il  n'est  donc  pas  impossible  qu'il  ait 
aussi  dans  ce  texte  la  valeur  k  et  c.  Quant  à  cose,  écrit  par  un 
k  au  vers  23,  il  est  difficile  de  croire  que  le  copiste  de  la  Can- 
tilène l'ait  prononcé  autrement  que  kose  ou  Rose. 

Le  troisième  document  de  notre  langue,  le  «  Fragment  de 
Valenciennes,  »  nous  offre  quatre  fois  la  notation  ch  dans  cheve 
(caput),  sèche  (sicca),  c^er^e  (caritatem),  acheder  (accaptare), 
et  deux  fois  —  notation  particulière  à  ce  scribe  —  jh  pour  ch 


1.  On  pourrait  objecter  que  la  diphthongue  «w  s'étant  déjàcbangéeen 
0,  si  c  ne  s'était  lui  aussi  transformé  déjà  en  c,  il  n'aurait  pu  le  faire 
plus  tard,  puisque  en  général  le  son  guttural  a  persisté  devant  o;  mais 
l'objection  n'est  qu'apparente  ;  il  a  pu  se  faire,  en  effet,  que  l'o  pro- 
venant de  au  ait  conservé  longtemps  une  valeur  particulière,  différente 
de  celle  de  l'o  étymologique,  et  que  dès  lors  c  ait  pu  se  changer  en  c 
devant  le  premier,  tandis  qu'il  a  persisté  devant  le  second  ;  d'ailleurs  si 
l'on  admet  que  le  c  vélaire  était  déjà  changé  en  palatal,  c'est-à-dire 
que  cose  devait  alors  se  prononcer  hjose  ou  à  peu  près,  l'objection  tombe 
par  là  même. 


—  ^99  — 

dans  jholt  (calidum)  ;  mais  on  trouve  qui  écrit  chi  avec  ch  ;  ce 
signe  a  donc  encore  dans  ce  texte  —  au  moins  dans  ce  mot  — 
la  valeur  gutturale  ;  en  est-il  de  même  dans  cheve,  sèche,  cherté, 
acheder  ?  il  est  difficile  de  le  dire  ;  mais  on  ne  peut  douter  que 
jh  employé  deux  fois  évidemment  à  la  place  de  ch  n'ait  eu  le  son 
c\  on  doit  donc  admettre  que  ce  dernier  signe  représentait  le 
même  son  dans  les  quatre  mots  précédents,  et  que  dès  lors  le  c 
vêla  ire  latin,  à  l'époque  où  ce  texte  a  été  écrit,  c'est-à-dire  à  la 
fin  du  ix°  siècle,  s'était  changé  en  c.  Il  est  même  possible  que  la 
nouveauté  de  cette  transformation  ait  été  cause  de  l'inhabileté  du 
scribe,  auquel  nous  devons  ce  fragment,  à  représenter  un  son 
jusque-là  inconnu. 

Le  siècle  suivant  nous  offre  deux  monuments,  plus  importants 
par  leur  étendue  —  sinon  par  leur  valeur  poétique  —  que  ceux 
que  nous  avons  étudiés  jusqu'ici,  et,  bien  que  conservés  dans  le 
même  manuscrit,  différents  par  la  langue  et  l'origine  :  la  «  Pas- 
sion» et  la  «Vie  de  Saint  Léger»*.  Ces  deux  poèmes  offrent,  il  est 
vrai,  un  grand  nombre  de  formes  méridionales  qui  ont  même  fait 
attribuer  le  premier  à  la  langue  d'oc  ;  mais  ces  formes,  qui  pa- 
raissent être  du  fait  du  copiste,  n'empêchent  point  que  nous 
n'ayons  affaire  en  définitive,  surtout  pour  le  Saint  Léger,  à  des 
textes  français.  Les  gutturales  ne  sont  pas  d'ailleurs  traitées  de 
la  même  manière  dans  tous  deux. 

Dans  le  Saint  Léger  la  gutturale  vélaire  a  persisté  dans  tous 
les  mots,  moins  un;  ainsi  cantomps  1,  3et  1,  6;  caritatô,  3;can- 
tat  14,  4;  castier  18,  2,  cap  26,  4;  queu  27,  2,  et  39, 1;  en-cal- 
cist 28,  2\carniels  29,  3;  castres {cdiVive^)  30,  2;  causa  35,  4; 
cac?zY39,  3;  un  mot  par  son  orthographe  fait,  je  l'ai  dit,  excep- 
tion, c'estpec/ï2e^^  38,  3,  écrit  par  ch  ;  quelle  est  ici  la  valeur  de 
ce  signe?  On  le  trouve  dans  deux  autres  mots  du  poème,  dans  Chiel- 
pering{s)i3,  2;  20,  1  etpaschas  14,  2;  dans  le  premier  il  repré- 
sente sans  doute  la  spirante  franque,  dans  le  second  il  a  évidem- 
ment un  son  guttural  ;  on  peut  supposer  qu'il  en  est  de  même 
dans  pechietz,  et  que  par  conséquent  le  c  vélaire  dans  ce  mot. 


1.  Ces  deux  poèmes,  onlesait,  ont  d'abord  été  publiés  par  ChampoUion- 
Figeac,  d'après  le  manuscrit  de  Clermont,  dans  le  tome  IV  des  Bocu- 
menls  relatifs  à  l'histoire  de  France,  puis  par  Diez  {Zwei  altromanische 
Gedichie  berichligl  und  erklxrt,  Bonn  1852).  M.  G.  Paris  vient  de  donner 
une  édition  critique  de  la  Vie  de  Saint  Léger,  Rom.  I,  273.  Je  me  suis 
servi  du  texte  de  Diez,  revu,  pour  le  Saint  Léger,  sur  celui  qu'a  donné 
depuis  M.  G.  Paris,  et  pour  une  partie  de  la  Passion  sur  la  copie  qu'il  a 
fournie  à  M.  Bartsch  pour  sa  seconde  édition  de  sa  Chrestomathie. 


—  200  — 

pas  plus  que  dans  tous  les  autres  du  poème,  ne  s'était  changé  en 
chuintante  ^  ;  cependant  il  peut  se  faire  aussi,  ce  qui  est,  je  crois, 
plus  vraisemblable,  que  le  c  vélaire  n'étant  encore  devenu  que 
palatal,  le  scribe  n'ait  point  cherché  à  le  représenter  par  un 
signe  particulier,  ou  encore  qu'il  ait  partout,  excepté  dans  pe- 
chietz,  rétabli  le  c,  comme  il  a  changé  certaines  formes  fran- 
çaises du  poème  en  provençales-. 

Dans  la  «  Passion  »  nous  trouvons  c  suivi  de  a  conservé  plus 
souvent  que  changé  en  ch\  ainsi  il  persiste  dans  carn  2,  1;  83, 
2;  84,  2;  97,  2;  carnals  2,  4  ;  96,  1;  cars  98,  4  ;  cantedl,  4; 
canten  11,  1  ;  cantes  49,  1  ;  cab  Q2,  4;  cap  125,  3;  caritad 
69,  4;  castel  107,  3;  caitiu  17,  1  ;  quaisses  100,  3;  cade- 
gren,  35,  2;  encalceras  115,  4  ;  escarnit  55,  1  ;  escam  63, 
4;  71,  4;  72,  2  ;  escarnid  64,  1  ;  escarnie  72,  4;  judicar 
118,  3;  peccad  3,  1;  127,  4;  pecaz  11,  3;  pecat  96,  3.  C 
devant  aoue  est,  au  contraire,  remplacé  par  ch  dans  chera  22, 
3;  cher  21,  4;  29,  1;  chedent 'Sh,  4  ;  81,  3;  c/^«c?  119,  3; 
cliamise  67,  3  ;  chamsils  86,  4  ;  char  a  93,  3;  marchedanz 
18,  3  ;  marched  19,  4  ;  péchez  60,  4  ;  peched  89,  2;  pecchia 
95,  2;  pechedors  128,  2;  roches  81,  3.  Que  faut-il  conclure 
de  cette  double  orthographe  et  quelle  valeur  attribuer  même  à 
(?/i  dans  les  mots  où  il  est  substitué  à  c  ?  On  le  trouve  devant  e  et 
i  avec  la  valeur  gutturale  dans  chi  2,  4  ;  3,  1  ;  12,  3  ;  J8,  4  ; 
22,  i\jusche  20,  2;  82,  4;  douches  117,  1  ;  Pasches  23,  1  ; 
il  a,  au  contraire,  un  son  chuintant  dans  cho  4,2;8,1;18,  1; 
20,  1  ;  29,  1  ;  posche  60,  2  ;  on  peut  donc  supposer  que  dans 
chars,  chamise,  etc.,  il  a  le  son  c  ou^s;  mais  comment  expliquer 
les  doubles  formes  chad  et  cadegren,  chars  et  carn,  peccad  et 
peched,  etc.  ?  Faut-il  supposer  qu'au  moment  où  ce  poème  a  été 
composé  le  c  vélaire  commençant  à  se  transformer,  on  hésitait 
encore  entre  le  son  ca  et  cha"^.  Cela  est  peu  probable,  et  ce  qu'il 
y  a  de  plus  vraisemblable  c'est  que  le  copiste  a  altéré  le  conson- 
nantisme  du  texte  primitif,  comme  il  y  a  introduit  des  formes 
étrangères  ;  mais  à  qui  du  scribe  ou  de  l'auteur  revient  le  chan- 

1.  C'est  l'opinion  de  M.  G.  Paris,  lequel  écrit  même  pequiez.  (Voir 
rétiide  si  complète  consacrée  à  la  langue  du  Saint  Léger  dans  la  Romania 
I,  273.) 

2.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  consonnantisme  du  Saint  Léger  reste  à  bien 
des  égards  une  énigme;  il  me  paraît  au  moins  difficile  d'admettre  en 
môme  temps  que  ce  poème  ait  été  écrit  dans  le  dialecte  bourguignon, 
comme  le  croit  M.  G.  Paris,  et  que  le  c  suivi  de  a  n'y  soit  point  encore 
altéré, 


—  20i   — 

gement  de  la  gutturale  en  chuintante?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de 
décider  ^  et  ce  qui  importe  assez  peu  d'ailleurs  au  sujet  que 
je  traite  ;  je  n'ai  même  tant  insisté  sur  ce  point  que  pour  montrer, 
ce  que  nous  verrons  bien  souvent,  quelle  obscurité  peut  jeter  sur 
l'étude  d'un  texte  la  différence  entre  la  langue  du  scribe  qui  nous 
l'a  transmis  et  celle  de  l'auteur  ou  des  copistes  antérieurs.  Dans 
le  cas  présent  il  résulte,  je  crois,  de  l'orthographe  du  poème  de 
la  Passion  —  que  les  formes  en  ch  soient  d'ailleurs  de  Tauteur 
ou  du  scribe,  peu  importe  —  qu'au  x^  siècle  le  son  c  existait  en 
français  et  que  le  c  vélaire  l'avait  déjà  pris  devant  a^.  C'est  à  une 
conclusion  analogue  que  m'avait  déjà  amené  l'examen  du  Frag- 
ment de  A'alenciennes,  et  cette  coïncidence  semble  bien  indiquer 
que  le  c  pourrait  bien  aussi,  malgré  l'orthographe  du  poème, 
avoir  été  m^odifié  déjà  dans  le  Saint  Léger. 

Nous  n'avons  point  de  textes  authentiques  du  xf  siècle  ; 
l'Alexis  et  la  Chanson  de  Rolland  ont  bien  été  composés  dans  ce 
siècle,  mais  les  manuscrits  sont  du  suivant  ;  ils  n'en  sont  pas 
moins,  après  les  textes  dont  j'ai  parlé  jusqu'à  présent,  les  monu- 
ments les  plus  anciens  de  notre  langue  ;  mais  à  cause  de  leur  ori- 
gine probablement  normande,  ce  n'est  pas  ici,  mais  dans  un  autre 
chapitre  que  je  les  examinerai  ;  il  en  est  de  même  du  fragment  de 
poésie  religieuse  publié  par  M.  Gaston  Paris  dans  le  sixième  vo- 
lume du  Jahrbuch.  Quant  au  Fragment  de  l'Albéric  de  Besan- 
çon, son  origine  douteuse,  et  probablement  plus  provençale  que 
française,  me  le  fera  passer  complètement  sous  silence.  Tout 
autres  sont  les  monuments  si  nombreux  que  nous  offrent  la 
seconde  moitié  du  xn®  et  le  xiii^  siècle,  époque  oii  la  langue  des 
trouvères  prend  sa  forme  définitive.  La  transformation  du  c 
vélaire  en  chuintante  est  depuis  longtemps  achevée,  et  tous  les 
textes  vraiment  français,  c'est-à-dire  de  la  Bourgogne,  de  la 
Champagne,  de  l'Ile-de-France  et  de  l'Orléanais,  nous  la  mon- 
trent, à  part  de  rares  exceptions  qu'on  peut  regarder  comme  des 
fautes  de  copiste  ^  partout  accomplie.  Le  premier  poème  qui  en 
présente  l'observation  régulière  est  la  Chanson  de  «  Guillaume 
d'Orenge  »  ^  puis  viennent  les  poèmes  de  Crestieii  de  Troie  ; 


1.  Peut-être  M.  G.  Paris  éclairera-t-il  cette  question  dans  rôdition 
qu'il  a  promise  de  la  Passion,  et  qu'attendent  avec  impatience  tous  les 
lecteurs  de  la  Romania. 

2.  Des  formes  en  ch,  en  effet,  plusieurs  sont  exclusivement  françaises. 

3.  Ainsi  on  peut  citer  cant  dans  la  chanson  de  Crestien,  B.  Chr.  p.  117, 
V.  30,  cier  120,  v.  1,  à  côté  de  chier  p.  119,  v.  9. 

4.  Guillaume  d'Orange  p.  p.  W.-J.-A.  Jonckbloet. 


—  202  — 

cependant  il  faut  encore  distinguer  ici,  et  nous  avons  une  nou- 
velle preuve  de  la  différence  qui  peut  exister  entre  la  langue 
d'un  auteur  au  Moyen  Age  et  celle  de  son  copiste  ;  tandis  qu'en 
effet  «  Li  romans  dou  chevalier  au  Lyon  » ,  «  Li  conte  del  Graal  » 
offrent  la  plus  grande  régularité  dans  la  modification  des  guttu- 
rales. Le  «  Guillaume  d'Angleterre  »  présente,  dans  la  manière 
dont  elles  sont  traitées  l'incertitude  la  plus  grande,  et  offre  des 
transcriptions  toutes  normandes  substituées  aux  formes  fran- 
çaises primitives. 

Avec  le  Tristran  nous  retrouvons  un  monument  exclusive- 
ment français  ;  il  en  est  de  même  des  poésies  lyriques  qui  abon- 
dent à  la  fin  du  xii''  siècle  et  au  siècle  suivant,  de  la  «  Bible 
Guiot»,  de  la  «Conqueste  de  Constantinople»  de  Jof.  de  Villehar- 
doin,  du  «  Roman  de  la  Rose  »,  de  1'  «  Histoire  de  Saint  Louis  » 
de  Jeh.  de  Joinville,  etc.  ;  partout  dans  ces  textes  nous  trouvons 
ch  substitué  à  c  suivi  de  a  latin,  même  dans  des  mots,  bien  peu 
nombreux  à  la  vérité,  où  l'érudition  ou  une  influence  étrangère  a 
rétabli  depuis  le  c  guttural,  et  on  peut  considérer  cette  transfor- 
mation comme  un  des  caractères  les  plus  sûrs  des  dialectes  français. 

Le  changement  du  c  vélaire  a  eu  lieu  d'ailleurs,  queT^ï  étymo- 
logique ait  persisté  ou  se  soit  modifié,  non-seulement  dans  le  dia- 
lecte qui  devait  devenir  la  langue  classique,  mais  dans  les  dia- 
lectes secondaires  du  Centre  et  de  l'Est  de  la  France.  On  le 
trouve  : 

1°  Au  commencement  des  mots  commençant  par  ca  en  latin, 
ainsi  : 


caballum 

cheval 

camelum 

chameau 

cadentiam 

chance 

cameram 

chambre 

cadere 

choir 

caminum 

chemin 

calamum 

chaume 

caminatam 

che^ninée 

calamellum 

chalumeau 

camisiara 

chemise 

calcem 

chaux 

campum 

champ 

calceam 

chausse 

campionem 

champion 

calciatam 

chaussée 

canalem 

chenal 

calidum 

chaud 

cancellare 

chanceler 

calorem 

chaleur 

cancellum 

chancel 

calefacere 

chauffer 

cancrum 

chancre 

caldariam 

chaudière 

candelam 

chandelle 

calere 

chaloir 

canem 

chien 

calvum 

chauve 

canile 

chenil 

cambiare 

changer 

*  caniculam 

chenille 

—  203  — 


cannabum 

chanvre 

carbonem 

charbon 

*cannabisium 

chènevis 

cardinariam 

charnière 

canonicum 

chanoine 

cardonem 

chardon 

cantare 

chanter 

caram 

chère 

cantor 

chantre 

carum 

cher 

cantionem 

chanson 

caritatem 

cherté 

cantum 

chant 

carnem 

chair 

*  cantellum 

chanteau 

carnalem 

charnel 

*  canutire 

chancir 

carmen 

charme 

canutum 

chenu 

carpinum 

charme 

cappam 

chape 

carpentarium 

charpentier 

capellara 

chapelle 

carpere 

charpir  v. 

capellum 

chapeau 

carricare 

charger 

capicerium 

chevecier 

carrucam 

charrue 

capitale 

chepÂel 

carrum 

char 

capitellum 

chapiteau 

cartam 

charte 

capitulum 

chapitre 

cartulam 

chartre 

caput 

chef 

*  carcerem 

chartre 

capistrura 

chevêtre 

cascunum 

chacun 

capillum 

cheveu 

casis 

chez 

caponem 

chapon 

casibulam 

chasuble 

capram 

chèvre 

castigare 

châtier 

capreolum 

chevreuil 

castrare 

châtrer 

,  caprifolium 

chèvrefeuil 

castum 

chaste 

*  capronem 

chevron 

catenam 

chaîne 

capsam 

châsse 

*  catenionem 

chignon 

captiare 

chasser 

cattum 

chat 

captivum 

chétif 

*cathedram 

chaire 

capulare 

chapeler 

*  catuUiare 

chatouiller 

et  leurs  dérivés 

2°  Au  milieu  des  mots,  dans  les  composés,  et  dans  les  simples, 
où  c  est  appujé,  c'est-à-dire  précédé  d'une  consonne  :  ^ 


acarnare 


acharner 


'accaptare         acheter 


1.  Quand  c  môdial,  suivi  de  o,  n'est  pas  appuyé  il  se  cliange,  au  con- 
traire, le  plus  souvent  en  y  (i).  Cf.  Liv.  l  Gh.  Il,  p.  50.  Duché,  on  le  voit, 
fait  exception,  mais  peut-être  faut-il  voir  dans  la  conservation  de  la 
gutturale  une  influence  du  c  du  simple  duc.  On  pourrait  croire  qu'il  en 
a  été  de  même  dans  grièche,  supposé  que  ce  mot  vienne  de  grœcam, 
mais  l'ancienne  orthographe  griesche  rend  son  origine  incertaine.  Quant 
àmiche,  il  vient  probablement,  non  du  latin  micam,  mais  du  flamand  micke. 


arcam 

*  caballicare 
cercare 
coUocare 
decadentiam 
ducatum 
furcam 
manicam 

*  marcare 


arche 

chevaucher 

cercher  v. 

coucher 

déchéance 

duché 

fourche 

manche 

marcher 


204  — 

mercatum        marché 
mercatantem    marchant 
minuscadentem  méchant 


nidificare 

percam 

pervincam 

plancam 

porcarium 

tincam 


nicher 
perche 
'pervenche 
planche 
porcher 
tanche,  etc/ 


Il  en  est  de  même  pour  les  groupes  ce,  se  :  Exemples  : 

buccam  bouche  scalam  échelle 

muccare  moucher  muscam  mouche,  etc.- 

Le  changement  de  c  en  ch  a  également  eu  lieu  devant  la  diph- 
thongue  au,  d'origine  latine  ou  germanique,  par  exemple  dans 
chose  (causam),  chou {caxûem)  et  choisir  (kausjan)'. 

C  persiste  au  contraire  devant  o  et  u,  par  exemple  dans  cou 
(collum),  coude  (cubitum),  couver  (cubare),  coin  (cuneum), 
cuivre  (cuprum),  commwt  (communem),  cuisse  (coxam),  cuve 
(cupam),  etc.  Il  a  persisté  aussi  exceptionnellement  dans  quel- 
ques mots  où  il  est  suivi  de  a,  et  qu'il  est  difficile  de  regarder 
comme  d'origine  savante  ;  ainsi  dans  cage  (caveam),  —  on 
trouve  aussi,  il  est  vrai,  chaive  dans  l'ancien  français,  —  carpe 
(carpam),  cave  (cavam),  cas  (casum)  *,  manquer  (niancare). 

Ily  a  d'ailleurs  régulièrement  persistance  du  c  quand  il  repré- 
sente non  un  c,  mais  un  q  latin,  par  exemple  dans  les  mots  car 
(quare),  carré  (quadratum),  carême  (quadragesimam),  caille 
(*  quaquilam),  cahier  i^  {{wsXevmxm),  casser  (qnassare),  etc.; 
Quand  a  français  s'est  substitué  à  une  autre  voyelle  ou  à  une 
diphthongue,  qui  n'est  pas  au,  c  persiste  encore  ;  voilà  pourquoi 
on  écrit  par  c  et  non  par  ch,  cacher  (coactare),  cailler  (coagu- 
lare),  etc. 

1.  V.  plus  loin,  Liv.  IV,  Ch.  Il  et  III. 

2.  Voir  plus  loin  Liv.  IV,  Ch.  I  et  IV. 

3.  Queue  (caudam)  semble  faire  exception,  mais  cela  tient  à  ce  que  au 
s'était  déjà  sans  doute  changé  en  o  dans  le  latin  vulgaire. 

4.  Cas  apparaît  dans  le  Brut  de  Wace  et  semble  dès  lors  normand, 
ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que  le  français  l'ait  emprunté  à  ce  dialecte; 
la  persistance  de  l'a  paraît,  au  contraire,  lui  assigner  une  origine  sa- 
vante, ou  tout  au  moins  indiquer  que  ce  mot  a  été  refait  sur  le  latin. 
Quant  à  cave,  son  ancienneté  et  son  emploi  ne  permettent  guère  de 
douter  qu'on  n'ait  affaire  à  un  mot  vraiment  populaire. 


—   203  — 

Enfin  on  trouve  encore  le  c  vélaire  dans  un  certain  nombre  de 
mots  empruntés  par  le  français  à  des  dialectes  qui  l'ont  conservé, 
et  qui  forment  autant  de  doublets  avec  ceux  auxquels  il  lésa  pré- 
férés et  à  côté  desquels  ils  subsistent  le  plus  souvent,  mais  avec 
un  sens  différent  ;  c'est  ainsi  que  le  mot  picard  et  normand  camp 
adopté  par  le  français  y  a  pris  le  sens  particulier  que  l'on  con- 
naît à  côté  de  champ,  qui  a  conservé,  au  contraire,  le  sens  éty- 
mologique de  ca7npus,  gardé  aussi  par  camp  dans  les  deux  dia- 
lectes d'où  il  est  tiré  ;  de  même  campagne,  également  picard  et 
normand,  a  supplanté  l'ancien  français  Champagne,  qui  n'est 
plus  usité  que  comme  nom  propre. 

Mais  il  y  a  encore  une  autre  cause  de  la  présence  du  son  ca 
en  français,  c'est  l'importation  dans  la  langue  aux  xiv",  xv''  et 
xvf  siècles  de  mots  nouveaux  empruntés  au  latin  classique.  A 
cette  époque  le  français  avait  perdu  sa  force  originelle  de  forma- 
tion, et  le  sentiment  de  l'accent  latin  qui  y  avait  présidé  ;  impuis- 
sant à  les  transformer,  il  adopta  sans  les  modifier  les  mots  qu'il 
demanda  à  la  langue  de  Cicéron  et  de  Tite-Live  pour  exprimer 
des  choses  et  des  idées  nouvelles  ;  le  c  persista  donc  avec  la 
voyelle  suivante  dans  cette  seconde  génération  de  mots  ;  il  en  fut 
de  même  des  vocables  que  nous  devons  au  provençal  et  aux 
autres  idiomes  romans,  qui  ont  contribué  à  enrichir  notre  langue. 
Tels  sont  cabrer,  cadastre,  cadavre,  caduc,  calcul,  calquer, 
cantique,  carotte,  caserne,  caution,  etc.  ^ 

Cette  origine  difierente  explique  la  présence  de  la  vélaire  dans 
un  certain  nombre  de  mots,  tandis  que  dans  les  mots  congénères, 
mais  de  formation  populaire,  elle  s'est  changée  en  chuintante. 
Ainsi  : 


caballarium 

caballum 

cabannam 

cadentiam 

cameram 


cavalier 

cavale 

cabanne 

cadence 

camarade 


chevalier 

cheval 

Chavanne 

chance 

chambre 


1.  Le  A-  allemand  a  persisté  aussi  souvent  en  français;  mais  dans  un 
certain  nombre  de  mots  il  se  change  en  ch  ;  ainsi  il  persiste  dans 
bmiquer  (bucka),  braquer  (brûka),  caille  (quakele) ,  cane  (kahn) ,  canif 
(knif),  caquer  (kaaken),  carcan  (querca).  il  s'est  changé  en  ch,  au  con- 
traire, dans  blanche  (blancha),  brèche  (brehha),  chambellan  (camerlinc), 
Charles  (Karal),  /"ranc/ie  (franka),  maréchal  (marahscalc),  marche  (marcha), 
poche  (pocca),  etc.   Cf.  Diez,  Gramm.  I,  316. 

2.  Cf.  Brachet,  Dict.  Intr.  p.  53. 


206  — 


canalem 

canal 

chenal 

canem 

canaille 

chien 

caponem 

capon 

chapon 

cappam 

cape 

chape 

*  capum 

cap 

chef 

*  capitanum 

capitaine 

chadaine\. 

capuliim 

cable 

chahle  v. 

capram 

caprice 

chèvre 

captam 

caisse 

châsse 

captivum 

captif 

chétif 

cardinalem 

cardinal 

chardonau 

carnem 

carnassier 

chair 

carricare 

carguer 

charger 

carrum 

carosse 

char 

casam 

case 

chez 

causam 

cause 

chose,  etc. 

Il  en  est  de  même  de  occasion  refait,  à  ce  qu'il  semble,  sur  le 
latin  ;  l'ancien  français  disait  achoison,  achaison  L.  Ps. 


CHAPITRE   11. 
TRANSFORMATION    DU    C   VÉLAIRE   EN    G,  Z,  —  TS,   DZ,  —  S,  Z,  — 

0,  §  —  et  X. 

De  même  que  le  c  palatal  se  change,  non-seulement  en  c  et  s, 
mais  dans  les  sonores  correspondantes  g  et  z,  qu'il  est  devenu 
parfois  ts,  dz,  s,  z,  0  ou  §,  ou  s'est  modifié  en  x,  de  même  le  c 
vélaire,  outre  sa  transformation  en  c  ou  s,  peut  aussi  devenir  g  ou 
z,  —  ts,  dz,  —  s,  z,  —  0  ou  B  —  ou  la  spirante  x. 


r  Changement  du  c  vélaire  en  g,  g  ou  z. 

La  transformation  du  ^  en  ^  et  par  affaiblissement  z  s'explique 
comme  celle  du  c  en  c  par  sa  modification  préalable  en  palatale 
proprement  dite  g.  Les  dialectes  ladins  du  Tyrol  offrent  d'assez 
nombreux  exemples  de  cette  transformation  du  g  en  palatale  g  ; 
ainsi  gai  (gallum) ,  larga  (largam) ,  longa  (longam) ,  etc. 
D'autres  dialectes  ladins  nous  montrent  la  transformation  en  ^  ; 
on  la  rencontre  également  dans  toutes  les  autres  langues  ro- 


—  207 


mânes,  même  celles  de  l'Est,  mais  elle  n'est  commune  que  dans 
celles  du  Nord-Ouest.  En  voici  quelques  exemples  : 


LAD. 


galbinam        — 

j  aine,  j  aide      —          — 

jaune 

gallum            — 

— 

g  ail,  zaljau 

jal  Pas. 

gallinam         — 

— 

gallina       — 

geline 

*gaudiam  gioja 

joya 

—      jau 

joie 

gaudere    gloire 

jouver 

—      jauzir 

jouir 

largam           — 

— 

larga       larja 

large 

longam           — 

— 

longa      lonja 

longe  v 

La  transformation  du  c,  au  contraire,  en  ^  et  z  n'a  lieu,  dans 
tous  les  cas,  que  dans  les  idiomes  du  Nord-Ouest  et  dans  les  dia- 
lectes ladins  ;  dans  les  autres  langues  elle  n'apparaît  en  général 
que  dans  les  groupes  d'c  et  t'c  ^  On  ne  rencontre  d'ailleurs  le 
g  qu'en  italien,  en  roumain,  en  provençal  et  en  ladin  ;  g  s'est 
affaibli  en  z  en  portugais  et  en  français.  Exemples  : 

—  —    budgi  s.n.  bouger 


*bullicare         — 
cambam  — 

cammarum  — 
capellam  — 
cathedram  — 
caveolam  — 
cattum  — 

judicare     giuggiare        — 
silvaticum  selvaggio  selvagem 


giama     djamba  jambe 


—  djera 

—  giatt 


j  ambre  jambleY. 
—       javelle 


—  —        geôle 

jutjar     juger 
selvatge  sauvage, 
etc. 


A  ces  exemples  il  faudrait  probablement  ajouter  pour  le  fran- 
çais jante  (?camitem),  gercer  (*carptiare),  germandrée  (cha- 
msedryn). 

Le  son  que  prend  le  c  dans  les  dialectes  ladins  est  plutôt  — 
dans  le  plus  grand  nombre  de  cas  du  moins  —  la  palatale  g  que 
la  chuintante  composée  g  ;  il  s'y  rencontre  d'ailleurs  fréquem- 
ment à  côté  de  6,  c  ou,  quand  il  est  médial,  de  j.  Ainsi  cargar 
(caricare),  gamè  (cambiare),  ^atta  (cattam),  gardon  (cardo- 
nem);  gâté  (*cavare),  piém.  gavà;pagar  (pacare),  pre^ar  (*pre- 
care),  rozgar  (*rosicare),  etc.,  dans  certains  dialectes  du  TyroP. 


1.  Voir  pour  les  groupes  rf'c  et  t'c,  Liv.  IV,  Ghap.  II. 

2.  Schneller,  Die  roman.  Mundarten  in  Tirol,  p.  191.  Cf.  Ghap.  précédent 
K  p.  185  et  Liv.  I,  ch.  II,  p.  50. 


—  208  — 

IP  Changement  du  c  vélaire  en  ts,  dz,  s  ou  z. 

Après  s'être  transformé  en  c  le  c  vélaire  s'est  parfois  affaibli 
ou  atténué  en  ts,  absolument  comme  le  c  palatal  l'a  fait  d'abord 
dans  les  idiomes  occidentaux  ;  cet  affaiblissement  a  eu  lieu  d'ail- 
leurs que  Va  latin  ait  persisté  ou  se  soit  modifié.  On  rencontre 
cette  transformation,  comme  nous  avons  vu,  dans  un  certain 
nombre  de  dialectes  provençaux,  en  particulier  dans  le  bas-limou- 
sin, l'auvergnat,  le  provençal  actuel,  le  patois  du  Quercj',  etc., 
où  elle  s'est  substituée  complètement  à  la  forme  c  ou  s  ;  dans  les 
patois  du  Vélay,  de  la  Savoie,  de  la  Franche-Comté,  —  en  par- 
ticulier du  Jura,  —  et  de  la  Suisse  romande,  elle  coexiste  souvent 
avec  les  autres  modifications  cet  s  du  c.  Voici  quelques  exemples 
de  cette  transformation  empruntés  à  ces  derniers  idiomes  : 

1°  Au  commencement  des  mots  : 


LAT. 

SUIS 

.   ROM. 

JUR. 

SAV.-D.    PR 

caballum 

tchavo 

tsavo 

tsevau 

tseval 

cadere 

t  chaire 

tsaire 

tsidî'e 

tsezi 

calceam 

tchausse 

tsausse 

tsausse 

tsathe 

calcem 

— 

tso 

— 

tsal 

calidum 

— 

tsau 

— 

— 

calefacere 

— 

tsauda 

— 

— 

caldariam 

— 

tsaudaira 

tsaudire 

— 

calere 

tchau 

tsalli, 

— 

— 

calvum 

— 

— 

— 

tsave 

cambam 

tchamba 

tsamha 

tsambo 

tsamba 

cambiare 

tchandji 

tsandji 

tsaindzi 

— 

cameram 

— 

tsambra 

tsambro 

tsambra 

caminum 

— 

tsemin 

— 

tsemin 

caminatam         — 

tsetnena 

tseum'no 

tsemena 

camisiam 

— 

tsemize 

ts'mise 

— 

campura 

tchan 

tsan 

— 

tsan 

cancrum 

tchancro 

tsancro 

— 

t  s  ancre 

candelam 

tcha7ideila  tsandaila 

— 

tsandeila 

canem 

chin 

'.  tsein 

tchin,  tsen 

tsein 

cannabum  tche^iévo 

tsè'nevo 

ts'neou 

tsenèvo 

cantare 

tchanta 

tsanta 

— 

tsanta 

capellum 

tchappè 

tsapè 

— 

— 

capram 

tchivra 

tsivra 

tsivro 

— 

captiare 

tchassi 

tsassi 

tsossi 

— 

^^^^^^H 

—  209 

m 

^H 

carbonem  tcherhon 

tserbon 

tsarhon 

cardonem           — 

tserdo7i 

tsadon 

tsardon 

carricare    tcherraihi 

tsarraihi 

tsardi 

— 

'^  carminare  tcherma 

t  s  arma 

— 

tsar  m  a  Auv 

carnem       tchar 

tsair 

tsa 

tsarnerou\ 

carpinum    tcherpeno 

tsarpino 

tsairpeune 

— 

carrum       tcher 

tser 

tsarieu 

— 

carum 

— 

tcheu 

tcher 

casa  m         ichu,  tchi 

tsu,  tsi 

tsi 

— 

'  casnum      tchano 

tsano 

tsainou 

tsègne 

castaneam  tchatagne 

tsatagne 

— 

— 

castellum           — 

isatté 

tsetiau 

tsâté 

castrare      ichatra 

tsatra 

tsetrdi 

— 

catenam      channa 

tsanna 

— 

tseina 

cattum       tcha 

tsa 

— 

tsat 

caulem        tchon, 

tsou 

— 

— 

caumam     tchamna 

tsauma 

— 

— 

causam      tchousa 

tsousa 

— 

— 

2°  Au  milieu  des  mots  : 

* 

accaptare          — 

atseta 

— 

— 

cercare               — 

tsertsi 

— 

— 

furcam               — 

fortse 

— 

fouertse 

manicam            — 

mantso 

— 

— 

marcare     mayHcM 

martsi 

martsi 

— 

mercatum  martchi 

martsi 

martsi 

— 

mercadantem 

— 

— 

martchan , 
martsan 

plancam            — 

plantse 

plaintse 

plantse 

siccare               — 

setsi 

seitcher 

— 

vaccam              — 

vatse 

votse 

vatse  * 

De  même  qu'au  c  vélaire  s'est  substituée  la  sourde  ts,  de 
même  le  g  vélaire  a  été  régulièrement  rem23lacé  dans  les  dialectes 
suisses  et  savoyards  par  la  sonore  correspondante  dz  ;  dans  un 
certain  nombre  de  mots  dz  a  aussi  pris  la  place  de  c,  à  côté  par- 
fois, il  est  vrai,  de  ts  ou  encore  de  tch  ou  dj .  Ainsi  : 


arcam 


artclie 


ardze 


1.  Bridel,  Gloss.  du  patois  de  la  Suisse  romande.  —  Tissot,  Le  patois  des 
Fourgs.  —  Dartois,  Coup  d'œil  sur  les  patois  de  la  Franche-Comté.  — 
G.  l'ont,  Origines  du  patois  de  la  Tarenlaise.  —  Uom.  Il,  59. 


- 

-  240  — 

candelam 

— 

tsandaila 

dzandelau 

cadere 

tchaire 

tsesi 

dzezi 

carricare 

— 

— 

dzierdji 

calidum 

tcliau 

— 

dzau 

domenicam. 

demeindje 

— 

demeindze 

Comme  pour  le  c  palatal,  quoique  ici  exceptionnellement,  la 
simplification  a  été  encore  poussée  plus  loin  dans  les  mêmes  dia- 
lectes, qui  ont  réduit  les  premiers  —  celui  de  la  Tarentaise  du 
moins  —  ts  2i  s,  les  seconds  dzh  z,  c'est-à-dire  que  le  c  vélaire 
a  fini  par  être  remplacé  comme  le  c  palatal  par  les  spirantes 
dentales  alvéolaires.  Ces  transformations  d'ailleurs  sont  assez 
rares,  et  à  côté  on  retrouve  le  plus  souvent  dans  les  dialectes  de 
la  Savoie  et  de  la  Suisse  romande  les  formes  plus  complètes  tch, 
ts  ou  dz.  Le  dialecte  ladin  des  Quatre  Villes,  au  contraire,  ne 
connaît  pas  d'autre  mode  de  transformation  de  la  vélaire,  et,  ce 
qui  est  plus  étonnant,  c'est  qu'il  lui  fait  subir  le  même  change- 
ment devant  o{u)  non  modifié.  Exemples  : 


LAT. 

s.    ROM. 

SAV. 

LAD.   Q.  V. 

caldariam 

zandaira 





cameram 

tsambra 

sambra 

— 

campum(aniam) 

zan 

san 

çampagna 

cannabum 

tsenevo 

senevo 

— 

*  captiam 

— 

— 

çaza 

carbonem 

tserbon 

sarbon 

— 

cardonem 

zeirdon 

tsardon 

— 

*  casnum 

zano 

— 

— 

castellum 

tsatté 

satè 

— 

catenam 

tsanna 

seina 

— 

collum 

— 

— 

ÇOl 

cum 

— 

— 

çon 

mancare 

— 

— 

mançar 

peccare 

— 

— 

peçà^ 

1.  Bridol,  id.  —  G.  Pont,  id.  —  Rivista  di  filolegia  rom.  1,  99.—  G.-J.  Ascoli, 
Arch.  glotiol.  1,  p.  32G.  —  S'il  faut  en  croire  l'auteur  des  Origines  du 
patois  de  la  Tarentaise,  —  autorité  malheureusement  assez  peu  recora- 
mandable,  —  c  aurait  parfois  môme  dans  ce  patois  été  remplacé  par  st, 
—  qu'on  rencontre  d'ailleurs  à  la  place  de  ts  ou  z  dans  les  Poésies  reli- 
gieuses en  langue  d'oc,  publiées  par  M.  P.  Meyer,  —  ou  même  par  tst;  ainsi 
standeila  (candelam),  tstagnet  (castanetum). 


—  2U  — 

IIP  Changement  du  c  enO  et  en  3,  en  f  et  en  v. 

Enfin  au  lieu  de  s'affaibliren  s  ouz,  comme  le  c  palatal  encore, 
le  c  vélaire  s'est  changé  en  spirante  dentale  proprement  dite  0  ou 
S  dans  les  patois  savoyards.  Je  n'en  connais  point  d'exemple  dans 
les  dialectes  suisses  ou  ladins.  Comme  pour  le  c  palatal  aussi,  il 
est  difficile  de  savoir  quand  la  transformation  a  eu  lieu  en  0  ou  o; 
souvent  même  la  distinction  n'est  point  faite  entre  ces  deux  sons, 
c'est  ce  qui  a  lieu  par  exemple  dans  le  glossaire  de  l'abbé  Pont, 
ou  bien  la  valeur  de  la  spirante  change  d'une  commune  à  une 
autre  ;  ainsi  le  mot  jambe  se  prononce  presque  indifféremment 
t/ia^nhe  et  dhambe  ^ .  Quoi  qu'il  en  soit,  le  c  vélaire  initial  paraît 
s'être  transformé  en  th  dans  les  mots  : 


LAT. 

1 

'AT. 

caballum 

thevau  Tar. 

Ch. 

calidum 

tho  Ch. 

cammaram 

thambera  Tar.  Ch 

canem 

thin 

id. 

capellum 

thapé 

id. 

carbonem 

tharbon  ^. 

id. 

cattum 

that 

id. 

t  de  même  du  c 

médial  dans  : 

collocare 

cuthi  Ch. 

vaccam 

vathe  Ch. 

Au  contraire  dh  a  fait  place  à  c  dans  : 

domenicam  demêdhe  Ch. 

furcam  fourdhe  Maur. 

manicam  mandhe    id. 

*  marcare  mardhi  Aix 

plancam  plandhe  Maur. 


vaccam 


vadhe 


id. 


Ces  dialectes  ne  sont  pas  les  seuls  où  le  c  vélaire  étymologique 
ait  été  remplacé  par  une  spirante  dentale  ;  d'après  M.  Beauchet- 


1.  C'est,  ainsi  qu'on  me  l'assure  et  que  je  l'ai  remarqué,  ce  qui  a  lieu 
dans  le  patois  des  environs  de  Ghambéry  et  de  la  Savoie  presque  tout 
entière. 

2.  Nom  de  la  taupe  dans  les  environs  de  Ghambéry,  du  charbon  dans 
la  Tarentaise. 


—  242  — 

Filleau  \  suivi  par  l'abbé  Lalanne  et  L.  Favre  dans  leurs  glos- 
saires du  patois  poitevin,  on  trouve  quelques  exemples  de  la 
substitution  de  0  à  c  dans  le  patois  de  Melle.  Ce  fait  apparaît 
même  dans  des  mots  où  le  c  était  primitivement  suivi  de  o  ou  de 
u,  et,  circonstance  singulière,  dans  les  mêmes  mots  pour  la  plu- 
part où  il  s'est  changé  en  c  dans  le  patois  des  Sables,  et  d'autres 
dialectes  non  poitevins,  tels  sont  : 


cor                  thieur 

tchur 

tcheur  p. 

*culare              thieuler 

tclmlotte 

tchulotte  N 

qualem,  quam  thieuque 

tchaque 

— 

?                thieuvraille 

— 

— 

Il  faut  voir  là,  je  crois,  une  nouvelle  preuve  de  la  faculté  pro- 
longée qu'ont  possédée  les  patois  de  développer  des  sons  nou- 
veaux ;  le  changement  de  la  vélaire  en  la  spirante  dentale  0,  en 
effet,  est  un  fait  évidemment  assez  récent,  et  qui  a  dû  être  précédé 
de  sa  transformation  successive  en  c,  ts,  s,  et  ne  peut  être  plus 
ancien  que  la  modification  analogue  de  la  gutturale  en  espagnol. 

Mais  là  ne  se  sont  pas  bornées  les  modifications  du  c  vélaire  ; 
ainsi  le  dialecte  savoyard  de  la  Maurienne,  au  lieu  de  le  changer 
en  G  ou  o,  l'a  remplacé  par  les  spirantes  labiales  /et  v,  suivant 
qu'il  a  donné  naissance  à  une  sourde  ou  à  une  sonore,  transfor- 
mation qui  s'explique  d'ailleurs  suffisamment  par  suite  de  la  faci- 
lité avec  laquelle  se  confondent  les  spirantes  labiales  et  dentales 
proprement  dites,  et  qui  coexiste  d'ailleurs,  sinon  dans  les  mêmes 
mots,  du  moins  dans  des  mots  analogues,  avec  les  sons  G  et  §. 
Voici  quelques  exemples  que  j'ai  recueillis  dernièrement  en 
Savoie  et  de  la  bouche  même  d'un  Mauriennais-. 

canem  lo  fin 

cattum  lo  fat. 
2°  V  =  c,  au  contraire, 

cambam  \avamba. 

Cette  modification  peut  aussi  afiecter  le  c  palatal,  ainsi  dans 
le  même  dialecte  picem  a  donné  peve.  On  trouve  de  même  en 
hèsirnaiis  parro fia  (parrochiam)^.  Ces  formes  doivent  d'ailleurs 

1.  Essai  sur  le  patois  j)oifevin,  s.  v.  thiau. 

2.  Je  ne  saurais  trop  regretter  que  mon  état  de  santé  m'ait  forcé  d'in- 
terrompre brusquement  un  voyage  qui  m'eût  permis  d'étudier  les 
patois  si  curieux  et  encore  si  inconnus  de  la  Savoie. 

3.  C'est  à  M.  Paul  Meyer  que  je  dois  ce  dernier  renseignement. 


—  2i3  — 

d'autant  moins  surprendre  que  réciproquement  f  étymologique 
s'est  en  savoyard  transformé  parfois  en  th;  ainsi /eôWm  a  donné 
dans  le  patois  tarin  thievra. 

IV°  Changement  du  c,  du  g  et  de  œ  en  spirante  gutturale. 

Dans  les  cas  où  le  c  et  le  p  vèlaires  se  sont  changés  en  ^  (=  ^ 
ou  j)  en  portugais,  ils  ont  pris  en  espagnol  un  son  analogue 
à  celui  du  -/  grec  moderne  ou  du  ch  allemand  et  représenté  par  la 
jota.  La  gutturale  palatale  sonore  a  également  pris  ce  son; 
c'est  aussi  celui  qu'on  donne  à  œ,  qu'on  remplace  même 
aujourd'hui  pour  cette  raison  le  plus  souvent  par  laj^  Nous 
savons  par  le  témoignage  des  anciens  grammairiens  que  ces  sons 
étaient  autrefois  différents  ;  cela  étant,  quelle  était  dans  l'ancien 
espagnol  la  valeur  réelle  des  trois  lettres  g,  j,  x,  et  comment 
ont-elles  pris  ce  son  unique  qui  leur  est  propre  aujourd'hui  ?  C'est 
là  une  des  questions  les  plus  obscures  et  les  plus  curieuses  de  la 
phonétique  romane.  On  ne  peut  douter  qu'à  l'origine  g  n'ait  eu 
en  espagnol  devant  e  et  i  la  valeur  de  ^,  qu'on  lui  trouve  dans 
toutes  les  autres  langues  romanes,  son  qui  a  persisté,  comme 
nous  savons,  en  roumain,  en  italien  et  généralement  en  proven- 
çal, qui  s'est,  au  contraire,  affaibli  en  z  en  français  et  en  portu- 
gais ;  la  confusion  de  ch  et  de  g  dans  le  mot  Sanchez  ^  en  est  un 
indice  évident,  ainsi  que  l'analogie  de  ce  qui  s'est  passé  dans  les 
autres  langues.  On  doit  admettre  aussi  que  j  qui  a  encore  en 
provençal  le  son  g,  et  qui  l'a  eu  aussi  certainement  autrefois  en 
roumain,  en  français  et  en  portugais,  où  il  a  maintenant  celui  de 
z,  a  également  eu  ces  deux  sons  g,  z,  autrefois  en  Espagne. 
Quant  à  œ,  le  son  l  qu'il  a  le  plus  souvent  en  portugais  et  qu'il 
.  prend  aussi,  comme  nous  verrons,  dans  plusieurs  autres  idiomes, 
amène  naturellement  à  lui  attribuer  aussi  dans  l'ancien  espagnol 
cette  même  valeur,  qu'elle  soit  ou  ne  soit  pas  un  affaiblissement  de 
c.  Ainsi,  il  a  dû  y  avoir  dans  cette  langue  une  époque  où  les  trois 
lettres  g,j  et  œ  eurent  les  sons  z  et  s,  c'est-à-dire  qu'elles  repré- 
sentaient alors  la  sourde  ch  et  la  sonore  j  ou  dj  ;  mais  comment 
ces  sons  se  changèrent-ils  en  spirantes  gutturales  ?  J'avoue  que 
je  ne  connais  point  d'explication  pour  ce  phénomène  de  phoné- 
tique si  singulier  qui  nous  montre ,  contrairement  à  ce  que  nous 

1.  A  cause  de  cette  mêioe  valeur  et  pour  éviter  des  redites,  je  no 
sépare  point  ici  l'étude  des  trois  lettres  espagnoles  g,j,  x\  ce  sera  un 
à-compte  sur  ce  que  j'aurai  à  dire  plus  tard  (Liv.  IV,  ch.  ^\l)  de  x. 

2.  Sanchez  et  Songez,  Yepes.  Voir  plus  haut,  p.  179. 


—  2U  — 

avons  vu  clans  la  transformation  des  sons  gutturaux,  un  son  re- 
monter en  quelque  sorte  l'échelle  vocale  que  tous  les  autres  des- 
cendent; il  n'en  paraît  pas  moins  certain,  eton  peut  en  rapprocher 
la  substitution,  dans  le  roumain  du  Sud  et  les  dialectes  méridio- 
naux de  l'Italie,  d'une  gutturale  à  une  labiale  ou  à  une  chuintante*. 
Mais  tandis  qu'à  une  chuintante  sourde  ou  sonore  correspond 
dans  ces  idiomes  une  explosive  gutturale  également  sourde  ou 
sonore,  nous  n'avons  en  espagnol  que  les  spirantes  sourdes  x  ou 
yp  suivant  qu'elles  se  substituent  kj  ou  œ,  suivi  de  a,  o,  u,  ou  à 
g,  suivi  de  e  ou  i.  Nous  retrouvons  donc  ici  un  fait  analogue  à  ce 
qui  s'est  passé  dans  le  changement  des  spirantes  ts  ou  dz,  issues  du 
c  palatal,  en  spirantes  dentales  proprement  dites  :  la  suppression 
de  toute  distinction  entre  des  sons  originairement  sourds  et  sonores. 
Mais  à  quelle  époque  cette  transformation  de  5  ou  de  z  en  spi- 
rante  a-t-elle  eu  lieu  ?  Il  me  semble  qu'elle  ne  s'est  produite  qu'à 
l'époque  où  g  {g  eij)  s'était  affaibli  en  z  et  où  ^  n'avait  plus,  — 
s'il  avait  jamais  eu  le  son  c,  —  que  celui  de  s,  c'est-à-dire  sans 
doute  vers  la  fin  du  Moyen  Age.  Le  témoignage  des  grammai- 
riens du  temps  vient  entièrement  confirmer  cette  manière  de 
voir.  «  La  critica  historica,  disait  en  1859  Monlau  dans  son  dis- 
cours de  réception  à  l'Académie  espagnole  ^,  demuestra  que  la 
mudanza  del  antiguo  sonido  dental  de  la.J  et  de  la  œ  en  sonido 
gutural  fuerte,  asi  como  la  mudanza  de  la  z  rechinante  grseco- 
latina  en  la  z  ceceosa  ô  balbutiente  no  se  verificaron  hasta  fines 
del  siglo  XVI  ô  poco  antes,  ni  se  generalizaron  hasta  entrado  el 
siglo  XVII.  »  Cette  opinion  que  Monlau  avait  déjà  avancée  en 
1856  dans  son  «  Diccionario  etimologico^  »  en  reportant  même 
jusqu'au  milieu  du  XYïf  siècle  le  changement  de  la  œ  ou  de  la^" 
et  de  la  ç  ou  de  la  z,  a  été  depuis  adoptée  aussi  par  Engelmann 
dans  son  Glossaire  et  par  MilayFontanals^.  Engelmann  se  fonde 
sur  la  transcription  du  son  arabe  dsch  et  sch  par  Pedro  de 
Alcala  (1517),  indifféremment  par  j  et  œ,  ce  qui  suppose  que  ces 
deux  lettres  n'étaient  pas  encore  gutturales  à  cette  époque,  c'est- 
à-dire  au  commencement  du  xvf  siècle. 


1.  Voir  plus  haut,  Liv.  II,  ch.  IX,  p.  165.  —  L'italien  classique  connaît 
aussi  cette  substitution  d'une  explosive  gutturale  à  la  chuintante  g,  issue 
de  i  consonne,  ainsi  rimango  (rimaneo),  seggo  à  côté  de  seggio  fsedeo), 
vengo  (venio).  On  la  trouve  également  en  espagnol  dans  salgo  (salio), 
tengo  (teneo).  Cf.  Diez,  Gram.  \,  351  et  369. 

2.  Biscunos  leklos  en  las  recepciones  2mbUcas  II,  314. 

3.  Diccionario  efimologico  de  la  lengua  castellana,  p.  169. 

4.  Trovadores  en  Espaha,  p.  460.  Cf.  Diez,  Gram.  I,  372. 


—  2^5  — 

Les  renseignements  donnés  par  les  grammairiens  espagnols 
ou  étrangers  le  montrent  également,  et  ils  permettent  même 
de  fixer  la  date  à  laquelle  s'effectua  en  castillan  la  trans- 
formation si  surprenante  des  chuintantes  s  et  i  en  spirante 
gutturale.  Voici  ceux  que  j'ai  pu  recueillir.  «  Le  grand  i  (la 
jota),  »  écrivait  en  1546  l'auteur  anonyme  de  «  La  parfaite 
méthode  pour  entendre,  escrire  et  parler  la  langue  espagnole  », 
«  se  prononce  comme  nous  faisons  jeu  :  juego  »  ;  ailleurs 
«  g  devant  e,  i  se  prononce  comme  le  grand  i  »  ;  et  plus  loin 
«  i»  a  le  son  soi,  ainsi  que  le  prononcent  les  Italiens*.  » 
En  1555  l'auteur  également  anonyme,  mais  espagnol  de  1'  «  Util 
y  brève  institution  para  aprender  los  principios  y  fundamentos  de 
la  lingua  Hespariola  »  dit  à  son  tour  :  «  j  asi  se  ha  de  pronun- 
ciar  como  cuando  es  consonante  de  los  latinos  ;  como  Julius  y 
como  los  franceses  pronuncian  je,  jamais,  asi  los  hespanoles 
viejo,  ojo,  jamas^.  »  Nous  trouvons  en  1565  un  renseigne- 
ment analogue  dans  le  vocabulaire  de  Sotomayor  p.  11.  «  La^ , 
dit-il  dans  son  français  baroque,  estant  mise  au-devant  d'une 
voyelle  qui  est  consonnante  se  prononce  comme  les  français  »  ; 
et  dans  sa  grammaire  «  g  siendo  acompaîiada  de  una  e,  i,  suena 
como  je,  jy.  »  Il  y  donne  également  k  œle  son  du  ch  français^. 
C'est  ce  que  faisait  aussi  en  1568  Gabriel  Meurier  dans  ses 
«  Coloquios  familiares  »  ■^. 

Il  ressort  de  ces  citations,  quelques  doutes  que  la  sagacité  des 
auteurs  des  livres  d'où  elles  sont  tirées  peut  parfois  inspirer,  qu'au 
commencement  de  la  seconde  moitié  duxvf  siècle  la  g  devant  e  et 
i  et  la 7  avaient  le  même  son  qu'en  français,  et  que  la  œ  avait  celui 
de  notre  ch,  c'est-à-dire  le  son  qu'elle  a  encore  le  plus  souvent 
aujourd'hui  en  portugais.  Quelques  années  plus  tard,  au  con- 
traire, en  1580,  Juan  de  la  Cuesta,  dans  son  «  Libro  y  tratado 
para  ensenar  leer  y  escrivir  »,  nous  dit  que  la  equis  et  la  jota , 
qu'il  voulait  encore  distinguer^,  étaient  le  plus  souvent  confondues 


1.  P.  6  et  11.  V.  pi.  haut  p.  151,  note. 

2.  Ensayo  de  una  bibliotheca  espanola  de  libros  raros  y  curiosos,  2  vol. 
in-4''.  Madr.  18G3,  l,  857. 

3.  Gramaiica  con  reglas  muy  provechosas  y  necessarias  para  aprender  la 
lengua  francesa.  —  Vocabolarlo  de  los  vocables  que  mas  comunamenta.se 
sueien  itsar,' faisant  suite  à  la  Gramaiica,  in-12.  En  Alcala  de  Henarès,  15G5. 

■4.  Coloquios  familiares  tnuy  convenientes.  Anvers  156S,  «  xa,  xe,  xi, 
dit-il,  correspondent  à  cha,  che,  chi.  » 

5.  «Asiesmenester,dit-ilp.  12,  que  los  queenseîïan  leer  y  escrivir  advier- 
tanen  que  sus  discipulos  tengan  entendido  come  liacedediferenciarde 


—  246  — 

dans  la  prononciation,  et  par  conséquent,  comme  il  attribue  aussi 
à  la  ^  et  à  la^  la  même  valeur,  g,Jeiœ  commençaient  alors  à 
avoir  le  même  son;  mais  quel  était  au  juste  ce  son  ?  D'après  la 
définition  que  Velasco  en  donnait  deux  ans  après,  il  semble  bien 
qu'il  était  déjà  celui  même  que  ces  lettres  ont  aujourd'hui. 
«  Forraase  » ,  dit-il  dans  son  «  Orthographia  y  pronunciacion 
castellana  »,  «  con  el  medio  de  la  lengua  inclinada  al  principio  del 
paladar,  no  apegada  a  el  ni  arrimada  a  los  dientes,  que  es  como 
los  estrangeros  la  pronuncian^  »  Le  témoignage  de  Doergangk 
dans  ses  «  Institutiones  in  linguam  hispanicam  »  que  j'ai  déjà  eu 
occasion  de  citer,  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard.  «  g,  dit-il 
page  3,  ante  e  et  i  effertur  iitj  longum,  vel  ut  œ  ante  vel  inter 

vocales,  vel  ut  c/i  apud  Germanos,  ut  mwprer,  7'egir quasi 

mucher,  rechir. . .  »  Et  page  6  :  «  j  consonans  effertur  ut  x 
apud  Grsecos  vel  ut  ch  apud  Germanos,  ut  :  hijo,  hija,  Juan, 
Jesu,  quasi  ï^o,  t^a,  Xoùav,  Xéaou,  Grsecè,  vel  hicho,  hicha, 
C/nian,  Chesu,  Germanicè.  » 

Ainsi  à  la  fin  du  xvf  siècle,  g,  suivi  de  e,  i,  j  et  x  avaient 
pris  en  espagnol  le  son  du  x,  grec  ou  du  ch  allemand,  mais  on 
continua  encore  longtemps,  du  moins  à  l'étranger,  de  leur  attri- 
buer celui  du  ch  français  ;  c'est  ce  que  faisait  encore  en  1G08 
Jean  Saulnier  dans  son  «  Introduction  en  la  langue  espagnole 
par  le  moyen  de  la  française  »  ;  «ja,je,  jy,  jo,  ju  ;  xa,  xe,  xy, 
œo,  xu  ;  ge,  gi,  dit-il,  se  doivent  prononcer  comme  en  fran- 
çais. »  Mais  sans  doute  il  ne  faut  voir  là  ou  que  l'impuissance 
de  figurer  un  son  qui  n'existe  pas  dans  notre  langue,  ou  qu'un 
renseignement  erroné,  emprunté  à  la  prononciation  que  donnent 
a  la.  jota  et  hVequis  les  habitants  du  Nord  de  l'Espagne,  les- 
quels ne  connaissaient  pas  alors  et  ignorent  encore  la  spirante 
gutturale.  «  Catalauni  et  Arragones,  remarquait  Doergank,  Gal- 
lis  vicini,  Gallicam  pronunciationem  retinent,  et  ge,  gi  spirant 
more  Gallorum.  »  Mais,  en  1610,  C.  Oudin  définissait  assez  bien 
le  son  de  la  p',  qu'il  reconnaissait  comme  identique  à  celui  de  la 
j  et  de  la  x;  «  g  devant  c  et  i,  dit-il,  se  prononce  plus  rudement 
qu'en  notre  langue,  et  se  forme  au  palais  de  la  bouche,  repliant 
le  bout  de  la  langue  en  haut  et  la  poussant  vers  le  gosier.  » 
Cependant,  tant  il  est  difficile  pour  un  Français  qui  ne  sait  pas 
l'allemand,  de  trouver  un  point  de  comparaison  pour  la  spirante 


la  a;  a  la  «  jota,  porque  muclias  vezes  lie  visto  descuydarse  en  esto  que 
por  escrivir  Guadalaxara,  dizen  con  j  Guadalajara.  » 
1.  Bargos  1582,  p.  116  et  117,  citée  par  Diez,  Gramm.  1,  370. 


—  '2i7  — 

espagnole,  Oudin  compromettait  la  définition  assez  exacte  qu'il 
avait  donnée,  en  ajoutant  que  la  g  avait  dans  ce  cas  «  quelque 
affinité  avec  notre  ch  français  » .  De  même  il  disait  que  les  Espa- 
gnols prononçaient  la  Jota  «  quasi  comme  schota  »,  bien  qu'il 
ajoutât  ce  trait  caractéristique  de  son  véritable  son,  en  «  retour- 
nant la  langue  vers  le  haut  du  palais  et  en  dedans  de  la  gorge  ». 
On  voit  par  ce  qui  précède  comment  le  nom  du  héros  de  Cervan- 
tes a  dû  se  prononcer  au  xvi®  siècle,  comme  nous  le  faisons  en- 
core, don  Quichotte,  tandis  que  les  Espagnols  disent  aujourd'hui 
don  Quijote  ^ 


CHAPITRE   III 

DU  C   VÉLAIRE   ET   DU   C   PALATAL   TRANSFORMÉS    DANS   LE 
PICARD   ET    LE   NORMAND. 

En  parlant  de  la  transformation  du  c  vélaire  en  c  ou  s  dans  le 
français,  j'ai  déjà  fait  remarquer  qu'il  n'en  était  point  de  même 
dans  tous  les  dialectes  de  cette  langue.  Le  c  vélaire,  en  effet, 
persiste  en  général  dans  le  picard  et  souvent  dans  le  normand. 
Mais  le  fait  de  la  conservation  de  la  vélaire  n'est  pas  le  seul 
caractère  qui  distingue  le  consonnantisme  de  ces  deux  dialectes 
de  celui  du  français  proprement  dit,  tandis  que  dans  cet  idiome 
la  gutturale  palatale  s'est  changée  en  ç,  s  ou  z,  elle  est  devenue 
ch  toujours  dans  le  picard  et  le  plus  souvent  dans  le  normand, 
toutes  les  fois  qu'elle  n'a  point  donné  naissance  à  une  spirante 
sonore  ;  il  y  a  là  dans  le  traitement  qu'ont  subi  les  deux  guttu- 
rales dans  ces  dialectes  une  espèce  de  solidarité  qui  ne  permet 
point  d'en  séparer  l'étude. 

L'histoire  des  dialectes  français  est  encore  à  faire  ;  heureuse- 
ment, pour  la  question  particulière  que  j'examine ,  la  con- 
naissance approfondie  n'en  est  pas  nécessaire.  En  1839  Fallot, 
dans  ses  «  Recherches  sur  les  formes  grammaticales  de  la  langue 
française  et  de  ses  dialectes  au  xiif  siècle,  »  a  le  premier,  je 


i.  Celte  prononciation  de  la  g,  de  la  j  et  de  la  x  régna  longtemps 
en  France  ;  sur  un  exemplaire  de  la  grammaire  d'Oudin,  édition  de  1659, 
que  possède  la  Bibliothèque  nationale,  un  lecteur  —  du  temps  à  ce 
qu'il  semble  —  a  figuré  par  ch  la  prononciation  de  ces  trois  lettres, 
On  trouve  aussi  le  mot  Xérès  écrit  Cherèz  dans  une  lettre  adressée  à 
Dubois  (Aubertin,  Es2)rit  public  au  XVIII""'  siècle,  p.  103).  L'on  sait  égale- 
ment que  le  vin  produit  parle  territoire  de  cette  ville,  le  Xeres,  a  pris 
le  nom  de  Shernj  en  anglais. 


—  2^8  — 

crois,  essayé  d'en  établir  la  classification  et  d'en  faire  la  géogra- 
phie, mais  l'ignorance  des  textes  non  encore  publiés  et  surtout 
une  mort  prématurée  ont  empêché  ce  philologue  si  bien  doué  de 
donner  à  ce  sujet  tous  les  développements  et  l'exactitude  dési- 
rables. C'est  lui  cependant  qu'on  a  suivi  le  plus  souvent,  sans  le 
contrôler  ;  c'est  ainsi  que  l'auteur  de  la  «  Grammaire  de  la  lan- 
gue d'oïl  et  des  dialectes  français  au  xif  et  xiii''  siècle,  »  Burguy 
s'est  borné  à  le  copier,  sans  rien  ajouter  d'essentiel  à  ce  qu'il 
avait  dit.  Fallot  reconnaît  dans  le  français  trois  dialectes  princi- 
paux :  le  bourguignon,  le  picard  et  le  normand.  Burguy  a 
accepté  cette  division  comme  le  reste  et  Diez  lui-même,  qui  a 
repris  la  question  avec  sa  compétence  et  sa  supériorité  ordinaires , 
ne  repousse  point  cette  classification.  Cependant  deux  ans  après 
la  publication  de  l'ouvrage  de  Fallot,  en  1841,  M.  Le  Roux  de 
Lincy  dans  l'introduction  des  «  Livres  des  Rois  »  combattait 
cette  division  artificielle  et  arbitraire  et  lui  en  substituait  une  en 
cinq  dialectes  :  le  normand,  le  flamand,  le  bourguignon,  le  lor- 
rain et  le  poitevine  II  est  incontestable  que  la  classification  de 
l'éditeur  du  Livre  des  Rois,  sans  être  irréprochable,  est  préfé- 
rable à  celle  de  Fallot  ;  mais  peu  importe  d'ailleurs  au  point  de 
vue  de  l'étude  des  gutturales  ;  dans  le  traitement  qu'ils  leur  ont 
fait  subir,  on  peut,  en  effet,  diviser  les  dialectes  français  en  trois 
groupes,  le  picard,  c'est-à-dire  le  dialecte  de  la  Picardie  et  de 
l'Artois,  auquel  se  rattache  le  rouclii  ou  dialecte  de  la  Flandre 
française,  lesquels  gardent  la  gutturale  vélaire  et  changent  la 

l.  P.  59.  M.  Littré  a,  dans  le  premier  chapitre  de  son  Histoire  de  la 
langue  française  (I,  12),  adopté  la  classification  de  Fallot  et  de  Burguy. 
c'est-à-dire  la  division  de  la  langue  d'oil  en  trois  dialectes  principaux  ; 
dans  Y  Introduction  qu'il  y  a  jointe,  il  en  reconnaît  (p.  43),  au  contraire, 
quatre  :  «  le  bourguignon  ou  langue  de  l'Est  ;  celle  du  Centre  ;  celle  de 
l'Ouest  ou  normand  ;  celle  du  Nord  ou  picard.  »  Le  traitement  que  le 
normand  proprement  dit  a  fait  subir  aux  gutturales'ne  permet  pas  de  le 
réunir  aux  idiomes  des  autres  provinces  de  l'Ouest,  qui  les  ont  traitées 
comme  les  dialectes  du  Centre  et  de  l'Est;  il  faut  donc  diviser  le  groupe 
d'idiomes  propres  à  cette  partie  de  la  France  au  moins  en  deux,  ce  qui 
nous  ramène  à  peu  près  à  la  classification  de  Le  Roux  de  Lincy. 
L'objection  que  je  fais  à  la  division  adoptée  par  M.  Littré  s'applique 
bien  plus  encore  à  celle  que  paraît  proposer  M.  Gaston  Paris  (Al.,  p.  41), 
lequel  réunit  dans  un  même  groupe  le  normand  et  le  dialecte  de  l'Ile- 
de-France  et  de  la  Champagne  ;  j'espère  montrer  qu'il  faut  nécessaire- 
ment isoler  le  normand  du  dialecte  des  provinces  voisines,  et  en  faire, 
comme  le  picard,  un  dialecte  à  part.  L'incertitude  où  l'on  est  encore 
sur  cette  question  me  servira  peut-être  d'excuse  si  j'y  insiste  si  longue- 
ment. 


—  2\9  — 

palatale  en  spirante  ch  ;  le  normand,  parlé  dans  la  province  à 
laquelle  il  doit  son  nom,  et  dans  lequel  le  c  vélaire  persiste 
le  plus  souvent  et  le  c  palatal  se  change  d'ordinaire  en  ch 
comme  dans  le  picard  ;  enfin  les  autres  dialectes  français  se 
rattachant  plus  ou  moins  étroitement  au  bourguignon  et  au 
langage  de  l'Ile-de-France,  lesquels  changent  la  vélaire  en  ch  et 
la  palatale  en  ç,  s  on  z.  Le  lorrain  présente  bien  quelques  cas  de 
persistance  de  la  gutturale,  mais  ils  sont  trop  peu  nombreux  pour 
être  considérés  autrement  que  comme  des  exceptions  ;  quant  au 
wallon  que  cette  classification  ne  comprend  pas,  si  dans  un  cer- 
tain nombre  de  mots  il  a  conservé  aussi  la  gutturale  vélaire,  le 
plus  souvent  pourtant  il  la  traite  comme  le  français  *  ;  la  modifi- 
cation de  la  gutturale  palatale  n'offre  d'ailleurs  rien  de  particu- 
lier dans  ces  deux  dialectes,  je  puis  donc  les  passer  sous  silence  et 
me  borner  à  parler  du  picard  et  du  normand,  les  seuls  dont  le  con- 
sonnantisme  guttural  diffère  à  cet  égard  essentiellement  du  fran- 
çais. Quant  aux  causes  qui  ont  pu  faire  que  dans  ces  trois  grandes 
régions  de  la  France  du  Nord,  les  deux  gutturales  et  en  particu- 
lier la  vélaire  aient  été  traitées  d'une  manière  si  différente,  j'en 
ai  déjà  parlé  et  j'y  reviendrai  plus  tard  en  finissant  cette  étude  ; 
mais  avant  de  la  commencer  il  me  faut  encore  donner  quelques 
explications  préliminaires  sur  les  difficultés  qu'elle  présente  ^. 

J'ai  déjà  parlé  à  plusieurs  reprises  de  l'incertitude  que 
l'absence  de  signes  déterminés  jette  sur  cette  question.  Ainsi 
on  rencontre,   en  particulier  dans  le  Psautier   d'Oxford,  où 


1.  On  trouve  par  exemple  c  persistant  dans  calengî,  cangî,  capeler, 
catl,  eau  (caulem),  etc.;  c  s'est  changé  en  ch,  au  contraire,  dans  chaive, 
champt,  chapai,  chape,  char,  charmer,  charnale  (carpinum),  chdse  (cal- 
ceam),  etc.  Cf.  Ch.  Grandgagnage,  Dict.  élijm.  de  la  langue  ivallone. 

2.  Inutile  d'ajouter  que  les  différences  dialectales  que  je  signale, 
comme  celles  qu'on  peut  indiquer  comme  véritablement  essentielles, 
ont  dû  apparaître  dès  les  premiers  temps  de  la  langue;  l'unité  primitive 
d'idiome  si  chère  à  Génin,  et  qui  n'était  autre  chose  que  la  théorie  de 
Raynouard  apphquée  à  la  langue  d'oil,  a  été  trop  bien  réfutée  par 
M.  Littré  pour  que  je  vienne  la  combattre  à  mon  tour  ;  et  je  ne  parle- 
rais pas  d'une  opinion  aussi  arriérée,  si  je  ne  la  retrouvais  encore  en 
1872  dans  la  préface  d'un  livre  qui  a  eu  un  certain  retentissement. 
«  Nous  ne  pensons  pas,  dit  M.  L.  Gautier  dans  la  préface  de  la  troi- 
sième édition  de  la  Chanson  de  Roland,  qu'à  l'époque  et  sous  la  plume 
de  notre  poète,  le  dialecte  normand  ait  présenté  exactement  les  mêmes 
formes  que  le  dialecte  français,  comme  cela  avait  lieu  antérieur ement  à 
la  conquête  de  l'Angleterre^  »  comme  si  le  changement  de  la  gutturale  en 
chuintante  n'avait  point  eu  lieu  déjà  en  français  tandis  que  le  normand 
l'ignorait. 


—  220  — 

ce  mot  se  trouve  à  chaque  page,  chi  (qui)  écrit  par  ch  ;  or  il  est 
impossible  qu'ici  on  ne  lui  accorde  pas  la  valeur  gutturale,  et 
nous  avons  ainsi  un  exemple  certain  de  ch  figurant  le  son  k  ; 
mais  dans  le  même  texte  nous  trouvons  c/i  suivi  de  a  ;  faut-il 
dans  ce  cas  lui  accorder  la  même  valeur  ou  lui  donner  comme  en 
français  le  son  s  ou  c  ?  Par  contre  c  seul  suivi  de  a  peut-il  pren- 
dre un  son  chuintant,  ou  faut-il  toujours  lui  donner  dans  ce  cas 
une  prononciation  gutturale  ?  Ces  questions  d'une  solution  déjà 
si  difficile  par  elles-mêmes  se  compliquent  encore  par  cette  cir- 
constance qu'on  ne  sait  pas  le  plus  souvent,  étant  connue  la 
nationalité  du  poète  ou  de  l'écrivain,  quelle  était  celle  du 
copiste  ;  aussi  arrive-t-il  bien  souvent,  comme  nous  le  verrons 
par  la  suite,  qu'on  a  un  texte  primitivement  picard  ou  normand 
copié  par  un  scribe  français  et  réciproquement  ;  or  dans  ce  cas, 
ou  par  négligence,  ou  à  dessein^ ,  —  on  en  a  de  nombreux  exem- 
ples, —  le  copiste  a  changé  le  texte  primitif  qu'il  nous  a  trans- 
mis, et  nous  nous  trouvons  en  présence  ou  d'un  texte  picard  ou 
normand  remis,  au  moins  pour  son  consonnantisme,  en  français 
et  réciproquement,  ou  bien,  et  alors  la  difficulté  est  encore  plus 
grande,  d'un  texte  ayant  en  partie  conservé  sa  physionomie  primi- 
tive, en  partie  modifié.  C'est  ainsi  sans  doute  qu'il  faut  expliquer 
souvent  les  doubles  formes  en  ca  et  en  cha,  provenant  de  ca 
latin,  en  ce  et  en  che,  provenant  de  ce  ou  de  ti  assibilé,  qu'on 
rencontre  dans  tant  de  textes  originairement  picards  ;  mais  il  peut 
se  faire  aussi,  si  le  texte  picard  ou  normand  n'est  point  ancien,  que 
la  double  leçon  vienne  d'une  double  forme  connue  de  l'auteur.  Faut- 
il  regarder  les  deux  formes  comme  bonnes  ou  en  exclure  une  pour 
ne  garder  que  l'autre,  et  laquelle?  Comment  prononcer  aussi  la 
syllabe  ce,  provenant  de  ca  ?  faut-il  lui  donner  le  son  assibilé  ce 
ou  guttural  ke  ou  encore  le  son  chuintant  che  ?  On  voit  toutes  les 
difficultés  que  soulève  cette  question.  Quand  l'origine  des  textes 
est  connue,  on  peut  la  trancher  sans  trop  de  peine  ;  ainsi  dans  les 
textes  évidemment  français,  si  on  a  le  même  mot  écrit  par  ca 
et  cha,  comme  on  sait  d'ailleurs  que  ch  est  le  son  français  nor- 
mal, on  peut,  je  crois,  le  donner  dans  tous  les  cas  au  mot  et 
rétablir  le  texte  dans  ce  sens  ;  de  même  que  si  un  même  mot  est 
écrit  par  ce  et  par  che,  si  Ve  représente  un  a  latin,  la  chuintante 
étant  le  son  normal,  on  peut  le  donner  au  mot  et  l'écrire  par  ch. 


1.  M.  G.  Paris  m'a  dit  avoir  vu  au  mont  Gassia  un  manuscrit  du 
Barlaam,  dont  on  s'était  appliqué  à  changer  les  c  (suivis  de  a)  du  texte 
primitif  en  ch. 


—  22^  — 

Ainsi  dans  ces  vers  du  Guillaume  d'Angleterre  de  Crestien  de 
Troie  : 

Au  plus  tôt  qu'il  pot  vers  laroce 

Si  k'a  un  rain  del  bos  acroce  * 

on  peut,  je  crois,  changer  roce  et  acroce  en  roche  et  acroche, 
d'autant  plus  que  quelques  lignes  plus  loin  on  trouve  le  mot 
roche. 

Jusqu'à  la  roche  ne  s'arreste. 

De  même  dans  ces  deux  autres  vers  du  même  poème  : 

Li  pent  si  près  c'au  nés  li  touce 
Et  sa  lèvre  dusqu'à  la  bouce  * 

on  peut  remplacer  touce  par  touche  et  changer  bouce  en  bouche 
donné  par  un  vers  précédent  : 

Et  li  leus  qui  en  sa  bouche  a. 

Mais  si,  au  lieu  d'un  texte  français,  on  a  un  texte  picard  ou 
normand,  dans  quel  sens  se  prononcer^?  Car,  on  le  sent,  c'est 
dans  l'interprétation  même  des  signes  employés  par  les  copistes 
pour  représenter  le  son  issu  du  c  latin  que  réside  la  solution  du 
problème.  On  est  ainsi  presque  renfermé  dans  un  cercle  vicieux, 
aussi  a-t-on  regardé  comme  à  peu  près  impossible  de  débrouiller 
entièrement  la  question.  Voyons  cependant  jusqu'à  quel  point 
on  peut  la  résoudre.  Je  commencerai  par  le  picard,  le  plus  connu 
des  deux  dialectes  que  je  veux  étudier. 

r  Picard. 
Le  picard  est  le  dialecte  parlé  avec  quelques  légères  modifica- 

1.  Man.  fonds  français  375  (anc.  6987),  fol.  242,  1,1. 

2.  Id.  fol.  243,  1,  2.  Bartsch  dans  la  première  édition  de  la  Chresto- 
mathie  avait  mis,  sans  doute  par  analogie  avec  les  formes  roce  et  acroce, 
boce  et  toce;  dans  la  seconde  il  a  corrigé  et  mis  boche  et  toche. 

3.  Ainsi  si  le  texte  précédent  au  lieu  d'être  tiré  d'un  poète  français 
était  l'œuvre  d'un  poète  normand  ou  picard,  il  faudrait  lire  dans  le  vers 
Ail  plus  tôt...  roque  et  au  vers  suivant  aa-oque.  11  est  même  probable 
que  c'est  ainsi  que  prononçait  le  scribe  de  ce  poème  dont  la  copie 
présente  —  du  moins  dans  son  consonnantisme  —  des  traces  évidentes 
du  dialecte  normand  ou  picard,  ainsi  careie,  cier,  etc.  De  même  pour 
les  vers 

si  grant  doel  a,  ne  set  qu'il  face, 

li  leus  s'enfuit  et  il  le  cace, 
il  faut  au  second  vers  substituer  chace  ou  chasse  à  cace;  mais  si  le  texte 
était  picard  ou  normand  il  faudrait  mettre  au  premier  vers  fâche  et  au 
second  cache. 


—  222  — 

tions  dans  la  Picardie,  l'Artois  et  la  Flandre  française  ;  il  com- 
prend le  picard  proprement  dit,  qui  est  l'idiome  des  deux  pre- 
mières de  ces  provinces,  et  le  rouchi  particulier  à  la  troisième. 
Les  caractères  qui  distinguent  le  vocalisme  picard  sont  la  prédi- 
lection qu'il  affecte  pour  la  diplithongue  oi  —  ce  qui  lui  est  com- 
mun d'ailleurs  avec  le  français  proprement  dit  —  et  pour  la  diph- 
thongue  ie  substituée  à  a  long  ou  bref  accentué  ou  à  <?  en  position, 
—  ce  qui  lui  est  particulier.  —  Son  consonnantisme,  comme  je 
le  montrerai,  a  pour  caractère  distinctif  la  persistance  de  la  gut- 
turale vélaire  suivie  de  a,  laquelle  se  change,  comme  nous  avons 
vu,  en  ch  dans  le  français,  et  la  transformation  en  s  de  la  guttu- 
rale palatale,  laquelle  se  change  au  centre  et  à  l'Est  de  la  France 
en  ç.  Ce  double  caractère  lui  est  commun  avec  le  normand. 
Enfin;,  et  cela  lui  appartient  exclusivement  en  propre,  le  picard 
ne  connaît  qu'une  seule  forme  pour  l'article  féminin  et  masculin 
singulier,  celle  du  second  de  ces  deux  genres,  li,  le  ^  Ceci  posé, 
voyons,  par  l'étude  comparée  des  anciens  textes  et  de  la  langue 
actuelle,  comment  cet  idiome  a  traité  les  gutturales. 

Les  monuments  du  dialecte  picard  sont  presque  innombrables. 
Arthur  Dinaux,  qui  a  consacré  trois  volumes,  sans  l'épuiser,  à 
l'histoire  des  trouvères  d'une  partie  seulement  de  la  région  où  le 
picard  est  parlé,  n'en  a  pas  compté  moins  de  dix  pour  le  pays 
de  Cambrai,  trente-deux  pour  le  Tournésis  et  soixante-quinze 
pour  l'Artois.  Le  nombre  des  trouvères  brabançons,  hainuyers, 
liégeois  et  namurois  ^,  dont  bon  nombre  ont  écrit  dans  le  dialecte 
picard,  est  encore  plus  considérable,  et  dans  cette  énumération 
ne  sont  pas  compris  les  écrivains  picards  proprement  dits. 
Heureusement  il  n'est  pas  besoin  d'étudier  les  œuvres  de  tous 
ces  poètes,  dont  une  grande  partie  est  d'ailleurs  inédite,  pour 
arriver  à  la  connaissance  de  l'idiome  dans  lequel  ils  ont  écrit  ; 
quelques  textes»  suffisent  pour  cela;  j'en  choisirai  quelques-uns 
d'origine  artésienne  ou  flamande,  et  j'y  joindrai  l'examen  des 
Chartes  d'Aire,  publiées  en  1870  par  M.  Natalis  de  Wailly,  et 
celles  encore  plus  curieuses  d'Auchy,  que  de  Bétencourt  a  fait 
connaître  dès  1788  ;  enfin  pour  le  picard  moderne  je  me  servirai 

1.  La  seule  différence  qu'il  y  ait  entre  les  deux  articles,  c'est  que  l'ar- 
ticle masculin  peut  se  contracter  en  du  au  génitif,  en  au  au  datif, 
tandis  que  l'article  féminin  reste  de  le,  à  le. 

2.  Trouvères,  jongleurs  et  ménestrels  du  Nord  de  la  France,  3  vol.  in-8% 
Paris  1837-1843. 

3.  Trouvères  brabançons,  hainuyers,  liégeois  et  namurois,  2  vol.  in-8», 
Paris  1863. 


—  223  — 

du  dictionnaire  assez  exact  qu'a  fait  de  cet  idiome  l'abbé  Corblet. 

Les  textes  picards  les  plus  importants  du  xii''  et  du  xiii**  siècle 
publiés  jusqu'ici  sont  le  «  Lai  d'Ignaurès  >>,  par  Renaut  «  le 
Roman  de  la  Violette  »  ou  de  «  Girart  de  Nevers  »  par  Gyrbers 
ou  Gibers  de  Montreuil,  «  Eracle  »  de  Gautier  d'Arras,  «  Bar- 
laam  et  Josapliat  »  par  Gui  de  Cambrai,  également  auteur  d'une 
des  branches  du  «  Roman  d'Alexandre  »,  le  «  Jeu  de  Saint  Nico- 
las »  par  Jehan  Bodel,  le  «  Jus  Adan  le  Boçu  »  par  Adam  de  la 
Halle,  des  Fragments  plus  ou  moins  considérables  des  poèmes 
d'Adenès  le  Roi,  et  d'Herman  de  Valenciennes,  etc.  Tous  ces 
textes  n'ont  point  sans  doute  la  même  importance  phonétique  et 
ne  méritent  pas  également  dès  lors  d'attirer  l'attention  ;  mais 
leur  comparaison  peut  servir  à  éclairer  les  différents  points  de  la 
question,  voilà  pourquoi  je  les  soumettrai  tous  à  un  examen  au 
moins  rapide.  Je  commence  par  l'œuvre  de  Gibert  de  Montreuil, 
le  «  Roman  de  Gérard  de  Nevers  ou  de  la  Violette.  » 

Tel  que  M.  Francisque  Michel  l'a  publié  d'après  les  manus- 
crits 7595  et  7498  de  la  Bibliothèque  nationale,  le  texte  nous 
montre  le  plus  souvent  ch  substitué  à  c  suivi  de  a  latin  ;  dans 
les  cinq  cents  premiers  vers,  c  ne  persiste  que  dans  les  mots  caut 
V.  269;  canchon  v.  130;  canconnete,  v.  200;  cans  v.  41, 
313  ;  cantans  v.  174  ;  cantes  v.  109  ;  canté  v.  236,  327  ; 
cantoit  v.  180  ;  castelaines  v.  86  ;  buce  v.  324  ;  cief  v.  276  ; 
ducoisey.  86,  107;  c'est-à-dire  quinze  fois;  partout  ailleurs, 
au  contraire,  c'est-à-dire  plus  de  quarante  fois,  il  a  fait  place  à 
ch,  ainsi  ;  auchun  v.  22,  23;  chières  v.  76,  77,  499  ;  arche 
V.  89;  chambre  \.  96;  chanter  v.  119,  160,  197,  318,  436; 
chanconetey.  47,  137;  chanconv.  103,  111,  116,  124,  184, 
190,  233,  445  ;  chanta  v.  105  ;  chant  v.  106,  149,  199  ; 
chante  v.  149  ;  chantera  v.  232;  chevaliers  v.  70,  251,  306  ; 
chiefY.  164,  330;  chastelaine  v.  134, 182;  chastelain  v.  331, 
337,  341  ;  chastieÏY.  330;  chose  v.  169,  407,  410  ;  chascun 
V.  97,  271,  295,  297  ;  cheuz  v.  460  ;  afiche  v.  272;  meschief 
V.  277  ;  achievoit  v.  473.  Quant  à  ci  ou  ti,  ils  sont  le  plus  sou- 
vent remplacés  par  ch;  ainsi  :  scienche  v.  21  ;  semblanche  v. 
373;  vaillanche  v.  374,  427  ;  Justichier  453;  entechier  v. 
454;  merchi  v.  128,  372,  394,  396;  tierche  v.  160;  fâche  v. 
384;  anchois^.  307,  400;  chou  v.  11,  19,  62,  165,  174,  180, 
187,  231,  240,  244,  260,  275,  336,  349,  403,  423,  463,  470  ; 
chcY.  288,  411,  420,  455,  479;  chiv.  272;  Couchi  v.  127; 
chiel  V.  401  ;  serviche  v.  64  ;  sorchière  v.  500  ;  dreche  v. 
156;  comencherai  v.  45;  comench  v.  19  ;  comenche  v.  99, 


_  224  — 

123;  comenchier  \.  97;  comenchie\.  143.  On  trouve  c  ou  s,  au 
contraire,  substitué  à  ti  ou  au  c  palatal  transformé  dans  comen- 
cieY.  116;  comence  v.  103;  drece  v.  330;  ce  v.  27,  367; 
cis  V.  16,  462  ;  cil  v.  216,  227,  258,  484  ;  cel  v.  252;  celle  v. 
111  ;  cest  V.  293,  444  ;  decut  v.  222  ;  décevant  v.  390  ;  c?e- 
coivre  v.  447  ;  Besancon  v.  101  ;  certes  v.  286  ;  escient  v. 
292  ;  damoisiele  v.  327  ;  maisielle  v.  328  ;  semonce  v.  225  ; 
sospecon  v.  446  ;  _pMc^eZe5  v.  76,  112;  eichancon  v.  102, 111, 
183,  190,  233,  44b;  chanson  Y.  116;  chanconete  y.  41,  137, 
200.  Le  son  assibilé  de  c  ou  de  if2  a  été  conservé  près  de  qua- 
rante fois,  —  en  tout  trente-sept  lois  ;  —  il  s'est  changé  en  \ 
environ  cinquante  fois  (quarante-neuf). 

Quelle  conséquence  faut-il  tirer  de  cette  double  représentation 
des  deux  gutturales  ?  Faut-il  admettre  que  le  c  vélaire  persistait 
ou  se  changeait  en  s,  le  changement  en  ch  toutefois  ayant  lieu 
plus  souvent  que  la  persistance  du  c,  et  que  le  c  palatal  se  trans- 
formait également  plus  souvent  en  5  qu'en  ç  ?  Cela  est  peu  vrai- 
semblable ;  bien  qu'il  soit  possible  que  les  deux  nous  ca  et  cha, 
peut-être  aussi  ce  et  che,  aient  coexisté  parfois,  il  est  peu  pro- 
bable que  la  confusion  ait  été  jamais  portée  dans  la  langue  aussi 
loin  que  dans  le  texte  que  nous  avons  ici  ;  l'emploi  des  doubles 
formes  ch  et  k,  ce  et  ch,  dans  les  mêmes  mots,  l'arbitraire  qui 
préside  à  leur  choix,  tout  fait  croire  que  la  langue  du  copiste  et 
celle  du  poète  ou  du  premier  scribe  n'étaient  pas  la  même  ;  par 
exemple,  s'il  n'est  pas  absolument  impossible  d'admettre  que 
Gibert  de  Mon  treuil  ait  dit  à  la  fois  canchon  et  chancon,  — 
quoiqu'il  semble  plus  naturel  d'attribuer  au  copiste  les  nom- 
breuses confusions  qu'on  rencontre  sans  cesse  entre  c  ei  ch\  — 
il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  mot  chanchon,  par  exemple, 
qu'on  trouve  au  vers  124  et  dont  la  première  partie  est  française 
et  la  seconde  picarde,  appartienne  au  texte  primitif,  et  il  ne 
faut  voir  là,  je  crois,  qu'une  des  nombreuses  altérations  dont  il 
a  été  l'objet;  le  scribe  avait  probablement  sous  les  yeux  le  mot 
canchon,  sans  en  modifier  la  fin,  il  a  changé  dans  la  première 
syllabe,  comme  il  a  lait  sans  doute  dans  tant  d'autres  mots,  c  en 
ch  et  a  eu  ainsi  la  forme  barbare  chanchon  ^ .  Il  est  difficile  d'ex- 
pliquer aussi,  il  me  semble,  autrement  que  par  une  altération 
du  texte  primitif  le  rapprochement  à  la  fin  des  vers  de  cief  et 


1.  On  en  trouve  d'analogues,  il  est  vrai,  dans  la  Muse  normande,  mais 
l'origine  récente  de  ce  recueil  de  poésies  et  leur  caractère  savant  leur 
enlèvent  toute  valeur  phonétique. 


—  225  — 

meschief,  ducoises  et  richoises,  formes  que  le  trouvère  n'a  pu 
vouloir  faire  rimer  ensemble;  enfin  une  preuve  nouvelle  des 
changements  qui  ont  été  apportés  par  le  copiste  au  texte  pri- 
mitif, c'est  la  présence  fréquente  de  l'article  français  la  au  lieu 
de  la  forme  picarde  le,  que  l'Artésien  Gibert  évidemment  a  dû 
seul  employer. 

Le  «  Lai  d'Ignaurès  »  de  Renaut ,  publié  d'après  le  même 
manuscrit  7995  que  le  Roman  de  la  Violette  S  nous  montre 
comme  lui  les  formes  ca  et  cha,  ce  et  che,  coexistant  ;  mais  ici 
la  gutturale  vélaire  persiste  plus  souvent  que  dans  le  poème  de 
Gibert  ;  ch  aussi  s'y  substitue  bien  plus  régulièrement  au  c  pala- 
tal transformé  ;  or  comme  ce  sont  là  les  caractères  mêmes  du 
dialecte  picard,  il  est  évident  qu'on  a  ici  un  texte  plus  correct  ou 
moins  altéré  que  celui  du  Roman  de  la  Violette. 

Le  Roman  de  «  Barlaam  et  Josaphat  »,  par  Gui  de  Cambrai 2, 
ojGfre  cette  particularité  que,  dans  les  72  premiers  vers,  le  c  suivi 
de  e  ou  i  et  ti  sont  constamment  représentés  par  c,  le  c  vélaire 
n'y  ayant  persisté  que  deux  fois  ;  à  partir  du  vers  72,  au  con- 
traire, ce,  ci  et  ti  sont  le  plus  souvent  transformés  ench,  comme 
si  le  copiste,  après  avoir  commencé  à  remettre  en  français  le 
texte  picard  qu'il  transcrivait,  y  avait  ensuite  renoncé  pour 
revenir  au  texte  primitif  ;  mais  c  suivi  de  a  ne  persiste  toujours 
qu'exceptionnellement  ^. 

Le  «  Roman  d'Alexandre^  »  présente  plusieurs  des  caractères 
du  dialecte  picard  :  la  confusion  fréquente  de  l'article  masculin 
et  de  l'article  féminin  ^,  son  vocalisme,  ne  laissent  pas  de  doute 


1.  Lai  d'Ignaurès,  publié  par  Fr.  Michel,  in-S»,  Paris  1832. 

2.  Barlaam  et  Josaphat,  publié  par  Herm.  Zotenberg  et  Paul  Meyer, 
in-8%  Stutt.  1864. 

3.  Voir  sur  cette  altération  des  textes  les  observations  si  justes  de 
M.  G.  Paris,  Vie  de  Saint  Alexis  p.  8.  Elle  n'est  pas  d'ailleurs  particulière 
à  nos  scribes  du  Moyen  Age  ni  aux  anciens  monuments  de  notre  langue, 
les  scribes  de  l'antiquité  ne  s'en  faisaient  pas  faute  non  plus.  «  On 
connaît  plus  d'un  monument^  dit  M.  Egger  (Mém.  d'hist.  anc.  et  de  phil. 
p.  472),  où  le  copiste  a  naïvement  altéré,  par  des  formes  particulières  à 
sa  propre  langue,  le  style  de  l'original  qu'il  recopiait;  c'est  de  cette 
manière  que  chez  les  anciens  le  dorisme  sicilien  des  écrits  d'Archi- 
mède  s'est  peu  à  peu  effacé,  sous  la  main  des  scribes,  pour  faire  place 
aux  formes  du  dialecte  attique  ou  môme  du  dialecte  commun.  » 

4.  Li  Romans  d' Alexandre,  p.  p.  H.  Michelant,  Stuttg-  1840. 

5.  Ainsi  dans  ces  vers  : 

Le  car  ot  bêle  et  blance  comme  nois  sor  gelée. 
Li  ruisiaus  estoitclers  et  blanque  U  gravele. 

^5 


—  226  — 

à  cet  égard  ;  quant  à  son  consonnantisme,  nous  voyons  c  suivi 
de  a  latin  persistant  fréquemment,  quoique  souvent  aussi  rem- 
placé par  ch  ;  ce,  ci,  ti  ne  sont  remplacés  que  par  ce  ou  ci. 
C'est-à-dire  que  la  gutturale  palatale  y  est  traitée  comme  en 
français,  la  gutturale  vélaire,  suivie  de  a,  à  la  fois  comme  en 
français  et  en  picard. 

«  Eracles  l'Empereor  ^  »  de  Gautier  d'Arras  présente  quelque 
chose  d'analogue;  la  vélaire  y  persiste  régulièrement,  tandis  que 
la  palatale  y  est  toujours  représentée  par  ce>  non  par  ch,  comme 
dans  les  premiers  poèmes  que  j'ai  examinés 2.  Ainsi  des  deux 
caractères  qui  distinguent,  comme  nous  verrons,  le  consonnan- 
tisme du  picard  un  seul  se  retrouve  ici,  l'autre  n'existe  pas,  ou 
du  moins  l'orthographe  du  poème  ne  le  signale  pas.  L'article 
mascuhn  ne  se  substitue  pas  non  plus  en  général  à  l'article 
féminin  ;  tout  semble  donc  indiquer  ici  un  texte  altéré  ou 
modifié  par  le  scribe.  Il  n'y  a  là  rien  qui  doive  surprendre ,  et 
cette  confusion  orthographique  est  fréquente,  non-seulement  dans 
des  poèmes  différents ,  mais  dans  un  même  poème  ;  ainsi  dans  le 
«  Rornan  du  Bastard  de  Bouillon,  »  on  trouve  au  commencement 
du  poème  c<2=  ca  et  cer=ce  ;  à  la  fin,  au  contraire,  ca  persiste 
bien  toujours,  mais  ce  est  remplacé  par  che  ^ ,  ce  qui  ne  peut 
tenir  qu'à  un  caprice  du  copiste  ou  à  ce  que  le  texte  nous  a  été 
transmis  par  deux  scribes  différents. 

L'examen  des  poèmes  d'Adenès  le  Roi  et  d'Herman  de  Valen- 
ciennes  confirme  encore  cette  manière  de  voir.  Les  «  Enfances 
Ogier  »  et  «  Berte  aux  grans  pies  »  du  premier  sont  des  poèmes 
tout  français  par  le  consonnantisme  ;  ca  s'y  change  régulière- 
ment en  ch  ;  ce,  ci  ou  ti  y  sont  représentés  par  ce,  ci.  Dans  le 
fragment  de  «  Cleomadés  »  donné  dans  la  Chrestomathie  de 
Bartsch  d'après  le  manuscrit  54  de  la  Bibhothèque  de  la 
Sorbonne,  il  en  est  tout  autrement  ;  la  vélaire  suivie  de  a 
persiste  ou  se  change  en  ch;  la  palatale  s'assibile  ou  se  trans- 
forme également  en  ch.  Ainsi  on  a  :  c{a)  =  k  dans  Manque 
(8  fois),  cambre  (id.),  candeles,  Carmans,  cose  (2  fois),  ces- 
cun  (id.),  castel  et  même  make  (345,  18),  comme  si  ce  mot 
venait  de  maca  non  àernatea  ;  au  contraire,  c{a)  se  change  en  c^ 
dans  chambre  (3  fois),  chastel  (2  fois),  chastiaus,  chancons, 


1.  Eracles  l'empereor,  hgg.  v.  Massmann. 

2.  Gela  a  lieu  également  dans  Blancandin  et  l'Orgueilleuse  d'Amor. 

3.  Voir  les  fragments  donnés  par  A.  ûinaux,  Trouvères  brabançons,  etc. 
p.  92. 


—  227  — 

chans,  chascun  (2  fois),  cheval,  (id.),  chevel,  chevillette, 
chief.  De  même  on  trouve  ce  ou  ti  représenté  par  ch  dans  an- 
chieneté,  cha,  che,  adrechié,  drechie,  lyonchiaux,  machues; 
avec  c  seul,  au  contraire,  bracieus,  cel{e)  (4  fois),  cil  (2  fois), 
çou  (id.),  certamement,  commença,  commencement,  com- 
mencoii,  façon,  graciouse  et  gracieus,  perçoit,  précieuse^. 
Dans  le  court  fragment  donné  par  Dinaux  du  «  Maugis  d' Aigre- 
mont  »,  ca  a  toujours  conservé  sa  valeur  gutturale,  c  suivi  de  e 
ou  i  se  change  en  ch  ^.  Il  en  est  de  même  dans  le  «  Roman  de 
Vivien.  » 

Dans  les  poèmes  d'Herman  de  Valenciennes,  trouvère  bien 
plus  ancien  que  ceux  dont  nous  venons  d'étudier  les  œuvres,  mais 
dont  les  manuscrits  sont  à  peu  près  aussi  récents,  nous  trouvons 
quelque  chose  d'analogue.  Ainsi  dans  la  «  Genesis,  »  c  suivi  de 
a  persiste  comme  dans  Eraclé  ;  c,  suivi  de  e  ou  ^ ,  a  été  traité 
comme  dans  le  même  poème  et  par  conséquent  comme  en  fran- 
çais. Le  «  Livre  de  la  Bible  »  ou  la  «  Bible  de  sapience  »  a  un 
caractère  tout  différent.  Le  fragment  donné  par  Bartsch  d'après 
un  manuscrit  de  Mayhingen  du  xiif  siècle^  nous  montre  le  c 
palatal  ordinairement  transformé  en  ch,  et  n'étant  représenté  parc 
qu'exceptionnellement,  —  10  fois  sur  74  fois  qu'il  se  transforme 
en  ch.  —  Quant  au  c  vélaire,  il  a  conservé  sa  valeur  gutturale 
dans  cantant,  canté,  —  à  côté,  il  est  vrai,  de  chant  (2  fois),  et 
de  enchanté,  —  canus,  cauchié,  Mikiel  ;  il  est  représenté,  au 
contraire,  par  ch  dans  chose  et  dans  chevalerie,  pechiés  et 
pechierre,  termes  consacrés  et  qui  ont  bien  pu  avoir  le  son  ch 
dans  toute  la  France  du  Nord. 

L'étude  du  «  Poème  moral  »  publié  également  par  Bartsch  et, 
comme  le  fragment  d'Herman  de  Valenciennes,  d'après  un  ma- 
nuscrit de  Mayhingen  ^  nous  donne  naturellement  le  même 
résultat  que  celui  du  fragment,  tout  en  témoignant  cependant 
d'une  langue  plus  correcte  ;  ainsi  cz  et  ti  sont  ici  représentés  sans 
exception  par  ch  ;  quant  à  ca,  il  persiste  ou  se  transforme  en  ch 
presque  indifféremment  ;  ainsi  on  trouve  écrits  avec  c  :  encache, 
pourcache,  campion,  cangera,  mercatour ,  peccatour  ; 
avec  ch,  au  contraire,  blanche  (2  fois),  chascun,  chetivele, 
chaiere,  chiere. 


1.  Bartsch,  Chrest.  341  et  suiv. 

2.  Dm.  Trouvères  brabançons,  etc.  p.  139. 

3.  Chrest.  p.  70. 

4.  Chrest.  p.  339. 


—  228  — 

On  ne  peut  douter  d'après  les  résultats  si  divers  que  nous 
donnent  les  poèmes  du  même  trouvère  ou  du  même  pays,  suivant 
qu'ils  nous  sont  transmis  par  des  manuscrits  différents,  que  les 
divergences  de  leçon  et  les  variantes  dans  le  traitement  des  gut- 
turales ne  soient  dues  aux  copistes  de  ces  poèmes  ;  l'examen  du 
Jeu  d'Adam  nous  en  donnera  une  preuve  nouvelle  et  directe  *  ; 
mais  avant  d'arriver  à  ce  drame,  il  me  faut  dire  un  mot  du  «  Jeu 
de  Saint  Nicolas  »  de  Jehan  Bodel,  prédécesseur  d'Adam  de  la 
Halle.  Dans  le  texte  de  ce  poème,  donné  par  MM.  Monmerqué  et 
Fr.  Michel  ^  on  voit  ci  et  ti  régulièrement  remplacés  par  ch;  ca 
persiste  encore  ou  se  transforme  en  ch,  mais  il  persiste  plus  sou- 
vent qu'il  ne  s'est  modifié,  et  dans  la  proportion  de  quatre  à  deux. 
Ce  texte  se  rapproche  ainsi  de  celui  de  la  Bihle  de  Sapience  et 
n'offre  aucun  fait  nouveau  ;  aussi  sans  m'en  occuper  davantage 
je  passe  à  l'examen  du  «  Jus  Adaii  ». 

Quand  on  lit  dans  Bartsch  le  fragment  du  drame  d'Adam  de  la 
Halle,  on  est  frappé  tout  d'abord  de  voir  que  ci  et  ti  y  sont 
partout  représentés  par  c  et  semblent  être  dès  lors  changés  en 
spirante  dentale  ordinaire  ;  le  c  guttural,  au  contraire,  a  con- 
servé sa  valeur  originelle  et  n'y  est  qu'exceptionnellement  repré- 
senté par  chy  par  ex.  dans  chier  et  chièrement,  et  dans  char  à 
côté  de  car,  chief  à  côté  de  kiefi^  fois),  chanz  à  côté  de  en- 
cantés,  chose  à  côté  de  cose,  chascuns  à  côté  de  cascuns,  formes 
qu'on  peut  dès  lors  considérer  comme  des  erreurs  de  copiste. 
Ainsi  nous  avons  d'une  part  le  son  ca  en  général  conservé,  de 
l'autre  ci  {ti)  remplacé  par  ç  {s),  tandis  que  dans  les  autres  textes 
nous  l'avons  trouvé  le  plus  souvent  représenté  par  c^  ;  il  y  a  une 
énigme  que  l'éditeur  semble  ne  pas  avoir  soupçonnée  et  qui  serait 
inexplicable  si  nous  n'avions  que  la  copie  de  Keller,  qu'il  a  re- 
produite. Mais  M.  Monmerqué,  dans  le  «  Théâtre  français  au 
Moyen  Age,  »  et  dans  le  sixième  volume  des  «  Mélanges  publiés 
par  la  Société  des  bibliophiles  français»,  a  donné  d'après  trois 
manuscrits  trois  versions  différentes  de  ce  fragment  qui  nous 
permettent  d'expliquer  cette  anomalie. 

Dans  la  première,  celle  du  manuscrit  7218  de  la  Bibliothèque 

1.  La  comparaison  des  manuscrits  <ïHiion  de  Bordeaux  en  fournirait 
une  autre  non  moins  frappante;  tandis,  en  effet,  que  les  manuscrits  de 
Paris  (450  Bibl.  Sorb.  et  1452  Bibl.  nat.)  sont  tout  français  par  leur 
consonnantisme,  celui  de  Turin  offre  des  traces  nombreuses  du  dialecte 
picard,  ainsi  d'ailleurs  que  celui  de  Tours.  Cf.  Huon  de  Bordeaux,  p.  p. 
Ms.  Guessard  et  Grandmaison.  Préf.  p.  40  et  suiv. 

2.  Théâtre  français  au  Moyen  Age,  p.  17. 


—  229  — 

nationale,  que  l'éditeur  suppose  avec  beaucoup  de  raison  avoir 
été  altérée,  ca  latin  est  représenté  constamment  par  ch,  ci  et  ti 
par  c  {s)  ;  on  a  donc  là  évidemment  un  texte  francisé.  La  seconde 
version,  empruntée,  vraisemblablement  comme  celle  de  Bartscli, 
au  manuscrit  1490  du  Vatican,  conserve  presque  partout  le  son 
guttural  ca  et  change  toujours  le  son  ci  {ti)  en  ç  {s) .  Enfin  la 
troisième  version,  tirée  du  manuscrit  2736  de  la  Bibliothèque 
nationale,  fonds  Lavallière,  nous  montre  ci  (ti)  représenté  par- 
tout par  c^,  —  excepté  peut-être  _p?ocon,  —  ce  qui  est  évidem- 
ment la  leçon  du  poète  picard  ;  ca,  au  contraire,  conservé  fré- 
quemment, est  cependant  représenté  par  ch  dans  un  certain 
nombre  de  mots  où  le  manuscrit  du  Vatican  a  gardé  la  gutturale 
primitive;  ainsi  dans  les  mots  chascuns  [cascuns  V.),  mar- 
chié  {inarkié  Y .) ,  blanche  {Manque  V.),  à  côté  de  Manque 
conservé  huit  vers  plus  loin,  bouche {bouque Y .),  fr esche  {fres- 
que Y.),  char  {car  Y.),  manches  {mancesY.),  chemise  {que- 
mise  (Y.).  On  ne  peut  douter  dès  lors  que  ce  ne  soient  là  des 
altérations  du  copiste,  et  que  le  manuscrit  du  Vatican,  d'accord 
en  cela  avec  ce  que  nous  connaissons  déjà  du  picard,  ne  donne  la 
bonne  leçon  pour  les  mots  où  se  trouve  un  son  dérivé  de  ca 
latin,  comme  le  manuscrit  du  fonds  Lavallière  pour  tous  ceux 
où  c  est  suivi  de  e  ou  de  i.  En  même  temps  la  comparaison  de 
ces  manuscrits  et  du  n°  7218  nous  montre  comment  les  textes 
ont  pu  être  modifiés  par  les  scribes  et  les  différences  dialectales 
effacées  ou  confondues  ^  L'examen  des  autres  œuvres  d'Adam  le 
Bossu  confirme  entièrement  cette  conclusion.  Les  pièces  de  vers, 
insérées  par  M.  Monmerqué  dans  la  préface  mise  en  tête  du  «  Jus 
Adan  »  dans  le  sixième  volume  des  Mélanges  nous  montrent  par- 
tout, excepté  dans  le  mot  péchié,  c  suivi  de  a,  conservant  sa 
valeur  gutturale,  et  c  suivi  de  e  ou  i  représenté,  ainsi  que  ti  par 
ch;  les  textes  du  «  Jeu  du  pèlerin  »  et  du  «  Jeu  de  Robin  et  de 
Marion  »,  publiés  par  le  même  éditeur,  donnent  lieu  à  la  même 
observation  ;  le  son  guttural  de  c  suivi  de  a  y  persiste  le  plus 
souvent  ;  ce  et  ci  se  changent  en  che  ou  chi,  à  part  de  rares 
exceptions,  qu'on  peut  presque  toujours  regarder  comme  des 
négligences  du  copiste.  On  peut  et  on  doit,  je  crois,  conclure  de 
là  que  les  textes  picards  les  plus  authentiques  sont  ceux  qui  nous 


t.  La  Chanson  des  Saxons  de  Jehan  Bodel,  à  en  juger  du  moins  par  le 
texte  tel  qu'il  a  été  rétabli  par  M.  Fr.  Michel,  montre  la  même  alté- 
ration du  texte  primitif,  évidemment  picard  par  son  origine,  mais 
francisé  par  les  copistes. 


—  230  — 

montrent  la  persistance  de  la  gutturale  vêla  ire  et  la  transforma- 
tion de  la  gutturale  palatale  en  ch ,  et  que  ce  double  fait  est 
caractéristique  du  dialecte  dans  lequel  ils  ont  été  primitivement 
écrits. 

Ces  conclusions  trouvent  leur  pleine  confirmation  dans  l'exa- 
men des  chartes  en  langue  vulgaire  de  la  même  époque.  Mais 
avant  d'en  aborder  l'étude,  il  me  faut  dire  un  mot  des  composi- 
tions en  prose,  écrites  dans  le  dialecte  picard. 

Nous  verrons  plus  loin  qu'un  certain  nombre  d'ouvrages  en 
prose  qui  ont  dû  être  écrits  dans  le  dialecte  normand,  n'en  pré- 
sentent qu'imparfaitement  les  caractères;  il  n'en  est  pas  de 
même  de  ceux  qui  appartiennent  au  dialecte  picard  ;  ceux-ci  ont 
conservé  tous  les  caractères  distinctifs  de  cet  idiome.  Je  me  bor- 
nerai à  prendre  pour  exemple  les  «  Estoires  »  de  Robert  de 
Clari,  un  de  «  Ghiaus  qui  conquisent  Constantinoble  »,  texte  du 
commencement  du  xiif  siècle.  Nous  y  trouvons  la  langue  dans 
presque  toute  sa  pureté  ;  ainsi,  dans  les  six  premières  pages,  le  c 
vélaire  a  été  conservé  dans  les  mots  cachier,  canoine,  cascun, 
castelain,  kiévetaine,  markaandise,  markiè,  quémanda, 
rike,  et  dans  les  noms  propres  Canteleu,  Caieu,  Cavaron  ;  il 
ne  s'est  changé  en  ch  que  dans  chevax,  chevalier,  mareschiax 
et  preeschant ,  noms  presque  tous  communs  aux  différents  dia- 
lectes français  et  ayant  dès  lors  le  plus  souvent  la  même  forme 
dans  chacun  d'eux.  Quant  au  c  palatal,  il  a  partout  fait  place  à 
la  chuintante,  ainsi  on  a  :  che,  chi,  chiaux,  chelui,  chil,  chist, 
Chistiax,  comenchier,  Côuchy,  Franche,  ichi,  proesche,  etc. 
J'arrive  maintenant  aux  chartes  picardes. 

Ce  qui  peut  jeter  de  l'incertitude  sur  les  résultats  fournis  par 
les  poèmes  attribués  aux  trouvères  picards  ou  artésiens,  c'est 
l'ignorance  où  l'on  est  de  la  nationalité,  souvent  aussi  de  l'épo- 
que, des  copistes  qui  nous  les  ont  transmis.  Ici  ces  inconvénients 
disparaissent  en  présence  de  l'authenticité  des  documents,  de  là 
l'intérêt  tout  particulier  qu'ils  présentent.  Une  des  collections 
les  plus  importantes  que  nous  ayons  en  ce  genre  est  celle  qu'a 
récemment  publiée  M.  Natalis  de  Wailly  dans  la  Bibliothèque  de 
l'Ecole  des  chartes  S  et  qu'il  a  fait  suivre  peu  après  d'Observa- 
tions grammaticales  oii  l'on  retrouve  sa  compétence  et  sa  saga- 
cité bien  connues  2.  Ce  recueil,  tiré  des  Archives  de  la  Collégiale 

1.  Recueil  de  chartes  en  langue  vulgaire  provenant  des  Archives  de  la 
collégiale  de  Saint-Pierre  d'Aire,  par  M.  Natalis  de  Wailly,  Paris  1870. 

'2.  Observations  grammaticales  sur  les  chartes  françaises  d'Aire  en  Artois 
par  M.  Nat.  de  Wailly,  Paris  1872. 


—  231  — 

de  Saint-Pierre  d'Aire  en  Artois  nous  offre  un  modèle  incontestable 
du  dialecte  picard,  puisque  la  province  d'où  il  vient  est  peut-être 
celle  où  il  s'est  maintenu  le  plus  pur,  et  que,  la  plupart  des 
chartes  qu'il  renferme  étant  de  la  seconde  moitié  du  xiif  siècle  \ 
la  langue  n'avait  point  encore  été  corrompue  par  le  mélange  de 
formes  étrangères.  Voyons  quel  en  est  le  consonnantisme. 

Comme  dans  les  meilleurs  textes  picards  que  j'ai  examinés 
jusqu'ici,  le  c  vélaire  suivi  de  a  a  presque  toujours  persisté  dans 
les  chartes  d'Aire  ;  ainsi  :  car  (j),  canoine  (l,  m,  n,  o),  conca- 
noine  (o,  p),  canter  (a),  acater  (d),  racat  (m),  racater  (h), 
pourcachier  {m,  etc.),  cape  (a),  capelain  (a,  p,  q),  capelerie 
(a,  B,  c,  D,  0,  p,  q),  capitle  (a,  etc.),  capons  (c),  castelains 
(b,  g),  catens  (s),  eskevinages  {p),  frankement  {u,  n,  o,  p,  q), 
kemin  (q),  kemisses  (j),  markié{n),  Mikiel{Q,  s),  planke  (g), 
toukeront  (o)  et  toukier  (j).  Il  faut  excepter  un  très-petit  nom- 
bre de  mots  où  «  a  été  remplacé  par  e  ou  ie,  par  e^em^le  cheva- 
lier, qu'on  trouve  constamment  écrit  par  ch,  despeechier  (l,  p. 
16),  enpeechié  {f, 1^.29);  diemenches  (a,  p.l9;  L,p.  2&),chartère 
(s,  i)  ;  et  quelques  autres  dont  l'orthographe  varie  ;  par  exemple 
chier  (j,  k,  o)  et  cier  (b),  chascun  (s)  et  chescun  (d)  à  côté  de 
cascun  (a,  etc.)  ou  kaskun  (k),  chose  (h,  i,  l,  m)  et  cose  (a,  c, 
o,  n),  eschevin  (g,  o)  et  eskevins  (r,  s),  soit  que  l'orthographe 
n'en  fût  pas  fixée  définitivement,  soit  que  le  son  ch  et  le  son  k 
coexistassent  ensemble.  Quant  au  c  palatal,  il  est,  ainsi  que  ti 
suivi  d'une  voyelle,  représenté  le  plus  souvent  par  ch  ;  ainsi  : 
apartenanches  (g,  m,  n),  chouvenenches  (g),  conissanch  (h), 
fâche  (j),  fâchent  (n),  faich  (c),  flanchié  {b),  fianchiet  (q), 
fianchièrent  (f),  lichons  (a),  parroche  (m,  n,  s),  parrochial 
(a),  pourcachier  (m),  pourveanche  (j),  rechut  (g,  m),  rechuch 
{m),  rechurent  (s),  rechevoir  (n,  o,  p,  q,  s),  renonchié  [s], 
renonchiet  (q),  renonchons  (k),  souplich  (a).  D'autres  fois  il  est 
représenté  par  ch  ou  par  c  ;  par  exemple  :  anchisseurs  (a)  et 
anciseurs  (g),  dechiés  (a,  p,  q)  et  dechès  (s)  à  côté  de  deciès 
(j),  justiches  (g,  p)  ei  justice  (k,  s),  serviche  (n,  p)  et  service 
(a,  e,  F,  h),  et  les  adjectifs  démonstratifs  écrits  tantôt  c/^e,  ches, 
chel,  chil,  cheli,  cheus,  chiaus,  chest,  chou,  tantôt  ce,  ces, 
cel,  cil,  celi,  ceux,  ciaus,  cest  et  co  (b).  Que  faut-il  conclure 
de  cette  double  orthographe  ?  que  c,  tout  en  ne  prenant  devant 
e  et  i  que  le  son  ch,  pouvait  s'écrire  che  ou  ce  ?  ou  bien  qu'on 
prononçait  alors  indifféremment  ce  ou  che,  cens  ou  cheus? 


1.  La  première  (A)  est  de  1241,  la  dernière  (S)  de  1298. 


—  232  — 

Avant  de  répondre  à  cette  question,  ou  plutôt  afin  d'y  répondre 
plus  sûrement,  je  vais  passer  en  revue  un  certain  nombre  de 
chartes,  dont  il  est  surprenant  que  M.  Natalis  de  Wailly  n'ait 
pas  parlé,  et  qui  plus  anciennes  en  partie,  plus  nombreuses  et 
souvent  plus  correctes  que  celles  d'Aire,  nous  montrent  le  dia- 
lecte picard  presque  dans  toute  sa  pureté.  Ces  chartes  sont  celles 
de  l'Abbaye  de  Saint  Silvain  d'Auchy  en  Artois,  que  de  Béten- 
court  a  publiées,  je  crois,  en  1788  ;  elles  sont  les  unes  en  latin, 
les  autres  en  picard,  celles-ci  sont  au  nombre  de  cinquante- 
deux  ,  la  première  en  date  est  de  1215,  la  dernière  de  1297. 

Dans  la  première  le  c  vélaire  a  toujours  persisté,  excepté  dans 
chief,  chascun  (2  fois)  et  chevalier  (3  fois),  mots  dont  les  deux 
derniers  au  moins  présentent  toujours  une  grande  incertitude 
orthographique.  Le  c  palatal,  au  contraire,  et  ti  suivi  d'une 
voyelle  sont  toujours  représentés  par  ch,  c'est-à-dire  plus  de 
soixante  lois  ;  on  ne  trouve  écrit  avec  c  que  ceus  et  par  t  qu'm- 
carnation,  mot  dont  l'emploi  demi-savant  peut  expliquer  la 
forme  irrégulière.  On  voit  donc  qu'au  commencement  du 
xiif  siècle  les  scribes  substituaient  déjà  ch  au  c  palatal,  de  même 
que  le  c  vélaire  persistait  ordinairement.  Les  chartes  suivantes 
donnent  des  résultats  analogues  ;  cependant  parfois  on  y  trouve 
un  nombre  un  peu  plus  grand  de  mots  où  le  c  vélaire  est  repré- 
senté par  ch,  ou  bien  le  c  palatal  ou  ti  par  c  seul;  une 
charte  de  1256  même  ne  connaît  que  la  transcription  c  pour 
le  c  palatal  ou  ti  transformé  ;  par  contre  plusieurs,  comme 
celles  de  1242,  1257,  1259,  1262,  etc.,  les  remplacent  sans 
exception  par  ch  ;  dans  les  autres,  c  comme  signe  de  la  palatale 
n'apparaît  qu'exceptionnellement,  ch  en  est  la  forme  ordinaire  ; 
la  gutturale  vélaire  aussi  n'est  représentée  par  ch  que  dans  un 
nombre  restreint  de  mots,  comme  chastel  (168),  chartre  (166), 
c/i05e(133,  144,  148,  161,166,  168,  178,  186,  190,219,  etc.), 
chascun  (148,  166,  193,  219,  etc.),  cheval  (161),  chevalier 
(66,  118,  126,  162,  172,  174,  199),  cheville  (161),  à  côté 
desquels  on  trouve  castel  (66,  148,  162,  172,  225),  mr^re  (66), 
cose  {m,  133,  144,  146,  162,  166,  182,  189,  etc.),  cascun 
(144,  166,  etc.),  cevalier  (127  et  128)  ;  dans  tous  les  autres 
comme  acater  (66),  acat  (148),  cans  (148),  canter  (230), 
canteur  (193),  camp  (146,  189),  capons  (144),  cale7ige  (146), 
escange  (148,  168,  171),  eskevin  (66,  204),  escape  {QQ), 
kemin  (217),  Mikiel  (209),  peskerie  (220),  etc.,  le  c  vélaire  a 
persisté. 

Ainsi  les  règles  que  j'avais  entrevues    dans   l'étude    des 


—  233  — 

poèmes  picards  précédemment  examinés  sont  entièrement  con- 
firmées ;  le  c  vélaire  persiste,  à  l'exception  peut-être  de  deux 
ou  trois  mots,  comme  chevalier,  pour  lesquels  la  langue  semble 
avoir  hésité  ;  le  c  palatal  est  remplacé  par  ch  ;  souvent,  il  est 
vrai,  on  trouve  aussi  c  pour  le  représenter,  soit  seul,  comme 
dans  certains  poèmes  dont  j'ai  parlé  plus  haut,  soit  le  plus  sou- 
vent en  même  temps  que  ch\  mais  en  examinant  les  chartes 
d'Auchy  et  d'Aire,  on  arrive  à  cette  conclusion  que  dans  tous  les 
cas  le  c  palatal  devait  avoir  le  son  ch,  quelle  que  fût  la  manière 
dont  il  était  représenté  ;  et  que  l'irrégularité  qu'on  aperçoit  dans 
sa  représentation  doit  être  attribuée  seulement  au  copiste.  Les  pre- 
mières chartes  d'Aire  nous  montrent,  il  est  vrai,  souvent  c  à  la 
place  de  ch,  tandis  que  dans  les  dernières  on  trouve  presque  tou- 
jours ch  ;  mais  dans  le  Cartulaire  d'Auchy  on  voit  tout  le  con- 
traire ;  dans  la  première  qu'il  contient  le  c  palatal  est  représenté, 
comme  je  l'ai  dit,  par  ch,  un  seul  mot  excepté,  tandis  que  dans 
les  dernières  on  trouve  un  certain  nombre  de  mots  écrits  avec  c 
seul  :  singularité  qu'on  ne  peut  expliquer  que  par  le  caprice  ou 
par  la  négligence  des  scribes,  et  qui  prouve  bien  que  ch  n'est 
point  un  épaississement  du  son  antérieur  ç. 

On  peut  donc  dire  qu'au  xiii®  siècle  le  dialecte  picard  était  ca- 
ractérisé par  la  conservation  du  c  vélaire  suivi  de  a,  persistant 
ou  modifié,  et  par  la  transformation  du  c  palatal  et  de  ti  en  ch, 
avec  cette  restriction  toutefois  que  cette  dernière  transforma- 
tion n'a  lieu  que  quand  c  ou  ti  ont  donné  naissance  à  une  spi- 
rante  sourde,  et  que  dans  le  cas  contraire  ils  se  sont  changés  en 
s  ou  z  comme  en  français  ;  ainsi  damoisiele  (Gér.  Nev.  327), 
maisielle  (id,  328),  dousimes  (H.  44),  gisiés  (id.  QQ),  plaisir 
(id.  79,  197,  216),  proisier  (id.  126,  137,  etc.),  luisant  (id. 
323)  ;  gisoit  (Cléom.  Chr.  345,  9,  etc.),  damoiseles  (id.  348, 
7),  markaandise  (R.  Cl.),  etc.  Le  picard  a  conservé  ces  carac- 
tères jusqu'à  nos  jours.  Nous  les  retrouvons,  fréquemment 
du  moins,  au  commencement  du  xiv*  siècle  dans  le  «  Roman  de 
Raudouin  de  Sebourc  »,  ainsi  que  dans  les  épitaphes-chansons 
composées,  soit  dans  ce  dialecte,  soit  en  rouchi,  au  xv^  et  au 
XVI*  siècle,  et  que  l'abbé  Corblet  a  insérées  au  commencement 
de  son  Glossaire  du  patois  picard.  Les  textes  du  xviii"  et  du 
xix^  siècle  qu'il  a  donnés  ofirent  dans  leur  ensemble  les  mêmes 
caractères  ;  parfois  sans  doute  on  y  rencontre  quelques  mots  où 
la  gutturale  vélaire  est  changée  en  ch  ;  mais  il  ne  serait  pas  diffi- 
cile de  les  retrouver  le  plus  souvent  dans  les  plus  anciens  textes  ; 
ainsi  le  mot  chevalier  a  été  de  tout  temps  presque  toujours  écrit 


—  234  — 

dans  les  documents  picards  comme  en  français  ;  chier,  qu'on 
trouve  au  siècle  dernier  dans  une  poésie  de  Don  Grenier  à  son 
frère,  se  rencontre  déjà  dans  la  «  Romance  du  sire  de  Créqui  », 
écrite  vers  1300,  etc.  On  le  voit  ainsi,  depuis  près  de  sept  siècles 
le  consonnantisme  du  picard  est  resté  le  même,  en  ce  qui  regarde 
les  gutturales.  Les  noms  propres  de  pays  et  de  lieu,  dont  je  parle- 
rai plus  loin,  viennent  encore  prouver  cette  fixité  de  caractères  qu'on 
verrait  certainement,  si  les  monuments  remontaient  plus  haut, 
embrasser  un  espace  de  temps  encore  plus  considérable.  J'arrive 
maintenant  à  l'examen  des  gutturales  dans  le  dialecte  normand. 

jjo  jsiormand. 

Je  donne  le  nom  de  normand  à  l'idiome  parlé  dans  l'ancienne 
province  de  Normandie,  et  importé  par  la  conquête  en  Angle- 
terre, où  il  ne  tarda  pas  à  se  modifier.  Ce  qui  caractérise  le  voca- 
lisme normand,  c'est  la  prédilection  qu'il  a  pour  la  diph- 
thongue  ei,  employée  partout  à  la  place  de  é  et  de  î  accentués 
ou  de  e  suivi  d'une  gutturale,  tandis  que  le  français  et  le  picard 
leur  substituent  la  diphthongue  oi  ;  cette  particularité,  qui  lui 
est  commune  avec  la  plupart  des  dialectes  de  l'Ouest,  s'est  con- 
servée fidèlement  jusqu'à  nos  jours  *.  Les  anciens  monuments  de 
la  langue  paraissent  employer  aussi  de  préférence  un  simple  u, 
là  où  le  picard  et  le  français  mettent  o,  ou,  eu  \  à  ei  à  accen- 
tués en  latin  y  sont  également  représentés  d'ordinaire  par  e;  ie 
ne  se  rencontre  régulièrement  qu'à  la  place  de  â  et  après  une 
chuintante  ou  une  gutturale  ;  il  en  est  encoredemêmeaujourd'hui^. 
Enfin  un  dernier  caractère,  qui  n'est  point  toutefois  aussi  général 
qu'on  le  croit  ordinairement,  c'est  le  changement  de  la  terminai- 
son abam  de  l'imparfait  latin  de  la  première  conjugaison  en  oue; 
mais  cette  forme,  supposé  qu'elle  soit  normande  et  non  point 
seulement  anglo-normande,  a  dû  faire  assez  vite  place  à  la  termi- 
naison eie,  propre  aux  deux  autres  conjugaisons,  et  on  n'en  trouve 
point  trace  dans  le  patois  moderne.  Ces  caractères  du  vocalisme 
normand  sont  assez  bien  connus  ;  il  n'en  est  pas  de  même  de  son 
consonnantisme,  par  lequel  il  se  rapproche  à  tant  d'égards  du  pi- 
card ;  comme  ce  dialecte,  en  effet,  le  normand  conserve  en  général 

1.  Toutefois  aujourd'hui  ei  s'affaiblit  souvent  en  é. 

2.  Quant  à  ë  accentué,  lorsque  la  consonne  suivante  persiste,  il  est 
remplacé  par  ie,  comme  en  français,  par  certains  patois,  —  et  c'est  le 
plus  grand  nombre,  —  il  persiste  au  contraire,  sans  se  diphthonguer, 
dans  d'autres.  Il  est  évident  qu'il  a  dû  en  être  de  même  depuis  l'origine 
de  la  langue. 


-.  235  — 

la  gutturale  vélaire  suivie  de  a  et  substitue  c^  à  la  palatale  latine. 
Ce  double  caractère,  ignoré  à  peu  près  complètement  jusqu'ici  *, 
ressort  de  l'étude  comparée  des  monuments  les  plus  authentiques 
de  l'ancien  normand  et  de  la  langue  dans  son  état  actuel,  ainsi 
que  je  me  propose  de  le  montrer. 

L'abbé  de  La  Rue  a  consacré  trois  volumes  à  l'histoire  des 
trouvères  normands  ^,  et  s'il  en  a  compté  dans  le  nombre  quel- 
ques-uns que  ne  peut  revendiquer  la  province  à  laquelle  il  les 
attribue,  il  ne  les  a  pas  tous  connus.  Ce  ne  sont  donc  pas  les 
monuments  qui  manquent  pour  étudier  le  dialecte  normand  ;  il 
n'en  présente  pas  moins  des  difficultés  qui  n'ont  point  été  réso- 
lues jusqu'à  présent,  et  dont  quelques-unes,  inhérentes  à  la  na- 
ture même  des  anciens  textes,  sont  peut-être  en  partie  insolubles. 
J'essaierai  du  moins  d'en  éclaircir  quelques-unes,  par  l'étude  com- 
parée des  monuments  les  mieux  conservés  et  les  plus  authenti- 
ques de  l'ancienne  langue  et  du  patois  parlé  aujourd'hui.  C'est  uni- 
quement parce  qu'on  ne  s'est  pas  jusqu'ici  livré  à  cette  étude ,  et 
qu'on  estallé  chercher  dans  des  textes  évidemment  altérés  ou  étran- 
gers les  caractères  du  normand,  que  la  question  est  restée  obscure. 

Le  plus  ancien  monument  regardé  généralement,  —  du  moins 
sous  sa  forme  première,  —  comme  normand  est  la  «  Vie  de 
Saint  Alexis»^.  Parmi  les  nombreux  manuscrits  que  nous  en 
avons,  le  plus  ancien  et  incontestablement  le  plus  correct,  celui 
de  Lambspringen  (l),  publié  en  1855  par  Gessner  dans  1'  «  Ar- 
chiv  fur  die  neueren  Sprachen  und  Literaturen  ^  »  nous  montre  c 
suivi  de  a  conservé  toutes  les  fois  que  a  persiste  ;  ainsi  acatet  8, 
5  ;  acat  125,  5;  cambra  13,  1  ;  15,  4  ;  28,  1  ;  29,  1  ;  cance- 

1.  Diez  a  parlé  du  premier,  mais  ni  Fallût,  ni  Burguy,  ni  Le  Roux  de 
Lincy  n'en  disent  rien,  et  le  second  n'a  été  indiqué  qu'en  passant  et 
comme  moderne  par  l'auteur  de  la  Grammaire  des  langues  romanes.  Tout 
récemment  encore  Ed.  Mail  dans  l'étude,  d'ailleurs  fort  consciencieuse, 
qui  précède  son  édition  du  Comput  de  Philippe  de  Thaon  n'a  pas  jugé  à 
propos  de  rechercher  ni  comment  les  gutturales  pouvaient  bien  avoir 
été  traitées  en  normand,  ni  quelle  était  la  valeur  des  signes  employés 
pour  les  représenter,  indifférence  qui  l'a  amené  à  attribuer  dans  ce 
dialecte  à  pj  transformé  une  valeur  qu'il  n'a,  comme  nous  verrons, 
jamais  pu  y  avoir. 

2.  Bardes  et  trouvères  normands.  Gaen  1834. 

3.  C'est  l'opinion  de  Gessner  (flerrigs  Arch.  XVII,  189)  et  du  dernier 
éditeur  du  poème,  M.  G.  Paris  {La  vie  de  saint  Alexis,  poème  du  XI''  siècle 
Paris  1872),  p.  45. 

4.  XVII,  189-227.  Ce  manuscrit  avait  déjà  été  publié  par  W.  Mûller  dans 
la  Zeitschrift  fUr  deulsches  Allerthum  v.  299-318.  Je  me  sers  du  texte  de 
Gessner. 


—  236  — 

lers  76,  1  ;  cantant  102,  2;  112,  5;  cantent  117,  4;  candé- 
labres 117,  1;  caj9e5  117,  2;  canuthe  82,  1  ;  cartrehl,  4 

70,  3;  71,  5  ;  74,  3;  75,  1  ;  76,  2  ;  78,  1  ;  mm  24,  1  ;  45,  5 

71,  1  ;  87,  2  ;  cascune  25,  2  ;  cascuns  52, 1  ;  parcaminhl ,  1 
pecaUes  16,  4.  Il  n'y  a  d'exception  que  pour  Acharies  (Arca- 
dius)  92,  2,  —  écrit,  il  est  vrai,  Akaries  dans  le  manuscrit  de 
Paris,  —  c  persiste  également  devant  a  changé  en  e  dans  alas- 
cet  75,  2  ;  116,  2  ;  hlance  78,  2;  &w<?e  97, 1  ;  cet  85,  5;  colcer 
11,  2;  jt5(?C(?^  112,  4  ;  vocet  73,  2  ;  ainsi  que  dans  ker  2,  2  ;  2, 
5  ;  ^2er96,  1  ;  82,  1  ;  il  s'est  changé,  au  contraire,  en  ch  dans 
chef,  cher  12,  3  ;  22,  44,  4  ;  90,  5  ;  chevels  87,  1  ;  escheve- 
lede  84,  4 ;  pechet  22,  3;  64,  5;  110,  1.  En  définitives  persiste 
trente-huit  fois,  tandis  qu'il  ne  se  change  en  ch  que  onze  fois.  Le 
manuscrit  le  plus  important  après  le  manuscrit  de  Lambspringen 
que  je  viens  d'examiner,  celui  d'Ashburnhamplace,  moins  ancien 
et  moins  correct  que  lui,  nous  offre  un  plus  grand  nombre 
d'exemples  de  la  substitution  de  ch  à  c,  même  devant  a;  ainsi 
chambre  trois  fois,  chartre  une  fois,  charn  deux  fois  ;  ainsi  que 
colchiet,  chet,  vuchie  au  lieu  de  colcer,  cet,  vocet  du  premier 
manuscrit.  Quelle  conclusion  faut-il  tirer  de  l'orthographe  de  ces 
deux  rédactions  les  plus  importantes  du  poème  ?  Naturellement 
c'est  que  le  manuscrit  de  Lambspringen,  plus  ancien  et  dont  le 
texte  est  le  plus  correct,  nous  donne  aussi  l'orthographe  qui  se 
rapproche  le  plus  du  texte  primitif,  et  que  par  conséquent  dans  ce 
texte  presque  toujours,  comme  dans  ce  manuscrit,  ou  peut-être 
même  toujours,  c  avait  persisté  devant  a  latin  conservé  ou  modi- 
fié; il  serait  surprenant,  en  effet,  que  le  copiste  si  fidèle,  ce 
semble,  du  manuscrit  de  Lambspringen  eût  écrit  c  là  où  il  trou- 
vait ch  dans  l'original,  ou  qu'un  texte  si  souvent  falsifié,  comme 
l'est  celui  du  manuscrit  d'Ashburnhamplace,  reproduisît  plus 
exactement  l'orthographe  primitive  du  poème  que  L.  Quant  à 
la  prononciation  réelle  du  c  soit  devant  a,  soit  devant  e  prove- 
nant de  a  latin,  il  ne  peut  y  avoir  de  raison  de  ne  pas  lui  attri- 
buer le  son  guttural  latin  qu'il  a  conservé  dans  tous  les  idiomes 
romans  qui  ne  l'ont  pas  changé  en  ch,  et  qu'il  a  encore,  comme 
nous  verrons,  en  général  dans  le  normand  moderne  ;  les  trans- 
criptions ker,  hier,  —  comme  il  ne  peut  y  avoir  de  doute  sur 
la  valeur  du  i%,  —  sont  même  une  preuve  directe  que  la  pro- 
nonciation gutturale  s'était  conservée,  même  dans  les  mots  où 
\a  latin  s'était  changé  en  e  ^  Quant  à  la  gutturale  palatale  et  à 

1.  Jo  raisonne  toujours  dans  l'hypothèse  que  le  poème  a  été  composé 


—  237  — 

ti  transformé,  ils  sont  toujours  représentés  par  c,  s  ovl  z  ^ 

Après  l'Alexis  nous  avons  un  monument  encore  plus  impor- 
tant du  dialecte  normand  dans  la  «  Chanson  de  Roland  »,  dont 
le  vocalisme  du  moins  ne  laisse  guère  de  doute  à  cet  égard  ^,  L'exa- 
men de  ce  poème,  véritable  joyau  de  notre  vieille  littérature, 
nous  donnera  à  peu  près  les  mêmes  résultats  que  celui  de  l'Ale- 
xis. Ainsi  c  persiste  dans  les  mots  : 

caables  v.  237.  —  cadahles  v.  98. 

cadelet  v.  936,  2927,  etc. 

caeines  v.  2557,  2735.  —  caeignahles  183.  —  caeignon 
1826.  —  caeignez  128.  —  encaeinent  1827. 

caeir,  cadeir,  cdir,  v.  578,  2034,  3453,  3486,  3551.  — 
caeiz  2231,  2269.  —  caet  333.  —  caeite  989,  1986.  —  caist 
764,  3439.  —  caût  3608. 

calciez  v.  3863. 

caland  v.  2467,  2647,  2927,  etc.  —  calanz  2728. 

cald  V.  950.  —  calt  227,  1405,  1806,  1840,  etc.  —  calz 
1011,1018,3633. 

calenger  v.  3592.  —  calengemenfàdA.  — calengiez  1926. 
—  calenjant  3376. 

ca7nbre  v.  2332,  2593,  2709,  3992,  etc. 


en  Normandie  ;  mais  lors  même  qu'il  aurait  été  fait  dans  une  autre  pro- 
vince, la  conclusion  serait  la  même;  seulement  au  lieu  de  se  rapporter 
au  texte  primitif,  elle  se  rapporterait  au  manuscrit  de  Lambspringen  dont 
l'origine  ou  du  moins  la  langue  est  certainement  normande.  Mais  on 
voit  que  je  diffère  de  l'opinion  de  M.  G.  Paris  qui,  tout  en  regardant  le 
poème  comme  normand,  a  rétabli  partout  ch  au  lieu  de  c. 

1.  Nous  verrons  plus  loin  quelle  valeur  il  faut  attribuer  au  premier  de 
ces  signes. 

2.  Je  me  sers  de  l'édition  de  M.  L.  Gautier.  Tours,  2  v.  in-4»,  1872.  L'édi- 
teur non-seulement  admet  que  le  poème  est  écrit  dans  le  dialecte  nor- 
mand, mais  qu'il  est  l'œuvre  d'un  poète  du  pays  d'Avranches,  et  comme 
tel  composé  dans  le  dialecte  de  cette  région  de  la  Normandie.  Je  n'ai 
rien  à  dire  de  la  patrie  du  trouvère  auquel  nous  devons  la  Chanson 
de  Roland,  si  ce  n'est  que  les  arguments  invoqués  par  M.  L.  Gautier 
pour  la  déterminer  me  paraissent  assez  faibles;  quant  à  la  prétention 
émise  dans  la  préface  de  sa  troisième  édition  d'avoir  rétabli  le  texte, 
tel  qu'il  a  dû  être  écrit  primitivement,  il  suffît  pour  montrer  combien 
elle  est  peu  fondée  de  dire  que  M.  Gautier  paraît  ignorer  quelques-uns 
des  caractères  les  plus  essentiels  du  dialecte  dans  lequel,  d'après  lui, 
le  Roland  a  été  composé  :  comment  aurait-il  pu  dès  lors  en  reproduire 
les  formes  si  souvent  altérées  ?  Les  mômes  observations  s'applique- 
raient à  l'édition  de  M.  Bœhmer,  qui  a  rétabli  partout  ch  à  la  place  de 
c{a),  s'il  avait  dit  quelles  raisons  l'ont  guidé  dans  la  constitution  de  son 
texte  ;  mais  il  faut  attendre  pour  le  juger  qu'il  se  soit  expliqué. 


—  238  — 

cameilz  v.  129,  114,  645,  847.  —  camelz  31. 

camp  V.  555,  922,  1046,  1176,  1260,  etc. 

campel  v.  2862,  3147.  —  campion  2244. 

caitive  v.  2596,  2722,  3673,  3978.  —  caitifs  2698,  3817. 

canut  V.  230,  2048,  3954,  etc.  —  canud  503.  —  canue 
2307,  3654.  —  canuz  538,  551. 

cancun  v.  1014,  1466.  —  cantee  1014,  1466.  —  cantat 
1568.  —  cant  1474.  —  encanteûr  1391. 

cancelet  v.  3608,  —  cancelant  2227. 

capele  v.  52,  297,  726,  3744,  —  cape  545. 

caplent  v.  1347,  3475,  3mS.  —  caple{s)  1109,  1678,  3403, 
3380.  —  capleier  1681.  —  mp^e2Y  3462.  —  capler  3910. 

carbuncle  v.  1326,  2633,  2643. 

cargiery.  131.  —  cargiet  645.  —  cargiez  32,  185,  652. 

Caries,  Carlun,  Carlemaigne  v.  1,  16,  28,  52,  70,  81, 
218,  418,  522,  643,  766,  etc. 

car  Y.  2942;  —  carn  1119,  1265,  2141,   3606;  —  cars 
1613.  —  carnel  2153.  —  carnier  2949,  2954. 

carier  v.  33.  —  cares  33,  131,  186.  —  carettes  2972. 

cartre  v.  2097.  —  cartres  1684. 

m^iJe/  V.  4,  23,  236,  704,  3783,  etc. 

cascuns  v.  51,  2502,  2559,  3631,  etc. 

castier  v.  1739. 

ceval  Y.  1374,  d379,  1539,  1554,  etc. 

cevalers  v.  110.  —  cevalcent  v.  3195,  etc. 

culcet  V.  2447,  2496,  3992. 

embrunket  v.  3645. 

escange  v.  840,  3095,  3714.  —  escantel  1292. 

encalcierentY.  1627 .—encalcent  2460,  2462,  3627, etc.— 
encalciet  2785,  2796.— ewm^c^■e^ 2167.  —encalz  2446,  3635. 

escapet  v.  3955,  etc.  —  escapez  cxxii^ 

purcacet  v.  2612. 

racatet  v.  3194,  etc.  —  racatent  1833. 

2°  C  persiste  et  se  change  à  la  fois  en  ch  dans  : 

cevalchet  v.  1616,  1812,  3078,  3965. 

3°  Enfin  il  se  change  en  ch  dans  les  mots  : 

achevée  v.  3578. 

hachelerY.  113,  3020,  3197. 

blanche  v.  89,  231,  1655,  3504,  3521,  4001,  etc.  —  blan- 
cheier  261 . 

1.  Manuscrit  de  Venise.  —  3»  éd.  L.  Gautier. 


.^_^^    —  239  — 

branches  v.  72,  80,  93,  203. 

brochet  Y.  1125,  1077,  1225,  etc.  ^brochent  1184,  1381, 
1802,  3350,  etc. 

buche{s)  V.  633,  1487,  1603,  1753,  etc. 

chaïry.  1356,  1426,  1509,  1981,  etc. 

chedet  v.  769.  —  cheit  v.  981,  1064.  —  chiet  1267,  1356, 
1509,  etc.  —  chiedent  1426.  —  cheent  v.  1981,  3574,  etc.  — 
decheent  1585. 

chalcer  v.  2678.  —  chalz  v.  3633.  —  chalces  v.  3863. 

c^îe^^v.  227,  2411. 

chambre  v.  2806,  2910. 

champ  V.  865,  1338,  1782,  etc. 

chançun  v.  1466,  1474,  1563. 

cha,pele  v.  2917,  etc. 

Charles,    Charlon  v.  94,  156,  370,  1195,   etc. 

char  V.  3436,  3463.  —  chars  v.  1119,  1265,  1613. 

chastels  v.  2611. 

chascunY.203,  390,1013. 

chemin{s)  v.  1250,  2426,  2464,  2852,  etc.  —  acheminet 
702.  —  acheminez  365,  etc. 

cheval{s)  v.  1095,  1545,  1988,  etc. 

chevalier{s)  v.  25,  99,  274,  732,  802.  —  chevalerie  594, 
960,  3074.  —  chevalerus  3173. 

chevalchet  v.  366,  402,  480,  706,  etc.  —  chevalchiez, 
1175,  etc.  —  chevalchat  1818,  2842,  3096.  —  chevalche 
2455,  1619.   —  chevalchièrent  2812.  —  chevalchons  3178. 

—  chevalcheriez  3280.  —  chevalchent  710,   855,  etc.  — 
chevel{s)  v.  976,  2347,  2596,  2931,  3605,  3821.  —  cheve- 

leûre  1327. 

chef  Y.  44,  117,  138,  209,  214,  etc. 

chier{s)  v.  160,  547,  573,  1517,  etc.  —  chiere  3816,  3645. 

—  chierement  3012. 
choses  V.  2377. 

culchetY.  12,  2013,  2449,  2480,  etc.— culchez  2358,  3097. 

—  cidchiet  2175,  2204,  etc.  —  culchiez  2481. 
Danemarche  v.  749,  1650,  3855,  3937. 

detrenchiet  v.  2172,  3889.  — detrenchiez  1747.  —  detren- 
chet  1926,  etc. 

embrunchet  v.  1079,  3505,  3645.  —  embrunchit  3816. 
enchalcent  v.  2462,  2785,  2796.  —  enc/ïa^^  2446,  3635. 
fîchiet  2173.  —  aficheernent  3117. 
franche  v.  2324,  3978. 


—  240  — 

fr esche  v.  2492. 

furcheles  v.  1294,  2249.  —  furcheûre  1330,  3157. 

laschet  v.  1290,  1574,  2996.  —  laschent  1381,  3349,  3877. 

pecchiet  v.  15,  240,  1140,  '3,UQ.  —  pecchiez  882,  2365, 
2368,  etc. 

trabechier  v.  1971.  —  trahecherent  3574. 

trenchier  v.  57.  —  trenchie  1374.  — trenchet\2Q0,  1273, 
1299,  etc.  —  trenchanz  554,  949,  2539.  —  trenchant  867, 
1301,  etc.  —  trenchat  1328,  1557,  etc.  —  trenchiet  1512, 
1871 .  —  trenchent  3583,  etc. 

tuchant  v.  861,  —  tuchiet  1306. 

Si  on  compare  ces  diverses  formes,  on  reconnaît  qu'elles  appar- 
tiennent évidemment  à  un  âge  de  la  langue  ou  à  des  dialectes  diffé- 
rents, et  il  est  curieux  de  voir  l'arbitraire  avec  lequel  l'éditeur  a 
dans  sa  troisième  édition  modifié  son  texte,  et  remplacé  dans  cer- 
tains cas  c  par  ch  et  réciproquement,  tandis  que  dans  d'autres 
il  laissait  subsister  la  leçon  du  manuscrit,  ne  s'apercevant  pas 
qu'il  ne  faisait  par  là  qu'augmenter  la  confusion  déjà  si  grande 
entre  les  formes  normandes  comme  cdir,  canut,  etc.,  et  les  formes 
françaises  chedet,  cheval,  etc.  Quoi  qu'il  en  soit  et  malgré  les 
altérations  dont  elle  a  été  l'objet,  la  Chanson  de  Roland  a  con- 
servé le  c  vélaire  plus  souvent  qu'elle  ne  l'a  changé  en  ch.  Quant 
à  la  gutturale  palatale,  elle  y  est  toujours  représentée  par  c, 
s  ou  z,  jamais  par  ch. 

Après  la  «  Chanson  de  Roland  »,  le  monument  le  plus  considé- 
rable et,  je  crois,  le  plus  ancien  du  dialecte  normand,  est  le 
«  Voyage  de  Charlemagne  à  Jérusalem  ^  »  ;  si  l'on  parcourt  ce 
poème  ou  le  vocabulaire,  fait  avec  soin,  que  l'éditeur  a  mis  à  la 
fin,  on  voit  qu'un  certain  nombre  de  mots  sont  encore,  comme 
dans  le  Roland,  écrits  tantôt  par  c,  tantôt  par  ch,  comme  car 
V.  283,  299,  317,  320  et  char  v.  403,  549  ;  caiet  v.  868  et 
chair  ^f.  31,  etc.;  mais,  tout  compte  fait,  la  gutturale  vélaire 
suivie  de  a  y  persiste  bien  plus  souvent  qu'elle  ne  se  change  en 
ch;  on  la  trouve  soit  sous  la  forme  c,  soit  sous  la  forme  k  ou  q, 
120  fois,  sans  compter  le  mot  savant  calice,  tandis  qu'elle  ne  se 
transforme  en  ch  que  33  fois  ;  la  proportion,  on  le  voit,  est  en- 
core plus  forte  que  dans  le  Roland.  Comme  dans  ce  dernier 
poème  d'ailleurs,  la  gutturale  palatale  n'est  jamais  représentée 
par  ch;  le  c  a  persisté,  à  moins  toutefois  qu'il  n'ait  donné 


1.  Charlemagne,  an  anglo-norman  poem,  edited  by   Fr.  Michel,  in- 12, 
Oxonii,  1836. 


—  24^  — 

naissance  à  une  spirante  sonore;,  auquel  cas  il  est  représenté, 
ainsi  que  dans  les  monuments  précédents,  par  s  ou  z. 

Après  ou  à  côté  des  trois  textes  que  je  viens  d'examiner,  il 
convient,  je  crois,  de  placer  le  fragment  d'un  petit  poème  dévot, 
publié  par  M.  G.  Paris  dans  le  sixième  volume  du  Jahrbuch  ^  ; 
ce  fragment,  sur  l'origine  duquel  l'éditeur  ne  s'est  point  prononcé 
d'une  manière  définitive,  mais  qu'il  incline,  je  crois  avec  grand' 
raison,  à  regarder  comme  normand,  montre  la  gutturale  vélaire 
persistant  partout  devant  a,  ainsi  canter,  casteed,  escalgaites, 
cadeit.  Quant  à  la  gutturale  palatale,  si  elle  est  encore  repré- 
sentée par  c,  comme  dans  cil,  on  la  trouve  aussi  remplacée  par 
ch  dans  chine,  premier  exemple  d'une  transformation  ou  plutôt 
d'une  orthographe  que  nous  rencontrerons  sans  cesse  mainte- 
nant. 

Parmi  les  textes  normands  qu'on  trouve  dans  l'histoire  des 
«  Bardes  et  Jongleurs  »  de  l'abbé  de  La  Rue,  les  fragments  du 
«  Voyage  de  Saint  Brandan  »  sont  sans  contredit  le  plus  impor- 
tant, en  même  temps  que  le  plus  long^  ;  nous  avons  affaire  là  à 
un  texte  évidemment  normand,  le  vocalisme  ne  laisse  pas  de 
doute  à  ce  sujet  ;  quant  aux  gutturales,  la  vélaire  j  a  encore 
persisté,  mais  moins  souvent  cependant  qu'elle  ne  s'y  est  changée 
en  ch\  on  y  trouve,  en  efiet,  douze  fois  ch  et  huit  fois  seulement 
c  ;  en  même  temps  la  gutturale  palatale  y  présente  une  particu- 
larité inconnue  aux  trois  grands  poèmes  que  j'ai  étudiés,  mais 
dont  j'ai  signalé  un  exemple  dans  le  fragment  publié  par  M.  Gas- 
ton Paris  :  à  la  place  de  ce,  ci,  c'est-à-dire  du  c  ou  de  ti  assibilé, 
nous  trouvons  ehe  ou  chi,  comme  en  picard  ;  ainsi  chele,  dres- 
chent,  drechent,  drech  et  cachez  ^.  Les  autres  textes  qu'on 
trouve  dans  La  Rue  n'offrent  rien  de  remarquable,  mais  on  a 
publié  en  entier  plusieurs  des  poèmes  dont  il  n'avait  donné  que 
de  courts  fragments  ;  quelques-uns  d'entre  eux  offrent  un  inté- 
rêt tout  particulier. 

Le  texte  donné  par  Th.  Wright'*  du  «  Bestiaire  »  de  Phihppe 
de  Thaon,  le  premier  poème  que  nous  rencontrons,  nous  montre 
le  c  vélaire  devant  a  latin  tantôt  représenté  par  c,  surtout  quand 


1.  1865,  p.  366. 

2.  Bardes  et  trouvères,  II,  68. 

3.  M.  G.  Paris  a  eu  l'obligeance  de  me  communiquer  une  copie  qu'il 
possède  d'un  manuscrit  du  Saint-Brandan;  je  n'y  ai  trouvé  cApourcque 
six  fois  et  toujours  dans  le  mot  dresser;  ainsi  drechet  204,  1008;  drechent 
209,  383,  658,  934. 

4.  Popular  trealises  on  sciences,  p.  74. 

46 


—  242  — 

a  persiste,  tantôt,  mais  moins  souvent,  représenté  par  ch  ;  ainsi 
dans  les  trois  cents  premiers  vers  on  trouve  c{k)  treize  fois,  ch 
seulement  onze  fois.  Quant  au  c  palatal,  comme  dans  l'Alexis,  le 
Roland  et  le  Voyage  de  Charlemagne,  il  y  est  d'ailleurs,  ainsi  que 
ti  assibilé,  représenté  par  ç,  s  onz.  Dans  son  «  Livre  des  Créa- 
tures »,  au  contraire,  le  c  vèlaire  est  beaucoup  plus  souvent  rem- 
placé par  ch  qu'il  ne  persiste  ;  dans  les  deux  cents  premiers  vers 
on  ne  rencontre  c  que  deux  fois  dans  capitles  v.  87  et  104  ;  c^  ap- 
paraît onze  fois  ;  mais  il  faut  dire  que  qui  est  le  plus  souvent  écrit 
chi  dans  ce  texte,  ce  qui  peut  faire  hésiter  sur  la  valeur  exacte  du 
signe  ch  et  qu'on  trouve  même,  nouvelle  cause  d'incertitude,  car 
(quare)  écrit  char  v.  124  et  148,  bien  que  la  vélaire  représentée 
par  q  ait  persisté  dans  tous  les  dialectes  française  Une  autre  par- 
ticularité de  ce  texte,  c'est  qu'il  offre,  rarement  il  est  vrai,  ch  à 
la  place  du  c  palatal  ;  ainsi  icho  v.  6,  chest  v.  31.  Si  l'on  s'en 
rapporte  à  M.  Ed.  Mail  ",  c'est  ch  qu'on  rencontre  le  plus  souvent 
dans  le  «  Comput  »  à  la  place  du  c  vélaire  suivi  àe  a  ;  c  n'aurait 
persisté  d'après  lui  qvi  eœceptionnelletnent  dans  les  mots  can- 
delur,  capitle,  carpent,  trencantes  ;  c'est  au  contraire,  ce 
qui  n'a  rien  qui  doive  surprendre,  la  forme  ordinaire  du  mot 
kalende ,  qu'on  trouve  cependant  écrit  une  fois  chalendes 
(G  1123).  Le  c  palatal  et  ti  transformés  ne  sont  représentés  que 
par  c  ovlS  {z)  . 

Après  les  œuvres  de  Philippe  de  Thaon  prennent  place  celles 
de  R.  Wace,  le  «  Roman  de  Brut  »  et  le  «  Roman  de  Rou  ».  Le 
texte  du  premier,  tel  que  l'a  donné  Le  Roux  de  Lincy  d'après  le 
manuscrit  1450 fonds  français  delà  Bibliothèque  nationale^,  nous 
montre  le  c  vélaire  persistant  plus  souvent  qu'il  ne  se  change  en 
ch  ;  dans  les  cinq  cents  premiers  vers,  on  trouve  vingt-six  mots 
où  il  persiste,  dix-sept  seulement  où  il  a  fait  place  à  ch.  On  ren- 
contre aussi  cette  dernière  forme  à  la  place  du  c  palatal  dans 
enforchier  v,  215  et  chertainement  v.  1748  ;  mais  elle  est 
bien  plus  commune  dans  le  manuscrit  7515  ^'^  Colbert,  1416 
nouveau  fonds  français  de  la  Bibliothèque  nationale,  ainsi  qu'on 
peut  en  juger  par  ces  deux  vers  éminemment  normands  : 

Cheelement  nièce  Lavine 
0  lui  coucha  :  celle  conchut. 

1.  Une  autre  raison  qui  enlève  à  ce  texte  une  partie  de  sa  valeur 
pour  l'étude  à  laquelle  je  me  livre,  c'est  qu'il  est  anglo-normand  et  non 
normand. 

2.  Li  cumpoz  Philipe  de  Thaiin  hgg.  von  D'  Ed.  Mail,  in- 18.  Strasbourg, 
1863,  p.  92  et  93. 

3.  Le  Roman  de  Brut,  2  v.  in-8°,  Rouen,  1836. 


—  243  — 

Cette  transformation  du  c  palatal  en  ch  reparaît  dans  le  texte 
du  Roman  de  Rou,  surtout  dans  certains  manuscrits  ;  l'impor- 
tance grammaticale  de  ce  document,  tout  altérée  qu'en  ait  été  la 
langue  primitive,  exige  queje  m'y  arrête  quelque  temps.  Dans  les 
mille  premiers  vers  de  l'édition  donnée  par  PluquetS  j'ai  compté 
vingt  mots  où  le  c  vélaire  persiste  et  cinquante-lmit  où  il  se 
change  en  ch  ;  il  me  semble  qu'on  peut  dans  la  plupart  de  ces 
derniers  voir  un  effet  des  rajeunissements  dont  le  poème  a  été 
l'objet  2.  Cette  supposition  est  d'autant  plus  vraisemblable  que 
dans  le  manuscrit  375  fonds  français  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, le  c  vélaire  persiste  plus  souvent  qu'il  ne  fait  place  à  ch, 
que  Va  suivant  ait  été  conservé  d'ailleurs  ou  changé  en  e,  peu 
importe.  Ainsi  on  trouve  dans  le  récit  de  la  bataille  d'Hastings 
les  mots  ce^nise,  ceval,  mance,  blance,  etc. ,  dont  les  trois  pre- 
miers sont  encore  aujourd'hui  quemise,  quevaou  g'va  (à  côté  de 
cheva  ouf'cà),  manque,  et  dont  le  dernier  nous  est  donné  par 
un  vocabulaire  hébraïque-français  dont  je  parlerai  tout  à  l'heure. 
Mais  ce  n'est  pas  dans  le  traitement  de  la  gutturale  vélaire  que  gît 
l'importance  de  ce  texte,  mais  dans  la  manière  dont  la  gutturale 
palatale  s'y  trouve  représentée.  Jusqu'ici  il  n'y  a  que  le  Saint  Bran- 
dan  parmi  les  textes  que  j'ai  étudiés  qui  offre  un  nombre  apprécia- 
ble d'exemples  de  la  substitution  de  ch  à  ce  {ci)  ou  ti  transformé  ; 
dans  le  Roman  de  Rou,  bien  que  c  suivi  de  e  ou  de  i,  ou  substitué 
à  ti  suivi  d'une  autre  voyelle,  se  rencontre  encore  très-souvent, 
et  même  le  plus  souvent,  ch  apparaît  un  très-grand  nombre  de 
fois  ;  ainsi  dans  les  deux  mille  premiers  vers  j'en  ai  compté 
soixante  exemples  dans  des  mots  différents  et  trente-deux 
pour  le  seul  mot  Français,  écrit  toujours  Francheis,  tandis  que 
France  y  a  son  orthographe  habituelle.  Voici  ces  mots  où  ch 
se  substitue  au  c  palatal  ou  à  ti  : 

recheurent  v.  94,  1786  ;  rechu  v.  247  ;  rechoivre  v.  569; 
1455  ;  rechevront  v.  571,  1022,  1741  ;  rechoiz  v.  1880. 

chent  V.  315,  507,  511  ;  chenz  v.  376,  1693. 

Franchdz  v.  110,  119,  1240,  1272,  1277,  1302,  1478,  etc. 
(trente-trois  fois)  ;  franchoise  v.  1305  ;  Franchois  v.  1308. 

raanchon  v.  456,  1090. 


t.  Le  Roman  de  Rou  et  des  ducs  de  Normandie,  2  v.  in-4°,  Rouen,  1827. 

2.  Ces  rajeunissements  ne  portent  pas  d'ailleurs  exclusivement  sur  les 
gutturales  ;  on  les  remarque  encore  dans  la  substitution  de  la  diphthon- 
gue  oi  à  ei;  dans  la  quatrième  branche  que  Pluquet  a  donnée  surtout 
d'après  le  manuscrit  du  Musée  britannique,  ei  est  bien  plus  souvent 
conservé  ;  au  contraire  le  manuscrit  375,  qui  contient  également  cette 
quatrième  branche,  substitue  encore  souvent  oi  à  ei. 


—  244  — 

lechon  v.  502,  504. 

acacha  v.  546. 

maleichouY.  685,  759;  maudichonz  v.  1472;  beneichon 
V.  1620. 

apercheu  v.  719  ;  aparchut  v.  1376  ;  apercheit  v.  1506, 
1515  ;  aparchurent  1784. 

comenche  v.  37;  comencha  v.  1035;  comanchement  \ . 
1250  ;  comenchie  v.  1302. 

/brcAe  V.  790, 1650,  1953;  —  fortelesche  v.  801. 

^ec/îa  V.  883,  1858, 1898. 

manachié  v.  1081,  1482. 

mercMv.  1130,  1213,1818. 

menchonge  v.  1286. 

perechouœ  v.  1373. 

guenchi  v.  1532. 

encachier  v.  1538  ;  encachent  v.  1644  ;  cachier  v.  1877. 

ocM  V.  1547. 

ac^^>r  (acier)  v.  1738,  1752. 

aconchurent  Y .  1788. 

fâchons.  1857. 

dreschaY.  1905. 

muchier  v.  1977  ;  mucha  v.  1977,  2009. 

Dans  la  quatrième  branche,  au  contraire,  c^  se  substitue  bien 
moins  souvent  à  c  suivi  de  e  ou  de  i  ou  à  ^z  ;  dans  les  miUe  pre- 
miers vers  je  n'ai  trouvé  de  cette  orthographe  que  les  quatre  exem- 
ples drescha  v.  5475,  s'aparcheut  v.  5628  ;  recheut  v.  5913  et 
machues  v.  6048  ;  il  semble  bien  qu'à  cet  égard  le  texte  primi- 
tif a  été  modifié,  hypothèse  qui  n'a  rien  que  d'admissible  si  l'on 
fait  attention  que  le  manuscrit  375  de  la  Bibliothèque  nationale 
et  celui  du  Musée  britannique,  d'après  lesquels  surtout  le  texte 
a  été  constitué  par  Pluquet,  sont  le  premier  du  xiv®  siècle ,  le 
second  plus  ancien  sans  doute,  mais  probablement  d'origine  an- 
glo-normande. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'étude  du  Roman  de  Rou  nous  a,  comme 
nous  le  voyons,  fait  faire  un  pas  considérable  dans  la  connais- 
sance des  transformations  de  la  gutturale  palatale  en  normand  ; 
le  résultat  auquel  nous  sommes  arrivés  se  trouve  d'ailleurs  plei- 
nement confirmé  par  l'examen  de  la  «  Chronique  ascendante  des 
ducs  de  Normandie  »,  attribuée  également  à  R.  Wace,  et  publiée 
par  Pluquet  dans  le  premier  volume  des  «  Mémoires  de  la  So- 
ciété des  Antiquaires  de  Normandie  »  \  d'après  un  manuscrit 

1.  1"  série,  année  1824,  p.  444  et  suiv. 


—  245  — 

de  l'Arsenal,  copié  par  Sainte-Palaye.  Dans  ce  petit  poème,  qui 
ne  contient  que  trois  cent  quatorze  vers  alexandrins,  et  où  le  c 
vélaire  persiste  parfois,  mais  est  plus  souvent  remplacé  par  ch , 
nous  trouvons  encore  ce  même  signe  ch  assez  souvent  substitué 
au  c  palatal  ou  à  ^  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle  ;  quoique  le  c 
soit  maintenu  encore  le  plus  souvent  dans  ce  cas ,  ch  en  prend 
vingt-quatre  fois  la  place  dans  les  mots  apercheut,  cheni,  ca- 
chiez, co7nencha  {deux  fois),  déchut,  drescha,  fachon,  Fran- 
cheiz  (sept  fois),  lechon,  Uncheul,  merchi  (deux  fois),  Niche 
(Nicée),  perechoux  ,  porcacha,   recherchelèe,  rechut. 

Je  trouve  encore  plusieurs  exemples  de  la  substitution  de  ch 
au  c  palatal  dans  le  Mémoire  de  Pluquet  sur  les  trouvères  nor- 
mands* ;  ainsi  trachez  p.  411  ;  Rainschevals  p.  431  ;  et  dans 
ces  deux  vers  tirés  de  la  «  Vie  du  bon  Thomas  Hélie  »,  prêtre 
du  Cotentin  mort  en  1257,  p.  442  : 

Ou  il  n'ut  bobans  ni  vantanches 
En  diocèse  de  Coutanches. 

Le  «  Roman  du  Mont  Saint  Michel^  »  en  offre  aussi  un  certain 
nombre  d'exemples,  tels  que  chierge  v.  900  ;  mais  ces  exemples 
sont  peu  nombreux  ;  le  c  vélaire  y  est  aussi  transformé  en  ch  ; 
malgré  la  pureté  ordinaire  du  vocalisme,  il  est  donc  probable 
qu'on  a  ici  un  texte  remanié  ou  modifié. 

Le  «  Roman  d'Eneas  »  et  le  «  Roman  de  Troie  »  sont-Us  écrits 
dans  le  dialecte  normand  ?  Beneoit  de  Sainte  More,  auquel  on  les 
attribue,  les  a-t-il  réellement  composés  tous  les  deux,  et  était-il 
normand?  Voilà  des  questions,  ou  qui  n'ont  point  été  examinées, 
ou  qui  n'ont  point  encore  reçu  de  solution  satisfaisante.  Quoi 
qu'il  en  soit,  les  textes  publiés  jusqu'ici  de  ces  deux  poèmes  ne 
suffisent  point  pour  résoudre  la  question  ;  le  fragment  de  l'Eneas 
donné  par  M.  Pey,  et  reproduit  par  Bartsch  dans  sa  Chresto- 
mathie,  d'après  le  manuscrit  fonds  français  1450  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  paraît  bien  peu  normand  par  son  vocalisme  ; 
quant  aux  gutturales,  c  suivi  de  a  persiste,  excepté  dans  cham- 
bre ;  il  a  également  persisté  devant  e  provenant  de  a  latin  dans 
embrocements ,  fresce,  toce  ;  au  contraire,  il  s'estchangéen  ch 
dans  chier  ;  pour  la  gutturale  palatale,  elle  est  représentée  par  c 
dans  tous  les  mots ,  excepté  chertaine,  où  elle  a  été  remplacée 
par  ch  ;  ch  se  trouve  aussi  à  la  place  de  ti  transformé  dans 


1.  Mém.  de  la  Soc.  des  Ant.  de  Norm.,  1"  sér.,  I,  368. 

2.  Roman  du  Mont  Saint  Michel,  p.  p.  Fr.  Michel. 


—  246  — 

efforchier.  Dans  le  Fragment  du  Roman  de  Troie  publié  dans 
la  Chrestomathie  de  Bartsch,  d'après  le  manuscrit  2571  de  la 
Bibliothèque  impériale  de  Vienne  et  les  manuscrits  xvii  et  xviii 
de  la  Bibliothèque  de  Saint-Marc,  le  c  vélaire  apparaît  partout 
changé  en  ch,  excepté  dans  escampèrent ,  pour  lequel  le  manus- 
crit de  Vienne  toutefois  donne  eschampèrent  ;  la  vélaire  y  est 
donc  traitée  comme  en  français  ;  il  en  est  de  même  de  la  palatale  ; 
le  vocalisme  aussi  est  exclusivement  français.  Celui  du  texte 
donné  par  M.  Joly  dans  son  édition  publiée  il  y  a  deux  ans 
d'après  le  manuscrit  2614  de  la  Bibliothèque  nationale*  présente 
des  caractères  évidemment  normands,  la  fréquence  de  la  diph- 
thongue  ei  pour  oi  par  exemple  ;  mais  nous  retrouvons  peu  de 
ceux  que  j'ai  signalés  jusqu'ici  dans  la  modification  des  gutturales 
latines,  qui  y  sont  traitées  à  peu  près  comme  en  français^.  A  en 
juger  par  les  derniers  vers  donnés  par  M.  Joly  dans  son  intro- 
duction ,  le  manuscrit  1553,  au  contraire,  change  presque  tou- 
jours la  gutturale  palatale  en  ch,  ainsi  chelui,  chi,  chou,  essau- 
che.  Mais  ce  texte  étant  probablement  picard,  il  ne  peut  servir 
à  éclaircir  la  question  que  j'examine. 

La  «  Chronique  des  ducs  de  Normandie  »,  attribuée  aussi  par- 
fois à  Beneoit  de  Sainte  More,  présente  un  caractère  non  moins 
singulier  ;  le  vocalisme  du  texte  publié  par  Francisque  MicheP 
est  normand,  du  moins  dans  un  de  ses  caractères  les  plus  essen- 
tiels ei  =  01  ;  ainsi  feis,  peirs,  peis,  peissun,  seissante,  treis, 
etc.,  formes  encore  en  usage  aujourd'hui  ;  mais  à  côté  de  cela 
nous  trouvons  c  suivi  de  a  latin,  que  cet  a  ait  persisté  ou  qu'il  se 
soit  changé  en  e  ou  ie,  presque  toujours  transformé  en  ch  ;  ainsi 
chalor,  chose,  chanz,  chiens,  champele,  sechie,  trenchant, 
etc.,  si  l'on  excepte  le  mot  caverne,  — qui  ne  peut  et  ne  doit  pas 
compter,  —  c  suivi  de  a  ne  persiste  dans  les  cinq  cents  premiers 
vers  que  dans  le  mot  çaples  (v.  407).  Ce  qui  est  plus  surprenant, 
c'est  que  ch  ait  été  rétabli  dans  des  noms  comme  Chaain 
(Gaen)  v.  33754,  35047  et  36641  ;  Chauz  (Caux)  v.  14739, 
29004,  33154,35311  et  38157,  Chaumont  (Caumont)  v.  30798 
et  39254,  où  évidemment  la  vélaire  avait  dû  être  conservée.  On 
est  ici  évidemment  en  présence  d'une  restitution  systématique  du 

1.  Benoit  de  Sainte-More  et  le  Roman  de  Troie,  in-4°,  Paris  1870. 

2.  Ceci  n'empèclie  pas  M.  Joly  d'alfirmer  que  le  texte  du  poème  est 
franchement  normand  ;  mais  il  faudrait  nous  dire  au  moins  quel  est  ce 
dialecte,  dans  lequel  on  prétend  avoir  été  écrits  des  textes  où  j'en 
cherche  en  vain  les  caractères. 

3.  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  3  v.  in-S". 


—  247  — 

ch  :  est-ce  du  fait  du  copiste  ou  du  poète,  il  est  difficile  de  le 
dire,  quoique  tout  doive  faire  incliner  pour  la  première  liypo- 
thèse.  J'aurai  d'ailleurs  occasion  de  signaler  d'autres  tentatives 
de  changement  dans  l'orthographe  des  noms  propres,  tentatives 
qui  se  produisirent  au  xiv**  siècle,  au  moment  où  l'influence  de 
la  langue  française  devenait  toute-puissante  en  Normandie,  pri- 
vée de  son  autonomie  politique,  et  dont  quelques-unes  ont  fini 
par  modifier  la  prononciation  d'un  certain  nombre  de  noms  de 
lieux.  Quant  à  la  palatale  elle  est  représentée  dans  ce  poème 
comme  en  français. 

Les  textes  publiés  à  la  suite  de  la  Chronique  des  ducs  de  Nor- 
mandie, en  particulier  la  «  Chronique  de  Jordan  Fantosme  », 
donneraient  lieu  à  des  observations  analogues,  aussi  je  ne  m'y 
arrête  pas,  et  j'arrive  au  «  Drame  d'Adam  »  et  à  la  «  Vie  de  Gré- 
goire le  Grand,  pape,  »  publiés  par  M.  Luzarche  d'après  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  Tours.  Le  vocalisme  de  ces  deux 
poèmes  est  évidemment  normand  ;  on  y  rencontre  aussi  fréquem- 
ment la  terminaison  oue,  out,  qui  semble  particulière  aux  an- 
ciens monuments  écrits  dans  ce  dialecte,  néanmoins  le  c  vélaire 
n'a  pas  persisté  une  seule  fois  dans  toute  l'étendue  du  drame 
d'Adam,  et  je  l'ai  trouvé  toujours  changé  en  çh  dans  les  quarante 
premières  pages  de  la  Vie  de  Grégoire  ;  par  contre  dans  le  pre- 
mier de  ces  poèmes  le  g  vélaire  persiste  dans  gardin^^.  17  et  22, 
et  on  le  trouve  aussi  dans  mangues  p.  23  et  mangai  p.  34,  à  côté, 
il  est  vrai,  àemanjues"^.  15,  il, 24:,  28  et  manjas  p.  34.  Ce  et  ti 
suivi  d'une  voyelle  sont  toujours  représentés  par  ce  {ci)  ;  je  n'ai 
trouvé  qu'un  seul  mot  où  ch  en  ait  pris  la  place,  c'est  proeche 
p.  82  du  drame  d'Adam.  Nous  avons  là  évidemment  une  nou- 
velle preuve  des  altérations  qui  ont  pu  être  apportées  aux  textes 
primitifs,  et  qu'explique  ici  sans  peine  l'origine  probablement 
méridionale  du  copiste  de  ces  poèmes  ^ 

Les  textes  que  j'ai  examinés  jusqu'à  présent  sont  les  monu- 
ments poétiques  les  plus  considérables  qu'on  possède  du  dialecte 
normand,  mais  il  en  est  d'autres  en  prose  qui  doivent  maintenant 
fixer  notre  attention.  Ce  sont  d'abord  les  Lois  de  Guillaume  le 
Conquérant,  auxquelles  les  critiques  qui  se  sont  occupés  jus- 
qu'ici du  dialecte  normand  ont  accordé  une  importance  bien 
trop  grande,  le  Psautier  d'Oxford  et  les  Livres  des  Rois. 

Les  «  Lois  de  Guillaume^»  remontent  sans  doute  pour  le  fond 


1.  Voir  plus  haut,  p,  116,  note  2. 

2.  R.  Sclimidt,  Bie  Gesetze  der  Angelsachsen. 


—  248  — 
au  temps  même  de  la  conquête,  mais  rajeunies  et  remaniées  depuis 
sans  aucun  doute  plus  d'une  fois,  elles  ne  sauraient  donner  aucun 
renseignement  définitif  sur  la  langue  dans  laquelle  elles  ont  été 
originellement  écrites  ;  aussi  serait-ce,  je  crois,  vouloir  s'expo- 
ser à  se  tromper  que  de  chercher  dans  leur  vocalisme  ou  leur 
consonnantisme  la  loi  qui  préside  à  celui  du  normand  ;  je  me 
bornerai  donc  à  constater  que  ca  y  est  en  général  transformé  en 
ch  et  que  le  c  palatal  y  est  traité  comme  en  français. 

Tout  autre  est  l'importance  du  «  Psautier  d'Oxford  »  ^  Le 
manuscrit  publié  par  Fr.  Michel,  sans  être  peut-être  plus  ancien 
que  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  a  conservé  les  caractères  les 
plus  distinctifs  du  vocalisme  normand  :  ei  =  oi  et  u  mis  pour 
u  ovio  latin  ;  ainsi  mei,  tei,  deiz,  peissuns,  veie  ;  oreisun, 
gêner aciun,  menceunge,  etc.  Quant  aux  gutturales,  c  suivi  de 
a  ou  au  latin  persiste  quelquefois,  mn^icoses  (Ps.  I,  II,  IV,  etc.), 
castier  (Ps.  VI,  etc.),  cait  (Ps.  VII),  canterai  (Ps.  VII, 
XII),  etc. ,  mais  le  plus  souvent  il  a  été  remplacé  parc^.  La  guttu- 
rale palatale  y  est  toujours  représentée  par  c,  s  ou  z. 

Faut-il  ranger  «  Li  Livres  des  Reis  »,  comme  l'a  fait  M.  Le 
Roux  de  Lincy,  parmi  les  monuments  écrits  dans  le  dialecte  de 
l'Ile-de-France?  Le  vocalisme  tout  normand  s'y  oppose  tout 
d'abord,  sans  parler  de  nombre  de  mots  qui  semblent  bien  propres 
au  dialecte  normand.  Mais  il  y  a  plus  ;  si  le  c  vélaire  suivi  de  a 
y  a  bien  été  généralement  changé  en  cA,  —  quoique  par  places 
on  l'y  trouve  aussi  conservé,  par  exemple  dans  cameilz  p.  107, 
etc.,  —  comme  dans  le  français  proprement  dit,  le  c  palatal  est 
loin  d'y  avoir  été  toujours  traité  comme  dans  ce  dialecte  ;  à  côté 
des  formes  c,  s,  z  on  rencontre  assez  souvent  ch,  modification 
qui  lui  est  étrangère  ;  ainsi  dans  les  douze  premiers  chapitres  du 
second  livre  : 

Amalechites  I.  —  cha  X. 

apay^chut  XI,  s' aperchurent  X,  s'aperchut  XII. 

cumencha  IL  —  cunchut  XL 

curuchad  III,  curecha  VI,  XII. 

esforchout  III. 

rechut  VIII,  recheues  id. 

Nous  retrouvons  là  comme  dans  le  vocalisme  un  des  carac- 
tères du  dialecte  normand  ;  on  ne  peut  donc  mettre  en  doute,  je 
crois,  que  ce  texte  n'ait  été  écrit  dans  cet  idiome,  seulement  il 

1.  Libri  Psalmorum  versio  antiqua  Gallica,  edidit  Fr.  Michel,  in-8°.  Oxo- 
nii,  18G0. 


—  249  — 

aura  probablement  été  copié  et  modifié  par  un  scribe  français. 

L'examen  des  monuments  d'origine  normande  que  j'ai  passés 
en  revue  jusqu'à  présent  nous  a  donné,  au  point  de  vue  du  trai- 
tement des  gutturales,  les  résultats  suivants  : 

1°  La  vélaire  persiste  presque  toujours  dans  le  manuscrit  L  de 
l'Alexis  ;  dans  le  Roland,  le  Charlemagne,  après  l'Alexis  les  monu- 
ments les  plus  anciens  de  la  langue,  il  persiste  plus  souvent  qu'il 
ne  se  change  en  ch  ;  il  en  est  de  même  en  général  dans  le  manus- 
crit 375  du  Romande  Rou,  dans  le  manuscrit  1450  de  l'Eneas, 
dans  le  Bestiaire  de  Philippe  de  Thaon  et  le  roman  de  Brut  ;  il  se 
change  en  ch,  au  contraire,  plus  souvent  qu'il  ne  persiste  dans 
le  Psautier  d'Oxford,  le  Livre  des  Créatures,  etc.  ;  enfin  il  est 
remplacé  presque  toujours  par  ch  dans  les  textes  publiés  du  Ro- 
man de  Troie,  dans  la  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  le  Ro- 
man du  Mont  Saint  Michel,  le  drame  d'Adam,  la  Vie  du  pape 
Grégoire  le  Grand,  les  Livres  des  Rois. 

2°  La  palatale  est  représentée  par  c  quand  elle  est  sourde,  s 
ou  z  quand  elle  est  sonore,  dans  l'Alexis,  le  Roland,  le  Psau- 
tier d'Oxford  ;  il  en  est  de  même  dans  le  Roman  de  Troie,  le 
drame  d'Adam,  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  la  Chronique  des  ducs 
de  Normandie,  etc.  A  côté  de  ce  mode  de  représentation,  au 
contraire,  on  trouve  ch  quand  la  spirante  est  sourde,  dans  le 
petit  poème  pubhé  par  M.  Gaston  Paris,  dans  le  Voyage  de  Saint 
Brandan,  le  Roman  de  Brut,  le  Roman  de  Rou,  l'Eneas,  la 
Chronique  ascendante  des  ducs  de  Normandie,  la  Vie  du  bon 
Thomas  Hélie,  les  Livres  des  Rois,  etc.  ;  comment  exphquer  ces 
différences  phonétiques?  Nous  sommes  en  présence  d'une  ques- 
tion complexe,  à  laquelle  il  est  difficile  peut-être  de  répondre 
d'une  manière  complète.  Essayons  cependant  d'en  démêler  les 
points  les  plus  obscurs. 

En  ce  qui  concerne  le  c  vélaire,  sa  persistance  dans  les  textes 
les  plus  anciens  et  cette  circonstance  que,  comme  nous  le  ver- 
rons, malgré  l'influence  continue  du  français,  il  s'est  maintenu 
en  général  jusqu'à  nos  jours,  indique  bien  déjà  que  c'est  une 
forme  essentiellement  normande  ;  et  comme,  d'un  autre  côté,  des 
sons  k  et  ch  c'est  le  second,  non  le  premier  qui  est  dérivé,  par- 
tout où  nous  trouvons  le  son  k  nous  avons  la  forme  primitive  ;  or, 
comme  ce  son  apparaît  à  la  fois  dans  les  plus  anciens  monuments 
de  la  langue  et  dans  le  patois  moderne,  on  ne  peut  douter  qu'il 
ne  soit  la  véritable  forme  normande  du  c  vélaire. 

Quant  à  la  palatale,  il  faut  distinguer  le  cas  où  elle  s'est  trans- 
formée en  spirante  sonore  en  français  et  celui  où  elle  a  donné 


—  250  — 

naissance  à  une  sourde.  Dans  le  premier  elle  est  toujours  repré- 
sentée, comme  dans  cet  idiome,  par  s  om  z  dans  les  textes  nor- 
mands ;  ainsi  : 

Al.  justise  1,2;  raisun  15,  1  ;  servise  52,  4  ;  56,  2  ;  orai- 
sun  62,  2  ;  noise  101,  2  ;  palazinus  111,  2. 

Roi.  raison  5,  14^  25,  etc.  ;  traisun  16,  etc.  ;  justise  37  ; 
amendise  39  ;  quinze  14,  etc. 

L.  R.  ^re;2;e,  oisels,  sacrifise,  servise,  etc. 

L.  Ps.  /wz^e  I,  6;  oreisun  IV,  2;  V,  2,  etc.  ;  faiseient  V, 
11  ;  XIII,  5;  owe/5  VIII,  8,  etc. 

Il  faut  donc  supposer  que  la  palatale  avait  pris  dans  ce  cas 
dans  l'ancien  normand  la  valeur  dz  ou  s  ;  c'est  celle  qu'elle  a 
encore  dans  le  patois  moderne  et  qu'elle  a  prise  également  en 
picard  ^ 

Quand  la  palatale  s'est  changée  en  spirante  sourde  en  fran- 
çais, elle  est  représentée  par  c  seul  dans  les  quatre  plus  anciens 
textes  normands,  par  c  ou  ch  dans  les  autres  ;  par  ch  dans  le 
patois  moderne.  Que  faut-il  conclure  de  là?  Doit-on  supposer  que 
c  ne  pouvait  avoir  dans  les  premiers  textes  normands  que  la  valeur 
ts  qu'il  a  dans  les  textes  français,  et  que  le  son  ch  que  nous  lui 
trouvons  plus  tard  n'est  qu'un  épaississement  de  ce  son  primitif? 
Diez  l'a  supposé  pour  le  picard  ;  mais  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse 
admettre  qu'il  en  a  été  ainsi,  pas  plus  pour  ce  dialecte  que 
pour  le  normand  ;  on  n'est  point  en  droit  du  moins  de  tirer  cette 
conclusion  de  la  représentation  de  la  palatale  transformée  par  c 
seul  dans  les  plus  anciens  monuments  ;  non-seulement  ce  signe 
n'a  point,  en  effet,  dû  y  avoir  nécessairement  la  valeur  ts,  mais 
il  a  pu  se  faire,  ce  qui  avait  lieu,  comme  nous  avons  vu,  souvent 
en  picard,  qu'il  représentât  aussi  en  normand  le  son  ch  [c  ou  s), 
supposition  qui  acquiert  un  nouveau  degré  de  vraisemblance  par 
cette  circonstance  que  dans  les  plus  anciens  textes  de  ce  der- 
nier dialecte  ch  étant  souvent  employé  comme  signe  de  la  guttu- 
rale —  ainsi  dans  chi  (qui)  L.  Ps.,  —  on  ne  pouvait  guère  s'en 
servir  pour  représenter  une  chuintante  ^.  Mais  il  y  a  plus,  l'exa- 
men de  ces  textes  nous  donne,  je  crois,  une  preuve  directe  que  c 
pouvait  et  devait  même  y  avoir  la  valeur  c  ou  s.  En  effet,  nous 
l'y  trouvons  non  pas  seulement  substitué  à  la  palatale  ou  à  ti 
transformé,  mais  encore  dijot  précédé  de^p  ;  ainsi  : 

1.  V.  pi.  h.,  p.  233  et  117.  J'ai  à  tort  dans  cette  dernière  paru  faire  une 
restriction  pour  le  normand. 

2.  V.  pi.  h.  p.  83. 


—  25^  — 

J.  sacet  50,  2. 

loi.  sacent  v.  3136  ;  reproce  v.  2263. 

>h.  aprocet  v.  119,  398,  etc.  ;  5ac<?^  v.  491. 

L.  Ps.  pruceine  XXI,  1  ;  XLIV,  16,  etc.  ;  reprwceXXI,  6; 
5«ce  XXXVIII,  6;  CXVIII,  125;  sacent  IX,  21  ;  etc. 

L.  R.  aprecerun  p.  46  ;  repruce  p.  64  et  66. 

Or  si  l'on  se  reporte  à  la  série  des  transformations  pi,  pj,  pc, 
c  ou  5,  et  si  l'on  fait  attention  que  le  normand  actuel,  comme  le 
français,  donne  au  c  des  mots  précédents  le  son  ch,  on  ne  pourra 
supposer  qu'il  avait  celui  de  ç  dans  l'ancien  normand  qu'en 
admettant  en  même  temps  qu'après  être  descendu  jusqu'au  son 
pou  5,  il  est  remonté  au  son  ch,  hypothèse  que  rien  ne  justifie, 
et  qui  est  en  contradiction  avec  ce  qui  s'est  passé  dans  cet  idiome. 
D'ailleurs  cette  représentation  du  jot  n'est  pas  particulière  aux 
textes  normands,  on  la  retrouve  aussi  dans  les  textes  picards,  — 
ainsi  dans  Huon,  l'Alexandre,  etc.,  —  où  c  pouvait  avoir,  nous 
avons  vu,  le  son  ch  ;  donc  on  est  en  droit  d'admettre  qu'il  en 
était  de  même  dans  les  premiers  ^ .  Ainsi  on  peut  admettre  que 
dans  les  premiers  textes  où  ch  n'apparaît  point  à  la  place  de 
la  palatale,  celle-ci  n'en  a  pas  moins  pu  avoir  la  valeur  c  ou  5. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  d'une  manière  incontestable  ch 
substitué  à  c  depuis  le  commencement  du  xii®  siècle,  c'est-à-dire 
à  une  époque  au  moins  contemporaine  des  premiers  textes  qui  ne 
i\ous  présentent  pas  cette  notation,  on  ne  peut  donc  rien  conclure 
de  son  absence  dans  ces  textes.  D'ailleurs  cette  circonstance 
qu'on  ne  la  trouve  point  également  dans  tous  les  textes  posté- 
rieurs, et  remontant  à  une  époque  où  ch  représentait  certaine- 
ment le  c  palatal,  nous  montre  que  sur  ce  point  le  caprice  des 
scribes  se  donnait  la  plus  grande  latitude,  et  la  présence 
incontestée  de  ch  dans  un  si  grand  nombre  d'autres  textes 
contemporains  des  premiers  ne  nous  permet  pas  de  douter  qu'il 
n'ait  été  au  Moyen  Age,  comme  depuis,  la  forme  ordinaire  que 
le  c  palatal  a  prise  dans  le  normand,  ainsi  que  dans  le  picard. 

Cette  manière  de  voir  sur  le  traitement  probable  du  c  vélaire 


1.  M.  Ed.  Mail  {Compoz  p.  93)  a  donc  eu  tort  de  voir  une  particularité 
propre  à  l'anglo-normand  dans  cette  représentation  du  jot  transformé  ; 
erreur  d'autant  moins  explicable  que  les  monuments  picards,  comme  je 
l'ai  fait  remarquer,  nous  présentent  le  même  fait,  —  ainsi  saciés  H.  v. 
39,  187,  etc.  ;  rqirocies  id.  62  ;  aprocent  Alix.  Chr.  109,  25,  —  et  qu'on 
trouve  l'une  à  côté  de  l'autre  les  deux  notations  c  et  ch  dans  les  textes 
normands;  par  exemple  sachez  L.  Ps.  IV,  4  et  sacent  id.  IX,  21.  Cf.  G. 
Paris,  Al  p.  88. 


—  252  — 

et  du  c  palatal  dans  le  dialecte  normand  trouve  sa  confirmation 
dans  l'orthographe  d'un  certain  nombre  d'actes  du  temps ,  qui 
présentent  tous  les  caractères  possibles  d'authenticité,  le  plus 
souvent  aussi  dans  la  forme  dès  noms  propres  soit  d'hommes, 
soit  de  villes  ou  de  villages,  ainsi  que  dans  celle  qu'ont  conservée 
généralement  en  anglais  les  mots  les  plus  anciens  empruntés  à  la 
langue  d'oïl  ;  enfin  dans  l'état  actuel  du  normand,  qui  nous  pré- 
sente encore  les  formes  que  je  viens  d'indiquer  comme  étant 
caractéristiques  de  ce  dialecte  dans  le  traitement  des  deux  guttu- 
rales. Dans  l'étude  que  je  ferai  de  ces  diverses  sources  d'informa- 
tion, j'examinerai  à  part  ce  qui  a  trait  au  c  vélaire  et  au  c  pala- 
tal. Commençons  par  le  premier. 

Le  normand  fut  importé  en  Angleterre  avec  la  conquête  et 
déclaré  langue  officielle;  mais  en  même  temps  l'anglo-saxon 
resta  la  langue  de  la  masse  de  la  population  vaincue,  jusqu'au 
jour  où  les  deux  idiomes  se  fondirent  ensemble  pour  former  ce 
qui  est  devenu  la  langue  anglaise.  Mais  avant  cette  fusion,  qui 
ne  s'opéra  que  vers  la  fin  du  xiii"  ou  au  commencement  du 
xiv^  siècle,  des  causes  diverses  s'étaient  réunies  pour  modifier  les 
mots  d'origine  normande,  de  plus  l'anglais  ne  seborna  pasauxmots 
qui  avaient  été  importés  par  la  conquête,  plus  tard  il  en  emprunta 
d'autres  et  non  plus  maintenant  au  normand,  mais  au  français 
lui-même  ;  de  là  les  doubles  formes  de  tant  de  vocables  anglais, 
qui  trahissent  ainsi  leur  origine  différente.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
c  vélaire  a  persisté  en  anglais  dans  les  mots  suivants,  qui  ont 
presque  tous  leur  équivalent  en  normand  : 

caitif,  caldron,  camber^  camel,  camp,  canal  (?),  canker, 
candie,  cant,  cap,  capon,  captain,  car,  carnal,  carry,  car- 
riage,  cart,  carpenter,  carpet  (?),  carrion,  caste,  castle, 
cat,  catch,  coter,  caterpillar,  cattle,  causey,  ^enne/(canile), 
escape,  scald  (*  excaldare),  etc. 

Il  s'est,  au  contraire,  changé  en  ch  dans  les  mots  : 

chafe,  chagrean,  chain,  chair,  chaise,  chalice,  chaldron, 
challenge,  chaynber,  champaign,  chance,  chandler,  chan- 
nel,  change,  chant,  chape,  chapter,  charge,  charra,  char- 
nel, chart,  chase,  charte,  cheer  (caram),  cherish,  cheveril, 
chevron,  chief,  chimney,  chivalry,  choir,  choice,  etc. 

Comme  je  l'ai  dit,  nous  avons  là  évidemment  des  mots  d'ori- 
gine différente,  ou,  —  ce  sont  les  derniers,  —  qui  ont  été  modi- 
fiés depuis  leur  adoption  sur  le  sol  même  de  l'Angleterre.  Un 
vocabulaire  français-hébreu,  composé  vraisemblablement  dans 
la  première  moitié  du  xui®  siècle,  et  publié  récemment,  d'après 


—  253  — 

une  copie  faite  par  M.  Ad.  Nenbauer  sur  le  manuscrit  135  i. 
286-292  de  la  Bibliothèque  Bodleienne,  par  M.  E.  Boehmer  dans 
ses  «  Romanische  Studien  »,  nous  montre,  en  effet,  qu'à  cette 
époque  la  vélaire  persistait  encore  dans  bon  nombre  de  mots  où 
elle  s'est  depuis  changée  en  ch.  Si  quelques  mots  paraissent  dou- 
teux sous  la  forme  bizarre  dont  l'éditeur  les  a  affublés,  il  est  peu 
probable  néanmoins  qu'il  se  soit  souvent  trompé  dans  la  trans- 
cription des  gutturales,  on  peut  donc  les  accepter  telles  qu'il 
nous  les  donne.  Voici  les  résultats  que  nous  fournit  l'examen  de 
ce  dictionnaire  : 


c  =  K 

ankartrets  32,  513. 

atakeiret  ii30, ataker et  iib6. 

blanhes  584. 

boke  915. 

branke  573,  709,  791,  982,  — 

ebrankoiet  922. 
brekes  (favos)  972. 
campagne  519. 
kaufre  515,  —  kaufres  535. 

Aan^250,  310,  312,  313,  858. 


c  =  CH 


branches  132. 
brèche  235. 


kartre  543. 


kaverent  334. 

cavestre  106,  —  kabistre  397. 

kemins  689,  —  keminets  819. 

kebal  818. 

kevriel  941,  —  kevries  959.       chievre  243. 

kiefdl. 

koekaiiO. 

demarkiets  189.  - 

detranketz   344,   —  detran-  - 

kera  474. 
ekafeiret  736.  echaufa  380,- 

ekaperaill, — ekaperet  iOOO.  echapa   348, 

1148. 


changea  328. 

chans  113,  331,   —  chanta 

111,  —  chantant  280. 
charbon  1039. 
chardon  156. 
charma  587. 

chastia  258. 
chaveret  563. 


-echafets  142. 
—  echaperas 


—  254  — 

elaka  1031 elakera  508.  — 

TYianake  p.  manke  (manicam)  732.  — 

markandise  643.  — 

pankant  703.  — 

roke  937,953.  — 
seka  771.                                   sécha  215. 

takes  526.  — 

tserkier  575,  --  tserkes  247.  — 

—  tocheiret  1132,  1157. 

Ainsi  nous  trouvons  dans  ce  vocabulaire  soixante-huit  exem- 
ples et  vingt-neuf  mots,  dont  tous,  trois  exceptés,  existent 
aujourd'hui  encore  dans  le  patois  normand,  où  la  vélaire  a  per- 
sisté, et  vingt  exemples  seulement,  avec  quatorze  mots,  dont 
aucun  n'est  normand,  où  elle  est  remplacée  par  ch.  Si  ce  voca- 
bulaire est  bien,  comme  cela  est  vraisemblable,  d'origine  anglo- 
normande,  nous  avons  ici  une  preuve  directe  de  la  persistance  de 
la  vélaire,  ainsi  que  du  double  emploi  des  formes  en  k  et  en  ch, 
dont  les  textes  normands  firent  usage  de  si  bonne  heure. 

Une  troisième  preuve  de  la  persistance  de  la  vélaire  dans  l'an- 
cien normand  nous  est  fournie  par  l'examen  des  rôles  de  l'échi- 
quier de  Normandie  ^  ;  nous  la  retrouvons ,  en  effet,  dans  les 
noms  propres  de  pajs  suivants,  dont  la  plupart  l'ont  conservée 
jusqu'à  nos  jours  : 


Cadomus 

Caletum 

Cahannes 

Calgeium 

Caldecota 

Cambremer 

Camilleium 

Campus  Arnulphi 

Campigneium 

Canapville 

Caneium 

Canovilla 

Cantalapum 


Caen 

Caux 

Cahagnes 

Caugy 

Caudecote 

Cambremer 

Camilly 

Cambernon 

Campigny 

Canapville 

Cany 

Canoville 

Canteloup 


Carabillon 

Cardonvilla 

Carevilla 

Garentonum 

Carroges 

Carteret 

Casnetum 

Castilleium 

Cathburgus 

Fescanum 

Grandis  campus 

Tolcam 


Carabillon 

Cardonville 

Carville 

Carentan 

Carrouges 

Carteret 

La  Kaîne 

Castillan 

Cabourg 

Fécamp 

Grancmnp 

Touque 


Au  contraire,  le  c  vélaire  s'est  changé  en  ch  dans  : 
Abrincas  Avranches        Calceium  Chaussey 


1.  Magni  rotuli  scaccarii  Normanniœ  sub  regibus  Angliœ.  2  v.  in-8°. 


—  255  — 

Cambaium         Chambois  (o.)  Carushurgus     Cherbouy^g^ 
Gantalupura       Chanteleu  (o.)  Clincampus        Clinchamp 

Tout  précieux  que  soient  ces  renseignements,  ils  ne  sont  pas 
les  seuls  qui  nous  montrent  comment  l'ancien  normand  traitait 
le  c  vélaire,  et  nous  en  trouvons  dans  les  actes,  comptes,  etc., 
de  la  même  époque  de  plus  complets  et  de  non  moins  certains, 
qui  nous  permettent  en  même  temps  de  suivre  le  travail  de  trans- 
formation auquel  était  soumis  ce  dialecte,  ou  plutôt  le  mélange 
sans  cesse  croissant  des  formes  françaises  aux  formes  nor- 
mandes dans  les  monuments  écrits. 

La  plupart  des  pièces  que  j'ai  consultées  pour  ce  travail  de 
comparaison  se  trouvent  dans  trois  publications,  dues  toutes  trois 
au  zèle  infatigable  de  M.  LéopoldDelisle,  et  qui  ne  sont  pas  moins 
précieuses  pour  la  connaissance  du  dialecte  parlé  en  Normandie 
que  pour  l'histoire  politique  et  sociale  de  cette  province  ;  c'est  par 
ordre  de  date  :  1°  les  «  Etudes  sur  la  condition  de  la  classe  agri- 
cole et  de  l'état  de  l'agriculture  en  Normandie  »,  (Evreux  1851); 
2°  r  «  Histoire  du  Château  et  des  Sires  de  Saint-Sauveur  le  Vi- 
comte »,  (Valognes  1867)  ;  enfin  3°  les  «  Actes  normands  de  la 
Chambre  des  Comptes  sous  Philippe  de  Valois  »,  (Rouen  1871). 
Si  cette  dernière  publication  est  trop  récente  pour  avoir  pu  éclai- 
rer les  linguistes  qui,  dans  ces  dernières  années,  se  sont  occu- 
pés du  dialecte  normand,  il  est  surprenant  que  les  nombreux 
documents  contenus  dans  la  première,  —  laquelle  remonte  à  plus 
de  vingt  ans,  —  n'aient  point  jusqu'ici  fait  soupçonner  un  des  ca- 
ractères les  plus  essentiels  de  ce  dialecte  ;  ils  ne  pouvaient  ce- 
pendant, comme  on  va  voir,  laisser  de  doute  à  cet  égard. 

Ce  qui  frappe  dans  les  actes  publiés  par  M.Léopold  Dehsle,  et 
dans  tous  ceux  de  même  origine,  c'est,  je  l'ai  déjà  dit,  le  carac- 
tère mixte  de  la  langue  ;  les  formes  normandes  j  sont  plus  ou 
moins  nombreuses,  mais  jamais  presque  elles  n'y  sont  employées 


1.  On  a  proposé  parfois  pour  Cherbourg  l'étymologie  de  Cesaris  burgus, 
c'est  en  particulier  celle  que  donnent  les  «  Rotuli  scaccarii  Normanniae  » 
et  j'ai  hésité  d'abord  entre  cette  étymologie,  quelque  invraisemblable 
qu'elle  fût,  et  Carus  burgus;  mais  la  prononciation  Kierbourg  ou  Tchierbourg 
que  j'ai  entendue  dans  un  voyage  que  je  viens  de  faire  en  Normandie  ne 
permet  pas  de  douter  que  le  ch  de  Cherbourg  ne  représente  un  c  vélaire, 
et  que  ce  mot  ne  vienne  de  carus  burgus  et  non  de  Cesaris  burgus  ;  ce 
qui  surprendra  d'autant  moins  que  le  xnoiUei-  (carus)  n'a  point  persisté, 
que  je  sache,  dans  le  normand,  et  que  le  c  vélaire  s'y  est  en  général 
transformé  en  chuintante  toutes  les  fois  que  l'a  suivant  a  fait  place  à 
la  diphthongue  ié. 


—  256  — 

exclusivement,  et  souvent  même  elles  ont  complètement  disparu 
pour  faire  place  uniquement  aux  formes  françaises.  Ce  qui  au 
reste  détermine  le  degré  de  pureté  plus  ou  moins  grand  de  ces 
documents,  c'est  moins  l'époque  où  ils  ont  été  écrits,  —  quoi- 
qu'on général  les  plus  anciens  soient  aussi  ceux  qui  ont  conservé 
le  plus  de  caractères  dialectaux,  —  que  leur  origine  plus  ou 
moins  populaire  ;  les  actes  oflSciels  les  plus  vieux  que  nous  ayons 
sont  déjà  presqu  exclusivement  français  ;  les  comptes  d'ouvriers 
les  plus  récents,  au  contraire,  les  inventaires  de  choses  usuelles, 
renferment  de  nombreuses  formes  normandes;  mais,  comme  je 
l'ai  remarqué,  ces  formes  n'apparaissent  pas  seules,  elles  sont 
plus  ou  moins  mêlées  de  formes  françaises ,  comme  si  elles 
étaient  autant  de  fautes  échappées  à  l'ignorance  du  scribe,  et 
qu'on  ne  rencontre  pas  sous  des  plumes  plus  instruites.  On  sent 
qu'il  y  a  là  deux  langues  en  présence,  l'une  populaire  et  pros- 
crite, l'autre  savante,  et  qui  tend  à  s'imposer ,  et  cela  est  si  vrai 
que  ce  ne  sont  pas  seulement  les  formes  particulières  des  deux 
gutturales  qui  tendent  à  disparaître,  la  diphthongue  ei,  carac- 
téristique du  dialecte  normand  et  en  général  des  idiomes  de 
l'Ouest,  laquelle  s'est  conservée  sans  altération  ou  tout  au  plus 
en  se  changeant  en  e  fermé  jusqu'à  nos  jours,  a  fait  place  pres- 
que partout  à  la  diphthongue  oi.  Cette  transformation  est  excep- 
tionnelle dans  les  anciens  monuments  poétiques  d'origine  nor- 
mande, ou  même  elle  y  est  complètement  inconnue  ;  aussi  il  ne 
faut  pas  douter  que  si  les  actes,  comptes,  etc.,  que  nous  avons 
dans  ce  dialecte,  remontaient  à  une  date  plus  reculée  —  les  plus 
vieux  sont  de  la  fin  du  xiif  siècle  et  la  plupart  ne  datent  que  du 
xiv^  ou  même  du  xv'*  siècle  —  nous  y  retrouverions  avec  la  diph- 
thongue ei  presque  disparue,  plus  régulièrement  encore  les  for- 
mes normandes  des  deux  gutturales.  Quoiqu'il  en  soit,  voici  les 
résultats  que  nous  donne  sur  le  traitement  du  c  vélaire  l'examen 
des  documents  dont  j'ai  parlé. 

Les  chartes  contenues  dans  l'histoire  du  château  de  Saint- 
Sauveur  étant  peu  anciennes,  et  la  vélaire  ne  s'y  trouvant  con- 
servée d'une  manière  authentique  que  dans  le  moi  per que  (quit- 
tance de  1361),  je  les  laisse  de  côté  pour  arriver  aux  pièces 
justificatives  données  à  la  suite  ou  dans  le  cours  des  «  Etudes 
sur  la  condition  de  la  classe  agricole  en  Normandie  »  ;  dans  ces 
documents  c  persiste  dans  les  mots  suivants  : 

caeres  (Bretteville  près  Caen,  1307). 

calenges  (Mesnil-Ogier). 

candele  (Fierville,  Mesnil-Ogier). 


—  257  — 

Canduele  (cartulaire  de  Troarn). 

cans  (Quiévreville  près  Darne tal). 

canvres  (Ros  près  Caen). 

capons  (Mesnil-Ogier). 

Cardin  {UQi). 

carete  (Périers,  1291.)  —  karete  (id.  Daubeuf)  quatre  fois. 

carier  (Daubeuf). 

carne  (Périers,  1291 .  —  Bouquelon.  —  Quiévreville)  5  fois. 

carpenterie  (        id.  id.         ) 

Cateville{TvodiTn). 

cauchie  (Périers,  1291). 

forques  (Cartulaire  de  Troarn).  —  four  que  (Darnetal). 

perque{s)  (Périers,  1291. — Saint-Sauveur,  1391.  —  Troarn). 

pesquerie  (Saint-Sauveur). 

quareste  (Darnetal).  —  quaretés  (Caen,  1307). 

quemin  (Neuville).  —  queminage  (1401). 

quevron  (Inv""®  du  Temple  de  Breteville,  1307). 

On  trouve  également  avec  le  g  vélaire  : 

gardin  (Troarn),  garbe  (Daubeuf). 

L'examen  des  «  Actes  normands  »  est  encore  plus  instructif 
que  celui  des  pièces  justificatives  des  «  Etudes  »  .par  le  grand 
nombre  de  formes  vraiment  normandes  qu'on  y  rencontre  ;  on  y 
voit  d'ailleurs,  comme  dans  les  chartes  que  j'ai  déjà  étudiées,  les 
formes  françaises  se  substituer  à  chaque  instant  aux  formes  nor- 
mandes de  la  gutturale  ;  et,  ce  qui  est  frappant,  cette  substitution 
a  lieu  non-seulement  pour  les  noms  communs,  mais  encore  dans 
les  noms  propres,  menacés  par  là  de  perdre  leur  forme  originelle; 
nous  assistons  ainsi,  soit  à  leur  transformation  définitive ,  soit 
aux  tentatives  de  transformation  dont  ils  ont  été  l'objet.  Cepen- 
dant malgré  cette  invasion  des  formes  françaises,  les  mots  vrai- 
ment normands  abondent  encore  dans  les  Actes,  comme  on 
peut  le  voir  par  la  liste  suivante  tirée  des  cent  premiers  et  du 
deux  cent  neuvième,  qui  est  le  compte  des  réparations  faites  au 
château  de  Cherbourg  : 

acarier  84  (1338,  Caen). 

bretesques  209  (1348,  Cherbourg)  huit  fois. 

broques  43  (1334,  Pays  d'Auge). 

canga  209  (1348,  Cherbourg). 

caulate  43  (1334,  Pays  d'Auge). 

cantier  84  (1338,  Caen)  deux  fois. 

capiaux  46  (1334,  Rouen),  88  (1338,  Ronfleur). 

çarbon  209  (1348,  Cherbourg).  —  carbonier  (id.) 

n 


—  258  — 

quarete  39  (1333,  Saint-Pierre  d'Arthenay). 

quaretère  {ià.,  id.) 

quarue      (id.,  id.) 

carpenter  83  (1338,  Rouen). 

carpenterie  52  (1336,  Rouen).  —  84  (1338,  Caen).  —  209 
(1348,  Cherbourg). 

carpentier  83  (1338,  Rouen).  —  84  (1338,  Caen)  six  fois. 
—  209  (1348,  Cherbourg)  deux  fois. 

castelain  QQ  (1337,  Pont-Audemer). 

castellerie  AS>  {\'d2>h). 

cauchier  83  (1338,  Rouen). 

cauœ  84  (1338,  Caen). 

clenques  209  (1348,  Cherbourg). 

coses  91  (1338,  Ronfleur). 

croques  20^  (1348,  Cherbourg). 

planquéier  {ià.,  id.) 

queez  39  (1333,  Saint-Pierre  d'Arthenay). 

quesne  75  (1337,  Amfreville)  trois  fois. 

quevilles  209  (1348,  Cherbourg)  quatre  fois. 

quevron  43  (1334,  Auge).  -  52  (1336,  Rouen)  5  fois.  — 
209  (1348,  Cherbourg)  trois  fois. 

requeviller  209  (1348,  Cherbourg). 

requevronner    (id.,  id.) 

De  même  dans  les  noms  propres  d'hommes  suivants  : 

Robert  le  Canu  39  (1333,  Saint-Pierre  d'Arthenay). 

Jehan  de  la  Capelle  (id.,  id.) 

Cauchie  83  (1338,  Rouen). 

Carpentier  53  (1336,  Ronfleur). 

Du  Quesne  43  (1334,  Pays  d'Auge). 

Ricart  Auberi  39  (1333,  Saint-Pierre  d'Arthenay). 

Ainsi  que  dans  les  noms  de  localités  ; 

Caen,  Camhes,  Camilly,  84  (1338,  Caen). 

Karenten  (Carentan),  39  (1333). 

Castillon^{i'^21,  Caen). 

CauquegmjS  (1331,  Cotentin). 

Planques  (Bois  des)  75  (1337,  Amfreville). 

Perquerie  3  (1328,  Caen). 

On  voit  par  ce  qui  précède  combien  souvent,  dans  des  actes 
semi-officiels,  la  gutturale  vélaire  persistait  encore  au  xrv*"  siècle, 
près  de  cent  cinquante  ans  après  la  réunion  delà  Normandie  à  la 
France  ;  et,  si  elle  a  disparu  avec  les  autres  caractères  du  nor- 
mand de  la  langue  des  lettrés  pour  faire  place  à  ch,  le  peuple  ne 


—  259  — 

l'en  a  pas  moins  conservée  fidèlement  jusqu'à  nos  jours  ;  il  y  a 
plus,  elle  s'est  maintenue,  comme  nous  avons  vu,  dans  le  plus 
grand  nombre  des  noms  de  localités  où  l'influence  française  n'a 
pas  réussi  à  la  modifier. 

Mais  si  les  gens  cultivés  rejetèrent  de  bonne  heure  la  vélaire 
dans  les  mots  où  le  normand  la  conservait,  on  n'ignorait  pas 
pour  cela  que  cette  conservation  était  un  des  caractères  de  ce 
dialecte,  et  il  ne  manqua  pas  d'écrivains  qui,  au  besoin,  se  ser- 
virent à  dessein  des  formes  où  elle  subsistait  ;  c'est  ainsi  qu'au 
XV®  siècle  l'auteur  de  la  «  Farce  de  maître  Pathelin  »  met  dans 
la  bouche  de  son  principal  personnage  qui  feint  la  folie  les  mots 
normands  ataque,  vaque,  mousque,  che  : 

Les  playes  Dieu  !  qu'est-ce  qui  s'ataque 
A  men  cul  !  Est  ctie  or  une  vaque, 
Une  mousque  ou  ung  escarbot  ?  * 

Plus  tard,  en  plein  xvif  siècle,  L.  Ferrand,  l'auteur  de 
r  «  Inventaire  de  la  Muse  normande  »,  ne  dédaigna  point  non 
plus  l'emploi  de  formes  normandes  en  ka,  ké,  tout  en  se  servant, 
il  est  vrai^  concurremment  des  formes  françaises  ;  ainsi  on  trouve 
dans  les  deux  premières  pièces  de  vers  de  l'Inventaire  :  eplu- 
queucc,  recachez,  caude,  cauffer,  quesne  et  fîquée  qu'il  fait 
rimer  assez  singulièrement  avec  affichée.  Dans  sa  «  Muse  nor- 
mande »,  Louis  Petit  a  fait  un  plus  grand  emploi  encore  des 
mots  normands  où  persiste  la  vélaire  ;  ainsi  :  cauche,  capel, 
queveus,  caus,  refique,  fieques,  breques,  quien  (canis),  etc. 

Ainsi  il  résulte  de  l'étude  attentive  des  anciens  monuments  du 
dialecte  normand  que  malgré  les  traces  d'altération  qu'ils  pré- 


l,  La  Farce  de  maître  Pathelin  avec  traduction,  p.  p.  M.  Ed.  Fournier. 
Acte  II,  scène  V, 

Celuy  qui  l'apprint  a  l'escole 

Estoit  Normand  :  ainsi  avient 

Qu'en  la  fin  il  luy  en  souvient, 
dit  Guillemette  qui,  plus  habile  que  la  plupart  de  nos  linguistes,  recon- 
naît aussitôt  dans  le  langage  de  Pathelin  les  caractères  distinctifs  du 
normand.  Cependant  je  doute  que  ail  fût  encore  la  l'orme  normande  au 
xv"  siècle;  de  plus  il  faudrait  qu'est  che,  non  qu'est-ce;  mais  pourquoi 
M.  Ed.  Fournier  a-t-il  remplacé  che  par  ce  dans  le  est-ce  une  vaque  ?  de 
sa  traduction?  et  pourquoi  écrit-il  mouche  et  non  pas  môque'i  Faire  dire 
après  cela  à  Guillemette  que  le  «  jargon  »  de  Pathelin  est  normand  est 
tout  à  fait  absurde.  La  môme  observation  s'appliquerait  à  plus  forte 
raison  à  la  traduction  de  la  tirade  picarde  qui  précède,  et  où  l'on  cher- 
cherait en  vain  trace  des  formes  caractéristiques  de  ce  dialecte. 


—  260  — 

sentent  si  souvent,  malgré  l'emploi  que  certains  scribes  ont  fait  à 
dessein  de  formes  françaises,  nous  y  retrouvons  cependant  par- 
tout où  la  langue  a  conservé  son  caractère  original  et  populaire 
le  c  vélaire  persistant  comme  en  picard.  Cette  conclusion  trouve 
sa  confirmation  la  plus  complète  dans  la  forme  actuelle  des  vo- 
cables soit  propres,  soit  communs,  qui  appartiennent  à  ces  deux 
dialectes. 

J'ai  déjà  parlé  des  anciens  noms  de  pays  normands  et  nous 
avons  vu  que  la  plupart  ont  gardé  le  c  vélaire  sans  modification  ; 
inutile  de  dire  qu'il  en  est  de  même  en  picard,  et  les  deux  dialectes 
offrent  sur  ce  point  l'accord  le  plus  complet.  C'est  ce  que  montre 
le  tableau  suivant,  où  sont  réunis  un  certain  nombre  de  noms  de 
pays  d'origine  analogue  ou  identique  : 


Cagny  (c.) 
Cahagnes  (c.) 
La  Caine  (c.) 
Cambernon  (m.) 
Cmnhremer  (c.) 
Cmnemhert  (c.) 
Çampeaux  (c.) 
Campigny  (c.) 
Canapville  (c.) 
Canchy{c.) 
Canisy  (m.) 
Canteleu  (s.-i.) 
Cardonville  (c.) 
Car  piquet  (c.) 
Carter  et  (m.) 
Carville  (c.) 
Castillon  (c.) 
Le  Catelier  (s.-i.) 
Caumont  (c.) 
Cauville  (c.) 


Cagny  (s.) 
Cahon  (s.) 
Caisne  (o.) 
Cambron  (a.) 
CambyHn  (p.-d.-c. 
Camelin  (a.) 
Çampeaux  (o.) 

Canaples  (s.) 
Canchy  (s.) 
Canisy  (s.) 
CanteleuûG  (n.) 
Cardonville  (s.) 
Carrepuis  (s.) 
Cartignies  (n.) 
Carvin  (p.-d.-c.j 
Le  Cateau  (n.) 
Le  Catelet  (a.) 
Caumont  (s.) 
Cauvigny  (o.) 


Cliagny  s.  l. 
Cliahaignes  Sart. 

Chambry  s.  m. 
)  Chambrey  Meur. 
Chamelet  r. 
Champeaux  s.  m. 
Champigny  y. 

Chance  i.  l. 

Chanteloup  i.  l. 
Chardonnay  s.  l. 
Charpentry  Meuse. 
Chartrettes  s.  m. 
Charvin  i. 
Chatillon  s.  o. 
Chatelet  s.  m. 
Chaumont  Marne. 
Chauvigny  v.  ^. 


Quant  aux  noms  propres  de  personne,  nous  avons  vu  aussi 
que,  malgré  les  hésitations  de  la  langue,  la  vélaire  a  le  plus 


1.  Dans  la  colonne  normande,  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire,  G. 
signifie  Calvados;  E.  Eure  ;  M.  Manche  ;  0.  Orne  ;  S.-I.  Seine-Inférieure; 
dans  la  colonne  picarde,  A.  désigne  le  département  de  l'Aisne;  N.  celui 
du  Nord  ;  0.  celui  de  l'Oise,  au  nord  duquel  l'influence  picarde  se  fait 
encore  sentir  ;  P.-d.-C  celui  du  Pas-de-Calais,   et  S.  celui  de  la  Somme. 


—  26i   ~ 

souvent  persisté  en  normand  ;  il  en  a  été  de  même  encore  natu- 
rellement en  picard.  Le  tableau  suivant  montrera  quel  accord 
règne  entre  les  deux  dialectes  dans  la  plupart  des  noms  de  cette 
nature,  communs  à  l'un  et  à  l'autre. 


Campie 

Canu 

Capelle 

Carbonel 

Cardin{e) 

Cardon 

Caron 

Carpentier 

Câtel  1 

Cauchois 

Cawnont 

Cauvin 

Du  Quesne 

Le  Marcand 

Labreque 

Planquette 

Vaquerie 


Canut 

Capelier 

Carbonnier 

Cardine 

Cardon 

Caron 

Carpentier 

Caucheur 

Cawnont 

Calvin 


Champy 

Chenu 

Chapelle 

Charbonnier 

Chardin 


Charpentier 
Ghâtel 

Chaumont 

Chauvin 

Duchêne 

Le  Marchand 


De  le  Planque  ('li.  A.  Planche 
Vaquerie  Cart.  A.  —      etc. 

Quelques-uns  de  ces  noms  ont  en  normand,  toutefois  à  côté 
de  la  forme  ca,  une  forme  en  ch,  également  indigène,  mais 
évidemment  plus  moderne;  ainsi  Chauvin  (Orne)  à  côté  de 
Cauvin  (Calvados),  Chaumont  et  Caumont  (Calv.),  Le  Mar- 
cand et  Le  Marchand  (id.),  Chartier  (Alain)  xv**  siècle  et  Le 
Carretier  (Guillaume)  son  ancêtre,  notable  de  Bayeux  en  1309, 
etc. 

Les  noms  communs  ne  nous  montrent  pas  un  accord  moins 
grand  dans  la  persistance  de  la  vélaire  en  normand  et  en  picard  ; 
le  tableau  suivant  en  est  la  preuve  ^  : 

1.  La  vraie  forme  populaire  estCaté. 

2.  Les  mots  picards  sont  tirés  du  dictionnaire  de  Gorblet,  les  mots 
rouchis  de  celui  de  Hécart;  pour  les  mots  normands,  B.  indique  ceux 
qui  sont  plus  particulièrement  propres  au  Bessin,  c'est-à-dire  à  l'arron- 
dissement de  Bayeux,  je  les  ai  recueillis  moi-même;  G.  désigne  Guer- 
nesey,  les  mots  du  patois  de  cette  île  sont  donnés  d'après  Métivier  ;  C 
veut  dire  Gotentin  ;  S.-L  indique  la  Seine-Inférieure;  les  mots  de  cette 
région  sont  tirés  surtout  du  Dictionnaire  de  Décorde.  J'ai  conservé  aux 
mots  normands  du  Bessin  leur  r  final,  quoique  cette  consonne  soit 
entièrement  muette  aujourd'hui  ;  v.  veut  dire  vieux. 


—  262  — 

LAT. 

NORM. 

PIC. 

FR. 

adcaptare 

acatair  g. 

acater 

acheter 

*  blancam 

Manque  v. 

blanke 

blanche 

brancam 

hranque  b. 

branke 

branche 

brecha  a.  ail. 

brèque  b. 

brehe 

brèche 

broccam 

broque  b. 

broque 

broche 

*boscam 

bûque-Q. 

bûke 

bûche 

buccam 

bouque  s.  i. 

bouke 

bouche 

caballum 

g'va  s.  I. 

g'vau 

cheval 

cadere 

quaie  c. 

càïr,  kier 

choir 

*  caditinas 

quaitinesB.  g 

1            

— 

calcare 

cauquer  b. 

cauquer  r. 

chausser  v. 

calcem 

cas  B.  ^,  causG.caus 

chaux 

calciatam 

cauchie  g. 

cauchie 

chaussée 

calciam 

cauche  b. 

cauche 

chausse 

calidum 

câ  B.,  caud  G. 

caud 

chaud 

*calidronem 

caudron  b. 

caudron 

chaudron 

calefacere 

cauffer  b. 

cauffer 

chauffer 

*  calumniare 

calenger  ^  b. 

calenger 

challonger  v 

cameram 

cambre  c. 

cambre 

chambre 

caminum 

que^nin  b. 

kemin 

chemin 

camisam 

queminse  b. 

kemise 

chemise 

campum 

caynp  b. 

camp 

champ 

caiidelam 

candelle  b. 

candelle 

chandelle 

canem 

quien  s.  i. 

kien 

chien 

cannabem 

cambreB.canvreo.canve 

chanvre 

cantare 

canter  v. 

canter 

chanter 

cantionem 

canchon  s.-i. 

canchon 

chanson 

cantum 

can{t)  B. 

— 

champ 

canteUum 

c«n^e  B. 

cantieu 

chanteau 

capeUum 

c^'jîe  B, 

capiau 

chapeau 

capillum 

^'t;ew  B. 

g'veu 

cheveu 

cattam  i^îlosam  capleuse  b. 

capleuse 

— 

capsam 

ca55e  G. 

casse 

châsse 

captiam 

cache  b. 

cavhe 

chasse 

captiatorem 

cachoux  B. 

cacheux  r. 

chasseur 

captivum 

cai^z5  V. 

caitis 

chétif 

1.  Nom  qu'on  donne  en  général  en  Basse-Normandie  aux  pommes 
tombées  avant  la  maturité. 

2.  E  il  fist  cax  e  pierre  atraire.  Rou,  v.  10211. 

3.  Obtenir  par  dessus  le  marché  dans  le  Bessin,  chicaner  d'après  Corblet 
en  Picardie. 


p 

^^^B    — 

263  — 

^^^^^RH 

carbonem 

querbon  b. 

Carbon 

charbon 

cardonera 

cardron  b. 

cardon 

chardon 

*  carrettam 

quérette  b. 

carette 

charrette 

carricare 

quérier  b. 

carrier 

charrier 

carriicam 

quérue  b. 

kérue 

charrue 

carnem 

carne  b. 

carne 

chair 

*carpentam 

querpente  b. 

carpente 

charpente 

*cascunum 

— 

cacun 

chacun 

casis 

quieux  b. 

— 

chez 

*  casnum 

quêne  b. 

quêne 

chêne 

castellum 

câté  b. 

castel 

château 

catenam 

caîneB. 

caîne 

chaîne 

cathedram 

caire  b. 

kère 

chaire 

catulire 

catouiller  b. 

catouiller 

chatouiller 

cattum 

cat  B. 

cat 

chat 

causara 

cose  V. 

cose 

chose 

*  caviculam 

g' ville  B. 

g'ville 

cheville 

cloccam 

cloque  B. 

cloke 

cloche 

*  ficare 

fiquier  b. 

fiker 

ficher 

forcam 

fouorque  b. 

fourke 

fourche 

hanke  a.  ail. 

hanque  b. 

hanque  v. 

hanche 

*jucare 

juquier  b. 

juker 

jucher 

laxare(lascare)/«gia'(?r  b. 

lâker 

lâcher 

masticare 

mâquier  b. 

maker 

mâcher 

muscam 

moque  b. 

mouke 

mouche 

perticam 

perque  b. 

percot 

perche 

piscare 

pêquier  b. 

pêquer  r. 

pêcher 

plancam 

planque  b. 

planke 

planche 

pocca  a.  s. 

pouque  b. 

— 

poche 

*  roccam 

roque  b. 

roke 

roche 

ruscam 

ruque  b.  G. 

ruque  r. 

ruche 

scalam 

équelle  b. 

ékelle 

échelle 

*taccara 

te^we  b. 

take 

tache 

*  tascam 

^«^we  B. 

tâque  R. 

tâche 

tincam 

tanque  b. 

— 

tanche 

vaccam 

vaque  b. 

îjagwe 

vache 

On  le  voit,  le  c  vèlaire  suivi  de  «  a  conservé  sa  valeur  guttu- 
rale en  normand  et  en  picard,  au  commencement  et  au  milieu  des 
mots,  quand  il  est  appuyé,  c'est-à-dire  précédé  d'une  autre  con- 
sonne, que  a  ait  été  d'ailleurs  conservé  ou  qu'il  se  soit  changé 
en  e,  peu  importe.  Il  en  a  été  de  même  en  général  du  g  vélaire, 


—  264  — 

c'est-à-dire  qu'il  persiste  dans  ces  deux  idiomes,  tandis  qu'il  se 
change,  au  contraire,  en  ^  ou  ^  dans  les  autres  dialectes  de 
la  langue  d'oïl. 

LAT.-ALL.  NORM.  PIC.  FR. 

garten  al.  gardiriB.  gardin,guerdinisiYàm 

*gabatam  gatte  b.  gatte  jatte 

galbinum  gaune  A.  N.  gane  jaune 

garba  al.  guerbeB.  garbe,  guerbe  gerbe 

gâr  br.  guéret  b.  garet,  guéret  jarret 

gaudium  goie  l.  Ps.  —  — 

*allongare  allonguerB.  —  allonger 

muosgadam  a.h.a.  wz^oe^  B.  —  migeotn.M. 

Il  en  est  de  même  des  mots  suivants  où  c  s'est  changé  en  ^,  et 
a  été  traité  comme  tel  : 

cambam  gambe  gambe  jambe 

*capellam  gavelle  gavelle  javelle 

caveolam  —  gayolle  geôle 

Tandis  que  le  c  vélaire  a  conservé  ainsi  dans  les  deux  grands 
dialectes  du  Nord-Ouest  de  la  France  sa  valeur  gutturale,  il 
semble,  à  une  époque  de  la  langue,  avoir  éprouvé  une  ten- 
dance à  s'affaiblir,  dans  le  normand  du  moins,  en  g  ;  on  trouve 
dans  le  Roman  de  Rou  :  Nabugodonosor  v.  29,  galice  (cali- 
cem)  V.  1602,  etc;  Nigaise,  dans  l'Inventaire  de  la  Muse  nor- 
mande ;  Métivier  donne  ganif,  haguer  (haquer,  couper  à  coup 
de  hache)  comme  étant  du  patois  de  Guernesey  ^. 

Mais  à  tout  prendre  ces  exemples  sont  peu  nombreux.  Quant 
au  changement  de  c  en  g,  qui  a  lieu  en  normand,  et  surtout  en 
picard,  quand  c  est,  par  suite  de  la  chute  de  e,  suivi  de  v,  comme 
dans  g'va,  g'veu,  g'ville,  il  tient  uniquement  à  l'impuissance 
où  l'on  est  de  prononcer  la  sourde  ^  ou  c  devant  la  sonores,  il  n'y 
a  donc  là  qu'une  transformation  apparente,  aussi,  bien  que  Cor- 
blet  et  Diez  après  lui  en  puissent  penser,  je  crois  que  le  c  repa- 
raît quand  Ye  ne  tombe  pas,  et  qu'on  doit  dire  et  écrire  queva 
ou  kevau  et  non  gueva  ou  guevau,  etc. 

Quelque  générale  toutefois  que  soit  en  normand  et  en  picard  la 
persistance  de  la  vélaire  dans  les  noms  communs,  eUe  n'y  est 

1.  Fruitier.  Cf.  musgode  {Alexis  bl,iL);  migoe  (pomarium),  Gloss.  lat..fr. 
n-  7692  (Sitzungsb.  d.  kœnig.  bay.  Akad.  d.  "Wiss.  zu  Mûnchen,  1868,  I, 
132).  Cf.  Al.  p.  182  et  Rom.  II,  85. 

2.  Quelque  chose  d'analogue  a  eu  lieu  dans  le  patois  poitevin  d'après 
Favre,  qui  toutefois  ne  donne  pour  exemple  que  gouhime. 


—  265  — 

pas  plus  absolue  que  dans  les  noms  propres,  et  parfois  le  c  a  dû 
céder  la  place  à  la  chuintante  ch  ou  j".  Ainsi  dans  le  patois  nor- 
mand du  Bessin  on  dit  plus  souvent  fva  que  g'va  (cheval)  ;  je 
ne  connais  aussi  pour  dire  viande  que  le  mot  chai,  —  carne 
qui  s'estconservéaunsens  tout  différent,  il  signifie  mauvaise  bête, 
en  particulier  mauvais  cheval. —  De  même  chié  a^^m  parse  sub- 
stituer à  kier  ou  quier  (carum),  etc.  ^  Le  ^  vélaire  de  galhinum, 
a  cédé  également  la  place  auj  dans^awne  ov^jàne,  seul  mot  que 
j'aie  jamais  entendu.  Le  picard  offrirait  des  faits  analogues. 

Il  peut  se  faire  que  quelques-uns  des  mots  exclusivement  nor- 
mands ou  picards  qui  présentent  la  forme  ch  soient  des  emprunts 
plus  ou  moins  modifiés  faits  au  français,  mais  il  est  probable 
aussi  que  dans  plusieurs  la  forme  ch  s'est  développée  spontané- 
ment à  la  suite  de  la  modification  de  la  voyelle  suivante,  et  dans 
ce  cas  il  ne  faut  voir  dans  ch  que  l'affaiblissement  de  la  forme 
plus  complète  tch.  Cette  dernière  se  rencontre  d'ailleurs,  et  non 
seulement  à  la  place  de  c  suivi  de  a  étymologique,  mais  encore 
de  cette  gutturale  suivie  de  o  ou  i<  modifiés  en  o  ou  u.  Cette 
transformation,  que  j'ai  déjà  signalée  dans  le  patois  poitevin  ^  se 
présente  surtout  en  normand,  le  picard  ne  la  connaît  qu'excep- 
tionnellement. Voici  les  mots  où  on  la  trouve  : 


*  cacaciam 

tchiasse  ^  b.  g. 

— 

cadere 

— 

tcher 

canem 

tchen  B.,  t chien  g. 

tchen  Sant. 

casis 

tcheux  B. 

— 

coctum 

tcheu  B. 

— 

coquere 

coquinam 

cor 

tcheure 
tcheusine  b. 

tcheur  Am 

corium 

tcheu  b.,  tchier  g. 

— 

coxam 

tcheusscB.  tchiesscQ. 

— 

culum 

tchu  B. 

— 

*  culotam 

tchulotte  B. 

— 

cupam 
curare 

tchuve  B. 
tchurer  b. 

— - 

1.  Il  serait  facile  de  multiplier  cette  liste  si  l'on  y  faisait  entrer  tous 
les  doublets  en  ch,  qui  existent  à  côté  des  formes  en  k,  mais  ce  ne  sont 
que  des  formes  françaises  à  peine  modifiées,  et  qui  dès  lors  ne  doivent 
pas  figurer  dans  une  étude  du  normand  ou  du  picard. 

1.  V.  pi.  haut  p.  176. 

3.  Le  développement  du  son  tch  au  commencement  do  ce  mot  semble 
avoir  amené  le  passage  de  c^  à  s  au  milieu. 


—  266  — 

Les  formes  quien,  quieuoo,  etc.,  que  nous  avons  vues  précé- 
demment, nous  donnaient  un  des  termes  de  la  série  des  transfor- 
mations du  c  vélaire  pour  arriver  à  c  ;  il  n'est  pas  rare  d'entendre 
aussi  le  son  c  ou  fi,  ce  qui  complète  la  série,  et  on  a  ainsi  pour 
casis  par  exemple  : 

casis  quieux  Meux  tcheux. 

Les  trois  formes  de  ce  mot  en  particulier  s'entendent  presque 
indifféremment  dans  le  Bessin. 

J'arrive  maintenant  à  l'examen  des  transformations  du  c  pala- 
tal, moins  bien  connues  que  celles  du  c  vélaire.  Tandis,  en  effet, 
que  quelques  linguistes  ont  constaté  la  persistance  du  c  vélaire 
dans  le  normand,  jusqu'ici  —  fait  surprenant,  —  aucun  que 
je  sache  n'a  reconnu  comment  le  c  palatal  a  été  en  réalité  traité 
dans  ce  dialecte.  Cela  tient  sans  doute  à  ce  qu'on  a  cherché 
trop  exclusivement  à  trouver  les  caractères  du  normand,  comme 
ceux  du  picard,  dans  les  anciens  monuments  poétiques  de  la 
langue  ;  or  nous  avons  vu  que  les  premiers  qu'on  rencontre, 
l'Alexis,  le  Roland,  le  Psautier,  etc. ,  paraissent  avoir  traité  le  c 
palatal  comme  le  français  ^  ;  ce  sont  aussi  des  formes  françaises 
qu'offrent  en  général,  —  aujourd'hui  du  moins,  —  les  noms 
géographiques  de  la  Normandie  et  les  noms  propres  de  personnes 
n'en  connaissent  aussi  presque  pas  d'autres  ;  on  comprend  dès 
lors  qu'un  examen  superficiel  ait  pu  faire  croire  que  les  transfor- 
mations de  la  palatale  avaient  été  les  mêmes  en  normand  qu'en 
français  ;  cependant  sans  parler  de  l'état  actuel  de  ce  dialecte 
qui  montre  de  la  manière  la  plus  évidente  qu'il  a  changé  le  c 
palatal  en  ch  comme  le  picard,  il  ne  manque  pas  non  plus  d'an- 
ciens monuments,  même  en  vers,  qui  eussent  dû  faire  découvrir 
plus  tôt  quel  traitement  la  palatale  j  avait  subi.  Nous  avons  vu, 
en  effet,  que  ch,  forme  normande  du  c  palatal  transformé,  appa- 
raît déjà  dans  le  petit  poème  dévot  publié  par  M.  Gaston  Paris, 
et  qu'à  partir  de  cette  époque,  c'est-à-dire  du  commencement  du 
xif  siècle,  on  le  rencontre  dans  la  plupart  des  monuments  regar- 
dés comme  étant  d'origine  normande.  Impossible  dès  lors  de 
supposer  que  c'est  là  un  fait  purement  accidentel  ou  un  caprice 
du  copiste,  puisque  les  textes  qui  présentent  le  plus  de  traces 
d'altération  sont  aussi  en  général  ceux  où  les  gutturales  ont  pris 
la  forme  française.  D'ailleurs  en  voyant  le  normand  traiter  la 

1.  Il  ne  faut  pas  oublier  ce  que  j'ai  dit  page  250  de  cette  ressemblance 
apparente. 


—  267  — 

vélaire  comme  le  picard,  on  aurait  dû  par  là  même,  ce  semble, 
être  déjà  amené  à  supposer,  à  cause  de  l'espèce  de  solidarité 
qui,  dans  les  idiomes  de  la  langue  d'oïl,  existe  dans  le  traitement 
des  deux  gutturales,  qu'il  avait  aussi  donné  la  même  forme  que  ce 
dialecte  à  la  palatale.  C'est  la  conclusion  à  laquelle  m'a  conduit, 
malgré  toutes  les  exceptions  qu'ils  présentent,  l'examen  des 
monuments  dont  je  viens  de  parler  ;  l'étude  des  actes,  comptes  et 
chartes  du  xiif  et  du  xiv^  siècle  et  l'état  actuel  de  la  langue 
viennent  entièrement  confirmer  cette  manière  de  voir.  Par  contre 
les  noms  propres  ne  nous  offrent  que  peu  de  secours  ;  la  forme 
actuelle  des  noms  anglais  d'origine  romane  ne  donne  aussi  que 
peu  de  renseignements  à  cet  égard  ;  à  quelque  époque  qu'ils 
aient  été  introduits  dans  l'anglo-saxon,  ils  ne  connaissent  en 
général  que  la  valeur  ç  pour  le  c  palatal.  Cependant  ch  paraît 
s'être  conservé  au  commencement  des  mots  dans  cherry  (cera- 
sum),  cher  fil  (chaerefolium),  chisel  (fr.  ciseau),  chives  (cepas), 
à  côté  de  cives,  etc.,  au  milieu  dans  scutcheon  (scutionem),  à 
la  fin  dans  pitch  (picem),  partrich  (perdricem),  devenu  plus 
tard  partridge  ;  enfin  il  s'est  affaibli  en  sh  (1)  dans  shingle 
(cingulum)  ^  Mais  ces  exemples  sont  en  définitive  peu  nom- 
breux ;  aussi  sans  m'y  arrêter  davantage  je  passe  à  l'examen 
des  chartes,  actes,  etc.,  qui  m'ont  servi  à  prouver  la  persistance 
de  la  vélaire. 

Tandis  que  les  actes  de  1'  «  Histoire  du  château  de  Saint-Sau- 
veur »  ne  nous  ont  offert  presque  aucun  renseignement  au  sujet  de 
la  persistance  de  la  vélaire,  ils  nous  donnent  un  certain  nombre 
d'exemples  de  la  transformation  de  la  palatale  en  ch  ;  ainsi  : 

adrechant{es)  (1347,  Caen.  —  1361,  Bayeux). 

aranchonner  (1369,  Cherbourg).  —  aranchonnement  (id.). 

avanchement  (1362,  Saint-Vaast). 

Cachecerf  [id'hi,  Valognes). 

Cherisy  (1370,  Dessin). 

chinq  (1345,  Neuville.  —  1368,  Saint-Sauveur). 

chine  (1361,  Saint-Sauveur). 

chinquante  (1351,  Valognes),  deux  fois 

comnenchant  (1370,  Caen),  deux  fois. 

drechiez  (1370,  Caen). 

forter esche  (1362,  Saint-Vaast). 


1.  Cf.  Koch,  Hist.  Grain,  der  englischen  Sprache,  I,  131.  Je  chercherai 
plus  loin  à  expliquer  comment  le  c  palatal  a  pu  prendre  en  anglais  le 
son  ç  dans  les  mots  d'origine  romane. 


—  268  — 

fortelesches  (1369),  deux  fois. 

Le  Norrichon  (1350,  Valognes). 

parroiches  (1370,  Saint-Sauveur). 

Pinchon  (1350,  Valognes). 

ranchon  (Saint-Sauveur).  —  raenchon  (1370). 

Vauchis  (Pont-l'Abbé). 

La  forme  ch  se  rencontre  encore  bien  plus  fréquemment  dans 
les  chartes  des  «  Etudes  »  ;  ainsi  on  la  trouve  dans  les  mots  : 

bachin[s)  (1307,  Caen.  —  id.  Courtval.  —  Daubeuf.) 

chi  (ci),  cheu  (cel),  dieux  (ceux)  (1312,  Garf®  de  Troarn. 

cheluy  (celui),  deux  fois  ;  cheles  (celles,  id.  id.). 

che  (ce)  (1291,  Périers.)  —  chel  (Darnetal). 

comenchent,  comenchant  (1409,  Gaillon). 

forche  (1312). 

Francheis  (Tourville). 

geniphes  (1307,  Caen.  —  Id.  Breteville). 

{h)erche  (1291,  Périers.  —  Daubeuf). 

hercheour  (1291,  Périers). 

herchier  {Timhexxî.  —  1307,  Breteville). 

mâchons  (Mesnil-Ogier,  Mauger). 

Montpinchon  (Pays  d'Auge). 

parchoniers  (Roncherolles.  —  1291,  Périers). 

pieches  (Quievreville.  — Bouquelon). 

pelichon  (1307,  Courtval,  inventaire  du  temple). 

perchie  (1307,  Caen,  inventaire  du  temple). 

plache  (1291,  Périers). 

pouchins  (Daubeuf). 

pourcheaux  (1307,  inv'^  du  temple  de  Caen  et  de  Breteville). 

porchel  {iSOl ,  id.  id.). 

recheu  (Roncherolles). 

ronchin  (1307,  inventaire  du  temple  de  Caen). 

tierche  (Saint-Martin  du  Bosc,  v.  1260), 

vechy  (voici)  (Neuville). 

veiche  (vesce)  (1307,  inventaire  du  temple  de  Breteville). 

Les  renseignements  donnés  par  les  «  Actes  normands  »  ne 
sont  pas  moins  précieux  ;  dans  la  plupart  des  cent  premiers  dont 
j'ai  relevé  les  formes  dialectales,  quel  que  soit  d'ailleurs  le  lieu 
de  la  Normandie  où  ils  aient  été  faits,  pays  de  Gaux,  Lieuvain, 
Bessin  ou  Cotentin,  etc.,  on  trouve,  sinon  toujours,  du  moins 
très-souvent  ch  substitué  à  c  suivi  de  e  ou  de  i,  ou  à  ti,  suivi 
d'une  autre  voyelle;  dans  un  certain  nombre  d'actes  aussi, 
comme  dans  les  précédents  d'ailleurs,  cette  substitution  n'a  point 


—  269  — 

eu  lieu,  ce  qui  montre  de  quelle  liberté  orthographique  jouissaient 
alors  les  scribes,  ou  quel  arbitraire  régnait  déjà  dans  le  choix 
des  sons  ch  et  ç.  Voici  les  mots  des  cent  premiers  actes  où  l'on 
rencontre  ch  dans  ces  actes  : 

hachinez  49  (1336).  —  60  (id.)  — 43  (1337).— 44  (id.),  etc. 

cauchie  18  (1331).  —  83  (Rouen,  1337). 

cauchier  83  (Rouen,  1337). 

ches  53  (1336).  —  49  (id.)  —  60  (id.)  —  61  (id.)  —  76 
(1337),  etc. 

cKest  53  (1336),  2  fois.  —  59  (id.)  —  63  (1337),  etc. 

cheste  53  (1336).  —  59  (id.)  —  m  (1337J,  etc. 

chen  (ce),  53  (1336).  —  59  (id.),  —  60  (id.)  —  71  (id.)  — 
66  (1337),  etc. 

cheus  79  (Pont-Audemer,  1337). 

chent  43  (1336).  —  65  (1337),  2  fois.  —  76  (id.),  2 fois. 

c/^mg  39(1333).  —  53  (1336),  3  fois.  —65  (1337).  —87 
(1338),  2  fois.  —  chine  39  (Saint-Pierre  d'Arthenay,  1333). 

chinquante  39  (Saint-Pierre  d'Arthenay  1333). 

c/^^■^;^eVe84(Caenl338). 

enforchier  83  (Rouen  1337). 

fauchilles  39  (Saint-Pierre  d'Arthenay,  1333). 

forter esche  84  (1338,  Caen),  3  fois. 

Franche  60  (1336) .  —  Franchez  59  (1336). 

geniches  39  (Saint-Pierre  d'Arthenay,  1333).  — 84  (Caen, 
1338). 

lanches  59  (1336).  —  60  (id.)  —  63  (1337).  —  75  (Amfre- 
ville,  1337),  etc. 

larrechins  43  (Rouen,  1335),  3  fois. 

machon  18  (1331),  2  fois.  —  83  (Rouen,  1337).  —  84 
(Caen,  1338). 

machonnerie  18  (Andelys,  1331),  4 fois.  —  83 (Rouen,  1337). 

par  roche  4  (Arques,  1329) . 

pièche{s)  39  (Saint-Pierre  d'Arthenay,  1333).  —  74  (Neuf- 
châtel,  1337). 

recheu  63  (1337).  —  64  (id.)  —  76  (Rouen,  id.)  —  79  (Pont- 
Audemer,  id.)  —  82  (id.  Rouen).  —  87  (1338),  3  fois. 

redrechier  84  (Caen,  1338)  3  fois. 

renforchié  id.  (id.  id.)  2  fois. 

Ainsi  au  xiv^  siècle,  la  substitution  de  ch  au  c  palatal  trans- 
formé était  encore  d'un  usage  général  et  reconnu  dans  toute  la 
Normandie,  bien  que  souvent  aussi  ch  eût  complètement  fait 
place  à  la  forme  française  c.  Au  siècle  suivant,  au  contraire,  ch 


—  270  — 

n'apparaît  plus  qu'exceptionnellement  dans  les  actes  publics  ;  je 
ne  l'ai  pas  rencontré  du  moins ,  pas  plus,  il  est  vrai,  que  la 
vélaire,  dans  les  actes  faits  en  1417  et  1418  à  l'époque  de  la 
conquête  de  la  Normandie  par  les  Anglais,  pour  la  reddition 
d'Harcourt,  d'Hambye,  du  Hommet,  du  château  d'Ivry,  de 
Creully,  d'Evreux,  de  Cherbourg,  deCaudebec,  de  Honfleur,  etc.  *. 
Déjà,  comme  aujourd'hui,  la  langue  officielle  était  exclusivement 
le  français,  le  normand  était  tombé  àl'état  de  patois,  et  n'avait  plus 
droit  de  servir  aux  relations  sociales. 

Cependant,  tout  déchu  qu'il  était  déjà  à  cette  époque,  le 
normand  n'en  persista  pas  moins  avec  ses  caractères  distinc- 
tifs  dans  la  mémoire  du  peuple  ;  et  tout  dédaigné  qu'il  était  des 
savants,  il  se  trouva,  nous  avons  vu,  quelques  esprits  curieux  qui 
ne  craignirent  pas  de  l'employer  dans  leurs  vers  ;  c'est  ce  qu'ont 
fait  en  particulier,  en  plein  xvif  siècle,  l'auteur  de  1'  «  Inven- 
taire général  de  la  Muse  normande  »  David  Ferrand,  et  celui  de 
la  «  Muse  normande  »  Louis  Petit,  dont  j'ai  déjà  parlé  ;  ces  deux 
recueils  de  poésies  en  patois  nous  montrent  ch  substitué  au  c 
palatal  ou  à  ti  transformé  dans  presque  tous  les  cas  ;  ainsi  dans 
la  «  Complainte  des  habitants  de  Saint-Nigaise  sur  la  perte  de 
leur  Boise»,  de  David  Ferrand,  on  trouve  :  che,  chez  {ces),  chens, 
ainchin,  chinq,  braches  (brasses),  adrechirent ,  aperchut^ 
fâche,  fachon,  neuches  (noces),  tnouchel  (monceau),  mou- 
chiaux^,  prononcher,  Puchelle.  De  même  dans  les  trois  pre- 
mières pièces  de  la  Muse  de  Louis  Petit  nous  trouvons  les 
mots  :  ainchin,  héchon  (boisson),  cauche,  che,  chais  (ces), 
chen  (ce),  chest  (c'est),  chy  (ci),  chite  (cette),  chu  (ce),  chen- 
dre,  chent,  chinquante,  chainture,  chervelle,  délivranche, 
fâche,  fachon,  Fleuranche,  glachons,  inochent,  indiferanche , 
panche,panchue,  renoncher,  sentenche,  traché,  véchi{\oiQ>ï). 

On  le  voit,  depuis  le  commencement  du  xii*  siècle,  nous  ren- 
controns dans  les  monuments  normands  ch  comme  forme  du  c 
palatal  transformé,  et  il  est  d'autant  plus  fréquent  que  ces  monu- 
ments ont  un  caractère  plus  populaire  ;  par  conséquent  ch  est 
bien  la  modification  de  la  palatale  propre  à  ce  dialecte.  Cette 
conclusion  trouve  sa   confirmation  dans   l'état   actuel   de    cet 


t.  CoUect.  Bréquigny.  Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  Normandie,  1858 
3«  série,  Jll,  7  et  suiv. 

2.  Nous  avons  ici  déjà  Ja  forme  moderne  du  dérivé  normand  de  mon- 
ticellum;  elle  nous  montre  le  changement  affectionné  par  le  patois 
actuel,  de  «suivi  d'une  consonne  en  m. 


—  27i   — 

idiome ,  qui  nous  présente  ici  encore,  comme  dans  le  traitement 
de  la  vélaire,  l'accord  le  plus  complet  entre  le  picard  et  le  nor- 
mand. Commençons  par  la  comparaison  des  noms  propres. 

Nous  n'aurons  pas  ici  toutefois  la  même  abondance  d'exemples 
que  nous  en  offriront  tout  à  l'heure  les  noms  communs  ;  non  sans 
doute  qu'on  ne  rencontre  des  noms  propres  où  la  forme  ch  ne 
puisse  se  trouver,  et  se  trouve  réellement,  mais  l'influence  fran- 
çaise semble  s'y  être  plus  fait  sentir  que  sur  les  noms  communs  ; 
ce  qui  s'explique  assez  facilement,  les  premiers  étant  à  la  fois  du 
domaine  des  lettrés  et  des  ignorants,  les  seconds  n'étant  que  du 
domaine  populaire.  J'ai  relevé  plus  haut  quelques  noms  géogra- 
phiques où  se  trouvait  autrefois  la  chuintante  ch,  comme  Che- 
risy,  Coutanches,  Francheis,  Montpinchon,  etc.  ;  mais  c'est 
à  peine  si  on  les  entend  aujourd'hui  ;  en  tous  cas  ils  ne  se  sont 
pas  imposés  à  la  langue  qui  leur  a  substitué  les  formes  françaises 
Cerisy,  Coutances,  etc.  De  même  en  picard  Valenchiennes, 
(n),  Vauchelles  (a),  etc.,  formes  indigènes,  ont  fait  place  à 
Valenciennes ,  Vaucelles,  etc.  Cependant  si  la  forme  dialec- 
tale ch  du  c  palatal  a  été  souvent  rejetée,  elle  s'est  aussi  impo- 
sée, moins  fréquemment  cependant  quelecvélaire,  qu'on  rencon- 
tre si  souvent  et  dans  tant  de  noms  orthographiques.  Cela  tient 
sans  doute  à  ce  que  dès  le  xiv"  siècle,  époque  où  se  fit  définitive- 
ment le  mélange  des  dialectes,  le  français  commençait  à  adopter 
les  formes  en  ca  sans  les  modifier,  tandis  qu'il  n'a  admis  que 
beaucoup  plus  tard,  au  xvi^  siècle,  dans  les  mots  empruntés  à 
l'italien,  la  forme  ch,  affaiblissement  detch,  pour  le  c  palatal.  On 
comprend  dès  lors  l'inégalité  qui  s'est  manifestée  dans  l'adoption 
des  formes  picardes  ou  normandes  des  deux  gutturales.  En  effet, 
tandis  qu'un  nombre  considérable  de  noms  de  villes  ou  de  vil- 
lages ont  conservé  dans  les  pays  de  langue  normande  ou  picarde 
la  vélaire  initiale  ou  médiale,  il  n'en  est  presque  pas  qui  aient 
changé  la  palatale  initiale  en  ch  ;  cette  gutturale  n'a  pu  prendre 
cette  forme  qu'au  milieu  des  mots,  dans  des  terminaisons  qui 
n'étaient  point  faites  pour  contrarier  les  habitudes  françaises  et 
presqu'exclusivement  encore  dans  des  noms  de  petites  localités, 
qui  ont  pu  ainsi  en  quelque  sorte  échapper  à  l'influence  littéraire. 
Amsi  Coutanches,  Couchi/,  Valenchiennes,  Vauchelles  (a.), 
etc.  sont  devenus  Coutances,  Couci,  Valenciennes,  Vaucelles, 
mais  Cauchois  (Calcensis)  a  conservé  son  ch,  peut-être  grâce  à 
la  persistance  du  c  vélaire  initial  ;  il  en  a  été  de  même  dans 
Acheux  (Som.),  Chicourt  (Som.),  Roncherolles  (S.  L),  Vau- 
chelles (Som.),  Vironchaux  (Som.)  Cette  conservation  du  ch  a 


—  272  — 

eu  lieu  en  particulier  dans  les  dérivés  picards  ou  normands  des 
noms  de  lieu  en  dacum,  quoiqu'elle  soit  loin  d'y  être  générale. 
En  voici  quelques  exemples  : 


Arganchy  c. 
Canchy  c. 

Ranchy  c. 


Achy 

Auchy  P.C. 
Canchy  s. 
Cauchyv.  c. 
Oberchies  n. 


Assé  May. 
Argancy  m. 
Aussy 

Chaussy  s.  o. 

Rancy  s.  l.  etc. 


Les  noms  de  personnes  donneraient  lieu  aux  mêmes  observa- 
tions ;  ainsi  j'ai  signalé  dans  les  actes  normands  précédemment 
étudiés  des  noms  comme  Pinchon,  Pouchin,  Vauchy,  etc., 
lesquels  ont  pris  les  formes  françaises  Pinson,  Poussin,  Vaussy, 
etc.  Cependant,  il  faut  le  dire,  c'en  est  là  en  quelque  sorte  la 
forme  officielle,  la  prononciation  populaire  est  restée  Pinchon, 
Pouchin,  pour  les  deux  premiers,  de  même  j'ai  entendu  ordinai- 
rement dire  Rachine  pour  Racine.  Mais  malgré  cette  francisa- 
tion des  noms  de  personnes,  le  ch  s'est  maintenu  à  la  place  de 
la  palatale  dans  quelques  noms,  par  exemple  : 


NORM. 

Le  Cacheux 

PIC. 

Le  Caucheur 

FR. 

Chuquet 

— 



DachierK 

— 

Dacier 

Hèrichon 

— 

Hérisson 

— 

Le  Merchier 

Mercier 

Mouchel  ^ 

— 

Moncel 

Le  Nourrichel 

_— 

Nourrisson 

Pigache 

— 

—  e 

etc. 


Mais  si  les  noms  propres  ne  présentent,  on  le  voit,  qu'excep- 
tionnellement aujourd'hui  la  forme  ch,  comme  modification  de  la 
palatale  transformée,  les  noms  communs  l'ont  en  normand  comme 


1.  C'est  du  moins  ainsi  que  j'ai  toujours  entendu  prononcer  le  nom 
auquel  je  fais  allusion,  mais  je  dois  dire  que  je  ne  l'ai  pas  vu  écrit.  Au 
reste,  on  trouve  Bâché  à  Bayeux,  nom  qui  semble  avoir  la  même 
origine. 

2.  Le  nom  commun  correspondant  est  mouchée  avecla  chute  habituelle 
de  l  final  et  le  changement  de  é  en  ée,  sans  doute  par  analogie  avec 
charretée,  brouettée,  etc. 


—  273  — 

en  picard  presque  toujours  fidèlement  conservée  ^  ainsi  que  nous 
le  montre  le  tableau  suivant  : 


? 

agache  b. 

agache 

agasse 

*  bibitionem 

heichon  b. 

hoichon 

boisson 

? 

boche  B. 

boche 

bosse 

? 

hochu  B. 

bochu 

bossu 

*  captiam 

cache  b. 

cache 

chasse 

calicem 

caliche  g. 

caliche 

calice 

cantionem 

canchon  s.  i. 

canchon 

chanson 

calceam 

cauche  b. 

cauche 

chausse 

calciatam 

cauchie  g. 

cauchie 

chaussée 

celare 

chelair  g. 

cheler 

celer 

cellarium 

chelier  b. 

— 

cellier 

cinerem 

chendre  b. 

chaine 

cendre 

centum 

chent  B, 

chent 

cent 

? 

chevaine  ^  b. 

chevaine 

— 

cervum 

cherf^  B. 

cherf 

cerf 

cserefolium 

cherfeuil  B. 

cherfeuil 

cerfeuil 

caementum 

chiment  b. 

chiment 

ciment 

cymam 

chime  b. 

chimettes 

cime 

cœmeterium 

chimequière  e 

.  chim'quière 

cimetière 

cincturam 

chinture  b. 

chinture 

ceinture 

*  cinque 

c^m  B. 

chinq 

cinq 

1.  Toutefois,  il  faut  le  remarquer,  cette  conservation  n'a  eu  lieu  qu'au 
commencement  et  au  milieu  des  mots;  je  n'en  connais  pas,  en  effet, 
un  seul  exemple  à  la  fin  ;  partout  le  c  palatal  s'y  est,  comme  en  fran- 
çais, changé  en  s  ou  en  x.  Il  n'en  était  pas  de  même  autrefois,  comme 
le  prouvent  déjà  les  noms  anglais  j)Uch,  partridge.  On  trouve  aussi  dans 
les  Chartes  d'Aire  faich  (facio)  c,  march  (martius)  k  ;  et  c'est  évidem- 
ment cette  valeur  ch  (c  ou  s)  qu'il  faut  attribuer  au  c  final  des  anciens 
textes  picards  (AleL.,  Huon,  etc..  Cf.  pi.  haut  p.  124)  ;  mais  ce  son  n'a 
point  persisté,  et  la  palatale,  ayant  dû  de  bonne  heure  à  la  fin  des  mots 
se  transformer  en  sonore,  s'y  changea,  comme  au  milieu,  dans  le 
même  cas  en  z  (dz);  on  trouve  déjà  ^jc/;,  ^errfm,  etc.,  dans  les  livres  des 
Rois,  braz,  feiz,  voiz,  etc.,  dans  le  Roland  et  le  Psautier,  etc.,  et  cette 
forme  ne  tarda  pas  par  être  en  normand  la  seule  connue  du  c  palatal 
à  la  fin  des  mots;  mais  en  picard  il  y  conserva  assez  souvent  dans  ce 
cas  jusqu'à  la  fin  du  xiii"  siècle  la  valeur  c  ou  s  représentée  par  chouc. 

2.  Vase  où  l'on  met  la  crème  dans  le  Bessin,  barate  en  Picardie 
d'après  Corblet  ;  faut-il  faire  venir  ce  mot  de  la  même  racine  schranz 
que  seran  ?  La  forme  picarde  cherain  de  seran  semble  y  autoriser. 

3.  Dans  cher-volant. 

48 


—  274 


*cinquanta 

*  cippeam 
ceram 
cerasum 
csepas 

*  csepotum 

? 

cicutam 

*  ceocam 
*faciam 

factionem 
*fidentiam 

*  focaciam 

*  fortiam 

*  glacionem 
junicem 
lectionem 

*  ligatiam 
limacem 

*  maxucam 

*  macionem 

*  minaciare 
medicinam 
mercedem 
monticellum 

*  muciare 

*  nigritiare 
nutritionem 

2 

pigritiosum 

*  petiam 
pitsen  a.  ail, 

*  pincionem 
plateam 

*  pullicem 


chinquante  b 

.  chinquante 

cinquante 

chipée  B. 

— 

cépée 

chire 

chire 

cire 

cherise  b. 

cherise 

cerise 

chives  B. 

chives 

cives 

chibot  B. 

chibot 

cibot 

chivière  b. 

chivière 

civière 

chue  B. 

chue 

cigiie 

chuque  b. 

choke 

souche 

fâche  B. 

fâche 

face 

fachon  s.  i. 

fachon 

façon 

fîanche  g. 

flanche  r. 

fiance 

fouache  b. 

— 

fouace 

forche  b. 

forche 

force 

glachon  b. 

glachon 

glaçon 

geniche  b. 

genichon 

génisse 

lichon  G. 

lechon 

leçon 

Hache  b. 

Hache 

liasse 

limache  b. 

limechon 

limace 

machue  b. 

machue 

massue 

machon  b. 

machon 

maçon 

menachier  b. 

menacher 

menacer 

mèdechine  b. 

.^ 

médecine 

merchi 

merchi 

merci 

mouchée  b. 

— 

monceau 

muchier  b. 

mucher 

musser 

neirchir  b. 

noirchir 

noircir 

nourrie hon  b 

.  nourrichon 

nourrisson 

perchier 

percher 

percer 

parechouxB. 

— 

paresseux 

pieche  b. 

pièche 

pièce 

pinche 

pinche 

pince 

pinchon  b. 

pinchon 

pinson 

plache  B. 

plache 

place 

pouliche  b. 

pouliche 

pouliche  ^ 

1.  Telle  est  du  moins  l'étymologie  que  je  donne  du  mot  pouliche  ; 
l'analogie  du  mot  geniche  la  justifie,  je  crois,  suffisamment;  quant  à 
*  pullica  proposé  par  M.  Brachet  {Dict.  éttjm.  s.  v.  acharner),  les  formes 
normandes  et  picardes  rendent  inadmissible  une  pareille  origine.  Mais  on 
voit  en  même  temps  que  pouliche  n'est  point  un  mot  français  ;  comme 
camp,  c'est  un  emprunt  fait  par  la  langue  littéraire  au  normand  ou  au 
picard. 


■•    — 

275  —          ■ 

pulicem 

puche  B. 

puche 

puce 

*  putiare 

puchier  b. 

pucher 

puiser 

radicinam 

rachine  b. 

rachine 

racine 

*reciputum 

recheu  b. 

rchu 

reçu 

*  tractiare 

trachier  ^  b. 

tracher 

tracer 

viciam 

veche   b. 

veche 

vesce. 

Et  en  particulier  dans  les  adjectifs  et  les  adverbes  démonstra- 
tifs ;  ainsi  : 


ecce  hac            cha  b. 

cha 

ça 

ecce  hoc             che  b. 

che,  cho 

ce 

ecceistum,istamc/ie;f,  chette 

chet,  chette 

cet,  cette 

ecce  illam          chelle 

chelle 

celle 

ecceillos            cheuxB. 

cheux 

ceux 

istum  ecce  hic    stichin  b. 

cheti-chï 

celui-ci 

istam  ecce  hic    stéchin  b. 

chelle-chi 

celle-ci 

ecce  hic              ichin  b. 

ichi 

ici  2. 

Ainsi  rien  de  plus  complet  que  l'accord  qui  existe  entre  le  nor- 
mand et  le  picard  dans  le  traitement  des  gutturales  ;  un  point, 
sur  lequel  ces  deux  dialectes  se  comportent  encore  de  la  même 
manière,  c'est  le  changement  de  la  palatale  médiale,  pour  ne  pas 
parler  de  celui  de  la  finale,  en  spirante  dentale  sonore  dans  un  cer- 
tain nombre  de  mots  où,  comme  je  l'ai  fait  remarquer,  le  français 
lui  fait  aussi  en  général  subir  la  même  transformation^.  Dans  ce 
dernier  idiome  cette  modification  s'explique  sans  peine,  z  y  repré- 
sente l'affaiblissement  de  dz,  comme  ç  de  ts,  mais  pourquoi, 
tandis  que  nous  avons  ch  (c  ou  5)  pour  la  transformation  de  la 
palatale  en  sourde  dans  le  normand  et  le  picard,  ne  trouvons- 
nous  pas  la  chuintante  correspondante  j  Çg  ou  z)  pour  sa  trans- 
formation en  sonore?  Il  est  difficile  de  répondre  à  cette  question, 


1.  Ce  mot  signifie  chercher  et  plus  particulièrement  chercher  avec  soin 
en  normand  et  en  picard. 

2.  On  dit  aussi  chabot  n.  p.,  chavafte  id.,  chucre  n.,  machacren.,  mots 
dans  lesquels  ch  semble  se  substituer  à  s,  mais  dont  l'origine  douteuse 
ne  permet  pas  de  rien  décider.  Il  est  à  remarquer,  en  effet,  qu'en  géné- 
ral l's  véritablement  étymologique  reste  sans  modification,  tandis  que 
souvent  dans  certains  dialectes  provençaux,  dans  le  savoyard  et  dans 
les  patois  de  la  Suisse  romande,  par  ex.,  il  se  change  en  ch  comme 
le  c  palatal. 

3.  Cf.  plus  haut  p.  233  et  250;  ainsi  on  a  :  tcheusine  n.,  loisir  p.,  moisi 
n.,  plaisi{r)  n.  p.,  raisin  id. ,  veisin  n.,  voisin  p.,  et  onze,  douze,  treize,  etc., 
en  normand  et  en  picard  tout  comme  en  français.  V.  pi.  h.  p.  122. 


—  276  — 

bien  qu'on  puisse  supposer  que  la  langue  a  procédé  ainsi  pour 
distinguer  les  modifications  du  c  de  celle  du  jot  ;  quoi  qu'il  en 
soit,  z  {s)  apparaît  à  la  place  du  c  palatal  transformé  en  sonore 
dans  les  plus  anciens  monuments  que  nous  ayons,  et  il  faut  bien 
supposer  dès  lors  que  dès  le  xif  et  même  le  xf  siècle  le  normand 
et  le  picard  se  comportaient  à  cet  égard  comme  aujourd'hui. 
Cependant  il  semble  aussi  qu'il  y  ait  eu,  au  moins  en  Artois,  une 
tendance  à  donner  à  la  spirante  sonore  résultant  de  la  transfor- 
mation du  c  palatal,  d'ailleurs  comme  à  s  médial,  le  son  de  la 
chuintante  j  ;  c'est  ce  qu'on  peut  inférer  de  ce  passage  de  Bouille 
dans  son  livre  «  De  differentia  vulgarium  linguarum  et  gallici 
sermonis  varietate  »  ,  «  Morini  et  Bolonii,  nostri  Oceani  accolse, 
in  mediis  dictionibus  vulgaris  linguae  id  patrant  vitii,  ut  s  in  j 
demutent.Dicimus  \vlgo  maison,  oison,  prison,  toison  ;  àicxmi 
Morini,  litera  s  mj  labente,  maijon,  oijon,  tijon,  prijon,  toi- 
Jon\  »  Mais,  il  est  difficile  de  rien  conclure  de  certain  pour 
le  cas  qui  nous  occupe  de  ce  témoignage  isolé. 

Pour  terminer  cette  étude  des  deux  gutturales  dans  le  normand 
et  le  picard,  et  comme  application  à  la  lecture  des  anciens  textes, 
il  me  reste  à  examiner  la  question  souvent  posée  de  la  valeur  de 
c  suivi  de  e,  provenant  de  a  étymologique.  Naturellement  cette 
valeur  ne  peut  être  que  la  valeur  ^  du  c  vélaire  ou  une  de  celles 
qu'il  peut  prendre  en  se  transformant,  c'est-à-dire  ch  ou  tch, 
les  seules  que  connaissent  les  dialectes  septentrionaux  de  la  lan- 
gue d'oïl  ^.  Or  comme  le  c  vélaire  persiste  en  normand  et  en 
picard  dans  les  textes  qui  ont  conservé  les  caractères  essentiels 
de  ces  dialectes,  il  faut  évidemment  attribuer  dans  ce  cas  à  c, 
que  la  voyelle  suivante  soit  a  ou  e,  la  valeur  k.  Cette  manière  de 
voir  trouve  sa  confirmation  immédiate  dans  l'orthographe  ke  que 
nous  avons  si  souvent  rencontrée  dans  les  textes  à  côté  de  ce,  car 
il  est  évident  qu'il  faut  dans  les  deux  cas  prononcer  de  la  même 

1.  p.  37.  Les  patois  suisses  et  savoyards  ont  substitué  souvent  cette 
sonore  z  U)  à  c  transformé  et  parfois  à  s  étymologique. 

2.  Je  n'y  connais  la  forme  ç  que  dans  cis  (casis)  du  patois  de  Guerne- 
sey.  Les  dialectes  méridionaux,  au  contraire,  comme  quelques  sous-dia- 
lectes provençaux  (Cf.  pi.  h.  p.  210),  ont  changé  parfois  le  c  vélaire  en 
ç,  par  suite  de  la  transformation  successive  tch,  ts,  s;  ainsi  semin 
dans  le  Nivernais,  s6  (calidum),  dans  le  patois  du  département  de  l'Ain, 
etc.  ;  mais  ces  formes  sont  inconnues  au  nord  de  la  Loire,  et  il  a  dû  en 
être  toujours  de  même,  puisqu'on  n'a  pu  passer  du  son  s,  qu'aurait  pris 
alors  le  c  vélaire  au  son  k  ou  ch  qu'il  a  actuellement.  Du  moins  ceux 
qui  croient  à  la  possibilité  de  ce  changement  devraient  en  donner 
d'autres  preuves  que  des  transcriptions  dont  la  valeur  est  incertaine. 


—  277  — 

manière,  c'est-à-dire  ke.  Une  autre  preuve  non  moins  directe  de 
ce  fait  nous  est  fournie  par  ce  vocabulaire  français-hébreu  dont 
j'ai  parlé  plus  haut,  nous  y  trouvons,  en  effet,  avec  h  :  blankes, 
hoke,  branke,  kemin,  kebal,  roke,  etc.,  c'est-à-dire  que  le  c 
vélaire  y  a  conservé  sa  valeur  gutturale ,  quoique  Va  étymo- 
logique se  soit  affaibli  en  e.  Cependant  le  c  vélaire  s'étant,  sur- 
tout à  partir  du  xiii<'  siècle,  changé  aussi  en  ch,  il  est  certain 
qu'alors  ce  a  pu  parfois  dans  les  textes  dont  la  langue  n'est  pas 
pure  avoir  une  autre  valeur  que  ke,  mais  il  n'est  pas  moins 
certain  aussi  que  cette  valeur  n'a  pu  être,  comme  je  l'ai  dit, 
qu'une  de  celles  du  c  vélaire  transformé  dans  les  dialectes  fran- 
çais, c'est-à-dire  ch  ou  tch. 

Ces  observations  ont  une  importance  extrême  pour  la  restitu- 
tion des  textes  surtout  à  la  rime.  J'ai,  en  commençant  cette  étude 
des  dialectes,  eu  occasion  de  parler  de  rimes  terminées  par  ce 
représentant  le  c  vélaire  suivi  de  a  latin,  et  j'ai  dit  —  ce  que  les 
explications  précédentes  confirment  de  tout  point  —  que  si  on 
avait  affaire  à  un  texte  vraiment  picard  ou  normand,  il  fallait 
donner  à  ce  le  son  ke,  que  si,  au  contraire,  le  texte  était  fran- 
çais, il  fallait  écrire  che.  Mais  il  peut  se  faire  aussi  qu'on  ait  à  la 
rime  ce  provenant  de  ca  latin  d'une  part  et  devant  dès  lors  avoir 
le  son  ke  ou  che,  suivant  que  le  texte  est  picard  ou  normand, 
ou  bien  encore  français,  et  d'autre  part  ce,  provenant  de  c  suivi 
de  e  ou  i  ou  de  ti  transformé,  et  devant  dès  lors  avoir  le  son  ce 
si  le  texte  est  français,  le  son  che  s'il  est  picard  ou  normand. 
Comment  faut-il  dans  ce  cas  constituer  le  texte?  et  comment 
d'abord  expliquer  la  présence  à  la  rime  de  deux  syllabes  iden- 
tiques et  d'origine  si  différente  ?  Elles  ne  peuvent  évidemment 
se  trouver  dans  des  textes  français  ou  picards  ou  normands  en- 
tièrement purs,  puisque  dans  le  premier  cas  ca  latin  donne  che, 
et  ce  ou  ti,  ce  ;  que  dans  le  second  ca  donne  k,  et  ce  ou  ti,  che; 
mais  on  comprend  très-bien  qu'il  en  puisse  être  autrement  dans 
des  textes  écrits  à  une  époque  où  les  formes  françaises  avaient 
pénétré  dans  le  dialecte  picard  ou  normand,  ou  bien  encore  dans 
une  contrée  où  ces  formes  se  rencontraient  simultanément, 
comme  cela  dut  avoir  lieu  de  bonne  heure  sur  la  frontière  des 
pays  de  langue  normande  ou  picarde.  Nous  voyons  par  exemple 
dans  une  charte  d'Amiens  de  1318,  publiée  par  Le  Roux 
de  Lincy  dans  l'Introduction  à  son  édition  des  Livres  des 
Rois  \  ca  représenté  fréquemment  par  ch,  —  à  côté  de  c, 
il  est  vrai,  qui  se  trouve  dans  cose,  eskevin,  —  comme  dans 


1.  Les  Livres  des  Rois  p.  70. 


—  278  — 

chatel,  chose,  eschemn,  marcheant,  marcheandise ,  en 
même  temps  que  ce  y  est  représenté  également  par  cli  dans 
serviches,  fâchent,  Justiche,  che,  audieyiche.  De  même  dans 
une  charte  d'Hedincourt  de  1257  ^  nous  avons  cheaus,  veche 
(viciam),  vechas,  chele,  comynenchier ,  où  ch  représente  ce, 
ci  ou  ti,  et  chevaliers,  chascun,  franche,  chose,  où  il  repré- 
sente c  suivi  de  a.  En  normand  on  rencontre  aussi,  et  même 
bien  plus  souvent,  ch  substitué  au  c  vélaire,  tandis  qu'il  peut 
remplacer,  comme  nous  avons  vu,  le  c  palatal.  On  comprend 
dès  lors  que  les  poètes  picards  et  normands  aient  pu  rapprocher 
ces  terminaisons  d'origine  différente,  aussi  les  exemples  de  ces 
sortes  de  rimes  abondent-ils  dans  les  textes  picards  du  xiif  et  du 
xiv^ siècle  ;  mais  comment  faut-il  les  écrire?  Dans  le  Roman  de 
la  Violette  nous  trouvons  aux  vers  499  et  500  chière  (caram)  et 
sorchière  (*  sortiariam)  formant  une  rime  de  ce  genre  : 

Laide  et  obscure  avoit  la  chière, 
Mult  estoit  desloiaus  sorchière. 

et,  comme  nous  le  voyons,  l'éditeur,  encore  que  le  copiste  du 
poème  eût  écrit  sorcière,  a  mis  ch  dans  les  deux  cas.  Au 
contraire,  dans  «  Blancandins  et  l'Orgueilleuse  d'Amour»,  ce 
a  été  conservé  dans  les  deux  cas  pour  toutes  les  rimes,  —  et 
elles  sont  nombreuses,  —  où  ca  et  ce  ou  ti  transformés  se  trou- 
vent à  la  fin  du  vers  ;  ainsi  : 

Blancandins  chevauche  par  force 
Tôt  .1.  cemin,  lès  une  roce. 
Qui  Subiien  sivent  à  force 
Si  l'encaucent  tôt  une  roce. 
L'escu  blanc  et  la  connissance, 
Par  amor  li  donne  sa  mance. 
Et  avec  çou  sa  destre  mance 
Que  de  s'amor  soit  a  fiance. 
Gaperon  ot  et  connissance 
Et  en  son  destre  brac  la  mance. 
Qui  er  soir  me  donna  sa  mance, 
Dist,  Blancandins  :  Ce  fu  enfance. 
Se  rest  armés  sans  demorance, 
Vest  une  broigne,  maille  Mance. 

1.  Les  Livres  des  Rois  p.  72. 

2.  Ces  rimes  abondent  dans  l'Inventaire  de  la  Muse  normande  ;  en 
voici  un  exemple  tiré  d'un  dicton  populaire  : 

Le  vin  tranche-bouyau  d'Avranches 
Et  rompt-cheinture  de  Laval 
Ont  mandé  à  Renaud  d'Argenches 
Que  Goninhou  aura  le  gai. 
Le  Héricher.  Gloss.  norm.  s.  v.  gai. 


v. 

687,  688. 

V. 

5979, 

5980 

v. 

1213, 

1214. 

V. 

1751, 

1752 

V. 

1785, 

1786 

V 

.  1847, 

1848 

V 

.  5377 

,  5378 

—  279  — 

On  ne  peut  douter  qu'il  ne  faille,  comme  on  le  voit  dans  le 
Roman  de  la  Violette,  mettre  partout  ch  à  la  place  de  ce  ;  le 
texte  étant  picard,  ce  et  tia  y  deviennent  ch,  ca,  au  contraire,  y 
a  bien  généralement,  à  ce  qu'il  semble,  le  son  lie,  comme  dans 
haces  v.  1077,  cet7«M 204,  blance  1216,  kenus  4651,  etc.; 
mais  parfois  aussi  il  se  transforme  en  ch,  comme  dans  chevauce 
634,  chevaliers  1099,  chevauchier  1090,  chars  1428,  cheva- 
lier 2286,  etc.  ;  c'est  cette  forme  du  c  vélaire  qu'il  faut  donner 
à  ce  substitué  à  ca  dans  les  rimes  précédentes  ^  ;  ce  ainsi  employé 
ne  pouvant,  en  effet,  comme  je  l'ai  montré,  avoir  que  le  son  ke 
ou  che;  et  ce,  substitué  à  tia  ou  à  ce  latin,  ne  pouvant  prendre 
d'un  autre  côté  que  le  son  che  OMce,  il  est  évident  que  c'est  ch 
qu'il  faut  écrire  ou  prononcer  dans  les  deux  cas. 

III.  Remarques  sur  le  traitement  du  c  vélaire  et  du  c 
palatal  en  normand  et  en  picard. 

Il  résulte  de  l'étude  à  laquelle  je  viens  ;de  me  livrer  que 
le  picard  et  le  normand  ont  conservé  au  c  vélaire  sa  valeur 
dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  et  transformé  le  c  palatal 
en  ch.  On  savait  déjà  qu'il  en  était  ainsi  pour  le  picard,  mais 
personne,  je  l'ai  déjà  remarqué,,  ne  l'avait  établi  d'une  manière 
certaine  pour  le  normand,  qui,  comme  on  l'a  vu,  présente  cepen- 
dant absolument  les  mêmes  formes  pour  les  deux  gutturales. 
Comment  expliquer  maintenant  ces  formes  particulières  à  ces  dia- 
lectes et  si  différentes  de  celles  du  français  ?  La  persistance  du  c 
vélaire  n'étant  que  la  conservation  du  son  primitif,  il  est  diffi- 
cile de  voir  dans  ce  fait  autre  chose  que  ce  qui  s'y  trouve  réelle- 
ment, c'est-à-dire  le  maintien  pur  et  simple  de  la  vélaire  latine, 
comme  dans  les  idiomes  du  groupe  oriental  ou  du  Sud-Ouest  "'  ; 
par  conséquent  le  normand  et  le  picard  présentent  à  cet  égard  un 
état  de  la  langue  plus  ancien  que  le  français,  qui  a  changé  la  vé- 
laire en  ch.  Je  ne  crois  pas  qu'on  ait  cherché  à  donner  de  cette 
différence  de  formes  une  autre  explication  qui  mérite  de  fixer  l'at- 
tention ^. 


1.  Cf.  Jahrbuch.  IX,  84. 

2.  La  ressemblance  entre  le  picard  et  l'italien  dans  le  traitement  des 
gutturales  a  déjà  été  signalée  par  A.  Dinaux  {Mémoires  sur  les  Trouvères 
Cambrésiens,  dans  les  Archives  du  Nord  de  la  France),  cité  par  Fallot,  Re- 
cherches sur  les  formes  gramm.  de  la  langue  française,  p.  463. 

3.  En  voici  une  qu'on  est  surpris  de  trouver  dans  un  auteur  d'ordinaire 
aussi  judicieux  que  Fallot  :  «  Ces  deux  idiomes,  dit-il  {Recherches  etc., 
p.  463),  —il  s'agit  du  picard  et  de  l'italien,  —  dans  leur  harmonie  propre 


—  280  — 

Quant  au  changement  du  c  palatal  en  ch,  si  l'on  se  rappelle  ce 
que  j'ai  dit  des  transformations  de  cette  lettre  dans  les  idiomes 
romans,  on  y  verra  l'affaiblissement  de  la  forme  c  que  prend 
d'abord  ce  son  en  se  modifiant,  affaiblissement  que  nous  retrou- 
vons en  particulier  dans  le  toscan  et  dans  plusieurs  autres  dia- 
lectes italiens  ou  ladins.  Toutefois  Diez  a  proposé  une  autre 
explication  :  suivant  lui  la  palatale  aurait  d'abord  eu  en  pi- 
card —  il  ne  parle  pas  du  normand  —  la  même  forme  ts  ou  s 
qu'en  français,  puis  se  serait  ensuite  épaissie  en  ch.  Mais  ce 
n'est  là,  il  faut  le  reconnaître,  qu'une  supposition  gratuite  qu'au- 
cun fait  ne  vient  appuyer,  et  qu'au  contraire  contredit  la  théo- 
rie même  des  transformations  du  c.  D'abord  on  ne  voit  pas  si 
cet  épaississement  s'était  produit  après  l'affaiblissement  de  ts  en 
s,  affaiblissement  qui  a  eu  lieu  pour  la  spirante  sonore  presque 
dès  les  premiers  temps  de  la  langue,  pourquoi  1'^  étymologique 
n'en  aurait  pas  été  affecté  ;  si  on  suppose,  au  contraire,  qu'il 
est  antérieur  à  l'affaiblissement  de  ifs  en  5,  il  faudrait  montrer 
comment  ce  son  ts  a  pu  donner  ch,  tandis  que  partout  où  j'ai 
constaté  sa  présence  véritable,  nous  l'avons  vu,  soit  persister, 
soit  s'affaiblir  en  s  ou  en  6,  mais  jamais  en  s.  Il  faut  donc  admettre 
que  ch,  transformation  de  la  palatale  en  picard  et  en  normand 
est  non  un  épaississement  des,  mais  l'affaiblissement  de  tch,  tout 
comme  ch  modification  delà  vélaire  en  français.  Cela  étant,  pour- 
quoi ces  deux  dialectes  ont-ils  préféré  cette  forme  de  la  palatale? 
La  réponse  à  cette  question  me  paraît  on  ne  peut  plus  simple,  et 
je  n'hésite  pas  à  voir  dans  ce  fait  le  résultat  delà  persistance  de  la 
vélaire,  nouvelle  preuve,  s'il  en  était  besoin,  que  cette  persis- 
tance est  la  forme  primitive  du  c  suivi  de  a  en  picard  et  en  nor- 
mand. Il  semble  que  le  son  ch  {c  puis  s)  était  nécessaire  dans  une 
certaine  mesure  aux  dialectes  de  la  langue  d'oïl  ;  le  français 
l'ayant  donné  à  la  vélaire  transformée,  a  pu  affaiblir  la  palatale 
successivement  en  tch,  ts  et  en  s  ;  le  picard  et  le  normand  ayant, 
au  contraire,  conservé  à  la  vélaire  sa  valeur  gutturale  ont  dû  gar- 
der, pour  faire  en  quelque  sorte  compensation,  à  la  palatale  la 
valeur  tch  ou  ch. 

Reste  donc  à  expliquer  pourquoi  la  vélaire  a  persisté  en  nor- 
mand et  en  picard,  tandis  qu'elle  s'est  transformée  en  ch  en  fran- 


pour  cet  ordre  de  sons  et  par  suite  pour  plusieurs  autres,  sont  d'un 
ton  plus  élevé  que  le  français  et  ont  leurs  voyelles  harmoniques  à  un 
degré  plus  haut.  Ainsi  fc  est  à  ch  ce  que  ch  est  à  ce  »,  etc.  Par  bonheur 
on  n'est  pas  obligé  de  comprendre. 


—  281  — 

la  solution  est  plus  difficile,  et  le  plus  simple  serait  peut- 
être  de  constater  le  fait  sans  chercher  à  en  rendre  compte  ;  mais 
puisqu'on  a  essayé  de  le  faire,  il  faut  au  moins  dire  un  mot  des 
explications  qu'on  a  proposées  de  ce  fait  de  phonétique  si  curieux. 
On  a  prétendu,  et  Diez  en  particulier,  que  la  transformation  du  c 
vélaire  était  due  à  une  influence  germanique  ;  le  c  se  serait, 
comme  cela  a  eu  lieu  dans  le  dialecte  franc,  changé  d'abord  en 
spirante  x,  laquelle  se  serait  à  son  tour  transformée  en  c.  Cette 
explication  repose,  je  crois,  sur  une  confusion  et  sur  un  rappro- 
chement sans  fondement  entre  ■/  et  c  ou  s  que  Diez  a  regardé 
comme  des  aspirées  de  même  valeur.  Le  c  vélaire  s'est  parfois 
dans  les  dialectes  italiens  changé  en  /,  mais  alors  il  n'est  pas 
allé  plus  loin,  et  on  ne  voit  pas  qu'il  eût  pu  devenir  dans  ce  cas 
autre  chose  que  y  ^  Telle  n'est  point,  nous  le  savons,  la  marche 
que  la  vélaire  a  suivie  dans  sa  transformation  en  ch  ;  elle  s'est, 
au  contraire,  modifiée  d'abord  en  palatale  c,  laquelle  à  son  tour 
a  donné  le  son  tch,  aflaibli  ensuite  en  ch. 

D'ailleurs,  si  la  transformation  du  c  vélaire  en  ch  était  due 
à  l'influence  germanique,  comment  l'expliquer  dans  le  domaine 
provençal,  dont  certaines  contrées  l'ont  si  peu  subie  ?  Comment 
se  ferait-il  aussi  que  cette-  influence  ne  se  fût  pas  fait  sentir 
de  préférence  sur  les  mots  d'origine  germanique ,  dont  un  bon 
nombre  cependant  ont  conservé  la  vélaire,  tandis  que  les  mots 
d'origine  latine  presque  sans  exception  l'ont  changée  en  ch?  com- 
ment encore  peut-il  se  faire  que,  parmi  les  dialectes  français  et 
ladins,  ce  soient  précisément  ceux,  —  si  l'on  excepte  le  lorrain 
et  le  wallon^,  —  où  l'influence  germanique  a  été  la  plus  puis- 
sante, comme  dans  le  picard,  le  normand  et  le  roumanche  de 
l'Oberland,  qui  aient  conservé  la  vélaire,  tandis  que  les  autres  l'ont 
transformée?  Il  semblerait  même  d'après  cela,  si  dans  une  ques- 
tion aussi  obscure  on  pouvait  hasarder  une  explication,  qu'il 
fallût  renverser  les  termes  du  problème  et  voir  dans  cette  prédo- 
minance des  éléments  germaniques,  au  moment  de  la  formation 
de  la  langue,  le  contraire  de  ce  qu'on  lui  attribue,  c'est-à-dire 
la  conservation  de  la  vélaire  dans  les  dialectes  dont  je  viens  de 
parler.  La  transformation,  sans  aucun  doute  récente,  du  c  pri- 
mitivement vélaire  en  c  dans  un  certain  nombre  de  mots  de  ces 


1.  Il  est  vrai,  y  s'est  parfois  changé  en  chuintante,  mais  c'est  à  une 
sonore,  non  à  une  sourde,  qu'il  a  donné  naissance,  quand  il  n'est  pas 
précédé  d'une  explosive  sourde. 

2.  Au  reste  dans  ces  idiomes  même  la  vélaire  persiste  parfois;  voir 
plus  haut,  p.  219. 


—  282  — 

dialectes  montre  bien  au  moins  que  cette  modification  est  un  dé- 
veloppement naturel  et  spontané  de  la  langue,  et  que  si  elle  ne 
s'est  pas  produite  plus  tôt,  c'est  qu'une  cause  latente,  agissant 
au  moment  de  sa  formation,  a  conservé  à  la  gutturale  sa  valeur 
primitive. 

Si  l'on  admettait  que  cette  cause  est  l'influence  germa- 
nique, on  aurait  là  peut-être  un  moyen  de  fixer  la  date  de  la 
transformation  de  la  vélaire  dans  le  français.  Dans  cette  hypo- 
thèse, en  effet,  celle-ci  n'aurait  pu  se  changer  en  tch  qu'après 
que  cette  influence  aurait  cessé  de  se  faire  sentir,  c'est-à-dire 
probablement  dans  le  courant  du  ix^  siècle  ^  :  c'est  la  conclusion 
à  laquelle  m'avait  amené  déjà  l'étude  des  premiers  monuments  de 
la  langue.  D'ailleurs  cette  circonstance  que,  sur  trois  des  princi- 
paux dialectes  français,  deux  ont  conservé  la  gutturale  vélaire, 
ne  permet  pas  de  reporter  loin  de  leur  époque  de  formation  sa 
transformation  dans  le  troisième  ;  si  cette  transformation  n'avait 
eu  lieu  que  beaucoup  plus  tard  on  ne  voit  pas  pourquoi  elle  ne  se 
serait  pas  produite  alors  simultanément  dans  les  deux  autres, 
comme  elle  y  a  eu  lieu  isolément  dans  la  suite.  Or  c'est  au 
ix°  siècle  que  le  français  commence  à  se  dégager  des  langes  du 
latin  et  à  prendre  une  physionomie  qui  lui  soit  propre,  je  crois 
donc  que  c'est  à  cette  époque  aussi  qu'il  faut  reporter  le  change- 
ment de  la  vélaire  en  chuintante  ch  ou  du  moins  en  palatale  é,  sa 
transformation  en  cette  dernière  ayant  pu  d'ailleurs  commencer 
plus  tôt,  et  ce  son  intermédiaire  ayant  pu  aussi,  suivant  les  loca- 
lités, persister  plus  ou  moins  longtemps. 

Ainsi  le  c  vélaire  a  persisté  d'ordinaire  en  normand  et  en  picard, 
le  c  palatal  s'y  est  transformé  en  ch  ;  dans  les  dialectes  français 
du  centre  et  de  l'Est,  au  contraire,  le  c  vélaire  s'est  transformé 
en  ch,  le  c  palatal  en  ts  puis  en  s  :  tels  sont  les  résultats  géné- 
raux auxquels  je  suis  arrivé  ;  ils  sont  incontestables  pour  le 
français  et  généralement  admis  aussi  pour  le  picard,  mais  les 
anciens  monuments  semblent  les  contredire,  en  partie  du  moins. 


1.  Les  Gloses  de  Reichenau  et  de  Gassel  donnent  partout  ca,  au  com- 
mencement comme  au  milieu  des  mots;  le  c  vélaire  persistait  donc 
encore  devant  a  au  moment  de  leur  rédaction,  c'est-à-dire  au  vin° siècle; 
il  y  a  plus,  l'orthographe  keminada  (p.  68  tr.)  montre  que  devant  e, 
provenant  de  a,  il  était  encore  resté  sans  modification;  nous  avons 
donc  là  une  limite  inférieure  pour  cette  transformation,  le  fragment  de 
Valcnciennes  en  donne  une  supérieure;  c'est  entre  elles,  dès  lors,  c'est- 
à-dire  entre  la  fin  du  mii"  et  celle  du  ix'  siècle,  qu'il  faut  placer  la 
transformation  du  c  vélaire  en  ch. 


—  283  — 

pour  le  normand.  Dans  l'Alexis,  la  Chanson  de  Roland,  le  Char- 
lemagne,  le  Psautier  d'Oxford,  le  c  palatal  transformé  est  repré- 
senté comme  en  français  par  c  ou  même  par  s,  j'ai  déjà  eu  occa- 
sion de  remarquer  qu'on  ne  pouvait  pas  conclure  de  cette  ortho- 
graphe que  le  c  n'y  avait  point  la  prononciation  ch  (s)  ou  tch 
[c)  devant  e  ou  i  étymologique,  puisqu'on  trouve  écrits   avec 
un  simple  c  des  mots  dans  lesquels  ce  ou  ci  devait  se  pronon- 
cer che  ou  chi.  D'un  autre  côté  l'étude  comparée  des  monu- 
ments normands  du  Moyen  Age  et  de  la  langue  actuelle  nous 
montre  le  son  s   se  substituant  bien  plutôt    au  son   ch   que 
celui-ci  ne  prenant  la  place  du  premier,   raison    de  plus,  si 
on  n'y  était  déjà   amené   par  la  théorie,   pour  voir  dans   ch 
la  forme  primitive  en  normand  du  c  palatal  latin  transformé. 
Quant  au  c  vélaire,  nous  l'avons  trouvé  persistant  le  plus 
souvent  dans  les  plus  anciens  monuments   de  la  langue;  les 
mots  où  il  est  remplacé  par  ch  étaient-ils  usités  par  les  écri- 
vains normands,  ou  bien  l'adoption  de  la  forme  ch  est-elle  due  à 
un  caprice  des  copistes  ?  Il  est  difficile  de  répondre  d'une  manière 
entièrement  satisfaisante  à  cette  question,  quoique  la  seconde 
supposition,  d'après  ce  que  nous  savons  des  caractères  du  nor- 
mand et  des  altérations  apportées  aux  anciens  textes  par  les 
scribes,  soitde  beaucoup  la  plus  vraisemblable.  Toutefoisi]  est  cer- 
tain que  d'assez  bonne  heure  le  c  vélaire  s'est  changé  en  ch  dans 
un  certain  nombre  de  mots  en  Normandie  ;  on  trouve  le  nom  de 
Radulfus  Clinchamp  dans  une  charte  latine  de  1165  environ, 
d'après  M.  Léopold  Delisle\  et  ce  nom  est  encore  aujourd'hui 
celui  d'une  commune  voisine  de  Gaen  et  d'une  famille  normande  ; 
nous  avons  vu  aussi  que  dans  un  certain  nombre  de  noms  de  lieu 
ch  s'est  substitué  au  c  vélaire,  ainsi  :  Avranches,  Chet'bourg 
(m.),  Chamboy  {o.),  Clinchamps  (c),  Chanteleu{E.),  Neuf- 
châtel  (s.-i),  etc.,  et  si,  comme  on  doit  le  supposer,  la  gutturale 
>^  y  a  précédé  la  chuintante  ch,  nous  savons  que  sa  transforma- 
tion en  cette  dernière  remonte  à  une  époque  reculée.  Il  est  donc 
permis  aussi  de  supposer  que  dans  des  textes  incontestablement 
normands  d'origine  les  gutturales  étaient  souvent  traitées  comme 
en  français  ;  et,  tout  en  admettant  que  les  scribes  ont  parfois 
falsifié  les  textes  qu'ils  nous  ont  transmis,  on  peut  croire  aussi 
que  certains  monuments  poétiques  ont  bien,  comme  les  chartes 
que  j'ai  étudiées,  présenté  à  la  fois  des  formes  normandes  et  des 
formes  françaises  ;  mais  comment  expliquer  le  mélange  de  ces 
formes  dialectales  si  différentes  dans  le  langage  parlé  et  surtout 


Hist.  de  la  commune  et  du  château  de  St-Sauveur,  p.  72. 


—  284  — 

écrit  en  Normandie?  Pour  s'en  rendre  compte,  il  suffit  de  se 
reporter  aux  événements  historiques  dont  cette  province  a  été  le 
théâtre. 

Le  normand;,  comme  je  l'ai  dit,  est  la  langue  propre  à  l'an- 
cienne Neustrie  ;  l'isolement  où  se  trouva  cette  contrée  par  suite 
de  la  conquête  de  Rollon,  —  conquête  qui  eut  lieu  au  moment  où 
les  divers  idiomes  français  commençant  à  se  former  devaient 
commencer  aussi  à  prendre  leurs  dififérences  dialectales,  —  dut 
favoriser  la  conservation  des  caractères  distinctifs  du  dialecte 
qu'on  y  parlait  ;  la  conquête  de  l'Angleterre  vint  bien  mettre  la 
Normandie  en  rapport  avec  un  pays  nouveau  ;  mais  si,  au  con- 
tact de  l'anglo-saxon,  l'idiome  des  conquérants  dut  se  modifier, 
ce  ne  fut  que  plus  tard  et  quand  il  fut  parlé  par  le  peuple  conquis, 
que  cette  altération  se  produisit  ;  elle  ne  dut  d'ailleurs  se  faire 
sentir  qu'en  Angleterre  et  ne  put  exercer  aucune  influence  sur  le 
normand  du  continent.  Il  n'en  fut  pas  de  même  d'un  événement 
tout  pacifique  qui  eut  pour  la  puissance  du  royaume  anglo-nor- 
mand les  conséquences  les  plus  importantes  ;  je  veux  parler  de 
l'avènement  des  Plantagenets  au  trône  d'Angleterre. 

Depuis  la  conquête  les  souverains  anglais,  —  le  dernier, 
Etienne  de  Boulogne,  excepté,  —  étaient  originaires  de  Nor- 
mandie ;  le  dialecte  de  cette  province  devait  donc  être  resté  natu- 
rellement la  langue  de  la  cour,  comme  la  langue  officielle.  La 
réunion  en  1154  de  la  Normandie  et  de  l'Angleterre  sous  la 
domination  de  Henri  II  Plantagenet  vint  modifier  cet  état  de 
choses.  Henri,  avant  d'être  duc  de  Normandie  et  roi  d'Angleterre, 
était  comte  d'Anjou,  du  Maine  et  de  Touraine,  pay^  dont  le  dia- 
lecte ressemble  bien  au  normand  par  son  vocalisme,  mais  en 
diffère  essentiellement  par  le  traitement  des  gutturales  qui  s'y 
sont  modifiées  comme  dans  le  français  proprement  dit.  Ainsi 
tandis  que  les  pays  de  langue  picarde  restaient  isolés  politique- 
ment du  reste  de  la  France,  la  Normandie,  en  passant  sous  le 
sceptre  des  Plantagenets,  se  trouvait,  au  milieu  du  xii^  siècle, 
réunie  à  des. pajs  dont  le  dialecte  difiérait  profondément  du  sien 
par  leur  consonnantisme  ;  il  est  impossible  que  ce  rapproche- 
ment d'idiomes  différents  n'ait  point  influé  sur  le  normand,  au 
moins  sur  le  normand  littéraire.  Des  trouvères,  comme  Wace, 
qui  florissait  déjà  à  l'avènement  des  Plantagenets,  continuèrent 
sans  doute  à  écrire  dans  le  dialecte  normand  et  purent  voir  en- 
core leurs  poèmes  accueillis  des  nouveaux  souverains  ^  ;  mais  il 

1.  Rou  V.  10455.  Par  Deu  aïe  e  par  li  rei, 
Altre  fors  li  servir  ne  dei. 


— ■  285  — 

se  forma  bientôt  une  autre  génération  de  poètes  qui  dédai- 
gnèrent certains  des  caractères  essentiels  du  normand  propre- 
ment dit  et  n'en  durent  plaire  peut-être  que  davantage  aux 
monarques  angevins  ;  comment  d'ailleurs  ceux-ci  n'auraient-ils 
point  préféré  des  formes  qui  leur  rappelaient  l'idiome  de  l'An- 
jou et  de  la  Touraine  ?  Si  l'on  pouvait  être  sûr  que  les  poésies 
de  Richard  I  n'ont  point  été  altérées  par  les  copistes,  on  j  trou- 
verait la  confirmation  la  plus  directe  de  ce  que  j'avance,  puis- 
qu'elles n'ont  aucun  des  caractères  du  normand^. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  incontestable  —  et  c'est  avec  les 
altérations  apportées  aux  textes  par  les  copistes  une  des 
causes  qui  jettent  tant  d'incertitude  sur  la  langue  des  poèmes 
normands  de  cette  époque  et  en  rend  le  rétablissement  impos- 
sible —  qu'à  partir  de  la  seconde  moitié  du  xif  siècle ,  il  y  eut 
dans  l'étendue  du  royaume  anglo-normand  des  trouvères  qui, 
soit  qu'ils  ne  fussent  pas  d'origine  normande,  soit  qu'ils  le  fissent 
à  dessein,  employèrent  non  les  formes  propres  au  dialecte  parlé 
en  Normandie,  mais  à  celles  du  dialecte  de  l'Ile-de-France.  Le 
désir  de  plaire  aux  princes  de  la  nouvelle  dynastie,  mais  plus 
encore  l'importance  chaque  jour  croissante  de  la  littérature  des 
pays  de  langue  française  et  la  renommée  de  leurs  poètes,  en 
furent  la  cause.  Après  avoir  fait  ses  premières  études  à  Caen, 
Wace  avait  vécu  un  temps  assez  long  dans  les  pays  soumis  à  la 
domination  des  rois  de  France  ^  et  il  n'est  pas  impossible  déjà 
qu'il  n'y  ait  appris,  pour  les  adopter  peut-être  plus  tard,  cer- 


Me  fut  donnée,  Dex  li  rende, 
A  Baieues  une  provende. 
Cependant  Wace  lui-même  ne  tarda  pas  non  plus  à  être  négligé  par 
les  rois  anglais  et  il  s'en  plaint  amèrement  : 
_  De  dons  e  de  promesses  chacun  d'els  m'asoage  ; 

Mez  besuing  vient,  qui  tost  sigle  e  tost  nage, 
E  suvent  me  fet  mètre  li  denier  el  gage. 

1.  Le  Roux  de  Lincy,  Recueil  de  chants  historiques  français,  I,  56  et  65. 
Toutefois  on  trouve  dans  la  seconde 

«  Dalfln,  jens  voil  deresnier  » 
les  mots  castels  et  cal  ;  mais  si  le  premier  peut  être  à  la  fois  provençal 
et  normand,  le  second  n'est  que  provençal,  la  forme  normande  étant 
calt  ou  caut,  on  peut  donc  supposer  que  castels  est  aussi  provençal  et 
qu'on  a  là  la  traduction  d'une  chanson  écrite  primitivement  dans 
l'idiome  des  troubadours,  ou  copiée  par  un  scribe  provençal,  ce  que 
semblerait  indiquer  le  tz  des  mots  voletz  2,  53,  troveiz  5,  3. 

2.  Puiz  fu  lunges  en  France  apris.  R.  v.  10450. 


—  286  — 
taines  formes  étrangères  au  dialecte  normand  ;  cependant,  sous 
les  altérations  dont  ils  ont  été  l'objet,  on  retrouve  encore  dans 
ses  poèmes  les  mieux  conservés  les  caractères  essentiels  de  son 
idiome  natal.  Mais  il  n'en  fut  plus  de  même  après  lui.  Les  for- 
mes normandes  ont  déjà  plus  ou  moins  disparu,  nous  avons  vu, 
de  la  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  du  poème  du  Mont 
Saint-Michel,  etc.,  pour  être  remplacées  par  des  formes  fran- 
çaises. Vers  la  fin  du  xif  siècle,  Garnier  de  Pont-Saint- 
Maxence,  originaire,  il  est  vrai,  du  Beauvaisis,  mais  célébrant 
un  Anglais,  écrivant  en  Angleterre,  et  surtout  pour  les  Anglo- 
Normands  S  arguait  dans  son  poème  sur  «  Thomas  le  Martyre  » 
de  son  origine  pour  prouver  la  bonté  de  son  style  : 

«  Mis  languages  est  buens,  car  en  France  fui  né  *» 

Ainsi,  même  dans  les  pays  de  langue  normande ,  on  pouvait 
déjà  à  cette  époque  proclamer,  sans  craindre  d'être  contredit,  la 
supériorité  du  français  sur  les  autres  dialectes  congénères. 

Un  événement,  bien  plus  important  par  ses  conséquences  phi- 
lologiques que  l'accession  au  trône  des  Plantagenets,  allait,  au 
commencement  du  siècle  suivant,  accroître  encore  cette  supré- 
matie du  français  en  Normandie  ;  ce  fut  la  réunion  à  la  couronne 
des  possessions  continentales  des  rois  d'Angleterre  (1203).  Ce 
n'était  plus  là  seulement,  en  effet,  comme  en  1154,  le  rapproche- 
ment entre  des  pays  de  langue  normande  et  trois  provinces 
ayant  un  idiome  différent,  c'était  leur  réunion,  ou  plutôt  leur 
soumission,  à  ceux  de  langue  française,  fait  qui  devait  entraîner 
la  substitution  de  l'idiome  de  l'Ile-de-France  au  normand  comme 
langue  officielle.  Un  pareil  événement  devait  modifier  profondé- 
ment les  conditions  dans  lesquelles  s'était  trouvé  jusque-là  l'an- 
cien dialecte  parlé  en  Normandie  ;  sans  doute  cette  révolution 
n'atteignit  pas  tout  d'abord  le  langage  populaire;  mais  l'emploi  du 
français  dans  les  actes  publics  ^,  la  supériorité  désormais  reconnue 

1.  Aine  mais  mieldre  romanz  ne  fu  fez  ne  trovez  ; 
A  Cantorbire  fu  et  fez  et  amendez. 

2.  Cf.  Hist.  lut.  de  la  France  XXIII,  370.  Toutefois,  il  faut  le  reconnaî- 
tre, tout  ceci  est  beaucoup  plus  vrai  de  l'anglo-normand  que  du  nor- 
mand proprement  dit. 

3.  Dans  V Échiquier  de  Normandie,  recueil  d'actes  du  xiii"  siècle,  mais 
probablement  rajeunis,  le  normand  a  fait  place  partout  au  français.  Du 
moins  nous  ne  trouvons  déjà  les  formes  normandes  qu'exceptionnelle- 
ment dans  les  extraits  du  livre  des  Jurés  de  l'abbaye  de  Saint-Ouen  de 
Rouen,  donnés  par  M.  Léop.  Delisle  dans  ses  Études  sur  la  condition 
de  la  classe  agricole  en  Normandie,  sous  l'année  1^91,  ainsi  que  dans 


—  287  — 

de  ce  dialecte,  la  célébrité  dont  jouissaient  alors  les  trouvères  qui 
le  parlaient,  tout  cela  porta  au  normand  un  coup  fatal.  Délaissé 
peu  à  peu  par  les  clercs,  qui  y  mêlèrent,  quand  ils  n'en  rejetèrent 
pas  complètement  l'emploi,  des  formes  françaises,  il  cessa  d'être 
une  langue  littéraire  et  tomba  au  rang  de  patois.  C'était  la  consé- 
quence inévitable  de  la  soumission  de  la  Normandie  à  la  cou- 
ronne et  de  la  suprématie  bientôt  incontestée  du  dialecte  de  l'Ile- 
de-France.  Cet  état  de  choses  ne  pouvait  manquer  d'avoir  à  la 
longue  une  influence  dissolvante  sur  le  parler  vulgaire  des 
populations  normandes. 

En  ce  qui  concerne  les  gutturales,  la  chuintante  ch  tendit 
désormais  à  se  substituer  à  la  vélaire  ;  s  à  prendre,  au  contraire, 
la  place  de  ch,  transformation  normande  de  la  palatale.  L'inspec- 
tion des  anciens  manuscrits  en  donne  la  preuve  à  chaque  ligne, 
et  j'ai  eu  occasion  de  signaler  sans  cesse  cette  confusion  de 
formes  dans  les  chartes  que  j'ai  étudiées  précédemment.  L'examen 
des  noms  d'hommes  ou  de  pays  surtout  est  on  ne  peut  plus  propre 
à  montrer  la  transformation  qui  s'effectuait  peu  à  peu  dans  la 
langue,  et  les  efforts  des  lettrés  pour  faire  passer  sous  le  niveau 
français  les  anciennes  formes  normandes.  Dans  certains  manus- 
crits de  la  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  du  Brut  ou  du 
Rou,  on  trouve  souvent  ch  substitué  à  c  dans  les  noms  de  lieu 
qui  ont  conservé  jusqu'à  présent  leur  prononciation  gutturale, 
par  exemple  Arches^,  v.  8575  et  8589  ;  Chaaignes  (Cahagnes) 
R.  13664,  Chanon  (Canon)  R.  13679,  Chaen  (Caen)  Chr. 
33754  ;  Chauz  Chr.  14739,  H.  13731;  Chaumont  Chr.  30798 
R.  15231  ;  Tancharville  R.  13560,  etc.  '.  Les  Actes  normands 
nous  font  en  quelque  sorte  assister  à  ce  travail  de  transformation  ; 
ainsi  nous  trouvons  dans  le  compte  n°  4  de  l'année  1329  «  Nuef 
Castel  et  Arques  »  ;  dans  le  compte  n"  74  de  l'an  1337  nous 
avons,  au  contraire,  «  Noef  Chastel  et  Arches  »  ;  un  des  copistes 
du  Roman  de  Rou  avait  aussi  employé  la  forme  Arches;  on 
essayait  donc,  à  ce  qu'il  semble,  à  cette  époque  de  transformer 
la  gutturale  de  ces  deux  noms  ;  la  tentative  a  réussi  pour  le  pre- 
mier, qui  est  devenu  Neufchâtel,  mais  elle  a  échoué  pour  le 
second  qui  est  resté  Arques  ;  par  contre  elle  a  réussi  pour  le 


un  acte  de  1260,  et  les  pièces  justificatives  du  même  ouvrage  contien- 
nent des  chartes  du  commencement  du  treizième  siècle  (1302, 1324,  etc.) 
où  on  ne  rencontre  plus  que  les  formes  françaises  des  gutturales. 

1.  On  trouve  même  ch  dans  des  noms  étrangers  comme  Chantorbire 
(Gantorbéry)  B.  4079,  Chatenois  (Caithness)  id.  2365,  où  la  vélaire  aurait 
dû  évidemment  être  conservée. 


—  288  — 
nom  de  la  même  contrée,  et  formé  de  la  même  racine,  Pont  de 
V Arche.  Ce  qui  s'est  passé  dans  le  département  de  la  Seine-Infé- 
rieure s'est  produit  également  dans  les  autres  parties  de  la  Nor- 
mandie ;  ainsi,  à  droite  de  la  baie  des  Veys,  se  trouve  Grancamp, 
nom  dont  la  vélaire  a  persisté,  tandis  que  sur  le  côté  gauche  de  la 
même  baie  est  La  Blanche,  mot  dans  lequel  elle  s'est  trans- 
formée en  ch  ;  il  serait  facile  de  multiplier  ces  rapprochements, 
sans  qu'on  pût  pour  cela  deviner  quelle  est  au  juste  la  cause  qui 
a  déterminé  cette  diversité  de  formes  dans  des  mots  qui  ont  dû 
être  identiques  à  l'origine.  Il  semble  bien  sans  doute  que  les 
noms  dont  le  c  s'est  transformé  sont  plus  récents,  cependant  il 
en  est  comme  Clinchamps,  Avranches,  Cherbourg,  etc.,  qui 
doivent  être  fort  anciens,  et  qui,  se  trouvant  dans  la  même  région 
que  d'autres  dont  la  vélaire  a  persisté,  auraient  dû,  dès  lors,  la  con- 
server comme  eux,  mais  ne  l'ont  pas  moins  changée  en  ch.  La  seule 
chose  qui  paraisse  certaine,  c'est  qu'en  général  les  noms  où  le  c 
vélaire  s'est  transformé  appartiennent  à  la  partie  méridionale  ou 
Sud-Est  de  la  Normandie  ;  on  comprend,  en  effet,  que  ce  soit  là, 
à  la  frontière  commune  des  deux  dialectes,  que  celui  de  l'Ile-de- 
France  ait  agi  avec  le  plus  de  puissance,  pour  en  modifier  les 
formes  propres  au  normand. 

Les  noms  de  personnes  donnent  lieu  aux  mêmes  observations  ; 
ainsi  dans  le  n°  4  des  Actes  normands  (1329),  on  rencontre  le 
nom  de  Charpentier,  dans  l'acte  trois  (1328)  celui  de  La  Cha- 
pelle et  dans  l'acte  quarante-huit  (1336),  celui  de  Chanu,  qui 
sont  écrits  le  premier  Carpentier  dans  l'acte  cinquante-trois 
(1336),  fait  pour  l'armement  de  la  nef  la  Kateline,  le  second 
La  Capelle  (Jehan  de)  dans  l'acte  trente-neuf,  inventaire  fait 
en  1333  à  Saint-Pierre  d'Arthenay,  ainsi  que  dans  l'acte 
soixante-quatorze  passé  en  1337,  et  le  troisième  Canu,  dans 
l'inventaire  de  Saint-Pierre  d'Arthenay  ^  Le  même  fait  se 
présente  dans  les  textes  que  j'ai  étudiés,  et  on  y  rencontre 
même  écrits  par  ch  des  noms  dont  la  gutturale  n'aurait  pas  dû, 
ce  semble,  être  modifiée.  J'ai  déjà  signalé  dans  l'Alexis  la 
forme  Acharies  (Arcadius)  L.  62,  2;  on  trouve  de  même 
Aschanius  {k^ca^Tie)  dans  le  Roman  de  Brut  v.  17,  89,  111, 
118,  etc.  C'était,  appliquée  ici  même  à  des  noms  étrangers,  le 
résultat  de  cette  tendance  de  transformation  dont  j'ai  fait  re- 
marquer les  efiets  sur  les  noms  de  lieu,  et  qui  semble  avoir  agi 

1.  Nous  avons  vu  que  ces  formes  Canu,  Capelle,  Carpentier,  sont  encore 
usitées  aujourd'hui  en  Normandie. 


—  289  — 

avec  force  au  xiif  et  au  xiv°  siècle,  sans  réussir  cependant  à 
modifier  tous  les  noms  propres  que  la  tradition  défendait 
contre  ces  tentatives  d'innovation,  comme  la  mémoire  du  peuple 
conservait  fidèlement  aux  noms  communs,  malgré  l'influence 
croissante  du  français,  leur  forme  originelle. 

On  peut  dire  qu'il  a  fallu  une  résistance  de  tous  les  instants, 
aidée  sans  doute  par  le  mauvais  état  de  l'instruction  —  l'igno- 
rance si  funeste  à  tous  les  égards  est  au  moins  favorable  au  main- 
tien des  idiomes  tombés  à  l'état  de  patois  —  pour  conserver  au 
dialecte  normand,  enparticulierence  qui  concerne  les  gutturales, 
ses  caractères  distinctifs.  Pour  les  noms  communs  toutefois  le  nor- 
mand l'a  emporté  aussi  bien  dans  la  conservation  de  la  vélaire  que 
dans  celle  de  la  forme  ch  prise  par  la  palatale  transformée  ;  la 
vélaire  n'a  cédé  que  dans  un  petit  nombre  de  cas  S  et  la  forme 
ch  prise  par  la  palatale,  excepté  à  la  fin  des  mots  cependant 
et  au  milieu  quand  elle  s'est  changée  en  spirante  sonore,  n'a 
fait  place  à  ç  aussi  que  dans  bien  peu  de  cas.  Il  en  a  été 
tout  autrement  pour  les  noms  propres,  ce  qui  s'explique  sans 
peine,  parce  qu'ici  les  lettrés  sont  intervenus  et  ont  favorisé 
les  formes  françaises,  le  c  vélaire  a  dû  faire  place  assez  souvent, 
surtout  dans  les  noms  géographiques,  à  la  chuintante  ch,  et 
celle-ci,  au  contraire,  a  été  remplacée  dans  le  plus  grand  nombre 
de  cas  par  le  c  français. 

Telle  a  été,  au  point  de  vue  des  gutturales  et  depuis  la  réunion 
de  la  Normandie  à  la  France,  l'histoire  du  dialecte  parlé  dans 
cette  province  ;  mais  tout  autre  naturellement  a  été  la  destinée 
du  normand  importé  par  la  conquête  en  Angleterre  ;  c'était  la 
conséquence  forcée  des  conditions  particulières  dans  lesquelles  il 
s'y  trouvait.  Sur  le  continent,  le  normand  était  la  langue  du 
peuple  qui,  grâce  à  l'ignorance  dans  laquelle  il  vivait,  l'a  con- 
servée longtemps  sans  modification  essentielle  ;  en  Angleterre, 
au  contraire,  le  normand  était  la  langue  de  l'aristocratie,  minorité 
isolée  au  milieu  de  la  population  anglo-saxonne,  dont  elle  dut 


1.  11  est  curieux  de  comparer  les  mots  communs  où  la  vélaire  a  per- 
sisté et  ceux  où  elle  s'est  changée  en  ch  ;  on  voit  qu'en  général  les 
premiers  sont  exclusivement  populaires  ou  indigènes,  les  mots  qu'on 
pourrait  dire  d'un  usage  mixte  ont  le  plus  souvent,  au  contraire,  les 
deux  formes  ;  quant  à  ceux  qui  sont  d'origine  savante,  ou  qui  appar- 
tiennent à  la  langue  de  l'église  ou  de  l'administration,  ils  n'ont  d'ordi- 
naire que  la  forme  française.  Ainsi  canter  (mettre  sur  le  champ),  et 
chanter  (la  messe  p.  ex.);  calenger  (obtenir  par  dessus  le  marché)  et 
chier  (aimé)  ;  canié  et  chanieau,  etc. 

49 


—  290  — 

finir  par  apprendre  la  langue.  Dans  ces  conditions,  l'idiome 
importé  en  Angleterre  courait  grand  risque  de  se  corrompre  s'il 
ne  se  ravivait  à  sa  source.  Mais  l'avènement  des  Plantagenets 
ayant  mis,  au  moins  à  la  cour,  sur  le  même  pied  d'égalité  que 
le  normand  d'autres  dialectes  français  jusqu'alors  inconnus  dans 
la  Grande-Bretagne,  il  n'y  avait  déjà  plus  de  raison  pour  qu'on 
y  tînt  à  conserver  dans  toute  sa  pureté  celui  qui  avait  dû  être 
seul  parlé  sous  la  dynastie  normande.  La  séparation  politique 
de  la  Normandie  et  de  l'Angleterre  ne  dut  pas  non  plus  rester 
sans  influence  sur  les  transformations  possibles  de  l'anglo-nor- 
mand.  Il  suffit  pour  s'en  rendre  compte  de  se  représenter  les 
circonstances  dans  lesquelles  elle  se  produisit  et  les  résultats  qui 
en  furent  la  suite. 

Depuis  un  demi-siècle  le  dialecte  normand  avait  cessé  d'être 
la  langue  maternelle  des  souverains  anglais;  cependant  la 
célébrité  des  trouvères  qui  l'avaient  employé  d'abord  dut  lui  con- 
server sans  doute  quelque  temps  encore  quelque  chose  de  son 
ancienne  importance  ;  tout  cela  changea  au  xiii**  siècle  avec  la 
séparation  de  la  Normandie  de  l'Angleterre  ;  la  décadence  de  la 
poésie  normande  qui  en  fut  la  suite,  l'éclat  dont  brillaient  pré- 
cisément à  cette  époque  les  trouvères  de  la  langue  française,  tout 
devait  contribuer  à  attirer  de  plus  en  plus  l'attention  sur  ce  dernier 
idiome;  en  même  temps  l'anglo-normand,  n'étant  plus  ravivé  par  un 
échange  continu  de  communications  avec  le  continent,  en  contact 
aussi  avec  l'anglo-saxon,  avec  lequel  il  commençait  à  se  mêler 
pour  former  ce  qui  sera  bientôt  l'anglais,  ne  pouvait  manquer  de 
s'altérer.  Cette  corruption  toutefois  dut  tout  d'abord  bien  plus 
modifier  le  vocalisme  que  le  consonnantisme  du  normand,  puisque 
l'anglo-saxon  traitait  les  gutturales,  les  seules  dont  il  soit  ici 
question,  de  la  même  manière  que  ce  dialecte  ;  celles-ci  ne  tar- 
dèrent pas  non  plus  cependant  à  s'altérer  ;  ce  qui  dut  contribuer 
à  en  modifier  la  valeur  originelle  fut  l'influence  croissante  du 
français,  influence  qui  ne  cessa  plus  désormais  de  se  faire  sentir 
en  Angleterre,  comme  elle  agissait  en  Normandie  ;  mais  qui  n'y 
était  pas  combattue,  comme  dans  cette  province,  par  la  tradition 
populaire.  Le  goût  de  notre  littérature  se  maintint  de  l'autre 
côté  de  la  Manche  ;  mais  comme  la  décadence  de  la  poésie  nor- 
mande avait  suivi  de  près  la  réunion  de  la  Normandie  à  la  cou- 
ronne, c'étaient  les  écrivains  français  qui  étaient  maintenant 
lus,  admirés,  imités  en  Angleterre;  on  sait  en  particulier  de 
quelle  popularité  y  jouit  le  Roman  de  la  Rose,  que  Chaucer  ne 
dédaigna  pas  de  traduire.  En  même  temps  c'était  aussi  dans  l'Ile- 


—  291  — 

de-France,  non  en  Normandie,  qu'allaient  chercher  leurs  maîtres 
et  des  leçons  ceux  qui  désiraient  s'instruire  dans  notre  langue  ; 
le  français,  tel  qu'il  se  conservait  en  Angleterre,  était  regardé 
comme  grossier  ^  il  était  naturel  qu'on  cherchât  à  le  retremper 
à  ses  sources  et  à  le  refaire,  si  cela  était  possible,  sur  les  modèles 
nouveaux  qu'offrait  le  continent.  Ainsi  tout  contribuait  à  effacer 
les  caractères  primitifs  du  normand  et  à  ramener  en  particulier 
les  gutturales  de  la  forme  qu'elles  y  avaient  à  celle  qu'elles 
avaient  prises  en  français  ^  ;  nous  avons  vu  cependant  qu'elles 
ont  dans  un  certain  nombre  de  cas  conservé  celle  qui  est  propre 
au  premier  de  ces  dialectes,  mais  plus  souvent  aussi,  en  parti- 
culier la  palatale,  elles  ont  adopté  celles  du  français  et  les 
doublets  comme  caldron  et  chaudron ,  camber  et  chamber, 
caste  et  chaste,  chives  et  cives,  chibbol  et  cibol,  etc.,  mon- 
trent l'hésitation  qui  se  produisit. dans  la  langue  à  l'époque  de  sa 
transformation  et  la  double  source  à  laquelle  elle  a  puisé. 

Le  dictionnaire  français-hébreu  dont  j'ai  parlé  p.  252,  docu- 
ment d'une  importance  dont  l'éditeur  ne  paraît  pas  s'être  douté, 
nous  montre  ce  travail  de  transformation  s'opérant  déjà  dans  la 
première  moitié  du  xui^  siècle  ;  le  c  vélaire  y  a  encore  persisté  le 
plus  souvent,  nous  avons  vu,  mais  il  est  aussi  parfois  remplacé 
par  ch  ;  on  sait  qu'il  a  persisté  jusqu'à  aujourd'hui  dans  un  cer- 
tain nombre  de  mots,  mais  que  dans  un  plus  grand  nombre  il  a 
fait  place  à  cette  chuintante  ;  la  langue  a  donc  continué  la  modi- 
fication qui  commençait  alors,  modification  dont  nous  trouvons 
la  preuve  dans  le  soin  même  avec  lequel  les  copistes  substituaient 
ch  au  c  suivi  de  a.  Quant  au  c  palatal,  la  transformation  a  été 


1.  On  connaît  les  vers  de  Chaucer  qui  constatent  ce  mépris  pour  le 
français  tel  que  le  parlaient  tant  d'Anglais  de  son  temps  ;  il  s'agit  de  la 
supérieure  des  Canterbunj  Taies  «  Madame  Eglentine  »  : 

And  Frenche  she  spake  fui  fayre  and  fetesly 

After  the  scole  of  Stratford  atte  Bowe 

For  Frenche  of  Paris  was  to  hire  unknowe. 

2.  On  peut  se  faire  une  idée  des  modifications  qu'avait  subies  l'anglo- 
normand  dès  le  xnr  siècle,  en  comparant  le  texte  du  Lai  d'Havelock  à 
celui  des  monuments  vraiment  normands  de  la  même  époque  ou  du 
siècle  précédent  ;  non-seulement  la  diphthongue  ou  {aou)  s'est  développée 
outre  mesure  et  dans  des  cas  où  le  dialecte  normand  proprement  dit  ne 
la  connaissait  pas,  mais  oi  s'est  presque  partout  substitué  à  ei;  en  même 
temps  la  vélaire  ne  persiste  plus  devant  a  ;  les  cinq  cents  premiers 
vers  du  texte,  tel  que  l'a  donné  M.  Francisque  Michel  {Lai  d'Havelock, 
in-4°,  Paris,  1333),  n'en  offrent  pas  du  moins  un  seul  exemple  ;  quant  à 
la  palatale,  elle  est  toujours  représentée  parc  (s). 


—  292  — 

encore  plus  générale  et  plus  complète.  Dans  ce  même  dictionnaire 
français-hébreu  il  est  remplacé  par  ts  dans  tous  les  mots  où  il  se 
trouve,  ainsi  :  tsendres  199,  tserkier  575,  tsantener  529, 
deliise  311,  forteretse  300,  fortse  140,  meditsine  642, 
poits  517,  ratsine  1112,  sauts  (salices),  etc.^  On  le  voit,  à  une 
époque  où  dans  les  textes  véritablement  normands  on  trouvait  la 
palatale  depuis  longtemps  représentée  parcA,  elle  avait  déjà  dans 
l'anglo-normand  la  valeur  ts,  son  qui  ne  dut  pas  tarder  naturelle- 
ment à  s'affaiblir,  comme  en  français,  —  à  part  les  quelques 
exceptions  que  j'ai  signalées  plus  haut,  -^  en  ç,  prononciation 
actuelle  en  anglais  du  c  palatal  transformé  d'origine  romane. 
On  ne  doit  donc  pas  être  surpris  de  le  voir  représenté  dans  les 
textes  anglo-normands  les  plus  récents,  comme  le  Lai  d'Havelock 
et  Jordan  Fantosme,  uniquement  par  c  et  non  par  ch,  comme  dans 
les  textes  normands  contemporains.  C'est  là  aussi  ce  qui  explique 
pourquoi  dans  ceux  de  ces  derniers  textes  copiés  en  Angleterre, 
comme  dans  les  plus  anciens  textes  anglo-normands  où  le  c 
palatal  devait  encore  avoir  la  valeur  c,  l'orthographe  du  c  suivi 
de  i  ou  de  e  est  si  irrégulière  et  pourquoi  au  lieu  de  ch  on  n'y 
trouve  le  plus  souvent  que  c. 

Ce  que  j'ai  dit  du  normand  proprement  dit  peut  s'appliquer  en 
grande  partie  au  picard  ;  toutefois  ce  dernier  dialecte,  —  et  c'est 
pour  cela  entre  autres  causes  que  ses  caractères  ont  été  connus  à 
une  époque  où  on  ignorait  encore  ceux  du  normand,  —  s'est 
modifié  bien  plus  tard  que  le  premier  ;  en  plein  xiii"  siècle,  à  une 
époque  où  le  normand  était  en  pleine  décadence  et  déjà  descendu 
au  rang  de  patois,  le  picard  avait  encore  conservé  toute  son 
importance  littéraire  ;  non-seulement  des  chartes  étaient  écrites, 
mais  des  histoires,  telles  que  les  Chroniques  de  Robert  de  Clari, 
des  poèmes  entiers  comme  ceux  d'Adam  de  la  Halle,  étaient 
composés  dans  ce  dialecte,  et  une  école  poétique  indigène,  restée 
célèbre,  florissait  alors  en  Artois.  Cependant  même  avant  la  réu- 
nion à  la  couronne  des  pays  de  langue  picarde,  cet  idiome  subit 
aussi  l'influence  prépondérante  du  français,  et  si  l'origine  incer- 
taine des  manuscrits  ne  nous  permet  pas  de  dire  au  juste  dans  quelle 
mesure  les  formes  françaises  pénétrèrent  dans  le  picard,  elles  y  sont 

1.  On  pourrait  se  demander  si  le  roman  de  ce  dictionnaire  est  bien  de 
l'anglo-normand;  mais  la  persistance  de  la  vélaire  exclut  l'hypothèse 
qu'il  soit  français;  d'un  autre  côté  la  représentation  de  la  palatale  trans- 
formée par  ts  ne  permet  pas  de  supposer  qu'il  soit  normand  ou  picard  ; 
il  ne  reste  donc  plus  qu'à  admettre,  ce  que  confirme  d'ailleurs  son  ori- 
gine, qu'il  est  anglo-normand. 


—  293  — 

trop  fréquentes  pour  n'être  toujours  quele  fait  des  copistes.  Il  était 
difficile  qu'il  en  fût  autrement  ;  le  dialecte  français  était  en  lion- 
neur  bien  au-delà  des  frontières  du  domaine  royal,  tandis  que  le 
dialecte  picard  n'était  accueilli  avec  faveur  que  dans  les  pro- 
vinces du  Nord  de  la  France.  Quesne  de  Béthune  se  plaint  d'avoir 
vu  ses  vers  méprisés  à  la  cour  d'Alis  de  Champagne,  veuve  de 
Louis  VII,  parce  qu'ils  étaient  faits  dans  son  idiome  natal. 

Que  mon  langage  ont  blasmé  li  François 
Et  mes  chancons,  oyant  les  Champenois, 
Et  la  comtesse  encoir,  dont  plus  me  poise. 

Ainsi  à  la  fin  du  xn®  siècle  le  picard  passait  pour  grossier  aux 
oreiUes  françaises^;  par  contre  nous  voyons  au  siècle  suivant 
l'un  des  trouvères  du  Nord  les  plus  connus^  Adenès  li  Roi^,  exal- 
ter le  dialecte  de  l'Ile-de-France,  qu'on  apprenait  déjà,  nous 
dit-il,  jusqu'en  «  pays  tyois  »,  et  faire  un  mérite  de  le  connaître 
aux  principaux  personnages  de  son  poème,  qui 

Surent  près  d'aussi  bien  le  francois  de  Paris 
Gom  se  ils  fussent  nés  el  bour  a  Saint-Denis  *. 

Comment  n'aurait-on  pas  dès  lors  été  tenté  d'adopter  dans  la 
patrie  d' Adenès  cet  idiome,  que  les  étrangers  eux-mêmes  s'em- 
pressaient d'apprendre?  Le  moment  de  la  déchéance  du  picard 
aussi  était  venu  ;  au  siècle  suivant,  ce  dialecte,  délaissé  par  les 
écrivains  du  temps,  tombait  à  son  tour  à  l'état  de  patois  ;  le  fran- 
çais proprement  dit,  élevé  peu  à  peu  au-dessus  des  idiomes  voi- 
sins, devenait  définitivement  dans  tout  le  royaume  la  langue 
commune  de  la  poésie  et  de  la  grande  littérature  ;  c'est  de  lui  que 
se  servait  déjà  le  rouchi  Froissard,  sans  doute  pour  être  plus 
sûr  de  plaire  à  ses  auditeurs  et  à  ses  lecteurs  si  divers  d'origine  ; 
c'est  lui  qu'on  employait  depuis  longtemps  presqu'exclusivement 
en  Normandie,  et  désormais  au  Nord,  comme  bientôt  au  Sud  de 
la  Loire,  le  dialecte  de  l'Ile-de-France  fut  le  seul  dans  lequel 
écrivit  tout  auteur  qui  ambitionna  d'être  lu.  C'était  la  consé- 
quence à  la  fois  politique  et  littéraire  de  la  réunion  sous  un  même 
sceptre  des  diverses  provinces  de  la  France,  et  de  la  popularité  des 
trouvères  et  des  écrivains  qui,  pendant  la  seconde  moitié  du 
xu"  siècle  et  tout  le  xiii®,  s'étaient  servis  de  cet  idiome. 

C'est  par  ces  considérations  que  je  terminerai  l'étude  des  trans- 
formations du  c  vélaire  dans  la  série  c,  s,  ts,  dz,  s,  z,  0  et  o, 


1.  Cf.  Hist.  littër.  delà  France,  XVIll,  846. 

2.  Cf.  Hisl.  lut.  delà  France,  XXIIl,  371. 


—  294  — 

ainsi  que  celle  non  moins  intéressante  et  nouvelle,  je  crois,  — 
du  moins  à  certains  égards,  —  des  deux  gutturales  dans  le  picard 
et  le  normand.  Je  passe  maintenant  à  l'examen  des  modifications 
du  c,  soit  vélaire,  soit  palatal,  dans  les  divers  groupes  de  con- 
sonnes où  il  peut  entrer;  ce  sera  l'objet  du  livre  suivant. 


LIVRE  QUATRIEME. 


DU  C  LATIN  DANS  LES  DIFFERENTS  GROUPES  DE 
CONSONNES  OU  IL  PEUT  ENTRER. 


Quelque  générales  que  soient  dans  leur  ensemble  les  lois  que 
j'ai  cherché  à  établir  jusqu'ici,  on  comprend  qu'elles  peuvent 
être  modifiées  par  la  juxtaposition  à  la  lettre  c  d'une  autre  con- 
sonne ;  il  y  a  donc  lieu  d'étudier  séparément  les  divers  groupes 
de  consonnes  dans  lesquels  elle  peut  se  trouver  :  c'est  ce  que  je 
me  propose  de  faire  dans  ce  quatrième  et  dernier  livre.  Je  passe- 
rai d'abord  en  revue  les  groupes  où  c  est  précédé  d'une  autre 
consonne,  tel  que  ce,  —  de  et  te,  — le,  rc  et  ne,  — enfin  se\  puis 
ceux  où,  au  contraire,  il  en  est  suivi,  comme  cl,  cr,  es  ou  x  et  et. 


CHAPITRE  1« 


DU  GROUPE   ce. 


Ce  groupe  offre  peu  d'intérêt  ;  la  présence  du  premier  c  n'a 
d'autre  influence  que  d'empêcher  la  chute  du  second^  qui  est 
d'ailleurs  traité  comme  un  e  simple,  qu'il  soit  vélaire  ou  palatal^ 
excepté  que  dans  le  premier  cas  il  ne  peut  s'affaiblir  en  sonore, 
encore  moins  bien  entendu  se  changer  en  y.  Ainsi  le  provençal 
baga,  français  baie  ne  vient  pas  de  baccam,  mais  d'une  forme 
baeam  ;  l'espagnol  et  portugais  braga,  le  provençal  braga, 
braia,  français  braie  ne  dérivent  pas  de  braceam,  mais  de 
bracmn ,  il  faut  de  même  ramener  l'italien  et  l'espagnol  sugo  à 
une  forme  sueum.  Les  deux  c  persistent  toujours  en  italien. 
L'espagnol,  au  contraire,  ne  tolérant  point  les  consonnes  redou- 
blées, —  à  l'exception  des  liquides  n,  r,  et  abusivement  de  s, 
—  le  premier  e  du  groupe  ce  tombe  dans  cette  langue  ;  il  en  est 
de  même  en  roumain.  Il  tombe  aussi  ordinairement  en  provençal 


—  296  — 

et  en  français  dans  les  mots  d'origine  vraiment  populaire.  Cette 
dernière  langue  change  d'ailleurs  le  second  c,  cpmme  le  c  simple, 
en  ch  devant  <2*.  Les  transformations  des  mots  bèccwn,  huccam, 
cloccam,  flaccum,  floccum,  peccare,  saccum,  siccam,  soc- 
cum,  succum,  vaccam,  etc.,  donneront  une  idée  de  la  manière 
dont  le  groupe  ce  suivi  àe  a,  o  ou  u  r  été  traité  dans  les 
différentes  langues  romanes. 


ITAL. 

ROUM. 

ESP. 

PO. 

PR. 

FR. 

becco 

— 

bico 

bico 

bec 

bec 

bocca 

bucq 

boca 

boca 

boca 

bouche 

cioca  p. 

— 

— 

— 

cloca 

cloche 

fiacco 

fleac 

flaco 

— 

— 

— 

fiocco 

floc 

flueco 

froco 

floc 

floc{on) 

peccare 

— 

pecar 

peccar 

pec(c)ar 

pécher 

sacco 

sac 

saco 

sacco 

sac 

sac 

secco 

sec 

seco 

secco 

sec 

sec 

secca 

seace 

Seca 

secca 

seca 

sèche 

socco 

— 

soco 

socco 

— 

soc 

succo 

— 

suco 

succo 

suc 

suc 

vacca 

vacç 

vaca 

vac{c)a 

vaca 

vache,  elc, 

Devant  e  et  ^^  le  second  c  du  groupe  ce  est  traité,  je  l'ai  dit, 
absolument  comme  le  e  palatal  simple,  c'est-à-dire  qu'il  se  change 
en  chuintante  dans  les  langues  du  groupe  oriental,  en  spirante 
dentale  dans  celle  du  groupe  occidental  ;  quant  au  premier  c, 
excepté  en  italien  où  il  est  muet,  il  garde  dans  les  autres  langues 
toutes  les  fois  qu'il  persiste  le  son  guttural.  Le  valaque  ne  con- 
naissant pas,  que  je  sache,  le  groupe  ce  suivi  de  e  ou  i  et  le  pro- 
vençal ne  l'offrant  qu'exceptionnellement  j'ai  cru  pouvoir  omettre 
ces  deux  langues  dans  les  exemples  que  je  vais  donner  des  trans- 
formations du  e  palatal  précédé  d'un  c  vélaire. 


LAT. 

IT. 

ESP. 

PO. 

FR. 

accelerare 

accelerar 

acelerar 

— 

accélérer 

accenlum 

accento 

acento 

accento 

accent 

'  accidentem 

accidente 

V.  acidente 

accidente 

accident 

successum 

successo 

suceso 

successo 

succès,  etc. 

La  plupart  de  ces  mots  sont  d'ailleurs  modernes  ou  d'origine 
savante,  ce  qui  peut  expliquer  entre  autres  choses  la  conserva- 
tion du  premier  e  en  français  et  en  portugais. 


1.  Les  dialectes  normand  et  picard,  bien  entendu,  lui  conservent,  au 
contraire,  sa  valeur  gutturale.  V.  pi.  h.  Liv.  III,  Ch.  III,  p.  262. 

2.  On  le  voit,  ce  final,  réduit  à  c,  persiste  comme  appuyé  en  provençal 
et  en  français;  il  en  est  de  même  en  général  dans  les  dialectes  ladins; 
il  s'y  modifie  cependant  parfois  en  c,  ainsi  sec  H.E.,  secc  fr,  etc. 


—  297  — 

Un  cas  particulier  est  présenté  par  le  portugais  eis  (ecce),  où 
ce  semble  avoir  été  assimilé  à  œ  {es),  et  a  été  traité  comme  cette 
lettre  dans  le  mot  sex,  pg.  seis.  Flaeeidum  offre,  au  contraire, 
un  exemple  de  ee  traité  comme  se  dans  le  français  flasque  ■=. 
flaseum.  Quant  à  bueeinam,  ^^  bref  étant  tombé,  {c)e,  traité 
comme  e  palatal  suivi  d'une  consonne  par  l'apocope  de  la  voyelle 
intermédiaire,  s'est  changé  en  s  S  et  bueeinam  a  donné  ainsi 
busnaen  italien. 


CHAPITRE  II. 
DES  GROUPES  DC   ET   TC. 

Ces  deux  groupes  sont  exclusivement  romans  et  sont  le  résul- 
tat de  la  chute  de  i  dans  les  terminaisons  dieare  ou  tieare, 
dicus.,  dicem  {decim)  ou  tiens,  atieus  ou  eticus  ;  le  <?  y  est 
par  conséquent  vélaire,  ou  exceptionnellement  palatal.  Exami- 
nons d'abord  le  premier  cas. 


P 


La  chute  de  l'z,  précédée  de  l'affaiblissement  successif  du  e  en 
g  puis  enjot,  a  eu  pour  résultat  de  changer  celui-ci  en  c  ou  g, 
ou  en  leurs  dérivés  s,  z,  ts  ou  dz.  Cette  transformation  est  facile 
à  expliquer.  Dans  la  terminaison  dieare,  par  exemple,  e  s'étant 
affaibli  en  g,  on  a  eu  digare,  puis  par  le  changement  de  g  en  j, 
dijare  ou  djare,  et  enfin,  le  jot  se  transformant  en  chuintante 
sonore,  gar{e)  ou  ger;  on  a  ainsi  la  série  de  transformations  : 
dieare,  digare,  d{i)jare,  gar{e)  ou  ger,  zer. 

Toutefois,  quoique  plus  rarement,  le  d  peut  s'assimiler  au  e, 
c'est-à-dire  se  changer  en  sourde  t,  et  alors  on  a  cette  autre  série 
de  transformations,  qui  est  celle  même  de  la  désinence  tieare  : 
tieare,  t{i)jare,  car{e)  ou  cer,  ser. 

De  même  dieus  donne  la  série  : 

dieum,  digo,  d{i)jo,  go  ou  ge,  ze 
et  ticus  : 

ticum,  tieo,  t{i)Jo,  co  ou  ce,  se. 

Dans  les  dérivés  en  atieus  et  dans  le  dérivé  en  e  tiens,  here- 


1.  Voir  plus  haut,  Liv.  II,  Gh.  VllI,  p.  157. 


—  298  — 

ticus,  les  sourdes  ^  et  c  se  changent  en  sonores  et  nous  avons 
ainsi  pour  ce  double  suffixe  la  série  de  transformations  : 
aticum,  adego  ou  adigo,  adgo  ou  ad{i)jo,  ago  ou  age^  aze  ^ 

La  conservation  de  Vi  ou  la  persistance  du  c  empêche  la  for- 
mation des  groupes  d'c  et  i'c  et  par  suite  les  transformations 
auxquelles  ils  peuvent  donner  lieu.  C'est  ce  qui  est  arrivé  en  par- 
ticulier en  roumain;  dimsijudicarey àomiejudeca,  masticare 
mesteca,  etc.  Il  a  pu  se  faire  aussi  que  la  langue  se  soit  arrêtée 
à  une  des  formes  intermédiaires  dg,  dj  ou  même  deg  ;  ainsi  en 
espagnol  on  trouve  la  première  de  ces  forme  ou  zg,  avec  rempla- 
cement du  d  par  la  spirante  z  correspondante  ;  le  fragment  de 
Valenciennes  offre  la  seconde  dans  le  moi  pretj et  pour  predjet; 
le  portugais  nous  donne  la  troisième  deg.  Les  exemples  suivants 
montreront  comment  les  diverses  langues  romanes  ont  traité  les 
groupes  d'c  et  t'c. 

1"  Dans  le  suffixe  dicare  : 


LAT. 

IT.                         ESP. 

PG. 

PR.-LAU. 

FR. 

indicare 

—                   — 

— 

inditgier  1. 

— 

judicare 

giuggiare  *   juzgar 

julgar 

jutjar  pr. 

juger 

medicare 

—                  — 

— 

medgier  e. 

— 

predicare 

predicare     predicar  s. 

pregar 

pratger  1. 

prêcher 

2°  Dans  le  suffixe  dicus  : 

medicum 

medico         miege  v. 

medico 

metge 

miège  v. 

pedicam 

—                 — 

pejo 

— 

piège 

3°  Dans  les  suffixes  ticare  et  ticus  : 

excorticare 

scorticare     escorchar 

escorchar 

escorgar 

ëcorcher 

masticare 

masticare     mastigar 

mastigar 

maschar 

mâcher 

'  naticam 

natica           nalga 

— 

natge 

nage  l. 

perlicam 

pertica         perliga 

pertiga 

perga 

perche 

porticum 

portico          portico  s. 

portico  s. 

porge 

porche 

Comme  on  le  voit,  le  groupe  d{i)c  ou  t{i)c  ne  se  transforme 
qu'exceptionnellement  en  italien  ;  ce  qui  tient  évidemment  à  ce 
que  la  voyelle  brève  atone  protonique  ou  posttonique  peut  subsis- 
ter dans  cette  langue,  de  même  que  c  non  appuyé  ;  ainsi  predi- 
care, medico;  natica,  etc.  Il  en  est  de  même  parfois  en  espagnol 


1.  Ces  formules  par  leur  généralité  conviennent  à  tous  les  idiomes 
romans,  mais  elles  ne  représentent  point  nécessairement  ce  qui  s'est  passé 
dans  chacun  d'eux;  ainsi  pour  le  français  dans  tous  les  cas  et  dans  le 
double  groupe  occidental  pour  le  suffixe  aticum,  la  voyelle  qui  suit  le  c 
s'étant  affaiblie  en  e,  il  est  certain  que  \'i  a  pu  tomber  avant  la  transfor- 
mation du  c,  sans  empêcher  cette  dernière. 

2.  Ed  io  la  cheggio  a  lui,  che  tutto  giuggia.  Dante,  Purg.  2048. 


—  299  — 

et  en  portugais,  mais  alors  c  étant  inédial  s'est  changé  en  g, 
comme  cela  a  lieu  d'ordinaire  dans  ces  langues  :  par  ex.  masti- 
gar,  pertiga.  D'autres  fois  z  est  tombé,  entraînant  la  chute  du  d 
ou  du  t,  par  ex.  pregar  pg.,  perga  pr.  ou  leur  changement  en 
z,  ex.  juzgar  esp.,  ou  en  l,  ainsi  julgar  pg.,  nalga  esp. 
4°  Enfin  dans  les  suffixes  eticus  et  aticus  : 


hereticum     eretico 

herege 

herege 

eretge 

herege  v. 

*  abantalicura  vantaggio 

ventaja 

ventagem 

avantagge 

avantage 

*baronaticum  baronaggio 

barnage  Al. 

— 

barnatge 

barnage  v. 

*  biberalicum  beveraggio 

brebage 

beberagem 

beuratge 

bevrage  v. 

*  carnaticum    carnaggio 

carnage 

carnagem 

carnatge 

carnage 

*  coralicum      coraggio 

— 

— 

coratge 

courage 

*  damnaticum  danneggiare         — 

— 

damnatge 

dommage 

*  formalicum    formaggio 

formage 

— 

— 

fromage 

*  herbaticum    erbaggio 

herbage 

hervagem 

erbatge 

herbage 

*  lignalicum     lignaggio 

linage  A  p. 

— 

Ugnatge 

lignage 

*  linguaticum  linguaggio 

lenguage 

Ungoagem 

lenguaige 

lenguage 

*  missaticum    messaggio 

mensange 

mensangem 

messatge 

message 

*  boBQ  inalicum  omenaggio  homenage 

homenagem 

omenatge 

hommage 

*  obsidalicum  ostaggio 

— 

— 

ostatge 

ostage 

*  ultraticuin     oltraggio 

ultraje 

ultraje 

outratge 

outrage 

*  paraticum     paraggio 

parage 

paragem 

paratge 

parage 

*  servaticum     servaggio 

— 

selvagem 

— 

servage 

silvalicum     selvaggio 

selvage 

— 

salvatge 

sauvage 

*vassalaticura  vassalaggio 

vasallage 

vassallagem  vassalatge 

vasselage 

viaticum        viaggio 

viage 

viagem 

viatge 

voyage 

•villaticum      villaggio 

village 

villagem 

— 

village 

*  visalicum      visaggio 

visaje 

visagem 

— 

visage 

*  volaticura             — 

— 

— 

volatge 

volage,  etc 

Il  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  du  changement  de 
at'cus,  surtout  pour  le  français,  qui  nous  offrirait  âge  (*  aetati- 
cum),  affouage  (*affocaticum),  aunage  ("alnaticum),  étage 
(*staticum),  étiage  (*8estivaticum),  fermage  (*firmaticum), 
louage  (*locaticum),  marécage  (*maristaticum),  mariage 
(*maritaticum),  ménage  (*  mansionaticum),  omôrapfe  (*  umbra- 
ticum),  orage  (*auraticum),  partage  (*partaticum),  péage 
(*pedaticum),  ramage  ('^ramaticum),  rivage  (*ripaticum), 
etc.  1. 

Dans  le  dialecte  de  la  Suisse  romande,  qu'on  peut  rattacher,  je 
crois,  au  provençal,  Vu  de  aticum  n'a  pas  été  transformé  d'ordi- 
naire en  e  mais  en  o  ;  ainsi  on  a  servadjo  (*  servaticum  et  silva- 
ticum)  et  non  servadje,  damadjo  et  non  damadje.  Une  autre 
particularité  plus  importante,  c'est  qu'à  côté  de  la  forme  en  g  on 


1.  Cf.  Diez,  Gram.  11,  310.  —  Brachet,  Dict.  s.  v.  dge. 


—  300  — 

en  rencontre  le  plus  souvent  une  autre  dz  ;  ainsi  veladjo  et  ve~ 
ladzo,  viadjo  et  madzo.  La  transformation  du  groupe  d'c  pré- 
sente le  même  fait,  par  ex.  pridjo  ou  predjo  et  pridzo.  Le 
patois  savoyard  connaît  aussi  la  transformation  de  t'c  en  dz, 
seulement  Vu  qui  suit  a  donné  non  un  o,  mais  un  e,  ainsi  mes- 
sadze,  menadze,  sauvadze,  usadze,  voyadze. 

Les  formes  en  agio  ou  âge  ne  sont  pas  les  seules  que  connais- 
sent les  idiomes  de  l'Est  et  du  Sud-Ouest  ;  dans  les  mots  d'ori- 
gine savante  ou  moderne  l'italien  a  conservé  la  terminaison 
latine  aticwn,  changé  naturellement  en  atico  ;  par  ex.  selvatico, 
à  côté  de  selvaggio,  stallatico  (fumier)  à  côté  de  stallaggio 
(étable),  haliatico  (salaire  d'une  nourrice),  mais  haliaggio 
(baillage),  panatica  (provision  de  pain)  à  côté  de  panaggiOy 
terr atico  (fermage),  etc.  C'est  sous  la  forme  analogue  atic 
ou  atec  qu'elle  se  présente  toujours  dans  le  nombre  assez  res- 
treint de  cas  qu'offre  le  roumain;  ainsi  selhatic  (silvaticum), 
roseatec  (*rosaticum),  etc. 

L'espagnol  et  le  portugais  connaissent  aussi  la  terminaison 
savante  atico,  mais  il  en  est  une  autre  qui  leur  est  propre  et 
semble  s'être  développée  en  même  temps  que  a^(?(m)  ;  c'est  en 
portugais  adego,  sans  contraction,  en  espagnol  adgo  ou  azgo, 
avec  syncope  de  1'/.  Ces  suffixes  servent  à  désigner  en  espagnol 
des  emplois  ou  des  titres,  comme  ahnirantadgo  ou  almiran- 
tazgo  (*  alrairalaticum) ,  cardenaladgo  ou  cardenalazgo 
(*cardinalaticum),  consuladgo,  ou  consulazgo  (*consulati- 
cum),  majorazgo  (* majora ticum),  etc.  en  espagnol  et  en  por- 
tugais, des  redevances  ou  des  impôts,  ainsi  : 


LAT. 

*  aflaticum 

*  cellaticum 

*  colodraticum 

*  fartaticum 

*  monlalicum 

*  terraticum 

*  vinealicum 


ESP. 

hallazgo 

cillazgo 

colodî-azgo 

hartazgo 

montazgo 

terrazgo 


PG. 

achadego 


montadego 

terradego 

vinhadego 


salaire  pour  trouvaille. 

droits  de  dime. 

impôt  sur  le  vin. 

engraissement. 

droits  de  passage  sur  troupeaux. 

prix  de  fermage. 

vignoble,  etc. 


La  signification  en  quelque  sorte  toute  technique  de  ces  mots 
ne  permet  guère  de  leur  reconnaître  une  origine  vraiment  popu- 
laire, et,  commecertains  dérivés  deVitslieïi  enatico,  ils  rappellent 
l'étude  du  tabellion  {o  taballiade  go).!)' ailleurs  ^  ce  qu'on  peut  re- 
garder comme  une  preuve  de  leur  provenance  particulière,  ces 
mots  subsistent  parfois,  du  moins  en  espagnol,  à  côté  des  formes  en 
âge  ;  ainsi  herbadgo  et  herhage,  terradgo  et  terrage,  etc. 


—  3o^  — 

Diez  *  considère  les  premiers  comme  seuls  indigènes,  et  ne  voudrait 
voir  dans  les  seconds  qu'une  importation  étrangère.  Cette  hypo- 
thèse me  paraît  inadmissible;  le  sens  particulier  des  mots  en  adgo 
(adego)  et  azgo  semble  en  effet,  comme  je  l'ai  dit,  leur  assigner  une 
origine  demi-savante  ;  quant  aux  dérivés  en  âge,  en  supposant 
que  quelques-uns  viennent  du  provençal  ou  du  français,  comment 
admettre,  par  exemple,  que  herbage  (droit  de  pâturage  en  Ara- 
gon) ne  soit  pas  un  mot  indigène,  que  selvage,  mot  formé  si 
régulièrement  sur  silvaticwn,  vienne  du  provençal  salvage, 
qui  présente  le  changement  àe  e  en  a  [sal  pour  sel),  propre  au 
latin  mérovingien?  La  substitution  de  <?  à  o  dans  cette  terminai- 
son, sur  laquelle  s'appuie  Diez  en  particulier,  se  retrouve  dans 
tant  d'autres  mots,  comme  canonge,  monge,  cubre,  golpe, 
Henrique,  etc.,  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  croire  espagnols, 
qu'elle  ne  saurait  prouver  l'origine  étrangère  de  ces  dérivés, 
mais  témoigne  seulement  d'une  tendance  de  l'ancienne  langue  à 
substituer  e  h  o  final,  analogue  à  celle  qui  lui  faisait  supprimer 
plus  souvent  qu'on  ne  l'a  fait  depuis  la  voyelle  finale;  aussi  la 
terminaison  âge  me  paraît  non-seulement  aussi  indigène,  mais 
plus  populaire  que  adgo  ou  azgo  ;  tout  au  plus  j'y  verrais  une 
désinence  dialectale  propre  aux  provinces  du  Nord,  différente  par 
son  aspect  comme  par  son  origine  des  terminaisons  du  castillan 
proprement  dit^. 

Les  différentes  formes  que  j'ai  passées  en  revue  jusqu'ici  n'épui- 
sent pas  la  série  des  transformations  des  groupes  d{i)c,  t{i)c  ;  le 
roumanche  et  les  dialectes  ladins  du  Frioul,  qui  les  changent, 
comme  la  plupart  des  langues  romanes,  en  g  avant  la  tonique,  les 
traitent  après,  au  contraire,  en  général  comme  la  terminaison 
ïc  ^y  c'est-à-dire  que  c  ou  tombe  ou  plutôt  se  change  en  y{i)  qui 
se  confond  avecl'i  précédent,  ce  qui  d'ailleurs  a  lieu  parfois  aussi 
en  provençal  ;  ainsi  : 


LAT. 

LAD.    FR.    TYR. 

ROL 

médicum 

miedi 

miedi 

porticum 

puarti  fr. 

piert  * 

1.  Gram.  H,  311. 

2.  Cf.  Romania,  I,  449. 

3.  f  précédé  immédiatement  d'une  voyelle  accentuée  persiste,  au 
contraire,  le  plus  souvent  sans  modification  ou  bien  en  se  changeant  en 
c  ou  g.  Cf.  plus  haut,  Liv.  1,  p.  46,  et  Liv.  III,  ch.  II,  p.  188. 

4.  Dans  le  roumanche  piert,  on  le  voit,  la  terminaison  ic  a  complète- 
ment disparu. 


—  302  — 

formaticum 
grammaticum 
lunaticum 
silvaticum 

formadi 
salvadi 

gramadi  pr. 
Iginnadi 
salvadi,  suluédi  e 

vernaticum 

vernadi 

— 

viaticum 

— 

viadi 

volaticum 

voladi 

— 

Enfin  dans  le  français,  d'c  et  t'c  posttoniques  ont  été  dans 
deux  ou  trois  mots  —  substitution  singulière ,  —  remplacés  par 
r  ;  c'est  ce  qui  a  lieu  par  exemple  dans  le  vieux  français  mire 
(medicum)  et  grammaire  (grammaticum)  et  peut-être  dans  le 
français  moderne  grammaire  (grammaticam)  ;  mais  dans  ce  cas 
il  semble  qu'il  y  a  eu  chute  du  c,  —  de  là  la  forme  miede,  Dial. 
de  St-Grég.,  —  puis  du  d  et  intercalation  d'un  r  pour  empêcher 
la  diphthongaison,  comme  dans  remire  (remedium)  Jér.  25,  18, 
omecire  (homicidium)  R.  d'Alix.  69,  5,  diphthongaison  qui  s'est 
produite  d'ailleurs  dans  le  nom  propre  Mie  (medicum),  lequel 
nous  présente  la  suppression  pure  et  simple  de  d'c^. 

Ainsi  on  le  voit,  si  l'on  excepte  le  roumain  et  parfois  l'italien, 
le  ladin  et  les  langues  hispaniques,  les  groupes  d{î)c  et  t{ï)c  ont 
donné  naissance  par  suite  de  la  chute  de  î  et  de  la  transformation 
du  c  enj  à  dj  ou  tj  qui  ont  donné  définitivement  les  chuintantes 
c  ou  ^  ou  une  de  leurs  formes  dérivées  ;  telle  est  du  moins  l'ex- 
plication que  j'ai  cru  pouvoir  donner  de  ce  phénomène  gramma- 
tical ;  mais  M.  G.  I.  Ascoli  vient,  dans  son  «  Archivio  glottolo- 
gico  »  d'en  proposer  une  difierente,  acceptée,  à  ce  qu'il  semble, 
par  M.  Mussafia-,  mais  que  je  crois  inexacte  à  certains  égards, 
bien  que  comme  résultat  elle  revienne  à  celle  que  j'ai  donnée. 
M.  Ascoli  suppose  que  dans  les  groupes  dïc  et  tïc  le  c  tombe  et 
que  l'i  qui  persiste  se  change  en  y,  lequel  avec  t  ou  d  donne  les 
chuintantes  c  [})  ou  g  {£).  Il  est  vrai  d'abord,  ainsi  que  nous  ve- 
nons de  le  voir,  que  le  c  peut  tomber,  comme  en  ladin  dans  sal- 
vadi, en  provençal  dans  ^ramac^z  (à  côté  de  gramatge),  en  fran- 
çais dans  miede,  mire,  Mie  ;  mais  nous  voyons  en  même  temps 
que  dans  ce  cas  il  n'y  a  point  transformation  de  ti  ou  di  encoxxg. 
D'un  autre  côté  tj  ou  dj  n'ont  donné  qu'exceptionnellement  nais- 
sance à  c  ou  ^  ;  ils  se  changent  d'ordinaire,  nous  savons,  en  z 
{ts  ou  dz)  en  italien  et  en  roumain,  en  ç  {s  ouz)  dans  les  langues 
du  double  groupe  occidental.  Cette  objection  à  laquelle  M.  Ascoli 

1.  Cf.  A.  Tobler,  Romania,  II,  341. 

2.  Cf.  Arch.  I,  77.  —  Lit.  Centralbl.  1873. 


—  303  — 

n'a  point  pensé,  valait  pourtant,  je  crois,  la  peine  d'être  exami- 
née ^  Si  ti  et  di  suivis  de  c  et  d'une  voyelle  ne  se  transforment 
pas  comme  ti  ou  di  suivis  seulement  d'une  voyelle,  c'est  évidem- 
ment que  le  c  joue  un  rôle  dans  cette  transformation  et  qu'il  ne 
tombe  pas  purement  et  simplement,  comme  le  prétend  le  savant 
directeur  de  l'Archivio.  Un  autre  fait  que  M.  Ascoli  a  oublié  d'ex- 
pliquer, c'est  la  persistance  en  français  et  en  provençal  de  l'zbref 
et  atone  de  tîc  et  dïc  ;  protonique  il  doit  tomber  nécessairement 
suivant  une  loi  connue  ;  posttonique  il  ne  pourrait  subsister  qu'en 
venant  diphthonguer  la  voyelle  précédente,  comme  dans  témoin 
(testimonmm).  Enfin  la  chute  du  c  que  M.  Ascoli  admet  si  faci- 
lement est,  comme  nous  avons  vu,  tout-à-fait  exceptionnelle, 
tant  qu'il  ne  devient  pas  final,  et  alors  sa  chute  entraîne  celle  de 
la  voyelle  suivante,  —  ainsi  ami,  spi,  —  ce  qui  réduirait  dans 
ce  cas  les  sufiîxes  dicus  et  ticus  à  di  et  à  ti  ou  di  et  rendrait 
leur  transformation  impossible.  L'identification  de  ce  qui  se  serait 
passé  ici  avec  ce  qui  a  lieu  pour  les  explosives  dentales  n'est  pas 
moins  inexacte  :  les  explosives  dentales  ne  tombent  si  souvent  que 
parce  que,  le  provençal  et  le  roumain  exceptés,  les  langues  roma- 
nes ne  connaissent  pas  leur  transformation  en  spirante  ;  le  c  ne 
tombe  pas  en  général,  au  contraire,  parce  qu'ilpeut  se  changer  en 
Jot^.  Il  faut  donc  en  revenir  à  cette  transformation,  qui  a  le  double 
mérite  d'expliquer  sans  peine  tous  les  faits  et  de  n'être  en  contra- 
diction avec  aucune  des  lois  de  la  phonétique  romane. 

ir 

Le  c  n'est  palatal  qu'exceptionnellement  dans  le  groupe  d'c  ; 
les  seuls  exemples  que  je  connaisse  sont  judicem  et  les  compo- 
sés de  decem,,  undecim,  duodecim,  tredecim,  etc. 

Le  d  elle  c  de  judicem  ont  persisté  dans  l'italien  giudice  ; 
ils  sont  tombés,  au  contraire,  dans  l'espagnol  juez  et  le  portu- 
gais jm'^  ;  en  provençal  et  en  français  ils  ont  été  traités  comme 
d'c  dans  Judicare,  c'est-à-dire  qu'ils  sont  devenus^  ou  z,  jidge 
pr. ,  juge  fr. 

1.  M.  Ascoli  cite  ragione,  mais  c'est  là  une  forme  exceptionnelle  et 
qui  (lès  lors  ne  prouve  rien.  On  pourrait  dire  à  la  vérité  que  les  trans- 
formations des  groupes  tic  et  die  étant  plus  récentes  que  celles  du  suf- 
fixe iius,  tia,  tium  ont  pu  donner  un  autre  produit  ;  cela  est  vrai,  mais 
ne  peut  s'appliquer  à  tic  et  die  médial,  et  ne  détruit  pas  les  autres 
objections  qu'on  peut  faire  à  cette  théorie. 

2.  De  même  le  p  ne  tombe  qu'exceptionnellement,  parce  qu'il  peut 
se  changer  en  v. 


—  304  — 

Quant  au  groupe  d'c  des  composés  de  decem,  il  a  été  changé 
en  spirante  sonore  dans  le  double  groupe  occidental*.  —  Le 
groupe  oriental  ne  le  connaît  pas.  —  Ainsi  : 


LAT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

undecim 

onze 

onze 

onze 

onze 

duodecim 

doze 

doze 

dotze 

douze 

tredecim 

ireze 

treze 

treze 

treize,  etc. 

Je  me  sers  de  l'ancienne  orthographe  espagnole,  la  langue 
actuelle  ne  distinguant  plus  entre  deux  voyelles  les  spirantes 
dentales  sourdes  et  sonores,  on  écrit  aujourd'hui,  comme  nous 
avons  vu,  once,  doce,  trece,  etc.,  avec  un  c,  parce  que  la 
voyelle  suivante  est  e. 


CHAPITRE  III. 
DES   GROUPES   LC,    RC,    NC   ET   n(d)c. 

Comme  d'c  et  t'c,  ces  groupes  sont  encore  exclusivement  ro- 
mans, c'est-à-dire  qu'ils  sont  le  résultat  de  la  syncope  de  Va  qui 
précède  le  c  dans  le  mot  latin.  Deux  cas  ont  alors  pu  se  présen- 
ter, ou  le  c  a  conservé  sa  valeur  gutturale,  mais  en  se  changeant, 
comme  médiale,  en  sonore  g,  ou  il  s'est  transformé  en  spirante 
J,  et  alors  il  a  servi  à  diplithonguer  la  voyelle  tonique  précé- 
dente ou  bien  il  s'est  transformé  en  c  ou  g.  L'italien  ne  connaît 
d'ailleurs  de  ces  groupes  que  ndc,  dans  les  autres  il  conserve  tou- 
jours l'i  qui  précède  let\  Cettelettre  est  du  reste  toujours  vélaire 
dans  ces  différents  groupes. 

I«  l'c. 

Le  groupe  le  ne  se  rencontre  que  dans  les  dérivés  espagnol, 
provençal  et  français  de  delieatum,  peut-être  aussi  dans  les  mots 
français  bouger  et  jauger.  Après  la  chute  de  Yi,  c  s'est  affaibli 
en  g  en  espagnol  et  en  provençal,  en  français  la  modification  a 
été  poussée  plus  loin,  g  est  devenu  y,  lequel  s'est  ensuite  défini- 
tivement changé  en  g  (£) .  On  a  eu  ainsi  : 

LAT.  KSP.  PR.  FR. 

delieatum  delgado  delgat  delgié,  deugé 

1.  Le  provençal  au  lieu  d'une  sonore  a  parfois  une  sourde,  ainsi 
dotze,  treize. 


*  bulicare 

*  (ae)qual(if)icare 


-  305  — 

bojar  {?) 

ir  r'c. 


bouger 
jauger  •• 


Dans  r'c,  groupe  assez  rare  d'ailleurs,  le  c  s'affaiblit  d'ordi- 
naire en  g  en  espagnol  et  en  portugais,  parfois  aussi  en  proven- 
çal ;  mais  dans  cette  dernière  langue,  ainsi  que  dans  celles  du 
Sud-Ouest,  il  a  pu  aussi  se  transformer  en  g  ou  2,  comme  en 
français.  Exemples  : 


carricare 

cargar 

cargar 

cargar 

charger 

clericatum 

— 

— 

— 

clergé 

fabricare 

forjar 

forjar 

fargar 

forger 

sericum 

sirgo 

sirgo 

— 

serge 

vervecarium 

— 

— 

bergier 

berger 

En  piémontaison  dit  aussi  forgiar.  Quant  au  roumanche,  il 
nous  offrirait  les  formes  charger  e.  (carricare),  svarger  e. 
(-varicare). 

Au  lieu  de  se  changer  en  ^  (z)  le  c  est ,  au  contraire,  resté 
vélaire ,  mais  en  s'affaiblissant  en  la  sonore  g ,  en  français 
ainsi  qu'en  provençal,  en  portugais  et  en  espagnol  dans  les  mots 
suivants  : 


'  nancare 
malricolarium 
verecundiam 


vergxleha  vergonha         vergonha 

IIP  n'c  et  n{d)'c. 


narguer 

marguilUer 

vergogne 


Ce  groupe  peut  avoir  une  double  origine  :  ou  bien  il  est  le 
résultat  de  la  simple  suppression  de  la  voyelle  intermédiaire  à  ces 
deux  lettres,  comme  dansman(z)c<2m,  ou  bien  un  d  intermédiaire 
a  disparu  en  même  temps,  par  exemple  dans  man{du)care . 

a)  Dans  le  premier  cas,  c  se  change  eujot,  puis  en  général  en 

1.  Cf.  Diez,  Etijm.  Wœrterb.  s.  v.  Le  provençal  bolegar  n'ayant  point 
perdu  la  voyelle  qui  précède  le  c,  pas  plus  que  l'italien  buligare,ne  pré- 
sente point  la  combinaison  l'c;  elle  semble  bien,  au  contraire,  se  trou- 
ver dans  60/ar;  mais  peut-être  ce  mot  n'est-il  qu'un  emprunt  fait  au 
français.  Quant  à  jauger,  il  faut  remarquer  à  côté  de  lui  les  formes 
hennuyères  cauque  et  gauque,  où  la  gutturale  a  persisté  au  commence- 
ment et  au  milieu  du  mot,  et  le  wallon  gauger,  qui  l'a  conservée  au  com- 
mencement. La  forme  française  paraît  d'ailleurs  supposer  une  forme 
antérieure  gauger  analogue  ou  identique  à  celle  du  wallon,  mais  dont 
plus  tard  le  g  initial  s'est  transformé  en  j,  comme  cambam  a  donné  suc- 
cessivement gambe  et  jambe. 

20 


—  306  — 

g  dans  les  idiomes  de  l'Ouest  ;  toutefois  cette  dernière  transfor- 
mation n'a  pas  eu  lieu  en  français  pour  les  mots  betonicam,  ca- 
nonicum  et  monacum  ;  la  langue  s'est  arrêtée  à  la  première, 
seulement  le  y 0^  n'est  point  resté  après  n,  il  est  allé  diphthon- 
guer  la  voyelle  précédente,  mais  en  maintenant  un  e  euphonique 
à  la  fin  des  dérivés  chanoine  et  moine,  qui  ne  devraient  pas  en 
avoir  plus  que  témoin  (testimonium).  De  plus  ce  n'est  pas  en  g 
[z),  mais  en  c  {ï)  que  c  s'est  changé  dans  les  autres  dérivés  fran- 
çais. Par  suite  de  la  modification  du  radical  et  de  la  conservation 
del'o  {u)  de  la  terminaison,  c'est  aussi  en  g,  non  eny  eig  que 
le  c  de  canonicum  s'est  changé  en  portugais.  D'après  cela  on  a 
pour  les  transformations  de  n'c  : 


LAT. 

ESP. 

PO 

betonicam 

— 

— 

canonicum 

canonge  v. 

conego 

domenicara 

— 

— 

monacam 

monja 

monja 

monacum 

monge 

monge 

manicam 

— 

— 

tincam 

— 

— 

canonge 


monje 


FR. 

bétoine 

chanoine 

dimanche 

moine 

manche 

tanche 


P)  Dans  le  groupe  nd'c,  n  semble  n'avoir  servi  qu'à  faciliter  la 
transformation  du  c,  qui  y  a  été  traité  par  toutes  les  langues  ro- 
manes, le  roumain  excepté,  comme  dans  le  groupe  d'c.  Exemples  : 


LAT. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR 

manducare 

mangiare 

manjar 

manjar 

manjar 

manger 

pendicare 

— 

— 

— 

penjar 

pencher 

vendicare 

vengiare 

vengar 

vingar 

venjar 

venger 

On  le  voit,  en  espagnol  dans  vengar  et  en  portugais  dans 
vingar  le  c  de  vindicare  s'est  seulement  affaibli  en  sonore  g.  En 
français  dans  pencher  il  y  a  eu  assimilation  du  d  au  c  et  par 
suite  transformation  de  celui-ci  non  en  sonore  g,  mais  en  sourde 
c.  Il  en  a  été  de  même  dans  revanche  (revendicationem)  à  côté 
de  venger  ;  prêcher  nous  avait  déjà  offert  cette  particularité. 

En  roumanche  nous  trouverions  encore  inditgier  (indicare). 
Quant  au  valaque,  comme  je  l'ai  dit,  tout  en  conservant  le  c  de 
nd'c,  il  traite  ce  groupe  de  différentes  manières  ;  ainsi  à  côté  de 
vendeca  (vendicare),  sans  contraction,  on  trouve  menca  (man- 
ducare), avec  apocope  de  du. 


—  307  — 


CHAPITRE  IV 


DU   GROUPE   se. 


Ce  groupe  d'origine  latine  n'a  pas  été  traité  de  la  même  ma- 
nière suivant  qu'il  se  trouve  au  commencement,  au  milieu  ou  à  la 
fin  des  mots  ;  il  convient  donc  de  l'étudier  séparément  dans  cha- 
cun de  ces  cas. 

r  se  initial. 

se  et  en  général  la  combinaison  de  s  et  d'une  sourde  si  com- 
mune en  latin  au  commencement  des  mots  *  répugnait,  à  ce  qu'il 
semble,  à  l'oreille  des  populations  romanes  ;  elles  la  modifièrent 
en  y  préposant  la  voyelle  i,  la  mieux  appropriée  pour  se  joindre 
à  s.  Cette  modification  apparaît  de  bonne  heure  dans  les  anciens 
monuments  latins  ;  on  a  relevé  dès  le  iv®  siècle  les  exemples 
istatmn  et  ispirito  ;  on  trouve  aussi  dans  un  manuscrit  de  Gains 
du  vf  siècle  Istichum  pour  Stichum,  et  Lachmann  a  recueilli 
de  nombreux  cas  de  cette  jjréposition  de  i  ou  hi  et  même  de  in  à 
se,  sp  et  st  dans  les  manuscrits  de  l'époque  suivante.  On  la  re- 
trouve fréquemment  encore  dans  les  inscriptions  ;  Diez  cite  Isma- 
ragdus,  Istefanu,  Ispeti  pour  Spei  ^.  Dans  les  cliartes  on  la 
rencontre  encore  plus  souvent,  surtout  à  partir  de  la  fin  du 
vn«  siècle,  que  le  mot  qui  précède  finisse  d'ailleurs  par  une  voyelle 
ou  par  une  consonne,  peu  importe;  seulement  dans  les  langues  du 
double  groupe  occidental  Vi  prosthétique,  suivant  une  tendance 
commune  à  ces  idiomes,  s'est  affaibli  de  bonne  heure  en  e.  Voici 
quelques  exemples  de  cette  modification  : 

1°  Dans  les  chartes  italiennes. 


inistituere 

Mur 

.  Antiq. 

m, 

570  (a.  757) 

dote  ista  istavile 

id. 

id. 

id.       id. 

esse  istituimus 

id. 

id. 

id.       id. 

David  iscrivere 

id. 

id. 

id.  '    id. 

notarium  iscrivere 

id. 

id. 

1010  (a.  763) 

notario  iserivere 

id. 

id. 

1012  (a.  769) 

1.  s  est  pourtant  dans  ce  cas  tombé  dans  un  assez  grand  nombre  de 
mots.  Cf.  Cors.  Ausspr.,  1,  277. 

2.  Cf.  Diez,  Gram.  I,  242. 


—  308  — 

Istaipertumiscrivere              id.  id.  1014  (a.  777). 

Teudipert  iscrivere                  id.  id.  1015  (a.  783). 

Iscripsi                                   id.  id.  1020  (a.  816). 

interfui  escavino            Hist.  pat.  mon.  I,     19  (a.  827). 

2°  Dans  les  chartes  espagnoles. 

habita  vit  Esperandus   Esp.     sagr.     XVIII,     306  (a.  773). 
Silo  Rnc  eseriptura  id.  id.         307      id. 

Ds.  Esperauta  aba  id.  id.  id.       id. 

3°  Dans  les  chartes  françaises. 

fiant  istabilis  Bréq.  Diplomata,      n.    222  (a.  657). 

eus  estodiant  id.  339  (a.  695). 

potuerit  esperare  id.  406  (a.  716). 

û.vïmidl\&  estodium  id.  409       id. 

pro  estabilitate  id.  442  (a.  723). 

nuncupante  Ististolas  Mab.  De  re  dipl.  497  (a.  770). 

permaniat  istibulatione  id.  id.       id. 

suos  escapinios  id.  501  (a.  782). 

Le  roumain  excepté,  —  ce  qui  montre  qu'elle  est  postérieure  à 
la  séparation  des  deux  empires,  —  cette  préposition  de  i  ou  e  k 
s  suivie  d'une  sourde  se  retrouve  dans  tous  les  idiomes  romans  *  ; 
toutefois  en  italien  on  ne  la  retrouve  aujourd'liui  qu'après  non, 
con,  in,  per,  c'est-à-dire  après  les  seuls  mots  de  cette  langue 
qui  se  terminent  par  une  consonne,  par  exemple  non  iscagliare, 
la  scaglia  ;  mais  le  sarde  logoudorien  l'emploie  dans  tous  les 
cas,  ainsi  ;  la  iscalla,  la  istella,  etc.  Ce  fait  et  la  présence  de  i 
prosthétique  dans  les  anciennes  chartes  italiennes  semble  bien 
indiquer  qu'il  en  a  été  d'abord  de  même  partout  et  toujours  dans 
la  Péninsule,  et  que  plus  tard  seulement  on  est  revenu  à  la  forme 
latine  primitive,  excepté  après  les  quatre  mots  ci-dessus,  où  une 
raison  d'euphonie  a  fait  conserver  cet  i,  tombé  partout  ailleurs. 
Il  y  a  plus,  preuve  évidente  d'une  tendance  nouvelle  de  la  laogue, 
difficile  à  suivre  et  à  expliquer,  mais  qui  remonte  probablement 
à  l'époque  où  en  se  constituant  définitivement  elle  perdit  les  con- 
sonnes finales,  cette  suppression  s'est  même  étendue  en  italien  à 
e  et  i  étymologiques  qui  ont  disparu  comme  Vi  prosthétique  de- 
vant s  suivie  d'une  muette,  et  ce  groupe  est  ainsi  devenu  une  des 
initiales  les  plus  communes  de  l'italien.  Par  contre  dansle double 


1.  Le  roumanche  toutefois  n'en  fait  plus  usage  ;  ainsi  on  trouve  dans 
cette  langue  scalzar,  sforzar,  spada,  etc. 


—  309  — 

groupe  occidental,  il  est  constamment  précédé  de  i,  affaibli  en  e, 
affaiblissement  qui  apparaît  déjà,  nous  l'avons  vu,  dans  les  mo- 
numents latins  du  viif  siècle.  Le  provençal  présente  cependant 
quelques  cas  de  conservation  de  i,  de  même  qu'on  trouve  dans 
cette  langue  et  dans  les  monuments  les  plus  anciens  de  l'espa- 
gnol, du  portugais  et  du  français  quelques  exemples  de  mots  pri- 
vés d'e  prosthétique  ;  ainsi  ferma  speranza,  liscudier,  etc.  en 
provençal  ;  Spidios'  PC.  v.  226,  sediellos  sperando  id.2249  en 
espagnol;  spadoa,  stado  SR.  en  portugais;  enfin  en  français 
une  spède  EuL,  laspose  Al.  21,  2  ;  22,  3,  etc.  ;  laspéeliR.  II, 
1,  etc.  ^  Mais  ce  ne  sont  là  toutefois  que  des  formes  exception- 
nelles et  <?  a  fini  par  être  préposé  dans  les  mots  d'origine  popu- 
laire à  s  initiale  suivie  d'une  muette. 

Examinons  le  cas  particulier  où  cette  muette  est  c;  il  peut  se 
faire  alors  que  se  soit  suivi  d'une  des  voyelles  a,  o,  u  ou  d'une 
liquide,  c'est-à-dire  que  c  soit  vélaire,  ou  bien  de  e  ou  de  i, 
c'est-à-dire  qu'il  soit  palatal. 

a)  Dans  le  premier  cas  c  est  traité  comme  s'il  était  seul.  Exem- 
ples : 


LAT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

V.   FR. 

scalam 

esc.ala 

escala 

escala 

escheUe 

scopulura 

escollo 

escolho 

escuelh 

escueil 

scribere 

escrivir 

escrever 

escrire 

escrire,  etc 

Le  français  ne  s'en  est  pas  tenu  à  cette  première  modification  ; 
vers  le  xii**  siècle  s  devint  muette,  et  après  être  restée  longtemps 
comme  signe  purement  orthographique  ^,  elle  a  fini  par  dispa- 
raître, en  restant  toutefois  représentée  par  Ve  prosthétique  déve- 
loppé sous  son  influence  ;  c'est  ainsi  que  scalam,  scopulum, 
scrivere  ont  donné  définitivement  dans  notre  langue  échelle, 
écueil,  écrire.  Us  a  été  conservée  cependant  dans  quelques 
mots  anciens  comme  escalier,  escalade,  esclandre,  escabeau, 
etc. 

Un  des  dialectes  français  du  Nord,  le  wallon,  est  allé  plus  loin 
encore  que  le  français  ;  il  a  supprimé  à  la  fois  Ys  et  la  voyelle 
prosthétique  ;  il  n'est  resté  ainsi  que  le  c,  qui  est  traité  d'ailleurs 


1.  Cf.  Diez,  Gram.  id.  Un  fait  remarquable,  c'est  que  Ve  prosthétique, 
tout  en  ne  s'écrivant  pas  souvent  en  catalan,  n'en  comptait  pas  moins, 
ainsi  que  l'a  remarqué  Milà  y  Fontanals,  dans  la  mesure  du  vers.  GLJahrb- 
V,  176. 

1.  «  s  ante  t  et  alias  quasdam  consonnantes,  dit  Sylvius,  in  média 
dictione  raro  ad  plénum,  sedtantum  tenuiter  sonamus  et  pronunciando 
vel  eiidimus  vel  obscuraraus.  »  Jsagoge  p.  7. 


—  340  — 

comme  un  c  ordinaire  dans  le  dialecte  de  Namur,  —  ainsi  chaule 
(scalara),  —  et  qui  dans  le  dialecte  de  Liège  se  change  en  h  : 
haie  (scalam). 

On  le  voit  par  les  exemples  qui  précèdent,  s  dans  le  groupe  se 
peut  tomber  comme  cela  a  lieu  en  français,  mais  il  ne  modifie 
point  le  c  suivant  ;  il  semble  même,  au  contraire,  lui  conserver 
sa  valeur  originelle  ;  ainsi  scalam  donne  en  italien  scala,  en 
espagnol,  en  portugais  et  en  provençal  escala,  en  français  échelle; 
mais  si  calam  avaitdonnécAe^^e  en  français  et  peut-être  cala  en 
italien,  il  aurait  probablement  donné  gala  en  espagnol,  en  portu- 
gais et  en  provençal,  de  même  cribere  aurait  plus  que  vraisem- 
blablement donné  dans  ces  trois  langues  et  en  français  —  du  moins 
dans  les  composés  —  grimr,  grever^  grire.  Cependant  le  c  de 
se  s'est  changé  en  g  en  espagnol  et  en  portugais  dans  les  mots 
d'origine  germanique  esgrmiir  (a.  skirm),  es  grima  ;  c'est-à- 
dire  qu'il  y  a  été  traité  comme  dans  le  groupe  cr. 

P)  Si  le  groupe  se  n'a  point  subi  de  modification  particulière 
devant  a,  o,  u  ou  une  liquide,  il  n'en  est  pas  de  même,  quand  il 
est  suivi  de  e  ou  i  ;  cas  qui  se  présente  d'ailleurs  rarement  au 
commencement  des  mots,  mais  est  assez  commun  au  milieu. 
Ceci  n'est  point  d'ailleurs  particulier  aux  langues  romanes.  Ainsi, 
se  {sk)  qu'on  rencontre  fréquemment  dans  les  langues  germani- 
ques, se  change  dans  toutes  devant  une  voyelle  palatale  en  s, 
modification  que  l'allemand  et  l'anglais  ont  même  étendue  à  se 
suivi  d'une  voyelle  non  palatale.  Comment  expliquer  cette  trans- 
formation d'autant  plus  surprenante  en  allemand  par  exemple 
.  que  k  seul  y  a  toujours  conservé  sa  valeur  gutturale?  Il  faut  y 
voir ,  je  crois,  le  résultat  de  la  transformation  de  la  gutturale 
explosive  en  spirante  de  même  ordre,  ce  qui  donne  5/,,  son  telle- 
ment semblable  à  s  que  Brucke  a  pu  en  admettre  l'identité.  La 
transformation  de  k  n'ayant  point  eu  lieu  en  général  dans  les 
voyelles  non  palatales,  sk  y  est  resté  le  plus  souvent  sans  modifi- 
cation ;  c'est  ce  qui  est  arrivé  toujours,  le  français  excepté,  dans 
les  langues  romanes,  mais  à  l'exception  du  roumain,  toutes  l'ont 
transformé  en  spirante  dentale  devant  e  ou  i\  en  italien  cette 
spirante  est,  comme  dans  les  langues  germaniques,  s  ;  c'est  5  ou  6 
dans  le  double  groupe  occidental,  accompagné  du  son  i  dans  le 
provençal  et  le  français.  Faut-il  expliquer  cette  transformation 
comme  dans  les  idiomes  germaniques  ?  rien  ne  s'y  oppose  en  ita- 
lien ;  il  semble  pourtant  plus  en  rapport  avec  ce  que  nous  avons 
vu  jusqu'ici,  d'admettre  que  le  c  s'est  changé  en /,  ce  qui  a  donné 
sj,  dont  la  transformation  en  s,  puis  en  s,  s'explique  sans  peine  ; 


—  3\i  —  

seulement  on  peut  croire  qu'en  même  temps  que  le  c  se  changeait 
ainsi  en  J  ;  il  développait  dans  le  groupe  du  Nord-Ouest  le  son  i 
devant  s.  Dans  le  groupe  du  Sud-Ouest,  au  contraire,  l'assimila- 
tion pure  et  simple  paraît  avoir  eu  lieu.  Le  latin  de  la  décadence 
en  offrait  déjà  des  exemples;  ainsi  dissesse  (discessisse) ,  rcquie- 
sit,  cresseret;  etc.  ^  Le  roumain  se  sépare  ici  complètement  des 
autres  langues  congénères  ;  quelle  que  soit  la  voyelle  suivante, 
il  a  changé  se  en  5^,  c'est-à-dire  que  5  s'y  est  épaissi  en  s  et  que 
c  s'est  changé  en  t,  transformation  due  peut-être  à  une  influence 
slave  —  elle  se  retrouve  du  reste  en  slovène,  —  et  dans  laquelle 
on  peut  voir,  je  crois,  le  résultat  de  la  transformation  de  c  en  c 
{ts),  suivi  de  sa  transposition  et  delà  chute  de  s.  Quoi  qu'il  en  soit , 
se  initial  suivi  de  e  ou  i  est  tout-à-fait  exceptionnel,  on  ne  le 
rencontre  guère,  à  part  le  mot  savant  scena,  que  dans  scientem, 
qui  a  donné  esciente  en  espagnol,  essienen  ^roYençal  et  escient 
en  français,  mot  dont  il  faut  rapprocher  l'itahen  seentre,  et 
dans  seire  devenu  Ui  en  roumain. 

2"  se  mèdial. 

11  faut,  comme  pour  se  initial,  distinguer  le  cas  où  la  voyelle 
suivante  est  «',  o  ou  m  et  celui  où  elle  est  e  ou  i. 

a)  Dans  le  premier,  se  ne  subit  point  de  modification  en  italien, 
en  espagnol,  en  portugais  et  en  provençal;  en  français  s  dispa- 
raît et  c  se  change  en  eh  devant  a,  excepté  dans  le  picard  et  le 
normand  où  il  persiste,  enfin  en  roumain  se  devient  U  ou  per- 
siste exceptionnellement.  Ainsi  *  eascunum,  flaseum,  *miseu- 
lare,  muscam,  *  piscare,  ont  donné  : 


inultt 


En  français  *miseulare  a  donné  mêler,  comme  maseulum  a 
donné  mâle,  le  e  s'est  assimilé  à  1'^  et  est  tombé;  on  a  eu  ainsi 
mesler  d'où  mêler  après  la  chute  de  1'^.  Le  roumain  peseearese 
semble  être  déformation  récente,  comme  on  le  voit  en  comparant 
ce  mot  à  peste,  formé  régulièrement. 

P)  Devant  e  ou  i,  se  médial  se  comporte  comme  se  initial,  si 


IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

ciascuno 

— 

— 

cascu 

chacun 

fiasco 

frasco 

frasco 

— 

— 

mescolare 

mezclar 

— 

mesclar 

— 

mosca 

mosca 

mosca 

— 

mouche 

pescare 

pescar 

pescar 

pescar 

pêcher 

1.  Cf.  Schuch.  Vocal.  1,  145. 


—  3^2  — 

l'on  excepte  le  développement  du  son  i  devant  s,  c'est-à-dire  qu'il 
se  change  en  s  en  italien,  U  réduit  parfois  à  ^  en  roumain,  c  =  8 
en  espagnol,  ç  en  portugais  et  is  en  provençal  et  en  français,  se 
a  persisté  souvent  en  portugais,  mais  avec  la  valeur  p,  ortho- 
graphe que  les  anciens  manuscrits  espagnols  présentent  souvent 
aussi. 

Les  transformations 'des  quatre  mots  conoscendo,  crescendo, 
nascendo  et  pascendo  donneront  une  idée  de  ces  divers  chan- 
gements : 

ROUM.  IT.  ESP.  PG.  PR.  FR. 

canoaitund  conoscendo  conociendo  conhecendo  conoissen  connaissant 

creastund  ci'escendo  creciendo  crescendo  creissen  abaissant 

nastund  nascendo  naciendo  nascendo  naissen  naissant 

pasiund  pascendo  paciendo  pascendo  paissen  j)aissant 

h' S  double  du  provençal  et  du  français  n'étant  qu'un  signe  or- 
thographique destiné  à  indiquer  que  cette  spirante  est  sourde,  se 
réduit  à  s  naturellement  devant  une  consonne  ;  d'après  cela  l'in- 
finitif français  des  verbes  en  scere:conoscere,  crescere,  *nas- 
cere,  pascere,  etc. ,  est  conoisre,  croisre,  naisre ,  paisre  ; 
mais  la  langue  n'aimant  pas  le  concours  de  5  et  de  r  on  a  inter- 
calé un  t  entre  ces  deux  lettres,  ce  qui  a  donné  ainsi  :  connoistre, 
croistre,  naistre,  p)0,istre.  Plus  tard  1'*  étant  devenue  muette, 
est  tombée,  d'où  les  formes  actuelles  connaître,  croître,  naître, 
paître,  etc. ,  dans  lesquelles  le  groupe  se  n'est  plus  rappelé  que 
par  ce  t  intercalaire  et  par  ^^  de  la  diphthongue  précédente.  Il  ne 
l'est  plus  que  par  i  à  la  troisième  personne  singulier  de  l'indicatif: 
connaît,  croît,  naît,  paît,  etc. 

Les  dialectes  ladins  ont  tantôt  traité  se  suivi  de  e  ou  i,  comme 
l'italien,  c'est  le  cas  du  roumanche,  qui  l'a  changé  en  s,  tantôt  ils 
se  sont  contentés  de  l'assimilation,  c'est  ce  qui  a  lieu  par  exemple 
dans  le  dialecte  du  Frioul.  Ainsi  crescere  a  donné  creschere 
dans  le  premier,  cressi  dans  le  second,  pascere  j  est  devenu 
respectivement  pasche  et  passi. 

A  côté  des  formes  5  =  0  ou  f  l'espagnol  et  le  portugais  en 
offrent  une  dans  laquelle  se  est  traité  comme  es  {x)  et  représenté 
par  œ  ou  ix^.  Ainsi  pour  *  fasciam,  piseem,  et  vascellum,  on 
a  par  exemple  : 


fasie 

fascia 

faxa 

faixa 

faissa 

faissey. 

peste 

pesce 

pexe  V. 

peixe 

— 

— 

vescior 

vascello 

baxïllo 

baixel 

vaissel 

vaisseau 

1.  Voir  pi.  loin  Ch.  VIL 


—  343  — 

On  trouve  aussi  en  italien  fiocina  (fuscinam)  et  vagello  (vas- 
cellum),  où  5  est  remplacé  par  c  ou  ^;  enfin  rusignuolo  nous 
montre  s  sonore  se  substituant  à  1*.  Quant  au  sarde  logoudorien, 
il  conserve  dans  ce  cas  à  la  gutturale  palatale  sa  valeur  origi- 
nelle ;  ainsi  : 


LAT. 

IT. 

s.   LOO. 

conoscere 

conoscere 

conoschere 

crescere 

crescere 

creschere 

nascere 

nascere 

naschere 

pascere 

pascere 

paschere 

piscinam 

piscina 

pischina,  etc 

On  trouve  aussi  se  avec  une  valeur  gutturale  dans  le  rouman- 
che  peso;  mais  je  crois  qu'il  ne  faut  voir  là  qu'un  changement  de 
déclinaison,  analogue  à  ceux  que  j'ai  déjà  eu  occasion  de  signa- 
ler p.  85  ;  peso  d'après  cela  viendrait  non  de  piscem,  mais  de 
*piscum. 

Le  wallon  a  traité  devant  e  et  i  le  groupe  se  comme  devant 
a  ;  le  wallon  liégeois  le  change  en  A,  celui  de  Namur  en 
ch,  exemple  : 

lat.  conoscere  w.'n.  conoche  w.  1.  conohe 

Dans  la  conjugaison  espagnole,  \'e  de  l'infinitif  des  verbes  en 
scere  se  changeant  en  o  à  la  première  personne  singulier  de  l'in- 
dicatif présent,  en  «  à  toutes  les  personnes  du  subjonctif  présent 
et  à  la  troisième  personne  du  singulier  et  du  pluriel  de  l'impéra- 
tif, on  retombe  sur  le  premier  cas  où  se  persiste  ;  mais  alors  s  se 
change  en^,  comme  nous  l'avons  déjà  vu  dans  mezelar.  En  pro- 
vençal, où  le  même  changement  de  la  voyelle  a  lieu  au  subjonctif 
et  à  l'impératif  présent,  le  groupe  se,  devenu  ss,  reprend  à  ces 
temps  sa  forme  primitive.  On  a  donc  dans  ces  deux  langues  pour 
*naseere  : 


IND.    PRES. 

ESP. 

nazeo 


SUBJ.    PRES. 


ESP. 

nazea 
nazeas 


PR. 

nasca 
nascas 


nazea        nasea 
nazeamos  naseam 
nazeais     naseatz 
nazean      nascan 


ESP.  l'R. 


nazea    nasea 


nazean  nasean 


1.  On  trouve  aussi  en  provençal  vaysel  à  côté  de  vaissel,  autre  exemple 
d'une  sonore  substituée  à  se. 

2.  Voir  plus  haut  Liv.  II,  Gh.  III,  p.  87. 


—  3U  — 

IIP  se  final. 

Il  faut  encore  distinguer  ici  le  cas  où  la  voyelle  suivante  est  e 
ou  i  et  celui  où  eUe  est  o  onu. 

a)  Quand  se  est  devenu  final  par  la  chute  de  o  ou  u,  cas  qui  ne 
peut  d'ailleurs  se  présenter  qu'en  roumain,  en  ladin,  en  proven- 
çal et  en  français,  se  persiste  dans  les  trois  premiers  idiomes  et 
se  change  en  is  dans  le  dernier  ;  ainsi 


LAT. 

ROUM. 

LAD. 

PR. 

FR. 

conosco 

CUIIOSC 

— 

conosc 

connais 

cresco 

cresc 

cresc 

cresc 

crois 

*  friscum 

— 

fresc  fr. 

fresc 

frais 

*  nasco 

nasc 

nasc 

nasc 

nais 

pasco 

pasc 

— 

pasc 

pais 

pascuum 

— 

pasc  Ob. 

pasc 

—    etc, 

Dans  brost  (labruscum)  du  dialecte  romagnol,  st  s'est  substitué 
à  5C  *  ;  nous  avons  ainsi  là  un  nouvel  exemple  de  la  substitution 
de  if  à  c. 

P)  Quand  la  voyeUe  dont  la  chute  a  rendu  se  final,  ce  qui  ne 
peut  arriver  qu'en  espagnol,  en  français  et  dans  les  dialectes  la- 
dins,  est  e  ou  i,  se  est  devenu  z  en  espagnol,  is  {œ)  en  provençal 
et  en  français,  il  est  resté,  comme  se  médial,  s  en  roumanche  et 
ss  dans  le  dialecte  du  Frioul.  Ainsi  faseem  et  piseem  y  ont 
donné  : 


LAT. 

ESP. 

ROUMANCHE. 

L.  FR. 

PR. 

FR. 

faseem 

haz 

fasch 

fass 

fais 

faix 

piseem 

pez, 

— 

pess 

— 

— 

En  provençal  où,  par  la  chute  du  t,  se  devient  final  à  la  troi- 
sième personne  singulier  de  l'indicatif  des  verbes  en  seere,  on  a 
également  creis  (crescit),  nais  (*nascit),  pais  (pascit),  etc. 


CHAPITRE  V 
DU   GROUPE   CL. 


Ce  groupe  a  été  traité  de  la  manière  la  plus  difierente  par  les 
diverses  langues  romanes.  Plusieurs  cas  pouvaient  se  présenter  : 
d'abord  cl  pouvait  persister  tel  quel,  ou  bien  la  sourde  ose  chan- 
ger en  sonore  g,  suivant  une  tendance  que  nous  avons  étudiée  ^  ; 

1.  Muss.  Barst.  der  rœm.  Mund.  p.  52. 

2.  Voir  pi.  haut  p.  39. 


—  3<5  — 

le  latin  s'en  est  tenu  là  ;  mais  le  son  l  précédé  de  c  ou  de  g,  qu'il 
affectionnait,  à  ce  qu'il  semble,  auquel  il  donnait  du  moins  alors 
toute  sa  force*,  a  répugné  le  plus  souvent  aux  oreilles  romanes 
comme  trop  dur  ou  trop  difficile  à  prononcer.  Un  premier  moyen 
de  l'adoucir  fut  de  faire  suivre  l  d'un  i,  ce  qui  donnait  les  groupes 
cli  ou  gli,  formes  dont  la  première  a  été  conservée  entre  autres 
par  le  dialecte  roumain  du  Sud  ;  mais  cette  simplification  ne  suf- 
fisant pas,  la  langue  rejeta  l  dans  le  premier  groupe,  en  conser- 
vant au  c  sa  valeur  gutturale,  ce  qui  a  donné  le  son  ki  ou  chi, 
forme  conservée  par  l'italien  et  le  dialecte  roumain  du  Nord,  g 
dans  le  second,  ce  qui  a  donné  H  ou  Ij.  De  chi  est  sorti,  suivant 
une  transformation  connue,  le  son  c  qu'on  retrouve  dans  plusieurs 
dialectes  italiens  ou  ladins,  parfois  en  espagnol  et,  affaibli  en  5, 
en  portugais.  Quant  à  li,  Ij,  il  a  donné  naissance  au  son  g,  -2, 
lequel  s'est  changé  en  spirante  gutturale  -^  en  espagnol.  Mais 
il  a  pu  se  faire  aussi  qu'au  lieu  de  développer  le  son  i  après  lui, 
XI  de  cl  ou  gl  se  soit  simplement  changé  en  Ih  ou  II,  comme  cela 
a  lieu  en  particulier  dans  certains  patois  normands,  ce  qui  donne 
cil  ou  gll;  si  c  ou  ^  tombent  dans  ces  groupes,  il  reste  II 
{l  mouillé),  le  gli  de  l'italien.  Il  de  l'espagnol,  Ih  du  portugais  et 
du  provençal,  ilV  {il  final)  du  français  ^  On  peut,  je  crois,  repré- 
senter synoptiquement  ces  modifications  de  la  manière  suivante  : 


;  cl,      cli,      chi, 
cl)gl,      gli,      Ij, 
(cl,  gl,  cil,  gll, 


g,     ^.       X 
II,  {Ih,  gli,  ill) . 


La  nature  des  transformations  du  groupe  cl  dépend,  au  moins 
dans  certains  idiomes,  de  la  place  qu'il  occupe  dans  le  mot,  il 
importe  donc  d'étudier  séparément  celles  du  cl  initial  et  du  cl 
médial,  seuls  cas  qui  peuvent  se  présenter,  cl  ne  pouvant  jamais 
être  final. 

P  cl  initial. 

Chacun  des  groupes  entre  lesquels  se  répartissent  les  langues 
romanes  a  traité  cl  initial  d'une  manière  particulière.  L'itahen  et 


1.  «  Plénum  habet  {l)  sonum,  dit  Priscien,  quando  habet  ante  se  in 
eadem  syllaba  aliquem  consonnantem,  ut  flavus,darus>^.  Cf.  Diez,  Gram. 
I,  209. 

2.  L7  mouillé  a  pu  prendre  naissance  encore  d'une  autre  manière,  Ij 
résultat  de  la  chute  du  g  dans  le  groupe  gli  peut  en  effet,  au  lieu  de  se 
changer  en  X,  se  transformer  en  II,  comme  cela  a  lieu  pour  Ij  étymolo- 
gique dans  le  portugais  fillw  (filium). 


r 


—  3^6  — 

le  roumain  ne  le  tolérant  point,  pas  plus  au  commencement  qu'au 
milieu  des  mots,  l'ont  changé  l'un  et  l'autre  —  du  moins  le  tos- 
can et  le  roumain  du  Nord  —  en  chi,  réduit  à  ch  devant  ^  et  par- 
fois aussi,  en  roumain,  devant  une  autre  voyelle.  Certains  dia- 
lectes italiens  toutefois  ont  poussé  plus  loin  la  transformation  et 
changé  chi  en  c;  il  en  a  été  de  même  dans  quelques  sous-dialectes 
ladins.  Quant  au  roumain  méridional,  il  conserve  cl^  comme  les 
langues  du  groupe  du  Nord-Ouest,  mais  en  le  faisant  suivre  de  i. 

L'espagnol  et  le  portugais  ne  répugnaient  point,  ce  semble,  à 
l'origine  à  la  combinaison  cl;  on  la  rencontre,  en  effet,  dans  les 
anciens  monuments  de  ces  deux  langues ,  —  ainsi  clamar  PC. 
devenu  cramar  Gil.  Vie.  —  et  elle  a  aussi  persisté  dans  un  grand 
nombre  de  mots  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  regarder  comme  d'ori- 
gine populaire,  tels  que  clavo,  claro,  etc.  Cependant  au  moment 
de  leur  formation  définitive,  il  y  eut  une  tendance  de  ces  langues 
pour  rejeter  cl  et  pour  le  changer  en  II  (espagnol)  ou  en  ch  =  s 
(portugais)  affaiblissement  de  c  ;  cette  dernière  transformation  ou 
la  sonore  correspondante  g  (j)  apparaît  aussi  dans  les  dialectes 
espagnols,  en  particulier  dans  le  léonais,  ainsi  jamar,  chamar 
F  J.,  chabasca  (* clavascam)  ;  le  portugais  connaît  aussi  la 
forme  ji"  {z),  afiaibhssement  de  g,  à  côté  de  ch  {s)  ;  ainsi  jamar 
S.  Rosa  pour  chamar  ^ 

En  provençal  et  en  français  cl  initial  persiste  toujours  sans 
modification  dans  la  langue  classique  ;  il  faut  excepter  glatz  pr. 
—  qui  est  d'ailleurs  aussi  c/as —  fr.  glas  (classicum),  où  c^  s'est 
affaibli  en  gl.  Les  dialectes  présentent  quelques  particularités  ; 
ainsi  dans  les  patois  normands  du  Bessin  et  de  Guernesey ,  1'^  de  cl 
se  mouille  parfois  et  l'on  a  par  exemple  cllocher  pour  clocher, 
cllaie  {dei),  cllai  (clair),  c^/«ow  (clou),  cllenque  (clenche), 
clloque  (cloche),  etc.  ^.  Le  dialecte  lorrain  de  Nancy  est  allé 
plus  loin,  cl  changé  d'abord  en  cli  s'y  est  réduit  à  ki,  comme  en 
italien  et  dans  le  roumain  du  Nord,  par  exemple  kié  pour  clef, 
kiouT^ouv clou,  kinei  ]}our  {m)cliner,  etc.  Le  patois  du  Haut- 
Maine  ofire  aussi  quelques  exemples  de  cette  transformation  ; 
ainsi  quiaé  (claie),  quianche  (clenche),  quiau  (clou)  ^. 

Les  dialectes  ladins  conservent  souvent  le  groupe  cl  comme  le 
français  et  le  provençal,  —  c'est  le  cas  du  roumanche  de  l'Ober- 
land  et  de  l'Engaddine  et  du  ladin  du  Frioul  —  mais  parfois 


1.  Cf.  Dies,  Gram.  I,  211. 

2.  G.  Métiv.  Dict.  franco-norm.  s.  v. 

3.  Oberlin,  Essai  p.  98.  —  G.  R.  de  M.  Voc.  du  Haut-Maine,  s.  v. 


—  347  — 

aussi  ils  le  changent  en  c,  c'est  ce  qui  arrive  dans  quelques  sous- 
dialectes  du  Tjrol,  en  particulier  celui  d'Ampezzo,  ainsi  que  dans 
le  milanais  ^ .  Dans  le  sous-dialecte  de  Nonsberg,  le  c  de  cl  s'est 
parfois  tout  simplement  affaibli  en  g,  tandis  que  dans  celui  de 
Grœden  (vallée  de  la  Gardena),  il  s'est  changé  en  t,  ce  qui  donne 
gl  dans  le  premier  et  tl  dans  le  second  à  la  place  de  cl  ^. 

Voici  comment  ce  groupe  a  été  traité  'par  les  diverses  langues 
romanes  dans  les  mots  latins  clamare,  clarum,  clavem,  cla- 
vum,  claudere,  etc. 


clema  s.chiemà  n. 

chiamar 

llamar 

chamar 

clamar 

clamer 

—     chiar 

chiaro 

claro 

claro 

clar 

clair 

cliae      cheie 

chiave 

llave 

chave 

clau 

clef 

_ 

chiodo 

clavo 

— 

clavel 

clou 

—     chide 

chiudere 

— 

— 

claure 

clore,  etc, 

Les  exemples  suivants  montreront  ce  que  ce  même  groupe  est 
devenu  dans  les  dialectes  ladins  et  dans  quelques  dialectes  du 
Nord  de  l'Italie  : 


LAT.   cl. 

cl. 

gl 

il 

c 

clamare 

clama  fr. 

— 

tlama  Gard. 

cama  Amp. 

clarum 

clar  roum. 

— 

lier       id. 

ciar  mil. 

clausum 

claus  id. 

— 

—       id. 

— 

clavem 

claf    id. 

— 

tlé        id. 

cave  Amp. 

clavum 

claud  fr. 

glava 

Nonsb. 

Haut     id. 

codo    id. 

Un  mot  fait  exception  dans  toutes  les  langues  romanes,  c'est 
clavicula,  qui  ayant  dû  perdre  son  premier  l  dans  la  période 
latine,  est  traité  dans  toutes  comme  si  la  forme  primitive  était 
cavicula. 

ir  cl  médial. 

Il  faut  distinguer  entre  cl  latin  et  cl  de  formation  romane, 
c'est-à-dire  provenant  de  l'apocope  d'une  voyelle  intermédiaire  à 
c  et  à  ^. 

a)  Dans  le  premier  cas  cl  se  change,  comme  au  commencement 
des  mots,  en  ch  en  roumain  et  en  italien,  il  s'affaiblit,  au  con- 
traire, en  gl  dans  le  double  groupe  occidental,  où,  par  consé- 


1.  Le  dialecte  des  Quatro  Ville,  ce  qui  n'a  rien  qui  doive  surprendre, 
affaiblit  dans  ce  cas  c  en  ç,  clamare  y  est  devenu  ainsi  çavià. 

2.  Schneller,  Die  Mund.  von  Tirol,  p.  68.  —  Ascoli,  Archivio,  I,  passini. 
—  Muss.  Darst.  der  rœm.  Mund.  p.  47. 


318  — 


quent,  17  persiste  sans  modification  et  le  c  est  traité  comme  un  c 
médial  ordinaire.  Exemples  : 


LAT. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

ecclesiam 

chiesa 

iglesia 

igreja 

iglise 

église 

miraclum 

— 

milagro 

niilagre 

— 

— 

seclum 

— 

siglo 

— 

segle 

— 

Il  faut  remarquer  le  changement  de  Z  en  r  dans  l'espagnol 
milagro,  portugais  milagre  ainsi  que  dans  le  portugais  igreja, 
changement  dont  cramar  pour  llamar  nous  avait  déjà  offert 
un  exemple.  Le  mot  miracle  a  conservé  en  provençal  et  en 
français  le  c,  il  en  est  de  même  de  siècle  dans  ce  dernier 
idiome;  il  faut  voir  là  évidemment  le  résultat  d'une  influence 
savante.  La  première  syllabe  du  mot  ecclesiam  est  en  général 
tombée  dans  les  dialectes  ladins  ;  mais  quoique  devenu  ainsi  ini- 
tial, cly  di  été  pourtant  traité  comme  médial  et  comme  tel  rem- 
placé par  gl,  la  spirante  sonore  g  ou  sa  forme  affaiblie  z  ou 
encore  par  le  groupe  dl  :  {ec)clesia  a  ainsi  donné  les  formes  : 

glesia  Fd.         glesia  Ag.  geza  Fs.  zeza  Amp.      dlizia  Gad. 

^)  c'I  médial  de  formation  romane  se  rencontre  dans  les  dérivés 
en  aculus,  eculus,  iculus  et  uculus,  si  communs  dans  le  latin 
de  la  décadence.  Ce  groupe  présentait  naturellement  moins  de 
résistance  que  cl  étymologique,  aussi  n'a-t-il  persisté  que  dans  le 
dialecte  roumain  du  Sud,  où  il  est  toutefois  suivi  de  i  ;  dans  le 
roumain  du  Nord,  au  contraire,  il  se  change,  comme  cl  initial, 
en  chi;  on  retrouve  aussi  le  plus  souvent  cette  transformation  en 
italien,  affaiblie  en  ghi  dans  le  sicilien  S  mais  on  y  rencontre 
aussi  en  même  temps,  quoique  rarement^  gli  ou  l  mouillé; 
cette  modification  ordinaire  de  cl  initial  en  espagnol  y  apparaît 
encore  ici  dans  cette  langue,  mais  seulement  à  titre  d'exception, 
il  en  est  de  même  de  ch  (c)  ;  la  transformation  régulière  de  cl 
roman  est  j,  c'est-à-dire  la  spirante  gutturale  substituée  à  la 
chuintante  sonore  g,  forme  rare,  au  contraire,  au  commencement 
des  mots.  Le  portugais  présente  quelques  cas  delà  substitution  de 
ch  à  cl,  en  particulier  après  n,  mais  c'est  l  mouillé  {Ih)  qui  en 
est  la  représentation  habituelle  ;  c'est  lui  aussi  qu'on  rencontre 
presque  toujours  à  sa  place  en  provençal  et  en  français. 

Dans  quelques  mots  cependant  ces  deux  derniers  idiomes  ont 
traité  c'I  roman  comme  cl  latin  médial,  c'est-à-dire  qu'ils  l'ont 
changé  en  gl  ;  il  en  a  été  de  même  dans  le  dialecte  ladin  de  Bu- 

1 .  Exemple  tinagghiu  (tenaculum). 


—  3^9  — 

chenstein  et  d'Araba,  parfois  aussi  dans  celui  du  Frioul  ;  mais 
après  une  consonne  cl  persiste  sans  modification  dans  ce  dernier  ; 
il  en  est  de  même  dans  tous  les  cas  en  roumanche  et  dans  le  dia- 
lecte de  Fondo  ;  dans  celui  de  Grœden  ou  de  la  Gardena  et  de  la 
Gadera,  au  contraire,  la  sonore  dl  se  substitue  à  cl  médial,  tan- 
dis que  la  sourde  tl  y  prend,  nous  avons  vu,  la  place  de  cl  initial. 
Dans  le  dialecte  du  Val  de  Sole  le  groupe  cl  ne  s'est  pas  formé 
et  y  est  devenu  kel  ;  dans  le  Val  de  Rumo ,  il  s'est  modifié  en 
kjel ,  et  en  cel  à  Fondo  et  à  Nonsberg  ;  mais  au  pluriel  le  groupe 
cl  apparaît  sans  modification,  ainsi  qu'au  singulier  des  féminins. 

Ces  formes  sont  loin  d'épuiser  la  série  des  transformations  dec'l 
roman  ;  ainsi  dans  le  dialecte  du  Frioul,  ce  groupe,  quand  il  n'est 
pas  précédé  d'une  consonne,  se  réduit  à  ^  ou  H;  dans  le  roumanche 
de  l'Engaddine  et  parfois  de  l'Oberland,  ainsi  que  dans  le  ladin 
du  val  de  Fassa  et  de  Mœna,  il  s'est,  au  contraire,  transformé  en 
l  mouillé,  et  il  est  devenu  Jot  dans  le  ladin  d'Oltrechiusa  et  de 
Fassa  ;  enfin  il  a  donné  naissance  à  la  chuintante  sonore  g  dans 
le  dialecte  d'Agordo  et  d'Agordino,  ainsi  que  dans  le  milanais  \ 

Pour  montrer  comment  c'I  a  été  traité  dans  les  diverses  lan- 
gues romanes,  je  prendrai  pour  exemple  les  mots  acuc{u)lam, 
apic{u)lam,  auric[u)lam ,  cornic{u)lam,  fac{u)lam,  geni- 
c{u)lum,  grac{u)lam,  lentic{u)lam,  mac{u)lam,  oc{u)lum, 
pedic{u)lum,  et  spéculum  : 


ROUM. 

IT. 

ESP. 

va. 

PR. 

FR. 

— 

aguglia 

aguja 

agulha 

agulha 

aiguille 

— 

pecchia 

abeja 

abelha 

abelha 

abeille 

urecliea.urechie  a.orecchia 

oreja 

orelha 

aurelha 

oreille 

— 

cornacchia 

corneja 

— 

— 

corneille 

feclie 

— 

hacha 

fâcha 

falha 

faille  1..-R 

— 

ginocchio 

hinojo  V. 

giolho 

ginolho 

genquil  v. 

— 

gracchia 

graja 

gralho 

gralha 

graille  v. 

— 

lenticchia 

lenieja 

lentilha 

— 

lentille 

— 

macchia 

malla 

malha 

malha 

maille 

ocliu  s.  ochiu  n. 

ûcchio 

ojo 

olho 

olh 

œil 

— 

pidocchio 

piojo 

piolho 

pezolh 

peoil  V. 

— 

specchio 

espejo 

espelho 

— 

— 

A  cette  liste  il  faut  ajouter  les  dérivés  de  cochlear  dans  les- 
quels cl  latin  a  été  traité  comme  c'I  roman  : 

it.  cucchiajo  esp.  cuchara  pg.  colher  fr.  cuillère 

Par  contre  dans  les  mots  suivants  c'I  roman  a  été  traité  en 


1.  Schneller,  id.  p.  68  et  69.  —  Ascoli,  Archivio,  I,  57,  193,  323,  324,  329, 
348,  351,  356,  369,  374,  377,  382  et  514.  —  Muss.  Darst.  der  alim.  Mundarl, 
p.  12. 


—  320  — 

provençal  et  en  français  comme  cl  latin   médial,  c'est-à-dire 
changé  en  gl. 


FR. 


*  aboculum  —  aveugle 
aq(ui)lam  —  aigle 

*  buc(u)lare  —  beugler 
sec(a)lem  segle  seigle 

Le  mot  français  mâle  (masle),  qui  semble  faire  exception  aux 
règles  précédentes,  doit  sa  forme  particulière  à  ce  qu'il  vient  non 
de  mac{u)lum  qui  aurait  donné  magie  ou  maille,  mais  de  mas- 
c[u)lum  ;  le  c  de  se  assimilé  par  1'^  précédent  est  tombé  ;  et  sa 
chute  a  empêché  17  d'être  mouillé.  Il  en  a  été  de  même  de  moule 
(musculum).  Dans  leladin  du  Frioul,  cl  a  été  dans  ces  mots  con- 
servé par  l'influence  de  1'^,  ainsi  mascli,  muscli  ;  mais  dans  le 
roumanche  de  la  Haute-Engaddine  il  s'est  changé  en  spirante, 
qui  avec  Y  s  précédente  a  donné  naissance  à  la  chuintante  s,  d'où 
maschiel,  mûschiel. 

L'I  mouillé  substitué  à  cl  qu'offre  partout  l'ancien  français  a 
disparu  dans  un  certain  nombre  de  mots  du  français  moderne  ; 
c'est  ce  qui  a  eu  lieu  par  exemple  dans  genou,  3Lutreîois  genouil, 
forme  coQservée  dans  agenouiller,  —  pou,  autrefois  peouil, 
pouil,  qu'on  retrouve  dans pouilleuœ,  et  verrou,  anciennement 
verrouil  (*  verruclum).  Dans  ces  mots  il  y  a  eu  simple  chute  de 
il,  devenu  sourd  dès  la  première  moitié  du  xvif  siècle,  époque  où 
l'on  écrivait  encore  genouil,  pouil,  verrouil,  mais  en-  pronon- 
çant, nous  apprend  ChifEet,  genou,  pou,  verrou.  Dans  les  mots 
épieu,  essieu,  la  langue  a  procédé  autrement  ;  l'ancienne  forme 
était  espieil  (spiculum),  essieil  (*  axiculum) ,  1'^  mouillé  s'est 
changé  en  l  ordinaire,  ce  qui  a  donné  espiel,  essiel,  d'où  par  la 
vocalisation  de  1'^  les  formes  modernes  épieu  et  essieu.  Quelque 
chose  d'analogue  s'est  passé  au  pluriel  de  œil,  seulement  ^^  pré- 
posé a  eu  a  conservé  quelque  chose  de  VI  mouillé,  et  ce  mot  a 
pris  la  forme  définitive  2/eMa;.  Dans  p^W^  (*craticulum),  goupil 
(*vulpeculum),  nombril  (umbilicum),  nous  avons  un  nouvel 
exemple  de  la  chute  de  l  mouillé,  laquelle  a  dû  être  précédée 
toutefois  d'une  période  de  transition  où  1'/  final  sans  être  mouillé 
devait  encore  se  prononcer.  C'est  l'état  où  nous  voyons  mainte- 
nant le  mot^en7,  dont  1'/  ne  se  mouille  plus,  mais  se  prononce 
encore,  mais  qui,  si  une  réaction  conservatrice  n'a  lieu,  finira  par 
devenir  muet. 

Cet  affaiblissement  ou  cette  suppression  du  son  Ih  dans  le  fran- 


—  324  — 

lis  a  été  généralisé  dans  certains  patois,  en  particulier  dans  le 
normand  du  Bessin  ;  ainsi  fenouil  y  est  devenu  fenou  ;  soleil, 
salé.  L7  n'a  été  conservé,  mais  en  cessant  d'être  mouillé,  que 
dans  les  dérivés  féminins  en  cula,  c'est-à-dire  devant  e,  comme 
dans  aigule,  boutéle,  conéle  (corneille),  quevile,  etc. 

Telles  sont  les  remarques  auxquelles  donnent  lieu  les  transfor- 
mations générales  du  groupe  c'I  dans  les  six  principaux  idiomes 
néo-latins;  pour  en  terminer  l'étude  je  les  ferai  suivre  du  tableau 
des  modifications  qu'éprouvent  dans  les  dialectes  ladins,  lesquels, 
nous  avons  vu,  le  traitent  parfois  comme  les  autres  idiomes  romans, 
mais  le  transforment  aussi  d'une  manière  à  eux  particulière, 
les  cinq  mots  suivants  : 


acuclam  auric'lam 

genuc'lwn 

ocxic'lum 

pedic'lum 

Nb. 

cl 

— 

reda 

zinocU  pi." 

ocli  pi. 

piocli  pi. 

Ar. 

gi 

ogla 

orogla 

zenogle 

ogle 

piegle 

Gad. 

dl 

odla 

oredla 

zenedl,  znodl  cedl,  uedl 

piedl,  podl 

VS. 

kel 

— 

— 

ginohel 

— 

piokel  (cli) 

Fd. 

cel 

— 

— 

zinocel 

ocel 

pioc'el 

Ag. 

y 

— 

— 

zanogc 

uoge 

pioge 

Fr. 

l 

— 

orele 

zenoli 

uoli 

pedoli 

E. 

Ih 

— 

uraglia 

schanulgia 

œilg 

— 

Oltr. 

1 

j 

urejja 

CHAPITRE  VJ. 

uojo 

pedhuojo 

1 

DU   GROUPE   CR. 

Ce  groupe  a  peu  d'importance  ;  il  a  été  traité  d'une  manière 
différente  au  commencement  et  au  milieu  des  mots. 

1°  cr  initial. 

Au  commencement  des  mots,  où  il  est  toujours  étymologique, 
cr  persiste  le  plus  souvent  sans  modification  ;  quelquefois  aussi, 
en  particulier  dans  les  langues  du  Sud-Ouest,  et  dans  les  dia- 
lectes ladins  il  se  change  en  ^r  ^  Ainsi  les  mots  crassum, 
creare,  credere,  crepare,  crescere,  cretam,  cristam,  cru- 
cem,  ont  donné  : 


ROUM. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

F 

gras 

grosso 

graso 

— 

gras 

gras  * 

— 

creare 

criar 

criar 

crear 

créer 

t.  Voir  pi.  haut  Liv.  I,  Gh.  I,  p.  40.  Ainsi  dans  le  dialecte  du  Frioul 
grispe  (crispam),  gruse  (crustam),  etc. 
2.  Le  c  de  crassum  s'est  changé  en  g  dans  toutes  les  langues  néo- 


— 

322  — 

crede 

credere 

créer 

— 

crezer 

croire 

crêpa 

crepare 

— 

— 

crebar 

crever 

cresle 

a-escere 

crecer 

crescer 

creisser 

croître 

cride 

creta 

greda 

greda 

— 

craie 

creaste 

cresta 

cresta 

crista 

— 

crête 

cruce 

croce 

cruz 

cruz 

crotz 

croix,  etc. 

Bien  que  le  groupe  cr  ne  répugnât  point  aux  oreilles  romanes 
et  qu'il  ait,  comme  nous  voyons,  persisté  en  général  sans  modifi- 
cation au  commencement  des  mots,  cependant  quelques  dialectes 
l'évitent  en  préposant  à  r  une  voyelle,  a  par  exemple,  comme 
cela  a  lieu  dans  le  roumanche,  e,  comme  le  fait  le  patois  du  Haut- 
Maine.  Ainsi  credentiam  a  donné  en  roumanche  cardie^ischa  ; 
de  même  on  trouve  dans  ce  dialecte  carschenan  (creverunt)  à 
côté  de  crescher  (crescere).  Le  patois  du  Haut-Maine  nous  offre 
les  formes  quérier  (crier),  quériateure  (créature),  querté 
(crête),  quertelle  {creieUe) ,  querv ais on  [crexaisoïi).  Le  patois 
normand  du  Bessin  connaît  aussi  la  forme  quériature  ^ . 

Un  fait  plus  remarquable,  c'est  la  chute  du  c  devant  r,  qui 
nous  est  présentée  par  le  sarde  logoudorien  dans  rughe  (cru- 
cem)  ^  et  le  changement  de  cr  en  ch  dans  le  dialecte  de  Parme, 
ainsi  cher  par  (crepare)  ^. 

jjo  ^,y,  jnédial. 

Il  faut  distinguer  entre  cr  latin  ou  étymologique  et  cr  roman, 
c'est-à-dire  résultant  de  la  suppression  d'une  voyelle  intermé- 
diaire à  c  et  à  r. 

a)  Le  c  de  cr  latin  persiste  toujours  en  roumain  ;  dans  les  autres 
langues,  au  contraire,  il  se  change  le  plus  souvent  en  g.  En  fran- 
çais toutefois,  avant  la  tonique  et  après,  quand  par  suite  de  la 
chute  d'une  voyelle  atone  intermédiaire  l'r  est  suivi  d'une  con- 
sonne, le  g  s'affaiblit  en  y  (^)  ;  c'est  ainsi  que  sacramentum  a 
donné  successivement  dans  cette  langue  sagrament,  sairement 
ou  sairment  et  enfin  serment,  que  lacrymam  est  devenu  la- 
grime,  layrme  ou  lairme,  transformé  plus  tard  en  larme.  Les 
exemples  suivants  montreront  comment  cr  médial  a  été  traité 

latines,  même  en  roumain  ;  cela  tient  à  ce  que  dans  le  latin  vulgaire 
cette  transformation  avait  déjà  eu  lieu  :  acrassus,  quod  est  pinguis,  per 
c  »,  lit-on  dans  un  grammairien  du  iv  ou  du  v  siècle  [Grain,  lat.  VI, 
293,  K.),  preuve  évidente  qu'on  écrivait  déjà  ce  mot  avec  un  g. 

1.  Ascoli,  Arch.  I,  58.  —  De  Montesson,  Voc.  du  Haut-Maine,  s.  v- 

2.  Il  en  est  de  même  dans  le  napolitain  rotta,  it.  grotta. 

3.  Biond.  Saggio  p.  208. 


—  323  — 

dans  les  différents  idiomes  romans.  Le  roumain  conservant  tou- 
jours le  c,  je  laisse  cet  idiome  de  côté. 


LAT. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

acruin 

agro 

agrio 

agro 

agre 

aigre 

alacrem 

allegro 

alegre 

alegre 

alegre 

alegre 

lacryinam 

lacri/ma 

lagrima 

lagrima 

lagreme 

lairme 

macrum 

niagro 

viagro 

magro 

magre 

maigre 

sacramentum 

sacramento 

sacramento 

— 

sagramen 

sairment 

sacrum 

sagro 

sagro 

sacro 

sagre 

— 

soc(e)ruin 

— 

suegro 

sogro 

suegre 

— 

On  voit  qu'excepté  dans  sacramento,  mot  demi-savant,  et  le 
portugais  sacro  qui  l'est  entièrement,  le  c  s'est  toujours  affaibli 
en  g  en  italien,  en  espagnol,  en  portugais  et  en  provençal  ;  nous 
avons  vu  ^  qu'il  en  était  de  même  pour  le  c  médial  le  plus  sou- 
vent dans  le  premier  de  ces  idiomes,  presque  toujours  dans  le 
groupe  hispanique,  et  fréquemment  en  provençal  ;  la  présence 
de  l'r  n'a  donc  eu  pour  résultat  que  de  généraliser  cet  affaiblisse- 
ment du  c,  et  de  l'empêcher  de  se  changer  en  y  en  provençal, 
comme  cela  s'y  produit  souvent  devant  une  voyelle,  et  encore 
plus  souvent  en  français. 

P)  Si  l'on  excepte  suoc{e)rum,  où,  comme  nous  venons  de 
voir,  le  groupe  cV  se  trouve  dans  les  différents  idiomes  néo-latins, 
l'italien  excepté  toutefois,  cr  de  formation  romane  ne  peut  se 
rencontrer,  que  je  sache,  qu'à  la  terminaison  cëre  des  infinitifs, 
et  seulement  dans  les  langues  du  Nord-Ouest  ;  des  autres,  l'ita- 
lien, l'espagnol  et  le  portugais  ne  rejetant  pas  Ve  intermédiaire 
et  le  roumain  perdant  r,  ne  sauraient  la  connaître.  Dans  le  pro- 
vençal et  le  français  la  chute  de  l'atone  posttonique  rend  cette 
combinaison  possible.  On  a  ainsi  à  la  place  de  facere,  par  exemple 
facre,  dont  le  c  s'affaiblissant  successivement  en  g  et  en  y  (^) 
donne  la  série 

fac're,     fagre,     fayre,     faire  ^ 
mais  en  conservant,  comme  on  le  voit,  \e  final  qui  tombe  dans 
tous  les  verbes,  où  il  n'est  pas  précédé  d'une  double  consonne. 

Cette  transformation  suppose  d'ailleurs  que  la  chute  de  \e  de 
cer  a  été  antérieure  à  la  transformation  du  c  palatal  2,  sinon  au 
lieu  de  la  série  facre,  fagre,  faire,  on  aurait  eu  en  vertu  de  la 
loi  d'assibilation  générale 

1.  Liv.  I.  Gh.  I,  p.  42. 

2.  Ceci  est  d'autant  plus  vraisemblable  que  ce  fait,  apparaissant  dans 
toutes  les  langues  romanes,'  est  antérieur  à  la  séparation  de  l'empire, 
et  à  fortiori  à  la  transformation  du  c  palatal,  devenue  générale  seule- 
ment à  partir  du  vi«  siècle. 


—  324  — 

facere,      fazere,      fazre  ou  fasre 
comme  fec'runt  a  donné 

fécerunt ,      fezerunt,        fisdrent^. 
L'italien  n'admettant  point  la  transformation  ir  =  cr,  quand 
cer  n'a  pas  persisté,  c  est  tombé  purement  et  simplement  avec  e, 
comme  dans  dire,  fare. 

Voici  d'ailleurs  comme  cr  a  été  traité  dans  les  huit  verbes 
'^cocere,  dicere,  ducere,  facere,  lucere,  nocere,  placere, 
tacere  : 

PR.  FR. 

cozer,  cozir  cuire 

dezir,  diire,  dire       dire 
duzer,  duzer,  duire  duire 
faire,  far. ,  c.  fer       faire 
luzir,  c.  lluir  luire 

nozer  nuire,   nosir 

plazer  plaire, plaisir 

teiser  taire,   taisir. 

On  voit  que  le  provençal  a  eu  souvent  recours  à  un  double 
procédé  de  transformation,  celui  du  français,  c'est-à-dire  le  chan- 
gement de  cr  en  ir  et  celui  des  autres  langues  romanes,  c'est-à- 
dire  le  changement  de  c  en  la  série  c,  ts,  s.  Le  français  ayant 
aussi  parfois  conservé,  en  le  changeant  en  i,  le  premier  e  devenu 
long  et  par  suite  accentué  de  la  terminaison  de  nocere,  de  pla- 
cere  et  de  tacere,  la  combinaison  cr  ne  s'est  pas  produite  et  c 
suivi  de  e  {i)  devant  s'assibiler,  on  a  eu  noisir,  plaisir,  taisir 
à  côté  de  nuire,  plaire,  taire.  Quant  à  vaincre  qui  semble 
montrer  la  conservation  du  c  dans  le  groupe  roman  cr,  il  y  faut 
voir,  ainsi  que  je  l'ai  dit  précédemment,  une  transformation  de 
vintre  pour  vinre,  refaite  sur  le  latin  2. 


ROUM. 

IT. 

ES] 

?. 

PG. 

coace 

cuocere 

cocer 

cozer 

zice 

dire 

decir 

dizer 

duce 

ducere 

ducir 

duzir 

fare 

facere,  fare 

hacer,  v. 

fer 

fazer 

— 

lucere 

lucir 

luzir 

— 

nocere 

— 

— 

plecé 

placere 

placer 

prazer 

tecé 

tacere 

— 

— 

1.  Cf.  pi.  haut  p.  157.  —  M.  Ascoli  {Arch.  I,  80)  a  proposé  une  autre 
explication  ;  il  suppose  la  série  de  transformations  : 

facere  fagere  fayere  faire 

Mais  on  ne  voit  pas  ainsi  g  se  changer  en  y,  et  M.  Ascoli  n'a  pu,  je 
crois,  admettre  une  pareille  transformation  qu'en  confondant,  comme  il 
l'a  fait  dans  sa  théorie  des  sons,  la  palatale  g-,  laquelle  peut  donner  y,  et 
la  chuintante  composée  g,  laquelle  ne  donne  que  z.  Mais  en  supposant 
même  cette  transformation  possible,  on  ne  voit  pas  comment  on  pourrait 
en  déduire  la  forme  française  faire,  puisque  ïe  final  de  fayere  n'étant 
pas  précédé  d'une  double  consonne  devrait  nécessairement  tomber, 
comme  cela  a  eu  lieu  dans  plaisir,  taisir,  à  côté  de  plaire,  taire. 

2.  Voir  pi.  haut  page  62,  note  3. 


325  — 


CHAPITRE  VII. 


DU   GROUPE   es 


La  réunion  de  deux  muettes  ou  explosives  dissemblables  ou 
d'une  muette  et  d'une  spirante,  si  commune  dans  les  langues 
classiques,  n'a  point  été  tolérée  en  général  dans  les  idiomes  ro- 
mans, aussi  œ=  es  comme ps,  et  commept  devaient-ils  presque 
toujours  y  disparaître.  Cs  n'avait  pas  d'ailleurs  été  toujours  con- 
servé en  latin  et  en  grec,  comme  le  prouvent  les  formes  liaaôq  à 
côté  de  Si^oç,  xpiGGÔq  et  Tpt^6ç,  nisus  et  nixus,  Sestius  et  Sex- 
tius,  etc.  L'osque  et  l'ombrien  ne  toléraient  même  point  le  groupe 
es  et  le  remplaçaient  par  ss  ou  s  ;  ainsi  le  latin  dextra  avait 
pour  équivalent  en  ombrien  testru.  Le  slavon  et  l'islandais  offri- 
raient des  exemples  analogues  de  transformation  ;  et  le  latin  lui- 
même  devait  finir  par  rejeter  le  groupe  es.  La  résolution  de  x  en 
s  apparaît  de  bonne  heure  dans  les  inscriptions  devant  une  con- 
sonne et  à  la  fin  des  mots;  ainsi  praestati,  vinatris,  felis, 
suhordinatris ,  es,  etc.  ^  Il  est  vrai,  ce  qui  prouve  quelle  incer- 
titude régnait  alors  sur  la  valeur  de  cette  lettre ,  on  trouve 
aussi  â?  se  substituant  à  5  :  «  miles  non  milex  »,  «  poples  non 
poplex  »,  etc.,  dit  l'Appendix  Probi  ^.  Devant  les  voyelles  x 
paraît  avoir  persisté  plus  longtemps,  quoiqu'on  trouve  dès  le 
\f  siècle  des  exemples  oh.  il  est  remplacé  par  s  ou  ss,  ainsi  assis, 
eonflississet,  eossim,  lassus,  obstrinserit,  Masimilla,  visit 
et  vissit,  Alesander,  etc.  ^.  Mais  c'est  surtout  du  iv"  au 
VI®  siècle  que  ces  exemples  se  multiplient  ;  à  cette  époque,  qui  est 
elle-même  celle  où  le  latin  se  transforme  pour  faire  place  au 
roman,  la  résolution  de  x  en  ss  ou  s  devient  générale  ^  ;  elle  ne 
pouvait  manquer  de  se  continuer  ou  de  se  maintenir  dans  les 
idiomes  nouveaux,  sortis  de  l'ancienne  langue  plus  ou  moins 
modifiée  du  Latium.  Cependant  le  mode  de  transformation  que 
leur  donnait  le  latin  ne  devait  pas  toujours  leur  suffire,  et  cha- 
cun des  trois  groupes  entrelesquels  ils  se  répartissent  ont  traité 
en  général,  comme  nous  allons  voir,  x  d'une  manière  difierente. 

Les  langues  du  groupe  oriental  ont  eu  recours  dans  la  trans- 


1.  Schuch.  Vocal.  I,  132. 

2.  Edit.  Keil,  197,  198. 

3.  Cf.  Schuch.  Vocal.  I,  133. 

4.  Cors.  Krit.  Beitr.  p.  495. 


Diez,  Gram.  1,  260. 


—  326  — 

formation  de  cette  lettre  à  un  double  procédé  ;  tantôt,  suivant  en 
cela  le  latin  vulgaire,  qui,  comme  nous  venons  de  le  voir,  disait 
frassinus  T^our  fraxinus,  tossicun  pour  toœicum,  etc.,  elles 
ont  assimilé  c  à  5  et  ont  ainsi  remplacé  x  [es)  par  deux  ss,  modi- 
fication habituelle  en  italien  entre  deux  voyelles,  ou  même  par  s 
simple,  comme  le  font  ordinairement  le  roumain  et  l'italien  devant 
une  consonne  ;  tantôt,  au  lieu  de  la  spirante  dentale  s,  elles  ont 
donné  le  son  de  la  chuintante  ch  h.  x,  qui  a  été  remplacé  par  se 
(i)  en  italien,  par  s  en  roumain. 

Les  langues  du  Sud-Ouest  ont  eu  aussi  en  général  recours  à 
un  double  procédé,  tantôt,  et  c'est  le  cas  le  plus  rare,  il  y  a  eu 
assimilation  de  cas,  et  x  r  pris  alors  le  son  ç,  —  c'est  ce  qui  a 
eu  lieu  en  portugais  pour  texere  transformé  en  tecer,  —  tantôt, 
et  c'est  le  cas  ordinaire,  x  a  pris  le  son  de  s  en  portugais,  de  la 
spirante  gutturale,  —  modification  de  l,  comme  le  prouve  le  mot 
jefe  (fr.  chef)  —  en  espagnol.  Dans  le  premier  cas  x  a  persisté 
parfois  en  portugais,  par  exemple  dans  exemple,  dans  le  second 
il  avait  persisté  aussi  dans  cette  langue  comme  dans  l'ancien 
espagnol,  mais  l'orthographe  moderne  l'a  remplacé  le  plus  sou- 
vent dans  ce  dernier  idiome  par  la^  ;  ^  a  pris  ainsi  dans  les  idio- 
mes du  groupe  hispanique  la  valeur  ç,  s  et  //.  A  la  fin  des  mots 
il  s'est  aussi  changé  en  is  ;  c'est  cette  dernière  transformation 
qu'on  rencontre  d'ordinaire  dans  les  langues  du  Nord-Ouest. 

Dans  ces  langues,  en  effet,  x  a  été  remplacé  par  iss,  réduit 
quelquefois  à  s  s  au  milieu  des  mots,  par  is  à  la  fin  ;  il  ne  sub- 
siste que  dans  les  mots  d'origine  savante  ou  bien  encore  qui  ont 
été  refaits  sur  le  latin,  comme  on  le  voit  par  le  mot  exemple, 
autrefois  essemple  ou  même  es  ample. 

Est  vus  Yesample  par  très  tôt  le  pais  Alexis,  H.  37,  2 

Dans  l'ancien  français  on  trouve  souvent  aussi  se  a  la  place  de 
X,  par  exemple  iscent  (exeunt)  ^, 

E  les  puceles  iscent  de  la  forêt  semblant  Rom.  d'Alex. 

Ainsi  les  transformations  de  Yx  latin  dans  les  langues  romanes 
se  réduisent  à  trois  :  changement  en  ss,  propre  presqu'exclusi- 


1.  11  a  même  encore  en  espagnol  celui  de  es  ou  gs  devant  une 
consonne,  ainsi  qu'au  commencement  des  mots  et  parfois  entre  deux 
voyelles  ;  il  en  est  de  même  en  portugais  dans  fluxo,  sexo,  etc.  ;  mais  ces 
mots  étant  d'origine  savante  ou  récente,  je  les  laisse  de  côté. 

2.  Par  contre,  on  trouve  aussi  parfois  dans  l'ancien  français  a?  à  la 
place  de  se;  ainsi  dexendre  {Senn.  S.  B.  p.  526,  527,  etc.)  jwixojis  (id.  p. 
527). 


—  327  — 

venient  aux  idiomes  du  groupe  oriental  ;  changement  en  s,  propre 
à  la  fois  au  groupe  oriental  et  au  groupe  du  Sud-Ouest,  ainsi 
qu'aux  dialectes  ladins ;  enfin  transformation  en  is{s),  particu- 
lière au  groupe  du  Nord-Ouest,  mais  dont  les  autres  offrent 
aussi  quelques  exemples.  Comment  maintenant  expliquer  ces 
transformations  ?  La  première  ne  présente  pas  de  difficulté,  le  c 
s'est  simplement  assimilé  à  1'^,  ce  qui  a  donné  ss;  parfois  aussi 
un  des  deux  s  est  tombé,  c'est-à-dire  que  la  spirante  sourde  pro- 
venant de  la  transformation  de  a?  a  été  remplacée  par  une  sonore. 
La  troisième  modification  de  x  s'explique  tout  aussi  facilement, 
le  c  s'est  affaibli  en  y  [i],  mais  en  conservant  à  1'*  en  général  la 
valeur  d'une  sourde,  ce  qui  a  donné  comme  transformation  défi- 
nitive de  œ  ou  es,  iss  au  milieu  des  mots.  C'est  ainsi  qu'en  pro- 
vençal coocam  a  donné  coissa  et  fraxinum,  fraisse.  Dans  le  mot 
mataxa  toutefois  1'^  étant  devenue  sonore  en  provençal  et  en 
français  Yx  n'y  a  plus  été  représenté,  quoique  médial,  que  par  is. 
Il  en  est  de  même  à  la  fin  des  mots,  par  exemple  bois  ipr.  buis  fr. 
(boscum).  Mais  il  a  pu  se  faire  aussi  qu'après  la  transformation  de 
X  en  is,  il  y  ait  eu  transposition  de  ces  éléments,  ce  qui  a  donné  si 
ou  sj,  groupe  qui  suivant  une  modification  connue  se  change  en  s  (s), 
s  tombant  après  avoir  empêché  la  transformation  àej  en  c.  C'est 
ainsi  que  eoxam  a  donné  eoxa  en  portugais,  eoseia  en  italien. 
En  même  temps  que  x  (es)  se  change  en  js,  il  semble  que  le  son 
/  se  soit  développé  parfois  après  Y  s,  ce  quia  donné  J^;',  à'oVij{s)s 
et  is,  comme  forme  définitive  prise  par  x,  c'est  celle  que  présente 
l'espagnol  madexa  =  madaixa  et  le  portugais  madeixa  (ma- 
taxam),  où  ei  équivaut  à  ai. 

Telle  est  la  théorie  des  transformations  de  x  dans  les  langues 
romanes  ;  les  transformations  des  mots  axem,  buxum,  eoxam, 
dixi,  examen,  exiliwn,  exire,  fraxinum,  laxum,  laxare, 
liooiviam,  mataxam,  maxillam.,  sex,  toxicum,  texere, 
taxare,  montreront  comment  elles  se  sont  réparties  entre  cha- 
cune d'elles  : 


ROUM. 

IT. 

ESP. 

PO. 

PR. 

FR. 

— 

asse 

exe 

eixo 

— 

ais 

— 

bossp 

buxo 

buxo 

bois 

buis 

coapse 

coscia 

coxo  (?) 

coxa 

coissa,  coicha 

cuisse 

zisei 

dissi 

dixe 

disse 

dis 

dis 

— 

esame,  sciame 

enxambi 

e  enxame 

eissamen 

— 

— 

essilio 

exilio 

exilio 

eissilh 

essil  V. 

eli 

escire 

exir 

— 

eissir,  eisir 

issir,  eissir 

frasin 

fmssino 

fresno 

freixo 

fraisse          f 

•aisne,  frêne 

— 

lasso 

lexos 

leixos 

— 

lâche 

le  sa 

lasciare 

leixar 

leixar 

laissar 

laisser 

— 

328  — 

leliç 

liscia 

lexia 

lexia 

lissia 

lessive 

matasç 

matassa 

madexa 

madeixa 

madaisa 

madaise 

m^sé 

mascella 

mexilla 

— 

maissella 

maisselle 

lèse 

sei 

seis 

seis 

seis 

sisv. 

toxice  L. 

B.  tossicojosco* 

tosigo 

toxico 

iueijsec 

— 

tzese 

tessere 

iexer 

tecer 

teisser 

tisser 

__ 

tassare 

tasar 

tasar,  tousnrv,         — 

— 

L'italien  classique  ne  tolérant  point  5  à  la  fin  des  mots,  seœ  y 
est  devenu  sei,  mot  dans  lequel  le  c  de  œ  {c  -}-  s)  est  représenté 
par  i;  le  sarde  campidanien,  au  contraire,  n'a  eu  recours  qu'à 
l'assimilation  et  sex  est  devenu  ainsi  ses  dans  ce  dialecte.  Il  faut 
remarquer  aussi  la  forme  roumaine  coapse  (coxam),  où  c  se 
trouve  représenté  par  p,  comme  cela  a  lieu  régulièrement  dans 
le  groupe  et. 

Dans  tosco  un  des  deux  s  qui  se  trouvent  dans  tossico,  devenu 
inutile,  est  tombé  ;  il  en  est  de  même,  au  milieu  des  mots,  dans 
les  langues  du  Nord-Ouest,  en  italien  et  en  portugais  toutes  les 
fois  que  œ  est  suivi  d'une  explosive  et  parfois  d'une  résonnante  ; 
c'est  ce  qui  a  lieu  en  particulier  dans  les  composés  de  ex.  L'espa- 
gnol cependant  fait  en  cela  exception  et  conserve  Vœ  ;  il  en  est 
de  même,  cela  va  sans  dire,  dans  les  autres  idiomes,  l'italien 
excepté,  pour  tous  les  mots  d'origine  savante.  Comme  on  pouvait 
s'y  attendre,  le  français  est  ici  allé  plus  loin  :  1'^  suivie  d'une 
consonne  devenant  muette  dans  cette  langue  a  été  supprimée  ;  x  a 
disparu  ainsi  complètement,  et  exne  se  trouve  plus  représenté  que 
par  é.  En  italien,  au  contraire,  e  tombant  devant  s,  ex  n'y  est 
représenté  que  par  s.  Il  en  est  de  même  en  roumanche  ^  Voici 
quelques  exemples  de  cette  modification  particulière  de  Yx  : 


LAT. 

IT. 

PG.-PR. 

V.    FR. 

FR.    MOD. 

excaldare 

scaldare 

escaldar 

eschauder 

ëchauder 

'  excappare 

scappare  " 

escapar 

eschaper 

échapper 

excarpere 

— 

escarpar 

escharpir 

écharper 

excorlicare 

scorticare 

escorchar 

escorcher 

écorcher 

expaventare 

spaventare 

espaventar  pr. 

espouvanter 

épouvanter 

exprimere 

sprimere 

espremer 

espreindre 

épreindre 

extendere 

stendere 

estender 

estendre 

étendre 

extraneum 

strano 

eslranho 

estrange 

étrange 

La  chute  de  la  voyelle  atone  pro  ou  posttonique  en  provençal  et 
en  français,  ayant  pour  résultat  de  rapprocher  des  consonnes  ori- 
ginairement séparées  par  des  voyelles,  a  multiplié  dans  ces  deux 


1.  E  s'all'incatenata  il  tosco  e  l'armi 

Pur  mancheranno  Giur.  lib.  Ganto  XII. 

2.  0.  Carisch,  Gram.  Formetilehre  der  rhxtorom.  Sprache,  p.  115. 


—  329  -• 

idiomes,  et  surtout  dans  le  dernier,  les  cas  où  x  se  trouve  de- 
vant une  autre  consonne  sourde  ou  résonnante,  et  par  suite  son 
changement  en  s  simple,  modification  analogue  à  celle  du  c  que 
j'ai  étudiée  sous  le  nom  d'assibilation  générale  ^  L'italien  tosco 
en  est  un  exemple  dans  les  langues  du  groupe  oriental,  en  voici 
quelques-uns  tirés  de  ceUes  du  double  groupe  occidental  : 


approximare 

dixerunt 

duxerunt 

exit 

fraxinetum 

planxit 

proximum 

traxerunt 


PR. 

aproismerVas. 


eis 


fresno 


—  prosme 


aprismer  Roi. 
distrent  l.  r. 
doistrent 
ist 

fraisne 
plainst  L.  R. 
pruesme 
traistrent  l.  r. 


En  provençal  et  en  français,  i,  représentant  dans  quelques 
uns  de  ces  mots  le  c,  on  retombe  ainsi  sur  le  cas  général  de  trans- 
formation, lu'e  de  duxerunt  ayant  été  accentué  en  provençal, 
comme  l'est  en  général  dans  cette  langue  Ye  de  la  terminaison  de 
la  3"  personne  pluriel  du  parfait,  x  s'y  trouve  entre  deux  voyelles 
et  ce  m(rt  est  devenu  régulièrement,  par  la  résolution  habituelle 
du  c  en  i,  duysero  ou  duisseron.  Je  ne  connais  pas  la  forme 
provençale  correspondant  h.  dixerunt,  mais  elle  doit  être  (iwer  on 
pour  diiseron  ou  disseron. 

Les  trois  modes  de  transformation  que  j'ai  étudiés  n'épuisent 
pas  les  modifications  de  x  dans  les  langues  romanes  ,  il  en  est 
quelques-unes  du  moins  qui  ne  rentrent  dans  aucun  d'eux. 
Ainsi  laxum  a  donné  en  provençal  lasc  et  lasch,  en  normand  et 
en  picard  laque,  lâche  en  français;  laxare  de  son  côté  a  donné 
en  espagnol,  à  côté  de  lexar  et  de  laxar,  lascar;  en  provençal, 
en  même  temps  que  laissar,  lascar  et  laschar  ;  en  picard  et  en 
normand  làquier,  lâcher  en  français.  Si  nous  rapprochons  ces 
formes,  nous  y  trouvons  un  nouveau  procédé  de  transformation 
de  X,  difierent  des  trois  autres  en  ce  qu'il  en  laisse  subsister  les 
éléments  constitutifs,  seulement  en  les  transposant.  Cette  modifi- 
cation se  retrouve  encore  dans  les  dérivés  de  *  taxam  :  tasca  it. 
pr.,  talce  roum.,  tâque  pour  tasque  norm.,  tâche  fr.  et  tah 
waU.,  ainsi  que  dans  frascar  pr.  (*fraxare  pour  fracassare), 
mèche  fr.  (*myxam)  et  échemer  fr.,  escayninaresi^.  b.  (exami- 


1.  V.  plus  haut  Liv.  il,  Gh.  Vill,  p.  157. 


—  330  — 

nare).  La  troisième  personne  singulier  du  parfait  de  wt^er^,  vixit 
pr.  et  V.  fr.  vesquet,  visquet,  v.  esp.  visco,  offre  un  exemple 
du  même  genre,  ainsi  que  le  provençal  nasquet  (P.  Meyer,  Poé- 
sies relig.  p.  18),  qui  suppose  une  forme  *  naxit,  le  catalan  trasch 
(traxit)  et  le  -vieux  français  benesquid  L  R.  II,  6  (benedixit). 


CHAPITRE   VIll. 
DU   GROUPE    CT. 

Ce  groupe  si  commun  dans  les  langues  anciennes  a  été  rejeté 
par  les  idiomes  qui  en  sont  dérivés,  et  celles  mêmes  des  langues 
primitives  qui  ont  subsisté  jusque  dans  les  temps  modernes  l'ont 
aussi  profondément  modifié.  Dans  les  idiomes  slaves  kt,  suivi  de 
^,  î  ou  e,  seul  cas  qui  peut  se  présenter,  se  change  en  c  en  russe 
et  en  serbe,  eue  =  ts  en  polonais  et  en  tchèque,  en  U  en  slavon  ; 
ainsi  *nokti  (noctem)  a  donné  respectivement  dans  ces  cinq 
langues  noc,  noc,  noUi  ^  Les  langues  germaniques  ne  souffrent 
pas  davantage  le  groupe  ct\  déjà  le  gothique  ne  tolérait  pas  la 
gutturale  explosive  devant  t  et  la  remplaçait  par  h;  c'est  ainsi 
que  noûc,  noctem  y  avait  pour  équivalent  nahts.  Les  idiomes  de 
la  même  famille  sont  restés  fidèles  à  cette  tendance  du  plus  ancien 
d'entre  eux,  et  nahts  est  devenu  nacht  en  haut-allemand,  c'est- 
à-dire  que  l'explosive  primitive  a  fait  place  à  une  spirante.  Les 
langues  celtiques  offrent  une  transformation  analogue  ;  ainsi  en 
irlandais  à  octo  correspond  ocht  ;  il  en  est  de  même  en  grec  mo- 
derne pour  cy.Tw  qui  s'y  est  changé  en  àyjnù.  Sur  le  sol  de  l'an- 
cienne Italie  une  modification  analogue  s'était  déjà  produite  ; 
tandis  que  la  langue  du  Latium  admettait  le  groupe  et,  il  était 
remplacé  par  ht  en  ombrien,  où  recte  se  disait  rehte  ;  l'osque 
avait  de  même  ehtra  pour  extra.  Mais  le  latin  lui-même  a  fini 
par  rejeter  à  l'époque  de  sa  décadence  ce  groupe  qu'il  avait  admis 
jusque-là  ;  c'est  ce  que  montrent  les  inscriptions  ;  à  partir  du 
III®  et  du  iv*'  siècle  de  notre  ère,  c  tombe  ou  est  assimilé  à  t  ;  ainsi 
on  trouve  cinium  pour  cinctum,  defuntus  pour  defunetuSy 
lattucœ  pour  lactucœ,  prœfetto  pour  prœfecto ,  santus  pour 
sanctus,  etc.  ^.  Les  idiomes  romans  devaient  poursuivre  cette 


1.  Kuhn's  Zeilschrift  XIV,  252.  —  Schleicher.  Comp.  303.  —  Miklosisch, 
Gram.  der  slav.  Sprachen. 

2.  Cf.  Schuch.  Vocal.  I,  135. 


—  33<   — 

tendance  de  la  langue-mère  et  dans  tous  —  si  l'on  excepte  les 
mots  d'origine  savante  et  un  dialecte  sur  lequel  je  reviendrai,  — 
le  groupe  et  a  disparu  ;  mais  ils  ne  l'ont  pas  traité  de  la  même 
manière,  suivant  qu'il  était  suivi  d'une  seule  voyelle  ou  d'une 
consonne^  ou  de  i  et  d'une  autre  voyelle.  Il  importe  donc  dans 
l'étude  que  je  me  propose  d'en  faire  de  distinguer  ces  deux  cas, 
les  seuls  d'ailleurs  qui  peuvent  se  présenter,  puisque  et  est  tou- 
jours médial. 

r  et  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle. 

Dans  ce  cas  le  t,  traité  comme  s'il  était  seul,  s'assibile,  et  le 
c  tombe  en  général,  mais  en  empêchant  le  plus  souvent  la  spi- 
rante  de  se  changer  en  sonore;,  comme  cela  a  lieu  parfois  quand 
le  t  est  précédé  d'une  voyelle.  Exemples  : 


LAT. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FI 

aclionem 

azzione 

acion 

auçom  V. 
acçào 

— 

directiare 

direzzare 

derezar 

direitar 

dressar 

dresse 

electionera 

elezione 

— 

eteiçâo 

— i 

factionem 

fazione 

faccion  v. 

feitio 

fazon,  faizo 

façon 

lectionem 

lezione 

leccion 

liçâo 

leizo,  leisso 

leçon 

sectionem 

sezione 

seccion 

secçào 

— 

Il  faut  remarquer  les  formes  portugaises  endereitar,  fei- 
tio, où  ^  a  conservé  sa  valeur  primitive,  tandis  que  le  e  s'est 
changé  en  i.  Dans  le  provençal  faizo,  leizo,  le  c  semble  bien 
aussi  s'être  transformé  en  i,  quoique  le  t  se  soit  assibilé  ;  et,  fait 
exceptionnel,  en  donnant  naissance  à  une  spirante  sonore.  Une 
forme  curieuse  encore  est  celle  que  nous  offre  le  roumain  aleU 
(electionem),  où  cti  a  été  traité  comme  es.  Parfois  enfin  en  espa- 
gnol et  en  portugais  le  c  de  et  persiste  avec  sa  valeur  gutturale, 
comme  on  le  voit  dans  acçào  pg.,  leccion  et  seccion  esp.,  sec- 
çào pg.  ;  dans  auçom,  au  contraire,  il  a  été  remplacé  par  u  et 
dans  eleiçào  par  i. 

Il  arrive  aussi  en  italien  qu'au  lieu  du  c  le  if  tombe  ou  lui  est 
assimilé  ;  dans  ce  cas  et,  au  lieu  de  se  changer  en  ;s;,  se  trans- 
forme en  c  ;  c'est  ce  qui  a  lieu  pour  succiare  à  côté  de  suzzare 
fr.  sucer,  dérivé  de  *suctiare,  et  pour  tracciare,  fr.  tracer 
(*  tractiare) . 

ir  et  suivi  d'une  seule  voyelle  ou  d'une  consonne. 

Dans  le  cas  précédent  la  forme  définitive  du  mot  dépendait 
surtout  des  modifications  du  t,  dans  celui-ci  elle  dépend  unique- 


—  332  -- 

ment  de  celles  du  c  ;  elle  varie  d'ailleurs  dans  chacun  des  divers 
groupes  ou  idiomes  romans.  Le  latin  vulgaire,  nous  avons  vu, 
avait  souvent  déjà  modifié  et,  en  assimilant  ckt\  cette  transfor- 
mation, connue  aussi  de  l'ancien  norois,  et  qui  repose  sur  le  chan- 
gement de  la  gutturale  en  dentale,  se  retrouve  plus  ou  moins 
fréquente  dans  tous  les  idiomes  romans,  mais  elle  n'appartient 
en  propre  qu'à  l'italien.  D'ailleurs  un  des  deux  t  peut  tomber,  ce 
qui  a  lieu  nécessairement  après  n,  et  et  se  trouve  ainsi  ré- 
duit à  t. 

Une  autre  forme  qu'on  rencontre  dans  le  double  groupe  occi- 
dental et  dans  les  dialectes  ladins  est  c  affaibli  en  5  en  portugais 
et  en  français.  Mais  dans  ces  deux  idiomes  et  en  général  dans  le 
provençal  la  forme  la  plus  ordinaire  est  it.  Cette  forme  n'est  point 
d'ailleurs  particulière  aux  idiomes  romans,  on  la  rencontre  aussi 
dans  le  gallois,  où  l'irlandais  nocht  (noctem)  a  pour  équivalent 
noid  * .  Comment  maintenant  expliquer  ces  diverses  modifica- 
tions du  groupe  et  ? 

La  première  n'ofire  pas  de  diflSculté  ;  le  e  s'est  assibilé  au  t, 
il  y  a  eu  là  simple  substitution  d'une  dentale  à  une  gutturale, 
phénomène  dont  nous  avons  vu  plus  d'un  exemple.  Quant  à  la 
troisième,  elle  est  le  produit  de  l'amoindrissement  successif  de  la 
gutturale  ;  pour  éviter  la  rencontre  des  deux  muettes  et  qui  lui 
répugnait,  la  langue  a  transformé  la  première  en  la  spirante  eh 
dans  les  idiomes  germaniques,  en  J  dans  les  idiomes  romans^; 
on  a  eu  ainsi  le  groupe  jY  qui  s'est  naturellement  ensuite  affaibli 
en  it  ;  c'est  ainsi  que  faetum  a  donné  fait  en  français.  Telle  est 
la  marche  suivie  en  général  par  ce  dernier  idiome,  par  le  portu- 
gais, le  plus  souvent  par  le  provençal  et  par  quelques  dialectes 
italiens. 

Dans  d'autres  la  transformation  a  été  plus  loin  ;  le  groupe  J^  a 
été  transposé,  ce  qui  a  donné  tj,  d'où  par  une  transformation 
connue  tl  ;  c'est  ainsi  que  faetum  est  devenu /"ac^  en  provençal. 


1.  Cf.  Kuhn's  Zeitsch.  XIV,  247.  Schucbardt  a  voulu  voir,  dans  cette 
coïncidence  de  la  transformation  de  et  en  it  dans  le  gallois  et  dans  les 
idiomes  romans  parlés  dans  l'ancienne  Gaule,  une  preuve  de  Fintluence 
de  l'idiome  des  anciens  habitants  sur  la  transformation  du  latin  ;  mais 
rien  ne  prouve  d'abord  que  dans  l'ancien  gallois  et  se  transformait  en  it 
et  il  est  même  plus  probable  ou  que  ce  groupe  persistait,  ou  qu'il  avait 
pris  tout  au  plus  la  forme  cht  qu'il  a  encore  en  irlandais. 

2.  11  serait  possible  que  la  forme  jt  eût  été  précédée  de  cht  ;  c'est  ce 
que  sembleraient  indiquer  les  transcriptions  comme  jachtivus  qu'on 
rencontre  dans  les  anciens  monuments.  Cf.  Pott.  Kuhn's  Zeitsch.  \,  411. 


—  333  — 

face  en  lombard,  affaibli  en  fagio  dans  l'ancien  milanais.  Mais 
en  même  temps  que  le  c  se  changeait  en  J^,  il  a  pu  arriver  aussi 
que  le  même  sonj  se  développât  après  le  ^,  ce  qui  a  donné  le  son 
jtj,  lequel  en  se  transformant  conduit  naturellement  à  jil  ou  il  ; 
c'est  ainsi  qu'on  peut  expliquer  la  transformation  de  factum  en 
hecho  =  faico  en  espagnol. 

Un  fait  à  remarquer,  c'est  que  quand  et  est  précédé  de  n,  le 
j  (^)  de  la  transformation  du  c  ne  pouvant,  sous  peine  de  former 
une  syllabe  avec  n,  conserver  la  place  du  c  qu'il  représente, 
passe  avant  lui  et  diphthongue  la  voyelle  précédente  ;  c'est  ainsi 
qu'en  français  sanctum,  au  lieu  de  san-i-t ,  a  donné  saint  ^. 
Dans  les  langues  qui  n'ont  pas  admis  cette  transposition,  le  c  est 
alors  tombé  tout  simplement,  —  chute  que  la  présence  de  Yn 
paraît  avoir  favorisée  dans  tous  les  idiomes  romans,  ceux  du 
Nord-Ouest  exceptés,  —  comme  dans  santo  \i.,  esp.,  pg.,  ou 
bien,  mais  exceptionnellement,  il  a,  en  se  changeant  enj,  donné 
naissance  à  tj  et  par  suite  à  c,  comme  dans  l'espagnol  cincho. 

Les  formes  {t)t,  it,  {i)c  ou  g,  n'épuisent  pas  les  transforma- 
tions du  groupe  et  dans  les  langues  romanes  ;  tout  en  adoptant 
parfois  la  première,  le  roumain  en  a  une  autre  qui  lui  appartient 
en  propre,  c'est  la  substitution  duphc,  c'est-à-dire  de  la  sourde 
labiale  à  la  gutturale,  tandis  que  l'assimilation  de  c  à  ^,  qu'on 
retrouve  dans  tous  les  idiomes  romans,  repose  sur  la  substitution 
de  la  sourde  dentale  à  cette- même  gutturale.  Mais  le  roumain  ne 
s'en  est  pas  toujours  tenu  à  cette  première  modification,  et  dans 
un  certain  nombre  de  cas  il  a  changé  le  p  substitué  à  c  en  sa  spi- 
rante  /",  comme  il  le  fait  d'ailleurs  d'ordinaire  pour  p  étymolo- 
gique dans  le  groupe  pt,  ce  qui  a  donné  en  définitive /ï  à  la  place 
de  et.  Quant  à  la  forme  s  qu'on  trouve  au  participe  d'un  certain 
nombre  de  verbes,  comme  dans  adaos  (adauctum),  eins  (cinctum), 
zis  (dictum),  dus  (ductum),  ajuns  (adjunctum),  etc.,  elle  repré- 
sente sans  doute  le  dernier  terme  de  la  série  tj,  teh,  ts,  s,  résul- 
tat de  la  transformation  de  et. 

On  s'attendait  à  ce  que  le  roumain  allant  plus  loin  eût  affaibli 
/"en  V  et  enfin  en  u,  ce  qui  aurait  donné  ut  pour  et;  cette  trans- 
formation n'a  point  eu  lieu,  que  je  sache,  dans  cette  langue,  mais 
la  forme  ut  pour  et  se  retrouve  en  espagnol  et  en  portugais, 
par  exemple  dans  auto  (actum)  ;  il  semble  toutefois  qu'il  faut 
expliquer  la  présence  de  cet  u  par  sa  substitution  à  ^  dans  la 
diphthongue  ai. 


1.  Il  en  a  été  de  même  dans plainst.  plainstrent  LR.  pour  1'*  provenant 
de  la  transformation  de  l'a;. 


—  334  — 

Telles  sont  les  transformations  de  et  dans  les  langues  romanes; 
ce  groupe  y  apparaît  bien  encore  tel  qu'il  était  en  latin,  mais  si 
l'on  excepte  le  sarde  logoudorien  où  il  a  été  régulièrement  con- 
servé, c  y  étant  d'ailleurs  à  peu  près  muet,  on  ne  rencontre  et 
que  dans  les  mots  de  formation  savante  ou  récente  ou  qui  ont  été 
refaits  sur  le  latin.  Il  n'y  a  donc  pointa  s'occuper  de  cette  forme  ; 
les  transformations  des  mots  actum,  cinctum,  eoaetare, 
eoetum,  dictum,  directum,  doctorem,  ductum,  faetum,  fie- 
tum,  flectere,  fructum,  junctum,  *lactem,  lectum,  *  lue- 
tare,  noctem,  oeto,  *peetine7n,peetus,  pi{n)etum, punctu7n, 
sanetum,  strictum,  teetum,  montreront  comment  les  différents 
idiomes  romans  ont  fait  usage  des  autres  modifications  tt  {t),  it, 
c  {eh),  pt  ou  fï  et  ut. 


KOUM. 

IT. 

ESP. 

PG. 

PR. 

FR. 

— 

atto 

■  mito 

auto 



— 

cis 

cinto 

cincho 

cinto 

— 

ceint 

— 

cattare  s. 

cachar 

— 

coitar.  cachar  cacher 

copt 

cotto 

— 

coito 

cueit 

cuit 

zis 

detlo 

dicho 

dilo 

dit 

dit 

dres 

diretio 

derecho 

direito 

dreit 

droit 

doftor 

dottore 

dotor 

doutor 

— 

duitre 

dus 

dotto 

ducho 

duto 

dueich 

duit 

fapt 

fatto 

hecho 

feUo 

fait 

fait 

fipt 

fitto 

hito 

fèto 

— 

— 

— 

fiettere 

— 

— 

— 

fléchir 

frupt 

frutto 

fruto 

fruto,  frucho  fruit,  frut 

fruit 

{a)juns 

giunto 

junto 

junto 

joint 

joint 

lapte 

latte 

lèche 

leite 

lag 

lait 

leftice  ' 

letto 

lecho 

leito 

leit 

lit 

luptà 

luttare 

luchar 

lutar 

luchar 

lutter 

noapte 

notte 

noche 

noit 

noit 

nuit 

opt 

otto 

ocho 

oito 

oit 

huit 

piepten 

petline 

peine 

pentem 

penche 

peigne 

piept 

petto 

pecho 

peito 

peitz 

piz 

— 

pinto 

pincho 

— 

— 

peint 

{iTa)puns 

punto 

punto 

ponto 

— 

point 

sant 

santo 

santo,  Sancho  santo 

saint,  sanch 

saint 

— 

stretto 

estrecho 

esireito 

estreit,  estrech  estreit  v. 

étroit 

— 

tetto 

techo 



— 

toit 

On  voit  par  ces  exemples  que  l'italien  ne  connaît  que  l'assimi- 
lation, les  dialectes  du  Nord,  au  contraire,  qui  se  rattachent  plutôt, 
il  est  vrai,  au  groupe  ladin,  présentent  aussi  la  forme  c  ou  ^  = 
g,  propres  à  plusieurs  des  idiomes  de  ce  dernier  groupe,  mais  qui 


l.  On  dit  lepticq  dans  le  dialecte  roumain  du  Sud,  avec  l'explosive  p 
au  lieu  de  la  spirante  f. 


—  335 

connaissent  aussi  l'assimilation  ;  onla  rencontre  également  dans  les 
sous-dialectes  provençaux,  le  plus  souvent  à  côté  de  it.  Le  portu- 
gais même  en  offre,  comme  le  français,  quelques  cas,  quoique  l'un 
et  l'autre  changent  et  en  it.  Voici  quelques  exemples  de  trans- 
formation du  groupe  et  dans  les  dialectes  ladins  et  provençaux  : 


LAT. 

. — ^ 

ROUMANCHE 

MIL. 

TIR.  FR. 

DIAL.      PRO 

dictum 

0. 

gig  Ob 

E. 

dit  E. 

digio  V. 

ditt 

dich 

di  rectum 

dreg 

dret 

— 

— 

drech 

faclum 

faig 

fat 

fagio  V. 

fait  tir. 

fach 

*laclem 

laig 

lai 

lac 

latt  tir. 

lag 

lectum 

le^C 

lett 

let^ 

lett  tir. 

— 

noctem 

noig 

nott 

noc 

not  tir. 

nueich 

*  peclum 

— 

— 

pec 

— 

peitre  gén 

Il  faut  remarquer  la  forme  peitre  du  dialecte  genevois  à  côté 
du  vieux  français  pu,  la  première  vient  d'un  type  *pectorem,  la 
seconde  de  pectus,  pr.  peitz.  Une  transformation  qui  mérite  en- 
core de  fixer  l'attention  est  celle  de  *  pectinem  ;  elle  nous  montre 
et  réduit  à  i  dans  l'espagnol peme  et  le  francsLis peigne,  à  ^,  au 
contraire,  dans  le  portugais  joen^ew/,  et  en  même  temps  l'épen- 
thèse  de  n  dans  ce  mot  et  dans  le  provençal  penche. 

Dans  tous  les  exemples  qui  précèdent,  et  était  étymologique  ; 
on  trouve  bien,  à  ce  qu'il  semble,  un  groupe  roman  dans  plac{i)- 
tum.  Mais  plac{i)tum  aurait  donné  la  série  plaeitum,  pla- 
zido,  d'où  plazdo  en  espagnol  et  en  italien,  quelque  chose 
comme  plas  en  français  et  en  provençal  ;  plac'tum,  au  contraire, 
formé  sans  doute  par  analogie  avec  faetum,  flctum,  etc.,  a 
donné  comme  ces  participes  par  le  changement  de  et  en  it  dans 
le  double  groupe  occidental,  esp.  -pg.pleito,  v.  fr.  plait  et  piato 
en  italien  ^  depiaito  par  la  chute  du  second  zsous  l'influence  du 


1.  Blond.  Saggio,  pass.  —  Ascoli,  Saggi  ladini,  id.  —  Muss.  Darst.  der 
altmail.  Mund. 

2.  V.  pi.  h.  Liv.  JI,  ctî.  IX.  -  Cf.  Diez,  Gram.  I,  256.  —  M.  Ascoli  (Arch.  1, 
80)  vient  de  proposer  une  autre  explication;  il  suppose  que  l'i  persistant 
le  c  se  change  successivement  en  g  et  en  y{i),  mais  g,  je  l'ai  déjà  dit,  se 
change  en  z  et  non  pas  en  y,  et  d'ailleurs  on  aurait,  en  admettant  cette 
transformation,  au  moins  dans  le  groupe  du  Sud-Ouest  la  série 

plaeitum  plagido         play(i)do         plaida, 

attendu  que  t  entre  deux  voyelles  s'y  change  toujours  en  d,  tandis  que 
nous  y  trouvons  la  forme  pleilo,  et 

plaeitum  pla'Uido  play{i)do  plai 

en  français,  puisque  t  entre   deux  voyelles  y    tombe,   ainsi  que    les 
voyelles  posttoniques.   Quant  à  la  présence  d'un  seul  t  dans  piato,  elle 


—  336  — 

premier,  comme  le  montre  la  forme  plaito,  qu'on  trouve  dans 
une  charte  de  827  :  (venissent  va  plaito  R.  comiti.)^ 


tient  à  ce  qu'il  n'y  a  pas  eu  assimilation,  mais  changement  de  c  en  i 
suivi  de  la  chute  de  ce  dernier. 
1.  Historix  pairise  monumenta  I,  n.  19,  p.  35. 


CONCLUSION. 


Le  groupe  et  est  la  dernière  des  combinaisons  de  consonnes 
dans  lesquelles  peut,  entrer  la  gutturale  c,  et  l'étude  que  je  viens 
d'en  faire  termine  ce  que  j'avais  à  dire  de  cette  lettre.  On  trou- 
vera peut-être  que  j'en  ai  exposé  bien  longuement  les  transfor- 
mations :  leur  diversité,  l'incertitude  qui  régnait  sur  quelques- 
unes  d'entre  elles,  les  questions  multiples  qu'elles  soulèvent  et 
que  j'ai  dû  examiner,  tout  cela,  je  l'espère,  servira  à  excuser  les 
longueurs  d'un  travail  que  je  n'ai  pu  faire  plus  court  de  peur  de 
le  laisser  incomplet.  Il  est  aisé  de  parler  de  sa  peine  ;  parvenu  au 
terme  que  je  m'étais  assigné,  il  me  sera  peut-être  permis  de  rap- 
peler quels  efforts  j'ai  dû  faire  pour  arriver  sur  tant  de  points  en- 
core obscurs  à  une  solution  qui  me  parût  satisfaisante.  Les 
transformations  générales  du  c  vélaire  en  g  et  en  jot  étaient 
assez  bien  connues,  mais  on  avait  à  peine  abordé  ses  change- 
ments successifs  en  la  série  é,  c,  s  ;  ts,  s,  z,  G  et  S,  ou  f  et  v, 
dont  plusieurs  même  étaient  complètement  ignorés.  Que  de 
lacunes  aussi  présentait  l'histoire  des  transformations  du  c  pala- 
tal !  Le  point  de  départ  en  était  controversé,  sa  double  modifica- 
tion en  spirantes  sourdes  et  sonores  dans  les  idiomes  occidentaux 
à  peine  entrevue,  et  la  naissance  du  son  0  et  S  considérée  comme 
ancienne,  alors  qu'elle  est  essentiellement  moderne.  On  n'avait 
pas  non  plus,  que  je  sache,  —  sans  doute  faute  d'avoir  comparé 
ce  qui  s'est  passé  dans  les  langues  romanes  à  ce  que  nous  pré- 
sentent les  autres  idiomes  indo-européens,  —  rattaché  à  une 
même  cause  les  transformations  du  c  vélaire  et  du  c  palatal  en 
chuintantes  et  en  spirantes  dentales,  ce  qui  permet  d'en  expli- 

22 


—  338  — 

quer  si  facilement  la  filiation.  J'ai  essayé  de  montrer  qu'il  n'y 
faut  voir  que  le  résultat  du  passage  de  la  gutturale  à  la  série 
dentale,  passage  dont  l'état  plus  ou  moins  complet  explique  les 
divers  degrés  de  transformation  a,  c  ou  ts,  s,  s,  etc.  On  trouvera 
peut-être  aussi  que  j'ai  jeté  quelque  lumière  sur  la  naissance  tar- 
dive et  si  extraordinaire  delà  spirante  gutturale  en  espagnol.  Quant 
aux  deux  dialectes,  le  picard  et  le  normand,  dans  lesquels  j'ai  cru 
devoir,  comme  complément  naturel ,  sinon  nécessaire,  de  ces 
recherches,  étudier  le  traitement  des  gutturales,  si  les  carac- 
tères du  premier  étaient  déjà  connus,  ceux  du  second,  à  ce  point 
de  vue  du  moins,  avaient  été  à  peine  soupçonnés  ;  il  me  semble 
avoir  démontré  d'une  manière  irréfutable  qu'ils  sont  identiques  à 
ceux  du  picard,  connaissance  qui  sera  peut-être  de  quelque  uti- 
lité dans  l'étude  ou  le  rétablissement  des  textes  normands. 

Tels  sont  les  résultats  auxquels  je  suis,  je  crois,  arrivé  ;  je 
voudrais  espérer  qu'ils  pourront  servir  à  l'avancement  des  études 
de  philologie  romane  encore  si  négligées  en  France.  Quoi  qu'il 
en  soit,  avant  de  me  séparer  de  ce  travail,  auquel  je  dois  d'avoir 
pénétré  plus  avant  dans  des  connaissances  que  je  n'avais  fait 
qu'entrevoir  jusque-là,  et  qui  pendant  de  longs  mois  m'a  fait 
goûter  une  satisfaction  qu'on  serait  peu  tenté  d'attendre  de  pa- 
reilles recherches,  je  me  sens  obligé  de  reconnaître  encore  une 
fois  tout  ce  dont  je  suis  redevable  aux  savants  qui  se  sont  occu- 
pés avant  moi  de  la  même  question  ;  et  si  j'ai  dû  les  contredire 
parfois  sur  quelques  points,  je  n'en  ai  pas  moins  une  crainte, 
c'est  de  n'avoir  pas  toujours,  malgré  mes  efforts,  peut-être  assez 
bien  su  mettre  leurs  découvertes  à  profit.  Au  moins  ai-je  essayé, 
à  leur  exemple,  de  n'employer  que  des  méthodes  sûres  et  rigou- 
reuses ;  j'ai  rejeté  sans  pitié  tout  ce  qui  était  hypothétique,  pour 
n'admettre  que  ce  qui  me  paraissait  démontré  ou  s'imposait  à 
moi  comme  conséquence  nécessaire  défaits  antérieurement  établis. 
Si  ce  travail  vaut  quelque  chose,  ce  sera  par  là  qu'il  pourra  se 
recommander  à  l'attention  et  n'aura  pas  été  peut-être  complète- 
ment inutile. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS' 


Pages  Ligni 

40,  i'2 

42,  30 

43,  43 
27,  48 
30,  23 
30,  24 
34,  46 

Pages 

57, 
57, 


64, 


—  aux.     39,  4  4 

Rud.     39,  4  6     p, 


—         -cée. 

40, 

24     effacer  crivello. 

—  reservavi- 

46, 

4  8    leu,         lisez 

leu. 

—      tamen. 

50, 

25    payar,       — 

pagar. 

—       celles. 

50, 

33  c.  4  segur,  — 

segur. 

du,  lisez         des,    37, n. 4     c,  ^,        lisez        c,g. 

en,  —  aux.     39,  4  4     a,  —  p. 

Fr., 

remplacé, 

reservari, 

tamem, 

celui, 

Lignes 

40    Ajouter  :  et  dans  le  portugais  charma  (carrucam). 

4  4  Ajouter  après  français  :  charrue,  laitue  (lactucam), 
massue  fmaxucam),  tortue  ("tortucam),  ...ainsi  c  tombe 
presque  uniquement  devant  o  et  u. 

Ghap.  IV.  Substitution  de  ^  au  c  vélaire. 

Ce  changement  que  j'ai  donné  comme  exceptionnel,  à 
part  le  groupe  c/,  dans  les  langues  romanes,  a  lieu  d'une 
manière  régulière,  mais  pour  le  k  palatal,  dans  le  patois 
poitevin;  ainsi  çMmw,  tiau;  quieu,  tieu;  quiou^  tiou ; 
quielle^  tielle;  quièque,  tieuque;  quiellequi^  tiellequi, 
etc.  Lai.  Glos.  dupât,  poit.  Intr.  p.  28  (Mém.  de  la  Soc. 
des  Antiq.  de  l'Ouest  4  867,  II).  Dans  le  patois  du  Jura 
suisse  le  son  du  c  palatal  suivi  de  i  se  rapproche  aussi 
beaucoup  de  celui  de  t  et  s'est  même  parfois  changé 
complètement  en  t,  cf.  Riv.  di  fil.  rom.  I,  99. 

La  sourde  t  ne  se  substitue  point  seule  au  c;  au 
milieu  des  mots  et  dans  le  groupe  c/,  la  sonore  d  en  prend 


1.  Malade  pendant  presque  tout  le  temps  qu'a  duré  l'impression  de  cet 
ouvrage,  je  n'ai  pu  toujours  donner  à  la  correction  des  épreuves  tout  le 
soin  que  j'aurais  désiré,  ni  faire  moi-même  toutes  les  vérifications 
nécessaires;  je  prie  donc  les  personnes  qui  liront  cette  étude  de  vouloir 
bien  corriger  elles-mêmes  les  fautes  trop  nombreuses  indiquées  dans 
cet  errata.  J'y  ai  joint  quelques  faits  nouveaux  recueillis  dans  mes 
dernières  lectures;  bien  que  mon  manuscrit  ait  été,  en  effet,  achevé 
dans  le  courant  de  mars ,  l'impression  en  ayant  été  d'abord  différée 
pendant  plusieurs  mois,  pour  ne  se  terminer  qu'à  la  fin  de  décembre, 
j'ai  pu  durant  ce  temps  mettre  à  profit  quelques  publications  ou 
récentes  ou  que  jo  ne  connaissais  pas  encore  au  moment  où  j'ai  fini 
ce  travail. 


—  340  — 

aussi  la  place  dans  quelques  dialectes  ladins.  V.  Liv. 
IV,  eh.  V. 

82,  83,  n.  i .  Ajouter  :  Cet  emploi  de  k  dans  des  textes  italiens 
comme  signe  de  la  palatale  se  rencontre  fréquemment 
dans  le  Canzoniere  vaticano  3244.  Cf.  Biv.  di  fil.rom.l^ 
60. 

97,  28;  99,  23  et  436,  4  *pulicinum,  lisez  "pullicinum. 

97,  34  Ajouter  et  dans  le  pg.  piche  à  côté  de  pez  s.  (picem), 
Rom.  II,  290. 

99,  6,  34  *  pulicem,  lisez  *  pullicem. 

402,  25  Ce  dictionnaire  étant  probablement  d'origine  anglo- 
normande,  ce  que  j'en  ai  dit  s'applique  plutôt  à  ce 
dialecte  qu'au  français  lui-même. 

405,  28    Après  mmazsan  ajouter  sic. 

406,  26    muliaceam,  lisez  muliaceum. 

408,  5    bibitionem,  lisez  potionem. 

409,  22    Après  change,  ajouter  :  en. 

44  7,  34  L'origine  des  textes  ne  fait  rien,  le  normand  et  le 
picard  ayant  en  général  traité  la  palatale  transformée  en 
sonore  tout  comme  le  français.  Cf.  pi.  loin  p.  233  et  250. 

448,     24    S.L.B...  Ps.,  lisez  S.B...*L.Ps. 

420,     40    necessariam,  lisez  necessarium. 

420,     46    pouce,  lisez  ponce. 

420,  24  et  447,  35  "pulicellam,  lisez  'pullicellam. 

425,     23,  c.  2    fois,  lisez  fois. 

4  26,        9    sç,  lisez  s. 

4  33,     34     aprop,  lisez  aprob. 

443,     37    provençal,  lisez  proençal. 

456, n.   4     logodorien,  lisez  logoudorien. 

472,     25    enxambre,  lisez  enxame. 

472,  27  Ajouter  après  phénomène  :  Il  en  est  de  même  dans  le 
pg.  munco  à  côté  de  muco  s.  (mucum).  Cf.  Rom.  II,  289. 

485,  n.   4     Volktsmund.,  lisez  Volksmund. 

Pages  Lignes  Pages  Lignes 

246,  4  4    X,  lisez  ■/•    263,  49    *ficare,  lisez  'figicare. 

225,     8     7995,         —        7595.     263,  20     forcam,  —      furcam. 

234,  43    catens,      —      cateus.     263,  24     hanke,     —        ancha. 

262,  22    camisam,  —      -siam.     263,  22    'jucare,  —    *juccare. 

263,44  catulire,  — *catuliare  Je  conserve  la  forme  *juccare, 
tout  hypothétique  qu'elle  est  ;  il  en  est  de  même,  onze 
lignes  plus  loin,  de  *  taccam  ou  *taxam. 

Pages    Lignes 

267,     4  8    Ajouter  après  la  fin  dans  :  march  (marlium), 
274,       2    *cippeam,  lisez  *cippalam. 


TABLE    DES   MATIERES. 


Pages 

Préface vu 

Abréviations x 

Indications  des  sources xi 

INTRODUCTION.  4 

I.  De  l'alphabet  indo-européen 2 

II.  Des  gutturales  latines 47 

r  H n 

2°Q •       49 

3"  K 23 

4°  G 25 

5°  G 26 

6"  Ch 30 


DU     C     ROMAN. 
LIVRE  PREMIER. 

Transformations  dd  c  vélaire 

Chapitre  I.  —  Persistance  du  c  vélaire.  —  Son  changement 

en  g  et  en  spirante  %.  . 

Chapitrell.  —  Changement  du  c  vélaire  en  y  ou  t 

Chapitre  III.  —  Chute  du  c.  —  Développement  de  i  par  le 

voisinage  de  la  gutturale 

Chapitre  IV.  —  Substitution  de  #  et  de  s  au  c  vélaire.  .  .  . 


33 


37 

38 
47 

54 
(H 


—  342  — 
LIVRE  SECOND. 

Transformations  du  c  palatal 65 

Chapitre  I.  —  Transformation  de  ci  et  de  ti  suivi  d'une 
voyelle 66 

Chapitre  II.  —  Changement  du  c  palatal  en  c 73 

Chapitre  III.  —  Persistance  du  e  palatal.  —  Son  change- 
ment en  sonore  et  en  spirante  palatales 82 

Chapitre  IV.  —  Changement  du  c  palatal  en  c  et  en  g,  en  s 

et  en  z,  . 88 

V  c^c, 89 

2"^=c, 94 

3°  5=c, 96 

40  f=c, , 400 

Chapitre  V.  —  Changement  du  c  palatal  m.ts^idt 404 

40  ^s=c, 403 

2°  dz=c^ :         409 

Chapitre  VI.  —  Changement  du  c  palatal  en  c  (.ç,  ss)  et  en 
z  (s)  en  français,  en  provençal  et  dans  les  dialectes  ladins 

et  italiens 440 

4°  Du  c  palatal  transformé  en  français 444 

2o  Du  c  palatal  transformé  en  provençal 4  26 

30  Transformation  du  c  palatal  en  s  ou  ç  dans  les  dia- 
lectes ladins  ou  italiens 435 

Chapitre  VII.  —  Transformation  du  c  palatal  en  espagnol  ou 
en  portugais.  —  Son  changement  en  0  et  §  dans  les  dia- 
lectes provençaux  et  ladins 438 

40  Du  c  palatal  transformé  en  ancien  espagnol.  .....        438 

2°  Du  c  palatal  transformé  en  portugais 4  44 

30  Transformation  de  la  palatale  en  G  dans  l'espagnol  mo- 
derne         454 

4°  Transformation  de  la  palatale  en  G  et  B  dans  les  dia- 
lectes provençaux  et  ladins 454 

Chapitre  VIII.  —  Assibilation  anomale  du  c  palatal.  —  Sa 
tranformation  en  i  et  en  u.  —  Sa  suppression.  —  Déve- 
loppement de  2  dans  son  voisinage 457 

Chapitre  IX.  —  Substitution  à  la  gutturale  c  des  labiales  /), 

6,  /",  V,  de  w,  de  A  et  de  /i 4  62 

4°  Substitution  des  labiales  aux  gutturales. 462 

2"  Substitution  de  M  au  c  vélaire  ou  palatal 468 


—  343  — 

3^  Substitution  de  ^  à  la  gutturales? i^HV  '170 

4°  Substitution  de  w  à  la  gutturale  c. i7i 

LIVRE  TROISIÈME. 

Transformation  DU  c  vÉLAiRE  EN  c  ET  EN  SES  DÉRIVAS ^75 

Chapitre  I.  —  Transformation  duc  vélaire  en  c,  c  et  s  dans 
les  dialectes  ladins,  provençaux  et  français  proprement 

dits 483 

-1  °  Transformation  duc  vélaire  en  c  dans  les  dialectes  ladins  4  84 
2°  Transformation  duc  vélaire  en  ch  dans  les  dialectes  pro- 
vençaux    4  88 

3°  Transformation  du  c  vélaire  en  ch  dans  le  français 

proprement  dit 497 

Chapitre  IL  —  Transformation  du  c  vélaire  en  g,  z,  ts  ou 

6?s,  s  ou  s,  0,  S  et/ 206 

4°  Transformation  du  c  vélaire  en  ^  et  z 206 

2°  Transformation  du  c  vélaire  en  ^,ç,  ^z,  s  ou  z 208 

3°  Transformation  du  c  vélaire  en  0  et  â,  en  felenv...  244 

4°  Transformation  du  c  vélaire  en  spirante  gutturale.  .  .  213 

Chapitre  111.  —  Du  c  vélaire  et  du  c  palatal  transformés 

dans  le  picard  et  dans  le  normand 247 

V  Picard 224 

2°  Normand 234 

3°  Remarques  sur  le  traitement  des  gutturales  en  normand 

et  en  picard 279 

LIVRE  QUATRIÈME. 

Du  c  LATIN  DANS  LES  DIFFÉRENTS  GROUPES  DE  CONSONNES  OU  IL  PEUT  ENTRER. 

Chapitre  I.  —  Du  groupe  ce 295 

Chapitre  II.  —  Des  groupes  d'c  et  t'c 297 

Chapitre  III.  —  Des  groupes  le,  rc,  ne  et  n{d)c 304 

Chapitre  IV.  —  Du  groupe  se 307 

1°  se  initial 307 

2°  se  médial 34  4 

3°  se  final 34  4 

Chapitre  V.  —  Du  groupe  cl 31 4 

1°  cl  initial 315 

2°  cl  médial 317 

Chapitre  VI.  —  Du  groupe  cr 321 


—  344  — 

i°  cr  initial 324 

2°  cr  médial 322 

Chapitre  VII.  —  Du  groupe  cs[x) 325 

Chapitre  VIII.  —  Du  groupe  et 330 

\°  et  suivi  de  i  et  d'une  autre  voyelle 334 

2°  et  suivi  d'une  seule  voyelle  ou  d'une  consonne 334 

Conelusion 337 

Additions  et  corrections 339 


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Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  de  A.  Gouverneur. 


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Joret,  Charles 

I>u  c  dans  les  langues 
rcHuanes 


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UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


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