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DU C
DANS
LES LANGUES ROMANES
OUVRAGES DU MEME AUTEUR.
Loi des finales en espagnol^ in- 8°. Nogent-Ie-Rotrou, 1872.
sous PRESSE :
Essai sur le patois normand du Bessin.
POUR PARAÎTRE PROCHAINEMENT :
Gœthe et Herder et la période d'orage.
Du rhotacisme dans les langues germaniques.
La littérature allemande en France avant la Révolution.
BIBLIOTHEQUE
DE L'ÉCOLE
DES HAUTES ÉTUDES
PUBLIEE SOUS LES AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES
SEIZIÈME FASCICULE
DU G DANS LES LANGUES ROMANES, PAR GH. JOUET, ANCIEN ÉLÈVE DE l'ÉCOLE
DES HAUTES ÉTUDES, PROFESSEUR AGRÉGÉ AU LYCÉE GHARLEMAGNE.
PARIS
LIBRAIRIE A. FRANCK
F. VIEWEG, PROPRIÉTAIRE
RUE RICHELIEU, 67
187Ù
DU C
LES LANGUES ROMANES
Charles JORET,
ANCIEN ÉLÈVE DE l'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, PROFESSEUR AORÉOÉ
AU LYCÉE CHARLEMAGNE.
PARIS
LIBRAIRIE A. FRANCK
F. VIEWEG, PROPRIÉTAIRE
67, RUE RICHELIEU
187A
PC
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A MESSIEURS
Emile LITTRÉ,
MEMBRE DE L INSTITUT,
Gaston PARIS,
PROFESSEUR AU COLLEGE DE FRANCE.
PRÉFACE
On sait généralement aujourd'hui que l'italien et le roumain,
l'espagnol et le portugais , le provençal et le français , qui
constituent ce qu'avec quelques dialectes moins importants on
désigne ordinairement sous le nom de langues romanes, sont
sortis, non de l'idiome classique des anciens Romains, mais du
latin vulgaire , transporté pa r la conquête dans les provinces situées
entre les Balkans et le Danube et dans les divers pays qui compo-
saient l'empire d'Occident. Ce parler populaire toutefois fut long-
temps tenu en échec par la langue littéraire; les choses changèrent
au v^ siècle. L'invasion des barbares, la destruction de l'empire
d'Occident qui en fut la suite, la suppression de toute centralisation
poHtique et httéraire, en arrêtant subitement la civilisation latine,
portèrent à la langue savante un coup mortel, et le parler vulgaire
qui avait toujours subsisté, mais dédaigné et comme asservi, à
côté d'elle, s'affranchit définitivement des entraves qu'elle lui impo-
sait, et, recouvrant son indépendance native, finit par devenir
prédominant. Cette première révolution fut suivie d'une autre
encore plus importante.
Au milieu de la division de l'empire, dans la confusion de
toutes choses où vivait le monde romain, la langue ne pouvait
échapper à ce double travail de décomposition et de recomposition
dont les sociétés modernes devaient sortir ; elle se transforma à la
fois et se reconstitua sur d'autres bases. C'est ainsi que les formes
complexes, quelelatin vulgaire possédait en commun avec la langue
savante, finirent par s'oblitérer, que ses terminaisons encore
nombreuses se perdirent en partie ou se simplifièrent, et que
l'idiome synthétique des anciennes peuplades du Latium, dépouillé
peu à peu de ses flexions, prit le caractère analytique propre aux
langues modernes de l'Europe occidentale. Mais en même temps
qu'il se simplifiait et, à certains égards, qu'il s'appauvrissait ainsi,
le roman créait de nouvelles formes et se reconstituait à nouveau.
Désormais et pour longtemps, libre de toute règle et de toute
contrainte, abandonné à l'action inconsciente de populations
sans culture et ramené par là en quelque sorte à l'état de nature,
il obéit à ce travail incessant de transformation auquel est soumis,
surtout dans ces conditions qui semblent en augmenter la force
végétative, tout langage humain.
Il était impossible qu'au milieu de cette œuvre de décomposi-
tion et de lente reconstitution les voyelles et les consonnes
conservassent toujours leur valeur primordiale , aussi ont-
elles été souvent modifiées; mais les changements qu'elles
ont subis ont varié suivant les idiomes auxquels elles appar-
tiennent. Comment, en efiet, tant de races difîérentes, habitant
sous des latitudes et dans des climats si divers, auraient-
elles altéré de la même manière les sons qu'elles trouvaient
dans le latin? Cependant, quelque grands et variés que soient
les changements que ces sons ont éprouvés, on peut tenter de
remonter à leur origine et d'en retrouver les lois qui ne sont
autres que les lois générales du langage. L'étude de ces trans-
formations est la base de la grammaire comparée des langues
sœurs sorties du latin vulgaire ; elle constitue dans son ensemble
la phonétique romane. Mais quelque avantage qu'il y ait à
étudier simultanément les difierents sons dont elle s'occupe,
on peut aussi considérer isolément, pour en faire l'historique, l'un
quelconque d'entre eux ; c'est ce que je me propose d'essayer pour
la gutturale c. Il m'a semblé, en efiet, qu'il ne serait peut-être
pas sans intérêt, — afin de montrer, par l'étude complète d'un son
particulier,- de quelles ressources variées, de quelle force de
transformation est doué le langage, — de rechercher quelles
modifications cette lettre, qui en a incontestablement le plus
éprouvé, avait subies dans le passage du latin au roman, et jus-
qu'au moment de la constitution définitive des idiomes néo-latins.
Je n'ai pas besoin de faire remarquer quelles diflficultés ofi're
cette étude : suis-je parvenu à en résoudre quelques-unes et à
éclaircir plusieurs des points obscurs que présente la théorie des
— XI —
gutturales? Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, et je
reconnais par avance que, si j'y ai réussi, le mérite en revient
en partie à ceux qui se sont occupés avant moi de ce sujet. J'ai
cité, avec tout le soin possible, les ouvrages où j'ai puisé quel-
ques renseignements dans le cours de mes recherches ; mais
c'est un devoir pour moi de mentionner d'une manière toute
spéciale la Grammaire comparée des langues romanes de
Fr. Diez, ce livre qui est et restera longtemps le point de départ
de la connaissance des idiomes issus du latin. Je dois aussi de
précieuses indications à M. Paul Meyer, professeur à l'Ecole des
chartes, et surtout à M. Gaston Paris, professeur au Collège de
France, qui m'a même suggéré l'idée de cette étude. D'utiles
corrections m'ont également été indiquées par MM. A. Darme-
steter et L. Havet, mes anciens condisciples à l'Ecole des hautes
études. Qu'ils veuillent bien recevoir ici l'expression de ma
reconnaissance.
Paris, 15 mars 1873.
ABRÉVIATIONS.
mod.
moderne.
V.
vieux.
s.
savant.
IDIOMES INDO-EUROPÉENS.
got.
gothique.
scr.
sanscrit.
gr-
grec.
si.
slavon.
1. (lat.)
latin.
z.
zend.
LANGUES GERMANIQUES.
ail.
allemand.
fr.
frison
a. h. a.
ancien bas-allemand.
a. fr.
ancien frisor
1.
a. h. a.
ancien haut-allemand.
néerl. (n.)
néerlandais.
m. h. a.
moyen haut-allemand.
m. néerl.
moyen néerlandais.
ang.
anglais.
nor.
norois ou islandais.
a. ang.
ancien anglais.
sax. (s).
saxon.
dan.
danois.
a. sax.
ancien ou vieux saxon
LANGUES
ROMANES.
cat.
catalan.
lad.
ladin.
esp.
espagnol.
Pg-
portugais.
fr.
français.
pr.
provençal.
it.
italien.
DIALECTES
roum.
ITALIENS.
roumain.
gén.
génois.
s. gall.
sarde gallurien.
mant.
mantouan.
s. log.
sarde logoudorien.
mil.
milanais.
s. Sass.
sarde de Sassari.
pad^
padouan.
sic.
sicilien.
piém.
piémontais. *
tosc.
toscan.
rom.
romagnol.
vén.
vénitien.
s. camp.
sarde campidanien.
DIALECTES LADINS.
roum.
roumanche.
tir.
Tyrol
(dial. du).
E.
Engaddine.
Ag.
Agordo
(dial. d').
B. E.
Basse Engaddine.
Com.
Comelico
(dial. de).
H. E.
Haute Engaddine.
Gad.
Gadera
id.
Ob.
Oberland.
Gard.
Gardena
id.
fr.
Frioul (dial. du).
N. b.
Nonsberg
id.
ist.
Istrie (dial. d')
Oltr.
Oltrechiusa
(dial. d').
Pir.
Pirano (dial. de).
DIALECTES PROVENÇAUX.
auv.
auvergnat
lim.
limousin.
daup.
dauphinois.
sav.
savoyard.
gasc. (g.)
gascon.
s. rom.
suisse romand.
DIALECTES
FRANÇAIS,
bourg.
bourguignon.
norm.
normand.
fr.-c.
franc-comtois.
pic.
picard.
H.M.
Haut-Maine (dial. du)
poit.
poitevin.
J.
Jura id.
roue.
rouchi.
lor.
lorrain.
w(al.)
wallon.
LISTE
DES PRINCIPAUX AUTEURS CITES DANS CET OUVRAGE.
Abhandlungen der Berliner Akademie der Wiszenschaften.
Academy {The), a record of literature, Learning, Science and Art.
A. N. Actes normands, v. Léop. Delisle.
Adam, drame anglo-normanddii XII'^ siècle, ^.]).Luza.TChe,m-8,To\xrs, 1854.
Adam de la Halle. V, Théâtre français.
Adenes li Rois, v. Berte aux grans pies et Cléomadès.
Aleb. Alebrant, cité par Littré.
Al. Alexandre {El libre de), p. p. Janer in-8. Madrid, 1861. V. Poetas cas-
tellanos.
Alix. Alixandre (Li Romans d'), pub. p. H. Michelant. Stuttgard, 1846.
Al. Alexis {La vie de saint), texte du XI' siècle, v. Gaston Paris.
Altfranzœsische Lieder, berechtigt und erlxutert von Ed. Meetmer. Berlin,
1853.
Altfranzœsische Lieder und Leiche v. W. Wackernagel.
Amador de los Rios : Historia critica de la lileratura espanola, 4 vol. in-8.
Madrid, 1861.
Anciens poètes de la France (les) p. sous la direction de M. F. Guessard.
Andeer, P. J. Ueber Ursprungund Geschichte der RhœtoroinanischenSprache.
In-12. Coire, 1862.
A. N. Anthonii Nebrissensis Diccionarium. in-4. 1574.
Ap. Apollonio {El Libre de) p. p. Janer, in-8. Madrid, 1861. V. Poetas cas-
tellanos.
Appendix Probi. V. Grammatici latini.
H. Arc. Archiv. fur das Studium der neueren Spruchen und Literaturen. p.
p. L. Herrig.
Arcipreste de Hita {Poesias del). V. Poetas castellanos.
Ascoli, G. I. Archivio glottologico italiano. I. Saggi ladini, in-8. Roma, 1873.
id. Lezioni di fonologia comparata, in-8. Firenze, 1870.
id. Studji critici, in-8. Milano, 1861.
Barlaam et Josaphat. Franzœsisches Gedicht des Xlllten Jahrhunderts, von
Gui de Cambrai p. p. Herm. Zotenberg und Paul Meyer, in-8. Stutt-
gard, 1864.
B. Chr. Bartsch, k. Chrestomathie de l'ancien français, in-4. Leipz. 1866.
id. Chrestomathie provençale, 1' édit. in-4. Elberf. 1868.
id. Grundriss zur Geschichte der provenzalischeuLiteratur ,
in-8. Elberf. 1872.
Bataille d'Aleschans, v. Chansons de geste du XH" et XIIP siècle.
Baudry, F. Grammaire comparée des langues classiques, in-8. Paris, 1868.
Beauchet-Filleau : Essai sur le patois poitevin, etc., in-8. Melle, 1864.
— XIV —
Berceo : Del sacriflcio de la Missa. V. Poêlas castellanos. v. XV.
B. M. id. MUagros de nuestra senora id.
B. SD. id. San Domingo de Silos id.
B. SM. id. San Millan {Vida de) id.
Bernard, Aug. Geoffroy, Tory, peintre et graveur, in-8. Paris, 1863.
Berte aus grans pies {Li romans de), p. p. Paulin Paris, in-8, 1836.
Bestiaire v. Philippe de Thaon.
Biondelli : Saggio dei dialetti gallico-italiani, in 8. Milano, 1853.
Bibliothèque de l'Ecole des chartes.
Bibliothèque de l'École des Hautes-Etudes.
Blanc, D" L. G. : Grammatik der italienischen Sprache. ln-8, 1844.
Blancandin et l'Orgueilleuse d'amour, p. p. Michelant. In-8, Paris, 1872.
Bodel (Jehan) : Li jus Saint Nicholas, v. Théâtre finançais au Moyen-Age.
id. La Chanson des Saxons, v. Saxons.
B. Boece, p. p. P. Meyer, in-8, Nogent-le-Rotrou, 1872.
Boehmer, Ed. Romanische Studien, in-4. Halle, 1871, 1872.
Bopp. Fr. Vergleichende Grammatik der indergermanischen Sprachen, in-8,
BerJin, 1833.
Bouillii (Car.) Samarobrini liber de differentia vulgarium linguarum et gal-
lici sermonis varietate. Par. Ex off. Rot). Stephani, 1533, in-4.
Brachet : Dictionnaire étymologique de la langue française, in-12, 1868.
Brambach, Wilh : Die Neugestaltung der lateinischen Orthographie, in-8.
Leipz. 184'8.
Brandan {Voyage de Saint). V. Larue, Trouvères.
Bréquigny et Laporte du Theil : Diplomata, in-fol. Paris, 1791.
Bridel (le doyen) : Glossaire des mots du patois de la Suisse romande re-
cueillis et annotes par L. Favrat, in-8, Lausanne, 1866.
Briicke : GrandzUge der Physiologie und Systematik der Sprachlaute, in-8.
Wien, 1856.
Brunetto Latino : Li Livres dou trésor p. p. Chabaille, Paris 1863.
Brut {Roman de) p. p. Le Roux de Lincy. 2 vol. in-8, Rouen 1836. V.Wace.
Burguy : Grammaire de la langue d'oïl et de ses dialectes au XIII* siècle,
3 vol. in-8, 2» édit., 1870.
Cancioneiro d'el rei D. Diniz, p. p. Lopes de Moura, in-8, Paris, 1847.
Canti antichi portoghesi tratti dal codice vaticano 4803 con traduzione e
note a cura di Ernesto Monaci, in-I8. Imola, 1873.
Carisch, 0. Grammatische Lehrmethode der rhœto-r omanischen Sprache, in-
18, Coire 1849.
id. Wœrterbuch der rhœto-romanischen Sprache, in-18, Coire 1852.
G. A. Cartulaire de l'abbaye de Saint Silvain d'Auchy en Artois, p. p. de
Bétencourt, in-4, 1788.
Chansons de gestes des XI" et XIP siècles, publiées pour la première fois
par W. J. A Joncbloet, 2 vol. ln-8, La Haye, 1854.
Charlemagne, an anglo-norman poem of the XlP century, p. p. Fr. Michel,
Oxf. 1848.
Charpentier, N. La parfaite méthode pour entendre, écrire et parler la
langue espagnole, in-18, Paris, 1546.
Chartes {Recueil de) en langue vulgaire. V. Natalis de Wailly.
Cherubini, Fr. Vocabolario mantouan-italienese, in-8, Milano, 1827.
Choix, V. Raynouard.
Chronique des ducs de Normandie p. p. Fr. Michel, 3 v. in-8, Paris, 1836-1844.
— XV —
Chroniques onglo-iiormandes, p. p. Fr. Michel; 3 v. in-8, Paris, 1840.
Coucy (Chansons du Châtelain de) p. p. Fr. Michel, Paris, 1830.
Gihac (A. de) : Dictionnaire d'ëtijmologie daco-romane, in-8, Frankf. 1870.
Clari (Robers de) : Li estoires de chiaus qui conquisent Consiantinoble, in-4.
Cleomades p. Adenes le roi, v. Bartsch, Chreslomathie.
Colleccûo de livras ineditos de historia portuguesa, in-4, Lisboa.
Compoz (Li) Philippe de Thaiin, h. gg. v. Ed. Mail, in-12, Strassb., 1873.
Corblet : Glossaire étymologique et comparatif du patois picard ancien et
moderne, in-8, Paris 1851.
Corssen : Veber Aussprache, Vocalismus und Betonung der lateinischen Sprache,
2« cdit., Leipz. 1868-1870.
Grestiens de Troie : Li conte del Graal.
id. Guillaume d'Angleteire, V. Chroniques normandes.
id. Li romans doit chevalier au Lyon p. p. Holland, in-8,
Hanover, 1862.
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in-fol., Madr. 1610.
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l'agriculture en Normandie, in-8, Evreux, 1851.
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comte, in-8,Valognes, 1861.
Dialogues de Grégoire. V. Edelest. Duméril, Essai philosophique.
Diccionario etymologico v. Monlau.
Dictionnaire d'étymologie daco-romane, v. De Gihac.
Dictionnaire étymologique de la langue française, y. Brachet.
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in-8, Liège, 1850.
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Dictionnaire franco-normand ou recueil de mots patois en dialecte de Quer-
nesey p. p. Métivier, in-8, London, 1870.
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Didot F. Observations sur l'orthographe française, in-8, Paris, 2" édit., 1868.
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1870, 1871, 1872.
— XVI —
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Dinaux, Art. Trouvères, jongleurs et ménestrels du Nord de la France et du
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Discursos leidos en las receptiones publicas que ha celebrado desde 1847 la
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Documents inédits sur l'histoire de France^ in-8, v.
Doergangk, H. Institutiones in linguam Hispanicam, authore Doergangk,
apud Ubios Colon: Agripp: linguarum Hispanicae, Italicse et Gallicœ
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Eilis, Al. On early English pronunciation, 2 vol. in-8, London.
Ensayo de una bibliotheca espanola de libros raros y curiosos, p. D. Bart.
José Gallardo. 2 vol. in-4, Madrid 1863.
Eneas [Essai sur le roman d') p. A. Pey, in-8, Paris, 1856.
Eracles l'Empereor par Gautier d'Arras, h. gg. . v. F. Massmann, in-8,
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Espana sagrada. Teatro geographico-historico de la iglesia de Espaha. in-8,
Madrid, 1754.
Etudes sur la condition de la classe agricole, etc. V. Léop. Delisle.
Eulalie (Cantilène de Sainte). V. F. Diez Altrom. Sprachd.
Fabliaux et contes des poètes français p.p. Méon, Paris, 1808.
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Fauriel (C), Histoire de la croisade contre les hérétiques albigeois, écrite en
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Favre, L. Glossaire du Poitou, de la Saintonge et de l'Aunis, in-8, Niort, 1867.
Flamenca (Le roman de) p. p. Paul Meyer, in-8, Paris, 1865.
Floire et Blanceflors, poèmes du xiii" siècle publ. par Edélestand Dumé-
ril, in-18, Paris, 1856.
Foros de Beja F. B., Foi'os de Garda F. G., Foros de Gravâo F. Gr., Foros
de San Martinho de Mouros F. S M., Foros de Santarem F. S., Foros de
Torres novas'Ç, T., V. Colleccâo.
Foucaud : Poésies en patois limousin, p. p. E. Ruben, in-8, Paris, 1867.
Fragment de Valenciennes. V. La Chanson de Roland, par Génin.
Froissart (Jeh.). Les chroniques de Sire Jehan Froissart p. p. Buchon, in-8,
Paris, 1832.
Génin, F. : La Chanson de Roland, in-8, Paris, 1850.
Gibers de Montreuil : Roman de la Violette ou de Gérard de Nevers p. p.
Fr. Michel, in-8, Paris, 1834.
Girartz de Rossilho, nach der Pariser Handschrift h. gg., v. G. Hoffmann,
Berlin, 1855.
Glossaire du patois normand par Louis Du Bois, p. p. J. Travers, in-8, Caen,
1856.
— XVII —
Glossaire du Poitou, de la Saintonge, etc. V. Favre.
Glossaire du patois poitevin, par l'abbé Lalanne. V, Mém. de la Société des
Antiq. de l'Ouest, XXXII, 1' partie, 1867.
Glossaire du Centre de la France par le comte Jaubert, 2' édit., in-4, Paris,
1864.
Glossaire étymologique et comparatif du patois picard. V. Corblet.
Glossaires romans {Anciens), corrigés et expliqués par Fr. Diez, tr. par A.
Bauer, in-8, Paris, \870. {Bibliothèque de l'Ecole des Hautes- Etudes,
5" fascicule.)
Gœttinger {Gelehrte Anzeigen).
Grammaires provençales de Hugues Faidit et de Raimond Vidal de Besau-
dun, 2* édit., revue p. F. Guessard, in-8, Paris, 1858.
Grammatici Mini, éd. Keil (K), 6 vol. in-8. Lips. 1857-68.
Grammaiici veteres éd. Putsch (P.), 1 vol. in-8.
Grammaticorum latinorum veterum (Corpus) éd. Lindemann, 3 vol. in-8,
1831.
Grégoire le Grand {Vie du pape) p. p. Luzarche, in-18. Tours 186 .
Grimm, J. Deutsche Grammatik, 2 vol. in-8, Berlin, 2* édit., 1869, 1870.
id. Geschichte der deutschen Sprache, 2 vol. in-8, Leipzig, 2" éd. 1853.
G. 0. Guillaume dOrange p. p. W. J. A. Joncbloet, in-8, La Haye, 1854.
V. Chansons de geste.
Guillaume de Poitiers. V. Bartsch, Chrestomathie provençale.
Helmholz, H. Die Lehre vonden Tonempfindungen, in-8. Berlin, 1865.
Herman de Valenciennes, Bible de Sapience. V. Dinaux.
Histoire du château et des sires de Beaumont-le-Vicomte, v. Léop. Delisle.
Histoire littéraire de la France,!. XVIII, — XXIH.
Historiée patrix monumenta, T. X, Codex diplomaticus Sardiniee, in- fol.,
Turin, 1861.
Huon de Bordeaux, chanson de Geste, p. p. MM. F. Guessard et G. Grand-
maison, in-18, Paris, 1860.
Ignaurès {Le lai d') ou du prisonnier par Renaut, p. p. J. J. N. Monmerquè
et Fr. Michel, in-8, Paris, 1832.
Institucion {Util y brève) para aprender los principios y fundamentos de
la lengua Hespanola. Lovanii ex officina Bartholomei Gravii, anno
1551. V. Ensayo de una bibliotheca.
Institutiones v. Doergangk.
Introduction en la langue castillane par le moyen de la française par J.
Saulnier, in-12, Paris, 1608.
Isagoge in linguam gallicam (Sylvius). P. Ex off. Rob. Stephani 1531, in-4.
Isidori Hispaliensis Originum libri, éd. Lindemann.
Jasmin : Las papillotas, 4 v. in-8.
Joinville (Jehan de), Histoire de Saint Louis, p. p. Natalis de Wailly.
J. R. Joan Rois, arcipreste de Hita (Poesias de), p. p. Janer. V. Poetas
castellanos.
Koch : Historische Grammatik der englischen Sprache, 3 vol. in-8, 1863.
Kuhn's Zeitschrift fiir vergleichende Sprache.
Larue (abbé de la) : Bardes et trouvères normands, 3 vol. in-8, Caen, 1824.
Le fléricher. Histoire et glossaire du normand, de l'anglais et de la langue
française, 3 v. in-8, Paris, 1862.
Le Roux de Lincy : Recueil de chants historiques français, 2 vol. in-12,
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— XVlll —
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INTRODUCTION
Une double méthode se présente pour étudier les transforma-
tions du c latin; la méthode historique ou à posteriori qui consiste
à en suivre, à l'aide de documents contemporains, les modifications
diverses dans les dififérentes langues romanes ; la méthode phoné-
tique qui en recherche à priori les changements possibles ; on
comprend d'ailleurs que ces deux méthodes ne puissent se séparer
et qu'elles doivent nécessairement se compléter l'une l'autre. De
ce qu'une modification est possible, il ne s'ensuit pas, en efiet,
qu'elle se soit produite, et nous verrons que chaque langue
romane a traité le c latin d'une manière particulière; il faut
donc que les renseignements historiques viennent ici au secours
de la théorie ; mais, d'un autre côté, il ne nous est pas permis,
faute de documents, de suivre toujours depuis leur origine les
transformations successives du c ; si donc nous n'appelions à
notre aide la phonétique, il nous serait difficile souvent d'expli-
quer celles que nous rencontrons et plus encore d'en déterminer
l'ordre et la marche progressive. Aussi m'efForcerai-je toujours
dans ce travail de faire marcher de front les renseignements
historiques et l'explication physiologique des sons.
Mais avant d'aborder le sujet que je me suis proposé de traiter,
une double question se présente : comment d'abord les sons, et
en particulier les sons de consonnes, puisque c'est d'une con-
sonne qu'il s'agit ici, peuvent-ils se transformer et se substituer
les uns aux autres? j'y répondrai en faisant la théorie de
l'alphabet indo-européen. Quel était — et c'est la seconde ques-
tion à examiner — le rôle et la valeur du c au moment de la
formation des langues romanes ? cela m'amènera naturellement
à faire l'histoire des gutturales latines. Commençons par la
théorie de l'alphabet.
— 2 —
L ALPHABET INDO-EUROPEEN \
« La voix est un son que l'homme et certains animaux font
entendre en chassant l'air de leurs poumons à travers la glotte ^. />
Mais il ne suffit pas que l'air soit chassé du poumon pour qu'il
y ait phonation ; il faut encore que les lèvres de la glotte soient
suffisamment rapprochées pour lui imprimer les vibrations sans
lesquelles il ne peut y avoir production du son ; dans ce phéno-
mène la glotte joue le rôle d'une anche, la bouche celui de réson-
nateur. Telles sont les conditions essentielles à la formation de
la voix ; mais pour qu'elle se change en parole, — laquelle n'est
autre que la voix articulée, — quelque chose de plus est néces-
saire ; il faut que les harmoniques produites par la glotte soient
modifiées, amplifiées ou étouffées d'une certaine manière par le
résonnateur, c'est-à-dire par la bouche '^ ; c'est, en effet, des
diverses positions que peuvent occuper les unes par rapport aux
autres les différentes parties qui la composent, langue, dents,
lèvres, palais dur ou mou, voile du palais, des contractions ou
des dilatations qu'elles éprouvent que dépend la nature des
différents sons élémentaires, voyelles ou consonnes, qui consti-
tuent la parole humaine.
Voyelles. — Si, tandis que l'air est chassé du poumon, la
glotte étant d'ailleurs rétrécie de manière à ce que les cordes
vocales entrent en vibration, nous arrondissons les lèvres en les
avançant et abaissons la langue et le larynx de manière à ce
que la cavité buccale, servant de résonnateur, soit aussi allongée
que possible, nous faisons entendre le son u (ou); si, au con-
1. Il ne s'agit pas naturellement ici de l'alphabet aryen ou indo-euro-
péen primitif, mais bien d'un alphabet renfermant toutes les lettres
communes aux langues de la famille indo-européenne.
2. Longet, Traité de physiologie, II, 708. On trouve résumés dans ce
livre la plupart des travaux et des découvertes de la science moderne
sur la théorie de la voix; malheureusement l'auteur n'a point connu le
mémoire de Brûcke « Grundzùge der Physiologie und Systematik der
Sprachlaute », aussi son ouvrage exact et précieux pour la partie anato-
mique est fort médiocre, au contraire, pour la partie phonétique.
3. Helmholz. Die Lehre der Tonempf.
4. Brûcke, Grundziige, p. 17 et suiv. Max Mûller, Nouv. leçons sur la
science du langage. Trad. ], 147.
— 3 —
traire, tout en relevant à la fois le larynx et ouvrant les lèvres,
ce qui donne à la cavité buccale la moindre longueur possible,
nous appliquons les deux bords de la langue contre le palais, de
manière à ne laisser qu'un espace étroit en son milieu pour le
passage de l'air, nous faisons entendre le son i. Relève-t-on le
larynx, moins toutefois que pour prononcer i, et laisse-t-on à la
langue sa position naturelle, tout en ouvrant légèrement les
lèvres, le son que Ton fait entendre alors en chassant l'air du
poumon au dehors est celui de a. A des positions intermédiaires
des organes de la voix correspondent les sons o, e et toutes les
autres variétés de voyelles ; mais ce qui précède suffit pour faire
comprendre ce que j'aurai à en dire plus tard.
Aspiration. — Dans la production des voyelles la cavité
buccale, par les différentes formes qu'elle affecte, joue un rôle
prédominant ; ce sont, en effet, les modifications qu'y reçoivent
les ondes sonores mises en vibration dans leur passage à travers
la glotte qui en déterminent la nature et la formation ; mais il
peut se faire que l'air soit chassé au dehors sans éprouver de
résonnance à l'intérieur de la bouche ; dans ce cas encore il peut
arriver de deux choses l'une, ou, la glotte étant toute grande
ouverte, l'air est expulsé saiis qu'on entende autre chose que le
bruit de l'expiration, ou, les lèvres de la glotte étant suffisamment
rapprochées, on entend ce son particulier qui caractérise Vaspi-
ration, l'esprit rude des Grecs, Y h allemand ou anglais^. Il faut
en distinguer l'aspiration plus faible, dont peut être accompagnée
une voyelle initiale, et qu'on produit en ouvrant brusquement la
glotte, sans que les cordes vocales entrent en vibration, c'est
l'esprit doux des Grecs, Vh de l'alphabet roman et peut-être aussi
celui de l'alphabet latin.
Consonnes. — Dans la production des voyelles, à plus forte
raison dans celle du son h, pour lequel les organes vocaux
restent dans leur position normale, le passage à l'air chassé du
poumon peut être plus ou moins rétréci; il n'est ni entravé
d'une manière continue, ni fermé momentanément d'une manière
complète; mais au lieu de laisser ainsi s'échapper librement l'air
chassé du poumon, nous pouvons l'arrêter à son passage, en lui
faisant un instant obstacle soit à l'aide de la langue et du palais.
1. Brûcke. id. 7. — Joli. Czermak. Sitzungsb. der hais. Akad. der Wiss.
1865. Contrairement à cette manière de voir, 0. \\o\ï {Sprache iind Ohr
40) fait de h une consonne accompagnée du son de la voyelle o; théorie
qui me paraît complètement inadmissible.
— 4 —
soit à l'aide des lèvres ; ou bien encore nous pouvons rapprocher
ces organes de manière non plus à former un obstacle complet à
l'air expulsé du poumon, mais à le forcer à passer lentement à
travers l'espace resserré qu'ils laissent entre eux, en produisant
un frottement continu contre leurs parois ; dans l'un et l'autre
cas, le son ainsi produit est un son de consonne, et l'on voit
que ce qui constitue la différence entre les consonnes et les
voyelles, c'est que dans la production de ces dernières il n'y a
ni obstacle formé au passage de l'air, ni espace resserré qu'il
doive traverser, tandis que pour la production des premières
l'une de ces conditions est nécessaire.
Le double mode de formation que je viens d'assigner aux
consonnes les divise d'abord en deux classes, les explosives
et les continues ou spirantes ^ ; il montre en même temps
qu'elles diffèrent entre elles par la nature du son, non par
la nature de l'organe qui concourt à leur formation, puisque ce
sont les mêmes organes, seulement disposés d'une manière un
peu différente, dont on se sert pour les produire. Une condition
est d'ailleurs encore nécessaire à la production de chacune d'elles,
c'est que le passage à l'air à travers les fosses nasales soit
fermé par le voile du palais ; quand il reste ouvert, au lieu de
l'explosive ou de la spirante ordinaire, on fait entendre la réson-
nante ou nasale correspondante. Il peut se faire aussi que, le
passage étant fermé à l'air par le voile du palais, une partie de
la cavité buccale soit disposée de manière à entrer en vibration
au moment de son passage ; alors se produit le son trémulant
de l'r. Telles sont les quatre grandes divisions entre lesquelles
Brùcke a réparti les consonnes; à la seconde, il faut encore
rattacher les variétés du son l, qui ne diffèrent des spirantes
ordinaires qu'en ce que l'espace étroit que doit traverser l'air
au lieu d'être formé au milieu de la cavité buccale, est formé de
chaque côté, entre les bords de la langue et les molaires ^.
Les explosives et les spirantes peuvent d'ailleurs se diviser
elles-mêmes en deux classes ; on peut, en effet, produire cha-
cune d'elles en laissant la glotte à peu près grande ouverte, alors
on a l'explosive ou la spirante qu'on pourrait appeler fondamen-
tale ou élémentaire, ou bien on peut rétrécir la glotte au moment
où l'air est aspiré, et, alors — fait constaté déjà par les auteurs
des Prâtiçâkhyas^ — en frottant contre les cordes vocales, il les
1. Reibungsgerœusche de Brùcke. — 2. Brûcke, ici. 30.
3. « Ce sont là les natures des lettres : — l'expiration (est la nature)
fait résonner; dans ce cas, au lieu de faire entendre l'explosive
ou spirante fondamentale, on fait entendre un son plus faible,
dérivé du premier, la sonore, moyenyie ou douce correspon-
dante ; par opposition on appelle la première sourde, tenue ou
forte *. Ces considérations générales étant établies, essayons de
préciser la nature de chacune des diverses espèces de consonnes.
Gutturales ^. — Si, après avoir appliqué la partie moyenne
ou postérieure de la langue contre la partie postérieure du
palais, et fermé à l'aide du voile du palais tout passage à travers
les fosses nasales, nous chassons l'air du poumon en interrom-
pant brusquement l'obstacle ainsi formé à sa libre sortie, nous
faisons entendre le son sourd k.
Or le contact de la langue peut avoir lieu au-delà du palais dur,
contre le palais mou et près le voile du palais, c'est ce qui arrive
le plus souvent quand au son k nous joignons une des voyelles
a, 0, u, ou bien le contact a lieu en deçà du palais mou, contre
le palais dur, c'est ce qui arrive ordinairement quand le son k
doit être suivi d'une des voyelles e, i ; dans le premier cas on
fait entendre ce que Briicke appelle k vélaire om postérieur ,
c'est le son du c français dans le mot car ou de qu dans qualité ;
je le désignerai par k ; dans le second cas, l'on fait entendre ce
que Briicke appelle k palatal ou antérieur, — le ^ latninaire de
Bœhmer ^, — c'est à peu près le son de qu français dans quel et
du k allemand dans Kind, prononcé surtout par un Allemand du
Nord; ce devait être aussi, d'après la description des Pràtiçà-
khyas, celui de /j palatal de l'ancien sanscrit, qu'on prononce
ordinairement tch. Je le désignerai par k^ *.
des sourdes; — le son (celle) des autres. » Traduction d'Ad. Régnier,
Études védiques, p. 6.
1. Briicke, id. 33, 45.— G- Gottfr. Weiss, AUg. Stimmhildwigslehre, cité
par 0. Wolf, Sprache und Ohr, 13.
2. Il n'y a point — le ft indo-européen et quelques autres lettres
sémitiques exceptées, — à vrai dire, de gutturales, puisque le larynx ou
gosier concourt également à la production de toutes les lettres, et no
concourt exclusivement à la production d'aucune d'elles; mais en
attendant qu'on ait trouvé une dénomination universellement acceptée
pour les sons k et g, je me servirai au besoin, pour les désigner, de l'an-
cien nom de gutturales.
3. Bœhmer, Romanische Studien, I, 298.
4. Ces deux sons sont d'ailleurs essentiellement primitifs et se ren-
contrent également, seulement plus ou moins purs, dans toutes les
langues indo-européennes. Ainsi cA dans l'italien chiaro est un k. palatal
formé le plus en avant possible du palais mou, qu dans le français qui
est un k palatal formé vers la limite du palais dur et mou ; le h de
— 6 —
A chaque espèce de h, c'est-à-dire à la sourde vélaire et pala-
tale, correspond une forme particulière du g, c'est-à-dire une
sonore vélaire et palatale. On les obtient d'ailleurs en donnant
aux organes de la voix la même position que pour la production
des sons h, en rétrécissant seulement, au moment du passage de
l'air, l'ouverture de la glotte de manière à faire résonner les
cordes vocales. Le g vélaire est le son du g français dans le mot
garçon ; je le désignerai par la lettre g; le g palatal est le son
du gu français dans guirlande ou du g allemand dans gdhneUy
prononcé surtout par un Allemand du Nord ; c'était aussi proba-
blement celui du g palatal sanscrit, qu'on prononce aujourd'hui
dj ; je le désignerai par g^. J'ajouterai que tout dérivé du k
qu'il paraisse être et qu'il est en réalité, le g n'est pas dans le fait
un son moins primitif, et que, comme lui, il se retrouve dans
toutes les langues indo-européennes.
Dentales. — Quand au lieu de former le contact, nécessaire
à la production des explosives avec la partie postérieure de la
langue et la partie postérieure du palais, on applique la partie
antérieure de la première contre le palais et les dents, le passage
à la sortie de l'air à travers les fosses nasales étant d'ailleurs
fermé, au lieu du son k on fait entendre le son t. Le contact peut
avoir lieu d'ailleurs de diverses manières, et il en résulte natu-
rellement autant d'espèces différentes de t. Si, par exemple, en
même temps que les côtés de la langue s'appuient contre les
molaires supérieures, la pointe vient s'appliquer contre les
gencives, on produit le t alvéolaire ; c'est le t ordinaire des
langues romanes et germaniques, tel qu'on l'entend dans le
français tant et l'allemand Taube , le ^ ^ de Briicke ; je le
désignerai par la lettre t. Au lieu d'aUer s'appliquer contre les
gencives, la pointe de la langue se relève-t-elle, au contraire,
pour frapper en sa partie la plus élevée la voûte du palais, on a
le t cérébral ou cacuminal du sanscrit^ le ^ ^ de Briicke ; je le
désignerai par t. Tandis que la partie antérieure de la langue va
s'écraser contre la partie antérieure du palais, la pointe peut
encore s'abaisser vers les incisives inférieures, dans cette position
se produit le t dorsal du tchèque, le ^ ^ de Briicke ; comme il ne
se rencontre point dans les langues romanes, je ne lui donnerai
aucune désignation particulière. Enfin, si la langue forme avec
rallemand wickeln est intermédiaire à l'un et à l'autre. De même le k
de l'allemand stock se forme à la limite antérieure du palais dur, le k
de cappa à la limite postérieure.
__ 7 —
les dents seules Tobstacle destiné à arrêter l'air chassé des
poumons, on fait entendre le t dental proprement dit, souvent
confondu avec le t alvéolaire et formé à sa place, c'est le i ^ de
Briicke; je le désignerai simplement par t, comme le t alvéolaire.
A chacune des variétés du t correspond une espèce particulière
de d : \e d alvéolaire, d; le d cérébral, d, du sanscrit; le d
dorsal ; enfin le d dental proprement dit, c'est le d^, <i^, c?•^
d'^ de Briicke ^ .
Labiales. — L'obstacle destiné à arrêter l'air à sa sortie
du poumon, au lieu d'être formé par la langue et le palais, peut
l'être par les lèvres ; si, alors, le voile du palais fermant toute
communication entre le larynx et les fosses nasales, l'air est
chassé à travers la glotte entr'ouverte, on produit, en ouvrant
les lèvres, le son J9. Fait-on vibrer, en rétrécissant l'ouverture
de la glotte, les cordes vocales au moment de la production du
son, on a, au lieu de la sourde jo, la sonore correspondante b.'^
Aspirées. — Quand, au lieu d'interrompre brusquement
l'obstacle formé par la langue, les dents ou les lèvres et destiné
à arrêter l'air au moment où celui-ci est chassé au dehors, on
laisse l'haleine traverser librement et pendant quelque temps la
glotte restée ouverte, avant que le son ait cessé d'être entendu,
à la place d'une explosive ordinaire, on produit une aspirée^.
L'aspirée est donc comme l'addition d'un h au son primordial de
la lettre correspondante, et elle doit nécessairement se produire
toutes les fois qu'on cherche à prolonger le son d'une tenue ou
d'une sonore en faisant afïluer l'air du poumon en plus grande
quantité ou pendant un temps plus considéi'able ; c'est donc le
résultat ou d'une liabitude prise ou d'une conformation orga-
nique particulière. Aussi rien de variable comme les aspirées des
idiomes indo-européens. La langue aryenne primitive ne possé-
dait que l'aspirée de g, d, b : gh, dh, bh, c'est-à-dire des trois
sonores fondamentales ; le sanscrit, — pour ne parler ni des
palatales, ni des linguales, — avait, outre l'aspiration des
sonores, les aspirées des trois muettes k, t ei p : kh, th et ph ;
le grec n'avait que ces dernières comme l'ancien irlandais, tandis
que le latin, comme le lithuanien, les avait toutes perdues '^
Nous avons vu qu'à chaque ordre d'explosives correspondent
1. Brucke, id. 36.
2. Brucke, id. 32.
3. Brucke, id. 57.
4. Sclileicher, Compendium der vergleichenden Gram., 10, 14, 54, 79, 113,
133.
— 8 —
diverses espèces de sons continus, qui en dérivent plus ou moins
directement ; ce sont eux maintenant qu'il nous faut étudier. Je
commencerai par les spirantes.
Spirantes. — EUes sont, comme les explosives, de trois
espèces : gutturales, dentales et labiales.
1° Quand, au lieu de former complètement l'obstacle comme
pour produire le k vélaire, on laisse un passage étroit à l'air,
de manière qu'il glisse au-dessus de la langue et vienne frap-
per le palais mou, on fait entendre le son du ch allemand après
a, 0, u, comme dans ach, Loch, ou du x des Grecs modernes
dans les mots où il est suivi de l'une de ces voyelles, par exemple
dans '/cpoç; je le désignerai par ■/. Si la langue a pris, sans
former entièrement l'obstacle nécessaire à la production du k
palatal, la position qu'elle occupe quand ce son se fait entendre,
on a alors celui du ch allemand après ou avants, i, comme dans
ich, Sichel, ou du -/ moderne dans les mots où il est suivi de
l'une de ces vojelles, par exemple dans Z£''p; je le désignerai par y i .
Quand on rétrécit la glotte en faisant vibrer les cordes vocales
au moment où on produirait le son y, au lieu de ce son on fait
entendre celui du g, tel qu'on le prononce en bas-aUemand, par
exemple dans lag (Luge), ou encore un son analogue à celui du
V des Grecs modernes suivi de a, o, w, comme dans Ywvta ; je
désignerai pour cela par v cette spirante du g vélaire. Fait-on,
au contraire, résonner les cordes vocales au moment où les
organes de la voix sont disposés pour produire la spirante Xp
on fait entendre le son i consonne ou y, tel qu'on les prononce
dans l'allemand Jahr, l'anglais yacht, le français yeux; je
désignerai par y cette spirante du g palatale
2" Si on place la langue dans la position nécessaire pour
former le son du t, mais sans fermer complètement le passage à
l'air et en lui permettant, au contraire, de glisser entre la langue
et le palais, de manière à venir frapper les dents, au lieu du son
t on fait entendre celui de la spirante correspondante. Quand la
langue est dans la position où se produit le t alvéolaire, c'est-à-
dire quand la pointe est appliquée contre les gencives, on a un son
approchant de notre s dur pour lequel il est souvent employé,
peut-être l'i sanscrit, rangé par les grammairiens dans la série
des dentales ; quand, au contraire, elle se relève vers la partie
la plus élevée du palais dans la position où se produit le t cacu-
minal, on a ce qui dut être le s cérébral de l'ancien sanscrit,
1. Brucke, id. 47. Max Mûller, id. I, 163.
— 9 —
'prononcé aujourd'hui ch ou sh. La met-on dans la position où
se forme le t dorsal, ono^le s (ç) dur, du français et de l'alle-
mand, comme dans sage, leçon, liesz, dasz. Enfin, quand la
langue vient s'appuyer entre les dents, de manière à laisser un
passage étroit à l'air chassé du poumon, on fait entendre le
son 0 du grec moderne ou le th dur des Anglais, spirante du t
dental proprement dit, par exemple Géoç, that.
Si, au moment de produire ces quatre sons, on fait, en rétré-
cissant l'ouverture de la glotte, résonner les cordes vocales, on
obtient les spirantes sonores correspondantes aux quatre espèces
de d. La première est, comme la sourde correspondante, souvent
employée à la place de la troisième ; la seconde, sur laquelle je
reviendrai, paraît être le z du zend ; la troisième est notre s
doux, comme dans /^ose, ou notre ^, comme dans zèle, ou
encore Vs initial ou médial des Allemands, tel que Sohn, lesen ;
la spirante sonore correspondante à la quatrième espèce de d
est le th doux anglais, le S des Grecs modernes, comme dans
other, Atoç ^
3® Quand on forme l'obstacle destiné à arrêter l'air non avec
la langue et le palais, mais avec les lèvres, on produit alors une
labiale, et si la fermeture n'a point heu complètement, la spirante
correspondante ; or, pour la produire, on peut ou rapprocher les
incisives supérieures des lèvres inférieures , ou rapprocher
simplement les deux lèvres l'une de l'autre ; dans les deux cas,
on fait entendre la spirante de ^, f, mais plus forte dans le
premier cas, comme dans Vater, façon, plus douce dans le
second, comme dans sauf, vif Si, en voulant prononcer le
premier f, — le f^ de Briicke, — on fait résonner les cordes
vocales, on fait entendre le son v — le t« ^ de Briicke — des mots
va, voix ; je le représenterai par v ; si on fait résonner la voix,
au contraire, en essayant de prononcer la seconde espèce de f
— le f^ de Briicke — on produit le son ûi, iie — le w^ de
Briicke — tel qu'on l'entend en allemand dans le mot Quelle,
en français dans écuelle, en anglais dans wind ; je le représen-
terai par ly.^
Liquides. — Les quatre espèces de spirantes correspondant
aux quatre espèces de t ne sont pas les seules qu'on puisse
dériver de ce son; si on forme, comme pour produire cette lettre,
un obstacle en avant de la bouche tout en ménageant de chaque
côté des dernières molaires un passage à l'air, de manière que
1. Brûcke, id. 30. Max Mùller, id. \, 165, 167.
■2. Brûcke, id. 34.
— 10 —
l'onde sonore, se partageant au contact de la langue, s'écoule
par cette double ouverture le long des parois intérieures de la
mâchoire, nous faisons entendre les quatre sons de l sourd,
correspondant aux quatre espèces de t ; si on fait en même temps
résonner les cordes vocales, on a les quatre espèces de l sonore,
correspondant aux quatre variétés du d. Les quatre espèces de
/ sourd, que Briicke désigne par les lettres \^, a ~, a 3, X^, ont
été signalées par J. Millier en allemand, par Purkine en polo-
nais. Des quatre variétés de l sonores, la première est le l ordi-
naire, le l alvéolaù'e (l) des Romans, qu'on entend en français
dans les mots /«rpm, loge; la seconde (l) est probablement le
Ira du dialecte du Vèdas, parfois aussi, à ce qu'il semble, le l
barré (l) des Polonais ; la troisième variété est l mouillé, c'est-
à-dire, d'après Chladni, le l suivi d'un i intermédiaire entre i
ordinaire eij; ainsi àSiUs paglia, paille, llano; je le désignerai
par II. Enfin la quatrième espèce de / ou ^ dental est celui qu'on
produit quand on parle à voix basse ; il ne diffère pas essentielle-
ment de 1'^ alvéolaire, et est souvent confondu avec lui. C'est à
lui ou au premier que se rapporte, d'après Briicke, le l de
l'alphabet sanscrite
Trémulantes. — Nous avons vu comment on produit les
trémulantes ou les sons de r ; il faut néanmoins préciser davan-
tage le mode de production de chacun d'eux.
1° Si on place la langue dans la position où se produit la spi-
rante vélaire, mais en formant en son milieu, à la place où
s'applique la luette, un sillon profond, de manière à ce que cette
dernière entre en vibration lors du passage de l'air, on produit
le son de Yr guttural ou uvulaire sourd (r), et en faisant
résonner les cordes vocales l'r sonore correspondant, Yr uvulaire
du provençal^.
2° Si on place la langue dans sa position habituelle en en
relevant seulement l'extrémité et les bords antérieurs vers les
alvéoles des dents supérieures, mais sans former un obstacle
complet au passage de l'air, comme pour la production du t, ni
d'espace étroit, comme quand on veut faire entendre la spirante
s, l'air chassé du poumon, en frappant la partie ainsi relevée
de la langue, lui imprime un mouvement vibratoire, et produit,
alors, si les cordes vocales résonnent en même temps, le son de l'r
ordinaire des langues romanes et germaniques, sans doute aussi
Yr du sanscrit, quoique ce dernier fût rangé parmi les cérébrales,
et que notre r commun soit véritablement alvéolaire ^.
1. Briicke, id. 40. — 2. Brûcke, id. 49. — 3. Briicke, id. 42.
— u —
Il n'y a pas, à vrai dire, de r labial dans les langues indo-
européennes ; aussi, sans m'arrêter à le décrire, j'arrive aux
résonnantes*.
Résonnantes . — Nous avons vu que les organes qui servent
à produire les résonnantes sont ceux-là mêmes qui forment les
explosives ; on comprend donc qu'à chaque espèce de ces der-
nières corresponde une espèce particulière de résonnante.
1° Forme-t-on, par exemple, l'obstacle nécessaire à la pro-
duction de la vélaire g et de la palatale ^ p en abaissant, au
moment de l'expiration , le voile du palais pour laisser un
passage libre à l'air à travers les fosses nasales, on fait entendre
dans le premier cas le son de n suivi de g et précédé de a, o ou
u, comme en allemand dans Schwang , Wange, c'est Yn
guttural ou vélaire (ng ou h) ; dans le second cas on produit l'n
palatal (ng^^ ou n J, qu'on entend également devant g, mais après
e ou i, comme dans Engel, Klingel'^.
2° Quand on forme l'obstacle au passage de l'air, comme pour
la production des difïérentes espèces de d, on obtient les quatre
espèces de n correspondantes : Vn alvéolaire, notre n ordinaire
qu'on entend dans nom, probablement aussi Vn dental du sans-
crit ; Vn cérébral de ce même idiome ; Vn mouillé, c'est-à-dire,
d'après Brïicke, le son de n ordinaire suivi de J, comme dans
campagne, Espaîïa, je le désignerai par n; enfin Vn dental
confondu parfois dans la prononciation avec Vn alvéolaire, et
que je désigne par n comme ce dernier^.
3" Quand on ferme les lèvres, comme pour produire le h,
et qu'au lieu de laisser sortir l'air chassé du poumon par la
bouche, on le force à traverser les fosses nasales, on fait entendre
le son m, c'est-à-dire la résonnante des labiales ^.
1. Voir à ce sujet Briicke, id. 35. '
2. Brûcke, id. 50.
3. Brùcke, id. 42.
4. Briicke, id. 35. — J'ai suivi dans ce qui précède presque exclusive-
ment la classification de Briicke, la meilleure, sinon la seule qui per-
mette de se rendre compte des transformations des consonnes. 0. Wolf
{Spr. u. Ohr) en a proposé une autre : il divise les consonnes simples —
pour ne parler que de celles-là — en consonnes indépendantes de tout
son de voyelle (selbstœnende) et en consonnes proprement dites, c'est-à-
dire qui sont accompagnées d'un son de voyelle (tonborgende). Les pre-
mières comprennent 1° la série R (r et x). 2° la série B {b etp), 3° la série
K (A: et g), 4° la série T {t et d), 5° la série F (f et v), 6° le son S, 7° la
série G (g, et y..)- — Les consonnes proprement dites sont 1° H, 2° L, 3* M
et 4° N. On voit quelles lacunes et quels inconvénients présente cette
classification; on y cherche en vain k, et le jot; la quadruple série des
— ^2 —
Transformation des sons. — On voit par ce qui précède com-
ment les spirantes, les trémulantes et les résonnantes dérivent des
explosives, et l'on comprend facilement comment l'une quelconque
de ces dernières peut en se modifiant se changer en la spirante
correspondante, parfois même en la résonnante de même espèce ;
c'est là, avec l'affaiblissement des sourdes en sonores, un change-
ment que dans toute modification importante d'une langue quelcon-
que, les consonnes doivent presque fatalement éprouver ; mais il
en est d'autres qui peuvent encore se produire. La théorie même
de la formation des différentes espèces de consonnes, explosives,
spirantes, trémulantes et résonnantes gutturales, dentales ou
labiales, montre que pour passer d'une espèce à l'autre^ il suffit
de déplacer l'obstacle destiné à arrêter l'air, ou bien l'espace
étroit qu'il doit traverser, à sa sortie du poumon ; on comprend
dès lors que les diverses consonnes puissent d'autant plus facile-
ment se substituer les unes aux autres que cet obstacle est formé
par les mêmes organes et se fait vers le même point ; c'est ce qui
a lieu en particulier pour les gutturales palatales et pour les
dentales, surtout les dentales dorsales et cacuminales ; pour peu
qu'on recule, en effet, l'obstacle formé dans la production des
dentales, il a lieu à l'endroit où on le forme dans la production
des palatales, et alors, au lieu de faire entendre un t ou un d, on
fait entendre leson^^ ou ^; réciproquement si on avance la langue,
quand on veut former ce dernier son, au-delà de l'endroit où
doit se faire l'obstacle destiné à arrêter l'air, au lieu d'un k ou
d'un g on produit le son t ou d. Nous avons tous entendu pronon-
cer amiquié pour amitié^ quien pour tien, gueu pour Dieu.
On trouve dans toutes les langues des exemples de confusion
analogues*; elles en offrent même, comme nous verrons, de la
substitution des labiales en gutturales, changement bien autre-
ment surprenant en apparence.
Composition et décomposition des sons. — De même qu'il
s'explique sans peine qu'un son puisse être formé à la place d'un
autre, de même il peut arriver que deux sons de consonnes voisines
dentales est réduite à une, ainsi que celle de S; enfin des sons qui ont
la plus grande affinité entre eux se trouvent séparés; c'est ce qui a lieu
en particulier pour g et g,, et pour toutes les spirantes par rapport aux
explosives de même ordre.
1. « Dans les langues des îles Sandwich k et t se confondent tellement
qu'il est impossible à un étranger de dire si ce qu'il entend est un son
guttural ou un son dental. Le même mot est écrit souvent avec un k
par les missionnaires protestants et avec un t par les missionnaires
catholiques. » M. Millier, id. I, 211.
— <3 —
s'unissent et se confondent, et forment ce que Max-MûUer a
appelé d'une expression ingénieuse une consonne diplithongue.
Si par exemple, tandis qu'on produit la spirante gutturale -/, on
recourbe la partie antérieure de la langue de manière à ce
qu'elle occupe la place correspondante à 1'^ alvéolaire, on fera
entendre le son s/, composé, comme on voit, du son y et de la
spirante dentale 5, c'est celui du sch, tel qu'on le prononce dans
certaines parties de l'Allemagne, en particulier en Westphalie;
est-ce là aussi le son du ch français et du sh anglais? Briicke
l'affirme ^ de même qu'il ne fait point de différence dans la
prononciation du sch allemand, et qu'à quelque région qu'il
appartienne, il le considère toujours comme égal à 5 + / ; mais ceci
a été contesté, et Fr. von Raumer en particulier ne voit dans ce
son que la spirante du t cérébral ou lingual, le s (notation de
Bopp), s (notation de Schleicher) de l'alphabet sanscrit et zend,
par conséquent une lettre simple^. Je ne me prononcerai pas
entre ces deux opinions qui pourraient bien être toutes deux
vraies. Si on remarque que le plus souvent sch ou sh dans les
langues germaniques, et souvent aussi ch dans les langues
romanes, est le résultat de la transformation du groupe se, on
comprend qu'à l'origine ce son ait pu être composé, comme il
l'est encore dans le dialecte westphalien ; mais l'est-il toujours
resté? et l'est-il encore quand il n'est, comme cela a lieu en
particulier dans quelques patois provençaux, qu'une modification
de 1'^ alvéolaire ou dorsale? Je ne le crois pas, et on peut
admettre que ce son est alors simple. Quoi qu'il en soit, à l'occa-
sion je lui donnerai le nom de chuintante, nom dont l'insigni-
fiance a l'avantage de ne pas en préjuger la nature, et je le
représenterai avec von Raumer et Schleicher, comme il l'est
parfois d'ailleurs dans les langues slaves, où il apparaît fré-
quemment,— par ex. nolti, v. bulg. (lat. noctem), — par le signe s
(le sz de l'alphabet polonais) . La sonore correspondante à l est
moins fréquente que ce son ; on ne la retrouve ni dans le sanscrit
ni dans les langues germaniques, qui possèdent celui-ci, mais elle
existe dans les autres; c'est le y du français actuel; par ex, dans
joie, le z des langues slaves et du zend ; par ex. dans le polonais
zona (épouse), et le zend znu (sansc. ganu, lat. genu). Briicke,
considérant ce son comme composé, le représente par zy, c'est-
à-dire par z ei y sonores de 5/, je le désignerai par 2, comme
1. Brùcke, id., p. 64.
2. Rud. V. Raumer, Sxmmtl. sprachw. Schriften. p. 22. — Dernièrement,
au contraire, 0. Wolf (Spr. u. Ohr, 32) a admis de nouveau que l était
un son composé.
— u —
il l'est par les grammairiens tchèques, et lui donnerai, ainsi
qu'à s, le nom de chuintante.
c et g. — On peut disputer sur la nature de s (ch), et de z (j),
on ne peut pas ne pas admettre que tch et dj ne soient des sons
composés, et l'on voit qu'ils sont formés, le premier de t et de s,
le second des sonores correspondantes cl et z. Pour le produire,
il faut donc former d'abord l'obstacle nécessaire à l'interruption
du passage de l'air, comme pour former le t ou h d dorsal,
puis donner à la langue, au moment même où cet obstacle est
supprimé, la position qu'elle doit prendre pour la production de ^
ou de z. Au reste ces sons sont très-communs : tch se rencontre
dans presque toutes les langues indo-européennes ; c'est celui
qu'on donne généralement en Europe au k palatal du sans-
crit^ ; c'est celui aussi du ch anglais ou espagnol; par ex. dans
church, chaza, du c italien suivi de e ou de i, comme dans
città, enfin du c des langues slaves {cz poL), par ex. ocese, gén.
sing. du slavon oko (oculus). C'est de ce signe c que je me
servirai ordinairement pour représenter le son composé tch.
Quant à dj, c'est-à-dire à la sonore correspondante à tch, on la
rencontre, comme lui, dans la plupart des langues indo-euro-
péennes ; c'est le son qu'on donne actuellement au g palatal sans-
crit; c'est aussi celui àuj anglais; par ex. àans Joy, du p^ italien
suivi de e ou de i comme dans gemere. Je la désignerai par g.
Ts et dz . — Si après avoir formé l'obstacle comme pour trans-
former le t alvéolaire, on donne, au moment où cet obstacle est
supprimé, à la langue la position qu'elle doit prendre pour la
production de s dorsal, on fait entendre le son composé ts. Ce
son est celui du c des langues slaves, par ex. dans zlatica, v.'
tch. (pièce d'or), du z allemand dans Zeit et du z dur italien,
comme dans razza (race), etc. Si au moment où on donne aux
organes de la voix la position nécessaire pour produire le son ts
on fait vibrer les cordes vocales, on obtient la sonore corres-
pondante dz; c'est le son du Ç grec dans i^u^év, du z italien
dans razza (raie) .
Les sons composés que nous venons d'étudier sont — la plupart
du moins — d'origine relativement récente, et dans les langues
où nous les rencontrons ils tiennent le plus souvent la place de
sons primitivement simples; c'est ainsi que le son composé tch
du c de l'italien città représente le son simple du c palatal du
latin civitatem, de même le son composé dj du g de l'italien
gemere s'est substitué au son simple du g du latin gemere, le
1. Les Hindous lui donnent encore un son qui se rapproche de Uj.
— ^5 —
n composé ts du z de cymbello remplace le c simple et palatal
cymhalum. Ainsi un son simple peut, en se transformant,
donner naissance à un son composé, mais le contraire, on le
comprend facilement, peut également arriver, c'est-à-dire qu'un
son composé peut, par une série de dégradations, se réduire à un
son simple ; mais dans ce cas le son simple dérivé est toujours
d'un ordre différent du son simple primitif, d'où il est sorti par
l'intermédiaire du son composé. Ainsi le son ts du c dé l'ancien
français, dégradation probable déjà du son tch du c latin, est, en
se modifiant, devenu s, consonne simple de l'ordre des dentales,
tandis que le c latin, d'où il est sorti, en passant par les sons
composés tch, ts intermédiaires, était aussi une consonne simple,
mais de l'ordre des gutturales. On voit d'ailleurs facilement
comment la langue a pu passer d'un son composé à un son
moins complexe ou simple, et l'on comprend aussi sans peine
comment, en se modifiant dans un sens ou dans un autre, un
même son composé a pu donner, tout comme une consonne pri-
mitive ordinaire, des sons simples difiërents. Ainsi tch a pu,
soit perdre son t, et alors on a eu le son ch (s), soit modifier le
son s qu'il renfermait en le changeant en s, et alors il a donné le
son ts. Si ce dernier son perd aussi son t, sans modifier la nature
de la spirante, il reste s; mais il peut se faire aussi que ts, en se
simplifiant, ne perde pas seulement le t, mais encore qu'il trans-
forme la spirante, et la change d'alvéolaire ou de dorsale s en
dentale proprement dite 0 ; ce qui aura lieu si la pointe de la langue
vient s'appuyer non plus contre le palais ou les gencives, mais
contre les dents ou même entre les dents. La première transforma-
tion du ts a eu lieu dans le français, la seconde dans le castillan.
Dans cette étude je conserverai la division des consonnes en
gutturales, dentales et labiales ; toutefois je donnerai de préfé-
rence aux premières le nom de vélaires et de palatales ou lami-
naires dans lesquelles elles se subdivisent; je désignerai les secon-
des, c'est-à-dire les dentales, par le nom de la partie de la cavité
buccale où se forme l'obstacle au passage de l'air ou l'espace
rétréci, nécessaire à leur production. Je suivrai la classification
habituelle pour les labiales; et, comme je l'ai dit, je donnerai le
nom de chuintantes au son I et z. Je n'en attribuerai point de
particulier aux composées tch, dj, ts, dz. Le tableau suivant
montre rapprochées et groupées les diverses consonnes indo-euro-
péennes, dont j'ai étudié le mode de formation et indique en même
temps les signes dont je me servirai au besoin pour les représenter
d'une manière abrégée. Les signes placés entre parenthèses sont
ceux de Brùcke.
Voyelles.
^6 —
Résonnantes.
Trémulanles.
•5^ g-
-I (H m ^
■3^
1
P
ss:
K
H
§5
^
Ç5
O
*>&
O
g
.Cl
V.
Liquides.
Sp Iran tes.
IN -> Il
^7^0^ ce '*
f,^ "v» ^^ "*■»
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r< r< >< r<
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Co SO Co ^
Ce >^ Co Œ»
<Vi.
Aspirées.
^«e '«î -< -<
Sonores, moyennes
ou douces.
Sourdes, tenues
ou fortes.
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Q
5
n.
LES GUTTURALES LATINES.
L'ancien alphabet latin, sorti de l'alphabet dorien des Grecs
de Cumes et de Sicile, comprenait trois gutturales : c, kei q, et
une aspirée h^. A l'origine de la langue k représentait la guttu-
rale sourde, vélaire ou palatale ; c, la sonore correspondante ; la
valeur primitive de ces deux lettres ne présente donc pas de
difficulté ; elles étaient pour les anciens Romains ce que y et y.
étaient pour les Grecs. Quant à q, il représentait aussi la guttu-
rale sourde, mais accompagnée, ce semble, du son u qu'elle a
développé dans un certain nombre d'idiomes indo-européens.
La valeur des trois gutturales latines toutefois ne tarda pas à
s'obscurcir et à se modifier ; c et ^ finirent par se confondre et il
arriva ce fait singulier que la langue n'eut plus, au troisième
siècle avant notre ère, de signe pour représenter la sonore, et fut
obligée d'en créer un nouveau, le g, tandis qu'elle possédait à la
fois trois lettres pour représenter la sourde; aussi les gutturales
furent-eDes le plus souvent pour les anciens grammairiens une
énigme qu'ils s'efforcèrent en vain d'expliquer. Voyons ce
qu'elles étaient devenues, ainsi que l'aspirée, à l'époque de la
destruction de l'empire.
1° H.
Vh latine représente le plus souvent l'aspirée gutturale pri-
mitive gh et a pour équivalent y, ou ■/ en grec, g en allemand;
exemples :
Lat. Grec Allem.
Hiare /at'veiv Gàhnen
Heri yUç Gestern
Hordeum '/.ptOY; Gerste
Hortus ■/-p'foç Garten, etc. *.
Cette origine et la circonstance que h remplace dans certains
dialectes italiens, par exemple dans l'ombrien, le c latin permet
de supposer que cette lettre à l'origine avait, peut-être comme
en gothique, un son analogue à l'aspirée gutturale ch; mais ce
1. Gorssen, Aussp. \, 5.
2. Gorssen, id. I, 97. — Fr. Baudry, Gram. comp. 128.
•1
— -18 —
son, s'il exista jamais réellement dans le latin, ne tarda pas à
disparaître et l'h ne fut plus dès lors à vrai dire une lettre, mais
un simple signe d'aspiration. C'est comme telle seulement que la
connaissent les grammairiens latins ; « H vero aspirationis nota,
et nihil aliud litterae, nisifiguram, » dit Priscien'. Telle est aussi
l'opinion de Marius Victorinus-, de NigidiusFigulus^ de Teren-
tianus Maurus'^, d'Isidore de Séville^ etc. C'était déjà celle de
Varron et de Macer, qui la voulaient même retrancher comme
telle de l'alphabet latin : « Auctoritas tum Varronis quam Macri,
teste Censorino, nec k, neque q, neque h in numéro adhibet
literarum^. » Diomède, U est vrai, semble encore reconnaître à l'A
son double caractère : « H quoque interdum consonans, dit-il,
interdum aspirationis creditur nota"^. » Mais cette assertion
isolée ne saurait infirmer le témoignage unanime de tous les
autres grammairiens.
Ce rôle de simple aspirée auquel elle était descendue, proba-
blement à l'époque des rois, Vh latine le conserva sans doute,
bien qu'amoindri, longtemps encore : « profundo spiritu, anhelis
faucibus, explose ore, fanditur, » dit au quatrième siècle Marius
Victorinus, exprimant toutefois peut-être plutôt une règle
consacrée par la théorie que par l'usage de son temps. L'aspira-
tion, en effet, si prononcée aux premiers âges de la langue, finit
par s'afîaiblir au point que la conscience s'en perdit presque, et
qu'on ne sut le plus souvent dans quels mots elle devait se trouver.
Toujours justifiée par l'étymologie dans les inscriptions de la
république, l'usage en devient incertain et sans règle fixe dès
les premiers temps de l'empire. On trouve déjà dans les graphites
de Pompei, aheto, abuerit, Ermus, Ispanus, lacintus, ym-
nus, etc. Cette suppression de l'aspirée devait encore se généra-
liser au temps de l'empire. On voit par des exemples donnés par
Quintilien^ quel arbitraire régnait parfois dans l'emploi de
1. Gramm. veteres. Ed. Putsch. 544.
2. « H quoque inter litteras otiosam grammatici tradiderunt eamque
aspirationis notam conjunctis vocalibus pr;bflci. » Id. P. 2455.
3. « Nigidius Figulus... H non esse litteram, sed notam aspirationis
tradidit. » Id. P. 2456.
4. « H litera est nota quod spiret anlielum. •> Id. P. 2398.
5. « A plerisque aspiratio putatur {H) esse, non litera, quo proinde
aspirationis nota dicitur. » Isid. Hisp. Corp. Gramm. lat. vet. Ed. Lind.,
JII, 18.
6. Gr. vet. P. 544.
7. Id. P. 418.
8. Inst. or. I, 5 et 6.
— 19 —
aspiration , tant le sentiment en était devenu incertain. Aussi
était-ce un défaut commun aux gens sans éducation, et parfois
aussi aux gens prétentieux, de faire entendre une aspiration là
où il ne devait pas y en avoir ; on connaît l'épigramme célèbre de
Catulle sur un contemporain :
Chommoda dicebat, siquando commoda vellet
Dicere, et hinsidias Arrius insidias*.
« Rusticus fit sermo, si aspires perperam, » remarque un peu
plus tard Aulu-Gelle^; ce qui prouve à la fois que les paysans de
son temps faisaient encore entendre l'aspiration dans des mots
que les gens cultivés n'aspiraient plus, et qu'ils l'employaient
dans d'autres où elle n'avait point de raison étymologique. Faite
d'abord par les ignorants, cette confusion cessa bientôt de leur
être particulière, et tous les efibrts des grammairiens pour y
mettre un terme furent inutiles ; ils rencontraient un obstacle
insurmontable dans l'affaiblissement progressif de l'aspiration.
Vers la fin de l'empire, elle cessa à peu près de se faire sentir, et
Yh ne fut plus qu'un signe orthographique qu'on employait ou
qu'on négligeait, on le voit par les anciens manuscrits, un peu
au hasard^. Tel était l'état dans lequel les langues romanes
reçurent Y h latine: aussi quand elle n'a pas été supprimée,
comme cela a presque toujours lieu en italien, n'a-t-elle le plus
souvent persisté que pour conserver en quelque sorte au mot sa
physionomie originelle; et, chose remarquable, l'aspiration qui
existe encore, et qui se faisait sentir surtout autrefois, dans
quelques-unes de ces langues, en particulier dans le français et
le roumain, n'est point dans le plus grand nombre de cas un
héritage du latin, mais ou vient d'un autre idiome, ou bien
encore est une création de la langue, soit de toute pièce, comme
dans le français haut (1. altus), soit par la transformation d'un
autre son, comme dans le français hors (1. forts), le roumain
hed, dérivé de fœdus'^.
2" Q.
La grammaire comparée a montré que la gutturale a développé
1. Q. Val. Gatulli liber, LXXXIV. Ed. Rossbach.
2. Nocl. ait. XIII, 6, 3.
3. Gorssen, id. I, 107.
4. On sait que cette transformation de /"en h est un procédé habituel
de la langue espagnole; ex. hado {fatum), hierro [ferrum), etc. Mais 1'^
qui en résulte est muette, du moins dans l'état actuel de la langue.
— 20 —
après elle dans les langues indo-européennes tantôt un i, d'où
est sorti le son c, comme dans le sanscrit, le zend et les idiomes
slaves, tantôt un u, qu'on retrouve dans le latin qu, et dans le
gothique hv; ex.: lat. aqua, got. ahva. Mais cette découverte,
fondée sur l'étude comparée des langues indo-européennes, et
qui rend raison de phénomènes phonétiques jusque-là inexpli-
qués, ne pouvait être pressentie par les grammairiens latins,
qui n'avaient pour point de comparaison que le grec, et pour qui
tout lait étranger à cet idiome était inexplicable ; aussi le q
resta-t-il toujours une énigme pour eux. Cette lettre avait
la valeur de la gutturale sourde, mais cette gutturale était aussi
représentée par k, et surtout par c; il y avait ainsi en latin trois
signes différents pour figurer un même son. Embarrassés par
cette ressemblance multiple, les anciens grammairiens, qui ne
trouvaient point d'ailleurs le q dans l'alphabet grec, ou ne le
reconnaissaient pas dans le koppa, remarquant aussi que cette
lettre était d'ordinaire accompagnée de zt, crurent qu'elle résultait
de la fusion de c, m'. Cette circonstance fit penser qu'on pourrait
s'en passer facilement, et plusieurs écrivains, à ce qu'il paraît,
afiectèrent de ne pas se servir de cette lettre que l'osque et
l'ombrien avaient perdue. « Nigidius Figulus », rapporte Marius
Victorinus^ « in commentariis suis nec k posuit nec q, » ainsi
qu'il faut lire probablement^ ; et plus loin : « Licinius Calvus q
littera non est usus. » Dès les temps de la république, Varron
aussi, la regardant sans doute comme superflue, voulait la
bannir de l'alphabet latine Cette opinion fut celle de presque
tous les grammairiens de l'empire. « K et q supervacuo numéro
litterarum inseri doctorum plerique contendunt, scilicet quod c
litera harum officium possit implere, » dit Marius Victorinus^.
Diomède^, Cliarisius ''' et Velius Longus^ sont du même avis, et
1. <t Multi illam (Q) excluserunt, quoniam nihil aliud sit quam c ettt, »
dit Velius Longus, Gr. vet., P. 2218; et ailleurs : « Nonnulli quis et qux
et quia per g et i et s scripserunt et per qœ et per qia. quoniam scilicet
in q esset c et u. » Id. P. 2219.
2. Id. P. 2456.
3. Putsch donne : « Nig. Figulus nec K pro Q, » ce qui est évidemment
une fausse leçon. Cf. Brambach, Neugest. d. Ori., p. 280.
4. « Auctoritas tum Varronis quam Macri, teste Censorino, nec K, nec
Q, neque H in numéro adhibet literarum. » Id. P. 544.
5. Id. P. 2456.
6. Id. P. 418.
7. Gram. lat. K, I.
8. Gram. vet. P. 2218.
— 2^ —
s expriment presque dans les mêmes termes. Cependant d'autres
grammairiens pensaient qu'il fallait au moins conserver q devant
u : « Duras et illa (littera) syllabas facit, lit-on dans Quintilien*,
quae ad conjungendas demum subjectas sibi vocales est utilis,
alias supervacua, ut equos, liac et equum scribimus. » Ce fut
même là l'orthographe qui tendit à prévaloir toutes les fois que
Vu fut suivi d'une autre voyelle; « q vero, remarque Sergius dans
son traité de littera, quam antiqui, quotiens u sequebatur,
prseponebant, praesenti usu tune cum post u aliqua ex vocalibus
fuerit secuta, prseponi débet, ut quando, quendam, quia, et
juxta antiques equs; alias enim per c non per q scribendum est,
ut cwr, cum^. » Pompeius^, dans son commentaire sur Donat,
ServiusS Charisius^, etc., tiennent le même langage. Cette
règle devait mettre fin aux manières d'écrire telles que pequnia,
qura, etc., en usage du temps de la république, mais elle ne
fixa pas cependant d'une manière définitive l'emploi du q. L'éty-
mologie à laquelle on eut recours ne fut pas non plus un sûr
moyen de se fixer à cet égard ; les mots en quus offrent un
exemple curieux de l'incertitude orthographique qui régnait
parfois au sujet de c et de q, considérés comme signes de la
gutturale tenue. A une époque où la règle donnée par Sergius et
Pompeius, etc., n'était pas formulée, ou n'avait pas encore force
de loi, on avait supprimé un des deux u de cette désinence, tout
en conservant le q, et l'on écrivait ainsi equs, coqus, etc. Plus
tard, quand on l'appliqua, on eut ecus, cocus, etc. Mais alors
on avait à côté de cocus, écrit avec c, coquere écrit avec q; des
grammairiens n'hésitèrent pas à proposer, pour faire disparaître
cette anomalie, d'écrire aussi cocere avec c, ce que permettait
d'ailleurs la prononciation actuelle du c^. Néanmoins cette
orthographe fut le plus souvent combattue : « equs non ecus,
1. XII, 10, 30.
2. Gram. lut. K. 277.
3. «Item antiqui nostri, quotiens î* sequebatur, per g scribebant... nun-
quam possumus nos per q scribere, nisi post q sequatur u, et post u
alia sequatur vocalis, ut puta quia,... si autem non sequatur alia vocaiis,
per c scribimus, ut si dicamus mm, per c scribimus. » Id. K. I, 110.
4. « Illi (majores) q prœponebant, quotiens u sequebatur, ut qum; nos
vero non possumus q praeponere, nisi et w sequatur et post ipsam alia
vocalis, ut quoniam. » Jd. K. I, 423.
5. « Q litteram nusquam volunt poni alias, nisi ut duse vocales se-
quantur, quarum prior sit u. » Id. K, I, 107.
6. Bramb., id. 230. « Goquo vel, ut alii, coco, » dit Priscien (Gram. lat.
II, 504).
— 22 —
coqus non cocus, coqueus non coceus, dit l'Appendix Probi^
(p. 197). Mais ces exemples, qu'il serait facile de multiplier,
montrent quelles difficultés les grammairiens ne cessèrent de
rencontrer dans l'emploi de c et de q. EUes devaient s'accroître
avec la décadence delà langue; nous savons, en effet, parles
témoignages contemporains à quelles étranges confusions donnait
lieu parfois le choix de ces lettres : « vacua, non vaqua; vacui,
non vaqui, » lit-on encore dans l'Appendix Probi^
Cependant, malgré cette incertitude orthographique, et bien
qu'il ait dû faire place parfois à c, ^ a persisté, au milieu de la
décadence du latin, et le valaque excepté, il est passé, comme
gutturale, vélaire ou palatale, dans toutes les langues romanes,
tantôt avec le son coua, comme dans l'it. quale, tantôt avec le
simple son k, comme dans l'espagnol quatorce, le français
quatre, tantôt aussi en se changeant en la sonore ou moyenne
g, comme dans l'esp. agua, le provençal aigua, etc. Parfois
aussi il s'est, devant e et i, changé en c; par exemple dans
l'italien cinque, cuocere, valaque cincî, coace ; ou bien il s'est
assibilé, par ex. dans l'espagnol cinco, français cinq. Mais
dans la plupart de ces cas, ce n'est pas, à vrai dire, le q, mais le
c, lequel l'avait remplacé dans le latin vulgaire, qui a subi ces
modifications; chose remarquable, en effet, tandis que le c palatal
s'est transformé en c dans celles de l'Est, ou s'est assibilé dans le
double groupe occidental, que le c vélaire s'est changé parfois
en c ou 5 dans les langues du Nord-Ouest, q, soit vélaire, soit
palatal, maintenu sans doute par Yu qui l'accompagne, a, dans
tous les idiomes romans — le valaque excepté — conservé le plus
souvent le son guttural que perdait le c ; c'est ainsi que, tandis
que carnem a donné chair en français, quare y a donné car;
que qui est resté qui en français et devenu chi en italien, tandis
que civitatem a donné città en italien et cité en français, etc.
Il y a plus, non-seulement le g a conservé en général le son
guttural des mots latins où il se trouvait, mais encore il est
devenu une véritable lettre romane, dont chacune des langues
qui l'ont adoptée s'est servi suivant son génie particulier, pour
représenter au besoin le son guttural, quand le c n'aurait pu le
représenter ; c'est ainsi qu'il apparaît en français dans marquis,
en espagnol dans marquez ; c'est pour la même raison que cette
dernière langue l'emploie à la place du ch, qui a un son chuintant,
1. Gram. lat., IV, 197 K.
2. Id., id.
— 23 —
dans quimia, quimera, etc., et à la place du c, qui serait
assibilé, dans la conjugaison, aux personnes où l'a étymologique
se change en e, ainsi : quepo, quepa, quepas, etc., de caber
(capere).
3° K.
A l'origine de la langue latine la gutturale sourde ou tenue
était représentée par k, la moyenne ou sonore par c; mais la
distinction entre ces deux sons fondamentaux ne tarda pas, à ce
qu'il semble, par se perdre, et vers l'époque des Décemvirs c
était employé indifféremment pour représenter les deux guttu-
rales ; c'est ce que prouvent les passages de la Loi des douze
tables, cités parles anciens grammairiens, « ni cum eo pacit* »,
et « ni pacunt^ », comparés avec le pagunt de la Rhétorique à
Herennius : « Rem ubi pagunt, orato; ni pagunt ^» Le k devint
donc par là inutile ; il disparut aussi dans l'alphabet étrusque, tan-
dis, il est vrai, qu'il se maintenait à l'exclusion duc dans l'ombrien;
mais en latin, quoique presque hors d'usage, il se conserva néan-
moins dans quelques mots, non-seulement au temps de la république,
mais encore sous l'empire. On trouve dans les inscriptions de la
première époque : kalendœ, interkalares, kalwnnia, haussa,
met^katus, indikandis, Kailius, Kalcnus, Kastorus, Kami et
même Ke7'i et Dekembres'^ . De la seconde époque on âVolkani
(Ann. dei inscr. rom. 1857, p. 323), kapitulari (Orell. 6086),
karissir/io, karissima (Mommsen L A. N.) Kœsones (C. L
Rhen.-Brambach). Mais on trouve en même temps avec c : ca-
lendis, calendas (Momms.), calumniœ, mercatus, cœlius,
Calenus, Castoren, etc.^. On le voit, il n'y avait rien de fixe
dans l'emploi du k, et il ne manquait pas de gens qui regardaient
cette lettre, avec encore plus de raison que le q, comme superflue.
« K et q supervacuo numéro litterarum inseri doctorum plerique
contendunt, dit Maximus Victorinus^, scilicet quod c litera
harum officium possit implere. » Cette opinion, comme on le voit
par le témoignage de Probus^, avait de nombreux partisans.
1. Festus, V. talionis.
2. Scaurus, De orthogr. — Gram. vet. P. 2253.
3. Rhet. ad Her. II, 13, 20. — Cf. Bhein. Mus. XV, 464.
4. Momnisen, G. I. L., p. 601. — Ritschl, de fict. liit. lai. ant. ot Prise.
Lut. mon. epig., cités par Corssen, Ausspr. I, 8.
5. Corssen, id. I, 8.
6. Gr. vet. P. 2455.
7. « Nunc supervacuse quibusdam k et q Utterœ positee esse videntur..
— 24 —
D'autres, toutefois, tout en admettant l'inutilité, croyaient qu'on
pouvait la garder comme signe abréviatii" pour désigner certains
mots commençant par une gutturale sourde : « K quidam super-
vacuam esse literam indicaverunt, dit Scaurus, quoniam vice
illius fungi c satis posset, sed retenta est, ut quidam putant,
quoniam notas quasdam significaret ut Kaesonem, ut kaput et
kalumnias et kalendasK » Dès les temps de la république,
Varron, ce grammairien novateur, avait déjà voulu supprimer k,
ainsi, nous l'avons vu, que h et q^. Ici la réforme qu'il proposait,
était, ce semble, plus facile et plus fondée ; si l'afifaiblissement de
l'aspiration pouvait faire paraître h inutile, on pouvait dire
qu'elle conservait du moins au mot son orthographe étymolo-
gique; q s'employait avec u, il n'y avait pas, au contraire, de
raison pour maintenir k; c'était ce que faisaient valoir les parti-
sans de sa suppression, et il n'en manqua pas après Varon. « K
quidam penitus supervacua est, dit Priscien^; nulla enim videtur
ratio, cur a sequente hœc scribi debeat : Carthago enim et
caput, sive per c sive per k scribantur, nullam faciunt nec in
sono nec in potestate ejusdem consonantis differentiam. » Malgré
ces raisons si irréfutables, quelques grammairiens continuèrent
à préférer kh.c devant a. « Prœponitur k, dit Charisius, quo-
tiens a sequitur, ut kalendœ*. » Donat n'est pas moins expli-
cite : « Quotiens u sequitur, k litteram praeponendam esse, non
c^. » Toutefois cette distinction finit par être plutôt théorique
qu'appliquée dans la pratique, et cessa bientôt d'être en usage,
comme nous le voyons par le témoignage de Serviuset de Cledo-
nius. « K vero aliter nos utimur, aliter usi sunt majores nostri;
namque illi, quotiens a sequebatur, k praeponebant in omni
parte orationis, ut kaput et similia ; nos vero non usurpamus k
litteram nisiin kalendarum nomme scribendo^.» « Apud veteres
hsec erat orthographia, dit le second, ut quotiens a sequeretur,
k esset prseposita, ut kaput, kalendœ, sed usus noster mutavit
praeceptum et ejus vicem c implet''. »
quod dicunt c literam eârumdem locum posse explere, ut puta Carthago
pro Karthago. » Gr. lat. I, 50 K.
1. Gram. vet. P. iïb2.
2. Voir plus haut, p. 18 et 20.
3. Gr. lat, I, 14 K.
4. Id. I, 8 K.
5. Id. I, 368 K.
6. Id. Commentarius in Donatum, 1, 422 K.
7. Id. Ars grammatica, I, 28 K.
— 25 —
Ainsi au iv® siècle de notre ère la lettre k pouvait être
considérée comme hors d'usage ; disparut-elle complètement de
l'alphabet lalin ? cela n'est point probable, car, si elle a étért^etée
par le valaque, l'italien, l'espagnol et le portugais, le provençal
et l'ancien français surtout l'ont conservée en particulier pour
représenter la gutturale tenue devant e ei i\ mais peut-être aussi
faut-il voir là un effet de l'influence des langues germaniques sur
ces idiomes, ou plutôt l'emprunt fait à ces langues par les
copistes d'un signe commode, qu'on finit d'ailleurs par négliger
et remplacer par q^.
4° G.
Quand vers le temps des Décemvirsle c servit à la fois à repré-
senter la gutturale sourde et la sonore, la langue latine n'eut plus
de signe particulier pour exprimer cette dernière ; il en fut ainsi
pendant un siècle et demi. Mais cet emploi d'une même lettre
comme signe de deux sons différents présentait plus d'un incon-
vénient, et vers l'épociue où les Romains entrèrent en relation
avec les Grecs, on résolut de distinguer de nouveau par l'écriture
les deux gutturales, comme on les distinguait dans la prononcia-
tion ; et, conservant le c comme signe de la gutturale tenue ou
sourde, on inventa le g, modification du c, pour représenter la
gutturale sonore^ La nouvelle lettre paraît pour la première fois
sur le sarcophage de L. Corn. Scipion Barba tus, peu après
290 av. J.-C, dans les mots gnaivod, prognatus, subigiP ; et
dès lors elle prit place dans l'alphabet latin, où elle se conserva
jusqu'à la chute de l'empire, pour passer de là dans les langues
romanes.
Mais que l'ancienne gutturale sonore soit devenue pendant un
temps le signe commun de la sonore et de la muette, c'est la
preuve d'une tendance de la langue à affaiblir cette dernière et
de la facilité avec laquelle les deux gutturales pouvaient êti*e
1. « Item que vel qui consuevit olim scribi cum k secundum usum ve-
terem, sed secundum modernos commutatur k in q, exceptis propriis
nominibus et cognominibus. » Lond. Docum. Altd. Blœlter, II, 193. Les
copistes picards et anglo-normands, toutefois, continuèrent longtemps
encore à se servir de k. V. plus loin liv. II, chap. 3, l'explication de cet
emploi.
2. Cors., id., I. 77.
3. Ritschl, Mon. epigr., XXXVII. —Cors., id., l. 10.
— 26 —
prises l'une pour l'autre. Dans beaucoup de mots latins aussi le
g n'est pas étymologique, mais provient de l'affaiblissement de
la tenue c = •/. gr. ou du moins en tient lieu. Ceci devient évi-
dent quand on compare les mots :
gloria
duo, vXùu)
gobius
xw^t'oç
grabatus
xpi^atoç
Gnossus
Kvwaaoç
gubernator
xujSspvTp.irT);
Saguntum
ZixuvOo;
triginta
TptaxovTa
vigesimus
vicesimus
quadringenti, quingenti, etc., centum Ixatov.
Ce penchant de la langue s'était manifesté de bonne heure
dans la formation des mots; c'est ce que montrent clairement les
noms de nombre ; il apparaît d'une manière non moins évidente
dans les composés, ainsi : negotium {nec-otium), neglego
(nec-lego), singulus [sin-cu-lus), ningulus pour ninculus
(Festus, 177)1.
Cependant cette tendance de la gutturale sourde à se changer
en sonore, après s'être manifestée ainsi dans les premiers temps
de la langue, s'arrête et reste, en quelque sorte, stationnaire
pendant plusieurs siècles; elle devait reparaître dans toute sa
force à l'époque de la décadence de la langue littéraire et de la
prédominance du parler vulgaire, et nous en verrons l'action
incessante surtout dans la formation des langues du double
groupe occidental.
5° C.
Nous avons vu que c représentait originairement la gutturale
sonore, tandis que k était le signe de la sourde, mais que, la
différence entre les deux sons s' étant obscurcie, k devint presque
hors d'usage, et c désigna à la fois les deux gutturales. Nous
avons vu aussi qu'à l'époque de la première guerre punique, le
besoin s'étant fait sentir de distinguer de nouveau les deux gut-
turales, on prit c pour signe de la sourde, et on inventa g pour
représenter la sonore, rôle que conservèrent désormais ces deux
lettres pendant toute la durée de la langue latine, abstraction
1. Cors., id. I, 78, 79, 80.
— 27 —
taite des modifications que purent recevoir les sons qu'elles
représentaient. Mais de ce que la lettre c représentait d'abord la
sonore, il en résulta qu'on conserva encore dans de vieilles ins-
criptions l'usage de cette lettre pour la figurer, alors que ce
son avait déjà pour signe habituel g^. C continua même toujours
de s'écrire pour g dans les abréviations ; ainsi C et Cn pour
Gaius et Gneus^; Marins Victorinus mentionne encore les
formes archaïques Cabino, lece, acna ^. Les restaurateurs de
la colonne rostrale, au temps de Claude, suivirent encore l'an-
cienne orthographe dans les mots lecione, ynacistratos , exfo-
ciont, pucnandod, cartacinienses"^. Toutefois, ce sont là des
cas isolés, et, pendant cinq à six siècles, on distingua sans peine
le rôle du c et du g dans l'orthographe latine. Mais quelle fut,
à vrai dire, pendant cette période, c'est-à-dire depuis l'invention
de la sonore g jusqu'à la division définitive de l'empire, la pro-
nonciation du c?
Ce son était, dans tous les cas, celui de la gutturale sourde k
que c avait remplacé et qu'on employait quelquefois encore
concurremment avec lui, c'est-à-dire celui de la gutturale sourde,
palatale ou vélaire, suivant que la voyelle suivante était e ou i,
ou bien encore a, o ou u. Les inscriptions des premiers temps
de la république Keri, Dekem{bres) relevées par Mommsen et
Ritschl, les transcriptions Aecetiai pour Aequitiae et Cinti
pour Quintius, où qu ne peut représenter que le son de la guttu-
rale sourde, en sont une preuve directe. Les transcriptions,
faites plus tard en caractères grecs, de mots latins montrent
aussi indirectement la persistance du son guttural dans tous les
cas. Ainsi :
Kyjvcov, KIXaoç, Inscrip. grœc, ii, 3497, 3751.
KsvTupia, Bull. delV Inst. Rom., 1867, p. 17.
n(x£VT£ç (Strab.-Polyb., m, 86).
Ktpxaiou (Strab.).
K'.yipwv (Plut., Cic. vita).
IlaTpaîouç (Plut., Rom. vita).
De même les Romains rendaient le y. grec par c. Exemples :
Cecrops, Ciliœ, Cybele, Cimon, Cineas, etc.
1. Cors., id. I, 8.
2. Quint, 1, 7, 28. — Terent. Maurus, Gr. vet. 2402 P.
3. Id. 2459 P.
4. Ritschl Priscx lai. monum. 82, 83. — Corssen, id. 1, 8.
— 28 ~
Ainsi il n'y a pas de difficulté pour l'époque de la République
et pour les premiers temps de l'Empire; en fut-il encore de même
dans les siècles suivants ? On peut déjà conclure du silence des
grammairiens des quatre premiers siècles de l'ère chrétienne que
c conservait vraisemblablement encore à cette époque, dans tous
les cas, sa valeur gutturale ; aucun ne pai'le de modifications
déterminées dans le son du c par la nature de la voyelle sui-
vante, et cette circonstance aussi que la plupart d'entre eux
considéraient les gutturales k eX q comme superflues, attendu
que c pouvait en tenir lieu, montre bien que cette dernière lettre
ne pouvait avoir qu'un son guttural. Ce son, d'ailleurs, est le
seul qu'ils lui attribuent dans tous les cas. Cette manière de voir
est d'ailleurs pleinement confirmée par la substitution de g à c
dans les mots hujusque pour hujusce, Paquius pour pacius,
Proquilia pour Procilia \ laquelle ne saurait s'expliquer que
par la valeur identique de c et de q, et qu'autant dès lors que c
avait encore conservé un son guttural devant e et i. On trouve
même cette substitution dans une charte de Ravenne de 650, dans
le mot quaimenio pour caemento ^, ce qui reporterait beaucoup
plus loin encore la persistance de la valeur gutturale de c.
Une autre preuve est fournie par les inscriptions du temps. On
a trouvé dans les catacombes de Rome les transcriptions en
caractères grecs suivantes :
Tcaxe (pace), Roma subt., A ring., ii, p. 121.
7C£px,£T:T0(; (perceptus), id., id.
et les archives de Ravenne du vi® et du vif siècle offrent de
nombreux exemples du même genre ; ainsi :
Sexet (decem), Mar. Pap. dipL, cxiv, 96 (vi« siècle
SwvaTpixt (donatrici),
Fevexeiavi (Geniciani),
xi6tTaT£ (civitate),
xpouxe; (cruces),
çae-c (fecit),
çsixaepoufA (fecerunt),
izctv.eiifiY.oç (pacificus),
Pou(5Tiy,£tava (Rusticiana) ,
1. Corssen, id. 1, 47.
2. Maffei, cité par Diez Gr. l, 250.
id..
xciii, 86 (
id.
id.,
cxxir, 78 (
id.
id.,
xcn, 18 (
id.
id.,
xciii, 87 (
id.
id.,
id. (
id.
id.,
cxxn, 81 (
id.
id..
id. 78 (
id.
id.,
id. 79 (
id.
- 29 —
TïevîsTpixai (venditrice) , id.,
^ixeBwixevov (vicedomium), id.,
ouvxeiapiou[A (unciarium), id.,
id. id. (
id.
xcm, 90 (
id.
cxxn, 78 (
id.
)'•
Jamais, par contre, le c n'est rendu par î^, tî;, a ou ccr, devant e
ou i, comme cela eut lieu plus tard ; donc, à l'époque lombarde,
c avait encore, devant e ou i, le son guttural en Italie, ou du
moins ce son n'avait point encore été universellement remplacé
par le son c ou ts qui finit, comme nous le verrons, par s'y
substituer. Cette conclusion trouve un nouvel appui dans cette
circonstance que le sarde logoudorien a jusqu'à aujourd'hui
conservé, dans un grand nombre de cas, à la gutturale palatale
aussi bien qu'à la vélaire, sa valeur originelle ; ce qui semble bien
indiquer qu'au moment de la séparation politique de la Sardaigne
et de l'Italie, le c avait encore, devant toutes les voyelles, sa
prononciation gutturale, et que, par suite, on disait alors dans
la péninsule, comme aujourd'hui encore dans le terrritoire de
Logudoro, kera, fekit, ce qui est l'orthographe même des
archives de Ravenne.
Une troisième preuve, enfin, de la persistance du son guttural
du c à cette époque nous est donnée par les emprunts faits alors
par les langues étrangères au latin. Les rapports fréquents des
Germains avec l'empire déterminèrent l'introduction dans l'an-
cien allemand de mots latins qui durent y être représentés par
des sons équivalents ; or, on trouve dans le gothique les mots
akeit (acefum), faskja {fascia), karkara {carcery, nouvel
haut allemand kerker, et dans la langue actuelle les mots
kaiser {Caesa?-), keller (cellarium), key^hel [cerefolium),
kicher (cicer), kirsche {cerasus), kiste (cista), dont l'intro-
duction remonte à une époque très-reculée ^. Or, ces mots mon-
trent que le c latin suivi de e ou de i devait, au moment de leur
admission dans l'ancien allemand, se prononcer k ; hypothèse
confirmée par cette circonstance que dans les mots d'adoption
plus récente le c latin, au contraire, est représenté par z ; par
exemple ^e//er (cella), zepter {sceptrum). Les emprunts faits
par l'anglo-saxon au latin, à la tin du vi^ siècle de notre ère,
nous amènent à la même conclusion ; les missionnaires romains
de la Grande-Bretagne ont rendu, en efiet, purement et simple-
1. Cf. Gorssen. id. 1, 48 et 49. — Diez id. 1, 205.
2.- Ulfllas, Bibelubers. Me. 15, 36. — Joh. 11, 44.
3. Diez, Gr. I, 250. — Cors., id. I, 45 et 60.
Mt. h, 25, etc.
— 30 —
ment la gutturale sourde de l'anglo-saxon par un c latin ; ainsi :
cène {audax), cild {in fans), cyning {reœ)^\ donc ils recon-
naissaient à celui-ci la même valeur qu'à la première, c'est-à-
dire le son de k.
Il ressort de ce qui précède qu'au v® siècle et probablement
même au vi® siècle de notre ère, le c palatal avait encore, comme
le c vélaire, un son guttural, ou que du moins c'était encore à
cette époque la prononciation généralement usitée ^.
6" CH.
L'alphabet latin ne renfermait pas de signe correspondant
au X pas plus qu'au ç et au 8 ; quand l'introduction de mots grecs
dans la langue rendit nécessaire d'exprimer ces sons, on les
représenta par la muette correspondante suivie de fi, c'est-à-dire
par ch, ph, th. Ces signes, cependant, ne furent pas usités uni-
quement dans les mots grecs, on s'en servit aussi dans certains
mots d'origine latine, et il semble que l'aspiration des consonnes
inconnue jusque-là dans la langue s'y acclimata et s'y développa,
et que l'usage en devint fréquent vers la fin du vii^ siècle de
Rome ; c'est ce qu'il faut conclure du passage suivant de Cicé-
ron : « Quin ego ipse, cum scirem ita majores locutos esse, ut
nusquam, nisi in vocali, aspiratione uterentur, loquebar sic ut
pulcros, Cetegos, triumpos. Kart a ginem dicerem : aliquando,
idque sero, convitio aurium cum extorta mihi veritas esset, usum
loquendi populo concessi, scientiam mihi reservari. Orcivios
tamem et Matones, Otones, Caepiones, sepulcra, coronas,
lacrimas dicimus, quiaper aurium judicium licet ^. » Mais non-
seulement l'aspiration, en particulier après c, fut dès lors d'un
1. Diez, id., I, 250.
2. Quelques inscriptions pourraient même faire reculer cette date,
que j'ai choisie comme minimum. Il en est de même du témoignage
d'Isidore de Séville. Chose remarquable, en effet, tandis que le gram-
mairien espagnol mentionne lassibilation de ti suivi d'une voyelle, il
ne semble reconnaître au c qu'un son guttural, et ne parle point du
moins d'un autre son propre à cette lettre : « k, dit-il, supervacuo
dicitur, quia, exceptis kalendis, supervacua indicatur ; per c enim
universa exprimimus. » Oîig. lib. 1, Corp. Gram. lai. vet. III, 19. — Edit.
Fr. Lind.
3. Orator, 18, g 162.
M —
isage ordinaire dans un certain nombre de mots, Quintilieu
"nous apprend qu'après l'avoir si longtemps ignorée, on finit par
en abuser: « Diu servatum, dit-il', ne consonantibus aspirèrent,
ut in Graecis et in trium.pis ; erupit brevi tempore nimius usus
ut choronae, chenturiones , praechones adhuc quibusdam in-
scriptionibus maneant. » L'épigramme de Catulle que j'ai
citée plus haut est un autre exemple de l'étrange abus qu'on fit à
une époque de l'aspiration ; toutefois, une réaction en sens con-
traire ne tarda pas à se produire ; Aulu-Gelle, nous avons vu,
traitait de « rustique » l'emploi fautif qu'on en faisait ; avant lui
déjà, Probus ne la regardait comme légitime que dans trois mots
d'origine latine : « hoc tamen scire debemus, quod omnia
nomina post c litteram habentia h peregrina sunt : chorus,
Anchemolus, charta, Charon, Chrysus, Chalybes, exceptis
tvïbus, qusBlsiiinsi srnit lurcho, pulcher, Orchus ; sic enim in
antiquioribus reperies, non Orcus ^. » Trois siècles plus tard, le
commentateur de Virgile, Servius, tenait le même langage, bien
qu'il différât sur les mots dans lesquels il admettait l'aspiration :
« Tria tantum (majores) habebant nomina, in quibus c litteram
sequeretur aspiratio : sepulchrum, Orchus, pulcher, e quibus
pulcher tantum hodiè recipit aspirationem^.» Ainsi, au v* siècle,
excepté peut-être dans pulcher, l'aspiration du c avait fini,
après bien des hésitations, par être regardée comme fautive ;
avait-elle complètement disparu ; ne subsistait-elle point encore
çà et là dans le langage populaire ? Il est difficile de le dire, bien
que cela soit assez peu probable; mais en tout cas l'aspiration après
une consonne est inconnue des langues romanes qui n'ont que des
spirantes et point d'aspirées véritables. Quoi qu'il en soit, au
reste, de la condamnation par les grammairiens de l'aspiration,
ils furent impuissants à proscrire l'usage du ch dans l'ortho-
graphe latine ; employé d'abord pour représenter le y dans les
mots tirés du grec, il finit, après l'affaiblissement ou la dispari-
tion de l'aspiration, par être mis un peu au hasard, comme nous
le montrent les inscriptions, à la place du c ; plus tard, quand le
c palatal latin se modifia, tandis que le ch = x gardait sa valeur
primordiale, moins l'aspiration, on eut recours à ce signe pour
représenter la gutturale palatale; c'est ce qu'ont fait en particulier
1. Inst. orator. I, 5 g 19-20.
1. Gram. lat. l, 10 k.
3. In Georg., III, 224.
— 32 —
l'italien et le valaque, circonstance qui témoigne de l'antiquité et
montre bien l'origine de cet emploi du ch * .
1. Schuchardt a distingué trois époques dans l'emploi du ch : celle
où il fut employé arbitrairement à la place de toute espèce de c; une
seconde où on s'en serait servi pour représenter la gutturale vélaire,
après l'assimilation du c palatal; enfin une troisième — celle-ci est
exclusivement romane — où on ne l'aurait employé que devant e et »,
pour représenter la gutturale palatale. Mais il cite lui-même des
exemples, comme chingxit (a. 676), vachis (a. 712), où ch se trouve à la
place du c qu'il suppose depuis longtemps assibilé, et on trouve à cette
même époque ch employé devant o, par ex. dans monacos (Arch.
mérov.); cette classification paraît donc peu sûre, du moins pour les
deux premières époques ; quant à la troisième, il aurait fallu montrer
l'origine de cet emploi particulier du ch, la seule chose qui impor-
tait, et c'est ce que M. Schuchardt n'a point fait. Cf. Vocal, des Vulgati.
l, 73.
DU C ROMAN.
Nous avons vu qu'au v^ siècle de notre ère, le c vélaire et le c pa-
latal latin avaient conservé leur valeur gutturale originelle; mais
cet état de choses ne tarda pas à changer, et bientôt commença,
différente pour chacun d'eux, — du moins dans presque tous les
.cas, — une lente transformation qui se continua pendant des
siècles. Le bouleversement politique et social, dont la destruc-
tion de l'empire fut l'occasion et la cause, eut son contre-coup
dans le langage; le système phonétique du latin fut ébranlé et de
nombreux changements s'j produisirent, d'autant plus grands
que les idiomes où ils se firent avaient moins bien gardé les
traditions de la langue mère. C'est ainsi, pour ne parler ici que
du c, que par une série de modifications insensibles, cette lettre,
qui avait jusque-là conservé fidèlement son caractère guttural
primitif, se transforma, dans son passage du latin au roman,
en presque toutes les explosives et les spirantes que nous offrent
les langues indo-européennes.
Les deux c ont eu au reste, dans cette espèce de reconstruction
de l'alphabet, à l'aide de la gutturale, en général, un rôle diffé-
rent ; le premier, le c vélaire, a donné naissance aux sons de
même ordre que lui, c'est-à-dire à la sonore g, aux spirantes
vélaires et palatales ; il a été aussi parfois remplacé parles explo-
sives et par les spirantes labiales, par t, par h et par les voyelles
i — modification de la spirante palatale y — et m — affaiblisse-
ment de la spirante labiale v. — Enfin, nous le verrons encore
3
— 34 —
se transformer plus ou moins complètement en la série c, g, ts,
dz, s, z, s (çj, 6 et S. Ce sont les sons de cette série qui ont ordi-
nairement remplacé le c palatal, et ce n'est qu'exceptionnellement
qu'il a fait place aux spirantes gutturales, encore plus excep-
tionnellement aux labiales.
Tels sont les changements multiples qu'a subis le double c dans
son passage du latin au roman. Ce n'est pas à dire toutefois que
ces changements se soient également produits dans tous les
idiomes néo-latins, et nous verrons que chacun des trois groupes
dans lesquels on peut les diviser ^ a le plus souvent modifié le c
d'une manière qui lui est propre ; c'est ainsi, par exemple, qu'on
chercherait en vain dans les langues du groupe oriental le chan-
gement du c vélaire en la série c, g, ts, s, G, qu'on trouve dans
celles du Nord-Ouest, que 0 ou s représentent aujourd'hui, dans
les langues du Sud-Ouest, le c palatal latin, auquel s'est, au
contraire, substitué en général c dans celui de l'Est. Néanmoins,
quand on embrasse dans son ensemble l'histoire des diverses
langues romanes et qu'on les étudie dans chacun de leurs dia-
lectes, on s'aperçoit qu'il est peu de modifications du c que l'une
quelconque d'entre elles n'ait possédée à un moment donné de son
développement phonétique ou en un point de son territoire ;
ainsi, tandis que l'italien classique ne reconnaît que la trans-
formation c et exceptionnellement ^ du c palatal, on trouve dans
les divers dialectes de la péninsule les formes s, z, p et 5 qu'il
a perdues ou ignorées. Il ne suffira donc point pour faire l'his-
toire complète du c roman de l'étudier dans les six principales
langues néo-latines ; mais — et c'est même là une condition
indispensable, le plus souvent, pour renouer la série interrompue
de ses transformations — il faudra encore en suivre les modifi-
cations successives dans les différents dialectes entre lesquels se
partage chacun des idiomes romans.
Quant à la marche que je me propose de suivre dans ce travail,
elle est indiquée par la nature même du sujet que j'ai à traiter ;
I. Je rappelle, une fois pour toutes, que ces groupes sont le groupe
oriental qui comprend le valaque ou roumain et l'italien, le groupe du
Sud-Ouest qui renferme l'espagnol et le portugais, enfin le groupe du
Nord-Ouest où l'on trouve le provençal et le français. Les dialectes
ladins du Nord de l'Italie et du Tyrol avec le roumanche, parlé dans le
canton des Grisons, forment un quatrième groupe, le groupe central,
dont M. G.-J. Ascoli vient de faire l'histoire dans le premier volume
(Saggi ladini) de ÏArcMvio glottologico , recueil consacré à l'étude des
divers idiomes modernes de l'Italie.
— 35 —
de même, en effet, que le c se dédouble en quelque sorte en c
vêla ire et en c palatal, de même ce travail se divisera d'abord en
deux parties : l'étude des transformations générales du c vélaire
latin, celle des modifications du c palatal ; ce sera l'objet du
premier et du second livre. Dans un troisième, j'étudierai la
transformation, propre aux idiomes du Nord-Ouest et à quelques
dialectes ladins, du c vélaire en la série c, s, g, ts, dz, 6 (S), s,
et je rechercherai ensuite ce que les deux gutturales sont
devenues en particulier dans le picard et le normand qui
présentent des difficultés non encore toutes résolues. Enfin, dans
un quatrième et dernier livre, je passerai en revue les divers
changements du c, soit vélaire, soit palatal, dans les différents
groupes de consonnes où il peut entrer. Mais avant d'en com-
mencer l'étude, je place ici le tableau synoptique des trans-
formations du c ; on en saisira mieux l'ensemble et la diversité.
en O a, o
a-i»
^ en
Gutturales
Composées .
vélaires.
(
Dentales.
t
9
palatales. ( c, g^
f is dz
Labiales \ p {b)
sfç) z
V K
S z
0 0
r
{V)
{w) (m) u
LIYRE PREMIER.
TRANSFORMATIONS DU C VELAIRE
Tandis que le c palatal n'a persisté — le sarde logoudorien
excepté — dans aucune langue romane, le c vélaire est, au
moins dans certains cas, resté dans toutes; mais non moins
souvent et, dans certains idiomes, plus souvent encore, il s'est
modifié ou complètement transformé. Sa conservation et les
transformations qu'il a subies ont d'ailleurs dépendu d'une double
circonstance : de la place qu'il occupait dans le mot latin où
il se trouvait, de l'idiome qui a emprunté ce mot à la langue
mère. Tandis, en effet , qu'il persiste dans le plus grand nombre
de cas au commencement des mots, dans tous les idiomes
romans ; au milieu, s'il persiste encore souvent dans le groupe
oriental, dans le groupe du Sud-Ouest il se change toujours
en sonore, et dans le groupe du Nord-Ouest, en même temps
qu'il éprouve la même modification, il s'atténue le plus souvent
en i ou même disparaît complètement. On voit par là à quel
point la place de la gutturale et l'idiome auquel appartient le
mot qui la renferme peuvent influer sur sa transformation ou
sa conservation définitive. Aussi dans l'étude des modifications
du c vélaire, comme d'ailleurs dans celles du c palatal, je le
considérerai successivement au commencement, au milieu et à la
fin des mots, en même temps que je suivrai son histoire dans
chacune des langues romanes où il apparaît. Comme le c vélaire
persiste parfois, il y aura d'abord lieu d'examiner les cas où
cette persistance a lieu ; ensuite, je passerai successivement en
revue ses diverses transformations, d'abord son changement en
g, puis son afiaiblissement en i, sa suppression complète, enfin
son remplacement par ^ et 5^
1. 11 ne s'agit ici, comme je l'ai dit, que des modifications générales
du c. vélaire ; sa transformation en la série c, g, tz, dz, s, d, 8, devant
faire l'objet du livre troisième.
1. Je n'examinerai le remplacement du c vélaire par les labiales p, b.
— 38 —
CHAPITRE 1«
PERSISTANCE DU C VÉLAIRE. — SON CHANGEMENT EN G
ET EN LA SPIRANTE X.
Nous avons vu * qu'à l'époque de la constitution définitive de
la langue latine la gutturale sourde primitive avait été souvent
remplacée par la sonore correspondante ; ce changement, qui
avait frappé les grammairiens romains, et fait époque dans
l'histoire des gutturales latines, apparaît de bonne heure devant
les voyelles et les liquides, ainsi qu'avant et après n ; c'est ce
que montrent les exemples suivants :
Devant a : gaunaceam a côté de caunaceam
Ter. Scaur. Gr. v. P. 2252.
promulgare promulcuTn Fest . p . 224 .
Devant o : negotium nec-otium.
Devant u : gurgulio Prise. V, 9, 11 curculio Plante.
Devant / et r ; neg-lego nec-lego .
con-gruere rac. cru-,
ATanlel après n : Gnidius Grut. Cnidus Prise. I, 61, 14.
singulus sin-cu-lus ^ .
Cette transformation une fois faite, le c et le p^ conservèrent,
pendant la période classique, chacun leur domaine propre ; mais
dans les derniers temps de l'empire il y eut de nouveau tendance
à substituer la gutturale sonore à la sourde ^ ; « calathus non
galatus, » lit-on dans l'Appendix Probi^, et un glossaire du temps
avertit d'écrire « Corax per c, non per g, » « clangor^er c nonper
g*. » Mais les efforts des grammairiens ne purent ni empêcher ni
même retarder cette transformation devenue inévitable. Cepen-
dant l'affaiblissement de la gutturale ne dut pas encore bien se
faire sentir avant le partage de l'empire, puisque le o a persisté
presque toujours en roumain; mais après ce grand événement il
f, V, w, u, ainsi que par h et u qu'à la fin du second livre, en même
temps que la substitution de ces lettres au c palatal.
1. Voir plus haut, p. 25.
2. Gorssen, id. I, 77 et 78.
3. Gr. laL, I, 198 K.
4. Apud. Mai. Cl. auct. Vi, 578.
— 39 —
n'agit, du moins en Occident, qu'avec plus d'énergie; les inscrip-
tions et les chartes du vf et surtout du vn® siècle montrent sur
tous les points de l'empire le g se substituant au c; dans la
langue populaire, cette substitution s'}' fit d'ailleurs à peu près
dans les mêmes cas, et obéit aux mêmes lois que six siècles aupa-
ravant dans la langue littéraire. Ainsi on la voit se produire :
1° Tantôt au commencement des mots :
a. devant les voyelles ; exemples : galatus, gorax, cités plus
haut.
a. devant les liquides ; ainsi :
grasswn Arc, I, Grom. 214, 5.
Grassimius Bull. arch. Neap. VII, 168, 27 (Nersse).
Grisanti Mar. Pap. dipl. GXLIII, a (v.600ap. J.-C).
2° Plus souvent au milieu des mots,
^. entre les voyelles :
Dragontianus Inscr. nap. 172 (Salerne).
segundœ Mur. 2076, 10 (Laibach).
segundo Pard. CCCXCIV, 22 (680 ap. J.-C).
logationis Flor. Dig. XXIV, III, 7.
matrigolarius Mar. Pap. dipl. LXV,5,11 (v. 657 ap. J.-C).
vigarius id. id.
vindegare id. id. CXXIX, 18 (691 ap. J.-C).
vogatur Pard. CCCCXLI, 4 (697 ap. J.-C).
P devant les liquides :
sagramenta Mar. P«2^.c?z^9^.XCV,35(Rav.639ap. J.-C).
sagrata Pard. CGCGXXIX, 8 (692 ap. J.-C).
aeglesie Mar. Pap. dipl. CX, 33 (Ravenne).
eglesie Nouv. traité de dipl. \\,Q^0{Q2Q3.^.i.-C.),eW.
Ainsi au vif siècle de notre ère, g tendait à se substituer au c
vélaire dans le latin populaire, et les vieux manuscrits nous
montrent même, par de nombreux exemples, les copistes portant
cette nouvelle orthographe dans les textes anciens. Si nous en
exceptons le roumain, resté presque étranger, comme je l'ai dit,
à ce changement, cet affaiblissement de la gutturale ne fit que se
développer pendant la période de formation des langues romanes ;
ce n'était, d'ailleurs, qu'un cas particuher de la tendance géné-
rale, qui se manifesta alors, bien qu'inégalement sur les différents
points du domaine roman et dans les différentes parties du mot,
de substituer la sonore à la sourde. Il v a lieu, en effet, comme
1. Cf. Schuchardt. Voc. des Vulgarl., I, 126.
— 40 —
je l'ai remarqué, de distinguer non-seulement entre les différents
idiomes néo-latins, mais aussi suivant la j)lace occupée par le c
dans le mot latin. Tandis que l'affaiblissement du c vélaire en g
se poursuivait, en effet, au milieu des mots, il s'arrêta, par
contre, au commencement ; aussi — pour ne pas parler ici de
son changement en chuintante dans quelques idiomes — le ^ y
a-t-il persisté dans le plus grand nombre de cas ; pourtant
si l'on excepte le roumain ^ où il persiste toujours, il s'est affaibli
en g dans les mots suivants et leurs dérivés :
LAT. ITAL. ESP. PORT. PROV. FRANC.
cammarum gambero gdmbaro — — —
camellam — gamella gamella — gmnelle
castigare gastigœre gastigar — — —
cattum gatto gato gato gat —
I caveam gabhia gavia — gabia —
( caveolam — gûyola gaiola — —
cavillare gavillare — — — —
conflare gonfiare — — — gonfler
crassum grasso graso — gras gras
craticulam graticola — grelha{s) — grille
cribellum crivello garbillo — — —
cretam — — — greda —
quiritare gridare gritar gritar — —
crocum — — — gruec —
cubitum gômito — — — —
Le français offrirait encore un certain nombre de mots comme
gale (caUum), glaire (claream), glas (classicum), gourde (cu-
curbitum), gobelet (* cupelletum), etc., qu'il n'a pas empruntés
aux mêmes racines que les autres langues romanes ; il a aussi
souvent, ainsi que certains dialectes provençaux et ladins, changé
la gutturale vélaire en ch, par exemple dans chair, chat,
chose, etc. Je reviendrai plus loin sur cette transformation, une
des plus curieuses du c latin dans les langues romanes ; mais si
on la laisse de côté, on voit par ce qui précède que le c vélaire
initial a persisté le plus souvent en passant du latin dans ces
idiomes ^ ; il ne s'est, en effet, changé en sonore que cinq fois
1. On trouve cependant dans cette langue pras (crassum), comme dans
tous les autres idiomes romans, ce qui semble indiquer que le c de
ce mot s'était déjà changé en g dans le latin vulgaire.
2. Je ne parle point naturellement ici des mots comme galoscia, golfo,
grotta, etc., dont l'origine est grecque.
devant a, deux fois devant o (w), six fois devant r, et encore non
pas dans tous ; partout ailleurs, pour ne pas parler des quelques
mots propres au français cités plus haut, il est resté sans modi-
fication ^ En cela, le c vélaire initial s'est comporté comme les
deux autres sourdes t et p, dont la première a persisté dans tous
les cas et dont la seconde ne s'est affaiblie en & ou -y que dans
un petit nombre de mots. Tout autre est la manière dont a été
traité le c médial.
Tandis qu'au commencement des mots les sourdes ont
généralement persisté^, au milieu elles se sont, au contraire, le
plus souvent modifiées, mais non toutefois de la même manière
dans les différentes langues romanes ; ainsi, dans le groupe
oriental, t, resté raédial, a persisté toujours en roumain, le plus
souvent en italien, mais dans le groupe du Sud-Ouest, il s'est
régulièrement transformé en d ; dans le groupe du Nord-Ouest
il s'est aussi, en provençal du moins, changé ordinairement en
sonore, tout en persistant aussi dans quelques mots, ou même
quoique rarement, il est vrai, en tombant ; en français, au
contraire, c'est cette dernière transformation qui est de règle ;
t, après s'être changé d'abord en d, a fini par être rejeté complè-
tement. Le p médial a subi des modifications analogues à celles
de t ; persistant le plus souvent dans les idiomes de l'Est, tout en
se changeant aussi parfois, du moins en italien, en b ou v, il se
transforme en sonore dans les langues du Sud-Ouest ; il en est de
même en provençal, mais en français il s'est, évidemment après
s'être changé en b, transformé définitivement en la spirante v.
Le c vélaire médial offre réunies toutes les modifications des deux
autres muettes t etp : persistance, transformation en sonore, affai-
blissement en spirante, chute. Ainsi au miheu des mots, le c vé-
laire persiste toujours en roumain, excepté dans agris (acris), 7ne-
gris (* macriceus rumex), megure (macula, pris dans le sens de
colline), sgaibe (*scabia), sgure (scoria), sigw^ (securus), où il
s'affaiblit en sonore^ ; en italien il persiste souvent encore, quoique
1. Dans certains dialectes toutefois, en particulier dans le sarde logou-
dorien, la gutturale sonore est d'un emploi bien plus grand que dans
les divers idiomes dont je viens de parler; ainsi on trouve : gasi (quasi),
gollire (coUigere), gortello (cultellum), gotale (ital. cotale), gruche (cru-
cem), etc. Cf. Delius, De7- sard. Dial. p. 6. Les patois poitevin et normand
et le ladin — du moins dans le groupe cr — en offrent aussi des exemples
qui leur sont particuliers. V. plus loin liv. IJI, chap. III et liv. IV, cliap. VI.
2. De Ciliac. Dict. d'éti/m. daco-romane. Je conserve le mode de
transcription de Diez, malgré tous ses défauts, comme le plus généra-
lement connu, tout en avouant que celui de Gihac me paraît de beau-
coup préférable.
— 42 —
non moins souvent il se change en g; cette dernière transforma-
tion est presque la seule que connaissent l'espagnol et le portu-
gais; le provençal change également le c médial en g, tout en
le transformant aussi en la spirante y ; c'est cette modification
qu'on rencontre le plus ordinairement en français, mais parfois
aussi c s'y affaiblit simplement en sonore, ou bien même il
peut tomber, ce qui a lieu aussi, mais beaucoup plus rarement,
en provençal. Les exemples suivants permettent de se faire une
idée comparative du rapport d'après lequel les diverses langues
romanes ont conservé ou changé en sonore le c médial.
LAT.
ITAL.
ESP.
PORT.
PROV.
FRANC.
acrum
agro
agrio
agro
agre
aigre
1 acum
ago
—
—
—
—
[ acuculam
aguglia
aguja
agulha
agulh
aiguille
acutum
aguto (acuto)
agudo
agudo
agut
aigu
alacrem(*um) allegro
alegre
alegre
alegre
alegre
amicam
arnica
amiga
amiga
amiga
—
amaricare
—
amorgar
—
—
—
anlicum
antico
antiguo
antigo
—
—
bracam
—
braga
braga
braga
—
caecam
cieca
ciega
cega
cega
—
caricare
caricare
cargar
carregar
cargar
—
ciconiam
cigogna
cigiiena
cegonha
—
cigogne,
V. céoine
cicutam
cicuta
cicuta
cegude
—
cigûe,
V. ceile
delicatum
delicalo
delgado
delgado
delgat
—
dico
dico
digo
digo
—
—
draconem
dragone
dragon
dragûo
drago
dragon
ebriacum
briaco
embriago
embriagado
—
—
ficam
fica
higa
—
figa
figue,
V. fie
ficarium
—
Figuera
—
figueira
figuier,
V. fier
ficatum
fégato
higado
figado
—
—
focale
—
fogar
fogal
fogal
—
focum
fuoco
fuego
fogo
—
—
formicam
formica
hormiga
formiga
—
—
jocare
giucare
jugar
jogar
jogar
—
lacuni
lago
lago
lago
—
—
lacunam
laguna
laguna
lagôa
—
—
lactucam
lattuga
lechuga
—
—
—
locale
locale
lugar
lugar
logal
local sav.
locum
luogo
luego
logo
—
—
raàcriim
magro
magro
magro
magre
maigre
miraculura
miraculo
milagro
milagre
miracle
miracle
raecum
meco
migo
migo
—
—
micam
miga v.
miga
—
miga
_
Michael
Michèle
Miguel
Miguel
—
—
— 43 —
necare
{an)negare
{a)negar
{a)negar
'^^^^^^B
• nucariara
—
noguera
nogueira
"H
pacare
pagare
pagar
pagar
pagar — ^^
paucum
poco
poco
pouco
— —
picam
pica
pega
pega
— —
plicare
piegare
plegar
—
plegar —
' precare
pregare
pregar
—
pregar —
sacrum
sagro (sacro)
sagro
sacro
sagre —
sacrât uni
sagraio
sagrado
sagrado
— sacré sav.
sambucum
sambuco
—
sabugo
— —
* saucum
—
sauco
—
— —
secale
segola
—
—
segle seigle
secare
segare
segar
segar
— —
secretum
segreto
segretoBc
segredo
secret segroisK Tr.
seculum
secolo
siglo, sie-
glo P. G.
seculo
segle siècle
secundum
seconde
segundo
segundo
segun segondv.
securiin
secure
segur
segure
— —
securum
securo
seguro
seguro
segur segur R.Tr.
* sequire
seguire
seguir
seguir
segre, seguir —
soc(e)rum
—
suegro
sogro
suegre —
spicam
spiga
espiga
espiga
— —
slomacum
stomaco
estomago
estomago
— estomac sav.
trilicum
—
trigo
trigo
— —
verecundiam
vo'gogna
vergîlenz
a vergonha
vergonha vergogne
verrucam
verruca
verruga
verruga
— —
vesicam
vesica
vesiga
vesiga
— —
On voit par ce qui précède que l'italien, tout en conservant,
comme je l'ai dit, assez souvent le c médial, le change
toutefois plus souvent en g ; cette substitution est bien plus
fréquente encore dans les dialectes, au moins dans ceux du
Nord ; ceux du Sud , au contraire , ont conservé le c plus
fidèlement que la langue littéraire. Ainsi on trouve avec un g,
amigo mil. rom., antigo id., antigu s. 1., cariga rom., figa
id., fogo id., formiga id., miga id., mandigare s. 1. {man-
ducare), pegore rom., segoro id. etc., mots que le toscan écrit
par un c*. Par contre, en napolitain et en sicilien, aco n.,
fecato n., ficatu^., lattucan., loco n., locu s., spica n.,
1. Mussafla. Darst. der romagn. Mund. 51. — Biondelli. Saggio dei dia-
letti passim. — Mussf. Darst. der allmail. Mund. 14. — Spano, Ort. sarda.
passim. Il faut remarquer toutefois que ces dialectes conservaient
autrefois la sourde bien plus fréquemment qu'aujourd'hui ; ainsi dans
le sarde logoudorien du xiv siècle on trouve souvent écrits avec c des
mots qui le sont aujourd'hui par un g ; ainsi pacu (paucum), sacramen-
tum, secretu, etc.
secï'eto n. etc., mots qui prennent un g dans l'italien classique,
ont conservé le c latin ^
L'espagnol a donné décidément la préférence à la gutturale
sonore; il n'y a peut-être de mots réellement populaires que
poco et sauco qui aient conservé le c médial ; les autres mots
qui l'ont aujourd'hui, ou l'ont repris, comme secreto, écrit avec
un g dans Berceo, ou bien sont de formation savante ou récente ;
c'est ce qui a lieu surtout pour les suffixes en ico, icar, uco, etc.,
comme dans medico (v. miege), rustico, musica, implicar,
indicar, caduco, etc. Le portugais se comporte, à deux ou trois
exceptions près, absolument comme l'espagnol ; ainsi il a donné
à cicuta la forme populaire cegude, mais il a pris pour seculum
la forme savante seculo ; il a aussi changé en pr le c de sam-
bucum, conservé par l'espagnol dans sauco ; mais dans tous les
autres mots le c médial y est traité comme dans cette langue,
c'est-à-dire qu'il s'est partout changé en g, excepté dans les
mots d'origine savante.
Dans les mots où il est resté médial 2, le c a aussi presque
partout en provençal fait place au g ; je ne connais que le mot
secret où le c ait persisté ; mais parfois aussi, comme nous
verrons plus loin, il s'y est changé en y (i) ou même est tombé.
La transformation du c en la spirante y ou sa chute est le cas le
plus ordinaire en français ; cependant devant / ou r ^ — après la
tonique — et parfois devant u ou même 0 accentué, c s'est
seulement affaibli en g. Quant aux formes où le c persiste, elles
sont presque exclusivement d'origine savante ou moderne, ou
bien ont été refaites sur le latin; tels sont 7niracle, second, siè-
cle, etc. ; parfois aussi l'idiome vulgaire y change, comme l'an-
cienne langue, cen g ; c'est ainsi qu'on entend prononcer segond,
segret, la seule prononciation d'ailleurs que le dictionnaire de
l'Académie regardait encore comme régulière dans son édition de
1694. Je parlerai plus loin de l'affaiblissement du c en y (i)
et de sa suppression, ainsi que de son changement en ch (s),
qui peut avoir lieu au milieu comme au commencement des mots.
J'arrive au c final.
1. Wentrup. Beiir. zur Kenntn. der neap. Mund. 12. — Id. Beitr. zur
Kenntn. der sic. Mund. (Herrigs, Archiv. XXV, 159).
2. La chute de la terminaison peut changer, en efifet, le c médial latin
en c final roman; dans ce cas, le provençal le conserve^ et parfois
aussi le français.
3. Voir plus loin le groupe cl et cr, livre IV, chap. V et VI.
— 45 —
Le c vélaire final est rare en latin ; parmi les mots où il
î apparaît, je ne connais que adhuc, fac, hoc, illuc et tune qui
aient passé dans les langues romanes. Je reviendrai plus loin sur
le premier ; quant au second , c y est tombé dans l'italien fà ;
il s'est changé , au contraire , en i dans le français fai(s) ;
e étant égal k a + i, on peut dire que la même transformation
a eu lieu dans l'espagnol et le roumain fe. Par contre, le c de
hoc a persisté dans le provençal oc, employé adverbialement —
bien qu'il tombe le plus souvent dans le démonstratif o et ses
composés aco (ecc'hoc), perd (perhoc), etc. — dans le vieux
français oec (Al. 109, 2 L.), hoc (id. 3, 5 L.) et le composé
avec, V. avoc (apud hoc), ainsi que dans l'italien introcque
(inter hoc), avec addition de la syllabe que. Le vieux français
Hoc (Al. QQ, 3), iloec (id. 67, 1), iluec, illec nous montre
également le c final de illuc ou illoc persistant. Enfin si l'on
fait venir donc de tune on aura un nouvel exemple de la conser-
vation du c final latin, qu'on retrouve aussi sous la forme que,
peut-être pour cque, dans l'italien dunque.
Mais si, comme on le voit par ce qui précède, le c final latin
ne pouvait passer dans les langues romanes que dans un très-
petit nombre de cas, ce n'est pas à dire que la gutturale latine
n'y apparaisse presque jamais à la fin des mots ; les terminaisons
latines autres que a tombant régulièrement, en efiet, en provençal
et en français, ainsi que dans les dialectes ladins ou italiens du
Nord, et le roumain perdant en général les voyelles finales
autres que a=: e ei e, le c médial latin devient ainsi final dans
ces idiomes*; dans ce cas, il persiste toujours en provençal et
en roumain ; en français, au contraire, il tombe ou se change
en y (i), excepté quand il est appuyé ; quant aux dialectes
italiens il s'y change en g, comme quand la terminaison per-
siste; il en est de même souvent dans les dialectes ladins, mais
parfois aussi c y persiste comme en provençal et en roumain, ou
bien il tombe comme en français, c'est ce qui a lieu en particulier
quand la voyelle qui précède est brève ^. Voici quelques exem-
ples qui permettront de se faire une idée de la manière dont le c
I. L'espagnol en général et le portugais perdent aussi cala terminaison,
mais dans ce cas le c se change en z, parfois aussi en s en portugais.
Cf. Rom. I, 454. 11 ne peut donc être question ici de la persistance de
la gutturale, et d'ailleurs c'est à une palatale non à une vélaire que l'on
a affaire.
1. Muss. Darst. der rom. Mund. 51. — Asc. Archiv. gloit. J, pass. Cf. plus
loin, livre 111, chap. II et livre IV, chap. II.
— 46 —
médial latin devenu final a été traité dans ces différents idiomes :
ROUM.
amie
amicura
anticum
arcum
cœcum
casticum
cinque *
*coco
dico
duco
fîcum
focum
iniraicum
iniquum
jocum
lacum
locum
mendicum —
paucum poc
arc
coc
zic
duc
foc
JOC
lac
loc
sambucum —
^saucum
spicum
sulcum
vicum —
soc
spic
DIAL. ITAL. DIAL. LAD.
ami
amie
antic
arc
cec
castic
cinc
die
duc
fie
foc
enemic
enic
joc, juec jeu
amigh
antigh
arc
cliasti V.
cinc V.
cui(s)
di(s)
dui(s)
feu
ennemi
cog
degg
fig
fog
lac
loc
mendie
pauc
sauc
espie
lac, V. lai^
leu, v.lieu
poc S. B.,
poi V., peu
seu v.-n.
épi
ami g r.
antig fr,
arc r.
castig fr.
gig r.
duj
fig fr.
fuoe tir.
anamig r.
— lac r.
— leuc r.
— puoc tir.
— suvig Y.
— spig fr.
— suie V.
— m g r.
A cette liste il faudrait ajouter en provençal les noms propres
de lieux formés à l'aide du suffixe iaeum, lesquels se ter-
minent en ae et quelquefois ec ; ainsi :
Aureliacum Aurilhac
Calviacum Calviac
Floriacum Florac
1. Ici nous n'avons pas à proprement parler une vélaire, comme le
prouve la forme roumaine cinci qui suppose une palatale ; mais le pro-
vençal et le français ont traité q{u€) comme vélaire, et cela suffit pour
expliquer que ce mot figure dans cette liste.
2. Il est douteux que lac soit vraiment d'origine populaire, ce qui
n'a rien d'extraordinaire si on songe qu'il n'y a pas un seul lac véri-
table au nord de la Loire ; l'ancienne forme lai montre d'ailleurs une
tentative de la langue pour donner à ce mot une forme plus régulière ;
c'est ainsi que poc est devenu poi, puis définitivement peu.
— 47 —
Ruffiacum Ruffec
Sabiniacum Savignac, etc.*.
En français, c n'étant pas appuyé s'y change en y (i) ou
tombe, comme nous verrons plus loin.
IP. '
Au lieu d'affaiblir le c vélaire en g, plusieurs dialectes l'ont
transformé en la spirante -/ ; ce son est fréquent en espagnol, où
il est représenté devant u ovl o par la^ et devant e ou i par la g,
parfois aussi par la œ, mais, comme nous le verrons, il ne paraît
pas y être le résultat de la transformation directe des gutturales
explosives : au contraire, dans les dialectes italiens où il se
présente il me paraît impossible de ne pas voir dans le son y_ une
modifiation directe du c latin, puisqu'on n'y trouve pas d'inter-
médiaire entre k et y. Cette modification n'en est que plus
curieuse ; à quelle époque s'est-elle produite ? Il est difficile de le
dire ; mais on n'y saurait voir du moins, comme l'a fait Fernow,
cité par Diez^, un reste ou comme un écho des idiomes primi-
tifs de l'Italie, dans lesquels il n'a supposé sans doute l'exis-
tence de sons analogues à ceux qui existent maintenant dans le
toscan et quelques autres dialectes, que par suite de la confusion
de l'aspirée kh et de la spirante y. Quoi qu'il en soit, cette spi-
rante X s'est substituée au c vélaire latin dans le toscan, devant
a, 0, u, où on lui donne, au commencement comme au milieu
des mots, un son analogue à celui du ch allemand ou de la J
espagnole ; ainsi casa, cosa, locanda, securo se prononcent
chasa, chosa, lochanda, sechuro. Le même fait se produit,
d'après Spano^ dans le dialecte de plusieurs districts de la
Sardaigne pour les syllabes sca, rca ; ainsi machu pour marcu
(ital. macchio), pacha "^ouvpasca (ital. pasqua), etc.
CHAPITRE II.
CHANGEMENT DU C VELAIRE EN Y (l).
Nous avons vu comment on peut passer du k vélaire à sa
spirante y et du g vélaire à la spirante correspondante y ; et nous
1. Quich. Form. franc, des anc. noms de lieu, p. 25 et suiv
2. Gram. h 254.
3. Ort. sarda p. 28. Cf. Jahrb. X, 401.
— 48 —
savons d'un autre côté que le c s'affaiblit souvent en g ; mais
du moment que le c vélaire peut se changer une première fois
en g, on comprend qu'il s'affaiblisse encore par une nouvelle
dégradation de son en ^ ; de même on s'explique que le k^ palatal,
après s'être changé en g^, puisse encore s'affaiblir en y; ou
encore que le k vélaire se 'change d'abord en k^ palatal, puis
en pfj et enfin en y ; ou bien qu'après avoir descendu la série
k, g, Y» il subisse un dernier affaiblissement et de y se
change en y. Ces modifications, dont la théorie démontre la
possibilité, apparaissent toutes en réalité dans les langues indo-
européennes. Les idiomes germaniques, en particulier l'anglo-
saxon, nous montrent les deux g se changeant en y (i), c'est-
à-dire subissant le premier les transformations successives g, y,
y ou plutôt g, g^, y, le second s'affaiblissant simplement en ?/*•
Ces changements peuvent d'ailleurs avoir lieu au commen-
cement, au milieu ou à la fin des mots ; ainsi on a 1° pour
g initial :
a. — g vélaire :
V.SAX.OUNOR.
garu v.s.
garn n.
gîna n.
— g^ palatal,
gulr n.
geolu
2^ pour le g médial :
auga n., ôga v.s.
fagrn., fagar v.s.
magad v.s.
nagli n., nagal v.s.
ANGL.-SAX.
gearo
gearn
sfânian
gestran
gist
eage
fseger
msegd
naegel
DAN. OU SUED.
yare
yarn
yawn
yellow
yester
yest, yeast
eye
fair
maid
nail
oie d.
feir^.
1. Au milieu des mots et devant une consonne Vy est remplacé par i;
ce n'est là qu'un nouvel affaiblissement et le changement de la demi-
voyelle y ou de ,/ consonne en i voyelle, changement qui s'explique
sans la moindre difficulté. « JNous avions pour point de départ dans
nos recherches, dit Vaïsse [Encyclopédie moderne au mot parole), ce fait
que la disposition extérieure des organes de la parole pouvait donner
lieu indifféremment à l'émission d'une consonne ou à celle d'une
voyelle; que, par exemple, les lèvres (?) et la langue se trouvaient
dans une position identiquement la même pour prononcer notre i
voyelle et l'y consonne des Anglais, qui n'est autre que le ; des Alle-
mands, etc. »
— 49 —
3" Enfin pour g final
dagrn., dag v.s. daeg
caeg v.s.
liggian
mega n.
weg v.s.
v.s.
caeg
licg
an
magan
vaeg
day
key
lay
'inay
way
ma s.
xieià.
Le frison donnerait lieu à des observations analogues.
Cette transformation de la gutturale sonore en y (^), si com-
mune, comme nous le voyons, dans les langues germaniques, ne
Test pas moins dans les idiomes romans ; toutefois, elle n'a lieu en
général au commencement et à la fin des mots que pour le g
palatal; le g vélaire, au contraire, y persiste ou — à la fin
des mots du moins — se transforme parfois en u en provençal,
et même en français quand il n'est pas appuyé. Le provençal
change d'ailleurs g final, quand il persiste, en c, en vertu d'une
loi propre à cet idiome. Ainsi :
largum larg lare —
longum — lonc long
plango plung plane ^ — etc.
Au milieu des mots, au contraire, le g vélaire se transforme
régulièrement en y [i) dans les idiomes du Nord-Ouest, ainsi
que dans les dialectes romans du Tyrol et quelques dialectes ladins
du Nord de l'Italie, parfois aussi en portugais dans le groupe gr,
il est vrai. Ainsi :
DIAL. LAD. ET ITAL.
fragam
fragrare
ligare
negare
paganum
plagam
fraja
neier v.
païen
plaie, etc.
— cheirar flairar flairer
lejà fr., le je tir. — — leierY.
nejà fr. ■ — —
— — payan
plaja nap. — playa
Nous avons là un procédé de transformation analogue à ce qui
se passe dans les langues germaniques ; mais tandis que dans
celles-ci le g seul à peu près peut se changer en y, dans les
idiomes romans le c, après s'être affaibli en g, peut à son tour se
transformer en cette demi-voyelle.
1. Plango donne plain{s) en français, mot où il semble bien que le g
se soit changé en i, lequel a été ensuite préposé à n. V. plus loin pour
le changement de g en «, livre 11, chap. IX.
— 50 —
Cette transformation toutefois n'a pas lieu également dans
tous ; inconnue presque complètement à ceux du groupe oriental
et du Sud-Ouest, qui se sont arrêtés au changement de c en g,
elle n'appartient en propre qu'aux idiomes du Nord-Ouest, en
particulier au français, dont elle est, avec la suppression de la
gutturale, le procédé de dérivation le plus ordinaire, tandis
qu'en provençal on rencontre presque toujours concurremment une
forme avec g et une autre avec y ou i. Les dialectes ladins du
Tyrol, du canton des Grisons et de l'Italie connaissent aussi
cette modification de la gutturale, dont on rencontre même
quelques cas au Sud de la Péninsule. Le changement de c en
y [i] ne se produit point d'ailleurs au commencement des mots,
mais il est fréquent au milieu ; en voici quelques exemples :
LAT. DIAL. LAD. ET ITAL.
PRO
V.
FRANC.
amicam
—
amiga
atnia
amie
bracam
hraja tir.
braga
braya
hraie
carrucam
charuja tir
'. —
—
—
dicam
—
diga
dia
die
(ex)sucare
sujà fr.
—
—
essuyer
ficam
—
figa
fia
fie V.
focarium
—
fogal
—
foyer
jocare
zujè tir.
jogar
—
—
micam
—
miga
miyaB.,
, mia mie
necare
—
negar
neyar
noyer
pacare
pajàîv.,
pajè tir.
payar
payar
payer
plicare
plejà fr.
plegar
pleyar
pleier (s.e.),
plier
*precare^
prejâ fr.
prejè lomb
pregar
prejar
preier{s.E.),
prier
*spicare
—
espigar
espiar
épier
secare
sejà fr.
—
—
seier\., scier
securum
sigurfr.,
sijur tir.
segur
■^
segur v.
verrucam
baruja tir.
verruga
—
—
vesicam
valija roum.
vesiga
—
vessie, etc. 2.
1. En sicilien preco donne aussi, avec j = ij, preju.
2. Sclineller. Die roman. Mimd, von Tirol. — Ascoli. Archiv. glott. \,
pass.
— 5^
Il faut ajouter à cette liste les mots où se trouvent les groupes
et ou es, lesquels changent ordinairement e en i en portugais,
en provençal et en français ; ainsi :
lat. factum port, feito
sex (secs) seis
prov. fait franc, fait
seis sis Y., etc. K
Après 0 et a la gutturale persiste, en s' affaiblissant en sonore,
en provençal, ainsi fogal et non foyal, jogar et non joyar,
verruga non verruya ; en français, elle peut se résoudre en
y {i), indifféremment dans tous les cas ; il en est de même dans les
dialectes ladins.
Vi provenant de la transformation du c médial a disparu en pro-
vençal, en ladin et surtout en français dans un grand nombre de
mots, où il était précédé d'un i étjmologique, et il semble dès
lors que le e y soit tombé purement et simplement ; mais l'an-
cienne langue permet souvent d'en retrouver la trace; c'est ainsi
que les formes miga et miya {mija P. Meyer) qu'on rencontre
dans le Boèce (v. 11, 180 et 189), nous permettent de recons-
tituer la série des transformations du latin micam dans son
passage au roman :
micam, m.ica, miga, m,iya, mia, mie.
De même plier et prier n'ont point conservé de trace du c
de plicare et precare, mais on le retrouve sous Yi de pleier
{ple-i-er) et de preier [pre-i-er), formes que nous donne la
Cantilène de Sainte Eulalie, et dont la première s'est d'ailleurs
conservée avec le changement de ei en oi dans le français moderne
ployer. On ne peut donc pas dire qu'il y a eu, dans ce cas,
chute véritable du c.
Nous avons vu qu'à la fin des mots c persiste en provençal, en
roumain et en ladin, parfois aussi en français ; mais le plus
souvent dans cette dernière langue, et quelquefois même en
provençal, il se change en i; ou bien encore en u. Je parlerai
plus loin de cette dernière transformation ; quant à celle
du c eni, il n'est pas toujours facile de la constater ; dans les
mots qai ont un i avant le c, en effet, on ne saurait dire souvent
si le c est tombé simplement, ou bien si Yi devenu final repré-
sente à la fois Yi étymologique et un i secondaire provenant de
l'afiaiblissement du c ; cet i apparaît du moins aussitôt que la
voyelle qui précède le c est a, et forme avec elle la diphthongue
1. Voir plus loin. Livre IV, chap. VII et VIII.
— 52 —
ai; c'est ce qui a lieu en français et parfois aussi en provençal
dans les adjectifs et les substantifs formés à l'aide du suffixe
acum ; ainsi :
LAT. PROV. FRANC.
*bracum — brai
ebriacum ibriai —
*veracum veray vrai, etc.
Ce fait se présente en particulier en français dans les noms de
lieu en {i)dcum, terminaison qui a été toutefois, suivant la
région, traitée d'une manière différente : c se changeant en y,
on a d'abord, comme pour le suffixe acum, après la chute de Yi
protonique, la terminaison ay, qu'on rencontre dans presque
toute l'étendue de l'ancienne langue d'oil ; ainsi :
Alisiacum Alizay (Eure),
Corturiacum Courir ay (Belgique),
Gradiacus Gray (Haute-Saône),
Severiacus Civray (Indre-et-Loire, Vienne).
Cette terminaison paraît s'être modifiée en ey dans un certain
nombre de noms, surtout de la région orientale ^ par exemple
dans :
Angeliacum Langey (Eure-et-Loir),
Poliacum Pouilley (Doubs),
Vinciacus Vincey (Vosges),
Vidiliacus Villey (Meurthe).
D'autres fois ay semble s'être modifié en é, sans doute en passant
par la forme intermédiaire è ; c'est ce qui a eu lieu surtout dans
la région de l'Ouest ; ainsi dans :
Camiliacum Chemillé (Indre-et-Loire),
Floriacum Fleuré (Vienne),
Matiriacus Mère (Seine-et-Oise),
Sabiacum Ce {Pont-de-) (Maine-et-Loire).
Mais il a pu se faire aussi que l'accent au lieu d'être sur ac fût
reporté sur i ; dans ce cas, Va de iac{um) a dû tomber, et le c
ou s'est changé en y qui s'est confondu avec Vi étymologique ou
est lui-même tombé ; le suffixe iacum s'est ainsi trouvé réduit
à y, comme dans :
1. 11 peut se faire aussi que ey soit le résultat de la transformation
directe de ce, modification de ac, forme trouvée dans d'anciennes
chartes. Cf. Mém. de la Soc. des Antiq. de l'Ouest. 1867, 2' partie, Intr. p. 2.
— 53 —
Aciniacum Acquigny (Eure),
Forminiacum Formigny (Calvados),
Rotegiacum Rouy (Nièvre),
Victoriacum Vitry (Marne)*.
Une question se présente naturellement avant de terminer ce
chapitre, c'est celle de savoir à quelle époque a eu lieu le chan-
gement de <? en 2/ («")• ^ dut sans doute se produire de bonne
heure, puisqu'on voit le c disparaître complètement dans un
certain nombre de mots dès le vf siècle ; mais cette transforma-
tion commencée dès les premiers temps du roman se continua
sans doute pendant plusieurs siècles. Dans les Serments on
trouve encore le mot sagrament, qui devait devenir bientôt
sairement, c'est-à-dire que le c n'est encore changé qu'en g,
mais dreit, plaid nous le montrent en même temps déjà trans-
formé en i. Dans la Cantilène de Sainte Eulalie le g vélaire a
persisté — en devenant palatal, il est vrai — dans regiel, v. 8,
pagiens, v. 12 et 21 ; mais le c est partout changé en i, ainsi
coist, contredist, prêter. On le retrouve sans doute dans le
Saint Léger, par exemple dans sancz 1, 2; 9, 2 ; sanct 5, 6;
12, 2; fincta 19, 1, et lucrat, 36, 4 ; mais ces mots ont un
caractère savant ; il en est de même de sacrarie dans l'Alexis,
qui nous montre, si l'on excepte le mot siècle, partout ailleurs le
t'échange en i. Ainsi à partir de cette époque on peut regarder
le changement de c en ^ (^) comme accompli dans le français.
Nous avons vu néanmoins que c s'est affaibli seulement en g
dans un certain nombre de mots où il précédait immédiatement
la voyelle accentuée {u ou o), ou la suivait en se trouvant dans
le groupe cl ou cr. C'est dans ces groupes aussi avant l'accent
qu'il paraît avoir le plus longtemps résisté sous la forme g,
tandis qu'entre deux vojelles dont la seconde était accentuée et
représentée par a, et dans le groupe et il semble s'être transformé
en y {i), dès les premiers temps de la langue. Dans le provençal
on sait que les deux formes g et y subsistèrent presque toujours
l'une à côté de l'autre, il n'y a donc pas lieu d'y rechercher
l'époque du changement définitif de c en i. Quant à son affaiblis-
sement en g, nous avons vu qu'il remonte au latin vulgaire, il a
donc dû se produire aux Yf et vu'' siècles dans les divers idiomes
où il apparaît.
I. Cf. Quicherat. Form. des noms de lieu, p. 37. La terminaison ay, ey
{iacum) passa à son tour dans le latin du moyen âge ; ainsi hiniacum
y devient Isigneium; Sabiniacum, Savigneium, etc.
CHAPITRE m.
CHUTE DU C. — DÉVELOPPEMENT DE I PAR LE VOISINAGE
DE LA GUTTURALE.
r.
Dans un certain nombre des exemples que j'ai cités du change-
ment de c en i, il est difficile de retrouver la trace de cette trans-»
formation ; si le vieux français nous donne parfois des formes
qui montrent encore Vi provenant de l'affaiblissement de la
gutturale comme prêter, pleier c. e., lairine (lacrymam), sai-
rement (sacramentum), il s'en faut qu'il nous en fournisse
toujours, et il est des cas où le c paraît bien être tombé — et
cela peut-être dès l'origine de la langue — sans laisser de traces ;
tels sont les mots français amie, die (dicam), mie, pie, etc.; les
mots ladins carié, formia, mania, mastié,plié, sié, spias, etc.
Toutefois on pourrait à la rigueur, dans ce cas, croire encore à
une contraction de Yi étymologique latin et de Vi résultant de la
transformation du c; mais il est impossible d'en soupçonner
l'existence dans des mots comme verrue (verrucam), et il faut
bien admettre qu'ici le c latin est purement et simplement tombé,
sans laisser de traces dans le roman. C'était d'ailleurs le terme
inévitable où par un affaiblissement graduel devait arriver cette
consonne, et cette suppression ne lui appartient pas en propre ;
elle a lieu aussi pour les dentales et dans les mêmes conditions et
dans les mêmes idiomes, c'est-à-dire que nulle ou à peu près au
commencement des mots, elle apparaît surtout au mQieu et est
presque générale à la fin ; qu'inconnue à peu près des langues
du groupe oriental, elle se montre déjà dans celles du Sud-Ouest,
pour devenir fréquente dans celles du Nord-Ouest et en parti-
culier dans le français ^ Ce qu'il est facile de prévoir aussi c'est
que la suppression atteint plus facilement la sonore que la
muette, et cela est vrai des gutturales comme des dentales ;
ainsi, pour ce qui est des dernières, tandis que le t médial
persiste toujours en italien, qu'il ne tombe en espagnol que dans
l. La labiale i), au contraire, ne connaît, à vrai dire, que l'affaiblisse-
ment en sonore ou, en français, en spirante : sa suppression est excep-
tionnelle. Voir d'ailleurs sur ce sujet plus loin, livre II, chap. IX.
— 55
10 (triticum), en provençal que dans le groupe tr, par
exemple paire (patrem), et exceptionnellement dans puor
(putorem), tuar (* tutare), via (vitam), en français enfin dans
un nombre encore restreint de mots comme chaîne, menue,
nourrir, roue, saluer, tuer, verre, vouer, etc., et les parti-
cipes en atuTYh ; le d disparaît déjà en italien dans quelques mots
comme aoperare (adoperare), gioja (gandia), vo (vado), etc. ;
il tombe fréquemment en espagnol et en portugais et souvent en
provençal, où il est parfois aussi, il est vrai, remplacé par z,
et toujours ou à peu près en français ; ainsi on a :
LAT.
ESP.
PORT.
PROV.
FRANC.
badium
bayo
bai
bai
bai
cadere
caer
cair
caer
choir
credere
créer
crer
creir
croire
hodie
hoij
hoje
hui
hui, oiy.
, etc
De même pour les gutturales ; ainsi, pour ne parler ici que du
g vélaire, persistant presque toujours au commencement des
mots, il disparaît souvent au milieu dans tous les idiomes
romans, mais surtout cependant en provençal et en français,
comme le montrent les exemples suivants .*
ego îo — — leu eo s.
integrum intero entero enteiro enteir entier
legalem leal leal leal leial léal v.
legumen légume legumbre légume lium leu7nL.R.
ligare ligare liar liar liar ■ lier
nigrum nero negro negro neir neir n.
peregrinum pellegrino peregrino peregrino pellerin pèlerin
pigritiam pigrizia pereza preguiça pigreza paresse
regalem realey. real real real royal, etc.
On voit par ces exemples que quand il tombe en italien et en
espagnol, le g tombe complètement, quelle que soit la place qu'il
occupe ; il en est aussi .de même en général entre deux voyelles
dans les autres langues ; ainsi prov. aost, franc. <20w^ ; prov.
rw(2 (rugam), franc, rue; pr. aûr (augurium), v.franç. «wr,
franc. mod. heur, etc. ; mais dans le groupe gr le g n'y tombe
qu'avant l'accent, par exemple dans pellerin prov., pèlerin
franc., jt^are^^c franc.; après il persiste en s'afiaiblissant en i,
comme dans enteiro portug., enteir prov., entier franc., neir
prov., neir norm.
— d6 —
Mais tandis que la chute du g est, comme on voit, assez fré-
quente, celle du c médial^ au contraire, est exceptionnelle et ne
se présente point, comme celle du g, dans tous les idiomes
romans. Inconnue du toscan, ainsi que son affaiblissement en i,
bien qu'elle apparaisse parfois dans les dialectes du Sud et du
Nord, on ne la rencontre dans les langues liispaniques que dans
deux ou trois mots ; mais en provençal, dans les dialectes ladins
et français surtout, elle apparaît comme un procédé régulier
de dérivation. Ces langues n'ont fait que continuer en cela
d'ailleurs un procédé du latin vulgaire, qui laissait déjà tomber
la gutturale médiale ; ainsi dès l'an 558 — après i, il est vrai,
— lona pour Icona (Yonne). Cette suppression exceptionnelle
encore, à ce qu'il semble, pour le c, est fréquente pour le g ;
ainsi on trouve dès le vf siècle les formes Cytheo pour Cethego,
eo pour ego, frualitas'^çiMvfrug alitas, liones pour ligones,etc. ,
et dans un document de 646, fridus pour frigidus (Yepes II,
n. 13)2.
Dans ces exemples, il semble bien que la chute de la consonne
a eu lieu directement, et il en a été souvent ainsi ; d'autres fois,
du moins pour ce qui est du c, il y a eu d'abord affaiblissement
de celui-ci en g, puis chute de ce dernier, ou bien encore trans-
formation du g en y, suivie de la fusion de cet y avec un i pré-
cédent, et par suite disparition des dernières traces de la guttu-
rale, ce qui ne permet plus de dire s'il y a eu véritable chute ou
simple affaiblissement du c. Parfois même après la disparition
de la consonne, il y a eu contraction des deux syllabes qu'elle
séparait et, partant, changement complet de la physionomie du
mot qu'il serait impossible de reconnaître si l'on n'avait point les
formes intermédiaires entre le latin et le roman actuel. C'est
ainsi que securum a donné successivement segur, sé'iir et enfin
sûr. Nous avons là un exemple du second mode de suppression
du c ; lona pour Icona, semble être, au contraire, un exemple
de chute non précédée d'adoucissement ; quant aux cas de
contraction de Vi provenant du c avec une voyelle précédente,
1. Je dis le c médial, c'est en effet le soûl qui — avec le c final —
tombe d'une manière générale ; toutefois dans le sarde logoudorien on
trouve quelques exemples de chute du c initial, ainsi Mm/7are(cumflare),
umpare (cum pare). Del. Der sardin. Bial., p. 6.
1. D'ailleurs cette chute de la consonne entre deux voyelles ou
devant une liquide ne fut pas propre seulement aux gutturales, elle
eut lieu aussi pour les dentales ; ainsi frari pour fratri, mari (matri),
Beorigas (Bituriges), Donnus pour Donatus^ etc. Cf. Schuch. I, 130.
— 57 —
5ûS"eir avons vu un exemple dans pleier, prêter de la Cantilène
de Sainte Eiilalie, et il est probable qu'il en est de même des
mots amie, mie, pie, et en général de ceux où le c médial est
précédé de i. Le nombre des cas aussi où la disparition du c est
vraiment complète est assez restreint ; on la trouve dans le
dialecte napolitain, entre deux voyelles et devant r ; dans
hriogna (verecundiam), prea (* precat), rotta (crjptam) ; en
sicilien dans putia (apothecam), adduari (allocare) ^ ; dans le
sarde logoudorien neuna (nec unam), dans l'espagnol em-
plear (implicare), dans verdear esp. et portug. (viridicare)
et dans les mots français Saône (Sauconam), sûr (securum),
verdir, verrue (verrucam) et Yonne ; en provençal il y a
presque toujours eu changement du c en i ou même simple affai-
blissement en g.
A la an des mots, le c, nous l'avons vu, s'est conservé ordi-
nairement en provençal et en roumain ; en français il a parfois
aussi persisté^ plus souvent toutefois il s'est affaibli en y (z) ; mais
dans quelques cas aussi il y a eu chute complète du c ; c'est ce
qui est arrivé, ce semble, dans les mots français ami, ennemi,
di{s) (dico), fourmi (formicum), etc.; ainsi qu'en ladin dans
ami fr., — à côté de amig, il est vrai, — caluni fr. (canoni-
cum), /?, fr., — à côté de flg, — miedi fr., ni^ni fr., spi, —
là côté de spig, — etc., et en particulier dans les dérivés en
aticum, comme salvadi fr. et tir., viadi, etc. Cette suppression
toutefois ayant lieu après i, on ne peut pas dire s'il n'y a point eu
contraction de cet i étymologique et de Vi secondaire provenant
de c, lequel, comme nous avons vu, apparaît presque toujours
aussitôt que la voyelle précédente n'est plus i.
Il est un cas cependant où la suppression du c final avait lieu
réellement dans le français du moyen-âge, c'est quand c était
suivi d'un s, soit à l'ancien nominatif singulier, soit à l'accusatif
pluriel ; c'est ce qui est arrivé au mot blanc dans les vers
suivants :
Et ont les dens plus blans que yvores planés. (Rom. d'Al.'.)
An blans dras déliez de lin. (Conte del Graal*.)
i. Wentr. Beitr. zur Kenntn. derneap. Mund. 13.— Id. Beitr. zur Ketintn.
der sicil. Mund (Herrig's Archiv. XX, 160.)
2. Voir plus haut, p. 46. — Contrairement cependant à ce qui se
passe en provençal et en français le c tombe le plus souvent en ladin
dans les noms de lieu dérivés en iacum; ainsi Luzariâ (Luceriacum),
Pahà (Paniacum), à côté de Pahac, etc. Cf. Asc. Arch. glott. I, 523.
3. Bartsch, Chrest. 110, 7. - 4. Id., id. 146, 40.
— 58 —
Il en est de même du mot hauberc dans ces vers de Blancandin
et l'Orgueilleuse d'amour :
Et li ont un hauberc vestu...
Mult ont et haubers et escus
Destriers et auferrans gernus '.
Les exemples suivants, empruntés à l'Histoire de la langue
française de M. Littré ^, mettent ce fait en évidence : « Galiens
ne loe mie le bouc a manger par ce qu'il engenre mauvais sanc. .
e se li bous est de grand aage. » (Alebrant, fol. 46.) —
« Si devez savoir que li cos, quant il commenche à canter vaut
miex que li femiele... Qui prent un cok bien viel...» (Id., f*» 47.)
Cette règle n'est d'ailleurs qu'un cas particulier d'une règle
plus générale qui veut que toute muette tombe devant s; les
exemples précédents le montrent pour t etp {dens pour dents,
dras pour draps, auferrans pour auf errants), en même temps
que pour c.
Toutefois les plus anciens monuments de la langue n'observent
point toujours cette règle ; ainsi on trouve dans la Cantilène de
Sainte Eulalie corps v. 2, dans le Saint-Léger sancz 1, 2; 9,
2; ainsi que corps, sangs, temps 82, 1; 32, 3; 53, 3, etc.,
dans la Passion; mais l'Alexis donne déjà régulièrement bans,
cors, dras, retors, etc. Au contraire, dans la Chanson de Roland,
c persiste souvent quoique suivi de 5, comme on le voit dans
ces vers :
Sur pâlies ôtonw siedent cil cevalers, v. 110.
Li sancs tuz clers parmi le cors li raiet, v. 1980.
Iloec avuns perduz trestuz nez Francs, v. 2062.
Plaies ai mortels as costez et as flancs, v. 2065.
De tûtes parz m'ist fores li clers sancs, v. 2066.
Gez blancs osbercs ki dune oïst frémir, v. 3484, etc.
Mais jo et t sont tombés dans cors v. 1980 et parz v. 2066,
et c ou t est tombé lui-même dans branz qu'on trouve assonnant
avec Francs dans le vers :
Vengez nos somes as noz acerins branz, v. 2063 '
On le voit, au moment où a été écrit le manuscrit du Roland
la règle de la suppression de la muette suivie de s n'était pas
encore toujours observée, mais elle existait, comme le montre ce
1. V. 5272 et 5331.
2. 5""' édit. Il, 355.
3. Cependant comme z est égal en général à ts, on ne peut pas dire
d'une manière absolue que t soit tombé dans branz, parz, etc. Les vers
2062, 2063, 2065 et 2066 sont cités d'après l'édition de Th. MuUer.
— 59 —
Ixte en tant de passages, et surtout celui de l'Alexis où
elle n'est jamais violée ; déjà même au xf siècle on commençait,
ce semble, à l'appliquer; ainsi, tandis qu'on trouye s ancz dans le
Saint Léger, la Passion nous donne la forme sanz, 13, 4 ;
après un siècle d'hésitation, le son de la muette dans la combi-
naison es, ps, ts étant devenu sans doute complètement insensible
à l'oreille, on supprima cette lettre dans l'écriture; c'est ce
que font toujours les meilleurs manuscrits de ce qu'on pourrait
appeler la période classique du moyen âge ; il en fut de même
jusqu'à ce qu'une fausse érudition vint au xv^ et au xvi^ siècle
rétablir ces lettres inutiles, puisque la prononciation n'en tenait
plus compte.
11°.
Dans les exemples que j'ai cités dans le chapitre précédent,
i apparaît comme le représentant de la gutturale vélaire, et
nous verrons plus loin qu'il peut aussi tenir lieu d'une gutturale
palatale ; mais il arrive aussi que, la gutturale subsistant, un i
n'apparaît pas moins comme produit en quelque sorte par le
voisinage de celle-ci ; c'est là un fait extrêmement curieux et
qu'on retrouve à la fois en portugais aussi bien qu'en espagnol ;
il semble même s'être produit dans l'italien allegro (* alacrum).
Si on considère le changement de œ {es) en ss en français et en
provençal comme une simple assimilation, \'i qui se trouve dans
les mots comme laissar prov . , laisser iranç. , doit être considéré
non comme provenant du c, remplacé dans ce cas par s, mais
comme produit par son voisinage, ainsi que cela a lieu dans le
portugais leixar ; et l'on a là dans ces deux langues un exemple
de cette production de Yi par le voisinage de la gutturale,
qu'offrent si manifestement les idiomes du Sud-Ouest et que les
mots alègre, aigre, etc., montrent d'ailleurs d'une manière non
moins évidente. Cet i a pu, au reste, comme cela a lieu en parti-
culier en espagnol, ou se confondre avec a, pour donner la
voyelle e (= a + i), ou bien, comme en portugais, donner nais-
sance à la diphthongue ei; dans les deux cas sa présence n'en
est pas moins certaine. Voici quelques exemples de ce singuHer
phénomène grammatical :
LAT.
acrem
acutum
aigre
agu* V., aigu
Cette forme agu qu'on trouve encore au xiu' siècle, ainsi dans ce
60 —
alacrem
alegre
—
alegre
alegre
aquam
aequalem
factum
igual
hecho
—
aigua
ague* V.,
*lactem
lèche
—
—
—
laxus, laxare lexos
leixar v.
laissar
laisser
macrura
mataxam
madexa
madeixa
—
maigre
nigrum
pactum
neg?'o
pecho
negro
"~~
'~~
saxum
—
seixo
—
—
aigue
— etc.
Ces exemples nous montrent i apparaissant soit isolé, soit dans
la diphthongue ai ou ei ou encore dans e = ai, dans le voisi-
nage de la gutturale vélaire ; mais comment en expliquer le
développement? Je crois que pour cela on peut supposer que
pendant la période de formation des langues romanes, le son i
qui prend si facilement naissance à la suite d'une gutturale s'est
développé après le c, puis a passé dans la syllabe précédente,
comme Vi de primarium est venu former avec a la diphthongue
ie dans le français premier, la voyelle e dans .l'espagnol
prim^ero.
Avec ce fait se termine l'étude des transformations générales
du c vélaire dans la série gutturale , étude qui nous l'a montré
persistant le plus souvent au commencement des mots et parfois
aussi à la jSn, s'affaibhssant, au contraire, ordinairement au
milieu en g on en y (z), ou même tombant. Pour épuiser la série
de ses transformations, il faudrait encore parler de son change-
ment en c, g, s, z, ts ou s, qui se produit surtout dans le groupe
des langues du Nord-Ouest ; mais je crois préférable de n'aborder
ce côté de la question qu'après avoir étudié les transformations
du c palatal, transformations analogues et qui, comme telles, sont
le prélude naturel de l'examen des modifications de même ordre
du c véJaire. Je remettrai aussi à la fin du livre second, qui doit
être consacré, comme je l'ai dit, à la première de ces lettres, à
parler de la substitution des labiales p, b, v, w ei àe u aux
vers de Blancandin :
A l'escu d'or, a l'elme agu, v. 5494-
semble bien prouver que la gutturale a conservé longtemps le pouvoir
de développer le son i.
l. Rom. des deux sœurs. Bartsch. Chresi. 49, 47.
Quant avras, Orriour, de Vague prise.
— 61 —
leux c ; pour le moment, je me bornerai à dire quelques mots
du remplacement du c vélaire par t ou s dans les quelques idiomes
où il paraît se présenter.
CHAPITRE IV.
SUBSTITUTION DE T ET DE S AU C VÉLAIRE.
P.
Nous avons vu * avec quelle facilité on peut passer théorique-
ment du son k au son t ; on ne doit donc pas être surpris de voir
ces sons se substituer l'un à l'autre dans les différents idiomes
indo-européens ; cependant cette substitution n'y est pas aussi
fréquente qu'on pourrait s'y attendre ; on la trouve toutefois
dans le grec tîç comparé au latin quis et au sanscrit kas ; dans
■jrÉvTs comparé à quinque et à pankan ; dans Téacapeç à côté de
xÉTjpsç, de katvâras et de quatuor^. Cette substitution de sons
que nous offrent les principales langues indo-européennes, se
retrouve aussi dans l'histoire du latin et de ses dérivés.
Quintilien avait déjà signalé, seulement, il est vrai, comme un
simple vice de prononciation enfantine, la substitution d'une
gutturale à une dentale ; elle se produisait sans doute à Rome,
comme chez nous dans les mots amiquié cour amitié, Guieu pour
Dieu, etc. Cette confusion paraît s'être augmentée à l'époque de
la décadence de la langue ; elle se manifeste surtout dans le
groupe tl, changé, comme les grammairiens du temps nous
l'apprennent, dans le langage populaire en cl : « statlaris,
sine c littera scribendum est », remarque Caper ; « capitulum
non capiclum », dit également l'Appendix Probi, et encore
« vitulus non viclus, — vetulus non veclus^ » ; un document
de 752 donne aussi la forme veclo qui devait persister, en se
transformant, dans l'italien vecchio et le roumain vecchiu,
comme capitulum, changé en capiclum, a donné dans la
première de ces langues capocchio, etc. On trouve également
sida pour sit{u)la dans la Loi des Alamans et sclopus pour
stlopus, sclupaverit dans la Loi Salique, etc.
1. P. 12.
2. Baudry. Gram. comp. p. 108. — Schleicher. Comp- passim.
3. Gram. veter. P. 2246. — Gram. M. K. I, 197, 198.
— 62 —
Tandis que le changement de ^ en c? apparaît ainsi à chaque
instant, — du moins dans le groupe tl — les exemples de la
substitution de tac sont assez rares, on peut citer cependant
sartophagi (?) Grut., portulaca Var., martulus, faltus pour
falco (Form. Baluze), où le c étymologique est précédé de r
ou de U.
Ces formes du latin vulgaire ont passé — celles du moins où
se trouve le groupe cl — dans les idiomes romans ; c'est ainsi
que martellus substitué à martulus (= marculus) a donné en
vieux français martel, qu'on rencontre déjà dans les gloses de
Cassel, franc. mod. marteau, prov. martel, ital. martello,
esp. martillo, roumanche marti. Ce mot, toutefois, est le seul
commun aux divers idiomes romans que je connaisse où t prenne
la place de c, mais les dialectes ladins du Tyrol présentent un
assez grand nombre de mots où cette substitution a eu lieu dans
le groupe cl initial, mêdial ou final; ainsi tlamé (clamare), tlé
(clavem), tlau (clavum), tler (clarum), tlines (crines), stlù
(claudere), cè'rtlè (circulare), fiertla (* fericulam), batotl
{* battuculum), sartl, zertl (sarculum), etc.^.
Dans tous les exemples cités jusqu'à présent du changement
de c en ^ en roman, le c étymologique entrait toujours dans le
groupe cl, dans le français cartre, chartre (carcerem), au
contraire, t s'est substitué à c précédé de r et suivi de e ou plutôt
d'un second r, puisque \e doit tomber comme voyelle atone.
Mais c'est là un fait isolé et qui ne suppose pas même nécessaire-
ment la substitution de ^ à c^.
Un cas de confusion entre c et ^, tout différent de ceux que
nous avons étudiés jusqu'ici, se présente à la fin des mots dans les
langues du Nord-Ouest. Ainsi on trouve dans les dialectes
provençaux du Nord t substitué à c dans fiot (focum), formit
(*formicum), Mzr^aif (Marsiacum), Mézériat (Miziriacus), etc.
Il en est de même dans le ladin du Frioul, dans les mots bivort
(bifulcum), lat et lad (lacum), savût et saut (sam(b)ucum) ^.
Le français, en particulier le français moderne, substitue aussi
1. Cf. Schuch. I, 160. — Diez. Gram. I, 210.
2. Schneller. Die rom. Mund. von Tirol. Cf. plus loin. Livre IV, chap. V.
3. Il pourrait se faire, en effet, que chartre fût une forme analogue
à celle du vieux français vintre (vincere), mot dans lequel il ne faut pas
voir un exemple de substitution de t à c, mais bien plutôt, le c étant
tombé, de simple intercalation d'un t après nr semblable au t adventif
qu'on trouve entre s et r dans connaistre, naistre.
4. Asc. Arch. glott. l, 522 et 523.
— «3 —
parfois t h c final; ainsi abricot (ital. alberco), artichaut (ital.
irticiocco), gerfault (ail. gerfalc), haubert (ail. halsberc),
'lerbert (Bert.) pour herberc, paletot pour paletoc; et dans les
noms de lieu Carbonnat (Carbonnacum), CM55e^(Cotiacum),etc.
L'ancien français conservait, au contraire, en général, le c,
par exemple dans branc, aubère, etc. ; certains manuscrits le
substituent même à ^ et à d, ainside fenc (Huon), renc (Blanc),
etc. La même chose se présente souvent en provençal, par
exemple ca^ec (cadit), correc (*currit), moc (movit), parec
(paruit), parlée (*parabolavit), valc (valuit), etc.
Quand c se trouve, comme dans les exemples qui précèdent,
seul à la fin du mot, il est difficile, attendu qu'il est — du moins
aujourd'hui — le plus souvent muet, de dire jusqu'à quel point,
lorsque ^ en a pris la place, il y a eu substitution véritable d'un
son à l'autre, ou s'il n'y a pas là un simple caprice orthogra-
phique ; aussi ne peut-on rien conclure dans tous ces mots du
changement du c ou du ^ étymologique en ^ ou c ; mais il n'en
est pas de même dans les groupes que j'ai examinés auparavant :
là, la substitution est incontestable.
IP.
Un certain nombre de noms de lieu formés à l'aide du suffixe
iacum ou iacus prennent en provençal, au lieu de la terminaison
ac ou at, la finale as ; par exemple Amas, Arnacus (Rhône) ,
Marsas, Marciacum (Gironde), Unias, Unisiacus (Loire), etc.
Cette désinence se retrouve aussi dans des noms formés à l'aide
du suffixe ate, atis ; ainsi dans Carpentras (Carpentrate),
Coussenas (Gurcionatis), etc. Comment expliquer la présence
de r* final dans ces mots ? Si on considère les dérivés en atis,
auxquels les dérivés en ate auront été évidemment assimilés, on
peut y voir, je crois, le résultat de l'assibilation du t de ate,
atis ; si on remarque, d'un autre côté, que c se change parfois
en t dans le suffixe iacum, on pourra admettre qu'après ce
premier changement il y a eu, comme dans les noms en ate, atis,
transformation du ^ en 5. On aurait donc ici une nouvelle
modification du c vélaire. Mais il peut se faire aussi, ce qui est
pourtant moins probable, que, le c étant tombé purement et
simplement, Y s finale ne soit autre chose que la terminaison de
l'ancien nominatif singulier, trouvée dans le mot latin lui-même
— 64 —
pour les dérivés en iacus, ajoutée par analogie aux noms formés
à l'aide du suffixe neutre iacum. Quoi qu'il en soit, laissant de
côté cette forme sans importance, je termine ici l'étude des trans-
formations générales du c vélaire pour passer à celles du c
palatal, objet du livre suivant.
LIVRE SECOND.
TRANSFORMATIONS DU C PALATAL.
L'histoire du c palatal présente des difficultés particulières,
non que les modifications en soient beaucoup plus nombreuses
que celles du c vélaire, mais à cause de l'obscurité qui a été jetée
sur cette question. En voulant, en effet, comme l'ont fait plusieurs
linguistes, trompés, je crois, par l'apparence, en expliquer les
transformations comme celles, ou même à l'aide de celles, du t.,
suivi de i et d'une autre voyelle, au lieu de le faciliter, on a seu-
lement compliqué le problème ; on n'a fait du moins que ramener
à une cause particulière, qui ne pouvait en rendre raison, un
phénomène général de phonétique. Pour éviter cet écueil, je
m'attacherai à ne demander qu'à des faits certains les renseigne-
ments dont j'aurai besoin, et je m'efforcerai surtout de ne point
confondre dans une même théorie des modifications phonétiques
qui, pour être analogues, n'en reconnaissent pas moins des causes
diverses et demandent dès lors une explication différente. La
première question que je chercherai d'abord à résoudre, c'est
celle de la date à laquelle le c palatal a dû perdre sa valeur gut-
turale; ce ne sera qu'après y avoir répondu que j'aborderai la
théorie des diverses modifications qu'il a subies ; puis, après
avoir examiné rapidement les cas où il persiste exceptionnellement
ou se change en spirante gutturale, je passerai en revue sa transfor-
mation en c, g, s, z, ts ei dz , enfin en spirante dentale {s ou ç,
z, 6 et S) . Je suivrai d'aiUeurs dans l'étude des modifications du c
palatal la même marche que pour celles du c vélaire, et j'en cher-
cherai autant que possible l'explication dans la modification
physiologique des sons, afin d'en déterminer plus sûrement la
véritable succession chronologique.
— 66 —
CHAPITRE P'.
TRANSFORMATION DE CI ET DE TI SUIVIS d'uNE VOYELLE.
Nous avons vu qu'au moment de l'invasion, la gutturale pala-
tale avait, aussi bien que la gutturale vèlaire, conser\ é sa valeur
primitive ; cependant, tandis que celle-ci a persisté dans un
grand nombre de cas, la première, à de très-rares exceptions,
s'est modifiée d'une manière qui a pu être différente sans doute,
mais qui se retrouve également dans toutes les langues néo-la-
tines, et n'a gardé dans aucune sa prononciation gutturale^; cette
transformation se présente donc comme un fait véritablement
roman et doit dès lors être très-ancienne ; mais à quelle époque
a-t-elle eu lieu en réalité ? Les grammairiens latins du v® et du
vf siècle, à plus forte raison ceux des siècles précédents, l'igno-
rent, ou du moins, ce qui revient au même, — car il est difficile
de supposer, alors qu'ils ont noté avec tant de soin, comme nous
allons voir, le changement de la prononciation de t devant i suivi
d'une autre voyelle, qu'ils eussent gardé le silence sur un fait
analogue, s'il s'était produit de leur temps, — ils n'en ont point
parlé.
Mais, si les témoignages -directs nous font défaut, nous en
trouvons d'indirects dans la substitution de ci à ti dans les ins-
criptions, t suivi de ^ et d'une autre voyelle avait au vf , et
peut-être même au v® siècle de notre ère, perdu le son dental
pour se changer en sifflante. Nous avons à cet égard les témoi-
gnages les plus formels : « Quotiescunque post ti vel di syllabam
sequitur vocalis, illud ti vel dim sibilum vertitur ~, » dit l'Afri-
cain Pompeius, qui vivait probablement au vi® siècle. Dans son
Ars de Barbarismis, un disciple de Donat, le Gaulois Consen-
tius, originaire d'une famille connue dans les lettres au v'^ siècle,
parle lui aussi de cette assibilation de ti, mais comme d'un fait
qui n'était pas encore généralement répandu : « In littera t, dit-
il ^, aliquid ita pingue nescio quid sonant, ut cum dicunt etiam,
1. Il faut excepter toutefois le sarde logoudorien, comme je l'ai déjà
dit et comme on verra plus loin.
2. Gramm. lut. V, 286 K.
3. Gramm. lut. V, 395 K. Le défaut contre lequel Gonsentius s'élève
— 67 —
nihil de média syllaba infringant. Grseci contra, uM non debent
infringere, de sono ejus infringunt, ut, cum dicunt Ojjthnum,
mediam syllabam ita sonent quasi, post t, z grsecum ammis-
ceant. » — « Cum justitia z litterse sonum exprimat, tamen
quia latinum est per t scribendum est, sicut militia, malitia,
nequitia et caetera similia, » disait à son tour, à la fin du vf ou
au commencement du vip siècle, Isidore de Séville K Ainsi,
d'après Pompeius, ti suivi d'une autre voyelle avait un son
sifflant, et d'après Consentius et Isidore de Séville, ce son était
analogue à celui du Z, grec, c'est-à-dire à ts ou dz.
Ces témoignages si positifs se trouvent encore confirmés par
les transcriptions grecques des mots latins au vf et vii^ siècle ;
ti, qui sous l'empire était représenté par xt, — ainsi Mapxioç {Mar-
tius) Roxovxtoç ( VocontiusJ, — l'est maintenant par C^ ; on lit
dans les Chartes de Ravenne :
3o)vaCto(v£), SwvaÇiovcii, Mar. Pap. dip. xciii, 83, 89.
Bovax^iovEç id. ex, 9.
axxî^to id, ex, 18.
xopsî^ovs id. xeiii, 83^.
On trouve également dans les Chartes de Naples le gothique
Kautsjôn pour cautionem. Enfin les inscriptions latines de la
même époque nous offrent plus d'un exemple de cette trans-
formation du t suivi de i et d'une autre voyelle. On trouve peut-
être dès le iv^ siècle Constanzii, Tezianus, qui nous montrent
le t de ti suivi d'une autre voyelle remplacé par z, avec persis-
tance de Vi atone ^. A la place de tzi ou zi, des inscriptions
donnent 5^, par exemple Volcasius, Vessius (Renier), Vocon-
sius (Steiner), nunsius (Fabr.), observasione (Leblant, Lyon,
v« siècle), Marsius (Pard. 670 ap. J.-C), etc. Dans d'autres,
au contraire, i disparaît, et ti est par conséquent remplacé par
tz, ts, z ou zz ; ainsi Caritze, Bonizza, Costantso et Cos-
n'était autre que Viotacisme, signalé aussi par Pompeius : « lotacismi
fît iioc vitium, quotiens post ii vel di syllabam sequitur vocalis, si non
sibilus sit. Non debemus dicere ita, quemadmod um scribitur, Jï7ms, sed
TUsius.Ev%o si volueris ti velrfi. noli, quemadmodum scribitur, proferre,
sed sibilo profer. » (Id., V, 280.)
1. Origines. L. I, 26. Ed. Lind.
2. Cf. Cors. id. I, 65. — Schuch. id. ], 153. — Diez, Gr. I, 229.
3. Schucbardt donne encore Bonifatsius que Corssen rejette non sans
raison, je crois, comme douteux, et Cretsentsianus, cité par Gruter, mais
qui est évidemment une leçon fautive. Cf. Sch. Voc. J, 153 et Cors.
Aussp. 1, 65.
— 68 —
tanzo, TCopeî^cve (Arch. Rav.). On trouve même avec ss ou sim-
plement s : Crassano (Mai, iv" siècle), Marsas (Ren. 442 ap.
J.-C), sapiensa^.
Toutes ces inscriptions n'ont pas sans doute la même valeur,
et peut-être quelques-unes, au lieu de témoigner d'une modifica-
. tion récente du ^, ne sont-elles que des provincialismes ou des
restes de l'assibilation de ^z particulière de tout temps à l'ombrien
et à l'osque ^ ; mais le témoignage formel des grammairiens que
j'ai cités, et les exemples multipliés qui apparaissent depuis le
v" siècle prouvent de la manière la plus certaine qu'à partir de
cette époque t , suivi d'un i et d'une autre voyelle, tendit à se
changer définitivement en ts, son qui fut désormais reconnu
comme le seul régulier, quoiqu'il ne fût pas, comme nous l'ap-
prennent Consentius et Pompeius, toujours employé^.
Mais on ne trouve pas seulement ti remplacé par {t)zi ou si,
on rencontre aussi à sa place la transcription ci. Cette substitu-
tion se présente d'ailleurs dans les conditions les plus différentes
et qui dès lors n'ont pas la même signification. Ainsi il semble
qu'on écrivit indifféremment par ci ou ti les mots Larcins et
Lariius, Marcius et Martia, Mucius et Mutins, Volcacius
et Volcatius, etc.^. Dans les suivants, au contraire, cza été cer-
tainement mis pour ti :
terminac(iones), defenicionis Rev. arch. Par. x, 218. (Med-
jana, a 220-235.)
disposicionem, Inscr. R. Neap. 109.
periciœ Corp. Inscr. Rhen. Bramb. 1070.
ocio Gruter 462, 1. (389 apr. J.-C.)
Prudencius Corp. Inscr. Rhen. — Bramb. 1048, etc.
Enfin du commencement du vif siècle :
neguciatoris ^
recordacionis I Le Blant, Insc. chrét. IV, 17. (Lyon,
oracionem l 601 ap. J.-C.)
stacio )
colpacioni id. id. 10 (Autun), etc.
En Gaule, en particulier, cette confusion devint générale à
1. Schuch. id. I, 152.
2. Cors. id. I, 62.
3. Voir plus haut^ p. 66.
4. Cors. id. I, 53.
— 69 —
partir du vif siècle, et les Chartes mérovingiennes en offrent de
nombreux exemples ; la substitution de ci à ti y apparaît, même,
dès le siècle précédent, mais seulement comme exception, soit
qu'on ne confondît encore que rarement ces deux sons dans le
langage, soit que les copistes eussent conservé encore les anciennes
traditions orthographiques ; ainsi on trouve dans une charte de
558 precio pour pretîo, et par contre juditiaria ipour Judi-
ciaria ; mais partout ailleurs ci et ti persistent. Il en est tout
autrement dans les chartes du temps de Dagobert, de Chlodovig
et de Chlotaire II ; ti n'est plus qu'une forme exceptionnelle, ci
la forme ordinaire ; ainsi donaciones, referencia, gracia, sub-
scricionebus ; — à côté, il est vrai, encore de^e^zV^, donatione,
prescriptionem (a. 625), etiameiprœceptione, etc. (a. 627); —
peticionibus, propicio, adjaeenciis, roboracione, vendi-
cionis, porciones, postolacione , tucius, suscripcionebus, et
seulement prœceptio et pactione (a. 628) ; une charte de l'an-
née 631 faite à Clichy et portée sous le n" 7 de la collection
Tardif a partout ci à la place de ti ; dans la charte suivante, au
contraire, ti apparaît trois fois dans benefitia, famulantiuni,
redibitiones ; les chartes n° 11 de 653, n" 12 de 656, etc.,
n'offrent plus que ci; la charte n° 10 de 652, par laquelle
l'évêque de Paris, Landry, faisait abandon de ses droits épisco-
paux sur l'abbaje de Saint-Denis, fait exception ; ci pour ti ne
s'y rencontre qu'une fois, ti a persisté partout ailleurs ; ainsi
gratia, providentia, altiora, eicJ Evidemment cette exacti-
tude orthographique tient à ce que le scribe avait une connais-
sance du latin plus grande que ses devanciers ou que ses succes-
seurs ; mais quand la tradition ne les faisait pas se conformer à
l'ancienne orthographe latine, les scribes du vif siècle, on le
voit, mettaient presque constamment ci à la place de ti.
Comment expliquer cette confusion entre deux sons originai-
rement si différents? répondait-elle à une confusion de prononcia-
tion, rendue seulement possible par une transformation delà syllabe
ci analogue à celle de ti? Il faut distinguer entre les époques; les
témoignages nombreux et irréfutables que j'ai donnés de la per-
sistance du son guttural du c palatal jusqu'au vf siècle ne per-
mettent pas de croire, pour les exemples du m®, que ci y repré-
sente la prononciation de ti assibilé ; ce n'est pas non plus entre
le son assibilé de ti et celui qu'eut ci après sa transformation
définitive que la confusion eut alors lieu , mais entre le son que
1. Monuments historiques, p. p. J. Tardif.
— 70 —
prirent ces deux syllabes avant de se changer en tsi ou ci\
antérieurement à cette transformation dernière, en effet, comme
le remarque avec raison R. vonRaumer^ ci et ti durent prendre un
son palatal qui les rendit presqu identiques ; c'est par la confu-
sion entre ces sons kjy tj, intermédiaires à ki et ti d'une part,
à tsi ou ci de l'autre, que s'explique celle qui se fit alors dans
l'emploi du <? et du ^ suivi de i et d'une autre voyelle. Quant aux
exemples du vu® siècle, ils ont une tout autre signification ; à
cette époque, t suivi de i et d'une autre voyelle avait perdu depuis
plus d'un siècle sa prononciation dentale originaire et pris le son
tsi, zi ou ts, z ; pour qu'on pût donc lui substituer ci, il fallait
que le c de cette dernière syllabe eût de son côté perdu sa
valeur gutturale primitive et pris une prononciation analogue à
celle de ti transformé, c'est-à-dire à ts{i) ou z. Quelques inscrip-
tions viennent confirmer, à ce qu'il semble, ce fait ; ainsi :
LuziœeiMarziœ'^ViY2ii.Ant.Italicœil04:,^ei\S92,i2{\Jce\Àdi)
onzias Mui-at. id. II, 25 (Lomb. 715?)
Il faut probablement y joindre
Felissiosa Renier I, 2358 (Aquartillse).
provins. Bull. arch. Rom. 1860 p. 171 ^.
Si la confusion était possible entre ci et ti, le son de ces deux
syllabes était-il identique? En d'autres termes ci avait-il au
moment où il a commencé à être confondu avec ti le même son
que cette sjdlabe? D'après un commentateur de Donat, dont nous
ignorons malheureusement l'époque et la nationalité, ci et ti ne
se prononçaient pas de la même manière : « alterum sonum, dit-il,
habet i post t et alterum post c , nam post c habet pinguem sonum,
post t gracilem ^. » Quel était ce son grêle que i prenait après t,
le son épais qu'il avait après c? Le renseignement du disciple de
Donat s'applique-t-il à la période où c et ^ s'étaient complète-
ment transformés, ou à cette période antérieure où ils avaient
une valeur palatale ? Il est difficile de répondre à cette question ,
mais il semble qu'à l'origine ci et ti transformés eurent une
valeur distincte, et cette circonstance que l'italien, qui mieux que
les autres langues romanes a dû conserver les traditions de l'an-
cienne prononciation, a donné en général à ti le son àez{i), à ci,
1. R. von Raumer, Gesamm. sprachw. Schriften, 92.
2. Cf. Schuch. id. 1, 155. — Cors. id. I, 59.
3. Gramm. lat. V, 327 K.
— 71 —
au contraire, celui de c(^i), m'en paraît une preuve irréfutable ;
seulement dans certains cas aussi, ces deux syllabes purent avoir
la même prononciation, de même qu'en se modifiant simultané-
ment, elles finirent par devenir identiques dans les langues du
double groupe occidental^, tandis qu'au contraire elles sont restées
distinctes, pour le plus grand nombre de cas, dans le groupe
oriental ^
Nous sommes arrivés à ce résultat qu'au vif siècle de notre
ère, c, suivi de i et d'une autre voyelle avait perdu sa prononcia-
tion gutturale ; mais en était-il de même quand c était suivi d'un
seul i ou d'un seul e ? Les linguistes qui ont cherché unique-
ment dans le changement de la voyelle i de la terminaison dus
en i consonne l'explication de la transformation du c qui le pré-
cède, ont rencontré ici une insurmontable difficulté : pourquoi,
en efiet, si Yi, en se consonnifiant, est la seule cause de la trans-
formation du c précédent , cette consonne a-t-elle pris aussi
devant un seul e ou i le même son c? Evidemment il n'y a pas
de réponse à la question ainsi posée, et rien ne prouve mieux
qu'il faut chercher ailleurs la solution du problème. D'ailleurs
cette explication même ne ferait que reculer la difficulté sans la
résoudre : il resterait toujours à dire, en effet, — ce qu'on n'a point
fait encore, je crois, — pourquoi Yi demeuré voyelle jusque-là s'est
tout-à-coup changé en consonne ; or ces deux faits, consonnifi-
cation de Yi, modification de la consonne précédente, sont soli-
daires l'un de l'autre ; si le second suppose le premier, le premier
ne suppose pas moins dans une certaine mesure le second, et tous
deux ne sont que le résultat complexe de l'ébranlement qui se
produisit alors dans le système phonétique du latin. Mais une
fois que cet ébranlement, qui a surtout affecté les gutturales, se
fut produit, il n'y avait pas de raison pour que le c palatal, —
pour ne parler que de cette lettre, — conservât sa valeur origi-
naire devant une voyelle simple plutôt que devant le groupe ia
ou ius. D'où vint en effet sa transformation? De la modification
1. Voir plus loin, ch. IV et V. — Il peut se faire aussi que la différence
qui apparaît clans le traitement de ti et de ci en italien tienne à ce que
ti s'étant modifié plus tôt que ci est ai-rivé à la forme is, alors que ci
n'en était qu'à c; d'ailleurs ti précédé de c ou de 7; a donné c comme ci.
La seule différence fondamentale qui a dû se manifester dans la trans-
formation de c et de t n'existe à vrai dire que dans le cas où ils sont
suivis d'un seul e ou d'un seul i; c est devenu alors, comme quand il
est suivi de i et d'une autre voyelle, c; t, au contraire, quand il s'est
modifié, n'a pu donner que ts.
— 72 —
apportée aux gutturales à l'époque de la destruction de l'empire.
Jusque-là on avait formé l'obstacle nécessaire à la production de
la gutturale palatale assez en arrière du palais dur, près de la
limite du palais mou, on le forma désormais plus avant, dans la
position où se fait entendre la vraie palatale k ; en avançant
encore cet obstacle, on devait naturellement arriver au son c,
que le c fut suivi de i et d'une autre voyelle ou d'un seul e ou i atone
ou accentué. C'est dans le fait ce qui a eu lieu. Nous avons vu
que la transformation de dus, cia, cium ne devint générale
qu'à la fin du vf ou au vii^ siècle de notre ère ; dès le suivant, le
c suivi d'un seul e ou i qui était remplacé jusque-là par k en
allemand, y est représenté maintenant par z ou par c, par
exemple :
chruzes (crucis) Hymn. 'cet. eccl. xxvi, éd. J. Grimm
p. 40 (viiF siècle).
cit pour zît (tempus) Kero p. 17 (vers 750).
luciles (parvi) ' Tat. (ix^ siècle) lu, 5.
lucil (parvum) id. id. cxxxix, 10.
Des inscriptions latines de la même époque, ou même anté-
rieures, nous montrent également c suivi d'un seul e ou i déjà
transformé ; ainsi :
Bincentce Mai. Inscr. chrét. 423, 1.
intcitamento Bull. arch. rom. 1857, p. 37. (Aricia, prem.
moitié du v* siècle.)
paze Mur. 1915, 3. (Interamna, fin du vi* siècle.)
Tzitane, Zitane (Kst-awe), etc. Mar. Pap. dipL cxxii (Rav.
591 ap. J.-C.)
zeterorum Pard. App. xiii, 6 (Kopie, 700 ap. J.-C.)
sisternœ (.?) id. cxi, 65 ( id. 528 id. )
cathazizat Gloss. du viip siècle. Grafï. A. h. d. sprach-
denk.^
Ainsi la modification du c suivi d'un seul e ou i s'est produite
suivant toute vraisemblance en même temps que sa transforma-
tion devant i, suivi d'une autre voyelle, ou ne lui a pas été de
beaucoup postérieure ^. Mais comment expliquer le changement
d'une gutturale simple dans un des sons composés c, g ou ts, et
quelles en ont été les modifications successives? Telle est la
1. Cf. Schuch. id. \, 163.
2. C'est aussi l'opinion de Diez, Gr. I, 251, et de Schuch. id. I, 163.
— 7H —
double question qu'il me faut maintenant essayer de résoudre
phonétiquement, après en avoir, comme je me suis efforcé de le
taire jusqu'ici, déterminé la date et montré le développement
historique.
CHAPITRE Jl.
CHANGEMENT DU C PALATAL EN G.
Le son c est commun dans les langues indo-européennes, et il
y apparaît le plus souvent comme une transformation de la guttu-
rale soit palatale, soit même vélaire ^ C'est comme tel que le
connaissent parmi les anciens idiomes le sanscrit, le zend et l'an-
cien bulgare ou slavon. Ainsi :
lat. quatuor lit. keturi scr. katur si. cetyryge
lat. quinque scr. panJian
scr. kan (prier) zend kahara (3e p. s.
parf. )
scr. kart (fendre) lit. kertu (je coupe) si. crutati (échancrer)
scr. kas lat. quis, quid zend Ras, Rit
lat. vocern scr. vaJiam ^
Les idiomes modernes, ceux-là mêmes qui sont sortis des
langues primitives qui, comme le latin et les anciens dialectes
germaniques, avaient conservé le plus fidèlement au k sa valeur
originelle, n'offrent pas de moins nombreux exemples de la trans-
formation de cette gutturale en c. Ainsi en ancien norois le k
avait gardé sa valeur gutturale ; mais le suédois l'a changé,
d'après Rask, en c au commencement des mots ; ainsi kek
(mâchoire), kisel (caillou), kenna (connaître), kysk{ch.2iSie), se
prononcent tchek, tchisel, tchenna, tckysk. Le k prend aussi
souvent un son analogue en danois ; il ne s'est pas moins profon-
1. Cette transformation n'est pas d'ailleurs particulière à ces idiomes,
mais on la retrouve dans presque toutes les langues; ainsi, tandis que
les Arabes d'Egypte donnent au chien le nom de kelk, les Bédouins du
désert l'appellent ischelk; dans le chinois aussi kh, k, h se changent
parfois en ts, ds. Encijcl. von Eisch u. Gruber, Art. c.
2. Schleicher, Comp. passim. II ne faut pas oublier toutefois qu'en
sanscrit k' paraît représenter bien plutôt la vraie palatale A-, que la chuin-
tante c.
_ 74 —
dément modifié dans le frison ^; mais parmi les idiomes germa-
niques, c'est surtout dans le passage de l'anglo-saxon à l'anglais
que les exemples de la transformation du c {k) en c {ch) abondent,
et que ce phénomène s'est à la fois étendu et généralisé. Tandis,
en effet, que le c anglo-saxon a gardé sa valeur gutturale en anglais
devant a, o, u et l, n, r, il s'est presque toujours dans ce der-
nier idiome changé en c devant les voyelles e et i et les diph-
thongues ou brechungs commençant par l'une d'elles, transfor-
mation qui se manifeste déjà dans le nouvel anglo - saxon ,
quoique peut-être d'une manière moins générale. Voici quelques
exemples de cette modification de la palatale germanique :
ANGL.
Chili
cheese
chin
child
check
chaff
chalk
cheap
churl
(to) choose
Quand la gutturale primitive était représentée par ku ou qu,
elle a persisté malgré la chute de Yu. Ainsi :
V. ANG.-SAX.
cele
N. ANGL.-SAX
chele
cêse
cin
cild
chin
child
ceâc
ceaf
cealc
chaf
ceâp
ceorl
cheorl
ceosan
cheosey
quellian cvellan
V. h. a. kuani cène
kiU
keen
Il en est de même parfois quand c est suivi de e ou i, non pri-
mitifs mais substitués à a, o, et le plus souvent de y, umlaut de
u. Ainsi on a par exemple :
GOT.
V. ANG. SAX.
N. ANG. SAX.
ANQ.
katils
cetel
—
kettle
cunni
cynn
ken
kin
cuning
cyning
king
king
cussian
cyssan
—
(to)
\ kiss
—
cyrice
chirche
éc.
church
kirke^.
t. Grimm, Gesch. der deutschen Sprache, l, 272. — Id. Deutsche Gram.
I», 232, 474, 485.
2. Koch, Eng. Gram. I, 128, 129. — W. MûUer, Etym. Wœrt. der engl.
Sprache, s. v. — Grimm, Deustche Gram. 1% 437.
— 73 —
mns les langues romanes, le changement du c en c est,
comme dans les langues germaniques, devenu un procédé régu-
lier de formation ; habituel en italien, en roumanche au commen-
cement des mots, et dans un des dialectes roumains, — celui du
Nord, — devant e eti, il se produit aussi en français et souvent
en provençal, ainsi que dans certains dialectes ladins, devant a,
et parfois même devant o et u, affaiblis, il est vrai, en o, e ou u\
comment expliquer cette transformation commune à tant
d'idiomes, parlés par des peuples si divers et nés sous des climats
non moins différents ? Peut-on et doit-on l'attribuer à une seule
et même cause, ou bien faut-il, comme on l'a fait parfois, cher-
cher une explication particulière pour le changement du c suivi
de i et d'une autre voyelle, ou seulement de i ou de e, ou encore
d'une voyelle autre que i ou e?On pourrait se borner à constater
le fait et conclure de sa généralité à la loi qui le régit ; mais il
est possible d'aller plus loin.
Un fait qui frappe dans l'étude des transformations du c roman,
c'est que l'obstacle nécessaire à sa production, lequel se formait à
l'origine au fond de la cavité bucale près du palais mou, ou contre
le palais mou, suivant qu'il s'agit du c palatal ou du c vélaire,
s'est, dans les modifications successives subies par cette lettre,
formé de plus en plus en avant, jusqu'à ce qu'il ait été, dans
l'espagnol et dans quelques dialectes provençaux ou ladins, formé
par la pointe de la langue et le bord des dents ; il y a là une
tendance difficile à expliquer, mais à laquelle ont obéi
fatalement les peuples romans. Ceci posé, voyons ce qui se passe
quand la langue, au lieu de venir s'appuyer contre le palais mou,
pour former l'obstacle nécessaire à la production du k vélaire,
forme cet obstacle plus en avant. Dans ce cas, au lieu de la
vélaire k, on produit la palatale k^; si on forme l'obstacle encore
plus en avant, on produit un son approchant de celui de kj\
composé de la gutturale proprement dite suivie de la spirante
correspondante ; en avançant encore davantage l'obstacle formé
par la langue, on franchit le domaine du k pour entrer dans
celui du t, et au lieu du son kj, on fait entendre le son c, composé
du t dorsal et de la spirante s, c'est-à-dire ts ou tch.
On le voit par là, c est le son qui se produit quand on passe de
la série du k à celle du t, c'est une espèce de compromis entre le
son guttural pur et le son dental; aussi n'a-t-il pu prendre
naissance que dans les idiomes dont le système phonétique avait
perdu sa force primitive ; voilà pourquoi sans doute on ne le ren-
contre ni dans l'ancien grec, ni dans le latin, ni dans le gothique.
— 76 —
où gutturales et dentales ont conservé fidèlement leur valeur ori-
ginaire ; il apparaît, au contraire, dans la plupart des langues
qui en sont dérivées, et qui, comme nous le savons, ont profondé-
ment modifié leurs consonnes ; on voit même ce son c coexister
avec le son guttural dans certains dialectes, c'est ainsi qu'en
normand chien se dit suivant les localités et parfois dans la même
localité tchien ou kien, qu'en vénitien chiave se prononce indif-
féremment kiave et ciave, etc. Il y a là ainsi comme une erreur
de la langue qui prend au hasard la position où se produit la gut-
turale, ou une position intermédiaire entre le lieu où se produit
cette dernière et la dentale. Cette position intermédiaire étant
celle qui correspond à la formation de Yi, et aussi, à peu près du
moins, à celle de l'e, le changement de ^ en c doit avoir lieu
surtout, et les faits le démontrent, pour la gutturale palatale; a,
au contraire, étant de même ordre que la gutturale vélaire, sa
juxtaposition à cette dernière ne peut qu'en favoriser la conser-
vation, u {ou) appartenant à l'ordre des labiales, sa présence à
côté de la gutturale ne peut non plus amener l'affaiblissement ou
la modification de celle-ci ; aussi k suivi de u a-t-il persisté, à
part de très-rares exceptions, dans toutes les langues romanes, et
ne s'est-il modifié devant a que dans un petit nombre d'entre
elles. Comment même a-t-il pu se transformer devant cette der-
nière voyelle ?
J'ai déjà implicitement répondu à cette question en montrant
que si au lieu de former l'obstacle nécessaire à la production de
la gutturale contre le palais mou, on le forme contre le palais dur,
au lieu d'une vélaire on donne naissance à une palatale, laquelle,
étant traitée comme une palatale primitive, donnera forcément,
en se modifiant, le son c. L'histoire des langues nous montre par
le fait que cette transformation est fréquente ; elle n'est pas rare
en sanscrit, et Bopp, généralisant trop, il est vrai, un fait parti-
culier, est allé jusqu'à regarder les palatales comme sorties des
gutturales ^ On la retrouve en zend, et les idiomes modernes
nous en offrent de nombreux exemples ; ainsi en anglais les mots
card, cube, cow, sont souvent prononcés kyard, kyube, kyow^;
et si c'est là une prononciation provinciale ou archaïque, du
temps de Walker elle était tellement en usage qu'il trouvait
1. « Dièse Classe, dit-il en parlant des premières, ist aus der vorher-
gehenden entsprungen und als Erweichung derselben anzusehen. »
Vergl. Gram. p. 13.
2. Max Miillcr. Nouv. leç. sur la science du langage, I, 179.
— 77 —
^^mpbssible » de prononcer carriage , gaTrxsmT^ sans faire
suivre la gutturale du son i ' .
Là se sont arrêtées, en ce qui concerne le c vélaire du moins,
les langues germaniques ; les langues romanes sont allées plus
loin. Nous trouvons en particulier dans les dialectes ladins toute la
série des transformations du c vélaire dans son passage du son k
au son c; ainsi dans le roumanche, carnem a donné carn; can-
tare, cantà ; mais dans le dialecte de l'Engaddine, dans celui du
Frioul et dans plusieurs dialectes du Tyrol, le c vélaire apparaît
transformé en vraie palatale, que je désignerai pour plus de sim-
plicité par a ^ ; ainsi cantare y est devenu cantar, êanta et
canti ; enfin dans deux ou trois dialectes du Tyrol, nous trou-
vons la forme c, par exemple canta (cantare), dans le dialecte
d'Ampezzo.
Cette coexistence dans la même région des sons c, c, c, mon-
tre facilement comment le premier a pu se transformer dans le
dernier, et comment aussi il a pu s'arrêter au son c. Au reste la
palatale ordinaire a pu aussi, ou s'arrêter au son c ou kj , ou se
changer définitivement en c ; ainsi dans le danois le k suivi de
œ, e, 0, i prend le son kj , il en est de même dans les dialectes
du Nord du Jutland ; en suédois, au contraire, la transformation
a été complète, et le k y prend alors d'ordinaire le son c ^. On
comprend d'après cela qu'avant le changement complet de c, il y
ait pu avoir une période plus ou moins longue où il ait pris le son
kj ou c.
Il résulte de ce qui précède que le c vélaire, pour se trans-
former en c, a dû se changer d'abord en c palatal par suite du
déplacement de l'obstacle nécessaire à sa formation vers la région
propre à ce dernier, et que le c palatal s'est transformé en c quand,
le sentiment de sa valeur originelle se trouvant en quelque sorte
perdu, l'obstacle nécessaire à sa production se forma vers la
région du t et non plus à la partie postérieure du palais dur ; cela
eut lieu, comme nous l'avons vu plus haut, vers le septième
siècle de notre ère ; quant à la transformation du c vélaire, elle
est évidemment postérieure, et elle pourrait bien n'avoir com-
mencé qu'un ou deux siècles plus tard.
1. Al. J. EUis, On early english pronunciation^ 1, 206.
2. Il ne faut pas oublier, comme je l'ai remarqué déjà (v. p. 5), que
la palatale a une valeur différente suivant que l'obstacle se forme plus
ou moins près du palais mou ; c' représente la palatale qui en est formée
le plus loin, à la limite du domaine guttural ; il est à peu près égal à kj.
3. Grimm, Gram. I«, 474, 485. — K\ihn's Zeitschrift, XII, 147.
— 78 —
Telle est l'explication que l'on peut, je crois, donner de la
transformation du c en chuintante ; elle repose sur la théorie de
Briicke, et est d'accord avec ce que Max MuUer, Gorssen et A^on
Raumer ont dit sur le sujet ; mais elle diffère de ceUe qui a été
proposée par plusieurs linguistes, en particulier par Schu-
chardt. Commentant Schleicher, et se préoccupant uniquement
du changement de c suivi de i et d'une autre voyelle, le savant
auteur du « Vocalisme du latin vulgaire » a voulu j voir le
résultat de ce qu'il appelle la palatisation de i, c'est-à-dire du
changement de i voyelle en i consonne ; il suppose que ci suivi
d'une voyelle s'est d'abord changé en kj, puis en kf {f ayant le
son de ch dans l'allemand sichel), puis en âf et en t'j" (il ne dit
pas ce qu'il représente par H, et t'J, ensuite en tf et enfin en ^s ^
Il est difficile à la fantaisie d'allei' plus loin ; malheureusement
rien ne vient justifier cette série si laborieusement composée, et
les exemples, destinés à la vérifier, la contredisent bien plutôt. Si
ci, en effet, se changeait ainsi en ts (tch), Viqni suit le t dans le
mot latin aurait toujours dû disparaître ; or de l'aveu même de
Schuchardt, il subsiste comme voyelle plus souvent qu'il ne
tombe ^, ce qui n'empêche pas le c de se transformer dans l'un
comme dans l'autre cas ; mais Yi ne peut à la fois persister et se
modifier ; cette modification n'ayant pas toujours lieu n'est donc
point indispensable à la transformation du c et ne saurait dès
lors l'expliquer à elle seule. D'ailleurs cette suppression même de
Vi du suffixe dus, cia, ciu?n, qui apparaît surtout dans le double
groupe occidental, est bien plutôt la conséquence de la loi, en
vertu de laquelley tombe toute voyelle posttonique autre que a, que
celle de sa transformation. Mais le plus grand défaut de la théorie
de Schuchardt, c'est de ne pas donner d'explication pour la
transformation du c suivi de i accentué et d'une autre voyelle,
ou d'un seul i ou e accentué ou atone, ou, à plus forte raison,
d'une autre voyelle que e ou i ; aussi l'auteur, arrêté sans doute
par l'impossibilité d'en donner la raison, s'est-il borné à constater
le fait, sans chercher à l'expliquer ; mais pourquoi n'avoir pas
fait de même pour le c suivi de i atone et d'une seconde voyelle ?
Enfin il y a dans cette théorie une supposition gratuite et une
confusion : la supposition c'est d'admettre sans en donner la
raison que Yi de dus depuis si longtemps voyelle passe tout-à-
coup à l'état de consonne ; la confusion c'est d'attribuer à cet i
1. Schuch. id. I, 150. — N'ayant point à ma disposition les signes j
et t accentués, j'ai dû les remplacer parj et t avec apostrophe.
2. Id. J, 156.
— 79 —
consonne ce qui ne lui appartient pas ou ne lui appartient qu'en
partie. L'^ consonne s'est souvent changé en chuintante ; ainsi
jugum a donné en français joug, anciennement djoug, et a
alors î; pour équivalent en grec, — par exemple !;6yov comparé
au latin jugum, au sanscrit jugam ; — c'est là un fait de
même nature — puisque 1'* consonne est une palatale — que la
transformation de c ou de pr en chuintante et qui, comme tel, ne
présente pas de difficulté. Il faut distinguer cependant ; quand il
est, en effet, précédé d'une consonne, le changement de i voyelle
en jot (j) suppose en général l'affaiblissement de la consonne
précédente ; le j semble même le plus souvent ne s'être développé
complètement qu'aux dépens de celle-ci, et en en entraînant la
suppression^; c'est ce qui est arrivé en espagnol pour 1'^ de
filium devenu hijo dans cette langue, en français au second^ de
pipionem transformé en pigeon, tandis qu'en itahen on a pour
le premier flglio avec conservation de l, pour le second pipione
avec celle Àxxp ^. Mais ici les choses ne se sont point, — d'ordi-
naire du moins, — passées ainsi, et il y a lieu de distinguer le
cas où i a persisté et celui où il est tombé ; dans le premier, il n'y
a eu évidemment que transformation du c d'abord en c, puis en c,
\i restant intact, tout en ayant servi par sa présence à la modifi-
cation du c précédent ; dans le second au contraire, si toutefois,
comme je l'ai fait remarquer, il n'est point tombé comme atone,
\'i voyelle s'est changé d'abord en i consonne ou palatal, puis
transformé en c, le c s'assimilant ou tombant. Ily a loin de là, on
le voit, quelque hypothèse que l'on admette, à la série de trans-
formations inventées par Schuchardt, transformations aussi
inutiles d'ailleurs qu'elles sont fausses pour la plupart.
Mais quel a été au juste le son du c après sa transformation ?
Diez suppose qu'il fut celui même que semblent indiquer les
transcriptions à la fois pour ti et ci, c'est-à-dire z = ts, son qui
se serait affaibli en 5 ou p, ^, 6 ou B dans le double groupe occidental,
se serait épaissi, au contraire, le plus souvent en c dans le groupe
oriental. Je ne crois pas que cette supposition soit admissible.
1. Cf. Schleicher, Die dexdsche Sprache, p. 56. La consonne persiste
cependant quelquefois, ainsi en provençal sapcha, sapchon; mais le plus
souvent sa présence n'a servi qu'à déterminer la transformation d'«
consonne en chuintante sourde ou sonore. Ce qui précède ne s'applique
pas toutefois aux nasales qui peuvent persister, que ïi reste intact ou
se transforme.
2. L'i de pipionem s'est aussi cliangè en c en italien, mais alors le p est
tombé et on a eu piccione.
— 80 —
D'abord elle est en opposition avec la théorie de la transformation
des gutturales que j'ai donnée plus haut; d'après ce que nous
avons vu, en effet, c se change d'abord en c, puis en c ; l'accord
d'une partie des langues indo-européennes ne peut laisser aucun
doute sur ce point ; dans quelques-unes sans doute on trouve
d'autres formes à la place de la gutturale primitive comme s, ts,
mais ces formes paraissent dérivées de c ; c'est donc à ce son
qu'il en faut toujours revenir. D'un autre côté, on ne voit pas
comment, après avoir passé de la série palatale à la dentale en
traversant la série intermédiaire c, le c serait revenu de la
seconde à cette dernière, surtout quand aucun fait positif ne vient
appuyer cette supposition, ni pourquoi il n'y serait revenu que
pour un certain nombre de mots et nonpaspour tous '. D'ailleurs,
si l'on étudie les transformations du c vélaire en c et en spirante
dentale, lesquelles sont chronologiquement beaucoup plus facQes
à suivre que celles du c palatal, nous voyons que c est la forme
la plus ancienne et que ce n'est que postérieurement qu'on ren-
contre les sens dérivés s, ts, s ou 0. Enfin la manière dont le g
s'est transformé dans son passage du latin au roman est encore
une preuve, je crois, que ts n'est point la modification primitive
du (?, mais bien c. Les langues du Nord-Ouest, les seules où il
cesse d'être guttural, nous montrent le g vélaire se trans-
formant successivement en g et en z, absolument comme le c
vélaire y devient c puis s ; d'un autre côté, dans toutes les
langues romanes, celles de l'Est comme celles de l'Ouest, —
l'espagnol moderne excepté, — p' ou sa forme dérivée z est égale-
ment le mode de transformation du g palatal, dz n'y apparais-
sant que comme forme exceptionnelle ou dialectale ; n'est-il pas
naturel dès lors que c soit aussi le point de départ, la forme pri-
mitive, des transformations du c palatal, comme g l'est des modi-
fications du g, et que par conséquent on ait soit c, s, soit c, ts, s,
et nonts, c ou ts, s, s pour la série régulière de ses transformations?
Ainsi c a dû être la forme première des transformations du c
palatal ; elle n'apparaît point, il est vrai, ni dans les anciennes
inscriptions latines, ni dans les transcriptions en langues étran-
gères, mais il n'en pouvait être autrement, puisque ni le roman,
ni le grec ou l'ancien allemand n'avaient de signe particulier
pour le son c ; il ne restait dès lors aux scribes qu'à prendre
1. « Wenn Diez aile italienischen tsche aus fruherem tse vergrœbert
werden laeszt, so bedarf dies wenigstens noch andere Nachweise, als
die er beibringt. » R. von Raumer. id. 95.
— 8^ —
celui qui s'en rapprochait le plus, c'est-à-dire t,ovi z; c'est ainsi
qu'au xif siècle les Grecs écrivaient 'l*ixCapco; le nom du roi
d'Angleterre Richard, représentant par Ç le signe ch, dont le
son ne pouvait être que c ou s, et que de même on trouve dans le
moyen néerlandais Charles transcrit par Tsarels, Chartreux
par Tsartroisen K Au reste il est probable que c a dû dans les
idiomes où il n'a point persisté s'affaiblir de bonne heure en ts,
et il est même possible que dans tous il ait, surtout pour certaines
formes de la terminaison, pris presqu'aussitôt après sa transfor-
mation cette forme affaiblie. Quant à t suivi de i et d'une autre
voyelle il a pu, je crois, se changer directement en ts, puisque ce
changement consiste à le faire suivre du son de la spirante de
même ordre ; cette transformation a eu lieu comme l'on sait dans
le haut allemand pour le t gothique, quelle que fût d'ailleurs la
voyelle suivante ; les langues romanes ne sont pas non plus res-
tées complètement étrangères à cette modification;, quand le t
latin est suivi d'un seul e ou f ; le roumain du Nord en offre
de nombreux exemples ; on la rencontre aussi parfois en
provençal et assez souvent dans les dialectes ladins, sous une de
ses formes affaiblies, il est vrai ; enfin elle apparaît comme un
procédé régulier de formation dans le sarde logoudorien. Il n'y a
donc pas, ce semble, de raisons pour que le t suivi de i et d'une
autre voyelle ne se soit pas changé directement en ts, comme
quand il est suivi d'un seul i ou e ; mais dans le premier cas il a
pu aussi, ainsi que nous le montrent un certain nombre de mots
et d'idiomes, en particulier quand t est précédé d'une autre con-
sonne, se changer, comme ci, en c(i).
Quoi qu'il en soit des transformations de ti dans les langues
romanes, on trouve, pour celles du c palatal, c et toutes ses formes
dérivées : g la sonore correspondante, la sourde 5, qui n'est autre
que c moins le son dental t, z la sonore correspondante, ts et dz
et leurs modifications successives p ou 5 sourd, ;s, 6 et 3. Ces diverses
formes ne se sont d'ailleurs produites, ou plutôt maintenues, le plus
souvent chacune que dans une région déterminée ; ainsi c et ^
sont particuliers aux idiomes du groupe oriental ; s et z n'appa-
1. Je trouve dans un article de Max Mûller sur la prononciation du c
latin suivi de e, i, y, la même opinion exprimée en termes presque
semblables. « This does not prove, » dit l'illustre linguiste parlant de la
représentation du c palatal latin par s ou tz en allemand, « that Latin c
before e and i was then pronounced exactly like the German - or iz, but
only that German z and iz corne nearer to the Latin sound of c before
e and i than German k or ch. » The Academy, 1871, p. 146.
6
— 82 —
raissent que comme formes exceptionnelles et le plus souvent
dans des dialectes secondaires ; ts avec ses formes aâaiblies est
la transformation propre aux langues du double groupe occidental
et au dialecte roumain du Sud. Ce sont ces modifications du c
palatal qui doivent maintenant nous occuper ; mais avant d'en
aborder l'étude, il me faut parler des cas où il persiste ou se
change en spirante.
CHAPITRE m.
PERSISTANCE DU 0 PALATAL. — SON CHANGEMENT EN SONORE
ET EN SPIRANTE.
Bien que la gutturale palatale se soit changée en c, g ou en
spirante dentale dans presque tous les cas, cependant elle a per-
sisté aussi dans un certain nombre de mots, surtout de ceux où
elle est représentée par qu. Pour ceux-ci, comme cette lettre a
toujours conservé sa valeur gutturale, les scribes n'étaient pas
en peine de chercher un signe nouveau pour la représenter ; il
n'en fut pas de même à ce qu'il semble pour les autres mots ; q
s'offrait bien à eux, ainsi que k, tout délaissé qu'il était dans les
derniers temps de l'empire ; ils s'en servirent parfois aussi, mais
ces signes ne leur suffirent pas et ils en cherchèrent un autre ;
ils le trouvèrent dans le ch inventé autrefois par les grammai-
riens latins pour représenter le y grec ; après avoir servi unique-
ment à cet usage, ce signe, comme nous avons vu, avait fini par
être employé indifféremment à la place du c vélaire ou palatal ;
après la transformation de ce dernier, il parut commode pour
représenter la gutturale palatale dans les mots où elle avait per-
sisté ; ainsi laissant à c le son c ou ts, on représenta la gutturale
palatale par k, qu et ch.
Ces trois signes ne furent point toutefois employés indistinc-
tement, ni dans les mêmes pays. Ch servit surtout en Italie, où
il se substitua même parfois à qu, — conservé aussi néanmoins,
— comme le montrent déjà les chartes de 785 à 825 , où on
trouve chi pour qui^. Il en. a été de même dans le roumain, qui
a même perdu complètement le q.
1. Au Nord de l'Italie on employa parfois aussi le k; qu y apparaît
également dans des cas où le toscan employait ch ; ainsi dans l'ancien
— 83 —
k est employé à la place de qu suivi de i dans les plus anciens
monuments de notre langue, par exemple dans l'Alexis, la Chan-
son de Roland, les Livres des Rois, les Sermons de Saint Bernard,
etc. ; ch s'y rencontre aussi, soit seul, comme dans le Psautier
d'Oxford, soit concurremment avec qu ou li, comme dans la Pas-
sion , le Saint Léger, l'Alexis, la Chanson de Roland, le Guil-
laume d'Orange, le Brut, le Rou, le Roman d'Alexandre, le
Chevalier au Lyon, etc. Quant à que (quod), on le trouve le
plus souvent écrit avec qu^ cependant ce signe a fait place à k
dans les Sermons de Saint Bernard, dans les Chansons du Châte-
lain de Coucy, les Chansons de Quesne de Béthune, — où ^ se
trouve toutefois à côté de qu, — la Romance du Chapelain de
Loon, etc. Cependant qu devait finir par se substituer à ch et à
k : l'exclusion de ch, qui servait comme signe des sons c et 5
s'explique sans peine ; pour k, l'auteur du fragment de Londres
que j'ai déjà cité en blâmait l'emploi dès le commencement du
xiir siècle et ne l'admettait que pour les noms propres ; les scribes
picards s'en servirent toutefois pendant presque tout le moyen âge' ;
mais il n'en a pas moins disparu, ainsi que le ch comme signe de la
gutturale palatale en français, laquelle n'a plus été représentée
que par qu. Les vers suivants montrent comment l'ancienne
langue employait les signes ch, k et qu.
Chi rex erct a cels dis sovre pagiens. (Gant. v. 12.)
Mais nenpero granz fu 11 dois
Chi traverse! per lo son cor. (Pass.)
Bienheureux li huem cM ne alat el conseil des félons. {L. Ps, I.)
Al servi lor qui serveit al aller. {Al. 34, 4.)
Jo n'en ai osl qui bataille li dunne
Ne n'ai tel gent ki la sue derurapet. (Roi. v. 18.)
Ki lui portât suef le fist nurrir. {Al. 7, 1.)
E par la barbe ki al piz me venlelet. {Roi. 42.)
' Se saichenl jones et viaus
Ke par ceu ke chievrefiaus
Est plux dous et flaire miaus
K'erhe ke on voie as jaus, {Aîtfr. Lied. Wackern. p. 22.)
C'est le q aussi qu'on rencontre ordinairement en provençal,
k et ch n'y apparaissent que comme exception, par exemple
dans ces vers de Boèce :
milanais d'après Bonvesin, on trouve ki B. 3 et que B. 487. — Mussafla,
Barst. der altmail. Mund. — Sitzungsb. der k. k. Akademie der Wiss. zu
Wien. 1868.
1. Ceci tient évidemment à ce que dans ce dialecte c suivi d'une
voyelle palatale pouvait avoir le son ch. Voir Liv. III, ch. III.
— 84 —
Kil mort et viii tôt a in jutjamen (v. 17.)
Clii nos redems de so sang dolzament (v. 153.)
Aujourd'hui q est le signe exclusif de la gutturale palatale en
espagnol, et, si l'on en excepte les mots d'origine étrangère
comme chimica, etc., aussi en portugais, ch étant réservé pour
représenter le son c en espagnol, s en portugais ; mais il n'en
était pas de même à l'origine de la langue ; les formes Chintila à
côté de Quintila, Rechila à côté de Requila, etc.^ qu'on trouve
dans des documents du x" siècle, nous en offrent la preuve irré-
cusable; au siècle suivant même dans le poème espagnol de « Los
reyes magos », ch apparaît encore avec la valeur gutturale dans
achesta v. 2, achesto v. 14, achest v. 16 et 85 qu'on y ren-
contre à côté de aquesta v. 12 ^. Au xiri^ siècle, on trouve encore
ch, en même temps aussi que q, comme signe de la gutturale
palatale en portugais, dans le « Cancioneiro d'ei rei D. Diniz, »
ainsi che (quod) 8, 2. Ce ne fut donc, comme on le voit, qu'assez
tard que q fut seul employé dans les idiomes du Sud-Ouest pour
représenter la palatale, et encore, comme je l'ai dit, ch a-t-il
continué en portugais d'avoir le son k dans les mots d'origine
étrangère.
Malgré les signes nombreux qui servent ou ont servi à la
représenter, la gutturale palatale latine n'a persisté dans les
langues romanes qu'assez rarement, elle n'y apparaît même d'une
manière générale — le roumain excepté toutefois — qu'à la
place àe qu^, par exemple :
LAT. IT. ESP. PG. PR. FR.
querelam querela querella querela querelha querelle
quœrere cherere querer querer querre quérir
qui, quem c^z qui{en) quem qui,chi,kiqui,chiY.,
kl V.
quod^ che que que que que, ke
quietum cheto quieto quieto quel — etc.
1. Esp. sagr. XVIII, 312 (an. 927).
2. Amador de los Bios, Hist. crit. de la lit. esp. III, 658. — Jahrbuch,
XII (1871), 46. Ed. Lidforss. Si on ne trouvait dans ce texte les mots dicho
(dictum) etnoches (noctes), dans lesquels ch d'après son origine doit avoir
le son c, on pourrait croire qu'à cette époque encore ch ne représentait en
espagnol que la gutturale ; cette orthographe montre du moins d'une
manière irréfutable combien longtemps il continua d'en être le signe à
côté de q et plus souvent même que cette lettre.
3. En anglais le c substitué à cv {=qu) anglo-saxon persiste toujours
également, comme nous avons vu plus haut.
4. Le qu de quod est vélaire en latin ; mais, par le changement de o en
— 85 —
Quand elle était, nu contraire, représentée par c, la gutturale
palatale latine n'a persisté qu'exceptionnellement. Le seul mot
italien où on la rencontre en dehors de la flexion est ciechità
(csecitatem), à côté, il est vrai, de cecità. Le roumain en offre
un plus grai;id nombre d'exemples. Ainsi, au commencement des
mots suivants :
LAT.-GREC
xéSpov
x,u[Aa, cymam
cellarium (formé sur /.eXXap-rjv)
decembrem ou §£/,eiJi.6p(ov
ROUM.
chedru
chime
>
chelariu
dechemvrie
Diez voit une influence grecque dans la conservation de la
gutturale que présentent ces mots ; cela est possible, encore que
cette influence ne se soit pas fait sentir sur cetere (y.'.Oipa),
ceremide (/.£pa[j,iGa), dont le c s'est changé en c. Dans les mots
suivants, au contraire, il faut, je crois, expliquer la persis-
tance de la gutturale par son changement de palatale en vélaire,
lequel est lui-même la conséquence du changement de Ye ou de
^^ latin en m, uoMe; tels sont :
cicutam
cucute
panticera
pentecu roum. mér
piscem
pescu id. id.
scintillam
scenteie
tacendo
tacund
Il en est de même de l'italien duca, où — peut-être sous l'in-
fluence de la forme grecque Bouxa, — Ye de ducem s'est changé
en a. La conservation de la vélaire sonore en espagnol et en
portugais dans lagarto est due aussi au changement de e en (2 —
lacartus pour lacertus, — changement fréquent devant r dans
le latin vulgaire, comme on le voit par les efforts des grammai-
riens du temps pour l'empêcher : « passer non passar, »
« anser non ansar, » lit-on par exemple dans l'Appendice
Probi. Quant aux mots roumains nuce et salce, ils nous offrent
non point, ce me semble, un exemple de la conservation du son
guttural devant e latin, mais bien devant a — devenu e Qwà,
suivant le mode de transformation propre au roumain, — nuce et
salce venant non de nucem et de salicem, mais, par un change-
ment de déclinaison de * nucam et de * salicam. Le même phé-
e, il est devenu palatal dans les langues romanes.
— 86 —
nomène grammatical se présente aussi en italien dans radica,
sorgo {sorco Dante) ^ et en espagnol dans pulga. De même, en
effet, que dans le latin classique on ironxefulica à càiè de fulix,
il a pu exister à la fois les formes radica et radix, pulica et
puliûo, soricus et sorix.^ku contraire, dans l'italien giuschiamo,
esTpagnol Jiisquiamo, irançRis jusquiame, et dans l'espagnol
squirol, provençal escurol, français écureuil, italien scojatolo,
c'est le changement de la sourde c en qu, quia amené la conser-
vation du son guttural; ces mots viennent, en effet, nonde%05-
ciamwn et de sciurum, sciurolum, mais d'une forme vulgaire
*jusquiamum, *squirolum^. Le français duc, prov, duc, esp.
et pg. duque, ainsi que le mot napolitain jureche (judicem),
semblent bien, par contre, offrir un exemple de la conservation
du son guttural du c latin, comme cela a lieu dans un des dia-
lectes sardes.
Bien que, en effet, comme nous venons de le voir, le c palatal
se transforme d'ordinaire en c ou ts dans les six idiomes romans,
un dialecte, le sarde logoudorien, fait exception à cette loi et offre
de nombreux exemples de persistance de la gutturale palatale.
Ainsi au commencement des mots :
LAT.
IT.
SARDE LOG.
cœlum
cielo
chelu
cœnam
cena
chena
centum
cento
chentu
ceram
cera
chera
cervicem
cervice
chervija
cespitem
cespite
chesva
cUiam
ciglia
chiza
cinerem
cinere
chijna
qusBsitam
—
chescia, etc.
Le plus souvent au milieu des mots le c palatal, tout en con-
servant sa valeur gutturale, s'est, comme le c vélaire, changé
dans ce dialecte en sonore. Exemples :
cimicem
cimice
chimighe
crucem
ducentos
croce
ducentos
rughe
dughentos
1. Tra maie gatte era venuto'l sorco. Inf. XII, 58.
2. C'est sans doute aussi parce que les mots roumains berbec, nue
(noyer) et soaric viennent non de *berbicem, niicem ou de soricem, mais
de "berbicum, *nucum ou de soricum, qu'ils se terminent par un c vélaire.
3. Diez, Etym. Wœrt. s. voc. giuschiamo et scojattolo.
— 87
facere
—
faghere
fornacem
fornace
furraghe
jiidicem
giudice
juighe
lucëm
luce
lughe
nucem
noce
nughe
pacem
pace
paghe
picem
pece
pighe
placere
piacere
piaghere
pulicem
pulice
pulighe
soricem
sorice
sorighe
vocem
voce
boghe, etc
Il en est de même en général de tous les substantifs ou adjectifs
dérivés en «^, acis ; ex, ecis ; ix, icis; ox, ocis ; ux, ucis,
— à l'exception de atroce et de v/eloce, — et des verbes ter-
minés en cere. Toutefois la sourde a persisté dans quelques mots,
ainsi :
dulcem
dolce
dulche
uncinam
uncino
unchinu
vervecem
—
herbeche, etc
et en particulier dans le groupe se, changé en 5 = se en italien,
par exemple :
conoscere conoscere conosehere
crescere crescere eresehere
piscinam piscina pisehina,eic.^.
Ces mots n'ont fait d'ailleurs que conserver leur forme primi-
tive; le changement du eh en gh est, en effet, assez récent; dans
les statuts de la commune de Sassari du commencement du
xiv^ siècle, et même dans ceux du siècle suivant, on trouve
encore eh médiat conservé presque partout, ainsi : faeher,
paehet, — à côté àe paghet et de paguet, il est vrai, — pla-
eher, etc.^.
Bien que le e palatal se soit transformé ordinairement en c ou
ts dans les divers idiomes romans, il ne s'ensuit pas que cette
gutturale y ait disparu ; ces idiomes, en effet, l'ont le plus sou-
I. Giov. Spano, Ortog. sarda, passim.
1. Codex diplomat. Sardinix, I, passim (t. X des Hist. pair, monum.) —
Cf. N.Delius. Der sardin. Dialekt des ["iien Jahrh. — Il est surprenant que
l'auteur dise p. 18 que la gutturale sourde médiale s'est changée en
sonore au xv siècle, quand les statuts de cette époque donnés par lui la
montrent persistant presque partout.
— 88 —
vent reconstituée en modifiant soit le vocalisme, soit le conson-
nantisme latin. C'est ainsi que par le changement de a en e la
gutturale vélaire du latin capere s'est changée en palatale dans
l'espagnol quepo (capio), que la gutturale vélaire de caudam
est devenue une palatale dans le français queue. De même par
le changement de l eni, le c vélaire du latin clarum s'est trans-
formé en palatal dans l'italien chiaro et le roumain chiar.
IP.
Quoique plus rarement les langues romanes ont aussi recons-
titué, — ou plutôt constitué, puisqu'elle n'existait pas en latin,
— l'aspirante x- On la retrouve en espagnol et dans quelques
dialectes de la Sardaigne. Ainsi dans le dialecte de Sassari, c
suivi de e ou de i et précédé de l prend le son du ch allemand
devant les mêmes voyelles, c'est-à-dire le son ■/ ; par exemple
alchi pluriel de alcu (arcum) se prononce à peu près ay;/i ;
molchi (musci) est prononcé mo/xi^- H en est de même dans
quelques autres districts de la même île pour les terminaisons
rche, sche, dont le c palatal, comme le c vélaire de rca, sca, se
change en spirante^ x est aussi le son que prennent en espagnol
la g, la j et la ^ ; mais depuis quand ces trois consonnes ont-
elles pris ce son? C'est là une question, comme celle de leur
emploi, sur laquelle je reviendrai plus tard, me bornant pour le
moment à l'indiquer^.
CHAPITRE IV.
CHANGEMENT DU C PALATAL EN C ET EN G, EN S ET EN Z.
Quoique c soit, suivant toute vraisemblance, la forme la plus
ancienne du c palatal transformé, elle n'apparaît, à vrai dire,
1. Jahrbuch, X, 403. — 2. Spano, Ortogr. sarda p. 28.
3. Voir plus loin liv. III, ch. II. — Dans tout ce qui précède, je n'ai
eu en vue que la gutturale latine, la palatale d'origine allemande a, le
français excepté, persisté dans le plus grand nombre de cas ; ainsi on a:
kiol
it.chiglia
esp.quilla
Pg
. quilha
— fr. quille
prikken
—
—
—
— esprequery.
skina
schiena
esquena
esquina
pr. esquina échine
skella
squilla
esquila
—
esquila —
vlacke
—
—
—
— flaque
zicki
ticchio
—
—
— — etc.
Voir même chapitre, III" s = c.
— 89 —
ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le remarquer, comme modifi-
cation régulière de cette lettre que dans les langues du groupe
oriental et, souvent du moins, dans le roumanche ; les idiomes
du double groupe occidental ayant préféré la forme ts, on n'y
rencontre c et son dérivé s que comme exception ou dans les dia-
lectes. D'ailleurs c n'a point été la seule forme qu'ait, même
dans le groupe qui le préfère, toujours prise le c palatal ; on y
trouve aussi, mais exceptionnellement, la sonore correspondante
g, et parfois même ainsi que dans les idiomes occidentaux, les
formes affaiblies is, dz, 5 et 5 ou ;s;. Parlons d'abord de la forme
primordiale c.
Cette forme est celle qu'a prise, au commencement des mots, le
c palatal dans l'italien du centre et le plus souvent du Sud de la
Péninsule, dans le dialecte roumain du Nord ^ et dans le rou-
manche de la vallée du Rhin. Voici quelques exemples de cette
transformation :
LAT.
ROUM".
ITAL.
ROUMANCHK.
caecum
cieco
tschocc
cœlum
lier
cielo
tschiel
cœnam
cine
cena
tscheina
centum
—
cento
tschient
caepam
ceape
cipolla
tschagoula
ceram
ceare
cera
tschêra
*ceraseam
cireale
ciriegia
tseharscher
cernere
cerne
cernere
tscherner
certare
certà
certar,e
—
cervellum
—
cervello
tschervè e.
cervicem
cerbice
cervice
—
cervum
cerb
cervo
tschierv
cessare
—
cessar
tschessar
cibum
cib
cibo
—
cymam
—
cinia
tschimma
cinerem
cenuse{*
cinuceam)cmere
tschendra
cingulam
cinge
cinghia
tschinta (cinctam)
* cinque
cinci
cinque
tschinsch
cippum
—
ceppo
tschepp
circum(cellu
vciVcerc
circo
tscherschel
1. Le roumain a étendu ce mode de transformation à la gutturale
représentée par qu, même dans les mots où elle persiste dans les autres
langues romanes; ainsi ce (qui, quid), nici (neque), cinci (* cinque), etc.
ci(vi)tatem
ecc'hoc
cetate
90 —
città
cio
tschou, etc.
Au milieu des mots, les choses se passent de la même manière
en italien, ainsi qu'en roumain, quoique parfois on trouve dans
ce dernier idiome la forme ts à côté de c ; quant au roumanche,
c s'y est affaibli le plus souvent en 5, excepté quand il est
suivi de i atone et d'une autre voyelle, cas où il conserve le
son c. Exemples :
brachium
—
braccio
bratsch
coquere
coace
cuocere
—
decem
zece
dieci
diesch
ducere
duce
ducey^e
—
dulcem
dulce
dolce
dulsch
*faciam
—
faccia
fatscha
*glaciem
ghioccia
glatsch
jacere
zete
giacere
—
lanceam
lance
lancia
lonscha
mercedem
—
mercede
mersche e
pulicem
purice
pulice, pulce
—
tacere
tece
tacere
tascher
*aucellum
—
uccello
utschel
vicinum
vecin
vicino
— etc.
Les langues du groupe du Sud-Ouest fournissent aussi quel-
ques exemples du changement de c initial ou médial en c; ainsi
en espagnol chicharo (cicerem), chico (ciccum), chine he (cimi-
cem), lechino (licinium), marcAzYo(marcidum),_pzc/zo(piceum);
en portugais murcho (murcidum). Il faut y ajouter, il semble,
un certain nombre de dérivés en aceus, oceus et uceus comme
borracha, garnacha, hornacha, muchacho, penacho, rica-
cho, verdacho, vulgacho, esp. friacho, lebracho, riacho^ pg.
garrocha, aguilucho, avechucho, carducha, capucho,
mazucho, esp.
Cette transformation du c médial en c est la plus ordinaire en
italien ; cependant dans les dérivés formés à l'aide des suffixes
1. On trouve également dans le patois de la Suisse romande c
changé en c dans tchierno (?circinum) et patche, marché, (pacem), — que
Bridel fait venir à tort de pactionem, lequel aurait donné pachon,
comme actionem a donné achon ; — ainsi que dans un certain nombre
de mots du patois poitevin de Melle par ex. tchou, tchel, itchi, etc.
Mémoires de la Société des Antiq. de l'Ouest, XXXII, 1" partie 1867, s. v.
1. De Cihac, Did. d'étym. daco-rom. — 0. Carisch, Wœrt.
— 9^ —
^ceus, icius, oceus et uceus ; on trouve parfois au lieu de c sa
forme amoindrie ts ; cette modification paraît avoir été préférée
en particulier par les dialectes du Sud de l'Italie et par le sarde
logoudorien ; c'est elle aussi qu'on rencontre ordinairement en ce
cas, — parfois, il est vrai, à côté de s, — dans le roumain,
comme nous le verrons plus loin. Dans ce dernier idiome, c s'est
aussi substitué parfois à ti suivi d'une autre voyelle, qui y est
régulièrement, comme en italien, remplacé par ts, par ex. dans
certeciune {œrtationem), inchineciune (inclinationem), neciune
(nationem), plececiune (*plicationem), teciune (titionem). En
italien, c ne se substitue à ti que quand cette syllabe est précédée
d'une autre consonne ; il en est de même en roumanche, quoiqu'on
y rencontre aussi c à la place de ti entre deux voyelles ; ainsi :
*captiare ii. cacciare roum. oberl. catschar
* comtiare conciare cuntschar
* suctiare succiare et suzzare —
pretium — roum. eng. pritsch
A la flexion, le c latin vraiment palatal, c'est-à-dire celui qui
est suivi d'un i ou d'un e étymologique, se change en c en italien
et en roumain, dans la déclinaison des substantifs comme des
adjectifs ; ainsi on a :
ROUM.
dulc-e
LAT.
dulcem
pac-em
voc-em
pece
boace
IT.
dolc-e
pac-e
voc-e.
De même les verbes dicere et ducere donnent au singulier du
présent de l'indicatif dans ces deux langues :
Lat.
Roum.
It.
Lat.
Roiun.
It.
dic-ere
zic-e
di-re
duc-ere
duc-e
dur-re
dic-o
zic
dic-o
duc-o
duc
duc-o
dic-is
zic-i
dic-i
duc-is
duc-i
duc-i
dic-it
zic-e
dic-e
duc-it
duc-e
duc-e
Quand, au lieu d'un c palatal étymologique, il s'agit d'un c
vélaire latin devenu palatal par la modification de la voyelle sui-
vante, le roumain et l'italien né~sFXDmportent plus de la même
manière; le premier, ayant sans doute perdu complètement
conscience de la valeur de la voyelle primitive et n'ayant égard
qu'à celle de la voyelle actuelle, change toujours le c en c dans
la déclinaison comme dans la conjugaison, devant les voyelles
palatales iei e. Exemples :
92 —
arc§ (arcam)
arc-e
buce (buccam)
buc-i
furnice (formicam)
furnic-i
nuce (* nucam)
nuc-e et nuc-i
sec, seace (siccura, siccam)
sec-i, sec-e
vacç (vaccam)
vac-i.
De même on a pour le présent du subjonctif du verbe dicere :
Lat. dic-am dic-as dic-at dic-amus dic-atis dic-ant
Roum. zic zic-i zic-e zic-em zic-etzi zicç
En italien, au contraire, le c reste guttural dans la conjugai-
son devant i substitué h \m a étymologique, à la seconde per-
sonne singulier du présent de l'indicatif des verbes delà première
conjugaison et à la seconde personne singulier du subjonctif pré-
sent des verbes de la seconde et de la troisième conjugaison ;
dans la déclinaison il persiste également au pluriel en e des fémi-
nins en a ; il persiste ou se change, au contraire, en c devant i,
terminaison du pluriel des masculins en a et en o. Ainsi on a
par exemple au présent de l'indicatif de peccare :
Lat. pecc-o pecc-as pecc-at
It. pecc-0 pecch-i pecc-a
et au présent du subjonctif de * torcere :
Lat. *torc-am *torc-as *torc-at
It. torc-a torch-i torc-a
Au pluriel l'intercalation de i entre le c et Va de la terminai-
son détermine le changement de la vélaire en palatale, change-
ment que la modification de Y a n'avait pu produire au singulier,
ainsi on a pour le pluriel du présent du subjonctif de * torcere :
torc-i-amo, torc-i-ate torc-ano
formes correspondant à :
* torc-amus * torc-atis * torc-ant.
On a également une gutturale au pluriel des substantifs et des
adjectifs féminins en ca ; ainsi :
amica (amicam) amich-e
nemica (inimicam) nemich-e
magica (magicam) magich-e
unica (unicam) unich-e, etc.
— 93
ja règle est plus compliquée quand c est suivi de i, c'est-à-
dire dans les substantifs et les adjectifs masculins terminés par
a, ou le plus souvent par o, au singulier.il faut distinguer entre
les dissyllabes et les polysyllabes. Les premiers, à l'exception de
porco, de vico et de Grseco, employé comme nom propre de
peuple, conservent la gutturale au pluriel. Exemples :
arco (arcum)
cieco (caecum)
fico (ficum)
foco (focum)
giuoco (jocum)
ricco (*riccum)
succo (succum)
archi
ciechi
fichi
fochi
giuochi
ricchi
succhi, etc.
Parmi les polysyllabes, ceux qui ont dans la syllabe qui pré-
cède le c une voyelle autre que i conservent également la guttu-
rale au pluriel ; ainsi :
adunco (aduncum)
adunchi
caduco (caducum)
caduchi
opaco (opacum)
opachi
paroco (parochum)
parochi,
etc.
Les polysyllabes qui ont i devant le c, c'est-à-dire ceux qui
sont terminés en ico au singulier,
1° ou conservent la gutturale ou bien la changent en c, par
exemple :
aprico (apricum)
critico (criticum)
domestico (domesticumj
fisico (fisicum)
istorico (historicum)
mendico (mendicum)
monaco (monacum)
portico (porticum)
traffico (trafficum)
salvatico (silvaticum)
unico (unicum)
aprichi, aprici
critichi, critici
domestichi, domestici
fisichi, fisici
istorichi, istorici
mendichi, mendici
monachi, monaci
portichi, portici
traffiohi, traffici
salvatichi, salvatici
unichi, unici, etc.
2° ou ils changent c en c au pluriel, comme
amico (amicum)
canonico (canonicum)
amici
canonici
— 94 —
caustico (causticum)
caustici
laico (laicum)
laici
medico (medicum)
medici
nemico (nemicum)
nemici
pacifico (pacificum)
pacifici
tragico (tragicum)
tragici, etc.^
Ainsi il semble qu'il y ait eu influence de Yi qui précède le c
pour faciliter la transformation de cette gutturale en c sous
l'action de Yi suivant, tandis que les voyelles a, o, u, au con-
traire, ont contribué, malgré Yi de la terminaison, à conserver
au c sa valeur gutturale. Quoi qu'il en soit de cette explication
que j'emprunte à M. Tobler^, je crois qu'on peut voir dans ce
fait de la persistance si fréquente de la gutturale à la terminai-
son et de son rare changement en c une preuve que le pluriel des
noms et des adjectifs italiens vient non, comme le soutenait der-
nièrement encore M. d'Ovidio ^, du nominatif, mais de l'accusatif
latin, ainsi que cela a lieu en général dans les autres langues
romanes. Cette circonstance que la gutturale persiste, comme
nous avons vu, dans la conjugaison devant i provenant de a
transformé, tandis qu'elle se change en c devant Yi épenthique
de la 1''^ et de la 2" personne pluriel du subjonctif présent, semble
bien indiquer, en effet, que quand c persiste devant une voyelle
palatale, c'est que cette voyelle n'est point étymologique, et qu'il
ne s'est transformé en c dans un certain nombre de cas que par
suite de l'oubli où l'on a été de la valeur primitive de la voyelle
suivante. C'est ainsi qu'en roumain le c vélaire s'est changé en c
partout où Y a ou Yo primitif sont devenus e ou ^, tandis que dans
les dialectes picard et normand la transformation de a en e n'a
pu lui faire perdre en général sa valeur gutturale originelle. Je
reviendrai plus loin sur ce phénomène grammatical, qui cons-
titue un des exemples les plus curieux de la conservation de
la vélaire changée en palatale.
irg = c,.
Au lieu de la transformation du c palatal en la sourde c, le
toscan et les dialectes du Midi de l'Italie présentent aussi quel-
1. D'' L. G, Blanc, Gram.der ital. Sprache. — Diez, Gram. IP, 28 et 68.
2. Gœttinger Anzeigen, 1872. N° 48, p. 1892.
3. SuW origine delV unica forma flessionale del nome italiano. Cf. Romania,
I, 492.
— 95 —
ques exemples de sa transformation en la sonore correspondante
g. Pour expliquer ce changement, on peut, je crois, admettre
que le c palatal s'est changé d'abord en g également palatal, —
modification que nous montre, ainsi que nous venons de le voir,
le sarde logoudourien ; — puis ce g se serait, comme cela a lieu
régulièrement pour cette lettre, transformé en g; ou bien on
peut supposer que le c s'est d'abord transformé en c, lequel s'est
ensuite affaibli en g. Quoiqu'il en soit, voici les mots, assez rares
d'ailleurs, qui présentent cette particularité :
abbracchiare
abbragiare
* aucellum
augello à côté de uccello
concinnare?
congegnare
*dominicellam
damigella
ducem
doge
ducentos (cf. quingenti)
dugento (s. log. dughentos)
celsum
gelso
cilium
gigghiu sic. (ciglio it.)
placentem
piagente
socerum
soggiru sic. (suocero it.)
soricem
surgi sic. (sorice it.)
vacillare
vagellare
Il en est de même en roumain dans ager (acer) — à côté de
acru (acrum) et de agyns (acris), — et dans vinge (vincit). Ce
changement paraît d'ailleurs particulier aux idiomes du groupe
oriental, les langues du Sud-Ouest ne le présentent pas, que je
sache, et celles du Nord-Ouest, qui l'ont appliqué à la gutturale
vélaire, ne connaissent en général, comme elles, pour la guttu-
rale palatale d'autre transformation que ts et ses dérivés. On
trouve cependant g — à côté de dz il est vrai, — dans pedje
et pedze (picem), ainsi que dans son dérivé pedji, en suisse
roman ; mais c'est le seul exemple qu'il y ait, je crois, de cette
modification.
g qui s'est substitué à g palatal et à i consonne en italien se
rencontre aussi exceptionnellement à la place de ti, dont le mode
ordinaire de transformation est, comme je l'ai dit, ts. Parfois
même les deux formes ts et g coexistent l'une à côté de l'autre.
Ainsi on a :
palatium palagio palazio
presentationem presentagione —
— 96 —
rationem ragione
servitium servigio servizio
stationem stagione
venationera venagione
vexationem vexagione
Il n'est pas hors de propos de remarquer que dans plusieurs de
ces mots la palatale a été remplacée aussi dans le double groupe
occidental par une sonore, seulement comme il convient à ses
langues, par une spirante dentale.
l est d'ordinaire un affaiblissement manifeste de c, et l'on
peut supposer que la seconde de ces formes a presque toujours
précédé la première ; celle-ci n'en est pas moins la seule que l'on
rencontre dans quelques idiomes qui semblent être primitife,
comme le lithuanien , mais dont on ne connaît que des monu-
ments récents ; c'est la seule aussi qu'on trouve dans un certain
nombre de dialectes romans. Bien que les grammaires semblent
dire le contraire, 5 est la vraie prononciation que les Toscans
donnent au c suivi de e ou de z, prononcé tch dans la plupart des
autres dialectes italiens, comme ils donnent au g un son analogue
à celui du j français. Cette valeur s est aussi, comme nous
l'avons vu, celle que prend en général, au milieu des mots, le c
palatal dans le roumanche de l'Oberland, tandis qu'au commen-
cement il a la valeur c ; dans le roumanche de la vallée de l'Inn,
au contraire, le c palatal s'est d'ordinaire, au commencement
comme au milieu des mots, changé en s; il en est de même
assez souvent dans les dialectes de la Suisse romande ^ ; ainsi au
commencement des mots :
LAT.
s. ROM.
ROUMANCHE ENG.
ROUMANCHE OBERL
centum
cheint
schient
tschient
certum
—
schert
—~
1. Souvent aussi, il est vrai, on trouve en même temps les deux for-
mes s et 5; ainsi se (ce) et che, ceint et cheint, chin et cein, etc. Or si l'on
remarque que ïs étymologique s'épaissit souvent en ch, comme dans
chen (sanctum), chon (sont), etc, on sera amené à penser que le ch qui
représente parfois dans les patois suisses le c palatal latin transformé
est peut-être, — souvent du moins, — non l'affaiblissement immédiat du
son composé tch, mais, comme ch substitué à s étymologique, un
épaississement ultérieur de la spirante dentale alvéolaire; à moins qu'on
- 97 —
vv
cmeram
cheindre
schendra
tschendra
cinque
chin
schinc
tschinscit
cinctara
—
schinta
tschinta
cœlum
chi
—
tschiel
ecc' hic (hoc)
chi, cite
—
tschou
ecc' illum
chel
—
tschell, etc
Au milieu des mots, les dialectes ladins du Tyrol, à côté de sa
transformation en ts, p, 6 ou o offrent aussi, comme les deux dia-
lectes roumanches, quelques cas du changement du c palatal en
s. Exemples :
LAT.
ROUMANCHE OBERL
. ROUMANCHE ENG.
LAD. TYR.
acetum
as
—.
calicem
—
calisch
crucem
crusch
crusch
cros
decem
diesch
disch
—
decet
descha
—
—
dulcem
—
dulscJi
forbicem
forsch
forscli
forfel, forbel
hirpicem
—
—
erpel
laricem
larisch
larsch
lars, larel
lucem
—
glûscJi
—
mercedem
—
mersch
—
pacem
pasch
pasch
pas Amp.
picem
—
—
pel
placere
plascher
plascher
plaler
pernicem
—
pernisch
—
* pollicem
—
pollisch.polsch —
* pulicinum
—
pluschein
—
romancium
rumonsch
—
—
salicem
—
salisch
—
vascellum
—
vaschi
—
vocem
vusch
vusch
1
Il en est de même dans le patois savoyard de la Tarentaise dans
daouche (dulcem), viche (vicium), etc.
Dans quelques dialectes du Nord de l'Italie, en particulier
ne voie, ce qui sera, je crois, plus exact, dans la substitution de ? à s
étymologique, une extension du son 5, transformation du c palatal, à
cette spirante.
1. 0. Carisch, id. — Schneller, Die rom. Mund. v. Tirol. — Ascoli,
Archivio glotlol. pass.
— 98 —
dans le Milanais, ainsi que dans certains patois du Tessin, le c
palatal se transforme parfois en s{sc), — en même temps, il est vrai,
qu'en z (= ts) ou s, ou même en c, comme en italien. — C'est ce
qui a lieu au commencement des mots suivants :
LAT.
ITAL-
MILAN.
DIAL. D. LEVANTINA
* ceraseam
cervellum
ciriegia
cervello
sciurvel
scireisa
cimicem
cinerem
cimice
cinere
~~'
scimas
scendra
cippum
ceppo
scepp
—
Il en est de
même pour le
c médial dans les mots :
* feciam
lucium
feccia
luccio
fescia
lusc
I
*panticeam
porci
* torcere
pancia
porci
torcere
panscia
porscei
storsc ^
On rencontre encore parfois s en roumain à la place du c
palatal dans les dérivés formés à l'aide des suffixes en acius,
icius et uceus ; ainsi
1" pour les dérivés en aceus ou acius :
LAT.
* anellaceum
* arendaceum
* arraaceum
* caballaraceum
* calceonaceum
* digitaceum
* palumbaceum
* vitellaceum
ROUM.
inelas
arendas (fermier)
armas
cèleras
celtzunal
degetas
porumhas (prunelle)
vitzelas, etc.
2" pour les dérivés en iceus ou icius et uceus :
ascutzis
albul
ceus, etc.^
Enfin, comme nous le verrons, s est la forme que le c palatal
prend presque toujours en picard et le plus souvent aussi en
* acuticium
* albuceum
* cauceum
t. Biond. Saggio, passim. — Ascoli, Archivio, pass.
2. Diez, Gram. li, 314 et suiv. — De Cihac, Dict. s. voc
99 —
normand, il en est de même dans les mots français suivants, la
plupart, il est vrai, d'origine douteuse :
* capitium
cicerem )
ciccum \
cichoreum
cifram
chevêche
chiche
chicorée
chiffre
circare
ferocem (?)
*pulicem
ramicem
chercher
farouche
pouliche
ranche^.
Chiffre est d'origine arabe ; l'ancienne forme de chercher est
cercher ; la forme chercher apparaît d'abord dans Commine,
c'est-à-dire à la fin du xv" siècle; depuis lors elle a été la seule
usitée ; on a dit chercher pour cercher probablement par assi-
milation. Il a dû en être de même pour chevêche, l'ancienne
langue disait chevece. Mais pourquoi chicorée, qui s'écrivait
aussi autrefois cicorée, a-t-il pris sa forme actuelle ? Il est assez
difficile de le dire; au xvf siècle, Olivier de Serres emploie encore
la forme cicorée, en même temps, il est vrai, que chicorée ; peut-
être y a-t-il eu dans le choix de cette dernière une influence de l'ita-
lien acorea. i^«rowc/ie n'est pas moins obscur, mais son origine
est plus ancienue, et on le trouve dèslexiif siècle; si on remarque
que la forme provençale correspondante est ferotge ou ferogge,
on sera tenté de le faire venir d'un type * feroticmn plutôt que
àe ferocetn. Pouliche n'est point français, pulicem ou *puli-
ciam eût donné poulisse, comme junicem ou *juniciam a donné
génisse ; la forme pouliche est un emprunt fait par le dialecte
de l'Ile de France au normand ou au picard, qui disent l'un et
l'autre 'pouliche et geniche. Peut-être ranche appartient-il
aussi au picard, ainsi .que chiche (cicerem) ; mais le mot
chiche (ciccum) reste une énigme ; ciccum ne pouvant donner
que cic, il faudrait pour l'expliquer supposer une forme
* dccam, qui donnerait sans doute régulièrement ciche, d'où
1. On admot d'ordinaire qu'il en est encore de même pour les mots
suivants: barbiche, bourriche, bretèche, caniche, caboche, coqueluche, cjrino-
che, filoche, gallesche \., galoche, guenuche, levriche, litoche, mailloche,
panache, peluche, pioche, revéche, rondache, taloche, qu'on regarde comme
des dérivés en acius, ictus, oceus ou uceus ; j'aime mieux y voir pour Ja
plupart des dérivés en acus ou ascus, icus ou iscus, ocus, ucus ou uscus
et (n)ticus; l'ancienne orthographe bretesche, gallesche, revesche, à côté
de revois, et les formes picardes ou normandes epinoque, filoque, pluqur,
rendent cette étymologie évidente pour les mots correspondants; quant
aux autres, ou ils ont une même origine, ou bien ils ont été empruntés
par le français à d'autres dialectes.
— ^oo —
par assimilation chiche, mais qui est inconnue ^ Quant à bam-
boche^ bravache, cartouche, corniche, douche, escarmouche,
ganache, gouache, moustache, postiche, sacoche, la chuin-
tante s qui s'y trouve provient de l'affaiblissement du c des mots
italiens dont ils sont dérivés ; il n'y a donc pas lieu de les compter
ici.
De même qu'à côté de c on rencontre la sonore correspondante
^ , de même les dialectes ladins de l'Engaddine et du Tyrol, et
quelques dialectes du Centre et du Nord de l'Italie offrent au lieu
de s la forme i à la place du c palatal médial ; soit que celui-ci se
soit d'abord transformé en g, lequel donne souvent z dans ces
dialectes, soit qu'il ne faille voir dans ce sonz qu'un simple affai-
blissement de s en sa sonore^. Quoi qu'il en soit, voici quelques
exemples de cette transformation . Dans le sarde et le génois x=-z.
LAT.
LAUIN
DIAL. IT-N. SARDE CAMP,
ROUM.
TYR.
acetum
az B. E.
aze, azedo
— axedu
acinam
—
—
— axina
' aucellum
—
—
uzelw Borm. —
calicem
—
—
— calixi
' cimiceum
—
—
— cimixiu
cruces
—
crozes
— ■ —
decem
—
—
— dexi
dicebam
—
dizeva
— —
larices
—
larzi
— —
lucem
—
—
— luxi
nocere
nouzer
—
— —
placere
plazer Ob.
plazer.
plazer —
plazairB.E
.piezer
V. Borm.
pulicem —
— pulixi
1. Cf. Littré. Dict. s. v. Dans ce qui précède je n'ai parlé que de la
palatale d'origine latine, la palatale d'origine germanique a été traitée
tout autrement et, ou elle a persisté, ou, comme la spirante de même
ordre, elle s'est changée en ch, ainsi : déchirer (skerran), échine (skina),
eschielle v- (skella), hache (hacke), 7-iche (rîchi), tricher (trekken).
2. Cette seconde supposition acquiert un degré de vraisemblance
d'autant plus grand qu'on rencontre les deux formes s et z parfois dans
le même mot, ainsi cros, plur. crozes, lars et larzi dans le ladin d'Am-
pezzo, piazer et pias dans celui du val de Fassa.
— ^0^ —
racemum
tacere
vicinum
vincere
vocem
— ruzm
tazair b. e. te^er
— veHn
— venzer
— biœinu, veœin gën.
— boœe, etc.^
Cette forme z commune dans les langues du groupe du Nord-
Ouest comme modification de la gutturale vélaire ne s'y substitue
que très-exceptionnellement à la gutturale palatale, — par
exemple en berrichon pege (picem) , ugé (aucellum) dans le
Jura, auge dans les Vosges, oujà à Namur, forges (forflces) en
normand, en tarin regin, vegin, à côté de resin, vesin; — ces
langues, ainsi que celles du Sud-Ouest, ne connaissent véritable-
ment, si Ton en excepte quelques dialectes, que la transforma-
tion du c palatal en ts et en ses dérivés ; c'est de ces modifications
du c qu'il me faut maintenant parler.
CHAPITRE V
CHANGEMENT DU C PALATAL EN TS ET DZ.
La transformation du c en ts est fréquente : on la rencontre
dans les langues slaves qui l'appliquent au c vélaire, comme au
c palatal ; ainsi en slavonc^rz, abréviation decè5«n(ca3sarem),
rosse tsar ; cvetû (fleur) en slavon, à côté du tchèque kvet ^ . ts
est aussi le son que le c palatal a pris souvent dans le néerlan-
dais et déjà dans l'ancien frison; ainsi : tzierke fr. tsierke n.
(s. circe), tzieseîv. (v. fr. kiasa) ; tsierl n. (a. s. ceorl.) ^. Mais
quoique ts apparaisse ainsi comme la transformation directe du
k primitif ; il n'y faut voir néanmoins qu'un affaiblissement du
son plus complexe c, qui d'ailleurs subsiste soit seul, soit à côté
de ts, dans plusieurs idiomes de la même famille ; ainsi le slavon
connaît à la fois c, — par exemple dans crûvï, sanscrit krmis
(ver), — et c {ts); — par exemple dans cvetû. — De même à côté
du frison tzierke, néerlandais tsierke, on a l'anglais church ;
au fr. tziese correspond l'ang. c/^oo■se, aunéerl. tsiev'l, churl.
Les idiomes romans, comme nous le savons, possèdent aussi les
deux formes ; ainsi l'italien et le dialecte roumain du Nord ont
1. Spano, Orlog.sarda passim. — Ascoli, ^rc^ï«/o, pass.
2. Schl. Comp. pass. — Dans la plupart des idiomes slaves c = Is.
3. Grimm, Deut. Grain. 1 \ 232, 424.
— ^02 —
c là où les idiomes occidentaux font usage de ts ou de ses formes
affaiblies. Cette double manière de représenter le c palatal latin
divise ainsi les langues romanes en deux groupes distincts, celles
de l'Est qui l'ont transformé en c, celles de l'Ouest qui l'ont
assibilé: ce n'est pas, comme nous verrons et comme je l'ai déjà
dit, qu'on ne rencontre dans chacun de ces groupes des formes
qui ne lui appartiennent pas en propre, mais, malgré quelques
exceptions, il n'en reste pas moins ce fait incontestable et phoné-
tiquement si curieux et important que les Romans de l'Ouest
n'ont, depuis une époque reculée, connu en général qu'une seule
forme ts\ pour le c palatal et le t modifié, tandis que les Romans
de l'Est ont en général distingué les modifications de ces deux
lettres en donnant à la première le son c, à la seconde celui de ts.
Mais à quelle époque eut lieu le changement du c palatal en
ts ? J'ai admis qu'il dut, dans tout le domaine roman, se trans-
former d'abord en c, son qu'il a conservé le plus souvent dans
l'italien, le dialecte roumain du Nord et le roumanche, et a, au
contraire, atténué en ts dans la plupart des idiomes du double
groupe occidental. Des documents incontestables nous montrent
qu'au XII'' et au xiif siècle le c avait en français le son ts, c'est-
à-dire celui du z allemand ou du ^ grec. Ainsi c'est par ts
qu'on le trouve représenté en néerlandais dans les* mots fortse-
ren, fatsoen, etc ; l'allemand de son côté le représente par z
== ts, par exemple garzûn, merzî, puzile, etc. Les trans-
criptions hébraïques des mots français contenus dans un voca-
bulaire du xiif siècle, publié dans la seconde livraison des
« Romanische Studien » de M. Bœhmer^ nous le montrent éga-
lement représenté par ts ; ainsi, tsindres (cineres), forteretse
(fortalicium), poits (picem), tsentener (centenarium), à tser-
kier (ad indagandum), etc. Or à cette époque l'allemand, sinon
le hollandais, avait un signe particulier pour le son c ; le diction-
naire hébreu figure aussi en plusieurs endroits ce son ou sa
forme amoindrie s; ici donc on ne peut supposer que nous
avons des transcriptions approximatives du son qu'avait alors
c, mais bien ce son lui-même. Mais depuis quand c se pro-
1. La forme cho qu'on rencontre dans la Passion où ch ne peut avoir
que la valeur s ou plutôt c, semble bien indiquer que c avait encore,—
parfois au moins, — ce son devant e ou i. Nous verrons que dans les
dialectes normands et picards cette forme ch = s, affaiblissement de c,
s'est conservée. JNous avons là, je crois, autant de formes plus ou moins
complètes de la modification primitive du c palatal, c. .
2. Rom. Stud. 1872, p. 163.
— -103 —
nonçait-il ts ? Si l'on admettait que ti suivi d'une autre vo}-elIe
n'a pu prendre que le son ts, la confusion de ci et de ti dans les
chartes mérovingiennes prouverait que c avait alors comme ti
dans cette circonstance le son ^5, mais comme il se peut aussi que
liait pris alors comme ci le son c, cette confusion ne prouve rien.
Il en est de même de l'orthographe du mot manatce de la Cantilène
deS'^Eulalie et des gloses de Reichenau dans laquelle on avouluvoir
une preuve du son ts qu'aurait eu alors le c, puisqu'elle peut aussi
bien avoir servi à figurer le son tch. La représentation de c par
z dans les anciens monuments romans a une tout autre impor-
tance, et semble indiquer qu'on attribuait dès lors au c la valeur
ts que devait avoir certainement alors le z : tel est fazet (feciet)
dans les Serments, domnizelle dans la Cantilène de Sainte
Eulalie. Cette représentation du c par z apparaît aussi dans le
plus ancien monument du provençal, le Boèce, où Ton trouve
penedenza (v. 13), fazia (v. 23). On voit également z se sub-
stituer à c dans les plus anciens textes espagnols, par exemple
freznedo (fraxinetum) Yepes III n. 17 (a. 780) ; dezimo pour
diezmo id. IV, 11 ; Oza villa id. 28 ; pozo (puteum) id. 38 ;
foz Esp. sagr. XXVI, 445 (a. 804) ; calzada id. ; plumazos
XL, 400 (a. 934) ^ Dans les plus anciens manuscrits, soit espa-
gnols, soit portugais, on voit également c et ^ employés assez
arbitrairement à la place du c palatal latin.
Ainsi il semble résulter de cet ensemble de preuves que le c
palatal eut au milieu du Moyen-Age le son ts dans le double
groupe occidental ; nos anciens grammairiens du xv*^ et du
XVI® siècle ne connaissent plus ce son, et nous verrons com-
ment il s'est modifié en espagnol; le provençal et le portugais
ne le connaissent plus aussi en général aujourd'hui, mais il s'est
conservé dans quelques-uns de leurs dialectes, ainsi que sur
certains points de l'Espagne, reste évident de l'ancienne pro-
nonciation ; nous pouvons donc admettre comme démontré
qu'en France, comme dans la péninsule hispanique, le c pala-
tal latin a pris, à une époque suivant toute vraisemblance
reculée, le son ts^. C'est ce son qu'il a aujourd'hui encore d'ordi-
naire dans le dialecte roumain du Sud et souvent aussi dans
celui du Nord. Il l'a également parfois dans le ladin du Tyrol
et du Frioul, et dans certains dialectes itahens ; c'est ce qui a
1. Cf. Diez, Gr. I, 364.
2. Naturellement fs ou dz, suivant qu'il s'était transformé en sourde
ou en sonore, comme nous verrons par la suite.
— -104 —
lieu en particulier dans le sarde logoudorien, qui donne généra-
lement le son ts au c palatal latin , toutes les fois qu'il ne
lui a pas conservé sa valeur gutturale. Il en est de même
parfois dans le milanais et le vénitien^ qui changent cependant
plus souvent c en c ou en 5. Enfin on trouve même dans le tos-
can, encore plus dans les dialectes du Sud, des exemples de cette
transformation du c en ts. La liste suivante présente rapprochés
un certain nombre de mots roumains, italiens ou provençaux dans
lesquels ce changement a eu lieu ; les mots roumains qui ne sont
accompagnés d'aucune indication appartiennent au dialecte du
Nord; de même les mots italiens donnés sans mention particulière
sont tirés de la langue classique ou du toscan :
LAT.
ROUM.
LAD.
DIAL. ITAL.
DlAL. PROV.
accidiam
aczidiavom.
accidente
azzidente
acetum
otzet
nap.
acceptare
—
azzettare
aciam
aize
nap. sic.
—
aciarium
—
—
azzaru sic.
' arancium
—
aranzu s. 1.
brachium
bratz
brazzu sic.
bratz
calcem
—
cauz
—
—
'carcerum
—
—
carzaru sic.
—
cœcura
—
—
zegu s. log.
—
cedere
—
—
zed V. Lev.
—
cedrum
tzedru
R.S. —
zëdar rom.
—
cœlum
—
ziel Tir.
zel mil. zelu
s. s. —
cœnam
—
zéna Ag.
zenna mil.
—
ceram
—
—
zera mant.
—
^cerefohatum
—
—
— tser fouillé s. R
cernere
—
zerne Ag.
—
—
certum
—
—
—
—
cervellum
—
—
zervel mdiXii.
—
cervum
—
zerv
—
—
cesarem
tzar
—
—
—
cespite
tzespet
R.S. —
—
—
cibum
—
—
zibu s. log.
—
cicutam
—
—
zgudammii.
—
cifram
tzifre
—
—
—
cilium
—
—
^2;' mil. zidaTadiiii.
— ^05 —
cygnum
cymam
cymbalum
cimicem
* cineram
cinque
cypressum
* circare
circiim
tzemn —
tzintzR.s.
zign mil.
zima mant. —
zimbello, —
zimbelmRTii.
zimas mant. —
zènera Pir. tselle s.r.
zincu^.^SiW. —
zinch mant. —
zipress mant.
— zerce, zerca
tzearc r.s. —
— tsertsi s.r.
citare — —
citrum tzitre —
dulcem — dolz
duodecimam — —
ecc'hoc — —
ericium — —
facetum — —
facilem — —
faciam fatze fazza
falcem — fauz
*glaciam ghiatze gaz Ag.
lanceam — —
licitum — —
lynceam — —
mercedem — —
(ad)minaciare — —
receptum — —
secium — —
sincerum — —
socium sotz —
* stracium — —
sucidum — —
suspicionem — —
Tpi'xa, * tricheam — —
unciam — —
vincere — venzer
vicinum vitzinuR.^. —
zer rom.
zerc mant.
zitare nap.
dolz r. mil.
dozzina
zo nap.
rizza sic.
fazet rom.
fazil rom.
lanzas. log.
lizeto nap.
lonza
merzè nap.
minazzari
rezzettona]^.
sezzo
sinzè'r rom.
sozzejo nap.
strazzu sic.
sozzo
sospizione
trizza^Aog.
onza nap.
zo cat.
glatz
vezi, etc.
1. Biond. id. — Spano, id. — Muss. id. — Fr Gheriibini, Vocab. mant.—
De Cihac, id. — Schneller, id. — Ascoli, Archivio.
— -106 —
Dans quelques mots italiens la langue paraît avoir hésité entre
c et ts, que l'on trouve l'un à côté de l'autre, ainsi :
hack
accia
azza
calceum
calcio
calzo
judicium
giudicio
giudizio
officium
oficio
ofizio
socium
socio
sozio
speciem
specie
spezie, etc
Mais peut-être ne faut-il voir dans ce fait que le mélange dans
l'italien classique de formes dialectales diverses, ou le retour
pour les mots qui avaient z à l'orthographe latine ; z paraît bien,
en effet, une forme populaire dans les dérivés itaUens ou rou-
mains formés à l'aide des suffixes acius, icius, oceus, uceus,
dans lesquels le c a été traité comme le t suivi de i et d'une
autre voj elle, fait qui s'explique sans peine par la facilité avec
laquelle ces suffixes,: surtout acius et icius, peuvent se confondre
avec atius et itius. Voici quelques exemples de ces transforma-
tions que les dialectes du Sud de l'Italie paraissent préférer :
l"en acius :
LAT.
ITAL.
ROUM.
* brunaceum
brunazzo
—
* canacium
canazzu s. camp.
* caudaceum
codazzo
—
* coriaceam
corazza
* galeaceam
galeazza
—
* muhaceam
mogliazzo
*palidaceum
palidazzo
* populaceum
popolazzo
—
* ragaceum
ragazzo
—
* spoliaceam
spogliazza
—
* terraceum
terrazzo
* vinaceum
vignazzo
2° en icius :
*albicium
albetz
* baroniciam
—
haronitze
* cantaricium
—
cunteretz
* capricium
caprizzi pad.
—
* ficticium
fîttizio
—
* lumicium
—
lumetz
* saliriciam
—
sarnitze
— ^07 —
3° en oceus :
^^^^1
*barboceam
barbozza
^^^^
* basioceum
baciozzo
—
* carroceam
carrozza
—
*frescoceum
frescozzo
—
* lilioceum
gigliozzo
—
* muttoceum
mottozzo
—
4" en uceum :
* acuceum
acutz
* albuceum
—
albutz
* animaluceum
animaluzzo
—
* barbuceam
bm'buzza s.
berbutze
* bonuceum
—
bunutz
*donuceum
donuzzo
* dulcuceum
—
dulcutz
* foliuceum
fogliuzzo
—
* focuceum
—
focutz
* lunguceum
—
lungutz
* medicuceum
medicuzzo
—
* peluceum
peluzzo
—
* superbuceum
superbuzzo
—
* vacuceam
—
vecutze
* vasuceum
—
vesutz, etc.^
Les terminaisons itz et utz sont parfois remplacées en rou-
main par is et us, ou même ces deux formes subsistent l'une à
côté de l'autre; ainsi vitzelutz et vitzelus (vitelluceum); pour le
suffixe acius, as paraît même s'être complètement substitué à
atz ^.
Si ts n'apparaît qu'exceptionnellement comme modification du
c palatal en italien, dans le dialecte roumain du Nord et souvent
en roumanche, il est au contraire, commenous avons vu, la forme
ordinaire qu'y a prise H suivi d'une voyelle ; en voici quelques
exemples :
* abantiare avanzare
abundantiam abo7ida,nza
*acutiare aguzzare
ascutzi
ROUMANCHE.
vanzar ob.
abundanza e.
1. Wentrup, id. - Diez, Gram. 315, 317, 319. - Do Gihac, etc.
2. Voir pi. h. p. 98.
~ -108 —
* altiare
alzare
—
alzar ob.
annuntiare
annunziare
—
annunziaT
* antianum
anziano
~
_^
astutiam
astuzia
—
_^
bibitionem
pozione
—
cadentiam
cadenza
cadentze
—^
cantionem
canzone
—
canzun ob.
confidentiara
confidenza
cufldentze
__
* dationem
dazione
___
*debolitiam
deholezza
__
__
decentiam
decenza
__
___
dominationem dominazione
—
_^
exhalationem
esalazione
—
__
* fortiam
forza
—
forza OB.
* fortitiam
fortezza
forteretze
fortezza OB.
gratiam
grazia
—
grazia ob.
* gravitiam
gravezza
—
gravezza ob
habitationem
abitazione
—
inclinazionem inchinazione
^_
infantiam
infanzia
—
—
justitiam
giustizia,
giustezza
—
—
*juvenitiam
giovinezza
—
—
largitiam
larghezza
—
largiezza e.
lenteolum
lenzuolo
—
—
letitiam
letizia
—
—
malitiam
malizia
—
malizia ob.
martium
tnarzo
—
marz ob.
* ma team
mazza
—
mazza ob.
mollitiam
mollezza
moleatze
—
nationem
nazione
natzie
naziun ob.
nuptias
nozze
nuntzi
nozza ob.
nuntium
nunzio
—
nunzi
otiosum
ozioso
—
—
patientiam
pazienza
—
pazienzia e.
petiam
pezza
—
piez, pezz e,
plateam
piazza
—
plazz OB.
pretium
prezzo
pretz
prezzi ob.
pigritiam
pigrizia
—
—
potentiam
potenzia
putintze
—
puteum
pozzo
putz
—
reformationem riformazione
reformatzie
—
^^^^^1
P
^09 —
spatmm
spazio
spatziu
spazzi ob.
sperantiam
speranza
—
spronza
titionem
tizzone
—
tizzun
tristitiam
tristezza
—
tristezia ob
* viriditiam
verdezza
verdeatze
—
vitium
vizio, vezzo
mtziu
vizzi OB.
Et tous les dérivés en antia, entia, itius, et la plupart des
dérivés en tio, tionis, du moins en italien.
irdz=c,.
Nous avons vu que le roumain a une prédilection toute
particulière pour les explosives sourdes ; l'italien semble
aussi les préférer aux sonores, tandis que la plupart de ses dia-
lectes donnent au contraire la préférence à celles-ci; quelque
chose d'analogue se passe pour les spirantes ou les chuintantes
dérivées de c ; le roumain ne connaît que les sourdes ; ce sont elles
aussi que l'italien préfère de beaucoup ; cependant j'ai signalé
déjà un certain nombre de mots où la sourde c a été remplacée
par la sonore correspondante g ; on peut aussi en citer quelques-
uns où la sonore dz s'est substituée à la sourde ts. Comme on
peut s'y attendre, cette substitution a lieu surtout dans les dia-
lectes. Ainsi dans le dialecte de Sassari en particulier z = ts se
change dz au milieu des mots et même au commencement après
l'article ^ Cependant en général ts est resté le mode de transfor-
mation du c palatal, dz celui du g palatal ; voici toutefois quel-
ques exemples où cette dernière forme représente un c étymolo-
gique dans les dialectes italiens ou provençaux :
cincturam
crucem
decem
* dominicellam
lucem
pacem
picem
* puUicem
* romancium
saracenum
vide ecc'hic
DIAL. PROV.
dzeuntros.R.
cruzi Sass,
dezi s. gall.
donzella
luzi Sass.
pazi Sass.
romanzo
padze s.r.
pedze s.r.
poudze sav.
saradzin sav.
veidze s.r.
Jahrbuch, X, 403.
— \iO —
Si l'on fait abstraction des dialectes du Nord et pour quelques
cas de ceux du Sud ou du Centre de l'Italie, c, g, s, z, ts et dz
épuisent les formes que le c palatal a prises en se modifiant dans le
double groupe oriental ; les idiomes occidentaux, au contraire, ne
connaissent ces formes qu'à titre d'exception, et poussant plus loin
la simplification, ils ne se sont arrêtés qu'aux formes dérivées de
ts et àe dz : s ou ç,z,(ieto; mais tous n'ont pas procédé dans
ce travail de simplification de la même manière ; les langues du
groupe du Nord-Ouest s'en sont en général tenues aux deux
formes s (ç, ss) et ^'; c'est aussi celles que le portugais connaît
presque exclusivement ; quant à l'espagnol, à une époque qui
paraît relativement récente, il a donné définitivement le son 0 au
c transformé. C'est l'histoire de ces modifications de la palatale
dans les quatre idiomes occidentaux et dans les dialectes qui les
ont acceptées qu'il me faut maintenant examiner. Je commen-
cerai par le français où, si elle est plus compliquée, elle est aussi
plus facile à suivre à cause du grand nombre de monuments
qu'on possède de l'ancienne langue.
CHAPITRE VI.
CHANGEMENT DU C PALATAL EN Ç (s , SS) ET EN Z (s), EN
FRANÇAIS, EN PROVENÇAL ET DANS LES DIALECTES LADINS OU
ITALIENS.
Après la transformation de la gutturale palatale en c ou ts, les
scribes durent se trouver fort embarrassés pour représenter ces
nouveaux sons ; le c étant naturellement conservé devant a, o,
u, c'est-à-dire pour figurer la gutturale vélaire, qui n'avait point
changé, pouvait-on et devait-on encore s'en servir comme signe
des sons nouveaux du c palatal ? En Italie la solution fut très-
simple ; on conserva le c devant e et i, partout où il prit le son
c : quand il prit, au contraire, le son ts, on le représenta, comme
le t assibilé, par z. Les choses se passèrent moins simplement en
France. Le c palatal y ayant pris de bonne heure le son ts, il
semble qu'on n'avait qu'une de ces deux choses à faire, ou con-
server devant a, 0, uet e, i, le signe c, qui aurait eu alors à
la fois le son k et le son ts, comme en Italie il avait en même
temps le son k et le son c, ou bien garder c comme signe de la
1. Il faut, comme je l'ai déjà dit, excepter le normand et le picard.
— Ui —
guïïume vélaire et se servir du z pour figurer la gutiuraie pala-
tale transformée. Il semble qu'on dût songer à cette seconde solu-
tion ; dans les plus anciens monuments romans, en effet, nous
rencontrons fréquemment le c palatal remplacé par z; ainsi dans
Yepes nous trouvons avec z : freznedo III, n. 17 (a. 780) ;
dezimo IV, n. 11 I ; pozo n. 38, et dans l'Espaiia sagrada foz
XXVI, 445 (a. 804), calzada xà.plumazos^h, 400 (a. 934).
z apparaît également, comme nous allons voir, dans les Serments,
la Cantilène, la Passion, etc. Cependant cette tentative ne devait
point aboutir, et en même temps que z était employé pour repré-
senter le son ts du c palatal assibilé, c fut conservé, plus souvent
même qu'il n'était remplacé. Le choix de ce signe ne devait pas
être, au reste, complètement indififérent.
Tandis, en effet, que le c palatal transformé a le plus souvent
donné naissance dans la langue du groupe oriental à une spi-
rante sourde, les langues du double groupe occidental, obéissant
en cela à une tendance qui leur est propre, l'ont dans un grand
nombre de cas changé en sonore ; on dut naturellement dès lors
chercher, autant que cela était possible, à représenter par des
signes différents ces sons différents; l'italien, ayant donné devant
e et i la valeur c au c, n'avait que le signe z pour représenter ts
et dz, et il n'a point cherché à distinguer par l'écriture ces deux
spirantes ; les idiomes occidentaux ont procédé autrement, et de
bonne heure ils paraissent, comme jele montrerai plus loin, avoir
choisi en général c pour représenter la sourde ts, z au contraire
comme signe de la sonore dz. Mais ces deux signes, même ainsi
répartis, ne devaient pas être trouvés suffisants.
Une difficulté que rencontrèrent, en effet , tout d'abord les
scribes, ce fut la manière de représenter ts quand ce son devait
être suivi, non de e ou de i, mais d'une des voyelles a, o, u;
comme alors c prenait le son k, on sentit la nécessité de
lui substituer une autre lettre ou de le modifier pour éviter toute
confusion. Le z se présentait naturellement, on le trouve aussi
anciennement employé dans ce cas, ainsi aezo (ecce hoc) dans
la Cantilène de Sainte Eulalie v. 21, ^o dans la Passion v. 34,
2; 31, 1 ; fazon dans les Sermons de Saint Bernard p. 528, 532,
etc. ; anzois id. p. 568, etc. Mais quand on eut choisi définiti-
vement z comme signe de la sonore, on fut obligé de renoncer à
l'employer dans les mots où le c suivi de a, o, u s'était changé
en spirante sourde, et on dut naturellement chercher un autre
moyen de représenter cette dernière. Celui auquel eurent recours
les plus anciens scribes de la langue d'oïl fut de faire suivre le
— U2 —
c d'un e muet, parfois même d'un i ; ainsi cio dans la Passion
50, 3 ; de même dans le Saint-Léger cio 5, 3 ; 7, 1 ; 9, 4, 5 ;
15, 3; 16, 1 ; 17, 3; 18, 4; 19, 2,4; 20, 5; 33, 3; reciut A, 4;
22, 4; ceos dans les Sermons de Saint Bernard p. 521, 522, 523,
524, 525, etc. ^ Cette notation, qui rappelle celle que nous emplo-
yons aujourd'hui encorepour donner au g suivi d'une vojelle non
palatale la valeur z, fut usitée pendant tout le Moyen-Age;
cependant le plus souvent on se borna à écrire aussi un simple
c, qui se trouve ainsi avoir à la fois devant a, o, u la valeur k et
ts ou s; parfois cependant pour distinguer c = ts de c ^ k on le
surmonta d'un trait (') ; mais cette notation est assez rare^. On
rencontre aussi c en provençal avec la valeur ts devant une
voyelle non palatale, par exemple co B. v. 243, dreca v. 168.
Mais cette langue se servit aussi de ^, — ainsi zo dans le Boëce
V. 47, 203, 206, etc., — dans la période où le c avait encore la
valeur ts, plus tard, comme nous le verrons, elle le remplaça
ordinairement par 5 ou ss. Les langues de la péninsule hispa-
nique montrent aussi dans quelques textes s substitué à c ou ^ ;
mais elles se contentèrent en général du premier signe, seule-
ment en lui faisant subir une modification particulière. Pour
indiquer que c suivi de a, o ou w devait prendre la valeur ts, on
eut l'idée de le faire suivre d'un 2, ce qui donna cz, notation
qu'on trouve encore employée dans les manuscrits vaudois ;
mais le plus souvent on plaça le z sous le c, et on eut ainsi le c
cédille ; telle est du moins l'origine qu'on lui attribue ordinaire-
ment ^, quoique la cédille ait plutôt la figure d'un c renversé que
d'un z.
Quoi qu'il en soit, ç apparaît d'abord dans les textes espagnols.
Le plus ancien monument que nous ayons de cette langue, « El
misterio de los Reyes magos » ne le présente point, il est vrai ;
mais comme il ne contient point de mots où c soit suivi d'une
voyelle non palatale, on ne peut conclure de l'absence du signe
1. On trouve aussi ceo dans l'Alexis (man. F.), et dans le Psautier
d'Oxford, où cette notation abonde, menceunge , p. 3, 4, etc., benediceun,
p. 3, 24, etc., exhalceat, p. 32, etc.; de même dans le Bestiaire de Phi-
lippe de Thaon, ceo v. 12, 14, 67, iceo v.. 22, etc.; dans le Gharlemagne,
ceo V. 374, 376, 386, etc. Mais ces textes étant normands il peut se faire
que c ait ici non la valeur ts, mais c ou 5 ; voilà pourquoi je n'en parle
•pas. Voir liv. III, ch. 111.
2. On la rencontre en particulier dans le manuscrit du Bestiaire, dans
celui du Saint Brandan, etc., ainsi dans des textes normands où c peut
dès lors avoir une valeur autre que ç.
3. Cf. Diez, Gram. \, 459.
- U3 —
ç dans ce texte qu'il n'existait point encore à l'époque où il fut
écrit ; on le trouve du moins dans le monument espagnol le plus
ancien après « El misterio », dans le poème du Cid, et il appa-
raît dans tous les textes espagnols du Moyen- Age, non-seule-
ment devant a, o, u, mais souvent aussi devant e et i. Nous le
rencontrons également dans les plus anciens monuments portu-
gais, lesquels, il est vrai, ne sont pas antérieurs au xiri^ siècle.
En France, l'usage de la cédille ne pénétra qu'à la fin du premier
tiers du xvi» siècle ; jusque-là, les mots où c devait prendre le
son s furent écrits, comme ceux où il a le son k, par un simple
c ; mais parfois aussi, comme cela avait lieu dans les premiers
temps de la langue, on faisait suivre le c d'un e ^. C'est à Geof-
froy Tory que revient le mérite d'avoir introduit la cédille dans
notre système orthographique. J. Sylvius dans son « Isagoge in
linguam galUcam » avait en 1531 proposé de surmonter le c, de
deux s {ï^, toutes les fois qu'il avait le son de s sourd entre deux
voyelles, comme dans limace, limaçon. Cette notation bizarre
ne fut pas avec beaucoup de raison adoptée, et deux ans plus
tard, en 1533, Tory, dans l'édition de 1' «Adolescence clémen-
tine » de Clément Marot, faisait pour la première fois en France
usage de la cédille, dont il avait proposé l'emploi dès 1529 dans
le « Champ-Fleuri » ^. Cette réforme ne pouvait manquer d'atti-
rer l'attention. L'année ne s'était pas encore écoulée qu'un autre
imprimeur de Paris, Antoine Augereau, publiait sur la matière
un petit traité intitulé « Briefve doctrine pour deuement escripre
selon la propriété du languaige francois, » Cependant l'usage de
la cédille ne devint pas général sans opposition. Dans son
« Traicté de la grammaire francoise », publié en 1557, Robert
Estienne ne s'en servit pas encore, il n'en admit l'emploi que
1. J. Palsgravp, Lesdaircissement de la langue francoyse, p. 27. C comyng
before a, o, or u shall hâve the sound of k except where c commeth
before a or o in the formation of sache tenses as come of verbs of the
fyrst conjugation in the french tonge. In ail sache, c comyng before
oye, oy,ant shall hâve the soande of s and not of /c. Bat many tymes
1 fynde in sach tenses an e added after the c, as laceoye, laceay, laceant,
which they use to writte to shewe that c in sache verbes may not
hâve the sounde of k, etc.
2. A. F. Didot. Observations sur l'orthographe française, p. 177. — Aug.
Bernard, Geoffroy Tory, peintre et graveur, p. 374. Le titre portait : «Auec
certains accens notez , cest assaaoir sur le e masculin différent du
féminin et soubz le ç, quand il tient de la prononciation de le s, ce
qui par cy devant par faulte daduis n'a esté faite au langaige françoys,
combien qu'il y fust et soyt très nécessaire. »
8
— UA —
dans la seconde édition en 1563; à partir de ce moment, la
cédille fut universellement adoptée par les éditeurs.
Ainsi c, ç et z, tels sont les signes que l'espagnol et le portu-
gais employèrent presqu'exclusivement au Moyen-Age pour
représenter le c palatal transformé ; c — seul ou suivi de e ou i
en français — et z, sont, au contraire, les signes qui servirent
surtout à le représenter tout d'abord dans les langues du Nord-
Ouest; mais à ces signes s'en joignirent bientôt d'autres. Dans le
Fragment de Valenciennes on trouve déjà fisient (fecissent),
fesist (fecisset), ainsi 5 à la place du c médial; on ne devait pas
tarder non plus à le rencontrer parfois même à la place du c
initial, et en provençal cette substitution de 5 au c initial, de s
ou de ss au c médial devint bientôt fréquente ; à la place du c
final, outre z ei s, x apparaît aussi en français \zoutz et 5 en
provençal ; enfin dans ce dernier idiome on trouve encore cz à
la place du c palatal transformé, soit initial, soit médial, soit
final, tandis qu'en ancien français on rencontre parfois les
notations sz, se, zc à la place du c médial. Tels sont les
signes nombreux employés pour représenter cette lettre; voyons
quelle en a été la valeur et l'usage aux diverses époques de la
langue.
1°. — Du c palatal transformé en français.
Dans rétude des transformations du c palatal en français, il
importe de distinguer entre le c initial, le c médial et le c final ;
à ces trois places il n'a pas eu toujours la même valeur, et n'a
pas été indifféremment représenté par les mêmes signes ; mais
avant de suivre l'histoire du c au commencement, au milieu et
à la flin des mots, il est un fait qu'il importe d'essayer de préciser,
c'est celui de la transformation du son ts, que le c avait, comme
je l'ai montré dans les premiers temps de la langue en s sourde
ou sonore. Que cette transformation se soit faite de bonne heure
dans la conjugaison, c'est ce que nous montre le changement de
c en 5 que j'ai signalé déjà pour le verbe faire dans le Fragment
de Valenciennes. Mais comme il y a eu peut-être là une influence
particulière due à la contraction de la forme primitive du verbe,
je laisse ces mots et ceux qui leur ressemblent de côté, pour en
examiner qui aient mieux conservé leur physionomie originale.
Dans ces derniers nous voyons le e final représenté souvent déjà par
s dans des textes originairement du xii" siècle, mais recopiés plus
tard, il est vrai, du moins pour la plupart ; au xiii« siècle, cette
— ^^5 —
substitution est de plus en plus fréquente, pour aevenir générale
au xiv^. Au milieu des mots les choses se passent d'une manière
un peu plus complexe , ici il y a lieu, en effet, de distinguer
entre le c sourd et le c sonore, c'est-à-dire entre les sons primi-
tifs ts et dz. J'ai dit que l'ancienne langue semble avoir voulu
choisir z pour signe de ce dernier son, mais dès le xii^ siècle,
s devient la manière la plus ordinaire de représenter dans ce cas
le c transformé, c = ts, au contraire, a plus longtemps résisté.
Cependant dès la fin du xn*' siècle on trouve aussi, dans deux ou
trois mots, ss à la place; le xiii* n'en offre pas davantage, et
ce n'est qu'au xiv° que ss paraît s'être substitué indifférem-
ment à c transformé. Au commencement des mots il en est
absolument de même ; au xii" siècle, s apparaît à la place de
c comme exception; ainsi dans seleberroit S. B. p. 522;
au xiif siècle les exemples de s substitués à c initial sont
encore très-rares ; ce n'est qu'au xiv" qu'on en rencontre un
certain nombre. On voit par là que le son dz pris souvent par
c au milieu des mots s'affaiblit de bonne heure en ;^ ou 5 sonore;
le son ts, pris par c au commencement et souvent aussi au
milieu des mots, dut persister plus longtemps et ne se changea
probablement en s sourd qu'à la fin du xiif ou même au
xiv siècle. Ceci posé, voyons comment on représenta le c trans-
formé dans les diverses positions qu'il peut occuper dans le mot.
Au commencement des mots, où il est toujours suivi de e ou i,
excepté dans co (ce), le c persiste dans tous les plus anciens
monuments ; ainsi cist dans les Serments ; ciel, cels, celle dans
la Cantilène de Sainte Eulalie ; celor, co, cel, cil, cest dans le
Fragment de Valenciennes ; il en est de même dans la Passion,
— où l'on trouve cependant zo pour co — le Saint Léger, etc.
Toutefois on trouve seleberroit avec s dans les Sermons de
Saint Bernard p. 522, sengles dans le Raoul de Cambrai ^ sele
pour celé dans Huon de Bordeaux ^ sel dans Renart^, sil dans
les « Altfranzosische Leichen und Lieder » de Wackernagel ^
seinture dans un portrait de femme publié par M. Paul Meyer^,
seinturete dans les Altfr. Leichen und Lieder ^ ; serchoient
1. Lq^ sengles routes, les resnes traînant. Lit. Dict
2. Sele fontaine un serpent le gardoit. v. 5555.
3. Sel me laciez bien a la qeue. B. Ghr. 231, 26.
4- Maix sil kl rekuel. p. 19.
5. Par la sdn^wre grêle a poien(t). Jahrh. v, 400.
6. Je sent les douls mais leis ma senturete. p. 84.
— ^^e —
dans Guillaume de MachauS cf. l'angl. search, ^er/" (cervum).
B. Chr. ; séries Grég. p. 2 ^, etc.
Cependant cet empiétement de l'^ sur le c initial, si fréquent
comme nous verrons en provençal, s'est vite arrêté, et c a été
presque exclusivement conservé dans ce cas ; ainsi :
LAT.
FR.
LAT.
FR.
cedere
céder
ciconiam
cigogne
cedrum
cèdre
cicutam
cigûe
celare
celer
cimam
cime
celebrem
célèbre
cœmentum
ciment
cellarium
cellier
cœmeterium
cimetière
cœlum
ciel
cingere
ceindre
censum
cens
*cingulare
cingler
centum
cent
cincturam
ceinture
centrum
centre
* cinque
cinq
csepam
cive
cippum
cep
*caepullam
ciboule
circulum
cercle
ceram
cire
circum-
circon-
cerasum
cerise
cirrum
cire
ceream
cierge
?
ciseau
ceretolium
cerfeuil
cisternum
citerne
* certanum
certain
citare
citer
cervellum
cerveau
* citronem
citron
cervum
cerf
civitatem
cité
cervisiam
cervoise
* civitadanum
citoyen
cessare
cesser
civilem
civil, etc.
ciborium
ciboire
Les seuls mots que je connaisse où c latin initial a été définiti-
vement changé en s sont sangle (cingulum), siller (ciliare),
serin (citrinum?) et peut-être ^er/bm'/* qu'on trouve écrit cerfoïr
dans le roman de la Rose v. 20322. Par contre c s'est substitué
1. En ceaus qui serchoient les guerres, B. Chr. 385, 5.
2. Mais ce qui est plus étrange, on trouve dans cette même vie de
Grégoire c substitué à s; ainsi cMl p. 3, c'esposée p. 4, eticemble p. 7, ci
p. 8, irespencive p. 9, pends p. 10, concenti p. 11, acemblastes, id.," etc.
Cette particularité orthographique, que je ne connais dans aucun
autre texte français, mais qui est très-commune dans les textes pro-
vençaux, ne peut s'expliquer, je crois, qu'en admettant que le copiste
du poème de Grégoire était originaire du Midi. L'observation du manus-
crit vient de conduire M. Léop. Delisle à la même conclusion. Cf.'
Rom., n, 95.
— Ul —
à s étymologique dans cercueil (sarcophagiim), cidre autrefois
sidre (siceram) et cingler (n. sigla).
On le voit, rien de plus simple que la manière dont le c initial
a été traité ; tout autres ont été les variations orthographiques
du c raédial transformé. Dans les Seianents nous trouvons déjà z
à sa place dans faz et (faciat). La Cantilène de Sainte Eulalie
nous offre à la fois c et z ; ainsi pulcella, manatce avec c ;
aezo, laszier, avec z ayant probablement la valeur ts ; domni-
zelle, au contraire, avec z mis vraisemblablement pour dz.
Dans le Fragment de Valenciennes nous trouvons c dans corre-
cious, faciest, escit, mais en même temps nous rencontrons s à
sa place dans fesist, flsient. Dans la Passion nous avons égale-
ment avec c : occir 44, 2 ; terce 49, 2 ; aucid 56, 4 ; recevent
61, 3 ; conducent 61, 4 ; faitice 67, 4 ; mercet 14, 3, etc. ;
avec z seulement azet (acetum) 77, 2 et raizon 128, 36, c'est-
à-dire que c a dans ce texte la valeur ts et z évidemment celle
àedz^. Le poème de Saint Léger n'emploie z médial que deux
fois dans le mot raizon, ainsi pour représenter ti transformé et
sans doute aussi avec la valeur dz ^ ; partout ailleurs le c palatal
transformé a persisté au milieu des mots ; ainsi : occist 2, 2 ;
occidre 37, 4, reciuvre 10, 3. Dans la Vie de Saint Alexis le c
médial assibilé a également persisté partout où il se trouve ; il en
est de même le plus souvent dans la Chanson de Roland ; cepen-
dant on trouve dans ce dernier texte s substitué à c dans la con-
jugaison de faire, ainsi fesimes v. 22, fesis v. 151, etc., de
même luises (luces) 172, etc. ; s y apparaît aussi à la place de ti,
ainsi que dans l'Alexis, par exemple : justise Al. 1,2; servise
Al. 123, 1 ; raisun Al. (Prologue) ; raison Roi. 5, 14, 25, etc.
traison Roi. 16, etc.. justise Roi. 37, etc. amendise Roi. 39,
etc. On trouve même ^ à la place de c dans le Roland, par ex.
quinze 14. Mais l'origine de ces deux textes étant douteuse sous
le rapport de la langue, je ne m'y arrête pas plus longtemps ;
1. Dans les dialectes ladins le cd'acetum a donné en général naissance
à une spirante sonore.
2. Voici ces deux vers :
Et en raizons bels oth sermons 6, 5.
Donc oct ab lui dures raizons 32, 4.
M. G. Paris [Rom. I, 305 et 314) les a restitués ainsi :
Et en raisons bels aut sermons
Donc autod lui dures raisons.
Mais peut-être valait-il mieux conserver le :; qui figure l'ancienne pro-
nonciation dz, que ti avait encore vraisemblablement à cette époque.
— ^^8 —
je ne parlerai pas davantage ici du Psautier, deHuon, etc. ; pour
me borner à l'examen de monuments incontestablement français.
Dans les plus anciens que nous ayons, après ceux que j'ai
examinés jusqu'ici, « Li Livres des Reis »S les « Sermons de
Saint Bernard », et le « Gjiillaume d'Orange » nous voyons c
persister, quand il est resté sourd, qu'il représente c et ti trans-
formé ; à côté de cette notation on trouve dans les Livres des
Rois zc, par exemple esleezciez p. 6 ; 5^ dans esdresze p. 7 et
se dans esleescie p. 6, blesciez p. 68 ; cette dernière notation
se rencontre également dans les Sermons, par exemple richesces,
— à côté de richeses, il est vrai, — et dans le Guillaume
d'Orange, ainsi : dy^esce B. Chr. ; 62, 21 ; proesce id. 64, 19
etc. On trouve aussi, notation exceptionnelle, z dans les Ser-
mons, par exemple auzois, b68 ; fazon, 528. 532, etc. ; tenzon
567. Quant au c transformé en spirante sonore, représenté jusque
là encore par z, il l'est bientôt le plus souvent par s ; ainsi on
trouve avec z dezoit (dicebat) dans les Sermons, quinze dans
le Guillaume, treze àam^le^ Livres des Rois, mais avec 5, gésir
Chr. 63, 17, gisent G. 0. B. Chr. 65, 41 ; oisels L. R.; raison
Chr., 75, 17; tison S.B. etc. ; on trouve même s substituée seule
à cou à ti dans quelques mots où ces sons sont sourds aujourd'hui,
ce qui semblerait faire croire que la spirante y était sonore autre-
fois ; c'est ce que peut faire supposer du moins l'orthographe des
mots covise, S.L.B. \juise, Ps. I, 6; saerifise L.R. ; servise
L. R. et G. 0.; ruysel S. B. , sausoie, Guesc. etc. ^.
Les monuments postérieurs donnent lieu à des observations
analogues; la spirante sourde y est généralement représentée
par c ; z n'y apparaît que comme exception encore plus rare que
dans les monuments précédents, par exemple comenza dans le
Roman de Troie B. Chr. 157, 19. Mais déjà on trouve ss au lieu
de c ; ainsi missel dans la Romance de Couci v. 38, parosses
dans le poème de Thomas le Martyre, v. 132; verjnissels même
dans les Sermons de saint Bernard, p. 535. Cette transcrip-
tion rare encore jusque-là devient fréquente au xiv^ siècle ; ainsi
avarisse (Brut), chausses Liv. des Met., hérisser Ménag.,
poussin {Rom. de la Rose)v. 9399, etc., elle prouve que c avait
alors perdu la valeur ts. Quant à la spirante sonore elle est presque
1. J'avais admis d'abord, sur l'autorité de M. Le Roux de Lincy, que
les Livres des Bois étaient un texte français; mais après examen il me
paraît incontestable que c'est un texte normand, copié par un scribe
français.
2. En berrichon on dit encore saulzaie{sauzaie.)
toujours représentée par s; ainsi damoisele (Chevalier au Lyon),
gésir, ijleisir (Saint Graal), raison, oreisun (Bestiaire), etc;
z apparaît aussi, en particulier, dans les composés ou les dérivés
de decem, et il a persisté jusqu'à nos jours à côté de s comme
signe de la spirante sonore provenant de la transformation du
c palatal médial ; z a disparu, au contraire, avec zc, so^, et sz,
comme signe de la spirante sourde, qui n'est plus représentée que
par c ou ss, complication bien inutile encore de notre système
orthographique ; au lieu de quatre signes, il eût été plus simple,
en effet, de n'en avoir que deux, c pour représenter la spirante
sourde, z comme signe de la sonore.
Quoi qu'il en soit, c médial a persisté dans les mots suivants et
leurs dérivés :
LAT.
V. FRANC.
FR. MOD.
* aciarium
«cer Roi. acier Sax.
acier
antecessorem
ancessor Al.
ancêtre
arcionem
arcon g. o.
arçon
bilanciam
balance Roi.
balance
bisacciam
—
besace
cancellare
chanceler Ronc.
chanceler
cipere (con-.
de-.
conçoivent Job
con, -de, -per-, re
per-, re-)
(cevoir)
cisare (in, prae)
—
inciser, préciser
commercium
—
commerce
comi)licem
complice g. Ross.
complice
cisum (con-.
prse-
-) -
concis, précis
coriaceum
corias Percef.
coriace
decembrem
—
décembre
decessum
deces Al.
décès
discipulum
deciple L. Ps.
disciple
*excorticeam
escorce Romane.
écorce
incingere
ensaint e. d.
enceindre
incensum
encens Roi.
encens
speciem
espice Rose espesses M
). espèce, épice
faciem
face Couci
face
facilera
—
facile
Franciam
France
France
focaciam
fouasse Duc.
fouace
glaciem
glace Couci
glace
se a persisté dans le seul mot vesce (viciam).
— 120 —
* grimaciam
grimace Jeh.
grimace
*hamecionem
amecon Graal
hameçon
lanceam
lance Roi.
lance
* macionem
maconL.TA.massonE.i.
\. maçon
medicinum(am)
médecine L. Ps.
médecin{e)
mercedem
merciz g.o.
merci
* minaciam
manatce Eul.
menace
monticellum
muncel Roi.
monceau
navicellara
nacele Al.
nacelle
necessariam
nécessaire l.r.
nécessaire
nutricem
nurriceM noris se gr.
. nourrice
occidere
ocire l. r.
occire
ofRcium
office L. R.
office
unciam
unce L. R.
once
* penicellum
pincel L. M.
pinceau
pumicem
ponce Oresme
pouce
ponti-, punicellum
ponciel Chr. — xvi« s
.ponceau
pollicem
Xjols Berie pousse Vilh pouce
principem
prince g. o.
prince
pulicem
pulce L. R.
puce
*pulicellam
pulcellaE. pulceleh.R
..pucelle
* radicinam
racine r. c.
racine
* ramicellum
rainsel r. c.
rinceau
sacriflcium
sacre fisc l. r.
sacrifice
suspicionem
soupecon Sax.
soupçon
vacillare
vaxiller e. d.
vaciller, etc
Il en est de même des composés de céder, celer, ceindre,
cens, citer, et de cide dans parricide, fratricide, etc. Le c
médial a également persisté, on le comprend sans peine, dans un
certain nombre de mots d'origine plus ou moins savante comme
acerhe, acérer, acide, cancer, cicatrice, décent, docile,
exceller, félicité, matrice, orifice, pernicieux, populace,
récent, ulcère, véloce, vice-, vicinal, villace, etc.
Au contraire c a fait place définitivement à ss entre deux
voyelles ou à 5 après une consonne, notation bizarre qui trouble
la régularité de l'orthographe, dans les mots suivants : 1° h. ss :
LAT.
V. FR.
FRANC. MOD.
bacchinon
bacin Ronc.
bassin
*brachiam
brace Rose
brasse
calceas
chauces Ronc.
chausses
calciatam
chaude Berte
chaussée
^^
^p _ \2\ —
* crocciam
?
croce Roi.
hericer Ch. au lyon.
croise
hérisser
* ericionem
hericonL. Ps.
hérisson
faciam
face Roi.
fasse (que je)
glocire
*galbiniciam
Jaunisse Rose
glousser
Jaunisse
junicem
parœciam
pelliciam
*pullicenum
rivicellum
genice Ren.
parosse Th. le Mart.
pelice Sax.
pulcins L.Ps.
missel Couci
genisse
paroisse
pelisse
poussin
ruisseau
salicetum
sausoie Guesc.
saussaie
*vermiceUum
vermissels s. b.
vermisseau
et en particulier dans les dérivés en acius, bécasse (*beccaciam),
bestiasse (*bestiaciam), cognasse (*cotonaceam), crevasse^
crevace L. Ps. (*crepaciam), cuirasse (*coriaceam), lavasse
(*lavaciam), liasse (*ligaciam), mollasse (*mollacium), pail-
lasse (*paliaceam), tétasse (*testaciam), tirasse (*tiraciam).
2" à 5 ;
hirpicem
panticem
herce l. r.
pance Rose
herse
panse ^
Dans quelques mots l'orthographe, preuve de l'arbitraire qui y
règne, a hésité entre les formes ss eic; ainsi on trouve galéace
et galéasse {*gaieacmm), pinace et pinasse (*pinaciam). D'au-
trefois la langue a affecté à chaque forme du mot une signification
différente, comme dans bonasse (trop bon) et bonace (calme
plat). Enfin dans le mot vesce, o est remplacé par se, comme si
ce mot venait non de viciam, mais de viscicl^n.
Les mêmes transcriptions ont eu lieu pour i(z transformé ; ainsi
cette spirante est représentée par c dans agencer (*agentiare),
ancien {* antianum) , annoncer {anmmtiare), astuce (astutiam),
avancer (*abantiare) , chance (*cadentiam), cotnmencer (*cumi-
nitiare), confiance (confidentiam), enfance (infantiam), espace
(spatium), espérance (sperantiam), exaucer i^ei^aSSxave), force
(* fortiam) , grâce (gratiam) , Jouvence (juventiam) , Justice
(justitiam) , linceul (linteolum) , malice (malitiam) , nonce
(nuntmm), mece (*neptiam), noces (nuptias), pièce (*petiam),
place (plateam), police (politiam), puissance (potentiam).
1. Cf. Littré, Dictionnaire s. v. — Diez, Grrnn II 316.
— 422 —
séance (*sedentiam), service (servitium)^ sèvice (saevitiam),
silence (silentium), tancer (*tentiare), tiercer (tertiare), ven-
geance (*vindicaiitiam) , etc. Il tient la place de cti ou pti dans :
façon (factionem), leçon (lectionem), poinçon (punctionem),
rançon (redemptionem), suçon (suctionem).
ss s'est, au contraire, substitué à ^z transformé dans bâtisse (?),
boisson (*bibitionem), chasse (*captiam), écusson (scutionem),
forteresse {*toria.lï[i\im) , hausser {*altiâre) , Justesse (justitiam),
largesse {largiiiam), liesse (letitiam), masse C^mateam), mol-
lesse (moUitiam), noblesse (nobilitiam), nourrisson (nutritio-
nem), paresse (pigritiam), saucisse (salsitiam), tristesse (tris-
ûimm), trousser (*tortiare), ^remoM55er(* transmotiare), vous-
ser (*voltiare). Il tient la place de c^^dans: cwmon (coctionem),
détresse (*districtiam), dresser (*drictiare), frisson (frictionem),
plisser (*plictiare). Enfin on trouve s sourd substitué à ti dans
chanson (cantionem)^
La spirante sonore résultant de la transformation du c a été,
comme je l'ai dit, représentée en général par s entre deux
voyelles, par z après une consonne et dans quelques mots aussi,
— la plupart dérivés de decem, — entre deux voyelles. On
trouve s sonore dans les mots :
LAT.
V. FR.
FR. MOD.
*aucellum
oisel Roi.
oiseau
coquinam
* culicinum
quesineh. R.
cuisine
cousin
* cruciare
croiser Berte
croiser
dicimus
disons B. Chr.
disons
* dominicellam
damoisele Rose
demoiselle
*dominicellum
damisel Ronc.
damoiseau
ducimus
duisons B. Chr.
duisons
facimus
faisons B. Chr.
faisons
jacere
licere
gésir Roi.
leisir Roi.
gésir
loisir
lucimus
—
luisons
mucere
muisir Rut.
moisir
noceraus
—
nuisons
* pacibilem
paisible L. R.
paisible
1. Cf. Brachet. Dictionnaire, s. v. agencer. Inutile de dire qu'au Moyen-
Age l'orthographe des mots en ss était ordinairement différente; ainsi
on trouve : chacier G. 0. 116, chancon G. 0. 12, etc.
^K — ^23 —
placere
plesir Couci
plaisir
racemum
rdsin Liv. des met.
raisin
reticellum
roisel Ren.
réseau
tacemus
—
taisons
vicinum
voisin Ronc.
voisin.
Il en est de même au présent du subjonctif de duire, gire,
luire, moisir, nuire, plaire, taire, ainsi qu'au même temps de
dire, où le s représente un c vélaire primitif, devenu palatal
par le changement de l'a de la terminaison en e.
Dans les mots suivants et leurs dérivés, c a été remplacé non
par s, mais par ^ :
*decianum (am)
—
dizain{e) *■
undecim
onze Roi.
onze
duodecim
douze Roi. Vilh.
douze
*duodecianam
dozaine Roi.
douzaine
tredecim
treze l. r.
treize
quatuordecim
quatorze Sax.
quatorze
quindecim
quinze Roi.
quinze
sedecim
seize Berte
seize
ainsi que dans :
* dominicellam
domnizelle Eul.
donzelle
duciculum
douisil D. c.
donzil
lacertum, lacertam lisarde Br. Lat.
lézard, lézarde
La spirante sonore s s'est aussi substituée à ti transformé
dans un certain nombre de mots, z au contraire n'en a pas pris
la place ^. Exemples : aiguiser (acutiare), ainenuiser (*admi-
nutiare), arbouse (arbuteam), cargaison (*carricationem) ,
exhalaison (exhalationem) , glaise (gliteam) , inclinaison
(inclinationem), liaison (ligationem) , livraison (liberationem) ,
oiseux (otiosum), poison{^oiïon.&m), priser i^^reiiSiVe), puiser
(*puteare), raison (rationem), refuser (* ref utiare) , saison
(sationem), tison (titionem), trahison (traditionem) ; venaison
(venationem).
Ainsi, tout borné qu'il est, le nombre des spirantes sonores
1. Dans dixième, x représente une spirante sonore, mais il faut voir
dans ce mot plutôt un dérivé du français dix que du latin decimum,
circonstance qui explique l'anomalie orthographique qu'il présente.
2. Lézerle dans le patois auvergnat.
3. Bronze par. ex. où on le trouve est d'origine italienne.
— ^24 —
résultant de la transformation du c palatal et de ti suivi d'une
voyelle a encore une certaine importance, quoique de beaucoup
inférieur à celui des spirantes sourdes de même origine ; il semble
même que la langue pour ne pas s'amollir, après avoir dans un
certain nombre de mots, comme nous avons vu, donné la préfé-
rence aux sonores, s'en est tenue définitivement aux sourdes,
plus rudes et par suite plus énergiques. Quoi qu'il en soit de ce
fait, après cette étude peut-être un peu longue des transforma-
tions du c palatal médial, j'arrive à celles du c final.
L'hésitation que la langue a montrée dans la représentation du
premier, se retrouve dans celle du second, et si elle s'est bornée
définitivement aux signes s ei x , pour en tenir lieu, elle a
longtemps employé concurremment z et même c, et sans règle
certaine 5 et ^. Cependant le choix de ces signes n'a pas
été complètement arbitraire. Le c ayant naturellement à la fin
des mots une valeur gutturale, il était difficile de le garder
comme signe d'une spirante dentale, aussi disparut-il bien-
tôt dans les mots où il était devenu final par l'apocope de la
terminaison, et ne se rencontre-t-il qu'exceptionnellement ; ainsi
anc Huon, hrac id. et Gér. Ross., chauc Aleb. f. 341
(Littré), doue B. Chr., fauc, Taill. (id.), foie Sax. etc.
Il fit d'abord place à z. Cette lettre, qui servait d'ordinaire à
représenter t suivi de 5, à la fin des mots, ou s précédé de l,
par ex. : granzVdi^., Saint Lég., Roi., forz Roi., piz id. fiz
Best, ehalz Roi., etc., se présentait tout naturellement pour
remplacer le e final ; elle devint bientôt aussi d'un usage général ;
ainsi braz Roi. 597; herbiz Thom. Mart. v. 120; eruz Pass.
57, 2 ; eruiz Roi. 2504 ; dulz Roi. 1861; /èùRol. v. 567; lariz
Roi. 1084 ; noiz Pass. 78, 2 ; peiz Roi. 1635 ; perdriz L. R. ;
suriz Bat. Al, 3986 ; voiz Roi. 1757, etc. Mais quand à la fin
des mots la spirante issue du e transformé se fut affaiblie du son
ts ou dz en s ovlZ, z fit alors, comme au milieu des mots, place à
5 ; ce dernier signe apparaît de très-bonne heure et finit — avec
ce toutefois — par se substituer complètement à ^ ^ Ainsi on a :
bras Roi. ; brebis Rose ; crois Vilh. ; dis Roi. v. 41 ; dous.
Rose 2683; fais Roi. 76; fois Ronc. ; nois Sax. ; pais, id. ;
pois Vilh. ; perdis Rose v. 20348 ; suris L. R. ; vois Sax.
1. s d'un si grand usage autrefois à la fin des mots (cf. sur son emploi
Gast. Paris Alexis, p. 99), ne s'est conservé qu'à la place de s dans les
mots chez (casam), nez (nasum), rez (rasum).. ou de is dans assez (adsatis),
lez (latus).
■^ ^25 -
Il eût été désirable qu'on s'en lut tenu à ce mode de représen-
tation de la spirante finale, mais bientôt x fut employé, concur-
remment avec 5, pour en être le signe, x, destiné à représenter
d'abord es, comme on le voit par l'orthographe du mot amix (S.
Lég. 19, 4) comparé à amies (Pas. 38, 1), fut aussi, surtout à
partir du xiif siècle, employé à la place de Is ou même de s
seule; ainsi : hiax G. 0., batiax G. A., chevax Gr., ciex, fix,
genox llyxoYi ; mantiax id. ; oisiax G. A. ; paradix R. Al,
solax id. ; vassax Huon ; Dex G. 0., etc. On s'en servit égale-
ment comme signe du c final assibilé dans la plupart des mots
qui ont x ^= es 2iU nominatif latin et dans deux ou trois autres ;
par exemple: berbix S.B. 526; cax Rou 10211; eroixS.
Lég. 25, 2; dix Brut; doux Frois. III, 14. faux La Char.
3100, faulx Frois.; faix Frois; noix xy^ siècle; paix S. B. 547,
Frois.; perdrix Ch. d'Ant. III, 181 ; voix Rom. Coucy. 19 ^
Tandis que z a complètement disparu comme signe du c final
transformé en spirante, xets ont persisté dans la plupart des
mots où ils se sont substitués dès le Moyen- Age ; 5 est resté dans
les suivants :
LAT.
V.FR.
FR. MOD.
bracchium
braz Roi. Ben.
bras
vervex, vervecem^
berbiz Th. mart.
brebis
vix, vicem
/m Roi., fois Couci
fois
nidax, nidacem
niais Br. Lat.
niais
radix, radicem
radis e R. Alex.
radis
sorix, soricem
suriz Bat. d'Ales.
souris
ainsi que dans les dérivés en aeius et ieius : bourras, coutelas,
éehalas, eynbarras, fatras, plâtras, traeas, et abatis, eha-
blis, ehassis, eoulis, éboulis, gâehis , haehis, lattis, lavis,
levis, logis, poestis v., roulis, taillis, traitis v. troussis,
voutis V.
Au contraire, x a pris définitivement la place du c dans les
mots:
calx, calcem cax Rou. chaux
crux, crucem cruiz'R.ol. crois yWh. croix
decem diz Roi. dis Ronc. dix
dulcis, dulcem dulz Roi. dous Berte doux
faix, falcem fauz La Char. faux
fascis, fascem fais Roi. fès Rut. faix
1. Cf. [Àiirê. Dictionnaire, &. v. — 2. Changé en berbicem.L. Sal.
— 426 —
nux, nucem nouiz St Gr. nois Sax. noix
pax, pacem pais Roi. Vilh. paix
pix, picem peiz Roi. pois Vilh. j902;37
perdix, perdicem perdrix L.R.perdisRoseperdrix
vox, vocem voiz Roi. ■yoz5 Sax. 'yo^â? ^.
Ainsi des signes nombreux employés par l'ancienne langue
pour représenter la spirante provenant de la transformation du
c palatal, il est resté au commencement des mots où elle est tou-
jours sourde, c et exceptionnellement 5 ; au milieu c {ç)etss {sç
après une consonne), quand elle est sourde, s eiz quand elle est
sonore, enfin 5 et â? à la fin des mots, auquel cas elle est muette
devant une consonne, et sonore en général — quelquefois aussi elle
reste muette — devant une voyelle. Nous allons voir que le pro-
vençal a procédé d'une manière un peu difiérente.
IP Du c palatal transformé en provençal.
Les signes c, s, ss, z ayant eu et ayant en provençal la même
valeur à peu près qu'en français, les observations générales que
j'ai faites sur leur emploi pour la représentation de la gutturale
dans cette dernière langue s'appliquent aussi à l'usage qu'en a
fait le provençal ; je ne les répéterai donc pas ici. Un fait dis-
tingue cependant les deux idiomes à cet égard, c'est que le pro-
vençal ne connaît pas x, ni le français tz, comme signe de la
palatale transformée finale ; le provençal a de bonne heure aussi
abandonné l'usage du c pour représenter le son ts ou s devant
une voyelle non palatale, tandis que le français l'a, nous avons
vu, assez souvent conservé dans ce cas. Il en est de même en
catalan ^. Voyons comment le provençal proprement dit a procédé,
en commençant par le c initial.
Dans le Boëce, le plus ancien monument provençal, c initial a
persisté presque partout ; ainsi cil (ecc'illum) v. 70, 213, cel
1. Littré, id. — Diez, Gram., II, 316.
2. Les poésies religieuses, publiées en 1842 par Im. Bekker, dans
les Abhandlungen der berliner Akademie der Wiss., nous montrent
aussi c (? ç) au milieu, et, ce qui est plus surprenant, même à la fin des
mots; mais c'est là un système orthographique propre au copiste, et dû
peut-être à ce qu'il était d'origine française. On peut en dire autant à
plus forte raison de la Ballade publiée par Bartsch, Chr., 107, d'après le
manuscrit fr. de la Bibl. Nat., anc. 1989, et dont les formes provençales
ont été même par place remplacées par le scribe par des formes
françaises.
— <27 —
'(cœlum) V. 74, 98, 146, 157, 168, co (ecc'hoc) v. 243; cerca
V. 238 ; cependant il a été remplacé par ^ dans le mot zo, v. 47,
106, 196, 207, 228, 232, 237, 248, 257, substitution qui s'ex-
plique sans peine, le copiste de ce poème n'ayant point connu la
notation ce ou ci, usitée par nos anciens scribes. D'ailleurs ce
mode de transcription prouve lui-même que le c devait encore
alors avoir la valeur ts , ce qui est vrai du c liiédial comme du
c initial. Il ne dut pas toutefois la conserver longtemps après
l'époque où fut écrit ce poème; quoique la langue paraisse avoir
hésité souvent encore entre le son ts et s. Dans les « Poésies
religieuses en langue d'oc », publiées par M. PaulMejer d'après
les manuscrits 1139 et 1743 de la Bibliothèque nationale ^ et
regardées souvent comme le monument en langue provençale le
plus ancien après le Boèce, nous trouvons à la place de zo ou
co, suivant l'orthographe du scribe de ce dernier poème, so par
un s; transcription qui s'explique difficilement, sil'on ne suppose
que le c initial avait alors le son de s sourd ; il est vrai on trouve
encore zo et non so dans les trois Sermons limousins publiés
également par M. P. Meyer^ ; mais dans les monuments posté-
rieurs z initial n'apparaît plus qu'exceptionnellement à la place
de c, par exemple dans zai dans une charte de 1122 ^ ; et il y est
presque toujours devant une voyelle non palatale représenté par
5. Il y a plus, s se substitue aussi à c suivi d'une voyelle pala-
tale, ainsi sembel pour cembel dans le Girart de Rossilho, B.
Chr. 33, 39 et 34, 15 ; et si cette orthographe, absolument inex-
plicable si c n'avait pas alors un son analogue à celui de s sourd,
est rare dans les monuments du xii^ siècle, elle devient fréquente
dans ceux du xiii^ ; et à partir de la seconde moitié de ce siècle,
les scribes emploient non-seulement indifféremment s pour c ini-
tial, mais parfois même c pour s, p. ex. cenhor et senhor (senio-
rem) dans Lunel de Monteg, B. Chr. 356, 3 et 355, 3 ; ceser
pour sezer (sedere) dans Guillem de Gerveira, B. Chr. 298, 23,
etc. Ainsi on ne peut douter que, comme un peu plus tard dans
la langue d'oïl, le c initial provençal n'ait pris la valeur de s
sourd ; il en fut de même le plus souvent, comme nous allons
voir, du c médial^.
1. Bibliot. de l'École des chartes, 1860.
2. Jahrb., VII, 78.
3. Layettes du trésor des chartes, par A. Teulet, p. 45.
4. Un témoignage contemporain confirme ces conclusions, « c sona
un petit mays fort que s » dit l'auteur des Leys d'amor(ll, 54), mar-
quant ici, ce semble, la différence qui aurait existé entre le c et Vs
— ^28 —
Mais tandis que^malgré la confusion du son, l'ancien français,
comme le français moderne d'ailleurs, n'a jamais substitué qu'ex-
ceptionnellement sac initial, en provençal cette substitution a
eu lieu pour presque tous les mots, que le c étymologique fût
suivi d'une voyelle non palatale ou d'une voyelle palatale \ avec
cette différence toutefois que dans le premier cas z s'est d'abord
substitué à c pour être ensuite définitivement remplacé par s,
tandis que dans le second il y a eu directement substitution de s
à c. Les exemples suivants montreront comment le c palatal
latin a été traité au commencement des mots :
ecc'hac
zai Lay., 45
sai
ecc'hoc
zoB.
co B. V. 243.
50 31,242
cœcum
—
cec 179, 18
sec 374, 11
ecc'illum
—
cel 36, 28;
sel2m, 10
celh
selh 276, 2
cœlum
■' —
cel 40, 35
sel
celare
■ —
celar 22, 23
selar
cellarium
—
celier
selier
cymballum
—
cembel
semhel 33, 39
cœnam
—
cena 7, 29
centum
—
cenll,23
sert 290, 2
cingere
—
cenher 31, 16
senher
cincturam
—
centura2Qi, 2i sentura 293,29
cercare
—
cercaréi, 33
sercar 253, 28
certum
—
cert 27, 31
sert 278, 35
cervellum
—
cervel 202, 19
5erTe/326, 23
cervum
—
—
ser 283, 1
cessare
—
cessar 325, 4
sessar 396, 37
ecc'istum
— .
cest 43, 4
sest 253, 35
cymam
—
cima 197, 3
sima 338, 3
cinque
—
cinc 113, 22
sine 294, 23
sonore bien plus qu'entre c et s sourd, lesquels se confondent, tandis
que les premiers sont toujours distincts.
1. Le vers suivant de Flamenca, où nous trouvons c et s l'un à côté
de l'autre,
Mas ben i ac plus de cinc sen v. 520.
montre avec quelle indifférence les scribes employaient ces deux signes
au commencement des mots.
2. Les exemples qui, comme celui-ci, ne sont pas accompagnés de
désignation particulière sont tirés de la Ghrestomathie de Bartsch.
— ^29 —
^circulum
civitatem
clutat 22, 22
sercle 292, 23
sieutat 388, 7
etc.
Comme en français, il faut pour le c médial transformé distin-
guer en provençal entre la spirante sourde et la sonore. Nous
avons vu que dans la langue d'oïl celle-ci fut de bonne heure
représentée par z, puis par s ; il en a été de même dans la langue
d'oc ; cependant soit qu'il y ait eu hésitation de la langue entre
la spirante sourde et la sonore, soit que les scribes aient été
embarrassés pour les représenter, il y a eu souvent confusion,
dans les premiers temps du moins, dans les signes qui les figu-
rent. Ainsi dans le Boèce^ tandis qu'on trouve écrits avec c
marce v. 76, aucis\. 181, tristicia v. 221, mots où le c repré-
sente évidemment la sourde ts, et, au contraire, avec z, razo v.
50 et 234, donzella v. 215 et 244, auzil v. 226 et 231, où z
doit représenter la sonore dz, on a avec z traazo, v. 57, et avec c,
trdicio v. 236, mot dont la spirante paraît aussi avoir été sonore ;
de même dans dicent v. 145 le c a persisté, bien qu'il doive avoir
ici, à ce qu'il semble bien, la valeur dz, comme le prouve l'or-
thographe de ce mot dans les Poésies religieuses, où il est écrit
dizent. Plus tard cependant cette irrégularité tendit à disparaître,
•mais s ne se substitua pas à z, comme cela a eu lieu entre deux
voyelles dans presque tous les cas en français, z subsista le plus
souvent à côté de s, et même plus souvent que s. Seulement la
substitution de ces deux lettres l'une à l'autre montre qu'à partir
de l'époque où elle eut lieu, c'est-à-dire depuis le xi® siècle pro-
bablement — elle apparaît déjà dans les Poésies religieuses, ainsi
aiso 1743 v. 95 ; oraso id. v. 246 ; — z n'eut plus, dans ce
cas, que la valeur de s sonore. Il n'y a pas de doute du moins à
avoir quand zei s se substituent entre deux voyelles ; les Leys
d'amor disent expressément que telle était alors la valeur de z et
de 5, et la comparaison avec les mots français des mots pro-
vençaux où ils se trouvent l'un et l'autre en est une preuve ;
' ainsi dans auzel et ausel, fr. oiseau ; damizella et damai-
sella, fr. demoiselle ; lezer ou luzir et lusir, fr. loisir, etc.,
on ne peut douter qu'on n'ait une spirante sonore. Mais z
a-t-il toujours cette valeur entre deux voyelles ou après
une consonne, par exemple dans pereza, à côté du français
1. Je me sers du texte tel que M. Meyer l'a établi dans son édition
faite pour l'École des chartes.
9
— ^30 —
paresse, dans plazer à côté de placer, dans donzel à côté de
donsel? Il faut distinguer entre les époques, et peut-être entre
les dialectes. Il est certain que z, du moins au commencement
des mots, a eu d'abord la valeur ts, c'est-à-dire qu'il représentait
une sourde, c'est ce que prouve la transcription zo du Boèce
et des Sermons limousins à côté de co du même Boèce et de
so des autres monuments. En a-t-il été de même au milieu des
mots ? Peut-être à l'origine, mais il n'en put être ainsi longtemps;
la substitution àe z k s, entre deux voyelles, où cette dernière
lettre est sonore, prouve que z avait aussi la même valeur ;
l'avait-il également, comme en français après une consonne,
tandis que s y aurait été sourde ? Les transcriptions comme
donzel et donselc^uon rencontre par exemple dans Guillaume IX
de Poitiers, B. Clir. 35, 4 et 33, 33, pourraient donner des
doutes à cet égard ; mais si l'on remarque que très-souvent la
spirante dentale précédée d'une consonne est représentée par
deux s, orthographe entièrement inconnue au français, où une
seule s suffit dans ce cas pour être le signe de la sourde, on sera
porté à penser qu'en provençal il en était autrement, et qu'après
une consonne s seule pouvait probablement représenter indiffé-
remment une sourde et une sonore, l'emploi dés deux s étant
sans doute destiné à empêcher cette confusion. Ainsi on ne peut
conclure, je crois, de la substitution de 5 à ^ après une consonne
que z n'y représentait pas une sonore comme entre deux voyelles;
ce qui, nous avons vu, a toujours lieu en français. Mais comment
expliquer la présence de z médiat et de c ou ss dans le même
mot ? Quand la spirante sourde est la forme la plus ancienne, il
faut admettre que la spirante après avoir été sourde s'est changée
en sonore, c'est ce qui a eu lieu par exemple pour /Mc?2c?t (judi-
ciura) devenu définitivement juzizi. Quand , au contraire , la
forme avec c ou ss est la plus récente, ou quand les deux formes
c et 5 se trouvent dans des textes de même époque, il faut voir là
ou une hésitation de la langue entre la sourde ou la sonore, ou
une influence dialectale. Cependant il y a un certain nombre de
mots où le c palatal s'est uniquement et définitivement changé en
spirante sourde, cela a lieu en particulier dans les composés, en
même temps que c y persiste aussi le plus souvent ; d'autres, au
contraire, où il a donné naissance à une spirante sonore. On
trouve une sourde seulement, à ce qu'il semble, dans les mots
suivants :
— ^3^ —
I
I
LAT.
-ad certas
I aciarium
1 ancillam
'antecessorera
* brachiam
* bucellara
* balanciam
cipere (con,
de, re)
discernere
* ericionem
* excorticeam
faciam
*juvenice]lura
lanceam
mercedem
minaciam
* nutriciam
* pelliciam
principem
provinciam
* suspicionem
vincere
acertas 13, 16 — —
acier 33, 31 assier 258, 17 —
ancela 18, 19 — —
ancesso7''d>^è'à 17 — . —
— brassa 385, 22 —
bucella 9, 44 — —
— balanssa balansa 51 , 23
cebre (con, de, dessebre 338, —
re) 16 —
decernir 198,31 — —
— erisson 328, 39 —
— escorssa Rayn.c^cor^a 135, 2
facia fassa —
jovencel 34, 11 — jovensel 303, 9
— — lansa 31, 17
mer ce 21 , 6 — mer se 20, 24
— menassa 233, 7 —
— noyrissa'Rayn. —
— pelissa 57, 6 —
prince 161, 22 ^rm5^ Rayn.
— — proensa
vencer 15, 14
venser Rayn.
lien est de même dans les dérivés en tia, tio, etc., comme
aussar (* altiare), speransa (sperantiam) , massa (mateam)
negligensa (negligentiam) , obediensa (obedientiam), orde-
nensa (* ordinentiam), plassa (plateam), sentensa (sententiam),
tristessa (tristitiam), etc.
Dans les mots suivants , au contraire, la langue paraît avoir
hésité entre la sourde et la sonore :
ecc'hoc
— aisso 22, i 9 aho -12, 36 aiso 42, 25
ecc'illum
a^ce/ 26, 37 aisselMoylV) aizel 4\, \S —
?*dulciam
— doussa27, 25 dolza 3, 2 dousa2A^, 9
duodecim
dotze Rayn. — dozen Rayn. —
jacere
jacer 46, 4 jasser 33i,2o jazer^QTj^ 20 jaser 46, 27
medicinam
7netzina medissina meizina6i^\6 —
n7, 35
occidere
aucire B. \8i aussire 2^ , 9^ 5 — ausire 237 , i 7
placere
placer AO, H — plazerAS, il plaser
* radicinam
racina Rayn. — razina —
tredecim
treize Rayn. — trezen Rayn. —
— ^32 —
Il en est de même dans les dérivés en tia ou tio, chaussa,
cauzo QxSiCauso {Q^^)X\(m.&[Ci), faisso, faizo (factionem) ^racm
et grasia (gratiam), leisso et leizo (lectionem), riquessa,
riqueza et riquesa (*richitiam), traicio, tî^assio, traazo et
traisio (traditionem), etc.
Au coiitraire.il semble bien que dans les dérivés suivants on
n'ait qu'une spirante sonore :
acetum
azet Rayn.
—
*aucellum
auzel,auzilB.Y.
226 ausel
dicimus
dizem 370, 31
—
*dominicellum
donzel 35, 4
donsel
ducimus
duzem
—
duciculum
douzil
_ .
faciendam
fazenda QQ, 31
fasenda 333, 34
licere
lezer 91, 25
léser Roch.
lucere
luzir 31, 15
lusir
placere
plazer 48, 17
plaser
undecim
onze 77, 13
onse cat.
quatuordecim
quatorze 209, 9
catorse cat.
quindecim
quinze 218, 11
quinse cat.
sedecim
seize 76, 17
seisen Rayn.
racemum
razim Rayn. v.
51 rasim 289, 39
tacere
tazer 100, 30
—
vicinum
vezi 68, 5
vesi 335, 5
Il en est de même dans les dérivés en tia ou tio, tionis ; àbu-
zio (* abutionem), * alteza et altesa (*altitiam), fablazo (fabu-
tionem), pereza (pigritiam), prezar et presar (*pretiare), quas-
tiazo (castigationem) , razo et raso (rationem), savieza et
saviesa (*sapietiam), sazo eX saso (sationem), vengaso (vendi-
cationem), etc.
On voit que dans la transformation de la palatale médiale, le
provençal, à part cette incertitude de formes qui lui est propre,
offre une assez grande analogie avec le français, il en diffère
entièrement, à son époque de complet développement, dans le
traitement de la palatale finale. Le Boèce nous offre c transformé
devenu final dans forfaz (foris facit) v. 15, faz (facio) v. 79 et
90; /e^ (fecit) v. 52, 59, 71, 188; forfez v. 179; jaz (jacet)
V. 158 ; reluz (relucet) v. 162. où nous le voyons représenté par
z; dans/«5 (facis) v. 88 et dis (dixit) v. 100, au contraire, il
est représenté par s. Dans les « Poésies religieuses » publiées par
M. P. Meyer d'après le manuscrit 1743 de la Bibliothèque natio-
nale, on trouve à la fois
— ^33 —
z et
même tz ; ainsi fis (feci) v. 128,
dis (dixi) id. v. 129, f'es (lecit) id. v. 144 avec s; plaz\. 42,
22 et 220, au contraire, avec z ; enfin fetz v. 40 avec tz. Dans
le Martyre de Saint Estève, on trouve s àans pas (pacem) v. 1
et dis (dixit) v. 2 p. 151. Dans les Sermons limousins, au con-
traire, nous avons à la fois z et s; z dans fez (fecit) II, p. 82;
diz (dixit) II p. 83, II, 84 ; dis id. Il en est de même dans
l'Evangile selon Saint Jean ; ainsi on a 2: dans faz (facio) B. Chr.
9, 2; 11, 6; 12,6; diz (dicis) 10, 45; 15, 4, ;9a;r (pacem)ll, 42;
15, 12 ; on trouve s ou même ss — cette dernière notation, il est
vrai, pour x — dans fas (facis) 9, 46 ; diis (dixit) 9, 12 ; 9, 39 ;
diiss (id.) 8, 30 ; 9, 2, etc. Dans les monuments postérieurs on
rencontre encore z et s, ainsi dans les poésies de Guillaume IX
de Poitiers, braz 28, 14 ; faiz (facis) 28, 40 ; diz (dixit) 29, 22 ;
et dans Girart de Rossilho dis 37, 22. Mais ces formes, pendant
toute la période classique du provençal, sont exceptionnelles, la
forme ordinaire est tz; ainsi dans Guillaume de Poitiers patz 16,
18 ; et dans Girart de Rossilho Ihutz 31, 15 ; ditz 35, 30, etc.
vetz 35, 29 ',platz 36, Ufetz 36, 8, etc. bratz 40,3; crotz 44,
8 ; emperairitz 40, 25, etc.
Cette modification orthographique témoigne d'une modification
dans la prononciation ; ^ et 5 au milieu des mots, du moins entre
deux voyelles, représentent une sonore, et il est difficile de leur
attribuer à la fin des mots une autre valeur ; tz, au contraire,
représente une sourde, il faut donc voir ici l'application aux spi-
rantes de la loi par suite de laquelle le provençal ne soufire à la
terminaison que les muettes sourdes ; cette loi n'était point ob-
servée rigoureusement, excepté peut-être pour les dentales, par
l'ancienne langue, qui conservait souvent comme finales les
sonores h et g, ou même changeait les sourdes p et c euh ei g;
ainsi dans le Boèce aprop v. 35, amig v. 45, 138, 185, fog
V. 251, 252 ; dans les Sermons leg, long, mond; dans les Poé-
sies rehgieuses en langue d'oc, chab, gab, receb, sab, mots qui
sont devenus amie, aprop, ehap, foe, lonc, etc., c'est-à-dire
qui ont conservé la sourde médiale latine, ou ont changé la
sonore en sourde ^ Quelque chose d'analogue s'est évidemment
produit pour les spirantes dentales ;k z, s sonores, — ou qui, si
elles ne l'étaient pas d'abord, le devinrent vers le xii® siècle, —
■ I. CL Jahrb. l, 364. On trouve aussi dans ces textes les formes ag,
conog, veng, volg, au lieu de ac, conoc, venc, vole: De même dans la
Passion ag, fogjag, etc.
— ^34 —
s'est substituée la sourde tz, qui apparaît ainsi partout où c
devient final par la chute de la terminaison, en particulier dans
les dérivés en ax, acis; ix, icis ; ox, ocis ; ux, ucis, etc.,
quoique à côté, comme je l'ai dit, on rencontre aussi les notations
z eis. Exemples :
brachium
bratz
braz 28, 13
bras
*berbix, berbicem
hrëbitz
—
—
capax, capacem
capatz
—
—
crux, crucem
crotz
—
cros p. R. 39
decem
detz
—
des 330, 26
dicit
ditz
diz Ev. J.
duodecim
dotz[e)
—
—
facio
fatz
faz B. 79
fas B. 88
*formix, formicem
formitz
—
—
glaciem
glatz
—
—
* imperatricem
-, emperairitz
—7
—
*jacet
jatz
jaz B. 158
—
lucet
lutz
{Ye)luz B. 162 —
pax, pacem
paiz
paz Ev. J.
pas
perdix, perdicem
perditz
—
—
placet
platz
—
^^«5 34,10
radix, radicem
razitz, raitz
mù364, 21.
—
sorix, soricem
soritz
—
—
vix, vicem
vetz
—
—
vox, vocem
VOtZyVOtSV.R,
.231 —
—
Il en est de même dans les dérivés en tium, par exemple dans
palatz (palatium), pretz (pretium), etc.
A ces signes assez compliqués de la palatale transformée, il faut
ajouter la lettre double cz qu'on rencontre à côté de ^ et de 5, en
particulier dans les manuscrits des poésies vaudoises, pour la
représenter au commencement, au milieu ou même à la fin des
mots. Ainsi dans « La nobla Leyczon » : czo v. 8, 14, 48, 50,
etc. ; ayczo v. 11 et 73 ; pacz v. 89; crocz v. 320. De même
pour ti, co77ienczar v. 28 ; comenczament v. 23 ; poisscncza
V. 34; fortalecza v. 36; sapiencza v. 39. — Dans ^< Lo payre
eternal » : doczas v. 5, 3, etc. ; dans « Lo novel confort » fac-
zent 2, 4 ; vocz 11, 4 ; dans « Lo despréczidel mont », czoy. 7.
docz, id., etc. On trouve encore cette notation dans unfragment
de la vie de Sainte Fides d'Agen, par ex. canczonx. 1. Au vers,
2 de ce même poème on trouve razo avec z ; de même dans « Lo
novel confort » on a aussi avec z, plazer 3, 2 ; si on remarque
— ^35 —
que dans ces deux mots la spirante est évidemment sonore, on
serait porté à voir dans cz un signe de la sourde, tandis que les
scribes qui s'en servaient réservaient z pour représenter la sonore,
mais comme on trouve aussi raczo N. Lee. v. 353, placzent N.
Conf. 11, 4 et même placer N. Lee. v. 455, on ne peut rien
conclure de la valeur de ce signe au milieu des mots.
D'après cela nous voyons que le provençal avait, si Ton omet
cz, quatre signes pour représenter la spirante sourde, c et 5 au
commencement des mots ; c ei ss, — s parfois aussi après une
consonne, — au milieu ; ^^ à la fin. La sonore qui ne se trouve
régulièrement, à partir du xn^ siècle, qu'au milieu des mots était
représentée par s ei z. Le provençal avait donc de plus que le
français comme signes de la spirante tz, mais il n'avait point x,
pas plus qu'il ne paraît avoir connu sz, se et zc, notations excep-
tionnelles, il est vrai, de la langue d'oïl.
Iir. — Transformation du c palatal en s ou çdans les
dialectes italiens et ladins.
Nous avons vu qu'encore que le c palatal latin se fût en géné-
ral transformé en chuintante c dans le groupe oriental, cependant
il s'y était aussi parfois changé en ts ; cela a lieu en roumain,
surtout dans le dialecte méridional, cela a même lieu dans l'ita-
lien classique pour certains suffixes, mais surtout dans ses dia-
lectes. On ne doit pas dès lors être surpris de retrouver dans ces
divers idiomes, comme dans ceux du Nord-Ouest, les formes
affaiblies de ts ; on les rencontre aussi dans plusieurs dialectes
italiens ; ainsi on trouve à la place de c ou ts, au commencement
des mots, s en romagnol et en piémontais, ç en génois et dans le
sarde campidanien ; au milieu, ss dans le sarde logoudorien, ç
dans le campidanien, quand la spirante est sourde, s, au con-
traire, dans le milanais, le piémontais, le romagnol, etc. où elle
est sonore, quand elle n'est pas précédée d'une muette sourde.
Dans les dialectes ladins du Tyrol on trouve également f, au com-
mencement et au milieu des mots, pour représenter la spirante
sourde, z pour représenter la sonore. Voici quelques exemples
de ces diverses transformations. 1° au commencement des mots :
LAT.
DIAL. LAD.
mil.-rOm.-piém.
GÉN. SARDE CAMP
ET LOG.
cœnam
çena tir.
—
coelura
ciel ven.
—
ceraseam
çeriesa ven.
—
— ^36 —
cercare
çerca tir.
—
—
cernere
çernir v. çerni \
^ —
—
certum
—
—
çerto gén.
cervum
cerf tir.
—
—
cilium
çeje fr.
5i^n p.
—
cymam
—
sima p.
—
cimicem
çimese ven.
cimes p.
—
cinerem
çendro tir.
sener p.
—
cinque
—
sinque ven.
—
cippum
—
—
seppo gén.
circinare
çerçena fr.
—
—
circulum
—
5erc^ parm.
—
civitatem
—
5z^à p.
çittadi s. c.
civilem
—
siîJi7 fer.
—
ecc'hoc
ce tir.
—
—
2° au milieu des mots ou à la fin par apocope
de la termina:
son :
a), s sourd :
= ss ou ç.
accia it.
açe fr.
__
„_
brachium
braç fr.
^
—
calcem
cauç tir.
—
causi sic.
cornicem
curniç fr.
—
—
crucem
cros Ist.
_
—
decimum
—
—
deçimu s. c
docilem
—
^
doçilis. c.
faciem
face fr.
—
—
falcem
falç. fr. fauç. tir
—
—
laucem
foç fr.
—
—
felicem
—
—
feliçi s. c.
fecem
feçe fr.
—
—
forficem
for f es tir.
—
—
glaciem
glace, glaç tir.
—
—
judicem
judiç fr.
—
—
laqueum
laç fr.
—
—
laricem
lariçÎT. lares tir.
—
—
lucem
/wp fr. lus tir.
—
—
officium
—
—
offissiu s. g.
pacem
joap tir. pas Ist.
—
—
picem
pepe tir.
—
—
placere
placer tir. fr.
—
—
pulicinum
pulçin fr.
—
—
137
(e)ricium
* querciam
sacrificium
soricem
viciam
vincer
vocem
riç fr.
sores tir.
veçe fr.
venger tir.
voce tir.
cersa sic.
sacrifissiu s.
Il en est de même dans les diminutifs romagnols formés à l'aide
des suffixes cellus et cinus, par exemple : alsena (alicinam),
assicena (assicinam), budsella (botticellam), cardsena (carti-
cinam), dindsell (it. denticello), purdsena (porticinam), jownc?-
sell (ponticellum) , etc. ^
P). s sonore = z ou s.
acetum
acinum
cimicem
coquinam
(con)ducere
placere
recinctum
tacere
vicinum
vocem
azedîv., azeoiiT. —
azin fr. —
cimese —
cuzine fr. —
{Q,ovi)duzi fr. —
rezint fr.
taze fr.
vizin fr.
piasi p.
vesin mil.
ose ven.
On trouve aussi en portugais, à la place du c palatal latin, ç et
z avec la même valeur qu'en français ; mais ces signes , s'ils ne
se prononcent point aujourd'hui comme en espagnol, ayant été
à l'origine employés en portugais à peu près comme dans cette
langue, il ne faut point séparer l'étude des transformations du
c palatal dans les deux idiomes hispaniques. Elle fera l'objet
principal du chapitre suivant.
1. Muss. Darst. der rom. Mund. p. 35 et 52.
2. Biond. id. — Schnel. id. — Asc. id. — Spano^ id. passim.
— ^38
CHAPITRE Vil.
TRANSFORMATION DU C PALATAL EN ESPAGNOL ET • EN PORTU-
GAIS. — SON CHANGEMENT EN 0 ET 0 DANS LES DIALECTES
PROVENÇAUX ET LADINS.
Dans l'afiaiblissement de ts, issu de la transformation du c
palatal, il peut se faire que le i ne disparaisse pas seulement,
mais encore que la spirante qui subsiste, d'alvéolaire ou de dor-
sale qu'elle était et qu'elle est restée en provençal et en français,
devienne dentale proprement dite 0 ou S, son qui prend naissance
comme nous avons vu, quand la pointe de la langue, au lieu de
s'appuyer contre le palais ou les gencives supérieures, vient
se poser contre les dents, ou mieux entre les dents. Cette trans-
formation du c palatal, la dernière qu'il nous reste à étudier,
comme elle est aussi la plus extérieure et par suite la plus
récente, s'est produite en espagnol, dans le savoyard, dans
quelques dialectes de la Suisse romande et de l'Italie septen-
trionale, ainsi que dans plusieurs dialectes ladins.
L'absence d'anciens monuments ne nous permet pas de suivre
dans ces derniers idiomes les modifications successives de la spi-
rante sortie du c palatal latin, mais il n'en est pas de même en
espagnol et en portugais, c'est l'historique de ces di^'ers change-
ments qu'il me faut d'abord faire.
P Du c palatal transformé en ancien espagnol.
L'espagnol n'a aujourd'hui que deux signes pour représenter
le c palatal transformé, c devant e et ^, z devant les autres
voyelles, ou devant les consonnes; il n'en était pas de même dans
l'ancienne langue, qui distinguait, grâce à des notations diffé-
rentes, des sons originairement différents, mais aujourd'hui con-
fondus.
Le plus ancien monument authentique de la langue espagnole
de quelque étendue « El misterio de los reyes magos » , qu' Ama-
dor de los Rios suppose être du xi° siècle, n'a que deux signes,
du moins d'après l'édition de Lidforss, pour la palatale trans-
formée c ei z^\ c apparaît seul au commencement des mots, ainsi
t. Jahrb., XII, 46-52. Dans l'édition donnée par Amador de los Rios il y
en a quatre : c, ç, z et s.
— ^39 —
certas v. 24, celo v. 37, cilo v. 43, etc. Au milieu on trouve à
la fois c et ^, <? dans nacida v. 4 et 95; nacido v. 5, 15, 24,
30, 40, 48, 56, 80, 86, 96, 135; pace\. 25 et 87; facienda
V. 34 ; acenso v. 70 ; encenso v. 74 ; occidente v. 27 ; ofre-
c{e)remos v. 70; pertenecera v. 14: percibida v. 103; face
V. 96; Jace v, 127 ; enfin décides v. 81 et decidme v. 83 ; :;
ne se trouve que dans jo/<2^6? v. 129, et dans la conjugaison de
decir, ainsi c^^^?^ v. 53 et 134, dizeremos v. 77 et 92, dizen
V. 84, dezivN. 127, et dezhnos v. 147. Dans tous ces mots z
semble bien désigner une sonore ; mais comme on trouve décides
et decid écrits avec un c, on voit que la distinction entre c et ^
n'était point encore tranchée ou du moins n'a point été obser-
vée par le scribe. De même c étant toujours dans ce texte suivi
de e ou de ^, et ç n'étant point dès lors nécessaire, on ne peut
conclure de son absence qu'il n'était point encore connu ; il appa-
raît dans tous les autres monuments.
Le premier en date que nous trouvons, « El poema del Cid »,
dont le texte actuel est probablement de 1245 \ nous montre le
c palatal ou ti transformé représenté, quelle que soit la voyelle
suivante, ordinairement par p, — quelquefois aussi par c, quand
il a la valeur d'une spirante sourde, par^, au contraire, en géné-
ral dans les mots où elle paraît avoir dû être sonore ; ç est d'ail-
leurs d'un usage bien plus fréquent que z ; c'est lui seul qui appa-
raît au commencement des mots, et au milieu on le rencontre en-
core dans le plus grand nombre de cas ; à la fin des mots, au con-
traire, on ne trouve que z. Nous voyons là, à part la difiérence de
signes, la plus grande analogie de transformation avec ce qui se
passe en français et en provençal. Ainsi, dans les cinq cents
premiers vers, avec ç initial : Cid, 6, 7, etc. ; çerrada 32, 39 ;
çinxiestes 70, 439 ; çinxo 58 ; çerca 76, 212 ; çientos 135,
147, 206 ; çinco 187, 240 ; çielo 217, 330, 330, 331 ; çiego
352; çcnado 404 ; çevado 420, 429 ; çelada 437, 438, 441,
464 ; çega 449, 452, 455, 583 ; etcipdad 397 avec c. Au milieu
des mots, ç se trouve dans cabeça 2 ; uços 3 ; meçio 13 ; alhri-
çias 14 ; fuerça 24 ; 'Goçes 35 ; graçia{s) 50, 248 ; coraçon
53, 276 ; oraçion 54 ; arlançon 55 ; naçido 71 ; preçio 11 ;
lançalQ; palaçio{s) 115, 184; ganançia{s) 130, 165, 465,
474, 478, 480 ; esforçados 171 ; rançal 183; 7nereçedes 194 ;
1. Poetas castellanos anteriores alsiglo xv, p. p. Janer, col. Rivanereida.
Per Abbat le escribio en el mes de maio
En era mill e ce. xlv anos. v. 3743-44.
— uo —
calças 189, 195 ; mereçer 197 ; reçibio 199, 215, 245 ; braços
202, 255, 275, 488 ; falleçiere 258 ; merçed 268 ; naçio 294;
creçe 296 ; reçebir 297, 487 ; troçir 306 ; açerra 321 ; ifier-
f ero 331 ; encarnaçion 333 ; apareçist 334 ; offreçieron 338 ;
carçel 340 ; esfuerços 379 ; alcançar 390, 492 ; calçada
400; c?M/fe 407 ; lanças 419; Garcia 444, preçia 475; e^pe-
rança 490 ^ On rencontre, au contraire, ;2; à la place de c pala-
tal ou de ^z ou c?2 transformé dans vazias 4, dizian 19, c^ejszV
30 ; c?^>en 347, 436 ; faze 139, 433, 437 ; fdzeredes 233 ;
fazer 252 ; /a^en 285 ; fezist 331, 332, 345, 351 ; ^îzû 428 ;
fazed 452 ; aduzid 144 ; aduzes 263 ; plazo 212, 305, 309,
321, 396, 414 ; quinze 291, 472 ; jazer 393 ; razon 19 et ^o^o
385. On trouve à la fois p et ^ dans alzo 216 et «/po 355 et
dezid 129 à côté de decildes pour decidles 389. Il semble qu'il
y ait eu dans ces mots hésitation de la langue ou incertitude du
scribe entre la sourde et la sonore. Si on compare, au contraire,
les mots précédents aux mots analogues du provençal et du fran-
çais, on voit que ceux où la palatale transformée est représentée
par ç correspondent aux mots où elle s'est changée d'ordinaire
en spirante sourde dans ces idiomes, et qu'à z espagnol y répond
par contre une spirante sonore. Enfin, comme je l'ai dit, à la fin
des mots, z s'est partout substitué à c palatal ou à ti assibilé,
ainsi : plaz 191 ; solaz 218 ; cruz 358, 352; faz (faciem) 356;
faz (* face) 365, etc.
Dans les poèmes de Berceo^, textes du xiii^ siècle, comme
celui du Gid, nous trouvons, ainsi que dans ce dernier, la spi-
rante provenant de la transformation du c palatal ou de ti repré-
sentée toujours par p ou c au commencement des mots, par ,2 à la
fin. Ainsi dans les cinquante premières stances de la « Vida de
Santo Domingo de Silos », on a avec ç initial : çepa 9, 1 ;
çimiento 9, 3 ; çebo 16, 3 ; çierto 22, 1 ; çerca 22, 3 ; çielo
26, 3 ; çielos 31, 4 ; et avec c, cenidos 12, 3. Enfin nous trou-
vons z final dans diz 5, 1 ; faz 20, 1 ; luz 40, 4. De même dans
la « Vida de San Millan » dulz 11, 1 ; feliz 15, 2; raiz, 18,
2, etc. Le c palatal transformé est donc absolument traité ici, au
commencement et à la fin des mots, comme dans le poème du Cid.
Au milieu des mots, au contraire, il offre quelques différences.
Ainsi on le trouve représenté par p dans iJepmo 2, 2; diçen 3, 4;
preçio 4, 2; laçerio 4, 3; serviçio 4, 4; deçir 8, 1; 12, 4; 33,
t. ç représente aussi s initial dans çervicio v. 69.
2. Poêlas anteriores al siglo xv, id.
— i'r\ —
4; conoçientes 13, 3; feçe 14, 4; façie 16, 4; 24, 4; 40, 3;
deçie 17, 1; oraçiones 17, 3; peonçiello 19, 1; obedeçio 19,
3; reçïbrie 21, 2; 2/<^pe?r 21, 4 ; fiçieron 23, 3 ; gracia 25, 2;
sacrifiçio 26, 2 ; /?p20 26, 3 ; o/?pzo 28, 4 ; pastorçiello 34, 1 ;
monaçiello 36, 1 ; ^/apz'e 39, 3 ; bendiçion 40, 1 ; mançebio
40, 2; orapzon 46, 3; sentençias 31, 1; ahstinençias 41, 2;
fallençias 41, 3; convenençias 41, 4 ; saçerdote 43, 1 ; no-yz-
pzo id,, o/îpz'o 43, 2; serviçio 43, 3 ; 'y2pzo43, 4; lacer o 44, 4;
deçhnos 58, 1; cobdiçia 50, 3; enfin par c dans ^ermmaczone^
28, 4. Le xr s'est substitué au c palatal transformé dans fizo 1,
1; 24, 2; razonidat 14, 4; razon 16, 1; razones 28, 1 ; sazon
24, 1 ; viltanza 29, 1; lanza29, 3; duhdanza 29, 4; comienzo
31, 3; fazannas 34, S;pereza, 39, 1, 43, 4; agudeza 39 , 2;
jorot«eza49, 3; corteza 39, 4; mo^o 40, 1, 44, 1; corazon
40, 4; lozano 42, 2; enxalzada 45, 1. Dans quelques-uns de
ces mots comme r^ï^on, sazon, etc., le ;2; représente évidemment
une spirante sonore; en est-il de même dans tous les autres, par
exemple dans dubdanza, lanza, etc. ? Cela peut paraître dou-
teux. D'un autre côté il semble bien que ç représente une sonore
dans diçen, veçino, etc. et non une sourde, comme dans reçibrie,
mançebio, etc. Onle voit donc, dans ce texte, l'arbitraire le plus
grand paraît avoir régné dans la représentation de la palatale
transformée au milieu des mots. Il est surprenant au moins que,
comme aujourd'hui où on ne distingue plus de spirante dentale
sourde ou sonore, ç n'apparaisse que devant e ou i, z devant
les autres voyelles.
Dans la « Vida de Santo Domingo de Silos », on trouve z
médial devant e et z, ainsi faziese 22, 4; luzerio 33, 4 ; mais ç
ne se trouve, du moins dans les cinquante premières stances,
jamais devant a o\iu, c'est toujours z qu'on rencontre dans ce
cas même dans des mots où comme esfuerzo 29, 3; rezaba 33,
1, etc., la spirante semble bien être sourde. Par contre ç se
trouve dans certains mots, comme façie 8, 4; 12, 4; 37, 1,
yaçie 11,2, etc., où il représente probablement une sonore. Ce
texte offre donc encore, nous le vojons, la plus grande incerti-
tude ortliographique dans la représentation de la spirante den-
tale médiale. Il en est tout autrement dans « Del sacriâçio de la
Missa ».
Dans les vingt-cinq premières stances de ce poème, ç médial ne
paraît représenter que la spirante sourde, et on le rencontre
indifféremment devant toutes les voyelles, ainsi ençierto, 2, 3 ;
sacrifiçio{s) 3, 4; 4, 2; adoçien 5, 2; offreçien 7, 2; offregio
— U2 —
18, 4; hraços 8, 3; bocaça 9, 3; saçer dotes 9, 4; sacerdotal
19, i\ preçiosa 11, 4; significança 18, 2; ençierra 24, 4.
A l'exception des mots comienzo 1, 2 et de vezerra 16, 4, dont
la spirante est d'une nature douteuse, z représente évidemment
dans tous les autres une sonore, ainsi fazer 2, 4 ; fazie 3, 4 ,
fazien 5, 1 ; /«;2:e 20, 1; 20, 3; 23, 2\jazie 7, 4:jazia 16, 1;
17, 4 ; dize 17, 2; c?«^e?2 17, 3. Nous sommes donc ici en pré-
sence d'un texte d'une orthographe plus sûre que les deux précé-
dents ; mais, comme on le voit, il n'y a de différence entre ces
diiSérents textes que pour la -représentation du c médial, tous
s'accordant à le représenter par ç au commencement des mots,
par z k\a fin. Il en est de même encore dans les monuments que
j'ai à examiner, je ne m'occuperai donc que du c médial.
Dans « El libre de Alexandre », texte du xiv'' siècle d'après
Sanchez, du xiii'' d'après Amador de los Rios ^ ç apparaît
comme signe de la spirante sourde, z en général comme celui
de la sonore ; ainsi nous trouvons avec ç : serviçio 1 , 1 ;
pHnçepe 6, 1 ; vençio 6, 3 ; naçemiento 11, 1 ; creçiendo
12, 3; coraçon 14, 1 ; 17, 3; 18, 2; 18, 4; 20, 2; nous avons,
au contraire, avec z : clerezia 2, 2 ; plazer 3, 2;- fazer 4, 1 ;
reziente 10, 2 ; franqueza 12, 2 ; (J)azie 14, 2 ; criazon
14, 3; razon 14, 4; 18, 2; fazie 17, 2; sazon, 22, 1 ; dezia
24, 3. Nous arrivons donc à la même conclusion que pour « El
sacrifiçio de la Missa » .
L'orthographe de « El libre de Apollonio » au contraire,
poème qu' Amador de los Rios croit antérieur de quelques années
au poème d' Alexandre, mais dont le texte est évidemment de la
même époque, témoigne d'une grande incertitude de la part du
copiste dans la représentation de la spirante médiale, à laquelle
il donne pour signe assez indifféremment ç ou z : par exemple
diçian 20, 4 avec ç, et dizen 45, 2 avec z; de même fizo 3, 3
avec z et fiço 6, 3 avec ç, etc. Un fait plus surprenant c'est de
trouver, comme en provençal, tz à la place de c final, dans ditz
17, 3 ; mais, on le voit, ce texte ne permet pas de rien conclure
de certain sur la valeur de p et de 5: comme signe du c palatal
transformé ; il en est de même de la « Vida de Santa Maria egyp-
tiaca » et de « La adoraçion de los santos reyes » qui se trouvent
dans le même manuscrit que «El Romance de Apollonio ». Tout
autre est l'importance du texte des poésies de l'archiprêtre de
Hita « Joan Rois », poète du xive siècle.
1. Poetas castell. ant.al sigloxv, p.ïli.—Hist.crit. delalit.espanola,lU,279.
— \',3 —
Dans les divers poèmes du xiii'' dont je viens de parler, ç et z
représentent presqu'exclusivement la spirante issue de la trans-
formation de la palatale; ici à côté de ces signes, qui y sont d'ail-
leurs employés comme par le passé, nous trouvons fréquemment
s au milieu et à la fin des mots, par exemple faser 3, 3; 40, 2;
41, 3 , etc. ; romanse 4, 2 ; désir b, 3 ; 35, 4, etc. ; rason 6, 3,
etc. ; yase 6, 3 ; 8, i, etc. ; plaseres 34, 3 , etc. ; fisiese 41, 4 ;
fesiera 49, 4 , etc. ; fas 4,4; pas 4, 2 ; solas 4,4; ijas 4,3;
dis 9, 4 ; 47, 3 ; 51, 2, etc. Or si l'on remarque que 1*5 espagnole
seule entre deux voyelles n'était pas au Moyen-Age sourde comme
aujourd'hui, — ainsi que nous l'apprennent, outre le témoignage
des anciens grammairiens, les transformations de l'ancien espagnol
dans les langues étrangères, en particulier en hébreu, et cette cir-
constance qu'on la trouve souvent redoublée dans des mots où on
l'emploie seule aujourd'hui, — nous voyons qu« la spirante qu'elle
sert à représenter dans le texte que nous examinons devait être
une sonore ; conclusion à laquelle m'avait déjà conduit sa repré-
sentation ordinaire par z. Mais cette circonstance que cette der-
nière lettre a été, comme en français, remplacée par s, doit nous
faire supposer de plus que vers l'époque où furent écrites les
poésies de Juan Ruiz, le son dz de la spirante sonore dut s'affai-
blir en z. La substitution àe ç k s àe cerviçio PC. v. 69, si ce
n'est point une faute de copiste, semble bien indiquer que le ç ne
devait plus alors aussi avoir rigoureusement la valeur ts, mais
un son se rapprochant de s sourd.
Il résulte de ce qui précède que vers le xiv^ siècle la spirante
composée, issue de la transformation du c palatal, dut en espa-
gnol, comme cela eut lieu à la même époque en français et en
provençal, tendre à se simplifier et à prendre un son approchant
de 5 ou de p ; que de plus, malgré les exceptions que j'ai relevées,
dans les meilleurs textes elle fut ordinairement représentée au
Moyen-Age par ç quand elle était sourde, par z quand elle était
sonore. L'examen des textes galliciens conduit à la même conclu-
sion, à laquelle nous amènera aussi l'étude des monuments por-
tugais contemporains. Ainsi dans les poésies des trouvères galle-
go-portugais, publiées par Milà y FontanalsS nous trouvons la
spirante dentale médiale représentée par ç dans provençal,
proençaes p. 501, coraçon p. 502, etc. ; par z, au contraire,
dans fazer, dizen, p. 501, c'est-à-dire par ç quand eWe est
sourde, par z quand elle est sonore.
1. D. Man. Milà y Fontanals, De los trovadores en Espaha.
— U4 —
L'examen des textes du xv^ siècle donnerait les mêmes résul-
tats que ceux des siècles précédents ; seulement, devant e et ^, c
se substitue à ç réservé pour représenter la spirante suivie de a,
de w ou de 0. Il en est encore de même au xvi^ et au xvii'' siècle,
du moins pour ce qui est des signes, car, ainsi que je le montre-
rai plus loin, la prononciation de pet de s changea au xvi** siècle.
Ils allaient même finir bientôt par se confondre ; mais, à cette
époque, comme pendant toute la période précédente, ç et z
avaient encore une valeur différente que les grammairiens du
temps s'attachent à faire remarquer, peut-être parce qu'elle
devenait sans doute chaque jour moins marquée : « Hase de
tener muy gran cuento, disait en 1580 Juan de la Cuesta ^ que
en esto de las pronunciaciones desdeluego sepan los ninosdistin-
guir el sonido de la ç et de la^.» Nous verrons quel était au juste
le son que la f etla^ prirent au temps même de Juan de la Cuesta,
mais en comparant les renseignements donnés par les grammai-
riens, on voit quela ç à laquelle Doergangk attribue la valeur ss
était sourde, que la z, au contraire, qu'il dit s'être prononcée ds,
était une spirante sonore ^ : nouvelle confirmation des résultats
auxquels j'étais arrivé par la comparaison des textes du Moyen-
Age. L'étude des monuments de l'ancien portugais viendra
encore le corroborer.
IP Transformation du c palatal en portugais.
Il est moins facile, soit par l'absence d'anciens monuments,
soit par le manque de publications dont ils aient été l'objet, de
suivre les modifications de l'orthographe du c palatal transformé
en portugais qu'en espagnol ; par contre elle paraît avoir subi
moins de changements depuis l'époque où nous pouvons l'ob-
server.
Dans le « Gancioneiro d'el rei D. Diniz, » le recueil le plus
ancien que j'aie eu à ma disposition, nous trouvons la spirante
qui en résulte représentée par p ou c quand elle est sourde, —
ç devant a, o ouu, c devant e i; par z, au contraire, quand eUe
semble être sonore; c ou ç apparaît seul d'ailleurs, comme en
espagnol, au commencement des mots, z à la fin. Ainsi on a,
dans les cinquante premières stances, avec c initial : certo 4,1;
1. Lihro e tratado para ensenar leer e escrivir, compuesto por Juan de la
Cuesta, etc. p. 7.
2. Institutiones in linguam hispanicam, authore H. Doergangk, etc., p. 2.
— 445 —
cedo 6, G ; et avec z final : fez 2, 3 ; 4, 6 ; 7, 1 ; 14, 7 ; 15, 7 ;
19,5; 20, 5; 21,1; 30,2; 44, 1;46, 1; faz 11, 6; 35,6;
36, 6 ; 37, 6 ; o?ù 37, 1 . Au milieu des mots on trouve c dans
tnereci 10, 3 et 12, 5; receey 13, 2; conhecesse 19, 4;
padecesse 20, 1 ; percebesse 21, 1 ; falecesse 21, 4; servie'
3, 5M et f dans coraçon 11, 4; 18, 1 ; 43, 4; 49, 2; ^r, au
contraire, dans o?ùer 3, 4; 7, 0; 8, 6; 15, 3; 17,4; 22, 8, etc.,
dizen 35, 1 ; /a^er 1, 4; 9, 6; 30, 2; 41, 6, etc., fazedes 16,
4; 18, 2 ; 31, 8; 38, 1 ; 47, 8, etc. ; fazenda 29, 3; 30, 3; 31,
3; prazer 2, 1 ; 14, 3; 36, 4, etc. ; razon 10, 1 ; 11, 1 ; 49, 6;
sazon 39, 1. Dans tous ces mots z représente une spirante
sonore, tandis que dans les précédents la sourde c (p) a persisté
jusqu'à ce jour.
Dans les « Canti antichi portoghesi » que vient de publier
M. E. Monaci^, nous trouvons absolument les mêmes signes,
employés de la même manière, pour représenter les transforma-
tions du c palatal et de ti; ainsi nous avons cintas XII, 10 avec
c initial, et avec z final : faz IV, 6, 12, 18; voz IX, 8;
diz XI, 12 ; fiz XII, 6. Au milieu des mots nous trouvons c
dans pareeer et parecemos III, 15; franees XI, 2 ; et p dans
moça IX, 1, 7; pareçia id. 7; coraçonià.. 13;^ec'id. 16;
pediçon id., peça X, 17; orthographe qui est encore aujour-
d'imi la même; nous avons z, au contraire, àdtW^prazo, I, 17,
20; prazer XI, 20; fazemos III, 15; diziayil, 5, 10, 12,
15, 20; IX, 2; X, 23; XI, 7; dizedesià. 11; dizerià. 18;
vezes X, 19; sazon XI, 14; jora^er id., 20; donzella XII,
7 ; razoada id. 25, dont la spirante a continué d'être sonore.
L'examen des fragments poétiques qui se trouvent dans le
livre de Fr. Diez « Uber die erste portugiesische Kunst- und
Hofpoesie » donne des résultats analogues ; ainsi pour ne parler
que de la spirante médiale nous la voyons représentée par c dans
acontece p. 82; escaecer p. 82 et 91 ; pareeer p. 85 et 91 ;
gradecer p. 85, et facen p. 89 ; par ç dans proençal p. 27 et
88; coraçon^. 40, 45, 76, 79, 83, 90; faça p. 44; traiçon
p. 45 ; lançastes p. 47 ; forçon et força p. 76 ; louçano p. 98.
Nous trouvons z, au contraire, dans dizer p. 22, 38, 44, 70,
1. Lopes de Moura, l'éditeur du Cancioneiro, a écrit serviç{o) avec un
ç, mais il n'y a qu'un c dans le fac-similé du manuscrit qu'il a lui-
même donné, peut-être en est-il de même pour coraçon, ce qui au
reste importe peu.
2. Canti anti. port. Iratti dal codice vatic. 4803. Im. 1873.
40
— -146 —
75, 77, 83, 86, 91, etc. ; dizen p. 43, 75, 82; dizede p. 44,
77, 79; /-«^^er p. 25, 27, 44, 67, 77, 86, 88, ^d\fazend'^.
4:4i ; prazer p. 38, 44, 69, 75 ; sazon p. 25, 46 ; razon p. 45,
82, 83; vezes p. 90 et 91 ; semelhanza et crianza p. 25. Si
l'on excepte facen, qui, comparé à fazer, fazend' , paraît une
faute de copiste, c et p représentent une sourde ; quant à z, il est
resté dans les mots où nous le voyons ici, excepté dans crianza,
semelhanza, qui s'écrivent aujourd'hui par un ç.
Les monuments contenus dans la « Coleccâo de libros inédi-
tes de historia portugueza » nous offrent ceci de particulier que
les plus anciens d'entre eux, tels que la « Carta d'el papa a el rei
de Portugal » (D . Pedro I), les Foros « de Santarem », les « Foros
de S. Mai'tinho de Mouros » et les « Foros de Torres Novas » ont
ç devant e et i aussi bien que devant a, o, u\ dans les « Foros
de Gravâo, » qui sont de la fin du xiii® siècle, ainsi que dans ceux
de Garda et de Beja, qui sont du xiv% on ne trouve plus que c
devant e et i, ç étant exclusivement employé devant les autres
voyelles, ainsi que cela se fait aujourd'hui. Quanta la valeur des
signes employés pour représenter les spirantes nées de la trans-
formation de la palatale, c eiç se trouvent en général dans les
mots où elle est sourde aujourd'hui, par exemple dans _pW/îp2pe5
Cart. (IV, 11), merçees id.; graça For. S. (id. 531), conçelho
id. 541 ; serviço For. S. M. (id. 579), força For. T. IV (id.
608); receberYoY. Gr. (V, 381); ^nerece For. B. (id. 461);
coraçonYov. S. (IV, 531), etc. Il en est de même dans les mots /<2p<2
For. S. M. (IV, hS2)\praço, façam, faça For. Gr. (V, 376);
façades For. Gar. (id. 399J; façan, praça For. Bej. (id. 457);
faço id. 461. Mais on rencontre z, comme aujourd'hui dans les
moi&razom, tristezza, clareza, Cart. (IV, 11), Portuguezes,
homezio, vezes For. S. (IV, 531), fazer, dizima id. 533,
duzentos, dezasete id. 539 ; faziam, vezinho, prazo id. 541 ;
trezentos, onze For. S. M. (IV, 579) ; fazemos, dizima id.
580 ; fazer, dizer id. 581 ; fezer For. Gr. (V, 375) ; vizinno
id. 376 ; vezinho id. 379, vezino id. 384 ; doze, dizer, juyzes
id. 378 ; fazerem id. 379 ; juizo For. Gar. (id. 400), etc. On
le voit, à part quelques hésitations de la langue, ç ei z avaient
au Moyen Age la même valeur qu'aujourd'hui.
Il résulte de ce qui précède que la palatale en se transformant
en spirante dentale est restée sourde au commencement des mots
en portugais, comme dans les langues du Nord-Ouest et dans
l'ancien espagnol. Ainsi on a :
— -147 —
LAT.
l'ORT.
V. ESP.
cœcum
cego
çiego pc. 352
cœlum
céo
çielo B. SD.
centum
cem
çiento pc. 291
certum
certo
çierto b. sd. etc
La palatale raédiale a donné naissance, au contraire, à une
spirante sourde, représentée par c{ç), ou sonore représentée par
z . Elle est sourde dans les mots suivants et leurs dérivés :
acer(em)
acer
*acinni, aciariuni
aço
açeiro
* arcionem
arçâo
—
* bacceam
bacia
bacia a.n.
bilanciam
balança
balança Gov.
brachium
braço
hraço pc. 202
calceas
calças
calças PC
carcerem
carcere
carçel pc. 340
canceUare
cancellar
—
concilium
concelho
concejo Ap.
complicem
complice
complice
* corticeam
cortiça
—
docilem
docil
docil Gov.
dulcem
doce
dulçe PC.
faciem
face
—
facilem
facil
facil A. N.
junceam
junça
—
lanceam
lança
lança pc.
raercedem
merce
merçed pc.
medicinam
medicina
m,edicina
(ad)minaciam
a- meaça
a- menaça Gov.
officium
officio
OffîçiOB. SM.
onciam
onça
—
* panticeam
pança, pansa
pança a. n.
penicellum
pincel
pincel Gov.
principem
princepe
principe a. n.
* pulicellam
pucella
puncella Sanc.
* romancium
romance
romance Ap.
sacrificium
sacriflcio
sacrificio b. sm
suspicionem
suspeiçào
—
vacillare
vacillar
vacilar
vincere
vencer
vencer Gov.
— us —
ainsi que la plupart des dérivés formés, à l'aide de préfixes de mots
commençant par c, comme cima, ceber, esp. cebir, céder, ces-
sar, etc. C'est aussi naturellement la spirante sourde, représentée
par c{ç), qu'on trouve d'ordinaire dans les mots de formation
savante ou récente, ainsi dans acido et aceto, pg. à côté de
azedo, acerbo, acervo, acerar, cancer, décente, etc.
C'est aussi par la spirante sourde p ou c que ti a été remplacé
en particulier dans les dérivés en antia, entia, tio, tionis, par
exemple dans agenciar, alçar, ancido, esp. anciano, astucia,
atiçar, avançar, pg. boliço (*bullitium), caça, cançâo, esp.
cancion, carregaçào, esp. cargaçon, carduça, começar,
confiança, coraçon, criança, doaçào., esp. donacion, espaço,
esp. espacio, esperança, estaçào, esp. estacion, força,
graça, justiça, ligaçdo, esp. ligaçon, onaça, nuncio, nup-
cias, nutriçào, esp. nutricion, palacio, preço^ esp. precio,
i^g. preguiça, {j^igritiam), peça (*petiam), esp. pieça, praça
(*plateam), es^. plaça, policia, service, esp. servicio, silencio,
terço, esp. tercio, tiçào, traiçào, esp. traicion, pg. veaçào
(venationem), etc.
La palatale médiale c s'est, au contraire, changée en sonore
z dans les mots suivants et leurs dérivés :
LAT.
V. PG.
PG. M.
V. ESP.
acetum
azedo
azedo Cov.
*aquivinum
azemnho
azebo a. n.
coquinam
cozinha
cozina a. n.
cruciare
cruzar
cruzar
decembrem
dezembre
deziembreCoY.
decimum
dizimoF.s.
dizimo
dezimo,dezemo
decem sex
dezaseis
dezaseis
deziseis
decem septem
dezasete F. s.
dezasete
—
dicere
dizer Cane.
dizer
dezer PC.
duodecim
doze^.GT.
doze
doze A. N.
* dominicellam
donzella Cane
. donzella
donzella a. n.
ducere
—
duzir
aduzer pc.
ducentos
duzentosY.^.
duzentos
dozientos a. n.
facere
fazer f . s . fezerfazer
fazer vc.
jacere
jazer Cane.
jazer
jazer pg.
judicium
juizo F. G.
juizo
—
lucere
—
luzir
luzir k-ii.
* nubenicinam
—
nubenzinha
—
monticellum
—
--
montezillo
undecim
onze p. SM.
onze
onze A. N.
placere
quatuordecim
quindecim
*reticinam
trecentos
tredecim
vicinum
— U9 —
prazer Cane, prazer
— quatorze
— quinze
— redezinha
trezentosF.SM. trezentos
— treze
vezinho F . s . vizinho
plazer A. n.
catorze
quinze pc.
trezientos pc.
treze a. n.
vezino a. n.
ainsi que dans les dérivés portugais en zinho et les diminutifs
espagnols en zillo et zico.
Si on compare ces mots du portugais et de l'ancien espagnol
aux mots correspondants qui se trouvent dans les langues du
Nord-Ouest, on voit que la palatale c s'y est cliangée en général
en spirante sonore dans les quatre idiomes. Quant aux dérivés en
ti, il n'y a que les deux mots sazào et razào v. pg. et esp. sazon
et razon, où ^z ait fait place à une sonore dans les quatre langues*;
les autres mots où il y en a une en français et en provençal ont
une sourde en portugais ; par contre ti a fait place à la sonore
z, en cette dernière langue et souvent en espagnol, dans les
dérivés en itia, où ce suffixe s'est changé en eza, transformation
qu'on rencontre parfois aussi en provençal, quoique le plus sou-
vent on y trouve la forme ess{a), la seule que connaisse le fran-
çais. Tels sont : pg. baroneza, braveza, pg. careza, clareza,
corteza, fortaleza, graveza, grande za, pg. justeza, lar-
gueza, pg. molleza, pg. nobreza, esp. nohleza, proeza,
riqueza, pg. sorpreza, triste za, etc.
On voit que l'accord le plus grand régnait autrefois entre l'es-
pagnol et le portugais dans le traitement de la palatale médiale
et de (fz ; l'orthographe et la prononciation modernes ont, comme
nous verrons, détruit cet accord au milieu des mots, mais il sub-
siste, — du moins pour l'orthographe, — encore à la fin.
Dans ce cas, en effet, les deux langues hispaniques ont changé
le c palatal en z\ parfois aussi, mais rarement, — du moins en
portugais, — par s, qui prend d'ailleurs alors la prononciation
de z, c'est-à-dire que le c palatal devenu final a fait place dans
les deux idiomes à une spirante dentale sonore. Cette transfor-
1. Il faut y ajouter j)re;ar pg. : ~ à côté depreco, il est vrai, — dont
la spirante sonore en français est sourde ou sonore indifféremment en
provençal. Dans tizon, H a été au contraire remplacé par une spirante
sonore en espagnol, comme en français et en provençal, tandis qu'une
sourde s'y est substituée en portugais. On trouve également criazon AI.
14, 3, pg. creaçào.
— <50 —
mation a eu lieu toujours en espagnol et le plus souvent en portu-
gais dans les dérivés formés à l'aide de l'un des suffixes û^^^r, alds;
aux, aucis ; ax, acis; ex et ix, ïcis et îcis ; ox, ocis ; ux,
ucis;et trix, triais K Exemples :
calcem
eaz
—
falcem
hoz
—
faucem
hoz
foz, fos
pacem
paz
paz
rapacem
rapaz
rapaz
judïcem
juez
juiz
pumïcem
pomez
pomes
felicem
feliz
feliz
radîcem
raiz
raiz
calïcem
caliz
caliz, calis
vïcem
vez
vez
ferocem
feroz
feroz
vocem
voz
voz
crucem
cruz
cruz
lucem
luz
luz
imperatricem
emperadriz
iD. 17,4
emperatriz
nutricem
nodriz b.
SM
. 19,3
—
Au pluriel le portugais conserve en général le z et par consé-
quent la sonore du singulier ; ainsi on dit cruzes, fozes, Juizes,
felizes, raizes, vozes, etc., l'ancien espagnol n'a pas toujours
observé cette règle très-exactement ; ainsi on trouve voçes
dans le poème du Cid, etc. Faut-il voir là une faute de copiste,
ou une marque nouvelle de l'incertitude où l'on semble avoir été
parfois sur la vraie valeur de la spirante médiale ? Quoi qu'il en
soit, au xv!** siècle cette hésitation n'existait plus ; Antoine de
Nébrisse dans son dictionnaire conserve au pluriel le z des déri-
vés qui l'avaient au singulier, et au siècle suivant C. Oudin faisait
encore de cette conservation une règle de sa grammaire.
Ainsi dans l'ancien espagnol, comme dans le portugais, les
spirantes sorties de la transformation de la palatale étaient dis-
tinguées en sonores et en sourdes ; mais quelle était au juste leur
valeur, et comment se fait-il que, tandis que le portugais a con-
servé cette distinction, l'espagnol ne la connaisse plus? Telle est
la double question qu'il me reste maintenant à examiner.
1. Cf. Romania, I, 454.
— 45^
^rans formation de la spirante dentaf^n
dans l'espagnol moderne.
II n'y cl pas de raison pour supposer que le c palatal se soit
transformé dans les langues hispaniques autrement que dans les
autres idiomes romans ; on doit donc admettre que c a été la pre-
mière modification qu'il ait éprouvée, seulement, comme dans le
groupe du Nord-Ouest, c dut bientôt s'affaiblir en ts, son qu'il
avait certainement à l'époque où furent écrits les plus anciens
monuments qui nous restent de l'espagnol et du portugais ;
l'emploi même de z, dont la valeur a dû être d'abord ts dans tout
le domaine roman, la substitution, que j'ai signalée plus haut,
de tz'^ cette lettre dans le mot ditz (Ap. 17, 3), rimant avec
imperadriz, enfin la persistance du son ts et dz jusqu'à nos
jours dans les dialectes du Nord et de l'Ouest, tout prouve que
tel a dû être le son qu'avaient autrefois c ei z dans toute la
Péninsule. Mais comment ce son est-il devenu ce qu'il est aujour-
d'hui dans les deux idiomes hispaniques ? Ici il faut distinguer
entre l'espagnol et le portugais. L'absence de documents ou de
témoignages contemporains ne permet pas de rien préciser au
sujet de cette dernière langue, mais cette circonstance que ç ei z
s'y prononcent aujourd'hui comme en fi:'ançais peut faire supposer
qu'ils s'y sont à peu près modifiés comme dans cet idiome. La
question est plus complexe en ce qui concerne l'espagnol, mais
nous avons aussi plus de moyens de la résoudre.
J 'ai dit qu'au xiii* siècle c et ^ avaient probablement encore
d'ordinaire en espagnol, comme en français, la valeur ts et dz ;
la substitution de 5 à ^ au siècle suivant dans les poésies de l'ar-
cliiprêtre de Hita indique évidemment une modification de ce son,
lequel, on le sait, devint en français vers la même époque ou un
peu plus tôt z de dz qu'il était auparavant. Il en fut de même
évidemment pour c ; mais cette nouvelle modification commençâ-
t-elle en même temps que celle du z ? Cela est vraisemblable ;
mais quand fut-elle définitive pour les deux lettres ? Il ne semble
pas que cela ait eu lieu avant le xvf siècle. Il résulterait même
du témoignage de plusieurs des grammairiens de cette époque que
z avait encore alors le son composé dz '. « z se doit prononcer, »
dit l'auteur anonyme, de « La parfaite méthode pour entendre,
escrire et parler la langue espagnole S » comme ds, non comme
1. Un vol. in- 18, Paris 1546. L'exemplaire de la Bibliothèque nationale
— ^o2 —
s ou double ss. » — « z, disait encore Doergangk en 16J4,
effertur Germanico more et quasi ds, ut aspreza, vel ut Italicè
duo zz, ut alteza, riqueza, dulceza, vezino, quasi altedsa,
aspredsa, dulcedsa, vedsino » ^ ; mais ce qui est plus surpre-
nant, c'est qu'en même temps que Doergangk attribue k z la.
valeur double ds, il regarde ç comme ayant la valeur de ss,
c'est-à-dire de s sourd : « ç candatum, dit-il p. 2, effertur ut
geminum ss, ut caçar, quasi cassar, » ce qui ne l'empêche pas
d'ajouter plus loin : « c caudatum idem valet ut apud Italos uni-
cum z. » On a dans ces explications fantaisistes du professeur de
Cologne un exemple de l'incertitude qui régnait encore souvent
à l'étranger au commencement du xvif siècle sur la valeur véri-
table de la p et de la ^ . En Espagne même on ne s'en était pas tou-
jours rendu bien compte. L'auteur de 1' « Util y brève institution
para aprender los principios y fundamentos de la lengua Hes-
panola, » — publiée, il est vrai, à Louvain, — donnait en 1555
cette singulière définition de la ç : « Pronunciase ç mas aspera-
mente que la 5 y mas delicadamente que si fuese z; de manera
que es média pronunciacion entre las dos y hace un son templado
de las dos^. » Tout inintelligible qu'elle est, c'était cette défini-
tion que répétait encore en 1565 presque mot pour mot Soto-
mayor dans sa « Gramatica con reglas muy provechosas para
aprender la lengua francesa » ^. Heureusement nous avons de
cette même époque des renseignements plus précis et plus exacts.
Dès 1546, Charpentier, l'auteur présumé de la « Parfaite
méthode », donnait de la ç une définition qu'on pourrait encore
accepter aujourd'hui ; «ç, dit-il p. 5, avec une apostrophe dessous
se prononce avec un doux sifflement, en mettant le bout de la
langue entre les dents. » Cette définition est entièrement confir-
mée par celles qu'ont données de la ç Juan de la Cuesta et
Velasco, qui en même temps, ce que Charpentier n'avait pas fait,
nous indiquent d'une manière claire quelle était alors
la vraie valeur de la z. « La ç, disait le premier en 1580 "*, tiene
que j'ai eu entre les mains porte écrit à la main « N. Charpentier, »
avec cette note « roué en avril 1597. »
1. Institut iones in linguam hispanicam, p. 21.
2. Ensaijo de una bibliotheca eApahola, p. D. Bart. José Gallardo, I, 857.
3. En Alcala de Henares. «La ç, dit-il dans son français baroque, fault
que se prononce ung peu plus pesantement que las, et plus doucement
que la z, modérément de sorte qu'elle rende une voix tempérée des
deux. »
4. Ubro y tralado, p. 7.
— ^53 —
el sonido rezio y doblado que la ^ y se pronuncia allegando los
dientes algo, porque al tiempo que tornemos a abrir los dientes se
haze de golpe el sonido deUa en la punta de la lengua y en los
dentés. » Et plus loin ; « la ;2 como tengo dicho tiene sa sonido
mas floxo y se pronuncia abriendo algo los dientes y metiendo la
punta de la lengua entre ellos que saïga la lengua unpoco fuera.»
— « El sonido de la p, disait deux ans »près Velasco ', se forma
con la estremidad de la lengua casi mordida de los dientes no
apretados. » Le son de la z se forme de la même manière, mais
« arrimada la parte anterior de la lengua a los dientes, no tan
apegada como para la p, sino de manera que quede passo para
algun aliento o espiritu, que adelgazado o con fuerça saïga con
alguna manera de zumbido que es en lo que diffiere de la p. »
Il ressort de ces définitions que la ç ei \d. z avaient vers la
moitié du xvi^ siècle un son analogue à celui du th anglais ou du
0 dans le grec moderne ; mais celui de la z étant d'après Velasco
accompagné d'une espèce de bourdonnement, c'est-à-dire sans
doute de la résonnance produite par les cordes vocales au moment
de sa formation, ce son devait être à celui de la ç dans le rapport
d'une sonore à une sourde ; c'est, je l'ai montré, ce qu'étaient
pendant le Moyen Age la ç et la z, alors qu'elles avaient respec-
tivement la valeur ts et dz. Mais comment la ç et la ^ en sont-
elles venues à prendre ces sons nouveaux et ont-elles passé
directement du son ts ou dz au son 0 ou S ? Si l'on remarque que
les sons 0 et S, c'est-à-dire les spirantes deiitales proprement
dites sont les plus extérieurs de la série dentale, on pourra
admettre qu'après avoir perdu la valeur ts et dz, la p et la ^ ont
pris d'abord les sons s ei z, — précisément ceux que semblerait
indiquer l'orthographe du manuscrit des poésies de Juan Ruiz,
ceux qu'ont aujourd'hui encore ces lettres en portugais, — et
qu'ensuite par un nouveau mouvement en avant la spirante dor-
sale ou alvéolaire est devenue dentale proprement dite. On pour-
rait même voir dans les indications inexactes de quelques gram-
mairiens étrangers du temps un reflet de cet état intermédiaire,
à l'existence duquel ils auraient encore cru, alors qu'il avait fait
place à la transformation définitive en 6.
Un autre fait non moins obscur, mais postérieur, c'est celui
de la confusion des sons de la ç et de la z, si soigneusement dis-
tingués par les grammairiens du xvi^ siècle. Charpentier disait
déjà en parlant de la ^ : « quelques Espagnols la prononcent
1. Orthographia y pronunciacion, citée par Diez, Gram. l, 364 et 366.
— -154 —
comme la ^ » ; et le soin avec lequel Juan de la Guesta insiste
pour apprendre à bien distinguer le son de la ç de celui de
la z, semble indiquer aussi une tendance à les confondre.
Il est probable que cette tendance ne fit qu'augmenter ;
G. Oudin dans sa Grammaire déclare que la z avait le
même son que la cS et rapporte qu'on écrivait déjà souvent
c à la place de z ; aussi il dut arriver qu'à la fin du xvif siècle,
sinon avant, on avait perdu le sentiment de toute difierence
entre la p et la ^ ; ces. deux lettres devinrent ainsi des signes
employés arbitrairement et ce fut sans doute en partant de ce
fait — sans cela la mesure serait inexplicable — que l'Acadé-
mie espagnole décida, au commencement du dix-huitième siècle,
que la c ne s'emploierait que devant e et i, la z devant les autres
voyelles , la ç étant supprimée dès lors comme inutile ; — réforme
logique en apparence, mais qui a bouleversé l'ancien système
orthographique de l'espagnol, basé sur le développement histo-
rique même de la langue.
IV° Transformation de la palatale en^ etl dans les
dialectes provençaux et ladins.
L'espagnol n'est pas le seul idiome où le c palatal se soit
changé en dentale proprement dite, certains patois de la Suisse
romande, en particulier celui de la Gruyère ^ le savoyard et
quelques dialectes ladins ou italiens du Tyrol, de la Vénétie et de
ristrie nous montrent la même transformation souvent, il est
vrai, à côté de la modification de la palatale en ts, dz, s ouz^.
On ne peut douter que, comme en espagnol, ces modifications ne
soient relativement récentes ; et c'est là la raison peut-être pour-
quoi on ne la rencontre en général que dans des dialectes qui
1. II dit bien que quelquefois la z se prononçait plus durement que
la ç, ajoutant « comme notre z français » ce qui est inintelligible, s étant
plus doux que ç. On a là encore une de ces explications absurdes si
communes chez les grammairiens du temps.
2. Dans ce patois st se change aussi en ih, ainsi nuçron (nostrum)
— ç =z th, — içe (estis), etc. Je dois ce renseignement à M. I. Cornu.
Cf. Riv. di filol. rom. I, 98. Il en est de même d'ailleurs dans le dialecte
savoyard de la Tarentaise, ainsi etheila (stellam), ethrangla (strangulare).
3. La distinction entre ces différents sons n'est pas toujours très-rigou-
reuse; par ex. dans le dialecte véronais, s prend souvent le son th, ainsi
que l'indique cette règle de prononciation reproduite par Ascoli [Arch.
glott. I, 428 en note), « la consonante s si vuol pronunciare corne si pro-
nuncia ordinariamente lo 6 dei Greci ? »
— -155 —
ont conservé longtemps leur indépendance, tandis que les dia-
lectes congénères soumis plus tôt à l'influence étrangère, qui en
a arrêté le développement normal, ne présentent point le même
phénomène. Une autre particularité de ces idiomes, c'est que
contrairement à ce qui est arrivé en espagnol ils ont conservé
souvent la distinction entre la spirante sourde et la sonore. Je
représenterai la première, qui est de beaucoup la forme la plus
fréquente, par th, la seconde par dh. Voici quelques exemples
du changement de c palatal en spirante dentale sourde th.
LAT.
LAD. OLTRKC.
COMKL.
— VEN.-PIR.
SAV.
SUISSE ROM.
aciarium
athié tar.
bracchium
brath
—
calceam
cautha
—
tsathe tar.
coenam
thena
—
—
centum
—
—
—
then Gr.
ceram
thiera
—
thera tar.
thire Gr.
cerasum
—
—
thriget tar.
—
cernere
thème
—
—
—
cinque
—
—
thin tar.
—
cercare
therca
—
—
—
cœlum
—
—
thiel, thié tai
—
cervum
—
—
—
thè Gr.
cilium
theje
thee z.
—
—
cinerem
thendre
thendre z
—
—
dulcem
dolthe
—
—
—
faciem
—
—
—
fathe Gr.
facio
fatho
—
—
—
falcem
fauthe
—
—
—
glaciam
gatho, getha Com.
—
—
pacem
pathe
—
—
—
panticem
—
pantha
panthe tar.
panthes
processum
i —
—
—
prothe Gr
unciam
—
—
onthe
—
viciam
—
—
vithe tar.
—
vicium
—
—
vithio tar.
—
vincere
vinthe
venthe z.
—
—
A cette liste il faut ajouter les mots suivants du patois poite-
vin de Melle ^^to (ecc'hoc), thiel (écc'illum), et leurs dérivés*.
1. Beauchet-Filleau, Essai sur le patois poitevin, s. v. thiau.
— <56 —
Comme cela est naturel H a été souvent traité de même dans
ces dialectes ; on a par ex. :
cantionem — — — tsanthonoY.
fectionem — — fathoniar. —
fortiam — fortha fourthe tar. —
— giustithia — —
— mathar — —
justitiam
*matiare
nuptias
scientiam
scient he tar.
nothe Gr.
— etc.
On trouve également th à la place du c vélaire devenu palatal
par le changement de la voyelle suivante, par ex. amithi, por-
thei, etc., dans le dialecte vénitien d'entre « l'alto Bacchiglione
e l'alta Livenza ».
Au milieu des mots la spirante dentale est souvent sonore,
cela a lieu en particulier dans le dialecte istrien de Pirano, et
parfois aussi dans les dialectes savoyards. Exemples :
LAT.
acetum
acinura
crucem
^cocere
decem
duodecim
laricem
pacem
placere
picem
pollicem
pulicem
vocem
COM.
piadhe
adhedo
—
adheno
—
crodhe
—
codhi
—
diedhe
—
—
dodhe Ch.
laredhe
—
padhe
—
pidhe
—
—
poudhe tar,
—
pidhe Ch.
vodhe
1. Cf. Asc. Archiv. glottolog. pass. — Pont, Origines du patois de la Ta-
rentaise. — BrideJ, Gloss. du patois de la Suisse romande. — N. Délius (Der
Sardinische Dialekt, p. 6) a admis que le c palatal transformé avait pu
avoir au xiii' siècle le son 9 dans le sarde logodorien, parce qu'on l'y
trouve souvent représenté par th; je crois qu'il y a là une erreur; il
n'est pas probable d'abord qu'aucune langue romane ait eu aussitôt le
son 9; ensuite si le sarde avait connu autrefois ce son, on ne voit pas
comment il l'aurait perdu pour prendre celui de s ou ts, attendu
que 9 dérive sans peine de s ou de ts, mais qu'on ne comprend pas
comment, au contraire, ces sons pourraient en sortir. Aussi il me semble
qu'il ne faut voir dans ce signe ih qu'une manière de représenter le son
— ^57 —
^changement du c palatal en G et en S épuîs^TsSrîe de ses
transformations en spirante dentale. Reste maintenant à étudier
son affaiblissement en i consonne ou même en i voyelle et sa
suppression. Ce sera l'objet du chapitre suivant; j'y joindrai
l'étude de la transformation du c palatal en spirante malgré la
suppression de la voyelle qui le suit, ainsi que celle du dévelop-
pement du son i par son voisinage.
CHAPITRE VIII
ASSIBILATION ANOMALE DU C PALATAL, — SA TRANSFORMATION
EN I ou EN U, — SA SUPPRESSION.
F
Bien que l'assibilation du c soit particulière aux idiomes du
double groupe occidental^ et ne se rencontre pour les langues
du groupe oriental que dans les dialectes ou quelques formes
particulières, il est un cas cependant où elle paraît avoir lieu,
— quoique le feit se présente surtout, il est vrai, dans les
langues du Nord-Ouest — indistinctement dans tous les idiomes
romans, c'est celui où par suite de la suppression d'une voyelle
atone le c, tout en, persistant, se trouve immédiatement suivi
d'une consonne autre que Z ou r^. Ainsi dans * amicitaiem la
chute de Vi bref protonique ayant donné amic'tatem, le c s'est
changé en 5, et on a eu en italien amistà, esp. amistad, prov.
amistat, v. fr. amisted, fr. mod. amitié. De même decimam
devenu dec'mam, a donné en français disnie, cliangé ensuite
en dîme. En français, on le voit, 1'*, assibilation duc, a fini par
tomber. En provençal, par suite de la chute du t, qui a lieu
régulièrement à la troisième personne singulier du présent de
l'indicatif et souvent aussi à la troisième personne singulier du
parfait, le groupe c't s'est changé dans ce cas, non en st, comme
dans amistad, mais en tz, lequel s'est réduit parfois kzou. même
à s, ou encore a fini par disparaître ; c'est ainsi que fecit {fec't)
ts, qu'on trouve d'ailleurs à côté de th sous sa forme naturelle s, laquelle
a persisté jusqu'à nos jours.
1. Dans le groupe cV la transformation du c en spirante n'a lieu
qu'exceptionnellement; je n'en connais pas d'exemple dans le groupe c'I.
— 458 —
est devenu dans cette langue fetz^ fez, fe.
exemples d'assibilation ainsi produite ^ :
Voici quelques
LAT.
* ac(e)rem
' amic(i)talem
dic(i)l
dec(i)raum, am
' dec(oe)nare
fec(i)l
fec(e)runt
jar(e)t
jac(i)lam
lic(e)t
mendic(i)tatem
plac(e)t
tac{e)l
amistà
ESP.
asre*
amistad
diezmo
PROV. V. FR.
— esr (arbre)
amistat amisted,
amistié
ditz, diz, di dist R.
— dlsme
disnar, dinar disner
fist
fisdrent
feiz, fez
jatz, jaz
FR. MOD.
ér(able)
amitié
dit
dîme
dîner
fît
firent
gît
gîte
— letz, lez
gist
giste
loists.B. 567. —
lezs.L. 16,3
— mendisted ' —
jilatz, plaz plaistu.vM7& plaît
tatz, lai taist,lest*' tait
Dans le français fis{d)rent (fecerunt) c, quoique suivi de r,
s'est changé en s ; il en a été tout autrement en provençal ; fece-
runt avec e atone (fec'runt) s'y est changé, d'après un procédé de
formation que j'expliquerai au groupe cr, en feiron.
IP
Comme le c vélaire, le c palatal peut se résoudre en i. Ce
changement est fréquent pour le g palatal, et peut avoir lieu au
commencement et au milieu, comme à la fin des mots. Les dia-
lectes du Sud de l'Italie et l'espagnol nous offrent un certain
nombre d'exemples du changement du g palatal initiaient ou^ ;
ainsi :
LAT.
gelu
NAP.
jelo
SIC.
jelu
ESP.
yelo
gemmam
—
—
yema
generum
jennero
—
yerno
genistam
—
jinestra
—
gentilem
jentile
—
—
1. Le roumain connaît aussi ce mode de transformation, mais le c y est
représenté par s non par 5 ; ainsi dihne (decimam).
2. Diez, Etym. Wœrt. s. v. acero.
3. Tanz riches reis cunduit a mendisted. Roi. 40, 8.
4. Mes plus se test qu'il ne convient. Grest. Conte del Graal. B. Chrest.,
144, 31.
genuculum
gypsum
-(59 —
jinocchiu
jissu
yeso^
Au milieu des mots g tombe le plus souvent, mais il se change
parfois en ?/ ; en voici quelques exemples :
fugientem fojentenQ:^.fuyente —
legem le je nap. — —
legendam — leyenda —
magis maje nap. — —
reginam reina^. reina reyna
sagittam ««/e^^anap. — sajeta
fuyant
mais
reine
saeite v.^.
A la fin des mots cette transformation de ^ en y se rencontre
dans tous les idiomes de l'Ouest ; ainsi on a :
LAT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
legem
ley
ley
lei
loi
regem
rey
rey
rei
roi
fugit
—
—
fui
fuit, etc
Contrairement à ce qui a lieu pour le g palatal et pour le c
vélaire, le c palatal ne se change ordinairement en y ou i qu'à la
fin des mots ^ ; cette transformation a lieu en particulier en fran-
1. Wentr. Beiir. zur Kennt. der neap. u. sic. Mund. p. 13-161. — Diez,
Gram. I, 270. Comme l'e tonique bref ou en position devient ie en espa-
gnol, on peut se demander si dans les mots yelo, yerno, etc., il n'y a
point eu simple chute du g, ye représentant alors seulement la
voyelle e transformée; je crois néanmoins qu'il vaut mieux regarder ye
comme le résultat de la fusion de y = g» et de la diphthongue ie prove-
nant de e, hypothèse que confirme l'analogie des formes congénères des
dialectes italiens et cette circonstance que le g initial n'est point tombé
en général en espagnol, mais qu'il y est représenté par h, comme dans
hermano, et même dans hielo, Mémo, formes qui existent à côté de yelo,
yerno.
2. Quand le g est suivi d'un i accentué, comme dans reginam, cet i
devant persister, il est impossible de dire s'il y a eu simple chute du g,
ou transformation de cette gutturale en y (i), suivie de la fusion de cet
y (i) avec 1'/ étymologique; quand Vi est bref et atone, au contraire, par
exemple dans fugientem, comme il tombe en général, on peut bien voir
dans l'y de fuyente, fuyant, le résultat de la transformation du g primi-
tif; à moins encore qu'on ne préfère admettre qu'il y a eu partout chute
du g, — ce que j.e ne crois pas, — et ne voir dans y qu'une voyelle
intercalaire destinée à éviter l'hiatus.
3. Il est difficile, en effet, de dire si Vy des mots catalans deya (dice-
bat), feya (faciebat) représente le c médial qui s'y trouve. Quant au c
— HO —
çais à la première personne du présent de l'indicatif des verbes
f'ai{s) {{acio); plai{s) (placeo), etc. Elle semble aussi avoir lieu en
provençal à la troisième personne singulier dans les formes fai
{facit), j'ai (jacet), plai (placet), etc. ; mais il est plus exact, je
crois, de les regarder comme venant de fac't, jac't, plac't,
avec c vélaire, lesquelles ont donné régulièrement après le chan-
gement ordinaire de ce c en i et la chute du t : fai, jai, plai ;
les formes fac(i)t, jac(e)t, plac(e)t, au contraire, avec le c palatal,
ont donné, comme nous avons vu plus haut : fatz, jatz, platz ^
Au lieu de i on trouve en catalan u substitué au c palatal,
par exemple dans cy^eu (crucem), diu (dicit), feu (fecit), nou
(nucem), pau (pacem), veu (vocem). Mais je remets à parler de
ce changement si étrange au chapitre suivant où j'étudierai la
substitution des labiales aux gutturales.
iir
Enfin, comme le c vélaire encore, le c palatal peut tomber.
Cette suppression a eu lieu fréquemment pour le g palatal sur-
tout au milieu des mots, par ex. dans :
LAT.
IT.
ROUMANCHE ESP.-PG.
PR.
FR.
cogitare
coitare
quitar ciiidar
cuidar
aiider
digitum
dito
— dedo
det
—
frigidum
freddo
— frio
—
—
intelligere
—
antallir Ob. —
—
—
originem
—
— —
—
orine S.B,
sagiltam
saetta
saetta E. saeta
saeta
—
trigenta
trenta
trenta treinta,trinta trenta
trente
ainsi que dans les autres noms de dizaine.
A la fin des mots g tombe parfois en italien, tandis qu'il se
change en y{i) dans les langues du double groupe occidental, par
exemple dans :
— reij
Mais cette suppression, on le voit, est, même au milieu des mots,
initial, je ne connais son changement en ij (j) que dans jisterna sic. (cis-
ternam).
1. Dans les mots français plaire, taire, ce n'est pas non plus, à vrai dire,
un c palatal, mais le c vélaire de plac're, tac're qui s'y est changé en i.
Voir plus loin Liv. IV, ch. VI. Il en est de même de plaid, esp. pleito;
qui vient non de plac{i)tum, avec c palatal, lequel aurait donné plaist en
français, plezdo en espagnol, mais de i:ilactum, avec c vélaire, lequel
changement de c en é donne régulièrement plaid et pleito. Voir Liv. IV,
chap. VIII.
— ^6^ —
assez rare ; elle l'est bien plus encore pour le c palatal. Voici
cependant quelques exemples où c médial en latin est tombé :
dicere
dire
—
—
far
dire
facere
fare
—
fer p, c*
—
—
faciunt
—
feent
—
fan
font
hirpicem
—
{ï)erpi
—
—
—
recipere
—
—
—
rebre cat.
—
Il est peut-être aussi tombé en catalan dans dehemhre (decem-
brem), vehi (vicinum), etc. où 17^ pourrait bien n'être destinée
qu'à éviter l'hiatus ^.
A la fin des mots la chute du c palatal est encore plus rare ; en
efiet, ou il s'y transforme en spirante, ou il y est remplacé par i
ou u. Les quelques exemples, comme fa (facit) pr. , di (dicit) id. ,
dit fr., etc., où il a disparu, ne sont même le plus souvent que
des affaibhsseraeuts de formes plus complètes ; ainsi di de dii ou
ditz, dit de dist, etc.
lyo
Non-seulement le c palatal peut, comme le c vélaire, se chan-
ger en i, mais il paraît aussi, comme lui, pouvoir donner nais-
sance au son i par son voisinage. Quand le c est vélaire, on peut
supposer, comme je l'ai dit, que le son i s'est développé à sa
suite pour donner ki et qu'ensuite Vi de ce son complexe a été
préposé à la gutturale ; dans le cas du c palatal, la transforma-
tion de celui-ci rend l'explication plus difficile ; le plus simple, je
crois, est d'admettre que la spirante née de cette transformation,
possède elle aussi la faculté de développer le son i, qui vient se
joindre à la voyelle précédente pour la modifier ou la changer
en diphthongue. Quoi qu'il en soit, voici quelques exemples de ce
phénomène phonétique si curieux ; on ne le rencontre que dans
le double groupe occidental et le plus souvent dans le voisinage
de cs{x) 3.
LAT.
acidum
axem,
eœe
PO. PR.-LAD.
— aisch roum.
(?2a7o(*axum) —
ais
1. La chute du c est plus apparente que réelle dans fer; en effet e
étant égal à ai, dont ïi représente le c de facere, celui-ci se trouve dans
le fait représenté dans l'e de fer. On peut en dire autant du roumanche
feent.
2. Voir chap. suivant, III».
3. Cf. Liv. VI, ch. VII.
\\
462 —
axillam —
—
aissella
aisselle
exilium —
—
eissil
—
fascem —
feiœe
faissa
faix
fraxinum fresno
freixo
fraisse
fraisse v.
maxillam mexilla
—
maissella
maisselleY
paxillum —
—
—
paisseau
pacem —
—
paisch roum.
paix
piscem peœe
peixe
peisson
poisson, etc,
C'est par là que je termine l'étude des transformations du c
palatal dans son passage du latin au roman : elles ont, comme
nous avons vu, pour point de départ son changement en c, con-
servé ou affaibli successivement en l, z ou encore ents', ç ou s,
2 ; 6, g. Dans le livre suivant j'étudierai les changements analo-
gues du c vélaire, présentés surtout par les idiomes du Nord-
Ouest. Mais avant d'aborder cette question si curieuse et encore
si peu étudiée, il me faut examiner la substitution réelle ou appa-
rente des labiales, de i^ et de n à c soit vélaire, soit palatal.
Ce sera l'objet du chapitre suivant qui servira ainsi de complé-
ment aux deux premiers livres de ce travail.
CHAPITRE IX
SUBSTITUTION DES LABIALES P, B, F, V, U, DE H ET DE N
AU C VÉLAIRE OU PALATAL.
P Substitution des labiales à la gutturale.
Quelque différentes que soient, physiologiquement parlant, les
gutturales et les labiales, elles ne s'en substituent pas moins
les unes aux autres. Presque toutes les langues indo-européennes
en fournissent des exemples ; ainsi le sanskrit et XezenàpanHan,
grec TuévTs, cymrique pi^np, lithuanien penki, slavon petï,
gothique fimf, à côté du latin quinque et du vieil irlandais cdic ;
de même le sanskrit et le zend paU-anu, grec rAr.-iù, slavon
p'ek-a, comparés au lithuanien kep-û et au latin coq-uo ; le
grec Pi-^vî-jj-i à côté du sanskrit gi-gà-mi ; le sanskrit gara et le
grec Pap6 ; le sanskrit gau et le latin bos, grec ^ouç*, etc. Ces
1. Schleicher, CoTm.]^. d. vergl. Gram. pass. — Grimm. Gesch. d. deutsch.
Spr. 1», 243.
— 463 —
permutations entre les gutturales et les labiales se rencontrent
aussi dans les dialectes grecs, par exemple r/aoç [Ehj.m.) à côté
de ÎTr-oç. Il en est de même dans les dialectes italiques ; ainsi le
latin quis avait pour équivalent en ombrien pis, à quod répon-
dait jOMC?, quatuor se disait en OB({\jiQ pétera, en omhvienpetur ;
à gmmjfwe répondait l'ombrien pomptis ; àdiH^ la langue clas-
sique elle-même pe était parfois remplacé par ce, par exemple
quippe à côté de ecce, etc. Quand la gutturale primitive est g,
elle peut même avoir v pour équivalent, comme on le voit en
comparant la racine sanscrite g a et le latin venir e, gr eivorare
(grec ^i-^pwcy.w), ningere et nives^.
Les idiomes romans, qui reproduisent les phénomènes les plus
importants de la phonétique indo-européenne, nous offrent des
faits analogues de transformation, et on y rencontre des exem-
ples de substitution de la série complète des labiales explosives
et spirantes à la gutturale vélaire ou palatale sourde ou sonore.
Ainsi en roumain c se change réguhèrement en p dans le
groupe et; mais ce changement peut aussi avoir lieu au commen-
cement ou au milieu des mots, — devant une voyelle, — surtout
quand la gutturale est représentée par qu ou gu. Dans le sarde
logoudorien, c'est en h, non enp que la transformation a lieu ; et
d'autres fois en roumain et aussi, quoique isolément, en français,
c'est /"qui s'est substitué à la gutturale, ou même, du moins dans
le vieux français, vouw^. On a ainsi toute la série des labiales ;
un dernier terme manque encore, Yu ; nous verrons qu'il peut
aussi comme ^^, dernier terme delà série gutturale, se substituer
au c.
Les exemples suivants permettront de se faire une idée compa-
rative de ces curieuses transformations. Considérons d'abord le
cas où la gutturale latine est suivie de u et d'une autre voyelle.
LAT. q
P
b
f V 10
aquilam
—
abila s.
log.
— _ —
aquam
ape roiim.
abba s.
log.
— eave, eve\.f.ewe\. f. l. r
anliquum
—
—
antif V. fr. — —
antiquam
—
—
— antive v. fr. —
aequalare
—
—
— — ewier s. b.
aeqiialem
—
—
— — ewal s. B.
equam
eap§ roum.
ebba s.
log.
— tjve V. fr. —
1. Fr. Baudry, Gramm. comp. 111 et 112.
2. Je parlerai plus loin de la substitution de f et de v aux spirantes
dentales, résultant de la transformation de la gutturale. V. Liv. III,
ch. II.
— ^64 —
quadragintâ — baranta id. —
quatuor patru roum. battor id. —
quindecim — bindeghi id. —
qui a que — quimbe id. —
De même gu suivi d'une voyelle fait place à b, ainsi :
anguillam
inguinam
linguam
sanguinem
limbe roum.
ambidda s. log.
imbena id.
limba id.
sambene id.
On trouve également la gutturale vélaire, suivie d'une seule
voyelle ou, en roumain, d'une consonne dans le groupe et, rem-
placée par une labiale, ainsi :
acucleonem —
—
âcuclam —
—
"avicam —
—
cattum —
battu s. log.
colligere —
boddire id.
cultellum —
bultedduià.
facluram fepture roum. —
lecticam leptice roum. —
De même avec la
sonore b :
gulam
gustuni
*gutteum
awillon s. b.
aweie w.
awe w.
leftice roum.
bula s. log.
bustu id.
buttiu id.^
Dans le groupe gn le seul où, étant suivi d'une consonne, il
se transforme, gdi même fait en roumain place à m, la résonnante
labiale, par exemple :
lignum
signum
lemn roum.
semn id.
La palatale, — la sonore du moins, je n'en connais point
d'exemple pour la sourde, — a subi des transformations analo-
gues ; ainsi :
gelare
gelu
generum
belare s. log.
belu id.
benneru id.
1. Spano, Ortog. sarda, pass.
^65 —
*genuclum
ginestrum
bennuju id.
binistro id. etc.
Enfin on trouve dans le dialecte roumain du Sud et dans les
dialectes méridionaux de l'Italie des exemples de transformation
inverse, c'est-à-dire du changement de la labiale en gutturale.
Ainsi :
LAT.
ROUM. SEPT.
ROUM. MKR.
pectus
piept
chiept
pellem
piele
chiele
perdo
pierd
chierd
perire
pier
chier
petram
piètre
chietre
picum
pic
chic
pilam
pine
chine
>
* piperem
piper
chiper
On trouve également :
bubalum
bivol
ghihol
vitellum
vitzel
ghitzel ^
Il en est de même en napolitain et en sicilien pour pi provenant
de pi modifié ; par exemple :
LAT.
TOSCAN.
NAP.
SICIL.
cap(u)lam
coppia
cocchia
cucchia
explicare
spiegare
schiejare
—
plagam
piaga
chiaja
chiaga
planum
piano
chiano
chianu
plantam
pianta
chianta
chianta
planctum
pianto
chianto
chiantu
plateam
piazza
chiazza
chiazza
plénum
pieno
chieno
chinu
plumbum
piombo
chiummo
chiummu
plus
piu
chiu
chiu
pop(u)lum
—
chiuppo
chiuppu
De même bi provenant de bl donne parfois naissance à gh,
mais le plus souvent b tombe et i se change enjot. Ainsi :
blancum
bianco
janco
jancu
1. De Gihac, Bict. d'étym. daco-romane. s. v.
— ^66 —
— biondo junno junnu
nebulam nebbia — negghia^
Comment expliquer ces transformations ? Pour les mots où la
gutturale est représentée par qu ou gu suivi d'une voyelle, rien
de plus simple, à ce qu'il semble ; Vu de qu ou gu s'est changé
en consonne et a donné ainsi qv et gv, groupes qui ont ensuite
perdu leur q ou leur^ ; certains idiomes, le français entre autres,
s'en sont tenus à ce premier changement ; d'autres, au contraire,
comme le roumain et le sarde, ont transformé la spirante v en
explosive, — modification commune dans ces deux idiomes, ainsi
que le montrent les moisbentu (ventum) s. log., berme (ver-
mem); id., besice (vesicam), serbà (servare)roum. ; — sourde,
quand q préexistait comme dans le roumain, sonore quand il y
avait un g étymologique, ou que le q primitif s'était changé
en cette sonore. C'est ainsi que l'on a pour le roumain ape, par
exemple, la série des transformations successives :
aquam aqva{m) a[q)pa ape
et pour le sarde logoudorien àbba :
aquam aguam agva{m) a{g)ba abba.
En vieux français on a :
aqudm {aguam), ag{v>)a, ave, eave ou eve, enfin ewe.
On expliquerait de la même manière le sarde abila, ebba,
ambidda, etc., le roumain eape, patru, limbe, ; le vieux fran-
çais antive, ewal, yve, etc. Quant à antif, 1'/" s'est substitué au
V qui ne peut être final dans notre langue ^.
La transformation est plus difficile à expliquer quand k ou g
sont suivis d'une seule voyelle ; M. Ascoli, dans ses « Leçons de
phonologie comparée ^ » a montré que la gutturale sourde ou
sonore primitive pouvait développer après elle le son de i ou de
u ; dans le premier cas la gutturale devient palatale, si elle ne
l'était déjà, ou même se transforme en la série c ; dans le second,
ou Yu ainsi développé persiste, et alors la gutturale ne change
pas, ou bien il se transforme en spirante ou en explosive labiale,
et alors, la gutturale tombant, elle se trouve définitivement rem-
placée par une labiale^. On trouve dans les dialectes sardes un
1. Wentrup, Beilr. zur Kenntn. der neapol. Mund. p. U. — Id. Sicil.
Mund. {Herrigs Archiv. XXV, 157.)
2. Cf. G. F. Ascoli, Studj critici, p. 20.
3. G. F. AscoJi, Lezioni di foîiol. comp. p. 76, 133.
4. Nous avons vu et nous verrons de nombreux exemples du dévelop-
— <67 —
exemple qui montre comment ces formes ont pu se substituer les
unes aux autres, c'est ghettare (it. gettare) à côté duquel on
rencontre gueitare et enfin le logoudorien bettare, la série des
transformations est ainsi :
ghettare guettare gvettare bettare.
On expliquerait de même la formation des autres mots du sarde
logoudorien ; pour le wallon aweie, au contraire, il faut mieux
admettre, je crois, qu'après le changement de cl en il ou ez, Vu
de eu se trouvant suivi, non plus d'une consonne, mais d'une
voyelle, s'est, conformément à ce que j'ai dit précédemment,
changé euv ovlWjCQ qui a donné la série de transformations
acuclam, acuité (acueie) a{c)veie aweie.
Pour awe, de avicam, on a eu probablement à la suite de la
chute de i atone et de la transformation de u, la série :
avicam
avca
a{c)va
ave et awe.
Un cas reste à expliquer, c'est celui où <? ou ^ sont suivis
d'une consonne qui ne tombe pas ; quand cette consonne est t ou
n, le changement de la gutturale n'a pas moins lieu en roumain,
en p ou /"dans le premier cas, en m dans le second. Il est diffi-
cile dans ces deux cas de supposer que u se soit développé après
la gutturale, et il faut admettre, je crois, une transformation
directe, sous l'influence de la consonne suivante, de la première
en labiale ^
Telle est l'explication qu'on peut, je crois, donner de la substi-
tution des labiales aux gutturales; tout autre est celle du rem-
placement des premières par les secondes. Dans les exemples
comme ghihol de bubalum, ghitzel de vitellum, on peut supposer
que le v initial ou ô = v s'est changé en g, transformation dont
on retrouve des exemples dans toutes les langues romanes, ainsi
guardare it. (wardôn), guivre v. fr. (viperam); mais dans ceux
comme chiept roum., cocchia nap., la modification a été plus
profonde et plus complexe ; il semble qu'ici il y a eu d'abord
changement de Yi, qui s'est développé après p, en c, lequel,
pement de i après la gutturale et de son changement en c ; le dialecte
sicilien en offre du développement de u après c ; ainsi quacina (*ca]ci-
nam), quaciari (calcare), qiiadara (calidariam), quaseUa (calceam). Cf.
Wentrup, Die sic. Mund. {Herrigs Archiv, XXV, 159). Mais peut-être ne faut-
il voir là que le résultat de la transposition des éléments de la diph-
thongue mi, issue do al transformé.
1. Voir plus loin, Liv. IV, chap. Vlll.
— 468 —
tout étonnante que puisse paraître cette transformation^ s'est
modifié en h ; nous verrons ^ au reste que les sons c ou s se sont
transformés en espagnol en spirante gutturale x^ ou 7 ; il a pu se
faire aussi que dans les dialectes méridionaux de l'Italie et de la
Roumanie, ils se soient changés en simple gutturale 2.
IP Substitution de u au c vélaire ou palatal.
Mais les explosives et les continues labiales ne se substituent
pas seules aux gutturales, la voyelle de même ordre u peut éga-
lement prendre la place, tout comme i, de c et de ^. La substitu-
tion àeih.c o\xg s'explique sans peine, comme nous avons vu,
par l'affaiblissement graduel de ces consonnes en la spirante ou
semi-vojelle y, puis en la voyelle de même ordre i ; mais com-
ment se rendre compte du changement de la gutturale en la
voyelle palatale u? Le plus souvent on s'est borné à constater le
fait, sans chercher à l'expliquer^; essayons d'aller plus loin.
Avant tout il faut remarquer que, pour ne pas parler de /, w se
substitue à toutes les labiales ; ainsi :
l"Ap, en espagnol dans caM^it?o (captivum), raudo (rapidum);
en portugais dans bauiiçar v. (baptizare) ; en provençal et en
français dans saurai (sapere habeo), dans malaut pr. (maie
aptum) et dans jowree, v. fr. peurée (*piperitam), peule (popu-
lum), S. B. p. 523, 531, 546, 548, 552, etc.
2° A &, en espagnol dans ausente (absentem); en provençal
dans laudacisme Leys d'am. III, 5 (labdacismum), laurar
(laborare), rouvre (*roborem), trau (trabem) ; en français, — en
particulier dans le dialecte bourguignon, — dans diaule (diabo-
lum), qui apparaît déjàdanslaCantilène de sainte Eulalie, et qu'on
retrouve p. 523, 524, etc., dans les Sermons de Saint Bernard,
amiaule (amabilem) id. p. 530, aurons (abrotonum), cove-
naule (* convenabilem) S. B. p. 522, 544, etc. \ despeitaule
(despectabilem), id. p. 550, deleitaule (delectabilem) , id. p. 530,
539, etc. ; encer chaule (*incercabilem), id. p. 531 ; faurge
aujourd'hui forge (fabricam) ; honoraule (honorabilem) S. B.
p. 531; paisiule (pacibilem), id. p. 538; estaule (stabilem),
t. Liv. m, ch. IL
2. Le sicilien gigghiu (cilium) offre bien du moins, je crois, un exem-
ple de la substitution d'une gutturale è.jot transformé : cilium, cilju,
gigiu, enfin gigghiu.
3, Voir cependant l'explication que Diez a essayée, Gram. I, 256.
— -169 —
S. B. p. 532, 550, etCart. d'Auchy; taule (tabulam), aujour-
d'hui tôle ; veritaule (veritabilem), S. B. p. 535; enfin en espa-
gnol et en provençal dans paraula (parabolam), fr. parole eten
provençal et en français dans aurai (habere habeo).
3° à i;. Cette substitution déjà connue, aussi bien que celle de
u h b, du. latin, qui en offre de nombreux exemples, — ainsi
aufero pour abfero, aucellus pour avicellus , naufragiuva
pour nav{i)fragium), nauta pour navita, — se retrouve en
provençal dans auca (av(i)cam), aulana (*avelanam), eau
(cavum),yoM5 — dijaus en béarnais — (Jovis dies), nou (novem),
pau (pavum) ; en français dans autruche (avis struthio) ; en
roumain dans nou (novum), noue (novem), nour (*nubilum).
Dans tous ces exemples il est naturel de voir l'affaiblissement
graduel de la labiale, descendant la série p, b, v, u, — b, v, u
ou simplement v, u, suivant qu'il s'agit de la transformation en
M de J3, de ô ou de -y. Quant au changement de v enu, auquel
il en faut ainsi toujours revenir, ce n'est, comme pour le chan-
gement de y en i, que la transformation presque forcée de la
spirante ou demi-voyelle labiale en la voyelle correspondante.
Mais si cette transformation se comprend ainsi sans peine, il n'en
est pas de même de la substitution de u aux gutturales et même
aux dentales, transformées ou non, ainsi que cela a lieu pour
ces dernières en catalan dans amau (amatis), palau (palatium),
preu (pretium), etc. Cette substitution, pour ne parler ici que
des gutturales, a heu également pour g et pour c ; ainsi pour c,
en espagnol dans auto (actum), carauter (characterem), con-
trauto S.R. (contractum) ; en portugais dans awpom (actionem),
autivo (activum), auto, doutor (doctorem), outubro à côté, il
est vrai, de oytubro v. ; en provençal pour g dans sauma
(sagma), et peut-être pour c dans amiu (amicum) pour amie,
castiu pour castic (casticum), formes blâmées par Raimon
Vidal, et dans enemiu (inimicum) Chx. III, 192 ; en français
pour g dans fleume (flegma), reule S. B., pour c médial dans
aveule C^ shocxAvim) , seure (*sequere) id. p. 543, ei seule (secu-
lum) Gant. S. E. et S. B. p. 535, 546, 560, 567, 569, v. 24, pour
c final peut-être dans feu, v. foc, fou (focum) ; lieuY. lou, liu,
leu (locum) ; ^et*, Y.poc, pou (paucum), etc. Enfin en catalan
u apparaît à la fois à la place du c vélaire et du c palatal, par
exemple dans Jaume (Jacobum) — espagnol Jaime, — faure
(facere), plaure (placere), creu (crucem), diu (dicit), nou
{nucetn), pau (pacem), veu (vocem) ^
1. La substitution d'une labiale à une gutturale n'est point particulière
— no —
Comment rendre compte de ces transformations si diverses ?
Diez, ne l'étudiant que dans le catalan et frappé de la difficulté
d'expliquer la substitution de w à une gutturale ou à une den-
tale, incline à y voir la substitution de u à i dans les diphthon-
gues nées de l'affaiblissement de la gutturale ou de la dentale en
cette dernière voyelle ; il est possible que cela ait eu lieu dans
certains cas, mais cette explication ne saurait convenir évidem-
ment dans tous, et il faut voir, je crois, le plus souvent dans ce
fait le résultat de la transformation d'une labiale substituée à la
gutturale primitive, parfois même peut-être le résultat du déve-
loppement de u sous l'influence de la gutturale, ou la conserva-
tion d'un u primitif, tombé dans les autres idiomes. Ainsi dans
aveule, reule, seule, seure, il est possible qu'il y ait chute du
c ou du g, et conservation de Vu, ou plutôt diplithongaison, sous
son influence, de la voyelle précédente en eu. On en peut dire
autant de feu, lieu, peu, etc., quoiqu'on puisse voir aussi
simplement dans ces formes le résultat de la chute du c final, suivie
de la transformation ordinaire de o bref accentué en eu. Mais
il faut chercher une autre explication pour rendre compte des
formes comme amiu, castiu, ou auto, carauter, doutor, etc. ;
et il faut bien ici admettre une substitution directe àe u kc,
a-t-elle été précédée de la substitution préalable à c d'une labiale
explosive ou spirante, affaiblie plus tard en u; ainsi doutor par
exemple suppose-t-il une forme doftor qu'on retrouve en rou-
main, et qui n'est elle-même qu'un affaiblissement ou une modifi-
cation de doptor? ou bien faut-il supposer que ces formes en ou,
eu, ont été précédées de formes en oi, ei, auxquelles elles se
seraient substituées, que outuhro, par exemple, serait pour
oytuhro, que peu viendrait de poi? Il est difficile de se pronon-
cer entre ces deux hypothèses, toutes deux vraies peut-être, et
qui pourraient bien représenter seulement deux procédés diffé-
rents de la langue dans le changement du c.
IIP Substitution de h à la gutturale.
La gutturale soit vélaire, soit palatale, initiale ou médiale, peut
faire place à ^. On trouve ^ substituée à g en espagnol dansAer-
mano (germanum) et ses dérivés, dans hielo {gelu) , hiema (gem-
mam), hierno (generum), hieso (gypsum), Calahorra (Calagur-
aux idiomes romans, on la retrouve dans les langues germaniques, en
particulier dans l'anglais; ainsi à draw correspond le v. sBxon dragau,
law est dérivé de lagu et sorrow de sorga.
— n^ —
rim) et Mahon (Magonem) . Le c, soit seul, soit précédé de 5, a
fait non moins souvent place à h, en particulier en catalan et en
wallon ; ainsi en catalan dehembre (decembrem), vehi (vici-
num) ; en wallon damehele (dominicellam), formihe (formi-
cam), haie (scalam) — chaule dans le dialecte de Namur, —
kinohe (conoscere), nam. conoche, etc. ^.
\Jh n'est plus aspirée en espagnol et en catalan, mais elle a dû
l'être autrefois, et on ne s'expliquerait pas sans cela comment
elle aurait pu se substituer à /" ~ ; elle l'est encore fortement en
wallon ; il est donc difficile de voir ici une simple lettre interca-
laire, destinée à empêcher la rencontre de deux voyelles, comme
cela a eu lieu probablement dans envahir, trahir, etc. , écrits
souvent sans h autrefois. De plus si l'on remarque que h se sub-
stitue aussi à 5 en wallon, par exemple dans mohone (mansio-
nem)j cas dans lequel elle est remplacée par j dans le dialecte
de Namur, tandis que ch en tient la place dans ce même dialecte,
quand elle se substitue à 5C, on aura la preuve qu'il y a là un
procédé régulier de transformation du c. Mais comment se iait
cette transformation? Si nous comparons directement le mot
catalan ou wallon au latin, comme les formes intermédiaires
manquent, il sera diiScile de répondre à cette question ; mais les
formes ch eij du dialecte de Namur équivalentes à Vh du wallon,
ainsi que la comparaison du provençal prezar et du catalan
preJiar, de cazer en provençal et de cahir en portugais, sem-
blent montrer dans cette lettre une transformation des spirantes
5 ou z, 5 ou z, lesquelles, se déduisant sans peine de la gutturale,
servent d'intermédiaire naturel entre celle-ci et Y h qui s'y sub-
stitue.
IV° Substitution de n à c.
Nous avons vu ^ que, le roumain et le provençal exceptés, le c
final tombe dans toutes les langues romanes ; cependant dans un
certain nombre de mots il semble avoir été remplacé par n\ c'est
ce qu'on peut supposer avoir eu lieuen espagnol dans 6ïi<n(adlmc),
allin (illic) G. Vie, nin (nec), sin (sic) ; ces deux derniers mots
sont en portugais nem, sim, (et son composé assim), avec m à
1. Vh se substitue aussi aux dentales, ainsi en catalan pj-e/tarfpre tiare),
rahô (rationem), en portugais cahir v. (cadere).
2. Voir à ce sujet Diez, Gr. I, 373.
3. V. plus haut p. 46 et 57.
— n2 —
la place, coniormêment au génie de cette langue, del'nfinalespa-
gnol. Cette substitution de n k c semble encore avoir eu lieu,
mais au milieu du mot, en espagnol dans ansi (aeque sic) , peut-
être aussi dans l'adjectif enteco (hecticum), en portugais dans
pentem (*pectinem) et dans le français ainsi. EUe apparaît
également à la fin du mot, en provençal dans aissin synonyme
de ansi^ en vieux français dans «w?m(amicum), anemin (inimi-
cum S. B. 537, 543 ; en normand dans ichin (eccehic), sti-chin
et autres composés de hic ; et à la fois au milieu et à la fin du mot
dans le bourguignon ansin, le picard ensm, vieux français «ms-
sin G. Ros., provençal moderne ansin Mireio I, 7, a '. Comment
expliquer cette substitution de n à c ? Y a-t-il d'abord transfor-
mation véritable de la seconde de ces deux lettres en la première?
Cela paraît peu probable ; il semble bien plutôt que cet n soit
tout simplement une lettre intercalaire, que les idiomes romans
de l'Ouest mettaient parfois avant la gutturale ; dans les exem-
ples précédents, celle-ci serait tombée, tandis que n restait ; cette
dernière lettre se serait ainsi indirectement substituée au c pri-
mitif. Cette manière de voir est d'ailleurs confirmée par un cer-
tain nombre de mots, où la gutturale a subsisté à côté de n. L'in-
tercalation de n devant une gutturale, non suivie de la chute de
celle-ci, se présente, en effet, dans le provençal engual ou
engal (aequalem) ; l'espagnol nenguno (nec unum) — cf. le
latin archaïque nmcM^M5 ou mn^M/w5, — enxambre (ecsambre,
encsambre, enxambre) — portugais enxambre — et d'autres
semblables comme enœemplo, enxugar, etc., nous montrent
encore le même phénomène^. Le vieux français ainsinc, aujour-
d'hui ainsi, présente les deux cas : intercalation de n et chute
du c, ou sa transformation en i dans la première syllabe, inter-
calation de n et conservation du c dans la seconde. Il ne peut
donc y avoir de doute sur la manière dont la langue a procédé ;
mais le c final tombant en français de très-bonne heure, on voit
que les mots où n en tient la place supposent que l'intercalation
de cette lettre devant c doit remonter aux premiers temps du
roman ■
3
1. Cf. Diez, Ettjm. Wœrterb. s. v. cosi.
2. Le normand aingue (aide) offre un exemple curieux de cette inter-
calation de n devant une gutturale, en même temps que du changement
de la dentale d en g.
3. L'w ne s'est point d'ailleurs développé uniquement devant une gut-
turale, on en trouve aussi des exemples devant s, ainsi en normand
queminse (camisiam), cheminche dans le patois de Metz ; mais peut-être
— 473
C'est par là que je terminerai la théorie des modifications géné-
rales du c vélaire et du c palatal ; j'arrive maintenant à l'étude
des transformations du premier, — propres aux langues du Nord-
Ouest et aux dialectes ladins, — dans la série é, c,s, g, z, ts,
dz, s et z.
y a-t-il là simple nasalisation de IH accentué, et il ne serait pas impos-
sible qu'il en fût de même, dans quelques-uns du moins, des exemples
précédents. Les Actes normands — fait très-rare — en présentent aussi
un exemple après e dans chen pour che (ecc'hoc), mot qui n'existe plus,
je crois, dans le patois actuel.
LIVRE TROISIEME.
TRANSFORMATION DE LA GUTTURALE VELAIRE
EN c ET EN SES DÉRIVÉS.
Dans le passage du latin au roman, le c vélaire a, nous avons
vu, conservé, dans le plus grand nombre de cas, sa valeur guttu-
rale ; mais dans un certain nombre aussi, surtout dans les langues
du Nord-Ouest, il s'est changé en chuintante ; c'est cette trans-
formation nouvelle qu'il nous faut maintenant étudier ; elle n'est
d'ailleurs, quoique beaucoup plus rare, pas plus surprenante
que celle du <? palatal en c et en ses dérivés ; et, comme celle-ci,
elle apparaît dans une partie des langues indo-européennes ; voilà
pourquoi je n'ai point cru devoir précédemment séparer l'expli-
cation phonétique du changement des deux gutturales ; c'est
aussi à ce que j'en ai dit dans le livre précédent que je renvoie le
lecteur. J'ajouterai seulement quelques faits à ceux que j'ai déjà
cités.
J'ai montré que le changement du c vélaire en c suppose son
changement préalable en c palatal ; les idiomes romans, en parti-
culier les dialectes ladins, nous offrent la série complète de ces
transformations ; ainsi tandis que le c de campum persiste dans
(?am^, motduroumanchedel'Oberland, les dialectes du Frioul
nous le montrent changé en palatale vraie dans écunp, et le dia-
lecte tyrolien d'Ampezzo Ta transformé définitivement en c dans
campo. Le dialecte du canton du Tessin nous montre également
le c de carnem, prenant suivant les localités la valeur k, k ou c,
ainsi :
carn, — chiarn, chern, chiern, — cern ^
1. Biondelli, Saggi, p. 11.
— ne —
Le normand nous présente des formes non moins curieuses ;
c'est ainsi que le mot càballum y est devenu ordinairement
cheva, ou mieux j'va, affaiblissement évident de tcheva\ mais
dans certaines parties de la province où on le parle on dit aussi
queva ou g' va; or dans les comptes de l'hôpital des Veys (1350),
située dans une région où l'on prononce aujourd'hui Jva , on
trouve kievauœ^ ; ainsi pour le copiste du xiv" siècle, le c vélaire
ne s'était pas encore transformé en chuintante ou linguale, il était
devenu seulement palatal.
Dans ces exemples et dans ceux qu'offrent la plupart des lan-
gues, le c vélaire, transformé en palatale ou c, est originaire-
ment suivi de a ; cependant les idiomes romans offrent quelques
exemples où le c suivi de t; ou de u étymologiques s'est aussi
changé en c ou en s, après le changement préalable, il est vrai,
de 0 ou de M en o, û, eu, etc. Ainsi dans le dialecte de la vallée
d'Engaddine, le c vélaire suivi de o ou de u, des mots suivants
corium culum cunam curam
s'est changé en palatale vraie {ch := c),
chô'r chûl chûnna chûra
de même que c suivi de a dans
caveam carnem caminum catenam
y a donné
chabgia charn chiamin chadaine.
Certains dialectes français, allant plus loin, ont transformé
définitivement dans ce cas le c vélaire en c. C'est ainsi que les
mots
corium coxam culum
ont donné dans le normand du Bessin
tcheu , tcheusse tchu.
Le patois poitevin des Sables en offre également quelques
exemples, ainsi tchuder (cogitare)^, tchur (cor)^, tchulotte
1. Ed. Du Méril, Dictionnaire du patois normand s. v. quiérue.
ï. Favre, Glossaire du Poitou, s. v. tchuder, p. ex.
Gn'ai pas tchudé faire quieu.
3. Id. id. Ex.
Tôt d'suit man tchur fut chatouillou
Tôt d'suit san tchur soupire. Intr. p. 48, 50.
— n7 —
(*cuIotum), boutchuet ^ (*bosquetum). On l'y trouve aussi, fait
non moins surprenant, dans les adjectifs indéfinis et démonstra-
tifs tchieuque (qualem quam), tchou (ecce hoc), tchelle (ecce il-
lam)^, etc. Si l'on compare à ces derniers mots les formes ordinaires
quiou (ce), quielle, etc., du même patois, on sera amené à y voir
non le produit de la transformation directe des formes latines
ecce hoc, ecce illam, etc., mais des formes romanes g w^ow,
quielle, et par conséquent nous avons là, je crois, une modifi-
cation relativement récente de la gutturale. On peut et on doit,
il me semble, en dire autant des formes tchiider, tchur, tchu-
lotte, boutchuet, etc., et en général des mots où c suivi d'une
voyelle autre que a s'est transformé en chuintante ; à l'origine le
dialecte poitevin a, comme le français proprement dit, changé
en c, affaibli plus tard en l, la gutturale vélaire suivie de a, en
la conservant devant les autres voyelles non palatales ; mais par
la suite ces voyelles s'étant modifiées, la vélaire qui les précé-
dait s'est changée en palatale, puis en c. Ce qui confirme cette
manière de voir, c'est que le picard, qui conserve toujours, ou à
peu près, comme je le montrerai, la gutturale vélaire, offre
cependant, exception singulière, quelques exemples où elle prend
le son c, tels sont tchien, (canem) et tcher (cadere), dans le
patois de Santerre, tcheur (cor) dans celui de l'Amiénois. Ces
formes, qui n'apparaissent dans aucun texte ancien, sont évidem-
ment d'origine moderne ; et il en est de même de la plupart de
celles où l'on trouve dans le normand la gutturale suivie de o ou
de u primitif, transformée en c ; ainsi que nous le verrons, en
effet, ce dialecte conserve, comme le picard, la gutturale vélaire
dans le plus grand nombre de cas, dans les mots où elle n'a pas
persisté, sa transformation, surtout en c, ne peut remonter dès lors
bien loin dans le passé. Un fait incontestable prouve du moins que
le son c a pu se substituer à la gutturale à une époque récente , c'est
son apparition dans les idiomes créoles sortis du français depuis
que celui-ci ne connaissait plus le son c. On trouve par exemple
dans le dialecte de la Trinité ce même mot tchulotte, que je mon-
trais tout à l'heure dans le patois poitevin des Sables, sous la forme
chilotte [ch = c) ; de même chuite (coctam), chouler (*culare),
chinze (quindecim), etc.^.
1. Favre, id. p. 50. Ex.
I prenis ma tchulotte
Man boutchuet de bergamotte.
2. Id. id. p. 48, 49, 50. — Lalanne, Gloss. Intr.
3. Thomas, A treaty of creol grammar.
\2
— 178 —
Quoi qu'il en soit au reste de l'époque précise de ces transfor-
mations, nous avons ici conservée dans des dialectes français la
prononciation primitive du c vélaire changé en chuintante, celle
qu'il a encore en espagnol et souvent aussi en provençal, mais
qui s'est affaiblie en l en portugais. Tout nous porte à croire, en
effet, que ch avait à l'origine la valeur c dans ces différents
idiomes. L'explication physiologique de ce son en est une preuve
intrinsèque, nous en trouvons une preuve extrinsèque dans sa
persistance jusqu'à nos jours dans un certain nombre de dialectes
et encore plus dans les transcriptions anciennes des mots où se
trouve ch dans les idiomes étrangers. J'ai déjà cité quelques mots
normands qui offrent le son c ; on le rencontre aussi dans le
patois lorrain, ainsi : dchva (caballum), dchamp (campum),
dchamhy^e (cameram), vaitche (vaccam), etc.^ On le trouve
même, nous venons de voir^ dans le dialecte picard de Santerre
qui, à côté de quien, a la forme tchien. Certains dialectes pro-
vençaux modernes ont également conservé à ch sa pro-
nonciation c primitive, souvent, il est vrai, en y faisant sentir
très-peu le son du t initial, et la transcription tg ou dg qu'on
rencontre si souvent figure même cette prononciation ou celle de
la sonore correspondante^. Enfin si le portugais donne en géné-
ral à ch la même prononciation que le français, c'est-à-dire s,
dans la province de Tras-os-Montes, on lui donne, comme en
Espagne, celle de c, qui, il n'en faut point douter, a dii être
commune autrefois à toute la péninsule.
Les transcriptions en langues étrangères viennent, du moins
pour le français et le provençal, confirmer ces inductions tirées
de la persistance du son c dans les dialectes. Ainsi on rencontre
dans le moyen haut-allemand tschapel (chapel), — il est vrai à
côté de schapel, — tschière (chière), hastche, rotsche, Rits-
chard ; en moyen néerlandais 'roetsche (roche) , Tsarels
(Charles), tsartroisen (chartreux). En grec nous trouvons
'PtTÎ^àpooç (Richard). D'un autre côté, des manuscrits des Lois
de Guillaume offrent pour chose la transcription jose, où le j
avait nécessairement la prononciation dj ; on peut en dire autant
du provençal Jausi?' pour chausir qu'on rencontre dans le Frag-
ment de l'Alexandre trouvé à Florence. « Bons œivaliers avant»
fait dire aussi aux Français le catalan Bernât d'Esclot, dans la
1. Oberlin, Patois lorrain du Ban de la Roche, p. 88. Je me sers de la
notation même d'Oberlin, toute fautive qu'elle est; il est certain qu'il
faudrait tchamp et non pas dchamp, djva et non dchva.
— 179 —
langue duquel x avait le son c *. On peut encore ajouter à ces
faits que dans les mots empruntés au français, comme challenge,
chamher, chant, charm, etc., le ch a en anglais, qui a cepen-
dant sh pour représenter le son actuel de ce signe en français, la
même valeur c -. Tout semble donc prouver que ch avait autrefois
dans notre langue la prononciation tcJi, qu'il a aujourd'hui encore
en espagnol. 11 en est de même pour le provençal. Ainsi l'italien
représente par ciausir\e\evhe chausir emprunté à cette langue;
on trouve également dans les manuscrits de Pétrarque (canz. 7)
ciant pour représenter le mot chant ; le t que l'on rencontre
aussi, quoique rarement, devant œ en catalan, par exemple dans
cotœos = cochos est encore une preuve du son composé de ch
et de sa valeur tch'^''. Quant à l'espagnol, on voit chy apparaître
comme chuintante certainement au xi*" siècle dans Sanchez et
Sanchiz (Yepes, I, n. 23, an. 1022), valeur que confirme encore
l'orthographe Sangez du même mot (Yepes, I, n. 24, an. 1077)
et Sangiz (id. n. 25, an. 1092), où g ne peut avoir eu, ce
semble, que la prononciation provençale ou catalane. On ren-
contre même, évidemment avec cette valeur, ch dès la fin du
viif siècle, dans Chave (rivolum Chave, Yepes, IV, n. 29 an.
791), mot où ce signe substitué au groupe fi transformé a dû
représenter le dernier terme de la série fl, fi, {f)j, c'^- C'est
d'ailleurs la valeur que, malgré quelques divergences appa-
rentes d'opinion, les anciens grammairiens les plus autorisés
espagnols ou étrangers assignent à ch, « c précédant h, et
immédiatement suivant une voyelle, est conforme à la pronon-
ciation anglaise », écrivait en 1558 l'auteur des « Coloquios
famihares », Gabriel Meurier, et quelques années plus tard,
en 1614, Doergangk, professeur d'espagnol, d'itahenet de fran-
çais à Cologne, décrivant à son tour la prononciation du cli
espagnol, lui attribuait le son tch : « ch, dit-il, effertur ut ch
apud Gallos, vel ut sch apud Germanos ita tamen pressé ut t
prœponi videatur, ut mucho, muchacho, quasi tnoutcho, mout-
1. « Le nostre sillabe xa, xe, etc. si profferiscono corne le toscane cia,
ce «dit le catalan Bastero, cité par Diez, Gr. l, 115. Cf. id. 410, 400.
2. On pourrait, il est vrai, supposer que l'anglais ayant conservé l'or-
thographe de ces mots a donné au ch qui s'y trouve la prononciation de
cette lettre dans les mots issus de l'anglo-saxon. C'est ce qui est arrivé
en effet, en espagnol aux mots chamberga, choflo dérivés de l'allemand
Schomberg. schœrl, où l primitif a pris ainsi la valeur c-
3. Diez, id. I, 410.
4. Cf. Diez, id. 2l2et«67.
— 480 —
chatcho Gallicè, vel 7nutscho, mutschatscho Germanicè ^ . »
En présence de témoignages aussi précis on ne peut accorder
aucune créance à des grammairiens tels que Sotomajor qui,
après avoir rangé cependant ch parmi les lettres qui n'ont pas
la même valeur en français et en espagnol, dit qu'il doit se pro-
noncer comme en notre langue^, ou bien l'auteur anonyme
(M. Charpentier?) de « La parfaite méthode pour entendre,
escrire et parler la langue espagnole » qui se borne à figurer par
le ch français, ainsi d'ailleurs que Jean Saulnier dans son
« Introduction en la langue espagnole » le ch castillan ^.
Ainsi ch paraît bien avoir eu autrefois dans le double groupe
occidental la valeur c, qu'il a encore aujourd'hui en espagnol et
dans plusieurs dialectes provençaux et portugais ; mais quelle est
l'origine de ce signe employé par les Romans de l'Ouest pour
représenter le son c ou s, tandis que chez les Romans de l'Est et
parfois aussi — du moins autrefois, comme nous avons vu, —
chez les premiers, il a servi ou sert à représenter la gutturale
palatale ? J'ai dit que le çh, signe de la gutturale, était emprunté
à l'alphabet latin, où il avait souvent représenté les deux guttu-
rales, doit-on attribuer la même origine au ch employé par les
langues du double groupe occidental, comme signe des chuin-
tantes c et s? Diez n'est pas éloigné de croire que ce signe est
passé de l'allemand, ou plutôt du franc dans le français, comme
il veut voir dans la spirante ch ou hh de ces idiomes l'origine de
la chuintante substituée à la gutturale vélaire romane '* ; mais
alors comment expliquer la présence de ch en provençal et dans
les idiomes de la péninsule hispanique ? Faut-il supposer que les
scribes provençaux ou espagnols l'aient emprunté aux copistes
français ? Cette hypothèse me paraît aussi peu admissible que peu
utile ; il ne faut point, en effet, chercher au ch, signe de la chuin-
1. Institutiones in linguam hispanicam, p. 2.
2. « Ch fault que se prononce comme en français, » dit-il dans son style
baroque, p. 11 du Vocabolario de las vocables que mas comunamente se
suelen usar.
3. On pourrait joindre à ces témoignages celui de Tauteur anonyme
de r« Util y brève institution », dont José Gallardo a donné des extraits
p. 857 du premier volume de son « Ensayo de unaBibliothecaespanola, »
et que je cite comme modèle de l'incertitude des renseignements fournis
parfois par les grammairiens du xvi" siècle • « Ch. dit-il, tiene tal pro-
nu ciacion como x (cappa de los griegos) antes de t o iota o ni mas ni
menos o casi asi como en frances pronuncian charetier, chappon, asi en
espanol mucho, muchacho. »
4. Gram. I, 248 et 461. *
— ^8^ —
tante, d'autre origine qu'au ch, signe de la gutturale ; nous
savons que ce signe employé par le latin de la décadence pour
représenter les deux gutturales avait été adopté par les langues
du groupe oriental, comme signe de la palatale; j'en ai signalé
aussi l'emploi dans les langues du Nord-Ouest et du Sud Ouest,
surtout aux premiers siècles du Moyen Age ^ ; l'on peut même
dire que, jusqu'au huitième siècle et sans doute même plus tard,
il servit dans tous les pays romans uniquement à représenter la
gutturale palatale. Il a continué d'en être ainsi dans les idiomes
orientaux, qui employaient c pour figurer la gutturale vélaire et
la chuintante c issue de la palatale, mais les idiomes occidentaux
se servant de c, comme leurs congénères de l'Est, pour repré-
senter la gutturale vélaire, et, ce qui leur était particulier, pour
représenter la palatale assibilée, se trouvaient dans la nécessité
ou de l'employer encore comme signe de la chuintante ou de choi-
sir pour cette dernière une autre lettre; ils prirent alors ch, qu'ils
remplacèrent peu à peu, comme signe de la gutturale vélaire,
par g ou ;^ ; mais cette substitution ne se fit que lentement, de là
une source de confusion dans la phonétique de ces idiomes, comme
j'aurai souvent occasion de le signaler par la suite.
Le ch est donc d'après cela d'origine latine, c'est l'ancien signe
inventé au if siècle avant notre ère pour remplacer le x dans les
mots empruntés au grec par le latin ; quant à l'origine du son
qu'il représente dans le double groupe occidental, il est, comme
je l'ai dit, le résultat, le produit naturel pourrait-on dire, de la
transformation du c vélaire ; si cette modification n'apparaît
point ou n'apparaît qu'exceptionnellement dans le groupe orien-
tal, c'est que les langues qui le composent ont conservé plus
fidèlement le son primitif du k vélaire, gardé sans modification
par le latin, comme parle grec; les langues du double groupe
occidental , au contraire, ayant moins respecté la gutturale vé-
laire, devaient aussi la changer plutôt en chuintante, et ce n'est
pas un effet du hasard, mais la conséquence même de la pertur-
bation apportée dans le système phonétique du latin, que celui de
ces idiomes qui l'a le plus profondément modifié soit aussi celui
qui nous présente la transformation la plus complète du c vélaire
en c. On comprend d'après cela que je ne puisse accepter l'in-
fluence germanique à laquelle Diez semble attribuer ce phéno-
mène si naturel de transformation* ; on ne voit pas, en effet, com-
1. Voir pi. haut Liv. 11, Gli. 111. p. 82.
— 482 —
ment la spirante des dialectes francs aurait pu déterminer le
changement du c vélaire latin en chuintante, ce qu'elle n'a point
fait dans le domaine germanique, et encore moins pourquoi, si
l'influence germanique a déterminé le changement du c latin en
c ou 5, elle ne l'a pas fait toujours pour le c d'origine allemande,
lequel reste guttural dans un nombre assez considérable de mots;
il y a plus, il me semble, si on peut sur ce point si obscur hasar-
der une hypothèse, que, loin d'avoir contribué à transformer le
c vélaire, l'influence germanique a servi à lui conserver son
caractère primitif, car c'est précisément — la Lorraine et les
pays wallons exceptés — dans les contrées où l'élément germa-
nique a prédominé au moment de la formation définitive de la
langue que le c vélaire a persisté ; comme cela a lieu presque
toujours dans le picard, et en général aussi dans le normand et le
roumanche du Nord. Quant à la théorie de Burguy qui explique
la présence du ch en français et la conservation du c en picard,
— il ne paraît pas savoir que cette conservation a lieu aussi en
normand, — par ce qui se serait passé dans les idiomes celtiques
et où par parenthèse il confond la spirante gutturale ch de l'ir-
landais avec la chuintante ch des dialectes français, elle ne
mérite pas même d'être examinée ^.
Si le c vélaire paraît ainsi s'être d'abord changé — là où il s'est
modifié — en c, il n'a point conservé ce son dans tous les idiomes
romans du double groupe occidental ; le plus souvent, en eflet, il
y a pris, comme en français, le son 5, d'autres fois aussi il s'est
transformé en ^g ou dans le son afl'aibli z ; enfin dans certains dia-
lectes provençaux on le trouve changé en ts, dz, s et même en 0
et S ; l'étude historique de ces diverses transformations fera l'objet
de ce troisième livre ; j'y joindrai celle des changements du c vé-
laire en spirante gutturale, fait présenté par l'espagn^^l , enfin
l'examen non moins intéressant de la transformation des deux
gutturales dans le picard et le normand.
t. K. M. Rapp, Physiol. d. Spr. 11, 51, a encore renchéri sur l'affirmation
hypothétique de Diez et déclare la transformation de ca en cha pour
« inexplicable sans une influence germanique ». V. Schneller, id. p. 87.
2. Burguy, Gr. de la langue d'oil, P, 35.
— -183 —
CHAPITRE I«
TRANSFORMATION DU C VELAIRE EN O, C ET EN S.
Si l'on excepte quelques dialectes du Nord de l'Italie, en parti-
culier ceux du Tyrol, qui appartiennent ou se rattachent au
groupe ladin, la transformation du c vélaire suivi de <2 en c
ne se rencontre que dans deux ou trois mots italiens, encore
n'est-ce point le changement de c pur, mais du groupe d'c qui
présente ce fait, et la transformation a eu lieu en g, non en c^
Quant au roumain, il n'oifre aussi d'exemples, que je sache, que
du changement de c en g, et en bien petit nombre ; on peut donc
dire que cette transformation, et plus généralement que la pré-
sence de c devant une voyelle non palatale, est inconnue aux
idiomes du groupe oriental.
Dans ceux du Sud-Ouest, au contraire, ch se rencontre assez
souvent devant a, o qimu, avec le son c en espagnol et dans le
dialecte portugais de Tras-os-Montes, avec la valeur de 5, affai-
blissement évident de c, dans le portugais des autres pro-
vinces ; mais dans ces deux langues ch ne représente pas
d'ordinaire un simple c, mais le plus souvent la transforma-
tion d'un des groupes c/, _p/, tl, fi, qui donnent aussi naissance
en espagnol au son II ; cette transformation peut d'ailleurs avoir
lieu au commencement comme au milieu des mots, exemple :
clamare
llamare, v. chamar
chamar
fac(u)lam
hacha
fâcha
plagam
Uaga
chaga
inflare
inchar
inchar
cat(u)lum
cacho
cacho
Ch remplace aussi en espagnol et, parfois pt et It, et même 5;
mais représente-t-il réellement dans cette langue, ainsi qu'en
portugais, le c vélaire latin? Il semble bien, il est vrai, le
1. 11 semble cependant que, dans le dialecte sicilien, c se soit trans-
formé en c, dans ciarmu (carmen), ciminia (* caminatam) — peut-être
emprunté au français, — et quaciari (caicare). Cf. Wentrup., Beitr. zur
Kennln. der SicU. Mund. p. 159 et 160.
— ^84 —
remplacer dans un certain nombre de mots, mais la question est
de savoir si ces mots sont espagnols, ou bien , comme Diez
l'admet, d'origine étrangère ; pour la plupart d'entre eux, cette
circonstance qu'ils existent en double à côté d'autres mots qui ont
la gutturale vélaire ne peut guère laisser de doute à cet égard ;
tels sont, par exemple, en espagnol chaza à côté de caza,
merchante et mercante, etc. ; en portugais chaça et caça,
cantor et chantre , etc. ; mais je ne sais si l'on doit encore
admettre une origine étrangère pour quelques autres qui n'ont
que la forme ch, comme le portugais charma, etc. , et s'il n'y faut
pas voir le résultat, dû peut-être à une influence locale, de la
transformation de c {k) en c. On serait tenté même, quand on
lit les anciens textes, de supposer que cette modification
de la gutturale vélaire avait lieu autrefois dans des mots où
elle a repris son son primitif, ainsi on trouve dans le poème du
Cid archas v. 84, 119, 127, 144, 161, 166, à côté, il est vrai,
à'arcas v. 113 et 183 ; or faut-il admettre, comme cela avait
lieu parfois devant e ou i, qu'on représentait indifféremment la
gutturale vélaire par c ou ch, surtout quand on trouve au vers
147 les mots archas, aduchas, où, si dans le premier ch pou-
vait avoir le son k, il devait nécessairement avoir le son c dans
le second? Il est difficile de répondre à cette question; aussi
tout en admettant que les langues de la péninsule hispanique
avaient en elles la faculté de développer le son c du c vélaire
seul, comme elles l'ont dérivé de cl, et et de plusieurs autres
groupes, il faut reconnaître aussi que le c vélaire n'y a pas été
assez ébranlé pour se modifier — sinon exceptionnellement — et
qu'il a dans la plupart des cas conservé sa valeur originelle. Il
n'en a pas été de même dans les idiomes du Nord-Ouest, dans
le roumanche et les dialectes ladins du Tyrol et du Nord de
l'Italie, où le c vélaire n'a persisté qu'exceptionnellement ; mais
les modifications qu'il a subies ont varié avec chacun de ces
idiomes; il faut donc examiner séparément ce qu'elles ont été
dans chacun d'eux. Commençons par les dialectes ladins où elles
sont le plus compliquées.
P Transformation du c vélaire dans les
dialectes ladins.
Des sources du Rhin au fond de l'Adriatique s'étend, en sui-
vant la courbure des Alpes, une large bande de terrain où se
parlent divers dialectes romans, débris évidents, malgré les difîe-
— ^85 —
rences qui les séparent, d'une même langue plus ancienne, dont
ils ne sont au fond que des formes particulières. Ces dialectes*,
auxquels se rattachent par plus d'un point ceux du Tessin, de la
Lombardie et de la Vénétie, et qui occupèrent sans doute autre-
fois un territoire bien plus étendu, mais amoindri par les empié-
tements de l'italien d'un côté et des idiomes germaniques et slaves
de l'autre ^ se divisent géographiquement, sinon toujours phoné-
tiquement, en trois groupes principaux : le groupe occidental ou
du canton des Grisons, qui comprend le dialecte de l'Oberland ou
roumanche, parlé dans les vallées du Rhin antérieur et du Rhin
postérieur, et le dialecte de la vallée de l'Inn ou Engaddine ^ ; le
groupe central ou des dialectes romans du Tyrol S parlés surtout
à l'Ouest dans les vallées du Noce, de l'Avisio et de la Gardera,
à l'Est dans celles de la Gadera, du Cordevole et de la Haute-
Piave ; enfin le groupe oriental ou du Frioul ^, comprenant les
sous-dialectes de Pordenone, de la Carnia , du territoire d'Udine, etc.
Je n'ai point ici à étudier les caractères généraux qui distin-
guent ces divers dialectes^ je ne veux que rechercher la manière
dont la gutturale vélaire y est traitée ^, soit qu'elle persiste, soit
qu'elle se transforme en palatale ou en chuintante, son change-
ment en spirante ou sa suppression ayant été examinés dans le
premier livre. Comme je l'ai dit plus haut, les dialectes ladins
ont ceci de particulier qu'ils offrent toutes les formes traversées
par la vélaire dans son passage du son k au son c, tandis que les
idiomes du Nord-Ouest ne présentent que les formes extrêmes k
et c, ou son dérivé s. Ainsi, tandis que dans le dialecte de l'Ober-
land, et parfois aussi, mais exceptionnellement, dans les autres,
le c vélaire persiste , il se change en palatale proprement
dite dans le dialecte de l'Engaddine, dans les dialectes romans
de l'Ouest du Tyrol, à l'Est dans ceux du Val de Passa, et des
vallées de la Gardera et de la Gardena, ainsi que dans tous ceux
1. Connus déjà pour la plupart par des travaux particuliers, ces dia-
lectes viennent d'être, de la part de M. G.-J. Ascoli, l'objet d'un travail
d'ensemble considérable, que j'ai le regret de n'avoir pas connu avant
d'avoir fini cette étude, mais auquel j'ai pu cependant encore emprunter
quelques renseignements précieux ou quelques utiles rectifications.
2. Cf. Bom. 1, 9.
3. 0. Carisch, Taschenwœrterbuch der rhœtorom. Sprache. — Id. Gram.
Lehrmethode der rhetor. Sprache.
4. Chr. Schneller, Bie roman. Volktsmund. in Sud- Tir ol
5. Jac. l'irona, Vocabul. friul. p.p. mra del dott. Giul. And. Plrona.
6. Il s'agit naturellement de la vélaire suivie de a.
— 186 —
du Frioul, et se transforme en c dans les dialectes tyroliens
d'Agordo, d'Ampezzo, d'Oltrechiusa et de Comelico, qui offrent
néanmoins un certain nombre de mots, variant d'ailleurs pour
chacun d'eux, où la vélaire persiste, ainsi que dans quelques dia-
lectes vénitiens.
Les transformations dont je viens déparier s'appliquent indiffé-
remment à la vélaire, qu'elle soit initiale ou médiale^ pourvu
qu'elle soit suivie de a; quand elle est suivie^ au contraire, d'une
autre voyelle non palatale, elle persiste, à part quelques excep-
tions, dans tous les dialectes. Les exemples suivants donneront
une idée de ces modifications du c devant a dans les divers dia-
lectes ladins ; c désigne le son tch, c représente la vraie palatale
ou ce son écrasé dont parle Carisch, figuré tantôt par ch, tantôt
par g ou même ç.
1" c initial :
LAT.
c =z k
c z=c c = c
caballum
cavaigl Ob.
cavaigl e. caval Ag.
cadere
—
cade Fr. —
* calcaneum
calcoign Ob.
calcogn e. —
* calcinam
calschinnaOh.
, cuts china b. e. —
calicem
—
caliç Fr. —
calidum
cauld Ob.
caudi.î.,cod^.î.caudo 01. Amp
*cambiare
—
cambiar v. r. —
* caminum
camin Ob.
camin e. camin Com.
camisiam
camischa Ob.
camischa e . , cameza Amp .
camise Fr.
campnm
camp Ob.
camp Fr. campo Amp.
canalem
canal Ob.
canal e. —
candelam
candeila Oh.
candaila e. —
canem
can Ob.
caunB.^canFv. —
* cannabarium
canval Ob.
canval e. , canapia Ag.
canaipe Fr.
canonem
canun Ob.
canun e. —
cantare
cantar Ob.
cantar e. tant a Amp.
*cantonem
cantun Ob.
canton Fr. canton kmç.
capillum
cavell Ob.
cavel e. —
1. Elles ne s'appliquent toutefois en général à la vélaire médiale
qu'autant que celle-ci est appuyée, c'est-à-dire précédée d'une autre
consonne ; précédée d'une voyelle, au contraire, elle s'affaiblit en g ou
le plus souvent, comme nous avons vu, se transforme enjot. Cf. pi.
haut Liv. I, Gh. Il, p. 50.
^87 —
* capellum
capialla Ob.
6'6ï/3e E.,
capel Fas.
cajoe^ Amp.
* capum
eau Ob.
mwE. ce«wOb
. caw Oltr.
caponem
capun Ob.
capon Fr.
—
capram
caura Ob.
cavra e.
caura Amp.
capsam
cassa Ob.
cascha e.
—
* captiare
catschar Ob.
catschar e.
—
carbonem
—
carbon Fr.
—
*cardonem
cardun Ob.
cardun e.
—
* carricare
cargar Ob.
cargiar e.
c arj é Am^.
carnem
carn Ob.
carn E. Fr.
—
carrum
carr Ob.
(7ar(r) Fr. e.
car Amp.
carum
car Ob.
mr Fr. e.
caro Amp.
cartam
carta Ob.
éû^rte e.
—
casam
casa Ob.
m^a Gad. F.
C(25a Amp.
castellum
castell Amp.
castiell Fr.
castel Oit.
castigare
castiar Ob.
castiar e.
—
catenam
cadena Ob.
cadeina e.
cadena Amp.
cattam
—
m^a Fr.
c«^tï Amp.
causam
caussa Ob.
caussa, cosaE.causa Amp.
cavare
cavar Ob.
cavar e.
— -
2° c médial
I
* aucara
oc<2 Amp.
owmGard.,
OCO V. R.
—
barcam
—
&arc'è Fr. ,
barca e.
—
buccam
bucca Ob.
&oée Fr.,
— .
&0CC?<2 E.
èoc« V. R.
*cercare
zerca Amp.
cerca Fr.
;3;crce Ag.
* figicare
—
/?ca Fr,
—
furcanri
—
força, forcèFv
./brca Amp.
siccare
seca Amp.
seca Fr.
—
tincam
—
ifmée Fr.
—
vaccam
—
i?«ca Fr.
vaca Ag., etc.
Dans les exemples qui précèdent le c vélaire est suivi de a,
dans quelques mots où il était primitivement suivi de o ou de w,
modifiés depuis en d'y u, etc. , il a subi les mêmes changements
que devant a, moins toutefois la transformation en c, que je ne
connais pas. Ainsi on a :
1. 0. Garisch, Woert. s, v. — G. Ascoli, Archivio, passim.
—
-188 —
corium
—
cirO\). cà'r-E. —
*corpum
corji Ob.-
-B.E
. cierp Ob. cûerp h.e. —
cornu
—
ciern Ob. —
corvum
corxi E.
cierv Ob. —
culum
—
cil Ob. cul E. —
cunam
—
cinna Ob. cïinna e. —
curam
—
ciraOh.cûra^. —
Il a été dit ^ que le c vélaire final persiste souvent dans
les dialectes ladins, soit sans modification, soit en s'afiaiblissant
en g ; mais, fait caractéristique de ces idiomes, ils peuvent aussi
transformer la vélaire finale, comme l'initiale ou la médiale, en
<?, g, ou même h ; ainsi à côté de amig on trouve une forme
ami'g et amie ou amih ; dico a donné à la fois dig et die ;
focum, fuec et fœc ; à côté de lac (lacum) on rencontre encore
laie B. E. ; vicum a donné vig et vih, etc. Les autres idiomes
romans n'ofirent rien de comparable ^.
On voit par tous ces exemples à quelles hésitations ont obéi
les dialectes ladins dans le traitement de la gutturale vélaire, et
la diversité des influences qui ont dû y agir pour la modifier ; la
transformation a été plus simple dans les langues du Nord-Ouest;
voyons comment elles ont procédé, en commençant par le pro-
vençal où le problème est plus compliqué à cause des difîérences
que présentent à cet égard les difierents dialectes.
IP Transformation du c vélaire dans les dialectes
provençaux.
Nous avons vu que ck conserva en provençal, ainsi que dans
les autres langues de l'Ouest, sa valeur gutturale devant e et i
jusqu'en plein Moyen Age ; il n'en dut pas moins devenir d'assez
bonne heure le signe du son c, qui s'est conservé plus ou moins
modifié dans cet idiome. C'est comme tel sans doute que nous le
trouvons dans le plus ancien monument de la langue, le Boèce,
oii il apparaît toutefois à côté de c ; ainsi on y trouve charcer
(v. 71), eharceral (158) , mais carcer (96 et 101) ; cliaitiveza
(88) et quaUiu (126) ; schalas (149, 156), schala (216, 232) ,
eschalo (237), mdX^scalas (146) ; chadeu (147) ei eadegut {72);
chastiament (111) et quastiazo {22) avec c ouch; enûn chanut
(107), Mc/ia (130), schapla (207) avec chseu\,k cote de riqueza
1. V. pi. haut Liv. I, Ch. I, p. 45. — 2. Ascoli, Arch. I, 76, 207.
— -189 —
{S3)Mp (116), cap (167), caritat (217), castitat (223) ,peccaz
(228), cerqua et cerca (238), écrits seulement par c, k ou q.
Que faut-il conclure de cette double orthographe, qui nous est,
comme nous le verrons par la suite, présentée par tant de textes?
Que dans certains mots c suivi de a avait encore la prononcia-
tion gutturale, tandis que dans d'autres il prenait le son c? Cette
supposition serait acceptable si les mêmes mots avaient toujours'
la même orthographe ; il est difficile de l'admettre devant de
doubles leçons comme chaitiveza et quaitiu; il ne reste, je crois,
qu'une hypothèse de possible, c'est que nous sommes en présence
non d'un texte primitif, mais d'un texte remanié ou modifié par
un copiste dont la langue était autre que celle du poète ; il n'est
pas improbable, en effet, que celui-ci , ou, ce qui revient au
même, le premier copiste du poème ne connût que le son guttu-
ral du c, le copiste du texte que nous possédons connaissant, au
contraire, le son c de la gutturale vélaire transformée l'aura
rétabli par mégarde ou à dessein dans les mots que j'ai relevés.
C'est là un fait que nous verrons se reproduire bien des fois, et
qui est d'une importance capitale dans l'étude phonétique des
textes du Moyen Age, dont il peut seul expliquer les anomalies
et les contradictions orthographiques ; il ne saurait, en effet, dans
des textes recopiés pour la plupart plusieurs fois dans des lieux
et en des temps différents, être question d'unité d'orthographe et
parfois même d'idiome ; il ne saurait être non plus, la plupart du
temps, question de la langue du poète, mais seulement de celle
du copiste du manuscrit que nous avons sous les yeux , et parfois
même, pour les poèmes du moins qui ont passé par plusieurs
mains, le texte n'est lui-même qu'un compromis entre la langue
de celui qui nous l'a transmis et celle de ses devanciers. Ainsi
pour le cas particulier qui nous occupe en ce moment, on peut
croire que l'auteur du Boèce ignorait encore, comme je l'ai déjà
dit, la transformation de ca en cha, mais qu'au contraire le
copiste du xi® siècle, auquel nous devons le texte que nous en
avons, la connaissait déjà et l'a rétablie dans un certain nombre
de mots. Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, ce qui ressort d'une
manière incontestable de ce qui précède, c'est qu'au xi® siècle la
transformation du c en c avait déjà eu lieu au moins dans un des
dialectes du provençal.
S'était-elle produite dans tous ? comment chacun d'eux en par-
ticulier a-t-il traité la gutturale vélaire suivie de a ? Telle est la
question qu'il me faut examiner, et dont la solution offre plus
d'une difficulté. Ce qui complique, en effet, l'étude de la phoné-
— 490 —
tique du provençal, c'est la multiplicité de ses dialectes et l'igno-
rance où l'on est encore le plus souvent sur leurs caractères dis-
tinctifs ; ce n'est pas que ces dialectes aient tous la même impor-
tance, ni qu'il y ait eu sans doute autrefois entre eux une diffé-
rence aussi grande qu'aujourd'hui; il semble même qu'il se forma
vers le xii'' siècle une espèce de langue poétique conventionnelle,
commune ou à peu près à tous les troubadours * ; néanmoins
toutes les dififérences dialectales, malgré l'uniformité apparente
de cet idiome littéraire, ne purent disparaître, elles subsistèrent
dans la langue usuelle, et reflétées plus ou moias déjà dans les
ouvrages du temps, eUes se sont perpétuées jusqu'à nos jours. Je
n'ai pas la prétention de faire ici l'histoire trop peu connue des
dialectes provençaux, je voudrais seulement, en m'attachant aux
principaux d'entre eux, essayer de montrer quelles ont été les
vicissitudes du c vélaire dans l'idiome parlé au Sud de la Loire.
Etudions-le d'abord dans les monuments les plus importants
qu'il nous a laissés.
Le premier que nous rencontrons après le Boèce sont les
« Poésies religieuses en langue d'oc ^ » publiées par M. Paul
Meyer, d'après les manuscrits 1139 et 1743 de la Bibliothèque
nationale, lesquels semblent, comme celui de ce poème, être du
xr siècle. Leur examen nous donne un résultat différent. Ainsi
dans la pièce de vers la plus étendue, espèce de confession
tirée du manuscrit 1743, c persiste sans exception ; dans les can-
tiques tirés du manuscrit 1139, au contraire, c devant a se
change en ch, par exemple chab, chastitat, chausit. Il est évi-
dent qu'on a affaire à des monuments d'origine différente.
M. Meyer croit que la plus longue de ces poésies religieuses en
langue d'oc, celle du manuscrit 1743, est écrite dans le dialecte
d'Auvergne; j'inclinerais à lui attribuer une origine plus méridio-
nale. Le manuscrit 1139, provenant de l'abbaye de Saint-Martial
de Limoges, les deux cantiques qui en sont tirés sont, suivant
toute vraisemblance, écrits en limousin ; ainsi au xi® siècle ce
dialecte changeait déjà régulièrement le c vélaire suivi de a en c.
Cette manière de voir trouve sa confirmation dans le consonnan-
tisme des trois sermons limousins publiés également par M. Meyer
dans le sixième volume à.\x Jahv'huch'K Dans le premier, c{a) est
changé en cha sept fois, tandis qu'il ne persiste que trois fois ; le
1. Cf. Bartsch, Grundriss zur Geschicfe der provenzalischen Literatur,Tp. 69.
2. Paris, ia-8", 1860, et Bibliothèque de l'École des chartes, 5""' série, l, 481.
3. P. 78 et suiv.
— i9\ —
second nous donne quatre exemples de transformation de c{a) et
deux seulement de sa persistance ; dans le troisième nous trou-
vons six exemples du changement de c{a) en ch et, pour ne pas
parler de pascam, un seul riqueza, mot d'origine germanique
encore, où il persiste; la transformation du c vélaire est donc de
beaucoup le fait le plus ordinaire en limousin. On la retrouve
aussi dans la traduction de l'évangile de Saint Jean, écrit selon
M. P. Meyer ^ dans le dialecte vaudois, mais probablement pas
avant le xii** siècle. Dans ce texte, publié d'abord par M. K.
Hoffmann dans les « Gelehrte Anzeigen der Kœniglichen baye-
rischen Akademie der Wissenschaften » (1858) et peu après
(1860) par M. Fr. Michel dans son édition du Psautier d'Oxford 2,
nous voyons ch substitué partout à c suivi de a ou de au, lequel
ne persiste pas une seule fois, tandis que sa transformation ch se
rencontre plus de trente fois.
On le voit, à cette époque le changement du c vélaire en c
était un fait fréquent dans les dialectes de la région septentrio-
nale du domaine de la langue d'oc. C'est de cette région aussi, à
ce qu'il semble 3, que le poète du « Girart de Rossilho » était
originaire, cependant c{a) persiste dans ce roman bien plus sou-
vent qu'il ne se change en ch ; ainsi dans les 443 vers donnés par
Bartsch d'après l'édition de Conr. Hoffmann, j'ai compté qua-
rante-cinq mots où c{a) persiste contre vingt où il se transforme
en ch.
Il est difficile de savoir si les poésies des troubadours nous
sont parvenues dans leur pureté première, ou si le texte en a été
remanié, et dans quelle mesure il a pu l'être par les scribes qui
nous les ont transmises. Cependant il est peu probable que le
consonnantisme en ait été complètement changé ; aussi est-il
permis d'y chercher quelques renseignements sur la manière
dont le c vélaire était traité dans les provinces d'où les divers
troubadours étaient originaires. Commençons par ceux du Nord.
Le son c domine dans les poésies de Guillaume de Poitiers; dans
les fragments de ce troubadour donnés dans la Chrestomathie,
je compte quinze mots où on le trouve, cinq seulement où il
fait place à ch. La même chose a lieu dans les Poésies du péri-
gourdin Bertran de Born ; sur deux cents et quelques vers que
donne Bartsch, il y a treize cas de persistance du c vélaire, trois
1. V. Bibliothèque de l'École des chartes. S""" série p. 530. — Rom. I, 383.
2. Libri Psalmorum vei'sio antiqua gallica^ in-8°; Paris, p. 369-376.
3. Bartsch, Grundriss, p. 19.
— 492 —
seulement de son changement en chuintante. Dans Arnaut Daniel,
compatriote de Bertran de Born, on trouve la même proportion
entre les cas où c suivi de a persiste et ceux où il se change en
ch ; ainsi sur quatre-vingt-huit vers donnés dans la Chrestoma-
thie, on trouve c{a) persistant quatorze fois et se changeant en ch
trois fois seulement. C[a) paraît persister plus souvent encore
dans Bernart de Ventadour qu'il ne se change en ch, mais la
proportion est bien moins forte que chez les deux troubadours
dont je viens de parler, elle est de neuf cas sur sept seulement
dans celles de ses poésies données par Bartsch ; cependant dans
les vers adressés à Peirol, cha est plus fréquent que ca, on le
trouve huit fois et trois fois seulement cette dernière forme. La
conservation de c devant a paraît également avoir eu lieu plus
souvent dans le troubadour limousin Gaucelm Faidit que sa mo-
dification en ch; mais la différence entre le nombre de cas où ca
persiste et ceux où il se transforme est insignifiante. Il n'en est pas
de même dans les poésies de Guiraut de Borneuil ; ici toutefois
c'est en sens inverse qu'est changée la proportion ; c{où) se change
le plus souvent en ch; il ne persiste, au contraire, qu'assez rare-
ment, à peu près dans la proportion de une fois sur trois, à en
juger par les fragments donnés par Bartsch. Ce résultat n'a rien
qui doive surprendre ; nous avons vu, en effet, dans les monu-
ments limousins ca se transformer le plus souvent en cha; il n'est
donc pas étonnant que les troubadours limousins aient donné la
préférence à cette dernière forme.
Il y a peu de choses à dire de l'état de la gutturale dans les
poésies de Peirol : les formes ca et cha paraissent s'y rencontrer
à peu près indifféremment. Dans Peire Rogier, troubadour ori-
ginaire d'Auvergne comme Peirol, la forme ch semble être plus
fréquente que ca ; dans Peire d'Alvernhe, au contraire, ca per-
siste plus souvent qu'il ne se change en cha; sur les cent quatre-
vingt-douze vers donnés dans la Chrestomathie la première forme
se rencontre douze fois, la seconde seulement neuf. Il est difficile
de rien conclure de positif, sur l'ancien consonnantisme du dia-
lecte velaisien, de l'examen des poésies des deux troubadours qui
ont illustré la contrée du Puy ; dans celles de Pons de CapdoiU,
le plus ancien des deux, ca et cha paraissent indifféremment
emploj^és ; dans les poèmes de Peire Cardinal, au contraire, on
trouve presque toujours la première forme, la seconde est pres-
que exceptionnelle.
C'est aussi la forme ca qu'on rencontre presqu'exclusivement
chez les deux troubadours d'Orange Raimbaut III et Raimbaut
— 493 —
de Vaqueiras ; ch n'y apparaît que très-rarement. Mais chez
les troubadours toulousains Peire Raimon et Peire Vidal, nous
retrouvons à la fois caet cha, assez inégalement cependant ; dans
les poésies du premier, si j'en juge par le court fragment que
donne la Chrestomathie, ces deux formes se rencontrent indiffé-
remment ; dans les poésies du second, bien que ch soit d'un usage
assez fréquent, ca est beaucoup plus employé ; dans les frag-
ments donnés par Bartsch, ca se trouve sept fois, ch deux fois
seulement. C'est encore la forme gutturale qui l'emporte chez
Uc de Saint-Cire, ch ne s'y rencontre qu'exceptionnellement.
On ne doit pas être surpris de trouver aussi presque exclu-
sivement la forme ca dans le troubadour de Carcassonne,
Marcabrun ; on ne s'en étonne que plus de rencontrer presque
aussi souvent cha que ca dans les Poésies de son compatriote
Raimon de Miraval ; et il faut voir évidemment dans cette
dififérence de langue entre deux poètes originaires du même
pays un exemple de la liberté dont jouissaient les trouba-
dours dans le choix des formes dialectales qu'ils employaient, ou
des changements que les copistes ont parfois apportés aux textes
qu'ils nous ont transmis. Cette supposition trouve, je crois, sa
confirmation dans cette circonstance qu'on rencontre les mêmes
formes — je ne parle ici que de la gutturale vélaire et de son
changement en chuintante — chez des poètes nés dans des contrées
aussi éloignées que Gaucelm Faidit et Folquet de Marseille, qui
donne comme lui la préférence à la forme ca, ou même chez des
troubadours étrangers, comme Alfonse II, roi d'Aragon. Voilà
pourquoi je n'ai pas poussé plus loin l'étude du consonnantisme
dans les poésies des troubadours du xif et du commencement du
xiif siècle, et me suis en général contenté des fragments donnés
par Bartsch dans sa Chrestomathie provençale. J'ajouterai
cependant à ce qui précède quelques observations sur plusieurs
poèmes et troubadours du milieu et de la seconde moitié du
XIII* siècle. Dans les poésies de GuiUem Figueira et de Peire de
Corbiac on trouve les formes ca et cha ; mais la première est
beaucoup plus commune que la seconde. Dans Raimon Vidal et
Peire Guilleni, la forme cha n'apparaît plus que comme très-
rare exception, la gutturale vélaire persiste presque partout. On
n'en est que plus surpris de la voir se changer assez fréquemment
en chuintante dans les poésies de Guiraut Riquier, troubadour
narbonnais, quoiqu'elle y persiste encore plus souvent qu'elle
ne se transforme.
Cette fréquence du son c substitué à la vélaire k est presque
43
— ^194 —
un fait isolé à cette époque ; loin de se transformer, le c suivi de
a persiste plus que jamais, on pourrait croire que l'influence des
formes limousines a cessé de se faire sentir, et dans les poèmes
de la seconde moitié du xiif siècle ca est la forme qui prédomine^
quand elle n'est pas à peu près exclusivement employée. Ainsi
c'est elle qu'on rencontre le plus souvent dans la « Chanson de la
croisade albigeoise »*; dans « Li auzel cazador », poème peut-
être un peu antérieur à cette époque, on ne rencontre même à
peu près qu'elle, à en juger du moins par le fragment donné dans
la Ghrestomathie, d'après Sainte-Palaye. Sur les quatre cent
quarante-huit vers qu'elle renferme du « Roman de Jaufre » on
ne rencontre aussi qu'une seule fois la forme ch, partout ailleurs
la gutturale persiste. 1/ examen de « Flamenca » donne lieu à la
même observation ^ ; dans les quatre cents premiers vers , je n'ai
compté que quatre mots où apparaisse ch, dechai, marcha,
cJiascun écrit neuf fois avec un simple c, et Flamencha, trois
fois à côté de neuf fois Flamenca. La nouvelle assez longue
d'Arnaut de Carcasse, donnée dans laChrestomathie, n'a que trois
fois la forme ch sur vingt-trois cas de persistance de la vélaire.
Le fragment du « Breviari d'amor » de Matfre Ermengau de
Béziers, donné également par Bartsch, n'offre pas même d'exem-
ple du changement de ca en cha, et je n'en ai relevé qu'un seul
cas dans le passage cité par Rajnouard, chascus à côté de
cascus^.
Ainsi la forme ca, qui avait paru au xif siècle dans tant de
monuments, même des pays les plus méridionaux de la langue
d'oc, devoir faire place à cha, a repris ses droits au xm'', du
moins dans les provinces voisines des Pyrénées et de la Méditer-
ranée, et l'inspection dès chartes du siècle précédent, publiées
par M. A. Teulet, montre même que cette transformation de la
vélaire n'avait lieu ou à peu près que dans la langue des trouba-
dours; dans toutes, en effet, on ne trouve que la forme ca; ch
n'apparaît pour la première fois qu'au xiif siècle dans une charte
de Toulouse de 1225^. C'est également ca seul que je trouve
1. Publiée par Fauriel, Paris 1837.
2. Flamenca, publiée par Paul Meyer, in-S», Paris 1864. Le savant édi-
teur pense que ce poème a été composé entre 1220 et 1250; Bartsch, au
contraire, le croit postérieur à cette dernière date.
3. Raynouard, Choix des poésies originales des Troubadours, \, 259. — Id.
Lexique!, 515.
4. Layettes du trésor de l'École des chartes p. p. A. Teulet.
— -195 —
dans une charte albigeoise du même siècle (1211), donnée par
la « Revue des Langues romanes » ^
Si la langue change au xiv* et surtout au xv® siècle, la guttu-
rale n'en persiste pas moins le plus souvent comme par le passé ;
c'est elle presque exclusivement qu'on rencontre dans la traduc-
tion du «Livre de Sydrac» et du « Livre des vices et des vertus»,
dans r « Evangile de Nicodème » et 1' « Evangile de l'enfance »,
ainsi que dans 1' « Histoire abrégée de la Bible » ; ch n'apparaît
assez souvent que dans « Las Leys d'Amor » ; mais tout à la fin
de cette période on voit ca persister presque seul encore dans le
texte d'une Délibération de la commune de Tarascon et dans la
« Canso de plang » , donnée par Bartsch à la fin de sa Chresto-
mathie provençale ; cependant des formes en ch apparaissent de
temps en temps comme char amen, chins, dans le « Ludus
sancti Jacob », écrit probablement en Provence. Faut-il voir là
un effet de l'influence du français sur la langue d'oc ? Peut-être
dans une certaine mesure ; mais je crois qu'il est difficile d'ad-
mettre que cette influence ait seule contribué à déterminer le
changement de la gutturale vélaire en c, quand il a eu lieu, dans
les dialectes parlés au Sud de la Loire, puisque je l'ai signalé
dans les plus anciens monuments, écrits à une époque où la
langue d'oïl ne pouvait exercer au loin une influence pareille sur
le parler populaire. Le fait même de l'inégale transformation de
la gutturale vélaire dans les dialectes provençaux et son affaiblis-
sement évidemment postérieur en ts montrent qu'elle est due sur-
tout à la force de développement propre à chacun d'eux.
Rien de plus divers, en effet, que les modifications de la guttu-
rale dans les dialectes modernes du provençal ; dans le dialecte
du Haut-Limousin, pour lequel je prends les poésies de Foucaud
comme modèle, et dans la Basse-Auvergne elle se change régu-
lièrement en ch, prononcé tch, en faisant toutefois très-peu
entendre le son du t initial , mais dans le Bas-Lirnousin et la
Haute-Auvergne elle s'est transformée en ts~ ; il en est de même
en général dans le patois du Velay ; dans celui du Forez, au
contraire, le c vélaire s'est changé en ch avec la même valeur 5
qu'en français-*; c'est aussi celle qu'il prend dans le dialecte
dauphinois, tel que le montrent les « Poésies en patois du Dau-
phiné ^ cela a lieu parfois aussi en savoyard, mais plus souvent
1. Ann. 187-2, p. 7.
2. Foucaud, Poésies en patois limousin publiées par Em. Ruben, p. 61.
3. Legras, Patois fore'zien. — 4. Poésies en patois du Dauphiné. Gren. in-12.
— -196 —
c s'y change en ts ou même en ih (G) , Dans le provençal pro-
prement dit, les deux formes c et ch coexistent l'une à côté de
l'autre, mais c persiste bien plus souvent qu'il ne se change en
ch ; ce dernier signe ne représente pas d'ailleurs dans ce dialecte
le son c ou 5, mais à peu près celui de ts''. Dans le premier
chant de Miréio, par exemple, on ne rencontre la forme ch
substituée au c vélaire latin que dans huit à dix mots, tandis
que dans tous les autres, c'est-à-dire plus de vingt fois, celui-ci
a persisté. Dans le Languedoc c l'emporte de beaucoup sur
ch, mais le rapport qui existe entre ces deux formes varie avec
les localités ; il en est de même de la valeur de ch. Ainsi dans
le sous-dialecte de Montpellier, et dans presque tout l'Hérault,
le c vélaire a le plus souvent persisté, eich, qui le remplace aussi,
quoique rarement, se prononce tcli^. Dans le dialecte de Carcas-
sonne et de Narbonne, c est aussi la forme dominante et ch se
prononce tch ; mais sans sortir du département , du côté de
Pamiers et sur les frontières du Tarn, il prend le son ts ^ ; c'est
celui qu'on lui donne en général dans le Nord de la province, en
particulier dans le Quercy, sans toutefois qu'il se substitue plus
souvent au c vélaire, ainsi dans un échantillon du dialecte rouer-
guat, que je trouve encore dans la Revue des langues romanes *,
c a toujours persisté dans les quelques mots où il apparaît. Le
dialecte de la Gascogne a le plus souvent conservé le c vélaire ,
on y rencontre aussi parfois ch, lequel se prononce tch, et
chose singulière dans des mots même dont la forme ordinaire est
c, c'est ainsi que Jasmin écrit cha7i{s) I, 10, II, 5, mais can-
tara, canti I, 7 et 9 ; cansons II, 9^ Quant au catalan, il n'a
guère pris part plus que les autres idiomes de la péninsule hispa-
nique au changement de c{a) en ch{a) ; le c vélaire y persiste à
peu près dans tous les cas.
1. Fr. Mistral, Miréio. Avis, p. l : nCh se prononce ts » ; on est surpris de
voir l'auteur ajouter « comme dans le mot espagnol muchacho », puisque
ch s'y prononce non ts, mais tch ; on dit moutchaicho, non moutsatso.
2. Revue des langues romanes, ann. 1870, p. 122 et 156.
3. Id., id. p. 314.
4. Janv. 1872, p. 81.
5. Juni ta boues laougèro à mous chans faribols. I, 10,
Canti lou trin, la guerro et lous famus souldats. 1, 9.
Baci lou chan qu'on entendit. II, 5.
Al brut de vint cansons jouyouzos. II, 9.
— -197 —
Iir Transformation du c vélaire en c (s) dans le
français proprement dit.
tialecte
J'arrive maintenant à la langue d'oïl. Des différents dialectes
qu'elle comprend, je ne m'occupe pour le moment que de celui
qui en se modifiant est devenu le français moderne, le dialecte
parlé avec quelques différences au centre du royaume, dans l'Ile-
de-France, l'Orléanais, la Touraine, la Champagne, la Bour-
gogne et désigné parfois sous le nom de dialecte bourguignon,
et comme tel opposé au picard et au normand ^ Le c vélaire suivi
de « a pris dans ce dialecte, — que a ait persisté ou se soit
changé en e, ie, ai, — le son s, affaibhssement du son plus com-
plet c, qu'il a dû, comme je l'ai montré, avoir au Moyen Age ;
mais à quelle époque cette transformation de k en c a-t-elle eu
lieu ? EUe remonte sans doute fort haut, mais elle est évidemment
de beaucoup postérieure au changement de la gutturale palatale
en spirante ; celle-ci, comme nous l'avons vu, s'était modifiée à
partir du v" siècle et probablement était complètement transformée
en Gaule au vu'' ; mais rien ne prouve qu'alors, et même bien
plus tard, la gutturale vélaire eût encore été altérée, et si nous
nous en rapportons aux premiers documents de la langue, nous
en reporterons l'époque assez loin de ses commencements.
Les « Serments, » le premier document français et même roman
que nous ayons, contiennent plusieurs mots où c initial suivi de a
ou de 0 est devenu ch en français, mais tous ces mots y sont écrits
par un c simple : faut-il supposer que c pouvait alors avoir à la
fois le son c ou c devant «, o ? que par exemple on devait le
prononcer c dans case tandis qu'il avait le son k dans commun;
cela, malgré l'opinion contraire de M. Gaston Paris ^, me paraît
difficile à admettre; il eût fallu, en effet, pour qu'il en fût ainsi,
que c eût pu avoir les trois sons k, c et ts — ce dernier devant
e eii — ce qui n'a d'analogue dans aucune langue romane, où il
n'en représente que deux à la fois ^; on ne peut du moins, je crois,
supposer qu'on ait alors prononcé Charles le nom que Nithard a
sans doute à dessein et en souvenir de son origine germanique
écrit quatre fois par un k. Ainsi au milieu du ix^ siècle on ne
1. Voir même livre, chap. III pour les autres dialectes français.
2. Alexis p. 86.
3. Il est vrai que si on supposait que c suivi de e, i avait encore la
valeur c, l'objection tomberait par là même.
— ^98 —
connaissait probablement pas encore la transformation de c en c;
mais il est possible qu'il se fût déjà changé en palatale li, et que
les copistes impuissants à figurer ce son nouveau l'aient tout
simplement désigné par c comme la gutturale vélaire K
Dans la « Cantilène de Sainte Eulalie », le second document que
nous ayons en notre langue, nous trouvons ch dans les mots
chielt (calet) v. 13 et c/wee/'(caput) v. 22, et dans chi (qui) v. 6
et 12 ; mais le scribe a écrit par c ou par k (qui) cose v. 9 et kose
V. 23 de même que colpes v. 20, corps v. 2, eskoltet v. 5, coist
V. 20. Faut-il voir là un simple caprice orthographique ? Devant e,
i ou ie provenant de e ou i latin, le c avait alors, comme nous
avons vu, probablement déjà le son ts, le scribe a senti aussi le
besoin de mettre devant ie, venant de a, où le c ne devait pas avoir
ce son, un signe particulier, il a eu recours à ch, afin qu'on ne
prononçât point la première lettre de ces deux mots comme celle de
ciel V, 6 et 25 ; mais quelle valeur a-t-il attribuée à ce signe ? Au
vers 6 et 12, dans le mot chi, ch représente certainement la gut-
turale palatale ; en est-il de même dans chieef et chielt ? Il est
difficile de répondre à cette question ; on pourrait objecter que si
dans ces derniers mots ch représente la chuintante c, il est sur-
prenant que le scribe n'ait pas employé pour désigner la gutturale
de chi un des signes qoM k dont il s'est servi dans omqi v. 9 et
13 et dans esJwltet v. 5; mais on rencontre ch avec la double
valeur c ou s et h, dans des monuments postérieurs, par exemple
dans le Psautier d'Oxford, il n'est donc pas impossible qu'il ait
aussi dans ce texte la valeur k et c. Quant à cose, écrit par un
k au vers 23, il est difficile de croire que le copiste de la Can-
tilène l'ait prononcé autrement que kose ou Rose.
Le troisième document de notre langue, le « Fragment de
Valenciennes, » nous offre quatre fois la notation ch dans cheve
(caput), sèche (sicca), c^er^e (caritatem), acheder (accaptare),
et deux fois — notation particulière à ce scribe — jh pour ch
1. On pourrait objecter que la diphthongue «w s'étant déjàcbangéeen
0, si c ne s'était lui aussi transformé déjà en c, il n'aurait pu le faire
plus tard, puisque en général le son guttural a persisté devant o; mais
l'objection n'est qu'apparente ; il a pu se faire, en effet, que l'o pro-
venant de au ait conservé longtemps une valeur particulière, différente
de celle de l'o étymologique, et que dès lors c ait pu se changer en c
devant le premier, tandis qu'il a persisté devant le second ; d'ailleurs si
l'on admet que le c vélaire était déjà changé en palatal, c'est-à-dire
que cose devait alors se prononcer hjose ou à peu près, l'objection tombe
par là même.
— ^99 —
dans jholt (calidum) ; mais on trouve qui écrit chi avec ch ; ce
signe a donc encore dans ce texte — au moins dans ce mot —
la valeur gutturale ; en est-il de même dans cheve, sèche, cherté,
acheder ? il est difficile de le dire ; mais on ne peut douter que
jh employé deux fois évidemment à la place de ch n'ait eu le son
c\ on doit donc admettre que ce dernier signe représentait le
même son dans les quatre mots précédents, et que dès lors le c
vêla ire latin, à l'époque où ce texte a été écrit, c'est-à-dire à la
fin du ix° siècle, s'était changé en c. Il est même possible que la
nouveauté de cette transformation ait été cause de l'inhabileté du
scribe, auquel nous devons ce fragment, à représenter un son
jusque-là inconnu.
Le siècle suivant nous offre deux monuments, plus importants
par leur étendue — sinon par leur valeur poétique — que ceux
que nous avons étudiés jusqu'ici, et, bien que conservés dans le
même manuscrit, différents par la langue et l'origine : la « Pas-
sion» et la «Vie de Saint Léger»*. Ces deux poèmes offrent, il est
vrai, un grand nombre de formes méridionales qui ont même fait
attribuer le premier à la langue d'oc ; mais ces formes, qui pa-
raissent être du fait du copiste, n'empêchent point que nous
n'ayons affaire en définitive, surtout pour le Saint Léger, à des
textes français. Les gutturales ne sont pas d'ailleurs traitées de
la même manière dans tous deux.
Dans le Saint Léger la gutturale vélaire a persisté dans tous
les mots, moins un; ainsi cantomps 1, 3et 1, 6; caritatô, 3;can-
tat 14, 4; castier 18, 2, cap 26, 4; queu 27, 2, et 39, 1; en-cal-
cist 28, 2\carniels 29, 3; castres {cdiVive^) 30, 2; causa 35, 4;
cac?zY39, 3; un mot par son orthographe fait, je l'ai dit, excep-
tion, c'estpec/ï2e^^ 38, 3, écrit par ch ; quelle est ici la valeur de
ce signe? On le trouve dans deux autres mots du poème, dans Chiel-
pering{s)i3, 2; 20, 1 etpaschas 14, 2; dans le premier il repré-
sente sans doute la spirante franque, dans le second il a évidem-
ment un son guttural ; on peut supposer qu'il en est de même
dans pechietz, et que par conséquent le c vélaire dans ce mot.
1. Ces deux poèmes, onlesait, ont d'abord été publiés par ChampoUion-
Figeac, d'après le manuscrit de Clermont, dans le tome IV des Bocu-
menls relatifs à l'histoire de France, puis par Diez {Zwei altromanische
Gedichie berichligl und erklxrt, Bonn 1852). M. G. Paris vient de donner
une édition critique de la Vie de Saint Léger, Rom. I, 273. Je me suis
servi du texte de Diez, revu, pour le Saint Léger, sur celui qu'a donné
depuis M. G. Paris, et pour une partie de la Passion sur la copie qu'il a
fournie à M. Bartsch pour sa seconde édition de sa Chrestomathie.
— 200 —
pas plus que dans tous les autres du poème, ne s'était changé en
chuintante ^ ; cependant il peut se faire aussi, ce qui est, je crois,
plus vraisemblable, que le c vélaire n'étant encore devenu que
palatal, le scribe n'ait point cherché à le représenter par un
signe particulier, ou encore qu'il ait partout, excepté dans pe-
chietz, rétabli le c, comme il a changé certaines formes fran-
çaises du poème en provençales-.
Dans la « Passion » nous trouvons c suivi de a conservé plus
souvent que changé en ch\ ainsi il persiste dans carn 2, 1; 83,
2; 84, 2; 97, 2; carnals 2, 4 ; 96, 1; cars 98, 4 ; cantedl, 4;
canten 11, 1 ; cantes 49, 1 ; cab Q2, 4; cap 125, 3; caritad
69, 4; castel 107, 3; caitiu 17, 1 ; quaisses 100, 3; cade-
gren, 35, 2; encalceras 115, 4 ; escarnit 55, 1 ; escam 63,
4; 71, 4; 72, 2 ; escarnid 64, 1 ; escarnie 72, 4; judicar
118, 3; peccad 3, 1; 127, 4; pecaz 11, 3; pecat 96, 3. C
devant aoue est, au contraire, remplacé par ch dans chera 22,
3; cher 21, 4; 29, 1; chedent 'Sh, 4 ; 81, 3; c/^«c? 119, 3;
cliamise 67, 3 ; chamsils 86, 4 ; char a 93, 3; marchedanz
18, 3 ; marched 19, 4 ; péchez 60, 4 ; peched 89, 2; pecchia
95, 2; pechedors 128, 2; roches 81, 3. Que faut-il conclure
de cette double orthographe et quelle valeur attribuer même à
(?/i dans les mots où il est substitué à c ? On le trouve devant e et
i avec la valeur gutturale dans chi 2, 4 ; 3, 1 ; 12, 3 ; J8, 4 ;
22, i\jusche 20, 2; 82, 4; douches 117, 1 ; Pasches 23, 1 ;
il a, au contraire, un son chuintant dans cho 4,2;8,1;18, 1;
20, 1 ; 29, 1 ; posche 60, 2 ; on peut donc supposer que dans
chars, chamise, etc., il a le son c ou^s; mais comment expliquer
les doubles formes chad et cadegren, chars et carn, peccad et
peched, etc. ? Faut-il supposer qu'au moment où ce poème a été
composé le c vélaire commençant à se transformer, on hésitait
encore entre le son ca et cha"^. Cela est peu probable, et ce qu'il
y a de plus vraisemblable c'est que le copiste a altéré le conson-
nantisme du texte primitif, comme il y a introduit des formes
étrangères ; mais à qui du scribe ou de l'auteur revient le chan-
1. C'est l'opinion de M. G. Paris, lequel écrit même pequiez. (Voir
rétiide si complète consacrée à la langue du Saint Léger dans la Romania
I, 273.)
2. Quoi qu'il en soit, le consonnantisme du Saint Léger reste à bien
des égards une énigme; il me paraît au moins difficile d'admettre en
môme temps que ce poème ait été écrit dans le dialecte bourguignon,
comme le croit M. G. Paris, et que le c suivi de a n'y soit point encore
altéré,
— 20i —
gement de la gutturale en chuintante? C'est ce qu'il est difficile de
décider ^ et ce qui importe assez peu d'ailleurs au sujet que
je traite ; je n'ai même tant insisté sur ce point que pour montrer,
ce que nous verrons bien souvent, quelle obscurité peut jeter sur
l'étude d'un texte la différence entre la langue du scribe qui nous
l'a transmis et celle de l'auteur ou des copistes antérieurs. Dans
le cas présent il résulte, je crois, de l'orthographe du poème de
la Passion — que les formes en ch soient d'ailleurs de Tauteur
ou du scribe, peu importe — qu'au x^ siècle le son c existait en
français et que le c vélaire l'avait déjà pris devant a^. C'est à une
conclusion analogue que m'avait déjà amené l'examen du Frag-
ment de A'alenciennes, et cette coïncidence semble bien indiquer
que le c pourrait bien aussi, malgré l'orthographe du poème,
avoir été m^odifié déjà dans le Saint Léger.
Nous n'avons point de textes authentiques du xf siècle ;
l'Alexis et la Chanson de Rolland ont bien été composés dans ce
siècle, mais les manuscrits sont du suivant ; ils n'en sont pas
moins, après les textes dont j'ai parlé jusqu'à présent, les monu-
ments les plus anciens de notre langue ; mais à cause de leur ori-
gine probablement normande, ce n'est pas ici, mais dans un autre
chapitre que je les examinerai ; il en est de même du fragment de
poésie religieuse publié par M. Gaston Paris dans le sixième vo-
lume du Jahrbuch. Quant au Fragment de l'Albéric de Besan-
çon, son origine douteuse, et probablement plus provençale que
française, me le fera passer complètement sous silence. Tout
autres sont les monuments si nombreux que nous offrent la
seconde moitié du xn® et le xiii^ siècle, époque oii la langue des
trouvères prend sa forme définitive. La transformation du c
vélaire en chuintante est depuis longtemps achevée, et tous les
textes vraiment français, c'est-à-dire de la Bourgogne, de la
Champagne, de l'Ile-de-France et de l'Orléanais, nous la mon-
trent, à part de rares exceptions qu'on peut regarder comme des
fautes de copiste ^ partout accomplie. Le premier poème qui en
présente l'observation régulière est la Chanson de « Guillaume
d'Orenge » ^ puis viennent les poèmes de Crestieii de Troie ;
1. Peut-être M. G. Paris éclairera-t-il cette question dans rôdition
qu'il a promise de la Passion, et qu'attendent avec impatience tous les
lecteurs de la Romania.
2. Des formes en ch, en effet, plusieurs sont exclusivement françaises.
3. Ainsi on peut citer cant dans la chanson de Crestien, B. Chr. p. 117,
V. 30, cier 120, v. 1, à côté de chier p. 119, v. 9.
4. Guillaume d'Orange p. p. W.-J.-A. Jonckbloet.
— 202 —
cependant il faut encore distinguer ici, et nous avons une nou-
velle preuve de la différence qui peut exister entre la langue
d'un auteur au Moyen Age et celle de son copiste ; tandis qu'en
effet « Li romans dou chevalier au Lyon » , « Li conte del Graal »
offrent la plus grande régularité dans la modification des guttu-
rales. Le « Guillaume d'Angleterre » présente, dans la manière
dont elles sont traitées l'incertitude la plus grande, et offre des
transcriptions toutes normandes substituées aux formes fran-
çaises primitives.
Avec le Tristran nous retrouvons un monument exclusive-
ment français ; il en est de même des poésies lyriques qui abon-
dent à la fin du xii'' siècle et au siècle suivant, de la « Bible
Guiot», de la «Conqueste de Constantinople» de Jof. de Villehar-
doin, du « Roman de la Rose », de 1' « Histoire de Saint Louis »
de Jeh. de Joinville, etc. ; partout dans ces textes nous trouvons
ch substitué à c suivi de a latin, même dans des mots, bien peu
nombreux à la vérité, où l'érudition ou une influence étrangère a
rétabli depuis le c guttural, et on peut considérer cette transfor-
mation comme un des caractères les plus sûrs des dialectes français.
Le changement du c vélaire a eu lieu d'ailleurs, queT^ï étymo-
logique ait persisté ou se soit modifié, non-seulement dans le dia-
lecte qui devait devenir la langue classique, mais dans les dia-
lectes secondaires du Centre et de l'Est de la France. On le
trouve :
1° Au commencement des mots commençant par ca en latin,
ainsi :
caballum
cheval
camelum
chameau
cadentiam
chance
cameram
chambre
cadere
choir
caminum
chemin
calamum
chaume
caminatam
che^ninée
calamellum
chalumeau
camisiara
chemise
calcem
chaux
campum
champ
calceam
chausse
campionem
champion
calciatam
chaussée
canalem
chenal
calidum
chaud
cancellare
chanceler
calorem
chaleur
cancellum
chancel
calefacere
chauffer
cancrum
chancre
caldariam
chaudière
candelam
chandelle
calere
chaloir
canem
chien
calvum
chauve
canile
chenil
cambiare
changer
* caniculam
chenille
— 203 —
cannabum
chanvre
carbonem
charbon
*cannabisium
chènevis
cardinariam
charnière
canonicum
chanoine
cardonem
chardon
cantare
chanter
caram
chère
cantor
chantre
carum
cher
cantionem
chanson
caritatem
cherté
cantum
chant
carnem
chair
* cantellum
chanteau
carnalem
charnel
* canutire
chancir
carmen
charme
canutum
chenu
carpinum
charme
cappam
chape
carpentarium
charpentier
capellara
chapelle
carpere
charpir v.
capellum
chapeau
carricare
charger
capicerium
chevecier
carrucam
charrue
capitale
chepÂel
carrum
char
capitellum
chapiteau
cartam
charte
capitulum
chapitre
cartulam
chartre
caput
chef
* carcerem
chartre
capistrura
chevêtre
cascunum
chacun
capillum
cheveu
casis
chez
caponem
chapon
casibulam
chasuble
capram
chèvre
castigare
châtier
capreolum
chevreuil
castrare
châtrer
, caprifolium
chèvrefeuil
castum
chaste
* capronem
chevron
catenam
chaîne
capsam
châsse
* catenionem
chignon
captiare
chasser
cattum
chat
captivum
chétif
*cathedram
chaire
capulare
chapeler
* catuUiare
chatouiller
et leurs dérivés
2° Au milieu des mots, dans les composés, et dans les simples,
où c est appujé, c'est-à-dire précédé d'une consonne : ^
acarnare
acharner
'accaptare acheter
1. Quand c môdial, suivi de o, n'est pas appuyé il se cliange, au con-
traire, le plus souvent en y (i). Cf. Liv. l Gh. Il, p. 50. Duché, on le voit,
fait exception, mais peut-être faut-il voir dans la conservation de la
gutturale une influence du c du simple duc. On pourrait croire qu'il en
a été de même dans grièche, supposé que ce mot vienne de grœcam,
mais l'ancienne orthographe griesche rend son origine incertaine. Quant
àmiche, il vient probablement, non du latin micam, mais du flamand micke.
arcam
* caballicare
cercare
coUocare
decadentiam
ducatum
furcam
manicam
* marcare
arche
chevaucher
cercher v.
coucher
déchéance
duché
fourche
manche
marcher
204 —
mercatum marché
mercatantem marchant
minuscadentem méchant
nidificare
percam
pervincam
plancam
porcarium
tincam
nicher
perche
'pervenche
planche
porcher
tanche, etc/
Il en est de même pour les groupes ce, se : Exemples :
buccam bouche scalam échelle
muccare moucher muscam mouche, etc.-
Le changement de c en ch a également eu lieu devant la diph-
thongue au, d'origine latine ou germanique, par exemple dans
chose (causam), chou {caxûem) et choisir (kausjan)'.
C persiste au contraire devant o et u, par exemple dans cou
(collum), coude (cubitum), couver (cubare), coin (cuneum),
cuivre (cuprum), commwt (communem), cuisse (coxam), cuve
(cupam), etc. Il a persisté aussi exceptionnellement dans quel-
ques mots où il est suivi de a, et qu'il est difficile de regarder
comme d'origine savante ; ainsi dans cage (caveam), — on
trouve aussi, il est vrai, chaive dans l'ancien français, — carpe
(carpam), cave (cavam), cas (casum) *, manquer (niancare).
Ily a d'ailleurs régulièrement persistance du c quand il repré-
sente non un c, mais un q latin, par exemple dans les mots car
(quare), carré (quadratum), carême (quadragesimam), caille
(* quaquilam), cahier i^ {{wsXevmxm), casser (qnassare), etc.;
Quand a français s'est substitué à une autre voyelle ou à une
diphthongue, qui n'est pas au, c persiste encore ; voilà pourquoi
on écrit par c et non par ch, cacher (coactare), cailler (coagu-
lare), etc.
1. V. plus loin, Liv. IV, Ch. Il et III.
2. Voir plus loin Liv. IV, Ch. I et IV.
3. Queue (caudam) semble faire exception, mais cela tient à ce que au
s'était déjà sans doute changé en o dans le latin vulgaire.
4. Cas apparaît dans le Brut de Wace et semble dès lors normand,
ce n'est pas à dire toutefois que le français l'ait emprunté à ce dialecte;
la persistance de l'a paraît, au contraire, lui assigner une origine sa-
vante, ou tout au moins indiquer que ce mot a été refait sur le latin.
Quant à cave, son ancienneté et son emploi ne permettent guère de
douter qu'on n'ait affaire à un mot vraiment populaire.
— 203 —
Enfin on trouve encore le c vélaire dans un certain nombre de
mots empruntés par le français à des dialectes qui l'ont conservé,
et qui forment autant de doublets avec ceux auxquels il lésa pré-
férés et à côté desquels ils subsistent le plus souvent, mais avec
un sens différent ; c'est ainsi que le mot picard et normand camp
adopté par le français y a pris le sens particulier que l'on con-
naît à côté de champ, qui a conservé, au contraire, le sens éty-
mologique de ca7npus, gardé aussi par camp dans les deux dia-
lectes d'où il est tiré ; de même campagne, également picard et
normand, a supplanté l'ancien français Champagne, qui n'est
plus usité que comme nom propre.
Mais il y a encore une autre cause de la présence du son ca
en français, c'est l'importation dans la langue aux xiv", xv'' et
xvf siècles de mots nouveaux empruntés au latin classique. A
cette époque le français avait perdu sa force originelle de forma-
tion, et le sentiment de l'accent latin qui y avait présidé ; impuis-
sant à les transformer, il adopta sans les modifier les mots qu'il
demanda à la langue de Cicéron et de Tite-Live pour exprimer
des choses et des idées nouvelles ; le c persista donc avec la
voyelle suivante dans cette seconde génération de mots ; il en fut
de même des vocables que nous devons au provençal et aux
autres idiomes romans, qui ont contribué à enrichir notre langue.
Tels sont cabrer, cadastre, cadavre, caduc, calcul, calquer,
cantique, carotte, caserne, caution, etc. ^
Cette origine difierente explique la présence de la vélaire dans
un certain nombre de mots, tandis que dans les mots congénères,
mais de formation populaire, elle s'est changée en chuintante.
Ainsi :
caballarium
caballum
cabannam
cadentiam
cameram
cavalier
cavale
cabanne
cadence
camarade
chevalier
cheval
Chavanne
chance
chambre
1. Le A- allemand a persisté aussi souvent en français; mais dans un
certain nombre de mots il se change en ch ; ainsi il persiste dans
bmiquer (bucka), braquer (brûka), caille (quakele) , cane (kahn) , canif
(knif), caquer (kaaken), carcan (querca). il s'est changé en ch, au con-
traire, dans blanche (blancha), brèche (brehha), chambellan (camerlinc),
Charles (Karal), /"ranc/ie (franka), maréchal (marahscalc), marche (marcha),
poche (pocca), etc. Cf. Diez, Gramm. I, 316.
2. Cf. Brachet, Dict. Intr. p. 53.
206 —
canalem
canal
chenal
canem
canaille
chien
caponem
capon
chapon
cappam
cape
chape
* capum
cap
chef
* capitanum
capitaine
chadaine\.
capuliim
cable
chahle v.
capram
caprice
chèvre
captam
caisse
châsse
captivum
captif
chétif
cardinalem
cardinal
chardonau
carnem
carnassier
chair
carricare
carguer
charger
carrum
carosse
char
casam
case
chez
causam
cause
chose, etc.
Il en est de même de occasion refait, à ce qu'il semble, sur le
latin ; l'ancien français disait achoison, achaison L. Ps.
CHAPITRE 11.
TRANSFORMATION DU C VÉLAIRE EN G, Z, — TS, DZ, — S, Z, —
0, § — et X.
De même que le c palatal se change, non-seulement en c et s,
mais dans les sonores correspondantes g et z, qu'il est devenu
parfois ts, dz, s, z, 0 ou §, ou s'est modifié en x, de même le c
vélaire, outre sa transformation en c ou s, peut aussi devenir g ou
z, — ts, dz, — s, z, — 0 ou B — ou la spirante x.
r Changement du c vélaire en g, g ou z.
La transformation du ^ en ^ et par affaiblissement z s'explique
comme celle du c en c par sa modification préalable en palatale
proprement dite g. Les dialectes ladins du Tyrol offrent d'assez
nombreux exemples de cette transformation du g en palatale g ;
ainsi gai (gallum) , larga (largam) , longa (longam) , etc.
D'autres dialectes ladins nous montrent la transformation en ^ ;
on la rencontre également dans toutes les autres langues ro-
— 207
mânes, même celles de l'Est, mais elle n'est commune que dans
celles du Nord-Ouest. En voici quelques exemples :
LAD.
galbinam —
j aine, j aide — —
jaune
gallum —
—
g ail, zaljau
jal Pas.
gallinam —
—
gallina —
geline
*gaudiam gioja
joya
— jau
joie
gaudere gloire
jouver
— jauzir
jouir
largam —
—
larga larja
large
longam —
—
longa lonja
longe v
La transformation du c, au contraire, en ^ et z n'a lieu, dans
tous les cas, que dans les idiomes du Nord-Ouest et dans les dia-
lectes ladins ; dans les autres langues elle n'apparaît en général
que dans les groupes d'c et t'c ^ On ne rencontre d'ailleurs le
g qu'en italien, en roumain, en provençal et en ladin ; g s'est
affaibli en z en portugais et en français. Exemples :
— — budgi s.n. bouger
*bullicare —
cambam —
cammarum —
capellam —
cathedram —
caveolam —
cattum —
judicare giuggiare —
silvaticum selvaggio selvagem
giama djamba jambe
— djera
— giatt
j ambre jambleY.
— javelle
— — geôle
jutjar juger
selvatge sauvage,
etc.
A ces exemples il faudrait probablement ajouter pour le fran-
çais jante (?camitem), gercer (*carptiare), germandrée (cha-
msedryn).
Le son que prend le c dans les dialectes ladins est plutôt —
dans le plus grand nombre de cas du moins — la palatale g que
la chuintante composée g ; il s'y rencontre d'ailleurs fréquem-
ment à côté de 6, c ou, quand il est médial, de j. Ainsi cargar
(caricare), gamè (cambiare), ^atta (cattam), gardon (cardo-
nem); gâté (*cavare), piém. gavà;pagar (pacare), pre^ar (*pre-
care), rozgar (*rosicare), etc., dans certains dialectes du TyroP.
1. Voir pour les groupes rf'c et t'c, Liv. IV, Ghap. II.
2. Schneller, Die roman. Mundarten in Tirol, p. 191. Cf. Ghap. précédent
K p. 185 et Liv. I, ch. II, p. 50.
— 208 —
IP Changement du c vélaire en ts, dz, s ou z.
Après s'être transformé en c le c vélaire s'est parfois affaibli
ou atténué en ts, absolument comme le c palatal l'a fait d'abord
dans les idiomes occidentaux ; cet affaiblissement a eu lieu d'ail-
leurs que Va latin ait persisté ou se soit modifié. On rencontre
cette transformation, comme nous avons vu, dans un certain
nombre de dialectes provençaux, en particulier dans le bas-limou-
sin, l'auvergnat, le provençal actuel, le patois du Quercj', etc.,
où elle s'est substituée complètement à la forme c ou s ; dans les
patois du Vélay, de la Savoie, de la Franche-Comté, — en par-
ticulier du Jura, — et de la Suisse romande, elle coexiste souvent
avec les autres modifications cet s du c. Voici quelques exemples
de cette transformation empruntés à ces derniers idiomes :
1° Au commencement des mots :
LAT.
SUIS
. ROM.
JUR.
SAV.-D. PR
caballum
tchavo
tsavo
tsevau
tseval
cadere
t chaire
tsaire
tsidî'e
tsezi
calceam
tchausse
tsausse
tsausse
tsathe
calcem
—
tso
—
tsal
calidum
—
tsau
—
—
calefacere
—
tsauda
—
—
caldariam
—
tsaudaira
tsaudire
—
calere
tchau
tsalli,
—
—
calvum
—
—
—
tsave
cambam
tchamba
tsamha
tsambo
tsamba
cambiare
tchandji
tsandji
tsaindzi
—
cameram
—
tsambra
tsambro
tsambra
caminum
—
tsemin
—
tsemin
caminatam —
tsetnena
tseum'no
tsemena
camisiam
—
tsemize
ts'mise
—
campura
tchan
tsan
—
tsan
cancrum
tchancro
tsancro
—
t s ancre
candelam
tcha7ideila tsandaila
—
tsandeila
canem
chin
'. tsein
tchin, tsen
tsein
cannabum tche^iévo
tsè'nevo
ts'neou
tsenèvo
cantare
tchanta
tsanta
—
tsanta
capellum
tchappè
tsapè
—
—
capram
tchivra
tsivra
tsivro
—
captiare
tchassi
tsassi
tsossi
—
^^^^^^H
— 209
m
^H
carbonem tcherhon
tserbon
tsarhon
cardonem —
tserdo7i
tsadon
tsardon
carricare tcherraihi
tsarraihi
tsardi
—
'^ carminare tcherma
t s arma
—
tsar m a Auv
carnem tchar
tsair
tsa
tsarnerou\
carpinum tcherpeno
tsarpino
tsairpeune
—
carrum tcher
tser
tsarieu
—
carum
—
tcheu
tcher
casa m ichu, tchi
tsu, tsi
tsi
—
' casnum tchano
tsano
tsainou
tsègne
castaneam tchatagne
tsatagne
—
—
castellum —
isatté
tsetiau
tsâté
castrare ichatra
tsatra
tsetrdi
—
catenam channa
tsanna
—
tseina
cattum tcha
tsa
—
tsat
caulem tchon,
tsou
—
—
caumam tchamna
tsauma
—
—
causam tchousa
tsousa
—
—
2° Au milieu des mots :
*
accaptare —
atseta
—
—
cercare —
tsertsi
—
—
furcam —
fortse
—
fouertse
manicam —
mantso
—
—
marcare mayHcM
martsi
martsi
—
mercatum martchi
martsi
martsi
—
mercadantem
—
—
martchan ,
martsan
plancam —
plantse
plaintse
plantse
siccare —
setsi
seitcher
—
vaccam —
vatse
votse
vatse *
De même qu'au c vélaire s'est substituée la sourde ts, de
même le g vélaire a été régulièrement rem23lacé dans les dialectes
suisses et savoyards par la sonore correspondante dz ; dans un
certain nombre de mots dz a aussi pris la place de c, à côté par-
fois, il est vrai, de ts ou encore de tch ou dj . Ainsi :
arcam
artclie
ardze
1. Bridel, Gloss. du patois de la Suisse romande. — Tissot, Le patois des
Fourgs. — Dartois, Coup d'œil sur les patois de la Franche-Comté. —
G. l'ont, Origines du patois de la Tarenlaise. — Uom. Il, 59.
-
- 240 —
candelam
—
tsandaila
dzandelau
cadere
tchaire
tsesi
dzezi
carricare
—
—
dzierdji
calidum
tcliau
—
dzau
domenicam.
demeindje
—
demeindze
Comme pour le c palatal, quoique ici exceptionnellement, la
simplification a été encore poussée plus loin dans les mêmes dia-
lectes, qui ont réduit les premiers — celui de la Tarentaise du
moins — ts 2i s, les seconds dzh z, c'est-à-dire que le c vélaire
a fini par être remplacé comme le c palatal par les spirantes
dentales alvéolaires. Ces transformations d'ailleurs sont assez
rares, et à côté on retrouve le plus souvent dans les dialectes de
la Savoie et de la Suisse romande les formes plus complètes tch,
ts ou dz. Le dialecte ladin des Quatre Villes, au contraire, ne
connaît pas d'autre mode de transformation de la vélaire, et, ce
qui est plus étonnant, c'est qu'il lui fait subir le même change-
ment devant o{u) non modifié. Exemples :
LAT.
s. ROM.
SAV.
LAD. Q. V.
caldariam
zandaira
cameram
tsambra
sambra
—
campum(aniam)
zan
san
çampagna
cannabum
tsenevo
senevo
—
* captiam
—
—
çaza
carbonem
tserbon
sarbon
—
cardonem
zeirdon
tsardon
—
* casnum
zano
—
—
castellum
tsatté
satè
—
catenam
tsanna
seina
—
collum
—
—
ÇOl
cum
—
—
çon
mancare
—
—
mançar
peccare
—
—
peçà^
1. Bridol, id. — G. Pont, id. — Rivista di filolegia rom. 1, 99.— G.-J. Ascoli,
Arch. glotiol. 1, p. 32G. — S'il faut en croire l'auteur des Origines du
patois de la Tarentaise, — autorité malheureusement assez peu recora-
mandable, — c aurait parfois môme dans ce patois été remplacé par st,
— qu'on rencontre d'ailleurs à la place de ts ou z dans les Poésies reli-
gieuses en langue d'oc, publiées par M. P. Meyer, — ou même par tst; ainsi
standeila (candelam), tstagnet (castanetum).
— 2U —
IIP Changement du c enO et en 3, en f et en v.
Enfin au lieu de s'affaibliren s ouz, comme le c palatal encore,
le c vélaire s'est changé en spirante dentale proprement dite 0 ou
S dans les patois savoyards. Je n'en connais point d'exemple dans
les dialectes suisses ou ladins. Comme pour le c palatal aussi, il
est difficile de savoir quand la transformation a eu lieu en 0 ou o;
souvent même la distinction n'est point faite entre ces deux sons,
c'est ce qui a lieu par exemple dans le glossaire de l'abbé Pont,
ou bien la valeur de la spirante change d'une commune à une
autre ; ainsi le mot jambe se prononce presque indifféremment
t/ia^nhe et dhambe ^ . Quoi qu'il en soit, le c vélaire initial paraît
s'être transformé en th dans les mots :
LAT.
1
'AT.
caballum
thevau Tar.
Ch.
calidum
tho Ch.
cammaram
thambera Tar. Ch
canem
thin
id.
capellum
thapé
id.
carbonem
tharbon ^.
id.
cattum
that
id.
t de même du c
médial dans :
collocare
cuthi Ch.
vaccam
vathe Ch.
Au contraire dh a fait place à c dans :
domenicam demêdhe Ch.
furcam fourdhe Maur.
manicam mandhe id.
* marcare mardhi Aix
plancam plandhe Maur.
vaccam
vadhe
id.
Ces dialectes ne sont pas les seuls où le c vélaire étymologique
ait été remplacé par une spirante dentale ; d'après M. Beauchet-
1. C'est, ainsi qu'on me l'assure et que je l'ai remarqué, ce qui a lieu
dans le patois des environs de Ghambéry et de la Savoie presque tout
entière.
2. Nom de la taupe dans les environs de Ghambéry, du charbon dans
la Tarentaise.
— 242 —
Filleau \ suivi par l'abbé Lalanne et L. Favre dans leurs glos-
saires du patois poitevin, on trouve quelques exemples de la
substitution de 0 à c dans le patois de Melle. Ce fait apparaît
même dans des mots où le c était primitivement suivi de o ou de
u, et, circonstance singulière, dans les mêmes mots pour la plu-
part où il s'est changé en c dans le patois des Sables, et d'autres
dialectes non poitevins, tels sont :
cor thieur
tchur
tcheur p.
*culare thieuler
tclmlotte
tchulotte N
qualem, quam thieuque
tchaque
—
? thieuvraille
—
—
Il faut voir là, je crois, une nouvelle preuve de la faculté pro-
longée qu'ont possédée les patois de développer des sons nou-
veaux ; le changement de la vélaire en la spirante dentale 0, en
effet, est un fait évidemment assez récent, et qui a dû être précédé
de sa transformation successive en c, ts, s, et ne peut être plus
ancien que la modification analogue de la gutturale en espagnol.
Mais là ne se sont pas bornées les modifications du c vélaire ;
ainsi le dialecte savoyard de la Maurienne, au lieu de le changer
en G ou o, l'a remplacé par les spirantes labiales /et v, suivant
qu'il a donné naissance à une sourde ou à une sonore, transfor-
mation qui s'explique d'ailleurs suffisamment par suite de la faci-
lité avec laquelle se confondent les spirantes labiales et dentales
proprement dites, et qui coexiste d'ailleurs, sinon dans les mêmes
mots, du moins dans des mots analogues, avec les sons G et §.
Voici quelques exemples que j'ai recueillis dernièrement en
Savoie et de la bouche même d'un Mauriennais-.
canem lo fin
cattum lo fat.
2° V = c, au contraire,
cambam \avamba.
Cette modification peut aussi afiecter le c palatal, ainsi dans
le même dialecte picem a donné peve. On trouve de même en
hèsirnaiis parro fia (parrochiam)^. Ces formes doivent d'ailleurs
1. Essai sur le patois j)oifevin, s. v. thiau.
2. Je ne saurais trop regretter que mon état de santé m'ait forcé d'in-
terrompre brusquement un voyage qui m'eût permis d'étudier les
patois si curieux et encore si inconnus de la Savoie.
3. C'est à M. Paul Meyer que je dois ce dernier renseignement.
— 2i3 —
d'autant moins surprendre que réciproquement f étymologique
s'est en savoyard transformé parfois en th; ainsi /eôWm a donné
dans le patois tarin thievra.
IV° Changement du c, du g et de œ en spirante gutturale.
Dans les cas où le c et le p vèlaires se sont changés en ^ (= ^
ou j) en portugais, ils ont pris en espagnol un son analogue
à celui du -/ grec moderne ou du ch allemand et représenté par la
jota. La gutturale palatale sonore a également pris ce son;
c'est aussi celui qu'on donne à œ, qu'on remplace même
aujourd'hui pour cette raison le plus souvent par laj^ Nous
savons par le témoignage des anciens grammairiens que ces sons
étaient autrefois différents ; cela étant, quelle était dans l'ancien
espagnol la valeur réelle des trois lettres g, j, x, et comment
ont-elles pris ce son unique qui leur est propre aujourd'hui ? C'est
là une des questions les plus obscures et les plus curieuses de la
phonétique romane. On ne peut douter qu'à l'origine g n'ait eu
en espagnol devant e et i la valeur de ^, qu'on lui trouve dans
toutes les autres langues romanes, son qui a persisté, comme
nous savons, en roumain, en italien et généralement en proven-
çal, qui s'est, au contraire, affaibli en z en français et en portu-
gais ; la confusion de ch et de g dans le mot Sanchez ^ en est un
indice évident, ainsi que l'analogie de ce qui s'est passé dans les
autres langues. On doit admettre aussi que j qui a encore en
provençal le son g, et qui l'a eu aussi certainement autrefois en
roumain, en français et en portugais, où il a maintenant celui de
z, a également eu ces deux sons g, z, autrefois en Espagne.
Quant à œ, le son l qu'il a le plus souvent en portugais et qu'il
. prend aussi, comme nous verrons, dans plusieurs autres idiomes,
amène naturellement à lui attribuer aussi dans l'ancien espagnol
cette même valeur, qu'elle soit ou ne soit pas un affaiblissement de
c. Ainsi, il a dû y avoir dans cette langue une époque où les trois
lettres g,j et œ eurent les sons z et s, c'est-à-dire qu'elles repré-
sentaient alors la sourde ch et la sonore j ou dj ; mais comment
ces sons se changèrent-ils en spirantes gutturales ? J'avoue que
je ne connais point d'explication pour ce phénomène de phoné-
tique si singulier qui nous montre , contrairement à ce que nous
1. A cause de cette mêioe valeur et pour éviter des redites, je no
sépare point ici l'étude des trois lettres espagnoles g,j, x\ ce sera un
à-compte sur ce que j'aurai à dire plus tard (Liv. IV, ch. ^\l) de x.
2. Sanchez et Songez, Yepes. Voir plus haut, p. 179.
— 2U —
avons vu clans la transformation des sons gutturaux, un son re-
monter en quelque sorte l'échelle vocale que tous les autres des-
cendent; il n'en paraît pas moins certain, eton peut en rapprocher
la substitution, dans le roumain du Sud et les dialectes méridio-
naux de l'Italie, d'une gutturale à une labiale ou à une chuintante*.
Mais tandis qu'à une chuintante sourde ou sonore correspond
dans ces idiomes une explosive gutturale également sourde ou
sonore, nous n'avons en espagnol que les spirantes sourdes x ou
yp suivant qu'elles se substituent kj ou œ, suivi de a, o, u, ou à
g, suivi de e ou i. Nous retrouvons donc ici un fait analogue à ce
qui s'est passé dans le changement des spirantes ts ou dz, issues du
c palatal, en spirantes dentales proprement dites : la suppression
de toute distinction entre des sons originairement sourds et sonores.
Mais à quelle époque cette transformation de 5 ou de z en spi-
rante a-t-elle eu lieu ? Il me semble qu'elle ne s'est produite qu'à
l'époque où g {g eij) s'était affaibli en z et où ^ n'avait plus, —
s'il avait jamais eu le son c, — que celui de s, c'est-à-dire sans
doute vers la fin du Moyen Age. Le témoignage des grammai-
riens du temps vient entièrement confirmer cette manière de
voir. « La critica historica, disait en 1859 Monlau dans son dis-
cours de réception à l'Académie espagnole ^, demuestra que la
mudanza del antiguo sonido dental de la.J et de la œ en sonido
gutural fuerte, asi como la mudanza de la z rechinante grseco-
latina en la z ceceosa ô balbutiente no se verificaron hasta fines
del siglo XVI ô poco antes, ni se generalizaron hasta entrado el
siglo XVII. » Cette opinion que Monlau avait déjà avancée en
1856 dans son « Diccionario etimologico^ » en reportant même
jusqu'au milieu du XYïf siècle le changement de la œ ou de la^"
et de la ç ou de la z, a été depuis adoptée aussi par Engelmann
dans son Glossaire et par MilayFontanals^. Engelmann se fonde
sur la transcription du son arabe dsch et sch par Pedro de
Alcala (1517), indifféremment par j et œ, ce qui suppose que ces
deux lettres n'étaient pas encore gutturales à cette époque, c'est-
à-dire au commencement du xvf siècle.
1. Voir plus haut, Liv. II, ch. IX, p. 165. — L'italien classique connaît
aussi cette substitution d'une explosive gutturale à la chuintante g, issue
de i consonne, ainsi rimango (rimaneo), seggo à côté de seggio fsedeo),
vengo (venio). On la trouve également en espagnol dans salgo (salio),
tengo (teneo). Cf. Diez, Gram. \, 351 et 369.
2. Biscunos leklos en las recepciones 2mbUcas II, 314.
3. Diccionario efimologico de la lengua castellana, p. 169.
4. Trovadores en Espaha, p. 460. Cf. Diez, Gram. I, 372.
— 2^5 —
Les renseignements donnés par les grammairiens espagnols
ou étrangers le montrent également, et ils permettent même
de fixer la date à laquelle s'effectua en castillan la trans-
formation si surprenante des chuintantes s et i en spirante
gutturale. Voici ceux que j'ai pu recueillir. « Le grand i (la
jota), » écrivait en 1546 l'auteur anonyme de « La parfaite
méthode pour entendre, escrire et parler la langue espagnole »,
« se prononce comme nous faisons jeu : juego » ; ailleurs
« g devant e, i se prononce comme le grand i » ; et plus loin
« i» a le son soi, ainsi que le prononcent les Italiens*. »
En 1555 l'auteur également anonyme, mais espagnol de 1' « Util
y brève institution para aprender los principios y fundamentos de
la lingua Hespariola » dit à son tour : « j asi se ha de pronun-
ciar como cuando es consonante de los latinos ; como Julius y
como los franceses pronuncian je, jamais, asi los hespanoles
viejo, ojo, jamas^. » Nous trouvons en 1565 un renseigne-
ment analogue dans le vocabulaire de Sotomayor p. 11. « La^ ,
dit-il dans son français baroque, estant mise au-devant d'une
voyelle qui est consonnante se prononce comme les français » ;
et dans sa grammaire « g siendo acompaîiada de una e, i, suena
como je, jy. » Il y donne également k œle son du ch français^.
C'est ce que faisait aussi en 1568 Gabriel Meurier dans ses
« Coloquios familiares » ■^.
Il ressort de ces citations, quelques doutes que la sagacité des
auteurs des livres d'où elles sont tirées peut parfois inspirer, qu'au
commencement de la seconde moitié duxvf siècle la g devant e et
i et la 7 avaient le même son qu'en français, et que la œ avait celui
de notre ch, c'est-à-dire le son qu'elle a encore le plus souvent
aujourd'hui en portugais. Quelques années plus tard, au con-
traire, en 1580, Juan de la Cuesta, dans son « Libro y tratado
para ensenar leer y escrivir », nous dit que la equis et la jota ,
qu'il voulait encore distinguer^, étaient le plus souvent confondues
1. P. 6 et 11. V. pi. haut p. 151, note.
2. Ensayo de una bibliotheca espanola de libros raros y curiosos, 2 vol.
in-4''. Madr. 18G3, l, 857.
3. Gramaiica con reglas muy provechosas y necessarias para aprender la
lengua francesa. — Vocabolarlo de los vocables que mas comunamenta.se
sueien itsar,' faisant suite à la Gramaiica, in-12. En Alcala de Henarès, 15G5.
■4. Coloquios familiares tnuy convenientes. Anvers 156S, « xa, xe, xi,
dit-il, correspondent à cha, che, chi. »
5. «Asiesmenester,dit-ilp. 12, que los queenseîïan leer y escrivir advier-
tanen que sus discipulos tengan entendido come liacedediferenciarde
— 246 —
dans la prononciation, et par conséquent, comme il attribue aussi
à la ^ et à la^ la même valeur, g,Jeiœ commençaient alors à
avoir le même son; mais quel était au juste ce son ? D'après la
définition que Velasco en donnait deux ans après, il semble bien
qu'il était déjà celui même que ces lettres ont aujourd'hui.
« Forraase » , dit-il dans son « Orthographia y pronunciacion
castellana », « con el medio de la lengua inclinada al principio del
paladar, no apegada a el ni arrimada a los dientes, que es como
los estrangeros la pronuncian^ » Le témoignage de Doergangk
dans ses « Institutiones in linguam hispanicam » que j'ai déjà eu
occasion de citer, ne laisse aucun doute à cet égard. « g, dit-il
page 3, ante e et i effertur iitj longum, vel ut œ ante vel inter
vocales, vel ut c/i apud Germanos, ut mwprer, 7'egir quasi
mucher, rechir. . . » Et page 6 : « j consonans effertur ut x
apud Grsecos vel ut ch apud Germanos, ut : hijo, hija, Juan,
Jesu, quasi ï^o, t^a, Xoùav, Xéaou, Grsecè, vel hicho, hicha,
C/nian, Chesu, Germanicè. »
Ainsi à la fin du xvf siècle, g, suivi de e, i, j et x avaient
pris en espagnol le son du x, grec ou du ch allemand, mais on
continua encore longtemps, du moins à l'étranger, de leur attri-
buer celui du ch français ; c'est ce que faisait encore en 1G08
Jean Saulnier dans son « Introduction en la langue espagnole
par le moyen de la française » ; «ja,je, jy, jo, ju ; xa, xe, xy,
œo, xu ; ge, gi, dit-il, se doivent prononcer comme en fran-
çais. » Mais sans doute il ne faut voir là ou que l'impuissance
de figurer un son qui n'existe pas dans notre langue, ou qu'un
renseignement erroné, emprunté à la prononciation que donnent
a la. jota et hVequis les habitants du Nord de l'Espagne, les-
quels ne connaissaient pas alors et ignorent encore la spirante
gutturale. « Catalauni et Arragones, remarquait Doergank, Gal-
lis vicini, Gallicam pronunciationem retinent, et ge, gi spirant
more Gallorum. » Mais, en 1610, C. Oudin définissait assez bien
le son de la p', qu'il reconnaissait comme identique à celui de la
j et de la x; « g devant c et i, dit-il, se prononce plus rudement
qu'en notre langue, et se forme au palais de la bouche, repliant
le bout de la langue en haut et la poussant vers le gosier. »
Cependant, tant il est difficile pour un Français qui ne sait pas
l'allemand, de trouver un point de comparaison pour la spirante
la a; a la « jota, porque muclias vezes lie visto descuydarse en esto que
por escrivir Guadalaxara, dizen con j Guadalajara. »
1. Bargos 1582, p. 116 et 117, citée par Diez, Gramm. 1, 370.
— '2i7 —
espagnole, Oudin compromettait la définition assez exacte qu'il
avait donnée, en ajoutant que la g avait dans ce cas « quelque
affinité avec notre ch français » . De même il disait que les Espa-
gnols prononçaient la Jota « quasi comme schota », bien qu'il
ajoutât ce trait caractéristique de son véritable son, en « retour-
nant la langue vers le haut du palais et en dedans de la gorge ».
On voit par ce qui précède comment le nom du héros de Cervan-
tes a dû se prononcer au xvi® siècle, comme nous le faisons en-
core, don Quichotte, tandis que les Espagnols disent aujourd'hui
don Quijote ^
CHAPITRE III
DU C VÉLAIRE ET DU C PALATAL TRANSFORMÉS DANS LE
PICARD ET LE NORMAND.
En parlant de la transformation du c vélaire en c ou s dans le
français, j'ai déjà fait remarquer qu'il n'en était point de même
dans tous les dialectes de cette langue. Le c vélaire, en effet,
persiste en général dans le picard et souvent dans le normand.
Mais le fait de la conservation de la vélaire n'est pas le seul
caractère qui distingue le consonnantisme de ces deux dialectes
de celui du français proprement dit, tandis que dans cet idiome
la gutturale palatale s'est changée en ç, s ou z, elle est devenue
ch toujours dans le picard et le plus souvent dans le normand,
toutes les fois qu'elle n'a point donné naissance à une spirante
sonore ; il y a là dans le traitement qu'ont subi les deux guttu-
rales dans ces dialectes une espèce de solidarité qui ne permet
point d'en séparer l'étude.
L'histoire des dialectes français est encore à faire ; heureuse-
ment, pour la question particulière que j'examine , la con-
naissance approfondie n'en est pas nécessaire. En 1839 Fallot,
dans ses « Recherches sur les formes grammaticales de la langue
française et de ses dialectes au xiif siècle, » a le premier, je
i. Celte prononciation de la g, de la j et de la x régna longtemps
en France ; sur un exemplaire de la grammaire d'Oudin, édition de 1659,
que possède la Bibliothèque nationale, un lecteur — du temps à ce
qu'il semble — a figuré par ch la prononciation de ces trois lettres,
On trouve aussi le mot Xérès écrit Cherèz dans une lettre adressée à
Dubois (Aubertin, Es2)rit public au XVIII""' siècle, p. 103). L'on sait égale-
ment que le vin produit parle territoire de cette ville, le Xeres, a pris
le nom de Shernj en anglais.
— 2^8 —
crois, essayé d'en établir la classification et d'en faire la géogra-
phie, mais l'ignorance des textes non encore publiés et surtout
une mort prématurée ont empêché ce philologue si bien doué de
donner à ce sujet tous les développements et l'exactitude dési-
rables. C'est lui cependant qu'on a suivi le plus souvent, sans le
contrôler ; c'est ainsi que l'auteur de la « Grammaire de la lan-
gue d'oïl et des dialectes français au xif et xiii'' siècle, » Burguy
s'est borné à le copier, sans rien ajouter d'essentiel à ce qu'il
avait dit. Fallot reconnaît dans le français trois dialectes princi-
paux : le bourguignon, le picard et le normand. Burguy a
accepté cette division comme le reste et Diez lui-même, qui a
repris la question avec sa compétence et sa supériorité ordinaires ,
ne repousse point cette classification. Cependant deux ans après
la publication de l'ouvrage de Fallot, en 1841, M. Le Roux de
Lincy dans l'introduction des « Livres des Rois » combattait
cette division artificielle et arbitraire et lui en substituait une en
cinq dialectes : le normand, le flamand, le bourguignon, le lor-
rain et le poitevine II est incontestable que la classification de
l'éditeur du Livre des Rois, sans être irréprochable, est préfé-
rable à celle de Fallot ; mais peu importe d'ailleurs au point de
vue de l'étude des gutturales ; dans le traitement qu'ils leur ont
fait subir, on peut, en effet, diviser les dialectes français en trois
groupes, le picard, c'est-à-dire le dialecte de la Picardie et de
l'Artois, auquel se rattache le rouclii ou dialecte de la Flandre
française, lesquels gardent la gutturale vélaire et changent la
l. P. 59. M. Littré a, dans le premier chapitre de son Histoire de la
langue française (I, 12), adopté la classification de Fallot et de Burguy.
c'est-à-dire la division de la langue d'oil en trois dialectes principaux ;
dans Y Introduction qu'il y a jointe, il en reconnaît (p. 43), au contraire,
quatre : « le bourguignon ou langue de l'Est ; celle du Centre ; celle de
l'Ouest ou normand ; celle du Nord ou picard. » Le traitement que le
normand proprement dit a fait subir aux gutturales'ne permet pas de le
réunir aux idiomes des autres provinces de l'Ouest, qui les ont traitées
comme les dialectes du Centre et de l'Est; il faut donc diviser le groupe
d'idiomes propres à cette partie de la France au moins en deux, ce qui
nous ramène à peu près à la classification de Le Roux de Lincy.
L'objection que je fais à la division adoptée par M. Littré s'applique
bien plus encore à celle que paraît proposer M. Gaston Paris (Al., p. 41),
lequel réunit dans un même groupe le normand et le dialecte de l'Ile-
de-France et de la Champagne ; j'espère montrer qu'il faut nécessaire-
ment isoler le normand du dialecte des provinces voisines, et en faire,
comme le picard, un dialecte à part. L'incertitude où l'on est encore
sur cette question me servira peut-être d'excuse si j'y insiste si longue-
ment.
— 2\9 —
palatale en spirante ch ; le normand, parlé dans la province à
laquelle il doit son nom, et dans lequel le c vélaire persiste
le plus souvent et le c palatal se change d'ordinaire en ch
comme dans le picard ; enfin les autres dialectes français se
rattachant plus ou moins étroitement au bourguignon et au
langage de l'Ile-de-France, lesquels changent la vélaire en ch et
la palatale en ç, s on z. Le lorrain présente bien quelques cas de
persistance de la gutturale, mais ils sont trop peu nombreux pour
être considérés autrement que comme des exceptions ; quant au
wallon que cette classification ne comprend pas, si dans un cer-
tain nombre de mots il a conservé aussi la gutturale vélaire, le
plus souvent pourtant il la traite comme le français * ; la modifi-
cation de la gutturale palatale n'offre d'ailleurs rien de particu-
lier dans ces deux dialectes, je puis donc les passer sous silence et
me borner à parler du picard et du normand, les seuls dont le con-
sonnantisme guttural diffère à cet égard essentiellement du fran-
çais. Quant aux causes qui ont pu faire que dans ces trois grandes
régions de la France du Nord, les deux gutturales et en particu-
lier la vélaire aient été traitées d'une manière si différente, j'en
ai déjà parlé et j'y reviendrai plus tard en finissant cette étude ;
mais avant de la commencer il me faut encore donner quelques
explications préliminaires sur les difficultés qu'elle présente ^.
J'ai déjà parlé à plusieurs reprises de l'incertitude que
l'absence de signes déterminés jette sur cette question. Ainsi
on rencontre, en particulier dans le Psautier d'Oxford, où
1. On trouve par exemple c persistant dans calengî, cangî, capeler,
catl, eau (caulem), etc.; c s'est changé en ch, au contraire, dans chaive,
champt, chapai, chape, char, charmer, charnale (carpinum), chdse (cal-
ceam), etc. Cf. Ch. Grandgagnage, Dict. élijm. de la langue ivallone.
2. Inutile d'ajouter que les différences dialectales que je signale,
comme celles qu'on peut indiquer comme véritablement essentielles,
ont dû apparaître dès les premiers temps de la langue; l'unité primitive
d'idiome si chère à Génin, et qui n'était autre chose que la théorie de
Raynouard apphquée à la langue d'oil, a été trop bien réfutée par
M. Littré pour que je vienne la combattre à mon tour ; et je ne parle-
rais pas d'une opinion aussi arriérée, si je ne la retrouvais encore en
1872 dans la préface d'un livre qui a eu un certain retentissement.
« Nous ne pensons pas, dit M. L. Gautier dans la préface de la troi-
sième édition de la Chanson de Roland, qu'à l'époque et sous la plume
de notre poète, le dialecte normand ait présenté exactement les mêmes
formes que le dialecte français, comme cela avait lieu antérieur ement à
la conquête de l'Angleterre^ » comme si le changement de la gutturale en
chuintante n'avait point eu lieu déjà en français tandis que le normand
l'ignorait.
— 220 —
ce mot se trouve à chaque page, chi (qui) écrit par ch ; or il est
impossible qu'ici on ne lui accorde pas la valeur gutturale, et
nous avons ainsi un exemple certain de ch figurant le son k ;
mais dans le même texte nous trouvons c/i suivi de a ; faut-il
dans ce cas lui accorder la même valeur ou lui donner comme en
français le son s ou c ? Par contre c seul suivi de a peut-il pren-
dre un son chuintant, ou faut-il toujours lui donner dans ce cas
une prononciation gutturale ? Ces questions d'une solution déjà
si difficile par elles-mêmes se compliquent encore par cette cir-
constance qu'on ne sait pas le plus souvent, étant connue la
nationalité du poète ou de l'écrivain, quelle était celle du
copiste ; aussi arrive-t-il bien souvent, comme nous le verrons
par la suite, qu'on a un texte primitivement picard ou normand
copié par un scribe français et réciproquement ; or dans ce cas,
ou par négligence, ou à dessein^ , — on en a de nombreux exem-
ples, — le copiste a changé le texte primitif qu'il nous a trans-
mis, et nous nous trouvons en présence ou d'un texte picard ou
normand remis, au moins pour son consonnantisme, en français
et réciproquement, ou bien, et alors la difficulté est encore plus
grande, d'un texte ayant en partie conservé sa physionomie primi-
tive, en partie modifié. C'est ainsi sans doute qu'il faut expliquer
souvent les doubles formes en ca et en cha, provenant de ca
latin, en ce et en che, provenant de ce ou de ti assibilé, qu'on
rencontre dans tant de textes originairement picards ; mais il peut
se faire aussi, si le texte picard ou normand n'est point ancien, que
la double leçon vienne d'une double forme connue de l'auteur. Faut-
il regarder les deux formes comme bonnes ou en exclure une pour
ne garder que l'autre, et laquelle? Comment prononcer aussi la
syllabe ce, provenant de ca ? faut-il lui donner le son assibilé ce
ou guttural ke ou encore le son chuintant che ? On voit toutes les
difficultés que soulève cette question. Quand l'origine des textes
est connue, on peut la trancher sans trop de peine ; ainsi dans les
textes évidemment français, si on a le même mot écrit par ca
et cha, comme on sait d'ailleurs que ch est le son français nor-
mal, on peut, je crois, le donner dans tous les cas au mot et
rétablir le texte dans ce sens ; de même que si un même mot est
écrit par ce et par che, si Ve représente un a latin, la chuintante
étant le son normal, on peut le donner au mot et l'écrire par ch.
1. M. G. Paris m'a dit avoir vu au mont Gassia un manuscrit du
Barlaam, dont on s'était appliqué à changer les c (suivis de a) du texte
primitif en ch.
— 22^ —
Ainsi dans ces vers du Guillaume d'Angleterre de Crestien de
Troie :
Au plus tôt qu'il pot vers laroce
Si k'a un rain del bos acroce *
on peut, je crois, changer roce et acroce en roche et acroche,
d'autant plus que quelques lignes plus loin on trouve le mot
roche.
Jusqu'à la roche ne s'arreste.
De même dans ces deux autres vers du même poème :
Li pent si près c'au nés li touce
Et sa lèvre dusqu'à la bouce *
on peut remplacer touce par touche et changer bouce en bouche
donné par un vers précédent :
Et li leus qui en sa bouche a.
Mais si, au lieu d'un texte français, on a un texte picard ou
normand, dans quel sens se prononcer^? Car, on le sent, c'est
dans l'interprétation même des signes employés par les copistes
pour représenter le son issu du c latin que réside la solution du
problème. On est ainsi presque renfermé dans un cercle vicieux,
aussi a-t-on regardé comme à peu près impossible de débrouiller
entièrement la question. Voyons cependant jusqu'à quel point
on peut la résoudre. Je commencerai par le picard, le plus connu
des deux dialectes que je veux étudier.
r Picard.
Le picard est le dialecte parlé avec quelques légères modifica-
1. Man. fonds français 375 (anc. 6987), fol. 242, 1,1.
2. Id. fol. 243, 1, 2. Bartsch dans la première édition de la Chresto-
mathie avait mis, sans doute par analogie avec les formes roce et acroce,
boce et toce; dans la seconde il a corrigé et mis boche et toche.
3. Ainsi si le texte précédent au lieu d'être tiré d'un poète français
était l'œuvre d'un poète normand ou picard, il faudrait lire dans le vers
Ail plus tôt... roque et au vers suivant aa-oque. 11 est même probable
que c'est ainsi que prononçait le scribe de ce poème dont la copie
présente — du moins dans son consonnantisme — des traces évidentes
du dialecte normand ou picard, ainsi careie, cier, etc. De même pour
les vers
si grant doel a, ne set qu'il face,
li leus s'enfuit et il le cace,
il faut au second vers substituer chace ou chasse à cace; mais si le texte
était picard ou normand il faudrait mettre au premier vers fâche et au
second cache.
— 222 —
tions dans la Picardie, l'Artois et la Flandre française ; il com-
prend le picard proprement dit, qui est l'idiome des deux pre-
mières de ces provinces, et le rouchi particulier à la troisième.
Les caractères qui distinguent le vocalisme picard sont la prédi-
lection qu'il affecte pour la diplithongue oi — ce qui lui est com-
mun d'ailleurs avec le français proprement dit — et pour la diph-
thongue ie substituée à a long ou bref accentué ou à <? en position,
— ce qui lui est particulier. — Son consonnantisme, comme je
le montrerai, a pour caractère distinctif la persistance de la gut-
turale vélaire suivie de a, laquelle se change, comme nous avons
vu, en ch dans le français, et la transformation en s de la guttu-
rale palatale, laquelle se change au centre et à l'Est de la France
en ç. Ce double caractère lui est commun avec le normand.
Enfin;, et cela lui appartient exclusivement en propre, le picard
ne connaît qu'une seule forme pour l'article féminin et masculin
singulier, celle du second de ces deux genres, li, le ^ Ceci posé,
voyons, par l'étude comparée des anciens textes et de la langue
actuelle, comment cet idiome a traité les gutturales.
Les monuments du dialecte picard sont presque innombrables.
Arthur Dinaux, qui a consacré trois volumes, sans l'épuiser, à
l'histoire des trouvères d'une partie seulement de la région où le
picard est parlé, n'en a pas compté moins de dix pour le pays
de Cambrai, trente-deux pour le Tournésis et soixante-quinze
pour l'Artois. Le nombre des trouvères brabançons, hainuyers,
liégeois et namurois ^, dont bon nombre ont écrit dans le dialecte
picard, est encore plus considérable, et dans cette énumération
ne sont pas compris les écrivains picards proprement dits.
Heureusement il n'est pas besoin d'étudier les œuvres de tous
ces poètes, dont une grande partie est d'ailleurs inédite, pour
arriver à la connaissance de l'idiome dans lequel ils ont écrit ;
quelques textes» suffisent pour cela; j'en choisirai quelques-uns
d'origine artésienne ou flamande, et j'y joindrai l'examen des
Chartes d'Aire, publiées en 1870 par M. Natalis de Wailly, et
celles encore plus curieuses d'Auchy, que de Bétencourt a fait
connaître dès 1788 ; enfin pour le picard moderne je me servirai
1. La seule différence qu'il y ait entre les deux articles, c'est que l'ar-
ticle masculin peut se contracter en du au génitif, en au au datif,
tandis que l'article féminin reste de le, à le.
2. Trouvères, jongleurs et ménestrels du Nord de la France, 3 vol. in-8%
Paris 1837-1843.
3. Trouvères brabançons, hainuyers, liégeois et namurois, 2 vol. in-8»,
Paris 1863.
— 223 —
du dictionnaire assez exact qu'a fait de cet idiome l'abbé Corblet.
Les textes picards les plus importants du xii'' et du xiii** siècle
publiés jusqu'ici sont le « Lai d'Ignaurès >>, par Renaut « le
Roman de la Violette » ou de « Girart de Nevers » par Gyrbers
ou Gibers de Montreuil, « Eracle » de Gautier d'Arras, « Bar-
laam et Josapliat » par Gui de Cambrai, également auteur d'une
des branches du « Roman d'Alexandre », le « Jeu de Saint Nico-
las » par Jehan Bodel, le « Jus Adan le Boçu » par Adam de la
Halle, des Fragments plus ou moins considérables des poèmes
d'Adenès le Roi, et d'Herman de Valenciennes, etc. Tous ces
textes n'ont point sans doute la même importance phonétique et
ne méritent pas également dès lors d'attirer l'attention ; mais
leur comparaison peut servir à éclairer les différents points de la
question, voilà pourquoi je les soumettrai tous à un examen au
moins rapide. Je commence par l'œuvre de Gibert de Montreuil,
le « Roman de Gérard de Nevers ou de la Violette. »
Tel que M. Francisque Michel l'a publié d'après les manus-
crits 7595 et 7498 de la Bibliothèque nationale, le texte nous
montre le plus souvent ch substitué à c suivi de a latin ; dans
les cinq cents premiers vers, c ne persiste que dans les mots caut
V. 269; canchon v. 130; canconnete, v. 200; cans v. 41,
313 ; cantans v. 174 ; cantes v. 109 ; canté v. 236, 327 ;
cantoit v. 180 ; castelaines v. 86 ; buce v. 324 ; cief v. 276 ;
ducoisey. 86, 107; c'est-à-dire quinze fois; partout ailleurs,
au contraire, c'est-à-dire plus de quarante fois, il a fait place à
ch, ainsi ; auchun v. 22, 23; chières v. 76, 77, 499 ; arche
V. 89; chambre \. 96; chanter v. 119, 160, 197, 318, 436;
chanconetey. 47, 137; chanconv. 103, 111, 116, 124, 184,
190, 233, 445 ; chanta v. 105 ; chant v. 106, 149, 199 ;
chante v. 149 ; chantera v. 232; chevaliers v. 70, 251, 306 ;
chiefY. 164, 330; chastelaine v. 134, 182; chastelain v. 331,
337, 341 ; chastieÏY. 330; chose v. 169, 407, 410 ; chascun
V. 97, 271, 295, 297 ; cheuz v. 460 ; afiche v. 272; meschief
V. 277 ; achievoit v. 473. Quant à ci ou ti, ils sont le plus sou-
vent remplacés par ch; ainsi : scienche v. 21 ; semblanche v.
373; vaillanche v. 374, 427 ; Justichier 453; entechier v.
454; merchi v. 128, 372, 394, 396; tierche v. 160; fâche v.
384; anchois^. 307, 400; chou v. 11, 19, 62, 165, 174, 180,
187, 231, 240, 244, 260, 275, 336, 349, 403, 423, 463, 470 ;
chcY. 288, 411, 420, 455, 479; chiv. 272; Couchi v. 127;
chiel V. 401 ; serviche v. 64 ; sorchière v. 500 ; dreche v.
156; comencherai v. 45; comench v. 19 ; comenche v. 99,
_ 224 —
123; comenchier \. 97; comenchie\. 143. On trouve c ou s, au
contraire, substitué à ti ou au c palatal transformé dans comen-
cieY. 116; comence v. 103; drece v. 330; ce v. 27, 367;
cis V. 16, 462 ; cil v. 216, 227, 258, 484 ; cel v. 252; celle v.
111 ; cest V. 293, 444 ; decut v. 222 ; décevant v. 390 ; c?e-
coivre v. 447 ; Besancon v. 101 ; certes v. 286 ; escient v.
292 ; damoisiele v. 327 ; maisielle v. 328 ; semonce v. 225 ;
sospecon v. 446 ; _pMc^eZe5 v. 76, 112; eichancon v. 102, 111,
183, 190, 233, 44b; chanson Y. 116; chanconete y. 41, 137,
200. Le son assibilé de c ou de if2 a été conservé près de qua-
rante fois, — en tout trente-sept lois ; — il s'est changé en \
environ cinquante fois (quarante-neuf).
Quelle conséquence faut-il tirer de cette double représentation
des deux gutturales ? Faut-il admettre que le c vélaire persistait
ou se changeait en s, le changement en ch toutefois ayant lieu
plus souvent que la persistance du c, et que le c palatal se trans-
formait également plus souvent en 5 qu'en ç ? Cela est peu vrai-
semblable ; bien qu'il soit possible que les deux nous ca et cha,
peut-être aussi ce et che, aient coexisté parfois, il est peu pro-
bable que la confusion ait été jamais portée dans la langue aussi
loin que dans le texte que nous avons ici ; l'emploi des doubles
formes ch et k, ce et ch, dans les mêmes mots, l'arbitraire qui
préside à leur choix, tout fait croire que la langue du copiste et
celle du poète ou du premier scribe n'étaient pas la même ; par
exemple, s'il n'est pas absolument impossible d'admettre que
Gibert de Mon treuil ait dit à la fois canchon et chancon, —
quoiqu'il semble plus naturel d'attribuer au copiste les nom-
breuses confusions qu'on rencontre sans cesse entre c ei ch\ —
il n'est pas vraisemblable que le mot chanchon, par exemple,
qu'on trouve au vers 124 et dont la première partie est française
et la seconde picarde, appartienne au texte primitif, et il ne
faut voir là, je crois, qu'une des nombreuses altérations dont il
a été l'objet; le scribe avait probablement sous les yeux le mot
canchon, sans en modifier la fin, il a changé dans la première
syllabe, comme il a lait sans doute dans tant d'autres mots, c en
ch et a eu ainsi la forme barbare chanchon ^ . Il est difficile d'ex-
pliquer aussi, il me semble, autrement que par une altération
du texte primitif le rapprochement à la fin des vers de cief et
1. On en trouve d'analogues, il est vrai, dans la Muse normande, mais
l'origine récente de ce recueil de poésies et leur caractère savant leur
enlèvent toute valeur phonétique.
— 225 —
meschief, ducoises et richoises, formes que le trouvère n'a pu
vouloir faire rimer ensemble; enfin une preuve nouvelle des
changements qui ont été apportés par le copiste au texte pri-
mitif, c'est la présence fréquente de l'article français la au lieu
de la forme picarde le, que l'Artésien Gibert évidemment a dû
seul employer.
Le « Lai d'Ignaurès » de Renaut , publié d'après le même
manuscrit 7995 que le Roman de la Violette S nous montre
comme lui les formes ca et cha, ce et che, coexistant ; mais ici
la gutturale vélaire persiste plus souvent que dans le poème de
Gibert ; ch aussi s'y substitue bien plus régulièrement au c pala-
tal transformé ; or comme ce sont là les caractères mêmes du
dialecte picard, il est évident qu'on a ici un texte plus correct ou
moins altéré que celui du Roman de la Violette.
Le Roman de « Barlaam et Josaphat », par Gui de Cambrai 2,
ojGfre cette particularité que, dans les 72 premiers vers, le c suivi
de e ou i et ti sont constamment représentés par c, le c vélaire
n'y ayant persisté que deux fois ; à partir du vers 72, au con-
traire, ce, ci et ti sont le plus souvent transformés ench, comme
si le copiste, après avoir commencé à remettre en français le
texte picard qu'il transcrivait, y avait ensuite renoncé pour
revenir au texte primitif ; mais c suivi de a ne persiste toujours
qu'exceptionnellement ^.
Le « Roman d'Alexandre^ » présente plusieurs des caractères
du dialecte picard : la confusion fréquente de l'article masculin
et de l'article féminin ^, son vocalisme, ne laissent pas de doute
1. Lai d'Ignaurès, publié par Fr. Michel, in-S», Paris 1832.
2. Barlaam et Josaphat, publié par Herm. Zotenberg et Paul Meyer,
in-8% Stutt. 1864.
3. Voir sur cette altération des textes les observations si justes de
M. G. Paris, Vie de Saint Alexis p. 8. Elle n'est pas d'ailleurs particulière
à nos scribes du Moyen Age ni aux anciens monuments de notre langue,
les scribes de l'antiquité ne s'en faisaient pas faute non plus. « On
connaît plus d'un monument^ dit M. Egger (Mém. d'hist. anc. et de phil.
p. 472), où le copiste a naïvement altéré, par des formes particulières à
sa propre langue, le style de l'original qu'il recopiait; c'est de cette
manière que chez les anciens le dorisme sicilien des écrits d'Archi-
mède s'est peu à peu effacé, sous la main des scribes, pour faire place
aux formes du dialecte attique ou môme du dialecte commun. »
4. Li Romans d' Alexandre, p. p. H. Michelant, Stuttg- 1840.
5. Ainsi dans ces vers :
Le car ot bêle et blance comme nois sor gelée.
Li ruisiaus estoitclers et blanque U gravele.
^5
— 226 —
à cet égard ; quant à son consonnantisme, nous voyons c suivi
de a latin persistant fréquemment, quoique souvent aussi rem-
placé par ch ; ce, ci, ti ne sont remplacés que par ce ou ci.
C'est-à-dire que la gutturale palatale y est traitée comme en
français, la gutturale vélaire, suivie de a, à la fois comme en
français et en picard.
« Eracles l'Empereor ^ » de Gautier d'Arras présente quelque
chose d'analogue; la vélaire y persiste régulièrement, tandis que
la palatale y est toujours représentée par ce> non par ch, comme
dans les premiers poèmes que j'ai examinés 2. Ainsi des deux
caractères qui distinguent, comme nous verrons, le consonnan-
tisme du picard un seul se retrouve ici, l'autre n'existe pas, ou
du moins l'orthographe du poème ne le signale pas. L'article
mascuhn ne se substitue pas non plus en général à l'article
féminin ; tout semble donc indiquer ici un texte altéré ou
modifié par le scribe. Il n'y a là rien qui doive surprendre , et
cette confusion orthographique est fréquente, non-seulement dans
des poèmes différents , mais dans un même poème ; ainsi dans le
« Rornan du Bastard de Bouillon, » on trouve au commencement
du poème c<2= ca et cer=ce ; à la fin, au contraire, ca persiste
bien toujours, mais ce est remplacé par che ^ , ce qui ne peut
tenir qu'à un caprice du copiste ou à ce que le texte nous a été
transmis par deux scribes différents.
L'examen des poèmes d'Adenès le Roi et d'Herman de Valen-
ciennes confirme encore cette manière de voir. Les « Enfances
Ogier » et « Berte aux grans pies » du premier sont des poèmes
tout français par le consonnantisme ; ca s'y change régulière-
ment en ch ; ce, ci ou ti y sont représentés par ce, ci. Dans le
fragment de « Cleomadés » donné dans la Chrestomathie de
Bartsch d'après le manuscrit 54 de la Bibhothèque de la
Sorbonne, il en est tout autrement ; la vélaire suivie de a
persiste ou se change en ch; la palatale s'assibile ou se trans-
forme également en ch. Ainsi on a : c{a) = k dans Manque
(8 fois), cambre (id.), candeles, Carmans, cose (2 fois), ces-
cun (id.), castel et même make (345, 18), comme si ce mot
venait de maca non àernatea ; au contraire, c{a) se change en c^
dans chambre (3 fois), chastel (2 fois), chastiaus, chancons,
1. Eracles l'empereor, hgg. v. Massmann.
2. Gela a lieu également dans Blancandin et l'Orgueilleuse d'Amor.
3. Voir les fragments donnés par A. ûinaux, Trouvères brabançons, etc.
p. 92.
— 227 —
chans, chascun (2 fois), cheval, (id.), chevel, chevillette,
chief. De même on trouve ce ou ti représenté par ch dans an-
chieneté, cha, che, adrechié, drechie, lyonchiaux, machues;
avec c seul, au contraire, bracieus, cel{e) (4 fois), cil (2 fois),
çou (id.), certamement, commença, commencement, com-
mencoii, façon, graciouse et gracieus, perçoit, précieuse^.
Dans le court fragment donné par Dinaux du « Maugis d' Aigre-
mont », ca a toujours conservé sa valeur gutturale, c suivi de e
ou i se change en ch ^. Il en est de même dans le « Roman de
Vivien. »
Dans les poèmes d'Herman de Valenciennes, trouvère bien
plus ancien que ceux dont nous venons d'étudier les œuvres, mais
dont les manuscrits sont à peu près aussi récents, nous trouvons
quelque chose d'analogue. Ainsi dans la « Genesis, » c suivi de
a persiste comme dans Eraclé ; c, suivi de e ou ^ , a été traité
comme dans le même poème et par conséquent comme en fran-
çais. Le « Livre de la Bible » ou la « Bible de sapience » a un
caractère tout différent. Le fragment donné par Bartsch d'après
un manuscrit de Mayhingen du xiif siècle^ nous montre le c
palatal ordinairement transformé en ch, et n'étant représenté parc
qu'exceptionnellement, — 10 fois sur 74 fois qu'il se transforme
en ch. — Quant au c vélaire, il a conservé sa valeur gutturale
dans cantant, canté, — à côté, il est vrai, de chant (2 fois), et
de enchanté, — canus, cauchié, Mikiel ; il est représenté, au
contraire, par ch dans chose et dans chevalerie, pechiés et
pechierre, termes consacrés et qui ont bien pu avoir le son ch
dans toute la France du Nord.
L'étude du « Poème moral » publié également par Bartsch et,
comme le fragment d'Herman de Valenciennes, d'après un ma-
nuscrit de Mayhingen ^ nous donne naturellement le même
résultat que celui du fragment, tout en témoignant cependant
d'une langue plus correcte ; ainsi cz et ti sont ici représentés sans
exception par ch ; quant à ca, il persiste ou se transforme en ch
presque indifféremment ; ainsi on trouve écrits avec c : encache,
pourcache, campion, cangera, mercatour , peccatour ;
avec ch, au contraire, blanche (2 fois), chascun, chetivele,
chaiere, chiere.
1. Bartsch, Chrest. 341 et suiv.
2. Dm. Trouvères brabançons, etc. p. 139.
3. Chrest. p. 70.
4. Chrest. p. 339.
— 228 —
On ne peut douter d'après les résultats si divers que nous
donnent les poèmes du même trouvère ou du même pays, suivant
qu'ils nous sont transmis par des manuscrits différents, que les
divergences de leçon et les variantes dans le traitement des gut-
turales ne soient dues aux copistes de ces poèmes ; l'examen du
Jeu d'Adam nous en donnera une preuve nouvelle et directe * ;
mais avant d'arriver à ce drame, il me faut dire un mot du « Jeu
de Saint Nicolas » de Jehan Bodel, prédécesseur d'Adam de la
Halle. Dans le texte de ce poème, donné par MM. Monmerqué et
Fr. Michel ^ on voit ci et ti régulièrement remplacés par ch; ca
persiste encore ou se transforme en ch, mais il persiste plus sou-
vent qu'il ne s'est modifié, et dans la proportion de quatre à deux.
Ce texte se rapproche ainsi de celui de la Bihle de Sapience et
n'offre aucun fait nouveau ; aussi sans m'en occuper davantage
je passe à l'examen du « Jus Adaii ».
Quand on lit dans Bartsch le fragment du drame d'Adam de la
Halle, on est frappé tout d'abord de voir que ci et ti y sont
partout représentés par c et semblent être dès lors changés en
spirante dentale ordinaire ; le c guttural, au contraire, a con-
servé sa valeur originelle et n'y est qu'exceptionnellement repré-
senté par chy par ex. dans chier et chièrement, et dans char à
côté de car, chief à côté de kiefi^ fois), chanz à côté de en-
cantés, chose à côté de cose, chascuns à côté de cascuns, formes
qu'on peut dès lors considérer comme des erreurs de copiste.
Ainsi nous avons d'une part le son ca en général conservé, de
l'autre ci {ti) remplacé par ç {s), tandis que dans les autres textes
nous l'avons trouvé le plus souvent représenté par c^ ; il y a une
énigme que l'éditeur semble ne pas avoir soupçonnée et qui serait
inexplicable si nous n'avions que la copie de Keller, qu'il a re-
produite. Mais M. Monmerqué, dans le « Théâtre français au
Moyen Age, » et dans le sixième volume des « Mélanges publiés
par la Société des bibliophiles français», a donné d'après trois
manuscrits trois versions différentes de ce fragment qui nous
permettent d'expliquer cette anomalie.
Dans la première, celle du manuscrit 7218 de la Bibliothèque
1. La comparaison des manuscrits <ïHiion de Bordeaux en fournirait
une autre non moins frappante; tandis, en effet, que les manuscrits de
Paris (450 Bibl. Sorb. et 1452 Bibl. nat.) sont tout français par leur
consonnantisme, celui de Turin offre des traces nombreuses du dialecte
picard, ainsi d'ailleurs que celui de Tours. Cf. Huon de Bordeaux, p. p.
Ms. Guessard et Grandmaison. Préf. p. 40 et suiv.
2. Théâtre français au Moyen Age, p. 17.
— 229 —
nationale, que l'éditeur suppose avec beaucoup de raison avoir
été altérée, ca latin est représenté constamment par ch, ci et ti
par c {s) ; on a donc là évidemment un texte francisé. La seconde
version, empruntée, vraisemblablement comme celle de Bartscli,
au manuscrit 1490 du Vatican, conserve presque partout le son
guttural ca et change toujours le son ci {ti) en ç {s) . Enfin la
troisième version, tirée du manuscrit 2736 de la Bibliothèque
nationale, fonds Lavallière, nous montre ci (ti) représenté par-
tout par c^, — excepté peut-être _p?ocon, — ce qui est évidem-
ment la leçon du poète picard ; ca, au contraire, conservé fré-
quemment, est cependant représenté par ch dans un certain
nombre de mots où le manuscrit du Vatican a gardé la gutturale
primitive; ainsi dans les mots chascuns [cascuns V.), mar-
chié {inarkié Y .) , blanche {Manque V.), à côté de Manque
conservé huit vers plus loin, bouche {bouque Y .), fr esche {fres-
que Y.), char {car Y.), manches {mancesY.), chemise {que-
mise (Y.). On ne peut douter dès lors que ce ne soient là des
altérations du copiste, et que le manuscrit du Vatican, d'accord
en cela avec ce que nous connaissons déjà du picard, ne donne la
bonne leçon pour les mots où se trouve un son dérivé de ca
latin, comme le manuscrit du fonds Lavallière pour tous ceux
où c est suivi de e ou de i. En même temps la comparaison de
ces manuscrits et du n° 7218 nous montre comment les textes
ont pu être modifiés par les scribes et les différences dialectales
effacées ou confondues ^ L'examen des autres œuvres d'Adam le
Bossu confirme entièrement cette conclusion. Les pièces de vers,
insérées par M. Monmerqué dans la préface mise en tête du « Jus
Adan » dans le sixième volume des Mélanges nous montrent par-
tout, excepté dans le mot péchié, c suivi de a, conservant sa
valeur gutturale, et c suivi de e ou i représenté, ainsi que ti par
ch; les textes du « Jeu du pèlerin » et du « Jeu de Robin et de
Marion », publiés par le même éditeur, donnent lieu à la même
observation ; le son guttural de c suivi de a y persiste le plus
souvent ; ce et ci se changent en che ou chi, à part de rares
exceptions, qu'on peut presque toujours regarder comme des
négligences du copiste. On peut et on doit, je crois, conclure de
là que les textes picards les plus authentiques sont ceux qui nous
t. La Chanson des Saxons de Jehan Bodel, à en juger du moins par le
texte tel qu'il a été rétabli par M. Fr. Michel, montre la même alté-
ration du texte primitif, évidemment picard par son origine, mais
francisé par les copistes.
— 230 —
montrent la persistance de la gutturale vêla ire et la transforma-
tion de la gutturale palatale en ch , et que ce double fait est
caractéristique du dialecte dans lequel ils ont été primitivement
écrits.
Ces conclusions trouvent leur pleine confirmation dans l'exa-
men des chartes en langue vulgaire de la même époque. Mais
avant d'en aborder l'étude, il me faut dire un mot des composi-
tions en prose, écrites dans le dialecte picard.
Nous verrons plus loin qu'un certain nombre d'ouvrages en
prose qui ont dû être écrits dans le dialecte normand, n'en pré-
sentent qu'imparfaitement les caractères; il n'en est pas de
même de ceux qui appartiennent au dialecte picard ; ceux-ci ont
conservé tous les caractères distinctifs de cet idiome. Je me bor-
nerai à prendre pour exemple les « Estoires » de Robert de
Clari, un de « Ghiaus qui conquisent Constantinoble », texte du
commencement du xiif siècle. Nous y trouvons la langue dans
presque toute sa pureté ; ainsi, dans les six premières pages, le c
vélaire a été conservé dans les mots cachier, canoine, cascun,
castelain, kiévetaine, markaandise, markiè, quémanda,
rike, et dans les noms propres Canteleu, Caieu, Cavaron ; il
ne s'est changé en ch que dans chevax, chevalier, mareschiax
et preeschant , noms presque tous communs aux différents dia-
lectes français et ayant dès lors le plus souvent la même forme
dans chacun d'eux. Quant au c palatal, il a partout fait place à
la chuintante, ainsi on a : che, chi, chiaux, chelui, chil, chist,
Chistiax, comenchier, Côuchy, Franche, ichi, proesche, etc.
J'arrive maintenant aux chartes picardes.
Ce qui peut jeter de l'incertitude sur les résultats fournis par
les poèmes attribués aux trouvères picards ou artésiens, c'est
l'ignorance où l'on est de la nationalité, souvent aussi de l'épo-
que, des copistes qui nous les ont transmis. Ici ces inconvénients
disparaissent en présence de l'authenticité des documents, de là
l'intérêt tout particulier qu'ils présentent. Une des collections
les plus importantes que nous ayons en ce genre est celle qu'a
récemment publiée M. Natalis de Wailly dans la Bibliothèque de
l'Ecole des chartes S et qu'il a fait suivre peu après d'Observa-
tions grammaticales oii l'on retrouve sa compétence et sa saga-
cité bien connues 2. Ce recueil, tiré des Archives de la Collégiale
1. Recueil de chartes en langue vulgaire provenant des Archives de la
collégiale de Saint-Pierre d'Aire, par M. Natalis de Wailly, Paris 1870.
'2. Observations grammaticales sur les chartes françaises d'Aire en Artois
par M. Nat. de Wailly, Paris 1872.
— 231 —
de Saint-Pierre d'Aire en Artois nous offre un modèle incontestable
du dialecte picard, puisque la province d'où il vient est peut-être
celle où il s'est maintenu le plus pur, et que, la plupart des
chartes qu'il renferme étant de la seconde moitié du xiif siècle \
la langue n'avait point encore été corrompue par le mélange de
formes étrangères. Voyons quel en est le consonnantisme.
Comme dans les meilleurs textes picards que j'ai examinés
jusqu'ici, le c vélaire suivi de a a presque toujours persisté dans
les chartes d'Aire ; ainsi : car (j), canoine (l, m, n, o), conca-
noine (o, p), canter (a), acater (d), racat (m), racater (h),
pourcachier {m, etc.), cape (a), capelain (a, p, q), capelerie
(a, B, c, D, 0, p, q), capitle (a, etc.), capons (c), castelains
(b, g), catens (s), eskevinages {p), frankement {u, n, o, p, q),
kemin (q), kemisses (j), markié{n), Mikiel{Q, s), planke (g),
toukeront (o) et toukier (j). Il faut excepter un très-petit nom-
bre de mots où « a été remplacé par e ou ie, par e^em^le cheva-
lier, qu'on trouve constamment écrit par ch, despeechier (l, p.
16), enpeechié {f, 1^.29); diemenches (a, p.l9; L,p. 2&),chartère
(s, i) ; et quelques autres dont l'orthographe varie ; par exemple
chier (j, k, o) et cier (b), chascun (s) et chescun (d) à côté de
cascun (a, etc.) ou kaskun (k), chose (h, i, l, m) et cose (a, c,
o, n), eschevin (g, o) et eskevins (r, s), soit que l'orthographe
n'en fût pas fixée définitivement, soit que le son ch et le son k
coexistassent ensemble. Quant au c palatal, il est, ainsi que ti
suivi d'une voyelle, représenté le plus souvent par ch ; ainsi :
apartenanches (g, m, n), chouvenenches (g), conissanch (h),
fâche (j), fâchent (n), faich (c), flanchié {b), fianchiet (q),
fianchièrent (f), lichons (a), parroche (m, n, s), parrochial
(a), pourcachier (m), pourveanche (j), rechut (g, m), rechuch
{m), rechurent (s), rechevoir (n, o, p, q, s), renonchié [s],
renonchiet (q), renonchons (k), souplich (a). D'autres fois il est
représenté par ch ou par c ; par exemple : anchisseurs (a) et
anciseurs (g), dechiés (a, p, q) et dechès (s) à côté de deciès
(j), justiches (g, p) ei justice (k, s), serviche (n, p) et service
(a, e, F, h), et les adjectifs démonstratifs écrits tantôt c/^e, ches,
chel, chil, cheli, cheus, chiaus, chest, chou, tantôt ce, ces,
cel, cil, celi, ceux, ciaus, cest et co (b). Que faut-il conclure
de cette double orthographe ? que c, tout en ne prenant devant
e et i que le son ch, pouvait s'écrire che ou ce ? ou bien qu'on
prononçait alors indifféremment ce ou che, cens ou cheus?
1. La première (A) est de 1241, la dernière (S) de 1298.
— 232 —
Avant de répondre à cette question, ou plutôt afin d'y répondre
plus sûrement, je vais passer en revue un certain nombre de
chartes, dont il est surprenant que M. Natalis de Wailly n'ait
pas parlé, et qui plus anciennes en partie, plus nombreuses et
souvent plus correctes que celles d'Aire, nous montrent le dia-
lecte picard presque dans toute sa pureté. Ces chartes sont celles
de l'Abbaye de Saint Silvain d'Auchy en Artois, que de Béten-
court a publiées, je crois, en 1788 ; elles sont les unes en latin,
les autres en picard, celles-ci sont au nombre de cinquante-
deux , la première en date est de 1215, la dernière de 1297.
Dans la première le c vélaire a toujours persisté, excepté dans
chief, chascun (2 fois) et chevalier (3 fois), mots dont les deux
derniers au moins présentent toujours une grande incertitude
orthographique. Le c palatal, au contraire, et ti suivi d'une
voyelle sont toujours représentés par ch, c'est-à-dire plus de
soixante lois ; on ne trouve écrit avec c que ceus et par t qu'm-
carnation, mot dont l'emploi demi-savant peut expliquer la
forme irrégulière. On voit donc qu'au commencement du
xiif siècle les scribes substituaient déjà ch au c palatal, de même
que le c vélaire persistait ordinairement. Les chartes suivantes
donnent des résultats analogues ; cependant parfois on y trouve
un nombre un peu plus grand de mots où le c vélaire est repré-
senté par ch, ou bien le c palatal ou ti par c seul; une
charte de 1256 même ne connaît que la transcription c pour
le c palatal ou ti transformé ; par contre plusieurs, comme
celles de 1242, 1257, 1259, 1262, etc., les remplacent sans
exception par ch ; dans les autres, c comme signe de la palatale
n'apparaît qu'exceptionnellement, ch en est la forme ordinaire ;
la gutturale vélaire aussi n'est représentée par ch que dans un
nombre restreint de mots, comme chastel (168), chartre (166),
c/i05e(133, 144, 148, 161,166, 168, 178, 186, 190,219, etc.),
chascun (148, 166, 193, 219, etc.), cheval (161), chevalier
(66, 118, 126, 162, 172, 174, 199), cheville (161), à côté
desquels on trouve castel (66, 148, 162, 172, 225), mr^re (66),
cose {m, 133, 144, 146, 162, 166, 182, 189, etc.), cascun
(144, 166, etc.), cevalier (127 et 128) ; dans tous les autres
comme acater (66), acat (148), cans (148), canter (230),
canteur (193), camp (146, 189), capons (144), cale7ige (146),
escange (148, 168, 171), eskevin (66, 204), escape {QQ),
kemin (217), Mikiel (209), peskerie (220), etc., le c vélaire a
persisté.
Ainsi les règles que j'avais entrevues dans l'étude des
— 233 —
poèmes picards précédemment examinés sont entièrement con-
firmées ; le c vélaire persiste, à l'exception peut-être de deux
ou trois mots, comme chevalier, pour lesquels la langue semble
avoir hésité ; le c palatal est remplacé par ch ; souvent, il est
vrai, on trouve aussi c pour le représenter, soit seul, comme
dans certains poèmes dont j'ai parlé plus haut, soit le plus sou-
vent en même temps que ch\ mais en examinant les chartes
d'Auchy et d'Aire, on arrive à cette conclusion que dans tous les
cas le c palatal devait avoir le son ch, quelle que fût la manière
dont il était représenté ; et que l'irrégularité qu'on aperçoit dans
sa représentation doit être attribuée seulement au copiste. Les pre-
mières chartes d'Aire nous montrent, il est vrai, souvent c à la
place de ch, tandis que dans les dernières on trouve presque tou-
jours ch ; mais dans le Cartulaire d'Auchy on voit tout le con-
traire ; dans la première qu'il contient le c palatal est représenté,
comme je l'ai dit, par ch, un seul mot excepté, tandis que dans
les dernières on trouve un certain nombre de mots écrits avec c
seul : singularité qu'on ne peut expliquer que par le caprice ou
par la négligence des scribes, et qui prouve bien que ch n'est
point un épaississement du son antérieur ç.
On peut donc dire qu'au xiii® siècle le dialecte picard était ca-
ractérisé par la conservation du c vélaire suivi de a, persistant
ou modifié, et par la transformation du c palatal et de ti en ch,
avec cette restriction toutefois que cette dernière transforma-
tion n'a lieu que quand c ou ti ont donné naissance à une spi-
rante sourde, et que dans le cas contraire ils se sont changés en
s ou z comme en français ; ainsi damoisiele (Gér. Nev. 327),
maisielle (id, 328), dousimes (H. 44), gisiés (id. QQ), plaisir
(id. 79, 197, 216), proisier (id. 126, 137, etc.), luisant (id.
323) ; gisoit (Cléom. Chr. 345, 9, etc.), damoiseles (id. 348,
7), markaandise (R. Cl.), etc. Le picard a conservé ces carac-
tères jusqu'à nos jours. Nous les retrouvons, fréquemment
du moins, au commencement du xiv* siècle dans le « Roman de
Raudouin de Sebourc », ainsi que dans les épitaphes-chansons
composées, soit dans ce dialecte, soit en rouchi, au xv^ et au
XVI* siècle, et que l'abbé Corblet a insérées au commencement
de son Glossaire du patois picard. Les textes du xviii" et du
xix^ siècle qu'il a donnés ofirent dans leur ensemble les mêmes
caractères ; parfois sans doute on y rencontre quelques mots où
la gutturale vélaire est changée en ch ; mais il ne serait pas diffi-
cile de les retrouver le plus souvent dans les plus anciens textes ;
ainsi le mot chevalier a été de tout temps presque toujours écrit
— 234 —
dans les documents picards comme en français ; chier, qu'on
trouve au siècle dernier dans une poésie de Don Grenier à son
frère, se rencontre déjà dans la « Romance du sire de Créqui »,
écrite vers 1300, etc. On le voit ainsi, depuis près de sept siècles
le consonnantisme du picard est resté le même, en ce qui regarde
les gutturales. Les noms propres de pays et de lieu, dont je parle-
rai plus loin, viennent encore prouver cette fixité de caractères qu'on
verrait certainement, si les monuments remontaient plus haut,
embrasser un espace de temps encore plus considérable. J'arrive
maintenant à l'examen des gutturales dans le dialecte normand.
jjo jsiormand.
Je donne le nom de normand à l'idiome parlé dans l'ancienne
province de Normandie, et importé par la conquête en Angle-
terre, où il ne tarda pas à se modifier. Ce qui caractérise le voca-
lisme normand, c'est la prédilection qu'il a pour la diph-
thongue ei, employée partout à la place de é et de î accentués
ou de e suivi d'une gutturale, tandis que le français et le picard
leur substituent la diphthongue oi ; cette particularité, qui lui
est commune avec la plupart des dialectes de l'Ouest, s'est con-
servée fidèlement jusqu'à nos jours *. Les anciens monuments de
la langue paraissent employer aussi de préférence un simple u,
là où le picard et le français mettent o, ou, eu \ à ei à accen-
tués en latin y sont également représentés d'ordinaire par e; ie
ne se rencontre régulièrement qu'à la place de â et après une
chuintante ou une gutturale ; il en est encoredemêmeaujourd'hui^.
Enfin un dernier caractère, qui n'est point toutefois aussi général
qu'on le croit ordinairement, c'est le changement de la terminai-
son abam de l'imparfait latin de la première conjugaison en oue;
mais cette forme, supposé qu'elle soit normande et non point
seulement anglo-normande, a dû faire assez vite place à la termi-
naison eie, propre aux deux autres conjugaisons, et on n'en trouve
point trace dans le patois moderne. Ces caractères du vocalisme
normand sont assez bien connus ; il n'en est pas de même de son
consonnantisme, par lequel il se rapproche à tant d'égards du pi-
card ; comme ce dialecte, en effet, le normand conserve en général
1. Toutefois aujourd'hui ei s'affaiblit souvent en é.
2. Quant à ë accentué, lorsque la consonne suivante persiste, il est
remplacé par ie, comme en français, par certains patois, — et c'est le
plus grand nombre, — il persiste au contraire, sans se diphthonguer,
dans d'autres. Il est évident qu'il a dû en être de même depuis l'origine
de la langue.
-. 235 —
la gutturale vélaire suivie de a et substitue c^ à la palatale latine.
Ce double caractère, ignoré à peu près complètement jusqu'ici *,
ressort de l'étude comparée des monuments les plus authentiques
de l'ancien normand et de la langue dans son état actuel, ainsi
que je me propose de le montrer.
L'abbé de La Rue a consacré trois volumes à l'histoire des
trouvères normands ^, et s'il en a compté dans le nombre quel-
ques-uns que ne peut revendiquer la province à laquelle il les
attribue, il ne les a pas tous connus. Ce ne sont donc pas les
monuments qui manquent pour étudier le dialecte normand ; il
n'en présente pas moins des difficultés qui n'ont point été réso-
lues jusqu'à présent, et dont quelques-unes, inhérentes à la na-
ture même des anciens textes, sont peut-être en partie insolubles.
J'essaierai du moins d'en éclaircir quelques-unes, par l'étude com-
parée des monuments les mieux conservés et les plus authenti-
ques de l'ancienne langue et du patois parlé aujourd'hui. C'est uni-
quement parce qu'on ne s'est pas jusqu'ici livré à cette étude , et
qu'on estallé chercher dans des textes évidemment altérés ou étran-
gers les caractères du normand, que la question est restée obscure.
Le plus ancien monument regardé généralement, — du moins
sous sa forme première, — comme normand est la « Vie de
Saint Alexis»^. Parmi les nombreux manuscrits que nous en
avons, le plus ancien et incontestablement le plus correct, celui
de Lambspringen (l), publié en 1855 par Gessner dans 1' « Ar-
chiv fur die neueren Sprachen und Literaturen ^ » nous montre c
suivi de a conservé toutes les fois que a persiste ; ainsi acatet 8,
5 ; acat 125, 5; cambra 13, 1 ; 15, 4 ; 28, 1 ; 29, 1 ; cance-
1. Diez a parlé du premier, mais ni Fallût, ni Burguy, ni Le Roux de
Lincy n'en disent rien, et le second n'a été indiqué qu'en passant et
comme moderne par l'auteur de la Grammaire des langues romanes. Tout
récemment encore Ed. Mail dans l'étude, d'ailleurs fort consciencieuse,
qui précède son édition du Comput de Philippe de Thaon n'a pas jugé à
propos de rechercher ni comment les gutturales pouvaient bien avoir
été traitées en normand, ni quelle était la valeur des signes employés
pour les représenter, indifférence qui l'a amené à attribuer dans ce
dialecte à pj transformé une valeur qu'il n'a, comme nous verrons,
jamais pu y avoir.
2. Bardes et trouvères normands. Gaen 1834.
3. C'est l'opinion de Gessner (flerrigs Arch. XVII, 189) et du dernier
éditeur du poème, M. G. Paris {La vie de saint Alexis, poème du XI'' siècle
Paris 1872), p. 45.
4. XVII, 189-227. Ce manuscrit avait déjà été publié par W. Mûller dans
la Zeitschrift fUr deulsches Allerthum v. 299-318. Je me sers du texte de
Gessner.
— 236 —
lers 76, 1 ; cantant 102, 2; 112, 5; cantent 117, 4; candé-
labres 117, 1; caj9e5 117, 2; canuthe 82, 1 ; cartrehl, 4
70, 3; 71, 5 ; 74, 3; 75, 1 ; 76, 2 ; 78, 1 ; mm 24, 1 ; 45, 5
71, 1 ; 87, 2 ; cascune 25, 2 ; cascuns 52, 1 ; parcaminhl , 1
pecaUes 16, 4. Il n'y a d'exception que pour Acharies (Arca-
dius) 92, 2, — écrit, il est vrai, Akaries dans le manuscrit de
Paris, — c persiste également devant a changé en e dans alas-
cet 75, 2 ; 116, 2 ; hlance 78, 2; &w<?e 97, 1 ; cet 85, 5; colcer
11, 2; jt5(?C(?^ 112, 4 ; vocet 73, 2 ; ainsi que dans ker 2, 2 ; 2,
5 ; ^2er96, 1 ; 82, 1 ; il s'est changé, au contraire, en ch dans
chef, cher 12, 3 ; 22, 44, 4 ; 90, 5 ; chevels 87, 1 ; escheve-
lede 84, 4 ; pechet 22, 3; 64, 5; 110, 1. En définitives persiste
trente-huit fois, tandis qu'il ne se change en ch que onze fois. Le
manuscrit le plus important après le manuscrit de Lambspringen
que je viens d'examiner, celui d'Ashburnhamplace, moins ancien
et moins correct que lui, nous offre un plus grand nombre
d'exemples de la substitution de ch à c, même devant a; ainsi
chambre trois fois, chartre une fois, charn deux fois ; ainsi que
colchiet, chet, vuchie au lieu de colcer, cet, vocet du premier
manuscrit. Quelle conclusion faut-il tirer de l'orthographe de ces
deux rédactions les plus importantes du poème ? Naturellement
c'est que le manuscrit de Lambspringen, plus ancien et dont le
texte est le plus correct, nous donne aussi l'orthographe qui se
rapproche le plus du texte primitif, et que par conséquent dans ce
texte presque toujours, comme dans ce manuscrit, ou peut-être
même toujours, c avait persisté devant a latin conservé ou modi-
fié; il serait surprenant, en effet, que le copiste si fidèle, ce
semble, du manuscrit de Lambspringen eût écrit c là où il trou-
vait ch dans l'original, ou qu'un texte si souvent falsifié, comme
l'est celui du manuscrit d'Ashburnhamplace, reproduisît plus
exactement l'orthographe primitive du poème que L. Quant à
la prononciation réelle du c soit devant a, soit devant e prove-
nant de a latin, il ne peut y avoir de raison de ne pas lui attri-
buer le son guttural latin qu'il a conservé dans tous les idiomes
romans qui ne l'ont pas changé en ch, et qu'il a encore, comme
nous verrons, en général dans le normand moderne ; les trans-
criptions ker, hier, — comme il ne peut y avoir de doute sur
la valeur du i%, — sont même une preuve directe que la pro-
nonciation gutturale s'était conservée, même dans les mots où
\a latin s'était changé en e ^ Quant à la gutturale palatale et à
1. Jo raisonne toujours dans l'hypothèse que le poème a été composé
— 237 —
ti transformé, ils sont toujours représentés par c, s ovl z ^
Après l'Alexis nous avons un monument encore plus impor-
tant du dialecte normand dans la « Chanson de Roland », dont
le vocalisme du moins ne laisse guère de doute à cet égard ^, L'exa-
men de ce poème, véritable joyau de notre vieille littérature,
nous donnera à peu près les mêmes résultats que celui de l'Ale-
xis. Ainsi c persiste dans les mots :
caables v. 237. — cadahles v. 98.
cadelet v. 936, 2927, etc.
caeines v. 2557, 2735. — caeignahles 183. — caeignon
1826. — caeignez 128. — encaeinent 1827.
caeir, cadeir, cdir, v. 578, 2034, 3453, 3486, 3551. —
caeiz 2231, 2269. — caet 333. — caeite 989, 1986. — caist
764, 3439. — caût 3608.
calciez v. 3863.
caland v. 2467, 2647, 2927, etc. — calanz 2728.
cald V. 950. — calt 227, 1405, 1806, 1840, etc. — calz
1011,1018,3633.
calenger v. 3592. — calengemenfàdA. — calengiez 1926.
— calenjant 3376.
ca7nbre v. 2332, 2593, 2709, 3992, etc.
en Normandie ; mais lors même qu'il aurait été fait dans une autre pro-
vince, la conclusion serait la même; seulement au lieu de se rapporter
au texte primitif, elle se rapporterait au manuscrit de Lambspringen dont
l'origine ou du moins la langue est certainement normande. Mais on
voit que je diffère de l'opinion de M. G. Paris qui, tout en regardant le
poème comme normand, a rétabli partout ch au lieu de c.
1. Nous verrons plus loin quelle valeur il faut attribuer au premier de
ces signes.
2. Je me sers de l'édition de M. L. Gautier. Tours, 2 v. in-4», 1872. L'édi-
teur non-seulement admet que le poème est écrit dans le dialecte nor-
mand, mais qu'il est l'œuvre d'un poète du pays d'Avranches, et comme
tel composé dans le dialecte de cette région de la Normandie. Je n'ai
rien à dire de la patrie du trouvère auquel nous devons la Chanson
de Roland, si ce n'est que les arguments invoqués par M. L. Gautier
pour la déterminer me paraissent assez faibles; quant à la prétention
émise dans la préface de sa troisième édition d'avoir rétabli le texte,
tel qu'il a dû être écrit primitivement, il suffît pour montrer combien
elle est peu fondée de dire que M. Gautier paraît ignorer quelques-uns
des caractères les plus essentiels du dialecte dans lequel, d'après lui,
le Roland a été composé : comment aurait-il pu dès lors en reproduire
les formes si souvent altérées ? Les mômes observations s'applique-
raient à l'édition de M. Bœhmer, qui a rétabli partout ch à la place de
c{a), s'il avait dit quelles raisons l'ont guidé dans la constitution de son
texte ; mais il faut attendre pour le juger qu'il se soit expliqué.
— 238 —
cameilz v. 129, 114, 645, 847. — camelz 31.
camp V. 555, 922, 1046, 1176, 1260, etc.
campel v. 2862, 3147. — campion 2244.
caitive v. 2596, 2722, 3673, 3978. — caitifs 2698, 3817.
canut V. 230, 2048, 3954, etc. — canud 503. — canue
2307, 3654. — canuz 538, 551.
cancun v. 1014, 1466. — cantee 1014, 1466. — cantat
1568. — cant 1474. — encanteûr 1391.
cancelet v. 3608, — cancelant 2227.
capele v. 52, 297, 726, 3744, — cape 545.
caplent v. 1347, 3475, 3mS. — caple{s) 1109, 1678, 3403,
3380. — capleier 1681. — mp^e2Y 3462. — capler 3910.
carbuncle v. 1326, 2633, 2643.
cargiery. 131. — cargiet 645. — cargiez 32, 185, 652.
Caries, Carlun, Carlemaigne v. 1, 16, 28, 52, 70, 81,
218, 418, 522, 643, 766, etc.
car Y. 2942; — carn 1119, 1265, 2141, 3606; — cars
1613. — carnel 2153. — carnier 2949, 2954.
carier v. 33. — cares 33, 131, 186. — carettes 2972.
cartre v. 2097. — cartres 1684.
m^iJe/ V. 4, 23, 236, 704, 3783, etc.
cascuns v. 51, 2502, 2559, 3631, etc.
castier v. 1739.
ceval Y. 1374, d379, 1539, 1554, etc.
cevalers v. 110. — cevalcent v. 3195, etc.
culcet V. 2447, 2496, 3992.
embrunket v. 3645.
escange v. 840, 3095, 3714. — escantel 1292.
encalcierentY. 1627 .—encalcent 2460, 2462, 3627, etc.—
encalciet 2785, 2796.— ewm^c^■e^ 2167. —encalz 2446, 3635.
escapet v. 3955, etc. — escapez cxxii^
purcacet v. 2612.
racatet v. 3194, etc. — racatent 1833.
2° C persiste et se change à la fois en ch dans :
cevalchet v. 1616, 1812, 3078, 3965.
3° Enfin il se change en ch dans les mots :
achevée v. 3578.
hachelerY. 113, 3020, 3197.
blanche v. 89, 231, 1655, 3504, 3521, 4001, etc. — blan-
cheier 261 .
1. Manuscrit de Venise. — 3» éd. L. Gautier.
.^_^^ — 239 —
branches v. 72, 80, 93, 203.
brochet Y. 1125, 1077, 1225, etc. ^brochent 1184, 1381,
1802, 3350, etc.
buche{s) V. 633, 1487, 1603, 1753, etc.
chaïry. 1356, 1426, 1509, 1981, etc.
chedet v. 769. — cheit v. 981, 1064. — chiet 1267, 1356,
1509, etc. — chiedent 1426. — cheent v. 1981, 3574, etc. —
decheent 1585.
chalcer v. 2678. — chalz v. 3633. — chalces v. 3863.
c^îe^^v. 227, 2411.
chambre v. 2806, 2910.
champ V. 865, 1338, 1782, etc.
chançun v. 1466, 1474, 1563.
cha,pele v. 2917, etc.
Charles, Charlon v. 94, 156, 370, 1195, etc.
char V. 3436, 3463. — chars v. 1119, 1265, 1613.
chastels v. 2611.
chascunY.203, 390,1013.
chemin{s) v. 1250, 2426, 2464, 2852, etc. — acheminet
702. — acheminez 365, etc.
cheval{s) v. 1095, 1545, 1988, etc.
chevalier{s) v. 25, 99, 274, 732, 802. — chevalerie 594,
960, 3074. — chevalerus 3173.
chevalchet v. 366, 402, 480, 706, etc. — chevalchiez,
1175, etc. — chevalchat 1818, 2842, 3096. — chevalche
2455, 1619. — chevalchièrent 2812. — chevalchons 3178.
— chevalcheriez 3280. — chevalchent 710, 855, etc. —
chevel{s) v. 976, 2347, 2596, 2931, 3605, 3821. — cheve-
leûre 1327.
chef Y. 44, 117, 138, 209, 214, etc.
chier{s) v. 160, 547, 573, 1517, etc. — chiere 3816, 3645.
— chierement 3012.
choses V. 2377.
culchetY. 12, 2013, 2449, 2480, etc.— culchez 2358, 3097.
— cidchiet 2175, 2204, etc. — culchiez 2481.
Danemarche v. 749, 1650, 3855, 3937.
detrenchiet v. 2172, 3889. — detrenchiez 1747. — detren-
chet 1926, etc.
embrunchet v. 1079, 3505, 3645. — embrunchit 3816.
enchalcent v. 2462, 2785, 2796. — enc/ïa^^ 2446, 3635.
fîchiet 2173. — aficheernent 3117.
franche v. 2324, 3978.
— 240 —
fr esche v. 2492.
furcheles v. 1294, 2249. — furcheûre 1330, 3157.
laschet v. 1290, 1574, 2996. — laschent 1381, 3349, 3877.
pecchiet v. 15, 240, 1140, '3,UQ. — pecchiez 882, 2365,
2368, etc.
trabechier v. 1971. — trahecherent 3574.
trenchier v. 57. — trenchie 1374. — trenchet\2Q0, 1273,
1299, etc. — trenchanz 554, 949, 2539. — trenchant 867,
1301, etc. — trenchat 1328, 1557, etc. — trenchiet 1512,
1871 . — trenchent 3583, etc.
tuchant v. 861, — tuchiet 1306.
Si on compare ces diverses formes, on reconnaît qu'elles appar-
tiennent évidemment à un âge de la langue ou à des dialectes diffé-
rents, et il est curieux de voir l'arbitraire avec lequel l'éditeur a
dans sa troisième édition modifié son texte, et remplacé dans cer-
tains cas c par ch et réciproquement, tandis que dans d'autres
il laissait subsister la leçon du manuscrit, ne s'apercevant pas
qu'il ne faisait par là qu'augmenter la confusion déjà si grande
entre les formes normandes comme cdir, canut, etc., et les formes
françaises chedet, cheval, etc. Quoi qu'il en soit et malgré les
altérations dont elle a été l'objet, la Chanson de Roland a con-
servé le c vélaire plus souvent qu'elle ne l'a changé en ch. Quant
à la gutturale palatale, elle y est toujours représentée par c,
s ou z, jamais par ch.
Après la « Chanson de Roland », le monument le plus considé-
rable et, je crois, le plus ancien du dialecte normand, est le
« Voyage de Charlemagne à Jérusalem ^ » ; si l'on parcourt ce
poème ou le vocabulaire, fait avec soin, que l'éditeur a mis à la
fin, on voit qu'un certain nombre de mots sont encore, comme
dans le Roland, écrits tantôt par c, tantôt par ch, comme car
V. 283, 299, 317, 320 et char v. 403, 549 ; caiet v. 868 et
chair ^f. 31, etc.; mais, tout compte fait, la gutturale vélaire
suivie de a y persiste bien plus souvent qu'elle ne se change en
ch; on la trouve soit sous la forme c, soit sous la forme k ou q,
120 fois, sans compter le mot savant calice, tandis qu'elle ne se
transforme en ch que 33 fois ; la proportion, on le voit, est en-
core plus forte que dans le Roland. Comme dans ce dernier
poème d'ailleurs, la gutturale palatale n'est jamais représentée
par ch; le c a persisté, à moins toutefois qu'il n'ait donné
1. Charlemagne, an anglo-norman poem, edited by Fr. Michel, in- 12,
Oxonii, 1836.
— 24^ —
naissance à une spirante sonore;, auquel cas il est représenté,
ainsi que dans les monuments précédents, par s ou z.
Après ou à côté des trois textes que je viens d'examiner, il
convient, je crois, de placer le fragment d'un petit poème dévot,
publié par M. G. Paris dans le sixième volume du Jahrbuch ^ ;
ce fragment, sur l'origine duquel l'éditeur ne s'est point prononcé
d'une manière définitive, mais qu'il incline, je crois avec grand'
raison, à regarder comme normand, montre la gutturale vélaire
persistant partout devant a, ainsi canter, casteed, escalgaites,
cadeit. Quant à la gutturale palatale, si elle est encore repré-
sentée par c, comme dans cil, on la trouve aussi remplacée par
ch dans chine, premier exemple d'une transformation ou plutôt
d'une orthographe que nous rencontrerons sans cesse mainte-
nant.
Parmi les textes normands qu'on trouve dans l'histoire des
« Bardes et Jongleurs » de l'abbé de La Rue, les fragments du
« Voyage de Saint Brandan » sont sans contredit le plus impor-
tant, en même temps que le plus long^ ; nous avons affaire là à
un texte évidemment normand, le vocalisme ne laisse pas de
doute à ce sujet ; quant aux gutturales, la vélaire j a encore
persisté, mais moins souvent cependant qu'elle ne s'y est changée
en ch\ on y trouve, en efiet, douze fois ch et huit fois seulement
c ; en même temps la gutturale palatale y présente une particu-
larité inconnue aux trois grands poèmes que j'ai étudiés, mais
dont j'ai signalé un exemple dans le fragment publié par M. Gas-
ton Paris : à la place de ce, ci, c'est-à-dire du c ou de ti assibilé,
nous trouvons ehe ou chi, comme en picard ; ainsi chele, dres-
chent, drechent, drech et cachez ^. Les autres textes qu'on
trouve dans La Rue n'offrent rien de remarquable, mais on a
publié en entier plusieurs des poèmes dont il n'avait donné que
de courts fragments ; quelques-uns d'entre eux offrent un inté-
rêt tout particulier.
Le texte donné par Th. Wright'* du « Bestiaire » de Phihppe
de Thaon, le premier poème que nous rencontrons, nous montre
le c vélaire devant a latin tantôt représenté par c, surtout quand
1. 1865, p. 366.
2. Bardes et trouvères, II, 68.
3. M. G. Paris a eu l'obligeance de me communiquer une copie qu'il
possède d'un manuscrit du Saint-Brandan; je n'y ai trouvé cApourcque
six fois et toujours dans le mot dresser; ainsi drechet 204, 1008; drechent
209, 383, 658, 934.
4. Popular trealises on sciences, p. 74.
46
— 242 —
a persiste, tantôt, mais moins souvent, représenté par ch ; ainsi
dans les trois cents premiers vers on trouve c{k) treize fois, ch
seulement onze fois. Quant au c palatal, comme dans l'Alexis, le
Roland et le Voyage de Charlemagne, il y est d'ailleurs, ainsi que
ti assibilé, représenté par ç, s onz. Dans son « Livre des Créa-
tures », au contraire, le c vèlaire est beaucoup plus souvent rem-
placé par ch qu'il ne persiste ; dans les deux cents premiers vers
on ne rencontre c que deux fois dans capitles v. 87 et 104 ; c^ ap-
paraît onze fois ; mais il faut dire que qui est le plus souvent écrit
chi dans ce texte, ce qui peut faire hésiter sur la valeur exacte du
signe ch et qu'on trouve même, nouvelle cause d'incertitude, car
(quare) écrit char v. 124 et 148, bien que la vélaire représentée
par q ait persisté dans tous les dialectes française Une autre par-
ticularité de ce texte, c'est qu'il offre, rarement il est vrai, ch à
la place du c palatal ; ainsi icho v. 6, chest v. 31. Si l'on s'en
rapporte à M. Ed. Mail ", c'est ch qu'on rencontre le plus souvent
dans le « Comput » à la place du c vélaire suivi àe a ; c n'aurait
persisté d'après lui qvi eœceptionnelletnent dans les mots can-
delur, capitle, carpent, trencantes ; c'est au contraire, ce
qui n'a rien qui doive surprendre, la forme ordinaire du mot
kalende , qu'on trouve cependant écrit une fois chalendes
(G 1123). Le c palatal et ti transformés ne sont représentés que
par c ovlS {z) .
Après les œuvres de Philippe de Thaon prennent place celles
de R. Wace, le « Roman de Brut » et le « Roman de Rou ». Le
texte du premier, tel que l'a donné Le Roux de Lincy d'après le
manuscrit 1450 fonds français delà Bibliothèque nationale^, nous
montre le c vélaire persistant plus souvent qu'il ne se change en
ch ; dans les cinq cents premiers vers, on trouve vingt-six mots
où il persiste, dix-sept seulement où il a fait place à ch. On ren-
contre aussi cette dernière forme à la place du c palatal dans
enforchier v, 215 et chertainement v. 1748 ; mais elle est
bien plus commune dans le manuscrit 7515 ^'^ Colbert, 1416
nouveau fonds français de la Bibliothèque nationale, ainsi qu'on
peut en juger par ces deux vers éminemment normands :
Cheelement nièce Lavine
0 lui coucha : celle conchut.
1. Une autre raison qui enlève à ce texte une partie de sa valeur
pour l'étude à laquelle je me livre, c'est qu'il est anglo-normand et non
normand.
2. Li cumpoz Philipe de Thaiin hgg. von D' Ed. Mail, in- 18. Strasbourg,
1863, p. 92 et 93.
3. Le Roman de Brut, 2 v. in-8°, Rouen, 1836.
— 243 —
Cette transformation du c palatal en ch reparaît dans le texte
du Roman de Rou, surtout dans certains manuscrits ; l'impor-
tance grammaticale de ce document, tout altérée qu'en ait été la
langue primitive, exige queje m'y arrête quelque temps. Dans les
mille premiers vers de l'édition donnée par PluquetS j'ai compté
vingt mots où le c vélaire persiste et cinquante-lmit où il se
change en ch ; il me semble qu'on peut dans la plupart de ces
derniers voir un effet des rajeunissements dont le poème a été
l'objet 2. Cette supposition est d'autant plus vraisemblable que
dans le manuscrit 375 fonds français de la Bibliothèque natio-
nale, le c vélaire persiste plus souvent qu'il ne fait place à ch,
que Va suivant ait été conservé d'ailleurs ou changé en e, peu
importe. Ainsi on trouve dans le récit de la bataille d'Hastings
les mots ce^nise, ceval, mance, blance, etc. , dont les trois pre-
miers sont encore aujourd'hui quemise, quevaou g'va (à côté de
cheva ouf'cà), manque, et dont le dernier nous est donné par
un vocabulaire hébraïque-français dont je parlerai tout à l'heure.
Mais ce n'est pas dans le traitement de la gutturale vélaire que gît
l'importance de ce texte, mais dans la manière dont la gutturale
palatale s'y trouve représentée. Jusqu'ici il n'y a que le Saint Bran-
dan parmi les textes que j'ai étudiés qui offre un nombre apprécia-
ble d'exemples de la substitution de ch à ce {ci) ou ti transformé ;
dans le Roman de Rou, bien que c suivi de e ou de i, ou substitué
à ti suivi d'une autre voyelle, se rencontre encore très-souvent,
et même le plus souvent, ch apparaît un très-grand nombre de
fois ; ainsi dans les deux mille premiers vers j'en ai compté
soixante exemples dans des mots différents et trente-deux
pour le seul mot Français, écrit toujours Francheis, tandis que
France y a son orthographe habituelle. Voici ces mots où ch
se substitue au c palatal ou à ti :
recheurent v. 94, 1786 ; rechu v. 247 ; rechoivre v. 569;
1455 ; rechevront v. 571, 1022, 1741 ; rechoiz v. 1880.
chent V. 315, 507, 511 ; chenz v. 376, 1693.
Franchdz v. 110, 119, 1240, 1272, 1277, 1302, 1478, etc.
(trente-trois fois) ; franchoise v. 1305 ; Franchois v. 1308.
raanchon v. 456, 1090.
t. Le Roman de Rou et des ducs de Normandie, 2 v. in-4°, Rouen, 1827.
2. Ces rajeunissements ne portent pas d'ailleurs exclusivement sur les
gutturales ; on les remarque encore dans la substitution de la diphthon-
gue oi à ei; dans la quatrième branche que Pluquet a donnée surtout
d'après le manuscrit du Musée britannique, ei est bien plus souvent
conservé ; au contraire le manuscrit 375, qui contient également cette
quatrième branche, substitue encore souvent oi à ei.
— 244 —
lechon v. 502, 504.
acacha v. 546.
maleichouY. 685, 759; maudichonz v. 1472; beneichon
V. 1620.
apercheu v. 719 ; aparchut v. 1376 ; apercheit v. 1506,
1515 ; aparchurent 1784.
comenche v. 37; comencha v. 1035; comanchement \ .
1250 ; comenchie v. 1302.
/brcAe V. 790, 1650, 1953; — fortelesche v. 801.
^ec/îa V. 883, 1858, 1898.
manachié v. 1081, 1482.
mercMv. 1130, 1213,1818.
menchonge v. 1286.
perechouœ v. 1373.
guenchi v. 1532.
encachier v. 1538 ; encachent v. 1644 ; cachier v. 1877.
ocM V. 1547.
ac^^>r (acier) v. 1738, 1752.
aconchurent Y . 1788.
fâchons. 1857.
dreschaY. 1905.
muchier v. 1977 ; mucha v. 1977, 2009.
Dans la quatrième branche, au contraire, c^ se substitue bien
moins souvent à c suivi de e ou de i ou à ^z ; dans les miUe pre-
miers vers je n'ai trouvé de cette orthographe que les quatre exem-
ples drescha v. 5475, s'aparcheut v. 5628 ; recheut v. 5913 et
machues v. 6048 ; il semble bien qu'à cet égard le texte primi-
tif a été modifié, hypothèse qui n'a rien que d'admissible si l'on
fait attention que le manuscrit 375 de la Bibliothèque nationale
et celui du Musée britannique, d'après lesquels surtout le texte
a été constitué par Pluquet, sont le premier du xiv® siècle , le
second plus ancien sans doute, mais probablement d'origine an-
glo-normande.
Quoi qu'il en soit, l'étude du Roman de Rou nous a, comme
nous le voyons, fait faire un pas considérable dans la connais-
sance des transformations de la gutturale palatale en normand ;
le résultat auquel nous sommes arrivés se trouve d'ailleurs plei-
nement confirmé par l'examen de la « Chronique ascendante des
ducs de Normandie », attribuée également à R. Wace, et publiée
par Pluquet dans le premier volume des « Mémoires de la So-
ciété des Antiquaires de Normandie » \ d'après un manuscrit
1. 1" série, année 1824, p. 444 et suiv.
— 245 —
de l'Arsenal, copié par Sainte-Palaye. Dans ce petit poème, qui
ne contient que trois cent quatorze vers alexandrins, et où le c
vélaire persiste parfois, mais est plus souvent remplacé par ch ,
nous trouvons encore ce même signe ch assez souvent substitué
au c palatal ou à ^ suivi de i et d'une autre voyelle ; quoique le c
soit maintenu encore le plus souvent dans ce cas , ch en prend
vingt-quatre fois la place dans les mots apercheut, cheni, ca-
chiez, co7nencha {deux fois), déchut, drescha, fachon, Fran-
cheiz (sept fois), lechon, Uncheul, merchi (deux fois), Niche
(Nicée), perechoux , porcacha, recherchelèe, rechut.
Je trouve encore plusieurs exemples de la substitution de ch
au c palatal dans le Mémoire de Pluquet sur les trouvères nor-
mands* ; ainsi trachez p. 411 ; Rainschevals p. 431 ; et dans
ces deux vers tirés de la « Vie du bon Thomas Hélie », prêtre
du Cotentin mort en 1257, p. 442 :
Ou il n'ut bobans ni vantanches
En diocèse de Coutanches.
Le « Roman du Mont Saint Michel^ » en offre aussi un certain
nombre d'exemples, tels que chierge v. 900 ; mais ces exemples
sont peu nombreux ; le c vélaire y est aussi transformé en ch ;
malgré la pureté ordinaire du vocalisme, il est donc probable
qu'on a ici un texte remanié ou modifié.
Le « Roman d'Eneas » et le « Roman de Troie » sont-Us écrits
dans le dialecte normand ? Beneoit de Sainte More, auquel on les
attribue, les a-t-il réellement composés tous les deux, et était-il
normand? Voilà des questions, ou qui n'ont point été examinées,
ou qui n'ont point encore reçu de solution satisfaisante. Quoi
qu'il en soit, les textes publiés jusqu'ici de ces deux poèmes ne
suffisent point pour résoudre la question ; le fragment de l'Eneas
donné par M. Pey, et reproduit par Bartsch dans sa Chresto-
mathie, d'après le manuscrit fonds français 1450 de la Biblio-
thèque nationale, paraît bien peu normand par son vocalisme ;
quant aux gutturales, c suivi de a persiste, excepté dans cham-
bre ; il a également persisté devant e provenant de a latin dans
embrocements , fresce, toce ; au contraire, il s'estchangéen ch
dans chier ; pour la gutturale palatale, elle est représentée par c
dans tous les mots , excepté chertaine, où elle a été remplacée
par ch ; ch se trouve aussi à la place de ti transformé dans
1. Mém. de la Soc. des Ant. de Norm., 1" sér., I, 368.
2. Roman du Mont Saint Michel, p. p. Fr. Michel.
— 246 —
efforchier. Dans le Fragment du Roman de Troie publié dans
la Chrestomathie de Bartsch, d'après le manuscrit 2571 de la
Bibliothèque impériale de Vienne et les manuscrits xvii et xviii
de la Bibliothèque de Saint-Marc, le c vélaire apparaît partout
changé en ch, excepté dans escampèrent , pour lequel le manus-
crit de Vienne toutefois donne eschampèrent ; la vélaire y est
donc traitée comme en français ; il en est de même de la palatale ;
le vocalisme aussi est exclusivement français. Celui du texte
donné par M. Joly dans son édition publiée il y a deux ans
d'après le manuscrit 2614 de la Bibliothèque nationale* présente
des caractères évidemment normands, la fréquence de la diph-
thongue ei pour oi par exemple ; mais nous retrouvons peu de
ceux que j'ai signalés jusqu'ici dans la modification des gutturales
latines, qui y sont traitées à peu près comme en français^. A en
juger par les derniers vers donnés par M. Joly dans son intro-
duction , le manuscrit 1553, au contraire, change presque tou-
jours la gutturale palatale en ch, ainsi chelui, chi, chou, essau-
che. Mais ce texte étant probablement picard, il ne peut servir
à éclaircir la question que j'examine.
La « Chronique des ducs de Normandie », attribuée aussi par-
fois à Beneoit de Sainte More, présente un caractère non moins
singulier ; le vocalisme du texte publié par Francisque MicheP
est normand, du moins dans un de ses caractères les plus essen-
tiels ei = 01 ; ainsi feis, peirs, peis, peissun, seissante, treis,
etc., formes encore en usage aujourd'hui ; mais à côté de cela
nous trouvons c suivi de a latin, que cet a ait persisté ou qu'il se
soit changé en e ou ie, presque toujours transformé en ch ; ainsi
chalor, chose, chanz, chiens, champele, sechie, trenchant,
etc., si l'on excepte le mot caverne, — qui ne peut et ne doit pas
compter, — c suivi de a ne persiste dans les cinq cents premiers
vers que dans le mot çaples (v. 407). Ce qui est plus surprenant,
c'est que ch ait été rétabli dans des noms comme Chaain
(Gaen) v. 33754, 35047 et 36641 ; Chauz (Caux) v. 14739,
29004, 33154,35311 et 38157, Chaumont (Caumont) v. 30798
et 39254, où évidemment la vélaire avait dû être conservée. On
est ici évidemment en présence d'une restitution systématique du
1. Benoit de Sainte-More et le Roman de Troie, in-4°, Paris 1870.
2. Ceci n'empèclie pas M. Joly d'alfirmer que le texte du poème est
franchement normand ; mais il faudrait nous dire au moins quel est ce
dialecte, dans lequel on prétend avoir été écrits des textes où j'en
cherche en vain les caractères.
3. Chronique des ducs de Normandie, 3 v. in-S".
— 247 —
ch : est-ce du fait du copiste ou du poète, il est difficile de le
dire, quoique tout doive faire incliner pour la première liypo-
thèse. J'aurai d'ailleurs occasion de signaler d'autres tentatives
de changement dans l'orthographe des noms propres, tentatives
qui se produisirent au xiv** siècle, au moment où l'influence de
la langue française devenait toute-puissante en Normandie, pri-
vée de son autonomie politique, et dont quelques-unes ont fini
par modifier la prononciation d'un certain nombre de noms de
lieux. Quant à la palatale elle est représentée dans ce poème
comme en français.
Les textes publiés à la suite de la Chronique des ducs de Nor-
mandie, en particulier la « Chronique de Jordan Fantosme »,
donneraient lieu à des observations analogues, aussi je ne m'y
arrête pas, et j'arrive au « Drame d'Adam » et à la « Vie de Gré-
goire le Grand, pape, » publiés par M. Luzarche d'après un
manuscrit de la Bibliothèque de Tours. Le vocalisme de ces deux
poèmes est évidemment normand ; on y rencontre aussi fréquem-
ment la terminaison oue, out, qui semble particulière aux an-
ciens monuments écrits dans ce dialecte, néanmoins le c vélaire
n'a pas persisté une seule fois dans toute l'étendue du drame
d'Adam, et je l'ai trouvé toujours changé en çh dans les quarante
premières pages de la Vie de Grégoire ; par contre dans le pre-
mier de ces poèmes le g vélaire persiste dans gardin^^. 17 et 22,
et on le trouve aussi dans mangues p. 23 et mangai p. 34, à côté,
il est vrai, àemanjues"^. 15, il, 24:, 28 et manjas p. 34. Ce et ti
suivi d'une voyelle sont toujours représentés par ce {ci) ; je n'ai
trouvé qu'un seul mot où ch en ait pris la place, c'est proeche
p. 82 du drame d'Adam. Nous avons là évidemment une nou-
velle preuve des altérations qui ont pu être apportées aux textes
primitifs, et qu'explique ici sans peine l'origine probablement
méridionale du copiste de ces poèmes ^
Les textes que j'ai examinés jusqu'à présent sont les monu-
ments poétiques les plus considérables qu'on possède du dialecte
normand, mais il en est d'autres en prose qui doivent maintenant
fixer notre attention. Ce sont d'abord les Lois de Guillaume le
Conquérant, auxquelles les critiques qui se sont occupés jus-
qu'ici du dialecte normand ont accordé une importance bien
trop grande, le Psautier d'Oxford et les Livres des Rois.
Les « Lois de Guillaume^» remontent sans doute pour le fond
1. Voir plus haut, p, 116, note 2.
2. R. Sclimidt, Bie Gesetze der Angelsachsen.
— 248 —
au temps même de la conquête, mais rajeunies et remaniées depuis
sans aucun doute plus d'une fois, elles ne sauraient donner aucun
renseignement définitif sur la langue dans laquelle elles ont été
originellement écrites ; aussi serait-ce, je crois, vouloir s'expo-
ser à se tromper que de chercher dans leur vocalisme ou leur
consonnantisme la loi qui préside à celui du normand ; je me
bornerai donc à constater que ca y est en général transformé en
ch et que le c palatal y est traité comme en français.
Tout autre est l'importance du « Psautier d'Oxford » ^ Le
manuscrit publié par Fr. Michel, sans être peut-être plus ancien
que la seconde moitié du xii^ siècle, a conservé les caractères les
plus distinctifs du vocalisme normand : ei = oi et u mis pour
u ovio latin ; ainsi mei, tei, deiz, peissuns, veie ; oreisun,
gêner aciun, menceunge, etc. Quant aux gutturales, c suivi de
a ou au latin persiste quelquefois, mn^icoses (Ps. I, II, IV, etc.),
castier (Ps. VI, etc.), cait (Ps. VII), canterai (Ps. VII,
XII), etc. , mais le plus souvent il a été remplacé parc^. La guttu-
rale palatale y est toujours représentée par c, s ou z.
Faut-il ranger « Li Livres des Reis », comme l'a fait M. Le
Roux de Lincy, parmi les monuments écrits dans le dialecte de
l'Ile-de-France? Le vocalisme tout normand s'y oppose tout
d'abord, sans parler de nombre de mots qui semblent bien propres
au dialecte normand. Mais il y a plus ; si le c vélaire suivi de a
y a bien été généralement changé en cA, — quoique par places
on l'y trouve aussi conservé, par exemple dans cameilz p. 107,
etc., — comme dans le français proprement dit, le c palatal est
loin d'y avoir été toujours traité comme dans ce dialecte ; à côté
des formes c, s, z on rencontre assez souvent ch, modification
qui lui est étrangère ; ainsi dans les douze premiers chapitres du
second livre :
Amalechites I. — cha X.
apay^chut XI, s' aperchurent X, s'aperchut XII.
cumencha IL — cunchut XL
curuchad III, curecha VI, XII.
esforchout III.
rechut VIII, recheues id.
Nous retrouvons là comme dans le vocalisme un des carac-
tères du dialecte normand ; on ne peut donc mettre en doute, je
crois, que ce texte n'ait été écrit dans cet idiome, seulement il
1. Libri Psalmorum versio antiqua Gallica, edidit Fr. Michel, in-8°. Oxo-
nii, 18G0.
— 249 —
aura probablement été copié et modifié par un scribe français.
L'examen des monuments d'origine normande que j'ai passés
en revue jusqu'à présent nous a donné, au point de vue du trai-
tement des gutturales, les résultats suivants :
1° La vélaire persiste presque toujours dans le manuscrit L de
l'Alexis ; dans le Roland, le Charlemagne, après l'Alexis les monu-
ments les plus anciens de la langue, il persiste plus souvent qu'il
ne se change en ch ; il en est de même en général dans le manus-
crit 375 du Romande Rou, dans le manuscrit 1450 de l'Eneas,
dans le Bestiaire de Philippe de Thaon et le roman de Brut ; il se
change en ch, au contraire, plus souvent qu'il ne persiste dans
le Psautier d'Oxford, le Livre des Créatures, etc. ; enfin il est
remplacé presque toujours par ch dans les textes publiés du Ro-
man de Troie, dans la Chronique des ducs de Normandie, le Ro-
man du Mont Saint Michel, le drame d'Adam, la Vie du pape
Grégoire le Grand, les Livres des Rois.
2° La palatale est représentée par c quand elle est sourde, s
ou z quand elle est sonore, dans l'Alexis, le Roland, le Psau-
tier d'Oxford ; il en est de même dans le Roman de Troie, le
drame d'Adam, la Vie de Saint Grégoire, la Chronique des ducs
de Normandie, etc. A côté de ce mode de représentation, au
contraire, on trouve ch quand la spirante est sourde, dans le
petit poème pubhé par M. Gaston Paris, dans le Voyage de Saint
Brandan, le Roman de Brut, le Roman de Rou, l'Eneas, la
Chronique ascendante des ducs de Normandie, la Vie du bon
Thomas Hélie, les Livres des Rois, etc. ; comment exphquer ces
différences phonétiques? Nous sommes en présence d'une ques-
tion complexe, à laquelle il est difficile peut-être de répondre
d'une manière complète. Essayons cependant d'en démêler les
points les plus obscurs.
En ce qui concerne le c vélaire, sa persistance dans les textes
les plus anciens et cette circonstance que, comme nous le ver-
rons, malgré l'influence continue du français, il s'est maintenu
en général jusqu'à nos jours, indique bien déjà que c'est une
forme essentiellement normande ; et comme, d'un autre côté, des
sons k et ch c'est le second, non le premier qui est dérivé, par-
tout où nous trouvons le son k nous avons la forme primitive ; or,
comme ce son apparaît à la fois dans les plus anciens monuments
de la langue et dans le patois moderne, on ne peut douter qu'il
ne soit la véritable forme normande du c vélaire.
Quant à la palatale, il faut distinguer le cas où elle s'est trans-
formée en spirante sonore en français et celui où elle a donné
— 250 —
naissance à une sourde. Dans le premier elle est toujours repré-
sentée, comme dans cet idiome, par s om z dans les textes nor-
mands ; ainsi :
Al. justise 1,2; raisun 15, 1 ; servise 52, 4 ; 56, 2 ; orai-
sun 62, 2 ; noise 101, 2 ; palazinus 111, 2.
Roi. raison 5, 14^ 25, etc. ; traisun 16, etc. ; justise 37 ;
amendise 39 ; quinze 14, etc.
L. R. ^re;2;e, oisels, sacrifise, servise, etc.
L. Ps. /wz^e I, 6; oreisun IV, 2; V, 2, etc. ; faiseient V,
11 ; XIII, 5; owe/5 VIII, 8, etc.
Il faut donc supposer que la palatale avait pris dans ce cas
dans l'ancien normand la valeur dz ou s ; c'est celle qu'elle a
encore dans le patois moderne et qu'elle a prise également en
picard ^
Quand la palatale s'est changée en spirante sourde en fran-
çais, elle est représentée par c seul dans les quatre plus anciens
textes normands, par c ou ch dans les autres ; par ch dans le
patois moderne. Que faut-il conclure de là? Doit-on supposer que
c ne pouvait avoir dans les premiers textes normands que la valeur
ts qu'il a dans les textes français, et que le son ch que nous lui
trouvons plus tard n'est qu'un épaississement de ce son primitif?
Diez l'a supposé pour le picard ; mais je ne crois pas qu'on puisse
admettre qu'il en a été ainsi, pas plus pour ce dialecte que
pour le normand ; on n'est point en droit du moins de tirer cette
conclusion de la représentation de la palatale transformée par c
seul dans les plus anciens monuments ; non-seulement ce signe
n'a point, en effet, dû y avoir nécessairement la valeur ts, mais
il a pu se faire, ce qui avait lieu, comme nous avons vu, souvent
en picard, qu'il représentât aussi en normand le son ch [c ou s),
supposition qui acquiert un nouveau degré de vraisemblance par
cette circonstance que dans les plus anciens textes de ce der-
nier dialecte ch étant souvent employé comme signe de la guttu-
rale — ainsi dans chi (qui) L. Ps., — on ne pouvait guère s'en
servir pour représenter une chuintante ^. Mais il y a plus, l'exa-
men de ces textes nous donne, je crois, une preuve directe que c
pouvait et devait même y avoir la valeur c ou s. En effet, nous
l'y trouvons non pas seulement substitué à la palatale ou à ti
transformé, mais encore dijot précédé de^p ; ainsi :
1. V. pi. h., p. 233 et 117. J'ai à tort dans cette dernière paru faire une
restriction pour le normand.
2. V. pi. h. p. 83.
— 25^ —
J. sacet 50, 2.
loi. sacent v. 3136 ; reproce v. 2263.
>h. aprocet v. 119, 398, etc. ; 5ac<?^ v. 491.
L. Ps. pruceine XXI, 1 ; XLIV, 16, etc. ; reprwceXXI, 6;
5«ce XXXVIII, 6; CXVIII, 125; sacent IX, 21 ; etc.
L. R. aprecerun p. 46 ; repruce p. 64 et 66.
Or si l'on se reporte à la série des transformations pi, pj, pc,
c ou 5, et si l'on fait attention que le normand actuel, comme le
français, donne au c des mots précédents le son ch, on ne pourra
supposer qu'il avait celui de ç dans l'ancien normand qu'en
admettant en même temps qu'après être descendu jusqu'au son
pou 5, il est remonté au son ch, hypothèse que rien ne justifie,
et qui est en contradiction avec ce qui s'est passé dans cet idiome.
D'ailleurs cette représentation du jot n'est pas particulière aux
textes normands, on la retrouve aussi dans les textes picards, —
ainsi dans Huon, l'Alexandre, etc., — où c pouvait avoir, nous
avons vu, le son ch ; donc on est en droit d'admettre qu'il en
était de même dans les premiers ^ . Ainsi on peut admettre que
dans les premiers textes où ch n'apparaît point à la place de
la palatale, celle-ci n'en a pas moins pu avoir la valeur c ou 5.
Quoi qu'il en soit, nous trouvons d'une manière incontestable ch
substitué à c depuis le commencement du xii® siècle, c'est-à-dire
à une époque au moins contemporaine des premiers textes qui ne
i\ous présentent pas cette notation, on ne peut donc rien conclure
de son absence dans ces textes. D'ailleurs cette circonstance
qu'on ne la trouve point également dans tous les textes posté-
rieurs, et remontant à une époque où ch représentait certaine-
ment le c palatal, nous montre que sur ce point le caprice des
scribes se donnait la plus grande latitude, et la présence
incontestée de ch dans un si grand nombre d'autres textes
contemporains des premiers ne nous permet pas de douter qu'il
n'ait été au Moyen Age, comme depuis, la forme ordinaire que
le c palatal a prise dans le normand, ainsi que dans le picard.
Cette manière de voir sur le traitement probable du c vélaire
1. M. Ed. Mail {Compoz p. 93) a donc eu tort de voir une particularité
propre à l'anglo-normand dans cette représentation du jot transformé ;
erreur d'autant moins explicable que les monuments picards, comme je
l'ai fait remarquer, nous présentent le même fait, — ainsi saciés H. v.
39, 187, etc. ; rqirocies id. 62 ; aprocent Alix. Chr. 109, 25, — et qu'on
trouve l'une à côté de l'autre les deux notations c et ch dans les textes
normands; par exemple sachez L. Ps. IV, 4 et sacent id. IX, 21. Cf. G.
Paris, Al p. 88.
— 252 —
et du c palatal dans le dialecte normand trouve sa confirmation
dans l'orthographe d'un certain nombre d'actes du temps , qui
présentent tous les caractères possibles d'authenticité, le plus
souvent aussi dans la forme dès noms propres soit d'hommes,
soit de villes ou de villages, ainsi que dans celle qu'ont conservée
généralement en anglais les mots les plus anciens empruntés à la
langue d'oïl ; enfin dans l'état actuel du normand, qui nous pré-
sente encore les formes que je viens d'indiquer comme étant
caractéristiques de ce dialecte dans le traitement des deux guttu-
rales. Dans l'étude que je ferai de ces diverses sources d'informa-
tion, j'examinerai à part ce qui a trait au c vélaire et au c pala-
tal. Commençons par le premier.
Le normand fut importé en Angleterre avec la conquête et
déclaré langue officielle; mais en même temps l'anglo-saxon
resta la langue de la masse de la population vaincue, jusqu'au
jour où les deux idiomes se fondirent ensemble pour former ce
qui est devenu la langue anglaise. Mais avant cette fusion, qui
ne s'opéra que vers la fin du xiii" ou au commencement du
xiv^ siècle, des causes diverses s'étaient réunies pour modifier les
mots d'origine normande, de plus l'anglais ne seborna pasauxmots
qui avaient été importés par la conquête, plus tard il en emprunta
d'autres et non plus maintenant au normand, mais au français
lui-même ; de là les doubles formes de tant de vocables anglais,
qui trahissent ainsi leur origine différente. Quoi qu'il en soit, le
c vélaire a persisté en anglais dans les mots suivants, qui ont
presque tous leur équivalent en normand :
caitif, caldron, camber^ camel, camp, canal (?), canker,
candie, cant, cap, capon, captain, car, carnal, carry, car-
riage, cart, carpenter, carpet (?), carrion, caste, castle,
cat, catch, coter, caterpillar, cattle, causey, ^enne/(canile),
escape, scald (* excaldare), etc.
Il s'est, au contraire, changé en ch dans les mots :
chafe, chagrean, chain, chair, chaise, chalice, chaldron,
challenge, chaynber, champaign, chance, chandler, chan-
nel, change, chant, chape, chapter, charge, charra, char-
nel, chart, chase, charte, cheer (caram), cherish, cheveril,
chevron, chief, chimney, chivalry, choir, choice, etc.
Comme je l'ai dit, nous avons là évidemment des mots d'ori-
gine différente, ou, — ce sont les derniers, — qui ont été modi-
fiés depuis leur adoption sur le sol même de l'Angleterre. Un
vocabulaire français-hébreu, composé vraisemblablement dans
la première moitié du xui® siècle, et publié récemment, d'après
— 253 —
une copie faite par M. Ad. Nenbauer sur le manuscrit 135 i.
286-292 de la Bibliothèque Bodleienne, par M. E. Boehmer dans
ses « Romanische Studien », nous montre, en effet, qu'à cette
époque la vélaire persistait encore dans bon nombre de mots où
elle s'est depuis changée en ch. Si quelques mots paraissent dou-
teux sous la forme bizarre dont l'éditeur les a affublés, il est peu
probable néanmoins qu'il se soit souvent trompé dans la trans-
cription des gutturales, on peut donc les accepter telles qu'il
nous les donne. Voici les résultats que nous fournit l'examen de
ce dictionnaire :
c = K
ankartrets 32, 513.
atakeiret ii30, ataker et iib6.
blanhes 584.
boke 915.
branke 573, 709, 791, 982, —
ebrankoiet 922.
brekes (favos) 972.
campagne 519.
kaufre 515, — kaufres 535.
Aan^250, 310, 312, 313, 858.
c = CH
branches 132.
brèche 235.
kartre 543.
kaverent 334.
cavestre 106, — kabistre 397.
kemins 689, — keminets 819.
kebal 818.
kevriel 941, — kevries 959. chievre 243.
kiefdl.
koekaiiO.
demarkiets 189. -
detranketz 344, — detran- -
kera 474.
ekafeiret 736. echaufa 380,-
ekaperaill, — ekaperet iOOO. echapa 348,
1148.
changea 328.
chans 113, 331, — chanta
111, — chantant 280.
charbon 1039.
chardon 156.
charma 587.
chastia 258.
chaveret 563.
-echafets 142.
— echaperas
— 254 —
elaka 1031 elakera 508. —
TYianake p. manke (manicam) 732. —
markandise 643. —
pankant 703. —
roke 937,953. —
seka 771. sécha 215.
takes 526. —
tserkier 575, -- tserkes 247. —
— tocheiret 1132, 1157.
Ainsi nous trouvons dans ce vocabulaire soixante-huit exem-
ples et vingt-neuf mots, dont tous, trois exceptés, existent
aujourd'hui encore dans le patois normand, où la vélaire a per-
sisté, et vingt exemples seulement, avec quatorze mots, dont
aucun n'est normand, où elle est remplacée par ch. Si ce voca-
bulaire est bien, comme cela est vraisemblable, d'origine anglo-
normande, nous avons ici une preuve directe de la persistance de
la vélaire, ainsi que du double emploi des formes en k et en ch,
dont les textes normands firent usage de si bonne heure.
Une troisième preuve de la persistance de la vélaire dans l'an-
cien normand nous est fournie par l'examen des rôles de l'échi-
quier de Normandie ^ ; nous la retrouvons , en effet, dans les
noms propres de pajs suivants, dont la plupart l'ont conservée
jusqu'à nos jours :
Cadomus
Caletum
Cahannes
Calgeium
Caldecota
Cambremer
Camilleium
Campus Arnulphi
Campigneium
Canapville
Caneium
Canovilla
Cantalapum
Caen
Caux
Cahagnes
Caugy
Caudecote
Cambremer
Camilly
Cambernon
Campigny
Canapville
Cany
Canoville
Canteloup
Carabillon
Cardonvilla
Carevilla
Garentonum
Carroges
Carteret
Casnetum
Castilleium
Cathburgus
Fescanum
Grandis campus
Tolcam
Carabillon
Cardonville
Carville
Carentan
Carrouges
Carteret
La Kaîne
Castillan
Cabourg
Fécamp
Grancmnp
Touque
Au contraire, le c vélaire s'est changé en ch dans :
Abrincas Avranches Calceium Chaussey
1. Magni rotuli scaccarii Normanniœ sub regibus Angliœ. 2 v. in-8°.
— 255 —
Cambaium Chambois (o.) Carushurgus Cherbouy^g^
Gantalupura Chanteleu (o.) Clincampus Clinchamp
Tout précieux que soient ces renseignements, ils ne sont pas
les seuls qui nous montrent comment l'ancien normand traitait
le c vélaire, et nous en trouvons dans les actes, comptes, etc.,
de la même époque de plus complets et de non moins certains,
qui nous permettent en même temps de suivre le travail de trans-
formation auquel était soumis ce dialecte, ou plutôt le mélange
sans cesse croissant des formes françaises aux formes nor-
mandes dans les monuments écrits.
La plupart des pièces que j'ai consultées pour ce travail de
comparaison se trouvent dans trois publications, dues toutes trois
au zèle infatigable de M. LéopoldDelisle, et qui ne sont pas moins
précieuses pour la connaissance du dialecte parlé en Normandie
que pour l'histoire politique et sociale de cette province ; c'est par
ordre de date : 1° les « Etudes sur la condition de la classe agri-
cole et de l'état de l'agriculture en Normandie », (Evreux 1851);
2° r « Histoire du Château et des Sires de Saint-Sauveur le Vi-
comte », (Valognes 1867) ; enfin 3° les « Actes normands de la
Chambre des Comptes sous Philippe de Valois », (Rouen 1871).
Si cette dernière publication est trop récente pour avoir pu éclai-
rer les linguistes qui, dans ces dernières années, se sont occu-
pés du dialecte normand, il est surprenant que les nombreux
documents contenus dans la première, — laquelle remonte à plus
de vingt ans, — n'aient point jusqu'ici fait soupçonner un des ca-
ractères les plus essentiels de ce dialecte ; ils ne pouvaient ce-
pendant, comme on va voir, laisser de doute à cet égard.
Ce qui frappe dans les actes publiés par M.Léopold Dehsle, et
dans tous ceux de même origine, c'est, je l'ai déjà dit, le carac-
tère mixte de la langue ; les formes normandes j sont plus ou
moins nombreuses, mais jamais presque elles n'y sont employées
1. On a proposé parfois pour Cherbourg l'étymologie de Cesaris burgus,
c'est en particulier celle que donnent les « Rotuli scaccarii Normanniae »
et j'ai hésité d'abord entre cette étymologie, quelque invraisemblable
qu'elle fût, et Carus burgus; mais la prononciation Kierbourg ou Tchierbourg
que j'ai entendue dans un voyage que je viens de faire en Normandie ne
permet pas de douter que le ch de Cherbourg ne représente un c vélaire,
et que ce mot ne vienne de carus burgus et non de Cesaris burgus ; ce
qui surprendra d'autant moins que le xnoiUei- (carus) n'a point persisté,
que je sache, dans le normand, et que le c vélaire s'y est en général
transformé en chuintante toutes les fois que l'a suivant a fait place à
la diphthongue ié.
— 256 —
exclusivement, et souvent même elles ont complètement disparu
pour faire place uniquement aux formes françaises. Ce qui au
reste détermine le degré de pureté plus ou moins grand de ces
documents, c'est moins l'époque où ils ont été écrits, — quoi-
qu'on général les plus anciens soient aussi ceux qui ont conservé
le plus de caractères dialectaux, — que leur origine plus ou
moins populaire ; les actes oflSciels les plus vieux que nous ayons
sont déjà presqu exclusivement français ; les comptes d'ouvriers
les plus récents, au contraire, les inventaires de choses usuelles,
renferment de nombreuses formes normandes; mais, comme je
l'ai remarqué, ces formes n'apparaissent pas seules, elles sont
plus ou moins mêlées de formes françaises , comme si elles
étaient autant de fautes échappées à l'ignorance du scribe, et
qu'on ne rencontre pas sous des plumes plus instruites. On sent
qu'il y a là deux langues en présence, l'une populaire et pros-
crite, l'autre savante, et qui tend à s'imposer , et cela est si vrai
que ce ne sont pas seulement les formes particulières des deux
gutturales qui tendent à disparaître, la diphthongue ei, carac-
téristique du dialecte normand et en général des idiomes de
l'Ouest, laquelle s'est conservée sans altération ou tout au plus
en se changeant en e fermé jusqu'à nos jours, a fait place pres-
que partout à la diphthongue oi. Cette transformation est excep-
tionnelle dans les anciens monuments poétiques d'origine nor-
mande, ou même elle y est complètement inconnue ; aussi il ne
faut pas douter que si les actes, comptes, etc., que nous avons
dans ce dialecte, remontaient à une date plus reculée — les plus
vieux sont de la fin du xiif siècle et la plupart ne datent que du
xiv^ ou même du xv'* siècle — nous y retrouverions avec la diph-
thongue ei presque disparue, plus régulièrement encore les for-
mes normandes des deux gutturales. Quoiqu'il en soit, voici les
résultats que nous donne sur le traitement du c vélaire l'examen
des documents dont j'ai parlé.
Les chartes contenues dans l'histoire du château de Saint-
Sauveur étant peu anciennes, et la vélaire ne s'y trouvant con-
servée d'une manière authentique que dans le moi per que (quit-
tance de 1361), je les laisse de côté pour arriver aux pièces
justificatives données à la suite ou dans le cours des « Etudes
sur la condition de la classe agricole en Normandie » ; dans ces
documents c persiste dans les mots suivants :
caeres (Bretteville près Caen, 1307).
calenges (Mesnil-Ogier).
candele (Fierville, Mesnil-Ogier).
— 257 —
Canduele (cartulaire de Troarn).
cans (Quiévreville près Darne tal).
canvres (Ros près Caen).
capons (Mesnil-Ogier).
Cardin {UQi).
carete (Périers, 1291.) — karete (id. Daubeuf) quatre fois.
carier (Daubeuf).
carne (Périers, 1291 . — Bouquelon. — Quiévreville) 5 fois.
carpenterie ( id. id. )
Cateville{TvodiTn).
cauchie (Périers, 1291).
forques (Cartulaire de Troarn). — four que (Darnetal).
perque{s) (Périers, 1291. — Saint-Sauveur, 1391. — Troarn).
pesquerie (Saint-Sauveur).
quareste (Darnetal). — quaretés (Caen, 1307).
quemin (Neuville). — queminage (1401).
quevron (Inv""® du Temple de Breteville, 1307).
On trouve également avec le g vélaire :
gardin (Troarn), garbe (Daubeuf).
L'examen des « Actes normands » est encore plus instructif
que celui des pièces justificatives des « Etudes » .par le grand
nombre de formes vraiment normandes qu'on y rencontre ; on y
voit d'ailleurs, comme dans les chartes que j'ai déjà étudiées, les
formes françaises se substituer à chaque instant aux formes nor-
mandes de la gutturale ; et, ce qui est frappant, cette substitution
a lieu non-seulement pour les noms communs, mais encore dans
les noms propres, menacés par là de perdre leur forme originelle;
nous assistons ainsi, soit à leur transformation définitive , soit
aux tentatives de transformation dont ils ont été l'objet. Cepen-
dant malgré cette invasion des formes françaises, les mots vrai-
ment normands abondent encore dans les Actes, comme on
peut le voir par la liste suivante tirée des cent premiers et du
deux cent neuvième, qui est le compte des réparations faites au
château de Cherbourg :
acarier 84 (1338, Caen).
bretesques 209 (1348, Cherbourg) huit fois.
broques 43 (1334, Pays d'Auge).
canga 209 (1348, Cherbourg).
caulate 43 (1334, Pays d'Auge).
cantier 84 (1338, Caen) deux fois.
capiaux 46 (1334, Rouen), 88 (1338, Ronfleur).
çarbon 209 (1348, Cherbourg). — carbonier (id.)
n
— 258 —
quarete 39 (1333, Saint-Pierre d'Arthenay).
quaretère {ià., id.)
quarue (id., id.)
carpenter 83 (1338, Rouen).
carpenterie 52 (1336, Rouen). — 84 (1338, Caen). — 209
(1348, Cherbourg).
carpentier 83 (1338, Rouen). — 84 (1338, Caen) six fois.
— 209 (1348, Cherbourg) deux fois.
castelain QQ (1337, Pont-Audemer).
castellerie AS> {\'d2>h).
cauchier 83 (1338, Rouen).
cauœ 84 (1338, Caen).
clenques 209 (1348, Cherbourg).
coses 91 (1338, Ronfleur).
croques 20^ (1348, Cherbourg).
planquéier {ià., id.)
queez 39 (1333, Saint-Pierre d'Arthenay).
quesne 75 (1337, Amfreville) trois fois.
quevilles 209 (1348, Cherbourg) quatre fois.
quevron 43 (1334, Auge). - 52 (1336, Rouen) 5 fois. —
209 (1348, Cherbourg) trois fois.
requeviller 209 (1348, Cherbourg).
requevronner (id., id.)
De même dans les noms propres d'hommes suivants :
Robert le Canu 39 (1333, Saint-Pierre d'Arthenay).
Jehan de la Capelle (id., id.)
Cauchie 83 (1338, Rouen).
Carpentier 53 (1336, Ronfleur).
Du Quesne 43 (1334, Pays d'Auge).
Ricart Auberi 39 (1333, Saint-Pierre d'Arthenay).
Ainsi que dans les noms de localités ;
Caen, Camhes, Camilly, 84 (1338, Caen).
Karenten (Carentan), 39 (1333).
Castillon^{i'^21, Caen).
CauquegmjS (1331, Cotentin).
Planques (Bois des) 75 (1337, Amfreville).
Perquerie 3 (1328, Caen).
On voit par ce qui précède combien souvent, dans des actes
semi-officiels, la gutturale vélaire persistait encore au xrv*" siècle,
près de cent cinquante ans après la réunion delà Normandie à la
France ; et, si elle a disparu avec les autres caractères du nor-
mand de la langue des lettrés pour faire place à ch, le peuple ne
— 259 —
l'en a pas moins conservée fidèlement jusqu'à nos jours ; il y a
plus, elle s'est maintenue, comme nous avons vu, dans le plus
grand nombre des noms de localités où l'influence française n'a
pas réussi à la modifier.
Mais si les gens cultivés rejetèrent de bonne heure la vélaire
dans les mots où le normand la conservait, on n'ignorait pas
pour cela que cette conservation était un des caractères de ce
dialecte, et il ne manqua pas d'écrivains qui, au besoin, se ser-
virent à dessein des formes où elle subsistait ; c'est ainsi qu'au
XV® siècle l'auteur de la « Farce de maître Pathelin » met dans
la bouche de son principal personnage qui feint la folie les mots
normands ataque, vaque, mousque, che :
Les playes Dieu ! qu'est-ce qui s'ataque
A men cul ! Est ctie or une vaque,
Une mousque ou ung escarbot ? *
Plus tard, en plein xvif siècle, L. Ferrand, l'auteur de
r « Inventaire de la Muse normande », ne dédaigna point non
plus l'emploi de formes normandes en ka, ké, tout en se servant,
il est vrai^ concurremment des formes françaises ; ainsi on trouve
dans les deux premières pièces de vers de l'Inventaire : eplu-
queucc, recachez, caude, cauffer, quesne et fîquée qu'il fait
rimer assez singulièrement avec affichée. Dans sa « Muse nor-
mande », Louis Petit a fait un plus grand emploi encore des
mots normands où persiste la vélaire ; ainsi : cauche, capel,
queveus, caus, refique, fieques, breques, quien (canis), etc.
Ainsi il résulte de l'étude attentive des anciens monuments du
dialecte normand que malgré les traces d'altération qu'ils pré-
l, La Farce de maître Pathelin avec traduction, p. p. M. Ed. Fournier.
Acte II, scène V,
Celuy qui l'apprint a l'escole
Estoit Normand : ainsi avient
Qu'en la fin il luy en souvient,
dit Guillemette qui, plus habile que la plupart de nos linguistes, recon-
naît aussitôt dans le langage de Pathelin les caractères distinctifs du
normand. Cependant je doute que ail fût encore la l'orme normande au
xv" siècle; de plus il faudrait qu'est che, non qu'est-ce; mais pourquoi
M. Ed. Fournier a-t-il remplacé che par ce dans le est-ce une vaque ? de
sa traduction? et pourquoi écrit-il mouche et non pas môque'i Faire dire
après cela à Guillemette que le « jargon » de Pathelin est normand est
tout à fait absurde. La môme observation s'appliquerait à plus forte
raison à la traduction de la tirade picarde qui précède, et où l'on cher-
cherait en vain trace des formes caractéristiques de ce dialecte.
— 260 —
sentent si souvent, malgré l'emploi que certains scribes ont fait à
dessein de formes françaises, nous y retrouvons cependant par-
tout où la langue a conservé son caractère original et populaire
le c vélaire persistant comme en picard. Cette conclusion trouve
sa confirmation la plus complète dans la forme actuelle des vo-
cables soit propres, soit communs, qui appartiennent à ces deux
dialectes.
J'ai déjà parlé des anciens noms de pays normands et nous
avons vu que la plupart ont gardé le c vélaire sans modification ;
inutile de dire qu'il en est de même en picard, et les deux dialectes
offrent sur ce point l'accord le plus complet. C'est ce que montre
le tableau suivant, où sont réunis un certain nombre de noms de
pays d'origine analogue ou identique :
Cagny (c.)
Cahagnes (c.)
La Caine (c.)
Cambernon (m.)
Cmnhremer (c.)
Cmnemhert (c.)
Çampeaux (c.)
Campigny (c.)
Canapville (c.)
Canchy{c.)
Canisy (m.)
Canteleu (s.-i.)
Cardonville (c.)
Car piquet (c.)
Carter et (m.)
Carville (c.)
Castillon (c.)
Le Catelier (s.-i.)
Caumont (c.)
Cauville (c.)
Cagny (s.)
Cahon (s.)
Caisne (o.)
Cambron (a.)
CambyHn (p.-d.-c.
Camelin (a.)
Çampeaux (o.)
Canaples (s.)
Canchy (s.)
Canisy (s.)
CanteleuûG (n.)
Cardonville (s.)
Carrepuis (s.)
Cartignies (n.)
Carvin (p.-d.-c.j
Le Cateau (n.)
Le Catelet (a.)
Caumont (s.)
Cauvigny (o.)
Cliagny s. l.
Cliahaignes Sart.
Chambry s. m.
) Chambrey Meur.
Chamelet r.
Champeaux s. m.
Champigny y.
Chance i. l.
Chanteloup i. l.
Chardonnay s. l.
Charpentry Meuse.
Chartrettes s. m.
Charvin i.
Chatillon s. o.
Chatelet s. m.
Chaumont Marne.
Chauvigny v. ^.
Quant aux noms propres de personne, nous avons vu aussi
que, malgré les hésitations de la langue, la vélaire a le plus
1. Dans la colonne normande, il est à peine besoin de le dire, G.
signifie Calvados; E. Eure ; M. Manche ; 0. Orne ; S.-I. Seine-Inférieure;
dans la colonne picarde, A. désigne le département de l'Aisne; N. celui
du Nord ; 0. celui de l'Oise, au nord duquel l'influence picarde se fait
encore sentir ; P.-d.-C celui du Pas-de-Calais, et S. celui de la Somme.
— 26i ~
souvent persisté en normand ; il en a été de même encore natu-
rellement en picard. Le tableau suivant montrera quel accord
règne entre les deux dialectes dans la plupart des noms de cette
nature, communs à l'un et à l'autre.
Campie
Canu
Capelle
Carbonel
Cardin{e)
Cardon
Caron
Carpentier
Câtel 1
Cauchois
Cawnont
Cauvin
Du Quesne
Le Marcand
Labreque
Planquette
Vaquerie
Canut
Capelier
Carbonnier
Cardine
Cardon
Caron
Carpentier
Caucheur
Cawnont
Calvin
Champy
Chenu
Chapelle
Charbonnier
Chardin
Charpentier
Ghâtel
Chaumont
Chauvin
Duchêne
Le Marchand
De le Planque ('li. A. Planche
Vaquerie Cart. A. — etc.
Quelques-uns de ces noms ont en normand, toutefois à côté
de la forme ca, une forme en ch, également indigène, mais
évidemment plus moderne; ainsi Chauvin (Orne) à côté de
Cauvin (Calvados), Chaumont et Caumont (Calv.), Le Mar-
cand et Le Marchand (id.), Chartier (Alain) xv** siècle et Le
Carretier (Guillaume) son ancêtre, notable de Bayeux en 1309,
etc.
Les noms communs ne nous montrent pas un accord moins
grand dans la persistance de la vélaire en normand et en picard ;
le tableau suivant en est la preuve ^ :
1. La vraie forme populaire estCaté.
2. Les mots picards sont tirés du dictionnaire de Gorblet, les mots
rouchis de celui de Hécart; pour les mots normands, B. indique ceux
qui sont plus particulièrement propres au Bessin, c'est-à-dire à l'arron-
dissement de Bayeux, je les ai recueillis moi-même; G. désigne Guer-
nesey, les mots du patois de cette île sont donnés d'après Métivier ; C
veut dire Gotentin ; S.-L indique la Seine-Inférieure; les mots de cette
région sont tirés surtout du Dictionnaire de Décorde. J'ai conservé aux
mots normands du Bessin leur r final, quoique cette consonne soit
entièrement muette aujourd'hui ; v. veut dire vieux.
— 262 —
LAT.
NORM.
PIC.
FR.
adcaptare
acatair g.
acater
acheter
* blancam
Manque v.
blanke
blanche
brancam
hranque b.
branke
branche
brecha a. ail.
brèque b.
brehe
brèche
broccam
broque b.
broque
broche
*boscam
bûque-Q.
bûke
bûche
buccam
bouque s. i.
bouke
bouche
caballum
g'va s. I.
g'vau
cheval
cadere
quaie c.
càïr, kier
choir
* caditinas
quaitinesB. g
1
—
calcare
cauquer b.
cauquer r.
chausser v.
calcem
cas B. ^, causG.caus
chaux
calciatam
cauchie g.
cauchie
chaussée
calciam
cauche b.
cauche
chausse
calidum
câ B., caud G.
caud
chaud
*calidronem
caudron b.
caudron
chaudron
calefacere
cauffer b.
cauffer
chauffer
* calumniare
calenger ^ b.
calenger
challonger v
cameram
cambre c.
cambre
chambre
caminum
que^nin b.
kemin
chemin
camisam
queminse b.
kemise
chemise
campum
caynp b.
camp
champ
caiidelam
candelle b.
candelle
chandelle
canem
quien s. i.
kien
chien
cannabem
cambreB.canvreo.canve
chanvre
cantare
canter v.
canter
chanter
cantionem
canchon s.-i.
canchon
chanson
cantum
can{t) B.
—
champ
canteUum
c«n^e B.
cantieu
chanteau
capeUum
c^'jîe B,
capiau
chapeau
capillum
^'t;ew B.
g'veu
cheveu
cattam i^îlosam capleuse b.
capleuse
—
capsam
ca55e G.
casse
châsse
captiam
cache b.
cavhe
chasse
captiatorem
cachoux B.
cacheux r.
chasseur
captivum
cai^z5 V.
caitis
chétif
1. Nom qu'on donne en général en Basse-Normandie aux pommes
tombées avant la maturité.
2. E il fist cax e pierre atraire. Rou, v. 10211.
3. Obtenir par dessus le marché dans le Bessin, chicaner d'après Corblet
en Picardie.
p
^^^B —
263 —
^^^^^RH
carbonem
querbon b.
Carbon
charbon
cardonera
cardron b.
cardon
chardon
* carrettam
quérette b.
carette
charrette
carricare
quérier b.
carrier
charrier
carriicam
quérue b.
kérue
charrue
carnem
carne b.
carne
chair
*carpentam
querpente b.
carpente
charpente
*cascunum
—
cacun
chacun
casis
quieux b.
—
chez
* casnum
quêne b.
quêne
chêne
castellum
câté b.
castel
château
catenam
caîneB.
caîne
chaîne
cathedram
caire b.
kère
chaire
catulire
catouiller b.
catouiller
chatouiller
cattum
cat B.
cat
chat
causara
cose V.
cose
chose
* caviculam
g' ville B.
g'ville
cheville
cloccam
cloque B.
cloke
cloche
* ficare
fiquier b.
fiker
ficher
forcam
fouorque b.
fourke
fourche
hanke a. ail.
hanque b.
hanque v.
hanche
*jucare
juquier b.
juker
jucher
laxare(lascare)/«gia'(?r b.
lâker
lâcher
masticare
mâquier b.
maker
mâcher
muscam
moque b.
mouke
mouche
perticam
perque b.
percot
perche
piscare
pêquier b.
pêquer r.
pêcher
plancam
planque b.
planke
planche
pocca a. s.
pouque b.
—
poche
* roccam
roque b.
roke
roche
ruscam
ruque b. G.
ruque r.
ruche
scalam
équelle b.
ékelle
échelle
*taccara
te^we b.
take
tache
* tascam
^«^we B.
tâque R.
tâche
tincam
tanque b.
—
tanche
vaccam
vaque b.
îjagwe
vache
On le voit, le c vèlaire suivi de « a conservé sa valeur guttu-
rale en normand et en picard, au commencement et au milieu des
mots, quand il est appuyé, c'est-à-dire précédé d'une autre con-
sonne, que a ait été d'ailleurs conservé ou qu'il se soit changé
en e, peu importe. Il en a été de même en général du g vélaire,
— 264 —
c'est-à-dire qu'il persiste dans ces deux idiomes, tandis qu'il se
change, au contraire, en ^ ou ^ dans les autres dialectes de
la langue d'oïl.
LAT.-ALL. NORM. PIC. FR.
garten al. gardiriB. gardin,guerdinisiYàm
*gabatam gatte b. gatte jatte
galbinum gaune A. N. gane jaune
garba al. guerbeB. garbe, guerbe gerbe
gâr br. guéret b. garet, guéret jarret
gaudium goie l. Ps. — —
*allongare allonguerB. — allonger
muosgadam a.h.a. wz^oe^ B. — migeotn.M.
Il en est de même des mots suivants où c s'est changé en ^, et
a été traité comme tel :
cambam gambe gambe jambe
*capellam gavelle gavelle javelle
caveolam — gayolle geôle
Tandis que le c vélaire a conservé ainsi dans les deux grands
dialectes du Nord-Ouest de la France sa valeur gutturale, il
semble, à une époque de la langue, avoir éprouvé une ten-
dance à s'affaiblir, dans le normand du moins, en g ; on trouve
dans le Roman de Rou : Nabugodonosor v. 29, galice (cali-
cem) V. 1602, etc; Nigaise, dans l'Inventaire de la Muse nor-
mande ; Métivier donne ganif, haguer (haquer, couper à coup
de hache) comme étant du patois de Guernesey ^.
Mais à tout prendre ces exemples sont peu nombreux. Quant
au changement de c en g, qui a lieu en normand, et surtout en
picard, quand c est, par suite de la chute de e, suivi de v, comme
dans g'va, g'veu, g'ville, il tient uniquement à l'impuissance
où l'on est de prononcer la sourde ^ ou c devant la sonores, il n'y
a donc là qu'une transformation apparente, aussi, bien que Cor-
blet et Diez après lui en puissent penser, je crois que le c repa-
raît quand Ye ne tombe pas, et qu'on doit dire et écrire queva
ou kevau et non gueva ou guevau, etc.
Quelque générale toutefois que soit en normand et en picard la
persistance de la vélaire dans les noms communs, eUe n'y est
1. Fruitier. Cf. musgode {Alexis bl,iL); migoe (pomarium), Gloss. lat..fr.
n- 7692 (Sitzungsb. d. kœnig. bay. Akad. d. "Wiss. zu Mûnchen, 1868, I,
132). Cf. Al. p. 182 et Rom. II, 85.
2. Quelque chose d'analogue a eu lieu dans le patois poitevin d'après
Favre, qui toutefois ne donne pour exemple que gouhime.
— 265 —
pas plus absolue que dans les noms propres, et parfois le c a dû
céder la place à la chuintante ch ou j". Ainsi dans le patois nor-
mand du Bessin on dit plus souvent fva que g'va (cheval) ; je
ne connais aussi pour dire viande que le mot chai, — carne
qui s'estconservéaunsens tout différent, il signifie mauvaise bête,
en particulier mauvais cheval. — De même chié a^^m parse sub-
stituer à kier ou quier (carum), etc. ^ Le ^ vélaire de galhinum,
a cédé également la place auj dans^awne ov^jàne, seul mot que
j'aie jamais entendu. Le picard offrirait des faits analogues.
Il peut se faire que quelques-uns des mots exclusivement nor-
mands ou picards qui présentent la forme ch soient des emprunts
plus ou moins modifiés faits au français, mais il est probable
aussi que dans plusieurs la forme ch s'est développée spontané-
ment à la suite de la modification de la voyelle suivante, et dans
ce cas il ne faut voir dans ch que l'affaiblissement de la forme
plus complète tch. Cette dernière se rencontre d'ailleurs, et non
seulement à la place de c suivi de a étymologique, mais encore
de cette gutturale suivie de o ou i< modifiés en o ou u. Cette
transformation, que j'ai déjà signalée dans le patois poitevin ^ se
présente surtout en normand, le picard ne la connaît qu'excep-
tionnellement. Voici les mots où on la trouve :
* cacaciam
tchiasse ^ b. g.
—
cadere
—
tcher
canem
tchen B., t chien g.
tchen Sant.
casis
tcheux B.
—
coctum
tcheu B.
—
coquere
coquinam
cor
tcheure
tcheusine b.
tcheur Am
corium
tcheu b., tchier g.
—
coxam
tcheusscB. tchiesscQ.
—
culum
tchu B.
—
* culotam
tchulotte B.
—
cupam
curare
tchuve B.
tchurer b.
— -
1. Il serait facile de multiplier cette liste si l'on y faisait entrer tous
les doublets en ch, qui existent à côté des formes en k, mais ce ne sont
que des formes françaises à peine modifiées, et qui dès lors ne doivent
pas figurer dans une étude du normand ou du picard.
1. V. pi. haut p. 176.
3. Le développement du son tch au commencement do ce mot semble
avoir amené le passage de c^ à s au milieu.
— 266 —
Les formes quien, quieuoo, etc., que nous avons vues précé-
demment, nous donnaient un des termes de la série des transfor-
mations du c vélaire pour arriver à c ; il n'est pas rare d'entendre
aussi le son c ou fi, ce qui complète la série, et on a ainsi pour
casis par exemple :
casis quieux Meux tcheux.
Les trois formes de ce mot en particulier s'entendent presque
indifféremment dans le Bessin.
J'arrive maintenant à l'examen des transformations du c pala-
tal, moins bien connues que celles du c vélaire. Tandis, en effet,
que quelques linguistes ont constaté la persistance du c vélaire
dans le normand, jusqu'ici — fait surprenant, — aucun que
je sache n'a reconnu comment le c palatal a été en réalité traité
dans ce dialecte. Cela tient sans doute à ce qu'on a cherché
trop exclusivement à trouver les caractères du normand, comme
ceux du picard, dans les anciens monuments poétiques de la
langue ; or nous avons vu que les premiers qu'on rencontre,
l'Alexis, le Roland, le Psautier, etc. , paraissent avoir traité le c
palatal comme le français ^ ; ce sont aussi des formes françaises
qu'offrent en général, — aujourd'hui du moins, — les noms
géographiques de la Normandie et les noms propres de personnes
n'en connaissent aussi presque pas d'autres ; on comprend dès
lors qu'un examen superficiel ait pu faire croire que les transfor-
mations de la palatale avaient été les mêmes en normand qu'en
français ; cependant sans parler de l'état actuel de ce dialecte
qui montre de la manière la plus évidente qu'il a changé le c
palatal en ch comme le picard, il ne manque pas non plus d'an-
ciens monuments, même en vers, qui eussent dû faire découvrir
plus tôt quel traitement la palatale j avait subi. Nous avons vu,
en effet, que ch, forme normande du c palatal transformé, appa-
raît déjà dans le petit poème dévot publié par M. Gaston Paris,
et qu'à partir de cette époque, c'est-à-dire du commencement du
xif siècle, on le rencontre dans la plupart des monuments regar-
dés comme étant d'origine normande. Impossible dès lors de
supposer que c'est là un fait purement accidentel ou un caprice
du copiste, puisque les textes qui présentent le plus de traces
d'altération sont aussi en général ceux où les gutturales ont pris
la forme française. D'ailleurs en voyant le normand traiter la
1. Il ne faut pas oublier ce que j'ai dit page 250 de cette ressemblance
apparente.
— 267 —
vélaire comme le picard, on aurait dû par là même, ce semble,
être déjà amené à supposer, à cause de l'espèce de solidarité
qui, dans les idiomes de la langue d'oïl, existe dans le traitement
des deux gutturales, qu'il avait aussi donné la même forme que ce
dialecte à la palatale. C'est la conclusion à laquelle m'a conduit,
malgré toutes les exceptions qu'ils présentent, l'examen des
monuments dont je viens de parler ; l'étude des actes, comptes et
chartes du xiif et du xiv^ siècle et l'état actuel de la langue
viennent entièrement confirmer cette manière de voir. Par contre
les noms propres ne nous offrent que peu de secours ; la forme
actuelle des noms anglais d'origine romane ne donne aussi que
peu de renseignements à cet égard ; à quelque époque qu'ils
aient été introduits dans l'anglo-saxon, ils ne connaissent en
général que la valeur ç pour le c palatal. Cependant ch paraît
s'être conservé au commencement des mots dans cherry (cera-
sum), cher fil (chaerefolium), chisel (fr. ciseau), chives (cepas),
à côté de cives, etc., au milieu dans scutcheon (scutionem), à
la fin dans pitch (picem), partrich (perdricem), devenu plus
tard partridge ; enfin il s'est affaibli en sh (1) dans shingle
(cingulum) ^ Mais ces exemples sont en définitive peu nom-
breux ; aussi sans m'y arrêter davantage je passe à l'examen
des chartes, actes, etc., qui m'ont servi à prouver la persistance
de la vélaire.
Tandis que les actes de 1' « Histoire du château de Saint-Sau-
veur » ne nous ont offert presque aucun renseignement au sujet de
la persistance de la vélaire, ils nous donnent un certain nombre
d'exemples de la transformation de la palatale en ch ; ainsi :
adrechant{es) (1347, Caen. — 1361, Bayeux).
aranchonner (1369, Cherbourg). — aranchonnement (id.).
avanchement (1362, Saint-Vaast).
Cachecerf [id'hi, Valognes).
Cherisy (1370, Dessin).
chinq (1345, Neuville. — 1368, Saint-Sauveur).
chine (1361, Saint-Sauveur).
chinquante (1351, Valognes), deux fois
comnenchant (1370, Caen), deux fois.
drechiez (1370, Caen).
forter esche (1362, Saint-Vaast).
1. Cf. Koch, Hist. Grain, der englischen Sprache, I, 131. Je chercherai
plus loin à expliquer comment le c palatal a pu prendre en anglais le
son ç dans les mots d'origine romane.
— 268 —
fortelesches (1369), deux fois.
Le Norrichon (1350, Valognes).
parroiches (1370, Saint-Sauveur).
Pinchon (1350, Valognes).
ranchon (Saint-Sauveur). — raenchon (1370).
Vauchis (Pont-l'Abbé).
La forme ch se rencontre encore bien plus fréquemment dans
les chartes des « Etudes » ; ainsi on la trouve dans les mots :
bachin[s) (1307, Caen. — id. Courtval. — Daubeuf.)
chi (ci), cheu (cel), dieux (ceux) (1312, Garf® de Troarn.
cheluy (celui), deux fois ; cheles (celles, id. id.).
che (ce) (1291, Périers.) — chel (Darnetal).
comenchent, comenchant (1409, Gaillon).
forche (1312).
Francheis (Tourville).
geniphes (1307, Caen. — Id. Breteville).
{h)erche (1291, Périers. — Daubeuf).
hercheour (1291, Périers).
herchier {Timhexxî. — 1307, Breteville).
mâchons (Mesnil-Ogier, Mauger).
Montpinchon (Pays d'Auge).
parchoniers (Roncherolles. — 1291, Périers).
pieches (Quievreville. — Bouquelon).
pelichon (1307, Courtval, inventaire du temple).
perchie (1307, Caen, inventaire du temple).
plache (1291, Périers).
pouchins (Daubeuf).
pourcheaux (1307, inv'^ du temple de Caen et de Breteville).
porchel {iSOl , id. id.).
recheu (Roncherolles).
ronchin (1307, inventaire du temple de Caen).
tierche (Saint-Martin du Bosc, v. 1260),
vechy (voici) (Neuville).
veiche (vesce) (1307, inventaire du temple de Breteville).
Les renseignements donnés par les « Actes normands » ne
sont pas moins précieux ; dans la plupart des cent premiers dont
j'ai relevé les formes dialectales, quel que soit d'ailleurs le lieu
de la Normandie où ils aient été faits, pays de Gaux, Lieuvain,
Bessin ou Cotentin, etc., on trouve, sinon toujours, du moins
très-souvent ch substitué à c suivi de e ou de i, ou à ti, suivi
d'une autre voyelle; dans un certain nombre d'actes aussi,
comme dans les précédents d'ailleurs, cette substitution n'a point
— 269 —
eu lieu, ce qui montre de quelle liberté orthographique jouissaient
alors les scribes, ou quel arbitraire régnait déjà dans le choix
des sons ch et ç. Voici les mots des cent premiers actes où l'on
rencontre ch dans ces actes :
hachinez 49 (1336). — 60 (id.) — 43 (1337).— 44 (id.), etc.
cauchie 18 (1331). — 83 (Rouen, 1337).
cauchier 83 (Rouen, 1337).
ches 53 (1336). — 49 (id.) — 60 (id.) — 61 (id.) — 76
(1337), etc.
cKest 53 (1336), 2 fois. — 59 (id.) — 63 (1337), etc.
cheste 53 (1336). — 59 (id.) — m (1337J, etc.
chen (ce), 53 (1336). — 59 (id.), — 60 (id.) — 71 (id.) —
66 (1337), etc.
cheus 79 (Pont-Audemer, 1337).
chent 43 (1336). — 65 (1337), 2 fois. — 76 (id.), 2 fois.
c/^mg 39(1333). — 53 (1336), 3 fois. —65 (1337). —87
(1338), 2 fois. — chine 39 (Saint-Pierre d'Arthenay, 1333).
chinquante 39 (Saint-Pierre d'Arthenay 1333).
c/^^■^;^eVe84(Caenl338).
enforchier 83 (Rouen 1337).
fauchilles 39 (Saint-Pierre d'Arthenay, 1333).
forter esche 84 (1338, Caen), 3 fois.
Franche 60 (1336) . — Franchez 59 (1336).
geniches 39 (Saint-Pierre d'Arthenay, 1333). — 84 (Caen,
1338).
lanches 59 (1336). — 60 (id.) — 63 (1337). — 75 (Amfre-
ville, 1337), etc.
larrechins 43 (Rouen, 1335), 3 fois.
machon 18 (1331), 2 fois. — 83 (Rouen, 1337). — 84
(Caen, 1338).
machonnerie 18 (Andelys, 1331), 4 fois. — 83 (Rouen, 1337).
par roche 4 (Arques, 1329) .
pièche{s) 39 (Saint-Pierre d'Arthenay, 1333). — 74 (Neuf-
châtel, 1337).
recheu 63 (1337). — 64 (id.) — 76 (Rouen, id.) — 79 (Pont-
Audemer, id.) — 82 (id. Rouen). — 87 (1338), 3 fois.
redrechier 84 (Caen, 1338) 3 fois.
renforchié id. (id. id.) 2 fois.
Ainsi au xiv^ siècle, la substitution de ch au c palatal trans-
formé était encore d'un usage général et reconnu dans toute la
Normandie, bien que souvent aussi ch eût complètement fait
place à la forme française c. Au siècle suivant, au contraire, ch
— 270 —
n'apparaît plus qu'exceptionnellement dans les actes publics ; je
ne l'ai pas rencontré du moins , pas plus, il est vrai, que la
vélaire, dans les actes faits en 1417 et 1418 à l'époque de la
conquête de la Normandie par les Anglais, pour la reddition
d'Harcourt, d'Hambye, du Hommet, du château d'Ivry, de
Creully, d'Evreux, de Cherbourg, deCaudebec, de Honfleur, etc. *.
Déjà, comme aujourd'hui, la langue officielle était exclusivement
le français, le normand était tombé àl'état de patois, et n'avait plus
droit de servir aux relations sociales.
Cependant, tout déchu qu'il était déjà à cette époque, le
normand n'en persista pas moins avec ses caractères distinc-
tifs dans la mémoire du peuple ; et tout dédaigné qu'il était des
savants, il se trouva, nous avons vu, quelques esprits curieux qui
ne craignirent pas de l'employer dans leurs vers ; c'est ce qu'ont
fait en particulier, en plein xvif siècle, l'auteur de 1' « Inven-
taire général de la Muse normande » David Ferrand, et celui de
la « Muse normande » Louis Petit, dont j'ai déjà parlé ; ces deux
recueils de poésies en patois nous montrent ch substitué au c
palatal ou à ti transformé dans presque tous les cas ; ainsi dans
la « Complainte des habitants de Saint-Nigaise sur la perte de
leur Boise», de David Ferrand, on trouve : che, chez {ces), chens,
ainchin, chinq, braches (brasses), adrechirent , aperchut^
fâche, fachon, neuches (noces), tnouchel (monceau), mou-
chiaux^, prononcher, Puchelle. De même dans les trois pre-
mières pièces de la Muse de Louis Petit nous trouvons les
mots : ainchin, héchon (boisson), cauche, che, chais (ces),
chen (ce), chest (c'est), chy (ci), chite (cette), chu (ce), chen-
dre, chent, chinquante, chainture, chervelle, délivranche,
fâche, fachon, Fleuranche, glachons, inochent, indiferanche ,
panche,panchue, renoncher, sentenche, traché, véchi{\oiQ>ï).
On le voit, depuis le commencement du xii* siècle, nous ren-
controns dans les monuments normands ch comme forme du c
palatal transformé, et il est d'autant plus fréquent que ces monu-
ments ont un caractère plus populaire ; par conséquent ch est
bien la modification de la palatale propre à ce dialecte. Cette
conclusion trouve sa confirmation dans l'état actuel de cet
t. CoUect. Bréquigny. Mém. de la Soc. des Antiq. de Normandie, 1858
3« série, Jll, 7 et suiv.
2. Nous avons ici déjà Ja forme moderne du dérivé normand de mon-
ticellum; elle nous montre le changement affectionné par le patois
actuel, de «suivi d'une consonne en m.
— 27i —
idiome , qui nous présente ici encore, comme dans le traitement
de la vélaire, l'accord le plus complet entre le picard et le nor-
mand. Commençons par la comparaison des noms propres.
Nous n'aurons pas ici toutefois la même abondance d'exemples
que nous en offriront tout à l'heure les noms communs ; non sans
doute qu'on ne rencontre des noms propres où la forme ch ne
puisse se trouver, et se trouve réellement, mais l'influence fran-
çaise semble s'y être plus fait sentir que sur les noms communs ;
ce qui s'explique assez facilement, les premiers étant à la fois du
domaine des lettrés et des ignorants, les seconds n'étant que du
domaine populaire. J'ai relevé plus haut quelques noms géogra-
phiques où se trouvait autrefois la chuintante ch, comme Che-
risy, Coutanches, Francheis, Montpinchon, etc. ; mais c'est
à peine si on les entend aujourd'hui ; en tous cas ils ne se sont
pas imposés à la langue qui leur a substitué les formes françaises
Cerisy, Coutances, etc. De même en picard Valenchiennes,
(n), Vauchelles (a), etc., formes indigènes, ont fait place à
Valenciennes , Vaucelles, etc. Cependant si la forme dialec-
tale ch du c palatal a été souvent rejetée, elle s'est aussi impo-
sée, moins fréquemment cependant quelecvélaire, qu'on rencon-
tre si souvent et dans tant de noms orthographiques. Cela tient
sans doute à ce que dès le xiv" siècle, époque où se fit définitive-
ment le mélange des dialectes, le français commençait à adopter
les formes en ca sans les modifier, tandis qu'il n'a admis que
beaucoup plus tard, au xvi^ siècle, dans les mots empruntés à
l'italien, la forme ch, affaiblissement detch, pour le c palatal. On
comprend dès lors l'inégalité qui s'est manifestée dans l'adoption
des formes picardes ou normandes des deux gutturales. En effet,
tandis qu'un nombre considérable de noms de villes ou de vil-
lages ont conservé dans les pays de langue normande ou picarde
la vélaire initiale ou médiale, il n'en est presque pas qui aient
changé la palatale initiale en ch ; cette gutturale n'a pu prendre
cette forme qu'au milieu des mots, dans des terminaisons qui
n'étaient point faites pour contrarier les habitudes françaises et
presqu'exclusivement encore dans des noms de petites localités,
qui ont pu ainsi en quelque sorte échapper à l'influence littéraire.
Amsi Coutanches, Couchi/, Valenchiennes, Vauchelles (a.),
etc. sont devenus Coutances, Couci, Valenciennes, Vaucelles,
mais Cauchois (Calcensis) a conservé son ch, peut-être grâce à
la persistance du c vélaire initial ; il en a été de même dans
Acheux (Som.), Chicourt (Som.), Roncherolles (S. L), Vau-
chelles (Som.), Vironchaux (Som.) Cette conservation du ch a
— 272 —
eu lieu en particulier dans les dérivés picards ou normands des
noms de lieu en dacum, quoiqu'elle soit loin d'y être générale.
En voici quelques exemples :
Arganchy c.
Canchy c.
Ranchy c.
Achy
Auchy P.C.
Canchy s.
Cauchyv. c.
Oberchies n.
Assé May.
Argancy m.
Aussy
Chaussy s. o.
Rancy s. l. etc.
Les noms de personnes donneraient lieu aux mêmes observa-
tions ; ainsi j'ai signalé dans les actes normands précédemment
étudiés des noms comme Pinchon, Pouchin, Vauchy, etc.,
lesquels ont pris les formes françaises Pinson, Poussin, Vaussy,
etc. Cependant, il faut le dire, c'en est là en quelque sorte la
forme officielle, la prononciation populaire est restée Pinchon,
Pouchin, pour les deux premiers, de même j'ai entendu ordinai-
rement dire Rachine pour Racine. Mais malgré cette francisa-
tion des noms de personnes, le ch s'est maintenu à la place de
la palatale dans quelques noms, par exemple :
NORM.
Le Cacheux
PIC.
Le Caucheur
FR.
Chuquet
—
DachierK
—
Dacier
Hèrichon
—
Hérisson
—
Le Merchier
Mercier
Mouchel ^
—
Moncel
Le Nourrichel
_—
Nourrisson
Pigache
—
— e
etc.
Mais si les noms propres ne présentent, on le voit, qu'excep-
tionnellement aujourd'hui la forme ch, comme modification de la
palatale transformée, les noms communs l'ont en normand comme
1. C'est du moins ainsi que j'ai toujours entendu prononcer le nom
auquel je fais allusion, mais je dois dire que je ne l'ai pas vu écrit. Au
reste, on trouve Bâché à Bayeux, nom qui semble avoir la même
origine.
2. Le nom commun correspondant est mouchée avecla chute habituelle
de l final et le changement de é en ée, sans doute par analogie avec
charretée, brouettée, etc.
— 273 —
en picard presque toujours fidèlement conservée ^ ainsi que nous
le montre le tableau suivant :
?
agache b.
agache
agasse
* bibitionem
heichon b.
hoichon
boisson
?
boche B.
boche
bosse
?
hochu B.
bochu
bossu
* captiam
cache b.
cache
chasse
calicem
caliche g.
caliche
calice
cantionem
canchon s. i.
canchon
chanson
calceam
cauche b.
cauche
chausse
calciatam
cauchie g.
cauchie
chaussée
celare
chelair g.
cheler
celer
cellarium
chelier b.
—
cellier
cinerem
chendre b.
chaine
cendre
centum
chent B,
chent
cent
?
chevaine ^ b.
chevaine
—
cervum
cherf^ B.
cherf
cerf
cserefolium
cherfeuil B.
cherfeuil
cerfeuil
caementum
chiment b.
chiment
ciment
cymam
chime b.
chimettes
cime
cœmeterium
chimequière e
. chim'quière
cimetière
cincturam
chinture b.
chinture
ceinture
* cinque
c^m B.
chinq
cinq
1. Toutefois, il faut le remarquer, cette conservation n'a eu lieu qu'au
commencement et au milieu des mots; je n'en connais pas, en effet,
un seul exemple à la fin ; partout le c palatal s'y est, comme en fran-
çais, changé en s ou en x. Il n'en était pas de même autrefois, comme
le prouvent déjà les noms anglais j)Uch, partridge. On trouve aussi dans
les Chartes d'Aire faich (facio) c, march (martius) k ; et c'est évidem-
ment cette valeur ch (c ou s) qu'il faut attribuer au c final des anciens
textes picards (AleL., Huon, etc.. Cf. pi. haut p. 124) ; mais ce son n'a
point persisté, et la palatale, ayant dû de bonne heure à la fin des mots
se transformer en sonore, s'y changea, comme au milieu, dans le
même cas en z (dz); on trouve déjà ^jc/;, ^errfm, etc., dans les livres des
Rois, braz, feiz, voiz, etc., dans le Roland et le Psautier, etc., et cette
forme ne tarda pas par être en normand la seule connue du c palatal
à la fin des mots; mais en picard il y conserva assez souvent dans ce
cas jusqu'à la fin du xiii" siècle la valeur c ou s représentée par chouc.
2. Vase où l'on met la crème dans le Bessin, barate en Picardie
d'après Corblet ; faut-il faire venir ce mot de la même racine schranz
que seran ? La forme picarde cherain de seran semble y autoriser.
3. Dans cher-volant.
48
— 274
*cinquanta
* cippeam
ceram
cerasum
csepas
* csepotum
?
cicutam
* ceocam
*faciam
factionem
*fidentiam
* focaciam
* fortiam
* glacionem
junicem
lectionem
* ligatiam
limacem
* maxucam
* macionem
* minaciare
medicinam
mercedem
monticellum
* muciare
* nigritiare
nutritionem
2
pigritiosum
* petiam
pitsen a. ail,
* pincionem
plateam
* pullicem
chinquante b
. chinquante
cinquante
chipée B.
—
cépée
chire
chire
cire
cherise b.
cherise
cerise
chives B.
chives
cives
chibot B.
chibot
cibot
chivière b.
chivière
civière
chue B.
chue
cigiie
chuque b.
choke
souche
fâche B.
fâche
face
fachon s. i.
fachon
façon
fîanche g.
flanche r.
fiance
fouache b.
—
fouace
forche b.
forche
force
glachon b.
glachon
glaçon
geniche b.
genichon
génisse
lichon G.
lechon
leçon
Hache b.
Hache
liasse
limache b.
limechon
limace
machue b.
machue
massue
machon b.
machon
maçon
menachier b.
menacher
menacer
mèdechine b.
.^
médecine
merchi
merchi
merci
mouchée b.
—
monceau
muchier b.
mucher
musser
neirchir b.
noirchir
noircir
nourrie hon b
. nourrichon
nourrisson
perchier
percher
percer
parechouxB.
—
paresseux
pieche b.
pièche
pièce
pinche
pinche
pince
pinchon b.
pinchon
pinson
plache B.
plache
place
pouliche b.
pouliche
pouliche ^
1. Telle est du moins l'étymologie que je donne du mot pouliche ;
l'analogie du mot geniche la justifie, je crois, suffisamment; quant à
* pullica proposé par M. Brachet {Dict. éttjm. s. v. acharner), les formes
normandes et picardes rendent inadmissible une pareille origine. Mais on
voit en même temps que pouliche n'est point un mot français ; comme
camp, c'est un emprunt fait par la langue littéraire au normand ou au
picard.
■• —
275 — ■
pulicem
puche B.
puche
puce
* putiare
puchier b.
pucher
puiser
radicinam
rachine b.
rachine
racine
*reciputum
recheu b.
rchu
reçu
* tractiare
trachier ^ b.
tracher
tracer
viciam
veche b.
veche
vesce.
Et en particulier dans les adjectifs et les adverbes démonstra-
tifs ; ainsi :
ecce hac cha b.
cha
ça
ecce hoc che b.
che, cho
ce
ecceistum,istamc/ie;f, chette
chet, chette
cet, cette
ecce illam chelle
chelle
celle
ecceillos cheuxB.
cheux
ceux
istum ecce hic stichin b.
cheti-chï
celui-ci
istam ecce hic stéchin b.
chelle-chi
celle-ci
ecce hic ichin b.
ichi
ici 2.
Ainsi rien de plus complet que l'accord qui existe entre le nor-
mand et le picard dans le traitement des gutturales ; un point,
sur lequel ces deux dialectes se comportent encore de la même
manière, c'est le changement de la palatale médiale, pour ne pas
parler de celui de la finale, en spirante dentale sonore dans un cer-
tain nombre de mots où, comme je l'ai fait remarquer, le français
lui fait aussi en général subir la même transformation^. Dans ce
dernier idiome cette modification s'explique sans peine, z y repré-
sente l'affaiblissement de dz, comme ç de ts, mais pourquoi,
tandis que nous avons ch (c ou 5) pour la transformation de la
palatale en sourde dans le normand et le picard, ne trouvons-
nous pas la chuintante correspondante j Çg ou z) pour sa trans-
formation en sonore? Il est difficile de répondre à cette question,
1. Ce mot signifie chercher et plus particulièrement chercher avec soin
en normand et en picard.
2. On dit aussi chabot n. p., chavafte id., chucre n., machacren., mots
dans lesquels ch semble se substituer à s, mais dont l'origine douteuse
ne permet pas de rien décider. Il est à remarquer, en effet, qu'en géné-
ral l's véritablement étymologique reste sans modification, tandis que
souvent dans certains dialectes provençaux, dans le savoyard et dans
les patois de la Suisse romande, par ex., il se change en ch comme
le c palatal.
3. Cf. plus haut p. 233 et 250; ainsi on a : tcheusine n., loisir p., moisi
n., plaisi{r) n. p., raisin id. , veisin n., voisin p., et onze, douze, treize, etc.,
en normand et en picard tout comme en français. V. pi. h. p. 122.
— 276 —
bien qu'on puisse supposer que la langue a procédé ainsi pour
distinguer les modifications du c de celle du jot ; quoi qu'il en
soit, z {s) apparaît à la place du c palatal transformé en sonore
dans les plus anciens monuments que nous ayons, et il faut bien
supposer dès lors que dès le xif et même le xf siècle le normand
et le picard se comportaient à cet égard comme aujourd'hui.
Cependant il semble aussi qu'il y ait eu, au moins en Artois, une
tendance à donner à la spirante sonore résultant de la transfor-
mation du c palatal, d'ailleurs comme à s médial, le son de la
chuintante j ; c'est ce qu'on peut inférer de ce passage de Bouille
dans son livre « De differentia vulgarium linguarum et gallici
sermonis varietate » , « Morini et Bolonii, nostri Oceani accolse,
in mediis dictionibus vulgaris linguae id patrant vitii, ut s in j
demutent.Dicimus \vlgo maison, oison, prison, toison ; àicxmi
Morini, litera s mj labente, maijon, oijon, tijon, prijon, toi-
Jon\ » Mais, il est difficile de rien conclure de certain pour
le cas qui nous occupe de ce témoignage isolé.
Pour terminer cette étude des deux gutturales dans le normand
et le picard, et comme application à la lecture des anciens textes,
il me reste à examiner la question souvent posée de la valeur de
c suivi de e, provenant de a étymologique. Naturellement cette
valeur ne peut être que la valeur ^ du c vélaire ou une de celles
qu'il peut prendre en se transformant, c'est-à-dire ch ou tch,
les seules que connaissent les dialectes septentrionaux de la lan-
gue d'oïl ^. Or comme le c vélaire persiste en normand et en
picard dans les textes qui ont conservé les caractères essentiels
de ces dialectes, il faut évidemment attribuer dans ce cas à c,
que la voyelle suivante soit a ou e, la valeur k. Cette manière de
voir trouve sa confirmation immédiate dans l'orthographe ke que
nous avons si souvent rencontrée dans les textes à côté de ce, car
il est évident qu'il faut dans les deux cas prononcer de la même
1. p. 37. Les patois suisses et savoyards ont substitué souvent cette
sonore z U) à c transformé et parfois à s étymologique.
2. Je n'y connais la forme ç que dans cis (casis) du patois de Guerne-
sey. Les dialectes méridionaux, au contraire, comme quelques sous-dia-
lectes provençaux (Cf. pi. h. p. 210), ont changé parfois le c vélaire en
ç, par suite de la transformation successive tch, ts, s; ainsi semin
dans le Nivernais, s6 (calidum), dans le patois du département de l'Ain,
etc. ; mais ces formes sont inconnues au nord de la Loire, et il a dû en
être toujours de même, puisqu'on n'a pu passer du son s, qu'aurait pris
alors le c vélaire au son k ou ch qu'il a actuellement. Du moins ceux
qui croient à la possibilité de ce changement devraient en donner
d'autres preuves que des transcriptions dont la valeur est incertaine.
— 277 —
manière, c'est-à-dire ke. Une autre preuve non moins directe de
ce fait nous est fournie par ce vocabulaire français-hébreu dont
j'ai parlé plus haut, nous y trouvons, en effet, avec h : blankes,
hoke, branke, kemin, kebal, roke, etc., c'est-à-dire que le c
vélaire y a conservé sa valeur gutturale , quoique Va étymo-
logique se soit affaibli en e. Cependant le c vélaire s'étant, sur-
tout à partir du xiii<' siècle, changé aussi en ch, il est certain
qu'alors ce a pu parfois dans les textes dont la langue n'est pas
pure avoir une autre valeur que ke, mais il n'est pas moins
certain aussi que cette valeur n'a pu être, comme je l'ai dit,
qu'une de celles du c vélaire transformé dans les dialectes fran-
çais, c'est-à-dire ch ou tch.
Ces observations ont une importance extrême pour la restitu-
tion des textes surtout à la rime. J'ai, en commençant cette étude
des dialectes, eu occasion de parler de rimes terminées par ce
représentant le c vélaire suivi de a latin, et j'ai dit — ce que les
explications précédentes confirment de tout point — que si on
avait affaire à un texte vraiment picard ou normand, il fallait
donner à ce le son ke, que si, au contraire, le texte était fran-
çais, il fallait écrire che. Mais il peut se faire aussi qu'on ait à la
rime ce provenant de ca latin d'une part et devant dès lors avoir
le son ke ou che, suivant que le texte est picard ou normand,
ou bien encore français, et d'autre part ce, provenant de c suivi
de e ou i ou de ti transformé, et devant dès lors avoir le son ce
si le texte est français, le son che s'il est picard ou normand.
Comment faut-il dans ce cas constituer le texte? et comment
d'abord expliquer la présence à la rime de deux syllabes iden-
tiques et d'origine si différente ? Elles ne peuvent évidemment
se trouver dans des textes français ou picards ou normands en-
tièrement purs, puisque dans le premier cas ca latin donne che,
et ce ou ti, ce ; que dans le second ca donne k, et ce ou ti, che;
mais on comprend très-bien qu'il en puisse être autrement dans
des textes écrits à une époque où les formes françaises avaient
pénétré dans le dialecte picard ou normand, ou bien encore dans
une contrée où ces formes se rencontraient simultanément,
comme cela dut avoir lieu de bonne heure sur la frontière des
pays de langue normande ou picarde. Nous voyons par exemple
dans une charte d'Amiens de 1318, publiée par Le Roux
de Lincy dans l'Introduction à son édition des Livres des
Rois \ ca représenté fréquemment par ch, — à côté de c,
il est vrai, qui se trouve dans cose, eskevin, — comme dans
1. Les Livres des Rois p. 70.
— 278 —
chatel, chose, eschemn, marcheant, marcheandise , en
même temps que ce y est représenté également par cli dans
serviches, fâchent, Justiche, che, audieyiche. De même dans
une charte d'Hedincourt de 1257 ^ nous avons cheaus, veche
(viciam), vechas, chele, comynenchier , où ch représente ce,
ci ou ti, et chevaliers, chascun, franche, chose, où il repré-
sente c suivi de a. En normand on rencontre aussi, et même
bien plus souvent, ch substitué au c vélaire, tandis qu'il peut
remplacer, comme nous avons vu, le c palatal. On comprend
dès lors que les poètes picards et normands aient pu rapprocher
ces terminaisons d'origine différente, aussi les exemples de ces
sortes de rimes abondent-ils dans les textes picards du xiif et du
xiv^ siècle ; mais comment faut-il les écrire? Dans le Roman de
la Violette nous trouvons aux vers 499 et 500 chière (caram) et
sorchière (* sortiariam) formant une rime de ce genre :
Laide et obscure avoit la chière,
Mult estoit desloiaus sorchière.
et, comme nous le voyons, l'éditeur, encore que le copiste du
poème eût écrit sorcière, a mis ch dans les deux cas. Au
contraire, dans « Blancandins et l'Orgueilleuse d'Amour», ce
a été conservé dans les deux cas pour toutes les rimes, — et
elles sont nombreuses, — où ca et ce ou ti transformés se trou-
vent à la fin du vers ; ainsi :
Blancandins chevauche par force
Tôt .1. cemin, lès une roce.
Qui Subiien sivent à force
Si l'encaucent tôt une roce.
L'escu blanc et la connissance,
Par amor li donne sa mance.
Et avec çou sa destre mance
Que de s'amor soit a fiance.
Gaperon ot et connissance
Et en son destre brac la mance.
Qui er soir me donna sa mance,
Dist, Blancandins : Ce fu enfance.
Se rest armés sans demorance,
Vest une broigne, maille Mance.
1. Les Livres des Rois p. 72.
2. Ces rimes abondent dans l'Inventaire de la Muse normande ; en
voici un exemple tiré d'un dicton populaire :
Le vin tranche-bouyau d'Avranches
Et rompt-cheinture de Laval
Ont mandé à Renaud d'Argenches
Que Goninhou aura le gai.
Le Héricher. Gloss. norm. s. v. gai.
v.
687, 688.
V.
5979,
5980
v.
1213,
1214.
V.
1751,
1752
V.
1785,
1786
V
. 1847,
1848
V
. 5377
, 5378
— 279 —
On ne peut douter qu'il ne faille, comme on le voit dans le
Roman de la Violette, mettre partout ch à la place de ce ; le
texte étant picard, ce et tia y deviennent ch, ca, au contraire, y
a bien généralement, à ce qu'il semble, le son lie, comme dans
haces v. 1077, cet7«M 204, blance 1216, kenus 4651, etc.;
mais parfois aussi il se transforme en ch, comme dans chevauce
634, chevaliers 1099, chevauchier 1090, chars 1428, cheva-
lier 2286, etc. ; c'est cette forme du c vélaire qu'il faut donner
à ce substitué à ca dans les rimes précédentes ^ ; ce ainsi employé
ne pouvant, en effet, comme je l'ai montré, avoir que le son ke
ou che; et ce, substitué à tia ou à ce latin, ne pouvant prendre
d'un autre côté que le son che OMce, il est évident que c'est ch
qu'il faut écrire ou prononcer dans les deux cas.
III. Remarques sur le traitement du c vélaire et du c
palatal en normand et en picard.
Il résulte de l'étude à laquelle je viens ;de me livrer que
le picard et le normand ont conservé au c vélaire sa valeur
dans le plus grand nombre de cas, et transformé le c palatal
en ch. On savait déjà qu'il en était ainsi pour le picard, mais
personne, je l'ai déjà remarqué,, ne l'avait établi d'une manière
certaine pour le normand, qui, comme on l'a vu, présente cepen-
dant absolument les mêmes formes pour les deux gutturales.
Comment expliquer maintenant ces formes particulières à ces dia-
lectes et si différentes de celles du français ? La persistance du c
vélaire n'étant que la conservation du son primitif, il est diffi-
cile de voir dans ce fait autre chose que ce qui s'y trouve réelle-
ment, c'est-à-dire le maintien pur et simple de la vélaire latine,
comme dans les idiomes du groupe oriental ou du Sud-Ouest "' ;
par conséquent le normand et le picard présentent à cet égard un
état de la langue plus ancien que le français, qui a changé la vé-
laire en ch. Je ne crois pas qu'on ait cherché à donner de cette
différence de formes une autre explication qui mérite de fixer l'at-
tention ^.
1. Cf. Jahrbuch. IX, 84.
2. La ressemblance entre le picard et l'italien dans le traitement des
gutturales a déjà été signalée par A. Dinaux {Mémoires sur les Trouvères
Cambrésiens, dans les Archives du Nord de la France), cité par Fallot, Re-
cherches sur les formes gramm. de la langue française, p. 463.
3. En voici une qu'on est surpris de trouver dans un auteur d'ordinaire
aussi judicieux que Fallot : « Ces deux idiomes, dit-il {Recherches etc.,
p. 463), —il s'agit du picard et de l'italien, — dans leur harmonie propre
— 280 —
Quant au changement du c palatal en ch, si l'on se rappelle ce
que j'ai dit des transformations de cette lettre dans les idiomes
romans, on y verra l'affaiblissement de la forme c que prend
d'abord ce son en se modifiant, affaiblissement que nous retrou-
vons en particulier dans le toscan et dans plusieurs autres dia-
lectes italiens ou ladins. Toutefois Diez a proposé une autre
explication : suivant lui la palatale aurait d'abord eu en pi-
card — il ne parle pas du normand — la même forme ts ou s
qu'en français, puis se serait ensuite épaissie en ch. Mais ce
n'est là, il faut le reconnaître, qu'une supposition gratuite qu'au-
cun fait ne vient appuyer, et qu'au contraire contredit la théo-
rie même des transformations du c. D'abord on ne voit pas si
cet épaississement s'était produit après l'affaiblissement de ts en
s, affaiblissement qui a eu lieu pour la spirante sonore presque
dès les premiers temps de la langue, pourquoi 1'^ étymologique
n'en aurait pas été affecté ; si on suppose, au contraire, qu'il
est antérieur à l'affaiblissement de ifs en 5, il faudrait montrer
comment ce son ts a pu donner ch, tandis que partout où j'ai
constaté sa présence véritable, nous l'avons vu, soit persister,
soit s'affaiblir en s ou en 6, mais jamais en s. Il faut donc admettre
que ch, transformation de la palatale en picard et en normand
est non un épaississement des, mais l'affaiblissement de tch, tout
comme ch modification delà vélaire en français. Cela étant, pour-
quoi ces deux dialectes ont-ils préféré cette forme de la palatale?
La réponse à cette question me paraît on ne peut plus simple, et
je n'hésite pas à voir dans ce fait le résultat delà persistance de la
vélaire, nouvelle preuve, s'il en était besoin, que cette persis-
tance est la forme primitive du c suivi de a en picard et en nor-
mand. Il semble que le son ch {c puis s) était nécessaire dans une
certaine mesure aux dialectes de la langue d'oïl ; le français
l'ayant donné à la vélaire transformée, a pu affaiblir la palatale
successivement en tch, ts et en s ; le picard et le normand ayant,
au contraire, conservé à la vélaire sa valeur gutturale ont dû gar-
der, pour faire en quelque sorte compensation, à la palatale la
valeur tch ou ch.
Reste donc à expliquer pourquoi la vélaire a persisté en nor-
mand et en picard, tandis qu'elle s'est transformée en ch en fran-
pour cet ordre de sons et par suite pour plusieurs autres, sont d'un
ton plus élevé que le français et ont leurs voyelles harmoniques à un
degré plus haut. Ainsi fc est à ch ce que ch est à ce », etc. Par bonheur
on n'est pas obligé de comprendre.
— 281 —
la solution est plus difficile, et le plus simple serait peut-
être de constater le fait sans chercher à en rendre compte ; mais
puisqu'on a essayé de le faire, il faut au moins dire un mot des
explications qu'on a proposées de ce fait de phonétique si curieux.
On a prétendu, et Diez en particulier, que la transformation du c
vélaire était due à une influence germanique ; le c se serait,
comme cela a eu lieu dans le dialecte franc, changé d'abord en
spirante x, laquelle se serait à son tour transformée en c. Cette
explication repose, je crois, sur une confusion et sur un rappro-
chement sans fondement entre ■/ et c ou s que Diez a regardé
comme des aspirées de même valeur. Le c vélaire s'est parfois
dans les dialectes italiens changé en /, mais alors il n'est pas
allé plus loin, et on ne voit pas qu'il eût pu devenir dans ce cas
autre chose que y ^ Telle n'est point, nous le savons, la marche
que la vélaire a suivie dans sa transformation en ch ; elle s'est,
au contraire, modifiée d'abord en palatale c, laquelle à son tour
a donné le son tch, aflaibli ensuite en ch.
D'ailleurs, si la transformation du c vélaire en ch était due
à l'influence germanique, comment l'expliquer dans le domaine
provençal, dont certaines contrées l'ont si peu subie ? Comment
se ferait-il aussi que cette- influence ne se fût pas fait sentir
de préférence sur les mots d'origine germanique , dont un bon
nombre cependant ont conservé la vélaire, tandis que les mots
d'origine latine presque sans exception l'ont changée en ch? com-
ment encore peut-il se faire que, parmi les dialectes français et
ladins, ce soient précisément ceux, — si l'on excepte le lorrain
et le wallon^, — où l'influence germanique a été la plus puis-
sante, comme dans le picard, le normand et le roumanche de
l'Oberland, qui aient conservé la vélaire, tandis que les autres l'ont
transformée? Il semblerait même d'après cela, si dans une ques-
tion aussi obscure on pouvait hasarder une explication, qu'il
fallût renverser les termes du problème et voir dans cette prédo-
minance des éléments germaniques, au moment de la formation
de la langue, le contraire de ce qu'on lui attribue, c'est-à-dire
la conservation de la vélaire dans les dialectes dont je viens de
parler. La transformation, sans aucun doute récente, du c pri-
mitivement vélaire en c dans un certain nombre de mots de ces
1. Il est vrai, y s'est parfois changé en chuintante, mais c'est à une
sonore, non à une sourde, qu'il a donné naissance, quand il n'est pas
précédé d'une explosive sourde.
2. Au reste dans ces idiomes même la vélaire persiste parfois; voir
plus haut, p. 219.
— 282 —
dialectes montre bien au moins que cette modification est un dé-
veloppement naturel et spontané de la langue, et que si elle ne
s'est pas produite plus tôt, c'est qu'une cause latente, agissant
au moment de sa formation, a conservé à la gutturale sa valeur
primitive.
Si l'on admettait que cette cause est l'influence germa-
nique, on aurait là peut-être un moyen de fixer la date de la
transformation de la vélaire dans le français. Dans cette hypo-
thèse, en effet, celle-ci n'aurait pu se changer en tch qu'après
que cette influence aurait cessé de se faire sentir, c'est-à-dire
probablement dans le courant du ix^ siècle ^ : c'est la conclusion
à laquelle m'avait amené déjà l'étude des premiers monuments de
la langue. D'ailleurs cette circonstance que, sur trois des princi-
paux dialectes français, deux ont conservé la gutturale vélaire,
ne permet pas de reporter loin de leur époque de formation sa
transformation dans le troisième ; si cette transformation n'avait
eu lieu que beaucoup plus tard on ne voit pas pourquoi elle ne se
serait pas produite alors simultanément dans les deux autres,
comme elle y a eu lieu isolément dans la suite. Or c'est au
ix° siècle que le français commence à se dégager des langes du
latin et à prendre une physionomie qui lui soit propre, je crois
donc que c'est à cette époque aussi qu'il faut reporter le change-
ment de la vélaire en chuintante ch ou du moins en palatale é, sa
transformation en cette dernière ayant pu d'ailleurs commencer
plus tôt, et ce son intermédiaire ayant pu aussi, suivant les loca-
lités, persister plus ou moins longtemps.
Ainsi le c vélaire a persisté d'ordinaire en normand et en picard,
le c palatal s'y est transformé en ch ; dans les dialectes français
du centre et de l'Est, au contraire, le c vélaire s'est transformé
en ch, le c palatal en ts puis en s : tels sont les résultats géné-
raux auxquels je suis arrivé ; ils sont incontestables pour le
français et généralement admis aussi pour le picard, mais les
anciens monuments semblent les contredire, en partie du moins.
1. Les Gloses de Reichenau et de Gassel donnent partout ca, au com-
mencement comme au milieu des mots; le c vélaire persistait donc
encore devant a au moment de leur rédaction, c'est-à-dire au vin° siècle;
il y a plus, l'orthographe keminada (p. 68 tr.) montre que devant e,
provenant de a, il était encore resté sans modification; nous avons
donc là une limite inférieure pour cette transformation, le fragment de
Valcnciennes en donne une supérieure; c'est entre elles, dès lors, c'est-
à-dire entre la fin du mii" et celle du ix' siècle, qu'il faut placer la
transformation du c vélaire en ch.
— 283 —
pour le normand. Dans l'Alexis, la Chanson de Roland, le Char-
lemagne, le Psautier d'Oxford, le c palatal transformé est repré-
senté comme en français par c ou même par s, j'ai déjà eu occa-
sion de remarquer qu'on ne pouvait pas conclure de cette ortho-
graphe que le c n'y avait point la prononciation ch (s) ou tch
[c) devant e ou i étymologique, puisqu'on trouve écrits avec
un simple c des mots dans lesquels ce ou ci devait se pronon-
cer che ou chi. D'un autre côté l'étude comparée des monu-
ments normands du Moyen Age et de la langue actuelle nous
montre le son s se substituant bien plutôt au son ch que
celui-ci ne prenant la place du premier, raison de plus, si
on n'y était déjà amené par la théorie, pour voir dans ch
la forme primitive en normand du c palatal latin transformé.
Quant au c vélaire, nous l'avons trouvé persistant le plus
souvent dans les plus anciens monuments de la langue; les
mots où il est remplacé par ch étaient-ils usités par les écri-
vains normands, ou bien l'adoption de la forme ch est-elle due à
un caprice des copistes ? Il est difficile de répondre d'une manière
entièrement satisfaisante à cette question, quoique la seconde
supposition, d'après ce que nous savons des caractères du nor-
mand et des altérations apportées aux anciens textes par les
scribes, soitde beaucoup la plus vraisemblable. Toutefoisi] est cer-
tain que d'assez bonne heure le c vélaire s'est changé en ch dans
un certain nombre de mots en Normandie ; on trouve le nom de
Radulfus Clinchamp dans une charte latine de 1165 environ,
d'après M. Léopold Delisle\ et ce nom est encore aujourd'hui
celui d'une commune voisine de Gaen et d'une famille normande ;
nous avons vu aussi que dans un certain nombre de noms de lieu
ch s'est substitué au c vélaire, ainsi : Avranches, Chet'bourg
(m.), Chamboy {o.), Clinchamps (c), Chanteleu{E.), Neuf-
châtel (s.-i), etc., et si, comme on doit le supposer, la gutturale
>^ y a précédé la chuintante ch, nous savons que sa transforma-
tion en cette dernière remonte à une époque reculée. Il est donc
permis aussi de supposer que dans des textes incontestablement
normands d'origine les gutturales étaient souvent traitées comme
en français ; et, tout en admettant que les scribes ont parfois
falsifié les textes qu'ils nous ont transmis, on peut croire aussi
que certains monuments poétiques ont bien, comme les chartes
que j'ai étudiées, présenté à la fois des formes normandes et des
formes françaises ; mais comment expliquer le mélange de ces
formes dialectales si différentes dans le langage parlé et surtout
Hist. de la commune et du château de St-Sauveur, p. 72.
— 284 —
écrit en Normandie? Pour s'en rendre compte, il suffit de se
reporter aux événements historiques dont cette province a été le
théâtre.
Le normand;, comme je l'ai dit, est la langue propre à l'an-
cienne Neustrie ; l'isolement où se trouva cette contrée par suite
de la conquête de Rollon, — conquête qui eut lieu au moment où
les divers idiomes français commençant à se former devaient
commencer aussi à prendre leurs dififérences dialectales, — dut
favoriser la conservation des caractères distinctifs du dialecte
qu'on y parlait ; la conquête de l'Angleterre vint bien mettre la
Normandie en rapport avec un pays nouveau ; mais si, au con-
tact de l'anglo-saxon, l'idiome des conquérants dut se modifier,
ce ne fut que plus tard et quand il fut parlé par le peuple conquis,
que cette altération se produisit ; elle ne dut d'ailleurs se faire
sentir qu'en Angleterre et ne put exercer aucune influence sur le
normand du continent. Il n'en fut pas de même d'un événement
tout pacifique qui eut pour la puissance du royaume anglo-nor-
mand les conséquences les plus importantes ; je veux parler de
l'avènement des Plantagenets au trône d'Angleterre.
Depuis la conquête les souverains anglais, — le dernier,
Etienne de Boulogne, excepté, — étaient originaires de Nor-
mandie ; le dialecte de cette province devait donc être resté natu-
rellement la langue de la cour, comme la langue officielle. La
réunion en 1154 de la Normandie et de l'Angleterre sous la
domination de Henri II Plantagenet vint modifier cet état de
choses. Henri, avant d'être duc de Normandie et roi d'Angleterre,
était comte d'Anjou, du Maine et de Touraine, pay^ dont le dia-
lecte ressemble bien au normand par son vocalisme, mais en
diffère essentiellement par le traitement des gutturales qui s'y
sont modifiées comme dans le français proprement dit. Ainsi
tandis que les pays de langue picarde restaient isolés politique-
ment du reste de la France, la Normandie, en passant sous le
sceptre des Plantagenets, se trouvait, au milieu du xii^ siècle,
réunie à des. pajs dont le dialecte difiérait profondément du sien
par leur consonnantisme ; il est impossible que ce rapproche-
ment d'idiomes différents n'ait point influé sur le normand, au
moins sur le normand littéraire. Des trouvères, comme Wace,
qui florissait déjà à l'avènement des Plantagenets, continuèrent
sans doute à écrire dans le dialecte normand et purent voir en-
core leurs poèmes accueillis des nouveaux souverains ^ ; mais il
1. Rou V. 10455. Par Deu aïe e par li rei,
Altre fors li servir ne dei.
— ■ 285 —
se forma bientôt une autre génération de poètes qui dédai-
gnèrent certains des caractères essentiels du normand propre-
ment dit et n'en durent plaire peut-être que davantage aux
monarques angevins ; comment d'ailleurs ceux-ci n'auraient-ils
point préféré des formes qui leur rappelaient l'idiome de l'An-
jou et de la Touraine ? Si l'on pouvait être sûr que les poésies
de Richard I n'ont point été altérées par les copistes, on j trou-
verait la confirmation la plus directe de ce que j'avance, puis-
qu'elles n'ont aucun des caractères du normand^.
Quoi qu'il en soit, il est incontestable — et c'est avec les
altérations apportées aux textes par les copistes une des
causes qui jettent tant d'incertitude sur la langue des poèmes
normands de cette époque et en rend le rétablissement impos-
sible — qu'à partir de la seconde moitié du xif siècle , il y eut
dans l'étendue du royaume anglo-normand des trouvères qui,
soit qu'ils ne fussent pas d'origine normande, soit qu'ils le fissent
à dessein, employèrent non les formes propres au dialecte parlé
en Normandie, mais à celles du dialecte de l'Ile-de-France. Le
désir de plaire aux princes de la nouvelle dynastie, mais plus
encore l'importance chaque jour croissante de la littérature des
pays de langue française et la renommée de leurs poètes, en
furent la cause. Après avoir fait ses premières études à Caen,
Wace avait vécu un temps assez long dans les pays soumis à la
domination des rois de France ^ et il n'est pas impossible déjà
qu'il n'y ait appris, pour les adopter peut-être plus tard, cer-
Me fut donnée, Dex li rende,
A Baieues une provende.
Cependant Wace lui-même ne tarda pas non plus à être négligé par
les rois anglais et il s'en plaint amèrement :
_ De dons e de promesses chacun d'els m'asoage ;
Mez besuing vient, qui tost sigle e tost nage,
E suvent me fet mètre li denier el gage.
1. Le Roux de Lincy, Recueil de chants historiques français, I, 56 et 65.
Toutefois on trouve dans la seconde
« Dalfln, jens voil deresnier »
les mots castels et cal ; mais si le premier peut être à la fois provençal
et normand, le second n'est que provençal, la forme normande étant
calt ou caut, on peut donc supposer que castels est aussi provençal et
qu'on a là la traduction d'une chanson écrite primitivement dans
l'idiome des troubadours, ou copiée par un scribe provençal, ce que
semblerait indiquer le tz des mots voletz 2, 53, troveiz 5, 3.
2. Puiz fu lunges en France apris. R. v. 10450.
— 286 —
taines formes étrangères au dialecte normand ; cependant, sous
les altérations dont ils ont été l'objet, on retrouve encore dans
ses poèmes les mieux conservés les caractères essentiels de son
idiome natal. Mais il n'en fut plus de même après lui. Les for-
mes normandes ont déjà plus ou moins disparu, nous avons vu,
de la Chronique des ducs de Normandie, du poème du Mont
Saint-Michel, etc., pour être remplacées par des formes fran-
çaises. Vers la fin du xif siècle, Garnier de Pont-Saint-
Maxence, originaire, il est vrai, du Beauvaisis, mais célébrant
un Anglais, écrivant en Angleterre, et surtout pour les Anglo-
Normands S arguait dans son poème sur « Thomas le Martyre »
de son origine pour prouver la bonté de son style :
« Mis languages est buens, car en France fui né *»
Ainsi, même dans les pays de langue normande , on pouvait
déjà à cette époque proclamer, sans craindre d'être contredit, la
supériorité du français sur les autres dialectes congénères.
Un événement, bien plus important par ses conséquences phi-
lologiques que l'accession au trône des Plantagenets, allait, au
commencement du siècle suivant, accroître encore cette supré-
matie du français en Normandie ; ce fut la réunion à la couronne
des possessions continentales des rois d'Angleterre (1203). Ce
n'était plus là seulement, en effet, comme en 1154, le rapproche-
ment entre des pays de langue normande et trois provinces
ayant un idiome différent, c'était leur réunion, ou plutôt leur
soumission, à ceux de langue française, fait qui devait entraîner
la substitution de l'idiome de l'Ile-de-France au normand comme
langue officielle. Un pareil événement devait modifier profondé-
ment les conditions dans lesquelles s'était trouvé jusque-là l'an-
cien dialecte parlé en Normandie ; sans doute cette révolution
n'atteignit pas tout d'abord le langage populaire; mais l'emploi du
français dans les actes publics ^, la supériorité désormais reconnue
1. Aine mais mieldre romanz ne fu fez ne trovez ;
A Cantorbire fu et fez et amendez.
2. Cf. Hist. lut. de la France XXIII, 370. Toutefois, il faut le reconnaî-
tre, tout ceci est beaucoup plus vrai de l'anglo-normand que du nor-
mand proprement dit.
3. Dans V Échiquier de Normandie, recueil d'actes du xiii" siècle, mais
probablement rajeunis, le normand a fait place partout au français. Du
moins nous ne trouvons déjà les formes normandes qu'exceptionnelle-
ment dans les extraits du livre des Jurés de l'abbaye de Saint-Ouen de
Rouen, donnés par M. Léop. Delisle dans ses Études sur la condition
de la classe agricole en Normandie, sous l'année 1^91, ainsi que dans
— 287 —
de ce dialecte, la célébrité dont jouissaient alors les trouvères qui
le parlaient, tout cela porta au normand un coup fatal. Délaissé
peu à peu par les clercs, qui y mêlèrent, quand ils n'en rejetèrent
pas complètement l'emploi, des formes françaises, il cessa d'être
une langue littéraire et tomba au rang de patois. C'était la consé-
quence inévitable de la soumission de la Normandie à la cou-
ronne et de la suprématie bientôt incontestée du dialecte de l'Ile-
de-France. Cet état de choses ne pouvait manquer d'avoir à la
longue une influence dissolvante sur le parler vulgaire des
populations normandes.
En ce qui concerne les gutturales, la chuintante ch tendit
désormais à se substituer à la vélaire ; s à prendre, au contraire,
la place de ch, transformation normande de la palatale. L'inspec-
tion des anciens manuscrits en donne la preuve à chaque ligne,
et j'ai eu occasion de signaler sans cesse cette confusion de
formes dans les chartes que j'ai étudiées précédemment. L'examen
des noms d'hommes ou de pays surtout est on ne peut plus propre
à montrer la transformation qui s'effectuait peu à peu dans la
langue, et les efforts des lettrés pour faire passer sous le niveau
français les anciennes formes normandes. Dans certains manus-
crits de la Chronique des ducs de Normandie, du Brut ou du
Rou, on trouve souvent ch substitué à c dans les noms de lieu
qui ont conservé jusqu'à présent leur prononciation gutturale,
par exemple Arches^, v. 8575 et 8589 ; Chaaignes (Cahagnes)
R. 13664, Chanon (Canon) R. 13679, Chaen (Caen) Chr.
33754 ; Chauz Chr. 14739, H. 13731; Chaumont Chr. 30798
R. 15231 ; Tancharville R. 13560, etc. '. Les Actes normands
nous font en quelque sorte assister à ce travail de transformation ;
ainsi nous trouvons dans le compte n° 4 de l'année 1329 « Nuef
Castel et Arques » ; dans le compte n" 74 de l'an 1337 nous
avons, au contraire, « Noef Chastel et Arches » ; un des copistes
du Roman de Rou avait aussi employé la forme Arches; on
essayait donc, à ce qu'il semble, à cette époque de transformer
la gutturale de ces deux noms ; la tentative a réussi pour le pre-
mier, qui est devenu Neufchâtel, mais elle a échoué pour le
second qui est resté Arques ; par contre elle a réussi pour le
un acte de 1260, et les pièces justificatives du même ouvrage contien-
nent des chartes du commencement du treizième siècle (1302, 1324, etc.)
où on ne rencontre plus que les formes françaises des gutturales.
1. On trouve même ch dans des noms étrangers comme Chantorbire
(Gantorbéry) B. 4079, Chatenois (Caithness) id. 2365, où la vélaire aurait
dû évidemment être conservée.
— 288 —
nom de la même contrée, et formé de la même racine, Pont de
V Arche. Ce qui s'est passé dans le département de la Seine-Infé-
rieure s'est produit également dans les autres parties de la Nor-
mandie ; ainsi, à droite de la baie des Veys, se trouve Grancamp,
nom dont la vélaire a persisté, tandis que sur le côté gauche de la
même baie est La Blanche, mot dans lequel elle s'est trans-
formée en ch ; il serait facile de multiplier ces rapprochements,
sans qu'on pût pour cela deviner quelle est au juste la cause qui
a déterminé cette diversité de formes dans des mots qui ont dû
être identiques à l'origine. Il semble bien sans doute que les
noms dont le c s'est transformé sont plus récents, cependant il
en est comme Clinchamps, Avranches, Cherbourg, etc., qui
doivent être fort anciens, et qui, se trouvant dans la même région
que d'autres dont la vélaire a persisté, auraient dû, dès lors, la con-
server comme eux, mais ne l'ont pas moins changée en ch. La seule
chose qui paraisse certaine, c'est qu'en général les noms où le c
vélaire s'est transformé appartiennent à la partie méridionale ou
Sud-Est de la Normandie ; on comprend, en effet, que ce soit là,
à la frontière commune des deux dialectes, que celui de l'Ile-de-
France ait agi avec le plus de puissance, pour en modifier les
formes propres au normand.
Les noms de personnes donnent lieu aux mêmes observations ;
ainsi dans le n° 4 des Actes normands (1329), on rencontre le
nom de Charpentier, dans l'acte trois (1328) celui de La Cha-
pelle et dans l'acte quarante-huit (1336), celui de Chanu, qui
sont écrits le premier Carpentier dans l'acte cinquante-trois
(1336), fait pour l'armement de la nef la Kateline, le second
La Capelle (Jehan de) dans l'acte trente-neuf, inventaire fait
en 1333 à Saint-Pierre d'Arthenay, ainsi que dans l'acte
soixante-quatorze passé en 1337, et le troisième Canu, dans
l'inventaire de Saint-Pierre d'Arthenay ^ Le même fait se
présente dans les textes que j'ai étudiés, et on y rencontre
même écrits par ch des noms dont la gutturale n'aurait pas dû,
ce semble, être modifiée. J'ai déjà signalé dans l'Alexis la
forme Acharies (Arcadius) L. 62, 2; on trouve de même
Aschanius {k^ca^Tie) dans le Roman de Brut v. 17, 89, 111,
118, etc. C'était, appliquée ici même à des noms étrangers, le
résultat de cette tendance de transformation dont j'ai fait re-
marquer les efiets sur les noms de lieu, et qui semble avoir agi
1. Nous avons vu que ces formes Canu, Capelle, Carpentier, sont encore
usitées aujourd'hui en Normandie.
— 289 —
avec force au xiif et au xiv° siècle, sans réussir cependant à
modifier tous les noms propres que la tradition défendait
contre ces tentatives d'innovation, comme la mémoire du peuple
conservait fidèlement aux noms communs, malgré l'influence
croissante du français, leur forme originelle.
On peut dire qu'il a fallu une résistance de tous les instants,
aidée sans doute par le mauvais état de l'instruction — l'igno-
rance si funeste à tous les égards est au moins favorable au main-
tien des idiomes tombés à l'état de patois — pour conserver au
dialecte normand, enparticulierence qui concerne les gutturales,
ses caractères distinctifs. Pour les noms communs toutefois le nor-
mand l'a emporté aussi bien dans la conservation de la vélaire que
dans celle de la forme ch prise par la palatale transformée ; la
vélaire n'a cédé que dans un petit nombre de cas S et la forme
ch prise par la palatale, excepté à la fin des mots cependant
et au milieu quand elle s'est changée en spirante sonore, n'a
fait place à ç aussi que dans bien peu de cas. Il en a été
tout autrement pour les noms propres, ce qui s'explique sans
peine, parce qu'ici les lettrés sont intervenus et ont favorisé
les formes françaises, le c vélaire a dû faire place assez souvent,
surtout dans les noms géographiques, à la chuintante ch, et
celle-ci, au contraire, a été remplacée dans le plus grand nombre
de cas par le c français.
Telle a été, au point de vue des gutturales et depuis la réunion
de la Normandie à la France, l'histoire du dialecte parlé dans
cette province ; mais tout autre naturellement a été la destinée
du normand importé par la conquête en Angleterre ; c'était la
conséquence forcée des conditions particulières dans lesquelles il
s'y trouvait. Sur le continent, le normand était la langue du
peuple qui, grâce à l'ignorance dans laquelle il vivait, l'a con-
servée longtemps sans modification essentielle ; en Angleterre,
au contraire, le normand était la langue de l'aristocratie, minorité
isolée au milieu de la population anglo-saxonne, dont elle dut
1. 11 est curieux de comparer les mots communs où la vélaire a per-
sisté et ceux où elle s'est changée en ch ; on voit qu'en général les
premiers sont exclusivement populaires ou indigènes, les mots qu'on
pourrait dire d'un usage mixte ont le plus souvent, au contraire, les
deux formes ; quant à ceux qui sont d'origine savante, ou qui appar-
tiennent à la langue de l'église ou de l'administration, ils n'ont d'ordi-
naire que la forme française. Ainsi canter (mettre sur le champ), et
chanter (la messe p. ex.); calenger (obtenir par dessus le marché) et
chier (aimé) ; canié et chanieau, etc.
49
— 290 —
finir par apprendre la langue. Dans ces conditions, l'idiome
importé en Angleterre courait grand risque de se corrompre s'il
ne se ravivait à sa source. Mais l'avènement des Plantagenets
ayant mis, au moins à la cour, sur le même pied d'égalité que
le normand d'autres dialectes français jusqu'alors inconnus dans
la Grande-Bretagne, il n'y avait déjà plus de raison pour qu'on
y tînt à conserver dans toute sa pureté celui qui avait dû être
seul parlé sous la dynastie normande. La séparation politique
de la Normandie et de l'Angleterre ne dut pas non plus rester
sans influence sur les transformations possibles de l'anglo-nor-
mand. Il suffit pour s'en rendre compte de se représenter les
circonstances dans lesquelles elle se produisit et les résultats qui
en furent la suite.
Depuis un demi-siècle le dialecte normand avait cessé d'être
la langue maternelle des souverains anglais; cependant la
célébrité des trouvères qui l'avaient employé d'abord dut lui con-
server sans doute quelque temps encore quelque chose de son
ancienne importance ; tout cela changea au xiii** siècle avec la
séparation de la Normandie de l'Angleterre ; la décadence de la
poésie normande qui en fut la suite, l'éclat dont brillaient pré-
cisément à cette époque les trouvères de la langue française, tout
devait contribuer à attirer de plus en plus l'attention sur ce dernier
idiome; en même temps l'anglo-normand, n'étant plus ravivé par un
échange continu de communications avec le continent, en contact
aussi avec l'anglo-saxon, avec lequel il commençait à se mêler
pour former ce qui sera bientôt l'anglais, ne pouvait manquer de
s'altérer. Cette corruption toutefois dut tout d'abord bien plus
modifier le vocalisme que le consonnantisme du normand, puisque
l'anglo-saxon traitait les gutturales, les seules dont il soit ici
question, de la même manière que ce dialecte ; celles-ci ne tar-
dèrent pas non plus cependant à s'altérer ; ce qui dut contribuer
à en modifier la valeur originelle fut l'influence croissante du
français, influence qui ne cessa plus désormais de se faire sentir
en Angleterre, comme elle agissait en Normandie ; mais qui n'y
était pas combattue, comme dans cette province, par la tradition
populaire. Le goût de notre littérature se maintint de l'autre
côté de la Manche ; mais comme la décadence de la poésie nor-
mande avait suivi de près la réunion de la Normandie à la cou-
ronne, c'étaient les écrivains français qui étaient maintenant
lus, admirés, imités en Angleterre; on sait en particulier de
quelle popularité y jouit le Roman de la Rose, que Chaucer ne
dédaigna pas de traduire. En même temps c'était aussi dans l'Ile-
— 291 —
de-France, non en Normandie, qu'allaient chercher leurs maîtres
et des leçons ceux qui désiraient s'instruire dans notre langue ;
le français, tel qu'il se conservait en Angleterre, était regardé
comme grossier ^ il était naturel qu'on cherchât à le retremper
à ses sources et à le refaire, si cela était possible, sur les modèles
nouveaux qu'offrait le continent. Ainsi tout contribuait à effacer
les caractères primitifs du normand et à ramener en particulier
les gutturales de la forme qu'elles y avaient à celle qu'elles
avaient prises en français ^ ; nous avons vu cependant qu'elles
ont dans un certain nombre de cas conservé celle qui est propre
au premier de ces dialectes, mais plus souvent aussi, en parti-
culier la palatale, elles ont adopté celles du français et les
doublets comme caldron et chaudron , camber et chamber,
caste et chaste, chives et cives, chibbol et cibol, etc., mon-
trent l'hésitation qui se produisit. dans la langue à l'époque de sa
transformation et la double source à laquelle elle a puisé.
Le dictionnaire français-hébreu dont j'ai parlé p. 252, docu-
ment d'une importance dont l'éditeur ne paraît pas s'être douté,
nous montre ce travail de transformation s'opérant déjà dans la
première moitié du xui^ siècle ; le c vélaire y a encore persisté le
plus souvent, nous avons vu, mais il est aussi parfois remplacé
par ch ; on sait qu'il a persisté jusqu'à aujourd'hui dans un cer-
tain nombre de mots, mais que dans un plus grand nombre il a
fait place à cette chuintante ; la langue a donc continué la modi-
fication qui commençait alors, modification dont nous trouvons
la preuve dans le soin même avec lequel les copistes substituaient
ch au c suivi de a. Quant au c palatal, la transformation a été
1. On connaît les vers de Chaucer qui constatent ce mépris pour le
français tel que le parlaient tant d'Anglais de son temps ; il s'agit de la
supérieure des Canterbunj Taies « Madame Eglentine » :
And Frenche she spake fui fayre and fetesly
After the scole of Stratford atte Bowe
For Frenche of Paris was to hire unknowe.
2. On peut se faire une idée des modifications qu'avait subies l'anglo-
normand dès le xnr siècle, en comparant le texte du Lai d'Havelock à
celui des monuments vraiment normands de la même époque ou du
siècle précédent ; non-seulement la diphthongue ou {aou) s'est développée
outre mesure et dans des cas où le dialecte normand proprement dit ne
la connaissait pas, mais oi s'est presque partout substitué à ei; en même
temps la vélaire ne persiste plus devant a ; les cinq cents premiers
vers du texte, tel que l'a donné M. Francisque Michel {Lai d'Havelock,
in-4°, Paris, 1333), n'en offrent pas du moins un seul exemple ; quant à
la palatale, elle est toujours représentée parc (s).
— 292 —
encore plus générale et plus complète. Dans ce même dictionnaire
français-hébreu il est remplacé par ts dans tous les mots où il se
trouve, ainsi : tsendres 199, tserkier 575, tsantener 529,
deliise 311, forteretse 300, fortse 140, meditsine 642,
poits 517, ratsine 1112, sauts (salices), etc.^ On le voit, à une
époque où dans les textes véritablement normands on trouvait la
palatale depuis longtemps représentée parcA, elle avait déjà dans
l'anglo-normand la valeur ts, son qui ne dut pas tarder naturelle-
ment à s'affaiblir, comme en français, — à part les quelques
exceptions que j'ai signalées plus haut, -^ en ç, prononciation
actuelle en anglais du c palatal transformé d'origine romane.
On ne doit donc pas être surpris de le voir représenté dans les
textes anglo-normands les plus récents, comme le Lai d'Havelock
et Jordan Fantosme, uniquement par c et non par ch, comme dans
les textes normands contemporains. C'est là aussi ce qui explique
pourquoi dans ceux de ces derniers textes copiés en Angleterre,
comme dans les plus anciens textes anglo-normands où le c
palatal devait encore avoir la valeur c, l'orthographe du c suivi
de i ou de e est si irrégulière et pourquoi au lieu de ch on n'y
trouve le plus souvent que c.
Ce que j'ai dit du normand proprement dit peut s'appliquer en
grande partie au picard ; toutefois ce dernier dialecte, — et c'est
pour cela entre autres causes que ses caractères ont été connus à
une époque où on ignorait encore ceux du normand, — s'est
modifié bien plus tard que le premier ; en plein xiii" siècle, à une
époque où le normand était en pleine décadence et déjà descendu
au rang de patois, le picard avait encore conservé toute son
importance littéraire ; non-seulement des chartes étaient écrites,
mais des histoires, telles que les Chroniques de Robert de Clari,
des poèmes entiers comme ceux d'Adam de la Halle, étaient
composés dans ce dialecte, et une école poétique indigène, restée
célèbre, florissait alors en Artois. Cependant même avant la réu-
nion à la couronne des pays de langue picarde, cet idiome subit
aussi l'influence prépondérante du français, et si l'origine incer-
taine des manuscrits ne nous permet pas de dire au juste dans quelle
mesure les formes françaises pénétrèrent dans le picard, elles y sont
1. On pourrait se demander si le roman de ce dictionnaire est bien de
l'anglo-normand; mais la persistance de la vélaire exclut l'hypothèse
qu'il soit français; d'un autre côté la représentation de la palatale trans-
formée par ts ne permet pas de supposer qu'il soit normand ou picard ;
il ne reste donc plus qu'à admettre, ce que confirme d'ailleurs son ori-
gine, qu'il est anglo-normand.
— 293 —
trop fréquentes pour n'être toujours quele fait des copistes. Il était
difficile qu'il en fût autrement ; le dialecte français était en lion-
neur bien au-delà des frontières du domaine royal, tandis que le
dialecte picard n'était accueilli avec faveur que dans les pro-
vinces du Nord de la France. Quesne de Béthune se plaint d'avoir
vu ses vers méprisés à la cour d'Alis de Champagne, veuve de
Louis VII, parce qu'ils étaient faits dans son idiome natal.
Que mon langage ont blasmé li François
Et mes chancons, oyant les Champenois,
Et la comtesse encoir, dont plus me poise.
Ainsi à la fin du xn® siècle le picard passait pour grossier aux
oreiUes françaises^; par contre nous voyons au siècle suivant
l'un des trouvères du Nord les plus connus^ Adenès li Roi^, exal-
ter le dialecte de l'Ile-de-France, qu'on apprenait déjà, nous
dit-il, jusqu'en « pays tyois », et faire un mérite de le connaître
aux principaux personnages de son poème, qui
Surent près d'aussi bien le francois de Paris
Gom se ils fussent nés el bour a Saint-Denis *.
Comment n'aurait-on pas dès lors été tenté d'adopter dans la
patrie d' Adenès cet idiome, que les étrangers eux-mêmes s'em-
pressaient d'apprendre? Le moment de la déchéance du picard
aussi était venu ; au siècle suivant, ce dialecte, délaissé par les
écrivains du temps, tombait à son tour à l'état de patois ; le fran-
çais proprement dit, élevé peu à peu au-dessus des idiomes voi-
sins, devenait définitivement dans tout le royaume la langue
commune de la poésie et de la grande littérature ; c'est de lui que
se servait déjà le rouchi Froissard, sans doute pour être plus
sûr de plaire à ses auditeurs et à ses lecteurs si divers d'origine ;
c'est lui qu'on employait depuis longtemps presqu'exclusivement
en Normandie, et désormais au Nord, comme bientôt au Sud de
la Loire, le dialecte de l'Ile-de-France fut le seul dans lequel
écrivit tout auteur qui ambitionna d'être lu. C'était la consé-
quence à la fois politique et littéraire de la réunion sous un même
sceptre des diverses provinces de la France, et de la popularité des
trouvères et des écrivains qui, pendant la seconde moitié du
xu" siècle et tout le xiii®, s'étaient servis de cet idiome.
C'est par ces considérations que je terminerai l'étude des trans-
formations du c vélaire dans la série c, s, ts, dz, s, z, 0 et o,
1. Cf. Hist. littër. delà France, XVIll, 846.
2. Cf. Hisl. lut. delà France, XXIIl, 371.
— 294 —
ainsi que celle non moins intéressante et nouvelle, je crois, —
du moins à certains égards, — des deux gutturales dans le picard
et le normand. Je passe maintenant à l'examen des modifications
du c, soit vélaire, soit palatal, dans les divers groupes de con-
sonnes où il peut entrer; ce sera l'objet du livre suivant.
LIVRE QUATRIEME.
DU C LATIN DANS LES DIFFERENTS GROUPES DE
CONSONNES OU IL PEUT ENTRER.
Quelque générales que soient dans leur ensemble les lois que
j'ai cherché à établir jusqu'ici, on comprend qu'elles peuvent
être modifiées par la juxtaposition à la lettre c d'une autre con-
sonne ; il y a donc lieu d'étudier séparément les divers groupes
de consonnes dans lesquels elle peut se trouver : c'est ce que je
me propose de faire dans ce quatrième et dernier livre. Je passe-
rai d'abord en revue les groupes où c est précédé d'une autre
consonne, tel que ce, — de et te, — le, rc et ne, — enfin se\ puis
ceux où, au contraire, il en est suivi, comme cl, cr, es ou x et et.
CHAPITRE 1«
DU GROUPE ce.
Ce groupe offre peu d'intérêt ; la présence du premier c n'a
d'autre influence que d'empêcher la chute du second^ qui est
d'ailleurs traité comme un e simple, qu'il soit vélaire ou palatal^
excepté que dans le premier cas il ne peut s'affaiblir en sonore,
encore moins bien entendu se changer en y. Ainsi le provençal
baga, français baie ne vient pas de baccam, mais d'une forme
baeam ; l'espagnol et portugais braga, le provençal braga,
braia, français braie ne dérivent pas de braceam, mais de
bracmn , il faut de même ramener l'italien et l'espagnol sugo à
une forme sueum. Les deux c persistent toujours en italien.
L'espagnol, au contraire, ne tolérant point les consonnes redou-
blées, — à l'exception des liquides n, r, et abusivement de s,
— le premier e du groupe ce tombe dans cette langue ; il en est
de même en roumain. Il tombe aussi ordinairement en provençal
— 296 —
et en français dans les mots d'origine vraiment populaire. Cette
dernière langue change d'ailleurs le second c, cpmme le c simple,
en ch devant <2*. Les transformations des mots bèccwn, huccam,
cloccam, flaccum, floccum, peccare, saccum, siccam, soc-
cum, succum, vaccam, etc., donneront une idée de la manière
dont le groupe ce suivi àe a, o ou u r été traité dans les
différentes langues romanes.
ITAL.
ROUM.
ESP.
PO.
PR.
FR.
becco
—
bico
bico
bec
bec
bocca
bucq
boca
boca
boca
bouche
cioca p.
—
—
—
cloca
cloche
fiacco
fleac
flaco
—
—
—
fiocco
floc
flueco
froco
floc
floc{on)
peccare
—
pecar
peccar
pec(c)ar
pécher
sacco
sac
saco
sacco
sac
sac
secco
sec
seco
secco
sec
sec
secca
seace
Seca
secca
seca
sèche
socco
—
soco
socco
—
soc
succo
—
suco
succo
suc
suc
vacca
vacç
vaca
vac{c)a
vaca
vache, elc,
Devant e et ^^ le second c du groupe ce est traité, je l'ai dit,
absolument comme le e palatal simple, c'est-à-dire qu'il se change
en chuintante dans les langues du groupe oriental, en spirante
dentale dans celle du groupe occidental ; quant au premier c,
excepté en italien où il est muet, il garde dans les autres langues
toutes les fois qu'il persiste le son guttural. Le valaque ne con-
naissant pas, que je sache, le groupe ce suivi de e ou i et le pro-
vençal ne l'offrant qu'exceptionnellement j'ai cru pouvoir omettre
ces deux langues dans les exemples que je vais donner des trans-
formations du e palatal précédé d'un c vélaire.
LAT.
IT.
ESP.
PO.
FR.
accelerare
accelerar
acelerar
—
accélérer
accenlum
accento
acento
accento
accent
' accidentem
accidente
V. acidente
accidente
accident
successum
successo
suceso
successo
succès, etc.
La plupart de ces mots sont d'ailleurs modernes ou d'origine
savante, ce qui peut expliquer entre autres choses la conserva-
tion du premier e en français et en portugais.
1. Les dialectes normand et picard, bien entendu, lui conservent, au
contraire, sa valeur gutturale. V. pi. h. Liv. III, Ch. III, p. 262.
2. On le voit, ce final, réduit à c, persiste comme appuyé en provençal
et en français; il en est de même en général dans les dialectes ladins;
il s'y modifie cependant parfois en c, ainsi sec H.E., secc fr, etc.
— 297 —
Un cas particulier est présenté par le portugais eis (ecce), où
ce semble avoir été assimilé à œ {es), et a été traité comme cette
lettre dans le mot sex, pg. seis. Flaeeidum offre, au contraire,
un exemple de ee traité comme se dans le français flasque ■=.
flaseum. Quant à bueeinam, ^^ bref étant tombé, {c)e, traité
comme e palatal suivi d'une consonne par l'apocope de la voyelle
intermédiaire, s'est changé en s S et bueeinam a donné ainsi
busnaen italien.
CHAPITRE II.
DES GROUPES DC ET TC.
Ces deux groupes sont exclusivement romans et sont le résul-
tat de la chute de i dans les terminaisons dieare ou tieare,
dicus., dicem {decim) ou tiens, atieus ou eticus ; le <? y est
par conséquent vélaire, ou exceptionnellement palatal. Exami-
nons d'abord le premier cas.
P
La chute de l'z, précédée de l'affaiblissement successif du e en
g puis enjot, a eu pour résultat de changer celui-ci en c ou g,
ou en leurs dérivés s, z, ts ou dz. Cette transformation est facile
à expliquer. Dans la terminaison dieare, par exemple, e s'étant
affaibli en g, on a eu digare, puis par le changement de g en j,
dijare ou djare, et enfin, le jot se transformant en chuintante
sonore, gar{e) ou ger; on a ainsi la série de transformations :
dieare, digare, d{i)jare, gar{e) ou ger, zer.
Toutefois, quoique plus rarement, le d peut s'assimiler au e,
c'est-à-dire se changer en sourde t, et alors on a cette autre série
de transformations, qui est celle même de la désinence tieare :
tieare, t{i)jare, car{e) ou cer, ser.
De même dieus donne la série :
dieum, digo, d{i)jo, go ou ge, ze
et ticus :
ticum, tieo, t{i)Jo, co ou ce, se.
Dans les dérivés en atieus et dans le dérivé en e tiens, here-
1. Voir plus haut, Liv. II, Gh. VllI, p. 157.
— 298 —
ticus, les sourdes ^ et c se changent en sonores et nous avons
ainsi pour ce double suffixe la série de transformations :
aticum, adego ou adigo, adgo ou ad{i)jo, ago ou age^ aze ^
La conservation de Vi ou la persistance du c empêche la for-
mation des groupes d'c et i'c et par suite les transformations
auxquelles ils peuvent donner lieu. C'est ce qui est arrivé en par-
ticulier en roumain; dimsijudicarey àomiejudeca, masticare
mesteca, etc. Il a pu se faire aussi que la langue se soit arrêtée
à une des formes intermédiaires dg, dj ou même deg ; ainsi en
espagnol on trouve la première de ces forme ou zg, avec rempla-
cement du d par la spirante z correspondante ; le fragment de
Valenciennes offre la seconde dans le moi pretj et pour predjet;
le portugais nous donne la troisième deg. Les exemples suivants
montreront comment les diverses langues romanes ont traité les
groupes d'c et t'c.
1" Dans le suffixe dicare :
LAT.
IT. ESP.
PG.
PR.-LAU.
FR.
indicare
— —
—
inditgier 1.
—
judicare
giuggiare * juzgar
julgar
jutjar pr.
juger
medicare
— —
—
medgier e.
—
predicare
predicare predicar s.
pregar
pratger 1.
prêcher
2° Dans le suffixe dicus :
medicum
medico miege v.
medico
metge
miège v.
pedicam
— —
pejo
—
piège
3° Dans les suffixes ticare et ticus :
excorticare
scorticare escorchar
escorchar
escorgar
ëcorcher
masticare
masticare mastigar
mastigar
maschar
mâcher
' naticam
natica nalga
—
natge
nage l.
perlicam
pertica perliga
pertiga
perga
perche
porticum
portico portico s.
portico s.
porge
porche
Comme on le voit, le groupe d{i)c ou t{i)c ne se transforme
qu'exceptionnellement en italien ; ce qui tient évidemment à ce
que la voyelle brève atone protonique ou posttonique peut subsis-
ter dans cette langue, de même que c non appuyé ; ainsi predi-
care, medico; natica, etc. Il en est de même parfois en espagnol
1. Ces formules par leur généralité conviennent à tous les idiomes
romans, mais elles ne représentent point nécessairement ce qui s'est passé
dans chacun d'eux; ainsi pour le français dans tous les cas et dans le
double groupe occidental pour le suffixe aticum, la voyelle qui suit le c
s'étant affaiblie en e, il est certain que \'i a pu tomber avant la transfor-
mation du c, sans empêcher cette dernière.
2. Ed io la cheggio a lui, che tutto giuggia. Dante, Purg. 2048.
— 299 —
et en portugais, mais alors c étant inédial s'est changé en g,
comme cela a lieu d'ordinaire dans ces langues : par ex. masti-
gar, pertiga. D'autres fois z est tombé, entraînant la chute du d
ou du t, par ex. pregar pg., perga pr. ou leur changement en
z, ex. juzgar esp., ou en l, ainsi julgar pg., nalga esp.
4° Enfin dans les suffixes eticus et aticus :
hereticum eretico
herege
herege
eretge
herege v.
* abantalicura vantaggio
ventaja
ventagem
avantagge
avantage
*baronaticum baronaggio
barnage Al.
—
barnatge
barnage v.
* biberalicum beveraggio
brebage
beberagem
beuratge
bevrage v.
* carnaticum carnaggio
carnage
carnagem
carnatge
carnage
* coralicum coraggio
—
—
coratge
courage
* damnaticum danneggiare —
—
damnatge
dommage
* formalicum formaggio
formage
—
—
fromage
* herbaticum erbaggio
herbage
hervagem
erbatge
herbage
* lignalicum lignaggio
linage A p.
—
Ugnatge
lignage
* linguaticum linguaggio
lenguage
Ungoagem
lenguaige
lenguage
* missaticum messaggio
mensange
mensangem
messatge
message
* boBQ inalicum omenaggio homenage
homenagem
omenatge
hommage
* obsidalicum ostaggio
—
—
ostatge
ostage
* ultraticuin oltraggio
ultraje
ultraje
outratge
outrage
* paraticum paraggio
parage
paragem
paratge
parage
* servaticum servaggio
—
selvagem
—
servage
silvalicum selvaggio
selvage
—
salvatge
sauvage
*vassalaticura vassalaggio
vasallage
vassallagem vassalatge
vasselage
viaticum viaggio
viage
viagem
viatge
voyage
•villaticum villaggio
village
villagem
—
village
* visalicum visaggio
visaje
visagem
—
visage
* volaticura —
—
—
volatge
volage, etc
Il serait facile de multiplier les exemples du changement de
at'cus, surtout pour le français, qui nous offrirait âge (* aetati-
cum), affouage (*affocaticum), aunage ("alnaticum), étage
(*staticum), étiage (*8estivaticum), fermage (*firmaticum),
louage (*locaticum), marécage (*maristaticum), mariage
(*maritaticum), ménage (* mansionaticum), omôrapfe (* umbra-
ticum), orage (*auraticum), partage (*partaticum), péage
(*pedaticum), ramage ('^ramaticum), rivage (*ripaticum),
etc. 1.
Dans le dialecte de la Suisse romande, qu'on peut rattacher, je
crois, au provençal, Vu de aticum n'a pas été transformé d'ordi-
naire en e mais en o ; ainsi on a servadjo (* servaticum et silva-
ticum) et non servadje, damadjo et non damadje. Une autre
particularité plus importante, c'est qu'à côté de la forme en g on
1. Cf. Diez, Gram. 11, 310. — Brachet, Dict. s. v. dge.
— 300 —
en rencontre le plus souvent une autre dz ; ainsi veladjo et ve~
ladzo, viadjo et madzo. La transformation du groupe d'c pré-
sente le même fait, par ex. pridjo ou predjo et pridzo. Le
patois savoyard connaît aussi la transformation de t'c en dz,
seulement Vu qui suit a donné non un o, mais un e, ainsi mes-
sadze, menadze, sauvadze, usadze, voyadze.
Les formes en agio ou âge ne sont pas les seules que connais-
sent les idiomes de l'Est et du Sud-Ouest ; dans les mots d'ori-
gine savante ou moderne l'italien a conservé la terminaison
latine aticwn, changé naturellement en atico ; par ex. selvatico,
à côté de selvaggio, stallatico (fumier) à côté de stallaggio
(étable), haliatico (salaire d'une nourrice), mais haliaggio
(baillage), panatica (provision de pain) à côté de panaggiOy
terr atico (fermage), etc. C'est sous la forme analogue atic
ou atec qu'elle se présente toujours dans le nombre assez res-
treint de cas qu'offre le roumain; ainsi selhatic (silvaticum),
roseatec (*rosaticum), etc.
L'espagnol et le portugais connaissent aussi la terminaison
savante atico, mais il en est une autre qui leur est propre et
semble s'être développée en même temps que a^(?(m) ; c'est en
portugais adego, sans contraction, en espagnol adgo ou azgo,
avec syncope de 1'/. Ces suffixes servent à désigner en espagnol
des emplois ou des titres, comme ahnirantadgo ou almiran-
tazgo (* alrairalaticum) , cardenaladgo ou cardenalazgo
(*cardinalaticum), consuladgo, ou consulazgo (*consulati-
cum), majorazgo (* majora ticum), etc. en espagnol et en por-
tugais, des redevances ou des impôts, ainsi :
LAT.
* aflaticum
* cellaticum
* colodraticum
* fartaticum
* monlalicum
* terraticum
* vinealicum
ESP.
hallazgo
cillazgo
colodî-azgo
hartazgo
montazgo
terrazgo
PG.
achadego
montadego
terradego
vinhadego
salaire pour trouvaille.
droits de dime.
impôt sur le vin.
engraissement.
droits de passage sur troupeaux.
prix de fermage.
vignoble, etc.
La signification en quelque sorte toute technique de ces mots
ne permet guère de leur reconnaître une origine vraiment popu-
laire, et, commecertains dérivés deVitslieïi enatico, ils rappellent
l'étude du tabellion {o taballiade go).!)' ailleurs ^ ce qu'on peut re-
garder comme une preuve de leur provenance particulière, ces
mots subsistent parfois, du moins en espagnol, à côté des formes en
âge ; ainsi herbadgo et herhage, terradgo et terrage, etc.
— 3o^ —
Diez * considère les premiers comme seuls indigènes, et ne voudrait
voir dans les seconds qu'une importation étrangère. Cette hypo-
thèse me paraît inadmissible; le sens particulier des mots en adgo
(adego) et azgo semble en effet, comme je l'ai dit, leur assigner une
origine demi-savante ; quant aux dérivés en âge, en supposant
que quelques-uns viennent du provençal ou du français, comment
admettre, par exemple, que herbage (droit de pâturage en Ara-
gon) ne soit pas un mot indigène, que selvage, mot formé si
régulièrement sur silvaticwn, vienne du provençal salvage,
qui présente le changement àe e en a [sal pour sel), propre au
latin mérovingien? La substitution de <? à o dans cette terminai-
son, sur laquelle s'appuie Diez en particulier, se retrouve dans
tant d'autres mots, comme canonge, monge, cubre, golpe,
Henrique, etc., qu'il est impossible de ne pas croire espagnols,
qu'elle ne saurait prouver l'origine étrangère de ces dérivés,
mais témoigne seulement d'une tendance de l'ancienne langue à
substituer e h o final, analogue à celle qui lui faisait supprimer
plus souvent qu'on ne l'a fait depuis la voyelle finale; aussi la
terminaison âge me paraît non-seulement aussi indigène, mais
plus populaire que adgo ou azgo ; tout au plus j'y verrais une
désinence dialectale propre aux provinces du Nord, différente par
son aspect comme par son origine des terminaisons du castillan
proprement dit^.
Les différentes formes que j'ai passées en revue jusqu'ici n'épui-
sent pas la série des transformations des groupes d{i)c, t{i)c ; le
roumanche et les dialectes ladins du Frioul, qui les changent,
comme la plupart des langues romanes, en g avant la tonique, les
traitent après, au contraire, en général comme la terminaison
ïc ^y c'est-à-dire que c ou tombe ou plutôt se change en y{i) qui
se confond avecl'i précédent, ce qui d'ailleurs a lieu parfois aussi
en provençal ; ainsi :
LAT.
LAD. FR. TYR.
ROL
médicum
miedi
miedi
porticum
puarti fr.
piert *
1. Gram. H, 311.
2. Cf. Romania, I, 449.
3. f précédé immédiatement d'une voyelle accentuée persiste, au
contraire, le plus souvent sans modification ou bien en se changeant en
c ou g. Cf. plus haut, Liv. 1, p. 46, et Liv. III, ch. II, p. 188.
4. Dans le roumanche piert, on le voit, la terminaison ic a complète-
ment disparu.
— 302 —
formaticum
grammaticum
lunaticum
silvaticum
formadi
salvadi
gramadi pr.
Iginnadi
salvadi, suluédi e
vernaticum
vernadi
—
viaticum
—
viadi
volaticum
voladi
—
Enfin dans le français, d'c et t'c posttoniques ont été dans
deux ou trois mots — substitution singulière , — remplacés par
r ; c'est ce qui a lieu par exemple dans le vieux français mire
(medicum) et grammaire (grammaticum) et peut-être dans le
français moderne grammaire (grammaticam) ; mais dans ce cas
il semble qu'il y a eu chute du c, — de là la forme miede, Dial.
de St-Grég., — puis du d et intercalation d'un r pour empêcher
la diphthongaison, comme dans remire (remedium) Jér. 25, 18,
omecire (homicidium) R. d'Alix. 69, 5, diphthongaison qui s'est
produite d'ailleurs dans le nom propre Mie (medicum), lequel
nous présente la suppression pure et simple de d'c^.
Ainsi on le voit, si l'on excepte le roumain et parfois l'italien,
le ladin et les langues hispaniques, les groupes d{î)c et t{ï)c ont
donné naissance par suite de la chute de î et de la transformation
du c enj à dj ou tj qui ont donné définitivement les chuintantes
c ou ^ ou une de leurs formes dérivées ; telle est du moins l'ex-
plication que j'ai cru pouvoir donner de ce phénomène gramma-
tical ; mais M. G. I. Ascoli vient, dans son « Archivio glottolo-
gico » d'en proposer une difierente, acceptée, à ce qu'il semble,
par M. Mussafia-, mais que je crois inexacte à certains égards,
bien que comme résultat elle revienne à celle que j'ai donnée.
M. Ascoli suppose que dans les groupes dïc et tïc le c tombe et
que l'i qui persiste se change en y, lequel avec t ou d donne les
chuintantes c [}) ou g {£). Il est vrai d'abord, ainsi que nous ve-
nons de le voir, que le c peut tomber, comme en ladin dans sal-
vadi, en provençal dans ^ramac^z (à côté de gramatge), en fran-
çais dans miede, mire, Mie ; mais nous voyons en même temps
que dans ce cas il n'y a point transformation de ti ou di encoxxg.
D'un autre côté tj ou dj n'ont donné qu'exceptionnellement nais-
sance à c ou ^ ; ils se changent d'ordinaire, nous savons, en z
{ts ou dz) en italien et en roumain, en ç {s ouz) dans les langues
du double groupe occidental. Cette objection à laquelle M. Ascoli
1. Cf. A. Tobler, Romania, II, 341.
2. Cf. Arch. I, 77. — Lit. Centralbl. 1873.
— 303 —
n'a point pensé, valait pourtant, je crois, la peine d'être exami-
née ^ Si ti et di suivis de c et d'une voyelle ne se transforment
pas comme ti ou di suivis seulement d'une voyelle, c'est évidem-
ment que le c joue un rôle dans cette transformation et qu'il ne
tombe pas purement et simplement, comme le prétend le savant
directeur de l'Archivio. Un autre fait que M. Ascoli a oublié d'ex-
pliquer, c'est la persistance en français et en provençal de l'zbref
et atone de tîc et dïc ; protonique il doit tomber nécessairement
suivant une loi connue ; posttonique il ne pourrait subsister qu'en
venant diphthonguer la voyelle précédente, comme dans témoin
(testimonmm). Enfin la chute du c que M. Ascoli admet si faci-
lement est, comme nous avons vu, tout-à-fait exceptionnelle,
tant qu'il ne devient pas final, et alors sa chute entraîne celle de
la voyelle suivante, — ainsi ami, spi, — ce qui réduirait dans
ce cas les sufiîxes dicus et ticus à di et à ti ou di et rendrait
leur transformation impossible. L'identification de ce qui se serait
passé ici avec ce qui a lieu pour les explosives dentales n'est pas
moins inexacte : les explosives dentales ne tombent si souvent que
parce que, le provençal et le roumain exceptés, les langues roma-
nes ne connaissent pas leur transformation en spirante ; le c ne
tombe pas en général, au contraire, parce qu'ilpeut se changer en
Jot^. Il faut donc en revenir à cette transformation, qui a le double
mérite d'expliquer sans peine tous les faits et de n'être en contra-
diction avec aucune des lois de la phonétique romane.
ir
Le c n'est palatal qu'exceptionnellement dans le groupe d'c ;
les seuls exemples que je connaisse sont judicem et les compo-
sés de decem,, undecim, duodecim, tredecim, etc.
Le d elle c de judicem ont persisté dans l'italien giudice ;
ils sont tombés, au contraire, dans l'espagnol juez et le portu-
gais jm'^ ; en provençal et en français ils ont été traités comme
d'c dans Judicare, c'est-à-dire qu'ils sont devenus^ ou z, jidge
pr. , juge fr.
1. M. Ascoli cite ragione, mais c'est là une forme exceptionnelle et
qui (lès lors ne prouve rien. On pourrait dire à la vérité que les trans-
formations des groupes tic et die étant plus récentes que celles du suf-
fixe iius, tia, tium ont pu donner un autre produit ; cela est vrai, mais
ne peut s'appliquer à tic et die médial, et ne détruit pas les autres
objections qu'on peut faire à cette théorie.
2. De même le p ne tombe qu'exceptionnellement, parce qu'il peut
se changer en v.
— 304 —
Quant au groupe d'c des composés de decem, il a été changé
en spirante sonore dans le double groupe occidental*. — Le
groupe oriental ne le connaît pas. — Ainsi :
LAT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
undecim
onze
onze
onze
onze
duodecim
doze
doze
dotze
douze
tredecim
ireze
treze
treze
treize, etc.
Je me sers de l'ancienne orthographe espagnole, la langue
actuelle ne distinguant plus entre deux voyelles les spirantes
dentales sourdes et sonores, on écrit aujourd'hui, comme nous
avons vu, once, doce, trece, etc., avec un c, parce que la
voyelle suivante est e.
CHAPITRE III.
DES GROUPES LC, RC, NC ET n(d)c.
Comme d'c et t'c, ces groupes sont encore exclusivement ro-
mans, c'est-à-dire qu'ils sont le résultat de la syncope de Va qui
précède le c dans le mot latin. Deux cas ont alors pu se présen-
ter, ou le c a conservé sa valeur gutturale, mais en se changeant,
comme médiale, en sonore g, ou il s'est transformé en spirante
J, et alors il a servi à diplithonguer la voyelle tonique précé-
dente ou bien il s'est transformé en c ou g. L'italien ne connaît
d'ailleurs de ces groupes que ndc, dans les autres il conserve tou-
jours l'i qui précède let\ Cettelettre est du reste toujours vélaire
dans ces différents groupes.
I« l'c.
Le groupe le ne se rencontre que dans les dérivés espagnol,
provençal et français de delieatum, peut-être aussi dans les mots
français bouger et jauger. Après la chute de Yi, c s'est affaibli
en g en espagnol et en provençal, en français la modification a
été poussée plus loin, g est devenu y, lequel s'est ensuite défini-
tivement changé en g (£) . On a eu ainsi :
LAT. KSP. PR. FR.
delieatum delgado delgat delgié, deugé
1. Le provençal au lieu d'une sonore a parfois une sourde, ainsi
dotze, treize.
* bulicare
* (ae)qual(if)icare
- 305 —
bojar {?)
ir r'c.
bouger
jauger ••
Dans r'c, groupe assez rare d'ailleurs, le c s'affaiblit d'ordi-
naire en g en espagnol et en portugais, parfois aussi en proven-
çal ; mais dans cette dernière langue, ainsi que dans celles du
Sud-Ouest, il a pu aussi se transformer en g ou 2, comme en
français. Exemples :
carricare
cargar
cargar
cargar
charger
clericatum
—
—
—
clergé
fabricare
forjar
forjar
fargar
forger
sericum
sirgo
sirgo
—
serge
vervecarium
—
—
bergier
berger
En piémontaison dit aussi forgiar. Quant au roumanche, il
nous offrirait les formes charger e. (carricare), svarger e.
(-varicare).
Au lieu de se changer en ^ (z) le c est , au contraire, resté
vélaire , mais en s'affaiblissant en la sonore g , en français
ainsi qu'en provençal, en portugais et en espagnol dans les mots
suivants :
' nancare
malricolarium
verecundiam
vergxleha vergonha vergonha
IIP n'c et n{d)'c.
narguer
marguilUer
vergogne
Ce groupe peut avoir une double origine : ou bien il est le
résultat de la simple suppression de la voyelle intermédiaire à ces
deux lettres, comme dansman(z)c<2m, ou bien un d intermédiaire
a disparu en même temps, par exemple dans man{du)care .
a) Dans le premier cas, c se change eujot, puis en général en
1. Cf. Diez, Etijm. Wœrterb. s. v. Le provençal bolegar n'ayant point
perdu la voyelle qui précède le c, pas plus que l'italien buligare,ne pré-
sente point la combinaison l'c; elle semble bien, au contraire, se trou-
ver dans 60/ar; mais peut-être ce mot n'est-il qu'un emprunt fait au
français. Quant à jauger, il faut remarquer à côté de lui les formes
hennuyères cauque et gauque, où la gutturale a persisté au commence-
ment et au milieu du mot, et le wallon gauger, qui l'a conservée au com-
mencement. La forme française paraît d'ailleurs supposer une forme
antérieure gauger analogue ou identique à celle du wallon, mais dont
plus tard le g initial s'est transformé en j, comme cambam a donné suc-
cessivement gambe et jambe.
20
— 306 —
g dans les idiomes de l'Ouest ; toutefois cette dernière transfor-
mation n'a pas eu lieu en français pour les mots betonicam, ca-
nonicum et monacum ; la langue s'est arrêtée à la première,
seulement le y 0^ n'est point resté après n, il est allé diphthon-
guer la voyelle précédente, mais en maintenant un e euphonique
à la fin des dérivés chanoine et moine, qui ne devraient pas en
avoir plus que témoin (testimonium). De plus ce n'est pas en g
[z), mais en c {ï) que c s'est changé dans les autres dérivés fran-
çais. Par suite de la modification du radical et de la conservation
del'o {u) de la terminaison, c'est aussi en g, non eny eig que
le c de canonicum s'est changé en portugais. D'après cela on a
pour les transformations de n'c :
LAT.
ESP.
PO
betonicam
—
—
canonicum
canonge v.
conego
domenicara
—
—
monacam
monja
monja
monacum
monge
monge
manicam
—
—
tincam
—
—
canonge
monje
FR.
bétoine
chanoine
dimanche
moine
manche
tanche
P) Dans le groupe nd'c, n semble n'avoir servi qu'à faciliter la
transformation du c, qui y a été traité par toutes les langues ro-
manes, le roumain excepté, comme dans le groupe d'c. Exemples :
LAT.
IT.
ESP.
PG.
PR.
FR
manducare
mangiare
manjar
manjar
manjar
manger
pendicare
—
—
—
penjar
pencher
vendicare
vengiare
vengar
vingar
venjar
venger
On le voit, en espagnol dans vengar et en portugais dans
vingar le c de vindicare s'est seulement affaibli en sonore g. En
français dans pencher il y a eu assimilation du d au c et par
suite transformation de celui-ci non en sonore g, mais en sourde
c. Il en a été de même dans revanche (revendicationem) à côté
de venger ; prêcher nous avait déjà offert cette particularité.
En roumanche nous trouverions encore inditgier (indicare).
Quant au valaque, comme je l'ai dit, tout en conservant le c de
nd'c, il traite ce groupe de différentes manières ; ainsi à côté de
vendeca (vendicare), sans contraction, on trouve menca (man-
ducare), avec apocope de du.
— 307 —
CHAPITRE IV
DU GROUPE se.
Ce groupe d'origine latine n'a pas été traité de la même ma-
nière suivant qu'il se trouve au commencement, au milieu ou à la
fin des mots ; il convient donc de l'étudier séparément dans cha-
cun de ces cas.
r se initial.
se et en général la combinaison de s et d'une sourde si com-
mune en latin au commencement des mots * répugnait, à ce qu'il
semble, à l'oreille des populations romanes ; elles la modifièrent
en y préposant la voyelle i, la mieux appropriée pour se joindre
à s. Cette modification apparaît de bonne heure dans les anciens
monuments latins ; on a relevé dès le iv® siècle les exemples
istatmn et ispirito ; on trouve aussi dans un manuscrit de Gains
du vf siècle Istichum pour Stichum, et Lachmann a recueilli
de nombreux cas de cette jjréposition de i ou hi et même de in à
se, sp et st dans les manuscrits de l'époque suivante. On la re-
trouve fréquemment encore dans les inscriptions ; Diez cite Isma-
ragdus, Istefanu, Ispeti pour Spei ^. Dans les cliartes on la
rencontre encore plus souvent, surtout à partir de la fin du
vn« siècle, que le mot qui précède finisse d'ailleurs par une voyelle
ou par une consonne, peu importe; seulement dans les langues du
double groupe occidental Vi prosthétique, suivant une tendance
commune à ces idiomes, s'est affaibli de bonne heure en e. Voici
quelques exemples de cette modification :
1° Dans les chartes italiennes.
inistituere
Mur
. Antiq.
m,
570 (a. 757)
dote ista istavile
id.
id.
id. id.
esse istituimus
id.
id.
id. id.
David iscrivere
id.
id.
id. ' id.
notarium iscrivere
id.
id.
1010 (a. 763)
notario iserivere
id.
id.
1012 (a. 769)
1. s est pourtant dans ce cas tombé dans un assez grand nombre de
mots. Cf. Cors. Ausspr., 1, 277.
2. Cf. Diez, Gram. I, 242.
— 308 —
Istaipertumiscrivere id. id. 1014 (a. 777).
Teudipert iscrivere id. id. 1015 (a. 783).
Iscripsi id. id. 1020 (a. 816).
interfui escavino Hist. pat. mon. I, 19 (a. 827).
2° Dans les chartes espagnoles.
habita vit Esperandus Esp. sagr. XVIII, 306 (a. 773).
Silo Rnc eseriptura id. id. 307 id.
Ds. Esperauta aba id. id. id. id.
3° Dans les chartes françaises.
fiant istabilis Bréq. Diplomata, n. 222 (a. 657).
eus estodiant id. 339 (a. 695).
potuerit esperare id. 406 (a. 716).
û.vïmidl\& estodium id. 409 id.
pro estabilitate id. 442 (a. 723).
nuncupante Ististolas Mab. De re dipl. 497 (a. 770).
permaniat istibulatione id. id. id.
suos escapinios id. 501 (a. 782).
Le roumain excepté, — ce qui montre qu'elle est postérieure à
la séparation des deux empires, — cette préposition de i ou e k
s suivie d'une sourde se retrouve dans tous les idiomes romans * ;
toutefois en italien on ne la retrouve aujourd'liui qu'après non,
con, in, per, c'est-à-dire après les seuls mots de cette langue
qui se terminent par une consonne, par exemple non iscagliare,
la scaglia ; mais le sarde logoudorien l'emploie dans tous les
cas, ainsi ; la iscalla, la istella, etc. Ce fait et la présence de i
prosthétique dans les anciennes chartes italiennes semble bien
indiquer qu'il en a été d'abord de même partout et toujours dans
la Péninsule, et que plus tard seulement on est revenu à la forme
latine primitive, excepté après les quatre mots ci-dessus, où une
raison d'euphonie a fait conserver cet i, tombé partout ailleurs.
Il y a plus, preuve évidente d'une tendance nouvelle de la laogue,
difficile à suivre et à expliquer, mais qui remonte probablement
à l'époque où en se constituant définitivement elle perdit les con-
sonnes finales, cette suppression s'est même étendue en italien à
e et i étymologiques qui ont disparu comme Vi prosthétique de-
vant s suivie d'une muette, et ce groupe est ainsi devenu une des
initiales les plus communes de l'italien. Par contre dansle double
1. Le roumanche toutefois n'en fait plus usage ; ainsi on trouve dans
cette langue scalzar, sforzar, spada, etc.
— 309 —
groupe occidental, il est constamment précédé de i, affaibli en e,
affaiblissement qui apparaît déjà, nous l'avons vu, dans les mo-
numents latins du viif siècle. Le provençal présente cependant
quelques cas de conservation de i, de même qu'on trouve dans
cette langue et dans les monuments les plus anciens de l'espa-
gnol, du portugais et du français quelques exemples de mots pri-
vés d'e prosthétique ; ainsi ferma speranza, liscudier, etc. en
provençal ; Spidios' PC. v. 226, sediellos sperando id.2249 en
espagnol; spadoa, stado SR. en portugais; enfin en français
une spède EuL, laspose Al. 21, 2 ; 22, 3, etc. ; laspéeliR. II,
1, etc. ^ Mais ce ne sont là toutefois que des formes exception-
nelles et <? a fini par être préposé dans les mots d'origine popu-
laire à s initiale suivie d'une muette.
Examinons le cas particulier où cette muette est c; il peut se
faire alors que se soit suivi d'une des voyelles a, o, u ou d'une
liquide, c'est-à-dire que c soit vélaire, ou bien de e ou de i,
c'est-à-dire qu'il soit palatal.
a) Dans le premier cas c est traité comme s'il était seul. Exem-
ples :
LAT.
ESP.
PG.
PR.
V. FR.
scalam
esc.ala
escala
escala
escheUe
scopulura
escollo
escolho
escuelh
escueil
scribere
escrivir
escrever
escrire
escrire, etc
Le français ne s'en est pas tenu à cette première modification ;
vers le xii** siècle s devint muette, et après être restée longtemps
comme signe purement orthographique ^, elle a fini par dispa-
raître, en restant toutefois représentée par Ve prosthétique déve-
loppé sous son influence ; c'est ainsi que scalam, scopulum,
scrivere ont donné définitivement dans notre langue échelle,
écueil, écrire. Us a été conservée cependant dans quelques
mots anciens comme escalier, escalade, esclandre, escabeau,
etc.
Un des dialectes français du Nord, le wallon, est allé plus loin
encore que le français ; il a supprimé à la fois Ys et la voyelle
prosthétique ; il n'est resté ainsi que le c, qui est traité d'ailleurs
1. Cf. Diez, Gram. id. Un fait remarquable, c'est que Ve prosthétique,
tout en ne s'écrivant pas souvent en catalan, n'en comptait pas moins,
ainsi que l'a remarqué Milà y Fontanals, dans la mesure du vers. GLJahrb-
V, 176.
1. « s ante t et alias quasdam consonnantes, dit Sylvius, in média
dictione raro ad plénum, sedtantum tenuiter sonamus et pronunciando
vel eiidimus vel obscuraraus. » Jsagoge p. 7.
— 340 —
comme un c ordinaire dans le dialecte de Namur, — ainsi chaule
(scalara), — et qui dans le dialecte de Liège se change en h :
haie (scalam).
On le voit par les exemples qui précèdent, s dans le groupe se
peut tomber comme cela a lieu en français, mais il ne modifie
point le c suivant ; il semble même, au contraire, lui conserver
sa valeur originelle ; ainsi scalam donne en italien scala, en
espagnol, en portugais et en provençal escala, en français échelle;
mais si calam avaitdonnécAe^^e en français et peut-être cala en
italien, il aurait probablement donné gala en espagnol, en portu-
gais et en provençal, de même cribere aurait plus que vraisem-
blablement donné dans ces trois langues et en français — du moins
dans les composés — grimr, grever^ grire. Cependant le c de
se s'est changé en g en espagnol et en portugais dans les mots
d'origine germanique esgrmiir (a. skirm), es grima ; c'est-à-
dire qu'il y a été traité comme dans le groupe cr.
P) Si le groupe se n'a point subi de modification particulière
devant a, o, u ou une liquide, il n'en est pas de même, quand il
est suivi de e ou i ; cas qui se présente d'ailleurs rarement au
commencement des mots, mais est assez commun au milieu.
Ceci n'est point d'ailleurs particulier aux langues romanes. Ainsi,
se {sk) qu'on rencontre fréquemment dans les langues germani-
ques, se change dans toutes devant une voyelle palatale en s,
modification que l'allemand et l'anglais ont même étendue à se
suivi d'une voyelle non palatale. Comment expliquer cette trans-
formation d'autant plus surprenante en allemand par exemple
. que k seul y a toujours conservé sa valeur gutturale? Il faut y
voir , je crois, le résultat de la transformation de la gutturale
explosive en spirante de même ordre, ce qui donne 5/,, son telle-
ment semblable à s que Brucke a pu en admettre l'identité. La
transformation de k n'ayant point eu lieu en général dans les
voyelles non palatales, sk y est resté le plus souvent sans modifi-
cation ; c'est ce qui est arrivé toujours, le français excepté, dans
les langues romanes, mais à l'exception du roumain, toutes l'ont
transformé en spirante dentale devant e ou i\ en italien cette
spirante est, comme dans les langues germaniques, s ; c'est 5 ou 6
dans le double groupe occidental, accompagné du son i dans le
provençal et le français. Faut-il expliquer cette transformation
comme dans les idiomes germaniques ? rien ne s'y oppose en ita-
lien ; il semble pourtant plus en rapport avec ce que nous avons
vu jusqu'ici, d'admettre que le c s'est changé en /, ce qui a donné
sj, dont la transformation en s, puis en s, s'explique sans peine ;
— 3\i —
seulement on peut croire qu'en même temps que le c se changeait
ainsi en J ; il développait dans le groupe du Nord-Ouest le son i
devant s. Dans le groupe du Sud-Ouest, au contraire, l'assimila-
tion pure et simple paraît avoir eu lieu. Le latin de la décadence
en offrait déjà des exemples; ainsi dissesse (discessisse) , rcquie-
sit, cresseret; etc. ^ Le roumain se sépare ici complètement des
autres langues congénères ; quelle que soit la voyelle suivante,
il a changé se en 5^, c'est-à-dire que 5 s'y est épaissi en s et que
c s'est changé en t, transformation due peut-être à une influence
slave — elle se retrouve du reste en slovène, — et dans laquelle
on peut voir, je crois, le résultat de la transformation de c en c
{ts), suivi de sa transposition et delà chute de s. Quoi qu'il en soit ,
se initial suivi de e ou i est tout-à-fait exceptionnel, on ne le
rencontre guère, à part le mot savant scena, que dans scientem,
qui a donné esciente en espagnol, essienen ^roYençal et escient
en français, mot dont il faut rapprocher l'itahen seentre, et
dans seire devenu Ui en roumain.
2" se mèdial.
11 faut, comme pour se initial, distinguer le cas où la voyelle
suivante est «', o ou m et celui où elle est e ou i.
a) Dans le premier, se ne subit point de modification en italien,
en espagnol, en portugais et en provençal; en français s dispa-
raît et c se change en eh devant a, excepté dans le picard et le
normand où il persiste, enfin en roumain se devient U ou per-
siste exceptionnellement. Ainsi * eascunum, flaseum, *miseu-
lare, muscam, * piscare, ont donné :
inultt
En français *miseulare a donné mêler, comme maseulum a
donné mâle, le e s'est assimilé à 1'^ et est tombé; on a eu ainsi
mesler d'où mêler après la chute de 1'^. Le roumain peseearese
semble être déformation récente, comme on le voit en comparant
ce mot à peste, formé régulièrement.
P) Devant e ou i, se médial se comporte comme se initial, si
IT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
ciascuno
—
—
cascu
chacun
fiasco
frasco
frasco
—
—
mescolare
mezclar
—
mesclar
—
mosca
mosca
mosca
—
mouche
pescare
pescar
pescar
pescar
pêcher
1. Cf. Schuch. Vocal. 1, 145.
— 3^2 —
l'on excepte le développement du son i devant s, c'est-à-dire qu'il
se change en s en italien, U réduit parfois à ^ en roumain, c = 8
en espagnol, ç en portugais et is en provençal et en français, se
a persisté souvent en portugais, mais avec la valeur p, ortho-
graphe que les anciens manuscrits espagnols présentent souvent
aussi.
Les transformations 'des quatre mots conoscendo, crescendo,
nascendo et pascendo donneront une idée de ces divers chan-
gements :
ROUM. IT. ESP. PG. PR. FR.
canoaitund conoscendo conociendo conhecendo conoissen connaissant
creastund ci'escendo creciendo crescendo creissen abaissant
nastund nascendo naciendo nascendo naissen naissant
pasiund pascendo paciendo pascendo paissen j)aissant
h' S double du provençal et du français n'étant qu'un signe or-
thographique destiné à indiquer que cette spirante est sourde, se
réduit à s naturellement devant une consonne ; d'après cela l'in-
finitif français des verbes en scere:conoscere, crescere, *nas-
cere, pascere, etc. , est conoisre, croisre, naisre , paisre ;
mais la langue n'aimant pas le concours de 5 et de r on a inter-
calé un t entre ces deux lettres, ce qui a donné ainsi : connoistre,
croistre, naistre, p)0,istre. Plus tard 1'* étant devenue muette,
est tombée, d'où les formes actuelles connaître, croître, naître,
paître, etc. , dans lesquelles le groupe se n'est plus rappelé que
par ce t intercalaire et par ^^ de la diphthongue précédente. Il ne
l'est plus que par i à la troisième personne singulier de l'indicatif:
connaît, croît, naît, paît, etc.
Les dialectes ladins ont tantôt traité se suivi de e ou i, comme
l'italien, c'est le cas du roumanche, qui l'a changé en s, tantôt ils
se sont contentés de l'assimilation, c'est ce qui a lieu par exemple
dans le dialecte du Frioul. Ainsi crescere a donné creschere
dans le premier, cressi dans le second, pascere j est devenu
respectivement pasche et passi.
A côté des formes 5 = 0 ou f l'espagnol et le portugais en
offrent une dans laquelle se est traité comme es {x) et représenté
par œ ou ix^. Ainsi pour * fasciam, piseem, et vascellum, on
a par exemple :
fasie
fascia
faxa
faixa
faissa
faissey.
peste
pesce
pexe V.
peixe
—
—
vescior
vascello
baxïllo
baixel
vaissel
vaisseau
1. Voir pi. loin Ch. VIL
— 343 —
On trouve aussi en italien fiocina (fuscinam) et vagello (vas-
cellum), où 5 est remplacé par c ou ^; enfin rusignuolo nous
montre s sonore se substituant à 1*. Quant au sarde logoudorien,
il conserve dans ce cas à la gutturale palatale sa valeur origi-
nelle ; ainsi :
LAT.
IT.
s. LOO.
conoscere
conoscere
conoschere
crescere
crescere
creschere
nascere
nascere
naschere
pascere
pascere
paschere
piscinam
piscina
pischina, etc
On trouve aussi se avec une valeur gutturale dans le rouman-
che peso; mais je crois qu'il ne faut voir là qu'un changement de
déclinaison, analogue à ceux que j'ai déjà eu occasion de signa-
ler p. 85 ; peso d'après cela viendrait non de piscem, mais de
*piscum.
Le wallon a traité devant e et i le groupe se comme devant
a ; le wallon liégeois le change en A, celui de Namur en
ch, exemple :
lat. conoscere w.'n. conoche w. 1. conohe
Dans la conjugaison espagnole, \'e de l'infinitif des verbes en
scere se changeant en o à la première personne singulier de l'in-
dicatif présent, en « à toutes les personnes du subjonctif présent
et à la troisième personne du singulier et du pluriel de l'impéra-
tif, on retombe sur le premier cas où se persiste ; mais alors s se
change en^, comme nous l'avons déjà vu dans mezelar. En pro-
vençal, où le même changement de la voyelle a lieu au subjonctif
et à l'impératif présent, le groupe se, devenu ss, reprend à ces
temps sa forme primitive. On a donc dans ces deux langues pour
*naseere :
IND. PRES.
ESP.
nazeo
SUBJ. PRES.
ESP.
nazea
nazeas
PR.
nasca
nascas
nazea nasea
nazeamos naseam
nazeais naseatz
nazean nascan
ESP. l'R.
nazea nasea
nazean nasean
1. On trouve aussi en provençal vaysel à côté de vaissel, autre exemple
d'une sonore substituée à se.
2. Voir plus haut Liv. II, Gh. III, p. 87.
— 3U —
IIP se final.
Il faut encore distinguer ici le cas où la voyelle suivante est e
ou i et celui où eUe est o onu.
a) Quand se est devenu final par la chute de o ou u, cas qui ne
peut d'ailleurs se présenter qu'en roumain, en ladin, en proven-
çal et en français, se persiste dans les trois premiers idiomes et
se change en is dans le dernier ; ainsi
LAT.
ROUM.
LAD.
PR.
FR.
conosco
CUIIOSC
—
conosc
connais
cresco
cresc
cresc
cresc
crois
* friscum
—
fresc fr.
fresc
frais
* nasco
nasc
nasc
nasc
nais
pasco
pasc
—
pasc
pais
pascuum
—
pasc Ob.
pasc
— etc,
Dans brost (labruscum) du dialecte romagnol, st s'est substitué
à 5C * ; nous avons ainsi là un nouvel exemple de la substitution
de if à c.
P) Quand la voyeUe dont la chute a rendu se final, ce qui ne
peut arriver qu'en espagnol, en français et dans les dialectes la-
dins, est e ou i, se est devenu z en espagnol, is {œ) en provençal
et en français, il est resté, comme se médial, s en roumanche et
ss dans le dialecte du Frioul. Ainsi faseem et piseem y ont
donné :
LAT.
ESP.
ROUMANCHE.
L. FR.
PR.
FR.
faseem
haz
fasch
fass
fais
faix
piseem
pez,
—
pess
—
—
En provençal où, par la chute du t, se devient final à la troi-
sième personne singulier de l'indicatif des verbes en seere, on a
également creis (crescit), nais (*nascit), pais (pascit), etc.
CHAPITRE V
DU GROUPE CL.
Ce groupe a été traité de la manière la plus difierente par les
diverses langues romanes. Plusieurs cas pouvaient se présenter :
d'abord cl pouvait persister tel quel, ou bien la sourde ose chan-
ger en sonore g, suivant une tendance que nous avons étudiée ^ ;
1. Muss. Barst. der rœm. Mund. p. 52.
2. Voir pi. haut p. 39.
— 3<5 —
le latin s'en est tenu là ; mais le son l précédé de c ou de g, qu'il
affectionnait, à ce qu'il semble, auquel il donnait du moins alors
toute sa force*, a répugné le plus souvent aux oreilles romanes
comme trop dur ou trop difficile à prononcer. Un premier moyen
de l'adoucir fut de faire suivre l d'un i, ce qui donnait les groupes
cli ou gli, formes dont la première a été conservée entre autres
par le dialecte roumain du Sud ; mais cette simplification ne suf-
fisant pas, la langue rejeta l dans le premier groupe, en conser-
vant au c sa valeur gutturale, ce qui a donné le son ki ou chi,
forme conservée par l'italien et le dialecte roumain du Nord, g
dans le second, ce qui a donné H ou Ij. De chi est sorti, suivant
une transformation connue, le son c qu'on retrouve dans plusieurs
dialectes italiens ou ladins, parfois en espagnol et, affaibli en 5,
en portugais. Quant à li, Ij, il a donné naissance au son g, -2,
lequel s'est changé en spirante gutturale -^ en espagnol. Mais
il a pu se faire aussi qu'au lieu de développer le son i après lui,
XI de cl ou gl se soit simplement changé en Ih ou II, comme cela
a lieu en particulier dans certains patois normands, ce qui donne
cil ou gll; si c ou ^ tombent dans ces groupes, il reste II
{l mouillé), le gli de l'italien. Il de l'espagnol, Ih du portugais et
du provençal, ilV {il final) du français ^ On peut, je crois, repré-
senter synoptiquement ces modifications de la manière suivante :
; cl, cli, chi,
cl)gl, gli, Ij,
(cl, gl, cil, gll,
g, ^. X
II, {Ih, gli, ill) .
La nature des transformations du groupe cl dépend, au moins
dans certains idiomes, de la place qu'il occupe dans le mot, il
importe donc d'étudier séparément celles du cl initial et du cl
médial, seuls cas qui peuvent se présenter, cl ne pouvant jamais
être final.
P cl initial.
Chacun des groupes entre lesquels se répartissent les langues
romanes a traité cl initial d'une manière particulière. L'itahen et
1. « Plénum habet {l) sonum, dit Priscien, quando habet ante se in
eadem syllaba aliquem consonnantem, ut flavus,darus>^. Cf. Diez, Gram.
I, 209.
2. L7 mouillé a pu prendre naissance encore d'une autre manière, Ij
résultat de la chute du g dans le groupe gli peut en effet, au lieu de se
changer en X, se transformer en II, comme cela a lieu pour Ij étymolo-
gique dans le portugais fillw (filium).
r
— 3^6 —
le roumain ne le tolérant point, pas plus au commencement qu'au
milieu des mots, l'ont changé l'un et l'autre — du moins le tos-
can et le roumain du Nord — en chi, réduit à ch devant ^ et par-
fois aussi, en roumain, devant une autre voyelle. Certains dia-
lectes italiens toutefois ont poussé plus loin la transformation et
changé chi en c; il en a été de même dans quelques sous-dialectes
ladins. Quant au roumain méridional, il conserve cl^ comme les
langues du groupe du Nord-Ouest, mais en le faisant suivre de i.
L'espagnol et le portugais ne répugnaient point, ce semble, à
l'origine à la combinaison cl; on la rencontre, en effet, dans les
anciens monuments de ces deux langues , — ainsi clamar PC.
devenu cramar Gil. Vie. — et elle a aussi persisté dans un grand
nombre de mots qu'il est difficile de ne pas regarder comme d'ori-
gine populaire, tels que clavo, claro, etc. Cependant au moment
de leur formation définitive, il y eut une tendance de ces langues
pour rejeter cl et pour le changer en II (espagnol) ou en ch = s
(portugais) affaiblissement de c ; cette dernière transformation ou
la sonore correspondante g (j) apparaît aussi dans les dialectes
espagnols, en particulier dans le léonais, ainsi jamar, chamar
F J., chabasca (* clavascam) ; le portugais connaît aussi la
forme ji" {z), afiaibhssement de g, à côté de ch {s) ; ainsi jamar
S. Rosa pour chamar ^
En provençal et en français cl initial persiste toujours sans
modification dans la langue classique ; il faut excepter glatz pr.
— qui est d'ailleurs aussi c/as — fr. glas (classicum), où c^ s'est
affaibli en gl. Les dialectes présentent quelques particularités ;
ainsi dans les patois normands du Bessin et de Guernesey , 1'^ de cl
se mouille parfois et l'on a par exemple cllocher pour clocher,
cllaie {dei), cllai (clair), c^/«ow (clou), cllenque (clenche),
clloque (cloche), etc. ^. Le dialecte lorrain de Nancy est allé
plus loin, cl changé d'abord en cli s'y est réduit à ki, comme en
italien et dans le roumain du Nord, par exemple kié pour clef,
kiouT^ouv clou, kinei ]}our {m)cliner, etc. Le patois du Haut-
Maine ofire aussi quelques exemples de cette transformation ;
ainsi quiaé (claie), quianche (clenche), quiau (clou) ^.
Les dialectes ladins conservent souvent le groupe cl comme le
français et le provençal, — c'est le cas du roumanche de l'Ober-
land et de l'Engaddine et du ladin du Frioul — mais parfois
1. Cf. Dies, Gram. I, 211.
2. G. Métiv. Dict. franco-norm. s. v.
3. Oberlin, Essai p. 98. — G. R. de M. Voc. du Haut-Maine, s. v.
— 347 —
aussi ils le changent en c, c'est ce qui arrive dans quelques sous-
dialectes du Tjrol, en particulier celui d'Ampezzo, ainsi que dans
le milanais ^ . Dans le sous-dialecte de Nonsberg, le c de cl s'est
parfois tout simplement affaibli en g, tandis que dans celui de
Grœden (vallée de la Gardena), il s'est changé en t, ce qui donne
gl dans le premier et tl dans le second à la place de cl ^.
Voici comment ce groupe a été traité 'par les diverses langues
romanes dans les mots latins clamare, clarum, clavem, cla-
vum, claudere, etc.
clema s.chiemà n.
chiamar
llamar
chamar
clamar
clamer
— chiar
chiaro
claro
claro
clar
clair
cliae cheie
chiave
llave
chave
clau
clef
_
chiodo
clavo
—
clavel
clou
— chide
chiudere
—
—
claure
clore, etc,
Les exemples suivants montreront ce que ce même groupe est
devenu dans les dialectes ladins et dans quelques dialectes du
Nord de l'Italie :
LAT. cl.
cl.
gl
il
c
clamare
clama fr.
—
tlama Gard.
cama Amp.
clarum
clar roum.
—
lier id.
ciar mil.
clausum
claus id.
—
— id.
—
clavem
claf id.
—
tlé id.
cave Amp.
clavum
claud fr.
glava
Nonsb.
Haut id.
codo id.
Un mot fait exception dans toutes les langues romanes, c'est
clavicula, qui ayant dû perdre son premier l dans la période
latine, est traité dans toutes comme si la forme primitive était
cavicula.
ir cl médial.
Il faut distinguer entre cl latin et cl de formation romane,
c'est-à-dire provenant de l'apocope d'une voyelle intermédiaire à
c et à ^.
a) Dans le premier cas cl se change, comme au commencement
des mots, en ch en roumain et en italien, il s'affaiblit, au con-
traire, en gl dans le double groupe occidental, où, par consé-
1. Le dialecte des Quatro Ville, ce qui n'a rien qui doive surprendre,
affaiblit dans ce cas c en ç, clamare y est devenu ainsi çavià.
2. Schneller, Die Mund. von Tirol, p. 68. — Ascoli, Archivio, I, passini.
— Muss. Darst. der rœm. Mund. p. 47.
318 —
quent, 17 persiste sans modification et le c est traité comme un c
médial ordinaire. Exemples :
LAT.
IT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
ecclesiam
chiesa
iglesia
igreja
iglise
église
miraclum
—
milagro
niilagre
—
—
seclum
—
siglo
—
segle
—
Il faut remarquer le changement de Z en r dans l'espagnol
milagro, portugais milagre ainsi que dans le portugais igreja,
changement dont cramar pour llamar nous avait déjà offert
un exemple. Le mot miracle a conservé en provençal et en
français le c, il en est de même de siècle dans ce dernier
idiome; il faut voir là évidemment le résultat d'une influence
savante. La première syllabe du mot ecclesiam est en général
tombée dans les dialectes ladins ; mais quoique devenu ainsi ini-
tial, cly di été pourtant traité comme médial et comme tel rem-
placé par gl, la spirante sonore g ou sa forme affaiblie z ou
encore par le groupe dl : {ec)clesia a ainsi donné les formes :
glesia Fd. glesia Ag. geza Fs. zeza Amp. dlizia Gad.
^) c'I médial de formation romane se rencontre dans les dérivés
en aculus, eculus, iculus et uculus, si communs dans le latin
de la décadence. Ce groupe présentait naturellement moins de
résistance que cl étymologique, aussi n'a-t-il persisté que dans le
dialecte roumain du Sud, où il est toutefois suivi de i ; dans le
roumain du Nord, au contraire, il se change, comme cl initial,
en chi; on retrouve aussi le plus souvent cette transformation en
italien, affaiblie en ghi dans le sicilien S mais on y rencontre
aussi en même temps, quoique rarement^ gli ou l mouillé;
cette modification ordinaire de cl initial en espagnol y apparaît
encore ici dans cette langue, mais seulement à titre d'exception,
il en est de même de ch (c) ; la transformation régulière de cl
roman est j, c'est-à-dire la spirante gutturale substituée à la
chuintante sonore g, forme rare, au contraire, au commencement
des mots. Le portugais présente quelques cas delà substitution de
ch à cl, en particulier après n, mais c'est l mouillé {Ih) qui en
est la représentation habituelle ; c'est lui aussi qu'on rencontre
presque toujours à sa place en provençal et en français.
Dans quelques mots cependant ces deux derniers idiomes ont
traité c'I roman comme cl latin médial, c'est-à-dire qu'ils l'ont
changé en gl ; il en a été de même dans le dialecte ladin de Bu-
1 . Exemple tinagghiu (tenaculum).
— 3^9 —
chenstein et d'Araba, parfois aussi dans celui du Frioul ; mais
après une consonne cl persiste sans modification dans ce dernier ;
il en est de même dans tous les cas en roumanche et dans le dia-
lecte de Fondo ; dans celui de Grœden ou de la Gardena et de la
Gadera, au contraire, la sonore dl se substitue à cl médial, tan-
dis que la sourde tl y prend, nous avons vu, la place de cl initial.
Dans le dialecte du Val de Sole le groupe cl ne s'est pas formé
et y est devenu kel ; dans le Val de Rumo , il s'est modifié en
kjel , et en cel à Fondo et à Nonsberg ; mais au pluriel le groupe
cl apparaît sans modification, ainsi qu'au singulier des féminins.
Ces formes sont loin d'épuiser la série des transformations dec'l
roman ; ainsi dans le dialecte du Frioul, ce groupe, quand il n'est
pas précédé d'une consonne, se réduit à ^ ou H; dans le roumanche
de l'Engaddine et parfois de l'Oberland, ainsi que dans le ladin
du val de Fassa et de Mœna, il s'est, au contraire, transformé en
l mouillé, et il est devenu Jot dans le ladin d'Oltrechiusa et de
Fassa ; enfin il a donné naissance à la chuintante sonore g dans
le dialecte d'Agordo et d'Agordino, ainsi que dans le milanais \
Pour montrer comment c'I a été traité dans les diverses lan-
gues romanes, je prendrai pour exemple les mots acuc{u)lam,
apic{u)lam, auric[u)lam , cornic{u)lam, fac{u)lam, geni-
c{u)lum, grac{u)lam, lentic{u)lam, mac{u)lam, oc{u)lum,
pedic{u)lum, et spéculum :
ROUM.
IT.
ESP.
va.
PR.
FR.
—
aguglia
aguja
agulha
agulha
aiguille
—
pecchia
abeja
abelha
abelha
abeille
urecliea.urechie a.orecchia
oreja
orelha
aurelha
oreille
—
cornacchia
corneja
—
—
corneille
feclie
—
hacha
fâcha
falha
faille 1..-R
—
ginocchio
hinojo V.
giolho
ginolho
genquil v.
—
gracchia
graja
gralho
gralha
graille v.
—
lenticchia
lenieja
lentilha
—
lentille
—
macchia
malla
malha
malha
maille
ocliu s. ochiu n.
ûcchio
ojo
olho
olh
œil
—
pidocchio
piojo
piolho
pezolh
peoil V.
—
specchio
espejo
espelho
—
—
A cette liste il faut ajouter les dérivés de cochlear dans les-
quels cl latin a été traité comme c'I roman :
it. cucchiajo esp. cuchara pg. colher fr. cuillère
Par contre dans les mots suivants c'I roman a été traité en
1. Schneller, id. p. 68 et 69. — Ascoli, Archivio, I, 57, 193, 323, 324, 329,
348, 351, 356, 369, 374, 377, 382 et 514. — Muss. Darst. der alim. Mundarl,
p. 12.
— 320 —
provençal et en français comme cl latin médial, c'est-à-dire
changé en gl.
FR.
* aboculum — aveugle
aq(ui)lam — aigle
* buc(u)lare — beugler
sec(a)lem segle seigle
Le mot français mâle (masle), qui semble faire exception aux
règles précédentes, doit sa forme particulière à ce qu'il vient non
de mac{u)lum qui aurait donné magie ou maille, mais de mas-
c[u)lum ; le c de se assimilé par 1'^ précédent est tombé ; et sa
chute a empêché 17 d'être mouillé. Il en a été de même de moule
(musculum). Dans leladin du Frioul, cl a été dans ces mots con-
servé par l'influence de 1'^, ainsi mascli, muscli ; mais dans le
roumanche de la Haute-Engaddine il s'est changé en spirante,
qui avec Y s précédente a donné naissance à la chuintante s, d'où
maschiel, mûschiel.
L'I mouillé substitué à cl qu'offre partout l'ancien français a
disparu dans un certain nombre de mots du français moderne ;
c'est ce qui a eu lieu par exemple dans genou, 3Lutreîois genouil,
forme coQservée dans agenouiller, — pou, autrefois peouil,
pouil, qu'on retrouve dans pouilleuœ, et verrou, anciennement
verrouil (* verruclum). Dans ces mots il y a eu simple chute de
il, devenu sourd dès la première moitié du xvif siècle, époque où
l'on écrivait encore genouil, pouil, verrouil, mais en- pronon-
çant, nous apprend ChifEet, genou, pou, verrou. Dans les mots
épieu, essieu, la langue a procédé autrement ; l'ancienne forme
était espieil (spiculum), essieil (* axiculum) , 1'^ mouillé s'est
changé en l ordinaire, ce qui a donné espiel, essiel, d'où par la
vocalisation de 1'^ les formes modernes épieu et essieu. Quelque
chose d'analogue s'est passé au pluriel de œil, seulement ^^ pré-
posé a eu a conservé quelque chose de VI mouillé, et ce mot a
pris la forme définitive 2/eMa;. Dans p^W^ (*craticulum), goupil
(*vulpeculum), nombril (umbilicum), nous avons un nouvel
exemple de la chute de l mouillé, laquelle a dû être précédée
toutefois d'une période de transition où 1'/ final sans être mouillé
devait encore se prononcer. C'est l'état où nous voyons mainte-
nant le mot^en7, dont 1'/ ne se mouille plus, mais se prononce
encore, mais qui, si une réaction conservatrice n'a lieu, finira par
devenir muet.
Cet affaiblissement ou cette suppression du son Ih dans le fran-
— 324 —
lis a été généralisé dans certains patois, en particulier dans le
normand du Bessin ; ainsi fenouil y est devenu fenou ; soleil,
salé. L7 n'a été conservé, mais en cessant d'être mouillé, que
dans les dérivés féminins en cula, c'est-à-dire devant e, comme
dans aigule, boutéle, conéle (corneille), quevile, etc.
Telles sont les remarques auxquelles donnent lieu les transfor-
mations générales du groupe c'I dans les six principaux idiomes
néo-latins; pour en terminer l'étude je les ferai suivre du tableau
des modifications qu'éprouvent dans les dialectes ladins, lesquels,
nous avons vu, le traitent parfois comme les autres idiomes romans,
mais le transforment aussi d'une manière à eux particulière,
les cinq mots suivants :
acuclam auric'lam
genuc'lwn
ocxic'lum
pedic'lum
Nb.
cl
—
reda
zinocU pi."
ocli pi.
piocli pi.
Ar.
gi
ogla
orogla
zenogle
ogle
piegle
Gad.
dl
odla
oredla
zenedl, znodl cedl, uedl
piedl, podl
VS.
kel
—
—
ginohel
—
piokel (cli)
Fd.
cel
—
—
zinocel
ocel
pioc'el
Ag.
y
—
—
zanogc
uoge
pioge
Fr.
l
—
orele
zenoli
uoli
pedoli
E.
Ih
—
uraglia
schanulgia
œilg
—
Oltr.
1
j
urejja
CHAPITRE VJ.
uojo
pedhuojo
1
DU GROUPE CR.
Ce groupe a peu d'importance ; il a été traité d'une manière
différente au commencement et au milieu des mots.
1° cr initial.
Au commencement des mots, où il est toujours étymologique,
cr persiste le plus souvent sans modification ; quelquefois aussi,
en particulier dans les langues du Sud-Ouest, et dans les dia-
lectes ladins il se change en ^r ^ Ainsi les mots crassum,
creare, credere, crepare, crescere, cretam, cristam, cru-
cem, ont donné :
ROUM.
IT.
ESP.
PG.
PR.
F
gras
grosso
graso
—
gras
gras *
—
creare
criar
criar
crear
créer
t. Voir pi. haut Liv. I, Gh. I, p. 40. Ainsi dans le dialecte du Frioul
grispe (crispam), gruse (crustam), etc.
2. Le c de crassum s'est changé en g dans toutes les langues néo-
—
322 —
crede
credere
créer
—
crezer
croire
crêpa
crepare
—
—
crebar
crever
cresle
a-escere
crecer
crescer
creisser
croître
cride
creta
greda
greda
—
craie
creaste
cresta
cresta
crista
—
crête
cruce
croce
cruz
cruz
crotz
croix, etc.
Bien que le groupe cr ne répugnât point aux oreilles romanes
et qu'il ait, comme nous voyons, persisté en général sans modifi-
cation au commencement des mots, cependant quelques dialectes
l'évitent en préposant à r une voyelle, a par exemple, comme
cela a lieu dans le roumanche, e, comme le fait le patois du Haut-
Maine. Ainsi credentiam a donné en roumanche cardie^ischa ;
de même on trouve dans ce dialecte carschenan (creverunt) à
côté de crescher (crescere). Le patois du Haut-Maine nous offre
les formes quérier (crier), quériateure (créature), querté
(crête), quertelle {creieUe) , querv ais on [crexaisoïi). Le patois
normand du Bessin connaît aussi la forme quériature ^ .
Un fait plus remarquable, c'est la chute du c devant r, qui
nous est présentée par le sarde logoudorien dans rughe (cru-
cem) ^ et le changement de cr en ch dans le dialecte de Parme,
ainsi cher par (crepare) ^.
jjo ^,y, jnédial.
Il faut distinguer entre cr latin ou étymologique et cr roman,
c'est-à-dire résultant de la suppression d'une voyelle intermé-
diaire à c et à r.
a) Le c de cr latin persiste toujours en roumain ; dans les autres
langues, au contraire, il se change le plus souvent en g. En fran-
çais toutefois, avant la tonique et après, quand par suite de la
chute d'une voyelle atone intermédiaire l'r est suivi d'une con-
sonne, le g s'affaiblit en y (^) ; c'est ainsi que sacramentum a
donné successivement dans cette langue sagrament, sairement
ou sairment et enfin serment, que lacrymam est devenu la-
grime, layrme ou lairme, transformé plus tard en larme. Les
exemples suivants montreront comment cr médial a été traité
latines, même en roumain ; cela tient à ce que dans le latin vulgaire
cette transformation avait déjà eu lieu : acrassus, quod est pinguis, per
c », lit-on dans un grammairien du iv ou du v siècle [Grain, lat. VI,
293, K.), preuve évidente qu'on écrivait déjà ce mot avec un g.
1. Ascoli, Arch. I, 58. — De Montesson, Voc. du Haut-Maine, s. v-
2. Il en est de même dans le napolitain rotta, it. grotta.
3. Biond. Saggio p. 208.
— 323 —
dans les différents idiomes romans. Le roumain conservant tou-
jours le c, je laisse cet idiome de côté.
LAT.
IT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
acruin
agro
agrio
agro
agre
aigre
alacrem
allegro
alegre
alegre
alegre
alegre
lacryinam
lacri/ma
lagrima
lagrima
lagreme
lairme
macrum
niagro
viagro
magro
magre
maigre
sacramentum
sacramento
sacramento
—
sagramen
sairment
sacrum
sagro
sagro
sacro
sagre
—
soc(e)ruin
—
suegro
sogro
suegre
—
On voit qu'excepté dans sacramento, mot demi-savant, et le
portugais sacro qui l'est entièrement, le c s'est toujours affaibli
en g en italien, en espagnol, en portugais et en provençal ; nous
avons vu ^ qu'il en était de même pour le c médial le plus sou-
vent dans le premier de ces idiomes, presque toujours dans le
groupe hispanique, et fréquemment en provençal ; la présence
de l'r n'a donc eu pour résultat que de généraliser cet affaiblisse-
ment du c, et de l'empêcher de se changer en y en provençal,
comme cela s'y produit souvent devant une voyelle, et encore
plus souvent en français.
P) Si l'on excepte suoc{e)rum, où, comme nous venons de
voir, le groupe cV se trouve dans les différents idiomes néo-latins,
l'italien excepté toutefois, cr de formation romane ne peut se
rencontrer, que je sache, qu'à la terminaison cëre des infinitifs,
et seulement dans les langues du Nord-Ouest ; des autres, l'ita-
lien, l'espagnol et le portugais ne rejetant pas Ve intermédiaire
et le roumain perdant r, ne sauraient la connaître. Dans le pro-
vençal et le français la chute de l'atone posttonique rend cette
combinaison possible. On a ainsi à la place de facere, par exemple
facre, dont le c s'affaiblissant successivement en g et en y (^)
donne la série
fac're, fagre, fayre, faire ^
mais en conservant, comme on le voit, \e final qui tombe dans
tous les verbes, où il n'est pas précédé d'une double consonne.
Cette transformation suppose d'ailleurs que la chute de \e de
cer a été antérieure à la transformation du c palatal 2, sinon au
lieu de la série facre, fagre, faire, on aurait eu en vertu de la
loi d'assibilation générale
1. Liv. I. Gh. I, p. 42.
2. Ceci est d'autant plus vraisemblable que ce fait, apparaissant dans
toutes les langues romanes,' est antérieur à la séparation de l'empire,
et à fortiori à la transformation du c palatal, devenue générale seule-
ment à partir du vi« siècle.
— 324 —
facere, fazere, fazre ou fasre
comme fec'runt a donné
fécerunt , fezerunt, fisdrent^.
L'italien n'admettant point la transformation ir = cr, quand
cer n'a pas persisté, c est tombé purement et simplement avec e,
comme dans dire, fare.
Voici d'ailleurs comme cr a été traité dans les huit verbes
'^cocere, dicere, ducere, facere, lucere, nocere, placere,
tacere :
PR. FR.
cozer, cozir cuire
dezir, diire, dire dire
duzer, duzer, duire duire
faire, far. , c. fer faire
luzir, c. lluir luire
nozer nuire, nosir
plazer plaire, plaisir
teiser taire, taisir.
On voit que le provençal a eu souvent recours à un double
procédé de transformation, celui du français, c'est-à-dire le chan-
gement de cr en ir et celui des autres langues romanes, c'est-à-
dire le changement de c en la série c, ts, s. Le français ayant
aussi parfois conservé, en le changeant en i, le premier e devenu
long et par suite accentué de la terminaison de nocere, de pla-
cere et de tacere, la combinaison cr ne s'est pas produite et c
suivi de e {i) devant s'assibiler, on a eu noisir, plaisir, taisir
à côté de nuire, plaire, taire. Quant à vaincre qui semble
montrer la conservation du c dans le groupe roman cr, il y faut
voir, ainsi que je l'ai dit précédemment, une transformation de
vintre pour vinre, refaite sur le latin 2.
ROUM.
IT.
ES]
?.
PG.
coace
cuocere
cocer
cozer
zice
dire
decir
dizer
duce
ducere
ducir
duzir
fare
facere, fare
hacer, v.
fer
fazer
—
lucere
lucir
luzir
—
nocere
—
—
plecé
placere
placer
prazer
tecé
tacere
—
—
1. Cf. pi. haut p. 157. — M. Ascoli {Arch. I, 80) a proposé une autre
explication ; il suppose la série de transformations :
facere fagere fayere faire
Mais on ne voit pas ainsi g se changer en y, et M. Ascoli n'a pu, je
crois, admettre une pareille transformation qu'en confondant, comme il
l'a fait dans sa théorie des sons, la palatale g-, laquelle peut donner y, et
la chuintante composée g, laquelle ne donne que z. Mais en supposant
même cette transformation possible, on ne voit pas comment on pourrait
en déduire la forme française faire, puisque ïe final de fayere n'étant
pas précédé d'une double consonne devrait nécessairement tomber,
comme cela a eu lieu dans plaisir, taisir, à côté de plaire, taire.
2. Voir pi. haut page 62, note 3.
325 —
CHAPITRE VII.
DU GROUPE es
La réunion de deux muettes ou explosives dissemblables ou
d'une muette et d'une spirante, si commune dans les langues
classiques, n'a point été tolérée en général dans les idiomes ro-
mans, aussi œ= es comme ps, et commept devaient-ils presque
toujours y disparaître. Cs n'avait pas d'ailleurs été toujours con-
servé en latin et en grec, comme le prouvent les formes liaaôq à
côté de Si^oç, xpiGGÔq et Tpt^6ç, nisus et nixus, Sestius et Sex-
tius, etc. L'osque et l'ombrien ne toléraient même point le groupe
es et le remplaçaient par ss ou s ; ainsi le latin dextra avait
pour équivalent en ombrien testru. Le slavon et l'islandais offri-
raient des exemples analogues de transformation ; et le latin lui-
même devait finir par rejeter le groupe es. La résolution de x en
s apparaît de bonne heure dans les inscriptions devant une con-
sonne et à la fin des mots; ainsi praestati, vinatris, felis,
suhordinatris , es, etc. ^ Il est vrai, ce qui prouve quelle incer-
titude régnait alors sur la valeur de cette lettre , on trouve
aussi â? se substituant à 5 : « miles non milex », « poples non
poplex », etc., dit l'Appendix Probi ^. Devant les voyelles x
paraît avoir persisté plus longtemps, quoiqu'on trouve dès le
\f siècle des exemples oh. il est remplacé par s ou ss, ainsi assis,
eonflississet, eossim, lassus, obstrinserit, Masimilla, visit
et vissit, Alesander, etc. ^. Mais c'est surtout du iv" au
VI® siècle que ces exemples se multiplient ; à cette époque, qui est
elle-même celle où le latin se transforme pour faire place au
roman, la résolution de x en ss ou s devient générale ^ ; elle ne
pouvait manquer de se continuer ou de se maintenir dans les
idiomes nouveaux, sortis de l'ancienne langue plus ou moins
modifiée du Latium. Cependant le mode de transformation que
leur donnait le latin ne devait pas toujours leur suffire, et cha-
cun des trois groupes entrelesquels ils se répartissent ont traité
en général, comme nous allons voir, x d'une manière difierente.
Les langues du groupe oriental ont eu recours dans la trans-
1. Schuch. Vocal. I, 132.
2. Edit. Keil, 197, 198.
3. Cf. Schuch. Vocal. I, 133.
4. Cors. Krit. Beitr. p. 495.
Diez, Gram. 1, 260.
— 326 —
formation de cette lettre à un double procédé ; tantôt, suivant en
cela le latin vulgaire, qui, comme nous venons de le voir, disait
frassinus T^our fraxinus, tossicun pour toœicum, etc., elles
ont assimilé c à 5 et ont ainsi remplacé x [es) par deux ss, modi-
fication habituelle en italien entre deux voyelles, ou même par s
simple, comme le font ordinairement le roumain et l'italien devant
une consonne ; tantôt, au lieu de la spirante dentale s, elles ont
donné le son de la chuintante ch h. x, qui a été remplacé par se
(i) en italien, par s en roumain.
Les langues du Sud-Ouest ont eu aussi en général recours à
un double procédé, tantôt, et c'est le cas le plus rare, il y a eu
assimilation de cas, et x r pris alors le son ç, — c'est ce qui a
eu lieu en portugais pour texere transformé en tecer, — tantôt,
et c'est le cas ordinaire, x a pris le son de s en portugais, de la
spirante gutturale, — modification de l, comme le prouve le mot
jefe (fr. chef) — en espagnol. Dans le premier cas x a persisté
parfois en portugais, par exemple dans exemple, dans le second
il avait persisté aussi dans cette langue comme dans l'ancien
espagnol, mais l'orthographe moderne l'a remplacé le plus sou-
vent dans ce dernier idiome par la^ ; ^ a pris ainsi dans les idio-
mes du groupe hispanique la valeur ç, s et //. A la fin des mots
il s'est aussi changé en is ; c'est cette dernière transformation
qu'on rencontre d'ordinaire dans les langues du Nord-Ouest.
Dans ces langues, en effet, x a été remplacé par iss, réduit
quelquefois à s s au milieu des mots, par is à la fin ; il ne sub-
siste que dans les mots d'origine savante ou bien encore qui ont
été refaits sur le latin, comme on le voit par le mot exemple,
autrefois essemple ou même es ample.
Est vus Yesample par très tôt le pais Alexis, H. 37, 2
Dans l'ancien français on trouve souvent aussi se a la place de
X, par exemple iscent (exeunt) ^,
E les puceles iscent de la forêt semblant Rom. d'Alex.
Ainsi les transformations de Yx latin dans les langues romanes
se réduisent à trois : changement en ss, propre presqu'exclusi-
1. 11 a même encore en espagnol celui de es ou gs devant une
consonne, ainsi qu'au commencement des mots et parfois entre deux
voyelles ; il en est de même en portugais dans fluxo, sexo, etc. ; mais ces
mots étant d'origine savante ou récente, je les laisse de côté.
2. Par contre, on trouve aussi parfois dans l'ancien français a? à la
place de se; ainsi dexendre {Senn. S. B. p. 526, 527, etc.) jwixojis (id. p.
527).
— 327 —
venient aux idiomes du groupe oriental ; changement en s, propre
à la fois au groupe oriental et au groupe du Sud-Ouest, ainsi
qu'aux dialectes ladins ; enfin transformation en is{s), particu-
lière au groupe du Nord-Ouest, mais dont les autres offrent
aussi quelques exemples. Comment maintenant expliquer ces
transformations ? La première ne présente pas de difficulté, le c
s'est simplement assimilé à 1'^, ce qui a donné ss; parfois aussi
un des deux s est tombé, c'est-à-dire que la spirante sourde pro-
venant de la transformation de a? a été remplacée par une sonore.
La troisième modification de x s'explique tout aussi facilement,
le c s'est affaibli en y [i], mais en conservant à 1'* en général la
valeur d'une sourde, ce qui a donné comme transformation défi-
nitive de œ ou es, iss au milieu des mots. C'est ainsi qu'en pro-
vençal coocam a donné coissa et fraxinum, fraisse. Dans le mot
mataxa toutefois 1'^ étant devenue sonore en provençal et en
français Yx n'y a plus été représenté, quoique médial, que par is.
Il en est de même à la fin des mots, par exemple bois ipr. buis fr.
(boscum). Mais il a pu se faire aussi qu'après la transformation de
X en is, il y ait eu transposition de ces éléments, ce qui a donné si
ou sj, groupe qui suivant une modification connue se change en s (s),
s tombant après avoir empêché la transformation àej en c. C'est
ainsi que eoxam a donné eoxa en portugais, eoseia en italien.
En même temps que x (es) se change en js, il semble que le son
/ se soit développé parfois après Y s, ce quia donné J^;', à'oVij{s)s
et is, comme forme définitive prise par x, c'est celle que présente
l'espagnol madexa = madaixa et le portugais madeixa (ma-
taxam), où ei équivaut à ai.
Telle est la théorie des transformations de x dans les langues
romanes ; les transformations des mots axem, buxum, eoxam,
dixi, examen, exiliwn, exire, fraxinum, laxum, laxare,
liooiviam, mataxam, maxillam., sex, toxicum, texere,
taxare, montreront comment elles se sont réparties entre cha-
cune d'elles :
ROUM.
IT.
ESP.
PO.
PR.
FR.
—
asse
exe
eixo
—
ais
—
bossp
buxo
buxo
bois
buis
coapse
coscia
coxo (?)
coxa
coissa, coicha
cuisse
zisei
dissi
dixe
disse
dis
dis
—
esame, sciame
enxambi
e enxame
eissamen
—
—
essilio
exilio
exilio
eissilh
essil V.
eli
escire
exir
—
eissir, eisir
issir, eissir
frasin
fmssino
fresno
freixo
fraisse f
•aisne, frêne
—
lasso
lexos
leixos
—
lâche
le sa
lasciare
leixar
leixar
laissar
laisser
—
328 —
leliç
liscia
lexia
lexia
lissia
lessive
matasç
matassa
madexa
madeixa
madaisa
madaise
m^sé
mascella
mexilla
—
maissella
maisselle
lèse
sei
seis
seis
seis
sisv.
toxice L.
B. tossicojosco*
tosigo
toxico
iueijsec
—
tzese
tessere
iexer
tecer
teisser
tisser
__
tassare
tasar
tasar, tousnrv, —
—
L'italien classique ne tolérant point 5 à la fin des mots, seœ y
est devenu sei, mot dans lequel le c de œ {c -}- s) est représenté
par i; le sarde campidanien, au contraire, n'a eu recours qu'à
l'assimilation et sex est devenu ainsi ses dans ce dialecte. Il faut
remarquer aussi la forme roumaine coapse (coxam), où c se
trouve représenté par p, comme cela a lieu régulièrement dans
le groupe et.
Dans tosco un des deux s qui se trouvent dans tossico, devenu
inutile, est tombé ; il en est de même, au milieu des mots, dans
les langues du Nord-Ouest, en italien et en portugais toutes les
fois que œ est suivi d'une explosive et parfois d'une résonnante ;
c'est ce qui a lieu en particulier dans les composés de ex. L'espa-
gnol cependant fait en cela exception et conserve Vœ ; il en est
de même, cela va sans dire, dans les autres idiomes, l'italien
excepté, pour tous les mots d'origine savante. Comme on pouvait
s'y attendre, le français est ici allé plus loin : 1'^ suivie d'une
consonne devenant muette dans cette langue a été supprimée ; x a
disparu ainsi complètement, et exne se trouve plus représenté que
par é. En italien, au contraire, e tombant devant s, ex n'y est
représenté que par s. Il en est de même en roumanche ^ Voici
quelques exemples de cette modification particulière de Yx :
LAT.
IT.
PG.-PR.
V. FR.
FR. MOD.
excaldare
scaldare
escaldar
eschauder
ëchauder
' excappare
scappare "
escapar
eschaper
échapper
excarpere
—
escarpar
escharpir
écharper
excorlicare
scorticare
escorchar
escorcher
écorcher
expaventare
spaventare
espaventar pr.
espouvanter
épouvanter
exprimere
sprimere
espremer
espreindre
épreindre
extendere
stendere
estender
estendre
étendre
extraneum
strano
eslranho
estrange
étrange
La chute de la voyelle atone pro ou posttonique en provençal et
en français, ayant pour résultat de rapprocher des consonnes ori-
ginairement séparées par des voyelles, a multiplié dans ces deux
1. E s'all'incatenata il tosco e l'armi
Pur mancheranno Giur. lib. Ganto XII.
2. 0. Carisch, Gram. Formetilehre der rhxtorom. Sprache, p. 115.
— 329 -•
idiomes, et surtout dans le dernier, les cas où x se trouve de-
vant une autre consonne sourde ou résonnante, et par suite son
changement en s simple, modification analogue à celle du c que
j'ai étudiée sous le nom d'assibilation générale ^ L'italien tosco
en est un exemple dans les langues du groupe oriental, en voici
quelques-uns tirés de ceUes du double groupe occidental :
approximare
dixerunt
duxerunt
exit
fraxinetum
planxit
proximum
traxerunt
PR.
aproismerVas.
eis
fresno
— prosme
aprismer Roi.
distrent l. r.
doistrent
ist
fraisne
plainst L. R.
pruesme
traistrent l. r.
En provençal et en français, i, représentant dans quelques
uns de ces mots le c, on retombe ainsi sur le cas général de trans-
formation, lu'e de duxerunt ayant été accentué en provençal,
comme l'est en général dans cette langue Ye de la terminaison de
la 3" personne pluriel du parfait, x s'y trouve entre deux voyelles
et ce m(rt est devenu régulièrement, par la résolution habituelle
du c en i, duysero ou duisseron. Je ne connais pas la forme
provençale correspondant h. dixerunt, mais elle doit être (iwer on
pour diiseron ou disseron.
Les trois modes de transformation que j'ai étudiés n'épuisent
pas les modifications de x dans les langues romanes , il en est
quelques-unes du moins qui ne rentrent dans aucun d'eux.
Ainsi laxum a donné en provençal lasc et lasch, en normand et
en picard laque, lâche en français; laxare de son côté a donné
en espagnol, à côté de lexar et de laxar, lascar; en provençal,
en même temps que laissar, lascar et laschar ; en picard et en
normand làquier, lâcher en français. Si nous rapprochons ces
formes, nous y trouvons un nouveau procédé de transformation
de X, difierent des trois autres en ce qu'il en laisse subsister les
éléments constitutifs, seulement en les transposant. Cette modifi-
cation se retrouve encore dans les dérivés de * taxam : tasca it.
pr., talce roum., tâque pour tasque norm., tâche fr. et tah
waU., ainsi que dans frascar pr. (*fraxare pour fracassare),
mèche fr. (*myxam) et échemer fr., escayninaresi^. b. (exami-
1. V. plus haut Liv. il, Gh. Vill, p. 157.
— 330 —
nare). La troisième personne singulier du parfait de wt^er^, vixit
pr. et V. fr. vesquet, visquet, v. esp. visco, offre un exemple
du même genre, ainsi que le provençal nasquet (P. Meyer, Poé-
sies relig. p. 18), qui suppose une forme * naxit, le catalan trasch
(traxit) et le -vieux français benesquid L R. II, 6 (benedixit).
CHAPITRE VIll.
DU GROUPE CT.
Ce groupe si commun dans les langues anciennes a été rejeté
par les idiomes qui en sont dérivés, et celles mêmes des langues
primitives qui ont subsisté jusque dans les temps modernes l'ont
aussi profondément modifié. Dans les idiomes slaves kt, suivi de
^, î ou e, seul cas qui peut se présenter, se change en c en russe
et en serbe, eue = ts en polonais et en tchèque, en U en slavon ;
ainsi *nokti (noctem) a donné respectivement dans ces cinq
langues noc, noc, noUi ^ Les langues germaniques ne souffrent
pas davantage le groupe ct\ déjà le gothique ne tolérait pas la
gutturale explosive devant t et la remplaçait par h; c'est ainsi
que noûc, noctem y avait pour équivalent nahts. Les idiomes de
la même famille sont restés fidèles à cette tendance du plus ancien
d'entre eux, et nahts est devenu nacht en haut-allemand, c'est-
à-dire que l'explosive primitive a fait place à une spirante. Les
langues celtiques offrent une transformation analogue ; ainsi en
irlandais à octo correspond ocht ; il en est de même en grec mo-
derne pour cy.Tw qui s'y est changé en àyjnù. Sur le sol de l'an-
cienne Italie une modification analogue s'était déjà produite ;
tandis que la langue du Latium admettait le groupe et, il était
remplacé par ht en ombrien, où recte se disait rehte ; l'osque
avait de même ehtra pour extra. Mais le latin lui-même a fini
par rejeter à l'époque de sa décadence ce groupe qu'il avait admis
jusque-là ; c'est ce que montrent les inscriptions ; à partir du
III® et du iv*' siècle de notre ère, c tombe ou est assimilé à t ; ainsi
on trouve cinium pour cinctum, defuntus pour defunetuSy
lattucœ pour lactucœ, prœfetto pour prœfecto , santus pour
sanctus, etc. ^. Les idiomes romans devaient poursuivre cette
1. Kuhn's Zeilschrift XIV, 252. — Schleicher. Comp. 303. — Miklosisch,
Gram. der slav. Sprachen.
2. Cf. Schuch. Vocal. I, 135.
— 33< —
tendance de la langue-mère et dans tous — si l'on excepte les
mots d'origine savante et un dialecte sur lequel je reviendrai, —
le groupe et a disparu ; mais ils ne l'ont pas traité de la même
manière, suivant qu'il était suivi d'une seule voyelle ou d'une
consonne^ ou de i et d'une autre voyelle. Il importe donc dans
l'étude que je me propose d'en faire de distinguer ces deux cas,
les seuls d'ailleurs qui peuvent se présenter, puisque et est tou-
jours médial.
r et suivi de i et d'une autre voyelle.
Dans ce cas le t, traité comme s'il était seul, s'assibile, et le
c tombe en général, mais en empêchant le plus souvent la spi-
rante de se changer en sonore;, comme cela a lieu parfois quand
le t est précédé d'une voyelle. Exemples :
LAT.
IT.
ESP.
PG.
PR.
FI
aclionem
azzione
acion
auçom V.
acçào
—
directiare
direzzare
derezar
direitar
dressar
dresse
electionera
elezione
—
eteiçâo
— i
factionem
fazione
faccion v.
feitio
fazon, faizo
façon
lectionem
lezione
leccion
liçâo
leizo, leisso
leçon
sectionem
sezione
seccion
secçào
—
Il faut remarquer les formes portugaises endereitar, fei-
tio, où ^ a conservé sa valeur primitive, tandis que le e s'est
changé en i. Dans le provençal faizo, leizo, le c semble bien
aussi s'être transformé en i, quoique le t se soit assibilé ; et, fait
exceptionnel, en donnant naissance à une spirante sonore. Une
forme curieuse encore est celle que nous offre le roumain aleU
(electionem), où cti a été traité comme es. Parfois enfin en espa-
gnol et en portugais le c de et persiste avec sa valeur gutturale,
comme on le voit dans acçào pg., leccion et seccion esp., sec-
çào pg. ; dans auçom, au contraire, il a été remplacé par u et
dans eleiçào par i.
Il arrive aussi en italien qu'au lieu du c le if tombe ou lui est
assimilé ; dans ce cas et, au lieu de se changer en ;s;, se trans-
forme en c ; c'est ce qui a lieu pour succiare à côté de suzzare
fr. sucer, dérivé de *suctiare, et pour tracciare, fr. tracer
(* tractiare) .
ir et suivi d'une seule voyelle ou d'une consonne.
Dans le cas précédent la forme définitive du mot dépendait
surtout des modifications du t, dans celui-ci elle dépend unique-
— 332 --
ment de celles du c ; elle varie d'ailleurs dans chacun des divers
groupes ou idiomes romans. Le latin vulgaire, nous avons vu,
avait souvent déjà modifié et, en assimilant ckt\ cette transfor-
mation, connue aussi de l'ancien norois, et qui repose sur le chan-
gement de la gutturale en dentale, se retrouve plus ou moins
fréquente dans tous les idiomes romans, mais elle n'appartient
en propre qu'à l'italien. D'ailleurs un des deux t peut tomber, ce
qui a lieu nécessairement après n, et et se trouve ainsi ré-
duit à t.
Une autre forme qu'on rencontre dans le double groupe occi-
dental et dans les dialectes ladins est c affaibli en 5 en portugais
et en français. Mais dans ces deux idiomes et en général dans le
provençal la forme la plus ordinaire est it. Cette forme n'est point
d'ailleurs particulière aux idiomes romans, on la rencontre aussi
dans le gallois, où l'irlandais nocht (noctem) a pour équivalent
noid * . Comment maintenant expliquer ces diverses modifica-
tions du groupe et ?
La première n'ofire pas de diflSculté ; le e s'est assibilé au t,
il y a eu là simple substitution d'une dentale à une gutturale,
phénomène dont nous avons vu plus d'un exemple. Quant à la
troisième, elle est le produit de l'amoindrissement successif de la
gutturale ; pour éviter la rencontre des deux muettes et qui lui
répugnait, la langue a transformé la première en la spirante eh
dans les idiomes germaniques, en J dans les idiomes romans^;
on a eu ainsi le groupe jY qui s'est naturellement ensuite affaibli
en it ; c'est ainsi que faetum a donné fait en français. Telle est
la marche suivie en général par ce dernier idiome, par le portu-
gais, le plus souvent par le provençal et par quelques dialectes
italiens.
Dans d'autres la transformation a été plus loin ; le groupe J^ a
été transposé, ce qui a donné tj, d'où par une transformation
connue tl ; c'est ainsi que faetum est devenu /"ac^ en provençal.
1. Cf. Kuhn's Zeitsch. XIV, 247. Schucbardt a voulu voir, dans cette
coïncidence de la transformation de et en it dans le gallois et dans les
idiomes romans parlés dans l'ancienne Gaule, une preuve de Fintluence
de l'idiome des anciens habitants sur la transformation du latin ; mais
rien ne prouve d'abord que dans l'ancien gallois et se transformait en it
et il est même plus probable ou que ce groupe persistait, ou qu'il avait
pris tout au plus la forme cht qu'il a encore en irlandais.
2. 11 serait possible que la forme jt eût été précédée de cht ; c'est ce
que sembleraient indiquer les transcriptions comme jachtivus qu'on
rencontre dans les anciens monuments. Cf. Pott. Kuhn's Zeitsch. \, 411.
— 333 —
face en lombard, affaibli en fagio dans l'ancien milanais. Mais
en même temps que le c se changeait en J^, il a pu arriver aussi
que le même sonj se développât après le ^, ce qui a donné le son
jtj, lequel en se transformant conduit naturellement à jil ou il ;
c'est ainsi qu'on peut expliquer la transformation de factum en
hecho = faico en espagnol.
Un fait à remarquer, c'est que quand et est précédé de n, le
j (^) de la transformation du c ne pouvant, sous peine de former
une syllabe avec n, conserver la place du c qu'il représente,
passe avant lui et diphthongue la voyelle précédente ; c'est ainsi
qu'en français sanctum, au lieu de san-i-t , a donné saint ^.
Dans les langues qui n'ont pas admis cette transposition, le c est
alors tombé tout simplement, — chute que la présence de Yn
paraît avoir favorisée dans tous les idiomes romans, ceux du
Nord-Ouest exceptés, — comme dans santo \i., esp., pg., ou
bien, mais exceptionnellement, il a, en se changeant enj, donné
naissance à tj et par suite à c, comme dans l'espagnol cincho.
Les formes {t)t, it, {i)c ou g, n'épuisent pas les transforma-
tions du groupe et dans les langues romanes ; tout en adoptant
parfois la première, le roumain en a une autre qui lui appartient
en propre, c'est la substitution duphc, c'est-à-dire de la sourde
labiale à la gutturale, tandis que l'assimilation de c à ^, qu'on
retrouve dans tous les idiomes romans, repose sur la substitution
de la sourde dentale à cette- même gutturale. Mais le roumain ne
s'en est pas toujours tenu à cette première modification, et dans
un certain nombre de cas il a changé le p substitué à c en sa spi-
rante /", comme il le fait d'ailleurs d'ordinaire pour p étymolo-
gique dans le groupe pt, ce qui a donné en définitive /ï à la place
de et. Quant à la forme s qu'on trouve au participe d'un certain
nombre de verbes, comme dans adaos (adauctum), eins (cinctum),
zis (dictum), dus (ductum), ajuns (adjunctum), etc., elle repré-
sente sans doute le dernier terme de la série tj, teh, ts, s, résul-
tat de la transformation de et.
On s'attendait à ce que le roumain allant plus loin eût affaibli
/"en V et enfin en u, ce qui aurait donné ut pour et; cette trans-
formation n'a point eu lieu, que je sache, dans cette langue, mais
la forme ut pour et se retrouve en espagnol et en portugais,
par exemple dans auto (actum) ; il semble toutefois qu'il faut
expliquer la présence de cet u par sa substitution à ^ dans la
diphthongue ai.
1. Il en a été de même dans plainst. plainstrent LR. pour 1'* provenant
de la transformation de l'a;.
— 334 —
Telles sont les transformations de et dans les langues romanes;
ce groupe y apparaît bien encore tel qu'il était en latin, mais si
l'on excepte le sarde logoudorien où il a été régulièrement con-
servé, c y étant d'ailleurs à peu près muet, on ne rencontre et
que dans les mots de formation savante ou récente ou qui ont été
refaits sur le latin. Il n'y a donc pointa s'occuper de cette forme ;
les transformations des mots actum, cinctum, eoaetare,
eoetum, dictum, directum, doctorem, ductum, faetum, fie-
tum, flectere, fructum, junctum, *lactem, lectum, * lue-
tare, noctem, oeto, *peetine7n,peetus, pi{n)etum, punctu7n,
sanetum, strictum, teetum, montreront comment les différents
idiomes romans ont fait usage des autres modifications tt {t), it,
c {eh), pt ou fï et ut.
KOUM.
IT.
ESP.
PG.
PR.
FR.
—
atto
■ mito
auto
—
cis
cinto
cincho
cinto
—
ceint
—
cattare s.
cachar
—
coitar. cachar cacher
copt
cotto
—
coito
cueit
cuit
zis
detlo
dicho
dilo
dit
dit
dres
diretio
derecho
direito
dreit
droit
doftor
dottore
dotor
doutor
—
duitre
dus
dotto
ducho
duto
dueich
duit
fapt
fatto
hecho
feUo
fait
fait
fipt
fitto
hito
fèto
—
—
—
fiettere
—
—
—
fléchir
frupt
frutto
fruto
fruto, frucho fruit, frut
fruit
{a)juns
giunto
junto
junto
joint
joint
lapte
latte
lèche
leite
lag
lait
leftice '
letto
lecho
leito
leit
lit
luptà
luttare
luchar
lutar
luchar
lutter
noapte
notte
noche
noit
noit
nuit
opt
otto
ocho
oito
oit
huit
piepten
petline
peine
pentem
penche
peigne
piept
petto
pecho
peito
peitz
piz
—
pinto
pincho
—
—
peint
{iTa)puns
punto
punto
ponto
—
point
sant
santo
santo, Sancho santo
saint, sanch
saint
—
stretto
estrecho
esireito
estreit, estrech estreit v.
étroit
—
tetto
techo
—
toit
On voit par ces exemples que l'italien ne connaît que l'assimi-
lation, les dialectes du Nord, au contraire, qui se rattachent plutôt,
il est vrai, au groupe ladin, présentent aussi la forme c ou ^ =
g, propres à plusieurs des idiomes de ce dernier groupe, mais qui
l. On dit lepticq dans le dialecte roumain du Sud, avec l'explosive p
au lieu de la spirante f.
— 335
connaissent aussi l'assimilation ; onla rencontre également dans les
sous-dialectes provençaux, le plus souvent à côté de it. Le portu-
gais même en offre, comme le français, quelques cas, quoique l'un
et l'autre changent et en it. Voici quelques exemples de trans-
formation du groupe et dans les dialectes ladins et provençaux :
LAT.
. — ^
ROUMANCHE
MIL.
TIR. FR.
DIAL. PRO
dictum
0.
gig Ob
E.
dit E.
digio V.
ditt
dich
di rectum
dreg
dret
—
—
drech
faclum
faig
fat
fagio V.
fait tir.
fach
*laclem
laig
lai
lac
latt tir.
lag
lectum
le^C
lett
let^
lett tir.
—
noctem
noig
nott
noc
not tir.
nueich
* peclum
—
—
pec
—
peitre gén
Il faut remarquer la forme peitre du dialecte genevois à côté
du vieux français pu, la première vient d'un type *pectorem, la
seconde de pectus, pr. peitz. Une transformation qui mérite en-
core de fixer l'attention est celle de * pectinem ; elle nous montre
et réduit à i dans l'espagnol peme et le francsLis peigne, à ^, au
contraire, dans le portugais joen^ew/, et en même temps l'épen-
thèse de n dans ce mot et dans le provençal penche.
Dans tous les exemples qui précèdent, et était étymologique ;
on trouve bien, à ce qu'il semble, un groupe roman dans plac{i)-
tum. Mais plac{i)tum aurait donné la série plaeitum, pla-
zido, d'où plazdo en espagnol et en italien, quelque chose
comme plas en français et en provençal ; plac'tum, au contraire,
formé sans doute par analogie avec faetum, flctum, etc., a
donné comme ces participes par le changement de et en it dans
le double groupe occidental, esp. -pg.pleito, v. fr. plait et piato
en italien ^ depiaito par la chute du second zsous l'influence du
1. Blond. Saggio, pass. — Ascoli, Saggi ladini, id. — Muss. Darst. der
altmail. Mund.
2. V. pi. h. Liv. JI, ctî. IX. - Cf. Diez, Gram. I, 256. — M. Ascoli (Arch. 1,
80) vient de proposer une autre explication; il suppose que l'i persistant
le c se change successivement en g et en y{i), mais g, je l'ai déjà dit, se
change en z et non pas en y, et d'ailleurs on aurait, en admettant cette
transformation, au moins dans le groupe du Sud-Ouest la série
plaeitum plagido play(i)do plaida,
attendu que t entre deux voyelles s'y change toujours en d, tandis que
nous y trouvons la forme pleilo, et
plaeitum pla'Uido play{i)do plai
en français, puisque t entre deux voyelles y tombe, ainsi que les
voyelles posttoniques. Quant à la présence d'un seul t dans piato, elle
— 336 —
premier, comme le montre la forme plaito, qu'on trouve dans
une charte de 827 : (venissent va plaito R. comiti.)^
tient à ce qu'il n'y a pas eu assimilation, mais changement de c en i
suivi de la chute de ce dernier.
1. Historix pairise monumenta I, n. 19, p. 35.
CONCLUSION.
Le groupe et est la dernière des combinaisons de consonnes
dans lesquelles peut, entrer la gutturale c, et l'étude que je viens
d'en faire termine ce que j'avais à dire de cette lettre. On trou-
vera peut-être que j'en ai exposé bien longuement les transfor-
mations : leur diversité, l'incertitude qui régnait sur quelques-
unes d'entre elles, les questions multiples qu'elles soulèvent et
que j'ai dû examiner, tout cela, je l'espère, servira à excuser les
longueurs d'un travail que je n'ai pu faire plus court de peur de
le laisser incomplet. Il est aisé de parler de sa peine ; parvenu au
terme que je m'étais assigné, il me sera peut-être permis de rap-
peler quels efforts j'ai dû faire pour arriver sur tant de points en-
core obscurs à une solution qui me parût satisfaisante. Les
transformations générales du c vélaire en g et en jot étaient
assez bien connues, mais on avait à peine abordé ses change-
ments successifs en la série é, c, s ; ts, s, z, G et S, ou f et v,
dont plusieurs même étaient complètement ignorés. Que de
lacunes aussi présentait l'histoire des transformations du c pala-
tal ! Le point de départ en était controversé, sa double modifica-
tion en spirantes sourdes et sonores dans les idiomes occidentaux
à peine entrevue, et la naissance du son 0 et S considérée comme
ancienne, alors qu'elle est essentiellement moderne. On n'avait
pas non plus, que je sache, — sans doute faute d'avoir comparé
ce qui s'est passé dans les langues romanes à ce que nous pré-
sentent les autres idiomes indo-européens, — rattaché à une
même cause les transformations du c vélaire et du c palatal en
chuintantes et en spirantes dentales, ce qui permet d'en expli-
22
— 338 —
quer si facilement la filiation. J'ai essayé de montrer qu'il n'y
faut voir que le résultat du passage de la gutturale à la série
dentale, passage dont l'état plus ou moins complet explique les
divers degrés de transformation a, c ou ts, s, s, etc. On trouvera
peut-être aussi que j'ai jeté quelque lumière sur la naissance tar-
dive et si extraordinaire delà spirante gutturale en espagnol. Quant
aux deux dialectes, le picard et le normand, dans lesquels j'ai cru
devoir, comme complément naturel , sinon nécessaire, de ces
recherches, étudier le traitement des gutturales, si les carac-
tères du premier étaient déjà connus, ceux du second, à ce point
de vue du moins, avaient été à peine soupçonnés ; il me semble
avoir démontré d'une manière irréfutable qu'ils sont identiques à
ceux du picard, connaissance qui sera peut-être de quelque uti-
lité dans l'étude ou le rétablissement des textes normands.
Tels sont les résultats auxquels je suis, je crois, arrivé ; je
voudrais espérer qu'ils pourront servir à l'avancement des études
de philologie romane encore si négligées en France. Quoi qu'il
en soit, avant de me séparer de ce travail, auquel je dois d'avoir
pénétré plus avant dans des connaissances que je n'avais fait
qu'entrevoir jusque-là, et qui pendant de longs mois m'a fait
goûter une satisfaction qu'on serait peu tenté d'attendre de pa-
reilles recherches, je me sens obligé de reconnaître encore une
fois tout ce dont je suis redevable aux savants qui se sont occu-
pés avant moi de la même question ; et si j'ai dû les contredire
parfois sur quelques points, je n'en ai pas moins une crainte,
c'est de n'avoir pas toujours, malgré mes efforts, peut-être assez
bien su mettre leurs découvertes à profit. Au moins ai-je essayé,
à leur exemple, de n'employer que des méthodes sûres et rigou-
reuses ; j'ai rejeté sans pitié tout ce qui était hypothétique, pour
n'admettre que ce qui me paraissait démontré ou s'imposait à
moi comme conséquence nécessaire défaits antérieurement établis.
Si ce travail vaut quelque chose, ce sera par là qu'il pourra se
recommander à l'attention et n'aura pas été peut-être complète-
ment inutile.
ADDITIONS ET CORRECTIONS'
Pages Ligni
40, i'2
42, 30
43, 43
27, 48
30, 23
30, 24
34, 46
Pages
57,
57,
64,
— aux. 39, 4 4
Rud. 39, 4 6 p,
— -cée.
40,
24 effacer crivello.
— reservavi-
46,
4 8 leu, lisez
leu.
— tamen.
50,
25 payar, —
pagar.
— celles.
50,
33 c. 4 segur, —
segur.
du, lisez des, 37, n. 4 c, ^, lisez c,g.
en, — aux. 39, 4 4 a, — p.
Fr.,
remplacé,
reservari,
tamem,
celui,
Lignes
40 Ajouter : et dans le portugais charma (carrucam).
4 4 Ajouter après français : charrue, laitue (lactucam),
massue fmaxucam), tortue ("tortucam), ...ainsi c tombe
presque uniquement devant o et u.
Ghap. IV. Substitution de ^ au c vélaire.
Ce changement que j'ai donné comme exceptionnel, à
part le groupe c/, dans les langues romanes, a lieu d'une
manière régulière, mais pour le k palatal, dans le patois
poitevin; ainsi çMmw, tiau; quieu, tieu; quiou^ tiou ;
quielle^ tielle; quièque, tieuque; quiellequi^ tiellequi,
etc. Lai. Glos. dupât, poit. Intr. p. 28 (Mém. de la Soc.
des Antiq. de l'Ouest 4 867, II). Dans le patois du Jura
suisse le son du c palatal suivi de i se rapproche aussi
beaucoup de celui de t et s'est même parfois changé
complètement en t, cf. Riv. di fil. rom. I, 99.
La sourde t ne se substitue point seule au c; au
milieu des mots et dans le groupe c/, la sonore d en prend
1. Malade pendant presque tout le temps qu'a duré l'impression de cet
ouvrage, je n'ai pu toujours donner à la correction des épreuves tout le
soin que j'aurais désiré, ni faire moi-même toutes les vérifications
nécessaires; je prie donc les personnes qui liront cette étude de vouloir
bien corriger elles-mêmes les fautes trop nombreuses indiquées dans
cet errata. J'y ai joint quelques faits nouveaux recueillis dans mes
dernières lectures; bien que mon manuscrit ait été, en effet, achevé
dans le courant de mars , l'impression en ayant été d'abord différée
pendant plusieurs mois, pour ne se terminer qu'à la fin de décembre,
j'ai pu durant ce temps mettre à profit quelques publications ou
récentes ou que jo ne connaissais pas encore au moment où j'ai fini
ce travail.
— 340 —
aussi la place dans quelques dialectes ladins. V. Liv.
IV, eh. V.
82, 83, n. i . Ajouter : Cet emploi de k dans des textes italiens
comme signe de la palatale se rencontre fréquemment
dans le Canzoniere vaticano 3244. Cf. Biv. di fil.rom.l^
60.
97, 28; 99, 23 et 436, 4 *pulicinum, lisez "pullicinum.
97, 34 Ajouter et dans le pg. piche à côté de pez s. (picem),
Rom. II, 290.
99, 6, 34 * pulicem, lisez * pullicem.
402, 25 Ce dictionnaire étant probablement d'origine anglo-
normande, ce que j'en ai dit s'applique plutôt à ce
dialecte qu'au français lui-même.
405, 28 Après mmazsan ajouter sic.
406, 26 muliaceam, lisez muliaceum.
408, 5 bibitionem, lisez potionem.
409, 22 Après change, ajouter : en.
44 7, 34 L'origine des textes ne fait rien, le normand et le
picard ayant en général traité la palatale transformée en
sonore tout comme le français. Cf. pi. loin p. 233 et 250.
448, 24 S.L.B... Ps., lisez S.B...*L.Ps.
420, 40 necessariam, lisez necessarium.
420, 46 pouce, lisez ponce.
420, 24 et 447, 35 "pulicellam, lisez 'pullicellam.
425, 23, c. 2 fois, lisez fois.
4 26, 9 sç, lisez s.
4 33, 34 aprop, lisez aprob.
443, 37 provençal, lisez proençal.
456, n. 4 logodorien, lisez logoudorien.
472, 25 enxambre, lisez enxame.
472, 27 Ajouter après phénomène : Il en est de même dans le
pg. munco à côté de muco s. (mucum). Cf. Rom. II, 289.
485, n. 4 Volktsmund., lisez Volksmund.
Pages Lignes Pages Lignes
246, 4 4 X, lisez ■/• 263, 49 *ficare, lisez 'figicare.
225, 8 7995, — 7595. 263, 20 forcam, — furcam.
234, 43 catens, — cateus. 263, 24 hanke, — ancha.
262, 22 camisam, — -siam. 263, 22 'jucare, — *juccare.
263,44 catulire, — *catuliare Je conserve la forme *juccare,
tout hypothétique qu'elle est ; il en est de même, onze
lignes plus loin, de * taccam ou *taxam.
Pages Lignes
267, 4 8 Ajouter après la fin dans : march (marlium),
274, 2 *cippeam, lisez *cippalam.
TABLE DES MATIERES.
Pages
Préface vu
Abréviations x
Indications des sources xi
INTRODUCTION. 4
I. De l'alphabet indo-européen 2
II. Des gutturales latines 47
r H n
2°Q • 49
3" K 23
4° G 25
5° G 26
6" Ch 30
DU C ROMAN.
LIVRE PREMIER.
Transformations dd c vélaire
Chapitre I. — Persistance du c vélaire. — Son changement
en g et en spirante %. .
Chapitrell. — Changement du c vélaire en y ou t
Chapitre III. — Chute du c. — Développement de i par le
voisinage de la gutturale
Chapitre IV. — Substitution de # et de s au c vélaire. . . .
33
37
38
47
54
(H
— 342 —
LIVRE SECOND.
Transformations du c palatal 65
Chapitre I. — Transformation de ci et de ti suivi d'une
voyelle 66
Chapitre II. — Changement du c palatal en c 73
Chapitre III. — Persistance du e palatal. — Son change-
ment en sonore et en spirante palatales 82
Chapitre IV. — Changement du c palatal en c et en g, en s
et en z, . 88
V c^c, 89
2"^=c, 94
3° 5=c, 96
40 f=c, , 400
Chapitre V. — Changement du c palatal m.ts^idt 404
40 ^s=c, 403
2° dz=c^ : 409
Chapitre VI. — Changement du c palatal en c (.ç, ss) et en
z (s) en français, en provençal et dans les dialectes ladins
et italiens 440
4° Du c palatal transformé en français 444
2o Du c palatal transformé en provençal 4 26
30 Transformation du c palatal en s ou ç dans les dia-
lectes ladins ou italiens 435
Chapitre VII. — Transformation du c palatal en espagnol ou
en portugais. — Son changement en 0 et § dans les dia-
lectes provençaux et ladins 438
40 Du c palatal transformé en ancien espagnol. ..... 438
2° Du c palatal transformé en portugais 4 44
30 Transformation de la palatale en G dans l'espagnol mo-
derne 454
4° Transformation de la palatale en G et B dans les dia-
lectes provençaux et ladins 454
Chapitre VIII. — Assibilation anomale du c palatal. — Sa
tranformation en i et en u. — Sa suppression. — Déve-
loppement de 2 dans son voisinage 457
Chapitre IX. — Substitution à la gutturale c des labiales /),
6, /", V, de w, de A et de /i 4 62
4° Substitution des labiales aux gutturales. 462
2" Substitution de M au c vélaire ou palatal 468
— 343 —
3^ Substitution de ^ à la gutturales? i^HV '170
4° Substitution de w à la gutturale c. i7i
LIVRE TROISIÈME.
Transformation DU c vÉLAiRE EN c ET EN SES DÉRIVAS ^75
Chapitre I. — Transformation duc vélaire en c, c et s dans
les dialectes ladins, provençaux et français proprement
dits 483
-1 ° Transformation duc vélaire en c dans les dialectes ladins 4 84
2° Transformation duc vélaire en ch dans les dialectes pro-
vençaux 4 88
3° Transformation du c vélaire en ch dans le français
proprement dit 497
Chapitre IL — Transformation du c vélaire en g, z, ts ou
6?s, s ou s, 0, S et/ 206
4° Transformation du c vélaire en ^ et z 206
2° Transformation du c vélaire en ^,ç, ^z, s ou z 208
3° Transformation du c vélaire en 0 et â, en felenv... 244
4° Transformation du c vélaire en spirante gutturale. . . 213
Chapitre 111. — Du c vélaire et du c palatal transformés
dans le picard et dans le normand 247
V Picard 224
2° Normand 234
3° Remarques sur le traitement des gutturales en normand
et en picard 279
LIVRE QUATRIÈME.
Du c LATIN DANS LES DIFFÉRENTS GROUPES DE CONSONNES OU IL PEUT ENTRER.
Chapitre I. — Du groupe ce 295
Chapitre II. — Des groupes d'c et t'c 297
Chapitre III. — Des groupes le, rc, ne et n{d)c 304
Chapitre IV. — Du groupe se 307
1° se initial 307
2° se médial 34 4
3° se final 34 4
Chapitre V. — Du groupe cl 31 4
1° cl initial 315
2° cl médial 317
Chapitre VI. — Du groupe cr 321
— 344 —
i° cr initial 324
2° cr médial 322
Chapitre VII. — Du groupe cs[x) 325
Chapitre VIII. — Du groupe et 330
\° et suivi de i et d'une autre voyelle 334
2° et suivi d'une seule voyelle ou d'une consonne 334
Conelusion 337
Additions et corrections 339
— ^s fi==::ç»^B>»=?i5a_
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
X
^
r
y.
>^ PC
W 93
^ >T67
1 f
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Joret, Charles
I>u c dans les langues
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