Skip to main content

Full text of "Du célibat et du mariage des prêtres chez tous les peuples"

See other formats


/^H 


/^ 


\ 


w*i 


'»»♦*#!, 


r 


-tr" 


■cifl 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/duclibatetdumaOOcera 


^-m: 


VWW^WWW  VV%  iVt'VVX  vwwwwvwvvv 


t 


?î?^ 


'i^rV%,'\'vw\  wvixvv'v»'\vv%r,'\*  \  \  v\->  w  vvw  \\r%- 


r^"- 


JB»  Cfltbat 

ET  DU  aiARIAGE 

DES  PRÊTRES 

CHEZ     TOUS     LES     PEUr.-ïï.S;: 

PAR 

L'ABBÉ  CERATi, 


PARIS, 

GOEtRY,  LILFAIBE, 


R      r.      TAVEE     SAINT-ANDRE-DE 


1829 


I 


w"  'Ç^5^>A\^vv\v«,■>^.\'»lV\^^»•\^'>'vv^v^^^\■^v\v^v^S^g(i>^|ftS'Vvvvv^v»,lV\vvv^vv>v\vv^'^^^vv^\.\\\v^•:^^  »• 


DU   CÉLIBAT 

ET  DU  MARIAGE 

DES  PRÊTRES, 

CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES. 


IMPRIMERIE    DE    HU zXRU-CotJRCIER  , 

rue  du  Jardinet,  n"  12. 


DU    CELIBAT 


ET  DU  MARIAGE 


W^ 


A 


% 


CHEZ  TOUS  LES  PEUPLES^ 

L'ABBÉ  CEBATI, 


Pavi0 , 


GOEURY,  LIBRAIRE, 

ROE     PAVÉE-SAINT-ANDRÉ-DES-ABCS,     N*     l5. 

1829 


,.( 


V\VV>IVVVVV\VVVVVVVVV\M'kMMIVVV»VVVVV\iVV«VVVV««VVVVVVVVVVVVVVVV^\VVVV^ 


TABLE 

DES    MATIÈRES. 


Pages 

Introduction j 

LIVRE  PREMIER. 

DO  CÉLIBAT  CHEZ  LES  NATIONS  PAÏENNES  JUSQd'a  LA  VENUE  DE 
JÉSUS-CHRIST. 

SECTION  PREMIÈRE. 

Du  célibat  considéré  par  rapport  aux  lois  de  la  nature. 

Chapitre  premier.  Le  célibat  n'est  pas  une  loi  de  la 

nature ï 

Chap,  II.  Le  célibat  est  impossible 1 1 

Chap.  III,  Le  célibat  détruit  les  bonnes  mœurs 17 

Chap.  IV.  Le  célibat  n'est  pas  agréable  à  la  divinité.  aS 
Chap.  V.  Le  mariage  est  un  état  conforme  à  la  nature 

de  l'homme;  Dieu  l'a  ordonné 3o 

Chap.  VI.  Dans  le  mariage ,  il  y  a  plus  de  vertu  que 

dans  le  célibat 35 

SECTION  II. 

Du  célibat  dans  la  société  civile  depuis  son  origine  jusqu'à 
rétablissement  du  christianisme. 

Avant-propos , . .       40 


(  V.) 

Chapitre  premier.  Origine  du  célibat ^2. 

Chap.   II.   Célibat  civil 62. 

CiFAP.  III.  Inde,  Perse,  Egypte  et  autres  lieux 67 

Chap,  IV.  Des  Hébreux 64 

Chap.  V.  Des  Grecs 78 

Chap.  VI.  Des  Romains 94 

SECTION  III. 

Du  célibat  religieux  aidant  le  christianisme  et  chez  les 
nations  idolâtres. 

Avant-propos 110 

Chapitre  premier.  Des  prêtres  et  des  ordres  religieux.  117 
Chap.  II.  Des  vierges,  de  la  pythie,  des  sibylles,  des 

vestales i34 

LIVRE  DEUXIÈME. 

DU  CÉLIBAT  DANS  LA   RELIGION  CHRÉTIENNE. 

SECTION  PREMIÈRE. 
Du  célibat  depuis  /^Évangile  jusqu'à  la  révolution  française. 

AVANT-PROPO  s 1 59 

Chapitre  premier.  Du  célibat  dans  V Évangile 164 

Chap.  II.  Du  célibat  sous  les  apôtres 171 

Chap.  III.  Mépris  du  mariage 180 

Chap.  IV.    Insouciance  d'avoir   des   enfans;   tiédeur 

pour  ceux  qu'on  avait i85 

Chap.  V.   Des  eunuques 188 

Chap.  VI .  Des  veuves 191 

Chap.  VII.  Des  vierges  et  des  moines 198 


(  vu  ) 

Page» 

Chap.  VIII.  Diversité  de  religion 212 

Chap.  IX.  Du  célibat  dans  l'église  d'Orient 216 

Chap.  X.  Du  célibat  dans  le  clergé  catholique 225 

Des  clercs  engagés  dans  les  ordres  mineurs 226 

Des  sous -diacres 227 

Des  diacres ,  des  prêtres,  des  évêques 229 

Chap.  XI.  Des  mesures  prises  pour  empêcher  les  ec- 
clésiastiques de  violer  la  continence 233 

Chap.  XII.  Code  pénal  du  célibat.  — Punitions  contre 

les  ecclésiastiques 238 

Punitions  contre  les  concubines 245 

Punitions  contre  les  enfans  des  concubinaires 249 

Chap.  XIII.   La  corruption  croît  à  mesure  que  le  cé- 
libat devient  plus  général ....  253 

Chap.  XIV.   Influence  de  la  corruption  du  clergé  sur 

les  mœurs  publiques 269 

Chap.  XV.  Jurisprudence  de  l'église  adoptée  dans  les 

tribunaux 275 

SECTION  II. 

Du  célibat  depuis  la  J'évolulion  Jusqu' à  nous. 

Avant-propos 287 

Chapitre  premier.  Droit  de  l'Assemblée  conslituaute 

sur  le  célibat  religieux 2C)3 

Chap.  II.  Du  célibat  sous  l'Assemblée  constituante. .  298 
Chap.  III.  Du  célibat  sous  le  consulat,  sous  l'empire 

et  depuis  la  restauration 307 

Chap.   IV.  Du  célibat  dans  les  tribunaux  depuis  1790 

jusqu'à  1829 322 


(  vin  ) 

SECTION  III. 

Des  dangers  auxquels  le  célibat  expose  la  religion 
catholique  en  France. 

P«ge» 

Chapitre  premier.  Il  est  urgent  de  faire  jouir  les  ec- 
clésiastiques du  bienfait  de  la  loi 33g 

Chap.  II.  Il  faut  accorder  aux  prêtres  le  cumul  des 
fonctions  sacerdotales  et  du  mariage 347 

Chap.  III.  L'union  des  fonctions  sacerdotales  et  du 
mariage  ne  pre'sente  aucun  danger 356 

Chap.  IV.  Le  ce'libat  produit  les  effets  les  plus  fu- 
nestes à  la  religion  et  à  la  morale 365 

Chap.  V.  Résultat  heureux  du  mariage  des  ecclésias- 
tiques  , 386 

Chap.  VI.   Le  prêtre  père  de  famille  ne  négligerait  pas 

les  intérêts  de  la  religion 3g3 

Chap.  VII.  Le  mariage  des  prêtres  ne  coviterait  rien 
à  l'État 3g7 

Chap.  VIII.  Motifs  qui  portent  le  cierge  romain  à  l'e- 
fuser  le  mariage  à  ses  membres 4^7 

Chap.  IX.  Moyens  pour  rendre  aux  prêtres  la  liberté 
du  mariage 4'" 


FIN    DE    LA    TABLE. 


*^;^vvvvM^vvvvvv\/v\/\vv\vw\^\x\v\vcvv^^^vvvvvvvv■v^.v^.vvv"^^^ v%rti\/vv  wvvwvwwvviv\^vwvwvvw 


INTRODUCTION. 


Lorsqu'à  la  Chine  des  de'vots  fanatiques 
se  rencontraient,  ils  se  heurtaient  la  tête  à 
grands  coups ,  à  la  manière  des  béliers. 

Lorsque  deux  nobles  japonais  se  croyaient 
insultés,  ils  se  provoquaient  en  duel.  Le  plus 
prompt  à  se  faire  une  large  plaie  et  à  se  don- 
ner une  mort  cruelle  était  déclaré  le  vain- 
queur. Il  était  rare  que  dans  ces  sortes  de 
combats  le  même  sort  n'atteignît  pas  les 
deux  champions. 

Lorsqu'un  nègre  du  Congo,  ou  un  Rai- 
mouk  du  Don  ou  du  Volga,  ou  quelque 
sauvage  du  Mexique,  ou  quelque  Indien  de 
la  Nouvelle -France,  voulait  se  marier,  il 
appelait  une  femme  à  l'essai  pendant  une 
nuit,  ou  un  jour,  une  semaine,  un  mois, 
un  an  et  quelquefois  plus.  Lui  plaisait-slle? 
il  la  gardait;  ne  lui  convenait-elle  pas?  il  la 

a 


(ij) 
renvoyait.  Les  femmes  jouissaient  du  même 
droit  chez  quelques-uns  de  ces  peuples. 

Lorsqu'à  Ceyian  deux  frères  étaient  liées 
par  une  tendre  amitié,  ils  prenaient  une 
femme  en  commun ,  et  les  enfans  qui  nais- 
saient de  cette  union  les  reconnaissaient 
également  pour  leurs  pères. 

Lorsqu'à  Juida  et  à  Dahomay  on  parlait 
de  mort  en  présence  du  prince,  on  se  ren- 
dait coupable  d'un  crime  capital. 

Lorsque  les  sauvages  n'avaient  point  en- 
core vu  d'Européens ,  ils  s' essuyaient  les 
doigts  en  mangeant,  dit  Montaigne,  aux 
cuisses,  a  la  bourse  des  géîiitoires  et  à  la 
plante  des  pieds. 

Lorsqu'aux  Maldives  un  noble  venait  à 
paraître,  le  roturier  devait  humLlement  s'ar- 
rêter et  le  laisser  passer  en  baissant  les  yeux. 

Lorsqu'au  temps  de  la  féodalité,  en  France 
comme  en  Ecosse,  une  ilWe plèbe  se  mariait, 
il  lui  fallait  sacrifier  le  premier  cri  de  sa 
pudeur  à  son  maître  ecclésiastique  ou  laï- 
que, tandis  que  le  mari  attendait  patiem- 
ment à  la  porte  la  fin  de  cette  scène  atroce. 

Lorsque  le  royaume  d'Arménie  existait^ 


C  iij  ) 
une  loi  obligeait  les  jeunes  filles  à  consacrer 
leur  virginité  aux  prêtres  de  Tanaïs. 

Lorsqu'en  France,  comme  en  Egypte,  les 
prêtres ,  les  rois  et  les  soldats  possédaient 
seuls  toutes  les  terres,  il  n'y  avait  pas  de 
peuple,  ou  le  peuple  se  composait  d'hommes 
animaux  achetés  et  vendus  avec  chacune  des 
portions  de  terre  qu'ils  engraissaient  misé- 
rablement de  leurs  sueurs. 

Ces  usages  absurdes  et  pour  la  plupart  ré- 
voltans  ont  existé  pendant  des  siècles;  les 
nations  se  sont  éclairées  et  en  ont  fait  jus- 
tice. 

Puisqu'ils  ont  passé,  puisqu'ils  ont  néces- 
sairement dû  s'éteindre,  comment  un  pré- 
jugé aussi  contraire  aux  lois  de  la  nature  et 
de  la  raison  que  l'est  le  célibat,  préjugé  qui 
a  déjà  quatre  siècles  d'existence  et  qui  n'est 
pas  plus  fondé  en  morale  que  ne  l'étaient  en 
humanité  et  en  convenance  sociale  les  usages 
que  j'ai  cités,  comment  pourrait-il  résister 
aux  lumières  des  peuples  du  XIX*  siècle  et 
aux  attaques  dont  l'intérêt  des  mœurs  le 
rend  constamment  l'objet? 

Tel  avait  été  long-temps  le  sujet  de.  nos 

a.. 


(    Iv    ) 

conversations,  quand  je  décidai  M.  l'abbo 
Cerati  à  s'occuper  du  travail  que  nous  pu- 
blions. 

Le  caractère  dont  il  est  revêtu  lui  parut 
d'abord  un  obstacle  à  la  rédaction  d'un  pa- 
reil ouvrage.  11  craignait  que  le  monde  ne 
vînt  interpréter  à  mal  une  polémique  de  ce 
genre  et  de  sa  part;  il  redoutait  de  contra- 
rier les  vues  du  Gouvernement  et  de  se 
mettre  en  opposition  de  principes  avec  ses 
jeunes  confrères.  Né  en  Corse  et  livré  depuis 
peu  à  Tétude  de  la  langue  française,  il  n'o- 
sait tenter  d'écrire  un  long  volume. 

Je  combattis  tous  ses  scrupules  avec  suc- 
cès ,  lui  faisant  comprendre  que  son  carac- 
tère était  un  motif  de  plus  pour  traiter  cette 
question  avec  fruit,  l'éclairant  sur  l'opinion 
des  hommes  du  monde,  sur  l'intervention 
du  Gouvernement  dans  une  discussion  de 
cette  haute  importance ,  sur  le  mécon- 
tentement ridicule  des  gens  d'église.  11 
commença;  mes  encouragemens  firent  le 
reste. 

A-t-il  rempli  dignement  sa  tâche?  je  le 
crois.  La  division  du  livre  est  simple.  Une 


(  ^  ) 

prémunie  partie  comprend  l'examen  du  cé- 
libat chez  les  nations  païennes  jiisqua  la 
venue  de  Jésus-Christ.  Là  le  célibat  se  trouve 
considéré  sous  ses  rapports  avec  les  lois  de 
la  nature  dans  la  société  civile,  depuis  son 
origine  jusqu'à  l'établissement  du  cbristia- 
nisme,  et  chez  les  religieux  des  nations  ido- 
lâtres. La  seconde  partie  traite  du  célibat 
dans  la  religion  chrétienne,  depuis  VEs^an- 
gile  jusqu'à  la  révolution  française,  pendant 
cette  révolution,  sous  l'empire  et  sous  les 
deux  restaurations. 

Jamais  on  n'a  accumulé,  pour  répandre  la 
conviction  dans  les  esprits,  à  l'appui  d'une 
proposition  aussi  délicate  que  le  mariage 
des  prêtres,  autant  de  faits,  de  preuves  et 
d'autorités.  Le  lecteur  sera  surpris  du  nom- 
bre considérable  de  recherches  auxquelles  il 
a  fallu  se  livrer. 

M.  l'abbé  Cerati,  on  le  sent  bien,  n'a  pu 
adopter  que  les  grands  évènemens  de  l'his- 
toire, pour  en  tirer  de  sages  inductions;  il 
n'eût  point  atteint  le  but,  si,  fouillant  les 
chroniques  nationales  des  peuples  ,  il  se 
fut  occupé  de  traits  de  détails  qu'il  a  judi- 


(    vj    ) 

cieusement  négligés,  à  moins  de  nécessité 
absolue. 

Afin  d'y  suppléer  en  ce  qui  concerne  la 
France,  ou  pour  donner  encore  un  degré  de 
force  aux  preuves  dont  il  s'est  appuyé ,  je 
rapporterai  ici  quelques-unes  de  mes  explo- 
rations dans  nos  histoires  et  dans  nos  fa- 
bliaux; car  je  désire  aussi  chercher  à  dé- 
montrer que,  puisque  lors  de  l'introduction 
du  christianisme  dans  la  Gaule  nos  prêtres 
prenaient  des  femmes  à  titre  d'épouses  sans 
que  la  religion  en  souffrit,  sans  nuire  à  ses 
progrès,  il  n'y  aurait  point  d'inconvénient 
aujourd'hui  à  permettre  le  mariage  aux  prê- 
tres catholiques  romains. 

J'ouvre  Grégoire  de  Tours,  placé  parmi 
les  saints  à  cause  de  sa  vertu,  et  je  lis  au 
chap.  35  du  livre  V  :  u  Nous  perdîmes  nos 
deux  aimables  et  chers  petits  enfans,  que 
nous  avions  échauffés  dans  notre  sein ,  por- 
tés dans  nos  bras  ,  nourris  de  nos  mains , 
élevés  avec  tous  les  soins  possibles.  Après 
avoir  essuyé  nos  larmes ,  nous  avons  dit  avec 
le  bienheureux  Job  :  Le  Seigneur  nous  les 
aidait  donnés,   le  Seigneur  nous  les  a  ôtés ; 


(    vij    ) 

ce  que  le  Seigneur  a  voulu  a  été  fait.  Que 
le  nom  du  Seigneur  soit  béni  dans  tous  les 
siècles!  » 

Dans  la  note  qu'il  a  mise  à  ce  passage, 
dans  sa  traduction ,  l'abbé  de  MaroUes  pré- 
tend qu'il  ne  faut  pas  entendre  les  en  fans 
de  Grégoire,  mais  bien  ceux  de  ses  proches 
et  de  ses  amis.  Le  texte  est  pourtant  assez 
clair. 

Au  surplus,  à  la  même  époque,  Fortu- 
nat,  Sulpice  Sévère,  Sidoine -Appollinaire, 
S.  Arnault,  Badegisile  étaient  mariés.  Gré- 
goire de  Tours  raconte  même,  à  propos  de 
ce  dernier,  l'anecdote  suivante  :  Cuppa,  con- 
nétable du  roi  Cliilpéric,  voulut,  aidé  de 
quelques-uns  de  ses  amis,  ravir  par  force 
la  fille  de  Badegisile ,  évêque  du  Mans  , 
avec  l'intention  de  l'épouser.  S'étant  rendu, 
accompagné  de  ses  amis,  dans  le  bourg  de 
Mareuil,  une  nuit,  pour  accomplir  son  des- 
sein, Magnetrude ,  mère  de  la  jeune  fille , 
avertie  à  temps  ,  arma  ses  domestiques  , 
marcha  au-devant  de  lui,  lui  tua  quelques- 
uns  des  siens  et  le  repoussa  vigoureusement. 

Que  l'on  ne  croie  pas  que  ce  fut  seule- 


(  viij  ) 
ment  au  commencement  de  la  monarchie 
que  les  prêtres  se  mariaient. 

Sigëlaïcus,  ëvéque  de  Tours,  comte  de 
Bourges,  parent  de  Dagobert,  ëlu  en  619, 
mort  en  622,  laissa  un  lils,  Sigiran  ou  saint 
Gyran,  qui  fonda  plus  tard,  en  Berri,  l'ab- 
baye de  ce  nom  (i). 

Robert  de  Vassy,  archevêque  de  Rouen , 
eut  pour  fils  Raoul  de  Vassy,  qui  mourut 
en  1064  sans  enfans.  C'est  de  cet  archevê- 
que Robert  que  sortit  aussi  la  branche  des 
comtes  d'Evreux.  Un  des  seigneurs  de  Mont- 
fort  épousa  la  seule  héritière  de  cette  mai- 
son (2). 

Jéhonëe  ,  ëvêque  ,  se  disant  archevêque 
de  Dol,  avait  une  femme  et  des  enfans.  Le 
peuple  de  Dol,  indigne  de  sa  conduite  dë- 
bauchëe,  le  chassa  de  son  siëge  en  1078  (3). 

La    plupart    des    fabliaux    des    XU^    et 


(i)    Chalmel ,  Hist.    de  Touraine ;   Paris^    1828,   t.    P% 
P-  ^99- 

(2)  Roquefort,  Poésies  de  Marie  de  France,  t.  II,  p.  41? 
note. 

(3)  Chalmel,  t.  I,  p.  894 


(  ix  ) 

Xlir  siècles  font  connaître  que  les  ecclé- 
siastiques avaient  alors  des  femmes. 

Un  cure'  voulant  cueillir  des  mûres  se 
laissa  tomber  dans  des  broussailles  dont  il 
ne  put  se  débarrasser.  Sa  jument  revint  au 
presbytère,  la  selle  tournée,  la  bride  traî- 
nante ;  et  sa  femme,  au  désespoir,  de  se  pâ- 
mer (i)! 

On  trouve  souvent  dans  les  fabliaux,  dit 
Legrand  d'Aussy  {Fabliaux,  t.  I,  p.  23i5), 
de  ces  femmes  de  prêtres. 

Il  est  dit  dans  le  Longueriiana  (t.  II, 
p.  72)  qu'en  1204  beaucoup  d'évéques  de 
Normandie  étaient  mariés. 

Comme  on  tourmentait  les  ecclésiastiques 
qui  avaient  des  femmes  légitimes,  quelques- 
uns  d'entre  eux  prenaient  des  concubines 
et  les  logeaient  dans  leur  presbytère. 


(i)         Et  la  jument  s'en  vint  fuyant , 
Chez  le  provoire  est  revenue  ; 
Quant  li  seyant  l'ont  conne'ue  , 
Chascun  se  maudit  et  se  blasme. 
Et  lafeme  au  près  ire  se  pasme. 

GuÉRiN,  fabliau  du  Provoire  qui  mange  des  mûres,  v.  62. 


(  .^  ) 

Li  Doiens  avoit  une  mie 
Dont  il  si  fort  jalous  estoit. 
Toutes  les  fois  qu'ostes  avoit, 
La  faisoit  en  sa  chambre  entrer; 
Mes  aie  nuit  la  fist  souper 
Avoec  son  ostes  liement...  (i). 

Le    souper   étant    achevé  ,   on   quitte   la 
table  : 

Atant  se  vont  concilier  ensemble 
Il  (le  doyen)  et  la  dame  (2). 

Dans   une   dispute   avec  sa  servante,    la 
maîtresse  la  traite  de  bâtarde  : 

Bastarde ,  Dame  ,  or  dites  mal , 
Li  vostre  enfant  sont  molt  loial 
Que  vous  avez  du  prestre  eus  (3). 

La  dame  rapporte  au  curé  sa  querelle  avec 
sa  servante  : 


(1)  Fabliau  du  Boucher  (VAbbeville,  par  Ëustache  d'A- 
miens, V.  184. 

(2)  Vers  199. 

(3)  Vers  373. 


(  ^  ) 


Sire ,  se  vos  saviez  le  voir 
De  la  honte  qu'ele  m'a  dite , 
Vos  l'en  renderiez  la  mérite 
Qui  vos  enfans  m'a  reprovez  (i). 


A  la  fin  du  fabliau,  la  maîtresse  du  cure 
est  appelée  la  presfi  esse. 

Le  fermier  Constant  Duhamel  avait  épousé 
Isabeau  qui,  jeune  et  jolie,  avait  plu  à  la 
fois  au  curé  du  bourgs  au  prévôt  et  au  garde 
forestier.  Chacun  la  sollicita,  de  son  côté, 
et  lui  fit  ses  offres  qui  furent  rejetées.  Pour 
se  venger  de  ses  amans ,  qui  avaient  ruiné 
son  mari ,  elle  les  fit  appeler  l'un  après  Fautre, 
et  les  invita  à  se  mettre  au  bain;  sitôt  qu'ils 
y  entraient,  le  mari  frappait  à  la  porte,  et 
les  faisait  cacher  dans  un  grand  tonneau 
rempli  de  plumes.  Constant  voulut  alors 
faire  éprouver  aux  trois  amans  de  sa  femme 
l'affront  qu'on  lui  destinait;  Isabeau  appela 
sa  servante  et  lui  dit  (2)  : 


(i)  Vers  4 1 4- 
(2)  Vers  749. 


(  ^'J  ) 

Galestrot,  viens  ça,  pute  asncsse, 
Va  moi  tost  qucrre  la  preslresse, 
Di  li  qu'el  viegne  o  moi  baignicr  ; 
Et  vous  alez  apareiller 
Là  dejouste  celé  grant  mait, 
Si  soicz  toz-diz  en  agait. 
Dame,  vostre  plaisir  ferai. 
Galestrot  s'en  va  par  le  tai. 
Tant  a  la  preslresse  haste'e 
Que  à  l'hostel  l'a  amenée. 

Jusqu'au  XVP  siècle ,  des  prêtres  se  sont 
mariés.  Dreux  du  Radier,  dans  les  Récréa- 
tions historiques  (Paris,  1767,  t.  II,  p.  209), 
redit  le  fait  suivant  : 

ff  II  est  certain  que  les  prêtres  se  sont 
mariés  y  et  qu'il  y  a  eu  un  temps  oii  la  dis- 
cipline de  l'église  sur  ce  point  donnait  beau- 
coup de  liberté.  Dans  Téglise  de  Zurich,  qui 
est  actuellement  le  temple  des  protestans  de 
cette  ville  de  Suisse ,  capitale  de  Tun  des 
treize  cantons ,  on  lit  encore  cette  épitaplie 
d'un  chanoine  et  de  sa  femme,  Anno  Do~ 
niijiiM..  CCGCL.  obiit  D.  Jacohus  Schwaî^s- 
niurer,  canonicus  capituli  hujus  Ecclesiœ. 
Item  Agnes  uxor  légitima  prœdicti  Do- 
mini  Jacobi.  L'auteur  du  livre  curieux  où  se 


(  xiij  ) 
trouve  cette  ëpitaphe  (i)  ne  manque  pas  de 
se  faire  robjection  qui  se  présente  naturelle- 
ment, «  Mais  vous  direz  peut-être  que  ce  fut 
»  dans  son  veuvage  qu'il  se  fit  d'ëglise,  et 
»  qu'il  n'y  a  là  rien  d'extraordinaire,  puisque 
»  cela  se  pratique  encore  aujourd'hui.  Non, 
»  monsieur,  répond  l'auteur,  il  avoit  au 
»  même  temps  la  femme  et  l' aumusse ;  on 
»  nous  fit  voir  de  fort  bons  mémoires ,  et  le 
»  chanoine  et  sa  femme  moururent  tous  les 
»  deux  la  même  année,  comme  vous  le  voyez 
»  par  leur  êpitapbe.    >j 

De  la  part  des  prêtres  qui  se  mariaient, 
c'était  un  acte  d'audace  et  d'indépendance. 
Ceux  qui  craignaient  de  donner  ce  que  les 
fanatiques  romains  appelaient  le  scandale  du 
mariage,  se  livraient  à  des  maîtresses  ou  à 
des  concubines. 

Il  faut  remarquer  que  dès  le  V^  siècle  on 
voulut  tenter ,  dans  les  intérêts  de  R.ome , 
d'amener  les  ecclésiastiques  à  la  continence  : 
on  permit  d'abord  aux  clercs  de  garder  leurs 


(i)  Voyages  de  Suisse,  par  les  sieurs  Reboulet  et  de  la 
Brune,  p.  122,  lettre  X'. 


(  ^iv  ) 
femmes,  à  condition  de  vivre  chastetnent 
avec  elles  j  ensuite ,  on  les  obligea ,  pour  rem- 
plir leurs  fonctions  sacerdotales  ,  à  éloigner 
d'eux  leurs  femmes,  sans  que  celles-ci  pus- 
sent contracter  un  nouveau  mariage ,  soit 
avant ,  soit  après  la  mort  de  leurs  maris  ^ 
plus  tard,  ils  perdirent  leurs  bénéfices,  et 
enfin,  avec  le  temps,  on  leur  ordonna  le 
célibat. 

Ces  difïerens  états  de  l'homme  d'église  ont 
été  parfaitement  saisis  par  M.  l'abbé  Cerati 
qui  ,  en  écrivain  scrupuleux  et  exact ,  a  cons- 
tamment cité  ses  autorités.  Mais  les  actes 
dont  il  avait  à  s'appuyer  étaient  nombreux, 
et  il  a  dû  en  négliger  quelques-uns  :  je  vais 
les  rapporter  ,  moins  pour  remplir  une  la- 
cune que  pour  constater  leur  existence. 

xi*"  SIÈCLE.  Le  concile  de  Rome,  tenu  par 
Grégoire  VII  en  107/1.5  renouvela  l'obliga- 
tion du  célibat  pour  le  clergé ,  et  enjoignit 
aux  prêtres  mariés  de  quitter  leurs  femmes 
ou  de  se  voir  dépouillés  du  sacerdoce.  Le 
pape  Urbain  II  alla  jusqu'à  inviter  les  prin- 
ces séculiers  à  rendre  esclaves  les  épouses 
des  prêtres  qui  vivraient  avec  leurs  maris, 


■(  ■«  ) 

après  que  ceux-ci  auraient  reçu  les  ordres 
sacres. 

((  On  avoit  eu  de  la  peine  dans  l'autre 
siècle  (  le  XF  )  à  réduire  les  prestres  dans  le 
célibat.  Il  y  en  avoit  encore  quelques-uns 
qui  ne  pouvoient  s'y  accoutumer.  Les  papes 
Caliste  II  et  Eugène  III  les  y  contraignirent 
par  diverses  peines,  et  entre  autres  choses  les 
privèrent  de  leurs  bénéfices,  et  excommu- 
nièrent ceux  qui  entendroient  leur  messe. 
Or  ne  leur  estant  pas  permis  abuser  des  droits 
de  la  nature  dans  le  mariage ^  il  s'en  trou- 
voit ,  mais  en  petit  nombre  ,  qui  s'en  ser- 
voient  contre  nature ,  brûlans  d'une  flamme 
qui  ne  doit  s'éteindre  que  par  le  feu  du  ciel. 
Pour  la  pluspart  des  autres,  la  loi  de  Dieu, 
c'est-à-dire  de  son  église,  leur  deffendant 
d'avoir  des  enfans ,  l'auteur  de  tout  dérègle- 
ment substituoit  de  grandes  bandes  de  ne- 
veux en  la  place  ;  et  de  là  s'ensui voient  d'ex- 
trêmes désordres  :  car  si  ces  neveux  estoient 
ecclésiastiques,  ils  perpétuoient  l«s  bénéfices 
dans  leur  maison  par  coadjutoreries  ou  au- 
trement, et  possédoient  comme  par  droit 
d'hérédité  le   sanctuaire   du  Seigneur  ;   s'ils 


(  «i  ) 

estoient  laïques,  et  qu'ils  fussent  mesnagers, 
ils  rendoient  leurs  oncles  avares ,  usuriers 
et  concussionnaires  pour  leur  amasser  des 
trésors,  ou  bien  ils  tâclioicnt  par  tous  moyens 
de  distraire  les  terres  de  l'église  pour  les 
mêler  parmy  les  leurs ,  et  se  les  approprier. 
Bien  souvent  ils  se  rendoient  les  maistres  de 
leur  parent ,  et  s'y  logeant  avec  leur  train  , 
dissipoient  le  patrimoine  du  crucifix  et  des 
pauvres,  en  festins,  en  équipage  de  chiens 
et  de  chevaux,  et  souvent  en  quelque  chose 
de  plus  mauvais;  On  pourroit  rapporter 
quantité  d'exemples  de  ces  scandales  ;  j'en 
cotterai  un  qui  est  des  neveux  d'un  archi- 
diacre de  Paris,  lesquels  commettoient  d'ex- 
trêmes violences  et  exactions  dans  sa  charge  : 
dont  Thomas,  prieur  de  St. -Victor,  lui  ayant 
fait  souvent  de  fortes  remontrances  ,  ils  as- 
sassinèrent ce  saint  religieux  entre  les  bras  de 
l'ëvêque  même,  auprès  de  Gournay,  comme 
il  revenoit  de  sa  visite  (i).  » 

xii'  SIÈCLE.  Le  concile  de  Troyes,  de  1 107, 


(i)  Mezeray,  Jb.  chrojwl. ,  éd.  in-i8,  Brusselles,  1700, 
t.  11,  p.  686,  687. 


dont  il  est  fait  mention  dans  Yves  de  Char- 
tres et  dans  les  auteurs  du  temps ,  condamna 
le  mariage  des  prêtres. 

La  lettre  que  Pascal  II  écrivit  au  clergé 
de  Terouane ,  lettre  qu'on  peut  lire  dans  la 
Collection  des  Historiens  de  France^  t.  XV, 
p.  23,  prouve  que  les  prêtres  avaient  de  la 
peine  à  se  conformer  à  la  décision  non-seu- 
lement de  ce  concile,  mais  encore  de  ceux 
qui  déjà  leur  avaient  défendu  le  mariage. 

Le  concile,  ou  plutôt  le  synode  tenu  à 
Nantes  en  1 12-7,  en  présence  de  Conan,  duc 
de  Bretagne ,  fit  des  règlemens  contre  les  ma- 
riages incestueux  et  contre  les  enfans  des 
prêtres.  Il  déclara  bâtards,  c  est-à-dire  inca- 
pables dliériter,  tous  ceux  qui  naîtraient  de 
ces  sortes  de  mariages. 

Le  concile  de  Reims,  de  ii3i,  excom- 
munia tous  les  ecclésiastiques  mariés,  dé- 
fendit d'entendre  leur  messe,  et  déclara  leurs 
enfans  bâtards  et  leurs  bénéfices  vacans,  avec 
permission  aux  seigneurs  de  réduire  ces  en- 
fans en  servitude  ou  de  les  vendre.  La  sévé- 
rité que  le  concile  déploya  pour  remédier  au 
désordre  (  c'est  l'expression  des  auteurs  ec- 

b 


(  x\iij  ) 
clt'siastiques  ) ,  prouve  combien  il  était  com- 
mun. 

Un  autre  concile  de  Reims  ,  tenu  par  Eu- 
gène m  ,  en  1 1485  défend  aux  prêtres  de  se 
marier. 

XIII*  SIÈCLE.  En  1229,  dit  l'abbë  Velly, 
les  prélats  d'Angleterre  s'assemblèrent  à 
Londres  pour  trouver  le  moyen  de  réduire 
les  prêtres  à  la  contmence ;  ceux-ci  fourni- 
rent au  roi  de  grosses  sommes;  il  protégea 
le  scandale  et  leur  laissa  leurs  femmes .  En 
Biscaye ,  on  alla  jusqu'à  ne  pas  recevoir  ceux 
qui  n'avaient  pas  de  commères  ;  c'était  une 
caution  pour  la  tranquillité  des  maris.  Enfin, 
ajoute  l'historien ,  tous  les  foudres  de  l'église 
ayant  été  inutiles,  on  n'imagina,  en  France, 
d'autre  moyen  que  de  les  assujettir  à  la  taille 
quand  leur  conduite  cessait  d'être  régulière. 

xv*  SIÈCLE.  En  1 419  ou  1420  ,  «  Charles  11 
(duc  de  Lorraine)  déclara  la  guerre  à  la  ville 
de  Toul,  sur  le  refus  qu'elle  lit  de  lui  re- 
mettre lesjîls  de  prêtres  nés  à  Toul,  et  qui 
lui  appartenoient  par  une  concession  faite  à 
ses  ancêtres  par  les  empereurs.  Le  damoiseau 
de  Commercy  et  plusieurs  gentilshommes 


C  xi^  ) 
entrèrent  dans  cette  querelle,  et  donnèrent 
du  secours  aux  Toulois  qui  remportèrent 
d'abord  quelques  légers  avantages  sur  les 
Lorrains;  mais  le  comte  de  Vaudëmont  ayant 
joint  ses  troupes  à  celles  du  duc ,  les  bour- 
geois furent  obliges  de  demander  la  paix.  Par 
le  traite  qui  fut  fait  et  qu'on  appelle  commu- 
nément le  traité  des  fils  de  prêtres  ^  ils  s'o- 
bligèrent de  payer  tous  les  ans  six  cents  francs 
barrois,  lesquels  joints  à  quatre  cents  francs 
portes  dans  le  traite  de  1406,  faisoient  une 
somme  de  mille  francs  que  les  ducs  de  Lor- 
raine ont  perçue  jusqu'en  1645  que  Louis  XIV 
défendit  aux  bourgeois  de  la  payer  davan- 
tage (i).  )) 

Un  concile  national  fut  convoque  à  Pa- 
ris ,  en  1432  5  par  Farcbevéque  de  Sens ,  pour 
s'occuper  de  divers  points  de  la  discipline 
eccle'siastique.  Le  continuateur  de  Velly, 
Villaret,  en  a  conservé  les  dispositions 
(t.  XV,  p.  i3i  et  suiv.  ).  (f  Le  même  con- 
cile ,  dit-il ,  ordonna  qu'à  lavenir  les  évêques 


(i)  Ah.  chronol.  de  VHist.  de  Lorraine,  parHenriquez, 
chanoine,  in-8°,  t.  I,  p.  180. 

b.. 


(  »  ) 

auroient  soin  d'avertir  dans  leurs  diocèses 
ceux  qui  aspiroient  au  sous-diaconat,  que  cet 
ëtat  exigeoit  une  continence  perpétuelle  ;  ce 
qui  sembleroit  prouver  que  jusqu'alors  on 
avoit  cru  que  cette  obligation  n'iniposoit  pas 
un  devoir  de  rigueur.  On  rappela  les  anciens 
canons  qui  interdisoient  aux  ecclésiastiques 
l'usure,  le  commerce,  les  habits  rouges  ou 
verds,  à  queues  traînantes,  fendus  par-de- 
vant ou  par-derrière  au-dessus  des  genoux,  la 
fréquentation  des  jeux  ,  des  cabarets  ,  et  sur- 
tout l'entretien  des  concubines....  Plusieurs 
prêtres  incontinens  imaginèrent  l'expédient 
d'entretenir  des  femmes  dans  des  maisons 
étrangères,  persuades  qu'à  la  faveur  de  ce 
subterfuge  ,  ils  satisfaisoient  littéralement 
aux  règlemens  qui  leur  défendoient  d'avoir 
des  chambrières  chez  eux.  Il  fallut  s'expli- 
quer d'une  manière  plus  précise  ;  mais  les  in- 
terprétations de  la  loi  n'arrêtèrent  pas  le 
cours  de  ces  désordres.  Une  funeste  expé- 
rience ne  nous  a  que  trop  démontré  combien 
cet  abus  a  causé  de  préjudice  à  la  religion 
dans  l'esprit  du  vulgaire ,  accoutumé  à  ne 
juger  de  la  sainteté  du  culte  que  par  les 


(   xxj   ) 

mœurs  de  ses  ministres.  Au  surplus,  cette 
défense,  qui  comprenoit  les  séculiers  ainsi 
que  les  clercs,  offre  une  singularité  dont  il 
seroit  difficile  de  rendre  raison.  Un  prêtre 
concubinaire  n'étoit  puni  que  par  le  retran- 
chement d'une  partie  de  son  revenu ,  tandis 
que  les  canons  condamnoient  un  laïque  à  des 
peines  corporelles.  " 

xvi^  SIÈCLE.  La  réforme  avait  fait  des  pro- 
grès. La  raison  des  gouvernans  d'alors  parut 
s'éclairer,  et  un  édit  de  pacification,  enre- 
gistré au  parlement  en  iS^ô,  porta  la  décla- 
ration que  les  prêtres  ou  moines  qui  s'étaient 
mariés  ne  pourraient  être  inquiétés  dans  la 
suite  pour  ce  sujet,  et  que  leurs  enfans  se- 
raient regardés  comme  légitimes.  Cependant 
on  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale  un 
grand  nombre  de  légitimations  de  ce  temps- 
là,  ce  qui  prouve  que  l'on  croyait  en  avoir 
besoin  malgré  l'édit. 

Tandis  que  Henri  III  et  sa  mère  faisaient 
des  concessions  en  faveur  des  réformés  ,  l'ar- 
chiduc Albert  rendait  un  édit  (  20  décembre 
iSgg)  pour  défendre  aux  catholiques  de  la 
Franche-Comté  ,  province  qui  n'appartenait 


(  x^«i  ) 

pas  encore  à  la  France  ,  de  se  marier  à  des 
lierëliqiies  ,  à  peine  de  confiscation  de  corps 
et  de  biens.  Louis  XIV  fit  un  édit  semblable 
contre  toute  la  France  au  mois  de  novembre 
1680. 

xvii"  SIÈCLE.  La  lutte  relative  au  célibat 
s'était  enfin  terminée  au  gré  des  papes,  c'est- 
à-dire  que  les  princes  et  leurs  tribunaux  se 
montraient  contraires  au  mariage  des  prê- 
tres. Mais  comme  on  n'avait  point  osé  or- 
donner la  seule  opération  qui  eût  pu  les 
mettre  à  l'abri  des  écarts  de  leur  imagination 
et  des  tendres  penclians  de  leur  cœur  (i); 


(i)  «  Des  prêtres  de  l'antiquité'  observoient  le  célibat  et  ils 
ewiployoient  des  moyens  physiques  pour  éteindre  le  besoin 
des  sens.  Ceux  d'Egypte  et  de  Cybèle,  les  hyéropliantes 
d'Athènes,  les  nazaréens  chez  les  Hébi'eux  faisoient  usage 
de  plusieurs  simples  et  de  topiques  refrigératifs ,  et  sans  se 
mutiler  ils  se  mettoient  dans  un  état  d'impuissance.  Les 
philosophes  prenoient  aussi  ces  précautions;  et  l'on  vit  les 
disciples  de  Pythagore  et  beaucoup  d'autres  amortir  les  feux 
de  la  concupiscence  par  un  régime  très  rigoureux.  —  On 
n'arrètoit  pas  les  mouvemens  de  la  chair  :  on  buvoit  en 
vain  des  potions  refroidissantes ,  on  appliquoit  en  vain  de 
de  la  ciguë  sur  les  parties  naturelles,  la  nature  plus  forte 
triomplioit  encore  ;  on  prit  un  parti  désespéré.  Les  prêtres 


(  ^^iij  ) 
que  la  continence  parfaite ,  combattue  par 
les  sens,  est  impossible  à  l'homme;  que  les 
exigences  de  la  nature  ont  plus  de  force  que 
les  caprices  du  législateur  :  les  ecclésiastiques 
eurent  recours  à  toute  espèce  de  moyens  pour 
se  procurer  des  plaisirs  dont  on  voulait  les 
priver  ,  et  entre  autres  aux  alliances  as^ec  la 
divinité. 

On  lit  dans  les  questions  sur  l' Encyclo- 
pédie :  ((  Jésus-Christ  apparut  à  sainte  Ca- 
therine de  Sienne  ;  il  l'épousa,  il  lui  donna 
un  anneau.  Cette  apparition  mystique  est 
respectable,  puisqu'elle  est  attestée  par  Rai- 
mond  deCapoue,  général  des  Dominicains  , 
qui  la  confessait ,  et  même  par  le  pape  Ur- 


de  Syrie  et  ceux  de  Cybèle  se  jîrent  eunuques.  —  Le  goût 
des  vœux  et  de  la  continence  se  re'pand  ;  outre  les  prêtres 
chargés  par  état  de  mener  une  vie  exemplaire ,  des  simples 
particuliers  s'alarment  et  vivent  dans  le  célibat  et  la  re- 
traite. Alors  paroissent  les  institutions  monastiques;  le  scru- 
pule commence  et  dégénère  en  facéties.  Des  moines  indiens 
se  percent  le  prépuce  et  ils  y  passent  un  anneau  avec  un  ca- 
denas dont  ils  remettent  la  clef  au  juge  du  lieu.  » 

Hist.  crit.  du  Célibat,  t.  V  des  Mémoires  de  l'Académie 
des  Jnscript.  :  Démeunier,  l'Esprit  des  us,  etc.,  Londres, 
1  'J76,  t.  II ,  p.  320  et  suiv. 


(  xxiv  ) 
bain  VI.  Mais  elle  est  rejelée  par  le  savant 
Fleuri ,  auteur  de  Y  Histoire  ecclésiastique. 
Et  une  lilie  qui  se  vanterait  aujourd'hui 
d'avoir  contracté  un  tel  mariage ,  pourrait 
avoir  une  place  aux  Petites-Maisons ,  pour 
présent  de  noces.  » 

La  réflexion  qui  termine  cette  citation 
pouvait  se  faire  au  XVIII°  siècle  ;  elle  eût  été 
inexacte  au  siècle  précédent,  époque  à  la- 
quelle les  alliances  mystiques  avec  la  divi- 
nité étaient  assez  en  usage.  J'ai  sous  les  yeux 
la  copie  d'un  contrat  de  mariage  contracté 
entre  le  Sauveur  du  monde  et  la  femme  d'un 
procureur  d'Orléans.  Ce  contrat,  passé  en 
double  y  était  encore,  en  1669,  entre  les 
mains  du  curé  de  Saint-Donatien  à  Orléans. 
Le  voici  : 

«  Je ,  Jésus ,  fils  du  Dieu  vivant ,  l'époux 

»  des  âmes  fidèles,  prends  ma  fille,  Made- 

))  leine  Gosselin  ,  pour  mon  épouse ,  et  lui 

»  promets  fidélité ,  et  de  ne  l'abandonner 

»  jamais ,  et  lui  donner  pour  avantage  et 

»  pour  dot,  ma  grâce  en  cette  vie,  lui  pro- 

>)  mettant  ma  gloire  en  l'autre,  et  le  partage 


(  -.-v  ) 
»  à  Théritage  de  mon  père.  En  foi  de  quoi , 
»  j'ai  signe  le  contrai  irrévocable  de  la  main 
»  de  mon  secrétaire.  Fait  en  présence  de 
»  mon  père  éternel,  de  mon  amour,  de  ma 
M  très-digne  mère  Marie,  de  mon  père  saint 
»  Joseph  et  de  toute  ma  cour  céleste ,  l'an 
»  de  grâce  i65o,  jour  de  mon  père  saint 
»  Joseph. 

»   Signé,  JÉSUS,  Vëpoux  des  âmes  fidèles  ; 

»  Marie  ,  mère  de  Dieu; 

»  Joseph  ,  l  époux  de  Marie  ; 

»  L' Ange  gardien; 

»  Madeleine  ,  la  chère  amante  de  Jésus. 

»  Ce  contrat  a  été  ratifié  par  la  très-sainte- 
»  Trinité _,  le  même  jour  du  glorieux  saint 
»  Joseph,  en  la  même  année. 

»  Signé,  frère  Arnoux  de  Saint-Jean- 
»  Baptiste  ,  carme  déchaussé j  indigne 
»  secrétaire  de  Jésus.    » 


C     XXNJ     ) 

«  Je,  Madeleine  Gosselin  ,   indigne  ser- 
»   vante  de  Jésus,  prends  mon  aimable  Je- 
»  sus  pour  mon  époux ,  et  lui  promets  fidë- 
>i   lité ,  et  que  je  n'en  aurai  jamais  d'autre 
»  que  lui  ;  et  lui  donne ,  pour  gage  de  ma 
»   fidélité ,  mon  cœur  et  tout  ce  que  je  ferai 
i)  jamais ,  m'obligeant ,  à  la  vie  et  à  la  mort, 
»  de  faire  tout  ce  qu'il  désirera  de  moi ,  et 
»   de  le  servir  de  tout  mon  cœur  pendant 
»   toute  l'éternité.  En  foi  de  quoi,  j'ai  signé 
»   de  ma  propre  main  le  contrat  irrévocable, 
»   en  la  présence  de  la  sur-adorable  Trinité , 
>i   de  la  sacrée  vierge  Marie ,  mère  de  Dieu  , 
»   mon    glorieux  père   saint  Joseph ,    mon 
»  Ange  gardien  et  toute  la  cour  céleste,  Tan 
»  de  grâce  i65o ,  jour  de  mon  glorieux  père 
»  saint  Joseph. 

»   Signé,  JÉSUS,  l'amour  des  cœurs ^ 

»   Marie,  mère  de  Dieu; 

»  Joseph,  V époux  de  Marie  ; 

>i  If  Ange  gardien; 

»  Madeleine  ,  amante  de  Jésus, 


(  xxvij   ) 
»  Ce  contrat  a  élë  raLiiîë  par  la  sur-ado- 
»  rable  Trinité  ,  le  même  jour  du  glorieux 
»  saint  Joseph,  et  de  la  même  année. 

n  Signé  ,  FRÈRE  Arnoux  de  Saint-Jean- 
»  Baptiste,  carme  déchaussé ^  indigne 
»  secrétaire  de  Jésus.  » 

Il  n'est  pas  difficile  de  deviner  que  le  vé- 
ritable épouseur  fut  Yindigne  secrétaire  de 
Jésus.  Le  frère  Arnoux  lit  de  telles  mer- 
veilles ,  que  la  nouvelle  épouse  du  Christ 
refusa  à  son  mari  terrestre ,  le  procureur  Du- 
verger  ,  l'usage  de  son  droit  conjugal.  Celui- 
ci  connut  la  vérité,  porta  sa  plainte  aux 
carmes  déchaussés,  qui  rappelèrent  la  femme 
à  son  devoir  et  éloignèrent  Yindigne  secré- 
taire de  Jésus.  Aucune  autre  punition  ne  fut 
infligée  à  ce  naisérable. 

Henri  de  Bourbon ,  fils  de  Henri  IV  et 
de  la  marquise  de  Verneuil ,  légitimé  en 
i6o3,  prit  les  ordres  et  fut  pourvu  de  plu- 
sieurs abbayes,  entre  autres  de  celle  de 
Saint-Germain-des-Prés.  Appelé  ensuite  à 
l'évéché  de  Metz ,  il  en  conserva  long-temps 


(   xx\ilj   ) 

le  titre.  Fait  chevalier  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit  le  i''"  janvier  1662,  et  reçu  duc  et 
pair  l'année  suivante,  il  prit  définitivement 
le  nom  de  duc  de  Verneuil,  sous  lequel  il 
fut  envoyé  en  Angleterre,  en  i665,  avec  le 
titre  d'ambassadeur  extraordinaire.  Enfin, 
en  1666,  Louis  XIV  lui  donna  le  gouverne- 
ment de  Languedoc.  //  se  démit  de  ses  bé- 
néfices et  épousa,  le  29  octobre  1668,  Char- 
lotte Séguier,  veuve  deMaximilien-François 
de  Béthune  III,  duc  de  Sully,  dont  il  n'eut 
point  d'enfans.  Il  mourut  à  Versailles,  le 
28  mai  1682  (i). 

Louis  de  Lorraine,  cardinal  de  Guise, 
lîls  de  Henri  duc  de  Guise ,  tué  aux  états  de 
Blois,  était  aussi  brave  guerrier  que  galant. 
On  croit  qu'il  épousa  secrètement  Charlotte 
des  Essarts,  comtesse  de  Romorantin,  une 
des  maîtresses  du  libertin  Henri  IV;  au 
moins  est-il  certain  qu'il  en  eut  cinq  en- 
fans  (2). 


(i)  Saint-Edme,  ^-/mowrs  et  galanteries  des  rois  de  France; 
Paris,  1829;  t.  I ,  p.  84-85. 
(2)  Jbid..  t.  I,  p.  99  et  suiv. 


(  xxix  ) 

XVIII*  SIÈCLE.  Sans  cesse  tourmentes  par 
leurs  désirs ,  les  prêtres  se  rendaient  coupa- 
bles de  séductions ,  de  rapts  ,  de  violences 
pour  les  satisfaire.  Les  plus  sages  figuraient 
sur  les  rapports  de  police  dont  la  Pompadour 
amusait  son  roi  (i). 

Enfin  le  scandale  fut  porté  si  loin  ,  qu'au 
commencement  de  la  révolution  une  des 
premières  demandes  du  peuple  eut  le  ma- 


(i)  Pour  donner  une  idée  de  l'esprit  de  ces  rapports  et 
prouver  en  même  temps  que  je  n'avance  rien  que  devrai, 
j'en  vais  rapporter  un  court  extrait.  «  3  de'cenibre  1760. 
J.  D.  Tardoir,  sous-prieur  de  Mantes  (cél.),  chez  la  Mansy, 
dans  la  posture  du  prophète  qui  ressuscite  le  fils  de  la  Su- 
namite.  —  i4  de'cembre  1762.  Laurent  Dilly,  frère  quê- 
teur de  la  rue  Saint-Konore'  (cap.),  chez  la  Boyerie,  où  il 
chantait:  tirez-moi  par  mon  cordon.  —  27  octobre  1763. 
Charles-Marie  Thibault  de  Monsauche  (cl.  tons.),  conduit 
à  Saint-Lazare  parce  que  c'était  la  troisième  fois  qu'il  se 
levait  avec  V Aurore.  On  trouva  dans  leur  char  une  épître 
en  vers,  où  l'abbé  Tithon  chantait  ce  qu'Hébé  montre  aux 
dieux ,  et  ce  que  voudraient  voir  les  rois  si , 

Pour  aller  chercher  le  plaisir, 

Ils  montaient  au  cinquième  etagej 

ce  qui  enfin  devrait,  selon  lui,  avoir  tabouret  à  la  cour.   » 
Saint-Edme,  Biog ,  de  la  Police,  Paris,  1829,  p.  127,  128. 


(    XXX     ) 

riage  des  prêtres  pour  objet.  Le  district  de 
Saint-Etienne-du-Mont ,  dans  plusieurs  de 
ses  assemblées  générales  des  mois  de  novem- 
bre et  décembre  1790,  discuta  cette  grave 
question  sur  la  proposition  de  l'abbé  de  Cour- 
nand,  professeur  au  collège  royal ,  poète  mé- 
diocre, mais  littérateur  instruit.  Le  discours 
que  prononça  cet  ecclésiastique  dans  la 
séance  du  11  décembre,  à  l'appui  de  sa  pro- 
position ,  est  un  morceau  non  moins  remar- 
quable par  les  formes  du  style  que  par  la 
force  des  pensées;  et  comme  cette  pièce  est 
rare  aujourd'hui  et  n'a  pas  été  imprimée  ,  je 
crois,  depuis  1790,  j'en  extrairai  les  passages 
suivans  : 

((  Le  mariage  est  d'institution  divine  : 
c'est  le  premier  des  sacremens  dans  l'ordre 
des  temps  :  dans  l'ordre  de  la  société,  c'est 
le  lien  du  genre  humain,  la  base  des  con- 
ventions sociales,  le  gage  des  mœurs  pri- 
vées et  la  sauve-garde  des  mœurs  publiques. 
Nulle  loi  ne  peut  le  défendre  à  une  classe 
particulière  d'individus,  parce  que  nulle 
loi  ne  peut  priver  l'homme  d'un  droit  na- 
turel. La  loi  qui  le  défendroit  ne  pourroit 


(  ^^^j  ) 

donc  être  une  loi  sociale;  et  si  c'ëtoit  une 
loi  religieuse,  elle  auroit  un  vice  bien  re- 
marquable,  celui  d'aller  contre  un   ordre 

exprès  de  Dieu 

))  Mais,  dîra-t-on ,  l'église  Fa  ainsi  or- 
donné. Personne  ne  respecte  plus  que  moi 
Fautorité  de  l'église  dans  les  choses  qui 
sont  du  ressort  de  la  foi  et  qui  intéressent 
véritablement  les  mœurs 3  mais  on  ne  dira 
point  qu'il  soit  de  foi  que  tel  ou  telle  doi- 
vent s'interdire  le  mariage,  et  que  Fautorité 
de  l'église  s'étende  jusqu'à  proscrire,  sous 
aucun  rapport,  un  engagement  aussi  saint 
que  celui-là  :  car  ou  l'église  parle  au  nom 
de  Dieu,  et  l'on  sait  que  c'est  Dieu  lui- 
même  qui  a  commandé  le  mariage  aux 
hommes;  ou  elle  parle  au  nom  des  hom- 
mes, et  le  grand  intérêt  des  mœurs  ne  leur 
permettra  point  de  la  démentir,  si  elle  con- 
sent au  mariage  de  ses  ministres;  mais  la 
société  a-t-elle  besoin  de  son  consentement? 
non  :  car  s'il  existoit  une  loi  contraire  à 
l'ordre  de  Dieu  et  au  bien  de  la  société , 
cette  loi  ne  sauroit  être  une  loi  de  l'église; 
elle  ne  peut  ordonner  des  choses  contraires 


(  xxxij   ) 
à   la   loi  de   Dieu   et  au   bien   gênerai   des 
hommes. 

»  Cet  usage  donc  qui  interdit  le  mariage 
aux  prêtres  n'est  point  une  loi  de  l'église 
et  ne  peut  être  obligatoire  pour  ses  minis- 
tres. L'église  est  l'assemblée  des  clirétiens, 
et  nulle  société  chrétienne  n*a  pu  et  n'a  dû 
consacrer  un  usage  qui  va  directement  con- 
tre l'ordre  de  Dieu  et  de  la  société  ;  cela  est 

évident 

»   Sans  examiner  les  causes  qui  ont  amené 
cette  interdiction  particulière,  je  me  res- 
treins à  démontrer  combien  la  société  y  a 
perdu.  Une  classe  de  citoyens  utiles  et  char- 
gés de  fonctions  respectables  s'est   trouvée 
isolée  des  devoirs  les  plus  sacrés  de  l'homme 
et  les  plus  impérieusement  commandés  par 
la  nature.  Ce  sentiment  toujours  actif  d'une 
union  nécessaire  au  bonheur  de  la  vie,  étant 
contrarié  par  une  privation  forcée,  on  a  vu 
communément  l'inobservance  de  la  loi  en- 
traîner la  perte  des  mœurs,  parce  que   la 
grâce  ne  se  charge  pas  plus  que  la  nature 
de  garantir  des  sermens  qui   répugnent   à 
notre  constitution.   De  là  les  plaintes  con- 


(  xxxiij  ) 
tinuelles  des  canons  sur  les  scandales  des 
prêtres,  scandales  qu'il  ne  tenoit  qu'à  eux 
de  prévenir,  en  leur  permettant  d'avoir  des 
épouses  ;  de  là  les  gémissemens  des  personnes 
pieuses  et  les  déclamations  des  gens  du  monde 
contre  le  clergé  qui  ont  eu  pour  principe,  en 

grande  partie,  ce  dangereux  célibat 

»  Ajoutons  que  l'Etat  aura  plus  de  faci- 
lité à  encourager  les  mariages  dans  les  au- 
tres classes  de  citoyens.  Le  célibat  religieux 
est  du  plus  mauvais  exemple  pour  les  mœurs 
publiques.  De  quel  droit  condamneriez-vous 
dans  les  laïcs  le  célibat  que  vous  consacrez 
dans  vos  prêtres?  Ne  pourront-ils  pas,  mal- 
gré vos  institutions  politiques,  se  parer  des 
mêmes  debors  de  vertu  pour  pallier  un  li- 
bertinage secret?  et  l'hypocrisie  ne  pren- 
dra-t-elle  point,  quand  elle  voudra,  le 
masque  de  la  religion  pour  se  dispenser  des 
devoirs  et  des  peines  du  mariage?  Non,  vous 
ne  parviendrez  jamais  à  faire  de  bonnes  lois 
sur  le  mariage,  tant  que  vous  n'aurez  point 
aboli  la  loi  injuste  et  insociale  qui  con- 
damne vos  ministres  à  une  continence  sou- 
vent mal  gardée. 


(  xxxiv  ) 
»   Mais  on  craint  que  le  mariage  ne  les 
rende   moins   utiles  à  la  société  en  les  dé- 
tournant des  fonctions  de  leur  état.  Coux 
qui  pensent  ainsi   ne   refléchissent   pas  ,   ce 
me  semble,  que  c'est  au  contraire  un  moyen 
infaillible  de   leur  rendre  ces  fonctions  et 
plus  faciles   et    plus  chères.  Ils  s'intéresse- 
ront davantage  à  l'éducation  des  enfans  des 
citoyens,  quand  ils  auront  eux-mêmes  des 
enfans  à  élever;  ils  entreront  mieux  dans 
les  peines  d'un  ménage,  quand  ils  éprouve- 
ront les   mêmes  peines  dans  leur  maison. 
Leurs  épouses  ,    destinées  à  donner  à  leur 
sexe  des  exemples  semblables  à  ceux  des  mi- 
nistres de  paix  auxquels  elles  seront  unies, 
deviendront  les  anges  tutélaires  d'une  pa- 
roisse, et  elles  en  seront  par  état  les  dames 
de  charité.  Il  n'y  aura  plus  dans  les  mai- 
sons presbytérales  de  ces  gouvernantes  im- 
périeuses qui  aliènent  souvent  les  brebis  du 
pasteur   par    leurs   manières    arrogantes   et 
hautaines;  on  abordera  avec  confiance  celle 
qui  aura  les  miémes  intérêts  de  compassion, 
de  modestie  et  d'honnêteté  que  son  vertueux 
époux  :  et  qu'on   ne  dise  pas  que  celui-ci, 


(    XXXV    ) 

trop  occupé  de  sa  famille,  négligera  ses  ma- 
lades ou  ses  pauvres;  il  faudroit  donc  in- 
terdire le  mariage  à  tous  les  officiers  civils 
chargés  de  semblables  soins;  il  faudroit  le 
défendre  aux  médecins ,  aux  administra- 
teurs d'hôpitaux,  aux  ministres  d'Etat,  à 
tous  ceux  qui  ont  à  leur   charge   la  chose 

publique 

»  C'est  plutôt  le  célibat  qui  les  empêche 
de  remplir  fidèlement  les  devoirs  de  leur 
ministère.  Si  vous  vous  plaignez  que  nous 
sommes  moins  sensibles  à  vos  peines,  ne 
vous  en  prenez  qu'à  la  loi  qui  nous  défend 
d'être  pères  et  citoyens;  nous  ne  connois- 
sons  vos  chagrins  que  par  ouï  dire.  On  com- 
patit foiblement  aux  maux  qu'on  n'a  point 
soufferts.  Un  effet  presque  immanquable  du 
célibat,  c'est  d'endurcir  le  cœur;  et  la  reli- 
gion, toute  céleste  qu'elle  est,  ne  remplace 
point  communément  par  ses  grâces  surna- 
turelles ,  cette  sensibilité  active  et  profonde 
qu'elle  verse  dans  nos  âmes  par  les  moyens 
naturels.  Sans  doute  il  existe  des  vertus  dans 
le  célibat,  mais  on  en  trouveroit  en  plus 
grand  nombre  dans  le  mariage,  parce  que 

c 


(   xxxvj   ) 

les  vertus  suivent  l'ordre  de  la  nature,  et 
celles-là  sont  bien  meilleures  qui  naissent 
de  son  concours  avec  les  grâces  d'en  haut. 

»  Un  autre  obstacle  à  l'accomplissement 
des  devoir  du  prêtre,  c'est  cette  inquiétude 
d'un  cœur  qui  ne  sait  où  reposer  ses  affec- 
tions  et  qui,  ne  pouvant  se  remplir  de  Dieu, 
se  tourmente  involontairement  par  l'attrait 
irrésistible  des  créatures 

»  Leur  célibat  les  rend  suspects  dans  les 
maisons  des  citoyens,  jalouses  de  conserver 
des  mœurs  pures.  On  a  peine  à  croire  à  une 
chasteté  dont  la  profession  est  si  commune 
et  le  mérite  si  rare^  de  façon  que  l'habit  de 
prêtre,  qui  ne  devroit  inspirer  que  la  con- 
liance ,  opère  ordinairement  un  effet  con- 
traire; tant  les  gens  du  monde  sont  diffi- 
ciles à  persuader  sur  les  vertus  qui  répu- 
gnent à  la  nature  et  dont  l'exercice,  tout 
héroïque  qu'il  est,  leur  devient  indifférent 
à  proportion  du  peu  d'avantages  qu'ils  en 
retirent. 

»  Associez  vos  ministres  à  tous  vos  droits, 
et  vous  y  gagnerez  de  toutes  manières.  On 
se  flatte  peut-être  un  peu  légèrement  d'avoir 


(     iXXVlj     ) 

détruit  cet  esprit  de  corps  tant  reproché  au 
clergé,  en  déclarant  que  ses  biens  sont  à  la 
disposition  de  la  nation.  Erreur!  Tordre 
subsiste  tant  qu'il  est  distingué  du  reste  des 
citoyens  dans  une  chose  aUvSsi  étrange  qu'un 
célibat  nécessaire.  Que  voulez -vous  donc 
de  plus  pour  entretenir  une  éternelle  sépa- 
ration? Si  les  pertes  que  cet  ordre  vient 
d'essuyer  dévoient  nourrir  dans  son  sein 
une  secrète  animosité,  vous  avez  un  moyen 
infaillible  de  la  calmer,  c'est  de  lui  per- 
mettre un  lien  capable  d'adoucir  et  d'hu- 
maniser ses  mœurs.  Les  flambeaux  de  la 
discorde  s'éclipseront  à  la  lueur  des  chastes 
feux  du  mariage,  et  les  douceurs  qui  en 
sont  inséparables  étant  communes  à  vos  mi- 
nistres et  à  vous ,  le  même  lien  réunira  des 
citoyens  qui  auront  les  mêmes  objets  d'af- 
fection. Sans  cela,  je  ne  prévois  que  des 
malheurs 5  et  le  plus  grand  de  tous  seroit  de 
laisser  subsister  ce  mur  de  séparation  que 
la  religion  et  l'intérêt  social  doivent  s'em- 
presser de  détruire 

»  Quoi  I  vous  me  dites  que  je  suis  citoyen, 
et  vous  m'empêchez  d'user  du  droit  de  cité, 


(  xxxviij  ) 
et  vous  osez  m'interdire  un  lien  sacre  sans 
lequel  la  cité  même  est  dissoute!  Barbares! 
l'esclavage  n'est  pas  un  état  pire  que  celui 
où  vous  me  placez.  Vous  permettez  au  moins 
à  l'esclave  de  suivre  le  penchant  le  plus  doux 
de  la  nature,  et  vous  ne  me  laissez  que  des 
vices  pour  dédommagement  de  la  contrainte 
où  vous  me  tenez  !  Vous  attaquez  tout-à-la- 
fois  mon  existence  civile  et  morale ,  et  vous 
détruisez  autant  qu'il  est  en  vous  les  mœurs 
publiques  dont  je  ne  puis  vous  donner 
d'autre  garant  qu'une  grâce  sur  laquelle 
il  est  impie  de  compter,  et  une  vertu  dont 
la  foiblesse  de  mes  sens  ne  peut  vous  ré- 
pondre. 

»  Ne  faisons  donc  plus  de  nos  ministres 
des  athlètes  toujours  dans  un  état  de  com- 
bat et  toujours  exposés  au  péril  de  la  dé- 
faite. Qu'une  expérience  de  quatorze  siècles 
nous  corrige  enfin  de  la  présomption  que 
la  politique  plus  que  la  piété  s'était  plu  à 
former  sur  les  vertus  de  leur  état.  Ce  qui 
a  été  impossible  pendant  une  si  longue  suite 
d'années  sera-t-il  plus  praticable  au  temps 
où  nous  vivons?  Ce  seroit  folie  de  le  penser. 


(  x\.\i\  ) 
Essayons  du  seul  moyeu  capable  de  rétablir 
la  pureté  des  mœurs  sacerdotales,  et  ne 
soyons  point  assez  aveugles  ou  assez  mé- 
chans  pour  penser  qu'un  lien  sacré  et  béni 
de  Dieu  puisse  souiller  cette  pureté.    » 

L'Assemblée  nationale  abolit  l'obligation 
de  continence  imposée  aux  prêtres,  le  3  sep- 
tembre 1791,  et,  le  17  octobre  suivant, 
l'abbé  de  Cournand  ,  joignant  le  précepte  à 
l'exemple  ,  fit  déclarer  son  mariage  à  la  mu- 
nicipalité de  Paris.  Grand  nombre  de  prêtres 
et  de  religieux  l'imitèrent. 

Le  consulat  et  l'empire  vinrent  mettre  un 
terme  à  cet  élan  de  la  raison. 

xix^  SIÈCLE.  C'est  dans  l'ouvrage  même  de 
M.  Gerati  {  sect.  II  et  III  du  deuxième  Iw,  ) 
qu'il  faut  chercher  comment  les  gouvernans 
et  les  tribunaux  ont  entendu  la  législation  du 
célibat  des  prêtres  ;  car  les  gouvernans  ont 
voulu  le  maintenir,  et  les  tribunaux  ont 
manqué  d'accord  à  cet  égard.  Je  n'ai  donc  à 
m'occuper  que  du  récit  de  quelques  faits  ca- 
pables de  démontrer  la  nécessité  ,  pour  la 
religion  et  les  mœurs,  de  cesser  de  mettre 
en  dehors  du  droit  naturel    une  classe  en- 


tière  d'hommes,  nësavec  les  mêmes  besoins 
et  les  mêmes  faiblesses  ([ue  nous ,  condam- 
nes par  une  habitude  ou  plutôt  un  préjugé 
ignoble  à  passer  une  longue  vie  dans  l'hypo- 
crisie et  le  iTiensonge. 

Je  ne  parlerai  pas  de  ces  prêtres  dont  le 
noin  ,  flétri  par  les  tribunaux,  est  resté  gravé 
dans  la  mémoire  du  peuple  :  si  ces  malheu- 
reux avaient  pu  suivre  librement  les  pen- 
chans  de  la  nature,  la  vertu  les  eût  peut-être 
avoués.  Je  resserrerai  mon  cadre. 

Un  vieillard,  M.  D ,  qui  n'avait  con- 
servé qu'une  faible  pension  de  6  à  700  francs 
d'une  fortune  que  nos  émigrés  lui  enlevèrent, 
vint  me  trouver  en  iS^S,  et  me  tint  ce  dis- 
cours :  «  Mon  cher  monsieur  ,  j'ai  une  nièce, 

»   P C ,  qui  n'a  pas  encore   dix- 

»  neuf  ans,  et  qu'un  prêtre  a  séduite;  il 
))  faut  absolument  que  vous  me  fassiez  le 
»  plaisir  de  me  rédiger  une  plainte  à  l'ar- 
»  chevêque.  »  Il  était  fort  ému.  Je  le  priai 
de  me  donner  les  explications  indispensables, 
et»il  continua  :  «  Je  ne  sais  toute  cette  his- 
.')  toire  que  depuis  quinze  jours  !  Ma  nièce  fit 
»   sa  première  communion  un  peu  tard  ,  à 


(  xij  ) 

»  cause  de  la  misère  et  sans  doute  aussi  de 
»   lin  différence  de  sa  mère.  Elle  allait  à  l'é- 

»   glise  de ,  où  M.  B ,  vicaire  de  la 

))   paroisse ,  fait  le  catéchisme.  Elle  conimu- 

»   nia.  Lors  de  la  confirmation,  M.  B 

»   dit  à  la  petite  qu'il  la  lui  donnerait  chez 

»   lui,  à  G ,  et  la  petite  s'y  rendit  au 

»  jour  indique.  Mais,  au  lieu  de  lui  donner 
y>  la  confirmation,  il  abusa  de  son  innocence  ; 
»  j'appris  même  quand  j'allai  lui  proposer 
»  un  bon  mari ,  qu'il  y  avait  déjà  quatre 
))  mois  qu'elle  était  mère  des  œuvres  de  ce 
>i  prêtre.  Le  jeune  homme  sait  tout,  et  il 

))   consent  encore  à  l'épouser,  si  M.  B 

»   veut  meubler  une  chambre  à  P et 

')  l'aider  à  élever  cet  enfant.  J'ai  tenté  une 
»  démarche  auprès  de  ce  vicaire  ;  mais  j'ai 
))  été  si  mal  reçu  de  lui ,  que  j'ai  l'intention 
»  de  réclamer  l'intervention  de  Farchevê- 
»   que.  »  Je  le  calmai;  je  parvins  à  lui  faire 

comprendre  qu'un  éclat  perdrait  M.  B 

sans  utilité  pour  sa  nièce,  et  je  me  chargeai 
du  soin  d'arranger  cette  affaire.  Il  était  im- 
portant de  faire  venir  M.  B chez  moi  ; 

je  lui  écrivis  donc.  Deux  invitations  n'ayant 


(  ^li)  ) 
produit  aucun  elFet,  je  lui  en  envoyai  une 
troisième  tellement  pressante  qu'elle  le  dé- 
cida. Il  vint.  Cet  homme  me  parut  avoir  une 
soixantaine  d'années  ^  pied-bot,  il  se  servait 
d'une  crosse  pour  marcher  5  ses  habits  n'in- 
diquaient ni  l'opulence  ni  même  la  propreté. 
J'abordai  la  question  franchement.  Au  lieu 
de  m'interrompre  5  il  se  contenta  de  lever 
plusieurs  fois  les  yeux  et  les  épaules  en  signe 
de  mépris.  Je  finis,  lui  demandant  ce  qu'il 
prétendait  faire.  11  nia  tout ,  cria  à  la  calom- 
nie, essaya  de  me  prouver  que  les  mœurs  de 

la  petite  P ,  comme  celles  de  l'époque, 

étaient  perverties;  que  c'était  à  son  habit  et 
à  son  caractère  qu'on  s'attaquait  pour  obtenir 
de  lui,  au  moyen  d'un  grand  scandale,  un 
sacrifice  pécuniaire  qu'il  ne  ferait  pas;  en- 
fin ,  il  ne  voulut  d'abord  rien  entendre.  Je 
lui  fis  des  concessions;  je  feignis  de  douter 
qu'on  m'eut  dit  vrai;  puis,  je  cherchai  à  lui 
démontrer  qu'en  admettant  la  séduction  ,  il 
ne  serait  coupable  qu'envers  la  morale ,  puis- 
que la  nature  l'excusait  de  reste.  Bref,  en- 
traîné, après  deux  heures  de  conversation,  par 
la  complaisance  de  mes  raisonnemens  ,  il  me 


(  ïliij  ) 
dit  :  «  Ecoutez  :  vous  me  seniblez  un  brave 
homme,  un  bon  garçon;...  je  suis  un  ancien 
dragon.  Tout  ce  qu'on  vous  a  rapporté  de  ma 
liaison  avec  cette  petite  fille  n'est  pas  précisé- 
ment exact,  mais  il  y  a  cependant  du  vrai.  On 
exige  600  francs ,   et  cette  somme  est  trop 
forte  :  qu'on  se  contente  de  3oo  francs  ,  je 
vous  les  donnerai,  car  je  ne  veux  avoir  af- 
faire qu'à  vous.  »  Il  me  fit  trois  billets  de 
100  fr.    chacun,   qui   ont  été   payés,   et  je 
remis  ces  3oo  francs  à  M.  D...  Le  mariage 
suivit. 

Tous  les  journaux  de  l'année  dernière  ont 
entretenu  leurs  lecteurs  du  départ  de  Paris 

de  M et  de  son  arrivée  à  Genève,  où 

il  a  embrassé  le  protestantisme.  On  ignore 
les  motifs  de  ce  changement  de  culte;  les 
voici:  M appartient  à  une  bonne  fa- 
mille de  ,  qui  fit  soigner  son  éducation. 

Il  entra  dans  les  ordres.  Une  maîtresse  de 
pension  désira  l'avoir  pour  donner  des  le- 
çons d'Histoire  à  ses  pensionnaires ,  et  il  y 
consentit.  Là  se  trouvait  une  sous-maîtresse 

sensible  à  la  jeunesse  et  à  l'esprit  de  M , 

que  M ne  put  voir  impunément:  ils 


(   ^l'v   ) 
se  coiiiprjreut  au  premier  coup  d'd'il.  liien- 
tôt  ils  quittèrent  la  ville  et  se  rejoignirent  à 
Paris.  Loges  clans  la  rue  ........  tout  près  du 

faubourg,  rien  ne  leur  fut  plus  facile  de  dis- 
simuler leur  ëtat  et  la  naissance  de  deux  en- 
fans.  Cette  vie  contrainte  déplut  à  M , 

et,  tournant  des  regards  d'espérance  vers  la 
dissidence  qui  a  consacré  les  devoirs  de  la 
paternité  (i),  il  abandonna  pour  jamais  le 
culte  romain. 

Est-ce  le  même  motif  qui  a  décidé  M.  Fon- 
tenelle ,  curé  de  Poilly ,  près  Gien  (Loiret), 
à  abandonner  ,  il  y  a  quelques  mois ,  la  reli- 
gion de  ses  pères  pour  la  réforme? 

Lorsque  M.  le  prince  de  Croï  arriva  au 
siège  archiépiscopal  de  Rouen,  il  publia, 
sous  la  date  du   ig  mars   182 5,   une  lettre 


(i)  «  Les  réformateurs  des  derniers  temps  attaquèrent 
les  abus  du  culte  et  en  particulier  la  loi  qui  obligeait  les 
prêtres  au  célibat.  Zuingle,  écrivant  aux  cantons  suisses, 
leur  rappelle  un  édit  de  leurs  ancêtres  qui  enjoignoit  à 
chaque  prêtre  d'avoir  sa  propre  concubine,  de  peur  qu'il 
ne  corrompît  la  femme  de  son  voisin.  » 

Fra  Paolo,  Hist.  du  conc.  de  Trente;  Démeunier  ,  VEspr. 
des  us,  etc.  ;  Londres,  1776,  t,  II,  p.  SaS. 


(  xlv  ) 
pastorale  qui  donna  lieu  à  un  certain  nom- 
bre d'observations.  Un  des  numéros  du 
Journal  de  Roiieriy  du  mois  de  septembre 
1829,  rend  ainsi  compte  de  quelques-uns 
des  résultats  de  cette  lettre  : 

«  Après  les  recommandations  relatives  à 
leurs  redingotes  qui  doivent  être  de  couleur 
noire  ou  au  moins  brune  foncée,  sous  peine 
de  suspense ,  venait  la  défense  <<  d'avoir  des 
servantes  dont  la  bonne  conduite  ne  soit 
connue,  et  qui  n'aient  pas  au  moins  qua- 
rante ans.  n 

»  On  avait  pre'tendu  que  cette  ordon- 
nance avait  ëtë  laissée  sans  exécution  en  ce 
point,  comme  en  beaucoup  d'autres;  mais 
un  appel  comme  d'abus ,  actuellement  pen- 
dant au  conseil  d'Etat,  prouve  que  si  quel- 
ques cures  ont  continué  impunément  d'a- 
voir près  d'eux  des  nièces  ou  des  servantes 
de  moins  de  quarante  ans,  d'autres  ont  vu 
se  déployer  contre  eux,  à  cet  égard,  toute 
la  rigueur  des  peines  canoniques. 

»  L'abbé  B**^,  desservant  des  Sept-Meu- 
les,  petite  commune  près  d'Eu,  s'est  trouvé 
sur  ce  point  en  contravention  à  la  volonté 


(  ^'^j  ) 
archiépiscopale.  Averti  par  ses  supérieurs, 
qui  du  reste  ne  lui  imputaient  aucun  scan- 
dale, il  n'a  pas  cru  devoir  déférer  à  des  in- 
jonctions qui  lui  paraissaient  empreintes 
d'un  soupçon  injurieux;  il  alléguait  d'ail- 
leurs que  nulle  part  dans  le  diocèse  le  rè- 
glement n'était  exécuté. 

»  L'archevêque  ,  irrité  de  cette  persis- 
tance, a  ordonné  à  M.  l'ahbé  B^**  de  chan- 
ger de  résidence  et  l'a  nommé  à  la  cure  de 
Palluel  5  mais  celui-ci  a  refusé  de  partir  : 
alors  le  prélat  l'a  interdit  par  une  décision 
qui  ne  contient  aucun  motif. 

»  C'est  contre  cette  interdiction  que  l'abbé 
B**^  s'est  pourvu ,  comme  d'abus ,  au  con- 
seil d'Etat 5  il  soutient  que,  d'après  les  lois 
canoniques,  l'interdiction  est  nulle  comme 
ne  contenant  pas  de  motif. 

»  Le  conseil  d'Etat  prononcera  bientôt 
sur  cette  affaire  singulière.  » 

Il  faut  se  rendre  à  l'évidence  ,  et  le  livre  de 
M.  Cerati  doit  seconder  toutes  les  intelli- 
gences :  les  prêtres  se  mariaient  autrefois  sans 
empêcher  la  religion  du  Christ  de  gagner  les 
peuples  de  l'Europe;  lorsqu'on  a  voulu  les 


(  ^Ivij  ) 
contraindre  à  une  continence  parfaite,  le 
célibat  a  engendré  le  libertinage,  a  attaqué 
la  morale  publique ,  a  porté  une  atteinte  sen- 
sible à  la  foi  religieuse,  a  fait  naître,  en  par- 
tie, la  dissidence  de  Luther  et  de  Calvin  ,  a 
diminué  le  nombre  de  citoyens  en  augmen- 
tant les  moyens  de  puissance  des  papes.  De 
nombreux  intérêts  commandent  aux  gouver- 
nans  de  consacrer  par  des  lois  nouvelles  la 
législation  qui  autorise  les  prêtres  à  se  ina- 
rier,  mais  sans  les  obliger  a  s'éloigner  de  leurs 
autels. 

Je  ne  terminerai  pas  ce  court  travail  sans 
adresser  un  reproche  à  M.  Cerati,  et  c'est 
la  seule  critique  que  je  me  croie  en  droit 
d'exercer  à  son  égard.  Il  semble  penser  que 
la  masse  du  peuple  n'est  point  assez  éclairée 
pour  applaudir  au  mariage  des  ecclésiasti- 
ques; il  pense  qu'il  est  nécessaire  de  s'a- 
dresser d'abord  aux  intelligences  supérieu- 
res. M.  Cerati  se  trompe.  L'inconduite  et 
les  excès  de  notre  vieux  clergé  ont  mûri 
l'esprit  du  peuple,  et  il  n'est  personne,  même 
dans  nos  campagnes ,  même  dans  les  classes 
inférieures  de  la   société,    qui    ne  soit  con- 


(  xlviij   ) 
vaincu  que  le  repos  des  familles,  les  mœurs, 
la  religion  et  la  politique  exigent  que  l'on 
permette  aux  prêtres  de  se  marier. 

Septembre  1829. 

SAINT-EDME. 


ET    DU 


MARIAGE  DES  PRÊTRES. 


*V*»W»WV>VWW>iVWVV\'VV\W>%V»VVWVVVWVi«*W<'W  »(V«W»%*VVVWV>%VWVW«»*»A(V>VV»*V>IW»W»V» 


^xvvc  pr^mur* 


DU  CÉLIBAT  CHEZ  LES  NATIONS  PAÏENNES  JUSQU'A 
LA  VENUE  DE  JÉSUS-CHRIST. 


SECTION   PREMIERE. 

Du  célibat  considéré  par  rapport  aux  lois 
de  la  nature. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Le  célibat  n'est  pas  une  loi  de  la  nature. 

Le  mot  nature  peut  avoir  cUtFérentes  acceptions 
qu'il  est  nécessaire  de  fixer  :  c'est  Je  moyen  le  plus 
sûr  de  s'entendre  facilement  et  de  demeurer  d'ac- 
cord, quand  la  chose  est  possible. 

l 


(O 

Ordinairement,  on  entend  par  ee  mot,  ou  l'en- 
semble des  lois  générales  (jui  réi^àssenl  tous  les  êtres, 
ou  les  lois  particidières  auxquelles  est  sujette  une 
classe  ou  wne  espèce,  ou  les  qualités  et  les  proprié- 
lés  distinctives  des  in.dividus. 

Ne  considérez-vous  que  les  elTets  ?  ces  trois  ac- 
ceptions sont  claires  et  ne  peuvent  dornier  lieu  ni 
à  erreur  ni  à  équivoque.  Mais  cherchez -vous  les 
causes?  au  lieu  de  considérer  la  nature  et  les  effets 
de  la  vie,  de  la  sensibilité  et  des  besoins  de  l'homme, 
essayez-vous  de  vous  élever  à  la  cause  premièrequi  fait 
que  nous  vivons,  que  nous  sommes  sensibles,  que 
nous  éprouvons  des  besoins?  la  question  est  tout- 
à-fait  changée.  Vous  laissez  l'ouvrage,  pour  vous 
occuper  de  l'ouvrier:  vous  chercliez  à  deviner  sa 
pensée  et  son  intentio'n  d'après  la  forme  et  le  dessin 
de  son  ouvrage.  Et  où  s'arrêteront  vos  recherches? 
Si  vous  voulez  avoir  quelque  chose  de  positif,  quel- 
que chose  sur  quoi  votre  raison  puisse  s'appuyer 
avec  confiance,  vous  serez  obligé  de  remonter  de 
loi  en  loi  jusqu'au  souverain  législateur.  Dans  ce 
sens,  la  nature,  pour  moi,  est  la  même  chose  que  la 
dwinité. 

Cette  nature,  ou  la  divinité ,  auteur  de  tous  les  êtres 
et  de  tontes  les  lois  qui  les  gouvernent,  a-t-elle 
voulu,  veut-elle  le  célibat?  Examinons  ce  point  de 
philosophie  dans  toute  son  étendue. 

Le  célibat  attaque  la    multiplication  de  l'espèce 


(3) 

humaine.  Or,  sous  le  rapport  de  la  vie  physique, 
l'homme  doit  être  régi  par  les  mêmes  lois  que  celles 
qui  régissent  tous  les  êtres  vivans.  La  solution  de 
notre  problème  peut  donc  s'appuyer  sur  des  élé- 
mens  que  le  préjugé  commun  ne  saurait  influencer, 
et  qui  se  prêtent  ainsi  beaucoup  mieux  à  un  examen 
peu  sujet  à  contestation.  Lorsqu'il  sera  prouvé  que 
le  premier  vœu  de  la  nature,  pour  tout  ce  qui  jouit 
de  la  vie,  est  la  conservation  des  espèces  et  la  multi- 
plication des  individus,  il  sera  impossible  de  ne  pas 
condamner  le  célibat  pour  l'espèce  humaine,  quel- 
que privilégiée  qu'on  puisse  la  supposer.  Ce  vœu  a 
nécessairement  pour  but  la  fonction  la  plus  impor- 
tante de  la  vie,  et  pour  objet  la  classe  la  plus  par- 
faite et,  par  cela  même,  la  plus  chère  à  la  nature. 

Ces  principes  une  fois  posés,  portons  nos  regards 
sur  les  classes  des  êtres  qui  occupent  le  dernier  rang 
sur  l'échelle  de  la  vie. 

Chaque  plante  a  reçu  de  la  nature  des  organes 
propres  à  sa  reproduction ,  et  paraît  n'avoir  été 
créée,  pour  ainsi  dire,  que  dans  cette  intention. 
Pendant  l'hiver,  lorsqu'un  observateur  vulgaire  croit 
que  la  mort  règne  sur  le  monde,  les  germes  de  la 
vie  se  préparent  insensiblement  avi  sein  des  végé- 
taux; le  soleil  du  printemps  les  fait  développer, 
l'été  et  l'automne  les  perfectionnent  et  les  mûris- 
sent. Les  germes  réunissant  alors  toutes  les  condi- 
tions pour  donner  l'existence ,   un    grand  nombre 


(  4  ) 

de  ces  plantes  périssent  et  rentrent  dans  le  néant  • 
elles  ont  rempli  le  vœu  de  la  nature,  elles  ont 
terminé  leur  tache  et  sont  désormais  inutiles.  La 
mort  les  frappe,  pour  qu'elles  cèdent  la  place  à  des 
êtres  nouveaux,  indispensables  à  l'ordre  immuable 
de  cet  ensemble  que  l'esprit  le  plus  vaste  est  con- 
traint d'admirer. 

Quelque  accident,  ou  la  main  du  philosophe  cu- 
rieux, vient-il  suspendre  l'acte  important  de  la  gé- 
nération? la  plante  nouvelle  est-elle  mise  hors  d'état 
d'enfanter  des  germes  propres  à  conserver  et  à  trans- 
mettre la  vie?  la  mort  n'ose  point  la  frapper;  la 
nature  semble  se  faire  illusion  et  attendre  encore 
que  la  stérilité  de  la  jeune  plante  cesse  enfin.  La 
période  de  son  existence  est  alors  prolongée. 

Cette  condition  qui,  quant  à  l'individu  tout  en- 
tier, ne  se  vérifie  que  dans  la  classe  des  herbes, 
s'étend  à  tout  le  règne  végétal,  pour  les  organes 
spécialement  destinés  à  la  reproduction.  La  fécon- 
dation a-t-elle  lieu?  la  fleur  se  fane,  la  corolle  se 
flétrit  et  tombe,  et  le  fruit  se  développe  à  sa  place. 
Avez-vous  empêché  le  pollen  de  parvenir  jusqu'au 
pistil?  la  femelle  n'a-t-elle  pu  être  fécondée?  la 
fleur  conserve  encore  quelques  jours  tout  le  brillant 
de  son  coloris,  comme  une  épouse  qui  attendrait  dans 
la  chambre  nuptiale  le  doux  objet  de  ses  amours. 

La  durée  de  la  vie  dans  les  diverses  espèces  de 
végétaux  est  toujours  proportionnée  au  plus  ou  au 


(  5) 

moins  de  promptitude  avec  laquelle  ils  produisent 
des  germes  aptes  à  remplir  à  leur  tour  les  devoirs 
essentiels  de  la  génération.  L'humble  fraisier  mûrit 
ses  germes  en  peu  de  mois,  et  ne  vit  que  peu  de 
mois;  le  superbe  palmier  ne  donne  des  germes  qu'a- 
près beaucoup  d'années,  et  conserve  la  vie  pendant 
des  siècles. 

L'orage,  le  torrent  et  l'homme,  plus  destructeur 
encore  que  le  torrent  et  que  l'orage,  ont-ils  emporté 
une  plante  avant  l'épuisement  de  sa  fécondité?  la 
nature  lui  a  ménagé  un  autre  moyen  de  se  repro- 
duire. Si  une  branche,  un  rameau,  un  bourgeon, 
une  partie  quelconque  échappe  à  la  destruction  et 
se  trouve  placée  dans  un  lieu  convenable,  aussitôt 
la  vie  s'y  rallume,  de  nouvelles  racines  s'enfoncent 
au  sein  de  la  terre,  de  nouveaux  rejetons  s'élèvent 
encore  vers  le  ciel,  et  le  but  de  la  nature  est  rempli. 

Si,  sortant  des  végétaux,  nous  nous  élevons  à  la 
contemplation  d'une  classe  d'êtres  où  la  vie  est  plus 
prononcée ,  nous  verrons  que  la  sollicitude  de  la 
nature  devient  même  plus  tendre  et  plus  empressée. 
Ici  les  organes  de  la  génération  se  trouvent  toujours 
sur  des  êtres  différens,  comme  dans  beaucoup  de 
végétaux;  mais  ces  derniers,  attachés  à  la  terre  et 
privés  de  locomotilité,  ne  peuvent  point  se  recher- 
cher pour  concourir  à  l'acte  le  plus  important  de 
la  vie,  et  un  grand  nombre  de  germes,  quelquefois 
tous  ceux  d'une  plante  ou  même  d'un  bois  entier 


(6) 
sont  perdus  j  tandis  que  les  animaux,  doués  de  sen- 
timent et  pouvant;  se  mouvoir,  se  recherchent  mu- 
tuellement et  ne  se  donnent  point  de  relâche  que  la 
fécondalion  n'ait  eu  lieu.  L'instinct,  une  force  ir- 
résistible les  anime  et  les  pousse.  Les  champs  et  les 
eaux  sont  remplis  d'un  nombre  infini  d'êtres  qui 
n'existent  qu'un  jour  et  qui  paraissent  ne  recevoir 
là  vie  que  pour  la  transmettre. 

Il  est  des  animaux  dont  le  mâle  périt  aussitôt 
après  avoir  concouru  à  l'acte  de  la  génération. 
Ne  se  trouve-t-il  pas  en  position  de  suivre  la  loi 
de  la  nature?  le  cours  de  sa  vie  est  prolongé 
au-delù  de  son  terme  ordinaire.  Quelques-uns  se 
multiplient  même  par  bouture  ,  comme  les  plantes. 
Si  une  portion  minime  du  polype  échappe  à  la 
voracité  des  animaux  destructeurs ,  cette  portioti 
devient  en  peu  de  temps   un  nouveau   polype. 

Une  espèce  est-elle  persécutée  par  une  espèce 
ennemie  ,  et  privée  de  tout  moyen  d'assurer  son 
existence  contre  des  attaques  meurtrières  et  con- 
tinuelles? la  nature,  pour  qu'elle  ne  périsse  pas, 
en  porte  les  individus  à  un  nombre  infini.  Voyez, 
par  exemple ,  l'instinct  conservateur  de  la  faible 
tortue.  Elle  est  obligée  de  déposer  ses  oeufs  sur 
le  rivage  de  la  mer,  afin  que  la  chaleur  du  soleil 
du  midi  favorise  le  développement  des  germes. 
Les  renards  ,  les  loups  ,  les  hommes ,  tous  les 
animaux  carnivores  cherchent  avec  avidité  ses  œufs , 


(7) 
et  tendent  des  embûches  aux  jeunes  tortues  qui 
en  sortent,  avant  qu'elles  aient  pu  gagner  les  flots 
de  l'Océan.  Que  fait,  pour  éviter  la  perte  de  tous 
ses  fils  ,  la  tortue  mère  ?  au  lieu  d'amonceler  tous 
ses  œufs  dans  un  seul  trou  ,  elle  les  cache  soigneu- 
sement dans  huit  ou  dix.  Qu'un  seul  échappe  aux 
efforts  multipliés  de  ses  ennemis,  l'espèce  est  con- 
servée. Guidée  par  la  providence ,  on  dirait  que 
la  tortue  raisonne. 

C'est  dans  la  même  intention  de  la  nature  que 
les  animaux  voraces,  toujours  bien  armés  et  tou- 
jours puissans,  ne  se  multiplient  pas  à  l'égal  des  es- 
pèces timides  et  faibles.  Comme  leur  force  les  met 
à  l'abri  de  toute  injure ,  il  n'était  pas  nécessaire 
d'augmenter  leur  nombre  pour  conserver  les  es- 
pèces. La  nature,  dans  cette  sage  économie  qui 
caractérise  toutes  ses  œuvres,  a  eu  aussi  en  vue 
de  ménager  les  classes  inférieures.  Un  aigle  et 
vm  lion  répandent  au  loin  le  ravage. 

Se  reproduire,  contribuer  à  la  conservation  et 
à  la  multiplication  de  son  espèce,  est  un  ordre  in- 
variable de  la  nature,  pour  tout  ce  qui  a  reçu  la 
vie.  Les  mesures  de  la  providence  ont  été  si  bien 
prises  et  si  bien  concertées,  qu'une  loi  si  essen- 
tielle ne  peut  point  rester  sans  exécution.  Le  mâle 
et  la  femelle  se  trouvant  dans  les  végétaux  placés 
souvent  à  des  distances  considérables  ,  et  n'ayant 
aucun  moyeu  de  se  rapprocher,   un  élément  qui 


{  8) 
se   trouve  partout   et  qui  est  toujours  en  inôuve- 
mcut,    l'air,    le   léger    zépliire    se   fait   l'agcnl    de 
leurs  amours  et  les  met  constamment   en    rapport 
l'un  avec  l'autre. 

Les  animaux  ayant  un  autre  mode  d'existence 
et  pouvant  courir  les  uns  à  la  recherche  des  autres, 
un  moyen  étranger  n'a  pas  été  nécessaire  pour 
établir  des  rapports  entre  eux.  La  nature  en  a 
imaginé  un  plus  puissant  :  elle  a  lié  l'acte  de 
la  génération  à  un  plaisir  vif  et  ardent,  et  a  fait 
de  ce  désir  un  besoin  des  plus  impérieux.  En 
vain  un  animal  quelconque,  le  plus  timide  ou 
le  plus  courageux  ,  le  plus  faible  ou  le  plus  fort, 
voudrait-il  se  soustraire  à  l'aiguillon  cuisant  de  ce 
désir,  la  saison  propre  aux  mystères  de  l'amour 
une  fois  venue,  une  passion  violente  agite  chaque 
être  animé,  le  tourmente,  le  lance  malgré  lui 
sur  les  traces  de  celui  de  ses  semblables  avec  lequel 
il  doit  remplir  l'obligation  de  communiquer  la 
vie,  qu'il  n'a  reçue  qu'à  cette  condition. 

Nous  arrivons  à  l'homme.  Il  est  placé  au  rang 
le  plus  élevé  parmi  les  espèces  animées;  mais  pour 
ce  qui  regarde  la  vie  physique,  il  diffère  à  peine 
de  toutes  les  autres  :  à  peu  près  organisé  de  la 
même  manière,  il  est  sujet  aux  mêmes  besoins, 
il  subit  les  mêmes  nécessités.  Ne  sera-ce  que  pour 
la  plus  indispensable  de  toutes  les  fonctions  de  la 
vie,    celle  de    donner    l'existence,    qu'il   aura   été 


(9) 
dispensé  de  la  loi  commune?  La  Force  de  notre 
raisonnement,  fondé  sur  une  exacte  analogie  ,  nous 
porte  à  une  conclusion  toute  différente.  Exami- 
nons de  plus  près  notre  espèce  ;  voyons  si  elle 
a  en  soi  quelque  chose  qui ,  sous  le  rapport  de  la 
génération ,  puisse  établir  quelque   différence. 

D'abord  nous  voyons  là  aussi  un  mâle  et  une 
femelle,  placés  tout-à-fait  dans  une  condition  sem- 
blable à  celle  des  autres  espèces.  Les  deux  sexes 
se  sentent  violemment  entraîner  l'un  vers  l'autre  : 
le  mâle  déploie  une  hardiesse  et  une  audace  ca-^ 
pables  de  vaincre  toutes  les  difficultés  •  la  femelle 
affecte  une  modestie  et  une  retenue  qui  allument 
le  désir,  rendent  l'attaque  plus  vive,  et  assurent 
une  victoire  qu'elle  brûle  d'accorder.  L'audace , 
l'effronterie ,  une  concupiscence  avouée  auraient 
moins  de  force  que  cette  timidité  apparente  :  il 
en  est  ainsi  dans  toutes  les  classes  d'animaux. 
On  dirait  que  l'amour  est  fils  du  dieu  de  la  guerre: 
l'acte  de  la  génération  succède  presque  partout 
à  un  combat  qui  peut  effrayer  ,  mais  qui  n'a  rien 
de  dangereux.  La  vie  entre  dans  le  monde  pré- 
cédée  du  même  cortège   que  la  mort. 

Il  y  a  plus  :  la  nature,  dans  sa  tendre  sollicitude 
pour  l'homme,  a  prévu  qu'il  se  présenterait,  dans 
le  cours  des  siècles,  des  temps  et  des  circonstances 
où,  dépravé  et  corrompu  par  une  éducation  anti- 
sociale, il  se  ferait  une  vertu  de  ne  point  remplir 


{     'O    ) 

le  plus  essentiel  de  ses  devoirs  et  porterait  atteinte 
à  la  multiplication  de  son  espèce.  Elle  a  pris  ses 
mesures  pour  empocher  un  pareil  état  de  choses. 
Elle  a  rendu  plus  vif  et  plus  impétueux  ce  désir 
qui  porte  les  sexes  à  se  rapprocher  l'un  de  l'autre; 
elle  Ta  étendu ,  elle  a  ordonné  qu'il  ne  s'éteignît 
jamais  au  fond  du  cœur  l'homme.  Depuis  la  quator- 
zième jusqu'à  la  soixantième,  ou  même  à  la  soixante- 
dixième  année  ,  l'homme  est  tourmenté  le  jour 
et  la  nuit ,  dans  toutes  les  saisons  ,  dans  tous  les 
instans  de  la  vie,  par  l'irrésistible  besoin  de  s'unir, 
et  par  conséquent  de  consommer  l'acte  de  la  géné- 
ration. Est-il  possible  qu'on  ne  soit  pas  ébranlé 
par  cette  impulsion  forte  et  continuée?  Les  autres 
classes  d'animaux  ne  sont  stimulées  par  ce  besoin 
que  quelques  mois,  quelques  jours,  quelques  heures, 
et  aucun  de  leurs  individus  n'a  assez  de  force  pour 
résister  à  un  attrait  si  puissant  :  et  l'homme  pourra 
lutter  un  temps  si  long ,  et  paralyser  une  cause 
si  énergique   et  si  puissante  ? 


(  >'  ) 

WVVVVVVVVW»VVVVVV\*Vrt/»VV*VV\W**VVV,V*VVVVVVV\WV«A(VVV>APVVVV\'VVVWVVVVVV^^         ww»v<»vw 

CHAPITRE  II. 

Le  célibat  est  impossible. 

Il  résulte  des  principes  que  nous  venons  d'éta- 
blir,  que  le  célibat,  privation  d'une  union  voulue 
parla  divinité,  et  défendue,  au  moyen  d'une  con- 
vention singulière ,  par  un  corps  spécial  d'hommes 
qu'aveugle  une  ambition  sans  bornes  ,  est  d'vme  ex- 
trême difficulté,  ou  pour  mieux  dire  impossible.  Les 
lois  de  la  nature  sont  immuables  et  éternelles-  il 
n'est  donné  à  aucun  être  de  les  enfreindre  impuné- 
ment. Dans  le  monde  ,  tout  est  nécessaire.  La  pierre 
tombe  lorsqu'elle  est  abandonnée  dans  l'espace;  on 
brûle  sa  main  en  la  mettant  dans  le  feu;  en  ne 
mangeant  pas  quand  on  a  faim,  en  ne  buvant  pas 
quand  on  a  soif,  on  devient  malade  et  l'on  meurt  ; 
de  même,  en  voulant  se  soustraire  à  un  des  plus  im- 
périeux besoins  imposés  à  l'espèce,  on  s'expose  à  des 
souffrances  fâcheuses,  à  perdre  la  vie  et  la  raison  (i). 


(i)  On  lit  dans  les  Essais  de  Bacon  :  «  Souvent  la  na- 
»  ture  se  tient  cache'e  ;  quelquefois  elle  est  vaincue  ;  mais 
»  rarement  on  peut  la  de'truire.  La  contrainte  même  re- 
»  double  sa  force.  » 


(  I^  ) 

La  nature  a  donné  aux  deux  sexes  des  orj^anes 
affectés  tout  spécialement  aux  fonctions  génératives. 
Ces  organes  dans  le  bas  âge  ,  lorsque  l'individu  n'a 
pas  acquis  le  degré  de  développement  et  de  force 
auquel  il  doit  parvenir,  restent  dans  une  inactivité 
absolue,  et  les  désirs,  les  passions  qui  dépendent 
de  leur  exercice,  ne  l'animent,  ne  l'excitent  pas 
encore.  Dans  cet  état,  les  deux  sexes  n'ont  au- 
cun penchant  l'un  vers  l'autre  ;  les  garçons  pré- 
fèrent jouer  avec  les  garçons,  les  filles  avec  les 
filles.  Ce  calme,  celte  innocence  étaient  nécessaires 
pour  que  le  tempérament  pût  se  former.  Mais  dès 
que  l'individu  a  atteint  son  plus  haut  degré  de 
perfection  physique ,  la  nature  imprime  un  mouve- 
ment actif  et  énergique  aux  organes  qu'elle  a  placés 
en  lui  pour  servir  à  sa  reproduction  ;  car  l'homme 
ne  paraît  pas  destiné  à  finir.  Ces  organes  prennent 
alors  une  force  et  une  activité  jusque  là  inconnues; 
en  même  temps  un  feu  secret  s'allume  dans  les 
veines,  les  sentimens  s'exaltent,  un  désir  d'abord 
vague  et  indéfini,  ensuite  plus  clair  et  plus  déter- 
miné, trouble  et  tourmente.  La  vue  de  l'être  qui 
doit  concourir  à  transmettre  la  vie  fait  tressaillir; 
un  entraînement  irrésistible  attire  vers  lui ,  le  fait 
chercher  partout.  Le  perd-on  de  vue  ?  s'éloigne-t-on 
de  lui?  l'imagination  en  fait  le  portrait,  l'embellit, 
l'anime  par  les  plus  vives  couleurs,  et  le  place  de- 
vant les  yeux.   Quel  que  soit  le  lieu  qu'on  habite  ^ 


(.3) 
quelque  chose  que  l'on  fasse,  il  est  toujours  présent; 
il  nous  poursuit  dans  le  sommeil j  point  de  repos, 
point  de  relâche. 

Veut-on  s'opiniâtrer  dans  la  résolution  de  ne  point 
obéir  à  la  voix  de  la  nature  ?  elle  punit  sévèrement 
cette  rébellion;  elle  augmente  les  besoins  et  les  ai- 
guise; elle  peint  sous  les  couleurs  les  plus  brillantes 
ce  bien  que  l'on  s'obstine  à  se  refuser  ;  elle  en  mul- 
tiplie les  images  et  pousse  constamment  au  sacrifice 
qu'elle  commande. 

Reste-t-on  dans  une  invincible  obstination?  les 
exigences  de  la  nature  deviennent  encore  plus 
vives.  Les  facultés  intellecluelles  se  trouvent  liées 
par  des  rapports  très  étroits  à  nos  facultés  généra- 
tives  :  celles-ci  ne  recevant  plus  d'application ,  n'é- 
tant pas  mises  en  exercice,  celles-là  se  brouillent  et 
s'altèrent.  De  là  ces  sombres  mélancolies,  ces  frayeurs 
insensées,  ces  manies  furieuses;  de  là  ces  conges- 
tions, ces  inflammations,  ces  altérations  dangereuses 
dans  les  organes  affectés  à  la  reproduction  de  l'es- 
pèce ;  delà  les  médecins  obligés  souvent  de  prescrire, 
ou  au  moins  de  conseiller  aux  célibataires  le  seul 
remède  que  la  nature  indique  contre  ces  maux. 

Des  théologiens  à  principes  outrés  prétendent  que 
riiomme  a  le  pouvoir  de  faire  tout  ce  qu'il  veut;  que 
sa  raison  règne  en  souveraine  sur  tous  ses  appétits , 
et  que  le  Seigneur  lui  accorde  toujours  les  grâces  qui 
lui  sont  nécessaires  pour  la  sanctification  de  son  âme, 


(  -4  ) 

s'il  les  lui  demande  avec  une  entière  confiance  et 
une  Immilité  toute  chrétienne.  On  peut  répondre, 
sans  crainte  de  se  tromper,  (pie  la  tonte-puissance 
n'a  pas  été  le  partage  de  l'espèce  humaine;  que  les 
appétits  de  la  nature,  l'homme  peut  les  modérer, 
mais  non  les  détruire  ou  les  empêcher  de  naître.  Il 
peut  jeûner,  il  peut  prendre  plus  ou  moins  de  nour- 
riture et  de  boisson;  il  jie  peut  se  dispenser  de  man- 
ger et  de  boire.  Se  priver  d'une  chose  dont  la  nature 
lui  a  fait  une  nécessité,  c'est  attenter  à  sa  propre 
existence,  c'est  se  rendre  coupable  d'un  suicide  vo- 
lontaire. Les  mots  sonores  et  les  grandes  idées  ,  s'ils 
sont  hors  de  la  nature,  peuvent  flatter  nos  oreilles 
€t  nos  esprits,  non  pas  nous  placer  au-dessus  de 
nos  besoins.  Nous  ne  pouvons  pas  changer  not,re 
manière  d'être  :  elle  est  le  résultat  de  notre  organi- 
sation intime,  et  en  subit  toutes  les  modifications 
et  toutes  les  vicissitudes. 

Quanta  la  divinité,  j'admets  en  principe  qu'elle  ne 
peut  modifier  et  changer  ses  lois.  Et  pourquoi  le 
voudrait- elle?  Qui  veut  la  cause,  veut  aussi  les 
effets.  En  donnant  à  tous  les  hommes  les  mêmes 
organes ,  elle  les  soumet  aux  mêmes  besoins  et  leur 
impose  les  mêmes  fonctions  et  les  mêmes  devoirs. 
Elle  ne  saurait  exprimer  sa  volonté  d'une  manière 
plus  forte  et  plus  impérieuse.  N'est-ce  pas  une  t*é- 
mérité,  n'est-ce  pas  une  rébellion  de  notre  part  de 
prétendre  que  Dieu  fasse  à  chaque  instant  des  mi- 


(  '5) 
racles  en  noire  faveur,  nous  dispense  à  cliaqne  mo- 
ment de  l'exécution  de  ses  inviolables  lois?  Lorsque 
nous   lui   demandons  de  pareilles  grâces,  n'offen- 
sons-nous pas  visiblement  sa  divine  providence? 

Les  exemples  d'une  continence  parfaite,  que  l'on 
cite  ordinairement ,  n'infirment  en  aucune  manière 
la  force  de  mon  raisonnement.  Si  vous  en  excep- 
tez les  temps  de  fanatisnie,  de  ce  fanatisme  qu'une 
nouvelle  doctrine  religieuse  ne  manque  jamais  d'ex- 
citer, il  sera  bien  difficile  d'indiquer  un  seul  nom 
à  l'abri  de  tout  reprocbe.  Les  licros  les  plus  renom- 
més du  célibat  ont  tous  été  ou  des  bommes  froids, 
pour  qui  la  continence  n'était  pas  une  vertu,  ou 
des  bommes  d'une  prudence  consommée  qui  sa- 
vaient cacher  au  vulgaire  ignorant  les  voies  dé- 
tournées et  secrètes  par  lesquelles  ils  parvenaient 
à  satisfaire  les  besoins  de  la  nature. 

On  sait  que,  dans  les  premiers  siècles  du  chris- 
tianisme, la  haute  opinion  que  l'on  avait  de  l'état 
de  virginité  portait  les  fidèles  aux  plus  grands 
sacrifices.  Fuir  jusqu'à  l'aspect  du  sexe ,  s'enseve- 
lir au  fond  des  bois  et  au  milieu  de  déserts  inac- 
cessibles aux  mortels,  s'imposer  les  pénitences  et 
les  mortifications  les  plus  rudes,  étaient  des  actes 
très  fréquens.  Cependant  une  vie  si  austère,  un 
détachement  si  entier  de  tout  ce  qui  pouvait  allu- 
mer les  désirs,  ne  suffisaient  pas  encore  pour  don- 
ner à  la  faible  raison  humaine  une  victoire  com- 


(  -6) 
plète  sur  les  sens.  Ceux  dont  les  sentimcns  étaient 
sincères  et  la  conduite  sans  feinte  furent  obligés  de 
recourir  à  des  moyens  plus  violens  et  plus  eflli- 
caces.  Ils  se  privèrent  eux-mêmes,  par  une  opé- 
ration hardie  et  désespérée,  des  organes  dont  l'ac- 
tion leur  causait  des  peines  si  vives  et  si  cuisantes. 
Plusieurs  conciles,  que  nous  citerons  plus  tard  ,  dé- 
ployèrent toute  la  rigueur  des  censures  ecclésias- 
tiques, pour  détourner  les  fidèles  d'une  pratique  si 
malheureuse,  si  barbare  et  si  contraire  au  voeu  du 
créateur. 

Voilà  l'unique  ressource  à  laquelle  puisse  recourir 
l'homme ,  pour  être  dispensé  de  contribuer  à  la 
multiplication  de  son  espèce ,  se  soustraire  aux  tour- 
mens  que  la  nature  ne  manque  jamais  d'infliger  aux 
esprits  rebelles.  Ne  voulez-vous  pas  remplir  les  devoirs 
de  l'homme?  dépouillez-vous  de  la  virilité,  cessez 
d'être  homme:  un  crime  horrible  aux  yeux  de  la 
nature  peut  seul  vous  exempter  d'obéir  à  ses  lois.  Si 
vous  ne  commettez  pas  ce  crime,  vous  en  commet- 
trez peut-^être  mille  autres,  et  vous  encourrez  la 
malédiction  du  Saint-Esprit.  Mariez-vous,  ou  vous 
êtes  criminel^  mariez-vous,  ou  vous  serez  séducteur, 
suicide,  dégradé  de  la  dignité  de  l'homme  :  voilà 
des  écueils  inévitables. 


(   -7  ) 

CHAPITRE  III. 

Le  célibat  détruit  les  bonnes  mœurs. 

Cependant  il  y  a  en  et  il  y  a  encore  un  grand 
nombre  de  célibataires.  Gomment  concilier  ce  fait 
constant  avec  la  loi  de  la  nature  qui  condamne 
le  célibat  ?  Il  faut  s'expliquer.  Quelle  idée  attacbez- 
vous  au  mot  célibataire  ?  signifîe-l-il  un  homme 
qui  n'a  aucune  relation  avec  l'autre  sexe  ,  et  qui 
se  refuse  toute  espèce  de  satisfaction  aux  désirs  pres- 
sans  de  la  nature?  Ce  phénix  ,  s'il  s'agit  d'un 
homme  physiquement  parfait,  est  encore  à  trouver, 
et  ne  peut  pas  exister.  J'en  ai  donné ,  je  crois  , 
des  raisons  trop  fondées  pour  qu'aucune  considé- 
ration puisse  en  atténuer  la  force.  Signifie-t-il  seu- 
lement un  homme  qui  ne  s'engage  pas  dans  les 
liens  du  mariage  ,  mais  qui  se  réserve  d'autres 
moyens  de  satisfaire  au  besoin  de  se  reproduire  ? 
Dans  ce  sens,  le  nombre  des  célibataires  n'est  que 
trop  considérable  :  ils  remplissent  nos  villes ,  ils 
régnent  dans  nos  villages  ;  ils  ont  été ,  ils  sont 
encore,  à  beaucoup  d'égards,  les  arbitres  des  hu- 
mains. Les  grands  lamas ,  les  souverains  pontifes , 

2 


(  >8  ) 
les  dairi  et  tous  les  minislres  de  leur  pouvoir,  ont 
exercé   et    exercent   encore    une   domination    très 
étendue. 

H  en  existe  encore  qui,  ne  faisant  aucun  vœu ,  ne 
s'obligent  à  aucun  sacrifice,  et  ne  cachent  pas  même 
leur  intention  de  se  satisfaire  aux  dépens  d'autrui. 
Loin  de  se  faire  un  devoir  ou  un  point  d'honneur 
de  s'imposer  des  privations,  ils  déclarent  avec  fran- 
chise qu'ils  veulent  se  procurer  tous  les  plaisirs  et 
éviter  tous  les  désagrémens  du  mariage.  C'est  une 
mode  pour  les  jeunes  seigneurs  de  repousser  les 
liens  pesans  de  l'hy menée  jusqu'à  la  vingt- hui- 
tième ou  à  la  trentième  année  de  leur  âge.  Est-ce 
pour  acquérir  plus  d'expérience ,  pour  être  plus 
à  même  de  remplir  tous  les  devoirs  d'un  bon  époux 
et  d'un  bon  père  ?  Point  du  tout  :  c'est  pour  avoir 
plus  de  liberté,  pour  courir  sans  gêne  les  cercles 
brillans  des  capitales  de  l'Europe,  et  pour  faire  pâlir 
à  leur  aise  les  maris  assez  malheureux  pour  s'a- 
bandonner au  démon  de  la  jalousie.  Ils  consacrent 
les  plus  beaux  jours  de  la  vie  à  une  licence  effrénée; 
ils  se  réservent  de  pratiquer  les  actes  de  la  vertu 
quand  le  froid  de  la  vieillesse  et  les  excès  de  tout 
genre  auront  épuisé  le  corps  et  éteint  la  vivacité 
des  passions. 

Cet  état  de  choses  est- il  favorable  à  la  pureté 
des  mœurs,  à  la  tranquillité  des  familles,  à  la  pros- 
périté des  peuples?  Écoutez  Montesquieu  :  «  C'est 


(  '9) 
))  une  règle  tirée  de  la  nature ,  que  plus  on  di- 
»  minue  le  nombre  des  mariages  qui  pourraient  se 
))  faire  ,  plus  on  corrompt  ceux  qui  sont  faits  5  moins 
))  il  y  a  de  gens  mariés,  moins  il  y  a  de  fidélité 
))  dans  les  mariages  ;  comme  lorsqu'il  y  a  plus  de 
»  voleurs,  il  y  a  plus  de  vols.  » 

C'est  une  vérité  incontestable  que  tout  le  monde 
reconnaît  et  qui  n'exige  pas  de  preuves.  Ecoutez 
les  insolentes  vanteries  de  ces  célibataires  impudens; 
regardez  les  troubles  des  ménages,  les  ruptures 
éclatantes,  les  séparations  désastreuses  :  cliercbez-en 
les  causes  réelles,  et  vous  verrez  que  le  célibat  est 
un  terrible  fléau. 

Les  peuples  qu'on  appelle  barbares,  parce  que 
notre  luxe  et  notre  corruption  ne  les  ont  pas  in- 
fectés ,  à  moins  qu'une  religion  ennemie  des  mœurs 
ne  les  écarte  des  voies  de  la  nature  ,  ne  connaissent 
point  une  telle  maladie.  Un  homme  ou  une  femme 
qui  ne  se  marient  pas  y  sont  l'objet  d'un  mépris 
général  :  on  leur  suppose  ou  une  impuissance  in- 
vincible de  contracter  mariage  ,  ou  une  privation 
totale  de  ces  charmes  qui  sont  nécessaires  pour 
fixei-  les  vœux  des  personnes  d'un  autre  sexe ,  et 
on  s'apitoie  sur  leur  sort.  Ce  n'est  pas  assez  de 
se  marier  ;  il  faut  avoir  des  enfans  pour  mériter 
l'estime  et  les  égards  de  ces  peuples  grossiers.  Ces 
sentimens  ,  nous  les  retrouvons  même  dans  nos  pro- 
vinces. J'ai  vu  des  femmes  accablées  par  ces  mots 

2.. 


(  :^o) 
qui  leur  étaient   insupportables  :  «  Et  que  veux-lu 
))  dire,  toi,  plaute  stérile,  femme  sans  fils,  que  Dieu 
»  a  frappée  de  sa  terrible  njalédiction  ?  » 

Bacon  dit,  avec  son  bon  sens  accoutumé  :  «  Quand 
»  on  ne  connaîtra  plus  de  nations  barbares,  ou  que 
»  la  politesse  et  les  arts  auront  énervé  l'espèce,  on 
»  verra  dans  les  pays  de  luxe  les  hommes  peu  cu- 
»  rieux  de  se  marier,  par  la  crainte  de  ne  pouvoir 
»  pas  entretenir  une  famille.  »  J'ajoute,  et  par  la 
facilité  de  satisfaire  autrement  leurs  désirs  désor  - 
donnés.  S'ils  n'avaient  aucun  autre  moyen  d'éteindre 
le  feu  dévorant  qu'ils  alimentent,  ou  qui  s'allume 
en  dépit  d'eux  au  fond  de  leur  cœur,  ils  se  bâteraient, 
j'en  suis  sûr,  de  s'engager  dans  les  liens  d'un  mariage 
légitime. 

La  plupart  de  ces  filles,  la  honte  du  beau  sexe  et 
l'opprobre  de  notre  espèce,  à  qui  doivent-elles  de 
se  trouver  dans  im  état  si  affreux  pour  elles-mêmes, 
si  contagieux  pour  la  morale,  si  ruineux  pour  nombre 
de  {personnes  et  de  familles?  Elles  sont  les  victimes 
de  ces  hommes  dénaturés  et  pervers  qui  se  font  un 
plaisir  et  une  gloire  de  séduire  et  de  corrompre. 
Weussent-elles  été  attirées  que  par  l'appât  d'une 
plus  grande  liberté  et  d'une  plus  belle  existence, 
ces  hommes,  indignes  de  ce  nom,  seraient  encore  la 
cause  de  leurs  malheurs;  sans  eux,  jamais  femme 
n'aurait  conçu  la  pensée  de  se  livrer  au  libertinage. 

11  ne  faut  pas  avoir  une  meilleuj'e  idée  de    ce  ce- 


(     21     ) 

libat  que  la  religion  sanctifie.  La  religion  ne  peut  ni 
dénaturer  les  hommes,  ni  suspendre  le  cours  des  lois 
delà  nature:  tant  que  l'homme  conserve  les  organes 
destinés  à  sa  reproduction,  il  a  heau  faire,  il  est  con- 
traint de  subir  des  lois  qui  sont  la  condition  de  son 
existence.  Qui  peut  lutter  contre  la  volonté  de  Dieu? 
qui  osera  se  plaindre  de  céder  à  l'inexorable  néces- 
sité d'être  ce  qu'il  est  ? 

Aussi  les  ecclésiastiques  eux-mêmes,  lorsqu'ils 
sont  seuls  et  que  les  séculiers  ne  les  entendent  pas, 
dans  ces  momens  où  la  force  de  la  vérité  l'emporte 
sur  la  pudeur,  ne  se  font-ils  pas  scrupule  d'avouer 
toutes  les  difficultés  de  leur  condition ,  toutes  les  in- 
quiétudes et  toutes  les  amertumes  de  leur  vie  ;  et  ils 
se  répètent  d'un  ton  plaintif,  les  uns  aux  autres, 
une  maxime  qu'ils  attribuent,  faussement  je  crois,  à 
saint  Paul  :  «  Si  non  caste ^  cautè.  »  Si  l'on  ne  peut 
pas  être  chaste,  qu'on  soit  au  moins  prudent.  Les 
mystères  de  l'amour  ne  sont  pas  quelque  chose  que 
l'on  puisse  cacher.  Tout  trahit  dans  l'amour;  tout 
dévoile  les  sentimens  que  l'on  voudrait  dérober  à  la 
lumière  et  en  quelque  sorte  cacher  à  soi-même.  Un 
premier  pas  peu  mesuré  fait  naître  le  soupçon,  et 
alors  tout  est  perdu  :  ce  que  l'on  fait  et  ce  que  l'on 
ne  fait  pas,  les  discours  et  le  silence  servent  égale- 
ment à  produire  au  grand  jour  des  liaisons  illicites. 
De  là,  mille  bruits  sourds,  puis  un  scandale  plus  écla- 
tant, puis  la  perte  de  l'honneur.  Se  flatteiait-on  de 


(  =--  ) 

ne  faire  qu'un  seul  mauvais  pas?  Les  anciens  avaient 
représenté  l'amour  aveugle,  ou  avec  un  bandeau  sur 
les  yeux. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  déplorable  dans  les  affaires 
de  cette  espèce,  ce  n'est  pas  le  malheur  des  indivi- 
dus, mais  l'affaiblissement  progressif  de  la  morale, 
et  par  degrés  la  corruption  des  mœurs  publiques. 
Rien  n'est  aussi  contagieux  que  ces  scandales  bruyans 
dont  tout  le  monde  s'entretient,  et  qui  se  perpétuent, 
pour  ainsi  dire,  sous  les  yeux  des  })opulations  inno- 
centes. Les  âmes  les  plus  chastes  se  familiarisent  avec 
l'idée  du  vice-  la  pudeur  perd  peu  à  peu  sa  délica- 
tesse :  ces  idées  et  les  mots  qui  les  représentent  ne 
font  plus  rougir-  le  cœur  est  ouvert  à  la  séduction;  si 
l'on  est  attaqué,  on  résiste  faiblement,  et  l'on  cède  une 
victoire  aisée.  Considérez  quelle  terrible  responsabi- 
lité pèse  sur  ceux  pour  qui  c'est  un  crime  de  se  lais- 
ser aller  aux  tendres  penchans  de  la  nature. 

Ce  que  je  viens  de  dire  n'est  ni  une  calomnie  ni 
une  exagération.  Sur  cent  prêtres,  à  peine  en  trou- 
vera-t-on  un  seul  qui  conserve  intacte  sa  réputation 
de  chasteté.  Consultez  les  personnes  qui  entourent 
les  presbytères;  descendez  dans  les  villages  de  nos 
départemens,  et  interrogez  les  fidèles  sur  la  conduite 
des  prêtres  de  la  paroisse.  Si  presque  toutes  les  voix 
ne  sont  pas  d'accord  pour  accuser  les  ecclésiastiques 
de  quelques  liaisons  scandaleuses,  je  passe  condam- 
nation et  consens  à  être  appelé  calomniateur.  Peu 


(23) 

importe,  au  reste,  que  l'on  se  trompe  ou  que  l'on 
expose  des  faits  réels;  les  moeurs  en  reçoivent  tou- 
jours une  mortelle  atteinte.  Le  mépris  des  habitans 
ne  s'en  attache  pas  moins  à  la  personne  de  leur 
pasteur.  Alors  sou  action  pour  faire  le  bien  se 
trouve  paralysée  ;  il  sème  en  vain  la  parole  du 
Seigneur,  Sa  conduite  étant  en  opposition  avec 
ses  discours,  les  paroissiens  arrivent  à  se  persuader 
que  l'on  peut  légitimement  parler  d'une  manière 
et  agir  de  l'autre.  La  bonne  foi  se  dissipe,  la  du- 
plicité et  l'esprit  de  fraude  lui  succèdent,  et  la  so- 
ciété devient  insensiblement  une  réunion  de  bêtes 
cruelles  et  astucieuses  qui  se  craignent  les  unes  les 
autres,  et  qui,  n'osant  pas  se  déchirer  ouvertement, 
emploient  la  ruse,  l'artifice  et  la  trahison,  pour  se 
supplanter,  se  renverser  et  se  détruire. 

CHAPITRE  IV. 

Le  célibat  ri  est  pas  agréable  à  la  divinité. 

On  peut  avoir  déjà  deviné  ma  manière  de  penser 
sur  toutes  les  questions  où  le  principe  religieux  est 
en  collision  évidente  avec  les  lois  de  la  nature.  Il  est 
pourtant  nécessaire  que  je  fasse  ma  profession  de  foL 


C  ^4  ) 

J'ai  déjà  prévenu  que  la  nature,  dans  le  sens 
que  je  donne  ici  ji  ce  mol,  est  ])Our  moi  la  même 
chose  que  Dieu.  Or,  d'après  l'idée  que  je  me  suis 
faite  de  la  divinité,  opposer  loi  à  loi,  révotjuer  au- 
jourd'hui un  ordre  donné  hier ,  n'est  pas  une 
manière  d'agir  digne  d'elle.  Ceux-là  seuls  sont 
sujets  à  changer  leurs  lois ,  qui  sont  sujets  à  er- 
reur, et  encore  une  fois  Dieu  ne  peut  pas  se 
tromper. 

J'espère  que  les  chrétiens  éclairés  ne  me  feront 
pas  un  crime  d'être  d'un  avis  contraire  à  celui  d'une 
grande  foule  de  saintes  gens.  En  ce  qui  touche  la 
foi,  les  saints  doivent  exciter  notre  admiration  et 
en  imposer  à  notre  faible  intelligence  :  ils  sont  ins- 
pirés d'en  haut,  tandis  que  nous,  faibles  mortels, 
nous  ne  pouvons  parvenir  à  la  vérité  qu'à  l'aide  de 
nos  sens,  qui  sont  des  instrumens  peu  sûrs  et  trop 
sujets  à  nous  induire  en  erreur.  Dans  les  questions 
de  philosophie,  d'iiistoire  naturelle  et  de  conve- 
nances sociales,  nous  sommes  autorisés  à  penser 
autrement  qu'eux.  Dieu  n'a  pas  voulu  enseigner  les 
sciences  aux  hommes;  il  a  liuré  le  monde  tout  entier 
à  nos  recherches  et  à  nos  discussions;  et  une  telle 
étude  ne  se  perfectionne  qu'avec  le  temps.  Dans 
combien  d'erreurs  ne  sont -ils  pas  tombés,  les  phi- 
losoplies  des  premiers  âges?  Combien  de  temps  n'a- 
t-il  pas  fallu  pour  en  dissiper  quelques-unes?  Com- 
bien n'en  existe-t-il  pas  encore? 


(25) 

En  quoi  le  célibat  serait -il  agréable  à  la  divinité? 
Est-ce  par  la  pureté  qui  l'accompagne?  Qu'est- 
ce  que  cette  pureté  ?  Les  hommes  ont  étrange- 
ment abusé  des  mots,  et  surtout  de  la  métaphore. 
Pour  moi,  je  ne  sais  pas  me  former  une  idée  nette 
de  cette  pureté.  Une  vierge  est- elle  pure  parce 
qu'elle  ne  devient  pas  mère  de  famille?  Est-ce  une 
tache  de  mettre  au  monde  un  nouvel  homme  (i)? 
Est-ce  une  souillure  d'obéir  à  la  volonté  de  Dieu? 
Dieu  peut-il  aimer  plus  ceux  qui  transgressent  ses 
lois  que  ceux  qui  les  suivent?  Le  mari,  lorsqu'il  s'u- 
nit à  sa  femme,  reçoit  un  surcroît  de  grâces  du  ciel; 
il  est  comblé  des  bénédictions  que  vous  appelez  vous- 
mêmes  sur  sa  tête  :  et  il  pourrait  se  souiller,  se  dé- 
grader vis-à-vis  de  Dieu?  Si  l'acte  de  la  génération 
souille  nos  corps,  comment  se  fait-il  que  la  satisfac- 
tion des  autres  besoins  ne  les  souille  pas?  Plus  j'y 
pense,  plus  je  me  confonds. 

Dieu ,  le  créateur  et  le  conservateur  de  toute 
chose,  condamnerait-il  la  création  ?  Que  diriez-vous 
d'un  homme  qui  cultiverait  des  plantes  pour  qu'elles 
ne  produisissent  aucun  fruit ,  et  qui  ferait  avorter 
toutes  les  plus  belles  fleurs?  Vous  pouvez  lui  passer 


(i)  Sommes-nous  bien  brutes  de  nommer  brutale  Vopé- 
ration  qui  nous  fait ,  dit  avec  sa  naïveté  ordinaire  le  spirituel 
Montaigne. 


(  ^'!  ) 
quelques  fantaisies,  quelques  caprices;  vous  pouvez 
aimer  à  voir  quelques  Heurs  doubles  et  quekjues 
monstruosités  :  les  fruits  et  les  semences  sont  plus 
dans  l'ordre  de  la  nature,  et  suivant  les  exigences 
de  la  société.  Les  fleurs  doubles  conservent  plus  lonj^- 
temps  leur  éclat  et  leur  brillant  coloris  :  en  est-il  de 
même  des  vieri^es? 

Nous  prêtons  trop  souvent  notre  façon  de  sentir 
et  de  penser  à  la  divinité  elle-même.  Cependant  elle 
serait  obligée  d'avoir  des  goûts  bien  contradictoires  : 
quelques  peuples  lui  offrent  ce  qu'il  y  a  de  plus  doux 
et  de  plus  odoriférant,  quelques  autres  ce  qu'il  y  a 
de  plus  amer  et  de  plus  rebutant.  Dans  quelques 
contrées  des  Indes,  on  ne  trouve  rien  de  plus  exquis 
pour  placer  sur  les  autels,  qu'une  plante  à  l'odeur 
infecte  que  nos  botanistes  appellent  communément 
stercus  diaboli  (  l'ordure  du  démon  ).  Si  des  nations 
consacrent  à  celui  qui  a  créé  et  qui  crée  toute  chose, 
des  êtres  condamnés  à  ne  rien  créer,  d'autres  nations 
lui  consacrent  l'image  de  l'organe  générateur  et  le 
fluide  fécondant. 

La  vue  d'une  vierge,  si  elle  est  jeune  et  belle,  fait 
toujours  une  sensation  agréable  sur  les  hommes  ;  et 
rien  n'est  plus  naturel  :  c'est  une  nouvelle  conquête 
à  faire,  c'est  une  nouvelle  source  de  plaisirs  et  de 
douces  jouissances.  Cette  pensée  n'est  pas  toujours 
bien  claire  et  bien  démêlée;  mais  elle  est  toujours  au 
fond    du  cœur,   et   détermine    nos   penchans.  Les 


(  27) 
femmes  éprouvent  Ifi  même  sensation  à  l'aspect  d'un 
beau  jeune  homme  qui  n'est  engagé  dans  aucun  lien  : 
et  le  motif  de  leur  inclination  secrète  est  le  même. 
Faut-il  croire  que  Dieu  a  des  penchans  semblables 
à  ceux  des  faibles  mortels  ?  Si  ce  Dieu  est  Jupiter  ou 
Vénus,  je  n'en  puis  disconvenir. 

Une  vierge  à  la  fleur  de  son  âge  et  dans  l'éclat  de 
sa  beauté  est  un  objet  précieux.  Lorsque  le  teint  se 
décolore  et  que  les  rides  commencent  à  sillonner  le 
visage,  elle  devient  ordinairement  un  objet  de  dé- 
goût et  de  mépris.  Une  mère  sage  et  vigilante  attire 
moins  de  vœux  dans  sa  jeunesse j  mais  plus  elle 
avance  en  âge,  plus  elle  devient  respectable,  et  rien 
n'excite  des  sentimens  aussi  doux  qu'une  vieille  mère 
entourée  de  ses  jeunes  enfans ,  sur  qui  elle  promène 
ses  regards  attendris  et  épanche  son  cœur.  Il  y  a 
donc  compensation,  et  si  la  balance  penche  de  quel- 
que côté,  l'avantage  reste  infailliblement  à  celle  qui 
a  rempli  les  conditions  de  la  nature. 

Pour  être  agréable  à  l'auteur  de  la  vie,  il  faudra 
donc  ne  point  communiquer  la  vie,  et  tourmenter 
sans  cesse  celle  qu'il  nous  a  donnée  ?  Car  ce  n'est  pas 
une  douceur  qu'une  virginité  réelle  ;  ce  qui  lui  at- 
tire Fadmiration  des  hommes,  c'est  précisément  la 
lutte  qvi'un  tel  état  suppose  entre  la  raison  et  les  sens 
mutinés,  et  la  victoire  de  la  première.  Et  cette  lutte 
est  diflicile,  douloureuse;  cette  victoire,  si  jamais  on 
la  remporte,  est  chèrement  achetée.  Les  plaisirs  que 


(  ^8) 
se  permettrait  la  créature,  en  usant  des  organes  dont 
elle  a  été  douée  dans  ce  dessein  par  le  créateur, 
pourraient  donc  irriter  le  créateur  lui-même!  Que 
dirait-on  d'un  père  qui  punirait  ses  enfans  d'avoir 
joui,  en  suivant  ses  ordres,  des  biens  qu'il  leur 
aurait  accordés? 

Est-il  vrai  que  les  austérités  et  les  macérations 
diminuent  la  force  des  appétits,  et  rendent  plus  fa- 
cile l'exercice  de  la  vertu  ?  Les  principes  de  la  raison 
et  l'expérience  des  siècles  portent  à  adopter  une  con- 
clusion contraire.  Les  [»assions  sont  en  général  beau- 
coup j)lus  vives  chez  les  personnes  tjui  manquent  le 
plus  d'embonpoint,  parce  que  les  extrémités  des 
nerfs  étant  presque  à  découvert  à  la  surface  du  corps, 
les  plus  légères  impressions  sont  fortement  senties. 
L'esprit,  dans  les  individus  qui  se  trouvent  dans  un 
pareil  état,  qu'il  soit  l'effet  du  tempérament,  des 
maladies,  ou  du  genre  de  vie  adopté,  est  dans 
une  agitation  continuelle.  Les  personnes  pauvres  , 
les  convalescens,  les  vieillards  et  les  femmes, 
sont  d'une  extrême  susceptibilité.  N'est-ce  pas 
cette  raison  qui  fait  que  les  dévots  sont  en  gé- 
néral si  impatiens?  Dans  le  commerce  ordinaire  de 
la  vie ,  ils  ont  des  expressions  miellées ,  des  manières 
polies,  et  une  humilité  propre  à  faire  concevoir  d'eux 
l'idée  la  plus  avantageuse  ;  viennent-ils  à  avoir  la 
moindre  inquiétude,  la  patience  les  abandonne  aus- 
sitôt, et  ils  ne  manquent  pas  de  vous  accabler  par 


(29) 
les  injures  les  plus  piquantes  et  les  plus  grossiè- 
res (i). 

Supposez- vous  à  la  concupiscence  une  autre  ori- 
gine et  une  autre  allure  qu'aux  autres  appétits?  La 
sensibilité  est  la  source  de  toutes  les  passions ,  et 
elle  est  d'autant  plus  vive  que  le  corps  est  plus  faible. 
Ainsi  les  abstinences,  au  lieu  d'assurer  le  triompbe 
de  la  raison,  assurent  celui  des  sens;  au  lieu  de  con- 
duire l'homme  à  la  vertu ,  elles  le  livrent  au  vice. 

Concluons.  Tout  ce  qui  s'oppose  aux  lois  de  la 
nature  est  aussi  contraire  aux  lois  de  Dieu.  La  na- 
ture n'aime  pas  que  l'homme  souffre  ;  elle  condamne 
les  excès  qui  sont  toujours  à  côté  de  la  privation,  et 
qui,  au  lieu  d'être  une  source  de  biens ,  sont  une 
source  de  maux  infinis.  La  nature  donne  à  tous  les 
individus  de  notre  espèce  des  germes  de  vie  et  des 
organes  appropriés  à  leur  développement;  elle  con- 
damne donc  le  célibat ,  et  Dieu  le  condamne  avec 

(i)  Quelque  lecteur  prévenu  pourrait  rétorquer  cet  ar- 
gument contre  moi-même  ;  car  il  est  de  fait  que  les  céliba- 
taires ont  presque  toujours  plus  d'embonpoint  que  les  gens 
mariés.  Je  ne  parle  ici  que  des  abstinences  qui  tourmentent 
et  qui  font  maigrir.  Les  célibataires  ne  doivent  pas  tant  la 
vigueur  et  l'état  prospère  de  leurs  membres  à  une  continence 
parfaite  qu'à  la  bonne  chère  qu'ils  font  et  au  repos  qu'ils  se 
donnent.  Au  reste,  en  supposant  même  que  les  passions 
chez  les  gens  mariés  soient  plus  vives,  ce  qui  n'est  pas, 
elles  sont  en  eux  sans  aucun  danger. 


(  3o  ) 
elle.  Quicoiujuc  s'impose  pour  devoir  de  faire  avor- 
ter les  |j;ermes  de  la  vie ,  qui  lui  ont  été  départis  dans 
un  autre  dessein ,  viole  les  lois  de  Dieu ,  mérite  sa 
colère,  et  sera  puni.  Les  maladies,  le  délaissement, 
le  creur  flétri,  et  une  mort  précoce  seront  les  instru- 
mens  de  la  vengeance  divine. 

«^vvh^/\lvv\vvvvv^v\^/vv\vv^•\'vv«'vvvvvvvvvv\vvvvvvvvvivvvvvv\'vvv\vv«'/viv\\vv 

CHAPITRE  Y. 

Le  mariage  est  un  état  conforme  a  la  nature  de 
V homme  i  Dieu  Va  ordonné. 

Le  mariage  est  non-seulement  conforme  à  la  na- 
ture de  l'homme,  mais  la  nécessité  et  la  condition 
de  son  existence,  ce  Partout  où  il  se  trouve  une 
»  place  ou  deux  personnes  peuvent  vivre  coramodé- 
»  ment,  il  se  fait  un  mariage,  ))  dit  l'immortel  Mon- 
tesquieu. L'homme  est  né  pour  vivre  en  société,  et 
le  mariage  en  est  le  fondement.  Sans  le  mariage,  il 
ne  peut  y  avoir  ni  bonheur,  ni  société,  ni  hommes. 
L'extrême  faiblesse  et  hi  longueur  de  l'enfance ,  s'il 
n'y  avait  pas  de  mariage ,  exposeraient  à  une  mort 
certaine  tous  ou  presque  tous  les  individus  de  notre 
espèce. 

Je  ne  peux  pas  supposer  d'homme  heureux,  que 
mon  imagination  ne  me  le  représente  à  côté  d'une 


(3,  ) 

chaste  femme,  et  voyant  folâtrer  devant  lui  un  ou 
deux  aimables  enfans.  Avec  quel  bonheur  un  bon 
père  et  une  tendre  mère  contemplent  les  traits,  les 
jeux  et  la  vivacité  enchanteresse  de  leurs  fils!  Quelle 
joie  excite  une  saillie,  un  bon  mol,  nn  geste,  un 
mouvement,  qui  promettent  de  Tesprit  et  des  suc- 
cès! Quelle  ivresse  produit  un  éloge  obtenu,  un  prix 
remporté,  une  victoire  quelconque  !  Y  a-t-il  rien  de 
comparable  aux  sentimens  purs  et  célestes  qui  inon- 
dent l'àme  d'un  père  à  la  vue  des  progrès  de  ses  en- 
fans?  J'en  appelle  aux  suffrages  de  tous  les  pères  et 
de  toutes  les  mères  que  des  préjugés  funestes  ne  dé- 
tournent pas  des  fonctions  sublimes  de  leur  état.  Les 
plaisirs  que  les  célibataires  se  procurent  à  grands 
frais  sont  ternes  et  décolorés  en  présence  des  plaisirs 
doux,  calmes,  enivrans  de  deux  époux  au  sein  de 
leur  famille  :  et  un  état  si  délicieux  ne  serait  pas 
dans  notre  nature;  et  le  fanatisme  priverait  encore 
d'un  bonheur  si  parfait  un  nombre  si  considérable  de 
nos  frères  ! 

Pourquoi  Dieu  aurait-il  donné  à  l'homme  des  or- 
ganes qui  ne  peuvent  avoir  d'application  qu'à  l'aide 
de  la  femme?  pourquoi  aurait-il  donné  à  la  femme 
des  organes  qui,  sans  l'homme,  seraient  inutiles  ? 
Toutes  les  fois  qu'un  ouvrier  fait  un  instrument  il 
a  en  vue  un  objet  d'utilité  quelconque  :  n'y  a-l-il 
que  Dieu  qui  se  trompe  ?  n'y  a-t-il  que  Dieu  qui  tra- 
vaille sans  but  et  sans  dessein? 


(32    ) 

Dieu  commande  expressément  le  mariage  à  tous 
les  iiommes.  Ouvrez  les  premières  paj^es  de  la 
Genèse  ,  de  ce  livre  sacré  que  les  chrétiens  de 
toutes  les  sectes  s'accordent  à  regarder  comme  îa  vé- 
ritable histoire  du  genre  humain  j  lisez.  La  création 
du  monde  était  finie;  Thomme,  formé  le  dernier 
des  êtres,  pour  les  dominer  tous,  était  seul  de 
son  espèce,  tandis  que  tous  les  autres  étaient  accou- 
plés deux  à  deux.  La  sagesse  éternelle  lui  préparait 
une  agréable  surprise.  C'était  peu  de  l'avoir  placé 
dans  un  jardin  délicieux  où  tous  les  biens  delà  terre 
se  pressaient  sous  ses  pas ,  et  où  la  plus  heureuse 
immortalité  devait  être  son  partage.  Une  telle  joie 
était  trop  monotone  et  ne  pouvait  pas  constituer  le 
vrai  bonheur  :  si  quelqu'un  ne  partage  pas  notre 
jouissance,  elle  n'est  jamais  goûtée  qu'à  demi.  Dans 
cette  pensée,  Dieu  se  dit  à  lui-même  :  «  Il  n'est  pas 
bien  que  l'homme  soit  seul;  je  l'ai  fait  pour  vivre 
en  société,  il  a  besoin  d'une  compagne  et  d'un  ap- 
pui; faisons-lui  un  aide  semblable  à  lui-même; 
mais  faisons-le  de  manière  qu'il  constitue  un  tout 
avec  lui ,  qu'il  en  soit  comme  un  membre  néces- 
saire ,  que  sans  ce  membre  il  ne  puisse  pas  être  par- 
fait, entier.  «  Puis  il  fit  entrer  un  sommeil  profond 
M  dans  Adam  ,  et  pendant  qu'il  dormait,  Dieu  lui 
»  arracha  une  côte,  l'entoura  de  chair,  eu  forma  la 
))  femme  et  la  conduisit  devant  Adam.  »  Plein  de 
reconnaissance,  rempli  de   joie  et  de  tendresse,  il 


(33  ) 

reconnut  sa  compagne  et  s'écria  :  «  Ses  os  sont  for- 
»  mes  de  mes  os,  sa  chair  est  formée  de  ma  chair  j  » 
elle  a  été  tirée  de  l'homme,  elle  vivra  toujours 
avec  lui  :  ((  L'homme  quittera  son  père  et  sa  mère 
))  pour  s'attacher  à  sa  femme.  L'homme  et  la  femme 
»  sont  deux  individus  ,  mais  ils  n'en  forment  qu'un 
»  seul  (i).  » 

Jamais  le  mariage  u'a  été  peint  sous  des  traits 
plus  mâles  et  plus  frappans.  Quel  est  le  but  de 
cette  union?  n'est-ce  pas  la  naissance  et  l'éducation 
de  la  famille?  Ecoutez  les  paroles  du  Seigneur  : 
«  Dieu  les  bénit,  et  leur  dit  :  Croissez  ,  multipliez, 
))  remplissez  la  terre,  subjuguez-la  et  dominez  sur 
y)  tout  ce  qui  vole  dans  les  airs,  vit  dans  les  champs 
»  et  se  meut  dans  les  ondes  »  (2). 


(i)  Non  est  bonum  esse  honiinem  solum  ;  faciemus  ei 
adjutoriuin  simile  sibi.  Gen.,  c.  III,  v.  18. 

Immisit  ergo  Dominus  Deus  soporeni  in  Adam;  cuinque 
obdormisset,  tulit  unani  de  costis  ejus  et  replevit  carnem 
pro  ea.  Gen.  c.  III,  v.  21. 

Et  œdificavit  Dominus  Deus  costam  quam  tulerat  de  Adam 
4n  mulierem  ,  et  adduxit  eam  ad  Adam.  V.  22. 

Dixitque  Adam  :  Hoc  nunc  os  ex  ossibus  meis ,  et  caro  de 
carne  mea.  V.  28. 

Quamobrem  relinquet  hoono  patrem  suum  et  matrem  ,  et 
adhaerebit  uxori  suae,  et  erant  duo  in  carne  una.  V.  24. 

(2)  Benedixitque  iUis  Deus,  et  ait:  Cvescite,  et  multi- 
pUcamini,  et  replète  terrara,  et  subjicite  eam,  et  domina- 

3 


(3/,) 

Après  une  loi  si  positive,  que  l'on  mette  encore 
en  doute  ,  si  on  le  peut,  que  Dieu  n'ait  pas  fait 
une  oljligation  du  mariage.  La  loi  est  générale  : 
notre  premier  père  a  parlé  pour  tous,  et  sans  ex- 
ception :  tout  ce  qu'on  veut  opposer  aux  paroles 
de  l'Ecriture ,  tous  les  sophismes  de  l'orgueil ,  de 
l'ambition  et  du  préjugé  ne  détruiront  ni  la  loi 
ni  la  force  irrésistible  qui  nous  entraîne  au  mariage 
ou  au  crime. 

Les  nations  auxquelles  Dieu  n'a  pas  dicté  des 
lois  écrites  ont  deviné  et  suivi  sa  sainte  volonté, 
en  suivant  les  lois  de  la  nature  et  l'inspiration 
de  la  conscience.  Écoutez  le  Zenda-Yesta  :  «  Marie- 
»  loi  dans  ta  jeunesse  ;  ce  monde  n'est  qu'un  pas- 
»  sage  5  il  faut  que  ton  fils  te  suive  et  que  la 
»  chaîne  des  êtres  ne  soit  pas  interrompue.  »  Qui- 
conque a  reçvi  la  vie,  a  reçu  en  même  temps  l'ordre 
de  la  transmettre.  Le  mariage  est  une  obligation 
inviolable  ;  malheur  à  qui  ne  remplit  pas  la  tâche 
qui  lui   est  imposée. 


mini  piscibus  maris,  et  volatilibus  cœli ,  et  universis  ani» 
mantibus  quae  moventur  super  terram.  C.  I ,  v.  28. 


(35) 


V\l\iVVi^VVVVVvVVvV\<t/VVVVVVV*VV\t'VVVVVVVVi^VvVVVVVVVVVV\V\'VVVVVMVVV^'VVV\\VVVVV\/\^V«%\\%VM^ 


CHAPITRE  VI. 


Dans   le  mariage^  il  y  a  plus  de  vertu  que  dans 
le  c.p.lihat. 


le  célibat. 


Le  célibat,  violation  manifeste  d'une  loi  expresse, 
est  un  crime  et  ne  saurait  produire  que  des  crimes  : 
les  fruits  des  plantes  vénéneuses  renferment  du 
poison. 

Le  besoin  de  la  nature  tourmente  toujours  un 
célibataire  et  le  pousse  à  voler  sur  les  autres  les 
biens  dont  il  s'est  privé  lui-même.  De  là,  la  sé- 
duction, le  viol,  l'adultère,  le  trouble  dans  les 
familles ,  les  jalousies  furieuses ,  tous  les  crimes , 
toutes  les  atrocités. 

Un  célibataire  ne  tient  à  rien  •  aucun  lien  assez 
fort  ne  l'attache  ni  à  la  patrie,  ni  à  la  justice.  S'il 
n'est  pas  bien  en  France  ,  il  va  s'établir  en  An- 
gleterre ;  Londres  lui  offre  autant  de  ressources 
que  Paris.  11  ne  s'intéresse  pas  à  la  prospérité  pu- 
blique ;  ses  ancêtres  ont  accumulé  pour  lui ,  lui 
ne  travaille  pour  personne  (i).  Que  l'on  soit 
libre,    que   l'on    soit  esclave,    peu  lui  importe;  il 

(i)  Il  y  a  beaucoup  de  célibataires  dans  les  hautes  classes 
de  la  société'. 

3,. 


(  3G  ) 
ne  craint  pas  les  fers  :  il  a  de  quoi  vivre  ,  et  c'est 
assez.    Il   ne    porte    pas   loin   sa    prévoyance    :    si 
son  amour-propre   et  son   ambition  se  promettent 
quelque    honneur    ou    quelque    avantage  ,     même 
transitoire ,   il  peut   prêter  son  bras  et   toutes  ses 
facultés  à  quiconque  en  réclame    l'emploi.  Toutes 
les  tyrannies  civiles  ou  religieuses  doivent  favoriser 
\e  célibat.  Les  soldats  célibataires  ne  pensent  qu'à 
eux  et  aux  princes  qu'ils  servent;  les  soldats  pères 
de    famille    ne    voudraient    pas    laisser    appesantir 
sur  leur  patrie  un  joug  que  devraient  porter  leurs 
fils.  Un  prêtre  marié  ne  se  prêterait  pas  à  des  pro- 
jets et  à   des   mesures    qui  pourraient   détruire  le 
bonheur   de    ses   enfans;   un    prêtre   célibataire   se 
joint  de  corps  et  d'âme  à  son  chef  spirituel  et  fait 
tous  ses  efforts  pour  enchaîner  les  peuples,  afin  de     I 
les  dominer  sous  la  direction  du  souverain  pontife. 
Un  célibataire   sera   rarement   un   bon   citoven  et 
un  homme  utile. 

Lisez  dans  les  registres  des  greffes  criminels  la 
condition  et  l'état  de  ceux  que  la  violation  des 
lois  a  traduits  devant  les  tribunaux  :  sur  cent  con- 
damnés, quatre-vingt-dix  sont  à  coup  sûr  des  cé- 
libataires. Un  homme  qui  ne  pense  qu'à  lui-même, 
qui  est  tout  là  où  il  est,  qui  en  mourant,  meurt 
tout    entier   (i) ,    s'abandonne    plus    facilement   à 

(i)  Je  veux  dire  dans  ce  monde. 


(37) 
l'entraînement  des  passions  :  l'espérance  d'échap{)€r 
au  glaive  des  lois  en  changeant  de  pays  ,  et  la  cer- 
titude  de  ne   laisser  aijcun   objet  chéri  qui   doive 
recueillir  l'héritage  de  honte  et  de  déshonneur  qu'il 
laisse  après  lui ,   l'animent  et  le  soutiennent  dans 
ses  projets  criminels.  Les  plus  grands  conspirateurs 
et  les  plus  cruels  assassins  étaient  des  célibataires. 
•    Les  célibataires  sont  ordinairement  des  fainéans, 
presque   toujours    disposés    à   se    livrer    au    crime. 
Un  père  de  famille  est  ordinairement  actif  et  ver- 
tueux ;  la  vue  de  ses  enfans  l'encourage  et  l'excite 
au  travail  5  il  les  aime  ;  il  souhaite ,  il  cherche  leur 
bonheur;  il  voudrait  laisser  un  état  à  chacun,  et 
il  redouble  tous  les  jours  d'activité  ;  il  se  livre  à 
toutes  les  spéculations  honnêtes ,  il  s'engage   dans 
toutes  les  entreprises    utiles  ;  il   ne   hasarde  rien  , 
dans  la  crainte  de  compromettre   leur  fortune  ;  il 
ne  s'avance  qu'à  pas  mesurés  ,  et  n'essaie  d'aucune 
chose  qu'il  n'ait  auparavant  prévu  toutes  les  chances 
et  calculé,  avec  l'exactitude  qu'admettent  les  opé- 
rations humaines,  et  les  pertes  et  les  bénéfices.  Un 
père  de  famille  sera  difficilement  réduit  à  la  misère 
par  des  spéculations   gigantesques  et  chimériques  ; 
sa  femme  et  ses  enfans  sont  comme  des  otages  qu'il 
a  donnés  à  la  fortune,  qui  par  conséquent  ne  sau- 
rait le  trahir. 

Connaissant  que   la  vertu  est   un    élément  né- 
cessaire de  la  prospérité  de  l'homme,  le  père  de  fa- 


(38) 
mille  en  donne  l'exemple  à  ses  enfans  et  à  sa  femme. 
En  leur  présence,  il  n'ose  ni  faire  nnc  action  con- 
damnable, ni  se  servir  d'une  expression  indécente: 
il  est  d'une  délicatesse  extrême;  il  abliorrc  tout 
ce  qui  a  la  moindre  apparence  du  vice.  S'il  se 
laissait  entraîner  au  crime  ,  sa  punition  serait  d'au- 
tant plus  terrible  qu'il  aurait  plus  d'enfans  :  chacun 
d  eux  serait  frappé  avec  lui.  Le  père  de  famille 
pourrait  éviter  les  châtimens  de  la  loi  ;  mais  ses 
enfans  resteraient  flétris  dans  l'opinion  des  hommes, 
et  le  nom  de  leur  père  serait  un  reproche  acca- 
blant qui  les  couvrirait  de  honte.  L'ne  telle  idée 
n'a-t-elle  pas  de  quoi  effrayer  le  courage  le  plus 
affermi ,  le  scélérat  le  plus  déterminé  ?  Que  de  mo- 
tifs pour  fuir  le  mal ,  et  pour  faire  le  bien  ! 

Epoux  et  père,  il  sent  le  besoin  de  régner  seul 
dans  le  cœur  de  sa  femme,  et  de  conserver  intact 
l'honneur  de  ses  filles.  Un  sentiment  de  réciprocité 
le  porte  à  respecter  le  lit  de  son  voisin.  Au  reste, 
la  nature  ne  lui  demande  rien  qu'il  ne  puisse  l'ob- 
tenir sans  violer  aucun  droit.  Si  ime  telle  condi- 
tion n'est  pas  plus  près  de  la  vertu  que  le  célibat, 
il  ne  faut  avoir  aucune  confiance  dans  la  raison , 
il  ne  faut  plus  ni  consulter  l'histoire  ni  faire  d'ob- 
servation sur  les  mœurs  de  la  société.  Laissons 
parler  Montaigne  :  <c  Le  mariage,  dit-il,  a  pour 
»  sa  part  l'utilité,  la  justice,  l'honneur  et  la  cons- 
tance.  C'est   une  douce  société  de  vie  ,  pleine  de 


(39) 

))  confiance  et  d'un  nombre  infini  de  bons  et  de  so- 
»  lides  offices ,  et  obHgations  mutuelles  :  à  le  bien 
»  façonner,  il  n'est  pas  de  plus  belle  pièce  dans 
»  la  société.  » 


V\rtVtWV\\^<VVVVVVVVVVVVVM'VVVVVVVVVVVVVVV«A'VVVVVVVVVVV\VVVVW«\WVVVVVVVVVVVVVVVVV«VVVVV^ 

SECTION  II. 

Du  célibat  dans  la  société  cis^ile  depuis 
son  origine  jusqua  l'établissement  du 
christianisme. 


AYANT-PROPOS. 

Le  célibat  est  contraire  à  la  nature,  destructif  des 
mœurs,  nuisible  à  la  multiplication  et  au  bonheur 
de  l'espèce  humaine  :  cependant  il  s'est  établi ,  il  a 
toujours  existé ,  il  existe  et  il  existera  toujours. 
Comment  expliquer  cet  étrange  phénomène?  Les  lois 
qui  régissent  le  monde  physique  ne  présentent  ja- 
mais de  ces  contradictions  j  les  effets  en  sont  cons- 
tans  comme  la  cause  qui  les  produit.  Pourquoi  le 
monde  moral  n'a-t-il  pas  été  assujetti  à  autant  de  ré- 
gularité et  de  constance  ?  pourquoi  les  effets  d'une 
loi  générale  y  sont-ils  si  souvent  gênés,  contrariés 
par  des  lois  spéciales  et  de  détail  ? 

S'il  est  facile  de  multiplier  les  questions,  il  ne  l'est 
pas  également  d'y  répondre.  L'homme  est  un  être 
singulièrement  composé ,  et  dont  les  destinées  pré- 
sentent quelque  chose  de  bizarre.  Le  principe  qui  le 
porte  au  Ijien  le  fait  passer  à  côté  du  mal,  et  il  se 


(4>  ) 

trompe  souvent  de  chemin.  Un  désir  s'oppose  à  un 
antre  désir  5  de  là  une  lutte  dans  son  esprit  ou  dans 
son  cœur,  un  calcul  dans  lequel  une  ombre  pèse  sou- 
vent plus  que  la  réalité,  une  erreur  qui  en  crée  une 
autre,  des  calamités,  un  abîme  où  les  institutions  et 
les  peuples  vont  tour  à  tour  s'ensevelir. 

Le  célibat  est  l'une  de  ces  erreurs  et  de  ces  abîmes. 
Quelle  en  est  l'origine?  où  est-il  né?  A-t-il  pris  nais- 
sance chez  un  peuple  particulier?  s'est-il  répandu 
ensuite  parmi  tous  les  autres  peuples?  ou  bien  est- 
il  né  partout,  lorsque  les  circonstances  ont  été  favo- 
rables à  son  développement  ?  Ainsi  des  semences  res- 
tées long-temps  sans  germer  sous  un  ciel  rigoureux 
donnent  naissance  à  de  nouvelles  plantes  ,  lorsqu'on 
les  transporte  dans  une  température  plus  conve- 
nable. 

Les  lois  civiles  des  différens  peuples  ont-elles  été 
contraires  ou  favorables  au  céUbat?  Là  où  elles  lui 
ont  été  contraires,  l'ont-elles  empêché  de  naître? 
ont-elles  pu  au  moins  en  modérer  l'action?  Là  où 
elles  lui  ont  été  favorables,  en  ont-elles  augmenté  la 
force?  ont  elles  donné  plus  d'étendue,  plus  d'acti- 
vité ,  plus  de  fixité  à  ses  envahissemens? 

Voilà  les  nombreuses  questions  que  je  vais  essayer 
de  résoudre  dans  cette  section;  mais  le  lecteur  doit 
sentir  que  plusieurs  d'entre  elles  présentent  de 
grandes  difficultés.  Je  ferai  tous  mes  efforts  pour  sa- 
tisfaire à  sa  juste  impatience,  je  m'éclairerai  du  flam- 


(  42  ) 

beau  de  riilstoire,  je  hasarderai  quelques  observations 
que  les  faits  pourront  me  sugj^érer,  je  tâcherai  sur- 
tout d'être  précis. 

VVVVV\V\VVVVVVvVVVVVtVVVVVVVVVVVVVVVVVVV4iVV\iVVVvVVVVVVVVVVVVV\VV\iVV\VVVVVVVV^ 

CHAPITRE  PREMIER. 

Origine  du  célibat. 

L'origine  du  céhbat  se  perd  dans  la  nuit  des  temps, 
comme  celle  de  toutes  les  extravagances  humaines. 
Suivant  l'opinion  des  saints  pères,  il  aurait  eu  le 
même  berceau  que  l'homme;  Abel,  l'innocent  Abel 
aurait  été  le  premier  des  célibataires.  Aussi  les  écri- 
vains de  l'église  grecque  l'appellent-ils  pur,  intact, 
vierge,  vrcif^ivoç  (  parthénos  ).  Il  faut  observer  que 
si  ce  saint  homme  a  pu  transgresser  la  loi  de  son 
créateur  sans  commettre  de  crime  et  sans  encourir 
de  punition ,  c'est  que  peut-être  il  n'a  pas  été  cou- 
pable; il  avait  de  bonnes  raisons  à  faire  valoir  pour 
sa  défense.  D'abord,  le  nombre  des  femmes  ne  devait 
pas  être  considérable  dans  ce  temps-là ,  et  l'on  sait 
que  Caïn  était  plus  hardi  et  plus  entreprenant  que 
lui.  Quel  miracle  qu'il  ne  soit  pas  devenu  mari, 
s'il  n'a  pas  trouvé  de  femme?  En  second  lieu,  il 
n'eut  pas  le  temps  nécessaire  pour  accomplir  son 
devoir,  il  fut  emporté  à  la  fleur  de  son  âge;  s'il  eût 


(43) 
vécu  encore  quelques  années,  peut-être  se  serait-il 
marié.  Laissons  la  plaisanterie ,  et  traitons  sérieuse- 
ment un  sujet  aussi  grave  (i). 

D'autres  écrivains,  et  à  leur  tête  Morin,  de  l'A- 
cadémie des  Sciences,  rapprochent  un  peu  plus  de 
nous  l'origine  du  célibat.  U  y  a  eu,  dans  tous  les 
temps  et  chez  tous  les  peuples,  des  hommes  que  la 
nature  a  condamnés  à  ne  rien  être  dans  ce  monde 
et  à  n'y  point  laisser  de  postérité;  ils  sont  eunuques 
des  le  sein  de  leur  mère ,  selon  l'expression  de  l'E- 
vangile; ils  sont  froids  ,  énervés,  incapables  de  rem- 
plir l'acte  de  la  génération.  Pour  eux,  point  de  ma- 
riage; c'est  une  triste  nécessité;  ils  voudraient  le 
contracter,  qu'ils  ne  le  pourraient  point.  Les  femmes 


'(i)  Enfans  du  même  père,  les  fils  d'Adam  épousèreat 
leurs  sœurs  ,  et  cet  usage  s'est  long  -  temps  suivi  en 
Egypte.  Les  anciennes  traditions  orientales  rapportent  que 
Caïn  et  Abel  avaient  chacun  une  sœur  jumelle.  Lorsqu'elles 
eurent  atteint  l'âge  du  mariage,  Adam  proposa  la  sœur 
d'Abel  à  Caïn ,  et  la  sœur  de  ce  dernier  à  Abel.  Caïn  pré- 
tendit conserver  pour  lui  sa  propre  jumelle  qui  surpassait 
en  beauté  celle  qui  lui  était  destinée.  Irrité  de  cette  dé^ 
sobéissance  à  ses  ordres,  Adam  défère  au  Seigneur  le  ju- 
gement de  la  contestation.  Il  ordonne  à  ses  fils  de  présenter 
une  oftVande  et  les  prévient  que  le  Seigneur  décidera  en 
faveur  de  celui  qui  l'aura  présentée.  Abel  obtient  la  préfé- 
rence ;  Caïn  enflammé  de  colère  s'élance  sur  son  frère  et  le 
tue. 


(  44) 

les  méprisent,  les  lois  les  condamnent j  ces  deux 
ol)stacles  sont  insurmontables.  On  n'a  qu'à  voir  au 
chap.  XXIII  du  Deutéronome^  avec  quelle  rigueur 
Moïse  les  a  traités;  l'accès  du  temple  leur  était  même 
interdit.  Si  quelquefois  ils  s'alliaient  en  mariage, 
leurs  femmes  pouvaient  les  abandonner  à  tout  ins- 
tant; elles  n'avaient  qu'à  dénoncer  le  fait  devant 
l'officier  compétent,  qui  les  autorisait  à  quitter  leur 
époux,  sans  même  leur  faire  l'honneur  de  déchausser 
l'un  de  leurs  souliers,  en  présence  du  juge,  ainsi  que 
cela  se  pratiquait  dans  tous  les  autres  divorces  (i). 
Cette  cérémonie  n'a  rien  qui  doive  surprendre  j  il 

(i)  Ces  principes  se  sont  introduits  dans  l'e'glise  catho- 
lique. Saint  Thomas  a  de'claré  que  les  deux  testicules  sont 
de  essentia  matrimonii ,  et  cette  doctiine  a  e'té  adopte'e  par 
les  tribunaux.  Le  8  janvier  i665,  le  parlement  de  Paris 
prononça  uu  arrêt,  par  lequel  il  de'clara  que  sans  les  deux 
testicules  on  ne  pourrait  contracter  mariage. 

Sixte- Quint,  par  sa  lettre  du  25  juin  1687,  ordonna  à 
son  nonce  en  Espagne  de  faire  de'clarer  nuls  les  mariages  de 
toutes  les  personnes  qui  n'avaient  pas  deux  testicules. 

Il  est  à  croire  qu'une  telle  loi  dut  souvent  donner  lieu 
à  des  injustices  criantes.  D'abord,  la  moitié  de  ce  qu'exi- 
geaient saint  Thomas  et  Sixte-Quint ,  pour  valider  le  raa-r 
riage ,  est  suffisante  pour  remplir  les  devoirs  d'e'poux  ;  en 
suite,  chez  nombre  de  personnes,  ces  organes,  quoiqu'ils 
ne  paraissent  pas ,  existent  cependant  et  mettent  l'individu 
en  état  de  s'acquitter  des  fonctions  maritales.  J'ai  vu  moi- 
même  un  chirurgien  habile ,  trompé  par  une  complication 


(  45  ) 

s'en  est  fait  en  France  qui  n'étaient  pas  moins  pi- 
quantes ou  moins  curieuses.  Les  dames  de  qualité, 
et  surtout  les  reines,  avant  que  l'on  procédât  à  la 
célébration  du  mariage,  étaient,  il  y  a  quelques  siè- 
cles, dépouillées  préalablement,  et  un  conseil  de  sé- 
vères matrones  s'assurait  par  l'application  des  yeux 
et  de  la  main  ,  si  la  fiancée  était  en  état  de  faire  des 
enfans.  Ici  ce  n'était  pas  pour  faire  le  divorce,  mais 
pour  le  prévenir.  La  coutume  en  était-elle  plus  sage? 
Froissard  raconte  qu'Isabeau  de  Bavière,  avant  d'é- 
pouser Cbarles  YI,  fut  bien  et  duement  examinée, 
ajoutant  que  cet  usage  était  très  commun  eu  France. 
Ces  célibataires  ne  pouvant  s'allier  dans  aucune 
famille ,  étant  à  peine  tolérés  dans  la  société ,  se  trou- 
vèrent contraints  de  vivre  dans  la  retraite  ou  dans 
l'bumiliation.  Chacun  suivit  son  penchant,  et  plu- 
sieurs d'entre  eux  surent  se  résigner  aux  emplois  les 
plus  bas  et  les  plus  avilissans;  ils  s'en  acquittèrent 
avec  une  édifiante  exactitude ,  ils  obéirent  aux 
moindres  désirs,  au  premier  signe  de  leurs  maîtres. 


singulière  de  symptômes ,  chercher  une  hernie  et  trouver 
un  testicule. 

La  personne  que  l'arrêt  du  parlement  de  Paris  cite  plus 
haut  déclara  incapable  de  contracter  mariage ,  offrit  au 
corps  assemblé  de  la  magistrature  de  lui  donner  à  l'au- 
dience même,  si  on  le  permettait,  une  preuve  irrécusable 
de  sa  capacité  pour  le  mariage. 


(46) 

C'était  là  le  seul  moyen  de  se  procurer  fuielque  bien- 
veillance et  quelque  estime,  et  une  semblable  con- 
duite ne  devait  rien  avoir  de  bien  pénible  pour  eux. 
La  privation  des  organes  qui  distinguent  l'bomme  de 
la  femme  entraîne  la  privation  du  courage ,  de  la 
vivacité  et  de  la  force.  Un  homme  dans  cet  état  est 
moins  qu'une  femme. 

Leurs  services  ne  pouvaient  pas  manquer  d'être 
appréciés  en  Asie.  Les  seigneurs  et  les  princes  de- 
vaient en  avoir  un  besoin  tout  particulier.  A  qui 
confier  mieux  qu'à  de  telles  gens  la  garde  de  leurs 
nombreux  sérails  ?  La  nature  se  ménageait  ainsi  un 
moyen  d'obvier  aux  inconvéniens  de  la  polygamie. 
Aussi  furent-ils  en  vogue:  on  se  les  disputait,  chacun 
voulait  en  avoir;  et  comme  leur  nombre  n'était  pas 
en  proportion  des  besoins,  on  en  fit,  en  dépit  de 
la  nature.  Les  maîtres  s'armèrent  contre  leurs  es- 
claves, les  princes  contre  leurs  sujets,  les  pères  eux- 
mêmes  contre  leurs  propres  tiîs. 

Ce  fut  alors  que  les  eunuques  de  naissance  durent 
être  considérés  comme  bienheureux.  On  en  fit  le 
plus  grands  cas,  on  leur  donna  les  noms  les  plus 
brillans;  ils  étaient  les  eunuques  du  soleil,  parce 
que  cet  astre-dieu  présidait  d'une  façon  toute  parti- 
culière à  leur  naissance;  eunuques  du  ciel,  faits  par 
la  main  de  Dieu  •  et  chacun  enviait  leur  sort.  Beau- 
coup de  personnes ,  pour  qui  le  soleil  n'avait  pas  été 
aussi  indulgent ,  voulurent  atteindre  à  la   perfec- 


(47  J 
tion.  On  peut  s'imaginer  à  quels  douloureux  sacri- 
fices ils  se  condamnaient  dans  un  climat  comme  celui 
de  l'Asie  ,  où  les  passions  sont  si  vives ,  et  l'imagina- 
lion  si  ardente  :  leur  envie  pour  les  célibataires  de 
naissance  dut  s'en  accroître. 

J'intervertirais  volontiers  l'ordre  de  ces  évène- 
mensj  je  suis  plus  disposé  à  croire  que,  d'après  les 
idées  religieuses  qui  s'étaient  déjà  établies  dans  les 
Indes,  des  sages  ou  des  dévols  se  persuadèrent  qu'ils 
feraient  une  chose  agréable  à  la  divinité  s'ils  s'abs- 
tenaient de  tout  commerce  avec  le  sexe.  La  conti- 
nence a  dû  d'abord  être  érigée  en  vertu  dans  les 
contrées  où  elle  était  le  plus  diflicile.  L'homme  na- 
turellement vain  se  fait  partout  un  honneur  d'être  ou 
de  paraître  supérieur  aux  faiblesses  qui  subjuguent  le 
plus  grand  nombre;  c'est  le  plus  sûr  moyen  de  se 
faire  remarquer.  Toute  vertu  suppose  un  sacrifice, 
comme  toute  victoire  un  combat.  Si  l'effet  est 
agréable  à  Dieu,  la  cause  doit  l'être  aussi  :  de  là 
l'idée  de  bonheur  attachée  à  ceux  que  la  force  irré- 
sistible des  passions  ne  forçait  pas  de  violer  leurs 
vœux,  de  là  le  célibat  volontaire. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  première  origine  du  céli- 
bat,  le  mot  xoXoCoi  (  Koloboi)^  que  les  Grecs  ont 
donné  à  ces  invalides,  que  les  Latins  ont  traduit 
par  celui  de  cœlibes  ,  et  qui  signifie  à  la  fois  mu- 
tilé,  heureux^  céleste,  suivant  l'opinion  de  Morin, 
tire  son  étymologie  de  la  langue  des  Indiens.  Il  peut 


(AS) 

donc  se  faire  que  l'idée  de  la  saintelé  du  célibat  ait 
été  importée,  chez  les  nations  de  l'Europe,  delà 
contrée  où  l'on  a  pris  les  mots  pour  l'exprimer. 

Il  n'est  pas  à  croire  qu'un  mal  si  grave,  et  qui  a 
infecté  toutes  les  nations,  soit  découlé  d'une  source 
unique;  mille  faux  principes  peuvent  lui  avoir  donné 
naissance.  11  a  existé  et  il  existe  encore  chez  plusieurs 
peuples  une  doctrine  dont  l'application  a  dû  néces- 
sairement mener  au  célibat.  La  lutte  que  l'homme 
a  remarquée  de  bonne  heure  entre  les  élémens  du 
monde  physique,  et  le  bien  ou  le  mal  qui  résultait 
pour  lui  du  triomphe  de  l'un  ou  de  l'autre,  lui  a 
fait  imaginer  l'existence  de  deux  principes,  de  deux 
génies,  de  deux  natures,  l'une  bonne,  l'autre  mau- 
vaise, qui  se  partageaient  et  se  disputaient  l'empire 
du  monde.  Tous  les  corps,  tous  les  êtres,  qui  exis- 
taient, ou  dont  l'imagination  avait  peuplé  l'espace, 
furent  rangés  sous  le  drapeau  du  bon  ou  du  mauvais 
principe,  suivant  l'idée  qu'on  avait  de  leur  tendance 
au  bien  ou  au  mal.  Par  malheur,  l'homme  se  divisa 
lui-même,  plaça  son  corps  dans  les  rangs  du  mau- 
vais principe  et  son  âme  dans  ceux  du  bon.  Le 
combat  entre  la  raison  qui  veut  toujours  la  justice  et 
le  bien,  et  qui  est  le  plus  noble  produit  de  l'intelli- 
gence, et  les  appétits  fougueux  et  désordonnés  qui 
portent  à  l'injustice  et  au  mal,  et  qui  tiennent  de 
plus  près  à  la  nature  corporelle,  fut  l'idée  mère  de 
.  cette  malheureuse  division. 


(49) 

Suivons-en  les  conséquences  immédiates. 

Ne  fallait-il  pas  souhaiter  et  favoriser  la  victoire 
du  bon  principe?  et  de  là  ne  fallait-il  pas  dompter, 
autant  que  possible  ,    la   renaissante    rébellion    du 
mauvais?  JXe  fallait-il  donc  pas  mortifier,  macérer  le 
corps,  afin  de  l'affaiblir  et  de  le  tenir  dans  la  dépen- 
dance de  l'âme?  Satisfaire  les  appétits  de  la  cbair, 
n'aurait-ce  pas  été  se  soumettre  à  la  puissance  d'A- 
iimane,de  ce  principe  ennemi  qui  voulait  la  perte 
de  Thomme?  Les  dominer,  les  comprimer,  les  étouf- 
fer ,  n'était-ce  pas  se  rendre  agréable  à  Oromase,  à 
ce  principe  ami  qui  s'intéressait  si  fort  au  bonheur 
de  l'espèce  humaine?  Vous  voyez  dans  ces  doctrines 
les  germes  féconds  du  célibat,  des  abstinences,  des 
expiations  de  toute  espèce  :  elles  ont  toutes  la  même 
origine. 

Qu'on  ne  regarde  point  ces  idées  comme  hy- 
potbétiques  et  sans  fondement.  Nous  verrons  plus 
tard  avec  quel  éclat  elles  firent  irruption  au  mi- 
lieu des  chrétiens  des  premiers  siècles  5  elles  pro- 
duisirent un  grand  nombre  d'hérésies  que  l'église 
a  justement  condamnées,  mais  dont  les  principes 
furent  transmis  d'âge  eu  âge,  et  existent  encore  au 
sein  de  l'Europe  civilisée  (i). 


(i)  La  doctrine  des  deux  principes  n'a  pas  seulement 
existé  chez  les  mages,  elle  e'tait  et  est  encore  en  grande 
vogue  dans  le  Pegu.  On  l'avait  introduite  en  Egypte;  elle  a 

4 


(  ^'^o  ) 
Voilà  le  bon  côté  du  célibat.  Jusqu'ici  il  iie  serait 
venu  que  de  l'erreur,  et  aurait  eu  le  bien  pour  ob- 
jet; il  pourrait  être,  sinon  dii^'ue  d'éloge,    l'erreur 
n'en  mérite  jamais,  du  moins  digne  de  pardon.  Mais 
il  a    une    autre  source,  et  qui  est  impure.    Dans 
les  pays  civilisés ,  au  milieu  des  grandes  villes ,  oii  la 
population  a  pris  un  développement  considérable,  il 
s  y  établit  ime  nouvelle  espèce  de  célibat,  auquel  je 
doute  pourtant  qu'on  doive  donner  ce  nom.  Ce  ne 
sont  pas  des  hommes  qui  s'interdisent  tout  commerce 
avec  le  sexe,   des   zoXoCoi,  des  cœlibes  ;  bien  loin 
de  là,  ils  ne  se  proposent  que  de  jouir  d'une  plus 
grande  liberté  dans  leurs  relations;  ils  se  ménagent 
la  ressource  de  changer  tous  les  jours  d'objels.  Ce 
sont  des  monstres  à  figure  humaine  qui  attaquent  les 
mœurs  dans  leur  source,  et  qui  causent  à  la  société 
plus  de  maux  que  la  disette  extrême  et  que  la  peste. 
Et  de  (|uel  prétexte  colorent-ils  une  conduite  si  ré- 
prouvée? Si   vous  avez  la  hardiesse  de  les  blâmer, 
ils  se   moquent  de  vos  scrupules,  ils  allèguent  les 
peines  que  causent  les  soins  de  la  famille  ,  ils  s'excu- 
sent sur  la  difficulté  d'avoir  une  femme  à  eux.  Ces 
raisons  ou  ces  prétextes  ne  servent  qu'à    prouver 


été  sanctifiée  par  la  religion  chrétienne.  La  différence  des 
noms  n'en  apporta  pas  dans  les  choses  :  Arimane  et  Oroniase 
sont  à  peu  près  les  mêmes  que  Typhon  et  Osiris,  Satan  et 
Jéhova. 


(  5ï  ) 

combien  la  corrujition  a  fait  de  progrès.  Si  l'amour 
n'établit  plus  de  relations  fortes  et  durables,  si  les 
enfans  ne  peuvent  plus  cimenter  les  liens  de  la  fa- 
mille ,  si  l'homme  n'a  plus  de  confiance  dans  la  fi- 
délité de  sa  compagne  ,  sur  quelle  base  reposera  le 
calme  du  corps  social  ?  Heureusement  pour  l'espèce 
humaine,  cette  maladie  ne  l'attaque  que  dans  les 
grandes  villes,  où  la  population  va  se  perdre  comme 
dans  un  gouffre  sans  fond  ;  et  les  provinces  peuvent 
réparer  ce  relâchement  de  la  morale,  et  cette  con- 
sommation des  hommes. 

L'amour  des  sciences  et  des  lettres  a  eu  aussi  ses 
célibataires  :  des  hommes,  pour  se  dévouer  entière- 
ment à  la  recherche  de  la  vérité  et  aux  travaux  de 
l'esprit,  ont  évité  le  mariage  comme  un  obstacle  à 
leurs  desseins.  Si  l'on  fait  attention  que  ce  célibat 
s'est  établi  uniquement  dans  les  pays  où  la  cor- 
ruption était  devenue  extrême,  et  qu'aucune  loi  po- 
lilique  ou  religieuse  ne  le  rendait  nécessaire,  on 
pourra  lui  donner,  à  peu  d'exception  près,  la  même 
origine  qu'au  précédent. 


4.. 


(5.  ) 

CHAPITRE  II. 

Célibat  civil. 

Les  lois  civiles  ont  dû  gêner  plus  o\\  moins  l'ac- 
tion des  principes  qui  portaient  les  hommes  au  cé- 
libat. 11  n'est  pas  dans  la  nature  des  gouvernemcns 
politiques  de  favoriser  des  penclians  si  contraires  au 
développement  de  la  puissance  et  de  la  prospérité 
des  peuples. 

Plus  un  gouvernement  est  moral  et  selon  la  na- 
ture de  l'Iiomme,  plus  il  doit  porter  au  mariage 
et  à  la  multiplication  de  l'espèce. 

La  démocratie,  où  l'égalilé  des  droits  établit  une 
lutte  perpétuelle  entre  les  citoyens,  est  un  état  con- 
traire au  célibat.  Les  citoyens  y  sentent  la  néces- 
sité d'alliances  fortes  et  durables  :  plus  ils  ont 
d'enfans  et  de  relations,  plus  ils  ont  d'influence  et 
de  pouvoir;  et  leur  volonté  fait  la  loi.  Mais  souvent 
nn  principe  s'oppose  à  l'autre  et  en  gène  plus  ou 
moins  l'exécution  :  le  besoin  de  fixer  le  nombre  des 
citoyens  appelés  par  leur  vote  à  prendre  part  à  la 
souveraineté  de  la  nation,  a  porté  plusieurs  légis- 
lateurs à  mettre  des  entraves  à  la  multiplication  des 
familles. 

L'aristocratie  et  les  gouvernemens  mixtes,  qui  ne 


(53  ) 

sont  que  des  aristocraties,  ont  restreint  ces  principes. 
Ceux  qui  ne  prennent  point  de  part  à  la  souverai- 
neté ne  sentent  pas  la  nécessité  impérieuse  d'avoir 
une  grande  clientelle  et  une  nombreuse  famille.  En 
revanche,  les  lois  ne  se  soucient  pas  beaucoup  de 
l'augmentation  des  classes  non  privilégiées,  et  il  peut 
y  avoir  compensation. 

Sous  les  gouvernemens  monarchiques,  ces  prin- 
cipes se  trouvent  presque  éteints.  Ln  seul  commande, 
un  seul  est  puissant  et  a  droit  à  la  puissance  ;  les 
autres  vivent  dans  la  sujétion  et  presque  dans  l'abais- 
sement. 

Le  despotisme,  par  lui-même,  est  encore  beau- 
coup moins  favorable  au  développement  de  la  po- 
pidation.  Là  il  n'y  a  nulle  estime  de  l'homme,  et 
toute  puissance ,  celle  du  despole  exceptée,  y  est 
un  crime.  Toutes  les  fois  cjue  l'accroissement  de  la 
population  ne  donnera  pas  d'ombrage  au  despote, 
il  n'aura  aucun  intérêt  à  l'arrêter.  Les  hommes 
puissans  pourront  y  être  en  danger,  les  sujets  obs- 
curs pourront  n'éprouver  que  fort  peu  de  gêne.  Un 
despotisme  tranquille  pourra  quehjuefois  paraître 
plus  favorable  à  la  multiplication  de  notre  espèce  , 
qu'une  liberté  inquiète. 

Les  gouvernemens  seront  donc  plus  ou  moins  en- 
clins à  favoriser  la  population,  suivant  qu'ds  auront 
plus  ou  moins  de  liberté,  qu'ils  seront  plus  ou  moins 
ombrageux,  plus  ou  moins  éclairés. 


(54) 

Le  principe  religieux  entre  dans  tous  les  états, 
comme  un  correctif  ou  comme  un  moyen  d'action, 
pour  afifaiblir  ou  pour  seconder  les  principes  qui 
tendent  à  la  multiplication  des  hommes. 

Les  ij'ouvernemens  constitutionnels  offrent  un  mé- 
lange heureux  de  ces  différens  principes.  La  royauté, 
l'aristocratie,  le  peu[)le  sont  là  dans  une  lutte  per- 
pétuelle, se  regardent,  se  craignent,  se  balancent, 
se  corrigent  mutuellement.  Aucune  forme  n'est  plus 
favorable  à  une  sage  liberté  j  tous  les  intérêts,  toutes 
les  o})inions  sont  représentés  et  garantis;  l'industrie, 
le  commerce,  l'agriculture  et  les  lumières  n'y  trouvent 
point  d'obstacles  invincibles.  La  population  doit  donc 
s'élever  promptement  avec  l'augmentation  des  res- 
sources, favorisées  par  la  liberté;  le  célibat  ne  peut 
donc  pas  y  être  protégé  par  les  lois. 

Le  célibat  est  incompatible  avec  une  liberté  sage. 
On  peut  observer  que  toutes  les  fois  qu'une  nation 
a  repris  son  indépendance  religieuse  ou  politique, 
le  célibat  a  été  frappé  à  mort  et  le  mariage  encou- 
ragé, non  par  des  récompenses  et  par  des  exemptions 
promises  par  le  législateur,  mais  par  le  nouvel  ordre 
de  choses  lui-môme.  Les  réformes  religieuses  du 
XYP  siècle  ajoutent  du  poids  à  cette  remarque  ; 
les  différentes  phases  qu'a  présentées  la  révolution 
française  en  font  une  vérité  palpable.  Dès  que  la  na- 
tion fut  libre,  en  1790,  le  célibat  fut  proscrit;  la 
tyrannie  succédant  bientôt  à  la  hberté,  le  célibat  fut 


(  55  ) 
soutenu,  d'abord  par  des  dispositions  législatives, 
ensuite  par  la  volonté  absolue  et  despotique  de  celui 
qui  avait  en  quelque  sorte  succédé  à  la  loi.  Il  n'osa 
pas  attaquer  ouvertement  le  principe  démocratique 
qui  dominait  nos  institutions  de  cette  époque  :  il  s'y 
prit  d'une  manière  indirecte  :  ne  pouvant  pas  détruire 
le  droit  en  lui-même,  il  en  rendit  la  jouissance  dif- 
ficile. 

La  charte  venant  après,  la  liberté  étant  redonnée 
à  la  France,  le  célibat  a  reçu  de  nouvelles  atteintes, 
et  s'il  ne  s'écroule  pas  encore,  il  le  doit  seulement 
aux  anciennes  habitudes  que  la  restauration  nous  a 
ramenées.  Cependant,  comme  il  est  dans  les  prin- 
cipes du  gouvernement  constitutionnel  de  rendre 
toute  leur  liberté  aux  sentimens  de  la  nature,  le 
célibat,  en  France,  ne  peut  plus  avoir  une  longue 
durée. 

Pvome  présente  le  même  spectacle.  Les  lois  de 
Jules  César  et  des  premiers  empereurs  sont  une  éma- 
nation du  principe  républicain;  aussi  furent-elles 
bientôt  oubliées,  lorsque  le  principe  monarchique 
eut  acquis  toute  sa  force.  Ce  que  le  sénat  et  les  tri- 
buns du  peuple  auraient  eu  horreur  de  voir  jn'o- 
poser,  les  empereurs  et  les  pontifes  mirent  la  plus 
grande  persévérance  à  l'établir. 

Des  lois  et  des  circonstances  particulières  peuvent 
seconder  ou  contrarier  le  principe  constitutif  des  diP 
férens  gouvernemens.  Dans  un  état  constitutionnel, 


où  le  droit  des  citoyens  est  attaché  à  la  richesse,  il 
est  facile  de  prévoir  que  les  pères  n'aimant  pas  le 
partage  de  leur  fortune,  d'oii  dépendrait  l'abaisse- 
ment de  leur  famille,  doivent  mettre  le  plus  d'en- 
traves possible  au  penchant  de  leurs  fils  au  mariage. 
Le  droit  d'aînesse  et  les  couvcns  sont  presque  un 
produit  naturel  de  cet  ordre  de  choses.  L'autorité 
concourt  elle-même  à  opérer  cette  révolution  ;  plus 
les  fortunes  se  concentrent ,  plus  il  est  facile  de  les 
influencer,  de  les  dominer,  de  rendre  illusoire  le 
principe  constitutionnel.  En  outre,  l'autorité  ac- 
corde tout  naturellement  sa  protection  aux  céliba- 
taires, qui,  dégagés  de  tout  lien,  s'attachent  plus 
facilement  à  elle  et  la  secondent  dans  ses  desseins. 
C'est  à  peu  près  ce  que  nous  avons  observé  dans  les 
républiques,  où  le  législateur  s'était  proposé  de  bor- 
ner le  nombre  des  familles. 

Si  le  législateur  dicte  des  lois  à  un  peuple  guer- 
rier et  qu'il  excite  à  la  conquête,  la  force  des  choses 
le  porte  à  favoriser  le  mariage ,  et  à  proscrire  le 
célibat.  Pour  faire  la  guerre  et  étendre  au  loin 
sa  domination,  il  faut  des  hommes,  et  le  célibat 
les  détruit.  Moïse  et  Mahomet  n'auraient  pu 
protéger  les  célibataires.  Alexandre  ne  gênait  pas 
ceux  de  ses  soldats  qui  voulaient  se  marier;  il  leur 
donnait  lui-même  l'exemple,  et  fondait  sur  sou  che- 
min des  villes  pour  leurs  enfans.  On  sait  que  César 
et   Auguste   n'aimaient  pas  le  célibat.   Louis  XIV» 


l  67  ) 
à  leur  exemple  ,  offrit  des  récompenses  aux  mariés 
et  à  ceux  qui  donneraient  de  nombreux  enfans  à 
l'État  (i).  Napoléon  fait  exception  à  la  règle  com- 
mune ;  mais  que  l'on  fasse  attention  que,  prince  nou- 
veau, il  croyait  avoir  besoin  de  l'appui  de  ses  prêtres 
pour  s'établir  sur  le  trône  ;  en  cela  ,  il  était  l'es- 
clave de  Pie  YIX ,  et  certes  il  ne  s'en  doutait  pas. 
On  sentira ,  je  l'espère  ,  que  ces  observations  gé- 
nérales sont  utiles  pour  mieux  saisir  toutes  les 
causes  qui  contrarient  ou  secondent  l'établissement 
et  le  développement  du  célibat,  même  du  célibat 
religieux.  Une  forme  particulière  de  gouvernement 
est  plus  ou  moins  propre  qu'une  autre  à  favoriser 
ses  envaliissemens. 

v»Vv^^V'vvt\^vvvv^,^vvv^v\v\•v>.v^.vvvv^^vv\«.■vvvv\vvf\vv\vv^v\^vvvvvx^A^vv\^v>vv^vvvvvvvv\vv\w\v» 

CHAPITRE  IIÏ. 

Inde  j  Perse,  Egypte  et  autres  pays. 

Les  passions,  sous  la  zone  torride ,  sont  aussi 
brûlantes   que   le    soleil  qui  les  allume  j  le   célibat 

(i)  La  politique  et  la  bigoterie  ferineut  souvent  les  yeux 
rnême  aux  hommes  supérieurs.  Louis  XI V^  lui-même ,  en 
défendant  le  mariage  enti-e  les  protestans  elles  catholiques, 
dut  causer  à  la  population  un  dommage  considérable ,  que 
ses  récompenses  aux  catholiques,  ])ères  do  nombreuses  fa- 
milles, ne  purent  pas  réparer.  > 


(58) 
n'aurait   donc   pas  dû  s'y    ôriger  en    loi,  la  polv- 
ganiio  y  était  beaucoup  plus  naturelle. 

Les  organes  de  la  génération  ont  été  adorés  chez 
plusieurs  nations  dans  les  contrées  méridionales. 
Les  unes  en  otFraient  une  parcelle  à  leurs  divinités, 
et  c'est  peut-être  de  ce  piincipe  religieux  ({ue  la 
circoncision  a  tiré  son  origine  ;  les  autres  consa- 
craient sur  les  autels  de  leurs  dieux  une  partie 
de    la  liqueur   dont  la  nature   a  pourvu  l'homme. 

En  Egypte,  les  dames,  pendant  les  fêtes  de 
Bacchns ,  portaient  attachée  à  leur  cou  l'image  de 
l'organe  génital  artistement  formée  en  bois,  et  d'une 
grosseur  proportionnée  à  leur  force  respective.  La 
statue  de  leur  Dieu  en  représentait  un  qui  sur- 
passait en  mesure  tout  le  reste  du  corps  :  Hérodote 
le  dit  dans  le  second  livre  de  ses  histoires  :  «  aiS'olov 
))  QV  7ro?^Xù),  TiCt)  iKcC7<T0V  èOU  TOV  ctAAov  (TçofJiaroç.  » 
Les  femmes  mariées  représentaient  sur  leur  couvre- 
chef  la  figure  de  cet  organe  ,  la  portant  sur  le  front 
tant  que  leurs  maris  vivaient ,  la  tournant  en  ar- 
rière et  la  cachant  sous  leur  coiffure  lorsqu'ils 
étaient   morts. 

Cette  cérémonie  existait  et  existe  encore  dans 
rinde  ,  chez  les  sages  bramines.  Or,  est-il  possible 
que  le  célibat  ait  pu  être  en  honneur  au  milieu 
de  peuples  qui  avaient  élevé  des  autels  et  établi 
un  culte  en  l'honneur  de  la  génération?  Qjiand 
même,   lors   de   l'institution    d'une  cérémonie  qui 


(59) 

nous  paraît  si  indécente  ,  le  législateur  n'aurait 
pas  eu  l'intention  de  commander  la  dépravation 
des  mœurs;  quand  même,  comme  le  prétendaient 
quelques  philosophes ,  le  but  de  la  religion  de  ces 
peuples  n'aurait  été  dans  l'origine  cjue  d'honorer 
la  divinité  par  le  symbole  de  la  vie  que  noiis  avons 
reçue  d'elle,  il  est  facile  de  sentir  que  dans  des 
temps  où  les  hommes  étaient  moins  simples  ,  de 
pareilles  cérémonies  devaient  avoir  inspiré  la  licence 
et  hâté  la  corruption.  Ces  signes  étaient  aussi  portés 
en  procession  dans  les  fêtes  de  Bacchus,  que  la 
Grèce  célébrait  avec  un  si  grand  enthousiasme; 
et  l'on  sait  que  ce  dieu  était  l'ami  de  Vénus  (i). 
Les  mages  conseillaient  le  mariage  et  en  don- 
naient l'exemple  :  il  devait  être  suivi,  a  Les  Perses 
))  n'ont  été  si  nombreux  que  parce  que  la  religion 


(i)  Tout  semble  porter  à  croire  que  ces  peuples  se  sont 
au  contraire  livrés  à  la  plus  infâme  prostitution.  On  ne  se 
bornait  pas  même  à  l'exercer  d'homme  à  femme.  L'espèce 
humaine  se  mêla  à  celui  d'entre  les  animaux  qui  passe  pour 
être  le  plus  lascif.  Les  femmes  s'unirent  aux  boucs,  les  hom- 
mes aux  chèvres.  Suivant  quelques  historiens  et  saint  Jérôme 
lui-même,  les  satyres,  si  toutefois  ils  ont  existé,  nous  sont 
venus  de  là.  Saint  Jérôme  et  les  historiens  se  sont  sans  doute 
trompés.  L'accouplement  entre  des  animaux  d'une  organi- 
sation si  différente  n'a  pas  pu  être  fécond.  Leur  témoignage 
prouve  que  de  telles  unions  ont  eu  lieu  fréquemment.  J'en 
donnerai  bientôt  des  preuves  encore  plus  évidentes. 


(6o) 

))  des  mages  enseignait  que  l'acte  le  plus  agréable 
;)  à  Dieu  était  de  faire  un  enfant,  de  labourer  un 
»  cbamp  et  de  planter  un  arbre.  »  Nous  avons 
déjà  cité  les  expressions  du  Zenda-Vesta,  qui  était 
l'Alcoran  ou  la  Bible  de  la  Perse*  La  j)opulation 
n'a  jamais  été  si  nombreuse  chez  aucun  peuple. 
Les  armées  que  les  rois  de  cette  nation  condui- 
sirent contre  la  Grèce,  ou  opposèrent  à  Alexandre, 
éliraient  presque  l'imagination.  IN'ayant  dans  notre 
Europe  aucun  exemple  d'une  multitude  si  prodi- 
gieuse d'hommes,  nous  sommes  naturellement  dis- 
posés à  croire  que  les  historiens  des  anciens  temps 
ont  beaucoup  exagéré  le  nombre  des  ennemis  que 
leurs  concitoyens  avaient  taillés  en  pièces  (i). 

Ce  que  l'on  dit  des  mœurs  de  Babylone  peut 
nous  fournir  de  nouveaux  motifs  de  croire  que  le 
célibat  n'était  pas  en  estime  chez  les  peuples  de  la 
Perse.  En  admettant  que  ces  fêles  abominables,  où 
la  prostitution  était  un  acte  de  piété,  n'aient  ja- 
mais existé,  et  que  jamais  les  ministres  de  Bélus 
n'aient  tendu   de  pièges  à  l'innocence  des  vierges, 


(i)  Les  Perses,  dit-on,  admettaient  leurs  femmes  à  leurs 
festins;  mais  lorsqu'ils  s'apercevaient  que  les  vapeurs  du 
vin  leur  faisaient  perdre  toute  retenue,  ils  les  faisaient  ren- 
trer dans  leur  appartement  et  appelaient  auprès  d'eux  des 
femmes  envers  lesquelles  ils  ne  se  croyaient  obhgés  à  aucune 


(6.  ) 

toujours  faut-il  donner  un  fondement  quelconque 
à  des  bruits  si  anciens  et  si  souvent  rëpéle's.  11  n'y 
a  pas  de  fable  qui  n'ait  un  sens.  Les  expressions 
dont  se  sert  la  sainte  Bible  sont  conformes  à  l'opi- 
nion des  auteurs  profanes. 

Cet  état  de  choses  pouvait  certainement  admet- 
tre aussi  des  célibataires,  mais  non  des  lois  pro- 
tectrices du  célibat.  La  religion  et  la  politique  les 
condamnaient  également.  Hérodote  et  Strabon  nous 
apprennent  que  les  rois  de  la  Perse  avaient  l'ha- 
bitude de  faire  chaque  année  des  présens  à  ceux 
de  leurs  sujets  qui  étaient  chargés  d'une  nom- 
breuse f^miille. 

Les  Perses  modernes  ont  conservé  la  doctrine 
des  mages  :  lorsque  le  niabad  donne  la  bénédic- 
tion nuptiale  aux  nouveaux  mariés  ,  il  leur  dit  : 
«  QvCOsmud,  juste  juge,  vous  accorde  beaucoup 
»  d'enfans,  des  mâles,  une  nourriture  abondante, 
y)  l'amitié   du    cœur.  » 

A  la  Chine,  les  citoyens  sont  obligés,  d'après 
les  lois,  de  contracter  mariage.  Il  est  vrai  que  com- 
me les  femmes  s'j  achètent  fort  cher,  des  per- 
sonnes dont  la  fortune  est  modique  ne  poiuraient 
que  difficilement  remplir  ce  devoir  sacré;  mais  l'em- 
pire oflPre  des  ressources  pour  tout  le  monde.  Les 
pauvres  gens  n'ont  qu'à  se  porter  aux  maisons  des 
enfans  trouvés,  et,  pourvu  qu'ils  jouissent  d'une 
bonne  réputation,  on   leur   permet   de  choisir. 


(b2) 

Une  loi  du  Japon  fait  présumer  que  le  célibat 
ne  doit  pas  y  être  encouragé.  Il  est  permis  aux 
femmes  enceintes  de  se  faire  avorter,  si  elles  n'ai- 
ment pas  une  nombreuse  famille  ou  si  elles  ne 
peuvent  pas  l'entretenir.  Ainsi  l'un  des  motifs 
qui  déterminent  beaucoup  d'hommes  à  s'imposer 
le  célibat,  ou  au  moins  à  s'éloigner  du  mariage, 
n'existe  pas  pour  eux.  La  facilité  du  divorce  est 
aussi  un  moyen  propre  à  leur  faire  contracter  des 
liens  qu'ils  peuvent  dissoudre  presqu'à  volonté. 
La  moindre  cause,  on  pourrait  presque  dire  le  moin- 
dre prétexte ,  peut  donner  lieu  à  une  séparation 
et  à  une    union  nouvelle. 

Une  loi  du  royaume  de  Bénin  fait  dépendre, 
comme  en  France,  le  mariage  des  militaires  de 
la  volonté  du  souverain.  Il  n'y  est  permis  aux  cour- 
tisans ni  de  se  marier,  ni  même  de  couvrir  leur 
nudité,   sans  une    permission   du  Roi. 

Dans  les  environs  de  Sofala,  les  filles  avant  de 
contracter  mariage,  sont  obligées  d'aller  dans  une 
campagne  déserte  et  d'y  pleurer  la  virginité  qu'elles 
brûlent  de  perdre.  Les  pareus  et  les  amis  accou- 
rent de  toutes   {)arts  pour  les  consoler.  Quelle  loi  ! 

Dans  quelques  contrées  des  Indes,  comme  à 
Haly,  chaque  ]iagode  entretient  des  danseuses  de 
profession,  qui  sont  des  filles  publiques,  et  qui, 
pendant  la  célébration  des  fêtes  solennelles,  exé- 
cutent des    danses  fort  lascives  à  la  vue   de   tous 


(63; 

les  dévots.  Les  prêtres  dansent  avec  elles,  n'étant 
couverts  que  d'un  caleçon  fort  léger.  Que  doit-on 
penser  de  la  continence  de  ces  peuples,  et  des  lois 
qui  tolèrent,  qui  même  établissent  des  usages  si 
contraires  à  la  pudeur?  Quelques  danses  sacrées 
des  prêtres  de  l'ancieniîe  Rome  n'étaient  guère  plus 
décentes  (i)  . 


(i)  Dans  plusieurs  endroits  des  Indes,  les  filles  qui  se 
marient  sont  obligées  de  sacrifier  leur  virginité'  à  leur  dieu. 
On  les  conduit  en  grande  cére'monie  devant  l'idole  qui  est 
en  position  de  prendre  ce  que  les  maris  des  autres  contrées 
de  la  terre  ne  sont  dispose's  A  céder  à  personne.  Un  principe 
de  dévotion  à  peu  près  du  même  genre  portait  les  nouvelles 
épouses  de  Rome  à  s'asseoir  sur  la  statue  de  Priape. 

Quoique  la  chasteté  soit  beaucoup  recommandée  dans 
quelques  provinces  des  Indes  orientales,  il  est  presque  per- 
mis aux  femmes  mariées  de  se  livrer  à  celui  c|ui  leur  ofFre 
un  éléphant  pour  prix  de  leur  honneur.  Elles  en  tirent  même 
vanité,  et  regardent  comme  une  gloire  d'avoir  été  achetées 
à  un  si  haut  prix. 

Les  Scythes  avaient  un  usage  d'oi!i  l'on  peut  facilement 
inférer  que  leurs  mœurs  étaient  aussi  corrompues  qu'elles 
étaient  barbares.  Les  femmes  crevaient  les  yeux  à  leurs 
esclaves  et  aux  prisonniers  de  guerre ,  pour  n'avoir  pas 
à  craindre  leurs  regards  ni  leur  indiscrétion;  et  que  sais-je 
pour  quel  autre  motif. 


(6/,) 

CHAPITRE  lY. 

Des  Hélreiix. 

Aucun  législateur  n'a  clé  plus  ennemi  du  céli- 
bat que  Moïse ,  et  aucun  peuple  n'a  été  plus  ri- 
gide observateur  de  ses  lois  que  les  Hébreux.  Dieu 
leur  avait  ordonné  de  croître,  de  multiplier  et 
de  remplir  le  monde;  et  ils  se  croyaient  destinés 
à  le  posséder  tout  entier.  II  fallait  donc  lâcher 
d'attcindi-e  à  celte  population  innombrable  qui  a- 
vait  été  promise  à  leur  patriarche  Abraham. 

Les  lois,  et  les  mœurs  qui  les  font  naître,  ou 
qui  en  naissent,  ont  sanctionné  ce  principe.  Le  cé- 
libat a  toujours  été  condamné  par  les  docteurs  hé- 
breux comme  un  crime  contre  la  nature  ;  et  le 
mariage  considéré  comme  une  obligation  étroite 
pour  tout  homme  qui  n'est  pas  impuissant.  Le  cé- 
libat forcé  ou  volontaire  était  d'abord  un  objet  de 
mépris.  La  stérilité  elle-même,  qui  certes  n'est  pas 
un  crime,  était  sujette  aux  plus  cuisans  reproches. 
Peul-il  V  avoir  quelque  chose  de  plus  louchant 
que  les  plaintes  d'Anne,  femme  d'Elcana,  à  qui  Phé- 
nenna,  sa  rivale,  répétait  souvent,  pour  l'humilier, 
qu'elle    n'avait    jias    d'cnfans  ,    et    que   Dieu   avait 


(65  ) 
fermé  son    sein  [  concluserat   vuham   ejus.)7   La 
tendresse  de  son  mari  n'était  pas  une  consolation 
capable    de    soulager    sa   douleur.  (  i  ) 

Mourir  dans  la  virginité  était  le  plus  grand  des 
malheurs  chez  les  Hébreux.  La  fille  de  Jephté,  con- 
damnée à  mort  par  le  vœu  imprudent  de  son 
père,  ne  demanda  d'autre  grâce  que  de  se  retirer 
pendant  deux  mois  sur  les  montagnes  voisines  , 
pour  Y  pleurer  avec  ses  amies  sa  malheureuse  vir- 
ginité (  2  ).  Ce  temps  écoulé,  cette  fille  qui  ne  con- 
naissait point  d'homme  vint  subir  sa  fatale  des- 
tinée. On  institua  une  fête  dans  laquelle  les  vier- 
ges d'Israël  se  réunissaient  tous  les  ans  pour  dé- 
plorer, pendant  quatre  jours ,  le  triste  sort  de  la 
fille   de   Jephté. 

Les  commentateurs  de  Moïse  prétendent  que  ce 
législateur  avait  établi  qu'à  vingt  ans  on  était 
obligé  de  se  marier.  Parmi  eux,  c'est  une  maxime 
constante  que   tout  homme  qui  ne  cherche   pas  à 


(i)  Reg.,  c.  P"".  Les  plaintes  d'Anne,  mère  de  la  très  sainte 
vierge ,  dans  le  proto-évangile  de  saint  Jacques ,  sont  aussi 
touchantes  que  celles  de  Phe'nenna.  Leurs  prières  et  leurs 
larmes  e'murent  e'galeraent  le  Seigneur. 

(2)  Jud.^  c.  II.  Cet  usage  est  contraire  à  celui  des  vierges 
de  Sofala.  Les  filles  pleurent  là ,  parce  qu'elles  doivent  de- 
venir femmes;  Jephte'  pleure,  parce  qu'elle  ne  peut  pas  le 
devenir.  Le  monde  est  fait  ainsi. 


(66  ) 
avoir  des  héritiers  est  un  homicide.  ]N'est-ce  pas 
à  cette  doctrine  ({lie  ce  peuple  iDalheureiix  doit 
de  s'être  toujours  conservé  et  raème  niultiphé,  au 
miheu  des  persécutions  affreuses  auxquelles  il  a 
été  depuis  tant  de  siècles,  et  est  encore  en  butte? 

Moïse  a  porté  jusqu'au  scrupule  les  égards  envers 
les  nouveaux  mariés.  Pendant  un  an,  un  homme 
qui  s'est  engagé  dans  les  liens  du  mariage,  ne 
peut  être  séparé  d'auprès  de  sa  femme  par  aucun 
motif  d'utilité  publique,  pas  même  par  le  devoir 
sacré  de  défendre  la  patrie.  On  doit  le  laisser  à 
côté  de  son  épouse ,  pour  qu'il  se  livre  avec  elle 
à  une  jouissance  pure   et  légitime  (i). 

Aussi  était-ce  un  honneur  chez  les  Hébreux  d'a- 
voir une  nombreuse  famille.  L'Ecriture  ne  parle  ja- 
mais de  la  multiplicité  des  enfans,  qu'elle  ne  fasse 
l'éloge  de  leurs  pères  :  la  couronne  des  vieillards , 
ce  sont  les  enfans  de  leurs  enfans,  y  est-il  dit.  Plus 
on  en  avait ,  plus  on  se  croyait  comblé  de  béné- 
dictions. La  noblesse  et  la  puissance  consistaient 
dans  le  nombre  des  enfans;  c'était  un  moyen  de 
devenir  historique.  Ainsi  Géroboal  est  renommé 
pour  avoir  eu  soixante-dix  enfans  de  ses  femmes 
légitimes,  et  un  de  sa  concubine;  Roboam,  pour 
avoir  été  père  de  vingt-huit  fils  et  de  soixante  filles; 
Siba,  serviteur  de  Saiil ,  pour  avoir  cultivé  le  pa- 

(i)  Dénier.,  c.  XXIV,  V.  5. 


(07) 
trimoine  de  Miphiboseth  avec  ses  quinze  fils  et  ses 
vingt  esclaves;  Jair,   pour  avoir  eu  trente  fils  dans 
le  service. 

Les  lois  de  Moïse  sur  le  mariage  iie  sont  pas 
toutes  aussi  sages  qu'elles  auraient  du  l'être.  Com- 
ment justifier  la  procédure  qu'il  a  donnée  avec  tant 
de  détails,  pour  que  les  ministres  des  autels  pus- 
sent parvenir  à  s'assurer  si  une  épouse  accusée 
d'infidélité  avant  le  mariage  est  vierge  ou  si  elle 
ne  l'est  pas?  Ou  ce  remède  était  un  poison,  et  peu 
de  personnes  auront  échappé  à  sa  violence ,  ou 
c'était  un  breuvage  indifférent  qui  n'agissait  que 
sur  l'imagination  ,  et  il  doit  avoir  été  funeste  aux 
esprits  faibles.  Il  ne  faut  pas  se  jouer  ainsi  de  la 
simplicité  des  hommes.  Cette  loi  n'aurait-elle  pas 
servi  de  prétexte  et  de  fondement  aux  jugemens  de 
Dieu(i)? 

(i)  Num.,  c.  V.  —  Les  eaux  ambres  ont  été  empioyées 
pendant  une  longue  suite  de  générations  parmi  les  Hébreux. 
Dans  le  prolo-évangile  de  saint  Jacques,  qui  se  lit  encore, 
dit-on,  dans  quelques  églises  de  l'Orient,  il  est  dit  au  cha- 
pitre XVI  que  le  grand-prètre  fit  boire  de  l'eau  de  jalousie 
à  saint  Joseph  et  à  son  épouse.  C'est  sans  doute  une  fausseté, 
comme  tout  cet  évangile  lui-même;  mais  il  prouve  cepen- 
dant que  l'usage  des  eaux  arriéres  subsistait  encore.  Au  reste, 
Philou  et  Josèpbe  nous  l'assurent  .positivement,  et  leur  té- 
moignage est  digne  de  confiance. 

Pour  procéder  à  cette  épreuve,  le  prêtre  s'avançait  vers  la 

5.. 


(68) 

Quel  but  s'est  proposé  le  législateur  en  établis- 
sant qu'après  les  couches,  les  femmes  sont  impures 
pendant  un  temps  déterminé  ?  Est-ce  une  tache  , 
est-ce  une  honte  d'avoir  mis  au  monde  un  nouvel 
homme?  A-t-il  voulu  prévenir  les  suites  funestes 
que  pourraient  avoir  les  plus  légers  dérèglemens 
dans  les  premiers  quarante  jours  qui  suivent  les 
couches  ?  Pourquoi  alors  fixer  un  temps  double 
pour  celles  qui  ,  au  lieu  d'être  mères  d'un 
garçon  ,  ne  le  sont  que  d'une  fille  ?  La  loi  peut 
sanctionner  un  principe  utile  ;  mais  elle  établit  une 
erreur  :  il  y  a  danger  et  non  crime  pour  une  femme 
qui  s'oublie  dans  ces  circonstances.  La  physio- 
logie, au  moins  que  je  sache,  ne  met  aucune  dif- 
férence entre  les  phénomènes  qui  succèdent  dans 
lUie  femme  à  la  naissance  d'un  garçon  ou  à  celle 
d'une  fille.  Le  préjugé  perce  ici  de  la  manière  la 
plus  évidente.   La  religion  catholique   a  emprunté 

femme,  et  lui  présentait  l'eau  de  jalousie,  en  lui  disant  :  «  Si 
»  vous  vous  êtes  retire'e  de  votre  mari,  et  que  vous  vous  soyez 
»  souille'é  en  vous  approchant  d'un  autre  homme,  que  le 
»  Seigneur  vous  rende  un  objet  de  malédiction  et  un  exem- 
»  pie  pour  tout  son  peuple ,  en  faisant  pourrir  votre  cuisse 
»  et  enfler  votre  ventre.  Que  cette  eau  entre  dans  vos  en- 

•  trailles  pour  faire  enfler  votre  Ventre  et  pourrir  votre 

*  cuisse.  »  La  femme  devait  répondre  ainsi  soit-il.  Le  prêtre 
e'crivait  ses  malédictions  dans  un  livre  et  il  les  effaçait  avec 
Veau  aniere. 


(69) 

cette  cérémonie  au  culte  des  Hébreux  ;  et  certes, 
chez  nous,  elle  n'a  plus  aucun  but  d'utilité,  ni 
pour  le  salut  de  la  nouvelle  mère ,  ni  pour  la  mo- 
rale; c'est  un  préjugé  aussi  grossier  qu'inconvenant. 
Selon  le  prêtre.  Dieu  ne  peut  souffrir  une  femme 
qui ,  ayant  suivi  ses  saintes  lois  ,  lui  a  donné  un 
nouvel  adorateur. 

Pourquoi  a-t-il  considéré  comme  impures  les 
femmes  pendant  la  période  de  leurs  écoulemens 
menstruels?  est-ce  une  loi  sanitaire?  est-ce  une 
loi  religieuse  (i)?  Je  le  crois  un  règlement  de  po- 
lice et  un  préjugé.  Je  ne  sais  pas  qu'il  soit  dange- 


(i)  Ce  préjugé  n'existe  pas  sevilement  chez  les  Juifs  ;  on 
le  trouve  chez  d'autres  nations,  qui  probahlement  ne  se  le 
sont  pas  communiqué  et  ne  l'ont  pas  reçu  des  Hébreux. 
A  l'île  de  Ceylan,  il  est  défendu  aux  femmes  d'entrer  dans 
le  temple  pendant  qu'elles  sont  sujettes  à  leur  maladie  pé- 
riodique. Les  hommes  qui  vont  les  voir  sont  frappés  de  la 
même  disgrâce. 

Les  nègres  d'Issini ,  dans  le  royaume  de  Bénin,  bâtissent 
à  environ  cent  pas  du  village  une  cabane  dans  laquelle  se 
retirent  les  femmes  et  les  filles  pendant  qu'elles  sont  at- 
teintes de  cette  maladie.  Celle  qui  oublierait  ou  négligerait 
d'eu  déclarer  le  commencement  serait  punie  de  la  peine 
capitale.  Voilà  qui  est  bien  plus  fort  que  les  souillures  de 
Moïse. 

Les  Caffres  ne  sont  pas  si  rigoureux.  Si  l'un  d'entre  eux 
ge  permet  d'avoir  quelque  commerce  avec  les  femmes  qui 


(yo) 

reux  pour  le  sexe  de  souffrir  dans  cette  circons- 
tance l'approche  de  Hiomme.  Quant  à  la  religion, 
elle  n'aurait  dû  jamais  se  mêler  de  matières  de  cette- 
espèce  :  la  j^loire  de  Dieu  n'y  est  aucunement  in- 
téressée. 

Le  législateur  entre    dans   une   foule   de   détails 
minutieux  qui    surchargent   inutilement   son  code. 


se  trouvent  dans  leur  affection  mensuelle,  pour  se  purifler,  il 
n'est  oblige'  à  aucune  autre  chose  qu'à  un  sacrifice. 

Les  habitans  du  Canada  sont  fort  scrupuleux  à  cet  e'gard. 
Les  femmes,  pendant  leur  maladie  sexuelle,  sont  obligées 
de  s'éloigner  de  tous  les  autres  habitans  et  de  vivre  dans 
une  case  séparée  pendant  huit  jours.  Personne  n'ose  boire 
aux  ruisseaux  où  l'une  de  ces  femmes  aurait  bu  ;  et  ce  serait 
pour  elle  un  crime  de  ne  pas  laisser,  à  l'endroit  où  elle 
s'est  désaltérée,  quelqvie  signe  qui  puisse  faire  connaître 
aux  fidèles  le  danger  auquel  ils  s'exposeraient  en  buvant 
au  même  point.  Les  femmes  mariées  restent  séparées  pen- 
dant huit  jours,  les  filles  pendant  trente. 

Ainsi  on  a  beau  faire  descendre  du  ciel  quelques-uns  de 
ces  préjugés  religieux,  on  a  beau  leur  chercher  une  origine 
première,  ils  sont  un  fruit  de  l'ignorance  et  naissent  partout 
où  elle  règne. 

Chez  plusieurs  peuples,,  dès  qu'une  femme  est  enceinte, 
il  est  défendu  à  son  mari  de  l'approcher.  Cet  usage  existe 
encore  dans  la  Nigritie.  Au  Canada,  une  femme  ne  peut 
communiquer  avec  son  époux  depuis  le  commencement 
de  sa  grossesse  jusqu'à  ce  que  l'enfant  ait  fini  sa  deuxième 
année.  Lorsqu'elle  est  près  d'accoucher,  on  lui  prépare  une 


(7>  ) 
Il  a  déclaré  impurs ,  et  la  femme  qui  aurait  l'é- 
coulement menstruel ,  et  l'homme  qui  s'en  appro- 
cherait ,  et  tous  les  objets  qu'elle  toucherait ,  ses 
vêtemens ,  son  lit  ,  sa  chaise  ,  les  vases  dont  elle 
pourrait  se  servir.  La  durée  légale  de  cette  souillure 
n'est  ordinairement  que  de  sept  jours  5  mais  si  l'écou- 
lement se  prolonge  au-delà,  l'impureté  l'accompagne 
et  le  dépasse  de  sept  autres  jours.  {Léwit.,  chap.  XY.) 


cabaue  à  l'écart,  où  elle  reste  quarante  jours ,  si  elle  est 
mère  la  première  fois,  trente  dans  toutes  ses  autres  couches. 

Dans  la  Floride,  non- seulement  les  maris  n'ont  aucun 
commerce  avec  leurs  femmes  enceintes ,  mais  ils  ne  peuvent 
pas  même  manger  des  alimens  qu'elles  touchent  pendant 
leur  grossesse. 

Dans  quelques  îles  de  la  mer  pacifique,  les  femnïes  en- 
ceintes, tout  en  accompagnant  leurs  maris  pendant  le  jour, 
ne  peuvent  pas  coucher  avec  eux  ;  mais  au  moins  ont-ils 
pour  elles  les  plus  grands  égards. 

Certes  ces  usages  et  ces  lois  ne  sauraient  être  préjudicia- 
bles à  la  multiplication  de  notre  espèce  ;  ils  paraissent  même 
la  favoriser.  Mais  si  les  hommes,  pendant  ce  temps  d'absti- 
nence ,  sont  à  leur  aise  avec  les  autres  compagnes  dont  ils 
ne  manquent  pas  de  s'entourer,  les  femmes  sont  exposées  à 
une  rude  épreuve.  On  sait  que  dans  les  premiers  temps  de 
la  grossesse  le  transport  aux  plaisirs  vénériens  est  plus  vif 
que  dans  toute  autre  circonstance.  Les  mœurs  peuvent  même 
recevoir  vme  grave  atteinte  ;  le  besoin  fait  passer  par-dessus 
les  scrupules.  Cet  usage  ne  pourrait  pas  s'introduire  chez  les 
nations  où  la  polygamie  n'existe  pas. 


(70 

Le  soin  que  le  législateur  a  mis  à  dénnir  loutes 
les  espèces  d'impuretés,  et  à  tracer  le  rituel  pour 
en  opérer  la  purification ,  est  des  plus  scrupuleux. 
]\e  renferme-t-il  pas  ou  ne  doit-il  pas  faire  naître 
une  aversion  évidente   pour  le   mariage  ? 

Les  jeunes  filles  pouvaient  conserver  leur  virgi- 
nité 5  on  avait  même  pour  elles  plus  d'égards  que 
pour  les  mariées.  Un  prêtre  ne  pouvait  ,  sans  se 
souiller,  aller  voir  sa  sœur  défunte,  si  elle  était 
morte  dans  l'état  de  mariage.  Elait-elle  vierge  ?  la 
vue  de  son  cadavre  ne  souillait  plus  son  frère.  Celle 
loi  menait  au  célibat  :  les  honneurs  que  l'on  ac- 
corde aux  morts  vont  toujours  aux  vivans  (ij. 

(i)  Ce  n'est  pas  seulement  chez  les  Hébreux  que  l'on  trouve 
e'tabli  ce  préjugé  :  les  Grecs  elles  Romains  regardaient  comme 
souillées  non-seulement  les  personnes  qui  touchaient  un  mort, 
mais  même  la  maison  où  était  le  mort.  Les  prêtres  avaient 
inventé  des  bénédictions,  des  exorcismes  et  des  prières 
pour  purifier  les  objets  et  les  individus  qui  étaient  devenus 
immondes.  A  l'île  d'Owhyée,  dans  la  mer  du  Sud,  quicon- 
que touche  le  cadavre  d'un  chef  de  l'ile  subit  un  tabou  de  r 
dix  mois  lunaires.  Les  chefs  eux-mêmes  peuvent  encourir  ce 
malheur  ;  il  n'y  a  de  différence  que  dans  la  durée  :  le  tabou 
pour  eux  ne  dure  que  quatre  ou  cinq  mois.  Et  qu'est-ce 
que  ce  tabou?  Une  chose  fort  désagréable.  La  personne  qui 
en  est  frappée  ne  peut  pas  se  servir  de  ses  mains  pour  man- 
ger ;  elle  est  obligée  de  recourir  au  ministère  d'un  autre.  Si 
sa  fortune  ne  lui  permet  pas  d'avoir  quelqu'un  à  son  service , 
elle  est  obligée  de  se  traîner  sur  ses  mains  et  sur  ses  genoux 


(73  ) 

Malgré  la  sagesse  des  lois  que  Moïse  a  sanclion- 
uées ,  ou  pour  corriger  la  corruplion  du  peuple 
dont  Dieu  l'avait  fait  législateur^  ou  pour  con- 
server intacte  la  pureté  de  ses  mœurs,  les  Hébreux 
à  la  fin  se  relâchèrent,  et  leur  dissolution  surpassa 
par  degrés  celle  de  Babylone  et  de  tous  les  peuples 
qui  avaient  existé  ou  qui  ont  existé  par  la  suite 
sur  notre  globe.  C'est  de  l'une  des  villes  de  la 
Judée  que  tire  son  nom  un  vice  abominable ,  que 
la  nature  et  les  mœurs  frappent  également  d'ana- 
thème.  Quoi  de  plus  hideux  que  ces  Gabaonites 
qui  voulurent  faire  violence  à  ce  lévite  d'Éphraïm 
dont  il  est  parlé  au  rhapitre  XIX  des  Juges?  La 
licence  et  l'inhumanité  n'ont  été  chez  aucun  peuple 
portées  à  un   si  haut  point. 

En  parcourant  les  lois  de  ce  peuple  fameux,  on 
en  ti'ouve  quelques-unes  qui  peuvent  nous  faire 
justement  penser  que  les  Hébreux  ne  bornèrent 
pas  leur  volupté  dans  les  limites  que  la  nature  lui 
a  prescrites.  Le    verset  23  du  chapitre  XYIU   du 


pour  saisir  sa  nourritui'e  avec  la  bouche.  Plus  nous  conti- 
nuons l'étude  de  l'histoire,  et  plus  nous  trouvons  que  tous 
les  peuples  ont  e'te',  chacun  à  son  tour,  sujets  aux  mêmes 
préjugés.  Quelquefois  ils  se  les  transmettent  comme  un  hé- 
ritage de  honte  et  de  misère;  le  plus  souvent  ces  préjugés 
prennent  naissance  dans  chaque  pays  ,  quand  les  temps  leur 
sont  favorables.  (Maccarthy,  Voj-a§es  dans  la  mer  du  Sud.) 


(  74  ) 
Lévitique  détbiid  aux  hommes  et  aux  femmes  de 
s'unir  à  des  animaux.  Les  versets  i5  et  16  du 
chapitre  XX  prononcent  Ja  peine  capitale  ,  soit 
contre  les  individus  qui  se  seront  permis  une  si 
monstrueuse  union,  soit  contre  les  animaux  auxquels 
il  se  seront  unis  (1).  Ces  lois  positives  n'ont  été 
sans  doute  établies  que  contre  des  crimes  qui  de- 
vaient  être  communs.   Les   législateurs  ne   se  sont 


(i)  Lévit.^  c.  XVIII,  V.  23.  —  Cuni  omiii  pécore  non 
coibis ,  nec  maculaberis  cum  eo ,  quia  scelus  est. 

C.  XX,  V.  i5  et  16.  ■ — Qui  cum  jumento  et  pécore  coierit, 
morte  moriaturj  pecus  quoque  occidite. 

Mviher  quae  succubuerit  cuilibet  jumento,  simul  interfi- 
ciatur  cum  eo  :  sanguis  eorum  sit  super  eos. 

«c  En  Egypte ,  plusieurs  femmes  donnèrent  avec  les  boucs 
»  le  même  exemple  que  donna  Pasiphaé  avec  son  taureau. 
»  He'rodote  raconte  que ,  lorsqu'il  était  en  Egypte ,  une 
»  femme  eut  publiquement  ce  commerce  abominable  dans 
»  le  nome  de  Mendès.  Il  rapporte  qu'il  en  fut  ti'ès  e'ionne', 
»  mais  il  ne  dit  pas  que  la  femme  fut  punie...  Les  Juifs 
»  n'imitèrent  que  trop  ces  abominations.  [P aralip . ,\is .  II, 
»  c.  X,  V.  i5).  Des  Juives  se  passionnèrent  pour  des  boucs, 
»  et  des  Juifs  s'accouplèrent  avec  des  chèvres.  Il  fallut  une 
«  loi  expresse  pour  re'primer  ces  affreux  de'sordres.  Cette 
»  loi,  donne'e  dans  le  Lëviu'que  (cliap.  XVII,  v.  7),  y  est 
»  plusieurs  fois  rappele'e.  D'abord  c'est  une  défense  éter- 
»  nelle  de  sacrifier  aux  velus  avec  lesquels  on  a  forniqué 
»  (ch.  XVIII ,  V.  23);  ensuite  une  autre  défense  aux  femmes 
»  de  se  prostituer  aux  bêtes  ,  et  aux  hommes  de  se  souil- 


(  75  ) 
jamais  fait  un  plaisir  de  supposer  gratuitement  des 
délits  imaginaires. 

Les  chapitres  XVI  et  XXIII  des  Prophéties 
d'Ezéchiel  viennent  nous  confirmer  dans  une  idée 
si  peu  avantageuse  des  mœurs  des  Hébreux  (i). 

Ce  fut  sans  doute  au  milieu  d'une  si  honteuse 
prostitution  ,  que  le  célibat  dut  jeter  des  racines 
profondes  dans  la  Judée.  Une  épouse  n'était  plus 
nécessaire  pour  les  besoins  de  la  nature  j  on  s'en 
dispensa.  Des  motifs  religieux,  dont  on  a  déjà  vu 
les  germes  dans  les  lois  sacrées  de  ce  peuple,  durent 
fortifier  ce  penchant.  C'était  un  honneur  et  un  avan- 
tage de  n'être  pas  uni  à  une  femme  et  de  n'avoir 
pas  à  soutenir  une  famille  j  c'était  une  gloire  de  se 
soustraire  à  la  contagion  générale  de  toutes  les 
classes. 

Aussi  les  célibataires  inondèrent-ils  bientôt  la 
Terre-Sainte.  Les  esséniens  se  firent  remarquer  par 
leurs  pénitences  rigoureuses,  par  leur  attachement 


»  1er   du  même   cnme.    Enfin,  il  est   ordonné  (cli.   XX, 

»  V.   i5  et  16)  que  quiconque  se  sera  rendu  coupable  de 

>'  cette  action  sera  mis  à  mort  avec  l'animal  dont  il  aura 

»  abuse'.  »  (Saiut-Edme,   Diction,  de  la  Pénalilé  ,   t.   II, 

pas-  419)- 

(i)  jEdificasti  tibi  lupanar,  et  fecisti  prostibulum  in 
cunctis  plateis...  et  divisisti  pedes  tuos  omni  transeunti. 
(/izec^i.,  cliap.    XVI,    v.  24,    25.) 


religieux  à  toules  les  cérémonies  de  la  loi,  et  par  leur 
mépris  oulré  de  tout  ce  qui  n'appartenait  pas  à  leur 
secte.  La  plupart  vivaient  dans  le  célibat  et  eu  com- 
munauté. Les  étrangers,  quine  les  connaissaient  pas, 
s'extasiaient  beaucoup  plus  que  les  Hébreux,  sur  le 
rare  bonheur  de  ces  sectes  religieuses;  elles  se  multi- 
pliaient sans  avoir  de  fenuncs  et  sans  élever  d'en- 
fans(i).  On  ne  faisait  pas  attention  que  les  autres .Tuifs 
en  élevaient  pour  eux,  et  que  les  orages  de  la  fortune, 
le  dégoût  du  vice  et  l'opinion  de  la  sainteté  desessé- 
nieus  poussaient  ces  enfans  dans  leurs  rangs. 

Les  thérapeutes,  autre  secte  de  célibataires  juifs, 
élaient  beaucoup  plus  nombreux  et  beaucoup  plus 
répandus.  Les  déserts  de  l'Egypte  en  étaient  pleins; 
ils  fuyaient  les  villes;  ils  vivaient  dans  la  solitude, 
chacun  dans  une  cellule  particulière,  ne  se  réunis- 
sant que  pour  la  prière  et  pour  l'instruction  reli- 
gieuse. Ces  moines  paraissent  avoir  servi  de  modèles 
à  ceux  de  la  religion   chrétienne  :  cela  est  si  vrai, 


(i)  Gens  sola  est  in  toto  orbe  praeter  caeteras  mira, 
sine  uUa  faemina  ,  omni  venere  abdicata  ,  in  dieni  ex  œquo 
convenaruni  turbaruni  renascitur  ,  longe  frequentantibus 
quos  vita  fessos  ad  mores  eoruna  fortunae  fluctus  agitât. 
Ista  per  sseculorum  milha  (incredibile  dictu  !)  gens  œterna 
est  in  qua  nemo  nascitur.  (Phne  ,  Uist.  nat.  ,  lib.  V, 
cap.  XVII.)  Je  n'y  vois  rien  d'incroyable  ni  d'e'tonnant. 
Si  Pline  eût  ve'cu  de  nos  jours,  il  en  aurait  vu  bien  d'autres. 


(77  ) 
que  la  question  s'agite  encore  parmi  les  critiques, 
pour  savoir  si  ces  religieux  étaient  des  chrétiens  ou 
des  juifs.  Cependant  Phiion,  qui,  en  qualité  de  juif, 
devait  être  parflûtement  instruit  de  cette  matière, 
soutient  qu'ils  appartenaient  à  sa  nation,  et  en  fait 
le  plus  pompeux  éloge.  Ils  avaient  trouvé^  noHs 
est-il  dit  par  Josèphe,  le  secret  important  de  se  re- 
produire sans  femmes . 

Nous  verrons,  par  la  suite,  que  le  célibat  est  tou- 
jours venu  s'établir  au  milieu  de  la  société ,  lorsque 
la  corruption  des  mœurs  était  à  son  comble  :  je  n'en 
excepte  pas  même  le  célibat  religieux.  Les  hommes 
de  bien,  les  âmes  chastes,  à  la  vue  d'un  spectacle  si 
dégoûtant,  prenaient  en  aversion  le  sexe  qui  parais- 
sait en  être  l'acteur  principal.  Les  hommes  sensuels, 
satisfaits  des  plaisirs  qui  les  entouraient  en  foule ,  et 
on  ils  se  plongeaient  à  leur  aise,  se  gardaient  bien 
de  contracter  des  engagemens  durables  :  pourquoi 
auraient-ils  mis  des  bornes,  ou  au  moins  des  entraves, 
à  une  liberté  qui  leur  était  si  chère?  Ces  considérations 
m'ont  déterminé  à  porter  dans  ce  chapitre  ce  que 
j'avais  à  dire  sur  les  esséniens  et  les  thérapeutes;  ils 
auraient  dû  trouver  leur  place  dans  le  chapitre  où 
je  m'occuperai  spécialement  de  montrer  l'origine  du 
célibat  parmi  les  ecclésiastiques. 


(  7»  ) 

fc\VvV%VV\V\\\VV\\VV'\\VVVvV\*VViA%%'VVV/V\KX\V\'VxX'Vl'VV^AA.V\'\V\\/\\Vi\(\(V\Vrf\iWfcVV\\'Vv\'\VW\VV^\'V 

CHAPITRE  V. 

Des   Grecs. 

S'il  est  vrai  que  les  idolâtres  se  sont  donné  des 
dieux  semblables  ù  eux-mêmes,  qu'ils  leur  ont  prêté 
leurs  goûts,  leurs  penchans  et  leurs  mœurs,  nous 
ne  pouvons  pas  supposer  aux  Grecs  des  premiers 
siècles  une  tendance  quelconque  à  admettre  des  prin- 
cipes dfi  chasteté  dans  leurs  lois. 

Us  adoraient  Yénus,  l'Amour  et  Jupiter,  auxquels 
aucune  femme  et  aucun  bomme  honnête  ne  vou- 
draient ressembler;  ils  salissaient  la  mémoire  de  la 
jeunesse  de  mille  contes  absurdes  et  ridicules ,  mais 
que  la  religion  rendait  sacrés  et  vénérables,  et  que 
les  philosophes  eux-mêmes  n'auraient  pu  combattre 
sans  danger.  Leu.rs  poètes  peignaient  toujours  sous 
leurs  yeux  et  embellissaient  de  tous  les  charmes  dont 
était  susceptible  la  plus  riche  et  la  plus  harmonieuse 
des  langues,  les  tableaux  variés  d'une  volupté  d'au- 
tant plus  dangereuse  qu'elle  se  présentait  sous  des 
images  séduisantes.  ]N'est-il  pas  naturel  que  les 
hommes  aient  du  penchant  à  imiter  les  dieux  qu'on 
leur  fait  adorer  sur  les  autels?  Aucun  sage,  aucune 
loi  pourraient-ils  leur  faire  un  crime  de  se  livrer  à 


(79) 
des  plaisirs  que  la  nature  inspire  et  que  la  religion  a 
sanctifiés? 

Tel  était  le  penchant  à  la  volupté  de  ce  peuple 
spirituel,  qu'il  paraît  avoir  regardé  la  continence 
comme  impossible,  non-seulement  pour  les  hommes, 
mais  encore  pour  les  dieux.  Les  vierges,  mâles  et 
femelles,  dont  les  Grecs  avaient  peuplé  leur  ciel, 
n'avaient  pas  une  conduite  exempte  de  reproches 
et  propre  à  balancer  l'impulsion  aux  jouissances  de 
l'amour,  que  donnaient,  par  leurs  conseils  et  par 
leurs  exemples  ,  les  chefs  de  la  céleste  cohorte.  Diane 
n'avait-elle  pas  son  Endymion ,  qui  lui  faisait  si  sou- 
vent ab.indonner  son  char  au  milieu  des  airs?  Apol- 
lon n'était -il  pas  connu  par  ses  galanteries  avec 
Daphné,  Cljtie,  Leucothoé?  Minerve,  la  cliasfe 
Minerve,  la  déesse  de  la  sagesse  et  des  arts,  n'avait- 
elle  pas  son  Ericthonius,  n'était-elle  pas  accusée  de 
quelques  complaisances  avec  Yulcain?  Mjrtilus  ne 
nomme-t-il  pas  un  heureux  courtisan  des  Muses,  ne 
donne-t-il  pas  des  enfans  à  chacune  d'elles,  n'en 
rapporte -t-il  pas  les  noms? 

Si,  quittant  le  ciel,  nous  portons  nos  regards  sur 
la  terre,  si  nous  cherchons  à  démêler  les  mœurs 
des  premiers  habitans  de  la  Grèce  dans  l'histoire  fa- 
buleuse de  leurs  héros,  nous  les  trouvons  dignes  des 
dieux  qu'ils  avaient  imaginés,  ou  qu'ils  avaient  em- 
pruntés aux  nations  voisines.  Ils  sont  presque  tous 
ravisseurs,  ou  pour  le  moins  séducteurs.  Jason  se- 


(8o  ) 

(îiiiL  Métlée,  l'abandonne  et  en  est  puni.  Tliésée 
corrompt  les  deux  filles  du  roi  de  Crète  ,  trahit 
l'aînée,  donne  mille  rivales  à  l'objet  de  son  choix. 
Dans  sa  première  jeunesse,  il  avait  préludé  aux  ex- 
ploits de  sa  virilité  par  la  violence  faite  aux  filles  de 
Cercyon,  et  par  le  rapt  d'Hélène,  qu'il  enleva  pen- 
dant  qu'elle  dansait  autour  de  l'autel  de  Diane.  Il 
était  accompagné  dans  cette  entreprise  criminelle  par 
Pirythoûs  ,  roi  des  Lapithes  ,  avec  lequel  il  avait 
fait  un  contrat  digne  de  deux  brigands  de  profession. 
Ils  avaient  stipulé  de  tirer  au  sort  la  belle  fille  de 
Léda,  sous  la  condition  que  celui  à  qui  elle  écher- 
rait aiderait  l'antre  à  pnipvpr  unp  antre  princesse. 
Le  hasard  favorisa  Thésée,  qui  se  fit  aussitôt  un  de- 
voir d'accompagner  son  valeureux  ami  chez  Aïdo- 
neus,  roi  des  Molosses,  dans  le  dessein  d'enlever 
la  jeune  Proserpine,  dont  la  beauté  était  alors  jus- 
tement célèbre. 

Un  trait  de  l'histoire  de  Pirythoûs  peut  nous  con- 
firmer de  plus  en  plus  dans  l'idée  que  les  mœurs  des 
peuples  de  la  Grèce,  dans  la  période  dont  je  parle 
ici,  étaient  très  relâchées.  A  la  noce  de  ce  héros  avec 
Deidamie,  à  laquelle  se  trouvait  Thésée,  les  cen- 
taures ,  échauffés  par  le  vin ,  tentèrent  de  faire  vio- 
lence aux  dames  de  la  fête.  On  croirait  lire  l'histoire 
des  peuplades  sauvages  de  TAmérique.  Du  temps  de 
Thésée  et  d'Hercule,  les  Grecs  n'étaient  guère  plus 
civilisés  que  les  habitans  actuels  des  îles  de  la  mer  du 


(8,  ) 
Sud.  Les  barbares  sont  dépravés  partout;   il  faut 
une  société,   de  l'expérience  et  des  lois  pour  créer 
la  morale  et  pour  la  faire  respecter. 

La  société  se  forma ,  se  développa ,  se  constitua  ;  la 
division  topographique  de  ce  pays  et  le  génie  de  ses 
habitans  donnèrent  lieu  à  une  foule  de  pelils  états, 
d'abord  monarchiques,  puis  par  degré,  républicains. 
Les  mœurs  durent  alors  se  purifier  :  la  vertu  est  un 
élément  nécessaire  à  l'existence  des  gouvernemens 
démocratiques.  L'adultère  fut  sévèrement  puni ,  la 
violence  frappée  de  mort,  la  prostitution  rendue  im- 
possible. Dans  de  pareilles  circonstances,  le  célibat, 
quand  même  il  eût  été  toléré  par  les  lois ,  serait  de- 
venu extrêmement  difficile. 

Le  célibat  était  impossible  à  Sparte.  Lycurgue  y 
avait  entouré  les  célibataires  de  tant  de  difficultés  , 
qu'ils  ne  pouvaient  pas  y  vivre  :  ils  ne  pouvaient  pa- 
raître nulle  part  sans  queleméprisdeleurs  concitoyens 
ne  les  accablât.  Peut-il  y  avoir  rien  de  plus  injurieux 
et  de  plus  insupportable  que  les  outrages  dont  les  frap- 
pait la  haine  nationale  dans  une  des  plus  grandes  so- 
lennités de  l'État?  Ils  étaient  obligés  de  paraître  sur 
la  place  publique  :  s'ils  se  cachaient,  comme  ils  étaient 
signalés  aux  magistrats  et  corinus  de  tous  les  ci- 
toyens, on  courait  à  leur  poursuite,  on  les  traî- 
nait en  triomphe,  tout  nus,  pendant  l'hiver;  on 
chantait  autour  d'eux  des  chan.sons  insultantes;  les 
licteurs  les  frappaient  de  verges;  et  pendant  cette 

6 


(82) 

longue  et  douloureuse  procession  autour  de  la 
place,  les  femmes  les  chargeaient  de  soufllets. 

Surmontaient-ils  tout  ce  que  cette  cérémonie  avait 
d'iiumiliant  et  d'affreux  ,  les  lois,  et  les  mœurs,  plus 
puissantes  que  les  lois,  ne  leur  donnaient  aucun 
relâche  :  ils  ne  pouvaient  prétendre  à  aucun  em- 
ploi civil  ;  ils  n'avaient  point  de  place  dans  les 
assemblées  du  peuple j  les  jeux  et  les  divertissemens 
publics  leur  étaient  interdits.  Quelque  respect  que 
l'on  eût  pour  la  vieillesse,  à  Sparte,  elle  ne  pouvait 
pas  effacer  la  tache  dont  le  célibat  y  marquait  les  ci- 
toyens. Nul  service  ne  pouvait  réparer  le  tort  irrémis- 
sible de  n'avoir  pas  donné  des  défenseurs  à  la  patrie. 
Il  était  presque  inutile  pour  les  célibataires  de  ver- 
ser le  sang  pour  la  gloire  de  la  patrie  et  de  mériter 
des  récompenses  éclatantes  •  les  insignes  de  l'hon- 
neur ne  rendaient  point  respectable  un  homme  qui 
n'avait  pas  rempli  le  plus  essentiel  des  devoirs,  ce  Je 
»  ne  me  lève  point,  »  dit  au  général  Dercyllidas,  im 
jeune  homme  qui,  suivant  la  coutume  de  Lacédé- 
mone ,  aurait  dû  lui  céder  la  place,  «je  ne  me 
»lève  point,  parce  que  tu  ne  nous  a  pas  donné 
»  d'enfans  qui  puissent  me  rendre  un  jour  le  même 
»  honneur.  » 

Les  lois  de  Lycurgue  avaient  défendu,  puni  le 
célibat  et  prescrit  de  sages  mesures  pour  le  prévenir. 
Les  jeunes  garçons  et  les  jeunes  filles  s'exerçaient  à 
lutter  ensemble  dans  le  gymnase,  et  il  était  presque 


(83) 
impossible  que  le  contact  continuel  des  deux  sexes  et 
la  surveillance  que  les  magistrats  et  les  citoyens 
exerçaient  à  l'envi  sur  eux  ne  créât  et  ne  dirigeât 
des  relations  légitimes  que  le  mariage  venait  enfin 
sanctionner. 

Un  homme  se  sentait -il  un  penchant  irrésistible 
pour  la  femme  de  son  voisin?  désirait-il  en  avoir 
des  enfans  aussi  bien  faits  et  aussi  robustes  qu'elle  ? 
il  n'avait  qu'à  la  demander  à  son  mari  :  celui-ci  se 
faisait  un  point  d'honneur  de  la  lui  céder.  Une 
femme  jeune  et  vigoureuse  se  trouvait-elle  unie  à  un 
homme  accablé  par  l'âge  ou  par  les  infirmités  ?  la 
loi  faisait  à  ce  dernier  une  obligation  de  conduire 
auprès  de  son  épouse  un  homme  aussi  jeune  et  aussi 
robuste  qu'elle ,  pour  que  la  patrie  ne  fût  pas  frus- 
trée  des  citoyens  forts  et  vaillans  qu'elle  était  en 
droit  d'attendre  d'elle. 

Ces  usages,  que  nos  mœurs  ne  sauraient  admettre 
et  dont  nous  ne  pouvons  que  difficilement  nous  faire 
une  idée,  étaient  à  Sparte  la  sauvegarde  de  la  vertu. 
Aussi  l'adultère,  dans  les  beaux  temps  de  la  répu- 
blique, lorsque  les  lois  de  Lycurgue  étaient  dans 
toute  leur  force,  était- il  aussi  rare  que  le  célibat. 
t<  Quelle  peine  fail-on  subir  à  un  adultère?  n  de- 
mandait un  élran2;er  au  Lacédémonien  Gérodas. 
((  —  11  n'y  a  point  d'adultère  chez  nous.  —  Mais  s'il 
»  s'en  trouvait  ?  —  On  le  condamnerait  à  payer  un 
»   taureau  qui  du  haut  du  mont  Taïgète  pût  boire 

6., 


(84  ) 

»  dans  l'Eurotas. — Bon!  Eh!  comment  pourrait-on 
»  trouver  un  taureau  d'une  telle  grandeur?  —  Eli  ! 
y>  comment  jiourralt-on  trouvei-  à  Sparte  un  adul- 
))  1ère?  »  (  Barthélémy,  yojage  du  jeune  Ana- 
charsis.  ) 

Dans  les  autres  états  de  la  Grèce,  les  lois  contre 
les  célibataires  n'étaient  pas  aussi  rigoureuses  qu'à 
Sparte;  mais  l'opinion  publique  les  condamnait,  et 
pendant  tout  le  temps  que  l'on  conserva  quelque 
respect  pour  les  mœurs,  les  exemples  n'en  furent 
pas  nombreux.  Epaminondas  n'eût  pas  pu  se  justifier 
du  reproche  de  n'avoir  pas  donné  des  enfans  à  la 
patrie ,  s'il  n'eût  remporté  la  victoire  de  Leuctre, 
et  si  ce  reproche  ne  lui  eût  été  adressé  par  Pélopidas 
qui  avait  un  fils  dont  la  conduite  était  généralement 
décriée. 

Solon  ,  par  sa  sollicitude  à  conserver  la  pureté  des 
mœurs ,  à  empêcher  l'accumulation  des  héritages 
et  à  ne  laisser  s'éteindre  aucune  des  familles  exis- 
tantes, mit  beaucoup  d'entraves  au  célibat.  Le  sévère 
et  inflexible  Dracon  avait  déjà  frappé  des  plus  ter- 
ribles châtimens  ce  vice  par  lequel  les  célibataires  se 
dédommagent  facilement  de  l'absence  d'une  femme 
légitime. 

Le  bien  dans  ce  monde  est  toujours  à  côté  du  mal. 
Les  républiques  de  la  Grèce,  dans  l'intention  de 
conserver  les  familles  et  de  ne  pas  laisser  s'étendre 
au-delà  de  certaines  bornes  le  nombre  des  citoyens 


(85  ) 

actifs,  avaient  autorisé  des  crimes.  Lorsqu'un  enfant 
■venait  de  naître,  on  l'étendait  aux  pieds  de  son  père: 
s'il  le  prenait  dans  ses  bras ,  l'enfant  était  nourri  et 
élevé-  s'il  détournait  les  yeux ,  ou  parce  qu'il  ne  se 
croyait  pas  les  moyens  de  l'entretenir,  ou  parce  qu'il 
voyait  sur  lui  quelque  vice  de  conformation  dont  il 
n'espérait  pas  pouvoir  le  corriger,  l'enfant  était  ex- 
posé ou  même  privé  de  la  vie.  Une  loi  si  barbare  était 
commune  à  presque  toute  la  Grèce,  excepté  à  Tbèbes. 
Quelques  philosophes  la  sanctionnaient  de  leurs  suf- 
frages. Platon  pense  même  qu'une  mère  qui  se  trou- 
verait entourée  d'une  trop  nombreuse  famille  serait 
en  droit  de  détruire  l'enfant  qu''elle  porte  dans  son 
sein.  Qui  aurait  jamais  pu  s'imaginer  que  les  re- 
cherches de  la  philosophie  et  le  désir  de  la  liberté  par- 
viendraient à  la  même  conclusion  que  la  barbarie  et 
l'absolutisme?  que  le  Japon  et  la  Grèce  auraient  les 
mêmes  lois?  Crime  pour  crime,  j'aimerais  mieux  le 
célibat  que  l'infanticide. 

Cet  état  de  choses  dans  la  Grèce  rendait  aussi  né- 
cessaire une  autre  loi  non  moins  funeste,  la  tolé- 
rance, ou  pour  mieux  dire  la  protection  de  ces  éta- 
blissemens  où  les  citoyens  qui  n'avaient  pas  le  cou- 
rage de  commettre  des  crimes,  et  qui  n'avaient  pas 
assez  de  fortune  pour  élever  une  famille,  pouvaient 
satisfaire  les  besoins  de  la  nature.  Selon  lui-même  , 
le  sage  Solon  tomba  dans  cette  erreur. 

A   mesure  qvie  les  mœurs   se  corrompaient  ,  la 


(86) 

rigueur  contre  les  célibattiires  s'affaiblissait  insen- 
siblement. Platon,  dans  sa  république,  tolérait 
le  célibat  jusfju'à  trente-cinq  ans;  et  après  cet 
âge,  il  ne  le  punissait  que  par  la  privation  des 
emplois  et  par  la  place  peu  bonorable  qu'il  ac- 
cordait aux  célibataires  dans  les  cérémonies  pu- 
bliques. 

La  pliilosopbie  était  venue  au  secours  des  lois; 
mais  des  principes  funestes  ne  tardèrent  pas  à 
altérer  la  pureté  primitive  de  la  morale.  Pytbagore 
lui  porta  l'un  des  premiers  des  coups  d'autant  plus 
irréparables ,  que  ce  philosophe  jouissait  de  la  plus 
grande  réputation  par  ses  lumières  et  par  sa  sagesse. 
11  commença  à  borner  le  temps  où  l'on  pourrait 
s'occuper  de  la  propagation  de  l'espèce  ,  à  l'hiver  et 
au  printemps.  L'acte  de  la  génération  fiit  par  lui 
considéré  comme  nuisible  en  toute  saison,  et  comme 
funeste  en  été.  «Quand  l'homme  doit-il  s'approcher 
»  de  sa  femme?  —  Quand  il  sera  en  âge  d'être  fort, 
ï)  répondait-il;  rien  n'est  aussi  dangereux  que  la 
»  volupté.  ))  Si  l'on  y  ajoute  l'éloignement  des  af- 
faires, qu'il  conseillait  à  ceux  de  ses  disciples  qui 
voulaient  se  livrer  à  la  recherche  de  la  vérité ,  et  leur 
habitude  de  vivre  ensemble  dans  le  même  éta- 
blissement, on  sentira  qu'ils  devaient  nécessai- 
rement arriver  au  célibat.  C'était  une  espèce 
de  moines,  dont  Pytbagore  avait  pris  l'idée  dans  ses 
voyages  aux  Indes. 


(8-) 

Des  femmes  célèbres  embrassèrent  et  soutinrent 
avec  talent  la  doctrine  du  philosophe  de  Samos  : 
elle  fit  des  progrès  rapides.  Aristote  conseillait  de 
borner  la  célébration  du  mariage  au  solstice  d'hi- 
ver; Solon  lui-même  voulait  que  les  maris  ne  s'u- 
nissent à  leurs  femmes  que  trois  fois  par  mois  (i). 
JN'était-ce  pas  rendre  nécessaires  la  corruption 
et  les  courtisanes?  n'était-ce  pas  erjgager  au  célibat? 

Et  déjà  les  philosophes  montraient  ouvertement 
leur  dédain  pour  le  mariage.  Démocrite  d'Abdère 
fuyait  la  société,  et  vivait  dans  la  retraite  comme  un 
anachorèie.  Thaïes  ,  interrogé  pourquoi  il  ne  se  ma- 
riait pas,  répondait,  lorsqu'il  était  jeune  :  «  11  n'est 
))  pas  encore  temps;  m  et  lorsqu'il  était  avancé 
en  âge,  «  11  n'est  plus  temps.  »  Les  doctrines  et 
les  sectes  les  plus  opposées  se  rencontrèrent  dans 
leur  haine  du  mariage.  Les  philosophes  cyniques,  à 
cet  égard  ,  ne  différaient  pas  des  stoïciens.  Aussi 
Laïs  ne  faisait-elle  aucun  cas  de  leurs  vaines  fanfa- 
ronnades de  vertu.  «  Ils  frappent  à  ma  porte  bien 
y)  plus  souvent  que  les  autres,  disait -elle.  »  Et 
c'est  toujours  de  même  :  les  choses  ne  sont  pas 
changées. 

Ces  principes  se   développèrent   avec   une  éton- 

(i)  Une  reine  d'Aragon  fit  établir  par  son  conseil  qu'un 
mari  devait  se  borner  à  coucher  avec  sa  femme  six  fois  par 
an.   Cette  reine   était  chrétienne. 


(88) 

nanle  rapidité,  et  bientôt  les  villes  de  la  Grèce  fu- 
rent remplies  de  courtisanes  :  elles  suivent  toujours 
le  relâchement  des  mœurs  et  l'augmentent.  La  plus 
honteuse  des  professions  était  presque  devenue  une 
profession  honorable  :  les  courtisanes  qui  avaient  de 
la  beauté  et  de  l'esprit  acquirent  autant  de  célé- 
brité que  les  plus  vaillans  généraux  et  les  plus  grands 
génies.  Lorsque  Phryné  traversait  les  rues,  ou  se 
montrait  au  milieu  des  places  publiques  ,  tous  les 
yeux  s'attachaient  sur  elle;  un  murmure  flatteur 
l'accueillait  toujours.  Se  baignait-  elle  dans  les  flots 
de  la  mer,  une  foule  immense  accourait  sur  le 
rivage  ,  et  croyait  voir  Vénus  au  moment  où  elle 
sortit  la  première  fois  des  ondes.  Apelle  et  Praxi- 
tèle épiaient,  observaient  attentivement  tous  ses 
traits,  pour  les  reproduire  sur  la  toile  ou  par  le 
marbre.  Elle  ruinait  ses  amans,  elle  en  tirait  va- 
nité, et  les  lois  étaient  sourdes,  et  les  magistrats 
fermaient  les  yeux.  Accusée  enfin  d'avoir  violé 
les  mystères  d'Eleusis ,  elle  est  traduite  devant 
le  tribunal  des  Héliastes,  et  sur  le  point  d'être 
condamnée  à  la  peine  capitale.  Les  juges  ,  aveu- 
glés par  le  préjugé  religieux  ,  s'obstinent  dans  la  J 
résolution  de  la  frapper  5  son  défenseur  avait  ' 
perdu  presque  tout  espoir,  lorsqu'elle  s'avisa  d'un 
moyen  bien  plus  puissant  que  les  raisons  et  l'élo- 
quence de  l'orateur  :  elle  fondit  en  larmes,  elle  dé- 
chira  ses   vêtemens,  elle  se  jeta  aux  pieds  de   ses 


(89) 
juges,  et  la  vue  de  ses  charmes  fit  pencher  la  balance 
de  son  côté  (i). 

Qui  ne  connaît  le  rôle  brillant  qu'Aspasie  joua 
à  Athènes?  Suivant  l'exemple  de  l'Ionienne  Thar- 
gélia,  qui  s'attachait  les  principaux  citoyens  des 
villes  grecques,  et  les  gagnait  au  roi  de  Perse, 
son  souverain,  Aspasie  vint  s'établir  à  Athènes, 
et  n'admit  à  ses  faveurs  que  ceux  que  les  digni- 
tés et  les  talens  élevaient  au-dessus  du  vulgaire. 
Elle  réunit  chez  elle  un  grand  nombre  de  courti- 
sanes d'une  rare  beauté  :  les  plus  hauts  personnages 
trouvaient  auprès  d'elle  une  société  brillante  et  les 
plaisirs  les  plus  variés. 

Périclès  lui-même  devint  son  adorateur  ;  il  ré- 
pudia, pour  l'épouser,  sa  femme  légitime,  qui  lui 
avait  déjà  donné  deux  enfans.  Il  aima  cette  cour- 
tisane célèbre 5  jamais  il  ne  s'en  séparait,  jamais  il 
ne  retournait  auprès  d'elle  sans  lui  donner  un 
tendre  baiser.  Telle  était  l'influence  de  cette  femme  , 
que  Lysiclès  ,  qui  l'épousa  après  la  mort  de  Périclès , 
fit  avec  elle  une  fortune  considérable.  Les  Athéniens 
se  trompaient-ils   sur  son  compte?   L'adoraient-ils 


(i)   «  Phryue Cura  eam  defendente  Hyperide  esset 

condemnanda,  fracta  tunica  et  nudo  pectore,  ad  pedes 
judicura  revoluta,  plus  potuit  pvopter  forraam  ad  persua- 
dendura  judicibus  quam  patroni  vis  discendi.  {Seclus  Em" 
pericus,  hb.  II.) 


(90  ) 
parce  qu'ils  la  croyaient  vertueuse?  Non  ;  sa  con- 
duite était  généralement  blâmée.  Les  poètes  l'appe- 
laient Omphale ,  Déjanire f  Jiinon.  Cratius  l'appelle 
ouvertement  courtisane. 

Les  courtisanes  décidaient  quelquefois  du  sort  des 
villes  et  des  expéditions  militaires.  Périclès  fut  ac- 
cusé d'avoir,  à  la  prière  d'Aspasie  ,  engagé  les  Athé- 
niens à  prendre  les  armes  contre  Samos  ,  en  faveur 
de  Milet ,  sa  patrie. 

Toute  femme  qui  avait  des  charmes  et  de  l'au- 
dace était  sûre  de  tout  emporter.  Le  secret  des 
victoires  que  Corinne  remportait  sur  Pindare  était 
là.  Les  Grecs  ne  tardèrent  pas  à  reconnaître  que  le 
poète  de  ïhèbes  était  au-dessus  de  toute  compa- 
raison ;  mais  tant  que  Corinne  put  se  présenter  elle- 
même  aux  jeux  olvmpiques  ,  et  appuyer  de  l'éclat, 
de  sa  personne  la  faiblesse  de  ses  vers,  le  peuple 
subjugué  battit  les  mains  d'admiration.  Périclès  dit 
à  Alpinicc ,  qui  était  venue  le  supplier  pour  son 
frère  Cimore  :  «Alpinice,  vous  êtes  bien  vieille 
))  pour  venir  à  bout  d'une  aussi  grande  afiTaire.  » 
Si  elle  eût  été  jeune,  elle  n'aurait  donc  trouvé  aucun 
obstacle?  Telle  était  l'estime  dont  le  peuple  d'A- 
thènes honorait  les  courtisanes  et  ceux  qui  s'atta- 
chaiejit  à  elles,  qu'il  courut  presque  en  masse  voir  ^ 
un  tableau  du  peintre  Arlstophon ,  où  Alcibiade 
était  i^eprésenté  couché  sur  le  sein  de  la  courtisane 
Néniée,  et  le  vit  avec  le  plus  grand  plaisir. 


(9'  ) 

Épaminondas  lui-niême,  après  avoir  refusé  à  son 
ami  et  collègue  Pélopidas  de  rendre  à  la  liberté  un 
jeune  homme  qu'il  avait  fait  mettre  en  prison  à 
cause  de  ses  débauches  ,  accorda  cette  grâce  à  1  une 
de  ses  amies,  en  disant  :  «  C'est  une  gratification  due 
))  à  une  amie  ,  et  non  à  un  capitaine.  »  Quelque 
spirituel  que  puisse  être  ce  mot ,  il  n'en  démontre 
p^s  moins  la  déférence  que  l'on  avait  pour  des 
femmes  dont  l'existence  est  uu  fléau  pour  les 
mœurs. 

La  corruption  pénétra  partout;  Sparte  elle-même 
n^en  fut  pas  exempte.  Lysandre  y  répandit  le  goût 
des  richesses  et  des  plaisirs;  lui-même,  quoique  sobre 
et  désintéressé  d'abord,  se  laissa  enfin  gagner  par 
la  séduction  commune.  Denys  de  Syracuse  lui  ayant 
offert  deux  robes,  en  lui  disant  d'en  choisir  une 
pour  sa  fille,  Lysandre  les  emporta  toutes  les  deux, 
et  re'pondit  :  «  Elle  choisira  mieux  que  moi.  » 

Bientôt  après  ,  Alcibiade  séduisit ,  sans  la  moin- 
dre peine,  Frinéa  ,  feuime  du  roi  Agis.  Elle  de- 
vint grosse  de  lui,  et  fut  si  loin  de  se  croire  désho- 
norée par  ce  crime,  qu'elle  s'en  vanta  hautement 
et  donna    à  son    fils   le   nom   d'Alcibiade. 

L'éducation  du  sexe  fut  généralement  dirigée 
dans  ce  sens,  cf  A  Athènes,  à  Corinthe,  dans 
»  presque  toutes  les  villes,  les  mères  engageaient 
))  leurs  jeunes  filles  à  se  tenir  droites,  à  serrer  leur 
»    sein  avec  un  large  ruban ,  à  prévenir  un  embou- 


(90 
y>  point  qui  nuirait  à  la  grâce  et  à  l'élégance  de  la 
»  taille.  (  Vojage  d'Anacharsis.  ) 

Les  courtisanes  étaient  respectées  ,  et  pour  ainsi 
dire  adorées.  Les  Corinthiens  avaient  un  col- 
lège de  ces  femmes,  à  qui  était  confié  le  soin 
d'offrir  des  sacrifices  à  Yénus.  C'étaient  en  effet 
des  prêtresses  dignes  d'une  telle  divinité.  On 
n'en  avait  pas  moins  de  confiance  dans  l'efli- 
cacité  de  leurs  prières.  Toute  la  Grèce  ne  fut- 
elle  pas  persuadée  que  la  destruction  de  l'année 
des  Perses  était  due  à  la  puissante  intercession 
de  leurs  vœux   et  de  leurs   sacrifices? 

Déjà  les  hommes  qui  affectaient  de  vouloir  vivre 
dans  la  continence  étaient  devenus  ridicules  aux 
yeux  d'une  jeunesse  effrontée  et  sans  pudeur.  Rien 
ne  pouvait  garantir  un  citoyen  de  ses  railleries  et 
de  ses  insultes.  La  sagesse  et  le  savoir  n'en  étaient 
pas  à  l'abri.  Les  disciples  de  Xénocrate,  pour  met- 
tre sa  continence  à  «ne  rude  épreuve,  firent  cou- 
cher, sans  qu'il  s'en  aperçût  ,  dans  son  lit,  la 
courtisane  Laïs,  lorsqu'elle  était  dans  tout  l'éclat 
de  sa  beauté.  Le  pauvre  philosophe  en  y  entrant, 
sentit  aussitôt  que  son  corps,  rebelle  à  ses  prin- 
cipes, commençait  à  se  muîiner;  et  il  ne  trouva 
contre  la  chaleur  extrême  qui  avait  embrasé  ses 
veines  d'autre  remède  que  de  se  brûler  les  mem- 
bres qui  avaient  cédé  à  la  force  de  la  séduction. 
11  trouvera  des  imitateurs. 


Dans  un  tel  état  de  corruption,  quelle  force  pou- 
vaient avoir  les  lois  pour  mettre  un  frein  à  la  li- 
cence ?  Lorsque  les  hommes  revêtus  des  premières 
dignités  de  la  république  ne  rougissaient  pas  de 
passer  leur  vie  aux  pieds  des  courlisanes,  pouvait- 
on,  suivant  les  lois  de  Solon  ,  éloigner  des  emplois 
publics  les  citoyens  dont  les  mœurs  commandaient 
l'application  de  cette  peine  ?  Les  hommes  du  peuple 
pouvaient-ils  sévir  contre  les  femmes  adultères? 
Auraient-ils  pu  les  insulter,  déchirer  leurs  vête- 
mens  avec  ignominie?  Le  premier  corps  de  la 
magistrature,  l'aréopage,  aurait -il  pu  déployer 
une  grande  vigueur  et  se  préserver  lui-même  de 
toute  atteinte? 

Quelles  étaient  les  conséquences  immédiates  de 
ce  désordre?  Le  célibat  devint  une  mode.  Pour- 
quoi se  serait-on  chargé  de  l'entretien  d'une  femme 
et  d'une  famille,  lorsqu'on  pouvait  si  facilement 
contenter  le  besoin  de  ses  sens  sans  se  créer  un  devoir 
pénible?  Le  vice  abominable  que  nous  avons  déjà  va 
parmi  les  Hébreux  parait  s'être  introduit  à  cette  épo- 
que dans  la  Grèce:  l'homme  y  remplissait,  dit-on, 
les  fonctions  de  la  femme.  Socrate  lui-même  n'a  pas 
échappé  aux  soupçons  de  la  postérité  :  quant  à  Alci- 
biade,  il  est  de  fait  qu'il  avait  un  grand  nombre 
d'amans.  Plutarque  et  Quinte-Gurce  parlent  d'un 
Lymnus  de  Macédoine,  qui  était  fortement  amou- 
reux   de    Nicomaque ,   et    qui    lui   dévoila   l'exis- 


(  94  ) 
lencc   d'une  conjuration    que  l'on    tramait    contre 
Alexandre. 

Le  dégoût  pour  le  sexe  était  naturel  au  milieu 
de  tant  d'exemples  de  la  plus  honteuse  prosti- 
tution. Euripide  s'écrie  dans  Hippoljte  :  «  O  Ju- 
»  piter  !  quelle  raison  a  pu  vous  obliger  de  met- 
»  tre  les  femmes  au  monde?  S'il  n'était  question 
»  que  de  la  conservation  du  genre  humain ,  il  vous 
»  était  aisé  d'imaginer  des  manières  plus  simples,  et 
))  de  donner  aux  hommes  des  enfans  tout  faits  pour 
))  leur  or,  pour  leur  encens  et  pour  leurs  sacrifices. 
»  Vos  autels  n'en  auraient  été  que  mieux  servis.  )> 

V\\VVVVVV\\VVVfc^/\yV\*VVVV\aVVVV\/\\'VVVV\VV%VVVVVVVVVVV\V\AVVVV\A'tV\VVVWV\VV^ 

CHAPITRE  YI. 
Des  Romains. 

Jusqu'ici  l'histoire  ne  nous  montre  aucun  peu- 
ple où  le  célibat  civil  se  soit  établi  avant  qu'une 
civilisation  avancée  n'ait  eu  le  temps  d'altérer  les 
sentimens  de  la  nature.  11  y  a  des  positions  plus 
ou  moins  favorables  au  développement  de  cette 
maladie  nécessaire  du  corps  social  •  celle  des 
Romains  était  des  plus  heureuses.  Continuelle- 
ment en  guerre  contre  leurs  voisins,  ils  devaient 
se  hâter    de    réparer   par    les   mariages    les  pertes 


(95) 
que  leur  faisait  subir  le  fer  ennemi.  Ils  en  étaient 
convaincus  :  aussi  dès  que  la  cité  eut  reçu  sa 
première  organisation  ,  ils  n'eurent  rien  de  plus 
empressé  que  de  solliciter  les  peuplades  limi- 
trophes de  leur  petit  état  de  leur  donner  des 
femmes  en  mariage.  On  sait  quelle  réponse  fut 
faite  à  leur  députation  5  on  sait  aussi  le  coup 
hardi  qu^ils  frappèrent.  Piome  faisait  voir  dès  son 
origine  que  la  force  et  les  armes  justifieraient  seules 
sa  conduite.  C'était  un  peuple  de  brigands,  dont 
l'univers  devait  devenir   la  proie. 

«  Tu  regere  imperio  populos,  Romane,  mémento, 
»  Parcere  subjectos  et  debellave  superbos,  » 

YiRG. 

Les  soldats  de  Rome  naissante  n'étaient  pas 
obligés  au  céhbat,  comme  le  furent  plus  tard  les 
soldats  de  Rome  maîtresse  du  monde ,  et  comme 
le  sont  ceux  de  l'Europe  moderne.  Tous  les  ci- 
toyens étaient  obligés  de  prendre  les  armes,  lors- 
que le  service  de  la  patrie  Texigeait  :  dès  que  la 
campagne  était  finie,  ou  la  belle  saison  passée, 
ils  retournaient  sous  leurs  toits  domestiques,  se 
rendaient  à  la  tendresse  de  leurs  femmes ,  et  en- 
semençaient les  chamj)s  pour  pourvoir  à  la  subsis- 
tance de  leurs  familles. 

11  n'était  pas  facile,  à  Rome,  de  trouver,  dans 
des  relations  que  la  morale  condamne ,  les  moyens 


(96) 

tic  tempérer  les  désagrériiens  qui  accompagnent 
le  célibat.  La  délicatesse  des  Ptomains  ne  souffrait 
pas  la  plus  légère  atteinte  à  l'honneur  de  leurs 
femmes  et  de  leurs  filles.  Le  peuple  en  mvisse  et 
l'armée  se  soulevaient  contre  le  prince  tétnéraire 
qui  avait  fait  violence  à  Lucrèce,  et  contre  le 
tyran  qui  se  couvrait  du  masque  des  lois  pour 
assouvir  la  passion  furieuse  qu'il  avait  conçue  pour 
la  fille  de  Virginius.  Chaque  citoyen  eût  pour- 
suivi sans  relâche  quiconque  eût  porté  le  déshon- 
neur dans  sa  famille. 

La  lutte  que  les  plébéiens  soutinrent  avec  tant 
d'opiniâtreté  contre  les  sénateurs ,  d'abord  pour 
empêcher  ,  et  ensuite  pour  abroger  la  loi  qui  dé- 
fendait le  mariage  entre  les  deux  ordres,  avait  pour 
but,  d'un  côté  ,  d'ouvrir  un  champ  plus  libre  à 
l'ambition  ,  de  l'autre ,  de  donner  plus  de  latitude 
à  l'union  des  sexes. 

La  loi  avait  eu  soin  non-seulement  de  tolérer  , 
mais  encore  de  favoriser  le  mariage  entre  les  per- 
sonnes d'une  condition  différente.  Lorsqu'elle  n'ap- 
prouvait par  le  mariage  per  coemplionem  ,  qui  était 
le  plus  solennel,  elle  permettait  le  mariage  eo?  usa^ 
qui,  une  fois  contracté,  entraînait  les  mêmes  droits 
et  était  également   indissoluble. 

Tant  que  Rome  fut  pauvre.,  les  goûts  et  les 
penchans  des  citoyens  furent  conformes  à  la  nature. 
Chacun  voulait   avoir  une  femme   et  des  enfans  \ 


(97  ) 
chacun  voulait  accroître  son  influence  et  donner 
de  nouveaux  défenseurs  à  la  patrie.  Le  plus  grand 
malheur  était  de  ne  point  laisser  de  postérité  après 
soi.  Une  inscription  que  les  Romains  avaient  cou- 
tume de  graver  sur  les  bornes  des  champs  ne  per- 
met aucun  doute  ;  elle  était  conçue  en  ces  termes  : 
(C  Quisquis  hoc  sustulerit  aut  sustuli  jusserit  , 
))  ultimus  suorum  moriatur.  »  Puisse  celui  qui  ar-^ 
rache  ou  qui  fait  arracher  cette  borne ,  mourir  le 
dernier  de  sa  race  !  Ce  que  dit  Trismégiste  dans  le 
Pimandre,  montre  encore  mieux  combien  le  célibat 
devait  être  odieux  aux  Romains.  «  C'est  la  plus 
»  grande  des  impiétés  et  le  dernier  des  malheurs 
))  de  sortir  de  ce  monde  sans  y  laisser  des  enfans. 
y>  Les  démons  font  souffrir  à  ces  gens- là  les  plus 
»  cruelles  peines  après  leur  mort.  C'est  pourquoi, 
))  mon  cher  Esculape  ,  n'ayez  aucun  commerce  avec 
»  eux.  » 

Sachant  que  tous  les  vices  vont  de  compagnie, 
et  finissent  par  détruire  tôt  ou  tard  les  bonnes 
disciplines,  et  l'état  lui-même,  les  Romains  cré- 
èrent de  bonne  heure  deux  magistrats  chargés  de 
veiller  sur  la  conduite  publique  et  privée  des  ci- 
toyens. C'était  une  police  infiniment  plus  morale, 
et  par  là  infiniment  plus  respectable  que  celle  qui 
s'est  établie  au  sein  des  nouvelles  sociétés.  Les  cen- 
seurs furent  autorisés  à  infliger  des  punitions  contre 
ceux  qui  ne  s'unissaient  pas  à  une  femme  (cœlibes 

7 


(9») 
esse  prohihento)-^  c'est  une  loi  eilée  par  Cicéron  ; 
et  Valère-Maxime  nous  apprend    que   les  céliba- 
taires  étaient   condamnés   à   des   amendes   :   ^ra 
pœnœ  nomine  pendere  jusserunt. 

Les  femmes  surtout  étaient  fortement  intéressées 
à  ne  donner  aucun  soupçon  à  leurs  maris,  lis  avaient 
sur  elles  un  pouvoir  très  étendu,  et  pouvaient, 
entre  autres  choses,  divorcer  sans  la  moindre  peine. 
Lorsque  Paul-Emile  se  fut  séparé  de  sa  première 
femme  Papirie,  ses  amis  lui  firent  des  rej)roches 
et  lui  en  demandèrent  la  cause.  «  Votre  femme 
y)  n'est-elle  pas  sage?  n'est-eile  pas  belle?  ne  vous 
»  a-t-elle  pas  donné  de  beaux  enfans?  »  11  leur 
montre  son  soulier,  et  leur  dit  à  son  tour  :  «  Ce 
))  soulier  n'est-il  pas  beau?  n'est-il  pas  tout  neuf? 
»  n'est-il  pas  bien  fait?  cependant  aucun  de  vous 
»  ne  voit  où  ilmeblesse.  ))  [Plutarque.)  On  voit  donc 
qu'une  femme  pouvait  être  renvoyée  sans  que  le 
mari  fût  obligé  de  rendre  compte  de  ses  motifs. 

L'aventure  qui  arriva  à  Caton  le  censeur,  dans 
le  sein  de  sa  faj^iille,  prouve  combien  les  Romains 
poussaient  loin  la  délicatesse  sur  les  relations  clan- 
destines. Etant  resté  veuf  dans  un  âge  fort  avancé , 
et  ayant  marié  son  fils  avec  la  fîUe  de  Paul -Emile, 
il  résolut,  à  ce  qu'il  paraît,  de  ne  plus  contracter 
de  mariage.  Comme  il  ne  pouvait  pas  se  passer  de 
femme ,  il  entretenait  secrètement  commerce  avec 
une  jeune  esclave.  Son  fils  s'en  étant  aperçu,  en 


(99) 
témoigna  son  indignation  par  un  regard  qu'il  lança 
sur  elle,  un  jour  que,  sortant  de  la  chambre  de 
Caton ,  elle  passait  avec  une  démarche  fière  de- 
vant l'appartement  de  la  jeune  épouse.  Caton  en. 
fut  bientôt  instruit  j  il  se  garda  d'en  dire  le  moindre 
mot,  ni  d'en  faire  la  moindre  plainte  ou  le  moindre 
reproche.  11  sentait  que  ce  commerce  devait  être 
scandaleux  dans  une  maison  où  se  trouvait  une 
nouvelle  mariée.  11  sortit  sur  la  place  publique  , 
trouva  un  de  ses  amis ,  lui  demanda  sa  fille  en 
mariage ,  l'obtint  et  l'épousa  sur-le-champ.  Comme 
on  préparait  la  noce ,  son  fils  déconcerté  accourut 
et  lui  demanda  s'il  lui  avait  causé  quelque  déplaisir, 
pour  l'obliger  de  lui  donner  une  marâtre,  ce  Dis 
n  de  meilleures  choses,  mon  fils,  répondit  Caton. 
))  Je  n'ai  point  à  me  plaindre,  et  ne  puis  que  me 
»  louer  de  toutes  tes  actions  et  de  ta  conduite  j 
))  mais  je  désire  d'avoir  plusieurs  enfans  qui  te  res- 
))  semblent,  et  de  laisser  à  ma  pairie  plusieurs  ci- 
))  toyens  comme  toi.  » 

Marcus-Furius  Camille,  en  l'an  /^5o  de  Rome, 
obligea,  par  ses  remontrances  et  par  des  amendes, 
ceux  qui  n'étaient  pas  mariés  à  épouser  les  veuves 
dont  les  guerres  précédentes  avaient  moissonné  les 
maris. 

Les  censeurs  contribuèrent  puissamment  à  re- 
tarder la  corruption  des  mœurs,  et  par  conséquent 
l'établissement  du  célibat.  Nulle  force  ne   pouvait 

7" 


(  It10  ) 

arrêter  l'action  iuncste  des  usages  et  du  luxe  ëtrati- 
gcrs  que  la  victoire  faisait  pénétrer  sans  cesse  ji 
Rome.  «  Plus  la  république  est  heureuse ,  disait 
»  Caton  ,  plus  notre  empire  s'étend  au  loin  (car 
»  nous  nous  sommes  déjà  introduits  dans  la  Grèce 
))  et  dans  l'Asie,  dans  des  contrées  toutes  pleines 
»  du  poison  des  voluptés  ,  nous  portons  déjà  nos 
»  mains  sur  les  trésors  des  rois),  plus  je  crains  que 
»  nous  ne  soyons  devenus  les  esclaves  plutôt  que 
»  les  maîtres  de  ces  richesses.  » 

Caton  ajoute  plus  bas,  dans  sa  harangue  :  c(  Si 
)i  vous  permettez  aux  dames  riches  de  se  montrer 
«  en  public  toutes  brillantes  de  l'éclat  de  l'or  et  de 
y)  la  pourpre,  celles  qui  ne  sont  pas  si  riches  vou- 
»  dront  les  imiter  et  feront  des  efforts  pour  éviter 
»  le  mépris  qui  s'attacherait  à  leur  condition.  Alors, 
))  dès  qu'elles  auront  commencé  à  rougir  de  ce  qui 
))  n'est  pas  une  faute  ,  elles  ne  rougiront  plus  des 
»  fautes  réelles.  Celles  qui  ne  pourront  pas  se  pro- 
»  curer  ces  objets  de  leur  argent,  les  demanderont 
»  à  leurs  maris.  Malheur  à  l'époux  qui  se  laissera 
i)  fléchir  et  à  celui  qui  restera  inébranlable  !  Ce 
»  qu'il  n'aura  pas  donné  lui-même  ,  un  autre  le 
»  donnera  (i).  )) 


(i)  Quo  melior  Isetiorque  in  dies  fortuna  reipublicae  est, 
imperiumque  crescit  (et  jam  iu  Giœciam  Asiamque  trans- 
cendimus,  omnibus  libidinvmi  illecebris  repletas,  et  regias 


(  lo.  ) 
Ce  que  Caton  avait  prévu  arriva  :  Rome  s'empara 
des  richesses  de  l'univers,  les  richesses  produisirent 
le  luxe ,  le  luxe  la  corruption  des  mœurs ,  la  corrup- 
tion le  dégoût  des  sentimens  de  la  nature  et  le  céli- 
bat. Cet  état  de  choses  existait  déjà  en  l'an  622  de 
Rome.  Le  discours  que  prononça  cette  année  le  cen- 
seur Métellus  Numldicus,  pour  persuader  aux  ci- 
toyens de  devenir  époux  et  pères,  en  est  une  preuve 
évidente.  c(  S'il  était  possible,  dit-il ,  de  n'avoir  point 
»  de  femmes,  nous  nous  délivrerions  de  ce  mal  5 
»  mais  comme  la  nature  a  établi  qu'on  ne  peut  vivre 
»  heureux  avec  elles  ni  subsister  sans  elles,  il  faut 
))  avoir  plus  d'égard  à  notre  conservation  qu'à  des 
))  satisfactions   passagères  (i).  »  Puisqu'on    n'était 


etiani  attractamus  gazas  ") ,  eo  plus  horreo ,  ne  illae  niagis 
nos  ceperint,  quam  nos  illas. 

Vultis  hoc  certameu  uxoribus  vestris  injicere  ,  Quirites, 
ut  divites  habere  velint,  quod  nulla  alla  possit  ;  pauperes, 
ne  ob  hoc  ipsum  contemuantur,  supra  vires  se  extendant, 
nec  simul  pudere  quod  non  oportet  cœperit,  quod  oportet 
non  pudebit.  Quae  de  suo  potevit  parabit ,  quae  non  poterit 
virum  rogabit.  Miserum  illuni  viruni,  et  qui  exoratus  et 
qui  non  exoratus  erit  !  Cmn  quod  ipse  non  dederit ,  datum 
ab  alio  videbit.  (Tit.  Liv. ,  lib.  XXXIV.) 

(i)  Si  sine  uxores  possemus,  Quirites,  esse  omnes,  ea 
molestia  caveremus  ;  sed  quoniam  ita  natura  tradidit,  ut 
nec  cum  illis  satis  commode,  nec  sine  illis  ullo  modo  vivi 


(  '02  ) 

plus  pressé  par  le  désir  d'avoir  des  fils,  et  par  les 
douceurs  du  mariage;  puisque  les  magistrats  n'a- 
vaient plus  à  invoquer  que  l'amour  de  la  patrie  pour 
déterminer  les  citoyens  à  se  donner  des  héritiers  lé- 
gitimes, c'en  était  fait  de  la  vertu  et  de  l'empire  : 
Rome  avait  touché  au  plus  haut  point  de  sa  gloire; 
sa  décadence  était  marquée.  Si  elle  se  soutenait  en- 
core, elle  ne  le  devait  plus  à  ses  propres  forces  :  elle 
vivait  d'emprunt  ;  la  magie  de  son  nom  faisait  toute 
sa  puissance;  la  véritable  source  de  sa  grandeur  était 
tarie,  elle  ne  devait  pas  tarder  à  se  dessécher  elle- 
même. 

La  masse  du  peuple  fut  infectée  de  cette  terrible 
contagion  ;  elle  le  fit  voir  dans  un  procès  que  les  tri- 
buns intentèrent  à  Clodius.  Ce  praticien  avait  pro- 
fané les  mystères  de  la  bonne  déesse ,  en  s'introdui- 
sant  babillé  en  femme  dans  la  maison  de  Pompeïa , 
épouse  de  César,  pour  avoir  un  entretien  avec  elle. 
Cette  intrigue  ayant  été  découverte,  César  renvoya 
sa  femme,  ce  qui  produisit  un  véritable  scandale. 
Les  tribuns  dénoncèrent  le  fait  au  sénat ,  et  accu- 
sèrent en  outre  Clodius  d'avoir  eu  un  commerce 
scandaleux  avec  sa  propre  sœur  et  avec  plusieurs 
autres  femmes.  Il  devait  être  condamné,  il  s'y  at- 
tendait peut-être  ;   sa  cause  paraissait  désespérée, 

possit,  saluti  perpétuas  potius  quam  brevi  voluptati  consu- 
lendum  est. 


(  >o3  ) 
lorsque  le  peuple  se  déclara  en  sa  faveur.  Les  juges, 
intimidés  par  le  tumulte  et  les  menaces  de  la  mul- 
titude, n'osèrent  plus  s'armer  de  rigueur.  César, 
pour  ne  point  perdre  l'affection  des  plébéiens,  qu'il 
avait  recherchée  et  dont  il  avait  besoin ,  fit  une  dé- 
claration favorable  à  Clodius.  Le  sénat  fut  obligé  de 
se  désister,  les  tribuns  de  cesser  leurs  poursuites; 
Clodius  fut  absous.  César,  dit-on,  se  ménageait  un 
moyen  très  efficace  pour  se  défaire  de  Cicéron,  dont 
il  craignait  la  pénétration  et  l'éloquence. 

Il  agit  ainsi  tant  que  la  faveur  de  la  multitude  lui 
fut  nécessaire  pour  s'élever  au  faîte  de  la  puissance  : 
l'ambition  faisait  taire  ses  ressentimens.  Lorsque  la 
fortune  eut  mis  le  comble  à  ses  vœux,  et  qu'il  se 
trouva  l'arbitre  de  la  terre,  il  réfléchit  plus  mûrement 
sur  les  besoins  de  l'état,  sentit  le  danger  dans  lequel 
se  trouvait  la  république ,  et  avisa  aux  moyens  qu'il 
crut  les  plus  propres  à  en  détourner  les  funestes  ef- 
fets. Le  nombre  des  citoyens  était  réduit,  l'inconti- 
nence ,  l'aversion  du  mariage  et  la  guerre  civile 
avaient  également  nui  à  la  population.  Comment 
combler  ce  vide  immense?  On  a  dit  que  ce  législateur 
voulut  d'abord  y  parvenir  sans  gêner  la  liberté  et  les 
inclinations  du  peuple.  11  conçut  le  projet  d'auto- 
riser seulement  la  polygamie  ;  mais  il  changea  bientôt 
d'avis.  Son  esprit  pénétrant  ne  tarda  pas  à  le  convain- 
cre que  la  polygamie  ne  pouvait  pas  s'établir  en  Eu- 
rope :  la  nature  s'y  oppose j  il  y  naît  à  peu  près  autant 


(  -04) 

de  filles  que  de  garçons.  César  se  borna  donc  à  propo- 
ser des  récompenses  pour  ceux  qui  se  marieraient  et 
auraient  le  plus  d'enfans ,  et  des  punitions  pour  ceux 
qui  ne  se  marieraient  pas. 

Le  sénateur  qui  avait  le  plus  d'enfans  était  le 
premier  inscrit  sur  la  liste ,  et  était  appelé  le  premier 
a  émettre  son  avis.  Le  consul,  dans  le  même  cas, 
prenait  le  premier  les  faisceaux  et  clioisissait  sa  pro- 
vince. Une  famille  nombreuse  était  une  dispense  as- 
surée pour  arriver  plus  totaux  honneurs;  chaque  fils 
abrégeait  d'un  an  le  temps  fixé  par  la  loi.  Lorsqu'on 
en  avait  trois,  on  était  exempté  de  toute  charge  per- 
sonnelle. Les  gens  mariés  avaient  une  place  particu- 
lière au  théâtre. 

En  même  temps  César  défendit  aux  femmes  qui , 
jeunes,  âgées  de  moins  de  quarante  ans,  n'avaient 
ni  mari  ni  fils,  de  porter  des  pierreries  et  de  se 
servir  de  litière.  «.Excellente  méthode,  dit  Montes- 
7)  quieu ,  d'attaquer  le  célibat  par  la  vanité.  »  Si  un 
mari  s'absentait  d'auprès  de  sa  femme  pour  toute 
autre  cause  que  pour  des  affaires ,  il  ne  pouvait  pas 
en  être  l'héritier.  Les  pères  qui  ne  voulaient  pas  ma- 
rier leurs  fils  ou  donner  de  dot  à  leurs  filles ,  y  étaient 
contraints  par  les  magistrats.  Les  célibataires  ne 
pouvaient  rien  recevoir  par  testament  des  étrangers. 
Ceux  qui  n'avaient  pas  d'enfans  ne  prenaient  que  la 
moitié  d'un  bien  qui  revenait  de  droit  en  entier  à 
ceux  qui  avaient  le  bonheur  d'en  avoir.  C'est  ce  qui 


(  io5  ) 
a  fait  dire  à  Plutarque  :  «  les  Romains  se  mariaient 
»  pour  être  héritiers ,  et  non  pas  pour  avoir  des  hé- 
»  ritiers. » 

Ces  lois  et  toutes  celles  de  la  même  espèce,  quoique 
inutiles  pour  arrêter  le  mal ,  ne  laissaient  pas  que  de 
gêner  les  célibataires.  Les  chevaliers  en  demandèrent, 
trente-quatre  ans  après,  la  révocation  à  Auguste. 
L'empereur  examina  cette  question  avec  tout  le  soin 
qu'elle  méritait.  Enfin ,  il  convoqua  une  assemblée 
de  cet  ordre ,  fît  placer  les  célibataires  d'un  côté  et 
les  mariés  de  l'autre. Les  premiers  parurent  beaucoup 
plus  nombreux  :  les  citoyens  furent  étonnés  et  con- 
fondus. Pendant  que  toute  la  ville  se  livrait  aux 
tristes  réflexions  qu'un  spectacle  si  affligeant  devait 
avoir  fait  naître,  Auguste  monta  à  la  tribune  aux 
harangues,  et  prononça  d'un  ton  fort  animé  et  grave 
le  discours  que  l'on  va  lire,  «  Pendant  que  les  mala- 
))  dies  et  les  guerres  nous  enlèvent  tant  de  citoyens, 
»  que  deviendra  la  ville  si  on  ne  contracte  pas  de 
))  mariages?  La  cité  ne  consiste  pas  dans  les  maisons, 
»  les  portiques,  les  places  pubHques;  ce  sont  les 
))  hommes  qui  font  la  cité.  Tous  ne  verrez  point, 
»  comme  dans  les  fables ,  sortir  de  terre  des 
»  hommes  pour  prendre  soin  de  vos  affaires.  Ce 
y)  n'est  point  pour  vivre  seuls  que  vous  restez  dans 
»  le  célibat;  chacun  de  vous  a  des  compagnes  de  sa 
Ti)  table  et  de  son  lit,  et  vous  ne  cherchez  que  la  paix 
»  de  vos  dérèglemens,  Citerez-vous  l'exemple  des 


(  .06  ) 
»  vierges  vestales?  Donc,  si  vous  ne  gardiez  pas  la 
))  pudicité ,  il  faudrait  vous  punir  comme  elles.  Vous 
»  êtes  également  mauvais  citoyens,  soit  que  tout  le 
y)  monde  imite  votre  exemple,  soit  que  personne  ne 
»  le  suive.  Mon  unique  objet  est  la  perpétuité  de  la 
))  république 5  j'ai  augmenté  les  peines  de  ceux  qui 
))  n'ont  pas  obéi ,  et ,  à  l'égard  des  récompenses,  elles 
y)  sont  telles,  que  je  ne  sache  que  la  vertu  en  ait  en- 
»  core  eu  de  plus  grandes  :  il  y  en  a  de  moindres  qui 
»  portent  mille  gens  à  exposer  leur  vie ,  et  celles-ci 
»  ne  vous  engageront  pas  à  prendre  une  femme  et  à 
»  nourrir  des  enfans!  » 

Et  il  publia  la  loi  Papia-Poppœa,  ainsi  appelée 
du  nom  des  deux  consuls  de  l'année.  Ce  qui  était 
d'un  fort  mauvais  augure  pour  elle,  c'est  que  ces 
consuls,  suivant  le  témoif^nage  de  Dion,  étaient  tous 
les  deux  célibataires.  Les  lois  de  Jules- César  ou  Ju- 
liennes avaient  été  fondues  dans  celle-ci.  11  n'en  reste 
plus  que  des  fragmens  dans  les  historiens,  ou  dans  les 
pères  de  l'église  qui  les  ont  combattues,  ou  dans 
Ulpien. 

L'obligation  de  contracter  mariage  commençait , 
pour  les  hommes  à  vingt-cinq  ans  ,  pour  les  femmes 
à  vingt.  Les  premiers  en  étaient  dispensés  à  soixante, 
les  secondes  à  cinquante  :  ou  plutôt  il  était  défendu 
aux  individus  des  deux  sexes  de  s'engager  dans  le 
mariage  après  cette  période  de  leur  vie;  car  le  séna- 
tus-consulte  Calvisien  déclarait  illégale  l'union  d'une 


(  107  ) 
femme  âgée  de  plus  de  cinquante  ans,  et  Tibère  dé- 
fendit à  tout  homme  au-dessus  de  soixante  ans  d'é- 
pouser une  femme  âgée  de  moins  de  cinquante. 

On  établit  que  les  femmes  ingénues,  lorsqu'elles 
auraient  trois  enfans,  et  les  afFranchies  lorsqu'elles 
en  auraient  quatre,  sortiraient  de  la  tutelle  rigou- 
reuse à  laquelle  les  femmes  avaient  été  assujetties  par 
les  anciennes  lois. 

Ces  lois,  ces  peines  et  ces  récompenses  furent  im- 
puissantes contre  l'action  des  causes  qui  menaçaient 
de  ruine  la  ville  éternelle;  elles  n'eurent  pas  même 
une  longue  durée.  Des  despotes  les  avaient  faites , 
d'autres  despotes  les  abolirent  plus  tard,  lorsque  la 
force  entraînante  de  la  corruption  générale  et  les 
principes  du  christianisme  eurent  fini  de  déborder  la 
puissance  civile. 

Il  y  avait  même  des  classes  auxquelles  le  célibat 
avait  été  imposé  par  les  lois  des  premiers  empereurs. 
Les  teinturiers  ne  pouvaient  pas  contracter  mariage, 
et  leur  continence  apparente  était  pompeusement 
appelée  virtus  imperatoria  (vertu  impériale),  parce 
que  les  empereurs  portaient  la  pourpre  que  ces 
hommes  teignaient.  Les  musiciens  étaient  aussi  or- 
dinairement célibataires  ;  leur  voix  en  avait  plus  de 
délicatesse  et  de  douceur. 

Les  avantages  accordés  par  les  lois  aux  gens  ma- 
riés furent  si  considérables,  que  ceux  que  leur  état 
empêchait  de  contracter  mariage   les  demandèrent 


(  io8  ) 

et  les  obtinrent.  On  accorda  le  droit  d'en  fans  aux 
vestales,  et  ensuite  celui  de  maris  aux  soldats. 

La  corruption  arriva  à  Rome  à  un  plus  haut 
degré  que  partout  ailleurs.  Rien  n'a  égalé ,  et  n'é- 
galera jamais  les  infâmes  débauches  de  la  cour  de 
plusieurs  empereurs,  sans  en  excepter  celle  d'Au- 
guste lui-même,  dont  l'exemple  contagieux  gagna 
la   ville  et  bientôt  tout  l'empire. 

Il  faut  avouer  qu'il  existait  dans  les  usages  des 
Romains,  pendant  les  heureux  temps  de  la  répu- 
blique ,  des  germes  de  corruption  qui  devaient  né- 
cessairement produire  les  fruits  les  plus  amers. 
«  Par  une  coutume  très  honnête  et  très  pieuse  des 
»  dames  romaines  ,  on  faisait  asseoir  la  nouvelle 
»  épouse  sur  les  genoux  de  cet  infâme  Priape,  sous 
))  prétexte  d'empêcher  par  là  les  charmes  et  les 
))  sortilèges ,  »  dit  le  plus  grand  des  pères  de  l'é- 
glise latine.  Cette  cérémonie  des  dames  romaines 
est  semblable  à  celle  des  Indiens,  qui  donnaient 
leur  virginité  à  leur  idole.  N'est-il  pas  étonnant 
que  deux  nations  si  différentes  à  tous  égards  se 
soient  rencontrées  dans  un  usage  si  bizarre  et  si 
contraire  au  bons  sens  ? 

L'ambition  portait  souvent,  à  Rome,  des  personnes 
fortunées  à  vivre  dans  le  célibat.  Les  grands  leur 
faisaient  la  cour,  dans  l'espérance  de  trouver  une 
place  dans  leurs  testamens  :  et  ces  célibataires,  sa- 
tisfaits des  égards  qu'avaient  pour  eux  ces  enfans 


(  Ï09  ) 
de  la  fortune ,  évitaient  soigneusement  tout  ce  qui 
aurait  pu  leur  donner  des  héritiers  légitimes  ;  ils 
auraient  entraîné  la  perte  des  bonnes  grâces  et  des 
laveurs  auxquelles  ces  hommes  attachaient  un  si 
grand  prix.  Le  jour  qu'un  de  ces  hommes  dénaturés 
serait  devenu  père  aurait  été  pour  lui  un  jour  de 
deuil.  11  faut  voir  dans  les  satires  d'Horace  et  de 
Juvénal  tous  les  artifices  et  tout  l'empressement 
de  ces   captatores  testamentorum. 

Le  célibat,  c'est-à-dire  l'aversion  pour  le  ma- 
riage ,  était  donc  très  comaïun  dans  les  pays  ci- 
vilisés de  l'Europe  et  de  l'Asie,  bien  loin  avant 
l'établissement  du  christianisme.  INous  en  verrons 
les  résultats. 

La  nature  trouva  des  moyens  pour  réparer  les 
maux  que  lui  avaient  causés  les  vices  de  la  civi- 
lisalion.  Ces  vices  minèrent  peu  à  peu  la  puissance 
de  l'empire.  Ses  frontières  furent  attaquées ,  il  ne 
sut  pas  les  défendre.  Une  génération  grossière , 
mais  vigoureuse,  l'envahit  ,  extermina  ou  réduisit 
en  esclavage  ses  anciens  habitans  et  se  mit  à  leur 
place.  La  force  est  la  compagne  inséparable  de  la 
vertu ,  et  la  vertu  lui  a  destiné  l'empire  du  monde. 
Chaque  nation  règne  ou  sert  quand  son  temps  est 
venu  :  l'abaissement  des  peuples  suit  ordinairement 
la  chute  des  mœurs. 


VVVt\'VVVVVVVVVVWVVVVVVVVh'VVVX^^VVVVVVVVVVVVl'V\VVVVVV\AA*VVVVV%VVViV\VVVUVVVVVVVVV^VVV^ 

SECTION  III. 

Du  célibat  religieux  avant  le  christianisme 
et  chez  les  nations  idolâtres. 


AYANT-PROPOS. 

* 

Jusqu'ici  on  a  montré  le  célibat  sons  son  véri- 
table jour  et  dans  son  essence ,  produit  du  vice , 
enfant  de  la  société  dégénérée ,  s'introduisant  par- 
tout malgré  les  lois  ,  détruisant  les  moeurs ,  minant 
sourdement  les  corps  politiques  et  dévorant  les  na- 
tions entières. 

Nous  allons  le  voir  sous  un  tout  autre  aspect  ; 
il  va  devenir  sous  nos  yeux  l'une  des  vertus  dont 
l'homme  se  fait  le  plus  d'honneur,  une  vertu  par 
laquelle  il  prétend  se  rapprocher  de  la  divinité , 
une  vertu  que  les  lois  appuieront  de  toutes  leurs 
forces,  ou  contre  laquelle  elles  n'oseront  point 
s'élever. 

Je  veux  dire  le  célibat  religieux.  C'est  une  étrange 
position  que  celle  du  prêtre.  11  se  regarde  comme 
le  médiateur  entre  l'homme  et  la  divinité,  comme 
l'anneau  qui  lie  la  chaîne  des  êtres  naturels  à  celle 
des  êtres   surnaturels ,   comme  le   représentant  de 


(  '"  ) 

la  divine  intelligence  qu'il  adore  et  qu'il  propose  à 
l'adoration  des  autres  hommes.  Cette  idée  exalte  son 
amour-propre  et  le  rend  orgueilleux.  Ministre  de 
la  divinité,  il  veut  participer  à  ses  perfections,  et 
s'élever  au-dessus  des  appétits  communs  de  ses  sem- 
blables :  se  laisser  entraîner  par  les  désirs  qui  sé- 
duisent les  autres  mortels ,  ce  serait  s'abaisser  au 
niveau  d'eux  et  se  rendre  indigne  de  sa  sublime 
destinée. 

Cette  pensée  est  TefFet  naturel  de  l'état  du  prêtre. 
Une  autre  considération  tout  aussi  naturelle  pour 
lui,  c'est  le  besoin  de  se  distinguer  pour  exciter 
l'admiration  et  commander  le  respect  ;  et  ce  besoin 
est  l'un  de  ceux  qui  exercent  le  plus  d'empire  sur 
son  cœur.  Il  veut  régner,  parce  que  le  Dieu  qu'il 
sert  est  le  souverain  du  monde.  La  force  physique 
n'étant  pas  d'abord  dans  la  sphère  de  son  action, 
il  se  trouve  contraint  de  s'adresser  à  la  force  mo- 
rale, de  captiver  les  esprits,  de  subjuguer  les  âmes. 
Comment  atteindre  son  but  ?  Il  faut  se  montrer 
supérieur  aux  faiblesses  communes  ;  il  faut  faire 
croire  aux  peuples  qui  ne  raisonnent  pas,  que  ces 
passions  auxquelles  ils  obéissent  en  esclaves  n'ont 
point  d'action  sur  lui  ;  qu'il  a  une  force  surna- 
turelle ;  qu'il  se  commande,  et  qu'il  est  digne  de 
commander  aux  autres. 

De  là,  mille  genres  d'imposture,  de  là,  le  cé- 
libat. On  a  beau  chercher  ailleurs  son  origine  :  il 


(  11^^  ) 

pciiL  y  avoir  des  erreurs  et  des  préjugés  qui  vien- 
nent au  secours  de  l'ambitioa  du  prêtre  ;  mais 
ce  ne  sont  que  des  moyens  d'exécution.  Le  prin- 
cipe régulateur  et  dominateur,  c'est  l'amour-propre, 
c'est  l'intérêt  de  l'individu  et  de  la  classe.  En 
voulez-vous  une  preuve?  Il  y  a  eu  des  prêtres  qui 
ont  adoré  des  dieux  protecteurs  de  l'adultère  et 
de  la  plus  infâme  débauche  ,  et  qui  cependant  se 
sont  fait  un   devoir  du  célibat. 

Qui  porte  le  prêtre  au  célibat?  C'est,  dit-on,  le 
sentiment  d'une  vertu  que  rien  ne  saurait  éteindre 
dans  le  cœur  de  l'homme.  Mais  est-il  vrai  qu'il  y 
ait  de  la  vertu  à  vivre  dans  le  célibat?  Qu'est-ce 
que  la  vertu  ?  Suffit-il  de  vaincre  un  penchant 
quelconque  pour  être  vertueux  ?  Détruire  les  pen- 
chans  qui  portent  au  bien  ,  n'est-ce  pas  détruire 
la  vertu  elle-même  ? 

Le  célibat  est  un  sacrifice  agréable  à  la  divi- 
nité? Comment  le  savez -vous?  Qui  connaît  sa 
nature  et  ses  goùls?  Quand  le  plus  obscur  des  ani- 
maux microscopiques  pourra  concevoir  et  faire  ce 
que  conçoit  et  fait  l'homme,  l'homme  pourra  conce- 
voir et  faire  ce  que  conçoit  et  fait  Dieu.  Il  faut  que 
chaque  être  reste  dans  son  état  et  dans  son  ca- 
ractère. Youloir  être  autre  chose  que  ce  que  Dieu 
nous  a  faits  est  une  témérité  qui  n'admet  point 
d'excuse.  Connais-toi  toi-même  est  une  maxime 
qui  s'adresse  également  à  l'individu  et  à  l'espèce. 


(  >>3) 
L'organisation  individuelle  a  fixé  la  nature  et  le 
sort  de  tout  ce  qui  existe,  et  aucun  être  ne  peut 
dépasser  la  limite  qui  a  été  tracée  autour  de  lui. 
L'homme  ne  sera  pas  plus  Dieu  que  la  pierre  ne 
sera  animal  :  le  rapport  est  le  même  ;  et  je  ne 
crois  pas  que  cette  pensée  ait  rien  d'humiliant  pour 
nous.  Abaissons  un  peu  nos  regards  sur  la  foule 
innombrable  des  objets  inférieurs  ,  et  nous  trouve- 
rons  mille  sujets  de   consolation  et  d'orgueil. 

C'est  presque  une  nécessité  pour  le  prêtre  de  vivre 
ou  de  paraître  vivre  dans  le  célibat.  Cependant  ce 
principe  n'est  pas  si  absolu,  qu'il  ne  puisse  rece- 
voir quelque  modification.  Rien  ne  peut  se  sous- 
traire à  l'empire  des  circonstances.  Le  prêtre  peut 
se  trouver  dans  deux  positions  différentes  :  ou  il 
forme  une  classe  à  part  ,  une  caste ,  une  tribu 
dans  l'état,  ou  il  tire  son  existence  des  autres  classes, 
aux  dépens  desquelles  la  sienne  se  recrute  et  s'a- 
grandit tous  les  jours. 

Dans  la  première  hypothèse,  un  célibat  rigou- 
reux est  impossible.  Si  le  prêtre  s'y  condamnait , 
il  se  condamnerait  à  une  mort  inévitable,  ce  qui 
est  contre  les  lois  de  la  nature.  Dans  un  pareil 
état ,  il  pourrait  bien  y  avoir  des  individus  et  des 
ordres  religieux  qui  affecteraient  de  conserver  une 
continence  parfaite  ;  mais  la  plupart  devraient  se 
marier.  Plus  une  telle  Iribu  serait  nombreuse,  plus 
elle  pourrait  admettre  de  célibataires  :  comme  c'est 

8 


(  i'4  ) 

son  intérêt,  elle  les  admettra  pour  assurer  et  étendre 
de  plus  en  pins  son  empire.  C'est  une  avant-garde, 
ce  sont  des  sentinelles  perdues  (jui  s'immolent  à  la 
sûreté  de  l'armée. 

Dans  la  seconde  hypothèse  ,  le  célihat  devra  être 
établi  par  une  loi  générale  et  sans  exception.  11 
faudra  des  circonstances  qui  se  réunissent  rarement, 
pour  amener  un  ordre  de  choses  différent.  On  a 
déjà  fait  observer  que  le  prêtre  aime  par-dessus  tout 
l'autorité  et  la  domination  :  il  se  trouve  donc  en 
lutte,  ou  plutôt  en  guerre  ouverte  avec  l'autorité 
temporelle.  Qui  ne  voit  dans  cette  situation  la  né- 
cessité de  former  un  corps  homogène  et  compacte 
qu'aucune  force  contraire  ne  puisse  entamer  ,  au- 
cune séduction  ne  puisse  détruire  ?  11  lui  faut  serrer 
ses  rangs  et  s'isoler  au  milieu  de  la  société.  Or, 
comment  le  clergé  pourrait-il  se  constituer  ainsi , 
s'il  permettait  le  mariage  à  ses  membres  ?  Le  prêtre 
marié  tiendrait  plus  à  sa  femme  et  à  ses  enfans 
qu'à  son  corps,  à  son  parti,  à  son  chef;  il  ne 
serait  pas  tout-à-fait  disponible  ,  il  aurait  trop  de 
ressemblance  et  trop  de  rapport  avec  la  classe  des 
profanes ,  et  ne  manquerait  pas  d'adopter,  au  moins 
en   partie ,   les  sentimens  des  profanes. 

11  est  à  propos  de  faire  observer  que  le  clergé 
s'imposera  un  célibat  d'autant  plus  rigoureux 
qu'il  se  verra  plus  de  chances  pour  parvenir  à 
l'empire.  S'il  désespère  de  porter  sa  puissance  au- 


(  '>5  ) 
dessus  de  la  puissance  séculière,  selon  toutes  les 
probabilités  ,  il  ne  voudra  pas  se  condamner  à 
des  sacrifices  inutiles.  Cette  idée  pourra  recevoir 
un  plus  ample  développement ,  lorsque  nous  nous 
occuperons  du  célibat  du  clergé  grec,  comparative- 
ment avec  celui  de  l'église  romaine. 

Il  peut  se  faire  que  dans  les  temps  d'ignorance 
et  de  ténèbres,  le  prêtre  ne  se  soit  point  fait  un 
raisonnement  si  clair  et  si  bien  déduit  ;  mais  il  n'en 
a  pas  moins  agi  avec  ardeur  et  constance  pour 
accomplir  sa  belle  destinée.  Un  instinct  secret ,  le 
sentiment  de  sa  conservation  et  de  sa  force,  devait 
l'y  porter  tout  naturellement.  L'instinct  guide 
l'homme  plus  souvent  que  la  raison  :  nous  n'avons 
qu'à  considérer  avec  un  peu  d'attention  ce  qui  se 
passe  en  nous-mêmes. 

Dans  les  anciennes  religions,  où  l'on  adorait  des 
divinités  corporelles  qui  venaient  souvent  visiter 
leurs  autels  et  leurs  dévots  ,  le  célibat  des  prêtres 
des  déesses  a  dû  être  un  dogme  inviolable. 
Un  sentiment  délicat  de  convenance  et  de  res- 
pect a  même  pu  imposer  à  l'homme  le  sacrifice 
de  l'organe  devant  lequel  la  divinité  pouvait  avoir 
ou  à  rougir  ou  à  se  trouver  en  danger  :  une  erreur 
en  entraine   toujours  d'autres  à  sa  suite. 

Quant  à  l'influence  que  les  prêtres  chercheront 
à  exercer  sur  la  multiplication  des  autres  classes, 
cela  doit  dépendre  des  principes  qui  existaient  avant 

8.. 


(  ■■<;) 

la  naissance  de  la  religion,  et  de  ceux  qui  sont  établis 
par  Tauleur  de  la  relif^ion.  Un  culte  ancien  qui  se- 
rait né  dans  un  temps  où  les  hommes  se  seraient 
trouvés  peu  nombreux  et  de  moeurs  simples  et  pures, 
aurait  dû  enseigner  des  maximes  favorables  à  la  mul- 
tiplication de  l'espèce,  afin  d'augmenter  le  nombre 
des  fidèles  et  ses  propres  revenus  \  secondant  en 
en  cela  les  sentimens  de  la  nature.  Un  culte  qui 
s'établirait  à  une  époque  où  la  surabondance  des 
hommes  se  ferait  sentir ,  où  la  corruption  serait 
très  répandue  et  où  des  principes  de  la  philo- 
sophie tendraient  à  écarter  les  hommes  de  leur  véri- 
table destination,  aurait  probablement  des  maximes 
différentes.  11  ne  serait  pas  étonnant  de  lui  voir 
condamner  le  mariage  ,  et  ne  le  tolérer  qu'avec 
peine. 

Si  le  législateur  réunissait  l'autorité  civile  et  l'au- 
torité religieuse,  le  célibat  des  prêtres  serait  né- 
cessairement subordoimé  à  l'idée  primitive  du  gou- 
vernement qu'il  aurait  conçu  ,  peut-être  même  à 
son  caprice  et  à  ses  vues  ambitieuses.  S'il  voulait 
établir  sa  religion  j)ar  le  sabre  et  régner  par  la  force 
sur  les  peuples  soumis ,  il  ne  sanctionnerait  pas  le 
célibat.  S'il  aimait  lui-même  les  plaisirs,  il  ne  les  dé- 
fendrait pas;  il  s'en  servirait  au  contraire  comme 
d'un  puissant  ressort;  il  les  permettrait  sur  la  terre 
et  les  promettrait  dans  le  ciel. 


(  i'7  ) 

V\%fVVVVVVv\\\VVVV\VWVV\\*\\VVVV%\vVVVV\VV\VV\V\%\VVl\\\VVi/VVVV\VVVlVVVV»VVXV\*V\\\\\VV*iV^ 

CHAPITRE  PREMIER. 
Des  prêtres   et  des  ordres  religieux. 

Ce  chapitre  n'offrira  que  l'application  des  prin- 
cipes que  nous  venons  d'établir. 

Commençons  par  les  Indes.  Les  brachmanes , 
ou  gjmnosophistes  ,  ou  bramines  ,  car  ils  ont  reçu 
successivement  ces  trois  noms  ,  formant  une 
caste  particulière,  n'ont  pas  pu  s'imposer  un  cé- 
libat rigoureux.  Ils  conseillent  au  contraire  de 
se  marier,  et  se  marient  eux-mêmes  très  jeunes, 
pour  prévenir  jusqu'au  moindre  soupçon  d'impu- 
reté. Suivant  eux,  il  est  bien  plus  honnête  de  s'u- 
nir la  première  fois  à  une  épouse,  lorsque,  jeunes 
encore,  leurs  âmes  n'ont  pas  été  dégradées  par 
l'ardeur  des  passions  fougueuses.  Cependant  ils  gar- 
dent, dit-on,  la  continence,  pendant  les  sept  an- 
nées de  leur  noviciat. 

Après  leur  mort,  ils  prétendent  monter  au  ciel 
avec  leurs  femmes.  Les  cérémonies  qu'ils  accom- 
plissent à  la  naissance  de  leurs  enfans  prouvent, 
indépendamment  de  l'histoire,  que  l'Inde  dans  les 
temps  anciens,  a  été  soumise  à  un  gouvernement 
tbéocratique.  Les    bramines   ont  eu  un  très   vaste 


(  ii8  ) 
empire.  «  Vivez  pour  commander  aux  hommes  ,  » 
dit    le    braminc    orgueilleux    dans   son    humilité  , 
avant  de  couper  le  cordon  ombilical  de  son  enfant. 
Ils  ne  régnent  plus   que  sur  les  démons  et  sur  les 
imbéciiles.  Us  possèdent  seuls   ce  qu'on  appelle  la 
sagesse   ou    la    science.    Nul    autre    n'est   autorisé 
à   lire    dans    les    livres    sacrés ,    qu'ils    prétendent 
avoir  reçus  du  ciel.  C'est  de  la  main  de  Dieu  que 
les  imposteurs  ont  fait  écrire  loales  les  folies  qu'ils 
ont  voulu   accréditer  parmi  les  hommes. 

Lorsqu'on  parcourt  la  longue  suite  des  prati- 
ques et  des  formules  que  les  bramines  remplissent 
religieusement  5  soit  à  la  naissance,  soit  aux  dif- 
férentes époques  de  la  vie  de  leurs  fils,  on  croit 
lire  certain  rituel.  Lorsqu'ils  se  préparent  à  raser 
la  première  fois  leur  tête ,  ils  disent  dévotement 
au  rasoir  :  «  Rasoir,  rase  mon  fils,  comme  tu  as 
rasé  le  soleil  et  le  dieu  Indro.  >')  Le  soleil  a  donc 
été  rasé   par  les    bramines  ! 

Quelques  historiens  ont  écrit  que  sur  les  côtes 
du  Malabar  les  nouveaux  époux,  avant  la  con- 
sommation du  mariage ,  ont  l'habitude  d'aban- 
donner leurs  femmes  aux  bramines,  pour  qu'ils 
en  disposent  suivant  leur  sainte  volonté.  Si  un 
tel  récit  est  véritable,  les  bramines  sont,  à  cet 
égard ,  beaucoup  plus  heureux  que  nos  anciens 
seigneurs  féodaux  ;  leur  droit  de  cuissage  est  établi 
sur  vine  base  plus  solide. 


(  >'9) 

S'il  est  vrai,  comme  on  s'est  plu  tant  de  fois 
à  le  dire ,  que  ce  soit  un  principe  de  religion 
pour  les  gymnosophistes  ,  que  chaque  homme 
laisse  après  soi  au  moins  deux  enfans,  pour  rem- 
placer leur  père  et  leur  mère,  il  en  rësidterait 
que  le  mariage  serait  pour  eux  d'obligation.  Des 
écrivains  prétendent  que  dès  qu'ils  ont  deux  fils, 
ils  s'abstiennent  de  toute  communication  avec  leur 
femme.  On  peut  croire  que  la  force  des  passions 
et  les  accidens  de  la  vie  leur  font  violer  souvent 
leur  vœu.  Si  l'un  de  leurs  enfans,  ou  tous  les 
deux  viennent  à  mourir,  voulant  se  tenir  stric- 
tement à  leurs  principes,  ne  seraient -ils  pas 
obligés  de  s'unir  nouvellement  à  leurs  femmes? 

Cependant  il  existe  aussi  beaucoup  de  céliba- 
taires parmi  eux.  Eux  qui  recommandent  et  qui 
pratiquent  les  plus  dures  pénitences,  comment  ne 
s'imposeraient-ils  pas  l'une  des  plus  pénibles  et  des 
plus    longues  ? 

Les  Indes  sont  trop  vastes,  et  renferment  des 
peuples  trop  différens  de  mœurs  et  de  religion  , 
pour  avoir  des  principes  uniformes  sur  cette  ma- 
tière. 

Les  talapoins,  prêtres  du  Pégu,  sont  obligés  de 
garder  la  continence  :  et  malheur  à  quiconque  est 
convaincu  d'avoir  manqué  à  ce  devoir!  il  est  brûlé 
sans   miséricorde. 

Les   faquirs,    religieux    mendians ,    parcourent, 


(     120    ) 

quelquefois  au  nombre  de  dix  el  de  douze  mille, 
les  diverses  contrées  de  ce  continent  immense, 
traînant  à  leur  suite  les  femmes  peu  scrupu- 
leuses qui  s'attachent  à  leurs  personnes  et  à  leur 
religion.  Lorsqu'ils  s'approchent  de  quelque  vil- 
lage, les  hommes  craignant  la  sainte  colère  de  ces 
dévols,  et  le  pillage  qu'ils  exercent,  se  retirent  au 
loin  et  se  cachent  dans  les  forêts.  La  plupart  des 
femmes  au  contraire  les  attendent  de  pied  ferme, 
et  prétendent  en  recevoir  des  remèdes  contre  la 
stérilité. 

Lorsque  ces  hommes  du  seigneur  entrent  dans 
un  logis ,  pour  s'y  livrer  à  la  prière  avec  la  maî- 
tresse, ils  ont  soin  de  laisser  devant  la  porte  leur 
bâton ,  ou  levu's  sandales  ,  pour  avertir  le  mari 
de  ne  pas  avoir  l'audace  de  les  troubler  au 
milieu  de  leurs  saintes  extases.  Et  personne  n'est 
assez  téméraire  pour  s'y  introduire  :  quiconque 
l'oserait ,  en  serait  puni  par  une  violente  bas- 
tonnade. 

Les  lamas  du  Tliibet  et  de  la  Chine  font  le  vœu 
de  chasteté.  L'observent-ils?  Les  punitions  que  l'on 
fait  subir  à  ceux  qui  le  violent  sont  terribles.  Si 
on  les  surprend  in  flagrante  delicto  avec  une 
femme ,  on  leur  perce  le  cou  avec  une  barre  de 
fer  rougie  au  feu;  on  passe  dans  la  blessure  une 
longue  chaîne  aussi  de  fer ,  et  on  les  oblige  de 
traverser  les  rues  de  la  ville,   traînant  après   eux 


(  •2'  ) 

l'énorme  poids  de  cette  chaîne ,  qu'on  leur  défend 
de  soulever  de  leurs  mains  ,  et  recevant  sur  le 
dos  les  coups  de  verges  qu'un  moine  leur  ad- 
ministre impitoyablement  pendant  cette  doulou- 
reuse procession. 

Les  bonzes  de  Tunquin  sont  obligés  de  garder  la 
continence.  Si  l'accomplissement  de  ce  devoir  de- 
vient pour  eux  trop  pénible,  ils  peuvent  quitter 
leurs  couvens  et  se  marier;  ils  ne  perdent  que  le 
caractère  sacré  de  moine;  l'opinion  publique  ne  les 
flétrit  point.  Il  en  est  de  même  à  la  Corée  :  les  cou- 
vens sont  ouverts  à  tout  le  monde  ,  on  peut  en  sortir 
avec  autant  de  facilité  que  l'on  peut  y  entrer.  Le 
célibat  toutefois  est  de  rigueur.  Je  pense  qu'à  la 
Chine  ils  sont  sujets  aux  mêmes  règlemens;  le  nombre 
en  est  là  très  considérable.  «  Un  empereur  de  la  fa- 
»  mille  des  Tangs  fît  anciennement  détruire  une  infi- 
»  nité  de  monastères  sur  un  principe  qu'il  tenait  de 
y)  ses  ancêtres,  c'est-à-dire  que  s'il  y  avait  un  homme 
»  qui  ne  labourât  point ,  ou  une  femme  qui  ne  s'oc- 
»  cupât  point,  il  fallait  que  quelqu'un  souffrît  le 
w  froid  et  la  faim  dans  l'empire.  »  Ils  se  sont  multi- 
pliés dans  la  suite. 

A  Norsingue,  dans  l'Indoustan  ,  les  prêtres  y 
sont  mariés;  mais  ils  doivent  difficilement  trouver 
des  femmes,  car  à  la  mort  du  prêtre  ,  elles  sont 
ensevelies  vives  dans  la  même  tombe  avec  leur 
mari,  pour  lui  tenir  compagnie  dans  l'autre  monde. 


(     122    ) 

Cependant ,  comme  cet  usage  est  1res  commun 
dans  l'Inde ,  même  pour  les  femmes  des  séculiers , 
on  peut  croire  que  les  prêtres  ne  manquent  pas 
d'épouses. 

Le  sacerdoce,  aux  Moluques,  étant  héréditaire, 
le  mariage ,  pour  les  prêtres,  y  est  d'une  rigoureuse 
nécessité. 

Mêmes  bizarreries  en  Afrique.  Dans  la  Nigritie, 
du  moins  autant  qu'on  peut  le  savoir  d'un  pays  qui 
n'a  pas  encore  été  bien  examiné,  les  prêtres  peuvent 
contracter  mariage,  et  ils  sont  obligés  de  fixer  leur 
choix  dans  les  familles  sacerdotales.  C'est  ainsi  que 
leur  caste  se  conserve  dans  toute  sa  pureté. 

Au  Congo,  le  prêtre  dont  le  nom  est  négoscie,  doit 
toujours  avoir  au  moins  onze  femmes.  Rien  n'est 
aussi  opposé  au  célibat  que  la  polygamie. 

A  Juida  ,  le  sacerdoce  est  héréditaire  ,  et  sa  tribu 
en  est  fort  nombreuse.  Le  beau  sexe  est  admis  au  mi- 
nistère sacerdotal.  Ces  femmes  prêtres  ont  un  orgueil 
et  une  morgue  insupportables  :  au  lieu  d'obéir  à  leurs 
maris,  elles  leur  commandent.  C'est  pour  cette  rai- 
son que  peu  de  personnes  sont  disposées  à  s'unir  à 
elles,  ou  à  permettre  à  leurs  femmes  d'embrasser 
la  carrière  ecclésiastique.  La  puissance  sacerdotale, 
dans  cette  contrée,  est  de  beaucoup  supérieure  à 
la  puissance  civile:  le  roi  y  obéit  au  grand  pontife. 

Au  Mexique,  la  prêtrise  était  élective,  excepté 
cependant  celle  du  dieu  J^itzliputzLi  ,  qui  était  hé- 


(  123  ) 
réditaire.  Le  célibat  était  impossible  po«r  ces  der- 
niers. Les  premiers  pouvaient  aussi  s'engager  dans  le 
mariage.  Toutefois  il  n'était  pas  rare  d'en  voir  qui 
pratiquaient  sur  eux-mêmes  des  opérations  doulou- 
reuses ,  pour  se  soustraire  au  danger  de  déplaire  à 
Dieu  en  donnant  l'existence  à  des  hommes.  jNous 
en  trouverons  d'autres  exemples. 

A  Nicaragua  ,  les  prêtres  gardaient  la  continence. 
Il  en  était  de  même  à  Darieu  et  à  Panama.  Con- 
vaincus d'avoir  manqué  à  leur  vœu ,  ils  étaient  la- 
pidés ou  brûlés. 

A  Cumana  et  à  Paria ,  ceux  qui  se  destinaient  à 
la  prêtrise  se  retiraient  pendant  deux  ans  dans  les 
bois,  et  vivaient  loin  des  hommes,  surtout  loin  des 
femmes,  sans  sortir  de  leur  caverne  ,  sans  voir  leurs 
parens ,  se  privant  de  tout  aliment  gras.  Les  vieux 
prêtres  (  piaias  )  se  rendaient  auprès  d'eux  pendant 
la  nuit,  pour  leur  donner  les  instructions  nécessaires. 
Leur  célibat  n'avait  pas  une  longue  durée  :  les  prê- 
tres de  Cumana  et  des  peuples  voisiqs  ont  droit  à  la 
virginité  des  jeunes  mariées,  et  en  usent. 

Dans  les  îles  de  la  mer  du  sud,  la  prêtrise  est  hé- 
réditaire. Chaque  classe  du  peuple  a  ses  prêtres  : 
l'une  ne  peut  pas  se  servir  de  ceux  de  l'autre. 

Revenons  à  l'Asie  :  c'est  le  pays  natal  du  plus 
grand  nombre  des  préjugés  religieux. 

Les  mages  de  Perse  formaient  une  tribu  particu- 
lière 5   leurs   descendans   pouvaient  seuls  aspirer  à 


(  1^1  ) 

l'honneur  du  sacerdoce.  Ils  se  mariaient  donc^  et 
l'on  sait  qu'ils  conseillaient  le  mariage  à  tout  le 
monde.  Leurs  principes  furent  les  mêmes  avant 
Smardis  et  après  le  second  Zoroastre;  ils  n'ont  pas 
varié,  même  de  nos  jours.  Ceux  d'entre  les  Guèbres 
qui  conservent  la  doctrine  du  Zenda-J^esla  ont  en- 
core le  même  respect  pour  le  mariage,  lis  sont  très 
peu  nombreux  ;  le  sabre  de  Mahomet  les  a,  ou  dé- 
truits ,  ou  refoulés  à  l'extrémité  septentrionale  de  la 
Perse ,  entre  ce  royaume  et  l'empire  du  Mogol.  Le 
Zenda-J^esta  n'a  pas  su  résister  au  Coran.  La  reli- 
gion des  mages  a  succombé  sous  les  efforts  du  temps 
qui  mine  tout,  et  sous  les  coups  du  mahométisme 
éclairé  par  la  politique  des  califes.  Cependant  ce  n'a 
pas  été  faute  de  prévoyance  de  la  part  de  ses  mi- 
nistres* ils  avaient  fait  tout  ce  que  la  prudence  hu- 
maine pouvait  leur  suggérer  pour  rendre  leur  empire 
durable  et  permanent;  ils  s'étaient  assuré  exclusi- 
vement les  lumières  qui  donnent  la  considération  j 
ils  s'étaient  introduits  à  la  cour  des  rois,  dont  ils 
étaient  en  même  temps  les  précepteurs  et  les  cha- 
pelains; ils  dictaient  ostensiblement  ou  secrètement 
toutes  les  délibérations  souveraines. 

Puisque  la  tribu  de  Lévi  avait  le  monopole  du  sa- 
cerdoce ,  la  tribu  de  Lévi  ne  pouvait  pas  répudier 
le  mariage.  Les  lévites ^  en  effet,  se  sont  toujours 
mariés  et  se  marient  encore  :  leur  doctrine  est  toute 
favorable  à  l'union  conjugale. 


(     .25    ) 

Cependant,  il  y  avait  dans  la  loi  qu'ils  avaient 
prise  pour  règle  unique  de  leur  conduite,  des  prin- 
cipes qui  étaient  propres  à  leur  inspirer  du  dégoût 
pour  l'union  des  sexes  et  à  leur  donner  la  plus  haute 
idée  du  célibat.  Nous  en  avons  déjà  vu  une  grande 
partie  dans  un  chapitre  précédent;  il  est  inutile  de 
les  répéter.  Si  ces  principes  ont  pu  inspirer  des  sen- 
timens  favorables  au  célibat  dans  les  tribus  profétnes, 
ils  doivent  avoir  exercé  une  force  encore  bien  plus 
grande  sur  la  tribu  sainte. 

Il  y  a  plus  :  lorsque  le  tour  de  faire  la  garde  aux 
pieds  des  autels  était  venu  pour  un  lévite,  il  devait 
s'abstenir  de  sa  femme  pendant  un  tenips  détermi- 
né (i).  C'était,  dit-on,  pour  ne  pas  s'exposer  au 
danger  de  contracter  quelque  souillure  légale.  L'idée 
de  tous  ces  dangers  devait  faire  souhaiter  de  vivre 


(i)  Cette  erreur  a  été  et  est  encore  commune  à  plusieurs 
nations.  Au  Mexique,  les  prêtres  mariés,  pendant  les  jeûnes 
de  cinq  et  même  de  dix  jours,  se  séparaient  de  leurs  fem- 
mes; ceux  de  Darieu  et  de  Panama  imitaient  leur  exemple. 
Dans  la  vallée  de  Tania,  tous  les  habitans,  pendant  le  jeûne 
de  deux  mois,  s'abstenaient  des  femmes  et  du  sel.  Au  Pé- 
rou, pendant  le  jeûne  rigoureux  qui  précédait  la  grande 
fête  du  soleil,  les  dévots  s'abstenaient  de  la  compagnie  de 
leurs  femmes.  La  fête  de  l'agneau  était  aussi  précédée  d'une 
abstinence  de  vingt-quatre  heures. 

Ces  prêtres  avaient  encore  un  autre  point  de  ressemblance 
avec  les  Hébreux  :  ils  servaient  les  autels  à  tour  de  rôle  et 


(  ï^6  ) 

dans  un  état  où  l'on   put  ne  pas  avoir  de  pareilles 
craintes  à  éprouver. 

Au  reste,  les  lévites  n'étaient  pas  obligés  de  se 
marier  ;  il  leur  était  seulement  permis  de  le  faire.  La 
considération  qui  s'attacha  avec  le  temps  aux  essé- 
niens  et  au  thérapeutes  dut  les  entraîner.  C'est  ainsi 
que  le  cleri^é  de  l'Europe  moderne  a  été  obligé  de 
suivre  l'exemple  des  ordres  monastiques. 

La  Thrace  possédait  elle-même  une  espèce  de  re- 
ligieux qui  gardaient  le  célibat  et  qui  avaient  trouvé 
le  secret  important  des  thérapeutes.  Les  Romains, 
qui  n'avaient  aucune  idée  d'un  corps  considérable- 
d'iiommes  s'isolant  au  milieu  de  leurs  concitoyens 


par  semaine ,  et  pendant  tout  ce  temps  ils  restaient  cons- 
tamment dans  le  temple,  sans  sortir  ni  le  jour  ni  la  nuit. 

Au  Brésil,  le  boie  (un  prêtre),  avant  de  consulter  l'oracle, 
est  tenu  de  se  priver  des  plaisirs  vénériens  pendant  neuf 
jours  entiers. 

Le  Saint-Esprit  a  inspiré  aux  adorateurs  du  vrai  Dieu 
des  pratiques  que  les  hommes  ont  ailleurs  inventées  eux- 
mêmes.  Dans  l'église  grecque ,  il  est  recommandé  aux 
prêtres  mariés  de  s'abstenir  de  leurs  femmes  avant  de  s'ap- 
procher du  saint  sacrifice  de  la  messe.  L'église  latine  recom- 
mande aux  fidèles  l'abstinence  des  plaisirs  du  mariage  dans 
les  jeûnes  et  dans  les  grandes  solennités.  D'où  vient  cette 
ressemblance,  cette  hérédité  de  pratiques  minutieuses,  cette 
erreur  de  la  piété  de  tous  les  peuples?  L'homme  est  partout 
le  même;  il  est  faible,  et  les  préjugés  sont  son  partage. 


(     Ï27     ) 

et  s'abslenant  du  mariage,  ne  savaient  concevoir 
qu'ils  pussent  se  conserver  sans  un  miracle.  Pour 
nous ,  les  zri<7ra.i  seraient  une  cliose  fort  commune 
et  fort  simple.  Les  prêtres  catholiques  n'élèvent  au- 
cun enfant,  et  leur  église  ne  manque  jamais  de  mi- 
nistres ,  bien  s'en  faut. 

Les  druides  ne  condamnaient  pas  le  mariage  : 
il  existait  des  collèges  de  druiclesses  (r),  qui 
étaient  ou  leurs  femmes,  ou  de  leur  race.  Cepen- 
dant ils  ne  fermaient  pas  l'accès  de  leur  ordre , 
aussi  respecté  que  puissant  ,  aux  deux  autres 
classes  du  peuple,  les  nobles  et  les  roturiers.  Comme 
ils  avaient  le  monopole  de  l'instruction,  ils  étaient 
à  même  de  choisir  ceux  qui  se  montraient  dignes  de 
leur  appartenir.  Mais  ils  n'accordaient  pas  facile- 
ment l'admission  :  il  fallait  un  noviciat  de  vingt  ans. 

Les  druides  ont  eu  quelque  chose  de  sembla- 
ble aux  catholiques  :  on  prétend  même  que  la 
ressemblance  de  ces  deux  cultes  facilita  beau- 
coup l'établissement  du  christianisme  dans  les  con- 
trées septentrionales  de  l'Europe.  Tout  se  tient 
dans    les   desseins    de   la    providence. 


(i)  On  lit  dans  Saint -Foix  :  «  Il  y  avait  dans  les  Gaules 
»  des  druidesses...  qui  se  mariaient;  mais  elles  ne  sortaient 
»  qu'une  fois  dans  l'année  de  leurs  monastères ,  et  ne  pas- 
»  saient  qu'un  seul  jour  avec  leurs  maris,  Elles  en  étaient 
»  adorées,  et  faisaient  tous  les  ans  un  enfant.  « 


(   '^8  ) 

Les  prêtres  des  déesses  gardaient  partout  le  cé- 
libat. Ceux  d'Isis,  en  Éj,'ypte,  pour  être  plus  sûrs 
de  leur  fait,  s'y  faisaient  préparer  pendant  l'en- 
fance par  la  main  des  chinn-giens.  En  général ,  tous 
les  prêtres  de  ce  royaume  fameux  s'imposaient 
volontiers  le  célibat,  et  toute  autre  espèce  d'abs- 
tinence. C'est  ainsi  qu'ils  s'étaient  élevés  au  sou- 
verain pouvoir,  et  qu'ils  pouvaient  le  conserver. 
Les  rois  devaient,  ou  être  tirés  de  leur  corps,  ou 
s'y  faire  agréger  dès  leur  avènement  au  trône. 
Le  monopole  des  sciences  et  de  la  religion  ren- 
dait leur  autorité  sacrée  et  inébranlable  :  comment 
n'auraient-ils  pn«  ajnntp  ie  célibat  à  leurs  divers 
moyens  d-e  puissance? 

Les  prêtres  de  Cérès,  à  Athènes,  gardaient  la 
continence.  Ce  culte  venait  de  l'Egypte,  et  n'é- 
tait qu'une  imitation  de  celui  d'Isis  :  pour  que 
celte  imitation  fût  parfaite,  il  fallait  que  l'hié- 
rophante et  ses  ministres  fussent  des  célibataires. 
Ils  se  faisaient  des  frictions  de  ciguë,  pour  amortir 
la  force    des  passions. 

Les  autres  prêtres  d'Athènes  pouvaient  non-seu- 
lement contracter  mariage ,  mais  prendre  part  à 
tous  les  divertissemens  publics ,  exercer  des  fonc- 
tions civiles,  être  ambassadeurs  et  servir  dans  les 
armées.  Ils  avaient  des  places  distinguées  au  théâtre. 
Quoique  nombreux  dans  la  ville,  ils  ne  formaient 
pas  un  corps  k  part  :   les  ministres  des    différens 


(  129  ) 
Quoique  nombreux  dans  la  ville,  ils  ne  formaienl 
pas  un   corps  à   part.    Les  ministres  des   diflPérens 
temples  n'entretenaient  aucune  relation   d'intérêt. 
Le  temple  d'Eleusis  n'en  avait  que  quatre. 

A  Delphes,  il  n'y  avait  de  prêtre  obligé  à  la 
continence  que  celui  qui  était  chargé  de  veiller 
à   la   décoration    du  temple. 

Les  prêtres  de  Cybèle,  en  Syrie,  gardaient  le 
célibat;  ils  employaient  le  secours  des  chirurgiens, 
et  quelquefois  ils  se  livraient  sur  leurs  personnes  à 
une  opération  hardie  autant  que  dangereuse.  Ils  se 
rendaient  eunuques^  tandis  que  les  Syriens  ado- 
raient la  figure  de  ce  que  nous  appelons  priape  ! 
Quel  contraste  !  Les  ministres  de  Cybèîe  n'avaient 
pas  tous  le  même  courage  5  on  dit  même  qu'ils 
étaient  forts  en  foit  de  galanterie,  et  que  l'étymo- 
logie  de  ce  mot  vient  de  leur  nom.  On  les  appelait 
gain,  d'où  gallare,  être  galant,  de  là  galanterie  (i). 

Le  nombre  des  prêtres,  à  Rome,  était  peu  con- 
sidérable: ils  se  mariaient  tous.  11  y  en  avait 
qui  ,  dans   des  solennités    scandaleuses ,   couraient 


(i)  M.  B.  de  Roquefort,  un  de  uos  hommes  les  plus  sa- 
vans  et  les  plus  modestes,  donne  au  mot  galant,  dans  l'im- 
portant ouvrage  qu'il  vient  de  publier,  une  étymologie  que 
je  crois  devoir  rapporter.  La  voici  : 

<i  Galant,  galand,  civil ,  poli ,  amoureux ,  agre'able ,  pre'- 
>'  venant  auprès  des  dames,  comme  un  gai,  un  coq ,  auprès 

9 


(  '3o  ) 
les  rues  <lc  la  vill(3  en  dansant,  en  prenant  des 
j)Oslures  et  en  faisant  des  gestes  dont  les  nonjs 
seuls  alarment  la  pudeur.  Toutefois  les  femmes  ne 
les  lavaient  pas;  au  contraire,  celles  qui  avaient  le 
malheur  de  n'avoir  pas  d'enfans  couraient  au-devant 
d'eux,  et  s'exposaient  à  leurs  coups,  dans  la  per- 
suasion cpie  ces  coups  portaient  avec  eux  la  fécon- 

.)  de  ses  poules;  du  latin  gallus.  Le  Dictionn.  de  la  Crusca 
>)  dérive  le  mot  galante  de  l'italien  gala,  joie,  réjouis- 
»  sance,  fête,  allégresse.  »  {Dictionn.  étymologique,  Paris, 
Gœury,  1829,  t.  I",  p.  356,  c.  L) 

Il  n'est  pas  d'ouvrage  d'érudition  qui  puisse  atteindre  le 
degré  de  perfection  que  lui  voudrait  donner  son  auteur  dès 
sa  première  apparition.  L'ouvrage  que  je  viens  de  citer  en 
est  la  preuve.  Malgré  toute  son  attention,  M.  de  Roquefort 
a  été  eiiTraîné  à  une  erreur  par  ses  savans  devanciers;  et 
parmi  les  notes  qu'il  prépare  pour  la  seconde  édition  de  son 
important  Dictionnaire ,  il  a  rédigé  celle-ci  :  «  Cet  ordre 
(des  prêtres  de  Cybèle),  qui  avait  pris  naissance  en  Pliry- 
gie,  se  répandit  ensuite  dans  toute  la  Grèce,  dans  la 
Syrie,  dans  l'Afrique  et  dans  l'empire  romain.  L'initié,  à 
son  admission  dans  la  société,  qui  avait  lieu  le  jour  de  la 
fête  de  la  déesse ,  se  faisait  eunuque  lui-même ,  en  pré- 
sence d'une  multitude  considérable,  et  au  son  des  instru- 
mens,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  Lucien,  qui  fait  con- 
naître tous  les  détails  des  cérémonies  qui  s'observaient  à 
cette  occasion.  D'autres  prétendent  qu'ils  tirent  leur  nom 
de  gain  ou  galls,  castrats,  eunuques.  En  hébreu,  galah, 
en  goth,  gall,  signifient  couper,  écorcher  ;  galt  en  suédois 
est  encore  un  porc  châtié.  » 


(  i3i  ) 
dite  qu'elles  souhaitaient.  C'est  l'ignoble  répétition 
des  scènes  lubriques  des  faquirs. 

II  y  avait,  à  Rome,  des  ministres  de  la  reli- 
gion qui  ne  paraissent  pas  avoir  été  bien  scru- 
puleux. Ils  jouaient  des  rôles  qu'un  honnête 
homme  se  refuserait  de  représenter.  Une  certaine 
Pauline,  femme  de  Saturnins,  et  qui  jouissait  d'une 
grande  réputation  de  sagesse,  ayant  eu  le  désir 
vraiment  singulier  de  coucher  avec  le  dieu  Sé- 
rapis,  désir  qui  probablement  lui  avait  été  inspiré 
par  ses  prêtres,  fut  tout  étonnée  de  se  voir  dans  les 
bras  de  son  amant.  Le  fait  paraît  peu  croyable  ; 
mais  Josèphe  nous  l'atteste  dans  le  quatrième  cha- 
pitre du  livre  XYÏII  de  ses  Antiquités  de  la  Judée. 

Ce  trait  n'est  pas  plus  bizarre  que  le  suivant. 
Un  sacristain  d'Hercule  joua  au  sort,  avec  ce  dieu, 
un  souper  et  une  belle  femme.  Le  ministre  per- 
dit, et  s'acquitta  de  son  obligation.  Le  dieu  en 
conséquence  vint  passer  la  nuit  avec  Laurentine, 
qui  le  vit  de  ses  propres  yeux  :  elle  reçut  de  lui 
la  promesse  solennelle  que  le  premier  homme 
qu'elle  rencontrerait  le  lendemain ,  en  sortant  dans 
la  rue,  lui  donnerait  une  récompense  digne  du 
service  éclatant  qu'elle  venait  de  rendre  au  dieu. 
Montaigne  assure  de  la  manière  la  plus  positive  que 
la  prédiction  se  vérifia. 

Mahomet  était  mari  avant  d'être  prophète  et 
législateur.  Son    contrat  de  mariage  avec   sa    pre- 

9- 


(     k32    ) 

mière  femme  Cadiscliée  n'était  (juc  l'expression 
écrite  du  vœu. de  la  nature;  le  considérant  est  ainsi 
conçu  :  ce  Attendu  que  Cadiscliée  est  amoureuse  de 
))  Mahomet,  et  Mahomet  pareillement  amoureux 
»  d'elle.  »  Lorsqu'il  fut  devenu  l'arbitre  de  l'A- 
rabie, il  contracta  d'autres  mariages.  11  disait  que 
lorsqu'il  avait  couché  avec  sa  femme  ,  sa  prière 
était  beaucoup  plus  fervente.  Etait-il  moins  rai- 
sonnable que  ceux  qui  prétendent  le  contraire? 
La  satisfaction  d'un  besoin  vif  produit  toujours 
le  contentement;  il  n'y  a  que  les  excès  qui  affai- 
blissent les    ressorts  de  l'âme. 

Il  favorisa  les  plaisirs  qu'il  aimait  :  il  promit 
aux  fidèles  du  Coran  des  houris  célestes  dans 
l'autre  monde.  Toutefois  il  borna  à  quatre  le  nom- 
bre des  femines  qu'ils  pourraient  épouser  dans 
celui-ci.  Les  Arabes,  avant  lui,  pouvaient  en  épou- 
ser jusqu'à    vingt. 

Ses  sviccesseurs  n'ont  ni  aimé  ni  protégé  le  cé- 
libat. Les  califes ,  dont  la  puissance  a  brillé  d'un 
si  vif  éclat ,  avaient  des  femmes  et  des  enfans.  Le 
chef  des  scheiks,  qui  réside  à  la  Mecque,  transmet 
sa  dignité  à  ses  héritiers  légitimes  ;  les  ministres 
qui  obéissent  à  ses  ordres  doivent  l'imiter.  Un  grand 
nombre  de  dervis  font  le  vœu  de  chasteté  ;  mais 
ils  peuvent  sortir  de  leurs  couvens  toutes  les  fois 
qu'ils  préfèrent  le  mariage.  Cette  apostasie  (c'est 
le  nom   qu'on  donnerait   à   un  chrétien  qui  ferait 


(  '33  ) 
comme  eux)  ne  produit  aucun  scandale.  Il  y  en 
a  d'autres  qui  sont  mariés ,  qui  tiennent  des  bou- 
tiques, qui  exercent  toute  espèce  de  métiers.  Les 
plus  fameux  parmi  les  célibataires  sont  des  mévale- 
vis,  qui  ressemblent  beaucoup  à  nos  anciens  capu- 
cins. On  a  détruit  à  Andrinople  un  de  leurs  couvens 
les  plus  ricbes,  qui  servait  de  rendez-vous  aux  fem- 
mes de  mauvaise  vie  des  environs. 

Les  Turcs  ,  malgré  leur  grand  respect  pour  des 
bomraes  si  saints ,  n'aiment  point  les  monastères. 
Ils  estiment  peu  les  personnes  qui  n'ont  point  d'en- 
fans.  Le  sultan  Amurat  voulut  les  exterminer, 
comme  gens  inutiles  à  la  république.  Les  con- 
quérans  aiment  plus  les  soldats  que  les  prêtres  , 
et  préfèrent  les  citoyens  qui  leur  donnent  des 
guerriers  à  ceux  qui  ne  donnent  rien  et  vivent 
dans  une  sainte  oisiveté. 

Les  religieux  qu'on  appelle  santons ,  et  qui  sont 
à  la  fois  mendians  et  assassins ,  souillent  leur  vie 
par  le  plus  infâme  libertinage. 

Les  imans,  qui  correspondent  à  nos  curés,  n'ont 
pas  un  caractère  déterminé.  S'ils  perdent  leurs 
places  ,  ils  deviennent  tout  à  coup  séculiers  et  se 
trouvent  confondus  dans  la  foule  immense  des  ser- 
viteurs du  grand-seigneur. 

L'empereur  peut  séculariser  tous  les  prêtres  de 
son  empire,  jusqu'au  mufti  lui-même  ,  en  leur 
conférant    des   charges  militaires.  C'est   ainsi  qu'il 


(  -34  ) 

s'y  prend  pour  les  punir  et  s'en  défaire  lorsqu'il 
doute  de  leur  fidélité.  Tant  qu'ils  ont  l'Iiabit  re- 
ligieux, ils  sont  à  l'abri  des  coups  de  la  loi. 

Les  émirs ,  espèce  de  prêtres  à  part  en  Turquie , 
se  prétendent  les  descendans  de  Mahomet  :  ils  se 
marient. 

vVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVM/VVVVVX^VVXVVVVVXIAiVWVVVVVVX^VVVV^ 

CHAPITRE  II. 

Des   vierges  ,    de    la  pythie  _,    des   sibylles ,    des 
vestales. 

Les  anciens  ont  eu  un  grand  respect  pour  les 
vierges.  Sur  quoi  était-ii  fondé?  J'ai  répondu  déjà 
à  cette  question. 

Dès  que  l'homme  a  reconnu  l'existence  d'une 
nature  supérieure ,  d'un  Dieu  souverain  et  arbitre 
de  l'univers,  envers  lequel  il  était  débiteur  de  tous 
les  biens  qui  l'entouraient ,  sa  première  pensée  a 
dû  être  de  faire  tout  ce  qui  serait  en  son  pouvoir 
pour  lui  marquer  sa  reconnaissance.  11  ne  s'agissait 
plus  que  de  connaître  la  nature  et  les  désirs  de  cet 
être  puissant.  L'homme  ne  pouvait  juger  que  par 
analogie  :  son  amour-propre  lui  fît  donner  au  maître 
du  monde  ses  propres  goiils  et  ses  propres  passions. 
Dès  lors  il  iil  pour   se  rendre  agréable  à    la  divi- 


(  -35) 

uilé,  ce  qu'il  aurait  voulu  qu'on  fît  pour  lui-même. 
Pouvait-il  ne  pas  destiner  au  service  de  la  divinité 
celles  d'entre  les  jeunes  filles  qui  auraient  le  plus 
d'attraits  et  de  charmes?  Toutes  les  idées  les  plus 
nobles  et  les  plus  délicates  de  pureté,  d'innocence 
et  de  candeur  s'attacliaient  à  celle  de  la  virginité. 
On  la  regardait  comme  un  état  de  peu  inférieur 
à  celui  des  créatures  célestes.  Les  Grecs  appe- 
laient les  vierges  n/M^éoi  (êmitliéoi),  demi-dieux.  Ils 
croyaient  et  soutenaient  que  si  la  nature  divine 
consentait  à  se  communiquer  quelquefois  à  la  na- 
ture humaine ,  ce  ne  devait  être  qu'à  une  vierge. 
Les  vierges  étaient  des  épouses  dignes  de  la  divi- 
nité. Macrobe  dit  avec  assurance  :  (c  Nulli  aptius 
»  jungitur  mones  incorrupta  quam  virgini.  ))  Dieu 
ne  peut  s^unir  à  aucun  être  plus  convenablement 
qùà  une  vierge.  Et  R.omachéas ,  de  l'école  de  Pla- 
ton :  «  Il  est  beau  à  une  fille.de  conserver  avec 
»  soi  la  pureté  de  son  corps  et  de  son  a  me  3  cet 
))  état  lui  donne  une  grande  supériorité  sur  les 
M  personnes  de  son  sexe.  Dégagée  des  soins  de  la 
»  terre,  elle  a  les  yeux  et  l'esprit  continuellement 
M  ouverts  sur  la  vie  spirituelle  qui  lui  fait  goûter 
»  toutes  les  douceurs  des  véritables  noces,  en  se 
))  remplissant  le  cœur  des  paroles  divines  qui  la 
»  mettent  en  état  de  concevoir  et  de  produire  des 
y>  méditations  remplies  de  lumières.  »  Les  [)ères  de 
notre  église  ont   tenu  un  sendjlable  langage. 


(  '36) 

En  Grèce  ,  aucun  sacrifice  ne  pouvait  être  ter- 
miné sans  la  présence  d'une  vierge  11  y  avait  un 
couvent  à  Athènes  :  on  l'appelait  le  Trctf^yjvœv 
(partliénon),  la  maison  des  vierges.  Le  temple 
de  Baccbus  aux  marais  était  desservi  par  quatorze 
prêtresses  qui  étaient  obligées  à  une  continence 
rigoureuse  ;  elles  étaient  les  épouses  de  Ba échus  ! 
L'archonte-roi  les  nommait;  sa  femme,  à  qui  l'on 
donnait  le  nom  de  reine  ,  les  initiait  aux  mystères 
et  en   exigeait  le  vœu  de  chasteté. 

Dans  la  Judée,  les  vierges  n'avaient  été  que  peu 
considérées  lors  de  leur  création.  Le  nom  qu'on 
leur  donnait  dans  cette  langue  signifie  cachée , 
parce  qu'elles  restaient  toujours  dans  l'intérieur  de 
la  maison  ,  et  ne  sortaient  que  couvertes  d'un  voile. 
Elles  ne  pouvaient  se  découvrir  qu'en  présence  de 
leurs  parens.  Elles  prirent  du  crédit  vers  la  der- 
nière période  de  l'existence  du  peuple  de  cette  con- 
trée. Le  langage  de  la  Sagesse  et  des  Prophètes  est 
tout  à  leur  avantage.  Jérémie,  dans  ses  Lamenta- 
tions sur  Jérusalem  ^  donne  le  nom  de  vierge  à  la 
ville  sainte  :   «  Yirgo  filia  Jérusalem.  » 

Les  esséniens  et  les  thérapeutes  trouvèrent  des 
imitateurs  ,  même  dans  le  beau  sexe.  Nous  avons 
vu  que  les  lois  de  Moïse  favorisaient  au  moins  in- 
directement l'état  de  virginité;  on  peut  voir  dans 
Philon  quels  progrès  avaient  faits  ces  idées  parmi 
les  Hébreux  :  «  11  convient,  dit-il.  à  une  nature 


(  i37  ) 

»  sans  tache,  incorruptible  et  véritablement  vierge, 
»  d'être  admise  à  la  conversation  des  dieux.  » 

Les  Perses  honoraient  lu  virginité.  Des  vierges 
étaient  depuis  un  temps  immémorial  attachées  au 
culte  du  soleil.  Hérodote  rapporte  que  dans  le 
temple  de  Bélus,  il  y  avait  une  cellule  destinée  à 
une  vierge  choisie  pour  tenir  compagnie  à  ce  dieu. 

Les  Romains  parlaient  aussi  des  vierges  avec 
une  grande  emphase.  Qu'on  lise  le  monologue  dé- 
chirant qu'Horace  met  dans  la  bouche  d'Europe 
après  qu'elle  fut  devenue  femme  de  Jupiter;  la 
belle  comparaison  d'une  vierge  à  une  fleur,  dans 
les  épithalames  de  Catulle,  et  mille  traits  épars 
dans  les  poètes  de  ce  peuple  célèbre,  et  l'on  en 
sera  convaincu.  Les  Romains  portaient  si  loin  le 
respect  pour  la  virginité,  que  les  lois  défendaient 
d'exécuter  une  vierge  condamnée  à  la  peine  capi- 
tale. On  lit  dans  Tacite  que  le  bourreau  fut  obligé 
de  déflorer  la  fille  de  Séjan  dans  sa  prison  avant 
de  procéder  à  son  exécution  (i).  Quel  subterfuge 
criminel!  Quelle  misère  î 


(i)  Voltaire  {Dict. phil.)  prétend  que  si  le  bourreau  viola 
la  fille  de  Se'jan ,  c'est  parce  qu'elle  n'avait  que  huit  ans  et 
que  la  loi  défendait  de  punir  de  mort  les  enfans. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'avant  de  recevoir  la  mort 
une  vierjje  était  déflorée  par  l'exécuteur  et  dégradée  par  le 
pontife ,  qui  lui  ôtait  les  bandelettes  et  les  autres  ornemens 


(  '38) 

L'Asie  et  l'Amérique  ont  eu  aussi  leurs  vierges 
consacrées  au  seigneur.  Au  Pégu ,  les  talapoines 
font  le  vœu  de  continence;  mais,  plus  heureuses 
que  les  talapoins,  si  elles  manquent  à  ce  devoir, 
elles  ne  sont  pas  dévorées  par  les  flammes. 

Les  bonzesses  de  la  Chine  ne  sont  pas  traitées 
avec  plus  de  rigueur.  Sont-elles  infidèles  à  leur 
vœu?  on  les  dégrade,  on  les  chasse  de  leurs  cou- 
vens;  et   voilà  tout.    Cette    loi  est   sage. 

Le  Mexique  avait  des  vierges  dont  les  devoirs 
et  les  obligations  paraissent  calqués  sur  ceux  des 
vestales  de  Rome.  Elles  étaient  obligées  à  la  con- 
tinence la  plus  sévère.  On  les  admettait  au  plus 
tard  à  douze  ou  à  treize  ans,  et  elles  pouvaient 
sortir  de  religion  après  un  temps  déterminé  (i). 


du  sacerdoce.  La  mort  n'e'tait  pas  toujours  la  peine  de  la 
vestale  qui  avait  laissé  e'teindre  le  feu  sacre'.  Si  l'on  recon- 
naissait qu'il  n'y  avait  eu  qu'imprudence  ou  incurie  de  sa 
part,  on  lui  infligeait  la  punition  des  esclaves,  c'est-à-dire 
que ,  couverte  d'un  voile ,  afin  de  me'nager  sa  pudeur,  elle 
e'tait  frappe'e  de  verges  par  le  grand-pontife. 

(i)  A  Mexico,  dans  l'enceinte  du  grand  temple,  e'tait  une 
maison  de  retraite  pour  un  certain  nombre  déjeunes  filles 
de  douze  à  treize  ans  ;  elles  étaient  chargées  du  soin  de  pré- 
parer les  mets  des  idoles  et  des  prêtres  ;  elles  vivaient  dans 
une  si  grande  retenue  que  les  moindres  fautes  étaient  ri- 
goureusement punies;  et  lorsqu'elles  oubliaient  le  vœu  de 
chasteté,  qui  embrassait  tout  le  temps  qu'elles  devaient  ha- 


(  "39  ) 

Daus  le  Pérou,  surtout  à  Cusco,  on  entretenait 
des  religieuses  qui  vouaient  une  virginité  éter- 
nelle au  soleil.  On  ne  les  recevait  que  jusqu'à 
huit  ans.  Elles  ne  pouvaient  avoir  de  communi- 
cations ni  avec  les  hommes,  ni  même  avec  les 
femmes.  On  punissait  avec  une  extrême  rigueur 
celles  qui  manquaient   de  fidélité  au  soleil. 

La  religion  mahométane  a  aussi  ses  derviches: 
ces  religieuses  sont  loin  de  conserver  une  conti- 
nence exacte.  11  paraît  qu'en  Turquie  les  femmes 
sont  extrêmement  faciles  à  se  laisser  aller  à  la  sé- 
duction. C'est  un  juste  châtiment  pour  la  folle 
jalousie  de  leurs  maris. 

Les  hommes  que  Dieu  a  faits  à  son  image  et 
à  sa  ressemblance,  ou  qui  ont  fait  les  dieux  à  la 
leur,   ont  eu  aussi  des  vierges    dont  ils    n'étaient 


biter  l'intérieur  du  temple ,  la  mort  était  le  prix  de  leur 
faiblesse.  Quant  aux  vierges  du  soleil,  celle  qui  se  laissait 
séduire  était  enterrée  vive;  on  étranglait  le  séducteur.  Le 
même  supplice  était  infligé  aux  vierges  nommées  mamacii- 
nas,  plus  spécialement  chargées  de  la  garde  du  feu  sacré, 
lorsqu'elles  violaient  leur  vœu  de  chasteté. 

La  virginité  de  certaines  filles  n'était  pas  une  obligation 
pour  elles  seulement  au  Pérou,  au  Mexique  et  à  Rome. 
Chez  les  Hébreux ,  une  fille  qui  se  donnait  mensongèrement 
pour  vierge  devait  être  livrée  aux  flammes  si  elle  était  fille 
d'un  rabbin.  (Saint-Edme,  Dict.  de  la  Pénalité,  t.  III, 
p.  ICI,  486;  t.  V,  p.  4i3,  542.) 


(  î4o) 

pas  censés  abuser.  L'inca  ou  roi  du  Pérou  avait 
des  religieuses  soumises  au  vœu  de  cliasleté.  Elles 
faisaient  le  service  de  la  maison.  Heureusement 
elles  pouvaient  en  sortir  avec  la  permission  du 
prince,  et  alors  elles  étaient  sûres  de  contracter 
des  mariages  avantageux»  Chacun  tenait  à  honneur 
d'avoir  pour  épouse  une  vierge  de  l'inca  ! 

Au  Japon ,  les  demoiselles  des  familles  nobles 
et  celles  qui  sont  au  service  des  dames  de  la  cour 
doivent  observer  la  chasteté.  Rien  que  la  mort 
ne  serait  capable  d'expier  la  violation  d'un  tel 
devoir. 

Après  cette  excursion  dans  l'Asie  et  dans  le 
NouveaU'Monde^  retournons  encore  à  la  Grèce. 
On  y  était  si  persuadé  de  la  facile  communica- 
tion entre  la  divinité  et  les  vierges,  qu'à  elles 
seules  fut  confié  le  soin  de  monter  sur  le  trépied 
sacré,  et  de  manifester  aux  mortels  la  volonté  des 
dieux.  La  pythie  devait  nécessairement  être  vierge. 
On  exigeait  qu'elle  fût  bien  faite,  sans  tache,  de 
bonnes  mœurs,  simple,  sans  prétention,  sans  recher- 
che dans  la  parure j  n'usant  d'autre  fard  que  celui 
composé  de  laurier  et  de  farine  d'orge.  C'était  de 
cette  prétresse  que  les  chefs  de  la  Grèce  et  les  rois 
de  tous  les  pays  civilisés  de  l'Europe,  demandaient 
la  sanction  de  leurs  lois.  Son  suffrage  entraînait  le 
consentement  des  peuples,  déterminait  les  résolutions 
les  plus  graves  et  les  plus  importantes.  Théraistocle 


Ci4'  ) 

lui  devait  l'exécution  de  ses  projets;  Philippe,  ses 
victoires  et  son  ascendant;  Socrate,  une  partie  de 
sa  réputation. 

On  choisissait  d'abord,  pour  exercer  des  fonc- 
tions si  sublimes,  une  femme  jeune,  douée  de 
tous  les  charmes  de  son  sexe.  Un  Thessalien  en 
ayant  enlevé  une  pour  en  faire  son  épouse,  cette 
violation  sans  exemple  répandit  l'épouvante.  On 
craignit  que  le  courroux  du  dieu  dont  on  avait 
souillé  l'interprète  ne  fît  tomber  sur  toute  la  po- 
pulation le  poids  d'une  terrible  vengeance.  Pour 
qu'un  pareil  scandale  et  un  danger  si  grand  ne 
pussent  se  «renouveler,  on  établit  en  principe  qu'à 
l'avenir  aucune  femme  ne  serait  élevée  à  cette  di- 
gnité avant  d'avoir  atteint  sa  cinquantième  année. 
Cependant  on  l'habillait  toujours  en  fdle  :  comme 
si  la  parure  eût  pu  faire  illusion  à  un  dieu  qui 
savait  tout  ! 

11  n'y  avait  d'abord  qu'une  pythie:  lorsque  l'o- 
racle fut  plus  accrédité,  et  que  le  concours  des 
curieux  fut  devenu  plus  considérable ,  il  y  en  eut 
deux.  Enfin,  on  en  créa  une  troisième,  pour  les 
remplacer  en  cas  de  mort  et  de  maladies.  La  py- 
thie donnait  ses  prédictions  une  fois   par    mois. 

Qu'est  devenu  aujourd'hui  le  fameux  oracle  de 
Delphes  ?  Quelle  force  a  arrêté  l'émanation  de  cette 
vapeur  qui  enivrait  la  pythie ,  produisait  l'en- 
thousiasme, faisait    croire   à  la   présence    du    dieu, 


et  commandait  le  resj)ect?  Etait-ce  une  exha- 
'•  laison  de  gaz  acide  carbonique,  comme  celui  qui 
s'exhale  continuellement  dans  la  grotte  del  cane 
à  Naples?  Dans  ce  cas,  la  mort  que  la  pythie  ren- 
contrait souvent ,  à  peine  descendue  du  trépied , 
était  un  phénomène  tout  naturel.  L'imposture  sait 
tirer   parti  de  tout. 

11  y  eut  aussi  une  espèce  de  pythie  sans  temple, 
sans  sacerdoce  et  sans  trépied  ,  qui  prédisait  l'a- 
venir en  tout  lieu  et  en  tout  temps  ,  et  qui  jouit 
d'une  immense  réputation  :  ce  fut  la  sibylle.  On 
a  fait  dériver  Tétymologie  de  ce  nom  (Ti^uT^Xcl  (si- 
bulld)  de  ^i.o^ou'Kyi  Çthéoboulê),  le  conseil  des  dieux, 
formé  de  sios  pour  théos ^  dieu,  et  de  boulé.,  con- 
seil. Y  eu  a-t-il  eu  une  seule  qui  ait  v^cu  des 
milliers  d'années  et  qui  ait  prophétisé  en  plu- 
sieurs endroits  ?  ou  eu  a-t-il  existé  un  grand 
nombre  ?  Je  n'entrerai  pas  dans  ces  recherches. 
Elles  étaient  vierges  comme  la  pythie. 

Les  philosophes  de  l'antiquité  n'ont  pas  mis  en 
doute  leur  talent  de  deviner  l'avenir.  Les  platoni- 
ciens ont  attribué  ce  don  tout  particulier  à  l'union 
intime  que  la  «  créature  parvenue,  par  ses  vertus, 
))  à  un  haut  degré  de  perfection,  peut  avoir  avec 
))  la  divinité.  »  Saint  Jérôme  lui-même  croit  que 
le  talent  de  la  divination  était  dans  ces  femmes 
célèbres  une  récompense  de  leur  chasteté.  D'où 
vient  cette  ressemblance  entre  la  doctrine  de  Pla- 


(  '43  ) 
ton  et  celle  de  ses  successeurs ,  avec  celle  que 
l'on  enseignait  dans  les  premiers  siècles  de  l'église 
et  qu'on  enseigne  encore  au  dix-neuvième  siècle? 
Platon  avait -il  deviné  le  christianisme?  ou  les  chré- 
tiens ont-ils  adopté  les  principes  de  Platon?  En 
se  tenant  seulement  à  V Evangile  et  à  l'opinion  des 
apôtres ,  les  sibylles  auraient  du  être  considérées 
comme  possédées  du  démon.  Jésus-Christ  guérit 
beaucoup  de  ces  malades  ,  en  chassant  de  leurs 
corps  les  malins  esprits  (i).  Moïse  avait  prononcé  la 
peine  de  mort  contre  les  individus  qui  devine- 
raient par  l'esprit  de   Python  (2). 

Les  apôtres  continuèrent  à  opérer  de  ces  gué- 
risons.  11  est  dit  dans  les  Actes  des  Apôtres  :  ((  Or 
))  il  arriva  que  comme  nous  allions  au  lieu  ordi- 
))  naire  de  la  prière,  nous  rencontrâmes  une  ser- 
»  vante  qui,  ayaut  un  esprit  de  Python,  apportait 
))  un  grand  gain  à  ses  maîtres  en  devinant.  »  Et 
plus  bas  :  «  Paul  ayant  peine  à  le  souffrir,  se  retourna 
))  vers  elle  et  dit  à  l'esprit  :  Je  te  commande,  au 
))  nom  de  Jésus-Christ ,   de    sortir   de   cette  fille  ; 


(i)  Obtulerunt  ei  muitos  daemonia  habentes  (  Jis/^ax^o^e- 
v«u?)  :  et  ejiciebat  spiritus  verbo...  et  curati  sunt.  S.  (Matth,, 
c.  VIII,  V.  16.) 

(2)  Vir  sive  mulier,  in  quibus  pythouicus ,  vel  divinatio- 
nis  fuerit  spiritus,  morte  moriantur,  lapidibus  obruent  eos: 
saiiguis  coruin  sit  super  eos.  (^Lév. ,  c.  XX,  v,  27.) 


(  >4/,  ) 

»  et  il  sorlil  à  l'Iieiiro  menu;  (i).  »  11  existe  encore 
clans  nos  rituels  de  longues  cérémonies  pour  dé- 
livrer les  possédés  des  malins  esprits  qui  les  tour- 
mentent (2).  Qu'on  examine  attentivement  les 
symptômes  que  présentaient  les  sibylles  de  l'anti- 
quité, et  qui  sont  si  bien  décrits  dans  le  sixième 
livre  de  V Enéide^  et  Ton  se  persuadera  facilement 
qu'elles  avaient  la  plus  parfaite  analogie  avec  les 
femmes  mélancoliques,  hystériques  ou  vaporeuses^ 
que  le  vulgaire  croit  encore  possédées  du  démon , 
et  sur  lesquelles  des  prêtres  ignora ns  essaient  même 
de  nos  jours  la  force  de  l'eau  bénite  et  des  exor- 
cismes. 


(1)  Factum  est  autem  euntibus  nobis  ad  orationem,  puel- 
lam  quamdam  babentem  spiritum  Pythouem  obviare  nobis, 
quse  quest.um  magnum  prœstabat  dominis  suis  divinando. 
{Act.  des  Apôtr.,  c.  XVT,  v.  16.) 

Dolens  autem  Paulus,  et  conversus  spiritui  dixit  :  Praeci- 
pio  tlbi  in  nomine  Jesu  Christi  exire  ab  ea.  Et  exiit  eadem 
bora.  (V.  18.) 

(2)  L'Amérique  e'tait  destine'e  à  donner  de  se'vères  leçons 
à  notre  vieille  Europe.  A  Cumana  et  à  Pai'ia ,  les  prêtres 
faisaient  aussi  des  exorcismes  contre  les  maladies  rebelles 
aux  médicamens  qu'ils  administraient.  Ils  les  attribuaient 
à  quelque  mauvais  esprit  et  re'pétaient  souvent  :  «  Que  le 
)>  diable  s'en  aille  d'ici.  »  Si  le  malade  moui'ait  maigre' 
les  exorcismes,  on  s'en  consolait  en  disant  :  «  Son  heure 
»  e'tait  venue.   » 


(  i45^  ) 

Mais  à  son  dieu  tous  ses  sens  s'abandonnent  ; 
Ses  cheveux,  son  regard,  ses  traits  se  désordonnent; 
Son  sein  bat  et  se  gonfle,  et  mugit  de  fureur. 
Mais  lorsque  de  plus  près  le  dieu  parle  à  son  cœur, 
Alors  son  air,  sa  voix  n'ont  rien  d'une  mortelle  (i). 

J'ai  vu  deux  malheureuses  femmes  dans  les- 
quelles l'action  de  la  maladie  avait  développé  des 
forces  physiques  et  morales  très  extraordinaires. 
Auparavant  faibles  et  lourdes  d'esprit ,  elles  pre- 
naient, au  moment  du  paroxysme,  une  vigueur  et 
une  légèreté  qui  en  imposaient  aux  esprits  super- 
ficiels. Leurs  facultés  intellectuelles  s'exaltaient  : 
elles  avaient  des  connaissances  qui  paraissaient  au- 
dessus  de  leur  éducation  et  de  leur  état  ;  elles  de- 
venaient d'une  audace  qui  tenait  de  l'eflronterie. 
Des  villages  entiers  couraient  en  procession  à  leur 
suite,  saisis  d'une  sainte  frayeur  en  leur  présence. 


(i)  On  sera  bien  aise  de  trouver  ici  les  vers  du  poète  latin; 
la  traduction  de  Delille  n'est  qu'une  faible  copie  d'un  ori- 
ginal étincelant  de  beaute's. 

Coi  talia  fanti 
Antè  fores,  sabito  non  vnltus,  non  color  unns, 
Non  comptae  mansére  comœ!  sed  pectus  anhelam, 
Et  rabie  fera  corda  tument,  majorque  videri 
Nec  mortale  sonans:  afflata  est  namine  quand6 
Jam  propriore  Dei. 

10 


(  '46  ) 
L'une  d'elles  demandait  à  tous  les  prêtres  de  ses 
environs  des  secours  contre  les  malins  esprits  <jui 
s'étaient  emparés  d'elle  :  elle  les  nommait ,  liait 
conversation  avec  eux,  et  faisait  des  dialogues  fort 
longs  et  fort  amusans  (i). 

L'esprit  de  divination  n'est  donc  dans  ces  femmes 
(|ue  l'elfet  d'une  maladie.  Aristote  ,  avec  sa  sagacité 
ordinaire  ,  avait  place  l'enthousiasme  des  sibylles 
et  de  tous  les  inspirés  de  cetîe  espèce  parmi  les 
genres  de  délire.  (Arist.,  Prob.  3o.) 

Les  chrétiens  des  trois  premiers  siècles  pensè- 
rent comme  les  disciples  de  Platon.  Au  lieu  de 
nier  le  talent  prophétique  des  sibylles ,  ils  forgèrent 
des    prédictions  à  leur  avantage  et  les  leur    attri- 


(  I  )  Cette  maladie  devient  quelquefois  ëpidémique  ; 
elle  est  presque  toujours  imaginaire.  Frappe'es  fortement 
par  les  prodiges  qui  se  inontrent  dans  quelqu'une  de 
leurs  compagnes  réellement  affecte'cs,  plusieurs  femmes 
se  croient  atteintes  sans  avoir  éprouvé  aucun  dérangement 
physique. 

La  vanité  s'en  mêle  quelquefois.  Il  existe  encore  en  Eu- 
rope des  contrées  où  l'on  suppose  à  l'homme  le  pouvoir  de 
livrer  une  femme  aux  esprits  malins.  Ce  malheur  ne  saurait 
arriver  qu'aux  belles^  la  beauté  seule  peut  forcer  un  mortel 
de  recourir  à  des  moyens  que  la  religion  condamne  de  toute 
son  autorité.  Il  arrive  de  là  que  souvent  vme  jeune  fille,  qui 
veut  se  faire  la  réputation  de  belle,  feint  d'êtx'e  possédée  des 
malins  esprits. 


(  -47) 

buèrent.  Les  sibylles  prédirent  la  naissance  de  Jésus- 
Christ,  sa  passion,  sa  résurrection;  déclamèrent 
conire  le  polythéisme  et  l'idolâtrie;  annoncèrent 
la  fm  du  monde  et  le  jugement  général  de  tous 
les  hommes.  Plusieurs  des  pères  de  la  primitive 
église  ont  appuyé  leurs  raisonnemeus  sur  les  pré- 
dictions des  sibylles.  Saint  Clément  d'Alexandrie , 
saint  Justin  le  martyr,  Lactance-Firmin ,  saint 
Augustin  et  divers  autres,  ont  suivi  l'exemple  com- 
mun. Voici  une  de  ces  prophéties  ;  elle  se  trouve 
dans  le  vingt-troisième  chapitre,  au  dix-huitième 
livre  de  la  Cité  de  Dieu  :  «  Il  viendra  dans  les 
»  mains  iniques  des  infidèles  ;  ils  donneront  à  Dieu 
»  des  soufflets  de  leurs  mains  souillées  ;  ils  jetteront 
))  sur  lui  une  salive  empoisonnée  de  leurs  bouches 
»  impures  (i).  r> 

Voici  un  autre  passage  qui  n'est  pas  moins  re- 
marquable :  (c  Mais  après  que  tous  les  mortels  se- 
))  ront  changés  en  cendre  ,  et  que  Dieu  aura  éteint 
»  le  feu  qu'il  avait  allumé ,  Dieu  vivifiera  la  cendre 
»  des  mortels  ,  réparera  l'univers  et  rétablira  les 
))  hommes  dans  l'état  où  ils  étaient  avant  la  con- 


(i)  In  manus  iniquas  infidelium  veniet; 
Dabunt  Deo  alapas  manibus  incestis  ; 
Et  oribus  immundis  expuent  salivas  venenosas,  etc. 

(CiV.  Dei,  lib.  XVJÏI,  c.  aS.) 
lO.. 


(  '48  ) 
V  Hagration.  Alors  aura  lieu  le  jugement  qui  sé- 
))  parera  les  bons  des  mauvais  La  terre  engloutira 
;)  tous  ceux  qui  ont  vécu  dans  l'erreur  et  dans  le 
»  crime  :  ceux  qui  ont  été  vertueux  reprendront 
»  la  vie  et  jouiront  d'une  heureuse  immorta- 
»  lité  (i).  » 

On  s'obstina  à  voir  des  prédictions  partout  , 
même  là  où  il  n'en  existait  point.  La  sixième  églogue 
de  Virgile  a  passé  long-temps  pour  une  prophétie. 
Ce  poète,  au  lieu  de  prédire  le  bonheur  qu'assu- 
rerait aux  Romains  un  descendant  d'Auguste ,  au- 
rait prédit  les  heureux  effets  de  la  naissance  de 
Jésus  -  Christ.  Malheureusement  Virgile  n'avait 
rien  vu  que  dans  son  imagination  :  il  avait  rêvé 
le  siècle  d'or  de  Saturne  qui  n'a  jamais  existé  ,  et 
qui  n'existera  jamais  sur  la  terre.  L'homme  est  né 
pour  être  ma-lheureux.  Telle  n'était  pas  l'opinion 
du  grand  Constantin  ;  il  récitait  avec  un  respect 
religieux  : 


(i)  At  postquam  in  cinerem  fuerint  mortalia  versa, 
Exstinctusque  Deo  fuerit ,  quem  incenderit  ignis  ; 
Ossa  hominum.  cineremque  Deus  reparabit  et  orbem  , 
Constituetque  homines  iterum  velut  autè  fuerunt. 
At  tune  judicium,  quo  cernet  cuncta,  futurum  est. 
Terra  teget  quoscumque  malus  damnaverit  error  : 
Qui  benè  vixerant,  hi  vivent  rursus  in  orbe,  etc. 


(  '49  ) 
Ultima  cumaei  venit  jam  canninis  aetas. 

En  jetant  les  yeux  sur  la  'jSB"  lettre  de  Saint- 
Augustin,  on  voit  qu'il  en  a  été  persuadé  îui-méme. 

Les  vers  des  sibylles  furent  tellement  en  vogue, 
qu'il  y  eut  une  secte  de  chrétiens  appelés  sibjl- 
listes.  Celse  le  dit,  et  Origène  iie  sait  point  le  nier. 
Les  sibylles  avaient  à  cette  époque  plus  de  crédit 
que  l'ancien  et  le  nouveau  Testament  (i).  Les  amis 
et  les  ennemis  de  la  foi  trouvèrent  dans  ces  fraudes 
pieuses  et  impies  des  raisons  pour  soutenir  égale- 
ment la  vérité  et  le  mensonge.  Que  l'humanité  est 
à  plaindre  ! 

Je  n'ose  presque  pas  dire  que  les  sibylles  n'exer- 
cent plus  aucune  influence  dans  l'esprit  des  re- 
ligieux du  dix-neuvième  siècle.  Si  les  prêtres  ont 
une  pleine  foi  dans  les  prières  qu'ils  chantent  à 
l'église,  il  faut  qu'ils  donnent  encore  quelque  chose 
à  l'autorité  des  sibylles.  J'ai  entendu  chanter,  et 
j'ai  chanté  moi-même  plusieurs  fois  une  hymne  lu- 
gubre qui  commence  par  cette  strophe: 


(i)  11  nous  reste  encore  une  collection  des  vers  des  sibylles 
en  huit  livres.  Elle  a  été  imprimée  la  première  fois  en  i545. 
Elle  paraît  avoir  été  faite  entre  les  années  169  et  177  de 
notre  ère  ;  il  y  est  parlé  de  tous  les  empereurs  qui  avaient 
végné  avant  cette  époque. 


(   i5o) 

Dies  irae ,  dies  illa 

Solvet  sœculuiu  in  favilla  : 

Teste  David  cum  sibylla. 

On  fait  allusion  à  la  propliétie  que  j'ai  citée  plus 
haut;  mais  le  saint  prophète  doit  être  bien  étonné 
de  se  voir  en  si  étrange   compagnie. 

Ces  détails  sont  fort  longs,  et  ne  tiennent  pas 
étroitement  à  mon  sujet  ;  mais  j'espère  que  le  lec- 
teur me  pardonnera  de  les  lui  avoir  offerts  ici. 
Qu'il  me  permette  d'ajouter  encore  quelques  mots 
sur  les  Romains,  Serait-on  téméraire  si  l'on  avan- 
çait que  leur  empire  a  dû  quelque  chose  de  sa 
grandeur  à  l'oeuvre  des  sibylles?  Les  fraudes  pieu- 
ses, quoi  qu'on  en  dise,  ne  sont  pas  une  inven- 
tion du  catholicisme  ;  c'est  un  ressort  qu'ont  fait 
agir  les  religions  et  les  ambitieux  de  tous  les 
temps. 

Tarquin-l'Ancien  ,  ou  Tarquin-le- Superbe,  car 
les  historiens  ne  sont  pas  d'accord  sur  ce  point , 
se  fit  donner  un  recueil  de  vers  prophétiques  par 
une  vieille  femme  mystérieuse,  qui  disparut  après 
s'être  acquittée  de  sa  commission,  et  à  laquelle  le 
roi  donna  le  nom  de  sibylle.  Les  destinées  de  l'em- 
pire romain  y  étaient  annoncées  d'avance.  Les 
triomphes  et  les  actions  de  grâces  qu'il  devrait  of- 
frir à  la  divinité;  ses  revers  et  les  sacrifices  qui 
seraient  nécessaires  pour  les  réparer^  tout  était  pré- 


(  '5>  ) 

VU,  dit-on,  tout  était  expliqué  et  rangé  suivant 
l'ordre  des  temps.  C'était  une  espèce  d'^y9oca///?5e, 
où  rien  n'avait  été  oublié. 

Le  respect  pour  les  livres  sibyllins  dura  pres- 
que plus  que  l'empire  lui-même  :  ayant  été  per- 
dus dans  un  incendie  du  Capitole,  qui  eut  lieu  l'an 
671  de  Rome,  sous  la  dictature  de  Sylla ,  les  Ro- 
mains envoyèrent  des  députés  dans  les  différentes 
contrées  fameuses  par  l'existence  de  quelque  an- 
cienne sibylle,  et  firent  un  nouveau  recueil.  Au- 
guste, en  sa  qualité  de  souverain  pontife,  les  re- 
çut avec  un  respect  religieu.x,  les  enferma  dans 
des  coffres  dorés,  et  les  fit  mettre  sous  la  base 
du  temple  d'Apollon  -  Palatin  ,  qu'il  faisait  bâtir 
alors. 

11  se  passa  du  temps  avant  que  la  religion  chré- 
tienne eût  pris  assez  de  force  pour  renverser  la 
puissance  des  sibylles ,  de  ces  sibylles  qui  promet- 
taient que  l'empire  du  monde  resterait  éternelle- 
ment à  la  puissance  romaine.  Ce  ne  fut  que  l'an  4o5 
de  Jésus-Christ  que  l'empereur  Honorius  ordonna 
finalement  à  Stilicon  de  les  brûler. 

Rome  avait  créé  un  sacerdoce  à  part,  chargé  de 
l'interprétation  des  livres  des  sibylles.  Ces  prêtres 
n'étaient  d'abord  que  deux ,  duumviri  sacris  jacien- 
dis ;  ils  furent  portés  à  dix,  lorsque  l'on  admit  les 
plébéiens  à  partager  les  emplois  supérieurs j  et  enfin 
a  quinze,  quand  la  possession  des  richesses  dé  l'uni- 


(     '52    ) 

vers  permit  à  Home  de  s'abandonner  au   luxe  et  à 
la  profusion  (i). 

Les  Romains  avaient  aussi  des  vierges  sacrées  dans 
leur  ville.  Les  peuples  vivent  d'emprunt:  ils  avaient 
tiré  d'Albe,  et  les  Albains  devaient  avoir  tiré  de 


(i)  Les  imposteurs  ont  partout  recours  aux  mêmes  moyens, 
lorsqu'il  s'agit  d'exploiter  la  curiosité  crédule  et  inquiète 
de  l'homme.  Rien  ne  tourmente  autant  que  le  désir  de 
connaître  l'issue  des  évènemens  d'où  doit  dépendre  notre 
sort.  De  là,  les  diseurs  de  bonne  aventure,  les  astrologues, 
la  pythie,  les  sibylles;  de  là  mille  fraudes  pieuses,  mille 
pièges,  mille  grimaces,  mille  contorsions  ,  ayant  pour  objet 
de  faire  croire  aux  spectateurs  que  la  divinité  se  commu- 
nique aux  mortels  et  leur  dévoile  l'avenir. 

Les  peuples  sauvages  et  grossiers  de  la  mer  du  Sud  ont 
les  vnêmes  idées  et  à  peu  près  les  jnêmes  usages  que  les 
peuples  les  plus  civilisés  des  anciens  temps.  Voici  de  quelle 
manière,  à  l'île  d'Owhyée ,  se  prépax'e  à  prononcer  l'oracle 
le  prêtre  à  qui  l'on  a  porté  des  dons  pour  qu'il  fasse  con- 
naître l'issue  d'une  guerre  qui  se  déclare  :  «  Il  reste  pendant 
«  quelque  temps  immobile,  les  mains  jointes  et  les  yeux 
>)  baissés...  Il  commence  à  parler  bas  et  d'une  voix  altérée; 
»  mais  il  s'échauffe  peu  à  peu ,  et  bientôt  il  donne  l'essor  à 
»  toute  sa  véhémence.  Il  parle  à  la  première  personne, 
»  comme  si  c'était  le  dieu  lui-même.  Pendant  tout  ce 
»  temps ,  il  paraît  ordinairement  peu  agité ,  mais  quelque- 
»  fois  son  aspect  devient  tout  à  coup  farouche ,  et  son  œil 
y>  s'enflamme.  Un  tremblement  violent  s'empare  de  tous  se» 


(  .53  ) 
la  Grèce,  et  les  Grecs  devaient  avoir  tiré  de  l'Asie 
ou  d'autre  part,  le  culte  du  soleil  ou  du  feu,  et 
})ar  conséquent  les  cérémonies  que  ce  culte  exigeait. 
Nous  savons  aujourd'hui  que  le  feu  n'est  pas  un 
élément  très  simple;  mais  dans  la  Chimie  des  pre- 
miers âges  du  monde,  il  était  impossible  d'avoir 
des  doutes  sur  sa  simplicité  et  sur  sa  pureté.  Il 
fallait  qu'une  divinité  si  pure  eût  des  ministres 
purs  ;  et  les  vierges  passaient  pour  telles.  Le  culte 
du  feu  leur  fut  assigné  partout.   Cicéron   dit  posi- 

«  membres  ;  la  sueur  ruisselle  sur  son  front  ;  ses  lèvres  se 
»  gonflent  et  sont  agite'es  par  des  mouvemens  convulsifs  ; 
»  enfin  des  lax'mes  abondantes  coulent  de  ses  yeux ,  sa  poi- 
»  trine  se  soulève  avec  effort,  et  des  mots  enti-ecoupe's  s'é— 
»  chappent  de  sa  bouche.  Cette  agitation  se  calme  insensi- 
»  blement  :  le  prêtre  se  saisit  alors  d'une  massue  place'e  à 
1)  côte'  de  lui,  et  la  regarde  fixement.  Il  lève  ensuite  les 
"  yeux  au  ciel ,  puis  à  droite  et  à  gauche ,  et  les  fixe  de  nou- 
»  veau  sur  la  massue.  Il  renouvelle  plusieurs  fois  la  même 
»  cére'monie  ;  après  quoi ,  il  lève  l'arme  sainte  et  en  frappe 
»  la  terre  de  toutes  ses  forces  ,  c'est  le.  signal  du  départ  de 
n  son  souffle  divin.  » 

Comparez  cette  description  avec  celle  que  j'ai  cite'e  plus 
haut  de  Virgile ,  et  vous  y  trouverez  une  ressemblance 
parfaite.  Toutes  les  nations,  civilise'es  ou  sauvages,  profanes 
ou  sacrées,  éclairées  par  le  Saint-Esprit  ou  livrées  au  vertige 
de  l'erreur  et  des  passions  humaines,  ont  eu  leurs  sibylles 
ou  leurs  prophètes.  L'imposture  a  été  de  tous  les  temps  et 
de  tous  les  lieux. 


(  »54  ) 

tivcniont  que  le  culle  de  Vesta  ne  convenail  qu'à 
(les  filles  dégaj^ées  des  passions  et  des  embarras  du 
monde. 

Numa  défendit  de  recevoir  au  nombre  des  ves- 
tales aucune  fille  au-dessous  de  six,  ni  au-dessus 
de  dix  ans.  Cet  âge  ne  pouvait  donner  lieu  à  au- 
cun soupçon  d'impureté.  Il  n'en  institua  que  qua- 
tre :  Servius-Tullius  en  ajouta  deux  autres.  Elles 
ne  furent  jamais  portées  au-delà  de  six ,  malgré 
l'opinion  contraire  de   saint  Ambroise. 

Une  vestale  devait  rester  trente  ans  au  service 
de  la  déesse.  Elle  pouvait  sortir  du  temple,  lors- 
(ju'elle  était  âgée  de  quarante,  ou  même  de  trente- 
six  ans,  et  se  marier.  Elle  pouvait  même  y  rester, 
si  elle  l'aimait  mieux;  mais  elle  ne  devait  plus  se 
présenter  devant  les  autels. 

Tandem  virgineam  fastidit  Vesta  senectam. 

Vesta  avait  bon  goût  :  une  fille  ridée  n'est  pas  un 
objet  agréable. 

Les  vestales  jouissaient  de  la  plus  haute  consi- 
dération. Tout  le  monde  leur  cédait  le  pas.  Si  le 
consul  les  rencontrait  sur  son  chemin ,  il  devait  se 
retirer ,  ou  descendre  de  son  cheval  et  s'arrêter 
jusqu'à  ce  que  la  prêtresse  fût  ])assée  outre.  Elles 
avaient  une  place  distinguée  au  théâtre.  Elles  étaient 
accompagnées  d'un   licteur    toutes   les    fois  qu'elles 


(  i55  ) 
sortaient  dans  la  ville,  ou  pour  voir  leurs  parens, 
ou  pour  dîner  avec  eux,  ou  dans  tout  autre  des- 
sein. Elles  s'entremettaient  dans  toutes  les  querelles 
intestines,  et  parvenaient  bien  souvent  à  les  as- 
soupir. Elles  réconcilièrent  Sylla  et  César,  quoique 
le  dictateur  eût  refusé  cette  grâce  à  ses  meilleurs 
amis.  Elles  prirent  même  la  défense  de  Messaline. 
Si  elles  rencontraient  sur  leur  passage  un  criminel 
condamné  que  l'on  conduisait  au  supplice,  il  était 
sur-le-champ  mis  en  liberté:  la  prêtresse  pour  ob- 
tenir cette  grâce  n'avait  qu'à  assurer  que  la  ren- 
contre était  fortuite.  Elles  étaient  émancipées ,  et  pou- 
vaient tester,  même  à  l'âge  de  six  ans:  elles  étaient 
majeures  avant  le  temps  fixé  par  les  lois,  même  du 
vivant  de  leurs   pères. 

Leur  ordre,  sous  les  empereurs  ,  était  monté  au 
plus  haut  degré  de  considération.  Auguste  jura  que 
s'il  avait  une  nièce  en  âse  d'entrer  au  nombre  des 
vestales,  il  l'y  aurait  fait  admettre.  Les  chrétiens 
eux-mêmes  les  respectaient  beaucoup ,  quoiqu'ils 
condamnassent  leur  culte.  Lorsque  l'empereur  Gra- 
tien  voulut  les  priver  des  revenus  que  les  lois  leur 
avaient  assurés,  Symmaque  en  prit  la  défense  avec 
chaleur. 

Malgré  les  grandes  prérogatives  dont  les  vestales 
jouissaient  à  Rome,  il  était  très  difficile  de  trouver 
dans  cette  ville  immense  six  pères  assez  intrépides 
pour  vouloir  les  assurer  à  leurs  filles.    D'où  venait 


(  i56) 
ceLle  aversion  pour  un  état  entouré  de  tant  d'estime 
et  comblé  de  tant  d'honneurs?  Une  vestale  sur  le 
compte  de  laquelle  se  serait  élevé  le  moindre  bruit 
d'incontinence  était  punie  avec  la  dernière  sévérité 
et  couvrait  d'opprobre  toute  sa  famille.  Le  plus  lé- 
ger soupçon  était,  pour  les  vestales,  une  tache  inef- 
façable. Les  Pioraains  tinrent  pour  violée  la  vestale 
Clodia  Lœta ,  que  Galigula  avait  approchée  ,  quoi- 
qu'il fût  constant  qu'il  n'y  avait  eu  rien  de  plus 
sérieux.  11  aurait  même  suffi  que  la  vestale  eût 
laissé  éteindre  le  feu  sacré,  pour  devenir  l'objet 
de  la  plus  vive  animadversion.  Dans  ce  cas,  elle 
n'était  pas  enterrée  toute  vive,  mais  elle  devait 
paraître  nue  en  présence  du  souverain  pontife ,  et 
par  lui  être  durement  corrigée  par  des  coups  de 
fouet  (i). 

Le  jour  où  une  place  de  vestale  était  vacante, 
Rome  était  en  émotion  j  car  le  souverain  pontife 
ayant  été  autorisé  par  les  lois  à  choisir  lui-même 
vingt  jeunes  demoiselles  ,  et  à  les  tirer  au  sort,  cha- 
cune craignait  que  les  chances  de  l'élection  et  de  la 
fortune  ne  tournassent  contre  elle.  Les  Romains 
étaient  donc  convaincus  que  la  continence  n'était 
pas  une  chose  facile  à  conserver.  Les  chrétiens  n'ont 
pas  eu  autant  de  scrupule. 


(0  Fojez  la  note  de  la  page  i38. 


(  '57) 

Il  nous  resterait  à  dire  quelque  chose  des  vierges 
de  l'île  de  Sain ,  qui  nous  touchent  de  plus  près  que 
les  sibylles  et  les  vestales  ;  mais  une  obscurité  profonde 
enveloppe  les  mystères  des  anciennes  relii^ions  du 
nord.  Les  lumières  n'étaient  pas  le  partage  de  ces 
peu[)les;  les  druides  s'en  étaient  emparés,  comme 
les  bramines  et  les  mages;  et  dans  la  crainte  d'infi- 
délité ou  de  larcin,  ils  ne  les  confiaient  jamais  dans 
des  livres. 

On  prétend  que  l'île  de  Sain  (i)  avait  un  cou- 
vent de  neuf  vierges.  Quelques  écrivains  ont  même 
pensé  que  tous  les  habitans  de  cette  île  étaient 
des  vierges.  C'étaient  des  espèces  d'amazones  qui 
n'aimaient  pas  la  guerre,  mais  qui  haïssaient  les 
hommes  (2). 

On  dit  pourtant  que  pour  conserver  leur  race, 
elles  envoyaient  de  temps  en  temps,  sur  la  côte  du 
continent  voisin,  un  certain  nombre  d'entre  elles 
que  le  sort  avait  désignées  ;  que  ces  pauvres  filles,  à 
peine  débarquées  sur  le  rivage,  se  jetaient  dans  les 
bras  du  premier  venu,  qu'elles  y   restaient  tout  le 


(i)  Sain  ,  sena,  petite  île  situe'e  vis-à-vis  de  la  pointe  mé- 
ridionale de  la  baie  de  Brest.  Les  Gaulois  qui  l'habitaient 
adoraient  la  lune.  Elle  servait  de  retraite  à  une  sorte  de 
prêtresses  de  la  famille  des  druides. 

(2)  Ces  deux  classes  de  femmes  sont  peut-être  également 
fabuleuses. 


(  '^^8  ) 
ienips  qui  était  Decessairc  pour  recevoir  dans  leur 
sein  quelque  nouvel  embryon ,  et  qu'elles  ne  pou- 
vaient rentrer  dans  leur  île  qu'après  avoir  rempli 
fidèlement  la  commission  dont  on  les  avait  char- 
gées. 


VV\  V\VV\(Vi  VV  V\\l\%  WWV  VVViA^  tVWVVV  VVVV\,\  VV\  l^^t  VX'V  l/V\(  ^A^VVVVVV  VAX  VVVtVV  VVl  VVVH-\^ 

iTbre  ^euriime. 

DU  CÉLIBAT  DANS  LA  RELIGION  CHRÉTIENNE. 


.^. 


SECTIOIV  PREMIERE. 

Du  célibat  depuis  /'Evangile  jusqu'à  la 
révolution  française. 


AVANT-PROPOS. 


Avant  d'aborder  directement  notre  sujet .  jetons 
un  coup  d'oeil  en  arrière,  et  voyons  quel  était  l'état 
du  monde  à  la  naissance  de  la  religion  chrétienne. 

Les  Pvomains  avaient  porté  leurs  armes  victo- 
rieuses sur  toute  la  terre  connue ,  et  l'avaient  sub- 
juguée. Des  gouverneurs ,  tourmentés  par  la  soif  in- 
satiable des  richesses  et  des  plaisirs,  parcouraient  les 
provinces  de  ce  vaste  empire  et  les  mettaient  au  pil 
lagej  tous  les  trésors  du  monde  coulaient  à  Rome, 
quand  la  misère  accablait  les  provinces  éloignées. 

Piome  avait  cessé  d'être  le  centre  des  vertus,  de 
ces  vertus  qui  l'avaient  élevée  au  faîte  de  la   gran- 


(  i6o) 
tleur  :  elle  était  devenue  un  foyer  d'inleclion  qui  at- 
tirait à  lui  tous  les  vices  des  provinces,  les  concen- 
trait, les  rendait  plus  meurtriers,  et  les  répandait 
de  nouveau,  agrandis  encore  par  leur  passage  dans 
la  capitale ,  sur  toute  la  surface  de  l'empire  ;  c'était 
un  flux  et  un  reflux  perpétuel  de  corruption ,  de  dé- 
bauche, d'adultère,  d'inceste,  de  cruauté,  de  toutes 
les  infamies. 

L'exemple  et  les  lois  d'Auguste  n'avaient  pu  ar- 
rêter ce  débordement  aflreux  •  sa  famille  avait  été 
infectée  comme  les  autres j  son  indignation  et  ses 
châtimens  n'avaient  frappé  que  peu  de  têtes.  Après 
sa  mort ,  le  libertinage  ne  trouva  plus  aucun  obs- 
tacle. La  cour  de  ses  successeurs  surpassa  tout  ce 
que  la  licence  de  la  sienne  avait  su  imaginer  de  plus 
dégoûtant.  Les  empereurs  de  Rome  réalisèrent  et 
rendirent  vraisemblables  les  turpitudes  de  Sodome  et 
de  Babylone;  ils  ne  respectèrent  rien.  Les  vestales 
elles-mêmes,  ces  vestales  que  protégeait  l'opinion 
publique,  ne  purent  se  soustraire  à  la  séduction  de 
ces  monstres  :  leur  exemple  ne  trouva  que  trop 
d'imitateurs  ! 

Au  milieu  de  ce  débordement  de  vices,  diverses 
institutions  avaient  conservé  leur  pureté  primitive. 
Les  prêtres  d'Isis,  en  Egypte;  ceuxde  Cérès,  à 
Athènes;  les  vestales  de  Rome,  les  vierges  du  Par- 
thénon ,  fixaient  les  regards  et  méritaient  les  éloges 
de    tous    ceux    qui   conservaient    encore    quelque 


(  'fi'  ) 

amour  de  la  vertu.  Les  philosophes  les  plus  intègres, 
les  populations  des  campagnes,  les  gens  à  qui  la 
fortune  ne  permettait  pas  de  suivre  l'exemple  des 
grands,  accordaient  leur  estime  à  tous  ceux  qui  sa- 
vaient se  garantir  d'une  corruption  devenue  presque 
générale. 

Les  thérapeutes  et  les  esséniens  attiraient  à  eux 
l'attention  des  peuples,  qu'étonnaient  l'austérité  de 
leur  vie  et  leur  charité  fraternelle.  Leur  nombre 
augmentait  tous  les  jours,  et  ces  sortes  de  moines, 
qui  n'avaient  d'abord  inspiré  que  le  dédain,  com- 
mençaient à  devenir  un  objet  d'envie  et  d'imitation. 

La  misère  si  commune  partout,  cette  misère  que 
l'esclavage,  les  concussions  impudentes  et  les  di- 
lapidations de  la  fortune  publique  rendaient  de  plus 
en  plus  affreuse,  portait  les  malheureux  à  éviter  tout 
ce  qui  aurait  pu  l'accroître  ou  la  faire  sentir  plus 
fortement.  Une  femme  était  une  charge,  des  enfans 
devenaient  un  fardeau  insupportable. 

La  terre  ne  présentait  aucune  consolation  :  le  joug 
qui  accablait  les  peuples  paraissait  devoir  être  éter- 
nel ;  l'âme  sentait  le  besoin  de  se  réfugier  dans  l'ave- 
nir. Ce  monde  étant  un  océan  d'amertume,  l'ima- 
gination ne  trouvait  à  se  reposer  que  dans  un 
monde  plus  beau,  où  les  tyrans  ne  régneraient  plus. 
Le  sentiment  de  la  justice,  si  naturel  à  l'homme, 
si  profondément  enraciné  dans  son  cœur,  lui  fai- 
sait espérer  une    réparation    éclatante    de    tant  de 

1 1 


(  >62  ) 
maux  et    de  tant  d'alïliclions.   La   venj^eance  cou- 
vait dans  tous  les  esprits  et  dans  tous  les  cœurs,  et 
l'impossibilité  de  l'obtenir  sur   cette  terre    donnait 
naissance  aux  théories   du  spiritualisme. 

Maintenant,  supposez  que  l'histoire  ne  vous  ait 
pas  fait  connaître  la  marche  du  christianisme  à 
travers  les  nations  soumises  à  l'empire  de  Rome , 
et  tâchez  de  saisir,  seulement  par  la  raison,  l'effet 
que  pourra,  ou  mieux,  que  devra  produire  un  culte 
nouveau.  Ce  culte  menace-t-il  de  terribles  châti- 
mens  les  grands  du  siècle?  il  seconde  la  haine  gé- 
nérale, et  dispose  les  esprits  en  sa  faveur.  Pro- 
met-il des  récompenses  éclatantes  aux  justes  op- 
primés? leur  donne-t-il  l'espérance  que  dans  la 
vie  qui  doit  commencer  pour  eux  à  leur  entrée  dans 
la  tombe,  ils  seront  au-dessus  de  leurs  tyrans?  com- 
ment ne  pas  accueillir  avec  enthousiasme  une 
croyance  si  conforme  aux  plus  vifs  désirs  du  cœur  ? 
Prêche-t-il  la  séparation  de  tout  ce  qui  peut  atta- 
cher à  la  terre?  Yeut-il  que  l'esprit  ne  tende  que 
vers  les  béatitudes  célestes?  Impose-t-il  l'abandon 
des  femmes,  des  enfans,  des  pères  et  des  mères  pour 
la  défense  de  son  système  et  de  ses  principes?  La 
terre  n'offre  aux  malheureux  que  des  sujets  de  tris- 
tesse et  de  douleur;  la  tristesse  des  parens  porte 
la  désolation  dans  le  fond  de  l'âme;  une  femme  flé- 
trie, des  fils  gémissans  déchirent  les  entrailles  :  mieux 
vaut  n'en  avoir  aucun.  Le  tableau  effrayant  de  la 


(  >63  ) 
misère  générale  et  particnlière  abat  le  courage  et  _ 
brise  les  ressorts  de  l'esprit.  Un  désespoir  affreux 
pousse  les  hommes  à  fuir  loin  des  objets  les  plus 
tendres  et  les  plus  chers  à  leur  cœur  :  la  so- 
ciété n'offrant  à  leurs  regards  qu'un  nombre  infini 
de  calamités  renaissantes,  ils  arrivent  à  se  per- 
suader que  le  parti  le  plus  sûr  est  de  s'en  séparer 
à  jamais  ,  de  s'enfoncer  dans  des  déserts  inacces- 
sibles, de  s'enfermer  dans  des  couvens,  de  s'isoler 
partout. 

La  religion  chrétienne  a  dii  la  rapidité  de  ses 
conquêtes  à  l'évidente  protection  de  son  auteur  : 
mais  les  circonstances  de  la  terre,  lorsqu'elle  y  fut 
apportée,  étaient  prévues  et  calculées  depuis  l'ori- 
gine des  temps  par  l'éternelle  sagesse  qui  voit  et 
qui  calcule  tout. 

L'empire  des  circonstances  était  si  fort,  que  les 
bornes  fixées  par  notre  divin  législateur  furent 
insuffisantes  pour  arrêter  la  marche  des  esprits. 
On  se  porta  d'abstraction  en  abstraction  jusqu'à 
condamner  ce  que  Jésus-Christ  avait  approuvé  et 
ordonné  de  la  manière  la  plus  positive.  Pour  prou- 
ver cette  assertion ,  en  ce  qu'elle  a  de  relatif  à  mon 
sujet,  il  me  suffira  de  rappeler  succinctement  ce 
que  le  rédempteur  du  monde  a  réglé  et  ordonné 
lui-même  sur  le  mariage  et  sur  la  continence j  de 
voir  ensuite  ce  que  les  apôtres  y  ont  ajouté,  et  de 
suivre  le  développement   du  principe  favorable  au 

II.. 


(  -64) 

Ciilibat  dans  toutes  les  différentes  phases  qu'il  a  pré- 
sentées, dans  les  deux  cultes  rivaux  de  l'église  grec- 
que et  de  la  romaine. 

WW  «\VVVVVWV\\VWVW\WiWkWvW  WVtWVVVWVvWvWWWV.VWVVWWvWAi'W^WWVWVWWVWV'V 

CHAPITRE  PREMIER. 
Du  célibat  dans  VËvangile. 

Les  lois  relatives  au  mariage  ,  que  le  Christ  a 
sanctionnées  du  sceau  de  son  autorité  divine ,  s'y' 
rapportent  directement  ou  indirectement. 

Les  premières  sont  d'une  évidence  frappante,  de 
véritables  lois,  des  ordres  impératifs  qu'on  ne  peut 
violer  sans  se  rendre  criminel  j  les  secondes  sont  des 
conseils  au  petit  nombre  des  élus,  des  maximes  de 
haute  sagesse,  propres  seulement  aux  hommes  que 
Dieu  a  comblés  de  ses  grâces  spéciales. 

Les  premiers  signes  que  Jésus-Christ  a  donnés  à 
la  terre  de  sa  mission  céleste,  son  premier  miracle, 
le  premier  acte  par  lequel  il  prouva  sa  puissance 
sur  la  nature,  fut  le  changement  de  l'eau  en  vin 
aux  noces  de  Cana  (i),  et  par  conséquent  l'insti- 
tution du  mariage.  Dans  l'ordre  des  sacremens  de 

(i)  Saint  Jean,  c.  II,  v.  i*'  jusqu'au  12". 


(  i65  ) 
l'éi^lise,  le  mariage  est  porté  le  dernier,  et  cela  de- 
vait être  ainsi;  mais  dans  l'ordre  des  temps,  et  peut- 
être  même   dans  celui   de  l'importance,  il  est  évi- 
demment le  premier. 

Après  avoir  institué  le  mariage ,  le  divin  législa- 
teur se  hâte  d'en  assurer  l'indissolubilité  :  «  Dieu  créa 
»  au  commencement  un  îiomme  et  une  femme  : 
»  pour  cette  raison  l'homme  abandonnera  son  père  et 
))  sa  mère ,  et  demeurera  attaché  à  sa  femuie  5  ils  ne 
M  seront  tous  deux  qu'une  seule  chair.  Ainsi  ils  ne 
»  sont  plus  deux,  mais  une  seule  chair.  Que  l'homme 
»  donc   ne  sépare  pas  ce  que  Dieu  a  joint  (i).   » 

Il  est  difficile  de  trouver  dans  les  lois  d'aucun 
peuple  un  précepte  plus  positit"  et  plus  évident  : 
l'homme  et  la  femme  ne  sont  pas  faits  pour  vivre 
séparés;  Dieu  les  a  créés  l'un  pour  l'autre,  et  a 
voulu  que  leur  société  fût  nécessaire  et  indis- 
soluble. Cette  loi,  née  avec  le  monde,  est  ici  cou- 
tirmée  et  sanctionnée  de  nouveau  par  le  législateur 
lui-même.  Que  peut-on  ajouter  à  ces  paroles  divi- 
nes ?  Elles  n'ont  pas  besoin  de  commentaire.  Ado- 
rons les  décrets  irrévocables  de  la  sagesse  infinie. 

Lorsque  le  lîls  de  l'homme  eût  sanctionné  cette 
loi,  ses  disciples^  élevés  sous  le  régime  d'une  légis- 
lation dans  laquelle  le  divorce  était  très  facile,  fu- 


(1)  Saint  Mat.,  c.  XIX,  v.  4>  5?,  6. 


(  iSfi) 
rent  presque  effrayés,  et  s'écrièrent:  «  Si  telle  est 
»  ia  condition  de  l'homme  à  l'égard  de  sa  femme, 
))  il  n'est  pas  avantageux  de  se  marier.  ))  11  leur 
répondit:  a  Tous  ne  sont  pas  capables  de  cette  ré- 
))  solution,  mais  ceux-là  seulement  à  qui  il  a  été 
))  donné  ;  car  il  y  en  a  qui  sont  eunuques  dès  le 
»  sein  de  leur  mère,  et  de  naissance  ;  il  y  en  a  que 
»  les  hommes  ont  faits  eunuques,  et  il  y  en  a 
»  qui  se  sont  faits  eunuques  eux  -  mêmes  pour  le 
»  royaume  du  ciel.  »  Et  il  ajoute  :  «  Qui  peut 
))  comprendre  ceci,  le  comprenne  (i)!  » 

On  voit  doric  que  ce  n'est  que  par  l'effet  d'une 
grâce  particulière  que  l'homme  peut  supporter  le 
célibat.  «  Tous  ne  sont  pas  capables  de  cette  ré- 
))  solution  ,  mais  ceux-là  seulement  à  qui  il  a  été 
))  donné.  »  Jésus-Christ  savait  que  la  plupart  des 
hommes  ne  comprendraient  même  pas  son  langage  : 

(i)  Saint  Mat.,  c.  XIX,  v.  ii,  12,  i3. 

Je  vais  mettre  le  texte  latin  sous  les  yeux  du  lecteur.  Il 
y  a  des  mots  et  des  expi'essions  que  la  langue  française  ne 
saurait  rendre  dans  toute  leur  force  : 

Qui  dixit  illis  :  Non  omnes  capiunt  verbum  illud ,  sed 
quibus  datum  est.  Sunt  enim  eunuchi  qui  de  matris  utero 
sic  nati  sunt  ;  et  suut  eunuchi  qui  facti  sunt  ab  hominibus  ; 
et  sunt  eunuclù  qui  seipsos  castraverunt  [ectulouç)  propter 
regnum  cœlorum.  Qui  potest  capere,  capiat.  Le  grec  eunou- 
clios  signifie  proprement  gardien  du  lit,  à'euné,  lit,  et 
d'echôy  je  garde. 


(  '6-  ) 
qui  potest  capere ,  capiat.  Comme  il  ne  veut  point 
forcer  les  volontés,  et  qu'il  n'adresse  ses  conseils 
qu'aux  intelligences  rares  dans  ce  monde  qui  pour- 
ront ,  guidées  par  leur  instinct  heureux ,  deviner 
toute  l'étendue  de  sa  pensée  ,  le  fils  du  Très-Haut 
ne  se  donne  pas  la  peine  de  l'expliquer. 

Dans  l'énumération  des  différentes  espèces  de 
personnes  pour  lesquelles  la  continence  ne  peut 
être  une  charge,  nous  voyons  en  première  ligne 
ceux  qui  sont  eunuques  depuis  le  sein  de  leur 
mèrej  ce  doit  être  les  icoXo^oi  dont  nous  avons 
déjà  parlé  plus  haut  :  ensuite  viennent  les  eu- 
nuques que  les  seigneurs  rendaient  tels  pour 
avoir  des  serviteurs  plus  commodes.  Le  célibat  de 
ces  deux  classes  d'individus  ne  présente  rien  de 
difTicile  et  d'épineux  ;  ils  y  étaient  condamnés  par 
la  nature  ou  par  la  violence  des  hommes.  En  troi- 
sième lieu  se  trouvent  ceux  qui,  doués  de  tous 
les  organes  ,  et  pouvant  remplir  toutes  les  fonc- 
tions de  la  virilité ,  s'imposent  eux-mêmes  la  con- 
tinence, pour  être  plus  parfaits  et  gagner  plus  fa- 
cilement le  royaume  des  cieux  ;  et  pour  ceux-ci 
la  difTiculté  devait  être  d'autant  plus  grande  , 
que  Jésus  -  Christ  avait  condamné  avec  la  plus 
grande  sévérité  la  moindre  complaisance  non  légi- 
time. ((  Je  vous  dis  ,  s'était  écrié  notre  rédemp- 
»  leur,  que  quiconque  regardera  une  fenune  avec 
»  un    mauvais  désir,    a    déjà  commis   uu   adultère 


(  -68  ) 
»  dans  son  cœur  (i);  »  et  il  njouLe  :  «  Si  voire  œil 
))  vous  est  un  objet  de  scandale  et  de  chute  ,  arra- 
yy  chez-le  et  jetez-le  loin  de  vous  ;  car  il  vaut 
»  mieux  pour  vous  qu'une  partie  de  votre  corps 
»  périsse  ,  plutôt  que  d^être  jeté  tout  entier  dans 
"»  l'enfer  (2).   )) 

Le  célibat  n'est  donc  pas  un  précepte  ;  c'est  un 
simple  conseil  que  peu  d'hommes  auront  la  force 
de  suivre  et  même  de  comprendre  •  il  n'est  pas  fait 
pour  devenir  une  règle  générale,  ni  pour  tous  les 
hommes,  ni  pour  une  classe  nombreuse  d'hommes 
qui  embrassent  l'état  où  on  le  commande  :  ceux-ci 
cherchent  plutôt  les  intérêts  de  ce  monde,  qu'ils 
ne  suivent  une  vocation  céleste.  «  La  religion,  faite 
:»  pour  parler  au  cœur,  doit  donner  beaucoup  de 
))  conseils  et  peu  de  préceptes.  Quand  elle  donne 
»  des  règles,  non  pour  le  bon,  mais  pour  le  meil- 
))  leur ,  non  pour  ce  qui  est  bon  ,  mais  pour  ce 
»  qui  est  parfait  ,  il  est  convenable  que   ce  soient 


(1)  Ego  autem  dico  vobis  :  quia  omnis  qui  viderit  mulie- 
rem  ad  concupiscendani  eani,  jam  maechatus  est  eanx  in 
corde  suo.  (Saint  Mat.,  c.  V,  v.  28.) 

(2)  Qiiod  si  oculus  tuus  dexter  scandalizat  te ,  erue  eum 
et  projice  abs  te  :  expedit  enim  tibi  ut  pereat  unum  niem- 
brorum  tuoi'uni,  quam  totuni  corpus  tuuiu  eat  in  geben- 
naïu.  (Saint  Mat.,  c.  V,  v.  29.)  L'œil  droit,  qui  est  le  plus 
cher. 


(  ï^9  ) 
»  des  conseils  et  non  pas  des  lois  ;  car  la  perfec- 
»  tion  ne  regarde  pas  l'universalité  des  hommes 
»  ni  des  choses  (i).  »  Lorsque  Montesquieu  tra- 
çait ces  lignes,  il  ayait  devant  les  yeux  V Evangile  : 
il  posait  en  théorie  ce  qu'il  y  voyait  mis  en  pra- 
tique. 

On  a  déduit  aussi  l'obligation  d'une  continence 
rigoureuse  pour  ceux  qui  se  consacrent  à  la  reli- 
gion,  de  ces  versets  de  V Evangile  où  Jésus- Christ 
marque  le  caractère  des  fidèles  qui  s'attachent  plus 
spécialement  à  lui.  «  Si  quelqu'un  vient  après  moi 
»  et  ne  hait  pas  son  père  et  sa  mère,  sa  femme 
))  et  ses  enfans,  ses  frères  et  ses  sœurs,  et  même 
»  sa  propre  vie,  il  ne  peut  pas  être  mon  disciple  (2). 
y)  Quiconque  abandonne  pour  moi  sa  maison,  ou 
»  ses  frères ,  ou  ses  sœurs  ,  ou  son  père  ,  ou  sa 
»  mèrç.  ou  sa  femme,  ou  ses  enfans,  ou  ses  terres, 
»  en  recevra  le  centuple,  et  aura  pour  héritage  la 
»  vie  éternelle  (3).   » 

(i)  Esprit  des  Lois,  liv.  XXIV,  c.  7. 

(2)  Si  quis  veiiit  ad  me  ,  et  non  odit  patrem  suum  et  ma— 
trem ,  et  uxorem ,  et  fihos,  et  fratres,  et  sorores ,  adhuc 
autem  et  animam  suani,  non  potest  meus  esse  discipulus. 
[Saint  Luc ,  c.  XIY,  v.  26. 

(3)  Omnis  qui  reliquerit  domum ,  vel  fratres,  aut  sorores, 
aut  patrem ,  aut  matrem ,  aut  uxorem  ,  aut  fihos ,  aut  agros 
propter  nomen  meum,  centuplum  accipiet,  et  vitam  aeter- 
nampossidebit.  (Saint  Mat  ,  c.  XIX,  v.  2g.) 


(   '70  ) 

Mais  d'abord ,  si  vous  prenez  ces  conseils  au  pied 
de  la  lettre ,  si  vous  en  faites  des  préceptes  géné- 
raux ,  vous  détruisez  les  plus  doux  sentimens  de 
la  nature,  la  tendre  sollicitude  des  pères  pour  leurs 
enfans,  l'amour  et  la  reconnaissance  des  fils  envers 
leurs  pères  ;  vous  séparez  la  femme  de  son  mari ,  le 
mari  de  sa  femme  j  vous  attaquez  ,  vous  anéan- 
tissez toute  culture  et  toute  industrie.  Alors  il 
n'y  aurait  plus  de  liens  solides  pour  l'homme;  la 
société  deviendrait  un  chaos  :  plus  de  lois  ,  plus 
d'ordre  ,  plus  de   tranquillité. 

Il  faut  encore  donner  quelque  chose  aux  cir- 
constances. La  religion  est -elle  en  danger?  vous 
impose-t-on  de  renoncer  à  la  foi  de  Jésus-Christ, 
ou  aux  affections  les  plus  chères  et  les  plus  vives 
de  votre  cœur?  il  ne  faut  pas  balancer  :  la  reli- 
gion doit  l'emporter  sur  tout  autre  sentiment; 
vous  perdrez  tout ,  vous  sacrifierez  tout  au  main^ 
tien  de  la  foi  et  à  la  gloire  du  Très-Haut.  Mais  si 
vous  pouvez  tout  concilier  ;  si ,  préférant  d'obéir 
à  des  lois  générales  qui  lient  tous  les  hommes , 
vous  négligez  des  conseils  d'une  haute  perfection, 
à  laquelle  vous  ne  vous  sentez  pas  la  force  de 
parvenir  ;  si  vous  embrassez  un  état  auquel  vous 
porte  la  nature  ,  et  que  la  religion ,  bien  loin  de 
condamner  ,  comble  de  ses  bénédictions  et  de  ses 
grâces  ,  qui  osera  blâmer  votre  conduite  ?  Donner 
l'existence  à  de  nouveaux  chrétiens ,  les  élever  dans 


(  i7>  ) 
les  principes  de  la  foi  de  Jésiis-Ciirist,  augmenter 
le  nombre  des  élus  ,  est-ce  un  mérite  que  puisse 
dédaigner  un  être  raisonnable  ?  Vous  vous  exposez 
à  toute  la  fureur  de  l'Océan ,  au  danger  d'être 
décliiré  par  les  barbares  ou  par  les  bêtes  féroces, 
de  manquer  du  nécessaire  à  la  vie,  de  mourir  de 
faim  pour  conquérir  des  âmes  au  royaume  du  ciel, 
et   vous    regardez    comme    une   faute    irrémissible 

o 

d'embrasser  un  état  où  la  multiplication  de  la  mi- 
lice chrétienne  est  entourée  de  douceur  et  de  plai- 
sirs ! 

CHAPITRE  IL 

Du  célibat  sous  les  apôtres. 

Nous  trouverons  la  doctrine  des  apôtres  sur  le 
mariage  dans  les  Epîtres  de  saint  Paul  qui,  autant 
par  ses  écrits  que  par  sa  prédication  et  ses  voyages, 
paraît  avoir  contribué  à  lui  seul,  plus  que  tous 
les  apôtres  ensemble,  aux  rapides  progrès  de  la 
foi  de  Jésus-Christ.  Nous  ne  verrons  encore  que 
des  conseils  :  les  apôtres  étaient  loin  de  cette  puis- 
sance qui  autorise  à  dicter  des  loisj  mais  ces  con- 
seils, au  lieu  de  s'adresser,  comme  dans  V Evan- 
gile ,  à  ceux-là  seuls  qui  peuvent  en  faire  la  règle 


(  '7^  ) 
de  leur  conduite,  au  petit  nombre  d'Iionirnes  que 
le  ciel  a  corablés  spécialement  de  ses  laveurs,  s'a- 
dressent à  tous  les  chrétiens  en  masse,  et  secon- 
dent davantage  les  préjugés  funestes  à  la  morale 
qui  régnaient  lors  de  l'établissement  de  la  religion 
chrétienne.  Je  n'ai  qu'à  traduire. 

((  11  est  bon  que  l'homme  ne  touche  à  aucune 
))  femme.  ?^éanmoins^  pour  éviter  la  fornication , 
»  que  chaque  homme  ait  une  femuie,  et  chaque 
»  femme  un  liomme..  .  Ce  que  je  vous  dis  comme 
»  une  chose  qu'on  vous  permet  et  non  pas  qu'on  vous 
»  commande  •  car  je  voudrais  que  tous  les  hommes 
»  fussent  dans  l'état  où  je  suis  moi-même.  Chacun  a 
»  son  don  particulier,  qu'il  reçoit  de  Dieu,  l'un  d'une 
»  manière  et  l'autre  d'une  autre.  Pour  ce  qui  est  de 
w  ceux  qui  ne  sont  pas  mariés  et  des  veuves,  il  est 
»  bien  pour  eux  de  demeurer  dans  cet  état ,  comme 
»  j'y  demeure  moi-même.  Que  s'ils  sont  trop  faibles 
»  pour  garder  la  continence,  qu'ils  se  marient;  car 
»  il  vaut  mieux  se  marier  que  de  brûler  (i).  n 


(i)  Bonum  est  homini  muherem  non  tangere.  Propter 
fornicationem  autem  unusquisque  suam  uxorem  habeat, 
et  unaquaeque  suum  virum  habeat...  Hoc  autem  dico  secun- 
dum  indulgentiam ,  non  secundum  imperium.  Volo  eniin 
omnes  vos  esse  sicut  meipsum  ;  sed  unusquisque  proprium 
donum  habet  ex  Deo  :  alius-quidem  sic,  alius  vero  sic.  Dico 
autem  non  nuptis  et  viduis  :  bonum  est  \\lis  si  sic  perma- 


(  >73  ) 

Ces  principes  ne  sont  pas  de  nature  à  faire  re- 
garder le  mariage  comme  une  action  sanctifiée  de 
Dieu  :  il  est  déjà  un  crime  que  l'on  pardonne  avec 
peine.  Un  sacrement,  le  premier  des  sacremens,  celui 
pour  lequel  Jésus- Christ  a  opéré  un  si  éclatant  pro- 
dige^  sera  un  acte  qui  a  besoin  de  pardon!  Peut-être, 
dans  l'origine  du  christianisme,  fallait-il  s'imposer 
des  sacrifices  extraordinaires  :  pour  propager  les 
principes  de  la  foi  dans  son  berceau,  il  fallait  des 
hommes  entièrement  dévoués  et  qui  n'eussent  au- 
cun attachement  à  des  objets  terrestres.  Peut-être 
dans  ce  temps-là  était-il  difficile  de  s'allier  à  des 
personnes  de  la  même  religion  ,  et  croyait  -  on 
dangereux  pour  la  foi  peu  affermie  des  nouveaux 
chrétiens  de  contracter  mariage  avec  des  individus 
d'une  religion  différente.  Un  autre  principe  de  con- 
duite ,  fidèlement  suivi  par  les  chrétiens  des  pre- 
miers siècles  de  l'église,  devait  faire  du  mariage 
un  fardeau  des  plus  lourds,  et  rendre  l'éducation 
de  la  famille  presque  impossible.  Notre  divin  sau- 
veur avait  conseillé  à  ceux  qui  voudraient  s'élever 
à  la  plus  haute  perfection  de  vendre  tous  leurs 
biens,  de  les   donner  en  aumône  aux    pauvres   et 


lient  sicut  ego.  Quod  si  non  continent,  nubant.  Melius  est 
enim  nubere  quain  uri.  {Ep.  I"  aux  Corinth.,  c.  VII,  v.  i, 
a,  6,  7,  8  et  9.) 


(  '74  ) 
de  suivre  alors  la  carrière  de  l'aposlolaL  (i).  Ce 
conseil,  dans  la  première  ferveur  d'un  culte  nou- 
veau, fut  changé  en  précepte  comme  tous  les  autres. 
Des  miracles  opérés  ou  supposés  opérés  (2)  par  saint 
Pierre  inspirèrent  une  sainte  frayeur  aux  chré- 
tiens si  simples  de  cet  âge ,  et  les  portèrent  à 
l'accomplissement  d'iui  devoir  qui  rendait  la  mi- 
sère très  commune  parmi  eux.  Une  fois  débarrassés 
de  tout  soin,  les  fidèles  passaient  leur  temps  dans 
la  prière ,  sans  aucune  inquiétude ,  sans  aucun 
souci  de  l'avenir ,  attendant  ce  qui  était  nécessaire 
à   leur  subsistance  et  de  la  bonté  ineffable  de  ce 


(i)  Ils  vendaient  leurs  terres  et  leurs  biens,  et  les  distri- 
buaient à  tous,  selon  le  besoin  que  chacun  en  avait.  {^Act. 
des  apôt.,  c.  II,  v.  45.) 

Il  n'y  avait  pas  de  pauvres  parmi  eux ,  parce  que  tous 
ceux  qui  possédaient  des  fonds  de  terre  ou  des  maisons  les 
vendaient  et  en  apportaient  le  prix  qu'ils  mettaient  aux  pieds 
des  apôtres ,  et  on  le  distribuait  ensuite  à  chacun  selon  qu'il 
en  avait  besoin.  (^Act.  des  apôt.,  c.  IV,  v.  35,  36.) 

(2)  Je  dis  supposés  opérés ,  parce  qu'il  me  semble  qu'il 
n'était  pas  digne  du  chef  de  notre  sainte  église  de  faire 
mourir  un  homme  et  une  femme,  pour  avoir  gardé  seule- 
uieat  une  partie  fort  mince  de  leur  fortune.  Quel  honnête 
homme  aurait  la  barbarie  de  dire  à  une  femme  :  «  Voilà 
«  ceux  qui  viennent  d'ensevelir  votre  mari  qui  sont  à  cette 
«  porte  et  vont  vous  enterrer  à  votre  tour.  »  N'était-ce  pas 
l'assassiner.  {Act.  des  apôt.,  c.  V,  v.  i"  jusqu'au  II^) 


(  "75) 
Dieu  qui  fait  vivre  sans  travail  les  oiseaux  de  l'air 
et  les  lys  des  champs  _,  et  de  la  libéralité  de  leurs 
coreligionnaires.  Ainsi  les  fortunes  se  dissipaient, 
la  misère  devenait  de  plus  en  plus  générale,  et  une 
fainéantise  sanctifiée  détruisait  toute  industrie.  Alors 
comment  soutenir  une  femme?  comment  élever  des 
en  fans?  Nous  verrons  que  cet  état  de  choses  sera 
fécond  en  résultats  funestes.  Que  l'homme  est  mal- 
heureux! les  efforts  qu'il  fait  pour  parvenir  à  la 
perfection  le  mènent  souvent  au  vice. 

((  Quant  aux  vierges ,  poursuit  saint  Paul ,  je  n'ai 
»  point  reçu  de  commandement  du  Seigneur  j  mais 
n  voici  le  conseil  que  je  donne,  comme  ayant  été 
»  l'objet  de  la  miséricorde  du  Seigneur  pour  être  fi- 
»  dèle.  Je  crois  donc ,  à  cause  des  pressantes  né- 
»  cessités  de  la  vie  présente,  qu'il  est  avantageux  à 
»  l'homme  de  ne  se  point  marier.  Etcs-vous  lié  avec 
»  une  femme,  ne  cherchez  point  à  vous  délier. 
»  N'étes-vous  point  lié  avec  une  femme?  ne  cherchez 
)j  point  de  femme.  Que  si  vous  épousez  une  femme, 
))  vous  ne  péchez  pas;  et  si  une  fd!e  se  marie,  elle 
»  ne  pèche  pas  aussi.  Ces  personnes  sentiront  dans 
»  la  chair  des  afflictions  et  des  maux.  Or  je  voudrais 
))  vous  les  épargner.  ...  Je  désire  vous  voir  dégagés 
»  de  toute  sollicitude.  Celui  qui  n'est  point  marié 
))  s'occupe  des  choses  du  Seigneur  et  de  ce  qu'il 
»  faut  pour  lui  plaire;  celui  qui  est  marié  s'occupe 
y>  du  soin  des  choses  du  monde  et  de  ce  qu'il  faut 


(  '-fi  ) 

))  pour  plîîire  à  sa  femme  :  il  se  trouve  ainsi  parla^é. 
M  De  même,  une  femme  qui  n'est  pas  mariée,  et  une 
»  vierge,  s'occupent  du  soin  des  choses  du  Seigneur, 
))  afin  d'être  saintes  de  corps  et  d'esprit  ;  celle  qui 
y^  est  mariée  s'occupe  du  soin  des  choses  du  monde 
»  et  de  ce  qu'elle  doit  faire  pour  plaire  à  son  mari.... 
»  Que  si  quelqu'un  croit  que  ce  soit  pour  lui  un 
))  déshonneur  f[u('  sa  fille  passe  la  fleur  de  son  âge 
w  sans  être  mariée,  et  qu'd  juge  la  devoir  marier, 
»  qu'il  fasse  ce  qu'il  voudra;  il  ne  péciiera  point  si 
»  elle  se  marie.  Celui  qui,  n'étant  engagé  par  au- 
y)  cune  nécessité,  et  qui  se  trouvant  dans  un  plein 
»  pouvoir  de  fane  ce  qu'il  voudra,  prend  une  ferme 
))  résolution  dans  son  cœur  et  juge  en  lui-même 
»  qu'il  doit  conserver  sa  fille  vierge  ,  fait  une  bonne 
»  œuvre.  Aio'^i  celui  qui  marie  sa  fille  fait  bien  ; 
))  celui  qui  ne  la  marie  pas  fait  encore  mieux  (i).  » 

J'ai  fait  cette  longue  citation ,  pour  que  le  lec- 
teur puisse  juger  par  lui-même  combien  une  telle 
doctrine  est  loin  de  celle  de  \ Evangile,  et  s'assurer 
que  les  apôtres,  lorsqu'ils  imposaient  des  obligations 
si  difficiles  à  tenir,  se  laissaient  plutôt  entraîner  par 
la  force  irrésistible  des  circonstances ,  que  par  les 
ordres  et  la  volonté  de  leur  divin  maître,  n  Je  n'ai 
»   point  reçu  de  commandement  du  Seigneur,»  dit 


(i)  Saint  Paul,  F*  Ep.  aux  Corinth.,  v.  iS  à  38. 


(  177  ) 
saint  Paul  lui-même  :  ce  n'est  qu'à  cause  des  néces- 
sités présentes,  propter  instantemnecessitatem^  que 
le  saint  apôtre  donne  des  conseils  si  peu  conformes 
à  V Evangile.  Il  arme  les  pères  d'une  terrible  auto- 
rité contre  leurs  propres  filles;  il  leur  fournit  des. 
prétextes  et  des  moyens  pour  s'en  défaire  facilement. 
On  pourrait  dire  qu'il  lance  un  mandat  d'amener 
pour  les  cachots  privilégiés  des  couvens. 

Si  les  hoznmes  raisonnaient,  ils  se  seraient  sans 
doute  aperçus  que  ces  conseils,  peut-être  nécessaires 
aux  progrès  du  christianisme  à  l'époque  de  son  ori- 
gine, dans  des  temps  de  tribulations,  de  persécutions 
et  de  misère,  ne  seraient  pas  applicables  à  des  temps 
de  puissance,  de  richesse  et  de  prospérité.  Rien  n'est 
aussi  difiicilo  que  de  distinguer  ce  qui  est  propre  à  des 
circonstances  différentes  :  le  fcxnaticnao,  lo  préjugé 
aveugle  et  téméraire  n'ont  pas  besoin  de  raisons  so- 
lides; des  prétextes  leur  suffisent. 

Cependant  jusqu'ici  le  mariage  n'a  été  impérati- 
vement défendu ,  ni  à  aucune  personne,  ni  à  aucune 
classe  de  personnes.  Saint  Paul,  après  avoir  rappelé 
les  paroles  de  la  Genèse ,  où  Dieu  a  indiqué  com- 
bien seraient  forts  les  liens  qui  attachéi'aient  l'homme 
à  la  femme,  et  celles  de  V Evangile ^  où  notre  divin 
rédempteur  retrempe,  pour  ainsi  dire,  ces  liens  sa- 
crés, avoue  que  le  mariage  est  un  grand  sacrement. 
La  correction,  ou  pour  mieux  dire,  la  restriction  qu'il 
se  hâte  de  faire  à  un  aveu  si  important,  ne  diminue 

13 


(  '7«  ) 
en  aucune  manière  la  force  d'une  vérité  si  bien  éta- 
blie. De  même  que  l'église  est  inséparable  de  Jésus- 
Christ,  et  Jésus-Christ  de  l'église  ,  de  même  l'homme 
est  inséparable  de  la  femme,  et  la  femme  de  l'homme. 
Ces  deux  unions  sont  également  indissolubles  (i). 

Saint  Paul  ne  pensait  pas  que  les  ordres  sacrés 
fussent  un  empêchement  dirimant  au  mariage.  «  Il 
»  faut  qu'un  évéque  soit  irrépréhensible,  qu'il  n'ait 
yy  épousé  qu  une  femme,  .  . .  Qu'il  gouverne  bien  sa 
y>  propre  famille,  et  qu'il  maintienne  ses  enfans  dans 
))  l'obéissance  et  dans  toute  sorte  d'honnêtetés.  » 
Et  plus  bas  :  «  Qu'on  prenne  pour  diacres  ceux  qui 
))  n'auront  épousé  qu'une  femme,  qui  gouvernent 
»  bien  leurs  enfans   et  leur    propre  famille  (2).  )> 

Le  saint  apôtre  n'impose  d'abandonner  leurs 
femmoc^   *^t  np  Aa?oxyà  Id  managc,  après  les  ordres, 


(i)  Le  mari  est  le  chef  de  la  femme ,  comme  Je'sus-Christ 

est  le  chef  de  l'e'glise Les  maris   doivent  aimer  leurs 

femmes  comme  lem*  propre  ,corps.  Celui  qui  aime  sa 
femme  s'aime  soi-même  ;  car  nul  ne  hait  sa  propre  chair  ; 
mais  il  la  noui'rit  et  l'entretient,  comme  Jésus-Christ  fait 
l'église...  C'est  pourquoi  l'iiomme  abandonnera  son  père 
et  sa  mère  pour  s'attacher  à  sa  femme ,  et  ils  deviendront 
une  même  chair.  Ce  sacrement  est  grand;  je  dis  en  Jésus- 
Christ  et  en  l'église.  (Saint  Paul,  aux  Ephés. ,  c.  III,  v.  aS 
à  32.  ) 

(2)  Oportet  episcopum  irreprehensibilem  esse,  unius  uxo- 
ris  virum...  Suae  domui  bene  praepositum,  filios  habentem 


(  Ï79  ) 
ni  aux  évêques,  ni  aqx  diacres;  d'oCi  l'on  doit  in- 
férer que  de  son  temps,  un  minisUe  des  autels  qui 
se  serait  marié  n'aurait  perdu  ni  sa  femme,  ni  son 
bénéfice,  ni  l'exercice  de  ses  fonctions.  L'ancienne 
loi  étant  toute  en  faveur  du  mariage,  et  V Evangile 
l'ayant  sanctifié  de  nouveau,  le  silence  des  apôtres 
doit  être  considéré  comme  l'effet  de  leur  soumis- 
sion aux  lois  existantes. 

Les  apôtres  se  bornèrent  doue  aussi  à  donner  des 
conseils  :  la  force  des  circonstances  les  dénatura.  La 
corruption  générale  poussait  les  honnêtes  gens  vers 
l'excès  contraire,  et  les  principes  d'une  philosophie 
fondée  sur  l'erreur  et  soutenue  par  le  délire  por- 
taient l'espèce  humaine  à  sa  ruine. 


subditos  cum  omni  castitate.  (  bamx  Faui ,  i-"  £:p.  à  Ti~ 
moih.,  c.  m,  V.  2,  40 

Dlaconi  sint  unius  uxoris  viri ,  qui  filiis  suis  bene  praesint 
et  suis  domibus.  (Saint  Paul,  V  Ép.  à  Timoih.,  c.  III, 
y.  J2.) 


12.. 


(   «80  ) 

CHAPITRE  m. 

Mépris   du  mariage. 

Des  louanges  pompeuses  données  à  la  virginité 
jusqu'au  mépris  du  mariage,  il  n'y  a  qu'un  pas.  Ne 
pourrait- on  pas  dire  que  lorsque  les  quatre  apôtres 
montraient  une  si  grande  complaisance  pour  un  état 
si  contraire  à  la  nature  de  l'homme  et  à  la  loi  du 
nouveau  et  de  V ancien  Testament^  ils  payaient  un 
tribut  nécessaire  à  l'erreur  dominante  qu'une  phi- 
losophie ténébreuse  avait  fait  naître,  et  que  la  cor- 
ruption des  mœurs  pt  ^-^  misère  générale  avaient 
développée  et  étendue?  La  doctrine  des  deux  prin- 
cipes, qui  se  généralisait  tous  les  jours  de  plus  en 
plus,  devait  finir  par  amener  un  pareil  résultat.  Elle 
n'était  pas  étrangère  à  saint  Paul.  Lisez  le  huitième 
chapitre  de  VEpître  aux  Bomains  (  i  )  ?  ^^  second  de 


(i)  Ceux  qui  vivent  selon  la  chair  sont  posse'de's  de  l'a- 
mour des  choses  de  la  chair  ;  ceux  qui  vivent  selon  l'esprit 
sont  posséde's  de  l'amour  des  choses  de  l'esprit.  Or  cet 
amour  des  choses  de  la  chair  est  la  mort  de  yâme ,  au  lieu 
que  l'amour  des  choses  de  l'esprit  en  est  la  vie  et  la  paix. 
Car  cet  amour  des  choses  de  la  chair  est  ennemi  de  Dieu, 


(  .8.  ) 

la  première  aux  Corinthiens;  le  cinquième  de  VÈpî- 
tre  aux  Galates,  et  vous  en  serez  convaincu.  Cette 
lutte  perpétuelle  de  l'esprit  et  de  la  chair,  cet  amour 
de  la  chair  qui  est  désagréable  à  Dieu  et  qui  tue,  et 
cet  amour  de  l'esprit  qui  plaît  à  Dieu  et  qui  vivi- 
fie, quel  sens  peuvent-ils  recevoir,  si  on  ne  les  in- 
terprète pas  par  la  doctrine  des  deux  principes  ? 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  doctrine  de  saint  Paul ,  il 
est  de  fait  que  les  raisons  de  spiritualité  qui  avaient 
fait  conseiller  le  célibat,  ont,  par  une  conséquence 


parce  qu'il  n'est  point  soumis  à  la  loi  de  Dieu  et  ne  peut 
pas  l'être.  Ceux  donc  qui  vivent  selon  la  chair  ne  peuvent 
plaire  à  Dieu...  Si  vous  vivez  selon  la  chair,  vous  mourrez; 
mais  si  vous  faltoc  mourir  par  l'esprit  les  passions  de  la 
chair,  vous  vivrez.  (Saint  Paul,  JÈ^.  ««^  Rom.,  <..  VIII.) 

L'iiomme,  animal  et  charnel,  n'est  point  capable  des 
choses  qu'enseigne  l'esprit  de  Dieu...  Mais  l'homme  spiri- 
tuel juge  de  tout  et  n'est  juge'  de  personne.  (P*  Èp.  aux 
Corinth.,  c.  II,  v.  i4-) 

Conduisez-vous  selon  l'esprit  et  vous  n'accomplirez  point 
les  désirs  de  la  chair-,  car  la  chair  a  des  désirs  contraires  à 
ceux  de  l'esprit,  et  l'esprit  en  a  de  contraires  à  ceux  de  la 
chair,  et  ils  sont  opposés  l'un  à  l'autre;  de  sorte  que  vous 
ne  faites  pas  les  choses  que  vous  voudriez...  Les  œuvres 
de  la  chair  sont  la  fornication,  l'impureté,  Timpudicité, 
la  dissolution...  Les  fruits  de  l'esprit  au  contraire  soHt  la 
charité,  la  joie,  la  paix  ,.  Ceux  qui  sont  à  Jésus-Cbrist 
ont  crucifié  leur  chair  avec  ses  passions  et  ses  désirs  déréglés. 
(Saint  Paul,  Èp.  aux  Gai.,  c.  V.) 


(  '83  ) 
inévitable ,  jeté  de  la  défaveur  sur  le  mariage.  En 
effet,  beaucoup  de  fidèles  ne  tardèrent  pas  à  re- 
garder comme  un  crime  toute  union  des  sexes.  La 
secte  des  encratites  ou  continens  (i),  qui  traitaient 
le  mariage  de  débauche,  était  déjà  nombreuse  en 
171.  Ces  principes  prirent  un  tel  développement 
et  firent  des  progrès  si  rapides,  que,  pour  en  para- 
lyser l'action  ,  les  pères  de  l'église  se  trouvèrent 
obligés  de  relever  la  sainteté  du  mariage  j)ar  la 
puissance  de  leur  ascendant  et  par  la  force  d'un 
raisonnement  vigoureux.  Saint  Clément  d'Alexan- 
drie entra  l'un  des  premiers  dans  l'arène  ,  et  com- 
battit avec  courage  des  principes  si  funestes. 

Les  conciles  eux-mêmes  crurent  le  danger  si  im- 
minent ,  qu'ils  lancèrent  les  r^d^utaLles  foudres  de 
l'églibe  uuiiiic  ceux  qui  soutenaient  une  doctrine  si 
absurde.  La  doctrine  de  Manès  roulait  principale- 
ment sur  ces  deux  principes  :  la  chair  était  l'œuvre 
du  mauvais,  et  il  ne  fallait  pas  la  multiplier.  Il  n'y 
avait  qu'une  petite  difficulté  à  résoudre  :  trouver 
le  moyen  d'augmenter  les  esprits  sans  augmenter 
la  chair.  Manès  et  ses  sectateurs ,  Priscillien  et  ses 
disciples,  soutinrent  dans  tous  ses  principes  et  dans 


(i)  Encradles  ou  continens.  C'est  le  nom  sous  lequel  se 
de'guisaient  les  manichéens,  parce  que,  comme  ces  anciens 
sectaires,  les  mêmes  que  les  esse'niens,  ils  condamnaient  le 
mariage. 


(  i83  ) 
loules  ses  conséquences  ,  une  théorie  si  désastreuse 
pour  la  religion  et  pour  la  société.  Le  concile  de 
Brague,  de  563,  anathématise,  dans  le  onzième  ca- 
pitule, tous  ceux  qui  condamnent  le  mariage  et  la 
généaation  ,  comme  les  manichéens  et  les  priscillia- 
nistes  •  il  anathématise,  dans  le  douzième,  tous  ceux 
qui  disent  que  le  corps  est  l'œuvre  du  diable;  et  dans 
le  quatorzième,  ceux  qui  regardent  comme  impure  la 
viande  des  animaux,  et  qui  refusent  de  manger 
les  herbages  qui  ont  été  cuits  dans  le  bouillon. 

On  voit,  par  la  douzième  lettre  Aq  Léon  IV,  que 
les  maximes  des  pharisiens  contre  la  résurrection 
étaient  en  grande  vogue  dans  l'Europe,  vers  le 
milieu  du  IX^  siècle.  Ce  pontife  s'élève  avec  une 
grande  force  contre  l'opinion  de  ceux  qui  croyaient 
que  le  corps  était  l'œuvre  du  diable,  et  qu'ainsi  on 
ne  [)OUvait  croire  qu'il  se  recomposait  une  autre  fois 
après  la  mort. 

Dans  un  concile,  peut-être  supposé  ,  mais  que  des 
historiens  ont  regardé  comme  l'ouvrage  des  apôtres, 
il  est  porté  au  cinquantième  canon  :  ce  Tout  prêtre , 
1)  diacre ,  ou  évêque ,  qui  s'abstient  de  se  marier  , 
))  non  pour  s'exercer  à  une  vertu  plus  parfaite,  mais 
»  par  horreur  pour  le  mariage  ,  oubliant  que  tout 
»  est  bien  ,  et  que  Dieu  a  créé  l'homme  et  la  femme, 
y>  et  calomniant ,  par  un  terrible  blasphème ,  la 
»  génération,  qu'il  se  corrige,  ou  qu'il  soit  déposé 
))  et  chassé  de  l'église.  » 


(   >84) 

Et  qu'on  n'aille  pas  croire  qu'une  erreur  si  hon- 
teuse n  ait  eu  qu'une  existence  passagère  :  un  con- 
cile tenu  en  ïo5o  ,  et  composé  d'un  grand  nombre 
de  prélats  de  France ,  déclare  qu'il  poursuivra  jus- 
qu  à  la  dernière  extrémité ,  se  mettant  lui-même  à 
la  tête  des  armées  en  habits  pontificaux ,  le  fameux 
Béranger,  qui  condamnait  le  mariage  légitime. 

lie  concile  de  Toulouse ,  du  i3  juiniiig,  con- 
damne à  être  chassés  de  l'église  tous  ceux  qui*  dé- 
clament contre  le  mariage  légitime ,  et  ordonne 
qu'ils  soient  réprimés  par  les  puissances  séculières. 
On  voit  déjà  les  germes  de  l'inquisition. 

Une  suite  naturelle  de  la  défaveur  jetée  sur  le 
mariage,  se  retrouve  dans  les  abstinences  que  les 
époux  s'imposaient  aux  jours  solennels  de  fête  et  de 
jeûne;  d'où  est  restée  1»  défense  de  célébrer  les  noces 
en  certain  temps  de  l'année  (i). 

Ai-je  besoin  d'ajouter  que  de  tels  principes  étaient 
souverainement  favorables  à  l'établissement  du  cé- 
libat légal?  L'ignorance  et  le  fanatisme  qui  régnaient 
en  Europe  lorsque  la  religion  chrétienne  vint  nous 
dessiller  les  yeux  ,  ne  devaient-ils  pas  exercer  un 
empire  absolu  sur  l'esprit  des  princes  et  des  légis^- 
lateurs ,  aussi  bien  que  sur  celui  des  sujets?  11  n'y 
eut  d'abord  que  de  la  bonne  foi  :  la  politique  et  la 
ruse  vinrent  plus  tard  achever  l'oeuvre  de  l'erreur., 

(x)  Fleuryj  Mœurs  des  chrétiens. 


(  >85) 

V\«VV«VV%VVVVVVVV\VV«VV«lrVVVVVVVVVVVVVVVV\VVV>A/VA^VV\VV»VVVVVVVVVVVVVVVVV\V\VVVVVVVVVVWV«VV 

CHAPITRE  IV. 

Insouciance  d'avoir  des  enfans  ;  tiédeur  pour  ceux 
quon  avait. 

Toutes  les  passions  fortes  ,  tous  les  genres  de 
fanatisme,  peuvent  affaiblir  pendant  quelque  temps 
l'action  des  lois  de  la  nature.  Un  homme  s'est-il 
adonné  tout  entier  aux  plaisirs  des  sens?  il  évitera 
soigneusement  tout  ce  qui  pourrait  le  troubler,  tout 
ce  qui  pourrait  le  gêner  :  il  ne  voudra  pas  avoir  une 
femme  légitime  ,  parce  qu'oUe  n'approuverait  pas  ses 
profusions  et  ses  dérèglemens  j  il  ne  voudra  pas  avoir 
de  fils,  parce  que  leur  entretien,  leur  éducation, 
leur  avenir,  seraient  un  obstacle  à  ses  folles  jouis- 
sances. L'amour,  ou  des  projets  ambitieux  le  forcent- 
ils  à  serrer  un  nœud  indissoluble?  il  fera  aussitôt  tout 
ce  qui  dépend  de  lui  pour  en  arrêter   les   fâcheux 

effets.  Lui  naît-il  des  enfans?  il  les  néglige  ,  il  sou- 
ri o    ' 

haite  leur  mort,  il  les  expose,  il  les  abandonne  à 
la  pitié  du  public. 

Une  piété  outrée  et  mal  entendue  peut  produire 
des  effets  semblables.  Un  homme  qui  ne  rqettrait 
aucun  prix  à  la  vie  présente,  qui  la  regarderait  comme 


(  ^Ô6  ) 
un  temps  d'épreuve,  d'où  doit  dépendre  son  bonheur 
dans  l'éternité  ;  qui  attacherait  son  salut  à  des  pra- 
tiques et  à  des  exercices  religieux  qui  exigeraient 
l'emploi  de  tous  ses  momens;  qui  croirait  devoir  se 
refuser  le  moindre  plaisir,  mortifier  sa  chair,  et  dis- 
tribuer tous  ses  biens  aux  pauvres;  un  tel  homme  au- 
rait trop  de  motifs  pour  s'éloigner  des  embarras  du 
mariage  et  de  tout  ce  qui  viendrait  le  détourner  des 
devoirs  de  la  religion.  S'il  avait  une  femme,  il  ne  la 
maltraiterait  point,  mais  il  la  négligerait;  la  prière 
et  les  cérémonies  de  l'église  l'occuperaient  beaucoup 
plus  que  les  soins  de  son  ménage.  S'il  avait  des  en- 
fans,  il  ne  les  laisserait  sans  doute  manquer  de  rien, 
mais  il  ne  prendrait  pas  leurs  intérêts  avec  cette  cha- 
leur qui  seule  fait  prospérer  les  affaires;  il  demande- 
rait, peut-être  leur  mort  au  ciel ,  non  pas  dans  de 
mauvaises  intentions,  mais  par  un  excès  de  piété  et 
de  zèle  pour  leur  bonheur ,  s'ils  mouraient  dans 
l'enfance,  leur  salut  serait  assuré!  s'ils  traversaient 
tous  les  orages  de  la  vie ,  ils  seraient  sujets  à  se 
perdre!  Le  jour  où  la  tombe  s'ouvre  pour  le  dernier 
membre  de  sa  famille ,  est  en  quelque  sorte  pour 
lui  un  jour  de  joie  et  d'actions  de  grâces  à  la  divi- 
nité ! 

Ces  idées,  que  j'expose  ici  d'une  manière  abstraite, 
et  en  suivant  les  inductions  d'une  théorie  qu'on  pour- 
rait croire  chimérique ,  dans  l'origine  du  christia- 
nisme ,  ont  dirigé  la  conduite  d'un  nombre  immense 


(  >87) 
de  fidèles.  Plusieurs  pères  de  l'église,  et  surtout  Ter- 
tullien  (i),  nous  l'assurent  positivement.  Le  bon 
Fleury,  qui  a  presque  toujours  sacrifié  l'esprit  de 
corps  à  l'amour  de  la  vérité ,  le  dit  aussi  sans  dé- 
tour (2). 

Montaigne  rapporte  aussi  un  fait  qu'il  appuie  des 
écrivains  de  l'antiquité  :  «  Hilaire ,  évèque  de  Poi- 
»  tiers,  le  grand  ennemi  de  l'hérésie  arienne,  étant 
»  en  Syrie,  fut  averti  qu'Abra,  sa  fille  unique,  qu'il 
»  avait  laissée  avec  sa  femme  ,  était  poursuivie  en 
»  mariage  par  les  plus  apparens  seigneurs  du  pays. 
»  Il  lui  répondit  d'ôter  son  affection  de  tous  ces  plai- 
))  sirs  ;  qu'il  lui  avait  trouvé  dans  son  voyage  un  parti 

»  bien  plus  grand  et  bien  plus  digne Et  il  de- 

»  mandait,  dàne  sps  prières  au  Seigneur,  la  mort 
))  d'Abra,  comme  le  moyen  le  plus  eùr  de  la  rendre 
»  heureuse.  Elle  mourut  après  son  retour  ,  et  il  en 
y>  montra  une  grande  joie  (3).  » 

Une  société  où  de  tels  sentimens  seraient  com- 
muns aurait-elle  assez  de  puissance  par  l'énergie, 
par  l'activité  et  par  le  zèle  de  ses  membres?  Aurait- 
elle  un  grand  nombre  de  défenseurs  ?  La  vertu  pour- 
rait-elle s'y  conserver  long-temps  ?  Le  célibat  s'y 
introduirait- il    difficilement?  Si  l'Europe  eût  tou- 


(i)  Tertul. ,  I  ad  uxor. ,  c.  V. 

(2)  Mœurs  des  chrétiens. 

(3)  Montaigne,  liv.  I,  c.  33. 


(   «88  ) 
jours  conservé  quelques-unes  des  maximes  que  la  re- 
ligion chréliennc  avait  enseignées  dans  les  premiers 
siècles  de  son  existence,  elle  ne  serait  jamais  par- 
venue à  obtenir  sa  grande  population. 

V\^WV>IVV\V\^VV\VVVi^(VVVVlVVVVVVVVVVVVVVt\AVVVVVVWVVV\\VV\VVbVVVVV\VVVVV\VV^VVVVVVVV\VMVVVVV 

CHAPITRE  V. 
Des  eunuques. 

Mêmes  préjugés,  mêmes  inconvéniens.  Quiconque 
a  été  assez  téméraire  pour  s'imposer  une  continence 
parfaite  ,  dans  quelque  religion  qu'il  se  soit  trouvé, 
a  du  sentir  des  peines  cuisantes ,  et  tenter  de  s'y 
soustraire  sans  violer  In  loi  à  laquelle  il  attachait  son 
salut. 

Les  prêtres  d'Isis  et  ceux  de  Cybèle  avaient  frayé 
le  chemin  aux  ministres  du  Christ.  Les  premiers 
exemples  d'une  barbarie  si  mesquine  et  si  absurde 
furent  donnés  sur  la  terre  classique  de  la  religion , 
dans  ces  contrées  qui  avaient  été  déjà  témoins 
de  sacrifices  du  même  genre.  Ce  ne  fut  pas  sans 
doute  sous  l'intluence  des  lois  de  Moïse  que  l'on 
commit  ce  crime  de  lèse-nature  et  de  lèse-humanité, 
mais  sous  celle  des  esséniens  et  des  thérapeutes  , 
dont  la  religion  chrétienne  puisa  dès  son  berceau  les 
maximes  et  les  principes. 


(  '89) 

Une  foule  de  personnes  obscures  avaient  déjà  pra- 
tiqué sur  elles-mêmes  une  opération  si  insensée. 
L'exemple  le  plus  frappant,  celui  qui  excita  le  plus, 
d'un  côté ,  le  zèle  des  dévots ,  et  de  l'autre ,  l'at- 
tention des  magistrats  et  des  ministres  de  l'église , 
fut  celui  que  donna,  en  206,  le  célèbre  Origène.  Il 
avait  été  cbargé,  par  l'école  d'Alexandrie,  de  l'ins- 
truction des  catliécumènes  ;  il  était  jeune ,  doué 
d'une  imagination  ardente  et  d'un  tempérament 
fougueux  ;  il  enseignait  les  principes  de  la  foi  à  de 
jeunes  demoiselles  pleines  de  charmes;  il  les  voyait, 
il  leur  parlait,  il  entendait  leurs  voix  enchante- 
resses, et  un  feu  dévorant  s'allumait  dans  ses  veines.... 
11  ne  crut  pouvoir  conserver  une  continence  rigou- 
reuse ,  qu'en  se  privant  de  l'organe  qui  le  mettait  en 
danger. 

Et  en  vérité ,  le  raisonnement  d'Origène ,  et  de 
tous  ceux  dont  il  avait  suivi  l'exemple ,  ou  qui  sui- 
virent le  sien ,  était  plus  conséquent  et  plus  juste 
que  celui  des  hommes  qui  voulaient  en  même  temps 
conserver  leur  organe  et  en  paralyser  l'action.  Les 
premiers  éteignaient  le  feu  pour  n'en  être  pas  brûlés; 
les  seconds  le  nourrissaient,  l'augmentaient  même 
tous  les  jours,  et  prétendaient  en  vaincre  les  effets. 

Cette  maladie  fit  des  progrès  si  alarmans  ,  que 
tous  les  pouvoirs  de  la  société  crurent  devoir  lui  op- 
poser la  force  des  lois.  Le  vingt-unième  canon  du 
concile  attribué  aux  apôtres  défend  d'admettre  dans 


(  Ï90  ) 
le  clergé  quiconque  s'est  mutilé  lui-même,  parce 
que,  y  est-il  dit,  celui-là  est  un  suicide  et  un  en- 
nemi de  la  génération.  Le  vingt- deuxième  canon 
condamne,  pour  le  même  motif,  à  la  déposition  ,  à 
la  perle  de  l'ordre  et  du  bénéfice,  tout  ecclésiastique 
qui  se  sera  mutilé. 

On  pourrait  presque  dire  que  le  concile  de  INicée 
s'était  assemblé  principalement  dans  le  but  de  trou- 
ver un  remède  à  cette  singulière  maladie.  Son  pre- 
mier canon  est  conçu  en  ces  termes  :  «  Si  quelqu'un 
))  a  été  mutilé  par  les  médecins,  à  cause  de  ma- 
»  ladie  ,  ou  par  les  barbares,  il  pourra  rester  dans 
»  le  clergé;  mais  quiconque,  se  portant  bien,  se  sera 
»  mutilé  lui-même,  s'il  est  clerc  ,  doit  s'abstenir  des 
»  fonctions  de  son  ordre  ;  s'il  ne  l'est  pas ,  ne  doit 
»  pas  prétendre  de  le  devenir.  » 

Cette  maladie  contagieuse  fut  importée  en  France 
avec  la  religion  chrétienne  et  les  erreurs  qui  mar- 
chaient à  sa  suite.  Le  concile  d'Arles,  de  45*2,  porte, 
dans  son  septième  canon  :  a  Ceux  qui  se  mutilent , 
»  ne  sachant  pas  résister  autrement  aux  tentations 
))  de  la  chair,  ne  peuvent  pas  être  admis  à  la  dignité 
y)  de  la  cléricalure.  » 

Un  concile  de  Genève ,  tenu  sous  les  yeux  de 
Charlemagne  lui-même  ,  porte  ,  vingt-unième  ca- 
T)  non  :  ((  Celui  que  l'on  a  fait  eunuque  de  force 
»  peut  être  nommé  évêque.  Tout  clerc  qui  se  mu- 
y>  tilera  sera  dépouillé  de  ses  fonctions.  »  Et  vingt- 


(   'O-   ) 
))  deuxième  canon  :  «Tout  laïque  qui  se  mutile  sera 
excommunié  pendant  trois  ans.  » 

Ces  canons  et  nombre  d'autres  ,  qu'il  serait  trop 
long  de  citer ,  font  voir  que  la  manie  de  se  dépouiller 
de  la  virilité  s'est  étendue  sur  un  très  vaste  espace, 
et  a  duré  un  temps  très  long.  Une  nation  ne  copie 
les  lois  d'une  autre  et  ne  les  adopte  qu'avec  une 
espèce  de  fanatisme.  Voilà  l'un  des  inconvéniens  du 
célibat,  ou,  pour  mieux  dire,  du  préjugé  qui  a  établi 
le  célibat. 

CHAPITRE  YI. 
Dos  i)euves. 

Presque  tous  les  peuples  ont  marqué  du  sceau  de 
leur  réprobation  le  mariage  des  veuves.  Moïse  avait 
défendu  au  grand-prêtre  de  se  marier  avec  de  telles 
femmes,  et  les  avait  presque  mises  au  même  rang 
que  les  plus  infâmes  prostituées  (i). 

Des  voyageurs  ont  rapporté  que  chez  les  Cafres 
et  chez  les  Hottentols  une  veuve  est  obligée  de  se 
couper  un  doigt,  chaque  fois  qu'elle  se  remarie.  Sur 


(i)  Virginem  ducet  uxorem.  Viduam  aulem  et  repudia- 
tam  ,  et  sordidam  ,  atque  meretricem  non  accipiet ,  sed 
puellam  de  populo  suo.  [Lév.,  c.  XXI,  v.  i3,  i4-) 


(  «92  ) 
les  côtes  de  Ciimana  avant  fie  brûler  le  corps  d'un 
mari  défunt,  on  lui  coupe  la  tête,  et  on  la  porte 
à  sa  femme,  qui  jure,  la  main  sur  cette  relique, 
qu'elle  ne  prendra  pas  d'autre  époux.  Dans  le 
royaume  de  Bénin,  une  veuve  qui  est  mère  d'un  gar- 
çon ne  peut  s'y  marier  sans  la  permission  de  son 
fils,  dont,  après  la  mort  de  son  mari,  elle  est  deve- 
nue la  servante.  Celui  qui  la  demande  en  mariage 
ne  saurait  l'obtenir,  qu'il  ne  s'engage  à  fournir  une 
femme  au  jeune  orphelin.  Dans  le  royaume  de  Gol- 
conde,  il  est  défendu  aune  veuve  de  se  remarier; 
elle  doit  rentrer  dans  le  sein  de  sa  famille,  et  s'y 
livrer  aux  fonctions  les  plus  dures  et  les  plus  hu- 
miliantes. Au  Malabar,  c'est  encore  un  point  de  re- 
ligion pour  une  femme  de  se  brûler  sur  le  même  bû- 
cher qui  a  consume  les  restes  de  son  mari.  D'après 
une  loi  de  Théodoric,  roi  des  Ostrogoths,  une  veuve 
ne  pouvait  se  remarier,  et  l'homme  qui  était  con- 
vaincu d'avoir  entretenu  avec  elle  un  commerce 
charnel  était  brûlé.  Dans  les  beaux  temps  de  la 
république  romaine,  une  veuve  qui  se  remariait 
était  à  peu  près  perdue  de  réputation. 

Quelle  est  la  raison  de  ce  préjugé?  N'aurait-il 
pas  son  fondement  dans  l'amour-propre  et  dans 
la  jalousie  qui  animent  l'homme  jusque  même  au 
fond  de  la  tombe  ?  Chaque  mari  serait  bien  aise 
d'emporter  en  mourant  la  douce  satisfaction  que 
sa  femme  ne  lui  donnera  pas  un  successeur.  L'idée 


(  '93  ) 

d'une  lubricité  sans  fin  paraît  aussi  s'al tacher  à  un 
second  mariage.  Dans  ce  cas,  pourquoi  l'iiomme  est- 
il  e'pargné  presque  partout  ?  parce  qu'il  s'est  ren- 
du le  maître  de  certain  préjugés. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  fondement  de  ce  préjugé,  il 
est  constant  que  la  religion  chrétienne  l'a  adopté 
et  singulièrement  étendu.  Aux  premiers  siècles  de 
l'église,  les  secondes  noces  n'étaient  que  tolérées, 
et  plusieurs  d'entre  les  saints  pères  les  regardaient 
comme  une  fornication,  que  l'on  souffrait,  mais 
que  l'on  ne  permettait  pas  (i).  Nous  voyons  dans 
les  actes  des  Apôtres^  chapitre  VI,  verset  i^"",  que 
les  veuves  chrétiennes  n'étaient  pas  traitées  à  l'égal 
des  autres  fidèles  dans  la  dispensa tion  des  aumônes 
journalières.  Saint  Paul  lui-même  avait  déjà  té- 
moigné le  peu  de  cas  qu'il  faisait  du  mariage  des 
veuves.  Quoiqu'il  déclare  (  première  Epître  aux  Co- 
rinthiens) qu'une  veuve^  après  la  mort  de  son  niari^ 

(i)  Cependant  les  Hébreux  avaient  conservé  assez  long- 
temps un  usage  qui  n'était  sans  doute  plus  généralement 
observé  alors,  mais  qui  existait  probablement  encore.  Lors- 
qu'une femme  restait  veuve  sans  enfans,  le  frère  de  son 
mari  devait  l'épouser,  et  le  fils  qui  provenait  de  ce  second 
mariage  héritait  de  tous  les  biens  du  défunt.  Si  le  frère 
refusait  d'épouser  sa  belle-sœur  et  ne  donnait  pas  aux  an- 
ciens une  raison  valable  de  son  refus,  la  veuve  lui  détachait 
un  soulier,  lui  crachait  au  visage  et  devenait  libre  de  se 
marier  à  qui  bon  lui  semblait. 

i3 


(  '94  ) 
peut   licitement   contracter    un    nouveau   mariase  : 

•  O        7 

quoif|u'il  avoue  (preaiière  lettre  à  Timothée)  qu'il 
aime  mieux  que  les  jeunes  veuves  se  marient,  par 
la  raison  qu'elles  sont  déjà  ajnollies,  et  trop  por- 
tées aux  plaisirs  des  sens,  cependant  il  fait  l'éloge 
le  plus  flatteur  de  celles  qui  savent  persévérer  dans 
leur  veuvage  :  il  dit  que  les  veuves  qui  vivent  dans 
les  plaisirs  sont  mortes  tout  en  paraissant  vivantes, 
qu'elles  seront  bien  plus  heureuses,  si  elles  demeu- 
rent dans  l'étal  où  les  ont  laissées  leurs  maris;  il 
le  leur  conseille,  et  invite  les  vrais  fidèles  à  les  en- 
gager d'y  rester.  11  indique  en  même  temps  l'exis- 
tence de  quelques  établissemens  publics  où  ces  fem- 
mes étaient  entretenues  aux  frais  de  tous  les  chré- 
tiens. 

Ces  avantages  une  fois  assurés ,  l'apôtre  aura 
beau  prescrire  qu'on  n'admette  dans  le  collège  des 
veuves  que  des  femmes  déjà  parvenues  à  leur  soixan- 
tième année  .  elles  trouveront  le  moyen  d'y  entrer 
à  quarante,  à  trente,  à  un  âge  même  moins  avancé. 
Elles  le  feront,  quand  ce  ne  serait  que  pour  se 
soustraire  à  la  force  du  préjugé  que  l'on  établit 
contre  elles.  Les  conciles  des  siècles  futurs  ne  se- 
ront pas  toujours  fidèles  aux  principes  des  apôtres 
et  de  V Evangile. 

Un  erand  nombre  de  conciles  ont  défendu  de 
conférer  les  ordres  à  tout  individu  qui  aurait  épousé 
une    veuve.    On   peut    voir  celui  de  Latran  tenu 


(  '95  ) 
SOUS  le  pape  Hilaire,  environ  vers  4^3  j  celui  de 
Tours  de  4^6,  et  celui  d'Agde  de  5o6.  Le  concile 
de  Cartilage  de  SyS ,  et  celui  d'Orléans  de  54 1, 
menacent  de  suspension  tout  évoque  qui  aura 
promu  aux  ordresles  maris  des  veuves.  Le  concile  de 
Paris,  de  6 1 5,  foudroie  l'excommunication  contre  les 
veuves  qui  abandonnent  l'habitreligieux  et  se  marient. 
Le  concile  de  Worms  de  868,  au  vingt-unième  ca- 
non ,  condamne  à  de  rigoureuses  pénitences  les  veu- 
ves qui  auront  commis  une  fornication,  et  défend 
de  les  chasser  pour  cela  du  monastère.  Léon  lY, 
dans  une  lettre  de  44^?  ^^^  chapitre  II,  ordonne 
que  l'on  dépose  les  ecclésiastiques  qui  auront  épousé 
une  veuve.  Grégoire  VU  ordonne  à  Rainiéri , 
évêque  de  Florence,  de  priver  une  veuve  qui  s'était 
mariée  avec  un  de  ses  propres  parens,  de  la  dot 
et  de  tous  les  biens  qui  lui  avaient  été  laissés  par 
son  premier  mari. 

Le  concile  de  Tolède,  de  683,  défend  aux  veuves 
des  rois  de  se  remarier;  et  celui  de  Sarragosse, 
de  691 ,  leur  ordonne  de  prendre  l'habit  de  re- 
ligieuses pour  toute  la  vie,  par  la  raison  qu'elles 
étaient  obligées  de  donner  le  bon  exemple,  et  que 
dans  le  monde  elles  étaient  exposées  à  recevoir  des 
insultes. 

Les  Grecs  avaient  montré  aussi  beaucoup  de  sévé- 
rité contre  le  mariage  des  veuves.  Un  concile  de 
Constantinople,  de  920^  a  défendu  les    quatrièmes 

i3.. 


(  '96) 
noces,  et  assujetti  les  cinquièmes  à  de  rigoureuses 
pénitences.  Le  chapitre  XX  des  constitutions  d'In- 
nocent IV  peut  faire  croire  que  tout  raaria<^e  de 
veuves  était  condamné  dans  l'église  d'Orient.  Le 
Souverain  pontife  ne  pense  pas  de  même;  il  croit 
qu'elles  peuvent  se  remarier  une  seconde,  une  troi- 
sième, enfin  autant  de  fois  que  cela  leur  fait  plai- 
sir, et  il  cite  les  paroles  de  l'apôtre. 

Le  second  mariage  des  hommes  avait  aussi  en- 
couru l'indignation  des  conciles  et  des  pontifes.  La 
rigueur  contre  eux  n'était  pas  aussi  grande  que 
celle  dont  on  usait  envers  les  femmes  ;  cependant 
on  leur  avait  interdit  les  bénéfices  ecclésiastiques.  Ils 
étaient  assimilés  aux  veuves  ,  et  on  leur  donnait  le 
nom  spécieux  de  bigames  ,  deux  fois  mariés,  comme 
s'ils  eussent  eu  deux  femmes  à  la  fois.  Les  conci- 
les dans  l'église  latine  n'avaient  imaginé  aucune  pu- 
nition contre  les  trigames  et  les   tetragames. 

Le  concile  de  Tolède,  tenu  en  4*^^ ,  porte, 
capit.  llï  :  «  Tout  lecteur,  s'il  épouse  une  veuve, 
»  sera  toujours  lecteur,  au  plus  sous-diacre.  »  Il 
paraît  que  dans  ce  temps-là  le  sous-diaconat  n'était 
pas  encore  un   ordre  sacré. 

Peu  s'en  est  fallu  qu'on  n'ait  fait  du  veuvage  un 
empêchement  dirimant.  Le  huitième  canon  du  con- 
cile de  Trosly,  tenu  en  909  ,  défend  d'épouser 
une  veuve,  et  déclare  que  ce  ne  peut  pas  être  un 
vrai   et  légitime  mariage. 


(  ^97  ) 

Tout  homme  qui  épousait  une  veuve  était  aussi 
traité  de  bigame.  On  devait  expliquer  cet  étrange 
phénomène  par  les  paroles  de  l'écriture,  et  erunt 
duo  in  carne  una.  La  bigamie  de  la  femme  s'at- 
tachait  à  l'homme  qui  ne  composait  plus  qu'un 
être  identique  avec  elle.  Voilà  ce  que  c'est  que 
la  ressource  d'un  livre  unique,  où  tout  se  trouve, 
par  lequel  tout  s'explique  et  se  juge. 

Je  ne  citerai  point  tous  les  conciles  qui  se  rappor- 
tent aux  bigames  et  aux  polygames  ;  il  y  aurait  trop 
à  faire.  Au  reste,  ceux  qui  traitent  des  veuves,  trai- 
tent aussi  des  veufs  ou  bigames. 

On  voit  toujours  l'application  du  même  principe. 
Un  spiritualisme  outré  se  montre  dans  toutes  les  dé- 
cisions de  l'église.  Il  faut  dégager  l'âme  des  liens  du 
corps  j  il  faut  exercer  la  première  à  la  contempla- 
tion des  attributs  de  Dieu,  et  mortifier  le  dernier 
par  la  continence  la  plus  parfaite.  Voilà  des  rêves  ; 
mais  ils  ont  causé  et  causent  encore  des  maux  trop 
réels  à  la  société. 


(  '98  ) 

*VV^A'VvVVV\iVVVVVVVVVVVVVVV>VVVVVVVVVVVVVV\VV\)VV\l»A/VVV*VVVV\*VV^VVVVVVV^ 

CHAPITRE  VIL 

Des  vierges  et  des  moines. 

Je  traiterai,  dans  un  chapitre  unique,  des  lois 
relatives  au  célibat  des  vierges  et  à  celui  des 
moines  :  après  avoir  eu  à  peu  près  la  même  ori- 
gine, elles  ont  présenté  à  peu  près  les  mêmes  ré- 
volutions. 

Le  penchant  au  célibat  était  dans  les  circons- 
tances et  dans  l'esprit  de  la  religion  chrétienne, 
et  fut  merveilleusement  secondé.  Il  s'avança  avec 
une  rapidité  étonnante,  et  donna  les  fruits  amers 
qu'il  ne  pouvait  manquer  de  produire. 

Les  persécutions  auxquelles  furent  en  butte  les 
premiers  chrétiens,  les  obligèrent  à  s'éloigner  du 
monde,  à  se  retirer  dans  les  déserts,  et  à  y  vivre 
dans  un  isolement  absolu. 

Les  disciples  de  saint  Marc  se  renfermèrent,  sui- 
vant les  historiens  de  l'église ,  dans  des  maisons  par- 
ticulières, à  quelque  dislance  d'Alexandrie,  y  vé- 
curent en  communauté,  et  donnèrent  l'exemple 
des  premiers  couvens  du  christianisme.  Us  durent 
s'établir  à  peu  près  sur  le  même  pied  gue  les  thé- 


(  «99  ) 
rapeules ,   dont  le  nombre   était   fort   considérable 
aux  environs  de  cette  ville  (i). 

Saint  Paul  l'hermite ,  saint  Hilarion  et  saint  An- 
toine s'enfoncèrent  plus  avant  dans  les  immenses 
solitudes  de  l'Egypte.  Ils  j  trouvèrent  ou  y  atti- 
rèrent après  eux  une  grande  foule  de  personnes 
que  les  mêmes  besoins  et  les  mêmes  désirs  con- 
traignaient à  fuir  la  société  :  ils  les  unirent,  les 
organisèrent,  les  soumirent  à  une  règle  commune 
et  en  augmentèrent  le  nombre  au  point  que  les 
villes  de  l'Afrique,  de  l'Asie  et  de  la  Grèce  en 
furent  bientôt  inondées. 

Ces  moines  renonçaient  ordinairement  au  ma- 
riage, comme  les  thérapeutes:  pourtant  ils  n'en 
faisaient  pas  une  profession  expresse,  et  il  leur 
était  facile  de  rentrer  dans  le  monde.  11  paraît  même 
que  les  pères  de  famille  renfermaient  pendant  quel- 
ques années  leurs  fils  dans  les  monastères ,  afin 
qu'ils  s'y  perfectionnassent  dans  l'exercice  des  ver- 
tus chrétiennes  (2).  Saint  Chrysostôme  y  demeura 
cinq  ans.  Cet  usage  montre  qu'à  cette  époque  les 
idées  monacales  avaient  déjà  fait  de  grands  pro- 
grès, et  était  propre  à  leur  en  faire  faire  encore 
de  plus   grands. 

(i)  Fleury,  Hist.  ecclés. — Condillac,  Hisl.  à  V usage  du 
duc  de  Parme. 

(2)  Fleury,  Mœurs  des  chrétiens. 


(    200    ) 

Ccj)endant  sainl  Augustin  condamna  les  liom- 
nies  qui  sortaient  des  monastères;  et  saint  Basile 
jugea  à  propos  de  forcer  ceux  qui  embras- 
saient la  vie  monastique  à  faire  profession  so- 
lennelle du  célibat,  afin  de  pouvoir  les  soumettre 
justement  à  la  pénitence,  si  jamais  ils  revenaient 
à  la  vie  voluptueuse.  Ces  pénitences  étaient 
toutes  canoniques  et  ne  produisaient  aucun  effet 
civil. 

Les  vierges  suivirent  à  peu  près  la  même  pro- 
gression. Elles  menaient  d'abord  une  vie  retirée, 
au  sein  de  leurs  familles,  ou  se  réunissaient  en  pe- 
tit nombre,  trois  à  trois,  ou  quatre  à  quatre,  ne 
sortant  presque  jamais  que  pour  aller  à  l'église , 
et  toujours  couvertes  d'un  voile.  Bientôt  après,  elles 
commencèrent  à  former  des  réunions  plus  nom- 
breuses, et  à  jouir  de  quelques  privilèges  particu- 
liers. Chez  les  Hébreux,  et,  suivant  toutes  les  pro- 
babilités, aux  premiers  jours  du  christianisme,  les 
femmes  mariées  avaient  seules  droit  de  se  montrer 
en  public  sans  être  voilées.  A  l'époque  dont  nous 
parlons,  vers  la  fin  du  premier  siècle,  et  dans  le 
courant  du  second,  ce  fut  le  contraire.  Les  mères 
de  famille  durent  cacher  la  honte  d'avoir  pu  souil- 
ler leurs  corps  par  le  mariage ,  et  les  filles  con- 
sacrées au  Seigneur  furent  autorisées  à  offrir  aux 
regards  le  spectacle  de  leurs  charmes  dans  le 
temple   et  dans  les   rares  promenades  qu'on   leur 


(    20I     ) 

permettait.  Ce  privilège  devait  avoir  pour  but 
d'engager  un  plus  grand  nombre  de  filles  à  faire 
à  Dieu  le  sacrifice  de  leur  virginité ,  ce  qui  ne 
devait  pas  être  sans  inconvénient ,  car  il  deve- 
nait plus  difiScile  pour  elles  de  garder  la  con- 
tinence. 

Elles  se  multiplièrent  dans  une  progression  qui 
pourrait  sembler  un  prodige ,  si  l'on  ne  réfléchissait 
pas  à  la  force  des  circonstances  et  à  la  nature 
des  moyens  qu'on  employa  partout.  Les  finaudes 
pieuses  étaient  déjà  en  pleine  vogue  ;  il  n'y  avait 
supposition  qu'on  ne  se  permît.  On  forgea  des 
évangiles  jusqu'au  nombre  de  plus  de  cinquante , 
des  actes  des  apôtres  difFérens  de  ceux  qui  sont 
venus  jusqu'à  nous,  et  des  révélations,  des  mi- 
racles de  toute  espèce.  Les  faux  Actes  de  Paul  et 
de  Thècle,  qui,  alors,  étaient  très  répandus,  con- 
tribuèrent beaucoup  à  augmenter  le  nombre  des 
vierges. 

Formées  à  l'imitation  des  moines ,  elles  les  imi- 
tèrent en  tout,  et  les  suivirent  peu  à  peu  dans  les 
déserts.  Elles  plaçaient  leurs  couvens  à  une  petite 
distance  de  ceux  des  hommes ,  et  il  s'établissait 
entre  ces  associations  diverses  des  rapports  qui  ren- 
daient plus  agréable  leur  existence.  Les  moines 
venaient  au  secours  des  vierges ,  pour  les  travaux 
les  plus  pénibles  de  la  maçonnerie  et  de  l'agri- 
culture; les  vierges  préparaient  pour  leurs   bienfai- 


(    202    ) 

tenrs  des  habits,  des  drogues  et  autres  clioscs  sem- 
blables (i). 

Comme  ce  n'était  pas  sans  beaucoup  de  diflfi- 
cultés  et  de  peines  que  ces  sociétés  pouvaient  as- 
surer leur  subsistance  au  milieu  des  déserts^  il 
était  naturel  que  l'on  pensât  de  bonne  heure  à 
s'établir  dans  le  voisinage  des  villes ,  et  enfin  dans 
les  villes  mêmes  :   c'est  ce  que  l'on  fit. 

11  était  d'abord  aussi  aisé  pour  les  vierges  que 
pour  les  hommes  de  changer  de  vie  ,  de  rentrer  dans 
le  monde  et  d'y  devenir  épouses  et  mères.  Les  pé- 
nitences canoniques  auxquelles  on  les  condamnait 
n'entraînaient  pas  la  nullité  du  mariage.  Il  s'écoula 
beaucoup  de  temps  avant  que  le  vœu  solennel  fût 
devenu   un   empêchement  dirimant. 

Le  pape  Sirice ,  dans  une  lettre  de  l'année  585  ^ 
adressée  à  Himérius,  évêque  de  Tarragone,  or- 
donne que  l'on  chasse  des  monastères  les  moines 
et  les  vierges  qui  se  livrent  aux  plaisirs  de  la  chair, 
et  qui  ont  des  fils.  C'était  le  parti  le  plus  sage.  Par 
quel  malheur  de  l'humanité  ne  Ta-t-on  pas  suivi? 
Le  capitule  1 3  du  concile  d'Elvire  ,  de  3o5 ,  excom- 
munie pour  toujours  les  vierges  qui  ne  gardent  pas 
la  continence  :  la  même  chose  est  ordonnée  par  le 
quatrième  canon  du  concile  de  la  Vénétie ,  tenu 
en  465. 

(i)  Vie  de  saint  Pacôme,  c.  XVII I. 


(    203     ) 

Cependant  le  cinquante-deuxième  canon  du  con- 
cile d'Arles,  de  /^S'Z,  ordonne  que  l'on  reçoive  à 
la  pénitence  les  vierges  coupables  ,  et  paraît  établir 
qu'une  religieuse  qui  sortirait  de  son  couvent  avant 
la  fin  de  la  vingt-cinquième  année  de  son  âge , 
n'encourrait   pas  l'excommunication. 

On  pourrait  citer  une  infinité  de  conciles  et  de 
décisions  de  papes,  d'où  il  résulte  que  le  mariage 
des  vierges  consacrées  et  des  moines  a  été  cons- 
tamment valide  depuis  la  naissance  du  chris- 
tianisme jusqu'au  X^  siècle.  Il  n'y  a  de  diffé- 
rence que  dans  la  gravité  des  peines  spirituelles 
appliquées    aux    coupables. 

Toutefois,  le  concile  de  Tours,  de  566,  porte,  au 
quinzième  canon,  que  si  quelque  moine  se  marie,  il 
sera  excommunié  et  séparé  de  sa  prétendue  femme , 
même  par  le  secours  du  juge  séculier  :  il  ordonne 
la  même  chose  des  religieuses.  Si  ce  canon  ne  dé- 
clare pas  nul  le  mariage  de  ceux  qui  ont  fait  le 
vœu  de  chasteté,  peu  s'en  faut  :  l'expression  sa 
prétendue  femme  a  une  grande  force.  Quand  même 
ce  canon  n'attaquerait  pas  la  validité  du  contrat  en 
lui-même  ,  il  en  empêcherait  toujours  les  effets.  On 
voit  que  déjà  l'église  avait  un  penchant  naturel 
pour  la  sainte  inquisition,  qui  fut  établie  plus  tard. 
Le  canon  vingtième  du  concile  de  ^Vorms,  tenu 
en  868 ,  arrête  que  les  femmes  consacrées  qui  au- 
ront violé  la  continence    ne  seront  point  déposées, 


(  M  ) 

mais  retenues  et  soumises  à  des  pénitences  rigou- 
reuses. Ici  il  ne  s'agit  pas  du  mariage  ;  mais  peut- 
on  douter  que  ce  canon  n'ait  frappé  de  même 
toutes  les  relations  que  le  désir  du  mariage  com- 
mence toujours   par  établir? 

Malgré  ces  décisions  particulières ,  ce  n'est  que 
depuis  le  X®  siècle  que  le  célibat  des  religieux  est 
devenu  un  principe  constant,  et  que  leur  mariage 
a  été  déclaré  nul  par  tous  les  conciles.  Le  pre- 
mier qui  ait  clairement  établi  ce  principe  est  celui 
de  Trosly ,  tenu  sous  CbarJes-le-Simple  ,  en  Saxe. 
Je  vais  rapporter  le  capitule  YIll^,  qui  me  paraît 
formel  :  «  Nous  défendons  que  personne  ne 
»  s'unisse  ni  par  la  force  ni  par  le  consentement, 
M  dans  un  mariage  illicite  ,  ni  à  une  vierge  con- 
»  sacrée  ,  ni  à  aucune  femme  qui  aurait  pris  l'habit 
))  religieux  ,  ou  fait  profession  de  rester  veuve, 
n  parce  que  ce  ne  pourrait  pas  être  un  vrai  raa- 
»  riage  ,  celui  que  l'on  contracterait  en  s'éloignant 
»  d'un  si  pieux  dessein  ;  il  ne  servirait  que  de  pré- 
»  texte  à  l'inceste  et  à  la  fornication  (i).  »  Le  sens 
de  ce  canon   est    bien  positif  :  ce  ne  peut  pas  être 

(i)  Interdiciinus  ut  nullus  Deo  devotam  virginem,  nullus 
sub  religionis  liabitu  consistentem,  sive  viduitatis  conti- 
nentiam  professam,  illicito  connubio,  aut  vi,  aut  consensu 
accipiat  conjugem;  quia  nec  verum  potest  esse  conjugium, 
quod  a  meliori  proposito  ad  deterius,  et  sub  falso  nomine, 


(  2o5  ) 

un  vrai  mariage ,  il  nen  a  que  le  nom  y  c'est  un 
inceste.  Le  concile  de  Troyes,  de  1107,  renferme 
un  canon  à  peu  près  semblable. 

Le  premier  concile  de  Latran  ,  tenu  sous  ,Ca- 
lixte  II,  en  11 23,  porte  au  canon  vingt-unième: 
«  Nous  défendons....  et  aux  moines  d'avoir  des  con- 
»  cubines  ou  de  contracter  des  mariages j  nous  ju- 
»  geons  même,  suivant  les  ordres  des  saints  canons, 
»  qu'il  faut  annuler  [disjungi)  les  mariages  con- 
»  tractés  par  eux ,  et  les  contraindre  eux-mêmes 
y>  à   la  pénitence  (i).  » 

Si  le  mot  disjungi  matrimonia  ne  signifie  pas 
annuler  les  mariages ,  quel  sens  peut-il  avoir  ? 
Cette    remarque  est  de   Potbier. 

Enfin,  le  second  concile  de  Latran.  de  iiBg, 
tenu  sous  Innocent  11,  lève  toutes  les  difficultés. 
Voici  le  septième  canon  :  «  Nous  ordonnons  que 
»  si....  les  moines  et  les  convers  qui  ont  fait  la 
»  profession  de  cbasteté  ont  eu ,  en  violant  leur 
»  vœu,  la  témérité  de  s'attaclier  des   femmes,    ils 


culpa  incestuosa  poUutione  ,  et  fornicationis  iiainundttia 
perpetuatur. 

(i)  ...  Et  monaciiis  concubinas  habere,  seu  matrimonia 
contrabere  interdicimus.  Contracta  quoque  matrimonia  ab 
ejusmodi  personis  disjungi ,  et  personas  ad  pœnitentiam 
debere  redigi ,  juxta  sacrorum  canonum  definitionem  judi- 
camus. 


(    206    ) 

))  en  soient  séparés  ;  car  nous  croyons  que  ces 
»  unions,  contractées  contre  les  règles  de  l'église, 
))  ne  sont  pas  des  mariages.  >j  Canon  huitième  : 
«  Nous  ordonnons  la  même  chose  des  femmes 
»  consacrées ,  si ,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise ,  elles 
»  tentent   de  se   marier  (i).  » 

Le  concile  de  ii4S,  tenu  en  France  par  le  pape 
Eugène  111,  et  composé  de  iioo  membres,  la 
plupart  français ,  renouvela  les  mêmes  principes. 
Le  concile  provincial  de  Cologne,  de  i4495  or- 
donne de  contraindre  les  moines  concuhinaires  à 
rentrer  dans  leur  ordre  et  à  faire  pénitence.  En 
dernier  lieu,  le  concile  de  Trente,  dans  sa  vingt- 
quatrième  session,  arrêtée  le  ii  novembre  i563, 
canon  neuvième,  porte  :  «  Si  quelqu'un  dit...  que 
))  les  réguliers  qui  ont  fait  profession  solennelle  de 
»  chasteté  peuvent  contracter  mariage,  et  que  , 
»  l'ayant  contracté,  il  est  valide,  qu'il  soit  ana- 
»  thématisé  (2).  w 


(i)Can.  7.  Statuimus  quatenus...  et  monachi  atque  cou- 
versi  professi ,  qui  sanctum  transgredientes  propositum , 
uxores  sibi  copulare  praesumpserunt,  separentur;  hujusmodi 
iiamque  copulationem ,  quam  contra  ecclesiasticam  regulam 
constat  esse  contractam,  matrimonia  non  esse  censemus. 
Can.  8  :  Id  ipsum  quoque  de  sanctimoniaUbus  faeminis,  si, 
quod  absit,  nubere  tentaverint ,  decernimus. 

(2)  Si  quis  dixerit  regulares  castitatem  professos  posse 


(     207     } 

Après  celte  histoire  succincte  de  la  léj^islation  sur 
le  célibat  des  religieux ,  il  est  à  propos  d'exa- 
miner quelles  ont  été  les  conséquences  nécessaires 
d'une   loi  si    contraire   à  la   natiu'e  de  l'homme. 

Elle  a  dû  rencontrer  partout  les  plus  fortes  ré- 
sistances. Comment  imai^iner  qu'un  si  ijrand  nombre 
de  jeunes  gens,  avec  le  feu  et  les  désirs  de  leur 
âge,  et  la  plupart  contraints  par  la  force  ou  par 
la  séduction  ,  à  embrasser  un  état  dont  ils  ne  con- 
naissaient ou  ne  pouvaient  pas  éviter  la  rigueur, 
aient  porté  un  joug  si  pesant  avec  une  entière  ré- 
signation? Si  l'histoire  ne  nous  fournissait  pas  les 
preuves  les  plus  positives  de  leur  mvuraure ,  de 
leur  impatience  ,  et  des  scandales  éclatans  qui  en 
ont  été  le  résultat  (i),  nous  pourrions  nous  en 
former  une  idée  assez  claire  ,  à  la  vue  du  nombre 


matrimonium  contraliere,  contractumque  validuin  esse, 
anathema  sit- 

(i)  Le  concile  de  Douzi,  tenu  en  S']^,  ordonne  d'informer 
sur  l'affaire  de  la  religieuse  Dude  avec  le  prêtre  Humbert, 
et,  en  cas  de  conviction,  que  Dude  soit  fouette'e  sur  le  dos 
en  présence  de  l'abbesse  et  de  ses  sœurs ,  et  soumise  pen- 
dant sept  ans  à  la  plus  dure  pénitence  ;  et  Humbert  déposé, 
envoyé  en  exil  perpétuel  par  les  commissaires  du  Roi,  et 
enfermé  dans  un  naonastère. 

Dans  les  premiers  siècles  de  la  religion  chrétienne,  les 
religieuses  accusées  d'avoir  violé  le  vœu  de  continence 
étaient   soumises  à  vme   visite  scrupuleuse  ;   et   malheur  à 


(    208    ) 

immense  de  canons  qu'on  a  faits  sur  ce  sujet.  Pen- 
dant l'espace  de  1200  à  i3oo  ans,  il  ne  s'est 
presque  assemblé  de  concile ,  qu'il  n'ait  imposé 
les  mêmes  obligations,  y  attacliant  des  peines  de 
plus  en  plus  sévères.  Tous  ou  presque  tous  ont 
élevé  de  vives  plaintes  sur  la  violation  de  la  con- 
tinence. Le  seul  concile  de  Cologne,  de  1260, 
renferme  dix-liuit  canons  sur  la  discipline  des  mo- 
nastères :  il  suffit  de  les  lire,  pour  voir  jusqu'à 
quel  point  était  arrivé  le  relâchement  des  mœurs 
dans  les  couvens. 

Si  au  moins  on  eût  mis  en  usage  la  loi  de  l'em- 
pereur Majorien  ,  qui,  en  45^5  défendait  que  les 
fdles  ne  prissent  le  voile  avant  quarante  ans,  et  qui 
condamnait  à  une  amende  du  tiers  de  leurs  biens, 
les  parens  qui  les  faisaient  consacrer  avant  cet  âp;ej 
si  l'on  eût  suivi  les  conseils  qu'avait  donnés  le  pape 
Sirice,  et  dont  nous  avons  déjà  parlé  dans  ce  cha- 
pitre; si  l'on  se  fût  assuré  de  la  vocation  des  jeunes 
gens  avant  de  les  obliger  à  faire  un  vœu  qu'il  est 
si  difficile  d'observer  ;    si  l'on  eût  pris  ces  précau- 


elles  si  le  signe  regarde'  comme  infaillible  de  la  virginité 
n'était  pas  trouvé  intact  !  Siagrius ,  évèque  de  Vérone ,  à 
la  fin  du  quatrième  siècle  de  notre  ère,  fit  subir  un  exa- 
men si  contraire  à  la  pudeur  à  une  religieuse  sur  la  chasteté 
de  laquelle  on  avait  quelques  soupçons.  Saint  Ambroise, 
son  métropolitain ,  désapprouva  sa  conduite. 


(  209  ) 
tioHS,  et  toutes  celles  que  la  prudence  aurait  dû 
indiquer  aux  législateurs  des  peuples  cbrétiens,  on 
aurait  eu  à  déplorer  moins  de  scandales  et  moins 
de  maux.  Loin  de  là,  on  encourageait  les  pères 
mal  intentionnés  à  se  défaire  de  leurs  filles  peu  sou- 
mises, et  de  leurs  fils,  auxquels  ils  ne  voulaient  pas 
donner  de  part  dans  la  possession  de  leur  héritage; 
on  employait  la  fraude  et  la  trahison  pour  entraîner 
d'innocentes  victimes  dans  les  couvens.  On  auto- 
risait l'entrée  dans  les  monastères  à  un  âge  où  c'est 
un  grand  plaisir,  pour  une  fille  ou  pour  un  garçon , 
d'endosser  un  habit  d'une  forme  plutôt  que  d'une 
autre ,  de  vivre  au  milieu  des  jeunes  gens  de  son 
sexe  et  de  chanter  en  chœur  les  louanges  du  Sei- 
gneur. On  préparait  dans  les  couvens  un  asile  assuré 
aux  criminels  qui  voulaient  bien  s'y  réfugier,  ou 
des  cachots  affreux  contre  ceux  que  les  penchans  de 
la  nature  entraînaient  le  plus  loin  de  la  perfection 
du  célibat.  Yoilà  ce  qu'ont  été ,  et  ce  que  seraient 
encore  les  couvens  ,  si  l'on  avait  l'imprudence  de  les 
rétablir. 

On  eût  dit  qu'un  entraînement  irrésistible  ,  un 
esprit  de  vertige  et  d'erreur,  poussaient  loin  de  la 
vertu  et  de  la  raison  les  pères  de  l'église  catholique. 
Plus  les  funestes  conséquences  du  faux  principe  qu'ils 
avaient  établi  se  montraient  à  nu,  plus  il  s'accumu- 
lait de  faits  propres  à  leur  faire  apercevoir  combien 
grand  était  le  préjudice  que  le  célibat  portait  aux 

i4 


(    2IO    ) 

intérêts  de  la  religion,  et  plus  ils  s'y  attachaient  avec 
opiniâtreté.  Arrivait-il  des  dérèglemens?  ils  les  dé- 
fendaient par  une  loi.  Leur  loi  élait-elle  violée?  ils 
fixaient  des  peines  temporelles  et  spirituelles  contre 
les  infracteurs.  Ces  peines  étaient-elles  insufiisantes 
pour  comprimer  la  force  et  l'impétuosité  des  pas- 
sions? ils  en  imaginaient  de  plus  graves.  Restait-il 
aux  moines  quelque  issue  pour  rentrer  dans  le 
monde?  cette  issue  élait  la  cause  de  la  corruption 
générale;  ils  la  fermaient.  Dès  le  commencement ,  il 
fallait  avoir  quarante  ,  trente-cinq,  jamais  moins  de 
vingt-cinq  ans,  avant  de  pouvoir  prononcer  le  vœu 
solennel  de  continence;  ils  l'autorisaient  à  dix  ans. 
D'abord  on  ne  pouvait  admettre  dans  les  couvens 
que  des  personnes  d'une  conduite  irréprochable;  ils 
les  ouvrirent  aux  brigands  et  aux  femmes  qui  ne 
voulaient  pas  être  chastes.  Sortir  du  couvent  était 
chose  impossible;  si  le  désespoir  portait  quelqu'un  à 
le  tenter,  il  avait  beau  chercher  les  réduits  et  les 
déserts,  la  société  entière  s'armait  contre  lui,  on 
l'arrêtait,  on  le  ramenait  au  couvent ,  on  l'y  en- 
fermait dans  des  cachots  obscurs;  et  tandis  que  ses 
comp.ignons  vivaient  dans  l'abondance  de  toutes 
choses,  il  manquait  même  du  nécessaire. 

Aussi  l'attaque  contre  les  monastères  fut-elle  com- 
mencée par  les  moines  et  par  tous  les  ecclésisatiques 
qui  étaient  soumis  à  la  même  loi.  Yigilance,  Wi- 
clef,  Jean  Huss,  et  enfin  ,  le  plus  redoutable  de  tous , 


(  '"  ) 

Luther,  furent  excités  par  les  mêmes  besoins  et  dirigés 
par  les  mêmes  principes.  Toutes  les  fols  que  quelque 
peuple  levait  la  tête  contre  le  pape,  contre  ce  redou- 
table tyran  de  la  vieille  Europe,  sous  l'influence  et 
dans  l'intérêt  duquel  avaient  été  faites  tant  de  lois  fu- 
nestes ,  les  philosophes  du  temps  se  hâtaient  d'élever 
la  voix  contre  les  excès  des  pontifes  et  de  déclamer 
contre  le  vœu  de  continence  :  les  moines  sortaient  de 
leurs  couvens,  et  se  mariaient.  Luther  donna,  en  i525, 
un  exemple  éclatant,  qui  trouva  un  grand  nombre 
d'imitateurs.  Le  spirituel  Erasme  nous  le  dit  d'une 
manière  digne  de  lui  :  ((  On  a  beau  dire  que  le  lu- 
»  ihéranisme  est  une  chose  tragique;  pour  moi, 
))  je  suis  persuadé  que  rien  n'est  plus  comique  :  car 
y>  le  dénouement  de  la  pièce  est  toujours  quelque 
))  mariage ,  et  tout  finit  en  se  mariant,  comme  dans 
»  les  comédies.  » 

L'Allemagne,  l'Angleterre,  la  France  elle-même, 
se  soulevèrent  contre  une  loi  si  contraire  à  la  na- 
ture. Le  phis  faible ,  le  plus  superstitieux  ,  le  plus 
bigot  des  monarques ,  Henri  III ,  quoiqu'il  fût  en- 
chaîné par  la  fureur  de  la  ligue  et  attaché  par  l'er- 
reur ,  l'Intérêt  et  la  crainte  à  la  puissance  pontifi- 
cale, se  trouva  contraint  de  défendre,  en  i5^6, 
qu'on  inquiétât  les  moines  mariés  :  il  déclara  leurs 
enfans  légitimes  ,  et  habiles  à  recueillir  leur  suc- 
cession. 

Il  est  vrai  que  cette  jurisprudence  ne  fut  pas  suivie 

14.. 


(    212    ) 

long-temps  dans  le  royaume.  Les  calvinistes  eux- 
mêmes,  s'ils  avaient  été  moines  avant  d'embrasser 
leur  nouveau  culte  ,  ne  furent  pas  lil)res  de  con- 
tracter mariage.  Les  tribunaux  séculiers  adoptèrent 
la  doctrine  du  concile  de  Trente ,  quoique  ce  con- 
cile n'eût  pas  été  reçu  en  France.  On  peut  voir  dans 
le  Recueil  de  Bordel,  livre  III ,  chapitre  CXV,  un 
arrètdu  17  juillet  lySo,  par  lequel  est  déclaré  nul  le 
mariage  de  Gilbert  d'Anglot,  sur  les  conclusions  de 
l'avocat  général  ïalon ,  qui  les  fondait  sur  «  ce  que 
))  ladite  Anglot  ayant  fait  profession  de  religieuse  , 
»  quoiqu'elle  eût  depuis  embrassé  le  calvinisme,  était 
))  incapable  de  mariage.  )>  On  peut  juger  si  cette 
jurisprudence  fut  en  vigueur  depuis  Louis  XIV  jus- 
qu'à la  révolution  ! 

VVV\.\^  V%  VVV  VVV  VVVVVXi  V\^  VVVV\^iVVVVVVV\i\' VVi  VVV  V\^  VVVVVV  VVV  VVV  VVVVVVVV^ 

CHAPITRE  YIII. 

Diversité  de  religion. 

Comment  s'est-il  fait  que  la  diversité  de  religion 
n'a  jamais  été  un  empêchement  dirimant  dans  l'é- 
glise latine?  Est-ce  un  effet  du  hasard ,  ou  un  calcul 
fondé  sur  de  bonnes  raisons  ?  Est-ce  une  faveur  pour 
le  mariage,  ou  quelque  autre  intérêt  plus  pressant? 
Il  sera  difficile ,  après  ce  que  nous  avons  vu   jus- 


(..3) 

qu'ici ,  de  croire  que  l'église  ait  voulu  gêner  le 
moins  possible  le  vœu  de  la  nature  et  la  multipli- 
cation de  l'espèce  humaine.  Notre  religion,  telle  que 
les  prêtres  nous  l'ont  faite  ,  n'est  point  du  tout  fa- 
vorable au  mariage;  à  peine  si  elle  le  tolère. 

La  providence  voulut  bien  éclairer,  sur  ce  point, 
nos  souverains  pontifes  et  nos  conciles,  pour  que  la 
religion  chrétienne  put  se  répandre  plus  facilement 
et  sur  un  plus  vaste  espace.  L'église  romaine  avait , 
dès  sa  première  origine  ,  des  idées  nobles  de  com- 
mandement et  de  grandeur.  L'église  grecque ,  moins 
heureuse  et  moins  favorisée  du  ciel,  s'était  bornée, 
par  quelques-unes  de  ses  institutions ,  dans  un  cercle 
beaucoup  plus  étroit.  Le  concile  de  Constantinople, 
de  692,  fit  de  la  diversité  de  religion  un  empêche- 
ment dirimant ,  et  l'empereur  Justinien  II  fit  tous 
ses  efforts  pour  le  faire  adopter  par  l'église  latine  : 
nos  pontifes  ne  voulurent  point  le  recevoir.  Grégoire- 
le-Grand,  dans  la  5g^  lettre  du  IX^  livre,  condamne 
hautement  ceux  qui  se  séparent  de  leurs  femmes 
sous  prétexte  de  religion.  Dieu  l'avait  ainsi  ordonné. 
Au  reste,  les  communications  entre  Rome  et  Cons- 
tantinople devenaient  de  plus  en  plus  difilciles  ;  si 
l'une  faisait  un  règlement,  c'était  une  raison  pour 
que  l'autre  défendît  de  l'observer.  L'ambition  des 
pontifes  et  des  patriarches  ,  leur  rivalité  puérile  et 
mesquine  ,  faisaient  naître  et  augmentaient  tous  les 
jours  la  division    entre  les   peuples,  qui  les  regar- 


(  ^'4  ) 

daient  comme  les  représenlans  de  Jésus-Chrisl  sur 
la  terre. 

Le  concile  qu'on  attribue  aux  apôtres  avait  or- 
donné, par  son  cinquième  canon  ,  aux  évêques  , 
aux  prêtres  et  aux  diacres  de  ne  point  renvoyer 
leurs  femmes  sous  prétexte  de  religion.  Les  ren- 
voyaient-ils?  le  concile  les  condamnait  à  rester  quel- 
que temps  séparés  de  la  réunion  des  fidèles.  Persé- 
véraient-ils dans  leur  obstination  à  ne  vouloir  pas  les 
reprendre  ?  le  concile  les  condamnait  à  la  perte  de 
leur  dignité. 

Saint  Paul  (première  Épître  aux  Corinthiens,  aux 
chapitres  VII,  Ylll ,  XI  et  siiivans)  conseille  aux 
époux  de  ne  point  se  séparer  à  cause  de  la  religion  : 
»  Car,  dit- il,  le  mari  infidèle  est  sanctifié  par  la 
y>  femme  fidèle,  et  la  femme  infidèle  est  sanctifiée  par 
»  le  mari  fidèle....  Car  quesavez-vous,  ô  femme  !  si 
»  vous  ne  sauverez  pas  votre  mari  ?  Que  savez-vous, 
K)  ô  mari!  si  vous  ne  sauverez  point  votre  femme?  » 
Sainte  Monique ,  mère  de  saint  Augustin,  s^était 
mariée  à  un  infidèle,  et  l'avait  converti  à  notre  sainte 
religion.  À 

L'église  latine  a  suivi  fidèlement  ces  principes,  I 
tant  qu'il  ne  s'est  agi  que  des  païens  et  des  barbares, 
et  elle  n'a  jamais  eu  lieu  de  s'en  repentir.  Elle  a  dû 
à  cette  sage  politique  la  conquête  de  la  France  ,  de 
l'Angleterre  et  de  plusieurs  autres  provinces.  Les 
rois  barbares  qui  épousaient   une  princesse  chré- 


(  :'>5) 
tienne  ne  tardaient  pas  à  embrasser  et  à  faire  em- 
brasser par  leurs  peuples  la  religion  de  leurs  femmes. 
Ce  fut  ainsi  que  sainte  Clotilde  fit  recevoir  le  baptême 
à  Clovis,  et  par  degré  à  loule  !a  nation  des  Francs. 
Pourquoi  l'église  catholique  s'esl-elle  écartée  de 
cette  règle  lorsqu'il  s'est  agi  des  différens  cultes  de 
la  religion  chrétienne?  Elle  a  de  fortes  raisons  pour 
justifier  sa  conduite.  A  cette  époque ,  le  temps  des    , 
conquêtes  était  passé  pour  elle  ;  elle  battait  en  re- 
traite  ;  elle  craignait  que  la  désertion  ne  se  mît  dans 
ses  rangs,  et  jugea  à  propos  d'empêcher,  autant  que 
possible  ,   le   contact  de   ses   soldats  avec  ceux  de 
l'ennemi.  Lorsqu'une  vieillesse  épuisée  par  les  dé- 
règlemens  de  son  jeune  âge  eût  livré  Louis  XIV  à  la 
superstition  et  à  des  confesseurs  entièrement  dévoués 
à  la  cour  de  Rome,  ce  roi  despote  finit  par  déclarer 
(  édit  de  novembre  i68o)    que  le  mariage    des  ca- 
tholiques avec  les  protestans  serait  nul  et  leurs  en- 
fans  illégitimes.  L'édit  de  i685,  portant  révocation 
de    celui  de  Nantes,    défendit  ces  mariages   d'une 
manière  encore  plus  forte.  Les  protestans  n'eurent 
pas  même  le  moyen  de  se  marier  légitimement  entre 
eux  ;  car  le  curé  catholique  étant  le  seul  oflicier  que 
la  loi  autorisât  à  recevoir  le  contrat  de  mariage,  et 
cet  officier  ne  voulant  pas  donner  la  bénédiction  à 
des  hérétiques,  les  dissidens  ne  pouvaient  se  marier. 
El    cette    épouvantable  législation    dura  un   siècle 
après  son  a\iteur! 


(2i6) 

Toutefois  ce  n'est  qu'en  France  qu'un  pareil 
état  de  choses  s'est  établi.  Le  mariage  entre  les 
catholiques  et  les  ariens  n'était  pas  défendu  :  Théo- 
dolinde  put  épouser  Agilul[)he,  prince  livré  à  l'hé- 
résie d'Arius.  Les  protestans ,  dans  les  contrées 
où  ils  sont  tolérés ,  ont  toujours  pu  contracter 
mariage  avec  les  catholiques.  Si  l'on  veut  expli- 
quer cette  anomalie ,  que  l'on  réfléchisse  que  les 
ariens  lors  de  ce  mariage ,  et  les  protestans  tou- 
jours avaient  plus  de  puissance  que  les  catholiques 
eux-mêmes.   Le  plus  fort  fait   la  loi. 

VVVV\%V\\VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV'\VVVV\'Vi/\^VV\'VV\iVVVVVXVVtVVVVVVVVVVV\^ 


CHAPITRE  IX. 

Du  célibat  dans    l^ église  d'Orient. 

La  religion  chrétienne,  depuis  sa  première  origine 
jusqu'à  sa  dernière  limite,  s'est  avancée  en  s'éloi- 
gnant  toujours  de  sa  pureté  primitive.  L'homme, 
enflammé  de  l'ardeur  d'un  culte  nouveau,  ardeur 
qui  dégénère  trop  souvent  en  fanatisme  ,  est  na- 
turellement porté  à  concevoir  une  plus  haute  idée 
de  lui-même  ;  son  illusion  parvient  à  un  point  tel, 
qu'il  finit  par  se  supposer  une  puissance  qui  n'est 
pas  dans  sa  nature.  Il  se  laisse  aller  d'autant  plus 


(   217    ) 
facilement  à   celte  flatteuse  erreur  ,  que  son  igno- 
rance est  plus  profonde. 

A  l'époque  où  notre  sainte  religion  se  répandit 
progressivement  sur  la  terre,  la  Grèce  seule  jouis- 
sait encore  d'un  certain  degré  de  civilisation. 
L'Asie-Mineure  et  l'Europe  occidentale ,  depuis 
le  fond  de  la  Calabre  jusqu'à  la  Scandinavie, 
depuis  la  Yistule  jusqu'à  Cadix ,  étaient  le  siège 
de  la   barbarie  et  des  ténèbres. 

Cette  différence  dans  l'état  des  lumières  doit 
mettre  une  différence  analogue  dans  la  nature  des 
erreurs  où  ces  peuples  tombèrent.  Les  Grecs  con- 
naissant un  peu  mieux  la  nature  de  l'homme  et 
par  conséquent  sa  fragilité  ,  ne  se  supposeront  pas 
toute  la  force  nécessaire  pour  subjuguer  des  ap- 
pétits indomptables;  ils  ne  proscriront  pas  le  ma- 
riage; les  pères  de  leur  église  déploieront  la  plus 
grande  énergie  pour  la  défense  d'un  sacrement  si 
auguste.  Les  membres  du  clergé  romain  ,  se  confiant 
d'autant  plus  dans  leurs  forces  qu'ils  seront  moins 
éclairés ,  adopteront  plus  facilement  des  préjugés 
nés  ailleurs ,  et  prendront  pour  précepte  inviolable 
ce  qui  n'était  qu'un  conseil  adressé  à  quelques 
êtres  privilégiés.  Les  premiers  voudront  tout  en- 
tendre ,  tout  expliquer,  se  livreront  à  des  abs- 
tractions sans  nombre,  transporteront  les  principes 
obscurs  de  leurs  philosophes  dans  les  dogmes  si 
simples  du  christianisme,  se  tromperont  par  un  excès 


(2.8) 

d'esprit  et  de  finessej  les  seconds,  accoutumés  à  obéir 
plutôt  qu'à  raisonner,  se  tiendront  à  la  lettre  des 
livres  qu'ils  ont  reçus  avec  la  religion ,  et  se  trom- 
peront par  un  excès  de  bonne  foi  et  de  confiance. 
Cela  doit  s'entendre  des  législateurs  :  la  masse  du 
peuple  est  à  peu  près  la  même  partout ,  facile  à 
recevoir  les  impressions  qu'on  veut  lui  donner, 
et  réagissant  ensuite  sur  ses  maîtres  par  sa  force 
matérielle. 

D'un  côté,  l'esprit  du  christianisme  portait  au 
célibat  j  de  l'autre  ,  les  scandales  auxquels  don- 
naient lieu  les  célibataires  du  paganisme  portaient 
au  mariage  les  fidèles  timorés  et  consciencieux.  Un 
chrétien  sincère ,  qui  ne  se  sentait  pas  la  force  de 
dompter  la  violence  de  ses  passions,  préférait  se 
marier  plutôt  que  de  brûler. 

Un  usage  -  constant  dans  les  premiers  siècles 
du  christianisme  permettait  de  conférer  la  prê- 
trise et  même  la  dignité  épiscopale  à  d'honnêtes 
maris  et  pères  de  famille.  Les  chrétiens  sui- 
vaient en  cela  les  conseils  de  saiut  Paul ,  et 
l'exemple  de  plusieurs  d'entre  les  apôtres.  Saint 
Pierre,  saint  Philippe,  plusieurs  de  leurs  disciples 
étaient  mariés,  et  on  ne  leur  fit  pas  une  obliga- 
tion de  se  séparer  de  leurs  femmes.  Les  autres 
chrétiens  faisaient  comme  eux  j  seulement  les  plus 
parfaits  vivaient  ou  faisaient  croire  qu'ils  vivaient 
avec  elles  comme  avec  des  sœurs.  Cependant   s'ils 


(  219  ) 
entraient  dans  les  ordres  avant  d'avoir  contracté 
mariage ,  ou  si  leurs  femmes  venaient  à  mourir  , 
il  leur  était  imposé  de  garder  la  continence.  Cette 
règle  fut  d'abord  suivie  dans  toute  l'église.  11  y 
avait  à  la  vérité  beaucoup  d'exceptions ,  même 
dans  l'église  d'Occident.  On  sait  que  Cortérius , 
évêque  espagnol,  s'était  remarié  deux  fois,  et  que 
lorsqu'on  voulut  le  poursuivre  pour  ce  fait,  saint 
Jérôme  lui-même  prit  hautement  le  parti  de  ce 
prélat  :  «  Si  je  voulais  nommer,  dit-il,  tous  les 
y)  évêques  qui  ont  passé  à  de  secondes  noces,  j'en 
))  trouverais  plus  qu'il  n'y  eut  d'évêques  au  con- 
7)  cile   de  Pumini.   n 

Un  grand  historien  rapporte  les  faits  suivans  : 
((  Sydonius,  évêque  de  Clermont  en  Auvergne  , 
»  au  Y*  siècle,  se  maria  avec  Papianella,  fille 
»  de  l'empereur  Avitus  ;  et  la  maison  de  Poli- 
»  gnac  a  prétendu  en  descendre.  Siraplicius,  évêque 
»  de  Bourges,  eut  deux  enfans  de  sa  femme  Pal- 
»  ladia.  Saint  Grégoire  de  INazianze  était  fils 
»  d'un  autre  Grégoire,  évêque  de  Nazianze,  et 
»  de  Nonna  ,  dont  cet  évêque  eut  trois  enfans. 
))  Césanius,  Gorgonia  et  saint  Boniface  î"  étaient 
»  fils  du  prêtre  Joconde.  Félix  111  était  fils  du 
»  prêtre  Félix,  et  fut  un  des  aïeux  de  Grégoire- 
»  le-Grand.  Jean  II  était  fils  du  prêtre  Projectus; 
»  Agapet,  du  prêtre  Gordien  j  le  pape  Sylvestre, 
D  du    pape    Hormisdas.    Théodore    P""    naquit     du 


(    220    ) 

»  mariage  de  Théodore,  patriarche  de  Jérusalem.  » 
Le  célibatj  dans  l'église  grecque,  devait  être  moins 
difficile  que  dans  l'église  latine  :  là  on  n'élevait 
à  la  prêtrise  que  des  personnes  au-dessus  de  la 
trente-cinquième  année,  tandis  qu'ici  on  était  en- 
gagé pour  toujours  à  l'âge  de  vingt-un  ans.  Qu'on 
observe  de  plus  que  le  mariage  contracté  par  les 
ecclésiastiques  ,  après  leur  entrée  dans  les  ordres 
sacrés,  n'a  jamais  été  nul  dans  l'église  grecque; 
ils  étaient  seulement  déposés.  Les  canons  de  cette 
église  sur  ce  point  ont  toujours  été  uniformes.  Le 
premier  canon  du  concile  de  Néocésarée,  tenu  en 
524,  le  dit  expressément  :  tous  les  autres  conciles, 
sur  cette  matière,  n'ont  fait  que  répéter  le  texte 
de  celui-là. 

L'histoire  rapporte  que  dans  le  concile  de  Nicée, 
tenu  en  325,  on  voulut  étendre  aux  femmes  lé- 
gitimes le  sens  du  troisième  canon  de  ce  même 
concile,  conçu  en  ces  termes  :  a  II  n'est  permis 
»  ni  aux  évêques,  ni  aux  prêtres,  ni  aux  diacres, 
))  ni  à  aucun  membre  du  clergé,  de  garder  auprès 
))  de  lui  aucune  femme  sous-introduite,  excepté 
»  sa  mère,  sa  sœur  ou  sa  tante.  ))  .Mais  Paplinuce, 
évêque  de  la  Thébaïde ,  qui  cependant  était  vierge , 
s'éleva  avec  tant  de  force  en  faveur  de  la  sainteté 
du  mariage,  qu'il  réduisit  tout  le  monde  au  silence. 
L'empereur  Justinien  est  le  seul  des  législateurs 
grecs    qui  ait    essayé   de   déclarer    nul   et  de    nul 


(    221     ) 

effet  le  mariage  que  contractaient  les  ecclésias- 
tiques après  leur  entrée  clans  les  ordres  sacrés. 
La  loi  4^  )  cod.  de  episcopis  et  clericis  ,  sanc- 
tionnée en  53o ,  porte  qu'ils  seraient  déchus  de 
leur  dignité,  et  leurs  enfans  illégitimes,  incapables 
de  succéder  et  de  recevoir  des  legs.  Pothier,  qui 
s'appuie  même  de  l'autorité  de  Godefroy,  pense 
que  cet  inconstant  législateur  ne  tarda  pas  à  révo- 
quer aussi  cette  loi;  car,  par  le  chapitre  V  de  la  No- 
velle  VI,  et  par  le  chapitre  XLII  de  la  No{>elle  YII, 
qui  sont  postérieurs  au  code,  il  se  borna  à  or- 
donner «  que  tout  prêtre,  diacre  et  sous-diacre 
»  qui  se  marierait ,  descendrait  à  l'état  de  simple 
))  particulier ,  et  que  du  reste  il  continuerait  à 
»  vivre    avec   sa  femme.  » 

Les  diacres  avaient  d'abord  été  plus  heureux. 
Le  dixième  canon  du  concile  d'Ancyre,  tenu  à 
peu  près  en  3i4j  leur  permettait  de  contracter 
mariage  après  l'ordre,  pourvu  que  dans  l'ordination 
ils  eussent  protesté  contre  l'obligation  du  célibat. 
Ce  qui  est  vraiment  singulier  ,  c'est  que  ce  canon 
a  été  approuvé  par  Léon  lY ,  au  milieu  du  IX' 
siècle.  11  parait  que  les  pontifes  de  Rome  eux- 
mêmes  ont  regardé  le  célibat  des  prêtres ,  non 
comme  un  dogme  de  la  foi  du  chrétien,  mais 
^  comme  un    règlement   de  discipline. 

Ceux  qui  n'avaient  reçu  que  les  ordres  moindres, 
pouvaient   se  marier   sans   encourir   la   suspension. 


(    222    ) 

11  n'existe  contre  eux  aucune  loi  proliibitive  ;  et 
le  canon  sixième  du  concile  in  Trullo  (i),  tenu 
à  Constantinople  en  680,  permet  expressément 
le  mariage  aux  lecteurs   et  aux   chantres. 

L'abrégé  de  la  doctrine  de  l'église  grecque  sur 
le  mariage  des  ecclésiastiques  est  renfermé  dans 
le  dernier  concile  que  je  viens  de  citer.  Le  sixième 
canon  porte  défense  aux  sous-diacres,  aux  diacres 
et  aux  prêtres  d€  se  marier,  sous  peine  de  dépo- 
sition; le  douzième  défend  aux  évêques  d'habiter 
avec  leurs  femmes;  le  treizième,  que  si  quelqu'un 
est  jugé  digne  d'être  ordonné  sous-diacre,  diacre  ou 
prêtre,  il  n'en  sera  point  exclu,  pour  être  engagé 
dans  un  mariage  légitime  ;  et  dans  le  temps  de 
son  ordination  y  on  ne  lui  fera  pas  promettre  de 
s'abstenir  de  la  compagnie  de  sa  Jemme  ^  pour 
ne  point  déshonorer  le  mariage^  que  Dieu  a  ins- 
titué et  béni  par  sa  présence.  Depuis  cette  époque, 
les  prêtres  de  l'église  grecque  ont  toujours  gardé 
leurs  femmes. 

Cette  doctrine  a  été  confirmée  explicitement  par 
les  constitutions  d'Innocent  IV,  au  chapitre  XVI: 
il  y  est  dit  :  «  Les  prêtres ,  même  mariés ,  peuvent 
»  recevoir  licitement  et  librement  la  confession  de 


(i)  Ainsi  appelé  de  la  salle  où  on  le  tenait  dans  le  palais 
de  l'empereur.  0puAA«j  signifie  confusion,  tumulte,  bruit; 
cependant  le  concile  fut  très  calme. 


(    223    ) 

»  leurs  paroissiens.  »  Le  pape  Eugène  IV  et  le 
concile  de  Florence  ne  firent  à  ce  sujet  aucun 
reproche  aux  pères  de  l'église  grecque,  et  n'exi- 
gèrent point  que  cette  église  renonçât  à  l'usage 
de  conférer  aux  prêtres  mariés  la  liberté  d'entendre 
la  confession. 

Cependant  il  est  à  présumer  que  peu  de  pères 
de  famille  devaient  être  élevés  aux  ordres  sacrés. 
Les  évêques  et  les  patriaches  étaient  presque  tou- 
jours contraints  de  faire  profession  de  la  vie  mo- 
nastique :  la  plupart  des  prêtres  étaient  des  moines. 

Plusieurs  ecclésiastiques  vivaient  habituellement 
avec  des  vierges  qu'ils  appelaient  leurs  sœurs  adop- 
tives  ^  et  qu'on  nommait  vulgairement  sous-intro- 
duiles  ou  sous-agapetes  (i).  Paul  de  Samosate  fut 
accusé  de  garder  chez  lui  deux  femmes  à  la  fleur 


(i)  «  Agapètes,  agapetœ,  bien-airnées,  nom  donné  dans  la 
primitive  église  à  des  vierges  qui  vivaient  en  communauté, 
ou  qui  se  consacraient ,  sans  faire  de  vœux ,  au  service  des 
ecclésiastiques,  et  leur  tenaient  lieu  de  compagnes  :  il  y  en 
avait  dans  les  églises  de  la  Gaule.  Ces  sociétés  dégénérèrent 
insensiblement.  Les  agapètes ,  sous  prétexte  de  charité,  re- 
cevaient chez  elles  les  passans  et  les  étrangers.  Plusieurs 
conciles  voulurent  contraindre  les  prêtres  à  se  séparer  de  ces 
femmes,  mais  sans  succès.  Saint  Athanase  raconte  qu'un  de  ces 
prêtres ,  nommé  Léontius ,  afin  de  conserver  sa  compagne , 
et  pour  être  à  l'abri  de  tout  soupçon ,  offrit  de  se  mutiler. 
Enfin  ,  en  1 139,  le  deuxième  concile  général  de  Latran,  sur 


(  ^24  ) 

de  l'àf^e  et  fort  belles,  et  de  pcrmellre  à  ceux  de 
son  clergé  d'en  avoir  chez  eux.  Saint  Chrysoslome, 
évéque  de  Constantinople ,  fit  cesser  cet  abus  ,  au 
moins  pour  son  diocèse. 

Les  patriaches,  les  ëvêques  et  les  autres  membres 
du  clergé  qui  avaient  assez  de  fortune,  attachaient 
à  leur  service  des  ecclésiastiques,  pour  coucher 
avec  eux  et  pour  être  témoins  de  la  régularité  de 
leur  conduite.  On  leur  donna  le  nom  de  syn- 
celles  (i);  dans  l'église  de  Constantinople,  c'était 
même  une  dignité. 


la  discipline  ecclésiastique  ,  supprima  ces  fraternite's.  Dans  le 
IV®  siècle ,  on  appelait  agapetes  certaines  femmes  qui  re- 
cherchaient le  commerce  des  jeunes  gens,  et  leur  persua- 
daient qu'il  n'y  avait  rien  de  dangereux  pour  leur  cons- 
cience dans  le  libertinage  auquel  elles  les  forçaient  de  se 
livrer.  Cette  sorte  de  secte,  ne'e  de  celle  des  gnostiques,  fit 
de  grands  progrès  :  ceux  qui  la  composaient  passaient  pour 
garder  un  secret  inviolable  sur  ses  mystères,  à  la  connais- 
sance desquels  on  arrivait  au  moyen  d'une  initiation.    » 

(Saint-Edme,  Dict.  anal,  et  rais,  de  VHist.  de  France, 
t.  I,  2' partie,  p.  i44) 

(i)  Du  grec  a-woiKta,  habiter  ensemble. 


(    225    ) 

CHAPITRE  X. 

Du  célibat  dans  le  clergé  catholique. 

L'église  catholique  ou  romaine  a  porté  ses  exi- 
gences plus  loin  que  ne  l'a  fait  l'église  grecque  :  c'est 
ici  que  le  célibat  va  devenir  une  loi  inviolable , 
générale  et  sans  exception  pour  tous  ceux  qui 
s'attacheront  spécialement  au  service  des  autels 
ou  à  la  religion.  Combien  verrons-nous  de  scènes 
scandaleuses,  de  révolutions  sanglantes!  Un  grand 
homme  a  dit  :  «  Le  célibat  fut  un  conseil  du 
»  christianisme  ;  lorsqu'on  en  fit  une  loi  pour  un 
»  certain  ordre  de  gens,  il  en  fallut  chaque  jour 
»  de  nouvelles  pour  réduire  les  hommes  à  l'ob- 
»  servation  de  celle-ci.  Le  législateur  se  fatigua, 
»  et  fatigua  la  société  ,  pour  faire  exécuter  aux 
»  hommes  par  précepte ,  ce  que  ceux  qui  aiment 
»  la  perfection  auraient  exécuté  comme  conseil.  » 
En  efet,  les  lois  sur  le  célibat  des  ecclésiastiques 
forment  à  elles  seules  un  code  presque  aussi  vo- 
lumineux que  toutes  les  autres  lois  civiles  et  reli- 
greuses. 

Pour  mettre  quelque  ordre  dans  ce  chaos,  je 
vais  examiner  séparément  ce  qui  a  été  établi  pour 
les  différens  grades  de.  la  hiérarchie  ecclésiastique. 

i5 


(    226    ) 
Des  clercs  engagés  dans  les  ordres  mineurs. 

Aucun  concile ,  ni  aucune  décrétale  n'a  con- 
damné le  mariage  des  clercs  au-dessous  des  sous- 
diacres,  jusque  bien  avant  dans  le  XIP  siècle. 
Non-seulement  ils  pouvaient  garder  la  femme  qu'ils 
avaient  en  entrant  dans  les  ordres,  mais  il  leur 
était  même  permis  de  se  marier  après,  pourvu 
que  ce  ne  fût  une  seconde  fois  ou  avec  une  veuve. 
Saint  Grégoire-le-Grand ,  dans  la  lettre  3i^  du 
livre  XII ,  2*  question  ,  dit  expressément  :  «  Si 
»  les  clercs  (sans  doute  les  mineurs)  ne  peuvent 
»  pas  garder  la  continence ,  il  faut  leur  permettre 
y>  de  se  marier  ,  et  les  conserver  dans  leur  état , 
))  leur  accordant  des  traitemens  de  l'église .  »  Le 
papeZacbarie,  au  chapitre  11  de  sa  VlPépître,  après 
avoir  menacé  de  la  perle  de  leurs  bénéfices  les  évê- 
ques,  les  prêtres  et  les  diacres  qui  ne  s'abstiendront 
pas  de  leurs  femmes,  ajoute  :  «  Les  autres  clercs  peu- 
»  vent  vivre  avec  leurs  épouses,  suivant  l'usage  de 
»  leurs  églises  respectives.  »  Cependant  le  vingt-cin- 
quième canon  du  concile  tenu  à  Ratisbonne  en  74^ 
borne  la  faculté  de  contracter  mariage  après  l'ordre, 
aux  seuls  lecteurs  :  a  Quod  lectoribus  tanlum  liceat 
»  matrimonium  contrahere.  y)  Enfin  Alexandre  III, 
dans  sa  décrétale  qui  est  rapportée  au  chapitre  I 
Ext.  de  cler.  conjug. ,  permet  aux  clercs  mineurs 


(    227    ) 

de  garder  leurs  femmes,  mais  en  perdant  le  bénéfice 
ecclésiastique. 

Le  concile  de  Trente  n'a  pas  cru  le  mariage 
incompatible  avec  l'exercice  des  ordres  mineurs. 
Il  est  porté  au  chapitre  XVII  de  la  XXIII®  session  : 
«  Que  s'il  ne  se  trouve  point  sur  les  lieux  de  clercs 
))  dans  le  célibat,  pour  faire  les  fonctions  des  quatre 
y)  ordres  mineurs,  on  en  pourra  mettre  à  leur  place 
))  de  mariés...  pourvu  qu'ils  ne  soient  point  bigames, 
»  qu'ils  aient  la  tonsure  et  portent  l'habit  clérical 
»  dans  l'église.  »  Cette  doctrine  est  encore  en  vi- 
gueur. 

Des  sous— diacres . 

11  paraît  que,  dans  les  premiers  siècles  de  l'église, 
le  sous-diaconat  n'était  pas  regardé  comme  un  ordre 
sacré.  Il  est  certain  que  les  sous-diacres  pouvaient 
contracter  mariage  avant  et  après  l'ordre.  Le  pape 
Sirice  lui-même,  que  l'on  n'accusera  pas  de  complai- 
sance envers  les  clercs  mariés,  dit,  chapitre  IX  de 
sa  lettre  à  Himérius  de  Tarragone  :  k  Celui  qui  de- 
y)  puis  l'adolescence  jusqu'à  la  trentième  année  a 
»  mené  une  vie  régulière  et  ne  s'est  marié  qu'à  une 
»  vierge,  recevant  la  bénédiction  d'un  prêtre,  peut 
»  être  élevé  au  sous-diaconat.  »  Cela  se  pratiquait 
dans  toute  l'é^jlise  sans  résistance. 

Au  fur  et  à  mesure  que  les  principes  de  la  religion 
s'étendaient  et  s'affermissaient,  le  célibat  s'affermis- 

i5.. 


(    228   ) 

sait  aussi  et  faisait  chaque  jour  de  nouvelles  con- 
quêtes. La  12'  lettre  du  pape  Léon  I",  de  l'an  44^' 
paraît  faire  aux  sous-diacres  une  obligation  de  la 
continence:  «  Que  ceux  qui  ont  une  femme  vivent 
»  comme  s'ils  n'étaient  pas  mariés  j  et  que  ceux  qui 
))  n'en  ont  pas  restent  dans  le  célibat  (i).  »  Ce  fut 
pendant  le  cours  des  VF  et  YIP  siècles  que  les  sous- 
diacres  finirent  par  être  rangés  dans  la  catégorie  des 
diacres  et  des  prêtres,  et  assujettis  aux  mêmes  obli- 
gations. Si  l'on  veut  s'en  assurer,  on  peut  consulter 
le  sixième  canon  du  concile  de  Tolède,  tenu  en  653  ; 
le  onzième  du  concile  de  la  Yénélie,  tenu  en  4^5, 
et  plusieurs   autres. 

Une  lettre  écrite  en  6go,  au  sous-diacre  Pierre 
de  Sicile,  par  le  pape  Grégoire-le-Grand,  établit 
enfin  d'une  manière  positive  la  législation  sur  le  cé- 
libat des  sous-diacres.  Ce  pontife  désapprouva  que 
son  prédécesseur  eût  ordonné  aux  sous- diacres  de 
Sicile  de  se  séparer  de  leurs  femmes.  «  Il  aurait  fallu, 
))  dit-il,  leur  imposer  cette  condition  au  moment 
»  qu'on  leur  conférait  l'ordre.  ))  Et  en  eflfet  il  or- 
donna aux  évêques  de  n'admettre  plus  au  sous-dia- 
conat aucun  individu  qu'on  n'en  eût  auparavant 
exigé  et  reçu  la  promesse  de  vivre  dans  le  célibat. 


(1)  Ut  qui  habent  (uxorem)  sint  tamquam  non  habentes, 
et  qui  non  habent,  permaneant  singulares. 


(    229   ) 

Des  diacres  .  des  prêtres,  des  évêques.  • 

• 
Il  paraît,  par  le  capitule  P'"  du  concile   tenit  à 

Tolède  en  400,  que  les  diacres  pouvaient  d'abord  con- 
tinuer à  vivre  avec  leurs  femmes.  Comme  le  sens  n'en 
est  pas  bien  précis,  et  qu'il  est  le  seul  document  de 
ce  genre  que  j'aie  trouvé,  on  peut  dire  sans  crainte 
d'erreur  que  les  diacres  dans  l'église  latine  ont  tou- 
jours été  soumis  au  célibat.  Le  concile  d'Orange  de 
44 1  porte  dans  le  vingt-deuxième  canon  :  «  Les  clercs 
»  mariés,  s'ils  ne  font  pas  vœu  de  chasteté,  ne  doivent 
»  pas  être  faits  diacres.  »  Et  dans  le  vingt- troisième: 
»  Que  les  diacres  qui  ne  s'abstiennent  pas  de  leurs 
»  femmes  soient  privés  de  la  fonction  de  leur  ordre.  » 
Cette  doctrine  par  la  suite  n'a  plus  présenté  aucune 
aberration. 

Le  premier  canon  du  concile  de  Tolède,  du  17 
mai  597,  porte  que  les  évêques  feront  observer  la 
continence  aux  prêtres  et  aux  diacres  et  pourront 
déposer  et  enfermer  les  contrevenans,  pour  faire  pé- 
nitence. 

Nul  doute  que  les  prêtres  et  les  évêques  n'aient 
été  obligés  à  la  continence  dès  les  premiers  jours  de 
l'église  romaine.  11  est  vrai  qu'on  élevait  souvent  à 
la  dignité  sacerdotale  et  même  épiscopale  des  hommes 
qui  avaient  femme  et  enfans  j  mais  ils  les  obligeaient 
dès  lors,  aussi  bien  que  leurs  épouses,  de  vivre  en- 
semble comme  frère  et  sœur.  Cependant  le  mariage 


(    230    ) 

en  lui-même  ne  recevait  aucune  atteinte.  La  femme 
du^^rêtre  ou  de  l'évêque,  presbjteva  ou  episcopa  j 
ne'pouvait  pas,  du  vivant  de  son  mari,  contracter 
\\\\  nouvel  engagement.  Ce  qui  semblera  sans  doute 
singulier ,  c'est  que  ces  prêtresses  ne  pouvaient  pas 
même  se  marier  après  la  mort  de  leurs  maris.  Le 
premier  canon  du  concile  tenu  à  Rome  en  721  est 
très  formel.  La  femme  et  le  mari,  après  le  mariage, 
devenant  deux  personnes  en  une  seule  chair,  il  est 
naturel  de  penser  que  la  consécration  de  l'un  s'éten- 
dait à  l'autre.  Au  reste,  les  veuves  étaient  un  objet 
d'aversion  pour  notre  sainte  église. 

Si  un  diacre  ou  un  pi'être  ou  un  évêque  retour- 
nait à  la  femme  qu'il  avait  épousée  avant  d'entrer 
dans  les  ordres,  ou  en  épousait  une,  le  mariage 
n'était  pas  nul,  les  enfans  n'étaient  pas  illégitimes* 
seulement  l'ecclésiastique  perdait  son  bénéfice  et  la 
fonction  de  son  ordre.  On  le  voit  par  le  XXXIIP 
capitule  du  concile  tenu  à  Elvire  en  l'an  3o5,  et 
dans  tous  ceux  que  l'on  a  tenus  dans  la  suite. 

Ce  n'est  que  dans  le  XIP  siècle  que  les  ordres 
sacrés  ont  formé  un  empêchement  dirimant  au 
mariage.  Le  concile  de  Latran ,  tenu  à  Rome 
sous  Innocent  II,  en  iiSg,  et  que  j'ai  déjà  cité, 
dit,  septième  canon  :  «  Nous  avons  ordonné  que 
»  les  évêques ,  les  prêtres,  les  diacres  et  les  sous- 
»  diacres  qui,  violant  leur  vœu,  ont  eu  la  hardiesse 
))  de  s'attacher  des  femmes ,  en  soient  séparés  ;  car 


(  23.  ) 

»  nous   croyons    qu'une    union    contractée   contre 
■»  les  lois  de  l'église   n'est  pas   un  vrai  mariage.  » 
Conformément     à    cette    doctrine,     en     ii59, 
A-lexandre  III  ordonna  (chap.  I*""  de  sa  décrétaie, 
Ext.   de  cler.  conjiig.  )  que    l'on   contraignît  par 
la  force  des  censures,  les  sous-diacres,  les   diacres 
et  les   prêtres   à    renvoyer   leurs   femmes  ;    et    au 
chapitre  IV  de  la  même  décrétale,  il  dit  que  «  ces 
»  unions  ne  sont  pas  un  mariage,  mais  une  simple 
w  cohabitation  :  m    non  nuptiœ  ,    sed  contubernia. 
En    II 75,  sous  le  même  pontife,  un  concile  de 
Londres  imposa ,   dans   son  deuxième  canon  ,    aux 
sous-diacres  de  se   séparer  de  leurs  femmes ,  quoi- 
qu'elles ne  le  voulussent  pas. 

Yers  l'an  1 3oo ,  Boniface  YIII  déclara  positi- 
vement que  l'ordre  sacré  était  un  empêchement 
dirimant  du  mariage  :  «  Nous  avons  jugé  à  propos 
M  de  déclarer  par  la  présente  décrétale  ,  qu'on 
»  doit  appeler  vœu  solennel ,  et  capable  de  rompre 
I)  le  mariage.,  celui-là  seul  que  l'on  a  fait  par  la 
»  réception  de  l'ordre  sacré  (i).  » 

Enfin  Clément  Y,  au  concile  de  Yienne,  tenu 
en    i3i2  (.cap  1",  De  conjunct.   et  ajffin!).,  met  le 


(i)  Praesentes  declarandum  duxinius  oraculo  sanctionis, 
illud  sohim  votum  dici  debere  solemne ,  quantum  ad  diri- 
mendum  matrimonium,  quod  solemnisatum  fuerit ,  per 
susceptionem  sacri  ordinis.  {De  voto,  c.  I.) 


(    232    ) 

mariage  de  ceux  fjui  ont  reçu  les  ordres  sacres , 
sur  le  même  rang  que  le  mariage  des  personnes  qui 
se  trouvent  dans  les  degrés  de  parenlé  prohibés 
par  les  canons ,  et  excommunie  les  individus  qui 
les  ont  contractés,  jusqu'à  ce   qu'ils  se  séparent. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  rapporter  le  neuvième  ca- 
non de  la  vingt-quatrième  session  du  concile  de 
Trente,  où  ces  principes  sont  approuvés  et  con- 
firniés  de  nouveau;  ni  de  dire  que  depuis  lors 
l'obligation  du  célibat ,  pour  les  ecclésiastiques 
engagés  dans  les  ordres  sacrés ,  n'a  donné  lieu  à 
aucune  discussion  ou  décision  nouvelle,  au  moins 
pour  les  fidèles  qui  sont  restés  dans  le  sein  de  l'é- 
glise romaine. 

Je  n'ai  cite  dans  ce  chapitre  qu'un  petit  nombre 
de  conciles  et  de  décrétales,  ceux  qui  me  parais- 
sent avoir  le  plus  influé  sur  l'opinion  publique  et 
contribué  ainsi,  d'une  manière  plus  efficace,  à 
l'établissement  du  célibat.  Si  j'eusse  voulu  suivre 
avec  détail  toutes  les  décisions  qui  ont  été  portées 
sur  cette  matière,  «  j'aurais  fait  un  livre  si  volu- 
))  mineux ,  que  le  monde  entier  n'aurait  pu  le  con- 
»  tenir.  ))  Qu'on  me  passe  cette  exagération,  traduite 
mot  à  mot  du  dernier  verset  de  V Evangile  de  saint 
Jean. 


(  ^33  ) 


WVWWWVM»  AI\VVVVV\VVVVV\VV%VVVVVVVVVVV\VVVi'V\VV«VVVVW«%VtWVW«V\W\WV\«VllV\VMiW«VV\V«A 

CHAPITRE  XL 

Des  mesures  prises  pour  empêcher  les  ecclésias- 
tiques de  violer  la  continence. 

Si  le  législateur  défendait  à  un  homme  jeune 
encore,  par  exemple,  à  l'âge  de  quinze  ou  de  dix- 
huit  ans  ,  de  ne  plus  croître  ,  pourrait-il  an^êter 
le  développement  de  son  corps?  ne  lui  faudrait-il 
pas  l'enfermer  dans  une  cage  de  fer  juste  de  la 
capacité  de  sa  personne?  Imaginez-vous  les  efforts 
du  patient  pour  ressaisir  la  liberté  !  que  de  tour- 
mens  !  que  de  plaintes  ! 

L'ordre  que  les  législateurs  de  la  religion  chré- 
tienne ont  donné  aux  ministres  des  autels  de  ne 
pas  se  marier,  n'est  ni  plus  juste  ni  plus  facile 
à  exécuter.  Le  sentiment  qui  attache  un  sexe  à 
l'autre  est  aussi  naturel  et  aussi  nécessaire  que  le 
développement  du  corps.  Ou  renfermez-les  dans 
une  cage  de  fer,  ou  élevez  un  mur  d'airain  entre 
eux ,  ou  il  se  rapprocheront  et  la  loi  sera  violée. 

D'abord  on  eut  beaucoup  de  confiance  dans  la  force 
que  la  religion  donne  à  l'esprit  sur  les  sens,  et  on 


(  234  ) 
Jaissa  les  ministres  dans  la  société  des  femmes  qu'ils 
avaient  épousées  avant  d'entrer  dans  les  ordres. 
Cette  erreur  se  dissipa  en  peu  de  temps.  Des  fils 
étant  nés  de  ces  femmes,  il  fut  prouvé  que  des 
ecclésiastiques  violaient,  ou  avaient  violé  la  con- 
tinence [generati  filii  prodiderunt  incontinentes 
esse  aut  fuisse);  et  en  vérité  c'est  une  faute  difli- 
elle  à  cacher.  Alors  ou  ordonna  à  tous  les  clercs 
de  se  séparer  à  jamais  de  leurs  épouses  et  de  ne 
les  plus  voir. 

Cela  n'était  pas  assez.  Les  ministres  se  trouvaient 
en  rapport  avec  d'autres  femmes  :  nn  règlement 
défendit  aux  clercs  de  se  trouver  jamais  seuls  avec 
une  femme. 

Nous  avons  besoin  d'être  aidés.  —  Prenez  des 
hommes  à  votre  service.  — -  Il  y  a  des  choses  que 
les  hommes  ne  savent  ou  ne  veulent  point  faire.  — 
Et  bien!  vous  pouvez  garder  avec  vous  votre  mère, 
votre  tante,  votre  sœur. 

Les  prêtres  gardent  leurs  parentes  ,  et  bientôt 
de  nouveaux  scandales.  Ces  sœurs  font  des  enfans, 
et  les  prêtres  sont  accusés  de  les  leur  avoir  fait 
faire.  Quelques-uns  sont  soupçonnés  de  relations 
criminelles,  même  avec  leurs  propres  mères.  Vite, 
séparez-vous  de  toutes  les  femmes! 

Il  y  a  un  grand  nombre  de  canons  sur  cette 
matière  :  les  citer  tous  serait  aussi  fatigant  pour 
moi  qu'ennuyeux  pour   le  lecteur.   On  peut  voir, 


(  235  ) 
pour  l'espèce  de  femmes  dont  la  compagnie  fut 
permise  aux  ecclésiastiques,  le  troisième  canon  du 
concile  tenu  à  Arles  en  4^2 ,  et  le  dixième  canon 
de  celui  tenu  à  Tours  en  56 j.  Je  cite  de  préfé- 
rence ces  conciles,  parce  qu'ils  nous  regardent  de 
plus  près. 

Quant  à  la  défense  absolue  aux  ecclésiastiques 
d'avoir  aucune  femme  avec  eux ,  on  la  trouve  dans 
le  capitule  \II  du  concile  de  Germanie _,  lenu  à  Ra- 
tisbonne  en  742.  Le  troisième  canon  du  concile 
tenu  à  Metz  en  888  s'exprime  clairement.  11  est 
défendu  à  tous  ecclésiastiques  de  garder  chez  eux 
aucune  femme,  pas  même  leur  sœur  ou  leur  mère, 
parce  qu'il  paraît  que  de  graves  inconvéniens  avaient 
eu  lieu  :  hoc  enim  crimen  in  quibusdam  oriri  vi- 
debatur.  Le  sixième  canon  du  concile  de  INar- 
bonne ,  du  27  juin  791,  défend  aussi  aux  prêtres 
d'habiter  avec  quelque  femme  que  ce  soit,  même 
avec  celles  que  les  anciens  canons  leur  avaient 
laissées. 

Des  ecclésiastiques  étaient  soupçonnés  de  rela- 
tions clandestines  et  de  choses  que  le  Saint-Esprit 
avait  condamnées.  Pour  les  obliger  à  une  conti- 
nence parfaite,  on  imagina  de  les  faire  surveiller, 
même  dans  l'intérieur  de  leurs  maisons.  Le  pape 
Symmaque  fit,  dans  le  courant  du  VP  siècle, 
une  ordonnance  dont  le  but  était  de  contraindre 
les  ecclésiastiques  à  avoir  auprès  d'eux  un  de  leurs 


(  236  ) 

confrères  qui  coucliat  dans  lu  même  cliambre  et 
lût  témoin  de  toutes  leurs  actions.  11  voulut  même 
que  ceux  qui  n'avaient  point  de  moyens  d'entre- 
tenir un  sjncelle  (i),  en  remplissent  les  fonctions 
auprès  d'autres  ecclésiastiques. 

Le  pape  Symmaque  trouva  des  échos  :  le  9  dé- 
cembre 653,  un  concile  de  Tolède  ordonna  aux 
évéques  ,  aux  prêtres  et  aux  diacres  de  s'attacher 
en  qualité  de  syncelles  des  hommes  d'une  con- 
duite   irréprochable  ;   et   le    concile    de    Paris ,    de 

(i)  Proto-syncelle.  "Le  proto—syneellc  était  autrefois  un 
des  premiers  dignitaires  de  l'e'glise  de  Constantinople  ;  il  est 
encore  aujourd'hui  le  confesseur  et  le  compagnon  du  pa- 
triarche; mais,  depuis  que  le  patriarche  et  \e  proto-sjrncelle, 
son  compagnon,  sont  pris  parmi  les  moines,  ce  dernier  n'est 
plus  regarde'  comme  dignitaire  de  l'église  patriarcale.  II 
est  le  compagnon  de  l'évèque ,  il  habite  dans  le  palais  pa- 
triarcal; il  peut  même  avoir  un  grand  cre'dit,  mais  il  n'a 
dans  l'égUse  aucun  rang  distingue'.  (Des  Odoards  Fantin , 
Dict.  rais,  du  gouv.  de  l'église,  Paris,  iijSS.) 

Syncelle.  Les  Grecs  ont  donné  ce  nom  à  des  officiers  ec- 
clésiastiques qui  ne  quittaient  jamais  les  évêques,  et  qui  de- 
vaient être  les  témoins  irréprochables  de  toutes  leurs  actions. 
Quelques-uns  ont  cru  que  les  syncelles  étaient  les  confesseurs 
des  évêques;  il  paraît  cependant  que  leurs  fonctions  avaient 
plus  de  rapport  avec  celles  des  archidiacres.  Le  P.  Thomas- 
sin  observe  que  ,  durant  les  premiers  siècles  de  l'église ,  les 
évêques,  pour  prévenir  tous  les  soupçons  qui  pouvaient 
naître  sur  leur  conduite,  avaient  toujours  un  clerc  auprès 


(  237  ) 
829,  défendit  ,  dans  son  vingtième  canon  ,  aux 
évêques  de  coucher  seuls,  et  sans  avoir  des  té- 
moins de  la  pureté  de  leur  vie.  Voilà  un  genre 
d'espionnage  inconnu  de  nos  jours.  Les  évéques 
jouissent  de  leur  liberté  chez  eux ,  et  n'inquiètent 
pas  à    cet  é^ard  les  ecclésiastiques  inférieurs. 

Dans  (juelques  localités,  on  essaya  aussi  des  ré- 
compenses pour  déterminer  les  clercs  à  se  séparer 
de  leurs  concubines  :  un  concile  tenu  à  Aenham  en 
Angleterre,  en  1009  ou  loig,  promit  d'accorder  les    " 


d'eux  ,  lequel  coiirhait  même  dans  leur  chambre ,  et  que  ce 
clerc  était  appelé'  syncelle.  Cependant  l'Llstoirc  ue  fait  men- 
tion de  ces  officiers  que  vers  le  temps  du  concile  de  Chalce- 
doine,  et  Timoiliëe,  patriarche  de  Constantinople ,  paraît 
être  le  premier  qui  ait  eu  constanmient  auprès  de  lui  un 
pareil  te'moin  de  sa  conduite.  Victor  de  Tunes  assure  qu'au 
commencement  du  VP  siècle  ,  selon  les  corrections  de 
M.  de  Valois. . .,  Timothe'e  mourant  choisit  pour  son  suc- 
cesseur au  sie'ge  de  Constantinople  Jean  de  Capadoce  ,  qui 
avait  été  son  sjnceLle  et  le  témoin  de  toutes  ses  actions.  Ce 
dernier  patriarche  fit  la  même  chose  que  son  prédécesseur, 
ou  du  moins,  après  sa  mort,  on  mit  sur  le  siège  de  la  capi- 
tale de  l'empire  Epiphane-/e-5j"nce//e.  Cette  succession  de 
deux  sjncelles  au  patriarcat  de  Constantinople  a  fait  croire 
à  quelques  écrivains  ecclésiastiques  que  le  droit  de  succes- 
sion à  l'épiscopat  était  acquis  à  ces  officiers ,  ce  que  l'histoire 
dément.  Cette  charge  passa  d'Orient  en  Occident  ;  mais  ceux 
qui  en  furent  revêtus  ne  jouirent  pas  d'une  grande  autorité. 

{Jhid.') 


(  238  ) 
prérogatives  de  la  noblesse  à  ceux  qui  renverraient 
les  femmes  qu'ils  gardaient  encore. 

CHAPITRE  XII. 

Code  pénal  du  célibat. 


Punitions  contre  les  ecclésiastiques. 

Si  vous  ôtez  le  pain  à  vos  enfans  ou  à  vos  do- 
mestiques, vous  en  faites  des  voleurs  :  vous  aurez 
beau  gronder  et  punir,  ils  vous  voleront  toujours; 
il  ruineront  leur  santé,  ils  détruiront  votre  fortune. 
Les  besoins  de  la  nature  veulent  être  satisfaits. 
Toute  loi  qui  défend  une  satisfaction  nécessaire 
est  toujours  violée.  L'homme  ne  peut  pas  attenter 
à  sa  propre  existence. 

La  privation  d'une  chose  indispensable  allume 
/  le  désir,  la  difficulté  d'apaiser  ce  désir ,  les  obs- 
tacles qu'on  lui  oppose,  inspirent  la  hardiesse  et 
font  trouver  mille  ressources.  Ces  réflexions  nous 
préviennent  déjà  de  l'inutiUté ,  ou ,  pour  mieux 
dire,  du  danger  des  peines  que  l'église  a  établies  pour 
maintenir  le  céUbat. 


(=•39) 

En  jetant  les  yeux  sur  le  nombre  immense  des 
lois  pénales  sur  cet  objet ,  on  remarque  d'abord 
que  les  peines  contre  les  infracteurs,  graves  dans 
les  premiers  siècles,  sont  allées  en  diminuant,  à 
mesure  que  le  nombre  des  célibataires  devenait 
plus  considérable  et  le  devoir  du  célibat  plus 
rigoureux  ;  et  cela  devait  être  ainsi  :  si  l'on  eut 
augmenté  en  même  temps  la  rigueur  du  célibat 
et  la  sévérité  des  peines ,  il  n'y  aurait  eu  d'homme 
en  état  de  résister. 

Les  évêques ,  les  prêtres ,  les  diacres ,  et  plus 
lard  les  sous-diacres,  qui  étaient  convaincus  de 
fornication ,  depuis  le  iroUiAmp  jusqu'au  onyîème 
siècle,  étaient  non-seulement  condamnés  à  la  perte 
de  tous  leurs  bénéfices  et  à  la  suspension  de  leur 
ordre,  mais  excommuniés  pour  toute  leur  vie  el 
sans  espérance  de  réconciliation.  S'ils  ne  s'abste- 
naient de  leurs  femmes  légitimes,  ils  encouraient 
les  mêmes  peines,  l'excommunication  exceptée  (i). 

Les  ecclésiastiques  malheureux  n'avaient  pas  été 
traités  avec  autant  de  rigueur  dans  l'église  d'O- 
rient i  ils  n'y  étaient  que   déposés  (2). 

Le  pape  Sirice,  dans  son  zèle  chaleureux  pour 
la  prospérité  de  la  foi,  tonne  et  foudroie  les  mêmes 

(i)  Caii.  XIX  et  XXXIII,  Conc.  d'Elvire ,  de  3o5; 
can.  IX,  Conc.   de  JVorms ,  de  868. 

(2)  Conc.  des  Apoir.;  Conc.  de  Néocésarée,  de  32^. 


C  Mo  ) 
peines  contre  ceux  qui ,  averlis ,  refuseront  de  se 
corriger,  (C  parce   que,  dit-il,  il  faut  amputer  par 
»  le    fer   les    plaies    pour    lesquelles    les   fomeiita- 
))  lions  sont  inutiles  (i).  » 

Grëgoire-le-Grand  voulait  que  celui  qui  se  pré- 
sentait aux  ordres  fût  interrogé  en  secret,  s'il  n'é- 
tait pas  tombé  dans  la  fornication  ou  dans  l'adul- 
tère, et  que,  s'il  en  convenait,  on  ne  l'admît  point, 
quand  même  le  délit  ne  fut  connu  de  personne. 
S'il  protestait  qu'il  était  innocent,  on  devait  l'avertir 
de  consulter  sa  conscience ,  et  si  elle  lui  faisait 
quelque  reproche^  de  penser  plutôt  à  s'enfermer 
dans  un  olnîfrfi  povir  y  Taire  pénitence,  qu'à  re- 
cevoir le  sacerdoce  dont  son  crime,  quoique  secret, 
le  rendait  incapable. 

((  Ce  pontife  sévère  voulait,  selon  les  canons, 
»  que  tout  ecclésiastique  et  bénéficier,  soit  sous- 
»  diacre,  soit  diacre,  prêtre,  abbé  ou  évéque,  qui 
»  serait  tombé  dans  un  péché  d'impureté,  s'il  y 
i)  avait  des  preuves  de  son  crime,  fut  déposé  et 
M  mis  en  pénitence  dans  un  monastère  ,  sans  qu'il 
»  pût  jamais  prétendre  d'être  rétabli  dans  son  ordre 
w  et  dans  sa  dignité.  » 

11  avertit  Févêque  de  Tarente,  qui  était  soup- 
çonné d'avoir  eu  une  concubine  depuis  qu'il  était 


(i)  Lettre  à  Uimerius,  déjà  citée. 


(  2^^  ) 

ëvêque  ,  de  se  déposer  lui-même  et  de  s'abstenir 
de  toute  fonction  sacerdotale,  s'il  se  trouvait  cou- 
pable de  ce  crime.  Cet  ëvêque  n'avait  été  suspendu 
que  deux  mois  quelque  temps  auparavant ,  quoi- 
qu'il eût  été  convaincu  d'avoir  fait  doimer  un 
grand  nombre  de  coups  de  bâton  à  une  vieille 
femme  de  celles  que  l'église  entretenait,  et  qu'elle 
en  fût  morte  huit  mois  plus  tard  (i). 

Dans  le  Xl^  siècle,  on  défendit  aux  fidèles  d'en- 
tendre la  messe  des  ecclésiastiques  que  l'on  savait 
avec  certitude  avoir  une  roncubine.  En  Angleterre, 
on  les  déclara  même  infâmes  (2). 

Grégoire  VII,  dans  la  dixième  épître  du  lY®  liv., 
adressée  à  Odile,  comtesse  de  Flandre,  dit  que 
les  prêtres  tombés  en  fornication  ne  doivent  point 
célébrer  la  messe  ,  mais  être  chassés  du  choeur. 

La  doctrine  de  l'église  d'Orient  n'a  jamais  été 
la  même.  Le  concile  de  Gangra ,  tenu  sous  le 
pape  Sylvestre,  vers  le  commencement  du  IV®  siècle, 
menace  d'excommunication  tout  homme  qui  sou- 
tient qu'on  ne  doit  pas  prendre  part  aux  obia- 
tions ,  lorsque  celui  qui  célèbre  est  marié.  Il  y  a 
ici  une  grande  différence  dans  l'état  de  ces  ecclé- 
siastiques :  le  mariage  des  uns   ne   peut   pas    être 

(i)  Mainbourg,  Hist.  du  pontifical  de  saint  Giégoire. 
(2)  Can.  III,  Conc.  de  Rome,  de  io5g;   caii.  VII,  Cane. 
de  Latran,  de  1 189;  Conc.  de  Londres ,  du  24  '"^'^  i  lO'j. 

16 


V  ^4^  ) 

comparé  au  concubinage  des  autres.  Toutefois  le 
ministre  catholique  ne  pouvant  avoir  une  femme 
légitime,  la  concubine  n'en  prendrait -elle  pas  la 
place?  11  faut  aussi  apprécier  la  différence  des  temps 
et  des  lieux. 

La  suspen-sion  ,  l'excommunication ,  le  mépris 
excité  contre  les  ecclésiastiques  incontinens,  ne 
parurent  pas  des  peines  assez  graves  pour  répri 
mer  leur  licence  effrénée.  On  en  imagina  de  plus 
sévères.  Les  évêques  furent  autorisés  à  renfermer 
les  coupables  dans  les  cachots  des  monastères , 
pendant  tout  le  temps  qu'il  leur  plairait ,  même 
pendant  toute  leur  vie  (i). 

Les  punitions  pécuniaires  s'établirent  pendant 
le  cours  du  XIV  siècle.  Le  concile  de  Ravenne 
condamna  à  une  amende  de  dix  sous  de  la  mo- 
naie  de  ce  pays ,  les  clercs  «  qui  garderaient  ou 
»  qui  feraient  garder  des  concubines  (2).  »  Un 
concile  de  Yalladolid  proportionna  les  peines  pé- 
cuniaires à  la  gravité  el  à  la  durée  de  la  faute. 
Il  défendit  à  tout  clerc  d'entretenir  publiquement, 
cliez  lui  ou  chez  autrui  ,  une  concubine  quel- 
conque, sous  peine  de  perdre,  deux  mois  après 
la    publication  du  concile,    un  tiers   des  fruits  de 

(i)  Conc.  de  Tolède,  du  l'y  mai  Sg'j  ;  can.  VI,  Conc.  de 
Tolède,  de  653. 

(2)  Conc.  de  Ravenne,  de  i3i7,  rubrique  IV. 


.(  M3  ) 

son  bénéfice  pendant  ce  temps  ;  en  cas  d'obstina- 
tion dans  l'incontinence  ,  un  autre  tiers,  c'est-à- 
dire  deux  tiers  à  la  fin  de  deux  autres  mois  ;  enfin 
le  bénéfice  même  après  six  mois ,  à  partir  de  la 
notification  du  concile.  En  outre,  l'évêque  était 
autorisé  à  mettre  en  prison  pendant  deux  ans  les 
clercs  réfractaires   (i). 

Quelque  graves  que  puissent  paraître  ces  peines, 
les  termçs  de  la  loi  sont  tels,  qu'elle  ne  recevra 
d'application  que  dans  des  circonstances  fort  raves. 
Ce  n'est  plus  de  la  simple  fornication  qu'il  s'agit 
ici  ;  il  faut  une  notoriété  publique ,  il  faut  un  mé- 
nage établi,  un  mariage  ex  usu^  comme  cbez  les 
Romains  et  chez  les  peuples  du  raidi  de  l'Europe, 
jusque  bien  avant  dans  le  V^  siècle  (2).  On  ne 
parle  plus  de  la  suspension  de  l'ordre ,  il  n'y  a 
plus   d'excommunication. 

L'évêque  concubinaire  ne  fut  privé  que  de  la 
perception  des  fruits  de  son  bénéfice  pendant  tout 
le  temps  qu'il  gardait  la  concubine.  On  voit  que 
les  évoques  faisaient  la  loi  pour  les  autres  (3). 

La  gradation  dans  les  peines  du  concile  de  Val- 
ladolid   fut   nouvellement   sanctionnée    et   étendue 


(i)  Conc.  de  ValladoUd,  de  i322 ,  can.  VIT. 

(2)  Conc.  de  Tolède,  de  4oo,  can.  XVII. 

(3)  Conc.  de  ToVede,  de  i^']^,  cap.  IX. 

16.. 


(  244  ) 

à  loiite  l'éj^lise  catholique  par  le  concile  de  Baie. 
11  y  mit  même  un  peu  plus  de  sévérité,  en  ce 
que  le  terme  de  six  mois,  fixé  par  le  premier, 
fut  réduit  à  quatre  (i).  Les  pontifes  de  Rome 
adoptèrent  cette  loi,  et  la  firent  confirmer  par  le 
concile   de  Trente  (2). 

Ce  concile  a  ajouté  la  dernière  main  à  la  légis- 
lation de  l'église.  Je  vais  rapporter  en  abrégé  ses 
dispositions  pénales  contre  les  clercs  concubinaires. 
11  condamne  à  la  perte  du  tiers  des  fruits  de  leurs 
bénéfices  ,  les  clercs  qui  ,  avertis  par  l'autorité 
compétente  ,  ne  se  séparent  pas  de  leurs  concu- 
binesj  à  celle  de  tous  les  revenus  ecclésiastiques, 
même  à  la  suspension  des  fonctions  de  leur  ordre 
tant  que  l'ordinaire  le  jugera  à  propos  ,  s'ils  ne  se 
corrigent  pas  après  un  second  avertissement  ;  à 
la  privation  des  bénéfices  et  du  droit  d'obtenir 
des  dignités,  jusqu'à  ce  que  le  supérieur  ne  leur 
ait  donné  dispense  ,  s'ils  persévèrent  dans  leur 
faute  ;  enfin  ,  à  être  frappés  d'anathème ,  s'ils  s'o- 
piniâtrent  dans  leur  insubordination. 

Si  les  clercs  coupables  n'ont  pas  de  bénéfices, 
l'évêque  peut  les  punir  par  l'emprisonnement,  la 
suspension  de  la  fonction  de  l'ordre,  la  déclaration 
d'incapacité  à  tenir  quelque  bénéfice  que  ce  soit,  ou 


(i)  Conc.  de  Belle,  de  i435,  décret.  I" 
(2)  Conc   de  TMlran,  de  i5i4,  sous  Lé( 


sous  Léon  X  ,  sess.  Y. 


(  ^45) 
])ar  toute   autre    peine  ,  conformément  aux   saints 
canons. 

Ce  concile  prononce  la  suspension  contre  l'é- 
vêque  concubinaire  qui  ,  averti  par  le  concile 
provincial ,  refuse  de  se  corriger;  il  autorise  le  pape 
à   le  priver  même  de  son  siège  (i). 

A  moins  qu'on  ne  fut  hypocrite  et  sacrilège , 
il  était  très  difficile  de  dérober  les  relations  se- 
crètes du  concubinage  à  la  connaissance  des  su- 
périeurs. S'il  eu  faut  croire  quelques  historiens 
accrédités,  «  vers  le  commencement  du  XYP  siècle, 
»  on  obligea  les  confesseurs  à  venir  révéler  le 
»  nom  de  ceux  qui  vivaient  avec  des  concu- 
»  bines  (2).  » 

Punitions  contre  les  concubines. 

Lorsque  les  pères  de  notre  sainte  église  résolu- 
rent de  frapper  les  concubines  des  ecclésiastiques, 
ils  y  furent  portés  par  de  très  bonnes  raisons. 
A  leurs  yeux,  coupables  et  donnant  un  exemple 
dangereux,  il  fallait  les  punir,  il  fallait  que  leur 
perte  répandît  la  terreur ,  pour  qu'aucune  autre 
femme  n'eut  l'audace  d'essayer  la  force  de  ses 
séductions   sur    un    clerc    engagé  dans   les  ordres, 


(1)  Conc.  de  Trente,  sess.  XXV,  c.  XIV. 

(2)  Dictionn.  féodal ,  art.  Mariage. 


(  246  ) 
ou  la  faiblesse  de  céder  aux  instances  des  hommes 
consacrés  à  Dieu.  Au  resle,  c'était  une  voie  dé- 
tournée ,  mais  sûre,  d'atteindre  l'ecclësiasiique  lui- 
même  ;  c'était  le  punir  dans  ses  affections  les  plus 
tendres  et  les  plus  vives. 

Quelques  conciles  ont  mis  sur  la  même  ligne 
les  femmes  légitimes  et  les  concubines,  11  y  en 
a  un  qui  ne  laisse  lieu  à  aucun  doute  (i);  et 
suivant  moi,  ce  devait  être  ainsi  dans  le  temps 
où  cette  loi  de  l'église  fut  [)ortée  :  l'usaj^e  des  Ro- 
mains, qui  assimilait  la  concubine  à  la  femme, 
uocorij  existait  encore.  Dans  les  siècles  suivans, 
jusqu'au  concile  de  Trente,  les  conciles  ne  par- 
lent plus  que  des  femmes  étrangères  et  des  con- 
cubines. 

D'abord  les  évêques  furent  autorisés  à  les  vendre 
et  à  distribuer  leur  prix  aux  pauvres.  Ne  pou- 
vant peut-être  pas  exécuter  eux-mêmes  leurs  sen- 
tences ,  ils  recoururent  plus  tard  au  bras  séculier 
et  cédèrent  en  pleine  propriété  aux  juges  et  aux 
princes  ,  ces  femmes  criminelles  qui  avaient  attiré 
leur  animad version  (2),  On  prit  même  le  parti 
de  les  enfermer  dans  les  monastères  pour  la   vie  , 


(i)  Conc.  de  Tolède,  de  58g,  c.  V. 

(2)  Cône,  de  Tolède,  de  689,  c,  V,  déjà  cité:  Conc. 
d'Amalfi,  de  1090,  can.  XII;  Conc.  de  Sé\'ille,  du  ['^  no~- 
\-embre  5go. 


(  ^47  ) 
qu'elles  fussent  de  condition  libre  ou  esclaves  (i). 
L'église  devenant  de  plus  en  plus  puissante,  et 
n'ayant  plus  besoin  du  secours  de  personne,  finit 
par  s'attribuer  à  elle-même  les  concubines  des 
ecclésiastiques.  Celles  de  Rome  furent  enfermées 
dans  le  palais  de  Latran ,  où  elles  travaillaient 
pour  le  compte  du  pape  (2)  ;  celles  des  autres 
villes ,  dans  des  maisons  particulières  de  déten- 
tion ,  espèce  de  bagnes,  où  l'on  cherchait  à  uti- 
liser leurs  moyens.  Dans  quelques  provinces,  on 
avait  l'usage  de  les  chasser  de  la  paroisse  qui  avait 
été  le  théâtre  de  leurs  scandales ,  si  cependant 
elles  n'y  étaient  pas  mariées  ;  ce  n'était  qu'en  cas 
de  rechute  qu'elles  étaient  condamnées  à  devenir 
les  esclaves  des  évêques  et  des  églises  dans  le  res- 
sort desquelles  elles  se  trouvaient  (3).  Un  concile 
autorisa  les  évéques  à  faire  traduire  en  leur 
présence  ces  femmes  coupables  ,  non-seulement 
celles  qu'on  appelait  sous -introduite  s  et  qui  vi- 
vaient avec  les  ecclésiastiques  ,  mais  celles-là  même 
qui  donnaient  lieu  au  moindre  soupçon  ;  à  leur 
faire  subir  la  plus  liumiliante  procédure  ,  et  enfin 
à  les   faire  fustiger  ,  et  priver  d'un  ornement    au- 

(1)  Conc.  de  Tolbde,  de  653,  eau  \  . 

(2)  Décret  de  Léon  IX,  de  io5i.  — Cette  loi  parait  être 
encore  eu  vigueur  à  Rome. 

(3)  Conc.  de  Londres,  de  1127,  can.  V. 


(248) 

quel  elles  devaient  beaucoup  tenir ,  de  leur  blonde 
chevelure  :  c'était  en  Allemagne  (i).  Nous  avons 
déjà  vu  que  les  vestales  étaient  traitées  de  la  même 
manière  pour  des  fautes  légères;  ici  c'est  pour  un 
léger  soupçon  :  la  différence   n'est  pas  légère. 

La  condition  des  femmes  des  clercs ,  lorsqu'ils 
en  avaient  une,  ne  devait  pas  être  bien  douce  : 
d'un  côté  ,  on  leur  avait  défendu  d'avoir  aucune 
relation  intime  avec  leurs  maris,  et  de  l'autre  on 
avait  autorisé  ces  derniers  à  les  punir  sévèrement , 
à  les  attacher,  à  les  battre,  à  les  faire  jeûner,  à 
leur  infliger  toute  espèce  de  châtiment,  excepté  la 
mort,  si  elles  péchaient  contre  la  continence,  11  y 
a  de  quoi  rire  en  voyant  de  graves  conciles  s'oc- 
cuper de  pareils  détails  (2)  ! 

Revenons  aux  concubines.  On  déclara  nuls  les 
legs  que  les  clercs  à  qui  l'usage  des  femmes  était 
défendu  feraient  en  leur  faveur   (3). 

Le  concile  de  Baie  invita  les  puissances  sécu- 
lières seulement  à  arracher  les  concubines  aux  ec- 
clésiastiques qui  ne  voulaient  pas  s'en  séparer  (4). 
Celui  de  Latran ,  sous  la  présidence  du  chaste 
Léon  X,  renouvela   les  décrets  de  celui  de  Baie, 


(i)  Conc.  d' Augsbourg ,  de  gSa,  can.  IV. 

(2)  Conc.  de  Tolède,  de  4oo,  can.  VII. 

(3)  Conc.  d'Oxford,  de  1222,  can.  XXXV 

(4)  Conc.  de  Baie,  de  i435,  sess.  XX. 


(  =49  ) 
et  recommanda  aux  autorités  de  ne  se  laisser  pas 
intimider    par    le    grand    nombre     des     concubi- 
naires  (i). 

Au  concile  de  Trente  ,  on  ne  s'occupa  point 
des  concubines,  qu'on  n'aurait  jamais  dû  molester. 
Au  reste,  l'église,  en  i563,  avait  assez  d'ennemis: 
la  vue  du  danger  la  rendait  prudente.  Les  pères 
de  ce  concile  ne  s'en  prirent  qu'aux  clercs  eux- 
mêmes.  Comme  ils  voulaient  faire  du  célibat  une 
obligation  rigoureuse,  on  dut  penser,  au  moins 
secrètement,  et  chacun  en  soi-même,  de  laisser 
aux  membres  nombreux  d'un  clergé  si  puissant 
quelque  moyen  de  satisfaire  aux  besoins  de  la 
nature.  C'est  peut-être  l'un  des  motifs  qui  por- 
tèrent les  jeunes  prélats  à  se  prononcer  pour  un 
célibat  absolu.  Aujourd'hui  les  concubines,  si  con- 
cubines il  y  a,  n'ont  rien  à  craindre  de  la  part  de 
la  magistrature,  et  fort  peu  de  celle  de  l'opinion. 

Punitions  contre  les  enfans  des  concubinaires . 

Pourquoi  punir  les  enfans  des  fautes  de  leurs 
pères?  c'est  porter  trop  loin  la  sévérité,  et  violer 
tous  les  sentimens  de  la  justice.  Mais  dès  que 
l'on    sort   de   la  nature ,    que   l'on  crée   des   vertus 


(i)  Cinquième  Conc.  de  Latran,  de  i5i4,  sess.  IX. 


(  25o  ) 

cl)itnériques,  et  que  l'on  se  livre  à  des  idées  fausses 
de  perfection ,  il  n'y  a  plus  de  principes  certains 
(le  conduite  ,  et  il  est  impossible  que  l'on  ne  s'é- 
gare pas.  Nous  aurions  pu  soufliir  jusqu'à  un  cer- 
tain point  que  des  punitions  fussent  infligées 
aux  concubines  :  elles  étaient  complices  d'une 
mauvaise  action  ,  leur  exemple  pouvait  être  con- 
tagieux et  leur  châtiment  utile  ;  mais  quel  avan- 
tage pouvaient  retirer  la  religion  et  la  société  du 
châtiment  des  fils  des  concubinaires  ?  Dans,  ces 
momens  d'ivresse  où  l'homme  s'approche  de  sa 
compagne  ,  l'avenir  et  le  passé  disparaissent  et  se 
fondent  dans  le  présent;  l'esprit,  tout  entier  à 
ses  jouissances  ,  voit  le  bonheur  dans  le  monde 
et  ne  s'inquiète  plus  de  rien.  Les  pères  de  l'église 
catholique ,  à  cet  égard  ,  ont  été  aussi  ignorans 
que  cruels.  Ils  commencèrent  par  condamner  les 
enfans  des  clercs  concubinaires  ,  depuis  le  sous- 
diacre  jusqu'à  l'évêque ,  à  être  les  esclaves  des 
églises  auxquelles  appartenaient  leurs  pères  (i). 
Cependant  on  répète  tous  les  jours  que  la  religion 
chrétienne  a  de  tout  temps  favorisé  la  liberté  des 
peuples  ,  et  j'en  suis  intimement  convaincu.  Ses 
fruits  alors  n'étaient  pas  encore  parvenus  à  une 
parfaite  maturité. 

On  ne   tarda   pas   à    se  relâcher   d'une    sévérité 

(i)  Conc.  de  Tolède,  de  655,  can.  X. 


(  25.  ) 

si  barbare.  Quatre  ou  cinq  siècles  après ,  on  ne 
punissait  plus  les  enfans  des  clercs  que  par  l'ex- 
clusion de  la  cléricature  et  du  service  des  autels  (i). 

On  défendit  ensuite  aux  clercs  d'assister,  soit 
au  baptême ,  soit  aux  noces  de  leurs  fils  légi- 
times et  illégitimes  ,  et  l'on  déclara  nulles  toutes 
les  assignations  sur  biens  ecclésiastiques,  que  les 
premiers  feraient  en  faveur  des  seconds.  Cette 
disposition  fut  étendue  même  aux  religieux  rrri- 
litaires  (2). 

A  mesure  que  le  célibat  s'enracinait  dans  les 
mœurs  ,  on  sentait  le  besoin  de  multiplier  les 
peines  contre  ceux  qui  le  violaient.  Défense  leur 
fut  faite  de  garder  avec  eux  les  fils  de  leurs  concu- 
bines. Cette  cohabitation  et  l'exemple  d'un  prêtre 
qui  remplissait  les  devoirs  de  l'homme  durent 
])araître  dangereux  :  tout  le  monde  aurait  pu  le 
suivre;  il  était  trop  attrayant  (2). 

Le  coricile  de  Trente  se  borna  à  défendre  aux 
fils  des  clercs  coucubinaires  de  posséder  aucun  bé- 
néfice, de  jouir  d'aucune  pension,  de  servir  d'une  ma- 
nière quelconque  dans  les  éghses  auxquelles  étaient 
attachés  leurs  pères    Ou  dor/na  à  cette  loi  un  effet 


(1)  CoTic.  de  Bourges,  de    io3i,  can.  VIII;   Conc.   d'A- 
maljî,  de  1090,  can.  XIV. 

(2)  Conc.  de  ValladoUd,  de  i322,  can.  AI. 

(3)  Conc.  de  Bâle,  de  i/'j35,  sess.  XX. 


(    252    ) 

rétroactif:  tout  fils  de  concubinairequi,  à  la  promnl- 
j^ation  du  concile ,  avait  un  bénéfice  cjuelconque 
dans  la  même  église  que  son  père,  fut  contraint  de  le 
résigner  dans  trois  mois  ou  de  le  permuter  avec 
quelque  autre  hors  de  cette  église.  En  conséquence 
les  fils  des  clercs  coucubinaires,  après  cette  époque, 
ont  eu  le  droit  d'obtenir  des  bénéfices  et  les  hon- 
neurs ecclésiastiques  (i).  Cependant  je  doute  beau- 
coup qu'il  y  en  ait  eu  un  grand  nombre  qui 
aient  été  admis  à  la  jouissance  de  ce  droit.  L'é- 
glise les  haïssait  et  les  poursuivait  de  toute  la 
force  de  son  mépris.  Ce  concile  ne  voulut  pas 
même  qu'ils  fussent  reçus  dans  les  séminaires , 
ni  nommés  à  la  dignité  épiscopale  ,  ou  aux  bé- 
néfices  dans  les  églises   cathédrales  (2). 


(i)  Conc.  de  Trente,  de  i563,  sess.  XXV,  cap.  XV. 
(2)  Conc.  de  Trente,  sess.  VII,  c.    i;  sess.  XX,  c.  II; 
sess.  XXIII,  c.  XVIII. 


(  253  ) 

^■W•V%p^^'VWVrtlV^^^^.WiW\.WvVVVV'V  VM\'WV'V'VV\WtVVi/WV\'WV\iV'W\.\WVVV\^vV\vWvWV\\VWv\'VVV\iV 

CHAPITRE  XIII. 

La  corruption  croit  a  mesure  que  le  célibat  devient 
plus  général. 

De  même  qu'en  voulant  arrêter  par  des  digues 
le  cours  d'une  rivière ,  on  expose  les  campagnes 
voisines  aux  ravages  d'irréparables  inondations , 
de  même  en  voulant  étouffer  par  les  lois  les 
sentimens  de  la  nature  ,  on  expose  nécessairement 
la  société  aux  débordemens  du  vice.  Malheur  aux 
peuples  dont  les  dominateurs,  au  lieu  de  faire  re- 
poser leurs  lois  sur  celles  de  la  nature ,  les  créent 
dans  la  vue  de  contrarier  et  de  détruire  la  na- 
ture elle-même  !  Ces  lois  absurdes  placent  certains 
hommes  dans  une  voie  de  contradiction  dont  ils 
ne  peuvent  plus  sortir  sans  une  lutte  perpétuelle 
entre  des  devoirs  imaginaires  et  des  besoins  réels. 
Tourmentés  sans  cesse  par  les  combats  renaissans 
que  se  livrent  l'imagination  et  le  cœur,  cherchant 
la  vertu  et  le  bonheur  là  où  ils  ne  sauraient  être, 
fuyant  comme  le  vice  et  comme  des  crimes  des 
actions  bonnes  et  commandées  par  le  créateur, 
ils  deviennent  une  énigme  à  eux-mêmes  ,  s'égarent, 


(  -^M  ) 

jx'nlcut  l'usage  tle  la  raison  ,  eL,  au  lieu  de  s'élever 
à  la  perfection  des  anj^es,  ainsi  qu'ils  le  voulaient, 
ils  descendent  au-dessous  des  animaux  qu'ils  mé- 
prisent le  plus. 

Ces  réflexions  m'ont  été  suggérées  par  l'état 
de  corruption  des  mœurs,  progressivement  plus 
grande  lorscjue  le  célibat  s^étendait  davantage. 
Je  parle  plus  spécialement  du  clergé.  Je  sais 
que  la  dépravation  ,  à  l'époque  où  le  chris- 
tianisme vint  s'établir  en  Europe,  était  portée 
à  sou  comble  ,  et  qu'il  fallut  bien  des  siècles 
avant  que  la  religion  eiït  opéré  une  réforme  heu- 
reuse j  mais  je  sais  aussi  qu'il  n'y  avait  en  elle 
aucun  principe  propre  à  favoriser  la  corruption. 
Si,  en  enseignant  les  préceptes  si  beaux  de  VÊ- 
i'angile,  et  en  donnant  tous  les  conseils  que  Jésus- 
Christ  avait  donnés  à  ses  disciples  ,  on  eût  laissé 
aux  ministres  des  autels  la  liberté  dont  avaient 
joui  les  premiers  chrétiens,  on  ne  peut  douter 
que  le  clergé  catholique  ne  fut  bientôt  devenu 
un  modèle  de  chasteté.  Le  malheur  des  temps 
nous  priva  de  ce  bienfait  ,  et  le  sacerdoce  fut  souillé 
par  le  vice. 

Les  lettres  du  pape  Sirice  et  les  canons  des 
différens  conciles  nous  font  voir  que  ,  dès  le  qua- 
trième siècle ,  la  dépravation  des  mœurs  était 
déjà  très  grande  dans  le  clergé  de  Rome.  Saint 
Jérôme   en  fait  un  tableau   épouvantable  :   «  li  y 


(  255  ) 
»  en  a  parmi  eux  ,  dit-il,  qui  briguent  la  prêtrise 
))  ou  le  diaconat  pour  voir  les  femmes  plus  libre- 
»  ment.  Tout  leur  soin  est  dans  leurs  habits;  ils 
n  veulent  être  chaussés  proprement  et  parfumés  ; 
))  ils  frisent  leurs  cheveux  avec  le  fer  ;  les  an- 
y)  neaux  brillent  à  leurs  doigts;  il  marchent  du 
»  bout  du  pied  :  vous  les  prendriez  pour  de 
»  jeunes  fiancés  plutôt  que  pour  des  clercs.  Il  y 
))  en  a  d'autres  dont  toute  l'occupation  est  de  sa- 
»  voir  les  noms  et  les  demeures  des  femmes  de 
»  qualité  et  de  connaître  leurs  inclinations.  »  11 
en  était  à  peu  près  de  même  des  mœurs  de 
l'Afrique  et  de  la  Grèce.  Saint  Jean-Chrysostôme 
Aoulant  faire  quelques  réformes  dans  le  clergé  de 
Constantiuople,  excita  des  haines  et  des  tumultes 
dont  il  faillit  être  la  victime. 

Au  IX^  siècle,  le  trône  de  saint  Pierre  fut 
souillé  par  la  présence  d'une  longue  succession 
de  pontifes  qui  sont  la  honte  de  la  religion  et 
de  l'humanité.  Sergius  III  ,  élu  par  les  intrigues 
de  la  trop  fameuse  Théodora  la  mère,  eut ,  étant 
pape,  un  fils  de  la  belle  Marosie,  qu'il  éleva  pu- 
bliquement dans  son  palais.  Jean  X  dut  aussi  la 
tiare  aux  intrigues  de  Théodora  la  jeune,  que 
Rome  entière  savait  être  sa  maîtresse.  Jean  XI 
était  né  de  Fadultère  de  Marosie  avec  Sergius  III, 
Jean  XII  fut  assassiné  entre  les  bras  d'une  femme , 
par   son    mari    jaloux. 


(  256  ) 

Kl  toutes  les  églises  [néseiitaient  le  même  spec- 
tacle. 

La  chaire  pontificale  était  souvent  le  partage 
des  fils  des  ecclésiastiques.  Formose,  élu  en  891, 
était  fils  du  prêtre  Léon  ;  son  successeur,  Etienne  YI, 
était  aussi  fils  de  prêtre  :  il  y  en  a  eu  plusieurs 
autres.  Si  je  les  cite,  ce  n'est  pas  que  je  les  con- 
damne en  cette  qualité;  loin  de  moi  celte  idée; 
mais  à  quoi  avaient  donc  servi  les  décisions  de 
tant   de   conciles    et  de   tant  de   papes? 

Au  X®  et  au  XI"  siècle  la  corruption  des 
mœurs  continua.  11  résulte  d'un  concile  tenu 
vers  ce  temps,  en  Angleterre,  que,  dans  cette 
île,  des  ecclésiastiques  jouissaient  en  même  temps 
de  plusieurs  femmes;  il  s'exprime  en  ces  termes  : 
«  Que  les  prêtres  soient  persuadés  qu'ils  ne  peu- 
y)  vent,  sons  aucun  prétexte  ,  vivre  avec  leurs 
yy  épouses....  Il  est  cependant  d'usage  quequelques- 
»  uns  en  gardent  deux,  quelques-uns  même  da- 
»  vantage;  et  il  y  en  a  aussi  qui  ,  après  avoir  ren- 
))  voyé  la  femme  qu'ils  avaient  d'abord,  en  prennent 
»  une  seconde  pendant  la  vie  de  la  première  (i).  w 

On  cite  des  faits  plus  remarquables  encore.    Un 


(i)  Sacerdotes  certius  norint,  quod  non  habeant  débite, 
ob  aliquam  coitus  causam ,  uxoris  consortium ...  In  more 
tamen  est,  ut  quidam  duas,  quidam  plures  habeant;  et 
nonnullus ,  quamvis  eam  dimiserit,   quam  nuper  habuit, 


(  2^7  ) 
concile  assemblé  à  Rome  la  première  semaine  du 
carême  de  l'an  1074,  par  les  soins  et  sous  la  pré- 
sidence de  l'austère  Grégoire  Yll,  condamna  hau- 
tement la  conduite  du  clergé  ,  et  chargea  le  pontife 
d'en  faire  la  réforme.  Des  légats,  aussitôt  expé- 
diés dans  les  différens  royaumes  de  l'Europe  ,  pour 
mettre  à  exécution  les  décrets  du  concile ,  dé- 
ploient une  grande  sévérité.  Les  clercs  concuLi- 
naires  sont  contraints  d'abandonner  ou  leurs 
femmes  ou  leurs  autels.  Les  coupables  s'indignent; 
une  clameur  générale  s'élève  de  tous  les  points 
de  l'Europe  contre   le   pontife    (j).    11   fait   tête  à 


aliam  tamen,  ipsa  vivante,  accipit.  {Conc.  d'Aeiiham,  de 
loog  ou  1010,  c.  II.) 

(t)  «  Le  pape  Hildebrand,  s'e'tant  souvent  assemblé  en 
»  synode  avec  les  e'vèques  d'Italie,  avait  ordonné  que,  se- 
»  Ion  le  règlement  des  anciens  canons ,  les  prêtres  n'eussent 
»  point  de  femmes  et  que  ceux  qui  en  avaient  s'en  séparas- 
»  sent  ou  bien  fussent  déposés,  ne  recevant  plus  personne 
»  au  sacerdoce  qui  ne  promît  de  vivre  en  perpétuelle  conti- 

»  nence Ce  décret  fut  envoyé  aux  évêques  des  Gaules. 

»  Contre  ce  décret  s'éleva  aussitôt  toute  la  faction  du  clergé, 
»  criant  qu'il  était  hérétique  et  qu'il  enseignait  une  doctrine 
«  insensée ,  contraire  à  la  parole  de  Dieu ,  qui  a  dit  :  Tous 
»  ne  prennent  pas  celte  parole ,  qui  la  peut  prendre  la 
»  prenne^  contraire  aussi  à  l'apôtre,  qui  commande  que 
«  celui  qui  ne  se  contient  pas  se  marie,  car  il  est  meilleur 
»   de  se   marier  que  de  brûler;   ajoutant   encore  que   cet 

»7 


(  258  ) 
l'orage,  met  en  jeu  tous  les  ressorts  de  la  ruse 
unie  a  l'audace,  s'adresse  à  toutes  les  puissances; 
il  n'est  prince  ni  prélat  auxquels  il  ne  fasse  ou 
des  réprimandes  pour  leur  lenteur  à  poursuivre  les 
clercs  concubinaires,  ou  des  éloges  pour  leur  zèle 
à   les  réduire  à  l'obéissance. 

Tout  céda  à  l'irrésistible  activité  du  plus  opi- 
niâtre et  peut-être  du  plus  habile  des  pontifes. 
11  y  eut  partout  des  mutineries  qu'on  étoufia  promp- 
tement.  On  ne  vit  de  révolution  qu'en  Allemagne. 
Cette  nation  portait  à  regret  le  joug  pontifical , 
et  se  préparait  de  bonne  heure  à  le  secouer.  Le 
célibat   n'a    jamais  pu  s'acclimater  dans   les   con- 


»  homme,  par  une  violente  coaction,  voulait  contraindre 
>»  les  hommes  à  vivre  à  la  façon  des  anges;  par  cette  voie, 
»  lâchant  la  hride  à  toute  sorte  de  saleté,  pour  vouloir 
«  empêcher  le  cours  de  la  nature.  Ces  factionnaires  conclu- 
»  rent  en  somme  que ,  s'il  demeurait  obstiné  en  sa  résolu- 
>'  tion ,  ils  aimaient  mieux  renoncer  à  la  prêtrise  que  d'à— 
»  bandonner  leurs  femmes ,  et  qu'alors  il  verrait  où  prendre 
»  des  anges  pour  gouverner  les  églises ,  celui  qui  ne  voulait 
»  pas  se  servir  des  hommes  en  ce  ministère.  » 

(Lambert  de  Schawembourg,  Traduction  de  Coeffeleau.^ 
Ce  dernier  ajoute,  suivant  le  rapport  de  Morraicus  Sco- 
tus  :  «  Plusieurs  du  clergé  aimèrent  mieux  demeurer  inter- 
»  dits  du  pape  que  de  se  séparer  de  leurs  femmes  ;  mais  le 
»  pape  ordonna  en  synode  qu'aucun  chrétien  n'ouït  la 
»  messe  d'un  prêtre  marié.  » 


Irëes  du  Nord,  où  l'on  ne  trouve  des  habitudes 
contraires.  Les  faits  que  je  vais  rapporter  peuvent 
faire  croire  que  tous  ou  presque  tous  les  ecclésias- 
tiques avaient  des  concubines. 

Sigefroi ,  archevêque  de  Mayence ,  convoque  , 
en  octobre  1074*  "ïi  concile  à  Erfurt ,  y  publie 
le  concile  de  Rome  et  les  décrets  du  pape,  et 
enjoint  à  ses  clercs  d'abandonner  à  l'instant  même 
ou  leurs  femmes  ou  le  service  des  autels.  Aussitôt 
un  grand  tumulte  s'élève  dans  l'assemblée  :  on 
crie  qu'il  faut  mettre  en  pièces  l'archevêque  avant 
qu'il  ait  prononcé  une  si  détestable  sentence  ;  on 
s'entend,  on  se- rallie  ,  on  conspire.  L'arcbevêque 
se  sauve  j  les  clercs  sortent  du  concile  dans  la 
ferme  résolution  de  n'y  plus  retourner.  Instruits 
que ,  malgré  leur  absence ,  une  autre  réunion  au- 
rait lieu  le  lendemain ,  les  clercs  mariés  ameutent 
dans  la  nuit  les  Thuringiens,  auxquels  ils  font  croire 
que  l'archevêque  va  renouveler  ses  prétentions  sur 
les  décimes  de  la  province.  Les  Thuringiens  pren- 
nent les  armes  et  se  tiennent  prêts  à  agir.  Les 
membres  du  concile  se  rendent  à  leur  poste  : 
aussitôt  les  conjurés  pénètrent ,  les  armes  à  la 
main,  dans  l'église,  et  les  dispersent.  Sigefroi, 
que  les  légats  du  pape  ne  cessaient  de  presser, 
faisait  tous  ses  efforts  pour  que  le  clergé  de  son 
diocèse  se  soumît  aux  décrets  du  pontife  :  soins 
inutiles.   Pour   ôter   tout  prétexte   aux   coupables 

17.. 


(     26o     ) 

il  essaie  de  pu])lier  une  seconde  fois  les  ordres 
de  Grégoire  ,  au  commencement  d'octobre  de  lonS. 
Un  légat  était  présent  et  hâtait  la  publication.  Les 
concubinaires  irrités  se  rallient  de  nouveau;  ils 
concertent  si  bien  leurs  mesures,  que  la  publica- 
tion n'a  pas  lieu  ,  et  que  l'archevêque,  après  avoir 
risqué  plusieurs  fois  d'être  déchiré ,  abandonne 
tout -à -fait  la  réforme  au  soin  et  à  l'autorité  du 
pape. 

Alman  ,  évêque  de  Passau  ,  courut  de  plus 
grands  dangers.  Sans  la  protection  des  seigneurs 
qui  étaient  présens,  et  qui  apaisèrent  l'efferves- 
cence du  peuple  excité  parles  clercs  concubinaires, 
ce  prélat  aurait  été  mis  en  pièces. 

Cette  réforme  ne  devait  donc  point  faire  et  ne  fit 
point  de  progrès  en  Allemagne.  Un  concile  tenu 
à  Cologne  en  1260  contient  les  plaintes  les  plus 
amères  contre  le  grand  nombre  de  clercs  vivant  en 
concubinage  dans  cette  province,  et  fait  quatorze 
canons  dans  le  but  de  réprimer  la  licence. 

La  France  n'était  pas  elle-même  disposée  à  subir 
une  réforme  prompte  et  entière.  Vers  la  fin  du  XP 
siècle,  un  chanoine  de  Notre-Dame  de  Paris  célébra 
publiquement  son  mariage.  Son  évêque  n'osant  pas 
le  punir  suivant  la  rigueur  des  canons,  il  en  écrivit 
à  saint  ïves,  évêque  de  Chartres,  qui  lui  répondit: 
«  Que  si  pareille  chose  était  arrivée  dans  son  dio- 
))  cèse,   il  laisserait  subsister  le  mariage  et  se  con** 


(    26l     ) 

»  tenterait  de  faire  descendre  le  coupable  à  un 
)■>  ordre  inférieur  (i).  ))  Quel  cas  ces  deux  évéques 
faisaient-^ils  des  décisions  des  conciles  et  des  pon- 
tifes ? 

((  Au  commencement  du  XIP  siècle,  Louis-le- 
:»  Gros  permit  aux  chanoines  de  Saint-Corneille 
))  d'avoir  des  concubines ,  et  aux  autres  clercs 
»  de  se  marier,  mais  à  condition  qu'ils  ne  pour- 
»  raient  tenir  en  même  temps  une  femme  et  un 
»  bénéfice   (2).  » 

Un  concile  de  Sens,  de  1269,  lance  l'excom- 
munication contre  les  prêtres  mariés  et  les  concu- 
binaires.  On  sait  que  la  dépravation  y  était  arriA^ée 
au  point  que  des  prostituées  sollicitaient  publique- 
ment les  ecclésiastiques  ,  que  ceux-ci  se  fiusaient 
un  honneur  d'avoir  plusieurs  concubines^  et  qu'ils 
ne  montraient  aucun  scrupule  de  sortir  de  leurs 
bras  pour  aller  céicbrer  la   messe   (3). 

Le  concile  de  Sens  ne  produisit  pas  de  meil- 
leurs eifets  que  les  eOorts  multipliés  de  Gré- 
ivoire  YII  et  de  ses  successeurs.  Jean  de  Mont- 
morenci,  chanoine  de  JNolre-Dame,  à  Paris,  vécut 
pendant  plusieurs  années  avec  une  concubine  , 
sans  perdre   ni   ses    bénéfices    ni    l'estime   de    ses 


(i)  Pothier,  Traité  du  Mariage. 

(2)  Saint-Edme ,  Dict.  de  Paris,  article  Co3IPIègne. 

(3)  Dict.  féodal;  art.  Célibat  et  Mariage. 


(    262    ) 

confrères.  Son  évêqiie  no  pensa  à  lui  faire  des 
réprimandes  qu'en    1286. 

L'état  de  l'Espagne  n'était  pas  plus  satisfaisant  que 
celui  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne  et  de  la 
France.  Le  septième  canon  du  concile  de  Valla- 
dolid,  tenu  en  i322,  nous  apprend  que  le  con- 
cubinage était  très  commun  parmi  les  clercs  de 
la  péninsule 5  et  Pelage,  auteur  du  rnèmc  temps, 
dit  comme  le  concile. 

La  corruption  alla  toujours  en  croissant  au  ILYSf" 
et  au  XV**  siècle.  Ce  fut  surtout  pendant  le  grand 
schisme  que  ses  progrès  furent  effrayans.  Occupés 
sans  cesse  de  leur  propre  défense,  les  papes  ne  pou- 
vaient ni  penser  à  ce  que  l'on  croyait  le  bien  de  l'é- 
glise ,  ni  irriter  les  ecclésiastiques  qui  se  rangeaient 
sous  leurs  drapeaux  et  épousaient  leur  querelle.  Les 
conciles  de  ce  temps,  au  lieu  de  chercher  des  re- 
mèdes à  la  corruption  des  mœurs,  lançaient  leurs 
foudres,  jadis  redoutables,  dans  l'intérêt  des  pontifes 
qui  les  avaient  convoqués.  A  Pise,  à  Rome,  à  Cons- 
tance, on  parlait  beaucoup  de  réformes;  mais  elles 
n'avaient  pour  objet  que  la  déposition  ou  l'élec- 
tion de  quelques  papes.  Plutôt  que  de  satisfaire  à 
un  besoin  qui  était  devenu  si  impérieux  ,  et  de 
seconder  les  progrès  de  la  raison  qui  commençait 
à  luire ,  ces  conciles  laissaient  toute  liberté  au 
débordement  du  vice  ,  et  s'efforçaient  d'éteindre 
les   premières   lueurs  de  la  philosophie. 


(  263  ) 

A  peine  le  schisme  fat- il  terminé,  à  peine  les 
papes  n'eurent-ils  plus  de  rivaux  à  craindre,  le 
projet  de  la  réforme  des  mœurs  fut  repris.  Le 
plus  profond  aveuglement  avait  frappé  les  chefs 
de  l'église  j  l'expérience  ne  les  guidait  plus.  Au 
lieu  d'abandonner  des  moyens  dont  l'applica- 
tion avait  produit  tant  de  maux  ,  au  lieu  de  s'é- 
loigner de  la  carrière  dangereuse  où  ils  avaient 
marché  jusque  là  ,  ils  eurent  recours  aux  mêmes 
ressources  et  poursuivirent  le  même  chemin.  Des 
déclamations ,  une  augmentation  de  peines  dont 
les  coupables  ne  furent  pas  frappés,  l'invocation 
de  la  vengeance  divine  et  du  bras  séculier,  voilà 
les  armes  qu'ils  employèrent ,  voilà  de  quelle  ma- 
nière ils  prétendirent  opérer  la  réforme.  Ils  vou- 
laient éteindre  un  incendie  qui  menaçait  de  tout 
dévorer,  et  ils  y  jetaient  des  matières  combustibles. 

Ce  qui  doit  frapper  quiconque  étudie  l'histoire 
sans  être  muni  d'une  bonne  dose  de  philosophie , 
c'est  de  voir  le  concile  de  Bâle  s'avançant  dans 
l'ornière  des  anciens  conciles  et  renouvelant  les 
anathèmes  et  les  punitions  de  l'église,  tandis  que 
celui  de  Florence ,  assemblé  sous  les  yeux  et  sous 
la  direction  immédiate  du  pape  Eugène  IV,  ne 
s'occupait  le  moins  du  monde  de  la  réforme  que 
les  papes  avaient  promise  à  la  réunion  de  Constance. 
Rien  n'était  plus  simple  :  ces  deux  conciles  en  guerre 
ouverte,   ne  devaient  pas  faire  les  mêmes  choses 3 


(  264  ) 
et  les  pontifes  voyant  bien  que  s'ils  entraient  une 
fois  dans  la   voie  des  réformes,  leur  cour  en  su- 
birait beaucoup  ,  ne   voulaient  pas  y  entrer. 

Le  concile  de  Baie  révèle  un  fait  curieux.  11 
établit  des  punitions  contre  ceux  qui  fournissaient 
aux  prêtres  des  femmes  pour  de  l'argent.  Ce  mé- 
tier est  donc  fort  ancien.  Et  qu'on  ne  pense  pas 
que  ce  fussent  des  personnes  obscures  :  le  concile 
parle  spécialement  de  gens  qui ,  loin  d'empêcher 
ces  désordres,  prêtaient  leur  appui  à  ceux  qui  s'en 
rendaient  coupables.  Ils  étaient  donc  puissans. 

Quoique  le  calme  fût  rétabli  dans  le  sein  de 
l'église  et  qu'elle  pût  facilement  punir  les  concu- 
binaires  qui  ne  voulaient  pas  se  corriger,  la  cor- 
ruption alla  son  train  :  le  nombre  des  concubi- 
naires  devait  être  immense  à  cette  époque.  Le 
pape  Léon  X  exhortant  les  autorités  à  sévir  contre 
les  coupables  ^  leur  recommande  de  ne  se  pas 
laisser  intimider  par  leur  grande  multitude  :  a 
multitudine  peccantiwn. 

Les  scandaleux  exemples  que  donnait  ce  pon- 
tife lui-même  devaient  faire  beaucoup  plus  de 
mal  que  ses  exhortations  et  ses  châtimens  ne  fai- 
saient de  bien  (i).  Les  expressions  peu  mesurées 
dont  se  sert,  contre  les  concubinaires,  un  concile 

(  i)  Varillas,  dans  ses  Anecdotes  de  Florence,  l.  VI,  rapporte 
»«  (ju'à  la  mort  de  Jules  II,  le  cardinal  de  Me'dicis  se  trouvant 


(  265  ) 

provincial  de  Cologne,  de  i549,  ^^^  propre  à  nous 
donner  une  forl  mauvaise  idée  de  la  corruption  de 
ce  temps.  Il  les  compare  aux  chevanx  et  aux  mulets: 
Ubidinis  furiis  correpti  instar  equi  et  midi,  lis  de- 
devaient  être  chevaux  par  l'ardeur  de  la  concupis- 
cence, et  mulets  par  leur  obstination  dans  le  mal. 

Toutes  les  réformes  qu'on  a  tentées  jusqu'ici , 
bien  loin  de  faire  cesser  le  scandale,  bien  loin 
de  purifier  la  société  et  l'église,  n'avalent  fait  que 
donner  de  la  force  à  une  habitude  coupable ,  mais 


»  à  Florence ,  se  fit  porter  en  litière  à  Rome ,  à  cause  d'un 
»  abcès  (ve'ne'rien)  qu'il  avait  aux  parties  que  la  pudeur 
»  défend  de  nommer. .  .  Le  conclave  e'tait  commencé  quand 
»  il  arriva. . .  Il  y  prit  part, . .  Les  jeunes  et  les  vieux  cardi- 

»  naux  persistaient  dans  une  égale  obstination Une 

«  aventure  bizarre  les  mit  d'accord.. .  L'abcès  de  Médicis 
»  s'ouvrit,  et  le  pus  qui  ep  sortit  exhala  une  grande  puan- 
»  teur. . .  Les  vieux  cardinaux,  inquiets  de  leur  santé,  con- 
»  sultèrent  les  médecins  du  conclave  sur  ce  qu'il  y  aurait  à 
î)  faire  pour  eux..  .  Les  médecins  répondirent  que  Médicis 
»  n'avait  pas  encore  un  mois  à  vivre.  A  cette  nouvelle,  les 
»  vieux  cardinaux  allèrent  trouver  les  jeunes,  et  Médicis 
»  fut  élu  pape.  » 

Cette  anecdote  a  l'air  d'un  conte  et  pourrait  n'être  qu'une 
calomnie  ;  mais  personne  ne  refusera  le  témoignage  de  Paul 
Jove,  qui  est  un  des  panégyristes  de  ce  pontife  :  «  Has  prœ- 
»  claras  liberalis  excelsique  animi  virtutes ,  cum  nimia  sacpe 
»  vitae  luxuria ,  tura  objecta*  libidines  obscurabant  :  ita  ta- 
1)  men  ,  ut  jucunditate  blandae  facilisquc  natiuac  potiùs,  ac 


(  266  ) 
nécessaire,  el  ajouter  à  la  somme  effroyable  des  maux 
qui  pesaient  sur  l'Europe.  Les  peuples  étaient  ac- 
cablés de  tous  les  genres  de  maux.  La  puissance  ci- 
vile et  la  puissance  religieuse  réunissaient  leurs  ef- 
forts pour  donner  plus  de  force  à  leur  despotisme.  1 
La  misère  devenait  générale.  Une  vive  inquiétude 
s'emparait  des  esprits.  La  position  n'étant  plus  te- 
nable,  on  se  laissait  aisément  aller  à  des  idées  de 
changement  et  de  réforme  que  la  presse  propageait 
partout  où  le  mal  se  laissait  voir. 


regia    quadam    licentia,    quam    certo    depravati    aniini 

)  judicio,  in  ea  vitia  prolabi  videretur,  quuni  fréquent! 

)  Llandientium  turba  cublculi  fores  obsessae.  Paucos  ad- 

mitterent ,    qui  alioquin  docilis  verecundique  hominis 

solutas  mores  cohiberent,  ainicorum  optimis  ad  ea  con- 

)  niventibus,  ac  libenter  sese  illecebrarum  ministris  com- 

)  miscentibus,  ne  gratiam  apud  summos  principes  in  lubrico 

positam,  in  discrimen  adducerent,  si  ingratum  auribus 

potentiuni  reprehensionis  officium,  honestatis  atque  be- 

nevolentise  specie  suscepissent.  Verum  hominem  hilaritati 

humanisque  sensibus  facile  servientem,  niirum  in  modum 

iucitabant  plerique  cardinales  opibus  setateque  florentes, 

qui  illusU'i  loco  nati  liberaliterque  educati,  regio  luxu  vi. 

tam  in  venationibus ,  conviviis  atque  spectaculis  libentis- 

)  sime  traducebant.  .  Non  caruit  etiam  infamia,  quod  parum 

honesti  nonnullos  e  cubiculariis  (erant  enini  e  tota  Italia 

nobilissimi)  adamare,  et  cum  his  tenerius  atque  libère 

jocari  videretur.  »  Quel  tableau!  Et  un  tel  pontife  parlait 

de  la  réforme  des  mœurs  au  milieu  d'une  telle  cour  î 


(  ^1  ) 

Lorsque  les  désordres  de  l'autorité  et  la  misère 
des  peuples  dépassent  les  bornes  de  la  justice  et  de 
la  possibilité,  on  a  beau  river  les  fers  et  frapper  de 
grands  coups,  rien  ne  peut  empêcber  une  révolu- 
tion :  ce  qu'on  fait  pour  l'étouffer  hâte  son  dévelop- 
pement et  l'alimente. 

Je  ne  veux  pas  dire  que  la  révolution  religieuse 
qui  s'opéra  dans  le  XVP  siècle  ait  eu  pour 
cause  unique  les  vexations  qui  avaient  été  néces- 
saires pour  établir  le  célibat;  il  y  en  avait  nombre 
d'autres:  celle-ci  était  la  plus  puissante,  parce 
qu'elle  enrôlait  sous  les  drapeaux  de  Luther  ceux- 
là  précisément  qui  auraient  dû  combattre  ce  réfor- 
mateur. Et  que  de  mariages  se  contractèrent  aus- 
sitôt parmi  les  ecclésiastiques  en  Angleterre,  en 
Allemagne  et  en  France  (i)! 

La   réforme  eut  lieu ,    des  torrens  de  sang  cou- 

(i)  Il  se  fit  beaucoup  de  mariages,  non-seulement  parmi 
nos  moines  et  notre  cierge'  inférieur,  mais  aussi  parmi  ceux 
que  leurs  dignite's  élevaient  aux  premiers  rangs  de  la  société. 
Un  historien  célèbre  rapporte  les  faits  suivans  : 

«  Odetde  Chtitillon,  cardinal,  évèque  de  Béarnais,  s'était 
»  fait  protestant,  comme  son  frère,  et  s'étedt  marié.  Le  pape 
»  l'avait  rayé  du  nombre  des  cardinaux  ;  lui-même  avait 
»  méprisé  ce  titre  ;  mais  pour  braver  le  pape,  il  assista  à  la 
»  cérémonie  (lit  de  justice  de  i563,  tenu  par  Charles  IX)  en 
»  habit  de  cardinal.  Sa  femme  s'asseyait  chez  le  roi  et  clicz 
>  la  reine,  en  qualité  de   femme  d'un  pair  du  royaume, 


(  268  ) 
lèrent.  Maïs  les  peuples  rejelèrent  le  joug  de  la 
]»uissance  pouliiicale,  et  les  minisires  des  autels 
devinrent  des  citoyens  dans  l'état.  Une  révolution 
heureuse  se  fit  aussitôt  sentir  dans  les  mœurs.  Les 
nouveaux  religionnaires,  libres  de  satisfaire  par 
des  engagemens  légitimes  aux  besoins  irrésistibles 
de  la  nature  ,  cessèrent  de  donner  l'exemple  de 
la  séduclion;  ils  mirent  plus  de  simplicité  dans 
lenr  conduite  et  dans  leurs  principes  j  ils  basèrent 
leur  doctrine  sur  les  saintes  écritures  et  sur  VEi^an- 
gile  ;  ils  devinrent  meilleurs  ministres  et  liommes 
meilleurs.  Ils  sortirent  à  la  vérité  des  bornes  de  la 
modération  :  c'était  une  maladie  inévitable,  dont  la 
cause  se  trouvait  dans  la  coaction  violente  exercée 
par  l'imprudence   des  législateurs  chrétiens. 

Les  catholiques  eux-mêmes  éprouvèrent  les  heu- 
reux effets  de  cette  révolution.  Il  s'établit  entre 
eux  et  les  réformés  vme  rivalité  d'honneur  et  de 
sacrifice,  qui  tourna  tout  entière  à  l'avantage  des 
mœurs.   Cet  état  des  choses  s'établit  particulière- 


»  et  on  la  nommait  indifféremment  -madame  la  comtesse 
»  de  Beauvais  et  madame  la  cardinale .  Ce  qui  est  est  très 
»  remarquable ,  c'est  qu'il  n'était  ni  le  seul  cardinal  ni  le 
»  seul  évèque  qui  fût  marié  en  secret.  Le  cardinal  de  Belley 
»  avait  épousé  madame  de  Châtillon,  à  ce  que  rapporte 
»  Brantôme,  qui  ajoute  que  personne  n'en  doutait.  •>  (Vol- 
taire ,  Esyai  sur  les  mœurs.) 


(  269) 

ment  dans  les  contrées  où  les  deux  culles  étaient 
en  présence  :  la  révolution  ne  laissa  pas  que  d'in- 
fluer même  sur  les  régions  les  plus    lointaines. 

Cependant,  peu  de  temps  après,  les  ecclésias- 
tiques du  culte  romain ,  se  trouvant  toujours  sous 
la  puissance  des  anciennes  lois ,  retombèrent  dans 
leur  ancienne  corruption.  Le  dérèglement  eut  un 
peu  moins  d'éclat ,  les  coupables  furent  un  peu 
moins  nombreux;  mais  le  mal  était  profond,  et 
les  palliatifs  ne  faisaient  que  d'en  déguiser  la  gra- 
vité. Il  aurait  fallu  aller  droit  à  la  racine  et  em- 
porter le  membre  gangrené.  Laissons  agir  le  temps. 

VVVVVVVVVvVVVVV»/VVVVVvVVrt(\(VVVVVVVVVV\^A/VVvV^VVVvV'\VVV\.VVV\%VVV-jX'VV^ 

CHAPITRE  XIV. 

Influence  de  la  corruption  du  clergé  sur  les  mœurs 
publiques. 

Si  le  remède  se  change  en  poison ,  la  maladie 
en  devient  plus  dangereuse;  si  ceux  qui  devraient 
conduire  au  bien,  et  que  l'on  regarde  comme  des 
modèles ,  donnent  l'exemple  du  mal  et  mènent 
vers  le  précipice ,  il  sera  très  difficile  d'être  homme 
de  bien  et  de  se  sauver. 

Quelle  impression   ne  devaient    pas  faire  sur  les 


(  ^'70  ) 
peuples  grossiers  qui  précédèrent  la  renaissance 
des  lettres,  les  dérèi^demens  éclatans  des  ministres 
de  la  religion  ?  Pouvait-on  avoir  en  horreur  les 
relations  illicites  que  les  lois  défendent ,  lorsque 
les  organes  des  lois  les  autorisaient  par  leur 
exemple?  Une  maxime  banale  que  les  prêtres  de 
tous  les  cultes  ne  manquent  jamais  de  s'appro- 
prier ,  ((  Faites  ce  que  nous  vous  disons,  et  non 
»  pas  ce  que  vous  nous  voyez  faire  ,  »  peut 
apaiser  de  temps  en  temps  les  remords  de  leur 
conscience ,  mais  elle  ne  peut  pas  les  justifier  : 
Dieu  les  punira  du  mal  qu'ils  font  eux-mêmes, 
et  de  celui  que  font  les  autres  en  marchant  sur 
leurs  traces. 

Nous  avons  eu  lieu  de  nous  assurer  ,  par  la 
lecture  de  l'histoire  ,  que  les  mœurs  se  relâchent 
toujours  lorsque  les  institutions,  usées  par  la  longue 
durée  de  leur  action ,  tombent  sous  le  poids  d'une 
civilisation  corruptrice.  La  Judée  ,  la  Grèce  et 
Rome  nous  ont  ofiert  l'une  après  l'autre  ce  spec- 
tacle  douloureux.  Les  peuples  sauvages  ont  encore 
moins  de  retenue.  Dans  cet  état,  l'homme  est  fort 
peu  au-dessus  de  la  brute.  Il  pêche  d'abord  parce 
qu'il  manque  de  principes  et  de  délicatesse  j  il 
pêche  à  la  fin  par  un  excès  de  raffinement  et  par 
un  abus  fatal  de  la  raison.  La  vertu  se  IrouA^e 
entre  ces  deux  extrêmes. 

Il  faut    avouer  que  l'époque  où  le   christianisme 


(  271  ) 

s'établit  en  Eiiroj)e  n'était  pas  très  favorable  à 
des  mœurs  pures  et  sévères.  Les  peuples  se  coai- 
posaient  d'un  mélange  confus  d'iiommes  que  la 
licence  avait  énervés,  et  d'hommes  qui  sortaient 
de  la  plus  abjecte  barbarie.  L'exemple  de  cor- 
ruption des  premiers  entraîna  les  seconds  :  simples 
et  grossiers,  ils  se  laissèrent  séduire  par  l'appât 
du  vice  et  s'y  abandonnèrent  sans  aucune  réserve. 
Ils  n'avaient  aucune  idée  de  convenance  et  de 
devoir  qui  pût  modérer  leurs  dérèglemens  ;  les 
vices  de  l'enfance  s'unirent  en  eux  aux  vices  de 
la  décrépitude. 

Le  prêtre  est  aussi  de  son  siècle  et  en  reçoit 
les  mœurs.  En  arrivant  à  l'autel,  dans  ces  temps 
de  barbarie ,  il  n'y  portait  pas  une  âme  pure  et 
fortifiée  contre  la  dépravation.  Ajoutez-y  l'aiguillon 
d'un  besoin  d'autant  plus  fort  qu'une  atmosphère 
corruptrice  l'entourait ,  et  votre  esprit  peut  en  dé- 
duire facilement  les  conséquences. 

Alors  son  exemple  a  dû  rendre  pire  un  mal 
déjà  si  grave  en  lui-même.  Comment  aurait- il  pu 
commander  et  inspirer  la  chasteté  et  la  conti- 
nence à  une  population  qui  connaissait  sa  con- 
duite? 

Dans  ce  temps  de  ténèbres  et  d'erreur ,  les 
décisions  et  les  lois  de  l'église  formaient  une  es- 
pèce de  chaos  inextricable.  D'un  côté,  les  pon- 
tifes  de    Ptome    commandaient    aux   chrétiens ,  au 


(  ^72  ) 
nom  (le  VÊuangile ,  tlo  n'avoir  qu'une  femme , 
ou  de  n'en  avoir  aucune;  de  l'autre,  ils  conseil- 
laient aux  princes  ,  dont  ils  avaient  besoin  ,  de 
renvoyer  leurs  femmes  légitimes.  Lorsqu'il  pressait 
Charlemagne  de  répudier  sa  femme  et  d'en  ad- 
mettre une  autre  dans  son  lit,  Etienne  IV  savait 
bien  que  ce  prince  était  entouré  déjà  d'un  grand 
nombre  de  concubines.  Ce  prince  suivait  les  traces 
de  ceux  qui  l'avaient  précédé  sur  le  trône  de 
France ,  et  le  pape ,  les  idées  du  temps  et  les 
suggestions  de  la   polihque. 

Un  concile  de  Beaugenci  cassait  le  mariage  de 
Louis-le -Jeune,  roi  de  France,  avec  Eléonore,  par 
la  raison  que  cette  princesse  méprisait  un  mari 
qui  avait  les  habitudes  d'un  moine,  et  sous  le  pré- 
texte qu'elle  était  son  arrière-cousine.  Cependant 
les  fdles  nées  de  ce  mariage  étaient  regardées  comme 
légitimes.  Voilà  donc  le  divorce  ou  le  concubinage. 

Aussi  la  corruption  devenait-elle  de  plus  en 
plus  effroyable.  L'histoire  des  princes,  dont  les 
peuples  imitent  toujours  les  mœurs  ,  prouve  assez 
cette  désolante  vérité.  Les  trois  fils  de  Philippe- 
le-Bel,  au  commencement  du  XIV^  siècle,  accu- 
sèrent en  plein  parlement  leurs  épouses  d'adul- 
tère. Ces  trois  princesses  furent  condamnées  à 
être  enfermées  ,  sans  doute  dans  des  couvens  ; 
Louis-le-Hutin  fit  périr  la  sienne  par  le  cordon  : 
leurs    amans  furent   écorchés  vifs. 


(  =73  ) 

je  ne  m'arrelerai  point  au  tableau  scandaleux 
de  la  cour  de  François  l''',  qui  mourut  des  suites 
de  cette  maladie  honteuse  qui  avait  déjà  entraîné 
dans  la  tombe  le  plus  glorieux  des  pontifes.  Je  ne 
parlerai  pas  non  plus  ni  de  la  cour  de  Catherine 
de  Mëdicis,  ni  de  celle  de  Henri  IV,  ni  de  celle 
de  Louis  XIV,  ni  de  celle  du  régent,  ni  de  celle 
de  Louis  XV.  Je  ne  m'appesantirai  point  sur  les 
débordemens  de  la  cour  de  Rome  sous  Pie  II,  qui 
avait  des  enfans  naturels  et  en  prenait  un  soin  tout 
particulier,  sous  Léon  X,  ni  sous  Alexandre  VI, 
dont  les  débauches  surpassèrent  presque  celles  de 
Néron  et  de  Caligula.  Tout  le  monde  connaît  l'his- 
toire de  ces  faits  trop  fameux,  en  sait  la  cause 
et  n'en  i{;uore  pas  les  effets. 

Dans  les  siècles  comme  ceux  que  nous  venons 
de  parcourir,  le  célibat  ne  devait  pas  être  décon- 
«sidéré  ;  le  dégoût  du  mariage,  au  milieu  de  scan- 
dales si  éclalans,  était  même  assez  naturel.  Et  oui 

i 

aurait  pu  condamner  un  citoyen  qui,  imitant  la 
conduite  de  son  pasteur  et  de  son  prince ,  ne  se 
serait  pas  engagé  dans  les  liens  du  mariage,  et 
s'en  serait  dédommagé  comme  eux  et  à  leur 
exemple  ?  Les  célibataires  étaient  beaucoup  plus 
honorés  que  les  pères  de  famille. 

Ce  n'est  pas  tout  :  on  étendit  le  célibat  à  des 
classes  d'hommes  qui  n'auraient  pas  dû  y  être 
assujettis.    Les    ordres    religieux    militaires    furent 

i8 


{■>-\) 

assimilés  .nux  ordres  religieux  monaslifjues  ;  cl  ce 
n'est  pas  étonnant  :  ne  défendaient-ils  j)as  la  reli- 
gion ,  et  n'appartenaient-ils  pas  à  l'église? 

Les  professeurs  de  Médecine  ne  purent  point  se 
marier.  Pent-étre  fut-ce  leur  faute.  Pour  aug- 
menter leur  considération,  ils  se  parèrent  du  nom 
de  clerc ,  et  en  prirent  même  les  habits;  car  les 
«clercs  étaient  honorés  dans  ce  temps-là.  Ce  titre 
seul  les  obligea  à  la  continence ,  je  me  trompe , 
au  célibat.  Ce  ne  fut  rju'en  \/^Si  qu'ils  furent 
à  la  fui  autorises  à  devenir  mfnis  pour  nêtre  pas 
exposés  à  pis  faire.  Ce  sont  les  mois  de  l'ordon- 
nance. Ces  pauvres  professeurs  avaient  représenté, 
dans  leur  demande  ,  que  leur  état  les  obligeant  à 
visiter  les  malades  de  toutes  les  conditions  et  des 
deux  sexes ,  ils  étaient  exposés  à  de  trop  fortes 
tentations. 

Le  plus  léger  prétexte  suffisait  pour  imposer  le 
célibat ,  même  à  tous  les  habitans  d'un  village. 
Ceux  de  Gonesse  près  de  Paris  tombèrent  sous  cette 
interdiction.  Et  pourquoi  ?  parce  qu'ils  étaient 
«)l)ligés  de  garder  chacun  une  nuit  les  granges  du 
Pioi,  pendant  le  mois  d'août  ,  et  d'amener  chacun 
a  son  tour  les  gens  de  mauvaise  vie,  les  voleurs  et 
vagabonds  dans  les  prisons  de  Paris,  pendant 
toute  l'année. 

Les  soldats,  dans  les  états  d'une  vaste  étendue, 
se  trouvant  obligés  de  vivre  long  temps  séparés  de 


(  275) 

l(Mirs  familles,  sont  nécessairemeut  condamnés  au 
célibat.  11  serait  trop  pénible  et  trop  dispendieux 
de  faire  voyager  à  la  snilc  d'une  armée  une  se- 
conde armée  de  femmes  et  deux  ou  trois  d'en  fans. 
Peut-être  ne  serait-il  pas  impossible  de  trouver  un 
mode  de  recrutement  plus  favorable  au  mariage 
et  aux  bonnes  mœurs.  Il  n'entre  pas  dans  mon 
sujet  de  faire  de  pareilles  rechercbes  j  elles  tarde- 
ront à  être  faites  ou  du  moins  à  avoir  une  appli- 
cation :  les  princes  veulent  des  soldats  dégagés  de 
tous  liens,  afin  de  les  attacher  plus  fortement, 
exclusivement   à  eux. 

^^%\'\^'»'*^■\'\^t^'Vvv\^'\'\'t^'v\\\vvv»^^*^'*\^'Vv\^v\'\^A^^^\vv^vvvv'\^v^A4V^vl\w^vx\vvwv\Av^vw^^'^vv 

CHAPITRE  XV. 

jurispr:idence    de    V église    adoptée    dans    les 
tribunaux . 

La  religion  chrétienne  était  faite  pour  le  com- 
mandement. Les  princes  qui  s'y  sont  soumis  ou 
qui  sont  nés  dans  son  sein ,  à  peu  d'exceptions 
près  ,  ont  également  subi  le  joug  de  ses  ministres. 

Le  christianisme  prit  de  bonne  heure  un  as- 
cendant marqué,  même  en  Orient,  où  les  em- 
pereurs exercèrent  pendant  quelques  siècles  les 
fonctions  de  souverains  pontifes  qu'ils  avaient  eues 

i8.. 


(  2-6  ) 

à  Rome.  Constantin,  tout  grand,  tout  despote  (ju'il 
était,  ne  sut  faire  que  la  volonté  de  ses  prêtres. 
Après  lui  ,  le  trône  de  Constantinople  ne  fut 
plus  occnpé  que  par  des  princes  faibles,  esclaves 
de  la  plus  honteuse  superstition  ,  et  par  consé- 
séquent  de  la  volonté  de  leurs  clercs  et  de  leurs 
moines.  Leuis  lois  sont  conformes  à  celles  des  con- 
ciles, ou  vont  même  au-delà  (i).  Ils  se  mêlèrent 
des  cérémonies  de  l'église;  ils  tracèrent  les  devoirs 
du   prêtre  ,  ceux    des    vierges,    ceux    des   veuves, 


(i)  Si  quis  noiï  dicam  rapere,  sed  vel  adtentare,  matri- 
monii  jun{>endj  causa,  saciatas  virgines  ausus  fuerit,  capitali 
seuteiitia  feriatur. 
(Imp.  Jovianus,  ad  sccundum  Cod .Theod . ,\'ih .  IX,  an.  364-) 

Qui  jure  vetevi  cœlibes  liabebantur,  iinminentibus  legum 
terroribus  liberantur  :  atque  ita  vivant,  ac  si  numéro  ina- 
ritoruni ,  matrimonii  fœdere  fulcirentur, 
(Imp.  Const.  ad  popul.,  Cod.  7'heod.,  lib.  VIII,  an.  Sao.) 

On  voit  que  cette  loi  a  pour  objet  d'encourager  le  célibat 
que  les  anciennes  lois  de  Rome  condamnaient,  et  qui  /ilors 
paraissait  digne  de  récompense  et  non  de  punitions ,  u^îùv 
iTftoQetvftoi^îiv,  ûxx'x  où  ^oxû^ttv.  Sozomène  dit  que  l'empereur 
Constantin  le  combla  de  ses  faveurs. 

Quamvis  legis  prioris  extet  auctovitas,  qua  inclytus  pater 
nostcr  contra  raptores  atrocissime  jusserat  vindicari,  tameu 
nos  tantummodo  capitalem  pœnam  constituimus;  videlicet 
ne  sub  specie  atrocioris  judicii,  aliqua  in  ulciscendo  crimine 
dilatio  uasceretur.  Inaudaciam  vero  servilem,  dispari  sup- 
plicie mensura  legum  impendenda  est,  ut  pereundi  subji- 


(  277  ) 
ceux  des  évéques.  Jovic-n  nienaçait  de  la  peine 
de  mort  quiconque  aurait  osé  ,  non-seulement  en- 
lever, mais  tenté  même  de  séduire,  dans  le  des- 
sein de  réj)ouser,  une  vierge  consacrée  au  Seigneur. 
Valentinien ,  Théodose  et  Arcadius  défendaient, 
suivant  le  précepte  des  apôtres,  qu'on  admît  dans 
le  collège  des  diaconesses ,  aucune  lemme  qui  n'au- 
rait pas  fini  sa  cinquantième  année.  Plus  tard,  les 
mêmes  empereurs  déclaraient  nid  le  mariage  des 
ecclésiastiques,  celui  des  chantres  et  des  lecteurs 
excepté.  Justinien  ,  dans  nue  loi  que  j'ai  déjà 
citée,  non-seulement  déclarait  nuls  ces  mariages, 
mais  encore  les  enfans  qui  en  naîtraient  illégiti- 
mes et  incapables  de  succéder  à  leurs  pères.  Si  Ju- 
lien eut  assez  de  force  pour  se  soustraire  à  la 
puissance  sacerdotale ,  il  n'en  eut  pas  assez  pour 
ne  pas  tomber  dans  l'excès  contraire. 

Les   ministres   de   la  religion   montrèrent ,  dans 


cianluv  ignibus,  nisi  à  tanto  facinore  saltem  acerbitate  pœ- 
nai'uin  revocejitur. 

(Iiiip.  Coustaiitius  ad  Talianuin,  Cod.  Theod. ,  lib.  IX, 
an.  349.) 

Quelles  peines  avait  donc  e'iablies  contre  les  coupables  du 
rapt  des  vierges  l'empereur  Constantin ,  pour  que  celle  de 
mort  fût  légère  en  comparaison?  Les  brûlait-on  à  petit  feu, 
comme  cette  loi  l'ordonne  des  esclaves?  Quel  siècle ,  grand 
Dieu  I  et  quelles  mœurs  ! 


(  -^78  ) 
les    provinces    ([u'oii    aviiit    appelées    l'eiiij)ire     de 
rOccident,  beaucoup  plus  d'audace  et  de  supério- 
rité. Les  princes  temporels  se  laissèrent  gouverner 
par  eux  dés  les  premiers  siècles  de  notre  ère.  Les 
affaires   de   l'état   se   réglaient    dans    les    conciles  : 
uter  et  donner  les  couronnes  ,  régler  la  juridiction, 
déclarer  la  guerre  ou  faire  la  paix,   tout   cela,  et 
plus  que   tout   cela    était   dans  les  attributions    de 
la   puissance  ecclésiastique    C'était    à   elle   que  les 
rois  s'adressaient  toutes  les  fois  qu'ils  avaient  besoin 
d'un   règlement    nouveau.    Avaient-ils    eux-mêmes 
de  l'orgueil  et   de    la   force  ?  voulaient- ils  exercer 
dans   toute    son    étendue   la   puissance   législative? 
ils   assemblaient   des  conciles  oi^i    ils  faisaient  eux- 
mêmes    les   lois   qu'auraient  dû    faire  les  conciles. 
Us    étaient    tous    des   Justinien    et    des    Tbéodose. 
Charlemagne  présidait  les  conciles  comme  un  pon- 
tife ,  ordonnait  aux  ecclésiastiques  de  ne  pas  aban- 
donner   leurs  femmes ,    mais  de    vivre    en    conti- 
nence avec  elles,  casth  regat  (i)j  déterminait  quels 
étaient  les  clercs  qui  po)ivaient  contracter  mariage, 
quelles  femmes  étrangères  ils  pouvaient  garder  au- 
près  d'eux    (2);    expliquait    ce   qu'il    fallait   croire 
de  la  procession   du  Saint-Esprit.... 

Nulle   puissance  n'était  alors  au-dessus  de  celle 


(1)  Conc.  de  Genèi-e,  de  778,  can.  VT. 

(2)  Capitulaires  d\4ix-la~ Chapelle^  en  789. 


(  279  ) 
de  l'éi^lise,  ni  son  égale.  Guiilaiiine-le-Conquéraiit, 
(|iil  soumettait  des  nations  entières  et  les  dominait 
par  l'épée,  n'osait  faire  une  loi  sans  le  secours  et 
l'appui  des  conciles.  Voulait-il  faire  cesser  l'abus 
et  le  scandale  des  amendes  pécuniaires  (pie  les 
évèques  retiraient  des  clercs  qui  vivaient  en  con- 
cubinage, et  qui  étaient  un  motif  pour  le  tolérer^ 
pour  l'encourager  même  ?  il  n'avait  d'autre  moyeu 
«pie  de  convoquer  un  concile  (i).  Youlait-il  ré- 
sister en  quelque  chose  à  la  volonté  du  souverain 
pontife?  il  convoquait  un  concile.  Les  conciles 
étaient  tout  ;  iJ  n'y  avait  d'autre  pouvoir  que 
le  leur. 

La  puissance  ecclésiastique  ne  recourait  à  la 
puissance  leniporeile  que  dans  le  cas  où  elle  en 
avait  une  indispensable  nécessité  ,  lorsqu'elle  trou- 
vait une  vive  résistance  et  qu'il  lui  fallait  la  force 
des  armes  pour  la  vaincre.  Ainsi  le  concile  de 
Séville  en  690,  et  celui  de  Baie  en  i435 ,  s'a- 
dressèrent au  bras  séculier  pour  contraindre  les 
clercs  concubinaires  à  se  séparer  de  leurs  femmes. 
Ainsi  Benoît  Yill  recourut  à  l'empereur  Henri  II, 
([ui  est  aujourd'hui  un  saint  de  l'éi^lise  ,  pour 
<|u'il  voulut  bien  confirmer  par  sa  sanction  im- 
périale   son   cuncile    de  Pavio    et  mettre   quelques 


(i)  Conc.  de  Londrci,  de  1080,  can.  V. 


(    2S0    ) 

bornes  à  l'incontinence  des  ecclésiastiques  (i)j 
et  l'empereur  docile  ne  fit  ])as  attendre  l'appui 
de  son  autorité.  Il  seconda  de  tout  son  pouvoir 
les  décrets  du  ponlife  ;  il  ajouta  les  peines  tem- 
porelles aux  censures  de  l'église  j  il  fit  du  concile 
de  Pavie  une  loi  de  l'état. 

Et  ne  croyez  pas  que  cet  empire  absolu  d'un 
côté  et  cette  obéissance  aveugle  de  l'autre  n'aient 
eu  qu'une  durée  passagère.  La  puissance  despo- 
tique des  conciles  a  existé  chez  nous  jusqu'en 
1789.  La  pragmatique  sanction  de  saint  Louis 
était-elle  autre  chose  qu'un  extrait  des  canons  des 
difFérens  conciles  ?  Lorsque  l'Europe  était  tra- 
vaillée ,  déchirée  par  les  discordes  intestines  ou 
par  la  fureur  des  schismes,  à  qui  s'adressait-on 
pour  rétablir  le  calme  et  la  tranquillité?  aux  con- 
ciles :  et  tous  les  peuples  attendaient  avec  res- 
pect leurs  décisions.  Ces  décisions  arrivaient;  l'or- 
dre n'étant  pas  rétabli,  la  maladie  s'accroissait. 
Cherchait-on  quelque  autre  expédient?  on  n'en 
concevait  pas  même  la  pensée  :  on  appelait  au 
pape  mieux  instruit  et  au  futur  concile.  Avec 
quelle  avidité  la  France  ne  s'empara-t-elle  pas 
des  décrets  du  concile  de  Baie  ?  Ce  fut  une  es- 
pèce  de   frénésie.    Le  Roi  ,   les   nobles ,  le   clergé 


(i)  Corw.  de.  Pm'ie,  du  i"  aodt  1020. 


(  28i  ) 
et  le  peuple  les  accueillirent  avec  une  joie  infinie  ; 
ils  furent  changés  en  loi  de  l'état;  ils  régirent  la 
France  depuis  Charles  Y II  jusqu'à  François  V% 
depuis  Eugène  IV  jusqu'à  Léon  X  (i).  Zlska 
prit  les  armes  contre  un  concile;  Procope  vint 
rendre  compte  de  ses  idées  et  de  ses  actions  de- 
vant un  concile.  Charles-Quint ,  Henri  II ,  l'em- 
pereur Ferdinand,  l'empereur  Maximllien ,  tous  les 
princes  du  XVP  siècle ,  que  l'expérience  du  passé 
n'éclairait  point,  ne  crurent  pouvoir  satisfaire  aux 
exigences  de  l'opinion  que  par  les  décrets  d'un 
concile.  Le  concile  fut  tenu;  il  ne  fît  aucune  des 
réformes  qu'on  lui  avait  demandées;  il  aigrit  de 
plus  en  plus  les  esprits;  mais  il  n'en  devint  pas 
moins  une  loi  de  l'état  pour  toute  l'Italie ,  pour 
l'Espagne ,  pour  le  Portugal  et  pour  les  vastes 
provinces  qui  en  dépendaient.  11  n'y  eut  que  PAl- 
lemagne  et  l'Angleterre  qui  ne  voulurent  point 
le  recevoir.  11  n'y  fît  jamais  sentir  son  action  , 
du  moins  d'une  manière  directe. 

La  France  le  refusa  d'abord  ;  l'ambassadeur  de 
Ferrier  fit  contre  ce  concile  les  plus  fortes  pro- 
testations. Des  jurisconsultes  et   des  théologiens  le 

(i)  Ce  qui  donna  une  si  grande  vogue  au  concile  de  Bàle, 
ce  fut  peut-être  la  Laine  qu'on  avait  alors  contre  les  souve- 
rains pontifes.  On  voulait  leur  opposer  leurs  propres  armes, 
/jui  s'étaient  tourne'es  contre  eux. 


(  =.82) 

qualifièrent  de  coneiliabule.  DmiioMllii  ,  Sei\iii, 
])lusieurs  autres  maj^istrals  illiisties  élevèieut  leurs 
voix  courageuses  contre  ses  actes.  Le  Gouvernement 
s'opposa  toujours  à  sa  réception,  f  lenri  111,  qui  certes 
n'était  pas  un  esprit  fort,  tout  en  adoptant  queUjues- 
uns  de  ses  décrets  sur  la  doctrine ,  refusa  d'ad- 
mettre dans  son  ordonnance  de  Biois  de  iSyô, 
aucun  de  ceux  qui  se  rapportaient  à  la  discipline; 
il  ne  prononça  pas  même  le  nom  de  ce  concile  (i). 
L'abbé  Fleury  dit  en  propres  termes  :  ((  Les  dé- 
»  crets  de  doctrine  du  concile  de  Trente  ont  été 
))  reçus  en  France  sans  diliiculté  ;  pour  les  décrets 
»  de  discipline ,  quelque  instance  (|ue  le  clergé  en 
»)  ait  faite  ,  il  n'a  pu  en  obtenir  la  réception 
»  authentique.  » 

Cela  est  vrai  en  droit,  et  c'est  beaucoup;  mais 
en  fait,  la  plupart  des  décrets  du  concile  de  Trente, 
même  sur  la  discipline,  furent  adoptés  insensible- 
ment par   l'usage,    et  devinrent     dans   la  pratique 


(i)  Ce  fut  la  cause  principale  de  sa  mort.  Jacques-Cle'nient 
fut  lancé  contre  lui  .par  l'influence  sur  l'opinion  et  par  les 
conseils  du  parti  prêtre  d'alors.  Henri  III  ne  paraissait  pas 
assez,  dévoue,  par  la  raison  qu'il  ne  faisait  pas  tout  ce  qu'on 
lui  demandait,  parce  qu'il  faisait  arrêter  les  prêtres  et  les 
théologiens  rebelles.  Pouvait-on  ne  pas  s'en  défaire,  même 
par  un  assassinat?  Et  ce  n'est  pas  la  seule  victime  du  cour- 
roux des  rclir.ieux. 


(  283  ) 

des  lois  dont  les  tribunaux  purent  se  prévaloir. 
Nos  rois  d'alors  et  la  magistrature  elle-même 
n'avaient  ni  assez  de  luniières  ni  assez  d'indépen- 
dance pour  se  prémunir  contre  les  insinuations 
constantes  du   clergé   et  des  pontifes. 

En  ce  qui  se  rapporte  à  mon  sujet,  les  tribu- 
naux entrèrent  tout-à-fait  dans  les  vues  du  con- 
cile de  Trente,  et  allèrent  même  au-delà.  Il  existe 
un  grand  nombre  de  jugemens  des  cours  souve- 
raines du  royaume ,  qui  déclarent  nul  le  mariage 
des  ecclésiastiques,  non-seidement  lorsqu'ils  sont 
restés  dans  le  culte  romain  ,  mais  encore  quand 
môme  ils  ont  embrassé  le  culte  calviniste.  Et  quelle 
raison  en  donnaient-ils  ?  «  Que  rempécliement  des 
))  ordres  sacrés  étant  devenu  une  loi  de  l'Etat  , 
ï)  et  le  prêtre  ,  quoique  calviniste  ,  étant  toujours 
»  dans  l'Etat ,  il  est  toujours  sujet  à  cette  loi  et 
))   ne   peut  pas  se  marier  légitimement  (i).  » 

La  doctrine  des  tribunaux  de  noire  royaume 
sur  le  célibat  religieux  est  renfermée  dans  les 
conclusions  de  l'avocat  général  Talon,  dans  une 
cause  qui  fut  jugée  en  1640  ;  les  voici  :  «  Qui- 
»  conque  sert  à  l'autel,  qui  est  employé  dans  les 
))  sacrifices  en  qualité  d'ordiné,  de  sanctifié,  est 
»    incapable   du  mariage,  par   une  résistance  per- 


(1)  Merlin,  Répertoire  de  jurifpnidtiKc,  arl.  Témpat. 


(  :^»4   ) 
))  soiiiJcUc   el  une  iiicopacilé  cai)oin([iie,   pur   inie 
>)  obligation  solennelle  (lui  procède  du  vœu  taislLle 
y)  de  conlinence,  auquel  il  s'est  obligé  el  duquel  il 
»   ne  peut  se  dédire,  voire  même  par  l'exemple  de 
))  toutes  les  nations  chrétiennes   de  l'Orient  et  de 
>)   l'Occident,  dans  lesquelles  il  ne  se  trouve  point 
)>  qu'aucun    prêtre    ait    jamais   pensé   au    mariage 
»  depuis    son    ordination.    L'opinion    contraire    à 
))  cette  maxime  est  liércsie  dans  un  royaume  très 
»  chrétien  ,    et    l'action    contraire    est    un    crime 
V  capital  selon  nos  mœurs.  Si  un  prêtre  se  marie, 
»  soit  qu'il    cache    ou    avoue   son    ordre ^   il   peut 
y>  être    poursuivi    extraordinairement ,    nonseulc- 
))  ment  à  la  requête  de  celle  qu'il  a  abusée,  mais 
>)  même  à   la    diligence  du    procureur  général  ou 
»  de  ses  substituts.  Les  exemples  en  sont  publics 
»  à  la  tournelle.  Et  si  un  homme  marié  se  faisait 
y)  promouvoir   à    l'ordre    de    prêtrise,  son  impiété 
))  passerait  pour  un  sacrilège,  pour  une  profana- 
))  tion  de  sacrement  ,  crime  qui  mérite  la  mort.  )) 
Ensuite  il  cite   plusieurs   arrêts  qui  ont  cassé  des 
mariages    contractés     par    des  personnes    engagées 
dans   les  ordres  sacrés   ou   dans  la    profession   re- 
ligieuse.  En  voici    un    exemple   de   cette   dernière 
espèce  :  «  Le    sieur   Laferté  Imbault    se   plaignait 
))  du  mariage  contracté  par    son  frère  le  chevalier 
M  de  Malte  ,  religieux  profès ,    qui ,  pour  autoriser 
»   son   mariage,   avait  fait  profession   df  la  religion 


(  285  ) 

»  réformée.  Celle  qu'il  avait  épousée  soutenait 
yy  avoir  été  séduite  et  être  de  bonne  foi....  Néan- 
»  moins  la  cour  cassa  le  mariage  et  fit  défense  au 
))  chevalier  de  hanter  ni  de  fréquenter  sa  femme, 
»  sous  peine  de  la  vie  (i).  »  Sous  peine  de  la  vie! 
Les  conciles  n'avaient  jamais  porté  une  telle  peine. 
Quel  malheur  que  de  sortir  des  bornes  de  sa  ju- 
lidiction!  Quiconque  envahit  une  province  étran- 
gère Y  poite  toujours  le  ravage  et  la  mort  (2). 
Le  roi  Henri  \Ill,  lorsqu'il  voulut  donner  uu 
culte  de  sa  façon  au  peuple  anglais,  et  qu'il  eut 
substitué  son  pouvoir  à  celui  des  pontifes  et  des 
conciles,  alla  aussi  jusqu'à  menacer  de  la  peine 
de  mort,  non-seulement  les  clercs  qui  violaient  la 


(i)  Recueil  de  Bordet,  liv.  III ,  c.  CXV. 

(2)  Une  fois  immiscés  dans  les  affaires  de  l'église,  les 
tribunaux  portèrent  leurs  prétentions  plus  loin  que  le  clergé 
ne  l'aurait  voulu  et  qu'ils  ne  l'auraient  dû.  Qui  ne  con- 
naît les  misérables  discussioiis  qui  eurent  lieu,  vers  le  mi- 
lieu du  siècle  dernier,  entre  l'autorité  ecclésiastique  et  le 
parlement  de  Paris,  au  sujet  des  billets  de  confession  et  du 
refus  des  sacremens?  Si  le  roi  cassait  les  arrêts  de  la  ma- 
gistrature, ne  s'attribuait-il  pas  à  lui-même,  n'attrlbuait-il 
pas  à  son  conseil  privé  le  droit  de  diriger  les  prêtres  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions  ecclésiastiques?  Cependant  il 
s'agissait  de  choses  dont  l'autorité  séculière  ne  devrait  ja- 
mais se  mêler  :  l'administration  des  sacremens  est  toul-à- 
falt  réservée  à  la  puissance  spirituelle. 


(  286  ) 

(  (^nlineuce,  mais  aussi  ceux  (\\n   osaient  U'iiler  une 
coupable  sétluclion. 

Telles  étaient  les  lois  sur  le  célibat  dans  le 
royaume,  lorsque  la  révolution  vint  tout  changer. 
L'assemblée  nationale  trouva  le  cbcmin  déjà  frayé, 
y  entra  avec  franchise  et  le  parcourut  d'une  ma- 
nière digne  d'elle  et  digne  de  la  nation  qui  l'avait 
investie  du  pouvoir  législatif. 


VV\\\VVVVvVVVVViVVVVV^\/\'VV\VVVVVVVVVVVi;V\VV\V\\vV\VVVVVVVVV\\V\VvV\V'^\«\^\^\VV\  V%'\\^ 

SECTION  II. 

Du  célibat  depuis  la  réi^olution  jusqu'à 
nous. 


AVAÎST-PROFOS. 

Après  le  concile  de  Trente  ,  tout  prêtre  qui 
eut  osé  ftiire  l'aveu  solennel  que  les  sentiinens 
de  la  nature  n'étaient  pas  éteints  au  fond  de  son 
cœur  ,  tout  religieux  qui  aurait  eu  l'audace  de 
s'engager  dans  des  liens  légitimes,  se  serait  exposé 
à  être  poursuivi  à  toute  outrance,  à  être  privé 
de  sa  forliuie,  de  sa  liberté,  de  sa   vie. 

L'action  coustante  de  cette  loi  barbare,  et  l'i- 
dée de  sainteté  qui  s'y  rattachait  et  qui  lui  servait 
de  fondement  et  d'appui ,  gagna  à  la  fin  l'opi- 
nion populaire.  Un  religieux  ayant  une  femme 
et  surtout  des  enfans  eût  été  regardé  comme  un 
monstre.  Ce  préjugé  avait  pris  tant  de  force,  que 
peu  de  gens,  dans  les  pays  catholiques,  savaient 
se  soustraire  à  son  joug.  La  magistrature  y  était 
également  soumise.  Des  révolutions  populaires  eu- 
rent lieu  contre  les  agens  des  pontifes,  lorsqu'ils 
voulurent  contraindre  la  première  fois   le   nombre 


(  .88  ) 
considérable  de  concubiuaiics  religieux  à  se  séparer 
de  leurs  femmes'  Des  révolutions  populaires  cu- 
rent lieu  plus  lard,  lorsque  des  eccléslasli(jues , 
se  laissant  entraîner  aux  senlimens  de  la  nature  , 
ne  surent  pas  s'abslcnir  de  violer  la  loi  tyran- 
nique  des  pontifes.  Il  y  a  ici  contradiction  :  la 
religion  et  ses  principes  étant  toujours  les  mêmes, 
ce  qui  était  vice  dans  un  temps  n'a  pu  être 
vcrlu  dans  un  autre.  Se  trompa-t-on  d'abord? 
se  trompa-t-on   dans   la    suile  ? 

Si  l'opinion  devint  extrêmement  sévère  contre 
les  engagemens  le'oitimes  et  avoués  des  religieux, 
elle  se  relâcha  beaucoup  sur  les  intrigues  obscures 
qui  en  prirent  la  place.  En  Italie,  les  clercs  jouis- 
saient et  jouissent  encore  de  la  plus  grande  liberté. 
La  coiu'  pontificale  donnait  de  temps  en  temps 
des  exemples  qui  conciliaient  l'opinion  des  hommes 
sages  avec    les  idées  d'une  tolérance  extrême. 

Eu  Espagne  ,  l'exercice  constant  de  la  sainte 
inquisition  aurait  pu  efirajer  les  cœurs  les  plus 
affermis  ;  mais  il  était  tout  naturel  que  les  prêtres 
ne  tournassent  pas  contre  eux-mêmes  l'arme  si 
redoutable  dont  ils  s'étaient  armés,  non  dans  le 
dessein  de  rendre  leur  existence  plus  difiicile  et 
plus  pénible,  mais  pour  s'assurer  à  jamais  l'em- 
pire et  les  ricliesses.  Aussi  l'Espagne  est-elle  de- 
venue leur  domaine  :  ils  y  régnent  en  maîtres,  ^ 
ils  s'y  sont  assuré    mille    privilèges  et  mille   pré- 


(  289) 
rogatives  ;  personne  ne  pourrait  troubler  impunë- 
inent  leurs  plaisirs;  et  l'Europe  n'a  pas  une  grande 
idée  de  leur  chasteté. 

Le  clergé  de  France  s'est  trouvé  dans  une  po- 
sition plus  diflicile.  La  présence  des  calvinistes, 
les  reproches  qu'ils  adressaient  aux  ministres  du 
culte  catholique  ,  la  surveillance  sévère  que  ceux-ci 
exerçaient  constamment  sur  leur  conduite ,  obli- 
geaient les  évêques  à  être  vigilans  et  inflexibles, 
et  les  clercs  inférieurs  à  se  tenir  constamment 
sur  leur  garde.  Qu'est-il  arrivé  cependant?  Les 
prêtres  ont-ils  observé  une  continence  exacte  ? 
C'est  impossible.  Ils  ont  rais  tous  leurs  soins  à 
cacher  le  fd  de  relations  dont  la  connaissance 
aurait  pu  les  plonger  dans  des  malheurs  affreux. 
Qu'est-il  encore  arrivé?  Des  enfans  ont  été  ex- 
posés ou  étouffés....  des  femmes  égorgées!...  Tirons 
un  voile  sur  ces  liorreurs  !  Ne  placez  jamais 
l'homme  entre  les  sentimens  les  plus  forts,  les 
plus  légitimes  de  la  nature ,  et  des  devoirs  chi- 
mériques que  le  préjugé  enfante  et  que  de  mau- 
vaises lois  pénales  fortifient  :  il  est  alors  dans  la 
voie  du   crime. 

Malgré  l'excès  de  ces  abus  et  ces  scandales  qui 
affligeaient  le  royaume  ,  les  lettres  et  la  phi- 
losophie commençaient  à  dissiper  les  ténèbres 
que  de  barbares  institutions  avaient  répandues 
sur  l'Europe  entière.  Eclairés    par  le  flambeau  des 

'9 


(  290  ) 

sciences ,  les  philosophes  tournèrent  leurs  regards 
autour  d'eux  ,  et  le  s])cctMclc  de  la  misère  pu- 
blique porta  l'efifroi  dans  lenrs  cœurs.  Ils  virent 
d'un  côté  l'oppression  et  l'indigence  ,  de  l'autre  la 
tyrannie  et  les  profusions  insensées.  Ici,  une  sou- 
mission aveugle  à  des  principes  et  à  des  hommes 
au^quels  on  supposait  une  céleste  origine;  là,  une 
licence  effrénée  ,  un  mépris  évident  des  doctrines 
et  des  vertus  que  l'on  enseignait  au  nom  du  ciel; 
la  paix  sur  les  lèvres,  la  guerre  dans  le  cœur,  la 
continence  dans  les  paroles ,  le  libertinage  dans 
les  actions,  les  crimes  souillant  le  sanctuaire,  les 
ministres  gémissant  sous  le  joug  des  plus  tyran - 
niques  lois,  le  scandale  détruisant  la  confiance  et 
portant  de  cruelles  atteintes  aux  mœurs  et  au 
bonheur   de  la  société. 

Un  tel  état  était-il  conforme  à  la  nature  de 
l'homme?  L'étude  de  leurs  propres  affections  et 
la  connaissance  de  l'histoire  leur  donnaient  une 
tout  autre  idée  de  l'espèce.  Sparte,  Athènes, 
Rome  ,  dans  les  beaux  jours  de  leurs  républiques, 
avaient  eu  des  vertus  et  des  prospérités  ;  tous 
les  peuples  que  de  mauvaises  inslilutions  n'a- 
vaient pas  égarés  avaient  trouvé  le  bonheur  dans 
l'égalité  des  droits. 

Les  institutions  de  l'Europe  étaient  donc  mau- 
vaises, et  c'était  à  elles  qu'il  fallait  attribuer  la 
malheureuse   existence  des   peuples.  Cette    pensée 


(  291   ) 
))orta    les    philosophes    à    rechercher    l'origine   dos 
maux  qui    pesaient  sur  les  nations. 

Les  dérèglemens  scandaleux  des  ecclésiastiques 
fixèrent  aussi  toute  leur  attention.  Pourquoi  des 
hommes  qui  avaient  un  si  grand  intérêt  à  don- 
ner l'exemple  des  vertus  se  livraient -ils  aux 
vices  ?  Ne  les  aurait-on  pas  forcés  à  des  devoirs 
qui  ne  sont  pas  dans  la  nature  de  l'homme?  JN'au- 
rait-on  pas  altéré,  faussé  une  doctrine  toute  cé- 
leste ,  que  la  divinité  elle-même  avait  enseignée 
aux  humains  pour  les  rendre  heureux?  Le  douto 
conduisit  aux  recherches  ,  et  les  recherches  à  1» 
vérité.  L'ignorance,  la  présomption  et  l'égoïsme 
avaient  dénaturé  la  morale  divine  de  V Evangile, 
imposé  un  joug  insupportable  aux  ministres  du 
culte  catholique  et  porté  un  coup  fatal  à  la  pu- 
reté des   mœurs  et  à  la  prospérité   de  la  religion. 

Ces  idées  étaient  déjà  bien  répandues  vers  le 
milieu  du  XVIIl'  siècle.  On  ne  connaissait  pas 
la  véritable  cause  du  mal;  on  n'imaginait  point, 
pour  purifier  la  société ,  d'autres  moyens  que  ceux 
qui  avaient  été  fixés  par  les  canons.  Les  personnes 
éclairées  sentaient  au  contraire  que  les  dérègle- 
mens des  ecclésiastiques  venant  des  mesures  or- 
données par  ces  canons  eux-mêmes  ^  l'expédient 
unique  de  rendre  le  clergé  à  sa  véritable  destinatioii 
était  de  rejeter  ces  lois  absurdes  et  de  replacer  les 
ministres  des  autels  dans  le  droit  commun. 

19.. 


(  ^9^  ) 

La  nécessité  de  délivrer  le  royaume  de  l'oppres- 
sion épouvantable  qui  le  menaçait  d'une  dissolution 
prochaine  fit  éclater  la  révolution.  Le  peuple 
français  reprenant  l'exercice  de  ses  droits ,  dont 
des  envaliisseinens  successifs  l'avaient  dépouillé  , 
envoya  auprès  du  troue  des  mandataires  fidèles , 
chargés  de  faire  connaître  ses  besoins  au  monarque 
pieux  (jui  désirait  lui-même  d'y  mettre  un  terme. 
11  se  forma  une  assemblée  composée  de  l'élite  de 
la  nation,  brillante  de  lumières  et  animée  du  zèle 
le  plus  ardent  pour  le  bien  public.  Jamais  corps 
législatif  n'avait  été  ni  plus  sincèrement  dévoue 
à  la  patrie ,  ni  doué  d'un  instinct  plus  heureux 
pour  trouver  le  bien  ,  ni  investi  d'un  plus  grand 
pouvoir,  ni  entouré  d'une  plus  entière  confiance. 
La  nation  comptait  sur  ses  représentans  et  les 
appuyait  de  son  suffrage  et  de  sa  volonté  énergique. 

Cette  assemblée  à  jamais  célèbre,  dans  son  ar- 
deur infatigable  pour  le  bien ,  signala  tous  les 
abus,  indiqua  des  remèdes  à  tous  les  maux.  La 
religion  étant  l'un  des  plus  puissans  ressorts  des 
gouvernemens  pour  affermir  le  bonheur  du  corps 
social ,  elle  ne  fut  pas  oubliée.  Les  députés  du 
peuple  en  firent  l'objet  de  leurs  méditations  et 
de  leur  sollicitude.  Les  réformes  qu'elle  exigeait 
depuis  plus  de  quatorze  siècles  furent  à  la  fin 
proposées  par  l'Assemblée  constituante  ,  et  sanc- 
tionnées par  l'autorité  royale. 


(  293  ) 
Avant  (l'exposer  les  lois  de  celle  assemblée  sur 
le  célibat  des  religieux ,  il  est  à  propos  de  s'ar- 
rêter uu  instant ,  afin  de  soumettre  ses  titres  à 
un  examen  réfléchi.  Avait-elle  mission  pour  s'oc- 
cuper d'un  pareil  sujet  ?  Si  elle  a  usurpé  des  pou* 
voirs  qui  n'étaient  pas  dans  son  mandat ,  ses  acles 
sont  entachés  d'une  nullité  radicale.  Nos  recher- 
ches ne  seront  pas  inutiles  :  il  existe  non-seu- 
lement en  Espagne  et  en  Italie,  où  la  puissance 
pontificale  s'est  presque  rétablie  dans  son  ancienne 
splendeur ,  mais  encore  en  France  et  au  milieu 
des  vives  lumières  de  notre  capitale,  un  parti 
nombreux  et  puissant  qui  a  ou  qui  feint  d'avoir 
adopté  ^cette  opinion. 

^iV\iVVVVVVV\\^VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV\%V\XVVVVVV\MiVV\vVV«\%VV\VVVi/V\^ 

CHAPITRE  PREMIER. 


Droit  de   V Assemblée  constituante  sur  le   célibat 
religieux . 


Personne  ne  conteste  à  une  nation  le  droit  de 
pourvoir  à  ses  intérêts  ,  par  elle-même  ou  par  le 
moyen  de  ses  mandataires.  Ce  droit  est  fondé  sur 
des  raisons  trop  légitimes  et  trop  évidentes  pour 
qu'aucun  être  doué  d'entendement  puisse  les  mettre 
en  doute.  Comment  pourrait-il  arriver  qu'un  nombre 


(  ^94  ) 
plus  ou  moins  considérable  de   personnes  ne  pus- 
sent   point    faire    collectivement    ce   que   chacune 
d'elles  peut  faire  en  son  particulier? 

L'Assemblée  constituante  pouvait  donc  légitime- 
ment donner  à  la  nation  française  toutes  les  ins- 
titutions qu'elle   croyait  utiles. 

La  nature  de  son  mandat  l'autorisait-elle  à  s'oc- 
cuper des  affaires  religieuses?  11  faut  distinguer  : 
les  lois  de  la  religion  forment  deux  codes  à  part 
et  très  distincts  l'un  de  l'autre.  Le  premier  traite 
du  dogme,  de  ce  qu'il  faut  croire,  de  ce  qui  a 
été  révélé  et  dont  l'église  conserve  et  peut  seule 
interpréter  les  actes  authentiques j  le  second  ren- 
ferme des  règlemcns  civils  qui  ont  pour  objet 
d'indiquer  aux  citoyens  ce  qu'ils  doivent  faire  et 
ce  qu'ils  ne  doivent  pas  faire  :  celui-là  dirige  les 
sentimens  intérieurs  de  l'âme  ,  celui-ci  commande 
les  actions  du  corps  ;  l'un  se  saisit  pour  ainsi  dire 
de  la  pensée  et  l'accompagne  dans  tous  ses  déve- 
loppemens  ,  l'autre  se  charge  de  suivre  le  citoyen 
au  sein  de  la  société,  détermine  ses  mouvemens, 
gêne  sa  liberté,  inflige  des  punitions.  Vodà  deux 
espèces  de  lois  tout-à-fait  distinctes  et  qui  ne  sem- 
blent pas  devoir  rester  dans  les  ressorts  de  la  même 
puissance.  Les  unes,  toutes  spirituelles,  ne  s'adres- 
seiit  qu'à  l'esprit;  les  autres  ,  matérielles  et  sensi- 
bles, s'adressent  plus  particulièrement  à  l'individu. 
]N'est-il  pas  visible  que  les  premières  seules  entrent 


(  295  ) 

dans  le  domaine  de  l'autorité  relij:;ieuse ,  et  que 
les  secondes  appartiennent  de  droit  à  l'autorité 
civile  ? 

Cette  dislinclion  était  nécessaire  pour  nous  for- 
mer une  idée  juste  des  attributions  respectives  de 
ces  deux  autorités.  11  existe  entre  elles  une  limite 
nécessaire ,  que  ni  l'une  ni  l'autre  ne  peuvent  dé- 
passer, sans  devenir  usurpatrices  et  sans  porter  le 
trouble  dans  le  corps  social. 

Lorsque  la  puissance  ecclésiastique  condamnait 
les  clercs  à  des  peines  corporelles  j  lorsqu'elle  ren- 
dait esclaves  et  s'appropriait  leurs  enfans  et  leurs 
concubines 5  lorsqu'elle  déposait  les  rois  et  les  obli- 
geait à  se  vêtir  du  froc  ;  lorsqu'elle  changeait 
presque  tous  les  jours  de  la  semaine  en  jours  de 
fête,  liait  les  bras  des  citoyens  et  augmentait  la 
misère  publique  ;  lorsqu'elle  déterminait  la  légi- 
timité et  l'illégitimité  des  personnes j  qu'elle  don- 
nait ou  retranchait  le  droit  de  cité  et  mêaie 
d'homme  ,  restait-elle  dans  les  bornes  que  lui 
avaient  assignées  VEvangile  et  la  nature  même 
de  ses  fonctions? 

La  puissance  civile  ne  serait  pas  moins  usurpatrice 
si  elle  aspirait  à  se  mêler  du  dogme  et  des  cé- 
rémonies de  l'intérieur  du  temple,  qui  sont  comme 
la  partie  visible  du  dogme  lui-même.  Elle  serait 
usurpatrice^  si,  en  s'attribuant  l'interprétation  des 
saintes  écritures,  elle  voulait  imposer  ses  croyances 


(  296) 

OU  ses  opinions  ;  elle  serait  usurpatrice  ,  si  elle 
avait  la  prélenlion  d'étenrlre  ou  de  diminuer  le 
nombre  des  sacrcmcns ,  de  prescrire  la  manière 
de  les  administrer,  d'ordonner  aux  ministres  des 
autels  de  les  administrer  lorsqu'ils  ne  le  jugeraient 
pas  à  propos;  elle  serait  usurpatrice,  si  elle  im- 
posait de  nouveaux  paremens,  un  nouveau  rituel, 
de  nouveaux  usages. 

Qui  ne  voit  pas  combien  seraient  funestes  à  la 
religion  et  à  la  tranquillité  publique  les  empiète - 
mens  réciproques  de  ces  deux  puissances?  L'his- 
toire peut  être  appelée  à  l'appui  du  raisonnement. 
Combien  de  révolutions  et  d'effinyables  catas- 
trophes n'ont  pas  dû  leur  origine  aux  envahisse- 
mens  de  l'une  de  ces  deux  autorités?  Quels  tor- 
rens  de  sang  n'a  pas  fait  couler  la  seule  querelle 
des  investitures  ? 

Pour  décider  si  l'Assemblée  constituante  était 
en  droit  de  s'occuper  du  célibat  religieux,  il  suffit 
donc  de  déterminer  s'il  est  un  dogme  infaillible 
de  la  foi,  un  principe  sûr  de  croyance  placé  hors 
de  la  portée  de  notre  faible  raison,  une  idée  abs- 
traite qui  ne  commande  qu'à  l'esprit,  ou  bien  si 
c'est  une  loi  née  sur  la  terre  et  sanctionnée  bien 
avant  le  christianisme  lui-même,  un  produit  de 
l'erreur  qui  dérive  partout  du  même  principe, 
un  sujet  éternel  de  discussions  et  de  troubles  _, 
une    entrave,    une    gêne    apportée  à   la    liberté  et 


(  ^97  ) 
menaçant  les   mœurs  et  l'existence   de   la    société. 

Si  la  lecture  des  faits  que  j'ai  déjà  rapportés 
n'a  pas  donné  au  lecteur  les  principes  nccesssaires 
pour  résoudre  une  pareille  question  ,  j'ai  perdu 
toul-à-fait  mon  temps  et  mes  soins.  Nous  avons 
vu  que  le  célibat  prive  l'homme  de  la  jouissance 
d'un  droit  inséparable  de  sa  nature  ;  que  cette 
usurpation  est  une  atteinte  mortelle  portée  à  sa 
liberté  sous  le  point  le  plus  vital  de  son  existence; 
que  les  souverains  pontifes  eux-mêmes  ,  et  des 
conciles  graves  qui  jouissent  de  la  plus  grande 
autorité  dans  l'église,  n'ont  pas  cru  que  le  ma- 
riage fut  incompatible  avec  l'exercice  des  fonctions 
sacerdotales  ;  que  les  papes  se  sont  toujours  ré- 
servé le  pouvoir  de  séculariser  les  ministres  du 
culte  catholique,  c'est-à-dire  de  leur  accorder 
la  permission  de  contracter  mariage  ;  qu'ils  ont 
dispensé  et  dispensent  encore  du  vœu  de  con- 
tinence, comme  ils  le  font  pour  les  autres  vœux, 
pour  les  abstinences  et  pour  le  jeûne.  Il  est  donc 
prouvé  que  le  vœu  de  chasteté  n'est  pas  un  dogme 
fondamental  de  la  foi;  car  les  papes  ne  dispense 
raient  pas  de  croire,  par  exemple,  à  la  très  sainte 
trinité  ou  à  la  rédemption   du  genre   humain. 

Au  reste ,  la  puissance  civile  s'était  saisie  des 
lois  relatives  au  céhbal  des  clercs,  bien  avant 
l'existence  de  l'Assemblée  constituante.  Si  elle  ne 
l'imposait  pas  en    principe  ,    elle  le  rendait   néces- 


(  298  ) 
saiie  par  le  fait,  en  déclarant  nul  le  mariage,  et 
illégilirncs  les  enfans  de  tous  ceux  qui  avaient 
fait  le  vœu  solennel  de  continence,  et  en  les  con- 
damnant eux-mêmes  aux  pcmes  les  plus  j^raves 
et  à  la  mort.  L'Assemblée  constituante  était  donc 
en  droit  de  s'en  occuper,  quand  ce  n'aurait  élé 
que  pour  déterminer  jusqu'à  quel  point  les  tri- 
bunaux civils  devaient  prêter  leurs  secours  à  la 
puissance  ecclésiastique. 

vVVVVVVVVVVVVVVVV\  VVVVVXA/VVVXiV  \A^  VVV  VVV\\iVVVV  VVV  VV\  VV\*  VVV  VVV*A/V  vvv  vv\»  vvvv 

CHAPTTP.E  II. 

Du  célibat  sous  ï Assemblée  constituante. 

Le  vœu  solennel  de  continence  porte  la  plus 
grave  atteinte  à  la  liberté  de  l'homme  et  le  prive  de 
l'usage  de  ses  facultés.  Dire  à  quelqu'un,  alNe  te  ma- 
))  rie  pas,  ou  je  te  punis  de  mort,  »  c'est  la  même 
chose  que  de  lui  dire  :  «  INe  bouge  pas,  ou  je  te  pu- 
»  nis  de  mort  ».  L'Assemblée  constituante  devait- 
elle  tolérer  cette  loi  inique  et  barbare?  JNe  devait- 
elle  pas  restituer  aux  citoyens  leur  liberté  tout  en- 
tière? iNéi^Hger  de  le  faire  eût  été  ne  pas  accomplir 
un  des  devons  les  plus  essentiels  de  sa  mission. 

La  société  a  le  droit  de  restreindre  en  quelque 


(  ^99  ) 
chose  la  liberté  de  ses  membres.  Je  ne  conteste  pas 
ce  principe  nécessaire  à  l'existence  de  tonte  associa- 
tion ;  mais  ces  sacrifices  particuliers  ne  peuvent  être 
ordonnés  que  lorsqu'ils  sont  nécessaires,  indispen- 
sables au  bien  de  tous.  Le  vœu  de  continence  est-il 
un  sacrifice  de  ce  genre?  Apporte-t-il  le  plus  léger 
avantage,  ou  à  celui  qui  s'y  condamne,  ou  à  ceux 
au  milieu  desquels  il  vit?  IN'est-il  pas  une  cause  de 
corruption  et  une  source  inépuisable  de  maux?  Ne 
fallait-il  pas  le  proscrire ,  comme  on  proscrivait  les 
lettres  de  cachet  et  le  pouvoir  absolu? 

La  constituante,  dit-on,  aurait  dû  se  borner  à 
donner  aux  clercs  la  liberté  de  revenir  dans  le 
monde,  en  perdant  tous  les  avantages  qu'on  leur 
avait  assurés  sous  la  condition  expresse  qu'ils  gar- 
deraient la  conlinence;  elle  se  serait  conformée  aux 
canons  de  la  primitive  église;  elle  aurait  été  plus 
juste  et  plus  morale.  Les  pères  de  la  primitive  église 
n'étaient  pas  ])lus  infaillibles  que  ceux  de  la  nou- 
velle; ils  s'étaient  laissé  entraîner  par  une  erreur 
malheureuse,  établie, et  affermie  avant  que  le  fils  de 
Dieu  fut  descendu  sur  la  terre  et  eut  opéré  la  ré- 
demption du  genre  humain.  Au  lieu  de  prendre 
pour  point  de  départ  et  pour  règle  unique  de  con- 
duite V Evangile ,  et  Moïse,  et  les  prophètes  qui 
avaient  représenté  VEvangile^  comme  fombre  repré- 
sente le  corps,  Us  suivirent  la  doctrine  des  deux 
principes;  ils  épousèrent  en  partie  les  dogmes  que 


(  3oo  ) 

soutinrent  avec  une  si  f;inatif|iie  ardeur,  Manès, 
Priscillien  el  plusieurs  autres  dissidens  jusqu'à  Bé- 
renger;  ils  se  livrèrent  aux  idées  abstraites  d'une 
peiTeclion  absolue,  qui  est  loin  d'être  une  perfec- 
tion ,  ou  qui  du  moins  n'est  pas  compatible  avec  la 
nature  de  l'honmie. 

L'Assemblée  constituante  devait  donc  à  la  France 
et  à  l'bumanité  de  proscrire  tous  les  vœux  qui  sont 
contraires  à  la  nature  et  destructifs  de  la  prospérité 
publique,  de  déclarer  que  le  mariage  ne  priverait 
pas  du  droit  de  servir  les  autels,  et  de  soutenir  les 
ecclésiastiques  qui,  secouant  le  joug  du  préjugé 
commun,  croyaient  pouvoir  en  même  temps  nourrir 
une  femme,  élever  des  enfans,  prier  le  Seigneur  et 
conserver  les  bénéfices  que  la  société  accorde  à  ceux 
qui  desservent  les  autels. 

Elle  satisfit  à  l'attente  générale  des  amis  de  l'bu- 
manité; elle  établit,  par  son  décret  du  i3  février 
1790,  que  c(  la  loi  ne  reconnaîtrait  plus  de  vœux 
»  monastiques  solennels  des  personnes  de  l'un  ni  de 
))  l'autre  sexe-  »  Ce  décret  fut  revêtu,  le  19,  de  la 
sanction  royale,  et  devint  une  loi  de  l'Etat.  Aussitôt 
les  moines  sortirent  de  leurs  couvens,  et  un  grand 
nombre  usèrent  de  la  liberté  qu'ils  venaient  de  re- 
cevoir, pour  s'engager  dans  les  liens  d'un  légitime 
mariaoe. 

Un  traitement  fut  fixé  pour  dédommager  les  reli- 
gieux de  la  perte  de  revenus  dont  ils  jouissaient  au- 


(3oi  ) 

paravant  et  assurer  leur  subsistance  dans  le  monde  : 
c'était  un  juste  dédommagement  pour  la  perte  de 
leur  état.  Cependant;  soit  par  esprit  d'économie, 
soit  par  d'autres  considérations  faciles  à  saisir,  l'As- 
semblée nationale  ordonna,  par  ses  deux  décrets  du 
4  octobre  1790  et  du  6  janvier  1791  ,  que  celles 
d'entre  les  chanoinesses  qui  contracteraient  mariage 
seraient  privées  de  leurs  traitemens.  Comme  ces  deux 
lois  auraient  pu  beaucoup  gêner  la  liberté  de  ces  re- 
ligieuses, et  se  trouvaient  par  là  contraires  au  prin- 
cipe général  déjà  établi  par  l'Assemblée,  elle  les 
rapporta  par  un  nouveau  décret  qui  reçut  la  sanc- 
tion royale  le  12  septembre  1791- 

L'Assemblée  nationale  ne  borna  pas  là  sa  sollici- 
tude :  elle  abolit,  le  3  septembre  1791 ,  toute  obli- 
gation qui  pourrait  résulter  du  vœu  de  continence. 
<(  La  loi  )) ,  est  il  porté  en  lête  de  la  constitution  de 
ce  jour,  «  ne  reconnaît  plus  ni  vœux  religieux,  ni 
»  aucun  autre  engagement  qui  serait  contraire  aux 
))  droits  naturels.  »  Et  lorsqu'elle  vint  à  définir, 
dans  la  loi  du  20  septembre  1792,  au  titre  IV,  sec- 
tion F",  «  les  qualités  et  les  conditions  requises  pour 
»  pouvoir  contracter  mariage,  »  elle  n'y  fit  aucune 
ntention  des  ordres  sacrés  qui,  par  là,  cessèrent 
d'être  regardés  comme  un  empêcbement. 

Yeut-on  des  preuves  évidentes  que  telle  était  la 
pensée  de  l'Assemblée  constituante?  voici  des  faits 
propres   à  détruire  toute  espèce   d'incertitude.   Le 


(    302    ) 

17  septembre  1792  ,  il  fut  présenté  au  corps  législa- 
tif une  (îcnoncialion  contre  un  évéque  qui  «  avait 
»  refusé  l'itisLitution  canonique  à  un  vicaire  ,  sous 
»  prétexte  qii'il  était  marié.  L'Assemblée  passa  à 
»  l'ordre  du  jour,  motivé  sur  ce  que  tout  citoyen 
»  peut  se  pourvoir  devant  les  tribunaux  contre  la 
»  violation  de  la  loi  à  son  égard.  » 

Le  19  juillet  1793,  la  Convention  nationale  re- 
çoit le  recours  de  Blanc  Poupirac,  curé  de  Coudray, 
dans  le  district  de  Corbeil,  qui  se  plaint  qu'on  lui 
refuse  son  traitement ,  par  la  raison  qu'il  est  marié. 
L'Assemblée  passe  encore  à  l'ordre  du  jour,  motivé 
sur  ce  que  ((  aucune  loi  ne  peut  priver  du  traitement 
))  les  ministres  du  culte  catbolique  qui  se  marient.» 
En  outre,  «  elle  renvoie  la  pétition  au  ministre  de  la 
))  justice,  pour  faire  exécuter  les  lois,  et  poursuivre 
»  les  auteurs  des  troubles  et  actes  arbitraires  dans 
>)  la  commune  de  Coudray,  relativement  au  mariage 
»  de  Blanc  Poupirac.   » 

De  plus  ,  comme  il  lui  était  prouvé  que  beaucoup 
d'évêques  s'opposaient  au  mariage  des  ecclésiasti- 
ques, la  Convention  décréta  le  même  jour,  u  que  les 
»  évêques  qui  apporteraient,  soit  directement,  soit 
))  indirectement,  quelque  obstacle  au  mariage  des 
»  prêtres,  seraient  déportés  et  remplacés.  » 

Cependant,  les  évêques  continuant  à  frapper  de 
destitution  les  prêtres  qui  se  mariaient,  la  Conven- 
tion nationale  prit  un  autre  expédient.  L'article  i*' 


(  3o3  ) 

du  décret  du  1 2  août  1 798  porte  :  «  Toute  destitu- 
»  tlon  de  ministres  du  culte  catholique  qui  aurait 
»  pour  cause  le  mariage  des  individus  qui  y  sont 
))  attacliés,  demeure  annulée,  et  le  prêtre  qui  en 
))  est  l'objet  pourra  reprendre  ou  continuer  ses 
))   fonctions.   » 

Les  lialjitans  de  quelques  communes  où  les  curés 
avaient  assez  de  bon  sens  et  de  courage  pour  se  ma- 
rier se  mettaient  en  révolution  ouverte  contre  eux; 
ils  refusaient  de  recevoir  les  sacremens  de  leurs 
maijis  ;  ils  les  poursuivaient  ])ar  le  ridicule,  par  les 
cris  et  par  la  violence.  Les  curés  étaient  contraints 
de  se  retirer;  ils  perdaient  leur  état  et  leurs  moyens 
de  subsistance.  Comment  obvier  à  cet  inconvénient  ? 
La  Convention  nationale,  le  ly  septendjre  1793,  dé- 
crète que  «  tout  prêtre  qui  se  sera  marié  et  qui  sera 
))  inquiété  à  ce  sujet  par  les  liabitans  de  la  commune 
»  de  sa  résidence,  pourra  se  retirer  dans  tel  lieu 
»  qu'il  jugera  convenable  ,  et  que  son  traitement 
))  lui  sera  payé  aux  frais  de  la  commune  c|ui  l'aura 
))  persécuté.  » 

La  faveur  des  Assemblées  nationales  envers  le 
mariage  des  ecclésiastiques  fut  toujours  si  pronon- 
cée, que,  malgré  la  pénurie  d'argent  et  le  besoin 
d'une  économie  sévère,  les  pensions  qui  avaient  été 
assignées  précédemment  aux  ministres  des  autels 
leur  furent  toujours  exactement  payées,  même  après 
qu'engagés  dans  les  liens  du  mariage,  ils  ne  purent 


(3o4) 

plus,  par  la  stûle ,  remplir  les  fonctions  du  sacer- 
doce (i). 


(i)  Les  pensions  qui  avaient  été'  accorde'es  aux  eccle'sias- 
tiqucs  devenus  séculiers  furent  payées  avec  une  scrupuleuse 
exactitude  pendant  la  révolution,  sous  le  consulat  et  sous 
l'empire.  Le  22  décembre  181 5,  M.  le  comte  de  Blangy, 
député  du  département  de  l'Eure,  présenta  à  la  Chambre 
introuvable  une  proposition  conçue  en  ces  termes  :  «  J'ai 
»  l'honneur  de  proposer  qu'une  humble  adresse  soit  faite  à 
>)  Sa  Majesté,  pour  la  supplier  de  faire  présenter  une  loi, 
»  tant  dans  l'intérêt  de  la  religion  que  dans  celui  de  l'État, 
»  pour  la  suppi'ession  totale  de  toutes  les  pensions  dont 
»  peuvent  jouir  les  prêtres  mariés  et  ceux  qui  volontaire— 
»  ment  ont  abandonné  le  sacerdoce.  » 

La  Chambre  la  prit  en  considération,  et  le  1"  février 
1816,  M.  Roux  de  Laborie,  rapporteur  de  la  commission 
qui  s'était  occupée  de  cet  objet,  prit  les  conclusions  que 
l'on  va  lire.  :  «  Votre  commission  ne  vous  proposera  sur 
»  cette  partie  de  la  proposition  qu'un  article  qui  console 
»  la  morale  publique,  s'accorde  avec  le  rétablissement  d'un 
»  gouvernement  religieux  et  légitime,  et  suppi'ime  les  pen- 
»   sions  ecclésiastiques  des  prêtres  mariés,  » 

Ce  rapport  avait  été  fait  dans  \xn  comité  secret.  Le  16  du 
même  mois,  il  y  eut  dans  le  sein  de  la  Chanibre  une  dis- 
cussion très  animée,  dans  laquelle  quelques  députés  dé- 
bitèrent d'un  style  très  emphatique  les  erreurs  grossières 
du  XIV^  et  du  XV*  siècle,  La  Chambre  adopta  la  proposi- 
tion suivante  :  «  Les  pensions  ecclésiastiques  dont  jouissent 
>>  les  prêtres  ou  mariés ,  ou  qui  ont  renoncé  à  leur  état  en 
»  embrassant  une  profession  incompatible  avec  le  sacer- 


C  3o5  ) 

La  pensée  du  législateur  n'est  donc  pas  équivoque; 
il  l'a  exprimée  plusieurs  fois.  Il  a  sanctionné  le  prin- 
cipe, il  l'a  appliqué,  il  a  établi  des  peines  légales 
contre  ceux  qui  le  violeraient. 

Si  l'Assemblée  nationale  était  éclairée,  la  plupart 
des  villages  des  campagnes  et  la  grande  majorité  des 
Français  ne  l'étaient  pas.  A  cet  égard,  on  pourrait 
dire  que  le  législateur  a  devancé  les  temps.  L'éduca- 
tion du  peuple  français  n'était  pas  encore  au  point 


»  doce,  seront  supprimées,  et  Sa  Majesté  daignera  ordonner 
n  à  ses  ministres  de  faire  rechercher  les  individus  de  cette 
»  classe  qui,  ne  jouissant  d'aucune  place,  ni  d'aucun  traite- 
»  ment  du  Gouvernement,  ont  besoin,  pour  subsister,  que 
»  leur  pension  leur  soit  conservée  à  titre  de  secours.  » 

Cette  décision  est  bien  loin  d'être  juste  :  elle  prive  des 
citoyens  d'un  droit  qui  devait  être  sacré.  Elle  laisse,  il  est 
vrai,  au  monarque  la  liberté  de  conserver  le  bienfait  de 
la  loi  à  ceux  qui  ne  pourraient  pas  s'en  passer.  Il  est  à 
croire  qu'ils  n'en  furent  pas  privés  ;  ils  devaient  être  en  si 
petit  nombre!  Quelle  misérable  économie! 

Soixante -quatre  voix  sur  cent  soixante-huit  se  pronon- 
cèrent contre  cette  proposition;  c'est  beaucoup  pour  une 
Chambre  comme  celle  de  i8i5.  Les  lumières  n'étaient  pas 
éteintes;  l'espérance  brillait  encore. 

Dans  la  Chambre  des  Pairs,  le  nombre  de  ceux  qui  se 
déclarèrent  pour  les  anciens  prêtres  fut  bien  plus  grand  en 
proportion;  ils  furent  cinquante-sept  contre  soixante-onze. 
On  voyait  dès  lors  que  la  Chambre  des  Pairs  serait  le  plus 
ferme  appui  des  libertés  publiques. 

20 


(  3o6  ) 

de  maturilé  qu'il  aurait  fallu  pour  que  le  sacerdoce 
pûtèlre  allié  au  niariaj^e  sans  scandale  et  sans  trou- 
bles. Une  loi  ne  doit  jamais  être  autre  chose  que 
l'expression  d'un  besoin  et  d'un  vœu  oénéralement 
sentis.  Quand  on  veut  détruire  un  préjugé  que  la 
rouille  du  temps  a  rendu  vénérable,  ce  n'est  pas  par 
des  lois  qu'il  faut  l'attaquer  d'abord  :  commencez  par 
instruire  la  nation;  expliquez-lui,  redlles-lui  la  vé- 
ritable cause  des  maux  qui  la  tourmentent;  faites- 
lui  pressentir  par  degrés  les  mesures  que  vous  jugez 
les  plus  opportunes  pour  les  faire  cesser;  dirigez  la 
réflexion  des  citoyens  sur  l'objet  des  réformes  que 
vous  leur  préparez,  et  l'opinion  pubrK]ue  vous  de- 
mandera elle-même  ces  lois  qu'elle  aurait  repoussées 
si  vous  les  lui  aviez  offertes  plus  tôt. 

Le  sentiment  de  son  existence  toujours  menacée 
et  nécessairement  passagère  fait  que  l'homme  se 
hâte  de  jouir.  Cet  empressement  n'est  pas  toujours 
dangereux;  il  y  a  môme  des  circonstances  où  il  est 
nécessaire  :  la  précipitation  et  la  témérité  sont  quel- 
quefois des  vertus.  Si  l'Assemblée  nationale  ne  se 
fût  hâtée  d'abolir  le  célibat  des  ecclésiastiques,  tout 
me  porte  à  croire  que  la  France  en  serait  encore 
accablée. 


(  3o7  ) 

CHAPITRE  m. 

Du  célibat  sous  le  consulat  ^  sous  l'empire ,  et 
depuis  la  restauration. 

La  nation  française  abuse  de  sa  liberté;  ses  enne- 
mis et  ses  passions  la  poussent  à  la  guerre  civile;  elle 
tourne  contre  elle-même  ses  armes  victorieuses ,  elle 
se  déchire,  et  le  despotisme  va  succéder  à  l'anarchie. 

Le  consulat  est  organisé  et  pense  à  assurer  le  re- 
pos public  par  des  lois  différentes  de  celles  des  As- 
semblées nationales.  La  religion,  que  la  tourmente 
révolutionnaire  avait  tenté  un  instant  de  détruire, 
est  rétablie  sur  son  ancienne  base.  Nouveau  Charle- 
magne,  le  premier  consul  règle  les  affaires  de  l'Etat 
et  de  l'église ,  et  se  saisit  à  la  fois  de  la  puissance 
temporelle  et  de  la  spirituelle.  Il  était,  en  quelque 
sorte,  le  légataire  universel  de  la  monarchie  et  de 
l'autorité  pontificale.  Il  était  même  plus  :  il  repré- 
sentait à  lui  seul  toute  la  nation  qui  l'avait  investi 
de  sa  confiance. 

Le  souverain  pontife  approuva  les  opérations  du 
consul.  Le  concordat  de  Léon  X  et  de  François  I" 
céda  la  place  à  celui  du  26  messidor  an  IX ,  qui 
porte  dans  son  préambule  :  «  Le  gouvernement  de  la 

20.. 


(  3o8  ) 

))  république  française  reconnaît  que  la  rclif^ion  ca- 
))  tholique,  apostolique  et  romaine  est  la  relij^ion  de 
))  la  grande  majorité  des  Français. 

w  Sa  sainteté  reconnaît  également  que  cette  même 
))  religion  a  retiré  et  attend  le  plus  grand  bien  du 
))  rétablissement  du  culte  catholique... 

»  Art.  I*^  La  religion  catholique,  apostolique  et 
»  romaine  sera  librement  exercée  en  France;  son 
»  culte  sera  public,  en  se  conformant  aux  règlemens 
))  de  police  que  le  Gouvernement  jugera  nécessaires 
»  pour  la  tranquillité  publique.  >s 

11  sera  bien  difficile  de  trouver  dans    ces   mots 
quelque  chose  qui  abroge  les  lois   des  Assemblées 
nationales  sur  le  célibat  et  en  impose  nouvellement 
l'obligation.  Cependant,  des  hommes  passionnés  ou 
à  courte  vue,  qui  ne  cherchent  que  des  prétextes 
et  ont  l'art  de  mettre  tout  en  problème,  ont  pré- 
tendu que  la  reconnaissance  et  le  hbre  exercice  de 
la  religion  catholique  entraînent  nécessairement  le 
devoir  pour  les  prêtres  de  garder  la  continence.  Mais 
la  loi,  claire  et  explicite  sur  tout  le  reste,  garde  le 
plus  profond  silence  sur  ce  point  ;  mais  lorsque  celles 
des  Assemblées  nationales  furent  faites  et  librement 
sanctionnées  par  l'autorité  royale,  la  France  était 
catholique,  apostolique  et  romaine  autant  que  sous  le 
premier  consul  j  mais  une  loi  si  précise  et  si  géné- 
ralement exécutée  ne  pouvait  être  abrogée  que  par 
une  loi  expresse. 


(  3o9) 

Ce  qui  paraît  bien  établi  dans  la  loi  du  26  messi- 
dor an  IX,  c'est  que  les  évêques  y  sont  autorisés  à 
n'admelttre  aux  ordres  sacrés  que  ceux  qui  voudront 
faire  le  vœu  de  chasteté.  L'article  26  de  la  sect.  111, 
titre  H,  est  ainsi  conçu  :  a  Ils  (  les  évêques  )  ne  pour- 
»  ront  ordonner  aucun  ecclésiastique,  s'il  ne  justifie 
»  d'une  propriété  produisant  au  moins  un  revenu 
))  annuel  de  3oo  francs,  s'il  n'a  atteint  l'âge  de 
n  vingt-cinq  ans,  et  s'il  ne  réunit  pas  les  qualités 
))  requises  par  les  canons  reçus  en  France.  )) 

Le  sens  de  cette  dernière  phrase  est  vague  et  peut 
s'appliquer  à  tout.  Le  concile  de  Trente  n'ayant  ja- 
mais été  reçu  soleiujellement.  en  France,  on  pourrait 
soutenir  que  cet  article  n'établit  pas  le  célibat  des 
ecclésiastiques  comme  une  obligation  inviolable.  Le 
mariage  des  religieux ,  après  la  publication  de  ce 
concile,  ayant  été  poursuivi  en  même  temps  par  les 
lois  ecclésiastiques  et  par  les  lois  civiles,  on  pourrait 
aussi  soutenir  l'opinion  contraire.  Il  fallait  quelque 
chose  de  plus  précis.  S'il  est  défendu  aux  évêques 
de  promouvoir  à  la  prêtrise  un  marié,  est-il  défendu 
à  un  ecclésiastique  de  contracter  mariage  lorsqu'il 
est  engagé  dans  les  ordres?  L'autorité  civile  peut- 
elle  le  recevoir?  Une  fois  reçu,  sera-t-il  valide?  En- 
fin,  l'ordre  sacré  est-il  un  empêchement  dirimant? 
La  prêtrise  et  le  mariage  sont-ils  incompatibles?  La 
loi  par  elle-même  ne  répond  pas  d'une  manière  pré- 
cise à  toutes  ces  questions.  Cette  obscurité  était- elle 


l  ^10  ) 

calculée?  ou  bien  le  léj^islateur  n'ëlail-il  pas  théo- 
logien? 

M.  Portalis,  qui  lut  chargé  de  présenter  au  Corps- 
Législatif  le  projet  de  loi  du  1 8  germinal  an  X,  fait 
connaître  la  pensée  du  législateur.  11  s'exprime  en  ces 
termes  :  c'  Pour  les  niiuistres  que  nous  conservons  et 
))  à  qui  le  célibat  est  ordonné  par  les  règlemens  ec- 
»  clésiastiques(i),  la  défense  qui  leur  est  faite  duma- 
»  riage  par  les  règlemens  n'est  point  conservée  comme 
»  un  empêchement  dirimant  dans  l'ordre  civil. 

))  Ainsi ,  leur  mariage ,  s'Us  en  contractaient  un  , 
f>  ne  serait  point  nul  aux  yeux  des  lois  politiques 
))  et  civiles,  et  les  enfans  qui  en  naîtraient  seraient 
»  lëaitimes.    Mais   dans   le    fort  intérieur  et  dans 

o 

»  l'ordre  religieux  ils  s'exposeraient  aux  peines  spi- 
»  rituelles  prononcées  par  les  lois  canoniques;  ils 
»  continueraient  à  jouir  de  leurs  droits  de  famille 
»  et  de  cité ,  mais  ils  seraient  tenus  de  s'abstenir  du 
»  sacerdoce.  » 

Ici  la  question  est  résolue  nettement,  il  est  de 
la  plus  grande  évidence  que  les  ordres  sacrés  n'é- 
taient pas  un  empêchement  dirimant  au  mariage  , 


(i)  Ici  ce  ne  sont  pUis  les  canons,  ce  sont  les  règlemens. 
.te  crois  qu'il  y  a  une  grande  différence  :  au  mot  canon  s'at- 
tache l'ide'e  de  stabilité  et  de  permanence  qui  est  propre  à 
la  loi  ;  un  règlement  peut  être  quelque  chose  de  transitoire 
et  pour  la  forme  et  pour  l'objet  auquel  il  se  rapporte 


(3.1  ) 

même  après  le  concordat  de  Pie  Vil.  M.  Portails  le 
dit  positivement,  et  devait  connaître  plus  que  per- 
sonne la  pensée  du  lë<^lslateur,  puisqu'il  avait  acti- 
vement coopéré  au  concordat. 

Telle  était  la  volonté  du  législateur  :  il  l'a  fait  voir 
dans  le  Code  civil  qui,  ayant  été  sanctionné  immé- 
diatement après,  peut  être  considéré  comme  une 
continuation,  comme  une  émanation  du  même  prin- 
cipe. Les  articles  i44j  ^47?  i^f)  162  et  i63,otisont 
déterminés  les  empêchemens  du  mariage,  ne  font 
aucune  mention  des  ordres  sacrés.  En  conséquence, 
après  le  concordat  de  Pie  VU  et  le  Code  Napoléon  , 
l'officier  de  l'état  civil  ne  pouvait  pas  se  refuser  lé- 
galement à  recevoir  le  mariage  d'un  ecclésiastique. 
M.  Portails,  en  exposant  au  Corps-Législatif  les  motifs 
de  la  loi  sur  le  mariage  qu'il  lui  présentait,  s'exprime 
en  ces  mots  :  (C  C'est  d'après  ce  principe  que  l'enga- 
?)  gement  dans  les  ordres  sacrés,  les  vœux  monas- 
))  tiques  et  la  disparité  de  culte,  qui,  dans  l'ancienne 
))  jurisprudence,  étaient  des  empêchemens  dirimans, 
»  ne  le  sont  plus.  » 

On  a  suivi  un  penchant  rétrograde  depuis  l'As- 
semblée nationale.  L'incompatibilité  entre  le  ma- 
riage et  la  prêtrise  est  encore  rétablie  dans  les  lois. 
Un  marié  ne  peut  pas  exercer  les  fonctions  sacerdo- 
tales; mais  un  prêtre,  en  les  abandonnant,  peut  de- 
venir mari  et  père  d'enfans  légitimes  :  c'est  toujours 
({uelque  chose. 


(3.2) 

A  cet  égard ,  la  loi  me  paraît  si  positive,  que  je  ne 
crains  pas  d'être  appelé  téméraire  en  avançant  que 
les  officiers  de  l'état  civil  qui,  sous  son  empire,  n'ont  "^ 
pas  voulu  recevoir  le  mariage  des  prêtres,  les  magis- 
trats qui  ont  autorisé  ce  refus,  et  les  tribunaux  qui 
ont  déclaré  nuls  ces  mariages,  ont  manqué  à  leur 
devoir;  rien  ne  peut  les  excuser.  L'ignorance?  un 
magistrat  doit  être  éclairé.  Le  préjugé  conmiun?  le 
magistrat  doit  se  placer  dans  une  sphère  supérieure 
et  se  rendre  inaccessible  aux  séductions  de  l'erreur. 
La  crainte?  le  magistrat  doit  tout  sacrifier  à  la  jus- 
tice, c'est-à-dire  à  l'exécution  des  lois. 

Telle  est  la  législation  sur  le  célibat  qui  a  régi  la 
France  sous  le  consulat  et  sous  l'empire.  Aucune 
disposition  contraire  ne  l'a  ni  abrogée  ni  modifiée, 
je  veux  dire  aucune  disposition  législative j  car  nous 
avons  déjà  vu  que,  lorsqu'il  se  fut  assis  sur  le  trône 
et  qu'il  eut  piis  les  sentimens  et  les  habitudes  d'un 
monarque.  Napoléon  essaya  de  paralyser  l'effet  des 
lois  qu'il  avait  sanctionnées  lui-même.  Je  vais  rap- 
porter ici  les  actes  qui  prouvent  ce  fait.  Ce  sont  deux 
lettres  du  ministre  des  cidtes,  l'une  sous  la  date  du 
i4  janvier  1806,  écrite  à  l'archevêque  de  Bordeaux, 
l'autre,  sous  la  date  du  3o  janvier  1807,  adressée 
au  préfet  de  la  Seine  Inférieure.  La  première  est  con- 
çue en  ces  termes  :  «  M.  l'archevêque ,  j'ai  la  satis- 
»  faction  de  vous  annoncer  que  Sa  Majesté  impériale 
))  et  royale  ,  en  considération  du  bien  de  la  religion 


(  3r3  ) 
))  et  des  mœurs,  vient  d'ordonner  qu'il  serait  dé- 
»  fendu  à  tous  les  officiers  de  l'état  civil  de  recevoir 
»  l'acte  de  mariage  du  prêtre  B...  Sa  Majesté  impé- 
))  riale  et  royale  considère  le  projet  formé  par  cet 
»  ecclésiastique ,  comme  un  délit  contre  la  religion 
»  et  la  morale,  dont  il  importe  d'arrêter  les  funestes 
»  effets....  J'écris  à  monsieur  le  préfet  de  la  Gironde 
»  pour  qu'il  fasse  exécuter  les  ordres  de  Sa  Majesté. 
y>  J'en  fais  également  part  à  leurs  excellences  les  mi- 
»  nistres  de  la  justice  et  de  l'intérieur.  La  sagesse 
))  d'une  telle  mesure  servira  à  diriger  l'esprit  des 
y)  administrations  civiles  dans  une  matière  que  nos 
»   lois  n  aidaient  point  prévue  (i).  w 

La  seconde  est  encore  plus  importante ,  en  ce 
qu'elle  admet  une  distinction  utile  entre  le  mariage 
des  ecclésiastiques  qui  ont  quitté  les  fonctions  sa- 
cerdotales avant  le  concordat  du  26  messidor  an  IX, 
et  ne  les  ont  plus  reprises  ?  et  le  mariage  de  ceux  qui 
ont  été  ordonnés  après  cette  loi,  ou  qui  se  sont  mis 
en  communication  avec  leurs  évêques.  La  voici  : 
((  Monsieur  le  préfet,  son  éminence  le  cardinal  ar- 
»  chevéque  de  Rouen  m'instruit  qu'un  mariage  vient 
»  d'être  contracté  par  un  prêtre  devant  l'officier  ci- 
«  vil  de  cette  ville.  J'ignore  l'hypothèse  particulière 
))   de  cette  affiûrej   mais  je  crois  devoir  profiter  de 

(1)  Les  lois  avaient  tout  prévu,  excepté  le  changement  de 
pofitique  et  de  volonté  dans  le  chef  du  Gouvernement. 


(3,4) 

»  cette  occasion  pour  vons  olTrir  quelques  Règles  de 
))   conduite  en  pareille  circonstance. 

»  La  loi  se  tait  sur  le  mariage  des  prêtres  :  ces 
»  mariages  sont  généralement  réprouvés  par  l'opi- 
»  nion  ;  ils  ont  des  dangers  pour  la  tranquillité  et  la  ( 
)i  sûreté  des  familles.  Un  prêtre  catholique  aurait 
»  trop  de  moyens  de  séduire,  s'il  pouvait  se  pro- 
))  mettre  d'arriver  au  terme  de  sa  séduction  par  un 
»  mariage  légitime  ;  sous  prétexte  de  diriger  les 
»  consciences  ,  il  chercherait  à  gagner  et  à  corrom- 
»  pre  les  cœurs....  En  conséquence,  une  décision  de  . 
»  Sa  Majesté,  intervenue  sur  le  rapport  de  son  ex- 
))  cellcnce  monsit-ur  le  grand-juge  et  sur  le  mien, 
))  porte  que  l'on  ne  doit  point  tolérer  les  mariages 
»  des  prêtres  qui  depuis  le  concordat  se  sont  mis  en 
»  communion  avec  leur  évêque  et  ont  continué  ou 
))  repris  les  fonctions  de  leur  ministère.  On  aban- 
»  donne  à  leurs  consciences  ceux  d'entre  les  prêtres 
))  qui  auraient  abdiqué  leurs  fonctions  avant  le 
»  concordat  et  qui  ne  les  ont  plus  reprises  depuis. 
))  On  a  pensé  avec  raison  que  les  mariages  de  ces 
»  derniers  présentaient  moins  d'inconvéniens  et  de 
y)  scandale.  »  Najioléon  avait  écrit  de  sa  main  en 
njarge  de  la  feuille  du  travail  :  «  S'il  n'a  pas  été  re- 
))  connu  prêtre  depuis  le  concordat ,  il  peut  se  tna- 
»  rier ,  en  s'exposant  néanmoins  ati  blâme,  puis- 
))  qu'il  manque  aux  engagemens  qu'il  avait  con- 
»   tractes.    » 


(  3.5  ) 
Je  me  propose  de  combattre,  dans  un  chapitre  à 
part,  les  motifs  allégués  par  le  ministre  des  cultes. 
En  attendant ,  nous  pouvons  faire  observer  que  , 
quoique  Napoléon  et  ses  ministres  aient  désapprouvé 
le  mariage  des  ecclésiastiques,  ils  n'ont  osé,  ni  le 
déclarer  nul,  ni  le  condamner  par  une  nouvelle  loi, 
pas  même  par  un  décret  impérial.  Que  nous  importe 
que  Napoléon  ait  voulu,  en  i8i3  ,  appliquer  au 
prêtre  qui  contractait  mariage  la  peine  infligée  par 
la  loi  au  bigame!  Cela  prouve  seulement  qu'il  ne 
trouvait  pas  de  moyen  légitime  pour  l'empêcher.  Du 
reste,  la  magistrature  française  sent  trop  sa  propre 
dignité  pour  se  plier  si  facilement  à  la  volonté  capri- 
cieuse et  arbitraire  d'un  monarque,  quel  qu'il  puisse 
être.  La  loi  sanctionnée  par  les  pouvoirs  que  la 
société  a  chargés  d'une  telle  mission  doit  être  la 
règle  unique  de  sa  conduite;  si  elle  s'en  écarte,  si, 
en  cédant  à  la  force  des  anciens  préjugés  ou  aux  se- 
ductions  secrètes  des  puissances  du  jour,  elle  s'at- 
tache à  des  lois  qui  ont  été  formellement  abrogées, 
et  qui  n'ont  plus  été  remises  en  vigueur,  elle  se 
charge  d'une  grande  responsabilité  envers  toute  l'es- 
pèce humaine  ;  elle  prête  son  appui  à  un  pouvoir  ri- 
val qui  la  tyrannisa  autrefois,  et  qui  aspire  encore  à  la 
tyramser,  en  la  rendant  l'instrument  de  ses  passions 
et  de  sa  politique;  elle  seconde  les  projets  désastreux 
de  ces  hommes  sinistres  qui  s'efforcent  de  repousser 
les  générations  actuelles  vers  la  barbarie  du  Xll" 


(3.6) 

siècle;  elle  arrête,  autant  ([u'il  dépend  d'elle,  lu 
marche  des  esprits  vers  des  idées  plus  généreuses, 
vers  une  prospérité  toujours  croissante  et  qui  n'aura 
pas  de  bornes. 

Loin  de  nous  ces  appréhensions  et  ces  craintes 
mal  fondées!  La  magistrature  française  a  prouvé,  pai' 
beaucoup  d'actes  solennels  ,  que  tout  ce  qui  est  gé- 
néreux et  noble,  tout  ce  qui  est  propre  à  favoriser 
une  liberté  sage  et  raisonnable,  tout  ce  qui  peut 
contribuer  à  épurer  les  mœurs  et  à  former  le  bonheur 
du  royaume,  est  l'objet  le  plus  constant  de  ses  dé- 
sirs et  de  ses  travaux.  Comment  pourrait-elle  immo- 
ler aux  ennemis  de  la  patrie  l'une  des  plus  pré- 
cieuses de  nos  libertés,  celle  qui  se  rattache  le  plus 
directement  à  la  jouissancç.  de  nos  droits  naturels 
et  qui  tend  à  la  satisfaction  d'un  besoin  des  plus  im- 
périeux? Pourquoi  voudrait-elle  rendre  si  pénible 
et  si  difïicile  la  condition  des  ministres  des  autels  ?  Ne 
sait-elle  pas  qu'une  continence  parfaite  est  une  chi- 
mère qui  s'évanouit  au  plus  léger  examen?  La  fureur 
irrésistible  d'une  passion  en  vain  comprimée  n'a- 
t-elle  pas  déjà  entraîné  dans  le  sanctuaire  delà  justice 
plusieurs  victimes  malheureuses  que  la  justice  a  eu  la 
douleur  de  devoir  frapper? 

Depuis  la  constitution  de  1791  jusqu'au  concordat 
de  1801 ,  les  lois  ont  permis  le  mariage  aux  hommes 
qui  remplissaient  des  fonctions  sacerdotales  ;  depuis 
cette  dernière   époque    jusqu'à    la    restauration    de 


(  3i7  ) 
i8i4,  le:»  ecclésiastiques  n'ont  pu  se  marier  j  mais 
les  prêtres,  en  abandonnant  le  service  des  autels, 
ont  eu  le  droit  de  contracter  mariage,  et  deux  déci- 
sions extra-légales  et  confidentielles  entre  Napoléon 
et  quelques  membres  de  son  gouvernement  n'ont  pu 
les  en  dépouiller. 

La  restauration  a-t-elle  apporté  quelque  change- 
ment à  cet  état  de  choses?  La  Charte  et  toutes  les 
lois  successives  n'ayant  rien  statué  à  ce  sujet,  le  si- 
lence du  législateur,  d'après  les  principes  inviolables 
de  la  raison  et  du  droit,  doit  être  considéré  comme 
une  ratification  tacite. 

Tous  ceux  qui  se  croient  intéressés  au  maintien 
du  céUbat  des  prêtres,  quelques  jurisconsultes, 
quelques  magistrats,  même  quelques  tribunaux,  ont 
cru  trouver  dans  la  Charte  des  dispositions  d'où  il 
résulte  que  les  ordres  sacrés  sont  redevenus  ,  comme 
avant  la  révolution,  un  empêchement  dirimant  au 
mariage.  Je  vais  citer  ces  dispositions. 

((  Art.  5.  Chacun  professe  sa  religion  avec  une 
»  égale  liberté,  et  obtient  pour  son  culte  la  même 
»   protection. 

»  Art.  6.  Cependant,  la  religion  catholique  apos- 
i)  tolique  et  romaine  est  la  religion  de  l'Etat.   » 

Yoilà  tout.  Un  homme  raisonnable  et  sans  pas- 
sion peut-il  trouver  ici  l'abrogation  des  lois  qui  per- 
mettent le  mariage  aux  prêtres?  iN'est-ce  pas  un  su- 
jet  assez   important  pour   mériter   une    disposition 


(  3i8  ) 
nouvelle  et  explicite,  si  le  lej^lslateur  avait  eu  l'in- 
tention de  rapj)orter  les  lois  précédentes? 

S'il  est  vrai  que  la  déclaration  ((  que  la  religion  ca- 
))  tlîolique,  apostolique  et  romaine  est  la  religion  de 
))  l'Etat  »  sufîit  seule  pour  mettre  les  choses  sur  le 
même  pied  où  elles  étaient  avant  1790  ,  pourquoi  a- 
t-on  fait  une  loi  spéciale,  celle  du  8  mai  1816  ,  pour 
abolir  le  divorce?  Est-ce  que  la  religion  nele  condamne 
pas?  Quel  besoin  y  aurait-il  eu  d'une  loi  spéciale 
pour  rétablir  les  ordres  religieux  des  femmes  ?  Pour- 
quoi liésiterail-on  à  relever  ceux  des  hommes?  Les 
ordres  monastiques  ne  sont-ils  pas  soutenus,  proté- 
gés, encouragés  par  les  lois  de  la  religion?  N'en 
existe-t-il  pas  à  Rome  et  à  Madrid  (1)  ? 

Gardons-  nous  de  pousser  à  un  tel  point  la  licence 
des  interprétations  :  nous  porterions  la  confusion  et 
le  désordre  dans  nos  codes  ;  nous  remettrions  encore 
en  problème  les  droits  les  plus  sacrés  que  la  révolu- 
tion a  conquis ,  dont  elle  a  été  l'ouvrage ,  et  auxquels 
les  citoyens  tiennent  à  peu  près  autant  qu'à  l'exis- 
tence. Ne  serait-il  pas  défendu  d'entrer  dans  les  cultes 
réformés?  Les  mariages  que  contracteraient  les  ca- 
tholiques avec  les  calvinistes  ne  seraient-ils  pas  nuls? 
Le  prêtre  ne  serait-il  pas  député  de  nouveau  pour 
recevoir  le  mariage  de  tous  les  Français?  Tout  ma- 


(i)  L'autorité  civile  et  religieuse  n'a-t-elle  jamais  eu  la 
volonté  de  les  rétablir  parmi  nous? 


riage  qui  ne  serait  célébré  en  sa  présence  ne  serait  il 
pas  frappé  de  nullité?  Les  fîls  des  protestans  ne 
seraient-ils  pas  tous  illégitimes?  Tous  les  anciens 
empêcliemens  des  conciles,  l'affinité  spirituelle ,  la 
consaui^uinité  jusqu'au  cinquième,  c'est-à-dire  jus- 
qu'au dixième  degré,  et  la  disparité  des  cultes  ne 
seraient-ils  pas  renouvelés? 

Que  faut-il  conclure  de  tout  cela  ?  Que  tant  qu'une 
loi  spéciale  n'aura  pas  formellement  prononcé  que 
les  ordres  sacrés  sont  un  empêchement  dirimant,  le 
mariage  des  prêtres  sera  toujours  valide,  et  l'officier 
de  l'état  civil  ne  poui  ra  pas  se  refuser  de  le  recevoir. 
M.  Toulier ,  dans  la  troisième  édition  de  son  Droit 
civil  des  Français ,  publiée  en  1821,  dit  en  propres 
termes  :  «  Tant  qu'il  n'existera  point  de  loi  prohibi- 
»  tive,  le  mariage  des  prêtres  sera  valide  aux  yeux 
y>  de  la  loi  civile ,  et  les  enfans  qui  en  naîtront  seront 
0  légitimes.  » 

L'article  68  de  la  Charte  est  ainsi  conçu  :  «Le  Code 
ï)  civil  et  les  lois  actuellement  existantes  qui  ne  sont 
))  pas  contraires  à  la  présente  Charte,  restent  en  vi- 
»  gueur  jusqu'à  ce  qu'il  y  ait  été  légalement  dérogé.» 

Des  jurisconsultes  ont  soutenu  qu'une  loi  expresse 
n'ayant  pas  aboli  le  célibat  des  prêtres ,  une  loi  ex- 
presse n'est  pas  nécessaire  pour  le  rétablir.  Ils  doi- 
vent supposer  une  grande  bonne  foi  et  une  plus 
grande  ignorance  dans  leurs  lecteurs  :  pour  les  réfu- 
ter, je  renvoie  les  miens  au  chapitre  11  de  ce  livre. 


C  :^-o  ) 

i)uc  les  maj^islrats  sachent  donc  s'élever  à  la  hau- 
teur de  l'esprit  de  LouisXVlIl.  Ce  roi  philosoplie  n'a 
voulu  priver  ses  sujets  d'aucun  des  droits  dont  la 
révolution  les  avait  mis  en  possession;  i!  a  senli  que 
la  continence  est  un  devoir  très  diflicile,  et  qu'il  fal- 
lait laisser  aux  ecclésiastiques  la  liberté  de  qjntter 
les  autels  et  de  contracter  des  mariages  légitimes. 
L'homme  se  dissimule  quelquefois  les  diflicultés  (jne 
va  lui  oHrir  un  état  semé  d'épines  et, rempli  d'amer- 
tume. L'appât  des  honneurs,  l'espoir  d'une  existence 
aisée,  souvent  même  des  sentimens  et  des  principes 
peu  honorables,  lui  font  illusion  et  le  séduisent.  Il  se 
persuade  facilement  qu'il  se  mettra  au-dessus  du  be- 
soin d'avoir  une  épouse,  ou  qu'il  pourra  y  suppléer. 
Dans  cette  pensée,  il  s'engage  dans  les  ordres  sacrés  ; 
il  se  dévoue  au  ministère  des  autels;  il  s'efforce  de 
vivre  dans  la  continence,  ou  il  s'abandonne  à  des 
pratiques  criminelles.  Qu'arrive-t-il?  Dans  la  pre- 
mière hypothèse,  il  souffre,  il  se  tourmente,  il  lutte 
en  vain  contre  le  besoin  dominateur.  Une  triste  réa- 
lité succède  à  une  agréable  illusion  ;  il  se  repent  d'a- 
voir embrassé  vui  si  pénible  état;  il  le  quitterait  s'il 
en  avait  la  liberté  :  ne  le  pouvant  pas,  il  cède  à  l'en- 
traînement irrésistible  de  la  nature ,  et  il  devient 
coupable.  Dans  la  seconde  supposition,  il  porte  dans 
le  sanctuaire  une  âme  souillée  et  un  cœur  flétri  par 
le  vice.  Ce  n'est  pas  un  prêtre,  c'est  un  monstre  qui 
a  pris  les  fonctions  du  sacerdoce  pour  le  déshonorer  ; 


(32.     ) 

il  s'abandonne  à  tonte  la  perversité  de  ses  penchans  ; 
au  lieu  d'éditler  les  fidèles,  il  les  scandalise;  il  cor- 
rompt la  morale,  il  empoisonne  une  source  d'eau 
vive  qui  devait  opérer  le  salut  des  âmes.  Alors  un 
murmure  d'indignation  s'élève  contre  lui  du  sein 
de  la  société  :  les  pères  de  famille  lui  interdisent 
l'accès  de  leurs  maisons,  les  maris  conspirent  sa 
perte ,  tous  les  fidèles  souhaitent  d'être  délivrés  de  sa 
présence....  Plus  de  paix  pour  lui:  les  soucis  tra- 
vaillent son  âme,  les  dangers  l'entourent...  Sa  posi- 
tion est  des  plus  malheureuses.  S'il  pouvait  l'aban- 
donner ,  s'il  pouvait ,  en  rentrant  dans  la  société ,  y 
reprendre  ses  droits  d'bomme  et  de  citoyen ,  il  se 
bâterait  de  le  faire  ;  il  deviendrait  époux  ,  il  aurait 
des  enfans,  il  réparerait,  par  l'exemple  de  ses  vertus, 
le  mal  qu'il  aurait  fait  par  celui  de  ses  scandales. 
Une  barrière  d'airain  s'opposant  à  sa  sortie  du 
temple,  il  y  reste,  il  continue  à  servir  les  autels  qui 
le  repoussent  et  les  chrétiens  qui  le  détestent...  L'a- 
bîme s'ouvre  enfin  sous  ses  pas. 

Louis  XVllI  a  voulu  prévenir  ces  fâcheuses  extré- 
mités :  il  a  laissé  le  chemin  de  la  vertu  ouvert  à 
l'homme  à  qui  une  position  forcée  rendrait  le  vice 
inévitable.  Pourrait-on  méconnaître  sa  royale  pen- 
sée ?  Pourrait-on  s'écarter  des  principes  de  haute 
sagesse  et  de  politique  que  ce  roi  législateur  nous  a 
tracés,  pour  nous  soumettre  à  la  malheureuse  rou- 
tine de  nos  ancêtres? 

21 


(    322    ) 

t\'V^VVvV\AXiViVVVV\V\'VVVVVVVVlVVVUVVVVVVVV\/V\'VVVVVVVV\VVVV\%VV%VVVVVV\^ 

CHAPITRE  IV. 

Du  célibat  dans  les  tribunaux  depuis  1790 
jusquà  1829. 

Après  la  lecture  des  lois  que  je  viens  de  citer,  un 
homme  qui,  se  dépouillant  de  toute  passion  et  de 
tout  intérêt  personnel,  n'aurait  en  vue  que  le  sen- 
timent de  la  justice,  savxrait  difficilement  s'imaginer 
qu'elles  aient  pu  donner  lieu  à  des  interprétations 
diverses. 

Sous  le  régime  des  assemblées  nationales,,  le 
mariage  des  ecclésiastiques  ne  fut  pas  attaqué 
devant  les  tribunaux.  La  loi  était  alors  évidente, 
et    le   législateur  prêt  à    la    faire   exécuter. 

Une  des  premières  questions  qui  aient  été  sou- 
mises à  la  décision  de  la  magistrature  est  celle-ci: 
«  Le  g  juin  1788  un  contrat  de  mariage  est  passé 
))  devant  notaire,  à  la  Neuville,  dans  la  princi- 
»  pauté  de  Porentruy ,  entre  le  sieur  Spiess ,  re- 
))  ligieux  et  prieur,  curé  de  Saint-Pierre  de  Blois, 
»  près  Vendôme,  et  la  demoiselle  Verraquin  d'A- 
»  vrilly,  précédemment  domiciliée  à  Montoir,  près 
y>  la  même  ville.   Par    cet   acte;   les   futurs  époux 


(  3.3  ) 

»  se  font  donation  réciproque,  en  cas  de  survie, 
))  de  la  propriété  de  tous  leurs  biens.  Le  1 1  du 
))  même  mois ,  le  mariage  est  célébré  devant  le 
»  curé  catbolique  de  Lauderon ,  dans  la  princi- 
»  pauté  de  Neutcbâtel,  Le  24  brumaire  an  II ,  les 
))  deux  époux  rentrent  en  France,  se  présentent 
))  avec  quatre  témoins  devant  l'officier  de  l'état 
))  civil  de  la  commune  d'Ampuis ,  près  Lyon ,  re- 
))  connaissent  qu'ils  se  sont  épousés  le  11  juin 
»  1788,  se  font  lire  l'acte  de  mariage,  déclarent 
»  qu'ils  le  confirment,  et  qu'en  tant  que  besoin 
))  ils  le  contractent  de  nouveau. 

»  Le  4  pluviôse  an  Yll,  la  demoiselle  d'A- 
»  vrilly  meurt  à  Paris.  Le  sieur  Spiess  se  pour- 
))  voit  contre  le  sieur  Yerraquin  d'Avrilly  et  con- 
))  sorts ,  pour  faire  lever  les  obstacles  qu'ils  ap- 
»  portent  à  sa  mise  en  possession  des  biens  qu'elle 
»  a  laissés.   » 

Les  béritiers  de  la  demoiselle  attaquent  le  titre 
fondamental  aussi  bien  que  sa  ratification ,  et  la 
cour  d'appel  de  Caen  ,  par  son  jugement  du  27 
germinal  an  ÏX  ,  déclare  nuls  les  deux  actes  et 
déboute  le  sieur  Spiess  de  sa  demande. 

Le  sieur  Spiess  appelle  de  ce  jugement,  qui  est 
cassé  le  1 2  prairial  an  XI  :  les  parties  sont  ren- 
voyées devant  la  cour  de  Rouen.  Celle-ci  déclare 
le  mariage  valide.  Les  héritiers  appellent  a  leur 
tour  en   cassation  ;  ils  sont  déboutés. 

21.. 


(  3^4  ) 

Dans  ce  cas,  une  cour  d'appel  et  la  cour  de 
cassation  se  prononcent  pour  la  validité  du  ma- 
riage des  personnes  engagées  dans  les  ordres  sa- 
crés. Cependant  les  deux  jugemens  de  la  cour  de 
Rouen  et  de  celle  de  cassation  ont  été  faits  comme 
en  présence  du  concordat  de  Pie  Vil.  Ces  deux 
cours  souveraines  ne  trouvaient  pas  que  la  loi  de 
l'Assemblée  nationale  qui  avait  aboli  le  célibat 
religieux  ne  fût  pas  bien  claire  et  bien  précise. 

C'est  dans  le  Répertoire  de  Jurisprudence  que 
j'ai  puisé  cette  bistoire;  en  voici  une  autre,  prise 
à  la  même  source,  (c  Bartliélemy  Cbaronceuil ,  né 
))  à  Verrillac,  département  de  la  Dordogne ,  or- 
»  donné  prêtre  en  ^'JQ'2.  ,  quitte  après  ses  fonc- 
»  tions ,  pour  se  rendre  à  l'armée  des  Pyrénées- 
»  Orientales,  d'où  il  revient  vers  la  fin  de  l'an  III. 
»  Il  a  des  liaisons  intimes  avec  Gabrielle  Petit , 
))  sa  parente ,  et  le  2g  pluviôse  an  YII  il  la  rend 
))  mère  d'un  enfant  qu'il  présente  lui-même  à 
y>  l'oificier  de  l'état  civil  de  la  commune  d'Audry, 
))  et  le  fait  enregistrer  sous  son  nom.  Le  4  ^^O" 
»  vembre  1802,  une  dispense  du  cardinal  légat 
))  l'autorise  à  contracter  mariage  avec  Gabrielle. 
>)  Le  i**"  avril  1807,  Cbaronceuil  passe  contrat 
»  de  mariage  avec  Marie  Yidal.  Le  1 1  du  même 
»  mois,  Gabrielle  notifie  à  l'officier  de  l'état  ci- 
»  vil  de  sa  commune,  opposition  à  ce  mariage. 
))  Cbaronceuil  l'assigne   de  suite  devant    le   tribu- 


(  325  ) 

))  nal  de  première  instance  en  déboutement  de 
))  cette  opposition.  Gabnelle  soutint  qu'elle  était 
M  l'épouse  de  Cliaronceuil ,  qu'un  prêtre  catlio- 
))  lique  avait  béni  son  mariage,  et  demanda  a 
»  faire  preuve  de  sa  possession  d'état.  Par  jugement 
»  du  i5  mai  1807,  Cliaronceuil  fut  déclaré  non 
w  recevable  dans  sa  demande.  11  appelle  à  la  cour 
»  de  Bordeaux.  Le  20  juillet  i8oy,  arrêt  de  cette 
y)  cour,  qui  déclare  Gabrielle  non  recevable  dans 
))  son  opposition ,  sur  le  motif  qu'elle  n'apportait 
))  point  de  preuve  que  son  mariage  eût  été  con- 
))  tracté  devant  l'officier  public  compétent  ;  mais 
))  le  même  arrêt,  faisant  droit  sur  les  conclusions 
»  du  procureur  général,  Attendu  que  VempêcJie- 
))  ment  au  mariage  résultant  du  caractère  de 
))  prêtre  qu'avait  reçu  Cliaronceuil  ^  n'avait  été 
y>  levé  par  V autorité  du  souverain  pontife^  que 
y>  pour  contracter  mariaj^e  avec  Gabrielle  Petite 
7)  que  pour  légitimer  Venfant  provenu  de  leur 
))  commerce  j  ainsi  que  cela  résultait  du  brej  du 
))  4  novembre  1802,  déclare  Cliaronceuil  incapable 
))  de  contracter  mariage  avec  toute  autre  femme  que 
D)  Gabrielle  Petit. 

»  Cette  dernière  disposition  a  été  cassée  le  16 
»  octobre  l8o;^) ,  comme  contraire  à  l'article  1*' 
))  de  la  loi  du  18  germinal  an  X,  qui  veut  qu'au- 
))  cune  bulle  ,  bref,  ni  autre  expédition  de  la  cour 
y>  de  Rome,  ne  puissent  être   reçus,  publiés,  im- 


(  3^6  ) 

y)  primés  ou  autrement  mis  à  exëculion  sans  l'au- 
))  torisation  du  Gouvernement.  » 

La  cour  de  cassation  ,  dans  son  jugement ,  ne 
déclare  pas  Charonceuil  incapable  de  contracter 
mariage.  Nouvelle  preuve  que  ,  même  à  cette 
époque  ,  elle  ne  considérait  pas  les  ordres  sacrés 
comme  un  empêchement  dirimant. 

Quant  aux  motifs  qui  avaient  porté  la  cour  de 
Bordeaux  à  admettre  les  conclusions  de  son  pro- 
cureur général ,  on  jjeut  croire  qu'ils  étaient  fon- 
dés plutôt  sur  ses  sentimens  de  justice  et  d'hu- 
manité envers  la  malheureuse  victime  de  l'in- 
constance de  Charonceuil  que  sur  le  texte  précis 
des  lois.  C'est  un  état  pénible  que  celui  d'un  juge 
qui  se  trouve  placé  entre  la  loi  et  sa  conscience. 
L'équité  naturelle  est  antérieure  à  toute  autre  jus- 
tice. Chacun  de  nous  aurait  souhaité,  comme  les 
juges  de  Bordeaux  ,  que  Charonceuil  ne  pût  con- 
tracter mariage  qu'avec  la  femme  qu'il  avait  abusée. 
Mais  ce  chemin  mène  à  l'arbitraire  et  à  l'injustice. 

Nous  arrivons  au  temps  de  la  Charte,  et  nous 
sommes  étonnés  de  voir  que  quelques  cours  sou- 
veraines ne  l'aient  pas  comprise  et  qu'on  ait  fait 
penser  et  dire  au  législateur  ce  qu'il  n'avait  ja- 
mais ni  pensé  ni  dit.  La  Charte  n'a  pas  plus  voulu 
que  la  loi  du  26  messidor  an  IX  que  l'engagement 
dans  les  ordres  sacrés  fût  un  empêchement  diri- 
mant. Toutefois  la  cour  royale  de  Paris  semble  avoir 


(  327  ) 
pensé  autrement.  Voici  un  autre  fait  que  je  prends 
aussi  dans  le  Répertoire  de  Jurisprudence. 

(c  Le  19  mars  1791,  le  sieur  François  Martin, 
»  promu  au  sous-diaconat  en  1790,  reçoit  l'ordre 
))  de  diaconat.  Il  ne  se  fait  point  prêtre  ;  il  devient 
))  homme  de  lettres,  il  accumule  des  richesses.  Ses 
j)  facultés  intellectuelles  se  dérangent  en  î8i5  , 
»  et  il  se  met  en  guerre  contre  ses  parens ,  qui 
))  font  contre  lui  demande  d'interdiction.  Le  17 
))  janvier  1816,  ils  lui  font  signifier  un  jugement 
»  du  tribunal  de  première  instance  de  la  Seine , 
»  qui  ordonne  qu'il  sera  interrogé.  Le  8  février 
»  suivant,  mariage  entre  lui  et  la  demoiselle  Jo- 
))  liot,  et  donation  universelle,  irrévocable  et  ré- 
»  ciproque  entre  les  deux  conjoints,  au  profit  du 
))  survivant.  Le  22  du  même  mois,  célébration  du 
»  mariage  sans  opposition  de  la  pari  des  colla- 
))   téraux . 

y)  Le  ig  mars,  jugement  qui  renvoie  la  cause  à 
»  l'audience,  sur  le  refus  de  Martin  de  comparaître 
»  pour  ctre  interrogé.  11  ne  s'y  présente  pas.  Le 
»  )5  mai  suivant ,  jugement  qui  admet  ses  parens 
)i  à  faire  preuve  des  faits  de  démence-  signification 
w  au  domicile  de  Martin  par  un  huissier ,  à  qui  les 
»  voisins  de  Martin  déclarent  qu'il  a  été  arrêté  et 
»  conduit  à  la  préfecture  de  police  ,  ou  à  Cha- 
»  renton.  Le  5  juillet  ,  interrogation  du  sieur 
>j  Martin;  le  3o  ,  jugement  d'interdiction.  Le  9  oc- 


(  328  ) 
))  tobre  ,  il  meurt  à  l'hospice.  Ses  collatéraux  font 
»  procéder  à  l'inventaire  de  sa  succession.  Joliot 
))  s'y  présente  comme  veuve,  pour  réclamer  l'cxé- 
»  cution  de  son  contrat  de  mariage.  Demande  en 
»  nullité  du  mariage  et  de  la  donation ,  motivée  sur 
»  la  démence  et  sur  ce  que  Martin  était  engagé 
n  dans  les  ordres  sacrés.  La  demoiselle  Joliot  pré- 
»  tend  que  ces  motifs  n'étant  pas  spécifiés  dans  l'ar- 
w  ticle  184  du  Code  civil,  les  collatéraux  ne  sont 
»  pas  recevables  dans  leur  opposition.  Le  1 1  juillet, 
}i  jugement  qui  admet  la  fin  de  non  recevoir. 
»  Appel j  et  le  18  mai  1818,  arrêt  solennel,  qui 
»  admet  les  collatéraux  dans  leur  opposition ,  et 
n  déclare  que  depuis  la  Charte,  les  ordres  sacrés 
»  sont  un  empêchement  dirimant ,  parce  cjuune  loi 
w  positive  sur  cet  objet  n  existant  pas  ,  et  la  vio- 
»  lation  temporaire  de  cette  loi  de  l'église  étant 
»  seulement  par  induction  de  la  Constitution 
»  de  l'jgi ,  qui  ne  reconnaissait  plus  de  vœux  reli" 
»  gieux,  une  loi  spéciale  n'était  pas  nécessaire 
»  pour  l'abolir,  et  que  le  retour  à  la  religion  catho- 
»   lique  suffisait  pour  cela. 

»  Le  9  janvier  1821  ,  la  cour  de  cassation  casse 
n  ce  jugement  ;  mais  se  fondant  sur  d'autres  motifs, 
»  et  gardant  le  silence  sur  les  ordres  sacrés,  comme 
j)  un  empêchement  dirimant  du  mariage.  » 

M,  Merlin  ajoute  les  réflexions  suivantes  :  «  La  cour 
»  royale  de  Paris  aurait  dû  observer  que  si  le  prin- 


(329) 

»  cipe  de  la  loi  ecclésiastique  avait  été  violé  ,  il 
))  l'avait  été  par  le  législateur  lui-même,  et  que  par 
»  conséquent  cette  prétendue  violation  était  de- 
»  venue  une  loi ,  et  non  une  violation  temporaire , 
»  une  erreur  introduite  par  induction.  D'ailleurs ,  ce 
»  n'était  pas  par  une  induction  erronée;  c'était  par 
»  une  conséquence  évidente  et  irrésistible  de  son 
»  texte  même,  que  le  législateur  s'était  écarté  des 
»  anciens  principes. 

))  11  est  étonnant  que  la  cour  royale  de  Paris  , 
))  dans  l'impossibilité  où  elle  se  trouvait  d'avancer 
»  que  l'article  6  de  la  Charte  avait  restitué  aux 
M  anciennes  lois  de  l'église  la  force  des  lois  de  l'Etat, 
»  relativement  à  tous  les  Français,  ait  pris  le  parti  de 
»  dire  qu'il  leur  avait  au  moins  restitué  cette  force, 
»  relativement  aux  ministres  de  la  religion  de  l'État. 
))  Comment  restreindre  arbitrairement  l'effet  de 
»  cette  prétendue  loi?  »  {^VoyezX^  chapitre  11  de 
cette  section  ,  pour  vous  assurer  combien  peu  sont 
justes  les  conclusions  de  la  cour  royale  de  Paris.  ) 

Telle  a  été  l'opinion  de  quelques  tribunaux  jus- 
qu'à la  fin  de  1827  \  depuis  cette  époque,  la  loi 
parait  être  mieux  interprétée.  Trois  jugemens  con- 
sécutifs viennent  de  consacrer  le  principe  que  les  or- 
dres sacrés ,  en  France  ,  ne  sont  plus  un  empêche- 
ment dirimant  au  mariage.  On  dirait  que  le  minis- 
tère déplorable  effrayait  les  citoyens  \  ils  n'osaient 
que  rarement  exprimer  le  désir  de  rendre  légitimes 


(  33o  ) 

les  relations  réprouvées j)ar  la  morale,  dans  les(jnelles 
ils  étaient,  engages. 

La  nouvelle  administration  (i)  a  relevé  le  courage 
de  la  France 5  elle  promet  de  faire  exécuter  les  lois, 
et  les  citoyens  s'empressent  d'y  recourir,  pour  être 
établis  dans  la  jouissance  de  leurs  droits. 

Le  premier  tribunal  quia  été  appelé  à  prononcer 
sur  une  pareille  matière  a  été  celui  de  Sainte- 
Meneliould.  Voici  de  quoi  il  s'agissait.  Nicolas  Dé- 
tiaque ,  propriétaire,  demeurant  à  la  Grange-aux- 
Bois,  commune  de  Sainte-Menehould  ,  entre  dans 
les  ordres  sacrés  en  1789,  et  devient  premier  vicaire 
de  Saint-Sulpice ,  à  Châlons-sur-Marne;  il  quitte  plus 
tard  ses  fonctions,  entre  dans  les  administrations 
militaires,  y  reste  quatre  ou  cinq  ans,  revient  dans 
ses  foyers ,  et  ne  reprend  plus  à  aucune  époque  les 
fonctions  du  sacerdoce. 

11  s'unit  à  Marie-Joseph  Duvcrgier  ,  et  en  a  trois 
enfans.  Alors  il  pense  à  les  rendre  légitimes  par  le 
mariage.  La  première  publication  avait  eu  lieu,  lors- 
que l'oflicier  de  l'état  civil  refusa  de  passer  outre.  Une 
sommation  lui  ayant  été  présentée,  il  répond  par 
une  lettre  du  garde  des  sceaux  (Peyronnet),  qui 
lui  commande  ce  refus,  sauf  aux  tribunaux  à  en  dé- 
cider ultérieurement.  Cependant  l'officier  consent  à 


(i)  Je  dois  faire  remarquer  que  ce  qui  suit  a  été  écrit  au 
commcucemcnt  du  ministère  Martifjiiac. 


(  33,  } 
procéder  au  mariage,  si  le  sieur  Détiaque  justifio 
d'avoir  élë  relevé  de  ses  vœux  par  le  souverain  pon- 
tife. Aussitôt  demande  des  sieurs  Nicolas  et  Joseph 
Détiaque  devant  le  tribunal  de  Sainte-Menehould , 
des  3  et  4  juillet  1827,  et  jugement  de  ce  tribunal 
qui  enjoint  à  l'officier  de  l'état  civil  de  la  Grange-aux- 
Bois  de  recevoir  leur  mariage.  Les  considérans  de  ce 
jugement  sont  remarquables,  et  méritent  d'être  rap- 
portés. 

a  Avant  la  révolution,  le  contrat  civil  et  le  sacre- 
»  ment  étaient  intimement  unis  :  la  loi  civile  ne  re- 
»  connaissait  pas  de  mariage  légitime  qu'il  ne  fùtbéni 
»  et  consacré  par  le  sacrement  ;  le  prêtre  était  olli- 
y)  cier  de  l'état  civil  et  ministre  du  sacrement.  Alojs 
»  les  ordres  sacrés  étaient  un  empêchement  néces- 
■»  saire. 

»  La  législation  est  changée  :  le  contrat  civil  est 
))  séparé  du  sacrement  ;  le  prêtre  n'est  plus  oflicier 
))  de  l'état  civil ,  et  le  sacrement  n'a  plus  d'influence 
))  sur  la  légitimité.  De  là  la  nécessité  de  ne  recon- 
»  naître  pour  le  mariage  d'autres  conditions  que 
»  celles  qui  sont  établies   par  les  loi  civiles.   » 

Le  jugement  rapporte  toutes  les  lois  sur  cet  objet 
qui  ont  déjà  été  citées,  le  discours  de  M.  Portalis  lors 
de  la  présentation  du  projet  de  loi  du  18  germinal 
an  X,  et  les  motifs  de  la  loi  sur  le  mariage,  pré- 
sentée au  Corps-Législatif  par  le  même  magistrat.  11 
continue:  (c  La  lettre  du  ministre  des  cuites,  du  r  f. 


(33=  ) 

»  janvier  1806,  à  l'arclicvcfjuo  de  Bordeaux,  n'a  pas 
))  pu  annuler  une  loi;  la  leltrc  du  3o  janvier  1807, 
»  du  même  ministre  au  préfet  de  la  Seine  Inférieure, 
))  et  qui  admet  la  distinction  entre  les  prêtres  qui 
»  avaient  repris  leurs  fonctions  après  le  concordat 
»  de  l'an  X ,  et  ceux  qui  ne  les  avaient  pas  reprises, 
))  n'a  pas  plus  de  force;  les  mots  apposés  par  Napo- 
»  Icon  en  marge  de  la  feuille  du  travail,  s'il  na  pas 
»  été  reconnu  prêtre  depuis  le  concordat,  il  peut  se 
y)  marier,  en  s' exposant  néanmoins  au  blâme,  puis - 
»  quHl  manque  aux  engagemens  qu'il  avait  con- 
5)  tractés ,  ne  sont  pas  une  loi. 

»  Les  anciennes  lois  ont  été  formellement  abolies 
»  par  l'article  7  de  la  loi  du  3o  ventôse  an  Xll;  A 
»  compter  du  jour  ou  ces  lois  sont  exécutoires ,  les 
))  lois  romaines,  les  ordonnances ,  les  coutumes gé- 
ïi  nérales  ou  locales,  les  statuts  et  les  règlemens 
))  cessent  d'avoir  Jorce  de  loi  dans  les  matières  qui 
»  sont  l'objet  desdites  lois  composant  le  présent 
))  code. 

»  Mais  la  Charte?  Elle  n'a  que  confirmé  le  Code 
))  civil  :  Les  lois  existantes  qui  ne  sont  pas  con- 
))  traires  à  la  présente  Charte,  restent  en  vigueur 
))  jusqu'à  ce  qu'il  j  ait  été  légalement  dérogé. 

M  Le  tribunal  n'admet  pas  l'opinion  que  l'article 
»  6  de  la  Charte  ait  donné  force  de  loi  aux  anciens 
-)•)  rèi^lemens.  S'il  en  était  ainsi ,  il  y  aurait  mille  au- 
))  très  espèces  d'erapêchemens,  les   affinités   spiri- 


(  333  ) 

y)  luelles,  la  disparité  de  culte,  les  vœux  monas- 
»  tiques. 

»  Une  loi  une  fois  abrogée  ne  peut  plus  prendre 
»  de  force  que  par  le  moyen  d'une  autre  loi. 
))  L'abrogation  était  explicite  ,  la  réhabilitation  doit 
j)  l'être.   )' 

Le  tribunal  de  Cambray  a  eu  à  résoudre  la  même 
question.  L'ecclésiastique  qui  demandait  à  contracter 
mariage  était  un  ancien  bénédictin  de  la  congréga- 
tion de  Saint-Maur.  Il  avait  été  en  1792  desservant 
de  cette  paroisse.  Rentré  dans  la  vie  civile  en  1793  , 
il  s'était  lié  avec  une  jeune  personne  dont  il  avait  eu 
deux  enfans.  C'est  pour  les  rendre  légitimes  qu'il  a 
voulu  contracter  mariage.  Le  maire  de  sa  commune 
ayant  refusé  de  le  recevoir,  il  recourut  au  ministère 
public,  qui  lui  répondit,  qu'il  ne  pouvait  rien 
statuer,  et  qu'il  fallait  s'adresser  au  tribunal.  Il  s'y 
est  adressé,  et  en  a  obtenu  un  jugement  favorable 
le   i^"   mai  1828. 

Le  procureur  du  Roi  près  ce  tribunal  a  pris  des 
conclusions  contraires  à  la  demande,  et  les  a  soute- 
nues par  des  conclusions  qui  ne  me  paraissent  ni  so- 
lides ni  convenables  à  la  grave  dignité  de  la  magis- 
trature, w  On  o[)pose,  a-t-il  dit,  à  l'article  6  des  lois 
))  organiques  l'opinion  de  l'orateur  du  Gouverne- 
»  ment  qui  a  présenté  au  Corps-Législatif  le  projet 
»  des  lois  organiques.  Cet  orateur  a  dit,  il  est  vrai, 
»  qu'il  n'y  avait  plus  d'empêchement  dirimant  au 


(  3:!/,  ) 

»  mariaiïe  des  prêtres ,  s'ils  en  conti'actaient  un  ; 
)>  mais  il  n'a  pas  dit  qu'il  n'y  avait  d'empécbe- 
))  nient  prohibitif  qui  donnât  le  droit  (.l'y  mettre  obs- 
»  tacle  lorsqu'il  n'était  pas  contracté  ;  et  la  preuve 
M  qu'il  ne  l'a  pas  dit,  et  ne  l'a  pas  voulu  dire,  ré- 
))  suite  de  deux  lettres  émanées  du  ministre  des  cultes 
))  de  celte  époque....  Il  résulte  de  ces  deux  lettres, 
»  que  l'autorité  civile  empêchait  les  oHiciers  de  l'état 
»  civil  de  procéder  au  mariage  des  prêtres,  et  qu'elle 
»  regardait  par  conséquent  les  lois  comme  laissant 
»  subsister  un  empêchement  prohibitif  au  mariage, 
y)  tandis  que  l'aulorilé  judiciaire,  allant  plus  loin  , 
»   y  voyait  un  euipêchement  dirimant.  » 

Ainsi  la  loi  autorise  le  mariage  des  prêtres  d'un 
côté,  et  le  défend  de  l'autre;  elle  coupe  de  la  main 
gauche  ce  qu'elle  a  planté  de  la  droite:  elle  dit: 
Si  vous  vous  mariez  y  votre  mariage  sera  valide  ; 
mais  Je  ne  veux  pas  que  vous  vous  mariiez.  C'est 
une  belle  invention  que  cet  empêchement  prohibitif 
dans  les  lois  civiles  ,  d'autant  plus  qu'il  substitue  la 
volonté  despotique  du  maître  à  l'action  de  la  loi.  En 
raisonnant  de  cette  manière,  il  n'y  a  loi  qui  ne 
puisse  être  abolie  promplement  et  facilement  par  un 
ou  deux  actes  arbitraires. 

Le  tribunal  de  Nancy  a  jugé  comme  ceux  de 
Sainte- Menehould  et  de  Cambrai,  sur  une  question 
presque  identique.  Ses  considérans  sont  àfpeu  près 
les  mêmes  que  ceux  que  je  viens  de  rapporter. 


(  335  ) 

Ce  que  cette  cause  a  présenté  de  particulier,  c'est 
que  le  ministère  public,  par  l'organe  de  M.  Pierson, 
substitut  du  procureur  du  Roi  près  ce  tribunal,  a 
donné  des  conclusions  favorables  au  mariage  des 
prêtres.  Certes,  il  faut  avoir  une  forte  conviction, 
du  courage  et  de  l'indépendance,  pour  en  agir  ainsi. 
L'avenir  apprendra  peut-être  à  M.  Pierson  que,  si 
une  telle  conduite  attire  les  bommages  et  l'estime 
des  citoyens  éclairés,  elle  ne  mène  pas  à  la  faveur  et 
à  la  fortune.  On  annonce  déjà  que  le  successeur  de 
M.  Peyronnet  est  fortement  irrité  contre  ce  magis- 
trat intrépide.  Que  feront  Mont-Rouge  et  la  con- 
grégation ?  Qu'on  ne  les  croie  pas  encore  désarmés  : 
les  libertés  publiques  ne  sont  pas  à  l'abri  des  coups 
redoutables  qu'ils  portent  dans  l'ombre.  Toutefois 
rien  n'est  aussi  moral  et  aussi  bien  déduit  que  le  rai- 
sonnement de  M.  Pierson  :  «L'esprit  de  V Evangile 
»  est  celui  de  l'église  ;  elle  ne  prononce  que  des 

»  peines  spirituelles La  société    voudra-t-elle 

>j  ajouter  les  peines  tempQfelles  aux  peines  spiri- 
»  tuelles,  et  employer  les  raovens  de  coaction  contre 
))  celui  que  l'église  a  laissé  libre?  Elle  ne  le  peut 
»  pas,  parce  qu'elle  ne  le  doit  pas.  Si  donc  un  prêtre 
»  se  marie,  il  sait  à  quoi  il  doit  s'attendre.  Ses  fonc- 
»  lions  lui  sont  ravies  5  son  caractère  s'efface  en 
»  quelque  sorte ,  parce  qu'il  a  violé  la  promesse 
»  sous  laquelle  il  l'avait  reçu  :  le  clirétien  semble 
»  abjurer  sa  foi;  l'église  compte  un  nouveau  jour 


(  33G  ) 

)}  d'alTIiction ;  le  transfuge  a  cessé  d'êlie  un  de  ses 
»  enfans,  et  il  ne  trouvera  plus  dans  ceux  qui  par- 
»  tageaient  sa  croyance  cette  estime  ,  ce  respect , 
))  ces  égards  qui  l'environnaient  auparavant. 

»  C'est  à  la  foi  religieuse,  aux  bonnes  mœurs, 
»  qu'il  faut  demander  la  répression  des  scandales^ 
))  c'est  à  elles  qu'il  appartient  de  punir  l'ecclésias- 
))  tique  qui  méconnaît  les  promesses  que  la  religion 
))  avait  reçues  de  lui  •  mais  la  loi  civile  ne  peut  rien, 
»  même  contre  le  prêtre  qui ,  au  lieu  de  sanction- 
n  ner  son  union  par  le  mariage ,  vivrait  publique- 
»  ment  avec  une  concubine,  et  produirait  un  scan- 
»  dale  qui  serait  surtout  sans  réparation  pour  les 
))  êtres  malbeureux  qui  lui  devraient  le  jour.  Ici  ce- 
»  pendant  le  scandale  est  plus  grand  :  la  société  est 
))  blessée  comme  la  religion  ;  et ,  malgré  cela ,  ou 
))  convient  que  la  loi  bumaine  ne  peut  pas  sévir. 
»  Mais,  s'il  fallait  clioisir  entre  ces  deux  scandales, 
))  qui  ne  préférerait  celui  qui ,  au  moins,  fait  cesser 
»  pour  la  société  ce  q«ie  la  religion  seule  condam- 
))  nerait  encore  ?  » 

Ce  qui  me  frappe  dans  ces  trois  derniers  juge- 
raens,  ce  n'est  pas  tant  le  dispositif  que  les  considé- 
rans.  On  a  pris  la  loi  telle  qu'elle  est,  dans  toute 
son  étendue,  sans  exception _,  sans  distinction  de 
temps  ni  de  personnes  ;  on  est  entré  avec  francbise 
dans  la  légalité. 

Les  cas  qui   se  sont  présentés  jusqu'ici  dans  les 


(337) 
tribunaux  n'onl  eu  rapport  qu'à  des  personnes  qui 
avaient  quitté  le  service  des  autels  pendant  la  révo- 
lution, et  ne  l'avaient  plus  repris.  Ces  jngemens 
pourraient  être  considérés  comme  l'effet  d'une  indul- 
ii^ence  passagère  pour  des  désordres  irréparables  arri- 
vés dans  un  temps  de  vertige  et  d'erreur.  Quelle  dé- 
cision prendraient  les  tribunaux,  si  un  jeune  membre 
du  nouveau  clergé  abdiquait  les  fonctions  de  son 
ministère,  et  demandait  à  jouir  de  tous  les  droits 
du  citoyen  ?  Cette  question  vient  de  se  présenter 
devant  le  tribunal  de  première  instance  de  la  Seine. 
Le  sieur  Dumonteil,  âgé  de  vingt-six  ans,  six  mois 
après  avoir  été  ordonné  prêtre,  demande  à  ses  pa- 
rens  leur  consentement,  afin  de  contracter  mariage  : 
ils  le  lui  refusent.  11  recourt  à  M.  Morand,  notaire, 
pour  leur  adresser  les  sommations  respectueuses  or- 
données par  les  lois.  Le  notaire  prend  jour  pour  les 
commencer;  puis  il  réflécliit,  et  refuse  de  se  rendre 
au  désir  du  sieur  Dumonteil,  par  la  considération 
que  la  religion  catholique  est  la  religion  de  l'État. 
Il  engage  l'ecclésiastique  à  voir  le  président  du  tri- 
bunal de  première  instance,  pour  qu'il  lui  enjoigne 
de  procéder  aux  sommations  respectueuses.  Le 
28  janvier  1828,  requête  à  ce  magistrat,  qui  met  en 
marge  :  Soit  communiqué  à  M.  le  procureur'  au  Roi. 
Le  iQ  février  suivant,  le  procureur  du  Roi  conclut 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  faire  l'injonction  requise  au 
notaire  Morand ,  parce  que  son  refus  nest  pas  en 

22 


(  338  ) 

contravention  aux  lois  et  reglemcns .  Le  même  jour, 
le  président  fait  cette  réponse  :  «  Le  président  du 
»  tribunal,  vu  la  requête  et  ensemble  les  conclu- 
»  siens  du  ministère  public;  attendu  que  l'article  6 
»  de  la  Charte  déclare  que  la  religion  catholique, 
w  apostolique  et  romaine  est  la  religion  de  l'Etat; 
»  attendu  que ,  suivant  les  canons ,  l'entrée  dans  les 
»  ordres  sacrés  est  un  empêchement  au  mariage; 
M  attendu  que  l'exposant  déclare  lui-même  qu'il  est 
»  encore  en  ce  moment  engagé  dans  les  ordres  sa- 
))  crés;  qu'ainsi  M.  Moi  and  a  eu  un  juste  motif  de 
;j  lui  refuser  son  ministère  pour  faire  les  actes  dont 
))  il  s'agit  ;  déclare  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  faire  les 
»  injonctions  requises  par  l'exposant.  )) 
La  cause  a  été  portée  devant  les  tribunaux. 


vvv^^^lVVVVVVVVvvv\vwvvvvv^^vvv^vvv^^lvvvvvv^.\^v>vl^\^A^vvvvvvvvvvvv«^vvvvvvvvvvv*vv\v»\vv\vv^ 

SECTION  III. 

Des  dangers  auxquels  le  célibat  expose  la 
religion  catholique  en  France. 


CHAPITRE  PREMIER. 

//  est  urgent  do  faiie  jouir  les  ecclésiastiques   du 
bienfait  de  la  loi. 

Si  l'on  permet  aux  clercs  de  se  marier  en  aban- 
donnant le  service  des  autels,  on  leur  accorde  un 
droit  dont  ils  ont  joui  depuis  l'origine  du  christia- 
nisme jusqu'en  i563,  c'est-à-dire  pendant  plus  de 
quinze  siècles.  Le  mariage  des  ecclésiastiques,  jus- 
qu'au concile  de  Trente,  n'avait  été  condamné  par 
aucun  concile  général,  et  par  conséquent  n'était  pas 
une  loi  générale  de  l'église.  On  sait  que  le  gouver- 
nement de  l'église  est  une  espèce  de  monarchie 
tempérée,  dont  le  chef  ne  peut  faire  aucune  loi  gé- 
néralement obligatoire  sans  le  concours  des  députés 
des  différens  étals  dont  se  compose  la  chrétienté. 
Le  pape,  en  principe,  n'a  jamais  eu  de  pouvoir  que 
pour  faire  exécuter  les  décisions  des  conciles,  et  les 

22.. 


(  34o  ) 
interpréter  par  ses  décrétales,  qui  ressemblaient  aux 
ordonnances  de  nos  rois. 

Si  une  province  particulière,  un  royaume  ,  un 
duclié,  un  diocèse  convoquait  un  concile  et  faisait 
des  règleniens  particuliers,  ces  règlemens  n'étaient 
obligatoires  que  pour  la  province  ou  partie  de  pro- 
vince où  ils  s'étaient  faits;  les  autres  n'y  étaient 
point  soumises.  Rome,  à  cet  égard,  n'avait  pas  plus 
de  droit  que  Londres  ou  que  Paris.  L'agrément  des 
princes  temporels  était  même  nécessaire. 

En  suivant  les  inductions  qui  découlent  tout  na- 
turellement d'une  pareille  organisation,  nous  ne 
pouvons  nous  empêcher  de  reconnaître  de  nouveau 
que  les  ordres  sacrés,  en  droit,  n'ont  jamais  été  un 
empêchement  du  mariage  en  France.  Le  concile  de 
Trente,  qui  seul  avait  autorité  de  l'établir,  n'ayant 
jamais  été  reçu,  n'a  pu  devenir  une  loi  de  l'État. 
11  est  vrai  que  ses  dispositions  ont  été  adoptées  dans 
la  jurisprudence  des  tribunaux;  mais  cette  objection 
n'a  aucune  force.  Est-ce  que  les  tribunaux  font  les 
lois?  Autant  ils  ont  prononcé  de  jugemens  sur  ce 
sujet,  autant  ils  ont  fait  d'actes  arbitraires;  et  le 
temps  ne  justifie  pas  les  usurpations.  Il  n'y  a  pas 
de  prescription  en  faveur  de  la  fraude. 

Voilà  des  faits  incontestables,  et  cependant  je  les 
abandonne;  je  n'en  ai  pas  besoin.  Si  les  ordres  sa- 
crés, avant  1791,  étaient  un  empêchement  dirimant, 
ils  ne  le  sont  plus  aujourd'hui.  L'usage,  plutôt  que  les 


(34.  ) 

lois,  l'avait  établi  comme  par  surprise;  des  lois  posi- 
tives, émanées  de  l'autorilé  compétente,  l'ont  aboli 
avec  solennité.  Les  prêtres  ont  le  droit  de  contrac- 
ter des  mariages  légitimes,  s'ils  préfèrent  cet  état 
aux  avantages  que  l'église  assure  à  ses  ministres.  11 
n'y  a  vérité  plus  incontestable  que  celle-ci. 

Si  le  clergé  combat  de  tout  son  pouvoir  "eux  de 
ses  membres  qui,  ne  se  trouvant  pas  dans  le  cœur 
cette  pureté  céleste  qu'exige  la  sainteté  des  autels, 
chercbent  à  s'en  éloigner  et  à  vivre  dans  une  condi- 
tion plus  conforme  à  leur  nature;  si  les  tribunaux, 
se  livrant  à  des  préjugés  indignes  d'eux,  méconnais- 
sant l'esprit  et  les  paroles  de  la  loi,  se  laissant  in- 
fluencer par  les  menées  sourdes  et  les  intrigues  se- 
crètes de  la  puissance  ecclésiastique ,  se  rendent 
coupables  d'un  déni  de  justice  et  prêtent  leur  appui 
à  la  politique  du  clergé;  si  ces  deux  puissances  con- 
jurées ensemble  privent  les  clercs  engagés  dans  les 
ordres  sacrés  d'un  droit  qu'ils  ont  reçu  de  la  nature 
et  que  la  loi  leur  a  conservé,  quels  seront  les  effets 
nécessaires  d'une  injustice  si  manifeste?  Ce  sujet  me 
paraît  digne  de  iixer  l'attention  de  l'autorité;  les 
cliefs  de  l'église  catholique  en  devraient  faire  l'ob- 
jet spécial  de  leurs  méditations. 

Que  l'on  réfléchisse  d'abord  que  les  lois  civiles  ne 
donnent  aujourd'hui  aucun  moyen  d'atteindre  un 
ecclésiastique  qui  vivrait  dans  le  concubinage  et 
donnerait   des  scandales   éclatans;  que  l'on  consi- 


(34^) 

(1ère,  en  second  lien,  que,  d'après  la  tendance  de 
l'esprit  de  notre  époque  et  l'état  de  notre  législa- 
tion, beaucoup  de  prêtres  se  livreront  infaillible- 
ment au  désir  de  contracter  mariage.  Le  })réiuj^é,  ou 
l'erreur  qui  servait  de  fondemenl  au  célibat  n'existe 
plus  que  dans  les  esprils  vulgaires  et  s'alTaildit  tous 
les  jours  de  plus  en  plus. 

Alors  de  deux  choses  l'une  :  ou  les  ecclésiastiques 
qui  sentent  le  besoin  de  se  marier,  ne  trouvant  au- 
cun moyen  de  rendre  légitimes  leurs  engagemens, 
restent  dans  l'état  concubinalre  et  continuent  à 
servir  les  autels;  ou  ils  quittent  les  fondions  sacer- 
dotales et  s'unissent  à  la  compagne  qu'avaient  fixée 
leurs  vœux.  Ces  deux  hypothèses  inévitables  sont 
également  fécondes  en  conséquences  fâcheuses  pour 
la  religion  catholique. 

Examinons  la  première.  11  est  facile  de  se  per- 
suader que  l'homme  que  le  besoin  de  la  nature 
entraîne  avec  tant  de  force  n'a  pas  cette  vocation 
décidée  qui  est  la  véritable  marque  des  élus.  Il 
n'est  donc  pas  à  sa  place.  Quels  que  soient  ses 
efforts,  ses  sens  victorieux  finiront  par  l'empor- 
ter; il  se  prêtera  aux  illusions  de  son  âme;  il  s'en- 
gagera dans  des  liaisons  criminelles;  il  commettra 
des  crimes.  La  presse  libre  en  instruira  aussitôt  la 
France  et  l'Europe.  Des  procès  fameux  auront  lien; 
les  coupables  seront  punis  ou  absous,  mais  le  scan- 
dale sera  à  son  comble.  On  ne  parlera  plus  que  des 


(343) 
crimes  des  ecclésiastiques j  les  dévols  eux-mêmes 
ne  pourront  s'empêcher  de  les  blâmer.  Cinq  ou 
six  évènemens  pareils  suiïiront  pour  avilir  le  sa- 
cerdoce. Qu'on  y  prenne  garde 5  dans  le  siècle  où 
nous  sommes,  la  qualité  de  prêtre,  au  li^u  d'être 
un  bouclier  impénétrable  aux  regards  et  aux 
coups  des  malveillans,  est  im  cristal  fragile  qui 
fixe  les  yeux,  agrandit  les  fautes  et  se  brise  au 
moindre  effort.  Si  nous  nous  flattons  que  nos  dé- 
lits (t)  ne  parviendront  pas  à  la  connaissance  du 
public,  ou  que  l'on  pourra  toujours  se  soustraire 
au  glaive  de  la  loi,  nous  sommes  dans  une  erreur 
grossière.  Il  n'y  a  plus  aucun  moyen  d'arraclier  la 
liberté  de  la  presse  à  une  nation  puissante  qui  en 
jouit  et  qui  veut  la  conserver.  Rêvez -vous  encore 
de  chimériques  privilèges,  une  juridiction,  des  tri- 
bunaux à  [)art,  l'impunité  de  l'Espagne  ou  du  Por- 
tugal? Les  mois  sonores  de  manteaux  sacrés j  de 
mains  consacrées ^  de  sacerdoce  inviolable ^  ne  font 
plus  aucune  impression.  La  société  actuelle  veut, 
pour  les  prêtres,  une  réputation  sans  tache,  uue 
conduite  sans  reproche. 

Ces  inductions  ne  sont  que  trop  justitiées  par  des 
évènemens  que  peu  de  mois  ne  peuvent  pas  avoir  eflh- 

(1)  Je  ne  calomnie  personne  ;  je  ne  me  hvre  qu'à  des  hy- 
pothèses qui  tombent  d'elles-mêmes  toutes  les  fois  qu'elles 
ne  s'appuient  point  sur  des  faits. 


(  3.1-i  ) 
ces  de  la  mémoire  des  hommes.  Ln  lait  tout  récent 
et  qui  offre  un  caractère  de  perversité  sans  exemple, 
un  crime  qui  appelle  à  son  secours  une  série  af- 
freuse de  crimes,  vient  de  prouver  à  la  France  que 
l'emploi  des  plus  terribles  peines  ne  saurait  arrêter 
les  perichans  irrésistibles  de  la  nature.  Pensez -y 
donc  bien  :  le  mépris,  l'avilissement  est  le  plus 
terrible  des  maux  qui  puissent  frapper  un  individu 
ou  une  classe.  Les  ecclésiastiques,  en  perdant  l'hon- 
neur et  la  considération,  perdraient  tout;  et  le  culte 
catholique  serait  placé,  par  la  mauvaise  conduite 
de  ses  ministres,  dans  la  situation  où  étaient  les  re- 
ligions des  anciens  peuples  à  la  naissance  du  chris- 
tianisme, et  où  il  se  trouvait  lui-même  lors  de  la 
révolution  de  Luther.  Les  conséquences  d'un  pareil 
état  sont  trop  visibles  pour  que  je  croie  avoir  besoin 
de  les  signaler  ici. 

La  seconde  hypothèse  a  i'avanlaj^e  de  n'offrir  à 
l'imagination  ni  le  crime  ni  le  déshonneur  du  sa- 
cerdoce; mais  elle  n'est  guère  plus  satisfaisante  pour 
la  prospérité  du  culte  catholique.  11  sera  difficile 
que  le  prélie  après  son  mariage  puisse  souffrir  de 
se  voir  devenu  l'objet  de  la  haine  ou  du  dédain 
d'un  grand  nombre  de  ses  anciens  co-réligionnaires, 
de  l'indifférence  des  calvinistes  et  de  l'aversion 
des  autorités  ;  de  se  voir  fermer  la  carrière  des  em- 
plois et  des  honneurs;  de  se  voir  privé  de  la  par- 
ticipation aux  sacremens  et  à  tous   les  biens  spi- 


(  345  ) 
rituels.  Cependant,  tant  qu'il  ne  s'agira  que  de  sa 
personne,  il  pourra  peut-être  dévorer  les  injures 
sanglantes  que  sa  position  lui  attirera  certainementj 
mais  comment  résister  à  la  douleur  et  aux  larmes 
d'une  femme  chérie  qu'accablent  tous  les  jours  les 
sarcasmes  et  le  mépris  des  voisines,  que  tour- 
mentent le  remords  et  la  vanité,  qu'écrasent  l'in- 
dignation et  les  menaces  foudroyantes  du  ministre 
des  autels  ?  Ne  voudra-t-il  pas  se  tirer  d'un  état 
si  humiliant  pour  son  amour-propre  et  si  déchi- 
rant pour  son  cœur?  Ce  n'est  pas  tout  encore  :  lors- 
qu'il deviendra  père,  et  qu'il  verra  ses  enfans  expo- 
sés aux  mêmes  humiliations,  pourra-t-il  rester 
iuébraulable  ?  Les  injures  et  les  reproches  sont  ici 
peu  de  chose  :  ce  n'est  pas  le  présent,  c'est  l'ave- 
nir qui  occupe  le  plus  un  père.  Laissera-t-iL  ses 
enfans  sans  état  civil ,  et  comme  des  étrangers  au 
milieu  de  leurs  concitoyens?  Voudra-t-il  que  des 
ascendans ,  ou  même  des  collatéraux,  viennent  leur 
disputer  les  biens  qu'il  leur  a  procurés  à  la  sueur 
de  son  front?  Quelque  force  ou  quelque  insou- 
ciance que  l'on  puisse  supposer  à  cet  homme,  il 
lui  sera  impossible  de  rester  et  de  faire  rester  sa 
famille  dans  un  état  si  désespérant.  Et  que  fera-t-il  ? 
Le  remède  à  tous  ses  maux  n'est  pas  très  difficile. 
11  n'a  qu'à  embrasser  la  religion  protestante,  et  aus- 
sitôt il  peut  contracter  mariage,  et  rendre  sa  femme 
et  ses  enfans   légitimes.  Pourrey.  -  vous    l'empêcher 


(  346) 
<lc  le  faire?  Vous  n'en  avez  aucun  moyen  léi^al.  Les 
jois  au  contraire  le  protèj^ent  comme  elles  vous  pro- 
tègent ;  et  le  préjugé  religieux,  pour  un  homme 
dans  une  telle  position,  ne  peut  opposer  qu'un  très 
faible  obstacle  à  des  motifs  si  puissans.  Je  vois  jus- 
qu'à deux  ministres  de  nos  autels  qui  ont,  en  moins 
de  deux  ans ,  déserté  le  sanctuaire  pour  entrer  dans 
le  culte  réformé.  D'autres  vont  suivre  leur  exemple; 
les  magistrats,  d'accord  avec  le  clergé  romain,  me 
paraissent  les  précipiter  vers  le  calvinisme. 

Ces  pertes  de  noire  culte  ne  sont  presque  rien 
en  elles-mêmes ,  c'est  l'exemple  d'un  passage  si  facile 
et  si  fréquent  qui  doit  nous  alarmer  dans  un  temps 
où  la  publicité  n'a  ni  bornes  ni  retenue.  N'est-il 
pas  à  craindre  que  peu  à  peu  les  catholiques  ne 
viennent  à  se  persuader  que,  pourvu  que  l'on  soit 
chrétien,  peu  importe  que  l'on  vive  dans  un  culte 
ou  dans  un  autre?  Nous  ne  sommes  pas  déjà  bien 
loin  de  cet  état  ;  et  alors  avec  un  clergé  si  jeune  et 
si  intolérant,  avec  la  coaction  qu'on  exerce  tous 
les  jours  sur  les  fidèles,  avec  ces  dénis  de  sacre- 
mens ,  ces  dénis  de  sépulture  ecclésiastique ,  ces 
prônes  furieux,  ces  défenses  des  plus  innocens  plai- 
sirs ,  que  deviendrons-  nous  ?  Je  crois  qu'il  n'est 
pas  besoin  d'être  prophète  pour  annoncer  de  grands 
triomphes  aux  cultes  réformés.  Nous  ne  tarderons 
peut-être  pas  à  voir  des  villages  et  même  des  villes 
entières  abandonner  la  religion  catholique ,    où  ils 


(347  ) 
sont  continuellement  exposés  à  des  tracasseries  et 
à  des  vexations  de  toute  espèce,  pour  entrer  dans 
un  culte  qui  leur  tend  les  bras,  où  les  ministres, 
loin  d'inquiéter  et  de  troubler,  consolent  et  paci- 
fient, et  où  les  fidèles  jouissent  d'une  entière  li- 
berté. Les  cultes  réformés  sont  pleins  de  sève  et 
de  vigueur  j  la  religion  catholique  est  un  chêne  ma- 
jestueux que  l'orage  a  dépouillé  d'un  grand  nombre 
de  ses  branches,  et  qui 

Trunco  non  frondibus  efïicit  umbram. 

fc\\\^>VVVV\\VVVWVVVVVVVVVV\V\VVVWVVVWVVVV*VVVV\%\VVV\%VVVVVVVV\v\\VVVVVVVVVVVVV%'V\V>.V^ 

CHAPITRE  IL 

Iljaut  accorder  aux  prêtres  le  cumul  des  Jonctions 
sacerdotales  et  du  mariage. 

Je  n'examinerai  pas  ici  la  question  de  savoir  si  un 
prêtre,  suivant  les  lois  de  la  nature  ,  celles  de  Dieu, 
et  V  Evangile  y  peut,  tout  en  conservant  ses  augustes 
fonctions,  s'engager  dans  les  liens  d'un  légitime  ma- 
riage :  je  l'ai  examinée  dans  plusieurs  des  chapitres 
précédens.  Je  m'arrêterai  dans  celui-ci  à  l'examen 
des  conséquences  funestes  qui  résultent  de  i'élat 
contraire. 

Saint  Paphnuce,  évêque  de  Thèbes,  en  Egypte, 
en  défendant  le  mariage  des  ecclésiastiques  devant  le 


(  348  ) 
concile  (le  INlcée,  en  325,  s'exprima  en  ces  termes: 
«  IN 'appesantissez-pas  le  joug  des  ecclésiastiques.  Le 
))  mariage  est  honorable  dans  tous  les  états.  ÏN'oflén- 
»  sez  point  l'église  en  voulant  être  trop  parfaits. 
»  Coucher  avec  sa  femme,  c'est  chasteté.  »  Touché 
par  les  raisons  de  ce  prélat,  le  concile  permit  aux 
ecclésiastiques  de  conserver  leurs  femmes  légitimes, 
mais  il  leur  défendit  le  mariage  après  leur  entrée 
dans  les  ordres  sacrés.  Quelle  contradiction  !  Ou  le 
mariage  est  incompatible  avec  les  fonctions  fiacerdo- 
talcs,  et,  dans  ce  cas,  un  marié  ne  doit  pas  prétendre  à 
desservir  les  autels  5  ou  cette  incompatibilité  n'existe 
pas,  et,  dans  ce  cas,  pourquoi  avoir  défendu  aux 
clercs  engagés  dans  les  ordres  sacrés  de  s'unir  à  une 
compagne  légitime?  Si  l'histoire  de  l'espèce  humaine 
n'était  pas  toute  remplie  de  contradictions,  celle-ci 
pourrait  nous  étonner  à  juste  titre. 

Dans  l'église  latine,  pendant  les  premiers  siècles 
du  christianisme ,  on  avait  coutume  d'admettre  à  la 
prêtrise,  et  même  à  l'épiscopat,  des  hommes  qui 
avaient  femme  et  enfans ,  et  qui  même  ne  s'en  sé- 
paraient pas  après  les  ordres  sacrés.  J'en  ai  déjà  cité 
plusieurs  exemples.  Les  chrétiens  suivaient  à  la  lettre 
V Evangile,  l'exemple  des  apôtres  et  les  conseils  de 
saint  Paul.  Ceux-là  mêmes  qi.i  se  faisaient  un  de- 
voir de  s'abstenir  de  leurs  femmes  ne  se  séparaient 
pas  d'elles,  ils  vivaient  sous  le  même  toit  :  seule- 
ment, avi  lieu  de  se  regarder  comme  mari  et  femme, 


(  ^9  ) 

ils  se  regardaient  comme  frère  et  sœur.  Peu  de  per- 
sonnes croiront  à  la  possibilité  d'une  continence 
absolue  dans  un  état  semblable. 

Avant  le  concile  de  Trente,  l'idée  que  le  mariage 
fût  une  souillure  pour  la  dignité  sacerdotale  n'avait 
jamais  été  bien  affermie  et  bien  positive.  Le  concile 
général  de  Baie,  qui  avait  voulu  opérer  les  réformes 
nécessaires  dans  toute  l'église,  paraît  avoir  professé 
une  doctrine  contraire.  Lorsqu'en  i4^g  il  déposa  le 
pape  Eugène  IV,  et  tenta  de  mettre  à  sa  place 
Amédée,  duc  de  Savoie,  plusieurs  prélals  objectè- 
rent que  ce  prince  ayant  été  marié,  ne  pouvait  pas 
être  élevé  au  pontificat.  Le  concile  ne  donna  aucune 
suite  à  ces  objections,  et  Amédée  fut  élu.  Le  secré- 
taire du  concile,  ^neas  Sylvius  Piccolomini ,  en  ré- 
pondant aux  objections  qu'on  avait  faites  à  Amédée, 
dit  en  propres  termes  :  «  On  peut  élire  non-seule- 
»  ment  un  bomme  qui  a  été  marié,  mais  un  bomme 
))  qui  l'est  encore.  »  Non  solum  qui  uxorem  habuit, 
sed  uxorem  habens  potesl  assumi.  Ces  mots  n'exci- 
tèrent point  de  bruit  dans  l'assemblée,  et  ne  furent 
pas  à  l'orateur  un  obstacle  pour  lui  empêcher  de 
monter  sur  la  cbaire  pontificale. 

Lorsque  Piccolomini  se  trouva,  sous  le  nom  de 
Pie II,  assis  sur  le  trône  de  saint  Pierre,  et  qu'il  eut 
cessé  d'être  de  l'avis  du  concile  de  Baie  sur  beaucoup 
de  points,  il  n'en  resta  pas  moins  inébranlable  dans 
son  opinion,   que  le  mariage  ne  devait  pas  être  in- 


1 


C  35o  ) 

compalible  avec  les  fonctions  du  sacerdoce.  Il  disait: 
((  L'église  occidentale  a  défendu  le  mariage  aux  ec- 
»  clésiastiques  pour  de  bonnes  raisons  j  on  aurait  à 
M  présent  des  raisons  encore  plus  fortes  pour  le  leur 
M  permettre  (i).  »  Ce  pape  pouvait  en  avoir  de  per- 
sonnelles, comme,  par  exemple,  de  rendre  légi- 
times les  enfans  qu'il  avait  déjà,  et  dont  il  ne  rougis- 
sait pas  de  s'occuper.  Mais  la  religion  catholique  eu 
avait  de  plus  puissantes.   La    révolution  religieuse 
dont  Luther  fut  le  chef  et  l'instrument  fermentait 
déjà  sourdement,  et  ce  n'était  pas  un  homme  de  l'é- 
lévation d'esprit  de  Pie  II  qui  aurait  pu  s'y  tromper. 
Les  ambassadeurs  du  duc  de  Bavière  demandè- 
rent ,  au  nom    de   leur  souverain ,   au  concile  de 
Trente ,  qu'il  fût  permis  aux  prêtres  de  se  marier. 
Aussitôt  l'évêque  de  Cinq-Églises  fit  la  même  pro- 
position aussi ,  de  la  part  de  l'empereur  d'Allemagne; 
le  roi  de  France  s'unit  au  vœu  de  ces  princes;  et 
voyant  que  le  pape  finirait  par  l'emporter  dans  le 
concile,  il  chargea  ses  ambassadeurs  de  proposer  que, 
si  l'on  ne  pouvait  pas    mieux  faire,  on  établît  au 
moins  qu'on  ne  serait  admis  aux  ordres  sacrés  que 
dans  im  âge  au-dessus  de  tout  soupçon  (2).  Le  sou- 
verain pontife  ne  voulut  point  céder.  Le  concile  dis- 
puta, ergota,  intrigua.  La  majorité  se  prononça  en 

(i)  Platina,  Fie  de  Pie  II. 

(2)  Le  Courayer,  Histoire  de  Fra  Paolo  Sarpi. 


(  35.  ) 
faveur  des  prétentions  du  pape.  Tout  ce  que  l'on 
crut  à  propos  de  statuer  relativement  à  la  permis- 
sion de  mariage  pour  les  prêtres,  ce  fut  de  recon- 
naître au  chef  de  l'église  catholique  le  pouvoir  de 
dispenser  de  l'empêchement  des  ordres ,  lorsqu'il  le 
jugerait  à  propos  et  pour  des  motifs  très  graves. 

Le  pape  et  ceux  de  son  parti  au  concile  de  Trente 
firent-ils  une  chose  utile  aux  intérêts  de  la  religion , 
en  refusant  d'accéder  aux  vœux  des  monarques  puis- 
sans  qui  sollicitaient  le  mariage  des  ecclésiastiques? 
Le  pape  et  la  plupart  des  prélats  italiens  et  espagnols 
qui  assistaient  au  concile  ne  connaissaient  que  par 
des  rapports,  souvent  infidèles,  la  vivacité  ou  plutôt 
l'acharnement  que  les  nouveaux  religionnaires  met- 
taient à  soutenir  les  principes  de  la  réforme,  et  ne 
pouvaient  pas  se  figurer  toute  l'étendue  du  danger. 
Ils  croyaient  même  devoir  écarter  toute  mesure  qui 
aurait  pu  affaiblir  l'unité  d'intérêt  dans  les  ecclé- 
siastiques, et  diminuer  la  puissance  du  souverain 
pontife,  dans  un  temps  où  on  lui  portait  des  coups 
si  terribles  et  où  elle  avait  besoin  de  déployer  une 
plus  grande  énergie. 

Les  princes  du  nord,  au  contraire,  voyant  de 
leurs  propres  yeux  les  combats  animés  que  les  deux 
cultes  rivaux  se  livraient  tous  les  jours ,  et  se  trou- 
vant eux-mêmes  gravement  compromis  dans  ces  dé- 
bats sanglans,  étaient  très  intéressés  à  l'adoption  de 
tout  moyen  propre  à  calmer  l'aigreur  des  esprits,  et 


(  35=  ) 

à  dlininiier  dans  les  ministres  du  eulle  catholique 
les  plus  puissans  motifs  fjr.i  auraient  pu  les  porter  à 
embrasser  les  nouvelles  religions. 

Ce  n'était  pas  certainement,  ni  par  une  géné- 
rosité qui  n'était  pas  dans  leur  caractère,  ni  par 
attachement  pour  un  culte  qu'ils  s'étaient  efforcés 
de  détruire,  que  Ferdinand  I"  et  Charles  IX  se 
prêtaient  à  de  tels  ménagemens.  La  vue  des  dan- 
gers qui  entouraient  leurs  trônes  et  la  rehgion  ca- 
tholique pouvait  seule  leur  inspirer  des  idées  de 
modération  et  de  sagesse.  Charlcs-Quint  lui-même, 
après  avoir  fait  couler  des  torrens  de  sang  pour 
le  soutien  de  la  religion  de  ses  pères,  après  avoir 
essayé  de  détruire  des  populations  nombreuses,  se 
trouva  obligé  de  donner  aux  princes  ses  parens  des 
conseils  de  douceur  et  d'humanité.  La  force  des 
choses,  le  besoin  et  l'instinct  de  leur  propre  con- 
servation avaient  ouvert,  sur  les  bords  de  l'abîme, 
les  yeux  de  ces  monarques  si  peu  sages. 

Les  circonstances  sont-elles  changées  aujour-  ^ 
d'hui?  Nul  doute;  et  ce  changement  est  tel,  que 
notre  époque  n'a  presque  rien  de  semblable  avec 
celle  où  les  ligues  remuaient  la  France,  et  précipi- 
taient, sous  prétexte  de  religion,  les  deux  cultes 
ennemis  l'un  contre  l'autre.  Si  l'esprit  de  trouble  et 
de  discorde  animait  les  peuples  au  XVF  siècle, 
les  plus  doux  sentimens  de  paix  et  d'union  tendent, 
dans    le    XIX^ ,  à    rallier    toutes    les    opinions  et 


(  353  ) 

lous    les  cœurs.    La  guerre  civile,   et  plus  encore 
les  guerres  de  religion,  sont  désormais  impossibles 
en  France.  Tout  ce  qu'on  a  fait  dernièrement  pour 
échauffer    et   réveiller     le   fanatisme    religieux    n'a 
produit  que  des  effets  éphémères  et  a  fini  par  cimen- 
ter de  plus  en  plus  l'alliance  de  toutes  les  opinions. 
C'est    précisément  celte  alliance  même  et  cette 
fusion   des  partis  qui  doit  inspirer  des  craintes  sa- 
lutaires à  la  religion  catholique.  La  barrière  qui  sé- 
parait les  deux   cultes  est  détruite;  le  passage   de 
l'un  à   l'autre  ne  présente    plus  la  moindre  diffi- 
culté. On   a  beau  crier  à  l'impiété  et  à  l'irréligion  ; 
ces  cris  ne   trouvent    plus  d'écho,    n'excitent  plus 
d'alarmes.  Jamais  on    ne  parviendra  à  rallumer  le 
feu  de  l'intolérance  religieuse.  On  est  indifférent, 
parce  que  l'on  est  éclairé ,  parce  qu'on  a  l'intime 
persuasion   que  l'on    peut  servir  le   Seigneur  dans 
tous   les  cultes;  parce  que  chacun,  faisant  un   re- 
tour sur   lui-même    et   préférant  à   tout  sa  liberté 
civile   et  religieuse,  sent  que  tous  les  hommes  ont 
le  même  droit  que  lui;  parce  que  l'on  s'est  fait  de 
Dieu  une  idée  plus  sublime  et  plus  juste;  parce  que 
l'on   a  enfin    reconnu   que  le  père    et   le    créateur 
de  toutes  choses  ne  peut  avoir  d'ennemis,  et  que 
l'être   tout-puissant  qui    commande  aux  élémens, 
à  la  foudre    et  à  la   mort    n'a   pas  besoin  des  se- 
cours d'un  être  aussi  faible  et   aussi   misérable  que 
l'homme. 

23 


(  35i  ) 

Cela  étant  ainsi,  est-il  prudent  de  nourrir  tou- 
jours son  esprit  de  la  flatteuse  idée  d'un  clilmé- 
rique  empire,  et  d'imposer  aux  ministres  du  culte 
(catholique  des  gênes  et  des  privations  qui,  au  mi- 
lieu des  libertés  publiques,  sont  encore  plus  for- 
tement senlies,  et  plus  douloureuses?  West -ce 
pas  les  contraindre  à  souhaiter,  et  ensuite  à  se  pro- 
curer un  état  dans  lequel  ils  pourront  être  admis 
à  l'entière  jouissance  de  leur  liberté  naturelle  et 
civile  ? 

Prétendre  que  des  hommes,  à  la  fleur  de  leur 
âge,  et  continuellement  au  milieu  des  séductions 
des  sens,  lors  même  qu'ils  remplissent  les  devoirs 
sacrés  de  l'humanité  et  de  la  religion,  qu'ils  portent 
des  secours  aux  consciences  égarées  et  des  con- 
solations à  la  misère  honteuse  ;  prétendre,  dis-je, 
que  de  tels  hommes  puissent  résister  aux  penchans 
de  la  nature,  toujours  excités,  c'est  demander  une 
chose  impossible.  Ne  suflirait-il  pas  du  tribunal  de 
la  pénitence,  où  la  révélation  des  (aiblesses  bu- 
maines  réveille  à  tout  instant  la  flamme  toujours 
vive  dans  le  cœur  d'un  ministre  célibataire  ?  JNe 
suffirait'il  pas  de  l'entrée  dans  la  demeure  du  mal- 
heureux, où  les  larmes  de  la  reconnaissance  peu- 
vent si  facilement  réveiller  une  tendresse  funeste 
à  la  vertu  de  l'homme  qu'un  besoin  impérieux  et  É 
non  satisfait  stimule  et  presse  sans  relâche  ? 

Ou  ne  conférez  les  ordres  qu'à  des  liommes  qui 


(  355  ) 
ciit  atteint  la  quarante- cinquième,  ou  même  la 
cinquantième  année,  ou  accordez  à  vos  ministres 
le  cumul  des  fonctions  sacerdotales  et  du  mariage. 
Toute  autre  position  entraîne  des  dangers  inévi- 
tables. 

Pourquoi  voulez-vous  toujours  vous  isoler  au 
milieu  de  vos  concitoyens,  et  vivre  sur  vos  gardes 
et,  pour  ainsi  dire ,  les  armes  à  la  main  ?  Ne  se- 
rait-il pas  plus  avantageux  de  se  fondre  dans  la  so- 
ciété, de  fraterniser  avec  elle,  de  quitter  toute  idée 
d'empire  et  de  coaction,  de  prendre  l'esprit  et  le 
langage  de  la  douceur,  qui  sied  si  bien  à  votre 
caractère  ?  Il  me  semble  que  de  cette  manière  vous 
réussiriez  beaucoup  mieux  ;  vous  vous  concilieriez 
l'amour  de  tous  les  bommes,  vous  régneriez  sur  les 
cœurs,  vous  acquerriez   un  empire  inébranlable. 

Le  mariage  des  ministres  du  sanctuaire,  dans  les 
circonstances  actuelles,  serait  pour  l'église  catbo- 
lique  un  puissant  moyen  de  conservation.  Qu'elle 
ne  se  laisse  pas  aveugler  par  d'anciennes  cbimères  ; 
qu'elle  ne  compte  pas  sur  l'appui  de  l'autorité  tem- 
porelle, qui  ne  serait  pas  assez  fort,  et  sur  lequel 
elle  ne  doit  pas  compter.  Quel  intérêt  a-t-il,  le 
Gouvernement,  d'exercer  une  coaction  dangereuse? 
Les  calvinistes  ne  sont -ils  pas  ses  sujets  aussi  bien 
que  les  catholiques?  Ne  paient -ils  pas  les  contri- 
butions? n'obéissent- ils  pas  aux  lois?  ne  s'enrôlent- 
11s   pas  dans   les   rangs  de  l'armée  ?  Voilà  tout  ce 

23.. 


(  356  ) 

qu'il  lui  faut.  Il  n'a  donc  aucune   raison  de  j^cner 
en  cela  la  liberté  des  fidèles. 

L'église  catholique  est  seule  intéressée  dans  ces 
débats  :  qu'elle  y  pense  donc  bien  •  qu'elle  observe 
les  circonstances ,  la  marche  des  esprits ,  la  nature 
de  l'attaque  et  ses  moyens  de  défense.  Si  elle  ne 
prend  aujourd'hui  une  résolution  généreuse  d'où 
doit  dépendre  en  grande  partie  sa  future  prospé- 
rité, elle  y  sera  forcée  plus  tard. 

CHAPITRE  m. 


L'union  des  Jonctions  sacerdotales  et  du  mariage 
ne  présente   aucun  danger. 

Lorsqu'on  veut  soutenir  une  erreur  fondée  sur  des 
préjugés  que  le  temps  a  rendus  presque  indestructi- 
bles, les  sophismes  ne  manquent  jamais.  Les  hommes 
supérieurs  eux-mêmes,  ces  hommes  qui,  par  leurs 
lumières  et  leur  position,  se  trouvent  au-dessus  des 
idées  du  vulgaire,  adoptent  trop  souvent  le  langage 
commun ,  pour  trouver  des  échos  dans  l'opinion 
et  se  frayer  un  chemin  plus  sur  aux  dignités  et 
aux  honneurs.  «  Ces  mariages  (ceux  des  prêtres) 
»   sont  généralement   réprouvés  par   l'opinion  j  ils 


(  357  ) 
))  ont  des  dangers  pour  la  tranquillité  et  la  sûreté 
»  des  familles.    Un  prêtre    catholique    aurait    trop 
»  de  moyens  de  séduire,  s'il  pouvait  se  promettre 
»  d'arriver  au  terme  de  ses  séductions   par  un    ma- 
»  riage  légitime.  Sous  prétexte  de  diriger  les  cons- 
J)  ciences,  il  chercherait  à  gagner  et  à     corrompre 
»  les  cœurs.  »  Ainsi  parlait  au  préfet  de  la  Seine- 
Inférieure  le  ministre  des  cultes  en  1807,  dans  une 
lettre  que  j'ai   rapportée  précédemment  ;  et  l'on  a 
lieu  d'être  étonné  d'un  pareil  langage.  Ne  dirait-on 
pas  qu'il  peut  y  avoir  des  circonstances  où  un  ma- 
riage légitime  est  le  plus  grand  des  malheurs  qui 
puissent  frapper    une  famille?  qu'un   prêtre  marié 
est  un    monstre    affreux,    dont     la    présence    peut 
compromettre  la  sûreté  et  la  tranquillité  des  mai- 
sons ?  Cependant  lors  même  que  l'on   pousse  à  la 
dernière  extrémité  toutes  les  conséquences  possibles 
d'un  tel  état   de  choses,  quel   autre  inconvénient 
peut-on   y    trouver,  si    ce   n'est    la   disproportion 
dans  la  fortune  des  conjoints?  Un  prêtre  pauvre  ou 
obscur  pourrait  épouser  une  femme  riche  ou  d'une 
haute  naissance  :  serait-ce  la  ruine  du  monde  ?  Je 
ne  pense   [)as   que   ni   le   ministre,   ni    tous    ceux 
qui  répètent  ses  expressions,    veuillent   parler   ici 
d'une  séduction  qui  n'aurait  pour  but  que  des  dé- 
sirs effrénés  et  illégitimes  :  car  la  possibilité  du  ma- 
riage, au   lieu   de   disposer  le  cœur   à  ces  liaisons 
secrètes   qui   compromettraient    l'honneur   des  fa- 


(  358  ) 

milles  et  l'élat  de  l'eccicsiaslique,  doit  plutôt  les 
en  détourner,  en  ofll-ant  des  moyens  légitimes  de 
satisfaire  au  vœu  de  la  nature. 

On  a  trop  exagéré  les  moyens  de  séduction  qu'au- 
rait le  ministre  des  autels,  si  on  lui  permettait  le 
mariage.  Il  me  paraît  que  le  sanctuaire  et  le  confes- 
sionnal ne  sont  pas  des  lieux  très  propres  aux  con- 
fidences de  l'amour  j  ils  inspirent  d'autres  sentimens, 
et  imposent  des  devoirs  qui  sont  opposés  à  ces  liai- 
sons dangereuses.  11  serait  difficile  d'y  commencer 
des  relations  de  l'espèce  de  celles  qui  mènent  au 
mariage.  Je  m'imagine  qu'une  jeune  personne  à  qui 
un  confesseur  ferait,  au  tribunal  de  pénitence,  une 
proposition  tant  soit  peu  contraire  à  la  sainteté  du 
lieu,  quitterait  aussitôt  la  place,  rougissant  d'une 
honnête  pudeur,  et  n'y  reviendrait  plus.  Le  ministre 
du  culte,  suivant  toute  apparence,  ne  tarderait  pas 
à  se  repentir  de  son  indiscrétion.  Le  confessionnal 
garantit  la  vertu  de  toute  atteinte  ;  le  vice  seul  pour- 
rait s'y  fortifier  et  s'y  étendre.  Les  faiblesses  réité- 
rées d'une  pénitente  ont  de  quoi  allumer  les  feux  et 
encourager  l'espérance.  Dans  quels  ministres?  dans 
ceux-là ,  sans  doute ,  que  le  besoin  presse  et  persé- 
cute. Un  ecclésiastique  marié  n'éprouverait  d'autre 
sentiment  que  celui  du  mépris  et  de  l'aversion.  Les 
maris ,  ordinairement ,  ont  pour  la  chasteté  des 
femmes  beaucoup  plus  de  respect  que  les  céliba- 
taires. 


(359) 

Les  ministres  pour  lesquels  la  continence  est  un 
tlevoîr  absolu  se  trouvent  donc  plus  exposés  à  faire 
le  mal  que  ceux  à  qui  la  liberté  du  mariage  est  laissée. 
11  y  a  même  plus  :  supposez  que  les  relations  d'un 
ecclésiastique  avec  une  jeune  personne  soient  por- 
tées à  ce  point  d'intimité  qui  est  le  but  unique  de  la 
nature j  quel  scandale  !  quels  troubles!  quels  déchi- 
remens!  Le  mariage  est- il  impossible?  le  mal  est 
sans  remède;  le  ministre  peut-il  s'unir  légitimement 
à  l'objet  de  ses  criminelles  séductions?  un  mariage 
légitime  dissipe  aussitôt  l'orage  :  le  sanctuaire  et  la 
société  sont  débvrés  d'une  blessure  profonde. 

Celte  hypothèse  n'est  pas  si  invraisemblable, 
qu'elle  ne  se  réalise  fréquemment.  J'en  ai  vu  moi- 
même  des  exemples  que  je  pourrais  citer.  Que 
font  les  évèques  dans  de  pareilles  circonstances'^ 
Ils  font  voyager  les  ecclésiastiques,  ou  ils  les  privent 
de  leurs  bénéfices,  ou  ils  leur  imposent  ce  qu'on  ap- 
pelle des  pénitences  canoniques.  Ces  mesures ,  cmel" 
que  malheureuses  et  quelque  répressives  qu'elles 
puissent  être  pour  le  ministre,  apportent-elles  la 
moindre  réparation  au  malheur  de  la  jeune  per- 
sonne et  de  sa  famille?  Elles  augmentent  seulement 
le  nombre  des  victimes,  et  c'est  toujours  ainsi  lors- 
qu'on sort  des  voies  de  la  nature. 

Vous  défendez  donc  le  mariage  pour  obvier  aux 
graves  inconvéniens  que  pourrait  produire  une  légi- 
time union;  et  bien  loin  d'atteindre  au  but  que  vous 


(  36o  ) 
vous  proposiez ,  vous  rendez  les   inconvéniens  plus 
frcquens,  plus  graves  et  tout-à-fait  irréparables. 

L'état  du  prêtre  est-il  donc  nécessairement  hos- 
tile pour  les  mœurs  et  pour  le  repos  des  familles? 
L'état  du  prêtre,  tel  que  nous  l'avons  fait  et  tel 
qu'il  est,  peut-être  oui.  L'état  du  prêtre,  tel 
qu'il  pourrait  et  tel  qu'il  devrait  être,  a  reçu  une 
meilleure  destination  ;  il  est  fait  pour  être  la  sauve- 
garde de  la  vertu,  et  il  sera  cette  sauvegarde  toutes 
les  fois  qu'il  voudra  se  renfermer  dans  les  bornes 
qui  lui  sont  assignées  par  la  nature.  L'eau  qui  crou- 
pit dans  l'éJang  répand  autour  d'elle  l'infection  et 
la  mort  :  donnez-lui  le  mouvement  qui  lui  est  na- 
turel, elle  devient  aussitôt  une  source  féconde  de 
vie  ,  d'abondance ,  de  fertilité. 

Il  n'y  a  qu'un  moyen  qui  puisse  mettre  les  mi- 
nistres des  autels  dans  un  état  à  inspirer  une  entière 
confiance  et  à  leur  rendre  la  vertu  facile  et  néces- 
saire :  c'est  l'union  du  sacerdoce  au  mariage.  Il  me 
semble  qu'un  prêtre  époux  et  père  serait  un  person- 
nage plein  de  dignité  et  entouré  du  respect  des  fidèles. 
Au-dessus  du  besoin,  et  dans  un  état  où  un  homme 
ne  peut  s'écarter  d'une  sage  conduite  que  lorsqu'il 
est  entraîné  par  la  force  des  passions  les  plus  impé- 
tueuses, rien  ne  pourrait  le  détourner  de  la  pureté 
et  de  la  décence  qui  conviennent  à  son  auguste  ca- 
ractère. Les  pères  de  famille  et  les  maris  n'auraient 
lieu  d'avoir  aucune  inquiétude  lorsque  leurs  filles 


(36.  ) 

et  leurs  femmes  se  présenteraient  devant  lui  au  tri- 
bunal de  pénitence ,  ou  que  les  devoirs  de  son  mi- 
nistère lui  feraient  visiter  à  plusieurs  reprises  leurs 
paisibles  demeures.  Père,  il  attacherait  le  plus  grand 
prix  à  la  vertu  de  ses  propres  filles,  d'où  dépendrait 
sa  propre  gloire  et  leur  bonheur,  et  il  respecterait 
celles  des  autres  ;  mari ,  il  sentirait  que  son  repos  est 
attaché  à  la  chasteté  de  sa  femme ,  et  le  sentiment 
d'une  juste  réciprocité  lui  inspirerait  un  respect  re- 
ligieux pour  la  chasteté  des  femmes  de  ses  voisins. 

Plus  je  réfléchis  sur  un  sujet  si  digne  de  médita- 
tion,  plus  il  me  semble  que  la  liberté  accordée  aux 
prêtres  d'unir  les  fonctions  sacerdotales  au  mariage 
doit  produire  les  plus  heureux  effets  pour  les  mœurs 
et  pour  la  religion.  L'alliance  de  deux  grands  sa- 
cremens  que  des  préjugés  malheureux  ont  presque 
toujours  séparés  ne  peut  qu'apporter  un  surcroit  de 
grâces  et  de  bénédictions  célestes.  Le  mariage  ga- 
rantirait la  dignité  du  ministère  saint  des  atteintes 
d'un  vice  nécessaire  qui  l'a  toujours  flétri;  le  sacer- 
doce purifierait  le  mariage,  et  ajouterait  à  sa  sain- 
teté. 

Les  avantages  que  la  société  retirerait  du  cumul 
des  fonctions  sacerdotales  et  du  mariage  sont  si  con- 
sidérables, que  non-seulement  on  devrait  le  per- 
mettre à  nos  jeunes  lévites,  mais  que  l'on  devrait 
même  admettre  en  principe  que,  pour  recevoir  la 
prêtrise  ,  tout  homme  aurait  à  constater  auparavant 


(  3G2  ) 

qu'il  est  déjà  époux.  Il  me  semble  qu'un  rè^lcmeut 
de  cette  nature  préviendrait  d'une  manière  oflicace 
tous  les  désordres  qui  résullent  d'une  continence 
absolue ,  et  tous  ceux  qui  pourraient  résulter  de  la 
faculté  de  se  marier  en  quittant  les  autels. 

Toutefois ,  comme  il  est  à  désirer  que  l'on  mette 
à  la  liberté  le  moins  d'entraves  possible,  on  pourra 
trouver  suffisant  d'imposer  le  mariage  aux  seuls 
ecclésiastiques  à  qui  l'on  confère  des  bénéfices; 
car  ceux-ci  sont  les  seuls  qui ,  par  leur  position  et 
par  la  nature  des  fonctions  qu'ils  exercent,  puissent 
menacer  la  tranquillité  des  familles.  Les  prêtres 
sans  bénéfices  pourraient  vivre  dans  le  célibat  ou  se 
marier,  suivant  qu'ils  le  jugeraient  à  propos. 

Je  ne  vois  là  aucun  inconvénient  réel.  Je  ne  de- 
mande pas  à  l'homme  la  vertu  des  anges,  à  laquelle 
il  n'élèverait  que  de  vaines  prétentions.  On  ne  doit 
appeler  vertueux  que  ceux-là  seulement  qui  rem- 
plissent tous  les  devoirs  de  leur  état  et  de  leur  na-  , 
ture.  Les  mots  ne  font  rien  aux  choses  :  la  longue 
durée  et  l'universalité  d'une  erreur  ne  la  rendent  pas 
vérité.  La  croyance  que  le  ciel ,  le  soleil  et  tous  les 
astres  accomplissent  en  vingt-quatre  beures  leur  ré- 
volution autour  de  la  terre  a  été  même  plus  géné- 
ralement admise  et  a  duré  plus  long-temps  que  la 
croyance  de  la  sainteté  du  célibat.  Soutenir  le  con- 
traire, était  alarmer  la  susceptibilité  du  parti  reli" 
gieux  et  s'exposer  à  l'exil  et  à  l'emprisonnement. 


(  363  ) 

De  qui  se  moque-t-ou  aujourd'hui,  de  Galilée  ou 
de  ses  juges?  de  Copernic,  ou  de  ceux  qui  le  disaient 
trembler?  La  sainteté  du  célibat  est  une  erreur 
comme  celle  delà  révolution  du  soleil,  et  infiniment 
plus  dangereuse  à  l'espèce  humaine;  elle  n'existera 
})lus  dans  quelques  siècles.  La  Philosophie  morale 
fait,  il  est  vrai,  des  progrès  beaucoup  plus  lents  que 
la  Physique  ;  mais  elle  s'avance  tous  les  jours  ;  elle 
devient  plus  populaire,  et  tous  les  préjugés  tombent 
les  uns  après  les  autres.  L'Allemagne,  l'Angleterre, 
la  Suisse  et  une  bonne  partie  de  la  France  croient 
déjà  que  le  mariage  est  un  état  de  vertu  et  de  saiu- 
telé,  voient  avec  plaisir  les  ministres  des  autels  con- 
tracter des  mariages  légitimes ,  se  faire  honneur 
d'accompagner  leurs  épouses,  avoir  beaucoup  d'é- 
gards pour  leurs  enfans. 

Pour  le  vulgaire  des  catholiques,  le  mariage  des 
prêtres  est  encore  un  objet  d'aversion  ;  cepen- 
dant ce  préjugé  a  perdu  une  grande  partie  de  sa 
force.  11  y  a  seulement  soixante  ans,  un  ecclésias- 
tique marié  aurait  excité  la  plus  profonde  indigna- 
tion :  aujourd'hui  la  masse  populaire  seulement  en 
est  un  peu  scandahsée.  Les  prêtres  en  faveur  des- 
quels ont  prononcé  les  tribunaux  de  Sainte-Me- 
nehoud,  de  Nancy  et  de  Cambrai  ont  célébré  leurs 
mariages  sans  aucune  opposition  de  la  part  de  leurs 
parens,  du  ministère  public  ou  même  des  dévots 
de  leurs  villes.  Si  l'éducation  pubhque  s'avance  de  ce 


(  364  ) 
pas,  avant  qu'il  soit  cent  ans,  noire  postérité  ne  fera 
pas  la  moindre  attention  aux  mariages  des  prêtres. 
Tout  ce  qui  est  nouveau  nous  frappe  ',  tout  ce  qui 
blesse  nos  idées  nous  irrite.  Ces  idées  se  modifient  à 
chaque  instant-  l'esprit  s'éclaire,  le  cœur  se  forme 
à  l'exercice  des  vertus  solides.  Tout  ce  qui  est  faux, 
tout  ce  qui  n'est  fondé  que  sur  l'opinion  s'affaiblit 
et  se  dissipe  insensiblement  ;  il  n'y  a  d'inébranlable 
que  les  sentimens  de  la  nature  et  les  lois  auxquelles 
elle  a  soumis  le  monde.  De  même  que  nous  rions 
de  quelques  préjugés  qui  étaient  pour  nos  ancêtres 
des  devoirs  inviolables,  de  mém.e  nos  descendans 
regarderont  en  pitié  quelques-unes  de  nos  croyances 
d'aujourd'hui. 

L'église  pourrait  accélérer  et  tourner  à  son  pro- 
fil celte  inévitable  révolution.  Pourquoi  le  peuple 
condamne- 1- il  le  mariage  des  ecclésiastiques? 
parce  que  l'église  le  condamne.  Qu'elle  veuille 
bien  l'approuver  ;  qu'une  résolution  solennelle  et 
motivée  de  la  part  de  ses  chefs  reconnaisse  que  le 
mariage  des  prêtres  n'a  rien  d'immoral  et  de  con- 
traire à  la  sainteté  de  la  religion;  qu'elle  ordonne 
aux  ministres  des  autels  de  les  bénir  et  d'invoquer 
les  grâces  du  Seigneur  sur  les  époux ,  et  la  consi- 
dération publique  va  bientôt  les  entourer. 

En  cela,  l'intérêt  de  Téglise  gallicane  n'est  pas 
précisément  celui  du  souverain  pontife.  Je  tâcherai 
de  faire  voir,  dans  un  prochain  chapitre,  quels  sont 


(  365  ) 

les  motifs  qui  ont   toujours  dirigé   et  qui   dirigent 
encore  la  politique  de  Rome. 

L'église  gallicane  a  joui  dans  tous  les  temps  du 
droit  de  se  donner  des  principes  de  discipline  diffé- 
rens  de  ceux  de  l'église  romaine.  Qui  peut  l'empê- 
cher de  faire  un  nouveau  règlement,  et  d'ajouter 
aux  avantages  que  nous  possédons  déjà ,  même  le  ma- 
riage des  prêtres?  J'ai  déjà  démontré,  et  tout  homme 
consciencieux  et  éclairé  doit  être  convaincu,  que  le 
vœu  de  continence  n'est  pas  un  dogme  fondamen- 
tal de  la  foi.  Ce  n'est  qu'un  point  de  discipline ,  à 
l'égard  duquel  les  différentes  églises  n'ont  jamais  été 
d'accord.  JXous  pouvons  donc  le  modifier  toutes  les 
fois  que  nous  le  croyons  utile  à  la  prospérité  du 
royaume  et  de  la  religion. 

CHAPITRE  IV. 

Le  célibat  produit  les  effets   les  plus  funestes  à  la 
religion  et  à  la  morale. 

Voyons  maintenant,  dans  un  chapitre  à  part, 
quelques-uns  des  inconvéniens  particuliers  auxquels 
donne  nécessairement  lieu  le  célibat.  Il  est  peut-être 
bien  d'en  offrir   ici  un   tableau  général;  il  pourra 


(  366  ) 

frapper  davantage  les  esprits  et  entraîner  la  convic- 
tion. De  tels  principes  ne  sauraient  rien  perdre  à 
être  présentés  plusieurs  fois  aux  regards  du  lecteur. 
Je  sais  qu'un  grand  nombre  de  personnes,  cédant  à 
un  préjugé  que  l'éducation  a  profondément  gravé 
dans  leur  cœur,  éprouvent  une  grande  répugnance 
à  allier  ensemble  l'idée  du  mariage  uni  au  sacer- 
doce :  leur  en  parler  souvent,  ce  sera  les  familia- 
riser avec  elle  et  les  disposer  à  admettre  une  vérité 
utile. 

La  lecture  de  ce  qui  précède  de  cet  ouvrage ,  et 
les  faits  que  chacun  doit  avoir  acquis  par  sa  propre 
expérience,   doivent  nous  avoir  convaincus  que  les 
religieux  n'ont  pas  plus  de  force  que  les  autres  bu- 
mains  pour  résister  au  pencbant  qui  entraîne  à  ac- 
complir l'acte  de  la  génération.   Il  ne  peut  y  avoir 
que  des  exceptions  rares.  Sur  cent  cinquante  ou  cent 
soixante  prêtres  que  j'ai  connus  assez  intimement, 
il  n'y  en  a  que  deux  qui  aient  eu  le  bonheur  d'éviter 
les  soupçons  et  la  censure  de  leurs  concitoyens  :  et 
de  ces  deux  ,  l'un  d'une  santé  faible  et  d'une  ima- 
gination continuellement  frappée  par  les  terreurs  de 
la  mort,  n'éprouvait  que  rarement  les  besoins  de  la 
nature  et  avait  des  motifs  trop  puissans  pour  s'y 
soustraire  ;  l'autre  avait  'passé  les  années  où  l'on  est 
le  plus  exposé  aux  orages  des  passions  ,  sur  le  conti- 
nent de  l'Italie  et  loin  du  public  dont  j'exprime  ici 
le  jugement. 


(  36,  ) 

Etoufl'er  un  désir  si  vif,  si  impétueux ,  si  violent, 
qui  brûle  sans  cesse,  qui  tourmente  le  jour  et  la  nuit, 
dansla  veille  et  pendant  le  sommeil,  dans  la  solitude 
et  au  milieu  de  la  société,  jusque  même  dans  le  mo- 
ment où  nous  remplissons  les  devoirs  de  notre  minis- 
tère; étoufier  un  pareil  désir  est  une  lâche  trop  au- 
dessus  de  nos  forces.  L'immense  majorité  des  reli- 
gieux succombent  de  toute  nécessité,  et  lorsqu'ils 
sont  découverts,  ils  excitent  l'indignation  des  fidèles. 

Comment  parviennent-ils  à  cacher  aux  citoyens 
soupçonneux  les  relations  clandestines  qui  s'établis- 
sent à  la  place  du  mariage? 

La  plupart  (cette  vérité  est  odieuse,  mais  c'en  est 
une)  se  procurent  des  servantes  de  leur  goût,  et 
vivent  avec  elles  à  peu  près  comme  avec  une  femme 
légitime.  Ce  sont  des  concubines,  comme  il  en  exis- 
tait dans  l'ancienne  Rome  et  comme  en. avaient  les 
piètres  dans  les  premiers  siècles  de  l'église.  Je  ra- 
conterai quelques  anecdotes  dont  je  garantis  l'exac- 
titude. 

11  y  a,  si  j'ai  bonne  mémoire,  sept  ou  huit  ans, 
qu'étant  arrivé  dans  la  commune  de  M.  .  .  .  pour  y 
passer  quelques  jours,  beaucoup  de  personnes  me 
dirent,  sans  aucun  mystère,  que  leur  curé  P.  .  .  . 
couchait  dans  la  même  chambre  avec  sa  domestique. 
Comme  cette  inculpation  était  grave,  je  n'y  ajou- 
tai d'abord  aucune  foi;  puis  je  conçus  des  doutes; 
puis  une  curiosité  peu  réfléchie  fit  naître  en  moi  le 


(  368  ) 
désir  (le  vérifier  ce  fait.  J'allai  faire  une  visite  au 
bon  prêtre,  que  je  ne  connaissais  que  de  nom.  11 
m'accueillit  avec  beaucoup  de  bonté,  me  fit  voir 
toutes  les  pièces  de  son  appartement.  Arrivé  dans  sa 
chambre  à  coucher,  je  vis  deux  lits  si  près  l'un 
de  l'autre,  qu'il  fallait  se  mettre  de  côté  pour 
passer  dans  l'espace  qui  les  séparait.  Vous  avez 
donc  deux  lits,  monsieur  le  curé?  lui  dis- je  alors. 
—  Ils  ne  sont  pas  tous  les  deux  pour  moi.  Celui- 
là  est  pour  ma  servante. — Vous  plaisantez,  je  crois. 
— Non,  monsieur,  je  ne  plaisante  pas;  ma  servante 
couche  là.  Y  troiiveriez-vous  quelque  chose  à  re- 
dire ? — Il  est  vrai  qu'à  l'àge  où  vous  êtes,  vous  ne 
devez  avoir  rien  à  craindre.  (11  était  à  peu  près 
septuagénaire.) — Je  n'ai  jamais  eu  rien  à  craindre. 
Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui,  mon  cher  abbé,  que 
je  fais  coucher  ma  servante  à  côté  de  moi.  Je  vis 
dans  cet  état  depuis  quarante- cinq  ans.  Que  vou- 
lez-vous, je  ne  saurais  rester  seul  dans  ma  chambre 
pendant  la  nuit  :  l'obscurité  et  le  silence  me  font 
peur. —  Et  n'aurait-il  pas  été  plus  prudent  de  cou- 
cher avec  un  domestique? — Un  domestique!.... 
Un  domestique  ne  saurait  rendre  le  quart  des  ser- 
vices qu'on  reçoit  d'une  bonne.  Nous  autres  hom- 
mes, nous  ne  savons  rien  faire;  nous  sommes  lourds, 
paresseux ,  maussades ,  presque  toujours  de  mau- 
vaise humeur.  Rien  n'est  comparable  à  la  douceur, 
à  la  tendresse,  à  la  sollicitude  et  à  l'activité  d'une 


(369) 

femme  que  l'on  altache  à  soi.  Je  le  sais  par  expé- 
rience. 

Il  y  a  trois  ans,  je  me  trouvais  dans  un  vil- 
lage du  Berri ,  dont  le  desservant  passait  pour 
vivre  d'une  manière  intime  avec  sa  servante.  Tous 
les  paroissiens  en  parlaient  sans  aucune  retenue , 
et  en  faisaient  mille  plaisanteries.  Le  frère  de  cette 
femme,  moitié  en  plaisantant,  moitié  d'un  air  sé- 
rieux ,  donnait  partout  au  curé  le  nom  de  beau- 
frère.  Un  jour  qu'il  eut  une  vive  discussion  avec 
cet  ecclésiastique,  il  lui  dit,  au  milieu  d'une  so- 
ciété nombreuse  :  «  Monsieur  le  curé,  prenez  garde 
»  à  vous  ;  je  puis  vous  causer  de  vifs  chagrins  ;  il 
»  ne  tient  qu'à  moi  de  vous  réduire  à  un  dou- 
»  loiueux  veuvage.  »  De  grands  éclats  de  rire  ac- 
compagnèrent ce  propos  outrageant.  Le  curé  en 
rit  lui-même ,  et  se  liàta  d'apaiser  le  courroux 
du  hardi  paroissien. 

11  y  en  a  qui  ne  se  donnent  aucune  peine  pour 
cacher  ces  sortes  de  relations.  Deux  mois  ne  sont 
pas  encore  passés  depuis  que  j'ai  eu  le  dialogue 
suivant  avec  un  ecclésiastique  dont  je  n'exigeais 
ni  ne  méritais  la  confiance  :  Vous  voilà  donc  de 
retour  à  Paris,  lui  dis-je;  est-ce  que  vous  vou- 
lez vous  y  établir? — Dieu  m'en  préserve! — Il  est 
difficile  d'y  obtenir  des  bénéfices? — Ce  n'est  pas 
pour    cela  :    on    m'en     oiïre     un    d'environ    2000 

2i 


(  3-"  ) 

francs  ;  niais  je  niu  garderai  de  l'aecepler.  — 
Pourquoi? — Est-ce  que  lu  ne  me  connais  plus? 
La  vue  de  Lant  de  femmes  attrayantes  m'entraîne- 
rait malgré  moi.  —  Eli  Lien?  —  Je  serais  entouré 
ici  de  trop  de  dangers.  —  Est-ce  que  ces  mêmes 
dangers  ne  vous  suivront  pas  dans  la  province  ? 
—  J'ui  lu  des  moyens  plus  sûrs  de  les  éviter.  — Je 
ne  vous  comprends  pas  :  j'ai  toujours  cru  que  les 
grandes  villes  comme  Paris  offraient  aux  célibataires 
beaucou[)  plus  de  ressources  que  les  villages.  —  Tu 
es  dans  l'erreur.  Ici  mille  regards  sont  toujours 
attachés  sur  tes  pas.  H  suffirait  de  ceux  du  pres- 
bytère auquel  on  appartient.  Ce  sont  des  espions 
conslans.  Jaloux  et  naturellement  soupçonneux , 
ils  donnent  les  plus  malignes  interprétations  aux 
démarclies  les  plus  innocentes.  Je  ne  pourrais  pas 
même  avoir  une  bonne.  — Vous  n'en  auriez  pas 
besoin, — Je  t'ai  compris.  Ce  genre  de  vie  ne  me 
convient  pas.  Ce  n'est  pas  une  flamme  passagère 
que  celle  qui  me  dévore  :  c'est  un  besoin  du  cœur, 
un  besoin  constant ,  un  besoin  qui  ne  saurait  ces- 
ser qu'avec  la  vie.  Me  condamner  à  ne  plus  ai- 
mer, ce  serait  me  condamner  à  ne  plus  vivre. 
L'amour  est  presque  l'aliment  unique  de  mon  exis- 
tence.— Je  crains  que  ces  sentimens  ne  vous  en- 
traînent dans  quelque  précipice. — Tu  raisonnes 
comme    un    enfant:  tu    as    l'air    de  croire  que   je 


(37-  ) 
cherche  à  former  des  liaisons  scandaleuses  dans  ma 
paroisse,  et  point  du  tout.  Lorsque  j'arrive  dans 
mon  presbytère,  ma  première  occupation,  c'est 
de  me  procurer  une  bonne  qui  ait  quelque  beaulé. 
Je  gagne  son  affection  par  l'amour  que  je  lui  porte 
et  par  les  bienfaits  dont  je  la  comble.  J'en  fais  peu 
à  peu  mon  épouse.  J'agis  de  manière  que  notre 
amour  ne  produit  aucun  fruit,  et  je  vis  avec  elle 
dans  le  contentement  et  dans  le  bonheur. 

Ce  moyen  est  fort  commode ,  mais  il  n'est  pas 
sans  inconvénier)t.  D'abord,  les  paroissiens  devinent 
presque  toujours  )es  relations  qui  lient  ensemble 
les  heureux  babilans  du  presbytère.  Pour  les  leur 
révéler ,  il  suffit  de  l'ascendant  que  les  bonnes 
prennent  ordinairement  sur  les  curés.  Tout  se  fait 
par  elles,  tout  passe  par  leurs  mains.  11  y  en  a 
qui  se  mêlent  même  de  l'administration  des  choses 
saintes.  J'en  pu  «s  nommer  qui  disposent  des  bé- 
néfices ecclésiastiques,  qui  imposent  l'abstinence 
ou  permettent  de  faire  grasse  chère  à  tous  les 
bons  chrétiens  d'un  diocèse.  Les  ecclésiastiques 
qui  se  mettent  dans  un  pareil  état  prétendraient 
en  vain  éviter  les  soupçons  d'un  public  enclin  à 
supposer  des  coupables.  Alors ,  de  deux  choses 
l'une  :  ou  les  paroissiens  scandalisés  prennent  l'ec- 
clésiastique eu  aversion,  le  mésestiment,  le  mé- 
prisent, et  les  conseils,  la  parole  du  Seigneur, 
qu'il  ose  prêcber  aux  fidèles,  ne  sont  plus  écoutés, 

24.. 


(  37'  ) 
ne  produisent   plus  les  IVuits  (ju'on  devrait   en  at- 
tendre ;  ou  les  paroissiens  s'accoutument  au  spec- 
tacle de  cette  illci^ilime  union  ,  et  l'exemple  trouve 
bientôt  des  imitateurs.  Le  trouble  est  jeté    dans  la 
commune  ;    les  filles  deviennent    moins   timides  et 
plus  faciles ,   les  garçons  perdent  toute    pudeur  et 
toute  retenue.  Je   connais   une    ])etite    paroisse   de 
campagne  où  le  scandale  éclatant   donné  par  quel- 
ques ecclésiastiques  a  introduit   une  licence  et  un 
libertinage  effroyable.  Déjà  on  commence  à  ne  plus 
y    sanctionner  le  mariage   ni    par  le   contrat  civil 
ni  par  le   sacrement.    Au  moment   où   j'écris ,   on 
m'assure  qu'il  y  a  dix-huit  couples  de  jeunes  gens 
unis  ainsi  :  et  c'est  une  commune  d'environ  soixante- 
dix  feux  !  Le  lecteur  découvre   aisément  les  suites 
funestes  d'un  pareil  système  de  vie  dans  l'ordre  re- 
ligieux et  dans  l'ordre  civil  :  on  s'unit  et  l'on  se  quitte 
avec   la  même   facilité.  Quel  est   l'homme    dont  la 
possession  n'éteigne  l'ardeur  et  ne  relâche  des  liens 
fragiles?  et  que  peuvent  devenir  une  femme  dés- 
honorée  et   des  enfans  sans    père  et   sans  appui  ? 
En  supposant  dans  ces  couples  malheureux  une  fidé- 
lité et  une  constance  à  l'épreuve  du  temps  et  des 
])assions ,  on  sait  bien  que  le  terme  de  leur  vie  doit 
arriver.  Ne  voyez -vous  pas  alors   d'avides  collaté- 
raux disputer,   enlever   aux   fruits    de    ces    unions 
condamnées  par  les    lois    et  par  la    morale,   leurs 
noms  et  leurs  droits?  Je  me  suis  moi-même  trouvé 


(  373  ) 
plus  d'une  fois  en  position  de  plaider  })Our  des 
enfans  infortunés,  dont  le  mariaj^e  n'avait  point 
assuré  l'existence  civile.  Ajoutez  à  cela ,  pour  les 
époux,  l'impossibilité  d'avoir  une  part  quelconque 
aux  fruits  abondans  et  heureux  de  la  religion,  la 
privation  des  sacremens ,  l'éloignement  du  sein  de 
l'église,  la  voix  des  pasteurs  méconnue,  la  cons- 
cience endurcie  dans  le  mal,  et,  par  degré,  l'oubli 
de  tous  les  devoirs.  Quel  horrible  tableau  ! 

Il  y  a  plus;  on  manque  souvent  de  prudence  :  il 
est  si  facile  de  s'oublier  dans  l'ivresse  d'une  pas- 
sion impétueuse!  Alors  des  preuves  évidentes,  pal- 
pables, irrécusables,  révèlent  à  l'œil  exercé  des  pa- 
roissiens la  faiblesse  de  leur  curé.  Comment  se  tirer 
d'un  si  fâcheux  embarras?  De  quelque  manière 
que  l'on  s'y  prenne,  les  crimes  sont  inévitables. 
Les  uns,  étouffant  dans  leur  cœur  les  senlimens 
de  la  nature,  chargent  la  commisération  publique 
d'élever  leurs  enfans  ;  les  autres...  Ln  curé  a  élé 
poursuivi  en  1828  devant  les  tribunaux  pour  avoir 
fait  périr  un  enfant  qu'il  avait  eu  de  sa  servante. 
Un  curé  des  environs  de  Paris,  coupable  du  même 
crime,  quelques  années  auparavant,  s'était  soustrait 
par  la  fuite  à  la  sévérité  des  lois.  Les  cris  que  pous- 
sait sa  servante  dans  les  douleurs  de  l'enfantement 
éveillèrent  l'attention  des  voisines,  celles-ci  l'atten- 
tion de  l'autorité.  On  accourut;  le  cliirurgien  cons- 
tata que  l'enfant  dont  accoucha  celte  malheureuse 


(374) 
en  leur  présence,  n'était  qu'un  second  enfant,  et 
que  le  premier  avait  dii  voir  le  jour  quelques  instans 
auparavant.  Les  deux  coupables  soutinrent  que  c'é- 
tait une  erreur.  Des  recherches  faites  dans  la  maison 
prouvèrent  que  le  chirurgien  ne  s'était  pas  trompé: 
le  premier  des  deux  nouveau -nés  fut  trouvé  mort 
derrière  un  las  dé  fagots  ! 

Yoilà  des  malheurs  faits  pour  inspirer  les  plus 
sérieuses  réflexions  aux  membres  du  clergé  catho- 
lique. 11  y  en  a  qui,  pour  ne  point  s'y  exposer,  s'abs- 
tiennent d'entretenir  des  bonnes,  et  qui  ont  re- 
cours, pour  satisfaire  à  une  passion  irrésistible,  à 
ces  repaires  du  vice  que  l'autorité  tolère  au  sein  des 
grandes  villes.  C'est  un  mal;  car  le  mal  est  inévitable 
dès  que  l'on  sort  de  la  droite  voie,  de  celle  de  la  nature. 
Cependant,  tout  calculé,  ce' moyen  présente  moins 
d'inconvéniens  que  tous  les  autres.  Si  l'on  peut  être 
découvert,  puni,  disgracié  par  l'autorité  ecclésiasti- 
que; si  l'on  peut  se  rendre  méprisable  aux  yeux  de 
ceux  qui  sont  témoins  de  tant  de  faiblesse;  si  l'on 
peut  déverser  sur  la  religion  elle-même  un  peu  de 
ce  blâme  qui  s'attache  à  une  mauvaise  conduite,  au 
moins  on  a  l'avantage  de  n'empiéter  sur  les  droits 
de  qui  que  ce  soit,  de  ne  troubler  la  paix  de  per- 
sonne, de  ne  pas  s'exposer  à  commettre  des  crimes, 
de  ne  pas  attirer  sur  sa  tète  l'inflexible  rigueur  des 
lois. 

Je  ne  crois  pas  que  l'on  puisse  m'accuser  ici  de 


(  375) 
calomnie.  Le  lecteur  veut-il  des  preuves  irrécusables 
que  les  ecclésiastiques  des  grandes  villes  se  laissent 
voir  dans  de  mauvais  lieux?  Qu'il  jette  un  coup 
d'oeil  sur  le  tableau  que  M.  Saint-Edme  a  donné  à 
la  page  124  et  suivantes  de  \a  Biographie  des  lieu- 
tenans- généraux  et  des  ministres  de  la  police.  On 
y  verra  que  dei'.x  cent  quatre-vingt-seize  religieux 
furent,  sous  la  lieutenance  de  Sartine,  saisis  par  ses 
a^ens^agrante  delicto  dans  des  maisons  mauvaises 
ou  suspectes,  et  frappés  de  différentes  peines.  On 
trouve  dans  ce  nombre  douze  curés,  quatre-vingt- 
treize  prêtres,  cent  doyens,  dignitaires,  personnats 
et  cbanoines;  le  reste  se  compose  des  religieux  de 
différons  ordres.  Or,  peut-on  croire  que  les  choses 
soient  tout-à-fait  changées  depuis  le  temps  de  la 
lieutenance  de  Sartine?  Les  mêmes  causes  ne  pro- 
duisent-elles pas  toujours  les  mêmes  effets? 

Enfin,  un  nombre  immense  d'ecclésiastiques  s'a- 
bandonnent au  penchant  de  leurs  cœurs,  se  font 
dans  la  société  des  relations  criminelles  et  vivent 
aux  dépens  de  la  bonne  foi  des  maris  et  des  mères. 
Ceux-ci  s'avancent  sur  un  chemin  tout  semé  de 
périls.  Que  de  pièges  tendus  à  l'innocence  et  à  la 
simplicité!  que  de  ruses  indignes!  que  d'injustices! 
que  de  troubles!  que  de  scandales!  quelle  honte 
pour  les  religieux  !  quels  terribles  coups  pour  la  re- 
ligion ! 

Ceux-ci  sont  obligés  de  démentir  dans  un  crimi- 


(  3,6  ) 

nel  lêle-à-tète  les  principes  de  religion  cl  de  morale 
qu'ils  prêchent  du  haut  de  la  chaire  de  vérité,  et 
sapent  ainsi,  autant  qu'il  est  en  eux,  les  fondemens 
sur  lesquels  s'élève  et  se  soutient  l'édifice  social. 

Ceux-là  ne  rougissent  point  de  recourir  à  la  plus 
grossière  imposture  et  de  se  servir,  comme  d'instru- 
mens,  dans  leurs  furieux  desseins,  des  objets  sacrés 
de  la  vénération  des  peuples. 

L'un  trahit  la  confiance  qu'établissent  les  liens 
du  sang  et  ceux  de  l'amitié. 

L'autre  abuse  de  l'ascendant  que  sa  position  dans 
la  société  lui  assure. 

Et  tout  se  sait  avec  le  temps!...  Faut-il  donc  être 
surpris  si  les  peuples  éclairés  ont  une  opinion  si  peu 
avantageuse  du  célibat  et  des  célibataires? 

Quelques  faits  porteront  une  plus  vive  lumière 
sur  ce  sujet.  Ma  mémoire  m'en  fournit  un  grand 
nombre 5  la  diificulté  ne  consiste  que  dans  le  choix. 
Le  prêtre  P...,  de  la  commune  de  P...,  épris  d'amour 
pour  une  demoiselle,  sa  voisine,  trouva  moyen  de 
gagner  sa  confiance.  Bientôt  elle  présenta  des  signes 
non  équivoques  de  ses  relations  avec  lui.  Il  fallut  se 
hâter  de  donner  un  père  légitime  à  l'enfant  qui 
devait  naître.  Un  frère  de  l'ecclésiastique,  simple  et 
grossier,  se  chargea  de  ce  rôle  peu  honorable.  11  de- 
vint le  mari  de  sa  belle-sœur  et  le  père  de  son  ne- 
veu; il  ignorait  peut-être  cet  étrange  concours  de 
rapports.  H  était  content,  il  vivait  en  bonne  harmo- 


C377  ) 
nie  avec  sa  ferame.  Tout  serait  fini  là,  si  le  pièlre, 
plus  sage,  se  fût  séparé  d'elle  comme  il  le  devait.  Il 
ue  jugea  pas  à  propos  de  le  faire;  il  continua  de 
vivre  avec  elle  dans  la  plus  étroite  intimité.  Comme 
elle  était  riche,  au  lieu  d'aller  habiter  dans  la  mai- 
son de  son  époux,  elle  le  fît  venir  chez  elle.  Le 
prêtre  s'y  installa  aussi,  au  grand  scandale  de  tous 
les  habitans.  Le  mari  conçut  quelques  soupçons, 
])Liis  devint  jaloux ,  puis  essaya  d'éloigner  son 
rival,  puis  battit  lui-même  eu  retraite,  rentra 
dans  la  maison  paternelle  et  ne  remit  plus  le  pied 
chez  son  épouse.  Cependant  elle  devint  grosse. 
Aussitôt  son  mari  de  crier  partout,  de  protester 
hautement  qu'il  n'était  pas  l'auteur  de  celte  gros- 
sesse ;  que  les  enfans  qui  viendraient  dorénavant  ne 
devaient  pas  lui  appartenir;  qu'il  ne  voulait  avoir 
aucun  droit  sur  eux;  qu'il  ne  voulait  se  charger  de 
rien.  11  criait  encore,  lorsque  sa  femme  accoucha  de 
deux  enfans.  Alors  il  perd  toute  patience;  il  se  pré- 
cipite à  la  maison  commune,  accompagné  de  plu- 
sieurs témoins;  il  y  déclare,  à  la  lace  du  ciel  et  de 
la  terre,  qu'il  n'est  pas  le  père  des  fils  de  sa  ferame; 
qu'on  se  donne  bien  garde  de  les  porter  sous  son 
nom  dans  les  registres  de  l'état  civil;  que  leur  père 
était  connu  de  tout  le  monde;  il  le  nomma  de  nou- 
veau. Le  maire  fît  en  vain  tous  ses  efforts  pour  apai- 
ser sa  colère,  adoucir  son  désespoir  et  le  réduire  au 
silence.  11  se  plaignit  pendant  long-temps. 


(  378) 

Le  prclrc  ne  lut  oUVayc  ni  pjir  les  cris  de  son  fu- 
rieux frère,  ni  |>ar  la  clameur  ])iiljlique,  (|ui  le  pour- 
suivait en  tout  lieu.  Il  resta  au  poste  dangereux  qu'il 
avait  envahi,  et  conliuua  de  Tejnplir  exactement 
tous  les  devoirs  de  prèlre,  de  bon  mari,  de  bon  père. 
11  éleva  ses  demoiselles,  leur  donna  une  bonne  édu- 
cation ,  les  maria.  Peu  à  peu  l'on  se  flt  à  lui  voir 
cumuler  les  fonctions  du  sacerdoce  et  celles  du  ma- 
riage ;  on  l'estima ,  on  l'aima  ;  sa  conduite  et  sa  pro- 
bité  finirent  par  lui  faire  pardonner  les  torts  graves 
de  sa  jeunesse.  Plus  tard ,  son  clief  spirituel  offrit 
de  lui  donner  un  bon  bénéfice,  à  la  seule  condition 
qu'il  laisserait  sa  femme  et  ses  enfans  dans  son  vil- 
lage, et  irait  fixer  à  jamais  son  domicile  au  milieu 
des  fidèles  que  l'on  voulait  bien  confier  à  ses  soins, 
11  préféra  à  tous  ces  avantages  la  compagnie  de  sa 
femme  et  de  sa  famille. 

Ces  évènemens  ont  commencé  lors  des  dernières 
années  de  la  république,  et  se  sont  continués  sous 
l'empire  et  sous  la  restauration.  Si  l'on  me  de- 
mande comment  il  s'est  fait  que  les  tribunaux  n'ont 
pas  poursuivi  cet  ecclésiastique,  je  répondrai  que  les 
lois  y  avaient  pourvu.  Le  mari  est  seul  admis  à  pré- 
senter des  plaintes  de  cette  nature  ;  et  un  frère , 
après  que  les  premiers  éclats  de  la  jalousie  se  sont 
calmés,  ne  saurait  vouloir  la  perte  de  son  frère. 

En  1 8 1 2  ou  1 8 1 5 ,  le  prêtre  Se . . . ,  de  la  com- 
mune de  S....,   canton  d'D....,  fait  la  connais- 


(  379  ) 
sance  de  la  jeune  cl  belle  femme  d'un  vieux  et  laid 
ouvrier  de  sa  commune.  La  pasb*lon  l'entraîne  au- 
delà  des  bornes  de  la  modéra  lion  :  son  amour  est 
bientôt  connu.  Plusieurs  jeunes  gens,  excités  par  la 
rumeur  publique,  se  proposent  de  le  prendre  in  fla- 
grante et  de  lui  donner  une  sanglante  leçon.  Ils  lui 
tendent  des  embûches;  ils  l'assiègent;  ils  le  forcent 
à  sauter  par  la  fenêtre  et  à  traverser  la  commune , 
au  milieu  des  huées  qu'ils  poussent  après  lui.  Une 
scène  si  scandaleuse  éveille  enfin  les  soupçons  et  la 
jalousie  du  vieux  mari,  qui  ne  se  doutait  de  rien  ; 
il  porte  sa  plainte  devant  l'autorité  ecclésiastique  et 
militaire.  Le  prêtre  est  mandé,  exhorté,  menacé; 
il  se  moque  de  tout;  il  méprise  tout.  Pour  faire  cesser 
le  scandale ,  on  fut  obligé  de  recourir  à  la  force.  Le 
'prêtre  est  exilé  dans  une  pelile  île  où  il  aurait  pu 
vivre  dans  la  tranquillité  et  dans  l'abondance  de 
toute  chose;  il  préféra  s'évader  et  retourner  dans  sa 
commune,  pour  y  mener  la  vie  d'un  bandit.  L'au- 
torité se  lassa  de  le  poursuivre  ;  et  les  évènemens 
de  i8i4  étant  arrivés,  il  en  profita  pour  devenir 
tranquille  possesseur  d'une  femme  à  qui  il  avait 
donné  une  célébrité  si  malheureuse.  Je  laisse  au  lec- 
teur le  soin  de  déduire  les  conséquences  qu'un  pa- 
reil fait  doit  avoir  eues. 

Qui  ne  connaît  l'horrible  histoire  de  Mingral? 
Ce  nom  réveille  des  souvenirs  accablans.  Curé  d'une 
pelile  paroisse  du  département  de  l'Isère,  il  devint 


(  38o  ) 

passionnément  amoureux  de  iu  femme  d'un  vieux 
soldat,  (ju'il  Noya'iL  souvent  à  l'église.  C'était  une 
dévote,  même  une  bij^ote,  qui  oubliait  souvent  les 
afifaires  de  son  ménaj^e,  pour  ne  s'occuper  que  de 
l'église  et  des  prières.  Mingrat  l'approche,  la  visite 
à  plusieurs  reprises,  sonde  avec  art  ses  dispositions. 
Elle  ne  s'aperçoit  pas,  ou  feint  de  ne  pas  s'aperce- 
voir de  ses  désirs.  A  chaque  nouveau  pas  que  faisait 
l'ecclésiastique,  sa  passion  s'allumait  plus  furieuse. 
11  détermine  de  s'emparer  à  tout  prix  de  cette  proie 
que  déjà  il  dévore  de  la  pensée.  11  l'invite  à  venir 
un  soir,  sur  la  brune,  à  l'église,  sous  le  prétexte  de 
lui  confier  une  lettre  qu'elle  voudrait  bien  se  charger 
de  remettre  à  un  de  ses  confrères  d'une  paroisse 
voisine,  oiî  un  motif  de  religion  devait  la  conduire 
le  jour  suivant.  Elle  se  porte  au  rendez-vous.  Le 
curé  l'entraîne  dans  sa  chambre,  lui  dévoile  sa  pas- 
sion ,  la  sollicite,  la  supplie*  elle  résiste.  11  espère 
(|u'elle  cédera,  et  tente  de  vaincre  sa  résistance  par 
la  force.  La  fenmie  se  débat  et  crie.  Des  craintes 
viennent  assaillir  l'esprit  du  prêtre  :  cette  femme  va 
tout  révéler;  son  mari  va  porter  plainte  contre  lui; 
il  va  être  privé  de  son  état,  de  son  honneur,  de  sa 
liberté.  Pour  se  soustraire  aux  malheurs  qui  le  me- 
nacent, il  se  met  en  devoir  d'étouffer  sa  victime.  11 
engage  contre  elle  un  combat  à  niort.  Le  bruit  éveille 
l'attention  de  sa  servante.  Poussée  par  la  curiosité, 
elle  vient  frapper  à  la  porte  ,  et  demande   au   curé 


(  38.  ) 

s'il  a  besoin  de  qiiel(]ue  chose  j  il  répond  d'une  voix 
creuse  et  terrible,  que  non,  et  qu'elle  ait  à  s'occuper 
de  ses  affaires.   Elle  se  retire  épouvantée.   Mingrat 
achève  son  oeuvre,  descend  dans  la  salle  à  manger, 
soupe  d'un  air   soucieux,  renvoie  sa   servante,  et, 
confiant  dans  les  ténèbres  qui  l'entourent,  il  pense 
à  faire  disparaître  les  traces  de  son  détestable  crime. 
11  prend  le  cadavre,  le  charge  sur  son  dos,  se  dirige 
vers  le  Pihône  pour  l'y  précipiter,  afin  d'établir  ainsi 
la  croyance  qu'elle  s'y  est  jetée  d'elle-même;  mais  le 
voyage  est  trop  long  et  le  fardeau    trop  lourd;  ses 
forces  s'épuisent,  son  esprit   se  trouble  :  dans  son 
égarement ,  il  met  eu  pièces  le  cadavre  pour  le  porter 
])his  aisément,  et  cependant  il  n'a  pas  la  patience 
de  le   transporter  jusqu'au  fleuve.    Peut-être  crai- 
gnait-il le  retour  de  la  lumière.  Empressé  de  fuir,  il 
plonge  les  tristes  restes  de  sa  victime  dans  un  tor- 
rent voisin,  et  rentre  au  presbytère. 

Cette  femme  étant  disparue,  son  mari  et  les  ha- 
bitans  de  la  commune  se  livrent  à  des  conjectures 
et  font  des^  recherches.  On  parcourt  en  vain  les  com- 
munes voisines,  ou  interroge  en  vain  les  amis  et  les 
parens  :  personne  ne  sait  deviner  un  sort  si  malheu- 
reux. Cependant,  à  la  place  où  la  victime  avait  été 
écartelée,  on  trouve  du  sang,  de  la  chair,  et  un  cou- 
teau que  l'on  savait  appartenir  à  7*Iingrat.  Quelques 
jours  après,  on  découvre  les  différentes  parties  du 
cadavre,  que  les  eaux  trop   basses  du  torrent  n'a- 


(  382  ) 

vaiciit  pas  pu  cmporler  daiis  le  Rliùnc.  Le  crime 
était  évident;  les  pins  terrJl)les  indices  s'élevaient 
contre  l'indigne  ministre.  Bientôt  une  lumière  af- 
freuse est  répandue  sur  un  fait  si  alîreux.  Mingrat, 
bien  averti  parle  cri  de  sa  conscience,  et  par  cjuel- 
ques  personnes  cpii  crurent  peiit-èlre  rendre  un  ser- 
vice à  la  religion  en  erapècliant  le  châtiment  de  ce 
scélérat,  se  hâta  de  chercher  un  refuge  en  Savoie , 
où  il  vit  encore  à  l'abri  des  coups  de  la  justice. 

Après  celte  horreur,  après  des  faits  si  scandaleux, 
si  destructifs  de  toute  morale  et  de  toute  religion , 
faut-il  encore  que  je  m'arrête  pour  vous  parler  des 
Molitor,  des  Contratatto,  des  Sieflfrid,  et  de  tant 
d'autres  dont  les  feuilles  publiques  nous  révèlent 
tous  les  jours  les  indignes  menées?  Le  premier  s'est 
rendu  coupable  d'un  crime  de  la  même  nature  que 
celui  de  Mingrat,  sans  toutefois  avoir  arraché  la  vie 
à  l'objet  de  son  exécrable  brutalité.  Le  second  a 
honteusement  abusé  de  l'innocence  et  de  la  faiblesse 
d'un  enfant  de  cinq  ans  ,  et  fait  regretter  que  les  lois 
n'aient  pas  donné  aux  juges  le  pouvoir  de  condam- 
ner quelques  coupables  à  être  enfermés  à  Charenton. 
Le  troisième  a  essayé  de  séduire  et  de  corrompre 
plusieurs  demoiselles  en  bas  âge  qu'on  lui  avait  con- 
fiées pour  qu'il  achevât  leur  éducation  religieuse. 

11  est  pénible  de  réveiller  le  souvenir  de  ces  atro- 
cités; mais  ne  faut-il  pas  faire  sentir  à  un  malade 
combien  grand  est  le  danger  dans  lequel  il  se  trouve. 


(  383  ) 

lorsqu'il  refuse  de  prendre  les  médicaraens  qui  seuls 
peuvent  conserver  sa  santé  et  son  existence?  Je  sais 
(|u'il  en  a  été  de  même  dans  tous  les  temps,  depuis 
Grégoire  VII  jusqu'à  nous  ;  je  sais  que  la  réforme 
de  LiUlier  et  de  Calvin  tira  de  ces  horreurs  ses  forces 
principales;  je  sais  que  les  mœurs  publiques  et  la 
religion  ont  reçu  du  célibat  les  plus  cruelles  at- 
teintes; je  le  sais,  et  cela  seul  aurait  sulîi  pour  me 
déterminer  à  prendre  la  plume.  Combien  plus  grave 
et  |)lus  imminent  est  aujourd'liui  le  danger!  Alors 
il  n'y  avait  pas  de  journaux,  pas  de  publicité,  pas  de 
lois  civiles,  pour  réprimer  la  licence  des  ecclésias- 
tiques et  donner  l'éveil  à  l'opinion.  Tout  se  passait 
dans  les  ténèbres.  Si  la  faute  était  légère,  on  se  bor- 
nait à  faire  changer  le  religieux  de  résidence,  A 
quelques  lieues  de  son  village ,  on  ignorait  son  nom 
et  sa  conduite.  Si  le  crime  était  impardonnable,  on 
l'enfermait  arbitrairement  dans  un  cachot  religieux  : 
il  disparaissait  sans  que  le  public  sût  ce  qu'il  était  de- 
venu ,  ou  pourquoi  on- l'avait  privé  de  la  liberté. 
Aujourd'hui  tout  a  changé  de  face;  la  vive  lumière 
delà  publicité  pénètre  dans  les  réduits  même  les  plus 
obscurs.  Si  un  crime  est  commis,  dix  jours  après, 
quinze  au  plus  tard,  toute  la  France  en  est  instruite. 
Les  coupables  sont  jugés  par  de»  tribunaux  impar- 
tiaux, qui  frappent  du  même  glaive  les  citoyens  de 
toutes  les  conditions  et  de  tous  les  états.  Chaque  ac- 
cusation flétrit  le  clergé  en  masse,  chaque  condam- 


(  384  ) 
nation  le  finpj)c  à  moi  t.  Il  est  sollduire,  il  est  res- 
])onsable  des  fautes  de  ses  nieiidjres. 

Tous  les  jours  des  faits  do  plus  en  plus  nombreux 
démontrent  que  nous  ne  sommes  pas  plus  que  les 
autres  hommes  au-dessus  des  faiblesses  de  l'huma- 
nité; que  les  passions  nous  subjuguent,  nous  entraî- 
nent malgré  nous;  que  les  vètemens  sacrés  dont 
nous  nous  parons  ne  nous  mettent  pas  à  l'abri  des 
atteintes  d'un  vice  inhérent  à  notre  nature.  Les 
fautes  dont  nousnous  rendons  coupables  vont  éloigner 
de  nous  la  confiance  <lc  nos  concitoyens:  les  maris, 
les  pères  de  famille,  craindront  notre  abord;  les 
portes  de  nos  sages  paroissiens  nous  seront  fermées  ; 
par  degré  les  tribunaux  de  la  pénitence  seront  aban- 
donnés, les  églises  désertes.  Quel  bien  pourrons- 
nous  faire  alors?  Que  deviendra  la  religion  et  la 
morale?  Si  ces  prédictions  vous  semblent  des  rêves, 
voyez  ce  qui  s'est  passé  depuis  cinquante  ans;  exa- 
minez la  tendance  des  esprits  de  notre  époque,  les 
moyens  de  répression  qui  sont  en  notre  pouvoir,  ceux 
beaucoup  plus  puissans  de  la  société,  qui  marche 
vers  un  plus  heureux  avenir:  après  cet  examen, 
vous  serez  peut-être  de  mon  avis. 

Chaque  siècle  a  ses  opinions,  ses  préjugés,  ses  be- 
soins. Le  célibat,  dans  son  origine,  a  été  une  néces- 
sité, une  suite,  une  conséquence  naturelle  de  quel- 
ques principes  philosophiques  dont  la  religion 
s'empara  avec  avantage.  Il   est  désastreux   aujour- 


(  385  ) 

d'hui;  la  philosophie  et  la  morale  le  condamnent  et 
le  repoussent.  Alors  il  nous  attirait  l'admiration  et  le 
respect  des  peuples;  maintenant  il  provoque  la  dé- 
fiance et  le  mépris.  Le  fanatisme,  cette  chaleur,  cette 
exaltation  qui  accompagnent  toujours  l'établissement 
d'un  nouveau  culte,  prêtaient  aux  ministres  des 
premiers  temps  une  force  et  une  énergie  que  nous 
prétendrions  en  vain  reprendre.  Tout  change  autour 
de  nous;  nous  changeons  nous-mêmes  sans  nous  en 
apercevoir.  Pourquoi  conserver  dans  l'âge  mur  des 
institutions  et  des  disciplines  qui  ne  sont  faites  que 
pour  l'enfance?  Les  mœurs,  les  principes,  les  lois  de 
la  nation  sont  changés;  changeons  aussi,  pour  nous 
conformer  à  la  marche  de  la  société,  et  afin  d'être 
plus  utiles  à  nous-mêmes  et  à  nos  concitoyens,  chan- 
geons celles  de  nos  disciplines  religieuses  qui  ne  sont 
plus  en  rapport  avec  les  mœurs  actuelles.  Le  célibat 
paraissait  avantageux ,  nous  l'avons  établi  :  il  est 
aujourdiiui  prouvé  qu'il  est  nuisible,  abandonnons- 
le.  Profitons  de  l'expérience  des  siècles  :  prenons  de 
bon  gré,  en  gens  qui  préfèrent  le  bien  de  la  patrie  et 
de  la  religion  à  toute  chose,  une  mesure  sage  que 
l'on  pourrait  peut-être  bientôt  nous  contraindre 
d'adopter. 


2:) 


(  386  ) 

WV^WVWWV  W\^^*VVV>»'\\\i»«IVVVVVVVVVVVVV\A(VVVVVVV»VVVVV<««>AA*VVrt\VVVVVVW\*VVVV\/VVVVV\\lW 

CHAPITRE  V. 

Résultat  heureux  du  mariage  des  ecclésiastiques. 

J'ai  déjà  parlé  de  l'influence  heureuse  qu'exercerait 
sur  la  pureté  des  mœurs  l'union  du  mariage  aux 
fonctions  sacerdotales  :  examinons  maintenant  les 
autres  avantages  qui  en  résulteraient. 

Un  prêtre  ne  pourrait  manquer  d'être  bon  mari. 
La  morale  divine  qu'il  enseigne  lui  en  inspirerait  le 
devoir,  la  surveillance  aclive  de  l'opinion  lui  en  ferait 
une  nécessité;  la  nature  ne  lui  demanderait  rien 
qu'il  ne  pût  obtenir  par  de  légitimes  moyens  :  qui 
pourrait  donc  le  porter  à  violer  les  lois ,  hors  de  chez 
lui  ou  dans  le  sein  de  sa  famille  ? 

Sa  femme  aurait  les  mêmes  motifs  de  tenir  une 
conduite  digne  de  son  état,  honorable  pour  son 
époux,  et  propre  à  entraîner  les  suffrages  et  la  bien- 
veillance de  ses  concitoyens.  Son  propre  bonheur 
et  celui  de  ses  enfans  seraient  le  fruit  de  la  régularité 
de  sa  vie  ;  les  conseils  et  les  exemples  de  son  époux 
lui  rendraient  plus  facile  l'exercice  de  toutes  les 
vertus  civiles  et  religieuses. 

Leurs  enfans  seraient  nécessairement  bien  élevés. 
Le  ministre  les  formerait  aux  sentimens  de  la  cha- 


(387) 

rite  chrdtienne  j  il  graverait  dans  leur  esprit  les  pré- 
ceptes divins  de  V Evangile;  il  leur  apprendrait  de 
bonne  heure  à  les  suivre  fidèlement;  il  leur  donne- 
rait une  éducation  conforme  à  leur  état,  et  ils  devien- 
draient des  citoyens  estimables  et  utiles. 

Les  familles  des  ecclésiastiques  seraient  donc  heu- 
reuses. Quelle  masse  de  bonlieur  de  plus  pour  la 
nation!  La  France  pourrait  avoir  à  peu  près  cent 
mille  ecclésiastiques  :  cela  ferait  cent  mille  familles 
heureuses!  plus  de  cinq  cent  mille  individus! 

La  population  du  royaume  en  deviendrait  Ijien- 
lôt  plus  considérable.  Cent  mille  familles  de  plus 
donneraient  plus  de  dix  mille  individus  de  plus  par 
an  ,  et  au-delà  d'un  million  dans  cent  ans  (i). 

L'industrie,  et  avec  l'industrie  les  revenus  de  l'E- 
tat, croîtraient  dans  la  même  proportion.  Des  publi- 
cistes  ont  supputé  que  chaque  individu,  par  le  fait 
même  de  son  existence,  fait  entrer  dans  le  trésor  pu- 
blic une  somme  à  peu  près  égale  à  200  fr.  Un  million 
d'individus,  suivant  ce  calcul,  rapporteraient  donc 
dans  les  caisses  de  l'Etat  environ  deux  cent  millions 
de  francs. 

Outre  cette  masse  de  biens  directs  résultant  du 
mariage  des  ecclésiastiques,  il  y  en  aurait  d'autres 
qui   seraient  peut-être    encore   plus   considérables. 


(i)  Ces  réflexions  sont  de  l'abbe  de  Saint-Pierre. 


(  388  ) 

Imaginez- vous  combien  l'heureux  ménage  du  mi- 
nistre des  autels  fixerait  les  regards  de  ses  parois- 
siens, surtout  dans  les  campagnes.  Sa  famille  serait 
un  modèle  que  chacun  se  proposerait  d'imiter  :  la 
douceur  de  sa  femme,  la  docilité,  la  propreté,  l'in- 
dustrie de  ses  enfans,  seraient  un  objet  d'émulation. 
Et  combien  n'en  deviendrait-il  pas  meilleur,  le 
ministre  lui-même  ?  Aujourd'hui  le  prêtre  de  la  re- 
ligion catholique,  n'étant  pas  attaché  au  corps  social 
par  le  plus  doux  et  le  plus  fort  de  tous  les  liens,  l'amour 
conjugal  et  la  tendresse  paternelle,  a  presque  une 
existence  à  part  au  milieu  de  ses  concitoyens.  Il 
se  crée  d'autres  intérêts  et  d'autres  devoirs.  Il  s'a- 
larme facilement  :  il  est  prêt  à  se  liguer  avec  qui- 
conque peut  lui  donner  l'espérance  de  maintenir 
ou  de  rétablir  un  ordre  de  choses  qui  lui  assure 
ou  qui  lui  restitue  un  pouvoir  qui  est  l'objet  de 
toute  son  ambition.  De  là ,  il  s'oppose  aux  amé- 
liorations sociales  ;  il  a  son  cœur  fermé  aux  nobles 
sentimens  de  liberté  et  d'indépendance.  Gémissant 
sous  le  joug  des  préjugés  religieux  et  des  vétil- 
leuses lois  de  l'église,  peu  lui  importe  que  ses  sem- 
blables gémissent  sous  celui  de  l'autorité  civile. 
Il  lui  prête  son  appui,  si  elle  le  réclame.  Il  se 
livre  au  sentiment  d'un  égoïsme  exclusif;  il  sa- 
crifie tout  à  l'esprit  de  parti  et  de  système.  Faites- 
le  époux ,  faites-le  père ,  et  voyez  les  changemens 
heureux    qui  se  font  dans    sou  cœur.  Il  est  père. 


(389) 
il  aime  ses  fils  par-dessus  tout  ;  il  veut  avant 
tout  leur  bonheur.  Il  sait  que  les  libertés  publiques 
sont  le  premier  des  biens;  il  ne  se  joint  donc 
plus  à  ceux  qui  voudraient  en  dépouiller  ses  en- 
fans.  Il  connaît  combien  l'ignorance  est  fatale,  com- 
bien est  funeste  un  faux  savoir  ;  il  désire  que  ses  en- 
fans  soient  éclairés  :  peut-il  ne  pas  se  déclarer  contre 
tous  les  systèmes  de  l'obscurantisme?  Les  devoirs 
du  citoyen  deviennent  pour  lui  les  plus  essentiels 
des  devoirs.  La  douce  influence  des  sentimens  de 
la  nature  l'attache  à  sa  patrie  et  à  ses  concitoyens; 
il  sent  comme  ils  sentent,  il  aime  ce  qu'ils  aiment, 
il  veut  ce  qu'ils  veulent.  11  devient  humain ,  doux, 
compatissant.  L'égoïsme  est  à  jamais  banni  de  son 
cœur  :  éclairé  et  père  de  famille ,  il  met  en  pra- 
tique les  principes  d'une  charité  universelle,  qui 
lui  concilie  toutes  les  âmes  et  Je  rend  l'idole  de 
ceux  qui  le  connaissent.  C'est  alors  qu'il  serait  véri- 
tablement le  ministre  d'un  évangile  de  paix  et  de 
miséricorde. 

Oh  !  si  l'on  avait  des  ministres  placés  dans  cette 
heureuse  position,  que  l'on  verrait  de  querelles  de 
moins!  Combien  peu  il  se  commettrait  de  crimes 
et  s'intenterait  de  procès  !  La  nation  sacrifie  des 
sommes  immenses  pour  avoir  des  yeux  vigilans 
partout  :  l'action  de  la  police  ne  peut  que  se  con- 
centrer dans  les  villes  ;  elle  se  borne  aux  me- 
naces ;     au    lieu    d'employer    les    conseils    et     la 


(  390) 
douceur ,  au  lieu  de  pc^rler  au  cœur  et  de  calmer 
les  haines,  elle  déploie  l'appareil  de  la  force  et  les 
irrite  ;  plutôt  que  d'arrêter  la  main  du  criminel , 
elle  lui  tend ,  pour  ainsi  dire  des  pièges ,  et  ne 
le  saisit  que  pour  le  livrer  à  la  justice  et  pour 
le  perdre. 

Au  contraire,  les  ministres  de  V Évangile  se  trou- 
vant répandus  dans  toutes  les  campagnes,  con- 
naissant les  rapports  de  tous  leurs  paroissiens , 
devinant  les  querelles ,  jouissant  d'une  considération 
et  d'une  estime  générale,  pourraient  sans  éclat, 
sans  scandale,  sans  coaction,  prévenir  une  grande 
partie  des  crimes  et  des  procès  dont  retentissent  si 
souvent  les  tribunaux.  Leur  voix  respectée ,  leur 
douceur  et  leurs  conseils  désarmeraient  les  passions 
et  concilieraient  les  cœurs  (i). 


(i)  J'ai  connu  un  curé  des  environs  de  Lyon  qui  assis- 
tait aux  marchés,  et  se  mêlait  des  ventes,  afin  de  prévenir 
les  disputes.  Toutes  contestations  d'intérêt  lui  étaient  sou- 
mises et  il  prononçait  en  dernier  ressort  ;  il  était  fort  rare 
que  l'on  appelât  de  son  jugement.  Tous  les  dimanches,  à 
l'issue  des  offices,  ce  vénérable  pasteur  se  rendait  à  la  porte 
du  presbytère  où  se  tenait  la  danse j  là  il  s'asseyait,  jetait 
un  coup  d'œil  sur  les  jeunes  gens  de  l'un  et  de  l'autre  sexe. 
S'il  s'apercevait  de  l'absence  d'une  jeune  fille ,  il  allait  aus- 
sitôt s'informer  auprès  des  parens  du  motif  de  sa  dispari- 
tion ,  des  lieux  où  elle  s'était  rendue  et  par  qui  elle  était 
accompagnée.  C'était  ce  bon  curé  qui  formait  les  unions  et 


(  39.  ) 

Isolés  aujourd'hui  au  milieu  de  leurs  parois- 
siens, par  les  principes  de  la  hiérarchie  roiîiaine, 
ils  sont  loin  de  pouvoir  exercer  une  si  salutaire  in- 
fluence. Le  soupçon,  la  plupart  du  temps  fondé, 
de  relâchement,  en  ce  qui  tient  au  célibat,  diminue 
la  considération  qu'on  aurait  pour  eux.  L'esprit  de 
corps,  les  intrigues  auxquelles  ils  se  livrent  pour 
s'emparer  du  pouvoir  et  des  richesses,  font  naître 
dans  tous  les  cœurs  la  crainte  et  la  défiance  (i). 

Le  clergé  catholique,  tant  régulier  que  séculier, 
a  oflfert,  dans  tous  les  siècles,  des  exemples  frap- 


qui  se  chargeait  de  faire  la  demande  en  mariage;  il  était 
l'arbitre  des  familles ,  le  père  de  ses  paroissiens ,  le  protec- 
teur des  orphelins  et  la  consolation  des  pauvres.  Cet  excel- 
lent homme  avait  eu  une  jeunesse  très  fougueuse  ;  il  avait 
séduit  une  fille  qu'il  rendit  mère  trois  fois.  Après  quelques 
années,  il  fit  venir  sa  femme  et  ses  enfans  près  de  lui;  et, 
pour  expiation  de  ce  qu'il  appelait  sa  faute,  il  adopta  trois 
jeunes  orphelins  qu'il  éleva  comme  les  siens  propi'es  et  aux- 
quels il  fit  apprendre  des  états.  Cet  homme  vertueux  était 
adoré  de  ses  paroissiens,  chéri  et  vénéré  dans  tout  le  voisi- 
nage. Aussi  venait-on  souvent  le  consulter  de  fort  loin  au 
sujet  d'un  procès  ou  de  toute  autre  contestation.  Comme  il 
ne  voulait  jamais  rien  accepter,  ses  cliens  jetaient  des  poules, 
du  gibier,  du  linge  dans  sa  cour.  Quant  à  l'argent,  on  le 
déposait  dans  le  tronc  des  pauvres. 

(i)  C'est  l'opinion  générale.  Est-ce  un  fait?  le  lecteur  n'a 
qu'à  consulter  sa  mémoire. 


(392) 
pans  d'une  vertu  sublime.  Certes  il  ne  peut  rien 
y  avoir  de  supérieur  aux  tendres  sentimens  et  à 
la  charité  céleste  d'un  Saint-Vincent-de-Paule  et 
d'un  Fénéion.  Notre  clergé  compte-  aujourd'hui 
même  dans  son  sein  beaucoup  d'ecclésiastiques, 
dignes  ministres  de  V Évangile ^  qui  contribuent  puis- 
samment au  bonheur  des  populations  au  milieu  des- 
quelles la  providence  les  a  placés.  Mais  ces  excep- 
tions rares  ne  détruisent  point  la  règle  générale  j 
il  est  des  êtres  privilégiés,  qui  savent  se  frayer  un 
chemin  à  la  vertu,  malgré  tous  les  obstacles  que 
de  mauvaises  lois  leur  opposent,  comme  il  y  a  des 
génies  transcendans  qui  parviennent  à  la  décou- 
verte de  la  vérité  à  travers  toutes  les  entraves  des 
mauvais  systèmes.  La  charité  chrétienne  a  eu  ses 
Galilée  et  ses  Descartes. 

Je  ne  prétends  pas  non  plus  faire  aux  ecclésias- 
tiques un  reproche  qu'ils  ne  méritent  pas.  S'ils  ne 
font  pas  ce  que  le  bien  des  hommes  et  de  la  re- 
ligion peuvent  désirer,  la  faute  n'en  est  pas  à  eux; 
ils  n'ont  pas  fait  les  mauvaises  institutions  qui  leur 
rendent  difficile  l'exercice  de  la  vertu.  Abolissez-les, 
rendez  ces  hommes  aux  sentimens  de  la  nature  j 
ôtez  de  devant  eux  les  obstacles  qui  les  arrêtent, 
et  les  détournent  du  chemin  de  leurs  devoirs,  et  ils 
deviendront  citoyens  vertueux,  utiles  aux  fidèles, 
utiles  à  l'État,  dignes  ministres  d'un  Dieu  de  bonté 
et  de  miséricorde.  Ne  cherchez  pas  des  dieux  dans 


(393) 
l'espèce  humaine  :  tous  les  hommes  sont  sujets  aux 
mêmes  besoins  et  aux  mêmes  faiblesses. 

W\M«W%VW  «x-VWVVWWVWVWVkWWWWVWVWWVWVVVWWWWVWWVrt  VV\WVVV\WV\V\'V  vv%vwvvv* 

CHAPITRE  VI. 

Le  prêtre  père  de  famille    ne  négligerait  pas  les 
intérêts  de   la  religion. 

Lorsque  le  czar  Pierre-le-Grand  visitait  la  France, 
il  fut  étonné,  dit- on  ,  qu'un  état  où  il  y  avait 
tant  de  bonnes  choses,  tant  d'institutions  si  sages, 
des  mœurs  si  douces ,  une  si  parfaite  urbanité , 
conservât  une  loi  si  barbare  et  si  funeste  au  bien 
public  que  l'obligation  de  la  continence  pour  les 
ministres  de  la  religion.  Ce  prince  ne  croyait  pas 
que  le  mariage  des  ecclésiastiques  pût  nuire  au 
service  des  autels.  Ayant  vu  les  prêtres  de  l'église 
russe  reuiplir  tous  leurs  devoirs  de  prêtres  dans  l'in- 
térieur du  temple,  satisfaire  exactement  à  tous  les 
besoins  religieux  des  fidèles,  et  pourvoir  aux  né- 
cessités de  leurs  familles,  entretenir  des  femmes 
honnêtes  et  vertueuses ,  donner  et  élever  des  en- 
fans  à  leur  patrie,  Pierre-le-Grand  était  intime- 
ment persuadé  que  les  soins  du  ménage  ne  détour- 
neraient pas  les  ecclésiastiques  des  fonctions  de  leur 
ministère. 


(  394  ) 

Si  l'opinion  de  ce  grand  monarque  ne  déter- 
minait pas  notre  conviction,  l'exemple  des  ministres 
protestans,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  ne  de- 
vrait laisser  lieu  à  aucun  doute.  Pour  eux,  les  soins 
de  la  famille  ne  préjudicient  pas  au  service  des 
autels  ,  et  réciproquement  le  service  des  autels  ne 
nuit  point  aux  soins  qu'ils  doivent  à  leurs  familles. 
Pourquoi  ne  pourrions-nous  pas  être  aussi  actifs 
et  aussi  vigilans  qu'eux  ?  Une  telle  supposition  se- 
rait injurieuse  et  injuste  ;  ce  n'est  pas  l'activité 
qui  manque  aux  ministres  du  culte  catholique, 
bien  s'en    faut. 

((  Celui-là  même  qui  n'a  pas  une  famille  sou- 
))  tient  une  famille.  »  Tel  est  un  proverbe  populaire 
qui  a  été  fait  pour  les  prêtres,  ou  qui  leur  est  juste- 
ment applicable.  Il  n'existe  qu'un  petit  nombre 
d'ecclésiastiques  qui  ne  pourvoient  à  la  subsistance 
de  plusieurs  individus.  Ont-ils  des  bénéfices  ?  une 
sœur  ou  une  belle- sœur,  des  neveux,  des  nièces, 
des  servantes  viennent  se  ranger  autour  d'eux,  les 
assiéger,  les  presser;  et  ils  s'occupent  de  leurs  pa- 
reus  avec  l'attention  scrupuleuse  du  plus  diligent 
des  pères.  Restent-ils  sous  le  toit  paternel  ?  ils  vi- 
vent en  communauté  dans  la  famille  de  leurs  frères 
ou  de  leurs  sœurs,  et  ils  contribuent  activement 
à  l'entretien  et  à  l'éducation  de  leurs  collatéraux. 
Changent-ils  de  domicile  ?  vont-ils  se  fixer  dans 
des  provinces  éloignées ,    même  sur  la  terre  étran- 


(  395  ) 

gère?  ils  s'altacheut  presque  toujouris  à  une  famille  et 
en  ont  le  plus  grand  soin.  Je  suis  loin  de  les  blâ- 
mer :  mieux  vaut  mille  fois  contribuer  au  bonheur 
de  quelqu'un,  que  de  vivre  dans  la  fainéantise  et 
dans  un  stupide  repos.  Gela  même  prouve  qu'ils 
pourraient  avoir  une  famille  à  eux,  sans  que  le  ser- 
vice des  autels  en  souflVit. 

Chez  les  Hébreux,  presque  tous  les  lévites,  et 
le  souverain  pontife  lui-même,  avaient  une  femme 
et  des  enfans;  le  prince  des  apôtres  ,  les  premiers 
ministres  de  notre  religion,  étaient  époux  et  pères. 
Les  ministres  de  l'éi^lise  grecque  peuvent  être  ma- 
riés, ceux  du  culte  protestant  se  font  uu  devoir 
d'élever  une  famille  :  voit-on  que  le  service  de 
leurs  autels  ait  jamais  été  ou  soit  négligé?  Plu- 
sieurs de  nos  pontifes  ont  eu  des  enfans  et  des  maî- 
tresses, dont  ils  s'occupaient  avec  assiduité  et  at- 
tention j  plusieurs  ont  porté  la  fureur  du  népo- 
tisme au  plus  haut  point;  le  temple  de  Saint-Jean 
ou  celui  de  Saint -Pierre  étaient- ils  privés  de  leurs 
solennités  ? 

Qu'on  ne  croie  pas  qu'un  ministre  des  autels 
reste  du  matin  au  soir  renfermé  dans  l'Intérieur 
du  temple ,  ou  occupé  de  ses  devoirs  de  prêtre.  En 
admettant  même  qu'il  remplisse  avec  une  scrupu- 
leuse exactitude  toutes  les  cérémonies  qui  sont  por- 
tées dans  son  calendrier,  qu'il  célèbre  tous  les 
jours  le   saint   sacrifice,   et  qu'il  recite    les    heures 


(396) 

canoniques,  il  lui  reste  encore  du  temps  pour  va- 
quer aux  occupations  de  la  famille.  Si  c'est  un  curé, 
un  vicaire,  un  chanoine,  un  évéque  ou  un  pape, 
il  ne  doit  avoir  d'autre  affaire  que  celle  de  son  em- 
ploi ,  dans  lequel  il  trouve  de  quoi  pourvoir  à  la 
subsistance  de  sa  famille.  J'ai  connu  dans  les  cam- 
pagnes de  nos  provinces  beaucoup  de  desservans , 
qui,  outre  les  devoirs  de  leur  ministère,  dictaient 
toutes  les  délibérations  des  conseils  municipaux , 
rédigeaient  la  correspondance  des  maires ,  réglaient 
tout  ce  qui  touchait  aux  intérêts  publics  de  l'en- 
droit,  visitaient  exactement  toutes  les  foires  du  voi- 
sinage, y  vendaient,  y  achetaient,  y  animaient 
le  commerce  par  leur  industrie  et  par  leur  exemple. 
Si  les  curés  ne  se  livrent  pas  au  même  genre  de 
spéculations,  et  s'ils  n'exercent  pas  une  influence 
si  étendue  dans  les  villes,  ils  ne  s'y  occupent  pas 
moins  de  choses  étrangères  au  service  des  autels  : 
on  n'en  a  que  trop  de  preuves  (i)  ! 


(i)  Dans  un  voyage  que  je  fis  en  Normandie,  en  1808,  je 
visitai  plusieurs  cure's  de  villages  ;  tous  exerçaient  des  pro- 
fessions à  cause  de  la  modicité  de  leurs  traitemens.  Quel- 
ques-uns e'taient  pe'pinie'ristes ,  d'autres  fabriquaient  des 
sabots  qu'ils  allaient  vendre  dans  les  foires;  d'autres  ache- 
taient le  lait  des  petits  propriétaires,  le  convertissaient  en 
beurre  et  allaient  le  vendre  au  marché  de  Gournai.  J'ai 
logé  chez  un  curé  qui  élevait  et  engraissait  des  bestiaux  ;  un 


(397  ) 

VVV\A/V\(\VVVVVVVVVVVVx\VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVfcVV\VVV\(VVV\\VVVV^ 

CHAPITRE  Yll. 

Le  mariage  des  preLres  ne  coûterait  rien  à  VËtat. 

Rien  ne  s'oppose  au  mariage  des  prêtres  :  Dieu 
l'a  ordonné,  Jésus- Christ  ne  l'a  pas  défendu,  la 
/  raison  et  l'expérience  nous  le  conseillent.  Mais 
comment  pourraient  fournir  de  la  subsistance  à  leur 
famille  les  ecclésiastiques  à  qui  la  fortune  n'aurait 
pas  été  prodigue  de  ses  faveurs?  Faut-il  surcharger 
l'État  d'une  dépense  énorme?  Faut-il  fermer  l'accès 
des  autels  aux  familles  peu  fortunées? 

Les  prêtres  mariés  se  diviseraient  en  deux  classes, 
les  bénéficiers  et  les  non-bénéficiers ,  ceux  qui  au- 
raient un  emploi  ecclésiastique  et  ceux  qui  n'en 
auraient  point.  L'Etat  n'aurait  aucune  obligation 
envers  les  derniers  j  la  loi  les  mettrait  dans  la  ca- 
tégorie des  autres  citoyens;  Us  penseraient  à  eux- 
mêmes  avant  le  mariage  et  après. 


autre  vendait  des  instruraens  aratoires;  enfin  un  autre  te- 
nait un  pensionnat  de  jeunes  gens,  etc. 


(398) 
Les  conciles  avaient  déjà  établi  qu'aucun  ne  pour- 
rait être  promu  aux  ordres  sacrés ,  qu'il  ne  se  fût 
auparavant  constitué,  par  un  titre  authentique  et 
irrévocable,  un  patrimoine  dont  le  revenu  serait 
jugé  suffisant  pour  assurer  sa  subsistance.  Nos  lois 
ont  fixé  ce  revenu  à  3oo  francs.  Voilà  un  fonds 
nécessaire  pour  être  admis  au  ministère  des  au- 
tels. 

Lorsque  le  mariage  sera  permis  aux  ecclésias- 
tiques, il  me  paraît  que  ce  principe  très  snge  de- 
vrait être  étendu  aux  femmes  qu'ils  choisiront  pour 
leurs  épouses.  Dans  le  mariage ,  tout  doit  être  com- 
mun,  les  jouissances  aussi  bien  que  les  charges. 
La  femme  du  prêtre  devrait  donc  porter  dans  la 
communauté  conjugale  un  revenu  de  3oo  francs  égal 
à  celui  de  son  mari.  Pour  laisser  plus  de  latitude 
au  choix  de  l'ecclésiastique,  pour  l'autorisera  dis- 
tinguer et  à  couronner  la  vertu  dans  les  classes 
plus  malheureuses,  on  devrait  admettre  qu'à  dé- 
faut d'un  revenu  de  3oo  francs  de  la  part  de  la 
femme,  l'ecclésiastique  sera  tenu  de  prouver  qu'il 
possède  lui-même  un  revenu  de  600  francs,  si  la 
demoiselle  de  son  choix  n'a  rien ,  ou  un  revenu 
tel,  qu'ajouté  à  celui  de  son  épouse  il  forme  une 
somme  de  600  francs. 

Un  tel  règlement  ne  devrait  donner  lieu  à  au- 
cune réclamation  :  nos  mœurs  sont  déjà  préparées 
pour  l'accueillir   favorablement.  Les   officiers  sont 


(  399) 
obligés  de  prouver  à   l'autorité  supérieure  que  les 
femmes  qu'ils  demandent   d'épouser  leur  apportent 
une  dot  dont  le  minimum  est  fixé  par  la  loi. 

L'autorité  ecclésiastique,  et,  à  son  défaut,  l'au- 
torité civile,  devrait  veiller  à  ce  qu'il  ne  se  fasse 
des  promotions  trop  nombreuses.  Qu'il  y  ait  au- 
tant de  ministres  du  culte  qu'en  exigent  les  be- 
soins des  fidèles.  Le  double  en  sus  de  ceux  qui 
auraient  des  bénéfices  sufliraient  pour  remplir  les 
lacunes  que  produiraient  les  absences  nécessaires, 
les  maladies  et  la  mort.  La  France  ayant  à  peu 
près  quarante  mille  églises  à  desservir,  il  me  semble 
que  soixante  mille  ecclésiastiques  elTeclifs  seraient 
assez  pour  administrer  aux  fidèles  les  secours  de  la 
religion. 

Je  crois  que  si  l'on  permettait  aux  prêtres  de  se 
marier,  le  nombre  des  ecclésiastiques  se  proportion- 
nerait, sans  aucun  emploi  de  coaction  ou  même  de 
gêne,  au  strict  besoin  des  fidèles.  Qu'on  ne  croie  pas 
qu'une  vocation  sincère  et  irrésistible  entraîne  dans 
la  carrière  ecclésiastique  le  grand  nombre  d'indi- 
vidus que  nous  voyons  s'y  précipiter  aujourd'bui; 
la  plupart  y  sont  poussés  par  leurs  propres  parens, 
dans  l'espérance  d'augmenter  leur  fortune,  et  dans 
la  certitude  de  retrancher  un  membre  qui  gênerait 
la  famille.  C'est  une  branche  que  l'on  plie,  pour 
qu'elle  produise  plus  de  fruit;  ou  que  l'on  coupe, 
pour  que  les   autres  deviennent  plus   vigoureuses. 


(  4oo  ) 
Que  le  prêtre  puisse  lui-même  avoir  une  famille  et 
prendre  une  part  non  sujette  à  retour  dans  le  patri- 
moine commun ,  et  l'ardeur  religieuse  des  pères  va 
bientôt  se  refroidir.  Tant  mieux  pour  la  religion. 
L'église  serait  délivrée  de  ce  grand  nombre  de  mi- 
nistres parasites,  de  ces  terribles  diseurs  de  messes 
qui  encombrent  toutes  les  sacristies,  s'introduisent 
partout,  se  livrent  à  mille  spécidations  désliono- 
ranteset  déprécient  la  religion  dans  l'esprit  des  chré- 
tiens qui  ne  raisonnent  pas,  et  qui  attribuent  à  Ja 
prêtrise  les  fautes  dont  les  prêtres  se  rendent  cou- 
pables. 

Si  l'on  donne  à  la  France  quarante  mille  prêtres 
bénéficiers,  elle  aura  à  raison  d'à  peu  près  un  minis- 
tre pour  sept  cent  cinquante  individus,  les  calvinistes 
compris,  ou  bien  sept  cents  catholiques.  Or,  les  cas 
extraordinaires  exceptés,  quel  serait  le  ministre  qui 
ne  pourrait  suffire  au  moins  à  mille  individus?  Les 
préjugés  doivent  diminuer  à  mesure  que  les  lumières 
s'avanceront  et  que  le  clergé  sera  plus  instruit.  Peu 
à  peu  on  viendra  à  compter  plus  sur  sa  conduite  et 
sur  ses  prières  que  sur  celles  de  son  ministre  :  il  ne 
sera  appelé  que  dans  des  besoins  graves.  Entendre 
cinq  ou  six  cents  confessions,  faire  quinze  ou  vingt 
funérailles,  autant  de  baptêmes,  autant  de  mariages, 
administrer  trente  ou  quarante  personnes  dans  un 
an ,  ne  sont  pas  des  charges  qui  exigent  une  force 
plus  qu'humaine.  Il  y  a  des  ecclésiastiques  qui  savent 


(4o.  ) 

pourvoir   aux    besoins  de   <leux   et  même  de   tiois 
mille  chrétiens. 

Ce  qui  embarrasse  le  plus,  et  qui  force  l'Etat  à  des 
sacrifices  nécessaires ,  c'est  la  grande  dispersion  des 
habitans  de  la  campagne.  Plusieurs  villages  et  ha- 
meaux concourant  à  la  même  église,  et  les  prêtres  y 
étant  autorisés  à  céléi)rer  deux  messes  tous  les  jours 
de  fête,  il  n'v  aurait  que  peu  de  communes  où  un 
ministre  serait  nécessaire  pour  une  population  infé- 
rieure à  cinq  ou  sept  cents  individus:  par  compen- 
sation, dans  les  grandes  villes,  un  ministre  seul  pour- 
rait suffire  pour  trois  ou  quatre  mille  habitans. 

Beaucoup  de  communes  possèdent  encore  des  re- 
venus particuliers  affectés  aux  églises  ;  dans  quelques 
autres,  l'on  perçoit  des  contributions  pour  les 
chaises,  et  dans  les  quêtes;  dans  toutes,  des  droits 
pour  les  services  funèbres,  pour  les  mariages,  pour 
les  bénédictions,  ou  dans  le  temple,  ou  à  domicile. 
Yoilà  des  moyens  d'épargne  et  d'économie  pour  le 
trésor  public. 

Il  serait  à  souhaiter  que  les  ministres  des  autels 
pussent  être  largement  rétribués,  et  au-dessus  de 
tout  besoin.  11  faudrait,  non-seulement  leur  assurer 
une  existence  honnête,  mais  leur  fournir  même  les 
moyens  de  satisfaire  aux  devoirs  de  leur  état  et  aux 
vœux  de  leur  cœur,  en  leur  allouant  des  fonds  pour 
distribuer  aux  individus  et  aux  familles  malheu- 
reuses. Toutefois,  il  ne  faut  pas  que  ces  considéra- 

26 


(402    ) 

tions  portent  l'État  à  se  surcharger  d'un  fardeiiu  in- 
supportable; il  ne  serait  ni  juste  ni  utile  de  dépouiller 
le  pauvre  des  fruits  de  ses  sueurs,  et  de  gêner,  ou 
mêmed'arrêler  le  développement  de  l'industrie,  dans 
l'intention  de  donner  beaucoup  d'éclat  à  la  re- 
ligion. 

Je  suis  d'avis  que  si  l'autorité  veille  à  ce  que  les 
ecclésiastiques  aussi  bien  que  leurs  femmes  aient, 
avant  de  contracter  mariage,  un  revenu  sûr  de 
600  fr.  annuels,  les  familles  des  bénéficiers  de  l'é- 
glise pourront  vivre  dans  une  aisance  convenable, 
même  avec  le  modique  traitement  dont  ils  jouissent 
aujourd'hui.  Une  sage  économie  accroît  et  multiplie 
les  ressources.  Un  prêtre  est  naturellement  enclin 
aux  épargnes  et  à  la  frugalité;  sa  femme  et  ses  en- 
fans  ne  seraient  point  prodigues  :  leur  position  le» 
obligerait  à  une  conduite  qui  exclurait  les  folles  dé- 
penses; peu  suffirait  pour  satisfaire  à  leurs  besoins 
qu'un  luxe  coupable  n'augmenterait  pas. 

J'ai  déjà  dit  que,  même  actuellement,  il  n'y  a  que 
peu  d'ecclésiastiques  jouissant  d'un  bénéfice  qui  ne 
fournissent  à  l'entretien  de  quelque  famille.  Ceux 
qui  n'ont  personne  auprès  d'eux  envoient  conti- 
nuellement des  fonds  à  leurs  parens,  avec  injonction 
d'acheter  telle  ou  telle  autre  propriété  :  ils  amassent 
eux-mêmes  pour  l'avenir.  Us  feraient  subsister  à 
moins  de  frais  leurs  propres  familles. 

Les  juges  de  paix ,  les  juges  des  tribunaux  de  pre- 


(  4o3  ) 

mière  instance,  les  juges  auditeurs,  les  sous-lieute- 
nans,  les  lieutenans,  les  capitaines,  ne  sont  ijuèic 
mieux  partagés  que  les  ministres  des  autels,  et  ce- 
pendant ils  vivent  dans  l'aisance  avec  de  nombreuses 
familles.  Les  prêtres  catholiques  seraient-ils  les  seul^ 
sur  la  terre  qui  ne  pourraient  s'accommoder  à  une 
sage  économie?  La  condition  du  prêtre  est  même 
beaucoup  plus  avantageuse.  Les  officiers  civils  et  mi- 
litaires ne  retirent  de  leurs  emplois  d'autres  fruits 
que  le  traitement  qui  y  est  affecté;  tandis  que  ,  pour 
la  plupart  des  ministres  des  autels ,  la  dévotion  de 
leurs  paroissiens  est  une  mine  inépuisable  d'où 
viennent  à  tout  instant  des  offrandes  et  des  dons 
qui  ajoutent  à  leur  aisance. 

Une  vérité  généralement  sentie ,  c'est  que  la 
société  a  été  prodigue  de  ses  faveurs  envers  les 
plus  hauts  dignitaires  de  l'église,  tandis  qu'elle  n'a 
que  trop  négligé  les  rangs  inférieurs.  Là  on  nage 
dans  l'abondance,  ici  l'on  est  à  peine  au-dessus  de 
la  nécessité.  Les  évêques  ,  les  archevêques  et  les 
cardinaux  vivent  dans  la  pompe  et  dans  la  splen- 
deur des  rois;  les  vicaires  et  les  desservans  sont  con- 
damnés à  une  très  modeste  obscurité.  Pourquoi  cette 
inégalité,  ou  au  moins  pourquoi  cette  immense  dis- 
proportion de  fortune?  ce  n'est  pas  par  l'éclat  de  l'or 
et  par  le  faste  des  humaines  grandeurs  que  la  reli- 
gion peut  commander  le  respect  et  exciter  la  piété 
des  fidèles.  Lorsque  les  apôtres  attiraient  à  la  reli- 

26.. 


(  4<>i  ) 

gion  de  Jésus-Christ  les  flots  des  populations  éton- 
nées, se  promenaienl-lls,  au  milieu  de  la  foule,  sur 
des  chars  pompeux  ?  se  faisaient-ils  distinguer  par  le 
luxe  de  leurs  équipages,  la  splendeur  de  leurs  fes- 
tins, la  magnificence  de  leurs  palais?  Faut-il  que  cette 
religion  d'humanité  et  d'égalité,  dont  le  divin  fon- 
dateur appelait  du  nom  de  frères  les  derniers  des 
mortels,  établisse  dans  son  sein  une  hiérarchie  nom- 
breuse et  graduée  et  prenne  la  société  civile  pour 
modèle?  ]N'est-ce  pas  vouloir  donner  prise  aux  re- 
proches de  ceux  qui  regardent  un  culte  tout  céleste 
comme  un  instruinent  de  politique,  un  moyen  de 
domination  purement  humain,  ou  converti  à  des 
usages  purement  humains? 

Voulez -vous  exciter  la  piété?  commencez  par 
être  pieux  vous-même.  Youlez-vous  que  l'on  respecte 
la  religion  dont  vous  êtes  les  chefs?  rendez-vous 
vous-mêmes  respectables,  par  des  mœurs  sévères, 
par  une  douceur  évangélique  et  par  les  sentimens 
d'humanité  dont  notre  divin  rédempteur  vous  a 
donné  le  précepte  et  l'exemple.  Retranchez  tout  su- 
perflu, tout  luxe  de  vos  tables,  de  vos  meubles,  de 
vos  attelages,  même  de  la  solennité  des  cérémonies 
saintes.  Faites  refluer  ces  trésors  qui  viennent  s'amas- 
ser dans  vos  coffres,  sur  ceux  de  vos  frères  qui  par- 
tagent vos  travaux  ou  qui  seuls  travaillent  pour 
tous,  et  sur  ces  classes  industrielles  que  la  supers- 
tition prive  quelquefois  même  du  nécessaire,  pour 


(  4o5  ) 

que  vous  brilliez  au  milieu  de  toute  la  pompe  des 
vanités  humaines. 

Si  l'on  fait  une  plus  juste  répartition  des  fonds  que 
l'État  a  déjà  alloués,  ou  peut  facilement  allouer  au 
clergé,  tous  les  ecclésiastiques  employés  au  service 
des  autels  pourront  recevoir  un  traitement  conve- 
nable et  suffisant  pour  l'entretien  de  leurs  familles. 
La  France  n'en  a-t-elle  pas  des  exemples? 

Que  deviendraient  les  fils  des  ecclésiastiques  après 
la  mort  de  leurs  pères?  ce  que  deviennent  les  fds 
de  tous  les  employés  du  royaume  :  ils  hériteraient 
du  palrimoine  de  leurs  parensj  ils  resteraient  dans 
la  société  avec  tous  les  avantages  d'une  éducation 
soignée. 

Faudrait-il  assimiler  aux  enfans  des  hommes  de 
la  dernière  classe  ceux  des  hauts  dignitaires  de  l'é- 
glise, des  évéques,  des  archevêques  et  des  cardi- 
naux? Ils  se  trouveraient  dans  la  même  position  que 
les  fils  des  préfets,  des  chefs  de  la  magistrature,  des 
généraux,  des  maréchaux,  des  pairs  et  des  ministres 
du  Roi.  11  y  a  trop  d'analogie,  pour  que  l'Etat  ait 
à  craindre  aucun  reproche  d'injustice  s'il  ne  fait  une 
loi  exclusive  pour  le  clergé.  Pourquoi  toujours  des 
privilèges?  Tous  les  Français  sont  membres  de  la 
même  famillcj  tous  les  hommes  sont  fils  du  même 
père. 

Si  le  mariage  s'étendait  jusqu'au  premier  chef  de 
l'église,  quel  règlement  ferait-on  pour  les  enfans  des 


(4o6) 
j>apes?  Ils  régnent  sur  un  état  considérable;  ils  ont 
une  autorité  sans  contrôle.  Faut-il  que  les  fils  d'un 
souverain  légitime  redeviennent  simples  particuliers, 
après  avoir  été  assis  sur  les  marches  du  trône?  Le 
pape  est  un  prince  électif  et  à  vie;  il  ftuidrait  Lier? 
queues  enfans  fussent  soumis  à  la  force  des  institu- 
tions qui  déterminent  la  nature  et  l'étendue  de  la 
puissance  pontificale.  Les  fils  des  papes,  après  la 
mort  de  leurs  pères,  se  trouveraient  dans  le  même 
état  que  les  neveux  et  les  fils  des  anciens  pontifes, 
dont  il  est  parlé  avec  tant  de  détails  dans  l'histoire 
de  notre  vieille  Europe.  Les  fils  des  rois  de  Pologne 
succédaient-ils  de  droit  à  leurs  pères? 

Il  n'y  a  aucun  obstacle  qui  s'oppose  au  mariage 
des  prêtres  de  la  communion  romaine.  Le  préjugé 
populaire  favorable  à  la  continence  s'affaiblit  de  jour 
en  jour  (i);  l'Etat  ne  se  trouverait  pas  pour  cela 


(i)  J'ai  déjà  rapporté  qu'aucune  opposition  n'a  eu  lieu 
contre  le  mariage  des  prêtres  que  les  jugemens  de  quelques 
tribunaux  viennent  d'autoriser  en  France.  Voici  pour  l'é- 
tranger :  «  Le  9  de  ce  mois  (de  mai  1 828),  il  a  été  présenté  à 
»  la  seconde  Chambre  des  États  de  Bade  une  pétition  dans 
»  laquelle  les  pétitionnaires ,  au  nombre  de  vingt-trois  ins- 
»  tituteurs  ou  employés  civils,  demandeiat  l'abolition  du 
»  célibat  des  prêtres...  La  Chambre  s'est  déclarée  incompé- 
»  tente.  »  Quoi  qu'il  en  soit  de  la  résolution  de  la  Chambre, 
la  pétition  est  par  elle-même  un  fait  très  important.  (Ga- 
zelle des  Tribunaux,  du  26  mai  1828.) 


(4o7  ) 
dans  la  nécessité  de  créer  de  nouvelles  impositions; 
les  mœurs  deviendraient  plus  pures;  il  y  aurait  plus 
de  vertu,  plus  de  bonheur,  moins  de  scandale  et 
moins  de  crimes.  Pourquoi  ne  le  permet-on  pas? 
Est-ce  un  préjugé?  est-ce  une  erreur?  est-ce  un  in- 
térêt vif  et  puissant  qui  s'oppose  à  une  loi  si  sainte 
et  si  salutaire? 

C'WK/\'WVWWvV\.WVWVVWvVVW\'^W  VVVX'V\^^n\%\VVVVVVV\>VVV^'VVVVVVV^fVV\«V\\VVVVVVV\\V%VVVVVVV'VV 


CHAPITRE  YllI. 

Motifs  qui  portent  le  clergé  romain  à  refuser  le 
mariage  à  ses  membres. 

D'après  l'ensemble  des  faits  historiques  exposés 
dans  les  chapitres  précédens,  il  a  été  facile  d'appré- 
cier avec  justesse  les  motifs  qu'ont  eus  les  souverains 
pontifes  et  les  hauts  dignitaires  de  l'église  catholique 
de  faire  du  célibat  une  loi  inviolable  pour  tous  les 
clercs  engagés  dans  les  ordres  sacrés. 

En  les  énumérant,  nous  trouvons  en  première 
ligne  le  préjugé  commun,  l'opinion  de  la  sainteté 
du  célibat  qu'avaient  établie  des  doctrines  et  des 
exemples  antérieurs  au  christianisme,  dans  les  con- 
trées mêmes  où  il  a  eu  son  berceau;  le  dégoût  et  le 
scandale  d'une  corruption  alors  répandue  sur  toute 
la  face   du  monde    civilisé  ;   quelques  phrases    do 


(  4o8  ) 
VEvangile  détournées  de  leur  véritable  signiticalion 
par  la  fureur  d'un  fanatisme  insensé;  les  faux  actes 
et  les  fraudes  pieuses  que  la  simj)licité  des  premiers 
chrétiens  se  crut  en  droit  d'imaginer  et  dans  l'o- 
bligation d'admettre  sans  examen  ;  les  nombreux 
Evangiles;  les  nombreux  Actes  des  Apôtres^  les 
décisions  de  conciles  qui  ne  s'étaient  jamais  assem-- 
blés;  les  décrétales  de  papes  qui  n'ont  peut-être 
pas  existé. 

Voilà  les  fondemens  de  ce  préjugé  qui  a  été  si 
fatal  au  bien  de  la  religion  et  à  la  tranquillité  de 
l'Europe.  11  y  a  eu  aveuglement,  entraînement  d'a- 
bord. Personne  ne  peut  se  soustraire  aux  erreurs 
dominantes;  les  princes  et  les  savans  paient  avec  la 
masse  inerte  des  populations  obscures  ce  tribut  né- 
cessaire à  la  faiblesse  de  notre  espèce. 

En  second  lieu,  la  politique.  La  guerre  entre  l'au- 
torité temporelle  et  l'autorité  spirituelle  était  déjà 
déclarée  depuis  long-temps;  les  parties  belligérantes 
employaient  chacune  les  moyens  et  les  ressources 
de  sa  position.  Les  rois  levaient  des  armées,  les 
papes  instituaient  des  ordres  religieux.  Les  premiers 
élevaient  des  forteresses ,  les  seconds  érigeaient  des 
couvens;  les  uns  mettaient  en  mouvement  la  force 
physique ,  les  autres,  plus  heureux,  s'emparaient  de 
la  force  morale.  Les  combats  se  succédaient  avec 
rapidité  ;  la  victoire  était  encore  incertaine. 

Pans  cet  état  pénible  de  crainte  et  d'anxiété, 


(  4o9  ) 
chacun  cherchait  à  augmenter  son  parti.  Les  peui)Ies 
entraient  dans  la   lutte  comme  instrumens.  C'est 
toujours  par  eux  et  pour  eux  ou  contre  eux  que 
%'exécutent  les  grandes  entreprises;  il  fallait  donc 
les  gagner.  Comment  y  parvenir?  Il  existait  encore 
dans  la  société  un  ordre  puissant,  le  clergé  séculier, 
que  des  intérêts  divers  tiraient  en  sens   contraire. 
Religieux ,  ils  étaient  sous  la  bannière  des  pontifes 
et  devaient  combattre  pour  eux;  époux  et  pères,  ils 
étaient  dévoués  à  leurs  familles  et  n'épousaient  pas 
franchement  la  querelle  de  leur  chef.  Cette  masse 
inerte,  placée  entre  les  deux  armées,  les  arrêtait 
dans  leur  marche  et  paralysait  leurs  efforts.  Qui- 
conque eût  pu  mettre  de  son  côté  une  pareille  force 
eût  été  sûr  de  l'emporter.  Les  princes  temporels  ne 
pouvaient  exercer  aucune  action  directe  sur  cette 
classe  nombreuse.  Les  papes  se  trouvaient  dans  une 
meilleure  situation  ;  ils  disposaient  des  lois  de  l'é- 
glise; ils  pouvaient  étendre  et  renforcer  tous  les  pré- 
jugés religieux Ils  brisèrent  les  liens  qui  atta- 
chaient les  ministres  du  culte  à  la  société.  Ceux-ci 
n'eurent  plus  de  femmes,  plus  d'en  fans,  plus  d'in- 
térêts que  ceux  de  leurs  personnes,  qui  alors  se 
fondirent  très  facilement  dans  ceux  de  leur  corps. 
Les  rois  eux-mêmes,  de  beaucoup  inférieurs  aux 
papes  en   lumières  et  en  politique,   contribuèrent 
conjointement   avec   les    pontifes  à  accélérer    une 
révolution  qui   devait   être  si   préjudiciable  à  leurs 


(4.0  ) 

iiiléréts.  La  balance  alors  ne  fut  plus  égale:  la  cou- 
quête  du  clergé  séculier  ajouta  à  la  puissance  pon- 
tificale une  supériorité  irrésistible.  L'autorité  tem- 
porelle fut  battue,  bumiliée,  anéantie. 

Qu'on  lise  avec  un  peu  d'attention  l'iiistoire  de 
l'église  depuis  son  origine  jusqu'au  concile  de 
Trente,  et  l'on  sera  persuadé  que  tels  ont  été  les 
motifs  déterminans  d'une  loi  aussi  barbare  et  aussi 
préjudiciable  que  celle  du  célibat.  Certes,  le  ma- 
riage avait  été  défendu  aux  clercs  supérieurs  dès 
les  premiers  siècles  de  l'église;  mais,  à  défaut  de 
femmes  légitimes,  ils  vivaient  publiquement  avec 
des  concubines. 

Quel  fut  le  pontife  audacieux  qui  osa  concevoir 
la  pensée  de  détaclier  entièrement  les  ecclésiasti- 
(jues  de  leurs  concubines  et  de  leurs  enfans?  Celui 
précisément  qui  avait  conçu  la  pensée  de  soumettre 
le  sceptre  à  la  tiare,  Grégoire  Vil,  ce  terrible  en- 
nemi des  empereurs  et  des  rois.  Avant  lui,  les  sou- 
verains pontifes  n'avaient  eu  presque  que  des  vel- 
léités. La  pensée  du  célibat  absolu  est  donc  née  de 
la  pensée  du  pouvoir  absolu. 

S'il  pouvait  encore  nous  rester  quelque  doute, 
i'bistoire  du  concile  de  Trente  siiffirait  pour  le  dis- 
siper. Lorsque  la  question  de  savoir  si  le  mariage 
serait  permis  aux  ecclésiastiques,  ou  bien  si  les  or- 
dres sacrés  seraient  un  empêcbement  dirimant,  eut 
été  agitée  dans  le  sein  du  concile,  on  adressa  aux 


(4'i) 

légats  du  pape  les  plus  vifs  reproches  ((  pour  avoir 
»  laissé  mettre  en  dispute  un  article  si  dangereux, 
»  étant  évident  que  l'introduction  du  mariage  dans 
»  le  clergé,  en  tournant  l'affection  des  prêtres  vers 
»  leurs  femmes  et  leurs  enfans,  et  par  conséquent 
))  vers  leurs  familles  et  leur  patrie,  les  détacherait 
»  en  même  temps  de  la  dépendance  étroite  où  ils 
w  étalent  du  saint  siège;  et  que  leur  permettre  de 
»  se  marier,  ce  serait  autant  que  de  détruire  la 
>)  iiiérarchie  ecclésiastique,  réduire  le  pape  à  n'être 
»  autre  chose  que  l'évêque  de  Rome  (i).  » 

Ces  considérations  privèrent  l'église  d'une  loi  sage 
que  les  princes  temporels,  les  ecclésiastiques  sensés 
et  les  hommes  instruits  de  toutes  les  nations  de  l'Eu- 
roj>e  sollicitaient  avec  empressement. 

La  politique  de  Rome  et  du  clergé  est  ici  à  dé- 
couvert. Elle  n'a  pas  changé  dans  la  suite;  elle  est 
encore  la  même,  et,  chose  étrange!  de  même  qu'au 
concile  de  Trente,  ce  furent,  dit-on,  les  jeunes  pré- 
lats qui  firent  le  plus  de  hruit  contre  la  proposition 
du  mariage  des  prêtres,  de  même  on  a  vu,  pendant 
notre  révolution,  des  ecclésiastiques  à  la  fleur  de  leur 
âge,  crier  en  furieux,  exciter  du  tumulte  contre  la 
même  proposition  que  des  prêtres  vénérables  repro- 


(i)  Histoire  du  concile  de   Trente  de  Fra  Paolo  Sarpi;, 
tradutiioii  de  Le  Couraver 


(  4'0 

tluivsirent  dans  quelques  assemblées  de  distiicls  (i). 
L'homme,  plein  du  sentiment  de  sa  force,  croit  pou- 
voir se  sullire  à  lui-même  pendant  la  première  fer- 
veur delà  jeunesse;  le  poids  des  années  lui  ôte  cette 
confiance  et  l'expérience  le  rend  plus  sage.  Dans  la 
V  iclllessejil  a  besoin  d'appui  et  de  secours  ;  la  tendresse 
et  les  soins  d'une  compagne  aimable  le  soulageraient 
de  ses  peines,  et  son  cœur  les  lui  fait  désirer.  Ainsi 
les  animaux  forts  et  intrépides  cherchent  une  soli- 
tude qu'ils  créent  autour  d'eux,  tandis  qu'au  con- 
traire les  plus  faibles  et  les  plus  timides  forment 
des  troupeaux  nombreux  et  vivent  en  société. 

Cette  politique  et  les  résultats  qu'elle  a  produits 
n'ont-ils  rien  d'alarmant  pour  les  libertés  publiques? 
Le  clergé  veut  être  fort;  il  veut  donc  dominer,  il 
veut  donc  détruire  la  liberté?  Ses  doctrines,  on  le 
sait  bien,  sont  imprégnées  du  plus  absolu  despo- 
tisme. De  Rome  à  Londres,  de  Vienne  à  Madrid, 
le  clergé  catholique  n'a  qu'une  pensée  :  conserver 
ou  ressaisir  la  puissance.  Cette  puissance  a  causé 
les  plus  grands  maux  à  la  religion,  a  fait  couler  des 
torrens  de  sang,  a  élevé  des  montagnes  de  cadavres. 
Elle  serait  aujourd'hui  plus  dano;ereuse  que  jamais; 
le  projet  seul  de  la  reprendre,  connu  du  ])ublic, 
})eut  nuire  à  la  religion  romaine;  l'histoire  est  là 


(i)  /'fycs  rinU-oduction . 


(  4-3  ) 
pour  nous  l'apprendre.  Sa  voix  n'est  pns  écoutée,  et 
le  drame  est  près  de  son  dénouement.  L'homme  est , 
à  quelques  égards,  un  instrument  passif;  les  doc- 
trines et  les  principes  l'entraînent  malgré  la  raison. 

Pour  moi,  je  crois  que  si  les  clercs  pouvaient  se 
marier  et  avoir  une  famille,  la  religion,  au  lieu  de 
perdre  de  sa  puissance,  en  acquerrait  une  Lieu 
plus  grande  et  bien  plus  réelle.  Le  ministre  des  au- 
tels, tout  en  conservant  sa  haute  dignité,  tout  en 
étant  entouré  de  ce  prestige  religieux  qui  fait  sa 
force,  aurait  avec  ses  paroissiens  des  relations  bien 
plus  intimes  et  bien  plus  étendues;  autant  de  rela- 
tions, autant  de  moyens  de  domination.  11  n'y  a 
que  les  tyrans  qui  gagnent  à  s'isoler,  à  paraître  ra- 
rement en  public  et  toujours  au  milieu  du  pom- 
peux et  terrible  appareil  de  la  puissance.  Us  veulent 
dominer  par  la  terreur  et  se  soustraire  aux  coups 
que  les  âmes  généreuses  brûlent  de  leur  porter.  Si 
l'on  cesse  de  les  redouter,  si  l'on  ose  fixer  les  re- 
gards sur  eux,  la  magie  de  leur  pouvoir  se  dissipe, 
et  ils  sont  perdus.  L'empire  du  prêtre  est  un  em- 
pire d'amour  et  de  respect,  ou  il  n'est  rien.  S'il 
ne  gagne  pas  les  cœurs,  s'il  ne  lie  ses  intérêts  et  ses 
affections  aux  intérêts  et  aux  affections  des  fidèles, 
le  prêtre  est  sans  pouvoir  et  la  religion  sans  force. 

Dans  les  siècles  même  où  les  peuples  ignorans  se 
laissaient  influencer  par  les  terreurs  religieuses,  par 
la  crainte  des  vengeances  divines  et  par  l'idée  des 


(  4i4  ) 

toiirmeus  éternels  fjni  saisissait  les  imaginations, 
nous  avons  vu  l'opinion  populaire  se  soulever  contre 
le  faste,  la  grandeur  et  la  tyrannie  du  sacerdoce. 
Les  révoltes  fréquentes  des  Romains  contre  les  pon- 
tifes, le  soulèvement  des  Vaudois,  l'épouvantable 
catastrophe  des  Albigeois,  enfin  la  révolution  reli- 
gieuse de  Luther  et  de  Calvin  sont  là  pour  nous 
convaincre  que  la  puissance  du  prêtre,  puissance 
nécessairement  despotique,  ne  peut  pas  s'asseoir  sur 
la  force  et  sur  la  terreur.  Toutes  les  fols  que  la  puis- 
sance sacerdotale  a  voulu  se  montrer  environnée  de 
l'éclat  et  de  la  pompe  de  la  puissance  temporelle,  la 
religion  a  vu  diminuer  de  plus  en  plus  sa  salutaire 
influence.  Sortant  de  sa  sphère  et  se  plaçant  dans 
une  fausse  position,  elle  s'est  égarée,  elle  s'est  em- 
barrassée dans  sa  marche,  et  ses  ennemis  ont  rem- 
porté des  victoires  auxquelles  ils  ne  s'attendaient 
pas. 

Si  cela  est  vrai  pour  des  temps  où  l'ignorance  était 
aussi  profonde  que  générale,  et  où  le  clergé  pouvait 
déposer  des  rois  et  disposer  des  armées,  que  dirons- 
nous  du  siècle  présent  et  des  siècles  à  venir?  Que  le 
clergé  romain  ne  se  flatte  pas  de  l'emporter  encore 
sur  la  puissance  temporelle,  au  point  delà  dominer 
ou  de  l'aveugler  sur  ses  véritables  intérêts.  Le  Gou- 
vernement protège  également  tous  les  cultes.  La 
théologie  et  les  soins  de  la  vie  future  ont  cessé  de 
faire  l'objet  de  ses  occupations.  Tl  s'est  aperçu  (pie 


(  1'5) 
ces  soins  sont  aussi  étrangers  à  sa  nature  que  le 
commandement  des  armées  et  la  gestion  des  affaires 
temporelles  le  sont  à  celle  du  sacerdoce.  11  est  ren- 
tré dans  les  limites  de  ses  attributions  ;  il  ne  s'oc- 
cupe que  des  intérêts  politiques  et  des  intérêts  ci- 
vils, et  il  saura  contraindre  le  clergé  romain  à  se 
renfermer  dans  le  cercle  de  ses  devoirs  religieux,  à 
borner  ses  soins  à  la  véritable  prospérité  de  l'église 
et  au  salut  des  âmes.  Ne  nous  faisons  pas  illusion. 
Nous  ne  devons  compter  que  sur  nous- mêmes  j  l'ap- 
pui du  bras  séculier  nous  abandonne,  et  s'il  venait 
encore  à  notre  secours,  il  nous  ferait  plus  de  mal 
que  de  bien.  L'emploi  de  la  force  et  la  coaction  ne 
serviraient  qu'à  grossir  les  rangs  des  ennemis. 

Si  nous  voulons  dominer  encore  et  redonner  à  la 
religion  sa  véritable  puissance,  il  nous  faut  sortir 
de  la  carrière  épineuse  et  dilîicile  où  se  sont  traînés 
si  péniblement  nos  ancêtres;  il  faut  entrer  dans  une 
voie  large  et  facile,  celle  de  la  nature,  qui  seule 
conduit  à  la  vertu. 


(  4^^^  ) 

CHAPITRE  IX. 

Moyens  pour  rendre  aux  prêtres  la  liberté  du 
mariage. 

Il  est  juste,  il  est  utile,  il  est  nécessaire  de  per- 
mettre aux  ecclésiastiques  le  cuinul  du  mariage  et 
des  fonctions  sacerdotales.  Tous  les  hommes  de  bien, 
que  les  préjugés  n'aveuglent  pas,  s'accordent  à  re- 
connaître cette  vérité.  Le  célibat  a  été  funeste  à  la 
religion  et  au  bonheur  des  peuples  :  l'abolir,  ce  serait 
emporter  une  grande  plaie  gangrenée  qui  travaille 
depuis  long-temps  le  corps  social.  Obtenir  un  pareil 
résultat  est  chose  fort  difficile.  Nous  nous  sommes 
tellement  avancés  dans  le  chemin  de  l'erreur,  que 
nous  n'avons  presque  plus  le  courage  de  revenir  sur 
nos  pas.  Ainsi  un  voyageur  accablé  de  lassitude,  à 
la  fin  d'une  longue  et  pénible  marche  en  sens  con- 
traire du  but  qu'il  se  proposait  d'atteindre,  n'ose 
plus  recommencer  un  voyage  qu'il  ne  se  sent  pas  la 
force  de  terminer. 

Si  le  grand  nombre  d'hommes  vertueux  et  éclairés 
dont  la  France  se  glorifie  à  juste  titre  n'élèvent  pas 
leurs  voix  puissantes  contre  un  préjugé  si  barbare  et 
si  dangereux,  c'est  sans  doule  dans  la  crainte  d'alar- 


(  4'7  ) 
mer  quelques  consciences  timides,  d'irriter  l'amour- 
propre  d'un  clergé  naturellement  susceptible  et  d'ex- 
citer des  troubles  plus  ou  moins  graves.  Mais,  quelque 
sage  que  puisse  être  ou  sembler  être  une  réserve  si 
délicate,  de  mon  côté,  je  pense  que  l'homme  de  bien 
ne  doit  jamais  transiger  avec  l'erreur,  au  point  d'a- 
bandonner tout  dessein  et  tout  espoir  d'améliora- 
tion. 

Et  moi  aussi,  je  veux  que  l'on  soit  prudent  et 
modéré,  qu'on  ne  tente  rien  au  hasard,  qu'on  dis- 
pose les  esprits  avant  d'essayer  un  changement  de 
cette  nature,  et  qu'en  aucun  cas  on  n'ait  recours  à 
des  mesures  extrêmes.  Les  médecins,  lorsqu'ils  veu- 
lent guérir  la  faiblesse  qui  est  la  suite  d'une  longue 
et  dangereuse  maladie,  n'administrent  point  tout  à 
coup  les  plus  actifs  corroboraus  que  possède  leur 
art,  mais  commencent  par  les  alimens  les  plus  légers 
et  les  plus  simples,  et  proportionnent  la  force  des 
toniques  à  la  force  croissante  de  leur  sujet.  Le  lé- 
gislateur, lorsqu'il  attaque  des  erreurs  que  le  pré- 
jugé religieux  a  érigées  en  vertus  et  que  l'opinion 
d'une  longue  suite  de  siècles  a  profondément  enra- 
cinées dans  les  esprits,  doit  s'avancer  avec  la  même 
réserve  et  la  même  modération. 

Si  l'on  pouvait  déterminer  le  clergé  lui-même  à 
bannir  de  l'église  une  loi  qui  lui  a  causé  et  lui  cause 
continuellement  de  si  grands  maux,  cette  révolu- 
tion ne  présenterait  ni  difficultés  ni  inconvénieps. 

27 


(4.8) 

Ce  serait  l'arme  d'Achille  qui  guérirait  les  plaies 
qu'elle  a  faites j  mais  hoc  opus,  hic  labov.  Cette  pro- 
position lui  venant  de  l'autorité  temporelle ,  le  clergé 
romain  se  douterait  aussitôt  de  quelque  piège ,  se 
mettrait  sur  ses  gardes  et  refuserait  de  prendre  une 
détermination  si  salutaire,  précisément  parce  qu'on 
la  lui  aurait  demandée. 

Toutefois  le  premier  pas  à  faire  de  la  part  du 
Gouvernement  de  France,  ce  serait,  ce  me  semble, 
de  s'adresser  directement  au  souverain  pontife;  de 
lui  faire  sentir  que,  dans  l'état  de  la  civilisation  et 
des  moeurs  du  peuple  français ,  le  célibat  des  ecclé- 
siastiques porte  le  plus  grand  préjudice  à  la  religion 
catholique,  apostolique  et  romaine;  qu'il  isole  de  plus 
en  plus  au  milieu  du  royaume  uu  clergé  qui  aurait 
besoin  de  faire  cause  commune  avec  la  nation,  dans 
un  temps  où  tous  les  partis  se  rallient,  où.  toutes  les 
opinions  se  rapprochent,  où  les  préjugés  religieux 
s'affaiblissent  et  tombent  tous  les  jours;  que  le  ma- 
riage des  ecclésiastiques  est  aujourd'hui  le  seul  moyen 
qui  reste  encore  à  la  cour  de  Rome  pour  conserver 
long-temps  une  influence  utile  dans  l'église  galli- 
cane; que,  comme  il  ne  s'agit  que  d'une  loi  toute 
de  discipline,  et  qui  n'intéresse  nullement  le  dogme 
et  les  vérités  fondamentales  de  la  religion,  la  reli- 
gion de  Jésus-Christ  n'est  ni  compromise  ni  inté- 
ressée dans  un  changement  que  notre  siècle  ré- 
clame, et  qu'il  est  dangereux  de  refuser;  que  déjà 


(  4'9  ) 

des  lois  de  l'Etat ,  antérieures  à  la  restauration  et 
sanctionnées  par  un  vénérable  pontife,  permettent 
aux  prêtres  de  l'église  gallicane  de  contracter  ma- 
riage en  abandonnant  les  fonctions  du  sacerdoce; 
que  les  tribunaux  les  prennent  pour  base  de  leurs 
décisions  solennelles ,  et  qu'il  n'est  pas  en  son  pou- 
voir d'en  obtenir  la  révocation. 

La  cour  de  Rome  ne  m'inspire  pas,  sur  ce  sujet, 
une  assez  grande  confiance  pour  espérer  qu'elle 
veuille  accepter  du  premier  abord  une  proposition 
de  cette  nature.  Elle  en  est  encore  au  XV T  siècle; 
elle  marche  en  sens  contraire  de  l'esprit  du  siècle 
et  s'efforce  de  lui  faire  rebrousser  chemin.  Les  lu- 
mières qui  brillent  de  tous  côtés  troublent  son  repos 
et  l'alarment;  elle  les  combat;  elle  cherche  dans  les 
ténèbres  son  élément  et  sa  force.  INe  sait-on  pas 
que,  lorsqu'en  i825  le  nouveau  clergé  de  France 
donna  une  preuve  solennelle  de  son  adhésion  à 
quelqu'une  des  libertés  de  l'église  gallicane,  il  y  eut 
dans  le  clergé  de  Rome  une  alarme  générale  et  très 
vive?  De  tout  côté  on  entendait  des  déclamations 
et  des  cris:  c'en  était  fait  de  la  France;  elle  s'était 
livrée  à  l'apostasie;  la  religion  romaine  était  mena- 
cée, était  perdue.  Et  il  ne  s'agissait  que  d'une  dé- 
claration qui  tendait  à  mettre  nos  rois  à  l'abri  de  la 
foudre  du  souverain  pontife!  et  il  ne  s'agissait  que 
d'un  droit  dont  l'église  de  France  n'a  perdu  la  jouis- 
sance que  dans  des  temps  de  troubles  et  de  vertige  ! 


(  4^0  ) 

Ces  faits  me  font  prévoir  le  sort  qu'aurait  à  Rome 
la  proposition  de  notre  Gouvernement  qui  aurait 
pour  objet  le  mariage  des  ecclésiastiques.  C'est  un 
point  sur  lequel  elle  n'a  jamais  lâclic  prise  et  qu'elle 
considère  comme  la  base  et  le  fondement  de  sa  puis- 
sance. Elle  la  rejetterait  avec  plus  ou  moins  de  vio- 
lence, selon  l'idée  qu'elle  se  serait  faite  de  la  vigueur 
de  notre  Gouvernement;  mais  elle  la  rejetterait  : 
telle  est  mon  opinion.  Pourquoi  donc  lui  faire  cette 
proposition?  Pour  ôter  tout  lieu  aux  prétextes,  pour 
donner  à  la  cour  de  Rome  l'occasion  de  réfléchir 
encore  une  fois  sur  elle-même  et  ponr  faire  penser 
les  esprits.  Je  suppose  qu'il  y  aurait  de  la  sincérité 
dans  la  conduite  du  Gouvernement. 

Après  cette  tentative,  si  l'on  n'obtient  aucun  ré- 
sultat, le  Gouvernement,  par  l'organe  du  ministre 
des  cultes,  se  préparerait  à  soumettre  la  proposition 
du  mariage  des  prêtres  à  un  concile  national.  Mais 
il  ne  faudrait  rien  précipiter.  Il  conviendrait  de  lan- 
cer cette  question  au  milieu  du  public  au  moyen  de 
la  presse  libre,  de  donner  à  l'opinion  le  temps  de  se 
former  et  de  se  déclarer,  et  aux  prélats  du  royaume 
le  moyen  de  s'assurer,  par  leurs  propres  yeux  et  par 
leurs  propres  oreilles,  du  véritable  état  de  l'opinion. 
Lorsque  je  dis  l'opinion ,  je  n'entends  pas  celle  de 
la  grande  masse  du  peuple,  mais  plutôt  celle  de 
toutes  les  supériorités  sociales  et  surtout  des  supé- 
riorités intellectuelles.  L'opinion  de  ces  classes  est 


(42.     ) 

aujourd'hui  la  seule  puissante,  parce  que  seule  elle 
domine,  et  parce  que,  par  le  raoyen  de  la  commu- 
nication facile  et  prompte  que  la  presse  établit  entre 
elle  et  les  classes  inférieures,  leur  opinion  devient 
en  peu  de  temps  l'opinion  de  tout  ce  qui  commence 
à  penser. 

Enfin  on  convoquerait  le  concile.  Les  pères  de 
notre  église  délibéreraient  dans  un  établissement 
accessible  au  public,  comme  la  Chambre  des  Dépu- 
tés. L'opinion  et  les  discours  de  chacun  des  prélats 
seraient  rehgieusement  recueillis  et  transmis  par  les 
journaux  à  tous  les  départcmens  et  à  l'Europe.  En 
agissant  ainsi,  le  clergé  serait  effectivement  constitu- 
tionnel. 11  me  semble  que  le  célibat  devrait  succom- 
ber sovis  une  pareille  attaque. 

Notre  concile  pourrait  même  se  laisser  entraîner 
par  l'esprit  de  corps,  et  reculer  devant  la  force  d'un 
préjugé  à  qui  une  existence  de  plusieurs  siècles  a 
donné  lieu  de  s'enraciner  profondément  dans  nos  ins- 
titutions religieuses.  Le  but  seul  d'une  telle  assem- 
blée et  les  débats  auxquels  elle  se  livrerait  nécessai- 
rement, porteraient  un  coup  mortel  à  une  erreur 
qui  ne  peut  pas  supporter  un  examen  tant  soit  peu 
approfondi.  Un  autre  concile  perfectionnerait  plus 
tard  cet  ouvrage.  Le  temps  à  employer  avant  qu'on 
ait  pu  atteindre  à  une  réforme  si  difficile  en  elle- 
même  ne  doit  pas  décourager.  De  même  que  les 
vieillards  construisent  des  maisons  qu'ils  n'habite- 


(  4^2  ) 

ront  pas,  et  cultivent  des  arbres  dont  ils  ne  recueil- 
leront pas  les  fruits,  de  même  les  peuples  doivent 
préparer  des  institutions  dont  les  {générations  futures 
ressentiront  seules  les  heureux  efiéts. 

Si  le  Gouvernement  se  refuse  ou  diffère  de  tenter 
un  changement  si  nécessaire  dans  la  discipline  de 
notre  église,  les  philosophes,  les  amis  de  l'huma- 
nité et  de  la  religion  ne  doivent  pas  encore  se  rebu- 
ter. Avec  de  la  persévérance,  on  parvient  à  tout.  Le 
plus  heureux  avenir  brille  devant  nos  yeux;  l'em- 
pire de  la  raison  voit  reculer  ses  bornes  de  jour  en 
jour.  Que  les  écrivains  indépcndans  iispnt  de  toute 
la  liberté  des  lois  pour  éclairer  leurs  concitoyens  et 
pour  leur  apprendre  à  distinguer  la  vérité  de  l'er- 
reur, le  bien  du  mal;  leur  voix  à  la  fin  sera  entendue. 

Les  tribunaux  du  royaume  n'ont  qu'à  faire  leur 
devoir  pour  favoriser  la  marche  de  la  raison  et  af- 
faiblir puissamment  le  préjugé  funeste  qui,  en  sépa- 
rant le  mariage  du  sacrement  de  l'ordre,  a  privé  le 
sacerdoce  de  beaucoup  de  grâces.  D'après  nos  lois 
actuelles,  un  prêtre,  en  quittant  les  fonctions  sa- 
cerdotales, peut  devenir  époux;  ce  droit  nous  est 
acquis.  Si  l'on  nous  en  ôte  la  jouissance,  on  enfreint 
des  lois  positives  et  l'on  encourage  une  puissance 
renversée  de  son  trône  à  ne  plus  mettre  de  bornes 
à  son  ambition. 

Lorsque  le  législateur  conserva  aux  ecclésiasti- 
ques le  droit  de  se  marier,  en  abdiquant  le  service 


(  4^3  ) 
des  autels, il  sanctionna  un  principe  qui  avait  été  en 
vigueur  jusqu'au  concile  de  Trente.  Et  quelle  était 
sa  pensée?  Roi  philosophej  il  avait  vu  que  les  as- 
semblées nationales  avaient  mis  trop  de  précipita- 
tion à  sanctionner  une  loi  juste  et  sainte  en  elle- 
même,  mais  pour  laquelle  nos  mœurs  n'étaient  pas 
encore  assez  mûres.  Il  'pensa  qn'il  fallait  y  arriver 
par  degrés:  il  laissa  donc  subsister  cette  loi  civile, 
qui  ne  considère  plus  les  ordres  sacrés  comme  un 
empêchement  dirimant  du  mariage  civil;  il  en  saisit 
promptement  les  heureux  efifets.  Les  fidèles  s'accou- 
tumeront peu  à  peu  à  voir  devenir  époux  et  pères 
de  famille  des  hommes  qu'ils  avaient  vus  aupara- 
vant monter  sur  les  marches  de  l'autel ,  et  se  prépa- 
reront ainsi  à  y  voir  monter  des  hommes  engagés 
dans  le  mariage.  Cette  révolution  est  inévitable.  Si 
l'on  s'oppose  à  la  marche  naturelle  des  évènemens, 
dans  l'état  actuel  des  choses,  on  portera  un  grand 
préjudice  à  la  religion  romaine. 


FIN.