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ET DU aiARIAGE
DES PRÊTRES
CHEZ TOUS LES PEUr.-ïï.S;:
PAR
L'ABBÉ CERATi,
PARIS,
GOEtRY, LILFAIBE,
R r. TAVEE SAINT-ANDRE-DE
1829
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DU CÉLIBAT
ET DU MARIAGE
DES PRÊTRES,
CHEZ TOUS LES PEUPLES.
IMPRIMERIE DE HU zXRU-CotJRCIER ,
rue du Jardinet, n" 12.
DU CELIBAT
ET DU MARIAGE
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CHEZ TOUS LES PEUPLES^
L'ABBÉ CEBATI,
Pavi0 ,
GOEURY, LIBRAIRE,
ROE PAVÉE-SAINT-ANDRÉ-DES-ABCS, N* l5.
1829
,.(
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TABLE
DES MATIÈRES.
Pages
Introduction j
LIVRE PREMIER.
DO CÉLIBAT CHEZ LES NATIONS PAÏENNES JUSQd'a LA VENUE DE
JÉSUS-CHRIST.
SECTION PREMIÈRE.
Du célibat considéré par rapport aux lois de la nature.
Chapitre premier. Le célibat n'est pas une loi de la
nature ï
Chap, II. Le célibat est impossible 1 1
Chap. III, Le célibat détruit les bonnes mœurs 17
Chap. IV. Le célibat n'est pas agréable à la divinité. aS
Chap. V. Le mariage est un état conforme à la nature
de l'homme; Dieu l'a ordonné 3o
Chap. VI. Dans le mariage , il y a plus de vertu que
dans le célibat 35
SECTION II.
Du célibat dans la société civile depuis son origine jusqu'à
rétablissement du christianisme.
Avant-propos , . . 40
( V.)
Chapitre premier. Origine du célibat ^2.
Chap. II. Célibat civil 62.
CiFAP. III. Inde, Perse, Egypte et autres lieux 67
Chap, IV. Des Hébreux 64
Chap. V. Des Grecs 78
Chap. VI. Des Romains 94
SECTION III.
Du célibat religieux aidant le christianisme et chez les
nations idolâtres.
Avant-propos 110
Chapitre premier. Des prêtres et des ordres religieux. 117
Chap. II. Des vierges, de la pythie, des sibylles, des
vestales i34
LIVRE DEUXIÈME.
DU CÉLIBAT DANS LA RELIGION CHRÉTIENNE.
SECTION PREMIÈRE.
Du célibat depuis /^Évangile jusqu'à la révolution française.
AVANT-PROPO s 1 59
Chapitre premier. Du célibat dans V Évangile 164
Chap. II. Du célibat sous les apôtres 171
Chap. III. Mépris du mariage 180
Chap. IV. Insouciance d'avoir des enfans; tiédeur
pour ceux qu'on avait i85
Chap. V. Des eunuques 188
Chap. VI . Des veuves 191
Chap. VII. Des vierges et des moines 198
( vu )
Page»
Chap. VIII. Diversité de religion 212
Chap. IX. Du célibat dans l'église d'Orient 216
Chap. X. Du célibat dans le clergé catholique 225
Des clercs engagés dans les ordres mineurs 226
Des sous -diacres 227
Des diacres , des prêtres, des évêques 229
Chap. XI. Des mesures prises pour empêcher les ec-
clésiastiques de violer la continence 233
Chap. XII. Code pénal du célibat. — Punitions contre
les ecclésiastiques 238
Punitions contre les concubines 245
Punitions contre les enfans des concubinaires 249
Chap. XIII. La corruption croît à mesure que le cé-
libat devient plus général .... 253
Chap. XIV. Influence de la corruption du clergé sur
les mœurs publiques 269
Chap. XV. Jurisprudence de l'église adoptée dans les
tribunaux 275
SECTION II.
Du célibat depuis la J'évolulion Jusqu' à nous.
Avant-propos 287
Chapitre premier. Droit de l'Assemblée conslituaute
sur le célibat religieux 2C)3
Chap. II. Du célibat sous l'Assemblée constituante. . 298
Chap. III. Du célibat sous le consulat, sous l'empire
et depuis la restauration 307
Chap. IV. Du célibat dans les tribunaux depuis 1790
jusqu'à 1829 322
( vin )
SECTION III.
Des dangers auxquels le célibat expose la religion
catholique en France.
P«ge»
Chapitre premier. Il est urgent de faire jouir les ec-
clésiastiques du bienfait de la loi 33g
Chap. II. Il faut accorder aux prêtres le cumul des
fonctions sacerdotales et du mariage 347
Chap. III. L'union des fonctions sacerdotales et du
mariage ne pre'sente aucun danger 356
Chap. IV. Le ce'libat produit les effets les plus fu-
nestes à la religion et à la morale 365
Chap. V. Résultat heureux du mariage des ecclésias-
tiques , 386
Chap. VI. Le prêtre père de famille ne négligerait pas
les intérêts de la religion 3g3
Chap. VII. Le mariage des prêtres ne coviterait rien
à l'État 3g7
Chap. VIII. Motifs qui portent le cierge romain à l'e-
fuser le mariage à ses membres 4^7
Chap. IX. Moyens pour rendre aux prêtres la liberté
du mariage 4'"
FIN DE LA TABLE.
*^;^vvvvM^vvvvvv\/v\/\vv\vw\^\x\v\vcvv^^^vvvvvvvv■v^.v^.vvv"^^^ v%rti\/vv wvvwvwwvviv\^vwvwvvw
INTRODUCTION.
Lorsqu'à la Chine des de'vots fanatiques
se rencontraient, ils se heurtaient la tête à
grands coups , à la manière des béliers.
Lorsque deux nobles japonais se croyaient
insultés, ils se provoquaient en duel. Le plus
prompt à se faire une large plaie et à se don-
ner une mort cruelle était déclaré le vain-
queur. Il était rare que dans ces sortes de
combats le même sort n'atteignît pas les
deux champions.
Lorsqu'un nègre du Congo, ou un Rai-
mouk du Don ou du Volga, ou quelque
sauvage du Mexique, ou quelque Indien de
la Nouvelle -France, voulait se marier, il
appelait une femme à l'essai pendant une
nuit, ou un jour, une semaine, un mois,
un an et quelquefois plus. Lui plaisait-slle?
il la gardait; ne lui convenait-elle pas? il la
a
(ij)
renvoyait. Les femmes jouissaient du même
droit chez quelques-uns de ces peuples.
Lorsqu'à Ceyian deux frères étaient liées
par une tendre amitié, ils prenaient une
femme en commun , et les enfans qui nais-
saient de cette union les reconnaissaient
également pour leurs pères.
Lorsqu'à Juida et à Dahomay on parlait
de mort en présence du prince, on se ren-
dait coupable d'un crime capital.
Lorsque les sauvages n'avaient point en-
core vu d'Européens , ils s' essuyaient les
doigts en mangeant, dit Montaigne, aux
cuisses, a la bourse des géîiitoires et à la
plante des pieds.
Lorsqu'aux Maldives un noble venait à
paraître, le roturier devait humLlement s'ar-
rêter et le laisser passer en baissant les yeux.
Lorsqu'au temps de la féodalité, en France
comme en Ecosse, une ilWe plèbe se mariait,
il lui fallait sacrifier le premier cri de sa
pudeur à son maître ecclésiastique ou laï-
que, tandis que le mari attendait patiem-
ment à la porte la fin de cette scène atroce.
Lorsque le royaume d'Arménie existait^
C iij )
une loi obligeait les jeunes filles à consacrer
leur virginité aux prêtres de Tanaïs.
Lorsqu'en France, comme en Egypte, les
prêtres , les rois et les soldats possédaient
seuls toutes les terres, il n'y avait pas de
peuple, ou le peuple se composait d'hommes
animaux achetés et vendus avec chacune des
portions de terre qu'ils engraissaient misé-
rablement de leurs sueurs.
Ces usages absurdes et pour la plupart ré-
voltans ont existé pendant des siècles; les
nations se sont éclairées et en ont fait jus-
tice.
Puisqu'ils ont passé, puisqu'ils ont néces-
sairement dû s'éteindre, comment un pré-
jugé aussi contraire aux lois de la nature et
de la raison que l'est le célibat, préjugé qui
a déjà quatre siècles d'existence et qui n'est
pas plus fondé en morale que ne l'étaient en
humanité et en convenance sociale les usages
que j'ai cités, comment pourrait-il résister
aux lumières des peuples du XIX* siècle et
aux attaques dont l'intérêt des mœurs le
rend constamment l'objet?
Tel avait été long-temps le sujet de. nos
a..
( Iv )
conversations, quand je décidai M. l'abbo
Cerati à s'occuper du travail que nous pu-
blions.
Le caractère dont il est revêtu lui parut
d'abord un obstacle à la rédaction d'un pa-
reil ouvrage. 11 craignait que le monde ne
vînt interpréter à mal une polémique de ce
genre et de sa part; il redoutait de contra-
rier les vues du Gouvernement et de se
mettre en opposition de principes avec ses
jeunes confrères. Né en Corse et livré depuis
peu à Tétude de la langue française, il n'o-
sait tenter d'écrire un long volume.
Je combattis tous ses scrupules avec suc-
cès , lui faisant comprendre que son carac-
tère était un motif de plus pour traiter cette
question avec fruit, l'éclairant sur l'opinion
des hommes du monde, sur l'intervention
du Gouvernement dans une discussion de
cette haute importance , sur le mécon-
tentement ridicule des gens d'église. 11
commença; mes encouragemens firent le
reste.
A-t-il rempli dignement sa tâche? je le
crois. La division du livre est simple. Une
( ^ )
prémunie partie comprend l'examen du cé-
libat chez les nations païennes jiisqua la
venue de Jésus-Christ. Là le célibat se trouve
considéré sous ses rapports avec les lois de
la nature dans la société civile, depuis son
origine jusqu'à l'établissement du cbristia-
nisme, et chez les religieux des nations ido-
lâtres. La seconde partie traite du célibat
dans la religion chrétienne, depuis VEs^an-
gile jusqu'à la révolution française, pendant
cette révolution, sous l'empire et sous les
deux restaurations.
Jamais on n'a accumulé, pour répandre la
conviction dans les esprits, à l'appui d'une
proposition aussi délicate que le mariage
des prêtres, autant de faits, de preuves et
d'autorités. Le lecteur sera surpris du nom-
bre considérable de recherches auxquelles il
a fallu se livrer.
M. l'abbé Cerati, on le sent bien, n'a pu
adopter que les grands évènemens de l'his-
toire, pour en tirer de sages inductions; il
n'eût point atteint le but, si, fouillant les
chroniques nationales des peuples , il se
fut occupé de traits de détails qu'il a judi-
( vj )
cieusement négligés, à moins de nécessité
absolue.
Afin d'y suppléer en ce qui concerne la
France, ou pour donner encore un degré de
force aux preuves dont il s'est appuyé , je
rapporterai ici quelques-unes de mes explo-
rations dans nos histoires et dans nos fa-
bliaux; car je désire aussi chercher à dé-
montrer que, puisque lors de l'introduction
du christianisme dans la Gaule nos prêtres
prenaient des femmes à titre d'épouses sans
que la religion en souffrit, sans nuire à ses
progrès, il n'y aurait point d'inconvénient
aujourd'hui à permettre le mariage aux prê-
tres catholiques romains.
J'ouvre Grégoire de Tours, placé parmi
les saints à cause de sa vertu, et je lis au
chap. 35 du livre V : u Nous perdîmes nos
deux aimables et chers petits enfans, que
nous avions échauffés dans notre sein , por-
tés dans nos bras , nourris de nos mains ,
élevés avec tous les soins possibles. Après
avoir essuyé nos larmes , nous avons dit avec
le bienheureux Job : Le Seigneur nous les
aidait donnés, le Seigneur nous les a ôtés ;
( vij )
ce que le Seigneur a voulu a été fait. Que
le nom du Seigneur soit béni dans tous les
siècles! »
Dans la note qu'il a mise à ce passage,
dans sa traduction , l'abbé de MaroUes pré-
tend qu'il ne faut pas entendre les en fans
de Grégoire, mais bien ceux de ses proches
et de ses amis. Le texte est pourtant assez
clair.
Au surplus, à la même époque, Fortu-
nat, Sulpice Sévère, Sidoine -Appollinaire,
S. Arnault, Badegisile étaient mariés. Gré-
goire de Tours raconte même, à propos de
ce dernier, l'anecdote suivante : Cuppa, con-
nétable du roi Cliilpéric, voulut, aidé de
quelques-uns de ses amis, ravir par force
la fille de Badegisile , évêque du Mans ,
avec l'intention de l'épouser. S'étant rendu,
accompagné de ses amis, dans le bourg de
Mareuil, une nuit, pour accomplir son des-
sein, Magnetrude , mère de la jeune fille ,
avertie à temps , arma ses domestiques ,
marcha au-devant de lui, lui tua quelques-
uns des siens et le repoussa vigoureusement.
Que l'on ne croie pas que ce fut seule-
( viij )
ment au commencement de la monarchie
que les prêtres se mariaient.
Sigëlaïcus, ëvéque de Tours, comte de
Bourges, parent de Dagobert, ëlu en 619,
mort en 622, laissa un lils, Sigiran ou saint
Gyran, qui fonda plus tard, en Berri, l'ab-
baye de ce nom (i).
Robert de Vassy, archevêque de Rouen ,
eut pour fils Raoul de Vassy, qui mourut
en 1064 sans enfans. C'est de cet archevê-
que Robert que sortit aussi la branche des
comtes d'Evreux. Un des seigneurs de Mont-
fort épousa la seule héritière de cette mai-
son (2).
Jéhonëe , ëvêque , se disant archevêque
de Dol, avait une femme et des enfans. Le
peuple de Dol, indigne de sa conduite dë-
bauchëe, le chassa de son siëge en 1078 (3).
La plupart des fabliaux des XU^ et
(i) Chalmel , Hist. de Touraine ; Paris^ 1828, t. P%
P- ^99-
(2) Roquefort, Poésies de Marie de France, t. II, p. 41?
note.
(3) Chalmel, t. I, p. 894
( ix )
Xlir siècles font connaître que les ecclé-
siastiques avaient alors des femmes.
Un cure' voulant cueillir des mûres se
laissa tomber dans des broussailles dont il
ne put se débarrasser. Sa jument revint au
presbytère, la selle tournée, la bride traî-
nante ; et sa femme, au désespoir, de se pâ-
mer (i)!
On trouve souvent dans les fabliaux, dit
Legrand d'Aussy {Fabliaux, t. I, p. 23i5),
de ces femmes de prêtres.
Il est dit dans le Longueriiana (t. II,
p. 72) qu'en 1204 beaucoup d'évéques de
Normandie étaient mariés.
Comme on tourmentait les ecclésiastiques
qui avaient des femmes légitimes, quelques-
uns d'entre eux prenaient des concubines
et les logeaient dans leur presbytère.
(i) Et la jument s'en vint fuyant ,
Chez le provoire est revenue ;
Quant li seyant l'ont conne'ue ,
Chascun se maudit et se blasme.
Et lafeme au près ire se pasme.
GuÉRiN, fabliau du Provoire qui mange des mûres, v. 62.
( .^ )
Li Doiens avoit une mie
Dont il si fort jalous estoit.
Toutes les fois qu'ostes avoit,
La faisoit en sa chambre entrer;
Mes aie nuit la fist souper
Avoec son ostes liement... (i).
Le souper étant achevé , on quitte la
table :
Atant se vont concilier ensemble
Il (le doyen) et la dame (2).
Dans une dispute avec sa servante, la
maîtresse la traite de bâtarde :
Bastarde , Dame , or dites mal ,
Li vostre enfant sont molt loial
Que vous avez du prestre eus (3).
La dame rapporte au curé sa querelle avec
sa servante :
(1) Fabliau du Boucher (VAbbeville, par Ëustache d'A-
miens, V. 184.
(2) Vers 199.
(3) Vers 373.
( ^ )
Sire , se vos saviez le voir
De la honte qu'ele m'a dite ,
Vos l'en renderiez la mérite
Qui vos enfans m'a reprovez (i).
A la fin du fabliau, la maîtresse du cure
est appelée la presfi esse.
Le fermier Constant Duhamel avait épousé
Isabeau qui, jeune et jolie, avait plu à la
fois au curé du bourgs au prévôt et au garde
forestier. Chacun la sollicita, de son côté,
et lui fit ses offres qui furent rejetées. Pour
se venger de ses amans , qui avaient ruiné
son mari , elle les fit appeler l'un après Fautre,
et les invita à se mettre au bain; sitôt qu'ils
y entraient, le mari frappait à la porte, et
les faisait cacher dans un grand tonneau
rempli de plumes. Constant voulut alors
faire éprouver aux trois amans de sa femme
l'affront qu'on lui destinait; Isabeau appela
sa servante et lui dit (2) :
(i) Vers 4 1 4-
(2) Vers 749.
( ^'J )
Galestrot, viens ça, pute asncsse,
Va moi tost qucrre la preslresse,
Di li qu'el viegne o moi baignicr ;
Et vous alez apareiller
Là dejouste celé grant mait,
Si soicz toz-diz en agait.
Dame, vostre plaisir ferai.
Galestrot s'en va par le tai.
Tant a la preslresse haste'e
Que à l'hostel l'a amenée.
Jusqu'au XVP siècle , des prêtres se sont
mariés. Dreux du Radier, dans les Récréa-
tions historiques (Paris, 1767, t. II, p. 209),
redit le fait suivant :
ff II est certain que les prêtres se sont
mariés y et qu'il y a eu un temps oii la dis-
cipline de l'église sur ce point donnait beau-
coup de liberté. Dans Téglise de Zurich, qui
est actuellement le temple des protestans de
cette ville de Suisse , capitale de Tun des
treize cantons , on lit encore cette épitaplie
d'un chanoine et de sa femme, Anno Do~
niijiiM.. CCGCL. obiit D. Jacohus Schwaî^s-
niurer, canonicus capituli hujus Ecclesiœ.
Item Agnes uxor légitima prœdicti Do-
mini Jacobi. L'auteur du livre curieux où se
( xiij )
trouve cette ëpitaphe (i) ne manque pas de
se faire robjection qui se présente naturelle-
ment, « Mais vous direz peut-être que ce fut
» dans son veuvage qu'il se fit d'ëglise, et
» qu'il n'y a là rien d'extraordinaire, puisque
» cela se pratique encore aujourd'hui. Non,
» monsieur, répond l'auteur, il avoit au
» même temps la femme et l' aumusse ; on
» nous fit voir de fort bons mémoires , et le
» chanoine et sa femme moururent tous les
» deux la même année, comme vous le voyez
» par leur êpitapbe. >j
De la part des prêtres qui se mariaient,
c'était un acte d'audace et d'indépendance.
Ceux qui craignaient de donner ce que les
fanatiques romains appelaient le scandale du
mariage, se livraient à des maîtresses ou à
des concubines.
Il faut remarquer que dès le V^ siècle on
voulut tenter , dans les intérêts de R.ome ,
d'amener les ecclésiastiques à la continence :
on permit d'abord aux clercs de garder leurs
(i) Voyages de Suisse, par les sieurs Reboulet et de la
Brune, p. 122, lettre X'.
( ^iv )
femmes, à condition de vivre chastetnent
avec elles j ensuite , on les obligea , pour rem-
plir leurs fonctions sacerdotales , à éloigner
d'eux leurs femmes, sans que celles-ci pus-
sent contracter un nouveau mariage , soit
avant , soit après la mort de leurs maris ^
plus tard, ils perdirent leurs bénéfices, et
enfin, avec le temps, on leur ordonna le
célibat.
Ces difïerens états de l'homme d'église ont
été parfaitement saisis par M. l'abbé Cerati
qui , en écrivain scrupuleux et exact , a cons-
tamment cité ses autorités. Mais les actes
dont il avait à s'appuyer étaient nombreux,
et il a dû en négliger quelques-uns : je vais
les rapporter , moins pour remplir une la-
cune que pour constater leur existence.
xi*" SIÈCLE. Le concile de Rome, tenu par
Grégoire VII en 107/1.5 renouvela l'obliga-
tion du célibat pour le clergé , et enjoignit
aux prêtres mariés de quitter leurs femmes
ou de se voir dépouillés du sacerdoce. Le
pape Urbain II alla jusqu'à inviter les prin-
ces séculiers à rendre esclaves les épouses
des prêtres qui vivraient avec leurs maris,
■( ■« )
après que ceux-ci auraient reçu les ordres
sacres.
(( On avoit eu de la peine dans l'autre
siècle ( le XF ) à réduire les prestres dans le
célibat. Il y en avoit encore quelques-uns
qui ne pouvoient s'y accoutumer. Les papes
Caliste II et Eugène III les y contraignirent
par diverses peines, et entre autres choses les
privèrent de leurs bénéfices, et excommu-
nièrent ceux qui entendroient leur messe.
Or ne leur estant pas permis abuser des droits
de la nature dans le mariage ^ il s'en trou-
voit , mais en petit nombre , qui s'en ser-
voient contre nature , brûlans d'une flamme
qui ne doit s'éteindre que par le feu du ciel.
Pour la pluspart des autres, la loi de Dieu,
c'est-à-dire de son église, leur deffendant
d'avoir des enfans , l'auteur de tout dérègle-
ment substituoit de grandes bandes de ne-
veux en la place ; et de là s'ensui voient d'ex-
trêmes désordres : car si ces neveux estoient
ecclésiastiques, ils perpétuoient l«s bénéfices
dans leur maison par coadjutoreries ou au-
trement, et possédoient comme par droit
d'hérédité le sanctuaire du Seigneur ; s'ils
( «i )
estoient laïques, et qu'ils fussent mesnagers,
ils rendoient leurs oncles avares , usuriers
et concussionnaires pour leur amasser des
trésors, ou bien ils tâclioicnt par tous moyens
de distraire les terres de l'église pour les
mêler parmy les leurs , et se les approprier.
Bien souvent ils se rendoient les maistres de
leur parent , et s'y logeant avec leur train ,
dissipoient le patrimoine du crucifix et des
pauvres, en festins, en équipage de chiens
et de chevaux, et souvent en quelque chose
de plus mauvais; On pourroit rapporter
quantité d'exemples de ces scandales ; j'en
cotterai un qui est des neveux d'un archi-
diacre de Paris, lesquels commettoient d'ex-
trêmes violences et exactions dans sa charge :
dont Thomas, prieur de St. -Victor, lui ayant
fait souvent de fortes remontrances , ils as-
sassinèrent ce saint religieux entre les bras de
l'ëvêque même, auprès de Gournay, comme
il revenoit de sa visite (i). »
xii' SIÈCLE. Le concile de Troyes, de 1 107,
(i) Mezeray, Jb. chrojwl. , éd. in-i8, Brusselles, 1700,
t. 11, p. 686, 687.
dont il est fait mention dans Yves de Char-
tres et dans les auteurs du temps , condamna
le mariage des prêtres.
La lettre que Pascal II écrivit au clergé
de Terouane , lettre qu'on peut lire dans la
Collection des Historiens de France^ t. XV,
p. 23, prouve que les prêtres avaient de la
peine à se conformer à la décision non-seu-
lement de ce concile, mais encore de ceux
qui déjà leur avaient défendu le mariage.
Le concile, ou plutôt le synode tenu à
Nantes en 1 12-7, en présence de Conan, duc
de Bretagne , fit des règlemens contre les ma-
riages incestueux et contre les enfans des
prêtres. Il déclara bâtards, c est-à-dire inca-
pables dliériter, tous ceux qui naîtraient de
ces sortes de mariages.
Le concile de Reims, de ii3i, excom-
munia tous les ecclésiastiques mariés, dé-
fendit d'entendre leur messe, et déclara leurs
enfans bâtards et leurs bénéfices vacans, avec
permission aux seigneurs de réduire ces en-
fans en servitude ou de les vendre. La sévé-
rité que le concile déploya pour remédier au
désordre ( c'est l'expression des auteurs ec-
b
( x\iij )
clt'siastiques ) , prouve combien il était com-
mun.
Un autre concile de Reims , tenu par Eu-
gène m , en 1 1485 défend aux prêtres de se
marier.
XIII* SIÈCLE. En 1229, dit l'abbë Velly,
les prélats d'Angleterre s'assemblèrent à
Londres pour trouver le moyen de réduire
les prêtres à la contmence ; ceux-ci fourni-
rent au roi de grosses sommes; il protégea
le scandale et leur laissa leurs femmes . En
Biscaye , on alla jusqu'à ne pas recevoir ceux
qui n'avaient pas de commères ; c'était une
caution pour la tranquillité des maris. Enfin,
ajoute l'historien , tous les foudres de l'église
ayant été inutiles, on n'imagina, en France,
d'autre moyen que de les assujettir à la taille
quand leur conduite cessait d'être régulière.
xv* SIÈCLE. En 1 419 ou 1420 , « Charles 11
(duc de Lorraine) déclara la guerre à la ville
de Toul, sur le refus qu'elle lit de lui re-
mettre lesjîls de prêtres nés à Toul, et qui
lui appartenoient par une concession faite à
ses ancêtres par les empereurs. Le damoiseau
de Commercy et plusieurs gentilshommes
C xi^ )
entrèrent dans cette querelle, et donnèrent
du secours aux Toulois qui remportèrent
d'abord quelques légers avantages sur les
Lorrains; mais le comte de Vaudëmont ayant
joint ses troupes à celles du duc , les bour-
geois furent obliges de demander la paix. Par
le traite qui fut fait et qu'on appelle commu-
nément le traité des fils de prêtres ^ ils s'o-
bligèrent de payer tous les ans six cents francs
barrois, lesquels joints à quatre cents francs
portes dans le traite de 1406, faisoient une
somme de mille francs que les ducs de Lor-
raine ont perçue jusqu'en 1645 que Louis XIV
défendit aux bourgeois de la payer davan-
tage (i). ))
Un concile national fut convoque à Pa-
ris , en 1432 5 par Farcbevéque de Sens , pour
s'occuper de divers points de la discipline
eccle'siastique. Le continuateur de Velly,
Villaret, en a conservé les dispositions
(t. XV, p. i3i et suiv. ). (f Le même con-
cile , dit-il , ordonna qu'à lavenir les évêques
(i) Ah. chronol. de VHist. de Lorraine, parHenriquez,
chanoine, in-8°, t. I, p. 180.
b..
( » )
auroient soin d'avertir dans leurs diocèses
ceux qui aspiroient au sous-diaconat, que cet
ëtat exigeoit une continence perpétuelle ; ce
qui sembleroit prouver que jusqu'alors on
avoit cru que cette obligation n'iniposoit pas
un devoir de rigueur. On rappela les anciens
canons qui interdisoient aux ecclésiastiques
l'usure, le commerce, les habits rouges ou
verds, à queues traînantes, fendus par-de-
vant ou par-derrière au-dessus des genoux, la
fréquentation des jeux , des cabarets , et sur-
tout l'entretien des concubines.... Plusieurs
prêtres incontinens imaginèrent l'expédient
d'entretenir des femmes dans des maisons
étrangères, persuades qu'à la faveur de ce
subterfuge , ils satisfaisoient littéralement
aux règlemens qui leur défendoient d'avoir
des chambrières chez eux. Il fallut s'expli-
quer d'une manière plus précise ; mais les in-
terprétations de la loi n'arrêtèrent pas le
cours de ces désordres. Une funeste expé-
rience ne nous a que trop démontré combien
cet abus a causé de préjudice à la religion
dans l'esprit du vulgaire , accoutumé à ne
juger de la sainteté du culte que par les
( xxj )
mœurs de ses ministres. Au surplus, cette
défense, qui comprenoit les séculiers ainsi
que les clercs, offre une singularité dont il
seroit difficile de rendre raison. Un prêtre
concubinaire n'étoit puni que par le retran-
chement d'une partie de son revenu , tandis
que les canons condamnoient un laïque à des
peines corporelles. "
xvi^ SIÈCLE. La réforme avait fait des pro-
grès. La raison des gouvernans d'alors parut
s'éclairer, et un édit de pacification, enre-
gistré au parlement en iS^ô, porta la décla-
ration que les prêtres ou moines qui s'étaient
mariés ne pourraient être inquiétés dans la
suite pour ce sujet, et que leurs enfans se-
raient regardés comme légitimes. Cependant
on trouve à la Bibliothèque nationale un
grand nombre de légitimations de ce temps-
là, ce qui prouve que l'on croyait en avoir
besoin malgré l'édit.
Tandis que Henri III et sa mère faisaient
des concessions en faveur des réformés , l'ar-
chiduc Albert rendait un édit ( 20 décembre
iSgg) pour défendre aux catholiques de la
Franche-Comté , province qui n'appartenait
( x^«i )
pas encore à la France , de se marier à des
lierëliqiies , à peine de confiscation de corps
et de biens. Louis XIV fit un édit semblable
contre toute la France au mois de novembre
1680.
xvii" SIÈCLE. La lutte relative au célibat
s'était enfin terminée au gré des papes, c'est-
à-dire que les princes et leurs tribunaux se
montraient contraires au mariage des prê-
tres. Mais comme on n'avait point osé or-
donner la seule opération qui eût pu les
mettre à l'abri des écarts de leur imagination
et des tendres penclians de leur cœur (i);
(i) « Des prêtres de l'antiquité' observoient le célibat et ils
ewiployoient des moyens physiques pour éteindre le besoin
des sens. Ceux d'Egypte et de Cybèle, les hyéropliantes
d'Athènes, les nazaréens chez les Hébi'eux faisoient usage
de plusieurs simples et de topiques refrigératifs , et sans se
mutiler ils se mettoient dans un état d'impuissance. Les
philosophes prenoient aussi ces précautions; et l'on vit les
disciples de Pythagore et beaucoup d'autres amortir les feux
de la concupiscence par un régime très rigoureux. — On
n'arrètoit pas les mouvemens de la chair : on buvoit en
vain des potions refroidissantes , on appliquoit en vain de
de la ciguë sur les parties naturelles, la nature plus forte
triomplioit encore ; on prit un parti désespéré. Les prêtres
( ^^iij )
que la continence parfaite , combattue par
les sens, est impossible à l'homme; que les
exigences de la nature ont plus de force que
les caprices du législateur : les ecclésiastiques
eurent recours à toute espèce de moyens pour
se procurer des plaisirs dont on voulait les
priver , et entre autres aux alliances as^ec la
divinité.
On lit dans les questions sur l' Encyclo-
pédie : (( Jésus-Christ apparut à sainte Ca-
therine de Sienne ; il l'épousa, il lui donna
un anneau. Cette apparition mystique est
respectable, puisqu'elle est attestée par Rai-
mond deCapoue, général des Dominicains ,
qui la confessait , et même par le pape Ur-
de Syrie et ceux de Cybèle se jîrent eunuques. — Le goût
des vœux et de la continence se re'pand ; outre les prêtres
chargés par état de mener une vie exemplaire , des simples
particuliers s'alarment et vivent dans le célibat et la re-
traite. Alors paroissent les institutions monastiques; le scru-
pule commence et dégénère en facéties. Des moines indiens
se percent le prépuce et ils y passent un anneau avec un ca-
denas dont ils remettent la clef au juge du lieu. »
Hist. crit. du Célibat, t. V des Mémoires de l'Académie
des Jnscript. : Démeunier, l'Esprit des us, etc., Londres,
1 'J76, t. II , p. 320 et suiv.
( xxiv )
bain VI. Mais elle est rejelée par le savant
Fleuri , auteur de Y Histoire ecclésiastique.
Et une lilie qui se vanterait aujourd'hui
d'avoir contracté un tel mariage , pourrait
avoir une place aux Petites-Maisons , pour
présent de noces. »
La réflexion qui termine cette citation
pouvait se faire au XVIII° siècle ; elle eût été
inexacte au siècle précédent, époque à la-
quelle les alliances mystiques avec la divi-
nité étaient assez en usage. J'ai sous les yeux
la copie d'un contrat de mariage contracté
entre le Sauveur du monde et la femme d'un
procureur d'Orléans. Ce contrat, passé en
double y était encore, en 1669, entre les
mains du curé de Saint-Donatien à Orléans.
Le voici :
« Je , Jésus , fils du Dieu vivant , l'époux
» des âmes fidèles, prends ma fille, Made-
)) leine Gosselin , pour mon épouse , et lui
» promets fidélité , et de ne l'abandonner
» jamais , et lui donner pour avantage et
» pour dot, ma grâce en cette vie, lui pro-
>) mettant ma gloire en l'autre, et le partage
( -.-v )
» à Théritage de mon père. En foi de quoi ,
» j'ai signe le contrai irrévocable de la main
» de mon secrétaire. Fait en présence de
» mon père éternel, de mon amour, de ma
M très-digne mère Marie, de mon père saint
» Joseph et de toute ma cour céleste , l'an
» de grâce i65o, jour de mon père saint
» Joseph.
» Signé, JÉSUS, Vëpoux des âmes fidèles ;
» Marie , mère de Dieu;
» Joseph , l époux de Marie ;
» L' Ange gardien;
» Madeleine , la chère amante de Jésus.
» Ce contrat a été ratifié par la très-sainte-
» Trinité _, le même jour du glorieux saint
» Joseph, en la même année.
» Signé, frère Arnoux de Saint-Jean-
» Baptiste , carme déchaussé j indigne
» secrétaire de Jésus. »
C XXNJ )
« Je, Madeleine Gosselin , indigne ser-
» vante de Jésus, prends mon aimable Je-
» sus pour mon époux , et lui promets fidë-
>i lité , et que je n'en aurai jamais d'autre
» que lui ; et lui donne , pour gage de ma
» fidélité , mon cœur et tout ce que je ferai
i) jamais , m'obligeant , à la vie et à la mort,
» de faire tout ce qu'il désirera de moi , et
» de le servir de tout mon cœur pendant
» toute l'éternité. En foi de quoi, j'ai signé
» de ma propre main le contrat irrévocable,
» en la présence de la sur-adorable Trinité ,
>i de la sacrée vierge Marie , mère de Dieu ,
» mon glorieux père saint Joseph , mon
» Ange gardien et toute la cour céleste, Tan
» de grâce i65o , jour de mon glorieux père
» saint Joseph.
» Signé, JÉSUS, l'amour des cœurs ^
» Marie, mère de Dieu;
» Joseph, V époux de Marie ;
>i If Ange gardien;
» Madeleine , amante de Jésus,
( xxvij )
» Ce contrat a élë raLiiîë par la sur-ado-
» rable Trinité , le même jour du glorieux
» saint Joseph, et de la même année.
n Signé , FRÈRE Arnoux de Saint-Jean-
» Baptiste, carme déchaussé ^ indigne
» secrétaire de Jésus. »
Il n'est pas difficile de deviner que le vé-
ritable épouseur fut Yindigne secrétaire de
Jésus. Le frère Arnoux lit de telles mer-
veilles , que la nouvelle épouse du Christ
refusa à son mari terrestre , le procureur Du-
verger , l'usage de son droit conjugal. Celui-
ci connut la vérité, porta sa plainte aux
carmes déchaussés, qui rappelèrent la femme
à son devoir et éloignèrent Yindigne secré-
taire de Jésus. Aucune autre punition ne fut
infligée à ce naisérable.
Henri de Bourbon , fils de Henri IV et
de la marquise de Verneuil , légitimé en
i6o3, prit les ordres et fut pourvu de plu-
sieurs abbayes, entre autres de celle de
Saint-Germain-des-Prés. Appelé ensuite à
l'évéché de Metz , il en conserva long-temps
( xx\ilj )
le titre. Fait chevalier de l'ordre du Saint-
Esprit le i''" janvier 1662, et reçu duc et
pair l'année suivante, il prit définitivement
le nom de duc de Verneuil, sous lequel il
fut envoyé en Angleterre, en i665, avec le
titre d'ambassadeur extraordinaire. Enfin,
en 1666, Louis XIV lui donna le gouverne-
ment de Languedoc. // se démit de ses bé-
néfices et épousa, le 29 octobre 1668, Char-
lotte Séguier, veuve deMaximilien-François
de Béthune III, duc de Sully, dont il n'eut
point d'enfans. Il mourut à Versailles, le
28 mai 1682 (i).
Louis de Lorraine, cardinal de Guise,
lîls de Henri duc de Guise , tué aux états de
Blois, était aussi brave guerrier que galant.
On croit qu'il épousa secrètement Charlotte
des Essarts, comtesse de Romorantin, une
des maîtresses du libertin Henri IV; au
moins est-il certain qu'il en eut cinq en-
fans (2).
(i) Saint-Edme, ^-/mowrs et galanteries des rois de France;
Paris, 1829; t. I , p. 84-85.
(2) Jbid.. t. I, p. 99 et suiv.
( xxix )
XVIII* SIÈCLE. Sans cesse tourmentes par
leurs désirs , les prêtres se rendaient coupa-
bles de séductions , de rapts , de violences
pour les satisfaire. Les plus sages figuraient
sur les rapports de police dont la Pompadour
amusait son roi (i).
Enfin le scandale fut porté si loin , qu'au
commencement de la révolution une des
premières demandes du peuple eut le ma-
(i) Pour donner une idée de l'esprit de ces rapports et
prouver en même temps que je n'avance rien que devrai,
j'en vais rapporter un court extrait. « 3 de'cenibre 1760.
J. D. Tardoir, sous-prieur de Mantes (cél.), chez la Mansy,
dans la posture du prophète qui ressuscite le fils de la Su-
namite. — i4 de'cembre 1762. Laurent Dilly, frère quê-
teur de la rue Saint-Konore' (cap.), chez la Boyerie, où il
chantait: tirez-moi par mon cordon. — 27 octobre 1763.
Charles-Marie Thibault de Monsauche (cl. tons.), conduit
à Saint-Lazare parce que c'était la troisième fois qu'il se
levait avec V Aurore. On trouva dans leur char une épître
en vers, où l'abbé Tithon chantait ce qu'Hébé montre aux
dieux , et ce que voudraient voir les rois si ,
Pour aller chercher le plaisir,
Ils montaient au cinquième etagej
ce qui enfin devrait, selon lui, avoir tabouret à la cour. »
Saint-Edme, Biog , de la Police, Paris, 1829, p. 127, 128.
( XXX )
riage des prêtres pour objet. Le district de
Saint-Etienne-du-Mont , dans plusieurs de
ses assemblées générales des mois de novem-
bre et décembre 1790, discuta cette grave
question sur la proposition de l'abbé de Cour-
nand, professeur au collège royal , poète mé-
diocre, mais littérateur instruit. Le discours
que prononça cet ecclésiastique dans la
séance du 11 décembre, à l'appui de sa pro-
position , est un morceau non moins remar-
quable par les formes du style que par la
force des pensées; et comme cette pièce est
rare aujourd'hui et n'a pas été imprimée , je
crois, depuis 1790, j'en extrairai les passages
suivans :
(( Le mariage est d'institution divine :
c'est le premier des sacremens dans l'ordre
des temps : dans l'ordre de la société, c'est
le lien du genre humain, la base des con-
ventions sociales, le gage des mœurs pri-
vées et la sauve-garde des mœurs publiques.
Nulle loi ne peut le défendre à une classe
particulière d'individus, parce que nulle
loi ne peut priver l'homme d'un droit na-
turel. La loi qui le défendroit ne pourroit
( ^^^j )
donc être une loi sociale; et si c'ëtoit une
loi religieuse, elle auroit un vice bien re-
marquable, celui d'aller contre un ordre
exprès de Dieu
)) Mais, dîra-t-on , l'église Fa ainsi or-
donné. Personne ne respecte plus que moi
Fautorité de l'église dans les choses qui
sont du ressort de la foi et qui intéressent
véritablement les mœurs 3 mais on ne dira
point qu'il soit de foi que tel ou telle doi-
vent s'interdire le mariage, et que Fautorité
de l'église s'étende jusqu'à proscrire, sous
aucun rapport, un engagement aussi saint
que celui-là : car ou l'église parle au nom
de Dieu, et l'on sait que c'est Dieu lui-
même qui a commandé le mariage aux
hommes; ou elle parle au nom des hom-
mes, et le grand intérêt des mœurs ne leur
permettra point de la démentir, si elle con-
sent au mariage de ses ministres; mais la
société a-t-elle besoin de son consentement?
non : car s'il existoit une loi contraire à
l'ordre de Dieu et au bien de la société ,
cette loi ne sauroit être une loi de l'église;
elle ne peut ordonner des choses contraires
( xxxij )
à la loi de Dieu et au bien gênerai des
hommes.
» Cet usage donc qui interdit le mariage
aux prêtres n'est point une loi de l'église
et ne peut être obligatoire pour ses minis-
tres. L'église est l'assemblée des clirétiens,
et nulle société chrétienne n*a pu et n'a dû
consacrer un usage qui va directement con-
tre l'ordre de Dieu et de la société ; cela est
évident
» Sans examiner les causes qui ont amené
cette interdiction particulière, je me res-
treins à démontrer combien la société y a
perdu. Une classe de citoyens utiles et char-
gés de fonctions respectables s'est trouvée
isolée des devoirs les plus sacrés de l'homme
et les plus impérieusement commandés par
la nature. Ce sentiment toujours actif d'une
union nécessaire au bonheur de la vie, étant
contrarié par une privation forcée, on a vu
communément l'inobservance de la loi en-
traîner la perte des mœurs, parce que la
grâce ne se charge pas plus que la nature
de garantir des sermens qui répugnent à
notre constitution. De là les plaintes con-
( xxxiij )
tinuelles des canons sur les scandales des
prêtres, scandales qu'il ne tenoit qu'à eux
de prévenir, en leur permettant d'avoir des
épouses ; de là les gémissemens des personnes
pieuses et les déclamations des gens du monde
contre le clergé qui ont eu pour principe, en
grande partie, ce dangereux célibat
» Ajoutons que l'Etat aura plus de faci-
lité à encourager les mariages dans les au-
tres classes de citoyens. Le célibat religieux
est du plus mauvais exemple pour les mœurs
publiques. De quel droit condamneriez-vous
dans les laïcs le célibat que vous consacrez
dans vos prêtres? Ne pourront-ils pas, mal-
gré vos institutions politiques, se parer des
mêmes debors de vertu pour pallier un li-
bertinage secret? et l'hypocrisie ne pren-
dra-t-elle point, quand elle voudra, le
masque de la religion pour se dispenser des
devoirs et des peines du mariage? Non, vous
ne parviendrez jamais à faire de bonnes lois
sur le mariage, tant que vous n'aurez point
aboli la loi injuste et insociale qui con-
damne vos ministres à une continence sou-
vent mal gardée.
( xxxiv )
» Mais on craint que le mariage ne les
rende moins utiles à la société en les dé-
tournant des fonctions de leur état. Coux
qui pensent ainsi ne refléchissent pas , ce
me semble, que c'est au contraire un moyen
infaillible de leur rendre ces fonctions et
plus faciles et plus chères. Ils s'intéresse-
ront davantage à l'éducation des enfans des
citoyens, quand ils auront eux-mêmes des
enfans à élever; ils entreront mieux dans
les peines d'un ménage, quand ils éprouve-
ront les mêmes peines dans leur maison.
Leurs épouses , destinées à donner à leur
sexe des exemples semblables à ceux des mi-
nistres de paix auxquels elles seront unies,
deviendront les anges tutélaires d'une pa-
roisse, et elles en seront par état les dames
de charité. Il n'y aura plus dans les mai-
sons presbytérales de ces gouvernantes im-
périeuses qui aliènent souvent les brebis du
pasteur par leurs manières arrogantes et
hautaines; on abordera avec confiance celle
qui aura les miémes intérêts de compassion,
de modestie et d'honnêteté que son vertueux
époux : et qu'on ne dise pas que celui-ci,
( XXXV )
trop occupé de sa famille, négligera ses ma-
lades ou ses pauvres; il faudroit donc in-
terdire le mariage à tous les officiers civils
chargés de semblables soins; il faudroit le
défendre aux médecins , aux administra-
teurs d'hôpitaux, aux ministres d'Etat, à
tous ceux qui ont à leur charge la chose
publique
» C'est plutôt le célibat qui les empêche
de remplir fidèlement les devoirs de leur
ministère. Si vous vous plaignez que nous
sommes moins sensibles à vos peines, ne
vous en prenez qu'à la loi qui nous défend
d'être pères et citoyens; nous ne connois-
sons vos chagrins que par ouï dire. On com-
patit foiblement aux maux qu'on n'a point
soufferts. Un effet presque immanquable du
célibat, c'est d'endurcir le cœur; et la reli-
gion, toute céleste qu'elle est, ne remplace
point communément par ses grâces surna-
turelles , cette sensibilité active et profonde
qu'elle verse dans nos âmes par les moyens
naturels. Sans doute il existe des vertus dans
le célibat, mais on en trouveroit en plus
grand nombre dans le mariage, parce que
c
( xxxvj )
les vertus suivent l'ordre de la nature, et
celles-là sont bien meilleures qui naissent
de son concours avec les grâces d'en haut.
» Un autre obstacle à l'accomplissement
des devoir du prêtre, c'est cette inquiétude
d'un cœur qui ne sait où reposer ses affec-
tions et qui, ne pouvant se remplir de Dieu,
se tourmente involontairement par l'attrait
irrésistible des créatures
» Leur célibat les rend suspects dans les
maisons des citoyens, jalouses de conserver
des mœurs pures. On a peine à croire à une
chasteté dont la profession est si commune
et le mérite si rare^ de façon que l'habit de
prêtre, qui ne devroit inspirer que la con-
liance , opère ordinairement un effet con-
traire; tant les gens du monde sont diffi-
ciles à persuader sur les vertus qui répu-
gnent à la nature et dont l'exercice, tout
héroïque qu'il est, leur devient indifférent
à proportion du peu d'avantages qu'ils en
retirent.
» Associez vos ministres à tous vos droits,
et vous y gagnerez de toutes manières. On
se flatte peut-être un peu légèrement d'avoir
( iXXVlj )
détruit cet esprit de corps tant reproché au
clergé, en déclarant que ses biens sont à la
disposition de la nation. Erreur! Tordre
subsiste tant qu'il est distingué du reste des
citoyens dans une chose aUvSsi étrange qu'un
célibat nécessaire. Que voulez -vous donc
de plus pour entretenir une éternelle sépa-
ration? Si les pertes que cet ordre vient
d'essuyer dévoient nourrir dans son sein
une secrète animosité, vous avez un moyen
infaillible de la calmer, c'est de lui per-
mettre un lien capable d'adoucir et d'hu-
maniser ses mœurs. Les flambeaux de la
discorde s'éclipseront à la lueur des chastes
feux du mariage, et les douceurs qui en
sont inséparables étant communes à vos mi-
nistres et à vous , le même lien réunira des
citoyens qui auront les mêmes objets d'af-
fection. Sans cela, je ne prévois que des
malheurs 5 et le plus grand de tous seroit de
laisser subsister ce mur de séparation que
la religion et l'intérêt social doivent s'em-
presser de détruire
» Quoi I vous me dites que je suis citoyen,
et vous m'empêchez d'user du droit de cité,
( xxxviij )
et vous osez m'interdire un lien sacre sans
lequel la cité même est dissoute! Barbares!
l'esclavage n'est pas un état pire que celui
où vous me placez. Vous permettez au moins
à l'esclave de suivre le penchant le plus doux
de la nature, et vous ne me laissez que des
vices pour dédommagement de la contrainte
où vous me tenez ! Vous attaquez tout-à-la-
fois mon existence civile et morale , et vous
détruisez autant qu'il est en vous les mœurs
publiques dont je ne puis vous donner
d'autre garant qu'une grâce sur laquelle
il est impie de compter, et une vertu dont
la foiblesse de mes sens ne peut vous ré-
pondre.
» Ne faisons donc plus de nos ministres
des athlètes toujours dans un état de com-
bat et toujours exposés au péril de la dé-
faite. Qu'une expérience de quatorze siècles
nous corrige enfin de la présomption que
la politique plus que la piété s'était plu à
former sur les vertus de leur état. Ce qui
a été impossible pendant une si longue suite
d'années sera-t-il plus praticable au temps
où nous vivons? Ce seroit folie de le penser.
( x\.\i\ )
Essayons du seul moyeu capable de rétablir
la pureté des mœurs sacerdotales, et ne
soyons point assez aveugles ou assez mé-
chans pour penser qu'un lien sacré et béni
de Dieu puisse souiller cette pureté. »
L'Assemblée nationale abolit l'obligation
de continence imposée aux prêtres, le 3 sep-
tembre 1791, et, le 17 octobre suivant,
l'abbé de Cournand , joignant le précepte à
l'exemple , fit déclarer son mariage à la mu-
nicipalité de Paris. Grand nombre de prêtres
et de religieux l'imitèrent.
Le consulat et l'empire vinrent mettre un
terme à cet élan de la raison.
xix^ SIÈCLE. C'est dans l'ouvrage même de
M. Gerati { sect. II et III du deuxième Iw, )
qu'il faut chercher comment les gouvernans
et les tribunaux ont entendu la législation du
célibat des prêtres ; car les gouvernans ont
voulu le maintenir, et les tribunaux ont
manqué d'accord à cet égard. Je n'ai donc à
m'occuper que du récit de quelques faits ca-
pables de démontrer la nécessité , pour la
religion et les mœurs, de cesser de mettre
en dehors du droit naturel une classe en-
tière d'hommes, nësavec les mêmes besoins
et les mêmes faiblesses ([ue nous , condam-
nes par une habitude ou plutôt un préjugé
ignoble à passer une longue vie dans l'hypo-
crisie et le iTiensonge.
Je ne parlerai pas de ces prêtres dont le
noin , flétri par les tribunaux, est resté gravé
dans la mémoire du peuple : si ces malheu-
reux avaient pu suivre librement les pen-
chans de la nature, la vertu les eût peut-être
avoués. Je resserrerai mon cadre.
Un vieillard, M. D , qui n'avait con-
servé qu'une faible pension de 6 à 700 francs
d'une fortune que nos émigrés lui enlevèrent,
vint me trouver en iS^S, et me tint ce dis-
cours : « Mon cher monsieur , j'ai une nièce,
» P C , qui n'a pas encore dix-
» neuf ans, et qu'un prêtre a séduite; il
)) faut absolument que vous me fassiez le
» plaisir de me rédiger une plainte à l'ar-
» chevêque. » Il était fort ému. Je le priai
de me donner les explications indispensables,
et»il continua : « Je ne sais toute cette his-
.') toire que depuis quinze jours ! Ma nièce fit
» sa première communion un peu tard , à
( xij )
» cause de la misère et sans doute aussi de
» lin différence de sa mère. Elle allait à l'é-
» glise de , où M. B , vicaire de la
)) paroisse , fait le catéchisme. Elle conimu-
» nia. Lors de la confirmation, M. B
» dit à la petite qu'il la lui donnerait chez
» lui, à G , et la petite s'y rendit au
» jour indique. Mais, au lieu de lui donner
y> la confirmation, il abusa de son innocence ;
» j'appris même quand j'allai lui proposer
» un bon mari , qu'il y avait déjà quatre
)) mois qu'elle était mère des œuvres de ce
>i prêtre. Le jeune homme sait tout, et il
)) consent encore à l'épouser, si M. B
» veut meubler une chambre à P et
') l'aider à élever cet enfant. J'ai tenté une
» démarche auprès de ce vicaire ; mais j'ai
)) été si mal reçu de lui , que j'ai l'intention
» de réclamer l'intervention de Farchevê-
» que. » Je le calmai; je parvins à lui faire
comprendre qu'un éclat perdrait M. B
sans utilité pour sa nièce, et je me chargeai
du soin d'arranger cette affaire. Il était im-
portant de faire venir M. B chez moi ;
je lui écrivis donc. Deux invitations n'ayant
( ^li) )
produit aucun elFet, je lui en envoyai une
troisième tellement pressante qu'elle le dé-
cida. Il vint. Cet homme me parut avoir une
soixantaine d'années ^ pied-bot, il se servait
d'une crosse pour marcher 5 ses habits n'in-
diquaient ni l'opulence ni même la propreté.
J'abordai la question franchement. Au lieu
de m'interrompre 5 il se contenta de lever
plusieurs fois les yeux et les épaules en signe
de mépris. Je finis, lui demandant ce qu'il
prétendait faire. 11 nia tout , cria à la calom-
nie, essaya de me prouver que les mœurs de
la petite P , comme celles de l'époque,
étaient perverties; que c'était à son habit et
à son caractère qu'on s'attaquait pour obtenir
de lui, au moyen d'un grand scandale, un
sacrifice pécuniaire qu'il ne ferait pas; en-
fin , il ne voulut d'abord rien entendre. Je
lui fis des concessions; je feignis de douter
qu'on m'eut dit vrai; puis, je cherchai à lui
démontrer qu'en admettant la séduction , il
ne serait coupable qu'envers la morale , puis-
que la nature l'excusait de reste. Bref, en-
traîné, après deux heures de conversation, par
la complaisance de mes raisonnemens , il me
( ïliij )
dit : « Ecoutez : vous me seniblez un brave
homme, un bon garçon;... je suis un ancien
dragon. Tout ce qu'on vous a rapporté de ma
liaison avec cette petite fille n'est pas précisé-
ment exact, mais il y a cependant du vrai. On
exige 600 francs , et cette somme est trop
forte : qu'on se contente de 3oo francs , je
vous les donnerai, car je ne veux avoir af-
faire qu'à vous. » Il me fit trois billets de
100 fr. chacun, qui ont été payés, et je
remis ces 3oo francs à M. D... Le mariage
suivit.
Tous les journaux de l'année dernière ont
entretenu leurs lecteurs du départ de Paris
de M et de son arrivée à Genève, où
il a embrassé le protestantisme. On ignore
les motifs de ce changement de culte; les
voici: M appartient à une bonne fa-
mille de , qui fit soigner son éducation.
Il entra dans les ordres. Une maîtresse de
pension désira l'avoir pour donner des le-
çons d'Histoire à ses pensionnaires , et il y
consentit. Là se trouvait une sous-maîtresse
sensible à la jeunesse et à l'esprit de M ,
que M ne put voir impunément: ils
( ^l'v )
se coiiiprjreut au premier coup d'd'il. liien-
tôt ils quittèrent la ville et se rejoignirent à
Paris. Loges clans la rue ........ tout près du
faubourg, rien ne leur fut plus facile de dis-
simuler leur ëtat et la naissance de deux en-
fans. Cette vie contrainte déplut à M ,
et, tournant des regards d'espérance vers la
dissidence qui a consacré les devoirs de la
paternité (i), il abandonna pour jamais le
culte romain.
Est-ce le même motif qui a décidé M. Fon-
tenelle , curé de Poilly , près Gien (Loiret),
à abandonner , il y a quelques mois , la reli-
gion de ses pères pour la réforme?
Lorsque M. le prince de Croï arriva au
siège archiépiscopal de Rouen, il publia,
sous la date du ig mars 182 5, une lettre
(i) « Les réformateurs des derniers temps attaquèrent
les abus du culte et en particulier la loi qui obligeait les
prêtres au célibat. Zuingle, écrivant aux cantons suisses,
leur rappelle un édit de leurs ancêtres qui enjoignoit à
chaque prêtre d'avoir sa propre concubine, de peur qu'il
ne corrompît la femme de son voisin. »
Fra Paolo, Hist. du conc. de Trente; Démeunier , VEspr.
des us, etc. ; Londres, 1776, t, II, p. SaS.
( xlv )
pastorale qui donna lieu à un certain nom-
bre d'observations. Un des numéros du
Journal de Roiieriy du mois de septembre
1829, rend ainsi compte de quelques-uns
des résultats de cette lettre :
« Après les recommandations relatives à
leurs redingotes qui doivent être de couleur
noire ou au moins brune foncée, sous peine
de suspense , venait la défense << d'avoir des
servantes dont la bonne conduite ne soit
connue, et qui n'aient pas au moins qua-
rante ans. n
» On avait pre'tendu que cette ordon-
nance avait ëtë laissée sans exécution en ce
point, comme en beaucoup d'autres; mais
un appel comme d'abus , actuellement pen-
dant au conseil d'Etat, prouve que si quel-
ques cures ont continué impunément d'a-
voir près d'eux des nièces ou des servantes
de moins de quarante ans, d'autres ont vu
se déployer contre eux, à cet égard, toute
la rigueur des peines canoniques.
» L'abbé B**^, desservant des Sept-Meu-
les, petite commune près d'Eu, s'est trouvé
sur ce point en contravention à la volonté
( ^'^j )
archiépiscopale. Averti par ses supérieurs,
qui du reste ne lui imputaient aucun scan-
dale, il n'a pas cru devoir déférer à des in-
jonctions qui lui paraissaient empreintes
d'un soupçon injurieux; il alléguait d'ail-
leurs que nulle part dans le diocèse le rè-
glement n'était exécuté.
» L'archevêque , irrité de cette persis-
tance, a ordonné à M. l'ahbé B^** de chan-
ger de résidence et l'a nommé à la cure de
Palluel 5 mais celui-ci a refusé de partir :
alors le prélat l'a interdit par une décision
qui ne contient aucun motif.
» C'est contre cette interdiction que l'abbé
B**^ s'est pourvu , comme d'abus , au con-
seil d'Etat 5 il soutient que, d'après les lois
canoniques, l'interdiction est nulle comme
ne contenant pas de motif.
» Le conseil d'Etat prononcera bientôt
sur cette affaire singulière. »
Il faut se rendre à l'évidence , et le livre de
M. Cerati doit seconder toutes les intelli-
gences : les prêtres se mariaient autrefois sans
empêcher la religion du Christ de gagner les
peuples de l'Europe; lorsqu'on a voulu les
( ^Ivij )
contraindre à une continence parfaite, le
célibat a engendré le libertinage, a attaqué
la morale publique , a porté une atteinte sen-
sible à la foi religieuse, a fait naître, en par-
tie, la dissidence de Luther et de Calvin , a
diminué le nombre de citoyens en augmen-
tant les moyens de puissance des papes. De
nombreux intérêts commandent aux gouver-
nans de consacrer par des lois nouvelles la
législation qui autorise les prêtres à se ina-
rier, mais sans les obliger a s'éloigner de leurs
autels.
Je ne terminerai pas ce court travail sans
adresser un reproche à M. Cerati, et c'est
la seule critique que je me croie en droit
d'exercer à son égard. Il semble penser que
la masse du peuple n'est point assez éclairée
pour applaudir au mariage des ecclésiasti-
ques; il pense qu'il est nécessaire de s'a-
dresser d'abord aux intelligences supérieu-
res. M. Cerati se trompe. L'inconduite et
les excès de notre vieux clergé ont mûri
l'esprit du peuple, et il n'est personne, même
dans nos campagnes , même dans les classes
inférieures de la société, qui ne soit con-
( xlviij )
vaincu que le repos des familles, les mœurs,
la religion et la politique exigent que l'on
permette aux prêtres de se marier.
Septembre 1829.
SAINT-EDME.
ET DU
MARIAGE DES PRÊTRES.
*V*»W»WV>VWW>iVWVV\'VV\W>%V»VVWVVVWVi«*W<'W »(V«W»%*VVVWV>%VWVW«»*»A(V>VV»*V>IW»W»V»
^xvvc pr^mur*
DU CÉLIBAT CHEZ LES NATIONS PAÏENNES JUSQU'A
LA VENUE DE JÉSUS-CHRIST.
SECTION PREMIERE.
Du célibat considéré par rapport aux lois
de la nature.
CHAPITRE PREMIER.
Le célibat n'est pas une loi de la nature.
Le mot nature peut avoir cUtFérentes acceptions
qu'il est nécessaire de fixer : c'est Je moyen le plus
sûr de s'entendre facilement et de demeurer d'ac-
cord, quand la chose est possible.
l
(O
Ordinairement, on entend par ee mot, ou l'en-
semble des lois générales (jui réi^àssenl tous les êtres,
ou les lois particidières auxquelles est sujette une
classe ou wne espèce, ou les qualités et les proprié-
lés distinctives des in.dividus.
Ne considérez-vous que les elTets ? ces trois ac-
ceptions sont claires et ne peuvent dornier lieu ni
à erreur ni à équivoque. Mais cherchez -vous les
causes? au lieu de considérer la nature et les effets
de la vie, de la sensibilité et des besoins de l'homme,
essayez-vous de vous élever à la cause premièrequi fait
que nous vivons, que nous sommes sensibles, que
nous éprouvons des besoins? la question est tout-
à-fait changée. Vous laissez l'ouvrage, pour vous
occuper de l'ouvrier: vous chercliez à deviner sa
pensée et son intentio'n d'après la forme et le dessin
de son ouvrage. Et où s'arrêteront vos recherches?
Si vous voulez avoir quelque chose de positif, quel-
que chose sur quoi votre raison puisse s'appuyer
avec confiance, vous serez obligé de remonter de
loi en loi jusqu'au souverain législateur. Dans ce
sens, la nature, pour moi, est la même chose que la
dwinité.
Cette nature, ou la divinité , auteur de tous les êtres
et de tontes les lois qui les gouvernent, a-t-elle
voulu, veut-elle le célibat? Examinons ce point de
philosophie dans toute son étendue.
Le célibat attaque la multiplication de l'espèce
(3)
humaine. Or, sous le rapport de la vie physique,
l'homme doit être régi par les mêmes lois que celles
qui régissent tous les êtres vivans. La solution de
notre problème peut donc s'appuyer sur des élé-
mens que le préjugé commun ne saurait influencer,
et qui se prêtent ainsi beaucoup mieux à un examen
peu sujet à contestation. Lorsqu'il sera prouvé que
le premier vœu de la nature, pour tout ce qui jouit
de la vie, est la conservation des espèces et la multi-
plication des individus, il sera impossible de ne pas
condamner le célibat pour l'espèce humaine, quel-
que privilégiée qu'on puisse la supposer. Ce vœu a
nécessairement pour but la fonction la plus impor-
tante de la vie, et pour objet la classe la plus par-
faite et, par cela même, la plus chère à la nature.
Ces principes une fois posés, portons nos regards
sur les classes des êtres qui occupent le dernier rang
sur l'échelle de la vie.
Chaque plante a reçu de la nature des organes
propres à sa reproduction , et paraît n'avoir été
créée, pour ainsi dire, que dans cette intention.
Pendant l'hiver, lorsqu'un observateur vulgaire croit
que la mort règne sur le monde, les germes de la
vie se préparent insensiblement avi sein des végé-
taux; le soleil du printemps les fait développer,
l'été et l'automne les perfectionnent et les mûris-
sent. Les germes réunissant alors toutes les condi-
tions pour donner l'existence , un grand nombre
( 4 )
de ces plantes périssent et rentrent dans le néant •
elles ont rempli le vœu de la nature, elles ont
terminé leur tache et sont désormais inutiles. La
mort les frappe, pour qu'elles cèdent la place à des
êtres nouveaux, indispensables à l'ordre immuable
de cet ensemble que l'esprit le plus vaste est con-
traint d'admirer.
Quelque accident, ou la main du philosophe cu-
rieux, vient-il suspendre l'acte important de la gé-
nération? la plante nouvelle est-elle mise hors d'état
d'enfanter des germes propres à conserver et à trans-
mettre la vie? la mort n'ose point la frapper; la
nature semble se faire illusion et attendre encore
que la stérilité de la jeune plante cesse enfin. La
période de son existence est alors prolongée.
Cette condition qui, quant à l'individu tout en-
tier, ne se vérifie que dans la classe des herbes,
s'étend à tout le règne végétal, pour les organes
spécialement destinés à la reproduction. La fécon-
dation a-t-elle lieu? la fleur se fane, la corolle se
flétrit et tombe, et le fruit se développe à sa place.
Avez-vous empêché le pollen de parvenir jusqu'au
pistil? la femelle n'a-t-elle pu être fécondée? la
fleur conserve encore quelques jours tout le brillant
de son coloris, comme une épouse qui attendrait dans
la chambre nuptiale le doux objet de ses amours.
La durée de la vie dans les diverses espèces de
végétaux est toujours proportionnée au plus ou au
( 5)
moins de promptitude avec laquelle ils produisent
des germes aptes à remplir à leur tour les devoirs
essentiels de la génération. L'humble fraisier mûrit
ses germes en peu de mois, et ne vit que peu de
mois; le superbe palmier ne donne des germes qu'a-
près beaucoup d'années, et conserve la vie pendant
des siècles.
L'orage, le torrent et l'homme, plus destructeur
encore que le torrent et que l'orage, ont-ils emporté
une plante avant l'épuisement de sa fécondité? la
nature lui a ménagé un autre moyen de se repro-
duire. Si une branche, un rameau, un bourgeon,
une partie quelconque échappe à la destruction et
se trouve placée dans un lieu convenable, aussitôt
la vie s'y rallume, de nouvelles racines s'enfoncent
au sein de la terre, de nouveaux rejetons s'élèvent
encore vers le ciel, et le but de la nature est rempli.
Si, sortant des végétaux, nous nous élevons à la
contemplation d'une classe d'êtres où la vie est plus
prononcée , nous verrons que la sollicitude de la
nature devient même plus tendre et plus empressée.
Ici les organes de la génération se trouvent toujours
sur des êtres différens, comme dans beaucoup de
végétaux; mais ces derniers, attachés à la terre et
privés de locomotilité, ne peuvent point se recher-
cher pour concourir à l'acte le plus important de
la vie, et un grand nombre de germes, quelquefois
tous ceux d'une plante ou même d'un bois entier
(6)
sont perdus j tandis que les animaux, doués de sen-
timent et pouvant; se mouvoir, se recherchent mu-
tuellement et ne se donnent point de relâche que la
fécondalion n'ait eu lieu. L'instinct, une force ir-
résistible les anime et les pousse. Les champs et les
eaux sont remplis d'un nombre infini d'êtres qui
n'existent qu'un jour et qui paraissent ne recevoir
là vie que pour la transmettre.
Il est des animaux dont le mâle périt aussitôt
après avoir concouru à l'acte de la génération.
Ne se trouve-t-il pas en position de suivre la loi
de la nature? le cours de sa vie est prolongé
au-delù de son terme ordinaire. Quelques-uns se
multiplient même par bouture , comme les plantes.
Si une portion minime du polype échappe à la
voracité des animaux destructeurs , cette portioti
devient en peu de temps un nouveau polype.
Une espèce est-elle persécutée par une espèce
ennemie , et privée de tout moyen d'assurer son
existence contre des attaques meurtrières et con-
tinuelles? la nature, pour qu'elle ne périsse pas,
en porte les individus à un nombre infini. Voyez,
par exemple , l'instinct conservateur de la faible
tortue. Elle est obligée de déposer ses oeufs sur
le rivage de la mer, afin que la chaleur du soleil
du midi favorise le développement des germes.
Les renards , les loups , les hommes , tous les
animaux carnivores cherchent avec avidité ses œufs ,
(7)
et tendent des embûches aux jeunes tortues qui
en sortent, avant qu'elles aient pu gagner les flots
de l'Océan. Que fait, pour éviter la perte de tous
ses fils , la tortue mère ? au lieu d'amonceler tous
ses œufs dans un seul trou , elle les cache soigneu-
sement dans huit ou dix. Qu'un seul échappe aux
efforts multipliés de ses ennemis, l'espèce est con-
servée. Guidée par la providence , on dirait que
la tortue raisonne.
C'est dans la même intention de la nature que
les animaux voraces, toujours bien armés et tou-
jours puissans, ne se multiplient pas à l'égal des es-
pèces timides et faibles. Comme leur force les met
à l'abri de toute injure , il n'était pas nécessaire
d'augmenter leur nombre pour conserver les es-
pèces. La nature, dans cette sage économie qui
caractérise toutes ses œuvres, a eu aussi en vue
de ménager les classes inférieures. Un aigle et
vm lion répandent au loin le ravage.
Se reproduire, contribuer à la conservation et
à la multiplication de son espèce, est un ordre in-
variable de la nature, pour tout ce qui a reçu la
vie. Les mesures de la providence ont été si bien
prises et si bien concertées, qu'une loi si essen-
tielle ne peut point rester sans exécution. Le mâle
et la femelle se trouvant dans les végétaux placés
souvent à des distances considérables , et n'ayant
aucun moyeu de se rapprocher, un élément qui
{ 8)
se trouve partout et qui est toujours en inôuve-
mcut, l'air, le léger zépliire se fait l'agcnl de
leurs amours et les met constamment en rapport
l'un avec l'autre.
Les animaux ayant un autre mode d'existence
et pouvant courir les uns à la recherche des autres,
un moyen étranger n'a pas été nécessaire pour
établir des rapports entre eux. La nature en a
imaginé un plus puissant : elle a lié l'acte de
la génération à un plaisir vif et ardent, et a fait
de ce désir un besoin des plus impérieux. En
vain un animal quelconque, le plus timide ou
le plus courageux , le plus faible ou le plus fort,
voudrait-il se soustraire à l'aiguillon cuisant de ce
désir, la saison propre aux mystères de l'amour
une fois venue, une passion violente agite chaque
être animé, le tourmente, le lance malgré lui
sur les traces de celui de ses semblables avec lequel
il doit remplir l'obligation de communiquer la
vie, qu'il n'a reçue qu'à cette condition.
Nous arrivons à l'homme. Il est placé au rang
le plus élevé parmi les espèces animées; mais pour
ce qui regarde la vie physique, il diffère à peine
de toutes les autres : à peu près organisé de la
même manière, il est sujet aux mêmes besoins,
il subit les mêmes nécessités. Ne sera-ce que pour
la plus indispensable de toutes les fonctions de la
vie, celle de donner l'existence, qu'il aura été
(9)
dispensé de la loi commune? La Force de notre
raisonnement, fondé sur une exacte analogie , nous
porte à une conclusion toute différente. Exami-
nons de plus près notre espèce ; voyons si elle
a en soi quelque chose qui , sous le rapport de la
génération , puisse établir quelque différence.
D'abord nous voyons là aussi un mâle et une
femelle, placés tout-à-fait dans une condition sem-
blable à celle des autres espèces. Les deux sexes
se sentent violemment entraîner l'un vers l'autre :
le mâle déploie une hardiesse et une audace ca-^
pables de vaincre toutes les difficultés • la femelle
affecte une modestie et une retenue qui allument
le désir, rendent l'attaque plus vive, et assurent
une victoire qu'elle brûle d'accorder. L'audace ,
l'effronterie , une concupiscence avouée auraient
moins de force que cette timidité apparente : il
en est ainsi dans toutes les classes d'animaux.
On dirait que l'amour est fils du dieu de la guerre:
l'acte de la génération succède presque partout
à un combat qui peut effrayer , mais qui n'a rien
de dangereux. La vie entre dans le monde pré-
cédée du même cortège que la mort.
Il y a plus : la nature, dans sa tendre sollicitude
pour l'homme, a prévu qu'il se présenterait, dans
le cours des siècles, des temps et des circonstances
où, dépravé et corrompu par une éducation anti-
sociale, il se ferait une vertu de ne point remplir
{ 'O )
le plus essentiel de ses devoirs et porterait atteinte
à la multiplication de son espèce. Elle a pris ses
mesures pour empocher un pareil état de choses.
Elle a rendu plus vif et plus impétueux ce désir
qui porte les sexes à se rapprocher l'un de l'autre;
elle Ta étendu , elle a ordonné qu'il ne s'éteignît
jamais au fond du cœur l'homme. Depuis la quator-
zième jusqu'à la soixantième, ou même à la soixante-
dixième année , l'homme est tourmenté le jour
et la nuit , dans toutes les saisons , dans tous les
instans de la vie, par l'irrésistible besoin de s'unir,
et par conséquent de consommer l'acte de la géné-
ration. Est-il possible qu'on ne soit pas ébranlé
par cette impulsion forte et continuée? Les autres
classes d'animaux ne sont stimulées par ce besoin
que quelques mois, quelques jours, quelques heures,
et aucun de leurs individus n'a assez de force pour
résister à un attrait si puissant : et l'homme pourra
lutter un temps si long , et paralyser une cause
si énergique et si puissante ?
( >' )
WVVVVVVVVW»VVVVVV\*Vrt/»VV*VV\W**VVV,V*VVVVVVV\WV«A(VVV>APVVVV\'VVVWVVVVVV^^ ww»v<»vw
CHAPITRE II.
Le célibat est impossible.
Il résulte des principes que nous venons d'éta-
blir, que le célibat, privation d'une union voulue
parla divinité, et défendue, au moyen d'une con-
vention singulière , par un corps spécial d'hommes
qu'aveugle une ambition sans bornes , est d'vme ex-
trême difficulté, ou pour mieux dire impossible. Les
lois de la nature sont immuables et éternelles- il
n'est donné à aucun être de les enfreindre impuné-
ment. Dans le monde , tout est nécessaire. La pierre
tombe lorsqu'elle est abandonnée dans l'espace; on
brûle sa main en la mettant dans le feu; en ne
mangeant pas quand on a faim, en ne buvant pas
quand on a soif, on devient malade et l'on meurt ;
de même, en voulant se soustraire à un des plus im-
périeux besoins imposés à l'espèce, on s'expose à des
souffrances fâcheuses, à perdre la vie et la raison (i).
(i) On lit dans les Essais de Bacon : « Souvent la na-
» ture se tient cache'e ; quelquefois elle est vaincue ; mais
» rarement on peut la de'truire. La contrainte même re-
» double sa force. »
( I^ )
La nature a donné aux deux sexes des orj^anes
affectés tout spécialement aux fonctions génératives.
Ces organes dans le bas âge , lorsque l'individu n'a
pas acquis le degré de développement et de force
auquel il doit parvenir, restent dans une inactivité
absolue, et les désirs, les passions qui dépendent
de leur exercice, ne l'animent, ne l'excitent pas
encore. Dans cet état, les deux sexes n'ont au-
cun penchant l'un vers l'autre ; les garçons pré-
fèrent jouer avec les garçons, les filles avec les
filles. Ce calme, celte innocence étaient nécessaires
pour que le tempérament pût se former. Mais dès
que l'individu a atteint son plus haut degré de
perfection physique , la nature imprime un mouve-
ment actif et énergique aux organes qu'elle a placés
en lui pour servir à sa reproduction ; car l'homme
ne paraît pas destiné à finir. Ces organes prennent
alors une force et une activité jusque là inconnues;
en même temps un feu secret s'allume dans les
veines, les sentimens s'exaltent, un désir d'abord
vague et indéfini, ensuite plus clair et plus déter-
miné, trouble et tourmente. La vue de l'être qui
doit concourir à transmettre la vie fait tressaillir;
un entraînement irrésistible attire vers lui , le fait
chercher partout. Le perd-on de vue ? s'éloigne-t-on
de lui? l'imagination en fait le portrait, l'embellit,
l'anime par les plus vives couleurs, et le place de-
vant les yeux. Quel que soit le lieu qu'on habite ^
(.3)
quelque chose que l'on fasse, il est toujours présent;
il nous poursuit dans le sommeil j point de repos,
point de relâche.
Veut-on s'opiniâtrer dans la résolution de ne point
obéir à la voix de la nature ? elle punit sévèrement
cette rébellion; elle augmente les besoins et les ai-
guise; elle peint sous les couleurs les plus brillantes
ce bien que l'on s'obstine à se refuser ; elle en mul-
tiplie les images et pousse constamment au sacrifice
qu'elle commande.
Reste-t-on dans une invincible obstination? les
exigences de la nature deviennent encore plus
vives. Les facultés intellecluelles se trouvent liées
par des rapports très étroits à nos facultés généra-
tives : celles-ci ne recevant plus d'application , n'é-
tant pas mises en exercice, celles-là se brouillent et
s'altèrent. De là ces sombres mélancolies, ces frayeurs
insensées, ces manies furieuses; de là ces conges-
tions, ces inflammations, ces altérations dangereuses
dans les organes affectés à la reproduction de l'es-
pèce ; delà les médecins obligés souvent de prescrire,
ou au moins de conseiller aux célibataires le seul
remède que la nature indique contre ces maux.
Des théologiens à principes outrés prétendent que
riiomme a le pouvoir de faire tout ce qu'il veut; que
sa raison règne en souveraine sur tous ses appétits ,
et que le Seigneur lui accorde toujours les grâces qui
lui sont nécessaires pour la sanctification de son âme,
( -4 )
s'il les lui demande avec une entière confiance et
une Immilité toute chrétienne. On peut répondre,
sans crainte de se tromper, (pie la tonte-puissance
n'a pas été le partage de l'espèce humaine; que les
appétits de la nature, l'homme peut les modérer,
mais non les détruire ou les empêcher de naître. Il
peut jeûner, il peut prendre plus ou moins de nour-
riture et de boisson; il jie peut se dispenser de man-
ger et de boire. Se priver d'une chose dont la nature
lui a fait une nécessité, c'est attenter à sa propre
existence, c'est se rendre coupable d'un suicide vo-
lontaire. Les mots sonores et les grandes idées , s'ils
sont hors de la nature, peuvent flatter nos oreilles
€t nos esprits, non pas nous placer au-dessus de
nos besoins. Nous ne pouvons pas changer not,re
manière d'être : elle est le résultat de notre organi-
sation intime, et en subit toutes les modifications
et toutes les vicissitudes.
Quanta la divinité, j'admets en principe qu'elle ne
peut modifier et changer ses lois. Et pourquoi le
voudrait- elle? Qui veut la cause, veut aussi les
effets. En donnant à tous les hommes les mêmes
organes , elle les soumet aux mêmes besoins et leur
impose les mêmes fonctions et les mêmes devoirs.
Elle ne saurait exprimer sa volonté d'une manière
plus forte et plus impérieuse. N'est-ce pas une t*é-
mérité, n'est-ce pas une rébellion de notre part de
prétendre que Dieu fasse à chaque instant des mi-
( '5)
racles en noire faveur, nous dispense à cliaqne mo-
ment de l'exécution de ses inviolables lois? Lorsque
nous lui demandons de pareilles grâces, n'offen-
sons-nous pas visiblement sa divine providence?
Les exemples d'une continence parfaite, que l'on
cite ordinairement , n'infirment en aucune manière
la force de mon raisonnement. Si vous en excep-
tez les temps de fanatisnie, de ce fanatisme qu'une
nouvelle doctrine religieuse ne manque jamais d'ex-
citer, il sera bien difficile d'indiquer un seul nom
à l'abri de tout reprocbe. Les licros les plus renom-
més du célibat ont tous été ou des bommes froids,
pour qui la continence n'était pas une vertu, ou
des bommes d'une prudence consommée qui sa-
vaient cacher au vulgaire ignorant les voies dé-
tournées et secrètes par lesquelles ils parvenaient
à satisfaire les besoins de la nature.
On sait que, dans les premiers siècles du chris-
tianisme, la haute opinion que l'on avait de l'état
de virginité portait les fidèles aux plus grands
sacrifices. Fuir jusqu'à l'aspect du sexe , s'enseve-
lir au fond des bois et au milieu de déserts inac-
cessibles aux mortels, s'imposer les pénitences et
les mortifications les plus rudes, étaient des actes
très fréquens. Cependant une vie si austère, un
détachement si entier de tout ce qui pouvait allu-
mer les désirs, ne suffisaient pas encore pour don-
ner à la faible raison humaine une victoire com-
( -6)
plète sur les sens. Ceux dont les sentimcns étaient
sincères et la conduite sans feinte furent obligés de
recourir à des moyens plus violens et plus eflli-
caces. Ils se privèrent eux-mêmes, par une opé-
ration hardie et désespérée, des organes dont l'ac-
tion leur causait des peines si vives et si cuisantes.
Plusieurs conciles, que nous citerons plus tard , dé-
ployèrent toute la rigueur des censures ecclésias-
tiques, pour détourner les fidèles d'une pratique si
malheureuse, si barbare et si contraire au voeu du
créateur.
Voilà l'unique ressource à laquelle puisse recourir
l'homme , pour être dispensé de contribuer à la
multiplication de son espèce , se soustraire aux tour-
mens que la nature ne manque jamais d'infliger aux
esprits rebelles. Ne voulez-vous pas remplir les devoirs
de l'homme? dépouillez-vous de la virilité, cessez
d'être homme: un crime horrible aux yeux de la
nature peut seul vous exempter d'obéir à ses lois. Si
vous ne commettez pas ce crime, vous en commet-
trez peut-^être mille autres, et vous encourrez la
malédiction du Saint-Esprit. Mariez-vous, ou vous
êtes criminel^ mariez-vous, ou vous serez séducteur,
suicide, dégradé de la dignité de l'homme : voilà
des écueils inévitables.
( -7 )
CHAPITRE III.
Le célibat détruit les bonnes mœurs.
Cependant il y a en et il y a encore un grand
nombre de célibataires. Gomment concilier ce fait
constant avec la loi de la nature qui condamne
le célibat ? Il faut s'expliquer. Quelle idée attacbez-
vous au mot célibataire ? signifîe-l-il un homme
qui n'a aucune relation avec l'autre sexe , et qui
se refuse toute espèce de satisfaction aux désirs pres-
sans de la nature? Ce phénix , s'il s'agit d'un
homme physiquement parfait, est encore à trouver,
et ne peut pas exister. J'en ai donné , je crois ,
des raisons trop fondées pour qu'aucune considé-
ration puisse en atténuer la force. Signifie-t-il seu-
lement un homme qui ne s'engage pas dans les
liens du mariage , mais qui se réserve d'autres
moyens de satisfaire au besoin de se reproduire ?
Dans ce sens, le nombre des célibataires n'est que
trop considérable : ils remplissent nos villes , ils
régnent dans nos villages ; ils ont été , ils sont
encore, à beaucoup d'égards, les arbitres des hu-
mains. Les grands lamas , les souverains pontifes ,
2
( >8 )
les dairi et tous les minislres de leur pouvoir, ont
exercé et exercent encore une domination très
étendue.
H en existe encore qui, ne faisant aucun vœu , ne
s'obligent à aucun sacrifice, et ne cachent pas même
leur intention de se satisfaire aux dépens d'autrui.
Loin de se faire un devoir ou un point d'honneur
de s'imposer des privations, ils déclarent avec fran-
chise qu'ils veulent se procurer tous les plaisirs et
éviter tous les désagrémens du mariage. C'est une
mode pour les jeunes seigneurs de repousser les
liens pesans de l'hy menée jusqu'à la vingt- hui-
tième ou à la trentième année de leur âge. Est-ce
pour acquérir plus d'expérience , pour être plus
à même de remplir tous les devoirs d'un bon époux
et d'un bon père ? Point du tout : c'est pour avoir
plus de liberté, pour courir sans gêne les cercles
brillans des capitales de l'Europe, et pour faire pâlir
à leur aise les maris assez malheureux pour s'a-
bandonner au démon de la jalousie. Ils consacrent
les plus beaux jours de la vie à une licence effrénée;
ils se réservent de pratiquer les actes de la vertu
quand le froid de la vieillesse et les excès de tout
genre auront épuisé le corps et éteint la vivacité
des passions.
Cet état de choses est- il favorable à la pureté
des mœurs, à la tranquillité des familles, à la pros-
périté des peuples? Écoutez Montesquieu : « C'est
( '9)
)) une règle tirée de la nature , que plus on di-
» minue le nombre des mariages qui pourraient se
)) faire , plus on corrompt ceux qui sont faits 5 moins
)) il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité
)) dans les mariages ; comme lorsqu'il y a plus de
» voleurs, il y a plus de vols. »
C'est une vérité incontestable que tout le monde
reconnaît et qui n'exige pas de preuves. Ecoutez
les insolentes vanteries de ces célibataires impudens;
regardez les troubles des ménages, les ruptures
éclatantes, les séparations désastreuses : cliercbez-en
les causes réelles, et vous verrez que le célibat est
un terrible fléau.
Les peuples qu'on appelle barbares, parce que
notre luxe et notre corruption ne les ont pas in-
fectés , à moins qu'une religion ennemie des mœurs
ne les écarte des voies de la nature , ne connaissent
point une telle maladie. Un homme ou une femme
qui ne se marient pas y sont l'objet d'un mépris
général : on leur suppose ou une impuissance in-
vincible de contracter mariage , ou une privation
totale de ces charmes qui sont nécessaires pour
fixei- les vœux des personnes d'un autre sexe , et
on s'apitoie sur leur sort. Ce n'est pas assez de
se marier ; il faut avoir des enfans pour mériter
l'estime et les égards de ces peuples grossiers. Ces
sentimens , nous les retrouvons même dans nos pro-
vinces. J'ai vu des femmes accablées par ces mots
2..
( :^o)
qui leur étaient insupportables : « Et que veux-lu
)) dire, toi, plaute stérile, femme sans fils, que Dieu
» a frappée de sa terrible njalédiction ? »
Bacon dit, avec son bon sens accoutumé : « Quand
» on ne connaîtra plus de nations barbares, ou que
» la politesse et les arts auront énervé l'espèce, on
» verra dans les pays de luxe les hommes peu cu-
» rieux de se marier, par la crainte de ne pouvoir
» pas entretenir une famille. » J'ajoute, et par la
facilité de satisfaire autrement leurs désirs désor -
donnés. S'ils n'avaient aucun autre moyen d'éteindre
le feu dévorant qu'ils alimentent, ou qui s'allume
en dépit d'eux au fond de leur cœur, ils se bâteraient,
j'en suis sûr, de s'engager dans les liens d'un mariage
légitime.
La plupart de ces filles, la honte du beau sexe et
l'opprobre de notre espèce, à qui doivent-elles de
se trouver dans im état si affreux pour elles-mêmes,
si contagieux pour la morale, si ruineux pour nombre
de {personnes et de familles? Elles sont les victimes
de ces hommes dénaturés et pervers qui se font un
plaisir et une gloire de séduire et de corrompre.
Weussent-elles été attirées que par l'appât d'une
plus grande liberté et d'une plus belle existence,
ces hommes, indignes de ce nom, seraient encore la
cause de leurs malheurs; sans eux, jamais femme
n'aurait conçu la pensée de se livrer au libertinage.
11 ne faut pas avoir une meilleuj'e idée de ce ce-
( 21 )
libat que la religion sanctifie. La religion ne peut ni
dénaturer les hommes, ni suspendre le cours des lois
delà nature: tant que l'homme conserve les organes
destinés à sa reproduction, il a heau faire, il est con-
traint de subir des lois qui sont la condition de son
existence. Qui peut lutter contre la volonté de Dieu?
qui osera se plaindre de céder à l'inexorable néces-
sité d'être ce qu'il est ?
Aussi les ecclésiastiques eux-mêmes, lorsqu'ils
sont seuls et que les séculiers ne les entendent pas,
dans ces momens où la force de la vérité l'emporte
sur la pudeur, ne se font-ils pas scrupule d'avouer
toutes les difficultés de leur condition , toutes les in-
quiétudes et toutes les amertumes de leur vie ; et ils
se répètent d'un ton plaintif, les uns aux autres,
une maxime qu'ils attribuent, faussement je crois, à
saint Paul : « Si non caste ^ cautè. » Si l'on ne peut
pas être chaste, qu'on soit au moins prudent. Les
mystères de l'amour ne sont pas quelque chose que
l'on puisse cacher. Tout trahit dans l'amour; tout
dévoile les sentimens que l'on voudrait dérober à la
lumière et en quelque sorte cacher à soi-même. Un
premier pas peu mesuré fait naître le soupçon, et
alors tout est perdu : ce que l'on fait et ce que l'on
ne fait pas, les discours et le silence servent égale-
ment à produire au grand jour des liaisons illicites.
De là, mille bruits sourds, puis un scandale plus écla-
tant, puis la perte de l'honneur. Se flatteiait-on de
( =-- )
ne faire qu'un seul mauvais pas? Les anciens avaient
représenté l'amour aveugle, ou avec un bandeau sur
les yeux.
Ce qu'il y a de plus déplorable dans les affaires
de cette espèce, ce n'est pas le malheur des indivi-
dus, mais l'affaiblissement progressif de la morale,
et par degrés la corruption des mœurs publiques.
Rien n'est aussi contagieux que ces scandales bruyans
dont tout le monde s'entretient, et qui se perpétuent,
pour ainsi dire, sous les yeux des })opulations inno-
centes. Les âmes les plus chastes se familiarisent avec
l'idée du vice- la pudeur perd peu à peu sa délica-
tesse : ces idées et les mots qui les représentent ne
font plus rougir- le cœur est ouvert à la séduction; si
l'on est attaqué, on résiste faiblement, et l'on cède une
victoire aisée. Considérez quelle terrible responsabi-
lité pèse sur ceux pour qui c'est un crime de se lais-
ser aller aux tendres penchans de la nature.
Ce que je viens de dire n'est ni une calomnie ni
une exagération. Sur cent prêtres, à peine en trou-
vera-t-on un seul qui conserve intacte sa réputation
de chasteté. Consultez les personnes qui entourent
les presbytères; descendez dans les villages de nos
départemens, et interrogez les fidèles sur la conduite
des prêtres de la paroisse. Si presque toutes les voix
ne sont pas d'accord pour accuser les ecclésiastiques
de quelques liaisons scandaleuses, je passe condam-
nation et consens à être appelé calomniateur. Peu
(23)
importe, au reste, que l'on se trompe ou que l'on
expose des faits réels; les moeurs en reçoivent tou-
jours une mortelle atteinte. Le mépris des habitans
ne s'en attache pas moins à la personne de leur
pasteur. Alors sou action pour faire le bien se
trouve paralysée ; il sème en vain la parole du
Seigneur, Sa conduite étant en opposition avec
ses discours, les paroissiens arrivent à se persuader
que l'on peut légitimement parler d'une manière
et agir de l'autre. La bonne foi se dissipe, la du-
plicité et l'esprit de fraude lui succèdent, et la so-
ciété devient insensiblement une réunion de bêtes
cruelles et astucieuses qui se craignent les unes les
autres, et qui, n'osant pas se déchirer ouvertement,
emploient la ruse, l'artifice et la trahison, pour se
supplanter, se renverser et se détruire.
CHAPITRE IV.
Le célibat ri est pas agréable à la divinité.
On peut avoir déjà deviné ma manière de penser
sur toutes les questions où le principe religieux est
en collision évidente avec les lois de la nature. Il est
pourtant nécessaire que je fasse ma profession de foL
C ^4 )
J'ai déjà prévenu que la nature, dans le sens
que je donne ici ji ce mol, est ])Our moi la même
chose que Dieu. Or, d'après l'idée que je me suis
faite de la divinité, opposer loi à loi, révotjuer au-
jourd'hui un ordre donné hier , n'est pas une
manière d'agir digne d'elle. Ceux-là seuls sont
sujets à changer leurs lois , qui sont sujets à er-
reur, et encore une fois Dieu ne peut pas se
tromper.
J'espère que les chrétiens éclairés ne me feront
pas un crime d'être d'un avis contraire à celui d'une
grande foule de saintes gens. En ce qui touche la
foi, les saints doivent exciter notre admiration et
en imposer à notre faible intelligence : ils sont ins-
pirés d'en haut, tandis que nous, faibles mortels,
nous ne pouvons parvenir à la vérité qu'à l'aide de
nos sens, qui sont des instrumens peu sûrs et trop
sujets à nous induire en erreur. Dans les questions
de philosophie, d'iiistoire naturelle et de conve-
nances sociales, nous sommes autorisés à penser
autrement qu'eux. Dieu n'a pas voulu enseigner les
sciences aux hommes; il a liuré le monde tout entier
à nos recherches et à nos discussions; et une telle
étude ne se perfectionne qu'avec le temps. Dans
combien d'erreurs ne sont -ils pas tombés, les phi-
losoplies des premiers âges? Combien de temps n'a-
t-il pas fallu pour en dissiper quelques-unes? Com-
bien n'en existe-t-il pas encore?
(25)
En quoi le célibat serait -il agréable à la divinité?
Est-ce par la pureté qui l'accompagne? Qu'est-
ce que cette pureté ? Les hommes ont étrange-
ment abusé des mots, et surtout de la métaphore.
Pour moi, je ne sais pas me former une idée nette
de cette pureté. Une vierge est- elle pure parce
qu'elle ne devient pas mère de famille? Est-ce une
tache de mettre au monde un nouvel homme (i)?
Est-ce une souillure d'obéir à la volonté de Dieu?
Dieu peut-il aimer plus ceux qui transgressent ses
lois que ceux qui les suivent? Le mari, lorsqu'il s'u-
nit à sa femme, reçoit un surcroît de grâces du ciel;
il est comblé des bénédictions que vous appelez vous-
mêmes sur sa tête : et il pourrait se souiller, se dé-
grader vis-à-vis de Dieu? Si l'acte de la génération
souille nos corps, comment se fait-il que la satisfac-
tion des autres besoins ne les souille pas? Plus j'y
pense, plus je me confonds.
Dieu , le créateur et le conservateur de toute
chose, condamnerait-il la création ? Que diriez-vous
d'un homme qui cultiverait des plantes pour qu'elles
ne produisissent aucun fruit , et qui ferait avorter
toutes les plus belles fleurs? Vous pouvez lui passer
(i) Sommes-nous bien brutes de nommer brutale Vopé-
ration qui nous fait , dit avec sa naïveté ordinaire le spirituel
Montaigne.
( ^'! )
quelques fantaisies, quelques caprices; vous pouvez
aimer à voir quelques Heurs doubles et quekjues
monstruosités : les fruits et les semences sont plus
dans l'ordre de la nature, et suivant les exigences
de la société. Les fleurs doubles conservent plus lonj^-
temps leur éclat et leur brillant coloris : en est-il de
même des vieri^es?
Nous prêtons trop souvent notre façon de sentir
et de penser à la divinité elle-même. Cependant elle
serait obligée d'avoir des goûts bien contradictoires :
quelques peuples lui offrent ce qu'il y a de plus doux
et de plus odoriférant, quelques autres ce qu'il y a
de plus amer et de plus rebutant. Dans quelques
contrées des Indes, on ne trouve rien de plus exquis
pour placer sur les autels, qu'une plante à l'odeur
infecte que nos botanistes appellent communément
stercus diaboli ( l'ordure du démon ). Si des nations
consacrent à celui qui a créé et qui crée toute chose,
des êtres condamnés à ne rien créer, d'autres nations
lui consacrent l'image de l'organe générateur et le
fluide fécondant.
La vue d'une vierge, si elle est jeune et belle, fait
toujours une sensation agréable sur les hommes ; et
rien n'est plus naturel : c'est une nouvelle conquête
à faire, c'est une nouvelle source de plaisirs et de
douces jouissances. Cette pensée n'est pas toujours
bien claire et bien démêlée; mais elle est toujours au
fond du cœur, et détermine nos penchans. Les
( 27)
femmes éprouvent Ifi même sensation à l'aspect d'un
beau jeune homme qui n'est engagé dans aucun lien :
et le motif de leur inclination secrète est le même.
Faut-il croire que Dieu a des penchans semblables
à ceux des faibles mortels ? Si ce Dieu est Jupiter ou
Vénus, je n'en puis disconvenir.
Une vierge à la fleur de son âge et dans l'éclat de
sa beauté est un objet précieux. Lorsque le teint se
décolore et que les rides commencent à sillonner le
visage, elle devient ordinairement un objet de dé-
goût et de mépris. Une mère sage et vigilante attire
moins de vœux dans sa jeunesse j mais plus elle
avance en âge, plus elle devient respectable, et rien
n'excite des sentimens aussi doux qu'une vieille mère
entourée de ses jeunes enfans , sur qui elle promène
ses regards attendris et épanche son cœur. Il y a
donc compensation, et si la balance penche de quel-
que côté, l'avantage reste infailliblement à celle qui
a rempli les conditions de la nature.
Pour être agréable à l'auteur de la vie, il faudra
donc ne point communiquer la vie, et tourmenter
sans cesse celle qu'il nous a donnée ? Car ce n'est pas
une douceur qu'une virginité réelle ; ce qui lui at-
tire Fadmiration des hommes, c'est précisément la
lutte qvi'un tel état suppose entre la raison et les sens
mutinés, et la victoire de la première. Et cette lutte
est diflicile, douloureuse; cette victoire, si jamais on
la remporte, est chèrement achetée. Les plaisirs que
( ^8)
se permettrait la créature, en usant des organes dont
elle a été douée dans ce dessein par le créateur,
pourraient donc irriter le créateur lui-même! Que
dirait-on d'un père qui punirait ses enfans d'avoir
joui, en suivant ses ordres, des biens qu'il leur
aurait accordés?
Est-il vrai que les austérités et les macérations
diminuent la force des appétits, et rendent plus fa-
cile l'exercice de la vertu ? Les principes de la raison
et l'expérience des siècles portent à adopter une con-
clusion contraire. Les [»assions sont en général beau-
coup j)lus vives chez les personnes tjui manquent le
plus d'embonpoint, parce que les extrémités des
nerfs étant presque à découvert à la surface du corps,
les plus légères impressions sont fortement senties.
L'esprit, dans les individus qui se trouvent dans un
pareil état, qu'il soit l'effet du tempérament, des
maladies, ou du genre de vie adopté, est dans
une agitation continuelle. Les personnes pauvres ,
les convalescens, les vieillards et les femmes,
sont d'une extrême susceptibilité. N'est-ce pas
cette raison qui fait que les dévots sont en gé-
néral si impatiens? Dans le commerce ordinaire de
la vie , ils ont des expressions miellées , des manières
polies, et une humilité propre à faire concevoir d'eux
l'idée la plus avantageuse ; viennent-ils à avoir la
moindre inquiétude, la patience les abandonne aus-
sitôt, et ils ne manquent pas de vous accabler par
(29)
les injures les plus piquantes et les plus grossiè-
res (i).
Supposez- vous à la concupiscence une autre ori-
gine et une autre allure qu'aux autres appétits? La
sensibilité est la source de toutes les passions , et
elle est d'autant plus vive que le corps est plus faible.
Ainsi les abstinences, au lieu d'assurer le triompbe
de la raison, assurent celui des sens; au lieu de con-
duire l'homme à la vertu , elles le livrent au vice.
Concluons. Tout ce qui s'oppose aux lois de la
nature est aussi contraire aux lois de Dieu. La na-
ture n'aime pas que l'homme souffre ; elle condamne
les excès qui sont toujours à côté de la privation, et
qui, au lieu d'être une source de biens , sont une
source de maux infinis. La nature donne à tous les
individus de notre espèce des germes de vie et des
organes appropriés à leur développement; elle con-
damne donc le célibat , et Dieu le condamne avec
(i) Quelque lecteur prévenu pourrait rétorquer cet ar-
gument contre moi-même ; car il est de fait que les céliba-
taires ont presque toujours plus d'embonpoint que les gens
mariés. Je ne parle ici que des abstinences qui tourmentent
et qui font maigrir. Les célibataires ne doivent pas tant la
vigueur et l'état prospère de leurs membres à une continence
parfaite qu'à la bonne chère qu'ils font et au repos qu'ils se
donnent. Au reste, en supposant même que les passions
chez les gens mariés soient plus vives, ce qui n'est pas,
elles sont en eux sans aucun danger.
( 3o )
elle. Quicoiujuc s'impose pour devoir de faire avor-
ter les |j;ermes de la vie , qui lui ont été départis dans
un autre dessein , viole les lois de Dieu , mérite sa
colère, et sera puni. Les maladies, le délaissement,
le creur flétri, et une mort précoce seront les instru-
mens de la vengeance divine.
«^vvh^/\lvv\vvvvv^v\^/vv\vv^•\'vv«'vvvvvvvvvv\vvvvvvvvvivvvvvv\'vvv\vv«'/viv\\vv
CHAPITRE Y.
Le mariage est un état conforme a la nature de
V homme i Dieu Va ordonné.
Le mariage est non-seulement conforme à la na-
ture de l'homme, mais la nécessité et la condition
de son existence, ce Partout où il se trouve une
» place ou deux personnes peuvent vivre coramodé-
» ment, il se fait un mariage, )) dit l'immortel Mon-
tesquieu. L'homme est né pour vivre en société, et
le mariage en est le fondement. Sans le mariage, il
ne peut y avoir ni bonheur, ni société, ni hommes.
L'extrême faiblesse et hi longueur de l'enfance , s'il
n'y avait pas de mariage , exposeraient à une mort
certaine tous ou presque tous les individus de notre
espèce.
Je ne peux pas supposer d'homme heureux, que
mon imagination ne me le représente à côté d'une
(3, )
chaste femme, et voyant folâtrer devant lui un ou
deux aimables enfans. Avec quel bonheur un bon
père et une tendre mère contemplent les traits, les
jeux et la vivacité enchanteresse de leurs fils! Quelle
joie excite une saillie, un bon mol, nn geste, un
mouvement, qui promettent de Tesprit et des suc-
cès! Quelle ivresse produit un éloge obtenu, un prix
remporté, une victoire quelconque ! Y a-t-il rien de
comparable aux sentimens purs et célestes qui inon-
dent l'àme d'un père à la vue des progrès de ses en-
fans? J'en appelle aux suffrages de tous les pères et
de toutes les mères que des préjugés funestes ne dé-
tournent pas des fonctions sublimes de leur état. Les
plaisirs que les célibataires se procurent à grands
frais sont ternes et décolorés en présence des plaisirs
doux, calmes, enivrans de deux époux au sein de
leur famille : et un état si délicieux ne serait pas
dans notre nature; et le fanatisme priverait encore
d'un bonheur si parfait un nombre si considérable de
nos frères !
Pourquoi Dieu aurait-il donné à l'homme des or-
ganes qui ne peuvent avoir d'application qu'à l'aide
de la femme? pourquoi aurait-il donné à la femme
des organes qui, sans l'homme, seraient inutiles ?
Toutes les fois qu'un ouvrier fait un instrument il
a en vue un objet d'utilité quelconque : n'y a-l-il
que Dieu qui se trompe ? n'y a-t-il que Dieu qui tra-
vaille sans but et sans dessein?
(32 )
Dieu commande expressément le mariage à tous
les iiommes. Ouvrez les premières paj^es de la
Genèse , de ce livre sacré que les chrétiens de
toutes les sectes s'accordent à regarder comme îa vé-
ritable histoire du genre humain j lisez. La création
du monde était finie; Thomme, formé le dernier
des êtres, pour les dominer tous, était seul de
son espèce, tandis que tous les autres étaient accou-
plés deux à deux. La sagesse éternelle lui préparait
une agréable surprise. C'était peu de l'avoir placé
dans un jardin délicieux où tous les biens delà terre
se pressaient sous ses pas , et où la plus heureuse
immortalité devait être son partage. Une telle joie
était trop monotone et ne pouvait pas constituer le
vrai bonheur : si quelqu'un ne partage pas notre
jouissance, elle n'est jamais goûtée qu'à demi. Dans
cette pensée, Dieu se dit à lui-même : « Il n'est pas
bien que l'homme soit seul; je l'ai fait pour vivre
en société, il a besoin d'une compagne et d'un ap-
pui; faisons-lui un aide semblable à lui-même;
mais faisons-le de manière qu'il constitue un tout
avec lui , qu'il en soit comme un membre néces-
saire , que sans ce membre il ne puisse pas être par-
fait, entier. « Puis il fit entrer un sommeil profond
M dans Adam , et pendant qu'il dormait, Dieu lui
» arracha une côte, l'entoura de chair, eu forma la
)) femme et la conduisit devant Adam. » Plein de
reconnaissance, rempli de joie et de tendresse, il
(33 )
reconnut sa compagne et s'écria : « Ses os sont for-
» mes de mes os, sa chair est formée de ma chair j »
elle a été tirée de l'homme, elle vivra toujours
avec lui : (( L'homme quittera son père et sa mère
)) pour s'attacher à sa femme. L'homme et la femme
» sont deux individus , mais ils n'en forment qu'un
» seul (i). »
Jamais le mariage u'a été peint sous des traits
plus mâles et plus frappans. Quel est le but de
cette union? n'est-ce pas la naissance et l'éducation
de la famille? Ecoutez les paroles du Seigneur :
« Dieu les bénit, et leur dit : Croissez , multipliez,
)) remplissez la terre, subjuguez-la et dominez sur
y) tout ce qui vole dans les airs, vit dans les champs
» et se meut dans les ondes » (2).
(i) Non est bonum esse honiinem solum ; faciemus ei
adjutoriuin simile sibi. Gen., c. III, v. 18.
Immisit ergo Dominus Deus soporeni in Adam; cuinque
obdormisset, tulit unani de costis ejus et replevit carnem
pro ea. Gen. c. III, v. 21.
Et œdificavit Dominus Deus costam quam tulerat de Adam
4n mulierem , et adduxit eam ad Adam. V. 22.
Dixitque Adam : Hoc nunc os ex ossibus meis , et caro de
carne mea. V. 28.
Quamobrem relinquet hoono patrem suum et matrem , et
adhaerebit uxori suae, et erant duo in carne una. V. 24.
(2) Benedixitque iUis Deus, et ait: Cvescite, et multi-
pUcamini, et replète terrara, et subjicite eam, et domina-
3
(3/,)
Après une loi si positive, que l'on mette encore
en doute , si on le peut, que Dieu n'ait pas fait
une oljligation du mariage. La loi est générale :
notre premier père a parlé pour tous, et sans ex-
ception : tout ce qu'on veut opposer aux paroles
de l'Ecriture , tous les sophismes de l'orgueil , de
l'ambition et du préjugé ne détruiront ni la loi
ni la force irrésistible qui nous entraîne au mariage
ou au crime.
Les nations auxquelles Dieu n'a pas dicté des
lois écrites ont deviné et suivi sa sainte volonté,
en suivant les lois de la nature et l'inspiration
de la conscience. Écoutez le Zenda-Yesta : « Marie-
» loi dans ta jeunesse ; ce monde n'est qu'un pas-
» sage 5 il faut que ton fils te suive et que la
» chaîne des êtres ne soit pas interrompue. » Qui-
conque a reçvi la vie, a reçu en même temps l'ordre
de la transmettre. Le mariage est une obligation
inviolable ; malheur à qui ne remplit pas la tâche
qui lui est imposée.
mini piscibus maris, et volatilibus cœli , et universis ani»
mantibus quae moventur super terram. C. I , v. 28.
(35)
V\l\iVVi^VVVVVvVVvV\<t/VVVVVVV*VV\t'VVVVVVVVi^VvVVVVVVVVVV\V\'VVVVVMVVV^'VVV\\VVVVV\/\^V«%\\%VM^
CHAPITRE VI.
Dans le mariage^ il y a plus de vertu que dans
le c.p.lihat.
le célibat.
Le célibat, violation manifeste d'une loi expresse,
est un crime et ne saurait produire que des crimes :
les fruits des plantes vénéneuses renferment du
poison.
Le besoin de la nature tourmente toujours un
célibataire et le pousse à voler sur les autres les
biens dont il s'est privé lui-même. De là, la sé-
duction, le viol, l'adultère, le trouble dans les
familles , les jalousies furieuses , tous les crimes ,
toutes les atrocités.
Un célibataire ne tient à rien • aucun lien assez
fort ne l'attache ni à la patrie, ni à la justice. S'il
n'est pas bien en France , il va s'établir en An-
gleterre ; Londres lui offre autant de ressources
que Paris. 11 ne s'intéresse pas à la prospérité pu-
blique ; ses ancêtres ont accumulé pour lui , lui
ne travaille pour personne (i). Que l'on soit
libre, que l'on soit esclave, peu lui importe; il
(i) Il y a beaucoup de célibataires dans les hautes classes
de la société'.
3,.
( 3G )
ne craint pas les fers : il a de quoi vivre , et c'est
assez. Il ne porte pas loin sa prévoyance : si
son amour-propre et son ambition se promettent
quelque honneur ou quelque avantage , même
transitoire , il peut prêter son bras et toutes ses
facultés à quiconque en réclame l'emploi. Toutes
les tyrannies civiles ou religieuses doivent favoriser
\e célibat. Les soldats célibataires ne pensent qu'à
eux et aux princes qu'ils servent; les soldats pères
de famille ne voudraient pas laisser appesantir
sur leur patrie un joug que devraient porter leurs
fils. Un prêtre marié ne se prêterait pas à des pro-
jets et à des mesures qui pourraient détruire le
bonheur de ses enfans; un prêtre célibataire se
joint de corps et d'âme à son chef spirituel et fait
tous ses efforts pour enchaîner les peuples, afin de I
les dominer sous la direction du souverain pontife.
Un célibataire sera rarement un bon citoven et
un homme utile.
Lisez dans les registres des greffes criminels la
condition et l'état de ceux que la violation des
lois a traduits devant les tribunaux : sur cent con-
damnés, quatre-vingt-dix sont à coup sûr des cé-
libataires. Un homme qui ne pense qu'à lui-même,
qui est tout là où il est, qui en mourant, meurt
tout entier (i) , s'abandonne plus facilement à
(i) Je veux dire dans ce monde.
(37)
l'entraînement des passions : l'espérance d'échap{)€r
au glaive des lois en changeant de pays , et la cer-
titude de ne laisser aijcun objet chéri qui doive
recueillir l'héritage de honte et de déshonneur qu'il
laisse après lui , l'animent et le soutiennent dans
ses projets criminels. Les plus grands conspirateurs
et les plus cruels assassins étaient des célibataires.
• Les célibataires sont ordinairement des fainéans,
presque toujours disposés à se livrer au crime.
Un père de famille est ordinairement actif et ver-
tueux ; la vue de ses enfans l'encourage et l'excite
au travail 5 il les aime ; il souhaite , il cherche leur
bonheur; il voudrait laisser un état à chacun, et
il redouble tous les jours d'activité ; il se livre à
toutes les spéculations honnêtes , il s'engage dans
toutes les entreprises utiles ; il ne hasarde rien ,
dans la crainte de compromettre leur fortune ; il
ne s'avance qu'à pas mesurés , et n'essaie d'aucune
chose qu'il n'ait auparavant prévu toutes les chances
et calculé, avec l'exactitude qu'admettent les opé-
rations humaines, et les pertes et les bénéfices. Un
père de famille sera difficilement réduit à la misère
par des spéculations gigantesques et chimériques ;
sa femme et ses enfans sont comme des otages qu'il
a donnés à la fortune, qui par conséquent ne sau-
rait le trahir.
Connaissant que la vertu est un élément né-
cessaire de la prospérité de l'homme, le père de fa-
(38)
mille en donne l'exemple à ses enfans et à sa femme.
En leur présence, il n'ose ni faire nnc action con-
damnable, ni se servir d'une expression indécente:
il est d'une délicatesse extrême; il abliorrc tout
ce qui a la moindre apparence du vice. S'il se
laissait entraîner au crime , sa punition serait d'au-
tant plus terrible qu'il aurait plus d'enfans : chacun
d eux serait frappé avec lui. Le père de famille
pourrait éviter les châtimens de la loi ; mais ses
enfans resteraient flétris dans l'opinion des hommes,
et le nom de leur père serait un reproche acca-
blant qui les couvrirait de honte. L'ne telle idée
n'a-t-elle pas de quoi effrayer le courage le plus
affermi , le scélérat le plus déterminé ? Que de mo-
tifs pour fuir le mal , et pour faire le bien !
Epoux et père, il sent le besoin de régner seul
dans le cœur de sa femme, et de conserver intact
l'honneur de ses filles. Un sentiment de réciprocité
le porte à respecter le lit de son voisin. Au reste,
la nature ne lui demande rien qu'il ne puisse l'ob-
tenir sans violer aucun droit. Si ime telle condi-
tion n'est pas plus près de la vertu que le célibat,
il ne faut avoir aucune confiance dans la raison ,
il ne faut plus ni consulter l'histoire ni faire d'ob-
servation sur les mœurs de la société. Laissons
parler Montaigne : <c Le mariage, dit-il, a pour
» sa part l'utilité, la justice, l'honneur et la cons-
tance. C'est une douce société de vie , pleine de
(39)
)) confiance et d'un nombre infini de bons et de so-
» lides offices , et obHgations mutuelles : à le bien
» façonner, il n'est pas de plus belle pièce dans
» la société. »
V\rtVtWV\\^<VVVVVVVVVVVVVM'VVVVVVVVVVVVVVV«A'VVVVVVVVVVV\VVVVW«\WVVVVVVVVVVVVVVVVV«VVVVV^
SECTION II.
Du célibat dans la société cis^ile depuis
son origine jusqua l'établissement du
christianisme.
AYANT-PROPOS.
Le célibat est contraire à la nature, destructif des
mœurs, nuisible à la multiplication et au bonheur
de l'espèce humaine : cependant il s'est établi , il a
toujours existé , il existe et il existera toujours.
Comment expliquer cet étrange phénomène? Les lois
qui régissent le monde physique ne présentent ja-
mais de ces contradictions j les effets en sont cons-
tans comme la cause qui les produit. Pourquoi le
monde moral n'a-t-il pas été assujetti à autant de ré-
gularité et de constance ? pourquoi les effets d'une
loi générale y sont-ils si souvent gênés, contrariés
par des lois spéciales et de détail ?
S'il est facile de multiplier les questions, il ne l'est
pas également d'y répondre. L'homme est un être
singulièrement composé , et dont les destinées pré-
sentent quelque chose de bizarre. Le principe qui le
porte au Ijien le fait passer à côté du mal, et il se
(4> )
trompe souvent de chemin. Un désir s'oppose à un
antre désir 5 de là une lutte dans son esprit ou dans
son cœur, un calcul dans lequel une ombre pèse sou-
vent plus que la réalité, une erreur qui en crée une
autre, des calamités, un abîme où les institutions et
les peuples vont tour à tour s'ensevelir.
Le célibat est l'une de ces erreurs et de ces abîmes.
Quelle en est l'origine? où est-il né? A-t-il pris nais-
sance chez un peuple particulier? s'est-il répandu
ensuite parmi tous les autres peuples? ou bien est-
il né partout, lorsque les circonstances ont été favo-
rables à son développement ? Ainsi des semences res-
tées long-temps sans germer sous un ciel rigoureux
donnent naissance à de nouvelles plantes , lorsqu'on
les transporte dans une température plus conve-
nable.
Les lois civiles des différens peuples ont-elles été
contraires ou favorables au céUbat? Là où elles lui
ont été contraires, l'ont-elles empêché de naître?
ont-elles pu au moins en modérer l'action? Là où
elles lui ont été favorables, en ont-elles augmenté la
force? ont elles donné plus d'étendue, plus d'acti-
vité , plus de fixité à ses envahissemens?
Voilà les nombreuses questions que je vais essayer
de résoudre dans cette section; mais le lecteur doit
sentir que plusieurs d'entre elles présentent de
grandes difficultés. Je ferai tous mes efforts pour sa-
tisfaire à sa juste impatience, je m'éclairerai du flam-
( 42 )
beau de riilstoire, je hasarderai quelques observations
que les faits pourront me sugj^érer, je tâcherai sur-
tout d'être précis.
VVVVV\V\VVVVVVvVVVVVtVVVVVVVVVVVVVVVVVVV4iVV\iVVVvVVVVVVVVVVVVV\VV\iVV\VVVVVVVV^
CHAPITRE PREMIER.
Origine du célibat.
L'origine du céhbat se perd dans la nuit des temps,
comme celle de toutes les extravagances humaines.
Suivant l'opinion des saints pères, il aurait eu le
même berceau que l'homme; Abel, l'innocent Abel
aurait été le premier des célibataires. Aussi les écri-
vains de l'église grecque l'appellent-ils pur, intact,
vierge, vrcif^ivoç ( parthénos ). Il faut observer que
si ce saint homme a pu transgresser la loi de son
créateur sans commettre de crime et sans encourir
de punition , c'est que peut-être il n'a pas été cou-
pable; il avait de bonnes raisons à faire valoir pour
sa défense. D'abord, le nombre des femmes ne devait
pas être considérable dans ce temps-là , et l'on sait
que Caïn était plus hardi et plus entreprenant que
lui. Quel miracle qu'il ne soit pas devenu mari,
s'il n'a pas trouvé de femme? En second lieu, il
n'eut pas le temps nécessaire pour accomplir son
devoir, il fut emporté à la fleur de son âge; s'il eût
(43)
vécu encore quelques années, peut-être se serait-il
marié. Laissons la plaisanterie , et traitons sérieuse-
ment un sujet aussi grave (i).
D'autres écrivains, et à leur tête Morin, de l'A-
cadémie des Sciences, rapprochent un peu plus de
nous l'origine du célibat. U y a eu, dans tous les
temps et chez tous les peuples, des hommes que la
nature a condamnés à ne rien être dans ce monde
et à n'y point laisser de postérité; ils sont eunuques
des le sein de leur mère , selon l'expression de l'E-
vangile; ils sont froids , énervés, incapables de rem-
plir l'acte de la génération. Pour eux, point de ma-
riage; c'est une triste nécessité; ils voudraient le
contracter, qu'ils ne le pourraient point. Les femmes
'(i) Enfans du même père, les fils d'Adam épousèreat
leurs sœurs , et cet usage s'est long - temps suivi en
Egypte. Les anciennes traditions orientales rapportent que
Caïn et Abel avaient chacun une sœur jumelle. Lorsqu'elles
eurent atteint l'âge du mariage, Adam proposa la sœur
d'Abel à Caïn , et la sœur de ce dernier à Abel. Caïn pré-
tendit conserver pour lui sa propre jumelle qui surpassait
en beauté celle qui lui était destinée. Irrité de cette dé^
sobéissance à ses ordres, Adam défère au Seigneur le ju-
gement de la contestation. Il ordonne à ses fils de présenter
une oftVande et les prévient que le Seigneur décidera en
faveur de celui qui l'aura présentée. Abel obtient la préfé-
rence ; Caïn enflammé de colère s'élance sur son frère et le
tue.
( 44)
les méprisent, les lois les condamnent j ces deux
ol)stacles sont insurmontables. On n'a qu'à voir au
chap. XXIII du Deutéronome^ avec quelle rigueur
Moïse les a traités; l'accès du temple leur était même
interdit. Si quelquefois ils s'alliaient en mariage,
leurs femmes pouvaient les abandonner à tout ins-
tant; elles n'avaient qu'à dénoncer le fait devant
l'officier compétent, qui les autorisait à quitter leur
époux, sans même leur faire l'honneur de déchausser
l'un de leurs souliers, en présence du juge, ainsi que
cela se pratiquait dans tous les autres divorces (i).
Cette cérémonie n'a rien qui doive surprendre j il
(i) Ces principes se sont introduits dans l'e'glise catho-
lique. Saint Thomas a de'claré que les deux testicules sont
de essentia matrimonii , et cette doctiine a e'té adopte'e par
les tribunaux. Le 8 janvier i665, le parlement de Paris
prononça uu arrêt, par lequel il de'clara que sans les deux
testicules on ne pourrait contracter mariage.
Sixte- Quint, par sa lettre du 25 juin 1687, ordonna à
son nonce en Espagne de faire de'clarer nuls les mariages de
toutes les personnes qui n'avaient pas deux testicules.
Il est à croire qu'une telle loi dut souvent donner lieu
à des injustices criantes. D'abord, la moitié de ce qu'exi-
geaient saint Thomas et Sixte-Quint , pour valider le raa-r
riage , est suffisante pour remplir les devoirs d'e'poux ; en
suite, chez nombre de personnes, ces organes, quoiqu'ils
ne paraissent pas , existent cependant et mettent l'individu
en état de s'acquitter des fonctions maritales. J'ai vu moi-
même un chirurgien habile , trompé par une complication
( 45 )
s'en est fait en France qui n'étaient pas moins pi-
quantes ou moins curieuses. Les dames de qualité,
et surtout les reines, avant que l'on procédât à la
célébration du mariage, étaient, il y a quelques siè-
cles, dépouillées préalablement, et un conseil de sé-
vères matrones s'assurait par l'application des yeux
et de la main , si la fiancée était en état de faire des
enfans. Ici ce n'était pas pour faire le divorce, mais
pour le prévenir. La coutume en était-elle plus sage?
Froissard raconte qu'Isabeau de Bavière, avant d'é-
pouser Cbarles YI, fut bien et duement examinée,
ajoutant que cet usage était très commun eu France.
Ces célibataires ne pouvant s'allier dans aucune
famille , étant à peine tolérés dans la société , se trou-
vèrent contraints de vivre dans la retraite ou dans
l'bumiliation. Chacun suivit son penchant, et plu-
sieurs d'entre eux surent se résigner aux emplois les
plus bas et les plus avilissans; ils s'en acquittèrent
avec une édifiante exactitude , ils obéirent aux
moindres désirs, au premier signe de leurs maîtres.
singulière de symptômes , chercher une hernie et trouver
un testicule.
La personne que l'arrêt du parlement de Paris cite plus
haut déclara incapable de contracter mariage , offrit au
corps assemblé de la magistrature de lui donner à l'au-
dience même, si on le permettait, une preuve irrécusable
de sa capacité pour le mariage.
(46)
C'était là le seul moyen de se procurer fuielque bien-
veillance et quelque estime, et une semblable con-
duite ne devait rien avoir de bien pénible pour eux.
La privation des organes qui distinguent l'bomme de
la femme entraîne la privation du courage , de la
vivacité et de la force. Un homme dans cet état est
moins qu'une femme.
Leurs services ne pouvaient pas manquer d'être
appréciés en Asie. Les seigneurs et les princes de-
vaient en avoir un besoin tout particulier. A qui
confier mieux qu'à de telles gens la garde de leurs
nombreux sérails ? La nature se ménageait ainsi un
moyen d'obvier aux inconvéniens de la polygamie.
Aussi furent-ils en vogue: on se les disputait, chacun
voulait en avoir; et comme leur nombre n'était pas
en proportion des besoins, on en fit, en dépit de
la nature. Les maîtres s'armèrent contre leurs es-
claves, les princes contre leurs sujets, les pères eux-
mêmes contre leurs propres tiîs.
Ce fut alors que les eunuques de naissance durent
être considérés comme bienheureux. On en fit le
plus grands cas, on leur donna les noms les plus
brillans; ils étaient les eunuques du soleil, parce
que cet astre-dieu présidait d'une façon toute parti-
culière à leur naissance; eunuques du ciel, faits par
la main de Dieu • et chacun enviait leur sort. Beau-
coup de personnes , pour qui le soleil n'avait pas été
aussi indulgent , voulurent atteindre à la perfec-
(47 J
tion. On peut s'imaginer à quels douloureux sacri-
fices ils se condamnaient dans un climat comme celui
de l'Asie , où les passions sont si vives , et l'imagina-
lion si ardente : leur envie pour les célibataires de
naissance dut s'en accroître.
J'intervertirais volontiers l'ordre de ces évène-
mensj je suis plus disposé à croire que, d'après les
idées religieuses qui s'étaient déjà établies dans les
Indes, des sages ou des dévols se persuadèrent qu'ils
feraient une chose agréable à la divinité s'ils s'abs-
tenaient de tout commerce avec le sexe. La conti-
nence a dû d'abord être érigée en vertu dans les
contrées où elle était le plus diflicile. L'homme na-
turellement vain se fait partout un honneur d'être ou
de paraître supérieur aux faiblesses qui subjuguent le
plus grand nombre; c'est le plus sûr moyen de se
faire remarquer. Toute vertu suppose un sacrifice,
comme toute victoire un combat. Si l'effet est
agréable à Dieu, la cause doit l'être aussi : de là
l'idée de bonheur attachée à ceux que la force irré-
sistible des passions ne forçait pas de violer leurs
vœux, de là le célibat volontaire.
Quoi qu'il en soit de la première origine du céli-
bat, le mot xoXoCoi ( Koloboi)^ que les Grecs ont
donné à ces invalides, que les Latins ont traduit
par celui de cœlibes , et qui signifie à la fois mu-
tilé, heureux^ céleste, suivant l'opinion de Morin,
tire son étymologie de la langue des Indiens. Il peut
(AS)
donc se faire que l'idée de la saintelé du célibat ait
été importée, chez les nations de l'Europe, delà
contrée où l'on a pris les mots pour l'exprimer.
Il n'est pas à croire qu'un mal si grave, et qui a
infecté toutes les nations, soit découlé d'une source
unique; mille faux principes peuvent lui avoir donné
naissance. 11 a existé et il existe encore chez plusieurs
peuples une doctrine dont l'application a dû néces-
sairement mener au célibat. La lutte que l'homme
a remarquée de bonne heure entre les élémens du
monde physique, et le bien ou le mal qui résultait
pour lui du triomphe de l'un ou de l'autre, lui a
fait imaginer l'existence de deux principes, de deux
génies, de deux natures, l'une bonne, l'autre mau-
vaise, qui se partageaient et se disputaient l'empire
du monde. Tous les corps, tous les êtres, qui exis-
taient, ou dont l'imagination avait peuplé l'espace,
furent rangés sous le drapeau du bon ou du mauvais
principe, suivant l'idée qu'on avait de leur tendance
au bien ou au mal. Par malheur, l'homme se divisa
lui-même, plaça son corps dans les rangs du mau-
vais principe et son âme dans ceux du bon. Le
combat entre la raison qui veut toujours la justice et
le bien, et qui est le plus noble produit de l'intelli-
gence, et les appétits fougueux et désordonnés qui
portent à l'injustice et au mal, et qui tiennent de
plus près à la nature corporelle, fut l'idée mère de
. cette malheureuse division.
(49)
Suivons-en les conséquences immédiates.
Ne fallait-il pas souhaiter et favoriser la victoire
du bon principe? et de là ne fallait-il pas dompter,
autant que possible , la renaissante rébellion du
mauvais? JXe fallait-il donc pas mortifier, macérer le
corps, afin de l'affaiblir et de le tenir dans la dépen-
dance de l'âme? Satisfaire les appétits de la cbair,
n'aurait-ce pas été se soumettre à la puissance d'A-
iimane,de ce principe ennemi qui voulait la perte
de Thomme? Les dominer, les comprimer, les étouf-
fer , n'était-ce pas se rendre agréable à Oromase, à
ce principe ami qui s'intéressait si fort au bonheur
de l'espèce humaine? Vous voyez dans ces doctrines
les germes féconds du célibat, des abstinences, des
expiations de toute espèce : elles ont toutes la même
origine.
Qu'on ne regarde point ces idées comme hy-
potbétiques et sans fondement. Nous verrons plus
tard avec quel éclat elles firent irruption au mi-
lieu des chrétiens des premiers siècles 5 elles pro-
duisirent un grand nombre d'hérésies que l'église
a justement condamnées, mais dont les principes
furent transmis d'âge eu âge, et existent encore au
sein de l'Europe civilisée (i).
(i) La doctrine des deux principes n'a pas seulement
existé chez les mages, elle e'tait et est encore en grande
vogue dans le Pegu. On l'avait introduite en Egypte; elle a
4
( ^'^o )
Voilà le bon côté du célibat. Jusqu'ici il iie serait
venu que de l'erreur, et aurait eu le bien pour ob-
jet; il pourrait être, sinon dii^'ue d'éloge, l'erreur
n'en mérite jamais, du moins digne de pardon. Mais
il a une autre source, et qui est impure. Dans
les pays civilisés , au milieu des grandes villes , oii la
population a pris un développement considérable, il
s y établit ime nouvelle espèce de célibat, auquel je
doute pourtant qu'on doive donner ce nom. Ce ne
sont pas des hommes qui s'interdisent tout commerce
avec le sexe, des zoXoCoi, des cœlibes ; bien loin
de là, ils ne se proposent que de jouir d'une plus
grande liberté dans leurs relations; ils se ménagent
la ressource de changer tous les jours d'objels. Ce
sont des monstres à figure humaine qui attaquent les
mœurs dans leur source, et qui causent à la société
plus de maux que la disette extrême et que la peste.
Et de (|uel prétexte colorent-ils une conduite si ré-
prouvée? Si vous avez la hardiesse de les blâmer,
ils se moquent de vos scrupules, ils allèguent les
peines que causent les soins de la famille , ils s'excu-
sent sur la difficulté d'avoir une femme à eux. Ces
raisons ou ces prétextes ne servent qu'à prouver
été sanctifiée par la religion chrétienne. La différence des
noms n'en apporta pas dans les choses : Arimane et Oroniase
sont à peu près les mêmes que Typhon et Osiris, Satan et
Jéhova.
( 5ï )
combien la corrujition a fait de progrès. Si l'amour
n'établit plus de relations fortes et durables, si les
enfans ne peuvent plus cimenter les liens de la fa-
mille , si l'homme n'a plus de confiance dans la fi-
délité de sa compagne , sur quelle base reposera le
calme du corps social ? Heureusement pour l'espèce
humaine, cette maladie ne l'attaque que dans les
grandes villes, où la population va se perdre comme
dans un gouffre sans fond ; et les provinces peuvent
réparer ce relâchement de la morale, et cette con-
sommation des hommes.
L'amour des sciences et des lettres a eu aussi ses
célibataires : des hommes, pour se dévouer entière-
ment à la recherche de la vérité et aux travaux de
l'esprit, ont évité le mariage comme un obstacle à
leurs desseins. Si l'on fait attention que ce célibat
s'est établi uniquement dans les pays où la cor-
ruption était devenue extrême, et qu'aucune loi po-
lilique ou religieuse ne le rendait nécessaire, on
pourra lui donner, à peu d'exception près, la même
origine qu'au précédent.
4..
(5. )
CHAPITRE II.
Célibat civil.
Les lois civiles ont dû gêner plus o\\ moins l'ac-
tion des principes qui portaient les hommes au cé-
libat. 11 n'est pas dans la nature des gouvernemcns
politiques de favoriser des penclians si contraires au
développement de la puissance et de la prospérité
des peuples.
Plus un gouvernement est moral et selon la na-
ture de l'Iiomme, plus il doit porter au mariage
et à la multiplication de l'espèce.
La démocratie, où l'égalilé des droits établit une
lutte perpétuelle entre les citoyens, est un état con-
traire au célibat. Les citoyens y sentent la néces-
sité d'alliances fortes et durables : plus ils ont
d'enfans et de relations, plus ils ont d'influence et
de pouvoir; et leur volonté fait la loi. Mais souvent
nn principe s'oppose à l'autre et en gène plus ou
moins l'exécution : le besoin de fixer le nombre des
citoyens appelés par leur vote à prendre part à la
souveraineté de la nation, a porté plusieurs légis-
lateurs à mettre des entraves à la multiplication des
familles.
L'aristocratie et les gouvernemens mixtes, qui ne
(53 )
sont que des aristocraties, ont restreint ces principes.
Ceux qui ne prennent point de part à la souverai-
neté ne sentent pas la nécessité impérieuse d'avoir
une grande clientelle et une nombreuse famille. En
revanche, les lois ne se soucient pas beaucoup de
l'augmentation des classes non privilégiées, et il peut
y avoir compensation.
Sous les gouvernemens monarchiques, ces prin-
cipes se trouvent presque éteints. Ln seul commande,
un seul est puissant et a droit à la puissance ; les
autres vivent dans la sujétion et presque dans l'abais-
sement.
Le despotisme, par lui-même, est encore beau-
coup moins favorable au développement de la po-
pidation. Là il n'y a nulle estime de l'homme, et
toute puissance , celle du despole exceptée, y est
un crime. Toutes les fois cjue l'accroissement de la
population ne donnera pas d'ombrage au despote,
il n'aura aucun intérêt à l'arrêter. Les hommes
puissans pourront y être en danger, les sujets obs-
curs pourront n'éprouver que fort peu de gêne. Un
despotisme tranquille pourra quehjuefois paraître
plus favorable à la multiplication de notre espèce ,
qu'une liberté inquiète.
Les gouvernemens seront donc plus ou moins en-
clins à favoriser la population, suivant qu'ds auront
plus ou moins de liberté, qu'ils seront plus ou moins
ombrageux, plus ou moins éclairés.
(54)
Le principe religieux entre dans tous les états,
comme un correctif ou comme un moyen d'action,
pour afifaiblir ou pour seconder les principes qui
tendent à la multiplication des hommes.
Les ij'ouvernemens constitutionnels offrent un mé-
lange heureux de ces différens principes. La royauté,
l'aristocratie, le peu[)le sont là dans une lutte per-
pétuelle, se regardent, se craignent, se balancent,
se corrigent mutuellement. Aucune forme n'est plus
favorable à une sage liberté j tous les intérêts, toutes
les o})inions sont représentés et garantis; l'industrie,
le commerce, l'agriculture et les lumières n'y trouvent
point d'obstacles invincibles. La population doit donc
s'élever promptement avec l'augmentation des res-
sources, favorisées par la liberté; le célibat ne peut
donc pas y être protégé par les lois.
Le célibat est incompatible avec une liberté sage.
On peut observer que toutes les fois qu'une nation
a repris son indépendance religieuse ou politique,
le célibat a été frappé à mort et le mariage encou-
ragé, non par des récompenses et par des exemptions
promises par le législateur, mais par le nouvel ordre
de choses lui-môme. Les réformes religieuses du
XYP siècle ajoutent du poids à cette remarque ;
les différentes phases qu'a présentées la révolution
française en font une vérité palpable. Dès que la na-
tion fut libre, en 1790, le célibat fut proscrit; la
tyrannie succédant bientôt à la hberté, le célibat fut
( 55 )
soutenu, d'abord par des dispositions législatives,
ensuite par la volonté absolue et despotique de celui
qui avait en quelque sorte succédé à la loi. Il n'osa
pas attaquer ouvertement le principe démocratique
qui dominait nos institutions de cette époque : il s'y
prit d'une manière indirecte : ne pouvant pas détruire
le droit en lui-même, il en rendit la jouissance dif-
ficile.
La charte venant après, la liberté étant redonnée
à la France, le célibat a reçu de nouvelles atteintes,
et s'il ne s'écroule pas encore, il le doit seulement
aux anciennes habitudes que la restauration nous a
ramenées. Cependant, comme il est dans les prin-
cipes du gouvernement constitutionnel de rendre
toute leur liberté aux sentimens de la nature, le
célibat, en France, ne peut plus avoir une longue
durée.
Pvome présente le même spectacle. Les lois de
Jules César et des premiers empereurs sont une éma-
nation du principe républicain; aussi furent-elles
bientôt oubliées, lorsque le principe monarchique
eut acquis toute sa force. Ce que le sénat et les tri-
buns du peuple auraient eu horreur de voir jn'o-
poser, les empereurs et les pontifes mirent la plus
grande persévérance à l'établir.
Des lois et des circonstances particulières peuvent
seconder ou contrarier le principe constitutif des diP
férens gouvernemens. Dans un état constitutionnel,
où le droit des citoyens est attaché à la richesse, il
est facile de prévoir que les pères n'aimant pas le
partage de leur fortune, d'oii dépendrait l'abaisse-
ment de leur famille, doivent mettre le plus d'en-
traves possible au penchant de leurs fils au mariage.
Le droit d'aînesse et les couvcns sont presque un
produit naturel de cet ordre de choses. L'autorité
concourt elle-même à opérer cette révolution ; plus
les fortunes se concentrent , plus il est facile de les
influencer, de les dominer, de rendre illusoire le
principe constitutionnel. En outre, l'autorité ac-
corde tout naturellement sa protection aux céliba-
taires, qui, dégagés de tout lien, s'attachent plus
facilement à elle et la secondent dans ses desseins.
C'est à peu près ce que nous avons observé dans les
républiques, où le législateur s'était proposé de bor-
ner le nombre des familles.
Si le législateur dicte des lois à un peuple guer-
rier et qu'il excite à la conquête, la force des choses
le porte à favoriser le mariage , et à proscrire le
célibat. Pour faire la guerre et étendre au loin
sa domination, il faut des hommes, et le célibat
les détruit. Moïse et Mahomet n'auraient pu
protéger les célibataires. Alexandre ne gênait pas
ceux de ses soldats qui voulaient se marier; il leur
donnait lui-même l'exemple, et fondait sur sou che-
min des villes pour leurs enfans. On sait que César
et Auguste n'aimaient pas le célibat. Louis XIV»
l 67 )
à leur exemple , offrit des récompenses aux mariés
et à ceux qui donneraient de nombreux enfans à
l'État (i). Napoléon fait exception à la règle com-
mune ; mais que l'on fasse attention que, prince nou-
veau, il croyait avoir besoin de l'appui de ses prêtres
pour s'établir sur le trône ; en cela , il était l'es-
clave de Pie YIX , et certes il ne s'en doutait pas.
On sentira , je l'espère , que ces observations gé-
nérales sont utiles pour mieux saisir toutes les
causes qui contrarient ou secondent l'établissement
et le développement du célibat, même du célibat
religieux. Une forme particulière de gouvernement
est plus ou moins propre qu'une autre à favoriser
ses envaliissemens.
v»Vv^^V'vvt\^vvvv^,^vvv^v\v\•v>.v^.vvvv^^vv\«.■vvvv\vvf\vv\vv^v\^vvvvvx^A^vv\^v>vv^vvvvvvvv\vv\w\v»
CHAPITRE IIÏ.
Inde j Perse, Egypte et autres pays.
Les passions, sous la zone torride , sont aussi
brûlantes que le soleil qui les allume j le célibat
(i) La politique et la bigoterie ferineut souvent les yeux
rnême aux hommes supérieurs. Louis XI V^ lui-même , en
défendant le mariage enti-e les protestans elles catholiques,
dut causer à la population un dommage considérable , que
ses récompenses aux catholiques, ])ères do nombreuses fa-
milles, ne purent pas réparer. >
(58)
n'aurait donc pas dû s'y ôriger en loi, la polv-
ganiio y était beaucoup plus naturelle.
Les organes de la génération ont été adorés chez
plusieurs nations dans les contrées méridionales.
Les unes en otFraient une parcelle à leurs divinités,
et c'est peut-être de ce piincipe religieux ({ue la
circoncision a tiré son origine ; les autres consa-
craient sur les autels de leurs dieux une partie
de la liqueur dont la nature a pourvu l'homme.
En Egypte, les dames, pendant les fêtes de
Bacchns , portaient attachée à leur cou l'image de
l'organe génital artistement formée en bois, et d'une
grosseur proportionnée à leur force respective. La
statue de leur Dieu en représentait un qui sur-
passait en mesure tout le reste du corps : Hérodote
le dit dans le second livre de ses histoires : « aiS'olov
)) QV 7ro?^Xù), TiCt) iKcC7<T0V èOU TOV ctAAov (TçofJiaroç. »
Les femmes mariées représentaient sur leur couvre-
chef la figure de cet organe , la portant sur le front
tant que leurs maris vivaient , la tournant en ar-
rière et la cachant sous leur coiffure lorsqu'ils
étaient morts.
Cette cérémonie existait et existe encore dans
rinde , chez les sages bramines. Or, est-il possible
que le célibat ait pu être en honneur au milieu
de peuples qui avaient élevé des autels et établi
un culte en l'honneur de la génération? Qjiand
même, lors de l'institution d'une cérémonie qui
(59)
nous paraît si indécente , le législateur n'aurait
pas eu l'intention de commander la dépravation
des mœurs; quand même, comme le prétendaient
quelques philosophes , le but de la religion de ces
peuples n'aurait été dans l'origine cjue d'honorer
la divinité par le symbole de la vie que noiis avons
reçue d'elle, il est facile de sentir que dans des
temps où les hommes étaient moins simples , de
pareilles cérémonies devaient avoir inspiré la licence
et hâté la corruption. Ces signes étaient aussi portés
en procession dans les fêtes de Bacchus, que la
Grèce célébrait avec un si grand enthousiasme;
et l'on sait que ce dieu était l'ami de Vénus (i).
Les mages conseillaient le mariage et en don-
naient l'exemple : il devait être suivi, a Les Perses
)) n'ont été si nombreux que parce que la religion
(i) Tout semble porter à croire que ces peuples se sont
au contraire livrés à la plus infâme prostitution. On ne se
bornait pas même à l'exercer d'homme à femme. L'espèce
humaine se mêla à celui d'entre les animaux qui passe pour
être le plus lascif. Les femmes s'unirent aux boucs, les hom-
mes aux chèvres. Suivant quelques historiens et saint Jérôme
lui-même, les satyres, si toutefois ils ont existé, nous sont
venus de là. Saint Jérôme et les historiens se sont sans doute
trompés. L'accouplement entre des animaux d'une organi-
sation si différente n'a pas pu être fécond. Leur témoignage
prouve que de telles unions ont eu lieu fréquemment. J'en
donnerai bientôt des preuves encore plus évidentes.
(6o)
)) des mages enseignait que l'acte le plus agréable
;) à Dieu était de faire un enfant, de labourer un
» cbamp et de planter un arbre. » Nous avons
déjà cité les expressions du Zenda-Vesta, qui était
l'Alcoran ou la Bible de la Perse* La j)opulation
n'a jamais été si nombreuse chez aucun peuple.
Les armées que les rois de cette nation condui-
sirent contre la Grèce, ou opposèrent à Alexandre,
éliraient presque l'imagination. IN'ayant dans notre
Europe aucun exemple d'une multitude si prodi-
gieuse d'hommes, nous sommes naturellement dis-
posés à croire que les historiens des anciens temps
ont beaucoup exagéré le nombre des ennemis que
leurs concitoyens avaient taillés en pièces (i).
Ce que l'on dit des mœurs de Babylone peut
nous fournir de nouveaux motifs de croire que le
célibat n'était pas en estime chez les peuples de la
Perse. En admettant que ces fêles abominables, où
la prostitution était un acte de piété, n'aient ja-
mais existé, et que jamais les ministres de Bélus
n'aient tendu de pièges à l'innocence des vierges,
(i) Les Perses, dit-on, admettaient leurs femmes à leurs
festins; mais lorsqu'ils s'apercevaient que les vapeurs du
vin leur faisaient perdre toute retenue, ils les faisaient ren-
trer dans leur appartement et appelaient auprès d'eux des
femmes envers lesquelles ils ne se croyaient obhgés à aucune
(6. )
toujours faut-il donner un fondement quelconque
à des bruits si anciens et si souvent rëpéle's. 11 n'y
a pas de fable qui n'ait un sens. Les expressions
dont se sert la sainte Bible sont conformes à l'opi-
nion des auteurs profanes.
Cet état de choses pouvait certainement admet-
tre aussi des célibataires, mais non des lois pro-
tectrices du célibat. La religion et la politique les
condamnaient également. Hérodote et Strabon nous
apprennent que les rois de la Perse avaient l'ha-
bitude de faire chaque année des présens à ceux
de leurs sujets qui étaient chargés d'une nom-
breuse f^miille.
Les Perses modernes ont conservé la doctrine
des mages : lorsque le niabad donne la bénédic-
tion nuptiale aux nouveaux mariés , il leur dit :
« QvCOsmud, juste juge, vous accorde beaucoup
» d'enfans, des mâles, une nourriture abondante,
y) l'amitié du cœur. »
A la Chine, les citoyens sont obligés, d'après
les lois, de contracter mariage. Il est vrai que com-
me les femmes s'j achètent fort cher, des per-
sonnes dont la fortune est modique ne poiuraient
que difficilement remplir ce devoir sacré; mais l'em-
pire oflPre des ressources pour tout le monde. Les
pauvres gens n'ont qu'à se porter aux maisons des
enfans trouvés, et, pourvu qu'ils jouissent d'une
bonne réputation, on leur permet de choisir.
(b2)
Une loi du Japon fait présumer que le célibat
ne doit pas y être encouragé. Il est permis aux
femmes enceintes de se faire avorter, si elles n'ai-
ment pas une nombreuse famille ou si elles ne
peuvent pas l'entretenir. Ainsi l'un des motifs
qui déterminent beaucoup d'hommes à s'imposer
le célibat, ou au moins à s'éloigner du mariage,
n'existe pas pour eux. La facilité du divorce est
aussi un moyen propre à leur faire contracter des
liens qu'ils peuvent dissoudre presqu'à volonté.
La moindre cause, on pourrait presque dire le moin-
dre prétexte , peut donner lieu à une séparation
et à une union nouvelle.
Une loi du royaume de Bénin fait dépendre,
comme en France, le mariage des militaires de
la volonté du souverain. Il n'y est permis aux cour-
tisans ni de se marier, ni même de couvrir leur
nudité, sans une permission du Roi.
Dans les environs de Sofala, les filles avant de
contracter mariage, sont obligées d'aller dans une
campagne déserte et d'y pleurer la virginité qu'elles
brûlent de perdre. Les pareus et les amis accou-
rent de toutes {)arts pour les consoler. Quelle loi !
Dans quelques contrées des Indes, comme à
Haly, chaque ]iagode entretient des danseuses de
profession, qui sont des filles publiques, et qui,
pendant la célébration des fêtes solennelles, exé-
cutent des danses fort lascives à la vue de tous
(63;
les dévots. Les prêtres dansent avec elles, n'étant
couverts que d'un caleçon fort léger. Que doit-on
penser de la continence de ces peuples, et des lois
qui tolèrent, qui même établissent des usages si
contraires à la pudeur? Quelques danses sacrées
des prêtres de l'ancieniîe Rome n'étaient guère plus
décentes (i) .
(i) Dans plusieurs endroits des Indes, les filles qui se
marient sont obligées de sacrifier leur virginité' à leur dieu.
On les conduit en grande cére'monie devant l'idole qui est
en position de prendre ce que les maris des autres contrées
de la terre ne sont dispose's A céder à personne. Un principe
de dévotion à peu près du même genre portait les nouvelles
épouses de Rome à s'asseoir sur la statue de Priape.
Quoique la chasteté soit beaucoup recommandée dans
quelques provinces des Indes orientales, il est presque per-
mis aux femmes mariées de se livrer à celui c|ui leur ofFre
un éléphant pour prix de leur honneur. Elles en tirent même
vanité, et regardent comme une gloire d'avoir été achetées
à un si haut prix.
Les Scythes avaient un usage d'oi!i l'on peut facilement
inférer que leurs mœurs étaient aussi corrompues qu'elles
étaient barbares. Les femmes crevaient les yeux à leurs
esclaves et aux prisonniers de guerre , pour n'avoir pas
à craindre leurs regards ni leur indiscrétion; et que sais-je
pour quel autre motif.
(6/,)
CHAPITRE lY.
Des Hélreiix.
Aucun législateur n'a clé plus ennemi du céli-
bat que Moïse , et aucun peuple n'a été plus ri-
gide observateur de ses lois que les Hébreux. Dieu
leur avait ordonné de croître, de multiplier et
de remplir le monde; et ils se croyaient destinés
à le posséder tout entier. II fallait donc lâcher
d'attcindi-e à celte population innombrable qui a-
vait été promise à leur patriarche Abraham.
Les lois, et les mœurs qui les font naître, ou
qui en naissent, ont sanctionné ce principe. Le cé-
libat a toujours été condamné par les docteurs hé-
breux comme un crime contre la nature ; et le
mariage considéré comme une obligation étroite
pour tout homme qui n'est pas impuissant. Le cé-
libat forcé ou volontaire était d'abord un objet de
mépris. La stérilité elle-même, qui certes n'est pas
un crime, était sujette aux plus cuisans reproches.
Peul-il V avoir quelque chose de plus louchant
que les plaintes d'Anne, femme d'Elcana, à qui Phé-
nenna, sa rivale, répétait souvent, pour l'humilier,
qu'elle n'avait jias d'cnfans , et que Dieu avait
(65 )
fermé son sein [ concluserat vuham ejus.)7 La
tendresse de son mari n'était pas une consolation
capable de soulager sa douleur. ( i )
Mourir dans la virginité était le plus grand des
malheurs chez les Hébreux. La fille de Jephté, con-
damnée à mort par le vœu imprudent de son
père, ne demanda d'autre grâce que de se retirer
pendant deux mois sur les montagnes voisines ,
pour Y pleurer avec ses amies sa malheureuse vir-
ginité ( 2 ). Ce temps écoulé, cette fille qui ne con-
naissait point d'homme vint subir sa fatale des-
tinée. On institua une fête dans laquelle les vier-
ges d'Israël se réunissaient tous les ans pour dé-
plorer, pendant quatre jours , le triste sort de la
fille de Jephté.
Les commentateurs de Moïse prétendent que ce
législateur avait établi qu'à vingt ans on était
obligé de se marier. Parmi eux, c'est une maxime
constante que tout homme qui ne cherche pas à
(i) Reg., c. P"". Les plaintes d'Anne, mère de la très sainte
vierge , dans le proto-évangile de saint Jacques , sont aussi
touchantes que celles de Phe'nenna. Leurs prières et leurs
larmes e'murent e'galeraent le Seigneur.
(2) Jud.^ c. II. Cet usage est contraire à celui des vierges
de Sofala. Les filles pleurent là , parce qu'elles doivent de-
venir femmes; Jephte' pleure, parce qu'elle ne peut pas le
devenir. Le monde est fait ainsi.
(66 )
avoir des héritiers est un homicide. ]N'est-ce pas
à cette doctrine ({lie ce peuple iDalheureiix doit
de s'être toujours conservé et raème niultiphé, au
miheu des persécutions affreuses auxquelles il a
été depuis tant de siècles, et est encore en butte?
Moïse a porté jusqu'au scrupule les égards envers
les nouveaux mariés. Pendant un an, un homme
qui s'est engagé dans les liens du mariage, ne
peut être séparé d'auprès de sa femme par aucun
motif d'utilité publique, pas même par le devoir
sacré de défendre la patrie. On doit le laisser à
côté de son épouse , pour qu'il se livre avec elle
à une jouissance pure et légitime (i).
Aussi était-ce un honneur chez les Hébreux d'a-
voir une nombreuse famille. L'Ecriture ne parle ja-
mais de la multiplicité des enfans, qu'elle ne fasse
l'éloge de leurs pères : la couronne des vieillards ,
ce sont les enfans de leurs enfans, y est-il dit. Plus
on en avait , plus on se croyait comblé de béné-
dictions. La noblesse et la puissance consistaient
dans le nombre des enfans; c'était un moyen de
devenir historique. Ainsi Géroboal est renommé
pour avoir eu soixante-dix enfans de ses femmes
légitimes, et un de sa concubine; Roboam, pour
avoir été père de vingt-huit fils et de soixante filles;
Siba, serviteur de Saiil , pour avoir cultivé le pa-
(i) Dénier., c. XXIV, V. 5.
(07)
trimoine de Miphiboseth avec ses quinze fils et ses
vingt esclaves; Jair, pour avoir eu trente fils dans
le service.
Les lois de Moïse sur le mariage iie sont pas
toutes aussi sages qu'elles auraient du l'être. Com-
ment justifier la procédure qu'il a donnée avec tant
de détails, pour que les ministres des autels pus-
sent parvenir à s'assurer si une épouse accusée
d'infidélité avant le mariage est vierge ou si elle
ne l'est pas? Ou ce remède était un poison, et peu
de personnes auront échappé à sa violence , ou
c'était un breuvage indifférent qui n'agissait que
sur l'imagination , et il doit avoir été funeste aux
esprits faibles. Il ne faut pas se jouer ainsi de la
simplicité des hommes. Cette loi n'aurait-elle pas
servi de prétexte et de fondement aux jugemens de
Dieu(i)?
(i) Num., c. V. — Les eaux ambres ont été empioyées
pendant une longue suite de générations parmi les Hébreux.
Dans le prolo-évangile de saint Jacques, qui se lit encore,
dit-on, dans quelques églises de l'Orient, il est dit au cha-
pitre XVI que le grand-prètre fit boire de l'eau de jalousie
à saint Joseph et à son épouse. C'est sans doute une fausseté,
comme tout cet évangile lui-même; mais il prouve cepen-
dant que l'usage des eaux arriéres subsistait encore. Au reste,
Philou et Josèpbe nous l'assurent .positivement, et leur té-
moignage est digne de confiance.
Pour procéder à cette épreuve, le prêtre s'avançait vers la
5..
(68)
Quel but s'est proposé le législateur en établis-
sant qu'après les couches, les femmes sont impures
pendant un temps déterminé ? Est-ce une tache ,
est-ce une honte d'avoir mis au monde un nouvel
homme? A-t-il voulu prévenir les suites funestes
que pourraient avoir les plus légers dérèglemens
dans les premiers quarante jours qui suivent les
couches ? Pourquoi alors fixer un temps double
pour celles qui , au lieu d'être mères d'un
garçon , ne le sont que d'une fille ? La loi peut
sanctionner un principe utile ; mais elle établit une
erreur : il y a danger et non crime pour une femme
qui s'oublie dans ces circonstances. La physio-
logie, au moins que je sache, ne met aucune dif-
férence entre les phénomènes qui succèdent dans
lUie femme à la naissance d'un garçon ou à celle
d'une fille. Le préjugé perce ici de la manière la
plus évidente. La religion catholique a emprunté
femme, et lui présentait l'eau de jalousie, en lui disant : « Si
» vous vous êtes retire'e de votre mari, et que vous vous soyez
» souille'é en vous approchant d'un autre homme, que le
» Seigneur vous rende un objet de malédiction et un exem-
» pie pour tout son peuple , en faisant pourrir votre cuisse
» et enfler votre ventre. Que cette eau entre dans vos en-
• trailles pour faire enfler votre Ventre et pourrir votre
* cuisse. » La femme devait répondre ainsi soit-il. Le prêtre
e'crivait ses malédictions dans un livre et il les effaçait avec
Veau aniere.
(69)
cette cérémonie au culte des Hébreux ; et certes,
chez nous, elle n'a plus aucun but d'utilité, ni
pour le salut de la nouvelle mère , ni pour la mo-
rale; c'est un préjugé aussi grossier qu'inconvenant.
Selon le prêtre. Dieu ne peut souffrir une femme
qui , ayant suivi ses saintes lois , lui a donné un
nouvel adorateur.
Pourquoi a-t-il considéré comme impures les
femmes pendant la période de leurs écoulemens
menstruels? est-ce une loi sanitaire? est-ce une
loi religieuse (i)? Je le crois un règlement de po-
lice et un préjugé. Je ne sais pas qu'il soit dange-
(i) Ce préjugé n'existe pas sevilement chez les Juifs ; on
le trouve chez d'autres nations, qui probahlement ne se le
sont pas communiqué et ne l'ont pas reçu des Hébreux.
A l'île de Ceylan, il est défendu aux femmes d'entrer dans
le temple pendant qu'elles sont sujettes à leur maladie pé-
riodique. Les hommes qui vont les voir sont frappés de la
même disgrâce.
Les nègres d'Issini , dans le royaume de Bénin, bâtissent
à environ cent pas du village une cabane dans laquelle se
retirent les femmes et les filles pendant qu'elles sont at-
teintes de cette maladie. Celle qui oublierait ou négligerait
d'eu déclarer le commencement serait punie de la peine
capitale. Voilà qui est bien plus fort que les souillures de
Moïse.
Les Caffres ne sont pas si rigoureux. Si l'un d'entre eux
ge permet d'avoir quelque commerce avec les femmes qui
(yo)
reux pour le sexe de souffrir dans cette circons-
tance l'approche de Hiomme. Quant à la religion,
elle n'aurait dû jamais se mêler de matières de cette-
espèce : la j^loire de Dieu n'y est aucunement in-
téressée.
Le législateur entre dans une foule de détails
minutieux qui surchargent inutilement son code.
se trouvent dans leur affection mensuelle, pour se purifler, il
n'est oblige' à aucune autre chose qu'à un sacrifice.
Les habitans du Canada sont fort scrupuleux à cet e'gard.
Les femmes, pendant leur maladie sexuelle, sont obligées
de s'éloigner de tous les autres habitans et de vivre dans
une case séparée pendant huit jours. Personne n'ose boire
aux ruisseaux où l'une de ces femmes aurait bu ; et ce serait
pour elle un crime de ne pas laisser, à l'endroit où elle
s'est désaltérée, quelqvie signe qui puisse faire connaître
aux fidèles le danger auquel ils s'exposeraient en buvant
au même point. Les femmes mariées restent séparées pen-
dant huit jours, les filles pendant trente.
Ainsi on a beau faire descendre du ciel quelques-uns de
ces préjugés religieux, on a beau leur chercher une origine
première, ils sont un fruit de l'ignorance et naissent partout
où elle règne.
Chez plusieurs peuples,, dès qu'une femme est enceinte,
il est défendu à son mari de l'approcher. Cet usage existe
encore dans la Nigritie. Au Canada, une femme ne peut
communiquer avec son époux depuis le commencement
de sa grossesse jusqu'à ce que l'enfant ait fini sa deuxième
année. Lorsqu'elle est près d'accoucher, on lui prépare une
(7> )
Il a déclaré impurs , et la femme qui aurait l'é-
coulement menstruel , et l'homme qui s'en appro-
cherait , et tous les objets qu'elle toucherait , ses
vêtemens , son lit , sa chaise , les vases dont elle
pourrait se servir. La durée légale de cette souillure
n'est ordinairement que de sept jours 5 mais si l'écou-
lement se prolonge au-delà, l'impureté l'accompagne
et le dépasse de sept autres jours. {Léwit., chap. XY.)
cabaue à l'écart, où elle reste quarante jours , si elle est
mère la première fois, trente dans toutes ses autres couches.
Dans la Floride, non- seulement les maris n'ont aucun
commerce avec leurs femmes enceintes , mais ils ne peuvent
pas même manger des alimens qu'elles touchent pendant
leur grossesse.
Dans quelques îles de la mer pacifique, les femnïes en-
ceintes, tout en accompagnant leurs maris pendant le jour,
ne peuvent pas coucher avec eux ; mais au moins ont-ils
pour elles les plus grands égards.
Certes ces usages et ces lois ne sauraient être préjudicia-
bles à la multiplication de notre espèce ; ils paraissent même
la favoriser. Mais si les hommes, pendant ce temps d'absti-
nence , sont à leur aise avec les autres compagnes dont ils
ne manquent pas de s'entourer, les femmes sont exposées à
une rude épreuve. On sait que dans les premiers temps de
la grossesse le transport aux plaisirs vénériens est plus vif
que dans toute autre circonstance. Les mœurs peuvent même
recevoir vme grave atteinte ; le besoin fait passer par-dessus
les scrupules. Cet usage ne pourrait pas s'introduire chez les
nations où la polygamie n'existe pas.
(70
Le soin que le législateur a mis à dénnir loutes
les espèces d'impuretés, et à tracer le rituel pour
en opérer la purification , est des plus scrupuleux.
]\e renferme-t-il pas ou ne doit-il pas faire naître
une aversion évidente pour le mariage ?
Les jeunes filles pouvaient conserver leur virgi-
nité 5 on avait même pour elles plus d'égards que
pour les mariées. Un prêtre ne pouvait , sans se
souiller, aller voir sa sœur défunte, si elle était
morte dans l'état de mariage. Elait-elle vierge ? la
vue de son cadavre ne souillait plus son frère. Celle
loi menait au célibat : les honneurs que l'on ac-
corde aux morts vont toujours aux vivans (ij.
(i) Ce n'est pas seulement chez les Hébreux que l'on trouve
e'tabli ce préjugé : les Grecs elles Romains regardaient comme
souillées non-seulement les personnes qui touchaient un mort,
mais même la maison où était le mort. Les prêtres avaient
inventé des bénédictions, des exorcismes et des prières
pour purifier les objets et les individus qui étaient devenus
immondes. A l'île d'Owhyée, dans la mer du Sud, quicon-
que touche le cadavre d'un chef de l'ile subit un tabou de r
dix mois lunaires. Les chefs eux-mêmes peuvent encourir ce
malheur ; il n'y a de différence que dans la durée : le tabou
pour eux ne dure que quatre ou cinq mois. Et qu'est-ce
que ce tabou? Une chose fort désagréable. La personne qui
en est frappée ne peut pas se servir de ses mains pour man-
ger ; elle est obligée de recourir au ministère d'un autre. Si
sa fortune ne lui permet pas d'avoir quelqu'un à son service ,
elle est obligée de se traîner sur ses mains et sur ses genoux
(73 )
Malgré la sagesse des lois que Moïse a sanclion-
uées , ou pour corriger la corruplion du peuple
dont Dieu l'avait fait législateur^ ou pour con-
server intacte la pureté de ses mœurs, les Hébreux
à la fin se relâchèrent, et leur dissolution surpassa
par degrés celle de Babylone et de tous les peuples
qui avaient existé ou qui ont existé par la suite
sur notre globe. C'est de l'une des villes de la
Judée que tire son nom un vice abominable , que
la nature et les mœurs frappent également d'ana-
thème. Quoi de plus hideux que ces Gabaonites
qui voulurent faire violence à ce lévite d'Éphraïm
dont il est parlé au rhapitre XIX des Juges? La
licence et l'inhumanité n'ont été chez aucun peuple
portées à un si haut point.
En parcourant les lois de ce peuple fameux, on
en ti'ouve quelques-unes qui peuvent nous faire
justement penser que les Hébreux ne bornèrent
pas leur volupté dans les limites que la nature lui
a prescrites. Le verset 23 du chapitre XYIU du
pour saisir sa nourritui'e avec la bouche. Plus nous conti-
nuons l'étude de l'histoire, et plus nous trouvons que tous
les peuples ont e'te', chacun à son tour, sujets aux mêmes
préjugés. Quelquefois ils se les transmettent comme un hé-
ritage de honte et de misère; le plus souvent ces préjugés
prennent naissance dans chaque pays , quand les temps leur
sont favorables. (Maccarthy, Voj-a§es dans la mer du Sud.)
( 74 )
Lévitique détbiid aux hommes et aux femmes de
s'unir à des animaux. Les versets i5 et 16 du
chapitre XX prononcent Ja peine capitale , soit
contre les individus qui se seront permis une si
monstrueuse union, soit contre les animaux auxquels
il se seront unis (1). Ces lois positives n'ont été
sans doute établies que contre des crimes qui de-
vaient être communs. Les législateurs ne se sont
(i) Lévit.^ c. XVIII, V. 23. — Cuni omiii pécore non
coibis , nec maculaberis cum eo , quia scelus est.
C. XX, V. i5 et 16. ■ — Qui cum jumento et pécore coierit,
morte moriaturj pecus quoque occidite.
Mviher quae succubuerit cuilibet jumento, simul interfi-
ciatur cum eo : sanguis eorum sit super eos.
«c En Egypte , plusieurs femmes donnèrent avec les boucs
» le même exemple que donna Pasiphaé avec son taureau.
» He'rodote raconte que , lorsqu'il était en Egypte , une
» femme eut publiquement ce commerce abominable dans
» le nome de Mendès. Il rapporte qu'il en fut ti'ès e'ionne',
» mais il ne dit pas que la femme fut punie... Les Juifs
» n'imitèrent que trop ces abominations. [P aralip . ,\is . II,
» c. X, V. i5). Des Juives se passionnèrent pour des boucs,
» et des Juifs s'accouplèrent avec des chèvres. Il fallut une
« loi expresse pour re'primer ces affreux de'sordres. Cette
» loi, donne'e dans le Lëviu'que (cliap. XVII, v. 7), y est
» plusieurs fois rappele'e. D'abord c'est une défense éter-
» nelle de sacrifier aux velus avec lesquels on a forniqué
» (ch. XVIII , V. 23); ensuite une autre défense aux femmes
» de se prostituer aux bêtes , et aux hommes de se souil-
( 75 )
jamais fait un plaisir de supposer gratuitement des
délits imaginaires.
Les chapitres XVI et XXIII des Prophéties
d'Ezéchiel viennent nous confirmer dans une idée
si peu avantageuse des mœurs des Hébreux (i).
Ce fut sans doute au milieu d'une si honteuse
prostitution , que le célibat dut jeter des racines
profondes dans la Judée. Une épouse n'était plus
nécessaire pour les besoins de la nature j on s'en
dispensa. Des motifs religieux, dont on a déjà vu
les germes dans les lois sacrées de ce peuple, durent
fortifier ce penchant. C'était un honneur et un avan-
tage de n'être pas uni à une femme et de n'avoir
pas à soutenir une famille j c'était une gloire de se
soustraire à la contagion générale de toutes les
classes.
Aussi les célibataires inondèrent-ils bientôt la
Terre-Sainte. Les esséniens se firent remarquer par
leurs pénitences rigoureuses, par leur attachement
» 1er du même cnme. Enfin, il est ordonné (cli. XX,
» V. i5 et 16) que quiconque se sera rendu coupable de
>' cette action sera mis à mort avec l'animal dont il aura
» abuse'. » (Saiut-Edme, Diction, de la Pénalilé , t. II,
pas- 419)-
(i) jEdificasti tibi lupanar, et fecisti prostibulum in
cunctis plateis... et divisisti pedes tuos omni transeunti.
(/izec^i., cliap. XVI, v. 24, 25.)
religieux à toules les cérémonies de la loi, et par leur
mépris oulré de tout ce qui n'appartenait pas à leur
secte. La plupart vivaient dans le célibat et eu com-
munauté. Les étrangers, quine les connaissaient pas,
s'extasiaient beaucoup plus que les Hébreux, sur le
rare bonheur de ces sectes religieuses; elles se multi-
pliaient sans avoir de fenuncs et sans élever d'en-
fans(i). On ne faisait pas attention que les autres .Tuifs
en élevaient pour eux, et que les orages de la fortune,
le dégoût du vice et l'opinion de la sainteté desessé-
nieus poussaient ces enfans dans leurs rangs.
Les thérapeutes, autre secte de célibataires juifs,
élaient beaucoup plus nombreux et beaucoup plus
répandus. Les déserts de l'Egypte en étaient pleins;
ils fuyaient les villes; ils vivaient dans la solitude,
chacun dans une cellule particulière, ne se réunis-
sant que pour la prière et pour l'instruction reli-
gieuse. Ces moines paraissent avoir servi de modèles
à ceux de la religion chrétienne : cela est si vrai,
(i) Gens sola est in toto orbe praeter caeteras mira,
sine uUa faemina , omni venere abdicata , in dieni ex œquo
convenaruni turbaruni renascitur , longe frequentantibus
quos vita fessos ad mores eoruna fortunae fluctus agitât.
Ista per sseculorum milha (incredibile dictu !) gens œterna
est in qua nemo nascitur. (Phne , Uist. nat. , lib. V,
cap. XVII.) Je n'y vois rien d'incroyable ni d'e'tonnant.
Si Pline eût ve'cu de nos jours, il en aurait vu bien d'autres.
(77 )
que la question s'agite encore parmi les critiques,
pour savoir si ces religieux étaient des chrétiens ou
des juifs. Cependant Phiion, qui, en qualité de juif,
devait être parflûtement instruit de cette matière,
soutient qu'ils appartenaient à sa nation, et en fait
le plus pompeux éloge. Ils avaient trouvé^ noHs
est-il dit par Josèphe, le secret important de se re-
produire sans femmes .
Nous verrons, par la suite, que le célibat est tou-
jours venu s'établir au milieu de la société , lorsque
la corruption des mœurs était à son comble : je n'en
excepte pas même le célibat religieux. Les hommes
de bien, les âmes chastes, à la vue d'un spectacle si
dégoûtant, prenaient en aversion le sexe qui parais-
sait en être l'acteur principal. Les hommes sensuels,
satisfaits des plaisirs qui les entouraient en foule , et
on ils se plongeaient à leur aise, se gardaient bien
de contracter des engagemens durables : pourquoi
auraient-ils mis des bornes, ou au moins des entraves,
à une liberté qui leur était si chère? Ces considérations
m'ont déterminé à porter dans ce chapitre ce que
j'avais à dire sur les esséniens et les thérapeutes; ils
auraient dû trouver leur place dans le chapitre où
je m'occuperai spécialement de montrer l'origine du
célibat parmi les ecclésiastiques.
( 7» )
fc\VvV%VV\V\\\VV\\VV'\\VVVvV\*VViA%%'VVV/V\KX\V\'VxX'Vl'VV^AA.V\'\V\\/\\Vi\(\(V\Vrf\iWfcVV\\'Vv\'\VW\VV^\'V
CHAPITRE V.
Des Grecs.
S'il est vrai que les idolâtres se sont donné des
dieux semblables ù eux-mêmes, qu'ils leur ont prêté
leurs goûts, leurs penchans et leurs mœurs, nous
ne pouvons pas supposer aux Grecs des premiers
siècles une tendance quelconque à admettre des prin-
cipes dfi chasteté dans leurs lois.
Us adoraient Yénus, l'Amour et Jupiter, auxquels
aucune femme et aucun bomme honnête ne vou-
draient ressembler; ils salissaient la mémoire de la
jeunesse de mille contes absurdes et ridicules , mais
que la religion rendait sacrés et vénérables, et que
les philosophes eux-mêmes n'auraient pu combattre
sans danger. Leu.rs poètes peignaient toujours sous
leurs yeux et embellissaient de tous les charmes dont
était susceptible la plus riche et la plus harmonieuse
des langues, les tableaux variés d'une volupté d'au-
tant plus dangereuse qu'elle se présentait sous des
images séduisantes. ]N'est-il pas naturel que les
hommes aient du penchant à imiter les dieux qu'on
leur fait adorer sur les autels? Aucun sage, aucune
loi pourraient-ils leur faire un crime de se livrer à
(79)
des plaisirs que la nature inspire et que la religion a
sanctifiés?
Tel était le penchant à la volupté de ce peuple
spirituel, qu'il paraît avoir regardé la continence
comme impossible, non-seulement pour les hommes,
mais encore pour les dieux. Les vierges, mâles et
femelles, dont les Grecs avaient peuplé leur ciel,
n'avaient pas une conduite exempte de reproches
et propre à balancer l'impulsion aux jouissances de
l'amour, que donnaient, par leurs conseils et par
leurs exemples , les chefs de la céleste cohorte. Diane
n'avait-elle pas son Endymion , qui lui faisait si sou-
vent ab.indonner son char au milieu des airs? Apol-
lon n'était -il pas connu par ses galanteries avec
Daphné, Cljtie, Leucothoé? Minerve, la cliasfe
Minerve, la déesse de la sagesse et des arts, n'avait-
elle pas son Ericthonius, n'était-elle pas accusée de
quelques complaisances avec Yulcain? Mjrtilus ne
nomme-t-il pas un heureux courtisan des Muses, ne
donne-t-il pas des enfans à chacune d'elles, n'en
rapporte -t-il pas les noms?
Si, quittant le ciel, nous portons nos regards sur
la terre, si nous cherchons à démêler les mœurs
des premiers habitans de la Grèce dans l'histoire fa-
buleuse de leurs héros, nous les trouvons dignes des
dieux qu'ils avaient imaginés, ou qu'ils avaient em-
pruntés aux nations voisines. Ils sont presque tous
ravisseurs, ou pour le moins séducteurs. Jason se-
(8o )
(îiiiL Métlée, l'abandonne et en est puni. Tliésée
corrompt les deux filles du roi de Crète , trahit
l'aînée, donne mille rivales à l'objet de son choix.
Dans sa première jeunesse, il avait préludé aux ex-
ploits de sa virilité par la violence faite aux filles de
Cercyon, et par le rapt d'Hélène, qu'il enleva pen-
dant qu'elle dansait autour de l'autel de Diane. Il
était accompagné dans cette entreprise criminelle par
Pirythoûs , roi des Lapithes , avec lequel il avait
fait un contrat digne de deux brigands de profession.
Ils avaient stipulé de tirer au sort la belle fille de
Léda, sous la condition que celui à qui elle écher-
rait aiderait l'antre à pnipvpr unp antre princesse.
Le hasard favorisa Thésée, qui se fit aussitôt un de-
voir d'accompagner son valeureux ami chez Aïdo-
neus, roi des Molosses, dans le dessein d'enlever
la jeune Proserpine, dont la beauté était alors jus-
tement célèbre.
Un trait de l'histoire de Pirythoûs peut nous con-
firmer de plus en plus dans l'idée que les mœurs des
peuples de la Grèce, dans la période dont je parle
ici, étaient très relâchées. A la noce de ce héros avec
Deidamie, à laquelle se trouvait Thésée, les cen-
taures , échauffés par le vin , tentèrent de faire vio-
lence aux dames de la fête. On croirait lire l'histoire
des peuplades sauvages de TAmérique. Du temps de
Thésée et d'Hercule, les Grecs n'étaient guère plus
civilisés que les habitans actuels des îles de la mer du
(8, )
Sud. Les barbares sont dépravés partout; il faut
une société, de l'expérience et des lois pour créer
la morale et pour la faire respecter.
La société se forma , se développa , se constitua ; la
division topographique de ce pays et le génie de ses
habitans donnèrent lieu à une foule de pelils états,
d'abord monarchiques, puis par degré, républicains.
Les mœurs durent alors se purifier : la vertu est un
élément nécessaire à l'existence des gouvernemens
démocratiques. L'adultère fut sévèrement puni , la
violence frappée de mort, la prostitution rendue im-
possible. Dans de pareilles circonstances, le célibat,
quand même il eût été toléré par les lois , serait de-
venu extrêmement difficile.
Le célibat était impossible à Sparte. Lycurgue y
avait entouré les célibataires de tant de difficultés ,
qu'ils ne pouvaient pas y vivre : ils ne pouvaient pa-
raître nulle part sans queleméprisdeleurs concitoyens
ne les accablât. Peut-il y avoir rien de plus injurieux
et de plus insupportable que les outrages dont les frap-
pait la haine nationale dans une des plus grandes so-
lennités de l'État? Ils étaient obligés de paraître sur
la place publique : s'ils se cachaient, comme ils étaient
signalés aux magistrats et corinus de tous les ci-
toyens, on courait à leur poursuite, on les traî-
nait en triomphe, tout nus, pendant l'hiver; on
chantait autour d'eux des chan.sons insultantes; les
licteurs les frappaient de verges; et pendant cette
6
(82)
longue et douloureuse procession autour de la
place, les femmes les chargeaient de soufllets.
Surmontaient-ils tout ce que cette cérémonie avait
d'iiumiliant et d'affreux , les lois, et les mœurs, plus
puissantes que les lois, ne leur donnaient aucun
relâche : ils ne pouvaient prétendre à aucun em-
ploi civil ; ils n'avaient point de place dans les
assemblées du peuple j les jeux et les divertissemens
publics leur étaient interdits. Quelque respect que
l'on eût pour la vieillesse, à Sparte, elle ne pouvait
pas effacer la tache dont le célibat y marquait les ci-
toyens. Nul service ne pouvait réparer le tort irrémis-
sible de n'avoir pas donné des défenseurs à la patrie.
Il était presque inutile pour les célibataires de ver-
ser le sang pour la gloire de la patrie et de mériter
des récompenses éclatantes • les insignes de l'hon-
neur ne rendaient point respectable un homme qui
n'avait pas rempli le plus essentiel des devoirs, ce Je
» ne me lève point, » dit au général Dercyllidas, im
jeune homme qui, suivant la coutume de Lacédé-
mone , aurait dû lui céder la place, «je ne me
»lève point, parce que tu ne nous a pas donné
» d'enfans qui puissent me rendre un jour le même
» honneur. »
Les lois de Lycurgue avaient défendu, puni le
célibat et prescrit de sages mesures pour le prévenir.
Les jeunes garçons et les jeunes filles s'exerçaient à
lutter ensemble dans le gymnase, et il était presque
(83)
impossible que le contact continuel des deux sexes et
la surveillance que les magistrats et les citoyens
exerçaient à l'envi sur eux ne créât et ne dirigeât
des relations légitimes que le mariage venait enfin
sanctionner.
Un homme se sentait -il un penchant irrésistible
pour la femme de son voisin? désirait-il en avoir
des enfans aussi bien faits et aussi robustes qu'elle ?
il n'avait qu'à la demander à son mari : celui-ci se
faisait un point d'honneur de la lui céder. Une
femme jeune et vigoureuse se trouvait-elle unie à un
homme accablé par l'âge ou par les infirmités ? la
loi faisait à ce dernier une obligation de conduire
auprès de son épouse un homme aussi jeune et aussi
robuste qu'elle , pour que la patrie ne fût pas frus-
trée des citoyens forts et vaillans qu'elle était en
droit d'attendre d'elle.
Ces usages, que nos mœurs ne sauraient admettre
et dont nous ne pouvons que difficilement nous faire
une idée, étaient à Sparte la sauvegarde de la vertu.
Aussi l'adultère, dans les beaux temps de la répu-
blique, lorsque les lois de Lycurgue étaient dans
toute leur force, était- il aussi rare que le célibat.
t< Quelle peine fail-on subir à un adultère? n de-
mandait un élran2;er au Lacédémonien Gérodas.
(( — 11 n'y a point d'adultère chez nous. — Mais s'il
» s'en trouvait ? — On le condamnerait à payer un
» taureau qui du haut du mont Taïgète pût boire
6.,
(84 )
» dans l'Eurotas. — Bon! Eh! comment pourrait-on
» trouver un taureau d'une telle grandeur? — Eli !
y> comment jiourralt-on trouvei- à Sparte un adul-
)) 1ère? » ( Barthélémy, yojage du jeune Ana-
charsis. )
Dans les autres états de la Grèce, les lois contre
les célibataires n'étaient pas aussi rigoureuses qu'à
Sparte; mais l'opinion publique les condamnait, et
pendant tout le temps que l'on conserva quelque
respect pour les mœurs, les exemples n'en furent
pas nombreux. Epaminondas n'eût pas pu se justifier
du reproche de n'avoir pas donné des enfans à la
patrie , s'il n'eût remporté la victoire de Leuctre,
et si ce reproche ne lui eût été adressé par Pélopidas
qui avait un fils dont la conduite était généralement
décriée.
Solon , par sa sollicitude à conserver la pureté des
mœurs , à empêcher l'accumulation des héritages
et à ne laisser s'éteindre aucune des familles exis-
tantes, mit beaucoup d'entraves au célibat. Le sévère
et inflexible Dracon avait déjà frappé des plus ter-
ribles châtimens ce vice par lequel les célibataires se
dédommagent facilement de l'absence d'une femme
légitime.
Le bien dans ce monde est toujours à côté du mal.
Les républiques de la Grèce, dans l'intention de
conserver les familles et de ne pas laisser s'étendre
au-delà de certaines bornes le nombre des citoyens
(85 )
actifs, avaient autorisé des crimes. Lorsqu'un enfant
■venait de naître, on l'étendait aux pieds de son père:
s'il le prenait dans ses bras , l'enfant était nourri et
élevé- s'il détournait les yeux , ou parce qu'il ne se
croyait pas les moyens de l'entretenir, ou parce qu'il
voyait sur lui quelque vice de conformation dont il
n'espérait pas pouvoir le corriger, l'enfant était ex-
posé ou même privé de la vie. Une loi si barbare était
commune à presque toute la Grèce, excepté à Tbèbes.
Quelques philosophes la sanctionnaient de leurs suf-
frages. Platon pense même qu'une mère qui se trou-
verait entourée d'une trop nombreuse famille serait
en droit de détruire l'enfant qu''elle porte dans son
sein. Qui aurait jamais pu s'imaginer que les re-
cherches de la philosophie et le désir de la liberté par-
viendraient à la même conclusion que la barbarie et
l'absolutisme? que le Japon et la Grèce auraient les
mêmes lois? Crime pour crime, j'aimerais mieux le
célibat que l'infanticide.
Cet état de choses dans la Grèce rendait aussi né-
cessaire une autre loi non moins funeste, la tolé-
rance, ou pour mieux dire la protection de ces éta-
blissemens où les citoyens qui n'avaient pas le cou-
rage de commettre des crimes, et qui n'avaient pas
assez de fortune pour élever une famille, pouvaient
satisfaire les besoins de la nature. Selon lui-même ,
le sage Solon tomba dans cette erreur.
A mesure qvie les mœurs se corrompaient , la
(86)
rigueur contre les célibattiires s'affaiblissait insen-
siblement. Platon, dans sa république, tolérait
le célibat jusfju'à trente-cinq ans; et après cet
âge, il ne le punissait que par la privation des
emplois et par la place peu bonorable qu'il ac-
cordait aux célibataires dans les cérémonies pu-
bliques.
La pliilosopbie était venue au secours des lois;
mais des principes funestes ne tardèrent pas à
altérer la pureté primitive de la morale. Pytbagore
lui porta l'un des premiers des coups d'autant plus
irréparables , que ce philosophe jouissait de la plus
grande réputation par ses lumières et par sa sagesse.
11 commença à borner le temps où l'on pourrait
s'occuper de la propagation de l'espèce , à l'hiver et
au printemps. L'acte de la génération fiit par lui
considéré comme nuisible en toute saison, et comme
funeste en été. «Quand l'homme doit-il s'approcher
» de sa femme? — Quand il sera en âge d'être fort,
ï) répondait-il; rien n'est aussi dangereux que la
» volupté. )) Si l'on y ajoute l'éloignement des af-
faires, qu'il conseillait à ceux de ses disciples qui
voulaient se livrer à la recherche de la vérité , et leur
habitude de vivre ensemble dans le même éta-
blissement, on sentira qu'ils devaient nécessai-
rement arriver au célibat. C'était une espèce
de moines, dont Pytbagore avait pris l'idée dans ses
voyages aux Indes.
(8-)
Des femmes célèbres embrassèrent et soutinrent
avec talent la doctrine du philosophe de Samos :
elle fit des progrès rapides. Aristote conseillait de
borner la célébration du mariage au solstice d'hi-
ver; Solon lui-même voulait que les maris ne s'u-
nissent à leurs femmes que trois fois par mois (i).
JN'était-ce pas rendre nécessaires la corruption
et les courtisanes? n'était-ce pas erjgager au célibat?
Et déjà les philosophes montraient ouvertement
leur dédain pour le mariage. Démocrite d'Abdère
fuyait la société, et vivait dans la retraite comme un
anachorèie. Thaïes , interrogé pourquoi il ne se ma-
riait pas, répondait, lorsqu'il était jeune : « 11 n'est
)) pas encore temps; m et lorsqu'il était avancé
en âge, « 11 n'est plus temps. » Les doctrines et
les sectes les plus opposées se rencontrèrent dans
leur haine du mariage. Les philosophes cyniques, à
cet égard , ne différaient pas des stoïciens. Aussi
Laïs ne faisait-elle aucun cas de leurs vaines fanfa-
ronnades de vertu. « Ils frappent à ma porte bien
y) plus souvent que les autres, disait -elle. » Et
c'est toujours de même : les choses ne sont pas
changées.
Ces principes se développèrent avec une éton-
(i) Une reine d'Aragon fit établir par son conseil qu'un
mari devait se borner à coucher avec sa femme six fois par
an. Cette reine était chrétienne.
(88)
nanle rapidité, et bientôt les villes de la Grèce fu-
rent remplies de courtisanes : elles suivent toujours
le relâchement des mœurs et l'augmentent. La plus
honteuse des professions était presque devenue une
profession honorable : les courtisanes qui avaient de
la beauté et de l'esprit acquirent autant de célé-
brité que les plus vaillans généraux et les plus grands
génies. Lorsque Phryné traversait les rues, ou se
montrait au milieu des places publiques , tous les
yeux s'attachaient sur elle; un murmure flatteur
l'accueillait toujours. Se baignait- elle dans les flots
de la mer, une foule immense accourait sur le
rivage , et croyait voir Vénus au moment où elle
sortit la première fois des ondes. Apelle et Praxi-
tèle épiaient, observaient attentivement tous ses
traits, pour les reproduire sur la toile ou par le
marbre. Elle ruinait ses amans, elle en tirait va-
nité, et les lois étaient sourdes, et les magistrats
fermaient les yeux. Accusée enfin d'avoir violé
les mystères d'Eleusis , elle est traduite devant
le tribunal des Héliastes, et sur le point d'être
condamnée à la peine capitale. Les juges , aveu-
glés par le préjugé religieux , s'obstinent dans la J
résolution de la frapper 5 son défenseur avait '
perdu presque tout espoir, lorsqu'elle s'avisa d'un
moyen bien plus puissant que les raisons et l'élo-
quence de l'orateur : elle fondit en larmes, elle dé-
chira ses vêtemens, elle se jeta aux pieds de ses
(89)
juges, et la vue de ses charmes fit pencher la balance
de son côté (i).
Qui ne connaît le rôle brillant qu'Aspasie joua
à Athènes? Suivant l'exemple de l'Ionienne Thar-
gélia, qui s'attachait les principaux citoyens des
villes grecques, et les gagnait au roi de Perse,
son souverain, Aspasie vint s'établir à Athènes,
et n'admit à ses faveurs que ceux que les digni-
tés et les talens élevaient au-dessus du vulgaire.
Elle réunit chez elle un grand nombre de courti-
sanes d'une rare beauté : les plus hauts personnages
trouvaient auprès d'elle une société brillante et les
plaisirs les plus variés.
Périclès lui-même devint son adorateur ; il ré-
pudia, pour l'épouser, sa femme légitime, qui lui
avait déjà donné deux enfans. Il aima cette cour-
tisane célèbre 5 jamais il ne s'en séparait, jamais il
ne retournait auprès d'elle sans lui donner un
tendre baiser. Telle était l'influence de cette femme ,
que Lysiclès , qui l'épousa après la mort de Périclès ,
fit avec elle une fortune considérable. Les Athéniens
se trompaient-ils sur son compte? L'adoraient-ils
(i) « Phryue Cura eam defendente Hyperide esset
condemnanda, fracta tunica et nudo pectore, ad pedes
judicura revoluta, plus potuit pvopter forraam ad persua-
dendura judicibus quam patroni vis discendi. {Seclus Em"
pericus, hb. II.)
(90 )
parce qu'ils la croyaient vertueuse? Non ; sa con-
duite était généralement blâmée. Les poètes l'appe-
laient Omphale , Déjanire f Jiinon. Cratius l'appelle
ouvertement courtisane.
Les courtisanes décidaient quelquefois du sort des
villes et des expéditions militaires. Périclès fut ac-
cusé d'avoir, à la prière d'Aspasie , engagé les Athé-
niens à prendre les armes contre Samos , en faveur
de Milet , sa patrie.
Toute femme qui avait des charmes et de l'au-
dace était sûre de tout emporter. Le secret des
victoires que Corinne remportait sur Pindare était
là. Les Grecs ne tardèrent pas à reconnaître que le
poète de ïhèbes était au-dessus de toute compa-
raison ; mais tant que Corinne put se présenter elle-
même aux jeux olvmpiques , et appuyer de l'éclat,
de sa personne la faiblesse de ses vers, le peuple
subjugué battit les mains d'admiration. Périclès dit
à Alpinicc , qui était venue le supplier pour son
frère Cimore : «Alpinice, vous êtes bien vieille
)) pour venir à bout d'une aussi grande afiTaire. »
Si elle eût été jeune, elle n'aurait donc trouvé aucun
obstacle? Telle était l'estime dont le peuple d'A-
thènes honorait les courtisanes et ceux qui s'atta-
chaiejit à elles, qu'il courut presque en masse voir ^
un tableau du peintre Arlstophon , où Alcibiade
était i^eprésenté couché sur le sein de la courtisane
Néniée, et le vit avec le plus grand plaisir.
(9' )
Épaminondas lui-niême, après avoir refusé à son
ami et collègue Pélopidas de rendre à la liberté un
jeune homme qu'il avait fait mettre en prison à
cause de ses débauches , accorda cette grâce à 1 une
de ses amies, en disant : « C'est une gratification due
)) à une amie , et non à un capitaine. » Quelque
spirituel que puisse être ce mot , il n'en démontre
p^s moins la déférence que l'on avait pour des
femmes dont l'existence est uu fléau pour les
mœurs.
La corruption pénétra partout; Sparte elle-même
n^en fut pas exempte. Lysandre y répandit le goût
des richesses et des plaisirs; lui-même, quoique sobre
et désintéressé d'abord, se laissa enfin gagner par
la séduction commune. Denys de Syracuse lui ayant
offert deux robes, en lui disant d'en choisir une
pour sa fille, Lysandre les emporta toutes les deux,
et re'pondit : « Elle choisira mieux que moi. »
Bientôt après , Alcibiade séduisit , sans la moin-
dre peine, Frinéa , feuime du roi Agis. Elle de-
vint grosse de lui, et fut si loin de se croire désho-
norée par ce crime, qu'elle s'en vanta hautement
et donna à son fils le nom d'Alcibiade.
L'éducation du sexe fut généralement dirigée
dans ce sens, cf A Athènes, à Corinthe, dans
» presque toutes les villes, les mères engageaient
)) leurs jeunes filles à se tenir droites, à serrer leur
» sein avec un large ruban , à prévenir un embou-
(90
y> point qui nuirait à la grâce et à l'élégance de la
» taille. ( Vojage d'Anacharsis. )
Les courtisanes étaient respectées , et pour ainsi
dire adorées. Les Corinthiens avaient un col-
lège de ces femmes, à qui était confié le soin
d'offrir des sacrifices à Yénus. C'étaient en effet
des prêtresses dignes d'une telle divinité. On
n'en avait pas moins de confiance dans l'efli-
cacité de leurs prières. Toute la Grèce ne fut-
elle pas persuadée que la destruction de l'année
des Perses était due à la puissante intercession
de leurs vœux et de leurs sacrifices?
Déjà les hommes qui affectaient de vouloir vivre
dans la continence étaient devenus ridicules aux
yeux d'une jeunesse effrontée et sans pudeur. Rien
ne pouvait garantir un citoyen de ses railleries et
de ses insultes. La sagesse et le savoir n'en étaient
pas à l'abri. Les disciples de Xénocrate, pour met-
tre sa continence à «ne rude épreuve, firent cou-
cher, sans qu'il s'en aperçût , dans son lit, la
courtisane Laïs, lorsqu'elle était dans tout l'éclat
de sa beauté. Le pauvre philosophe en y entrant,
sentit aussitôt que son corps, rebelle à ses prin-
cipes, commençait à se muîiner; et il ne trouva
contre la chaleur extrême qui avait embrasé ses
veines d'autre remède que de se brûler les mem-
bres qui avaient cédé à la force de la séduction.
11 trouvera des imitateurs.
Dans un tel état de corruption, quelle force pou-
vaient avoir les lois pour mettre un frein à la li-
cence ? Lorsque les hommes revêtus des premières
dignités de la république ne rougissaient pas de
passer leur vie aux pieds des courlisanes, pouvait-
on, suivant les lois de Solon , éloigner des emplois
publics les citoyens dont les mœurs commandaient
l'application de cette peine ? Les hommes du peuple
pouvaient-ils sévir contre les femmes adultères?
Auraient-ils pu les insulter, déchirer leurs vête-
mens avec ignominie? Le premier corps de la
magistrature, l'aréopage, aurait -il pu déployer
une grande vigueur et se préserver lui-même de
toute atteinte?
Quelles étaient les conséquences immédiates de
ce désordre? Le célibat devint une mode. Pour-
quoi se serait-on chargé de l'entretien d'une femme
et d'une famille, lorsqu'on pouvait si facilement
contenter le besoin de ses sens sans se créer un devoir
pénible? Le vice abominable que nous avons déjà va
parmi les Hébreux parait s'être introduit à cette épo-
que dans la Grèce: l'homme y remplissait, dit-on,
les fonctions de la femme. Socrate lui-même n'a pas
échappé aux soupçons de la postérité : quant à Alci-
biade, il est de fait qu'il avait un grand nombre
d'amans. Plutarque et Quinte-Gurce parlent d'un
Lymnus de Macédoine, qui était fortement amou-
reux de Nicomaque , et qui lui dévoila l'exis-
( 94 )
lencc d'une conjuration que l'on tramait contre
Alexandre.
Le dégoût pour le sexe était naturel au milieu
de tant d'exemples de la plus honteuse prosti-
tution. Euripide s'écrie dans Hippoljte : « O Ju-
» piter ! quelle raison a pu vous obliger de met-
» tre les femmes au monde? S'il n'était question
» que de la conservation du genre humain , il vous
» était aisé d'imaginer des manières plus simples, et
)) de donner aux hommes des enfans tout faits pour
)) leur or, pour leur encens et pour leurs sacrifices.
» Vos autels n'en auraient été que mieux servis. )>
V\\VVVVVV\\VVVfc^/\yV\*VVVV\aVVVV\/\\'VVVV\VV%VVVVVVVVVVV\V\AVVVV\A'tV\VVVWV\VV^
CHAPITRE YI.
Des Romains.
Jusqu'ici l'histoire ne nous montre aucun peu-
ple où le célibat civil se soit établi avant qu'une
civilisation avancée n'ait eu le temps d'altérer les
sentimens de la nature. 11 y a des positions plus
ou moins favorables au développement de cette
maladie nécessaire du corps social • celle des
Romains était des plus heureuses. Continuelle-
ment en guerre contre leurs voisins, ils devaient
se hâter de réparer par les mariages les pertes
(95)
que leur faisait subir le fer ennemi. Ils en étaient
convaincus : aussi dès que la cité eut reçu sa
première organisation , ils n'eurent rien de plus
empressé que de solliciter les peuplades limi-
trophes de leur petit état de leur donner des
femmes en mariage. On sait quelle réponse fut
faite à leur députation 5 on sait aussi le coup
hardi qu^ils frappèrent. Piome faisait voir dès son
origine que la force et les armes justifieraient seules
sa conduite. C'était un peuple de brigands, dont
l'univers devait devenir la proie.
« Tu regere imperio populos, Romane, mémento,
» Parcere subjectos et debellave superbos, »
YiRG.
Les soldats de Rome naissante n'étaient pas
obligés au céhbat, comme le furent plus tard les
soldats de Rome maîtresse du monde , et comme
le sont ceux de l'Europe moderne. Tous les ci-
toyens étaient obligés de prendre les armes, lors-
que le service de la patrie Texigeait : dès que la
campagne était finie, ou la belle saison passée,
ils retournaient sous leurs toits domestiques, se
rendaient à la tendresse de leurs femmes , et en-
semençaient les chamj)s pour pourvoir à la subsis-
tance de leurs familles.
11 n'était pas facile, à Rome, de trouver, dans
des relations que la morale condamne , les moyens
(96)
tic tempérer les désagrériiens qui accompagnent
le célibat. La délicatesse des Ptomains ne souffrait
pas la plus légère atteinte à l'honneur de leurs
femmes et de leurs filles. Le peuple en mvisse et
l'armée se soulevaient contre le prince tétnéraire
qui avait fait violence à Lucrèce, et contre le
tyran qui se couvrait du masque des lois pour
assouvir la passion furieuse qu'il avait conçue pour
la fille de Virginius. Chaque citoyen eût pour-
suivi sans relâche quiconque eût porté le déshon-
neur dans sa famille.
La lutte que les plébéiens soutinrent avec tant
d'opiniâtreté contre les sénateurs , d'abord pour
empêcher , et ensuite pour abroger la loi qui dé-
fendait le mariage entre les deux ordres, avait pour
but, d'un côté , d'ouvrir un champ plus libre à
l'ambition , de l'autre , de donner plus de latitude
à l'union des sexes.
La loi avait eu soin non-seulement de tolérer ,
mais encore de favoriser le mariage entre les per-
sonnes d'une condition différente. Lorsqu'elle n'ap-
prouvait par le mariage per coemplionem , qui était
le plus solennel, elle permettait le mariage eo? usa^
qui, une fois contracté, entraînait les mêmes droits
et était également indissoluble.
Tant que Rome fut pauvre., les goûts et les
penchans des citoyens furent conformes à la nature.
Chacun voulait avoir une femme et des enfans \
(97 )
chacun voulait accroître son influence et donner
de nouveaux défenseurs à la patrie. Le plus grand
malheur était de ne point laisser de postérité après
soi. Une inscription que les Romains avaient cou-
tume de graver sur les bornes des champs ne per-
met aucun doute ; elle était conçue en ces termes :
(C Quisquis hoc sustulerit aut sustuli jusserit ,
)) ultimus suorum moriatur. » Puisse celui qui ar-^
rache ou qui fait arracher cette borne , mourir le
dernier de sa race ! Ce que dit Trismégiste dans le
Pimandre, montre encore mieux combien le célibat
devait être odieux aux Romains. « C'est la plus
» grande des impiétés et le dernier des malheurs
)) de sortir de ce monde sans y laisser des enfans.
y> Les démons font souffrir à ces gens- là les plus
» cruelles peines après leur mort. C'est pourquoi,
)) mon cher Esculape , n'ayez aucun commerce avec
» eux. »
Sachant que tous les vices vont de compagnie,
et finissent par détruire tôt ou tard les bonnes
disciplines, et l'état lui-même, les Romains cré-
èrent de bonne heure deux magistrats chargés de
veiller sur la conduite publique et privée des ci-
toyens. C'était une police infiniment plus morale,
et par là infiniment plus respectable que celle qui
s'est établie au sein des nouvelles sociétés. Les cen-
seurs furent autorisés à infliger des punitions contre
ceux qui ne s'unissaient pas à une femme (cœlibes
7
(9»)
esse prohihento)-^ c'est une loi eilée par Cicéron ;
et Valère-Maxime nous apprend que les céliba-
taires étaient condamnés à des amendes : ^ra
pœnœ nomine pendere jusserunt.
Les femmes surtout étaient fortement intéressées
à ne donner aucun soupçon à leurs maris, lis avaient
sur elles un pouvoir très étendu, et pouvaient,
entre autres choses, divorcer sans la moindre peine.
Lorsque Paul-Emile se fut séparé de sa première
femme Papirie, ses amis lui firent des rej)roches
et lui en demandèrent la cause. « Votre femme
y) n'est-elle pas sage? n'est-eile pas belle? ne vous
» a-t-elle pas donné de beaux enfans? » 11 leur
montre son soulier, et leur dit à son tour : « Ce
)) soulier n'est-il pas beau? n'est-il pas tout neuf?
» n'est-il pas bien fait? cependant aucun de vous
» ne voit où ilmeblesse. )) [Plutarque.) On voit donc
qu'une femme pouvait être renvoyée sans que le
mari fût obligé de rendre compte de ses motifs.
L'aventure qui arriva à Caton le censeur, dans
le sein de sa faj^iille, prouve combien les Romains
poussaient loin la délicatesse sur les relations clan-
destines. Etant resté veuf dans un âge fort avancé ,
et ayant marié son fils avec la fîUe de Paul -Emile,
il résolut, à ce qu'il paraît, de ne plus contracter
de mariage. Comme il ne pouvait pas se passer de
femme , il entretenait secrètement commerce avec
une jeune esclave. Son fils s'en étant aperçu, en
(99)
témoigna son indignation par un regard qu'il lança
sur elle, un jour que, sortant de la chambre de
Caton , elle passait avec une démarche fière de-
vant l'appartement de la jeune épouse. Caton en.
fut bientôt instruit j il se garda d'en dire le moindre
mot, ni d'en faire la moindre plainte ou le moindre
reproche. 11 sentait que ce commerce devait être
scandaleux dans une maison où se trouvait une
nouvelle mariée. 11 sortit sur la place publique ,
trouva un de ses amis , lui demanda sa fille en
mariage , l'obtint et l'épousa sur-le-champ. Comme
on préparait la noce , son fils déconcerté accourut
et lui demanda s'il lui avait causé quelque déplaisir,
pour l'obliger de lui donner une marâtre, ce Dis
n de meilleures choses, mon fils, répondit Caton.
)) Je n'ai point à me plaindre, et ne puis que me
» louer de toutes tes actions et de ta conduite j
)) mais je désire d'avoir plusieurs enfans qui te res-
)) semblent, et de laisser à ma pairie plusieurs ci-
)) toyens comme toi. »
Marcus-Furius Camille, en l'an /^5o de Rome,
obligea, par ses remontrances et par des amendes,
ceux qui n'étaient pas mariés à épouser les veuves
dont les guerres précédentes avaient moissonné les
maris.
Les censeurs contribuèrent puissamment à re-
tarder la corruption des mœurs, et par conséquent
l'établissement du célibat. Nulle force ne pouvait
7"
( It10 )
arrêter l'action iuncste des usages et du luxe ëtrati-
gcrs que la victoire faisait pénétrer sans cesse ji
Rome. « Plus la république est heureuse , disait
» Caton , plus notre empire s'étend au loin (car
» nous nous sommes déjà introduits dans la Grèce
)) et dans l'Asie, dans des contrées toutes pleines
» du poison des voluptés , nous portons déjà nos
» mains sur les trésors des rois), plus je crains que
» nous ne soyons devenus les esclaves plutôt que
» les maîtres de ces richesses. »
Caton ajoute plus bas, dans sa harangue : c( Si
)i vous permettez aux dames riches de se montrer
« en public toutes brillantes de l'éclat de l'or et de
y) la pourpre, celles qui ne sont pas si riches vou-
» dront les imiter et feront des efforts pour éviter
» le mépris qui s'attacherait à leur condition. Alors,
)) dès qu'elles auront commencé à rougir de ce qui
)) n'est pas une faute , elles ne rougiront plus des
» fautes réelles. Celles qui ne pourront pas se pro-
» curer ces objets de leur argent, les demanderont
» à leurs maris. Malheur à l'époux qui se laissera
i) fléchir et à celui qui restera inébranlable ! Ce
» qu'il n'aura pas donné lui-même , un autre le
» donnera (i). ))
(i) Quo melior Isetiorque in dies fortuna reipublicae est,
imperiumque crescit (et jam iu Giœciam Asiamque trans-
cendimus, omnibus libidinvmi illecebris repletas, et regias
( lo. )
Ce que Caton avait prévu arriva : Rome s'empara
des richesses de l'univers, les richesses produisirent
le luxe , le luxe la corruption des mœurs , la corrup-
tion le dégoût des sentimens de la nature et le céli-
bat. Cet état de choses existait déjà en l'an 622 de
Rome. Le discours que prononça cette année le cen-
seur Métellus Numldicus, pour persuader aux ci-
toyens de devenir époux et pères, en est une preuve
évidente. c( S'il était possible, dit-il , de n'avoir point
» de femmes, nous nous délivrerions de ce mal 5
» mais comme la nature a établi qu'on ne peut vivre
» heureux avec elles ni subsister sans elles, il faut
)) avoir plus d'égard à notre conservation qu'à des
)) satisfactions passagères (i). » Puisqu'on n'était
etiani attractamus gazas ") , eo plus horreo , ne illae niagis
nos ceperint, quam nos illas.
Vultis hoc certameu uxoribus vestris injicere , Quirites,
ut divites habere velint, quod nulla alla possit ; pauperes,
ne ob hoc ipsum contemuantur, supra vires se extendant,
nec simul pudere quod non oportet cœperit, quod oportet
non pudebit. Quae de suo potevit parabit , quae non poterit
virum rogabit. Miserum illuni viruni, et qui exoratus et
qui non exoratus erit ! Cmn quod ipse non dederit , datum
ab alio videbit. (Tit. Liv. , lib. XXXIV.)
(i) Si sine uxores possemus, Quirites, esse omnes, ea
molestia caveremus ; sed quoniam ita natura tradidit, ut
nec cum illis satis commode, nec sine illis ullo modo vivi
( '02 )
plus pressé par le désir d'avoir des fils, et par les
douceurs du mariage; puisque les magistrats n'a-
vaient plus à invoquer que l'amour de la patrie pour
déterminer les citoyens à se donner des héritiers lé-
gitimes, c'en était fait de la vertu et de l'empire :
Rome avait touché au plus haut point de sa gloire;
sa décadence était marquée. Si elle se soutenait en-
core, elle ne le devait plus à ses propres forces : elle
vivait d'emprunt ; la magie de son nom faisait toute
sa puissance; la véritable source de sa grandeur était
tarie, elle ne devait pas tarder à se dessécher elle-
même.
La masse du peuple fut infectée de cette terrible
contagion ; elle le fit voir dans un procès que les tri-
buns intentèrent à Clodius. Ce praticien avait pro-
fané les mystères de la bonne déesse , en s'introdui-
sant babillé en femme dans la maison de Pompeïa ,
épouse de César, pour avoir un entretien avec elle.
Cette intrigue ayant été découverte, César renvoya
sa femme, ce qui produisit un véritable scandale.
Les tribuns dénoncèrent le fait au sénat , et accu-
sèrent en outre Clodius d'avoir eu un commerce
scandaleux avec sa propre sœur et avec plusieurs
autres femmes. Il devait être condamné, il s'y at-
tendait peut-être ; sa cause paraissait désespérée,
possit, saluti perpétuas potius quam brevi voluptati consu-
lendum est.
( >o3 )
lorsque le peuple se déclara en sa faveur. Les juges,
intimidés par le tumulte et les menaces de la mul-
titude, n'osèrent plus s'armer de rigueur. César,
pour ne point perdre l'affection des plébéiens, qu'il
avait recherchée et dont il avait besoin , fit une dé-
claration favorable à Clodius. Le sénat fut obligé de
se désister, les tribuns de cesser leurs poursuites;
Clodius fut absous. César, dit-on, se ménageait un
moyen très efficace pour se défaire de Cicéron, dont
il craignait la pénétration et l'éloquence.
Il agit ainsi tant que la faveur de la multitude lui
fut nécessaire pour s'élever au faîte de la puissance :
l'ambition faisait taire ses ressentimens. Lorsque la
fortune eut mis le comble à ses vœux, et qu'il se
trouva l'arbitre de la terre, il réfléchit plus mûrement
sur les besoins de l'état, sentit le danger dans lequel
se trouvait la république , et avisa aux moyens qu'il
crut les plus propres à en détourner les funestes ef-
fets. Le nombre des citoyens était réduit, l'inconti-
nence , l'aversion du mariage et la guerre civile
avaient également nui à la population. Comment
combler ce vide immense? On a dit que ce législateur
voulut d'abord y parvenir sans gêner la liberté et les
inclinations du peuple. 11 conçut le projet d'auto-
riser seulement la polygamie ; mais il changea bientôt
d'avis. Son esprit pénétrant ne tarda pas à le convain-
cre que la polygamie ne pouvait pas s'établir en Eu-
rope : la nature s'y oppose j il y naît à peu près autant
( -04)
de filles que de garçons. César se borna donc à propo-
ser des récompenses pour ceux qui se marieraient et
auraient le plus d'enfans , et des punitions pour ceux
qui ne se marieraient pas.
Le sénateur qui avait le plus d'enfans était le
premier inscrit sur la liste , et était appelé le premier
a émettre son avis. Le consul, dans le même cas,
prenait le premier les faisceaux et clioisissait sa pro-
vince. Une famille nombreuse était une dispense as-
surée pour arriver plus totaux honneurs; chaque fils
abrégeait d'un an le temps fixé par la loi. Lorsqu'on
en avait trois, on était exempté de toute charge per-
sonnelle. Les gens mariés avaient une place particu-
lière au théâtre.
En même temps César défendit aux femmes qui ,
jeunes, âgées de moins de quarante ans, n'avaient
ni mari ni fils, de porter des pierreries et de se
servir de litière. «.Excellente méthode, dit Montes-
7) quieu , d'attaquer le célibat par la vanité. » Si un
mari s'absentait d'auprès de sa femme pour toute
autre cause que pour des affaires , il ne pouvait pas
en être l'héritier. Les pères qui ne voulaient pas ma-
rier leurs fils ou donner de dot à leurs filles , y étaient
contraints par les magistrats. Les célibataires ne
pouvaient rien recevoir par testament des étrangers.
Ceux qui n'avaient pas d'enfans ne prenaient que la
moitié d'un bien qui revenait de droit en entier à
ceux qui avaient le bonheur d'en avoir. C'est ce qui
( io5 )
a fait dire à Plutarque : « les Romains se mariaient
» pour être héritiers , et non pas pour avoir des hé-
» ritiers. »
Ces lois et toutes celles de la même espèce, quoique
inutiles pour arrêter le mal , ne laissaient pas que de
gêner les célibataires. Les chevaliers en demandèrent,
trente-quatre ans après, la révocation à Auguste.
L'empereur examina cette question avec tout le soin
qu'elle méritait. Enfin , il convoqua une assemblée
de cet ordre , fît placer les célibataires d'un côté et
les mariés de l'autre. Les premiers parurent beaucoup
plus nombreux : les citoyens furent étonnés et con-
fondus. Pendant que toute la ville se livrait aux
tristes réflexions qu'un spectacle si affligeant devait
avoir fait naître, Auguste monta à la tribune aux
harangues, et prononça d'un ton fort animé et grave
le discours que l'on va lire, « Pendant que les mala-
)) dies et les guerres nous enlèvent tant de citoyens,
» que deviendra la ville si on ne contracte pas de
)) mariages? La cité ne consiste pas dans les maisons,
» les portiques, les places pubHques; ce sont les
)) hommes qui font la cité. Tous ne verrez point,
» comme dans les fables , sortir de terre des
» hommes pour prendre soin de vos affaires. Ce
y) n'est point pour vivre seuls que vous restez dans
» le célibat; chacun de vous a des compagnes de sa
Ti) table et de son lit, et vous ne cherchez que la paix
» de vos dérèglemens, Citerez-vous l'exemple des
( .06 )
» vierges vestales? Donc, si vous ne gardiez pas la
)) pudicité , il faudrait vous punir comme elles. Vous
» êtes également mauvais citoyens, soit que tout le
y) monde imite votre exemple, soit que personne ne
» le suive. Mon unique objet est la perpétuité de la
)) république 5 j'ai augmenté les peines de ceux qui
)) n'ont pas obéi , et , à l'égard des récompenses, elles
y) sont telles, que je ne sache que la vertu en ait en-
» core eu de plus grandes : il y en a de moindres qui
» portent mille gens à exposer leur vie , et celles-ci
» ne vous engageront pas à prendre une femme et à
» nourrir des enfans! »
Et il publia la loi Papia-Poppœa, ainsi appelée
du nom des deux consuls de l'année. Ce qui était
d'un fort mauvais augure pour elle, c'est que ces
consuls, suivant le témoif^nage de Dion, étaient tous
les deux célibataires. Les lois de Jules- César ou Ju-
liennes avaient été fondues dans celle-ci. 11 n'en reste
plus que des fragmens dans les historiens, ou dans les
pères de l'église qui les ont combattues, ou dans
Ulpien.
L'obligation de contracter mariage commençait ,
pour les hommes à vingt-cinq ans , pour les femmes
à vingt. Les premiers en étaient dispensés à soixante,
les secondes à cinquante : ou plutôt il était défendu
aux individus des deux sexes de s'engager dans le
mariage après cette période de leur vie; car le séna-
tus-consulte Calvisien déclarait illégale l'union d'une
( 107 )
femme âgée de plus de cinquante ans, et Tibère dé-
fendit à tout homme au-dessus de soixante ans d'é-
pouser une femme âgée de moins de cinquante.
On établit que les femmes ingénues, lorsqu'elles
auraient trois enfans, et les afFranchies lorsqu'elles
en auraient quatre, sortiraient de la tutelle rigou-
reuse à laquelle les femmes avaient été assujetties par
les anciennes lois.
Ces lois, ces peines et ces récompenses furent im-
puissantes contre l'action des causes qui menaçaient
de ruine la ville éternelle; elles n'eurent pas même
une longue durée. Des despotes les avaient faites ,
d'autres despotes les abolirent plus tard, lorsque la
force entraînante de la corruption générale et les
principes du christianisme eurent fini de déborder la
puissance civile.
Il y avait même des classes auxquelles le célibat
avait été imposé par les lois des premiers empereurs.
Les teinturiers ne pouvaient pas contracter mariage,
et leur continence apparente était pompeusement
appelée virtus imperatoria (vertu impériale), parce
que les empereurs portaient la pourpre que ces
hommes teignaient. Les musiciens étaient aussi or-
dinairement célibataires ; leur voix en avait plus de
délicatesse et de douceur.
Les avantages accordés par les lois aux gens ma-
riés furent si considérables, que ceux que leur état
empêchait de contracter mariage les demandèrent
( io8 )
et les obtinrent. On accorda le droit d'en fans aux
vestales, et ensuite celui de maris aux soldats.
La corruption arriva à Rome à un plus haut
degré que partout ailleurs. Rien n'a égalé , et n'é-
galera jamais les infâmes débauches de la cour de
plusieurs empereurs, sans en excepter celle d'Au-
guste lui-même, dont l'exemple contagieux gagna
la ville et bientôt tout l'empire.
Il faut avouer qu'il existait dans les usages des
Romains, pendant les heureux temps de la répu-
blique , des germes de corruption qui devaient né-
cessairement produire les fruits les plus amers.
« Par une coutume très honnête et très pieuse des
» dames romaines , on faisait asseoir la nouvelle
» épouse sur les genoux de cet infâme Priape, sous
)) prétexte d'empêcher par là les charmes et les
)) sortilèges , » dit le plus grand des pères de l'é-
glise latine. Cette cérémonie des dames romaines
est semblable à celle des Indiens, qui donnaient
leur virginité à leur idole. N'est-il pas étonnant
que deux nations si différentes à tous égards se
soient rencontrées dans un usage si bizarre et si
contraire au bons sens ?
L'ambition portait souvent, à Rome, des personnes
fortunées à vivre dans le célibat. Les grands leur
faisaient la cour, dans l'espérance de trouver une
place dans leurs testamens : et ces célibataires, sa-
tisfaits des égards qu'avaient pour eux ces enfans
( Ï09 )
de la fortune , évitaient soigneusement tout ce qui
aurait pu leur donner des héritiers légitimes ; ils
auraient entraîné la perte des bonnes grâces et des
laveurs auxquelles ces hommes attachaient un si
grand prix. Le jour qu'un de ces hommes dénaturés
serait devenu père aurait été pour lui un jour de
deuil. 11 faut voir dans les satires d'Horace et de
Juvénal tous les artifices et tout l'empressement
de ces captatores testamentorum.
Le célibat, c'est-à-dire l'aversion pour le ma-
riage , était donc très comaïun dans les pays ci-
vilisés de l'Europe et de l'Asie, bien loin avant
l'établissement du christianisme. INous en verrons
les résultats.
La nature trouva des moyens pour réparer les
maux que lui avaient causés les vices de la civi-
lisalion. Ces vices minèrent peu à peu la puissance
de l'empire. Ses frontières furent attaquées , il ne
sut pas les défendre. Une génération grossière ,
mais vigoureuse, l'envahit , extermina ou réduisit
en esclavage ses anciens habitans et se mit à leur
place. La force est la compagne inséparable de la
vertu , et la vertu lui a destiné l'empire du monde.
Chaque nation règne ou sert quand son temps est
venu : l'abaissement des peuples suit ordinairement
la chute des mœurs.
VVVt\'VVVVVVVVVVWVVVVVVVVh'VVVX^^VVVVVVVVVVVVl'V\VVVVVV\AA*VVVVV%VVViV\VVVUVVVVVVVVV^VVV^
SECTION III.
Du célibat religieux avant le christianisme
et chez les nations idolâtres.
AYANT-PROPOS.
*
Jusqu'ici on a montré le célibat sons son véri-
table jour et dans son essence , produit du vice ,
enfant de la société dégénérée , s'introduisant par-
tout malgré les lois , détruisant les moeurs , minant
sourdement les corps politiques et dévorant les na-
tions entières.
Nous allons le voir sous un tout autre aspect ;
il va devenir sous nos yeux l'une des vertus dont
l'homme se fait le plus d'honneur, une vertu par
laquelle il prétend se rapprocher de la divinité ,
une vertu que les lois appuieront de toutes leurs
forces, ou contre laquelle elles n'oseront point
s'élever.
Je veux dire le célibat religieux. C'est une étrange
position que celle du prêtre. 11 se regarde comme
le médiateur entre l'homme et la divinité, comme
l'anneau qui lie la chaîne des êtres naturels à celle
des êtres surnaturels , comme le représentant de
( '" )
la divine intelligence qu'il adore et qu'il propose à
l'adoration des autres hommes. Cette idée exalte son
amour-propre et le rend orgueilleux. Ministre de
la divinité, il veut participer à ses perfections, et
s'élever au-dessus des appétits communs de ses sem-
blables : se laisser entraîner par les désirs qui sé-
duisent les autres mortels , ce serait s'abaisser au
niveau d'eux et se rendre indigne de sa sublime
destinée.
Cette pensée est TefFet naturel de l'état du prêtre.
Une autre considération tout aussi naturelle pour
lui, c'est le besoin de se distinguer pour exciter
l'admiration et commander le respect ; et ce besoin
est l'un de ceux qui exercent le plus d'empire sur
son cœur. Il veut régner, parce que le Dieu qu'il
sert est le souverain du monde. La force physique
n'étant pas d'abord dans la sphère de son action,
il se trouve contraint de s'adresser à la force mo-
rale, de captiver les esprits, de subjuguer les âmes.
Comment atteindre son but ? Il faut se montrer
supérieur aux faiblesses communes ; il faut faire
croire aux peuples qui ne raisonnent pas, que ces
passions auxquelles ils obéissent en esclaves n'ont
point d'action sur lui ; qu'il a une force surna-
turelle ; qu'il se commande, et qu'il est digne de
commander aux autres.
De là, mille genres d'imposture, de là, le cé-
libat. On a beau chercher ailleurs son origine : il
( 11^^ )
pciiL y avoir des erreurs et des préjugés qui vien-
nent au secours de l'ambitioa du prêtre ; mais
ce ne sont que des moyens d'exécution. Le prin-
cipe régulateur et dominateur, c'est l'amour-propre,
c'est l'intérêt de l'individu et de la classe. En
voulez-vous une preuve? Il y a eu des prêtres qui
ont adoré des dieux protecteurs de l'adultère et
de la plus infâme débauche , et qui cependant se
sont fait un devoir du célibat.
Qui porte le prêtre au célibat? C'est, dit-on, le
sentiment d'une vertu que rien ne saurait éteindre
dans le cœur de l'homme. Mais est-il vrai qu'il y
ait de la vertu à vivre dans le célibat? Qu'est-ce
que la vertu ? Suffit-il de vaincre un penchant
quelconque pour être vertueux ? Détruire les pen-
chans qui portent au bien , n'est-ce pas détruire
la vertu elle-même ?
Le célibat est un sacrifice agréable à la divi-
nité? Comment le savez -vous? Qui connaît sa
nature et ses goùls? Quand le plus obscur des ani-
maux microscopiques pourra concevoir et faire ce
que conçoit et fait l'homme, l'homme pourra conce-
voir et faire ce que conçoit et fait Dieu. Il faut que
chaque être reste dans son état et dans son ca-
ractère. Youloir être autre chose que ce que Dieu
nous a faits est une témérité qui n'admet point
d'excuse. Connais-toi toi-même est une maxime
qui s'adresse également à l'individu et à l'espèce.
( >>3)
L'organisation individuelle a fixé la nature et le
sort de tout ce qui existe, et aucun être ne peut
dépasser la limite qui a été tracée autour de lui.
L'homme ne sera pas plus Dieu que la pierre ne
sera animal : le rapport est le même ; et je ne
crois pas que cette pensée ait rien d'humiliant pour
nous. Abaissons un peu nos regards sur la foule
innombrable des objets inférieurs , et nous trouve-
rons mille sujets de consolation et d'orgueil.
C'est presque une nécessité pour le prêtre de vivre
ou de paraître vivre dans le célibat. Cependant ce
principe n'est pas si absolu, qu'il ne puisse rece-
voir quelque modification. Rien ne peut se sous-
traire à l'empire des circonstances. Le prêtre peut
se trouver dans deux positions différentes : ou il
forme une classe à part , une caste , une tribu
dans l'état, ou il tire son existence des autres classes,
aux dépens desquelles la sienne se recrute et s'a-
grandit tous les jours.
Dans la première hypothèse, un célibat rigou-
reux est impossible. Si le prêtre s'y condamnait ,
il se condamnerait à une mort inévitable, ce qui
est contre les lois de la nature. Dans un pareil
état , il pourrait bien y avoir des individus et des
ordres religieux qui affecteraient de conserver une
continence parfaite ; mais la plupart devraient se
marier. Plus une telle Iribu serait nombreuse, plus
elle pourrait admettre de célibataires : comme c'est
8
( i'4 )
son intérêt, elle les admettra pour assurer et étendre
de plus en pins son empire. C'est une avant-garde,
ce sont des sentinelles perdues (jui s'immolent à la
sûreté de l'armée.
Dans la seconde hypothèse , le célihat devra être
établi par une loi générale et sans exception. 11
faudra des circonstances qui se réunissent rarement,
pour amener un ordre de choses différent. On a
déjà fait observer que le prêtre aime par-dessus tout
l'autorité et la domination : il se trouve donc en
lutte, ou plutôt en guerre ouverte avec l'autorité
temporelle. Qui ne voit dans cette situation la né-
cessité de former un corps homogène et compacte
qu'aucune force contraire ne puisse entamer , au-
cune séduction ne puisse détruire ? 11 lui faut serrer
ses rangs et s'isoler au milieu de la société. Or,
comment le clergé pourrait-il se constituer ainsi ,
s'il permettait le mariage à ses membres ? Le prêtre
marié tiendrait plus à sa femme et à ses enfans
qu'à son corps, à son parti, à son chef; il ne
serait pas tout-à-fait disponible , il aurait trop de
ressemblance et trop de rapport avec la classe des
profanes , et ne manquerait pas d'adopter, au moins
en partie , les sentimens des profanes.
11 est à propos de faire observer que le clergé
s'imposera un célibat d'autant plus rigoureux
qu'il se verra plus de chances pour parvenir à
l'empire. S'il désespère de porter sa puissance au-
( '>5 )
dessus de la puissance séculière, selon toutes les
probabilités , il ne voudra pas se condamner à
des sacrifices inutiles. Cette idée pourra recevoir
un plus ample développement , lorsque nous nous
occuperons du célibat du clergé grec, comparative-
ment avec celui de l'église romaine.
Il peut se faire que dans les temps d'ignorance
et de ténèbres, le prêtre ne se soit point fait un
raisonnement si clair et si bien déduit ; mais il n'en
a pas moins agi avec ardeur et constance pour
accomplir sa belle destinée. Un instinct secret , le
sentiment de sa conservation et de sa force, devait
l'y porter tout naturellement. L'instinct guide
l'homme plus souvent que la raison : nous n'avons
qu'à considérer avec un peu d'attention ce qui se
passe en nous-mêmes.
Dans les anciennes religions, où l'on adorait des
divinités corporelles qui venaient souvent visiter
leurs autels et leurs dévots , le célibat des prêtres
des déesses a dû être un dogme inviolable.
Un sentiment délicat de convenance et de res-
pect a même pu imposer à l'homme le sacrifice
de l'organe devant lequel la divinité pouvait avoir
ou à rougir ou à se trouver en danger : une erreur
en entraine toujours d'autres à sa suite.
Quant à l'influence que les prêtres chercheront
à exercer sur la multiplication des autres classes,
cela doit dépendre des principes qui existaient avant
8..
( ■■<;)
la naissance de la religion, et de ceux qui sont établis
par Tauleur de la relif^ion. Un culte ancien qui se-
rait né dans un temps où les hommes se seraient
trouvés peu nombreux et de moeurs simples et pures,
aurait dû enseigner des maximes favorables à la mul-
tiplication de l'espèce, afin d'augmenter le nombre
des fidèles et ses propres revenus \ secondant en
en cela les sentimens de la nature. Un culte qui
s'établirait à une époque où la surabondance des
hommes se ferait sentir , où la corruption serait
très répandue et où des principes de la philo-
sophie tendraient à écarter les hommes de leur véri-
table destination, aurait probablement des maximes
différentes. 11 ne serait pas étonnant de lui voir
condamner le mariage , et ne le tolérer qu'avec
peine.
Si le législateur réunissait l'autorité civile et l'au-
torité religieuse, le célibat des prêtres serait né-
cessairement subordoimé à l'idée primitive du gou-
vernement qu'il aurait conçu , peut-être même à
son caprice et à ses vues ambitieuses. S'il voulait
établir sa religion j)ar le sabre et régner par la force
sur les peuples soumis , il ne sanctionnerait pas le
célibat. S'il aimait lui-même les plaisirs, il ne les dé-
fendrait pas; il s'en servirait au contraire comme
d'un puissant ressort; il les permettrait sur la terre
et les promettrait dans le ciel.
( i'7 )
V\%fVVVVVVv\\\VVVV\VWVV\\*\\VVVV%\vVVVV\VV\VV\V\%\VVl\\\VVi/VVVV\VVVlVVVV»VVXV\*V\\\\\VV*iV^
CHAPITRE PREMIER.
Des prêtres et des ordres religieux.
Ce chapitre n'offrira que l'application des prin-
cipes que nous venons d'établir.
Commençons par les Indes. Les brachmanes ,
ou gjmnosophistes , ou bramines , car ils ont reçu
successivement ces trois noms , formant une
caste particulière, n'ont pas pu s'imposer un cé-
libat rigoureux. Ils conseillent au contraire de
se marier, et se marient eux-mêmes très jeunes,
pour prévenir jusqu'au moindre soupçon d'impu-
reté. Suivant eux, il est bien plus honnête de s'u-
nir la première fois à une épouse, lorsque, jeunes
encore, leurs âmes n'ont pas été dégradées par
l'ardeur des passions fougueuses. Cependant ils gar-
dent, dit-on, la continence, pendant les sept an-
nées de leur noviciat.
Après leur mort, ils prétendent monter au ciel
avec leurs femmes. Les cérémonies qu'ils accom-
plissent à la naissance de leurs enfans prouvent,
indépendamment de l'histoire, que l'Inde dans les
temps anciens, a été soumise à un gouvernement
tbéocratique. Les bramines ont eu un très vaste
( ii8 )
empire. « Vivez pour commander aux hommes , »
dit le braminc orgueilleux dans son humilité ,
avant de couper le cordon ombilical de son enfant.
Ils ne régnent plus que sur les démons et sur les
imbéciiles. Us possèdent seuls ce qu'on appelle la
sagesse ou la science. Nul autre n'est autorisé
à lire dans les livres sacrés , qu'ils prétendent
avoir reçus du ciel. C'est de la main de Dieu que
les imposteurs ont fait écrire loales les folies qu'ils
ont voulu accréditer parmi les hommes.
Lorsqu'on parcourt la longue suite des prati-
ques et des formules que les bramines remplissent
religieusement 5 soit à la naissance, soit aux dif-
férentes époques de la vie de leurs fils, on croit
lire certain rituel. Lorsqu'ils se préparent à raser
la première fois leur tête , ils disent dévotement
au rasoir : « Rasoir, rase mon fils, comme tu as
rasé le soleil et le dieu Indro. >') Le soleil a donc
été rasé par les bramines !
Quelques historiens ont écrit que sur les côtes
du Malabar les nouveaux époux, avant la con-
sommation du mariage , ont l'habitude d'aban-
donner leurs femmes aux bramines, pour qu'ils
en disposent suivant leur sainte volonté. Si un
tel récit est véritable, les bramines sont, à cet
égard , beaucoup plus heureux que nos anciens
seigneurs féodaux ; leur droit de cuissage est établi
sur vine base plus solide.
( >'9)
S'il est vrai, comme on s'est plu tant de fois
à le dire , que ce soit un principe de religion
pour les gymnosophistes , que chaque homme
laisse après soi au moins deux enfans, pour rem-
placer leur père et leur mère, il en rësidterait
que le mariage serait pour eux d'obligation. Des
écrivains prétendent que dès qu'ils ont deux fils,
ils s'abstiennent de toute communication avec leur
femme. On peut croire que la force des passions
et les accidens de la vie leur font violer souvent
leur vœu. Si l'un de leurs enfans, ou tous les
deux viennent à mourir, voulant se tenir stric-
tement à leurs principes, ne seraient -ils pas
obligés de s'unir nouvellement à leurs femmes?
Cependant il existe aussi beaucoup de céliba-
taires parmi eux. Eux qui recommandent et qui
pratiquent les plus dures pénitences, comment ne
s'imposeraient-ils pas l'une des plus pénibles et des
plus longues ?
Les Indes sont trop vastes, et renferment des
peuples trop différens de mœurs et de religion ,
pour avoir des principes uniformes sur cette ma-
tière.
Les talapoins, prêtres du Pégu, sont obligés de
garder la continence : et malheur à quiconque est
convaincu d'avoir manqué à ce devoir! il est brûlé
sans miséricorde.
Les faquirs, religieux mendians , parcourent,
( 120 )
quelquefois au nombre de dix el de douze mille,
les diverses contrées de ce continent immense,
traînant à leur suite les femmes peu scrupu-
leuses qui s'attachent à leurs personnes et à leur
religion. Lorsqu'ils s'approchent de quelque vil-
lage, les hommes craignant la sainte colère de ces
dévols, et le pillage qu'ils exercent, se retirent au
loin et se cachent dans les forêts. La plupart des
femmes au contraire les attendent de pied ferme,
et prétendent en recevoir des remèdes contre la
stérilité.
Lorsque ces hommes du seigneur entrent dans
un logis , pour s'y livrer à la prière avec la maî-
tresse, ils ont soin de laisser devant la porte leur
bâton , ou levu's sandales , pour avertir le mari
de ne pas avoir l'audace de les troubler au
milieu de leurs saintes extases. Et personne n'est
assez téméraire pour s'y introduire : quiconque
l'oserait , en serait puni par une violente bas-
tonnade.
Les lamas du Tliibet et de la Chine font le vœu
de chasteté. L'observent-ils? Les punitions que l'on
fait subir à ceux qui le violent sont terribles. Si
on les surprend in flagrante delicto avec une
femme , on leur perce le cou avec une barre de
fer rougie au feu; on passe dans la blessure une
longue chaîne aussi de fer , et on les oblige de
traverser les rues de la ville, traînant après eux
( •2' )
l'énorme poids de cette chaîne , qu'on leur défend
de soulever de leurs mains , et recevant sur le
dos les coups de verges qu'un moine leur ad-
ministre impitoyablement pendant cette doulou-
reuse procession.
Les bonzes de Tunquin sont obligés de garder la
continence. Si l'accomplissement de ce devoir de-
vient pour eux trop pénible, ils peuvent quitter
leurs couvens et se marier; ils ne perdent que le
caractère sacré de moine; l'opinion publique ne les
flétrit point. Il en est de même à la Corée : les cou-
vens sont ouverts à tout le monde , on peut en sortir
avec autant de facilité que l'on peut y entrer. Le
célibat toutefois est de rigueur. Je pense qu'à la
Chine ils sont sujets aux mêmes règlemens; le nombre
en est là très considérable. « Un empereur de la fa-
» mille des Tangs fît anciennement détruire une infi-
» nité de monastères sur un principe qu'il tenait de
y) ses ancêtres, c'est-à-dire que s'il y avait un homme
» qui ne labourât point , ou une femme qui ne s'oc-
» cupât point, il fallait que quelqu'un souffrît le
w froid et la faim dans l'empire. » Ils se sont multi-
pliés dans la suite.
A Norsingue, dans l'Indoustan , les prêtres y
sont mariés; mais ils doivent difficilement trouver
des femmes, car à la mort du prêtre , elles sont
ensevelies vives dans la même tombe avec leur
mari, pour lui tenir compagnie dans l'autre monde.
( 122 )
Cependant , comme cet usage est 1res commun
dans l'Inde , même pour les femmes des séculiers ,
on peut croire que les prêtres ne manquent pas
d'épouses.
Le sacerdoce, aux Moluques, étant héréditaire,
le mariage , pour les prêtres, y est d'une rigoureuse
nécessité.
Mêmes bizarreries en Afrique. Dans la Nigritie,
du moins autant qu'on peut le savoir d'un pays qui
n'a pas encore été bien examiné, les prêtres peuvent
contracter mariage, et ils sont obligés de fixer leur
choix dans les familles sacerdotales. C'est ainsi que
leur caste se conserve dans toute sa pureté.
Au Congo, le prêtre dont le nom est négoscie, doit
toujours avoir au moins onze femmes. Rien n'est
aussi opposé au célibat que la polygamie.
A Juida , le sacerdoce est héréditaire , et sa tribu
en est fort nombreuse. Le beau sexe est admis au mi-
nistère sacerdotal. Ces femmes prêtres ont un orgueil
et une morgue insupportables : au lieu d'obéir à leurs
maris, elles leur commandent. C'est pour cette rai-
son que peu de personnes sont disposées à s'unir à
elles, ou à permettre à leurs femmes d'embrasser
la carrière ecclésiastique. La puissance sacerdotale,
dans cette contrée, est de beaucoup supérieure à
la puissance civile: le roi y obéit au grand pontife.
Au Mexique, la prêtrise était élective, excepté
cependant celle du dieu J^itzliputzLi , qui était hé-
( 123 )
réditaire. Le célibat était impossible po«r ces der-
niers. Les premiers pouvaient aussi s'engager dans le
mariage. Toutefois il n'était pas rare d'en voir qui
pratiquaient sur eux-mêmes des opérations doulou-
reuses , pour se soustraire au danger de déplaire à
Dieu en donnant l'existence à des hommes. jNous
en trouverons d'autres exemples.
A Nicaragua , les prêtres gardaient la continence.
Il en était de même à Darieu et à Panama. Con-
vaincus d'avoir manqué à leur vœu , ils étaient la-
pidés ou brûlés.
A Cumana et à Paria , ceux qui se destinaient à
la prêtrise se retiraient pendant deux ans dans les
bois, et vivaient loin des hommes, surtout loin des
femmes, sans sortir de leur caverne , sans voir leurs
parens , se privant de tout aliment gras. Les vieux
prêtres ( piaias ) se rendaient auprès d'eux pendant
la nuit, pour leur donner les instructions nécessaires.
Leur célibat n'avait pas une longue durée : les prê-
tres de Cumana et des peuples voisiqs ont droit à la
virginité des jeunes mariées, et en usent.
Dans les îles de la mer du sud, la prêtrise est hé-
réditaire. Chaque classe du peuple a ses prêtres :
l'une ne peut pas se servir de ceux de l'autre.
Revenons à l'Asie : c'est le pays natal du plus
grand nombre des préjugés religieux.
Les mages de Perse formaient une tribu particu-
lière 5 leurs descendans pouvaient seuls aspirer à
( 1^1 )
l'honneur du sacerdoce. Ils se mariaient donc^ et
l'on sait qu'ils conseillaient le mariage à tout le
monde. Leurs principes furent les mêmes avant
Smardis et après le second Zoroastre; ils n'ont pas
varié, même de nos jours. Ceux d'entre les Guèbres
qui conservent la doctrine du Zenda-J^esla ont en-
core le même respect pour le mariage, lis sont très
peu nombreux ; le sabre de Mahomet les a, ou dé-
truits , ou refoulés à l'extrémité septentrionale de la
Perse , entre ce royaume et l'empire du Mogol. Le
Zenda-J^esta n'a pas su résister au Coran. La reli-
gion des mages a succombé sous les efforts du temps
qui mine tout, et sous les coups du mahométisme
éclairé par la politique des califes. Cependant ce n'a
pas été faute de prévoyance de la part de ses mi-
nistres* ils avaient fait tout ce que la prudence hu-
maine pouvait leur suggérer pour rendre leur empire
durable et permanent; ils s'étaient assuré exclusi-
vement les lumières qui donnent la considération j
ils s'étaient introduits à la cour des rois, dont ils
étaient en même temps les précepteurs et les cha-
pelains; ils dictaient ostensiblement ou secrètement
toutes les délibérations souveraines.
Puisque la tribu de Lévi avait le monopole du sa-
cerdoce , la tribu de Lévi ne pouvait pas répudier
le mariage. Les lévites ^ en effet, se sont toujours
mariés et se marient encore : leur doctrine est toute
favorable à l'union conjugale.
( .25 )
Cependant, il y avait dans la loi qu'ils avaient
prise pour règle unique de leur conduite, des prin-
cipes qui étaient propres à leur inspirer du dégoût
pour l'union des sexes et à leur donner la plus haute
idée du célibat. Nous en avons déjà vu une grande
partie dans un chapitre précédent; il est inutile de
les répéter. Si ces principes ont pu inspirer des sen-
timens favorables au célibat dans les tribus profétnes,
ils doivent avoir exercé une force encore bien plus
grande sur la tribu sainte.
Il y a plus : lorsque le tour de faire la garde aux
pieds des autels était venu pour un lévite, il devait
s'abstenir de sa femme pendant un tenips détermi-
né (i). C'était, dit-on, pour ne pas s'exposer au
danger de contracter quelque souillure légale. L'idée
de tous ces dangers devait faire souhaiter de vivre
(i) Cette erreur a été et est encore commune à plusieurs
nations. Au Mexique, les prêtres mariés, pendant les jeûnes
de cinq et même de dix jours, se séparaient de leurs fem-
mes; ceux de Darieu et de Panama imitaient leur exemple.
Dans la vallée de Tania, tous les habitans, pendant le jeûne
de deux mois, s'abstenaient des femmes et du sel. Au Pé-
rou, pendant le jeûne rigoureux qui précédait la grande
fête du soleil, les dévots s'abstenaient de la compagnie de
leurs femmes. La fête de l'agneau était aussi précédée d'une
abstinence de vingt-quatre heures.
Ces prêtres avaient encore un autre point de ressemblance
avec les Hébreux : ils servaient les autels à tour de rôle et
( ï^6 )
dans un état où l'on put ne pas avoir de pareilles
craintes à éprouver.
Au reste, les lévites n'étaient pas obligés de se
marier ; il leur était seulement permis de le faire. La
considération qui s'attacha avec le temps aux essé-
niens et au thérapeutes dut les entraîner. C'est ainsi
que le cleri^é de l'Europe moderne a été obligé de
suivre l'exemple des ordres monastiques.
La Thrace possédait elle-même une espèce de re-
ligieux qui gardaient le célibat et qui avaient trouvé
le secret important des thérapeutes. Les Romains,
qui n'avaient aucune idée d'un corps considérable-
d'iiommes s'isolant au milieu de leurs concitoyens
par semaine , et pendant tout ce temps ils restaient cons-
tamment dans le temple, sans sortir ni le jour ni la nuit.
Au Brésil, le boie (un prêtre), avant de consulter l'oracle,
est tenu de se priver des plaisirs vénériens pendant neuf
jours entiers.
Le Saint-Esprit a inspiré aux adorateurs du vrai Dieu
des pratiques que les hommes ont ailleurs inventées eux-
mêmes. Dans l'église grecque , il est recommandé aux
prêtres mariés de s'abstenir de leurs femmes avant de s'ap-
procher du saint sacrifice de la messe. L'église latine recom-
mande aux fidèles l'abstinence des plaisirs du mariage dans
les jeûnes et dans les grandes solennités. D'où vient cette
ressemblance, cette hérédité de pratiques minutieuses, cette
erreur de la piété de tous les peuples? L'homme est partout
le même; il est faible, et les préjugés sont son partage.
( Ï27 )
et s'abslenant du mariage, ne savaient concevoir
qu'ils pussent se conserver sans un miracle. Pour
nous , les zri<7ra.i seraient une cliose fort commune
et fort simple. Les prêtres catholiques n'élèvent au-
cun enfant, et leur église ne manque jamais de mi-
nistres , bien s'en faut.
Les druides ne condamnaient pas le mariage :
il existait des collèges de druiclesses (r), qui
étaient ou leurs femmes, ou de leur race. Cepen-
dant ils ne fermaient pas l'accès de leur ordre ,
aussi respecté que puissant , aux deux autres
classes du peuple, les nobles et les roturiers. Comme
ils avaient le monopole de l'instruction, ils étaient
à même de choisir ceux qui se montraient dignes de
leur appartenir. Mais ils n'accordaient pas facile-
ment l'admission : il fallait un noviciat de vingt ans.
Les druides ont eu quelque chose de sembla-
ble aux catholiques : on prétend même que la
ressemblance de ces deux cultes facilita beau-
coup l'établissement du christianisme dans les con-
trées septentrionales de l'Europe. Tout se tient
dans les desseins de la providence.
(i) On lit dans Saint -Foix : « Il y avait dans les Gaules
» des druidesses... qui se mariaient; mais elles ne sortaient
» qu'une fois dans l'année de leurs monastères , et ne pas-
» saient qu'un seul jour avec leurs maris, Elles en étaient
» adorées, et faisaient tous les ans un enfant. «
( '^8 )
Les prêtres des déesses gardaient partout le cé-
libat. Ceux d'Isis, en Éj,'ypte, pour être plus sûrs
de leur fait, s'y faisaient préparer pendant l'en-
fance par la main des chinn-giens. En général , tous
les prêtres de ce royaume fameux s'imposaient
volontiers le célibat, et toute autre espèce d'abs-
tinence. C'est ainsi qu'ils s'étaient élevés au sou-
verain pouvoir, et qu'ils pouvaient le conserver.
Les rois devaient, ou être tirés de leur corps, ou
s'y faire agréger dès leur avènement au trône.
Le monopole des sciences et de la religion ren-
dait leur autorité sacrée et inébranlable : comment
n'auraient-ils pn« ajnntp ie célibat à leurs divers
moyens d-e puissance?
Les prêtres de Cérès, à Athènes, gardaient la
continence. Ce culte venait de l'Egypte, et n'é-
tait qu'une imitation de celui d'Isis : pour que
celte imitation fût parfaite, il fallait que l'hié-
rophante et ses ministres fussent des célibataires.
Ils se faisaient des frictions de ciguë, pour amortir
la force des passions.
Les autres prêtres d'Athènes pouvaient non-seu-
lement contracter mariage , mais prendre part à
tous les divertissemens publics , exercer des fonc-
tions civiles, être ambassadeurs et servir dans les
armées. Ils avaient des places distinguées au théâtre.
Quoique nombreux dans la ville, ils ne formaient
pas un corps k part : les ministres des différens
( 129 )
Quoique nombreux dans la ville, ils ne formaienl
pas un corps à part. Les ministres des diflPérens
temples n'entretenaient aucune relation d'intérêt.
Le temple d'Eleusis n'en avait que quatre.
A Delphes, il n'y avait de prêtre obligé à la
continence que celui qui était chargé de veiller
à la décoration du temple.
Les prêtres de Cybèle, en Syrie, gardaient le
célibat; ils employaient le secours des chirurgiens,
et quelquefois ils se livraient sur leurs personnes à
une opération hardie autant que dangereuse. Ils se
rendaient eunuques^ tandis que les Syriens ado-
raient la figure de ce que nous appelons priape !
Quel contraste ! Les ministres de Cybèîe n'avaient
pas tous le même courage 5 on dit même qu'ils
étaient forts en foit de galanterie, et que l'étymo-
logie de ce mot vient de leur nom. On les appelait
gain, d'où gallare, être galant, de là galanterie (i).
Le nombre des prêtres, à Rome, était peu con-
sidérable: ils se mariaient tous. 11 y en avait
qui , dans des solennités scandaleuses , couraient
(i) M. B. de Roquefort, un de uos hommes les plus sa-
vans et les plus modestes, donne au mot galant, dans l'im-
portant ouvrage qu'il vient de publier, une étymologie que
je crois devoir rapporter. La voici :
<i Galant, galand, civil , poli , amoureux , agre'able , pre'-
>' venant auprès des dames, comme un gai, un coq , auprès
9
( '3o )
les rues <lc la vill(3 en dansant, en prenant des
j)Oslures et en faisant des gestes dont les nonjs
seuls alarment la pudeur. Toutefois les femmes ne
les lavaient pas; au contraire, celles qui avaient le
malheur de n'avoir pas d'enfans couraient au-devant
d'eux, et s'exposaient à leurs coups, dans la per-
suasion cpie ces coups portaient avec eux la fécon-
.) de ses poules; du latin gallus. Le Dictionn. de la Crusca
>) dérive le mot galante de l'italien gala, joie, réjouis-
» sance, fête, allégresse. » {Dictionn. étymologique, Paris,
Gœury, 1829, t. I", p. 356, c. L)
Il n'est pas d'ouvrage d'érudition qui puisse atteindre le
degré de perfection que lui voudrait donner son auteur dès
sa première apparition. L'ouvrage que je viens de citer en
est la preuve. Malgré toute son attention, M. de Roquefort
a été eiiTraîné à une erreur par ses savans devanciers; et
parmi les notes qu'il prépare pour la seconde édition de son
important Dictionnaire , il a rédigé celle-ci : « Cet ordre
(des prêtres de Cybèle), qui avait pris naissance en Pliry-
gie, se répandit ensuite dans toute la Grèce, dans la
Syrie, dans l'Afrique et dans l'empire romain. L'initié, à
son admission dans la société, qui avait lieu le jour de la
fête de la déesse , se faisait eunuque lui-même , en pré-
sence d'une multitude considérable, et au son des instru-
mens, ainsi qu'on peut le voir dans Lucien, qui fait con-
naître tous les détails des cérémonies qui s'observaient à
cette occasion. D'autres prétendent qu'ils tirent leur nom
de gain ou galls, castrats, eunuques. En hébreu, galah,
en goth, gall, signifient couper, écorcher ; galt en suédois
est encore un porc châtié. »
( i3i )
dite qu'elles souhaitaient. C'est l'ignoble répétition
des scènes lubriques des faquirs.
II y avait, à Rome, des ministres de la reli-
gion qui ne paraissent pas avoir été bien scru-
puleux. Ils jouaient des rôles qu'un honnête
homme se refuserait de représenter. Une certaine
Pauline, femme de Saturnins, et qui jouissait d'une
grande réputation de sagesse, ayant eu le désir
vraiment singulier de coucher avec le dieu Sé-
rapis, désir qui probablement lui avait été inspiré
par ses prêtres, fut tout étonnée de se voir dans les
bras de son amant. Le fait paraît peu croyable ;
mais Josèphe nous l'atteste dans le quatrième cha-
pitre du livre XYÏII de ses Antiquités de la Judée.
Ce trait n'est pas plus bizarre que le suivant.
Un sacristain d'Hercule joua au sort, avec ce dieu,
un souper et une belle femme. Le ministre per-
dit, et s'acquitta de son obligation. Le dieu en
conséquence vint passer la nuit avec Laurentine,
qui le vit de ses propres yeux : elle reçut de lui
la promesse solennelle que le premier homme
qu'elle rencontrerait le lendemain , en sortant dans
la rue, lui donnerait une récompense digne du
service éclatant qu'elle venait de rendre au dieu.
Montaigne assure de la manière la plus positive que
la prédiction se vérifia.
Mahomet était mari avant d'être prophète et
législateur. Son contrat de mariage avec sa pre-
9-
( k32 )
mière femme Cadiscliée n'était (juc l'expression
écrite du vœu. de la nature; le considérant est ainsi
conçu : ce Attendu que Cadiscliée est amoureuse de
)) Mahomet, et Mahomet pareillement amoureux
» d'elle. » Lorsqu'il fut devenu l'arbitre de l'A-
rabie, il contracta d'autres mariages. 11 disait que
lorsqu'il avait couché avec sa femme , sa prière
était beaucoup plus fervente. Etait-il moins rai-
sonnable que ceux qui prétendent le contraire?
La satisfaction d'un besoin vif produit toujours
le contentement; il n'y a que les excès qui affai-
blissent les ressorts de l'âme.
Il favorisa les plaisirs qu'il aimait : il promit
aux fidèles du Coran des houris célestes dans
l'autre monde. Toutefois il borna à quatre le nom-
bre des femines qu'ils pourraient épouser dans
celui-ci. Les Arabes, avant lui, pouvaient en épou-
ser jusqu'à vingt.
Ses sviccesseurs n'ont ni aimé ni protégé le cé-
libat. Les califes , dont la puissance a brillé d'un
si vif éclat , avaient des femmes et des enfans. Le
chef des scheiks, qui réside à la Mecque, transmet
sa dignité à ses héritiers légitimes ; les ministres
qui obéissent à ses ordres doivent l'imiter. Un grand
nombre de dervis font le vœu de chasteté ; mais
ils peuvent sortir de leurs couvens toutes les fois
qu'ils préfèrent le mariage. Cette apostasie (c'est
le nom qu'on donnerait à un chrétien qui ferait
( '33 )
comme eux) ne produit aucun scandale. Il y en
a d'autres qui sont mariés , qui tiennent des bou-
tiques, qui exercent toute espèce de métiers. Les
plus fameux parmi les célibataires sont des mévale-
vis, qui ressemblent beaucoup à nos anciens capu-
cins. On a détruit à Andrinople un de leurs couvens
les plus ricbes, qui servait de rendez-vous aux fem-
mes de mauvaise vie des environs.
Les Turcs , malgré leur grand respect pour des
bomraes si saints , n'aiment point les monastères.
Ils estiment peu les personnes qui n'ont point d'en-
fans. Le sultan Amurat voulut les exterminer,
comme gens inutiles à la république. Les con-
quérans aiment plus les soldats que les prêtres ,
et préfèrent les citoyens qui leur donnent des
guerriers à ceux qui ne donnent rien et vivent
dans une sainte oisiveté.
Les religieux qu'on appelle santons , et qui sont
à la fois mendians et assassins , souillent leur vie
par le plus infâme libertinage.
Les imans, qui correspondent à nos curés, n'ont
pas un caractère déterminé. S'ils perdent leurs
places , ils deviennent tout à coup séculiers et se
trouvent confondus dans la foule immense des ser-
viteurs du grand-seigneur.
L'empereur peut séculariser tous les prêtres de
son empire, jusqu'au mufti lui-même , en leur
conférant des charges militaires. C'est ainsi qu'il
( -34 )
s'y prend pour les punir et s'en défaire lorsqu'il
doute de leur fidélité. Tant qu'ils ont l'Iiabit re-
ligieux, ils sont à l'abri des coups de la loi.
Les émirs , espèce de prêtres à part en Turquie ,
se prétendent les descendans de Mahomet : ils se
marient.
vVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVM/VVVVVX^VVXVVVVVXIAiVWVVVVVVX^VVVV^
CHAPITRE II.
Des vierges , de la pythie _, des sibylles , des
vestales.
Les anciens ont eu un grand respect pour les
vierges. Sur quoi était-ii fondé? J'ai répondu déjà
à cette question.
Dès que l'homme a reconnu l'existence d'une
nature supérieure , d'un Dieu souverain et arbitre
de l'univers, envers lequel il était débiteur de tous
les biens qui l'entouraient , sa première pensée a
dû être de faire tout ce qui serait en son pouvoir
pour lui marquer sa reconnaissance. 11 ne s'agissait
plus que de connaître la nature et les désirs de cet
être puissant. L'homme ne pouvait juger que par
analogie : son amour-propre lui fît donner au maître
du monde ses propres goiils et ses propres passions.
Dès lors il iil pour se rendre agréable à la divi-
( -35)
uilé, ce qu'il aurait voulu qu'on fît pour lui-même.
Pouvait-il ne pas destiner au service de la divinité
celles d'entre les jeunes filles qui auraient le plus
d'attraits et de charmes? Toutes les idées les plus
nobles et les plus délicates de pureté, d'innocence
et de candeur s'attacliaient à celle de la virginité.
On la regardait comme un état de peu inférieur
à celui des créatures célestes. Les Grecs appe-
laient les vierges n/M^éoi (êmitliéoi), demi-dieux. Ils
croyaient et soutenaient que si la nature divine
consentait à se communiquer quelquefois à la na-
ture humaine , ce ne devait être qu'à une vierge.
Les vierges étaient des épouses dignes de la divi-
nité. Macrobe dit avec assurance : (c Nulli aptius
» jungitur mones incorrupta quam virgini. )) Dieu
ne peut s^unir à aucun être plus convenablement
qùà une vierge. Et R.omachéas , de l'école de Pla-
ton : « Il est beau à une fille.de conserver avec
» soi la pureté de son corps et de son a me 3 cet
)) état lui donne une grande supériorité sur les
M personnes de son sexe. Dégagée des soins de la
» terre, elle a les yeux et l'esprit continuellement
M ouverts sur la vie spirituelle qui lui fait goûter
» toutes les douceurs des véritables noces, en se
)) remplissant le cœur des paroles divines qui la
» mettent en état de concevoir et de produire des
y> méditations remplies de lumières. » Les [)ères de
notre église ont tenu un sendjlable langage.
( '36)
En Grèce , aucun sacrifice ne pouvait être ter-
miné sans la présence d'une vierge 11 y avait un
couvent à Athènes : on l'appelait le Trctf^yjvœv
(partliénon), la maison des vierges. Le temple
de Baccbus aux marais était desservi par quatorze
prêtresses qui étaient obligées à une continence
rigoureuse ; elles étaient les épouses de Ba échus !
L'archonte-roi les nommait; sa femme, à qui l'on
donnait le nom de reine , les initiait aux mystères
et en exigeait le vœu de chasteté.
Dans la Judée, les vierges n'avaient été que peu
considérées lors de leur création. Le nom qu'on
leur donnait dans cette langue signifie cachée ,
parce qu'elles restaient toujours dans l'intérieur de
la maison , et ne sortaient que couvertes d'un voile.
Elles ne pouvaient se découvrir qu'en présence de
leurs parens. Elles prirent du crédit vers la der-
nière période de l'existence du peuple de cette con-
trée. Le langage de la Sagesse et des Prophètes est
tout à leur avantage. Jérémie, dans ses Lamenta-
tions sur Jérusalem ^ donne le nom de vierge à la
ville sainte : « Yirgo filia Jérusalem. »
Les esséniens et les thérapeutes trouvèrent des
imitateurs , même dans le beau sexe. Nous avons
vu que les lois de Moïse favorisaient au moins in-
directement l'état de virginité; on peut voir dans
Philon quels progrès avaient faits ces idées parmi
les Hébreux : « 11 convient, dit-il. à une nature
( i37 )
» sans tache, incorruptible et véritablement vierge,
» d'être admise à la conversation des dieux. »
Les Perses honoraient lu virginité. Des vierges
étaient depuis un temps immémorial attachées au
culte du soleil. Hérodote rapporte que dans le
temple de Bélus, il y avait une cellule destinée à
une vierge choisie pour tenir compagnie à ce dieu.
Les Romains parlaient aussi des vierges avec
une grande emphase. Qu'on lise le monologue dé-
chirant qu'Horace met dans la bouche d'Europe
après qu'elle fut devenue femme de Jupiter; la
belle comparaison d'une vierge à une fleur, dans
les épithalames de Catulle, et mille traits épars
dans les poètes de ce peuple célèbre, et l'on en
sera convaincu. Les Romains portaient si loin le
respect pour la virginité, que les lois défendaient
d'exécuter une vierge condamnée à la peine capi-
tale. On lit dans Tacite que le bourreau fut obligé
de déflorer la fille de Séjan dans sa prison avant
de procéder à son exécution (i). Quel subterfuge
criminel! Quelle misère î
(i) Voltaire {Dict. phil.) prétend que si le bourreau viola
la fille de Se'jan , c'est parce qu'elle n'avait que huit ans et
que la loi défendait de punir de mort les enfans.
Il n'en est pas moins vrai qu'avant de recevoir la mort
une vierjje était déflorée par l'exécuteur et dégradée par le
pontife , qui lui ôtait les bandelettes et les autres ornemens
( '38)
L'Asie et l'Amérique ont eu aussi leurs vierges
consacrées au seigneur. Au Pégu , les talapoines
font le vœu de continence; mais, plus heureuses
que les talapoins, si elles manquent à ce devoir,
elles ne sont pas dévorées par les flammes.
Les bonzesses de la Chine ne sont pas traitées
avec plus de rigueur. Sont-elles infidèles à leur
vœu? on les dégrade, on les chasse de leurs cou-
vens; et voilà tout. Cette loi est sage.
Le Mexique avait des vierges dont les devoirs
et les obligations paraissent calqués sur ceux des
vestales de Rome. Elles étaient obligées à la con-
tinence la plus sévère. On les admettait au plus
tard à douze ou à treize ans, et elles pouvaient
sortir de religion après un temps déterminé (i).
du sacerdoce. La mort n'e'tait pas toujours la peine de la
vestale qui avait laissé e'teindre le feu sacre'. Si l'on recon-
naissait qu'il n'y avait eu qu'imprudence ou incurie de sa
part, on lui infligeait la punition des esclaves, c'est-à-dire
que , couverte d'un voile , afin de me'nager sa pudeur, elle
e'tait frappe'e de verges par le grand-pontife.
(i) A Mexico, dans l'enceinte du grand temple, e'tait une
maison de retraite pour un certain nombre déjeunes filles
de douze à treize ans ; elles étaient chargées du soin de pré-
parer les mets des idoles et des prêtres ; elles vivaient dans
une si grande retenue que les moindres fautes étaient ri-
goureusement punies; et lorsqu'elles oubliaient le vœu de
chasteté, qui embrassait tout le temps qu'elles devaient ha-
( "39 )
Daus le Pérou, surtout à Cusco, on entretenait
des religieuses qui vouaient une virginité éter-
nelle au soleil. On ne les recevait que jusqu'à
huit ans. Elles ne pouvaient avoir de communi-
cations ni avec les hommes, ni même avec les
femmes. On punissait avec une extrême rigueur
celles qui manquaient de fidélité au soleil.
La religion mahométane a aussi ses derviches:
ces religieuses sont loin de conserver une conti-
nence exacte. 11 paraît qu'en Turquie les femmes
sont extrêmement faciles à se laisser aller à la sé-
duction. C'est un juste châtiment pour la folle
jalousie de leurs maris.
Les hommes que Dieu a faits à son image et
à sa ressemblance, ou qui ont fait les dieux à la
leur, ont eu aussi des vierges dont ils n'étaient
biter l'intérieur du temple , la mort était le prix de leur
faiblesse. Quant aux vierges du soleil, celle qui se laissait
séduire était enterrée vive; on étranglait le séducteur. Le
même supplice était infligé aux vierges nommées mamacii-
nas, plus spécialement chargées de la garde du feu sacré,
lorsqu'elles violaient leur vœu de chasteté.
La virginité de certaines filles n'était pas une obligation
pour elles seulement au Pérou, au Mexique et à Rome.
Chez les Hébreux , une fille qui se donnait mensongèrement
pour vierge devait être livrée aux flammes si elle était fille
d'un rabbin. (Saint-Edme, Dict. de la Pénalité, t. III,
p. ICI, 486; t. V, p. 4i3, 542.)
( î4o)
pas censés abuser. L'inca ou roi du Pérou avait
des religieuses soumises au vœu de cliasleté. Elles
faisaient le service de la maison. Heureusement
elles pouvaient en sortir avec la permission du
prince, et alors elles étaient sûres de contracter
des mariages avantageux» Chacun tenait à honneur
d'avoir pour épouse une vierge de l'inca !
Au Japon , les demoiselles des familles nobles
et celles qui sont au service des dames de la cour
doivent observer la chasteté. Rien que la mort
ne serait capable d'expier la violation d'un tel
devoir.
Après cette excursion dans l'Asie et dans le
NouveaU'Monde^ retournons encore à la Grèce.
On y était si persuadé de la facile communica-
tion entre la divinité et les vierges, qu'à elles
seules fut confié le soin de monter sur le trépied
sacré, et de manifester aux mortels la volonté des
dieux. La pythie devait nécessairement être vierge.
On exigeait qu'elle fût bien faite, sans tache, de
bonnes mœurs, simple, sans prétention, sans recher-
che dans la parure j n'usant d'autre fard que celui
composé de laurier et de farine d'orge. C'était de
cette prétresse que les chefs de la Grèce et les rois
de tous les pays civilisés de l'Europe, demandaient
la sanction de leurs lois. Son suffrage entraînait le
consentement des peuples, déterminait les résolutions
les plus graves et les plus importantes. Théraistocle
Ci4' )
lui devait l'exécution de ses projets; Philippe, ses
victoires et son ascendant; Socrate, une partie de
sa réputation.
On choisissait d'abord, pour exercer des fonc-
tions si sublimes, une femme jeune, douée de
tous les charmes de son sexe. Un Thessalien en
ayant enlevé une pour en faire son épouse, cette
violation sans exemple répandit l'épouvante. On
craignit que le courroux du dieu dont on avait
souillé l'interprète ne fît tomber sur toute la po-
pulation le poids d'une terrible vengeance. Pour
qu'un pareil scandale et un danger si grand ne
pussent se «renouveler, on établit en principe qu'à
l'avenir aucune femme ne serait élevée à cette di-
gnité avant d'avoir atteint sa cinquantième année.
Cependant on l'habillait toujours en fdle : comme
si la parure eût pu faire illusion à un dieu qui
savait tout !
11 n'y avait d'abord qu'une pythie: lorsque l'o-
racle fut plus accrédité, et que le concours des
curieux fut devenu plus considérable , il y en eut
deux. Enfin, on en créa une troisième, pour les
remplacer en cas de mort et de maladies. La py-
thie donnait ses prédictions une fois par mois.
Qu'est devenu aujourd'hui le fameux oracle de
Delphes ? Quelle force a arrêté l'émanation de cette
vapeur qui enivrait la pythie , produisait l'en-
thousiasme, faisait croire à la présence du dieu,
et commandait le resj)ect? Etait-ce une exha-
'• laison de gaz acide carbonique, comme celui qui
s'exhale continuellement dans la grotte del cane
à Naples? Dans ce cas, la mort que la pythie ren-
contrait souvent , à peine descendue du trépied ,
était un phénomène tout naturel. L'imposture sait
tirer parti de tout.
11 y eut aussi une espèce de pythie sans temple,
sans sacerdoce et sans trépied , qui prédisait l'a-
venir en tout lieu et en tout temps , et qui jouit
d'une immense réputation : ce fut la sibylle. On
a fait dériver Tétymologie de ce nom (Ti^uT^Xcl (si-
bulld) de ^i.o^ou'Kyi Çthéoboulê), le conseil des dieux,
formé de sios pour théos ^ dieu, et de boulé., con-
seil. Y eu a-t-il eu une seule qui ait v^cu des
milliers d'années et qui ait prophétisé en plu-
sieurs endroits ? ou eu a-t-il existé un grand
nombre ? Je n'entrerai pas dans ces recherches.
Elles étaient vierges comme la pythie.
Les philosophes de l'antiquité n'ont pas mis en
doute leur talent de deviner l'avenir. Les platoni-
ciens ont attribué ce don tout particulier à l'union
intime que la « créature parvenue, par ses vertus,
)) à un haut degré de perfection, peut avoir avec
)) la divinité. » Saint Jérôme lui-même croit que
le talent de la divination était dans ces femmes
célèbres une récompense de leur chasteté. D'où
vient cette ressemblance entre la doctrine de Pla-
( '43 )
ton et celle de ses successeurs , avec celle que
l'on enseignait dans les premiers siècles de l'église
et qu'on enseigne encore au dix-neuvième siècle?
Platon avait -il deviné le christianisme? ou les chré-
tiens ont-ils adopté les principes de Platon? En
se tenant seulement à V Evangile et à l'opinion des
apôtres , les sibylles auraient du être considérées
comme possédées du démon. Jésus-Christ guérit
beaucoup de ces malades , en chassant de leurs
corps les malins esprits (i). Moïse avait prononcé la
peine de mort contre les individus qui devine-
raient par l'esprit de Python (2).
Les apôtres continuèrent à opérer de ces gué-
risons. 11 est dit dans les Actes des Apôtres : (( Or
)) il arriva que comme nous allions au lieu ordi-
)) naire de la prière, nous rencontrâmes une ser-
» vante qui, ayaut un esprit de Python, apportait
)) un grand gain à ses maîtres en devinant. » Et
plus bas : « Paul ayant peine à le souffrir, se retourna
)) vers elle et dit à l'esprit : Je te commande, au
)) nom de Jésus-Christ , de sortir de cette fille ;
(i) Obtulerunt ei muitos daemonia habentes ( Jis/^ax^o^e-
v«u?) : et ejiciebat spiritus verbo... et curati sunt. S. (Matth,,
c. VIII, V. 16.)
(2) Vir sive mulier, in quibus pythouicus , vel divinatio-
nis fuerit spiritus, morte moriantur, lapidibus obruent eos:
saiiguis coruin sit super eos. (^Lév. , c. XX, v, 27.)
( >4/, )
» et il sorlil à l'Iieiiro menu; (i). » 11 existe encore
clans nos rituels de longues cérémonies pour dé-
livrer les possédés des malins esprits qui les tour-
mentent (2). Qu'on examine attentivement les
symptômes que présentaient les sibylles de l'anti-
quité, et qui sont si bien décrits dans le sixième
livre de V Enéide^ et Ton se persuadera facilement
qu'elles avaient la plus parfaite analogie avec les
femmes mélancoliques, hystériques ou vaporeuses^
que le vulgaire croit encore possédées du démon ,
et sur lesquelles des prêtres ignora ns essaient même
de nos jours la force de l'eau bénite et des exor-
cismes.
(1) Factum est autem euntibus nobis ad orationem, puel-
lam quamdam babentem spiritum Pythouem obviare nobis,
quse quest.um magnum prœstabat dominis suis divinando.
{Act. des Apôtr., c. XVT, v. 16.)
Dolens autem Paulus, et conversus spiritui dixit : Praeci-
pio tlbi in nomine Jesu Christi exire ab ea. Et exiit eadem
bora. (V. 18.)
(2) L'Amérique e'tait destine'e à donner de se'vères leçons
à notre vieille Europe. A Cumana et à Pai'ia , les prêtres
faisaient aussi des exorcismes contre les maladies rebelles
aux médicamens qu'ils administraient. Ils les attribuaient
à quelque mauvais esprit et re'pétaient souvent : « Que le
)> diable s'en aille d'ici. » Si le malade moui'ait maigre'
les exorcismes, on s'en consolait en disant : « Son heure
» e'tait venue. »
( i45^ )
Mais à son dieu tous ses sens s'abandonnent ;
Ses cheveux, son regard, ses traits se désordonnent;
Son sein bat et se gonfle, et mugit de fureur.
Mais lorsque de plus près le dieu parle à son cœur,
Alors son air, sa voix n'ont rien d'une mortelle (i).
J'ai vu deux malheureuses femmes dans les-
quelles l'action de la maladie avait développé des
forces physiques et morales très extraordinaires.
Auparavant faibles et lourdes d'esprit , elles pre-
naient, au moment du paroxysme, une vigueur et
une légèreté qui en imposaient aux esprits super-
ficiels. Leurs facultés intellectuelles s'exaltaient :
elles avaient des connaissances qui paraissaient au-
dessus de leur éducation et de leur état ; elles de-
venaient d'une audace qui tenait de l'eflronterie.
Des villages entiers couraient en procession à leur
suite, saisis d'une sainte frayeur en leur présence.
(i) On sera bien aise de trouver ici les vers du poète latin;
la traduction de Delille n'est qu'une faible copie d'un ori-
ginal étincelant de beaute's.
Coi talia fanti
Antè fores, sabito non vnltus, non color unns,
Non comptae mansére comœ! sed pectus anhelam,
Et rabie fera corda tument, majorque videri
Nec mortale sonans: afflata est namine quand6
Jam propriore Dei.
10
( '46 )
L'une d'elles demandait à tous les prêtres de ses
environs des secours contre les malins esprits <jui
s'étaient emparés d'elle : elle les nommait , liait
conversation avec eux, et faisait des dialogues fort
longs et fort amusans (i).
L'esprit de divination n'est donc dans ces femmes
(|ue l'elfet d'une maladie. Aristote , avec sa sagacité
ordinaire , avait place l'enthousiasme des sibylles
et de tous les inspirés de cetîe espèce parmi les
genres de délire. (Arist., Prob. 3o.)
Les chrétiens des trois premiers siècles pensè-
rent comme les disciples de Platon. Au lieu de
nier le talent prophétique des sibylles , ils forgèrent
des prédictions à leur avantage et les leur attri-
( I ) Cette maladie devient quelquefois ëpidémique ;
elle est presque toujours imaginaire. Frappe'es fortement
par les prodiges qui se inontrent dans quelqu'une de
leurs compagnes réellement affecte'cs, plusieurs femmes
se croient atteintes sans avoir éprouvé aucun dérangement
physique.
La vanité s'en mêle quelquefois. Il existe encore en Eu-
rope des contrées où l'on suppose à l'homme le pouvoir de
livrer une femme aux esprits malins. Ce malheur ne saurait
arriver qu'aux belles^ la beauté seule peut forcer un mortel
de recourir à des moyens que la religion condamne de toute
son autorité. Il arrive de là que souvent vme jeune fille, qui
veut se faire la réputation de belle, feint d'êtx'e possédée des
malins esprits.
( -47)
buèrent. Les sibylles prédirent la naissance de Jésus-
Christ, sa passion, sa résurrection; déclamèrent
conire le polythéisme et l'idolâtrie; annoncèrent
la fm du monde et le jugement général de tous
les hommes. Plusieurs des pères de la primitive
église ont appuyé leurs raisonnemeus sur les pré-
dictions des sibylles. Saint Clément d'Alexandrie ,
saint Justin le martyr, Lactance-Firmin , saint
Augustin et divers autres, ont suivi l'exemple com-
mun. Voici une de ces prophéties ; elle se trouve
dans le vingt-troisième chapitre, au dix-huitième
livre de la Cité de Dieu : « Il viendra dans les
» mains iniques des infidèles ; ils donneront à Dieu
» des soufflets de leurs mains souillées ; ils jetteront
)) sur lui une salive empoisonnée de leurs bouches
» impures (i). r>
Voici un autre passage qui n'est pas moins re-
marquable : (c Mais après que tous les mortels se-
)) ront changés en cendre , et que Dieu aura éteint
» le feu qu'il avait allumé , Dieu vivifiera la cendre
» des mortels , réparera l'univers et rétablira les
)) hommes dans l'état où ils étaient avant la con-
(i) In manus iniquas infidelium veniet;
Dabunt Deo alapas manibus incestis ;
Et oribus immundis expuent salivas venenosas, etc.
(CiV. Dei, lib. XVJÏI, c. aS.)
lO..
( '48 )
V Hagration. Alors aura lieu le jugement qui sé-
)) parera les bons des mauvais La terre engloutira
;) tous ceux qui ont vécu dans l'erreur et dans le
» crime : ceux qui ont été vertueux reprendront
» la vie et jouiront d'une heureuse immorta-
» lité (i). »
On s'obstina à voir des prédictions partout ,
même là où il n'en existait point. La sixième églogue
de Virgile a passé long-temps pour une prophétie.
Ce poète, au lieu de prédire le bonheur qu'assu-
rerait aux Romains un descendant d'Auguste , au-
rait prédit les heureux effets de la naissance de
Jésus - Christ. Malheureusement Virgile n'avait
rien vu que dans son imagination : il avait rêvé
le siècle d'or de Saturne qui n'a jamais existé , et
qui n'existera jamais sur la terre. L'homme est né
pour être ma-lheureux. Telle n'était pas l'opinion
du grand Constantin ; il récitait avec un respect
religieux :
(i) At postquam in cinerem fuerint mortalia versa,
Exstinctusque Deo fuerit , quem incenderit ignis ;
Ossa hominum. cineremque Deus reparabit et orbem ,
Constituetque homines iterum velut autè fuerunt.
At tune judicium, quo cernet cuncta, futurum est.
Terra teget quoscumque malus damnaverit error :
Qui benè vixerant, hi vivent rursus in orbe, etc.
( '49 )
Ultima cumaei venit jam canninis aetas.
En jetant les yeux sur la 'jSB" lettre de Saint-
Augustin, on voit qu'il en a été persuadé îui-méme.
Les vers des sibylles furent tellement en vogue,
qu'il y eut une secte de chrétiens appelés sibjl-
listes. Celse le dit, et Origène iie sait point le nier.
Les sibylles avaient à cette époque plus de crédit
que l'ancien et le nouveau Testament (i). Les amis
et les ennemis de la foi trouvèrent dans ces fraudes
pieuses et impies des raisons pour soutenir égale-
ment la vérité et le mensonge. Que l'humanité est
à plaindre !
Je n'ose presque pas dire que les sibylles n'exer-
cent plus aucune influence dans l'esprit des re-
ligieux du dix-neuvième siècle. Si les prêtres ont
une pleine foi dans les prières qu'ils chantent à
l'église, il faut qu'ils donnent encore quelque chose
à l'autorité des sibylles. J'ai entendu chanter, et
j'ai chanté moi-même plusieurs fois une hymne lu-
gubre qui commence par cette strophe:
(i) 11 nous reste encore une collection des vers des sibylles
en huit livres. Elle a été imprimée la première fois en i545.
Elle paraît avoir été faite entre les années 169 et 177 de
notre ère ; il y est parlé de tous les empereurs qui avaient
végné avant cette époque.
( i5o)
Dies irae , dies illa
Solvet sœculuiu in favilla :
Teste David cum sibylla.
On fait allusion à la propliétie que j'ai citée plus
haut; mais le saint prophète doit être bien étonné
de se voir en si étrange compagnie.
Ces détails sont fort longs, et ne tiennent pas
étroitement à mon sujet ; mais j'espère que le lec-
teur me pardonnera de les lui avoir offerts ici.
Qu'il me permette d'ajouter encore quelques mots
sur les Romains, Serait-on téméraire si l'on avan-
çait que leur empire a dû quelque chose de sa
grandeur à l'oeuvre des sibylles? Les fraudes pieu-
ses, quoi qu'on en dise, ne sont pas une inven-
tion du catholicisme ; c'est un ressort qu'ont fait
agir les religions et les ambitieux de tous les
temps.
Tarquin-l'Ancien , ou Tarquin-le- Superbe, car
les historiens ne sont pas d'accord sur ce point ,
se fit donner un recueil de vers prophétiques par
une vieille femme mystérieuse, qui disparut après
s'être acquittée de sa commission, et à laquelle le
roi donna le nom de sibylle. Les destinées de l'em-
pire romain y étaient annoncées d'avance. Les
triomphes et les actions de grâces qu'il devrait of-
frir à la divinité; ses revers et les sacrifices qui
seraient nécessaires pour les réparer^ tout était pré-
( '5> )
VU, dit-on, tout était expliqué et rangé suivant
l'ordre des temps. C'était une espèce d'^y9oca///?5e,
où rien n'avait été oublié.
Le respect pour les livres sibyllins dura pres-
que plus que l'empire lui-même : ayant été per-
dus dans un incendie du Capitole, qui eut lieu l'an
671 de Rome, sous la dictature de Sylla , les Ro-
mains envoyèrent des députés dans les différentes
contrées fameuses par l'existence de quelque an-
cienne sibylle, et firent un nouveau recueil. Au-
guste, en sa qualité de souverain pontife, les re-
çut avec un respect religieu.x, les enferma dans
des coffres dorés, et les fit mettre sous la base
du temple d'Apollon - Palatin , qu'il faisait bâtir
alors.
11 se passa du temps avant que la religion chré-
tienne eût pris assez de force pour renverser la
puissance des sibylles , de ces sibylles qui promet-
taient que l'empire du monde resterait éternelle-
ment à la puissance romaine. Ce ne fut que l'an 4o5
de Jésus-Christ que l'empereur Honorius ordonna
finalement à Stilicon de les brûler.
Rome avait créé un sacerdoce à part, chargé de
l'interprétation des livres des sibylles. Ces prêtres
n'étaient d'abord que deux , duumviri sacris jacien-
dis ; ils furent portés à dix, lorsque l'on admit les
plébéiens à partager les emplois supérieurs j et enfin
a quinze, quand la possession des richesses dé l'uni-
( '52 )
vers permit à Home de s'abandonner au luxe et à
la profusion (i).
Les Romains avaient aussi des vierges sacrées dans
leur ville. Les peuples vivent d'emprunt: ils avaient
tiré d'Albe, et les Albains devaient avoir tiré de
(i) Les imposteurs ont partout recours aux mêmes moyens,
lorsqu'il s'agit d'exploiter la curiosité crédule et inquiète
de l'homme. Rien ne tourmente autant que le désir de
connaître l'issue des évènemens d'où doit dépendre notre
sort. De là, les diseurs de bonne aventure, les astrologues,
la pythie, les sibylles; de là mille fraudes pieuses, mille
pièges, mille grimaces, mille contorsions , ayant pour objet
de faire croire aux spectateurs que la divinité se commu-
nique aux mortels et leur dévoile l'avenir.
Les peuples sauvages et grossiers de la mer du Sud ont
les vnêmes idées et à peu près les jnêmes usages que les
peuples les plus civilisés des anciens temps. Voici de quelle
manière, à l'île d'Owhyée , se prépax'e à prononcer l'oracle
le prêtre à qui l'on a porté des dons pour qu'il fasse con-
naître l'issue d'une guerre qui se déclare : « Il reste pendant
« quelque temps immobile, les mains jointes et les yeux
>) baissés... Il commence à parler bas et d'une voix altérée;
» mais il s'échauffe peu à peu , et bientôt il donne l'essor à
» toute sa véhémence. Il parle à la première personne,
» comme si c'était le dieu lui-même. Pendant tout ce
» temps , il paraît ordinairement peu agité , mais quelque-
» fois son aspect devient tout à coup farouche , et son œil
y> s'enflamme. Un tremblement violent s'empare de tous se»
( .53 )
la Grèce, et les Grecs devaient avoir tiré de l'Asie
ou d'autre part, le culte du soleil ou du feu, et
})ar conséquent les cérémonies que ce culte exigeait.
Nous savons aujourd'hui que le feu n'est pas un
élément très simple; mais dans la Chimie des pre-
miers âges du monde, il était impossible d'avoir
des doutes sur sa simplicité et sur sa pureté. Il
fallait qu'une divinité si pure eût des ministres
purs ; et les vierges passaient pour telles. Le culte
du feu leur fut assigné partout. Cicéron dit posi-
« membres ; la sueur ruisselle sur son front ; ses lèvres se
» gonflent et sont agite'es par des mouvemens convulsifs ;
» enfin des lax'mes abondantes coulent de ses yeux , sa poi-
» trine se soulève avec effort, et des mots enti-ecoupe's s'é—
» chappent de sa bouche. Cette agitation se calme insensi-
» blement : le prêtre se saisit alors d'une massue place'e à
1) côte' de lui, et la regarde fixement. Il lève ensuite les
" yeux au ciel , puis à droite et à gauche , et les fixe de nou-
» veau sur la massue. Il renouvelle plusieurs fois la même
» cére'monie ; après quoi , il lève l'arme sainte et en frappe
» la terre de toutes ses forces , c'est le. signal du départ de
n son souffle divin. »
Comparez cette description avec celle que j'ai cite'e plus
haut de Virgile , et vous y trouverez une ressemblance
parfaite. Toutes les nations, civilise'es ou sauvages, profanes
ou sacrées, éclairées par le Saint-Esprit ou livrées au vertige
de l'erreur et des passions humaines, ont eu leurs sibylles
ou leurs prophètes. L'imposture a été de tous les temps et
de tous les lieux.
( »54 )
tivcniont que le culle de Vesta ne convenail qu'à
(les filles dégaj^ées des passions et des embarras du
monde.
Numa défendit de recevoir au nombre des ves-
tales aucune fille au-dessous de six, ni au-dessus
de dix ans. Cet âge ne pouvait donner lieu à au-
cun soupçon d'impureté. Il n'en institua que qua-
tre : Servius-Tullius en ajouta deux autres. Elles
ne furent jamais portées au-delà de six , malgré
l'opinion contraire de saint Ambroise.
Une vestale devait rester trente ans au service
de la déesse. Elle pouvait sortir du temple, lors-
(ju'elle était âgée de quarante, ou même de trente-
six ans, et se marier. Elle pouvait même y rester,
si elle l'aimait mieux; mais elle ne devait plus se
présenter devant les autels.
Tandem virgineam fastidit Vesta senectam.
Vesta avait bon goût : une fille ridée n'est pas un
objet agréable.
Les vestales jouissaient de la plus haute consi-
dération. Tout le monde leur cédait le pas. Si le
consul les rencontrait sur son chemin , il devait se
retirer , ou descendre de son cheval et s'arrêter
jusqu'à ce que la prêtresse fût ])assée outre. Elles
avaient une place distinguée au théâtre. Elles étaient
accompagnées d'un licteur toutes les fois qu'elles
( i55 )
sortaient dans la ville, ou pour voir leurs parens,
ou pour dîner avec eux, ou dans tout autre des-
sein. Elles s'entremettaient dans toutes les querelles
intestines, et parvenaient bien souvent à les as-
soupir. Elles réconcilièrent Sylla et César, quoique
le dictateur eût refusé cette grâce à ses meilleurs
amis. Elles prirent même la défense de Messaline.
Si elles rencontraient sur leur passage un criminel
condamné que l'on conduisait au supplice, il était
sur-le-champ mis en liberté: la prêtresse pour ob-
tenir cette grâce n'avait qu'à assurer que la ren-
contre était fortuite. Elles étaient émancipées , et pou-
vaient tester, même à l'âge de six ans: elles étaient
majeures avant le temps fixé par les lois, même du
vivant de leurs pères.
Leur ordre, sous les empereurs , était monté au
plus haut degré de considération. Auguste jura que
s'il avait une nièce en âse d'entrer au nombre des
vestales, il l'y aurait fait admettre. Les chrétiens
eux-mêmes les respectaient beaucoup , quoiqu'ils
condamnassent leur culte. Lorsque l'empereur Gra-
tien voulut les priver des revenus que les lois leur
avaient assurés, Symmaque en prit la défense avec
chaleur.
Malgré les grandes prérogatives dont les vestales
jouissaient à Rome, il était très difficile de trouver
dans cette ville immense six pères assez intrépides
pour vouloir les assurer à leurs filles. D'où venait
( i56)
ceLle aversion pour un état entouré de tant d'estime
et comblé de tant d'honneurs? Une vestale sur le
compte de laquelle se serait élevé le moindre bruit
d'incontinence était punie avec la dernière sévérité
et couvrait d'opprobre toute sa famille. Le plus lé-
ger soupçon était, pour les vestales, une tache inef-
façable. Les Pioraains tinrent pour violée la vestale
Clodia Lœta , que Galigula avait approchée , quoi-
qu'il fût constant qu'il n'y avait eu rien de plus
sérieux. 11 aurait même suffi que la vestale eût
laissé éteindre le feu sacré, pour devenir l'objet
de la plus vive animadversion. Dans ce cas, elle
n'était pas enterrée toute vive, mais elle devait
paraître nue en présence du souverain pontife , et
par lui être durement corrigée par des coups de
fouet (i).
Le jour où une place de vestale était vacante,
Rome était en émotion j car le souverain pontife
ayant été autorisé par les lois à choisir lui-même
vingt jeunes demoiselles , et à les tirer au sort, cha-
cune craignait que les chances de l'élection et de la
fortune ne tournassent contre elle. Les Romains
étaient donc convaincus que la continence n'était
pas une chose facile à conserver. Les chrétiens n'ont
pas eu autant de scrupule.
(0 Fojez la note de la page i38.
( '57)
Il nous resterait à dire quelque chose des vierges
de l'île de Sain , qui nous touchent de plus près que
les sibylles et les vestales ; mais une obscurité profonde
enveloppe les mystères des anciennes relii^ions du
nord. Les lumières n'étaient pas le partage de ces
peu[)les; les druides s'en étaient emparés, comme
les bramines et les mages; et dans la crainte d'infi-
délité ou de larcin, ils ne les confiaient jamais dans
des livres.
On prétend que l'île de Sain (i) avait un cou-
vent de neuf vierges. Quelques écrivains ont même
pensé que tous les habitans de cette île étaient
des vierges. C'étaient des espèces d'amazones qui
n'aimaient pas la guerre, mais qui haïssaient les
hommes (2).
On dit pourtant que pour conserver leur race,
elles envoyaient de temps en temps, sur la côte du
continent voisin, un certain nombre d'entre elles
que le sort avait désignées ; que ces pauvres filles, à
peine débarquées sur le rivage, se jetaient dans les
bras du premier venu, qu'elles y restaient tout le
(i) Sain , sena, petite île situe'e vis-à-vis de la pointe mé-
ridionale de la baie de Brest. Les Gaulois qui l'habitaient
adoraient la lune. Elle servait de retraite à une sorte de
prêtresses de la famille des druides.
(2) Ces deux classes de femmes sont peut-être également
fabuleuses.
( '^^8 )
ienips qui était Decessairc pour recevoir dans leur
sein quelque nouvel embryon , et qu'elles ne pou-
vaient rentrer dans leur île qu'après avoir rempli
fidèlement la commission dont on les avait char-
gées.
VV\ V\VV\(Vi VV V\\l\% WWV VVViA^ tVWVVV VVVV\,\ VV\ l^^t VX'V l/V\( ^A^VVVVVV VAX VVVtVV VVl VVVH-\^
iTbre ^euriime.
DU CÉLIBAT DANS LA RELIGION CHRÉTIENNE.
.^.
SECTIOIV PREMIERE.
Du célibat depuis /'Evangile jusqu'à la
révolution française.
AVANT-PROPOS.
Avant d'aborder directement notre sujet . jetons
un coup d'oeil en arrière, et voyons quel était l'état
du monde à la naissance de la religion chrétienne.
Les Pvomains avaient porté leurs armes victo-
rieuses sur toute la terre connue , et l'avaient sub-
juguée. Des gouverneurs , tourmentés par la soif in-
satiable des richesses et des plaisirs, parcouraient les
provinces de ce vaste empire et les mettaient au pil
lagej tous les trésors du monde coulaient à Rome,
quand la misère accablait les provinces éloignées.
Piome avait cessé d'être le centre des vertus, de
ces vertus qui l'avaient élevée au faîte de la gran-
( i6o)
tleur : elle était devenue un foyer d'inleclion qui at-
tirait à lui tous les vices des provinces, les concen-
trait, les rendait plus meurtriers, et les répandait
de nouveau, agrandis encore par leur passage dans
la capitale , sur toute la surface de l'empire ; c'était
un flux et un reflux perpétuel de corruption , de dé-
bauche, d'adultère, d'inceste, de cruauté, de toutes
les infamies.
L'exemple et les lois d'Auguste n'avaient pu ar-
rêter ce débordement aflreux • sa famille avait été
infectée comme les autres j son indignation et ses
châtimens n'avaient frappé que peu de têtes. Après
sa mort , le libertinage ne trouva plus aucun obs-
tacle. La cour de ses successeurs surpassa tout ce
que la licence de la sienne avait su imaginer de plus
dégoûtant. Les empereurs de Rome réalisèrent et
rendirent vraisemblables les turpitudes de Sodome et
de Babylone; ils ne respectèrent rien. Les vestales
elles-mêmes, ces vestales que protégeait l'opinion
publique, ne purent se soustraire à la séduction de
ces monstres : leur exemple ne trouva que trop
d'imitateurs !
Au milieu de ce débordement de vices, diverses
institutions avaient conservé leur pureté primitive.
Les prêtres d'Isis, en Egypte; ceuxde Cérès, à
Athènes; les vestales de Rome, les vierges du Par-
thénon , fixaient les regards et méritaient les éloges
de tous ceux qui conservaient encore quelque
( 'fi' )
amour de la vertu. Les philosophes les plus intègres,
les populations des campagnes, les gens à qui la
fortune ne permettait pas de suivre l'exemple des
grands, accordaient leur estime à tous ceux qui sa-
vaient se garantir d'une corruption devenue presque
générale.
Les thérapeutes et les esséniens attiraient à eux
l'attention des peuples, qu'étonnaient l'austérité de
leur vie et leur charité fraternelle. Leur nombre
augmentait tous les jours, et ces sortes de moines,
qui n'avaient d'abord inspiré que le dédain, com-
mençaient à devenir un objet d'envie et d'imitation.
La misère si commune partout, cette misère que
l'esclavage, les concussions impudentes et les di-
lapidations de la fortune publique rendaient de plus
en plus affreuse, portait les malheureux à éviter tout
ce qui aurait pu l'accroître ou la faire sentir plus
fortement. Une femme était une charge, des enfans
devenaient un fardeau insupportable.
La terre ne présentait aucune consolation : le joug
qui accablait les peuples paraissait devoir être éter-
nel ; l'âme sentait le besoin de se réfugier dans l'ave-
nir. Ce monde étant un océan d'amertume, l'ima-
gination ne trouvait à se reposer que dans un
monde plus beau, où les tyrans ne régneraient plus.
Le sentiment de la justice, si naturel à l'homme,
si profondément enraciné dans son cœur, lui fai-
sait espérer une réparation éclatante de tant de
1 1
( >62 )
maux et de tant d'alïliclions. La venj^eance cou-
vait dans tous les esprits et dans tous les cœurs, et
l'impossibilité de l'obtenir sur cette terre donnait
naissance aux théories du spiritualisme.
Maintenant, supposez que l'histoire ne vous ait
pas fait connaître la marche du christianisme à
travers les nations soumises à l'empire de Rome ,
et tâchez de saisir, seulement par la raison, l'effet
que pourra, ou mieux, que devra produire un culte
nouveau. Ce culte menace-t-il de terribles châti-
mens les grands du siècle? il seconde la haine gé-
nérale, et dispose les esprits en sa faveur. Pro-
met-il des récompenses éclatantes aux justes op-
primés? leur donne-t-il l'espérance que dans la
vie qui doit commencer pour eux à leur entrée dans
la tombe, ils seront au-dessus de leurs tyrans? com-
ment ne pas accueillir avec enthousiasme une
croyance si conforme aux plus vifs désirs du cœur ?
Prêche-t-il la séparation de tout ce qui peut atta-
cher à la terre? Yeut-il que l'esprit ne tende que
vers les béatitudes célestes? Impose-t-il l'abandon
des femmes, des enfans, des pères et des mères pour
la défense de son système et de ses principes? La
terre n'offre aux malheureux que des sujets de tris-
tesse et de douleur; la tristesse des parens porte
la désolation dans le fond de l'âme; une femme flé-
trie, des fils gémissans déchirent les entrailles : mieux
vaut n'en avoir aucun. Le tableau effrayant de la
( >63 )
misère générale et particnlière abat le courage et _
brise les ressorts de l'esprit. Un désespoir affreux
pousse les hommes à fuir loin des objets les plus
tendres et les plus chers à leur cœur : la so-
ciété n'offrant à leurs regards qu'un nombre infini
de calamités renaissantes, ils arrivent à se per-
suader que le parti le plus sûr est de s'en séparer
à jamais , de s'enfoncer dans des déserts inacces-
sibles, de s'enfermer dans des couvens, de s'isoler
partout.
La religion chrétienne a dii la rapidité de ses
conquêtes à l'évidente protection de son auteur :
mais les circonstances de la terre, lorsqu'elle y fut
apportée, étaient prévues et calculées depuis l'ori-
gine des temps par l'éternelle sagesse qui voit et
qui calcule tout.
L'empire des circonstances était si fort, que les
bornes fixées par notre divin législateur furent
insuffisantes pour arrêter la marche des esprits.
On se porta d'abstraction en abstraction jusqu'à
condamner ce que Jésus-Christ avait approuvé et
ordonné de la manière la plus positive. Pour prou-
ver cette assertion , en ce qu'elle a de relatif à mon
sujet, il me suffira de rappeler succinctement ce
que le rédempteur du monde a réglé et ordonné
lui-même sur le mariage et sur la continence j de
voir ensuite ce que les apôtres y ont ajouté, et de
suivre le développement du principe favorable au
II..
( -64)
Ciilibat dans toutes les différentes phases qu'il a pré-
sentées, dans les deux cultes rivaux de l'église grec-
que et de la romaine.
WW «\VVVVVWV\\VWVW\WiWkWvW WVtWVVVWVvWvWWWV.VWVVWWvWAi'W^WWVWVWWVWV'V
CHAPITRE PREMIER.
Du célibat dans VËvangile.
Les lois relatives au mariage , que le Christ a
sanctionnées du sceau de son autorité divine , s'y'
rapportent directement ou indirectement.
Les premières sont d'une évidence frappante, de
véritables lois, des ordres impératifs qu'on ne peut
violer sans se rendre criminel j les secondes sont des
conseils au petit nombre des élus, des maximes de
haute sagesse, propres seulement aux hommes que
Dieu a comblés de ses grâces spéciales.
Les premiers signes que Jésus-Christ a donnés à
la terre de sa mission céleste, son premier miracle,
le premier acte par lequel il prouva sa puissance
sur la nature, fut le changement de l'eau en vin
aux noces de Cana (i), et par conséquent l'insti-
tution du mariage. Dans l'ordre des sacremens de
(i) Saint Jean, c. II, v. i*' jusqu'au 12".
( i65 )
l'éi^lise, le mariage est porté le dernier, et cela de-
vait être ainsi; mais dans l'ordre des temps, et peut-
être même dans celui de l'importance, il est évi-
demment le premier.
Après avoir institué le mariage , le divin législa-
teur se hâte d'en assurer l'indissolubilité : « Dieu créa
» au commencement un îiomme et une femme :
» pour cette raison l'homme abandonnera son père et
)) sa mère , et demeurera attaché à sa femuie 5 ils ne
M seront tous deux qu'une seule chair. Ainsi ils ne
» sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme
» donc ne sépare pas ce que Dieu a joint (i). »
Il est difficile de trouver dans les lois d'aucun
peuple un précepte plus positit" et plus évident :
l'homme et la femme ne sont pas faits pour vivre
séparés; Dieu les a créés l'un pour l'autre, et a
voulu que leur société fût nécessaire et indis-
soluble. Cette loi, née avec le monde, est ici cou-
tirmée et sanctionnée de nouveau par le législateur
lui-même. Que peut-on ajouter à ces paroles divi-
nes ? Elles n'ont pas besoin de commentaire. Ado-
rons les décrets irrévocables de la sagesse infinie.
Lorsque le lîls de l'homme eût sanctionné cette
loi, ses disciples^ élevés sous le régime d'une légis-
lation dans laquelle le divorce était très facile, fu-
(1) Saint Mat., c. XIX, v. 4> 5?, 6.
( iSfi)
rent presque effrayés, et s'écrièrent: « Si telle est
» ia condition de l'homme à l'égard de sa femme,
)) il n'est pas avantageux de se marier. )) 11 leur
répondit: a Tous ne sont pas capables de cette ré-
)) solution, mais ceux-là seulement à qui il a été
)) donné ; car il y en a qui sont eunuques dès le
» sein de leur mère, et de naissance ; il y en a que
» les hommes ont faits eunuques, et il y en a
» qui se sont faits eunuques eux - mêmes pour le
» royaume du ciel. » Et il ajoute : « Qui peut
)) comprendre ceci, le comprenne (i)! »
On voit doric que ce n'est que par l'effet d'une
grâce particulière que l'homme peut supporter le
célibat. « Tous ne sont pas capables de cette ré-
)) solution , mais ceux-là seulement à qui il a été
)) donné. » Jésus-Christ savait que la plupart des
hommes ne comprendraient même pas son langage :
(i) Saint Mat., c. XIX, v. ii, 12, i3.
Je vais mettre le texte latin sous les yeux du lecteur. Il
y a des mots et des expi'essions que la langue française ne
saurait rendre dans toute leur force :
Qui dixit illis : Non omnes capiunt verbum illud , sed
quibus datum est. Sunt enim eunuchi qui de matris utero
sic nati sunt ; et suut eunuchi qui facti sunt ab hominibus ;
et sunt eunuclù qui seipsos castraverunt [ectulouç) propter
regnum cœlorum. Qui potest capere, capiat. Le grec eunou-
clios signifie proprement gardien du lit, à'euné, lit, et
d'echôy je garde.
( '6- )
qui potest capere , capiat. Comme il ne veut point
forcer les volontés, et qu'il n'adresse ses conseils
qu'aux intelligences rares dans ce monde qui pour-
ront , guidées par leur instinct heureux , deviner
toute l'étendue de sa pensée , le fils du Très-Haut
ne se donne pas la peine de l'expliquer.
Dans l'énumération des différentes espèces de
personnes pour lesquelles la continence ne peut
être une charge, nous voyons en première ligne
ceux qui sont eunuques depuis le sein de leur
mèrej ce doit être les icoXo^oi dont nous avons
déjà parlé plus haut : ensuite viennent les eu-
nuques que les seigneurs rendaient tels pour
avoir des serviteurs plus commodes. Le célibat de
ces deux classes d'individus ne présente rien de
difTicile et d'épineux ; ils y étaient condamnés par
la nature ou par la violence des hommes. En troi-
sième lieu se trouvent ceux qui, doués de tous
les organes , et pouvant remplir toutes les fonc-
tions de la virilité , s'imposent eux-mêmes la con-
tinence, pour être plus parfaits et gagner plus fa-
cilement le royaume des cieux ; et pour ceux-ci
la difTiculté devait être d'autant plus grande ,
que Jésus - Christ avait condamné avec la plus
grande sévérité la moindre complaisance non légi-
time. (( Je vous dis , s'était écrié notre rédemp-
» leur, que quiconque regardera une fenune avec
» un mauvais désir, a déjà commis uu adultère
( -68 )
» dans son cœur (i); » et il njouLe : « Si voire œil
)) vous est un objet de scandale et de chute , arra-
yy chez-le et jetez-le loin de vous ; car il vaut
» mieux pour vous qu'une partie de votre corps
» périsse , plutôt que d^être jeté tout entier dans
"» l'enfer (2). ))
Le célibat n'est donc pas un précepte ; c'est un
simple conseil que peu d'hommes auront la force
de suivre et même de comprendre • il n'est pas fait
pour devenir une règle générale, ni pour tous les
hommes, ni pour une classe nombreuse d'hommes
qui embrassent l'état où on le commande : ceux-ci
cherchent plutôt les intérêts de ce monde, qu'ils
ne suivent une vocation céleste. « La religion, faite
:» pour parler au cœur, doit donner beaucoup de
)) conseils et peu de préceptes. Quand elle donne
» des règles, non pour le bon, mais pour le meil-
)) leur , non pour ce qui est bon , mais pour ce
» qui est parfait , il est convenable que ce soient
(1) Ego autem dico vobis : quia omnis qui viderit mulie-
rem ad concupiscendani eani, jam maechatus est eanx in
corde suo. (Saint Mat., c. V, v. 28.)
(2) Qiiod si oculus tuus dexter scandalizat te , erue eum
et projice abs te : expedit enim tibi ut pereat unum niem-
brorum tuoi'uni, quam totuni corpus tuuiu eat in geben-
naïu. (Saint Mat., c. V, v. 29.) L'œil droit, qui est le plus
cher.
( ï^9 )
» des conseils et non pas des lois ; car la perfec-
» tion ne regarde pas l'universalité des hommes
» ni des choses (i). » Lorsque Montesquieu tra-
çait ces lignes, il ayait devant les yeux V Evangile :
il posait en théorie ce qu'il y voyait mis en pra-
tique.
On a déduit aussi l'obligation d'une continence
rigoureuse pour ceux qui se consacrent à la reli-
gion, de ces versets de V Evangile où Jésus- Christ
marque le caractère des fidèles qui s'attachent plus
spécialement à lui. « Si quelqu'un vient après moi
» et ne hait pas son père et sa mère, sa femme
)) et ses enfans, ses frères et ses sœurs, et même
» sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple (2).
y) Quiconque abandonne pour moi sa maison, ou
» ses frères , ou ses sœurs , ou son père , ou sa
» mèrç. ou sa femme, ou ses enfans, ou ses terres,
» en recevra le centuple, et aura pour héritage la
» vie éternelle (3). »
(i) Esprit des Lois, liv. XXIV, c. 7.
(2) Si quis veiiit ad me , et non odit patrem suum et ma—
trem , et uxorem , et fihos, et fratres, et sorores , adhuc
autem et animam suani, non potest meus esse discipulus.
[Saint Luc , c. XIY, v. 26.
(3) Omnis qui reliquerit domum , vel fratres, aut sorores,
aut patrem , aut matrem , aut uxorem , aut fihos , aut agros
propter nomen meum, centuplum accipiet, et vitam aeter-
nampossidebit. (Saint Mat , c. XIX, v. 2g.)
( '70 )
Mais d'abord , si vous prenez ces conseils au pied
de la lettre , si vous en faites des préceptes géné-
raux , vous détruisez les plus doux sentimens de
la nature, la tendre sollicitude des pères pour leurs
enfans, l'amour et la reconnaissance des fils envers
leurs pères ; vous séparez la femme de son mari , le
mari de sa femme j vous attaquez , vous anéan-
tissez toute culture et toute industrie. Alors il
n'y aurait plus de liens solides pour l'homme; la
société deviendrait un chaos : plus de lois , plus
d'ordre , plus de tranquillité.
Il faut encore donner quelque chose aux cir-
constances. La religion est -elle en danger? vous
impose-t-on de renoncer à la foi de Jésus-Christ,
ou aux affections les plus chères et les plus vives
de votre cœur? il ne faut pas balancer : la reli-
gion doit l'emporter sur tout autre sentiment;
vous perdrez tout , vous sacrifierez tout au main^
tien de la foi et à la gloire du Très-Haut. Mais si
vous pouvez tout concilier ; si , préférant d'obéir
à des lois générales qui lient tous les hommes ,
vous négligez des conseils d'une haute perfection,
à laquelle vous ne vous sentez pas la force de
parvenir ; si vous embrassez un état auquel vous
porte la nature , et que la religion , bien loin de
condamner , comble de ses bénédictions et de ses
grâces , qui osera blâmer votre conduite ? Donner
l'existence à de nouveaux chrétiens , les élever dans
( i7> )
les principes de la foi de Jésiis-Ciirist, augmenter
le nombre des élus , est-ce un mérite que puisse
dédaigner un être raisonnable ? Vous vous exposez
à toute la fureur de l'Océan , au danger d'être
décliiré par les barbares ou par les bêtes féroces,
de manquer du nécessaire à la vie, de mourir de
faim pour conquérir des âmes au royaume du ciel,
et vous regardez comme une faute irrémissible
o
d'embrasser un état où la multiplication de la mi-
lice chrétienne est entourée de douceur et de plai-
sirs !
CHAPITRE IL
Du célibat sous les apôtres.
Nous trouverons la doctrine des apôtres sur le
mariage dans les Epîtres de saint Paul qui, autant
par ses écrits que par sa prédication et ses voyages,
paraît avoir contribué à lui seul, plus que tous
les apôtres ensemble, aux rapides progrès de la
foi de Jésus-Christ. Nous ne verrons encore que
des conseils : les apôtres étaient loin de cette puis-
sance qui autorise à dicter des loisj mais ces con-
seils, au lieu de s'adresser, comme dans V Evan-
gile , à ceux-là seuls qui peuvent en faire la règle
( '7^ )
de leur conduite, au petit nombre d'Iionirnes que
le ciel a corablés spécialement de ses laveurs, s'a-
dressent à tous les chrétiens en masse, et secon-
dent davantage les préjugés funestes à la morale
qui régnaient lors de l'établissement de la religion
chrétienne. Je n'ai qu'à traduire.
(( 11 est bon que l'homme ne touche à aucune
)) femme. ?^éanmoins^ pour éviter la fornication ,
» que chaque homme ait une femuie, et chaque
» femme un liomme.. . Ce que je vous dis comme
» une chose qu'on vous permet et non pas qu'on vous
» commande • car je voudrais que tous les hommes
» fussent dans l'état où je suis moi-même. Chacun a
» son don particulier, qu'il reçoit de Dieu, l'un d'une
» manière et l'autre d'une autre. Pour ce qui est de
w ceux qui ne sont pas mariés et des veuves, il est
» bien pour eux de demeurer dans cet état , comme
» j'y demeure moi-même. Que s'ils sont trop faibles
» pour garder la continence, qu'ils se marient; car
» il vaut mieux se marier que de brûler (i). n
(i) Bonum est homini muherem non tangere. Propter
fornicationem autem unusquisque suam uxorem habeat,
et unaquaeque suum virum habeat... Hoc autem dico secun-
dum indulgentiam , non secundum imperium. Volo eniin
omnes vos esse sicut meipsum ; sed unusquisque proprium
donum habet ex Deo : alius-quidem sic, alius vero sic. Dico
autem non nuptis et viduis : bonum est \\lis si sic perma-
( >73 )
Ces principes ne sont pas de nature à faire re-
garder le mariage comme une action sanctifiée de
Dieu : il est déjà un crime que l'on pardonne avec
peine. Un sacrement, le premier des sacremens, celui
pour lequel Jésus- Christ a opéré un si éclatant pro-
dige^ sera un acte qui a besoin de pardon! Peut-être,
dans l'origine du christianisme, fallait-il s'imposer
des sacrifices extraordinaires : pour propager les
principes de la foi dans son berceau, il fallait des
hommes entièrement dévoués et qui n'eussent au-
cun attachement à des objets terrestres. Peut-être
dans ce temps-là était-il difficile de s'allier à des
personnes de la même religion , et croyait - on
dangereux pour la foi peu affermie des nouveaux
chrétiens de contracter mariage avec des individus
d'une religion différente. Un autre principe de con-
duite , fidèlement suivi par les chrétiens des pre-
miers siècles de l'église, devait faire du mariage
un fardeau des plus lourds, et rendre l'éducation
de la famille presque impossible. Notre divin sau-
veur avait conseillé à ceux qui voudraient s'élever
à la plus haute perfection de vendre tous leurs
biens, de les donner en aumône aux pauvres et
lient sicut ego. Quod si non continent, nubant. Melius est
enim nubere quain uri. {Ep. I" aux Corinth., c. VII, v. i,
a, 6, 7, 8 et 9.)
( '74 )
de suivre alors la carrière de l'aposlolaL (i). Ce
conseil, dans la première ferveur d'un culte nou-
veau, fut changé en précepte comme tous les autres.
Des miracles opérés ou supposés opérés (2) par saint
Pierre inspirèrent une sainte frayeur aux chré-
tiens si simples de cet âge , et les portèrent à
l'accomplissement d'iui devoir qui rendait la mi-
sère très commune parmi eux. Une fois débarrassés
de tout soin, les fidèles passaient leur temps dans
la prière , sans aucune inquiétude , sans aucun
souci de l'avenir , attendant ce qui était nécessaire
à leur subsistance et de la bonté ineffable de ce
(i) Ils vendaient leurs terres et leurs biens, et les distri-
buaient à tous, selon le besoin que chacun en avait. {^Act.
des apôt., c. II, v. 45.)
Il n'y avait pas de pauvres parmi eux , parce que tous
ceux qui possédaient des fonds de terre ou des maisons les
vendaient et en apportaient le prix qu'ils mettaient aux pieds
des apôtres , et on le distribuait ensuite à chacun selon qu'il
en avait besoin. (^Act. des apôt., c. IV, v. 35, 36.)
(2) Je dis supposés opérés , parce qu'il me semble qu'il
n'était pas digne du chef de notre sainte église de faire
mourir un homme et une femme, pour avoir gardé seule-
uieat une partie fort mince de leur fortune. Quel honnête
homme aurait la barbarie de dire à une femme : « Voilà
« ceux qui viennent d'ensevelir votre mari qui sont à cette
« porte et vont vous enterrer à votre tour. » N'était-ce pas
l'assassiner. {Act. des apôt., c. V, v. i" jusqu'au II^)
( "75)
Dieu qui fait vivre sans travail les oiseaux de l'air
et les lys des champs _, et de la libéralité de leurs
coreligionnaires. Ainsi les fortunes se dissipaient,
la misère devenait de plus en plus générale, et une
fainéantise sanctifiée détruisait toute industrie. Alors
comment soutenir une femme? comment élever des
en fans? Nous verrons que cet état de choses sera
fécond en résultats funestes. Que l'homme est mal-
heureux! les efforts qu'il fait pour parvenir à la
perfection le mènent souvent au vice.
(( Quant aux vierges , poursuit saint Paul , je n'ai
» point reçu de commandement du Seigneur j mais
n voici le conseil que je donne, comme ayant été
» l'objet de la miséricorde du Seigneur pour être fi-
» dèle. Je crois donc , à cause des pressantes né-
» cessités de la vie présente, qu'il est avantageux à
» l'homme de ne se point marier. Etcs-vous lié avec
» une femme, ne cherchez point à vous délier.
» N'étes-vous point lié avec une femme? ne cherchez
)j point de femme. Que si vous épousez une femme,
)) vous ne péchez pas; et si une fd!e se marie, elle
» ne pèche pas aussi. Ces personnes sentiront dans
» la chair des afflictions et des maux. Or je voudrais
)) vous les épargner. ... Je désire vous voir dégagés
» de toute sollicitude. Celui qui n'est point marié
)) s'occupe des choses du Seigneur et de ce qu'il
» faut pour lui plaire; celui qui est marié s'occupe
y> du soin des choses du monde et de ce qu'il faut
( '-fi )
)) pour plîîire à sa femme : il se trouve ainsi parla^é.
M De même, une femme qui n'est pas mariée, et une
» vierge, s'occupent du soin des choses du Seigneur,
)) afin d'être saintes de corps et d'esprit ; celle qui
y^ est mariée s'occupe du soin des choses du monde
» et de ce qu'elle doit faire pour plaire à son mari....
» Que si quelqu'un croit que ce soit pour lui un
)) déshonneur f[u(' sa fille passe la fleur de son âge
w sans être mariée, et qu'd juge la devoir marier,
» qu'il fasse ce qu'il voudra; il ne péciiera point si
» elle se marie. Celui qui, n'étant engagé par au-
y) cune nécessité, et qui se trouvant dans un plein
» pouvoir de fane ce qu'il voudra, prend une ferme
)) résolution dans son cœur et juge en lui-même
» qu'il doit conserver sa fille vierge , fait une bonne
» œuvre. Aio'^i celui qui marie sa fille fait bien ;
)) celui qui ne la marie pas fait encore mieux (i). »
J'ai fait cette longue citation , pour que le lec-
teur puisse juger par lui-même combien une telle
doctrine est loin de celle de \ Evangile, et s'assurer
que les apôtres, lorsqu'ils imposaient des obligations
si difficiles à tenir, se laissaient plutôt entraîner par
la force irrésistible des circonstances , que par les
ordres et la volonté de leur divin maître, n Je n'ai
» point reçu de commandement du Seigneur,» dit
(i) Saint Paul, F* Ep. aux Corinth., v. iS à 38.
( 177 )
saint Paul lui-même : ce n'est qu'à cause des néces-
sités présentes, propter instantemnecessitatem^ que
le saint apôtre donne des conseils si peu conformes
à V Evangile. Il arme les pères d'une terrible auto-
rité contre leurs propres filles; il leur fournit des.
prétextes et des moyens pour s'en défaire facilement.
On pourrait dire qu'il lance un mandat d'amener
pour les cachots privilégiés des couvens.
Si les hoznmes raisonnaient, ils se seraient sans
doute aperçus que ces conseils, peut-être nécessaires
aux progrès du christianisme à l'époque de son ori-
gine, dans des temps de tribulations, de persécutions
et de misère, ne seraient pas applicables à des temps
de puissance, de richesse et de prospérité. Rien n'est
aussi difiicilo que de distinguer ce qui est propre à des
circonstances différentes : le fcxnaticnao, lo préjugé
aveugle et téméraire n'ont pas besoin de raisons so-
lides; des prétextes leur suffisent.
Cependant jusqu'ici le mariage n'a été impérati-
vement défendu , ni à aucune personne, ni à aucune
classe de personnes. Saint Paul, après avoir rappelé
les paroles de la Genèse , où Dieu a indiqué com-
bien seraient forts les liens qui attachéi'aient l'homme
à la femme, et celles de V Evangile ^ où notre divin
rédempteur retrempe, pour ainsi dire, ces liens sa-
crés, avoue que le mariage est un grand sacrement.
La correction, ou pour mieux dire, la restriction qu'il
se hâte de faire à un aveu si important, ne diminue
13
( '7« )
en aucune manière la force d'une vérité si bien éta-
blie. De même que l'église est inséparable de Jésus-
Christ, et Jésus-Christ de l'église , de même l'homme
est inséparable de la femme, et la femme de l'homme.
Ces deux unions sont également indissolubles (i).
Saint Paul ne pensait pas que les ordres sacrés
fussent un empêchement dirimant au mariage. « Il
» faut qu'un évéque soit irrépréhensible, qu'il n'ait
yy épousé qu une femme, . . . Qu'il gouverne bien sa
y> propre famille, et qu'il maintienne ses enfans dans
)) l'obéissance et dans toute sorte d'honnêtetés. »
Et plus bas : « Qu'on prenne pour diacres ceux qui
)) n'auront épousé qu'une femme, qui gouvernent
» bien leurs enfans et leur propre famille (2). )>
Le saint apôtre n'impose d'abandonner leurs
femmoc^ *^t np Aa?oxyà Id managc, après les ordres,
(i) Le mari est le chef de la femme , comme Je'sus-Christ
est le chef de l'e'glise Les maris doivent aimer leurs
femmes comme lem* propre ,corps. Celui qui aime sa
femme s'aime soi-même ; car nul ne hait sa propre chair ;
mais il la noui'rit et l'entretient, comme Jésus-Christ fait
l'église... C'est pourquoi l'iiomme abandonnera son père
et sa mère pour s'attacher à sa femme , et ils deviendront
une même chair. Ce sacrement est grand; je dis en Jésus-
Christ et en l'église. (Saint Paul, aux Ephés. , c. III, v. aS
à 32. )
(2) Oportet episcopum irreprehensibilem esse, unius uxo-
ris virum... Suae domui bene praepositum, filios habentem
( Ï79 )
ni aux évêques, ni aqx diacres; d'oCi l'on doit in-
férer que de son temps, un minisUe des autels qui
se serait marié n'aurait perdu ni sa femme, ni son
bénéfice, ni l'exercice de ses fonctions. L'ancienne
loi étant toute en faveur du mariage, et V Evangile
l'ayant sanctifié de nouveau, le silence des apôtres
doit être considéré comme l'effet de leur soumis-
sion aux lois existantes.
Les apôtres se bornèrent doue aussi à donner des
conseils : la force des circonstances les dénatura. La
corruption générale poussait les honnêtes gens vers
l'excès contraire, et les principes d'une philosophie
fondée sur l'erreur et soutenue par le délire por-
taient l'espèce humaine à sa ruine.
subditos cum omni castitate. ( bamx Faui , i-" £:p. à Ti~
moih., c. m, V. 2, 40
Dlaconi sint unius uxoris viri , qui filiis suis bene praesint
et suis domibus. (Saint Paul, V Ép. à Timoih., c. III,
y. J2.)
12..
( «80 )
CHAPITRE m.
Mépris du mariage.
Des louanges pompeuses données à la virginité
jusqu'au mépris du mariage, il n'y a qu'un pas. Ne
pourrait- on pas dire que lorsque les quatre apôtres
montraient une si grande complaisance pour un état
si contraire à la nature de l'homme et à la loi du
nouveau et de V ancien Testament^ ils payaient un
tribut nécessaire à l'erreur dominante qu'une phi-
losophie ténébreuse avait fait naître, et que la cor-
ruption des mœurs pt ^-^ misère générale avaient
développée et étendue? La doctrine des deux prin-
cipes, qui se généralisait tous les jours de plus en
plus, devait finir par amener un pareil résultat. Elle
n'était pas étrangère à saint Paul. Lisez le huitième
chapitre de VEpître aux Bomains ( i ) ? ^^ second de
(i) Ceux qui vivent selon la chair sont posse'de's de l'a-
mour des choses de la chair ; ceux qui vivent selon l'esprit
sont posséde's de l'amour des choses de l'esprit. Or cet
amour des choses de la chair est la mort de yâme , au lieu
que l'amour des choses de l'esprit en est la vie et la paix.
Car cet amour des choses de la chair est ennemi de Dieu,
( .8. )
la première aux Corinthiens; le cinquième de VÈpî-
tre aux Galates, et vous en serez convaincu. Cette
lutte perpétuelle de l'esprit et de la chair, cet amour
de la chair qui est désagréable à Dieu et qui tue, et
cet amour de l'esprit qui plaît à Dieu et qui vivi-
fie, quel sens peuvent-ils recevoir, si on ne les in-
terprète pas par la doctrine des deux principes ?
Quoi qu'il en soit de la doctrine de saint Paul , il
est de fait que les raisons de spiritualité qui avaient
fait conseiller le célibat, ont, par une conséquence
parce qu'il n'est point soumis à la loi de Dieu et ne peut
pas l'être. Ceux donc qui vivent selon la chair ne peuvent
plaire à Dieu... Si vous vivez selon la chair, vous mourrez;
mais si vous faltoc mourir par l'esprit les passions de la
chair, vous vivrez. (Saint Paul, JÈ^. ««^ Rom., <.. VIII.)
L'iiomme, animal et charnel, n'est point capable des
choses qu'enseigne l'esprit de Dieu... Mais l'homme spiri-
tuel juge de tout et n'est juge' de personne. (P* Èp. aux
Corinth., c. II, v. i4-)
Conduisez-vous selon l'esprit et vous n'accomplirez point
les désirs de la chair-, car la chair a des désirs contraires à
ceux de l'esprit, et l'esprit en a de contraires à ceux de la
chair, et ils sont opposés l'un à l'autre; de sorte que vous
ne faites pas les choses que vous voudriez... Les œuvres
de la chair sont la fornication, l'impureté, Timpudicité,
la dissolution... Les fruits de l'esprit au contraire soHt la
charité, la joie, la paix ,. Ceux qui sont à Jésus-Cbrist
ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés.
(Saint Paul, Èp. aux Gai., c. V.)
( '83 )
inévitable , jeté de la défaveur sur le mariage. En
effet, beaucoup de fidèles ne tardèrent pas à re-
garder comme un crime toute union des sexes. La
secte des encratites ou continens (i), qui traitaient
le mariage de débauche, était déjà nombreuse en
171. Ces principes prirent un tel développement
et firent des progrès si rapides, que, pour en para-
lyser l'action , les pères de l'église se trouvèrent
obligés de relever la sainteté du mariage j)ar la
puissance de leur ascendant et par la force d'un
raisonnement vigoureux. Saint Clément d'Alexan-
drie entra l'un des premiers dans l'arène , et com-
battit avec courage des principes si funestes.
Les conciles eux-mêmes crurent le danger si im-
minent , qu'ils lancèrent les r^d^utaLles foudres de
l'églibe uuiiiic ceux qui soutenaient une doctrine si
absurde. La doctrine de Manès roulait principale-
ment sur ces deux principes : la chair était l'œuvre
du mauvais, et il ne fallait pas la multiplier. Il n'y
avait qu'une petite difficulté à résoudre : trouver
le moyen d'augmenter les esprits sans augmenter
la chair. Manès et ses sectateurs , Priscillien et ses
disciples, soutinrent dans tous ses principes et dans
(i) Encradles ou continens. C'est le nom sous lequel se
de'guisaient les manichéens, parce que, comme ces anciens
sectaires, les mêmes que les esse'niens, ils condamnaient le
mariage.
( i83 )
loules ses conséquences , une théorie si désastreuse
pour la religion et pour la société. Le concile de
Brague, de 563, anathématise, dans le onzième ca-
pitule, tous ceux qui condamnent le mariage et la
généaation , comme les manichéens et les priscillia-
nistes • il anathématise, dans le douzième, tous ceux
qui disent que le corps est l'œuvre du diable; et dans
le quatorzième, ceux qui regardent comme impure la
viande des animaux, et qui refusent de manger
les herbages qui ont été cuits dans le bouillon.
On voit, par la douzième lettre Aq Léon IV, que
les maximes des pharisiens contre la résurrection
étaient en grande vogue dans l'Europe, vers le
milieu du IX^ siècle. Ce pontife s'élève avec une
grande force contre l'opinion de ceux qui croyaient
que le corps était l'œuvre du diable, et qu'ainsi on
ne [)OUvait croire qu'il se recomposait une autre fois
après la mort.
Dans un concile, peut-être supposé , mais que des
historiens ont regardé comme l'ouvrage des apôtres,
il est porté au cinquantième canon : ce Tout prêtre ,
1) diacre , ou évêque , qui s'abstient de se marier ,
)) non pour s'exercer à une vertu plus parfaite, mais
» par horreur pour le mariage , oubliant que tout
» est bien , et que Dieu a créé l'homme et la femme,
y> et calomniant , par un terrible blasphème , la
» génération, qu'il se corrige, ou qu'il soit déposé
)) et chassé de l'église. »
( >84)
Et qu'on n'aille pas croire qu'une erreur si hon-
teuse n ait eu qu'une existence passagère : un con-
cile tenu en ïo5o , et composé d'un grand nombre
de prélats de France , déclare qu'il poursuivra jus-
qu à la dernière extrémité , se mettant lui-même à
la tête des armées en habits pontificaux , le fameux
Béranger, qui condamnait le mariage légitime.
lie concile de Toulouse , du i3 juiniiig, con-
damne à être chassés de l'église tous ceux qui* dé-
clament contre le mariage légitime , et ordonne
qu'ils soient réprimés par les puissances séculières.
On voit déjà les germes de l'inquisition.
Une suite naturelle de la défaveur jetée sur le
mariage, se retrouve dans les abstinences que les
époux s'imposaient aux jours solennels de fête et de
jeûne; d'où est restée 1» défense de célébrer les noces
en certain temps de l'année (i).
Ai-je besoin d'ajouter que de tels principes étaient
souverainement favorables à l'établissement du cé-
libat légal? L'ignorance et le fanatisme qui régnaient
en Europe lorsque la religion chrétienne vint nous
dessiller les yeux , ne devaient-ils pas exercer un
empire absolu sur l'esprit des princes et des légis^-
lateurs , aussi bien que sur celui des sujets? 11 n'y
eut d'abord que de la bonne foi : la politique et la
ruse vinrent plus tard achever l'oeuvre de l'erreur.,
(x) Fleuryj Mœurs des chrétiens.
( >85)
V\«VV«VV%VVVVVVVV\VV«VV«lrVVVVVVVVVVVVVVVV\VVV>A/VA^VV\VV»VVVVVVVVVVVVVVVVV\V\VVVVVVVVVVWV«VV
CHAPITRE IV.
Insouciance d'avoir des enfans ; tiédeur pour ceux
quon avait.
Toutes les passions fortes , tous les genres de
fanatisme, peuvent affaiblir pendant quelque temps
l'action des lois de la nature. Un homme s'est-il
adonné tout entier aux plaisirs des sens? il évitera
soigneusement tout ce qui pourrait le troubler, tout
ce qui pourrait le gêner : il ne voudra pas avoir une
femme légitime , parce qu'oUe n'approuverait pas ses
profusions et ses dérèglemens j il ne voudra pas avoir
de fils, parce que leur entretien, leur éducation,
leur avenir, seraient un obstacle à ses folles jouis-
sances. L'amour, ou des projets ambitieux le forcent-
ils à serrer un nœud indissoluble? il fera aussitôt tout
ce qui dépend de lui pour en arrêter les fâcheux
effets. Lui naît-il des enfans? il les néglige , il sou-
ri o '
haite leur mort, il les expose, il les abandonne à
la pitié du public.
Une piété outrée et mal entendue peut produire
des effets semblables. Un homme qui ne rqettrait
aucun prix à la vie présente, qui la regarderait comme
( ^Ô6 )
un temps d'épreuve, d'où doit dépendre son bonheur
dans l'éternité ; qui attacherait son salut à des pra-
tiques et à des exercices religieux qui exigeraient
l'emploi de tous ses momens; qui croirait devoir se
refuser le moindre plaisir, mortifier sa chair, et dis-
tribuer tous ses biens aux pauvres; un tel homme au-
rait trop de motifs pour s'éloigner des embarras du
mariage et de tout ce qui viendrait le détourner des
devoirs de la religion. S'il avait une femme, il ne la
maltraiterait point, mais il la négligerait; la prière
et les cérémonies de l'église l'occuperaient beaucoup
plus que les soins de son ménage. S'il avait des en-
fans, il ne les laisserait sans doute manquer de rien,
mais il ne prendrait pas leurs intérêts avec cette cha-
leur qui seule fait prospérer les affaires; il demande-
rait, peut-être leur mort au ciel , non pas dans de
mauvaises intentions, mais par un excès de piété et
de zèle pour leur bonheur , s'ils mouraient dans
l'enfance, leur salut serait assuré! s'ils traversaient
tous les orages de la vie , ils seraient sujets à se
perdre! Le jour où la tombe s'ouvre pour le dernier
membre de sa famille , est en quelque sorte pour
lui un jour de joie et d'actions de grâces à la divi-
nité !
Ces idées, que j'expose ici d'une manière abstraite,
et en suivant les inductions d'une théorie qu'on pour-
rait croire chimérique , dans l'origine du christia-
nisme , ont dirigé la conduite d'un nombre immense
( >87)
de fidèles. Plusieurs pères de l'église, et surtout Ter-
tullien (i), nous l'assurent positivement. Le bon
Fleury, qui a presque toujours sacrifié l'esprit de
corps à l'amour de la vérité , le dit aussi sans dé-
tour (2).
Montaigne rapporte aussi un fait qu'il appuie des
écrivains de l'antiquité : « Hilaire , évèque de Poi-
» tiers, le grand ennemi de l'hérésie arienne, étant
» en Syrie, fut averti qu'Abra, sa fille unique, qu'il
» avait laissée avec sa femme , était poursuivie en
» mariage par les plus apparens seigneurs du pays.
» Il lui répondit d'ôter son affection de tous ces plai-
)) sirs ; qu'il lui avait trouvé dans son voyage un parti
» bien plus grand et bien plus digne Et il de-
» mandait, dàne sps prières au Seigneur, la mort
)) d'Abra, comme le moyen le plus eùr de la rendre
» heureuse. Elle mourut après son retour , et il en
y> montra une grande joie (3). »
Une société où de tels sentimens seraient com-
muns aurait-elle assez de puissance par l'énergie,
par l'activité et par le zèle de ses membres? Aurait-
elle un grand nombre de défenseurs ? La vertu pour-
rait-elle s'y conserver long-temps ? Le célibat s'y
introduirait- il difficilement? Si l'Europe eût tou-
(i) Tertul. , I ad uxor. , c. V.
(2) Mœurs des chrétiens.
(3) Montaigne, liv. I, c. 33.
( «88 )
jours conservé quelques-unes des maximes que la re-
ligion chréliennc avait enseignées dans les premiers
siècles de son existence, elle ne serait jamais par-
venue à obtenir sa grande population.
V\^WV>IVV\V\^VV\VVVi^(VVVVlVVVVVVVVVVVVVVt\AVVVVVVWVVV\\VV\VVbVVVVV\VVVVV\VV^VVVVVVVV\VMVVVVV
CHAPITRE V.
Des eunuques.
Mêmes préjugés, mêmes inconvéniens. Quiconque
a été assez téméraire pour s'imposer une continence
parfaite , dans quelque religion qu'il se soit trouvé,
a du sentir des peines cuisantes , et tenter de s'y
soustraire sans violer In loi à laquelle il attachait son
salut.
Les prêtres d'Isis et ceux de Cybèle avaient frayé
le chemin aux ministres du Christ. Les premiers
exemples d'une barbarie si mesquine et si absurde
furent donnés sur la terre classique de la religion ,
dans ces contrées qui avaient été déjà témoins
de sacrifices du même genre. Ce ne fut pas sans
doute sous l'intluence des lois de Moïse que l'on
commit ce crime de lèse-nature et de lèse-humanité,
mais sous celle des esséniens et des thérapeutes ,
dont la religion chrétienne puisa dès son berceau les
maximes et les principes.
( '89)
Une foule de personnes obscures avaient déjà pra-
tiqué sur elles-mêmes une opération si insensée.
L'exemple le plus frappant, celui qui excita le plus,
d'un côté , le zèle des dévots , et de l'autre , l'at-
tention des magistrats et des ministres de l'église ,
fut celui que donna, en 206, le célèbre Origène. Il
avait été cbargé, par l'école d'Alexandrie, de l'ins-
truction des catliécumènes ; il était jeune , doué
d'une imagination ardente et d'un tempérament
fougueux ; il enseignait les principes de la foi à de
jeunes demoiselles pleines de charmes; il les voyait,
il leur parlait, il entendait leurs voix enchante-
resses, et un feu dévorant s'allumait dans ses veines....
11 ne crut pouvoir conserver une continence rigou-
reuse , qu'en se privant de l'organe qui le mettait en
danger.
Et en vérité , le raisonnement d'Origène , et de
tous ceux dont il avait suivi l'exemple , ou qui sui-
virent le sien , était plus conséquent et plus juste
que celui des hommes qui voulaient en même temps
conserver leur organe et en paralyser l'action. Les
premiers éteignaient le feu pour n'en être pas brûlés;
les seconds le nourrissaient, l'augmentaient même
tous les jours, et prétendaient en vaincre les effets.
Cette maladie fit des progrès si alarmans , que
tous les pouvoirs de la société crurent devoir lui op-
poser la force des lois. Le vingt-unième canon du
concile attribué aux apôtres défend d'admettre dans
( Ï90 )
le clergé quiconque s'est mutilé lui-même, parce
que, y est-il dit, celui-là est un suicide et un en-
nemi de la génération. Le vingt- deuxième canon
condamne, pour le même motif, à la déposition , à
la perle de l'ordre et du bénéfice, tout ecclésiastique
qui se sera mutilé.
On pourrait presque dire que le concile de INicée
s'était assemblé principalement dans le but de trou-
ver un remède à cette singulière maladie. Son pre-
mier canon est conçu en ces termes : « Si quelqu'un
)) a été mutilé par les médecins, à cause de ma-
» ladie , ou par les barbares, il pourra rester dans
» le clergé; mais quiconque, se portant bien, se sera
» mutilé lui-même, s'il est clerc , doit s'abstenir des
» fonctions de son ordre ; s'il ne l'est pas , ne doit
» pas prétendre de le devenir. »
Cette maladie contagieuse fut importée en France
avec la religion chrétienne et les erreurs qui mar-
chaient à sa suite. Le concile d'Arles, de 45*2, porte,
dans son septième canon : a Ceux qui se mutilent ,
» ne sachant pas résister autrement aux tentations
)) de la chair, ne peuvent pas être admis à la dignité
y) de la cléricalure. »
Un concile de Genève , tenu sous les yeux de
Charlemagne lui-même , porte , vingt-unième ca-
T) non : (( Celui que l'on a fait eunuque de force
» peut être nommé évêque. Tout clerc qui se mu-
y> tilera sera dépouillé de ses fonctions. » Et vingt-
( 'O- )
)) deuxième canon : «Tout laïque qui se mutile sera
excommunié pendant trois ans. »
Ces canons et nombre d'autres , qu'il serait trop
long de citer , font voir que la manie de se dépouiller
de la virilité s'est étendue sur un très vaste espace,
et a duré un temps très long. Une nation ne copie
les lois d'une autre et ne les adopte qu'avec une
espèce de fanatisme. Voilà l'un des inconvéniens du
célibat, ou, pour mieux dire, du préjugé qui a établi
le célibat.
CHAPITRE YI.
Dos i)euves.
Presque tous les peuples ont marqué du sceau de
leur réprobation le mariage des veuves. Moïse avait
défendu au grand-prêtre de se marier avec de telles
femmes, et les avait presque mises au même rang
que les plus infâmes prostituées (i).
Des voyageurs ont rapporté que chez les Cafres
et chez les Hottentols une veuve est obligée de se
couper un doigt, chaque fois qu'elle se remarie. Sur
(i) Virginem ducet uxorem. Viduam aulem et repudia-
tam , et sordidam , atque meretricem non accipiet , sed
puellam de populo suo. [Lév., c. XXI, v. i3, i4-)
( «92 )
les côtes de Ciimana avant fie brûler le corps d'un
mari défunt, on lui coupe la tête, et on la porte
à sa femme, qui jure, la main sur cette relique,
qu'elle ne prendra pas d'autre époux. Dans le
royaume de Bénin, une veuve qui est mère d'un gar-
çon ne peut s'y marier sans la permission de son
fils, dont, après la mort de son mari, elle est deve-
nue la servante. Celui qui la demande en mariage
ne saurait l'obtenir, qu'il ne s'engage à fournir une
femme au jeune orphelin. Dans le royaume de Gol-
conde, il est défendu aune veuve de se remarier;
elle doit rentrer dans le sein de sa famille, et s'y
livrer aux fonctions les plus dures et les plus hu-
miliantes. Au Malabar, c'est encore un point de re-
ligion pour une femme de se brûler sur le même bû-
cher qui a consume les restes de son mari. D'après
une loi de Théodoric, roi des Ostrogoths, une veuve
ne pouvait se remarier, et l'homme qui était con-
vaincu d'avoir entretenu avec elle un commerce
charnel était brûlé. Dans les beaux temps de la
république romaine, une veuve qui se remariait
était à peu près perdue de réputation.
Quelle est la raison de ce préjugé? N'aurait-il
pas son fondement dans l'amour-propre et dans
la jalousie qui animent l'homme jusque même au
fond de la tombe ? Chaque mari serait bien aise
d'emporter en mourant la douce satisfaction que
sa femme ne lui donnera pas un successeur. L'idée
( '93 )
d'une lubricité sans fin paraît aussi s'al tacher à un
second mariage. Dans ce cas, pourquoi l'iiomme est-
il e'pargné presque partout ? parce qu'il s'est ren-
du le maître de certain préjugés.
Quoi qu'il en soit du fondement de ce préjugé, il
est constant que la religion chrétienne l'a adopté
et singulièrement étendu. Aux premiers siècles de
l'église, les secondes noces n'étaient que tolérées,
et plusieurs d'entre les saints pères les regardaient
comme une fornication, que l'on souffrait, mais
que l'on ne permettait pas (i). Nous voyons dans
les actes des Apôtres^ chapitre VI, verset i^"", que
les veuves chrétiennes n'étaient pas traitées à l'égal
des autres fidèles dans la dispensa tion des aumônes
journalières. Saint Paul lui-même avait déjà té-
moigné le peu de cas qu'il faisait du mariage des
veuves. Quoiqu'il déclare ( première Epître aux Co-
rinthiens) qu'une veuve^ après la mort de son niari^
(i) Cependant les Hébreux avaient conservé assez long-
temps un usage qui n'était sans doute plus généralement
observé alors, mais qui existait probablement encore. Lors-
qu'une femme restait veuve sans enfans, le frère de son
mari devait l'épouser, et le fils qui provenait de ce second
mariage héritait de tous les biens du défunt. Si le frère
refusait d'épouser sa belle-sœur et ne donnait pas aux an-
ciens une raison valable de son refus, la veuve lui détachait
un soulier, lui crachait au visage et devenait libre de se
marier à qui bon lui semblait.
i3
( '94 )
peut licitement contracter un nouveau mariase :
• O 7
quoif|u'il avoue (preaiière lettre à Timothée) qu'il
aime mieux que les jeunes veuves se marient, par
la raison qu'elles sont déjà ajnollies, et trop por-
tées aux plaisirs des sens, cependant il fait l'éloge
le plus flatteur de celles qui savent persévérer dans
leur veuvage : il dit que les veuves qui vivent dans
les plaisirs sont mortes tout en paraissant vivantes,
qu'elles seront bien plus heureuses, si elles demeu-
rent dans l'étal où les ont laissées leurs maris; il
le leur conseille, et invite les vrais fidèles à les en-
gager d'y rester. 11 indique en même temps l'exis-
tence de quelques établissemens publics où ces fem-
mes étaient entretenues aux frais de tous les chré-
tiens.
Ces avantages une fois assurés , l'apôtre aura
beau prescrire qu'on n'admette dans le collège des
veuves que des femmes déjà parvenues à leur soixan-
tième année . elles trouveront le moyen d'y entrer
à quarante, à trente, à un âge même moins avancé.
Elles le feront, quand ce ne serait que pour se
soustraire à la force du préjugé que l'on établit
contre elles. Les conciles des siècles futurs ne se-
ront pas toujours fidèles aux principes des apôtres
et de V Evangile.
Un erand nombre de conciles ont défendu de
conférer les ordres à tout individu qui aurait épousé
une veuve. On peut voir celui de Latran tenu
( '95 )
SOUS le pape Hilaire, environ vers 4^3 j celui de
Tours de 4^6, et celui d'Agde de 5o6. Le concile
de Cartilage de SyS , et celui d'Orléans de 54 1,
menacent de suspension tout évoque qui aura
promu aux ordresles maris des veuves. Le concile de
Paris, de 6 1 5, foudroie l'excommunication contre les
veuves qui abandonnent l'habitreligieux et se marient.
Le concile de Worms de 868, au vingt-unième ca-
non , condamne à de rigoureuses pénitences les veu-
ves qui auront commis une fornication, et défend
de les chasser pour cela du monastère. Léon lY,
dans une lettre de 44^? ^^^ chapitre II, ordonne
que l'on dépose les ecclésiastiques qui auront épousé
une veuve. Grégoire VU ordonne à Rainiéri ,
évêque de Florence, de priver une veuve qui s'était
mariée avec un de ses propres parens, de la dot
et de tous les biens qui lui avaient été laissés par
son premier mari.
Le concile de Tolède, de 683, défend aux veuves
des rois de se remarier; et celui de Sarragosse,
de 691 , leur ordonne de prendre l'habit de re-
ligieuses pour toute la vie, par la raison qu'elles
étaient obligées de donner le bon exemple, et que
dans le monde elles étaient exposées à recevoir des
insultes.
Les Grecs avaient montré aussi beaucoup de sévé-
rité contre le mariage des veuves. Un concile de
Constantinople, de 920^ a défendu les quatrièmes
i3..
( '96)
noces, et assujetti les cinquièmes à de rigoureuses
pénitences. Le chapitre XX des constitutions d'In-
nocent IV peut faire croire que tout raaria<^e de
veuves était condamné dans l'église d'Orient. Le
Souverain pontife ne pense pas de même; il croit
qu'elles peuvent se remarier une seconde, une troi-
sième, enfin autant de fois que cela leur fait plai-
sir, et il cite les paroles de l'apôtre.
Le second mariage des hommes avait aussi en-
couru l'indignation des conciles et des pontifes. La
rigueur contre eux n'était pas aussi grande que
celle dont on usait envers les femmes ; cependant
on leur avait interdit les bénéfices ecclésiastiques. Ils
étaient assimilés aux veuves , et on leur donnait le
nom spécieux de bigames , deux fois mariés, comme
s'ils eussent eu deux femmes à la fois. Les conci-
les dans l'église latine n'avaient imaginé aucune pu-
nition contre les trigames et les tetragames.
Le concile de Tolède, tenu en 4*^^ , porte,
capit. llï : « Tout lecteur, s'il épouse une veuve,
» sera toujours lecteur, au plus sous-diacre. » Il
paraît que dans ce temps-là le sous-diaconat n'était
pas encore un ordre sacré.
Peu s'en est fallu qu'on n'ait fait du veuvage un
empêchement dirimant. Le huitième canon du con-
cile de Trosly, tenu en 909 , défend d'épouser
une veuve, et déclare que ce ne peut pas être un
vrai et légitime mariage.
( ^97 )
Tout homme qui épousait une veuve était aussi
traité de bigame. On devait expliquer cet étrange
phénomène par les paroles de l'écriture, et erunt
duo in carne una. La bigamie de la femme s'at-
tachait à l'homme qui ne composait plus qu'un
être identique avec elle. Voilà ce que c'est que
la ressource d'un livre unique, où tout se trouve,
par lequel tout s'explique et se juge.
Je ne citerai point tous les conciles qui se rappor-
tent aux bigames et aux polygames ; il y aurait trop
à faire. Au reste, ceux qui traitent des veuves, trai-
tent aussi des veufs ou bigames.
On voit toujours l'application du même principe.
Un spiritualisme outré se montre dans toutes les dé-
cisions de l'église. Il faut dégager l'âme des liens du
corps j il faut exercer la première à la contempla-
tion des attributs de Dieu, et mortifier le dernier
par la continence la plus parfaite. Voilà des rêves ;
mais ils ont causé et causent encore des maux trop
réels à la société.
( '98 )
*VV^A'VvVVV\iVVVVVVVVVVVVVVV>VVVVVVVVVVVVVV\VV\)VV\l»A/VVV*VVVV\*VV^VVVVVVV^
CHAPITRE VIL
Des vierges et des moines.
Je traiterai, dans un chapitre unique, des lois
relatives au célibat des vierges et à celui des
moines : après avoir eu à peu près la même ori-
gine, elles ont présenté à peu près les mêmes ré-
volutions.
Le penchant au célibat était dans les circons-
tances et dans l'esprit de la religion chrétienne,
et fut merveilleusement secondé. Il s'avança avec
une rapidité étonnante, et donna les fruits amers
qu'il ne pouvait manquer de produire.
Les persécutions auxquelles furent en butte les
premiers chrétiens, les obligèrent à s'éloigner du
monde, à se retirer dans les déserts, et à y vivre
dans un isolement absolu.
Les disciples de saint Marc se renfermèrent, sui-
vant les historiens de l'église , dans des maisons par-
ticulières, à quelque dislance d'Alexandrie, y vé-
curent en communauté, et donnèrent l'exemple
des premiers couvens du christianisme. Us durent
s'établir à peu près sur le même pied gue les thé-
( «99 )
rapeules , dont le nombre était fort considérable
aux environs de cette ville (i).
Saint Paul l'hermite , saint Hilarion et saint An-
toine s'enfoncèrent plus avant dans les immenses
solitudes de l'Egypte. Ils j trouvèrent ou y atti-
rèrent après eux une grande foule de personnes
que les mêmes besoins et les mêmes désirs con-
traignaient à fuir la société : ils les unirent, les
organisèrent, les soumirent à une règle commune
et en augmentèrent le nombre au point que les
villes de l'Afrique, de l'Asie et de la Grèce en
furent bientôt inondées.
Ces moines renonçaient ordinairement au ma-
riage, comme les thérapeutes: pourtant ils n'en
faisaient pas une profession expresse, et il leur
était facile de rentrer dans le monde. 11 paraît même
que les pères de famille renfermaient pendant quel-
ques années leurs fils dans les monastères , afin
qu'ils s'y perfectionnassent dans l'exercice des ver-
tus chrétiennes (2). Saint Chrysostôme y demeura
cinq ans. Cet usage montre qu'à cette époque les
idées monacales avaient déjà fait de grands pro-
grès, et était propre à leur en faire faire encore
de plus grands.
(i) Fleury, Hist. ecclés. — Condillac, Hisl. à V usage du
duc de Parme.
(2) Fleury, Mœurs des chrétiens.
( 200 )
Ccj)endant sainl Augustin condamna les liom-
nies qui sortaient des monastères; et saint Basile
jugea à propos de forcer ceux qui embras-
saient la vie monastique à faire profession so-
lennelle du célibat, afin de pouvoir les soumettre
justement à la pénitence, si jamais ils revenaient
à la vie voluptueuse. Ces pénitences étaient
toutes canoniques et ne produisaient aucun effet
civil.
Les vierges suivirent à peu près la même pro-
gression. Elles menaient d'abord une vie retirée,
au sein de leurs familles, ou se réunissaient en pe-
tit nombre, trois à trois, ou quatre à quatre, ne
sortant presque jamais que pour aller à l'église ,
et toujours couvertes d'un voile. Bientôt après, elles
commencèrent à former des réunions plus nom-
breuses, et à jouir de quelques privilèges particu-
liers. Chez les Hébreux, et, suivant toutes les pro-
babilités, aux premiers jours du christianisme, les
femmes mariées avaient seules droit de se montrer
en public sans être voilées. A l'époque dont nous
parlons, vers la fin du premier siècle, et dans le
courant du second, ce fut le contraire. Les mères
de famille durent cacher la honte d'avoir pu souil-
ler leurs corps par le mariage , et les filles con-
sacrées au Seigneur furent autorisées à offrir aux
regards le spectacle de leurs charmes dans le
temple et dans les rares promenades qu'on leur
( 20I )
permettait. Ce privilège devait avoir pour but
d'engager un plus grand nombre de filles à faire
à Dieu le sacrifice de leur virginité , ce qui ne
devait pas être sans inconvénient , car il deve-
nait plus difiScile pour elles de garder la con-
tinence.
Elles se multiplièrent dans une progression qui
pourrait sembler un prodige , si l'on ne réfléchissait
pas à la force des circonstances et à la nature
des moyens qu'on employa partout. Les finaudes
pieuses étaient déjà en pleine vogue ; il n'y avait
supposition qu'on ne se permît. On forgea des
évangiles jusqu'au nombre de plus de cinquante ,
des actes des apôtres difFérens de ceux qui sont
venus jusqu'à nous, et des révélations, des mi-
racles de toute espèce. Les faux Actes de Paul et
de Thècle, qui, alors, étaient très répandus, con-
tribuèrent beaucoup à augmenter le nombre des
vierges.
Formées à l'imitation des moines , elles les imi-
tèrent en tout, et les suivirent peu à peu dans les
déserts. Elles plaçaient leurs couvens à une petite
distance de ceux des hommes , et il s'établissait
entre ces associations diverses des rapports qui ren-
daient plus agréable leur existence. Les moines
venaient au secours des vierges , pour les travaux
les plus pénibles de la maçonnerie et de l'agri-
culture; les vierges préparaient pour leurs bienfai-
( 202 )
tenrs des habits, des drogues et autres clioscs sem-
blables (i).
Comme ce n'était pas sans beaucoup de diflfi-
cultés et de peines que ces sociétés pouvaient as-
surer leur subsistance au milieu des déserts^ il
était naturel que l'on pensât de bonne heure à
s'établir dans le voisinage des villes , et enfin dans
les villes mêmes : c'est ce que l'on fit.
11 était d'abord aussi aisé pour les vierges que
pour les hommes de changer de vie , de rentrer dans
le monde et d'y devenir épouses et mères. Les pé-
nitences canoniques auxquelles on les condamnait
n'entraînaient pas la nullité du mariage. Il s'écoula
beaucoup de temps avant que le vœu solennel fût
devenu un empêchement dirimant.
Le pape Sirice , dans une lettre de l'année 585 ^
adressée à Himérius, évêque de Tarragone, or-
donne que l'on chasse des monastères les moines
et les vierges qui se livrent aux plaisirs de la chair,
et qui ont des fils. C'était le parti le plus sage. Par
quel malheur de l'humanité ne Ta-t-on pas suivi?
Le capitule 1 3 du concile d'Elvire , de 3o5 , excom-
munie pour toujours les vierges qui ne gardent pas
la continence : la même chose est ordonnée par le
quatrième canon du concile de la Vénétie , tenu
en 465.
(i) Vie de saint Pacôme, c. XVII I.
( 203 )
Cependant le cinquante-deuxième canon du con-
cile d'Arles, de /^S'Z, ordonne que l'on reçoive à
la pénitence les vierges coupables , et paraît établir
qu'une religieuse qui sortirait de son couvent avant
la fin de la vingt-cinquième année de son âge ,
n'encourrait pas l'excommunication.
On pourrait citer une infinité de conciles et de
décisions de papes, d'où il résulte que le mariage
des vierges consacrées et des moines a été cons-
tamment valide depuis la naissance du chris-
tianisme jusqu'au X^ siècle. Il n'y a de diffé-
rence que dans la gravité des peines spirituelles
appliquées aux coupables.
Toutefois, le concile de Tours, de 566, porte, au
quinzième canon, que si quelque moine se marie, il
sera excommunié et séparé de sa prétendue femme ,
même par le secours du juge séculier : il ordonne
la même chose des religieuses. Si ce canon ne dé-
clare pas nul le mariage de ceux qui ont fait le
vœu de chasteté, peu s'en faut : l'expression sa
prétendue femme a une grande force. Quand même
ce canon n'attaquerait pas la validité du contrat en
lui-même , il en empêcherait toujours les effets. On
voit que déjà l'église avait un penchant naturel
pour la sainte inquisition, qui fut établie plus tard.
Le canon vingtième du concile de ^Vorms, tenu
en 868 , arrête que les femmes consacrées qui au-
ront violé la continence ne seront point déposées,
( M )
mais retenues et soumises à des pénitences rigou-
reuses. Ici il ne s'agit pas du mariage ; mais peut-
on douter que ce canon n'ait frappé de même
toutes les relations que le désir du mariage com-
mence toujours par établir?
Malgré ces décisions particulières , ce n'est que
depuis le X® siècle que le célibat des religieux est
devenu un principe constant, et que leur mariage
a été déclaré nul par tous les conciles. Le pre-
mier qui ait clairement établi ce principe est celui
de Trosly , tenu sous CbarJes-le-Simple , en Saxe.
Je vais rapporter le capitule YIll^, qui me paraît
formel : « Nous défendons que personne ne
» s'unisse ni par la force ni par le consentement,
M dans un mariage illicite , ni à une vierge con-
» sacrée , ni à aucune femme qui aurait pris l'habit
)) religieux , ou fait profession de rester veuve,
n parce que ce ne pourrait pas être un vrai raa-
» riage , celui que l'on contracterait en s'éloignant
» d'un si pieux dessein ; il ne servirait que de pré-
» texte à l'inceste et à la fornication (i). » Le sens
de ce canon est bien positif : ce ne peut pas être
(i) Interdiciinus ut nullus Deo devotam virginem, nullus
sub religionis liabitu consistentem, sive viduitatis conti-
nentiam professam, illicito connubio, aut vi, aut consensu
accipiat conjugem; quia nec verum potest esse conjugium,
quod a meliori proposito ad deterius, et sub falso nomine,
( 2o5 )
un vrai mariage , il nen a que le nom y c'est un
inceste. Le concile de Troyes, de 1107, renferme
un canon à peu près semblable.
Le premier concile de Latran , tenu sous ,Ca-
lixte II, en 11 23, porte au canon vingt-unième:
« Nous défendons.... et aux moines d'avoir des con-
» cubines ou de contracter des mariages j nous ju-
» geons même, suivant les ordres des saints canons,
» qu'il faut annuler [disjungi) les mariages con-
» tractés par eux , et les contraindre eux-mêmes
y> à la pénitence (i). »
Si le mot disjungi matrimonia ne signifie pas
annuler les mariages , quel sens peut-il avoir ?
Cette remarque est de Potbier.
Enfin, le second concile de Latran. de iiBg,
tenu sous Innocent 11, lève toutes les difficultés.
Voici le septième canon : « Nous ordonnons que
» si.... les moines et les convers qui ont fait la
» profession de cbasteté ont eu , en violant leur
» vœu, la témérité de s'attaclier des femmes, ils
culpa incestuosa poUutione , et fornicationis iiainundttia
perpetuatur.
(i) ... Et monaciiis concubinas habere, seu matrimonia
contrabere interdicimus. Contracta quoque matrimonia ab
ejusmodi personis disjungi , et personas ad pœnitentiam
debere redigi , juxta sacrorum canonum definitionem judi-
camus.
( 206 )
)) en soient séparés ; car nous croyons que ces
» unions, contractées contre les règles de l'église,
)) ne sont pas des mariages. >j Canon huitième :
« Nous ordonnons la même chose des femmes
» consacrées , si , ce qu'à Dieu ne plaise , elles
» tentent de se marier (i). »
Le concile de ii4S, tenu en France par le pape
Eugène 111, et composé de iioo membres, la
plupart français , renouvela les mêmes principes.
Le concile provincial de Cologne, de i4495 or-
donne de contraindre les moines concuhinaires à
rentrer dans leur ordre et à faire pénitence. En
dernier lieu, le concile de Trente, dans sa vingt-
quatrième session, arrêtée le ii novembre i563,
canon neuvième, porte : « Si quelqu'un dit... que
)) les réguliers qui ont fait profession solennelle de
» chasteté peuvent contracter mariage, et que ,
» l'ayant contracté, il est valide, qu'il soit ana-
» thématisé (2). w
(i)Can. 7. Statuimus quatenus... et monachi atque cou-
versi professi , qui sanctum transgredientes propositum ,
uxores sibi copulare praesumpserunt, separentur; hujusmodi
iiamque copulationem , quam contra ecclesiasticam regulam
constat esse contractam, matrimonia non esse censemus.
Can. 8 : Id ipsum quoque de sanctimoniaUbus faeminis, si,
quod absit, nubere tentaverint , decernimus.
(2) Si quis dixerit regulares castitatem professos posse
( 207 }
Après celte histoire succincte de la léj^islation sur
le célibat des religieux , il est à propos d'exa-
miner quelles ont été les conséquences nécessaires
d'une loi si contraire à la natiu'e de l'homme.
Elle a dû rencontrer partout les plus fortes ré-
sistances. Comment imai^iner qu'un si ijrand nombre
de jeunes gens, avec le feu et les désirs de leur
âge, et la plupart contraints par la force ou par
la séduction , à embrasser un état dont ils ne con-
naissaient ou ne pouvaient pas éviter la rigueur,
aient porté un joug si pesant avec une entière ré-
signation? Si l'histoire ne nous fournissait pas les
preuves les plus positives de leur mvuraure , de
leur impatience , et des scandales éclatans qui en
ont été le résultat (i), nous pourrions nous en
former une idée assez claire , à la vue du nombre
matrimonium contraliere, contractumque validuin esse,
anathema sit-
(i) Le concile de Douzi, tenu en S']^, ordonne d'informer
sur l'affaire de la religieuse Dude avec le prêtre Humbert,
et, en cas de conviction, que Dude soit fouette'e sur le dos
en présence de l'abbesse et de ses sœurs , et soumise pen-
dant sept ans à la plus dure pénitence ; et Humbert déposé,
envoyé en exil perpétuel par les commissaires du Roi, et
enfermé dans un naonastère.
Dans les premiers siècles de la religion chrétienne, les
religieuses accusées d'avoir violé le vœu de continence
étaient soumises à vme visite scrupuleuse ; et malheur à
( 208 )
immense de canons qu'on a faits sur ce sujet. Pen-
dant l'espace de 1200 à i3oo ans, il ne s'est
presque assemblé de concile , qu'il n'ait imposé
les mêmes obligations, y attacliant des peines de
plus en plus sévères. Tous ou presque tous ont
élevé de vives plaintes sur la violation de la con-
tinence. Le seul concile de Cologne, de 1260,
renferme dix-liuit canons sur la discipline des mo-
nastères : il suffit de les lire, pour voir jusqu'à
quel point était arrivé le relâchement des mœurs
dans les couvens.
Si au moins on eût mis en usage la loi de l'em-
pereur Majorien , qui, en 45^5 défendait que les
fdles ne prissent le voile avant quarante ans, et qui
condamnait à une amende du tiers de leurs biens,
les parens qui les faisaient consacrer avant cet âp;ej
si l'on eût suivi les conseils qu'avait donnés le pape
Sirice, et dont nous avons déjà parlé dans ce cha-
pitre; si l'on se fût assuré de la vocation des jeunes
gens avant de les obliger à faire un vœu qu'il est
si difficile d'observer ; si l'on eût pris ces précau-
elles si le signe regarde' comme infaillible de la virginité
n'était pas trouvé intact ! Siagrius , évèque de Vérone , à
la fin du quatrième siècle de notre ère, fit subir un exa-
men si contraire à la pudeur à une religieuse sur la chasteté
de laquelle on avait quelques soupçons. Saint Ambroise,
son métropolitain , désapprouva sa conduite.
( 209 )
tioHS, et toutes celles que la prudence aurait dû
indiquer aux législateurs des peuples cbrétiens, on
aurait eu à déplorer moins de scandales et moins
de maux. Loin de là, on encourageait les pères
mal intentionnés à se défaire de leurs filles peu sou-
mises, et de leurs fils, auxquels ils ne voulaient pas
donner de part dans la possession de leur héritage;
on employait la fraude et la trahison pour entraîner
d'innocentes victimes dans les couvens. On auto-
risait l'entrée dans les monastères à un âge où c'est
un grand plaisir, pour une fille ou pour un garçon ,
d'endosser un habit d'une forme plutôt que d'une
autre , de vivre au milieu des jeunes gens de son
sexe et de chanter en chœur les louanges du Sei-
gneur. On préparait dans les couvens un asile assuré
aux criminels qui voulaient bien s'y réfugier, ou
des cachots affreux contre ceux que les penchans de
la nature entraînaient le plus loin de la perfection
du célibat. Yoilà ce qu'ont été , et ce que seraient
encore les couvens , si l'on avait l'imprudence de les
rétablir.
On eût dit qu'un entraînement irrésistible , un
esprit de vertige et d'erreur, poussaient loin de la
vertu et de la raison les pères de l'église catholique.
Plus les funestes conséquences du faux principe qu'ils
avaient établi se montraient à nu, plus il s'accumu-
lait de faits propres à leur faire apercevoir combien
grand était le préjudice que le célibat portait aux
i4
( 2IO )
intérêts de la religion, et plus ils s'y attachaient avec
opiniâtreté. Arrivait-il des dérèglemens? ils les dé-
fendaient par une loi. Leur loi élait-elle violée? ils
fixaient des peines temporelles et spirituelles contre
les infracteurs. Ces peines étaient-elles insufiisantes
pour comprimer la force et l'impétuosité des pas-
sions? ils en imaginaient de plus graves. Restait-il
aux moines quelque issue pour rentrer dans le
monde? cette issue élait la cause de la corruption
générale; ils la fermaient. Dès le commencement , il
fallait avoir quarante , trente-cinq, jamais moins de
vingt-cinq ans, avant de pouvoir prononcer le vœu
solennel de continence; ils l'autorisaient à dix ans.
D'abord on ne pouvait admettre dans les couvens
que des personnes d'une conduite irréprochable; ils
les ouvrirent aux brigands et aux femmes qui ne
voulaient pas être chastes. Sortir du couvent était
chose impossible; si le désespoir portait quelqu'un à
le tenter, il avait beau chercher les réduits et les
déserts, la société entière s'armait contre lui, on
l'arrêtait, on le ramenait au couvent , on l'y en-
fermait dans des cachots obscurs; et tandis que ses
comp.ignons vivaient dans l'abondance de toutes
choses, il manquait même du nécessaire.
Aussi l'attaque contre les monastères fut-elle com-
mencée par les moines et par tous les ecclésisatiques
qui étaient soumis à la même loi. Yigilance, Wi-
clef, Jean Huss, et enfin , le plus redoutable de tous ,
( '" )
Luther, furent excités par les mêmes besoins et dirigés
par les mêmes principes. Toutes les fols que quelque
peuple levait la tête contre le pape, contre ce redou-
table tyran de la vieille Europe, sous l'influence et
dans l'intérêt duquel avaient été faites tant de lois fu-
nestes , les philosophes du temps se hâtaient d'élever
la voix contre les excès des pontifes et de déclamer
contre le vœu de continence : les moines sortaient de
leurs couvens, et se mariaient. Luther donna, en i525,
un exemple éclatant, qui trouva un grand nombre
d'imitateurs. Le spirituel Erasme nous le dit d'une
manière digne de lui : (( On a beau dire que le lu-
» ihéranisme est une chose tragique; pour moi,
)) je suis persuadé que rien n'est plus comique : car
y> le dénouement de la pièce est toujours quelque
)) mariage , et tout finit en se mariant, comme dans
» les comédies. »
L'Allemagne, l'Angleterre, la France elle-même,
se soulevèrent contre une loi si contraire à la na-
ture. Le phis faible , le plus superstitieux , le plus
bigot des monarques , Henri III , quoiqu'il fût en-
chaîné par la fureur de la ligue et attaché par l'er-
reur , l'Intérêt et la crainte à la puissance pontifi-
cale, se trouva contraint de défendre, en i5^6,
qu'on inquiétât les moines mariés : il déclara leurs
enfans légitimes , et habiles à recueillir leur suc-
cession.
Il est vrai que cette jurisprudence ne fut pas suivie
14..
( 212 )
long-temps dans le royaume. Les calvinistes eux-
mêmes, s'ils avaient été moines avant d'embrasser
leur nouveau culte , ne furent pas lil)res de con-
tracter mariage. Les tribunaux séculiers adoptèrent
la doctrine du concile de Trente , quoique ce con-
cile n'eût pas été reçu en France. On peut voir dans
le Recueil de Bordel, livre III , chapitre CXV, un
arrètdu 17 juillet lySo, par lequel est déclaré nul le
mariage de Gilbert d'Anglot, sur les conclusions de
l'avocat général ïalon , qui les fondait sur « ce que
)) ladite Anglot ayant fait profession de religieuse ,
» quoiqu'elle eût depuis embrassé le calvinisme, était
)) incapable de mariage. )> On peut juger si cette
jurisprudence fut en vigueur depuis Louis XIV jus-
qu'à la révolution !
VVV\.\^ V% VVV VVV VVVVVXi V\^ VVVV\^iVVVVVVV\i\' VVi VVV V\^ VVVVVV VVV VVV VVVVVVVV^
CHAPITRE YIII.
Diversité de religion.
Comment s'est-il fait que la diversité de religion
n'a jamais été un empêchement dirimant dans l'é-
glise latine? Est-ce un effet du hasard , ou un calcul
fondé sur de bonnes raisons ? Est-ce une faveur pour
le mariage, ou quelque autre intérêt plus pressant?
Il sera difficile , après ce que nous avons vu jus-
(..3)
qu'ici , de croire que l'église ait voulu gêner le
moins possible le vœu de la nature et la multipli-
cation de l'espèce humaine. Notre religion, telle que
les prêtres nous l'ont faite , n'est point du tout fa-
vorable au mariage; à peine si elle le tolère.
La providence voulut bien éclairer, sur ce point,
nos souverains pontifes et nos conciles, pour que la
religion chrétienne put se répandre plus facilement
et sur un plus vaste espace. L'église romaine avait ,
dès sa première origine , des idées nobles de com-
mandement et de grandeur. L'église grecque , moins
heureuse et moins favorisée du ciel, s'était bornée,
par quelques-unes de ses institutions , dans un cercle
beaucoup plus étroit. Le concile de Constantinople,
de 692, fit de la diversité de religion un empêche-
ment dirimant , et l'empereur Justinien II fit tous
ses efforts pour le faire adopter par l'église latine :
nos pontifes ne voulurent point le recevoir. Grégoire-
le-Grand, dans la 5g^ lettre du IX^ livre, condamne
hautement ceux qui se séparent de leurs femmes
sous prétexte de religion. Dieu l'avait ainsi ordonné.
Au reste, les communications entre Rome et Cons-
tantinople devenaient de plus en plus difilciles ; si
l'une faisait un règlement, c'était une raison pour
que l'autre défendît de l'observer. L'ambition des
pontifes et des patriarches , leur rivalité puérile et
mesquine , faisaient naître et augmentaient tous les
jours la division entre les peuples, qui les regar-
( ^'4 )
daient comme les représenlans de Jésus-Chrisl sur
la terre.
Le concile qu'on attribue aux apôtres avait or-
donné, par son cinquième canon , aux évêques ,
aux prêtres et aux diacres de ne point renvoyer
leurs femmes sous prétexte de religion. Les ren-
voyaient-ils? le concile les condamnait à rester quel-
que temps séparés de la réunion des fidèles. Persé-
véraient-ils dans leur obstination à ne vouloir pas les
reprendre ? le concile les condamnait à la perte de
leur dignité.
Saint Paul (première Épître aux Corinthiens, aux
chapitres VII, Ylll , XI et siiivans) conseille aux
époux de ne point se séparer à cause de la religion :
» Car, dit- il, le mari infidèle est sanctifié par la
y> femme fidèle, et la femme infidèle est sanctifiée par
» le mari fidèle.... Car quesavez-vous, ô femme ! si
» vous ne sauverez pas votre mari ? Que savez-vous,
K) ô mari! si vous ne sauverez point votre femme? »
Sainte Monique , mère de saint Augustin, s^était
mariée à un infidèle, et l'avait converti à notre sainte
religion. À
L'église latine a suivi fidèlement ces principes, I
tant qu'il ne s'est agi que des païens et des barbares,
et elle n'a jamais eu lieu de s'en repentir. Elle a dû
à cette sage politique la conquête de la France , de
l'Angleterre et de plusieurs autres provinces. Les
rois barbares qui épousaient une princesse chré-
( :'>5)
tienne ne tardaient pas à embrasser et à faire em-
brasser par leurs peuples la religion de leurs femmes.
Ce fut ainsi que sainte Clotilde fit recevoir le baptême
à Clovis, et par degré à loule !a nation des Francs.
Pourquoi l'église catholique s'esl-elle écartée de
cette règle lorsqu'il s'est agi des différens cultes de
la religion chrétienne? Elle a de fortes raisons pour
justifier sa conduite. A cette époque , le temps des ,
conquêtes était passé pour elle ; elle battait en re-
traite ; elle craignait que la désertion ne se mît dans
ses rangs, et jugea à propos d'empêcher, autant que
possible , le contact de ses soldats avec ceux de
l'ennemi. Lorsqu'une vieillesse épuisée par les dé-
règlemens de son jeune âge eût livré Louis XIV à la
superstition et à des confesseurs entièrement dévoués
à la cour de Rome, ce roi despote finit par déclarer
( édit de novembre i68o) que le mariage des ca-
tholiques avec les protestans serait nul et leurs en-
fans illégitimes. L'édit de i685, portant révocation
de celui de Nantes, défendit ces mariages d'une
manière encore plus forte. Les protestans n'eurent
pas même le moyen de se marier légitimement entre
eux ; car le curé catholique étant le seul oflicier que
la loi autorisât à recevoir le contrat de mariage, et
cet officier ne voulant pas donner la bénédiction à
des hérétiques, les dissidens ne pouvaient se marier.
El cette épouvantable législation dura un siècle
après son a\iteur!
(2i6)
Toutefois ce n'est qu'en France qu'un pareil
état de choses s'est établi. Le mariage entre les
catholiques et les ariens n'était pas défendu : Théo-
dolinde put épouser Agilul[)he, prince livré à l'hé-
résie d'Arius. Les protestans , dans les contrées
où ils sont tolérés , ont toujours pu contracter
mariage avec les catholiques. Si l'on veut expli-
quer cette anomalie , que l'on réfléchisse que les
ariens lors de ce mariage , et les protestans tou-
jours avaient plus de puissance que les catholiques
eux-mêmes. Le plus fort fait la loi.
VVVV\%V\\VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV'\VVVV\'Vi/\^VV\'VV\iVVVVVXVVtVVVVVVVVVVV\^
CHAPITRE IX.
Du célibat dans l^ église d'Orient.
La religion chrétienne, depuis sa première origine
jusqu'à sa dernière limite, s'est avancée en s'éloi-
gnant toujours de sa pureté primitive. L'homme,
enflammé de l'ardeur d'un culte nouveau, ardeur
qui dégénère trop souvent en fanatisme , est na-
turellement porté à concevoir une plus haute idée
de lui-même ; son illusion parvient à un point tel,
qu'il finit par se supposer une puissance qui n'est
pas dans sa nature. Il se laisse aller d'autant plus
( 217 )
facilement à celte flatteuse erreur , que son igno-
rance est plus profonde.
A l'époque où notre sainte religion se répandit
progressivement sur la terre, la Grèce seule jouis-
sait encore d'un certain degré de civilisation.
L'Asie-Mineure et l'Europe occidentale , depuis
le fond de la Calabre jusqu'à la Scandinavie,
depuis la Yistule jusqu'à Cadix , étaient le siège
de la barbarie et des ténèbres.
Cette différence dans l'état des lumières doit
mettre une différence analogue dans la nature des
erreurs où ces peuples tombèrent. Les Grecs con-
naissant un peu mieux la nature de l'homme et
par conséquent sa fragilité , ne se supposeront pas
toute la force nécessaire pour subjuguer des ap-
pétits indomptables; ils ne proscriront pas le ma-
riage; les pères de leur église déploieront la plus
grande énergie pour la défense d'un sacrement si
auguste. Les membres du clergé romain , se confiant
d'autant plus dans leurs forces qu'ils seront moins
éclairés , adopteront plus facilement des préjugés
nés ailleurs , et prendront pour précepte inviolable
ce qui n'était qu'un conseil adressé à quelques
êtres privilégiés. Les premiers voudront tout en-
tendre , tout expliquer, se livreront à des abs-
tractions sans nombre, transporteront les principes
obscurs de leurs philosophes dans les dogmes si
simples du christianisme, se tromperont par un excès
(2.8)
d'esprit et de finessej les seconds, accoutumés à obéir
plutôt qu'à raisonner, se tiendront à la lettre des
livres qu'ils ont reçus avec la religion , et se trom-
peront par un excès de bonne foi et de confiance.
Cela doit s'entendre des législateurs : la masse du
peuple est à peu près la même partout , facile à
recevoir les impressions qu'on veut lui donner,
et réagissant ensuite sur ses maîtres par sa force
matérielle.
D'un côté, l'esprit du christianisme portait au
célibat j de l'autre , les scandales auxquels don-
naient lieu les célibataires du paganisme portaient
au mariage les fidèles timorés et consciencieux. Un
chrétien sincère , qui ne se sentait pas la force de
dompter la violence de ses passions, préférait se
marier plutôt que de brûler.
Un usage - constant dans les premiers siècles
du christianisme permettait de conférer la prê-
trise et même la dignité épiscopale à d'honnêtes
maris et pères de famille. Les chrétiens sui-
vaient en cela les conseils de saiut Paul , et
l'exemple de plusieurs d'entre les apôtres. Saint
Pierre, saint Philippe, plusieurs de leurs disciples
étaient mariés, et on ne leur fit pas une obliga-
tion de se séparer de leurs femmes. Les autres
chrétiens faisaient comme eux j seulement les plus
parfaits vivaient ou faisaient croire qu'ils vivaient
avec elles comme avec des sœurs. Cependant s'ils
( 219 )
entraient dans les ordres avant d'avoir contracté
mariage , ou si leurs femmes venaient à mourir ,
il leur était imposé de garder la continence. Cette
règle fut d'abord suivie dans toute l'église. 11 y
avait à la vérité beaucoup d'exceptions , même
dans l'église d'Occident. On sait que Cortérius ,
évêque espagnol, s'était remarié deux fois, et que
lorsqu'on voulut le poursuivre pour ce fait, saint
Jérôme lui-même prit hautement le parti de ce
prélat : « Si je voulais nommer, dit-il, tous les
y) évêques qui ont passé à de secondes noces, j'en
)) trouverais plus qu'il n'y eut d'évêques au con-
7) cile de Pumini. n
Un grand historien rapporte les faits suivans :
(( Sydonius, évêque de Clermont en Auvergne ,
» au Y* siècle, se maria avec Papianella, fille
» de l'empereur Avitus ; et la maison de Poli-
» gnac a prétendu en descendre. Siraplicius, évêque
» de Bourges, eut deux enfans de sa femme Pal-
» ladia. Saint Grégoire de INazianze était fils
» d'un autre Grégoire, évêque de Nazianze, et
» de Nonna , dont cet évêque eut trois enfans.
)) Césanius, Gorgonia et saint Boniface î" étaient
» fils du prêtre Joconde. Félix 111 était fils du
» prêtre Félix, et fut un des aïeux de Grégoire-
» le-Grand. Jean II était fils du prêtre Projectus;
» Agapet, du prêtre Gordien j le pape Sylvestre,
D du pape Hormisdas. Théodore P"" naquit du
( 220 )
» mariage de Théodore, patriarche de Jérusalem. »
Le célibatj dans l'église grecque, devait être moins
difficile que dans l'église latine : là on n'élevait
à la prêtrise que des personnes au-dessus de la
trente-cinquième année, tandis qu'ici on était en-
gagé pour toujours à l'âge de vingt-un ans. Qu'on
observe de plus que le mariage contracté par les
ecclésiastiques , après leur entrée dans les ordres
sacrés, n'a jamais été nul dans l'église grecque;
ils étaient seulement déposés. Les canons de cette
église sur ce point ont toujours été uniformes. Le
premier canon du concile de Néocésarée, tenu en
524, le dit expressément : tous les autres conciles,
sur cette matière, n'ont fait que répéter le texte
de celui-là.
L'histoire rapporte que dans le concile de Nicée,
tenu en 325, on voulut étendre aux femmes lé-
gitimes le sens du troisième canon de ce même
concile, conçu en ces termes : a II n'est permis
» ni aux évêques, ni aux prêtres, ni aux diacres,
)) ni à aucun membre du clergé, de garder auprès
)) de lui aucune femme sous-introduite, excepté
» sa mère, sa sœur ou sa tante. )) .Mais Paplinuce,
évêque de la Thébaïde , qui cependant était vierge ,
s'éleva avec tant de force en faveur de la sainteté
du mariage, qu'il réduisit tout le monde au silence.
L'empereur Justinien est le seul des législateurs
grecs qui ait essayé de déclarer nul et de nul
( 221 )
effet le mariage que contractaient les ecclésias-
tiques après leur entrée clans les ordres sacrés.
La loi 4^ ) cod. de episcopis et clericis , sanc-
tionnée en 53o , porte qu'ils seraient déchus de
leur dignité, et leurs enfans illégitimes, incapables
de succéder et de recevoir des legs. Pothier, qui
s'appuie même de l'autorité de Godefroy, pense
que cet inconstant législateur ne tarda pas à révo-
quer aussi cette loi; car, par le chapitre V de la No-
velle VI, et par le chapitre XLII de la No{>elle YII,
qui sont postérieurs au code, il se borna à or-
donner « que tout prêtre, diacre et sous-diacre
» qui se marierait , descendrait à l'état de simple
)) particulier , et que du reste il continuerait à
» vivre avec sa femme. »
Les diacres avaient d'abord été plus heureux.
Le dixième canon du concile d'Ancyre, tenu à
peu près en 3i4j leur permettait de contracter
mariage après l'ordre, pourvu que dans l'ordination
ils eussent protesté contre l'obligation du célibat.
Ce qui est vraiment singulier , c'est que ce canon
a été approuvé par Léon lY , au milieu du IX'
siècle. 11 parait que les pontifes de Rome eux-
mêmes ont regardé le célibat des prêtres , non
comme un dogme de la foi du chrétien, mais
^ comme un règlement de discipline.
Ceux qui n'avaient reçu que les ordres moindres,
pouvaient se marier sans encourir la suspension.
( 222 )
11 n'existe contre eux aucune loi proliibitive ; et
le canon sixième du concile in Trullo (i), tenu
à Constantinople en 680, permet expressément
le mariage aux lecteurs et aux chantres.
L'abrégé de la doctrine de l'église grecque sur
le mariage des ecclésiastiques est renfermé dans
le dernier concile que je viens de citer. Le sixième
canon porte défense aux sous-diacres, aux diacres
et aux prêtres d€ se marier, sous peine de dépo-
sition; le douzième défend aux évêques d'habiter
avec leurs femmes; le treizième, que si quelqu'un
est jugé digne d'être ordonné sous-diacre, diacre ou
prêtre, il n'en sera point exclu, pour être engagé
dans un mariage légitime ; et dans le temps de
son ordination y on ne lui fera pas promettre de
s'abstenir de la compagnie de sa Jemme ^ pour
ne point déshonorer le mariage^ que Dieu a ins-
titué et béni par sa présence. Depuis cette époque,
les prêtres de l'église grecque ont toujours gardé
leurs femmes.
Cette doctrine a été confirmée explicitement par
les constitutions d'Innocent IV, au chapitre XVI:
il y est dit : « Les prêtres , même mariés , peuvent
» recevoir licitement et librement la confession de
(i) Ainsi appelé de la salle où on le tenait dans le palais
de l'empereur. 0puAA«j signifie confusion, tumulte, bruit;
cependant le concile fut très calme.
( 223 )
» leurs paroissiens. » Le pape Eugène IV et le
concile de Florence ne firent à ce sujet aucun
reproche aux pères de l'église grecque, et n'exi-
gèrent point que cette église renonçât à l'usage
de conférer aux prêtres mariés la liberté d'entendre
la confession.
Cependant il est à présumer que peu de pères
de famille devaient être élevés aux ordres sacrés.
Les évêques et les patriaches étaient presque tou-
jours contraints de faire profession de la vie mo-
nastique : la plupart des prêtres étaient des moines.
Plusieurs ecclésiastiques vivaient habituellement
avec des vierges qu'ils appelaient leurs sœurs adop-
tives ^ et qu'on nommait vulgairement sous-intro-
duiles ou sous-agapetes (i). Paul de Samosate fut
accusé de garder chez lui deux femmes à la fleur
(i) « Agapètes, agapetœ, bien-airnées, nom donné dans la
primitive église à des vierges qui vivaient en communauté,
ou qui se consacraient , sans faire de vœux , au service des
ecclésiastiques, et leur tenaient lieu de compagnes : il y en
avait dans les églises de la Gaule. Ces sociétés dégénérèrent
insensiblement. Les agapètes , sous prétexte de charité, re-
cevaient chez elles les passans et les étrangers. Plusieurs
conciles voulurent contraindre les prêtres à se séparer de ces
femmes, mais sans succès. Saint Athanase raconte qu'un de ces
prêtres , nommé Léontius , afin de conserver sa compagne ,
et pour être à l'abri de tout soupçon , offrit de se mutiler.
Enfin , en 1 139, le deuxième concile général de Latran, sur
( ^24 )
de l'àf^e et fort belles, et de pcrmellre à ceux de
son clergé d'en avoir chez eux. Saint Chrysoslome,
évéque de Constantinople , fit cesser cet abus , au
moins pour son diocèse.
Les patriaches, les ëvêques et les autres membres
du clergé qui avaient assez de fortune, attachaient
à leur service des ecclésiastiques, pour coucher
avec eux et pour être témoins de la régularité de
leur conduite. On leur donna le nom de syn-
celles (i); dans l'église de Constantinople, c'était
même une dignité.
la discipline ecclésiastique , supprima ces fraternite's. Dans le
IV® siècle , on appelait agapetes certaines femmes qui re-
cherchaient le commerce des jeunes gens, et leur persua-
daient qu'il n'y avait rien de dangereux pour leur cons-
cience dans le libertinage auquel elles les forçaient de se
livrer. Cette sorte de secte, ne'e de celle des gnostiques, fit
de grands progrès : ceux qui la composaient passaient pour
garder un secret inviolable sur ses mystères, à la connais-
sance desquels on arrivait au moyen d'une initiation. »
(Saint-Edme, Dict. anal, et rais, de VHist. de France,
t. I, 2' partie, p. i44)
(i) Du grec a-woiKta, habiter ensemble.
( 225 )
CHAPITRE X.
Du célibat dans le clergé catholique.
L'église catholique ou romaine a porté ses exi-
gences plus loin que ne l'a fait l'église grecque : c'est
ici que le célibat va devenir une loi inviolable ,
générale et sans exception pour tous ceux qui
s'attacheront spécialement au service des autels
ou à la religion. Combien verrons-nous de scènes
scandaleuses, de révolutions sanglantes! Un grand
homme a dit : « Le célibat fut un conseil du
» christianisme ; lorsqu'on en fit une loi pour un
» certain ordre de gens, il en fallut chaque jour
» de nouvelles pour réduire les hommes à l'ob-
» servation de celle-ci. Le législateur se fatigua,
» et fatigua la société , pour faire exécuter aux
» hommes par précepte , ce que ceux qui aiment
» la perfection auraient exécuté comme conseil. »
En efet, les lois sur le célibat des ecclésiastiques
forment à elles seules un code presque aussi vo-
lumineux que toutes les autres lois civiles et reli-
greuses.
Pour mettre quelque ordre dans ce chaos, je
vais examiner séparément ce qui a été établi pour
les différens grades de. la hiérarchie ecclésiastique.
i5
( 226 )
Des clercs engagés dans les ordres mineurs.
Aucun concile , ni aucune décrétale n'a con-
damné le mariage des clercs au-dessous des sous-
diacres, jusque bien avant dans le XIP siècle.
Non-seulement ils pouvaient garder la femme qu'ils
avaient en entrant dans les ordres, mais il leur
était même permis de se marier après, pourvu
que ce ne fût une seconde fois ou avec une veuve.
Saint Grégoire-le-Grand , dans la lettre 3i^ du
livre XII , 2* question , dit expressément : « Si
» les clercs (sans doute les mineurs) ne peuvent
» pas garder la continence , il faut leur permettre
y> de se marier , et les conserver dans leur état ,
)) leur accordant des traitemens de l'église . » Le
papeZacbarie, au chapitre 11 de sa VlPépître, après
avoir menacé de la perle de leurs bénéfices les évê-
ques, les prêtres et les diacres qui ne s'abstiendront
pas de leurs femmes, ajoute : « Les autres clercs peu-
» vent vivre avec leurs épouses, suivant l'usage de
» leurs églises respectives. » Cependant le vingt-cin-
quième canon du concile tenu à Ratisbonne en 74^
borne la faculté de contracter mariage après l'ordre,
aux seuls lecteurs : a Quod lectoribus tanlum liceat
» matrimonium contrahere. y) Enfin Alexandre III,
dans sa décrétale qui est rapportée au chapitre I
Ext. de cler. conjug. , permet aux clercs mineurs
( 227 )
de garder leurs femmes, mais en perdant le bénéfice
ecclésiastique.
Le concile de Trente n'a pas cru le mariage
incompatible avec l'exercice des ordres mineurs.
Il est porté au chapitre XVII de la XXIII® session :
« Que s'il ne se trouve point sur les lieux de clercs
)) dans le célibat, pour faire les fonctions des quatre
y) ordres mineurs, on en pourra mettre à leur place
)) de mariés... pourvu qu'ils ne soient point bigames,
» qu'ils aient la tonsure et portent l'habit clérical
» dans l'église. » Cette doctrine est encore en vi-
gueur.
Des sous— diacres .
11 paraît que, dans les premiers siècles de l'église,
le sous-diaconat n'était pas regardé comme un ordre
sacré. Il est certain que les sous-diacres pouvaient
contracter mariage avant et après l'ordre. Le pape
Sirice lui-même, que l'on n'accusera pas de complai-
sance envers les clercs mariés, dit, chapitre IX de
sa lettre à Himérius de Tarragone : k Celui qui de-
y) puis l'adolescence jusqu'à la trentième année a
» mené une vie régulière et ne s'est marié qu'à une
» vierge, recevant la bénédiction d'un prêtre, peut
» être élevé au sous-diaconat. » Cela se pratiquait
dans toute l'é^jlise sans résistance.
Au fur et à mesure que les principes de la religion
s'étendaient et s'affermissaient, le célibat s'affermis-
i5..
( 228 )
sait aussi et faisait chaque jour de nouvelles con-
quêtes. La 12' lettre du pape Léon I", de l'an 44^'
paraît faire aux sous-diacres une obligation de la
continence: « Que ceux qui ont une femme vivent
» comme s'ils n'étaient pas mariés j et que ceux qui
)) n'en ont pas restent dans le célibat (i). » Ce fut
pendant le cours des VF et YIP siècles que les sous-
diacres finirent par être rangés dans la catégorie des
diacres et des prêtres, et assujettis aux mêmes obli-
gations. Si l'on veut s'en assurer, on peut consulter
le sixième canon du concile de Tolède, tenu en 653 ;
le onzième du concile de la Yénélie, tenu en 4^5,
et plusieurs autres.
Une lettre écrite en 6go, au sous-diacre Pierre
de Sicile, par le pape Grégoire-le-Grand, établit
enfin d'une manière positive la législation sur le cé-
libat des sous-diacres. Ce pontife désapprouva que
son prédécesseur eût ordonné aux sous- diacres de
Sicile de se séparer de leurs femmes. « Il aurait fallu,
)) dit-il, leur imposer cette condition au moment
» qu'on leur conférait l'ordre. )) Et en eflfet il or-
donna aux évêques de n'admettre plus au sous-dia-
conat aucun individu qu'on n'en eût auparavant
exigé et reçu la promesse de vivre dans le célibat.
(1) Ut qui habent (uxorem) sint tamquam non habentes,
et qui non habent, permaneant singulares.
( 229 )
Des diacres . des prêtres, des évêques. •
•
Il paraît, par le capitule P'" du concile tenit à
Tolède en 400, que les diacres pouvaient d'abord con-
tinuer à vivre avec leurs femmes. Comme le sens n'en
est pas bien précis, et qu'il est le seul document de
ce genre que j'aie trouvé, on peut dire sans crainte
d'erreur que les diacres dans l'église latine ont tou-
jours été soumis au célibat. Le concile d'Orange de
44 1 porte dans le vingt-deuxième canon : « Les clercs
» mariés, s'ils ne font pas vœu de chasteté, ne doivent
» pas être faits diacres. » Et dans le vingt- troisième:
» Que les diacres qui ne s'abstiennent pas de leurs
» femmes soient privés de la fonction de leur ordre. »
Cette doctrine par la suite n'a plus présenté aucune
aberration.
Le premier canon du concile de Tolède, du 17
mai 597, porte que les évêques feront observer la
continence aux prêtres et aux diacres et pourront
déposer et enfermer les contrevenans, pour faire pé-
nitence.
Nul doute que les prêtres et les évêques n'aient
été obligés à la continence dès les premiers jours de
l'église romaine. 11 est vrai qu'on élevait souvent à
la dignité sacerdotale et même épiscopale des hommes
qui avaient femme et enfans j mais ils les obligeaient
dès lors, aussi bien que leurs épouses, de vivre en-
semble comme frère et sœur. Cependant le mariage
( 230 )
en lui-même ne recevait aucune atteinte. La femme
du^^rêtre ou de l'évêque, presbjteva ou episcopa j
ne'pouvait pas, du vivant de son mari, contracter
\\\\ nouvel engagement. Ce qui semblera sans doute
singulier , c'est que ces prêtresses ne pouvaient pas
même se marier après la mort de leurs maris. Le
premier canon du concile tenu à Rome en 721 est
très formel. La femme et le mari, après le mariage,
devenant deux personnes en une seule chair, il est
naturel de penser que la consécration de l'un s'éten-
dait à l'autre. Au reste, les veuves étaient un objet
d'aversion pour notre sainte église.
Si un diacre ou un pi'être ou un évêque retour-
nait à la femme qu'il avait épousée avant d'entrer
dans les ordres, ou en épousait une, le mariage
n'était pas nul, les enfans n'étaient pas illégitimes*
seulement l'ecclésiastique perdait son bénéfice et la
fonction de son ordre. On le voit par le XXXIIP
capitule du concile tenu à Elvire en l'an 3o5, et
dans tous ceux que l'on a tenus dans la suite.
Ce n'est que dans le XIP siècle que les ordres
sacrés ont formé un empêchement dirimant au
mariage. Le concile de Latran , tenu à Rome
sous Innocent II, en iiSg, et que j'ai déjà cité,
dit, septième canon : « Nous avons ordonné que
» les évêques , les prêtres, les diacres et les sous-
» diacres qui, violant leur vœu, ont eu la hardiesse
)) de s'attacher des femmes , en soient séparés ; car
( 23. )
» nous croyons qu'une union contractée contre
■» les lois de l'église n'est pas un vrai mariage. »
Conformément à cette doctrine, en ii59,
A-lexandre III ordonna (chap. I*"" de sa décrétaie,
Ext. de cler. conjiig. ) que l'on contraignît par
la force des censures, les sous-diacres, les diacres
et les prêtres à renvoyer leurs femmes ; et au
chapitre IV de la même décrétale, il dit que « ces
» unions ne sont pas un mariage, mais une simple
w cohabitation : m non nuptiœ , sed contubernia.
En II 75, sous le même pontife, un concile de
Londres imposa , dans son deuxième canon , aux
sous-diacres de se séparer de leurs femmes , quoi-
qu'elles ne le voulussent pas.
Yers l'an 1 3oo , Boniface YIII déclara positi-
vement que l'ordre sacré était un empêchement
dirimant du mariage : « Nous avons jugé à propos
M de déclarer par la présente décrétale , qu'on
» doit appeler vœu solennel , et capable de rompre
I) le mariage., celui-là seul que l'on a fait par la
» réception de l'ordre sacré (i). »
Enfin Clément Y, au concile de Yienne, tenu
en i3i2 (.cap 1", De conjunct. et ajffin!)., met le
(i) Praesentes declarandum duxinius oraculo sanctionis,
illud sohim votum dici debere solemne , quantum ad diri-
mendum matrimonium, quod solemnisatum fuerit , per
susceptionem sacri ordinis. {De voto, c. I.)
( 232 )
mariage de ceux fjui ont reçu les ordres sacres ,
sur le même rang que le mariage des personnes qui
se trouvent dans les degrés de parenlé prohibés
par les canons , et excommunie les individus qui
les ont contractés, jusqu'à ce qu'ils se séparent.
Je n'ai pas besoin de rapporter le neuvième ca-
non de la vingt-quatrième session du concile de
Trente, où ces principes sont approuvés et con-
firniés de nouveau; ni de dire que depuis lors
l'obligation du célibat , pour les ecclésiastiques
engagés dans les ordres sacrés , n'a donné lieu à
aucune discussion ou décision nouvelle, au moins
pour les fidèles qui sont restés dans le sein de l'é-
glise romaine.
Je n'ai cite dans ce chapitre qu'un petit nombre
de conciles et de décrétales, ceux qui me parais-
sent avoir le plus influé sur l'opinion publique et
contribué ainsi, d'une manière plus efficace, à
l'établissement du célibat. Si j'eusse voulu suivre
avec détail toutes les décisions qui ont été portées
sur cette matière, « j'aurais fait un livre si volu-
)) mineux , que le monde entier n'aurait pu le con-
» tenir. )) Qu'on me passe cette exagération, traduite
mot à mot du dernier verset de V Evangile de saint
Jean.
( ^33 )
WVWWWVM» AI\VVVVV\VVVVV\VV%VVVVVVVVVVV\VVVi'V\VV«VVVVW«%VtWVW«V\W\WV\«VllV\VMiW«VV\V«A
CHAPITRE XL
Des mesures prises pour empêcher les ecclésias-
tiques de violer la continence.
Si le législateur défendait à un homme jeune
encore, par exemple, à l'âge de quinze ou de dix-
huit ans , de ne plus croître , pourrait-il an^êter
le développement de son corps? ne lui faudrait-il
pas l'enfermer dans une cage de fer juste de la
capacité de sa personne? Imaginez-vous les efforts
du patient pour ressaisir la liberté ! que de tour-
mens ! que de plaintes !
L'ordre que les législateurs de la religion chré-
tienne ont donné aux ministres des autels de ne
pas se marier, n'est ni plus juste ni plus facile
à exécuter. Le sentiment qui attache un sexe à
l'autre est aussi naturel et aussi nécessaire que le
développement du corps. Ou renfermez-les dans
une cage de fer, ou élevez un mur d'airain entre
eux , ou il se rapprocheront et la loi sera violée.
D'abord on eut beaucoup de confiance dans la force
que la religion donne à l'esprit sur les sens, et on
( 234 )
Jaissa les ministres dans la société des femmes qu'ils
avaient épousées avant d'entrer dans les ordres.
Cette erreur se dissipa en peu de temps. Des fils
étant nés de ces femmes, il fut prouvé que des
ecclésiastiques violaient, ou avaient violé la con-
tinence [generati filii prodiderunt incontinentes
esse aut fuisse); et en vérité c'est une faute difli-
elle à cacher. Alors ou ordonna à tous les clercs
de se séparer à jamais de leurs épouses et de ne
les plus voir.
Cela n'était pas assez. Les ministres se trouvaient
en rapport avec d'autres femmes : nn règlement
défendit aux clercs de se trouver jamais seuls avec
une femme.
Nous avons besoin d'être aidés. — Prenez des
hommes à votre service. — - Il y a des choses que
les hommes ne savent ou ne veulent point faire. —
Et bien! vous pouvez garder avec vous votre mère,
votre tante, votre sœur.
Les prêtres gardent leurs parentes , et bientôt
de nouveaux scandales. Ces sœurs font des enfans,
et les prêtres sont accusés de les leur avoir fait
faire. Quelques-uns sont soupçonnés de relations
criminelles, même avec leurs propres mères. Vite,
séparez-vous de toutes les femmes!
Il y a un grand nombre de canons sur cette
matière : les citer tous serait aussi fatigant pour
moi qu'ennuyeux pour le lecteur. On peut voir,
( 235 )
pour l'espèce de femmes dont la compagnie fut
permise aux ecclésiastiques, le troisième canon du
concile tenu à Arles en 4^2 , et le dixième canon
de celui tenu à Tours en 56 j. Je cite de préfé-
rence ces conciles, parce qu'ils nous regardent de
plus près.
Quant à la défense absolue aux ecclésiastiques
d'avoir aucune femme avec eux , on la trouve dans
le capitule \II du concile de Germanie _, lenu à Ra-
tisbonne en 742. Le troisième canon du concile
tenu à Metz en 888 s'exprime clairement. 11 est
défendu à tous ecclésiastiques de garder chez eux
aucune femme, pas même leur sœur ou leur mère,
parce qu'il paraît que de graves inconvéniens avaient
eu lieu : hoc enim crimen in quibusdam oriri vi-
debatur. Le sixième canon du concile de INar-
bonne , du 27 juin 791, défend aussi aux prêtres
d'habiter avec quelque femme que ce soit, même
avec celles que les anciens canons leur avaient
laissées.
Des ecclésiastiques étaient soupçonnés de rela-
tions clandestines et de choses que le Saint-Esprit
avait condamnées. Pour les obliger à une conti-
nence parfaite, on imagina de les faire surveiller,
même dans l'intérieur de leurs maisons. Le pape
Symmaque fit, dans le courant du VP siècle,
une ordonnance dont le but était de contraindre
les ecclésiastiques à avoir auprès d'eux un de leurs
( 236 )
confrères qui coucliat dans lu même cliambre et
lût témoin de toutes leurs actions. 11 voulut même
que ceux qui n'avaient point de moyens d'entre-
tenir un sjncelle (i), en remplissent les fonctions
auprès d'autres ecclésiastiques.
Le pape Symmaque trouva des échos : le 9 dé-
cembre 653, un concile de Tolède ordonna aux
évéques , aux prêtres et aux diacres de s'attacher
en qualité de syncelles des hommes d'une con-
duite irréprochable ; et le concile de Paris , de
(i) Proto-syncelle. "Le proto—syneellc était autrefois un
des premiers dignitaires de l'e'glise de Constantinople ; il est
encore aujourd'hui le confesseur et le compagnon du pa-
triarche; mais, depuis que le patriarche et \e proto-sjrncelle,
son compagnon, sont pris parmi les moines, ce dernier n'est
plus regarde' comme dignitaire de l'église patriarcale. II
est le compagnon de l'évèque , il habite dans le palais pa-
triarcal; il peut même avoir un grand cre'dit, mais il n'a
dans l'égUse aucun rang distingue'. (Des Odoards Fantin ,
Dict. rais, du gouv. de l'église, Paris, iijSS.)
Syncelle. Les Grecs ont donné ce nom à des officiers ec-
clésiastiques qui ne quittaient jamais les évêques, et qui de-
vaient être les témoins irréprochables de toutes leurs actions.
Quelques-uns ont cru que les syncelles étaient les confesseurs
des évêques; il paraît cependant que leurs fonctions avaient
plus de rapport avec celles des archidiacres. Le P. Thomas-
sin observe que , durant les premiers siècles de l'église , les
évêques, pour prévenir tous les soupçons qui pouvaient
naître sur leur conduite, avaient toujours un clerc auprès
( 237 )
829, défendit , dans son vingtième canon , aux
évêques de coucher seuls, et sans avoir des té-
moins de la pureté de leur vie. Voilà un genre
d'espionnage inconnu de nos jours. Les évéques
jouissent de leur liberté chez eux , et n'inquiètent
pas à cet é^ard les ecclésiastiques inférieurs.
Dans (juelques localités, on essaya aussi des ré-
compenses pour déterminer les clercs à se séparer
de leurs concubines : un concile tenu à Aenham en
Angleterre, en 1009 ou loig, promit d'accorder les "
d'eux , lequel coiirhait même dans leur chambre , et que ce
clerc était appelé' syncelle. Cependant l'Llstoirc ue fait men-
tion de ces officiers que vers le temps du concile de Chalce-
doine, et Timoiliëe, patriarche de Constantinople , paraît
être le premier qui ait eu constanmient auprès de lui un
pareil te'moin de sa conduite. Victor de Tunes assure qu'au
commencement du VP siècle , selon les corrections de
M. de Valois. . ., Timothe'e mourant choisit pour son suc-
cesseur au sie'ge de Constantinople Jean de Capadoce , qui
avait été son sjnceLle et le témoin de toutes ses actions. Ce
dernier patriarche fit la même chose que son prédécesseur,
ou du moins, après sa mort, on mit sur le siège de la capi-
tale de l'empire Epiphane-/e-5j"nce//e. Cette succession de
deux sjncelles au patriarcat de Constantinople a fait croire
à quelques écrivains ecclésiastiques que le droit de succes-
sion à l'épiscopat était acquis à ces officiers , ce que l'histoire
dément. Cette charge passa d'Orient en Occident ; mais ceux
qui en furent revêtus ne jouirent pas d'une grande autorité.
{Jhid.')
( 238 )
prérogatives de la noblesse à ceux qui renverraient
les femmes qu'ils gardaient encore.
CHAPITRE XII.
Code pénal du célibat.
Punitions contre les ecclésiastiques.
Si vous ôtez le pain à vos enfans ou à vos do-
mestiques, vous en faites des voleurs : vous aurez
beau gronder et punir, ils vous voleront toujours;
il ruineront leur santé, ils détruiront votre fortune.
Les besoins de la nature veulent être satisfaits.
Toute loi qui défend une satisfaction nécessaire
est toujours violée. L'homme ne peut pas attenter
à sa propre existence.
La privation d'une chose indispensable allume
/ le désir, la difficulté d'apaiser ce désir , les obs-
tacles qu'on lui oppose, inspirent la hardiesse et
font trouver mille ressources. Ces réflexions nous
préviennent déjà de l'inutiUté , ou , pour mieux
dire, du danger des peines que l'église a établies pour
maintenir le céUbat.
(=•39)
En jetant les yeux sur le nombre immense des
lois pénales sur cet objet , on remarque d'abord
que les peines contre les infracteurs, graves dans
les premiers siècles, sont allées en diminuant, à
mesure que le nombre des célibataires devenait
plus considérable et le devoir du célibat plus
rigoureux ; et cela devait être ainsi : si l'on eut
augmenté en même temps la rigueur du célibat
et la sévérité des peines , il n'y aurait eu d'homme
en état de résister.
Les évêques , les prêtres , les diacres , et plus
lard les sous-diacres, qui étaient convaincus de
fornication , depuis le iroUiAmp jusqu'au onyîème
siècle, étaient non-seulement condamnés à la perte
de tous leurs bénéfices et à la suspension de leur
ordre, mais excommuniés pour toute leur vie el
sans espérance de réconciliation. S'ils ne s'abste-
naient de leurs femmes légitimes, ils encouraient
les mêmes peines, l'excommunication exceptée (i).
Les ecclésiastiques malheureux n'avaient pas été
traités avec autant de rigueur dans l'église d'O-
rient i ils n'y étaient que déposés (2).
Le pape Sirice, dans son zèle chaleureux pour
la prospérité de la foi, tonne et foudroie les mêmes
(i) Caii. XIX et XXXIII, Conc. d'Elvire , de 3o5;
can. IX, Conc. de JVorms , de 868.
(2) Conc. des Apoir.; Conc. de Néocésarée, de 32^.
C Mo )
peines contre ceux qui , averlis , refuseront de se
corriger, (C parce que, dit-il, il faut amputer par
» le fer les plaies pour lesquelles les fomeiita-
)) lions sont inutiles (i). »
Grëgoire-le-Grand voulait que celui qui se pré-
sentait aux ordres fût interrogé en secret, s'il n'é-
tait pas tombé dans la fornication ou dans l'adul-
tère, et que, s'il en convenait, on ne l'admît point,
quand même le délit ne fut connu de personne.
S'il protestait qu'il était innocent, on devait l'avertir
de consulter sa conscience , et si elle lui faisait
quelque reproche^ de penser plutôt à s'enfermer
dans un olnîfrfi povir y Taire pénitence, qu'à re-
cevoir le sacerdoce dont son crime, quoique secret,
le rendait incapable.
(( Ce pontife sévère voulait, selon les canons,
» que tout ecclésiastique et bénéficier, soit sous-
» diacre, soit diacre, prêtre, abbé ou évéque, qui
» serait tombé dans un péché d'impureté, s'il y
i) avait des preuves de son crime, fut déposé et
M mis en pénitence dans un monastère , sans qu'il
» pût jamais prétendre d'être rétabli dans son ordre
w et dans sa dignité. »
11 avertit Févêque de Tarente, qui était soup-
çonné d'avoir eu une concubine depuis qu'il était
(i) Lettre à Uimerius, déjà citée.
( 2^^ )
ëvêque , de se déposer lui-même et de s'abstenir
de toute fonction sacerdotale, s'il se trouvait cou-
pable de ce crime. Cet ëvêque n'avait été suspendu
que deux mois quelque temps auparavant , quoi-
qu'il eût été convaincu d'avoir fait doimer un
grand nombre de coups de bâton à une vieille
femme de celles que l'église entretenait, et qu'elle
en fût morte huit mois plus tard (i).
Dans le Xl^ siècle, on défendit aux fidèles d'en-
tendre la messe des ecclésiastiques que l'on savait
avec certitude avoir une roncubine. En Angleterre,
on les déclara même infâmes (2).
Grégoire VII, dans la dixième épître du lY® liv.,
adressée à Odile, comtesse de Flandre, dit que
les prêtres tombés en fornication ne doivent point
célébrer la messe , mais être chassés du choeur.
La doctrine de l'église d'Orient n'a jamais été
la même. Le concile de Gangra , tenu sous le
pape Sylvestre, vers le commencement du IV® siècle,
menace d'excommunication tout homme qui sou-
tient qu'on ne doit pas prendre part aux obia-
tions , lorsque celui qui célèbre est marié. Il y a
ici une grande différence dans l'état de ces ecclé-
siastiques : le mariage des uns ne peut pas être
(i) Mainbourg, Hist. du pontifical de saint Giégoire.
(2) Can. III, Conc. de Rome, de io5g; caii. VII, Cane.
de Latran, de 1 189; Conc. de Londres , du 24 '"^'^ i lO'j.
16
V ^4^ )
comparé au concubinage des autres. Toutefois le
ministre catholique ne pouvant avoir une femme
légitime, la concubine n'en prendrait -elle pas la
place? 11 faut aussi apprécier la différence des temps
et des lieux.
La suspen-sion , l'excommunication , le mépris
excité contre les ecclésiastiques incontinens, ne
parurent pas des peines assez graves pour répri
mer leur licence effrénée. On en imagina de plus
sévères. Les évêques furent autorisés à renfermer
les coupables dans les cachots des monastères ,
pendant tout le temps qu'il leur plairait , même
pendant toute leur vie (i).
Les punitions pécuniaires s'établirent pendant
le cours du XIV siècle. Le concile de Ravenne
condamna à une amende de dix sous de la mo-
naie de ce pays , les clercs « qui garderaient ou
» qui feraient garder des concubines (2). » Un
concile de Yalladolid proportionna les peines pé-
cuniaires à la gravité el à la durée de la faute.
Il défendit à tout clerc d'entretenir publiquement,
cliez lui ou chez autrui , une concubine quel-
conque, sous peine de perdre, deux mois après
la publication du concile, un tiers des fruits de
(i) Conc. de Tolède, du l'y mai Sg'j ; can. VI, Conc. de
Tolède, de 653.
(2) Conc. de Ravenne, de i3i7, rubrique IV.
.( M3 )
son bénéfice pendant ce temps ; en cas d'obstina-
tion dans l'incontinence , un autre tiers, c'est-à-
dire deux tiers à la fin de deux autres mois ; enfin
le bénéfice même après six mois , à partir de la
notification du concile. En outre, l'évêque était
autorisé à mettre en prison pendant deux ans les
clercs réfractaires (i).
Quelque graves que puissent paraître ces peines,
les termçs de la loi sont tels, qu'elle ne recevra
d'application que dans des circonstances fort raves.
Ce n'est plus de la simple fornication qu'il s'agit
ici ; il faut une notoriété publique , il faut un mé-
nage établi, un mariage ex usu^ comme cbez les
Romains et chez les peuples du raidi de l'Europe,
jusque bien avant dans le V^ siècle (2). On ne
parle plus de la suspension de l'ordre , il n'y a
plus d'excommunication.
L'évêque concubinaire ne fut privé que de la
perception des fruits de son bénéfice pendant tout
le temps qu'il gardait la concubine. On voit que
les évoques faisaient la loi pour les autres (3).
La gradation dans les peines du concile de Val-
ladolid fut nouvellement sanctionnée et étendue
(i) Conc. de ValladoUd, de i322 , can. VIT.
(2) Conc. de Tolède, de 4oo, can. XVII.
(3) Conc. de ToVede, de i^']^, cap. IX.
16..
( 244 )
à loiite l'éj^lise catholique par le concile de Baie.
11 y mit même un peu plus de sévérité, en ce
que le terme de six mois, fixé par le premier,
fut réduit à quatre (i). Les pontifes de Rome
adoptèrent cette loi, et la firent confirmer par le
concile de Trente (2).
Ce concile a ajouté la dernière main à la légis-
lation de l'église. Je vais rapporter en abrégé ses
dispositions pénales contre les clercs concubinaires.
11 condamne à la perte du tiers des fruits de leurs
bénéfices , les clercs qui , avertis par l'autorité
compétente , ne se séparent pas de leurs concu-
binesj à celle de tous les revenus ecclésiastiques,
même à la suspension des fonctions de leur ordre
tant que l'ordinaire le jugera à propos , s'ils ne se
corrigent pas après un second avertissement ; à
la privation des bénéfices et du droit d'obtenir
des dignités, jusqu'à ce que le supérieur ne leur
ait donné dispense , s'ils persévèrent dans leur
faute ; enfin , à être frappés d'anathème , s'ils s'o-
piniâtrent dans leur insubordination.
Si les clercs coupables n'ont pas de bénéfices,
l'évêque peut les punir par l'emprisonnement, la
suspension de la fonction de l'ordre, la déclaration
d'incapacité à tenir quelque bénéfice que ce soit, ou
(i) Conc. de Belle, de i435, décret. I"
(2) Conc de TMlran, de i5i4, sous Lé(
sous Léon X , sess. Y.
( ^45)
])ar toute autre peine , conformément aux saints
canons.
Ce concile prononce la suspension contre l'é-
vêque concubinaire qui , averti par le concile
provincial , refuse de se corriger; il autorise le pape
à le priver même de son siège (i).
A moins qu'on ne fut hypocrite et sacrilège ,
il était très difficile de dérober les relations se-
crètes du concubinage à la connaissance des su-
périeurs. S'il eu faut croire quelques historiens
accrédités, « vers le commencement du XYP siècle,
» on obligea les confesseurs à venir révéler le
» nom de ceux qui vivaient avec des concu-
» bines (2). »
Punitions contre les concubines.
Lorsque les pères de notre sainte église résolu-
rent de frapper les concubines des ecclésiastiques,
ils y furent portés par de très bonnes raisons.
A leurs yeux, coupables et donnant un exemple
dangereux, il fallait les punir, il fallait que leur
perte répandît la terreur , pour qu'aucune autre
femme n'eut l'audace d'essayer la force de ses
séductions sur un clerc engagé dans les ordres,
(1) Conc. de Trente, sess. XXV, c. XIV.
(2) Dictionn. féodal , art. Mariage.
( 246 )
ou la faiblesse de céder aux instances des hommes
consacrés à Dieu. Au resle, c'était une voie dé-
tournée , mais sûre, d'atteindre l'ecclësiasiique lui-
même ; c'était le punir dans ses affections les plus
tendres et les plus vives.
Quelques conciles ont mis sur la même ligne
les femmes légitimes et les concubines, 11 y en
a un qui ne laisse lieu à aucun doute (i); et
suivant moi, ce devait être ainsi dans le temps
où cette loi de l'église fut [)ortée : l'usaj^e des Ro-
mains, qui assimilait la concubine à la femme,
uocorij existait encore. Dans les siècles suivans,
jusqu'au concile de Trente, les conciles ne par-
lent plus que des femmes étrangères et des con-
cubines.
D'abord les évêques furent autorisés à les vendre
et à distribuer leur prix aux pauvres. Ne pou-
vant peut-être pas exécuter eux-mêmes leurs sen-
tences , ils recoururent plus tard au bras séculier
et cédèrent en pleine propriété aux juges et aux
princes , ces femmes criminelles qui avaient attiré
leur animad version (2), On prit même le parti
de les enfermer dans les monastères pour la vie ,
(i) Conc. de Tolède, de 58g, c. V.
(2) Cône, de Tolède, de 689, c, V, déjà cité: Conc.
d'Amalfi, de 1090, can. XII; Conc. de Sé\'ille, du ['^ no~-
\-embre 5go.
( ^47 )
qu'elles fussent de condition libre ou esclaves (i).
L'église devenant de plus en plus puissante, et
n'ayant plus besoin du secours de personne, finit
par s'attribuer à elle-même les concubines des
ecclésiastiques. Celles de Rome furent enfermées
dans le palais de Latran , où elles travaillaient
pour le compte du pape (2) ; celles des autres
villes , dans des maisons particulières de déten-
tion , espèce de bagnes, où l'on cherchait à uti-
liser leurs moyens. Dans quelques provinces, on
avait l'usage de les chasser de la paroisse qui avait
été le théâtre de leurs scandales , si cependant
elles n'y étaient pas mariées ; ce n'était qu'en cas
de rechute qu'elles étaient condamnées à devenir
les esclaves des évêques et des églises dans le res-
sort desquelles elles se trouvaient (3). Un concile
autorisa les évéques à faire traduire en leur
présence ces femmes coupables , non-seulement
celles qu'on appelait sous -introduite s et qui vi-
vaient avec les ecclésiastiques , mais celles-là même
qui donnaient lieu au moindre soupçon ; à leur
faire subir la plus liumiliante procédure , et enfin
à les faire fustiger , et priver d'un ornement au-
(1) Conc. de Tolbde, de 653, eau \ .
(2) Décret de Léon IX, de io5i. — Cette loi parait être
encore eu vigueur à Rome.
(3) Conc. de Londres, de 1127, can. V.
(248)
quel elles devaient beaucoup tenir , de leur blonde
chevelure : c'était en Allemagne (i). Nous avons
déjà vu que les vestales étaient traitées de la même
manière pour des fautes légères; ici c'est pour un
léger soupçon : la différence n'est pas légère.
La condition des femmes des clercs , lorsqu'ils
en avaient une, ne devait pas être bien douce :
d'un côté , on leur avait défendu d'avoir aucune
relation intime avec leurs maris, et de l'autre on
avait autorisé ces derniers à les punir sévèrement ,
à les attacher, à les battre, à les faire jeûner, à
leur infliger toute espèce de châtiment, excepté la
mort, si elles péchaient contre la continence, 11 y
a de quoi rire en voyant de graves conciles s'oc-
cuper de pareils détails (2) !
Revenons aux concubines. On déclara nuls les
legs que les clercs à qui l'usage des femmes était
défendu feraient en leur faveur (3).
Le concile de Baie invita les puissances sécu-
lières seulement à arracher les concubines aux ec-
clésiastiques qui ne voulaient pas s'en séparer (4).
Celui de Latran , sous la présidence du chaste
Léon X, renouvela les décrets de celui de Baie,
(i) Conc. d' Augsbourg , de gSa, can. IV.
(2) Conc. de Tolède, de 4oo, can. VII.
(3) Conc. d'Oxford, de 1222, can. XXXV
(4) Conc. de Baie, de i435, sess. XX.
( =49 )
et recommanda aux autorités de ne se laisser pas
intimider par le grand nombre des concubi-
naires (i).
Au concile de Trente , on ne s'occupa point
des concubines, qu'on n'aurait jamais dû molester.
Au reste, l'église, en i563, avait assez d'ennemis:
la vue du danger la rendait prudente. Les pères
de ce concile ne s'en prirent qu'aux clercs eux-
mêmes. Comme ils voulaient faire du célibat une
obligation rigoureuse, on dut penser, au moins
secrètement, et chacun en soi-même, de laisser
aux membres nombreux d'un clergé si puissant
quelque moyen de satisfaire aux besoins de la
nature. C'est peut-être l'un des motifs qui por-
tèrent les jeunes prélats à se prononcer pour un
célibat absolu. Aujourd'hui les concubines, si con-
cubines il y a, n'ont rien à craindre de la part de
la magistrature, et fort peu de celle de l'opinion.
Punitions contre les enfans des concubinaires .
Pourquoi punir les enfans des fautes de leurs
pères? c'est porter trop loin la sévérité, et violer
tous les sentimens de la justice. Mais dès que
l'on sort de la nature , que l'on crée des vertus
(i) Cinquième Conc. de Latran, de i5i4, sess. IX.
( 25o )
cl)itnériques, et que l'on se livre à des idées fausses
de perfection , il n'y a plus de principes certains
(le conduite , et il est impossible que l'on ne s'é-
gare pas. Nous aurions pu soufliir jusqu'à un cer-
tain point que des punitions fussent infligées
aux concubines : elles étaient complices d'une
mauvaise action , leur exemple pouvait être con-
tagieux et leur châtiment utile ; mais quel avan-
tage pouvaient retirer la religion et la société du
châtiment des fils des concubinaires ? Dans, ces
momens d'ivresse où l'homme s'approche de sa
compagne , l'avenir et le passé disparaissent et se
fondent dans le présent; l'esprit, tout entier à
ses jouissances , voit le bonheur dans le monde
et ne s'inquiète plus de rien. Les pères de l'église
catholique , à cet égard , ont été aussi ignorans
que cruels. Ils commencèrent par condamner les
enfans des clercs concubinaires , depuis le sous-
diacre jusqu'à l'évêque , à être les esclaves des
églises auxquelles appartenaient leurs pères (i).
Cependant on répète tous les jours que la religion
chrétienne a de tout temps favorisé la liberté des
peuples , et j'en suis intimement convaincu. Ses
fruits alors n'étaient pas encore parvenus à une
parfaite maturité.
On ne tarda pas à se relâcher d'une sévérité
(i) Conc. de Tolède, de 655, can. X.
( 25. )
si barbare. Quatre ou cinq siècles après , on ne
punissait plus les enfans des clercs que par l'ex-
clusion de la cléricature et du service des autels (i).
On défendit ensuite aux clercs d'assister, soit
au baptême , soit aux noces de leurs fils légi-
times et illégitimes , et l'on déclara nulles toutes
les assignations sur biens ecclésiastiques, que les
premiers feraient en faveur des seconds. Cette
disposition fut étendue même aux religieux rrri-
litaires (2).
A mesure que le célibat s'enracinait dans les
mœurs , on sentait le besoin de multiplier les
peines contre ceux qui le violaient. Défense leur
fut faite de garder avec eux les fils de leurs concu-
bines. Cette cohabitation et l'exemple d'un prêtre
qui remplissait les devoirs de l'homme durent
])araître dangereux : tout le monde aurait pu le
suivre; il était trop attrayant (2).
Le coricile de Trente se borna à défendre aux
fils des clercs coucubinaires de posséder aucun bé-
néfice, de jouir d'aucune pension, de servir d'une ma-
nière quelconque dans les éghses auxquelles étaient
attachés leurs pères Ou dor/na à cette loi un effet
(1) CoTic. de Bourges, de io3i, can. VIII; Conc. d'A-
maljî, de 1090, can. XIV.
(2) Conc. de ValladoUd, de i322, can. AI.
(3) Conc. de Bâle, de i/'j35, sess. XX.
( 252 )
rétroactif: tout fils de concubinairequi, à la promnl-
j^ation du concile , avait un bénéfice cjuelconque
dans la même église que son père, fut contraint de le
résigner dans trois mois ou de le permuter avec
quelque autre hors de cette église. En conséquence
les fils des clercs coucubinaires, après cette époque,
ont eu le droit d'obtenir des bénéfices et les hon-
neurs ecclésiastiques (i). Cependant je doute beau-
coup qu'il y en ait eu un grand nombre qui
aient été admis à la jouissance de ce droit. L'é-
glise les haïssait et les poursuivait de toute la
force de son mépris. Ce concile ne voulut pas
même qu'ils fussent reçus dans les séminaires ,
ni nommés à la dignité épiscopale , ou aux bé-
néfices dans les églises cathédrales (2).
(i) Conc. de Trente, de i563, sess. XXV, cap. XV.
(2) Conc. de Trente, sess. VII, c. i; sess. XX, c. II;
sess. XXIII, c. XVIII.
( 253 )
^■W•V%p^^'VWVrtlV^^^^.WiW\.WvVVVV'V VM\'WV'V'VV\WtVVi/WV\'WV\iV'W\.\WVVV\^vV\vWvWV\\VWv\'VVV\iV
CHAPITRE XIII.
La corruption croit a mesure que le célibat devient
plus général.
De même qu'en voulant arrêter par des digues
le cours d'une rivière , on expose les campagnes
voisines aux ravages d'irréparables inondations ,
de même en voulant étouffer par les lois les
sentimens de la nature , on expose nécessairement
la société aux débordemens du vice. Malheur aux
peuples dont les dominateurs, au lieu de faire re-
poser leurs lois sur celles de la nature , les créent
dans la vue de contrarier et de détruire la na-
ture elle-même ! Ces lois absurdes placent certains
hommes dans une voie de contradiction dont ils
ne peuvent plus sortir sans une lutte perpétuelle
entre des devoirs imaginaires et des besoins réels.
Tourmentés sans cesse par les combats renaissans
que se livrent l'imagination et le cœur, cherchant
la vertu et le bonheur là où ils ne sauraient être,
fuyant comme le vice et comme des crimes des
actions bonnes et commandées par le créateur,
ils deviennent une énigme à eux-mêmes , s'égarent,
( -^M )
jx'nlcut l'usage tle la raison , eL, au lieu de s'élever
à la perfection des anj^es, ainsi qu'ils le voulaient,
ils descendent au-dessous des animaux qu'ils mé-
prisent le plus.
Ces réflexions m'ont été suggérées par l'état
de corruption des mœurs, progressivement plus
grande lorscjue le célibat s^étendait davantage.
Je parle plus spécialement du clergé. Je sais
que la dépravation , à l'époque où le chris-
tianisme vint s'établir en Europe, était portée
à sou comble , et qu'il fallut bien des siècles
avant que la religion eiït opéré une réforme heu-
reuse j mais je sais aussi qu'il n'y avait en elle
aucun principe propre à favoriser la corruption.
Si, en enseignant les préceptes si beaux de VÊ-
i'angile, et en donnant tous les conseils que Jésus-
Christ avait donnés à ses disciples , on eût laissé
aux ministres des autels la liberté dont avaient
joui les premiers chrétiens, on ne peut douter
que le clergé catholique ne fut bientôt devenu
un modèle de chasteté. Le malheur des temps
nous priva de ce bienfait , et le sacerdoce fut souillé
par le vice.
Les lettres du pape Sirice et les canons des
différens conciles nous font voir que , dès le qua-
trième siècle , la dépravation des mœurs était
déjà très grande dans le clergé de Rome. Saint
Jérôme en fait un tableau épouvantable : « li y
( 255 )
» en a parmi eux , dit-il, qui briguent la prêtrise
)) ou le diaconat pour voir les femmes plus libre-
» ment. Tout leur soin est dans leurs habits; ils
n veulent être chaussés proprement et parfumés ;
)) ils frisent leurs cheveux avec le fer ; les an-
y) neaux brillent à leurs doigts; il marchent du
» bout du pied : vous les prendriez pour de
» jeunes fiancés plutôt que pour des clercs. Il y
)) en a d'autres dont toute l'occupation est de sa-
» voir les noms et les demeures des femmes de
» qualité et de connaître leurs inclinations. » 11
en était à peu près de même des mœurs de
l'Afrique et de la Grèce. Saint Jean-Chrysostôme
Aoulant faire quelques réformes dans le clergé de
Constantiuople, excita des haines et des tumultes
dont il faillit être la victime.
Au IX^ siècle, le trône de saint Pierre fut
souillé par la présence d'une longue succession
de pontifes qui sont la honte de la religion et
de l'humanité. Sergius III , élu par les intrigues
de la trop fameuse Théodora la mère, eut , étant
pape, un fils de la belle Marosie, qu'il éleva pu-
bliquement dans son palais. Jean X dut aussi la
tiare aux intrigues de Théodora la jeune, que
Rome entière savait être sa maîtresse. Jean XI
était né de Fadultère de Marosie avec Sergius III,
Jean XII fut assassiné entre les bras d'une femme ,
par son mari jaloux.
( 256 )
Kl toutes les églises [néseiitaient le même spec-
tacle.
La chaire pontificale était souvent le partage
des fils des ecclésiastiques. Formose, élu en 891,
était fils du prêtre Léon ; son successeur, Etienne YI,
était aussi fils de prêtre : il y en a eu plusieurs
autres. Si je les cite, ce n'est pas que je les con-
damne en cette qualité; loin de moi celte idée;
mais à quoi avaient donc servi les décisions de
tant de conciles et de tant de papes?
Au X® et au XI" siècle la corruption des
mœurs continua. 11 résulte d'un concile tenu
vers ce temps, en Angleterre, que, dans cette
île, des ecclésiastiques jouissaient en même temps
de plusieurs femmes; il s'exprime en ces termes :
« Que les prêtres soient persuadés qu'ils ne peu-
y) vent, sons aucun prétexte , vivre avec leurs
yy épouses.... Il est cependant d'usage quequelques-
» uns en gardent deux, quelques-uns même da-
» vantage; et il y en a aussi qui , après avoir ren-
)) voyé la femme qu'ils avaient d'abord, en prennent
» une seconde pendant la vie de la première (i). w
On cite des faits plus remarquables encore. Un
(i) Sacerdotes certius norint, quod non habeant débite,
ob aliquam coitus causam , uxoris consortium ... In more
tamen est, ut quidam duas, quidam plures habeant; et
nonnullus , quamvis eam dimiserit, quam nuper habuit,
( 2^7 )
concile assemblé à Rome la première semaine du
carême de l'an 1074, par les soins et sous la pré-
sidence de l'austère Grégoire Yll, condamna hau-
tement la conduite du clergé , et chargea le pontife
d'en faire la réforme. Des légats, aussitôt expé-
diés dans les différens royaumes de l'Europe , pour
mettre à exécution les décrets du concile , dé-
ploient une grande sévérité. Les clercs concuLi-
naires sont contraints d'abandonner ou leurs
femmes ou leurs autels. Les coupables s'indignent;
une clameur générale s'élève de tous les points
de l'Europe contre le pontife (j). 11 fait tête à
aliam tamen, ipsa vivante, accipit. {Conc. d'Aeiiham, de
loog ou 1010, c. II.)
(t) « Le pape Hildebrand, s'e'tant souvent assemblé en
» synode avec les e'vèques d'Italie, avait ordonné que, se-
» Ion le règlement des anciens canons , les prêtres n'eussent
» point de femmes et que ceux qui en avaient s'en séparas-
» sent ou bien fussent déposés, ne recevant plus personne
» au sacerdoce qui ne promît de vivre en perpétuelle conti-
» nence Ce décret fut envoyé aux évêques des Gaules.
» Contre ce décret s'éleva aussitôt toute la faction du clergé,
» criant qu'il était hérétique et qu'il enseignait une doctrine
« insensée , contraire à la parole de Dieu , qui a dit : Tous
» ne prennent pas celte parole , qui la peut prendre la
» prenne^ contraire aussi à l'apôtre, qui commande que
« celui qui ne se contient pas se marie, car il est meilleur
» de se marier que de brûler; ajoutant encore que cet
»7
( 258 )
l'orage, met en jeu tous les ressorts de la ruse
unie a l'audace, s'adresse à toutes les puissances;
il n'est prince ni prélat auxquels il ne fasse ou
des réprimandes pour leur lenteur à poursuivre les
clercs concubinaires, ou des éloges pour leur zèle
à les réduire à l'obéissance.
Tout céda à l'irrésistible activité du plus opi-
niâtre et peut-être du plus habile des pontifes.
11 y eut partout des mutineries qu'on étoufia promp-
tement. On ne vit de révolution qu'en Allemagne.
Cette nation portait à regret le joug pontifical ,
et se préparait de bonne heure à le secouer. Le
célibat n'a jamais pu s'acclimater dans les con-
» homme, par une violente coaction, voulait contraindre
>» les hommes à vivre à la façon des anges; par cette voie,
» lâchant la hride à toute sorte de saleté, pour vouloir
« empêcher le cours de la nature. Ces factionnaires conclu-
» rent en somme que , s'il demeurait obstiné en sa résolu-
>' tion , ils aimaient mieux renoncer à la prêtrise que d'à—
» bandonner leurs femmes , et qu'alors il verrait où prendre
» des anges pour gouverner les églises , celui qui ne voulait
» pas se servir des hommes en ce ministère. »
(Lambert de Schawembourg, Traduction de Coeffeleau.^
Ce dernier ajoute, suivant le rapport de Morraicus Sco-
tus : « Plusieurs du clergé aimèrent mieux demeurer inter-
» dits du pape que de se séparer de leurs femmes ; mais le
» pape ordonna en synode qu'aucun chrétien n'ouït la
» messe d'un prêtre marié. »
Irëes du Nord, où l'on ne trouve des habitudes
contraires. Les faits que je vais rapporter peuvent
faire croire que tous ou presque tous les ecclésias-
tiques avaient des concubines.
Sigefroi , archevêque de Mayence , convoque ,
en octobre 1074* "ïi concile à Erfurt , y publie
le concile de Rome et les décrets du pape, et
enjoint à ses clercs d'abandonner à l'instant même
ou leurs femmes ou le service des autels. Aussitôt
un grand tumulte s'élève dans l'assemblée : on
crie qu'il faut mettre en pièces l'archevêque avant
qu'il ait prononcé une si détestable sentence ; on
s'entend, on se- rallie , on conspire. L'arcbevêque
se sauve j les clercs sortent du concile dans la
ferme résolution de n'y plus retourner. Instruits
que , malgré leur absence , une autre réunion au-
rait lieu le lendemain , les clercs mariés ameutent
dans la nuit les Thuringiens, auxquels ils font croire
que l'archevêque va renouveler ses prétentions sur
les décimes de la province. Les Thuringiens pren-
nent les armes et se tiennent prêts à agir. Les
membres du concile se rendent à leur poste :
aussitôt les conjurés pénètrent , les armes à la
main, dans l'église, et les dispersent. Sigefroi,
que les légats du pape ne cessaient de presser,
faisait tous ses efforts pour que le clergé de son
diocèse se soumît aux décrets du pontife : soins
inutiles. Pour ôter tout prétexte aux coupables
17..
( 26o )
il essaie de pu])lier une seconde fois les ordres
de Grégoire , au commencement d'octobre de lonS.
Un légat était présent et hâtait la publication. Les
concubinaires irrités se rallient de nouveau; ils
concertent si bien leurs mesures, que la publica-
tion n'a pas lieu , et que l'archevêque, après avoir
risqué plusieurs fois d'être déchiré , abandonne
tout -à -fait la réforme au soin et à l'autorité du
pape.
Alman , évêque de Passau , courut de plus
grands dangers. Sans la protection des seigneurs
qui étaient présens, et qui apaisèrent l'efferves-
cence du peuple excité parles clercs concubinaires,
ce prélat aurait été mis en pièces.
Cette réforme ne devait donc point faire et ne fit
point de progrès en Allemagne. Un concile tenu
à Cologne en 1260 contient les plaintes les plus
amères contre le grand nombre de clercs vivant en
concubinage dans cette province, et fait quatorze
canons dans le but de réprimer la licence.
La France n'était pas elle-même disposée à subir
une réforme prompte et entière. Vers la fin du XP
siècle, un chanoine de Notre-Dame de Paris célébra
publiquement son mariage. Son évêque n'osant pas
le punir suivant la rigueur des canons, il en écrivit
à saint ïves, évêque de Chartres, qui lui répondit:
« Que si pareille chose était arrivée dans son dio-
)) cèse, il laisserait subsister le mariage et se con**
( 26l )
» tenterait de faire descendre le coupable à un
)■> ordre inférieur (i). )) Quel cas ces deux évéques
faisaient-^ils des décisions des conciles et des pon-
tifes ?
(( Au commencement du XIP siècle, Louis-le-
:» Gros permit aux chanoines de Saint-Corneille
)) d'avoir des concubines , et aux autres clercs
» de se marier, mais à condition qu'ils ne pour-
» raient tenir en même temps une femme et un
» bénéfice (2). »
Un concile de Sens, de 1269, lance l'excom-
munication contre les prêtres mariés et les concu-
binaires. On sait que la dépravation y était arriA^ée
au point que des prostituées sollicitaient publique-
ment les ecclésiastiques , que ceux-ci se fiusaient
un honneur d'avoir plusieurs concubines^ et qu'ils
ne montraient aucun scrupule de sortir de leurs
bras pour aller céicbrer la messe (3).
Le concile de Sens ne produisit pas de meil-
leurs eifets que les eOorts multipliés de Gré-
ivoire YII et de ses successeurs. Jean de Mont-
morenci, chanoine de JNolre-Dame, à Paris, vécut
pendant plusieurs années avec une concubine ,
sans perdre ni ses bénéfices ni l'estime de ses
(i) Pothier, Traité du Mariage.
(2) Saint-Edme , Dict. de Paris, article Co3IPIègne.
(3) Dict. féodal; art. Célibat et Mariage.
( 262 )
confrères. Son évêqiie no pensa à lui faire des
réprimandes qu'en 1286.
L'état de l'Espagne n'était pas plus satisfaisant que
celui de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la
France. Le septième canon du concile de Valla-
dolid, tenu en i322, nous apprend que le con-
cubinage était très commun parmi les clercs de
la péninsule 5 et Pelage, auteur du rnèmc temps,
dit comme le concile.
La corruption alla toujours en croissant au ILYSf"
et au XV** siècle. Ce fut surtout pendant le grand
schisme que ses progrès furent effrayans. Occupés
sans cesse de leur propre défense, les papes ne pou-
vaient ni penser à ce que l'on croyait le bien de l'é-
glise , ni irriter les ecclésiastiques qui se rangeaient
sous leurs drapeaux et épousaient leur querelle. Les
conciles de ce temps, au lieu de chercher des re-
mèdes à la corruption des mœurs, lançaient leurs
foudres, jadis redoutables, dans l'intérêt des pontifes
qui les avaient convoqués. A Pise, à Rome, à Cons-
tance, on parlait beaucoup de réformes; mais elles
n'avaient pour objet que la déposition ou l'élec-
tion de quelques papes. Plutôt que de satisfaire à
un besoin qui était devenu si impérieux , et de
seconder les progrès de la raison qui commençait
à luire , ces conciles laissaient toute liberté au
débordement du vice , et s'efforçaient d'éteindre
les premières lueurs de la philosophie.
( 263 )
A peine le schisme fat- il terminé, à peine les
papes n'eurent-ils plus de rivaux à craindre, le
projet de la réforme des mœurs fut repris. Le
plus profond aveuglement avait frappé les chefs
de l'église j l'expérience ne les guidait plus. Au
lieu d'abandonner des moyens dont l'applica-
tion avait produit tant de maux , au lieu de s'é-
loigner de la carrière dangereuse où ils avaient
marché jusque là , ils eurent recours aux mêmes
ressources et poursuivirent le même chemin. Des
déclamations , une augmentation de peines dont
les coupables ne furent pas frappés, l'invocation
de la vengeance divine et du bras séculier, voilà
les armes qu'ils employèrent , voilà de quelle ma-
nière ils prétendirent opérer la réforme. Ils vou-
laient éteindre un incendie qui menaçait de tout
dévorer, et ils y jetaient des matières combustibles.
Ce qui doit frapper quiconque étudie l'histoire
sans être muni d'une bonne dose de philosophie ,
c'est de voir le concile de Bâle s'avançant dans
l'ornière des anciens conciles et renouvelant les
anathèmes et les punitions de l'église, tandis que
celui de Florence , assemblé sous les yeux et sous
la direction immédiate du pape Eugène IV, ne
s'occupait le moins du monde de la réforme que
les papes avaient promise à la réunion de Constance.
Rien n'était plus simple : ces deux conciles en guerre
ouverte, ne devaient pas faire les mêmes choses 3
( 264 )
et les pontifes voyant bien que s'ils entraient une
fois dans la voie des réformes, leur cour en su-
birait beaucoup , ne voulaient pas y entrer.
Le concile de Baie révèle un fait curieux. 11
établit des punitions contre ceux qui fournissaient
aux prêtres des femmes pour de l'argent. Ce mé-
tier est donc fort ancien. Et qu'on ne pense pas
que ce fussent des personnes obscures : le concile
parle spécialement de gens qui , loin d'empêcher
ces désordres, prêtaient leur appui à ceux qui s'en
rendaient coupables. Ils étaient donc puissans.
Quoique le calme fût rétabli dans le sein de
l'église et qu'elle pût facilement punir les concu-
binaires qui ne voulaient pas se corriger, la cor-
ruption alla son train : le nombre des concubi-
naires devait être immense à cette époque. Le
pape Léon X exhortant les autorités à sévir contre
les coupables ^ leur recommande de ne se pas
laisser intimider par leur grande multitude : a
multitudine peccantiwn.
Les scandaleux exemples que donnait ce pon-
tife lui-même devaient faire beaucoup plus de
mal que ses exhortations et ses châtimens ne fai-
saient de bien (i). Les expressions peu mesurées
dont se sert, contre les concubinaires, un concile
( i) Varillas, dans ses Anecdotes de Florence, l. VI, rapporte
»« (ju'à la mort de Jules II, le cardinal de Me'dicis se trouvant
( 265 )
provincial de Cologne, de i549, ^^^ propre à nous
donner une forl mauvaise idée de la corruption de
ce temps. Il les compare aux chevanx et aux mulets:
Ubidinis furiis correpti instar equi et midi, lis de-
devaient être chevaux par l'ardeur de la concupis-
cence, et mulets par leur obstination dans le mal.
Toutes les réformes qu'on a tentées jusqu'ici ,
bien loin de faire cesser le scandale, bien loin
de purifier la société et l'église, n'avalent fait que
donner de la force à une habitude coupable , mais
» à Florence , se fit porter en litière à Rome , à cause d'un
» abcès (ve'ne'rien) qu'il avait aux parties que la pudeur
» défend de nommer. . . Le conclave e'tait commencé quand
» il arriva. . . Il y prit part, . . Les jeunes et les vieux cardi-
» naux persistaient dans une égale obstination Une
« aventure bizarre les mit d'accord.. . L'abcès de Médicis
» s'ouvrit, et le pus qui ep sortit exhala une grande puan-
» teur. . . Les vieux cardinaux, inquiets de leur santé, con-
» sultèrent les médecins du conclave sur ce qu'il y aurait à
î) faire pour eux.. . Les médecins répondirent que Médicis
» n'avait pas encore un mois à vivre. A cette nouvelle, les
» vieux cardinaux allèrent trouver les jeunes, et Médicis
» fut élu pape. »
Cette anecdote a l'air d'un conte et pourrait n'être qu'une
calomnie ; mais personne ne refusera le témoignage de Paul
Jove, qui est un des panégyristes de ce pontife : « Has prœ-
» claras liberalis excelsique animi virtutes , cum nimia sacpe
» vitae luxuria , tura objecta* libidines obscurabant : ita ta-
1) men , ut jucunditate blandae facilisquc natiuac potiùs, ac
( 266 )
nécessaire, el ajouter à la somme effroyable des maux
qui pesaient sur l'Europe. Les peuples étaient ac-
cablés de tous les genres de maux. La puissance ci-
vile et la puissance religieuse réunissaient leurs ef-
forts pour donner plus de force à leur despotisme. 1
La misère devenait générale. Une vive inquiétude
s'emparait des esprits. La position n'étant plus te-
nable, on se laissait aisément aller à des idées de
changement et de réforme que la presse propageait
partout où le mal se laissait voir.
regia quadam licentia, quam certo depravati aniini
) judicio, in ea vitia prolabi videretur, quuni fréquent!
) Llandientium turba cublculi fores obsessae. Paucos ad-
mitterent , qui alioquin docilis verecundique hominis
solutas mores cohiberent, ainicorum optimis ad ea con-
) niventibus, ac libenter sese illecebrarum ministris com-
) miscentibus, ne gratiam apud summos principes in lubrico
positam, in discrimen adducerent, si ingratum auribus
potentiuni reprehensionis officium, honestatis atque be-
nevolentise specie suscepissent. Verum hominem hilaritati
humanisque sensibus facile servientem, niirum in modum
iucitabant plerique cardinales opibus setateque florentes,
qui illusU'i loco nati liberaliterque educati, regio luxu vi.
tam in venationibus , conviviis atque spectaculis libentis-
) sime traducebant. . Non caruit etiam infamia, quod parum
honesti nonnullos e cubiculariis (erant enini e tota Italia
nobilissimi) adamare, et cum his tenerius atque libère
jocari videretur. » Quel tableau! Et un tel pontife parlait
de la réforme des mœurs au milieu d'une telle cour î
( ^1 )
Lorsque les désordres de l'autorité et la misère
des peuples dépassent les bornes de la justice et de
la possibilité, on a beau river les fers et frapper de
grands coups, rien ne peut empêcber une révolu-
tion : ce qu'on fait pour l'étouffer hâte son dévelop-
pement et l'alimente.
Je ne veux pas dire que la révolution religieuse
qui s'opéra dans le XVP siècle ait eu pour
cause unique les vexations qui avaient été néces-
saires pour établir le célibat; il y en avait nombre
d'autres: celle-ci était la plus puissante, parce
qu'elle enrôlait sous les drapeaux de Luther ceux-
là précisément qui auraient dû combattre ce réfor-
mateur. Et que de mariages se contractèrent aus-
sitôt parmi les ecclésiastiques en Angleterre, en
Allemagne et en France (i)!
La réforme eut lieu , des torrens de sang cou-
(i) Il se fit beaucoup de mariages, non-seulement parmi
nos moines et notre cierge' inférieur, mais aussi parmi ceux
que leurs dignite's élevaient aux premiers rangs de la société.
Un historien célèbre rapporte les faits suivans :
« Odetde Chtitillon, cardinal, évèque de Béarnais, s'était
» fait protestant, comme son frère, et s'étedt marié. Le pape
» l'avait rayé du nombre des cardinaux ; lui-même avait
» méprisé ce titre ; mais pour braver le pape, il assista à la
» cérémonie (lit de justice de i563, tenu par Charles IX) en
» habit de cardinal. Sa femme s'asseyait chez le roi et clicz
> la reine, en qualité de femme d'un pair du royaume,
( 268 )
lèrent. Maïs les peuples rejelèrent le joug de la
]»uissance pouliiicale, et les minisires des autels
devinrent des citoyens dans l'état. Une révolution
heureuse se fit aussitôt sentir dans les mœurs. Les
nouveaux religionnaires, libres de satisfaire par
des engagemens légitimes aux besoins irrésistibles
de la nature , cessèrent de donner l'exemple de
la séduclion; ils mirent plus de simplicité dans
lenr conduite et dans leurs principes j ils basèrent
leur doctrine sur les saintes écritures et sur VEi^an-
gile ; ils devinrent meilleurs ministres et liommes
meilleurs. Ils sortirent à la vérité des bornes de la
modération : c'était une maladie inévitable, dont la
cause se trouvait dans la coaction violente exercée
par l'imprudence des législateurs chrétiens.
Les catholiques eux-mêmes éprouvèrent les heu-
reux effets de cette révolution. Il s'établit entre
eux et les réformés vme rivalité d'honneur et de
sacrifice, qui tourna tout entière à l'avantage des
mœurs. Cet état des choses s'établit particulière-
» et on la nommait indifféremment -madame la comtesse
» de Beauvais et madame la cardinale . Ce qui est est très
» remarquable , c'est qu'il n'était ni le seul cardinal ni le
» seul évèque qui fût marié en secret. Le cardinal de Belley
» avait épousé madame de Châtillon, à ce que rapporte
» Brantôme, qui ajoute que personne n'en doutait. •> (Vol-
taire , Esyai sur les mœurs.)
( 269)
ment dans les contrées où les deux culles étaient
en présence : la révolution ne laissa pas que d'in-
fluer même sur les régions les plus lointaines.
Cependant, peu de temps après, les ecclésias-
tiques du culte romain , se trouvant toujours sous
la puissance des anciennes lois , retombèrent dans
leur ancienne corruption. Le dérèglement eut un
peu moins d'éclat , les coupables furent un peu
moins nombreux; mais le mal était profond, et
les palliatifs ne faisaient que d'en déguiser la gra-
vité. Il aurait fallu aller droit à la racine et em-
porter le membre gangrené. Laissons agir le temps.
VVVVVVVVVvVVVVV»/VVVVVvVVrt(\(VVVVVVVVVV\^A/VVvV^VVVvV'\VVV\.VVV\%VVV-jX'VV^
CHAPITRE XIV.
Influence de la corruption du clergé sur les mœurs
publiques.
Si le remède se change en poison , la maladie
en devient plus dangereuse; si ceux qui devraient
conduire au bien, et que l'on regarde comme des
modèles , donnent l'exemple du mal et mènent
vers le précipice , il sera très difficile d'être homme
de bien et de se sauver.
Quelle impression ne devaient pas faire sur les
( ^'70 )
peuples grossiers qui précédèrent la renaissance
des lettres, les dérèi^demens éclatans des ministres
de la religion ? Pouvait-on avoir en horreur les
relations illicites que les lois défendent , lorsque
les organes des lois les autorisaient par leur
exemple? Une maxime banale que les prêtres de
tous les cultes ne manquent jamais de s'appro-
prier , (( Faites ce que nous vous disons, et non
» pas ce que vous nous voyez faire , » peut
apaiser de temps en temps les remords de leur
conscience , mais elle ne peut pas les justifier :
Dieu les punira du mal qu'ils font eux-mêmes,
et de celui que font les autres en marchant sur
leurs traces.
Nous avons eu lieu de nous assurer , par la
lecture de l'histoire , que les mœurs se relâchent
toujours lorsque les institutions, usées par la longue
durée de leur action , tombent sous le poids d'une
civilisation corruptrice. La Judée , la Grèce et
Rome nous ont ofiert l'une après l'autre ce spec-
tacle douloureux. Les peuples sauvages ont encore
moins de retenue. Dans cet état, l'homme est fort
peu au-dessus de la brute. Il pêche d'abord parce
qu'il manque de principes et de délicatesse j il
pêche à la fin par un excès de raffinement et par
un abus fatal de la raison. La vertu se IrouA^e
entre ces deux extrêmes.
Il faut avouer que l'époque où le christianisme
( 271 )
s'établit en Eiiroj)e n'était pas très favorable à
des mœurs pures et sévères. Les peuples se coai-
posaient d'un mélange confus d'iiommes que la
licence avait énervés, et d'hommes qui sortaient
de la plus abjecte barbarie. L'exemple de cor-
ruption des premiers entraîna les seconds : simples
et grossiers, ils se laissèrent séduire par l'appât
du vice et s'y abandonnèrent sans aucune réserve.
Ils n'avaient aucune idée de convenance et de
devoir qui pût modérer leurs dérèglemens ; les
vices de l'enfance s'unirent en eux aux vices de
la décrépitude.
Le prêtre est aussi de son siècle et en reçoit
les mœurs. En arrivant à l'autel, dans ces temps
de barbarie , il n'y portait pas une âme pure et
fortifiée contre la dépravation. Ajoutez-y l'aiguillon
d'un besoin d'autant plus fort qu'une atmosphère
corruptrice l'entourait , et votre esprit peut en dé-
duire facilement les conséquences.
Alors son exemple a dû rendre pire un mal
déjà si grave en lui-même. Comment aurait- il pu
commander et inspirer la chasteté et la conti-
nence à une population qui connaissait sa con-
duite?
Dans ce temps de ténèbres et d'erreur , les
décisions et les lois de l'église formaient une es-
pèce de chaos inextricable. D'un côté, les pon-
tifes de Ptome commandaient aux chrétiens , au
( ^72 )
nom (le VÊuangile , tlo n'avoir qu'une femme ,
ou de n'en avoir aucune; de l'autre, ils conseil-
laient aux princes , dont ils avaient besoin , de
renvoyer leurs femmes légitimes. Lorsqu'il pressait
Charlemagne de répudier sa femme et d'en ad-
mettre une autre dans son lit, Etienne IV savait
bien que ce prince était entouré déjà d'un grand
nombre de concubines. Ce prince suivait les traces
de ceux qui l'avaient précédé sur le trône de
France , et le pape , les idées du temps et les
suggestions de la polihque.
Un concile de Beaugenci cassait le mariage de
Louis-le -Jeune, roi de France, avec Eléonore, par
la raison que cette princesse méprisait un mari
qui avait les habitudes d'un moine, et sous le pré-
texte qu'elle était son arrière-cousine. Cependant
les fdles nées de ce mariage étaient regardées comme
légitimes. Voilà donc le divorce ou le concubinage.
Aussi la corruption devenait-elle de plus en
plus effroyable. L'histoire des princes, dont les
peuples imitent toujours les mœurs , prouve assez
cette désolante vérité. Les trois fils de Philippe-
le-Bel, au commencement du XIV^ siècle, accu-
sèrent en plein parlement leurs épouses d'adul-
tère. Ces trois princesses furent condamnées à
être enfermées , sans doute dans des couvens ;
Louis-le-Hutin fit périr la sienne par le cordon :
leurs amans furent écorchés vifs.
( =73 )
je ne m'arrelerai point au tableau scandaleux
de la cour de François l''', qui mourut des suites
de cette maladie honteuse qui avait déjà entraîné
dans la tombe le plus glorieux des pontifes. Je ne
parlerai pas non plus ni de la cour de Catherine
de Mëdicis, ni de celle de Henri IV, ni de celle
de Louis XIV, ni de celle du régent, ni de celle
de Louis XV. Je ne m'appesantirai point sur les
débordemens de la cour de Rome sous Pie II, qui
avait des enfans naturels et en prenait un soin tout
particulier, sous Léon X, ni sous Alexandre VI,
dont les débauches surpassèrent presque celles de
Néron et de Caligula. Tout le monde connaît l'his-
toire de ces faits trop fameux, en sait la cause
et n'en i{;uore pas les effets.
Dans les siècles comme ceux que nous venons
de parcourir, le célibat ne devait pas être décon-
«sidéré ; le dégoût du mariage, au milieu de scan-
dales si éclalans, était même assez naturel. Et oui
i
aurait pu condamner un citoyen qui, imitant la
conduite de son pasteur et de son prince , ne se
serait pas engagé dans les liens du mariage, et
s'en serait dédommagé comme eux et à leur
exemple ? Les célibataires étaient beaucoup plus
honorés que les pères de famille.
Ce n'est pas tout : on étendit le célibat à des
classes d'hommes qui n'auraient pas dû y être
assujettis. Les ordres religieux militaires furent
i8
{■>-\)
assimilés .nux ordres religieux monaslifjues ; cl ce
n'est pas étonnant : ne défendaient-ils j)as la reli-
gion , et n'appartenaient-ils pas à l'église?
Les professeurs de Médecine ne purent point se
marier. Pent-étre fut-ce leur faute. Pour aug-
menter leur considération, ils se parèrent du nom
de clerc , et en prirent même les habits; car les
«clercs étaient honorés dans ce temps-là. Ce titre
seul les obligea à la continence , je me trompe ,
au célibat. Ce ne fut rju'en \/^Si qu'ils furent
à la fui autorises à devenir mfnis pour nêtre pas
exposés à pis faire. Ce sont les mois de l'ordon-
nance. Ces pauvres professeurs avaient représenté,
dans leur demande , que leur état les obligeant à
visiter les malades de toutes les conditions et des
deux sexes , ils étaient exposés à de trop fortes
tentations.
Le plus léger prétexte suffisait pour imposer le
célibat , même à tous les habitans d'un village.
Ceux de Gonesse près de Paris tombèrent sous cette
interdiction. Et pourquoi ? parce qu'ils étaient
«)l)ligés de garder chacun une nuit les granges du
Pioi, pendant le mois d'août , et d'amener chacun
a son tour les gens de mauvaise vie, les voleurs et
vagabonds dans les prisons de Paris, pendant
toute l'année.
Les soldats, dans les états d'une vaste étendue,
se trouvant obligés de vivre long temps séparés de
( 275)
l(Mirs familles, sont nécessairemeut condamnés au
célibat. 11 serait trop pénible et trop dispendieux
de faire voyager à la snilc d'une armée une se-
conde armée de femmes et deux ou trois d'en fans.
Peut-être ne serait-il pas impossible de trouver un
mode de recrutement plus favorable au mariage
et aux bonnes mœurs. Il n'entre pas dans mon
sujet de faire de pareilles rechercbes j elles tarde-
ront à être faites ou du moins à avoir une appli-
cation : les princes veulent des soldats dégagés de
tous liens, afin de les attacher plus fortement,
exclusivement à eux.
^^%\'\^'»'*^■\'\^t^'Vvv\^'\'\'t^'v\\\vvv»^^*^'*\^'Vv\^v\'\^A^^^\vv^vvvv'\^v^A4V^vl\w^vx\vvwv\Av^vw^^'^vv
CHAPITRE XV.
jurispr:idence de V église adoptée dans les
tribunaux .
La religion chrétienne était faite pour le com-
mandement. Les princes qui s'y sont soumis ou
qui sont nés dans son sein , à peu d'exceptions
près , ont également subi le joug de ses ministres.
Le christianisme prit de bonne heure un as-
cendant marqué, même en Orient, où les em-
pereurs exercèrent pendant quelques siècles les
fonctions de souverains pontifes qu'ils avaient eues
i8..
( 2-6 )
à Rome. Constantin, tout grand, tout despote (ju'il
était, ne sut faire que la volonté de ses prêtres.
Après lui , le trône de Constantinople ne fut
plus occnpé que par des princes faibles, esclaves
de la plus honteuse superstition , et par consé-
séquent de la volonté de leurs clercs et de leurs
moines. Leuis lois sont conformes à celles des con-
ciles, ou vont même au-delà (i). Ils se mêlèrent
des cérémonies de l'église; ils tracèrent les devoirs
du prêtre , ceux des vierges, ceux des veuves,
(i) Si quis noiï dicam rapere, sed vel adtentare, matri-
monii jun{>endj causa, saciatas virgines ausus fuerit, capitali
seuteiitia feriatur.
(Imp. Jovianus, ad sccundum Cod .Theod . ,\'ih . IX, an. 364-)
Qui jure vetevi cœlibes liabebantur, iinminentibus legum
terroribus liberantur : atque ita vivant, ac si numéro ina-
ritoruni , matrimonii fœdere fulcirentur,
(Imp. Const. ad popul., Cod. 7'heod., lib. VIII, an. Sao.)
On voit que cette loi a pour objet d'encourager le célibat
que les anciennes lois de Rome condamnaient, et qui /ilors
paraissait digne de récompense et non de punitions , u^îùv
iTftoQetvftoi^îiv, ûxx'x où ^oxû^ttv. Sozomène dit que l'empereur
Constantin le combla de ses faveurs.
Quamvis legis prioris extet auctovitas, qua inclytus pater
nostcr contra raptores atrocissime jusserat vindicari, tameu
nos tantummodo capitalem pœnam constituimus; videlicet
ne sub specie atrocioris judicii, aliqua in ulciscendo crimine
dilatio uasceretur. Inaudaciam vero servilem, dispari sup-
plicie mensura legum impendenda est, ut pereundi subji-
( 277 )
ceux des évéques. Jovic-n nienaçait de la peine
de mort quiconque aurait osé , non-seulement en-
lever, mais tenté même de séduire, dans le des-
sein de réj)ouser, une vierge consacrée au Seigneur.
Valentinien , Théodose et Arcadius défendaient,
suivant le précepte des apôtres, qu'on admît dans
le collège des diaconesses , aucune lemme qui n'au-
rait pas fini sa cinquantième année. Plus tard, les
mêmes empereurs déclaraient nid le mariage des
ecclésiastiques, celui des chantres et des lecteurs
excepté. Justinien , dans nue loi que j'ai déjà
citée, non-seulement déclarait nuls ces mariages,
mais encore les enfans qui en naîtraient illégiti-
mes et incapables de succéder à leurs pères. Si Ju-
lien eut assez de force pour se soustraire à la
puissance sacerdotale , il n'en eut pas assez pour
ne pas tomber dans l'excès contraire.
Les ministres de la religion montrèrent , dans
cianluv ignibus, nisi à tanto facinore saltem acerbitate pœ-
nai'uin revocejitur.
(Iiiip. Coustaiitius ad Talianuin, Cod. Theod. , lib. IX,
an. 349.)
Quelles peines avait donc e'iablies contre les coupables du
rapt des vierges l'empereur Constantin , pour que celle de
mort fût légère en comparaison? Les brûlait-on à petit feu,
comme cette loi l'ordonne des esclaves? Quel siècle , grand
Dieu I et quelles mœurs !
( -^78 )
les provinces ([u'oii aviiit appelées l'eiiij)ire de
rOccident, beaucoup plus d'audace et de supério-
rité. Les princes temporels se laissèrent gouverner
par eux dés les premiers siècles de notre ère. Les
affaires de l'état se réglaient dans les conciles :
uter et donner les couronnes , régler la juridiction,
déclarer la guerre ou faire la paix, tout cela, et
plus que tout cela était dans les attributions de
la puissance ecclésiastique C'était à elle que les
rois s'adressaient toutes les fois qu'ils avaient besoin
d'un règlement nouveau. Avaient-ils eux-mêmes
de l'orgueil et de la force ? voulaient- ils exercer
dans toute son étendue la puissance législative?
ils assemblaient des conciles oi^i ils faisaient eux-
mêmes les lois qu'auraient dû faire les conciles.
Us étaient tous des Justinien et des Tbéodose.
Charlemagne présidait les conciles comme un pon-
tife , ordonnait aux ecclésiastiques de ne pas aban-
donner leurs femmes , mais de vivre en conti-
nence avec elles, casth regat (i)j déterminait quels
étaient les clercs qui po)ivaient contracter mariage,
quelles femmes étrangères ils pouvaient garder au-
près d'eux (2); expliquait ce qu'il fallait croire
de la procession du Saint-Esprit....
Nulle puissance n'était alors au-dessus de celle
(1) Conc. de Genèi-e, de 778, can. VT.
(2) Capitulaires d\4ix-la~ Chapelle^ en 789.
( 279 )
de l'éi^lise, ni son égale. Guiilaiiine-le-Conquéraiit,
(|iil soumettait des nations entières et les dominait
par l'épée, n'osait faire une loi sans le secours et
l'appui des conciles. Voulait-il faire cesser l'abus
et le scandale des amendes pécuniaires (pie les
évèques retiraient des clercs qui vivaient en con-
cubinage, et qui étaient un motif pour le tolérer^
pour l'encourager même ? il n'avait d'autre moyeu
«pie de convoquer un concile (i). Youlait-il ré-
sister en quelque chose à la volonté du souverain
pontife? il convoquait un concile. Les conciles
étaient tout ; iJ n'y avait d'autre pouvoir que
le leur.
La puissance ecclésiastique ne recourait à la
puissance leniporeile que dans le cas où elle en
avait une indispensable nécessité , lorsqu'elle trou-
vait une vive résistance et qu'il lui fallait la force
des armes pour la vaincre. Ainsi le concile de
Séville en 690, et celui de Baie en i435 , s'a-
dressèrent au bras séculier pour contraindre les
clercs concubinaires à se séparer de leurs femmes.
Ainsi Benoît Yill recourut à l'empereur Henri II,
([ui est aujourd'hui un saint de l'éi^lise , pour
<|u'il voulut bien confirmer par sa sanction im-
périale son cuncile de Pavio et mettre quelques
(i) Conc. de Londrci, de 1080, can. V.
( 2S0 )
bornes à l'incontinence des ecclésiastiques (i)j
et l'empereur docile ne fit ])as attendre l'appui
de son autorité. Il seconda de tout son pouvoir
les décrets du ponlife ; il ajouta les peines tem-
porelles aux censures de l'église j il fit du concile
de Pavie une loi de l'état.
Et ne croyez pas que cet empire absolu d'un
côté et cette obéissance aveugle de l'autre n'aient
eu qu'une durée passagère. La puissance despo-
tique des conciles a existé chez nous jusqu'en
1789. La pragmatique sanction de saint Louis
était-elle autre chose qu'un extrait des canons des
difFérens conciles ? Lorsque l'Europe était tra-
vaillée , déchirée par les discordes intestines ou
par la fureur des schismes, à qui s'adressait-on
pour rétablir le calme et la tranquillité? aux con-
ciles : et tous les peuples attendaient avec res-
pect leurs décisions. Ces décisions arrivaient; l'or-
dre n'étant pas rétabli, la maladie s'accroissait.
Cherchait-on quelque autre expédient? on n'en
concevait pas même la pensée : on appelait au
pape mieux instruit et au futur concile. Avec
quelle avidité la France ne s'empara-t-elle pas
des décrets du concile de Baie ? Ce fut une es-
pèce de frénésie. Le Roi , les nobles , le clergé
(i) Corw. de. Pm'ie, du i" aodt 1020.
( 28i )
et le peuple les accueillirent avec une joie infinie ;
ils furent changés en loi de l'état; ils régirent la
France depuis Charles Y II jusqu'à François V%
depuis Eugène IV jusqu'à Léon X (i). Zlska
prit les armes contre un concile; Procope vint
rendre compte de ses idées et de ses actions de-
vant un concile. Charles-Quint , Henri II , l'em-
pereur Ferdinand, l'empereur Maximllien , tous les
princes du XVP siècle , que l'expérience du passé
n'éclairait point, ne crurent pouvoir satisfaire aux
exigences de l'opinion que par les décrets d'un
concile. Le concile fut tenu; il ne fît aucune des
réformes qu'on lui avait demandées; il aigrit de
plus en plus les esprits; mais il n'en devint pas
moins une loi de l'état pour toute l'Italie , pour
l'Espagne , pour le Portugal et pour les vastes
provinces qui en dépendaient. 11 n'y eut que PAl-
lemagne et l'Angleterre qui ne voulurent point
le recevoir. 11 n'y fît jamais sentir son action ,
du moins d'une manière directe.
La France le refusa d'abord ; l'ambassadeur de
Ferrier fit contre ce concile les plus fortes pro-
testations. Des jurisconsultes et des théologiens le
(i) Ce qui donna une si grande vogue au concile de Bàle,
ce fut peut-être la Laine qu'on avait alors contre les souve-
rains pontifes. On voulait leur opposer leurs propres armes,
/jui s'étaient tourne'es contre eux.
( =.82)
qualifièrent de coneiliabule. DmiioMllii , Sei\iii,
])lusieurs autres maj^istrals illiisties élevèieut leurs
voix courageuses contre ses actes. Le Gouvernement
s'opposa toujours à sa réception, f lenri 111, qui certes
n'était pas un esprit fort, tout en adoptant queUjues-
uns de ses décrets sur la doctrine , refusa d'ad-
mettre dans son ordonnance de Biois de iSyô,
aucun de ceux qui se rapportaient à la discipline;
il ne prononça pas même le nom de ce concile (i).
L'abbé Fleury dit en propres termes : (( Les dé-
» crets de doctrine du concile de Trente ont été
)) reçus en France sans diliiculté ; pour les décrets
» de discipline , quelque instance (|ue le clergé en
») ait faite , il n'a pu en obtenir la réception
» authentique. »
Cela est vrai en droit, et c'est beaucoup; mais
en fait, la plupart des décrets du concile de Trente,
même sur la discipline, furent adoptés insensible-
ment par l'usage, et devinrent dans la pratique
(i) Ce fut la cause principale de sa mort. Jacques-Cle'nient
fut lancé contre lui .par l'influence sur l'opinion et par les
conseils du parti prêtre d'alors. Henri III ne paraissait pas
assez, dévoue, par la raison qu'il ne faisait pas tout ce qu'on
lui demandait, parce qu'il faisait arrêter les prêtres et les
théologiens rebelles. Pouvait-on ne pas s'en défaire, même
par un assassinat? Et ce n'est pas la seule victime du cour-
roux des rclir.ieux.
( 283 )
des lois dont les tribunaux purent se prévaloir.
Nos rois d'alors et la magistrature elle-même
n'avaient ni assez de luniières ni assez d'indépen-
dance pour se prémunir contre les insinuations
constantes du clergé et des pontifes.
En ce qui se rapporte à mon sujet, les tribu-
naux entrèrent tout-à-fait dans les vues du con-
cile de Trente, et allèrent même au-delà. Il existe
un grand nombre de jugemens des cours souve-
raines du royaume , qui déclarent nul le mariage
des ecclésiastiques, non-seidement lorsqu'ils sont
restés dans le culte romain , mais encore quand
môme ils ont embrassé le culte calviniste. Et quelle
raison en donnaient-ils ? « Que rempécliement des
)) ordres sacrés étant devenu une loi de l'Etat ,
ï) et le prêtre , quoique calviniste , étant toujours
» dans l'Etat , il est toujours sujet à cette loi et
)) ne peut pas se marier légitimement (i). »
La doctrine des tribunaux de noire royaume
sur le célibat religieux est renfermée dans les
conclusions de l'avocat général Talon, dans une
cause qui fut jugée en 1640 ; les voici : « Qui-
» conque sert à l'autel, qui est employé dans les
)) sacrifices en qualité d'ordiné, de sanctifié, est
» incapable du mariage, par une résistance per-
(1) Merlin, Répertoire de jurifpnidtiKc, arl. Témpat.
( :^»4 )
)) soiiiJcUc el une iiicopacilé cai)oin([iie, pur inie
>) obligation solennelle (lui procède du vœu taislLle
y) de conlinence, auquel il s'est obligé el duquel il
» ne peut se dédire, voire même par l'exemple de
)) toutes les nations chrétiennes de l'Orient et de
>) l'Occident, dans lesquelles il ne se trouve point
)> qu'aucun prêtre ait jamais pensé au mariage
» depuis son ordination. L'opinion contraire à
)) cette maxime est liércsie dans un royaume très
» chrétien , et l'action contraire est un crime
V capital selon nos mœurs. Si un prêtre se marie,
» soit qu'il cache ou avoue son ordre ^ il peut
y> être poursuivi extraordinairement , nonseulc-
)) ment à la requête de celle qu'il a abusée, mais
>) même à la diligence du procureur général ou
» de ses substituts. Les exemples en sont publics
» à la tournelle. Et si un homme marié se faisait
y) promouvoir à l'ordre de prêtrise, son impiété
)) passerait pour un sacrilège, pour une profana-
)) tion de sacrement , crime qui mérite la mort. ))
Ensuite il cite plusieurs arrêts qui ont cassé des
mariages contractés par des personnes engagées
dans les ordres sacrés ou dans la profession re-
ligieuse. En voici un exemple de cette dernière
espèce : « Le sieur Laferté Imbault se plaignait
)) du mariage contracté par son frère le chevalier
M de Malte , religieux profès , qui , pour autoriser
» son mariage, avait fait profession df la religion
( 285 )
» réformée. Celle qu'il avait épousée soutenait
yy avoir été séduite et être de bonne foi.... Néan-
» moins la cour cassa le mariage et fit défense au
)) chevalier de hanter ni de fréquenter sa femme,
» sous peine de la vie (i). » Sous peine de la vie!
Les conciles n'avaient jamais porté une telle peine.
Quel malheur que de sortir des bornes de sa ju-
lidiction! Quiconque envahit une province étran-
gère Y poite toujours le ravage et la mort (2).
Le roi Henri \Ill, lorsqu'il voulut donner uu
culte de sa façon au peuple anglais, et qu'il eut
substitué son pouvoir à celui des pontifes et des
conciles, alla aussi jusqu'à menacer de la peine
de mort, non-seulement les clercs qui violaient la
(i) Recueil de Bordet, liv. III , c. CXV.
(2) Une fois immiscés dans les affaires de l'église, les
tribunaux portèrent leurs prétentions plus loin que le clergé
ne l'aurait voulu et qu'ils ne l'auraient dû. Qui ne con-
naît les misérables discussioiis qui eurent lieu, vers le mi-
lieu du siècle dernier, entre l'autorité ecclésiastique et le
parlement de Paris, au sujet des billets de confession et du
refus des sacremens? Si le roi cassait les arrêts de la ma-
gistrature, ne s'attribuait-il pas à lui-même, n'attrlbuait-il
pas à son conseil privé le droit de diriger les prêtres dans
l'exercice de leurs fonctions ecclésiastiques? Cependant il
s'agissait de choses dont l'autorité séculière ne devrait ja-
mais se mêler : l'administration des sacremens est toul-à-
falt réservée à la puissance spirituelle.
( 286 )
( (^nlineuce, mais aussi ceux (\\n osaient U'iiler une
coupable sétluclion.
Telles étaient les lois sur le célibat dans le
royaume, lorsque la révolution vint tout changer.
L'assemblée nationale trouva le cbcmin déjà frayé,
y entra avec franchise et le parcourut d'une ma-
nière digne d'elle et digne de la nation qui l'avait
investie du pouvoir législatif.
VV\\\VVVVvVVVVViVVVVV^\/\'VV\VVVVVVVVVVVi;V\VV\V\\vV\VVVVVVVVV\\V\VvV\V'^\«\^\^\VV\ V%'\\^
SECTION II.
Du célibat depuis la réi^olution jusqu'à
nous.
AVAÎST-PROFOS.
Après le concile de Trente , tout prêtre qui
eut osé ftiire l'aveu solennel que les sentiinens
de la nature n'étaient pas éteints au fond de son
cœur , tout religieux qui aurait eu l'audace de
s'engager dans des liens légitimes, se serait exposé
à être poursuivi à toute outrance, à être privé
de sa forliuie, de sa liberté, de sa vie.
L'action coustante de cette loi barbare, et l'i-
dée de sainteté qui s'y rattachait et qui lui servait
de fondement et d'appui , gagna à la fin l'opi-
nion populaire. Un religieux ayant une femme
et surtout des enfans eût été regardé comme un
monstre. Ce préjugé avait pris tant de force, que
peu de gens, dans les pays catholiques, savaient
se soustraire à son joug. La magistrature y était
également soumise. Des révolutions populaires eu-
rent lieu contre les agens des pontifes, lorsqu'ils
voulurent contraindre la première fois le nombre
( .88 )
considérable de concubiuaiics religieux à se séparer
de leurs femmes' Des révolutions populaires cu-
rent lieu plus lard, lorsque des eccléslasli(jues ,
se laissant entraîner aux senlimens de la nature ,
ne surent pas s'abslcnir de violer la loi tyran-
nique des pontifes. Il y a ici contradiction : la
religion et ses principes étant toujours les mêmes,
ce qui était vice dans un temps n'a pu être
vcrlu dans un autre. Se trompa-t-on d'abord?
se trompa-t-on dans la suile ?
Si l'opinion devint extrêmement sévère contre
les engagemens le'oitimes et avoués des religieux,
elle se relâcha beaucoup sur les intrigues obscures
qui en prirent la place. En Italie, les clercs jouis-
saient et jouissent encore de la plus grande liberté.
La coiu' pontificale donnait de temps en temps
des exemples qui conciliaient l'opinion des hommes
sages avec les idées d'une tolérance extrême.
Eu Espagne , l'exercice constant de la sainte
inquisition aurait pu efirajer les cœurs les plus
affermis ; mais il était tout naturel que les prêtres
ne tournassent pas contre eux-mêmes l'arme si
redoutable dont ils s'étaient armés, non dans le
dessein de rendre leur existence plus difiicile et
plus pénible, mais pour s'assurer à jamais l'em-
pire et les ricliesses. Aussi l'Espagne est-elle de-
venue leur domaine : ils y régnent en maîtres, ^
ils s'y sont assuré mille privilèges et mille pré-
( 289)
rogatives ; personne ne pourrait troubler impunë-
inent leurs plaisirs; et l'Europe n'a pas une grande
idée de leur chasteté.
Le clergé de France s'est trouvé dans une po-
sition plus diflicile. La présence des calvinistes,
les reproches qu'ils adressaient aux ministres du
culte catholique , la surveillance sévère que ceux-ci
exerçaient constamment sur leur conduite , obli-
geaient les évêques à être vigilans et inflexibles,
et les clercs inférieurs à se tenir constamment
sur leur garde. Qu'est-il arrivé cependant? Les
prêtres ont-ils observé une continence exacte ?
C'est impossible. Ils ont rais tous leurs soins à
cacher le fd de relations dont la connaissance
aurait pu les plonger dans des malheurs affreux.
Qu'est-il encore arrivé? Des enfans ont été ex-
posés ou étouffés.... des femmes égorgées!... Tirons
un voile sur ces liorreurs ! Ne placez jamais
l'homme entre les sentimens les plus forts, les
plus légitimes de la nature , et des devoirs chi-
mériques que le préjugé enfante et que de mau-
vaises lois pénales fortifient : il est alors dans la
voie du crime.
Malgré l'excès de ces abus et ces scandales qui
affligeaient le royaume , les lettres et la phi-
losophie commençaient à dissiper les ténèbres
que de barbares institutions avaient répandues
sur l'Europe entière. Eclairés par le flambeau des
'9
( 290 )
sciences , les philosophes tournèrent leurs regards
autour d'eux , et le s])cctMclc de la misère pu-
blique porta l'efifroi dans lenrs cœurs. Ils virent
d'un côté l'oppression et l'indigence , de l'autre la
tyrannie et les profusions insensées. Ici, une sou-
mission aveugle à des principes et à des hommes
au^quels on supposait une céleste origine; là, une
licence effrénée , un mépris évident des doctrines
et des vertus que l'on enseignait au nom du ciel;
la paix sur les lèvres, la guerre dans le cœur, la
continence dans les paroles , le libertinage dans
les actions, les crimes souillant le sanctuaire, les
ministres gémissant sous le joug des plus tyran -
niques lois, le scandale détruisant la confiance et
portant de cruelles atteintes aux mœurs et au
bonheur de la société.
Un tel état était-il conforme à la nature de
l'homme? L'étude de leurs propres affections et
la connaissance de l'histoire leur donnaient une
tout autre idée de l'espèce. Sparte, Athènes,
Rome , dans les beaux jours de leurs républiques,
avaient eu des vertus et des prospérités ; tous
les peuples que de mauvaises inslilutions n'a-
vaient pas égarés avaient trouvé le bonheur dans
l'égalité des droits.
Les institutions de l'Europe étaient donc mau-
vaises, et c'était à elles qu'il fallait attribuer la
malheureuse existence des peuples. Cette pensée
( 291 )
))orta les philosophes à rechercher l'origine dos
maux qui pesaient sur les nations.
Les dérèglemens scandaleux des ecclésiastiques
fixèrent aussi toute leur attention. Pourquoi des
hommes qui avaient un si grand intérêt à don-
ner l'exemple des vertus se livraient -ils aux
vices ? Ne les aurait-on pas forcés à des devoirs
qui ne sont pas dans la nature de l'homme? JN'au-
rait-on pas altéré, faussé une doctrine toute cé-
leste , que la divinité elle-même avait enseignée
aux humains pour les rendre heureux? Le douto
conduisit aux recherches , et les recherches à 1»
vérité. L'ignorance, la présomption et l'égoïsme
avaient dénaturé la morale divine de V Evangile,
imposé un joug insupportable aux ministres du
culte catholique et porté un coup fatal à la pu-
reté des mœurs et à la prospérité de la religion.
Ces idées étaient déjà bien répandues vers le
milieu du XVIIl' siècle. On ne connaissait pas
la véritable cause du mal; on n'imaginait point,
pour purifier la société , d'autres moyens que ceux
qui avaient été fixés par les canons. Les personnes
éclairées sentaient au contraire que les dérègle-
mens des ecclésiastiques venant des mesures or-
données par ces canons eux-mêmes ^ l'expédient
unique de rendre le clergé à sa véritable destinatioii
était de rejeter ces lois absurdes et de replacer les
ministres des autels dans le droit commun.
19..
( ^9^ )
La nécessité de délivrer le royaume de l'oppres-
sion épouvantable qui le menaçait d'une dissolution
prochaine fit éclater la révolution. Le peuple
français reprenant l'exercice de ses droits , dont
des envaliisseinens successifs l'avaient dépouillé ,
envoya auprès du troue des mandataires fidèles ,
chargés de faire connaître ses besoins au monarque
pieux (jui désirait lui-même d'y mettre un terme.
11 se forma une assemblée composée de l'élite de
la nation, brillante de lumières et animée du zèle
le plus ardent pour le bien public. Jamais corps
législatif n'avait été ni plus sincèrement dévoue
à la patrie , ni doué d'un instinct plus heureux
pour trouver le bien , ni investi d'un plus grand
pouvoir, ni entouré d'une plus entière confiance.
La nation comptait sur ses représentans et les
appuyait de son suffrage et de sa volonté énergique.
Cette assemblée à jamais célèbre, dans son ar-
deur infatigable pour le bien , signala tous les
abus, indiqua des remèdes à tous les maux. La
religion étant l'un des plus puissans ressorts des
gouvernemens pour affermir le bonheur du corps
social , elle ne fut pas oubliée. Les députés du
peuple en firent l'objet de leurs méditations et
de leur sollicitude. Les réformes qu'elle exigeait
depuis plus de quatorze siècles furent à la fin
proposées par l'Assemblée constituante , et sanc-
tionnées par l'autorité royale.
( 293 )
Avant (l'exposer les lois de celle assemblée sur
le célibat des religieux , il est à propos de s'ar-
rêter uu instant , afin de soumettre ses titres à
un examen réfléchi. Avait-elle mission pour s'oc-
cuper d'un pareil sujet ? Si elle a usurpé des pou*
voirs qui n'étaient pas dans son mandat , ses acles
sont entachés d'une nullité radicale. Nos recher-
ches ne seront pas inutiles : il existe non-seu-
lement en Espagne et en Italie, où la puissance
pontificale s'est presque rétablie dans son ancienne
splendeur , mais encore en France et au milieu
des vives lumières de notre capitale, un parti
nombreux et puissant qui a ou qui feint d'avoir
adopté ^cette opinion.
^iV\iVVVVVVV\\^VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV\%V\XVVVVVV\MiVV\vVV«\%VV\VVVi/V\^
CHAPITRE PREMIER.
Droit de V Assemblée constituante sur le célibat
religieux .
Personne ne conteste à une nation le droit de
pourvoir à ses intérêts , par elle-même ou par le
moyen de ses mandataires. Ce droit est fondé sur
des raisons trop légitimes et trop évidentes pour
qu'aucun être doué d'entendement puisse les mettre
en doute. Comment pourrait-il arriver qu'un nombre
( ^94 )
plus ou moins considérable de personnes ne pus-
sent point faire collectivement ce que chacune
d'elles peut faire en son particulier?
L'Assemblée constituante pouvait donc légitime-
ment donner à la nation française toutes les ins-
titutions qu'elle croyait utiles.
La nature de son mandat l'autorisait-elle à s'oc-
cuper des affaires religieuses? 11 faut distinguer :
les lois de la religion forment deux codes à part
et très distincts l'un de l'autre. Le premier traite
du dogme, de ce qu'il faut croire, de ce qui a
été révélé et dont l'église conserve et peut seule
interpréter les actes authentiques j le second ren-
ferme des règlemcns civils qui ont pour objet
d'indiquer aux citoyens ce qu'ils doivent faire et
ce qu'ils ne doivent pas faire : celui-là dirige les
sentimens intérieurs de l'âme , celui-ci commande
les actions du corps ; l'un se saisit pour ainsi dire
de la pensée et l'accompagne dans tous ses déve-
loppemens , l'autre se charge de suivre le citoyen
au sein de la société, détermine ses mouvemens,
gêne sa liberté, inflige des punitions. Vodà deux
espèces de lois tout-à-fait distinctes et qui ne sem-
blent pas devoir rester dans les ressorts de la même
puissance. Les unes, toutes spirituelles, ne s'adres-
seiit qu'à l'esprit; les autres , matérielles et sensi-
bles, s'adressent plus particulièrement à l'individu.
]N'est-il pas visible que les premières seules entrent
( 295 )
dans le domaine de l'autorité relij:;ieuse , et que
les secondes appartiennent de droit à l'autorité
civile ?
Cette dislinclion était nécessaire pour nous for-
mer une idée juste des attributions respectives de
ces deux autorités. 11 existe entre elles une limite
nécessaire , que ni l'une ni l'autre ne peuvent dé-
passer, sans devenir usurpatrices et sans porter le
trouble dans le corps social.
Lorsque la puissance ecclésiastique condamnait
les clercs à des peines corporelles j lorsqu'elle ren-
dait esclaves et s'appropriait leurs enfans et leurs
concubines 5 lorsqu'elle déposait les rois et les obli-
geait à se vêtir du froc ; lorsqu'elle changeait
presque tous les jours de la semaine en jours de
fête, liait les bras des citoyens et augmentait la
misère publique ; lorsqu'elle déterminait la légi-
timité et l'illégitimité des personnes j qu'elle don-
nait ou retranchait le droit de cité et mêaie
d'homme , restait-elle dans les bornes que lui
avaient assignées VEvangile et la nature même
de ses fonctions?
La puissance civile ne serait pas moins usurpatrice
si elle aspirait à se mêler du dogme et des cé-
rémonies de l'intérieur du temple, qui sont comme
la partie visible du dogme lui-même. Elle serait
usurpatrice^ si, en s'attribuant l'interprétation des
saintes écritures, elle voulait imposer ses croyances
( 296)
OU ses opinions ; elle serait usurpatrice , si elle
avait la prélenlion d'étenrlre ou de diminuer le
nombre des sacrcmcns , de prescrire la manière
de les administrer, d'ordonner aux ministres des
autels de les administrer lorsqu'ils ne le jugeraient
pas à propos; elle serait usurpatrice, si elle im-
posait de nouveaux paremens, un nouveau rituel,
de nouveaux usages.
Qui ne voit pas combien seraient funestes à la
religion et à la tranquillité publique les empiète -
mens réciproques de ces deux puissances? L'his-
toire peut être appelée à l'appui du raisonnement.
Combien de révolutions et d'effinyables catas-
trophes n'ont pas dû leur origine aux envahisse-
mens de l'une de ces deux autorités? Quels tor-
rens de sang n'a pas fait couler la seule querelle
des investitures ?
Pour décider si l'Assemblée constituante était
en droit de s'occuper du célibat religieux, il suffit
donc de déterminer s'il est un dogme infaillible
de la foi, un principe sûr de croyance placé hors
de la portée de notre faible raison, une idée abs-
traite qui ne commande qu'à l'esprit, ou bien si
c'est une loi née sur la terre et sanctionnée bien
avant le christianisme lui-même, un produit de
l'erreur qui dérive partout du même principe,
un sujet éternel de discussions et de troubles _,
une entrave, une gêne apportée à la liberté et
( ^97 )
menaçant les mœurs et l'existence de la société.
Si la lecture des faits que j'ai déjà rapportés
n'a pas donné au lecteur les principes nccesssaires
pour résoudre une pareille question , j'ai perdu
toul-à-fait mon temps et mes soins. Nous avons
vu que le célibat prive l'homme de la jouissance
d'un droit inséparable de sa nature ; que cette
usurpation est une atteinte mortelle portée à sa
liberté sous le point le plus vital de son existence;
que les souverains pontifes eux-mêmes , et des
conciles graves qui jouissent de la plus grande
autorité dans l'église, n'ont pas cru que le ma-
riage fut incompatible avec l'exercice des fonctions
sacerdotales ; que les papes se sont toujours ré-
servé le pouvoir de séculariser les ministres du
culte catholique, c'est-à-dire de leur accorder
la permission de contracter mariage ; qu'ils ont
dispensé et dispensent encore du vœu de con-
tinence, comme ils le font pour les autres vœux,
pour les abstinences et pour le jeûne. Il est donc
prouvé que le vœu de chasteté n'est pas un dogme
fondamental de la foi; car les papes ne dispense
raient pas de croire, par exemple, à la très sainte
trinité ou à la rédemption du genre humain.
Au reste , la puissance civile s'était saisie des
lois relatives au céhbal des clercs, bien avant
l'existence de l'Assemblée constituante. Si elle ne
l'imposait pas en principe , elle le rendait néces-
( 298 )
saiie par le fait, en déclarant nul le mariage, et
illégilirncs les enfans de tous ceux qui avaient
fait le vœu solennel de continence, et en les con-
damnant eux-mêmes aux pcmes les plus j^raves
et à la mort. L'Assemblée constituante était donc
en droit de s'en occuper, quand ce n'aurait élé
que pour déterminer jusqu'à quel point les tri-
bunaux civils devaient prêter leurs secours à la
puissance ecclésiastique.
vVVVVVVVVVVVVVVVV\ VVVVVXA/VVVXiV \A^ VVV VVV\\iVVVV VVV VV\ VV\* VVV VVV*A/V vvv vv\» vvvv
CHAPTTP.E II.
Du célibat sous ï Assemblée constituante.
Le vœu solennel de continence porte la plus
grave atteinte à la liberté de l'homme et le prive de
l'usage de ses facultés. Dire à quelqu'un, alNe te ma-
)) rie pas, ou je te punis de mort, » c'est la même
chose que de lui dire : « INe bouge pas, ou je te pu-
» nis de mort ». L'Assemblée constituante devait-
elle tolérer cette loi inique et barbare? JNe devait-
elle pas restituer aux citoyens leur liberté tout en-
tière? iNéi^Hger de le faire eût été ne pas accomplir
un des devons les plus essentiels de sa mission.
La société a le droit de restreindre en quelque
( ^99 )
chose la liberté de ses membres. Je ne conteste pas
ce principe nécessaire à l'existence de tonte associa-
tion ; mais ces sacrifices particuliers ne peuvent être
ordonnés que lorsqu'ils sont nécessaires, indispen-
sables au bien de tous. Le vœu de continence est-il
un sacrifice de ce genre? Apporte-t-il le plus léger
avantage, ou à celui qui s'y condamne, ou à ceux
au milieu desquels il vit? IN'est-il pas une cause de
corruption et une source inépuisable de maux? Ne
fallait-il pas le proscrire , comme on proscrivait les
lettres de cachet et le pouvoir absolu?
La constituante, dit-on, aurait dû se borner à
donner aux clercs la liberté de revenir dans le
monde, en perdant tous les avantages qu'on leur
avait assurés sous la condition expresse qu'ils gar-
deraient la conlinence; elle se serait conformée aux
canons de la primitive église; elle aurait été plus
juste et plus morale. Les pères de la primitive église
n'étaient pas ])lus infaillibles que ceux de la nou-
velle; ils s'étaient laissé entraîner par une erreur
malheureuse, établie, et affermie avant que le fils de
Dieu fut descendu sur la terre et eut opéré la ré-
demption du genre humain. Au lieu de prendre
pour point de départ et pour règle unique de con-
duite V Evangile , et Moïse, et les prophètes qui
avaient représenté VEvangile^ comme fombre repré-
sente le corps, Us suivirent la doctrine des deux
principes; ils épousèrent en partie les dogmes que
( 3oo )
soutinrent avec une si f;inatif|iie ardeur, Manès,
Priscillien el plusieurs autres dissidens jusqu'à Bé-
renger; ils se livrèrent aux idées abstraites d'une
peiTeclion absolue, qui est loin d'être une perfec-
tion , ou qui du moins n'est pas compatible avec la
nature de l'honmie.
L'Assemblée constituante devait donc à la France
et à l'bumanité de proscrire tous les vœux qui sont
contraires à la nature et destructifs de la prospérité
publique, de déclarer que le mariage ne priverait
pas du droit de servir les autels, et de soutenir les
ecclésiastiques qui, secouant le joug du préjugé
commun, croyaient pouvoir en même temps nourrir
une femme, élever des enfans, prier le Seigneur et
conserver les bénéfices que la société accorde à ceux
qui desservent les autels.
Elle satisfit à l'attente générale des amis de l'bu-
manité; elle établit, par son décret du i3 février
1790, que c( la loi ne reconnaîtrait plus de vœux
» monastiques solennels des personnes de l'un ni de
)) l'autre sexe- » Ce décret fut revêtu, le 19, de la
sanction royale, et devint une loi de l'Etat. Aussitôt
les moines sortirent de leurs couvens, et un grand
nombre usèrent de la liberté qu'ils venaient de re-
cevoir, pour s'engager dans les liens d'un légitime
mariaoe.
Un traitement fut fixé pour dédommager les reli-
gieux de la perte de revenus dont ils jouissaient au-
(3oi )
paravant et assurer leur subsistance dans le monde :
c'était un juste dédommagement pour la perte de
leur état. Cependant; soit par esprit d'économie,
soit par d'autres considérations faciles à saisir, l'As-
semblée nationale ordonna, par ses deux décrets du
4 octobre 1790 et du 6 janvier 1791 , que celles
d'entre les chanoinesses qui contracteraient mariage
seraient privées de leurs traitemens. Comme ces deux
lois auraient pu beaucoup gêner la liberté de ces re-
ligieuses, et se trouvaient par là contraires au prin-
cipe général déjà établi par l'Assemblée, elle les
rapporta par un nouveau décret qui reçut la sanc-
tion royale le 12 septembre 1791-
L'Assemblée nationale ne borna pas là sa sollici-
tude : elle abolit, le 3 septembre 1791 , toute obli-
gation qui pourrait résulter du vœu de continence.
<( La loi )) , est il porté en lête de la constitution de
ce jour, « ne reconnaît plus ni vœux religieux, ni
» aucun autre engagement qui serait contraire aux
)) droits naturels. » Et lorsqu'elle vint à définir,
dans la loi du 20 septembre 1792, au titre IV, sec-
tion F", « les qualités et les conditions requises pour
» pouvoir contracter mariage, » elle n'y fit aucune
ntention des ordres sacrés qui, par là, cessèrent
d'être regardés comme un empêcbement.
Yeut-on des preuves évidentes que telle était la
pensée de l'Assemblée constituante? voici des faits
propres à détruire toute espèce d'incertitude. Le
( 302 )
17 septembre 1792 , il fut présenté au corps législa-
tif une (îcnoncialion contre un évéque qui « avait
» refusé l'itisLitution canonique à un vicaire , sous
» prétexte qii'il était marié. L'Assemblée passa à
» l'ordre du jour, motivé sur ce que tout citoyen
» peut se pourvoir devant les tribunaux contre la
» violation de la loi à son égard. »
Le 19 juillet 1793, la Convention nationale re-
çoit le recours de Blanc Poupirac, curé de Coudray,
dans le district de Corbeil, qui se plaint qu'on lui
refuse son traitement , par la raison qu'il est marié.
L'Assemblée passe encore à l'ordre du jour, motivé
sur ce que (( aucune loi ne peut priver du traitement
)) les ministres du culte catbolique qui se marient.»
En outre, « elle renvoie la pétition au ministre de la
)) justice, pour faire exécuter les lois, et poursuivre
» les auteurs des troubles et actes arbitraires dans
>) la commune de Coudray, relativement au mariage
» de Blanc Poupirac. »
De plus , comme il lui était prouvé que beaucoup
d'évêques s'opposaient au mariage des ecclésiasti-
ques, la Convention décréta le même jour, u que les
» évêques qui apporteraient, soit directement, soit
)) indirectement, quelque obstacle au mariage des
» prêtres, seraient déportés et remplacés. »
Cependant, les évêques continuant à frapper de
destitution les prêtres qui se mariaient, la Conven-
tion nationale prit un autre expédient. L'article i*'
( 3o3 )
du décret du 1 2 août 1 798 porte : « Toute destitu-
» tlon de ministres du culte catholique qui aurait
» pour cause le mariage des individus qui y sont
)) attacliés, demeure annulée, et le prêtre qui en
)) est l'objet pourra reprendre ou continuer ses
)) fonctions. »
Les lialjitans de quelques communes où les curés
avaient assez de bon sens et de courage pour se ma-
rier se mettaient en révolution ouverte contre eux;
ils refusaient de recevoir les sacremens de leurs
maijis ; ils les poursuivaient ])ar le ridicule, par les
cris et par la violence. Les curés étaient contraints
de se retirer; ils perdaient leur état et leurs moyens
de subsistance. Comment obvier à cet inconvénient ?
La Convention nationale, le ly septendjre 1793, dé-
crète que « tout prêtre qui se sera marié et qui sera
)) inquiété à ce sujet par les liabitans de la commune
» de sa résidence, pourra se retirer dans tel lieu
» qu'il jugera convenable , et que son traitement
)) lui sera payé aux frais de la commune c|ui l'aura
)) persécuté. »
La faveur des Assemblées nationales envers le
mariage des ecclésiastiques fut toujours si pronon-
cée, que, malgré la pénurie d'argent et le besoin
d'une économie sévère, les pensions qui avaient été
assignées précédemment aux ministres des autels
leur furent toujours exactement payées, même après
qu'engagés dans les liens du mariage, ils ne purent
(3o4)
plus, par la stûle , remplir les fonctions du sacer-
doce (i).
(i) Les pensions qui avaient été' accorde'es aux eccle'sias-
tiqucs devenus séculiers furent payées avec une scrupuleuse
exactitude pendant la révolution, sous le consulat et sous
l'empire. Le 22 décembre 181 5, M. le comte de Blangy,
député du département de l'Eure, présenta à la Chambre
introuvable une proposition conçue en ces termes : « J'ai
» l'honneur de proposer qu'une humble adresse soit faite à
>) Sa Majesté, pour la supplier de faire présenter une loi,
» tant dans l'intérêt de la religion que dans celui de l'État,
» pour la suppi'ession totale de toutes les pensions dont
» peuvent jouir les prêtres mariés et ceux qui volontaire—
» ment ont abandonné le sacerdoce. »
La Chambre la prit en considération, et le 1" février
1816, M. Roux de Laborie, rapporteur de la commission
qui s'était occupée de cet objet, prit les conclusions que
l'on va lire. : « Votre commission ne vous proposera sur
» cette partie de la proposition qu'un article qui console
» la morale publique, s'accorde avec le rétablissement d'un
» gouvernement religieux et légitime, et suppi'ime les pen-
» sions ecclésiastiques des prêtres mariés, »
Ce rapport avait été fait dans \xn comité secret. Le 16 du
même mois, il y eut dans le sein de la Chanibre une dis-
cussion très animée, dans laquelle quelques députés dé-
bitèrent d'un style très emphatique les erreurs grossières
du XIV^ et du XV* siècle, La Chambre adopta la proposi-
tion suivante : « Les pensions ecclésiastiques dont jouissent
>> les prêtres ou mariés , ou qui ont renoncé à leur état en
» embrassant une profession incompatible avec le sacer-
C 3o5 )
La pensée du législateur n'est donc pas équivoque;
il l'a exprimée plusieurs fois. Il a sanctionné le prin-
cipe, il l'a appliqué, il a établi des peines légales
contre ceux qui le violeraient.
Si l'Assemblée nationale était éclairée, la plupart
des villages des campagnes et la grande majorité des
Français ne l'étaient pas. A cet égard, on pourrait
dire que le législateur a devancé les temps. L'éduca-
tion du peuple français n'était pas encore au point
» doce, seront supprimées, et Sa Majesté daignera ordonner
n à ses ministres de faire rechercher les individus de cette
» classe qui, ne jouissant d'aucune place, ni d'aucun traite-
» ment du Gouvernement, ont besoin, pour subsister, que
» leur pension leur soit conservée à titre de secours. »
Cette décision est bien loin d'être juste : elle prive des
citoyens d'un droit qui devait être sacré. Elle laisse, il est
vrai, au monarque la liberté de conserver le bienfait de
la loi à ceux qui ne pourraient pas s'en passer. Il est à
croire qu'ils n'en furent pas privés ; ils devaient être en si
petit nombre! Quelle misérable économie!
Soixante -quatre voix sur cent soixante-huit se pronon-
cèrent contre cette proposition; c'est beaucoup pour une
Chambre comme celle de i8i5. Les lumières n'étaient pas
éteintes; l'espérance brillait encore.
Dans la Chambre des Pairs, le nombre de ceux qui se
déclarèrent pour les anciens prêtres fut bien plus grand en
proportion; ils furent cinquante-sept contre soixante-onze.
On voyait dès lors que la Chambre des Pairs serait le plus
ferme appui des libertés publiques.
20
( 3o6 )
de maturilé qu'il aurait fallu pour que le sacerdoce
pûtèlre allié au niariaj^e sans scandale et sans trou-
bles. Une loi ne doit jamais être autre chose que
l'expression d'un besoin et d'un vœu oénéralement
sentis. Quand on veut détruire un préjugé que la
rouille du temps a rendu vénérable, ce n'est pas par
des lois qu'il faut l'attaquer d'abord : commencez par
instruire la nation; expliquez-lui, redlles-lui la vé-
ritable cause des maux qui la tourmentent; faites-
lui pressentir par degrés les mesures que vous jugez
les plus opportunes pour les faire cesser; dirigez la
réflexion des citoyens sur l'objet des réformes que
vous leur préparez, et l'opinion pubrK]ue vous de-
mandera elle-même ces lois qu'elle aurait repoussées
si vous les lui aviez offertes plus tôt.
Le sentiment de son existence toujours menacée
et nécessairement passagère fait que l'homme se
hâte de jouir. Cet empressement n'est pas toujours
dangereux; il y a môme des circonstances où il est
nécessaire : la précipitation et la témérité sont quel-
quefois des vertus. Si l'Assemblée nationale ne se
fût hâtée d'abolir le célibat des ecclésiastiques, tout
me porte à croire que la France en serait encore
accablée.
( 3o7 )
CHAPITRE m.
Du célibat sous le consulat ^ sous l'empire , et
depuis la restauration.
La nation française abuse de sa liberté; ses enne-
mis et ses passions la poussent à la guerre civile; elle
tourne contre elle-même ses armes victorieuses , elle
se déchire, et le despotisme va succéder à l'anarchie.
Le consulat est organisé et pense à assurer le re-
pos public par des lois différentes de celles des As-
semblées nationales. La religion, que la tourmente
révolutionnaire avait tenté un instant de détruire,
est rétablie sur son ancienne base. Nouveau Charle-
magne, le premier consul règle les affaires de l'Etat
et de l'église , et se saisit à la fois de la puissance
temporelle et de la spirituelle. Il était, en quelque
sorte, le légataire universel de la monarchie et de
l'autorité pontificale. Il était même plus : il repré-
sentait à lui seul toute la nation qui l'avait investi
de sa confiance.
Le souverain pontife approuva les opérations du
consul. Le concordat de Léon X et de François I"
céda la place à celui du 26 messidor an IX , qui
porte dans son préambule : « Le gouvernement de la
20..
( 3o8 )
)) république française reconnaît que la rclif^ion ca-
)) tholique, apostolique et romaine est la relij^ion de
)) la grande majorité des Français.
w Sa sainteté reconnaît également que cette même
)) religion a retiré et attend le plus grand bien du
)) rétablissement du culte catholique...
» Art. I*^ La religion catholique, apostolique et
» romaine sera librement exercée en France; son
» culte sera public, en se conformant aux règlemens
)) de police que le Gouvernement jugera nécessaires
» pour la tranquillité publique. >s
11 sera bien difficile de trouver dans ces mots
quelque chose qui abroge les lois des Assemblées
nationales sur le célibat et en impose nouvellement
l'obligation. Cependant, des hommes passionnés ou
à courte vue, qui ne cherchent que des prétextes
et ont l'art de mettre tout en problème, ont pré-
tendu que la reconnaissance et le hbre exercice de
la religion catholique entraînent nécessairement le
devoir pour les prêtres de garder la continence. Mais
la loi, claire et explicite sur tout le reste, garde le
plus profond silence sur ce point ; mais lorsque celles
des Assemblées nationales furent faites et librement
sanctionnées par l'autorité royale, la France était
catholique, apostolique et romaine autant que sous le
premier consul j mais une loi si précise et si géné-
ralement exécutée ne pouvait être abrogée que par
une loi expresse.
( 3o9)
Ce qui paraît bien établi dans la loi du 26 messi-
dor an IX, c'est que les évêques y sont autorisés à
n'admelttre aux ordres sacrés que ceux qui voudront
faire le vœu de chasteté. L'article 26 de la sect. 111,
titre H, est ainsi conçu : a Ils ( les évêques ) ne pour-
» ront ordonner aucun ecclésiastique, s'il ne justifie
» d'une propriété produisant au moins un revenu
)) annuel de 3oo francs, s'il n'a atteint l'âge de
n vingt-cinq ans, et s'il ne réunit pas les qualités
)) requises par les canons reçus en France. ))
Le sens de cette dernière phrase est vague et peut
s'appliquer à tout. Le concile de Trente n'ayant ja-
mais été reçu soleiujellement. en France, on pourrait
soutenir que cet article n'établit pas le célibat des
ecclésiastiques comme une obligation inviolable. Le
mariage des religieux , après la publication de ce
concile, ayant été poursuivi en même temps par les
lois ecclésiastiques et par les lois civiles, on pourrait
aussi soutenir l'opinion contraire. Il fallait quelque
chose de plus précis. S'il est défendu aux évêques
de promouvoir à la prêtrise un marié, est-il défendu
à un ecclésiastique de contracter mariage lorsqu'il
est engagé dans les ordres? L'autorité civile peut-
elle le recevoir? Une fois reçu, sera-t-il valide? En-
fin, l'ordre sacré est-il un empêchement dirimant?
La prêtrise et le mariage sont-ils incompatibles? La
loi par elle-même ne répond pas d'une manière pré-
cise à toutes ces questions. Cette obscurité était- elle
l ^10 )
calculée? ou bien le léj^islateur n'ëlail-il pas théo-
logien?
M. Portalis, qui lut chargé de présenter au Corps-
Législatif le projet de loi du 1 8 germinal an X, fait
connaître la pensée du législateur. 11 s'exprime en ces
termes : c' Pour les niiuistres que nous conservons et
)) à qui le célibat est ordonné par les règlemens ec-
» clésiastiques(i), la défense qui leur est faite duma-
» riage par les règlemens n'est point conservée comme
» un empêchement dirimant dans l'ordre civil.
)) Ainsi , leur mariage , s'Us en contractaient un ,
f> ne serait point nul aux yeux des lois politiques
)) et civiles, et les enfans qui en naîtraient seraient
» lëaitimes. Mais dans le fort intérieur et dans
o
» l'ordre religieux ils s'exposeraient aux peines spi-
» rituelles prononcées par les lois canoniques; ils
» continueraient à jouir de leurs droits de famille
» et de cité , mais ils seraient tenus de s'abstenir du
» sacerdoce. »
Ici la question est résolue nettement, il est de
la plus grande évidence que les ordres sacrés n'é-
taient pas un empêchement dirimant au mariage ,
(i) Ici ce ne sont pUis les canons, ce sont les règlemens.
.te crois qu'il y a une grande différence : au mot canon s'at-
tache l'ide'e de stabilité et de permanence qui est propre à
la loi ; un règlement peut être quelque chose de transitoire
et pour la forme et pour l'objet auquel il se rapporte
(3.1 )
même après le concordat de Pie Vil. M. Portails le
dit positivement, et devait connaître plus que per-
sonne la pensée du lë<^lslateur, puisqu'il avait acti-
vement coopéré au concordat.
Telle était la volonté du législateur : il l'a fait voir
dans le Code civil qui, ayant été sanctionné immé-
diatement après, peut être considéré comme une
continuation, comme une émanation du même prin-
cipe. Les articles i44j ^47? i^f) 162 et i63,otisont
déterminés les empêchemens du mariage, ne font
aucune mention des ordres sacrés. En conséquence,
après le concordat de Pie VU et le Code Napoléon ,
l'officier de l'état civil ne pouvait pas se refuser lé-
galement à recevoir le mariage d'un ecclésiastique.
M. Portails, en exposant au Corps-Législatif les motifs
de la loi sur le mariage qu'il lui présentait, s'exprime
en ces mots : (C C'est d'après ce principe que l'enga-
?) gement dans les ordres sacrés, les vœux monas-
)) tiques et la disparité de culte, qui, dans l'ancienne
)) jurisprudence, étaient des empêchemens dirimans,
» ne le sont plus. »
On a suivi un penchant rétrograde depuis l'As-
semblée nationale. L'incompatibilité entre le ma-
riage et la prêtrise est encore rétablie dans les lois.
Un marié ne peut pas exercer les fonctions sacerdo-
tales; mais un prêtre, en les abandonnant, peut de-
venir mari et père d'enfans légitimes : c'est toujours
({uelque chose.
(3.2)
A cet égard , la loi me paraît si positive, que je ne
crains pas d'être appelé téméraire en avançant que
les officiers de l'état civil qui, sous son empire, n'ont "^
pas voulu recevoir le mariage des prêtres, les magis-
trats qui ont autorisé ce refus, et les tribunaux qui
ont déclaré nuls ces mariages, ont manqué à leur
devoir; rien ne peut les excuser. L'ignorance? un
magistrat doit être éclairé. Le préjugé conmiun? le
magistrat doit se placer dans une sphère supérieure
et se rendre inaccessible aux séductions de l'erreur.
La crainte? le magistrat doit tout sacrifier à la jus-
tice, c'est-à-dire à l'exécution des lois.
Telle est la législation sur le célibat qui a régi la
France sous le consulat et sous l'empire. Aucune
disposition contraire ne l'a ni abrogée ni modifiée,
je veux dire aucune disposition législative j car nous
avons déjà vu que, lorsqu'il se fut assis sur le trône
et qu'il eut piis les sentimens et les habitudes d'un
monarque. Napoléon essaya de paralyser l'effet des
lois qu'il avait sanctionnées lui-même. Je vais rap-
porter ici les actes qui prouvent ce fait. Ce sont deux
lettres du ministre des cidtes, l'une sous la date du
i4 janvier 1806, écrite à l'archevêque de Bordeaux,
l'autre, sous la date du 3o janvier 1807, adressée
au préfet de la Seine Inférieure. La première est con-
çue en ces termes : « M. l'archevêque , j'ai la satis-
» faction de vous annoncer que Sa Majesté impériale
)) et royale , en considération du bien de la religion
( 3r3 )
)) et des mœurs, vient d'ordonner qu'il serait dé-
» fendu à tous les officiers de l'état civil de recevoir
» l'acte de mariage du prêtre B... Sa Majesté impé-
)) riale et royale considère le projet formé par cet
» ecclésiastique , comme un délit contre la religion
» et la morale, dont il importe d'arrêter les funestes
» effets.... J'écris à monsieur le préfet de la Gironde
» pour qu'il fasse exécuter les ordres de Sa Majesté.
y> J'en fais également part à leurs excellences les mi-
» nistres de la justice et de l'intérieur. La sagesse
)) d'une telle mesure servira à diriger l'esprit des
y) administrations civiles dans une matière que nos
» lois n aidaient point prévue (i). w
La seconde est encore plus importante , en ce
qu'elle admet une distinction utile entre le mariage
des ecclésiastiques qui ont quitté les fonctions sa-
cerdotales avant le concordat du 26 messidor an IX,
et ne les ont plus reprises ? et le mariage de ceux qui
ont été ordonnés après cette loi, ou qui se sont mis
en communication avec leurs évêques. La voici :
(( Monsieur le préfet, son éminence le cardinal ar-
» chevéque de Rouen m'instruit qu'un mariage vient
» d'être contracté par un prêtre devant l'officier ci-
« vil de cette ville. J'ignore l'hypothèse particulière
)) de cette affiûrej mais je crois devoir profiter de
(1) Les lois avaient tout prévu, excepté le changement de
pofitique et de volonté dans le chef du Gouvernement.
(3,4)
» cette occasion pour vons olTrir quelques Règles de
)) conduite en pareille circonstance.
» La loi se tait sur le mariage des prêtres : ces
» mariages sont généralement réprouvés par l'opi-
» nion ; ils ont des dangers pour la tranquillité et la (
)i sûreté des familles. Un prêtre catholique aurait
» trop de moyens de séduire, s'il pouvait se pro-
)) mettre d'arriver au terme de sa séduction par un
» mariage légitime ; sous prétexte de diriger les
» consciences , il chercherait à gagner et à corrom-
» pre les cœurs.... En conséquence, une décision de .
» Sa Majesté, intervenue sur le rapport de son ex-
)) cellcnce monsit-ur le grand-juge et sur le mien,
)) porte que l'on ne doit point tolérer les mariages
» des prêtres qui depuis le concordat se sont mis en
» communion avec leur évêque et ont continué ou
)) repris les fonctions de leur ministère. On aban-
» donne à leurs consciences ceux d'entre les prêtres
)) qui auraient abdiqué leurs fonctions avant le
» concordat et qui ne les ont plus reprises depuis.
)) On a pensé avec raison que les mariages de ces
» derniers présentaient moins d'inconvéniens et de
y) scandale. » Najioléon avait écrit de sa main en
njarge de la feuille du travail : « S'il n'a pas été re-
)) connu prêtre depuis le concordat , il peut se tna-
» rier , en s'exposant néanmoins ati blâme, puis-
)) qu'il manque aux engagemens qu'il avait con-
» tractes. »
( 3.5 )
Je me propose de combattre, dans un chapitre à
part, les motifs allégués par le ministre des cultes.
En attendant , nous pouvons faire observer que ,
quoique Napoléon et ses ministres aient désapprouvé
le mariage des ecclésiastiques, ils n'ont osé, ni le
déclarer nul, ni le condamner par une nouvelle loi,
pas même par un décret impérial. Que nous importe
que Napoléon ait voulu, en i8i3 , appliquer au
prêtre qui contractait mariage la peine infligée par
la loi au bigame! Cela prouve seulement qu'il ne
trouvait pas de moyen légitime pour l'empêcher. Du
reste, la magistrature française sent trop sa propre
dignité pour se plier si facilement à la volonté capri-
cieuse et arbitraire d'un monarque, quel qu'il puisse
être. La loi sanctionnée par les pouvoirs que la
société a chargés d'une telle mission doit être la
règle unique de sa conduite; si elle s'en écarte, si,
en cédant à la force des anciens préjugés ou aux se-
ductions secrètes des puissances du jour, elle s'at-
tache à des lois qui ont été formellement abrogées,
et qui n'ont plus été remises en vigueur, elle se
charge d'une grande responsabilité envers toute l'es-
pèce humaine ; elle prête son appui à un pouvoir ri-
val qui la tyrannisa autrefois, et qui aspire encore à la
tyramser, en la rendant l'instrument de ses passions
et de sa politique; elle seconde les projets désastreux
de ces hommes sinistres qui s'efforcent de repousser
les générations actuelles vers la barbarie du Xll"
(3.6)
siècle; elle arrête, autant ([u'il dépend d'elle, lu
marche des esprits vers des idées plus généreuses,
vers une prospérité toujours croissante et qui n'aura
pas de bornes.
Loin de nous ces appréhensions et ces craintes
mal fondées! La magistrature française a prouvé, pai'
beaucoup d'actes solennels , que tout ce qui est gé-
néreux et noble, tout ce qui est propre à favoriser
une liberté sage et raisonnable, tout ce qui peut
contribuer à épurer les mœurs et à former le bonheur
du royaume, est l'objet le plus constant de ses dé-
sirs et de ses travaux. Comment pourrait-elle immo-
ler aux ennemis de la patrie l'une des plus pré-
cieuses de nos libertés, celle qui se rattache le plus
directement à la jouissancç. de nos droits naturels
et qui tend à la satisfaction d'un besoin des plus im-
périeux? Pourquoi voudrait-elle rendre si pénible
et si difïicile la condition des ministres des autels ? Ne
sait-elle pas qu'une continence parfaite est une chi-
mère qui s'évanouit au plus léger examen? La fureur
irrésistible d'une passion en vain comprimée n'a-
t-elle pas déjà entraîné dans le sanctuaire delà justice
plusieurs victimes malheureuses que la justice a eu la
douleur de devoir frapper?
Depuis la constitution de 1791 jusqu'au concordat
de 1801 , les lois ont permis le mariage aux hommes
qui remplissaient des fonctions sacerdotales ; depuis
cette dernière époque jusqu'à la restauration de
( 3i7 )
i8i4, le:» ecclésiastiques n'ont pu se marier j mais
les prêtres, en abandonnant le service des autels,
ont eu le droit de contracter mariage, et deux déci-
sions extra-légales et confidentielles entre Napoléon
et quelques membres de son gouvernement n'ont pu
les en dépouiller.
La restauration a-t-elle apporté quelque change-
ment à cet état de choses? La Charte et toutes les
lois successives n'ayant rien statué à ce sujet, le si-
lence du législateur, d'après les principes inviolables
de la raison et du droit, doit être considéré comme
une ratification tacite.
Tous ceux qui se croient intéressés au maintien
du céUbat des prêtres, quelques jurisconsultes,
quelques magistrats, même quelques tribunaux, ont
cru trouver dans la Charte des dispositions d'où il
résulte que les ordres sacrés sont redevenus , comme
avant la révolution, un empêchement dirimant au
mariage. Je vais citer ces dispositions.
(( Art. 5. Chacun professe sa religion avec une
» égale liberté, et obtient pour son culte la même
» protection.
» Art. 6. Cependant, la religion catholique apos-
i) tolique et romaine est la religion de l'Etat. »
Yoilà tout. Un homme raisonnable et sans pas-
sion peut-il trouver ici l'abrogation des lois qui per-
mettent le mariage aux prêtres? iN'est-ce pas un su-
jet assez important pour mériter une disposition
( 3i8 )
nouvelle et explicite, si le lej^lslateur avait eu l'in-
tention de rapj)orter les lois précédentes?
S'il est vrai que la déclaration (( que la religion ca-
)) tlîolique, apostolique et romaine est la religion de
)) l'Etat » sufîit seule pour mettre les choses sur le
même pied où elles étaient avant 1790 , pourquoi a-
t-on fait une loi spéciale, celle du 8 mai 1816 , pour
abolir le divorce? Est-ce que la religion nele condamne
pas? Quel besoin y aurait-il eu d'une loi spéciale
pour rétablir les ordres religieux des femmes ? Pour-
quoi liésiterail-on à relever ceux des hommes? Les
ordres monastiques ne sont-ils pas soutenus, proté-
gés, encouragés par les lois de la religion? N'en
existe-t-il pas à Rome et à Madrid (1) ?
Gardons- nous de pousser à un tel point la licence
des interprétations : nous porterions la confusion et
le désordre dans nos codes ; nous remettrions encore
en problème les droits les plus sacrés que la révolu-
tion a conquis , dont elle a été l'ouvrage , et auxquels
les citoyens tiennent à peu près autant qu'à l'exis-
tence. Ne serait-il pas défendu d'entrer dans les cultes
réformés? Les mariages que contracteraient les ca-
tholiques avec les calvinistes ne seraient-ils pas nuls?
Le prêtre ne serait-il pas député de nouveau pour
recevoir le mariage de tous les Français? Tout ma-
(i) L'autorité civile et religieuse n'a-t-elle jamais eu la
volonté de les rétablir parmi nous?
riage qui ne serait célébré en sa présence ne serait il
pas frappé de nullité? Les fîls des protestans ne
seraient-ils pas tous illégitimes? Tous les anciens
empêcliemens des conciles, l'affinité spirituelle , la
consaui^uinité jusqu'au cinquième, c'est-à-dire jus-
qu'au dixième degré, et la disparité des cultes ne
seraient-ils pas renouvelés?
Que faut-il conclure de tout cela ? Que tant qu'une
loi spéciale n'aura pas formellement prononcé que
les ordres sacrés sont un empêchement dirimant, le
mariage des prêtres sera toujours valide, et l'officier
de l'état civil ne poui ra pas se refuser de le recevoir.
M. Toulier , dans la troisième édition de son Droit
civil des Français , publiée en 1821, dit en propres
termes : « Tant qu'il n'existera point de loi prohibi-
» tive, le mariage des prêtres sera valide aux yeux
y> de la loi civile , et les enfans qui en naîtront seront
0 légitimes. »
L'article 68 de la Charte est ainsi conçu : «Le Code
ï) civil et les lois actuellement existantes qui ne sont
)) pas contraires à la présente Charte, restent en vi-
» gueur jusqu'à ce qu'il y ait été légalement dérogé.»
Des jurisconsultes ont soutenu qu'une loi expresse
n'ayant pas aboli le célibat des prêtres , une loi ex-
presse n'est pas nécessaire pour le rétablir. Ils doi-
vent supposer une grande bonne foi et une plus
grande ignorance dans leurs lecteurs : pour les réfu-
ter, je renvoie les miens au chapitre 11 de ce livre.
C :^-o )
i)uc les maj^islrats sachent donc s'élever à la hau-
teur de l'esprit de LouisXVlIl. Ce roi philosoplie n'a
voulu priver ses sujets d'aucun des droits dont la
révolution les avait mis en possession; i! a senli que
la continence est un devoir très diflicile, et qu'il fal-
lait laisser aux ecclésiastiques la liberté de qjntter
les autels et de contracter des mariages légitimes.
L'homme se dissimule quelquefois les diflicultés (jne
va lui oHrir un état semé d'épines et, rempli d'amer-
tume. L'appât des honneurs, l'espoir d'une existence
aisée, souvent même des sentimens et des principes
peu honorables, lui font illusion et le séduisent. Il se
persuade facilement qu'il se mettra au-dessus du be-
soin d'avoir une épouse, ou qu'il pourra y suppléer.
Dans cette pensée, il s'engage dans les ordres sacrés ;
il se dévoue au ministère des autels; il s'efforce de
vivre dans la continence, ou il s'abandonne à des
pratiques criminelles. Qu'arrive-t-il? Dans la pre-
mière hypothèse, il souffre, il se tourmente, il lutte
en vain contre le besoin dominateur. Une triste réa-
lité succède à une agréable illusion ; il se repent d'a-
voir embrassé vui si pénible état; il le quitterait s'il
en avait la liberté : ne le pouvant pas, il cède à l'en-
traînement irrésistible de la nature , et il devient
coupable. Dans la seconde supposition, il porte dans
le sanctuaire une âme souillée et un cœur flétri par
le vice. Ce n'est pas un prêtre, c'est un monstre qui
a pris les fonctions du sacerdoce pour le déshonorer ;
(32. )
il s'abandonne à tonte la perversité de ses penchans ;
au lieu d'éditler les fidèles, il les scandalise; il cor-
rompt la morale, il empoisonne une source d'eau
vive qui devait opérer le salut des âmes. Alors un
murmure d'indignation s'élève contre lui du sein
de la société : les pères de famille lui interdisent
l'accès de leurs maisons, les maris conspirent sa
perte , tous les fidèles souhaitent d'être délivrés de sa
présence.... Plus de paix pour lui: les soucis tra-
vaillent son âme, les dangers l'entourent... Sa posi-
tion est des plus malheureuses. S'il pouvait l'aban-
donner , s'il pouvait , en rentrant dans la société , y
reprendre ses droits d'bomme et de citoyen , il se
bâterait de le faire ; il deviendrait époux , il aurait
des enfans, il réparerait, par l'exemple de ses vertus,
le mal qu'il aurait fait par celui de ses scandales.
Une barrière d'airain s'opposant à sa sortie du
temple, il y reste, il continue à servir les autels qui
le repoussent et les chrétiens qui le détestent... L'a-
bîme s'ouvre enfin sous ses pas.
Louis XVllI a voulu prévenir ces fâcheuses extré-
mités : il a laissé le chemin de la vertu ouvert à
l'homme à qui une position forcée rendrait le vice
inévitable. Pourrait-on méconnaître sa royale pen-
sée ? Pourrait-on s'écarter des principes de haute
sagesse et de politique que ce roi législateur nous a
tracés, pour nous soumettre à la malheureuse rou-
tine de nos ancêtres?
21
( 322 )
t\'V^VVvV\AXiViVVVV\V\'VVVVVVVVlVVVUVVVVVVVV\/V\'VVVVVVVV\VVVV\%VV%VVVVVV\^
CHAPITRE IV.
Du célibat dans les tribunaux depuis 1790
jusquà 1829.
Après la lecture des lois que je viens de citer, un
homme qui, se dépouillant de toute passion et de
tout intérêt personnel, n'aurait en vue que le sen-
timent de la justice, savxrait difficilement s'imaginer
qu'elles aient pu donner lieu à des interprétations
diverses.
Sous le régime des assemblées nationales,, le
mariage des ecclésiastiques ne fut pas attaqué
devant les tribunaux. La loi était alors évidente,
et le législateur prêt à la faire exécuter.
Une des premières questions qui aient été sou-
mises à la décision de la magistrature est celle-ci:
« Le g juin 1788 un contrat de mariage est passé
)) devant notaire, à la Neuville, dans la princi-
» pauté de Porentruy , entre le sieur Spiess , re-
)) ligieux et prieur, curé de Saint-Pierre de Blois,
» près Vendôme, et la demoiselle Verraquin d'A-
» vrilly, précédemment domiciliée à Montoir, près
y> la même ville. Par cet acte; les futurs époux
( 3.3 )
» se font donation réciproque, en cas de survie,
)) de la propriété de tous leurs biens. Le 1 1 du
)) même mois , le mariage est célébré devant le
» curé catbolique de Lauderon , dans la princi-
» pauté de Neutcbâtel, Le 24 brumaire an II , les
)) deux époux rentrent en France, se présentent
)) avec quatre témoins devant l'officier de l'état
)) civil de la commune d'Ampuis , près Lyon , re-
)) connaissent qu'ils se sont épousés le 11 juin
» 1788, se font lire l'acte de mariage, déclarent
» qu'ils le confirment, et qu'en tant que besoin
)) ils le contractent de nouveau.
» Le 4 pluviôse an Yll, la demoiselle d'A-
» vrilly meurt à Paris. Le sieur Spiess se pour-
)) voit contre le sieur Yerraquin d'Avrilly et con-
)) sorts , pour faire lever les obstacles qu'ils ap-
» portent à sa mise en possession des biens qu'elle
» a laissés. »
Les béritiers de la demoiselle attaquent le titre
fondamental aussi bien que sa ratification , et la
cour d'appel de Caen , par son jugement du 27
germinal an ÏX , déclare nuls les deux actes et
déboute le sieur Spiess de sa demande.
Le sieur Spiess appelle de ce jugement, qui est
cassé le 1 2 prairial an XI : les parties sont ren-
voyées devant la cour de Rouen. Celle-ci déclare
le mariage valide. Les héritiers appellent a leur
tour en cassation ; ils sont déboutés.
21..
( 3^4 )
Dans ce cas, une cour d'appel et la cour de
cassation se prononcent pour la validité du ma-
riage des personnes engagées dans les ordres sa-
crés. Cependant les deux jugemens de la cour de
Rouen et de celle de cassation ont été faits comme
en présence du concordat de Pie Vil. Ces deux
cours souveraines ne trouvaient pas que la loi de
l'Assemblée nationale qui avait aboli le célibat
religieux ne fût pas bien claire et bien précise.
C'est dans le Répertoire de Jurisprudence que
j'ai puisé cette bistoire; en voici une autre, prise
à la même source, (c Bartliélemy Cbaronceuil , né
)) à Verrillac, département de la Dordogne , or-
» donné prêtre en ^'JQ'2. , quitte après ses fonc-
» tions , pour se rendre à l'armée des Pyrénées-
» Orientales, d'où il revient vers la fin de l'an III.
» Il a des liaisons intimes avec Gabrielle Petit ,
)) sa parente , et le 2g pluviôse an YII il la rend
)) mère d'un enfant qu'il présente lui-même à
y> l'oificier de l'état civil de la commune d'Audry,
)) et le fait enregistrer sous son nom. Le 4 ^^O"
» vembre 1802, une dispense du cardinal légat
)) l'autorise à contracter mariage avec Gabrielle.
>) Le i**" avril 1807, Cbaronceuil passe contrat
» de mariage avec Marie Yidal. Le 1 1 du même
» mois, Gabrielle notifie à l'officier de l'état ci-
» vil de sa commune, opposition à ce mariage.
)) Cbaronceuil l'assigne de suite devant le tribu-
( 325 )
)) nal de première instance en déboutement de
)) cette opposition. Gabnelle soutint qu'elle était
M l'épouse de Cliaronceuil , qu'un prêtre catlio-
)) lique avait béni son mariage, et demanda a
» faire preuve de sa possession d'état. Par jugement
» du i5 mai 1807, Cliaronceuil fut déclaré non
w recevable dans sa demande. 11 appelle à la cour
» de Bordeaux. Le 20 juillet i8oy, arrêt de cette
y) cour, qui déclare Gabrielle non recevable dans
)) son opposition , sur le motif qu'elle n'apportait
)) point de preuve que son mariage eût été con-
)) tracté devant l'officier public compétent ; mais
)) le même arrêt, faisant droit sur les conclusions
» du procureur général, Attendu que VempêcJie-
)) ment au mariage résultant du caractère de
)) prêtre qu'avait reçu Cliaronceuil ^ n'avait été
y> levé par V autorité du souverain pontife^ que
y> pour contracter mariaj^e avec Gabrielle Petite
7) que pour légitimer Venfant provenu de leur
)) commerce j ainsi que cela résultait du brej du
)) 4 novembre 1802, déclare Cliaronceuil incapable
)) de contracter mariage avec toute autre femme que
D) Gabrielle Petit.
» Cette dernière disposition a été cassée le 16
» octobre l8o;^) , comme contraire à l'article 1*'
)) de la loi du 18 germinal an X, qui veut qu'au-
)) cune bulle , bref, ni autre expédition de la cour
y> de Rome, ne puissent être reçus, publiés, im-
( 3^6 )
y) primés ou autrement mis à exëculion sans l'au-
)) torisation du Gouvernement. »
La cour de cassation , dans son jugement , ne
déclare pas Charonceuil incapable de contracter
mariage. Nouvelle preuve que , même à cette
époque , elle ne considérait pas les ordres sacrés
comme un empêchement dirimant.
Quant aux motifs qui avaient porté la cour de
Bordeaux à admettre les conclusions de son pro-
cureur général , on jjeut croire qu'ils étaient fon-
dés plutôt sur ses sentimens de justice et d'hu-
manité envers la malheureuse victime de l'in-
constance de Charonceuil que sur le texte précis
des lois. C'est un état pénible que celui d'un juge
qui se trouve placé entre la loi et sa conscience.
L'équité naturelle est antérieure à toute autre jus-
tice. Chacun de nous aurait souhaité, comme les
juges de Bordeaux , que Charonceuil ne pût con-
tracter mariage qu'avec la femme qu'il avait abusée.
Mais ce chemin mène à l'arbitraire et à l'injustice.
Nous arrivons au temps de la Charte, et nous
sommes étonnés de voir que quelques cours sou-
veraines ne l'aient pas comprise et qu'on ait fait
penser et dire au législateur ce qu'il n'avait ja-
mais ni pensé ni dit. La Charte n'a pas plus voulu
que la loi du 26 messidor an IX que l'engagement
dans les ordres sacrés fût un empêchement diri-
mant. Toutefois la cour royale de Paris semble avoir
( 327 )
pensé autrement. Voici un autre fait que je prends
aussi dans le Répertoire de Jurisprudence.
(c Le 19 mars 1791, le sieur François Martin,
» promu au sous-diaconat en 1790, reçoit l'ordre
)) de diaconat. Il ne se fait point prêtre ; il devient
)) homme de lettres, il accumule des richesses. Ses
j) facultés intellectuelles se dérangent en î8i5 ,
» et il se met en guerre contre ses parens , qui
)) font contre lui demande d'interdiction. Le 17
)) janvier 1816, ils lui font signifier un jugement
» du tribunal de première instance de la Seine ,
» qui ordonne qu'il sera interrogé. Le 8 février
» suivant, mariage entre lui et la demoiselle Jo-
)) liot, et donation universelle, irrévocable et ré-
» ciproque entre les deux conjoints, au profit du
)) survivant. Le 22 du même mois, célébration du
» mariage sans opposition de la pari des colla-
)) téraux .
y) Le ig mars, jugement qui renvoie la cause à
» l'audience, sur le refus de Martin de comparaître
» pour ctre interrogé. 11 ne s'y présente pas. Le
» )5 mai suivant , jugement qui admet ses parens
)i à faire preuve des faits de démence- signification
w au domicile de Martin par un huissier , à qui les
» voisins de Martin déclarent qu'il a été arrêté et
» conduit à la préfecture de police , ou à Cha-
» renton. Le 5 juillet , interrogation du sieur
>j Martin; le 3o , jugement d'interdiction. Le 9 oc-
( 328 )
)) tobre , il meurt à l'hospice. Ses collatéraux font
» procéder à l'inventaire de sa succession. Joliot
)) s'y présente comme veuve, pour réclamer l'cxé-
» cution de son contrat de mariage. Demande en
» nullité du mariage et de la donation , motivée sur
» la démence et sur ce que Martin était engagé
n dans les ordres sacrés. La demoiselle Joliot pré-
» tend que ces motifs n'étant pas spécifiés dans l'ar-
w ticle 184 du Code civil, les collatéraux ne sont
» pas recevables dans leur opposition. Le 1 1 juillet,
}i jugement qui admet la fin de non recevoir.
» Appel j et le 18 mai 1818, arrêt solennel, qui
» admet les collatéraux dans leur opposition , et
n déclare que depuis la Charte, les ordres sacrés
» sont un empêchement dirimant , parce cjuune loi
w positive sur cet objet n existant pas , et la vio-
» lation temporaire de cette loi de l'église étant
» seulement par induction de la Constitution
» de l'jgi , qui ne reconnaissait plus de vœux reli"
» gieux, une loi spéciale n'était pas nécessaire
» pour l'abolir, et que le retour à la religion catho-
» lique suffisait pour cela.
» Le 9 janvier 1821 , la cour de cassation casse
n ce jugement ; mais se fondant sur d'autres motifs,
» et gardant le silence sur les ordres sacrés, comme
j) un empêchement dirimant du mariage. »
M, Merlin ajoute les réflexions suivantes : « La cour
» royale de Paris aurait dû observer que si le prin-
(329)
» cipe de la loi ecclésiastique avait été violé , il
)) l'avait été par le législateur lui-même, et que par
» conséquent cette prétendue violation était de-
» venue une loi , et non une violation temporaire ,
» une erreur introduite par induction. D'ailleurs , ce
» n'était pas par une induction erronée; c'était par
» une conséquence évidente et irrésistible de son
» texte même, que le législateur s'était écarté des
» anciens principes.
)) 11 est étonnant que la cour royale de Paris ,
)) dans l'impossibilité où elle se trouvait d'avancer
» que l'article 6 de la Charte avait restitué aux
M anciennes lois de l'église la force des lois de l'Etat,
» relativement à tous les Français, ait pris le parti de
» dire qu'il leur avait au moins restitué cette force,
» relativement aux ministres de la religion de l'État.
)) Comment restreindre arbitrairement l'effet de
» cette prétendue loi? » {^VoyezX^ chapitre 11 de
cette section , pour vous assurer combien peu sont
justes les conclusions de la cour royale de Paris. )
Telle a été l'opinion de quelques tribunaux jus-
qu'à la fin de 1827 \ depuis cette époque, la loi
parait être mieux interprétée. Trois jugemens con-
sécutifs viennent de consacrer le principe que les or-
dres sacrés , en France , ne sont plus un empêche-
ment dirimant au mariage. On dirait que le minis-
tère déplorable effrayait les citoyens \ ils n'osaient
que rarement exprimer le désir de rendre légitimes
( 33o )
les relations réprouvées j)ar la morale, dans les(jnelles
ils étaient, engages.
La nouvelle administration (i) a relevé le courage
de la France 5 elle promet de faire exécuter les lois,
et les citoyens s'empressent d'y recourir, pour être
établis dans la jouissance de leurs droits.
Le premier tribunal quia été appelé à prononcer
sur une pareille matière a été celui de Sainte-
Meneliould. Voici de quoi il s'agissait. Nicolas Dé-
tiaque , propriétaire, demeurant à la Grange-aux-
Bois, commune de Sainte-Menehould , entre dans
les ordres sacrés en 1789, et devient premier vicaire
de Saint-Sulpice , à Châlons-sur-Marne; il quitte plus
tard ses fonctions, entre dans les administrations
militaires, y reste quatre ou cinq ans, revient dans
ses foyers , et ne reprend plus à aucune époque les
fonctions du sacerdoce.
11 s'unit à Marie-Joseph Duvcrgier , et en a trois
enfans. Alors il pense à les rendre légitimes par le
mariage. La première publication avait eu lieu, lors-
que l'oflicier de l'état civil refusa de passer outre. Une
sommation lui ayant été présentée, il répond par
une lettre du garde des sceaux (Peyronnet), qui
lui commande ce refus, sauf aux tribunaux à en dé-
cider ultérieurement. Cependant l'officier consent à
(i) Je dois faire remarquer que ce qui suit a été écrit au
commcucemcnt du ministère Martifjiiac.
( 33, }
procéder au mariage, si le sieur Détiaque justifio
d'avoir élë relevé de ses vœux par le souverain pon-
tife. Aussitôt demande des sieurs Nicolas et Joseph
Détiaque devant le tribunal de Sainte-Menehould ,
des 3 et 4 juillet 1827, et jugement de ce tribunal
qui enjoint à l'officier de l'état civil de la Grange-aux-
Bois de recevoir leur mariage. Les considérans de ce
jugement sont remarquables, et méritent d'être rap-
portés.
a Avant la révolution, le contrat civil et le sacre-
» ment étaient intimement unis : la loi civile ne re-
» connaissait pas de mariage légitime qu'il ne fùtbéni
» et consacré par le sacrement ; le prêtre était olli-
y) cier de l'état civil et ministre du sacrement. Alojs
» les ordres sacrés étaient un empêchement néces-
■» saire.
» La législation est changée : le contrat civil est
)) séparé du sacrement ; le prêtre n'est plus oflicier
)) de l'état civil , et le sacrement n'a plus d'influence
)) sur la légitimité. De là la nécessité de ne recon-
» naître pour le mariage d'autres conditions que
» celles qui sont établies par les loi civiles. »
Le jugement rapporte toutes les lois sur cet objet
qui ont déjà été citées, le discours de M. Portalis lors
de la présentation du projet de loi du 18 germinal
an X, et les motifs de la loi sur le mariage, pré-
sentée au Corps-Législatif par le même magistrat. 11
continue: (c La lettre du ministre des cuites, du r f.
(33= )
» janvier 1806, à l'arclicvcfjuo de Bordeaux, n'a pas
)) pu annuler une loi; la leltrc du 3o janvier 1807,
» du même ministre au préfet de la Seine Inférieure,
)) et qui admet la distinction entre les prêtres qui
» avaient repris leurs fonctions après le concordat
» de l'an X , et ceux qui ne les avaient pas reprises,
)) n'a pas plus de force; les mots apposés par Napo-
» Icon en marge de la feuille du travail, s'il na pas
» été reconnu prêtre depuis le concordat, il peut se
y) marier, en s' exposant néanmoins au blâme, puis -
» quHl manque aux engagemens qu'il avait con-
5) tractés , ne sont pas une loi.
» Les anciennes lois ont été formellement abolies
» par l'article 7 de la loi du 3o ventôse an Xll; A
» compter du jour ou ces lois sont exécutoires , les
)) lois romaines, les ordonnances , les coutumes gé-
ïi nérales ou locales, les statuts et les règlemens
)) cessent d'avoir Jorce de loi dans les matières qui
» sont l'objet desdites lois composant le présent
)) code.
» Mais la Charte? Elle n'a que confirmé le Code
)) civil : Les lois existantes qui ne sont pas con-
)) traires à la présente Charte, restent en vigueur
)) jusqu'à ce qu'il j ait été légalement dérogé.
M Le tribunal n'admet pas l'opinion que l'article
» 6 de la Charte ait donné force de loi aux anciens
-)•) rèi^lemens. S'il en était ainsi , il y aurait mille au-
)) très espèces d'erapêchemens, les affinités spiri-
( 333 )
y) luelles, la disparité de culte, les vœux monas-
» tiques.
» Une loi une fois abrogée ne peut plus prendre
» de force que par le moyen d'une autre loi.
)) L'abrogation était explicite , la réhabilitation doit
j) l'être. )'
Le tribunal de Cambray a eu à résoudre la même
question. L'ecclésiastique qui demandait à contracter
mariage était un ancien bénédictin de la congréga-
tion de Saint-Maur. Il avait été en 1792 desservant
de cette paroisse. Rentré dans la vie civile en 1793 ,
il s'était lié avec une jeune personne dont il avait eu
deux enfans. C'est pour les rendre légitimes qu'il a
voulu contracter mariage. Le maire de sa commune
ayant refusé de le recevoir, il recourut au ministère
public, qui lui répondit, qu'il ne pouvait rien
statuer, et qu'il fallait s'adresser au tribunal. Il s'y
est adressé, et en a obtenu un jugement favorable
le i^" mai 1828.
Le procureur du Roi près ce tribunal a pris des
conclusions contraires à la demande, et les a soute-
nues par des conclusions qui ne me paraissent ni so-
lides ni convenables à la grave dignité de la magis-
trature, w On o[)pose, a-t-il dit, à l'article 6 des lois
)) organiques l'opinion de l'orateur du Gouverne-
» ment qui a présenté au Corps-Législatif le projet
» des lois organiques. Cet orateur a dit, il est vrai,
» qu'il n'y avait plus d'empêchement dirimant au
( 3:!/, )
» mariaiïe des prêtres , s'ils en conti'actaient un ;
)> mais il n'a pas dit qu'il n'y avait d'empécbe-
)) nient prohibitif qui donnât le droit (.l'y mettre obs-
» tacle lorsqu'il n'était pas contracté ; et la preuve
M qu'il ne l'a pas dit, et ne l'a pas voulu dire, ré-
)) suite de deux lettres émanées du ministre des cultes
)) de celte époque.... Il résulte de ces deux lettres,
» que l'autorité civile empêchait les oHiciers de l'état
» civil de procéder au mariage des prêtres, et qu'elle
» regardait par conséquent les lois comme laissant
» subsister un empêchement prohibitif au mariage,
y) tandis que l'aulorilé judiciaire, allant plus loin ,
» y voyait un euipêchement dirimant. »
Ainsi la loi autorise le mariage des prêtres d'un
côté, et le défend de l'autre; elle coupe de la main
gauche ce qu'elle a planté de la droite: elle dit:
Si vous vous mariez y votre mariage sera valide ;
mais Je ne veux pas que vous vous mariiez. C'est
une belle invention que cet empêchement prohibitif
dans les lois civiles , d'autant plus qu'il substitue la
volonté despotique du maître à l'action de la loi. En
raisonnant de cette manière, il n'y a loi qui ne
puisse être abolie promplement et facilement par un
ou deux actes arbitraires.
Le tribunal de Nancy a jugé comme ceux de
Sainte- Menehould et de Cambrai, sur une question
presque identique. Ses considérans sont àfpeu près
les mêmes que ceux que je viens de rapporter.
( 335 )
Ce que cette cause a présenté de particulier, c'est
que le ministère public, par l'organe de M. Pierson,
substitut du procureur du Roi près ce tribunal, a
donné des conclusions favorables au mariage des
prêtres. Certes, il faut avoir une forte conviction,
du courage et de l'indépendance, pour en agir ainsi.
L'avenir apprendra peut-être à M. Pierson que, si
une telle conduite attire les bommages et l'estime
des citoyens éclairés, elle ne mène pas à la faveur et
à la fortune. On annonce déjà que le successeur de
M. Peyronnet est fortement irrité contre ce magis-
trat intrépide. Que feront Mont-Rouge et la con-
grégation ? Qu'on ne les croie pas encore désarmés :
les libertés publiques ne sont pas à l'abri des coups
redoutables qu'ils portent dans l'ombre. Toutefois
rien n'est aussi moral et aussi bien déduit que le rai-
sonnement de M. Pierson : «L'esprit de V Evangile
» est celui de l'église ; elle ne prononce que des
» peines spirituelles La société voudra-t-elle
>j ajouter les peines tempQfelles aux peines spiri-
» tuelles, et employer les raovens de coaction contre
)) celui que l'église a laissé libre? Elle ne le peut
» pas, parce qu'elle ne le doit pas. Si donc un prêtre
» se marie, il sait à quoi il doit s'attendre. Ses fonc-
» lions lui sont ravies 5 son caractère s'efface en
» quelque sorte , parce qu'il a violé la promesse
» sous laquelle il l'avait reçu : le clirétien semble
» abjurer sa foi; l'église compte un nouveau jour
( 33G )
)} d'alTIiction ; le transfuge a cessé d'êlie un de ses
» enfans, et il ne trouvera plus dans ceux qui par-
» tageaient sa croyance cette estime , ce respect ,
)) ces égards qui l'environnaient auparavant.
» C'est à la foi religieuse, aux bonnes mœurs,
» qu'il faut demander la répression des scandales^
)) c'est à elles qu'il appartient de punir l'ecclésias-
)) tique qui méconnaît les promesses que la religion
)) avait reçues de lui • mais la loi civile ne peut rien,
» même contre le prêtre qui , au lieu de sanction-
n ner son union par le mariage , vivrait publique-
» ment avec une concubine, et produirait un scan-
» dale qui serait surtout sans réparation pour les
)) êtres malbeureux qui lui devraient le jour. Ici ce-
» pendant le scandale est plus grand : la société est
)) blessée comme la religion ; et , malgré cela , ou
)) convient que la loi bumaine ne peut pas sévir.
» Mais, s'il fallait clioisir entre ces deux scandales,
)) qui ne préférerait celui qui , au moins, fait cesser
» pour la société ce q«ie la religion seule condam-
)) nerait encore ? »
Ce qui me frappe dans ces trois derniers juge-
raens, ce n'est pas tant le dispositif que les considé-
rans. On a pris la loi telle qu'elle est, dans toute
son étendue, sans exception _, sans distinction de
temps ni de personnes ; on est entré avec francbise
dans la légalité.
Les cas qui se sont présentés jusqu'ici dans les
(337)
tribunaux n'onl eu rapport qu'à des personnes qui
avaient quitté le service des autels pendant la révo-
lution, et ne l'avaient plus repris. Ces jngemens
pourraient être considérés comme l'effet d'une indul-
ii^ence passagère pour des désordres irréparables arri-
vés dans un temps de vertige et d'erreur. Quelle dé-
cision prendraient les tribunaux, si un jeune membre
du nouveau clergé abdiquait les fonctions de son
ministère, et demandait à jouir de tous les droits
du citoyen ? Cette question vient de se présenter
devant le tribunal de première instance de la Seine.
Le sieur Dumonteil, âgé de vingt-six ans, six mois
après avoir été ordonné prêtre, demande à ses pa-
rens leur consentement, afin de contracter mariage :
ils le lui refusent. 11 recourt à M. Morand, notaire,
pour leur adresser les sommations respectueuses or-
données par les lois. Le notaire prend jour pour les
commencer; puis il réflécliit, et refuse de se rendre
au désir du sieur Dumonteil, par la considération
que la religion catholique est la religion de l'État.
Il engage l'ecclésiastique à voir le président du tri-
bunal de première instance, pour qu'il lui enjoigne
de procéder aux sommations respectueuses. Le
28 janvier 1828, requête à ce magistrat, qui met en
marge : Soit communiqué à M. le procureur' au Roi.
Le iQ février suivant, le procureur du Roi conclut
qu'il n'y a pas lieu de faire l'injonction requise au
notaire Morand , parce que son refus nest pas en
22
( 338 )
contravention aux lois et reglemcns . Le même jour,
le président fait cette réponse : « Le président du
» tribunal, vu la requête et ensemble les conclu-
» siens du ministère public; attendu que l'article 6
» de la Charte déclare que la religion catholique,
w apostolique et romaine est la religion de l'Etat;
» attendu que , suivant les canons , l'entrée dans les
» ordres sacrés est un empêchement au mariage;
M attendu que l'exposant déclare lui-même qu'il est
» encore en ce moment engagé dans les ordres sa-
)) crés; qu'ainsi M. Moi and a eu un juste motif de
;j lui refuser son ministère pour faire les actes dont
)) il s'agit ; déclare qu'il n'y a pas lieu de faire les
» injonctions requises par l'exposant. ))
La cause a été portée devant les tribunaux.
vvv^^^lVVVVVVVVvvv\vwvvvvv^^vvv^vvv^^lvvvvvv^.\^v>vl^\^A^vvvvvvvvvvvv«^vvvvvvvvvvv*vv\v»\vv\vv^
SECTION III.
Des dangers auxquels le célibat expose la
religion catholique en France.
CHAPITRE PREMIER.
// est urgent do faiie jouir les ecclésiastiques du
bienfait de la loi.
Si l'on permet aux clercs de se marier en aban-
donnant le service des autels, on leur accorde un
droit dont ils ont joui depuis l'origine du christia-
nisme jusqu'en i563, c'est-à-dire pendant plus de
quinze siècles. Le mariage des ecclésiastiques, jus-
qu'au concile de Trente, n'avait été condamné par
aucun concile général, et par conséquent n'était pas
une loi générale de l'église. On sait que le gouver-
nement de l'église est une espèce de monarchie
tempérée, dont le chef ne peut faire aucune loi gé-
néralement obligatoire sans le concours des députés
des différens étals dont se compose la chrétienté.
Le pape, en principe, n'a jamais eu de pouvoir que
pour faire exécuter les décisions des conciles, et les
22..
( 34o )
interpréter par ses décrétales, qui ressemblaient aux
ordonnances de nos rois.
Si une province particulière, un royaume , un
duclié, un diocèse convoquait un concile et faisait
des règleniens particuliers, ces règlemens n'étaient
obligatoires que pour la province ou partie de pro-
vince où ils s'étaient faits; les autres n'y étaient
point soumises. Rome, à cet égard, n'avait pas plus
de droit que Londres ou que Paris. L'agrément des
princes temporels était même nécessaire.
En suivant les inductions qui découlent tout na-
turellement d'une pareille organisation, nous ne
pouvons nous empêcher de reconnaître de nouveau
que les ordres sacrés, en droit, n'ont jamais été un
empêchement du mariage en France. Le concile de
Trente, qui seul avait autorité de l'établir, n'ayant
jamais été reçu, n'a pu devenir une loi de l'État.
11 est vrai que ses dispositions ont été adoptées dans
la jurisprudence des tribunaux; mais cette objection
n'a aucune force. Est-ce que les tribunaux font les
lois? Autant ils ont prononcé de jugemens sur ce
sujet, autant ils ont fait d'actes arbitraires; et le
temps ne justifie pas les usurpations. Il n'y a pas
de prescription en faveur de la fraude.
Voilà des faits incontestables, et cependant je les
abandonne; je n'en ai pas besoin. Si les ordres sa-
crés, avant 1791, étaient un empêchement dirimant,
ils ne le sont plus aujourd'hui. L'usage, plutôt que les
(34. )
lois, l'avait établi comme par surprise; des lois posi-
tives, émanées de l'autorilé compétente, l'ont aboli
avec solennité. Les prêtres ont le droit de contrac-
ter des mariages légitimes, s'ils préfèrent cet état
aux avantages que l'église assure à ses ministres. 11
n'y a vérité plus incontestable que celle-ci.
Si le clergé combat de tout son pouvoir "eux de
ses membres qui, ne se trouvant pas dans le cœur
cette pureté céleste qu'exige la sainteté des autels,
chercbent à s'en éloigner et à vivre dans une condi-
tion plus conforme à leur nature; si les tribunaux,
se livrant à des préjugés indignes d'eux, méconnais-
sant l'esprit et les paroles de la loi, se laissant in-
fluencer par les menées sourdes et les intrigues se-
crètes de la puissance ecclésiastique , se rendent
coupables d'un déni de justice et prêtent leur appui
à la politique du clergé; si ces deux puissances con-
jurées ensemble privent les clercs engagés dans les
ordres sacrés d'un droit qu'ils ont reçu de la nature
et que la loi leur a conservé, quels seront les effets
nécessaires d'une injustice si manifeste? Ce sujet me
paraît digne de iixer l'attention de l'autorité; les
cliefs de l'église catholique en devraient faire l'ob-
jet spécial de leurs méditations.
Que l'on réfléchisse d'abord que les lois civiles ne
donnent aujourd'hui aucun moyen d'atteindre un
ecclésiastique qui vivrait dans le concubinage et
donnerait des scandales éclatans; que l'on consi-
(34^)
(1ère, en second lien, que, d'après la tendance de
l'esprit de notre époque et l'état de notre législa-
tion, beaucoup de prêtres se livreront infaillible-
ment au désir de contracter mariage. Le })réiuj^é, ou
l'erreur qui servait de fondemenl au célibat n'existe
plus que dans les esprils vulgaires et s'alTaildit tous
les jours de plus en plus.
Alors de deux choses l'une : ou les ecclésiastiques
qui sentent le besoin de se marier, ne trouvant au-
cun moyen de rendre légitimes leurs engagemens,
restent dans l'état concubinalre et continuent à
servir les autels; ou ils quittent les fondions sacer-
dotales et s'unissent à la compagne qu'avaient fixée
leurs vœux. Ces deux hypothèses inévitables sont
également fécondes en conséquences fâcheuses pour
la religion catholique.
Examinons la première. 11 est facile de se per-
suader que l'homme que le besoin de la nature
entraîne avec tant de force n'a pas cette vocation
décidée qui est la véritable marque des élus. Il
n'est donc pas à sa place. Quels que soient ses
efforts, ses sens victorieux finiront par l'empor-
ter; il se prêtera aux illusions de son âme; il s'en-
gagera dans des liaisons criminelles; il commettra
des crimes. La presse libre en instruira aussitôt la
France et l'Europe. Des procès fameux auront lien;
les coupables seront punis ou absous, mais le scan-
dale sera à son comble. On ne parlera plus que des
(343)
crimes des ecclésiastiques j les dévols eux-mêmes
ne pourront s'empêcher de les blâmer. Cinq ou
six évènemens pareils suiïiront pour avilir le sa-
cerdoce. Qu'on y prenne garde 5 dans le siècle où
nous sommes, la qualité de prêtre, au li^u d'être
un bouclier impénétrable aux regards et aux
coups des malveillans, est im cristal fragile qui
fixe les yeux, agrandit les fautes et se brise au
moindre effort. Si nous nous flattons que nos dé-
lits (t) ne parviendront pas à la connaissance du
public, ou que l'on pourra toujours se soustraire
au glaive de la loi, nous sommes dans une erreur
grossière. Il n'y a plus aucun moyen d'arraclier la
liberté de la presse à une nation puissante qui en
jouit et qui veut la conserver. Rêvez -vous encore
de chimériques privilèges, une juridiction, des tri-
bunaux à [)art, l'impunité de l'Espagne ou du Por-
tugal? Les mois sonores de manteaux sacrés j de
mains consacrées ^ de sacerdoce inviolable ^ ne font
plus aucune impression. La société actuelle veut,
pour les prêtres, une réputation sans tache, uue
conduite sans reproche.
Ces inductions ne sont que trop justitiées par des
évènemens que peu de mois ne peuvent pas avoir eflh-
(1) Je ne calomnie personne ; je ne me hvre qu'à des hy-
pothèses qui tombent d'elles-mêmes toutes les fois qu'elles
ne s'appuient point sur des faits.
( 3.1-i )
ces de la mémoire des hommes. Ln lait tout récent
et qui offre un caractère de perversité sans exemple,
un crime qui appelle à son secours une série af-
freuse de crimes, vient de prouver à la France que
l'emploi des plus terribles peines ne saurait arrêter
les perichans irrésistibles de la nature. Pensez -y
donc bien : le mépris, l'avilissement est le plus
terrible des maux qui puissent frapper un individu
ou une classe. Les ecclésiastiques, en perdant l'hon-
neur et la considération, perdraient tout; et le culte
catholique serait placé, par la mauvaise conduite
de ses ministres, dans la situation où étaient les re-
ligions des anciens peuples à la naissance du chris-
tianisme, et où il se trouvait lui-même lors de la
révolution de Luther. Les conséquences d'un pareil
état sont trop visibles pour que je croie avoir besoin
de les signaler ici.
La seconde hypothèse a i'avanlaj^e de n'offrir à
l'imagination ni le crime ni le déshonneur du sa-
cerdoce; mais elle n'est guère plus satisfaisante pour
la prospérité du culte catholique. 11 sera difficile
que le prélie après son mariage puisse souffrir de
se voir devenu l'objet de la haine ou du dédain
d'un grand nombre de ses anciens co-réligionnaires,
de l'indifférence des calvinistes et de l'aversion
des autorités ; de se voir fermer la carrière des em-
plois et des honneurs; de se voir privé de la par-
ticipation aux sacremens et à tous les biens spi-
( 345 )
rituels. Cependant, tant qu'il ne s'agira que de sa
personne, il pourra peut-être dévorer les injures
sanglantes que sa position lui attirera certainementj
mais comment résister à la douleur et aux larmes
d'une femme chérie qu'accablent tous les jours les
sarcasmes et le mépris des voisines, que tour-
mentent le remords et la vanité, qu'écrasent l'in-
dignation et les menaces foudroyantes du ministre
des autels ? Ne voudra-t-il pas se tirer d'un état
si humiliant pour son amour-propre et si déchi-
rant pour son cœur? Ce n'est pas tout encore : lors-
qu'il deviendra père, et qu'il verra ses enfans expo-
sés aux mêmes humiliations, pourra-t-il rester
iuébraulable ? Les injures et les reproches sont ici
peu de chose : ce n'est pas le présent, c'est l'ave-
nir qui occupe le plus un père. Laissera-t-iL ses
enfans sans état civil , et comme des étrangers au
milieu de leurs concitoyens? Voudra-t-il que des
ascendans , ou même des collatéraux, viennent leur
disputer les biens qu'il leur a procurés à la sueur
de son front? Quelque force ou quelque insou-
ciance que l'on puisse supposer à cet homme, il
lui sera impossible de rester et de faire rester sa
famille dans un état si désespérant. Et que fera-t-il ?
Le remède à tous ses maux n'est pas très difficile.
11 n'a qu'à embrasser la religion protestante, et aus-
sitôt il peut contracter mariage, et rendre sa femme
et ses enfans légitimes. Pourrey. - vous l'empêcher
( 346)
<lc le faire? Vous n'en avez aucun moyen léi^al. Les
jois au contraire le protèj^ent comme elles vous pro-
tègent ; et le préjugé religieux, pour un homme
dans une telle position, ne peut opposer qu'un très
faible obstacle à des motifs si puissans. Je vois jus-
qu'à deux ministres de nos autels qui ont, en moins
de deux ans , déserté le sanctuaire pour entrer dans
le culte réformé. D'autres vont suivre leur exemple;
les magistrats, d'accord avec le clergé romain, me
paraissent les précipiter vers le calvinisme.
Ces pertes de noire culte ne sont presque rien
en elles-mêmes , c'est l'exemple d'un passage si facile
et si fréquent qui doit nous alarmer dans un temps
où la publicité n'a ni bornes ni retenue. N'est-il
pas à craindre que peu à peu les catholiques ne
viennent à se persuader que, pourvu que l'on soit
chrétien, peu importe que l'on vive dans un culte
ou dans un autre? Nous ne sommes pas déjà bien
loin de cet état ; et alors avec un clergé si jeune et
si intolérant, avec la coaction qu'on exerce tous
les jours sur les fidèles, avec ces dénis de sacre-
mens , ces dénis de sépulture ecclésiastique , ces
prônes furieux, ces défenses des plus innocens plai-
sirs , que deviendrons- nous ? Je crois qu'il n'est
pas besoin d'être prophète pour annoncer de grands
triomphes aux cultes réformés. Nous ne tarderons
peut-être pas à voir des villages et même des villes
entières abandonner la religion catholique , où ils
(347 )
sont continuellement exposés à des tracasseries et
à des vexations de toute espèce, pour entrer dans
un culte qui leur tend les bras, où les ministres,
loin d'inquiéter et de troubler, consolent et paci-
fient, et où les fidèles jouissent d'une entière li-
berté. Les cultes réformés sont pleins de sève et
de vigueur j la religion catholique est un chêne ma-
jestueux que l'orage a dépouillé d'un grand nombre
de ses branches, et qui
Trunco non frondibus efïicit umbram.
fc\\\^>VVVV\\VVVWVVVVVVVVVV\V\VVVWVVVWVVVV*VVVV\%\VVV\%VVVVVVVV\v\\VVVVVVVVVVVVV%'V\V>.V^
CHAPITRE IL
Iljaut accorder aux prêtres le cumul des Jonctions
sacerdotales et du mariage.
Je n'examinerai pas ici la question de savoir si un
prêtre, suivant les lois de la nature , celles de Dieu,
et V Evangile y peut, tout en conservant ses augustes
fonctions, s'engager dans les liens d'un légitime ma-
riage : je l'ai examinée dans plusieurs des chapitres
précédens. Je m'arrêterai dans celui-ci à l'examen
des conséquences funestes qui résultent de i'élat
contraire.
Saint Paphnuce, évêque de Thèbes, en Egypte,
en défendant le mariage des ecclésiastiques devant le
( 348 )
concile (le INlcée, en 325, s'exprima en ces termes:
« IN 'appesantissez-pas le joug des ecclésiastiques. Le
)) mariage est honorable dans tous les états. ÏN'oflén-
» sez point l'église en voulant être trop parfaits.
» Coucher avec sa femme, c'est chasteté. » Touché
par les raisons de ce prélat, le concile permit aux
ecclésiastiques de conserver leurs femmes légitimes,
mais il leur défendit le mariage après leur entrée
dans les ordres sacrés. Quelle contradiction ! Ou le
mariage est incompatible avec les fonctions fiacerdo-
talcs, et, dans ce cas, un marié ne doit pas prétendre à
desservir les autels 5 ou cette incompatibilité n'existe
pas, et, dans ce cas, pourquoi avoir défendu aux
clercs engagés dans les ordres sacrés de s'unir à une
compagne légitime? Si l'histoire de l'espèce humaine
n'était pas toute remplie de contradictions, celle-ci
pourrait nous étonner à juste titre.
Dans l'église latine, pendant les premiers siècles
du christianisme , on avait coutume d'admettre à la
prêtrise, et même à l'épiscopat, des hommes qui
avaient femme et enfans , et qui même ne s'en sé-
paraient pas après les ordres sacrés. J'en ai déjà cité
plusieurs exemples. Les chrétiens suivaient à la lettre
V Evangile, l'exemple des apôtres et les conseils de
saint Paul. Ceux-là mêmes qi.i se faisaient un de-
voir de s'abstenir de leurs femmes ne se séparaient
pas d'elles, ils vivaient sous le même toit : seule-
ment, avi lieu de se regarder comme mari et femme,
( ^9 )
ils se regardaient comme frère et sœur. Peu de per-
sonnes croiront à la possibilité d'une continence
absolue dans un état semblable.
Avant le concile de Trente, l'idée que le mariage
fût une souillure pour la dignité sacerdotale n'avait
jamais été bien affermie et bien positive. Le concile
général de Baie, qui avait voulu opérer les réformes
nécessaires dans toute l'église, paraît avoir professé
une doctrine contraire. Lorsqu'en i4^g il déposa le
pape Eugène IV, et tenta de mettre à sa place
Amédée, duc de Savoie, plusieurs prélals objectè-
rent que ce prince ayant été marié, ne pouvait pas
être élevé au pontificat. Le concile ne donna aucune
suite à ces objections, et Amédée fut élu. Le secré-
taire du concile, ^neas Sylvius Piccolomini , en ré-
pondant aux objections qu'on avait faites à Amédée,
dit en propres termes : « On peut élire non-seule-
» ment un bomme qui a été marié, mais un bomme
)) qui l'est encore. » Non solum qui uxorem habuit,
sed uxorem habens potesl assumi. Ces mots n'exci-
tèrent point de bruit dans l'assemblée, et ne furent
pas à l'orateur un obstacle pour lui empêcher de
monter sur la cbaire pontificale.
Lorsque Piccolomini se trouva, sous le nom de
Pie II, assis sur le trône de saint Pierre, et qu'il eut
cessé d'être de l'avis du concile de Baie sur beaucoup
de points, il n'en resta pas moins inébranlable dans
son opinion, que le mariage ne devait pas être in-
1
C 35o )
compalible avec les fonctions du sacerdoce. Il disait:
(( L'église occidentale a défendu le mariage aux ec-
» clésiastiques pour de bonnes raisons j on aurait à
M présent des raisons encore plus fortes pour le leur
M permettre (i). » Ce pape pouvait en avoir de per-
sonnelles, comme, par exemple, de rendre légi-
times les enfans qu'il avait déjà, et dont il ne rougis-
sait pas de s'occuper. Mais la religion catholique eu
avait de plus puissantes. La révolution religieuse
dont Luther fut le chef et l'instrument fermentait
déjà sourdement, et ce n'était pas un homme de l'é-
lévation d'esprit de Pie II qui aurait pu s'y tromper.
Les ambassadeurs du duc de Bavière demandè-
rent , au nom de leur souverain , au concile de
Trente , qu'il fût permis aux prêtres de se marier.
Aussitôt l'évêque de Cinq-Églises fit la même pro-
position aussi , de la part de l'empereur d'Allemagne;
le roi de France s'unit au vœu de ces princes; et
voyant que le pape finirait par l'emporter dans le
concile, il chargea ses ambassadeurs de proposer que,
si l'on ne pouvait pas mieux faire, on établît au
moins qu'on ne serait admis aux ordres sacrés que
dans im âge au-dessus de tout soupçon (2). Le sou-
verain pontife ne voulut point céder. Le concile dis-
puta, ergota, intrigua. La majorité se prononça en
(i) Platina, Fie de Pie II.
(2) Le Courayer, Histoire de Fra Paolo Sarpi.
( 35. )
faveur des prétentions du pape. Tout ce que l'on
crut à propos de statuer relativement à la permis-
sion de mariage pour les prêtres, ce fut de recon-
naître au chef de l'église catholique le pouvoir de
dispenser de l'empêchement des ordres , lorsqu'il le
jugerait à propos et pour des motifs très graves.
Le pape et ceux de son parti au concile de Trente
firent-ils une chose utile aux intérêts de la religion ,
en refusant d'accéder aux vœux des monarques puis-
sans qui sollicitaient le mariage des ecclésiastiques?
Le pape et la plupart des prélats italiens et espagnols
qui assistaient au concile ne connaissaient que par
des rapports, souvent infidèles, la vivacité ou plutôt
l'acharnement que les nouveaux religionnaires met-
taient à soutenir les principes de la réforme, et ne
pouvaient pas se figurer toute l'étendue du danger.
Ils croyaient même devoir écarter toute mesure qui
aurait pu affaiblir l'unité d'intérêt dans les ecclé-
siastiques, et diminuer la puissance du souverain
pontife, dans un temps où on lui portait des coups
si terribles et où elle avait besoin de déployer une
plus grande énergie.
Les princes du nord, au contraire, voyant de
leurs propres yeux les combats animés que les deux
cultes rivaux se livraient tous les jours , et se trou-
vant eux-mêmes gravement compromis dans ces dé-
bats sanglans, étaient très intéressés à l'adoption de
tout moyen propre à calmer l'aigreur des esprits, et
( 35= )
à dlininiier dans les ministres du eulle catholique
les plus puissans motifs fjr.i auraient pu les porter à
embrasser les nouvelles religions.
Ce n'était pas certainement, ni par une géné-
rosité qui n'était pas dans leur caractère, ni par
attachement pour un culte qu'ils s'étaient efforcés
de détruire, que Ferdinand I" et Charles IX se
prêtaient à de tels ménagemens. La vue des dan-
gers qui entouraient leurs trônes et la rehgion ca-
tholique pouvait seule leur inspirer des idées de
modération et de sagesse. Charlcs-Quint lui-même,
après avoir fait couler des torrens de sang pour
le soutien de la religion de ses pères, après avoir
essayé de détruire des populations nombreuses, se
trouva obligé de donner aux princes ses parens des
conseils de douceur et d'humanité. La force des
choses, le besoin et l'instinct de leur propre con-
servation avaient ouvert, sur les bords de l'abîme,
les yeux de ces monarques si peu sages.
Les circonstances sont-elles changées aujour- ^
d'hui? Nul doute; et ce changement est tel, que
notre époque n'a presque rien de semblable avec
celle où les ligues remuaient la France, et précipi-
taient, sous prétexte de religion, les deux cultes
ennemis l'un contre l'autre. Si l'esprit de trouble et
de discorde animait les peuples au XVF siècle,
les plus doux sentimens de paix et d'union tendent,
dans le XIX^ , à rallier toutes les opinions et
( 353 )
lous les cœurs. La guerre civile, et plus encore
les guerres de religion, sont désormais impossibles
en France. Tout ce qu'on a fait dernièrement pour
échauffer et réveiller le fanatisme religieux n'a
produit que des effets éphémères et a fini par cimen-
ter de plus en plus l'alliance de toutes les opinions.
C'est précisément celte alliance même et cette
fusion des partis qui doit inspirer des craintes sa-
lutaires à la religion catholique. La barrière qui sé-
parait les deux cultes est détruite; le passage de
l'un à l'autre ne présente plus la moindre diffi-
culté. On a beau crier à l'impiété et à l'irréligion ;
ces cris ne trouvent plus d'écho, n'excitent plus
d'alarmes. Jamais on ne parviendra à rallumer le
feu de l'intolérance religieuse. On est indifférent,
parce que l'on est éclairé , parce qu'on a l'intime
persuasion que l'on peut servir le Seigneur dans
tous les cultes; parce que chacun, faisant un re-
tour sur lui-même et préférant à tout sa liberté
civile et religieuse, sent que tous les hommes ont
le même droit que lui; parce que l'on s'est fait de
Dieu une idée plus sublime et plus juste; parce que
l'on a enfin reconnu que le père et le créateur
de toutes choses ne peut avoir d'ennemis, et que
l'être tout-puissant qui commande aux élémens,
à la foudre et à la mort n'a pas besoin des se-
cours d'un être aussi faible et aussi misérable que
l'homme.
23
( 35i )
Cela étant ainsi, est-il prudent de nourrir tou-
jours son esprit de la flatteuse idée d'un clilmé-
rique empire, et d'imposer aux ministres du culte
(catholique des gênes et des privations qui, au mi-
lieu des libertés publiques, sont encore plus for-
tement senlies, et plus douloureuses? West -ce
pas les contraindre à souhaiter, et ensuite à se pro-
curer un état dans lequel ils pourront être admis
à l'entière jouissance de leur liberté naturelle et
civile ?
Prétendre que des hommes, à la fleur de leur
âge, et continuellement au milieu des séductions
des sens, lors même qu'ils remplissent les devoirs
sacrés de l'humanité et de la religion, qu'ils portent
des secours aux consciences égarées et des con-
solations à la misère honteuse ; prétendre, dis-je,
que de tels hommes puissent résister aux penchans
de la nature, toujours excités, c'est demander une
chose impossible. Ne suflirait-il pas du tribunal de
la pénitence, où la révélation des (aiblesses bu-
maines réveille à tout instant la flamme toujours
vive dans le cœur d'un ministre célibataire ? JNe
suffirait'il pas de l'entrée dans la demeure du mal-
heureux, où les larmes de la reconnaissance peu-
vent si facilement réveiller une tendresse funeste
à la vertu de l'homme qu'un besoin impérieux et É
non satisfait stimule et presse sans relâche ?
Ou ne conférez les ordres qu'à des liommes qui
( 355 )
ciit atteint la quarante- cinquième, ou même la
cinquantième année, ou accordez à vos ministres
le cumul des fonctions sacerdotales et du mariage.
Toute autre position entraîne des dangers inévi-
tables.
Pourquoi voulez-vous toujours vous isoler au
milieu de vos concitoyens, et vivre sur vos gardes
et, pour ainsi dire , les armes à la main ? Ne se-
rait-il pas plus avantageux de se fondre dans la so-
ciété, de fraterniser avec elle, de quitter toute idée
d'empire et de coaction, de prendre l'esprit et le
langage de la douceur, qui sied si bien à votre
caractère ? Il me semble que de cette manière vous
réussiriez beaucoup mieux ; vous vous concilieriez
l'amour de tous les bommes, vous régneriez sur les
cœurs, vous acquerriez un empire inébranlable.
Le mariage des ministres du sanctuaire, dans les
circonstances actuelles, serait pour l'église catbo-
lique un puissant moyen de conservation. Qu'elle
ne se laisse pas aveugler par d'anciennes cbimères ;
qu'elle ne compte pas sur l'appui de l'autorité tem-
porelle, qui ne serait pas assez fort, et sur lequel
elle ne doit pas compter. Quel intérêt a-t-il, le
Gouvernement, d'exercer une coaction dangereuse?
Les calvinistes ne sont -ils pas ses sujets aussi bien
que les catholiques? Ne paient -ils pas les contri-
butions? n'obéissent- ils pas aux lois? ne s'enrôlent-
11s pas dans les rangs de l'armée ? Voilà tout ce
23..
( 356 )
qu'il lui faut. Il n'a donc aucune raison de j^cner
en cela la liberté des fidèles.
L'église catholique est seule intéressée dans ces
débats : qu'elle y pense donc bien • qu'elle observe
les circonstances , la marche des esprits , la nature
de l'attaque et ses moyens de défense. Si elle ne
prend aujourd'hui une résolution généreuse d'où
doit dépendre en grande partie sa future prospé-
rité, elle y sera forcée plus tard.
CHAPITRE m.
L'union des Jonctions sacerdotales et du mariage
ne présente aucun danger.
Lorsqu'on veut soutenir une erreur fondée sur des
préjugés que le temps a rendus presque indestructi-
bles, les sophismes ne manquent jamais. Les hommes
supérieurs eux-mêmes, ces hommes qui, par leurs
lumières et leur position, se trouvent au-dessus des
idées du vulgaire, adoptent trop souvent le langage
commun , pour trouver des échos dans l'opinion
et se frayer un chemin plus sur aux dignités et
aux honneurs. « Ces mariages (ceux des prêtres)
» sont généralement réprouvés par l'opinion j ils
( 357 )
)) ont des dangers pour la tranquillité et la sûreté
» des familles. Un prêtre catholique aurait trop
» de moyens de séduire, s'il pouvait se promettre
» d'arriver au terme de ses séductions par un ma-
» riage légitime. Sous prétexte de diriger les cons-
J) ciences, il chercherait à gagner et à corrompre
» les cœurs. » Ainsi parlait au préfet de la Seine-
Inférieure le ministre des cultes en 1807, dans une
lettre que j'ai rapportée précédemment ; et l'on a
lieu d'être étonné d'un pareil langage. Ne dirait-on
pas qu'il peut y avoir des circonstances où un ma-
riage légitime est le plus grand des malheurs qui
puissent frapper une famille? qu'un prêtre marié
est un monstre affreux, dont la présence peut
compromettre la sûreté et la tranquillité des mai-
sons ? Cependant lors même que l'on pousse à la
dernière extrémité toutes les conséquences possibles
d'un tel état de choses, quel autre inconvénient
peut-on y trouver, si ce n'est la disproportion
dans la fortune des conjoints? Un prêtre pauvre ou
obscur pourrait épouser une femme riche ou d'une
haute naissance : serait-ce la ruine du monde ? Je
ne pense [)as que ni le ministre, ni tous ceux
qui répètent ses expressions, veuillent parler ici
d'une séduction qui n'aurait pour but que des dé-
sirs effrénés et illégitimes : car la possibilité du ma-
riage, au lieu de disposer le cœur à ces liaisons
secrètes qui compromettraient l'honneur des fa-
( 358 )
milles et l'élat de l'eccicsiaslique, doit plutôt les
en détourner, en ofll-ant des moyens légitimes de
satisfaire au vœu de la nature.
On a trop exagéré les moyens de séduction qu'au-
rait le ministre des autels, si on lui permettait le
mariage. Il me paraît que le sanctuaire et le confes-
sionnal ne sont pas des lieux très propres aux con-
fidences de l'amour j ils inspirent d'autres sentimens,
et imposent des devoirs qui sont opposés à ces liai-
sons dangereuses. 11 serait difficile d'y commencer
des relations de l'espèce de celles qui mènent au
mariage. Je m'imagine qu'une jeune personne à qui
un confesseur ferait, au tribunal de pénitence, une
proposition tant soit peu contraire à la sainteté du
lieu, quitterait aussitôt la place, rougissant d'une
honnête pudeur, et n'y reviendrait plus. Le ministre
du culte, suivant toute apparence, ne tarderait pas
à se repentir de son indiscrétion. Le confessionnal
garantit la vertu de toute atteinte ; le vice seul pour-
rait s'y fortifier et s'y étendre. Les faiblesses réité-
rées d'une pénitente ont de quoi allumer les feux et
encourager l'espérance. Dans quels ministres? dans
ceux-là , sans doute , que le besoin presse et persé-
cute. Un ecclésiastique marié n'éprouverait d'autre
sentiment que celui du mépris et de l'aversion. Les
maris , ordinairement , ont pour la chasteté des
femmes beaucoup plus de respect que les céliba-
taires.
(359)
Les ministres pour lesquels la continence est un
tlevoîr absolu se trouvent donc plus exposés à faire
le mal que ceux à qui la liberté du mariage est laissée.
11 y a même plus : supposez que les relations d'un
ecclésiastique avec une jeune personne soient por-
tées à ce point d'intimité qui est le but unique de la
nature j quel scandale ! quels troubles! quels déchi-
remens! Le mariage est- il impossible? le mal est
sans remède; le ministre peut-il s'unir légitimement
à l'objet de ses criminelles séductions? un mariage
légitime dissipe aussitôt l'orage : le sanctuaire et la
société sont débvrés d'une blessure profonde.
Celte hypothèse n'est pas si invraisemblable,
qu'elle ne se réalise fréquemment. J'en ai vu moi-
même des exemples que je pourrais citer. Que
font les évèques dans de pareilles circonstances'^
Ils font voyager les ecclésiastiques, ou ils les privent
de leurs bénéfices, ou ils leur imposent ce qu'on ap-
pelle des pénitences canoniques. Ces mesures , cmel"
que malheureuses et quelque répressives qu'elles
puissent être pour le ministre, apportent-elles la
moindre réparation au malheur de la jeune per-
sonne et de sa famille? Elles augmentent seulement
le nombre des victimes, et c'est toujours ainsi lors-
qu'on sort des voies de la nature.
Vous défendez donc le mariage pour obvier aux
graves inconvéniens que pourrait produire une légi-
time union; et bien loin d'atteindre au but que vous
( 36o )
vous proposiez , vous rendez les inconvéniens plus
frcquens, plus graves et tout-à-fait irréparables.
L'état du prêtre est-il donc nécessairement hos-
tile pour les mœurs et pour le repos des familles?
L'état du prêtre, tel que nous l'avons fait et tel
qu'il est, peut-être oui. L'état du prêtre, tel
qu'il pourrait et tel qu'il devrait être, a reçu une
meilleure destination ; il est fait pour être la sauve-
garde de la vertu, et il sera cette sauvegarde toutes
les fois qu'il voudra se renfermer dans les bornes
qui lui sont assignées par la nature. L'eau qui crou-
pit dans l'éJang répand autour d'elle l'infection et
la mort : donnez-lui le mouvement qui lui est na-
turel, elle devient aussitôt une source féconde de
vie , d'abondance , de fertilité.
Il n'y a qu'un moyen qui puisse mettre les mi-
nistres des autels dans un état à inspirer une entière
confiance et à leur rendre la vertu facile et néces-
saire : c'est l'union du sacerdoce au mariage. Il me
semble qu'un prêtre époux et père serait un person-
nage plein de dignité et entouré du respect des fidèles.
Au-dessus du besoin, et dans un état où un homme
ne peut s'écarter d'une sage conduite que lorsqu'il
est entraîné par la force des passions les plus impé-
tueuses, rien ne pourrait le détourner de la pureté
et de la décence qui conviennent à son auguste ca-
ractère. Les pères de famille et les maris n'auraient
lieu d'avoir aucune inquiétude lorsque leurs filles
(36. )
et leurs femmes se présenteraient devant lui au tri-
bunal de pénitence , ou que les devoirs de son mi-
nistère lui feraient visiter à plusieurs reprises leurs
paisibles demeures. Père, il attacherait le plus grand
prix à la vertu de ses propres filles, d'où dépendrait
sa propre gloire et leur bonheur, et il respecterait
celles des autres ; mari , il sentirait que son repos est
attaché à la chasteté de sa femme , et le sentiment
d'une juste réciprocité lui inspirerait un respect re-
ligieux pour la chasteté des femmes de ses voisins.
Plus je réfléchis sur un sujet si digne de médita-
tion, plus il me semble que la liberté accordée aux
prêtres d'unir les fonctions sacerdotales au mariage
doit produire les plus heureux effets pour les mœurs
et pour la religion. L'alliance de deux grands sa-
cremens que des préjugés malheureux ont presque
toujours séparés ne peut qu'apporter un surcroit de
grâces et de bénédictions célestes. Le mariage ga-
rantirait la dignité du ministère saint des atteintes
d'un vice nécessaire qui l'a toujours flétri; le sacer-
doce purifierait le mariage, et ajouterait à sa sain-
teté.
Les avantages que la société retirerait du cumul
des fonctions sacerdotales et du mariage sont si con-
sidérables, que non-seulement on devrait le per-
mettre à nos jeunes lévites, mais que l'on devrait
même admettre en principe que, pour recevoir la
prêtrise , tout homme aurait à constater auparavant
( 3G2 )
qu'il est déjà époux. Il me semble qu'un rè^lcmeut
de cette nature préviendrait d'une manière oflicace
tous les désordres qui résullent d'une continence
absolue , et tous ceux qui pourraient résulter de la
faculté de se marier en quittant les autels.
Toutefois , comme il est à désirer que l'on mette
à la liberté le moins d'entraves possible, on pourra
trouver suffisant d'imposer le mariage aux seuls
ecclésiastiques à qui l'on confère des bénéfices;
car ceux-ci sont les seuls qui , par leur position et
par la nature des fonctions qu'ils exercent, puissent
menacer la tranquillité des familles. Les prêtres
sans bénéfices pourraient vivre dans le célibat ou se
marier, suivant qu'ils le jugeraient à propos.
Je ne vois là aucun inconvénient réel. Je ne de-
mande pas à l'homme la vertu des anges, à laquelle
il n'élèverait que de vaines prétentions. On ne doit
appeler vertueux que ceux-là seulement qui rem-
plissent tous les devoirs de leur état et de leur na- ,
ture. Les mots ne font rien aux choses : la longue
durée et l'universalité d'une erreur ne la rendent pas
vérité. La croyance que le ciel , le soleil et tous les
astres accomplissent en vingt-quatre beures leur ré-
volution autour de la terre a été même plus géné-
ralement admise et a duré plus long-temps que la
croyance de la sainteté du célibat. Soutenir le con-
traire, était alarmer la susceptibilité du parti reli"
gieux et s'exposer à l'exil et à l'emprisonnement.
( 363 )
De qui se moque-t-ou aujourd'hui, de Galilée ou
de ses juges? de Copernic, ou de ceux qui le disaient
trembler? La sainteté du célibat est une erreur
comme celle delà révolution du soleil, et infiniment
plus dangereuse à l'espèce humaine; elle n'existera
})lus dans quelques siècles. La Philosophie morale
fait, il est vrai, des progrès beaucoup plus lents que
la Physique ; mais elle s'avance tous les jours ; elle
devient plus populaire, et tous les préjugés tombent
les uns après les autres. L'Allemagne, l'Angleterre,
la Suisse et une bonne partie de la France croient
déjà que le mariage est un état de vertu et de saiu-
telé, voient avec plaisir les ministres des autels con-
tracter des mariages légitimes , se faire honneur
d'accompagner leurs épouses, avoir beaucoup d'é-
gards pour leurs enfans.
Pour le vulgaire des catholiques, le mariage des
prêtres est encore un objet d'aversion ; cepen-
dant ce préjugé a perdu une grande partie de sa
force. 11 y a seulement soixante ans, un ecclésias-
tique marié aurait excité la plus profonde indigna-
tion : aujourd'hui la masse populaire seulement en
est un peu scandahsée. Les prêtres en faveur des-
quels ont prononcé les tribunaux de Sainte-Me-
nehoud, de Nancy et de Cambrai ont célébré leurs
mariages sans aucune opposition de la part de leurs
parens, du ministère public ou même des dévots
de leurs villes. Si l'éducation pubhque s'avance de ce
( 364 )
pas, avant qu'il soit cent ans, noire postérité ne fera
pas la moindre attention aux mariages des prêtres.
Tout ce qui est nouveau nous frappe ', tout ce qui
blesse nos idées nous irrite. Ces idées se modifient à
chaque instant- l'esprit s'éclaire, le cœur se forme
à l'exercice des vertus solides. Tout ce qui est faux,
tout ce qui n'est fondé que sur l'opinion s'affaiblit
et se dissipe insensiblement ; il n'y a d'inébranlable
que les sentimens de la nature et les lois auxquelles
elle a soumis le monde. De même que nous rions
de quelques préjugés qui étaient pour nos ancêtres
des devoirs inviolables, de mém.e nos descendans
regarderont en pitié quelques-unes de nos croyances
d'aujourd'hui.
L'église pourrait accélérer et tourner à son pro-
fil celte inévitable révolution. Pourquoi le peuple
condamne- 1- il le mariage des ecclésiastiques?
parce que l'église le condamne. Qu'elle veuille
bien l'approuver ; qu'une résolution solennelle et
motivée de la part de ses chefs reconnaisse que le
mariage des prêtres n'a rien d'immoral et de con-
traire à la sainteté de la religion; qu'elle ordonne
aux ministres des autels de les bénir et d'invoquer
les grâces du Seigneur sur les époux , et la consi-
dération publique va bientôt les entourer.
En cela, l'intérêt de Téglise gallicane n'est pas
précisément celui du souverain pontife. Je tâcherai
de faire voir, dans un prochain chapitre, quels sont
( 365 )
les motifs qui ont toujours dirigé et qui dirigent
encore la politique de Rome.
L'église gallicane a joui dans tous les temps du
droit de se donner des principes de discipline diffé-
rens de ceux de l'église romaine. Qui peut l'empê-
cher de faire un nouveau règlement, et d'ajouter
aux avantages que nous possédons déjà , même le ma-
riage des prêtres? J'ai déjà démontré, et tout homme
consciencieux et éclairé doit être convaincu, que le
vœu de continence n'est pas un dogme fondamen-
tal de la foi. Ce n'est qu'un point de discipline , à
l'égard duquel les différentes églises n'ont jamais été
d'accord. JXous pouvons donc le modifier toutes les
fois que nous le croyons utile à la prospérité du
royaume et de la religion.
CHAPITRE IV.
Le célibat produit les effets les plus funestes à la
religion et à la morale.
Voyons maintenant, dans un chapitre à part,
quelques-uns des inconvéniens particuliers auxquels
donne nécessairement lieu le célibat. Il est peut-être
bien d'en offrir ici un tableau général; il pourra
( 366 )
frapper davantage les esprits et entraîner la convic-
tion. De tels principes ne sauraient rien perdre à
être présentés plusieurs fois aux regards du lecteur.
Je sais qu'un grand nombre de personnes, cédant à
un préjugé que l'éducation a profondément gravé
dans leur cœur, éprouvent une grande répugnance
à allier ensemble l'idée du mariage uni au sacer-
doce : leur en parler souvent, ce sera les familia-
riser avec elle et les disposer à admettre une vérité
utile.
La lecture de ce qui précède de cet ouvrage , et
les faits que chacun doit avoir acquis par sa propre
expérience, doivent nous avoir convaincus que les
religieux n'ont pas plus de force que les autres bu-
mains pour résister au pencbant qui entraîne à ac-
complir l'acte de la génération. Il ne peut y avoir
que des exceptions rares. Sur cent cinquante ou cent
soixante prêtres que j'ai connus assez intimement,
il n'y en a que deux qui aient eu le bonheur d'éviter
les soupçons et la censure de leurs concitoyens : et
de ces deux , l'un d'une santé faible et d'une ima-
gination continuellement frappée par les terreurs de
la mort, n'éprouvait que rarement les besoins de la
nature et avait des motifs trop puissans pour s'y
soustraire ; l'autre avait 'passé les années où l'on est
le plus exposé aux orages des passions , sur le conti-
nent de l'Italie et loin du public dont j'exprime ici
le jugement.
( 36, )
Etoufl'er un désir si vif, si impétueux , si violent,
qui brûle sans cesse, qui tourmente le jour et la nuit,
dansla veille et pendant le sommeil, dans la solitude
et au milieu de la société, jusque même dans le mo-
ment où nous remplissons les devoirs de notre minis-
tère; étoufier un pareil désir est une lâche trop au-
dessus de nos forces. L'immense majorité des reli-
gieux succombent de toute nécessité, et lorsqu'ils
sont découverts, ils excitent l'indignation des fidèles.
Comment parviennent-ils à cacher aux citoyens
soupçonneux les relations clandestines qui s'établis-
sent à la place du mariage?
La plupart (cette vérité est odieuse, mais c'en est
une) se procurent des servantes de leur goût, et
vivent avec elles à peu près comme avec une femme
légitime. Ce sont des concubines, comme il en exis-
tait dans l'ancienne Rome et comme en. avaient les
piètres dans les premiers siècles de l'église. Je ra-
conterai quelques anecdotes dont je garantis l'exac-
titude.
11 y a, si j'ai bonne mémoire, sept ou huit ans,
qu'étant arrivé dans la commune de M. . . . pour y
passer quelques jours, beaucoup de personnes me
dirent, sans aucun mystère, que leur curé P. . . .
couchait dans la même chambre avec sa domestique.
Comme cette inculpation était grave, je n'y ajou-
tai d'abord aucune foi; puis je conçus des doutes;
puis une curiosité peu réfléchie fit naître en moi le
( 368 )
désir (le vérifier ce fait. J'allai faire une visite au
bon prêtre, que je ne connaissais que de nom. 11
m'accueillit avec beaucoup de bonté, me fit voir
toutes les pièces de son appartement. Arrivé dans sa
chambre à coucher, je vis deux lits si près l'un
de l'autre, qu'il fallait se mettre de côté pour
passer dans l'espace qui les séparait. Vous avez
donc deux lits, monsieur le curé? lui dis- je alors.
— Ils ne sont pas tous les deux pour moi. Celui-
là est pour ma servante. — Vous plaisantez, je crois.
— Non, monsieur, je ne plaisante pas; ma servante
couche là. Y troiiveriez-vous quelque chose à re-
dire ? — Il est vrai qu'à l'àge où vous êtes, vous ne
devez avoir rien à craindre. (11 était à peu près
septuagénaire.) — Je n'ai jamais eu rien à craindre.
Ce n'est pas d'aujourd'hui, mon cher abbé, que
je fais coucher ma servante à côté de moi. Je vis
dans cet état depuis quarante- cinq ans. Que vou-
lez-vous, je ne saurais rester seul dans ma chambre
pendant la nuit : l'obscurité et le silence me font
peur. — Et n'aurait-il pas été plus prudent de cou-
cher avec un domestique? — Un domestique!....
Un domestique ne saurait rendre le quart des ser-
vices qu'on reçoit d'une bonne. Nous autres hom-
mes, nous ne savons rien faire; nous sommes lourds,
paresseux , maussades , presque toujours de mau-
vaise humeur. Rien n'est comparable à la douceur,
à la tendresse, à la sollicitude et à l'activité d'une
(369)
femme que l'on altache à soi. Je le sais par expé-
rience.
Il y a trois ans, je me trouvais dans un vil-
lage du Berri , dont le desservant passait pour
vivre d'une manière intime avec sa servante. Tous
les paroissiens en parlaient sans aucune retenue ,
et en faisaient mille plaisanteries. Le frère de cette
femme, moitié en plaisantant, moitié d'un air sé-
rieux , donnait partout au curé le nom de beau-
frère. Un jour qu'il eut une vive discussion avec
cet ecclésiastique, il lui dit, au milieu d'une so-
ciété nombreuse : « Monsieur le curé, prenez garde
» à vous ; je puis vous causer de vifs chagrins ; il
» ne tient qu'à moi de vous réduire à un dou-
» loiueux veuvage. » De grands éclats de rire ac-
compagnèrent ce propos outrageant. Le curé en
rit lui-même , et se liàta d'apaiser le courroux
du hardi paroissien.
11 y en a qui ne se donnent aucune peine pour
cacher ces sortes de relations. Deux mois ne sont
pas encore passés depuis que j'ai eu le dialogue
suivant avec un ecclésiastique dont je n'exigeais
ni ne méritais la confiance : Vous voilà donc de
retour à Paris, lui dis-je; est-ce que vous vou-
lez vous y établir? — Dieu m'en préserve! — Il est
difficile d'y obtenir des bénéfices? — Ce n'est pas
pour cela : on m'en oiïre un d'environ 2000
2i
( 3-" )
francs ; niais je niu garderai de l'aecepler. —
Pourquoi? — Est-ce que lu ne me connais plus?
La vue de Lant de femmes attrayantes m'entraîne-
rait malgré moi. — Eli Lien? — Je serais entouré
ici de trop de dangers. — Est-ce que ces mêmes
dangers ne vous suivront pas dans la province ?
— J'ui lu des moyens plus sûrs de les éviter. — Je
ne vous comprends pas : j'ai toujours cru que les
grandes villes comme Paris offraient aux célibataires
beaucou[) plus de ressources que les villages. — Tu
es dans l'erreur. Ici mille regards sont toujours
attachés sur tes pas. H suffirait de ceux du pres-
bytère auquel on appartient. Ce sont des espions
conslans. Jaloux et naturellement soupçonneux ,
ils donnent les plus malignes interprétations aux
démarclies les plus innocentes. Je ne pourrais pas
même avoir une bonne. — Vous n'en auriez pas
besoin, — Je t'ai compris. Ce genre de vie ne me
convient pas. Ce n'est pas une flamme passagère
que celle qui me dévore : c'est un besoin du cœur,
un besoin constant , un besoin qui ne saurait ces-
ser qu'avec la vie. Me condamner à ne plus ai-
mer, ce serait me condamner à ne plus vivre.
L'amour est presque l'aliment unique de mon exis-
tence.— Je crains que ces sentimens ne vous en-
traînent dans quelque précipice. — Tu raisonnes
comme un enfant: tu as l'air de croire que je
(37- )
cherche à former des liaisons scandaleuses dans ma
paroisse, et point du tout. Lorsque j'arrive dans
mon presbytère, ma première occupation, c'est
de me procurer une bonne qui ait quelque beaulé.
Je gagne son affection par l'amour que je lui porte
et par les bienfaits dont je la comble. J'en fais peu
à peu mon épouse. J'agis de manière que notre
amour ne produit aucun fruit, et je vis avec elle
dans le contentement et dans le bonheur.
Ce moyen est fort commode , mais il n'est pas
sans inconvénier)t. D'abord, les paroissiens devinent
presque toujours )es relations qui lient ensemble
les heureux babilans du presbytère. Pour les leur
révéler , il suffit de l'ascendant que les bonnes
prennent ordinairement sur les curés. Tout se fait
par elles, tout passe par leurs mains. 11 y en a
qui se mêlent même de l'administration des choses
saintes. J'en pu «s nommer qui disposent des bé-
néfices ecclésiastiques, qui imposent l'abstinence
ou permettent de faire grasse chère à tous les
bons chrétiens d'un diocèse. Les ecclésiastiques
qui se mettent dans un pareil état prétendraient
en vain éviter les soupçons d'un public enclin à
supposer des coupables. Alors , de deux choses
l'une : ou les paroissiens scandalisés prennent l'ec-
clésiastique eu aversion, le mésestiment, le mé-
prisent, et les conseils, la parole du Seigneur,
qu'il ose prêcber aux fidèles, ne sont plus écoutés,
24..
( 37' )
ne produisent plus les IVuits (ju'on devrait en at-
tendre ; ou les paroissiens s'accoutument au spec-
tacle de cette illci^ilime union , et l'exemple trouve
bientôt des imitateurs. Le trouble est jeté dans la
commune ; les filles deviennent moins timides et
plus faciles , les garçons perdent toute pudeur et
toute retenue. Je connais une ])etite paroisse de
campagne où le scandale éclatant donné par quel-
ques ecclésiastiques a introduit une licence et un
libertinage effroyable. Déjà on commence à ne plus
y sanctionner le mariage ni par le contrat civil
ni par le sacrement. Au moment où j'écris , on
m'assure qu'il y a dix-huit couples de jeunes gens
unis ainsi : et c'est une commune d'environ soixante-
dix feux ! Le lecteur découvre aisément les suites
funestes d'un pareil système de vie dans l'ordre re-
ligieux et dans l'ordre civil : on s'unit et l'on se quitte
avec la même facilité. Quel est l'homme dont la
possession n'éteigne l'ardeur et ne relâche des liens
fragiles? et que peuvent devenir une femme dés-
honorée et des enfans sans père et sans appui ?
En supposant dans ces couples malheureux une fidé-
lité et une constance à l'épreuve du temps et des
])assions , on sait bien que le terme de leur vie doit
arriver. Ne voyez -vous pas alors d'avides collaté-
raux disputer, enlever aux fruits de ces unions
condamnées par les lois et par la morale, leurs
noms et leurs droits? Je me suis moi-même trouvé
( 373 )
plus d'une fois en position de plaider })Our des
enfans infortunés, dont le mariaj^e n'avait point
assuré l'existence civile. Ajoutez à cela , pour les
époux, l'impossibilité d'avoir une part quelconque
aux fruits abondans et heureux de la religion, la
privation des sacremens , l'éloignement du sein de
l'église, la voix des pasteurs méconnue, la cons-
cience endurcie dans le mal, et, par degré, l'oubli
de tous les devoirs. Quel horrible tableau !
Il y a plus; on manque souvent de prudence : il
est si facile de s'oublier dans l'ivresse d'une pas-
sion impétueuse! Alors des preuves évidentes, pal-
pables, irrécusables, révèlent à l'œil exercé des pa-
roissiens la faiblesse de leur curé. Comment se tirer
d'un si fâcheux embarras? De quelque manière
que l'on s'y prenne, les crimes sont inévitables.
Les uns, étouffant dans leur cœur les senlimens
de la nature, chargent la commisération publique
d'élever leurs enfans ; les autres... Ln curé a élé
poursuivi en 1828 devant les tribunaux pour avoir
fait périr un enfant qu'il avait eu de sa servante.
Un curé des environs de Paris, coupable du même
crime, quelques années auparavant, s'était soustrait
par la fuite à la sévérité des lois. Les cris que pous-
sait sa servante dans les douleurs de l'enfantement
éveillèrent l'attention des voisines, celles-ci l'atten-
tion de l'autorité. On accourut; le cliirurgien cons-
tata que l'enfant dont accoucha celte malheureuse
(374)
en leur présence, n'était qu'un second enfant, et
que le premier avait dii voir le jour quelques instans
auparavant. Les deux coupables soutinrent que c'é-
tait une erreur. Des recherches faites dans la maison
prouvèrent que le chirurgien ne s'était pas trompé:
le premier des deux nouveau -nés fut trouvé mort
derrière un las dé fagots !
Yoilà des malheurs faits pour inspirer les plus
sérieuses réflexions aux membres du clergé catho-
lique. 11 y en a qui, pour ne point s'y exposer, s'abs-
tiennent d'entretenir des bonnes, et qui ont re-
cours, pour satisfaire à une passion irrésistible, à
ces repaires du vice que l'autorité tolère au sein des
grandes villes. C'est un mal; car le mal est inévitable
dès que l'on sort de la droite voie, de celle de la nature.
Cependant, tout calculé, ce' moyen présente moins
d'inconvéniens que tous les autres. Si l'on peut être
découvert, puni, disgracié par l'autorité ecclésiasti-
que; si l'on peut se rendre méprisable aux yeux de
ceux qui sont témoins de tant de faiblesse; si l'on
peut déverser sur la religion elle-même un peu de
ce blâme qui s'attache à une mauvaise conduite, au
moins on a l'avantage de n'empiéter sur les droits
de qui que ce soit, de ne troubler la paix de per-
sonne, de ne pas s'exposer à commettre des crimes,
de ne pas attirer sur sa tète l'inflexible rigueur des
lois.
Je ne crois pas que l'on puisse m'accuser ici de
( 375)
calomnie. Le lecteur veut-il des preuves irrécusables
que les ecclésiastiques des grandes villes se laissent
voir dans de mauvais lieux? Qu'il jette un coup
d'oeil sur le tableau que M. Saint-Edme a donné à
la page 124 et suivantes de \a Biographie des lieu-
tenans- généraux et des ministres de la police. On
y verra que dei'.x cent quatre-vingt-seize religieux
furent, sous la lieutenance de Sartine, saisis par ses
a^ens^agrante delicto dans des maisons mauvaises
ou suspectes, et frappés de différentes peines. On
trouve dans ce nombre douze curés, quatre-vingt-
treize prêtres, cent doyens, dignitaires, personnats
et cbanoines; le reste se compose des religieux de
différons ordres. Or, peut-on croire que les choses
soient tout-à-fait changées depuis le temps de la
lieutenance de Sartine? Les mêmes causes ne pro-
duisent-elles pas toujours les mêmes effets?
Enfin, un nombre immense d'ecclésiastiques s'a-
bandonnent au penchant de leurs cœurs, se font
dans la société des relations criminelles et vivent
aux dépens de la bonne foi des maris et des mères.
Ceux-ci s'avancent sur un chemin tout semé de
périls. Que de pièges tendus à l'innocence et à la
simplicité! que de ruses indignes! que d'injustices!
que de troubles! que de scandales! quelle honte
pour les religieux ! quels terribles coups pour la re-
ligion !
Ceux-ci sont obligés de démentir dans un crimi-
( 3,6 )
nel lêle-à-tète les principes de religion cl de morale
qu'ils prêchent du haut de la chaire de vérité, et
sapent ainsi, autant qu'il est en eux, les fondemens
sur lesquels s'élève et se soutient l'édifice social.
Ceux-là ne rougissent point de recourir à la plus
grossière imposture et de se servir, comme d'instru-
mens, dans leurs furieux desseins, des objets sacrés
de la vénération des peuples.
L'un trahit la confiance qu'établissent les liens
du sang et ceux de l'amitié.
L'autre abuse de l'ascendant que sa position dans
la société lui assure.
Et tout se sait avec le temps!... Faut-il donc être
surpris si les peuples éclairés ont une opinion si peu
avantageuse du célibat et des célibataires?
Quelques faits porteront une plus vive lumière
sur ce sujet. Ma mémoire m'en fournit un grand
nombre 5 la diificulté ne consiste que dans le choix.
Le prêtre P..., de la commune de P..., épris d'amour
pour une demoiselle, sa voisine, trouva moyen de
gagner sa confiance. Bientôt elle présenta des signes
non équivoques de ses relations avec lui. Il fallut se
hâter de donner un père légitime à l'enfant qui
devait naître. Un frère de l'ecclésiastique, simple et
grossier, se chargea de ce rôle peu honorable. 11 de-
vint le mari de sa belle-sœur et le père de son ne-
veu; il ignorait peut-être cet étrange concours de
rapports. H était content, il vivait en bonne harmo-
C377 )
nie avec sa ferame. Tout serait fini là, si le pièlre,
plus sage, se fût séparé d'elle comme il le devait. Il
ue jugea pas à propos de le faire; il continua de
vivre avec elle dans la plus étroite intimité. Comme
elle était riche, au lieu d'aller habiter dans la mai-
son de son époux, elle le fît venir chez elle. Le
prêtre s'y installa aussi, au grand scandale de tous
les habitans. Le mari conçut quelques soupçons,
])Liis devint jaloux , puis essaya d'éloigner son
rival, puis battit lui-même eu retraite, rentra
dans la maison paternelle et ne remit plus le pied
chez son épouse. Cependant elle devint grosse.
Aussitôt son mari de crier partout, de protester
hautement qu'il n'était pas l'auteur de celte gros-
sesse ; que les enfans qui viendraient dorénavant ne
devaient pas lui appartenir; qu'il ne voulait avoir
aucun droit sur eux; qu'il ne voulait se charger de
rien. 11 criait encore, lorsque sa femme accoucha de
deux enfans. Alors il perd toute patience; il se pré-
cipite à la maison commune, accompagné de plu-
sieurs témoins; il y déclare, à la lace du ciel et de
la terre, qu'il n'est pas le père des fils de sa ferame;
qu'on se donne bien garde de les porter sous son
nom dans les registres de l'état civil; que leur père
était connu de tout le monde; il le nomma de nou-
veau. Le maire fît en vain tous ses efforts pour apai-
ser sa colère, adoucir son désespoir et le réduire au
silence. 11 se plaignit pendant long-temps.
( 378)
Le prclrc ne lut oUVayc ni pjir les cris de son fu-
rieux frère, ni |>ar la clameur ])iiljlique, (|ui le pour-
suivait en tout lieu. Il resta au poste dangereux qu'il
avait envahi, et conliuua de Tejnplir exactement
tous les devoirs de prèlre, de bon mari, de bon père.
11 éleva ses demoiselles, leur donna une bonne édu-
cation , les maria. Peu à peu l'on se flt à lui voir
cumuler les fonctions du sacerdoce et celles du ma-
riage ; on l'estima , on l'aima ; sa conduite et sa pro-
bité finirent par lui faire pardonner les torts graves
de sa jeunesse. Plus tard , son clief spirituel offrit
de lui donner un bon bénéfice, à la seule condition
qu'il laisserait sa femme et ses enfans dans son vil-
lage, et irait fixer à jamais son domicile au milieu
des fidèles que l'on voulait bien confier à ses soins,
11 préféra à tous ces avantages la compagnie de sa
femme et de sa famille.
Ces évènemens ont commencé lors des dernières
années de la république, et se sont continués sous
l'empire et sous la restauration. Si l'on me de-
mande comment il s'est fait que les tribunaux n'ont
pas poursuivi cet ecclésiastique, je répondrai que les
lois y avaient pourvu. Le mari est seul admis à pré-
senter des plaintes de cette nature ; et un frère ,
après que les premiers éclats de la jalousie se sont
calmés, ne saurait vouloir la perte de son frère.
En 1 8 1 2 ou 1 8 1 5 , le prêtre Se . . . , de la com-
mune de S...., canton d'D...., fait la connais-
( 379 )
sance de la jeune cl belle femme d'un vieux et laid
ouvrier de sa commune. La pasb*lon l'entraîne au-
delà des bornes de la modéra lion : son amour est
bientôt connu. Plusieurs jeunes gens, excités par la
rumeur publique, se proposent de le prendre in fla-
grante et de lui donner une sanglante leçon. Ils lui
tendent des embûches; ils l'assiègent; ils le forcent
à sauter par la fenêtre et à traverser la commune ,
au milieu des huées qu'ils poussent après lui. Une
scène si scandaleuse éveille enfin les soupçons et la
jalousie du vieux mari, qui ne se doutait de rien ;
il porte sa plainte devant l'autorité ecclésiastique et
militaire. Le prêtre est mandé, exhorté, menacé;
il se moque de tout; il méprise tout. Pour faire cesser
le scandale , on fut obligé de recourir à la force. Le
'prêtre est exilé dans une pelile île où il aurait pu
vivre dans la tranquillité et dans l'abondance de
toute chose; il préféra s'évader et retourner dans sa
commune, pour y mener la vie d'un bandit. L'au-
torité se lassa de le poursuivre ; et les évènemens
de i8i4 étant arrivés, il en profita pour devenir
tranquille possesseur d'une femme à qui il avait
donné une célébrité si malheureuse. Je laisse au lec-
teur le soin de déduire les conséquences qu'un pa-
reil fait doit avoir eues.
Qui ne connaît l'horrible histoire de Mingral?
Ce nom réveille des souvenirs accablans. Curé d'une
pelile paroisse du département de l'Isère, il devint
( 38o )
passionnément amoureux de iu femme d'un vieux
soldat, (ju'il Noya'iL souvent à l'église. C'était une
dévote, même une bij^ote, qui oubliait souvent les
afifaires de son ménaj^e, pour ne s'occuper que de
l'église et des prières. Mingrat l'approche, la visite
à plusieurs reprises, sonde avec art ses dispositions.
Elle ne s'aperçoit pas, ou feint de ne pas s'aperce-
voir de ses désirs. A chaque nouveau pas que faisait
l'ecclésiastique, sa passion s'allumait plus furieuse.
11 détermine de s'emparer à tout prix de cette proie
que déjà il dévore de la pensée. 11 l'invite à venir
un soir, sur la brune, à l'église, sous le prétexte de
lui confier une lettre qu'elle voudrait bien se charger
de remettre à un de ses confrères d'une paroisse
voisine, oiî un motif de religion devait la conduire
le jour suivant. Elle se porte au rendez-vous. Le
curé l'entraîne dans sa chambre, lui dévoile sa pas-
sion , la sollicite, la supplie* elle résiste. 11 espère
(|u'elle cédera, et tente de vaincre sa résistance par
la force. La fenmie se débat et crie. Des craintes
viennent assaillir l'esprit du prêtre : cette femme va
tout révéler; son mari va porter plainte contre lui;
il va être privé de son état, de son honneur, de sa
liberté. Pour se soustraire aux malheurs qui le me-
nacent, il se met en devoir d'étouffer sa victime. 11
engage contre elle un combat à niort. Le bruit éveille
l'attention de sa servante. Poussée par la curiosité,
elle vient frapper à la porte , et demande au curé
( 38. )
s'il a besoin de qiiel(]ue chose j il répond d'une voix
creuse et terrible, que non, et qu'elle ait à s'occuper
de ses affaires. Elle se retire épouvantée. Mingrat
achève son oeuvre, descend dans la salle à manger,
soupe d'un air soucieux, renvoie sa servante, et,
confiant dans les ténèbres qui l'entourent, il pense
à faire disparaître les traces de son détestable crime.
11 prend le cadavre, le charge sur son dos, se dirige
vers le Pihône pour l'y précipiter, afin d'établir ainsi
la croyance qu'elle s'y est jetée d'elle-même; mais le
voyage est trop long et le fardeau trop lourd; ses
forces s'épuisent, son esprit se trouble : dans son
égarement , il met eu pièces le cadavre pour le porter
])his aisément, et cependant il n'a pas la patience
de le transporter jusqu'au fleuve. Peut-être crai-
gnait-il le retour de la lumière. Empressé de fuir, il
plonge les tristes restes de sa victime dans un tor-
rent voisin, et rentre au presbytère.
Cette femme étant disparue, son mari et les ha-
bitans de la commune se livrent à des conjectures
et font des^ recherches. On parcourt en vain les com-
munes voisines, ou interroge en vain les amis et les
parens : personne ne sait deviner un sort si malheu-
reux. Cependant, à la place où la victime avait été
écartelée, on trouve du sang, de la chair, et un cou-
teau que l'on savait appartenir à 7*Iingrat. Quelques
jours après, on découvre les différentes parties du
cadavre, que les eaux trop basses du torrent n'a-
( 382 )
vaiciit pas pu cmporler daiis le Rliùnc. Le crime
était évident; les pins terrJl)les indices s'élevaient
contre l'indigne ministre. Bientôt une lumière af-
freuse est répandue sur un fait si alîreux. Mingrat,
bien averti parle cri de sa conscience, et par cjuel-
ques personnes cpii crurent peiit-èlre rendre un ser-
vice à la religion en erapècliant le châtiment de ce
scélérat, se hâta de chercher un refuge en Savoie ,
où il vit encore à l'abri des coups de la justice.
Après celte horreur, après des faits si scandaleux,
si destructifs de toute morale et de toute religion ,
faut-il encore que je m'arrête pour vous parler des
Molitor, des Contratatto, des Sieflfrid, et de tant
d'autres dont les feuilles publiques nous révèlent
tous les jours les indignes menées? Le premier s'est
rendu coupable d'un crime de la même nature que
celui de Mingrat, sans toutefois avoir arraché la vie
à l'objet de son exécrable brutalité. Le second a
honteusement abusé de l'innocence et de la faiblesse
d'un enfant de cinq ans , et fait regretter que les lois
n'aient pas donné aux juges le pouvoir de condam-
ner quelques coupables à être enfermés à Charenton.
Le troisième a essayé de séduire et de corrompre
plusieurs demoiselles en bas âge qu'on lui avait con-
fiées pour qu'il achevât leur éducation religieuse.
11 est pénible de réveiller le souvenir de ces atro-
cités; mais ne faut-il pas faire sentir à un malade
combien grand est le danger dans lequel il se trouve.
( 383 )
lorsqu'il refuse de prendre les médicaraens qui seuls
peuvent conserver sa santé et son existence? Je sais
(|u'il en a été de même dans tous les temps, depuis
Grégoire VII jusqu'à nous ; je sais que la réforme
de LiUlier et de Calvin tira de ces horreurs ses forces
principales; je sais que les mœurs publiques et la
religion ont reçu du célibat les plus cruelles at-
teintes; je le sais, et cela seul aurait sulîi pour me
déterminer à prendre la plume. Combien plus grave
et |)lus imminent est aujourd'liui le danger! Alors
il n'y avait pas de journaux, pas de publicité, pas de
lois civiles, pour réprimer la licence des ecclésias-
tiques et donner l'éveil à l'opinion. Tout se passait
dans les ténèbres. Si la faute était légère, on se bor-
nait à faire changer le religieux de résidence, A
quelques lieues de son village , on ignorait son nom
et sa conduite. Si le crime était impardonnable, on
l'enfermait arbitrairement dans un cachot religieux :
il disparaissait sans que le public sût ce qu'il était de-
venu , ou pourquoi on- l'avait privé de la liberté.
Aujourd'hui tout a changé de face; la vive lumière
delà publicité pénètre dans les réduits même les plus
obscurs. Si un crime est commis, dix jours après,
quinze au plus tard, toute la France en est instruite.
Les coupables sont jugés par de» tribunaux impar-
tiaux, qui frappent du même glaive les citoyens de
toutes les conditions et de tous les états. Chaque ac-
cusation flétrit le clergé en masse, chaque condam-
( 384 )
nation le finpj)c à moi t. Il est sollduire, il est res-
])onsable des fautes de ses nieiidjres.
Tous les jours des faits do plus en plus nombreux
démontrent que nous ne sommes pas plus que les
autres hommes au-dessus des faiblesses de l'huma-
nité; que les passions nous subjuguent, nous entraî-
nent malgré nous; que les vètemens sacrés dont
nous nous parons ne nous mettent pas à l'abri des
atteintes d'un vice inhérent à notre nature. Les
fautes dont nousnous rendons coupables vont éloigner
de nous la confiance <lc nos concitoyens: les maris,
les pères de famille, craindront notre abord; les
portes de nos sages paroissiens nous seront fermées ;
par degré les tribunaux de la pénitence seront aban-
donnés, les églises désertes. Quel bien pourrons-
nous faire alors? Que deviendra la religion et la
morale? Si ces prédictions vous semblent des rêves,
voyez ce qui s'est passé depuis cinquante ans; exa-
minez la tendance des esprits de notre époque, les
moyens de répression qui sont en notre pouvoir, ceux
beaucoup plus puissans de la société, qui marche
vers un plus heureux avenir: après cet examen,
vous serez peut-être de mon avis.
Chaque siècle a ses opinions, ses préjugés, ses be-
soins. Le célibat, dans son origine, a été une néces-
sité, une suite, une conséquence naturelle de quel-
ques principes philosophiques dont la religion
s'empara avec avantage. Il est désastreux aujour-
( 385 )
d'hui; la philosophie et la morale le condamnent et
le repoussent. Alors il nous attirait l'admiration et le
respect des peuples; maintenant il provoque la dé-
fiance et le mépris. Le fanatisme, cette chaleur, cette
exaltation qui accompagnent toujours l'établissement
d'un nouveau culte, prêtaient aux ministres des
premiers temps une force et une énergie que nous
prétendrions en vain reprendre. Tout change autour
de nous; nous changeons nous-mêmes sans nous en
apercevoir. Pourquoi conserver dans l'âge mur des
institutions et des disciplines qui ne sont faites que
pour l'enfance? Les mœurs, les principes, les lois de
la nation sont changés; changeons aussi, pour nous
conformer à la marche de la société, et afin d'être
plus utiles à nous-mêmes et à nos concitoyens, chan-
geons celles de nos disciplines religieuses qui ne sont
plus en rapport avec les mœurs actuelles. Le célibat
paraissait avantageux , nous l'avons établi : il est
aujourdiiui prouvé qu'il est nuisible, abandonnons-
le. Profitons de l'expérience des siècles : prenons de
bon gré, en gens qui préfèrent le bien de la patrie et
de la religion à toute chose, une mesure sage que
l'on pourrait peut-être bientôt nous contraindre
d'adopter.
2:)
( 386 )
WV^WVWWV W\^^*VVV>»'\\\i»«IVVVVVVVVVVVVV\A(VVVVVVV»VVVVV<««>AA*VVrt\VVVVVVW\*VVVV\/VVVVV\\lW
CHAPITRE V.
Résultat heureux du mariage des ecclésiastiques.
J'ai déjà parlé de l'influence heureuse qu'exercerait
sur la pureté des mœurs l'union du mariage aux
fonctions sacerdotales : examinons maintenant les
autres avantages qui en résulteraient.
Un prêtre ne pourrait manquer d'être bon mari.
La morale divine qu'il enseigne lui en inspirerait le
devoir, la surveillance aclive de l'opinion lui en ferait
une nécessité; la nature ne lui demanderait rien
qu'il ne pût obtenir par de légitimes moyens : qui
pourrait donc le porter à violer les lois , hors de chez
lui ou dans le sein de sa famille ?
Sa femme aurait les mêmes motifs de tenir une
conduite digne de son état, honorable pour son
époux, et propre à entraîner les suffrages et la bien-
veillance de ses concitoyens. Son propre bonheur
et celui de ses enfans seraient le fruit de la régularité
de sa vie ; les conseils et les exemples de son époux
lui rendraient plus facile l'exercice de toutes les
vertus civiles et religieuses.
Leurs enfans seraient nécessairement bien élevés.
Le ministre les formerait aux sentimens de la cha-
(387)
rite chrdtienne j il graverait dans leur esprit les pré-
ceptes divins de V Evangile; il leur apprendrait de
bonne heure à les suivre fidèlement; il leur donne-
rait une éducation conforme à leur état, et ils devien-
draient des citoyens estimables et utiles.
Les familles des ecclésiastiques seraient donc heu-
reuses. Quelle masse de bonlieur de plus pour la
nation! La France pourrait avoir à peu près cent
mille ecclésiastiques : cela ferait cent mille familles
heureuses! plus de cinq cent mille individus!
La population du royaume en deviendrait Ijien-
lôt plus considérable. Cent mille familles de plus
donneraient plus de dix mille individus de plus par
an , et au-delà d'un million dans cent ans (i).
L'industrie, et avec l'industrie les revenus de l'E-
tat, croîtraient dans la même proportion. Des publi-
cistes ont supputé que chaque individu, par le fait
même de son existence, fait entrer dans le trésor pu-
blic une somme à peu près égale à 200 fr. Un million
d'individus, suivant ce calcul, rapporteraient donc
dans les caisses de l'Etat environ deux cent millions
de francs.
Outre cette masse de biens directs résultant du
mariage des ecclésiastiques, il y en aurait d'autres
qui seraient peut-être encore plus considérables.
(i) Ces réflexions sont de l'abbe de Saint-Pierre.
( 388 )
Imaginez- vous combien l'heureux ménage du mi-
nistre des autels fixerait les regards de ses parois-
siens, surtout dans les campagnes. Sa famille serait
un modèle que chacun se proposerait d'imiter : la
douceur de sa femme, la docilité, la propreté, l'in-
dustrie de ses enfans, seraient un objet d'émulation.
Et combien n'en deviendrait-il pas meilleur, le
ministre lui-même ? Aujourd'hui le prêtre de la re-
ligion catholique, n'étant pas attaché au corps social
par le plus doux et le plus fort de tous les liens, l'amour
conjugal et la tendresse paternelle, a presque une
existence à part au milieu de ses concitoyens. Il
se crée d'autres intérêts et d'autres devoirs. Il s'a-
larme facilement : il est prêt à se liguer avec qui-
conque peut lui donner l'espérance de maintenir
ou de rétablir un ordre de choses qui lui assure
ou qui lui restitue un pouvoir qui est l'objet de
toute son ambition. De là , il s'oppose aux amé-
liorations sociales ; il a son cœur fermé aux nobles
sentimens de liberté et d'indépendance. Gémissant
sous le joug des préjugés religieux et des vétil-
leuses lois de l'église, peu lui importe que ses sem-
blables gémissent sous celui de l'autorité civile.
Il lui prête son appui, si elle le réclame. Il se
livre au sentiment d'un égoïsme exclusif; il sa-
crifie tout à l'esprit de parti et de système. Faites-
le époux , faites-le père , et voyez les changemens
heureux qui se font dans sou cœur. Il est père.
(389)
il aime ses fils par-dessus tout ; il veut avant
tout leur bonheur. Il sait que les libertés publiques
sont le premier des biens; il ne se joint donc
plus à ceux qui voudraient en dépouiller ses en-
fans. Il connaît combien l'ignorance est fatale, com-
bien est funeste un faux savoir ; il désire que ses en-
fans soient éclairés : peut-il ne pas se déclarer contre
tous les systèmes de l'obscurantisme? Les devoirs
du citoyen deviennent pour lui les plus essentiels
des devoirs. La douce influence des sentimens de
la nature l'attache à sa patrie et à ses concitoyens;
il sent comme ils sentent, il aime ce qu'ils aiment,
il veut ce qu'ils veulent. 11 devient humain , doux,
compatissant. L'égoïsme est à jamais banni de son
cœur : éclairé et père de famille , il met en pra-
tique les principes d'une charité universelle, qui
lui concilie toutes les âmes et Je rend l'idole de
ceux qui le connaissent. C'est alors qu'il serait véri-
tablement le ministre d'un évangile de paix et de
miséricorde.
Oh ! si l'on avait des ministres placés dans cette
heureuse position, que l'on verrait de querelles de
moins! Combien peu il se commettrait de crimes
et s'intenterait de procès ! La nation sacrifie des
sommes immenses pour avoir des yeux vigilans
partout : l'action de la police ne peut que se con-
centrer dans les villes ; elle se borne aux me-
naces ; au lieu d'employer les conseils et la
( 390)
douceur , au lieu de pc^rler au cœur et de calmer
les haines, elle déploie l'appareil de la force et les
irrite ; plutôt que d'arrêter la main du criminel ,
elle lui tend , pour ainsi dire des pièges , et ne
le saisit que pour le livrer à la justice et pour
le perdre.
Au contraire, les ministres de V Évangile se trou-
vant répandus dans toutes les campagnes, con-
naissant les rapports de tous leurs paroissiens ,
devinant les querelles , jouissant d'une considération
et d'une estime générale, pourraient sans éclat,
sans scandale, sans coaction, prévenir une grande
partie des crimes et des procès dont retentissent si
souvent les tribunaux. Leur voix respectée , leur
douceur et leurs conseils désarmeraient les passions
et concilieraient les cœurs (i).
(i) J'ai connu un curé des environs de Lyon qui assis-
tait aux marchés, et se mêlait des ventes, afin de prévenir
les disputes. Toutes contestations d'intérêt lui étaient sou-
mises et il prononçait en dernier ressort ; il était fort rare
que l'on appelât de son jugement. Tous les dimanches, à
l'issue des offices, ce vénérable pasteur se rendait à la porte
du presbytère où se tenait la danse j là il s'asseyait, jetait
un coup d'œil sur les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe.
S'il s'apercevait de l'absence d'une jeune fille , il allait aus-
sitôt s'informer auprès des parens du motif de sa dispari-
tion , des lieux où elle s'était rendue et par qui elle était
accompagnée. C'était ce bon curé qui formait les unions et
( 39. )
Isolés aujourd'hui au milieu de leurs parois-
siens, par les principes de la hiérarchie roiîiaine,
ils sont loin de pouvoir exercer une si salutaire in-
fluence. Le soupçon, la plupart du temps fondé,
de relâchement, en ce qui tient au célibat, diminue
la considération qu'on aurait pour eux. L'esprit de
corps, les intrigues auxquelles ils se livrent pour
s'emparer du pouvoir et des richesses, font naître
dans tous les cœurs la crainte et la défiance (i).
Le clergé catholique, tant régulier que séculier,
a oflfert, dans tous les siècles, des exemples frap-
qui se chargeait de faire la demande en mariage; il était
l'arbitre des familles , le père de ses paroissiens , le protec-
teur des orphelins et la consolation des pauvres. Cet excel-
lent homme avait eu une jeunesse très fougueuse ; il avait
séduit une fille qu'il rendit mère trois fois. Après quelques
années, il fit venir sa femme et ses enfans près de lui; et,
pour expiation de ce qu'il appelait sa faute, il adopta trois
jeunes orphelins qu'il éleva comme les siens propi'es et aux-
quels il fit apprendre des états. Cet homme vertueux était
adoré de ses paroissiens, chéri et vénéré dans tout le voisi-
nage. Aussi venait-on souvent le consulter de fort loin au
sujet d'un procès ou de toute autre contestation. Comme il
ne voulait jamais rien accepter, ses cliens jetaient des poules,
du gibier, du linge dans sa cour. Quant à l'argent, on le
déposait dans le tronc des pauvres.
(i) C'est l'opinion générale. Est-ce un fait? le lecteur n'a
qu'à consulter sa mémoire.
(392)
pans d'une vertu sublime. Certes il ne peut rien
y avoir de supérieur aux tendres sentimens et à
la charité céleste d'un Saint-Vincent-de-Paule et
d'un Fénéion. Notre clergé compte- aujourd'hui
même dans son sein beaucoup d'ecclésiastiques,
dignes ministres de V Évangile ^ qui contribuent puis-
samment au bonheur des populations au milieu des-
quelles la providence les a placés. Mais ces excep-
tions rares ne détruisent point la règle générale j
il est des êtres privilégiés, qui savent se frayer un
chemin à la vertu, malgré tous les obstacles que
de mauvaises lois leur opposent, comme il y a des
génies transcendans qui parviennent à la décou-
verte de la vérité à travers toutes les entraves des
mauvais systèmes. La charité chrétienne a eu ses
Galilée et ses Descartes.
Je ne prétends pas non plus faire aux ecclésias-
tiques un reproche qu'ils ne méritent pas. S'ils ne
font pas ce que le bien des hommes et de la re-
ligion peuvent désirer, la faute n'en est pas à eux;
ils n'ont pas fait les mauvaises institutions qui leur
rendent difficile l'exercice de la vertu. Abolissez-les,
rendez ces hommes aux sentimens de la nature j
ôtez de devant eux les obstacles qui les arrêtent,
et les détournent du chemin de leurs devoirs, et ils
deviendront citoyens vertueux, utiles aux fidèles,
utiles à l'État, dignes ministres d'un Dieu de bonté
et de miséricorde. Ne cherchez pas des dieux dans
(393)
l'espèce humaine : tous les hommes sont sujets aux
mêmes besoins et aux mêmes faiblesses.
W\M«W%VW «x-VWVVWWVWVWVkWWWWVWVWWVWVVVWWWWVWWVrt VV\WVVV\WV\V\'V vv%vwvvv*
CHAPITRE VI.
Le prêtre père de famille ne négligerait pas les
intérêts de la religion.
Lorsque le czar Pierre-le-Grand visitait la France,
il fut étonné, dit- on , qu'un état où il y avait
tant de bonnes choses, tant d'institutions si sages,
des mœurs si douces , une si parfaite urbanité ,
conservât une loi si barbare et si funeste au bien
public que l'obligation de la continence pour les
ministres de la religion. Ce prince ne croyait pas
que le mariage des ecclésiastiques pût nuire au
service des autels. Ayant vu les prêtres de l'église
russe reuiplir tous leurs devoirs de prêtres dans l'in-
térieur du temple, satisfaire exactement à tous les
besoins religieux des fidèles, et pourvoir aux né-
cessités de leurs familles, entretenir des femmes
honnêtes et vertueuses , donner et élever des en-
fans à leur patrie, Pierre-le-Grand était intime-
ment persuadé que les soins du ménage ne détour-
neraient pas les ecclésiastiques des fonctions de leur
ministère.
( 394 )
Si l'opinion de ce grand monarque ne déter-
minait pas notre conviction, l'exemple des ministres
protestans, que nous avons sous les yeux, ne de-
vrait laisser lieu à aucun doute. Pour eux, les soins
de la famille ne préjudicient pas au service des
autels , et réciproquement le service des autels ne
nuit point aux soins qu'ils doivent à leurs familles.
Pourquoi ne pourrions-nous pas être aussi actifs
et aussi vigilans qu'eux ? Une telle supposition se-
rait injurieuse et injuste ; ce n'est pas l'activité
qui manque aux ministres du culte catholique,
bien s'en faut.
(( Celui-là même qui n'a pas une famille sou-
)) tient une famille. » Tel est un proverbe populaire
qui a été fait pour les prêtres, ou qui leur est juste-
ment applicable. Il n'existe qu'un petit nombre
d'ecclésiastiques qui ne pourvoient à la subsistance
de plusieurs individus. Ont-ils des bénéfices ? une
sœur ou une belle- sœur, des neveux, des nièces,
des servantes viennent se ranger autour d'eux, les
assiéger, les presser; et ils s'occupent de leurs pa-
reus avec l'attention scrupuleuse du plus diligent
des pères. Restent-ils sous le toit paternel ? ils vi-
vent en communauté dans la famille de leurs frères
ou de leurs sœurs, et ils contribuent activement
à l'entretien et à l'éducation de leurs collatéraux.
Changent-ils de domicile ? vont-ils se fixer dans
des provinces éloignées , même sur la terre étran-
( 395 )
gère? ils s'altacheut presque toujouris à une famille et
en ont le plus grand soin. Je suis loin de les blâ-
mer : mieux vaut mille fois contribuer au bonheur
de quelqu'un, que de vivre dans la fainéantise et
dans un stupide repos. Gela même prouve qu'ils
pourraient avoir une famille à eux, sans que le ser-
vice des autels en souflVit.
Chez les Hébreux, presque tous les lévites, et
le souverain pontife lui-même, avaient une femme
et des enfans; le prince des apôtres , les premiers
ministres de notre religion, étaient époux et pères.
Les ministres de l'éi^lise grecque peuvent être ma-
riés, ceux du culte protestant se font uu devoir
d'élever une famille : voit-on que le service de
leurs autels ait jamais été ou soit négligé? Plu-
sieurs de nos pontifes ont eu des enfans et des maî-
tresses, dont ils s'occupaient avec assiduité et at-
tention j plusieurs ont porté la fureur du népo-
tisme au plus haut point; le temple de Saint-Jean
ou celui de Saint -Pierre étaient- ils privés de leurs
solennités ?
Qu'on ne croie pas qu'un ministre des autels
reste du matin au soir renfermé dans l'Intérieur
du temple , ou occupé de ses devoirs de prêtre. En
admettant même qu'il remplisse avec une scrupu-
leuse exactitude toutes les cérémonies qui sont por-
tées dans son calendrier, qu'il célèbre tous les
jours le saint sacrifice, et qu'il recite les heures
(396)
canoniques, il lui reste encore du temps pour va-
quer aux occupations de la famille. Si c'est un curé,
un vicaire, un chanoine, un évéque ou un pape,
il ne doit avoir d'autre affaire que celle de son em-
ploi , dans lequel il trouve de quoi pourvoir à la
subsistance de sa famille. J'ai connu dans les cam-
pagnes de nos provinces beaucoup de desservans ,
qui, outre les devoirs de leur ministère, dictaient
toutes les délibérations des conseils municipaux ,
rédigeaient la correspondance des maires , réglaient
tout ce qui touchait aux intérêts publics de l'en-
droit, visitaient exactement toutes les foires du voi-
sinage, y vendaient, y achetaient, y animaient
le commerce par leur industrie et par leur exemple.
Si les curés ne se livrent pas au même genre de
spéculations, et s'ils n'exercent pas une influence
si étendue dans les villes, ils ne s'y occupent pas
moins de choses étrangères au service des autels :
on n'en a que trop de preuves (i) !
(i) Dans un voyage que je fis en Normandie, en 1808, je
visitai plusieurs cure's de villages ; tous exerçaient des pro-
fessions à cause de la modicité de leurs traitemens. Quel-
ques-uns e'taient pe'pinie'ristes , d'autres fabriquaient des
sabots qu'ils allaient vendre dans les foires; d'autres ache-
taient le lait des petits propriétaires, le convertissaient en
beurre et allaient le vendre au marché de Gournai. J'ai
logé chez un curé qui élevait et engraissait des bestiaux ; un
(397 )
VVV\A/V\(\VVVVVVVVVVVVx\VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVfcVV\VVV\(VVV\\VVVV^
CHAPITRE Yll.
Le mariage des preLres ne coûterait rien à VËtat.
Rien ne s'oppose au mariage des prêtres : Dieu
l'a ordonné, Jésus- Christ ne l'a pas défendu, la
/ raison et l'expérience nous le conseillent. Mais
comment pourraient fournir de la subsistance à leur
famille les ecclésiastiques à qui la fortune n'aurait
pas été prodigue de ses faveurs? Faut-il surcharger
l'État d'une dépense énorme? Faut-il fermer l'accès
des autels aux familles peu fortunées?
Les prêtres mariés se diviseraient en deux classes,
les bénéficiers et les non-bénéficiers , ceux qui au-
raient un emploi ecclésiastique et ceux qui n'en
auraient point. L'Etat n'aurait aucune obligation
envers les derniers j la loi les mettrait dans la ca-
tégorie des autres citoyens; Us penseraient à eux-
mêmes avant le mariage et après.
autre vendait des instruraens aratoires; enfin un autre te-
nait un pensionnat de jeunes gens, etc.
(398)
Les conciles avaient déjà établi qu'aucun ne pour-
rait être promu aux ordres sacrés , qu'il ne se fût
auparavant constitué, par un titre authentique et
irrévocable, un patrimoine dont le revenu serait
jugé suffisant pour assurer sa subsistance. Nos lois
ont fixé ce revenu à 3oo francs. Voilà un fonds
nécessaire pour être admis au ministère des au-
tels.
Lorsque le mariage sera permis aux ecclésias-
tiques, il me paraît que ce principe très snge de-
vrait être étendu aux femmes qu'ils choisiront pour
leurs épouses. Dans le mariage , tout doit être com-
mun, les jouissances aussi bien que les charges.
La femme du prêtre devrait donc porter dans la
communauté conjugale un revenu de 3oo francs égal
à celui de son mari. Pour laisser plus de latitude
au choix de l'ecclésiastique, pour l'autorisera dis-
tinguer et à couronner la vertu dans les classes
plus malheureuses, on devrait admettre qu'à dé-
faut d'un revenu de 3oo francs de la part de la
femme, l'ecclésiastique sera tenu de prouver qu'il
possède lui-même un revenu de 600 francs, si la
demoiselle de son choix n'a rien , ou un revenu
tel, qu'ajouté à celui de son épouse il forme une
somme de 600 francs.
Un tel règlement ne devrait donner lieu à au-
cune réclamation : nos mœurs sont déjà préparées
pour l'accueillir favorablement. Les officiers sont
( 399)
obligés de prouver à l'autorité supérieure que les
femmes qu'ils demandent d'épouser leur apportent
une dot dont le minimum est fixé par la loi.
L'autorité ecclésiastique, et, à son défaut, l'au-
torité civile, devrait veiller à ce qu'il ne se fasse
des promotions trop nombreuses. Qu'il y ait au-
tant de ministres du culte qu'en exigent les be-
soins des fidèles. Le double en sus de ceux qui
auraient des bénéfices sufliraient pour remplir les
lacunes que produiraient les absences nécessaires,
les maladies et la mort. La France ayant à peu
près quarante mille églises à desservir, il me semble
que soixante mille ecclésiastiques elTeclifs seraient
assez pour administrer aux fidèles les secours de la
religion.
Je crois que si l'on permettait aux prêtres de se
marier, le nombre des ecclésiastiques se proportion-
nerait, sans aucun emploi de coaction ou même de
gêne, au strict besoin des fidèles. Qu'on ne croie pas
qu'une vocation sincère et irrésistible entraîne dans
la carrière ecclésiastique le grand nombre d'indi-
vidus que nous voyons s'y précipiter aujourd'bui;
la plupart y sont poussés par leurs propres parens,
dans l'espérance d'augmenter leur fortune, et dans
la certitude de retrancher un membre qui gênerait
la famille. C'est une branche que l'on plie, pour
qu'elle produise plus de fruit; ou que l'on coupe,
pour que les autres deviennent plus vigoureuses.
( 4oo )
Que le prêtre puisse lui-même avoir une famille et
prendre une part non sujette à retour dans le patri-
moine commun , et l'ardeur religieuse des pères va
bientôt se refroidir. Tant mieux pour la religion.
L'église serait délivrée de ce grand nombre de mi-
nistres parasites, de ces terribles diseurs de messes
qui encombrent toutes les sacristies, s'introduisent
partout, se livrent à mille spécidations désliono-
ranteset déprécient la religion dans l'esprit des chré-
tiens qui ne raisonnent pas, et qui attribuent à Ja
prêtrise les fautes dont les prêtres se rendent cou-
pables.
Si l'on donne à la France quarante mille prêtres
bénéficiers, elle aura à raison d'à peu près un minis-
tre pour sept cent cinquante individus, les calvinistes
compris, ou bien sept cents catholiques. Or, les cas
extraordinaires exceptés, quel serait le ministre qui
ne pourrait suffire au moins à mille individus? Les
préjugés doivent diminuer à mesure que les lumières
s'avanceront et que le clergé sera plus instruit. Peu
à peu on viendra à compter plus sur sa conduite et
sur ses prières que sur celles de son ministre : il ne
sera appelé que dans des besoins graves. Entendre
cinq ou six cents confessions, faire quinze ou vingt
funérailles, autant de baptêmes, autant de mariages,
administrer trente ou quarante personnes dans un
an , ne sont pas des charges qui exigent une force
plus qu'humaine. Il y a des ecclésiastiques qui savent
(4o. )
pourvoir aux besoins de <leux et même de tiois
mille chrétiens.
Ce qui embarrasse le plus, et qui force l'Etat à des
sacrifices nécessaires , c'est la grande dispersion des
habitans de la campagne. Plusieurs villages et ha-
meaux concourant à la même église, et les prêtres y
étant autorisés à céléi)rer deux messes tous les jours
de fête, il n'v aurait que peu de communes où un
ministre serait nécessaire pour une population infé-
rieure à cinq ou sept cents individus: par compen-
sation, dans les grandes villes, un ministre seul pour-
rait suffire pour trois ou quatre mille habitans.
Beaucoup de communes possèdent encore des re-
venus particuliers affectés aux églises ; dans quelques
autres, l'on perçoit des contributions pour les
chaises, et dans les quêtes; dans toutes, des droits
pour les services funèbres, pour les mariages, pour
les bénédictions, ou dans le temple, ou à domicile.
Yoilà des moyens d'épargne et d'économie pour le
trésor public.
Il serait à souhaiter que les ministres des autels
pussent être largement rétribués, et au-dessus de
tout besoin. 11 faudrait, non-seulement leur assurer
une existence honnête, mais leur fournir même les
moyens de satisfaire aux devoirs de leur état et aux
vœux de leur cœur, en leur allouant des fonds pour
distribuer aux individus et aux familles malheu-
reuses. Toutefois, il ne faut pas que ces considéra-
26
(402 )
tions portent l'État à se surcharger d'un fardeiiu in-
supportable; il ne serait ni juste ni utile de dépouiller
le pauvre des fruits de ses sueurs, et de gêner, ou
mêmed'arrêler le développement de l'industrie, dans
l'intention de donner beaucoup d'éclat à la re-
ligion.
Je suis d'avis que si l'autorité veille à ce que les
ecclésiastiques aussi bien que leurs femmes aient,
avant de contracter mariage, un revenu sûr de
600 fr. annuels, les familles des bénéficiers de l'é-
glise pourront vivre dans une aisance convenable,
même avec le modique traitement dont ils jouissent
aujourd'hui. Une sage économie accroît et multiplie
les ressources. Un prêtre est naturellement enclin
aux épargnes et à la frugalité; sa femme et ses en-
fans ne seraient point prodigues : leur position le»
obligerait à une conduite qui exclurait les folles dé-
penses; peu suffirait pour satisfaire à leurs besoins
qu'un luxe coupable n'augmenterait pas.
J'ai déjà dit que, même actuellement, il n'y a que
peu d'ecclésiastiques jouissant d'un bénéfice qui ne
fournissent à l'entretien de quelque famille. Ceux
qui n'ont personne auprès d'eux envoient conti-
nuellement des fonds à leurs parens, avec injonction
d'acheter telle ou telle autre propriété : ils amassent
eux-mêmes pour l'avenir. Us feraient subsister à
moins de frais leurs propres familles.
Les juges de paix , les juges des tribunaux de pre-
( 4o3 )
mière instance, les juges auditeurs, les sous-lieute-
nans, les lieutenans, les capitaines, ne sont ijuèic
mieux partagés que les ministres des autels, et ce-
pendant ils vivent dans l'aisance avec de nombreuses
familles. Les prêtres catholiques seraient-ils les seul^
sur la terre qui ne pourraient s'accommoder à une
sage économie? La condition du prêtre est même
beaucoup plus avantageuse. Les officiers civils et mi-
litaires ne retirent de leurs emplois d'autres fruits
que le traitement qui y est affecté; tandis que , pour
la plupart des ministres des autels , la dévotion de
leurs paroissiens est une mine inépuisable d'où
viennent à tout instant des offrandes et des dons
qui ajoutent à leur aisance.
Une vérité généralement sentie , c'est que la
société a été prodigue de ses faveurs envers les
plus hauts dignitaires de l'église, tandis qu'elle n'a
que trop négligé les rangs inférieurs. Là on nage
dans l'abondance, ici l'on est à peine au-dessus de
la nécessité. Les évêques , les archevêques et les
cardinaux vivent dans la pompe et dans la splen-
deur des rois; les vicaires et les desservans sont con-
damnés à une très modeste obscurité. Pourquoi cette
inégalité, ou au moins pourquoi cette immense dis-
proportion de fortune? ce n'est pas par l'éclat de l'or
et par le faste des humaines grandeurs que la reli-
gion peut commander le respect et exciter la piété
des fidèles. Lorsque les apôtres attiraient à la reli-
26..
( 4<>i )
gion de Jésus-Christ les flots des populations éton-
nées, se promenaienl-lls, au milieu de la foule, sur
des chars pompeux ? se faisaient-ils distinguer par le
luxe de leurs équipages, la splendeur de leurs fes-
tins, la magnificence de leurs palais? Faut-il que cette
religion d'humanité et d'égalité, dont le divin fon-
dateur appelait du nom de frères les derniers des
mortels, établisse dans son sein une hiérarchie nom-
breuse et graduée et prenne la société civile pour
modèle? ]N'est-ce pas vouloir donner prise aux re-
proches de ceux qui regardent un culte tout céleste
comme un instruinent de politique, un moyen de
domination purement humain, ou converti à des
usages purement humains?
Voulez -vous exciter la piété? commencez par
être pieux vous-même. Youlez-vous que l'on respecte
la religion dont vous êtes les chefs? rendez-vous
vous-mêmes respectables, par des mœurs sévères,
par une douceur évangélique et par les sentimens
d'humanité dont notre divin rédempteur vous a
donné le précepte et l'exemple. Retranchez tout su-
perflu, tout luxe de vos tables, de vos meubles, de
vos attelages, même de la solennité des cérémonies
saintes. Faites refluer ces trésors qui viennent s'amas-
ser dans vos coffres, sur ceux de vos frères qui par-
tagent vos travaux ou qui seuls travaillent pour
tous, et sur ces classes industrielles que la supers-
tition prive quelquefois même du nécessaire, pour
( 4o5 )
que vous brilliez au milieu de toute la pompe des
vanités humaines.
Si l'on fait une plus juste répartition des fonds que
l'État a déjà alloués, ou peut facilement allouer au
clergé, tous les ecclésiastiques employés au service
des autels pourront recevoir un traitement conve-
nable et suffisant pour l'entretien de leurs familles.
La France n'en a-t-elle pas des exemples?
Que deviendraient les fils des ecclésiastiques après
la mort de leurs pères? ce que deviennent les fds
de tous les employés du royaume : ils hériteraient
du palrimoine de leurs parensj ils resteraient dans
la société avec tous les avantages d'une éducation
soignée.
Faudrait-il assimiler aux enfans des hommes de
la dernière classe ceux des hauts dignitaires de l'é-
glise, des évéques, des archevêques et des cardi-
naux? Ils se trouveraient dans la même position que
les fils des préfets, des chefs de la magistrature, des
généraux, des maréchaux, des pairs et des ministres
du Roi. 11 y a trop d'analogie, pour que l'Etat ait
à craindre aucun reproche d'injustice s'il ne fait une
loi exclusive pour le clergé. Pourquoi toujours des
privilèges? Tous les Français sont membres de la
même famillcj tous les hommes sont fils du même
père.
Si le mariage s'étendait jusqu'au premier chef de
l'église, quel règlement ferait-on pour les enfans des
(4o6)
j>apes? Ils régnent sur un état considérable; ils ont
une autorité sans contrôle. Faut-il que les fils d'un
souverain légitime redeviennent simples particuliers,
après avoir été assis sur les marches du trône? Le
pape est un prince électif et à vie; il ftuidrait Lier?
queues enfans fussent soumis à la force des institu-
tions qui déterminent la nature et l'étendue de la
puissance pontificale. Les fils des papes, après la
mort de leurs pères, se trouveraient dans le même
état que les neveux et les fils des anciens pontifes,
dont il est parlé avec tant de détails dans l'histoire
de notre vieille Europe. Les fils des rois de Pologne
succédaient-ils de droit à leurs pères?
Il n'y a aucun obstacle qui s'oppose au mariage
des prêtres de la communion romaine. Le préjugé
populaire favorable à la continence s'affaiblit de jour
en jour (i); l'Etat ne se trouverait pas pour cela
(i) J'ai déjà rapporté qu'aucune opposition n'a eu lieu
contre le mariage des prêtres que les jugemens de quelques
tribunaux viennent d'autoriser en France. Voici pour l'é-
tranger : « Le 9 de ce mois (de mai 1 828), il a été présenté à
» la seconde Chambre des États de Bade une pétition dans
» laquelle les pétitionnaires , au nombre de vingt-trois ins-
» tituteurs ou employés civils, demandeiat l'abolition du
» célibat des prêtres... La Chambre s'est déclarée incompé-
» tente. » Quoi qu'il en soit de la résolution de la Chambre,
la pétition est par elle-même un fait très important. (Ga-
zelle des Tribunaux, du 26 mai 1828.)
(4o7 )
dans la nécessité de créer de nouvelles impositions;
les mœurs deviendraient plus pures; il y aurait plus
de vertu, plus de bonheur, moins de scandale et
moins de crimes. Pourquoi ne le permet-on pas?
Est-ce un préjugé? est-ce une erreur? est-ce un in-
térêt vif et puissant qui s'oppose à une loi si sainte
et si salutaire?
C'WK/\'WVWWvV\.WVWVVWvVVW\'^W VVVX'V\^^n\%\VVVVVVV\>VVV^'VVVVVVV^fVV\«V\\VVVVVVV\\V%VVVVVVV'VV
CHAPITRE YllI.
Motifs qui portent le clergé romain à refuser le
mariage à ses membres.
D'après l'ensemble des faits historiques exposés
dans les chapitres précédens, il a été facile d'appré-
cier avec justesse les motifs qu'ont eus les souverains
pontifes et les hauts dignitaires de l'église catholique
de faire du célibat une loi inviolable pour tous les
clercs engagés dans les ordres sacrés.
En les énumérant, nous trouvons en première
ligne le préjugé commun, l'opinion de la sainteté
du célibat qu'avaient établie des doctrines et des
exemples antérieurs au christianisme, dans les con-
trées mêmes où il a eu son berceau; le dégoût et le
scandale d'une corruption alors répandue sur toute
la face du monde civilisé ; quelques phrases do
( 4o8 )
VEvangile détournées de leur véritable signiticalion
par la fureur d'un fanatisme insensé; les faux actes
et les fraudes pieuses que la simj)licité des premiers
chrétiens se crut en droit d'imaginer et dans l'o-
bligation d'admettre sans examen ; les nombreux
Evangiles; les nombreux Actes des Apôtres^ les
décisions de conciles qui ne s'étaient jamais assem--
blés; les décrétales de papes qui n'ont peut-être
pas existé.
Voilà les fondemens de ce préjugé qui a été si
fatal au bien de la religion et à la tranquillité de
l'Europe. 11 y a eu aveuglement, entraînement d'a-
bord. Personne ne peut se soustraire aux erreurs
dominantes; les princes et les savans paient avec la
masse inerte des populations obscures ce tribut né-
cessaire à la faiblesse de notre espèce.
En second lieu, la politique. La guerre entre l'au-
torité temporelle et l'autorité spirituelle était déjà
déclarée depuis long-temps; les parties belligérantes
employaient chacune les moyens et les ressources
de sa position. Les rois levaient des armées, les
papes instituaient des ordres religieux. Les premiers
élevaient des forteresses , les seconds érigeaient des
couvens; les uns mettaient en mouvement la force
physique , les autres, plus heureux, s'emparaient de
la force morale. Les combats se succédaient avec
rapidité ; la victoire était encore incertaine.
Pans cet état pénible de crainte et d'anxiété,
( 4o9 )
chacun cherchait à augmenter son parti. Les peui)Ies
entraient dans la lutte comme instrumens. C'est
toujours par eux et pour eux ou contre eux que
%'exécutent les grandes entreprises; il fallait donc
les gagner. Comment y parvenir? Il existait encore
dans la société un ordre puissant, le clergé séculier,
que des intérêts divers tiraient en sens contraire.
Religieux , ils étaient sous la bannière des pontifes
et devaient combattre pour eux; époux et pères, ils
étaient dévoués à leurs familles et n'épousaient pas
franchement la querelle de leur chef. Cette masse
inerte, placée entre les deux armées, les arrêtait
dans leur marche et paralysait leurs efforts. Qui-
conque eût pu mettre de son côté une pareille force
eût été sûr de l'emporter. Les princes temporels ne
pouvaient exercer aucune action directe sur cette
classe nombreuse. Les papes se trouvaient dans une
meilleure situation ; ils disposaient des lois de l'é-
glise; ils pouvaient étendre et renforcer tous les pré-
jugés religieux Ils brisèrent les liens qui atta-
chaient les ministres du culte à la société. Ceux-ci
n'eurent plus de femmes, plus d'en fans, plus d'in-
térêts que ceux de leurs personnes, qui alors se
fondirent très facilement dans ceux de leur corps.
Les rois eux-mêmes, de beaucoup inférieurs aux
papes en lumières et en politique, contribuèrent
conjointement avec les pontifes à accélérer une
révolution qui devait être si préjudiciable à leurs
(4.0 )
iiiléréts. La balance alors ne fut plus égale: la cou-
quête du clergé séculier ajouta à la puissance pon-
tificale une supériorité irrésistible. L'autorité tem-
porelle fut battue, bumiliée, anéantie.
Qu'on lise avec un peu d'attention l'iiistoire de
l'église depuis son origine jusqu'au concile de
Trente, et l'on sera persuadé que tels ont été les
motifs déterminans d'une loi aussi barbare et aussi
préjudiciable que celle du célibat. Certes, le ma-
riage avait été défendu aux clercs supérieurs dès
les premiers siècles de l'église; mais, à défaut de
femmes légitimes, ils vivaient publiquement avec
des concubines.
Quel fut le pontife audacieux qui osa concevoir
la pensée de détaclier entièrement les ecclésiasti-
(jues de leurs concubines et de leurs enfans? Celui
précisément qui avait conçu la pensée de soumettre
le sceptre à la tiare, Grégoire Vil, ce terrible en-
nemi des empereurs et des rois. Avant lui, les sou-
verains pontifes n'avaient eu presque que des vel-
léités. La pensée du célibat absolu est donc née de
la pensée du pouvoir absolu.
S'il pouvait encore nous rester quelque doute,
i'bistoire du concile de Trente siiffirait pour le dis-
siper. Lorsque la question de savoir si le mariage
serait permis aux ecclésiastiques, ou bien si les or-
dres sacrés seraient un empêcbement dirimant, eut
été agitée dans le sein du concile, on adressa aux
(4'i)
légats du pape les plus vifs reproches (( pour avoir
» laissé mettre en dispute un article si dangereux,
» étant évident que l'introduction du mariage dans
» le clergé, en tournant l'affection des prêtres vers
» leurs femmes et leurs enfans, et par conséquent
)) vers leurs familles et leur patrie, les détacherait
» en même temps de la dépendance étroite où ils
w étalent du saint siège; et que leur permettre de
» se marier, ce serait autant que de détruire la
>) iiiérarchie ecclésiastique, réduire le pape à n'être
» autre chose que l'évêque de Rome (i). »
Ces considérations privèrent l'église d'une loi sage
que les princes temporels, les ecclésiastiques sensés
et les hommes instruits de toutes les nations de l'Eu-
roj>e sollicitaient avec empressement.
La politique de Rome et du clergé est ici à dé-
couvert. Elle n'a pas changé dans la suite; elle est
encore la même, et, chose étrange! de même qu'au
concile de Trente, ce furent, dit-on, les jeunes pré-
lats qui firent le plus de hruit contre la proposition
du mariage des prêtres, de même on a vu, pendant
notre révolution, des ecclésiastiques à la fleur de leur
âge, crier en furieux, exciter du tumulte contre la
même proposition que des prêtres vénérables repro-
(i) Histoire du concile de Trente de Fra Paolo Sarpi;,
tradutiioii de Le Couraver
( 4'0
tluivsirent dans quelques assemblées de distiicls (i).
L'homme, plein du sentiment de sa force, croit pou-
voir se sullire à lui-même pendant la première fer-
veur delà jeunesse; le poids des années lui ôte cette
confiance et l'expérience le rend plus sage. Dans la
V iclllessejil a besoin d'appui et de secours ; la tendresse
et les soins d'une compagne aimable le soulageraient
de ses peines, et son cœur les lui fait désirer. Ainsi
les animaux forts et intrépides cherchent une soli-
tude qu'ils créent autour d'eux, tandis qu'au con-
traire les plus faibles et les plus timides forment
des troupeaux nombreux et vivent en société.
Cette politique et les résultats qu'elle a produits
n'ont-ils rien d'alarmant pour les libertés publiques?
Le clergé veut être fort; il veut donc dominer, il
veut donc détruire la liberté? Ses doctrines, on le
sait bien, sont imprégnées du plus absolu despo-
tisme. De Rome à Londres, de Vienne à Madrid,
le clergé catholique n'a qu'une pensée : conserver
ou ressaisir la puissance. Cette puissance a causé
les plus grands maux à la religion, a fait couler des
torrens de sang, a élevé des montagnes de cadavres.
Elle serait aujourd'hui plus dano;ereuse que jamais;
le projet seul de la reprendre, connu du ])ublic,
})eut nuire à la religion romaine; l'histoire est là
(i) /'fycs rinU-oduction .
( 4-3 )
pour nous l'apprendre. Sa voix n'est pns écoutée, et
le drame est près de son dénouement. L'homme est ,
à quelques égards, un instrument passif; les doc-
trines et les principes l'entraînent malgré la raison.
Pour moi, je crois que si les clercs pouvaient se
marier et avoir une famille, la religion, au lieu de
perdre de sa puissance, en acquerrait une Lieu
plus grande et bien plus réelle. Le ministre des au-
tels, tout en conservant sa haute dignité, tout en
étant entouré de ce prestige religieux qui fait sa
force, aurait avec ses paroissiens des relations bien
plus intimes et bien plus étendues; autant de rela-
tions, autant de moyens de domination. 11 n'y a
que les tyrans qui gagnent à s'isoler, à paraître ra-
rement en public et toujours au milieu du pom-
peux et terrible appareil de la puissance. Us veulent
dominer par la terreur et se soustraire aux coups
que les âmes généreuses brûlent de leur porter. Si
l'on cesse de les redouter, si l'on ose fixer les re-
gards sur eux, la magie de leur pouvoir se dissipe,
et ils sont perdus. L'empire du prêtre est un em-
pire d'amour et de respect, ou il n'est rien. S'il
ne gagne pas les cœurs, s'il ne lie ses intérêts et ses
affections aux intérêts et aux affections des fidèles,
le prêtre est sans pouvoir et la religion sans force.
Dans les siècles même où les peuples ignorans se
laissaient influencer par les terreurs religieuses, par
la crainte des vengeances divines et par l'idée des
( 4i4 )
toiirmeus éternels fjni saisissait les imaginations,
nous avons vu l'opinion populaire se soulever contre
le faste, la grandeur et la tyrannie du sacerdoce.
Les révoltes fréquentes des Romains contre les pon-
tifes, le soulèvement des Vaudois, l'épouvantable
catastrophe des Albigeois, enfin la révolution reli-
gieuse de Luther et de Calvin sont là pour nous
convaincre que la puissance du prêtre, puissance
nécessairement despotique, ne peut pas s'asseoir sur
la force et sur la terreur. Toutes les fols que la puis-
sance sacerdotale a voulu se montrer environnée de
l'éclat et de la pompe de la puissance temporelle, la
religion a vu diminuer de plus en plus sa salutaire
influence. Sortant de sa sphère et se plaçant dans
une fausse position, elle s'est égarée, elle s'est em-
barrassée dans sa marche, et ses ennemis ont rem-
porté des victoires auxquelles ils ne s'attendaient
pas.
Si cela est vrai pour des temps où l'ignorance était
aussi profonde que générale, et où le clergé pouvait
déposer des rois et disposer des armées, que dirons-
nous du siècle présent et des siècles à venir? Que le
clergé romain ne se flatte pas de l'emporter encore
sur la puissance temporelle, au point delà dominer
ou de l'aveugler sur ses véritables intérêts. Le Gou-
vernement protège également tous les cultes. La
théologie et les soins de la vie future ont cessé de
faire l'objet de ses occupations. Tl s'est aperçu (pie
( 1'5)
ces soins sont aussi étrangers à sa nature que le
commandement des armées et la gestion des affaires
temporelles le sont à celle du sacerdoce. 11 est ren-
tré dans les limites de ses attributions ; il ne s'oc-
cupe que des intérêts politiques et des intérêts ci-
vils, et il saura contraindre le clergé romain à se
renfermer dans le cercle de ses devoirs religieux, à
borner ses soins à la véritable prospérité de l'église
et au salut des âmes. Ne nous faisons pas illusion.
Nous ne devons compter que sur nous- mêmes j l'ap-
pui du bras séculier nous abandonne, et s'il venait
encore à notre secours, il nous ferait plus de mal
que de bien. L'emploi de la force et la coaction ne
serviraient qu'à grossir les rangs des ennemis.
Si nous voulons dominer encore et redonner à la
religion sa véritable puissance, il nous faut sortir
de la carrière épineuse et dilîicile où se sont traînés
si péniblement nos ancêtres; il faut entrer dans une
voie large et facile, celle de la nature, qui seule
conduit à la vertu.
( 4^^^ )
CHAPITRE IX.
Moyens pour rendre aux prêtres la liberté du
mariage.
Il est juste, il est utile, il est nécessaire de per-
mettre aux ecclésiastiques le cuinul du mariage et
des fonctions sacerdotales. Tous les hommes de bien,
que les préjugés n'aveuglent pas, s'accordent à re-
connaître cette vérité. Le célibat a été funeste à la
religion et au bonheur des peuples : l'abolir, ce serait
emporter une grande plaie gangrenée qui travaille
depuis long-temps le corps social. Obtenir un pareil
résultat est chose fort difficile. Nous nous sommes
tellement avancés dans le chemin de l'erreur, que
nous n'avons presque plus le courage de revenir sur
nos pas. Ainsi un voyageur accablé de lassitude, à
la fin d'une longue et pénible marche en sens con-
traire du but qu'il se proposait d'atteindre, n'ose
plus recommencer un voyage qu'il ne se sent pas la
force de terminer.
Si le grand nombre d'hommes vertueux et éclairés
dont la France se glorifie à juste titre n'élèvent pas
leurs voix puissantes contre un préjugé si barbare et
si dangereux, c'est sans doule dans la crainte d'alar-
( 4'7 )
mer quelques consciences timides, d'irriter l'amour-
propre d'un clergé naturellement susceptible et d'ex-
citer des troubles plus ou moins graves. Mais, quelque
sage que puisse être ou sembler être une réserve si
délicate, de mon côté, je pense que l'homme de bien
ne doit jamais transiger avec l'erreur, au point d'a-
bandonner tout dessein et tout espoir d'améliora-
tion.
Et moi aussi, je veux que l'on soit prudent et
modéré, qu'on ne tente rien au hasard, qu'on dis-
pose les esprits avant d'essayer un changement de
cette nature, et qu'en aucun cas on n'ait recours à
des mesures extrêmes. Les médecins, lorsqu'ils veu-
lent guérir la faiblesse qui est la suite d'une longue
et dangereuse maladie, n'administrent point tout à
coup les plus actifs corroboraus que possède leur
art, mais commencent par les alimens les plus légers
et les plus simples, et proportionnent la force des
toniques à la force croissante de leur sujet. Le lé-
gislateur, lorsqu'il attaque des erreurs que le pré-
jugé religieux a érigées en vertus et que l'opinion
d'une longue suite de siècles a profondément enra-
cinées dans les esprits, doit s'avancer avec la même
réserve et la même modération.
Si l'on pouvait déterminer le clergé lui-même à
bannir de l'église une loi qui lui a causé et lui cause
continuellement de si grands maux, cette révolu-
tion ne présenterait ni difficultés ni inconvénieps.
27
(4.8)
Ce serait l'arme d'Achille qui guérirait les plaies
qu'elle a faites j mais hoc opus, hic labov. Cette pro-
position lui venant de l'autorité temporelle , le clergé
romain se douterait aussitôt de quelque piège , se
mettrait sur ses gardes et refuserait de prendre une
détermination si salutaire, précisément parce qu'on
la lui aurait demandée.
Toutefois le premier pas à faire de la part du
Gouvernement de France, ce serait, ce me semble,
de s'adresser directement au souverain pontife; de
lui faire sentir que, dans l'état de la civilisation et
des moeurs du peuple français , le célibat des ecclé-
siastiques porte le plus grand préjudice à la religion
catholique, apostolique et romaine; qu'il isole de plus
en plus au milieu du royaume uu clergé qui aurait
besoin de faire cause commune avec la nation, dans
un temps où tous les partis se rallient, où. toutes les
opinions se rapprochent, où les préjugés religieux
s'affaiblissent et tombent tous les jours; que le ma-
riage des ecclésiastiques est aujourd'hui le seul moyen
qui reste encore à la cour de Rome pour conserver
long-temps une influence utile dans l'église galli-
cane; que, comme il ne s'agit que d'une loi toute
de discipline, et qui n'intéresse nullement le dogme
et les vérités fondamentales de la religion, la reli-
gion de Jésus-Christ n'est ni compromise ni inté-
ressée dans un changement que notre siècle ré-
clame, et qu'il est dangereux de refuser; que déjà
( 4'9 )
des lois de l'Etat , antérieures à la restauration et
sanctionnées par un vénérable pontife, permettent
aux prêtres de l'église gallicane de contracter ma-
riage en abandonnant les fonctions du sacerdoce;
que les tribunaux les prennent pour base de leurs
décisions solennelles , et qu'il n'est pas en son pou-
voir d'en obtenir la révocation.
La cour de Rome ne m'inspire pas, sur ce sujet,
une assez grande confiance pour espérer qu'elle
veuille accepter du premier abord une proposition
de cette nature. Elle en est encore au XV T siècle;
elle marche en sens contraire de l'esprit du siècle
et s'efforce de lui faire rebrousser chemin. Les lu-
mières qui brillent de tous côtés troublent son repos
et l'alarment; elle les combat; elle cherche dans les
ténèbres son élément et sa force. INe sait-on pas
que, lorsqu'en i825 le nouveau clergé de France
donna une preuve solennelle de son adhésion à
quelqu'une des libertés de l'église gallicane, il y eut
dans le clergé de Rome une alarme générale et très
vive? De tout côté on entendait des déclamations
et des cris: c'en était fait de la France; elle s'était
livrée à l'apostasie; la religion romaine était mena-
cée, était perdue. Et il ne s'agissait que d'une dé-
claration qui tendait à mettre nos rois à l'abri de la
foudre du souverain pontife! et il ne s'agissait que
d'un droit dont l'église de France n'a perdu la jouis-
sance que dans des temps de troubles et de vertige !
( 4^0 )
Ces faits me font prévoir le sort qu'aurait à Rome
la proposition de notre Gouvernement qui aurait
pour objet le mariage des ecclésiastiques. C'est un
point sur lequel elle n'a jamais lâclic prise et qu'elle
considère comme la base et le fondement de sa puis-
sance. Elle la rejetterait avec plus ou moins de vio-
lence, selon l'idée qu'elle se serait faite de la vigueur
de notre Gouvernement; mais elle la rejetterait :
telle est mon opinion. Pourquoi donc lui faire cette
proposition? Pour ôter tout lieu aux prétextes, pour
donner à la cour de Rome l'occasion de réfléchir
encore une fois sur elle-même et ponr faire penser
les esprits. Je suppose qu'il y aurait de la sincérité
dans la conduite du Gouvernement.
Après cette tentative, si l'on n'obtient aucun ré-
sultat, le Gouvernement, par l'organe du ministre
des cultes, se préparerait à soumettre la proposition
du mariage des prêtres à un concile national. Mais
il ne faudrait rien précipiter. Il conviendrait de lan-
cer cette question au milieu du public au moyen de
la presse libre, de donner à l'opinion le temps de se
former et de se déclarer, et aux prélats du royaume
le moyen de s'assurer, par leurs propres yeux et par
leurs propres oreilles, du véritable état de l'opinion.
Lorsque je dis l'opinion , je n'entends pas celle de
la grande masse du peuple, mais plutôt celle de
toutes les supériorités sociales et surtout des supé-
riorités intellectuelles. L'opinion de ces classes est
(42. )
aujourd'hui la seule puissante, parce que seule elle
domine, et parce que, par le raoyen de la commu-
nication facile et prompte que la presse établit entre
elle et les classes inférieures, leur opinion devient
en peu de temps l'opinion de tout ce qui commence
à penser.
Enfin on convoquerait le concile. Les pères de
notre église délibéreraient dans un établissement
accessible au public, comme la Chambre des Dépu-
tés. L'opinion et les discours de chacun des prélats
seraient rehgieusement recueillis et transmis par les
journaux à tous les départcmens et à l'Europe. En
agissant ainsi, le clergé serait effectivement constitu-
tionnel. 11 me semble que le célibat devrait succom-
ber sovis une pareille attaque.
Notre concile pourrait même se laisser entraîner
par l'esprit de corps, et reculer devant la force d'un
préjugé à qui une existence de plusieurs siècles a
donné lieu de s'enraciner profondément dans nos ins-
titutions religieuses. Le but seul d'une telle assem-
blée et les débats auxquels elle se livrerait nécessai-
rement, porteraient un coup mortel à une erreur
qui ne peut pas supporter un examen tant soit peu
approfondi. Un autre concile perfectionnerait plus
tard cet ouvrage. Le temps à employer avant qu'on
ait pu atteindre à une réforme si difficile en elle-
même ne doit pas décourager. De même que les
vieillards construisent des maisons qu'ils n'habite-
( 4^2 )
ront pas, et cultivent des arbres dont ils ne recueil-
leront pas les fruits, de même les peuples doivent
préparer des institutions dont les {générations futures
ressentiront seules les heureux efiéts.
Si le Gouvernement se refuse ou diffère de tenter
un changement si nécessaire dans la discipline de
notre église, les philosophes, les amis de l'huma-
nité et de la religion ne doivent pas encore se rebu-
ter. Avec de la persévérance, on parvient à tout. Le
plus heureux avenir brille devant nos yeux; l'em-
pire de la raison voit reculer ses bornes de jour en
jour. Que les écrivains indépcndans iispnt de toute
la liberté des lois pour éclairer leurs concitoyens et
pour leur apprendre à distinguer la vérité de l'er-
reur, le bien du mal; leur voix à la fin sera entendue.
Les tribunaux du royaume n'ont qu'à faire leur
devoir pour favoriser la marche de la raison et af-
faiblir puissamment le préjugé funeste qui, en sépa-
rant le mariage du sacrement de l'ordre, a privé le
sacerdoce de beaucoup de grâces. D'après nos lois
actuelles, un prêtre, en quittant les fonctions sa-
cerdotales, peut devenir époux; ce droit nous est
acquis. Si l'on nous en ôte la jouissance, on enfreint
des lois positives et l'on encourage une puissance
renversée de son trône à ne plus mettre de bornes
à son ambition.
Lorsque le législateur conserva aux ecclésiasti-
ques le droit de se marier, en abdiquant le service
( 4^3 )
des autels, il sanctionna un principe qui avait été en
vigueur jusqu'au concile de Trente. Et quelle était
sa pensée? Roi philosophej il avait vu que les as-
semblées nationales avaient mis trop de précipita-
tion à sanctionner une loi juste et sainte en elle-
même, mais pour laquelle nos mœurs n'étaient pas
encore assez mûres. Il 'pensa qn'il fallait y arriver
par degrés: il laissa donc subsister cette loi civile,
qui ne considère plus les ordres sacrés comme un
empêchement dirimant du mariage civil; il en saisit
promptement les heureux efifets. Les fidèles s'accou-
tumeront peu à peu à voir devenir époux et pères
de famille des hommes qu'ils avaient vus aupara-
vant monter sur les marches de l'autel , et se prépa-
reront ainsi à y voir monter des hommes engagés
dans le mariage. Cette révolution est inévitable. Si
l'on s'oppose à la marche naturelle des évènemens,
dans l'état actuel des choses, on portera un grand
préjudice à la religion romaine.
FIN.