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COLONIAL,
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A PARIS,
Pe llmpriraerie du C E R c L E S o Ci AL, rue d»
Théâtre-François, n°. 4.
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l'an 4 DE LA LIBERTÉ
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HOTES ET REMARQUES
SUR LE RÉGIME
DES COLONIES^
^t particulièrement sur celle de S, Dommgu^^^
X
Al étoitsi aisé de prévoir les funestes évènemens delà
province du nord de St. Domingue parle régime des colo-
nies , que je suis dans la ferme persuasion qia'il n'est pas
un seul de ces colons mêmes qui témoignent le plus de
répugnance pour voir anéantir le préjugé colonial , qui n©
Tait senti comme moi. Mais , soit crainte de se compro-
mettre , dans un lieu où l'on est suspecté du crime de,
lèse-nation , sur cela seul qu on est d'une opinion contraire
à ce fatal préjugé , soit insouciance , soit orgueil, personne
n en a voulu convenir. Ceux que cette pusillanime crainte
arrête , disent : que fose manifester ce que je sens , ce que js
vois ^ ma vie ^ ou tout au moins mes biens sont exposés au plus
grand danger ; en me taisant , je suivrai le torrent , et fen
passerai par ce que des âmes vertueuses et humaines ne peuvent
manquer d'opérer dans tasscmUéè nationale , qui ne marche ou
ne doit marcher que sur les principes de la constitution ^fondée
sur les droits sacrés et imperturbables de Phomme. Au reste ^ les
£hoses en iront comme par le passé , et fen profiterai à fabri de
mon sihnce et de f ignorance où l'on sera de ma manière de.
penser.
Voilà le langage des esprits foibles. Ceux dont rinsou*
ciance est la maladie , disent ; que m'importe un régime ou
Wï autre? tel que l'on décidera , f m profiterai d^ '^'^^^^ ^^^
\
^
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ne frouhler le repos peur une chose qui ti aboutît à rien dans 1^
réalité , soit pour ou contre.
Ceux que le seul orgueil et Fambition guident , tien-
nent un tout autre langage ; leurs vues de domination
s'étendent autant sur les mœurs que surFintérêt pécuniaire.
Nous ne souffrirons jamais , disent-ils , que nos affranchis ou
leurs descendans s^égalent à nous ; nous les exterminerons tous
plutôt , s'il le faut. S'il en survient du trouble , s'il en coûte
eu sang, c'est égal ; tout rentrera dans tordre ensuite. On
triera un peu contre nous , nous aurons toujours triomphé,
l^ous crierons aussi contre ceux qui se seront opposés à nos
vœux , et nous les traiterons de philantropes odieux , de fac-
tieux infâmes ; nous publierons quils veulent nous faire égorger
par nos esclaves. Nous mettrons de notre côté tous ceux' qui ss
plaigent du nouveau régime , et parmi ceux-là , le pouvoir exé-
cutif sera pour nous , arrêtera nos adversaires , renversera
leurs mesures , ou les entravera, et nous serons maintenus dans
notre régime dominateur.
Voilà ce qu'on n'a pas craint de dire en ma présence,
dans la colonie de St. Domingue , dans toutes les sociétés.
Si les journalistes du lieu eussent osé , ils eussent dénoncé
cette doctrine affreuse ; ils n'ont pu l'indiquer qu'amphi-
bologiquement , et Gatereau , auteur du courier littéraire
du Cap , pour avoir manifesté plus clairement son senti-
ment là-dessus , a été enlevé de chez lui , mis au cachot ,
d'où il a été conduit lié et garrotté à bord cFun navire
provençal qui faisoit voile pour Marseille.
Cependant, les colons , dans leur délire , oubliant leur
foiblesse et les forces de la nation , ont osé répondre
que le décret rendu en faveur des hommes de couleur ,
|)eut non-seulement occasionner des troubles dans les
colonies , mais même causer sa subversion et leur scission
fivec la Fraiicc. On a vu quelques places de commerce ^
dominées sans doute par l'esprit colonial , répéter ces
absurdités. Il faut n'avoir aucune notion de la disposition
de la majeure parde des colons , ou être de mauvaise foi»
Wr-
('5 )
|,ouï oser donner ces rêves pour des vérités politiques:
Il est aujourd'hui inutile de s'attacher à démontrer com-
bien au contraire le décret du i5 mai est nécessaire à la
sûreté et à la splendeur des colonies : malheureusement
les désastres de la province du nord de St. Domingue ne le
prouvent que trop bien. Si l'on n'avoit pas eu l'impoliti-
que d'y désarmer les hommes de couleur et de les traitei
aussi injustement , jamais les esclaves n'eussent pensé à se
soulever. " ^ ^
J'ai les papiers publics du Cap , et notamment le Moni-
ieur colonial; en le parcourant avec attention, on est con-
vaincu par tous les écrits des assemblées , des municipa- ^
îités , du gouverneur général, des corps de troupes de ^
ligne , de cent particuhers de St. Domingue ; qu'à la fin
d'avril , un peu avant la mort de M. Mauduit , le bruit
s'étant répandu , à l'occasion des commissaires , que l'as-
semblée nationale énvoyoit pour pacifier les colonies ,
qu'elle avoit rendu , le 17 décembre , un décret qui ren-
'doit aux hommes de couleur libres tous leurs droits ; on
se convaincra de la joie qu'en eut le pubHc en général;
on verra encore que le gouverneur Blanchelande et ras-
semblée provinciale du nord se plaignirent publiquement
de la satisfaction de la plupart des habitans et des troupes
de ligne, à qui l'un et l'autre reprochèrent d'avoir em-
brassé les hommes de couleur dans les rues , pour les féli-
citer de la justice que l'on venoit, soi-disant, de leurrendre.
On (i) verra encore par l'entortillement des expressions
de plus de vingt lettres consignées dans le même journal ,
et par le sens amphibologique des articles du rédacteur
(ï) Qu'on compulse les registres des municipalités des cam-
pagnes , 011 verra que lors des premières assemblées primai-
res , les hommes de coideur y furent reçns sans difficulté;
il en a été de même de plusieurs districts du Cap. C'est que ^
les instructions Barnavieniies ^n'étoient pas encore reçues et ^
adoptées dans ce pays.
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tnême, que le sentiment de la presque totalité est faf)-
probation de ce décret , qui ne fut cependant rendu que
ie i5 mai suivant; mais une funeste incertitude imposoit
un silence qu'on ne gardoit qu avec autant de contrainte
que de douleur , et qu'il n'eut fallu qu'un mot de rassem-
blée nationale , pour rendre à tous les cœurs justes, le
courage que la fureur et la licence des autres retenoit
dans l'inaction. Cette vérité est sensible ; pourr©it on se
persuader qu'il n'y eût de bons Français qu'en Europe'?
Si donc l'assemblée constituante eût profité de la dis-
position des esprits , et n'eût pas attendu les longueurs
^t les trames perfides des malveili'ans , elle eût préservé
St. Domingue des maux qu'il vient d'éprouver. Pourquoi
séparer les colonies de la France, par un régime différent,
régime qui y laisse le despotisme à la place de la justice
et de l'humanité ?
Voilà mes preuves pour St. Domingue ; elles ne sont
pas moins évidentes pour la Martinique , qui n'a cessé de
ge plaindre que les habitans , d'accord avec M. de Damas ,
avoient rendu aux hommes de couleur tous leurs droits.
On sait qu'il n'y avoit que quelques négocians de St.
Pierre qui se plaignissent de cette justice.
A l'appui de ces vérités incontestables , je puis attester
ici , sans craindre d'être démenti par personne de bonne
foi , et autrement que par une simple négative dénuée de
cause , que , à ma pleine connoissance , plus des deux tiers
des blancs de St. Domingue desiroient ce décret consti-
tutionnel et avantageux , mais qu'ils n'osoient manifester
leur vœu aux yeux de ces hommes qu'on appelle sur les
lieux , les petits hlanchets (i) , qui ne désirent le contraire
que dans l'espoir de trouver de bonnes occasions de se jetter
sur lés propriétés des hommes de couleur , dont un grand
nombre est fort riche.'
Qu'on demande à voirie fond de la procédure d'Ogé,
(i) Ce qui veut dire geas sans aveu et mal famés.
(r)
qu'on n'a jamais osé interroger en public ; procédure qiioii
a pris un si grand soin de rendre oculte à toute la colo-
nie ; on y verra , si Von a tout écrit , qu'une foule de blancs
y ont été compliqués , non pour avoir trempé dans la
révolte , mais seulement pour avoir professé Téquité envers
cette classe infortunée contre laquelle la tyrannie vouloit
conserver le droit de se déchaîner arbitrairement. L'accu-
sation des compagnons d'Ogé rcmontoit si loin au-delà de
^'époque de son arrivée dans la colonie , qu'on n'a osé
toucher à cette corde , qui eut délié la langue de la jus^
tice dans toute l'île. De tels faits ne peuvent se détruire ,
quoiqu'en ait dit dans les affiches de Bordeaux le très*
jeune député de la municipalité de la Grande Kivière à
l'assemblée du Cap , M. Maxnres,
De quelle autre part donc , que de celle des nègres ^
eussent pu venir les insurrections et les guerres dans les
colonies ? Seroit-ce de quelques orgueilleux impuissans ?
Ils s'en garderoient bien ! On vient de voir leur empresse-
ornent à recourir à ces hommes de couleur dont ils faisoient
tant de mépris , et dont , disoient-ils , ils pouvoient si
bien se passer ; on vient de les voir envoyer à toute hât©
des lettres de réhabilitation aux frères d'Ogé et de Cha-
vanne , parce qu'ils ont défendu les blancs ; et ils avoient
été condamnés à mort pour les avoir voulu préserver de
tout trouble et de toute attaque.
J'ose l'affirmer hautement, la révolution tst entièrcmeng
faite dans les colonies ; le dessous des cartes est connu
€t le mot de l'énigme est trouvé : le premier est que si
les blancs pouvoient se passer des hommes de couleur
libres, ils les fouleroient aux pieds , s'ils ne les extermi-
noientpas : le second, c'est qu'ils ne peuvent s'en passer,
et que , du moment que l'esclave n'auroit plus à craindre
les hommes de couleur libres , il n'y auroit plus d'escla-^
vage. Le nombre des nègres est à un tel point , c,\ii\
faudroit des armées formidables pour les maintenir dans
l'ordre , sans les gens, libres. Ces armées coûteroient à la
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( 8 )
"France dix fois plus en hommes et en argent , qtîc les
colonies ne lui produisent. Les colons se cotiseront -ils
pour faire cette énorme dépense ? alors point de richesses
pour eux ; et que sert-il d'aller*se livrer à un climat dévo-
rant , si Ton ne risque pas de pouvoir au moins s'en-
richir dans dix ans? Que Ton compare les recrues des troupes
d'outremer avec ceux des troupes qui restent en France,
et Ton verra ce que coûteroit la conservation des colonies
en hommes , si ceux de couleur ne discontinuoient pas
d'y en envoyer.
Mais les esprits sont mieux disposés que jamais à remé-
dier à cet effroyable inconvénient, depuis les désastres
dont la Martinique et Saint-Domingue ont été frappés. On
a fait urie malheureuse expérience du danger d'un préjugé
insensé , qui n'attaque pas même le plus léger amour-
propre. Si l'assemblée nationale manque cet instant fava-
ïable de rétablir, ou plutôt de faire agir le décret du
i5 de mai , qui n'a pu être révoqué par l'assemblée , lors-
qu'elle n'étoit plus que législative , les maux ne son:Ê
point finis dans les colonies: le feu couve sous la cendre;
il ne faut qu'un peu du vent du désespoir pour l'allumer
de nouveau. Les bons esprits du Cap le sentent ; ils n'at-
tendent plus qu'un décret de l'assemblée nationale pour
se livrer ouvertement à la satisfaction d'être justes envers
une ckisse à laquelle on est plus ôbhgé que jamais , puia^
qu'on lui doit le salut de la colonie. Combien d'aijncs
sensibles et vraies béniroient nos législateurs humains et
sages , si elles leur dévoient une loi qui , en rétablissant
le câime , et ramenant la splendeur des colonies par l'exer-
cice de la justice, pcrmettroit aux cœurs droits de se livrer
sans contrainte à la douceur de la reconnoissance et de
i'épanc],iement de Testîme.
Voici une remarque importante. Avant que rassemblée
coloniale se fût formée à Léogane , on vit celle de la
yjroviiîce du Nord , à l'exemple de toutes les municipalités
au^pays , déclarer, par un serment authentique, quelU
acceptcroh
(9)
accepteroit a-vec respect ^ obéissance et reconnoissanct^ tous leS
décrets possibles, du corps législatif de rempire françois. On
Voit que c'est un détour adroit pour prévenir les murmues
de quelques-uns de ces petites ^^^725 mal-intentionnés , et de
seconderles désirs des autres sur le décret en faveur des honi'
-mes de couleur, que Ton sentoit ne pouvoir éviter d'après
les bases constitutionnelles de la régénération Françoise ,
et d'après les vues d'une sage politique coloniale.
Telles étoient les dispositions de toute la colonie alors,
et toutes ces pièces sont consignées dans le Moniteur colo-
nial. Ce n'est que lorsque rassemblée coloniale àLéogane
s'est déclarée telle , à la majorité de 67 voix sur 46 , qu'oiz
a commencé à sentir rinfluence de cinq ou six ci devant
chicaneurs, sur les esprits de la colonie. Alors les autres
(les 46 sans doute) n'ayant pas voulu s écarter des prin-
cipes, tout à-coup rassemblée accourt auprès du boa
général qui avoit juré la rejection du décret.
N'y a--t-il pas dans tout cela un mystère dont l'explica-
tion nous apprendroit les choses les plus importantes dansi
la conduite du général , comme de ses dévoués ? On avoit;
vu comment l'assemblée de St. Marc avoit été poursui-
vie , recommandée , puis jugée par les Barnaviens ; l'as-
semblée de Léogane , convoquée légalement , d'après la
proclamation de ce gouverneur , toujours commode aux:
colons despotes , devant y tenir ses séances revient au Gap ,
au centre des ennemis des décrets de l'assemblée nationale»
Il y a une autre remarque intéressante à faire ; c'est que
dans le même tems que l'assemblée coloniale étoit séante
à Léogane , il paroît , par le concordat du Port-au-Prince ,
qu'ilya eu unmouvementchezlesgens de couleur du lieu;
qu'ils ont pris les armes , etc. ; et on n'est instruit ni du
sujet, ni des vraies circoastances. Or, je le demande aux
colons les plus de mauvaise foi même , si les gens de cou-
couleur libres n'avoient pas été nécessité à prendre les ar-
mes , le gouverneur même ne s'en seroit-il pas plaint ? N'en
g\iroit-on pag rendu compte au ministre ou à l'assemblé^
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( 10 )
nationale ? Mais nullement : le concordat a lieu , on rie
dit pas un mot des circonstances qui Font précédé et qui y
ont donné lieu (i). N'es-il pas facile de voir que les blancs ,
et sans doute l'assemblée coloniale la première , avoicnt
voulu faire aux hommes de couleur du Port-au-Prince ,
tout au moins ce qu'ils avoient fait à ceux du Cap ?
' M. Blanchelande a rendu compte au ministre des trou-
bles de la province du nord , mais il ne dit pas un mot
de la formation ni de la translation de l'assemblée de
Léogane , au Cap. Ce qu'il dit du concordat n'est encore
qu'une réticence ; à moins que le ministre n'ait pas tout
dit à l'assemblée nationale.
M. Blanchelande , dont les principes deviennent trop
faciles à pénétrer en voulant les rendre trop équivoques ,
se plaint des régimens d'Artois et de Normandie ; et nous
avons des lettres qui élèvent aux nues la conduite et les
services de ces deux corps , qui* ont si bien secondé l'in-
trépidité des hommes de couleur contre les nègres rebelles.
D'après les remarques fondées sur des idées authentiques,
il est visible que St. Demingue étoit disposé à obéir aux
décrets de l'assemblée nationale , mais qu'on a induit les
colons en erreur. Il ne faut que se ressouvenir de la lettre
de M. Blanchelande au ministre , par laquelle il assure
qu'il versera plutôt jusqu'à la dernière goutte de son sang,
que de souffrir que les habitans confiés à ses soins ,
tournent leurs armes les uns contre les autres ;il ne faut que
se rappeîler encore la retraite des députés coloniaux de l'as-
semblée constituante après le décret du i5 mai ,pour saisir le
fil de la trame affreuse 'que les mal - intentionnés ont
ourdis contre les colonies. La déclaration de Barnave contre
ce décret auquel , disoit-il , il n'avoit en rien participé,
est une nuance de plus pour éclairer les traits de ce tableau
représentatif de tous les maux de la Martinique et de St.
Domingue.
Un des traits les plus saillans de cette affligeante image,
O C^ c-iWQii m gAÎt ii'iiislruit pas sur cette affaire,
i,ii,JOHEff """' fis )„
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c"'est la basse flatterie de quelques négoclans égoïstes qui,
dans Fespoir de s'attirer à eux seuls toutes les correspon-
dances coloniales , ont présenté des adresses à rassemblée
nationale, selon les vues des colons Barnaviens. Cette
aveugle croyance fait pitié. Se peut-il qu ils n ayent pas
senti°que les colons qui pourroicnt y être sensible , sont
non-seulement encore plus égoïstes queux, mais encore
qu il n'y a qu une très-petite partie qui soit contre lé
décret du iS mai , sans savoir ni pourquoi , ni comment!
Or , de quelle importance peut être le vœu de gens qui
ne peuvent s'en rendre compte à eux-mêmes ? faute de
raisons , ils ont fait de vaines menaces : ils ont fait com-
mencer les enfans , qui crient et font tapage dans Tobscu-
rité par la peur qu'ils ont des phantômes.
Ou on cesse donc de répandre qu'une loi qui ne fera
naîtTe que Tordre , la paix, le bonheur , la prospérité , la
reconnoissance et assure à jamais les colonies à la France ,
puisse pjroduire Teffet contraire ; cette vérité vient d'être
prouvée aussi malheureusement qu'irrévocablement , e£
que ces négocians que la cupidité égare, cessent aussi
de spéculer sur leurs fades jérémiades : les habitans des
colonies ne leur en iront ni plus ni moins. Le cours des
affaires est déjà déterminé comme celui des grands fleuves s
rien ne sauroit désormais le détourner qu'un bouleverse-
ment général. La jusdce des gens sensés des colonies ,
jointe à la loyauté et à la reconnoissance des hommes de
couleur , qui reconnoîtront mieux que jamais , et avec
raison , la France pour leur mère-patrie , affermit à jamais
le pacte qui les lioit à Tempire , et assure les droits des
négocians dans le nouveau monde françois.
Ceux de Bordeaux en auront d'éternels monumens de
gloire dans les fastes de la révoludon. Qiiel est l'homme ,
s'il n'est tyran par goût et par tempéramment , qui n'élève
pas. dans son cœur un autel de reconi-^oissance à l'assem-
blée nationale , pour ce bienfait rendu à l'humanité ? E£
vous amis des noirs , âmes vraimens humaines , qui n'avez
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cessé de tonfier contre la tyrannie des colons , ne méritez-
Vous pas des courounes civiques pour toutes les vérités^
que vous avez publiées avec tant d"énergie et de cons-
tance ? Ah ! croyez, hommes vraiment dignes de ce titre,
croyez que par-tout où Thumanité sera connue , les noms
des Brîssot , des Grégoire , des Pétion, des" Con-
.DORCET , des Clavière , des Robespierre , des Fau-
CHET , etc. , seront révérés et chéris. En vain Faristocratie
coloniale voudra-t-elle ternir l'éclat de votre gloire, toute
la France , ou plutôt tout Funivcrs vous vengera de leurs
infâmes calomnies par son assentiment, et l'hommaîre le
plus pur , puisque nulle considération particulière ne
l'aura arraché. La honte et le déshonneur de yos détrac-
teurs seront vos éternels triomphes , et le bonheur de tout
un peuple votre récompense. Eh pourroit-on en offrir une
plus flatteuse aux amis de l'humanité !
Et toi, Cercle Social , qui as commencé la confédération
universelle des Amis de la Vérité , ta récompense est
dans les numéros de la Bouche de Fer , ton organe incor-
ruptible et fidèle ; on les lira dans tous les siècles, comme
autant de monumens de vengeance contre la tyrannie ,
comme autant d'hommages à la justice et à l'humanité ,
comme un doux délassement contre les vexations des des-
potes , comme une consolation contre les vices humains ;
et si des hommes , que je ne veux point nommer ici ,
après ceux dont je viens de tracer les noms glorieux ,
ont pu consacrer leur tems , leur plume , leîir intelligence
à la proscription de la liberté et de l'égalité ; on pourra
au moins se dire avec un soupir soulageant : quelques
hommes intègres , amis de la vérité , etc. , se voueront dans
le même tems à leur défense.
Continuation sur In principes des colons , et comment ils
cherchent à les justifier.
/
Déclarer ouvertement que le préjugé colonial ne tenoit
0^
Mi jdSiEL
{ i3 )
qu'à la volonté capricieuse et qu à Famour-propre , qtfâtï
goût de domination et de distinction des colons , ç^eût
été demander soi-même quon Tabolît promptement.
rorgueil, embarrassé de raisons pour justifier son despo-
tisme , a recouru aux mensonges et aux chimères. Ceux qui
vouloient conserver le droit arbitraire et si chéri de maî-
triser impunément les hommes de couleur, et dVutres
pour flatter ceux-ci , ont imaginé de lier leur cause à celle
des esclaves, afin d'embarrasser le jugement de l'assemblée
nationale. C'étoit en effet le moyen le plus^ perfide qu ils
pussent présenter , puisqu'il pouvoit , à l'aide du parti
colonial, qui dominoit dans le côté droit, paroître spé-
cieux et égarer les esprits peu clairvoyant , intimider les
âmes craintives et opposer un air de vérité aux bons esprits
<iu côté gauche. Cette invention , que l'on doit aux
Laborie, aux Moreau dit St. Méry , aux Blin , aux Gouy , etc.
maniée par les Barnave , les Malhouet , appuyée par les
Maury , les Lameth , les Cazalès , etc. , a tellement masqué
la vérité , qu'il n'a plus été possible de la faire voir dans
toute son étendue à l'assemblée. Voici comme on s'y prit
d'abord.
Un savant naturaliste , M. Beauvois , qui se trouvoit au
Cap au moment où il étoit le plus fortement question de
poser à jamais une ligne de démarcation entre les hommes
de couleur libres et les blancs ; M. Beauvois , qui
s'étoit nourri l'esprit du système de Linnée , imagina de
composer un ouvrage par lequel il s'attacha à démontrer
que le nègre n'etoit qu'une nuance de la bête à l'homme ;
voici comme il graduoit ses nuances : entre l'homme blanc
et le nègre , se trouve le rouge ; entre le rouge et FOrang-
Outangle trouve le nègre , entre le nègre et le Gibon se
trouvel"Orang-Outang , etc. : le blanc , ajoute-t-il , espèce
pure d'hom.me , est susceptible de toute la perfectibihté
humaine ; le rouge qui vient après , doué d'une portion
bien moindre d'intelligence , n est pour ainsi-di,re qu'une
esquisse de l'espèce humaine , qu'une de ces foibles nuan-
^
V
x
1^
MJ.
■ilÊinRff^JC:i- ^jèa:
«wiaatÉfci
^
' (14)
cel ; le noir qui vient après le rouge , est autant inférieur
an rouge , que celui-ci au blanc , et TOran-g-Outang au
noir, que. celui-ci au rouge , etc. La conclusion de Fin-
génieux naturaliste , est que le nègre , pas même le
Caraïbe ou le Morisque ou Tlndien , n'est de l'espèce des
blancs, ni même d'une espèce parfaitement humaine.
Il est aisé de remarquer dans ce système , le double
dessein de justifier le préjugé colonial, et les traitemens
exercés contre les esclaves. Traiter tyranniquement des
hommes, seroit une barbarie repréhensive ; traiter dure-
ment des animaux qui n ont que la figure d'humain , ce
- n'est pas un plus grand mal que d'aiguillonner les bœufs ,
que de fouetter les chevaux. Ainsi , pour justifier d'injus-
tes cruautés , un préjugé insensé , on n'a pas hésité à
mettre l'homme au rang de la brute. Or , je le demande
aux hommes justes , est-ce sur une supposition aussi
gratuite que l'on jugera la cause des hommes de cou-
leur ? Sera-ce un tel sarcasme qui sera la donnée sur la-
quelle on devra asseoir un système législatif? Ne regarder
le nègre que comme une nuance de la brute à l'hommie
éloignée du blanc , et lui refuser une intelligence et une
perfectibilité qu'il ne nous prouve que trop chaque jour à
travers les traits grossiers de son éducation , c'est renverser
l'ordre de la nature pour y subsdtuer une chimère, dont
on veut faire ensuite une règle de conduite ; c'est étein-
dre le lîam.beau de la raison , pour marcher à tâton dans
les ombres de la nuit des préjugés ; en un mot, c'est
bnser la boussole pour ne suivre que la o^irouette.
De ce système idéal , M. Beauvois a tiré une consé-
quence qui en ctoit la suite nécessaire, et à laquelle il
vouloit venir; la voici: si entre les blancs et les nèiires,
11 y a encore une nuance avant d être parfaitement homme,
les Métis des premiers et des derniers , ne sont qu'une
espèce mixte qui pardcipe à la vérité des deux , mais par
cela même , sont d'autant abâtardis ei incapables de se
jamais laver de ce mélange dégénérant. Cette conséquence
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{ 15 )
é paru à St. Domingue , une découverte d^autant plus
heureuse , qu elle étoit plus inextricable , et favorisoit
davantage le système de distinction et de domination que
Taristocratie coloniale a ouvertement adopté.
La conclusion de M. Beauvois fut que les hommes de
couleur dévoient être regardés comme inhabiles à possé-
der , et qu ils ne dévoient pas mêmes jouir illimitément
de la liberté ; qu elle devoit être astreinte , et que tous les
gens libres dévoient être incorporés dans des troupes sol-
dées en les affranchissant , ou dès Tâge de seize ans quand
ils étoient nés de pères et mères affranchis.
* Il étoit impossible que cette opinion n excitât pas Fin-
dio-nadon des hommes de coule^ir ; ils la manifestèrent
dès lors d'une manière inquiétante , et l'assemblée du
nord se vit comme forcée d'improuver et de proscrire
Feuvrage de M. Beauvois , et elle le fit par un arrêté
formel.
' Le système de ce naturaliste étant trop exagéré [ et dé-
voilant trop celui des colonies , on en imagina un autre
non moins funeste , mais bien plus perfide en ce qu'on
eut la finesse d'en faire un principe d'ordre et de richesses
pour les colonies : ce fut d'avancer , de soutenir et dQ
publier comme un axiome certain , que Tes c lave n est obéis-
sant que parée qu'il voit le hlanc d'une espèce supérieure à la
sienne. Comme s'il est possible d'interdire à des êtres intel-
iio-ens la connoissance de ces vérités premières , de ces tra-
ces ineffaçables de la main de la nature , dans le cœur de
îhomme , ses plus chers intérêts. Comme s'il y a un être
intelligent capable de croire le nègre assez borné pour avoir
une telle croyance. Cependant voilà Tunique base sur la-
quelle s'appuyent aujourd'hui les colons pour rejetter le
décret du i5 mai. Mais comment s'appuyer de cette hypo-
tèse pour affirmer que le préjugé colonial est nécessaire au
régime des colonies ? C'est cç que nous allons voir.
On n'ose plus dire que les hommes de couleur ne soient
pas faits pour participer aux droits de l'homme ; les amis
^
SmmJL
'L" ' ■J'V
■ ( i6 )
de rhumanité ont détruit cette grossière absurdité ; on a
vu que l'assemblée nationale ne vouloit pas , ou ne devoifr
pas toucher à la propriété des colons sur les esclaves , on
s'est repris à cette corde étrangère à la cause des. hommes
de couleur libres , parce qu'on a reconnu la nécessité de
nombreux atteliers pour cultiver les colonies et en tirer les
richesses immenses ; parce qu'on ne peut de long-tems
remplacer les bras de la servitude ; parce que les esclaves ,
tout-à-coup affranchis , le cœur encore ulcérés contre leurs
maîtres , ne voudroient peut-être pas travailler pour eux,
même en les payant ; parce qu enfin , on ne peut priver
le maître de son esclave sans lui en rembourser la valeur.
Ces vérités bien senties des colons , et bien reconnues des
hommes justes en France , les premiers ont espéré qu'en
assimilant la cause des esclaves avec celles des libres , ce
seroit le moyen de maintenir les derniers sous le joug du
préjugé qui les tient courbés sous le pouvoir des blancs ,
parce que rassemblée nationale égarée , confondroit les
deux castes , et rendroit , par le moyen des Barnaviens ,
un décret sur lequel il ne seroit plus possible de revenir au
moins de quelques annnées.
Ainsi , sousprétexte d'une poHtique locale , on sacri-
fieroit toute une classe d'hommes aux vues de l'ambition et
de l'orgueil; ainsi, pour arrêter la main bienfaisante -des
législateurs , on leur a présenté la cause des hommes de
couleur libres , comme inséparable de celle des esclaves,
comme essentiel au maintien de la subordinadon parmi
ceux-ci , et l'on a eu soin de la Her au bonheur et à la
splendeur dçs colonies.
C'est ainsi que le despotisme cherche toujours à mettre
le bandeau sur les yeux des hommes , pour pouvoir
mieux les conduire où bon lui semble ; c'est ainsi
que l'aristocratie cherche toujours à sacrifier à son or-
gueilleuse noblesse , le tems , les services et la volonté
des hommes.
Mais il failoit une apparence plausible pour persuader
la'sscmblée
r^
MU. sr^.
(17)
l'assemblée nationale , et dévoyer les amis de rhumanlté
et de la justice ; on a encore imaginé de donner pour
principe certain , que si Tesclave , qui n'est soumis que
parce qu'il croit le blanc d'une espèce presque divine ,
voyoit les affranchis ou leurs descendans s'élever à l'égalité
des blancs , il diroit : Quoi ? les sang-melés , les nègres libns
sont autant que les blancs , occupent des places , des emplois
comme eux ? Les blancs ne sont donc pas si supérieurs à nous?
J{ous sommes en bien plus grand nombre queux , secouons donc
le JQug de l'esclavage. Après cette supposition ridicule, les
colons infèrent qu'il seroit de la dernière inconséquence
d'accorder la citoyenneté aux hommes de couleur libres.
Voilà l'unique but des colons qui se sont montrés con-
tre le décret du i5 mai. Il en est d'autres qui, profitant
de la fermentation des premiers , ont cru pouvoir fonder
de plus grandes espérances : obérés au-delà de tout ce
qu'ils possèdent , ils ont cru qu'en aidant aux esprits
mus par le préjugé , ils pourroient payer leurs dettes en
passant sous la puissance angloise. Frappés de cet espoir,
il n'est sortes de manœuvres qu'ils n'ayent fait jouer pour
parvenir à leurs fins : faux bruits sur les hommes de cou^
leiar libres , fausses inculpations à la partie saine de l'as-
semblée national© ; inculpations, calomnies atroces contre
tous les amis de l'humanité ; rien ne leur a coûté. Ils ont
été merveilleusement secondés par les ennemis de la cons-
titution , par tous les ci- devant , et même par des puissan-
ces étrangères , et sur-tout par des journalistes salariés par
le parti colonialn^. Les clameurs réunies de tant de mau-
vaises gens , ont fait l'effet qu'ils en attendoient ; c'est-à-^
dire , ont embrouillé la matière , ont intimidé les négo-
cians de bonne foi et peu instruits , ont attiédi quelques
amis de l'humanité , ont suspendu , ont égaré le jugement
public et ont fourni au parti colonial, secondé de la len-<
teur ministérielle , tout le tems de dresser ses batteries
et de faire tout le mal avant que l'on pût s'en défendre. >,
Ne cherchons pas ailleurs la cause de la prétendue révo-
JSS^êSL
W"
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■!Pi"l5-
r./
t is )
«atîon du décret du i5 mai, par le corps même qui avoît
décrété qu'on ne pouvoit plus toucher à la constitution;
révocation qui remettroit le germe de tous les maux dans
^e sein des colonies en y propageant une haine d'autani
plus implacable , qu'on auroit en même-tems trompé les
espérances des deux partis en rendant et en retirant le
liécret. Mais les désastres de St. Domingue ont prononcé,
en prouvant le besoin indispensable des hommes de cou^
leur contre les esclaves.
Ils en est donc encore tems ; l'assemblée nationale peut
tarir la source de nos malheurs en fixant les loix des colo-
nies. Elle fixera aussi par-là l'incertitude des esprits des
deux mondes , et dissipera leurs inquiétudes respectives.
Jusqu'à ce moment on n'a vu dans les colonies que vascil-
1er d'une opinion à une autre , heurter tous les principes
sans s'arrêter à aucun , recourir à des hypothèses , à des
systèmes assez spécieux, tant pour justifier ou voiler ses
vrais motifs aux yeux des autres , que pour s'en imposer
è soi-même. De-là cette étonnante versatiUté de volonté
dans les colonies ; tantôt une assemblée , tantôt une autre;
et tels que les enfans , on a vu les colons briser le jour
suivant tout ce qui les avoit enthousiasmés la veille. Il
faut être à St. Domingue pour ne pas sentir le ridicule et
le danger de varier ainsi dans les choses les plus graves et les
plus importantes. N'est-ce pas , par exemple , un vrai scan-
dale et un bien grand malheur, que le désir avec lequel
on formas l'assemblée de St Marc , et la fureur avec la^-
quelle on la poursuivit ? Et c'est des assemblées coloniales
dont l'intrigue , la cabale , et la malveillance se jouent
ainsi? Remarquez en passant, que rassemblée séante à
Léogane avoit déclaré à sa première séance ocelle prenoit
les créances des négocians de France sous la protection de la
foi publique de la colonie ; que la colonie Jaisoit partie inté-
grante de la France ^ quelle suivroit tous les décrets de ras-
semblée nationale. Ne seroit-ce pas cette déclaration qui
l'aura fait rappeller au Cap ? Payer ses dettes et rester à
la France!.... Qixe de projets renversés i
^m M^ m «r
( '9 5
Tout cela est aussî en partie Touvrage de F^goïsmei
enfant du despotisme: chacun prétend aux premières pla-
ces , imprimer aux autres son unique volonté , les fair^
penser comme soi et n'agir que pour soi. Il sufEt à(
.St. Domingue d'avoir individuellement le suffrage de ses
concitoyens , pour en être haï , jalousé , persécuté collec-
tivement. Cette affreuse anarchie est la source de tout gou-
vernement arbitraire , et la mère de tous les désastres.
' Tout semble s'être conjuré pour égarer les colons de
bonne foi , dans le dédale de leurs puérils et monstrueux
préjugés ; ils ont perdu de vue tous leurs intérêts les plus
jréels , avec les principes de la raison et de l'humanité ,
pour courir après tout ce qui pouvoit plus sûrement les
perde. C'est le papillon qui quitte le reverà de la feuille
où il étoit en sûreté , pour venir se brûler à la chandelle.
Les gens de couleur , se sont dit les colons , veulent s'égaler
à nous ! Nos affranchis , leurs descendans , ceux qui étoient
hier nos esclaves ^ viendroient demain se mettre à nos côtés ^
à notre table , partager nos emplois , demander nos filles en
mariage .'.... Nonl nous nous enterrerons plutôt sous les ruines
de la colonie /....
Ce raisonnement posé , embrassé avec une avide fureur,
il n'a plus été possible de faire entendre la voix de la jus-
tice et de la raison , pas même celle de l'intérêt personnel.,
ce puissant et premier mobile des colons. Ils an t fait couler
lin fleuve d'or où sont venus s'abreuver des membres per-
fides de l'assemblée constituante , et les plus sages des
décrets , ceux des 8 et 28 mars et i5 mai sur-tout, si
combattu , n'ont point été envoyés officiellement ; ce
fleuve corrupteur a barré le passage à tout ce qui pouvoit
blesser la vanité des colons, mais eût assuré leurs fortunes
et leurs propres jours. Après un long silence sur l'envoi
de ce dernier décret , on suppose des troubles que Ton dit
en découler; la coalition démasquée augmenta son parti,
le fleuve enchanteur , ce nouveau pactole , se divisa , se
se subdivisa , se ramifia dans toutes les places les plus
y
-''^"tMMiMiaiai
( 20 )
importantes ; on séduit le public par des écrits menson
gers , par de perfides agens , par des nouvelles controu-
vées ; Famour de riiumanité s'affoiblit, les cœurs se dessè-
chent , et après que les blancs eurent désarmés les hommes
de couleur libres dans la partie du nord , le parti colonial,
île craignant plus rien , redoubla ouvertement ses efforts ,
remporta sur les patriotes , et ces décrets furent réyoquéi
par un corps qui n'en avoit pas le droit , et qui violoit
là loi expressément pour signer la ruine et la désolation,
de la plus riche colonie. Les colons avoient sacrifié des
années de leurs revenus pour obtenir ce triomphe, qui
devoit leur coûter encore une partie de leur capital : les
es^claves les ont pris au dépourvu , et la partie du nord ,
foyer de ce principe infernal , a été une vaste province de
ruines , jonchée de morts , baignée de sang.
Voilà ce que j'avois prévu , voilà ce qu'il étoit aisé de
prévoir et de prévenir ; pour Favoir dit , la haine du parti
colonial m'en a fait un crime énorme , et a cherché à me
porter les plus funestes coups par Finfâme calomnie.
Toujours attentif à poursuivre son objet, ce parti odieux
a cherché jusque dans le soulèvement même des esclaves
auquel lui seul avoit donné lieu , à inculper les hommes
de couleur libres : au moment de Finsurrection , on s'écria
qu'il n'y avoit qu'eux qui eussent pu la fomenter par ven-
geance contre les blancs. Ce soupçon devient un bruît
général , Fon se jette dans les rues sur les premiers qui
se présentent , et ils sont indignement massacrés. La peur
s'empare d'un homme estimable ; il veut échapper à ses
assassins , il monte sur le toit de sa maison , on Fen fait
descendre d'un coup de fusil !....
Cependant , le lendemain , les autres ne perdent point
courage ; au risque d'éprouver le même sort , ils vont à
rassemblée coloniale offrir les plus chers otages pour
ravoir leurs armes et défendre leur ingrate patrie. Ils
volent ensuite au camp des rebelles , et ils les arrêtent
l aux portes de la ville. C'est ainsi que ces Métis de brutes
xr
Mi AC
( «I )
« sont vengés de ces êtres si parfaits ! Les blancs qui eilSî
sent rougi de les voir à leurs côtés à table , les ont vuS
toujours' devant eux dans le chemin de la victoire , > ■
sant dans un jour u que nom divine espèce ne pouvait fatra
dans huit, soutenant constamment lesfatigues de laguerre,
tandis que la race pure des hl^na succemboit ! . . . ■ a
iustice ! , . • j «
Dans l'enthousiasme, dans U délire de la joie de s6
Vir préservés si généreusement par des hommes qu oa
s^étoit pia àravaller au-dessous de Tesclave même , onieuï
a promis bien au-delà du décret du i5 mai : puisse cette,
promesse être bien sincère !... '
Mais, pourroiton me demander, quelle est donc 1^
cause p®ur laquelle les colons s'obstinent à vouloir con^
server un préjugé si contraire à leurs vrais intérêts ? Jo
réponds à cela , que sans le préjugé qui donne tant d em-
pire aux blancs sur les hommes de couleur , les premier^:
ne pourroient plus prendre impunément les filles de ceux-
ci , leur enlever leurs femmes , leurs biens par d mfidèles et
arbitraires arpentages-, les gens libres pourroient occupper
des places, etc. En outre on voitpar les efforts desnobles et
des prêtres, combien Faristocratie est chère aux hommes
qui se sont unefois habitués à dominer sur les autres : ils ris-
quent tout pour recouvrer ce droit barbare. Tels sont aussi
en partie les motifs des colons dans leurs efforts pour
maintenir le préjugé colonial si préjudiciable à leur bon-
heur et à leur sûreté.
Il ne faut pas que je termine ces notes , sans y ajou-
ter une remarque très importante, et qui pourra peut-être
servir à découvrir le bout du fil de la trame ourdie contre
les gens de couleur libres , et peut-être contre la consti-
tution en général , de Tun à l'autre monde.
Tandis que les colons répandoient que les sang-mêUs
n'accepteroient point le décret du i5 mai, parce que ,
ajoutoient-ils , il n'avantageoit que les nègres liferes,
M. Blanchelande marquoit en France qu il n'y auroit tout
^\
\
^
Vj-,
^u plus que quatre cent hommes de couleur au Port-au-
Frince , au moment où il étoit sûr que ce décret étoit
rendu , qu'il employeroit toutes les forces qui lui étoient
confiées, pour faire observer les décrets sanctionnés , nec
flm ultra. On n a pas oublié qu'il avoit marqué au minis-
^e , qu'il verseroit jusqu'à la dernière goutte de son sang ,
plutôt que de souffrir que les hommes congés à ses soins i
tournassent leurs armes les uns contre les autres.
!<>. Comment se figurer un moyen de verser son
sang, carc'est au collectif dont parle ce général, sans tourner
Ses armes contre quelqu'un ?
2°. Il est visible que M. Blanchelandeentendoit parler
tîer troupes de ligne et des colons aristocrates , en par-
îant en son propre nom , et qu'en disant qu'il ne souffri-
ïoiÊ pas que les hommes confiés à ses soins tournassent
leurs armes les uns contre les autres , il entendoit que les
%ons patriotes et les sang-mêîcs n'étoient pas ces hommes
tonfiés à ses soins.
3°. Il est clair encore qu'en écrivant de la sorte au Port-
auL-Prmce , il étoit en même-tems bien informé que le
décret n'auroit jamais été ni sanctionné ni envoyé officiel-
lement , et qu'il auroit^ été révoqué , si le roi avoit ac-
cepté la constitution qui sanctionnoit tous les décrets
antérieurs.
4°- Pourquoi , au lieu d'envoyer de suite des avisos en
France , ne s'est-on adressé qu'à la Jamaïque ? Comment
s'y est-on pris ? Quels secours lui a-t-on demandés ?
Quels sont ceux qui ont été accordés ? Pourquoi de suite
mne frégate angloise dans notre rade ? Pourquoi des aller,
des venir à la Jamaïque , par des députés qui ne portent
Tien par écrit de la part de l'assemblée du Cap , ou qui
ne portent que des discours vagues ? Pourquoi cette lettre
de l'assemblée coloniale au ministre d'Angleterre , por-
tant que Vanglois avoit recueilli les débris de la colonie ?
5*^ Le refus- des Espagnols et leur réponse mérite un©
grande attention de la part des François.
f^
M^
fa «rr
(«S)
6<*. Les calomnies des colons contre tous les^ bons paf
triotes de France , la cocarde noire portée par presque
toute rassemblée coloniale ; ajoutez à cela la déclaratioti
de rassemblée de Léogane , de se regarder comme partie
intégrante delà France, de prendre les dettes delà co-
lonie sous sa responsabilité ; puis la subite traiislatiam
d'une assemblée qui manifeste de tels principes en ce lieu
et change au Cap aussi extraordinairement.
Si Ton ne cherchoit qu à rendre justice aijix ko;mineft
de couleur libres ; si Ton ne cherchoit qu'à se mettre en
force contre les esclaves, sans chercher à adoucir leur 5;0rt ,
non seulement cet oubli seroitinhumain, mais encore liseroit
très -impolitique . ce ne seroit que pallier le mal pour u^
tems ; ce seroit se tenir en un état perpétuel de guerre ,
tenir en haleine un ennemi toujours redoutable , et qui ne
peut manquer de saisir la moindre occasion de s'agiter.
L'assemblée nationale ne dédaignera pas d'étendre ses
tendres sollicitudes , ses vues de bienfaisance et de justice
jusque sur cette classe si misérable , à laquelle cependant
on est redevable de richesses immenses du nouveau mon-
de , et que le seul désespoir égare le plus souvent. On
apprendra dans peu , malgré tous les soins des colons du
Cap , qu'il y a eu beaucoup d'habitations , telles que celles
de Walsh , Deparoy , Duplaa , Lachevalerie , etc. , où les
nègres , toujours bien traités, bien nourris et bien habillés,
se sont défendus à toute outrance contre. les rebelles qui
vouloient incendier ces biens , et sont parvenus à les pré-
server de l'incendie après avoir éteint le feu à plusieurs
reprises. ^
Les colons n'ont assurément pas plus de droits sur les
hommes de couleur libres , qu'ils n'en ont eux-mêmes
les uns sur les autres ; on ne peut aussi leur disputer celui
de propriété sur leurs esclaves ; c'est leur bien , c'est le
nerf des fortunes et du commerce du nouveau monde ,
et les colons ne peuvent en être privés impunément. Mais
il n'en est pas moins Y^^ai que l'assemblée législative de
• N
A
iCîfiriÀt Vt * ;-» i -• tistm
%
'- ' ^ (24)
'France , deVant donner des loix à tout ce qui tient à Verni
pire François , elle doit également régler celles par les-
quelles les esclaves , qui sont des hommes , doivent être
traités. En augmentant nos forces contre le nombre consi-
dérable de nos nègres par Tétat civil accordé , ou rendu ,
aux hommes de couleur libres , et en améliorant le sort
ides premiers , nous doublerions ces forces encore en di-
minuant le besoin d'en faire usagé. L'assemblée nationale
devant s'occuper de cet objet , je joins ici un projet relatif,
dans lequel peut-être on trouvera des^ choses importantes
à l'ordre , au calme et à la prospérité des colonies.
Voilà ce que j'ai remarqué sur les colonies ; je répond*
'de tous les faits que j'avance ici. On m'a fait au Cap un
grand crime d'avoir manifesté mon opinion sur le régime
colonial , d'avoir pardcipé au décret du i5 mai : que diront
donc les colons démasqués , si ces notes sont publiées ?
Mais la partie saine du public me jugera. Quand on est
sm de travailler sincèrement pour le bien de sa patrie ,
on porte sa consolation dans son cœur si Ton en est mal
jugé. Au reste , ma patrie ne sauroit être mon juge ; c'est
aux vrais François à prononcer entre les colons qui me blà-
rnient et moi.
ESSAI
■X-^^r^
ir
^m éF'
Uti-SCL
S S A I
S tJ R
L* AMÉLIORATION DU SORT
DES ESCLAVES.
o
N a divers emeîît écrit sur le sort des esclaves de TAmé"
rlque , parce qu'on n'a écrit que sur parole , ou sur des
des mémoires faux. On convient assez généralement que
leur sort est très-à plaindre , et c'est le seul point auquel
tous les écrivains se rencontrent ^ parce que la vérité se
touche toujours \ mais aucun n'a encore proposé des
moyens efficaces pour améliorer l'état des misérables qui
arrachent de la terre de TAmérique ces richesses immen-
ses dont se targuent tant leurs maîtres ^ qui font pencher
la balance de l'Europe du côté de la France.
Les moyens, que propose Fabbé Raynal sont insuffisans
bu impraticables ; Montesquieu n'indique que l'abolition
de l'esclavage par une réticence absolue sur le sort deâ
nègres ; le moyen est non-seulement dangereux à l'or-
dre et à la prospérité des colonies , mais encore contre
toute équité , contre le droit de propriété dont on ne
pourroit impunément dépouiller le maître de l'esclave. Il
n'est cependant aucun mal qui n'ait son remède ; il ne faut
que le trouver. Celui-ci intéresse à la fois Ihumanité et
la prospérité d'un des premiers empires du monde ; tout
bon françois doit à sa patrie le tribut de tout ce qu'il peut
savoir de propre à y remédier.
P
Jf*MliàSySA-LJk rv.
i^
\
- ( 26 ) '
Ceux qui iiabitués à ne regarder leurs esclaves que
comme une espèce brute , inférieure à la leur ; que comme
une race d'hommes créée tout exprès pour leurs besoins
et la satisfaction de leurs caprices : que comme des
êtres privés de toute intelligence , de toute sensibilité ;
que comme des bêtes de somme ; enfin que comme des
lïiisérables cannibales qu'on a tirés du sol le plus disgracié
de la nature , de la vie la plus dure et la plus précaire ,
pour les transplanter dans une terre de promission où ils
sont mille fois plus heureux que dans leur climat naturel,
qu'au milieu de leurs familles; ceux-là, dis-je , qui affir-
ment que ks noirs , au milieu des traitemens arbitraires
de leurs maîtres , sont moins à plaindre que les paysans
françois , trouvent extraordinairement étrange qu'on puisse
s'occuper de leur sort , et le trouver mauvais. L'ami de la
vérité, et de l'humanité qui n'est jamais l'esclave de Fliabî-
tude , voit et raisonne tout différemment : il ne dit que
ce qu'il a vu , que comme il a vu.
Consultez le marin qui va à la cate chercher des nèo-res,
41 vous dira qu'ils sont en peine de pourvoir à leur iiour-
riture, qu'ils se déchirent tellement entr'eux, qu'il est étonné
que l'espèce subsiste eucore. Ce langage est celui de ceux
qui veulent justifier la traite et tous les maux qui en sont
la suite. Le nombre prodigieux de nègres amenés depuis
deux siècles et demi dans les colonies , répond à ces con-
tes puérils. De même , si le nègre étoit si malheureux dans
sa patrie , s'il y étoit soumis à l'esclavage , s'il avoit tant
de peine à pourvoir, à sa nourriture , pourquoi est-il si
bien proportionné , si fort , si robuste, doué d'une santé
si vigoureuse en arrivant dans les colonies ? D'où vient
qu'au b,our d'un an qu'il y est, il tombe dans un état de
foiblesse , de maigreur , de langueur qui le rend mécon-
noissable , et dont il ne se relève jamais parfaitement,
quand il n'en meurt pas ?D'où vient soupire-t-il tant après
U iiberic , î;:usc des fréqucns maronages ? Quel est le
c©io» de bonne foi '"^n ne. convienne que ppur_ avoir- cent
'X^^
xr
/a yÊT
EU ^r
( «r J
nègres , îî en fautenterreraw moi?is qnatre cent ? de même ;
si le nègre étoit si malheureux dans son pays , s'il étoit
sans sentiment , pourquoi voit-on le désespoir les porter
si souvent au suicide, une des premières causes pour'
lesquelles on les tient si fort à la gêne dans les navires?
Pourquoi ceux qui sont nés dans les eo^lonies ne se por-'
tentrils pas aussi au suicide ? En attendant que quelqu'un
réponde à ces questions ,. tâchons de rechercher ies^ maux
des esclaves, et les moyens d'y remédier..
Pour. bien faire ces recherches , tâchons de nous isoler
entièrement de imtérêt pour ou contre Tesclavage. Il seroit
impossible de juger avec rimpartialité du vrai philosophe,
si Ton prenoit pour règle ces deux mots mis en opposi-
tion : ^2k7te et ac/tz^y*^^^. Il ne faut cependant pas aussi
perdre de vue l'idée que d^an côté les esclaves y
mettent , et que de l'autre leur maîtres y attachent. Ces
deux états. , pris à la rigueur , impliquent un si grand con-'
traste à l'esprit, qu'il semble qu'on ne puisse en aucune'
manière les rapprocher , encore moins les concilier; mais
ils existent dgins un même lieu , il n'est peut-être pas facile
de les séparer ^il est du bien de la nation entière ée cher-
cher à assurer la propriété de l'un pour le bien de TempiFe ,
et.adouçir le sort de celui qui doit souffrir de la seule vue
de l'autre ^ de celui qui éprouve encore de l'autre des
traitemens propres aie lui ren^dre plus insupportable. C'est
aux sages législateurs à mitiger d'un côté le pouvoir du
maître sur l'esclave , et à procurer à celui-ci quelques
objets de consoia^tion , et mêm« d'espérance, La funeste'
boëte de Pandore se seroit-clle toute vidée pour une
classe d'hommes qui a plus besoin d^espoir pour la sou-
tenir daiis ses maux et dans ses fatigues perpétuelles ?.... >
Il y a bien peu de colons qui ne pensent pas que leur
honneur et leur gloire dépendent de Fétat actuel des
esclaves, et qu'ils sont plus intéressés à Fagraver qu'à
radoucir. Leur proposer une réforme indispensable dans
ee régime , c'est comme si on leur proposoit de se de-
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sîstef de lenr droit de propriété. Cependant cette réfornïô
devient plus nécessaire que jamais,,.
L'esclave , dites-vous , a tous les vices , sans une seule
vertu. Je conviens que ne pouvant supporter la vue de
telui qui le prive de tout, jusqu^à sa volonté morale
même , s'abandonne à tous les écarts. Eh ! n'est-ce pas vous
qui les lui inspirez ? Quelle récompense âttcnd-il de vous?
Hélas ! c'est d'être abandonné dans un mauvais ajoupa ,
au fond de votre jardin , loin de vos yeux , lorsqu'il peut
à peine se traîner pour se procurer un peu d'eau et de
bois pour faire cuire ce que ses pauvres camarades veu-
lent bien ou peuvent lui donner , quand à la nuit close
il va quêter sa subsistance dans leurs cases,... Car il ne lui
est pas même permis de quitter son exil.... Ah ! quel
tableau , si je voulois ici le tracer !.... Vous en frémissez
vous-mêmes.,.. Car vous ne pouvez tout-à-fait arracher
Thumanité de vos ccex^rs , quand l'habitude les auroit en^
tièrement blasés.
On ne peut se dissimuler que Tesclave , privé des lumiè*
res de l'éducation , doit être contenu par des loix parti-
culières de police; mais elles doivent être pesées par la
sagesse , et rédigées par la justice et l'humanité, d'accord
avec les intérêts du maître, La loi qui n'est que répressive
et qui ne protège pas le sujet , n'est pas une loi; mais est
une oppression absolue et sanctionnée. L'esclave est la
propriété du maître , nulle loi ne peut le priver d'en jouir
tant qu'il ne s'en est pas désisté ; mais cette propriété ne
peut pas non plus détruire la protection de çûreté et de
jouisance que la loi doit à tout homme.
Louis XVI avoit rendu un édit en décembre 1784,
qui tendoit au but que je propose ; mais cette loi ,
fruit d'un faux apperçu , sembloit avoir moins eu en vue
d'adoucir le joug de l'esclavage, que de détruire le blanc
par le noir , et le noir par le blanc , en les aigrissant luu
contre l'autre par mille occasions qu'on leur présentoit.
Si le sort des esclaves est si à plaindre au physiqiac ,
\>^r*f
y^W
xr ^ ^.-K,
^m yâT
MM
{ 2Q )
lî Test bien plus au moral. C'est dans son cctm , c'est dani
sa propre opinion que sont ses plus grands tourmens. C'est
donc là qu'il faut chercher le plus radoucissement de son
sort , le moyen en est simple et aisé : c'est de Fattacher
à lui-même , c'est de lui accorder une sorte de propriété réelle.
Par-là seul on lui donnera une existence réelle , on l'y
attachera, et on l'attachera aux intérêts de son maître.
Déjà on accorde à chacun une certaine portion de terre
en jouissance pour vivre ; s'il peut du produit se nourrir,
se vêtir , pourquoi ne peut-il pas avoir authentiquement
la propriété de ce fruit de son travail , et la faculté de le
fixer sur d'autres objets dont il pourroit encore disposer
librement ? L'esclave ne peut rien posséder qui n'appar-
tienne à son maître ; en vain cpargneroit-il , en vain sc-
roit-il laborieux et industrieux , il ne peut rien trans-
mettre à ses enfans. De là cette insouciance , cette pré- '
tendue imprévoyance que l'on reproche au nègre , et qui
sont au contraire précisément la preuve de sa prudence.
Puisque , se dit-il , je n'ai riei;i à moi , puisqu'après avoit
travaillé au jardin de mon maître à ses heures et pour son
compte , ce que je puis gagner aux miennes par mes
sueurs lui appartiendroit encore, pourquoi me fatigue-
rois je , sans pouvoir goûter la consolation de laisser à
mes parens le fruit de mes travaux ?
Après ce raisonnement naturel , l'esclave ne travaille
qu'autant qu'il lui en faut pou^ne pas aller nud et mourir
de faim. Plus de la moidé ne daigne seulement pas tra-
vailler pour se nourrir ni se vêtir. De là le vol commun
aux esclaves de tous les tems et de toutes les couleurs. Si
jïion maître n'est pas content , disent-ils , que nous lui
voilions de quoi manger , il a besoin de nous , qu'il nous
nourrisse comm^ ses chevaux et ses bceuts.
La loi qui défend la propriété à l'esclave , est non-
leulement plus injuste et plus cruelle que l'esclavage
même , mais encore elle implique une telle contradiction
avec elle-même , qu'il est inconcevable qu'elle ait puav^ir
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îiçu cKez des peuples policés. Car , si un homme-a p« ^
veodre , ne peut41pas encore mieux , ne doit-if pas dis-je
disposer du prix de sa liberté , et par la même raiso^
îa conserver ? Si le prix de sa liberté ne peut lui
rester , n'est-il pas évident qu'il n'a pu l'aliéner? Un
des axiomes invariables de droit et de raison , est quon ne
peut donner et retenir : ici , on donne pour avoir le don et le
donnataire. Ce n'est donc point un contrat valide , ce n'est
qu'un acte de surprise, de force et de violence, et V^i-
clave n'est qu un prisonnier éternel. S'il s'est vendu lui-même,
il doit jouir du prix de sa liberté , jamais propriété ne fut
mieux acquise et plus sacrée , s'il a pu se vendre : autre-
ment son maître n'auroit fait que lui présenter un hame-
çon , sûr quilétoit de ravoir et.l'appas et le prisounier:
c'est une perfidie. Si l'esclave a été vendu par un voleur..,
Ce n'est qu un prisonnier, et les prisonniers se rançonnent.
Pourquoi donc l'esclave ne pourroit-il pas jouir du même
bénéfice ? On lui a ôté le droit de propriété expressément
pour le priver de rcxercice de ce bénéfice Cest le
comble , c'est le dernier rafincment de l'inhumanité.
En accordant à Fesciave la propriété absolue de son
pécule , ce ne seroit qu ébaucher son sort ; il faudroit pouK
Taméhorer réellement et entièrement, qu'il pût sortir de
la servitude quand il auroit épargné de quoi remboursej;
sa valeur à son maître , et cette valeur peut être fixée ,
avec des précautions contre les fraudes de la tyrannie eç
de l'avarice, sur les rôles des récensemens annuels , selon
les talens et la bonne ou la mauvaise constitution de
Tindividu.
Il est fort aisé de prouver que le maître gagneroit de
toutes les manières à cette loi de justjce. Si l'esclave pou-
voit espérer de rom^prc sa chaîne par son travail , par son
industrie , par sa conduite , combien ne se soigneroit-il pr.s
lui-même , combien ne s'empresseroit-il pas lui-même à
remplir sa tâche pour ne l'avoir plus un jour î le maître,
auroit aussi des ouvriers plus adroits pour ses travaux ^
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ses manufactures ; Tcsdave seroit intéressé à s mstruîfe de
quelque métier pour s'aider dans son projet de gagner
de quoi s'afFranchir. Que risque son maître d ailleurs ? Un
esclave ne commence à être en âge de gagner de Fargent
pour son compte , que vers trente ou quarante ans ; il ne
faut en excepter que fort peu ; et alors il s'est déjà payé
par son travail. Il lui faut , en bien travaillant , s'il a un
métier, plus de quinze ans pour gagner sa valeur, vivre
et se vêtir ; et s'il n'a aucun talent , il lui faut plus de
vingt ans, s"il est bien sobre et bien économe. Il auroit
donc de 60 à 70 ans lorsqu'il dcmanderoit à sortir de la
servitude : or, n'est-il pas alors arrivé à l'âge où il va
bientôt être hors d'état de rendre service à son maître ?
Pendant le tems qu'il se seroit occupé à amasser dé quoi
se racheter de l'esclavage , il auroit prêché d'exemple aux
jeunes esclaves par une bonne conduite , l'exactitude à
s^n devoir , et n'auroit pensé qu'à l'heureux moment où
il auroit enfin brisé ses fers. 5on maître aura donc été
celui qui auroit réellement gagnée à cela , puisqu'après les
Bons services du âujet , il n'auroit été rembourse de sa
Valeur, au moment où il devoit perdac l'un et l'aurre. Par
une-espérance , presque fictive de son esclave , il mjroit
;doublement^ gagné sur son travail et sa fidélité : Fesclave
anroit été heureux long-tems d'une perspective éloignée
et souvent imaginaire.
On pense bien que dans le cas où il parviendroit à la
réaliser, il devroit être exempté de cette ta^i excessive
qu^il^^t donner poUr affranchir un bon sujet que l'on
veut récompenser par le don de la liberté. '
Au surplus , on pourroit encore établir que le maître
d-eviendroit, comme par aubaine , rhéritier de son esclave ,
SI celui-ci meurt sans enfans ou parens légitimes.
' La propriété absolue du pécule de l'esclave produiroit
encore ce bien , de diminuer les désertions en fixant une
sorte d'amende sur son avoir au profit du maître , dans le
cas de maroBage , ^ainsi que dans le cas de délit, pro-
.^^. \
Jé
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|i6rtioîiné à la gravité du crime. Personne , je pense , ne
Contestera que ce sont-là de puissans ressorts pouc
contenir Tesclavé et épurer ses mœurs. Mais les colons
n'imitent-ils pas un peu les Esftagnols qui firent passer les
Caraïbes pour des brutes afin de justifier leurs cruautés ?
En épurant les moeurs des esclaves , ne crâint-ôn pas un
peu de faire contraster trdp leur sort avec leur manière
d'être et d'agir ?.... et le goût des maîtres pour ces Africai-
nes , si viles à leurs yeux , ne sêroit-il pas trop contrarié
par une loi qui rameneroit la chasteté dans leur ame ?
Si l'esclave avoit la consolante perspective de pouvoir
un jour se racheter par ses épargnes , la servitude ne seroit
pas plus dure à supporter pour lui ^ que le service pour le
soldat , qui se console de son engagement par la certitude
où il est d'en voir arriver la fin. Ajoutez à cela un peu
plus de douceur dans les châtimiens auxquels il seroit sou-
mis , on ne perdroit pas tant de nègres chaque année ,
les nécrrillons ne périroient plus tant au berceau , bien
moins encore au sein de leurs mères. Une expérience aussi
constante que peu sentie des colons , prouve que les
nègres et sang-mêlés libres , vivent bien plus long-tems
que les esclaves et multiplient infiniment davantage , en
exceptant quelques domestiques de maisons , et ceux qui
ont le bonheur d'appartenir à des maîtres d'une douce
administration. L'homme satisfait de son sort est toujours
mieux portant , et plus porté au bien qu'au mal. C'est tout
le contraire de celui que l'ennui tourmente , que le dégoût
accable , et c'est bien pire de celui qui a le désespoir
dans l'ame !
Ce qui afflige le plus les âmes sensibles , c'est de ne
pouvoir douter qu'en améliorant le sort des esclaves , les
colons en seroient plus riches , plus tranquilles et plus
heureux. Traitez humainement votre esclave , ayez-en soin,
récompensez-le quand il remplit ses devoirs avec zèle , il
sera mieux portant , moins méchant , vivra plus long-
tems , et vous rendra conséquemment plus de service.
Combien
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jX~ȑt" '\,JBL.J[r
{ Sâ )
Combien de colons , pour ménager tine Centaine dû
livres par art, en nourriture^ pendant la maladie dun
esclave , perdent trois rftille livres et pliis par sa mort î
combien de journées de travail perdues potir vouloir en
gagner Une du deux de plus ?
Epurant les moeurs des esclaves ^ les maîtres ^âcnâ-*
toicnt encore : Tesclave ne penseroit qu'à travailler, qu'à
thésauriser au lieu d'enterrer son argent ^ ou de le mangef
en débauche ^ oU de s'en soûler pour s'étourdir sUr son
éternel malheUr* Avec le droit de propriété sur soa
pécule , s'il avoit celui de transmettre à ses enfans et à
ses parens légitimes , oh verrôit naître le mariage dans lea
habitations , On env^rroit disparoître ce libertinage affreuse
qui achève de dégrader l'esclave , et en fait périr tant de
inilliers.
Il y a des Colons qUi pensent ^ ou feignent dëpensef
que le mariage n'est pas nécessaire aux esclaves , qu'il
peut même leur être nuisible : ou ils ne sont pas sincères-,
ou ils n'y ont pas réfléchis. Le nègre à une singulière
vénération pour cet état; il regarde ses enfans îégitim.es
comme étant bien plus particulièrement à lui ; et ceux-ci
les aiment et les respectent bien davantage. Si Ton voie
moins de mariages parmi les esclaves , il n'en faut cher-*
cher la cause que dans l'e^xtrême crainte de faire trop
d'enfans misérables î c'est aussi par cette raison , et un
peu par le pouvoir qu'à son maître sur ses négresses que
les esclaves aiment mieux aller se chercher une femme hors
de son habitation : du moins , se dit-il , si mon maître la
séduit, je n'en saurai rien; si mes enfans sont maltraités,
je n'aurai pas la douleur d'en être le témoin.
Cette crainte feroit place au désir, s'il avoit une soite
de propriété , s'il pouvôit en disposer en faveur de ses
enfans légitimes , et s'il étoit traité avec plus deî douceur ^-
parce que , s'il n a pu les tirer de l'esclavage , il mourrois
avec T'espoir consolant de leur laisser de quoi en sortir
plutôt. Il est de fait que depuis que le mariage banni parmi
J^lf".
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fÊBsia
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les esclaves à force de les ridiculiser , ou d'abuser de leurs
femmes , depuis que la paternité n'est plus qu'une chimère
douloureuse à leurs yeux ; on ne les voit plus s'attacher
à rien de suivi, et on les voit se livrer à tous les désordres.
Le droit de propriété , d'hérédité , et de retrait sur la
liberté feroit donc naître des mœurs pures parmi les escla-
ves ; pour assurer leur héritage à leurs descendans , ils re-
courroient au mariage , ce lien de la société qui , en unis-
sant les hommes par des égards sacrés à leurs yeux, adou-
cit leur caractère , épure leurs sentimens. Les esclaves
n'étant contenus par aucune de ces chaînes morales et
volontaires ne tiennent à rien , désertent sans sujet , ou
pour peu de chose , ne craignent pas même les plus rudes
châtimens , regardent la mort comme le terme à leurs
maux , et ne cherchent qu'à éviter la vue de leurs maî-
tres. Qui les retiendroit ? leurs femmes , elles peuvent être
celles du premier venu , ou tout au moins celles de leurs
maîtres si le caprice lui en prend , comme cela n'est que
trop ordinaire;l€urs enfans? ne sont'-ils pas condamnés aux
mêmes maux, ne sont-ce'pas même des souffrances de plus
pour eux ? Peuvent-ils les regarder comme étant vérita-
blemient les leurs ? Leur ^avoir ? en quoi consiste- 1 il .*
la reconnoissance ? de quel bienfait ?
Toute la consolation de Fesclave est dans sa chatison,
dans sa danse , et on lui défend de danser plus d'une fois
par an. Il voit les blancs et les gens de couleur libres
s'assembler , s'amuser, goûter le plaisir de la danse dont il
est passionné , et il lui est défendu de se rapprocher
quelquefois de ses semblables , de s'étourdir un instant
sur son sort par le bruit enchanteur de son tambour.
Désespéré de se voir tout ôter , jusqu'à ses plaisirs les
plus innocens mêmes, il se soûle en secret, s'épuise en
veilles et en débauches , va dans les bois danser la nuit,
gagne des maladies , périt ou devient caduc avant Tâge.
il me semble entendre son maître répondra à ces vérités
notoires : '' Je suis dans un pays où Xon ne vient qu©
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(55)
pour faire fortune , où la dur^e de la vie est incertaine et
précaire ; il faut que je tire de mes nègres le plus grand
et le plus r.ron.pt parti : ils vivront peu ; peu m importe
j'en aurai ilré la quintescence. CeuK qui me succéderont
s'en procureront d'autres s'ils veulent ),. ^
T'ai entendu nombre de colons dire que pourvu qu.ls
comervassent le quart des nègres qu'ils avoient achetés au
bout de dix ans , c'étoit tout ce qu'ils demandoient.
Si l'esclave avoit quelquefois la consolation de s amu-
ser, il s'attacheroit davantage à travailler pour lui-même,
indépendamment de la perspective de la liberté , afin de
pouvoir s'habiller proprement pour aller danser. On eu
a la preuve : à l'approche du premier de l'an , époque
si chère et si mémorable pour les esclaves , parce que
c'est le seul jour qu'ils sont assurés de danser sans empê-
chement ; ils font tous leurs efforts pour se donner un
rechange propre. Ils se priveroient de nourriture pour
paroîtr; bien habillés ce jour-là : rien n'est plus honteux
à leurs yeux que de ne l'être pas ce grand jour de lete.
S'il y en a dans Tattelier qui ne soient pas bien mis les
autres leur prêtent de quoi figurer au calinàa. C'est alors
qu'ils goûtent ce doux plaisir de répéter une chan-
son nouvelle. Le lendemain , ils la répètent encore , ils
racontent avec une nouvelle joie la manière dont un tel
a battu le hahouU , dont un autre a danse , a chante ;
comment tels et tels étoient habillés , etc. c'est le sujet
d'un mois des entretiens les plus intéressans ; c'est ce qui
bannit pendant tout ce tems tout souvenir désagréable
de leu. esprit; heureux s'ils n'en avoient jamais deleuretat.
Pendant ce mois de déHces pour eux , ils sont plus gais ,
plus courageux à l'ouvrage. Leurs instrumens aratoires se
• lèvent et retombent tous en mêrae-tems en cadence, et
l'ouvrage en avance d'autant. Ge sont autant de moyens
qui s'offrent d'eux-mêmes aux colons pour adoucir le sort
des esclaves et qui servent leurs propres intérêts.
. Mais ilscraiguent que dans les assemblées des esclaves ,
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lis ne coacertent la perte de leurs maîtres ; u les tyrans sont
toujours tremblans „. Eh ! nesen.em-ils donc pas qu'en les
tra.tant plus humainemeut, ils n'auroient plus en eux d'aussi
dangereux ennemas ? Ne sentent ils donc pas que , traités
comme ils le sont actuellement, les esclaves peuvent trop
aisément fomenter leur perte sans des assemblées publi-
ques , où il n'est jamais prudent de s'ouvrir d'un secret
important ? Est-ce au sein des plaisirs où l'on pense aux
cnmes ? non... C'est sous le poids de l'injustice. Eh !
soyonsjastes et humains envers nos esclaves, et envers
nos affranchis , tous nos sujets de crainte seront anéantis ,
et nous ne serons plus environnés que de cœurs reconnois-
sans , que d'amis. Q.uel échange , cependant !
Parcourons l'histoire de toute la terre , nous verrons
que cheî tous les peuples, policés ou barbares , pour
etourau les hommes de la classe malheureuse sur leur
«»sere , et peut être pour les contenir en détournant leurs
pensées du sentiment de leur sort , on leur donne des
spectacles on leur permet des jeux, des fêtes, des amu-
semens puWics ; on a vu le peuple romain souffrir pa-
tiemment les cruautés de Néron , et se soulever quand on
voulut lut oter son Bouffon. Les seuls esclaves des colo-
nies ne peuvent avoir aucune sorte d'amusement. Tout est
Clandestin pour eux ; sous-prétexte que leurs asemblées
«e peuvent être qu'illicites , tumultueuses . ou leur défen4
de goûter lé seul plaisir qu'ils peuvent avoir. Comme si
i on pouvoit les empêcher de s'assembler en secret, comme
s. leurs assemblées publiques pourroient être aussi dan-
gereures que celles qu'ils tiennent la nuit ; comme si la
.ianse dont ils sont si passionnés , ne les écartoit pas des
»dees de complot qu'on redoute tant de leur part ! tandis"
qu en leur permettant de danser en présence d'un éco-
nome , ils s'amuseroieat assez pour ne plus chercher à la
laue de nuit et dnn« u. k„-
''"'' ^ss DOIS comm e on ne sauroit
lempêcher.Etl'on peut préférer une vie ausstri oublée
«ne tache aussi rude et aussi inhumaine , à la douceui
fr
\..im
Mt.:jir
( 37 )
d'une vie paisible , juste et bienfaisante l oh , que les
tyrans sont aveugles et malheureux !
Mais croira- 1- on par quelle politique véritable on s'op-
pose ainsi aux danses des nègres ? par jalousie.... Oui ,
les blancs , qui veulent avoir le droit exclusif et arbitraire
sur leurs négresses , craignent que s'ils les laissoient aller
dans des assemblées , des nègres partageroient leurs plai-
sirs Pauvres colons ! ignorent-ils qu'avec toutes leurs pré-
cautions leurs négresses préfèrent toujours un nègre ?
Loin donc de rien risquer en adoucissant le sort de leurs
esclaves^ ils y gagneroient de toutes les façons. L'esclave
le plus entendu ne pouvant amasser son prix que sur la
fin de sa carrière , il ne^ feroit qu'éviter sa perte ou les
charges de sa veillesse à son maître ; et «oute sa vie , le
seul espoir de devenir un jour libre , lui aura été un
stimulant , 01; plutôt un frein puissant et tout à l'avan-
tage du propriétaire.
Mais diront sans doute les maîtres qu'une ignorante cu-
pidité guide , si l'esclave avoit le droit de propriété réélis.
sur son pécule , il nous piileroit pour assurer plutôt son
sort. A cela je réponds, 1°. que toujours l'esclave esÊ
voleur , de quelque couleur quil soit ; S°. qu'il le seroit inr
finiment moins s'il avoit de quoi répondre de ses vols et
ménager davantage les bontés de son maître ; 3°. qu'en
établissant pour une de ses loix réglementaires que ses
vols l'éloigneroient d'autant de la liberté ; 4°. en établis-
sant une sorte d'amende sur son avoir.
Mais tel qu'est actuellement le sort de l'esclave , qui
peut le détourner du vol et le porter au bien , au tra-
vail , à la fidélité et à la sobriété ? qu'il fasse bien ou
mal à ses yeux , et dans le fait , c'est tout un , n'ayant
aucune sorte de récompense à en attendre. S'il pèche , il
est sûr, à la vérité , d'être rudement châtié ; mais s'il fait
son devoir , 41 est aussi sûr de n'en être point récompensé.
Car quand bien même son maître le voudroit , se résou-
droit-il à sacrifier sa valeur , si chère aujourd'hui, puis
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encore à donner la somme extraordinaire qu'il en coûte
pour obtenir son affranchissement ? les bons maîtres^
étoient empêchés par-là de récompenser leurs fidèles
sujets , et les mauvais trouvoient le prétexte de rnanquer
à la justice et à la bienfaisance. Le gouvernement con-
couroit donc , ou plutôt aggravoit , appesantissoit encore
le sort des esclaves en rendant leur affranchissement pres-
qu'impossibie ; tout ce que ceux-ci peuvent attendre de
leurs maîtres , pour leurs bons services , c'est de n'être pas
châtiés quand ils méritent des récompenses !...
On ne peut lire , sans une amère douleur , sans de
cruels déchiremens , dans le rapport des députés de l'Amé-
rique à l'assemblée nationale , que les nègres qui avoient
le plus à se louer des bontés de leurs maîtres , ont été
les premiers , pendant leur révolte , à les trahir et à le*
égorger.... Eh ! ne sont-ils donc pas déjà assez à plaindre!
faut-il encore chercher à les rendre plvis misérables ! et
n'êtes- vous pas assez entourés de danger ; faut-il réduire
les esclaves à un état plus désespérant encore ! Quoi? des^
hommes ont pu se flatter de persuader à une assemblée
composée des hommes les plus savans de tout l'em-
pire françois , que plus on fait de bien aux esclaves, et
plus ils sont méchans î que ceux qui avoient été les plus
maltraités sont ceux qui se sont montrés les plus fidèles ,
et les plus attachés à leurs maîtres, qui les ont défendus,
qui les ont sauvés ?.... Ainsi , votre conclusion barbare est
que vous les traitiés encore plus cruellement pour en être
mieux servis , plus aimés , et plus sûrement préservés !...
Oh ! quelle maxime.... et l'on a pu la mettre au jour !...»
Les Espagnols avoient une loi fort sage qu'en se poli-
çant ils ont abolie : un esclave pouvoit forcer son maître
de lui dçnner la liberté moyennant la somme de 1200 liv.
tournois. L'édit de 1784 accorde la liberté de Savanne à
toute négresse qui pourra présenter à son maître six en-
fans. Mais qu'est-ce pour elle que cette vaine image de
la liberté après laquelle le cœur de TesclaYe soupire tant ?
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j-m. jir jn -^r
(39)
Ne sait-elle pas bien que si elle vient à faire d'autres ei*;^
fans , ils n'en appartiendront pas moins à son maître ?
Ne sait-elle pas bien qu elle ne peut sortir de cette Savamie
sans un billet de fon maître , et que ce n'est-là qu une li-
berté absolue à toute mère de huit enfans vivans ? On eut
par-là donné naissance à de milliers de négrillons de plus ,
on eut rendu leurs mères plus soigneuses à les nourrir , à
les préserver des vers , à les échiquer. Eh bien , cette liberté
imaginaire , dont très-peu de négresses auroient pu jouir
parle pur hasard , croira-t-on qu'elle a été rejettée d'une
grande partie des colons ?
C'est* quelque chose de frappant que la chaleur avec
laquelle les esclaves poursuivent la liberté , et l'enthou-
siasme avec lequel ils la reçoivent : peut-on ne pas ap-
percevoir que c'est - là le moyen le plus efficace que
Ton puisse employer pour les porter à tout ce qu'on
doit en exiger , s'ils étoient sûrs d'en obtenir cette récom-
pense si chère à leurs cœurs ? mais il semble que , pour
servir le goût des colons , le gouvernement soit fâché de
voir sordr un esclave de son état. Et cependant on ne
peut plus douter aujourd'hui que le salut des colonies dé-
pende absolument du nombre des hommes de couleur
libres.
Voilà ce qu'une longue expérience m'a appris. Mon
projet, et bien mieux encçre mes réflexions, trouveront
peu de partisans parmi certains colons ; mais dans des vues
d'utilité générale , le bon citoyen s'élève sans crainte au-
dessus des considérations pardculières ; et quand son
examen a été fait par l'œil impartial de la raison et de
l'humanité , s'il n'a point les suffrages de tous ses conci-
toyens , il a la douceur du témoignage de sa véracité pour
se consoler.
M I L S G E N T , créole.
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